Le calendrier de l’acquisition d’Uramin a toujours laissé songeur : l’essentiel de la négociation autour de cette société minière canadienne s’est tenue entre mars et la mi-mai 2007, en pleine campagne présidentielle, en pleine vacance du pouvoir. Comme si la direction d’Areva, groupe détenu à 86,5 % directement et indirectement par l’État, était libérée de toute tutelle et n’avait que faire de ces échéances politiques.
Le calendrier électoral, pourtant, plane sur toutes les réflexions des responsables du groupe nucléaire, selon nos informations. Il semble même avoir guidé les principales décisions. Dès que la campagne électorale commence, l’opération d’acquisition d’Uramin, préparée dans le plus grand secret au sein du groupe par une petite cellule emmenée par Daniel Wouters – voir Poker menteur à Toronto –, s’enclenche sans que le conseil de surveillance d’Areva soit informé des projets de la direction. En mars 2007, le groupe public participe à un placement privé de 226 millions de dollars, lancé par Uramin, officiellement afin d’augmenter son capital. Areva, à cette occasion, prend 5,5 % du capital de la société canadienne pour quelque 79 millions d’euros, juste en dessous de la barre des 80 millions d’euros, laquelle l’aurait obligé à demander l’accord du conseil de surveillance d’Areva. Les autorités de tutelle sont alors soigneusement tenues à l’écart de l’opération.
Alors que la campagne présidentielle bat son plein, la direction d’Areva continue ses négociations secrètes. Une réunion se tient avec les vendeurs d’Uramin le 2 mai à Londres. Le second tour de l’élection présidentielle doit avoir lieu quatre jours plus tard. Et les responsables d’Areva se projettent déjà dans l’avenir.
Dans un mail interne en date du 3 mai, que Mediapart s’est procuré, Daniel Wouters fait un compte-rendu détaillé de cette réunion à toutes les personnes qui sont intéressées au dossier, y compris Gérard Arbola, membre du directoire, et Christophe Deprez, banquier conseiller chez Rothschild, chargé de l’opération. Les vendeurs, selon ce mail, veulent des assurances. Un accord secret a donc été conclu lors de cette rencontre pour mener à bien cette acquisition, en tenant compte « de l’agenda spécifique Areva et électoral français ».
Tout est décrit comme si Areva avait l’assurance au plus haut niveau de ne rencontrer aucun obstacle, aucune opposition à l’acquisition d’Uramin. Toutes les autorisations de l’État paraissent n’y être que formalités. Après la tenue d’un conseil de surveillance, le 24 mai 2007, dont l’accord ne paraît faire aucun doute, il est prévu d’obtenir celui du ministre de tutelle dès le 6 juin, et l’annonce de l’OPA le 9 juin. Ce calendrier sera presque respecté à la lettre. Le conseil de surveillance avalisera l’opération le 30 et non le 24 mai. À peine installé à Bercy, l’éphémère ministre des finances, Jean-Louis Borloo, signera l’accord le 3 juin au lieu du 6. L’OPA sur Uramin sera annoncée le 15 juin au lieu du 9.
« Cet agenda reste "sous embargo" et ne doit pas être communiqué à nos contreparties dans les due diligences, à l’autorité de tutelle, à nos partenaires à l’acquisition, etc., afin de maintenir la pression. Notre objectif reste un passage en conseil de surveillance le 24 mai », insiste Daniel Wouters dans son mail. Ainsi, la direction d’Areva assume de négocier dans le dos de ses actionnaires, de tout cacher à ses organes de contrôle. Comme si elle ne devait aucun compte à personne. Le projet de rachat d’Uramin sera présenté pour la première fois aux membres du conseil de surveillance le 3 mai. Mais à aucun moment lors de cette réunion, il ne sera dit qu’Areva est déjà aussi engagé avec Uramin, selon nos informations.
Pourquoi la direction d’Areva a-t-elle passé cet accord secret ? Comment a-t-elle pu prendre une initiative aussi engageante et coûteuse (2,5 milliards de dollars), en cachant tout à ses actionnaires ? Les défenseurs d’Anne Lauvergeon ont répété à satiété les mêmes arguments pour justifier la conduite de l’ancienne présidente d’Areva. Bridée par la tutelle de Thierry Breton, ministre des finances de Jacques Chirac entre 2005 et 2007, qui avait bloqué plusieurs de ses projets, elle a décidé de tout mettre en place pour réaffirmer son indépendance et reprendre le développement du groupe, dès le départ de celui-ci. De plus, expliquent-ils, cela se passait à une période de bataille mondiale autour des réserves d’uranium. Le temps de l’entreprise n’étant pas celui de la politique, Areva ne pouvait rester l’arme aux pieds face à ses concurrents, en attendant la conclusion de la campagne présidentielle.
