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Prêt russe au FN : La déclaration de Schaffhauser bientôt validée

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Les précisions apportées par l'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser, qui fut l'artisan du prêt de neuf millions d'euros décroché pour le Front national auprès d'une banque russe, n'ont pas convaincu Martin Schulz. Le président de l'institution strasbourgeoise continue de tiquer sur ce qui ressemble à des omissions dans la déclaration d'intérêts financiers de l'élu français. 

Schulz a donc décidé, selon nos informations, de solliciter l'avis du président du comité consultatif interne au parlement, le conservateur britannique Sajjad Karim. Ce dernier s'apprêtait toutefois à donner son feu vert, pour valider la déclaration. Schaffhauser doit en particulier se justifier sur les 140.000 euros qu'il reconnaît avoir touchés au titre d'intermédiaire entre le FN et la banque russe, mais qui ne figurent pas dans sa déclaration d'intérêts d'eurodéputé (lire le détail des inquiétudes des services du parlement européen dans notre précédent article).

« La déclaration d'intérêts financiers présentée par le député Schaffhauser était correcte, car elle concernait les trois années avant son élection. Il a désormais révisé la version pour préciser plus clairement qu'il s'agit de ces années précédant son élection », estime-t-on du côté du parlement européen, ce qui semble préparer le terrain à un feu vert de l'institution. Depuis jeudi 11 décembre, une nouvelle déclaration d'intérêts financiers du député est en ligne sur sa page internet du parlement. En clair, l'institution croit comprendre que les 140.000 euros touchés par Schaffhauser pour le prêt en question, finalisé en septembre 2014, ont déjà été comptabilisés lors de ses activités de consulting des trois précédentes années, et ont donc bien été déclarés.

Le comité consultatif du parlement, peu connu du grand public, est un comité d'éthique qui avait été constitué dans la foulée du scandale « amendements contre cash » de 2011, lorsque des journalistes britanniques se faisant passer pour des lobbyistes étaient parvenus à corrompre des élus de l'institution. Ce comité est constitué de sept eurodéputés (dont deux membres « de réserve », chacun issu d'un groupe politique différent – ce qui doit permettre d'assurer une forme de neutralité dans la conduite des enquêtes sur leurs collègues). Les élus FN, qui siègent parmi les non inscrits au parlement européen, ne sont pas représentés au sein de ce comité. Dans le cas qui concerne Schaffhauser, Martin Schulz, le président du parlement, s'est donc refusé à saisir formellement le comité, pour que ce dernier enquête plus en profondeur sur le dossier, comme l'y autorise pourtant l'article 8 du code de conduite en matière d'intérêts financiers.

BOITE NOIREUne première version de cette brève a été publiée le mercredi 10 décembre, titrée: « Prêt russe au FN : Schaffhauser fixé sur son sort le 20 janvier ». Elle a été modifiée le 12 décembre.

Le texte initial contenait une erreur: le président du parlement n'a pas saisi formellement le comité consultatif sur le cas du député français, comme la brève le laissait entendre, mais il a demandé une recommandation auprès du président de ce comité. La première option, plus ambitieuse, aurait débouché sur une décision le 20 janvier 2015, lors de la prochaine réunion du comité consultatif. Mais l'option retenue, moins formelle, devrait permettre un « règlement » plus rapide de la question, dans les heures ou jours à venir.

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Bataille électrique autour d’une centrale à bois géante à Gardanne

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C’est la plus grosse centrale électrique au bois en France. Elle doit produire l’équivalent de la consommation électrique de 450 000 ménages, hors chauffage, sur le site d’une centrale à charbon rachetée par EON en 2007 dans les Bouches-du-Rhône, à Gardanne. Le géant allemand de l’énergie y investit 250 millions d’euros pour convertir une ancienne tranche charbonnière en unité de biomasse, Provence 4, prévue pour produire de l’électricité en brûlant du bois. Le principe est simple : la chaleur dégagée par le feu actionne une turbine qui fabrique du courant.

Vue du projet de centrale biomasse, avec un photomontage de paysage (extrait de l'enquête publique)Vue du projet de centrale biomasse, avec un photomontage de paysage (extrait de l'enquête publique)

Ce type de centrale se multiplie dans le monde, avec le soutien des politiques de transition énergétique et de réduction de l’usage des énergies fossiles, très émettrices de gaz à effet de serre, et donc cause majeure de dérèglement climatique. En Europe, les producteurs d’électricité ne bénéficient plus d’allocations gratuites de quotas de CO2, ce qui plombe la rentabilité des centrales à charbon. EON a occupé les unes de la presse internationale début décembre en annonçant sa réorganisation autour d’un pôle « énergies renouvelables ». La France est l’un des théâtres de cette reconversion industrielle. Quant à la combustion de bois, le sujet a éclaté médiatiquement avec la sortie de Ségolène Royal contre l’interdiction des feux de cheminée au nom de la défense de la filière bois-énergie. Tout semblait donc réuni pour que la centrale d’EON devienne un symbole de la révolution énergétique made in France

Et pourtant, l’installation promet plutôt d’incarner les incohérences, apories et dérives d’une transition énergétique mal jaugée et non maîtrisée, à force de vouloir à tout prix concilier des intérêts contradictoires. À quelques mois de son ouverture officielle, le site Provence 4 ne semble pas reposer sur un modèle économique et environnemental viable à long terme. 

Plan du projet de centrale Provence 4 (Extrait de l'enquête publique).Plan du projet de centrale Provence 4 (Extrait de l'enquête publique).

Tout commence sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. En 2011, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) lance un appel d’offres biomasse pour initier la construction de nouvelles centrales électriques. Le chef de l’État veut « un plan bois extrêmement puissant » pour réveiller la forêt, cette « belle endormie ». Éric Besson est alors ministre de l’énergie. Le projet d’EON ne fait pas partie des favoris : il est très gros (dix fois plus puissant que la plupart des autres candidats), et prévoit d’importer 55 % des plaquettes de bois qui doivent alimenter sa chaudière, ce qui grève son bilan carbone (le transport de bois par camions et bateaux pollue beaucoup). Par ailleurs, son rendement énergétique est faible : 36,8 % d’efficacité nette. En valorisant sa vapeur (la chaleur est récupérée pour chauffer un site industriel, des serres ou une ville), elle atteint péniblement 44,7 % d’efficacité nette. Très concrètement, cela signifie que pour dix arbres coupés, au moins cinq ne servent à rien. Pas terrible, et surtout insuffisant pour bénéficier du tarif d’achat qui garantit le prix de vente des électrons à EDF pendant 20 ans. Dans son appel d’offres, la CRE conditionne le bénéfice de cette aide : « Seules les installations pour lesquelles l’efficacité énergétique est supérieure ou égale à 60 % sont admissibles à cet appel d’offres. » 

Mais la commission a prévu une dérogation pour la région PACA, « à titre expérimental », si « un candidat fait la preuve que son projet contribue à améliorer la sécurité d’alimentation en électricité de la région ». Ça tombe bien, c’est justement là qu’EON veut sortir son unité biomasse. EON se glisse dans la brèche et emporte l’appel d’offres pour sa centrale, à 115 euros le mégawatt/heure (MWh) payé par la CSPE, c’est-à-dire par nos factures d’électricité. Au total, l’aide représente environ 70 millions d’euros sur 20 ans. France nature environnement (FNE) proteste : « Trop gros, avec un rendement médiocre, payé cher, Gardanne a tout d'une erreur majeure ! » Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie au ministère, n’est pas loin de partager cette analyse devant les sénateurs, : « Il  y a toutefois eu au moins une exception célèbre avec le dossier de Gardanne. L’électrique pur ne représente que 35 % d’efficacité énergétique. C’est un désastre en termes d’utilisation de la ressource. »

Un logo d'opposants à la centrale biomasse d'EON (DR).Un logo d'opposants à la centrale biomasse d'EON (DR).

EON prévoit de valoriser sa chaleur, c’est même ce qui lui permet d’approcher les 50 % d’efficacité. Mais c’est pour vendre ses calories à l’usine Altéo toute proche, fabrique d’alumines à l’origine de la pléthorique pollution aux boues rouges de Gardanne. Une certaine vision de l’écologie, altérée par une autre ombre au tableau : le maintien en fonctionnement de la centrale au charbon, mitoyenne de la biomasse. Les 600 MW (soit l’équivalent de quatre fois la centrale au bois) de Provence 5, opéré aussi par EON, doivent tourner jusqu’en 2020. C’est l’une des cinq dernières unités de houille en France.

Le bilan carbone du site de Gardanne reste donc destructeur pour le climat. Selon les estimations du cabinet spécialisé Carbone 4, la conversion au bois de Provence 4 permet d’économiser plus de 600 000 tonnes de CO2. Elle est beaucoup moins polluante qu’une centrale fossile, y compris la nouvelle génération de centrale à gaz, mais « si l’on compare l’électricité qui sera produite par Provence 4, elle est plutôt carbonée pour une électricité qui se veut renouvelable ». La centrale bois de Gardanne brûlera aussi des poussières de charbon. Selon un rapport de Greenpeace Canada, les centrales biomasse pourraient devenir plus polluantes que les sites thermiques fossiles, à cause de la déforestation et du transport routier massif qu’elles suscitent. La récolte du bois local pour alimenter Provence 4 ne correspond pas à de la déforestation compte tenu de l’important patrimoine forestier local, selon Carbone 4.

Octobre 2011 : la centrale biomasse de Gardanne reçoit son autorisation ministérielle. Juin 2012 : la gauche est parvenue au pouvoir et Delphine Batho devient ministre de l’écologie. Elle refuse que la CSPE acquittée par les ménages subventionne les filières bois d’autres pays. Demande est alors faite à EON de réduire la part de biomasse importée. Elle descend à 35 %, au profit de l’approvisionnement local. Nouvel objectif : 100 % d’approvisionnement local en 2025. Sur les 885 000 tonnes de combustibles biomasse que Provence 4 doit brûler chaque année,  435 000 tonnes doivent provenir de PACA et du Languedoc-Roussillon. Une partie est composée de déchets verts, taillis de haie, palettes, bois recyclé. La Haute-Provence, les Alpes du Sud et les Cévennes sont désignées « zones d’approvisionnement prioritaire » de la centrale d’EON. 

Manifestation contre la centrale biomasse d'EON devant la mairie de Gardanne, le 5/10/14 (DR).Manifestation contre la centrale biomasse d'EON devant la mairie de Gardanne, le 5/10/14 (DR).

Mais sur place, des collectivités s’inquiètent de la razzia annoncée sur leur ressource forestière. Près de 400 communes votent une résolution contre la centrale biomasse de Gardanne. Deux recours ont été déposés contre Provence 4 par FNE, les Amis de la terre et des associations locales. Le vice-président de la région PACA, Jean-Louis Joseph, président du parc naturel régional du Luberon, les soutient. Pour Nicholas Bell du Réseau pour les alternatives forestières, « ils arrivent comme un mastodonte sur ce territoire. Il n’y a pas assez de matière, il y a des conflits d’usage » avec la papeterie de Tarascon et les chaufferies locales au bois (plus de 200 localement). Des collectifs d’habitants se forment contre la surexploitation du massif forestier, pour la protection du Luberon et de la montagne de Lure, chantée par Jean Giono. Pour le collectif SOS forêts du Sud, « le projet de Gardanne est l’exemple le plus caricatural en France d’une évolution extrêmement dangereuse au niveau mondial : l’industrialisation à outrance de la gestion des forêts ». Ils s’inquiètent de voir leur territoire devenir dépendant d’un acteur unique, omnipotent et acteur majeur du marché de l’énergie.

Ils dénoncent aussi la pollution de l’air aux particules fines que va engendrer la combustion du bois, alors que l’air de la ville est déjà vicié par les industries locales et la centrale à charbon. Début 2014, l’État américain du Vermont a bloqué une centrale à bois de 37 MW en raison notamment de ses impacts sanitaires. Face à cette contestation, EON communique sur ses filtres limitant l’émission de particules fines à 50 tonnes annuelles. La filière biomasse assure que la France ne récolte que 60 % du bois de ses forêts, qu’elle n’est pas menacée et que les coupes réduisent le risque d’incendies.

En août 2014, coup de théâtre, selon nos informations : le ministère de l’écologie, désormais dirigé par Ségolène Royal dont le cabinet comporte un ancien élu de la région, Jean-Louis Bianco, demande à EON de réviser son plan d’approvisionnement. Il faut réduire la part de bois prélevé localement, et revenir au premier plan d’approvisionnement : 55 % d’importation, suppression de l’objectif de 100 % de source locale. Mais le chantier de la centrale est en voie d’achèvement, adapté à l’offre de bois locale, délivrée sous forme de plaquettes alors que le marché international est plutôt achalandé en granulats. L’équipement construit n’est pas adapté aux produits internationaux, selon un expert interrogé par Mediapart, qui chiffre à plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires le coût de l’importation de biomasse. Résultat : la rentabilité économique de la centrale, qui devait s’amortir sur vingt ans, n’est plus garantie. Son bilan environnemental est problématique et sa contribution à l’essor d’une filière bois locale sera minime. Trop grosse, mal évaluée au départ, contestée localement, elle augure mal de la décarbonisation à la française. Sollicité par Mediapart, le ministère de l’écologie n’a pas répondu. Une concertation se déroule actuellement en préfecture.

Le projet de centrale biomasse d’EON sort des normes : par sa puissance, sa taille, son coût. C’est que dans cette affaire, le groupe ne part pas de rien : il veut convertir une centrale existante au charbon. Le gigantisme, la centralité, la lourdeur de cet antécédent pèse structurellement sur son devenir « renouvelable ». Ce sont des problèmes communs avec la Ferme des milles vaches, le Center Parcs de Roybon (Isère) et ces autres grands projets d'équipement ou de développement industriel qui dépassent une taille humaine.

Un nouvel appel d’offres biomasse de la CRE est en cours de préparation. Mais rien n’indique que l’État ait tiré les leçons des failles du dossier de Gardanne. Il ne suffit pas d’agiter l’étiquette énergie « verte » pour créer un système acceptable pour le climat, les forêts, l’air et ceux qui le respirent.

BOITE NOIREContacté par téléphone et mail, EON a répondu : « La Direction de l'entreprise ne souhaite pas communiquer sur ce sujet actuellement.
Vous remerciant de votre compréhension. » Sollicité, le ministère de l’écologie n’a pas répondu à mes questions.

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Laurent Pinatel: «La Ferme des mille vaches est une dérive qui va tout emporter»

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Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, est un homme de convictions, et un homme en colère, mais qui parle en retenant ses mots. Pas d’envolées dans ses paroles, mais une fermeté retenue, derrière des formules qui frappent…

Vis-à-vis de la FNSEA : « Je sais que l’agriculture industrielle a d'ardents défenseurs qui stigmatisent l’écologie, et vont mettre du fumier dans les agences de l’eau. Tout un symbole »...  

Vis-à-vis de l’Europe : « On nous a enfermé dans un truc où plus on a de vaches, plus on touche, plus on a d’hectares, plus on touche, plus on fait de bio, moins on touche. Il faut faire bouger ce cadre »...

À propos du ministre de l’agriculture : « Stéphane Le Foll veut maintenir la production. Nous, on veut maintenir les producteurs »...

À propos de la conférence environnementale : « Au bout d’un moment, il faut arrêter les grands discours. Tant qu’on parle d’arracher des haies, de continuer les pesticides, de charger un taurillon dans la Creuse, de l’abattre en Ille-et-Vilaine, de le consommer au Maghreb, on peut faire toutes les grand-messes qu’on veut, on n'arrivera à rien. »

Laurent Pinatel a été sévèrement condamné, avec sept autres militants de la Confédération paysanne, pour ses actions contre la Ferme des mille vaches, dans la Somme. Il revendique son « droit à la désobéissance civile », convaincu que ce projet pose un problème de société : « On lutte contre une dérive industrielle qui va emporter toute l’agriculture. L’alimentation sera produite par un industriel, et l’industriel fera comme les autres. Il n’a qu’un seul intérêt : c’est le profit. Est-ce qu’on veut que notre alimentation soit faite dans des fermes, ou dans des usines ? C’est sur la question agricole que peut se reconstruire la société. Standardiser l’alimentation, réduire 70 000 producteurs de lait à 2 400 fermes-usines, ça porte atteinte à l’environnement. En désobéissant, on pose un acte »... La justice en pose d'autres : Pinatel était ainsi convoqué ce vendredi matin au commissariat pour répondre d'un... carreau cassé lors d'une action contre la Ferme des mille vaches (lire le communiqué de la Confédération paysanne ici).

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Mort d’Ali Ziri : la cour d’appel de Rennes confirme le non-lieu

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La justice française semble déployer une énorme énergie à empêcher toute enquête sérieuse sur la mort d’Ali Ziri, 69 ans. Ce retraité algérien était décédé par asphyxie le 11 juin 2009, deux jours après son interpellation par la police à Argenteuil. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes vient de confirmer le non-lieu prononcé le 15 octobre 2012 par un juge d’instruction. « La chambre de l’instruction a considéré, contre l’avis du parquet général de Rennes, qu’il n’y avait pas lieu à procéder aux actes complémentaires d’instruction (notamment une reconstitution) demandés par l’un des avocats des parties civiles », indique le procureur général dans un communiqué daté du 12 décembre 2014. Ces demandes étaient pourtant basiques : la famille voulait une reconstitution, ainsi que l’accès aux bandes de vidéosurveillance montrant l’arrivée d’Ali Ziri au commissariat.

Les proches d'Ali Ziri avaient attaqué le premier non-lieu du juge d'instruction devant la cour d’appel de Versailles, qui l’avait confirmé. Puis ils avaient porté l'affaire devant la Cour de cassation qui, le 18 février 2014, leur avait pour la première fois donné raison. La chambre criminelle de la Cour de cassation avait estimé que les juges auraient dû « rechercher si les contraintes exercées » sur le retraité algérien « n'avaient pas été excessives au regard du comportement de l'intéressé » et « si l'assistance fournie (par les policiers, ndlr) avait été appropriée ». Elle avait dépaysé l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes. Laquelle vient donc de confirmer à nouveau le non-lieu, contrairement aux réquisitions de l’avocat général (équivalent du procureur) qui, lors de l’audience du 19 novembre, avait demandé un supplément d’enquête. Pas découragé par cette guerre d'usure, Me Stéphane Maugendre indique vouloir à nouveau se pourvoir en cassation. 

Arrêté le 9 juin 2009 avec un ami lors d'un contrôle routier, Ali Ziri avait été transporté inconscient à l'hôpital une heure et demie après son arrivée au commissariat. Il y était décédé deux jours plus tard. Les deux hommes, de 69 ans et 61 ans, étaient fortement alcoolisés. Ali Ziri était revenu passer quelques jours en France pour effectuer des achats avant le mariage de son fils et les deux amis avaient descendu plusieurs verres dans l'après-midi. 

Alors qu’un premier cardiologue avait pointé une bien commode « cardiomyopathie méconnue », deux expertises ont ensuite mis en cause la technique dite du pliage. Cette dernière est formellement interdite depuis la mort en janvier 2003 d'un Éthiopien expulsé par la police aux frontières (PAF). Ce jeune homme de 23 ans était décédé d'avoir passé vingt minutes maintenu de force le torse plié, la tête touchant les cuisses, et menotté dans un siège d'avion à la ceinture serrée.

Les policiers d’Argenteuil, trois jeunes gardiens de la paix, ont reconnu l'avoir utilisée pour maintenir le vieil homme durant le trajet vers le commissariat. Ils n'ont pourtant jamais été inquiétés sur ce point, et ce n'est pas la cour d'appel de Rennes qui leur cherchera noise. « Les derniers experts ont émis l’hypothèse que la méthode de contention utilisée par les policiers pour immobiliser Ali Ziri dans le véhicule de police, consistant à maintenir son buste penché sur ses genoux, était également intervenue dans le processus causal de la mort. La chambre de l’instruction a cependant considéré qu’en l’état des "conclusions et hypothèses divergentes (...), il n’est pas possible de retenir une cause certaine de la mort d’Ali Ziri" », balaie le communiqué du procureur général du 12 décembre 2014.

 

Schéma montrant les multiples hématomes découverts sur le corps d'Ali Ziri lors de la deuxième autopsie.Schéma montrant les multiples hématomes découverts sur le corps d'Ali Ziri lors de la deuxième autopsie.

Dans son rapport de juillet 2009, l'ancienne directrice de l'institut médico-légal de Paris indiquait pourtant noir sur blanc qu'Ali Ziri était décédé « d'un arrêt cardio-circulatoire d'origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». L’autopsie avait en effet montré une vingtaine d'hématomes sur le corps d'Ali Ziri, pouvant « correspondre à des lésions de maintien », ainsi que des signes d'asphyxie mécanique des poumons. Une troisième expertise du 15 avril 2011, demandée par le juge d'instruction, confirme que l'arrêt cardiaque constaté aux urgences est « secondaire à un trouble hypoxique en rapport avec les manœuvres d'immobilisation et les vomissements itératifs ».

Mais là encore, le communiqué du procureur général de Rennes explique que « la chambre de l’instruction a, en premier lieu, relevé que les expertises avaient établi que les hématomes constatés sur le corps d’Ali Ziri n’étaient pas à l’origine du décès, qui résulte de la conjugaison d’une pluralité de causes, parmi lesquelles une pathologie cardiaque préexistante et un état d’alcoolisation important. Ni la méthode utilisée par la police nationale pour extraire Ali Ziri du véhicule à l’arrivée au commissariat, ni son dépôt allongé à même le sol, menotté dans le dos, dans une salle d’audition, critiqués par la commission nationale de déontologie et de sécurité, ne sont la cause de son décès ».  

Au vu du comportement des deux hommes accusés d'agir « dangereusement en crachant sur le conducteur ou en tentant de donner des coups de tête », la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes considère que « les gestes d’immobilisation effectués durant quelques minutes par les policiers, dont l’attitude professionnelle, exempte de toute critique, est attestée par les témoins qui ont assisté à l’interpellation, ne constituaient pas une contrainte excessive. Les policiers n’ont ainsi fait usage que de la force strictement nécessaire pour les maîtriser et aucune faute, volontaire ou involontaire, ne peut être relevée à leur encontre ». Selon Le Monde, le ministère de l'intérieur avait tout de même prononcé cinq avertissements fin 2012 à l'égard des policiers.

L'extraction d'Ali Ziri du véhicule de police filmée par la caméra du commissariat d'Argenteuil.L'extraction d'Ali Ziri du véhicule de police filmée par la caméra du commissariat d'Argenteuil.

L’ex-CNDS est la seule à avoir visionné les bandes de vidéosurveillance du commissariat, dont est extraite la capture d'écran ci-dessus. Elle décrivait la scène : « Ali Ziri est littéralement expulsé du véhicule (...), il est dans un premier temps jeté au sol puis saisi par les quatre membres, la tête pendante, sans réaction apparente, et emmené dans cette position jusqu'à l'intérieur du commissariat» Pour Me Stéphane Maugendre, les images de l'extraction d'Ali Ziri montrent donc clairement qu'il « est arrivé quasiment inconscient au commissariat ».

À l'intérieur du commissariat, les deux hommes, toujours menottés et qui commencent à vomir par saccades, sont placés en position couchée (sur le ventre, sur le dos ou en position latérale de sécurité, selon des témoignages policiers divergents). Entre-temps, les policiers interpellateurs rédigent deux plaintes contre Arezki Kerfali et Ali Ziri (toujours à même le sol), respectivement pour outrage, et pour outrage et rébellion. Dans son avis de mai 2010, feu la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait dénoncé comme « inhumain et dégradant » le fait de les avoir laissés, lui et son ami interpellé en même temps, « allongés sur le sol du commissariat, mains menottées dans le dos, dans leur vomi, à la vue de tous les fonctionnaires de police présents qui ont constaté leur situation de détresse, pendant environ une heure ». Mais pour la cour d'appel de Rennes, jusqu'ici tout va toujours bien.

Cinq secondes plus tard, les policiers emmènent Ali Ziri.Cinq secondes plus tard, les policiers emmènent Ali Ziri.

Inutile également, aux yeux des magistrats rennais, d'entendre les témoins de l'interpellation qui auraient tous « souligné un comportement exemplaire des trois policiers interpellateurs face à deux hommes, certes âgés, mais insultants et agressifs » selon le communiqué du procureur général. Le 9 juin 2009, au commissariat, un jeune homme en garde à vue dit pourtant avoir été témoin d'une scène choquante. « L'un des policiers est venu vers cet homme (Arezki Kerfali – ndlr) et il a posé son pied sur la tête du monsieur et lui a dit une phrase du genre "Tu vas essayer", il a fait bouger la tête en appuyant avec son pied comme on pourrait le faire avec une serpillière, explique-t-il, entendu par l'IGPN le 11 décembre 2009. C'est comme s'il voulait lui faire essuyer son vomi avec sa tête. » Aucun des policiers n'a été questionné sur cette grave allégation.

Résumons : malgré les multiples demandes de la famille, les trois juges d’instruction qui se sont succédé sur ce dossier n’ont jamais auditionné les policiers concernés. Ils n’ont pas entendu les témoins présents ce soir-là au commissariat. Ils n'ont réalisé aucune reconstitution. Ils n’ont pas non plus jugé utile de visionner la bande des caméras de la cour du commissariat. C’est donc la façon normale, selon les magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, dont une interpellation puis une enquête sur les violences policières doivent être menées en France. Qu'en pense Christiane Taubira, qui s'était indignée sur Twitter de la décision du grand jury américain de ne pas poursuivre le policier qui a tué de six balles Michael Brown à Ferguson ?

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Quand le FN devient gay-friendly

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Didier Lestrade, fondateur d’Act Up Paris, figure de la communauté gay, a écrit voilà deux ans un livre intitulé Pourquoi les gays sont passés à droitePour lui, il a toujours existé des homosexuel(le)s de droite, d’extrême droite ou xénophobes, mais l’extrême droite se pare, désormais et contre son habitude, de la défense des droits des homosexuels ou des femmes pour attaquer l’islam et les musulmans.

L’islamophobie a catalysé un changement de bord politique d’une large partie de la communauté homosexuelle, en particulier de ses franges les plus aisées, inquiètes de l’islam, et préférant de plus en plus les vertus de la consommation occidentale à la politisation des questions intimes.

Sébastien Chenu, l’un des fondateurs de Gaylib, mouvement qui regroupe les LGBT de droite et de centre-droit, vient d’annoncer qu’il rejoint le Rassemblement Bleu Marine. Et l’homosexualité de Florian Philippot, vice-président du FN et bras droit de Marine Le Pen, a été exposée par Closer. Le FN est-il devenu gay-friendly ?

Si l'on m’avait dit, il y a 15 ans, que Marine Le Pen arriverait à modifier ainsi en profondeur la manière dont son parti traitait la question homosexuelle, je ne l’aurais pas cru. Le Pen père était homophobe et je me souviens que lors du défilé du 1er-Mai du FN, avec tous les skinheads, moi qui habitais alors pas loin de l’Opéra, je ne me risquais pas dehors. Mais Marine Le Pen en a fait une question politique et une ligne de démarcation avec les durs de son parti. D’un côté, elle se sert du combat pour les femmes ou les gays pour attaquer les musulmans et tenter d’embrigader les luttes minoritaires dans son combat contre l’islam, sur le modèle de ce qu’avaient fait, aux Pays-Bas, Pim Fortuyn et Geerts Wilders.

De l’autre, elle fait preuve d’un choix politique en prêtant attention aux questions homosexuelles et en assumant d’avoir dans son entourage le plus proche des gays, quitte à prendre un risque politique, puisque elle est critiquée pour cela sur sa droite. Si certains gays vont au FN, c’est aussi parce qu’ils pensent, légitimement, y trouver une écoute et une place meilleures qu’au PS ou à l’UMP. Sur les questions de société que sont l’euthanasie ou l’homosexualité, Marine Le Pen réussit à intéresser plein de gens qui ne se sentent pas compris ni représentés par les vieux partis de gouvernement sclérosés.

En quoi pourraient-ils trouver une écoute et une place meilleures au FN ?   

Si des gays passent chez Marine Le Pen, c’est parce qu’ils désertent le PS ou l’UMP. À droite, ils font le constat, d’autant plus avec le retour de Sarkozy, que les questions sociétales seront instrumentalisées comme marqueur de valeur à droite, et qu’à part Bruno Lemaire et Alain Juppé, la tendance est à assumer l’homophobie. Du côté du PS, ils voient bien qu’à part Taubira, personne n’est monté au créneau pour défendre vraiment le mariage gay et qu’ils n’ont guère de chances d’accéder à des postes de responsabilité.

Christiane Taubira en 2013Christiane Taubira en 2013

Taubira, qui n’est pas au PS, a été géniale, mais elle ne peut assumer seule le manque de leadership de la gauche sur ce sujet. On n’a vu aucun député, aucune jeune pousse, gay ou non, prendre un risque politique, répondre à toutes les insultes qu’on a subies et voir son nom à jamais associé à cette loi, comme on avait pu à l’époque voir Noël Mamère monter au créneau. Quant à l’accès aux responsabilités, on nous cite toujours l’exemple de Delanoë, mais il est tellement coincé sur ces questions que, par peur d'être taxé de prosélytisme, il en a fait très peu que ce soit sur la santé, les droits, la culture… C’est flagrant si l'on compare son bilan en la matière avec Berlin par exemple.

