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Droit de réponse de la région Midi-Pyrénées

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À la suite de notre article du 27 novembre intitulé “Le candidat Hollande a réglé 700 000 euros à la société des proches de Kader Arif”, dont la deuxième page était consacrée à l'enquête préliminaire ouverte à Toulouse sur des soupçons de favoritisme dans l'attribution de marchés publics de la région Midi-Pyrénées, cette dernière nous a fait parvenir le droit de réponse suivant.

 

Alors que le titre de l’article semble annoncer qu’il est consacré essentiellement au financement de campagnes électorales et aux contrats passés dans ce cadre, avec la société AWF Music, la seconde partie traite de marchés attribués par le Conseil Régional, ce qui est de nature à créer une confusion injustifiée.

La participation de Monsieur Kader Arif au gouvernement n’a eu aucune influence directe ou indirecte, sur les décisions prises par les commissions compétentes de la Région dont aucun membre n’a jamais été approché. Monsieur Kader Arif n’a jamais été Conseiller Régional.

L’article pose trois questions, celle de la régularité des procédures suivies, celle du rôle de Monsieur Ali Arif et celle des raisons de la liquidation judiciaire de la société AWF Music.

1) sur les marchés attribués

La société AWF Music est présentée, comme un « partenaire de la Région » alors qu’elle n’en est que le prestataire dans le cadre de marchés qui représentent en 2013 0,2 % des achats réalisés par la Région soit 0,03 % du budget régional.

Aucun prestataire ne peut devenir, contrairement à ce que votre article affirme, un « partenaire obligé » parce que les marchés obéissent à des règles d’attribution qui excluent, par définition même, tout lien de dépendance ou d’obligation.

De ce point de vue, l’article reproduit, les déclarations de prétendus concurrents non identifiés parce qu’ils se seraient exprimés « sous couvert d’anonymat », ce qui, en soi, en anéantit la portée. La Région a recherché si des courriers lui avaient été adressés puisqu’ils sont archivés électroniquement avant de parvenir dans les services. Elle n’a jamais rien reçu à ce sujet.

La Région est à ce point insensible à la « position » ou à « l’influence » des candidats qu’elle a décidé elle-même d’annuler un appel d’offre relatif à un marché divisé en trois lots non pas pour censurer la commission compétente ni par suspicion à l’égard des candidats (cinq) mais parce que deux entreprises seulement se sont positionnées sur le lot 1 et parce qu’il a été constaté que les deux étaient animées par les mêmes acteurs (ce qui ne constitue d’ailleurs même pas, d’un point de vue juridique, un motif d’annulation).

Les élus de l’opposition, -dont certains ont diffusé des informations partiales et partielles-, siègent au sein des commissions, y votent librement et sont habilités à y présenter toute remarque.

L’appel d’offre n’a pas été, contrairement à ce que vous écrivez, annulé « de justesse » ; il l’a été dès que la Région a eu connaissance des faits qui l’ont conduite à considérer qu’une concurrence élargie devait être recherchée (c’est pour cette raison d’ailleurs que la diffusion de l’appel d’offre a été développée en recourant à de nouveaux supports).

2) sur la pseudo-influence de Monsieur Ali Arif

Il n’est pas possible, sans méconnaître tant les faits que le droit, de se demander si Monsieur Ali Arif, recruté au mois de mars 2006, est « chargé directement ou indirectement, des contrats AWF ».

Il est nécessaire de rappeler, de ce point de vue, que l’article 432-12 du code pénal définit, en même temps qu’il la réprime, la prise illégale d’intérêts qui est le fait pour une « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public,… de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

Monsieur Ali Arif, est un agent de catégorie C.

Il n’a aucun pouvoir de décision dans l’attribution des marchés, ni de contrôle de leur exécution et il n’a aucune compétence pour les liquider ou en ordonner le paiement.

3) sur la liquidation judiciaire d’AWF Music

Les causes de la liquidation judiciaire sont susceptibles d’être révélées par l’examen des comptes ou par l’interrogation du liquidateur.

Il est facile d’écrire : « les dirigeants de la société ont-ils à ce point réduit leurs tarifs qu’ils n’ont plus réussi à assurer leurs charge ? ».

Pour les marchés attribués à AWF Music et à AWF, ainsi que pour tous les autres d’ailleurs, les services techniques puis les commissions compétentes ont analysé en profondeur les offres et elles n’auraient pas attribué les marchés si les tarifs n’étaient pas voisins de ceux habituellement pratiqués par les professionnels du secteur.

En outre, la gestion des dirigeants des sociétés prestataires de la Région ne peut en aucun cas la concerner.

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Sivens : l'inspection de la gendarmerie dédouane les gendarmes

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L'enquête administrative confiée à l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), après la mort la nuit du 25 octobre de Rémi Fraisse à Sivens, a dédouané les gendarmes, mardi 2 décembre, de toute « faute professionnelle ». C’est bien un gendarme mobile qui a lancé la grenade offensive qui a tué le jeune manifestant, mais, selon cette enquête interne, il a agi de façon on ne peut plus réglementaire, après avertissement. « L'enquête administrative ne fait pas ressortir de manquement aux règles juridiques et déontologiques et aux techniques enseignées au maintien de l’ordre », conclut l’IGGN.

Rémi Fraisse (DR)Rémi Fraisse (DR)

Selon son rapport, les grenades et autres armes ont été utilisées conformément à la loi qui autorise les forces de l’ordre à en faire usage en cas de « violences contre la force publique ou impossibilité de défendre autrement le terrain qu'elle occupe ». L’IGGN avait pour mission de se pencher sur les modalités des opérations de maintien de l'ordre sur le chantier du barrage, le respect des procédures et de la déontologie depuis fin août 2014. Seuls des représentants des forces de l'ordre et de la préfecture ont été entendus : préfet du Tarn et son directeur de cabinet, ainsi que des gendarmes du Tarn, de la gendarmerie mobile de Limoges, de La Réole ainsi qu'un officier de la CRS 20 de Limoges. Sollicité, Ben Lefetey, le porte-parole du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, n'a pas répondu selon l'IGGN.

  • La nuit du 25 au 26 octobre

Le journal de bord du Groupement tactique gendarmerie (GTG) révélé par Mediapart montrait que dès la mort du jeune manifestant, les gendarmes mobiles avaient immédiatement fait le lien avec le tir d’une grenade offensive (depuis interdites par Bernard Cazeneuve). Les gendarmes mobiles y ont écrit à 1 h 45 : « Un opposant blessé par OF », c’est-à-dire une grenade offensive. À 1 h 59, le journal du GTG indique : « Opposant blessé serait décédé. Hémorragie externe au niveau du cou. » Mais ce journal, pourtant sans équivoque, est délibérément ignoré par l’IGGN qui a reconstitué la chronologie de la nuit du 25 au 26 octobre uniquement à partir des films enregistrés par l’escadron de gendarmerie mobile de La Réole, ainsi que des enregistrements de ses échanges téléphoniques avec le Centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG) du Tarn. Auditionné le 2 décembre par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le chef de l'IGGN, le général Pierre Renault, a expliqué préférer se baser sur des enregistrements sonores où « on entend les voix » « plutôt que de se fier à des écrits qui, parfois, le sont en des termes sibyllins voire flous ».

Au moment de la mort de Rémi Fraisse, c’est un escadron de 72 gendarmes mobiles – « l’effectif minimum concevable » selon Pierre Renault – qui fait face à « une centaine » de manifestants sur la base de vie du chantier, entourée de douves et de grillages. Cet escadron, venu de La Réole (Gironde), connaît bien le site puisqu’il est « sur zone depuis le 16 octobre » et a déjà « tenu le site la nuit précédente ». À 0 h 25, « 50 à 70 manifestants recommencent à envoyer des projectiles sur les forces de l'ordre ». Le niveau de violence s'accroît alors  « rapidement ». Mais le rapport de l’IGGN confirme qu’aucun gendarme mobile ne sera blessé cette nuit-là. En revanche, deux gendarmes et six CRS (dont deux grièvement et deux contusionnés) ont été blessés dans l’après-midi.

À 0 h 49, les premières grenades lacrymogènes sont tirées, suivies à 1 h 03 de grenades explosives, GLI F4 (mixtes lacrymogènes-effet de souffle) et OF F1 (offensives). Au total, « 237 grenades lacrymogènes, 41 balles de défense, 38 grenades F4 et 23 grenades offensives » sont tirées par les gendarmes mobiles entre 0 h 20 et 3 h 27 du matin. Suite à un tir de lanceur de balle de défense (LBD 40), une première manifestante tombe au sol et est secourue. « Il s'avère que c'est une jeune femme qui n'est pas blessée et qui est laissée libre de rejoindre les rangs des manifestants », assure le rapport.

Vers 1 h 40, les opposants auraient reçu des renforts. Puis c’est au tour de Rémi Fraisse de tomber, mortellement touché. Le maréchal des logis chef J. repère à « une quinzaine de mètres » « un groupe de manifestants hostiles, équipés de casques et de boucliers, qui lance des projectiles, suivi d'un autre groupe plus important qui occupe le terrain ». Ce groupe serait « dirigé par un homme dont on entend les ordres ». Après avoir utilisé ses jumelles de vision nocturne et effectué un avertissement, le gendarme « lance sa grenade (offensive, ndlr) dans le secteur préalablement identifié et réputé inoccupé, par un mouvement de lancer en cloche » au-dessus du grillage de 1,80 m.

Lors de son audition, un major du même peloton a reconnu avoir aperçu un manifestant tomber au sol après la détonation. Mais « il n'est pas en mesure de faire la relation entre les deux situations », assure le rapport. « Une masse sombre à terre » est signalée quelques instants plus tard. À 1 h 45, des gendarmes sont chargés de ramener le manifestant pour le secourir, « sous les jets de projectiles ». Dans un fourgon, un secouriste « lui prodigue les premiers soins dont un massage cardiaque. Il est interrompu par la découverte d'une plaie importante dans le haut du dos ». À 1 h 51, le commandant du dispositif appelle le Centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG) du Tarn sans préciser « que la victime est déjà décédée » ni donner « aucune précision sur l'origine des blessures ». À 1 h 53, le même commandant signale la mort de Rémi Fraisse ainsi que « la concomitance avec un tir de LBD et un lancer de grenade offensive ». « À ce moment, il ne s'agit que de supputations », insiste le rapport de l’IGGN.

À 4 h 12 du matin, « un premier examen sommaire du corps » a lieu dans le véhicule des pompiers par un médecin légiste, puis de façon plus approfondie à 5 heures du matin à la maison funéraire. « Cet examen ne permet pas plus que le premier de lier la blessure mortelle aux effets d'une grenade offensive », selon l’IGGN. Selon qui seuls les résultats des analyses le mardi 28 octobre permettront de lever le doute sur l’origine de la mort du jeune manifestant.

  • La transmission de l’information

On constate que, dans la nuit du 25 au 26 octobre, l’autorité judiciaire sera la dernière à être alertée des faits. Un premier message sur la boîte vocale du parquet d'Albi a bien été laissé à 2 heures. Mais ce n’est qu’à 2 h 42 que les gendarmes parviennent à joindre le substitut de permanence, juste avant que les enquêteurs et les techniciens de la section de recherche de la gendarmerie de Toulouse arrivent à Sivens  – « peu avant 3 heures ».

Entre-temps, le cabinet du préfet du Tarn a, lui, été alerté dès 2 h 08 « sans indiquer la cause de la mort, en l'absence de renseignements précis ». À 2 h 23, le téléphone sonne à la permanence du cabinet du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve pour annoncer « la découverte du corps d’un opposant à Sivens dans des circonstances non établies ».

