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Uramin: l'accord secret passé dans le dos de l'Etat

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Le calendrier de l’acquisition d’Uramin a toujours laissé songeur : l’essentiel de la négociation autour de cette société minière canadienne s’est tenue entre mars et la mi-mai 2007, en pleine campagne présidentielle, en pleine vacance du pouvoir. Comme si la direction d’Areva, groupe détenu à 86,5 % directement et indirectement par l’État, était libérée de toute tutelle et n’avait que faire de ces échéances politiques.

Christine Lagarde, Jean-Louis Borloo, Nicolas Sarkozy et Anne Lauvergeon lors d'un voyage à Pékin en novembre 2007Christine Lagarde, Jean-Louis Borloo, Nicolas Sarkozy et Anne Lauvergeon lors d'un voyage à Pékin en novembre 2007 © Reuters

Le calendrier électoral, pourtant, plane sur toutes les réflexions des responsables du groupe nucléaire, selon nos informations. Il semble même avoir guidé les principales décisions. Dès que la campagne électorale commence, l’opération d’acquisition d’Uramin, préparée dans le plus grand secret au sein du groupe par une petite cellule emmenée par Daniel Wouters – voir Poker menteur à Toronto –, s’enclenche sans que le conseil de surveillance d’Areva soit informé des projets de la direction. En mars 2007, le groupe public participe à un placement privé de 226 millions de dollars, lancé par Uramin, officiellement afin d’augmenter son capital. Areva, à cette occasion, prend 5,5 % du capital de la société canadienne pour quelque 79 millions d’euros, juste en dessous de la barre des 80 millions d’euros, laquelle l’aurait obligé à demander l’accord du conseil de surveillance d’Areva. Les autorités de tutelle sont alors soigneusement tenues à l’écart de l’opération.

Alors que la campagne présidentielle bat son plein, la direction d’Areva continue ses négociations secrètes. Une réunion se tient avec les vendeurs d’Uramin le 2 mai à Londres. Le second tour de l’élection présidentielle doit avoir lieu quatre jours plus tard. Et les responsables d’Areva se projettent déjà dans l’avenir.

Dans un mail interne en date du 3 mai, que Mediapart s’est procuré, Daniel Wouters fait un compte-rendu détaillé de cette réunion à toutes les personnes qui sont intéressées au dossier, y compris Gérard Arbola, membre du directoire, et Christophe Deprez, banquier conseiller chez Rothschild, chargé de l’opération. Les vendeurs, selon ce mail, veulent des assurances. Un accord secret a donc été conclu lors de cette rencontre pour mener à bien cette acquisition, en tenant compte « de l’agenda spécifique Areva et électoral français ».

Tout est décrit comme si Areva avait l’assurance au plus haut niveau de ne rencontrer aucun obstacle, aucune opposition à l’acquisition d’Uramin. Toutes les autorisations de l’État paraissent n’y être que formalités. Après la tenue d’un conseil de surveillance, le 24 mai 2007, dont l’accord ne paraît faire aucun doute, il est prévu d’obtenir celui du ministre de tutelle dès le 6 juin, et l’annonce de l’OPA le 9 juin. Ce calendrier sera presque respecté à la lettre. Le conseil de surveillance avalisera l’opération le 30 et non le 24 mai. À peine installé à Bercy, l’éphémère ministre des finances, Jean-Louis Borloo, signera l’accord le 3 juin au lieu du 6. L’OPA sur Uramin sera annoncée le 15 juin au lieu du 9.

« Cet agenda reste "sous embargo" et ne doit pas être communiqué à nos contreparties dans les due diligences, à l’autorité de tutelle, à nos partenaires à l’acquisition, etc., afin de maintenir la pression. Notre objectif reste un passage en conseil de surveillance le 24 mai », insiste Daniel Wouters dans son mail. Ainsi, la direction d’Areva assume de négocier dans le dos de ses actionnaires, de tout cacher à ses organes de contrôle. Comme si elle ne devait aucun compte à personne. Le projet de rachat d’Uramin sera présenté pour la première fois aux membres du conseil de surveillance le 3 mai. Mais à aucun moment lors de cette réunion, il ne sera dit qu’Areva est déjà aussi engagé avec Uramin, selon nos informations.

Pourquoi la direction d’Areva a-t-elle passé cet accord secret ? Comment a-t-elle pu prendre une initiative aussi engageante et coûteuse (2,5 milliards de dollars), en cachant tout à ses actionnaires ? Les défenseurs d’Anne Lauvergeon ont répété à satiété les mêmes arguments pour justifier la conduite de l’ancienne présidente d’Areva. Bridée par la tutelle de Thierry Breton, ministre des finances de Jacques Chirac entre 2005 et 2007, qui avait bloqué plusieurs de ses projets, elle a décidé de tout mettre en place pour réaffirmer son indépendance et reprendre le développement du groupe, dès le départ de celui-ci. De plus, expliquent-ils, cela se passait à une période de bataille mondiale autour des réserves d’uranium. Le temps de l’entreprise n’étant pas celui de la politique, Areva ne pouvait rester l’arme aux pieds face à ses concurrents, en attendant la conclusion de la campagne présidentielle.

Même si Anne Lauvergeon veillait jalousement sur son indépendance, l'ancienne présidente d'Areva est trop politique, selon ses détracteurs, pour avoir omis d'informer des responsables politiques de ses intentions. « Elle a peut-être caché ses projets aux autorités de tutelle. Mais elle n'aura pas fait l'erreur de ne pas avertir d'une façon ou d'une autre de hauts responsables politiques, de droite comme de gauche. C'était trop risqué », remarque un proche du dossier.  

D'autant qu'à cette époque, la position de la présidente d'Areva est assez fragilisée. Anne Lauvergeon a été reconduite à la tête du groupe public grâce à un concours de circonstances en 2006. Alors que Thierry Breton militait pour son remplacement, Jacques Chirac s’était opposé à son renvoi. Après la démission de Noël Forgeard, pris dans le scandale EADS, ce nouveau changement aurait fait désordre dans la conduite des entreprises publiques, avait argumenté le président de la République d’alors. Mais cette reconduction d’une proche de François Mitterrand avait été mal acceptée dans les rangs de l’UMP.

De plus, Areva fait l’objet de multiples polémiques et de multiples convoitises. Nombre de dirigeants, à commencer par le puissant Michel Pébereau, président de BNP Paribas, militent pour un démantèlement du groupe nucléaire constitué en 2002 par la fusion de Cogema et Framatome. Surtout, Martin Bouygues, ami très proche de Nicolas Sarkozy et principal actionnaire d’Alstom, s’est dit intéressé pour devenir actionnaire d’Areva et rapprocher le groupe d’Alstom. Lui aussi pose la question du démantèlement du groupe. Face à de tels adversaires, Anne Lauvergeon se sait alors sur un siège éjectable.

© dr

Y a-t-il eu quelque accord entre Nicolas Sarkozy et Anne Lauvergeon, prête à tout pour défendre sa présidence, avec Uramin en fond de tableau, comme l’assure Vincent Crouzet dans son roman, à peine de fiction, Radioactif ? C’est une des interrogations des enquêteurs de la brigade financière, semble-t-il. Les deux personnages, en tout cas, se connaissent bien et de longue date : Nicolas Sarkozy était au ministère du budget, Anne Lauvergeon à l’Élysée aux côtés de François Mitterrand, officiellement comme sherpa mais dans les faits comme quasi-secrétaire de l’Élysée, dans cette période sombre de la cohabitation entre l’Élysée et le gouvernement Balladur. Ils ont quelques lourds secrets en commun, à commencer par Karachi, semble-t-il.

Cet accord secret négocié le 2 mai entre Areva et les vendeurs d’Uramin soulève aussi une autre interrogation. Il  y est question de tout dans ce pacte sauf du prix. Alors que les propriétaires de la société canadienne obtiennent de multiples assurances de la part d’Areva sur le lancement imminent d’une OPA, le groupe public ne prend même pas la peine de fixer une fourchette pour la transaction ! Étrange absence, alors que tous ceux qui ont eu à traiter de près ou de loin une OPA soulignent combien le prix est le critère essentiel dans de telles opérations. C’est lui qui détermine si une opération peut se faire ou non, si elle peut être rentable ou non.

Anne Lauvergeon, qui a été associée-gérante à la banque Lazard, ne peut avoir oublié cette règle de base du métier de banquier d’affaires. Le prix, dans toutes les négociations de ce type, est arrêté le plus tôt possible, afin d’éviter une surenchère planifiée, de prévenir lorsqu’il s’agit d’une société cotée toute manipulation de cours et tout délit d’initiés organisé. Or là, rien. Pas un mot sur cette donnée essentielle. Ce silence est d’autant plus étonnant qu’Areva connaît déjà une situation financière tendue, en raison des premiers déboires sur l’EPR finlandais que le groupe tente de cacher mais qui pèsent déjà beaucoup sur sa trésorerie. Ne pas avoir fixé de prix est un pousse-au-crime !

Aucune clause ne semble tenir non plus les vendeurs d’Uramin. Il est vrai que les relations sont au beau fixe avec les responsables d'Areva. Lorsqu'ils sont à Paris pour négocier, les actionnaires d'Uramin s'installent directement dans les locaux du groupe. À la stupéfaction des salariés, ils ont même accès à l'intranet du groupe. Poussant l'obligeance très loin, un des négociateurs d'Areva ira jusqu'à leur prêter son ordinateur personnel, où toutes les données de l'opération sont stockées, pour travailler. 

Totalement libres, les vendeurs d'Uramin ne se privent donc pas, malgré les assurances données par Areva, d’alimenter la spéculation sur le titre. Le cours de la société canadienne a déjà connu une ascension vertigineuse, sans comparaison avec celle de ses concurrents. Cotée 2,8 dollars canadiens lors de l’introduction en Bourse en décembre 2006, l’action est déjà à 6,8 dollars début mai. Mais cette augmentation spectaculaire peut être encore améliorée, aux yeux des propriétaires d’Uramin. En mai, ils multiplient les annonces plus flatteuses les unes que les autres sur la qualité de leurs gisements. Trekkopje en Namibie est présenté comme un site encore plus prometteur que ce qui avait déjà été annoncé en février. Le 22 mai, le Wall Street Journal annonce opportunément que l’électricien public chinois, China National Nuclear Corporation, est en discussion avec Uramin. Le groupe public chinois démentira par la suite l’information. Qu’importe ! Le but recherché a été atteint : le cours a pris 8 % après la publication de cette nouvelle.

Le 1er juin, alors que les actionnaires d’Uramin savent déjà que le conseil de surveillance a donné son accord au rachat, ils font de nouvelles annonces. Ils ont obtenu une nouvelle concession minière au Niger. Nouvelle envolée boursière. Le 12 juin, trois jours avant l’annonce officielle de l’OPA, la presse fait état de discussions engagées par Areva pour racheter Uramin. L’action, qui était un peu retombée, monte encore de plus de 10 % à la Bourse de Toronto à la suite de cette annonce, terminant à 8,28 dollars canadiens à son plus haut de l'année. Depuis octobre 2006, au moment où les premières discussions ont été engagées entre Areva et Uramin, le cours de l'action a été multiplié par 5,9. Aucune société concurrente n’a connu une telle explosion. Le prix de l’uranium, pris alors dans une intense spéculation, qui sert aujourd’hui de justification pour ce rachat à prix stratosphérique, n’a été multiplié que par 2,4 dans la même période.

Les autorités boursières ont appris de longue date à se méfier des titres qui font l'objet d'une communication incessante, de fuites opportunes : il y a souvent des intérêts cachés dans ces petits jeux. Pourtant, le gendarme de la Bourse de Toronto ne semble pas s'émouvoir plus que cela des bruits étranges qui entourent Uramin. Il ouvrira plus tard une enquête, qu’il classera sans suite. Or, de nombreux faits semblent étonnants. Une enquête du quotidien canadien La Presse révélera que « le volume de transactions a presque quadruplé dans les jours précédant l'annonce, permettant aux acheteurs opportunistes de réaliser un gain variant de 11 à 27 % sur quatre jours ». Comme l'a noté le rapport d’information parlementaire publié en mars 2012, « des rumeurs sur le rachat d’Uramin ont peut-être aussi contribué à cette hausse ».

Cette explosion du titre ne semble pas inquiéter outre mesure les responsables d’Areva. Pourtant, ils savent bien que le cours de l’action, comme dans toutes les OPA boursières, va servir de référence à la transaction. Un rapport rédigé par la banque Rothschild, remis le 14 mai, essaie bien de donner une apparence de rationalité au prix de l’OPA. Son évaluation, bâtie sur des prévisions de cash-flows futurs, calculés à partir des prévisions d’exploitation des mines tirées du rapport d’expertise de SRK, donne un prix bas à 2,4 milliards de dollars. Un deuxième rapport, daté du 18 juin, revoit l’estimation en fonction des « synergies futures » non comprises dans le premier et le prix à 3,3 milliards de dollars est établi. Bingo ! Le prix de l’OPA, établi à partir de la moyenne des cours de l’action sur les vingt dernières cotations assortie d’une prime – « normale », selon les responsables d’Areva – de 21 %, tombera juste à 2,5 milliards de dollars. Dans le bas de la fourchette établie par la banque Rothschild. C’est dire si Areva faisait une bonne affaire.

Certains cadres du groupe, cependant, s’alarment de la situation et tentent d’imposer les processus d’usage en cas d’OPA. Dans un mail interne daté du 17 mai, le directeur juridique, Xavier Rincel, rappelle ainsi les règles élémentaires de précaution. Alors que la rédaction des documents pour lancer l’opération d’achat est en passe d’être achevée, il souligne l’importance d’une stricte confidentialité. « Il faudrait si ce n’est pas le cas réduire l’information. (…) Autant je pense qu’on peut contrôler nos troupes qui, somme toute, savent en principe ce que c’est que la confidentialité, autant nos dirigeants, dans leurs contacts quotidiens, sont susceptibles de parler à des personnes qui peuvent y trouver de l’intérêt en raison de leurs fonctions. Je sais que c’est délicat, mais toute mesure qui restreindra l’info est la bienvenue dans cette période. »

Xavier Rincel formule aussi dans son mail des demandes d’information, qui paraissent étranges car elles auraient dû être prises en compte dès le lancement du processus de rachat, la veille étant un dispositif indispensable dans une bataille boursière. « J’ai discuté avec Daniel (Wouters, conseiller spécial d’Anne Lauvergeon chargé du rachat d’Uramin, ndlr) de l’information financière dont nous avons besoin. Je ne sens pas notre conseil financier (la banque Rothschild, ndlr) suffisamment investi pour bénéficier d’informations suffisantes sur nos possibles concurrents et leurs mouvements dans cette période. (…) Dans un même sens, il nous faudrait un suivi quotidien des mouvements sur le titre. Peut-être as-tu ces informations de ton côté ? » écrit-il. Ainsi, le 17 mai, alors que l’accord est déjà passé sur le lancement d’une OPA sur Uramin, Areva est aveugle et ne sait pas ce qui se passe sur la cotation de la société minière à Toronto !

Si cette absence d’informations sur les mouvements boursiers est difficilement explicable au sein d’Areva, elle est totalement incompréhensible de la part de la banque Rothschild, conseil du groupe. La surveillance du titre est normalement une des fonctions premières d’une banque conseil, en cas d’OPA. Comment expliquer qu’elle ait négligé un point aussi déterminant? Interrogé lors de notre enquête de 2012, Christophe Desprez, le banquier conseil de la banque Rothschild chargé du dossier Uramin, nous avait expliqué que la banque était intervenue très tard dans ce dossier. Son rôle, disait-il alors, avait été limité : il s’agissait juste d’établir des business plans pour les gisements rachetés, calculés à partir des données transmises par le groupe. Rien de plus. Aujourd’hui, il s’en tient à cette version des faits. Un de ses adjoints, qui a été étroitement associé à ce dossier, a refusé de nous répondre.

Site de Trekkopje en NamibieSite de Trekkopje en Namibie © dr

Pourtant, les mails internes du groupe, dont il a été destinataire, prouvent que le banquier conseil a été beaucoup plus impliqué qu’il ne le dit dans cette opération. Est-il au courant de l’accord secret passé le 2 mai à Londres avec les vendeurs d’Uramin ? « J’ai peut-être été destinataire de certains mails d’Areva. Mais je ne m’en souviens pas », répond Christophe Desprez. La banque a-t-elle été chargée de rédiger l’agrément de lock up (interdiction de vente pendant un certain temps) avec les principaux actionnaires d’Uramin ? « C’est peut-être écrit dans un mail. Mais je ne m’en souviens pas », dit-il. A-t-il participé avec la banque canadienne BMO (conseil d’Uramin) au calcul d’une prime spéciale versée aux actionnaires juste avant l’OPA pour rémunérer les nouveaux droits sur les gisements du Niger, qui ne feront pas partie d’ailleurs de la transaction ? « Je ne m’en souviens pas », répond le banquier. Bref, l’amnésie est totale. Pour ces conseils dans l'opération, Areva a versé une commission de 9 millions d’euros à la banque Rothschild, comme l’avait révélé Mediapart en 2012. C’est une grosse somme, pour établir des business plans en quelques semaines.

Il n’y a pas que l’attitude de la banque conseil qui pose question. Celle de l’Agence de participations de l’État (APE), autorité de tutelle d’Areva, interroge aussi. Le groupe public lui a caché beaucoup de choses, comme le montre le mail que nous publions. Il lui a donné des rapports d’expertise expurgés, masquant notamment les doutes des géologues de la maison, comme l’a révélé Bakchich. Mais Bruno Bézard, alors directeur de l’APE, était membre du conseil de surveillance d’Areva depuis 2002. Il siégeait aussi au comité stratégique et au comité d’audit du groupe public. Pouvait-il tout ignorer de l’opération Uramin qui se tramait depuis octobre 2006 ?

Bruno Bezard, ancien directeur de l'APE, directeur du TrésorBruno Bezard, ancien directeur de l'APE, directeur du Trésor © capture d'écran sur la chaîne parlementaire

Un fait nourrit la perplexité des salariés d’Areva : la rapidité avec laquelle s’est conclue l’opération de rachat d’Uramin. Moins d’un mois après l’élection présidentielle, tout était bouclé. « Cette rapidité continue de m’étonner », dit Arthur, qui a été associé aux longues négociations pour le rachat – non conclu finalement – de la mine australienne Olympic Dam avec l’APE en 2005. « Les équipes de l’APE sont très professionnelles, très pointilleuses. Elles exigent beaucoup de documents, posent beaucoup de questions. Comment ont-elles pu instruire ce dossier si rapidement ? Comment ont-elles pu se laisser berner à ce point ? Ce sont des questions que je n’arrête pas de me poser. J’aimerais bien avoir la réponse. »

Certains salariés d’Areva font valoir qu’Anne Lauvergeon était alors en position de force par rapport à l’APE : n’avait-elle pas été citée comme une possible ministre des finances au moment de la formation du premier gouvernement de Nicolas Sarkozy ? D’autres mettent en avant le fait qu’Areva faisait alors miroiter auprès de l’actionnaire public l’arrivée de partenaires, notamment chinois, dans le capital d’Uramin, ce qui allait alléger le coût de la charge financière de l’opération pour le groupe. Cela suffit-il pour expliquer cet accord express ? 

Bruno Bézard, aujourd’hui directeur du Trésor, n’a pas répondu, une nouvelle fois, à nos demandes d’entretien. Voici les réponses qu’il avait faites à la commission d’information parlementaire. Le dossier Uramin n’était pas « tombé dans un vide interstitiel », avait-il expliqué alors. Il considérait « être allé très loin dans l’analyse », évoquant « l’intensité du dialogue » et « le nombre des assurances données ». L’APE avait alors mené très loin l’instruction du dossier dans un calendrier serré, selon lui. « Son analyse critique, écrit le rapport parlementaire, a porté sur l’ensemble des facteurs clés de risque, qui étaient aussi les facteurs clés de la valorisation, à savoir : la pertinence de l’opération au regard du plan stratégique de l’entreprise et de son positionnement concurrentiel ; la bonne valorisation de l’entreprise cible ; la capacité d’Areva à supporter le coût d’un point de vue bilanciel ; et sa capacité à maîtriser les risques opérationnels liés à l’acquisition. »

« Par comparaison avec la pratique normale de l’entreprise privée, il me semble que l’APE, sans jamais se substituer au management de l’entreprise sur un dossier où ce dernier exprimait une très forte conviction, est allée très loin dans l’analyse, jouant pleinement son rôle de challenger en posant de nombreuses questions, en exigeant de nombreux documents, en analysant objectivement et de façon suffisamment critique les données et en mesurant les avantages et les risques, pour proposer à ses autorités une orientation dans un calendrier compatible avec la vie des affaires et la compétition internationale », avait alors déclaré Bruno Bézard à la commission d’information.

Comment se fait-il que les équipes de l’APE, avec tout leur professionnalisme, n’aient pas pris garde à ce qui se passait sur le titre Uramin à la Bourse de Toronto ? Étaient-ils si démunis qu’ils ne pouvaient trouver un accès à un écran Bloomberg, leur permettant de suivre au jour le jour l’évolution de la cotation ? L’APE a paré à ces interrogations devant la commission parlementaire. « L’APE avait choisi de privilégier une approche de valorisation intrinsèque de la société, fondée sur des éléments objectifs plutôt que sur sa valeur boursière, sujette à caution dans le contexte de l’époque qui pouvait faire craindre une bulle spéculative », écrit le rapport parlementaire. Ainsi, en pleine spéculation, comme le reconnaît l’autorité de tutelle, celle-ci a estimé que le cours de Bourse de la société rachetée dans le cadre d’une bataille boursière était une donnée accessoire.

La spéculation autour d’Uramin n’a pas échappé, en tout cas, aux boursiers avertis à l'époque. Beaucoup ont flairé la bonne affaire. La banque Goldman Sachs, qui avait déconseillé à EDF de prendre une participation dans Uramin, comme Areva le lui proposait, est ainsi devenue un des principaux actionnaires de la société minière canadienne, dans les dernières semaines, juste avant le lancement de l’OPA.

Selon nos informations, les enquêteurs de la brigade financière ont demandé à Areva la liste des actionnaires d’Uramin au moment de l’OPA de juillet 2007. La direction du groupe lui aurait répondu qu’elle ne l’avait plus. Ainsi, cette liste serait tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Mais peut-être que, depuis, le groupe public a remis la main dessus ? 

Prochain épisode : la diplomatie parallèle d’Areva

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Sciences-Po Aix a délivré des diplômes bidons

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Enquête en partenariat avec le site Marsactu. « Ce n'est pas l'université de Toulon. » Quand nous l'avions rencontré, en septembre 2014, c'est par ces mots que le directeur de Sciences-Po Aix, Christian Duval, avait voulu écarter toute idée de scandale à grande échelle au sein de son institution. Depuis, chaque semaine qui passe rapproche pourtant l'école aixoise de ce gouffre. Dernier épisode en date, un audit, mené par Aix-Marseille université (AMU) et remis le 17 novembre, qui étaie les dérives révélées il y a deux mois par Marsactu et Mediapart.

Deux jours après la remise de ce document estampillé « confidentiel », Christian Duval annonçait sa démission. Elle deviendra effective ce samedi 6 décembre lors d'un conseil d'administration de l'Institut d'études politiques (IEP). Que contient donc ce rapport qui l’a poussé à partir ?

Exemplaire anonymisé d'un des «diplômes» bidon délivrés en juin 2014

L’équipe d'audit interne d'AMU a mis la main sur un diplôme bidon, signé en juin 2014 de la main même de Christian Duval. Il a été décerné, parallèlement à un vrai diplôme de l’AMU, à 28 militants et permanents du syndicat CFE-CGC qui ont suivi une formation continue en « intelligence sociale ». Officiellement inscrits dans un master d'études politiques spécialité management de l'information stratégique (MIS), ils ont obtenu un diplôme sur mesure mentionnant le parcours « intelligence sociale », qui n’a jamais obtenu aucune habilitation du ministère de l’enseignement supérieur. Et le directeur de l’IEP, qui a signé ces diplômes où est apposé le sceau de Sciences-Po, n'en avait pas le droit. S'il n'a pas souhaité répondre à nos questions, il a assuré aux auteurs de l’audit qu’il s’agissait d’une simple « attestation de validation ».

« L'IEP a privilégié les demandes des partenaires et c'est allé très loin, explique l'audit, documents à l'appui. En effet, pour répondre à une demande persistante d'une promotion CFE-CGC, un diplôme de master d'études politiques parcours intelligence sociale, aux armoiries de l'IEP, mais avec toutes les mentions obligatoires (décrets, arrêté ministériel relatif aux habilitations…) et signé par le directeur de l'IEP, a été remis à 28 étudiants qui avaient reçu le master MIS. »

Remise des diplômes en juin 2014

Ce parcours proposé aux syndicalistes est révélateur des dérives de l'IEP. D'abord, l'audit note « un éloignement de la maquette d'habilitation et la disparition de la langue vivante pourtant obligatoire en master ». Concrètement, les enseignements délivrés n'ont pas grand-chose à voir avec ceux que sanctionnent les diplômes d'État validés par le ministère après discussion avec l'université, « tant en contenu qu'en nombre d'heures dispensées ». La conclusion est sans appel : « L'IEP a fait preuve d'un manquement important à ses obligations. » Autre incongruité : le montage économique de ce partenariat. Au lieu de délivrer lui-même ces cours « à Paris et à Aix », l'IEP a préféré les sous-traiter à un organisme de formation aixois récemment créé, l'Institut supérieur en intelligence sociale (Isis).