Même si Anne Lauvergeon veillait jalousement sur son indépendance, l'ancienne présidente d'Areva est trop politique, selon ses détracteurs, pour avoir omis d'informer des responsables politiques de ses intentions. « Elle a peut-être caché ses projets aux autorités de tutelle. Mais elle n'aura pas fait l'erreur de ne pas avertir d'une façon ou d'une autre de hauts responsables politiques, de droite comme de gauche. C'était trop risqué », remarque un proche du dossier.
D'autant qu'à cette époque, la position de la présidente d'Areva est assez fragilisée. Anne Lauvergeon a été reconduite à la tête du groupe public grâce à un concours de circonstances en 2006. Alors que Thierry Breton militait pour son remplacement, Jacques Chirac s’était opposé à son renvoi. Après la démission de Noël Forgeard, pris dans le scandale EADS, ce nouveau changement aurait fait désordre dans la conduite des entreprises publiques, avait argumenté le président de la République d’alors. Mais cette reconduction d’une proche de François Mitterrand avait été mal acceptée dans les rangs de l’UMP.
De plus, Areva fait l’objet de multiples polémiques et de multiples convoitises. Nombre de dirigeants, à commencer par le puissant Michel Pébereau, président de BNP Paribas, militent pour un démantèlement du groupe nucléaire constitué en 2002 par la fusion de Cogema et Framatome. Surtout, Martin Bouygues, ami très proche de Nicolas Sarkozy et principal actionnaire d’Alstom, s’est dit intéressé pour devenir actionnaire d’Areva et rapprocher le groupe d’Alstom. Lui aussi pose la question du démantèlement du groupe. Face à de tels adversaires, Anne Lauvergeon se sait alors sur un siège éjectable.
Y a-t-il eu quelque accord entre Nicolas Sarkozy et Anne Lauvergeon, prête à tout pour défendre sa présidence, avec Uramin en fond de tableau, comme l’assure Vincent Crouzet dans son roman, à peine de fiction, Radioactif ? C’est une des interrogations des enquêteurs de la brigade financière, semble-t-il. Les deux personnages, en tout cas, se connaissent bien et de longue date : Nicolas Sarkozy était au ministère du budget, Anne Lauvergeon à l’Élysée aux côtés de François Mitterrand, officiellement comme sherpa mais dans les faits comme quasi-secrétaire de l’Élysée, dans cette période sombre de la cohabitation entre l’Élysée et le gouvernement Balladur. Ils ont quelques lourds secrets en commun, à commencer par Karachi, semble-t-il.
Cet accord secret négocié le 2 mai entre Areva et les vendeurs d’Uramin soulève aussi une autre interrogation. Il y est question de tout dans ce pacte sauf du prix. Alors que les propriétaires de la société canadienne obtiennent de multiples assurances de la part d’Areva sur le lancement imminent d’une OPA, le groupe public ne prend même pas la peine de fixer une fourchette pour la transaction ! Étrange absence, alors que tous ceux qui ont eu à traiter de près ou de loin une OPA soulignent combien le prix est le critère essentiel dans de telles opérations. C’est lui qui détermine si une opération peut se faire ou non, si elle peut être rentable ou non.
Anne Lauvergeon, qui a été associée-gérante à la banque Lazard, ne peut avoir oublié cette règle de base du métier de banquier d’affaires. Le prix, dans toutes les négociations de ce type, est arrêté le plus tôt possible, afin d’éviter une surenchère planifiée, de prévenir lorsqu’il s’agit d’une société cotée toute manipulation de cours et tout délit d’initiés organisé. Or là, rien. Pas un mot sur cette donnée essentielle. Ce silence est d’autant plus étonnant qu’Areva connaît déjà une situation financière tendue, en raison des premiers déboires sur l’EPR finlandais que le groupe tente de cacher mais qui pèsent déjà beaucoup sur sa trésorerie. Ne pas avoir fixé de prix est un pousse-au-crime !
Aucune clause ne semble tenir non plus les vendeurs d’Uramin. Il est vrai que les relations sont au beau fixe avec les responsables d'Areva. Lorsqu'ils sont à Paris pour négocier, les actionnaires d'Uramin s'installent directement dans les locaux du groupe. À la stupéfaction des salariés, ils ont même accès à l'intranet du groupe. Poussant l'obligeance très loin, un des négociateurs d'Areva ira jusqu'à leur prêter son ordinateur personnel, où toutes les données de l'opération sont stockées, pour travailler.