Arrivé à Sivens au petit matin avant que ses troupes lèvent le camp, « le commandant en second de la région de gendarmerie Midi-Pyrénées évoque le fait que le jet d’une grenade offensive par un gendarme mobile et la chute à terre d’un opposant ont eu lieu dans un temps proche ». La brève envoyée au cabinet du ministre de l’intérieur à 4 h 29 du matin est encore plus « prudente » : « Ce document confirme le décès d’un opposant lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, sans pouvoir affirmer que la mort est imputable au lancer d'une grenade offensive. » Pourquoi cette retenue d’information ? L’IGGN y va au culot de sa petite leçon de journalisme : « Il est en effet indispensable de transmettre un renseignement consolidé après recoupement des différentes informations obtenues du terrain mais aussi des services de permanence des autres ministères et administrations. L'expérience prouve que la transmission d'une information sans vérification préalable présente un risque élevé de démenti ultérieur. »

« Imaginons l’effet que peut avoir l’information qu’un manifestant a été tué par une grenade offensive sans qu’elle soit recoupée », s’est exclamé le général Pierre Renault devant les députés le 2 décembre. C’est donc par un louable souci d’éviter toute « désinformation » – selon l’expression du général – que les gendarmes ont sous-informé... À 9 h 55, la préfecture du Tarn indiquera dans un communiqué validé par le cabinet du ministère de l’intérieur que « le corps d’un homme a été découvert dans la nuit de samedi à dimanche sur le site du barrage contesté de Sivens (Tarn) ». Sans plus de détails, comme s’il s’agissait d’une découverte fortuite. Cet élément de langage sera repris en fin de journée, à 19 h 40, par un communiqué du ministère de l’intérieur : « Le corps d’un jeune homme a été découvert vers 2 h 00. Les secours ont malheureusement constaté son décès. »

  • La décision de positionner des forces de l’ordre pour le rassemblement du 25 octobre

C’est l’un des points les plus controversés car il n’y avait plus rien à protéger sur le chantier, les engins ayant été retirés dès le 23 octobre comme le confirme le rapport. Mais suite à l’incendie de l’Algéco et du générateur laissés sur place, le commandant de la gendarmerie du Tarn et le directeur de cabinet du préfet décident de « protéger la base vie du chantier jusqu'au lundi 27 matin par une présence permanente de forces de l'ordre ». Le rapport liste quatre raisons, dont la dernière semble la plus importante :

« – la protection du site ne peut être assurée par les vigiles seuls en cas d'agression ;


– les organisateurs de la manifestation sont dans l'incapacité de tenir leur engagement de rester à l'écart de la base vie ;

– la présence d'un EGM (escadron de gendarmerie mobile) sur zone permet de s'interposer en cas de contre-manifestation par les riverains et agriculteurs favorables au projet, pour éviter des faits de violence graves ;


– enfin, la reprise des travaux le lundi matin impose de ne pas laisser les opposants les plus déterminés occuper et piéger le site et ses accès, sauf à devoir conduire des opérations de grande envergure le 27 octobre au matin pour dégager les axes routiers et reprendre le contrôle du site. Or ces opérations comporteraient un risque important d'incidents et mettraient en jeu la sécurité des manifestants présents sur le site et des gendarmes. »

Bref, il ne fallait surtout pas retarder les travaux du barrage et laisser un nouveau Notre-Dame-des-Landes s’installer. C’est tout de suite l’escalade. Dès le vendredi 24 au soir, l’escadron de gendarmerie mobile de La Réole utilise « 68 grenades CM6 lacrymogènes, 38 grenades F4 mixtes explosives/lacrymogènes, 17 grenades offensives et 27 cartouches pour lanceurs de balles de défense » pour « se maintenir sur le site afin d'éviter sa prise de contrôle par les radicaux ». Ceux-ci sont décrits comme « équipés de protections (casques, masques, boucliers) et qui emploient des projectiles de toutes sortes (cailloux lancés à l'aide de frondes et de lance-pierres puissants aux montants plantés en terre, mortier artisanal, cocktails incendiaires) ».

Malgré cela, CRS et gendarmes mobiles sont de retour le lendemain. Le commandant du GTG a alors pour « mission d'assurer la protection des engins à Montans et de la base vie du chantier (…) sauf s'il estime que la situation devient intenable pour la sécurité de la force mobile ». Pourquoi ne pas s’être retiré dans la nuit comme il en avait reçu la consigne s’il estimait « que la sécurité de ses hommes (était) menacée » ? Selon l’IGGN, le lieutenant-colonel aurait jugé « qu'une manœuvre de désengagement à courte distance des manifestants et sous leurs jets de projectiles ferait courir davantage de risques aux gendarmes que le maintien sur place ».

Sur PV, ce même commandant du GTG, entendu comme témoin dès le 26 octobre à 4 h 30 du matin, avait évoqué des consignes « d’extrême fermeté » de la part du « préfet du Tarn, par l'intermédiaire du commandant de groupement ». Le rapport de l’IGGN passe complètement sous silence ce point et ne parle que de consignes d’« apaisement ».

  •  Une enquête entravée ?

Le dimanche 26 octobre, le procureur d’Albi avait déploré que les enquêteurs n’aient pu accéder au site en raison de « l’hostilité » des opposants. En fait, d’après le rapport de l’IGGN, il semble qu’ils n’aient même pas tenté d’y retourner. « Tout déplacement sur les lieux risque d'être interprété comme une provocation de la part des forces de l'ordre et comporte des risques pour la sécurité des personnels », indique le rapport.

  • Deux mois d’affrontement

Le rapport décrit une « montée brutale en violence de l'opposition au projet à compter du 25 août 2014 ». Celle-ci coïncide avec les travaux préparatoires au début du déboisement (1er septembre) et la prise de fonction de l’actuel préfet du Tarn, juste après celle d’un nouveau commandant de groupement de gendarmerie du Tarn et du commandant de la compagnie de Gaillac (début août). Les premiers affrontements entre gendarmes et contestataires remontaient aux premières expulsions en février et mai 2014. Mais ces heurts « se résument à une résistance symbolique qui ne nécessite pas l'emploi de munitions spécifiques au maintien de l'ordre ». Entre gendarmes départementaux et militants se crée même un véritable « dialogue ».

Mais à partir du 23 août, les autorités changent de braquet. L’heure est aux conseils de guerre. Pendant deux mois, chaque soir, « le directeur de cabinet (du préfet, ndlr) anime une audio-conférence vers 19 heures avec les responsables du conseil général, le maître d'ouvrage délégué (la CACG), la mairie de Lisle-sur-Tarn et le commandant du Groupement de gendarmerie du Tarn, ce qui permet de dresser un bilan quotidien et de décider des opérations du lendemain ». Cette tactique correspond selon l’IGGN à l’apparition  d’une « poignée de radicaux regroupés dans un collectif baptisé "Tant qu'il y aura des bouilles" » et à l’influence de « 13 zadistes de Notre-Dame-des-Landes (…) formellement identifiés par les services de renseignements ». 

Le rapport évoque « une stratégie de harcèlement quotidien des forces de l'ordre ». « Les plus violents viennent au contact des GM et les harcèlent, mais dès que les gendarmes passent à l'action pour sécuriser le chantier et ses ouvriers, les meneurs se retirent et mettent en avant des opposants non-violents (écologistes, clowns, badauds...) généralement inconnus de la gendarmerie et de la police, qui s'interposent entre les forces de l'ordre et les radicaux, détaille-t-il. Des prises de vues des réactions des forces de l'ordre sont réalisées pour caractériser l'idée de réponse disproportionnée. » Photos à l’appui, l’IGGN estime que « le niveau de violence dépasse celui rencontré à Notre-Dame-des-Landes par la sophistication des moyens employés (mortiers, bouteilles d'acide, piégeages de barricades, herses artisanales) ».

L’IGGN n’hésite pas à citer le témoignage d’un journaliste de TV Libertés « infiltré » chez les zadistes pour prouver des entraves au travail des médias. Il s’agit d’une web télé apparue en janvier 2014 qui rassemble des figures des extrêmes droites françaises (Renaud Camus, Robert Ménard, les ex-FN Roger Holeindre et Martial Bild), en particulier de la Nouvelle Droite et du Club de l'Horloge (Jean-Yves Le Gallou, Yvan Blot).

  • Le décompte des blessés

Bilan de cette extrême violence des zadistes ? En deux mois, l’IGGN a recensé 13 agressions physiques sur les forces de l’ordre, dont 8 ont en fait eu lieu la nuit du 25 au 26 octobre (il s’agit des 6 CRS et 2 gendarmes dont nous avons déjà parlé). La blessure la plus sérieuse est celle d’un adjudant du PSIG touché à la main le 15 septembre lors d’une interpellation (45 jours d’ITT). Comme nous l’avions déjà écrit, deux zadistes, accusés de lui avoir porté un violent coup de pied ainsi qu’à un autre gendarme, ont été condamnés en comparution immédiate, le 17 septembre, à deux mois et quatre mois de prison avec sursis, plus un mois pour l’un d’eux pour refus de prélèvement ADN. Les deux militants ont fait appel, car ils affirment que le gendarme aurait en fait reçu un coup de ranger d’un de ses collègues au cours de l’interpellation. Le chef des renseignements territorial, qui s'était pris un coup de tête dans le nez à la sortie d'une réunion au Conseil général, a également reçu 3 jours d'ITT.

Le rapport ne compte en revanche que 7 blessés chez les manifestants, alors que plus d’une vingtaine de plaintes ont été déposées depuis début septembre. S’appuyant sur les chiffres des sapeurs-pompiers, le général Pierre Renault affirme également qu’aucun manifestant n’a été blessé la nuit du 25 au 26 octobre (en dehors de Rémi Fraisse tué). Nous en avons relevé au moins deux :

– Marc P., 56 ans, a été blessé au thorax, selon lui par un tir de projectile (sans doute un tir de LBD) en provenance des forces de l’ordre, entre 1 heure et 1 h 30 du matin. Il souffre d’une contusion pulmonaire et a reçu une ITT de 13 jours. Il a déposé plainte auprès du procureur d’Albi fin novembre, selon son avocate Me Claire Dujardin.

– Paul B., qui selon Me Dujardin, a déposé plainte le 26 novembre auprès du procureur d’Albi. « Il est tombé dans les pommes suite au jet d’une grenade assourdissante la nuit du 25 au 26 octobre et a perdu 30 % d’audition », affirme-t-elle.

Plusieurs opposants, blessés cette même nuit, ont été directement pris en charge par l'équipe médicale bénévole de la ZAD, sans passer par les secours. Ils n'ont donc pas été comptabilisés. L’un d’eux, rencontré à Sivens le 31 octobre, avait ainsi reçu une balle de LBD en haut du torse à droite. Six jours plus tard, le contour de l’impact était encore très net. Florian, un autre zadiste, présentait, lui, un énorme hématome violacé sur la cuisse : il disait avoir reçu un tir tendu de grenade lacrymogène non dégoupillée peu après minuit. Parmi les militants, certains ne veulent pas déposer plainte, soit parce qu'ils n'ont plus de papiers, plus confiance en la justice, ou parce qu'ils ont affronté les forces de l'ordre et ne veulent pas être identifiés. Ce qui rend le décompte des blessés compliqué. 

  • Déontologie : seulement deux manquements relevés

Sur l’ensemble des vidéos et plaintes des opposants, l’IGGN relève uniquement « deux cas de manquements à la déontologie » qui ont tous deux eu lieu lors de l’expulsion du lieu dit « Gazad » le 7 octobre 2014. Chance pour les opposants, ces actes de violence ont été filmés par leurs camarades. Pour le reste, «si d'autres manquements avaient été commis, il est probable que les opposants qui filmaient systématiquement les comportements des gendarmes, les auraient médiatisés », balaie négligemment l’IGGN. Nulle condamnation donc des actes de destruction des affaires personnelles des zadistes, parfois en dehors de toute expulsion judiciaire.

Dans les deux cas, ce sont des sous-officiers affectés en PSIG (peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie nationale) qui sont mis en cause. Le « manquement » le plus grave, révélé par Mediapart dès le 27 octobre, concerne Elsa Moulin, militante de 25 ans, dont la main a été grièvement blessée par une grenade de désencerclement jetée dans une caravane par un gendarme du PSIG. Devant la commission des lois, le général Pierre Renault a confirmé qu’il s’agissait d’une grenade de désencerclement et condamné « une faute professionnelle grave » du gendarme. Ce qui n’empêche pas son rapport de mettre en doute « le lien entre la blessure et le jet d'une grenade DMP dans la caravane » qui ne serait « pas établi avec certitude ». « En effet, les images ne permettent pas d'identifier l'objet dont l'explosion a provoqué le flash et la blessure », poursuit le rapport.

Le 5 novembre, lorsque nous avons rencontré Elsa Moulin, une longue cicatrice marquait sa main, à cause d'une incision réalisée par le chirurgien pour éviter une nécrose des tissus.

Elsa Moulin a failli perdre sa main après un jet de grenade par un gendarme.Elsa Moulin a failli perdre sa main après un jet de grenade par un gendarme. © LF

L’IGGN met également au conditionnel le dépôt d’une plainte car « aucun service d'enquête ne semble avoir été saisi de ces faits ». À toutes fins utiles, voici le numéro sous lequel le parquet de Toulouse nous indiquait le 6 novembre 2014 avoir enregistré la plainte avec constitution de partie civile d’Elsa Moulin : 14303000235.

L’autre « manquement » concerne un manifestant au sol roué de coups de pied par un gendarme du PSIG d’Albi. Mais selon l’IGGN, il s’agissait d’« un geste pour faire se relever l'individu sans intention de le blesser ». Le gendarme s’en est tiré par une réprimande verbale du commandant de groupement « compte tenu du contexte de sur-exposition prolongée des personnels des PSIG soumis depuis plusieurs mois à la fatigue physique et à la pression psychologique dues aux événements ».

Au bout du compte, l’IGGN ne relève donc aucun dérapage généralisé des forces de l’ordre. « Avant le décès de Rémi Fraisse, le bilan particulièrement réduit des blessures dans les rangs des manifestants depuis la fin du mois d'août, malgré la violence des confrontations, démontre que les forces de l'ordre, toutes catégories confondues (GM, CRS et GD), ont rempli leur mission avec professionnalisme et retenue », les félicite-t-elle. À un mort près.

BOITE NOIRELes heures sont données en heure d'été.

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Sénat: la famille Estrosi menacée par un recours

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Pour la première fois dans l’histoire des institutions, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) va se pencher sur une élection sénatoriale. Les premiers dossiers à être épluchés, début janvier 2015, vont être ceux des sénateurs dont l’élection est contestée devant le Conseil constitutionnel. Cela devrait aller vite, car celui-ci n’a été saisi que de dix-sept recours, dont trois ont déjà été jugés.

Dominique Estrosi-SassoneDominique Estrosi-Sassone © DR

L’affaire la plus sensible concerne le département des Alpes-Maritimes, avec une requête en annulation contre la liste conduite par Dominique Estrosi-Sassone, l’ex-épouse du député et maire (UMP) de Nice, Christian Estrosi. Sa liste “Union pour les Alpes-Maritimes” est arrivée en tête avec 852 voix (43 % des suffrages exprimés), ce qui a permis l’élection de trois sarkozystes bon teint : Dominique Estrosi-Sassone, Colette Giudicelli (vice-présidente du conseil général des Alpes-Maritimes et épouse du député maire de Menton Jean-Claude Guibal) et Louis Nègre, maire de Cagnes-sur-Mer.