Pendant ce temps, Marine Le Pen engrange, puisque le FN n’est pas officiellement pour le mariage gay, ce qui peut satisfaire les gays conservateurs ou ceux qui estiment que cette revendication n’est pas nécessaire, mais qu’elle ne participe pas à la Manif pour tous.

Et pour ce qui concerne les places, même si Chenu ne représente pas grand-chose numériquement, il traduit malheureusement un sentiment que l’on trouve de plus en plus souvent dans la communauté gay, à savoir qu’il n’y a pas de place pour des gays dans les instances importantes du PS ou de l’UMP, alors qu’on peut faire carrière chez Marine Le Pen.

Comment expliquer que des personnes appartenant à une minorité rejoignent des partis qui en combattent ou en stigmatisent d’autres ?

La pensée politique LGBT, depuis qu’elle existe, a toujours été de gauche et n’a jamais réussi à saisir qu’il existe une politique de droite gay. La presse gay ne s’est jamais intéressée à ce que peut signifier être à la fois gay et de droite, gay et catholique. Depuis des années, la décomplexion d’une parole de droite, dure et raciste, touche la société dans son ensemble et donc aussi les gays et lesbiennes.

Les journaux et les associations de la communauté gay portent une forte responsabilité dans cette dissolution du front commun des minorités. Ils n’ont pas mis sur la place les sujets qui peuvent fâcher, comme la religion ou l’islam, et n’ont pas démonté cet usage de la question gay dans un combat islamophobe. Et ils n’ont pas bossé pendant tout le temps où Sarkozy était au pouvoir, au motif que rien n’était faisable. C’est pourtant à ce moment qu’il aurait fallu préparer beaucoup mieux le mariage gay, pour qu’on ne s’en prenne pas autant dans la tronche, la condition des trans ou l’éducation à l’école. Mais rien n’a été fait, ni au PS, ni dans les associations LGBT.

Votre livre s’intitulait Pourquoi les gays sont passés à droite. Les gays situés aujourd’hui à droite ou à la droite de la droite sont-ils plus visibles ou plus nombreux ?

Florian Philippot au Parlement européen à Strasbourg le 2 juillet 2014Florian Philippot au Parlement européen à Strasbourg le 2 juillet 2014

Je crois qu’il y en a vraiment beaucoup plus et il ne faut pas sous-estimer le fait que des gens comme Chenu et comme Philippot ne sont pas seulement des symboles qui peuvent faire école, ils viennent aussi avec des réseaux.

Mais s’ils sont beaucoup plus nombreux, c’est aussi que la gauche les a perdus, et pour longtemps. Le mariage gay a été tellement mal préparé qu’ils nous a attiré plus de désabusement et d’insultes que de raisons de se réjouir. On aurait pu pourtant regarder la manière dont cela s’était passé dans les pays étrangers où des lois similaires ont été votées.

Il y a du côté du PS, dans sa tendance universaliste et républicaine, une mécompréhension totale des gays ou des Noirs, dont on ne comprend les revendications qu’en termes de communautarisme. Moi qui ai été un bon petit soldat de la gauche pendant des années, je n’irai plus jamais voter pour le PS ou les Verts. Alors imaginez ce que ce désenchantement peut produire chez des homosexuels qui sont moins concernés que moi sur les questions communautaires et minoritaires et qui ne se sentent pas profondément de gauche ? Tenir une parole forte et symbolique sur les questions LGBT n’aurait pourtant pas grevé le budget de l’État, ça ne coûte pas cher !

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Uramin : la diplomatie parallèle d'Areva en Afrique

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Nom de code : Songaï. « En référence au grand empire africain du même nom qui est né dans la vallée du Niger au VIIIe siècle et qui a duré jusqu’à la fin du XVe siècle », indique un des plus proches conseillers d’Anne Lauvergeon, dans un long courriel d’explication auquel Mediapart a eu accès. Derrière cette appellation, se cache un des grands projets du groupe nucléaire en 2006 : créer une holding minière, basée en Afrique du Sud, qui permettrait de prospecter et d’exploiter sur tout le continent des gisements d’uranium et d’or, en association avec des intérêts privés africains ou travaillant en Afrique.  

Christine Lagarde, Nicolas Sarkozy, le président sud-africain Thabo Mbeki et Anne Lauvergeon en février 2008.Christine Lagarde, Nicolas Sarkozy, le président sud-africain Thabo Mbeki et Anne Lauvergeon en février 2008. © Reuters

Pour Areva, le secteur minier est alors une priorité. Non seulement la spéculation financière qui sévit sur l’uranium à cette période conforte son idée qu’il importe de se renforcer très vite dans ce domaine, où il figure parmi les premiers mondiaux. Mais c’est aussi l’activité où le groupe gagne le plus d’argent. Alors qu’Areva connaît ses premiers déboires, qu’il s’efforce de cacher à tous, avec l’EPR finlandais, il est important pour le groupe d’accroître ses ressources financières par ailleurs, afin de faire face et de ne pas se laisser brider dans ses ambitions.

Sur le continent africain, Areva aimerait aussi bien sortir du seul Niger, où le groupe est de plus en plus critiqué pour ses méthodes d’exploitation et où il entretient des relations compliquées avec les gouvernements successifs. D’où la volonté d’élargir les horizons du groupe ailleurs en Afrique.

Anne Lauvergeon, qui vient d’être reconduite à la présidence d’Areva au printemps 2006, paraît y placer de grands espoirs. Présentée comme la présidente qui incarne le renouveau du nucléaire, elle veut aussi afficher une nouvelle approche dans le secteur minier. La philosophie du projet est donnée ainsi : « Ne plus seulement exploiter les richesses de l’Afrique, mais faire la promotion des intérêts africains », précise ce conseiller. Cette nouvelle approche devrait lui permettre de se développer rapidement en Afrique et de contrer des concurrents de plus en plus intéressés par les ressources du continent, en lui donnant une influence politique incontournable.

Le groupe nucléaire se refuse aujourd’hui à donner le moindre éclaircissement sur le sujet comme sur toutes les autres questions posées. Il dit « réserver ses explications à la justice ». Cette dernière pourrait effectivement être intéressée. Car Songaï n’est pas seulement un projet minier. Il apparaît comme une des pièces manquantes du puzzle lié au scandale Uranim. La concomitance des dates, les personnes impliquées, certains faits, en tout cas, conduisent à penser qu’il sont étroitement associés dans l’esprit des concepteurs. Mais là encore, rien n’ira vraiment comme prévu. Le projet, conçu en tout petit comité au sein d’Areva, ne sera jamais réalisé comme prévu. La grande holding minière ne verra jamais le jour. Des alliances nationales sur lesquelles devaient s’appuyer le projet seront bien créées au Niger, en Centrafrique, au Congo. Mais alors qu’Areva semblait afficher la volonté de travailler autrement en Afrique, la tentative finira avec les pires pratiques de la Françafrique.

Le projet Songaï est né en 2006. Très vite, il est décidé de créer une société minière en Afrique du Sud, la puissance montante du continent. C’est un pays qu’Anne Lauvergeon connaît bien. Elle siège depuis 2005 à l'International Investment Council de l'Afrique du Sud, un conseil formé par le président sud-africain de l’époque, Thabo Mbeki pour l’aider dans les développements du pays. C’est à ce conseil qu’Anne Lauvergeon entend parler la première fois d’Uramin, a expliqué un connaisseur du dossier, cité dans une de nos précédentes enquêtes sur le sujet. La présidente d’Areva ne lâchera plus le dossier.

Tandis que les manœuvres d’approche se multiplient autour de la société minière canadienne, les mêmes équipes s’activent sur le projet de création d’une société minière en Afrique du Sud. Dès le début janvier 2007, un projet de statuts d’entreprise est discuté en petit comité. Il est alors question de créer une société anonyme détenue à 100 % par Areva. Les préoccupations des responsables du projet reflètent celles de tous les grands groupes : il est beaucoup question d’optimisation fiscale.

Un homme est particulièrement chargé du projet : Zéphirin Diabré. Cet ancien universitaire, ancien directeur général adjoint du programme des Nations unies pour le développement (PNUD), né au Burkina Faso, a rejoint Areva en février 2006. Il est alors le conseiller spécial d’Anne Lauvergeon, chargé des affaires internationales et particulièrement de l’Afrique et du Moyen-Orient. C’est lui qui supervise le projet Songaï, dont il a imaginé le nom. Il a quitté Areva en 2011, peu après Anne Lauvergeon, et s’est reconverti comme conseiller dans le financement minier. Il figure parmi les principaux opposants politiques au régime militaire qui, en octobre, a renversé le président Blaise Compaoré au Burkina Faso.

Le 11 janvier 2007, Zéphirin Diabré adresse un long courriel aux équipes minières d’Areva, et notamment à Daniel Wouters, pour leur présenter l’état d’avancement du projet. « L’idée, écrit-il, c’est d’avoir un instrument qui ne s’encombre pas trop du label Areva mais surfe plutôt sur un label africain. C’est aussi une manière d’inaugurer un nouveau type de partenariat avec le secteur privé africain, qui deviendra vite majoritaire dans cette société et fournira ainsi de nouvelles portes d’entrée sur le continent. »

Dans un premier temps, la société doit être contrôlée à 100 % par Areva, selon le schéma arrêté. Par la suite, une augmentation de capital est prévue afin de laisser la place à des intérêts africains, Areva ne conservant qu’une minorité de blocage.

« La présidente voulait d’ailleurs que l’ouverture du capital aux Africains se fasse dès le début. Je l’en ai dissuadée. Je crois qu’il est bon de lancer la chose en commençant 100 % par Areva mais en indiquant dès le départ notre intention d’ouverture et la faire avec quelques succès initiaux qui ne seront pas difficiles à obtenir. Au niveau national, l’exploitation d’un permis donnera lieu à la création d’une JV (joint-venture – ndlr) dans laquelle bien entendu des intérêts africains seront associés. La grande holding basée à Jo’burg (Johannesburg, Afrique du Sud – ndlr) en s’appuyant sur un bureau à Kin (Kinshasa, Congo – ndlr) et un bureau en Afrique de l’Ouest, chargés de sniffer les permis et de les récupérer. Donc elle n’est pas soumise aux contraintes du BEE (Black Economic Empowerment, programme politique et économique mis en place par le gouvernement sud-africain pour remédier aux inégalités après l’apartheid – ndlr) », détaille-t-il alors.

Il se désignera comme le grand ordonnateur de tout cela, celui qui est capable d’ouvrir bien des portes en Afrique. « J’envisage pour cela de passer un certain temps par mois à Jo’burg. Pour aider le CEO que nous recruterons. Sur cette question, il va de soi qu’un CEO de nationalité sud-africaine serait un plus pour nous, surtout s’il est noir », conclut-il avec cynisme.

Il faut normalement beaucoup de temps et d’argent pour bâtir un tel projet. Mais cela ne semble pas être un problème dans l’esprit des équipes d’Areva. Il faut aussi des soutiens politiques au plus haut niveau pour bâtir une holding minière à l’échelle du continent africain. Mais là encore, Anne Lauvergeon ne semble pas douter de sa capacité de réussir. N’est-elle pas une des femmes les plus puissantes du monde – “Atomic Anne” –, à la tête d’un des premiers groupes nucléaires mondiaux ? Et puis, elle a des appuis du côté des responsables politiques, français comme africains, en particulier le président sud-africain.

Thabo Mbeki affiche alors de grandes ambitions pour son pays. Il entend faire de l’Afrique du Sud la puissance dominante du continent, une puissance nucléaire civile et militaire. De nombreux travaux et missions sont engagés pour conforter ses ambitions. Dès avril 2006, il a reçu le président de Centrafrique, François Bozizé. À l’issue de cette rencontre, le département des affaires étrangères sud-africain publie un communiqué pour souligner les larges intérêts communs entre les deux pays, notamment « dans le domaine minier et l’exploration ». Dans un câble diplomatique de décembre 2006, un responsable diplomatique américain écrit que l’intervention de l’Afrique du Sud est certainement destinée à aider à stabiliser la République centrafricaine, mais ajoute que « les intérêts miniers, même s’ils ne sont pas le facteur déterminant, ont joué sans doute un rôle dans la décision du gouvernement sud-africain de s’engager ».

Parallèlement, l’entourage de Thabo Mbeki s’active beaucoup autour d’Uramin. La société minière, créée en 2005 par Stephen Dattels, rencontre alors de grandes difficultés pour obtenir des droits miniers en Afrique du Sud et ailleurs. Jusqu’à ce qu’elle engage des proches du président et des membres influents du gouvernement. Brusquement, les portes s’ouvrent, les négociations s’engagent, les permis d’acquisition arrivent. Cela finit par la nomination de Samuel Jonas à la présidence de la société.

Ghanéen de naissance, cet homme d’affaires, qui passe l’essentiel de son temps à Londres, est une figure reconnue du pouvoir économique africain et exerce une influence notable en Afrique du Sud. Il est présenté alors comme un proche du président sud-africain et siège lui aussi à l'International Investment Council de l'Afrique du Sud. Un temps administrateur de Vodafone, l’homme d’affaires, qui a été décoré par la reine d’Angleterre, est très connu dans le monde minier.

Comme par hasard, il devient à partir de septembre 2006 président et actionnaire d’Uramin. Juste au moment où Areva engage les premières négociations avec la société canadienne. Pour les connaisseurs du dossier et certains salariés du groupe nucléaire, il est celui qui est délégué pour veiller aux intérêts, publics et surtout privés, l’agent de liaison entre le monde des affaires et les milieux politiques africains.

Si telle a été sa mission, il l’a parfaitement accomplie. Dès fin octobre 2006, c’est lui qui écrit pour refuser la première offre de 471 millions de dollars pour racheter Uramin, présentée par Areva. « Nous devons laisser l'histoire Uramin mûrir avant de continuer des discussions détaillées », écrit Sam Jonah dans une lettre révélée par l'hebdomadaire Challenges. Celui-ci estime alors que la hausse continue des cours de l’uranium et le fait que « la valeur des licences obtenues en Namibie et en Afrique du Sud (…) ne sont pas reflétées dans les prix de marché ». Il conclut : « Durant cette période, nous ne pourrons pas signer un accord exclusif avec Areva, mais nous ne chercherons pas activement une transaction alternative. » À ce moment-là, Uramin a décidé d’abandonner la bourse de Londres pour aller se coter à Toronto. La folle partie de poker est engagée, qui se terminera par une OPA de 2,5 milliards de dollars.

En août 2012, le quotidien sud-africain Mail & Guardian a publié une très longue enquête sur l’affaire. Les révélations sont très lourdes. Le journal y affirme, à partir de nombreux témoignages, qu’Areva a sciemment surpayé Uramin, en vue de s’acheter les faveurs de la présidence sud-africaine, qui souhaitait alors développer le nucléaire, pour y placer ses EPR. « Le deal était qu'Areva achète Uramin et gagne en retour l'appel d'offres. Areva payait trop cher Uramin – cela valait la moitié. Mais le groupe français allait décrocher des contrats pour des réacteurs et une usine d'enrichissement, pour une valeur dix fois supérieure », expliquait un « consultant d'Uramin » au quotidien sud-africain. Aucun démenti d’Areva ne paraîtra à la suite de cette publication.

Si tel était le calcul, il s’est révélé totalement erroné. En 2008, Thabo Mbeki a été chassé de la présidence de l’Afrique du Sud, à la suite de conflits internes au sein de l’ANC, le parti au pouvoir. Le nouveau président du pays s’est empressé, deux mois après sa nomination, d’enterrer tous les projets nucléaires du pays.

Mais entre-temps, les fameuses « JV » ( joint-ventures) évoquées par Zéphirin Diabré dans le projet Songaï pour faire monter en puissance les intérêts africains, ont commencé à voir le jour en s’appuyant sur le rachat d’Uramin, dont la structure a été conservée aux îles Vierges britanniques. Mais elles sont loin de ressembler aux montages clairs qu’aurait pu souhaiter le groupe. Ce ne sont au contraire qu’opérations obscures qui permettent de faire circuler l’argent facilement sous l’apparence de la légalité des affaires, que manœuvres en coulisses, menées par des intermédiaires ou des « facilitateurs », faux nez d’intérêts cachés.

La première joint-venture est signée avant même le rachat d’Uramin, avec les propriétaires de la société minière justement. Juste avant l’annonce de l’OPA, Stephen Dattels a acquis, au nom d’Uramin, des droits miniers, juste à côté du gisement d’Imouraren au Niger, propriété d’Areva. Le groupe public a accepté que ces droits ne fassent pas partie de la transaction. Mais après la vente, un accord est passé pour associer les gisements détenus par Stephen Dattels à l’exploitation à venir d’Imouraren.

L’entente est si cordiale entre les deux partenaires qu’Areva, se souvenant qu’il a des archives, les mettra obligeamment à la disposition des équipes d’Uramin, après le rachat. Dans l’espoir de les aider à repérer d’autres gisements d’uranium à prospecter, peut-être ? Mais l’essentiel des données étant écrit en français, celles-ci n’ont pas pu, semble-t-il, les exploiter autant qu’elles l’auraient souhaité.

Pas rancunier pour deux sous, le groupe public continuera par la suite à faire des affaires avec Stephen Dattels. En 2010, alors que l’échec d’Uramin est avéré, Areva accepte de racheter au fonds d’investissement qu’il contrôle, Polo Ressources, les 10 % qu’il détient dans Marenica Energy, un gisement minier en Namibie situé juste à côté de Trekkopje. Le gisement semble être aussi inexploitable que le premier. Le groupe public n’en parle plus.

La deuxième grande opération d’alliance nationale naît en Centrafrique. L’envolée des cours de l’uranium, les multiples émissaires qui se précipitent à Bangui, la spéculation autour du gisement de Bakouma ont créé beaucoup de convoitises et d’envie à Bangui. Chacun veut sa part. Le gouvernement centrafricain entend être associé aux fruits de l’exploitation future du gisement. Il se sent d’autant plus en position de force que les droits miniers du site, en dépit de toutes les assurances données par les conseils juridiques d’Areva au moment de l’OPA, ne sont pas assurés (voir pour plus de détails notre enquête de janvier 2012 : Balkany ou le retour des Katangais).

Patrick Balkany à Bangui avec une militante arborant un tee-shirt à l'effigie de Bozizé.Patrick Balkany à Bangui avec une militante arborant un tee-shirt à l'effigie de Bozizé. © dr

Mais le président de l’époque, François Bozizé, et ses proches, notamment son neveu et puissant ministre des mines, Sylvain Ndoutingaï, ainsi que tout son entourage, dont Saifee Durbar, conseiller de Bozizé – le Radjah dans Radioactif, le roman de Vincent Crouzet – entendent bien aussi en tirer bénéfice. Ils ont acquis 6 gisements miniers juste au nord du site de Bakouma et entendent les monnayer très cher : 250 millions de dollars, confirmera plus tard le président du conseil de surveillance d’Areva, Jean-Cyril Spinetta, au micro de France Inter. Le chiffre aurait été inspiré par les rumeurs donnant le montant des commissions perçues par le président sud-africain, Thabo Mbeki.

La querelle s’envenime avec Areva. Zéphirin Diabré, envoyé en émissaire, n’arrive à rien. La situation devient si confuse que tout le monde s’en mêle : le Quai d’Orsay, l’Élysée. C’est à ce moment-là que Patrick Balkany fait son apparition à Bangui.

Même si le maire de Levallois connaît bien l’Afrique et fait figure d’un des héritiers des réseaux africains de Pasqua, toutes les pistes finissent par aboutir à Nicolas Sarkozy. Personne n’imagine qu’il puisse agir sans l’assentiment de son ami très proche. Ce dernier suit d’ailleurs de très près le sort d’Areva, bien avant son élection à la présidence de la République. Certains au ministère des finances se souviennent des interventions de Claude Guéant, envoyé spécial de Nicolas Sarkozy, faisant pression en 2005-2006 jusque dans le bureau du ministre Thierry Breton, pour que Bercy favorise les projets du groupe nucléaire.

De mémoire, certains salariés disent avoir entendu prononcer le nom de Balkany dès 2006, dans les couloirs du groupe. Mais c’est d’abord sur des dossiers au Kazakhstan que son nom circule. Areva y exploite un de ses gisements d’uranium les plus rentables depuis 1992. Mais le maire de Levallois entretient aussi depuis fort longtemps des relations avec le président kazakh, Nursultan Nazarbaïev, comme il l’a rappelé dans un billet de blog à l’occasion d’un voyage présidentiel en 2009. Son nom surgit à nouveau dans le groupe début 2008, alors que la dispute entre Areva et le pouvoir centrafricain bat son plein.

Interrogé en janvier 2012 sur son rôle dans ce dossier, le maire de Levallois n’avait pas répondu à nos questions. Mais quelques semaines plus tard, dans un entretien au Parisien, il avait confirmé qu’il avait bien servi d’intermédiaire dans la transaction entre le gouvernement centrafricain et Areva. « J’effectuais mon travail de parlementaire, membre de la commission des affaires étrangères, c’est-à-dire l’entretien de relations amicales avec d’autres pays, et notamment ceux d’Afrique où les grandes sociétés nationales ont des intérêts », expliquait-il alors.

« Patrick Balkany n’est jamais intervenu dans la négociation. Il est juste l’ami de François Bozizé. Mais il n’a eu aucun rôle », soutient aujourd’hui Sébastien de Montessus, alors responsable de la direction minière d’Areva et chargé à ce titre de négocier avec le gouvernement centrafricain.

« M. Balkany n’a rien à voir dans ce dossier. En revanche, on m’a sollicité. Il y avait une mauvaise compréhension entre les deux parties. Les choses sont à présent réglées. C’est cela un rôle de facilitateur », avait expliqué de son côté Georges Forrest dans un entretien à Jeune Afrique, en avril 2009.

Extrait de l'accord signé entre Areva et le gouvernement centrafricain.Extrait de l'accord signé entre Areva et le gouvernement centrafricain.

Facilitateur, c’est comme cela que cet homme d’affaires belge, qui a fait toute sa fortune au Congo (ex-Zaïre) en exploitant les immenses richesses du pays, grâce à sa maîtrise de l'art de nager comme un poisson dans les eaux troubles du post-colonialisme du Congo, se présente dans de nombreux dossiers. C’est comme cela qu’il signera l’accord – publié par Bakchich – passé en juillet 2008 entre Areva et le gouvernement centrafricain, où le groupe concède 10 millions de dollars pour les rachats de droits et 8 millions d’avance aux finances publiques.

Facilitateur. C’est comme cela aussi que Sébastien de Montessus explique la présence de Georges Forrest dans l’accord signé en Centrafrique, dans un mail interne largement diffusé auprès des responsables du groupe. « Pour lever toute ambiguïté éventuelle, M. Forrest n’a touché aucune rémunération pour cette intervention. Son intervention a été faite à ma demande du fait de la confiance dont il jouit auprès du président Bozizé et sur recommandation à la fois du Quai d’Orsay et de la cellule Afrique de l’Élysée. »

Georges Forrest.Georges Forrest. © Dr

Georges Forrest est si conciliant qu’il accepte une deuxième fois de jouer l’intermédiaire dans les négociations entre Areva et les proches du président Bozizé, détenteurs de droits miniers en périphérie de Bakouma à l’été 2009. Le groupe public leur a versé 40 millions de dollars pour racheter les titres de gisements. Areva connaît aussi bien ces gisements que celui de Bakouma. Il y a encore des traces dans ses archives : ils sont tout aussi inexploitables.

Jusqu’alors, l’homme d’affaires belge ne s’était intéressé qu’au cuivre, au cobalt, à l’or, aux diamants, mais jamais à l’uranium. « Trop dangereux », disait-il. Mais la fréquentation assidue d’Areva semble lui avoir donné des idées. Il se prend brusquement de passion pour ce minerai. En association avec Fabien Singaye, conseiller particulier du président centrafricain, et Patrick Balkany, il rachète les droits miniers de sept gisements, toujours à côté de Bakouma, contrôlés jusqu’alors par un autre homme d’affaires congolais, Richard Ondoko, et la société suisse Uranio.

À la mi-décembre 2009, Georges Forrest passe un accord en bonne et due forme avec Areva. Les deux partenaires décident de créer une joint-venture, Areva Explo, immatriculée à Bangui, détenue à 70 % par le groupe public et à 30 % par l’homme d’affaires. Cette société commune a pour but de développer les activités minières dans la région. « Areva espère profiter des nombreux contacts que Georges Forrest a noués dans cette région d’Afrique pour mener à bien ses projets. » La deuxième JV est née.

À cette occasion, Georges Forrest revend les parts acquises dans les sept gisements. Des salariés d’Areva se souviennent encore des négociations. En quelques minutes, le groupe, sur intervention de Sébastien de Montessus, avait accepté d’augmenter de 10 millions le prix pour le porter à 50 millions de dollars. Cela fait décidément beaucoup d’argent en peu de temps, d’autant que ces gisements, comme les précédents, sont difficilement exploitables.

« C’est vrai que nous avons payé 50 millions de dollars. Mais nous avons racheté sept gisements pour 40 millions de dollars. Surtout, nous avons obtenu pour 10 millions, grâce à Georges Forrest, les droits sur les barrages hydroélectriques, qui n’avaient eux non plus pas été assurés, ce qui rendait toute exploitation minière impossible. Comparé aux 550 millions de dollars dépensés pour acquérir les deux droits miniers de Bakouma qui étaient dans le portefeuille d’Uramin, c’est plutôt une bonne opération », défend Sébastien de Montessus. Pour mémoire, les anciens actionnaires d’Uramin avaient acquis les droits de Bakouma en 2005, pour 26 millions de dollars.

Georges Forrest a moins de chance avec son projet de rachat de Forsys Metals, une société minière qui ressemble comme une sœur à Uramin (voir notre enquête). Créée en 2004, cotée à Toronto, elle possède des droits miniers sur un gisement d’uranium, juste à côté de Trekkopje en Namibie. L’homme d’affaires belge, qui a fait une offre de rachat en novembre 2008, est incapable d’apporter les fonds nécessaires en septembre 2009. Est-ce les actionnaires qu’il aurait présentés qui n’auraient pas convenu aux autorités – Washington aurait redouté qu’ils exportent de l’uranium vers l’Iran –, comme le dit la version officielle ? Ou est-ce Areva, où les dissensions au sein de l’équipe s’installent au fur et à mesure que le rachat d’Uramin se révèle catastrophique, qui aurait décidé de jeter l’éponge, estimant qu’il était grand temps d’arrêter les frais ?

Officiellement, Areva n’a jamais travaillé sur le dossier Forsys Metals. Aujourd’hui, des salariés du groupe racontent cependant que certains examinaient le dossier à l’époque. Ils donnent même des noms. Toutes les personnes que nous avons pu joindre démentent avoir touché de près ou de loin à cette affaire.

Mais entretemps, le dossier Forsys metals est devenu sulfureux. Il vaut à Patrick Balkany d’avoir été mis en examen, le 21 octobre, pour « corruption », « blanchiment de corruption » et « blanchiment de fraude fiscale », par les juges d'instruction Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, du pôle financier de Paris. L’élu est soupçonné d’avoir dissimulé à Singapour une commission de 5 millions de dollars versée en 2009 par George Forrest. L’homme d’affaires belge a expliqué aux juges avoir versé cette somme à Patrick Balkany, qui aurait servi d’intermédiaire dans le cadre de la négociation sur le rachat de Forsys Metals. Il a transmis à la justice le numéro de compte du maire de Levallois à Singapour.

Même si le compte singapourien de Patrick Balkany est vrai, personne parmi les connaisseurs du dossier Uramin ne croit aux explications données par Georges Forrest aux juges. « Vous avez déjà vu un intermédiaire toucher une commission pour une affaire qui ne se fait pas ? Moi jamais », relève un connaisseur de ce monde interlope du grand commerce international. « Patrick Balkany ne connaît rien au monde minier et de l’uranium. Il a juste pour lui d’avoir encore certains réseaux africains et d’entretenir des relations auprès de certains dirigeants de l’Afrique francophone. Mais il ne connaît pas les responsables de l’Afrique anglophone en général, et de la Namibie en particulier. Parle-t-il seulement anglais ? » s’interroge un familier du dossier. « 5 millions, cela fait 10 % de 50 millions. C’est à peu près le tarif d’une commission », pointe de son côté un salarié d’Areva.

Le nouveau gouvernement centrafricain ne semble pas lui non plus très convaincu. Il a saisi le parquet national financier d'une demande d'information judiciaire visant Patrick Balkany, selon des informations publiées par Le Nouvel Obs. Le gouvernement de Bangui soupçonne le maire de Levallois d’avoir été un des bénéficiaires, avec l’ancien président Bozizé, du règlement intervenu autour d’Uramin.