Totalement libres, les vendeurs d'Uramin ne se privent donc pas, malgré les assurances données par Areva, d’alimenter la spéculation sur le titre. Le cours de la société canadienne a déjà connu une ascension vertigineuse, sans comparaison avec celle de ses concurrents. Cotée 2,8 dollars canadiens lors de l’introduction en Bourse en décembre 2006, l’action est déjà à 6,8 dollars début mai. Mais cette augmentation spectaculaire peut être encore améliorée, aux yeux des propriétaires d’Uramin. En mai, ils multiplient les annonces plus flatteuses les unes que les autres sur la qualité de leurs gisements. Trekkopje en Namibie est présenté comme un site encore plus prometteur que ce qui avait déjà été annoncé en février. Le 22 mai, le Wall Street Journal annonce opportunément que l’électricien public chinois, China National Nuclear Corporation, est en discussion avec Uramin. Le groupe public chinois démentira par la suite l’information. Qu’importe ! Le but recherché a été atteint : le cours a pris 8 % après la publication de cette nouvelle.
Le 1er juin, alors que les actionnaires d’Uramin savent déjà que le conseil de surveillance a donné son accord au rachat, ils font de nouvelles annonces. Ils ont obtenu une nouvelle concession minière au Niger. Nouvelle envolée boursière. Le 12 juin, trois jours avant l’annonce officielle de l’OPA, la presse fait état de discussions engagées par Areva pour racheter Uramin. L’action, qui était un peu retombée, monte encore de plus de 10 % à la Bourse de Toronto à la suite de cette annonce, terminant à 8,28 dollars canadiens à son plus haut de l'année. Depuis octobre 2006, au moment où les premières discussions ont été engagées entre Areva et Uramin, le cours de l'action a été multiplié par 5,9. Aucune société concurrente n’a connu une telle explosion. Le prix de l’uranium, pris alors dans une intense spéculation, qui sert aujourd’hui de justification pour ce rachat à prix stratosphérique, n’a été multiplié que par 2,4 dans la même période.
Les autorités boursières ont appris de longue date à se méfier des titres qui font l'objet d'une communication incessante, de fuites opportunes : il y a souvent des intérêts cachés dans ces petits jeux. Pourtant, le gendarme de la Bourse de Toronto ne semble pas s'émouvoir plus que cela des bruits étranges qui entourent Uramin. Il ouvrira plus tard une enquête, qu’il classera sans suite. Or, de nombreux faits semblent étonnants. Une enquête du quotidien canadien La Presse révélera que « le volume de transactions a presque quadruplé dans les jours précédant l'annonce, permettant aux acheteurs opportunistes de réaliser un gain variant de 11 à 27 % sur quatre jours ». Comme l'a noté le rapport d’information parlementaire publié en mars 2012, « des rumeurs sur le rachat d’Uramin ont peut-être aussi contribué à cette hausse ».
Cette explosion du titre ne semble pas inquiéter outre mesure les responsables d’Areva. Pourtant, ils savent bien que le cours de l’action, comme dans toutes les OPA boursières, va servir de référence à la transaction. Un rapport rédigé par la banque Rothschild, remis le 14 mai, essaie bien de donner une apparence de rationalité au prix de l’OPA. Son évaluation, bâtie sur des prévisions de cash-flows futurs, calculés à partir des prévisions d’exploitation des mines tirées du rapport d’expertise de SRK, donne un prix bas à 2,4 milliards de dollars. Un deuxième rapport, daté du 18 juin, revoit l’estimation en fonction des « synergies futures » non comprises dans le premier et le prix à 3,3 milliards de dollars est établi. Bingo ! Le prix de l’OPA, établi à partir de la moyenne des cours de l’action sur les vingt dernières cotations assortie d’une prime – « normale », selon les responsables d’Areva – de 21 %, tombera juste à 2,5 milliards de dollars. Dans le bas de la fourchette établie par la banque Rothschild. C’est dire si Areva faisait une bonne affaire.
