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Travail, Front national, climat: vos commentaires en direct

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Le programme complet

  • 18h-19h. Le grand entretien

Conduit par Joseph Confavreux et Jade Lindgaard
Après la conférence de Lima sur le climat, entretien avecFrançois Gemenne, chercheur en science politique à l'université de Liège (CEDEM) et à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est l'auteur de Géopolitique du changement climatique. Et avec Lucie Pinson des Amis de la Terre.

  • 19h-20h. Retour sur nos enquêtes. Spécial Front national.

Animé par Frédéric Bonnaud, Edwy Plenel et la rédaction de Mediapart
Un dossier spécial : le Front national, l'argent et l'entreprise familiale. Les révélations par Mediapart de financements russes massifs du parti d'extrême droite posent une cascade de questions sur la gestion de ce mouvement, ses relations à l'argent et les lois de financement de la politique.

  • 20h30-22h30. Travail en miettes, chômage de masse

Animé par Frédéric Bonnaud, Edwy Plenel et la rédaction de Mediapart

Avec en grand témoin Pierre Joxe. Ancien ministre, il a exploré en tant qu'avocat les différentes juridictions sociales (dont les prud'hommes) pour en dresser un état des lieux accablant (ici notre article).
Nos invités :

  • 1. Etat des lieux d'un salariat atomisé

Fiodor Rilov, avocat spécialiste du droit du travail. Il a été le défenseur des salariés dans plusieurs grands conflits sociaux (Continental, Mory-Ducros, Goodyear, Samsonite, Trois Suisses, etc.).
Danièle Linhart, sociologue, directrice émérite de recherches au CNRS. Spécialiste de la modernisation du travail et de l'emploi, elle travaille sur les nouvelles formes de pénibilités. Elle publie en janvier La Comédie humaine du travail, chez Erès. 
Jacques Rigaudiat, économiste, ancien conseiller de Michel Rocard, ancien conseiller social de Lionel Jospin, aujourd'hui membre de la Fondation Copernic.
Françoise Milewski, économiste à l'OFCE, membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes (sa biographie ici).

  • 2. Etat des luttes sociales

Frédéric Dippah, ancien chef d'entreprise prestataire de Chronopost qui s'est fait laminer par cette sous-traitance (ici notre article).
Christian Lahargue, ancien secrétaire CGT du CE de l'usine Continental de Clairoix (ici notre article).
Isabelle Maurer, au chômage, membre du Mouvement national des précaires et des chômeurs. En octobre 2013, sur France 2, elle avait renvoyé dans les cordes Jean-François Copé (article ici).
Karl Ghazi, responsable de CGT-commerce et du Clic-P, l’intersyndicale (CGT, CFDT, Sud, CGC et Unsa) qui lutte contre toute extension du travail dominical et du travail de nuit (lire notre enquête ici).

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Robert Ménard visé par une plainte après le licenciement du directeur des théâtres

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À Béziers (Hérault), le maire Robert Ménard, élu avec le soutien du Front national, est visé par une plainte pour « détournement de fonds publics » déposée par trois contribuables. Cette plainte, que Mediapart a pu consulter, a été déposée le 16 décembre au parquet de Béziers, par trois Biterrois – Guy Jeuilly, Christelle Pasturel et Violette Pailhes.

Au cœur du différend, les conditions du départ du directeur des théâtres et de la culture, Bruno Deschamps, dont le poste a été supprimé en juillet. Le 22 juillet, Robert Ménard a demandé au conseil municipal d'approuver la suppression de ce poste. Il a expliqué avoir licencié Bruno Deschamps pour qu'il puisse percevoir les indemnités de chômage, et ce à la demande de ce dernier. Bruno Deschamps conteste tout accord et déclare au contraire avoir été licencié sine die après s'être « accroché » avec le nouveau maire. Selon la plainte, cette suppression de poste s'avère « fictive » et les indemnités versées par la ville au directeur remercié seraient donc injustifiées. 

Ce réaménagement avait été annoncé lors du conseil municipal du 22 juillet, comme l’avait rapporté Midi-Libre. L’élu UMP, Elie Aboud, s’était étonné de la suppression de ce « poste sensible » et avait demandé en pleine séance des explications à Robert Ménard.

Tout en annonçant la désignation d'un nouveau « directeur des théâtres », le maire lui avait répondu : « Pourquoi sommes-nous obligés de faire cela ? Parce que M. Deschamps n’a pas eu l’audace de venir me dire: “Je ne suis pas d’accord avec vous, je pars.” Il m’a dit : “Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je voudrais être licencié pour avoir des indemnités de chômage.” Donc généreusement, j’accepte cela. J’aurais pu lui dire : puisque vous ne voulez pas nous fréquenter, Monsieur, par rapport à votre posture vous en prenez le risque. Quand tu quittes un boulot sur des principes comme cela, tu t’en vas. »

Robert Ménard dans son bureau de maire, le 6 novembre 2014.Robert Ménard dans son bureau de maire, le 6 novembre 2014. © M.T. / Mediapart

« Le débat, c’est que nous avons été obligés d’en passer par là pour pouvoir le licencier et qu’il ait des indemnités de chômage. Cela suffit ! » avait ensuite ajouté Robert Ménard, d’après le compte-rendu du conseil municipal.

L’élu communiste Aimé Couquet avait lui aussi demandé des précisions sur la suppression de ce poste « sur le plan administratif ». « Il a demandé à quitter son poste. (...) C’est pour lui permettre de toucher les indemnités de chômage. Je sais que c’est quelque chose qui vous échappe… », avait répondu Robert Ménard.

À l’issue du conseil municipal, le socialiste Jean-Michel Du Plââ, interrogé par Midi-Libre, avait estimé qu'« il n'était pas du tout obligatoire de passer par une telle délibération pour mettre fin aux fonctions du directeur des théâtres » et avait jugé cette procédure « plutôt étonnant(e) ».

Me Franck Rigaud, l'avocat des plaignants, estime, dans la plainte, que le maire de Béziers « met aux voix de son conseil municipal la suppression fictive du poste de directeur du théâtre et de la culture » mais qu’il « précise que la fonction indispensable pour la ville sera pourvue, afin de faire bénéficier son actuel directeur d’indemnités auxquelles il ne peut prétendre pour être démissionnaire, avec un paiement avec les deniers publics ». Les plaignants demandent au procureur de la République de Béziers d’ouvrir une enquête.

À Mediapart, Bruno Deschamps dément la version du maire de Béziers. « Tout cela est archi-faux. Je n'ai pas le pouvoir d'obliger Robert Ménard à prendre ce type de décision. J'ai été licencié "dans l'intérêt du service". On s'était un peu accrochés, et j'avais demandé à Robert Ménard un rendez-vous. Il a décidé de me licencier. Il a dû considérer qu'on ne pouvait pas travailler ensemble. » « Ce qu'il a dit en conseil municipal, en mon absence, est insultant à mon égard », estime-t-il.

Joint le 18 décembre par Mediapart, Robert Ménard a indiqué ne pas avoir été informé de cette plainte et qu'il la commentera « quand (il) aura le document en main ».

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Retour sur nos enquêtes : le FN, l'argent et la Russie

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Les révélations par Mediapart de financements russes massifs du parti d'extrême droite posent une cascade de questions sur la gestion de ce mouvement, ses relations à l'argent et les lois de financement de la politique. Autour de Frédéric Bonnaud et Edwy Plenel, nos journalistes qui ont enquêté sur les financements russes du Front national : Agathe Duparc, Karl Laske et Marine Turchi. 

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Le maire FN d'Hayange condamné à un an d'inéligibilité

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Le maire FN de Hayange, en Moselle, Fabien Engelmann, a été condamné vendredi 19 décembre à un an d'inéligibilité dans l'affaire de ses comptes de campagne truqués. Le maire n'est cependant pas contraint immédiatement à la démission puisqu'il a décidé de faire appel. Dans sa décision, le tribunal a estimé qu'il avait « commis un manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ». Engelmann est donc « déclaré inéligible pour une durée d'un an et démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal de la commune de Hayange à compter de la date à laquelle son jugement revêtira un caractère définitif »

Le tribunal administratif de Strasbourg avait confirmé jeudi 24 octobre au maire FN le rejet de ses comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP). Cette décision ne faisait guère de doutes, des frais d'impression ayant été réglés par une de ses colistières durant la campagne et non par son mandataire financier, ce qui est strictement interdit et entraîne le rejet automatique des comptes.

C'est un coup dur pour Engelmann, mais aussi pour le parti d'extrême droite lui-même : Hayange, la ville des derniers hauts-fourneaux de Lorraine désormais arrêtés, est une des onze municipalités conquises par le Front national en mars 2014.

Mis au courant depuis le mois d'août des irrégularités de la campagne du maire, le FN l'a toujours protégé, du moins officiellement. « Le maire conteste formellement cette situation, j’ai tendance à croire le maire, oui », avait expliqué Marine Le Pen sur France Info le 2 septembre, se contentant d'évoquer « une affaire de Clochemerle ». Quelques jours plus tard, elle avait une nouvelle fois balayé le sujet dans Le Monde, évoquant des « éléments minimes ». « Les premiers pas des villes FN sont remarquables », avait-elle assuré.

Adjoints « démissionnés », climat délétères, règlement de comptes, etc. Mediapart republie l'enquête parue le 8 septembre, sur cette ville où le FN implose. 

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De notre envoyé spécial à Hayange (Moselle).  « Montrez-moi d’abord votre carte de presse. » L’employé municipal veut bien parler. Mais loin du centre-ville et il faut montrer patte blanche. À la mairie, « il y a des mouchards ». Le maire épie. Sur les forums en ligne, sur les réseaux sociaux, il traque ses ennemis, réels ou imaginaires. 

En cinq mois, Hayange, ville de 16 000 habitants en Moselle conquise par le FN, une des onze municipalités gagnées en mars par le parti de Marine Le Pen, est devenu un camp retranché. D’un côté, les pro-Engelmann, anciens ou convertis, par conviction ou par intérêt. De l’autre, un bataillon de bric et de broc, frontistes en rupture de banc, militants de gauche et de droite, citoyens médusés, qui applaudissent ensemble au conseil municipal.

Fabien EngelmannFabien Engelmann © DR

Le Front national rêve de montrer qu'il est prêt à gouverner. Mais à Hayange, le maire Engelmann (35 ans), conseiller politique « au dialogue social » de Marine Le Pen, accumule bourdes et mesures contestées, sur fond de gestion autocrate. Maintenant que des arrangements financiers douteux de sa campagne sont dévoilés au grand jour, il risque de un à trois ans d’inéligibilité.

Il y en a une que ces révélations libèrent : Marie Da Silva, l'ancienne premier adjointe, celle par qui le scandale est arrivé. « Je dors très bien depuis que j’ai tout dit », lance-t-elle. Elle a transmis récemment des documents à la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), a déposé plainte le 2 septembre au TGI de Thionville contre Fabien Engelmann pour « abus de confiance, abus de bien social et harcèlement ».

Sur les affiches de campagne, Marie Da Silva était aux côtés de « Fabien ». Marie Da Silva, née Di Giovanni, est assistante de rédaction au Républicain lorrain. Elle a été encartée dix ans à la CGT, puis à Force ouvrière depuis son adhésion au Front national. C'était l'automne dernier. Marie Da Silva n’avait jamais fait de politique. Alain, le mari, est employé d’un sous-traitant d’ArcelorMittal en redressement judiciaire. Le couple habite une maison proprette juste derrière les « grands bureaux » de Florange, ce complexe industriel qui abrite les hauts-fourneaux, désormais à l’arrêt, que François Hollande s’était engagé à sauver. « Il y a eu Florange, et juste après Cahuzac. Je me suis dit : c’est bon, ils nous roulent sur la farine. J’ai contacté le FN. »

Pour Engelmann (passé par Lutte ouvrière et le NPA, c'est lui aussi un ancien de la CGT, qui l'a exclu), elle est une recrue de prix. Le « frontiste » est certes du cru – il est ouvrier municipal dans la mairie voisine de Nilvange, où travaille son père – mais il peine alors à constituer une liste qui fasse envie. Dans cette terre de tradition ouvrière ravagée par le chômage, Da Silva a le bon pedigree. Elle a été de toutes les associations. Commerçante à la fin des années 1980, elle a introduit les premiers « dessous sexy » sur le marché d’Hayange. Dans la vallée, elle est connue comme le loup blanc. Elle sera un recruteur efficace. « Sans moi, il n'aurait pas gagné », dit-elle. Le 30 mars, la liste Engelmann emporte la mairie avec 34,7 % des voix. Le maire PS, contesté, a été balayé au premier tour.

Sitôt élue, la première adjointe va déchanter. Et découvrir la réalité du personnage. Son Graal en main, le maire est devenu « autoritaire ». Engelmann affirmait à ses colistiers avoir posé des congés pour la campagne municipale ? Comme Mediapart l'a découvert, il était en arrêt maladie pendant plusieurs mois, alors que le FN s'en prend volontiers aux fraudeurs de la Sécurité sociale. Il vante la bonne gestion des deniers publics ? Le propriétaire de son ancienne permanence lui réclame 1 700 euros d’impayés. Elle s'aperçoit surtout que la campagne a été entachée d'irrégularités. Ses relations avec Engelmann deviennent exécrables. La crise dans les services municipaux s’amplifie.

Fin août, Marie Da Silva décide de révéler le linge sale du FN hayangeois. Par idéalisme (« je rêve d’un système anti-corruption »). Parce que la direction du parti, qu'elle a prévenue le 14 août, n'a pas réagi. Par ambition personnelle, ce qu’elle ne cache pas. Tant pis pour les éclats de verre. « Tu as livré Fabien aux chiens de la presse alors que cette affaire aurait pu être réglée en interne », l’accuse un frontiste. Elle dit au contraire croiser des habitants qui « lui disent merci les larmes aux yeux ».

Marie Da Silva interrogée par les journalistes, après le conseil municipal du 3 septembreMarie Da Silva interrogée par les journalistes, après le conseil municipal du 3 septembre © MM


Mercredi 3 septembre, dans l'atmosphère surchauffée du conseil municipal, Marie Da Silva s'est vu retirer son poste d'adjointe et ses délégations, au cours d'un vote douteux et sans isoloir, dont elle s’apprête à contester la régularité devant le tribunal administratif. Depuis sa nouvelle place, près d’une élue de gauche, elle a dénoncé une « chasse aux sorcières, une gestion des ressources humaines par la terreur et des arbitrages par le clientélisme ». Un opposant de droite a demandé la démission du maire. Marie Da Silva, sourire caméra professionnel, a tout redit devant les caméras. Son quart d'heure de gloire. Au premier étage de la mairie, les gros bras du FN et des opposants en sont presque venus aux mains.

L’« affaire » a éclaté le 23 août. Ce jour-là, le maire reçoit une équipe de Canal Plus. Il propose de faire l’entretien sur le perron de l’hôtel de ville. Dans le café en face, comme tous les samedis matin, Alain Da Silva sirote son petit noir. « J’ai pas réfléchi, j’ai foncé sur lui. » En survêtement, il lui réclame « son fric ». « Je veux mon fric. Tu as eu du fric en campagne que tu n'as pas déclaré. Je veux mon fric. » Il parle de « 3 000 euros ».

Diffusée sur Canal plus une semaine plus tard, la scène tourne sur les sites d’infos et réseaux sociaux. (Vidéo à partir de 14'50)

Pendant des mois, Marie Da Silva a pensé qu’une campagne électorale, c’était du cash qui se balade, des petits arrangements financiers. Un système digne des Pieds Nickelés, à mille lieues des règles strictes de la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CNCCFP) qui vérifie les comptes des candidats.

Elle a beaucoup fait les courses, des centaines d'euros, persuadée qu’on la rembourserait plus tard : du vin, de la viande, des timbres. Elle a fait établir des factures, certaines au nom du mandataire financier. Mais personne ne les lui a réclamées. Alors elle les a rangées dans un classeur. Fabien Engelmann ne nie pas ces dépenses courantes. Il affirme qu'elles n'avaient pas à être incluses dans le compte de campagne.

Foule et barrières en plastique au conseil municipal, mercredi 3 septembreFoule et barrières en plastique au conseil municipal, mercredi 3 septembre © MM

Marie Da Silva a surtout réglé l'imprimeur. C'était en mars, à la fin de la campagne. Comme Mediapart l’a révélé, le mandataire financier, Patrice Philippot, un responsable départemental du FN, n’a plus d’argent sur son compte. Il faut des tracts en urgence. Le 10 mars, un mandat en liquide de 1 000 euros au nom de Marie Da Silva est versé sur le compte d’un intermédiaire qui passe commande sur Internet.

Le 25 mars, entre les deux tours, Da Silva effectue un nouveau versement de 575 euros (lire notre enquête ici). « On a fait un tract que moi j’ai payé d’abord toute seule, dit-elle le 21 août au maire lors d'un échange téléphonique de vingt-cinq minutes que Mediapart a consulté. Et on a fait un deuxième tract plus petit (…) la semaine suivante qu’on a été à trois à payer, toi, moi et Damien. » Le fameux « Damien » est Damien Bourgois, un ancien du DPS, le service de sécurité du FN, désormais premier adjoint. Il nie avoir « donné de l'argent ce jour-là ».

Comme Mediapart l'a déjà raconté, les frais d'imprimeur seront remboursés à Marie Da Silva un mois et demi plus tard, grâce à un versement … sur le compte de sa belle-fille. Ce genre de « paiements directs » de la part des colistiers ou du candidat est pourtant interdit par la CNCCFP. C’est même un motif de rejet automatique des comptes de campagne. Patrice Philippot, le mandataire financier, un des responsables départementaux du FN, dit avoir tout ignoré. « C’est obligatoire de passer par le mandataire. Je ne savais pas qu’ils avaient fait ça. Si je l’avais su, j’aurais interdit au candidat de faire avancer de l’argent. » S’estime-t-il floué par son candidat ? « Je vous demande d’arrêter de me parler », dit-il, agacé, avant de raccrocher.

Marie Da Silva ne fait pas que payer : elle donne, aussi. Pendant une campagne électorale, les dons des personnes physiques sont possibles dans la limite de 4 600 euros. Mais chacun doit être déclaré, versé sur le compte du mandataire, faire l’objet de reçus délivrés par les préfectures. En novembre 2013, elle signe un chèque de 1 000 euros, au nom de Fabien Engelmann. Elle en a gardé la copie et la trace sur son compte. Quand Marie Da Silva le lui rappelle, le 21 août, il dit n'avoir « aucun souvenir ». Sollicité par Mediapart la semaine dernière, Fabien Engelmann avait expliqué que Marie Da Silva lui avait « acheté (s)on ancien Scenic » . En fait, comme le prouve le certificat d’immatriculation que Mediapart a pu consulter, le Scenic a été vendu le 16 août dernier à un garagiste de Thionville. « La cession est bien au nom de M. Engelmann, confirme le garagiste. Je l’ai acheté 250 euros. C’était une épave. »

Marie Da Silva est-elle la seule à avoir donné de l’argent ? Le 21 août, dans cette même conversation avec le maire, Marie Da Silva lui rappelle qu'un autre adjoint, Jordan Francioni, lui a aussi « prêté » 500 euros. « Je ne réponds pas à Mediapart », a opposé Francioni par SMS à nos sollicitations, sans démentir.

« Beaucoup d’argent a circulé pendant cette campagne », affirme un autre adjoint FN sous couvert d’anonymat. Engelmann multiplie alors les appels aux dons. « Il en parlait assez souvent, disait qu’il fallait aider », raconte Patrice Hainy, l’adjoint aux sports, qui a pris fait et cause pour Marie Da Silva. Officiellement, c’est pour « trinquer ». Dans la permanence d'Engelmann, il y a toujours une tirelire en forme de cochon. Les militants donnent aussi des enveloppes, comme cette militante qui avoue avoir donné 100 euros « mais veu[t] que ça reste ignoré ».

Hayange, centre-villeHayange, centre-ville © MM

Les soirées militantes sont une autre occasion de collecter des dons. « En mars, avant le premier tour, lors de deux réunions thématiques, on a récolté pas mal de dons, raconte Marie Da Silva. Les participants donnaient à moi ou à Fabien, ou alors mettaient directement dans le cochon. Il y avait beaucoup de billets qui circulaient, des 10, 20 euros. Je ne sais pas combien d’argent a été récolté à chaque fois. » Cet argent, Marie Da Silva dit l'avoir remis à Fabien Engelmann. Le soupçonne-t-elle d'en avoir gardé une partie pour lui ? « Je suis en droit de me poser la question », lance-t-elle. Sollicité sur ces dons, Fabien Engelmann n'a pas répondu.

En tout cas, aucun de ses dons n'a fait l'objet du moindre reçu. Ils ne figurent pas dans les comptes de la campagne. Ce que confirme Patrice Philippot, le mandataire financier. « On avait précisé entre nous deux (Fabien Engelmann et lui, ndlr) qu’on ne prenait aucun don pour ne pas faire de papiers (sic) », explique-t-il. Dans un document interne datant de mars 2014, rédigé par le M. élections du FN, Jean-François Jalkh, le « recueil de dons sans passer par le mandataire financier » fait partie des « péchés mortels » à éviter absolument.

Depuis le 14 août, la direction du FN est informée des bizarreries de la campagne électorale de Fabien Engelmann. Ce jour-là, Marie Da Silva, son mari et deux adjoints se rendent à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). La ville où Marine Le Pen s’était présentée aux législatives en 2012, face à Jean-Luc Mélenchon, a été remportée en mars dernier par Steeve Briois, le secrétaire général du parti, membre de la garde rapprochée de la présidente du FN.

Des photos les montrent, tout fiers, dans la mairie d’Hénin, symbole des conquêtes municipales du FN. L’après-midi, ils sont reçus par Briois et Bruno Bilde, un de ses adjoints. L’entretien dure trois heures, dans le bureau du maire. Briois demande des documents avant la fin du mois, en prévision du bureau national de rentrée, puis leur fait visiter la ville. Une semaine plus tard, le 22 août, Briois et Bilde reçoivent un dossier par courrier électronique. Des factures, des chèques, un des deux mandats-comptes prouvant les versements en liquide pour régler l’imprimeur. Marie Da Silva réclame un « retour rapide » : le 12 août, elle a été désavouée lors d'une réunion des adjoints conduite par Engelmann. Le 25, celui-ci lui a retiré ses délégations.

Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange.Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange. © dr

Le 27 août, Marie Da Silva adresse un ultimatum à plusieurs dirigeants du Front national. Marine Le Pen est informée. Elle lui fait passer le message : ne prendre aucune décision avant le bureau politique du 1er septembre, elle reviendra rapidement vers elle. Elle n'en fera rien. « C'est une affaire de Clochemerle, tranche-t-elle le 2 septembre sur France Info. Le maire conteste formellement cette situation, j'ai tendance à croire le maire. »

Depuis, des cadres du parti, dont le trésorier et avocat du FN, ont pris leurs distances avec Engelmann. De hauts responsables ne cachent plus leur embarras. Mais Marine Le Pen fait le dos rond. Ce week-end, dans Le Monde, la présidente du FN a évoqué des « éléments minimes », ajoutant que « les premiers pas des villes FN sont remarquables ».

Au-delà des irrégularités de sa campagne, les cinq premiers mois de Fabien Engelmann à la mairie ne peuvent pourtant qu'interroger sur la capacité réelle du parti à gérer des collectivités.

« En cinq mois, la commune a changé », a assuré Engelmann au conseil municipal du 3 septembre, citant la sécurité et la propreté. En réalité, le bilan est maigre. Un arrêté anti-mendicité a éloigné la poignée de personnes qui traînaient de temps en temps dans la ville. Pour le reste… Engelmann avait promis de baisser ses indemnités de maire ? Il a réduit celles de ses adjoints, pas la sienne. L’audit financier, sans cesse retardé, vient juste d’être lancé. Le FN vient de faire voter la hausse des loyers des logements vacants appartenant à la ville, une augmentation des tarifs de location pour les salles municipales, une baisse de l'aide de la mairie aux transports scolaires. « Pendant la campagne, vous avez montré la vitrine du FN, on commence à apercevoir l’arrière-boutique, lui a rétorqué l’ancien maire socialiste, Philippe David, à la table du conseil municipal. Hayange est isolée, vitrifiée. Vous n’avez aucun projet structurant, sinon des broutilles ou des coloriages. »

La sculpture municipale en forme d'œuf repeinte en bleu sur ordre du maireLa sculpture municipale en forme d'œuf repeinte en bleu sur ordre du maire © MM

En réalité, Engelmann met beaucoup d'énergie à faire parler de lui. Il s'est entêté à repeindre en bleu un œuf ornant une fontaine en granit de l'artiste Alain Mila, en face de la mairie. Ses services l'en avaient dissuadé, certains adjoints aussi. En vain. Coup de projecteur médiatique garanti. Mais une œuvre d'art ne peut être modifiée sans l'accord de l'artiste. Au cœur de l'été, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et élue de Moselle, a déploré une « violation manifeste du droit moral et des règles élémentaires du code de la propriété intellectuelle et de la protection du patrimoine ». Ces derniers jours, le maire a ordonné aux services techniques de gratter la peinture. Mais ils n'y sont pas parvenus. L'œuf va devoir être descellé, transporté par une société privée dans un atelier municipal, puis déplacé. Il faudra ensuite refaire la fontaine. La note risque d'atteindre des milliers d'euros.