Le rapport d’audit confirme que sur les 12 masters habilités de l’IEP, les dérives concernent uniquement les spécialités du master management de l'information stratégique (MIS), dirigé par le consultant Stéphane Boudrandi dont Christian Duval avait fait son numéro deux. Initialement dédié aux sciences de l’information, ce master a été décliné à toutes les sauces, au gré des demandes des partenaires privés de l’IEP. « De nouveaux parcours ont été créés avec des programmes s’éloignant de plus en plus de la maquette de départ », constatent les auteurs du rapport, qui assurent que l’AMU n’a jamais été informée de ces modifications. Ils citent notamment un parcours « Management et gouvernance des entreprises, dont les objectifs sont la finance, le marketing, les ressources humaines, communication ou business ».

Le rapport rappelle que Sciences-Po Aix a passé de nombreuses conventions avec des partenaires extérieurs prévoyant la délivrance du master MIS avec des cours délocalisés, mais que « quasiment aucun cours n’a été assuré par des enseignants-chercheurs ». Et pour cause, selon le rapport, le nombre d'étudiants des masters MIS a été multiplié par 34 en deux ans (passant de 16 étudiants en 2011-2012 à 547 en 2013-2014), « alors que l’équipe d’enseignants-chercheurs de l’IEP n’a quasiment pas évolué ». Dans certaines spécialités, seules 70 heures de cours ont été délivrées au total au lieu des 500 heures prévues par la maquette du diplôme. Et les étudiants dans ces masters délocalisés ont été recrutés n’importe comment. « Sur un échantillon de 104 étudiants inscrits pour les années universitaires 2012-2013 et 2013-2014, plus de la moitié n’avaient pas le niveau de diplôme requis », s'alarment les auteurs.

Certains avaient des parcours tortueux : 52 étudiants « d’origine chinoise » avaient pour adresse Pointe-Noire, au Congo Brazzaville. « Ils avaient comme dernier diplôme un MBA (master of business administration) de l’IEAM (une école de management) et l’Université professionnelle d’Afrique était mentionnée dans leur dossier », relève le rapport. Ces deux organismes font partie de ceux qui ont noué des partenariats douteux avec Sciences-Po Aix. Une trentaine d’autres étudiants inscrits étaient eux originaires de Kinshasa, « mais les dossiers n’ont pas été retrouvés », et ils n’ont finalement pas été diplômés.

Le rapport conclut, dans un langage très administratif et poli, que les diplômes du master MIS délivrés en 2013 et 2014 avaient tout faux. Ces diplômes dérogeaient « aux standards prévus à la fois au dossier d’habilitation, à l’arrêté relatif au diplôme de Master et aux exigences d’un diplôme universitaire, tout cela par le fait d’importants dysfonctionnements au sein de l’IEP ».

Les auteurs soulignent que les documents qui leur ont été remis par la direction de l’IEP étaient « incomplets ». Certaines maquettes de master leur sont arrivées en catastrophe le 17 novembre 2014, « veille de la remise du rapport final », comme celles du partenariat avec l’École nationale supérieure des sapeurs-pompiers ou encore l’École des officiers de la gendarmerie de Melun. Cette dernière semble d’ailleurs particulièrement éloignée de la maquette d’origine du diplôme, puisque seules 122 heures sur 669 sont consacrées au management de l’information stratégique, les autres étant dédiées à la « formation professionnelle », aux « stage et pratiques professionnelles », à l’« éducation physique et sportive », ainsi qu’à l’« anglais ».

Combien d’incongruités ont ainsi été cachées aux auditeurs ? Ils n’ont par exemple pas eu accès aux conventions de partenariat signées avant 2012. Surtout, ils n’ont pas eu le temps d’aborder « toute la partie financière qui pourtant nécessitait certainement d’être étudiée ». La Cour des comptes, qui enquête en ce moment sur l'IEP, pourrait éclairer ces zones d'ombres.

Cette étape semble incontournable dans la mission de Didier Laussel, l’administrateur provisoire qui vient d’être nommé par le ministère de l’enseignement supérieur pour succéder à Christian Duval. Ce professeur agrégé d’économie est par ailleurs conseiller spécial d’Yvon Berland, le président d’Aix-Marseille université. Yvon Berland, qui siège au conseil d’administration de l’IEP, entend désormais obtenir plus de garanties avant de délivrer de nouveaux masters. « Nous avons repris l’ensemble des dossiers : il n’y a jamais eu de conventions présentées au vote en conseil d’administration, mais seulement des projets de convention. Puis en juillet 2013, Christian Duval a obtenu une délégation pour les conclure sans passer par le CA. Rien n’est arrivé dans les instances d’Aix-Marseille université. »

Au besoin, il envisage même une rupture de la convention qui autorise Sciences-Po Aix à délivrer au nom d’AMU des masters. Yvon Berland n’écarte pas non plus l’hypothèse d’une éventuelle suite judiciaire aux découvertes de son service d’audit : « Les services juridiques d’AMU examinent cela au microscope. » À défaut de l'avoir fait plus tôt.

Mediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

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Détournements de fonds publics : Jean-Noël Guérini est relaxé

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Poursuivis dans une affaire de licenciement de complaisance, Jean-Noël Guérini (ex-PS), président du conseil général des Bouches-du-Rhône, et son ex-conseiller Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération socialiste du département, ont été relaxés, lundi 8 décembre 2014, par le tribunal correctionnel de Marseille. Ils étaient poursuivis pour détournement de fonds publics et recel. Pour le tribunal, la décision de Jean-Noël Guérini de licencier, le 26 mai 2011, son ex-conseiller ne constituait pas une « démission déguisée », car « la preuve n’est pas rapportée de (la volonté de Jean-David Ciot, ndlr) de démissionner de son poste de collaborateur de cabinet pour se présenter aux élections législatives de 2012 ».

Entré en 2002 à son cabinet comme « chargé de mission de géographie cantonale » – cela ne s’invente pas –, Jean-David Ciot l’a quitté le 1er juin 2011 avec 62 529 euros d’indemnités (la somme a été saisie et confiée à l’Agrasc). Pour l’accusation, il s’agissait d’une démission déguisée, visant à lui permettre de faire campagne aux législatives de 2012 dans le cadre de la loi du 14 avril 2011. Celle-ci interdit en effet aux collaborateurs du cabinet du patron d’un exécutif local de se présenter dans la circonscription où ils ont exercé leurs fonctions dans l’année.

Le procureur, Jean-Luc Blachon, s’était appuyé sur l’absence de motif de licenciement et l'absence de préavis qui prouvaient selon lui l'intentionnalité du délit. Si Jean-David Ciot avait effectué son préavis, il n’aurait en effet pas pu se présenter aux législatives de juin 2012. Le procureur avait requis contre les deux hommes six mois avec sursis, un an d’inéligibilité et 15 000 euros d’amende.

Jean-Noël Guérini à la sortie du tribunal, le 8 décembre 2014Jean-Noël Guérini à la sortie du tribunal, le 8 décembre 2014 © LF

« Ces omissions auraient pu entraîner l’illégalité de la décision de licenciement si cette dernière avait fait l’objet d’un recours devant la juridiction administrative », reconnaît le tribunal correctionnel présidé par Christine Mée, dans sa décision. Mais les juges ont estimé que « si le principe du licenciement a été accepté par le collaborateur de cabinet », ces deux omissions « ne sauraient démontrer l’existence d’un licenciement (sic, d’une démission) déguisé(e) ».

Le jugement rendu ce 8 décembre 2014 souligne que seul un témoin, l’ex-directeur de cabinet de Guérini, Rémy Bargès, a « évoqué la question d’une démission de Jean-David Ciot liée à la volonté de ce dernier de se présenter aux élections législatives de 2012 ». « Néanmoins, ses déclarations ont été évolutives et confuses sur les motifs supposés de la rupture du contrat, poursuit le jugement. Lors de la confrontation, il s’est montré beaucoup moins affirmatif, disant que Jean-David Ciot a pu évoquer la possibilité de démissionner parmi d’autres sans même être certain que ce dernier ait évoqué lui-même cette possibilité. » 

« S’il peut être admis que Jean-David Ciot ait pu afficher des ambitions politiques nationales, la preuve n’est pas rapportée de sa volonté de démissionner de son poste de collaborateur de cabinet pour se présenter aux élections législatives de 2012 », concluent les juges. Qui poursuivent : « Il résulte au contraire des pièces produites que Jean-David Ciot, en novembre 2011, refusait de s’engager et a fini par accepter d’être candidat à l’investiture du PS. » La convention nationale d’investiture du PS n'avait officiellement arrêté son nom pour la circonscription d'Aix-en-Provence que le 10 décembre 2011.

C’est à l’occasion d’un long entretien avec Alain Richard, le 26 avril 2011, que Jean-Noël Guérini affirme avoir décidé de démissionner de la fédération et de licencier Jean-David Ciot afin qu’il l’y remplace. Il s’agissait seulement, selon lui, de se mettre en conformité avec les futures préconisations de la commission Richard qui, le 5 juillet 2011, pointera « des cas trop nombreux de dépendance économique et sociale de cadres de la fédération par rapport à une seule collectivité territoriale employeur », à savoir le Conseil général.

Quant au député Jean-David Ciot, il avait assuré qu'en mai 2011 il n’était candidat à rien, pas plus au secrétariat général de la fédération PS (à la tête de laquelle il remplacera Jean-Noël Guérini en juillet 2011) qu’à la députation dans la 14e circonscription, réputée « conservatrice » et tenue par Maryse Joissains, la maire d’Aix-en-Provence.

Le tribunal a manifestement trouvé ces explications satisfaisantes, même si le rapport de la commission Richard n’a été remis qu’un mois après le licenciement de Jean-David Ciot. Selon la décision du tribunal, « le problème des liens très étroits entre la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône et le Conseil général » avait « été très rapidement posé » lors des auditions de cette commission, qui a travaillé en avril et mai 2014. « Jean-Noël Guérini en a tiré pour lui-même immédiatement toutes les conséquences puisqu’à peine reconduit comme président du conseil général des Bouches-du-Rhône le 31 mars 2011, il a démissionné de ses fonctions de premier secrétaire de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône », indique la décision. Elle poursuit en indiquant qu'il ressort du dossier que, dès mai 2011, la question du remplacement de Guérini à la tête de la fédération PS s'est posée, ainsi que celle « de compatibilité entre les fonctions de collaborateur de cabinet de Jean-David Ciot et sa probable désignation au poste de premier secrétaire ». C'est ce qui expliquerait donc son « licenciement transactionnel », terme qui selon le tribunal « ne caractérise pas (...) une démission déguisée ».

Les juges estiment donc que les délits de détournement de fonds publics et de recel ne sont pas caractérisés. Ils ont demandé la restitution au député PS Jean-David Ciot des 22 547 euros d'indemnités de licenciement et des 42 981 euros d’indemnités mensuelles de perte d’emploi qui lui avaient été confisqués par l’Agrasc (l'agence aujourd'hui dirigée par Charles Duchaine, l'ancien juge d'instruction marseillais en charge de cette affaire, ainsi que des deux autres volets concernant des marchés truqués). Le parquet a désormais dix jours pour faire appel.

De façon inhabituelle, Guérini, qui avait surjoué l’indignation lors de l’audience du 13 octobre 2014, n’a fait aucune déclaration à la sortie du tribunal correctionnel. « C’est une décision qui n’est pas inattendue dans la mesure totalement conforme aux faits et au droit, a réagi l’un de ses avocats, Me Hervé Temime. Il ne s’agit pas de triompher d’une décision qui est naturelle, ce qui l’était moins, c’étaient les poursuites dont M. Guérini faisait l’objet. »

À la tête d’une liste « Force du Treize » qui se présente face au PS aux cantonales de 2015, Jean-Noël Guérini reste mis en examen dans deux autres enquêtes sur des marchés publics truqués bien plus importantes. Le 8 septembre 2011, il avait été mis en examen pour « prise illégale d'intérêt », « trafic d'influence », « complicité d'obstacle à la manifestation de la vérité » et « association de malfaiteurs ». Cette première information judiciaire, ouverte en avril 2009 sur la base d'une lettre anonyme, a dévoilé l'omniprésence d'Alexandre Guérini, frère du patron du département et entrepreneur spécialisé dans les déchets, au sein des collectivités locales tenues par le PS. Bien que sans aucun mandat, Alexandre Guérini faisait et défaisait les carrières, intervenant sur les attributions de subventions, de logements sociaux, les arbitrages départementaux, plaçant ses hommes aussi bien au sein du cabinet de son frère, qu'à la tête des satellites du département (office HLM, sociétés d'économie mixte, etc.) et même à la communauté urbaine de Marseille. L'instruction de ce premier volet a été close en juillet 2014.

Le 3 juin 2013, Jean-Noël Guérini a également été mis en examen dans le cadre d'une autre information judiciaire ouverte à Marseille le 16 novembre 2009. Au vu de « la gravité de l'affaire, sa très grande complexité et (le) caractère “mafieux” de l'organisation mise au jour », le juge d'instruction Duchaine (depuis nommé à la tête de l'Agrasc) avait obtenu la levée de son immunité parlementaire. C'est le volet de l'affaire Guérini, le plus sulfureux, où apparaissent des marchés publics attribués, dans les Bouches-du-Rhône et en Haute-Corse, à des entreprises proches du grand banditisme ; des comptes au Luxembourg, en Suisse et en Israël ; ainsi que des contreparties ressemblant fort à des pots-de-vin. Jean-Noël Guérini y est mis en examen pour « trafic d'influence », « atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de trafic d'influence, de corruption et de détournements de fonds publics ». 

À trois mois des cantonales, la relaxe de Guérini et de son ancien bras droit ne vont pas simplifier l'avenir du PS dans les Bouches-du-Rhône, où Guérini continue de peser de tout son poids sur sa majorité socialiste sortante au conseil général. Selon Le Monde, le PS n'a pour l'instant investi que 19 candidats sur les 29 cantons du département et cette liste « fait la part belle aux conseillers généraux sortants qui, le 4 novembre dernier, ont appelé, dans une lettre ouverte, à une alliance avec la Force du 13, le nouveau parti de Jean-Noël Guérini ».

Le Figaro rapporte également que deux opposants à Guérini, l'élu PS Michel Pezet et Pierre Orsatelli, porte-parole du collectif Renouveau PS13, préparent un recours contre le vote organisé le 3 décembre pour désigner les candidats socialistes. Michel Pezet, conseiller général sortant, affirme dans le quotidien que « toutes les règles ont été violées ». Après la défaite et le rejet des comptes de campagne de six candidats sur huit à la municipale de Marseille, les cantonales de mars 2015 s'annoncent tout aussi catastrophiques pour le PS marseillais.

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A Troyes, le PS subit une nouvelle déroute

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Le calvaire électoral du PS continue. Le parti socialiste a été éliminé dimanche 7 décembre au premier tour de la législative partielle organisée à Troyes, dans la troisième circonscription de l'Aube. La législative partielle avait été provoquée par l'élection au Sénat, fin septembre, du maire de Troyes et député François Baroin, qui a dû laisser son siège à l'Assemblée nationale. 

Dimanche soir, c'est l'UMP qui est arrivée largement en tête (consulter les résultats définitifs sur le site de la préfecture). Gérard Menuel, adjoint aux finances de la mairie de Troyes, suppléant historique de François Baroin, a viré en tête avec 40,76 % des suffrages exprimés. C'est quasiment le score de François Baroin en 2012. Le Front national Bruno Subtil gagne 10 points par rapport au score de la candidate frontiste de 2012. Il passe de 17,79 % à 27,64 % des suffrages exprimés, se qualifiant ainsi pour le second tour.

La gauche du PS, elle, se maintient. Le Front de gauche, qui a fait campagne contre la « politique d’austérité » du gouvernement, améliore même légèrement son score de 2012 (7,46 % contre 7,18 % pour le communiste Pierre Mathieu). EELV, parti seul cette fois, obtient 4,47 %. Si l'on ajoute le score de Dominique Deharbe, qui figurait en juin dernier sur la liste Nouvelle Donne aux européennes dans le Grand Est, la gauche du PS totalise 14,4 % des voix. Quasiment le score du candidat PS. « Il n'y a pas de vote massif pour le Front de gauche et EELV », nuance la porte-parole du PS, Juliette Méadel.

Le scrutin est surtout marqué par une abstention record de 75,37 %. Concrètement, seul un électeur sur 4 s'est déplacé – 16 000 suffrages exprimés sur 66 000 électeurs inscrits. Difficile donc de tirer des leçons définitives de ce vote. Mais le ratio par parti des suffrages exprimés entre 2012 et 2014 prouve bien la désaffection de l'électorat socialiste. D'après nos calculs, le PS perd ainsi les quatre cinquièmes de ses électeurs par rapport à 2012 (2 315 contre 10 900). L'UMP et le Front de gauche arrivent à retrouver respectivement 41 et 43 % de leurs électeurs. Le FN perd lui aussi des électeurs, mais il parvient dans un contexte de forte abstention à retrouver 65 % de ses électeurs (4 355 contre 6 733 en 2012).

Le PS savait la tâche difficile dans cette circonscription du nord-ouest du département, marquée à droite, dont François Baroin était député depuis 1993. « Je me doutais que j'allais être éliminé au premier tour, admet le candidat socialiste Olivier Girardin, questionné ce lundi par Mediapart. Mais je ne m'attendais pas à un score aussi bas pour moi, ni à un taux d'abstention aussi haut. » Avec 14,69 % des voix, le candidat socialiste (photo) réalise en effet un piètre score.

Olivier Girardin, le candidat socialisteOlivier Girardin, le candidat socialiste © DR

En 2012, la socialiste Lorette Joly, alors soutenue par les écologistes, avait réuni 28,79 % des voix (cliquer ici pour afficher les résultats de 2012). Un score honorable – François Baroin l'avait finalement emporté de treize points au deuxième tour. En deux ans, le PS a donc divisé son score par deux.

Pour le parti au pouvoir, éliminé ces derniers mois au premier tour de plusieurs législatives partielles (à Valenciennes, dans l'Oise, ou encore à Villeneuve-sur-Lot), il s'agit d'un sévère avertissement avant des élections départementales et régionales (en mars et décembre 2015), qui s'annoncent terribles. Et une nouvelle législative partielle à haut risque, les 1er et 8 février, dans la circonscription de Pierre Moscovici. L'ancien ministre de l'économie de François Hollande a dû abandonner son siège de député après avoir été nommé à la Commission européenne. Dans son fief de Montbéliard (Doubs), le PS pourrait bien être à nouveau éliminé au premier tour.

Dans l'Aube, Girardin n'est pas un inconnu : premier fédéral du PS, maire de la troisième ville du département (La Chapelle-Saint-Luc), il préside aussi le groupe socialiste à la région Champagne-Ardenne. Mais sa notoriété locale n'a rien changé. Dans sa ville, le candidat PS ne totalise que 38 % des voix, quelques mois à peine après avoir été réélu maire.

Selon ce représentant local de l'aile gauche du PS, proche de Benoît Hamon, le désastre politique actuel est à peu près total. « On est passé d'une logique de déception, de désenchantement à une logique de désespérance armée, dit-il. La population considère que les politiques en général, et ceux qui sont au pouvoir en particulier, ne veulent plus rien faire pour eux. Il n'y a aucun cap, aucun sens donné à ce que nous faisons. » Pour lui, la crise concerne d'abord le PS qu'il considère « déjà mort », alors que le parti vient de conclure ses états généraux (lire notre article) et se prépare à un congrès agité en juin 2015 à Poitiers. « Le PS, c'est la SFIO de la fin des années 50. Le plus grave, c'est que la gauche aussi est en train de mourir. »

Le site du quotidien l'Est-Eclair, ce lundi 8 décembreLe site du quotidien l'Est-Eclair, ce lundi 8 décembre © capture d'écran lest-eclair.fr

À l'entendre, la crise politique est très profonde. « Gauche, droite, FN, les gens nous mettent tous dans le même sac. Ils sont totalement déconnectés du système politique. Quant aux élus, ils sont déconnectés des préoccupations de leurs électeurs et vivent dans un monde éthéré. Aucun des dirigeants de Solférino ne m'a appelé pendant la campagne, obnubilés qu'ils sont par le congrès à venir. La vérité, c'est que les hommes politiques n'ont plus de pouvoir et ça fait flipper tous les élus. » Vendredi, deux jours avant le vote, Manuel Valls a quand même pris le temps de décrocher son téléphone. Olivier Girardin lui a parlé de la morosité générale, du rejet grandissant de l'Europe dans la population ou encore des modalités du décret sur la pénibilité qui inquiète des petits patrons.

À Solférino, la porte-parole du PS, Juliette Méadel, admet que « le FN fait un gros score ». Elle reconnaît que le PS est dans une phase électorale « difficile ». Mais elle met aussi ce mauvais score sur le compte de la « très grosse abstention » et de la « division à gauche ». « Tout le monde doit être rassemblé, y compris au PS », dit-elle. Une façon de reprendre l'argument du premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis qui a souhaité dimanche un futur congrès du PS sans « motions de censure ».

En attendant, le PS appelle « clairement à battre le FN au second tour. Il faut faire front contre le Front », assure Méadel. Olivier Girardin, « petit-fils d'une immigrée italienne arrivée en France en 1923 », a déjà appelé à voter UMP dimanche prochain. « J'ai des principes, je m'y tiens, et tant pis si on me dit que ça renforce l'"UMPS". Les aventures politiques comme le FN, on sait comment ça commence, jamais comment ça finit. »

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Grenades offensives : le tir en cloche est-il bien réglementaire ?

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Quelles étaient les instructions relatives au lancer de grenades offensives OF F1, interdites le 13 novembre 2014 par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve après la mort de Rémi Fraisse ? Ces grenades à main à effet de souffle devaient-elles être lancées au sol ou en cloche ? Avec quelles précautions ? Quelles sont les consignes écrites ou orales données aux gendarmes lors de leur formation au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne) ? Des questions simples auxquels les deux rapports des inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale, rendus publics les 13 novembre et 2 décembre 2014, ne répondent pas. La question peut pourtant sembler cruciale au regard de la mort du jeune manifestant.

Le premier rapport, qui porte sur l’emploi des munitions en maintien de l’ordre, se contente de citer une circulaire du 22 juillet 2011 relative à l'organisation et à l'emploi des unités de la gendarmerie mobile. « Uniquement lancée à main, la grenade explosive OF n'a aucun effet lacrymogène mais seulement un effet de souffle combiné à un effet assourdissant. Le fonctionnement explosif ne projette aucun éclat métallique dangereux. Si la situation le permet, les grenades explosives sont dans un premier temps lancées chaque fois que possible dans les endroits dépourvus de manifestants. Leur emploi doit être proportionné aux troubles rencontrés et prendre fin lorsque ceux-ci ont cessé. »

Mediapart publie ici l'intégralité de cette circulaire de 2011. En page 13, il est spécifié que «l'emploi des armes à feu et des moyens militaires spécifiques sont donc les ultimes recours de la force légale déployée. Tout autre mode d'action non prévu par les textes en vigueur est formellement proscrit (tir tendu de grenade à fusil, tir à blanc, tir en l'air...).»

Le deuxième rapport, uniquement rédigé par l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), explique que le 26 octobre 2014 au petit matin, le maréchal des logis chef J, après autorisation de son chef de peloton, « adresse ensuite à haute voix un avertissement destiné aux manifestants puis il lance sa grenade dans le secteur préalablement identifié et réputé inoccupé, par un mouvement de lancer "en cloche" au-dessus du grillage de 1,80 m ». Ce lancer en cloche en pleine nuit vers un secteur « réputé inoccupé » n’est pas commenté, ni examiné plus avant par l’IGGN, qui ne dit pas un mot sur les instructions d’emploi de la grenade OF F1. En effet, selon Bernard Cazeneuve, « aucun texte ne régit le lancement de ces grenades ».

Une circulaire du 13 février 1975 « sur les opérations de maintien de l'ordre menées par la gendarmerie » évoque pourtant la question. Concernant les grenades offensives OF 37 (ancêtre en métal de l'OF F1) ainsi que les GLI F4 (mixte effet de souffle-lacrymo), elle interdit le tir « par-dessus la troupe ». 

Instructions de 1975 relatives aux grenades offensivesInstructions de 1975 relatives aux grenades offensives

« Le tir "par-dessus la troupe" étant interdit, (l'équipe grenades offensives) se place à l'avant des forces de l'ordre », indique la circulaire. « Ce qui vaut pour les forces de l'ordre doit prévaloir pour la foule, compte tenu des risques induits par un jet mal maîtrisé c'est-à-dire un tir courbe mal ajusté retombant », commente un membre des forces de l’ordre.

Le texte insiste aussi sur la nécessité «sauf circonstances exceptionnelles» que les grenades offensives (OF 37 comme GLI F4) ne soient pas employées «à proximité de matières ou d'engins inflammables». Or dans son rapport, l'IGGN rappelle à plusieurs reprises qu'à Sivens plusieurs manifestants étaient armés de cocktails molotov, par nature hautement inflammables. Juste après la mort de Rémi Fraisse, les gendarmes avaient d'ailleurs imaginé que l'explosion pouvait avoir été causée par le contact avec une substance contenue dans son sac à dos de Rémi Fraisse (ce qui n'était absolument pas le cas comme l'ont révélé les analyses). 

La circulaire préconise enfin que les grenades soient lancées « chaque fois que possible dans les vides de la foule ». Un lancer de nuit en cloche en direction d’un petit groupe de manifestants (en l’absence de toute foule compacte qui justifierait que le gendarme n’ait pu faire autrement) paraît donc particulièrement hasardeux. Le texte souligne de plus que le lancer de ces grenades ne doit pas être confié à n’importe quel gendarme mobile. « L'équipe "grenades offensives" » doit réunir « sous les ordres d'un gradé expérimenté, énergique et de sang-froid, les meilleurs tireurs ou lanceurs de grenade de l'unité. » Mediapart publie un extrait de ce texte de 1975, abrogé par la circulaire de 2011.