Interrogé sur le dossier, l’avocat de Georges Forrest, Bruno Illouz, se refuse à tout commentaire. « Il y a déjà plusieurs plaintes pour violation du secret de l’instruction dans cette affaire. Je me refuse de faire la moindre déclaration qui pourrait nuire à mon client. En face, il y a des gens méchants », dit-il. La réaction de l’avocat de Patrick Balkany, Me Grégoire Lafarge, est plus brutale : « Vous n’avez pas honte de m’appeler ? Les méthodes de Mediapart sont dégueulasses. C’est à la justice d’enquêter, pas à la presse. » La conversation s’est arrêtée là.

L’uranium reste radioactif pendant des millénaires. Il en est manifestement de même pour le dossier Uramin. Celui-ci continue d'irradier bien des acteurs, disséminant sans bruit ses doses mortelles.

BOITE NOIRECette série fait suite à une première grande enquête publiée en janvier 2012. Le premier volet de cette nouvelle série est consultable ici, le second .

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La fin du règne socialiste en Midi-Pyrénées

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« Si les dégoûtés s'en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. » L'adage, attribué à Pierre Mauroy, est redevenu à la mode en Midi-Pyrénées. Aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du Parti socialiste, l'expression fait florès et sonne affreusement juste. Entre l'affaire Arif, la privatisation de l'aéroport Toulouse-Blagnac, la gestion du barrage du Testet, le bilan de mi-mandat de François Hollande ou encore le manque de renouvellement de la classe politique locale, tout est fait pour que l'hémorragie militante se poursuive. 

« Depuis quelques jours, dans les cafés, les gens n'arrêtent pas de parler de la privatisation de l'aéroport, affirme la conseillère régionale Virginie Houadec (PS). Le président de la région, Martin Malvy, dit qu'il n'a pas été informé des étapes du projet, ni du contenu, ni des sommes. J'en suis scandalisée. Franchement, qu'est-ce que ça veut dire de vendre des fleurons rentables ? » « Ils ont décidé de se séparer des bijoux de famille et ce n'est qu'un début », déplore le secrétaire national du parti de gauche en Haute-Garonne, Manuel Bompard. La suite, a décrété le ministre de l'économie Emmanuel Macron, ce sont les aéroports de Nice et Lyon. Mais pour Manuel Bompard, « ce n'est pas avec des privatisations qu'ils vont empêcher le désaveu massif du PS ».

Les militants votent à la fédération socialiste de Haute-Garonne.Les militants votent à la fédération socialiste de Haute-Garonne. © Yannick Sanchez

À la fédération socialiste de Haute-Garonne, le poster de Kader Arif, premier secrétaire fédéral de 1999 à 2008, trône toujours au milieu de la salle d'accueil. C'est ici que le natif de Castres, ancien joueur de rugby, a posé ses premiers jalons en politique, repéré par Lionel Jospin dans les années 1980 et adoubé par François Hollande quand il était premier secrétaire du Parti socialiste. À la « Fédé », on ne touche pas à Kader, l'enfant du pays. « Présomption d'innocence », clament quelques militants venus voter pour désigner leurs candidats aux cantonales, prenant soin d'éviter le débat sur l'intégrité de l'ancien secrétaire d'État aux anciens combattants, qui a dû démissionner après une perquisition dans son ministère en marge d'une affaire de favoritisme visant plusieurs membres de sa famille.

Malgré le froid de décembre qui perce les briques et imprègne le carrelage blanc, une vingtaine de fidèles tiennent les urnes, les plus optimistes. « On critique beaucoup les politiques mais c’est un don de sa vie », raconte Zoé, secrétaire de section et trésorière du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Un membre des MJS qui souhaite rester anonyme se montre plus critique : « J'ai personnellement tracté pour Kader Arif aux législatives de 2012. S'il s'avère qu'il est mouillé dans cette histoire, j'aurai vraiment les boules de m'être bougé pour un traître. » 

Alia est devenue membre du Parti socialiste en 2011. Elle est depuis deux ans en charge de la commission laïcité au secrétariat fédéral de la Haute-Garonne. « Vous voyez que le parti n'est pas bloqué, soutient-elle. Quand on lit les contributions des sections aux états généraux, on se dit que le Parti socialiste est vivant. » Entendant la conversation, Suzy Candido, militante de 72 ans, enrage. « Quelle foutaise ces états généraux ! Quand c’était Sarkozy, au moins je pouvais dire mon désaccord. Mais là c'est pire, je peux pas gueuler parce que c’était mon candidat, même si au fond j'ai toujours su que Hollande n'était pas socialiste. Ça m'attriste mais je pense qu’on doit au moins avoir 30 % de militants qui sont partis », estime celle qui se dit proche de Gérard Filoche. 

Il est 23 heures, dans son bureau, Sébastien Vincini, le premier fédéral de Haute-Garonne, achève sous l'œil de Jean Jaurès le calcul des votes de la journée, visiblement satisfait. « L'heure est à la mobilisation générale », lance-t-il. « Il faut réapprendre à s’organiser, à militer. La situation n'est pas si mauvaise, ajoute-t-il. On est au niveau des primaires de 2011 en nombre de militants, j'ai un très bon niveau de reprise de cartes dans la fédération. » 

Sébastien Vincini dans son bureau de premier fédéral.Sébastien Vincini dans son bureau de premier fédéral. © Yannick Sanchez

Un avis qui tranche avec celui de Laure Durand, ancienne conseillère nationale du PS qui a quitté le parti avec fracas en septembre dernier (on peut retrouver sa lettre de démission ici) et qui a depuis décidé de créer un cercle de réflexion politique en dehors de tout clan : « À chaque réunion, il y avait des gens qui théâtralisaient leur départ en jetant leur carte par terre, se rappelle l'ancienne colistière du maire sortant, Pierre Cohen. Mais je crois que les départs se font en continu et en souterrain. Il y a beaucoup de personnes qui partent sur la pointe des pieds. » 

Cette déçue du socialisme, approchée depuis par le parti de Pierre Larrouturou, Nouvelle Donne, regrette le manque de débat d'idées dans les sections du PS de la Haute-Garonne. La fédération serait minée par ce qu'elle décrit comme du « militantisme alimentaire » : « Les trois quarts des assemblées étaient constituées de gens qui travaillaient pour des élus. J'étais une des seules à avoir un boulot de chef d’entreprise et à ne pas dépendre du PS. » Selon elle, en cas de revers aux prochaines échéances électorales, la fuite des militants risque de se poursuivre. « Le militantisme alimentaire, c’est surtout lié au conseil général et régional. S'ils perdent ces élections, ça va être la bérézina. »

En Haute-Garonne, Toulouse a déjà viré de bord aux dernières municipales. Aux sénatoriales, la droite a raflé trois sièges contre deux pour le PS. Aux européennes, l'extrême droite a atteint des sommets. « C'est simple, résume le premier secrétaire fédéral, sur la base des résultats aux européennes, dans aucun canton le PS n'atteint la barre des 12,5 % des inscrits. » Plus grave, dans 11 cantons sur 27, le FN caracole. Qu'il paraît loin, le temps où le conseiller général Lionel Jospin se baladait en terrain conquis à Cintegabelle, dans les confins du Lauragais. Le canton d'Auterive, qui englobe la ville d'un peu moins de 3 000 âmes, pourrait même voir l'extrême droite flirter avec les 30 % des voix à la prochaine échéance électorale, si l'on se fonde sur les derniers résultats aux européennes. 

« On va pas aller à la défaite en chantant, se reprend le premier fédéral de Haute-Garonne. On a un maillage territorial très important. Ici, une commune sur cinq a une section. » Élu au poste depuis seulement quelques mois, Sébastien Vincini a du pain sur la planche. Accusé de gérer les ressources de manière opaque et d'avoir forcé sur les notes de frais, son prédécesseur n'a tenu qu'un an et demi avant de jeter l'éponge. « En arrivant, j’ai pris des responsables un peu partout et j’ai fait ouvrir tous les comptes, se justifie Sébastien Vincini. Il y a un groupe de travail qui va me fixer les règles. Je ne veux pas qu'on me dise à la fin, il nous a laissé les cadavres dans le placard. » 

« Y a plus de militants, il n'y a que des gens qui veulent faire carrière », témoigne un salarié du conseil général. Avec les deux conseils dirigés par des socialistes, un certain nombre de cadres du parti ont été employés. Certains sont au cabinet de Pierre Izard, d’autres de Martin Malvy à la région. « C’est devenu la bagarre pour avoir une place sur le radeau de la méduse. Et maintenant que les vieux lions sont en fin de carrière, les antilopes se rêvent en léopards. » Pour les vieux félins adeptes du cumul des mandats, la région Midi-Pyrénées est ce qu'il se fait de mieux. Et les conseils généraux du coin sont un havre politique pour les éléphants du parti.

Le siège de la région à Toulouse.Le siège de la région à Toulouse. © Yannick Sanchez

Au conseil général de Haute-Garonne, on trouve d'abord Pierre Izard, 79 ans, entré comme conseiller en 1967, il préside l'institution depuis 1988. « J'avais 7 ans quand je l'ai rencontré !, témoigne Jean-Pierre Vilespy, 43 ans, conseiller régional de l'opposition. Il était déjà maire de Villefranche-de-Lauragais, je le voyais parce que je faisais du saxophone dans une harmonie intercommunale. » 

Pierre Izard à un meeting d'Airbus en 2007.Pierre Izard à un meeting d'Airbus en 2007. © CC Guillaume Paumier

Ici, tout le monde se souvient d'au moins une des colères « légendaires » de Pierre Izard « À chaque fois qu’un préfet est nommé en Haute-Garonne, on lui explique qu’il y a deux dossiers à gérer, le maintien du rang économique d’Airbus… et les colères de Pierre Izard », raconte Pascal Pallas, rédacteur en chef du journal La Voix du Midi, qui a déjà subi plusieurs fois les foudres de l'élu. Après 47 ans de vie politique, Pierre Izard a finalement indiqué qu'il ne briguerait pas une nouvelle fois la présidence du conseil général. 

Le président du conseil général de l'Ariège, Augustin Bonrepaux, a un CV assez proche (voir l'article de Mathieu Magnaudeix) du notable haut-garonnais. Tout aussi discret sur le plan national, il a démarré en politique comme maire d'une petite bourgade ariégeoise en 1966. Devenu conseiller général en 1976 et député en 1981, il choisit de cumuler cette fonction avec celle de président du conseil général en 2001. Après 47 ans de vie politique, son règne est brutalement stoppé par une mise en examen à Toulouse dans une affaire de marchés publics. Pas de quoi effrayer les socialistes du cru. Au pied des Pyrénées, c'est dans l'Ariège rurale et montagnarde que l'on vote le plus pour le PS lors des scrutins nationaux, avec des poussées au premier tour à plus de 70 % dans certains villages.

Dans le Tarn-et-Garonne, Jean-Michel Baylet règne sans partage. Celui qui se dit au-dessus des lois (lire l'article d'Antoine Perraud) incarne avec sa famille le potentat local sans contre-pouvoir.

Jean-Michel Baylet lors du meeting de Toulouse du 13 avril 2007 de Dominique Strauss-KahnJean-Michel Baylet lors du meeting de Toulouse du 13 avril 2007 de Dominique Strauss-Kahn © Guillaume Paumier

Élu député du Tarn-et-Garonne en 1978, le président du groupe de presse monopolistique La Dépêche entre au conseil général en 1985 en remplacement de sa mère comme représentant du canton de Valence-d'Agen et comme président de l'assemblée départementale. Après avoir perdu son siège de sénateur en septembre dernier, Baylet pourrait se voir ravir celui de président du conseil général aux prochaines élections, mettant à mal cette dynastie Baylet qui durerait selon l'ancien préfet du Tarn-et-Garonne, Rigolet, « depuis 1904 ».

Sans être exhaustive, une telle photographie des élus locaux ne serait pas complète s'il n'était fait mention de Thierry Carcenac. Le président du conseil général du Tarn depuis 1991 (conseiller général depuis 1979) s'est rendu célèbre par sa réaction après le drame de Sivens : « Mourir pour ses idées est relativement stupide et bête », avait-il déclaré, quelques jours après la mort de Rémi Fraisse.

Pour bien comprendre le sommet de l'organigramme de la région, il convient d'aller faire un tour dans le Lot, à deux heures de route au nord de Toulouse. C'est à Figeac que se trouve le bastion du président du conseil régional Martin Malvy. L'homme n'a, depuis 1977, jamais cessé de siéger au conseil municipal de la ville, connue pour abriter une gigantesque reproduction de la pierre de Rosette « déchiffrée » par l'homme du pays, Champollion. 

La place des écritures, à Figeac.La place des écritures, à Figeac. © DR

En 1978, soit un an après son élection à la mairie de Figeac, Martin Malvy devient député du Lot, avant d'être nommé secrétaire d'État puis ministre du budget, en 1992, sous Pierre Bérégovoy. Ce n'est qu'en 1998 qu'il devient président de la région. Comble du cumul, l'ancien journaliste de La Dépêche du Midi et grand ami de Jean-Michel Baylet est également devenu en janvier 2014 le président du Grand Figeac, plus grande intercommunalité du Lot avec 79 communes et 122 élus. 

Martin Malvy (au centre) aux côtés d'André Mellinger, le nouveau maire de Figeac et vice-président de l'intercommunalité.Martin Malvy (au centre) aux côtés d'André Mellinger, le nouveau maire de Figeac et vice-président de l'intercommunalité. © Yannick Sanchez

Au bout de quatre heures de séance du conseil du Grand Figeac, au cours duquel 38 points ont été votés à la quasi-unanimité (trois voix contre qui ne pèsent pas beaucoup face à la centaine d'élus favorables), Martin Malvy accepte de répondre aux questions de Mediapart sur les contrats passés depuis 2008 entre le conseil régional Midi-Pyrénées et AWF Music puis AWF, deux sociétés détenues par des parents de Kader Arif (voir l'article ici) : « Vous verrez, quand tout ça sera fini, qu'il y a rien. Je dois être le seul, ou presque, président de région à avoir embauché à des postes de responsabilité deux magistrats de la Chambre régionale des comptes. Ils sont d'un scrupuleux, je leur fais toute confiance. Il y a eu une seule fois un concurrent toulousain (à AWF), leurs offres étaient deux fois supérieures au montant proposé. »

Quant à son récent voyage en Chine que la presse locale associe à la privatisation de l'aéroport Toulouse-Blagnac, Martin Malvy assure que « ça n'a aucun lien avec l'aéroport. On a rencontré des investisseurs chinois qui ont ouvert des magasins qui s'appellent Sud-Ouest France dans lesquels ils vendent nos produits agricoles ». Avant de poursuivre sur ses performances électorales : « En politique, ce qui compte, c’est de savoir si on est réélu ou pas. On peut être torché à 30 ans et réélu à 70 ans, ce sont les électeurs qui décident. Moi, j’ai fait le plus gros score national aux dernières élections régionales. »

Fort de son score de 67,77 % aux dernières élections régionales, Martin Malvy pourrait voir plusieurs responsables politiques soutenir sa candidature en vue d'un éventuel quatrième mandat à la région. Il aurait 79 ans. S'il était élu, il pourrait fêter ses cinquante ans de politique à la fin de son mandat. La députée de Haute-Garonne Catherine Lemorton annonce déjà son soutien : « Si Martin repart, je lui tope dans la main. Dans le marasme qu'on connaît, sa candidature n'est pas saugrenue. » À la fédération de Haute-Garonne, même les plus critiques quant au cumul des mandats des barons locaux tiennent ce discours : « Si tu mets un inconnu comme candidat avec une étiquette PS, c'est la débâcle assurée. »

« C’est une période de fin de règne, déclare Élisabeth Pouchelon, conseillère régionale (UMP). Il y a une usure du pouvoir de fait. Après six mandats de conseiller général, Malvy attaquerait son quatrième de régional. » La débâcle d'une gauche désunie pourrait venir plus tôt vu la dynamique de la droite en Haute-Garonne. Une victoire de l'UMP y serait historique en raison de l'ancrage du PS et anciennement de la SFIO qui n'y a connu que des victoires depuis 1947. 

À l'approche des élections départementales de mars 2015, les Verts et le parti de gauche ne veulent plus entendre parler du parti socialiste. « Les gens sont désabusés, déclare la secrétaire régionale des Verts, Véronique Vinet. Si, à l'échelle locale, on dit à nos militants qu'on va faire un ticket avec le PS, ils hurlent. » « Cette fois-ci, on n'ira pas les sauver, il faut qu'ils arrêtent de nous prendre pour des cheptels électoraux », fulmine de son côté Manuel Bompard. L'élu du parti de gauche veut sortir de la logique des partis en organisant prochainement des assemblées citoyennes de « tous ceux qui ne se résignent pas », à la manière de Podemos en Espagne. 

Le conseiller régional de l'opposition Jean-Pierre Vilespy ressort de sa besace une expression fameuse de l'Ariège : « On dit souvent ici que si tu prends une chèvre et que tu lui mets une rose dans le bec, tu la fais élire dans n'importe quel canton. » Signe de la fin d'une ère, en entretenant le doute sur la candidature de Malvy aux élections régionales, les socialistes ne sont pas prêts à prendre le risque. 

BOITE NOIRENous nous sommes rendus en Haute-Garonne et dans le Lot du mercredi 3 au dimanche 7 décembre. Sauf mention contraire, les personnes citées dans cet article ont été rencontrées durant cette semaine. Seul le président du conseil général Pierre Izard n'a pas souhaité nous recevoir.

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Pouvoir, argent et conférences: l'intenable mélange des genres de Nicolas Sarkozy

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«Est-ce que j’ai changé ? Non. J’aime toujours autant la politique. » En faisant son mea culpa le 2 décembre, face aux députés UMP, Nicolas Sarkozy n'est pas allé jusqu'au bout de sa pensée. Est-ce qu’il a changé ? Non. Il aime toujours autant la politique, le pouvoir… et l’argent. « Il ne peut pas s’en empêcher, comme écrivaient dès 2008 les journalistes Renaud Dély et Didier Hassoux dans Sarkozy et l’argent roi (éd. Calmann-Lévy). Le Président est un enfant. (…) Comme tous les enfants, il aime deux choses : le chocolat, dont il se régale dès qu’il le peut, et tout ce qui brille. Son rapport à l’argent est intime, étroit, permanent. »

Nicolas Sarkozy en conférence à Doha (Qatar), le 11 décembre 2012.Nicolas Sarkozy en conférence à Doha (Qatar), le 11 décembre 2012. © Reuters

Ses nouvelles fonctions de patron de l’opposition, la situation financière catastrophique de son parti – dont les seules dettes bancaires s'élèvent à 76,2 millions d'euros – et les nombreux obstacles qu’il doit contourner s’il veut assouvir ses ambitions pour 2017, n’y changeront rien. L’ex-chef de l’État entend bien continuer à « faire du fric », comme il le répète élégamment depuis plusieurs années. « Je fais ça (président – ndlr) pendant cinq ans, et ensuite, je pars faire du fric comme Clinton, 150 000 euros la conférence », confiait-il à ses proches dès 2008, quelques mois seulement après son entrée à l’Élysée.

Il ne leur avait pas menti. À peine l’épreuve du 6 mai 2012 passée, Nicolas Sarkozy a mis ses plans lucratifs à exécution. Pendant deux ans et demi, alors que sa famille politique sombrait dans l’indifférence générale – et dans la sienne en particulier –, l’ex-chef de l’État, devenu conférencier de luxe, a parcouru le monde pour discourir devant des salles acquises à sa cause. Un coup à Las Vegas, un autre à Brazzaville, un autre encore à Monaco. La plupart du temps pour le compte de ces banques qu’il aimait tant vilipender durant son mandat, mais qui ont l'avantage de payer rubis sur l'ongle. « Tu comprends, je ne veux pas que ma femme me voie comme un chômeur », se justifiait-il devant un convive, lors d'un dîner organisé à l'été 2012.

Si l’on en croit les journalistes Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, auteurs de Ça reste entre nous, hein ? (éd. Flammarion), la vingtaine de prestations qu'il a effectuées en l'espace de dix saisons lui auraient permis d’engranger quelque 2 millions d’euros d’émoluments. À côté, les 363 615 euros de pénalités, dues aux irrégularités financières de sa campagne de 2012, qu’il vient de généreusement rembourser à l’UMP, pourraient presque passer pour une paille.

Bien avant qu’il ne l’officialise, Nicolas Sarkozy avait posé deux conditions à son retour : conserver ses privilèges d’ancien président – dont son bureau de la rue de Miromesnil et les collaborateurs payés aux frais de l’État qui vont avec – et poursuivre son cycle de conférences rémunérées. C’est donc tout naturellement que le nouveau patron de l’opposition s’était rendu à Séoul (Corée du Sud) le 14 octobre, en pleine campagne pour la présidence de l’UMP, pour prendre la parole au World Knowledge Forum. Et c’est avec autant de naturel qu’il s’est envolé le 6 décembre, soit une semaine seulement après son élection, pour Doha, où l’avait invité la Qatar National Bank. « Logé au Four Seasons non loin de Jean Todt ou de Salma Hayek, Sarkozy a profité de son séjour pour s’entretenir avec l’émir du Qatar Tamim Al Thani », a précisé Paris Match, qui a révélé l'information.

Nicolas Sarkozy et l'émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, en 2008. Ce dernier a transmis le pouvoir à son fils en 2013.Nicolas Sarkozy et l'émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, en 2008. Ce dernier a transmis le pouvoir à son fils en 2013. © Reuters

Cette escapade qatarie mérite que l’on y prête attention. D’abord, parce que ce n’est pas la première fois – loin s’en faut – que Nicolas Sarkozy prend un avion pour Doha. C’est là qu’il avait fait, en décembre 2012, sa première sortie publique depuis sa défaite, dans le cadre du forum mondial du sport, où il avait été personnellement invité par l’émir du Qatar. Quelques mois plus tôt, l’ex-chef de l’État était déjà discrètement descendu au palace Four Seasons, comme l’avait dévoilé Le Canard enchaîné, avant de partager un déjeuner et un dîner avec différents membres de la famille princière.

Nicolas Sarkozy est un grand ami du Qatar. Le 24 juillet 2007, jour de la libération des infirmières bulgares, il avait d'ailleurs salué le « geste humanitaire » concédé par cet « État ami », qui a joué un rôle d'accélérateur financier majeur dans ce qui reste l'un des épisodes précurseurs des relations entre l'ex-chef de l'État et Mouammar Kadhafi. Les liens entre l’émirat et la France se sont resserrés à partir de l'élection de 2007 : projets, investissements, rachats… Tout cela aurait été fait pour « acheter les dirigeants français », avait dénoncé le marchand d'armes Ziad Takieddine en avril 2013 sur France 24, avant d'ajouter : « Et ça commence avec Nicolas Sarkozy qu’ils ont acheté de toutes pièces. »

Une chose est sûre : l’ancien président a profité de toutes ses casquettes, y compris celle d’avocat, pour défendre la cause de ce petit pays du Golfe persique. Comme l’a raconté Mediapart, il s’est notamment beaucoup démené pour introduire l’émirat auprès de la Fédération internationale de football (FIFA) et de son autre ami, Michel Platini, président de l'Union des associations européennes de football (UEFA). Le hasard faisant décidément bien les choses, le Qatar a obtenu, à la surprise générale, la Coupe du monde de football de 2022.

Pour adresser des remerciements sur le passé, mais aussi prendre une option sur l'avenir, le Qatar était prêt à investir en retour quelque 250 millions d’euros dans un fonds d’investissement qu'aurait piloté Nicolas Sarkozy. Le projet était tellement avancé que ce dernier avait même reçu une lettre d'intention officielle de la part des autorités qatariennes. Il a finalement été abandonné. « Je ne l'ai pas fait et cela a été un sacrifice, confiait l'ex-chef de l'État à Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, en janvier 2014. C'est une façon de rester libre, donc disponible. »

L'homme d'affaires qatari et président du PSG, Nasser Ghanim Al-Khelaïfi, et Nicolas Sarkozy, le 29 novembre.L'homme d'affaires qatari et président du PSG, Nasser Ghanim Al-Khelaïfi, et Nicolas Sarkozy, le 29 novembre. © Reuters

Les relations entre le nouveau patron de l’opposition et ses amis qataris n’en sont pourtant pas restées là. En témoigne cette nouvelle conférence donnée pour le compte de la Qatar National Bank, dont le but officiel était de prodiguer « des conseils d’investissement en Europe et en France ». Certes, les esprits bien tournés argueront la nécessité de mettre la parole et l'expérience d’un ancien président au service des élites de ce monde. « Nicolas Sarkozy va poursuivre ses conférences et moi, je suis fier qu'il y ait un Français qui en fasse, comme Tony Blair et Bill Clinton », confiait ainsi le fidèle Brice Hortefeux, au mois d’octobre, oubliant au passage que Blair et Clinton sont, eux, de vrais retraités de la politique. À lire les verbatims des différentes prestations que l’ex-chef de l’État a réalisées, difficile d’imaginer que leur seul intérêt réside dans la fulgurance de ses propos.

Le mélange des genres est devenu la marque de fabrique de Nicolas Sarkozy qui, au cumul des mandats, préfère celui des privilèges. Outre ses conférences rémunérées, le nouveau patron de l'opposition bénéficie encore de nombreux avantages, perçus au titre d’ancien locataire de l’Élysée. Accordés par une lettre valant « décision », datée du 8 janvier 1985 et signée par le premier ministre de l'époque, Laurent Fabius, ils sont estimés, en ce qui le concerne, à deux millions d’euros par an, sur fonds publics. Un bureau rue de Miromesnil (15 000 euros/mois), une poignée de collaborateurs, deux agents de police chargés d’assurer sa sécurité, une voiture de fonction… Autant de privilèges que l'ex-chef de l'État souhaite conserver, au grand dam de bon nombre d’élus, de gauche comme de droite.

Cinq députés socialistes se sont récemment emparés du sujet en signant une tribune pour appeler Nicolas Sarkozy à renoncer à ces avantages. « Au nom de quoi le contribuable français doit-il être le complice du retour caricatural du chef en manque de reconnaissance et d’actions ? », interrogent-ils. En guise de réponse, l’UMP s’est contentée de rappeler à Métro que son statut d’association interdit de rémunérer son président, reconnaissant toutefois que le nouveau patron de l’opposition bénéficierait, « comme n’importe quel président de parti », des services nécessaires à l'exercice de sa fonction : secrétariat, bureau, chauffeurs…

Que vont devenir les collaborateurs de la rue de Miromesnil payés sur fonds publics ? Et en particulier Consuelo Remmert, sa “conseillère affaires étrangères” ? La demi-sœur de Carla Bruni, qui avait déjà créé la polémique en intégrant la cellule diplomatique de l’Élysée en 2008, gère depuis deux ans et demi de l’agenda de conférencier de Nicolas Sarkozy. C’est elle qui, selon les auteurs de Ça reste entre nous, hein ?, « fait l’interface avec la Washington Speakers Bureau », la prestigieuse agence qu'a rejointe l'ex-chef de l'État après sa défaite et dans le catalogue de laquelle il côtoie Tony Blair, George W. Bush ou encore José Maria Aznar.

Notice biographique de Consuelo Remmert, publiée sur le site du World Economic Forum.Notice biographique de Consuelo Remmert, publiée sur le site du World Economic Forum. © www.weforum.org

Une collaboratrice payée aux frais de l’État pour organiser les conférences de luxe du nouveau patron de l’opposition ? L’idée fait grincer des dents dans les rangs mêmes de l’UMP. « Parmi les proches de Bruno Le Maire, (…) on aime rappeler que Nicolas Sarkozy rémunère 7000euros par mois Consuelo Remmert, la demi-sœur de sa femme, pour gérer l’intendance de ces conférences », écrivait L’Humanité au mois d’octobre. L'ex-chef de l'État compte-t-il régulariser cette situation ? Pour l'heure, aucune information n'a fuité sur le sujet. Contactées par Mediapart, ni Consuelo Remmert ni l'attachée de presse de Nicolas Sarkozy n'ont répondu à nos sollicitations.

Jusqu’à quand le nouveau patron de l'opposition pourra-t-il continuer à nager en plein mélange des genres ? Lui qui rejoue désormais un rôle politique de premier plan et souhaite aller encore plus loin en se présentant à la primaire UMP de 2016, peut-il conserver ses privilèges d'ex-chef de l'État et continuer à monnayer ses contacts comme conférencier de luxe ? Pour n'importe qui, l'incompatibilité entre les différentes casquettes de Nicolas Sarkozy est évidente. Mais pas pour lui.

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Au PS, Cambadélis ressemble au chef d'orchestre du Titanic

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Mettre la charrue sans se soucier de l'état des bœufs. Ce samedi, lors d'un conseil national extraordinaire, le PS a retrouvé ce huis clos qui lui sied si bien, dans un sous-sol de l'Assemblée nationale. Une semaine après avoir adopté une nouvelle « charte de valeurs » (lire ici), dans un hangar retranché à proximité du périphérique parisien, où les CRS faisaient office de cordon de sécurité face à la coordination des intermittents, chômeurs et précaires, qui manifestaient avec virulence leur rejet du socialisme au pouvoir.