Engelmann a enlevé le drapeau européen à la mairie, rajouté des drapeaux français. Il a aussi fait repeindre en bleu-blanc-rouge des wagons de mines qui servent de bacs à fleurs. Une « tentative de réinterprétation de l'Histoire », alors que « des immigrés de seize nationalités différentes se sont retrouvés au fond des mines de la région », selon l'association «Hayange plus belle ma ville ». Il devrait bientôt en faire repeindre un autre. Militant de la condition animale, Fabien Engelmann construit un chenil dans les ateliers municipaux. Et va baptiser une rue au nom de Brigitte-Bardot.

Les wagons miniers repeints en bleu-blanc-rougeLes wagons miniers repeints en bleu-blanc-rouge © MM

Pour le reste, le maire déploie la panoplie habituelle de l'extrême droite quand elle gère une ville. « Ils sont à l’extrême droite de l’extrême droite », dit un adjoint FN. La commune met depuis toujours des salles à disposition des syndicats. Ils devront bientôt payer un loyer. Le Palace, le cinéma municipal, n'ouvre plus que très rarement. Le maire souhaite le vendre, selon l’adjointe à la culture, Emmanuelle Springmann, qui n'a plus voix au chapitre. Le partenariat avec le festival du film arabe de la ville voisine de Fameck ne sera pas reconduit. « C’est une erreur. On est là pour tout le monde », déplore Springmann. Une association de danse orientale qui souhaitait emprunter un local s'est vu retoquer son dossier. « On m’a répondu que si on commence comme ça, il y aura bientôt des femmes voilées », raconte Patrice Hainy, l’adjoint aux sports. Discrètement, le maire tente de persuader les vendeurs maghrébins du marché d'aller vendre un peu plus loin. Il n'y aura pas non plus de parking à côté de la mosquée, comme Marie Da Silva l'avait promis à l'imam pendant la campagne. Dimanche 14 septembre, le maire organise la première « Fête du cochon ». Un hommage à la tradition « lorraine », où il est assuré que les musulmans d'Hayange ne se rendront pas.

«Cochon qui s'en dédit». Dimanche 14 septembre, Hayange organise sa première «Fête du Cochon»«Cochon qui s'en dédit». Dimanche 14 septembre, Hayange organise sa première «Fête du Cochon» © Capture d'écran du site de la mairie d'Hayange

La mairie est comme un bateau sans cap. Il n'y a pas de DRH, pas de directeur des services financiers. Quant à la directrice générale des services, elle a décidé de partir fin août, à la fin de sa période d'essai de trois mois. Élisabeth Calou-Lalesart est pourtant idéologiquement en phase avec le maire.

Candidate du « Rassemblement Bleu Marine » aux municipales à Saint-Cyr-sur-Mer (Var), cette chef d'entreprise était arrivée à Hayange par l'intermédiaire de la sphère anti-islam qui gravite autour du FN. Comme Engelmann, c'est une proche de Riposte laïque, qui a édité son livre, intitulé Pas de voile pour Marianne. Elle côtoie les fondateurs de Riposte laïque Christine Tasin et Pierre Cassen, ou le groupe « Génération Patriotes », animé par Stéphane Lorménil, l'ancien suppléant de Fabien Engelmann aux législatives de 2012.

Pourtant, la collaboration a tourné court. À la mairie, Engelmann décide seul, avec quelques adjoints et colistiers qui bénéficient de ses faveurs (un logement social, des bons du CCAS…). « Le maire est un gourou, avec sa petite cour autour qui applaudit. Engelmann, c'est Louis XIV », dit un adjoint FN. Alors qu'il héberge Élisabeth Calou, le maire augmente son salaire pour qu'elle lui reverse un loyer en liquide. Devant son refus, il baisse à nouveau son salaire, comme elle l'a rapporté à Libération.

Ce lundi 8 septembre, le syndicaliste CGT qui a accompagné Calou à son dernier entretien a même été convoqué par le maire qui lui reproche un « abandon de poste ». Avant de regagner le sud de la France, Calou a décrit à des proches une atmosphère de « peur », des salariés en souffrance, une ambiance « digne d'un film d'Al Capone ». Sollicitée, Élisabeth Calou a refusé de nous répondre : « Je ne souhaite plus m'en mêler, je veux tourner la page. » Elle vient d'être embauchée au Luc (Var), autre ville gagnée par le FN en mars.

Le Palace, cinéma que le maire veut vendreLe Palace, cinéma que le maire veut vendre © MM

Dans les services, l'atmosphère est lourde. Une dizaine de personnes sont parties. L'ancien DGS et son adjointe bien sûr, comme c'est souvent le cas quand une mairie bascule. L'ancienne directrice du Centre communal d'action sociale, qui ne voulait pas travailler avec le FN. Mais aussi des fonctionnaires de catégories B ou C, dans d'autres collectivités ou en disponibilité. « Le personnel de la mairie a peur », déplore l'adjoint aux sports, Patrice Hainy. Le dernier tract de la CGT déplore « fuite des compétences, désorganisation, démantèlement des services, sanctions abusives ». « La gestion d'Engelmann, c'est de la folie pure. Il intimide. Il soupçonne, il espionne, il sanctionne », dit Hugues Miller, secrétaire général des territoriaux CGT d'Hayange. Le maire veut supprimer 25 % des effectifs de la mairie. Mais d'après Miller, « il augmente dans le même temps des contrats aidés pour remplacer des contractuels en attente de titularisation ». Et embauche qui il veut.

Dans les couloirs de la mairie, l'ambiance est déplorable. « Un venin », dit la femme d'un employé « à bout ». « Tout le monde surveille tout le monde », dit ce fonctionnaire. « J'aimerais qu'il y ait de nouvelles élections, rêve tout haut un adjoint Front national. Comme ça je pourrais me barrer. C’est la première fois que je m’engage en politique, on ne m’y reprendra pas. Le FN, ils sont mouillés maintenant. Ils ne sont plus près d’avoir ma voix. »

BOITE NOIRECes dernières années, je me suis rendu à plusieurs reprises à Hayange (par exemple ou ). Cette fois, je m'y suis installé trois jours, de mercredi à vendredi dernier, pour raconter un premier bilan de la gestion de Fabien Engelmann. De peur des représailles, plusieurs personnes ont souhaité témoigner sous couvert d'anonymat.

Cet article a été publié initialement le 8 septembre. Une seconde version a été publiée le 19 décembre après la condamnation à un an d'inéligibilité de Fabien Engelmann.

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Le procès Bettencourt aura bien lieu

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Le procès de l'affaire Bettencourt s'ouvrira comme prévu le 26 janvier au tribunal correctionnel de Bordeaux. Le planning des débats a été remis ce vendredi matin aux avocats lors d'une réunion de préparation du procès avec les magistrats bordelais. Aucune demande de report du procès n'a été présentée à ce stade, mais plusieurs avocats de la défense préparent des incidents de procédure pour le 26 janvier, à la faveur de la surprenante mise en examen de Claire Thibout, ex-comptable des Bettencourt, par le juge d'instruction parisien Roger Le Loire (lire notre article ici).

Dix prévenus, dont Eric Woerth et Patrice de Maistre, devront répondre de différents délits, allant de l'abus de faiblesse au recel en passant par le blanchiment. Un dossier accablant, instruit pendant trois ans par un collège de trois juges financiers bordelais... et dont ne dispose pas dans son intégralité le juge parisien Roger Le Loire.

Par ailleurs, l’ancien ministre du budget et l'ex-gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt comparaîtront encore à Bordeaux, lors d'un deuxième procès, à partir du 23 mars, pour « trafic d’influence ». Ce volet de l'affaire concerne la Légion d’honneur accordée à Patrice de Maistre par Eric Woerth en remerciement de l'embauche de son épouse.

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Pierre Joxe: «Je suis éberlué par cette politique qui va contre notre histoire»

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« Éberlué », « stupéfait », « ahurissant ». Pierre Joxe, animal politique au sang-froid, a rarement usé d'autant d'adjectifs que dans l'entretien qu'il nous a accordé dans le cadre de notre émission « En direct de Mediapart », jeudi 18 décembre. Plusieurs fois ministre de François Mitterrand, ancien président de la Cour des comptes, ancien membre du Conseil constitutionnel, Pierre Joxe (ici sa fiche Wikipedia) s'était gardé jusqu'alors d'évaluer en détail la politique conduite par François Hollande et Manuel Valls. Le projet de loi Macron, adopté ce mois-ci en conseil des ministres et dont l'examen doit débuter au Parlement le 26 janvier prochain, l'a visiblement incité à sortir du bois.

L'ancien ministre dénonce une entreprise de « déconstruction du droit social », des dispositions « ahurissantes », fait le parallèle avec la fin de la SFIO – «En 1956, on a voté Mendès France, on a eu Guy Mollet » –, et estime que « l’espérance est en danger ».

Voici cet entretien vidéo, suivi d'une retranscription écrite.

Quand nous vous avons présenté le thème de cet entretien, « le travail en miettes », vous nous avez dit : « C’est surtout le code du travail qui est en miettes. » Pourquoi ?

Le droit du travail est en miettes car le mouvement qui a lieu en ce moment en France, et pas seulement en France, est un mouvement de déconstruction du droit du travail. Il faut comprendre que le droit du travail est un droit d’exception : c’est un droit qui dit non au code civil, qui dit non au droit du libéralisme, qui dit « non, la liberté n’est pas complète », on ne peut pas embaucher des enfants dans les usines, en 1834, etc. Et c’est un droit qui repose sur une action collective puisque tout le droit du travail a progressé sous la pression de l’action syndicale. En France, les lois progressistes ont toujours suivi les grandes manifestations syndicales. Même le repos hebdomadaire ! Cela a culminé avec le Front populaire, la Libération et, en quelques occasions auxquelles j’ai d’ailleurs participé, par exemple avec les lois Auroux.

Aujourd’hui, on assiste à une déconstruction. Ce n’est pas une démolition, c’est un effritement. Il y a une accélération récente et je pense qu’on va en parler avec cette loi (Macron – ndlr). Elle concerne souvent le droit du travail mais n’associe même pas le ministre du travail ! C’est une situation juridique étrange ! Le droit du travail est un droit qui ne donne pas la priorité au contrat mais qui dit que la loi s’impose au contrat : c’est la loi qui protège car le contrat peut asservir, sauf justement s’il respecte la loi. Or nous assistons à un autre mouvement, un mouvement inverse qui veut rendre au contrat la place qui a justement été conquise par le droit du travail et les mobilisations sociales.

Alors parlons de cette loi Macron, faite par le ministre de l’économie et qui n’associe pas le ministre du travail…

Je vous interromps : on parle d’une loi – loi Aubry, loi Auroux – lorsqu’elle a été votée. Pour le moment, il y a un projet de loi qui s’appelle, imprudemment peut-être...

Vous voulez dire que M. Macron n’est pas encore rentré dans l’histoire ?

Oh si, sûrement, parce qu’il ressemble un peu à Emmanuelli… Tous les deux étaient chez Rothschild, tous les deux sont entrés au gouvernement.

Pourquoi la gauche qui est au pouvoir accompagne-t-elle cette régression ?

Je ne sais pas. Il y a eu des éléments précurseurs. On aurait dû s’alarmer lorsqu’on a lu dans un journal, il y a un an, signé par un certain nombre de députés socialistes, dont Le Guen qui est aujourd’hui ministre des relations avec le Parlement, ce texte que je cite : « Il faudra que Hollande s’attaque à un redoutable tabou national, celui des rigidités d’un code du travail qui est devenu un puissant répulsif de l’emploi. » Qu’une dizaine de députés socialistes puissent signer, un siècle après la création par Clemenceau du premier ministère du travail, un siècle après le premier code du travail, un siècle après la première loi sur le repos hebdomadaire, un texte expliquant que le code du travail est un puissant répulsif, c’est stupéfiant !

Il se trouve que quand Me Parisot était présidente du Medef, elle disait ceci : « Nous préconisons une réforme de la constitution afin de reconnaître le droit à la négociation et de permettre aux représentants des employeurs et des salariés de fixer les modalités des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit à la sécurité sociale. »

Donc c'est toujours cette idée qu’il faut retirer au règne de la loi, et aux représentants de la souveraineté nationale, la responsabilité de fixer les règles dans le monde du travail. C’est une idée qui chemine depuis longtemps.

Alors évidemment, elle éclot avec cette nouvelle loi et on est d’autant plus stupéfait qu’on y trouve des choses ahurissantes. Par exemple, la pénalisation de l’entrave. Vous savez que le délit d’entrave, c’est empêcher les délégués syndicaux ou les représentants du personnel de remplir leurs missions. C’est un délit du droit pénal du travail. Eh bien, l’article 85 de ce projet de loi (Macron - ndlr) prévoit que par ordonnances (donc, en évitant le débat public) le gouvernement pourrait réviser la nature et le montant des peines applicables en cas de délit d’entrave. C’est-à-dire qu’on envisage de revoir cela alors que ni la loi d’amnistie de 1981 (celle de Mitterrand), ni la loi d’amnistie de la droite en 1995, ni la loi d’amnistie de 2002, n’a porté atteinte à cette règle un peu mythique mais qui consiste à dire que si un employeur viole la loi et fait entrave, il peut être condamné au pénal…

Moi, je ne comprends pas. Je pense que le débat aura lieu mais là, comme c’est prévu par ordonnances, cela veut dire qu’on veut fuir le débat. Or je pense que ce débat doit être porté très largement.

Vous évoquiez d’autres mesures, lesquelles ?

Quand j’étais au Conseil constitutionnel… J’ai beaucoup souffert au Conseil constitutionnel, j’étais très seul, pendant quelque temps il y avait mon ami Colliard (ndlr) et on avait à peu près les mêmes opinions, mais par la suite les conservateurs et les réactionnaires étaient tellement majoritaires que moi j’étais finalement solitaire. J’ai donc vu les saisines de mes amis du groupe socialiste et je vous en ai apporté une, signée Sapin, Ayrault, Hollande, Leroux, Valls, Cambadélis, Bartolone. C’est la décision DC2008568 du Conseil constitutionnel qui attaque une disposition du projet de loi dit de « rénovation de la démocratie sociale » – vous imaginez ce qu’il pouvait y avoir dedans. Mes amis socialistes ont attaqué, à juste titre, en rappelant que « la loi doit déterminer elle-même les principes fondamentaux du droit du travail et encadrer le champ ouvert à la négociation collective ». C’est-à-dire que cette saisine par le groupe socialiste rappelle le principe sacré que c’est la loi qui fixe les principes du droit du travail et qu’on ne doit pas les laisser à la négociation collective, où finalement le patronat est toujours plus fort que les organisations syndicales, sauf dans les grandes périodes de crise type Front populaire ou Libération.

Pierre Joxe lors de notre émissionPierre Joxe lors de notre émission

Donc, ce qui est exactement l’inverse de ce qu’on appelle l’ANI, l’Accord national interprofessionnel…

Oui, l’ANI, c’était l’année dernière. Et donc, sur cette saisine, le Conseil constitutionnel avait dit que les dispositions contestées – c’était à propos des contreparties obligatoires sur les questions du repos dominical et des heures supplémentaires – l’étaient à juste titre et les avait censurées.

Et cela concernait déjà le travail du dimanche.

Oui, et les heures supplémentaires. Donc, c’est absolument ahurissant.

Que pensez-vous du débat sur le travail du dimanche, êtes-vous d’accord avec la tribune de Martine Aubry ?

Alors, je vais peut-être vous étonner, je n’ai pas lu la tribune de Martine Aubry mais je n’ai pas besoin de la lire pour savoir ce qu’elle en pense. Martine Aubry a été l’excellente collaboratrice de Jean Auroux, puis ministre du travail. Comme tous les gens qui ont un peu d’expérience dans ce domaine, elle sait très bien que l’existence du travail du dimanche est nécessaire : il y a les hôpitaux, les transports en commun, la police, etc. Mais le développement du travail du dimanche dans le commerce – et c’est la grande activité dans laquelle il y a aujourd’hui les salariés les plus faibles, les moins qualifiés, les plus remplaçables –, ce développement est exclusivement destiné aux intérêts des groupes de la grande distribution. Je ne dis pas principalement, je dis exclusivement ! Et là je ne comprends pas très bien.

Dans votre livre Soif de justice, vous dites : quand la gauche reviendra au pouvoir il faudra « désarkozyfier ». Aujourd’hui on a plutôt l’impression de marcher sur sa lancée. Quel effet cela fait de se dire que la gauche au pouvoir va plus loin que le président qu’elle a remplacé ?

D’abord ce n’est pas la gauche qui a remplacé un président. Il y a un élu par la gauche qui a remplacé un président élu par la droite. Les conditions dans lesquelles fonctionne le gouvernement actuel sont surprenantes, puisque le PS avait choisi un candidat parmi trois. Il y en avait un seul qui avait eu un résultat très faible dans l’investiture primaire, c’était Manuel Valls avec 5 %. Évidemment, deux ans après, quand il gouverne la France, beaucoup de gens sont surpris…

La gauche dans son programme n’a jamais envisagé des réformes du droit du travail du genre de celles qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour. Il y a donc un problème interne non pas à la gauche ou au PS, mais interne au groupe socialiste. La démocratie libérale n’aime pas le droit social, et la France a progressé dans la voie du droit social avec Jaurès, Clemenceau – qui a créé le ministère du travail et les assurances sociales –, le Front populaire… C’est une construction continue qui va dans le sens d’un progrès. Aujourd’hui, on est à contre-emploi de notre histoire. Cette phase éberlue n’importe qui.

La gauche n’a pas été élue pour faire une politique aussi surprenante qui ne va pas du tout dans le sens de l’histoire de la gauche, et je pense que c’est quelque chose qui va se débattre dans les mois qui viennent.

Vous avez dit : « Nous sommes éberlués. » Est-ce que cela veut dire que vous qui avez été président du groupe socialiste, figure de l’alternance, vous êtes comme nous tous, tétanisés et vous donnez votre langue au chat ? Comment nous donner l’explication de ce qui se passe ?

Je ne suis pas tétanisé, d’ailleurs je suis vacciné contre le tétanos. Je ne donne pas non plus ma langue au chat mais je n’ai pas d’explication sur ce qui se passe en ce moment. Une grande partie des Français ne comprennent pas ce qui se passe. La situation dans laquelle nous nous trouvons est assez comparable à celle du référendum sur l’Europe en 2005. Ce référendum a divisé la gauche. J’étais de ceux qui étaient contre, certains nous ridiculisaient en nous disant que l’on était à contre-courant de l’histoire, mais les Français ont voté non. Ils ont voté non mais personne n’en a tenu compte, particulièrement le parti socialiste.

C’est aujourd’hui une situation qui me fait penser à la guerre d’Algérie. En 1956, les Français ont voté pour Mendès France, c’est-à-dire contre les guerres coloniales. Sauf que ce n’est pas Mendès que Coty a appelé, c’est Guy Mollet, et on a eu l’inverse. La situation actuelle a quelque chose de commun avec ces périodes de balancement.

Je pense qu’il va y avoir une profonde réflexion sur la prise de pouvoir par la gauche socialiste. Nous avons pris le pouvoir en 1981 après une victoire de l’union de la gauche. C’était déjà le pouvoir de ce que Jospin appellera plus tard la gauche plurielle. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir en France ou ailleurs une victoire de la gauche sans qu’il y ait un rassemblement avec toutes les forces de gauche. Je le répète, nous sommes dans une période de réflexion qui commence seulement, en particulier avec ces lois qui sont tellement à contre-courant de l’histoire de notre droit social.

Vous êtes toujours membre du parti socialiste, c’est votre famille ?

C’est ma famille. J’ai fondé le parti socialiste, j’ai participé à sa création, c’est même la première fois que j’ai adhéré à un parti. Mais comme beaucoup au parti socialiste, cette famille est devenue un peu théorique.

Que répondez-vous aux gens qui sont très durs en ce moment ? On lit souvent : ce qu’est en train de faire la gauche, la droite n’aurait jamais osé le faire parce qu’elle aurait mis la gauche dans la rue…

Ce n’est pas vrai que la droite n’aurait pas osé le faire, elle l’a fait. Il y a eu la loi Borloo, il y a eu d’autres lois antérieures plus ou moins avancées. Là n’est pas le problème. Le problème, c’est ce qu’il y a devant nous en Europe. Ce mouvement de déconstruction du droit du travail n’est pas particulier à la France : il est beaucoup plus avancé en Angleterre, on ne sait pas ce qu’il va se passer en Italie. Ce qui est devant nous, c’est ce que l’opinion française va faire. Toutes les personnes qui sont dans les tribunaux, devant les juridictions sociales de base, ce ne sont que des gens pauvres ou très pauvres et en plus en situation de faiblesse économique, sociale, culturelle, personnelle…

Et là je pense qu’il y a quand même un certain danger dans la montée du Front national. La problématique qui est devant nous est : comment va évoluer la gauche, l’extrême droite, et comment les uns vont évoluer par rapport aux autres ?

Forcément, l’année 2015 va être celle d’une profonde réflexion à gauche, chez la population française mais aussi chez ceux qui ne sont classés politiquement ni à gauche ni à droite et qui se demandent où on va. La sécurité sociale, le droit du travail, les délégués du personnel, correspondent à des institutions qui ont été cristallisées à la Libération. Or la Libération est une période où la France est optimiste. La France se reconstruit avec espérance, avec un système social qui est aujourd’hui encore là, qui a été élargi par certaines mesures, en particulier Aubry, et abîmé par certaines réformes, mais il est encore là. Le problème qui se pose quand on regarde ce qui se passe en Angleterre ou aux États-Unis c’est, est-ce qu’il sera encore là dans vingt ans ?

Vous avez évoqué la figure de Mendès France. À l’initiative de votre amie Françoise Seligmann, qui est décédée en 2013 le même jour que Stéphane Hessel deux ans plus tôt, vous rendiez hommage à Mendès France dans un numéro de sa revue Après-demain. Je lis ici la conclusion de cet article. « Trente ans après le décès de Mendès France, un demi-siècle avec la mort de la IVe République, on sait de quoi les républiques peuvent être malades, à en mourir quand elles bafouent les libertés et renient le droit. Le souvenir de Mendès France est comme un fantôme qui hante notre histoire contemporaine, le fantôme de la clairvoyance et du courage politique, hélas tous les fantômes ne sont pas des revenants. » Le numéro de cette revue s’appelait « La République est en danger ». Aujourd’hui, pensez-vous que la République est en danger ?

La France a une chance, c’est qu’elle a une tradition historique de lutte politique très forte, ça peut la protéger plus que d’autres pays. Je suis plus inquiet quand je vois certaines tendances en Italie, même en Allemagne. Je ne pense pas que la République soit en danger, ou alors elle est toujours en danger. Ce qui est en danger, c’est l’espérance.

Elle est en danger si on ne s’occupe pas de l’espérance ? Si on ne s’engage pas, si on ne résiste pas ?

Non, c’est l’espérance qui est en danger. Parce que la France est une République sociale. La Constitution dit quoi ? Que la République n’est pas seulement la loi de la majorité, que la majorité ne peut pas opprimer. Elle dit que la République a pour fonction d’élaborer une société où les chances des enfants, où les possibilités des hommes et des femmes tendent vers l’égalité. Ce n’est pas l’égalitarisme, c’est aller vers l’égalité. Et ça, c’est une espérance, c’était l’espérance très forte de la Libération, l’espérance très forte de la Révolution, de 1848, de la Commune de Paris, du Front populaire. Et celle de certains moments de l’histoire, avec Mendès, avec Mitterrand aussi. Et cette espérance-là, il ne faut pas qu’elle meure.

Avez-vous été surpris par un état de grande misère de l’ensemble de ces juridictions sociales, de ce que vous appelez la justice des pauvres ?

C’est vrai que j’ai commencé à faire un reportage sur les juridictions sociales comme je l’avais fait pour les juridictions pour enfants. Comme beaucoup de gens, je ne connaissais pratiquement pas les juridictions sociales, à part les prud’hommes. Les gens ne connaissent pas du tout, par exemple, les tribunaux de Sécurité sociale, etc. Or l’ensemble de ces juridictions, du droit du travail et de la protection sociale, rendent 500 000 décisions par an, 500 000 décisions au fond ! Il y a trois millions de décisions par an dans la justice française, 2 millions pour les affaires civiles, 500 000 dans la justice pénale et 500 000 dans les juridictions sociales. Cela fait 2 000 décisions tous les jours dans ces juridictions largement inconnues. Et elles concernent essentiellement des gens pauvres, très pauvres, précaires ; beaucoup de mères célibataires, des gens à l’abandon. Et ce qui est terrible, c’est que la pauvreté de la justice en général en France est encore accentuée dans ces juridictions sociales qui ne tiennent que par le dévouement de magistrats et d’avocats.