Sur l’intranet de la gendarmerie nationale, figure également une fiche « équipe grenades offensives». Mais juste après le drame de Sivens, cette fiche n’était plus accessible car « en cours de refonte en collaboration avec le CNEFG (Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie à Saint-Astier, ndlr) ». Contactée pour en avoir copie, la gendarmerie nationale a, le 29 octobre, refusé, arguant que « les fiches sont réservées aux personnels de la gendarmerie ». Soit, mais pourquoi ce document, a priori intéressant, n'est-il à aucun moment cité dans les deux rapports de l'IGGN ? 

À Saint-Astier, la consigne orale était, selon plusieurs sources, de lancer ces grenades offensives au sol, « dans la mesure du possible, pour éviter que ça n'explose au visage ». Le général de division Bertrand Cavallier a commandé jusqu’en 2007 le Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie. Il a quitté le service actif en 2011. « Il y avait surtout des pratiques en milieu urbain, indique-t-il. Comme elles sont rondes, on les lançait en les faisant rouler sur le bitume. Mais sur des terrains ruraux, cabossés, il est impossible de les lancer de cette façon. La technique est alors le lancer à la main en trajectoire courbe. »

D’autres munitions disposent d’instructions nettement plus précises. La grenade de désencerclement, introduite en 2004, a fait l’objet d’une notice de trois pages signée en septembre 2014 des directeurs généraux de la gendarmerie nationale et de la police nationale. « Deux raisons : la grenade de désencerclement est beaucoup plus récente et on la pensait plus capable de nuire (que la grenade OF F1, ndlr) », explique Bertrand Cavallier. « Dans le cas de Sivens, personne n’y croyait au sein de la gendarmerie, ajoute-t-il. Il paraissait inconcevable qu’une grenade offensive seule ait pu tuer un manifestant. C’était le refus de voir la réalité. » En 1977 à Creys-Malville, les grenades offensives OF 37 avaient pourtant fait trois blessés graves (dont un gendarme qui avait eu la main arrachée) et avaient été sérieusement mises en cause dans la mort de Vital Michalon, un manifestant de 31 ans.

Capture d'écran du site d'Alsetex version 2003Capture d'écran du site d'Alsetex version 2003

Ces grenades, tout comme les GLI F4 et celles de désencerclement, sont fabriquées par la société d’armement et d’études Alsetex, rachetée en 2006 par le groupe Étienne-Lacroix (spécialisé dans la pyrotechnie, des feux d’artifice au maintien de l’ordre). Si le site actuel est presque vide, on retrouve la fiche technique de la grenade OF F1 sur sa version de 2003. L’industriel vantait une grenade « sans éclat » « employée pour le rétablissement de l'ordre dans un contexte dur et résistant » ou « pour réaliser une diversion par effet de surprise et permettre une neutralisation lors d'interventions spéciales : libérations d'otages, contrôle de forcenés, etc. ».

« Utilisée dans un espace restreint la grenade n'a pas d'effet destructif », assurait la société Alsetex qui précisait que « le corps et le bouchon allumeur en matière plastique ne provoquent pas d'éclats vulnérants ». Des affirmations contestées par des militants anti-violences policières qui, le 5 décembre 2014, ont placardé sur la devanture des locaux parisiens de la société des photos de manifestants blessés par les grenades que produit l'entreprise. Ils ont également suspendu une banderole où était inscrit: « Lacroix-Alsetex fournisseur officiel de l’État en grenades meurtrières »

Vidéo publiée par un militant, 5 décembre 2014 à Paris devant le siège d'Alsetex.

BOITE NOIRECet article a été complété le 8 décembre à 22 heures, suite à des remarques de lecteurs et lectrices (qu'ils et elles soient remercié(e)s !), pour souligner que la circulaire de 2011 proscrit les «tir tendu de grenade à fusil, tir à blanc, tir en l'air...». Et pour spécifier que celle de 1975 insiste sur la nécessité de ne pas employer de grenades offensives «à proximité de matières ou d'engins inflammables».

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Asile: en finir avec l’obsession des «fraudeurs»

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Les envolées lyriques sur l’asile étaient passées de mode en France depuis deux décennies. Le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve les remet au goût du jour. Lors de ses interventions médiatiques, il présente sa réforme, examinée en urgence à l’Assemblée nationale (consulter le dossier législatif) à partir de ce mardi 9 décembre, comme exclusivement favorable aux demandeurs d’asile.

« Depuis la Révolution française, tous ceux qui sont persécutés, recherchés, emprisonnés, torturés dans leur pays ont vocation à être accueillis en France », martèle-t-il sur France Info le 8 décembre, sans énoncer de limites. « Le droit d’asile et la République sont consubstantiels l’un à l’autre », insiste-t-il. Dans une récente tribune à Libération, il rappelle les lettres de noblesse d’un pays qui « a accueilli tour à tour les patriotes italiens et polonais, les Arméniens et les juifs persécutés, les résistants antifascistes et les républicains espagnols, les dissidents soviétiques fuyant le Goulag et les boat-people ».

Pourtant l’analyse du projet de loi fait apparaître des ressorts se rapprochant de la doxa politique contemporaine en matière d'asile : la France ne pourrait accueillir « toute la misère du monde », selon la formule de Michel Rocard. Elle serait certes « respectueuse » de ses engagements en tant que signataire de la Convention de Genève en 1951 qui définit comme réfugié « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Mais la « pression » serait trop forte pour « brader » l'asile ; aussi serait-il indispensable de réformer un dispositif unanimement considéré « à bout de souffle » en débusquant les « fraudeurs » pour mieux traiter les ayants droit.

Bernard Cazeneuve dans l'hémicycle, le 10 septembre 2014. © ReutersBernard Cazeneuve dans l'hémicycle, le 10 septembre 2014. © Reuters

Ce diagnostic largement partagé par les responsables politiques de droite comme de gauche est contestable. Conséquence de la multiplication des conflits dans le monde, les demandes sont effectivement nombreuses en Europe : beaucoup de réfugiés ont débarqué ces derniers mois à Lampedusa en Italie et sur les îles grecques de la mer Égée. Mais d'une part la France n’est plus leur destination prioritaire, comme en témoignent les récits des exilés en transit dans les « jungles » à Calais. Selon les derniers chiffres publiés par l’institut de statistiques Eurostat, elle n'arrive qu'en troisième position, avec 64 255 demandes enregistrées entre juin 2013 et juin 2014, derrière l'Allemagne (152 780) et la Suède (67 330), devant l’Italie (41 440) et le Royaume-Uni (29 890).

D'autre part, la « pression » n’est pas intenable au regard de sa population (66 millions d'habitants) et, accessoirement, de sa puissance économique. Comme le rappelle la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son avis du 20 novembre 2014 sur le projet de loi, le nombre des bénéficiaires d’une protection au titre de l’asile est resté stable au cours des vingt dernières années (169 990 en 2013 – 165 531 en 1993). Il est même nettement inférieur à ce qu’il a été lors de la création du statut : en 1953, 224 829 réfugiés avaient été dénombrés. « Ces chiffres démentent la réalité d’un afflux massif », pointe la CNCDH.

Pour les gouvernants, l’enjeu est avant tout politique. Comment satisfaire une opinion publique décrite comme fermée sur les questions d’accueil des étrangers ? Leur incapacité à mettre fin aux conflits internationaux impose de trouver d’autres leviers d’action. Les « fraudeurs » sont une cible utile. Les niveaux élevés des demandes viendraient de la malveillance d’« immigrés économiques » qui, s’étant vu refuser une entrée légale, tenteraient leur chance de manière illégale.

Au fil des ans, ces « fraudeurs » sont devenus l’obsession des ministres de l’intérieur, en charge de l’asile depuis que Nicolas Sarkozy en a décidé ainsi. La crainte d’un « appel d’air » aussi : trop avantageux, le système français attirerait les « profiteurs ». Bernard Cazeneuve n’échappe pas à la règle. Son projet de loi s’inquiète des « détournements de la procédure d’asile à des fins migratoires ». Il regrette que les droits juridiques et matériels incitent « au dépôt de demandes abusives ». Et s’engage à mettre fin « à certains effets de filières ». Des abus, certes, il en existe. Mais est-il légitime de considérer comme fraudeurs des migrants dont le seul tort est de chercher à améliorer leurs conditions de vie ?

Même si leur interprétation n’est pas imperméable au contexte politique, les critères pour obtenir le statut de réfugié sont a priori inamovibles. Les décideurs disposent donc de peu de marges de manœuvre pour marquer leurs orientations. Transposant trois directives européennes (« qualification » du 13 décembre 2011, « procédures » du 26 juin 2013 et « accueil » du 26 juin 2013), le projet de loi se situe dans la continuité de celui défendu par Dominique de Villepin en 2003. Il met en œuvre différents outils visant à distinguer les « vrais » des « faux » demandeurs. La réduction des délais d’instruction – l’objectif est de les ramener de deux ans à neuf mois en moyenne – est présenté sous un jour positif : les personnes seront moins longtemps plongées dans l’incertitude – environ 100 000 étrangers sont aujourd’hui dans l’attente d’une décision. Mais l’enjeu n’est pas seulement humaniste. Les rédacteurs du texte considèrent que ceux dont les dossiers sont rejetés repartiront dans leur pays d’autant plus vite que le couperet est tombé rapidement. Ils n’auront pas le temps de s’enraciner, comme le disent des responsables politiques. Les centres d’hébergement seront mis à la disposition de nouvelles personnes, les aides financières leurs seront versées moins longtemps. Des lits en plus et des frais en moins.

Dans la même optique, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), autorité indépendante chargée d’examiner les dossiers, devrait se voir attribuer des pouvoirs supplémentaires. Ses agents pourraient davantage recourir aux procédures « accélérées », réputées plus expéditives et se traduisant généralement par un rejet. Les personnes originaires de pays dits sûrs y seraient soumises, de même que celles n’ayant pas déposé leur demande dans un délai de 90 jours. Les étrangers dont l’administration n’arrive pas à déterminer l’identité seraient également concernés, ainsi que ceux dont les demandes ne sont pas jugées suffisamment « pertinentes » et ceux dont les déclarations sont « manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles ou qui contredisent des informations vérifiées relatives au pays d’origine ».

Examinant les recours, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) serait priée de rendre plus promptement ses décisions. Pour cela, le ministère lui met la pression en exigeant qu’elle statue « à juge unique » dans un délai d’un mois pour les procédures « accélérées ». Encore pour éviter des « abus », le dispositif d’hébergement serait réorganisé de manière à être plus « directif » et plus « contraignant ». Les personnes seraient réparties partout sur le territoire en fonction des places disponibles. En cas de rejet de leur demande, leur interpellation et leur expulsion seraient facilitées car les forces de l'ordre sauraient immédiatement où les trouver. Ceux qui refuseraient l'adresse qu'on leur propose perdraient leur aide au logement ainsi que le pécule leur permettant de subvenir à leurs besoins (nourriture, vêtements).

Pour empêcher que les déboutés (76 % en 2013) ne restent en France et permettre le retour dans leur pays d'origine, Bernard Cazeneuve entend les assigner à résidence. Mais il renonce, pour l’instant tout du moins, à l’ouverture de centres spécifiques, « semi-ouverts » ou… « semi-fermés », tout en envisageant des « expérimentations ». L’expulsion n’en serait pas pour autant retardée, au contraire. Les personnes ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) se verraient appliquer des délais de recours abrégés.

En contrepartie de ces durcissements, le projet de loi comporte des avancées pour les demandeurs d’asile, rendues obligatoires par la législation européenne. Lors de l’entretien à l’Ofpra, les candidats pourraient être assistés d’un avocat ou du représentant d’une association agréée – un décret déterminera par la suite si l’échange sera enregistré ou s’il fera l’objet d’une retranscription contradictoire. En outre, les personnes reconnues comme vulnérables obtiendraient un traitement spécifique. Enfin, le texte prévoit la suppression de l’exigence d’une adresse pour le dépôt d’une demande d’asile, ce qui constitue un progrès considérable.

Ce projet de loi va-t-il permettre au gouvernement d’atteindre son but, à savoir décourager les « faux » demandeurs d’asile et les contraindre à partir ? Rien n’est moins sûr. Car les familles déboutées ont pour la plupart dépensé des fortunes et pris de tels risques pour quitter leur pays qu’elles gardent l’espoir que leur situation administrative s’améliore d’une manière ou d’une autre.

La politique migratoire française a un problème : elle produit des sans-papiers. C’est mécanique, plus les portes d’entrées légales se ferment pour les immigrés, plus les fenêtres (entrées illégales) s’ouvrent. Plus les règles se durcissent, plus elles sont contournées. En matière d’asile, aucun verrouillage d’aucune sorte n’est en mesure de dissuader quiconque ayant fui son pays de chercher ailleurs un refuge, quelles qu’en soient les raisons. Les barrières ne font que pousser les exilés à affronter davantage de dangers. Quand Bernard Cazeneuve promet aux Syriens le statut de réfugié (dans sa tribune à Libération), il oublie de rappeler qu’un visa de transit aéroportuaire leur a été imposé, alors que la guerre avait débuté, justement pour les empêcher de déposer une demande d’asile à l’occasion d’une escale à Paris. Les voies légales étant fermées, les passages clandestins par la Méditerranée se multiplient, aux risques et périls de familles entières.

Poser le pied sur le sol français est déjà un exploit. Pour celles et ceux qui y parviennent, tout reste à faire. À l'issue de la procédure, seul un demandeur d’asile sur cinq obtient gain de cause. Les autres, déboutés, tombent dans l’illégalité. Soit 30 à 40 000 personnes chaque année : objet de polémiques, ce nombre est incertain, les départs volontaires n’étant pas statistiquement répertoriés. La Coordination française pour le droit d'asile (CFDA), qui rassemble plusieurs associations de défense des droits des demandeurs d'asile, estime le taux d’accord de l’Ofpra trop bas. « Le considérant selon lequel l’asile serait dévoyé en France est fondé à tort sur la proportion de 80 % de demandes d’asile rejetées, comme si le rejet d’une demande d’asile était la preuve absolue de son caractère abusif. Or, ces rejets sont souvent le produit d’une interprétation contestable des textes relatifs au droit d’asile par les institutions », indique-t-elle. « Ils sont aussi, ajoute-elle, la conséquence des difficultés administratives, juridiques, matérielles, linguistiques, médicales et/ou psychologiques des demandeurs d’asile à exposer pleinement leurs craintes en cas de retour vers leurs pays d’origine. »

Chaque décision de rejet fabrique un clandestin supplémentaire. Pour enrayer la machine, l’État dispose de plusieurs moyens. Il devrait s’assurer que de « vrais » demandeurs d’asile ne passent pas entre les mailles du filet en améliorant leur accès aux droits. Il pourrait recourir à l’asile temporaire, comme la législation européenne l’y autorise. Il aurait la possibilité de régulariser les personnes déboutées mais pour autant inexpulsables. Seule une politique volontariste en la matière permettrait de diminuer le nombre de « fraudeurs » et, ce faisant, d'étrangers en situation irrégulière. Aux États-Unis, Barack Obama est prêt à tenter l'expérience en délivrant des papiers à cinq millions de sans-papiers. Il n'est pas naïf. Son choix est dicté par l'intérêt économique de son pays, en raison de l'assainissement du marché du travail qui en résultera, et par l'intérêt politique pour son parti, les électeurs hispaniques étant massivement favorables à cette mesure.

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« Les 35 heures, c'est un pacte de responsabilité qui a réussi »

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« Il n'y aura pas de remise en cause des 35 heures. » Dimanche soir sur France 2, le premier ministre Manuel Valls a exclu de légiférer à nouveau sur le temps de travail. Il n'y aura donc pas de discussion sur le temps de travail dans la loi Macron, présentée ce mercredi en conseil des ministres, un texte qui concerne pêle-mêle les professions réglementées, le travail du dimanche, la réforme des prud'hommes ou des mesures pour encourager l'investissement (lire notre article).

Le débat sur cette réforme emblématique des années Jospin (1997-2002) continue pourtant de faire rage. Inlassablement, la droite en fait la cause de bien des maux de l'économie française. Au PS aussi, les 35 heures sont désormais loin de faire l'unanimité. Avant d'être nommé ministre de l'économie, Emmanuel Macron voulait les vider de leur substance en facilitant les accords dérogatoires. Devenu ministre, il plaide désormais pour une plus grande flexibilité de la loi, regrettant que les 35 heures aient donné aux investisseurs étrangers l'impression « que les Français ne voulaient plus travailler ». Manuel Valls a toujours rêvé de les « déverrouiller ». La charte des États généraux, adoptée ce week-end par le PS, fait même l'impasse sur la réduction du temps de travail.

En juin dernier, l'UDI (centristes) a demandé la tenue d'une commission d'enquête sur « l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail ». Près d'une quarantaine de personnes ont été auditionnées. Le rapport, qui sera rendu public la semaine prochaine, a été adopté mardi 9 décembre, par douze voix (PS et Front de gauche) contre quatre (UMP et UDI).

Thierry Benoît, le président UDI de la commission d'enquête, explique à Mediapart ne pas l'avoir voté « car il conforte l'idée que les 35 heures sont positives et qu'il faut aller encore plus loin, vers les 32 heures ». « Loin d'aller dans le sens d'une réhabilitation de cette mesure, les auditions ont montré combien le dispositif était rigide et très complexe, dit-il. Par ailleurs, la réduction du temps de travail s'est appliquée de façon très différente dans le privé et dans le public. » Pour se faire une idée précise de la teneur des débats, on peut retrouver ici l'ensemble des auditions.

Depuis quinze ans, les 35 heures sont devenues un thème incontournable du débat politique. Ses partisans s'y référent pour prouver que l'État peut encore créer de l'emploi, à condition de le vouloir. Ses opposants y voient la cause, ou le symptôme, de tous nos archaïsmes supposés : faiblesse industrielle, compétitivité en berne, hausse du coût du travail alors que l'Allemagne réduisait ses salaires, voire paresse des salariés français. Pourtant, quinze ans après leur mise en œuvre, la durée légale du travail est toujours de 35 heures. Vilipendée, assouplie à plusieurs reprises (en 2003, en 2007, etc.), la loi n'a jamais été remise en cause. Pas même par Nicolas Sarkozy qui avait promis de leur tordre le cou. « Nous tuons régulièrement les 35 heures mais (…) elles sont toujours vivantes », s'est amusé l'ancien directeur de cabinet de Martine Aubry lors de son audition par les députés.

Entretien avec l'auteure du rapport, la socialiste Barbara Romagnan, proche de l'aile gauche du PS. Elle plaide pour la poursuite du mouvement historique de réduction du temps de travail, sous d'autres formes.

  • Retrouvez les conclusions (opposées) de Barbara Romagnan et Thierry Benoît en page 3.
La députée PS Barbara Romagnan, le 26 juin 2013 à l'Assemblée nationale.La députée PS Barbara Romagnan, le 26 juin 2013 à l'Assemblée nationale. © Reuters

Mediapart. Les 35 heures sont souvent très critiquées, y compris à gauche. Emmanuel Macron plaide régulièrement pour des assouplissements…
Barbara Romagnan. Oui, mais sans aucune précision sur ces fameux assouplissements. Avec l'annualisation du temps de travail ou la réorganisation du travail qu'elles ont entraînées, les lois sur les 35 heures de 1998 et 2000 ont flexibilisé le droit du travail. D'autres assouplissements ont été ajoutés par la droite depuis 2002 : contingent maximal d'heures supplémentaires porté de 130 à 220 heures, loi Tepa sous Nicolas Sarkozy, etc.

Les 35 heures ne sont-elles pas devenues un repoussoir ?
Objectivons un peu les choses. Entre 1997 et 2002, deux millions d'emplois ont été créés en cinq ans, contre trois millions au cours de tout le siècle précédent. C'est la seule période durant laquelle on a créé autant d'emplois. Alors même que la population active augmentait de 1,5 million ! Le chômage a baissé et les comptes publics ont été équilibrés. Les 35 heures ne sont pas la cause de tous ces bienfaits car la croissance était alors élevée. Mais L'OFCE (centre d'économie de Sciences-Po) ou la Dares (qui dépend du ministère du travail) parlent tout de même de 350 000 emplois créés grâce à elles. Les 35 heures ont amélioré le climat de confiance dans la société. On peut penser que la croissance européenne à 2,5 % en moyenne sur ces cinq ans a été largement alimentée par la croissance française. C'est d'ailleurs ce qu'on lisait dans la presse européenne à l'époque.

Les 35 heures ont-elles coûté cher aux finances publiques ?
Le manque à gagner pour les finances publiques a été d'environ 12 milliards par an. Mais d'autres salariés ont retrouvé un emploi, ce qui stimule la croissance, apporte des cotisations salariales en plus à l'assurance chômage et lui fait économiser des indemnités chômage. Une fois tout cela pris en compte, le coût annuel n'est que de 2 milliards d'euros par an pour les entreprises. Pour un coût faible : 12 800 euros par emploi créé.

Ont-elles renchéri le coût du travail ?
Globalement, il n'a pas augmenté car la hausse, réelle, a été compensée par des baisses de cotisations, des aides de l'État ou encore la capacité de s'organiser autrement, en utilisant davantage les machines dans l'industrie ou en limitant de façon drastique les heures supplémentaires grâce à l'annualisation.

Les 35 heures ont-elles endommagé la compétitivité de l'économie ?
C'est à partir de 2003-2004 que la compétitivité française décroche. Mais c'est essentiellement à cause du changement de parité euro-dollar, qui a entraîné un choc de compétitivité considérable. Par ailleurs, les Allemands commencent dans le même temps à baisser leur coût du travail. Ils le font alors tout seuls. D'ailleurs, heureusement que tout le monde ne l'a pas fait sur le continent car l'Europe aurait été alors précipitée plus tôt dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.

Mais si tel n'est pas le cas, pourquoi une bonne partie des dirigeants politiques, y compris dans le gouvernement actuel, continuent-ils de le penser ?
Par fainéantise ou facilité intellectuelle… Et aussi parce qu'on oublie d'intégrer parfois dans le calcul de la durée du travail des données essentielles comme le temps partiel (d'une durée particulièrement longue en France) ou le travail des femmes, ce qui fausse les comparaisons internationales.

Les 35 heures ont quand même été très critiquées pour leur complexité pour les entreprises !
Oui, parce que ça a induit une réorganisation du travail qui n'allait pas de soi, et que les entreprises ont été obligées de négocier avec leurs salariés. En deux ans, il y a eu entre 65 000 et 100 000 accords d'entreprise !

Le fait que l'État fixe d'abord la durée légale du travail par la loi n'a-t-il pas aussi été assez mal vécu ?
Dès qu'on aborde la question du travail, il y a une dimension idéologique ou culturelle. Certains s'imaginent que réduire la durée du travail, c'est ne plus travailler du tout. Mais c'est justement entre 1997 et 2002 que le nombre d'heures travaillées en France a été le plus élevé. D'ailleurs, le temps moyen d'un temps plein en France reste aujourd'hui encore supérieur à 39 heures ! En revanche, c'est vrai, les salaires ont stagné par la suite. Donc, même si les 35 heures ont été un succès économique, si la France a été alors citée comme modèle, le bénéfice individuel du partage du travail a été sans doute moins visible. Mais pour en revenir au rôle de l'État, heureusement que la loi a encadré les choses, même si cela en a crispé certains. On ne peut pas donner des milliards de cotisations sans contrepartie, sans échange.

C'est pourtant ce que le gouvernement est en train de faire avec le pacte de responsabilité…
Oui, avec le succès que l'on voit… Les 35 heures, c'est un pacte de responsabilité réussi, dans lequel on a aidé les gens à être responsables, justement. Il y a eu une baisse de cotisation, importante, il y a eu des possibilités d'organiser le travail de façon plus flexible, en échange d'une baisse du temps de travail et de création d'emplois. Dans le pacte de responsabilité (Barbara Romagnan s'est abstenue fin avril sur cette mesure-clé du gouvernement Valls  ndlr), il n'y a rien en échange. Or, quand il n'y a que des baisses de cotisations sans contrepartie, il y a davantage de profits pour les entreprises, potentiellement plus d'argent pour les actionnaires, mais beaucoup moins de création d'emplois.

Autre difficulté, les effets négatifs des 35 heures dans certaines entreprises avec une intensification réelle du travail, le développement de la polyvalence.
Ceux pour lesquels la vie ne s'est pas améliorée, c'est d'abord pour les moins qualifiées, et surtout pour les femmes peu qualifiées. Elles étaient déjà dans des métiers où il y avait une grande flexibilité, cela a été exagéré par cette loi. Un quart des actifs ont vu leurs conditions de travail particulièrement modifiées, par exemple dans la restauration ou à l'hôpital, ce qui a parfois provoqué des souffrances. Mais c'est aussi dû à une application peu fidèle de la loi, par exemple quand les temps de pause ont été recalculés. La loi ne l'empêchait pas, et c'est dommage. De même pour les forfaits-jours des cadres, qui ont accru l'intensité du travail. Par ailleurs, les 35 heures ont coïncidé avec un recours accru aux technologies dans l'entreprise. En fait, la question des conditions de travail était un impensé dans la loi, tout comme la question de l'équilibre vie privée-vie au travail. Peut-être parce que les responsables syndicaux ou patronaux sont souvent des hommes…

A l'hôpital, le passage au 35 heures a été particulièrement difficile. N'est-ce pas le plus gros échec de cette loi ?
Si. L'hôpital ne devait pas être concerné au départ. Mais les personnels l'ont demandé. Il y avait déjà des difficultés. Il a fallu former le personnel et cela a pris du temps. Devant la commission, Lionel Jospin a dit lui-même qu'il aurait dû attendre deux ans de plus. Mais on fait parfois porter aux 35 heures des difficultés qui sont aussi dues à des lois ultérieures. Par ailleurs, elles ont permis le recrutement de 45 000 personnes à l'hôpital…

Les 35 heures devaient permettre d'organiser son temps différemment.
Les gens se sont davantage investis dans des activités de loisirs qu'ils exerçaient déjà. Il y a eu effectivement plus de temps pour la famille, et un investissement plus grand des hommes dans la vie de famille. Mais rien n'a changé pour les tâches domestiques, qui restent en majorité féminines.