Cette fois-ci, revenus dans l'environnement calme du VIIe arrondissement de la capitale, les hiérarques du PS ont écouté leur premier secrétaire « par intérim » (car non élu directement par les militants), Jean-Christophe Cambadélis, leur vanter son projet de rénovation interne. Une intention qui en a dérouté plus d'un, celle de la construction d'un parti à 500 000 adhérents, alors même qu'ils n'ont été que dix fois moins à voter il y a dix jours, lors de bien factices “états généraux”. Qu'importe pour Cambadélis, la réalité politique, ou la parfaite incongruité d'un conseil national appelant à « ouvrir les portes et fenêtres du parti » lors d'une réunion à huis clos, lui entend faire montre de son activisme dans le parti, ne s'estimant comptable que de cela, et non de la politique du gouvernement ou des déroutes électorales à venir.

Jean-Christophe Cambadélis, au siège du PS à Paris, le 13 décembre 2014Jean-Christophe Cambadélis, au siège du PS à Paris, le 13 décembre 2014 © S.A

Alors, il agite les bras, dénonce le péril fasciste et ceux qui à gauche ne veulent pas se ranger derrière le PS sans poser de questions. Il n'élude pas les difficultés, mais n'entend pas les traiter au fond, en s'interrogeant sur l'idéologie. Son sujet à lui, c'est uniquement l'organisation. Et son souci semble être d'en faire le plus possible, pour assurer son élection à la tête du parti, lors du prochain congrès de Poitiers, au début du mois de juin 2015. Tant pis s'il apparaît chaque semaine un peu plus comme une parfaite allégorie du chef d'orchestre du Titanic, il a la baguette et n'entend pas la lâcher, lui qui prétend au poste depuis vingt ans maintenant.

Pour asseoir sa légitimité et décourager toute velléité concurrente, Cambadélis a donc dévoilé son plan de modernisation du parti (révélé ici par Libération), sur lequel il a fait travailler son plus proche lieutenant depuis les années trotskystes et de la Mnef, jusqu'au premier cercle de l'entourage de Dominique Strauss-Kahn, le député Christophe Borgel. Le rapport qu'il a présenté est un étrange mélange organisationnel mi-OCI mi-Désirs d'avenir, une réflexion théorique militante laissant espérer qu'avec la rigueur de la formation lambertiste des années 1970, alliée à l'ouverture telle que prônée par Ségolène Royal entre 2006 et 2008, les icebergs pourraient être évités.

Borgel prône une participation accrue des militants, une grande campagne d'adhésion avec baisse des cotisations et incitation à abandonner certains rituels d'accueil et d'intégration du nouveau militant dans sa section, ainsi que le développement d'un réseau social interne sur le Web, dont on n'a pas vraiment compris la différence avec la « Coopol » aujourd'hui en déshérence. Cette modernisation à la sauce Désirs d'avenir irait de pair avec de vieilles règles issues de l'Organisation communiste internationaliste, faisant reposer sur la direction nationale du parti une responsabilité accrue de l'animation militante.

Est notamment évoquée la mise en débat de thèmes de discussion imposés aux secrétaires de section par le bureau national, ou la relance de sessions de formations militantes dont seraient responsables tous les secrétaires nationaux. On retrouve aussi de l'OCI des années 1970 cette propension fascinante à édicter des ambitions totalement démesurées faisant fi du contexte politique actuel, comme cette volonté de faire grossir le PS à 500 000 adhérents, via l'octroi à chaque militant de carnets de cartes d'adhésion, qu'il pourrait fièrement déployer sur les marchés.

Lors de son point presse d'après conseil national, samedi, Cambadélis n'a pu réprimer une bouffée nostalgique de ses années de responsable du secteur étudiant de l'OCI, quand il ressuscita, pince-sans-rire, l'importance des « tâches militantes » en matière de recrutement : « Si chaque militant recrute dix personnes, nous explosons l'objectif ! » Il est cependant intéressant de noter que l'exercice de primaires ouvertes a totalement disparu du plan de rénovation « made in Camba », alors même qu'il a été la seule innovation concluante et efficace du PS ces dernières années, et qu'il aurait pu être un instrument de renouvellement du personnel politique local.

De même, aucune référence n'est faite à l'usage de référendums militants (à l'image de celui mis en œuvre par Martine Aubry en 2010, qui fut le point de départ de la réforme du cumul des mandats). On se demande bien alors à quoi peut servir un parti à 500 000 adhérents, si ce n'est à faire un compte rond, aussi joli qu'improbable.

Car il reste une question décisive à laquelle cette entreprise énigmatique de rénovation ne répond pas : ouvrir les portes et les fenêtres d'une maison permet-il de la rendre plus désirable, quand son état de délabrement est aussi avancé ?

Un peu désarmé et désarmant, Cambadélis a lui-même parfaitement résumé la position des sceptiques du parti, vis-à-vis de son ambition modernisatrice : « Si on veut faire des adhésions, il est nécessaire de mener une politique qui le permette. » Or, le premier secrétaire n'a pas de réponse à cette remise en cause existentielle, celle d'un socialisme au pouvoir qui démobilise toujours plus les socialistes dans leur parti.

« Il est impensable d'appeler des gens à adhérer sans expliquer ce que le parti pense du gouvernement, s'étrangle Jérôme Guedj, figure de l'aile gauche du PS. Il n'est pas inintéressant de réfléchir au fonctionnement du parti, mais dans le moment, cela revient à passer son temps à regarder ailleurs que du côté de l'action gouvernementale. » Pour un secrétaire national appartenant à la majorité de Cambadélis, le conseil national du parti devient « effrayant », en ce qu'il « est chaque mois un peu moins le reflet de la société ». Et de quitter la séance, en soupirant : « On tourne en boucle, on s'autocongratule, mais on ne porte jamais de vrais débats. »

Pour le sénateur et secrétaire national David Assouline, la rénovation du PS entamée par Cambadélis va dans le bon sens, car elle anticipe en fait la situation du parti dans un futur proche, une fois survenues les déroutes électorales annoncées : « On entame un retour aux années 1970, quand le parti avait tout à gagner. Il va falloir régénérer le parti avec des sympathisants et des acteurs du mouvement social qui n'ont pas un engagement fondé à de seules fins électoralistes. Bon, il y a aussi des arrière-pensées et un congrès bientôt, alors il faut montrer qu'il est actif. » « Il joue la montre comme il peut et si possible en parlant le moins possible de l'exécutif, dit un autre dirigeant de la rue Solférino, le soutenant comme la corde soutient le pendu. Son objectif, c'est d'animer un maximum le parti, d'occuper l'espace, quitte à apparaître "hors-sol" ou en total décalage avec la situation. »

Face à ces critiques, qui sont autant de limites au raisonnement strictement structurel de Cambadélis, ce dernier se contente d'ânonner que « les contestataires du PS n'ont pas à participer à la critique gouvernementale, mais à être d'accord ou pas avec la position du parti », qu'il juge « équilibrée ». Et de citer l'épineux sujet de la loi Macron, et du travail du dimanche en particulier, sur lequel le PS a rendu public un « memorandum » listant une série d'exigences (lire ici), et pour lequel il « préconise le compromis, afin d'arriver à une situation acceptable par tous ». Avec cette loi Macron, Cambadélis est aujourd'hui au pied du mur, contraint de s'engager dans un débat de fond (il a invité le ministre de l'économie au premier bureau national de janvier), alors qu'il n'aime rien tant que se limiter à l'organisation, la tactique et la stratégie.

En milieu de semaine, Martine Aubry a une nouvelle fois dit avec force son opposition, et ce samedi, l'une des interventions les plus remarquées (jusque chez certains membres de la direction du PS) fut celle de Benoît Hamon, son challenger le plus sérieux pour la conquête du parti, insistant sur la nécessité pour le PS de « ne pas accompagner la société de consommation », mais plutôt de se mobiliser pour « établir une frontière entre le marché et la société ».

Comme il y a un mois, lors du précédent conseil national où il s'était exprimé sur la reconnaissance de la Palestine et non sur le calendrier du congrès, l'ancien ministre éphémère de l'éducation nationale a « choisi de ne pas se mêler des luttes intestines lunaires actuelles », selon les termes de l'un de ses proches, Roberto Romero, pour qui Hamon « essaie de politiser le débat sur la question de l'orientation du gouvernement, afin de montrer pourquoi il l'a quitté ».

« Dans le marasme lugubre de ce conseil national, Hamon a marqué les esprits, explique John Palacin, un conseiller national proche d'Arnaud Montebourg. Ça nous change un peu de la rhétorique du péril fasciste que nous sert une direction qui se croit à la veille de la guerre d'Espagne, et qui va nous intimer jusqu'à la lie de rester soudé et de taire nos divergences. »

Pour l'heure, Cambadélis ne compte pas changer de registre. Son objectif est simple : rester le seul candidat possible à sa propre succession lors du futur congrès de Poitiers, en faisant se ranger derrière lui aussi bien les proches de François Hollande et les modérés du parti (comme les proches de Pierre Moscovici ou Vincent Peillon), que Martine Aubry et ses proches. Si cela fait une majorité du parti, il aura alors tout loisir de continuer à faire des plans (de rénovation) sur la comète. Mais y aura-t-il encore des bœufs pour emmener la charrue socialiste dans les étoiles ?

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Le Musée de l’histoire de l’immigration sort de la clandestinité

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Voilà sept ans que le Musée de l’histoire de l’immigration, ex-Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), situé en bordure du bois de Vincennes dans le XIIe arrondissement de Paris, attend ce moment. L’offense d’une ouverture au public sans reconnaissance officielle devrait être réparée ce lundi 15 décembre, à 18 h 05 précises selon le programme prévisionnel de l’Élysée. François Hollande doit s’y rendre, accompagné de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et de Fleur Pellerin, ministre de la culture, pour prononcer un discours sur l’immigration, l’un de ses premiers sur le sujet. À cette occasion, il dévoilera la plaque inaugurale. Enfin. 

La façade du musée, alors Cité nationale de l'histoire de l'immigration, en 2008.La façade du musée, alors Cité nationale de l'histoire de l'immigration, en 2008.

Le président de la République sera-t-il le sauveur de cet établissement public marqué par une existence quasi clandestine ? Le nouveau président du conseil d’orientation (chargé de fixer les grandes orientations), l’historien Benjamin Stora, proche du chef de l’État, saura-t-il éviter le naufrage à ce « musée fantôme à la dérive », comme le qualifiait son collègue Pascal Blanchard dans un article du Monde, qui, en 2010, constatait la désaffectation du public ? En 2014, les lieux restent méconnus, peu fréquentés, sans influence.

S’il est peu probable que le geste symbolique que représente l’inauguration infléchisse (dans un sens ou dans l'autre) le nombre de visiteurs, il constitue un préalable. La proximité du président de la République avec Benjamin Stora, nommé en août 2014 en remplacement de Jacques Toubon lui-même désigné Défenseur des droits, n’est pas étrangère à ce revirement. Jusqu’à présent, la défiance des pouvoirs publics a empêché le musée d’assumer le rôle qui lui a été confié par ses concepteurs : présenter la réalité du « creuset français », selon l’expression de l’historien Gérard Noiriel, donner aux immigrés la place qui leur revient dans la construction de la nation, faire de l’immigration une fierté.

Après une quinzaine d’années de gestation, la Cité a été lancée au pire moment pour elle. En 2007, Nicolas Sarkozy remporte l’élection présidentielle après avoir fait campagne en défendant l’idée d’une identité nationale mise en péril par l’immigration. S’ensuit la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, compris comme la volonté d’opposer deux termes que le musée se donne pour mission de rapprocher. En signe de protestation, plusieurs des historiens les plus importants du dispositif – Nancy Green, Gérard Noiriel, Patrick Simon et Patrick Weil entre autres – démissionnent du conseil scientifique.

Sans soutien politique, le musée perd aussi sa substance intellectuelle. Principalement financé par le ministère honni, il ouvre ses portes, en toute discrétion, le 10 octobre 2007. Le public n'est toujours pas au rendez-vous. Personne ne le conteste, y compris Benjamin Stora. « Quand on se promène dans les couloirs, on ne voit pas grand monde. C’est un problème », admet-il évoquant 100 000 visiteurs annuels. Un chiffre difficile à vérifier depuis la fusion des caisses du musée avec celles de l’Aquarium logé au sous-sol dans le même bâtiment art-déco, le Palais de la porte Dorée, qui a accueilli l’Exposition coloniale de 1931, avant de devenir le Musée des colonies puis le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie. Les agents aux guichets sont les premiers à reconnaître que les requins font plus recette que les immigrés. « La valise d’une réfugiée espagnole attire moins qu’un autoportrait de Rembrandt », observait de son côté Jacques Toubon en comparant la fréquentation des autres musées nationaux comme le Louvre, Versailles ou le Quai Branly.

« On part de bas, on part de zéro », insiste Benjamin Stora qui se désole de l’absence de signalisation dans la station de métro à proximité. Sur le plan de la RATP listant les musées incontournables, le Musée de l'immigration n’apparaît pas. Les cars de touristes n’ont aucune raison de s’y arrêter car les tours-opérateurs ne l’inscrivent pas dans leur programme. Les expositions font rarement l’objet de recensions dans la presse. Et quand les journaux s’emparent du sujet, c’est pour constater que Luc Gruson, directeur général (chargé de la gestion managériale) nommé lors de la mandature de Nicolas Sarkozy, est un proche de la famille de Carla Bruni-Sarkozy. Mauvaise publicité.

La gestion par l’établissement de la longue occupation par plusieurs dizaines de sans-papiers en octobre 2010 participe à brouiller l’image du lieu. Contre-ministère de l’immigration ? Aux ordres après la décision de faire appel aux policiers pour déloger les grévistes ? Certains visiteurs ayant trouvé portes closes ne reviennent pas. D'autres pensent pouvoir y faire renouveler leurs visas.

Pédagogique, le musée attire principalement des scolaires. Associant récits et objets des migrants, cartes et panneaux explicatifs, l’accrochage permanent « Repères », qui mélange art et documentaire, fait l’objet de nombreuses critiques, parmi lesquelles celle d’être statique, voire fastidieux, alors même que le projet est intéressant et les témoignages passionnants. Les expositions temporaires n’emportent pas non plus les suffrages. Sans doute ont-elles manqué de relais : Jacques Toubon s’est peu déplacé sur les plateaux de télévision pour en faire la promotion.

Les fonds privés (mécénat) n'affluent pas, malgré la nomination de Mercedes Erra, que sa fiche Wikipedia présente comme « spécialisée dans la construction et la gestion des grandes marques », à la tête du conseil d’administration (chargée d’entériner le budget). Présidente exécutive d’Havas Worldwide, décorée officier de la Légion d’honneur par Manuel Valls originaire, comme elle, de Catalogne, cette fondatrice de BETC Euro RSCG met à contribution son entreprise, dans le cadre d’un « partenariat de compétences » (mise à disposition gratuite de salariés), pour réaliser un audit. Dans le rapport d’activité 2011, le bilan de cette opération se limite à l’évocation d’un seul « succès » : 900 personnes réunies pour le vernissage de l’exposition « J’ai deux amours », au lieu de 300 habituellement.

Foot, mode : différents biais sont explorés pour tenter d’être plus en phase avec l’intérêt du grand public, sans résultat majeur si ce n’est que des voix s’élèvent pour dénoncer le dévoiement des objectifs initiaux.

Lors de l'occupation par des sans-papiers en octobre 2010. (CF)Lors de l'occupation par des sans-papiers en octobre 2010. (CF)

Présent lors du voyage d’État de François Hollande en Algérie en décembre 2012, Benjamin Stora, auteur de La Guerre d’Algérie expliquée en image (Seuil, 2014), espère obtenir une rallonge financière pour relancer cette machine administrative qu’une centaine d’employés aux statuts variés (précaires, fonctionnaires) fait tourner. Oscillant entre 6 et 7 millions d’euros, le budget du musée est l’un des plus faibles de sa catégorie. « L’espace est monumental. Il coûte très cher rien qu’en chauffage », plaisante le président du conseil d’orientation. « On creuse le déficit d’année en année. Il faut que cela cesse », ajoute-t-il notant qu’il exerce sa fonction à titre bénévole, ce qui ne correspond pas à la norme pour ce type d’établissement. La lourdeur des quatre tutelles (éducation nationale, culture, intérieur, écologie) paralyse le fonctionnement.

Le défi n’est pas que budgétaire. Il est avant tout politique et culturel. Cela part de loin. « L’histoire de l’immigration en France est reléguée, placée aux marges des institutions, des hommes politiques, des médias, des intellectuels. C’est une histoire ghettoïsée, vécue comme séparée, non nationale », rappelle l’historien. Le décalage avec la perception de l’immigration aux États-Unis est saisissant. Les Américains se conçoivent comme une nation d’immigrés débarqués à Ellis Island à bord du Mayflower. À New York, le musée qui retrace cette épopée voit passer 2 millions de visiteurs par an… Un quart des Français a des grands-parents d’origine étrangère, mais la diversité qui en découle n’est pas valorisée.

« En France, ce qui compte, c’est la monarchie, la Révolution, la République. Géographiquement, les portes d’entrée migratoires ont toujours été multiples. Notre conception de la nation est fixe, établie une fois pour toutes. La France serait éternelle et homogène. Les migrants ont longtemps été vécus comme des corps étrangers à assimiler. La priorité était d’effacer leurs origines », souligne Benjamin Stora. « La nécessité d’une histoire de l’immigration est apparue tardivement, il y a une trentaine d’années, à la faveur de la mondialisation, poursuit-il, et la nécessité de consacrer un lieu à cette histoire est née, par la suite, de l’émergence d’une conscience post-coloniale portée par une génération qui a dénoncé le racisme et les discriminations et qui a voulu faire entendre sa voix. »

Faire changer le regard de la société française sur son histoire : le projet originel de la Cité était politique. Des hommes de droite comme de gauche (Lionel Jospin, Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin) ont d’ailleurs contribué à le concrétiser. Mais la direction emmenée par Jacques Toubon a préféré revendiquer une forme de neutralité, ce qui s’est avéré intenable tant l’immigration, sujet controversé par excellence, est essentielle dans la communication des gouvernants.

Dans un article paru dans la revue Contretemps, Aurore Chéry, doctorante à l’université Lyon III, montre comment cet apolitisme supposé s’est confondu avec un sarkozysme à plusieurs reprises. Elle rappelle qu’en mai 2011, l’historienne et sénatrice Esther Benbassa s’est plainte qu’un dossier qu’elle coordonnait pour la revue du musée Hommes et migrations sur le thème de « La France postcoloniale » a fait l’objet d’une censure par la direction du musée, qui a fait supprimer un article de Nicolas Bancel intitulé : « La brèche. Vers la racialisation postcoloniale des discours publics ? ».

Factice, donc, cette position n’a en outre pas permis au lieu de se développer. Au contraire, elle l’a empêché d’exister. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le seul moment politique des dernières années, l’occupation par les sans-papiers, a fait revenir chercheurs et historiens.

Le nouveau président du conseil d’orientation dit vouloir insuffler une « vision politique ». La prochaine exposition sur les frontières explorera, de Ceuta à Lampedusa, les effets des politiques migratoires. « Nous n'hésiterons pas à dire que les drames en Méditerranée sont le résultat de lois de fermeture », indique-t-il. « Aujourd’hui, regrette-t-il, l’immigration est traitée soit comme un enjeu économique – combien ça coûte, combien ça rapporte – soit comme un enjeu identitaire – la nation dissoute par la présence étrangère. Nous voulons centrer l’analyse sur les droits. Personne ne quitte son pays par plaisir. Accueillir des réfugiés, ce n’est pas faire la charité, c’est une obligation. »

Se prévalant d’un parcours associatif et académique, Benjamin Stora, qui demande une reconfiguration de sa fonction qu’il estime limitée, devra montrer qu’il est capable de mobiliser la société civile. Et pour réintroduire le politique dans la Cité, il devra apporter la preuve de son indépendance par rapport aux politiques. « Je continuerai de militer pour le droit de vote des étrangers et de critiquer la politique d’expulsions du gouvernement », s'engage-t-il. Aujourd'hui, l’occasion se présente à lui de faire entendre ses convictions à François Hollande.

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A Toulouse, «la Case de santé» paie au prix fort son originalité et son succès

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Toulouse, de notre envoyée spéciale.- C'est l'une des structures de santé les plus originales en France. Elle est aujourd'hui menacée de fermeture, à la suite de coupes budgétaires. Sur la place Arnaud-Bernard à Toulouse, au cœur du dernier quartier populaire du centre-ville, La Case de santé est depuis plusieurs mois recouverte de banderoles alertant contre ces menaces. Depuis 2006, les habitants du quartier peuvent venir ici se faire soigner, mais aussi conseiller pour leurs démarches administratives. La Case (ici leur page Facebook) est un centre de santé communautaire, le seul du genre en France. L'an dernier environ un millier et demi d'usagers y étaient inscrits et la Case est aujourd'hui devenue une référence en matière d’accompagnement médico-social des migrants et des gens en grande précarité.

Comme bon nombre d'autres centres de santé polyvalents, la Case est en déficit chronique. Et cette année, après la baisse de la dotation versée par l’Agence régionale de santé (ARS), la situation est devenue intenable. Le centre est à la recherche d'un financement d’urgence pour ne pas fermer à la fin de l’année. Depuis plusieurs mois, l’équipe alerte les pouvoirs publics et la mobilisation de soutien s’amplifie, en vain. Du 1er au 17 novembre, l’équipe s'est mise en grève.

L'immeuble de La Case de santé, place Arnaud-Bernard, à Toulouse.L'immeuble de La Case de santé, place Arnaud-Bernard, à Toulouse. © (dr)

La préfecture a fini par convoquer une première réunion le 7 novembre, sans même y convier l'équipe du centre de santé. Une nouvelle rencontre s'est tenue à l'Agence régionale de santé le 17 novembre. Cette fois, la Case a présenté un bilan détaillé de sa situation financière et un budget prévisionnel 2015 de 530 000 euros (voir ici le détail). « Nous avons la même évaluation de nos besoins – 500 000 euros annuels – depuis 2011, souligne Fabien Maguin, coordinateur administratif de la structure. Or notre modèle de financement est problématique, nous survivons à coups de subventions ponctuelles, qui varient chaque année. »

Publié l'an dernier, un rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) dénombre environ 1 200 centres de santé. Ils représentent 2,4 % des dépenses nationales en santé ambulatoire. L’utilité sociale de ces structures est désormais reconnue malgré un modèle économique « structurellement boiteux ». Un accord signé en 2003 avec l’Assurance maladie stipule que des équipes de soignants salariés s’engagent à la pratique systématique du tiers payant pour des consultations médicales au tarif conventionnel de la Sécurité sociale (le « secteur 1 »). L’objectif est de développer la prévention et d'améliorer l’accès aux soins des publics les plus précaires.

À la différence des maisons de santé (les MSP – regroupements de libéraux sous forme de sociétés commerciales à but lucratif), les centres de santé sont gérés par des municipalités, des mutuelles, ou des associations – comme La Case de santé. « Tous sont essentiellement financés par l’Assurance maladie via le paiement à l’acte ; le problème, c'est que la Case de santé n'est pas un centre lambda », explique Bernard Giusti, vice-président de la Caisse primaire d’assurance maladie Haute-Garonne. Si la Case « n’est pas un centre lambda », c’est parce que, sur la base d’un projet associatif, elle associe depuis huit ans une expertise inédite à une forte identité politique.

L’équipe de la Case est composée de douze personnes, dont trois médecins généralistes, une infirmière, une psychologue et trois assistants sociaux. Ici, l’accompagnement social des personnes est aussi important que le reste. Le projet a été construit autour de la notion de « santé globale », telle que la définit l’OMS dans la charte d’Ottawa : le bien-être physique, mental et social d’un individu ou d’un groupe. « Ce n’est pas un scoop, les inégalités sociales déterminent très concrètement l’état de santé, résume Jérôme Host, travailleur social et cofondateur de la Case. On ne soigne pas de la même manière quelqu’un qui a des problèmes de logement, de mauvaises conditions de travail ou qui est sans-papiers. »

Le projet est construit par un petit groupe de militants et de travailleurs sociaux. Charles Hambourg, un jeune médecin généraliste originaire de Seine-Saint-Denis, décide alors d’acheter une ancienne boulangerie pour y faire un centre de santé pas comme les autres. « Un de nos objectifs principaux était l’intégration des usagers. Ne pas parler à la place des gens, seulement les informer pour les rendre capables de choisir. On avait entendu parler de la notion de santé communautaire, ça nous a tout de suite parlé », se souvient Jérôme Host. L’équipe voyage en Belgique et au Québec pour s’inspirer des centres pionniers de santé communautaire, comme la clinique de Pointe St Charles à Montréal.

La Case ouvre ses portes en 2006, et se veut une alternative radicale au système de santé libéral. Les deux premières années, toute l’équipe touche le même salaire de 1 200 euros, du médecin à l’accueillant. « La Case de santé a eu d’emblée une position plus politique que nous, qui avons été financé par la ville de Saint-Denis, note Didier Ménard, médecin généraliste à Saint-Denis (93) et cofondateur de la Place santé, un autre centre de santé dont le projet se rapproche de la Case. On partage la même problématique : comment faire "bien" de la santé dans cette société très inégalitaire ? Et une même démarche : les savoirs des habitants sont aussi importants que ceux des soignants. »

Aujourd’hui, les médecins de la Case sont rémunérés sur la grille de salaires des praticiens attachés de l’hôpital public, mais l’autogestion est toujours à la base de l’organisation. Les décisions de gestion sont prises collectivement lors d’une réunion mensuelle. Ici, chaque journée commence par une réunion d’équipe. « On regarde ensemble quelles sont les priorités, quelle est la stratégie à adopter, on partage les dossiers. Ça prend beaucoup de temps, mais ça nous en fait gagner aussi, explique Jérôme Host. Par exemple, on peut prévenir l’interne en stage chez nous qu’une de ses patientes est particulièrement angoissée parce qu’elle a fui l’Algérie où elle était victime de violences conjugales... Ça améliore le dialogue et donc le diagnostic. »

Ce temps de travail réservé à la coordination, pourtant au cœur du projet, ne bénéficie d’aucun financement. Car, comme dans les autres centres de santé, seules les consultations médicales génèrent des revenus – pas celles des travailleurs sociaux. « Les missions de la Case de santé dépassent ce que font les médecins libéraux, pourtant ils sont plus mal lotis », constate la députée PS Catherine Lemorton, « complètement fan » du projet depuis les débuts. « Ici, il y a une prise en charge globale du patient, donc il y a besoin de deux types de financement : le paiement à l'acte pour les consultations, et une autre enveloppe pour toutes les missions à côté, comme cela se fait déjà dans les hôpitaux publics », analyse la députée, aussi présidente de la commission des affaires sociales à l'Assemblée.

Journée portes ouvertes à la Case, le 4 octobre dernier.Journée portes ouvertes à la Case, le 4 octobre dernier. © (dr)

Moins de paperasse, moins d’isolement, ce travail en équipe séduit de plus en plus de jeunes généralistes, comme Samah Chaaban, une des fondatrices du GIPSI, un groupe de jeunes internes bénévoles à la Case. Elle a connu le projet il y a quelques années, quand l’équipe de la Case animait un module de formation à la faculté de médecine de Toulouse. Ces cours ont été supprimés il y a deux ans, lorsque la Case a refusé que la plaquette de présentation soit financée par un laboratoire pharmaceutique. « L’indépendance vis-à-vis des labos est un aspect très important pour nous, insiste Fabien Maguin. En 2006, on passait pour des gauchistes, aujourd’hui après les scandales Mediator et autres, on nous regarde différemment. »

« On essaye de tout remettre en question, de démédicaliser les actes pour ne pas créer d’angoisse supplémentaire chez le patient, explique Virginie. Dans le libéral, on voit les gens 10-15 minutes, alors c’est très vite limité. Ici, la consultation dure en moyenne 30 minutes et on peut prendre le temps d’expliquer une fois pour toutes que ce n’est pas nécessaire de consulter quand on a un rhume ou un virus, par exemple. »

Les usagers de la Case de santé, une grande majorité de précaires, décrivent une relation médecin-patient très différente de ce qu’ils connaissaient auparavant. Mamouda, qui a pu monter son dossier de droit au séjour pour raison médicale grâce à l’aide de l’équipe, a été hospitalisé six fois en un an à cause d’une pathologie complexe. « À l’hôpital, on ne me donnait aucune explication sur ce qui m’arrivait. Ici, je suis traité comme si j’étais à domicile, il n’y a pas cette peur de la blouse blanche », dit-il. Franck, cofondateur du collectif des « Non-substituables », un groupe d’usagers en traitement de substitution aux opiacés qui se réunit à la Case, a le même ressenti : « Ici, il y a une relation de confiance totale, beaucoup de respect à l’égard de l’usager. »

Faire dire les maux de la précarité, et a fortiori ceux des non-francophones, est une des priorités de ce centre. Pour bien comprendre les usagers migrants, un service d’interprétariat professionnel est utilisé. « C’est un confort incroyable, appuie Jérôme Host. Certains arrivent à se faire comprendre pour la première fois depuis des années. »

Tous les vendredis après-midi, le collectif des étrangers malades occupe la grande salle du rez-de-chaussée pour partager expériences et expertises des démarches administratives. De tous âges, certains d’entre eux sont intégrés en France depuis plusieurs années, et la plupart soignés pour des pathologies graves. Cette année, le collectif a produit un roman-photo et monté une petite pièce de théâtre. La santé communautaire, c’est aussi ça : les usagers de la Case sont régulièrement à l’initiative d’ateliers et tissent des réseaux de solidarité locaux.