Et en plus avec des délais effrayants le plus souvent…

Oui, des délais incroyables et d’autant plus incroyables que je suis allé visiter ce qui se passe en Belgique, en Suisse, en Allemagne… En Suisse, les conseils des prud’hommes quand ils ont un mois de retard, tout le monde en est malade. En Belgique, il y a ce qu’on appelle le tribunal du travail : il regroupe les prud’hommes, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les tribunaux du contentieux de la capacité. Eh bien, en Belgique, non seulement c’est à l’heure, cela fonctionne, mais en plus ce sont les meilleurs magistrats, ils font les carrières les plus brillantes. Et, en plus, dans ce tribunal, il y a ce qu’on appelle le parquet social, c’est un représentant de l’État…

Donc quand on regarde ce qui se passe en Allemagne depuis un siècle, en Belgique depuis trente ans, en Suisse depuis toujours, on se demande comment la France, qui était tout de même à l’origine le pays où le droit social était en avance, peut avoir une justice sociale aussi en retard. En 2013, l’État a été condamné 17 fois à des dizaines de milliers d’euros pour déni de justice, c’est-à-dire pour ne pas avoir rendu de décision dans les délais. Moi-même, je suis éberlué par ce que j’ai vu, comme je suis éberlué de voir que plus de deux ans après le changement de gouvernement, aucune mesure n’a été prise pour améliorer cela, sauf maintenant une réforme des prud’hommes qui ne me paraît pas de la meilleure inspiration.

BOITE NOIRECet entretien diffusé en direct jeudi 18 décembre lors de notre émission a été légèrement réécrit. Les questions apparaissent à l'écrit dans un ordre différent.

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Juppé-Sarkozy vu par Edouard Philippe : une embuscade à la loyale

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Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, l’UMP est passée du stade des tensions, et des sifflets, à l’époque des câlins et des bisous. Embrassons-nous Folleville. Officiellement les adversaires d’hier travaillent ensemble, en parfaite affection, et pas une fois, dans cet entretien d’une trentaine de minutes, le sémillant Édouard Philippe ne s’est écarté de sa ligne de conduite : comme son mentor et maître en politique, Alain Juppé, il connaît trop les règles de la cohabitation (« Le premier qui tire est mort », disait Édouard Balladur) pour dire du mal du président de son parti. Il n’a donc, officiellement, aucun a priori sur Nicolas Sarkozy, sauf qu'il l’attend au tournant, dans une embuscade à la loyale.

« Cette loyauté n’est pas une soumission, et cette liberté on y tient », précise-t-il dès le début. Donc il n’a rien à redire sur le fait que M. Sarkozy s’entoure de ses proches dans son organigramme opérationnel, simplement il rappelle que « la primaire doit être une réussite ».   

Pourquoi changer les statuts de l'UMP, adoptés l’année dernière ?

« Là je ne sais pas très bien, répond-il d’un ton aimable. Sarkozy a indiqué qu’il voulait tout changer, mais il n’a pas été d’une clarté totale sur ce qu’il voulait changer. On va voir ce que ça donne. Je ne sais pas. C’est comme le changement de nom. Là, je m’en fous un peu. Ce qui compte, c’est la ligne politique.

— C’est-à-dire ? lui demande Mediapart.

— Sur le mariage par exemple. Sur l’Europe aussi, dont il veut supprimer cinquante pour cent des compétences sans préciser lesquelles. »

Et il lâche au passage sa franche amabilité : « Ce que je remarque, c’est que sur la ligne politique, les tensions s’expriment en fait entre ceux qui ont soutenu Nicolas Sarkozy. Ça mérite d’être noté. »

Même mesure à propos de l’affaire Bygmalion. Même confiance officielle, qui ressemble à une mise au pied du mur : « Il ne s’agit pas d’accuser, il s’agit de comprendre. J’ai envie de savoir ce qui s’est passé, et c’est de l’intérêt de tout le monde de savoir. Nicolas Sarkozy a toujours dit qu’il était la première victime de cette affaire, je pense que c’est son intérêt de démontrer qu’il n’y a pas eu dérapage dans sa campagne. Il y a une procédure judiciaire qui est engagée, donc je suis assez convaincu qu’on va savoir ce qui s’est passé. »

L’intéressé appréciera.

Cette manière de faire corps avec son camp, donc avec son président, tout en maintenant ses distances, est moins simple à tenir à propos du train de vie de Nicolas Sarkozy (lire l’article d’Ellen Salvi « Pouvoir, argent et conférences, l’intenable mélange des genres de Nicolas Sarkozy »). Elle donne lieu, à la quinzième minute de l’entretien, à une confrontation serrée entre Mediapart et son invité.

« N’y a-t-il pas un problème éthique ? demande Mediapart.

— Ça ne pose pas de problème juridique, répond Édouard Philippe, qui ajoute : Moi je ne trouve pas ça choquant...

— C’est pourtant totalement choquant », insistent les journalistes.

La suite dans l’entretien, en vidéo :

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Le barrage de Sivens, l'Europe et l'Etat têtu

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Le gouvernement ne sait toujours pas quoi faire du projet de barrage de Sivens (Tarn). Dernier épisode : le processus de concertation lancé par Ségolène Royal début novembre après la mort de Rémi Fraisse est dans l’impasse. Les experts nommés par le ministère de l’écologie pour faciliter la discussion entre monde agricole et associations de défense de l’environnement devaient restituer jeudi 18 décembre une synthèse des débats menés depuis un mois et demi, en vue d’un texte d’accord ce vendredi. Mais les différends restent trop substantiels pour que ce calendrier d’apaisement se déroule comme prévu. Le ministère de l’écologie a finalement annulé la réunion de restitution et convoqué séparément professions agricoles et écologistes à rencontrer Ségolène Royal. Les experts proposent trois solutions, selon RTL : un barrage plus petit mais toujours à Sivens, des retenues d'eau ou des canalisations.

Lors de la dernière réunion, le 5 décembre, la création d’une réserve latérale sur la rivière Tescou, afin de compléter les volumes d’eau utilisés pour les cultures, a été proposée, en sus d’un meilleur usage des réserves existantes. Les opposants au barrage de Sivens y semblaient favorables, tandis que les représentants des agriculteurs ne paraissaient pas s’y opposer. Mais depuis, la FNSEA a appelé à manifester en défense du barrage de Sivens lui-même. Et la tension a continué de monter dans le contexte de la campagne pour les élections départementales. La maison de Ben Lefetey, porte-parole du collectif pour la défense de la zone humide du Testet, a été taguée (« Ici vit Ben Laden »). Dans ces conditions, difficile de trouver un consensus. La concertation pourrait se prolonger en janvier.

En fait, depuis le départ, l’État est passé en force pour faire construire le barrage, malgré les alertes. En même temps que les élus, ses représentants locaux se sont fourvoyés dans un projet sans issue et ont ainsi couru à la catastrophe.

Le feuilleton rocambolesque de la subvention européenne, qui représente 30 % du financement de l’ouvrage, est exemplaire de l’égarement auto-entretenu de la puissance publique sur ce dossier devenu dramatique depuis la mort de Rémi Fraisse, tué par un gendarme dans la nuit du 25 au 26 octobre.

En novembre 2011, à la fin du quinquennat Sarkozy, les ministères de l’écologie et de l’agriculture publient un rapport sur les retenues de stockage d’eau dans le bassin d’Adour-Garonne, entre les Pyrénées et le Massif central. Le projet de barrage de Sivens y est décrit sous un jour favorable mais sous réserve. Les auteurs mettent en garde la puissance publique : « Le recours à un financement européen est conditionné au fait que les superficies irriguées ne soient pas accrues. Dans l’hypothèse alternative, le plan de financement devrait être modifié. » C’est une remarque importante car les développeurs du projet comptent sur des subsides européens. Près d’un an plus tard, en septembre 2012, le dossier d’enquête publique (p. 68) indique que les surfaces irriguées devraient augmenter de 100 hectares (de 409 à 509 ha). Soit exactement la situation décrite par le rapport ministériel de 2011 comme incompatible avec une aide européenne.

Démarre alors un échange de courriers ubuesque entre le Collectif pour la défense de la zone humide du Testet, regroupant des opposants au projet de barrage, et la puissance publique. Sa lecture permet de reconstituer la construction par l’administration d’une véritable barrière d’opacité. En juin 2013, le collectif demande à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Midi-Pyrénées (DRAAF), une antenne régionale du ministère de l’agriculture, si les conditions d’éligibilité à l’aide européenne sont bien réunies. Réponse en juillet : voyez avec la direction départementale des territoires (DDT) du Tarn qui instruit la demande de financement FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural. Surprise, c’est la préfète du Tarn elle-même, Josiane Chevalier, qui répond au courrier suivant : « L’instruction de la demande de subvention liée au projet de retenue de Sivens est actuellement en cours. L’éligibilité ne peut être prononcée à ce jour. » En août 2013, l’État explique donc instruire une demande de subvention pour un projet de barrage dont il ne peut garantir l’éligibilité à l’aide en question. Mais alors, qui décide ?

Dessin en hommage à Rémi Fraisse (Tant qu'il y aura des bouilles).Dessin en hommage à Rémi Fraisse (Tant qu'il y aura des bouilles).

En octobre, le comité de programmation FEADER se réunit à la préfecture. Selon le compte-rendu que Mediapart a pu lire, Bruno Lion, de la DRAAF, y explique que c’est l’autorité de gestion, c’est-à-dire la préfecture de région, qui décide d’attribuer ou non le financement. Quelques semaines plus tard, en novembre 2013, la DRAAF, en tant que service déconcentré de l’État, notifie au conseil général du Tarn, porteur du projet de barrage, que 2,03 millions d’euros leur sont accordés au titre du fonds européen.

Mais pourquoi ce feu vert, malgré le problème de l’irrigation ? Le feuilleton des questions et des non-réponses continue. En février 2014, l’eurodéputée (EELV) Catherine Grèze demande à la Commission européenne si elle peut bloquer cette subvention. Mais pour Bruxelles, « il revient prioritairement aux services nationaux de contrôle de vérifier si l’octroi de l’aide s’est fait dans le respect des règles en vigueur ». Qui donc contrôle, alors ? Le collectif du Testet reprend la plume pour interroger cette fois l’Agence de services et de paiement (ASP) Midi-Pyrénées, un établissement public interministériel. Encore raté ! En juillet 2014, l’ASP leur explique qu’elle a « pour obligation de vérifier l’éligibilité des dépenses présentées pour paiement et leur régularité par rapport aux décisions juridiques prises par l’Autorité de gestion ». Et non pas de contrôler si la subvention européenne lorgnée peut bien être sollicitée. « Il n’y a pas de contrôle indépendant, aucune possibilité de contestation, analyse Ben Lefetey, porte-parole du collectif. Comme l’État porte le projet, il est validé automatiquement. »

En octobre 2014, les experts nommés par Ségolène Royal remettent un rapport critique sur le projet de barrage qui a valeur d’alerte : « Il y a un véritable problème de compatibilité entre le projet, tel qu’il est actuellement présenté, les règles d’intervention du FEADER, et les règles applicables en matière d’aides publiques. » Fin novembre, l’Europe ouvre une procédure d’infraction contre la France pour non-respect de la législation européenne. Elle ne vise pas l’éligibilité à la subvention européenne en tant que telle mais elle s’appuie sur l’augmentation du prélèvement en eau sur le bassin, de nature à détériorer le milieu ambiant, soit ce fameux critère d’éligibilité jamais pris au sérieux par les autorités françaises.

Le projet de barrage de Sivens ne soulève pas qu’une question environnementale. Il pose aussi un sérieux problème de démocratie : conflit d’intérêts du maître d’ouvrage, la compagnie d’aménagement des coteaux de Gasgogne (revoir ici notre débat filmé à ce sujet), capture de l’intérêt général par le conseil général du Tarn, sourd et aveugle aux critiques, brutalité de la répression des opposants. C’est aussi la crise d’un État carapaçonné derrière ses procédures administratives et n’acceptant jamais de rendre des comptes, ni d’entendre les alertes lancées par ses propres instances de veille. Ce fut le cas au niveau départemental et régional. Mais aussi à l’échelle ministérielle.

Le 12 octobre 2012 Delphine Batho, alors ministre de l’écologie, met en place un moratoire sur « la réalisation de travaux de création de retenues de substitution ».

Tous les barrages sont bloqués et une mission parlementaire est nommée sur « la gestion quantitative de l’eau en agriculture ». Elle est confiée à Philippe Martin, député du Gers, département voisin du Tarn, qui rend son mémoire en juin 2013. Un mois plus tard, Batho est limogée et remplacée par… Philippe Martin. Le 11 octobre, par une lettre aux agences de l’eau, il lève le moratoire de sa prédécesseure : « Dès à présent, à titre transitoire, pour les projets administrativement bien engagés et devant bénéficier d’une aide FEADER programmée en 2013, vous pourrez proposer à vos instances le financement de telles retenues de substitution à certaines conditions (amélioration de l’état des milieux, objectif de réduction des prélèvements pour l’irrigation). »

Lettre de Philippe Martin levant le moratoire de Delphine Batho.

C’est cette missive qui débloque le projet de barrage de Sivens.

Dans son livre, Delphine Batho écrit : « On raconte en Deux-Sèvres qu’au lendemain de mon remplacement par Philippe Martin à la tête du ministère de l’écologie, les céréaliers irrigants de Vendée et de Charente-Maritime ont sablé le champagne pour fêter ça. » Et elle ajoute : « J’ignore si l’anecdote est vraie, mais ils avaient une bonne raison de se réjouir puisque le moratoire que j’avais mis en place sur les bassines – ces retenues de substitution destinées à l’arrosage massif des grandes cultures céréalières – a presque immédiatement été levé. »

Sollicité par Mediapart, Philippe Martin répond qu’il n’a fait qu’appliquer la feuille de route de la conférence environnementale, conclue quelques semaines plus tôt. Une table ronde y a été consacrée à l’eau. Elle inscrit parmi les chantiers prioritaires la « sortie du moratoire sur les retenues de substitution ». Pour l’ancien ministre, « dans un cadre un peu difficile, ma lettre aurait dû donner des clés pour que les gens sur le terrain vérifient si le projet qu’ils s’apprêtaient à financer répondait aux différents critères ».

Mais pourquoi le ministère n’a-t-il pas tenu compte des avis critiques sur le barrage de Sivens livrés par ses propres instances : clairement défavorables, pour le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) en avril et de nouveau en septembre 2013 ; pas opposé mais réservé pour l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (juin 2012) ? Qu’est-ce qui empêchait le ministère d’exclure du moratoire les projets à problèmes ? La réponse de Philippe Martin fait froid dans le dos : « Je ne sais pas. Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu connaissance de ces avis négatifs. Ce n’est pas remonté jusqu’à moi. »

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Alstom : la prime au démantèlement

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C’est la décision de trop. Au moment où la direction d’Alstom présentait en assemblée générale la cession de sa branche énergie à General Electric pour 12,3 milliards d’euros, qui a été approuvée le 19 décembre à 99,2 % par les actionnaires, cette même direction a décidé de s’octroyer une gratification hors norme pour cette vente. La CGT du groupe a dénoncé, jeudi 18 décembre, l’attitude du PDG. Patrick Kron va recevoir 150 000 actions, équivalant à 4,1 millions d’euros, soit deux fois son salaire annuel, pour avoir bien su négocier la vente de 70 % du chiffre d’affaires de son groupe au géant américain. « Une prime de Noël », dit le syndicat. Cette mesure a été votée à l’unanimité du conseil d’administration d’Alstom. Elle avait été proposée par le comité de rémunération du groupe dirigé par Jean-Martin Folz, un ancien du groupe Pechiney, comme Patrick Kron.

Cette gratification, « conditionnée au succès de la transaction », n’a pas été soumise au vote consultatif des actionnaires qui devaient se prononcer sur la cession de la branche des activités électriques lors de l’assemblée générale extraordinaire du 17 décembre. Elle le sera lors de l’assemblée générale ordinaire en juillet 2015. « 2 000 hauts dirigeants vont également se partager 60 millions d'euros », payés cette fois par General Electric, s’est indignée la CGT, accusant la direction de mener « une casse industrielle ». 65 000 salariés sont appelés à passer sous le giron du groupe américain.

Patrick KronPatrick Kron © Reuters

Il y a longtemps que les patrons ont perdu tout sens des responsabilités et de conduite honorable dès qu’il s’agit de leurs rémunérations. Le « toujours plus » et « le hors norme » sont devenus la règle. Mais dans ce cas précis, comment justifier une récompense de 150 000 actions, selon les critères mêmes des règles patronales de création de valeur, et de préservation de l’intérêt social du groupe ? Patrick Kron a-t-il vraiment négocié au mieux dans l’intérêt d’Alstom ? Le député PS Razzi Hammadi se rappelle les déclarations de Patrick Kron en mai dernier devant la commission des affaires économiques : « Il n’y a aucun intérêt particulier, aucun intérêt personnel, seulement l’intérêt de l’entreprise », avait assuré le PDG d’Alstom.

À y regarder de plus près, Alstom est très loin d’avoir trouvé l’accord équilibré qui justifiait, selon lui, de préférer l’offre de GE à toutes les autres (Siemens, Mitsubishi). Même les rares verrous qu’avait essayés de poser Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie, pour tenter de préserver les intérêts français, ont été contournés, comme le révèle une enquête très détaillée publiée sur Déontofi.com. Dans le cadre de l’accord avec l’État français, il avait été convenu la création de trois co-entreprises, une dans les réseaux, une dans les énergies renouvelables, notamment l’éolien, et une dans les activités nucléaire et vapeur dans le monde. Pour consolider ce partenariat, l’État avait annoncé sa volonté de prendre une golden share (action privilégiée) dans ces co-entreprises et d’entrer à hauteur de 20 % dans le capital d’Alstom.

L’accord final est loin de l’annonce de juin, comme le prouve le document de référence du groupe. Dans les co-entreprises spécialisées dans les réseaux électriques et les énergies renouvelables, le partage en apparence est égalitaire, à 50/50 à une voix près. GE obtient la voix qui fait la différence, celle qui fait balancer la décision dans un sens, celle qui, en fait, donne le pouvoir. Dans la co-entreprise spécialisée dans le nucléaire, c’est encore pire. Alstom n’aura que 20 % du capital. Statutairement, il lui est accordé 50 % des droits de vote, moins deux voix. On sait ce qu’il peut advenir des accords statutaires, quand ils ne sont pas liés par un pouvoir capitalistique.

Autant dire tout de suite qu’Alstom a abandonné l’ensemble de ses activités à GE, avec des montages habiles pour faire croire à une relation équilibrée. Lors de son assemblée générale, il n’a été question que de l’avenir d’Alstom Transports. Aucune mention n’a été faite à ces co-entreprises, comme si le groupe français avait déjà tiré un trait dessus. La dernière clause acceptée dans le cadre de l’accord avec GE ne laisse d’ailleurs guère de doute sur la suite. En cas de changement de contrôle actionnarial de ce qui reste du groupe français, celui-ci se retrouve dans l’obligation de vendre toutes ses participations dans les co-entreprises à GE.

Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires, peut-il ne pas avoir vu toutes ces dispositions, contraires à l’esprit et à la lettre de l’accord de juin ? Cela ne semble pas, en tout cas, l’avoir indisposé. Le 5 novembre, il annonçait qu’au « terme de six mois de discussions approfondies entre l’État, GE, Alstom, mais aussi EDF et Areva, clients d’Alstom », il donnait son autorisation à l’investissement de GE dans Alstom. « Emmanuel Macron s’est assuré, avec vigilance, que les intérêts de l’État, la pérennité de la filière nucléaire et la sécurisation de l’approvisionnement énergétique de la France sont pleinement pris en compte dans cette opération. (…) Ces différents accords et contrats constituent un dispositif juridique solide et complet, qui protège pleinement les intérêts nationaux que le gouvernement a poursuivis dans ce dossier depuis le mois d’avril », précisait le communiqué du ministère.

La dernière surprise de cet accord a surgi lors de l’assemblée générale des actionnaires ce vendredi. Ces derniers se posaient beaucoup de questions sur les poursuites judiciaires engagées par la justice américaine contre la filiale électrique d’Alstom, accusée de corruption. Selon l’agence Bloomberg, le groupe est sur le point de trouver un accord avec le département de la justice. Il serait menacé d’une amende de 700 millions de dollars (570 millions d’euros). Selon nos informations, la justice américaine pourrait demander la mise à l’écart d’une vingtaine de personnes, comme elle l’a fait dans le cas de BNP Paribas.

Jusqu’alors, Alstom n’a cessé de minimiser l’importance de cette procédure judiciaire aux États-Unis. Lors des négociations, le groupe français avait déclaré que GE s’engageait à prendre à sa charge les suites judiciaires de la branche électrique. Cela avait été un des arguments supplémentaires pour privilégier l’offre américaine. Jean-Martin Folz avait notamment déclaré à Arnaud Montebourg que l’offre de Mitsubishi était moins bonne car elle laissait les risques juridiques à la charge de l’entreprise. Mais lors de l’assemblée générale, la direction d’Alstom a radicalement changé de version. C’est Alstom SA – c’est-à-dire le groupe français –, a répété Patrick Kron à plusieurs reprises, qui assumera la charge de l’amende américaine, et non GE. Aucune provision n’a jusqu’à présent été passée dans les comptes du groupe pour ce risque judiciaire.

Ce dernier revirement jette un trouble supplémentaire sur cette cession, qui, pour beaucoup, ressemble à une liquidation. Depuis le début du processus, l’enquête lancée aux États-Unis pour faits de corruption apparaît comme un enjeu caché du démantèlement d’Alstom, comme Mediapart l’a raconté (voir notre article Vente d’Alstom : l’enjeu caché de la corruption).

Le groupe français est inculpé depuis juillet 2013 pour violation de la loi américaine contre la corruption (Foreign corrupt pratices Act ; FCPA). La justice américaine l’accuse d’avoir versé des pots-de-vin, par l’intermédiaire de "consultants", à des hommes politiques indonésiens pour emporter un contrat d’équipement de 118 millions de dollars, connu sous le nom de projet Tarahan, auprès du groupe public indonésien d’électricité PLN en 2001. Fin mars 2014, le département de la justice a décidé d’élargir ses poursuites à d’autres contrats, notamment en Chine et en Inde.

Pendant longtemps, Alstom s’est tu sur ce dossier. Prévenu en 2010 par le département américain de la justice, il a feint l’indifférence. Pour Patrick Kron, toutes les pratiques qui avaient lieu avant son arrivée ne relevaient plus du groupe. Celui-ci avait donc refusé tout accord transactionnel (settlement), à la différence de Marubeni, impliqué dans le même dossier indonésien. Le groupe japonais a accepté de signer un accord avec la justice et de payer 88 millions de dollars d’amende. Ses cadres n’ont pas été inquiétés par des procédures pénales. 

Turbine à gazTurbine à gaz © Reuters

Il en va tout autrement pour Alstom. À partir de 2013, quatre cadres du groupe travaillant dans des filiales américaines ont été inculpés pour blanchiment et corruption dans le cadre de l’affaire Tarahan. Deux d’entre eux ont même été emprisonnés. Une soixantaine de cadres du groupe ont été avertis, dès cette période, qu’ils pourraient faire l’objet de convocation devant la justice, lors de leur déplacement aux États-Unis. Même si Patrick Kron n’était pas dans le groupe au moment des faits, il était aussi concerné par la procédure en tant que PDG. La responsabilité des membres du conseil peut aussi être mise en cause, notamment celle de Jean-Martin Folz, alors président du comité d’éthique.

« L’Élysée et le Quai d’Orsay ont été informés, notamment par les familles des cadres emprisonnés, des difficultés judiciaires d’Alstom, au moment du voyage de François Hollande aux États-Unis (en février 2014 - ndlr). Mais c’était aussi au moment où BNP Paribas était aux prises avec la justice américaine. Jouyet a préféré mobiliser tous les moyens sur la banque. Mais finalement, ils ont perdu sur les deux tableaux », raconte un connaisseur du dossier.

Dans quelle mesure cette procédure judiciaire américaine a-t-elle pesé sur la cession de la branche énergie d’Alstom ? À plusieurs reprises, le groupe a nié qu’il y ait la moindre interférence entre ce dossier judiciaire et la vente à GE. Patrick Kron nous a assuré « qu’il n’existait aucun lien » entre les deux. Pourtant, au fur et à mesure que la justice américaine a resserré ses griffes sur le groupe français, la direction d’Alstom a paru sombrer dans un pessimisme aggravé pour l’avenir du groupe.