La réduction du temps de travail est-elle encore possible ? Le logiciel dominant en ce moment, c'est davantage : il faut travailler plus, libérer l'activité…
Encore une fois, les 35 heures sont une loi d'assouplissement. Faut-il encore réduire le temps de travail ? Je ne dis pas que c'est facile de poursuivre ce mouvement historique, mais même si la croissance est plus faible aujourd'hui qu'au début des années 2000, je ne vois pas pourquoi il devrait s'arrêter. On ne peut pas non plus rester avec tant de nos concitoyens sans activité, car cela a un coût considérable, ni avec tant de salariés à temps partiel. Le calcul du temps hebdomadaire n'est sans doute plus adapté. D'autres formes de RTT pourraient être envisagées, par exemple avec un compte épargne-temps repensé qui permettrait d'organiser son temps sur plusieurs années, pour faire des pauses dans sa carrière ou se former tout au long de sa vie.

  • Retrouvez les conclusions (opposées) de Barbara Romagnan et Thierry Benoît en page suivante.

Commission d'enquête sur les 35 heures : les conclusions de la rapporteure PS, Barbara Romagnan

Et celles du président UDI (centriste), Thierry Benoît :

BOITE NOIRELe rapport de la commission d'enquête, voté ce mardi 9 décembre, sera rendu public la semaine prochaine – un délai habituel à l'Assemblée nationale. Thierry Benoît et Barbara Romagnan nous ont toutefois adressé leurs conclusions. Barbara Romagnan a par ailleurs accepté de commenter le rapport.

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Loi Macron : le grand fourre-tout censé amadouer Bruxelles

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À la veille de la présentation du projet de loi au conseil des ministres, le 10 décembre, les députés ne savaient toujours pas à quoi le texte de la loi Macron devait ressembler. Les parlementaires n'ont cessé de recevoir des versions différentes. Au fil des jours, des heures mêmes, le texte varie. En fonction des arbitrages de dernière minute, il pourrait contenir entre 110 et 160 articles. Certains sujets, comme la réforme des tribunaux de commerce, la réforme des professions réglementées dans la santé, l’enfouissement des déchets nucléaires, semblent être définitivement abandonnés dans le cadre du projet de loi. Mais d’autres pourraient réapparaître comme les concessions autoroutières ou la réforme du permis de conduire. De même, l’ampleur des changements prévus, touchant notamment au droit du travail, varie en fonction des versions.

© Reuters

Le seul énoncé de ces différents sujets dit tout ce projet de loi, présenté comme l'un des textes les plus importants du gouvernement. « C’est un fourre-tout », a dit le secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, se faisant le porte-parole de l'insatisfaction des parlementaires socialistes face à ce texte du gouvernement. « Nous n’arrivons pas à comprendre la cohérence de ce projet, où cette loi veut nous amener », remarque la députée PS Karine Berger qui dénonce la façon dont désormais sont conçues les lois. La sénatrice Marie-Noëlle Lienemann ou la députée Delphine Batho sont encore plus féroces dans leurs critiques, dénonçant un texte d’abandon des valeurs de gauche.

C’est à l’initiative d’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie, que ce texte a été lancé. Lors d’une grand-messe des forces vives de la nation, le 10 juillet 2014, à Bercy, il avait annoncé le lancement d’une grande loi pour la croissance et le pouvoir d’achat. La remise en cause de toutes les « rentes indues » devait apporter, selon lui, 6 milliards d’euros à l’économie française, qui devaient être partagés en trois tiers : un tiers pour le remboursement de la dette, un tiers pour l’allégement des prélèvements obligatoires des entreprises, un tiers pour les ménages.

Arnaud Montebourg est parti mais le projet de texte est resté. Emmanuel Macron l’a repris. Il parle désormais d’un texte « pour la croissance et l’activité ». Plus aucun chiffrage de ce qu’est censée apporter cette loi à l’économie française n’est donné. Il se fixe comme ambition de résoudre les trois maladies de la France : la défiance, la complexité et le corporatisme.

« Nous avons sorti tout ce qui traînait dans les tiroirs de Bercy depuis des années et le cabinet du ministre a fait le tri », raconte un membre du Trésor à Bercy. De fait, le projet de loi reprend de nombreuses propositions qui circulent depuis des années entre ministères et clubs de réflexion, particulièrement de droite. Un certain nombre de dispositions semblent directement inspirées du rapport de la commission Attali en 2008 – dans laquelle Emmanuel Macron siégeait comme secrétaire général. D’autres sont issues des recommandations faites par la commission européenne sur « les nécessaires réformes structurelles » à mener en France, désormais placée sous surveillance.

L’ombre de Bruxelles plane sur ce projet de loi et explique sans doute le rôle hors norme donné depuis sa nomination à Emmanuel Macron, désigné officieusement comme l’interlocuteur privilégié de la France dans ce moment critique tant vis-à-vis des autorités européennes que de Berlin. Ces dernières semaines, ses interventions ont dépassé de loin ses prérogatives ministérielles. On l’a vu  marcher sur les plates-bandes des ministères de la justice, du travail, de la santé, des transports, du commerce et de l’artisanat. « J'ai été  “bonne fille” avec tous mes collègues », a-t-il confié. Mais cela n'a pas empêché les grincements de dents. Cela explique aussi les variations, les allers-retours de ce texte. « Ce projet de loi touche à tant de sujets qu’il aurait dû être pris en charge directement par le premier ministre », remarque la députée PS Colette Capdevielle.

Ces derniers jours, Manuel Valls a commencé à reprendre en main la communication du projet pour contrer la colère montante des socialistes, très agacés par les « provocations » répétées du ministre de l’économie. Lors de son intervention télévisée, le premier ministre a apporté un soutien appuyé à la loi Macron qui « vise à déverrouiller un certain nombre de blocages, à donner de l'énergie à notre société ».

En marge d’un déplacement à Prague, le 8 décembre, le premier ministre a annoncé qu’il ferait lui-même la présentation du projet dans les salons de l’Élysée, à l’issue du conseil des ministres, le 10 décembre. Tous les ministres concernés par le texte devraient être présents : Emmanuel Macron, naturellement, mais aussi Christiane Taubira (justice), Michel Sapin (finances), François Rebsamen (travail), Carole Delga (commerce et artisanat), Thierry Mandon (réforme de l’État), Sylvia Pinel (logement), Alain Vidalies (transport), afin de bien montrer la solidarité gouvernementale sur ce texte. Une façon aussi de tenter d’endiguer la rébellion des parlementaires socialistes, qui s’étend bien au-delà des “frondeurs”. À ce stade, il n’y aurait pas de majorité parlementaire pour adopter la loi Macron. 

Les parlementaires socialistes entendent bien jouer leur rôle et amender ce texte, « sous-tendu par une vision sociale-libérale », comme le relève le député Yann Galut. Le courant Cohérence socialiste, qui s’est formé au moment de l’université de La Rochelle en prévision du congrès du PS et regroupe notamment les députés Karine Berger, Valérie Rabault, Alexis Bachelay, Yann Galut et Colette Capdevielle, compte bien être une force de propositions. « Nous ne sommes pas du tout contre les réformes, mais essayons d’imaginer de donner du contenu à ce texte pour soutenir vraiment la croissance », dit Karine Berger.

Pour l’instant, les comptes n’y sont pas, selon eux. D’après leurs calculs, autoriser la circulation des autocars dans toute la France, mesure prévue dans le projet de loi, si elle était appliquée sur tout le territoire, correspondrait à un chiffre d’affaires équivalent à 6 heures de travail supplémentaires pour l'ensemble des salariés de la SNCF et par an. Abaisser de 5 % les tarifs des notaires sur les transactions immobilières représenterait une économie équivalente à la construction de 8 immeubles de 25 logements. Autoriser l’ouverture des grands magasins du boulevard Haussmann à Paris tous les dimanches de l'année représenterait un chiffre d’affaires supplémentaire équivalent à celui d’un centre commercial comme Évry 2.

« Ce ne sont que quelques exemples. Mais cela montre que ces mesures n’ont pas d’impact fort et durable sur la croissance », relève Karine Berger. Ils veulent proposer d’autres réformes portant notamment sur la propriété intellectuelle, le soutien à l’exportation pour les PME, la protection des entrepreneurs fondateurs ou la révision des règles de gouvernance dans les conseils de surveillance.

Le gouvernement leur laissera-t-il le temps de discuter et de modifier le projet de loi ? Même s’il ne le dit pas, il est pressé. La commission européenne a fixé en mars sa décision définitive sur la France. « Une surveillance particulière de la mise en œuvre des réformes nécessaires en France a été mise en place dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM). Des informations actuellement disponibles, notamment dans le projet de plan budgétaire, il ressort qu'un certain nombre de réformes progressent, mais que la poursuite d'une mise en œuvre résolue et, le cas échéant, des adaptations restent nécessaires », a-t-elle noté dans son avis du 28 novembre.

Le gouvernement se sait donc attendu sur le sujet et entend bien faire de la loi Macron l’exemple de sa détermination à avancer pour se conformer aux exigences européennes et obtenir quelque aménagement par rapport aux règles des traités.

Pour aller plus vite dans l’examen du projet, qui doit commencer début janvier, il a été prévu de constituer une commission spéciale de 17 membres, issus de la commission des lois, des finances, de l’économie, des affaires sociales, etc. Elle devrait être présidée par le député PS, Richard Ferrand, pressenti pour être le rapporteur du projet de loi.

Karine Berger veut croire que les députés ne travailleront pas sous la contrainte du calendrier européen. « Cette loi ne s’inscrit pas dans un calendrier d’injonction de Bruxelles. Le sujet est plus important que les avis de la commission européenne. On réforme pour nous, pas pour la commission », dit-elle. D’autres députés sont beaucoup plus circonspects. Compte tenu des enjeux de ce texte pour le gouvernement, il pourrait être tenté d’utiliser des procédures de vote bloqué, de lecture unique, de 49-3. Bref, tout l’arsenal des procédures à la disposition d’un gouvernement pour forcer sa majorité à voter vite et bien.

Retour sur les principales mesures connues de la loi Macron :

  • Le travail le dimanche
© Reuters

C’est le sujet qui, depuis plusieurs semaines, hérisse le plus les socialistes. La mesure leur semble organiser une régression sociale, sans apporter de réels bénéfices économiques. Ils remarquent que cette question d’ouverture le dimanche n’est discutée dans aucun autre pays de l’Europe continentale. « Essayez d’acheter un bretzel le dimanche à 10 heures le matin à Berlin », ironise Karine Berger.

Le gouvernement paraît, cependant, tenir particulièrement à cette disposition, applaudie par le Medef. Lors de son intervention télévisée, dimanche 7 décembre, Manuel Valls a confirmé l’intention du gouvernement de porter de 5 à 12 le nombre de dimanches où les commerces pourraient ouvrir, soit une fois tous les mois. Ce nombre paraît beaucoup trop élevé aux élus, qui proposent de transiger à 7 maximum. Beaucoup redoutent que cette libéralisation dominicale déstabilise les petits commerces, déjà très touchés par la crise.

La question de la compensation salariale et de son niveau est aussi soulevée. Le texte du projet de loi ne prévoit pas de compensation salariale pour les entreprises de moins de 20 salariés.

Le sujet général se double d’une dispute à Paris. La mairie, dirigée par Anne Hidalgo, est entrée en conflit ouvert avec le gouvernement sur l’extension des zones touristiques dans la capitale, autorisées à ouvrir tous les dimanches. La mission d’information et d’évaluation, mise en place par la mairie, a rendu un rapport très négatif sur le sujet (consultable ici). Pour elle, l’ouverture le dimanche n’apporterait aucun bénéfice et risquerait de mettre à mal au contraire toute la politique de diversité commerciale que mène la ville depuis des années.

Prenant le contre-pied de la maire, Nathalie Kosciusko-Morizet demande au contraire que toute la ville soit autorisée à ouvrir le dimanche afin de rétablir l’égalité de concurrence. L’intersyndicale des salariés du commerce parisien avait déjà anticipé cette évolution. Pour elle, chaque élargissement se traduit immédiatement par une nouvelle demande d’exemption qui ne peut qu’aboutir à une généralisation du travail le dimanche dans la capitale.  

Lire : Le travail le dimanche servira d’abord les intérêts des grandes enseignes

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  • La libéralisation des professions réglementées

C’est l'une des obsessions du FMI et de la commission européenne. À chaque plan de sauvetage d’un pays européen, la Troïka a exigé le démantèlement des professions réglementées (notaires, avocats, pharmaciens, etc.).

« Bien que les barrières relatives aux formes juridiques, aux exigences en matière d'actionnariat et aux tarifs aient été levées pour certaines professions, la majorité d'entre elles (chauffeurs de taxis, professions dans le secteur de la santé, notaires et plus généralement les professions juridiques) se heurtent toujours à de sérieux obstacles en matière d'accès ou d'exercice. Le principe du numerus clausus applicable à l'accès à de nombreuses professions constitue toujours une entrave à l'accès aux services et pourrait être réexaminé sans pour autant entraîner de risques sur le plan de la qualité ou de la sécurité. (…) Une évaluation économique de l'incidence d'une série de réformes structurelles montre que l'amélioration de la concurrence en France est la réforme qui ferait le plus augmenter la croissance du PIB dans un délai de 5 ans », note l’avis de la commission européenne, en juin 2014.

Jusqu’à présent, aucun calcul économique, à partir des déréglementations déjà faites, n’est venu prouver ces affirmations. « Si ce n’est que tout cela est mené pour le plus grand bénéfice des cabinets juridiques anglo-saxons », relève la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann.

L’inscription de cette mesure fait grincer beaucoup de dents dans les rangs socialistes. Après de multiples arbitrages, le gouvernement a décidé d’écarter la réforme pour les pharmaciens et autres professions spécialisées, renvoyée au ministère de la santé. Il a également écarté celle des administrateurs judicaires, appelée à être inscrite dans une réforme des tribunaux de commerce qui doit être conduite par le ministère de la justice.

Restent les avocats, les notaires, les huissiers, les commissaires-priseurs, etc. Les règles d’installation de ces professions sont appelées à être totalement libéralisées, et leurs tarifs abaissés. De façon étrange, le texte prévoit de les soumettre au contrôle de l’autorité de la concurrence et non plus à celui du ministère de la justice.

« Franchement, je ne comprends pas ce que font ces professions réglementées dans une loi censée soutenir la croissance. C’est un sujet compliqué qui demanderait une loi à part, écrite par le ministère de la justice », dit Colette Capdevielle. Elle redoute que la mesure ne vienne déstabiliser le droit français et toute la couverture judiciaire territoriale. « On a protesté contre la réforme de la carte judiciaire en 2009. Mais nous risquons de faire encore pire avec la réforme de la postulation (qui oblige à prendre un avocat inscrit au tribunal dont relève l’affaire – ndlr) », craint-elle.

Aucune étude d’impact et d’évaluation sur les conséquences de cette mesure n’a été présentée pour l’instant. Aucune concertation n’a été menée avec les différentes organisations professionnelles. Très remontées, celles-ci appellent à une forte mobilisation de leurs membres contre le projet dans les semaines à venir. Une première marche est organisée le 10 décembre à Paris.

Lire : Professions réglementées : Mediapart publie le rapport

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  • Droit du travail, temps de travail

Officiellement, la suppression des 35 heures, évoquée à plusieurs reprises par Emmanuel Macron, ne figure pas dans son projet de loi. Le sujet a été jugé trop dangereux par le gouvernement. Le temps de travail reste donc fixé à 35 heures hebdomadaires (lire notre article : Les 35 heures, c'est aussi un pacte de responsabilité qui a réussi). Il est cependant question que les entreprises puissent signer des accords de maintien de l’emploi offensifs – c’est-à-dire non liés à des difficultés de l’entreprise – qui permettent de déroger au temps de travail normal.

De même, Emmanuel Macron a beaucoup milité pour la suppression des seuils sociaux dans les entreprises et un allégement des procédures. Une vieille revendication du monde patronal, que le rapport Attali avait reprise. Même si, à la mi-novembre, la CGT s'est dite prête à renoncer sous certaines conditions au seuil des 10 salariés (rejoignant la position exprimée de longue date par la CFDT), les syndicats ont quand même averti que certaines dispositions risquaient de remettre en cause les accords négociés avec le patronat. « Attention, si on ouvre le chapitre sur le droit du travail, on ira jusqu’au bout. On regardera tout. Au gouvernement de voir ce qu’il veut », prévient Karine Berger.

Lire : Dominique Meda : « une autre voie que le modèle libéral ou la sortie de l’euro »

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  • La justice prud’homale

Le projet de loi entend simplifier les procédures et raccourcir les délais, jugés par tous beaucoup trop longs. Le texte prévoit une formation des conseillers, un statut de défenseur syndical et un pouvoir renforcé des juges. Il envisage aussi une réforme de procédure, rendant obligatoire la conciliation, dans l’espoir de favoriser la rapidité d’instruction des différends et d’éviter les procès.

Les syndicats sont opposés à cette réforme, trop favorable selon eux, aux entreprises. Le Medef n’a jamais caché qu’il souhaitait un encadrement beaucoup plus strict de cette justice sociale, trop facile à saisir et trop imprévisible, selon eux, leur faisant donc courir des risques. Les syndicats craignent aussi que ces changements portent un coup fatal au paritarisme, avec une mainmise accrue de la justice. Ce qui, au passage, risque de ne pas raccourcir les délais.

Lire : La démocratie sociale en danger

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  • La vente des participations de l’État

Dans ce texte fourre-tout, le ministre de l’économie a ajouté un chapitre sur les cessions de l’État. Entre cinq et dix milliards d’actifs devraient être cédés dans les prochains mois. Une grande partie des sommes devrait être consacrée au désendettement, une autre au soutien de l’économie.

Là encore, les députés ne comprennent pas pourquoi ces dispositions figurent dans une loi sur la croissance. Certains redoutent que le gouvernement, qui a déjà cédé de nombreuses participations dans des entreprises concurrentielles, liquide désormais les biens publics liés aux services publics ou les grandes infrastructures. La liste n’est pas fixée. Mais Emmanuel Macron a déjà parlé de céder les réseaux de transports d’énergie, un monopole physique dont on ne voit pour quelle raison il serait mieux dans des mains privées. Mais la commission européenne se plaint de ce contrôle public, jugeant qu’il ne favorise pas suffisamment un grand marché unique de l’énergie.  

Le gouvernement a déjà  évoqué la cession de ses parts dans les aéroports de Nice et de Lyon. La vente de l’aéroport de Toulouse dans les conditions obscures, racontées par Mediapart a frappé les esprits. « Il est impossible que des infrastructures aussi essentielles échappent aux autorités publiques. L’aéroport d’Hambourg, qui est équivalent à celui de Toulouse pour Airbus, est contrôlé à 51 % par la ville et le reste par des organismes publics. Nous veillerons à ce que l’État exerce bien son option pour se renforcer », dit Valérie Rabault.

Lire : Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti

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  • Le transport par autocar

C’est aussi une vieille revendication de la commission européenne. Celle-ci juge que la libéralisation des transports en général, du rail en particulier, est nettement insuffisante. Selon la commission, une ouverture favoriserait la mise en concurrence, le dynamisme du secteur, la création d’emplois et la baisse des prix. Une analyse qu’elle reproduit à chaque nouvelle libéralisation et dont les Européens ont pu, depuis le temps, apprécier la justesse, comme par exemple lors de l’ouverture à la concurrence du gaz et de l’électricité.

Le texte prévoit de libéraliser complètement le transport par autocar, jusque-là soumis au régime des autorisations. « À l’heure actuelle, beaucoup de Français sont trop pauvres pour prendre le train qui est trop cher. (…) Cette mesure de libéralisation du transport en autocar va bénéficier aux familles les plus modestes, les plus précaires, les plus fragiles », a expliqué le ministre de l’économie. En d’autres termes, les pauvres prendront le car.

Un rapport de la Cour des comptes sur l’évolution de la SNCF est venu opportunément à l’appui des projets de réforme du gouvernement. Il recommande notamment l’abandon de nombreuses dessertes par le TGV, jugées trop chères pour la SNCF, et leur remplacement par les autocars ou le covoiturage.

Lire : Le rapport biaisé de la Cour des comptes sur le TGV

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UMP : les tricards de la Sarkozie

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La photo de famille est telle qu’il la souhaitait. Les commentaires, aussi. Dix jours après son élection à la tête de l’UMP, Nicolas Sarkozy a de quoi sourire. À lire le storytelling qui s’écrit sous nos yeux, le « grand rassemblement » dont il se voulait le maître d’œuvre est désormais enclenché. Sa première semaine rue de Vaugirard a été rythmée par des poignées de main chaleureuses et des déclarations enthousiastes. Sa rencontre avec Bruno Le Maire ? « Amicale. » Celle avec François Fillon ? « Apaisée et positive. » Et celle avec Alain Juppé ? « Bonne. »

« C’est formidable ! Dans ce parti, il n’y a que des amis. Tout va bien ! Tout le monde se parle, c’est chaleureux ! » s'est même exclamé le sénateur de la Vienne, Jean-Pierre Raffarin, à l’issue du premier bureau politique dirigé par l’ex-chef de l’État, le 3 décembre. « Chez (Nicolas Sarkozy), il y a une certaine pratique du clivage », reconnaissait pourtant le même Raffarin deux jours plus tard dans les colonnes du Monde. De fait, le nouveau patron de l’opposition est plus expert en divisions qu’en rassemblement. L’équipe dirigeante du parti qu’il vient de composer en est d'ailleurs la preuve. Car sous la couche d'unité badigeonnée à la va-vite, se sont créées de nouvelles poches de discordes.

François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé au bureau politique de l'UMP, le 3 décembre.François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé au bureau politique de l'UMP, le 3 décembre. © Reuters

À première vue, l’ex-chef de l’État s’est échiné à satisfaire tout le monde. Lui qui promettait il y a encore peu qu’il « ne choisirai(t) personne parce qu’il est sarkozyste, juppéiste ou filloniste », a finalement pioché dans chacune des écuries du parti pour constituer son organigramme. En faisant du député des Hauts-de-Seine, Thierry Solère, un proche de Bruno Le Maire, le “Monsieur primaires” de l’UMP, il a donné des gages à celui qui a rassemblé face à lui près de 30 % des suffrages le 29 novembre. En demandant au juppéiste Édouard Philippe, au filloniste Bernard Accoyer et au fidèle Brice Hortefeux de l'épauler dans cette tâche, il a tenté de rassurer tous ceux qui craignaient qu’il ne remette en question le principe des primaires, qui devront désigner le candidat de la droite à l'élection présidentielle de 2017.

Même chose pour la filloniste Isabelle Le Callennec et le copéiste-sarkozyste Sébastien Huygues, tous deux nommés porte-parole. « Un attelage politiquement inimaginable il y a deux mois encore », salue Le JDD. Selon les commentateurs, Nicolas Sarkozy aurait encore brillamment joué les équilibristes en faisant de la “modérée” Nathalie Kosciusko-Morizet (vice-présidente de l’UMP) et du très droitier Laurent Wauquiez (secrétaire général) ses nouveaux bras droit et gauche. Une alliance contre nature qui présage de futures grandes luttes de pouvoir, déjà perceptibles dans « la valse des bureaux » de la rue de Vaugirard, racontée par Libération. Art de la synthèse ou bazar organisé ? « Les militants ont voté pour un homme qui proposait n’importe quoi. Au final, ils ont un homme et n’importe quoi », tranche un proche de Bruno Le Maire.

En votant Sarkozy, les militants ont effectivement obtenu du Sarkozy. Car au-delà de quelques nominations symboles qui se comptent sur les doigts d’une main, l’ex-chef de l’État a surtout placé ses lieutenants aux principaux postes stratégiques de la machine qu’il veut faire sienne pour 2017. « Lui et Frédéric Péchenard (l’ex-patron de la police nationale, promu directeur général de l’UMP – ndlr) concentrent 100 % des pouvoirs », glisse un cadre du parti. À leurs côtés, bon nombre de fidèles sarkozystes : Daniel Fasquelle (trésorier), Christian Estrosi (commission nationale des investitures), Brice Hortefeux et Luc Chatel (conseillers politiques), Marc-Philippe Daubresse, David Douillet et Éric Woerth (délégués généraux)… Le nouveau patron de l’opposition a planté des garde-fous à tous les étages de la rue de Vaugirard, tout en écartant les éléments encombrants de sa garde rapprochée, ses boulets politiques.