Signe que l’UMP prend l’affaire au sérieux, les sénateurs élus ont confié leur défense à Philippe Blanchetier, l’avocat parisien de l’UMP et de Nicolas Sarkozy, spécialiste du contentieux électoral, le même qui a conseillé l'ancien président dans l’affaire du financement litigieux de sa campagne électorale de 2012.

Le trouble-fête s’appelle Olivier Bettati, ex-UMP, conseiller municipal d’opposition à Nice et conseiller général des Alpes-Maritimes, à qui il n’a manqué que trois voix pour être élu sénateur, à la tête d’une liste divers droite. Son recours, que Mediapart s’est procuré, est révélateur des méthodes employées par le député et maire de Nice, qui a répliqué à l’échelle départementale les comportements de son mentor Nicolas Sarkozy. Sondages, rassemblements coûteux et surdimensionnés… Tout y est. 

Outre quelques points litigieux sur l’organisation du scrutin, notamment le fait que les bulletins n’ont pas pu être recomptés (ils ont été immédiatement détruits par la préfecture après le comptage), la contestation porte principalement sur les comptes de campagne. Et c’est ce qui lui confère son intérêt.

Jusqu’à présent, en effet, les dépenses engagées par les candidats aux élections sénatoriales n’étaient pas réglementées. Le mode de scrutin très particulier ne nécessite pas de recourir aux grands moyens. Les sénateurs étant choisis par un collège restreint de grands électeurs, dont les noms et les adresses sont listés par la préfecture, les candidats se contentent habituellement de leur envoyer leur profession de foi et de faire la tournée des villages pour se présenter aux maires, aux conseillers municipaux et aux conseillers généraux appelés à voter pour eux. Quelques dépenses d’impression, des timbres, des factures d’essence, une poignée d’invitations à déjeuner, et le tour est joué.

Cela ne s’est pas passé ainsi dans les Alpes-Maritimes, où Christian Estrosi, président de l’UMP départementale, a déployé les grands moyens pour donner le maximum de chances à la mère de ses filles. Si les dérives constatées par Olivier Bettati se confirment, le plafond autorisé de 38 000 euros pourrait avoir été dépassé par la liste Union pour les Alpes-Maritimes. Trois événements ont retenu son attention.

Le premier date du 19 juin 2014. La veille du jour de l’élection des délégués municipaux destinés à devenir grands électeurs, le quotidien Nice Matin publie un sondage sur « la notoriété et la popularité des personnalités politiques locales », réalisé entre le 13 et le 16 juin par Ipsos auprès de 605 personnes constituant un échantillon représentatif de la population des Alpes-Maritimes. Il en ressort que Dominique Estrosi-Sassone arrive en tête des bonnes opinions chez les sympathisants UMP-UDI (47 %), suivie par Louis Nègre (33 %), Jean-Pierre Leleux, l’ancien maire de Grasse (20 %), Henri Leroy, le maire de Mandelieu-La-Napoule (17 %) et Colette Giudicelli (9 %).

Ce sondage a clairement aidé l’UMP à constituer sa liste, dans un contexte local conflictuel, marqué par de fortes tensions entre sarkozystes et fillonistes, chacun tentant de placer les siens en position éligible. Le sénateur sortant Jean-Pierre Leleux (filloniste), écarté par Christian Estrosi au profit de son ex-épouse, avait d’ores et déjà annoncé qu’il conduirait une liste concurrente. Restait à placer les candidats officiels de l’UMP dans le bon ordre. C’est ainsi que Louis Nègre (sarkozyste) s’est retrouvé en troisième position, alors que la place avait été promise à Henri Leroy (filloniste).

Le sondage a été « réalisé pour l’Alliance Alpes Méditerranée », indique Nice Matin. Sous cet intitulé anodin se cache en fait une association fondée en 1996, dont l’objet porte sur la « défense des valeurs républicaines en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la participation aux échéances électorales locales nationales et européennes ». En 1998, l’association a été renommée… “Les amis de Christian Estrosi Alliance Méditerranée Alpes”, ce qu’omet de préciser le quotidien. Elle va de pair avec l’association de financement des amis de Christian Estrosi Alliance Méditerranée Alpes, enregistrée conjointement à la préfecture.

Le coût de ce sondage (environ 10 000 euros) pourrait être considéré comme un don de l’association à la liste UMP et intégré à ce titre à ses comptes de campagne. « Cette association a le statut de parti politique. Elle a parfaitement le droit de participer au financement d’une campagne électorale », rétorque Philippe Blanchetier.

La deuxième grosse dépense attribuable, selon le requérant, à la liste Estrosi-Sassone, est celle de « Lou festin nissart ». Le 5 septembre dernier, soit une semaine avant le dépôt officiel des candidatures sénatoriales, l’association des amis du maire de Nice organise un grand banquet à Nice, sur la colline du Château. Au menu, assiette niçoise et raviolis à la daube et, en guise d’attraction, un concert d’Enrico Macias à la nuit tombée. 5 000 personnes y participent, moyennant 21 € de participation aux frais, ainsi que le relatent de nombreux participants sur leurs blogs. L’organisateur est, cette fois, le deuxième micro-parti de Christian Estrosi, créé en 2013 dans le but de « participer aux scrutins politiques locaux nationaux et européens » et adossé à l’association de financement du parti Les Amis du maire de Nice.

Est-ce, ou non, une manifestation électorale entrant dans le cadre de la campagne sénatoriale ? Plusieurs détails peuvent le laisser penser. En 2013, la première édition de ce festin nissart avait eu lieu le 7 juillet. En 2014, la date a été choisie pour coller au calendrier électoral. « Pas du tout, répond maître Blanchetier. En juillet, c’était impossible car Christian Estrosi mariait sa fille et en août, tout le monde est en vacances. Notez qu’aucun des candidats aux sénatoriales n’a pris la parole à la tribune. »

En revanche, la photo officielle prise sur la pelouse du Château a servi à illustrer la profession de foi envoyée aux grands électeurs, sous le titre « une liste soutenue par vos élus ». On y voit Christian Estrosi, encadré par les députés Éric Ciotti et Jean-Claude Guibal et entouré des cinq premiers membres de la liste sénatoriale.

Christian Estrosi et son ex-femme au premier rang. Christian Estrosi et son ex-femme au premier rang. © DR

Le coût de cette manifestation peut être estimé à 80 000 euros, hors concert. Si la CNCCFP devait suivre l’argumentaire de Bettati, la liste UMP-UDI pourrait avoir explosé le plafond des dépenses légales avec ce seul banquet.

Troisième pièce du dossier, le campus UMP organisé pour la première fois à Nice les 6 et 7 septembre, en pleine campagne électorale. Officiellement, c’est Marine Brenier, responsable des Jeunes Pop 06, qui pilote l’événement, d’un coût évalué à 15 000 euros. Mais Christian Estrosi se démène, lui aussi, pour mobiliser le ban et l’arrière-ban de l’UMP. Il n’hésite pas à envoyer un courriel d’invitation aux élus du département à partir de son adresse de député à l’Assemblée nationale, dans lequel il invite ses interlocuteurs à se rapprocher d’Anthony Borré, son directeur de cabinet à la mairie de Nice, afin d’organiser au mieux leur venue. Un mélange des genres prohibé par le code électoral. Mais ce n’est pas là l’essentiel.

Non seulement la manifestation a fait un bide – les photos du théâtre de verdure aux trois quarts vide ont fait beaucoup rire sur les réseaux sociaux – mais ce meeting pourrait également être intégré aux dépenses de campagne de Dominique Estrosi-Sassone. C’est ce que soutient Olivier Bettati dans son recours. Il pointe la présence à la tribune de deux sénateurs sortants, Louis Nègre et Colette Giudicelli, ainsi que de poids lourds de l’UMP que l’on voit rarement sur la promenade des Anglais : Jean-Pierre Raffarin et Gérard Larcher, alors tous deux candidats à la présidence du Sénat, et Roger Karoutchi, qui briguait, lui, la présidence du groupe UMP au Palais du Luxembourg.

Philippe Blanchetier balaie ces arguments : « Ce campus n’avait aucun caractère électoral. Les jeunes UMP en ont organisé d’autres à Nantes et au Touquet. Tout ceci est une querelle vaine ! »  Certes, l’avocat de l’UMP a des soucis bien plus graves avec les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Il n’en reste pas moins que les décisions du CNCCFP et du Conseil constitutionnel sont attendues avec nervosité par le clan Estrosi.

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Bientôt jugé pour abus de biens sociaux, un conseiller de Hollande démissionne

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Après plusieurs mois d'enquête, le parquet de Paris a décidé de citer à comparaître Faouzi Lamdaoui, proche conseiller de François Hollande, devant un tribunal correctionnel. Il devra répondre de faits de « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux » et « blanchiment d'abus de biens sociaux ».

Dans un communiqué, l'Élysée a fait savoir, mercredi 3 décembre, que « Faouzi Lamdaoui a présenté sa démission pour se donner les moyens de se défendre suite à sa citation pour des faits remontant à 2007-2008 ».

Il y a quinze jours, un autre proche de François Hollande, Kader Arif, secrétaire d'État aux anciens combattants depuis 2012, a démissionné, son nom étant cité dans une enquête préliminaire ouverte sur les activités des sociétés de ses proches. Le 18 avril, Aquilino Morelle, conseiller spécial de François Hollande, avait lui aussi été poussé à la démission après la révélation par Mediapart de conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.

Nous republions ci-dessous une enquête de Mediapart sur l'affaire Lamdaoui, parue en juin 2014.

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Redressement fiscal, changements incessants de gérants et d’associés, radiations régulières, comptes jamais déposés : Mediapart a découvert que Faouzi Lamdaoui, actuellement conseiller à l’Élysée, a été au cœur d’un labyrinthe de sociétés dont la gestion suscite des interrogations. Deux d’entre elles font l’objet de procédures judiciaires.

Mercredi 11 juin, ce proche de François Hollande avait été entendu pendant plusieurs heures par les policiers avec, selon une source judiciaire, le statut de « mis en cause », et non avec celui de simple témoin évoqué par plusieurs médias. Ce statut, à mi-chemin entre le témoignage et la garde à vue, suppose l’existence d’éléments pouvant attester d’une infraction.

Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de Nanterre soupçonnent Faouzi Lamdaoui de « recel d’abus de biens sociaux » et de « fraude fiscale » dans le cadre de deux SARL, Alpha Distributions et Alpha (devenue Cronoservice) auxquelles il est lié, comme l’a révélé L’Express. La police et la justice le soupçonnent également d’en avoir été le « gérant de fait », dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte sous l’autorité du parquet de Paris en 2013.

Des accusations que Faouzi Lamdaoui rejette par l’intermédiaire de son conseil, l’avocat d’affaires Ardavan Amir-Aslani (voir notre boîte noire). « Il n’y a eu aucune fraude, de quelque nature que ce soit », explique-t-il. Selon Me Amir-Aslani, son client « n’a jamais assuré la gestion des deux sociétés mentionnées, ni de près ni de loin, ni directement, ni indirectement ». Il indique également que « la non-déclaration de revenus n'est pas de la fraude fiscale, qui suppose un montage ».

François Hollande et Faouzi Lamdaoui, au premier planFrançois Hollande et Faouzi Lamdaoui, au premier plan © Reuters

Les liens du conseiller élyséen avec ces deux sociétés sont pourtant très étroits. Et, documents à l’appui, Mediapart a découvert que Faouzi Lamdaoui, qui se présentait régulièrement comme « ingénieur logisticien » avant d’entrer à l’Élysée, a été au cœur d’une myriade de petites sociétés, des SARL (sociétés à responsabilité limitée), dont il a été soit l’associé, soit le gérant, soit le salarié entre le début des années 1990 et 2012. Selon notre décompte, il a eu des liens avec au moins huit entreprises, dont deux ont fait l’objet d’une procédure au tribunal de commerce.

Toutes ces sociétés ont de nombreux points communs. Elles sont presque toujours enregistrées à la même adresse, dans le XXe arrondissement de Paris, auprès d’une société de domiciliation d’entreprises. La plupart proposent des services proches, notamment « import-export, messagerie 2 roues, prestations de services en gestion, rédactions d’actes et formalités administratives » ou du transport. Leurs fondateurs, leurs associés ou leurs gérants sont régulièrement les mêmes. Leurs noms se ressemblent (Alpha, Alphas, Alpha distributions, Alpha SVE, Alpha services…). Et toutes sont liées à Faouzi Lamdaoui, avec ses deux prénoms (Mohamed Faouzi), ou avec l’un des deux. Ces SARL ne déposent presque jamais leurs comptes annuels. Il s’agit pourtant d’une obligation légale.

La 1re page des statuts constitutifs d'Alpha distributionsLa 1re page des statuts constitutifs d'Alpha distributions

L’une d’elles, dans le viseur des enquêteurs, a d’ailleurs fait l’objet d’une lourde condamnation prononcée par le tribunal de commerce. Il s’agit d’Alpha distributions, créée en 2006 par Faouzi Lamdaoui à parts égales avec un autre associé pour proposer de l’import-export, un service de coursiers, des services de « gestions d’entreprises » et de « vente en sous-traitance aux entreprises de travaux photos et périphériques ». Trois ans après sa création, Alpha distributions a attiré l’attention du fisc, qui a fini par saisir la commission des infractions fiscales, chargée de se prononcer sur l’opportunité de poursuites judiciaires.