Certains cadres du groupe, cependant, s’alarment de la situation et tentent d’imposer les processus d’usage en cas d’OPA. Dans un mail interne daté du 17 mai, le directeur juridique, Xavier Rincel, rappelle ainsi les règles élémentaires de précaution. Alors que la rédaction des documents pour lancer l’opération d’achat est en passe d’être achevée, il souligne l’importance d’une stricte confidentialité. « Il faudrait si ce n’est pas le cas réduire l’information. (…) Autant je pense qu’on peut contrôler nos troupes qui, somme toute, savent en principe ce que c’est que la confidentialité, autant nos dirigeants, dans leurs contacts quotidiens, sont susceptibles de parler à des personnes qui peuvent y trouver de l’intérêt en raison de leurs fonctions. Je sais que c’est délicat, mais toute mesure qui restreindra l’info est la bienvenue dans cette période. »
Xavier Rincel formule aussi dans son mail des demandes d’information, qui paraissent étranges car elles auraient dû être prises en compte dès le lancement du processus de rachat, la veille étant un dispositif indispensable dans une bataille boursière. « J’ai discuté avec Daniel (Wouters, conseiller spécial d’Anne Lauvergeon chargé du rachat d’Uramin, ndlr) de l’information financière dont nous avons besoin. Je ne sens pas notre conseil financier (la banque Rothschild, ndlr) suffisamment investi pour bénéficier d’informations suffisantes sur nos possibles concurrents et leurs mouvements dans cette période. (…) Dans un même sens, il nous faudrait un suivi quotidien des mouvements sur le titre. Peut-être as-tu ces informations de ton côté ? » écrit-il. Ainsi, le 17 mai, alors que l’accord est déjà passé sur le lancement d’une OPA sur Uramin, Areva est aveugle et ne sait pas ce qui se passe sur la cotation de la société minière à Toronto !
Si cette absence d’informations sur les mouvements boursiers est difficilement explicable au sein d’Areva, elle est totalement incompréhensible de la part de la banque Rothschild, conseil du groupe. La surveillance du titre est normalement une des fonctions premières d’une banque conseil, en cas d’OPA. Comment expliquer qu’elle ait négligé un point aussi déterminant? Interrogé lors de notre enquête de 2012, Christophe Desprez, le banquier conseil de la banque Rothschild chargé du dossier Uramin, nous avait expliqué que la banque était intervenue très tard dans ce dossier. Son rôle, disait-il alors, avait été limité : il s’agissait juste d’établir des business plans pour les gisements rachetés, calculés à partir des données transmises par le groupe. Rien de plus. Aujourd’hui, il s’en tient à cette version des faits. Un de ses adjoints, qui a été étroitement associé à ce dossier, a refusé de nous répondre.
Pourtant, les mails internes du groupe, dont il a été destinataire, prouvent que le banquier conseil a été beaucoup plus impliqué qu’il ne le dit dans cette opération. Est-il au courant de l’accord secret passé le 2 mai à Londres avec les vendeurs d’Uramin ? « J’ai peut-être été destinataire de certains mails d’Areva. Mais je ne m’en souviens pas », répond Christophe Desprez. La banque a-t-elle été chargée de rédiger l’agrément de lock up (interdiction de vente pendant un certain temps) avec les principaux actionnaires d’Uramin ? « C’est peut-être écrit dans un mail. Mais je ne m’en souviens pas », dit-il. A-t-il participé avec la banque canadienne BMO (conseil d’Uramin) au calcul d’une prime spéciale versée aux actionnaires juste avant l’OPA pour rémunérer les nouveaux droits sur les gisements du Niger, qui ne feront pas partie d’ailleurs de la transaction ? « Je ne m’en souviens pas », répond le banquier. Bref, l’amnésie est totale. Pour ces conseils dans l'opération, Areva a versé une commission de 9 millions d’euros à la banque Rothschild, comme l’avait révélé Mediapart en 2012. C’est une grosse somme, pour établir des business plans en quelques semaines.
Il n’y a pas que l’attitude de la banque conseil qui pose question. Celle de l’Agence de participations de l’État (APE), autorité de tutelle d’Areva, interroge aussi. Le groupe public lui a caché beaucoup de choses, comme le montre le mail que nous publions. Il lui a donné des rapports d’expertise expurgés, masquant notamment les doutes des géologues de la maison, comme l’a révélé Bakchich. Mais Bruno Bézard, alors directeur de l’APE, était membre du conseil de surveillance d’Areva depuis 2002. Il siégeait aussi au comité stratégique et au comité d’audit du groupe public. Pouvait-il tout ignorer de l’opération Uramin qui se tramait depuis octobre 2006 ?