« Quand on a ouvert, ce sont les Chibanis [les vieux migrants] qui sont arrivés en premier », se rappelle Jérôme Host. Les retraités se sont approprié la salle collective pour y lancer « El zamane », un café social hebdomadaire. Plus tard, les membres des « Non-substituables » se sont organisés pour synchroniser leur rendez-vous médical mensuel, et le transformer en moment de discussion. Une « cantine des femmes » a aussi réuni des usagères de la Case. Sur le site AliBernard TV, une webTV né à la Case en 2008, on trouve une quinzaine de reportages réalisés par des usagers, des courts-métrages qui retracent des histoires de quartier et de luttes.

À la Case, pas la peine d’utiliser un vocabulaire militant, le caractère politique de la structure est une évidence. En plus d’une innovation médico-sociale reconnue nationalement, le centre reste le poil à gratter de Toulouse. En 2013, l’aide municipale est d'ailleurs passée brutalement de 25 000 à 15 000 euros. Pierre Cohen, maire PS de l’époque, faisait savoir qu’il n’avait pas apprécié la prise de parole d’une des usagères de la Case lors d’une assemblée publique.

« Le côté militant n'est pas une contradiction avec les missions d'un centre de santé, mais cela nous interroge... Il faut clarifier les missions », explique-t-on aujourd'hui à l’Agence régionale de santé. L'ARS est le principal pourvoyeur de fonds de la Case et a fini par débloquer une subvention exceptionnelle de 37 000 euros, début octobre. Cela reste insuffisant pour terminer l’année et entamer la suivante, rappelle l’équipe de la Case, qui réclame des financements pérennes. « Jusqu’en 2011, on était en phase expérimentale, ce n’est plus du tout le cas. On a prouvé qu’on était un modèle opérationnel, qu’on répond à des besoins bien spécifiques qui ne trouvaient pas de réponses dans le système de santé classique », insiste Fabien Maguin.

Lors d'une réunion du comité de défense de la Case de santé.Lors d'une réunion du comité de défense de la Case de santé. © (dr)

Pour justifier leurs hésitations, les institutions décisionnaires s’appuient sur un fait : le modèle innovant du centre toulousain ne rentre dans aucune case de financements publics. « Personne ne prend ses responsabilités. Il n'y a pas de volonté politique pour créer un dispositif particulier », s’énerve Bernard Giusti de la CPAM. Contacté par Mediapart, le directeur de l’ARS, Jean-Jacques Morfoisse, justifie ainsi ces hésitations : « Comme tous les centres de santé et les structures innovantes, la gestion n’est pas leur priorité… Ils ont des coûts fixes encore trop importants. »

Cette frilosité contraste avec d’autres soutiens « officiels », comme celui de la députée Catherine Lemorton. François Simon, vice-président EELV de la région et membre du conseil de surveillance de l’ARS, tient à donner son « avis de médecin et de politique » pour louer le « travail extraordinaire » de la Case : « Leur transversalité sanitaire, intellectuelle et militante est une force, mais c'est aussi leur faiblesse institutionnelle. Par contre, je ne vois vraiment pas comment ils peuvent remplir les mêmes missions avec moins de budget, je ne vois pas où on peut retirer du personnel. »

À la Case, les accusations de gestion laxiste font sourire. Ici, les médecins gagnent trois fois moins que dans le libéral. « Nous sommes économes sur les frais de fonctionnement, nous faisons faire des économies à la Sécurité sociale. La limitation de nos prescriptions médicales et du recours aux examens complémentaires fait partie du projet, explique Bénédicte Gaudillière. Cette année, par exemple, sur près de 1 400 usagers, on a fait seulement deux IRM... Même l’ARS dit qu’on est trop en avance. »

L’équipe de la Case de santé rêve d'un système de financement « par capitation », déjà expérimenté dans des centres de santé belges. Le principe est des plus simples : un forfait annuel est alloué en fonction du nombre d’usagers inscrits. Le projet de loi santé de Marisol Touraine prévoit une évolution du modèle de financement des centres de santé. Mais les négociations sont actuellement au point mort, bloquées par les syndicats de médecins libéraux.

En attendant une éventuelle refonte de ce financement, l’équipe de la Case de santé plaide pour un financement transitoire qui lui éviterait la fermeture, ce que soutient également la députée Catherine Lemorton : « Si on les laisse mettre la clef sous la porte, tous ces usagers se retrouveront à l'hôpital public. Et tout le monde sait que ça coûtera plus cher à la collectivité. »

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Hollande sur l’immigration: un « combat » à mains nues

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Quarante-cinq minutes consacrées exclusivement aux questions migratoires : François Hollande ne l’avait encore jamais fait. C’est une première, sur un sujet régulièrement au centre de la polémique dans l’espace public, qu’il évite depuis son élection à la présidence de la République. 

Lors de l’inauguration – sept ans après son ouverture au public en octobre 2007 – du Musée de l’histoire de l’immigration logé dans le Palais de la Porte-Dorée à Paris, le chef de l’État a prononcé lundi 15 décembre un vibrant hommage aux immigrés, en présence du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, de la ministre de la culture, Fleur Pellerin et de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Devant l’une des fresques du « Forum » illustrant les « apports de la France aux colonies », et face à un parterre d’environ 500 personnes (ambassadeurs, responsables d’institution, représentants associatifs, etc.), il a voulu leur « rendre (…) la place qui leur revient dans le récit national » afin de « donner les moyens d’aborder de façon sereine la question toujours posée de l’immigration ».

Il a évoqué un musée « de toutes les immigrations, de toutes les fiertés » ; un musée qui est « plus qu’un symbole, un message de confiance dans l’histoire de notre pays, dans ce que nous sommes et ce que nous pouvons faire ». « La France est l’un des plus vieux pays d’immigration d’Europe », a-t-il rappelé. « Aujourd’hui, un Français sur quatre a au moins un grand-parent étranger (…). L’histoire de l’immigration, c’est notre histoire », a-t-il insisté. Initié au XIXe siècle pour répondre aux besoins économiques de la première révolution industrielle, l’appel à la main-d’œuvre étrangère s’est poursuivi tout au long du XXe siècle et s’est amplifié avec la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, avec la colonisation et avec la mondialisation, a-t-il ajouté.

Le chef de l’État a célébré « l’apport à la nation des immigrés et de leurs descendants par le sang versé, par le travail, par le talent, par la réussite ». Au cours des Trente Glorieuses, les ouvriers étrangers, maghrébins et africains pour la plupart, ont travaillé sans relâche pour reconstruire le pays. Un logement reconstruit sur deux leur serait dû, une machine sur sept ainsi que 90 % des autoroutes. Le président a rappelé le rôle des « troupes coloniales venues sauver la France » : parmi les poilus de 1914-1918 se trouvaient 180 000 Algériens, 60 000 Tunisiens, 37 000 Marocains, 134 000 soldats d’Afrique noire, 34 000 Malgaches. « Comment oublier que le dernier poilu Lazare Ponticelli qui est né en 1897 dans un petit village d’Italie n’était même pas français lorsqu’il s’était engagé dans une unité étrangère à 17 ans, en trichant sur son âge. En 1939, il avait demandé à être naturalisé pour participer à la guerre, à la seconde qui venait d’être déclarée », s’est-il souvenu. « C’était plus qu’un symbole que le Musée de l’immigration l’ait invité à fêter son centième anniversaire ici », a-t-il estimé, égrenant les prix Nobel, créateurs et autres réfugiés célèbres venus s’installer en France.

Pour préparer sa transition, François Hollande a rappelé que tous s’étaient battus « pour une certaine idée de la France, universelle, ouverte au monde, capable de défendre des idéaux, de progrès ». Lors de ce discours, pas un mot pour fustiger les « clandestins », les « fraudeurs », les « mauvais » immigrés. Il a prononcé un discours général, relativement progressiste, sur l’immigration, l’intégration, la laïcité, la diversité, s'adressant implicitement à un électorat de gauche humaniste qui lui reproche d'avoir abandonné ces questions à l'opposition et de n'avoir jamais mené la rupture avec la politique sarkozyste. Appelant de ses voeux une République « apaisée », il a en effet, dans un mélange de lâcheté et de tactique, renoncé jusqu'à présent à s'exprimer fortement laissant, notamment dans le milieu associatif, de nombreux militants esseulés et désabusés.

Au Musée de l'immigration, il a voulu situer son discours dans un contexte. Pourquoi maintenant ? Pour occuper le terrain, a-t-il semblé dire. Pour occuper le terrain face à l’UMP et au FN, dans un climat de montée des violences envers les musulmans et les juifs. Il n’a cité ni son prédécesseur Nicolas Sarkozy, ni l’ex-ministre de l’intérieur Claude Guéant, ni la patronne du FN Marine Le Pen, ni dans un autre registre l’essayiste Éric Zemmour. Mais, comme l’entourage du président l’a fait savoir au Monde, ils étaient visés.

« L’immigration ne doit pas être un sujet tabou mais un sujet majeur car cela menace notre façon de vivre », a déclaré l’ex-chef de l’État à Nice le 21 octobre. En déplacement à Calais le 24 octobre, la numéro un du parti d’extrême droite a dénoncé le « fléau » de l'« immigration clandestine ». Alors que les candidats à la primaire UMP rivalisent de suggestions – de la restriction du regroupement familial à la remise en cause du droit du sol en passant par la suppression de l’aide médicale d’État –, François Hollande a jugé utile de réagir.

« L’immigration fut toujours l’objet de controverses, a-t-il affirmé. La présence étrangère a toujours suscité – et à toutes les époques – de l’inquiétude, de la peur, de l’appréhension. Surtout quand aux différences de langue, de culture, s’ajoutent des différences de couleur… et de religion. Il y a toujours eu des démagogues pour les attiser, pour utiliser les manquements aux règles communes, qu’il faut déplorer, pour justifier alors le rejet, pour démontrer qu’il y en a qui ne s’assimileront jamais. L’exploitation des questions migratoires, jusqu’à la tragédie, n’est en rien une nouveauté. Dès août 1893, à Aigues-Mortes, des Français excités par d’absurdes rumeurs avaient massacré des travailleurs italiens parce qu’ils venaient prendre des emplois, occuper des villages, et finalement mettre en cause les équilibres de telle ou telle famille. (…) Chaque époque fut marquée par des violences et des intolérances (…). Les étrangers sont toujours accusés des mêmes maux : venir prendre l’emploi des Français, de bénéficier d’avantages sociaux indus (…). Ce sont toujours les mêmes préjugés, les mêmes suspicions qui sont invariablement colportées. »

«Mais, a-t-il constaté, le fait nouveau, c’est la pénétration de ces thèses dans un contexte de crise (…). Le doute sur notre capacité à vivre ensemble s’est installé. » Il a en particulier fustigé « la peur d’une religion, l’islam », dont il a regretté qu’elle soit présentée « de manière inacceptable » par certains comme « incompatible avec la République ».

Le président a eu encore de l’allant pour assurer qu’« il nous faut reprendre le combat » face à « ces vents mauvais ». Parlant d’école comme d′un « creuset de l’intégration » et de laïcité comme valeur de « respect », il a plaidé en faveur d’une laïcité qui soit une « manière de vivre » plutôt qu’une idéologie plaquée. « Ni la lutte contre la religion, ni la suspicion à l’égard de telle ou telle communauté, la laïcité est la liberté de croire ou de ne pas croire », a-t-il rappelé. « Les enfants des immigrés d’hier sont devenus des patriotes sans avoir à renier leurs origines », a-t-il assuré.

En réponse à ceux qui s’inquiètent de l’avenir de l’« identité » française, il a indiqué « ne pas vouloir laisser la place vide aux discours qui instrumentralisent la peur, la peur de la dissolution, de la dislocation, de la disparition. Vous savez ceux qui rêvent d’une France en petit, d’une France de dépit, d’une France en repli, bref d’une France qui ne serait plus la France ». Contre Nicolas Sarkozy, mais avec plusieurs mois de retard, il a défendu l’espace Schengen. « Schengen, c’est ce qui a permis aux pays d’Europe de s’organiser », a-t-il rappelé. Contre Marine Le Pen, il a fait parler les chiffres. « Un devoir de vérité s’impose », affirme-t-il : 200 000 entrées par an, un chiffre stable sur dix ans et faible rapporté à la population totale.

Ce discours offensif s’est rétréci lorsqu’il a fallu en venir aux propositions. La seule annonce sonnante et trébuchante de la soirée a concerné le budget du Musée auquel il a attribué, selon la demande du nouveau président du conseil d’orientation Benjamin Stora, une rallonge de près d’un million d’euros « dès l’année prochaine » pour parvenir à un « doublement budgétaire en cinq ans ».

Le président a certes accordé l’accès « de plein droit » à la nationalité française aux immigrés âgés de plus de 65 ans, arrivés il y a plus de vingt-cinq ans et ayant un enfant français. Mais cette mesure est si tardive qu’elle ne va concerner qu’un nombre limité de vieux travailleurs, qui, s’ils ne sont pas décédés, n’ont pas forcément eu le temps de constituer une famille en France. Au détour d’une phrase, François Hollande a évoqué les méfaits des discriminations. L’absence de traduction de cette observation oblige à constater que son quinquennat laisse pour l’instant peu de traces en la matière. Sa décision de faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une « grande cause nationale » reste quant à elle au stade des bonnes intentions. Sur le droit de vote des étrangers, qu’il n’a évoqué que du bout des lèvres, le chef de l’État a renvoyé la responsabilité au Parlement et à la règle des trois cinquièmes nécessaires à l’adoption d’une réforme constitutionnelle.

Que signifie un tel discours sans propositions dignes de ce nom ? Intervenues en début de mandat, de telles envolées auraient ouvert des perspectives. À mi-mandat, elles sonnent creux. Trop peu, trop tard. François Hollande se dit prêt à partir au « combat ». Mais tout se passe comme s’il se présentait à mains nues, alors que ses opposants sont munis d’armes véritables.

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Dans la foulée de l'ANI, la loi Macron veut faciliter les licenciements collectifs

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Dans la complexe loi Macron « pour la croissance et l'activité », un article est passé au travers de la polémique. Cet article n°105 concerne les licenciements collectifs et fait penser, dans sa philosophie, à la loi pour la sécurisation de l'emploi (LSE) issue de l’Accord national interprofessionnel (ANI), loi que le ministre de l'économie veut encore renforcer au détriment des salariés. Véritable totem ou poupée vaudoue brandie par des salariés en prise avec un licenciement collectif, l’ANI n'en finit pas de faire parler de lui. Tout à la fois considéré comme une traîtrise syndicale et un cadeau fait au patronat, cet accord national interprofessionnel est l'illustration même de l'impuissance de l’État français face aux plans sociaux (lire nos deux articles, ici, et également ici).

Censée favoriser la négociation entre salariés et employeurs, la loi pour la sécurisation de l'emploi est le texte qui a mis en musique les nouvelles règles imposées en 2013 par l'ANI. Ces dernières obligent notamment les entreprises de plus de 50 salariés à mettre en place un plan social – aujourd’hui appelé plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) –, au-delà de 10 licenciements économiques sur une période donnée de 30 jours.

Emmanuel Macron en visite à l'usine Acome, à Romagny (Manche), mardi 2 septembre.Emmanuel Macron en visite à l'usine Acome, à Romagny (Manche), mardi 2 septembre. © (dr)

Avant l'adoption de la LSE, chaque patron devait obligatoirement remettre un document détaillant le plan de licenciement à la Direction du travail, « même s’il était souvent négocié en amont », note un inspecteur du travail qui a souhaité rester anonyme. Aujourd’hui, l’employeur a désormais le choix : soit négocier un accord d’entreprise majoritaire avec les représentants des salariés, soit soumettre directement ses souhaits en matière de procédure et de plan social à l’homologation de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).

Cette nouvelle règle en fait bondir plus d’un. « Cela revient ni plus ni moins à réactualiser ce vieux principe de l'autorisation administrative à licencier, abrogée dans les années 1980 », poursuit l’inspecteur du travail. Certaines centrales syndicales préfèrent y voir l'obligation faite à l'employeur de formaliser un cadre de discussion entre la direction et les représentants des salariés. À l’époque du débat sur l’ANI, c’est même l’argument massue repris par la CFDT, l’un des trois syndicats signataires de l’accord avec la CFE-CGC et la CFTC.

Entre juillet 2013 et mai 2014, 742 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été enclenchés à travers le pays – « un nombre qui n’a pas augmenté », selon la Secafi, entreprise qui intervient régulièrement en qualité d'expert auprès des salariés. 60 % d’entre eux se sont terminés par des accords majoritaires dans les entreprises, notamment conclus avec des syndicats qui avaient refusé de s'engager au moment de la signature de l'ANI. Cette « dynamique de négociation (est) globalement positive », insiste aujourd'hui la CFDT, qui regrette pourtant qu’elle soit « inégale selon les branches professionnelles et les entreprises ».

Car, si selon ces chiffres, la négociation a gagné du terrain, au bout du compte, elle ne bénéficie presque exclusivement qu’au patronat. Il en va ainsi du rétrécissement de la période d'information et de consultation du comité d'entreprise (CE) et des organisations syndicales : deux mois si la restructuration entraîne moins de 100 licenciements ; trois mois entre 100 et 250 licenciements ; quatre mois au-delà de 250 licenciements. La direction, elle, a tout le loisir de se préparer au bras de fer puisque c’est elle qui décide d'enclencher le PSE.

Un inspecteur du travail confirme ce déséquilibre des forces : « Dans ce jeu-là, les organisations syndicales ont un temps de retard. Elles sont obligées de se coller au dossier proposé par la direction, et cela en un temps restreint. Or, même si elles peuvent saisir l’administration pendant toute la durée de la procédure et sont assistées d'un expert, certes payé par l'employeur mais qui ne connaît pas la boîte, elles ont du mal à avoir accès à une information de qualité. Or, pendant ce temps-là, les délais, eux, courent ! »

Cette prédominance de la méthode contractuelle a fini par prendre le pas sur la norme, alors que chaque partie devrait normalement pouvoir faire valoir ses droits au moment de la négociation. « Si l'équilibre contractuel existe sur le papier, dans les faits, il y a un réel manque de savoir-faire », poursuit l'inspecteur du travail interrogé. Car, outre la réduction du temps mis à disposition, négocier un PSE est un métier auquel les représentants du personnel ne sont pas toujours préparés, ni bien armés. À la différence des grosses sociétés qui, elles, sont entourées de spécialistes du droit du travail et d'avocats qui connaissent parfaitement la mécanique et ses écueils.

C’est d’ailleurs cet avantage donné au contrat sur la convention légale que conteste Évelyne Sire-Marin. Présidente de la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris et spécialiste du droit du travail, elle explique qu’avec l’ANI, « le contrat est devenu supérieur à la loi. Les salariés sont dès lors abandonnés à un rapport de force qui leur est défavorable ». Nous sommes ainsi très loin de ce que fut, par exemple, ce plaidoyer de Lionel Jospin, en 2000, lors d'un congrès du parti socialiste, et que rappelle la magistrate : « La hiérarchie des normes assure la prééminence de la Constitution sur la loi, de la loi sur le règlement et, de manière générale, de toutes ces normes sur le contrat. Inverser la hiérarchie, c’est remettre en cause les fondements mêmes de la République. »

Côté administration, le bilan est en demi-teinte. Les Direcctes ont homologué près des trois quarts des PSE déposés depuis l'adoption de la loi. Mais leur mandat ne concerne que le contrôle du bon déroulé de la procédure, ainsi que la qualité du PSE, et non le motif économique du licenciement, pourtant régulièrement contesté, et avec succès, aux prud'hommes. En cas d'accord négocié, son périmètre de contrôle se limite même à la seule procédure. « Au moment d’un licenciement, on doit prendre en compte les critères de charge de la famille, d'ancienneté, de capacité à s’insérer ainsi que les qualités professionnelles du salarié, rappelle Évelyne Sire-Marin. Au lieu de quoi, les Direccte se retrouvent souvent à homologuer des PSE mal ficelés et qui, dans la majorité des cas, ne respectent pas ces points-là, pourtant clairement inscrits dans le Code du travail. »

L'avocat Fiodor Rilov avec les ouvriers de l'usine GoodYear d'Amiens.L'avocat Fiodor Rilov avec les ouvriers de l'usine GoodYear d'Amiens. © (dr)

« Avant l’ANI, résume l’avocat du travail Fiodor Rilov, proche de la CGT, quand un plan de licenciement était contesté par le CE, ce dernier pouvait saisir le juge des référés et obtenir une ordonnance qui suspendait le projet de restructuration. C’est comme ça, par exemple, que les “GoodYear” ont réussi à empêcher, pendant près de sept ans, la fermeture du site d’Amiens nord. » « On pouvait se battre alors même que les licenciements n’avaient pas eu lieu, insiste celui que toute la profession surnomme le “tsar rouge”. Mais depuis l’ANI, l’homologation des PSE par la Direccte change tout. Elle permet à l’employeur de se prévaloir de cette autorisation pour fermer son entreprise. Ainsi, même s’il existe ensuite un recours auprès du tribunal administratif dans les deux mois qui suivent l’annonce du PSE, le temps que le juge soit saisi, qu’il décide de prononcer l’annulation d’un PSE mal motivé, les lettres de licenciement sont déjà parties et les salariés sont sur le carreau, à l’annonce du jugement. »

Dans le cas où cette annulation administrative aurait lieu – ce qui s'est passé pour neuf jugements rendus sur les vingt-cinq contestés auprès du tribunal administratif –, elle ne permet plus la réintégration après coup des salariés dans l’entreprise. « Elle permet juste aux salariés de pouvoir saisir les prud’hommes en vue d’obtenir des indemnités compensatoires, précise Fiodor Rilov. Grâce à l’ANI, l’objectif des patrons de licencier en toute tranquillité est donc atteint. »

Un autre observateur, qui a souhaité rester anonyme, confirme que cet objectif est largement atteint : « La loi a été faite pour aller plus vite et pour sécuriser les procédures. Avec l'ancienne législation, c'était très compliqué pour les entreprises de connaître leur durée, d’autant que le recours pouvait prendre des années. Surtout, elles pouvaient se voir, in fine, obligées de réintégrer les salariés licenciés. Ce qui est impossible aujourd’hui avec l’ANI. »

Malgré la faiblesse des recours, le ministère n’apprécie guère d'être remis en cause. Et c'est donc là qu'intervient le texte « fourre-tout », selon la formule du dirigeant socialiste Jean-Christophe Cambadélis, de la future loi Macron. Car, outre la question du travail le dimanche et autres déréglementations, cette dernière redéfinit pour partie les modalités des plans de sauvegarde de l’emploi. Son article 105 prévoit qu’il ne pourra plus exister aucune conséquence sur les licenciements lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi mal ficelé, comme par exemple l’obtention du versement de six mois d’indemnités de licenciement calculées sur le dernier salaire. Le défaut de motivation du plan social ou, plus grave, le délit d’entrave exercé par l’employeur contre les représentants du personnel, demeureront également sans conséquence sur les licenciements.

Agacé, notamment par la décision de la cour administrative d’appel de Versailles dans l'affaire Mory-Ducros, le ministère, par cette loi, veut également revenir sur la question du « périmètre d’application des critères d’ordre à un niveau inférieur à l’entreprise ». Pour les salariés de Mory-Ducros, la société souhaitait retenir, pour appliquer sa politique de licenciement, le périmètre de l'agence et non de l'entreprise tout entière, ce qui change singulièrement la donne en termes de compensations. Elle a été déboutée, mais ce projet de loi lui donnerait raison.

« L’objectif est clair, met en garde Évelyne Sire-Marin. Il est celui d’installer chez les salariés l’idée d’une défiance vis-à-vis de tout ce qui est juridictionnel, pour les décourager à enclencher des procédures et se plier à la stratégie des patrons. » Pour autant, « dans le cas de l’ANI comme dans celui de cette future loi, insiste Me Rilov, nous devons absolument déplacer le curseur de la seule inégalité du rapport de force entre les salariés et leurs employeurs pour dire qu’il est possible de contester cette procédure judiciaire. Il existe des brèches, notamment offertes par le droit communautaire, qui peuvent permettre dès aujourd’hui de contester l’ANI et la future loi Macron. » À suivre, donc.

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Grenades offensives: enquête sur le précédent de Creys-Malville en 1977

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Après la mort de Rémi Fraisse, le 26 octobre 2014, le ministère de l’intérieur et la gendarmerie nationale ont soutenu à plusieurs reprises que les grenades offensives n’avaient jamais tué personne auparavant. Le 29 octobre, Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, affirmait ainsi sur BFMTV que la gendarmerie n’a « jamais eu de problème en maintien de l’ordre avec des grenades offensives », alors qu’il s’agit d’une « munition régulièrement engagée ». Dans la nuit du 26 octobre, le patron de la gendarmerie indique à Bernard Cazeneuve « qu’une grenade offensive avait été lancée mais que la gendarmerie considérait qu’elle n’était pas à l’origine de la mort pour des raisons qui tiennent au fait qu’aucune grenade offensive n’a occasionné la mort de manifestants au cours des dernières années », selon le récit du ministre sur France Inter. Cette conviction est partagée par tous nos interlocuteurs au ministère de l'intérieur.

Comment expliquer cette forme de déni collectif, alors qu’une grenade offensive avait été sérieusement mise en cause dans la mort, en 1977, d’un jeune manifestant écologiste ? Le 31 juillet 1977, Vital Michalon, professeur de physique de 31 ans, fut tué par l’effet de souffle d’une explosion lors d’un rassemblement contre la construction de la centrale nucléaire Superphénix à Creys-Malville (Isère). « Un réel débat organisé à l’échelle nationale aurait permis d’éviter le drame qui vient d’avoir lieu », lançait son père, Jacques Michalon, sur France Inter, en août 1977. À l’époque, l’opposition socialiste, par la voix de l’ex-député de l’Isère Louis Mermaz, avait appelé à l’interdiction de ce matériel militaire.

« Nous pensions d’ailleurs que cette grenade avait été suspendue », explique aujourd'hui Franck Michalon, l’un des frères de Vital. Mais il a fallu attendre la mort, 37 ans plus tard, d’un autre jeune manifestant écologiste, Rémi Fraisse, pour qu’un ministre de l’intérieur PS, Bernard Cazeneuve, suspende puis interdise la grenade offensive OF F1, le 13 novembre 2014. Comme beaucoup de dossiers où sont suspectées des violences policières, l’instruction ouverte suite à la mort de Vital Michalon s’était close le 21 novembre 1980 par un non-lieu, confirmé deux mois plus tard par la cour d’appel de Grenoble.

Le 31 juillet 1977, entre 20 000 et 60 000 personnes venues de toute l’Europe sont rassemblées sous la pluie pour marcher en direction du chantier du surgénérateur nucléaire Superphénix. Les trois colonnes de manifestants sont bloquées à Faverges, à 1,4 kilomètre de la centrale. « Leur masse impressionnante était concentrée sur le même point, c’est-à-dire le hameau de Faverges, décrit Le Progrès dans son numéro du 1er aout 1977. Surgissant des bois sur un front de près de 800 mètres, ils firent face pendant une vingtaine de minutes aux forces de l’ordre, de part et d’autre d’une dépression faite de maïs et d’embouches. »

Une dizaine de compagnies républicaines de sécurité (1 200 hommes) et 16 escadrons de gendarmes mobiles (1 300 hommes) ont pour mission de les tenir en deçà de la ligne interdite fixée par le préfet de l’Isère. La préfecture a multiplié les contrôles routiers, tandis que des hélicoptères survolent la zone interdite. La veille, les forces de l’ordre ont procédé à des arrestations préventives lors d’un ratissage à Morestel où campaient, selon le préfet René Jannin, « plus d’un millier d’Allemands ». Le maire de Morestel déclarera devant des journalistes qu’il ne tolérera pas que les « descendants » des « nazis » « viennent faire la loi une seconde fois ».

Entre 11 h 15 et 15 heures, s’engagent de « violents affrontements » entre certains manifestants et les forces de l’ordre, « en particulier dans les champs de culture et prairies entrecoupés de haies », décrira le réquisitoire du procureur de Bourgoin-Jallieu. Vers 12 h 30, la voiture d’un journaliste garée sur la départementale tenue par les forces de l’ordre « est incendiée par un cocktail Molotov ».

Même si « la grande masse des manifestants » n’était pas « animée d’intentions agressives », des armes ont été retrouvées les jours précédents lors d’opérations de contrôle. « Bâtons ferrés », « frondes individuelles et collectives », « cocktails Molotov », « sachets d’explosifs artisanaux », « articles explosifs à vocation antipersonnelle lancés à la main ou par fronde », liste un rapport d’expertise du 29 octobre 1979. Le ministre de l'intérieur estimera à 2 000 les contestataires armés et casqués souhaitant en découdre, les journalistes sur place à 150 personnes maximum.