Le 1er février 2010, dans une lettre que Mediapart a pu consulter, cette commission explique au gérant de l’époque que le fisc le soupçonne d’avoir « volontairement soustrait la société à l’établissement et au paiement partiel de la taxe sur la valeur ajoutée (…), total de l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos les 31 décembre 2006 et 2007 ». En clair : il s’agit de soupçons de fraude à la TVA et de fraude à l’impôt sur les sociétés.

Dans le jugement prononcé un an plus tard par le tribunal de commerce de Paris, il est précisé que le « redressement fiscal associé au rappel de TVA » atteint « 981 432 € pour la période du 1er juillet 2006 au 31 décembre 2007 ». À cette époque, Faouzi Lamdaoui dispose d’un contrat de travail, et touche entre 7 000 et 8 000 euros brut par mois comme « directeur logistique » d’Alpha, si l’on en croit les documents que Mediapart a consultés. Surtout, il est au cœur d’un micmac sur les associés et les gérants de la société.

Officiellement, Faouzi Lamdaoui vend ses parts en décembre 2006, soit cinq mois après la naissance d’Alpha distributions. Pourtant, la cession n’est enregistrée au greffe qu’en février 2009 et constitue même le dernier document déposé avant la liquidation judiciaire. Plus étonnant encore : alors qu’il est censé ne plus être actionnaire, Faouzi Lamdaoui continue à figurer en tant qu’associé sur les procès-verbaux de la SARL datant de 2007 et 2008. Cette dernière année est d’ailleurs riche en assemblées d’actionnaires puisque Alpha distributions change trois fois de gérant en trente jours après le départ du premier patron !

Finalement, à la barre du tribunal en 2010, c’est au dernier gérant officiel d’Alpha distributions, M. B., né en 1925, qu’il est reproché d’avoir « fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l’obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière ». Une partie des faits reprochés sont antérieurs à sa nomination, mais il est définitivement condamné à sept ans d’interdiction de gestion, dans des termes qui rappellent étrangement un précédent jugement de première instance, cassé en appel.

Ce précédent jugement date de 1998 et vise directement Faouzi Lamdaoui. C’était au début des années 1990 avec « Starter SARL » pour du transport de courrier et de colis. Lamdaoui en devient l’associé et le gérant en 1992. Mais après quelques mois, la société est placée en liquidation judiciaire et une procédure est engagée. Il manque dans les caisses de l’entreprise « environ 1 051 224 F » (francs), selon le tribunal de commerce de Paris.

Selon le jugement rendu le 8 juin 1998, consulté par Mediapart, la justice reproche aux deux derniers gérants d’avoir « tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité conforme aux règles légales », d’avoir « omis de faire dans le délai de quinze jours la déclaration de l’état de cessation de paiements » et de ne pas avoir « collaboré au bon déroulement de la procédure » judiciaire. Aucun des deux cogérants ne s’est présenté au tribunal. Faouzi Lamdaoui et son comparse sont condamnés à la faillite personnelle pour quinze ans. Une sanction particulièrement sévère, qui empêche notamment de gérer une entreprise et vaut inscription au casier judiciaire.

Mais un an plus tard, le futur conseiller de François Hollande sort blanchi de la cour d’appel : d’abord parce que le tribunal a jugé que les convocations au tribunal n’avaient pu lui parvenir en raison d’un déménagement ; ensuite parce que Faouzi Lamdaoui n’était resté que quelques mois gérant et associé de Starter. Une période qui, malgré les difficultés déjà patentes de la SARL, n’a pas été prise en compte dans la procédure judiciaire.

« En définitive, il n’y a pas lieu à sanction personnelle à l’encontre de M. Lamdaoui », conclut la cour d’appel le 17 décembre 1999. Reste qu’à compter de cette date, le militant socialiste n’apparaît plus jamais officiellement comme gérant des SARL qu’il crée et dont il est le directeur logistique ou « technique et commercial ». « M. Lamdaoui est un apporteur d’affaires ; il ne s’occupe jamais de la gestion. Si ces affaires tournent mal ou qu’elles sont gérées par des amateurs, M. Lamdaoui n’a rien à y voir », jure son avocat Ardavan Amir-Aslani.

Les enquêteurs s’intéressent aussi à Alpha, une société créée en 2008, en cessation d’activité depuis le 30 juin 2012 et définitivement radiée en mars 2014, dont Lamdaoui a été associé et salarié. Cette SARL a changé de nom (elle devient Cronoservice) au fil du temps, mais aussi d’adresse de domiciliation, d’associés et même de fonction. Lamdaoui continue d’en être l’associé et l'un des cadres jusqu’au 31 décembre 2011. L'année précédente, ils ne sont que deux salariés déclarés, pour un chiffre d'affaires non négligeable, de près de 390 000 euros, après une année 2009 particulièrement impressionnante (610 100 euros de chiffre d'affaires), selon les seuls comptes déposés par cette société. À l’été 2011, Faouzi Lamdaoui produit des fiches de paie de 6 700 euros brut mensuels comme « directeur logistique » de Cronoservice.

François Hollande et Faouzi LamdaouiFrançois Hollande et Faouzi Lamdaoui © Facebook de Faouzi Lamdaoui

À cette époque, il est pourtant déjà pleinement investi dans la campagne de la primaire de François Hollande : il est chargé des relations avec la presse, il est de tous les déplacements et est de permanence aux côtés du candidat du PS. « Faouzi Lamdaoui, c'est l'ombre du candidat. Celui qui va le chercher à son domicile parisien, le matin. Qui lui apporte des costumes, qui s'occupe des rendez-vous chez le coiffeur, chez l'opticien, qui commande une moto-taxi. "Un organisateur très efficace", apprécie Hollande », qui le nommera chef de cabinet de sa campagne présidentielle fin octobre 2011, raconte L’Express à l’époque« Sa disponibilité est totale. Comment fait-il? Lamdaoui est ingénieur logisticien, poursuit l’article. Où ? "J'évite de le dire, pour que cela ne cause pas de problème à mon entreprise" », affirme alors Lamdaoui.

Dans la presse, le militant socialiste n’évoque pas les entreprises qu’il contribue à lancer. Il ne dit pas non plus qu’il est déclaré comme profession libérale depuis 1992 comme « conseil en relations publiques et communication ».

© DR

Ce n’est que dans le livre de Franz-Olivier Giesbert, Derniers carnets – Scènes de la vie politique en 2012 (et avant), que ce très proche de Hollande livre une autre version dans laquelle il sous-entend cette fois être son propre patron : « J’avais une petite boîte de conseil en logistique. J’ai tout laissé, je n’ai plus roulé que pour François en faisant tout, la presse, le chauffeur et le reste. Je me suis défoncé. J’y croyais tellement, j’ai mis toutes mes économies dans la campagne des primaires. »

À cette époque, Faouzi Lamdaoui est déjà visé par deux plaintes. La première, pour travail dissimulé, a été déposée en 2009 par Mohamed Belaïd qui a œuvré plusieurs mois aux côtés de Faouzi Lamdaoui et fait, entre autres, office de chauffeur pour le futur président de la République. Longtemps, personne – ou presque – ne l’a cru et Lamdaoui et ses proches ont tout fait pour le discréditer, le menacer, voire le faire passer pour fou, selon son avocat Nicolas Cellupica. Sa plainte a été classée sans suite mais un recours doit être examiné en septembre.

C’est sur la foi d’une seconde plainte, déposée cette fois par l’ex-épouse de Mohamed Belaïd, que l’enquête progresse aujourd’hui. Elle accuse Faouzi Lamdaoui d’avoir usurpé son identité pour la nommer gérante de la société Alpha. La plainte date elle aussi de 2009 et est restée dormir dans les tiroirs policiers durant trois ans. Ce n’est qu’en 2012 que la plaignante a été auditionnée par les policiers, avant l’ouverture d’une enquête préliminaire l’an dernier.

Outre Alpha Distributions et Alpha/Cronoservice, les enquêteurs pourraient décider de se pencher sur Alphas, une société initialement nommée ABS Services et fondée en 1997. Selon des documents consultés par Mediapart, Lamdaoui en a été salarié en 1999, 2004, 2005 et 2006 avant que celle-ci ne disparaisse en 2011 sans avoir jamais déposé ses comptes. Dans l’intervalle, c’est Alpha SVE, créée en 1999, domiciliée à la même adresse qu’Alpha et Alpha Distributions, qui a salarié Lamdaoui en 2000 avant de mettre la clé sous la porte en 2004. En remontant encore dans le temps, on retrouve également une SARL dénommée Alpha Services dont Lamdaoui a été salarié en 1997 et 1999.

Il y a dans ce maquis de sociétés éphémères aux noms voisins un trait d’union et une cohérence. Le trait d’union, c’est Faouzi Lamdaoui ; sur huit sociétés recensées, il n’y en a pas une dont il n’ait pas été associé, gérant et/ou salarié. Quant à la cohérence, elle se niche dans la répétition à cinq reprises d’un mode opératoire en trois temps : tout commence avec la création d’une SARL – avec parfois Faouzi Lamdaoui comme associé, ou un membre de sa famille. Peu de temps après, survient l’embauche du futur conseiller de François Hollande. Mais lorsque l’entreprise cesse son activité, il l’a déjà quittée, en ayant revendu ses parts s’il en détenait, et en a créé une autre qui va, à son tour, l’embaucher puis disparaître. Et ainsi de suite jusqu’en janvier 2012, date de son embauche par l’Association de financement de la campagne de François Hollande. Depuis mai 2012, Faouzi Lamdaoui est rémunéré comme conseiller à l’Élysée, chargé de l’égalité et de la diversité.

Avec Stéphane Le Foll, Frédéric Cuvillier et Kader Arif, dans le bureau de Faouzi Lamdaoui à l'ElyséeAvec Stéphane Le Foll, Frédéric Cuvillier et Kader Arif, dans le bureau de Faouzi Lamdaoui à l'Elysée © Page Facebook de Faouzi Lamdaoui

Cette myriade de sociétés et de contrats donne le tournis. D’autant plus qu’il s’agit d’un des plus proches collaborateurs du président de la République, déjà ébranlé par les révélations sur son ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac, démis de ses fonctions après l’ouverture d’une information judiciaire, et, plus récemment, par celles visant son conseiller politique Aquilino Morelle. Cette fois, c’est une pièce maîtresse de la “hollandie” qui est visée – « l’âme damnée » de Hollande, selon un de ses surnoms moqueurs au Parti socialiste. Non pas tant pour les fonctions qu’il occupe actuellement que pour le rôle qu’il a joué auprès de François Hollande depuis le début des années 2000.

C’est sans doute une des raisons de sa longévité au cabinet du président de la République. Et ce, malgré les récents mouvements à l’Élysée et la gravité des soupçons des enquêteurs. Interrogé à ce sujet par Mediapart, l’entourage de François Hollande répond d’une phrase aussi sibylline que formelle : « L'enquête préliminaire qui a été ouverte sur les sociétés dans lesquelles M. Faouzi Lamdaoui a travaillé dans le passé doit être conduite dans les règles fixées par la loi, c’est-à-dire en respectant sans restriction la présomption d'innocence et sans qu'aucune intervention ne puisse contrarier la manifestation de la vérité, dans l’attente d’une décision au terme de cette enquête. »

BOITE NOIREACTUALISATION - Cet article a été actualisé, mercredi 3 décembre, à 15h15, suite à l'annonce par l'Elysée de la démission de Faouzi Lamdaoui.

Mediapart, comme d'autres médias, a été alerté depuis de nombreux mois sur les plaintes déposées contre Faouzi Lamdaoui. L’ouverture de l’enquête préliminaire l’an dernier et les récentes révélations de L’Express nous ont permis d’explorer de nouvelles pistes et de découvrir de nouveaux éléments.

Contacté par Mediapart, par téléphone et par mail, Faouzi Lamdaoui a refusé de répondre à nos questions. C’est son avocat, Ardavan Amir-Aslani, qui a pris contact avec nous. Il a d’abord souhaité répondre par écrit à nos questions avant d’accepter finalement de nous rencontrer. Nous l’avons interrogé longuement vendredi 20 juin 2014, à Paris.

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Comment la France est devenue un paradis fiscal pour l'UEFA

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Puisque la France s’est engagée à se transformer en paradis fiscal le temps de la tenue de l’Euro 2016, alors ainsi soit-il. Et puisqu'on y est, profitons-en pour offrir la même situation aux futures compétitions sportives internationales qui se tiendront dans l'Hexagone. Telle était la position de l’exécutif concernant la tenue du championnat d’Europe de football en France en 2016. Et si elle a fait grincer beaucoup de dents, elle a finalement été adoptée par les députés.

Le sujet a été débattu dans la soirée et la nuit du mercredi 3 décembre à l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative de 2014. Et la discussion, comme attendu, a été agitée. Le gouvernement voulait faire adopter un article de loi exonérant « les organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale » du paiement de tout impôt, mis à part la TVA, pour toutes les opérations commerciales concernant la compétition. En clair : aucun impôt sur les bénéfices, pas de cotisations sociales, et zéro taxe d’apprentissage pour ceux qui organiseraient un championnat d’Europe, un Mondial ou les Jeux olympiques sur le territoire national. Le gouvernement a finalement obtenu gain de cause, pour toutes les compétitions qui seront attribuées à la France avant 2018.

Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, et Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports, se sont félicités de cette issue dans un communiqué. « L’accueil de compétitions sportives internationales est une formidable opportunité pour stimuler l’activité économique et la création d’emplois sur notre territoire, déclarent-ils. Dans un contexte de concurrence très vive entre les nations, la France doit se doter des meilleurs atouts pour obtenir l'organisation de ces grands événements. »

Super Victor, la mascotte officielle de l'Euro 2016Super Victor, la mascotte officielle de l'Euro 2016

L’affaire, qui a été révélée par Les Échos début novembre, concerne au premier chef l’Euro 2016. Car afin d'être choisie par l’UEFA pour organiser le championnat, la France s’était en fait déjà engagée à se transformer en havre (non) fiscal auprès de l’association suisse. « La candidature de la fédération française de football à l’accueil de la compétition (…) imposait que le gouvernement prenne, à l’égard des entités organisatrices, l’engagement de leur consentir un régime fiscal dérogatoire. Cet engagement a pris la forme, en 2010, d’un courrier ministériel joint au dossier de candidature », indique ainsi l’exposé des motifs de l’article de loi présenté par le gouvernement.

En fait, selon les informations de Mediapart, ce n’est pas un, mais deux courriers qui ont été adressés à l’UEFA, et joints au dossier de candidature de la France, par les deux ministres du budget successifs du gouvernement Fillon, Éric Woerth et François Baroin. Deux noms cités par la rapporteure du Budget, la députée socialiste Valérie Rabault, en commission des finances le 26 novembre. Dans une première lettre, datée du 2 février 2010, Éric Woerth accordait, comme exigé par le cahier des charges de l’UEFA, une « garantie fiscale » à l’association, lui promettant qu’elle n’aurait pas à payer d’impôts si elle retenait la France comme pays hôte.

L'étrange promesse d'Éric Woerth

Selon le rapport sur le projet de loi de finances rectificative, signé par Valérie Rabault, Woerth garantissait que « l’UEFA ne sera pas assujettie à des taxes ou impôts en France sur son chiffre d’affaires et/ou sur toute forme de revenus perçus ou à percevoir par l’UEFA (…), du fait de l’organisation de l’UEFA Euro 2016 et ses opérations connexes en France ». En fait, selon nos informations, le ministre est allé bien plus loin. Il a aussi écrit que « la législation actuelle permet l’octroi de ces garanties ». Autrement dit, qu’il n’était pas nécessaire de fixer cet engagement en passant devant le Parlement ! Une assurance plus que contestable.

L’UEFA a eu des doutes à la réception de cette lettre, et a demandé confirmation. C’est alors François Baroin, qui avait entre-temps remplacé Woerth, qui a répondu le 11 avril 2010, en confirmant les propos de son prédécesseur. « La garantie fiscale était clairement posée dans le cahier des charges. On avait deux concurrents qui étaient la Turquie et l'Italie. Je savais qu'ils allaient tous deux donner une garantie à l'UEFA et que si on ne donnait pas la même, on n'avait aucune chance de gagner », a expliqué ces derniers jours Jacques Lambert, le patron du comité de pilotage de l'Euro 2016. Avant d’ajouter : « Ça ne nous concerne plus, c'est réglé depuis 2010. »

Réglé depuis 2010 ? Voire… Car l’article 34 de la constitution confère au seul Parlement le pouvoir de trancher sur les questions liées à l’impôt. Le gouvernement a semble-t-il réalisé assez tardivement que la promesse de Woerth posait problème, et que le passage devant le Parlement s’avérait nécessaire, comme l’a finalement affirmé Christian Eckert, secrétaire d’État au budget, devant la commission des finances le 12 novembre. Ce qui expliquerait que ce sujet inflammable se soit discrètement glissé dans le dernier projet de loi de finances.

Pour le gouvernement, il n’était pas question de revenir sur la parole de la France, faute de voir la crédibilité de l’État remise en cause sur le plan international. Interrogé à l’Assemblée le 25 novembre à ce sujet, le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, Patrick Kanner, a assumé cette position. « Dans cette période de crise prolongée, mesdames et messieurs les députés, pourquoi se priver de ce qui peut susciter de la joie collective et rapprocher les Français ?, a-t-il déclaré. En tous les cas, la parole de la France sera respectée pour l’Euro 2016. » Au ministère, on explique que « si on revenait sur notre parole, cela n’aurait plus été la peine que notre pays se porte candidat au moindre événement international d’envergure dans les années à venir ».

Cette exigence de cadeau fiscal n’est pas une première pour l’UEFA, qui a demandé la même chose à la Pologne et à l’Ukraine pour leur attribuer l’Euro 2012, mais aussi à la Suisse et à l’Autriche en 2008 et au Portugal en 2004. C’est en revanche une nouveauté pour la France, où le Mondial 1998 n’avait pas bénéficié de cette mesure. Tout juste la coupe du monde de rugby de 2007 avait-elle donné lieu à une exonération, souvent partielle selon les villes où se tenaient les matches, de la taxe sur les spectacles (qui sera de toute manière abolie à partir de 2015).

Combien coûtera ce geste jugé nécessaire pour garantir la crédibilité hexagonale ? Dans l’exposé des motifs de son projet de loi, le gouvernement reste muet, assurant que « la mesure n’est pas chiffrable ». Ce n’est pas du tout l’avis de Valérie Rabault, qui estime dans son rapport que « la perte de recettes fiscales potentielles peut être chiffrée entre 150 et 200 millions d’euros ». Même si elle reconnaît que l’UEFA s’est engagée à reverser 20 millions d’euros aux villes-hôtes, et la même somme à la fédération française de football. Elle devrait aussi verser 23 millions d’euros au titre de la location des stades.

Des chiffres insuffisants pour apaiser l'agacement de nombreux députés. Plusieurs amendements avaient été déposés pour demander l’annulation de l’exonération fiscale, et ont été débattus dans l’hémicycle. Ils étaient signés par des parlementaires communistes, verts ou membres de l’UDI, mais aussi par le socialiste « frondeur » Pascal Cherki (qui a finalement abandonné le combat en cours d'examen), et par le chevènementiste Jean-Luc Laurent. Ce dernier a fédéré une douzaine de socialistes, dont Michèle Delaunay, l’ancienne ministre aux personnes âgées du gouvernement Ayrault. Ces amendements n'ont pas été adoptés par l'Assemblée. Mais dans les heures qui précédaient les débats, leurs auteurs étaient remontés.

« C’est une question de principe : à l’heure où on demande à nos concitoyens des efforts pour le redressement des comptes publics, il est incongru de procéder à une telle exonération, déclarait ainsi Jean-Luc Laurent à Mediapart. À l’époque de Sarkozy, on pouvait comprendre un tel engagement venant de la droite, mais nous ne sommes plus à cette époque ! C’est un engagement anachronique. » Du côté des Verts, Éric Alauzet s’interrogeait : « La France est en pleine injonction contradictoire : comment pouvons-nous déclarer que la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité, et en même temps essayer d’attirer des acteurs sportifs qui se comportent comme des entreprises cherchant à éviter les impôts à tout prix ? On n’a plus aucune crédibilité pour critiquer le Luxembourg et ses accords fiscaux avec les multinationales ! »

Une question d’autant plus brûlante que l’UEFA, comme les multinationales les plus à l’aise dans ce jeu de l’optimisation fiscale agressive, ne paie presque pas d’impôt dans son pays de domiciliation, la Suisse. Elle y est considérée comme une organisation d’utilité publique et à but non lucratif. À ce titre, elle n'est quasiment pas taxée : pas plus de l’équivalent de 400 000 euros en 2013 par exemple, selon le Vert Éric Alauzet, pour des millions d'euros de bénéfices.

Il y avait très peu de chances que les amendements de suppression soient adoptés, car lors d’une réunion de groupe le 25 novembre à l'Assemblée, le groupe socialiste s’était entendu pour les rejeter. Facétieux et remontés, les députés PS Karine Berger et Yann Galut avaient alors décidé de porter le débat sur un autre terrain. « Nous allons poser à nos collègues la question de l’égalité devant l’impôt, indiquait Karine Berger à Mediapart. Pourquoi seul le sport pourrait-il bénéficier d’exemptions fiscales ? »

Les deux parlementaires ont donc proposé d’accorder un avantage fiscal comparable... à l’Eurovision, au Festival de Cannes, à la Fiac, au Congrès mondial des Parcs, au Congrès mondial de philosophie, au Salon international de l’aéronautique, au Festival d’Angoulême de BD ou encore au Congrès international des mathématiciens ! Après débat dans l'hémicycle, les amendements ont finalement été retirés par leurs auteurs. Une démarche pas uniquement ironique : le Conseil constitutionnel, saisi rituellement pour juger de toutes les lois de finances, est très sourcilleux sur la question de l’égalité devant l’impôt. Aiguillé dans la bonne direction, il pourrait théoriquement tiquer devant ce favoritisme réservé au seul domaine sportif…

Huit fédérations sportives demandent l'exonération pour leurs compétitions

Mais le gouvernement devait faire face à un écueil plus gênant encore. Valérie Rabault avait obtenu que la commission des finances adopte l’amendement qu’elle proposait, qui limitait l’exemption fiscale à l’Euro 2016, et ne l’ouvrait pas aux futures compétitions internationales organisées en France. Elle l'a donc présenté au nom de la commission dans l’hémicycle. Ce texte de compromis reconnaissait que la France peut difficilement revenir sur sa parole, mais renvoyait aux futures lois de finance le cas des autres événements. Pas question de signer un chèque en blanc, en d'autres termes. L'amendement aurait pu séduire un grand nombre de députés, notamment socialistes, pensait-on à la commission des finances. Mais il a finalement été rejeté lui aussi.

Le gouvernement peut se réjouir. Car pendant plusieurs jours, il a eu des sueurs froides sur cette question. D'autant qu'il espérait trancher la question une fois pour toutes, en exemptant de taxes toutes les futures grandes compétitions internationales qui seront organisées en France. Dans sa ligne de mire, un bon nombre d’événements : le championnat d’Europe de basket en 2015, les championnats du monde d’aviron la même année, puis ceux de handball, de canoë-kayak et de hockey sur glace en 2017, et la Ryder cup de golf en 2018. Et pourquoi pas, si la France est retenue, la coupe du monde de foot féminin en 2019 et le Jeux olympiques d’été en 2024 !

Lors de son passage sur TF1 le 6 novembre, François Hollande s’était déclaré favorable à la candidature de Paris aux JO. Et mardi, il a appelé les députés à accepter l’exonération fiscale de tous les grands événements sportifs. « L'État doit être présent (…) sur le plan fiscal pour permettre que de grandes compétitions soient organisées ici, dans notre pays, et pas seulement pour le foot, a-t-il plaidé. On a besoin d'avoir de grands événements pour convaincre des jeunes de pratiquer une discipline. »

Au ministère de la jeunesse et des sports, dans les heures précédant le vote, on expliquait que « la position du gouvernement reste la même », malgré les amendements des députés : « Il s’agit d’arrêter avec un traitement qui favorise seulement quelques disciplines sportives phares, qui sont aussi les plus riches. C’est aussi une mesure d’équité envers tous les sports. Et il s’agit d’une disposition de transparence, où on annonce publiquement ce qu’on fait, au lieu de laisser le ministère du budget trancher au cas par cas. »

Un discours qui a redonné espoir aux divers représentants du sport français, qui ont découvert coup sur coup début novembre le régime dérogatoire accordé à l’Euro 2016, et la volonté du gouvernement d’ouvrir le dispositif à tous les sports. Devant les réticences des députés, Bernard Lapasset, président du comité français du sport international, chargé de la possible candidature olympique de 2024, a critiqué le « signal négatif » qu’ils enverraient au monde olympique. Un haut dirigeant de la fédération de handball a, lui, confié à Mediapart son « espoir de bénéficier de l’exonération pour le mondial 2017 » et son « inquiétude profonde » devant le vote de l’Assemblée. Même son de cloche à la fédération de golf, de basket ou d’athlétisme.

Les dirigeants des fédérations de football, d’athlétisme, de basket, de handball, de hockey, de badminton et de lutte ont d’ailleurs signé mercredi 3 décembre ensemble une lettre à destination des députés, que Mediapart s'est procurée.

Évoquant les futures compétitions internationales de leur discipline, ils alertaient sur le fait que « l’octroi de ces événements se heurte à une concurrence de plus en plus exacerbée, dans un contexte où les conditions, notamment fiscales, proposées par les autres pays constituent un enjeu central des dossiers de candidatures ». Ils avaient le soutien du gouvernement. Le secrétaire d'État au budget a finalement proposé dans l'hémicycle que la mesure qu'il défendait soit limitée dans le temps, et réservée aux compétitions attribuées à la France avant 2018. Sa proposition a été adoptée, et la France s'est donc transformée an paradis fiscal pour les grands événements sportifs. Y compris pour les Jeux olympiques de 2024, si la candidature de Paris est retenue par le CIO, qui tranchera courant 2017. La guérilla parlementaire éclair qui a précédé cette adoption pourrait laisser des traces dans les rangs de la gauche parlementaire.

BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été interrogées par téléphone durant la semaine écoulée. Le ministère des finances n'a pas cru bon de nous répondre, arguant du « secret fiscal ».