Le 6 novembre 2013, quand le groupe publie son résultat semestriel, la direction paraît encore confiante dans l’avenir. Même si les temps sont difficiles notamment en Europe, où les électriciens ferment des capacités et abandonnent tous les projets de développement, pour cause de récession et d’effondrement du marché énergétique européen, le groupe pense pouvoir traverser la tempête. À l’époque, Patrick Kron ne parle pas du manque de taille critique de la branche énergie face aux géants mondiaux, comme il l’a fait lors de l’assemblée générale du 17 décembre pour justifier la vente à GE.

Un plan de restructuration est alors présenté, passant par la suppression de 1 300 emplois. Le groupe exclut aussi toute augmentation de capital, estimant ne pas en avoir besoin. Mais l’ouverture du capital de sa filiale transports est alors évoquée. Une alliance avec le constructeur russe TMH pourrait apporter un milliard d’euros au groupe, dit-on.

La direction maintient aussi ses prévisions pour le second semestre. « Les appels d’offres sont nombreux et nous anticipons un niveau de prises de commandes plus élevé dans les prochains mois, ce qui contribuera au rebond du cash-flow au second semestre », indique alors Patrick Kron. Ces assurances sont saluées à la Bourse, où le cours prend 4,65 % pour atteindre 28,35 euros.

Quelques semaines plus tard, la situation semble avoir radicalement changé. Le 21 janvier, Alstom émet un avertissement sur ses résultats (profit warning), pour la première fois depuis dix ans. Compte tenu de la stagnation de la demande en Europe et du ralentissement dans les pays émergents, le groupe indique « anticiper un cash-flow libre légèrement négatif au deuxième trimestre ». Cette seule indication suffit pour faire chuter le cours de bourse, qui retombe à 21 euros. Dans la foulée, le groupe Bouygues, son principal actionnaire avec 29 % du capital, annonce en février une dépréciation de sa participation, à hauteur de 1,4 milliard d’euros. Cette décision, qui met Bouygues dans le rouge, précipite une nouvelle chute boursière d’Alstom.

Les rumeurs de difficultés chez Alstom s’accélèrent. D’autant que son principal actionnaire est lui-même en difficulté avec sa filiale de télécommunication mobile, alors que les cartes se redistribuent dans le secteur avec la vente de SFR. Patrick Kron et Martin Bouygues, pourtant, assurent qu’ils ont les moyens de tenir. Martin Bouygues répète que le projet de mise en bourse de la partie transports d’Alstom est toujours d’actualité, pour aider le groupe financièrement.

Pourtant, dans le même temps, Alstom a déjà commencé à lancer un plan B. Patrick Poux-Guillaume – un ancien de Pechiney lui aussi –, président d'Alstom Grid (réseaux), qui connaît GE pour avoir travaillé avec le groupe sur la reprise de T&D, la filiale réseaux et distribution d’Areva, lorsqu’il était dans le fonds CVC Capital, a commencé des travaux d’approche auprès du géant américain vers la fin 2013. En janvier, ce dernier, accompagné de Keith Carr, le directeur juridique du groupe qui négocie directement avec le département américain de la justice, ont entamé des discussions informelles avec les équipes de GE. Le 9 février, Patrick Kron et Jeff Immelt se retrouvent à dîner au Bristol, comme l’a raconté Le Figaro.

Patrick Kron et Jeffrey ImmeltPatrick Kron et Jeffrey Immelt © Reuters

Les premières tentatives d’approche sont nouées. Jeffrey Immelt, bien décidé à ne pas laisser passer une si belle occasion, a informé son conseil d’administration des discussions en cours avec Alstom. Une équipe est formée pour travailler vite et discrètement sur la reprise des activités énergie du groupe. Des responsables d’Alstom font des présentations approfondies des différents métiers de la branche énergie aux responsables de GE. Le 7 avril, le groupe américain engage la phase deux de l’examen approfondi (due diligences) du groupe. En quelques semaines, les formes d’un accord sont arrêtées. La direction d’Alstom semble décidément très pressée de conclure. Mais son conseil d’administration n’a toujours pas officiellement délibéré sur le sujet.

Le 23 avril, Patrick Kron est aux États-Unis pour rencontrer Jeffrey Immelt. « Avant ce rendez-vous, je ne savais pas si un accord était possible, mercredi soir, j'y croyais », racontera par la suite Patrick Kron, dans un entretien au Monde. Dans les faits, la rencontre est destinée à conclure la cession finale de la branche énergie. Un conseil d’administration a été convoqué, le même jour, chez Alstom pour le dimanche 27 afin d’entériner la vente. Il est prévu d’annoncer l’opération en grande pompe le lendemain matin.

Mais entre-temps, une dépêche Bloomberg a éventé le projet. Alstom dément. Mais le mal est fait. Le ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, découvre la cession à venir. Furieux de ne pas avoir été averti, il met en branle tout l’appareil d’État pour bloquer la vente, et essayer d’éviter le démantèlement d’Alstom. D’autres, en revanche, semblent être très au courant, comme l’a raconté Challenges. « Le titre Alstom s’est réveillé dès le 16 avril et s’est affolé le 23 avril, avec une hausse de 4 % dans un volume anormal de près de 6 millions d’actions. Alors, qui était au courant avant le 24 avril ? » s’interroge l’hebdomadaire. Arnaud Montebourg saisira l’autorité des marchés financiers le 12 mai pour ouvrir une enquête sur d’éventuels délits d’initiés. Il n’y a aucune nouvelle de cette enquête...

Ce même 23 avril, qui est décidément une journée très particulière pour Alstom, Lawrence Hoskins, ancien vice-président d'Alstom pour la zone Asie, est arrêté par le FBI dans les îles Vierges américaines. Un pur hasard, comme il se doit. Il sera présenté à un tribunal du Connecticut le 19 mai et libéré sous caution, par la suite. Mais il est toujours poursuivi pénalement.

Sous la pression d’Arnaud Montebourg, Alstom est obligé de différer la vente de son activité énergie et d’engager des semblants de discussions avec l’allemand Siemens. Mais, malgré les tentatives du gouvernement, le processus démarré par la direction d’Alstom est trop engagé pour être renversé. Arnaud Montebourg réussit cependant à arracher le principe de trois co-entreprises dans les domaines considérés comme stratégiques et l’entrée de l’État dans le capital d’Alstom à hauteur de 20 % afin de stabiliser l’actionnariat. Depuis qu’Arnaud Montebourg a quitté le gouvernement, ces engagements semblent devenus « facultatifs ».

À partir du moment où la vente à GE lui a semblé inéluctable, la direction d’Alstom a retrouvé une certaine confiance en l’avenir. À l’entendre, les résultats sont beaucoup moins catastrophiques qu’elle ne le redoutait. Le 7 mai, lors de la présentation de ses comptes annuels, le groupe annonce avoir « réalisé une performance commerciale meilleure au second semestre de l’exercice, ce qui a permis au groupe de terminer l’année avec un ratio de commandes reçues sur chiffre d’affaires supérieur à 1 ». Surtout, son cash-flow libre,  facteur critique aux yeux de la direction en janvier, a finalement été positif au second semestre.

Depuis, la cession à GE a été acceptée par le conseil d’administration d’Alstom, et les relations avec la justice américaine semblent s’être assouplies. En septembre, Frédéric Pierucci, dirigeant de la filiale énergie d’Alstom dans le Connecticut et vice-président des ventes mondiales, emprisonné depuis avril 2013, a finalement été libéré. Il avait plaidé coupable dans le dossier Tarahan, ainsi que William Pomponi, vice-président de la même filiale américaine, chargé des ventes régionales du groupe. Leur procès devrait avoir lieu en 2015.

Dès que la cession d’Alstom Power avait été conclue, Patrick Kron avait annoncé qu’il quitterait le groupe une fois la cession définitivement réalisée, en juin 2015. Son successeur désigné est Henri Poupart-Lafarge, responsable de la branche transports et très proche de Martin Bouygues. Patrick Kron a répété son intention d’abandonner le groupe, lors de l’assemblée générale.

Le JDD a annoncé dimanche que son nom circulait pour prendre la direction de Sanofi. Une rumeur démentie par Serge Weinberg, président du groupe pharmaceutique, celui-ci estimant qu’il n’avait pas le bon profil, n’étant pas spécialiste de la pharmacie.   

Pourtant, le nom de Patrick Kron est évoqué depuis longtemps pour Sanofi. Dès le printemps, certains le voyaient atterrir dans le groupe pharmaceutique, y compris parmi les cadres dirigeants d’Alstom. Sa nomination comme administrateur de Sanofi, annoncée le 5 mars, alors qu’il était en pleines discussions secrètes avec GE, avait surpris. Lors de l’assemblée générale du groupe pharmaceutique, des actionnaires avaient violemment protesté contre son arrivée, jugeant qu’il n’aurait pas assez de temps pour remplir ses fonctions. « Dans quelques mois, il sera un excellent administrateur de Sanofi », avait répondu Serge Weinberg.

Les observateurs s’étaient alors interrogés sur le véritable sens de cette nomination. Par deux fois déjà, Patrick Kron a commencé par siéger comme administrateur pendant un an afin de se familiariser avec la société avant d’en prendre la direction. La première fois, lorsqu’il était chez Pechiney, il devint d’abord administrateur d’Imerys avant d’en devenir président. La deuxième fois, il fut nommé administrateur chez Alstom en 2002 puis président l’année suivante. Jamais deux sans trois ? 

En octobre, au terme d’obscures manœuvres, le directeur général de Sanofi, Christopher Viehbacher, a été débarqué par le conseil, les administrateurs lui reprochant d’avoir une conduite trop indépendante. Depuis, Serge Weinberg cumule les fonctions de président et de directeur général, en attendant de trouver un successeur. Des noms ont été donnés et refusés. Selon nos informations, des négociations ont été engagées avec un responsable français travaillant dans la pharmacie. Aboutiront-elles ? Ou est-ce un leurre afin de préparer la voie à Patrick Kron, le moment venu ? Certains pensent que le PDG d’Alstom ne se relèvera jamais du démantèlement de son groupe. Peut-être. Mais le petit monde français des affaires a parfois aussi de grandes compréhensions.

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Noël : Mediapart vous offre une conférence à 100 000 dollars de Sarkozy

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Ce sont des conférences en or dont le contenu sonne comme du toc. Depuis son départ de l’Élysée, Nicolas Sarkozy parcourt le monde pour livrer ses précieux conseils d’ancien président devant des salles ultra privilégiées. Ses hôtes – le plus souvent des banquiers – n’hésitent pas à débourser entre 80 000 et 150 000 euros par prestation, ce qui a permis au patron de l’UMP d’engranger environ 2 millions d’euros en l’espace de deux ans et demi. Il entend bien poursuivre cet exercice lucratif, malgré ses nouvelles fonctions, ses ambitions pour 2017 et le mélange des genres qui accompagne le tout.

« Nicolas Sarkozy va poursuivre ses conférences et moi, je suis fier qu'il y ait un Français qui en fasse, comme Tony Blair et Bill Clinton », justifie son fidèle Brice Hortefeux, qui estime que « le prix auquel (l’ex-chef de l’État) est payé est un instrument de mesure de sa valeur ». Sur le site de la Washington Speakers Bureau, l’agence qui gère les conférences de luxe de l’ancien président, ce dernier est présenté comme « largement reconnu pour son pragmatisme et son approche directe dans des problématiques les plus importantes de notre temps ».

Nicolas Sarkozy et Chang Dae-whan au World Knowledge Forum de Séoul (Corée du Sud), le 14 octobre.Nicolas Sarkozy et Chang Dae-whan au World Knowledge Forum de Séoul (Corée du Sud), le 14 octobre. © Twitter/@MichleDeslangle

Mais que peut bien raconter Nicolas Sarkozy de si décisif et de si spirituel pour être aussi grassement rémunéré ? Que dit-il au reste du monde, lui qui ne dit pas grand-chose aux Français ? Les équipes du président de l’UMP font tout pour garder le contenu de ses conférences secret. Les verbatims sont rares, les enregistrements encore plus. La magie de Noël étant ce qu’elle est, Mediapart s’en est pourtant procuré un. Et en propose l’écoute et la lecture au long cours (à partir de la page 2), sans être obligé de débourser des milliers d’euros.

Cet enregistrement a été réalisé le 14 octobre, en pleine campagne pour la présidence de l'UMP, à l’occasion du World Knowledge Forum, une conférence internationale qui accueille chaque année, à Séoul (Corée du Sud), la crème du monde politique et économique. C’est là que Dominique Strauss-Kahn avait fait son retour médiatique il y a deux ans. Parmi les invités de la cuvée 2014 : Nicolas Sarkozy, donc, mais aussi l’économiste français Thomas Piketty et l’ex-président de la BCE, Jean-Claude Trichet. « Pour ce forum de Séoul, les prestations se chiffreraient jusqu’à 100 000 dollars selon les invités », explique Libération.

Pendant une petite heure, on y entend l’ex-chef de l’État répondre (en français) aux questions (posées en coréen) de Chang Dae-whan, un homme d’affaires sud-coréen, un temps pressenti pour devenir premier ministre. Censé exposer ses idées pour « revigorer l’économie mondiale » – le thème de la conférence –, Nicolas Sarkozy livre en réalité une prestation décousue, qui oscille entre inconsistance et grand n’importe quoi. Le tout, devant ce que Libération a décrit comme « un parterre de près de 900 invités du monde des affaires et de la politique triés sur le volet ».

Qu’apprend-on dans cet enregistrement ? Rien, sinon que le patron de l’UMP a une vision pour le moins brouillonne des enjeux internationaux en général, et de ceux du continent asiatique en particulier. Certains passages de sa prestation confinent à la gêne absolue, comme lorsqu’il digresse sur la liberté des femmes, en prenant l’exemple de la sienne, ou encore lorsqu’il lâche, toute honte bue : « Quand l’Europe regarde l’Asie, les Européens disent : “C’est tous les mêmes.” » Son interlocuteur, Chang Dae-whan, semble avoir bien du mal à cacher son embarras, entre rires étouffés et « OK… » évocateurs.

Nicolas Sarkozy prodigue donc ses conseils. Voici la Corée du Sud presque sommée d'organiser l'Asie en prenant l'initiative de créer une organisation régionale. « Imaginer une structure régionale, c’est ce qu’il y a de plus important. Et vous, les Coréens, vous êtes mieux placés que les autres pour l’imaginer », assure-t-il. Oubli de l'ancien président : la Corée du Sud est déjà membre de la puissante Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) et les structures de ce type pullulent dans la région (pour ne citer que l'Apta et l'Apec).

Ignorant des structures de coordination en Asie, Nicolas Sarkozy l'est tout autant de celles existant en Amérique latine, et le voici soudain asséner que « le Mercosur, ça ne suffit pas ». Effectivement, ça ne suffit pas et une demi-douzaine d'organisations régionales existent aujourd'hui, la dernière née étant, en 2010, la Communauté des États de l’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Sarkozy aurait pu utilement parcourir cette brochure de l'Agence française du développement sur les dynamiques et enjeux de développement en Amérique latine : elle est ici.

Plus fort encore ! L'ex-chef de l'État affirme avoir créé le G20, pour mieux bousculer les conservatismes du monde. C'est ce qu'il explique à ses auditeurs fortunés : « Quand j’ai créé le G20, M. Ban Ki-moon m’a demandé : “Pourquoi crées-tu une organisation concurrente aux Nations unies ?” » Problème : le G20 a été créé dès 1999, à l'initiative non pas de Sarkozy – qui n'était alors que maire de Neuilly et député – mais du ministre canadien de l'économie de l'époque, Paul Martin.

S’en prenant directement à un autre invité du forum, Thomas Piketty, et moquant sa proposition de taxer les hauts revenus à 80 %, Nicolas Sarkozy joue les grands guignols en dénigrant ces « intellectuels », « très importants, selon lui, pour comprendre après ce qu’il s’est passé avant ». « Quand vous êtes chef de l’État et qu’il y a une crise, faut prendre des décisions, faut être rapide, dit-il. Bon, peut-être que parfois quand on est trop intelligent, c’est un problème. » Le reste de son propos n’est qu’une resucée du verbiage déjà entendu à Monaco, lors d’une précédente conférence dont Nice-Matin avait révélé la teneur. Il est vrai que les hommes d'affaires sud-coréens ne lisent pas, a priori, Nice-Matin.

Voici la retranscription intégrale de la conférence de Nicolas Sarkozy :

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« Mesdames et Messieurs, juste quelques mots brefs d’introduction avant de répondre à vos questions pour dire d’abord combien je suis heureux d’être ici, à Séoul, en Corée, au cœur de cette Asie dont on parle tant et qu’au final on connaît si mal. J’y retrouve d’anciens amis, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler, comme Carl Bildt, cette Asie qui représente un peu plus de la moitié des habitants de la planète, quatre milliards d’habitants, qui est un géant, une addition de géants économiques, et qui en même temps ne joue pas encore dans l’organisation du monde et la résolution des grands problèmes du monde, le rôle politique à l’image de son rôle économique. Et particulièrement en Corée.

S’il est un pays qui a eu à souffrir du XXe siècle, c’est bien le vôtre. Connaissant une occupation, la division due au lendemain de la guerre froide et malgré tout, devenu la quinzième puissance économique du monde. Et lorsque nous avons créé le G20, la question de la présence de la Corée du Sud dans le G20 ne s’est pas posée et pour la première fois, la Corée qui n’appartient… la Corée du Sud qui n’appartient à aucune organisation régionale devenait membre du club fermé du G20. Ce qui était une reconnaissance de votre rôle politique.

Je suis persuadé que s’il y a bien une région du monde où il va y avoir des changements d’organisation, c’est bien l’Asie. Et peut-être en conclusion, c’est ce que je voudrais vous dire, tous les continents dans le monde sont obligés de s’organiser. Nous l’avons fait en Europe, et les problèmes que nous connaissons ne sont pas dus à notre organisation, mais à notre difficulté à imaginer une nouvelle organisation. Mais regardez l’Afrique et ses 58 pays, elle n’a pas le rôle politique qu’elle devrait avoir parce qu’elle n’a pas d’organisation digne de ce nom. Regardez l’Amérique du Sud et ses dix-huit pays, elle n’a pas le rôle politique qu’elle devrait avoir, bien qu’elle compte des géants comme le Brésil ou des pays comme la Colombie qui marchent très bien, parce qu’il n’y a pas d’organisation régionale digne de ce nom. Je ne veux pas critiquer le Mercosur, mais ce n’est pas suffisant.

Et la question se posera en Asie, naturellement. Même si les différences de tailles entre vous, avec des géants comme la Chine et l’Inde, posent question. Je suis persuadé que la Corée, qui est trop grande pour être petite, et pas assez grande pour être un vrai grand, a un rôle leader à engager pour fédérer les pays d’Asie autour d’elle. Croyez bien que je suis heureux maintenant de répondre aux questions du Docteur Chang. J’essaierai de le faire le plus librement possible, c’est l’avantage de ne plus être en situation de responsabilités, quoique même en situation de responsabilités, je n’avais pas le sentiment de ne pas être libre. Je me livre maintenant à vos questions avec beaucoup de plaisir. Je vous remercie de votre attention.

– Question de Chang Dae-whan –

La question du leadership, c’est une des questions les plus difficiles. Dans vos entreprises, comme à la tête de l’État. Il n’y a aucune organisation, quelle que soit sa taille qui peut fonctionner sans leadership, aucune. Mais qu’est-ce que c’est que le leadership ? Très difficile à définir. Et le leadership vient contrecarrer l’idée que nous nous faisons de la démocratie. Je m’explique. Être un leader, c’est essayer de voir avant les autres différemment des autres. Il y a un moment où le leader a raison avant que le consensus ne se fasse. La capacité du leadership, c’est de tenir sur cette ligne avant que les autres en soient convaincus. Pourquoi ? Parce qu’une décision, une bonne décision, aujourd’hui, c’est une décision qui est prise au bon moment.

Si le consensus existe sur la décision que vous prenez, ce n’est déjà plus une bonne décision, c’est trop tard. Je m’explique. Si tout le monde est d’accord pour que vous investissiez dans un pays au moment où vous décidez d’investir, c’est déjà trop cher, faut pas y aller. Alors en politique, vous voyez bien la difficulté entre la démocratie et le leadership, car naturellement, et c’est l’un des problèmes de l’Europe, de ne pouvoir décider par consensus. Si vous décidez par consensus, cela veut dire que vous ne décidez que lorsque tout le monde est d’accord. C’est déjà trop tard.

Dans mon pays, comme d’ailleurs dans la plupart des grandes nations industrielles qui ont un passé, le frein à la réforme n’est pas le peuple, le frein à la réforme, ce sont les corps intermédiaires et les élites. Beaucoup plus que le peuple lui-même. Et dans les cinq années où j’ai été président, j’ai eu beaucoup plus de problèmes avec les corps intermédiaires qu’avec le peuple lui-même. Oh bien sûr en France, il y a des manifestations. C’est peut-être le pays où il y en a plus qu’en Corée. De ce côté-là, on se sent si proches des Coréens. Mais le frein dans vos entreprises, c’est plus les cadres, dans nos États, c’est plus les corps intermédiaires.

Et si j’avais, Docteur Chang, à dire une chose sur le principal problème français, c’est sans doute le niveau de nos dépenses publiques. Parce qu’au moment où nous étions une des puissances économiques incontournables, avec les avantages de la puissance industrielle, sans les inconvénients d’une grand concurrence, nous avons établi un système social, auquel naturellement les gens sont habitués, qui a généré un montant de dépenses publiques qui pèsent aujourd’hui sur la croissance et sur le secteur privé. La question centrale pour nous, comme pour un certain nombre de pays européens, c’est de maîtriser, de diminuer, le poids des dépenses publiques qui pèsent sur le secteur privé. Évidemment, plus votre histoire est longue, plus ce poids est grand et plus l’habitude des avantages acquis est grande. C’est sans doute, me semble-t-il, la question la plus difficile pour l’avenir.

– Question de Chang Dae-whan –

Regardez le Docteur Chang, il annonce ma candidature. J’ai un sacré porte-parole ! Bon, nous n’en sommes pas là. Peut-être d’abord, pour la France comme pour tant d’autres pays, les idées nouvelles sont le trésor le plus difficile et le plus important à constituer. Le monde a changé dans des proportions considérables. Les vieilles recettes ne sont plus suffisantes. Nous sommes en compétition dans tous les domaines et à chaque instant. Tout se sait. Ça n’a jamais été aussi complexe et jamais les peuples du monde n’ont attendu des résultats aussi rapidement. Il faut trouver de nouvelles solutions, on pourrait en parler, mais le plus important et le plus difficile peut-être, c’est que les pays à histoire ancienne, à longue tradition historique, comprennent qu’ils ont encore un avenir et un espoir dans le monde d’aujourd’hui.

Peut-être que la question la plus difficile pour nous, c’est comment les peuples qui ont été pendant des siècles les premières nations du monde, peuvent-ils avoir faim de conquêtes économiques, de rêves, comme ceux des peuples qui n’ont jamais connu la puissance dans leur pays ? Vous comprenez bien que ce n’est pas une question simplement psychologique, tout d’un coup vous devenez une grande puissance, vous avez un appétit pour le monde extraordinaire, mais quand vous venez d’un pays qui a eu la chance pendant des siècles d’être un des grands du monde et qui se retrouve confronté à une concurrence à laquelle il n’était pas habitué, la question de l’espérance, de la confiance dans son modèle, de l’avenir de son pays est beaucoup plus difficile. Et peut-être, Docteur Chang, que ce n’est pas une question technique de telle ou telle mesure, mais que celui ou celle qui aura le leadership doit rendre confiance aux vieilles nations.

L’avenir appartient aussi aux vieilles nations, pas simplement aux nouvelles. Et si vous me permettez cette image, vous qui êtes des chefs d’entreprise, peut-être que le problème est le même quand vous êtes les champions sur un marché depuis des années. Garder l’envie de rester, de rester le premier, est plus difficile que quand vous êtes un challenger qui arrive tout nouveau tout neuf sur le marché. Le risque d’être le premier est d’avoir le sentiment d’être imbattable, il est le même pour les nations du monde qui au XIXe siècle et au XXe siècle étaient en première division. Et c’est peut-être pour moi le challenge le plus difficile : convaincre le peuple de France, comme un certain nombre de peuples d’Europe, qu’il y a un avenir pour eux. Que ce que nos grands-parents ont fait dans le passé, on peut le faire nous aussi dans le monde d’aujourd’hui. C’est une question que vous en Asie, vous n’avez pas. Parce qu’en Asie, le XXIe siècle, vous savez que c’est le vôtre. Nous, en Europe, XXIe siècle, on doit réapprendre à se faire une place, je veux dire, une des premières places.