Selon ce même rapport, les grenades lacrymogènes classiques se révèlent vite « inefficaces » du fait « de l’état détrempé du sol dans lequel elles s’enfonçaient » et des manifestants « qui les enterraient ». Vers midi, le commandant de groupement de gendarmerie mobile, désireux « d’éviter des corps à corps », obtient l’autorisation via une réquisition préfectorale d’utiliser des grenades offensives. Débutent des tirs intenses de grenades à main OF modèle 1937 et de GLI F4 (mixte lacrymogène-effet de souffle) au fusil. Au total, 4 218 grenades furent utilisées, dont 594 GLI et 444 OF 37.

« Dès l’éclatement du premier tir de grenades devant Faverges à 11h55, on ne pouvait s’empêcher de penser, en voyant les vagues d’assaut de manifestants s’avancer vers les barrages sombres des gendarmes mobiles, qu’il fallait avoir du cœur au ventre pour être venu ici crotté, transi, battu par la pluie, crevé de fatigue et de veille, chercher ici des coups venus en vertu d’une conception gratuite et lointaine de la société », s’émeut Le Progrès. Les experts de l’époque, eux, concluront froidement, après un magnifique calcul de la densité de grenades lancées par hectare de terrain, qu’« on n’était ni à la Malmaison (1918), ni à Verdun (1916) ».

Arme militaire, la grenade OF modèle 1937 est l’ancêtre de la grenade qui, le 25 octobre 2014, tua Rémi Fraisse. La différence principale est que sa coque était métallique, et non en plastique comme celle de la OF F1. « Cette grenade est destinée en temps de guerre à neutraliser un adversaire très proche et à l’air libre, ou presque, le temps nécessaire à l’attaquant pour être sur lui dans la plénitude de ses propres moyens, alors que ceux de l’adversaire, situé à 30 ou 40 m, ont été diminués par le bruit et le souffle », décrit le rapport d’expertise de 1979.

On y apprend que « des millions de grenades OF 1937 ont été consommées durant les guerres 1939-1945, d’Indochine, d’Algérie, du Tchad, Mauritanie, Liban ». Elles furent également utilisées au moment des « événements » de Mai 1968, selon Le Figaro du 4 août 1977. « Leur réglage de mise à feu était de sept secondes, explique le quotidien. Du fait que ce laps de temps permettait aux manifestants de les retourner, il fut décidé d’abaisser à 4 secondes le moment entre lequel l’engin est lancé et le moment où il explose. » Le rapport d’expertise note que ces grenades creusent dans le sol des cratères allant jusqu’à 15 cm de profondeur et 50 cm de diamètre.

Coupure de presse de 1977.Coupure de presse de 1977.

À Creys-Malville, les blessés graves se succèdent dans un laps de temps très court. Vers 13 heures, un manifestant allemand, Manfred Schultz, a la main droite arrachée par une grenade OF 37. « Habitué aux engins de la police de son pays (RFA) », manifestement moins dangereux, le jeune homme de 18 ans l’avait ramassée pour la rejeter. Une demi-heure plus tard, un autre manifestant, Michel Grandjean, a le pied arraché par une grenade OF 37 sur laquelle il a marché. À 13 h 45, c’est un gendarme, le maréchal des logis chef Touzeau, 46 ans, qui a la main arrachée par une grenade OF 37 qu’il avait trop tardé à lancer. L’explosion entraîne celle de deux autres grenades dans sa sacoche et blesse sérieusement cinq de ses collègues. Au total, à la fin de l’après-midi, on dénombrera une centaine de blessés.

Michel Grandjean a titré cette photo de sa jambe : «inoffensif...»Michel Grandjean a titré cette photo de sa jambe : «inoffensif...»

« Nous avons vu passer Manfred Schultz qui brandissait sa main arrachée, puis Michel Grandjean, le pied arraché, porté par des secouristes », raconte Paul Michalon, enseignant, qui se trouvait avec son frère, Vital. Au milieu des champs, les deux frères observent les affrontements, tête nue, sans bouclier, ni arme. « Vital était passionnément non-violent, mais il aimait voir les choses de près, prendre des risques, explique Franck Michalon, loueur d'instruments de musique. Quand il faisait de la chute libre, il rajoutait toujours quelques secondes avant d’ouvrir le parachute. »

Vital Michalon, qui avait fait son service militaire comme sous-officier à l’école militaire de Coëtquidan, connaissait très bien ces grenades qu’il avait maniées en exercice. « Quand ça tombait, il me disait :“Ça c’est une OF, ça c’est une lacrymo” », se souvient Paul Michalon.

 

Le Progrès, le 1er août 1977.Le Progrès, le 1er août 1977.
Vers 14 h 10, au moment de la charge finale des forces de l’ordre, les deux frères se retrouvent séparés par une haie. Les derniers manifestants prennent leurs jambes à leur cou au milieu des lacrymos lancées en tir tendu (comme le reconnaît le dossier d’instruction) et des grenades offensives. Ils sont repoussés vers une haie touffue avec peu de passages. « En haut du raidillon, on faisait la queue à quatre pattes pour passer, raconte Paul Michalon. Quand je suis passé, j’ai ressenti l’effet de souffle d’une grenade tombée dans la haie. Elles venaient toutes de derrière. C’était terrifiant. » Il pense avoir franchi la haie quelques minutes avant son frère, qui s’écroule, mort, vers 14 h 15.

Voici ce que dit le réquisitoire de non-lieu du procureur de Bourgoin-Jallieu : « Le 31 juillet 1977, vers 14 heures 15, le corps de Vital Michalon, âgé de 31 ans, professeur, était découvert (…) à quelques mètres de la haie surplombant ce talus. » À 37 années de distance, la phrase résonne étrangement avec le communiqué qui, le 26 octobre 2014 au matin, annonça la mort de Rémi Fraisse : « Le corps d’un homme a été découvert dans la nuit de samedi à dimanche sur le site du barrage contesté de Sivens (Tarn). »

Le Progrès, le 1er août 1977Le Progrès, le 1er août 1977

Le médecin, qui se rend très vite auprès de Vital Michalon, constate immédiatement des signes de mort clinique : « une cyanose marquée autour de la bouche, sur les paupières et les lobes des oreilles », selon le dossier d'instruction. Après avoir déplacé le corps pour le mettre à l’abri des grenades lacrymogènes qui continuaient à tomber, il procède avec une secouriste à une « vaine tentative de réanimation ». « À ce moment les commandants d’escadrons (…) venaient de commander une nouvelle charge », explique l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction Jack Gauthier. Des CRS et des gendarmes mobiles franchissent la haie, talonnant les derniers fuyards.

Un manifestant, Joël Larrivée, témoignera lors de l’enquête avoir vu Vital Michalon sortir de la haie penché en avant, avant de s’effondrer au sol. Puis surgir à sa suite deux agents des forces de l’ordre qui auraient pointé leurs fusils vers le corps inanimé au sol avant de repartir. Ils ne seront jamais retrouvés pour être confrontés à ce témoin. « Les recherches effectuées par nous-mêmes pour identifier les deux CRS ou gendarmes mobiles (…) sont demeurées infructueuses », constatera le juge d’instruction Jack Gauthier dans son ordonnance.

« Le juge avait joué sur les mots, se souvient Franck Michalon. Il nous a dit qu’il n’avait pas retrouvé les deux CRS. Mais qu’il n’avait pas cherché parmi les gendarmes mobiles, puisqu’on lui avait parlé de CRS. Et après Creys-Malville, tous les membres des forces de l’ordre impliqués dans les assauts de première ligne ont été dispersés en Guadeloupe, à La Réunion et ailleurs. »

Le rapport d’autopsie du 2 août 1977 conclut à un décès et fait état « de lésions pulmonaires qui sont dues au souffle d’une explosion », sans se prononcer sur l’engin à l’origine de celle-ci. Le rapport évoque un « poumon de blast », « communément décrit depuis la Première Guerre ». Le pull et le ciré que portait la victime ne seront examinés qu’un an après les faits, par trois experts désignés par le juge. Dans leur rapport d’octobre 1979, les experts réservent leur avis « quant aux explosifs artisanaux » en soulignant que le « temps écoulé entre les événements du 31 juillet 1977 et le moment où les vêtements nous furent remis [élimine] toute possibilité de recherche de ces éléments ».

Des manifestants armés, Le Progrès, 1er août 1977.Des manifestants armés, Le Progrès, 1er août 1977.

Il semble que le temps glisse en revanche miraculeusement, sans les altérer, sur les traces d’explosifs militaires. Car à partir de ce même ciré, les experts se montrent « catégoriques » sur l’absence de débris métallique ou plastique et de toute matière explosive industrielle. « Le temps écoulé et les manipulations effectuées (…) ont eu les mêmes effets sur d’éventuelles traces d’explosifs industriels que sur d’éventuelles traces d’explosifs artisanaux », s’étonnera, en vain, la famille dans un courrier adressé au juge d’instruction.

Tous les vêtements de Vital Michalon, « pull, chemise et pantalon », seront rendus à la famille, sauf ce fameux ciré. Après la mort de Rémi Fraisse en 2014, c’est justement l’examen de ses vêtements qui a permis de trouver des traces de TNT et de confirmer l'hypothèse d'une grenade des gendarmes.

Les experts mènent également divers essais sur des silhouettes équipées de capteurs de pression. Premier enseignement intéressant : tous les engins testés (engin chloraté artisanal, grenade OF 1937 et GLI F4) peuvent « créer un effet de souffle létal en dessous de 0,50 mètre », constatent-ils. Petit aparté : malgré ces conclusions inquiétantes, il a fallu attendre le 13 novembre 2014 pour que la grenade OF F1 soit interdite en France. La grenade GLI F4, manifestement aussi dangereuse, est, elle, toujours utilisée. Mais « l’explosion d’une grande offensive OF 37 ou d’une GLI F4 à moins d’un mètre de distance (…) crible la silhouette d’impacts particulaires », poursuivent les experts. Or le visage de Vital Michalon est « intact », ses « vêtements non perforés ».

Photo d'une grenade OF 37 dans la presse en 1977Photo d'une grenade OF 37 dans la presse en 1977

Au terme d’un rapport de 77 pages, les experts excluent donc formellement que le jeune enseignant ait pu « être victime de l’explosion d’une grenade OF 37 ou d’une GLI F4 explosant à moins d’un mètre de lui ». Et penchent pour un explosif artisanal à base de dynamite ou d’une « charge de chlorate de soude de mélangée à du sucre glace ».

« Ça ne tient pas, si ça avait été une bombe artisanale, il aurait été défiguré, remarque Franck Michalon. Et pourquoi dans ce cas n’ont-ils pas été plus loin ? Pourquoi n’ont-ils pas recherché l’auteur ? » Autre incohérence, dans le cas de Michel Grandjean, dont le pied a indiscutablement été arraché par une grenade offensive OF 37, « aucun éclat métallique n’apparaît sur les radiographies », notent les experts. Pourquoi dans un cas, l’absence de ces éclats disqualifie-t-elle la grenade offensive et pas dans l’autre ?

Le juge d’instruction Jack Gauthier rend son ordonnance de non-lieu le 21 novembre 1980. C’est un simple copié-collé du réquisitoire du procureur de Bourgoin-Jallieu daté du même jour. Le 19 novembre, le même juge d’instruction avait rendu une autre ordonnance de non-lieu dans l’affaire de Michel Grandjean, à défaut d’avoir pu déterminer « dans quelles conditions et par qui » l’engin « a pu être lancé ». Michel Grandjean avait dû être amputé sous le genou après son arrivée à l’hôpital de Lyon. « La Croix-Rouge ne pouvait intervenir pour ramasser les blessés à cause des barrages policiers, ce qui fait que, blessé vers 13 h 30, je ne suis arrivé à l’hôpital qu’en fin d’après-midi, raconte Michel Grandjean. Et les gendarmes ont eu le culot de venir m’interroger à l’hôpital pour tenter de m’inculper. » Aujourd'hui retraité, il étudie le Talmud à Strasbourg.

Malgré le non-lieu, les proches de Vital Michalon ont la certitude que le jeune professeur de physique a bien été tué par une des quelque 500 grenades offensives lancées ce jour-là. Comme le confirme le rapport d’expertise, ils ont photographié des cratères de grenades au-delà de la haie et produit des « pièces de grenades offensives ramassées au bas du talus à l’intérieur de la haie, au passage emprunté par Vital Michalon ». « La grenade a sans doute explosé entre lui et le sol à un moment où il était à quatre pattes, soit parce qu’il escaladait le talus, soit, comme nous le croyons, parce qu’il avait été touché par un tir tendu de grenade lacrymogène », explique Franck Michalon. Vu le contexte politique de l’époque, les frères ne se sont jamais fait d’illusions. « Ce n’était pas l’État policier de l’époque qui allait reconnaître qu’il s’agissait d’un engin lancé par les forces de l’ordre, estime Franck Michalon. Les forces de l’ordre ont tout fait pour se disculper. »

Dès le 3 août, le colonel Gilbert Roy, responsable de la gendarmerie de l'Isère, soutenait que le décès de Vital Michalon n'est pas imputable à l'explosion d'une grenade offensive. « Je suis persuadé que M. Michalon n'est pas mort des conséquences de l'explosion d'une grenade offensive, mais a été victime d'un de ces engins de fabrication artisanale dont la puissance était supérieure à celle de nos grenades », déclarait-il dans Le Monde. Avec un argument imparable :« Des milliers de grenades offensives ont été utilisées depuis quarante ans, et elles n'ont jamais tué personne. Leur usage, en tout cas, a permis d'éviter dimanche des corps-à-corps qui auraient été infiniment plus graves. »

Les autorités de l’époque feront tout pour discréditer les manifestants écologistes, avec de forts relents de germanophobie. Au vu de la présence de jeunes venus d'au-delà du Rhin, le préfet de l'Isère, M. René Jannin, déclara : « Pour la seconde fois, Morestel est occupé par les Allemands. » C’est pourtant un film, tourné par les autorités allemandes lors d’affrontements entre des policiers et des contestataires antinucléaires au printemps 1977, qui déterminera la tactique à Creys-Malville. « J’ai voulu éviter absolument le corps-à-corps, justifiera le préfet Jannin dans Le Monde. D’où l’emploi en plus des grenades lacrymogènes (…), des grenades offensives. Je n’ai rien à me reprocher. C’était la seule façon de tenir les contestataires violents à distance. »

Dès le 31 juillet au soir, le ministre de l’intérieur Christian Bonnet accusera quant à lui « des groupes d’action et d’inspiration anarchiste qui ignorent les frontières et qui se sont fait la main ailleurs ». Comme en écho au drapeau djihadiste qu’assurera avoir aperçu, à Sivens, en octobre 2014, le directeur de cabinet du préfet du Tarn, le rapport des experts de 1979 évoquait, lui, des manifestants ayant « subi un entraînement dans des camps de terroristes au Moyen-Orient ».

Le Dauphiné Libéré du 5 août 1977.Le Dauphiné Libéré du 5 août 1977.

L’opposition socialiste monte très vite au créneau par la voix du député Louis Mermaz, président du conseil général de l’Isère. « Quel but avez-vous poursuivi le 31 juillet en prenant le parti de la répression la plus féroce ? » attaque le député PS dans une lettre ouverte au ministre de l’intérieur, le 5 août 1977. Avec des questions qui restent d’actualité. « Pourquoi le recours systématique et massif à des armes redoutables, comme les grenades offensives (…) alors que les forces de l’ordre contrôlaient parfaitement la situation ? » Comme à Sivens, le préfet, qui suivait les événements depuis une sous-préfecture, était le grand absent de Creys-Malville. « Comment expliquez-vous l’absence de toute autorité administrative sur le site où avaient lieu les manifestations, ce qui a conduit le préfet à reprendre et à amplifier les informations, exactes ou erronées, qui pouvaient lui parvenir (…) ? » demande encore Louis Mermaz.

La pétition lancée en 1977 par Emmanuel Michalon et Michel Grandjean.La pétition lancée en 1977 par Emmanuel Michalon et Michel Grandjean.

Michel Grandjean et Emmanuel Michalon lanceront une pétition en vue de l’interdiction de « l’usage d’armes de guerre » en maintien de l’ordre. Outre Louis Mermaz, elle est signée par quatre grandes consciences socialistes : Jean Poperen, député du Rhône appartenant à la gauche du PS, Georges Fillioud, député de la Drôme, qui deviendra le ministre des radios libres, Louis Besson, député de la Savoie, qui sera le ministre de la loi SRU (prévoyant au minimum 20 % de logements sociaux par commune) et Hubert Dubebout, maire d’un Grenoble autogestionnaire et tourné vers l’écologie.

Le 19 octobre 1977, le député Louis Mermaz profite des questions au gouvernement pour demander l’interdiction d’un « matériel de guerre » « qui nuit à la réputation de la police ». Il annonce que le groupe du PS et des radicaux de gauche comptent déposer une proposition de loi « proscrivant l’utilisation d’un tel matériel répressif et notamment des grenades offensives qui se sont révélées meurtrières ». Face à lui, le ministre de l’intérieur Christian Bonnet salue le « sang-froid » des forces de l’ordre.

Le Journal, 1977Le Journal, 1977

La proposition de loi n’a sans doute jamais été déposée (Louis Mermaz n'a pas retourné nos appels). « Le PS n’avait pas la majorité donc ça ne servait à rien, puis, une fois au gouvernement, en 1981, ils n’ont pas donné suite à cette proposition de loi », regrette Michel Grandjean. Comme Paul et Franck Michalon, il salue l’interdiction de la grenade offensive par Bernard Cazeneuve, le 13 novembre 2014. Mais la juge bien tardive.

Les militants écologistes de 1977 ont été choqués par les propos des responsables politiques socialistes après la mort de Rémi Fraisse. « Il nous est insupportable de relire les engagements des responsables politiques socialistes d’il y a 37 ans et de voir ce bord politique tenir aujourd’hui le langage de la droite d’alors », dit Franck Michalon. Il poursuit : « La violence de départ, c’est de ne pas demander l’avis des gens. À Sivens, comme à Creys-Malville, il y avait des gens éclairés qui voulaient débattre, on leur a imposé pour seule réponse des forces de l’ordre utilisant des armes de guerre. La responsabilité de l’État est énorme. » 

Mise en service en 1985, la centrale nucléaire Superphénix a été définitivement mise à l’arrêt par le gouvernement Jospin en 1998. Elle est en cours de démantèlement. Le 5 novembre 2014, EDF a été condamnée par le tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu pour violation d’une mise en demeure de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cette condamnation sans peine faisait suite à une plainte du réseau Sortir du nucléaire.

Lire également sous l'onglet Prolonger de cet article un texte de Paul Michalon, frère de Vital Michalon.

BOITE NOIREJe remercie Emmanuel, Franck et Paul Michalon, ainsi que Michel Grandjean, qui m'ont ouvert leurs souvenirs et leurs archives. Cert article s'appuie sur le dossier d'instruction et les coupures de presse de l'époque. Nous avons cherché en vain à contacter les magistrats qui suivirent ce dossier.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Logement des plus démunis: vers la privatisation d'Adoma

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C’est un projet de privatisation qui est pour l’instant passé totalement inaperçu, et pourtant il pourrait être lourd de conséquences : selon nos informations, Manuel Valls a donné son feu vert à une négociation au terme de laquelle l’État pourrait perdre le contrôle majoritaire de la société Adoma, plus connue autrefois sous le nom de Sonacotra. La cession revêt donc une grande importance symbolique puisqu’elle porte sur une société qui est le premier opérateur national pour l’accueil des demandeurs d’asile, dans le secteur de l’hébergement adapté aux situations de grande précarité ou dans l’accueil des Gens du voyage.

Voilà belle lurette que l’on parle d’une possible privatisation d’Adoma, car elle intéresse depuis très longtemps André Yché, le patron de la Société nationale immobilière (SNI), qui est l’une des grandes filiales de la Caisse des dépôts et consignations (lire Caisse des dépôts et SNI: le scandale Yché). En 2007, la SNI est ainsi devenue actionnaire d’Adoma à hauteur de 32 %, aux côtés de l’État qui contrôlait 57 % du capital, les Caisses d’épargne près de 10 %, plus quelques actionnaires résiduels, dont l’État algérien. Puis, en 2010, suite à un pacte d’actionnaire avec l’État, la même SNI, tout en restant actionnaire minoritaire, a obtenu la charge de sa gestion. Et pour finir, en 2013, la SNI a croqué la participation des Caisses d’épargne, contrôlant près de 42,7 % du capital, face à l’État qui gardait ses 57 %.

Et depuis, on en est resté là. Tout juste savait-on qu’au terme du pacte d’actionnaires conclu entre l’État et la SNI, celle-ci pouvait disposer d’une option d’achat d’une part complémentaire des titres détenus par l’État, ce dernier devant, dans tous les cas de figure, conserver une minorité de blocage. L’État n’a jusque-là pourtant jamais voulu faire jouer cette clause. La situation est donc restée figée pendant quelque temps.

Pour comprendre dans quelle situation se trouve actuellement Adoma, on peut consulter ci-dessous un document confidentiel. Il s’agit du dernier rapport que la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos) a consacré à la société.

Mais André Yché ne s’est jamais satisfait de cet entre-deux, et souhaite de longue date devenir l’actionnaire majoritaire d'Adoma. Pourquoi ? Pour y appliquer la stratégie qu’il applique partout ailleurs au sein du Groupe SNI : rentabiliser les « plus-values latentes » que recèle la société ; œuvrer un peu plus à cette « marchandisation » du secteur du logement social qui est le cœur de sa stratégie.

Or, voilà que Manuel Valls semble être déterminé à franchir ce pas symbolique. Discrètement, sans en faire la moindre publicité, il a en effet donné le coup d’envoi de cette privatisation d’Adoma. L’annonce en a été faite vendredi 12 décembre, lors du dernier conseil d’administration d’Adoma. Il y a été annoncé que le premier ministre avait signé une lettre de mission, chargeant le ministère des finances de négocier au mieux des intérêts de l’État son désengagement partiel du capital au profit de la SNI. Le même jour, la direction d'Adoma a adressé un courrier à tous les salariés de l'entreprise pour les en informer : on peut consulter ici le recto de cette lettre et là le verso.

On pourrait, certes, penser que cette privatisation n’en est pas vraiment une et qu’elle sera sans conséquence sur la vie de la société. Car après tout, si l’État se désengage partiellement, il sera remplacé au capital d’Adoma par la SNI, qui est une filiale de la Caisse des dépôts. En somme, Adoma ne quitterait pas le giron public. Alors, quelle différence ?

Et pourtant, l’affaire est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît, pour de nombreuses raisons. D’abord, si cette opération est menée à bien, le statut juridique d’Adoma serait modifié : elle deviendrait une « Société d’économie mixte », alors qu’elle est actuellement une « Société d’économie mixte d’État ». Et, en droit comme en pratique, cela constitue une très grande différence. Car l’État n’a pas besoin de recourir à un appel d’offres en cas de sinistre grave qui requiert de trouver des logements en extrême urgence : le statut de Société d’économie mixte d’État permet d’en faire l’économie. Dans le cas des très grands sinistres du passé récent, celui suscité par les inondations de la Somme ou par l’explosion d’AZF à Toulouse, Adoma a pu assumer ses missions d’hébergement en urgence, sans que l’État ne perde un temps précieux en lançant un appel d’offres.

Le gouvernement est d’ailleurs bien conscient de la difficulté puisque le négociateur doit trouver une solution de désengagement de l’État du capital d’Adoma mais à la condition que l’État, à l’avenir, puisse toujours mobiliser Adoma sans appel d’offres pour les missions d’urgence.

Une privatisation d’Adoma aurait des conséquences qui iraient bien au-delà. Car le Groupe SNI est un immense empire, qui fait des métiers qui ne sont pas tous les mêmes : il est massivement présent dans le logement social et contrôle ou gère de très nombreuses « Entreprises sociales pour l’habitat » (ESH), les entreprises qui gèrent les logements sociaux aux quatre coins de la France ; et il est aussi très fortement présent dans le secteur du logement intermédiaire et privé en s’y comportant comme une foncière spéculative classique.

Or, d’un secteur à l’autre du groupe, il n’y a pas de frontière étanche. C’est toute l’ambiguïté du Groupe SNI, dont joue en permanence son patron, André Yché : le logement social est fortement soutenu par des financements publics, mais, compte tenu de la rareté du foncier, il recèle aussi de formidables plus-values latentes, qu’André Yché s’attache à réaliser en organisant des cessions au privé, à chaque fois qu’il le peut.

C’est précisément ce qui intéresse le Groupe SNI dans Adoma. Car quand dans les années 1950 et 1960 la France a fait massivement appel à des travailleurs immigrés, d’abord pour la plupart algériens, en particulier pour l’industrie automobile, les foyers Sonacotra (dont Adoma prendra la suite) ont été construits dans les périphéries lointaines des villes, dans des zones où les prix du foncier étaient faibles.

Mais les années passant, tout a changé. L’urbanisation croissante a eu pour effet que de nombreuses résidences à vocation sociale ou très sociale pour les migrants les plus fragiles sont désormais implantées en des lieux fortement urbanisés, où les prix de l’immobilier ont explosé. Plutôt que d’en jouer pour œuvrer à une plus grande mixité sociale, le Groupe SNI a donc pour politique de céder à chaque fois qu’il le peut ces résidences pour engranger de formidables plus-values, et reconstruire ailleurs, encore beaucoup plus loin, les anciennes résidences, en prétextant qu’elles sont neuves.

Pilotée par la SNI, la dernière opération de cession d’Adoma est de ce point de vue très révélatrice. Adoma vient en effet tout juste de céder à une société d’économie mixte dénommée Semarelp, pour 5 millions d’euros, une résidence sociale située dans un quartier de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) qui est devenu au fil des ans résidentiel. En retour, la Semarelp a offert à Adoma un terrain pour reconstruire à l’identique une résidence, près de la Porte de Clichy – terrain qui est adossé à une ligne de chemin de fer.

Résultat, la Semarep va pouvoir organiser un grand projet de promotion immobilière très lucratif, sans se soucier le moins du monde d’impératifs de mixité sociale. Quant à Adoma, la société ne récupérera aucun logement social en plus. Bref, la Semarelp est la grande gagnante de l’opération, pour le plus grand plaisir de sa présidente, une dénommée Isabelle Balkany !

En somme, pour être dans le giron de la CDC, le Groupe SNI n’en est pas moins une société qui se banalise ou qui est train de faire sa mue. À la manière d’Icade, l’autre filiale immobilière de la Caisse des dépôts, qui a été partiellement introduite en Bourse, le Groupe SNI migre à petits pas vers le privé et en copie les us et coutumes. C’était consigné noir sur blanc dans le dernier rapport que la Cour des comptes a consacré à la société, et que Mediapart avait révélé (lire Vers une privatisation du numéro un du logement social). Les perspectives caressées par la direction de la SNI y étaient évoquées en ces termes : « Ces perspectives pourraient se traduire par une évolution de la composition du capital de la SNI. Si la CDC entend la conserver en son sein (sic !), elle n’exclut pas une ouverture à terme de son capital, surtout dans l’hypothèse où la contrainte financière demeurerait forte et où la SNI voudrait néanmoins conserver des projets de développement opérationnels. »

Et de cette migration vers le privé, il existe de nombreux autres indices. Ayant pour guide principal non plus les logiques de l’intérêt général mais celles des marchés financiers, la SNI fait ainsi très grand cas des notes que lui attribuent les agences de notation financière, comme en témoigne le communiqué ci-dessous.

Les risques de l’opération de privatisation d’Adoma sont donc faciles à deviner, même si la SNI est une filiale de la Caisse des dépôts : riche de biens fonciers qui ont une très grande valeur, Adoma pourrait bel et bien être contaminée par le virus de la « marchandisation » qui a été inoculé à la SNI. Or, ce risque est majeur, pour une société qui intervient dans le logement des populations les plus fragiles, dont celles des migrants, et dont les agents sont juridiquement des « personnes chargées d’une mission de service public », comme vient de le confirmer un courrier du procureur de la République de Paris, que l’on peut consulter ci-dessous :

Un autre indice va d’ailleurs dans le même sens. La direction d’Adoma cherche de plus en plus à se décharger sur les collectivités locales ou les associations avec lesquelles elle travaille des missions sociales d’accompagnement des migrants ou populations fragiles qu’elle a toujours assumées dans le passé. La convention-type de partenariat (que l’on peut télécharger ici) en atteste : l’article 3 de cette convention définit les obligations sociales de ces collectivités ou associations.

Pour la très grande majorité des salariés d’Adoma, la privatisation constitue donc un danger majeur et a suscité dans l’entreprise un véritable tollé. Peut-être en aurait-il été différemment si la SNI n’était pas pilotée par André Yché et si elle n’avait pas eu pour stratégie la recherche de ces « plus-values latentes ». Mais dans l’immédiat, comme c’est le projet de privatisation d’Adoma, tel qu’il a été conçu par le Groupe SNI, qui tient la corde, ce dernier suscite une vive indignation dans l’entreprise, et dans le monde syndical et associatif. Un « comité anti-privatisation d’Adoma » vient ainsi de voir le jour, avec l’appui de très nombreuses organisations, parmi lesquelles la CGT Adoma, Sud Adoma, Union syndicale solidaires, la Confédération nationale du logement, le SNJ-CGT, Attac, la Ligue des droits de l’homme ou encore Europe Écologie-Les Verts et le PCF – mais sans la CGT de la Caisse des dépôts dont le dirigeant a toujours eu un lien de forte proximité avec André Yché. Ce comité a pris une première initiative en mettant en ligne une pétition, que l’on peut signer ici.