Un fait nourrit la perplexité des salariés d’Areva : la rapidité avec laquelle s’est conclue l’opération de rachat d’Uramin. Moins d’un mois après l’élection présidentielle, tout était bouclé. « Cette rapidité continue de m’étonner », dit Arthur, qui a été associé aux longues négociations pour le rachat – non conclu finalement – de la mine australienne Olympic Dam avec l’APE en 2005. « Les équipes de l’APE sont très professionnelles, très pointilleuses. Elles exigent beaucoup de documents, posent beaucoup de questions. Comment ont-elles pu instruire ce dossier si rapidement ? Comment ont-elles pu se laisser berner à ce point ? Ce sont des questions que je n’arrête pas de me poser. J’aimerais bien avoir la réponse. »
Certains salariés d’Areva font valoir qu’Anne Lauvergeon était alors en position de force par rapport à l’APE : n’avait-elle pas été citée comme une possible ministre des finances au moment de la formation du premier gouvernement de Nicolas Sarkozy ? D’autres mettent en avant le fait qu’Areva faisait alors miroiter auprès de l’actionnaire public l’arrivée de partenaires, notamment chinois, dans le capital d’Uramin, ce qui allait alléger le coût de la charge financière de l’opération pour le groupe. Cela suffit-il pour expliquer cet accord express ?
Bruno Bézard, aujourd’hui directeur du Trésor, n’a pas répondu, une nouvelle fois, à nos demandes d’entretien. Voici les réponses qu’il avait faites à la commission d’information parlementaire. Le dossier Uramin n’était pas « tombé dans un vide interstitiel », avait-il expliqué alors. Il considérait « être allé très loin dans l’analyse », évoquant « l’intensité du dialogue » et « le nombre des assurances données ». L’APE avait alors mené très loin l’instruction du dossier dans un calendrier serré, selon lui. « Son analyse critique, écrit le rapport parlementaire, a porté sur l’ensemble des facteurs clés de risque, qui étaient aussi les facteurs clés de la valorisation, à savoir : la pertinence de l’opération au regard du plan stratégique de l’entreprise et de son positionnement concurrentiel ; la bonne valorisation de l’entreprise cible ; la capacité d’Areva à supporter le coût d’un point de vue bilanciel ; et sa capacité à maîtriser les risques opérationnels liés à l’acquisition. »
« Par comparaison avec la pratique normale de l’entreprise privée, il me semble que l’APE, sans jamais se substituer au management de l’entreprise sur un dossier où ce dernier exprimait une très forte conviction, est allée très loin dans l’analyse, jouant pleinement son rôle de challenger en posant de nombreuses questions, en exigeant de nombreux documents, en analysant objectivement et de façon suffisamment critique les données et en mesurant les avantages et les risques, pour proposer à ses autorités une orientation dans un calendrier compatible avec la vie des affaires et la compétition internationale », avait alors déclaré Bruno Bézard à la commission d’information.
Comment se fait-il que les équipes de l’APE, avec tout leur professionnalisme, n’aient pas pris garde à ce qui se passait sur le titre Uramin à la Bourse de Toronto ? Étaient-ils si démunis qu’ils ne pouvaient trouver un accès à un écran Bloomberg, leur permettant de suivre au jour le jour l’évolution de la cotation ? L’APE a paré à ces interrogations devant la commission parlementaire. « L’APE avait choisi de privilégier une approche de valorisation intrinsèque de la société, fondée sur des éléments objectifs plutôt que sur sa valeur boursière, sujette à caution dans le contexte de l’époque qui pouvait faire craindre une bulle spéculative », écrit le rapport parlementaire. Ainsi, en pleine spéculation, comme le reconnaît l’autorité de tutelle, celle-ci a estimé que le cours de Bourse de la société rachetée dans le cadre d’une bataille boursière était une donnée accessoire.
La spéculation autour d’Uramin n’a pas échappé, en tout cas, aux boursiers avertis à l'époque. Beaucoup ont flairé la bonne affaire. La banque Goldman Sachs, qui avait déconseillé à EDF de prendre une participation dans Uramin, comme Areva le lui proposait, est ainsi devenue un des principaux actionnaires de la société minière canadienne, dans les dernières semaines, juste avant le lancement de l’OPA.
Selon nos informations, les enquêteurs de la brigade financière ont demandé à Areva la liste des actionnaires d’Uramin au moment de l’OPA de juillet 2007. La direction du groupe lui aurait répondu qu’elle ne l’avait plus. Ainsi, cette liste serait tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Mais peut-être que, depuis, le groupe public a remis la main dessus ?
Prochain épisode : la diplomatie parallèle d’Areva
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Nettoyer la base de données de WordPress