– Question de Chang Dae-whan –

Si vous avez une question simple, hésitez pas à me la poser parce que celle-là elle n’est pas simple du tout. Je pense que les peuples ont une mémoire et on ne comprend rien, me semble-t-il, à la position de M. Poutine aujourd’hui si on oublie ce qu’a vécu la Russie au travers de l’Union soviétique ces trente ou quarante dernières années. Voilà la Russie qui a perdu près de 40 % de son territoire sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré. Il y a peut-être que la Serbie qui a connu un sort pareil à la fin du XXe siècle. Et forcément, il y a un sentiment d’humiliation nationale qui porte sur la mémoire collective de ce peuple. Et moi je fais un lien, c’est pas pour lui donner raison, entre la question, l’attitude de M. Poutine et de la Russie sur l’Ukraine, et ce qu’il s’est passé avec l’Union soviétique, feu l’Union soviétique, sur ces trente ou quarante dernières années.

Et vous regardez le Japon, l’émergence de la Chine, si proche du Japon, la compétition entre ces deux pays, depuis si longtemps, influe sur la politique des dirigeants japonais, mais le risque de confrontation, il existe, il a toujours existé. Comment y répond-on ? Moi, je ne crois pas que la question entre l’Allemagne et la France de la guerre de 1940 ou de la guerre de 1914, c’était parce qu’on est tombé sur deux mauvaises générations. On se tromperait si on pensait ça. La génération de Hitler en Allemagne, c’est la génération de Thomas Mann, la génération de Pétain en France, c’est la génération de Proust. Savez-vous que la France et l’Allemagne se sont affrontées pendant trois siècles, tous les trente ans ? Tous les trente ans. Est-ce que vous croyez qu’on s’est affronté parce qu’on avait que des mauvaises générations ? Non. Parce que quand vous êtes deux puissances dans le même environnement, le risque d’affrontement, il est extrêmement fort.

Comment y répond-on ? Nous, en Europe, on y a répondu par l’Union européenne. Est-ce que vous savez, mes chers amis d’Asie, que l’Europe, de tout temps, a été le continent le plus cruel et le plus violent du monde ? Le continent où les guerres ont été les pires ? Mais c’est pas l’Afrique ! C’est pas l’Asie ! C’est pas l’Amérique latine ! C’est l’Europe. Et c’est pas au Moyen Âge, c’est hier, au XXe siècle. En Europe, on s’est battus les Anglais et les Français, les Français et les Allemands, les Français et les Espagnols. On s’est entretués sans discontinuer jusqu’à ce que nous fassions l’Union européenne. L’Europe n’est devenue un continent stable en paix que parce que nous avons voulu l’Union européenne. Et pourquoi nous, nous pensons en Europe que l’Union européenne ne peut pas exploser, ne peut pas se terminer ? C’est pas pour des raisons économiques, parce que l’Union européenne, ça n’a pas empêché le chômage. C’est pas pour des raisons monétaires ou financières. Nous ne pouvons céder sur l’Europe parce que si l’Europe explose, c’est la guerre qui revient. Il est là l’enjeu.

Et pour vous, en Asie, comme avec les pays dont vous avez parlé, la question “comment éviter qu’un incident devienne un drame en mer de Chine ou ailleurs ?”, il y a une seule solution, il n’y en a pas deux, une : créer une organisation régionale qui renforce la discussion entre les gouvernements et entre les peuples, qui permet de trouver avant un conflit ou un incident les voies de la résolution de ce conflit ; qui organise les échanges entre les jeunes de vos pays. Quand l’Europe regarde l’Asie, les Européens disent : “C’est tous les mêmes.” Moi, je sais qu’ici, en Asie, il y a plus de différences entre les Coréens, les Japonais, les Chinois, qu’il n’y a de différences entre les Italiens, les Anglais et les Français. C’est ça la réalité, que nous, nous ne connaissons pas vu d’Europe.

Mais la seule réponse à la compétition économique, à la proximité géographique, aux risques de dérapages d’un gouvernement ou d’un autre, c’est d’imaginer des structures régionales qui apaisent les conflits parce qu’elles organisent le dialogue. Avec le poids des médias, cher Docteur Chang, chaque incident devient un drame. S’il n’y a pas une structure pour discuter, une habitude de la discussion, un lieu de rencontre obligé, si on n’a pas échangé les étudiants, échangé les médecins, échangé les touristes, échangé les entreprises, quand le drame arrive, quand le problème arrive sous la pression médiatique, c’est l’escalade de la violence.

C’est pourquoi imaginer une structure régionale, c’est ce qu’il y a de plus important. Et vous, les Coréens, vous êtes mieux placés que les autres pour l’imaginer, parce que si c’est un des très grands, un des géants d’Asie, qui l’imagine, les autres vont se dire : “Ils imaginent cette organisation pour nous dominer.” Si c’est vous, à la place qui est la vôtre, avec vos 50 millions d’habitants, quand la réunification aura lieu, ce dont je ne doute pas, il y aura la réunification des Corées, c’est une question de temps, et quand ça arrivera, ça arrivera beaucoup plus brutalement que vous ne l’imaginez. Le rôle de la Corée, avec ses 70 ou 80 millions d’habitants, sera absolument central, car vous êtes assez forts pour parler haut, mais vous n’êtes pas assez forts pour faire peur à vos voisins.

C’est donc à vous, avec d’autres pays de même nature, de même importance, d’entraîner ce mouvement d’union. De la même façon, je pense qu’en Amérique du Sud, que c’est pas forcément le Brésil qui peut montrer l’exemple de l’union. C’est d’autres pays, moins forts, de taille moyenne, qui doivent entraîner l’unité d’un continent. Et je termine par là, ça amènera à une réforme certaine des Nations unies. C’est un Coréen qui est secrétaire général aujourd’hui. Et qu’il me soit permis de dire un mot là-dessus : je ne crois pas à la règle de l’unanimité, comme je ne crois pas à la règle du consensus. La maladie des Nations unies aujourd’hui, c’est la décision à l’unanimité. Comment voulez-vous que 193 pays soient d’accord pour décider ? Comme ils sont jamais d’accord, on décide pas. Et il va falloir passer à la règle de la majorité.

– Question de Chang Dae-whan –

Je crains qu’ils ne l’aient déjà reçu parce que moi j’aime beaucoup M. Ban Ki-moon, mais quand j’ai créé le G20, M. Ban Ki-moon m’a demandé : “Pourquoi crées-tu une organisation concurrente aux Nations unies ?” Et je lui avais dit que ce n’était pas une concurrence, mais que les Nations unies, avec la règle de l’unanimité, ne pouvaient plus arbitrer les grandes questions du monde. Et ne vous trompez pas pour le G20, la grande réforme du G20 nécessaire, c’est de passer de l’unanimité à la majorité. Alors, juste un mot Docteur Chang, je ne dis pas qu’avec la règle de la majorité, on doit imposer à un pays une décision qu’il ne veut pas, mais par la règle du vote à la majorité, cela veut dire que les pays qui ne sont pas d’accord, dans la minorité, ne se verraient pas appliquer la politique, mais qu’ils n’auraient pas le droit d’empêcher les pays de la majorité d’avancer. Et j’avais dit à Ban Ki-moon, que j’apprécie beaucoup et que j’admire, que ce n’est pas moi qui détruisais les Nations unies, que les Nations unies se détruisaient toutes seules. Parce que quand on ne décide pas, parce qu’on ne peut plus décider, la question de la légitimité d’une institution se trouve posée.

– Question de Chang Dae-whan –

Moi, j’ai beaucoup fait pour le traité de libre-échange entre la Corée et l’Europe. Je crois à la liberté des échanges. Vous me posez des questions : est-ce qu’il y a des inquiétudes vis-à-vis de la Chine ? Oui et non, parce que ça sert à quoi d’être inquiet ? La Chine est une réalité. Elle est une réalité pour vous. Que serait l’économie coréenne sans la Chine ? Je veux dire que si demain la Chine avait un problème économique majeur, est-ce que ça ne créerait pas un drame économique en Corée ? Bien sûr que oui. Nous dépendons tous les uns des autres. Il y a un côté un peu schizophrénique. Quand la Chine va trop bien, on s’en inquiète, et quand elle donne des signes de faiblesse, on s’en inquiète encore plus. La vérité, c’est qu’il faut faire avec. Le monde est ainsi fait.

Pendant des siècles, le monde a été dominé par un tout petit groupe de pays. Pendant quelques décennies, le monde a été dominé par deux pays. Maintenant, le monde est multipolaire. Il ne faut pas craindre l’émergence de ces puissances comme la Chine. Moi, je pense que le problème, c’est que justement ces nouvelles puissances économiques n’exercent pas assez leur rôle monétaire et leur rôle politique. Je m’explique. La Chine, le Brésil, l’Inde, le Mexique, dans une certaine mesure l’Afrique du Sud ou le Nigeria, sont devenus des géants économiques incontournables. Le problème, c’est qu’ils doivent prendre à leur compte la résolution des problèmes économiques et monétaires du monde. La question n’est pas de dire “la Chine est trop puissante”. La Chine, c’est un milliard trois cents millions d’habitants, ne leur demandez pas de devenir moins puissants, ils n’ont pas le choix. 1 % de croissance, c’est 1 million d’emplois. Ils doivent trouver 20 millions d’emplois chaque année. Quand ils sont à 10 % de croissance, pour nous c’est immense, pour eux, c’est la moitié de ce qu’ils devraient avoir.

Le problème n’est donc pas là. Le problème, c’est bien au contraire, que ce pouvoir économique exerce au même titre que les États-Unis, au même titre que la France, au même titre que les autres grandes nations du monde, les responsabilités politiques des problèmes du monde environnementaux, du monde de stabilité monétaire. Autrement dit, on ne peut pas être un géant économique et donner le sentiment de refuser de prendre sa part de la résolution des problèmes politiques, des problèmes environnementaux, des problèmes monétaires, d’organisation et de stabilité du monde. On peut pas dire : “Je conquiers tous les marchés économiques du monde, mais sur la politique, sur la monnaie, sur l’environnement, sur la paix, ne me demandez pas mon avis, ça me concerne pas.” Il est là le problème. Il n’est pas dans l’hyperpuissance économique. Il est dans une hyperpuissance économique qui refuserait de stabiliser le monde en ne prenant pas sa part de décision que tous les grands du monde doivent prendre.

Je peux prendre d’autres exemples : est-ce que vous ne croyez pas que le poids politique de la Chine est majeur dans la résolution du problème de la Corée du Nord ? Si un jour la Chine devait décider que les souffrances imposées à la Corée du Nord, c’est un scandale, combien de temps donnez-vous au régime de Corée du Nord ? Et pour l’affaire monétaire, ne reprochons pas aux Chinois de faire ce que d’autres font. Ça serait trop facile. Moi, pendant des années, quand j’étais étudiant, on m’expliquait “ah une monnaie forte c’est quand il y a une économie forte”. Parfait. Ben, c’est tout le contraire aujourd’hui. Vous avez une économie forte, les États-Unis, et un dollar – ça va mieux ces temps-ci – mais qui est un dollar plutôt faible par rapport à la force de l’économie. Vous avez une économie chinoise très forte et un yuan qui ne l’est pas assez. Donc ne reprochons pas aux uns de faire ce que font les autres : utiliser leur monnaie comme instrument de puissance commerciale. Demandons aux nouveaux géants économiques de prendre toute leur place dans la résolution des affaires politiques.

C’est la raison pour laquelle je n’ai plus voulu du G8. Car vous vous rendez compte, quand je suis devenu président, on pensait résoudre les problèmes du monde sans la Chine, sans l’Inde, sans un seul pays africain, sans que l’Asie, à part la Chine, ait un représentant permanent au Conseil de sécurité. Il était évident que le nombre de membres permanents du Conseil de sécurité doit augmenter, que l’Asie doit avoir plusieurs membres permanents. Enfin, 4 milliards d’habitants, il me semble ce n’est pas un détail. Et que chaque région du monde doit avoir une façon de désigner ses membres permanents adaptée à son histoire. Naturellement qu’on ne va pas dire que la Chine n’est plus membre permanent, mais peut-être faut-il élire celui ou celle d’entre vous, pays asiatiques, qui en plus représentera l’Asie.

L’Afrique, c’est un milliard d’habitants, dans trente ans 2 milliards, on va continuer à avoir un Conseil de sécurité où l’Afrique n’a pas de membre permanent ? Deux milliards d’habitants dans trente ans. Donc, voyez-vous, quitte à vous étonner, je pense que le problème de la Chine, ou d’autres pays, n’est pas sa puissance économique. Mais une puissance économique sans prendre sa part des responsabilités politiques, monétaires, environnementales, de paix ou de guerre, dans le monde.

– Question de Chang Dae-whan –

Bah, c’est une maladie un petit peu française que de vouloir exporter ce qui ne marche pas chez nous, chez les autres. Heureusement qu’il est professeur, qu’est-ce que ça serait s’il n’était qu’élève. Il (Thomas Piketty – ndlr) est socialiste. C’est un homme de grande qualité, mais qui est socialiste. Donc, pour les socialistes c’est très simple : si on est injuste avec tout le monde, on est injuste avec personne. Comprenez-moi : si vous êtes tous en retard, personne n’est à l’heure, donc c’est juste. C’est pas du tout ma philosophie des choses. Moi, je viens parler au forum de la connaissance. Moi, je crois que tout se joue sur le progrès, la connaissance, l’investissement.

Quand vous avez la chance dans un pays d’avoir un Bill Gates ou un Steve Jobs, c’est pas anormal que ces gens qui ont créé beaucoup de richesses, aient un patrimoine qui leur appartient. Sur l’impôt sur le capital, je comprends qu’on soit pour l’impôt sur le capital, ça a du sens. Mais dans ce cas là, il faut sortir d’Europe. Parce que si vous êtes le seul pays, avec un autre, à avoir un impôt sur le capital, vous faites fuir tous les capitaux de France. Donc, moi, je peux être d’accord avec toutes les idées, mais il faut être cohérent. Si on est pour l’Europe, et je suis pour l’Europe, il faut pas avoir la fiscalité la pire d’Europe, sinon vous faites partir les capitaux, les personnes. Si vous voulez avoir la fiscalité la pire d’Europe, vous sortez d’Europe et vous gardez votre fiscalité. Mais de là à dire “la fiscalité qui a posé tant de problèmes en France, chers amis du monde entier, nous allons vous en faire cadeau”, je suis pas sûr que c’est la bonne stratégie.

C’est peut-être la différence entre les pragmatiques et les intellectuels. Parce que les pragmatiques, ils créent des richesses, les intellectuels, ils vous expliquent comment on aurait pu créer plus de richesses. Mais enfin, tant qu’il y aura des Docteur Chang merveilleux, pour inviter au forum de la connaissance ceux qui savent vous expliquer comment on aurait pu faire, fantastique. Vous savez, moi, quand j’étais président, je vais vous raconter une anecdote, je me suis dit il y a des économistes fantastiques et arrive la crise de 2008, je vais réunir les dix meilleurs économistes du monde, et je vais savoir quoi faire. Ben, je les ai réunis, deux fois, pas trois… deux. C’était formidable. Je savais tout sur les crises d’il y a un siècle. Ils savaient tout parfaitement expliquer pourquoi ça s’était passé. Mais quand je leur disais : “Et demain matin ? Qu’est-ce qui va se passer ?” (…) Quand vous êtes chef de l’État et qu’il y a une crise, faut prendre des décisions, faut être rapide. Bon, peut-être que parfois, quand on est trop intelligent, c’est un problème.

– Question de Chang Dae-whan –

À votre place, j’aurais posé la même question. Bon avant de répondre, je veux dire juste un mot sur la question du prix Nobel et des intellectuels. Les intellectuels, c’est très important, mais c’est très important pour comprendre après ce qu’il s’est passé avant. Non pas pour prédire l’avenir. Parce que ceux qui sont au contact des problèmes et du marché, ils ont une telle urgence de réaction que forcément, ils comprennent mieux. Sur la France, je crois deux choses : d’abord que la France n’est pas une page blanche, nous avons une histoire, et que rien ne remplace l’ancienneté d'une histoire, pour une entreprise comme pour un pays. Parce que, au fond, la chose la plus difficile à construire, c’est de la confiance. La confiance. Et la meilleure façon de construire la confiance, c’est la durée. Dans un couple, dans une famille, pour une entreprise, pour un pays. Et la longue histoire permet de construire une confiance dans la durée.

Et deuxième chose, je crois aussi à la qualité de la formation de la main-d’œuvre française. Donc tout le défi pour nous, c’est de garder nos avantages tout en corrigeant nos faiblesses. La première faiblesse, c’est le niveau des dépenses publiques, mais la seconde, c’est que quels que soient nos qualités, notre intelligence et notre talent, nous ne pourrons pas gagner la compétition dans le monde d’aujourd’hui en travaillant beaucoup moins que les autres. Le meilleur élève de la classe, si structurellement il travaille beaucoup moins que les autres, y a un jour où il deviendra plus le meilleur élève de la classe.

La question de la quantité, elle est aussi clairement posée, mais la marque France, la culture de la France, les infrastructures de la France, la beauté des paysages de la France, la qualité des entreprises françaises, ça compte, mais c’est le produit de l’histoire. Moi, je voudrais qu’on pense à ce que sera le produit de l’avenir. Ceux qui nous ont précédés nous ont légué ça, j’aimerais que nous, nous soyons capables de léguer quelque chose. Nous avons des chefs d’entreprise remarquables, nous avons des entreprises remarquables. À nous d’adapter notre système d’aujourd’hui pour dire que ce système est aussi remarquable que nos entreprises, je n’en suis pas sûr aujourd’hui.

Mais j’ai pas compris la question sur Carla Bruni… Je sais qu’elle serait très heureuse de venir chanter ici, à Séoul. Vous savez, c’est très intéressant aussi et c’est très révélateur des couples et des familles. Souvent, on m’a dit… Ou on l’interroge sur mon métier, elle, et moi sur le sien. Mais c’est ça la vie moderne. C’est-à-dire un couple, je dirais pas absolument comme les autres, mais où la femme travaille, où l’homme travaille. Et pour vos enfants, ce que je peux vous souhaiter de plus beau, c’est que la carrière de l’homme ne vienne pas détruire la carrière de la femme, où la carrière de la femme ne soit pas fonction de la carrière de l’homme. Ça, ce sont les schémas d’hier, c’est pas les schémas d’aujourd’hui.

Est-ce que vous souhaiteriez, si vous aviez des filles, que leur avenir dépende uniquement du métier de leur mari ? Et au fond, le problème s’était posé pour nous. C’est pas parce que je devenais président de la République, que ma femme devait arrêter son métier. Et c’est pas parce que je suis dans la politique, pas tout à fait socialiste, que des gens de gauche ne pourraient pas aimer la musique de ma femme. Mais au-delà du seul cas de ma famille, qui n’a aucun intérêt, c’est une réflexion pour tous les jeunes dans le monde. Comment mener chacun une carrière sans que la femme disparaisse derrière l’homme ? C’est ça l’enjeu aujourd’hui.

Et à ceux qui disent qu’elle aurait dû arrêter son métier parce que j’étais dans la politique : quelle idée se font-ils de la femme ? De la liberté de la femme ? De l’indépendance de la femme ? De la crédibilité de la femme ? On n’est plus au Moyen Âge. Et je le dis ici, en Asie, parce que je suis persuadé que le problème se posera aussi pour vous, mais à tous les niveaux. Est-ce que la femme d’un ambassadeur n’a plus le droit de travailler parce que son mari est ambassadeur ? Est-ce que la femme d’un chef d’entreprise parce que son mari voyage... Je vois que je rencontre des situations particulières. Si vous l’invitez (Carla Bruni – ndlr) l’année prochaine, pour le forum de la connaissance, je serai au premier rang et vous verrez qu’elle a beaucoup de choses à dire. »

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A Paris, des médecins libéraux « heureux » de soigner à peu de frais

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Manuel Valls ou Stéphane Le Foll le brandissent comme un marqueur de la politique sociale du gouvernement. Les syndicats de médecins libéraux y voient, eux, une attaque en règle de leur profession. Inscrit dans le projet de loi de santé qui doit être examiné au printemps, le tiers payant généralisé – c’est-à-dire la fin de l’avance des frais chez les médecins – s’annonce comme le premier bras de fer de ce quinquennat dans le secteur de la santé.

Tous les syndicats de médecins libéraux ont lancé un appel commun à la grève au cours des fêtes de fin d’année, une période pourtant critique, où les urgences hospitalières sont déjà sous tension. Martiale comme à son habitude, la CSMF, premier syndicat de médecins libéraux, appelle à la « mobilisation générale » et promet « un mouvement social très dur ». Plus surprenant, et bien plus embarrassant pour le gouvernement, le syndicat de médecins généralistes MG France, généralement progressiste, s’aligne. À quelques mois d’élections professionnelles, c’est un rapprochement de circonstance, entre des médecins aux intérêts profondément divergents : généralistes et spécialistes, ruraux et urbains, adeptes des dépassements d’honoraires ou soucieux de santé publique.

Très loin de ces considérations, les médecins généralistes libéraux de la maison de santé Pyrénées-Belleville pratiquent « avec bonheur » le tiers payant pour tous leurs patients. Située à la frontière entre les XIXe et XXe arrondissements parisiens, dans un quartier populaire “gentrifié”, la maison de santé soigne du bas en haut de l’échelle sociale. Mady Denantes, médecin généraliste, est à l’origine de la création de cette structure innovante, inaugurée en juillet 2013, encore rarissime à Paris. Quatre médecins généralistes et cinq infirmiers libéraux se sont associés autour d’un projet de santé qui vise à améliorer l’accès aux soins de la population.

Le médecin généraliste Mady Denantes est le pilier de cette maison. C’est une militante : installée depuis 1992 dans le quartier, elle a fait de la lutte contre les inégalités sociales d’accès aux soins le fil conducteur de sa pratique professionnelle. Le tiers payant est un de ses combats : « Pour moi, c’est une évidence. Bien sûr que le paiement direct est un problème ! Avant 2011, nous n’avions pas le droit de le pratiquer. J’ai récolté beaucoup de témoignages où l’avance de frais de 20 euros est un problème. Je me souviens de cette femme diabétique, aux analyses préoccupantes, qui a annulé sa consultation la veille, parce qu’elle rencontrait des problèmes financiers. »

L’infirmier Thomas Chihaoui et la médecin généraliste Mady Denantes, au cours d’une réunion pluriprofessionnelle.L’infirmier Thomas Chihaoui et la médecin généraliste Mady Denantes, au cours d’une réunion pluriprofessionnelle. © CCC / MP

Aujourd’hui seules les personnes qui ont la « couverture maladie universelle complémentaire » (CMU-C) bénéficient automatiquement du tiers payant. À partir du 1er juillet 2015, en profiteront aussi ceux qui perçoivent l’« aide pour une complémentaire santé » (ACS). Mais les seuils de revenus d’accès à ces droits sociaux sont très faibles : 8 645 euros par an pour une personne seule pour la CMU-C, 11 670 euros par an pour l’ACS. Des personnes aux revenus supérieurs qui ont des difficultés financières d’accès aux soins, Mady Denantes en voit « de plus en plus » : des femmes seules avec des enfants, des travailleurs précaires, des étudiants fauchés et fragilisés par leurs mutuelles défaillantes, etc. Pourtant, les médecins généralistes ne pratiquent le tiers payant que sur 15 % de leurs actes. Plus chers, les spécialistes « techniques » font le tiers payant pour 40 % de leurs patients. Les radiologues ou les biologistes, par exemple, le pratiquent presque systématiquement.

En dehors des médecins libéraux, le tiers payant est pratiquement généralisé chez les pharmaciens ou les infirmiers libéraux. « On ne pourrait pas travailler autrement. Nous voyons certains de nos patients tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Sans le tiers payant, ils devraient avancer des sommes considérables », raconte Hannane Mouhim, infirmière libérale associée dans la maison de santé Pyrénées-Belleville. Pour les médecins généralistes, c’est aussi une évidence : Dora Levy « ne voit pas ce que vient faire l’argent dans la relation de soins ». Ses collègues infirmiers renchérissent : « C’est une libération de sortir de cette relation commerciale. Nos patients ne sont pas nos clients, nous sommes des professionnels de santé », explique Hannane Mouhim. Pour son collègue infirmier Thomas Chihaoui, « le paiement direct, à l’acte, biaise la relation avec le patient, parce qu’il nous incite à penser pognon, à enchaîner les actes. Nous aimons trop prendre notre temps, nous faisons mieux notre travail et l’assurance maladie y gagne car nos patients se portent mieux ». « Nous sommes heureux de travailler ainsi, mais nous ne sommes pas très représentatifs de notre profession », constate, réaliste, la médecin généraliste Dora Levy.