Exit l’ex-garde des Sceaux, Rachida Dati, qui était encore vice-présidente sous la présidence de Jean-François Copé, mais dont les critiques permanentes ont fini par agacer l'ex-chef de l'État. Exit également l’ex-trésorière de l’UMP, Catherine Vautrin, récemment mise en examen pour « abus de confiance » dans l’affaire des pénalités imposées à l'ancien candidat à la présidentielle après le rejet de son compte de campagne. Quant à la fidèle copéiste Michèle Tabarot, ex-n°2 du parti embarrassée par l’affaire d’escroquerie immobilière de son frère aîné, elle devra se contenter de conserver son poste de présidente de l'Association nationale pour la démocratie locale (ANDL), qui avait vendu des formations d’élus en partie fantômes aux collectivités locales.

Exit enfin – du moins temporairement – Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, les médiatiques cofondateurs de la Droite forte, qui se voulaient jusqu’alors « incontournables » au sein de l'UMP. Honnis par les élus de l'opposition en général, et par Nathalie Kosciusko-Morizet en particulier, ceux que d'aucuns surnomment « Adolf et Benito » devraient quand même récupérer, au terme de tractations houleuses entre Sarkozy et sa nouvelle vice-présidente, un poste obscur de “secrétaire national fonctionnel”, selon Le Figaro.

Conseillers, collaborateurs, ministres, amis… La garde rapprochée de Nicolas Sarkozy est une habituée des cabinets d’instruction. Jamais sous la Ve République un système présidentiel n'avait été cerné de si près par des juges anticorruption. Or, c’est précisément ce système, élaboré année après année par ses soins, que l’ex-chef de l’État doit désormais démanteler s’il veut circonscrire le feu judiciaire qui le menace. Dans ce nouveau dispositif, certains anciens affidés n’ont clairement plus leur place.

C’est notamment le cas de Claude Guéant, dont le nom est cité dans pas moins de sept affaires. L’ancien secrétaire général de l’Élysée, devenu par la suite ministre de l’intérieur, semble à présent persona non grata à l’UMP. Et pour bien le lui faire comprendre, Nicolas Sarkozy est allé jusqu’à confier un poste clef à son plus grand adversaire : Thierry Solère, l’homme qui lui avait fait subir un camouflet aux législatives de 2012, à Boulogne-Billancourt.

Claude Guéant, Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy à Tripoli, en 2007. Claude Guéant, Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy à Tripoli, en 2007. © Reuters

C'est aussi le cas du député et maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Patrick Balkany, que l'ex-chef de l'État s'est toujours bien gardé de mêler aux rouages de la machine. Cela pourrait être enfin le cas, dans une autre mesure, de Guillaume Peltier qui, non content d'avoir fait ses armes à l'extrême droite, puis dans le sillage du conseiller sulfureux Patrick Buisson, a également vu son nom mêlé au tentaculaire dossier Bygmalion. Mais contrairement aux deux premiers, le maire de Neung-sur-Beuvron (Loir-et-Cher) a pour lui d'être jeune en politique et donc, d'être encore malléable.

Dans la liste des absents remarquables du nouvel organigramme de l’UMP, figure également Nadine Morano. Celle qui fut, comme elle le rappelle crânement à l’Est républicain, « déléguée en charge des élections, déléguée à la jeunesse, aux fédérations professionnelles, au monde du travail, secrétaire nationale, porte-parole » n’occupe plus aucun poste dans la nouvelle mouture du parti. Au quotidien régional qui le lui fait remarquer, elle rétorque : « C’est bien une question de journaliste. Toujours cette manière d’interpréter les choses. Je suis membre du bureau politique, membre de la commission d’investiture, c‘est de la mise à l’écart, ça ? »

Cela y ressemble, malgré tout. « Tous ces gens ont servi à Nicolas Sarkozy, mais aujourd’hui ils sont abîmés dans l’opinion publique et il le sait », souligne un cadre de l’UMP. L’ex-chef de l’État n’a d’ailleurs pas attendu d’être élu à la tête du parti pour faire le ménage dans sa garde rapprochée. Lui qui assurait dès l’officialisation de son retour qu’il aurait « besoin de toutes les intelligences, de toutes les énergies, de toutes les bonnes volontés », s'emploie depuis plusieurs mois à écarter tous ceux qui incarnent le “Sarko d'avant”, celui que les Français ont rejeté au soir du 6 mai 2012. Garder des amis « de trente ans » comme Brice Hortefeux ou des barons locaux comme le député et maire de Nice, Christian Estrosi, est une chose. Mais pourquoi s'embêter avec ceux qui ne représentent guère plus que quelques sorties médiatiques, le plus souvent gênantes ?

Brice Hortefeux, Nadine Morano et Christian Estrosi.Brice Hortefeux, Nadine Morano et Christian Estrosi. © Reuters

Le grand nettoyage des troupes sarkozystes a donné lieu, durant la campagne interne, à quelques “off” acrimonieux de Nadine Morano qui a attaqué tour à tour Gérald Darmanin (« le chihuahua »), Laurent Wauquiez (« la crevure ») ou encore Nathalie Kosciusko-Morizet. Malgré une mise à l'écart évidente, l’eurodéputée continue ses vains appels du pied. « À compétences égales, il vaut mieux être entouré de fidèles, qui vont vous entourer, qui ne vont pas vous poignarder au premier virage de travers, que d'avoir des gens qui, dès qu'il y a un petit peu de vent, sautent du bateau », déclarait-elle encore le 1er décembre sur Europe 1.

Mardi 9 décembre, plus de 25 nouvelles nominations (délégués généraux et secrétaires nationaux) ont été annoncées. Mais toujours rien pour l'ancienne ministre. L'Obs explique que cette dernière a en fait refusé le poste de secrétaire nationale à la formation professionnelle et à l’apprentissage que lui proposait l'ex-chef de l'État, voyant dans ce maigre cadeau de consolation la marque de l'irrespect de son mentor. « Sarkozy me traite de façon indigne et scandaleuse », s'est-elle plainte auprès de Paris Match.

Le nouveau patron de l'opposition a beau marteler qu'il souhaite « rassembler, unifier et rassurer », rien n'y fait : il reste l'homme des clivages. Tandis qu'il s'évertue à redorer son propre blason en polissant sa garde rapprochée, l'UMP continue de s'affaisser sous le poids des égos qui la composent. « Tout le monde joue la mascarade de l’unité pour éviter que le parti explose, mais chacun va continuer à jouer sa partition de son côté, souligne un proche de Bruno Le Maire. En bureau politique, le niveau de haines autour de la table est incommensurable. » Il l'est d'autant plus aujourd'hui que s'y est ajoutée l’amertume des sarkozystes tombés en disgrâce.

BOITE NOIRECet article a été mis à jour, mercredi 10 décembre à 17h30, avec les informations de L'Obs concernant le refus de Nadine Morano et ses déclarations dans Paris Match.

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Claude Neuschwander: «Pour un réseau de militants solidaires»

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« La gauche est immortelle, parce que ses valeurs le sont et que ses luttes restent légitimes. » C'est la première phrase du livre de Claude Neuschwander, La Gauche sans le PS ? Mais passée cette affirmation, le constat est sévère. Vieux militant socialiste, celui qui fut le dernier patron de Lip en 1974, avant que l'État ne mette fin au combat autogestionnaire des ouvriers horlogers, n'est pas tendre avec le parti socialiste qu'il connaît dans ses moindres recoins. Nostalgique du militantisme actif des années 1970, se désespérant d'un parti largement fossilisé et d'une gauche éclatée, d'un syndicalisme éteint et de luttes dispersées, Claude Neuschwander, 81 ans, veut explorer les voies de nouveaux engagements.

Ami de Stéphane Hessel, il veut se situer dans la suite des « Indignés ». Comment réinventer le militantisme, la délibération et l'action collective, comment remobiliser l'ensemble des citoyens se reconnaissant non plus dans les partis mais dans les valeurs de la gauche ? Neuschwander plaide pour la mise en réseau des forces, associations et individus. Internet et la révolution numérique le permettent, estime-t-il. Il faut se saisir de cet outil pour construire « un véritable réseau social au service du progrès collectif ».

La seule technologie numérique peut-elle effacer les profondes divisions de la gauche, ses multiples désaccords sur la question européenne, sur la politique économique et sociale ? Non, bien sûr, mais elle peut encourager de nouveaux engagements, débats, mobilisations de citoyens « qui ne croient pratiquement plus à la politique ni aux hommes politiques ». C'est donc ce réseau de « militants solidaires », à l'échelle d'une région d'abord, qu'ambitionne de construire Claude Neuschwander. Déborder les partis et les vieilles structures, en quelque sorte. Ce livre se veut un premier pas. Et son auteur donne bien volontiers son mail, pour tous ceux qui voudraient le contacter : cnw@edrconseils.fr

Claude Neuschwander
La Gauche sans le PS ?
170 pages, 15 euros
Éditions Le Publieur

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Prêt russe au FN : Schaffhauser fixé sur son sort le 20 janvier

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Les précisions apportées par l'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser, qui fut l'artisan du prêt de neuf millions d'euros décroché pour le Front national auprès d'une banque russe, n'ont pas convaincu Martin Schulz. Le président de l'institution strasbourgeoise continue de tiquer sur ce qui ressemble à des omissions dans la déclaration d'intérêts financiers de l'élu français. 

Schulz a donc décidé, selon nos informations, de renvoyer le dossier devant le comité consultatif interne au parlement, qui rendra son avis le 20 janvier 2015. Après l'enquête menée par ce comité, Schulz pourra alors décider – éventuellement – de sanctionner cet eurodéputé. Schaffhauser doit en particulier se justifier sur les 140 000 euros qu'il reconnaît avoir touchés au titre d'intermédiaire entre le FN et la banque russe, mais qui ne figurent pas dans sa déclaration d'intérêts (lire le détail des inquiétudes des services du parlement européen dans notre précédent article).

Le comité consultatif du parlement, peu connu du grand public, est un comité d'éthique qui avait été constitué dans la foulée du scandale « amendements contre cash » de 2011, lorsque des journalistes britanniques se faisant passer pour des lobbyistes étaient parvenus à corrompre des élus de l'institution. Ce comité est constitué de sept eurodéputés (dont deux membres « de réserve », chacun issu d'un groupe politique différent – ce qui doit permettre d'assurer une forme de neutralité dans la conduite des enquêtes sur leurs collègues). Les élus FN, qui siègent parmi les non inscrits au parlement européen, ne sont pas représentés au sein de ce comité.

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«Face à Guérini, il faut enfin une réponse politique»

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Le parti socialiste des Bouches-du-Rhône n'en finit pas de sombrer. À trois mois des cantonales, le patron du département Jean-Noël Guérini (ex-PS) continue de peser de tout son poids sur sa majorité socialiste sortante au conseil général. Relaxé le 8 décembre dans une affaire de licenciement abusif, il reste toujours mis en examen dans deux enquêtes sur des marchés truqués. Le 5 décembre, le PS a investi 19 candidats sur les 29 cantons du département. Cette liste comporte de nombreux conseillers généraux sortants qui, le 4 novembre, avaient appelé à une alliance avec la Force du 13, le nouveau parti de Jean-Noël Guérini. Plusieurs militants, dont le conseiller général sortant Michel Pezet et Pierre Orsatelli, porte-parole de Renouveau PS Treize, dénoncent de nombreuses irrégularités dans leur désignation. Entretien avec Pierre Orsatelli, 51 ans, militant PS depuis 1983 et farouche adversaire du système Guérini.

Jean-Noël Guérini et son ex-conseiller Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, ont été relaxés lundi dans une affaire de licenciement abusif. Est-ce une mauvaise nouvelle pour le PS qui comptait sur la justice pour régler le cas Guérini ?

Pierre Orsatelli. Non, nous avons toujours dit qu'à une question politique, il fallait apporter une réponse politique et non uniquement judiciaire. Certains socialistes au niveau national ont par lâcheté renoncé à s’impliquer dans le traitement du cas Guérini, car ils comptaient sur la justice pour le faire. La réponse judiciaire n’est pas là. Il faut maintenant avoir la lucidité et le courage d’apporter une réponse politique. Le PS doit cesser de s’acoquiner avec Jean-Noël Guérini. Sinon, durant toute la campagne des cantonales, on aura des micros tendus, partout en France, pour demander aux socialistes : « Comment justifiez-vous votre alliance avec Guérini ? »

Vous dénoncez des irrégularités lors du choix des candidats socialistes aux cantonales, lesquelles  ?

Le parti socialiste a fait un appel à candidature comme dans toutes les fédérations. J’ai adressé ma candidature dans le strict respect de la circulaire nationale. On m'a même demandé un RIB pour l'enregistrer, mais elle n’a pas été retenue, et ce sans que j'en sois prévenu. Nous sommes plusieurs dans cette situation. Les militants PS ont voté le 3 décembre par canton. Les listes électorales n’ont pas été établies dans le délai prévu (un mois à l’avance), la liste de candidats n’était pas connue le jour même du scrutin, leurs professions de foi n’existaient pas ou n’avaient pas été diffusées et à 15 heures les lieux de vote n'étaient pas connus pour un scrutin qui débutait 17 heures ! Les candidats eux-mêmes ne savaient pas si leur candidature avait été retenue, où ils étaient candidat, et quels étaient les électeurs. Comme les cantons ont été redessinés, les militants ne savaient pas non plus à quelle circonscription ils étaient rattachés. Dans certains cantons, le vote a été annulé au dernier moment. Dans d’autres, le vote a eu lieu mais les candidats arrivés en tête n’ont pas été investis, manifestement pour réserver ces cantons à des conseillers généraux sortants signataires de l’alliance avec la force du Treize.

Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis a exclu toute alliance avec Jean-Noël Guérini. Comment expliquer que la fédération des Bouches-du-Rhône ait le 5 décembre désigné des candidats guérinistes ?

La convention départementale du PS à Vitrolles a désigné 19 candidats, pas forcément ceux qui avaient été élus. Près de la moitié avaient en effet signé l’appel à l’alliance avec la Force du 13. Si rien n’est fait, nous aurons des investitures socialistes qui recouvriront à peu près fidèlement les 23 signataires de cet appel à un accord du PS avec la Force du 13, le parti localiste et sectaire de Jean-Noël Guérini.

La disjonction est incompréhensible pour un non-initié. Il faut donc poser la question à Jean-Christophe Cambadélis. Effectivement, il a dit qu’il ne fallait aucune alliance et qu'une commission pour suivre les faits et gestes de la fédération serait créée. À ma connaissance, elle n'a pas été mise en place.

La convention de Vitrolles était inaccessible puisqu’elle s’est tenue à huis clos avec une cinquantaine de personnes triées sur le volet. Les militants ou candidats qui ont voulu y assister n’ont pas pu. La convention a même voté un programme départemental hagiographique vantant les mérites de la gestion de Jean-Noël Guérini, qui n’avait jamais été proposé aux militants. Ça n’est rien que de l’habituel : dans les Bouches-du-Rhône, le PS ne respecte pas ses propres règles. Ce qui reste surprenant est qu’on s’évertue à respecter les oripeaux d’une légalité. Ceux qui gèrent cette fédération pour le compte de tiers sont très formalistes, alors que tout ça est une farce complète.

Allez-vous déposer un recours comme annoncé ?

Nous y réfléchissons. Ce serait un recours devant une juridiction civile puisque le PS est une association. Nous avons demandé aux militants d’apporter leurs témoignages : comment ils ne connaissaient pas les candidats, comment il n’y avait pas d’isoloir, pas de dépouillement, des chiffres de participation grotesques, pour les candidats recalés et même recalés alors qu'arrivés en tête, etc.

Mais il vaudrait mieux apporter une réponse politique d’ici les investitures par le conseil national qui aura lieu samedi 12 décembre. Il faut une ligne qui explique que la tutelle de Guérini sur le PS des Bouches-du-Rhône n’a que trop duré, qu’il ne peut y avoir aucune forme d’alliance, que le PS s’engage résolument dans l’application de la loi Lebranchu avec la perspective de création d’une métropole comme un bouclier. Seule une métropole permettra à ce département de faire face à la mondialisation. Les Bouches-du-Rhône peuvent être gérées avec des règles opposables à tous dans un principe d’égalité entre les citoyens. Les maires qui soutiennent la Force du Treize reçoivent pour leurs administrés 20 fois plus d’aide aux communes (versée par le département, ndlr) par tête d’habitant qu’un Marseillais et 27 fois plus qu’un Aixois. L’égalité n'est pas respectée. Les principes de transparence non plus. Il est très difficile à partir du site du conseil général de connaître les chiffres des subventions aux communes, de savoir ce ce qui est voté en commissions permanentes.

 Quelle serait cette réponse politique ?

Il faut un programme clair et lisible. Il faut incarner le renouveau avec de nouvelles têtes. Il existe une profonde attente, car Stéphane Ravier (FN), Martine Vassal (tête de liste UMP-UDI), Jean-Noël Guérini (Force du 13) vont faire campagne contre la métropole. Les socialistes bucco-rhodaniens, par solidarité gouvernementale et par évidence, seraient fondés à faire campagne pour la métropole. Il ne s’agit pas du diable à six têtes présenté par ses opposants, mais bien l’outil du développement indispensable de ce territoire. Regardons par exemple le canton de Jean-Noël Guérini dans lequel il veut se représenter. Comment explique-t-il, qu’avec les moyens du conseil général, il ait laissé son canton devenir le plus pauvre d’Europe. La réponse est simple : le clientélisme est l’enfant de la pauvreté. C’est beaucoup plus facile de régner sur un territoire quand les gens sont dans le besoin que de chercher à le développer. C’est la réalité de ce territoire, de souvent, pour des calculs politiques, préférer la pauvreté au développement.

Il faut ouvrir cette maison du « Bateau bleu » (surnom de l'hôtel du département, ndlr) et en faire une collectivité exemplaire. Je pense à Michel Dinet, qui était président du conseil général de Meurthe-et-Moselle malheureusement décédé. Il avait adopté un règlement d’aides aux communes parfaitement transparent. On peut gérer un conseil général avec plus de deux milliards d’euros de budget annuel de façon lisible et transparente. Si ce conseil général redevenait une collectivité gérée par des principes de gauche, on pourrait faire beaucoup mieux pour l’ensemble des habitants de ce département.

La réalité est que, sans le portefeuille du conseil général, sans les clefs du coffre-fort, Jean-Noël Guérini n’a plus aucun pouvoir. Il est sénateur non inscrit, c’est-à-dire un pouvoir égal à zéro équivalent à celui de Stéphane Ravier (FN) ou de David Rachline (FN). Il n’a pas la capacité à agir sur le processus législatif, d’ailleurs il ne se rend guère au Sénat.

Comment expliquer que malgré le rapport Montebourg, la commission Richard, les trois mises en examen, les conseillers généraux socialistes ne se soient jamais débarrassés de l’épine Jean-Noël Guérini ?

N’importe qui vit dans ce département sait que ce conseil général est cadenassé. Les décisions sont prises de façon autocratique. La capacité d’influence d’un conseiller général de la majorité ou de l’opposition tend vers zéro. La gestion est basée sur des rapports de force dans une logique de vassalité. Si ces conseillers généraux n’étaient pas soutenus implicitement au plan national par Solférino, tout pourrait changer. Mais les réseaux, qui ont amené à négocier en bloc les mandats des Bouches-du-Rhône pour les congrès du PS au niveau national, sont toujours à l’œuvre. Certains n’avaient donc pas intérêt à lâcher Guérini, car il avait menacé d’entraîner le PS dans sa chute. Peut-être que ces messages ont été entendus par des gens qui avaient des choses à se reprocher. Je sais comment Jean-Noël Guérini parlait à certains de nos responsables nationaux. J’ai honte pour eux, qu’ils se soient laissé traiter ainsi, devant témoins. C’est une façon de faire de la politique qui est passéiste et alimente le désamour de nos concitoyens pour la politique. Il faut y mettre un terme.

Quitte à perdre le conseil général des Bouches-du-Rhône ?

Mais le conseil général est déjà perdu. Il est perdu depuis le 30 mars 2011, depuis qu’il est utilisé pour la protection du destin de Jean-Noël Guérini, au seul profit de sa carrière politique. Expliquer qu’il peut rester à gauche si nous faisons alliance avec la Force du 13, est une plaisanterie. Il ne s’agit pas de perdre le conseil général, mais au contraire de le regagner à gauche. Et notre seul espoir pour y arriver est de remobiliser un électorat de gauche qui ne comprend pas pourquoi les socialistes continuent d’être sous la coupe du système Guérini. Cet électorat attend qu’enfin nous envoyions un signal clair.

Il y a eu beaucoup d’occasions perdues, mais ce n’est pas une fatalité. Plus vite, nous nous désolidarisons de ce système, mieux ce sera pour le PS parce qu’il y a des échéances politiques (cantonales, régionales, présidentielle, etc.) et judiciaires à venir. Comme Jean-Noel Guérini sera probablement renvoyé devant le tribunal correctionnel en 2015 pour deux autres procès, les journalistes vont continuer à demander aux socialistes dans la France entière pourquoi ils ont fait alliance avec Guérini. Nous n’avons que trop tardé

D'autant plus, et il y a urgence, que la vraie ligne contre le FN, c’est un parti socialiste fort qui ne soit ni dans le compromis, ni dans la compromission.

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Aides aux communes: le fait du prince Guérini à un milliard d'euros

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Enquête en partenariat avec le site Marsactu. Depuis les élections sénatoriales de septembre 2014, les critiques à l'égard de l'usage arbitraire des fonds du conseil général des Bouches-du-Rhône par son président ont repris de la vigueur. Le sénateur réélu et multi-mis en examen Jean-Noël Guérini (ex-PS) est accusé d'utiliser l'aide aux communes pour entretenir les allégeances des 119 maires du département, de gauche comme de droite. Selon son ancien directeur de cabinet Jean-François Noyes, « Guérini s’est constitué un capital de voix de grands électeurs et il en a dépouillé le PS ». Alors que Guérini a engrangé trois sièges aux sénatoriales, son adversaire socialiste Samia Ghali a tout juste réussi à sauver le sien… À l’approche des départementales de mars 2015, cet arrosage pourrait souder sa majorité dans l’hypothèse d’un troisième tour qui lui permettrait de conserver la présidence du conseil général des Bouches-du-Rhône. D’ailleurs, nombre de conseillers généraux – y compris communistes ou de droite – assument cette politique qui est « celle du conseil général » avant d’être celle de Guérini. Pourtant la main du président apparaît partout.

Le Bateau bleu, siège du conseil général des Bouches-du-RhôneLe Bateau bleu, siège du conseil général des Bouches-du-Rhône © Marsactu/Benoît Gilles

Entre 2008 et 2014, cette aide aux communes est passée de 88 millions d'euros à 155 millions. À la louche, si l’on additionne l’argent distribué depuis 2008 aux 322 millions promis pour les cinq ans à venir, on atteint un milliard d’euros. Or le conseil général entretient une forte opacité sur les critères et la répartition de cette aide devenue l’unique poche d’oxygène de maires étranglés par la baisse des dotations d’État et la crise. Selon les rares chiffres obtenus par Marsactu et Mediapart, le différentiel entre des communes de même taille va de un à quinze. Sans qu’aucun critère objectif ne soit affiché par l’institution pour écarter le soupçon de clientélisme.

Le 29 novembre à Eyguières et Aureille, le 5 décembre à Vauvenargues, le lendemain à Mimet et Saint-Victoret... Depuis quelques jours, le « Guérini tour » est en cours. Après le vote le 22 octobre d’une importante rallonge budgétaire destinée à aider les communes, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône passe aux travaux pratiques avec la signature de multiples contrats de développement et d’aménagement (CDAD). Étalés sur plusieurs années, ces contrats sont le principal canal de la politique de subvention du conseil général en direction des communes (un tiers du budget en 2013), aux côtés de diverses enveloppes pour les « travaux de proximité », les « équipements structurants », les bibliothèques ou encore les caméras de vidéosurveillance.

Au lendemain des sénatoriales et juste avant les élections départementales, le conseil général des Bouches-du-Rhône votait une nouvelle enveloppe au montant insolent de 322 millions d’euros. On en sait donc un peu plus sur les futurs bénéficiaires de ces sommes censées s’étaler sur les cinq ans à venir. Sur trois ans, le CG13 financera 4,7 millions d’euros de travaux à Mimet (4 508 habitants), commune de Georges Cristiani (sans étiquette). Fer de lance des maires du département opposés à la future métropole marseillaise, il sera candidat aux élections départementales avec le soutien du nouveau parti de Jean-Noël Guérini, la Force du 13. Eyguières, 6 400 habitants, touchera 9,1 millions d’ici 2018, tandis qu’Arles, 52 500 habitants, a signé pour 6,7 millions sur la même période.

Pour l’instant, c’est le prédécesseur de Jean-Noël Guérini, le maire d’Istres François Bernardini (ex-PS), qui décroche la timbale : 30 millions d’euros. À en croire Roland Povinelli, maire d’Allauch, cette répartition des financements correspond à des critères strictement politiques, conséquences directes des suffrages des grands électeurs aux sénatoriales. « Moi, j’ai été élu sénateur avec Guérini, je sais comment ça fonctionne, dit l’ex-sénateur PS, qui a perdu son siège en 2014. Regardez, Guérini ne parlait plus avec Bernardini, qui avait 50 voix de grands électeurs. Bernardini vient d’obtenir 30 millions d’euros pour sa commune ! »

 

285 euros par an et par habitant à Eyguières, dix fois moins à Arles : la répartition de cette manne épouse en effet les critiques formulées depuis plusieurs années. En mars 2010, le maire des Saintes-Maries-de-la-Mer Roland Chassain (UMP), se plaignait de n’avoir jamais pu signer de contrat avec le conseil général : « Votre choix dans les attributions ne sert qu’à fidéliser votre électorat et à faire pression sur certains maires qui n’osent plus aujourd’hui afficher leur appartenance politique, préférant les subventions à leurs convictions. » Entre 2008 et 2011, la ville camarguaise a dû se contenter de crédits débloqués au coup par coup, tout au plus pour 50 000 euros. La bonne nouvelle est finalement tombée quelques jours avant Noël 2012, sous la forme d’un contrat départemental d’aménagement et de développement  de 2,4 millions d’euros, incluant la réfection de l’hôtel de ville. Sur son blog où il relayait la moindre péripétie des affaires Guérini, Roland Chassain concentre désormais ses flèches sur sa bête noire, le député de sa circonscription Michel Vauzelle (PS)...