« Le contexte politique actuel (orientations gouvernementales prônant le désengagement de l’État dans de multiples secteurs) est favorable à une "privatisation" de fait d’Adoma au profit de la SNI, constate la pétition. C’est au moment où les besoins sont les plus criants, que l’État choisit de renoncer à son obligation régalienne de protection des plus démunis. Les avantages illusoires, de la "privatisation" sont d’autant plus dangereux, qu’ils ne peuvent déboucher pour l’État, que sur une nouvelle relation  Client /Fournisseur gouvernée par les lois du marché de l’offre et de la demande, ayant comme référence : "seul le profit justifie l’action".  Au final cela revient à faire du Groupe SNI, le seul décideur de la politique du logement "très social" en France. »

Et la pétition ajoute : « Les conséquences sur les personnels sont aisément prévisibles dans un tel scénario … Quant aux résidents qui constituent les populations les plus fragiles de notre pays, le coût social et financier de la "privatisation" d’Adoma serait considérable et irréversible. La "privatisation" d’Adoma viendrait frapper de plein fouet les populations les plus fragiles et dégrader de manière irrémédiable l’idéal républicain d’une citoyenneté partagée. »

Dans ce débat qui va prendre de l’ampleur, quelle position va adopter Pierre-René Lemas, le nouveau directeur général de la Caisse des dépôts ? Va-t-il appuyer la stratégie d’André Yché ? Ou bien va-t-il défendre les missions d’intérêt général qui sont celles de la Caisse et qui devraient aussi être celles de ses filiales ? C’est sans doute l’un des premiers dossiers qui prendra, pour lui, valeur de test. Car la stratégie de marchandisation du logement social choisie par André Yché fait l’objet depuis plusieurs années de vives critiques.

Déjà, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, des notes blanches adressées à l’Élysée (lire Le logement social, entre privatisation et affairisme), suggérant que les organismes du logement social se transforment en « gestionnaires de portefeuilles d'actifs immobiliers », avaient vivement inquiété tous les syndicats et associations attachés au droit au logement. Et cette inquiétude n’est depuis jamais retombée, puisque André Yché a été confirmé dans ses fonctions, après l’alternance de 2012.

C’est donc cette inquiétude que le collectif anti-privatisation d’Adoma entend manifester. Ce jeudi 17 décembre en milieu de journée, il appelait d’ailleurs à un rassemblement devant le siège de la Caisse des dépôts et consignations, pour interpeller Pierre-René Lemas sur l’avenir d’Adoma, mais aussi sur les discriminations syndicales au sein de la SNI et aussi sur le droit à l’information (lire ci-dessous notre boîte noire). On peut télécharger ici la lettre ouverte que le collectif a adressée à Pierre-René Lemas ainsi qu’au socialiste Henri Emmanuelli, qui est président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts.

En bref, Pierre-René Lemas a, pour la première fois, l’occasion d’illustrer concrètement quelle sera la philosophie de son action à la tête de la Caisse des dépôts.

BOITE NOIREComme je l’avais raconté dans un billet de blog posté le 5 mai 2014 (lire Logement social : la Caisse des dépôts poursuit Mediapart), la Société nationale immobilière (SNI), ainsi que son président, André Yché, ont décidé d’engager des poursuites en diffamation contre Mediapart. Selon mes informations, Jean-Pierre Jouyet, juste avant son départ de la Caisse des dépôts, a donné son aval au déclenchement de cette procédure qui, par son ampleur, constitue une mise en cause du droit à l’information.

La plainte ne vise pas en effet un article en particulier mais presque toutes les enquêtes que j’ai réalisées au cours de ces derniers mois et qui ont été mises en ligne sur Mediapart. Les articles qui sont jugés diffamatoires sont en effet pêle-mêle les suivants :

Or, dans ces enquêtes, Mediapart avait apporté de nombreuses révélations. À titre d’illustration, j’avais ainsi révélé dans l’un de ces articles la cooptation par la SNI de Thomas Le Drian, le fils du ministre socialiste de la défense. Et cette information avait eu un très large écho : elle avait été non seulement reprise très largement par toute la presse écrite et audiovisuelle, mais aussi elle avait attisé une vive polémique entre le gouvernement et la droite.

À titre d’illustration toujours, dans l’une de ces enquêtes, j’avais aussi révélé le contenu d’un rapport secret de la Cour des comptes sur la SNI, rapport dans lequel figuraient de très vives critiques sur l’opération conduite par cette société à l’occasion de la cession des 32 000 logements de la société Icade, autre filiale de la Caisse des dépôts. Or, ce rapport de la Cour des comptes était très attendu par de nombreuses municipalités – dont des municipalités socialistes – qui avaient émis, elles aussi, de très vives critiques contre cette opération, qui a donné lieu au versement de commissions exorbitantes.

Pour ces raisons, nous avons donc la conviction d’avoir fait honnêtement et rigoureusement notre travail, en publiant des informations d’intérêt public. C’est ce que nous démontrerons lors de l’audience, avec notre conseil Me Pascal Beauvais : nous établirons la véracité des faits que nous avons révélés en même temps que la bonne foi et le sérieux de nos enquêtes. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous voyons dans cette procédure, qui vise un nombre exceptionnellement élevé d’articles, une forme d’intimidation.

Cette plainte, qui vise Edwy Plenel en sa qualité de directeur de la publication, et moi-même en ma qualité d’auteur des enquêtes, est toujours en cours. Une troisième audience relais a eu lieu le vendredi 12 décembre, en prévision d’un procès qui devrait avoir lieu dans le courant de 2015.

De nombreux syndicats et associations attachés au droit au logement ont apporté leur soutien à Mediapart, de même que le Syndicat national des journalistes (SNJ) et le Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT).

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Pourquoi l'Etat doit reprendre la main sur les autoroutes

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Le gouvernement aura-t-il le courage politique de remettre en cause la rente des sociétés d'autoroutes ? Et si oui, de façon anecdotique ou plus symbolique ? C'est tout l'enjeu des actuelles discussions secrètes entre l'État et les sociétés concessionnaires, filiales de grands groupes du BTP (Eiffage, Vinci, Abertis) qui ont racheté les autoroutes en 2006. 

Depuis des mois, la pression monte pour encadrer leurs tarifs. Une mobilisation légitimée par de récents rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. Très sévères, ils ont mis en évidence la rente exceptionnelle qu'a représentée la privatisation des autoroutes par le gouvernement Villepin. 

Mais le sujet est devenu brûlant avec le fiasco de l’écotaxe. Les responsables publics ont mesuré à cette occasion qu’ils n’avaient plus de levier pour mettre en place une fiscalité écologique sur les transports routiers, en raison de la privatisation des autoroutes qui échappaient désormais totalement à leur champ d’intervention. Après son abandon définitif à l’automne, il leur a fallu aussi admettre qu’ils n’avaient plus de ressources propres pour financer le développement et l’entretien des infrastructures de transport existantes. La manne des autoroutes, auparavant utilisée, s’est envolée depuis longtemps vers le privé. 

© Reuters

La semaine dernière, la pression est encore montée d'un cran. Dans une lettre à Manuel Valls, 152 députés (plus de la moitié des élus PS au Palais-Bourbon, une mobilisation rare par son ampleur) ont réclamé un schéma bien plus ambitieux : le « rachat des contrats de concessions autoroutières ». Autrement dit, une reprise en main temporaire des concessions par un établissement public. Le temps (un an, proposent les députés) de renégocier de nouveaux contrats avec les sociétés d'autoroutes, financièrement plus favorables à l'État, permettant de mieux encadrer l'évolution future des péages autoroutiers et de dégager des ressources pour financer les infrastructures de transport. Dans le scénario proposé, seule la propriété des infrastructures reviendrait au public, la gestion serait laissée au privé. 

Mercredi 17 décembre, le président de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, Jean-Paul Chanteguet, a remis un rapport qui plaide pour cette piste. Il plaide pour une « renégociation intégrale » avec les sociétés « sur la base de cahiers des charges refondus ». « Il est urgent que le gouvernement notifie aux concessionnaires sa volonté de rupture, pour bâtir un nouveau système au cours de l’année 2015, avec au plus tard une entrée en vigueur au 1er janvier 2016 », insiste le rapport. « Les sociétés d'autoroutes ne cessent d'affirmer qu'il n'y a pas d'alternatives au schéma actuel. Ce rapport prouve le contraire », assure un proche du député.

Fait rare, Chanteguet peut se prévaloir du soutien de tous les présidents de commissions de l'Assemblée et du patron des députés PS, Bruno Le Roux, un proche de François Hollande. Ainsi que d'élus de toutes les franges du PS, des anciens ministres "frondeurs" (Delphine Batho, Aurélie Filippetti ou Benoît Hamon) à Christophe Caresche, sur l'aile droite du PS. « Les intérêts de l'État n'ont pas été correctement préservés par cette privatisation et cette solution tient la route », dit ce dernier.

Cette piste est soutenue par le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui exige un débat devant la représentation nationale. Elle a également l'assentiment du secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies. La ministre de l'écologie, Ségolène Royal, ne ferme pas la porte. Pour de nombreux élus socialistes, il s'agit surtout d'un « symbole » politique. « Choisir cette piste, ce serait une déclaration d'amour à la gauche », plaide un conseiller. 

Officiellement, Manuel Valls défend une « remise à plat totale » des contrats. Matignon se dit ouvert à toutes les solutions. Mais en privé, le premier ministre, qui n'a pas répondu au courrier des députés, ne serait pas aussi convaincu. Ce rachat, dont le coût est estimé à au moins 22 milliards d'euros, inquiète également les services de Bercy, où l'on s'alarme des risques juridiques. Pour un gouvernement sensible aux arguments des grandes sociétés du BTP et qui campe désormais sur une ligne très pro-entreprises, un retour dans le giron public ne semble vraiment pas évident.

Ce week-end, le JDD évoquait d'ailleurs un scénario a minima : un simple gel des tarifs en 2015 (les sociétés d’autoroutes demandent une hausse de 0,54 % pour 2015), comme le réclame Ségolène Royal, et une autorité de contrôle sur les sociétés d'autoroutes, comme le prévoit la loi Macron. Une issue qui n'assurait même pas que les recommandations de l’Autorité de la concurrence soient au moins suivies. Cette dernière a préconisé, après un rapport accablant, une renégociation au moins partielle des contrats afin de mettre fin à une situation toujours en défaveur de l’État. Elle souhaite notamment un nouveau partage des profits des sociétés autoroutières afin que les usagers et l’État voient leurs intérêts mieux pris en compte. Et la création d’une véritable autorité de la régulation, contrôlant et sanctionnant tous les abus qu’elle avait pu relever.

En face, les sociétés d’autoroute sont sur le pied de guerre et mènent une offensive tous azimuts. Pour contrer les projets éventuels de dénonciation des contrats de concession, elles font monter les enchères. En cas de dénonciation des contrats, elles demandent 30 milliards d’euros de dédommagements, sans compter la reprise des dettes, alors qu'elles ont acheté les sociétés pour 14,8 milliards d’euros en 2006.

Même le gel des tarifs que souhaite le gouvernement pour 2015 leur semble insupportable. « Si les tarifs sont gelés en 2015, il faudra qu’il y ait un rattrapage et un dédommagement supplémentaire pour rupture de contrat en 2016 », ont-elles prévenu. Selon Les Échos, l'État et les sociétés d'autoroute ont signé en 2012 un accord pour une hausse programmée des péages au minimum de 1,5 % entre 2015 et 2018, afin de compenser l’augmentation de 50 % de la redevance domaniale, qui passe de 180 à 290 millions d’euros à partir de 2013. Un accord que l’on ne découvre que maintenant. Mais que les concessionnaires ont bien l’intention de faire respecter.

Les sociétés concessionnaires se veulent toutefois ouvertes à certaines propositions. Notamment celles négociées au printemps avec la direction générale des transports. Comprenant que l’argent de l’écotaxe n’arriverait pas en 2015, la direction générale des transports a en effet imaginé un autre schéma pour trouver les ressources financières permettant d'assurer l’entretien du réseau routier.

Comme Mediapart l’avait révélé à l’époque, le directeur général des infrastructures, Daniel Bursaux – qui porte une lourde responsabilité dans le détournement et le fiasco de l’écotaxe –, est allé négocier au printemps avec la commission européenne pour obtenir un allongement des concessions autoroutières, le tout sans remise en cause du contrat ni appel d’offres. En contrepartie, les sociétés concessionnaires s’engageraient à réaliser 3,5 milliards de travaux sur les réseaux routiers. Cela représenterait 11 000 emplois supplémentaires, mettent-elles en avant, sans expliquer d’où viennent ces chiffres.

 

© forum.politique. org

Ce projet est un marché de dupes, toujours négocié dans le même sens : au détriment de l’intérêt général et de l’État. Les groupes, propriétaires des sociétés autoroutières, seraient les uniques bénéficiaires de cet engagement. D’abord, ce sont eux qui réaliseraient les chantiers puisqu’ils ont aussi des filiales spécialisées dans les travaux publics. Surtout, en compensation de leurs engagements, leur concession autoroutière serait allongée de deux à six ans. Une vraie manne : les profits annuels des sociétés d’autoroutes s’élèvent à 1,8 milliard par an. Sur six ans, cela fait plus de 10 milliards supplémentaires. À ce compte, l’État a tout intérêt à réaliser directement les travaux, en empruntant l’argent sur les marchés.

Pourtant, la solution proposée a l’air de tenter le gouvernement. Dans la plus grande discrétion, le ministère de l’économie a en effet pris, le 6 novembre, un décret contraire à toutes les dispositions sur les lois de la concurrence et la loi Sapin contre la corruption. Celui-ci prévoit d’autoriser l’allongement de la durée des concessions de travaux publics pour faire face à des travaux supplémentaires non compris dans les contrats, sans passer par la case appel d’offres. Cet allongement serait possible à chaque nouvelle demande de travaux supplémentaires.

À quoi joue l’État en prenant un tel décret, au moment où les députés s’emparent de la question des autoroutes ? Même des avocats spécialisés se sont étonnés de cette transposition partielle et embrouillée, qui revient, selon eux, à réintroduire la pratique, désormais interdite, de l’"adossement", qui consiste à faire financer une portion non rentable d’une autoroute par la prolongation de la durée d’une concession.

« Si le gouvernement emprunte cette voie, c’est la rente perpétuelle assurée pour les concessionnaires d’autoroutes », s’énerve Laurent Hecquet, fondateur de l’association Automobilité et avenir, et porte-parole d’un certain nombre de fédérations d’usagers et de transporteurs devant la commission du Sénat. Ceux-ci demandent de saisir l’occasion historique pour remettre à plat un système qui ne fonctionne plus, et qui est de plus en plus rejeté par l’opinion publique.

L’affaire est devenue si politique qu’elle a échappé à Matignon, qui l’avait déjà prise au ministère des transports et de l’environnement, et est désormais gérée directement par l’Élysée. Une réunion de travail devait s’y tenir mercredi 17 décembre pour faire le point sur le dossier, et peut-être arrêter une décision. Le gouvernement n’a de toute façon guère de temps devant lui pour prendre position. S’il veut dénoncer les contrats de concessions autoroutières, il doit le faire avant le 1er janvier.

Retour sur l’histoire d’un grand bradage d’un patrimoine national et des raisons qui devraient pousser le gouvernement à remettre tout à plat.

L’erreur des privatisations de 2006

Dominique de Villepin, premier ministre (2005-2007), à l'Assemblée nationaleDominique de Villepin, premier ministre (2005-2007), à l'Assemblée nationale © Reuters

Cela fut conduit en catimini, avec une célérité rarement vue, par la grâce d’un seul décret. Au début de 2006, Dominique de Villepin, alors premier ministre, décida d’un seul trait de plume la privatisation des autoroutes françaises. Le décret était à peine publié que le ministère des finances réalisa la vente de gré à gré des participations qu’il détenait dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

En un tour de main, le géant du BTP Vinci, qui avait déjà le contrôle de Cofiroute et avait pris une participation minoritaire dans la société des Autoroutes du Sud de la France (AFS),  récupéra la totalité, ainsi qu’Escota. Eiffage, autre groupe de BTP, reprit les autoroutes Paris Rhin-Rhône (APRR), dont il détenait déjà une partie et AREA. Le groupe espagnol Abertis, qui exploite des autoroutes en Espagne, hérita de la Sanef et de SAPN.

Une seule obligation fut posée par l’État à ces privatisations : les achats devaient être payés sur-le-champ en numéraire. L’État obtint ainsi 14,8 milliards d’euros. « L'ambition de mon gouvernement était de moderniser les infrastructures et de désendetter la France. Une estimation, qui était celle de tous les services de l'État et des parlementaires (...) estimait le montant à payer à un peu plus de 11 milliards d'euros (...) nous l'avons cédé à 14,8 milliards d'euros, c'était donc une bonne affaire pour l'État », se défend aujourd’hui Dominique de Villepin, accusé d’avoir bradé ce patrimoine national.

À l’époque, l’opération ne souleva guère d’objections dans les milieux politiques : la privatisation des autoroutes faisait consensus, à droite comme à gauche. Le processus avait été engagé depuis des années. Le gouvernement de Lionel Jospin l’avait mise à l’étude, en même temps que la privatisation d’EDF et de GDF. Laurent Fabius, alors ministre des finances, lança le début des opérations en 2002, en vendant 49 % du capital d’ASF à Vinci. Le groupe de BTP n’eut donc aucun mal à récupérer le restant en 2006. Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, poursuivit la privatisation rampante en ouvrant le capital d’APRR au profit d’Eiffage.

Il n’y eut que François Bayrou, alors président de l’UDF, pour s’opposer à la décision de Dominique de Villepin en 2006. Il dénonça alors l’erreur historique de ce choix, expliquant que l’État allait se priver à la fois d’une capacité d’intervention sur des infrastructures majeures dans le cadre des politiques d’aménagement du territoire, et de recettes substantielles pour les finances publiques. Joignant les actes à la parole, il déposa, avec l’association de défense des usagers des autoroutes privées, un recours devant le Conseil d’État pour contester la décision du gouvernement tant sur la forme que sur le fond. Dans son recours, François Bayrou soulignait notamment qu’une telle opération ne pouvait être réalisée par le biais d’un seul décret mais devait faire l’objet d’un débat et d’un vote parlementaire. Le Conseil d’État rejeta son référé : comme la vente d’ASF avait été effectuée dès la publication du décret, il n’y avait plus de recours possible.

Ainsi, en quelques semaines, trois groupes de BTP prirent le contrôle de 95 % du réseau autoroutier français à travers la privatisation de sept sociétés concessionnaires. Comme le rappelle un rapport de l’Autorité de la concurrence de septembre 2014, la privatisation des sociétés d’autoroutes intervient alors que la construction du réseau est quasiment achevée – le réseau autoroutier placée sous la responsabilité des sociétés privatisées a augmenté de 2 % depuis 2006 – et que les investissements passés sont en train d’être rentabilisés. À partir de 2000, les sociétés avaient commencé à afficher des bénéfices et à verser des dividendes à l’État. En 2005, ceux-ci s’élevaient à plus de 200 millions d’euros pour l’État. « La rentabilité était vouée à croître », insiste le rapport de l’Autorité de la concurrence.

Des contrats où les prix ne peuvent jamais baisser

© Reuters

Dans la précipitation de la privatisation, ni le gouvernement, ni l’administration des finances ou des transports, ne jugèrent bon de revoir en même temps les contrats de concession, les formules d’indexation des tarifs, les règles d’investissement. Négociés dans les années 1980 et 1990, ces contrats avaient été rédigés quand toutes les parties prenantes étaient publiques. Les sociétés privées ont adopté sans hésitation les engagements et les clauses de ces contrats : tout leur convenait parfaitement.

Gérant un quasi-monopole physique, les sociétés concessionnaires bénéficient aussi de contrats sur mesure. Chaque année, une clause prévoit que les tarifs doivent être revalorisés pour un montant représentant 70 % de l’inflation. Entre-temps, un nouveau dispositif a été ajouté : le contrat de plan. Négocié avec l’administration des transports sur une base pluriannuelle, ce contrat prévoit les travaux et les aménagements que les sociétés concessionnaires s’engagent à réaliser durant cette période. En contrepartie de ces efforts, l’État accepte de compenser tous les investissements réalisés.

Cela passe naturellement par le biais d’une nouvelle tarification, totalement à la charge des usagers. Ce nouveau mode de calcul prévoit une révision tarifaire annuelle, calculée sur la base de 0,85 % de l’inflation, à laquelle s’ajoute un coefficient multiplicateur, censé prendre en compte le coût du capital pour les investissements. Celui-ci oscille entre 6,7 % et 8,28 % selon les formules.

« Les contrats excluent toute idée de baisse tarifaire », note l’Autorité de la concurrence. Car rien ne vient contrebalancer, ou au moins tenter d’endiguer, cette formule inflationniste. Les investissements ne sont pas contrôlés. Ainsi, l’État accepte de compenser des investissements qui normalement relèvent de la charge normale du concessionnaire, comme l’a relevé la Cour des comptes.

De plus, nombre de travaux sont réalisés par des entreprises de travaux publics, filiales des grands groupes propriétaires des sociétés concessionnaires. Même si des appels d’offres sont lancés, ces dernières sont systématiquement favorisées. Les filiales de Vinci et d’Eiffage effectuent au moins un tiers des travaux sur les réseaux d’autoroutes contrôlés par leur maison-mère, alors que leur part tombe autour de 10 % ailleurs. Plus surprenant encore, relève l’Autorité de la concurrence : le critère de prix dans les appels d’offres pour les  marchés de travaux est systématiquement minoré ou sous-pondéré, les commanditaires préférant mettre en avant les critères techniques pour justifier leur choix.

Dans l’autre sens, aucun mécanisme n’est prévu pour prendre en compte dans les tarifs les efforts de gestion ou les économies réalisées. Les sociétés concessionnaires ont pourtant diminué leurs charges de façon importante ces dernières années. Les coûts d’entretien ont baissé de 7 % depuis 2006. Les frais financiers, malgré un endettement croissant, ont été réduits de 10 % sur la même période, grâce à la baisse des taux et une gestion serrée des financements. Les effectifs ont baissé de 17 % pour tomber au total à 13 933 personnes. Mais ni les usagers ni l’État ne sont associés à ces gains.

« Ces contrats sont la contrepartie du risque », se défendent les sociétés autoroutières. Quel risque? rétorque l’Autorité de la concurrence. « Les charges auxquelles font face et pourraient faire face à l’avenir les SCA (sociétés concessionnaires autoroutières - ndlr) auraient pu être de nature à justifier la rentabilité exceptionnelle qui est la leur, à la mesure du risque que celles-ci constitueraient. Toutefois, l’analyse de ces charges, aujourd’hui maîtrisées, montre qu’elles ne représentent pas de risque, ni dans leur imprévisibilité, ni dans leur coût », pointe son rapport.

Il relève que les sociétés sont à l’abri de tout cycle économique, de tout ralentissement. Leur chiffre d’affaires (8,8 milliards d’euros en 2013) est en hausse constante, quelles que soient les circonstances :  chaque baisse de trafic a pu être compensée grâce à la hausse des tarifs. L’Autorité de la concurrence en conclut  : « Seule une crise plus grave que celle de la crise financière de 2008 pourrait éventuellement entraîner une baisse de leur chiffre d’affaires. »

La poule aux œufs d'or

Le détail a été oublié. Mais le scandale Zacharias a débuté en mai 2006, à cause de la privatisation des autoroutes. Antoine Zacharias, l’ancien PDG de Vinci, demandait alors à bénéficier d’une « récompense » supplémentaire de 8 millions d’euros, venant s’ajouter à son salaire annuel de 4 millions et à ses 250 millions de stock-options, « pour avoir bien su négocier la reprise d’ASF avec l’État ». Cette demande fut à l’origine d'un putsch à l’intérieur du groupe, de la division du conseil, et du scandale.

Mais sur le coup, cette exigence ne choqua pas une grande partie de ses administrateurs. Pour eux, il était normal d’accorder un généreux bonus à Antoine Zacharias pour le rachat d’ASF. Il avait obtenu dans des conditions exceptionnelles la poule aux œufs d’or pour le groupe. Vinci Autoroutes, qui exploite la moitié des autoroutes concédées en France, a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires (4,5 milliards d’euros) qui correspond à 11 % du chiffre total du groupe. Mais son bénéfice (798 millions) représentait 40,6 % des profits totaux de Vinci.

« La rentabilité  exceptionnelle des SCA largement déconnectée de leurs coûts et disproportionnée par rapport au risque de leur activité, est assimilable à une rente », dit l’Autorité de la concurrence, confirmant d’autres rapports de la Cour des comptes qui a déjà souligné par deux fois la rente indue des sociétés autoroutières. Les chiffres que l’autorité de régulation donne, calculés à partir des comptes des sept sociétés concessionnaires, sont ahurissants. Ces dernières dégagent un excédent brut d’exploitation compris entre 65 % et 78 % du chiffre d’affaires, un résultat d’exploitation compris de 44 % à 51 %, un résultat net compris entre 20 % et 24 %. Même l’industrie de luxe ne parvient pas à dégager de telles marges.

Sentant la pression monter, les sociétés autoroutières contestent ces données. Elles ont commandé opportunément une étude auprès du cabinet Deloitte qui devrait être publiée dans la semaine. Selon le JDD, cet audit n’aboutit pas du tout au même résultat que ceux de la Cour des comptes et de l’Autorité de la concurrence. La rentabilité des autoroutes ne serait que de 8 % et non de 20 à 24 %, comme le dit l’Autorité de la concurrence.

« Il est temps d'arrêter les fantasmes et d'arrêter de faire dire n'importe quoi aux chiffres », dit Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes. « L'Autorité de la concurrence confond le résultat net comptable annuel avec le taux de retour sur investissement. » Insistant sur le fait que les concessionnaires ne sont assis sur « aucun magot », il rappelle leur endettement : plus de 30 milliards d’euros. « La concession permet d'investir massivement les sommes colossales qu'il faut pour construire un réseau [...] à la fin vous rendez l'actif, vous remboursez vos obligataires, vos actionnaires et il ne reste rien », assure-t-il. « Mais, si ce n’est pas intéressant,  pourquoi s’accrochent-ils donc tant à ces contrats ? » s’interroge Laurent Hecquet, de l'association Automobilité et Avenir.

30 milliards d’euros d’endettement, c’est énorme. Mais tout cet argent n’a pas servi à construire le réseau autoroutier, comme les concessionnaires veulent le faire croire. Si celui-ci a été réalisé uniquement par l’emprunt depuis le milieu des années 1950, une partie avait déjà largement été remboursée au moment où les groupes de BTP ont mis la main dessus. À la date de la privatisation, leurs dettes totales s’élèvent à quelque 16 milliards d’euros, liées aux constructions réalisées auparavant. La moitié environ de ces emprunts a été contractée par la Caisse nationale des autoroutes. C’est-à-dire avec la garantie de l’État. Sans risque pour les exploitants.

Mais les acheteurs décident tout de suite d'alourdir la barque : ils financent l’acquisition des concessions autoroutières uniquement par emprunt ou presque. Leur modèle est celui de LBO (leverage buy out) géants, occasionnant des montagnes de dettes pour une pincée de capital, l’entreprise étant condamnée à dégager toutes les ressources financières pour se racheter, pour le seul et unique profit des actionnaires.

Les groupes ont à peine pris possession des concessions, qu’ils commencent à « en extérioriser toutes les richesses dormantes », dans les termes mêmes des milieux financiers. Alors que les sociétés concessionnaires, sous le contrôle de l’État, conservaient une partie de leurs profits pour renforcer leurs fonds propres et leur structure financière, les nouveaux propriétaires décident de faire exactement l’inverse. Elles ont totalement décapitalisé les sociétés concessionnaires.

À peine maîtres à bord, Vinci et Eiffage décident en 2007 d’un versement de dividendes exceptionnels de 3,3 milliards d’euros pour le premier auprès d’ASF, de 1,7 milliard pour le second auprès de APRR. Une partie de ces dividendes exceptionnels est prélevée sur les réserves de la société, une autre financée par l’endettement.

À l’issue de ces opérations exceptionnelles, les capitaux propres d’ASF, qui étaient de 3,8 milliards d’euros, retombent alors à 669 millions d’euros. Ceux d’APRR, qui s’élevaient à 1,7 milliard d’euros, deviennent négatifs à hauteur de 49 millions d’euros pendant deux années consécutives. « L’endettement d’APRR est alors 50 fois supérieur à ses fonds propres », note l’Autorité de la concurrence.

Même si le rythme s’est ralenti, la distribution s’est poursuivie par la suite. Alors que les sociétés concessionnaires versaient en moyenne 54 % de leurs bénéfices avant la privatisation, elles ont distribué entre 65 % et 153 % de leurs profits. Le taux moyen de distribution s’est élevé à 136 % des bénéfices. Au total, les sociétés ont perçu 14,9 milliards d’euros de dividendes entre 2006 et 2013, soit plus que le prix de leurs acquisitions, selon l’Autorité de la concurrence.  