Les infirmiers de la maison de santé pratiquent le tiers payant intégral.Les infirmiers de la maison de santé pratiquent le tiers payant intégral. © CCC / MP

Le président de la branche généraliste de la CSMF pense exactement le contraire : « Les patients vont perdre la notion du coût de la santé, ils vont multiplier les rendez-vous. Ils sont déjà nombreux à ne pas les honorer », explique Luc Duquesnel. De nombreux médecins craignent en effet une dévalorisation de leur profession et une incitation au consumérisme.

Didier Tabuteau, le titulaire de la chaire santé à Sciences-Po, qui fut l’artisan de la couverture maladie universelle au sein du cabinet de Martine Aubry en 1999, confirme que « le tiers payant est inflationniste ». Mais il précise : « Il est fait pour ça : les études réalisées au moment de la mise en place du tiers payant pour les bénéficiaires de la CMU-C montrent qu’il y a un effet de rattrapage de la consommation de soins de la part de personnes qui avaient des freins financiers à l’accès aux médecins libéraux. L’effet corollaire est que ces personnes ont un moindre recours à l’hospitalisation. Au final, le bilan économique est intéressant. » Il regrette que « dans le débat actuel, la question de l’accès aux soins soit totalement occultée. Nous savons que 15 à 36 % du recours aux urgences est motivé par l’absence d’avance de frais ».

Mais il y a plus grave pour les médecins libéraux : « Le tiers payant nous rend dépendant de la caisse d’assurance maladie. Et si elle se trouvait dans l’impossibilité de nous payer ? » s’alarme Luc Duquesnel. L’argument, classique chez les médecins libéraux, est intellectuellement surprenant, venant d’une profession dont les revenus sont assurés par la solidarité nationale. Qu’importe : « Nous avons plus confiance dans les banques que dans l’assurance maladie », renchérit Luc Duquesnel.

« C’est un argument étrange, puisqu’il n’y a rien de plus solide qu’une assurance sociale », rétorque Didier Tabuteau. Il s’est penché sur l’histoire de la médecine libérale et décrypte ainsi ces réflexes de défiance : « Le paiement direct du patient au médecin est l’un des sept principes fondamentaux inscrit dans la charte de la médecine libérale et dans la loi, aux côtés de la liberté de prescription et du secret médical. Il n’a pourtant rien de déontologique. Mais c’est une manière pour les médecins de s’affirmer en profession libérale, et de refuser tout lien avec les pouvoirs publics. » 

« Le tiers payant correspond à la philosophie de la sécurité sociale », considère au contraire l’Inspection générale des affaires sociales : les assurés sociaux cotisent et paient des impôts pour financer l’assurance maladie, et ont logiquement droit à une prise en charge de leurs dépenses de santé. En avançant les frais de la consultation chez le médecin, les assurés sociaux paient en réalité deux fois. Le tiers payant est d’ailleurs pratiqué dans presque tous les pays dotés de solides systèmes de santé, à l’exception de la France, de la Belgique et de la Suisse. Et il est plébiscité par les patients. L’Inspection générale des affaires sociales, qui a livré un rapport sur le sujet en juillet 2013, a réalisé une enquête auprès de 150 assurés de la Caisse primaire d’assurance maladie du Gard : 65 % considèrent l’avance de frais comme une contrainte, car pour plus de la moitié d’entre eux cela crée « un trou dans leur budget ». Bref, 93 % sont favorables au tiers payant.

À l’intérêt des patients, à l’égalité d’accès aux soins, à la philosophie de la sécurité sociale, les médecins libéraux opposent encore « la complexité du tiers payant », la « charge administrative qu’il représente ». C’est une réalité expliquée par les médecins généralistes de la maison de santé Pyrénées-Belleville : « Nous n’avons aucun problème avec l’assurance maladie, explique Dora Levy. Nous sommes remboursés en deux ou trois jours, c’est bien plus simple que d’apporter des chèques à la banque. C’est juste un peu plus long quand on envoie la feuille de soins des patients qui ont l’aide médicale d’État ou qui ont oublié leur carte vitale. Pour l’instant, nous ne pratiquons pas le tiers payant sur la part complémentaire, nous attendons que la procédure soit simplifiée. » Leurs patients avancent donc 6,90 euros pour une consultation. Les infirmiers de la maison de santé pratiquent de leur côté le tiers payant intégral, et confirment sa complexité administrative : « Il faut vérifier les droits des patients, passer des conventions avec chaque complémentaire. Tous les mois, nous avons deux à trois jours de paperasse, ça nous fatigue », explique l’infirmier Thomas Chihaoui. À tel point que les infirmiers ont décidé d’externaliser leur facturation : « Cela va nous coûter 200 euros chacun chaque mois, mais on a calculé que ce serait un investissement rentable. »

Dora Levy, comme les médecins généralistes de la maison de santé, ne pratique pas le tiers payant sur sa part complémentaire.Dora Levy, comme les médecins généralistes de la maison de santé, ne pratique pas le tiers payant sur sa part complémentaire. © CCC / MP

Mady Denantes est sur une position ferme : « Nous voulons pratiquer le tiers payant intégral, mais n’avoir qu’un seul interlocuteur. Il faut que cela soit simple. À l’assurance maladie et aux complémentaires santé de se débrouiller entre elles, cela ne nous regarde pas. » C’est la position du syndicat auquel elle appartient, MG France, qui participe à l’appel à la grève unitaire. Le syndicat va plus loin, en se prononçant « contre le tiers payant obligatoire ». Il fait volte-face, puisqu’il réclamait le tiers payant depuis de nombreuses années. « Nous ne retournons pas notre veste, se défend son président Claude Leicher. Le tiers payant, on le pratique et on sait ce que c’est. Aujourd’hui, c’est un système trop compliqué, inutilisable pour les médecins généralistes, qui travaillent la plupart du temps seuls. Nous refusons qu’il soit imposé, et nous voulons des garanties sur le paiement. »

Complexe à mettre en œuvre, le tiers payant n’est pas pour tout de suite : l’objectif de la généralisation est fixé par le projet de loi de santé à 2017. L’Inspection générale des affaires sociales affirme qu’il est « techniquement possible » de généraliser le tiers payant sans qu’il devienne « une charge administrative ». Côté complémentaires, c’est la Mutualité française qui porte le sujet. Pour son président Étienne Caniard, « les professionnels de santé ont une revendication légitime : leur travail n’est pas de remplir des papiers. Mais nous travaillons, et des solutions seront trouvées à la quasi-totalité des craintes exprimées. Tous les professionnels de santé qui pratiquent le tiers payant auront la vie plus facile. On assiste aujourd’hui à une instrumentalisation inadmissible de ce sujet. »

Derrière le refus du tiers payant, se greffent des revendications financières. Les syndicats de médecins libéraux réclament une revalorisation de leur consultation. MG France veut qu’elle soit portée à 25 euros, comme les autres médecins spécialistes, au lieu de 23 euros actuellement. « Nos tarifs sont bloqués, comment voulez-vous attirer de jeunes professionnels ? » s’agace le président de MG France Claude Leicher. « Le tiers payant a un seul avantage : j’arrêterai d’avoir honte de demander 23 euros à mes patients », renchérit Luc Duquesnel, de la CSMF. Ces syndicats communiquent sur le paiement à l’acte, mais omettent un détail : depuis 2012, les médecins perçoivent directement de l’assurance maladie des « rémunérations sur objectifs de santé publique », qui s’ajoutent au paiement à l’acte. En 2013, les médecins généralistes ont ainsi perçu en moyenne 5 774 euros de l’assurance maladie. Ces nouveaux paiements forfaitaires représentent aujourd’hui 10 % de leurs revenus.

Les médecins généralistes, et l’ensemble des médecins libéraux, sont loin d’être abandonnés par les pouvoirs publics. La généralisation du tiers payant n’est en réalité qu’un élément d’une évolution plus large de la rémunération des médecins libéraux, qui se crispent sur le vieil exercice solitaire, payé à l’acte, où l’argent circule de la main à la main. Pour Mady Denantes, « le paiement direct, à l’acte, c’est terminé. Il faut généraliser le tiers payant, développer les rémunérations forfaitaires, de coordination avec les autres professionnels de santé, et le paiement sur objectif de santé publique ».

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Thales: Dassault veut installer Henri Proglio au pouvoir

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Cela devait être l'épilogue d'un bras de fer qui dure depuis deux mois entre l’État et Dassault, les deux principaux actionnaires de Thales. Lundi 22 décembre, le conseil d'administration devait entériner la nomination d'un nouveau tandem pour diriger le groupe d'armement. Un mois jour pour jour après avoir quitté la présidence d’EDF, Henri Proglio devait être nommé président non exécutif de Thales et Patrice Caine directeur général du groupe d’armement. L'affaire semblait entendue. La nouvelle direction avait été annoncée samedi 20 décembre dans la soirée par le Figaro, propriété de Dassault, deuxième actionnaire du groupe d’armement aux côtés de l’État.

Mais coup de théâtre de dernière minute : lundi matin, le conseil d'administration a été annulé, en raison du désaccord entre l’État et Dassault. « Plus personne ne veut assumer la nomination d'Henri Proglio. L’État dit à Dassault: "C'est votre candidat, donc à vous de le nommer." Dassault réplique: "Nous ne sommes responsables que de la nomination du directeur général." La situation est complètement bloquée », explique une source proche du dossier.

À peine annoncée, l'arrivée d’Henri Proglio à la tête de Thales n'a pas manqué de faire polémique, même si l’annonce a été opportunément faite en pleines vacances de Noël. « Comment croire que Henri Proglio se contentera d’une présidence non exécutive ? En ne le reconduisant pas à la tête d’EDF, le gouvernement semblait, pourtant, vouloir prendre ses distances avec certaines pratiques. En acceptant cette nomination, il le remet en selle à la tête d’un des groupes les plus puissants en France, en relation avec les services secrets, les marchés d’armes, les pouvoirs de l’ombre. Un monde qu’affectionne Henri Proglio », constate un connaisseur du dossier, qui se dit décontenancé par l’inconstance et l’inconséquence du gouvernement.

© Reuters

Appréhendant sans doute les réactions à cette nomination, le premier ministre Manuel Valls a fait savoir, dès l’annonce, qu’il était opposé à cette décision, alors qu’il soutenait sa reconduction à la tête d’EDF. « C’est Emmanuel Macron qui a piloté le dossier », s’est empressé de dire son entourage. Le ministre de l’économie a gardé une influence certaine sur les sujets industriels de défense et d’armement, qu’il supervisait lorsqu’il était secrétaire adjoint de l’Élysée. Mais les relations avec la famille Dassault ont toujours droit à un traitement à part au sein de l’État. C’est l’Élysée directement, en étroite collaboration avec le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui a géré le dossier, sans compter les multiples réseaux à côté.

Car la succession à la présidence de Thales, provoquée par la nomination surprise de Jean-Bernard Lévy, qui occupait cette fonction, à la présidence d’EDF, a donné lieu à deux mois de bras de fer, de manœuvres en coulisses, de tractations obscures, qui semblent désormais être la marque du pouvoir. Beaucoup de personnes se sont mobilisées pour la solution susceptible de mettre un terme à la dispute née entre l’État et le groupe Dassault sur le contrôle de Thales, le premier étant actionnaire à hauteur de 26,4 %, le second à hauteur de 25,3 %.

Charles Edelstenne, le patron opérationnel de Thales, n’a guère apprécié en effet d’apprendre par la presse la nomination de Jean-Bernard Lévy, sans avoir été prévenu à l’avance. Les proches de l’Élysée avaient justifié cette absence de prévenance par le besoin de garder le secret absolu sur le remplacement d’Henri Proglio à la tête d’EDF. « Il était impossible à l’Élysée d’informer le groupe Dassault par avance. Compte tenu des liens étroits qui existent entre Serge Dassault et Henri Proglio, c’était prendre le risque d’une fuite et de faire échouer cette candidature, comme toutes les autres dès qu’elles ont été rendues publiques », expliquait alors un proche du dossier.

Furieux, Charles Edelstenne a alors fait savoir qu’il se souviendrait des mauvaises manières de l’État. « Vous allez faire un swap (échange) ? », a plaisanté le président d’un grand groupe, aux lendemains de l’annonce de la nomination de Jean-Bernard Lévy et de la non-reconduction de Henri Proglio. « Et pourquoi pas ? », lui a rétorqué Charles Edelstenne. Après ce qu’il considérait comme un mauvais coup de la part de l’État, le groupe Dassault était en tout cas déterminé à renforcer son contrôle sur Thales. Une obsession du groupe, depuis sa montée au capital de Thales en 2008 (voir Sarkozy aide Dassault à prendre Thales).

La candidature d’Henri Proglio, un ami maltraité par le gouvernement selon la famille Dassault, s’est donc imposée assez vite. Dans la galaxie Dassault, l’ancien président d’EDF est une figure à part. Il entretient, de très longue date, des relations étroites avec Serge Dassault. Alors qu’il était président de Veolia, la holding de la famille, Groupement industriel Marcel Dassault (GIMD), a accepté de prendre une participation de 5 % dans son groupe afin de l’aider à stabiliser son capital. Celui-ci l’a suivi dans toutes ses tentatives de putsch pour renverser Antoine Frérot, son successeur chez Veolia, jugé trop indépendant (voir Jean-Louis Borloo : « Alain Minc m’a tuer »)

En retour, Henri Proglio a été nommé administrateur du groupe Dassault. Il a aussi été admis au « comité des sages », la poignée d’hommes amis de la famille qui doivent veiller sur le groupe et arbitrer entre les différents intérêts familiaux et industriels, au décès de Serge Dassault, alors que sa succession n’est toujours pas réglée.

Aux yeux de la famille, Henri Proglio est donc le candidat idéal pour l’aider à asseoir son pouvoir sur le groupe Thales. Qu’importe qu’il ait 65 ans, ce qui est considéré comme la limite d’âge pour remplir des fonctions de direction dans les groupes normaux. Comparé à Serge Dassault (89 ans) et Charles Edelstenne (76 ans), Henri Proglio fait figure de jeunesse. S’il le faut, Thales changera les statuts.

L’Élysée n’avait manifestement pas prévu une telle résistance. En nommant Jean-Bernard Lévy à la présidence d’EDF, il avait déjà le candidat pour lui succéder.

Patrice Caine Patrice Caine © DR

En fait, il l’a depuis 2012. Dès le départ de Luc Vigneron, démis de la présidence de Thales, des membres du gouvernement et de l’administration militent pour la nomination de Patrice Caine. Cet ingénieur, X-Mines, qui a été activement soutenu dans sa carrière par Robert Pistre, le grand faiseur de rois du corps des Mines, est entré chez Thales en 2002. Un atout, aux yeux du gouvernement, alors que les salariés demandent une candidature interne pour tourner la page de l’ère Vigneron. L’ennui est que Patrice Caine est jeune – 43 ans alors –, peu connu et qu’il n’a pas suffisamment d’expérience, selon Dassault.

De plus, deux autres candidatures internes paraissent alors beaucoup plus légitimes. « À l’époque, deux patrons de branche semblaient s’imposer pour prendre la direction de Thales : Pascale Sourisse, directrice commerciale de Thales, officiellement soutenue par l’État, et Reynald Seynec, autre commercial, ancien patron de la branche spatiale Thales Alenia Space, qui avait la préférence de Dassault. Mais David Azema (directeur de l’agence des participations de l’État – ndlr), qui pilotait la succession pour le gouvernement, voulait Patrice Caine. Il a tout mis en œuvre pour imposer son candidat. Les dés ont été pipés », raconte un ancien de Thales, témoin très proche de l’épisode.

Pour donner un aspect de transparence, les différents candidats à la direction de Thales sont alors auditionnés par un comité des nominations. Mais les réunions se tiennent au siège d’EDF, comme ce témoin le rappelle. Pourtant, Henri Proglio n’est pas administrateur de Thales, pas plus que François Roussely – l’autre ministre de la défense, ironise Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret défense. Mais ce seront eux qui dessineront la solution. « Pascale Sourisse et Reynald Seynec ont été des leurres. Leurs deux candidatures ont servi à ce qu’ils se détruisent l’un l’autre. Ils se sont fait rouler dans la farine. Ni l’un ni l’autre n’ont obtenu le poste », raconte ce témoin. Patrice Caine emportera la mise, au moins en partie. Il n’est pas nommé alors directeur général comme le voulait David Azema. Mais il a obtenu un portefeuille très élargi pour apprendre à diriger le groupe, avec l’espoir de prendre le pouvoir dans quelques années, au départ de Jean-Bernard Lévy.  

En nommant Jean-Bernard Lévy à EDF, l’Élysée pense donc n’avoir aucun souci pour sa succession. Mais c’est sans compter avec Dassault. Dès le départ, Dassault indique qu’il souhaite conserver une direction bicéphale, avec un président et un directeur. Pour ce dernier poste, il avance le nom de son candidat : Pierre-Éric Pommellet, directeur général adjoint en charge des systèmes de mission de défense, qu’il préfère à Patrice Caine qu’il juge toujours trop jeune.

Pendant deux mois, Dassault bloque tout accord avec l’État et campe sur ses positions, comme il l’avait déjà fait en 2009, en empêchant la nomination d’Alexandre de Juniac, souhaitée par l’Élysée. Faute d’accord, le conseil est obligé de nommer comme PDG par intérim le secrétaire général du groupe, Philippe Logak. Ce proche de Jean-Bernard Lévy – il a été chez SFR – se prend même à rêver de conserver le poste, tant la situation s’éternise. Toute entente semble alors impossible. L’Élysée tient à son candidat et refuse la nomination de Henri Proglio. Dassault veut imposer ce dernier et refuse la candidature de Patrice Caine.

Mais en coulisses, beaucoup de personnes s’agitent. Cédric Lewandowski, directeur de cabinet de Jean-Yves le Drian, est un de ceux-là. Ancien conseiller d’Alain Richard (ministre de la défense pendant tout le gouvernement Jospin), il est aussi très proche de François Roussely et de Henri Proglio. Il était directeur de la division des collectivités locales chez EDF quand Jean-Yves Le Drian lui a demandé de rejoindre le ministère de la défense, lors de la formation du gouvernement en 2012. Dans les allées du pouvoir, on a vu passer aussi Alain Bauer, François Roussely et d’autres. Tous œuvrent au rapprochement des points de vue, dans l’intérêt de Thales et des deux actionnaires, naturellement. Finalement un compromis est trouvé jeudi, selon nos informations : l’État et Dassault acceptent chacun de faire une concession et en retour obtiennent la nomination de  leur candidat.

« Ces deux mois n’ont été qu’une farce pour la galerie. Dassault est arrivé exactement où il voulait : mettre Henri Proglio à la tête de Thales. Il a été aidé par des personnes qui en apparence n’ont rien en commun, et qui pourtant se connaissent bien et sont liées par ailleurs. Elles appartiennent toutes à la franc-maçonnerie. Derrière les jeux d’ombre, elles ont un but commun : assurer la mainmise des loges dans le secteur de la défense, comme cela a été fait dans l’énergie et se partager le pouvoir », dénonce cet ancien de Thales.

Henri ProglioHenri Proglio © Reuters

L'annulation à la dernière minute du conseil de Thales qui devait avaliser la nomination du tandem montre, cependant, que tout le monde ne se résout pas à laisser les pleins pouvoirs à Henri Proglio. S'il est nommé à la présidence de Thales, celui-ci sera appelé à jouer un rôle central sur l’avenir du groupe Dassault, son modèle industriel, la place de la famille après la succession de Serge, ses relations avec l’État. Ce dernier peut-il accepter cette situation, en continuant à subventionner sans rechigner le groupe Dassault, sans avoir son mot à dire ?

D'autant que Henri Proglio, bien que président non exécutif, réclame des pouvoirs élargis chez Thales. Dassault, qui compte sur lui pour asseoir solidement et définitivement son contrôle sur le groupe d'armement, a rappelé à l’État les clauses du très généreux pacte d’actionnaire qu’il avait signé au moment de sa montée dans le capital du groupe d’armement. Celui-ci lui confère un pouvoir élargi sur la direction opérationnelle, un pouvoir que la famille Dassault entend bien le voir exercé au jour le jour par Henri Proglio. Il est prévu que celui-ci ait notamment la responsabilité de la stratégie du groupe, et de tous ses marchés d’exportation. En un mot, tous les marchés d’armement. 

En dépit de la bagarre apparente, les observateurs avertis pensent que la cohabitation avec Patrice Caine peut fonctionner. « Patrice Caine a un frère, Stéphane, X-Mines lui aussi, peut-être plus brillant encore que Patrice. Il a été conseiller des affaires industrielles au cabinet d’Alain Richard avant d’être embauché par Henri Proglio un moment chez Veolia, dont il est resté très proche », pointe ainsi une personne très avertie. « Il a aussi un père, Yves Caine, qui connaît bien les milieux de la défense », poursuit celle-ci. Travaillant pendant toute sa carrière dans le BTP – il a créé sa propre société de conseil, BTP conseil international –, Yves Caine a aussi été nommé, en 1997, administrateur directeur général délégué de la Sofrinfra, filiale de la Société française des exportations de systèmes avancés (Sofresa). Cette société, aujourd’hui dissoute, a supervisé pendant des années tous les contrats d’armement à l’exportation. Elle a été impliquée dans plusieurs scandales, liés notamment à Charles Pasqua et à Karachi.

Le blocage actuel est-il appelé à durer ? Ou est-ce un dernier coup d'éclat avant d'en revenir au compromis accepté dans le secret des coulisses du pouvoir ? En 2009, une telle situation s'était déjà produite : l’Élysée, bien qu'occupé alors par Nicolas Sarkozy, et la famille Dassault n'avaient pu se mettre d'accord pendant très longtemps sur le nom du successeur de Denis Ranque. Finalement, chaque camp avait abandonné son candidat pour trouver un dirigeant de compromis. Ce fut Luc Vigneron. Les salariés de Thales s'en souviennent encore avec amertume.

BOITE NOIRECet article a été réactualisé lundi matin, après l'annulation du conseil d'administration de Thales qui devait entériner la nomination d'Henri Proglio comme président non exécutif, et de Patrice Caine comme directeur général.

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Affaire Lepaon: des mails internes révèlent une crise existentielle à la CGT

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Reprendre la main… et sauver sa tête. Thierry Lepaon, juste avant la trêve des confiseurs, s’est lancé dans un marathon médiatique pour défendre son poste à la tête de la CGT. Alors que son organisation est fragilisée depuis deux mois par les révélations sur la rénovation dispendieuse de son appartement de location, ou encore ses étonnantes indemnités lorsqu’il a quitté le comité régional CGT de Normandie pour rejoindre Montreuil, le secrétaire général de la CGT, qui s’est exprimé longuement sur France 3, France Info et dans le Parisien, a surtout choisi de tacler ceux qui, en interne, informent la presse. « Il y a quelqu’un dans notre maison confédérale ou un groupe de personnes qui a ou qui ont décidé de transmettre à la presse des documents comptables. (...) Le choix qui a été fait, c’est de porter atteinte à l’honnêteté de Thierry Lepaon et à la démarche syndicale qu’entreprend la CGT. »

Se présentant en dirigeant responsable, il a ainsi promis : « Je ne serai pas le rat qui quitte le navire, notre navire est aujourd’hui en difficulté. » Le 13 janvier, le Conseil confédéral national (CCN), le parlement de la CGT, doit néanmoins se réunir pour statuer sur son sort.

Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGTThierry Lepaon, secrétaire général de la CGT © Reuters

Depuis le début de la crise, rares ont été les prises de position publiques au sein de la confédération. Hormis deux anciens dirigeants, Bernard Thibault et Georges Séguy (dirigeant de 1967 à 1982), qui ont diplomatiquement laissé entendre qu’il serait peut-être temps de tourner la page Lepaon, les débats au sein de la CGT se déroulent à huis clos, avec l’idée que le linge sale doit se laver en famille.

Mediapart a eu accès à de nombreux courriers ou mails internes, de militants ou d’élus cgtistes, qui révèlent néanmoins l’ampleur du malaise au sein de la confédération. Bien au-delà du seul « cas Lepaon », ils témoignent de la véritable crise existentielle qui secoue aujourd’hui le premier syndicat de France.

Aux premières révélations du Canard enchaîné concernant la rénovation de son appartement de location dans le carré magique de Vincennes pour 105 000 euros, une certaine stupéfaction s’empare des adhérents.