Cet article, publié peu après 7 heures du matin jeudi 4 décembre, a été actualisé dans l'heure suivante, pour tenir compte des débats tenus dans la nuit à l'Assemblée.

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Tapie : 17 millions d’euros placés sous séquestre à Hong Kong

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C’est un nouveau rebondissement dans l’affaire Tapie : selon nos informations, les autorités de Hong Kong ont accepté de placer sous séquestre des fonds transférés par Bernard Tapie, qui avoisineraient 17 millions d’euros. L'information a une portée qui dépasse la simple affaire judiciaire dans laquelle l’ex-homme d’affaires a été emporté. Elle constitue le premier signe tangible en direction de la France que les autorités de Hong Kong envisagent de devenir une place financière coopérative, et qu’elle pourrait à l’avenir accepter les demandes d’entraide internationale judiciaires ou fiscales.

Cette saisie d’une partie de la fortune de Bernard Tapie n’est pas une surprise. Déjà dans la foulée de la mise en examen, le 28 juin 2013, de l’ex-homme d’affaires pour « escroquerie en bande organisée », les trois juges d’instruction en charge du scandale de l’arbitrage Adidas-Crédit lyonnais avaient pris des ordonnances, pour saisir une partie de ses biens. Dans leur esprit, il s’agissait de mesures conservatoires, de sorte que l’État puisse récupérer tout ou partie des 405 millions alloués à Bernard Tapie au terme du célèbre arbitrage, s’il se révélait qu’il a bel et bien été frauduleux.

À l’époque, la saisie avait donc concerné les deux assurances-vie souscrites par Bernard Tapie et son épouse. À peine après avoir perçu les 45 millions d’euros qui lui avaient été alloués par les arbitres au titre du préjudice moral, Bernard Tapie avait en effet pris langue avec un banquier dont il est proche, Matthieu Pigasse, le patron de la banque Lazard, et coactionnaire du journal Le Monde. Bernard Tapie avait alors viré la totalité de la somme, dès le 18 septembre 2008, sur un compte ouvert auprès de la banque d’affaires, laquelle a pu souscrire le 2 décembre 2008 pour son client et son épouse des contrats d’assurance-vie auprès de Axa Vie France et La Mondiale Partenaire pour un montant global de 36 millions d’euros. Sur ce montant, près de 20 millions d’euros ont donc finalement été saisis.

Les magistrats ont aussi placé sous séquestre les parts sociales que les époux Tapie détiennent dans le splendide hôtel particulier qu’ils possèdent à Paris, rue des Saints-Pères, pour une valorisation de 69 millions d'euros ainsi que celles de la villa qu’ils ont achetée en 2011 à Saint-Tropez, pour 48 millions d’euros.

Mais très tôt, la justice française subodore qu’une partie de la fortune de Bernard Tapie est peut-être aussi partie à l’étranger, notamment à Hong Kong. Alors que la Suisse accepte de plus en plus largement de s’ouvrir aux demandes d’entraide internationale judiciaires et fiscales, de grandes fortunes se sont progressivement délocalisées ces dernières années vers Hong Kong qui avait la réputation d’être une place financière non coopérative.

Ce soupçon de la justice française est d’ailleurs très vite étayé. Comme l’avait révélé Le Parisien le 17 septembre 2013, deux semaines après le placement sous séquestre d’une partie de ses biens, Bernard Tapie a « tenté de transférer 1,8 million d’euros à Hong Kong ». Voici ce que racontait à l’époque le quotidien : « Las, le 23 juillet, Tracfin exerce son droit d'opposition et le 25 juillet, le parquet demande la saisie pénale de ce virement. Pour cette opération, Bernard Tapie a eu recours à un montage complexe. Tout d'abord, il a transféré 2 millions d’euros d'un compte qu'il détient au Danemark par le biais de Saxo Banque vers une de ses sociétés, filiale française du Groupe Bernard Tapie (GBT), la holding de l'homme d'affaires dont le siège est à Bruxelles. Puis Tapie demande à la banque française où est domiciliée cette société de transférer 1,8 million d’euros sur le compte d'une autre filiale de GBT basée à Hong Kong. Problème : la banque française signale ce mouvement à Tracfin, la cellule antiblanchiment du ministère de l'économie. Cette dernière demande immédiatement le blocage de l'opération, les biens de Bernard Tapie étant sous séquestre. »

À l’époque, Bernard Tapie avait contesté cette version de l’histoire. « Faux, archifaux ! avait-il rétorqué au Parisien. Je n'ai jamais cherché à cacher de l'argent à l'administration française. J'ai bien procédé au transfert de 1,8 million d'euros, mais dans le but d'assurer le paiement du personnel de mes filiales à l'étranger. » Il faisait en particulier allusion aux employés de son yacht le Reborn, qu’il dit depuis avoir revendu et qui était à l’époque immatriculé à Singapour.

Nous avons nous-même cherché à joindre Bernard Tapie au sujet de ces 17 millions d’euros qui viennent d’être placés sous séquestre à Hong Kong. Par SMS, il nous a fait cette réponse : « Je n'ai pas d'avoirs à Hong Kong. Nous avons une filiale en Asie qui est détenue à 100 % par Groupe Bernard Tapie Holding qui possède un compte à Hong Kong déclaré et connu des autorités françaises et qui a d'ailleurs été saisi comme l'ont été les comptes de toutes les filiales du groupe !!! » Bernard Tapie nous a aussi proposé d'entrer en contact avec le responsable juridique de son groupe. Plusieurs heures après la mis en ligne de cet article, nous avons pu joindre ce dernier. Selon lui, Bernard Tapie aurait transféré près de 9 millions d'euros sur un compte HSBC, pour « prospecter des investissements locaux » et ce sont seulement ces avoirs de 9 millions d'euros, et non 17, qui auraient fait l'objet d'une saisie. Toujours d'après ce responsable juridique du groupe Tapie, la saisie aurait eu lieu antérieurement à ce que nos sources nous ont indiqué: cette saisie serait intervenue dès août 2013.

Quoi qu’il en soit, l’information suggère que l’intéressé était finalement parvenu à transférer à Hong Kong beaucoup plus d’argent qu’on ne le supposait. Et puis surtout, elle prend une dimension qui dépasse la seule affaire Tapie. Car la Chine et Hong Kong ont signé ces derniers mois tous les engagements de transparence financière exigés par l’OCDE et ont promis d’entrer dans le droit commun des places financières coopératives d’ici 2018 (lire Près de cent pays enterrent le secret fiscal). Bernard Tapie est donc sans doute l'un des premiers à en faire les frais.

Pour Bernard Tapie, cette décision vient aussi confirmer que l'étau judiciaire se resserre autour de lui. Au pénal, l'enquête judiciaire autour de l'arbitrage devrait en effet prendre fin dans les prochains mois, et il risque bientôt d'être renvoyé en correctionnelle pour y être jugé. Et au civil, la cour d'appel de Paris a tenu son audience le 25 novembre dernier pour examiner le recours en révision introduit par l'État (lire La probable mais chaotique révision de l'arbitrage Tapie) et elle rendra son arrêt le 17 février prochain. En somme, après plus de vingt ans de rebondissements, l'affaire Tapie approche de son dénouement...

BOITE NOIREMis en ligne le 4 décembre vers 13 heures, cet article a été légèrement amendé vers 16H, pour faire état de la version que nous a donnée le responsable juridique du groupe Tapie.

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Micro-parti de Le Pen : l’enquête élargie au financement de la présidentielle 2012

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L'AFP annonce ce jeudi 4 décembre que l'enquête judiciaire portant sur un système de prêts massifs vendus à de nombreux candidats FN lors des dernières élections législatives et locales par le micro-parti de Marine Le Pen, Jeanne, a été élargie dès le mois de septembre à la présidentielle de 2012, où Marine Le Pen s'était hissée à la troisième place au premier tour, avec 17,9 % des voix. La campagne de la présidente du Front national n'était jusque-là pas visée. 

Comme nous l'indiquions dans cet article, d'après les comptes de la présidentielle 2012 consultés par Mediapart, le micro-parti personnel de Marine Le Pen, baptisé « Jeanne » en l'honneur de la pucelle d'Orléans, a prêté 450 000 euros pour la campagne au taux exceptionnellement élevé de 7 % et empoché 19 000 euros d'intérêts au passage. Or ces prêts intéressent depuis le début la justice.

Fin octobre, nous révélions que l'enquête ouverte en avril avait été élargie à de possibles faits d’« abus de biens sociaux », mais aussi de « blanchiment en bande organisée » à la suite d’un réquisitoire supplétif délivré à la mi-septembre par le parquet de Paris. 

Vous trouverez ci-dessous l'article que nous avions publié à ce moment-là.

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Au printemps, ils en rigolaient encore, persuadés que l'enquête judiciaire allait « faire pschitt ». Les responsables de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, ont désormais de quoi s'inquiéter. D'après nos informations, le système de prêts massifs vendus à de nombreux candidats FN lors des dernières élections législatives et locales, qui se retrouve au cœur d’une instruction confiée aux juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi, a été organisé par cette formation politique dans des conditions qui se révèlent de plus en plus douteuses.

Marine Le Pen en 2011Marine Le Pen en 2011 © Reuters

D’après des sources proches de l’enquête, au moins un candidat frontiste, censé avoir souscrit un emprunt d’une dizaine de milliers d’euros auprès de Jeanne au taux particulièrement élevé de 6,5 % pour financer sa campagne législative, a déclaré qu’il n’avait jamais rien signé de tel et qu’il avait découvert l'existence d’un contrat au lendemain du scrutin. À l’en croire, quelqu’un aurait paraphé la convention de prêt dans son dos.

On comprend désormais mieux pourquoi l’information judiciaire, déclenchée par un signalement de la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), a été ouverte en avril dernier sur des soupçons de « faux et usage de faux » et d’« escroquerie en bande organisée ». D’après nos informations, elle a depuis été élargie à de possibles faits d’« abus de biens sociaux », mais aussi de « blanchiment en bande organisée » à la suite d’un réquisitoire supplétif délivré à la mi-septembre par le parquet de Paris.

Nombre d’éléments recueillis par Mediapart suggèrent aussi que des candidats frontistes (ou Rassemblement bleu marine) ont été priés d’antidater — donc de falsifier — leurs contrats de prêts avec Jeanne. Alors que certains prêts à 6,5 % n’avaient pas été conclus en temps et en heure (c’est-à-dire pendant la campagne), des représentants du micro-parti se seraient adressés aux candidats après les élections seulement, pour réclamer qu’ils signent une convention antidatée. Questionnés par Mediapart, les responsables de Jeanne ne nous ont pas répondu sur ce point.

À ce stade, difficile de comprendre ce que cachent exactement tous ces bidouillages, dans un micro-parti qui affichait 9 millions d’euros de recettes en 2012. Mais il faut rapprocher ces éléments d’une autre “bizarrerie” déjà racontée par Mediapart : presque tous les candidats frontistes aux dernières élections législatives se sont vu imposer l'achat auprès de Jeanne d'un « kit de campagne obligatoire » (comprenant la conception et l’impression d’un journal, d’une carte postale, d’une lettre de candidature, etc.). Tarif : environ 16 000 euros par personne, parfois plus.

Si Jeanne a développé un système de prêts à marche forcée au “bénéfice” des candidats, ce serait donc pour mieux leur vendre ses coûteux kits, en quelque sorte pour financer sa propre activité commerciale. C’est d’ailleurs un seul et même document que les candidats remplissent pour passer commande — ils cochent simplement une case pour signifier qu’ils acceptent le prêt de Jeanne au taux de 6,5 %.

Le véritable bénéficiaire de ce système, c’est l’entreprise de communication prestataire de Jeanne, qui fabrique tous ces kits à la chaîne. Baptisée Riwal, elle est dirigée par l’un des plus fidèles conseillers de l’ombre de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, un proche du régime syrien souvent présenté dans les couloirs du FN comme « l’argentier officieux de Marine ». En 2012 déjà, pendant la présidentielle, il lui avait facturé plus de 1,6 million d’euros de prestations. C’est aujourd’hui l’un de ses associés, un certain Axel Loustau, qui occupe le poste clef de trésorier de Jeanne. Pratique.

Selon l’un de ses amis, le patron de Riwal serait récemment parti « se mettre au vert » à l’étranger. « Je suis très régulièrement en Italie pour développer une filiale sans aucun rapport avec la politique », nous rétorque Frédéric Chatillon, pas bavard sur la marge de son entreprise, dont les comptes n’ont plus été déposés depuis 2007. Ses kits vendus aux candidats du FN lors des dernières municipales, par l’intermédiaire de Jeanne, ne seraient-ils pas surfacturés ?

D’après nos informations, la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) serait tentée de répondre à cette question clef par l’affirmative. Dans le cadre de son contrôle, elle est en train de décortiquer les factures de Jeanne et les prestations de Riwal. Or, d’après des courriers expédiés cet été à certains candidats FN, que Mediapart a pu consulter, les rapporteurs de l’autorité indépendante ont tiqué au moins sur deux points.

D’abord, pourquoi des « frais de conception » des documents (journal, carte postale, etc.) sont-ils facturés à chacun des candidats, alors que leur « conception » n’a eu lieu qu’une fois pour toutes ? « S’agissant de documents strictement identiques (le changement de photographie du candidat relevant exclusivement de l’impression), le montant total des frais de conception ainsi versé au prestataire (Riwal - ndlr) pourrait être considéré comme manifestement excessif et sans rapport avec la réalité de la prestation effectuée », écrivent les rapporteurs, qui doivent boucler leurs travaux d’instruction d’ici la fin novembre.