Rencontré dans sa mairie de Saint-Rémy-de-Provence, 11 000 habitants et un contrat de 14 millions d’euros à venir, Hervé Chérubini (PS) réfute toute discrimination. Je peux vous garantir que ça ne va pas du simple au double, assure le vice-président du conseil général délégué aux finances. Mais lorsqu’on insiste sur les inégalités de répartition de l’aide aux communes, il préfère répondre sur son principe même. « L’aide aux communes représente 6 à 7 % du budget du conseil général, on n’est pas sur des chiffres démentiels. Et si on peut le faire, ça ne tombe pas du ciel, c’est parce qu’on a serré sur les dépenses de fonctionnement (...) Je doute que qui que ce soit remette en cause les contrats. »

La chef de file de l’opposition UMP-UDI Martine Vassal, en lice pour prendre la tête du département, se garde bien de contester son utilité. « Dans certaines communes, le CG est le seul financier. L’aide aux communes est indispensable, c’est le différentiel qui pose problème. » À l’appui de ses dires, la candidate à la présidence du conseil général en 2015 avance le recensement effectué par ses collaborateurs. Ils ont épluché les délibérations des commissions permanentes du conseil général pour tenter d’avoir une vue d’ensemble de la répartition de ce budget. « On a fait un travail de fourmi. Les maires ne pensaient pas que le voisin avait eu beaucoup plus qu’eux, ce n’est pas connu. »

Cette opacité a une raison simple  : les conseillers généraux votent les subventions à huis clos commune par commune, projet par projet. « On vote l’enveloppe globale de l’aide aux communes en budget primitif, par exemple 155 millions d’euros en 2014. Ensuite, elle est répartie lors de chaque commission permanente en fonction des dossiers. On ne peut pas savoir à l’avance ce qui va être demandé ! » justifie Hervé Chérubini. Le vote au coup par coup en commission permanente ajoute à l’opacité. Celles-ci se tiennent à huis clos, à la différence d’une séance plénière ouverte à la presse et au public.

Les services du conseil général n’auraient pourtant aucun mal à fournir ce tableau synthétique. En 2011, l’opposition de droite a obtenu une mission d’information censée mettre au clair le fonctionnement de l’aide aux communes.Ses membres s’étaient vu remettre un CD-Rom récapitulatif des subventions versées au cours des trois années passées. Le cabinet de Jean-Noël Guérini a une vue très fine de ces aides. « Avant les élections cantonales, je préparais pour chaque candidat un dossier avec année par année de tous les crédits affectés pour la voirie, les équipements, y compris les aides sociales aux habitants de la commune, témoigne Jean-François Noyes, aujourd'hui conseiller général de Saint-Mauront. Pour pouvoir dire à chaque élection voilà, ce que nous avons fait. Par exemple, à Velaux, nous avons distribué tant aux familles modestes. L’aide aux communes, ils peuvent le sortir en trois minutes, mais ils ne le feront pas. »

Pour ce faire, le cabinet dispose d’un outil informatique sur mesure, baptisé Infographe. Celui qui était chargé d’interroger ce logiciel au cabinet s’appelle Jean-David Ciot, actuel premier secrétaire de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. L’actuel député PS était entré au cabinet de Guérini en 2002 comme « chargé de mission de géographie cantonale ». « Cet outil a été dévoyé à des fins clientélistes quand Guérini a accédé au pouvoir, dénonce Francis Martinez, créateur du logiciel. C’était une commande de Lucien Weygand (ex-président PS du conseil général, ndlr) qui voulait avoir une vision de l’emploi des aides, à une époque où on a créé le bureau de contrôle de gestion. » Cela prête à Lucien Weygand des intentions sans arrière-pensées qui cadre mal avec l’héritage defferriste qu’il a incarné.

D’autres voix s’élèvent pour dénoncer le parti pris clientéliste de Guérini. « Au début il y avait une certaine logique : aider les communes qui font un effort fiscal, confirme Jean-François Noyes. Puis la machine est devenue folle. (...) C’est une aide aveugle, une distribution de crédits sans conception de l’aménagement du territoire. » Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération PS des Bouches-du-Rhône, parle quant à lui d’un simple outil de décision en matière de politiques publiques sans aucune visée clientéliste. « On faisait de la cartographie à partir des données publiques issues des délibérations des collectivités locales pour regarder canton par canton où sont les grands équipements. (...) Croiser ça avec les résultats électoraux par bureau de vote, tout le monde peut le faire ! »

Si Marseille a bénéficié des millions du département pour de grands projets à la hauteur de la capitale du territoire, ses quartiers restent les parents pauvres de l’aide aux communes (6,50 euros par habitant par an entre 2008 et 2013). Celle-ci arrose majoritairement les villages. « Plus la commune est petite, plus elle est aidée. C’est de la solidarité territoriale avec les petites communes rurales », justifie Chérubini. Plus tard dans la conversation, l’élu ose un argument inédit : « Marseille avec 43 % des habitants perçoit 63 % du RSA versé par le département. Ça fait un décalage de 100 millions d’euros. Les habitants des Bouches-du-Rhône sont solidaires des Marseillais à hauteur de 100 millions d’euros ! Alors c’est un juste retour des choses qu’on aide les petites communes. »

Mais même à population constante, les écarts sont énormes : Sausset-les-Pins (7 740 habitants) a touché 970 000 euros entre 2008 et 2013 soit 21 euros par habitant par an quand Velaux (8 089 habitants) engrangeait 15,98 millions d’euros sur la même période, soit 310 euros par habitant et par an. La première est dirigée par un maire et ancien député de droite Éric Diard, la seconde par l’ex-vice-président à l’aide aux communes de Guérini aujourd’hui député socialiste, Jean-Pierre Maggi (qui n’a pas retourné nos appels).

Pour Martine Vassal, la grille de lecture est donc simple : « La différence entre les communes de droite et de gauche est impressionnante. Guérini a surtout arrosé les maires de gauche. » La signature d’un important contrat le 15 novembre à Mollégès nuance cette vision. Le maire Maurice Brès, pourtant divers droite, est l’un des conseillers généraux qui soutient Jean-Noël Guérini. Pierre Orsatelli, porte-parole de Renouveau PS 13, a une analyse plus en lien avec les soupçons d’affairisme. Il pose la question d’un éventuel lien avec les activités de traitement des déchets du frère du patron du département, Alexandre Guérini, qui exploite la décharge de l’Agglopole Provence et jusqu'à 2013 celle de la communauté du pays d’Aubagne et de l’Étoile.

« C’est dans les deux agglos où Alexandre Guérini a le plus interféré qu’on retrouve le maximum d’aide aux communes : l’Agglopole Provence et celle d’Aubagne », avance Pierre Orsatelli. Le militant PS se base sur le recensement réalisé par la droite, qu'il a pu se procurer. Nous n'avons pas pu recouper l'ensemble des chiffres qui y figurent. Farouche adversaire de Guérini, Pierre Orsatelli souligne également que des communes de droite comme Saint-Marc-de-Jaumegarde (UMP) et Vauvenargues (UDI), où la justice soupçonne le département d’avoir délivré des autorisations douteuses pour des maisons de retraite, semblent également avoir bénéficié d’une forte aide aux communes.

Hervé Chérubini a une explication beaucoup plus morale. Certaines communes investissent tout simplement moins que d’autres. « C’est de la responsabilité du maire de savoir s’il veut investir ou pas, avance Hervé Chérubini. À Saint-Rémy, le montant d’investissement par habitant est environ le double de la moyenne nationale. On avait un gros programme de travaux parce qu’on avait du retard et que l’on a deux musées de France. Je reconnais qu’on l’a fait en partie parce qu’on était aidés par le CG13. »

Aide-toi et le ciel t’aidera. L’argument est connu depuis la mission d’information de 2011. Sous la houlette de Mario Martinet, président du groupe socialiste, celle-ci avait abouti à un auto-satisfecit du conseil général. Mais elle avait permis de mettre au point des éléments de langage qui semblent toujours d’actualité. « Les deux communes n’ont pas du tout le même dynamisme en matière d’investissements », répondait ainsi Mario Martinet au conseiller général Maurice Rey (UMP), qui lui soumettait les cas de Velaux et Cassis (1 237 euros par habitant entre 2009 et 2011 pour la première, 31 euros pour la seconde).

Cette version ne résiste pas à l’analyse poussée des comptes des deux communes. Entre 2008 et 2013, elles ont investi sensiblement le même montant : 38,6 millions pour Velaux, 31,7 pour Cassis. Seulement, la première a bénéficié de 16 millions d'euros de subventions du conseil général quand la seconde ne récoltait que 2,7 millions toutes collectivités confondues. Il est vrai que les capacités financières de Cassis, assises sur l’économie touristique et le casino, sont bien supérieures.

Autre argument : si certaines communes sont lésées, ce serait faute de déposer des dossiers ou à cause de la mauvaise qualité de ces derniers. « C’est du pipeau », bondit Éric Diard, pour qui « il y avait une fatwa sur la ville de Sausset-les-Pins ». Ces dernières années, il a multiplié les demandes, comme en témoignent les comptes-rendus de séances du conseil municipal disponibles sur le site de la ville. « Les services du conseil général me disaient que les dossiers étaient bien arrivés et qu’ils étaient complets. Seulement, aucun ne passait en commission permanente. » Hervé Chérubini maintient : « Sausset, c’est vraiment l’exception qui confirme la règle. On aide toutes les communes sans distinction aucune. » Mot pour mot, c’est ce que dénonçait Roland Chassain lors de son intervention en séance plénière en mars 2010. Chassain, comme Diard, y pointait l'omnipotence du président : « Ça ne dépend pas de la commission ou du vice-président. Si Guérini est séduit, il vous prend votre dossier. »

À défauts de critères, c’est au neuvième étage du bateau bleu, dans le bureau de Jean-Noël Guérini, que se déciderait en quelques minutes le déblocage de millions d’euros. « Les maires venaient au neuvième étage faire leur marché et faire allégeance, raconte Rémy Bargès, directeur de cabinet de Guérini de 2008 à 2012. Ça durait entre dix minutes et une heure. En général, ils repartaient avec le sourire. Derrière, les services s’arrachaient les cheveux. Il n’y avait pas de critère d’attribution. »

Il poursuit : « C’est Guérini qui décide s’il va vous donner 50 ou 75 % du montant des travaux selon ses humeurs et les contingences politiques du moment, selon que vous soyez ou non en phase avec lui, et parfois il ne fallait pas grand-chose pour passer du neuvième étage à la cave. Ça ne se voit nulle part ailleurs. » L'un de ces prédécesseurs, Jean-François Noyes, confirme. « Il suffit que les maires demandent tel ou tel équipement pour l’obtenir sans évaluation du besoin réel, dit-il. C’est une course à l’échalote de maires qui défilent dans le bureau de Guérini sur l’air de "De quoi avez-vous besoin, mes amis ?". »

La petite ville de La Fare-les-Oliviers fait partie des communes choyées par le département. « Suite aux élections municipales de 2008, Guérini a reçu l’ensemble des maires du département et on lui a expliqué nos projets, raconte son maire Olivier Guirou (divers gauche), fervent partisan de Guérini. J’ai été élu le 25 mars 2008. Le 26 mars, tout était mis en place pour rencontrer le président du CG pour voir comment il pouvait m’aider dans mes projets. À partir de là, on monte le dossier avec un professionnel en mairie, car les services du conseil général sont regardants. » En 2009, le maire est allé de nouveau taper à la porte de Guérini pour son école, financée à 80 % par le département. Au total, la commune de 7 256 habitants a bénéficié de 9 millions d’euros débloqués par le conseil général depuis 2008. Outre un gymnase, un nouveau groupe scolaire et un centre aéré, le département a également investi 26 millions d’euros pour la déviation de la route départementale qui défigurait La Fare-les-Oliviers.

Son maire reconnaît volontiers avoir voté pour Guérini aux sénatoriales de 2014. « La première raison, c'est l’aide aux communes, explique-t-il. Ce n’est pas l’homme, c’est la politique du conseil général développée envers les communes depuis 1998. Si demain on a une Marseillaise à la tête du conseil général, c’est fini. La deuxième raison, c’est la métropole qui est un assassinat des communes. C’est pour ça qu’il a eu un boulevard aux sénatoriales. »

Hervé Chérubini ne nie pas qu’il y ait des « visites de courtoisie » des amis au président, mais elles n’auraient selon lui aucune influence sur le passage des dossiers. « Les maires vont par courtoisie rencontrer M. Guérini qui dit "on le passe” ou pas. Ce n’est pas Guérini qui fait un chèque au maire, c’est le CG qui aide les communes. Quand ça arrive devant Guérini, et a fortiori devant la commission permanente, ça a été passé au tamis des services. Il y a eu un gros travail en amont. » À entendre celui qui tient son budget, le département ne dirait presque jamais non, il n’y aurait aucun arbitrage. Et encore moins d’arbitraire...

Cette vision idyllique est contredite par les services du CG13, dans un échange rapporté par le compte-rendu de la mission d’information. Le conseiller général UMP Maurice Rey « demande si un dossier complet devient automatiquement un rapport présenté en commission permanente ». François-Xavier Serra, directeur de la vie locale, « précise que ce n'est pas le cas. Le budget consacré à l'aide aux communes ne peut absorber la totalité des demandes ». Il y a donc bien un arbitrage du fait de l’étroitesse relative de l’enveloppe...

Aujourd’hui, sa réponse serait peut-être plus nuancée. La nouvelle enveloppe débloquée en octobre 2014 permet au conseil général d’arroser encore plus large. Une aide appréciée par les communes en temps de crise. Cassis a ainsi touché en août une subvention de 843 000 euros pour le plateau sportif des Gorguettes. Même « l’exception » saussetoise touche à sa fin. « Ça va mieux maintenant. Un peu avant les sénatoriales, Guérini m’a dit "C’est fini, j’arrête la guerre", dit Éric Diard. Sur l’année 2014, je vais dépasser le million d’euros, alors qu’avant quand j’avais 150 000 euros, c’était champagne. » Les mécontentements s’estompent, le fait du prince demeure. Enquête en partenariat avec le site Marsactu.

Le tableau de l'opposition UMP-UDI

BOITE NOIRELes chiffres cités dans cet article ont été obtenus directement auprès des mairies concernées. Contacté pour avoir le détail des subventions versées commune par commune sur le mandat 2008-2014, le conseil général n’a pas donné suite. À défaut d’avoir les moyens et le temps de contacter une par une les 119 communes du département, nous n’avons pas pu vérifier les chiffres du tableau réalisé par l’opposition de droite à partir des délibérations des commissions permanentes du conseil général.

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L’associé de Nicolas Sarkozy, Arnaud Claude, mis en examen pour blanchiment

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Voilà quinze ans, l’égérie de la lutte anti-corruption, Eva Joly, alors juge d’instruction, lançait un pavé dans la mare en pointant la responsabilité des avocats dans les mécanismes de blanchiment d’argent sale. Tollé chez les gens de robe, saisine en mode outré de la ministre de la justice Élisabeth Guigou et, pour finir, mise au point d’Eva Joly. Le temps a passé. Mais malgré les changements de législation, et les règles déontologiques qui sont mises en avant par les barreaux, cette question délicate du blanchiment reste en suspens.

Me Arnaud ClaudeMe Arnaud Claude © DR

Ainsi, mercredi 3 décembre, l’avocat parisien Arnaud Claude, l’associé historique de Nicolas Sarkozy, a été mis en examen pour « blanchiment de fraude fiscale » dans l’affaire Balkany, sur décision des juges d’instruction financiers Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, comme l’a annoncé Le Canard enchaîné.

Selon une source proche du dossier, « les juges ont considéré qu’il y avait des indices graves ou concordants pour que Me Arnaud Claude ait participé à la création des montages financiers reprochés aux époux Balkany ». Pour mémoire, Patrick Balkany, député et maire de Levallois-Perret (UMP, Hauts-de-Seine), est mis en examen pour corruption, ainsi que pour blanchiment de fraude fiscale en compagnie de son épouse Isabelle (celle-ci a dû payer une caution d'un million d'euros), et leurs biens risquent d'être saisis. Les époux Balkany sont soupçonnés de détenir, à travers des sociétés écrans, un patrimoine important ainsi caché au fisc.

Le cabinet Claude et Sarkozy avait été perquisitionné le 21 mai dernier, alors qu’Isabelle Balkany se trouvait en garde à vue. Le cabinet avait déjà subi une première perquisition pendant l’affaire Bettencourt, en juillet 2012.

La mise en examen d’Arnaud Claude est importante à plus d’un titre. D’abord parce que ce n’est pas n’importe qui. Avocat prospère, ayant prêté serment en 1977, et aujourd’hui à la tête d’un cabinet d’une vingtaine de collaborateurs installé boulevard Malesherbes, il s’est associé à son confrère Nicolas Sarkozy dès 1987. Le cabinet s'est spécialisé dans le droit commercial, le droit des sociétés, le droit économique et le droit immobilier. Il est notamment connu dans le domaine particulier du droit des expropriations.

Des procédures d’expulsion de locataires, le cabinet est progressivement passé à la défense lucrative de grands groupes comme Cogedim, Generali, ou encore Nexity (ex-CGIS de Vivendi), dont Stéphane Richard, un proche de Nicolas Sarkozy, a été le PDG. De notoriété publique, le cabinet Claude et Sarkozy est très bien implanté dans le département des Hauts-de-Seine et ses communes huppées, dont Neuilly et Levallois.

« Aujourd'hui, le cabinet compte parmi sa clientèle des collectivités territoriales, des sociétés d'économie mixte, des OPHLM, des entreprises et compagnies d'assurance, nationales et internationales, des promoteurs immobiliers, des constructeurs automobiles, des banques et établissements financiers et de crédit, ainsi qu'une vaste clientèle de particuliers. Leur réussite est notre plus grande satisfaction », lit-on sur le site du cabinet Claude et Sarkozy.

L’ex-chef de l’État, qui s'était « omis » du barreau pendant ses fonctions ministérielles puis son passage à l’Élysée, est revenu à son métier d’avocat après sa défaite de 2012. Selon sa déclaration de patrimoine de fin de mandat, en 2012, Nicolas Sarkozy percevait 4 800 euros de dividendes mensuels du cabinet d'avocats (Arnaud Claude et Associés), dont il détenait alors 34 % des parts.

Le cabinet d'avocats Claude & Sarkozy, dont l'ancien chef de l'État est l'un des trois associés, a connu une année 2013 prospère, avec une hausse de plus de 23 % du chiffre d'affaires (5,1 millions d'euros) et du bénéfice net (549 500 euros). Une réussite qui a permis aux actionnaires de la société de recevoir 300 000 euros de dividendes.

Arnaud Claude consacre une bonne partie de sa fortune à l'entretien de son club de polo situé près de Deauville, où il possède un haras. Prospère, le cabinet d’Arnaud Claude emploie son fils, et accueille aussi régulièrement Jean Sarkozy, fils de Nicolas Sarkozy, licencié en droit.

En 1983, tout jeune avocat, âgé de 28 ans (il a prêté serment deux ans plus tôt), Nicolas Sarkozy entre au cabinet de Guy Danet, bâtonnier des avocats de Paris (ce dernier est décédé en 2004). Cette même année 1983, Sarkozy est élu maire de Neuilly (un cumul de fonctions autorisé par la loi). Sarkozy apprend le métier d'avocat d'affaires, à l'école de Danet, un homme d'influence, dont le cabinet est sis près du parc Monceau et qui est, entre autres, l'avocat de Paris Match ou d'Alain Carignon. Le futur président de la République développe son réseau, notamment grâce aux relations qu'il peut nouer dans les milieux huppés de Neuilly, dont le groupe Servier, installé à Neuilly depuis 1954.

En 1987, Nicolas Sarkozy quitte Guy Danet et crée son propre cabinet, avec deux associés, Arnaud Claude et Michel Leibovici (aujourd'hui décédé). Sa carrière d'avocat lui permet de développer ses relations dans le monde des affaires, comme le racontent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur livre enquête Le Président des riches (Zones, 2010, également accessible ici sur le site Zones).

Nicolas SarkozyNicolas Sarkozy © Reuters

Lorsque Martin Bouygues succède à son père à la tête du groupe familial, en septembre 1989, il choisit Nicolas Sarkozy pour être son avocat et celui de TF1. En 1993, Sarkozy devient ministre du budget et porte-parole du gouvernement d'Édouard Balladur. Il ne peut plus, alors, légalement exercer sa profession d'avocat. Mais son associé Arnaud Claude lui garde la place au chaud. Après son passage à Bercy, et après avoir soutenu Édouard Balladur lors de l'élection présidentielle de 1995, Nicolas Sarkozy connaît une traversée du désert politique et revient à son cabinet d'avocats. Son échec ne l'empêchera pas d'apporter de nouveaux clients au cabinet : le groupe pharmaceutique Servier, Bernard Arnault et LVMH, ainsi que des vedettes du showbiz.

Grâce à un carnet d'adresses considérablement étoffé, Nicolas Sarkozy continue d'entretenir des relations proches avec une pléiade de PDG : outre Martin Bouygues, parrain d'un de ses fils, on peut citer Jean-Claude Decaux, Franck Riboud, Philippe Charrier, de Procter et Gamble, Jean-Marc Espalioux, du groupe Accor, et Jacques Servier. Il connaît bien aussi Michel-Édouard Leclerc, Philippe Bourguignon, Daniel Bouton, Thierry Breton, Jean-Cyril Spinetta.

Pendant ses années ministérielles, Nicolas Sarkozy a dû renoncer à sa robe d'avocat. Cependant, une disposition prise en 2001 sous le gouvernement Jospin permet aux membres d'une « société d'exercice libéral par actions simplifiées » (Selas) de maintenir le nom d'un avocat en état d'omission sur la raison sociale du cabinet et de lui verser ses honoraires sous forme de dividendes. Dès 2002, le cabinet Arnaud Claude-Nicolas Sarkozy se transforme en Selas.

Élu président de la République le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy renonce à ses dividendes et fait modifier la raison sociale de son cabinet, qui devient « Arnaud Claude et associés ». Il n'en possède pas moins toujours 34 % des actions, sur lesquels il perçoit un loyer dont le montant n'est pas public. Le cabinet a pris le nom de « Claude et Sarkozy » en 2014.

Selon des avocats parisiens, l’activité du cabinet s’est développée à l’international ces dernières années. Lors des différentes enquêtes judiciaires qui ont visé Nicolas Sarkozy et ses amis, il est notamment apparu que Thierry Gaubert avait joué le rôle de rabatteur ou d'apporteur d'affaires pour le cabinet.

Ce dernier est particulièrement bien servi par la ville de Patrick Balkany, puisqu'il remporte de gros contrats de prestations juridiques non seulement auprès de la municipalité mais aussi de la Semarelp (la société d'économie mixte de Levallois qui multiplie les opérations immobilières), sans compter l'Établissement public foncier des Hauts-de-Seine (acteur important du logement social dans le département). Les expropriations rapportent.

En 2010, un rapport de la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France pointait, par exemple, les copieux honoraires versés au cabinet Arnaud Claude par une filiale de la Semarelp (baptisée la Scrim) : 71 000 euros rien que pour cette entité, pour la seule année 2008.

Aujourd’hui, Arnaud Claude rejoint donc la longue liste des amis de Nicolas Sarkozy qui sont (ou ont été) aux prises avec la justice : Thierry Gaubert, les Balkany, Nicolas Bazire, François Pérol, Christine Lagarde, Bernard Tapie, Claude Guéant, Charles Pasqua, André Santini, Thierry Herzog... Nicolas Sarkozy lui-même est mis en examen pour corruption dans l’affaire Herzog-Azibert.

BOITE NOIRESollicité par Mediapart, Arnaud Claude n’a pas donné suite. « Nous ne faisons aucun commentaire », se contente de répondre son cabinet.

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«Prédistribution» : le nouveau concept politique de Manuel Valls

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Le mot "égalité" est écrit en bien gros derrière la scène. Mercredi 10 décembre, devant la Fondation Jean-Jaurès, un "think tank" proche du PS, Manuel Valls est venu lire un discours sur l'égalité. Une « ligne de partage » entre la droite et la gauche, selon le premier ministre – même si elle n'a pas vraiment été au cœur des préoccupations de l'exécutif depuis deux ans. L'occasion de rappeler quelques mesures prises depuis 2012 : retraite à soixante ans pour certains salariés, pénibilité, mariage des couples de même sexe. « J'entends dire que depuis 2012, la gauche aurait renié ce combat historique. Pourtant, notre politique le démontre : l'égalité reste le combat de ce gouvernement », a-t-il assuré.