Il y a bien sûr ceux qui pensent qu’il faut prendre avec des pincettes ce feuilleton orchestré « par la presse bourgeoise », comme l’écrit dans un courrier interne la Fédération des ports et docks qui estime que « Toutes ces manipulations claniques, anti-ouvrières, n’ont de visées que l’affaiblissement de la CGT ». Une analyse partagée par un certain nombre de militants, qui rappellent le contexte très particulier dans lequel s’inscrivent ces révélations : à la veille d’élections professionnelles cruciales pour la confédération, mais aussi en plein bras de fer avec le Medef sur la rénovation du dialogue social ou la réforme des prud’hommes. « Pendant qu’on détourne notre regard, la caravane Macron-MEDEF passe-passe ! », préfère prévenir un adhérent. D’autres, en vieux routiers du syndicat, s’affichent un rien désabusés : « Si ça déconne, c'est pas nouveau, on va pas en chier des tartines. » Et craignent, là encore, l’effet de souffle pour la confédération : « Dans tous les cas, ceux qui cassent ou participent à casser ce fantastique outil qu'est la CGT, quelles que soient leur motivations, ne méritent pas le nom de camarade », assène un adhérent. « Que nos ennemis de classe soient plus informés que nous, parce que de braves camarades livrent à la presse des informations trouvées ou volées dans les poubelles de la Confédération me fait gerber », écrit une élue CGT.

Malgré ce sentiment assez partagé de vivre dans une citadelle assiégée de toute part, rares sont ceux à ne pas se sentir très mal à l’aise face aux faits révélés dans la presse. Beaucoup s’émeuvent ainsi des « sommes indécentes » évoquées. « C’est tout le travail quotidien des militants dans leur entreprise qui se retrouve saboté par des pratiques indignes », écrit un militant. « Il faut le virer, désolée, ce n'est pas un comportement digne d'un syndicat qui défend les salariés », conclut une militante dans un mail. Début décembre, les responsables de l’union locale de Perpignan font également remonter que « de nombreux camarades nous interpellent au sujet du montant exorbitant des travaux pour l'appartement de notre secrétaire général. Mais le pire est quand des salariés remettent en cause l'honnêteté de notre organisation. Nous sommes en pleine période d'élections, tant dans le public que dans le privé et, comme à chaque élection, nous distribuons des tracts. Des camarades ont honte devant les entreprises, chantiers, commerces, ronds-points etc. d’entendre que nous sommes tous pourris ».

Pour ces élus, Thierry Lepaon et tous ceux qui ont participé de près ou de loin à couvrir ces dérives doivent partir. « Mais comment notre secrétaire général se permet-il de dire : honnêteté, loyauté, transparence ! » (…) « Une somme démesurée pour des travaux dans un appartement qui n'appartient pas à la CGT n'est pas acceptable (…). À l’Union Locale nous faisons attention aux moindres centimes, afin que nous puissions fonctionner et être présents sur tous les fronts », poursuivent les responsables de l’union locale de Perpignan. La défense de Thierry Lepaon, qui s’est défaussé sur l’agent comptable, passe aussi très mal. « Mais comment notre secrétaire général se permet-il de dire qu’il n'était pas au courant, c'est une faute collective puis de dire sur BFM TV, c'est l'administrateur de la confédération qui a fait une faute ! Mais comment croire que seul l'administrateur est "coupable" ? » s’agacent les mêmes. 

Alors que l’affaire prend de l’ampleur au fil des semaines, certains s’inquiètent de l’image donnée par l’organisation : « Ces affaires (...) mettent en difficulté les militant-e-s qui, chaque jour, rencontrent les salariés, œuvrent à les unir, à les inciter à lutter et à leur rendre confiance en eux. Ces affaires, qui choquent considérablement les syndiqués, plomberont la crédibilité de toute l’organisation si elles ne sont pas résolues de bonne manière. Et c’est la CGT, dans son ensemble, qui s’en trouvera affaiblie », écrivent dans un courrier interne les représentants CGT du groupe Macif qui appellent, eux aussi, à la démission de l’actuel secrétaire général.

Lorsque éclate le nouveau scandale des indemnités touchées par Thierry Lepaon – le patron de la CGT a touché 26 000 euros en quittant la CGT régionale de Basse-Normandie pour rejoindre le siège de Montreuil, comme l’a révélé l’Expansion –, certains sont visiblement gagnés par l’écœurement. « Je meurs !! La pastèque sur le gâteau !! » écrit l’un d’eux. « Licenciement pour faute lourde et il rend les clefs de son logement de fonction !! y a bien des camarades qui vont encore crier au complot (un sabotage des élections pro de nos services publics par exemple !) mais "il" et ses potes donnent le bâton pour nous faire battre !! J'attends avec impatience les arguments (si on peut appeler ça des arguments) des camarades-corrompus-et-potes-de-Titi-Panpan... », écrit rageusement un adhérent.

« La ligne de défense du "clan Lepaon", nous en connaissons les rouages et les roueries, repose sur le discours "sauvons la CGT" », tacle un militant qui raille « L'éternelle excuse (protéger la structure face aux attaques, quoi qu'on en pense) qui permet de tout étouffer ».

Au-delà du sort du dirigeant de la CGT, certains espèrent que cette crise permette un profond renouvellement de l’organisation. « L'alternative à mes yeux se résume à trois possibilités. 1- La pire : les bureaucrates tablent sur l'esprit de corps de la hiérarchie syndicale et Lepaon garde sa place, avec à la clé un éclatement de la CGT. 
2- L'inverse : la "révolution" balaye la bureaucratie et un nouveau syndicalisme émerge de la base de la CGT. 
3- Rien ne change : Lepaon est cloué sur la porte en victime expiatoire et la bureaucratie sauve sa peau, avec à la clé une désillusion et une désaffection de plus.
Les prochains jours vont être décisifs ! Tenons bon ! », affirme un militant dans un courriel.

Certains, critiques avec la ligne Lepaon jugée trop peu offensive, entendent bien pousser leurs pions dans le marasme actuel : « C'est le moment de faire le grand nettoyage, ce dont les patrons ont le plus peur d'ailleurs : que ce soit le peuple, la base qui se dirige elle-même, une démocratie populaire (ce qui ne veut pas dire l'absence d'une structure syndicale). Ce triste épisode peut, s'il n'est pas enterré (et je vois mal comment il pourrait l'être vu son ampleur), déboucher sur une grande victoire idéologique et un vrai syndicalisme révolutionnaire. L'époque s'y prête. La place est vide sur ce terrain. Courage, osons rêver, osons l'utopie !!! », s’enflamme un adhérent parisien.

Nombreux sont les militants à appeler à ce que surtout « l’affaire Lepaon » n’occulte pas la crise bien plus profonde que connaît l’organisation. « La situation de la CGT ne peut se réduire aux affaires du secrétaire général, mais tient à un déficit d’orientation ou à plusieurs orientations contradictoires non dites », affirment dans un courrier interne les responsables de la CGT du livre, qui appellent à ce qu’un débat « s’ouvre enfin clairement sur le sens de l’engagement de la CGT dans la bataille sociale qui fait rage »Pour beaucoup, l'affaire Lepaon est en effet un dramatique révélateur des errances de la CGT. « Ce qui est sans doute "la pointe émergée de l’iceberg" n’est-il pas, au fond, le résultat d’une rupture avec ce qui était la CGT ? » s’interrogent des élus du Loir-et-Cher. « La négociation au détriment de l’action, les gages donnés au patronat et au gouvernement, l’institutionnalisation, la bureaucratisation de l’appareil confédéral et de sa direction ont contribué de par leurs orientations au désengagement de la CGT dans les luttes comme aux nécessaires solidarités avec ceux qui résistent », poursuivent-ils avant de conclure par ce constat implacable : « La démocratie interne s’est atrophiée (…). La lutte des places, les ambitions personnelles dans une complète opacité sont devenues une façon d’être et de diriger. »

Devant l’ampleur des récents reculs sociaux, certains militants en viennent à s’interroger sur le sens même de leur engagement syndical. « Pourquoi tous ces efforts ? Ne sommes-nous que des faire-valoir, des marionnettes au service d’obscures tractations ou de ridicules ambitions ? », écrit un adhérent. « Partout, la cgt fait des contre-propositions qui ne servent à rien, qui n’ont aucune chance d’aboutir. » (…) « Le problème n’est plus d’être propre sur soi, raisonnable et constructif. Surtout quand ces contre-propositions ne servent qu’à masquer des défaites. La représentativité, les seuils pour les instances représentatives du personnel (avec des abrutis de la délégation cgt qui se disent prêts à négocier !), les 35 heures, la Sécu, la retraite, les délais de prescription, le CDI, les ruptures conventionnelles, les salaires bloqués, la formation professionnelle (CFP), les services publics, l’éducation, les impôts ; le Livret A, la motivation des licenciements, les milliers de licenciements, le CICE. (…) C’est en luttant qu’on s’opposera vraiment à la montée du Front national. Le reste c’est du verbiage et des sorties de centre aéré (réservées aux permanents et aux retraités quand c’est un jour de semaine). »

La faiblesse des récentes mobilisations depuis la rentrée démoralise d’autant plus que beaucoup de militants reprochent à la direction de la CGT d’avoir tout fait pour les réfréner. « Les derniers mouvements sociaux ne sont pas à la hauteur des attaques incessantes orchestrées par le patronat », écrit la CGT du livre. Les récentes manifestations patronales laissent un goût amer. « Le Medef prévoit une manifestation de rue pour porter ses revendications. (Le monde à l’envers !) Les cadeaux du PS doivent lui paraître insuffisants... » ironise un adhérent, qui évoque ensuite une mobilisation a minima contre la réforme des prud’hommes.

« Quant au rassemblement du 20 novembre devant l’Assemblée, plusieurs questions se posent en ce qui concerne l’attitude de la CGT. Pas de médias convoqués alors que la veille au même endroit quelques UMP sortaient une banderole contre le redécoupage territorial et se retrouvaient sur toutes les chaînes ? Il faut être voyant, sinon à quoi, ou à qui, ça sert ? Ensuite, comment se fait-il qu’un thème si central (l’élection des conseillers et la possibilité pour des salariés d’être élus conseillers), qui est un acquis fondamental de la classe ouvrière, et à l’occasion d’une décision nationale (le vote de l’assemblée) à ce sujet, ne déclenche à la cgt qu’un appel à un niveau régional ne mobilisant que quelques centaines de personnes dont une dizaine de FO, et que Lepaon ne se pointe pas ? Où sont les cars de province ? Deux ans de lutte qui s’achèvent de cette façon ? » s’interroge amèrement un syndiqué.

Plus vindicatif, un autre affirme : « Le sabotage organisé par la conf contre les actions s'organise en plein jour. Pour exemple, l'appel à la manifestation contre l'austérité qui a eu lieu le samedi 15 novembre a été saboté par la conf. Elle a empêché l'Urif (Union régionale d’Ile-de-France, ndlr) à faire l'appel et l'UD (Union départementale) de Paris a été contrainte de sortir un tract le 13 !!!! Donc mobilisation zéro et très peu de manifestants. (…) Camarades, il s'agit bel et bien d'une collaboration de classe. Nos instances et structures se pourrissent davantage chaque jour. Les permanents nous tuent (ils sont au chaud et peinards). »

L’impression qu'ont les salariés d'être de moins en moins audibles laisse parfois place à un certain découragement. « Pour ma part, j’ai donné 25 ans de ma vie au combat pour les salariés au titre de représentant de la CGT, et pour la CGT, 25 ans en déplacement à travers la France, hors de mon foyer et loin de ma famille, pour en arriver où ? Actuellement, je suis dépité… Et je ne suis pas le seul !... Et ce n’est pas peu dire !... J’en arrive effectivement (malheureusement) à comprendre le dépit des salariés et privés d’emploi quant à la réelle représentativité syndicale (tous syndicats confondus) et en ce qui nous concerne : la CGT. »

Un désarroi partagé par cet autre militant qui explique que « ceux qui sont dans les sociétés comme la mienne sont en pleine renégociation des accords d'entreprises (revues toutes largement à la baisse, merci Fillon). Le plus grave c'est que certains salariés affirment qu'il y a trop de privilèges, sans aucun respect des combats de nos pairs ».

À lire ces militants, une chose est sûre : lorsque Thierry Lepaon affirme que son départ ne résoudra pas tous les problèmes de la CGT, personne ne lui donne vraiment tort.

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Affaire Lepaon: des courriers internes révèlent une crise profonde à la CGT

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Reprendre la main… et sauver sa tête. Thierry Lepaon, juste avant la trêve des confiseurs, s’est lancé dans un marathon médiatique pour défendre son poste à la tête de la CGT. Alors que son organisation est fragilisée depuis deux mois par les révélations sur la rénovation dispendieuse de son appartement de location, ou encore sur ses étonnantes indemnités lorsqu’il a quitté le comité régional CGT de Normandie pour rejoindre Montreuil, le secrétaire général de la CGT, qui s’est exprimé longuement sur France 3, France Info et dans le Parisien, a surtout choisi de tacler ceux qui, en interne, informent la presse. « Il y a quelqu’un dans notre maison confédérale ou un groupe de personnes qui a ou qui ont décidé de transmettre à la presse des documents comptables. (...) Le choix qui a été fait, c’est de porter atteinte à l’honnêteté de Thierry Lepaon et à la démarche syndicale qu’entreprend la CGT. »

Se présentant en dirigeant responsable, il a ainsi promis : « Je ne serai pas le rat qui quitte le navire, notre navire est aujourd’hui en difficulté. » Le 13 janvier, le Conseil confédéral national (CCN), le parlement de la CGT, doit se réunir pour statuer sur son sort.

Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGTThierry Lepaon, secrétaire général de la CGT © Reuters

Depuis le début de la crise, rares ont été les prises de position publiques au sein de la confédération. Hormis deux anciens dirigeants, Bernard Thibault (son prédécesseur) et Georges Séguy (dirigeant de 1967 à 1982), qui ont diplomatiquement laissé entendre qu’il serait peut-être temps de tourner la page Lepaon, les débats au sein de la CGT se déroulent à huis clos, avec l’idée que le linge sale doit se laver en famille. Mediapart a eu accès à de nombreux courriers ou mails internes, de militants ou d’élus cégétistes, qui révèlent l’ampleur du malaise au sein de la confédération. Bien au-delà du seul « cas Lepaon », ces échanges témoignent de la véritable crise existentielle qui secoue aujourd’hui le premier syndicat de France.

Aux premières révélations du Canard enchaîné concernant la rénovation de son appartement de location dans le carré magique de Vincennes pour 105 000 euros, une certaine stupéfaction s’empare des adhérents.

Il y a bien sûr ceux qui pensent qu’il faut prendre avec des pincettes ce feuilleton orchestré « par la presse bourgeoise », comme l’écrit dans un courrier interne la Fédération des ports et docks. Cette fédération estime que « toutes ces manipulations claniques, anti-ouvrières, n’ont de visées que l’affaiblissement de la CGT ». Une analyse partagée par un certain nombre de militants (lire la boîte noire de cet article), qui rappellent le contexte très particulier dans lequel s’inscrivent ces révélations : à la veille d’élections professionnelles cruciales pour la confédération, mais aussi en plein bras de fer avec le Medef sur la rénovation du dialogue social ou la réforme des prud’hommes.

« Pendant qu’on détourne notre regard, la caravane Macron-MEDEF passe-passe ! », préfère prévenir un adhérent. D’autres, en vieux routiers du syndicat, s’affichent un rien désabusés : « Si ça déconne, c'est pas nouveau, on va pas en chier des tartines. » Et ils craignent, là encore, l’effet de souffle pour la confédération. « Dans tous les cas, ceux qui cassent ou participent à casser ce fantastique outil qu'est la CGT, quelles que soient leurs motivations, ne méritent pas le nom de camarades », assène un adhérent. « Que nos ennemis de classe soient plus informés que nous, parce que de braves camarades livrent à la presse des informations trouvées ou volées dans les poubelles de la Confédération me fait gerber », écrit une élue CGT.

Malgré ce sentiment assez partagé de vivre dans une citadelle assiégée de toute part, rares sont ceux à ne pas se sentir très mal à l’aise face aux faits révélés dans la presse. Beaucoup s’émeuvent ainsi des « sommes indécentes » évoquées. « C’est tout le travail quotidien des militants dans leur entreprise qui se retrouve saboté par des pratiques indignes », écrit un militant. « Il faut le virer, désolée, ce n'est pas un comportement digne d'un syndicat qui défend les salariés », conclut une militante dans un mail.

Début décembre, les responsables de l’union locale de Perpignan font également remonter que « de nombreux camarades nous interpellent au sujet du montant exorbitant des travaux pour l'appartement de notre secrétaire général. Mais le pire est quand des salariés remettent en cause l'honnêteté de notre organisation. Nous sommes en pleine période d'élections, tant dans le public que dans le privé et, comme à chaque élection, nous distribuons des tracts. Des camarades ont honte devant les entreprises, chantiers, commerces, ronds-points etc. d’entendre que nous sommes tous pourris ».

Pour ces élus, Thierry Lepaon et tous ceux qui ont participé de près ou de loin à couvrir ces dérives doivent partir. « Mais comment notre secrétaire général se permet-il de dire : honnêteté, loyauté, transparence ! » (…) « Une somme démesurée pour des travaux dans un appartement qui n'appartient pas à la CGT n'est pas acceptable (…). À l’Union Locale nous faisons attention au moindre centime, afin que nous puissions fonctionner et être présents sur tous les fronts », poursuivent les responsables de l’union locale de Perpignan. La défense de Thierry Lepaon, qui s’est défaussé sur l’agent comptable, passe aussi très mal. « Mais comment notre secrétaire général se permet-il de dire qu’il n'était pas au courant, c'est une faute collective puis de dire sur BFM TV, c'est l'administrateur de la confédération qui a fait une faute ! Mais comment croire que seul l'administrateur est "coupable" ? », s’agacent les mêmes. 

Alors que l’affaire prend de l’ampleur au fil des semaines, certains s’inquiètent de l’image donnée par l’organisation. « Ces affaires (...) mettent en difficulté les militant-e-s qui, chaque jour, rencontrent les salariés, œuvrent à les unir, à les inciter à lutter et à leur rendre confiance en eux. Ces affaires, qui choquent considérablement les syndiqués, plomberont la crédibilité de toute l’organisation si elles ne sont pas résolues de bonne manière. Et c’est la CGT, dans son ensemble, qui s’en trouvera affaiblie », écrivent dans un courrier interne les représentants CGT du groupe Macif qui appellent, eux aussi, à la démission de l’actuel secrétaire général.

Lorsque éclate le nouveau scandale des indemnités touchées par Thierry Lepaon – le patron de la CGT a touché 26 000 euros en quittant la CGT régionale de Basse-Normandie pour rejoindre le siège de Montreuil, comme l’a révélé l’Expansion –, certains sont visiblement gagnés par l’écœurement. « Je meurs !! La pastèque sur le gâteau !! » écrit l’un d’eux. « Licenciement pour faute lourde et il rend les clefs de son logement de fonction !! y a bien des camarades qui vont encore crier au complot (un sabotage des élections pro de nos services publics par exemple !) mais "il" et ses potes donnent le bâton pour nous faire battre !! J'attends avec impatience les arguments (si on peut appeler ça des arguments) des camarades-corrompus-et-potes-de-Titi-Panpan... », écrit rageusement un adhérent.

« La ligne de défense du "clan Lepaon", nous en connaissons les rouages et les roueries, repose sur le discours "sauvons la CGT" », s'agace un militant qui raille « l'éternelle excuse (protéger la structure face aux attaques, quoi qu'on en pense) qui permet de tout étouffer ».

Au-delà du sort du dirigeant de la CGT, certains espèrent que cette crise permette un profond renouvellement de l’organisation. « L'alternative à mes yeux se résume à trois possibilités.
1- La pire : les bureaucrates tablent sur l'esprit de corps de la hiérarchie syndicale et Lepaon garde sa place, avec à la clé un éclatement de la CGT. 

2- L'inverse : la "révolution" balaye la bureaucratie et un nouveau syndicalisme émerge de la base de la CGT. 
3- Rien ne change : Lepaon est cloué sur la porte en victime expiatoire et la bureaucratie sauve sa peau, avec à la clé une désillusion et une désaffection de plus.
Les prochains jours vont être décisifs ! Tenons bon ! », affirme un militant dans un courriel.

Certains, critiques avec la ligne Lepaon jugée trop peu offensive, entendent bien pousser leurs pions dans le marasme actuel : « C'est le moment de faire le grand nettoyage, ce dont les patrons ont le plus peur d'ailleurs : que ce soit le peuple, la base qui se dirige elle-même, une démocratie populaire (ce qui ne veut pas dire l'absence d'une structure syndicale). Ce triste épisode peut, s'il n'est pas enterré (et je vois mal comment il pourrait l'être vu son ampleur), déboucher sur une grande victoire idéologique et un vrai syndicalisme révolutionnaire. L'époque s'y prête. La place est vide sur ce terrain. Courage, osons rêver, osons l'utopie !!! », s’enflamme un adhérent parisien.

Nombreux sont les militants à appeler à ce que surtout « l’affaire Lepaon » n’occulte pas la crise bien plus profonde que connaît l’organisation. « La situation de la CGT ne peut se réduire aux affaires du secrétaire général, mais tient à un déficit d’orientation ou à plusieurs orientations contradictoires non dites », affirment dans un courrier interne les responsables de la CGT du livre. Ils appellent à ce qu’un débat « s’ouvre enfin clairement sur le sens de l’engagement de la CGT dans la bataille sociale qui fait rage »

Pour beaucoup, l'affaire Lepaon est en effet un dramatique révélateur des errances de la CGT. « Ce qui est sans doute "la pointe émergée de l’iceberg" n’est-il pas, au fond, le résultat d’une rupture avec ce qui était la CGT ? » s’interrogent des élus du Loir-et-Cher. « La négociation au détriment de l’action, les gages donnés au patronat et au gouvernement, l’institutionnalisation, la bureaucratisation de l’appareil confédéral et de sa direction ont contribué de par leurs orientations au désengagement de la CGT dans les luttes comme aux nécessaires solidarités avec ceux qui résistent », poursuivent-ils avant de conclure par ce constat implacable : « La démocratie interne s’est atrophiée (…). La lutte des places, les ambitions personnelles dans une complète opacité sont devenues une façon d’être et de diriger. »

Devant l’ampleur des récents reculs sociaux, certains militants en viennent à s’interroger sur le sens même de leur engagement syndical. « Pourquoi tous ces efforts ? Ne sommes-nous que des faire-valoir, des marionnettes au service d’obscures tractations ou de ridicules ambitions ? », écrit un adhérent. « Partout, la CGT fait des contre-propositions qui ne servent à rien, qui n’ont aucune chance d’aboutir. » (…) « Le problème n’est plus d’être propre sur soi, raisonnable et constructif. Surtout quand ces contre-propositions ne servent qu’à masquer des défaites. La représentativité, les seuils pour les instances représentatives du personnel (avec des abrutis de la délégation CGT qui se disent prêts à négocier !), les 35 heures, la Sécu, la retraite, les délais de prescription, le CDI, les ruptures conventionnelles, les salaires bloqués, la formation professionnelle (CFP), les services publics, l’éducation, les impôts ; le Livret A, la motivation des licenciements, les milliers de licenciements, le CICE. (…) C’est en luttant qu’on s’opposera vraiment à la montée du Front national. Le reste c’est du verbiage et des sorties de centre aéré (réservées aux permanents et aux retraités quand c’est un jour de semaine). »

La faiblesse des récentes mobilisations depuis la rentrée démoralise d’autant plus que beaucoup de militants reprochent à la direction de la CGT d’avoir tout fait pour les réfréner. « Les derniers mouvements sociaux ne sont pas à la hauteur des attaques incessantes orchestrées par le patronat », écrit la CGT du livre. Les récentes manifestations patronales laissent un goût amer. « Le Medef prévoit une manifestation de rue pour porter ses revendications. (Le monde à l’envers !) Les cadeaux du PS doivent lui paraître insuffisants... » ironise un adhérent, qui évoque ensuite une mobilisation a minima contre la réforme des prud’hommes.

« Quant au rassemblement du 20 novembre devant l’Assemblée, plusieurs questions se posent en ce qui concerne l’attitude de la CGT. Pas de médias convoqués alors que la veille au même endroit quelques UMP sortaient une banderole contre le redécoupage territorial et se retrouvaient sur toutes les chaînes ? Il faut être voyant, sinon à quoi, ou à qui, ça sert ? Ensuite, comment se fait-il qu’un thème si central (l’élection des conseillers et la possibilité pour des salariés d’être élus conseillers), qui est un acquis fondamental de la classe ouvrière, et à l’occasion d’une décision nationale (le vote de l’assemblée) à ce sujet, ne déclenche à la CGT qu’un appel à un niveau régional ne mobilisant que quelques centaines de personnes dont une dizaine de FO, et que Lepaon ne se pointe pas ? Où sont les cars de province ? Deux ans de lutte qui s’achèvent de cette façon ? », s’interroge amèrement un syndiqué.