Plus globalement, certaines « dépenses de conception et d’impression paraissent avoir été surévaluées », estiment ces rapporteurs. « Telle somme peut être considérée comme supérieure aux prix du marché », ont-ils signifié à de nombreux candidats FN, en leur demandant « de préciser les circonstances particulières qui seraient de nature à établir que les prix ainsi pratiqués étaient justifiés et ne caractérisaient pas une surfacturation. »

En l’absence de justifications, la commission pourrait bien décider qu’une partie de ces dépenses n’a rien à faire dans un compte de campagne et refuser qu’elle soit remboursée par l’État aux candidats.

Questionné par Mediapart, le trésorier de Jeanne, Axel Loustau, relativise déjà ces difficultés, parlant d’une « réformation partielle et mineure » des comptes des candidats. Il assure qu’à ce stade, aucune des décisions rendues par la CNCCFP ne conteste « la réalité des prestations servies par Jeanne et ses sous-traitants, ni le montant des tarifs pratiqués ». Et de défendre ces derniers : « Vous noterez que l'économie française n'obéit pas à des règles de droit soviétique mais est soumise au régime de la liberté du commerce et de l'industrie, principe de valeur constitutionnelle. »

« À ma connaissance, aucun compte n’est rejeté à ce jour », insiste de son côté Frédéric Chatillon. En mai dernier, le patron de Riwal s’était agacé de nos questions : « Vous devriez attendre la fin de l'enquête, à moins que vous ne travailliez pour la police. »

Les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi n’en sont — il est vrai — qu’au milieu de leurs investigations. Les enquêteurs s’interrogent également sur le taux d’intérêt particulièrement élevé de 6,5 % auquel Jeanne prête en général. Sous certaines conditions, les intérêts d’emprunt que les candidats lui versent peuvent en effet être admis dans la catégorie de leurs dépenses remboursables par l’État. Une aubaine.

En avril dernier, lors de l’ouverture d’une information judiciaire, Marine Le Pen (qui a pris soin de ne pas figurer dans les statuts de Jeanne) avait réagi vertement sur Twitter : « Enquêtes, informations judiciaires, perquisitions, le pouvoir socialiste ne manque pas d'imagination face à son opposition politique. » Et d’ajouter : « Tout cela se terminera comme à chaque fois par un non-lieu ou une relaxe dans quelques mois, mais la calomnie aura rempli son rôle. »

D’après son compte de campagne aux législatives, que Mediapart a consulté, Marine Le Pen s’est en tout cas bien gardée de contracter un emprunt auprès de Jeanne. Pour elle-même, la présidente du FN a préféré la Société générale.

BOITE NOIRECet article a été publié le 20 octobre, puis repris le 4 décembre pour préciser que, selon l'AFP, l'enquête judiciaire s'intéressait désormais aussi à la campagne présidentielle de Marine Le Pen.

Sollicitée par l'intermédiaire de son chef de cabinet, Philippe Martel, Marine Le Pen n'a pas souhaité nous parler. « Je n'ai rien à vous dire », s'est contenté de répondre ce dernier. Jean-François Jalkh, vice-président du FN en charge des élections et secrétaire général de Jeanne, n'a pas retourné notre appel. L'intégralité de la réponse d'Axel Loustau, trésorier du micro-parti, est consultable sous l'onglet Prolonger, ici.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Scandale Uramin : omerta chez Areva

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Uramin. Le seul nom est explosif, radioactif. Il a à peine été prononcé qu’un silence pesant s’installe dans la conversation, que les téléphones brusquement raccrochent. Les plus aguerris tentent de donner le change quelques minutes, en demandant comment leur nom est apparu, comment il a été possible de retrouver leurs traces. Mais la discussion ne va jamais très loin : ils ne sont au courant de rien, ne se souviennent de rien. À les entendre, ces salariés d’Areva n’ont jamais été impliqués ni de près ni de loin dans le scandale de ce groupe minier, racheté 2,5 milliards de dollars en 2007. Ou s’ils l’ont été, c’est par hasard, par raccroc.

Ils sont nombreux, ces cadres d’Areva à vouloir enterrer le dossier Uramin au fond de leur mémoire, à chercher à se faire oublier. Mais il y a aussi les autres, qui aimeraient comprendre après coup ce qui a pu se passer dans leur groupe, qui racontent tout ce qu’ils ont pu voir ou savoir, parce que, comme dit l’un d’entre eux, « la lumière doit être faite sur ce dossier ». Sept ans après, le mystère, pour eux, reste entier. Comment Areva a-t-il pu perdre 3 milliards d’euros dans le rachat d’une société minière aux actifs inexploitables et dans des études complémentaires pour tenter de justifier cette acquisition calamiteuse ? 

En 2013, la Cour des comptes a commencé à examiner – bien tardivement – les comptes du groupe public. Un pré-rapport a déjà été rédigé dont Mediapart a donné de larges extraits (lire ici), en attendant le rapport définitif toujours pas publié. Au vu de ses premières découvertes, la Cour des comptes a fait un signalement auprès du procureur national financier sur le dossier Uramin. Depuis avril, le dossier a été confié au juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke et la brigade financière enquête. Des salariés, des témoins qui jusque-là n’avaient jamais été entendus, ont été auditionnés.

Les premiers constats qui ressortent de ces auditions sont détonants, selon nos informations : tous ceux qui avaient un intérêt de près ou de loin à suivre la gestion d’Areva savaient depuis très longtemps qu’Uramin était une société minière inexploitable. Avant même le rachat mais surtout après, des salariés du groupe ont d’abord sonné l’alerte en interne auprès des responsables du groupe. Ne constatant aucune réaction, ils sont allés plus loin, ont tiré toutes les sonnettes qu’ils pouvaient pour avertir du danger couru par Areva. Le ministère des finances, le CEA (premier actionnaire d’Areva), la DRCI, le Quai d’Orsay, ont été avertis, par des moyens plus ou moins directs, de l’inexistence de réserves minières exploitables dans les gisements rachetés. Des notes blanches ont été adressées à des responsables représentants de l’État afin de les informer de la réalité de la situation, dans l’espoir que l’information remonte jusqu’au sommet. Aucune de leurs interventions n’a eu de suite. Tous ont feint de ne pas savoir, se sont tus ou ont préféré ne pas savoir. Une omerta s’est installée sur le groupe et n’a toujours pas été levée.

Les premiers à avoir sonné l’alarme au sein du groupe ont été les géologues. Ils connaissent les gisements d’uranium du monde entier. Très vite, ils s’inquiètent quand ils entendent parler d’un éventuel rachat d’Uramin. « Le monde de l’uranium est tout petit. C’était une junior minière que nous connaissions bien. Nous sortions de l’échec du rachat d’Olympic Dam (une société minière australienne de cuivre et d’uranium rachetée par le géant BHP Billiton en 2005 – ndlr). Nous regardions alors toutes les sociétés minières susceptibles d’être rachetées », raconte Anatole, un des géologues du groupe. (Le prénom a été anonymisé. Voir Boîte noire.)

La production d'Uramin en 2011 et 2012 provient des usines pilotes de Trekkopje abandonnées depuisLa production d'Uramin en 2011 et 2012 provient des usines pilotes de Trekkopje abandonnées depuis © dr

À l’époque, Areva a décidé de pousser les feux sur son activité minière, la plus rentable du groupe. Un plan dit Turbo a été élaboré en 2005 dans ce cadre. Son but : repérer toutes les sociétés minières qu’Areva pourrait racheter afin d’élargir son portefeuille de production et de diminuer la dépendance du groupe par rapport au Niger. Dans la liste des cibles potentielles, figurent notamment trois noms : Uranium One, Paladin et Uramin. Les deux premières sociétés ont déjà commencé à exploiter des mines d’uranium. Uramin, elle, qui s’est constituée en 2005, n’a que des droits miniers et aucune exploitation. Mais c’est elle qu’Areva privilégiera.

Si les géologues d’Areva s’alarment de la possibilité du rachat de la junior canadienne, c’est qu’ils connaissent sur le bout des doigts les gisements que celle-ci a en portefeuille. Ceux-ci ont été répertoriés et analysés par le CEA et Minatom, une ancienne filiale de Total, dans les années 1960. Tous leurs travaux et leurs archives ont été transférés par la suite à la Cogema puis chez Areva. « La Cogema avait travaillé notamment sur le site de Bakouma en Centrafrique », se rappelle Aurélien, un ancien salarié de BU (pour Business Unit) Mines.

© DR

Une importante somme – La Mine et les mineurs de l’uranium français, dont le dernier tome a été préfacé par Anne Lauvergeon –, réalisée par un ancien géologue du groupe, Antoine Paucard, raconte cette recherche éperdue du minerai radioactif depuis 1946. Dans le tome 3, publié en 1996, il reprend l’histoire du gisement de Bakouma, commencée en 1958. Le chapitre s’intitule « Aventure et échec à Bakouma » ! Il raconte l’enthousiasme du début, lors de la découverte du gisement, puis les déconvenues multiples par la suite. Le CEA, PUK (Pechiney Ugine Kuhlmann) puis le groupe Alusuisse – associés aux recherches car l’exploitation de la mine aurait dégagé du fluor et du chlore en sous-produits de l’uranium – s’y sont tous cassé les dents.

Car la mine n’est pas seulement difficile à exploiter en raison des difficultés du terrain (une large partie du gisement est sous l’eau, dans des marais), de son éloignement géographique (à plus de 800 kilomètres du premier port), de l’absence d’infrastructures, elle l'est aussi pour des raisons géologiques jusqu’à présent insurmontables. Le minerai d’uranium est en effet entouré d’un réseau cristallin, l’apatite. « Les techniques minières que nous avons à disposition ne permettent pas d’extraire le minerai à un coût acceptable. Ni le broyage ni les méthodes chimiques de dissolution ne parviennent à venir à bout de cette roche dure », explique Anatole.

Leurs connaissances sont toutes aussi assurées sur le site namibien de Trekkopje, présenté par Areva, au moment du rachat d’Uramin, comme le gisement le plus prometteur. Le site avait été exploré dans les années 1960 par Minatom. Là encore, les géologues avaient conclu qu’il était inexploitable. Les couches étaient très disparates et très minces. Surtout, la teneur en minerai était des plus faibles : de l’ordre de 120 ppm (parties par million) d’uranium. « Par comparaison, les minerais que nous classons stériles dans le Limousin sont des trésors. Ils ont des teneurs supérieures à 200 ppm d’uranium », poursuit Anatole. 

La faible teneur des gisements de Trekkopje, de toute façon, n’est un secret pour personne dans le monde minier à l’époque du rachat d’Uramin. La société minière, qui exploite un gisement voisin un peu plus riche, connaît alors de graves difficultés et sera presque acculée à la faillite avant de recentrer son exploitation sur la partie où le minerai est le plus concentré, mais sans grand espoir de rentabiliser la totalité de ses investissements. Même Uramin ne cache pas les difficultés d’exploitation de ce gisement, compte tenu de sa faible teneur en minerai. Dans un document de présentation daté du 26 février 2007, la société minière publie une coupe géologique de Trekkopje. Sur un gisement de 14 kilomètres, seule une petite partie, entourée en pointillés rouges sur la photo, est considérée comme exploitable.

© Uramin

Quant au dernier site, Ryst Kuil en Afrique du Sud, présent dans le portefeuille d’Uramin, il n’est pas connu des géologues de la maison. Ce qui constitue déjà un indice : les grands gisements d’uranium dans le monde sont pratiquement tous répertoriés et connus des géologues du monde entier.

La société canadienne avait d’autres droits, sur le site de Saraya au Sénégal, qui n’ont jamais été mentionnés. Ce gisement est également bien connu du CEA et des géologues d’Areva. Il a lui aussi été prospecté par la Cogema dans les années 1970. Les campagnes de prospection avaient toutes abouti aux mêmes conclusions : gisement inexploitable compte tenu de la faible teneur en minerai et des discontinuités géologiques.

Par la suite, la direction d’Areva a invoqué les détails contraints et les obligations de secret liés à l’opération boursière pour justifier les déboires d’Uramin. Le groupe n’aurait pas pu avoir les informations nécessaires à temps. Dans les faits, l’inintérêt de ces mines est parfaitement connu et documenté chez Areva au moment du rachat d’Uramin. Il suffisait de vouloir chercher pour trouver. Mais les responsables de ce rachat voulaient-ils vraiment savoir ?

Lors des discussions de rachat, aucun des responsables n’a éprouvé le besoin de consulter les archives du groupe, selon nos informations. Aucun ne poussera la porte des géologues de la maison pour leur demander leur avis. Une équipe interne a bien été constituée pour faire des « due diligence » sur les gisements d’Uramin entre mars et mai 2007, juste avant le rachat. Quelques géologues faisant partie de cette équipe avaient émis certaines réserves. Mais celles-ci n’ont, semble-t-il, jamais été communiquées aux actionnaires ni aux membres du conseil de surveillance. Areva avait, à cette époque, préféré s’en remettre aux expertises minières, très optimistes, réalisées par le vendeur.