© Autorité de la concurrence

Pendant ce temps, leur endettement a augmenté de 17 % depuis 2006. Outre le paiement des dividendes, les sociétés ont choisi la voie de l’emprunt pour financer les travaux de rénovation et de développement qu’elles devaient payer. L’Autorité de la concurrence chiffre le montant total des travaux engagés à 4,5 milliards d’euros depuis 2006.

« Aucune autre société ne pourrait fonctionner avec de tels bilans », souligne Laurent Hecquet. « Quelle banque accepterait de prêter, quel investisseur accepterait de souscrire à des opérations obligataires auprès de sociétés qui n’ont quasiment pas de fonds propres, qui empruntent pour tout, y compris les opérations courantes ? S’ils le font, c’est qu’ils ont toutes les garanties nécessaires », constate-t-il. Les contrats en béton armé leur donnent effectivement une assurance tous risques.

Cette politique d’endettement hors normes a un autre mérite. Grâce à la déduction des frais financiers, elle permet de réduire le montant des impôts sur les sociétés. Les concessionnaires auraient ainsi économisé 3,4 milliards d’euros depuis 2006, par le biais de ce mécanisme. En 2013, le Parlement a bien prévu de réduire cette niche fiscale, en limitant le montant des déductions des frais financiers. Mais les concessions ont été exclues de la mesure. 

À l’automne, l’Assemblée nationale a repris l’ouvrage sur le sujet, en incluant les sociétés concessionnaires d’autoroutes dans les limitations de la niche fiscale. Ces dernières menacent de saisir les tribunaux pour distorsion de concurrence, si la mesure n’est pas revue.

La capture de l’État 

Chaque année, la sous-direction chargée du réseau autoroutier, au ministère des transports, négocie presque seule, sans y associer au moins le ministère de l’économie et des finances, les hausses des tarifs à venir avec les sociétés concessionnaires. Une situation invraisemblable, selon le dernier rapport de la Cour des comptes sur les autoroutes. « Les sociétés concessionnaires appartiennent à des groupes importants, Vinci et Eiffage notamment. Pour ces groupes, les tractations tarifaires s’inscrivent dans un ensemble plus large d’interaction avec l’État sur d’autres projets à forts enjeux, notamment ferroviaires ou de construction et de concessions de bâtiments dans le cadre de partenariat public-privé », rappelle-t-il.

Mais ce n’est qu’une des manifestations de la capture de l’État organisée par les groupes de BTP. Ils sont chez eux au ministère de l’équipement, des transports ou même des finances. Ils connaissent le personnel administratif, savent à qui il faut s’adresser pour défendre un projet, obtenir un aménagement, soutenir un texte réglementaire. Les responsables administratifs font preuve à leur égard de la plus grande compréhension pour la défense de leurs intérêts.

La Cour des comptes a relevé des exemples hallucinants de cet entre-soi, qui se passe toujours au détriment de l’État. Ainsi, lors d’une renégociation d’un contrat de plan, APRR défendait un taux de rentabilité de 7,5 %. La direction des transports jugeait ce taux inacceptable et proposait un taux de 6,7 %. Une simple note transmise au cabinet du ministre signée de la main du directeur général du transport, avec mention manuscrite « après contact avec le PDG d’APRR », suffit pour trouver l’accord : il y proposait un taux de rentabilité de 8,08 %, soit plus que ce que proposait la société concessionnaire au départ. Ce fut naturellement ce taux qui fut arrêté !

Des exemples comme cela, il y en a des dizaines. Il fallut par exemple que la Cour des comptes dénonce, dans un premier rapport publié en 2008, le système de tarification mis en place par les sociétés concessionnaires, qui consistait à faire payer beaucoup plus les parties du réseau autoroutier les plus fréquentées, pour que le ministère des transports reconnaisse que la situation n’était pas optimale. Auparavant, il n’avait rien vu.

Il n’a rien vu aussi quand les sociétés concessionnaires n’ont pas respecté leurs obligations d’investissements. Il n’a rien vu non plus quand ces dernières ont présenté la facture de charges qui relevaient de leurs obligations normales de concessionnaires. Il est vrai que celles-ci, disposant de toutes les données, transmettent ce qu’elles veulent aux autorités censées les contrôler.

De même, la commission nationale des marchés n’a rien vu quand les sociétés d’autoroutes ne respectaient pas les engagements pris dans le cadre de leur contrat, ne pratiquaient pas d’appels d’offres, prenaient des avenants qui les dispensaient de toute mise en concurrence. Depuis la privatisation de 2006, pratiquement aucune sanction n’a été prise contre les sociétés concessionnaires.

La capture de l’État va grandissant. Les allers et retours entre privé et public sont tellement devenus la norme que les problèmes d’endogamie ne semblent même plus poser question. À son arrivée à Matignon, Manuel Valls a nommé Loïc Rocard, fils de Michel Rocard, comme conseiller transports. Il l’a pour cela débauché du privé : il était alors directeur général de Cofiroute, une des concessions autoroutières de Vinci. Les services du premier ministre assurent qu’il n’existe aucun conflit d’intérêts. « Il a annoncé dès son arrivée qu’il se mettait à l’écart pour tous les dossiers concernant les autoroutes. C’est un autre conseiller qui traite le dossier », assure-t-on. 

Cela ne suffit pas à rassurer les nombreux députés, associations ou autres, qui souhaitent une remise à plat du dossier autoroutier. Tous redoutent que les intérêts privés des groupes de BTP soient désormais portés si haut au sein de l’appareil d’État que rien ne puisse bouger, et que le système se perpétue, pour le seul bénéfice de la rente.

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Barrage de Sivens : la concertation est dans l'impasse

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La concertation sur le projet de barrage de Sivens (Tarn) lancée par Ségolène Royal le 4 novembre, quelques jours après la mort de Rémi Fraisse, ne débouche toujours pas sur un compromis. Les experts nommés par le ministère de l’écologie pour faciliter la discussion entre monde agricole et associations de défense de l’environnement devaient restituer jeudi 18 décembre une synthèse des débats menés depuis un mois et demi, en vue d’un texte d’accord vendredi. Mais les différends restent trop substantiels pour que ce calendrier d’apaisement se déroule comme prévu. Le ministère de l’écologie a annulé la réunion de restitution, et convoqué séparément professions agricoles et écologistes à une rencontre avec Ségolène Royal vendredi 19 décembre au ministère.

Lors de la dernière réunion, le 5 décembre, la création d’une réserve latérale sur la rivière Tescou, afin de compléter les volumes d’eau utilisés pour les cultures, a été proposée, en sus d’un meilleur usage des réserves existantes. Les opposants au barrage de Sivens y semblaient favorables, tandis que les représentants des agriculteurs ne paraissaient pas s’y opposer. Mais depuis, la FNSEA a appelé à manifester vendredi en défense du barrage de Sivens. Et la tension a continué de monter dans le contexte de la campagne pour les élections départementales. La maison de Ben Lefetey, porte-parole du collectif pour la défense de la zone humide du Testet, a été taguée. Dans ses conditions, difficile de trouver un consensus. D’où la nouvelle intervention de Ségolène Royal. Aucune décision ne devrait être annoncée vendredi 20 décembre. La concertation devrait se prolonger en janvier. Alors que l’Union européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la France pour violation présumée de la directive sur l'eau, la crise de Sivens reste sans solution à ce stade.

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Au Front national, le lobbying pro-russe s'accélère

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Pour le journal d'opposition Novaya Gazeta, elle est la « lobbyste russe la plus influente de l'année 2014 ». Marine Le Pen et son parti ont obtenu plusieurs prêts russes cette année. Mais elle affirme que le Front national n'a pas varié d'un iota : « Au motif que l’on obtient un prêt, cela déterminerait notre position internationale ? Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne (pro-russe). » On assiste en réalité, depuis deux ans, à une inflexion sans précédent de l’engagement pro-russe du Front national : multiplication des voyages et rencontres, nombreuses déclarations défendant les intérêts russes, postes et investitures confiés à des pro-russes.

La ligne russophile du Front national ne date pas de Marine Le Pen. Son père défendait déjà une « Europe des nations de Brest à Vladivostok », et s'est rendu en Russie dès qu'« elle n’a plus été communiste ». Il y a noué de solides amitiés dans les cercles nationalistes et identifié « des intérêts et des adversaires communs ».

Mais dès son arrivée à la tête du Front national, en 2011, c’est des cercles poutiniens que se rapproche Marine Le Pen. Un intense lobbying se met en place. Au quotidien russe Kommersant, elle déclare, en octobre 2011, qu’elle « admire Vladimir Poutine », ce qu’elle redira sur RTL. Pendant la campagne présidentielle, son programme international est résolument axé vers la Russie, avec laquelle elle prône une « alliance stratégique poussée ».

La présidente du FN s’est entourée de conseillers à l’engagement pro-russe affiché. Emmanuel Leroy, qui fut sa plume pendant la pré-campagne de 2012, défendait un axe Paris-Moscou. Aymeric Chauprade, son éminence grise depuis 2010, dispose de solides réseaux en Russie. Ses conseillers économie et Europe, Bernard Monot et Ludovic de Danne, ne manquent pas une occasion de défendre la Russie. Enfin, son vieil ami et prestataire Frédéric Chatillon est lui aussi un admirateur de la Russie de Poutine, où il se rend pour ses affaires.

Les deux intermédiaires du Front national à Moscou, les eurodéputés Aymeric Chauprade et Jean-Luc Schaffhauser, ont eux-mêmes choisi des assistants parlementaires pro-russes. Le premier s'est entouré de la russophone Tamara Volokhova. Le second a choisi Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aristote et propagandiste pro-russe ; Nicolas de Lamberterie, ex-représentant en France d'un mouvement identitaire hongrois proche du Jobbik ; et le Polonais Marek Klukowski, membre de son Académie européenne, tournée vers la Russie.

La proximité entre Russes et frontistes se mesure aussi dans les médias. Les journalistes russes déroulent très régulièrement à Marine Le Pen le tapis rouge, la présentant comme une interlocutrice majeure, respectueuse, et la future présidente française. De leur côté, les responsables du FN n'ont de cesse de défendre les positions russes – sur l'Ukraine, la Syrie, le mariage pour les couples homosexuels. La moindre de leurs déclarations sur la Russie est relayée sur le site frontiste Nations Presse Info.

En août 2013, Marine Le Pen est consacrée « première lady de la politique française » par le journal Odnako, créé par Mikhaïl Léontiev, l'un des journalistes russes les plus extrémistes. Dans l'interview, elle dénonce « une véritable guerre froide » menée par l'Union européenne contre la Russie et annonce que « si un jour (elle) occupe le poste de président, les liens entre Paris et Moscou se renforceront » « dans les domaines de la recherche scientifique, dans des projets médicaux, militaires et dans l'aéronautique ».

On ne compte plus ses passages sur la chaîne Russia Today, porte-voix des intérêts russes. Au lendemain du succès du FN aux européennes, la journaliste la présente comme « la présidente du premier parti de France » et termine une interview de trente minutes par un chaleureux : « Tout ce que vous m'avez dit pendant cette interview s'est avéré vrai (sic), alors bonne chance pour la présidentielle et félicitations encore une fois ! »

En avril 2014, c'est sur la première chaîne publique, Pervyi Kanal, que Marine Le Pen déroule son discours. Et lorsque la deuxième chaîne d'État, Rossya 1, réalise un reportage à Paris, décrite en ville dangereuse menacée par les immigrés, le micro est tendu à la patronne du FN.

Jean-Marie Le Pen y voit « une curiosité des Russes à l’égard des Français qui ne font pas du systématique "Poutine bashing" ». Depuis deux ans, chaque dossier international est l'occasion pour le Front national de monter au créneau pour défendre les intérêts russes. Mediapart en a reconstitué la chronologie complète.

  • Décembre 2012

C'est en tant que députée membre du groupe d'amitié franco-russe que Marion Maréchal-Le Pen se rend à Moscou, où elle est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un très proche de Poutine. À son retour, elle accorde une longue interview à ProRussia.tv. Elle y fait l'éloge de Poutine et raconte « l'accueil particulièrement honorant » réservé par Narychkine, qui lui a souhaité son anniversaire (voir la vidéo à partir de 21'30). « La Russie cherche un certain nombre de partenaires, ils ont peut-être jeté leur dévolu, je l’espère en tout cas, sur le Front national », dit-elle en évoquant d'autres « rencontres » à venir. Trois mois plus tôt, cette web télé de « réinformation » pro-russe – qui a depuis fermé – a été lancée par d’anciens cadres du FN, avec l'appui de l'ambassade de Russie à Paris.


  • Février 2013

Lors de la commission parlementaire France-Russie, à l'Assemblée, Marion Maréchal-Le Pen livre le même discours devant les Russes : elle salue un « grand pays », un « partenaire vital », et dénonce la « diabolisation systématique » de Poutine à travers des « désinformations régulières ». « On accuse la Russie de ne pas respecter les droits de l’homme ; mais que n’adresse-t-on pas ce reproche au Qatar, au lieu d’accorder à ce grand investisseur des avantages exorbitants ? » lance-t-elle (voir la vidéo). Le président russe de la commission salue en retour « l’intérêt porté à notre pays par l’une des élues les plus jeunes de l’Assemblée nationale », qui « nous (a) fait le plaisir de sa présence » trois mois plus tôt.

  • Mai 2013

Un autre frontiste fait l'éloge du « patriotisme intransigeant » de Poutine et évoque la Russie comme « modèle » : Bruno Gollnisch. L’eurodéputé est reçu à la Douma avec une délégation d’élus européens. Un mois plus tôt, le conseiller culture de Marine Le Pen, Karim Ouchikh, fustigeait, lui, un « activisme russophobe » en France.

  • Juin 2013
Marine Le Pen à la Douma le 19 juin 2013.Marine Le Pen à la Douma le 19 juin 2013. © Twitter / @ldedanne

En juin, au tour de Marine Le Pen de se rendre dix jours en Crimée puis en Russie. Elle est reçue par Sergueï Narychkine, le vice-premier ministre Dmitri Rogozine et le président de la commission des affaires étrangères de la Douma, Alexeï Pouchkov (voir la vidéo).

À chaque fois, elle dit son admiration pour Poutine, ses « valeurs » et « idées communes » avec la Russie, présentée « sous des traits diabolisés » par les médias occidentaux. Elle se vante d’être « peut-être la seule en France qui défend la Russie », et lance les passerelles : « Ce n’est qu’un début, ces relations avec la Russie, j’espère les approfondir. J’espère aussi que nous développerons ces relations entre partis, patriotes. »

Invitée à l’université des relations internationales de Moscou, elle y prononce un long discours où elle exprime bien plus ouvertement qu’en France son opposition au mariage pour tous, une loi qui horrifie le Kremlin :

Elle rencontre aussi des représentants des patriarcats de Moscou :

Marine Le Pen et Louis Aliot rencontrent des représentants des patriarcats de Moscou, à Serguiev Posad, le 21 juin 2013.Marine Le Pen et Louis Aliot rencontrent des représentants des patriarcats de Moscou, à Serguiev Posad, le 21 juin 2013. © nationspresse.info

Cette tournée – détaillée ici par Mediapart – est minutieusement préparée en amont et très médiatisée par le Front national à son retour : conférence de presse spéciale, nombreux articles sur les sites frontistes.

  • Décembre 2013

Pour le 20e anniversaire de la fédération de Russie, Marion Maréchal-Le Pen se rend à l’ambassade de Russie, où elle avait déjà assisté aux vœux en janvier. La présidente du FN et sa nièce sont régulièrement reçues par l’ambassadeur Orlov. Parallèlement, alors que les agressions homophobes se multiplient en Russie, Marine Le Pen affirme que les homosexuels n’y sont pas persécutés.

  • Décembre 2013-février 2014

Pendant la crise ukrainienne, de nombreux responsables du Front national (exemples ici et ) montent au créneau contre l’« ingérence » de l’Union européenne qui « a mis de l’huile sur le feu » et dénoncent des sanctions « idiot(es) » contre la Russie.

Sur France 3, Marine Le Pen cible l’Union européenne, qui « n’est bonne qu’à menacer de sanctions et faire du chantage », mais salue l’attitude de Poutine, qui « a pris ses distances »« Historiquement Kiev est le berceau de la Russie, un tiers des habitants d’Ukraine sont russophones, une grande partie de l’économie ukrainienne est liée à l’économie russe, donc on ne va pas changer la géopolitique », plaide-t-elle.

Plusieurs candidats et responsables frontistes profitent des Jeux olympiques à Sotchi pour vanter la politique de Poutine et fustiger la « propagande anti-russe » des médias occidentaux. Sur les chaînes d'info en continu, Wallerand de Saint-Just et Marion Maréchal Le Pen saluent « un patriote » qui « défend les intérêts de son pays » et lui « fait beaucoup de bien ». À l’Assemblée, la députée dénonce « un glacis "otanisé" autour de la Russie ». Le président du FNJ, Julien Rochedy, propose quant à lui l'interdiction, comme en Russie, de la « propagande LGBT ».

Parallèlement, l'intermédiaire du FN, Jean-Luc Schaffhauser, se rend à Moscou en février pour rencontrer Alexander Babakov, un conseiller du président Poutine. À cette occasion, il l’aurait présenté à Marine Le Pen.

  • Mars 2014
Aymeric Chauprade prenant la parole parmi la délégation d'« observateurs » internationaux, en Crimée, en mars 2013.Aymeric Chauprade prenant la parole parmi la délégation d'« observateurs » internationaux, en Crimée, en mars 2013. © Blog d'Anton Shekhovtsov

Mais c’est lors de l’annexion de la Crimée par la Russie que le Front national va vraiment donner de la voix. Dans un communiqué officiel, Aymeric Chauprade justifie l’intervention russe, dépeinte en conséquence de l’ingérence des « pyromanes de salon », qui ont « pouss(é) une partie de l’Ukraine contre une autre ». Le conseiller international de Marine Le Pen évoque la nécessité de garantir des « intérêts stratégiques propres à toute zone d’influence historique ».

Deux semaines plus tard, Chauprade se rend en Crimée comme « observateur » du référendum, à l’invitation d’une étrange organisation pro-russe (lire notre enquête). Il livre son témoignage à la Voix de la Russie, la radio d’État diffusée à l’étranger.

Au Front national, la ligne est claire : « Poutine a fait un sans faute », sa « position » est « inattaquable », « la Crimée a toujours appartenu à l'empire russe », résume Jean-Marie Le Pen sur BFMTV. Le conseiller Europe de Marine Le Pen explique sur Twitter que « la destitution était illégale au regard de la Constitution » et que « dans ce contexte, le référendum en Crimée (était) légitime ».

  • Avril 2014

Le 14 avril, Marine Le Pen retourne en Russie, cette fois-ci pour une « visite privée ». Elle est à nouveau reçue par Sergueï Narychkine, qui salue « les excellents résultats » du FN aux municipales. Elle martèle que « les sanctions (à l’encontre de la Russie, ndlr) sont contre-productives ». Dix jours plus tôt, Jean-Marie Le Pen a signé une convention de prêt avec une société chypriote détenue par le directeur de la banque d’État russe Veb Capital, bras financier du Kremlin. Le 18 avril, les 2 millions d’euros sont versés à son micro-parti Cotelec, comme l’a révélé Mediapart.

  • Mai 2014

Un mois plus tard, c’est une rencontre importante qui a lieu à Vienne, en Autriche, à l'initiative de l'oligarque russe Konstantin Malofeev, proche du pouvoir. À huis clos, une centaine de personnes se sont retrouvées pour les « 200 ans de la Sainte Alliance ». Parmi eux, le peintre nationaliste Ilia Glazounov, ami de Jean-Marie Le Pen ; l’idéologue Alexandre Douguine, conseiller officieux de Poutine ; mais aussi les frontistes Aymeric Chauprade et Marion Maréchal-Le Pen.

Le 26 mai, le Front national envoie 23 députés au parlement européen. Parmi eux, Aymeric Chauprade et Jean-Luc Schaffhauser, tous deux consultants internationaux. Ces deux intermédiaires avec les Russes ont connu une ascension éclair au sein du parti, à l’automne 2013. Le premier est devenu le conseiller international de Marine Le Pen et la tête de liste en Île-de-France. Le second, inconnu au FN, a remplacé au pied levé la tête de liste à Strasbourg aux municipales puis a été propulsé troisième sur celle de Chauprade aux européennes.

Dans l’hémicycle comme dans les médias, les deux eurodéputés multiplient les interventions en faveur de la Russie. Six des quinze interventions de Jean-Luc Schaffhauser en séance plénière sont ainsi consacrées à la Russie.

  • Juin 2014

Le 12 juin, Marine Le Pen, Aymeric Chauprade et Marion Maréchal-Le Pen font partie des invitées à l’ambassade de Russie, à Paris, pour célébrer la fête nationale russe :

Marine Le Pen, Aymeric Chauprade (à l'arrière-plan) et l'ambassadeur d’Ouzbekistan, à l'ambassade de Russie, le 12 juin 2014.Marine Le Pen, Aymeric Chauprade (à l'arrière-plan) et l'ambassadeur d’Ouzbekistan, à l'ambassade de Russie, le 12 juin 2014. © rusoch.fr
Marion Maréchal-Le Pen à l'ambassade de Russie, le 12 juin 2014.Marion Maréchal-Le Pen à l'ambassade de Russie, le 12 juin 2014. © rusoch.fr
  • Août 2014

Même en plein été, le Front national de cesse de manifester son engagement pro-russe. Dans un communiqué, le parti redit son opposition aux sanctions occidentales et estime que l'embargo sur l’agroalimentaire européen décrété par la Russie va « aggraver la crise de l'élevage et de l'agroalimentaire » en France.

  • Septembre 2014
Photo postée par Aymeric Chauprade sur Twitter le 1er septembre 2014.Photo postée par Aymeric Chauprade sur Twitter le 1er septembre 2014. © Twitter / @a_chauprade

À la rentrée, les rencontres s’accélèrent. Le 1er septembre, Aymeric Chauprade participe à une rencontre avec l'Ambassadeur de Russie qui rassemble des élus et chefs d’entreprise français.

Puis il s’envole pour Moscou, où il s’affiche avec son « ami » l’oligarque Malofeev – à l’hôtel Président lors de la visite d’une délégation de députés français, puis à la tribune d’un congrès ultra-conservateur sur la famille. Il se rend aussi à la Douma « pour défendre la famille contre l’idéologie du “gender” ».

Aymeric Chauprade à la tribune du World Congress of Families.Aymeric Chauprade à la tribune du World Congress of Families. © Twitter / @a_chauprade

Pendant ce temps-là, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, signe le prêt de 9 millions d’euros octroyé par la banque russe FCRB. De son côté, l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser touche 140 000 euros pour son rôle d’intermédiaire – sans les signaler dans sa déclaration d’intérêts.

Au parlement européen, les 23 eurodéputés frontistes votent comme un seul homme contre l'accord d'association et de libre-échange avec l’Ukraine, adopté par 535 voix. Dans l’hémicycle, Marine Le Pen dénonce « une grave violation du processus démocratique » et Aymeric Chauprade lance un solennel « Face à l'histoire, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas », à ses collègues

  • Octobre 2014

Au tour de Jean-Marie Le Pen de retourner à Moscou. Le président d’honneur du FN y rend visite à ses amis nationalistes russes, mais il participe aussi à un déjeuner avec l’oligarque Konstantin Malofeev, affirme-t-il à Mediapart.

  • Novembre 2014
Jean-Luc Schaffhauser.Jean-Luc Schaffhauser. © dr

Comme Chauprade en Crimée, Jean-Luc Schaffhauser se rend en Ukraine comme « observateur » des élections séparatistes, à l’invitation d’une organisation créée par des membres d’extrême droite. À son retour, il en fait un récit très subjectif devant la commission défense du parlement européen, et donne du poids aux arguments russes.

De son côté, Aymeric Chauprade retourne à Moscou, où il prononce un discours sur l’Ukraine, « au nom de Madame Marine Le Pen », et s’affiche à la Douma avec le président de la commission des affaires étrangères. À son retour, il s'étonne que la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères ne considère plus la Russie comme « un partenaire stratégique ». Dans la foulée, il lance son institut du monde multipolaire (IMM), « auto-financé par ses membres », et qui se veut un « laboratoire de la pensée géopolitique ».

Lui aussi apparaît régulièrement dans les médias pro-russes : Russia Today (où il cite le 27 novembre un sondage en ligne bidonné par des votes automatiques venant de Russie), la Voix de la Russie, Ria Novosti, etc.

Aymeric Chauprade interviewé en face du Kremlin par TFI, le 25 novembre 2014.Aymeric Chauprade interviewé en face du Kremlin par TFI, le 25 novembre 2014. © Twitter / @a_chauprade

Le Front national se saisit aussi d'une autre actualité : la non-livraison par la France du Mistral à la Russie. Chauprade dénonce une décision « profondément nuisible », Florian Philippot fustige une France « aux ordres des Américains ». En août déjà, les élus frontistes de Saint-Nazaire avaient créé le collectif « Mistral, Gagnons ! » en soutien à la livraison des Mistral.

Andreï Issaïev, vice-président de la Douma, à la tribune du congrès du FN.Andreï Issaïev, vice-président de la Douma, à la tribune du congrès du FN. © Reuters

La proximité avec Moscou se matérialise au congrès du Front national, à Lyon, où une délégation russe est présente – et notamment le sénateur Andreï Klimov et le vice-président de la Douma Andreï Issaïev. À la tribune, celui-ci livre un discours virulent sur l’Ukraine et les Occidentaux (lire notre reportage).

Marine Le Pen lui a envoyé une lettre de remerciements très chaleureuse, publiée sur le site du parti de Vladimir Poutine, Russie unie. Elle s'adresse à lui comme « allié politique » et « ami qui soutient notre lutte pour une Europe des nations et pour la liberté ». Elle évoque leur « coopération future », qui « a un grand avenir », et dit attendre « avec impatience une nouvelle rencontre avec (lui) ».

Au Congrès, certains se sont aussi interrogés sur la candidature au Comité central de Vladimir Berezovski, un jeune chargé de mission du FNJ de la Drôme né en Russie, qui ne cache pas ses opinions.

  • Décembre 2014

C'est jusqu'au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais que le Front national apporte son soutien à Poutine. Le 17 décembre, Jean-Richard Sulzer, élu FN et conseiller économique de Marine Le Pen, exprime dans l'hémicycle « toute l'affection (qu'il a) pour la Russie » et évoque le « grand démocrate » Poutine.

Les Russes le leur rendent bien : le 2 décembre, Ivan Kvitka, membre du présidium du parti de Poutine, fait l'éloge de Marine Le Pen : « Enfin sur la scène européenne est apparu quelqu'un qui est capable de dire la vérité. »

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En direct de Mediapart : le travail en miettes

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Loin des méandres politiques, retour aux réalités sociales. Ce jeudi 18 décembre, notre émission « En direct de Mediapart », en direct et en vidéo depuis la rédaction, s'est appliquée à raconter un monde du travail en miettes. La loi Macron, les 35 heures, l'ANI, le taux écrasant de CDD, le travail intérimaire, le taux de chômage très élevé, le code du travail raboté de toute part, la justice prud'homale attaquée, la faiblesse des syndicats...

  • 1. Etat des lieux d'un salariat atomisé

Avec :

Fiodor Rilov, avocat spécialiste du droit du travail. Il a été le défenseur des salariés dans plusieurs grands conflits sociaux (Continental, Mory-Ducros, Goodyear, Samsonite, Trois Suisses, etc.).
Danièle Linhart, sociologue, directrice émérite de recherches au CNRS. Spécialiste de la modernisation du travail et de l'emploi, elle travaille sur les nouvelles formes de pénibilités. Elle publie en janvier La Comédie humaine du travail, chez Erès. 
Jacques Rigaudiat, économiste, ancien conseiller de Michel Rocard, ancien conseiller social de Lionel Jospin, aujourd'hui membre de la Fondation Copernic.
Françoise Milewski, économiste à l'OFCE, membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes (sa biographie ici).


  • 2. Etat des luttes sociales

Avec :
Frédéric Dippah
, ancien chef d'entreprise prestataire de Chronopost qui s'est fait laminer par cette sous-traitance (ici notre article).
Christian Lahargue, ancien secrétaire CGT du CE de l'usine Continental de Clairoix (ici notre article).
Isabelle Maurer, au chômage, membre du Mouvement national des précaires et des chômeurs. En octobre 2013, sur France 2, elle avait renvoyé dans les cordes Jean-François Copé (article ici).
Karl Ghazi, responsable de CGT-commerce et du Clic-P, l’intersyndicale (CGT, CFDT, Sud, CGC et Unsa) qui lutte contre toute extension du travail dominical et du travail de nuit (lire notre enquête ici).

 

  • Notre grand témoin : Pierre Joxe

Ancien ministre, il a exploré en tant qu'avocat les différentes juridictions sociales (dont les prud'hommes) pour en dresser un état des lieux accablant (ici notre article).


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