L'occasion, surtout, de continuer de faire entendre sa petite musique idéologique. Devant 750 élus, experts ou militants PS d'Île-de-France, le premier ministre a longuement disserté sur l'explosion des inégalités et les faillites de l'État providence en période de crise budgétaire. « Je vois un manque d'ambition, et même une impasse stratégique, à ne penser l'égalité qu'à travers la redistribution fiscale, a lancé Manuel Valls, s'adressant évidemment aux socialistes – un mot qu'il n'a pas prononcé. L'égalité, c'est bien sûr corriger. Mais c'est aussi, et je dirais surtout, donner à chacun les mêmes chances. »

Et Valls de vanter les mérites de la « prédistribution », une nouvelle théorie de l'État social. « Il nous faut intervenir en amont, prévenir les inégalités plutôt que nous contenter de les corriger, toujours trop tard, et souvent à la marge (...) Mieux armer chacun pour être acteur de sa propre vie. » En octobre, dans son entretien très commenté à L'Obs, il avait déjà évoqué la « prédistribution », alternative à un « modèle inefficace qui redistribue aveuglement sans tenir compte des besoins de chacun ». Au milieu des polémiques sur le changement de nom du PS, l'idée était passée inaperçue – même si à Mediapart, nous l'avions remarquée (lire notre article).

Manuel Valls dans l'Obs, jeudiManuel Valls dans l'Obs, jeudi

« Prédistribution » ? Manuel Valls est le premier à importer en France ce concept, à la mode dans les cercles sociaux-démocrates européens depuis quelques années. Alternative à la « redistribution » historiquement défendue par les partis de gauche – « complément indispensable », préfère dire Valls –, la « prédistribution » fait aujourd'hui figure de recette miracle pour dirigeants progressistes désargentés, à l'heure de la crise et des économies budgétaires.

Contrairement à ce qu'il laisse entendre, Manuel Valls n'est pas l'inventeur de ce terme. Celui qui l'a défini s'appelle Jacob Hacker, 43 ans, directeur de l'institut des études sociales et politiques à l'université américaine de Yale.

Spécialiste de l'État providence, Hacker est l'auteur de plusieurs ouvrages, non traduits en France. Le plus récent (Winner-Take-All Politics: How Washington Made the Rich Richer and Turned Its Back on the Middle Class Comment Washington a enrichi les riches et tourné le dos aux classes moyennes), publié en 2010, met en cause la responsabilité des élites politiques américaines dans l'explosion des inégalités aux États-Unis au détriment des classes moyennes. « Un J'accuse éloquent contre l'élite de Washington qui a mené une guerre de trente ans contre sa population au nom des riches », salue The New Statesman, hebdomadaire britannique marqué à gauche.

Le concept n'est pas très vieux : le 3 mai 2011, Hacker est invité à Oslo par Policy Network, think tank britannique très influent dans les cercles sociaux-démocrates européens. Devant un parterre d'intellectuels et de dirigeants sociaux-démocrates (dont Ed Miliband, chef du parti travailliste britannique ou Georges Papandréou, alors premier ministre grec du PASOK), il explicite son fameux concept. On peut retrouver là les contributions de ce colloque, la "Progressive Governance Conference".

« Quand nous pensons à la façon dont les gouvernements peuvent réduire les inégalités, nous pensons à la redistribution – les impôts collectés par les gouvernements et les transferts, qui consistent à prendre à certains pour donner aux autres, écrit Hacker dans l'article qui accompagne son intervention, intitulé "Les fondations institutionnelles d'une démocratie des classes moyennes" (lire ici). Mais nombre des changements les plus importants sont en fait rendus possibles par la prédistribution (…) Les réformateurs progressistes ont besoin de se concentrer sur les réformes de marché qui favorisent une distribution plus juste du pouvoir économique et de ses bénéfices avant même que le gouvernement ne collecte des taxes ou n'attribue des prestations. » Une nécessité, selon Hacker, à l'heure où la redistribution traditionnelle, et les impôts qui vont avec, sont de plus en plus contestés.

The New Statesman, 11 juillet 2013The New Statesman, 11 juillet 2013

Dans un entretien au New Statesman en 2013, Hacker définit plus simplement la « prédistribution » (« predistribution » en anglais) comme la nécessité de « stopper l'inégalité avant qu'elle ne commence ».

« Dans une société de plus en plus inégalitaire, le contrat social ne peut être simplement soutenu par le fait de prendre à certains des plus fortunés, les riches, pour redistribuer au reste de la société. Ça ne marche pas politiquement (…) parce que cela crée un environnement où la classe moyenne a de plus en plus de ressentiment contre ceux qui sont en bas de l'échelle sociale et qui bénéficient le plus des transferts de la puissance publique. Elle leur en veut plus qu'aux riches, alors que ce sont eux qui ont faussé les règles du jeu. (…) En tant que sociaux-démocrates et progressistes, nous créerons plus de solidarité et nous aurons plus de résultats si nous rendons la redistribution aussi peu nécessaire que possible. »

Concrètement, cela peut passer, suggère Hacker, par « une meilleure régulation financière », « des droits sociaux pour les travailleurs », un contrôle accru des salariés sur la gouvernance des entreprises, le « plein-emploi », un « investissement accru dans les savoir-faire et l'éducation primaire », et une économie davantage tournée vers les petites entreprises. Des mesures qui, sans toutes coûter de l'argent, peuvent permettre aux partis sociaux-démocrates, dans un contexte de faible croissance, de retrouver le vote des classes moyennes, assure-t-il – les classes populaires ne sont même pas évoquées, comme si elles étaient irrémédiablement perdues.

Pour le parti travailliste britannique (Labour), en quête d'une nouvelle doctrine après l'ère critiquée du "New Labour" de l'ancien premier ministre Tony Blair, la « prédistribution » est une aubaine théorique. Ed Miliband, le chef du Labour, classé à la gauche de ce parti social-libéral, l'a d'ailleurs reprise à son compte.

Le 6 septembre 2012, lors d'un discours à la Bourse de Londres, Ed Miliband a proposé pour son parti « un nouvel agenda ». Il s'est alors attardé sur la « prédistribution », érigée en principe de base d'un futur programme. « La redistribution est nécessaire et restera un objectif clé du prochain gouvernement travailliste, dit-il. Mais elle n'est pas suffisante pour atteindre nos buts (…) La prédistribution, c'est dire que nous ne pouvons pas nous permettre d'être de façon permanente coincé dans une économie qui donne des salaires bas. (…)  Dans le passé, les gouvernements de centre-gauche ont tenté d'améliorer les salaires via les dépenses publiques, dans le futur ils devront faire en sorte que le travail lui-même paie davantage. »

Malgré les remarques acerbes du premier ministre conservateur David Cameron — « la prédistribution, c'est dépenser l'argent que nous n'avons même pas » –, le concept est un des éléments de ce que Fabien Escalona, chercheur à Sciences-Po Grenoble, nomme le « nouveau récit travailliste », aux côtés de la promotion d'un « capitalisme responsable » et d'une « révolution de l'offre » de gauche après celle des années Thatcher. Il sous-tend plusieurs des propositions du parti à l'approche des élections générales du 7 mai 2015.

Ed Miliband, chef de file des travaillistes britanniquesEd Miliband, chef de file des travaillistes britanniques © Reuters


« La pré-distribution, c'est un concept qui a l'avantage d'ancrer à gauche sans remettre en cause, en tout cas dans sa version "soft", ni les structures inégalitaires du néolibéralisme ni le cadre austéritaire, analyse Escalona. Il s'agit de rendre les individus plus compétitifs, aptes à évoluer dans la compétition économique globale, mais dans un contexte financier où l'État n'a plus les moyens de corriger les inégalités par les dépenses publiques. »

« Dans sa version minimale, la prédistribution n'est rien d'autre qu'une action d'arrière-garde inefficace contre les politiques d'austérité », préviennent eux aussi les chercheurs Martin O'Neill et Thad Williamson dans un texte publié en septembre 2012 par Policy Network. « Poursuivie de façon courageuse et avec des intentions sérieuses, (elle) pourrait créer un agenda excitant et radical pour la social-démocratie », poursuivent-ils. « Mais ce ne semble pas être le sens que lui donnent Ed Miliband ou Manuel Valls », estime Escalona.

Dans l'opposition, le PS a déjà planché sur de telles thématiques. En 2004, Dominique Strauss-Kahn avait publié à la Fondation Jean-Jaurès une note « pour l'égalité réelle » restée célèbre.

En 2010, le parti, alors dirigé par Martine Aubry et sous la coordination de Benoît Hamon, avait présenté un paquet de mesures pour favoriser cette fameuse « égalité réelle », en partie inspiré d'un livre du sociologue François Dubet, Les Places et les Chances « baisse raisonnée des prix et des loyers», contrôle public du tarif du gaz et de l'électricité, lutte contre les contrôles au faciès, service public de la petite enfance et maternelle obligatoire dès trois ans, droit à la scolarité jusqu'à 18 ans, quotas de médecins par départements, allocation d'autonomie pour les jeunes, création d'un « ministère des droits des femmes et de l'égalité entre les genres », etc. (lire notre article). À l'époque, Manuel Valls avait refusé de voter ce texte, dont il n'est quasiment plus rien resté dans le programme présidentiel de François Hollande.

Ancien strauss-kahnien en rupture de ban, aujourd'hui un des chefs de file du mouvement socialiste « Vive la gauche » qui conteste le cap économique du gouvernement, le député Laurent Baumel nous disait dès le mois d'octobre et l'entretien de Valls dans L'Obs retrouver dans certains passages de l'entretien de Manuel Valls « des idées croisées dans la galaxie strauss-kahnienne pour réduire les inégalités à la racine : donner du capital culturel, augmenter l'égalité réelle en permettant aux enfants des classes populaires de réussir, etc. ». L'opposition entre « redistribution » opérée par l'État providence et la « prédistribution » lui paraît toutefois simpliste. « Les deux ne sont pas antagonistes car il faut réduire les inégalités en amont et en aval. » Devant la Fondation Jean-Jaurès, Manuel Valls s'est montré moins péremptoire que dans l'Obs à ce sujet, affirmant que la prédistribution serait un « complément indispensable » de l'État providence.

À la lecture de L'Obs en octobre, il était difficile de savoir quelles mesures concrètes Manuel Valls mettrait en œuvre pour réformer l'État providence, qui, s'il coûte cher, a aussi été un formidable amortisseur de la crise en France ces dernières années. L'entourage de Manuel Valls à Matignon n'avait alors pas jugé utile de nous rappeler pour préciser sa pensée. Devant la fondation Jean-Jaurès, Manuel Valls est allé un peu plus loin : « investissement massif dans l'éducation », « formation professionnelle tout au long de la vie », avec notamment la création d'un « compte social universel qui rassemblerait, pour chaque individu, l'ensemble des droits portables destinés à sécuriser son parcours professionnel », ou l'accès au logement.

Le concept de prédistribution pose pourtant de très lourdes questions, à ce stade sans réponses. Comment compenser le manque à gagner et financer l'investissement dans le « capital humain » que requiert la « prédistribution » ? Convient-il d'augmenter les impôts? De reformater, et si oui selon quels critères, les investissements de l'État et le montant des salaires publics dans les territoires, alors qu'ils soutiennent l'activité locale ? Faut-il réduire les 600 milliards annuels de prestations sociales et/ou les allouer différemment ? Conserver le principe d'universalité hérité du Conseil national de la Résistance, ou l'abandonner définitivement, dans le sens de la réforme récente des allocations familiales ? Réformer plus globalement les structures de la Sécurité sociale, et si oui comment ? Le premier ministre en reste pour l'heure au stade du slogan. L'heure des grandes campagnes électorales n'est pas encore venue.

BOITE NOIREUne première version de cet article a été rédigée en octobre après l'entretien de Manuel Valls à L'Obs. Il a été remis à jour après son discours devant la Fondation Jean-Jaurès.

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Eric Woerth blanchi, l'affaire de Compiègne enterrée

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Éric Woerth s'en sort, comme prévu. La CJR, Cour de justice de la République, a prononcé jeudi 11 décembre un non-lieu pour l'ancien ministre du budget, soupçonné de prise illégale d'intérêts dans l'affaire de la vente controversée de 57 hectares de la forêt de Compiègne, en 2010. Le député UMP de l'Oise n'était pas mis en examen dans ce dossier, mais simplement placé sous le statut de témoin assisté.

Éric Woerth était soupçonné d'avoir bradé l'hippodrome et les terrains forestiers au profit de la Société des courses de Compiègne (SCC), jusqu'alors locataire. La cession, pour 2,5 millions d'euros, avait été autorisée par un arrêté du ministère du budget, et concernait trois parcelles, comportant un golf et un hippodrome.

La Cour de justice de la République (CJR), qui a instruit paisiblement l'affaire pendant quatre ans, avait clos le dossier voilà quelques semaines. Le procureur général Jean-Claude Marin avait trois mois pour prendre ses réquisitions, mais il n'avait pas eu besoin de tout ce temps : dès le 18 octobre, l'avocat d'Éric Woerth annonçait qu'un non-lieu avait été requis en faveur de son client.

Nous republions ici l'article du 9 octobre dernier consacré à cette affaire.

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Au terme de quatre années d’une enquête très paisible, la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR, une juridiction d’exception, seule habilitée à instruire et à juger les délits commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions) vient de clore le dossier de la vente de l’hippodrome et des terrains forestiers de Compiègne (Oise), dans laquelle l’ex-ministre du budget Éric Woerth est placé sous le statut hybride de témoin assisté depuis le 4 mai 2011.

Le député et maire (UMP) de Chantilly (Oise) risquait une mise en examen pour « prise illégale d’intérêts », mais elle n’a finalement pas été prononcée par les magistrats de la CJR. L’enquête est donc achevée. « Communiqué au règlement », le volumineux dossier de l’hippodrome de Compiègne vient d'être transmis au procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, qui a trois mois pour prendre ses réquisitions.

Eric WoerthEric Woerth © Reuters

Deux solutions s’offrent à Jean-Claude Marin : il peut requérir soit un non-lieu en faveur d’Éric Woerth, soit son renvoi devant la formation de jugement de la CJR. Mais le procureur général, dont la prudence dans les affaires politico-financières est notoire, s’est toujours montré très circonspect sur ce dossier de Compiègne auprès de ses interlocuteurs, qu’ils soient magistrats, avocats ou journalistes. Il paraît donc logique qu’il penche toujours pour un non-lieu. En théorie, Jean-Claude Marin pourrait encore demander à la commission d’instruction de la CJR, présidée par Michel Arnould, de poursuivre ses investigations, voire de mettre Éric Woerth en examen. Mais en théorie seulement.

Une fois ces réquisitions prises, c'est la commission d’instruction qui aura le dernier mot. Elle pourrait encore (là encore, en théorie du moins) décider de renvoyer Éric Woerth devant la formation de jugement de la CJR. Mais cette hypothèse paraît bien peu crédible, la commission d’instruction n’ayant pas même jugé bon de mettre Éric Woerth en examen. On s’achemine donc vers un enterrement de première classe.

Le dossier de l’hippodrome de Compiègne a pourtant tous les ingrédients du scandale d’État. Des terrains forestiers protégés, mais vendus sans autorisation. Un hippodrome bradé. Une décision prise dans l’urgence. Le tout cédé à des amis, pour complaire à l’influent sénateur et maire (UMP) de Compiègne, Philippe Marini. Et avec des inquiétudes, à l’avenir, sur la protection du site forestier.

Longtemps loué à la Société des courses de Compiègne (SCC), l'hippodrome du Putois ne lui a finalement été cédé qu'à cause de l'insistance d'Éric Woerth, alors que le ministère de l'agriculture et l'ONF s'y opposaient, les forêts domaniales ne pouvant être vendues par l'État. En 2003, une demande de rachat avait été présentée et était immédiatement repoussée par Hervé Gaymard, alors ministre de l'agriculture. Depuis l'Édit de Moulins pris par Charles IX (1566), les textes n'ont pas bougé : les forêts domaniales sont des domaines publics inaliénables.

En ne payant à l’État que 2,5 millions d'euros, la Société des courses de Compiègne (SCC) a fait une affaire miraculeuse, comme le montre le rapport des trois experts remis le 13 janvier 2012 à la CJR, dont Mediapart a révélé le contenu. Après avoir visité et mesuré l'ensemble des terrains, des installations et des bâtiments, les trois experts en arrivent à l'estimation des biens. S'il était « libre de toute occupation », le foncier (47 hectares, plus une bande de terrain de 10 hectares) vaudrait, selon eux, 3,3 millions d'euros. Dans le même cas de figure, les bâtiments (qui représentent quelque 3 667 mètres carrés de surface utile pour l'hippodrome et 1 331 mètres carrés pour le golf) vaudraient 6,1 millions d'euros, les équipements 2,4 millions, et les végétaux 1,1 million. Soit une estimation théorique globale de 12 969 753 euros précisément.

Pour tenir compte de l'occupation du bien, les experts appliquent un « coefficient minorateur » de 20 % au foncier et aux bâtiments. La valeur de l'ensemble devient alors de 11 088 470 euros. Ils apposent ensuite un abattement de 25 % au terrain nu, au couvert arboré, aux bâtiments et aux équipements, cela « afin de prendre en considération l'obligation de conserver la même destination pendant 50 ans », stipulée dans l'acte de cession. Leur estimation finale du bien est la suivante : « 8 316 352 euros, arrondis à 8,3 millions. » C'est-à-dire trois fois et demie les 2,5 petits millions reçus par l'État.

Pour bien se faire comprendre, les experts concluent leur rapport de 152 pages en ces termes : « La valeur vénale du foncier, des équipements et des bâtiments dégagée ci-dessus est de nature à remettre en cause le bien-fondé du prix payé à l'État par la Société des courses de Compiègne au regard des stipulations des articles 25 et 26 de la convention d'occupation. » Les experts notent, par ailleurs, que rien ne s'oppose – depuis la vente litigieuse – au défrichement des terrains forestiers ni au morcellement de la propriété nouvelle. Autrement dit, on ne peut exclure à l'avenir une opération immobilière ou spéculative, ne serait-ce que sur une parcelle.

Deux anciens ministres de l’agriculture, Hervé Gaymard et Bruno Le Maire, ont été entendus comme témoins par la commission d’instruction de la CJR, et ont contredit Éric Woerth, comme l’a révélé Mediapart le 10 juillet dernier.

Ministre de l’agriculture de 2002 à 2004 (il est par ailleurs président du conseil d’administration de l’Office national des forêts depuis 2010, et député UMP), Hervé Gaymard a été interrogé le 7 avril dernier par la commission d’instruction de la CJR. Questionné sur le statut inaliénable de l’hippodrome et des terrains forestiers dans lesquels il est imbriqué, Hervé Gaymard s’est montré très clair. « En droit, la question m'a été exposée de manière assez simple. Le domaine de l'hippodrome de Compiègne faisait partie de la forêt domaniale de Compiègne. C'est sur ce fondement que j'ai opposé un refus. Il n'était pas question à ce stade de savoir si, en fait, le domaine de l'hippodrome constituait véritablement une forêt en raison de son boisement », a-t-il déclaré.

Bruno Le Maire, qui a été ministre de l’agriculture de 2009 à 2012, et est actuellement député (UMP), a pour sa part été interrogé comme témoin le 17 janvier dernier par la commission d’instruction de la CJR. Entretenant des relations « tout à fait cordiales » avec son collègue Éric Woerth, Bruno Le Maire entend parler incidemment du projet de cession de l’hippodrome et des terrains forestiers de Compiègne en juin 2009. À la fin de cette même année 2009, le ministre de l’agriculture apprend que la vente s’est décidée sans lui, alors qu’il est mobilisé à temps complet par la crise du lait.

« Dans ce contexte-là, je suis informé par mon directeur de cabinet, Pascal Viné, dans le courant du mois de novembre 2009, que la vente de l'hippodrome se fait. À l'époque, je n'ai jamais entendu parler de l'hippodrome de Compiègne et cela me semblait un sujet, au regard des autres, accessoire et technique. Le point important, à mes yeux, est que le ministère de l'agriculture est mis devant le fait accompli. En novembre 2009, je donne deux instructions à mon directeur de cabinet : la première instruction est de traiter ce dossier au niveau des cabinets, la deuxième est de défendre les intérêts des forêts domaniales dont j'ai la responsabilité. Ces deux angles ont guidé mon action d'une manière constante dans cette affaire », a déclaré Bruno Le Maire.

Selon lui, le passage en force du ministre Woerth est manifeste. « Je savais, au vu de la description que mes collaborateurs m'en avaient faite, qu'il y avait un débat très complexe sur le statut juridique de l'hippodrome de Compiègne, mais je ne suis jamais entré dans ce débat. L'élément essentiel sur lequel mon attention avait été appelée, était que nous avions été mis devant le fait accompli. En effet, si le processus de la vente lui-même relevait de la compétence du service des Domaines, je ne pouvais que réagir à la manière dont il m'avait été présenté et ma responsabilité de ministre chargé de la défense des forêts me conduisait à cette réaction. Vous me demandez quelle aurait été la voie normale du processus de vente. Je vous réponds que le processus de vente normal aurait été qu'un accord intervienne entre le ministère du budget, d'une part, et le ministère de l'agriculture, d'autre part. C'est précisément pour cette raison que j'ai donné pour instruction à mon directeur de cabinet, M. Viné, de rechercher une solution entre les deux cabinets. »

Eric WoerthEric Woerth © Reuters

Au vu du dossier, le parcours de la demande faite par la Société des courses de Compiègne est très politique. Le président de la SCC, Antoine Gilibert, est membre de l’UMP et surtout un ami proche de Philippe Marini, lui-même membre de la SCC. Lors des perquisitions, des documents ont été découverts indiquant que la SCC voulait créer un restaurant panoramique dans l’hippodrome, et valoriser le site pour accroître ses recettes. La lettre du 15 mai 2009 dans laquelle la SCC dit son souhait d’acquérir l’hippodrome est remise par son président d’honneur, Armand de Coulange, à son ami Christian Patria, un cacique local de l’UMP, député puis suppléant d’Éric Woerth, et également membre de la SCC. Le ministre Woerth, lui, transmet cette lettre directement à son conseiller chargé de la politique immobilière de l’État, Cédric de Lestranges, pour enclencher le processus de vente. Le ministère de l’agriculture et l’ONF n’en sont pas encore avisés.

Tous ces éléments – ainsi que d'autres indices – n'ont pas suffi, aux yeux de la CJR, à caractériser une infraction qu'aurait pu commettre Éric Woerth. On en reste donc, dans son cas, au statut hybride de témoin assisté, entre le mis en examen et le simple témoin. Censée travailler à la manière d’un juge d’instruction, la commission d’instruction de la CJR a pour habitude d’interroger ses « clients », d'anciens ministres, sur un mode plus courtois qu’incisif, comme si l’on conviait des éminences à prendre le thé dans la bonne société. La suppression de la CJR, une juridiction d’exception, critiquée pour sa lenteur et sa mansuétude, figurait parmi les promesses de campagne de François Hollande en 2012.

À la décharge de la CJR, le peu d'empressement mis par les juges Roger Le Loire et René Grouman, du pôle financier de Paris, à instruire le volet non ministériel de l’affaire de Compiègne, dans laquelle aucune mise en examen n’a été prononcée à ce jour, explique en partie le sort plutôt favorable réservé à Éric Woerth à la CJR. Les juges Le Loire et Grouman se sont en effet contentés d'effectuer quelques actes d'instruction, et de placer sous le statut de témoin assisté le président de la SCC, Antoine Gilibert, et son prédécesseur, Armand de Coulange. Ces deux juges d'instruction viennent, eux aussi, de transmettre leur dossier au parquet de Paris pour réglement, confirme Me Emmanuel Marsigny, l'avocat d'Antoine Gilibert.

Sur un autre front, un syndicat forestier de l’ONF, le Snupfen, ainsi que deux députés écologistes, Noël Mamère et François de Rugy, avaient chacun demandé l’annulation de la vente de l’hippodrome devant le tribunal administratif. Sans succès jusqu'ici.

Quant à Éric Woerth, s’il peut espérer se sauver du dossier Compiègne, il lui reste d’autres rendez-vous plus inquiétants avec la justice. Il sera jugé pour « recel » d’espèces frauduleuses, dans le volet principal de l'affaire Bettencourt, à partir du 26 janvier prochain, devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Et l’ancien ministre comparaîtra encore à Bordeaux, à partir du 23 mars, pour « trafic d’influence » dans l’affaire de la Légion d’honneur accordée à Patrice de Maistre. Il aura encore besoin de l'habileté de son avocat, Jean-Yves Le Borgne.

BOITE NOIREMis en ligne jeudi 9 octobre en fin d'après-midi, cet article a été complété et mis à jour jeudi 11 décembre, avec le non-lieu en faveur d'Eric Woerth.

Dans un communiqué diffusé le 11décembre par son porte-parole Sébastien Huygue, l'UMP se « réjouit » du non-lieu accordé à Eric Woerth. « Après quatre ans de polémiques et de calomnies, justice est enfin rendue à Eric Woerth. Cette décision inspirera peut-être tous les responsables politiques et observateurs de la vie publique qui ont pu rendre tant de jugements définitifs à son encontre à respecter enfin la présomption d'innocence »

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Le troisième prêt russe des Le Pen

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Officiellement, le secret pèse toujours sur les emprunts du Front national auprès des banques russes. Alors qu’elle a rendu publiques cinq lettres de refus de banques françaises et suisse, Marine Le Pen se refuse à communiquer le contrat signé en septembre par le FN auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), et Jean-Marie Le Pen reste tout aussi discret sur les termes du contrat de prêt souscrit en avril par son association Cotelec auprès de la société chypriote Vernonsia, émanation de la banque d’État russe VEB Capital.

Jean-Marie Le Pen a néanmoins dévoilé à Mediapart l’existence d’un nouvel emprunt de Cotelec auprès d’un établissement russe – le troisième pour le Front national. Le montant de ce nouveau prêt reste toutefois « une information confidentielle », a précisé M. Le Pen. « Il y a dans toute action une nécessité de discrétion, a-t-il dit. Je ne me sens pas obligé de me livrer à mes concurrents ou à mes adversaires. »

L’association de financement Cotelec – acronyme de « cotisation électorale » – a renfloué le Front national à plusieurs reprises ces dernières années. Selon Jean-Marie Le Pen, l’eurodéputé Aymeric Chauprade, qui s’est entremis en Russie en faveur de Cotelec, a lui-même bénéficié via Cotelec d’un prêt de 400 000 euros, avant le déblocage de la somme obtenue en Russie.