Plus vindicatif, un autre affirme : « Le sabotage organisé par la conf contre les actions s'organise en plein jour. Pour exemple, l'appel à la manifestation contre l'austérité qui a eu lieu le samedi 15 novembre a été saboté par la conf. Elle a empêché l'Urif (Union régionale d’Ile-de-France, ndlr) à faire l'appel et l'UD (Union départementale) de Paris a été contrainte de sortir un tract le 13 !!!! Donc mobilisation zéro et très peu de manifestants. (…) Camarades, il s'agit bel et bien d'une collaboration de classe. Nos instances et structures se pourrissent davantage chaque jour. Les permanents nous tuent (ils sont au chaud et peinards). »

L’impression qu'ont les salariés d'être de moins en moins audibles laisse parfois place à un certain découragement. « Pour ma part, j’ai donné 25 ans de ma vie au combat pour les salariés au titre de représentant de la CGT, et pour la CGT, 25 ans en déplacement à travers la France, hors de mon foyer et loin de ma famille, pour en arriver où ? Actuellement, je suis dépité… Et je ne suis pas le seul !... Et ce n’est pas peu dire !... J’en arrive effectivement (malheureusement) à comprendre le dépit des salariés et privés d’emploi quant à la réelle représentativité syndicale (tous syndicats confondus) et en ce qui nous concerne : la CGT. »

Un désarroi partagé par cet autre militant qui explique que « ceux qui sont dans les sociétés comme la mienne sont en pleine renégociation des accords d'entreprises (revues toutes largement à la baisse, merci Fillon). Le plus grave c'est que certains salariés affirment qu'il y a trop de privilèges, sans aucun respect des combats de nos pairs ».

À lire ces militants, une chose est sûre : lorsque Thierry Lepaon affirme que son départ ne résoudra pas tous les problèmes de la CGT, personne ne lui donne vraiment tort.

BOITE NOIRENous avons choisi d'anonymiser plusieurs de ces échanges entre militants de base et responsables à différents niveaux de la CGT.

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Le Crédit mutuel-CIC est visé par une enquête pour évasion fiscale

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Les ennuis s’accumulent pour le groupe français Crédit mutuel-CIC, deuxième banque de détail française. Après l’ouverture d’une enquête en novembre 2013 à Monaco pour blanchiment d’argent concernant l’une de ses filiales suisses de private banking, la banque Pasche – dont Mediapart a dévoilé le système d’organisation de fraude fiscale et de blanchiment d'argent en cours au sein de l’établissement dans une série d’articles en juin dernier (à lire ici)  –, les soupçons se rapprochent de la maison mère. 

Dans un courrier daté du 26 novembre auquel Mediapart a eu accès, le procureur général des affaires économiques et financières, Marc Rouchayrol, annonce que la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) a été saisie par la procureure nationale financière, Éliane Houlette, à la suite de soupçons de fraudes fiscales. Le Crédit mutuel-CIC est suspecté par les services de  Bercy d’avoir organisé un système d’évasion fiscale via sa filiale genevoise, la banque Pasche. Le Crédit mutuel a-t-il mis en place un système de démarchage de clients français comme la banque UBS ? Les investigations de la DNEF devraient permettre d’identifier les différents montages qui ont permis à des ressortissants français d’échapper au fisc. 

La procureure nationale adjointe du parquet financier, Ulrika Delaunay-Weiss, a confirmé à Mediapart que ses services avaient bien été saisis de deux dossiers concernant le Crédit mutuel-CIC. Selon une source proche du dossier, l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) a également été saisie du dossier et devrait mener une enquête en parallèle.  

C’est une enquête de la brigade financière de Lyon pour démarchage illicite de clients du CIC qui a attiré l’attention du parquet national financier. Dans ce dossier en cours depuis 2012, le Crédit mutuel-CIC est soupçonné d’avoir organisé, entre 2000 et 2007, l’évasion fiscale d’une riche contribuable de la région vers sa filiale suisse. 

Une procédure qui vient s’ajouter à celle en cours à Monaco. Le juge d’instruction, Pierre Kuentz, enquête depuis novembre 2013 sur la banque Pasche Monaco. En juillet dernier, deux anciens dirigeants de l’établissement avaient été placés en garde à vue. Alertée de possibles malversations au sein de sa filiale par des salariés, la direction du Crédit mutuel-CIC n’avait pourtant pris aucune mesure pour enquêter sur les agissements de sa succursale monégasque. Les trois lanceurs d’alerte avaient été licenciés pour raisons économiques quelques semaines plus tard.

Un dossier qui remonte aujourd’hui à Paris. Comme le révélaient jeudi dernier nos confrères du Nouvel Observateur, une « dénonce » (un signalement) a également été faite par l’avocate des lanceurs d’alerte, Sophie Jonquet, auprès du parquet national financier. Selon nos informations, le dossier devrait être à son tour transmis à la Direction nationale des enquêtes fiscales. La banque Pasche est soupçonnée d’avoir organisé un système d’évasion fiscale via les Bahamas et Genève. 

Contacté par Mediapart, le Crédit mutuel n’a pas souhaité s’exprimer. Mais l’inquiétude est palpable au sein de la direction du groupe bancaire. Depuis juin 2013, la banque se sépare des différentes succursales de sa filiale. En octobre dernier, la banque Pasche Luxembourg était cédée au groupe Havilland, le même qui avait racheté, en juin 2013, l’antenne monégasque. 

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Déclaration d'intérêts de Macron : 2,4 millions € chez Rothschild en 18 mois

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Tant attendue, la déclaration de patrimoine d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie et ancien banquier chez Rothschild & Cie, a été publiée en toute discrétion vendredi 19 décembre, veille de départs en vacances, par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), en même temps que les déclarations de ses collègues entrés au gouvernement lors du remaniement du 26 août dernier.

La déclaration de patrimoine d'Emmanuel Macron n'est assortie d'aucune appréciation de la HAT, qui n'a donc relevé aucune omission ni sous-évaluation notable de ses biens (à l'inverse du cas de Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d'État chargé des relations avec le parlement toujours en poste, épinglé en juin dernier pour avoir minoré son patrimoine immobilier de 700 000 euros).

Cette validation, cependant, ne préjuge en rien des résultats de la vérification fiscale subie par ailleurs par Emmanuel Macron, selon la procédure automatique qui vise désormais tous les nouveaux ministres et qui a provoqué la démission de Thomas Thévenoud.

Depuis que L’Express a révélé en septembre que le ministre de l'économie ne « paie pas l'ISF » (ce qu'il n'a jamais démenti), une même interrogation agite en tout cas le "tout-Paris": comment l’ancien banquier, qui a touché plus de deux millions d’euros comme associé-gérant chez Rothschild en 2011 et 2012, qui possède (lui ou sa femme) des biens immobiliers à Paris et dans la ville huppée du Touquet-Paris-Plage, peut-il échapper à l'impôt de solidarité sur la fortune ? Pour rappel, tout foyer fiscal est redevable de l'ISF quand son « patrimoine net taxable » dépasse 1,3 million d’euros.

Les deux déclarations de patrimoine et d’intérêts signées le 24 octobre par le ministre (à deux jours de la date limite) apportent aujourd'hui quelques pièces supplémentaires au puzzle, mais ne permettent absolument pas de résoudre l’énigme, puisqu'elles n'indiquent pas les biens possédés en propre par son épouse, les dettes de celles-ci, les exonérations et réductions fiscales possibles, etc.

Emmanuel Macron y déclare 1,4 million de revenus pour l’année 2011, époque où il a travaillé comme associé-gérant chez Rothschild : 403 600 euros de « traitements et salaires », 706 300 de « bénéfices industriels et commerciaux », plus 291 300 euros de « revenus de capitaux mobiliers » (des « parts de dividendes dans les sociétés du groupe Rothschild »).

Pour 2012, il indique 1,09 million d’euros, d'abord gagnés à la banque, puis comme secrétaire général adjoint de François Hollande à l’Élysée (100 900 euros entre mai et décembre 2012).

En clair, en un an et demi, Emmanuel Macron a ainsi empoché 2,4 millions d’euros chez Rothschild – une somme qui étonne certains observateurs par sa relative "médiocrité", au regard des gains habituels dans le secteur.

Ensuite, en 2013, ses revenus imposables sont logiquement retombés à 162 000 euros (soit tout de même 13 500 euros par mois), en tant que collaborateur du chef de l’État.

Par ailleurs, quand on additionne ses différents comptes bancaires, ses placements, la valeur de sa voiture, etc., le ministre de l’économie affiche un actif personnel d’environ 1,2 million d’euros, pour 1,05 million d’euros d'emprunts à rembourser.

Mais pour tenter de comprendre si le seuil de 1,3 million d’euros de « patrimoine net taxable » est franchi (susceptible de faire basculer le ministre dans l’ISF), il faut surtout scanner ses biens immobiliers.

Emmanuel MacronEmmanuel Macron © Reuters

Dans cette catégorie, Emmanuel Macron déclare un appartement de 83 m2 situé dans le XVe arrondissement de Paris (cité Falguière), acheté en 2007 pour quelque 820 000 euros. Il indique, sur la base d’une « expertise en date du 17 octobre 2014 », que ses parts dans cette résidence comprenant une terrasse et un parking vaudraient aujourd’hui 935 000 euros, compte tenu des travaux réalisés pour 70 000 euros et de l’évolution des prix de l’immobilier.

D’après des documents du Service de publicité foncière de Paris, que Mediapart a consultés, Emmanuel Macron était l’acquéreur de ce bien à hauteur de « 94,7 % » en 2007, et sa femme de 5,3 %.

À ce jour, c'est le seul bien déclaré par le ministre, qui n'évoque pas la maison de famille de son épouse au Touquet – à juste titre, puisqu’il n’en possède aucune part personnellement. Ce bien mérite pourtant qu’on s’y arrête.

D’après des documents consultés par Mediapart, sa femme (professeur de français et de latin) a en effet récupéré la « nue-propriété » de cette maison de famille en 1985, à la suite d’une « donation-partage » qui a vu deux membres de sa famille en conserver l’usufruit (c’est-à-dire l’usage).

Depuis lors, de deux choses l’une : soit ces parents (nés respectivement en 1909 et 1913) sont toujours vivants et conservent l'usufruit, et le bien ne doit pas rentrer dans le patrimoine taxable du couple Macron. Soit, dans le cas contraire, la valeur actualisée de la maison doit être prise en compte.

Lors de la donation, la propriété valait en tout cas 900 000 francs, une grosse somme pour l’époque. Combien vaut-elle trois décennies plus tard ? À cette question clef, parmi d'autres, la déclaration publiée vendredi ne peut fournir aucune réponse.

Sollicité par Mediapart, Emmanuel Macron n'a pas apporté de précision sur sa situation fiscale.

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Retour sur nos enquêtes : le Front national, l'argent et la Russie

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Les révélations par Mediapart de financements russes massifs du parti d'extrême droite posent une cascade de questions sur la gestion de ce mouvement, ses relations à l'argent et les lois de financement de la politique. Autour de Frédéric Bonnaud et Edwy Plenel, nos journalistes qui ont enquêté sur les financements russes du Front national : Agathe Duparc, Karl Laske et Marine Turchi. 

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Thales: Dassault réinstalle Proglio au pouvoir

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L'épilogue du bras de fer, qui a duré pendant deux mois entre l'Etat et Dassault, les deux principaux actionnaires de Thales, a finalement été trouvé.  Mardi 23 décembre, le conseil d'administration a entériné la nomination d'un nouveau tandem pour diriger le groupe d'armement. Un mois jour pour jour après avoir quitté la présidence d’EDF, Henri Proglio a été nommé président non exécutif de Thales et Patrice Caine directeur général du groupe d’armement.

L'affaire semblait entendue depuis plusieurs jours. La nouvelle direction avait été annoncée samedi 20 décembre dans la soirée par le Figaro, propriété de Dassault, deuxième actionnaire du groupe d’armement aux côtés de l’État.Mais coup de théâtre de dernière minute : lundi matin, le conseil d'administration était annulé, en raison du désaccord entre l’État et Dassault. « Plus personne ne veut assumer la nomination d'Henri Proglio. L’État dit à Dassault: "C'est votre candidat, donc à vous de le nommer." Dassault réplique: "Nous ne sommes responsables que de la nomination du directeur général." La situation est complètement bloquée », expliquait une source proche du dossier. Finalement, un compromis a été trouvé. Vingt-quatre heures plus tard , tout rentrait dans l'ordre. Chaque actionnaire obtenanit la nomination de son candidat.

L'arrivée d’Henri Proglio à la tête de Thales n'a pas manqué de faire polémique, même si l’annonce a été opportunément faite en pleines vacances de Noël. « Comment croire que Henri Proglio se contentera d’une présidence non exécutive ? En ne le reconduisant pas à la tête d’EDF, le gouvernement semblait, pourtant, vouloir prendre ses distances avec certaines pratiques. En acceptant cette nomination, il le remet en selle à la tête d’un des groupes les plus puissants en France, en relation avec les services secrets, les marchés d’armes, les pouvoirs de l’ombre. Un monde qu’affectionne Henri Proglio », constate un connaisseur du dossier, qui se dit décontenancé par l’inconstance et l’inconséquence du gouvernement.

© Reuters

Appréhendant sans doute les réactions à cette nomination, le premier ministre Manuel Valls a fait savoir, dès l’annonce le samedi, qu’il était opposé à cette décision, alors qu’il soutenait sa reconduction à la tête d’EDF. « C’est Emmanuel Macron qui a piloté le dossier », s’est empressé de dire son entourage. Le ministre de l’économie a gardé une influence certaine sur les sujets industriels de défense et d’armement, qu’il supervisait lorsqu’il était secrétaire adjoint de l’Élysée. Mais les relations avec la famille Dassault ont toujours droit à un traitement à part au sein de l’État. C’est l’Élysée directement, en étroite collaboration avec le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui a géré le dossier, sans compter les multiples réseaux à côté.

Car la succession à la présidence de Thales, provoquée par la nomination surprise de Jean-Bernard Lévy, qui occupait cette fonction, à la présidence d’EDF, a donné lieu à deux mois de bras de fer, de manœuvres en coulisses, de tractations obscures, qui semblent désormais être la marque du pouvoir. Beaucoup de personnes se sont mobilisées pour la solution susceptible de mettre un terme à la dispute née entre l’État et le groupe Dassault sur le contrôle de Thales, le premier étant actionnaire à hauteur de 26,4 %, le second à hauteur de 25,3 %.

Charles Edelstenne, le patron opérationnel de Thales, n’a guère apprécié en effet d’apprendre par la presse la nomination de Jean-Bernard Lévy, sans avoir été prévenu à l’avance. Les proches de l’Élysée avaient justifié cette absence de prévenance par le besoin de garder le secret absolu sur le remplacement d’Henri Proglio à la tête d’EDF. « Il était impossible à l’Élysée d’informer le groupe Dassault par avance. Compte tenu des liens étroits qui existent entre Serge Dassault et Henri Proglio, c’était prendre le risque d’une fuite et de faire échouer cette candidature, comme toutes les autres dès qu’elles ont été rendues publiques », expliquait alors un proche du dossier.

Furieux, Charles Edelstenne a alors fait savoir qu’il se souviendrait des mauvaises manières de l’État. « Vous allez faire un swap (échange) ? », a plaisanté le président d’un grand groupe, aux lendemains de l’annonce de la nomination de Jean-Bernard Lévy et de la non-reconduction de Henri Proglio. « Et pourquoi pas ? », lui a rétorqué Charles Edelstenne. Après ce qu’il considérait comme un mauvais coup de la part de l’État, le groupe Dassault était en tout cas déterminé à renforcer son contrôle sur Thales. Une obsession du groupe, depuis sa montée au capital de Thales en 2008 (voir Sarkozy aide Dassault à prendre Thales).

La candidature d’Henri Proglio, un ami maltraité par le gouvernement selon la famille Dassault, s’est donc imposée assez vite. Dans la galaxie Dassault, l’ancien président d’EDF est une figure à part. Il entretient, de très longue date, des relations étroites avec Serge Dassault. Alors qu’il était président de Veolia, la holding de la famille, Groupement industriel Marcel Dassault (GIMD), a accepté de prendre une participation de 5 % dans son groupe afin de l’aider à stabiliser son capital. Celui-ci l’a suivi dans toutes ses tentatives de putsch pour renverser Antoine Frérot, son successeur chez Veolia, jugé trop indépendant (voir Jean-Louis Borloo : « Alain Minc m’a tuer »)

En retour, Henri Proglio a été nommé administrateur du groupe Dassault. Il a aussi été admis au « comité des sages », la poignée d’hommes amis de la famille qui doivent veiller sur le groupe et arbitrer entre les différents intérêts familiaux et industriels, au décès de Serge Dassault, alors que sa succession n’est toujours pas réglée.

Aux yeux de la famille, Henri Proglio est donc le candidat idéal pour l’aider à asseoir son pouvoir sur le groupe Thales. Qu’importe qu’il ait 65 ans, ce qui est considéré comme la limite d’âge pour remplir des fonctions de direction dans les groupes normaux. Comparé à Serge Dassault (89 ans) et Charles Edelstenne (76 ans), Henri Proglio fait figure de jeunesse. S’il le faut, Thales changera les statuts.

L’Élysée n’avait manifestement pas prévu une telle résistance. En nommant Jean-Bernard Lévy à la présidence d’EDF, il avait déjà le candidat pour lui succéder.

Patrice Caine Patrice Caine © DR

En fait, il l’a depuis 2012. Dès le départ de Luc Vigneron, démis de la présidence de Thales, des membres du gouvernement et de l’administration militent pour la nomination de Patrice Caine. Cet ingénieur, X-Mines, qui a été activement soutenu dans sa carrière par Robert Pistre, le grand faiseur de rois du corps des Mines, est entré chez Thales en 2002. Un atout, aux yeux du gouvernement, alors que les salariés demandent une candidature interne pour tourner la page de l’ère Vigneron. L’ennui est que Patrice Caine est jeune – 43 ans alors –, peu connu et qu’il n’a pas suffisamment d’expérience, selon Dassault.

De plus, deux autres candidatures internes paraissent alors beaucoup plus légitimes. « À l’époque, deux patrons de branche semblaient s’imposer pour prendre la direction de Thales : Pascale Sourisse, directrice commerciale de Thales, officiellement soutenue par l’État, et Reynald Seynec, autre commercial, ancien patron de la branche spatiale Thales Alenia Space, qui avait la préférence de Dassault. Mais David Azema (directeur de l’agence des participations de l’État – ndlr), qui pilotait la succession pour le gouvernement, voulait Patrice Caine. Il a tout mis en œuvre pour imposer son candidat. Les dés ont été pipés », raconte un ancien de Thales, témoin très proche de l’épisode.

Pour donner un aspect de transparence, les différents candidats à la direction de Thales sont alors auditionnés par un comité des nominations. Mais les réunions se tiennent au siège d’EDF, comme ce témoin le rappelle. Pourtant, Henri Proglio n’est pas administrateur de Thales, pas plus que François Roussely – l’autre ministre de la défense, ironise Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret défense. Mais ce seront eux qui dessineront la solution. « Pascale Sourisse et Reynald Seynec ont été des leurres. Leurs deux candidatures ont servi à ce qu’ils se détruisent l’un l’autre. Ils se sont fait rouler dans la farine. Ni l’un ni l’autre n’ont obtenu le poste », raconte ce témoin. Patrice Caine emportera la mise, au moins en partie. Il n’est pas nommé alors directeur général comme le voulait David Azema. Mais il a obtenu un portefeuille très élargi pour apprendre à diriger le groupe, avec l’espoir de prendre le pouvoir dans quelques années, au départ de Jean-Bernard Lévy.  

En nommant Jean-Bernard Lévy à EDF, l’Élysée pense donc n’avoir aucun souci pour sa succession. Mais c’est sans compter avec Dassault. Dès le départ, Dassault indique qu’il souhaite conserver une direction bicéphale, avec un président et un directeur. Pour ce dernier poste, il avance le nom de son candidat : Pierre-Éric Pommellet, directeur général adjoint en charge des systèmes de mission de défense, qu’il préfère à Patrice Caine qu’il juge toujours trop jeune.

Pendant deux mois, Dassault bloque tout accord avec l’État et campe sur ses positions, comme il l’avait déjà fait en 2009, en empêchant la nomination d’Alexandre de Juniac, souhaitée par l’Élysée. Faute d’accord, le conseil est obligé de nommer comme PDG par intérim le secrétaire général du groupe, Philippe Logak. Ce proche de Jean-Bernard Lévy – il a été chez SFR – se prend même à rêver de conserver le poste, tant la situation s’éternise. Toute entente semble alors impossible. L’Élysée tient à son candidat et refuse la nomination de Henri Proglio. Dassault veut imposer ce dernier et refuse la candidature de Patrice Caine.

Mais en coulisses, beaucoup de personnes s’agitent. Cédric Lewandowski, directeur de cabinet de Jean-Yves le Drian, est un de ceux-là. Ancien conseiller d’Alain Richard (ministre de la défense pendant tout le gouvernement Jospin), il est aussi très proche de François Roussely et de Henri Proglio. Il était directeur de la division des collectivités locales chez EDF quand Jean-Yves Le Drian lui a demandé de rejoindre le ministère de la défense, lors de la formation du gouvernement en 2012. Dans les allées du pouvoir, on a vu passer aussi Alain Bauer, François Roussely et d’autres. Tous œuvrent au rapprochement des points de vue, dans l’intérêt de Thales et des deux actionnaires, naturellement. Finalement un compromis est trouvé jeudi, selon nos informations : l’État et Dassault acceptent chacun de faire une concession et en retour obtiennent la nomination de  leur candidat.

« Ces deux mois n’ont été qu’une farce pour la galerie. Dassault est arrivé exactement où il voulait : mettre Henri Proglio à la tête de Thales. Il a été aidé par des personnes qui en apparence n’ont rien en commun, et qui pourtant se connaissent bien et sont liées par ailleurs. Elles appartiennent toutes à la franc-maçonnerie. Derrière les jeux d’ombre, elles ont un but commun : assurer la mainmise des loges dans le secteur de la défense, comme cela a été fait dans l’énergie et se partager le pouvoir », dénonce cet ancien de Thales.

Henri ProglioHenri Proglio © Reuters

 La nomination de Henri Proglio à  la présidence de Thales l'appelle à jouer un rôle central sur l’avenir du groupe Dassault, son modèle industriel, la place de la famille après la succession de Serge, ses relations avec l’État. D'autant que Henri Proglio, bien que président non exécutif, a obtenu des pouvoirs élargis chez Thales.

Dassault, qui compte sur lui pour asseoir solidement et définitivement son contrôle sur le groupe d'armement, a rappelé à l’État les clauses du très généreux pacte d’actionnaire qu’il avait signé au moment de sa montée dans le capital du groupe d’armement. Celui-ci lui confère un pouvoir élargi sur la direction opérationnelle, un pouvoir que la famille Dassault entend bien le voir exercé au jour le jour par Henri Proglio. Il est prévu que celui-ci ait notamment la responsabilité de la stratégie du groupe, et de tous ses marchés d’exportation. En un mot, tous les marchés d’armement. 

En dépit de la bagarre apparente, les observateurs avertis pensent que la cohabitation avec Patrice Caine peut fonctionner. « Patrice Caine a un frère, Stéphane, X-Mines lui aussi, peut-être plus brillant encore que Patrice. Il a été conseiller des affaires industrielles au cabinet d’Alain Richard avant d’être embauché par Henri Proglio un moment chez Veolia, dont il est resté très proche », pointe ainsi une personne très avertie. « Il a aussi un père, Yves Caine, qui connaît bien les milieux de la défense », poursuit celle-ci. Travaillant pendant toute sa carrière dans le BTP – il a créé sa propre société de conseil, BTP conseil international –, Yves Caine a aussi été nommé, en 1997, administrateur directeur général délégué de la Sofrinfra, filiale de la Société française des exportations de systèmes avancés (Sofresa). Cette société, aujourd’hui dissoute, a supervisé pendant des années tous les contrats d’armement à l’exportation. Elle a été impliquée dans plusieurs scandales, liés notamment à Charles Pasqua et à Karachi.

La nomination de ce tandem pour diriger Thales suscite quelques doutes et inquiétudes. Certains salariés du groupe, qui ont bien connu la présidence d' Alain Gomez , faite d'ombres, de secrets,  de diplomatie parallèle, redoutent de le voir retomber dans les mêmes travers.  «Vous avez aimé Thonsom-CSF , vous allez adorer Thales», prévient l'un d'entre eux.

BOITE NOIRECet article avait été mis en ligne pour annoncer la nomination d'Henri Proglio et Patrice Caine à la tête de Thales. Il a  été réactualisé lundi 22 décembre au matin, après l'annulation du conseil d'administration qui devait entériner ces nominations, personne ne voulant alors assumer le retour de Henri Proglio. L'imbroglio a duré 24 heures. Et l'article  a de nouveau été réactualisé , après  la réunion du conseil d'administration du 23 décembre qui a finalement avalisé la nouvelle équipe dirigeante, telle qu'elle était prévue au départ.

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