Le président d’honneur du FN a transmis à Mediapart la première page de son premier contrat de 2 millions d'euros, tout en tenant pour confidentiel le reste du document. « C’est mon problème, c’est privé ça. C’est un document commercial, je ne suis pas tenu d’en faire connaître les tenants et les aboutissants », a-t-il indiqué mercredi, à l’occasion d’un entretien accordé à Mediapart dans son bureau à Montretout, à Saint-Cloud. En refusant de préciser, comme le Front national, le taux d’intérêt, comme l’échéancier sur lequel il s’est engagé. Mais aussi d’indiquer où ce prêt a été signé.

Le président d’honneur a cependant révélé à Mediapart le montant du financement recherché pour subvenir aux nécessités de Cotelec, l’association de financement politique qu’il a fondée en 1988. « Je ne fuis pas le sujet de l’emprunt, moi je suis emprunteur, je peux même vous dire que j’étais emprunteur de 20 millions. »

Plusieurs responsables du Front national ont indiqué à Mediapart avoir transmis à leurs contacts russes une demande portant sur « des besoins financiers estimés à 40 millions d’euros, d'ici à 2017 ». Jean-Marie Le Pen fait état d’une démarche, parallèle, visant à renflouer Cotelec qui fait notamment office de banque au service des candidats frontistes, lors des élections. Tout en affirmant ne pas avoir rencontré le banquier, bénéficiaire économique de la société prêteuse, Yuri Kudimov, Jean Marie Le Pen n’a pas contesté l’origine russe des fonds qu’il a empruntés. « Les prêteurs ont fait une excellente affaire financière, puisqu’ils ont prêté avant le décrochage du rouble, ils ont déjà fait un bénéfice substantiel, a-t-il précisé, dans la mesure où leur monnaie nationale a baissé de valeur alors qu’ils ont libellé leur prêt en euros. »

Le président d’honneur du Front national ajoute avoir « demandé » une « capacité financière » destinée à faire face aux prochaines campagnes électorales « qui vont être dans les deux ans qui viennent les départementales, les régionales, la présidentielle et les législatives ». « Cela représente bien plus que 20 millions », a-t-il souligné.

Jean-Marie Le Pen, le 17 novembre 2013.Jean-Marie Le Pen, le 17 novembre 2013. © Reuters

« Cotelec est une organisation dont le métier est d’emprunter de l’argent pour le prêter aux candidats du Front national qui se présentent aux élections, a poursuivi M. Le Pen, et qui peut rembourser ses créanciers avec l’argent qui lui est remboursé par les candidats, ce n’est pas toujours facile et pas toujours certain. » Dans une décision de 2012, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a critiqué ce dispositif et contesté le remboursement à Marine Le Pen des intérêts relatifs à ces prêts – Cotelec facturant lui-même des frais financiers.

Le président de Cotelec, association déclarée en parti politique, évalue à 4 000 les candidats qui devraient s’aligner aux élections départementales. « Là aussi ce sont des sommes assez considérables qu’il faut prêter, et il faut les trouver », commente-t-il. M. Le Pen évoque aussi le projet de déménagement du siège du parti, qui a besoin « de locaux à la taille de ses ambitions ».

Jean-Marie Le Pen a confirmé le rôle joué par l’eurodéputé Aymeric Chauprade, conseiller international de la présidente du FN, dans l’obtention du prêt à Cotelec. « M. Chauprade m’a fait connaître les gens qu’il connaissait, a-t-il admis. C’est par Chauprade que j’ai rencontré Konstantin Malofeev (ndlr, l’oligarque proche de Poutine). Vous savez comment se passent ces choses-là, on déjeune, on dîne, on dit “moi je connais quelqu’un qui peut peut-être vous aider à trouver un prêt”. »

Le président d’honneur du Front national raconte d’ailleurs avoir revu l’oligarque lors de son dernier voyage à Moscou, fin octobre, à l’occasion d’un déjeuner. Président du puissant fonds d'investissement Marshall Capital, et de la fondation caritative orthodoxe Saint-Basile-le-Grand, Malofeev est apparu aux côtés d’Aymeric Chauprade lors de plusieurs rendez-vous de l’extrême droite européenne, en mai et septembre.

Malofeev et Chauprade, qui ne cachent pas leur amitié, sont tous deux liés à Philippe de Villiers. L’un comme associé dans la création de parcs d’attractions en Russie, l’autre comme son conseiller aux relations internationales au MPF, avant de devenir celui de Marine Le Pen. Konstantin Malofeev a en outre occupé de hautes fonctions au sein du groupe Rostelecom, aux côtés de Yuri Kudimov, le bénéficiaire économique de la société qui a prêté des fonds à Cotelec.

Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014.Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014. © Reuters

Aymeric Chauprade est le second eurodéputé à être intervenu dans la recherche de financements en Russie, avec Jean-Luc Schaffhauser, l’ancien consultant de chez Dassault, qui a apporté le prêt de 9 millions d’euros de la First Czech Russian Bank (FCRB). M. Schaffhauser a reconnu avoir reçu une commission de 140 000 euros pour son intermédiation, un élément qu’il avait omis dans sa déclaration d’intérêts de parlementaire (lire les articles de Ludovic Lamant ici et ).

Selon le récit de Jean-Marie Le Pen, Aymeric Chauprade avait « souhaité avoir un prêt personnel » auprès de ses interlocuteurs russes. « Il voulait trouver un crédit personnel, explique M. Le Pen. Je le lui ai déconseillé. Je lui ai dit "moi je te conseille d’emprunter plutôt à Cotelec, de suivre la filière commune, sans exception". Nous avons un organisme officiel légal. Il est passé par Cotelec. Il a emprunté 400 000 euros. Il a d’ailleurs remboursé son prêt. »

C’est donc un financement de Cotelec qu’Aymeric Chauprade a obtenu, moyennant la promesse russe de renflouer le micro-parti de Jean-Marie Le Pen. En déplacement en Chine, M. Chauprade n’a pas répondu à nos questions (lire notre « boîte noire »). Selon son directeur de communication, « tous les candidats aux européennes ont emprunté à Cotelec », et le prêt consenti à l’eurodéputé a été signé « en décembre ou en janvier ». Le 28 novembre déjà, le collaborateur de M. Chauprade – en l’absence de réponse de ce dernier – avait assuré à Mediapart que l’eurodéputé « n’avait absolument pas été l’intermédiaire » pour ce prêt de Cotelec.

En prévision des européennes, Aymeric Chauprade avait constitué une association de financement, domiciliée à Montretout, la propriété familiale des Le Pen. M. Chauprade avait alors choisi pour trésorière Yann Maréchal-Le Pen, la sœur de Marine Le Pen, et pour présidente Catherine Griset, une proche amie et collaboratrice de cette dernière.

BOITE NOIREJean-Marie Le Pen a été interviewé le 10 décembre à Montretout, à Saint-Cloud.

Sollicité jeudi matin, via son directeur de communication, Aymeric Chauprade n'a pas donné suite, ni répondu à nos questions envoyées par email.

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Houda Asal: «De nouvelles formes de lutte se développent contre l'islamophobie»

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Alors que le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve vient d’annoncer son intention de faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une « grande cause nationale », Mediapart revient sur les origines et les contours des violences visant les musulmans, en constante augmentation en France ces dernières années. À l'occasion de la « journée internationale contre l'islamophobie » (accéder au programme détaillé en cliquant ici) organisée samedi 13 décembre à l'université Paris-8 Saint-Denis, à laquelle participent des associations, des responsables politiques et des chercheurs, la sociologue Houda Asal, post-doctorante à l'université McGill à Montréal et membre de l'équipe ERIS du centre Maurice-Halbwachs/École normale supérieure, compare les ressorts de ce racisme et de l’antisémitisme et décrit les formes de mobilisation qui se développent en réponse aux discriminations. Elle a récemment publié « Islamophobie : la fabrique d'un nouveau concept. État des lieux de la recherche » dans la revue Sociologie et « Débats politiques et débats scientifiques autour du concept d'islamophobie » dans la revue Contretemps (retrouver également le live de Mediapart « Être musulman en France » auquel elle a participé).

Comment définissez-vous l’islamophobie ?

L'islamophobie s'inscrit dans la sociologie du racisme. Pour comprendre ce phénomène complexe, il faut d'abord revenir sur ce qu'est le racisme, à quoi il renvoie précisément. Le racisme est un phénomène social qui implique l’imbrication de représentations (stéréotypes, images médiatiques), de pratiques (discriminations, actes de violence) et d'une certaine vision du monde. L'islamophobie est donc une idéologie, qui construit et perpétue des représentations négatives de l'islam et des musulmans, donnant lieu à des pratiques discriminatoires et d'exclusion. Ce racisme peut également culminer en des actes d'hostilité, parfois violents, qui sont en constante augmentation ces dernières années, et qui visent des lieux identifiés comme musulmans mais aussi des personnes. Aujourd'hui, le marqueur religieux comme marqueur racial pose des défis conceptuels et politiques nouveaux. D'une certaine manière, il reconfigure le racisme en tant que phénomène social multidimensionnel.

Quelle est la spécificité de l’islamophobie par rapport à d’autres types de racisme ?

La dimension internationale de l'islamophobie est l'une des spécificités de ce racisme. Une certaine vision de l'islam et de la menace qu'il représente aboutit à la création d'un ennemi extérieur et d'un ennemi intérieur, deux figures qui se mêlent souvent. Il faut donc prendre en compte les différentes échelles pour comprendre l'islamophobie, du global au local, et montrer comment il se déploie différemment selon les contextes.

L'autre spécificité est la dimension dite intersectionnelle de l'islamophobie, qui montre comment s'imbriquent la classe sociale et le genre avec le racisme. C'est particulièrement vrai en France, où il existe des liens complexes entre l'histoire coloniale, l'immigration ouvrière et le racisme. La présence musulmane en France découle de cette histoire, même si la plupart des musulmans sont aujourd'hui citoyens français, parfois de classe moyenne, diplômés, pouvant être descendants de migrants ou convertis, etc. De plus, l'islamophobie, les stéréotypes et les discriminations qui en découlent touchent de manière différente les hommes et les femmes. Par exemple, la focalisation sur le « voile » place les femmes dans une position particulière, premières victimes des discriminations.

En quoi l’islamophobie se distingue-t-elle du racisme antimusulman ? Que répondez-vous à ceux qui estiment que la lutte contre l’islamophobie remet en cause la liberté de critiquer les religions ?

Le terme d'islamophobie est presque synonyme de racisme antimusulman. Plus que la « phobie » qui n'est qu'une des dimensions du phénomène, le terme a l'avantage d'inclure le mot « islam » car, si ce sont les musulmans qui sont visés par ce racisme, c'est souvent à travers leur religion. D'où l'importance de distinguer critique des religions et islamophobie justement. À partir de quel moment une « critique » de l'islam relève-t-elle du racisme ? La critique des religions est possible, et elle existe, y compris dans les communautés musulmanes, contrairement à ce qui est souvent affirmé. Mais, dans le contexte actuel, il est évident que la plupart des attaques contre l'islam visent clairement tous les musulmans sans distinction. Les mobilisations contre le blasphème en France restent marginales par rapport aux dénonciations de véritables discours racistes. Par exemple, les unes de magazines qui titrent « Cet islam sans gêne » ou « La peur de l'islam » ne relèvent pas de la critique de la religion, me semble-t-il.

Quelles sont les formes prises par l’islamophobie aujourd’hui ? Comment ses contours ont-ils évolué ces dernières années ? Comment expliquez-vous la focalisation actuelle sur le paramètre religieux ?

En plus de l'image médiatique, des discriminations dans différents espaces, des actes de violence et des exclusions, il faut prendre en compte la dimension juridique et légale du phénomène. Depuis le vote de la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l'école publique, d'autres lois (lois sur la dissimulation du visage en 2010), des propositions de loi (vote au Sénat d'une loi sur l'obligation de neutralité  pour les professionnels de la petite enfance en 2012), des mesures (la circulaire Chatel de 2012 qui « recommande » aux chefs d'établissement d'interdire aux parents d’élèves de manifester par leur tenue leurs convictions religieuses), des décisions de justice (l'affaire Baby Loup) et des débats publics (la question du voile à l'Université) proposent régulièrement une extension du périmètre d’interdiction du port du « voile ». Ces débats ont des effets sur le terrain, en termes de discrimination.

On voit bien comment la focalisation sur le « voile » et son interprétation ont évolué quand on analyse le vocabulaire utilisé par les institutions et le droit depuis la première affaire du foulard en 1989. Lorsque trois jeunes filles sont exclues de leur école à Creil parce qu'elles portent un hijab, le Conseil d’État émet un avis favorable à leur réintégration car le port de « signes d'appartenance à une communauté religieuse » n'est pas nécessairement incompatible avec le principe de laïcité, tant que le port de ces « signes » ne constitue pas un acte de prosélytisme. En 1994, la circulaire de François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, rompt avec cet avis, considérant que ce n'est pas le comportement de la personne portant un signe qui pourrait dans certains cas poser problème, mais le signe lui-même. Elle préconise l'interdiction de « signes ostentatoires » parce qu'ils sont « en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ». Lors des débats sur la loi de 2004, il sera question de signes politico-religieux et de symboles. La loi introduira le qualificatif ostensible pour aider à identifier les signes religieux à interdire, peu importe le comportement et l'intention de l'élève. Le texte de loi distingue donc les signes ostensibles des signes discrets, en fournissant des exemples : les premiers sont les larges croix, les voiles et les kippas, les seconds des médaillons, petites croix, étoiles de David, ou mains de Fatma, qui ne sont pas considérés comme des signes d'appartenance religieuse.

Les ressorts de l’antisémitisme et de l’islamophobie sont-ils comparables ?

Il y a des similitudes évidemment, puisque les deux phénomènes sont des racismes, qui obéissent à des processus de racialisation. L'histoire de l'antisémitisme montre bien comment un marqueur religieux peut relever de la construction de la « race », sans lien avec l'appartenance réelle des individus. Sartre disait que c'est l'antisémitisme qui fait le juif. De la même façon, les Noirs et les Arabes aujourd'hui n'ont pas besoin d'être musulmans, et les musulmans n'ont pas besoin d'être croyants, pour être racisés et victimes d'islamophobie. Cependant, dans l'espace et dans le temps, ces deux racismes se déploient différemment. Il faut faire attention aux comparaisons entre phénomènes passés et présents, d'où l'importance à mon avis de comprendre les logiques globales du racisme, tout en distinguant bien ses particularités selon le contexte. C'est parce que les spécificités actuelles de l'islamophobie n'étaient pas prises en compte par les associations antiracistes qu'aujourd'hui des organisations se focalisent sur ce racisme-là en particulier.

Peut-on être antiraciste et islamophobe ?

On n'est pas « raciste » ou « antiraciste » de manière absolue. On peut lutter contre le racisme en général, tout en ayant parfois des comportements discriminants ou paternalistes à l'encontre de certains groupes ou individus. D'ailleurs, les organisations antiracistes adoptent des positions ambivalentes vis-à-vis de l'islamophobie. C'est, par exemple, l'une des grandes questions qui ont été posées au sein du Mrap en 2003, lorsque Mouloud Aounit a tenté d'alerter sur ce nouveau visage du racisme qui visait spécifiquement les musulmans. Cette question a déchiré l'association, mais elle continue à se poser. Il en va de même au NPA, qui participe à des luttes contre l'islamophobie (il sera présent le 13 décembre), mais qui a connu un débat houleux sur la présence d'une candidate voilée aux élections. On constate néanmoins que, depuis dix ans, les choses ont bougé et que l'islamophobie commence à s'imposer à l'agenda militant. Cette journée européenne contre l'islamophobie en est la preuve, même si elle révèle qu'il existe des points de divergence. 

Le droit actuel est-il adapté ?

Le recours au droit s'est beaucoup développé ces dernières années, et il a pu être une arme efficace. Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), par exemple, en recueillant des témoignages de discrimination, a pu régler plusieurs cas par médiation en rappelant que la loi interdit d'exclure une femme portant un foulard (par exemple d'un restaurant, d'une formation, d'un emploi). Mais lorsqu'une situation bloque, il y a des procès pouvant aboutir à des victoires pour les plaignants. Mais cette stratégie a ses limites parce que c'est du « cas par cas », que les procès sont longs, et que certains jugements sont défavorables, comme dans le cas de l'affaire Baby Loup. Du coup, cette stratégie s'accompagne d'autres actions, de médiatisations, de manifestations publiques, de pétitions, de rencontres avec des responsables politiques et institutionnels, etc.

Quels types de revendications et de mobilisations observez-vous ? Historiquement, quels sont les outils de lutte les plus efficaces ? Quels sont les lieux de consensus et de clivage dans le champ militant ?

Depuis 2003 au moins, il existe un espace militant contre l'islamophobie. Certes, c'est un espace hétérogène, avec des dissensions et des différences de stratégie, mais on y observe de nouvelles formes de lutte, par exemple le fait de produire des chiffres ou de recourir au droit, comme le fait le CCIF, ou de médiatiser des cas particulièrement choquants comme l'affaire de Wissous. La journée du 13 décembre sera l'occasion de faire un état des lieux de ces luttes, de voir qui s'engage sur cette cause, et autour de quelles revendications. On y trouvera des ateliers sur les mères exclues des sorties scolaires, sur la loi de 2004, sur le féminisme, sur les droits au travail, sur les droits politiques, sur l'islamophobie de droite et de gauche. Un des points de convergence se fera autour de l’exclusion de mères de l'accompagnement scolaire, qui possède une portée symbolique, en plus de ses effets sociaux sur les familles, les enfants, leur image de l'école, de l'égalité. Cette lutte emblématique, portée notamment par le collectif Mamans toutes égales qui se bat contre la circulaire Chatel depuis 2011, fait l'objet d'un consensus parmi les participants à la journée du 13 décembre, qui demanderont unanimement l'abrogation de cette circulaire.

Si le climat général ne s'améliore pas, la lutte contre l'islamophobie commence à exister et à être prise en compte, à différents niveaux. La présence d'un organisme public comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) lors de la journée est également intéressante à relever. Ayant constaté l'augmentation de sentiments hostiles à l'islam, la Commission a introduit, dans son dernier rapport, le concept d'islamophobie après de longs débats internes, ce qui représente une forme de reconnaissance officielle du phénomène. On le voit aussi au sein de certains partis de gauche, ou dans certaines organisations antiracistes ou féministes, où de plus en plus de personnes et de groupes dissidents souhaitent imposer l'islamophobie comme une lutte prioritaire.

BOITE NOIREMediapart est partenaire de la «journée internationale contre l'islamophobie» organisée samedi 13 décembre à l'Université Paris-8 Saint-Denis.

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Recherche: le pont d'or fait aux nanotechnologies met Fioraso sur la sellette

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Pour le dîner à l’Elysée des présidents d’université, François Hollande avait prévu de faire une annonce censée mettre du baume au cœur d’une communauté universitaire de plus en plus remontée contre l’austérité qu’elle subit. Il doit ainsi affirmer ce vendredi 12 décembre que les 70 millions d’euros supprimés au budget des universités par un amendement du gouvernement seront finalement rétablis. Ce geste survient au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation pour dénoncer le manque de financement dans l’enseignement supérieur et la recherche. Il n’apaisera sans doute pas ceux qui soulignent que 70 millions seulement seront rétablis sur une amputation totale de 136 millions supprimés pour ce secteur.

Mais à regarder de près le projet de loi de finances rectificatif 2015, c’est une toute autre somme qui est en train de susciter la colère des universitaires. Dans ce projet rectificatif, un seul programme de recherche et développement « Nano 2017 » obtient la somme faramineuse de 274 millions d’euros pour les trois ans à venir.

C'est un énorme pactole pour un programme qui allie recherche publique et entreprises privées  autour du développement de la nano-électronique à Grenoble. Le projet de loi de finances rectificatif stipule ainsi que le programme 406 « innovation » bénéficie d’une « Ouverture nette de 192 M€ de crédits dans le cadre des redéploiements du programme d’investissements d’avenir vers le dispositif "Nano 2017", à laquelle s’ajoutent 82 M€ de redéploiements internes issus des autres actions financées sur le programme. Ces 274 M€ permettent d’assurer le financement du volet national du programme grenoblois de soutien à la nanotechnologie sur la période 2015-2017 ».

Alors que les universités sont depuis deux ans dans des situations financières extrêmement difficiles, que les laboratoires de recherche sont exsangues, un tel montant pour un seul programme fait quelque peu grincer des dents. « 274 millions d'euros c'est le budget annuel de 3 universités LLASHS, de 2 universités pluridisciplinaires, plus que le budget annuel de l'université de Grenoble 1 ou même de l'université Paris Diderot! Pourquoi tant de largesses pour un seul projet? », écrit ainsi sur son blog Yann Bisiou, maître de conférence à Montpellier 3, qui a, le premier, alerté sur cette situation.

Pour parvenir à ce colossal financement, Bercy a du tailler dans plusieurs programmes jugés sans doute moins stratégiques. « Les internats de la réussite », qui relèvent de l’éducation nationale, sont amputés de 24 millions d'euros. L’innovation pour la transition écologique et énergétique perd 100 millions. Le programme villes et territoires durables est lui raboté de 46 millions. Quant aux « projets innovant en faveur de la jeunesse », ils doivent eux restituer aux nanotechnologie 16 millions d’euros. 

Pourquoi tant de sacrifices au bénéfice d’un seul programme ?

Selon la présentation officielle de « Nano 2017 », ce programme est « Porté par la société STMicroelectronics et par le LETI - laboratoire du CEA dédié à la nanoélectronique ». L’actuelle secrétaire d’Etat, Geneviève Fioraso, connaît particulièrement bien ces structures puisqu’elle a été, de 2003 à sa prise de fonction au ministère, PDG de la société d'économie mixte Minatec entreprises, qui propose de la valorisation industrielle au sein de « Minatec », ce grand complexe qui regroupe chercheurs et industriels autour des micro et des nanotechnologies.

Geneviève Fioraso, adepte des partenariats public-privé, est bien connue à Grenoble pour son soutien indéfectible aux entreprises innovantes de la ville. Comme vice-présidente de la communauté d'agglomération de Grenoble, elle a d'ailleurs laissé le souvenir d’une responsable déversant des millions d’euros « pratiquement sans contrepartie, affirmait en 2012 à Mediapart Pierre Mériaux, élu EELV au conseil régional, comme chez ST Microelectronic, où le montant des aides pouvait payer les salaires pendant trois ans ! »

Geneviève Fioraso.Geneviève Fioraso. © (dr)

Au cabinet de Geneviève Fioraso, on assure n’avoir « pas eu à connaître ce dossier qui dépend de Bercy». «Nous ne sommes en rien concernés par ces crédits », explique l’entourage de la secrétaire d’Etat avant de préciser qu’«aucun crédit de l’enseignement supérieur n’a été réduit pour financer ce programme ». Il faut dire qu’outre le lobbying ancien de Geneviève Fioraso pour les nanotechnologies, dans le développement desquelles elle était jusqu’à récemment directement intéressée, la position de son compagnon, Stéphane Siebert, au sein du CEA, partenaire public principal de « Nano 2017 », la place également dans une délicate situation.

Stéphane Siebert est effectivement considéré comme le bras droit du président du CEA Jean Therme. Cette fonction, malgré un titre un peu flou, n’a pas manqué d’éveiller la curiosité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique. La HAT a poussé la secrétaire d’Etat, deux ans après sa prise de fonction,  à régulariser sa situation en publiant un décret début août qui stipule que « La secrétaire d'Etat chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ne connaît pas des actes de toute nature intéressant la direction de la recherche technologique du Commissariat à l'énergie atomique. »

En clair, Geneviève Fioraso ne peut plus prendre aucune décision concernant le CEA sans être en situation de conflit d’intérêts. Ce qui explique sans doute que son entourage affirme n’avoir découvert le montant des sommes allouées au programme « Nano 2017 » que récemment et presque par hasard. La défense est un peu légère quand on sait que l’essentiel du plan de financement de ce programme a en réalité été bouclé à l’été 2013. En juillet 2013, la ministre de l’enseignement supérieur faisait visiter le site à Jean-Marc Ayrault aux côté du président du CEA Jean Therme. L’ancien premier ministre annonçait en grande pompe un soutien public qui s’élèverait à terme à près de 600 millions d’euros.

Comment imaginer, dès lors, que Bercy, sans en référer à la secrétaire d’Etat, ait décidé que ce programme plus qu’aucun autre méritait un tel financement ?  

Si l’entourage de Geneviève Fioraso assure qu’elle ne suit plus les dossiers liés au CEA, il n’est qu’à regarder son agenda des dernières années pour voir qu’elle n’a cessé de rencontrer ses dirigeants avant l’adoption du décret. En mars dernier, elle faisait encore visiter le campus Minatec à son homologue argentine, une visite qui a d'ailleurs abouti à la signature d’une « lettre d’intention entre le Ministère argentin de la Science, la Technologie et l’Innovation productive et le CEA vise à développer la coopération entre la France e l’Argentine dans le domaine des micro-nanotechnologies ». Le tout, rappelait le communiqué du ministère, « sous le patronage de Madame la ministre Geneviève Fioraso » qui, aujourd’hui, est-on prié de croire, ignore tout de ce programme…

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