De nombreux observateurs se sont interrogés sur le fait qu’Areva, pourtant référence mondiale en matière d’uranium, n’ait mené aucun travail interne et se soit appuyé sans retenue sur les documents fournis par le cabinet SRK, payé par les vendeurs. Interrogés dans le cadre de la commission d’information parlementaire menée en 2012, les responsables d’Areva invoqueront le manque de temps lié à l’OPA pour mener une contre-expertise indépendante. Bruno Bezard, directeur de l’Agence des participations de l’État (APE) à l’époque du rachat d’Uramin et membre du conseil de surveillance d’Areva, avait aussi volé à leur secours. « L’ancien directeur général de l’APE observe qu’un tel lien ne pose pas de problème a priori : il est en effet d’usage que l’entreprise vendeuse supporte elle-même les coûts d’expertise. Il observe en outre que la société SRK effectue des travaux dont la valeur est reconnue par les marchés financiers, et semble continuer à être une référence en la matière. Enfin, UraMin étant une société cotée, les informations contenues dans le rapport devaient se conformer à la norme comptable IFRS 6 ainsi qu’aux fortes exigences du code de la Bourse de Toronto », note le rapport de la commission parlementaire.

Les « grandes références de SRK » et les « fortes exigences du code de la Bourse de Toronto » ont été de parfaites protections, comme on le constate aujourd’hui : tout était faux, archi-faux à la fois dans les teneurs, les qualités, les conditions d’exploitation établies par le cabinet d’expertise. « C’est normal, c’est un cabinet anglo-saxon. Il écrit ce que lui demande le client et se fait payer pour cela », explique Arthur, autre salarié d’Areva. Curieusement, alors que les erreurs de SRK sont désormais constatées, aucune plainte n’a été déposée contre ce cabinet pour informations trompeuses par la direction d’Areva, ou par son conseil de surveillance ou ses principaux actionnaires, le CEA et l’État.

Anne LauvergeonAnne Lauvergeon © Reuters

Les réserves émises par l’équipe chargée de faire les premières expertises au moment de la négociation n’ayant pas été entendues, d’autres salariés sont montés au créneau. Selon nos informations, pas moins de six personnes ont averti soit leurs responsables hiérarchiques, soit la direction, soit les personnes susceptibles d’avoir l’oreille de la présidente. Les messages ont-ils été transmis à Anne Lauvergeon ? Mystère. Mais au moins trois personnes proches d’elle ont été alertées, selon  nos informations : Sébastien de Montessus, directeur de la branche minière (BU Mines), Gérard Arbola, très discret membre du directoire, et l’amiral Thierry d’Arbonneau, responsable de la sécurité du groupe.

Fâché avec Anne Lauvergeon depuis 2010 – celle-ci l’accuse de l’avoir fait espionner – après avoir été très proche de l’ancienne présidente d’Areva – ce qui lui a permis d’avoir une carrière éclair dans le groupe –, Sébastien de Montessus explique aujourd’hui qu’il n’a pas été associé au rachat d’Uramin, qu’il a seulement géré l’intégration de la société par la suite. De fait, Sébastien de Montessus n'a pris ses fonctions de directeur de la branche minière qu’à partir du 1er juillet 2007, date à laquelle l’OPA boursière avait été lancée. Cette version des faits, cependant, ne convainc pas des salariés du groupe nucléaire. « Comment peut-il dire qu’il ne connaissait pas le dossier Uramin ? À l’époque des faits, il était sous-directeur de la direction de la stratégie. À ce titre, il était au courant de toutes les acquisitions projetées par le groupe. C’était même sa fonction. De plus, il est arrivé à la BU Mines bien avant de prendre officiellement ses fonctions, afin de se familiariser avec ses nouvelles fonctions », se rappelle Aurélien, qui travaillait à l’époque dans cette branche.

Sébastien de MontessusSébastien de Montessus © Reuters

Même s’il n’a pas été associé au rachat de la société minière canadienne, il a reçu des alertes par la suite. « Tout de suite après l’achat d’Uramin, j’ai averti Sébastien de Montessus. Je lui ai remis une note pour lui dire que les gisements achetés étaient inexploitables. Je lui ai dit que nous avions acheté du vent. Il n’a rien dit. Il n’a rien fait. Ou plutôt si, j’ai été mis au placard », raconte Anatole. Contacté à plusieurs reprises pour avoir sa version des faits, son avocat, Me Patrick Maisonneuve, n’a pas retourné nos appels.

D’autres alertes suivront de plus en plus pressantes, d’abord à l’intérieur du groupe, puis à l’extérieur. Selon nos informations, des salariés ont multiplié les mises en garde auprès de tous ceux qui pouvaient avoir une influence ou faire passer des messages auprès des responsables de l’État. La DCRI a été informée par plusieurs interlocuteurs de la mauvaise affaire du rachat d’Uramin. La direction des affaires stratégiques a été mise en garde quant au caractère explosif de cette opération et en a informé l’APE. Le Quai d’Orsay,  par l’intermédiaire de plusieurs ambassadeurs, a été informé de l’inexistence des gisements miniers rachetés par Areva. Pour finir, des responsables du CEA, principal actionnaire du groupe nucléaire, ont été destinataires de notes précises sur Uramin. Les messages ont-ils été transmis ? En tout cas, rien n’a bougé.

La direction d’Areva, elle, continue pendant ce temps d’envoyer des messages euphoriques. Dans une présentation faite aux responsables de la branche minière, Sébastien de Montessus vante le formidable succès de l’OPA sur Uramin. « Des actifs majeurs », « une production de plus de 7 000 tonnes d’uranium par an attendue à partir de ces gisements à partir de 2012 », explique la présentation. 

Les premiers travaux de prospection sont lancés. Sans attendre, des équipements miniers sont achetés à grands frais pour le site de Trekkopje. Une usine de dessalement d’un coût de 250 millions de dollars y est lancée. Un pilote pour exploiter le minerai est construit. Mais les résultats sont décevants. Comme ils sont décevants en Centrafrique, au Sénégal, en Afrique du Sud. Sur ces gisements aussi, des campagnes de prospection sont menées, des équipements achetés, alors que les résultats sont prévisibles. Au total, près d’un milliard d’euros supplémentaires a été dépensé en pure perte dans les années suivantes, dans l’espoir de prouver que les 2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) dépensés lors de l’acquisition d’Uramin étaient justifiés.

Dès la fin 2009, le groupe abandonne les gisements du Sénégal et d’Afrique du Sud, les jugeant inexploitables. Pourtant, il n’en souffle mot. Rien n’apparaît dans les comptes. Mais cela n’a pas posé, semble-t-il, le moindre problème aux commissaires aux comptes, dont la mission, pourtant, est de s’assurer des comptes véridiques et sincères.

Ce n’est qu’en février 2011 que le groupe commence à reconnaître du bout des lèvres qu’Uramin ne tient peut-être pas toutes ses promesses. Dans les comptes de 2010, apparaît une provision de 426 millions de dollars sur les actifs d’Uramin. Elle aurait été imposée par René Ricol, nommé par Nicolas Sarkozy au conseil de surveillance pour faire la clarté sur les comptes. Il démissionnera de son poste en avril 2011. « Il estime sa mission terminée. Si cette mission était la clarification des comptes du groupe, cette affirmation paraît hasardeuse : le provisionnement massif d’Uramin va être décidé huit mois plus tard », a insisté le pré-rapport de la Cour des comptes. Et encore, les seuls actifs liés à Uramin ont été dépréciés. Le groupe a passé sous silence les dépenses d’exploration et les achats qui ont été réalisés par la suite.

La catastrophe d’Uramin devenant chaque jour plus manifeste, les rumeurs sur le scandale toujours plus fortes, le directoire et le conseil de surveillance ont commencé à se diviser, se disputer. Chacun a tenté de se protéger. Des enquêtes internes ont commencé à être réalisées sur les uns et les autres. Des audits ont été commandés pour faire la lumière sur cette opération. En même temps que la mission Ricol, le conseil de surveillance, alors présidé par Jean-Cyril Spinetta, a demandé une mission d’expertise d’interne – le rapport Boissard, dont nous avons publié de larges extraits ici – pour faire l’examen de ce qui s’était passé. Le scandale menaçant de devenir public, un rapport parlementaire d’information a aussi été rédigé début 2012, sous la haute surveillance de Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Aucune de ces missions n’a vraiment trouvé grand-chose à redire à l’époque, si ce n’est une concentration excessive des pouvoirs aux mains d’Anne Lauvergeon, et des défauts de gouvernance.

Aujourd’hui, ces rapports, ces missions révèlent leur véritable objet : des tentatives des responsables pour se dédouaner et éviter toute responsabilité ; des écrans de fumée pour tenter de masquer le plus longtemps possible le scandale Uramin, pour essayer de le gérer dans le temps. 

À l’intérieur du groupe, certains qui avaient émis des réserves ou des critiques sur ce rachat ont été placardisés. Beaucoup sont partis. Par la suite, alors que le scandale devenait plus évident, de nombreuses personnes qui ont eu à traiter de près ou de loin le dossier ont été éloignées du siège. Certains se sont vu offrir des préretraites ou des départs négociés avec un solide chèque et une clause très stricte de confidentialité à la clé. D’autres ont été envoyés à l’étranger, au Kazakhstan notamment. 

Après sa démission du directoire en mars 2012, Sébastien de Montessus a pris la direction de La Mancha, une filiale d’Areva spécialisée dans les mines d’or. Il y a accueilli quelques anciens cadres d’Areva. Alors que la brigade financière s’apprêtait à mener des perquisitions au siège de cette filiale en juin, un d'entre eux a été précipitamment exfiltré hors de France, vers la Chine. Très loin des éventuelles curiosités de la justice.

 Deuxième volet de la série : cache-cache avec Bercy

BOITE NOIREDes salariés et d'anciens salariés d'Areva ont accepté de témoigner sur la période du rachat d'Uramin et la suite, qui les a profondément marqués. Pour d'évidentes raisons de sécurité – le dossier fait peur à de nombreuses personnes – tous leurs témoignages ont été anonymisés. Je les remercie ici du courage dont ils font preuve et pour le temps qu'ils ont bien voulu m'accorder.

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Palestine : la reconnaissance et après ?

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Mardi 2 décembre, l'Assemblée nationale a adopté, par 339 voix contre 151, la proposition de résolution du groupe socialiste demandant au gouvernement français de reconnaître l’État palestinien. Ce vote ne lie toutefois pas le gouvernement et n'a pas de valeur contraignante. Le texte voté par les députés rejoint une démarche plus générale, qui pourrait donner lieu à un vote au Parlement européen en décembre. Le texte affirme ainsi que « la solution des deux États, promue avec constance par la France et l'Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d'Israël ». Il prend acte de « l'échec des tentatives de relance du processus de paix » depuis 1991 entre Israéliens et Palestiniens, et relève « la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens ». Le texte affirme également « l'urgente nécessité d'aboutir à un règlement définitif du conflit » avec l'établissement d'un État palestinien aux côtés d'Israël, « sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États ».

Pour le député PS Pouria Amarshi, il s’agit là d’« un vote intelligent et courageux, en faveur de la paix, de la justice et de la dignité, écrit-il dans un communiqué. Il représente un engagement politique, nécessaire, en faveur de la paix, que le gouvernement serait bien avisé de poursuivre en reconnaissant à son tour officiellement l’État de Palestine. Cette reconnaissance permettrait aussi de plaider plus fortement pour la fin des occupations illégales et le démantèlement des colonies. Il permet aussi d'être exigeant contre la violence et la corruption qui gangrènent une partie de la vie politique palestinienne ».

Le gouvernement s’apprête-t-il donc à reconnaître l’État palestinien ? Contrairement à ce qui s’est fait en Suède et en Islande, aucun signe n’est venu dans ce sens, et le gouvernement estime qu'il est encore trop tôt. La France souhaite porter désormais une initiative devant l’ONU. Lors de l'examen de la proposition de résolution socialiste sur la reconnaissance de l'État de Palestine, vendredi 28 novembre à l'Assemblée nationale, Laurent Fabius avait tracé les grandes lignes du projet du gouvernement, et affirmé que la France voulait proposer l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour aboutir à un règlement définitif du conflit israélo-palestinien dans un délai de deux ans. « La France est l'amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien (…). Personne ne peut nier que l'espoir de paix au Proche-Orient soit plus que jamais menacé. Nous partageons tous devant ce conflit un sentiment d'urgence », a déclaré Laurent Fabius. « Constatant le blocage actuel », le ministre a jugé « indispensable de sortir d'un face-à-face solitaire entre Israéliens et Palestiniens, méthode qui a fait la preuve de son peu d'efficacité ». Le ministre français des affaires étrangères a également annoncé qu’une « conférence internationale, dont la France est disposée à prendre l'initiative, pourrait être organisée afin d'appuyer cette dynamique indispensable ». Laurent Fabius a annoncé enfin que « si cette ultime tentative de solution négociée n'aboutit pas, alors, il faudra que la France prenne ses responsabilités en reconnaissant sans délai l'État de Palestine. Nous y sommes prêts ».

Côté palestinien, on ne sait trop comment comprendre les annonces françaises. « Tous les responsables palestiniens se félicitent du vote de cette résolution du parlement français, affirme Hassan Balawi, membre de la Mission de Palestine auprès de l'Union européenne, et responsable des relations bilatérales avec la Belgique et le Luxembourg, qui n'ont pas encore reconnu l’État palestinien. Au niveau de l’ONU, la France veut miser jusqu’à la dernière minute sur une solution de négociation israélo-palestinienne, avant de reconnaître l’État en cas d’échec de ces négociations. Mais jusqu’à quand cette logique tiendra-t-elle debout ? Ne faut-il pas renverser la question, et se dire que le fait qu’il y ait un État de Palestine pourrait faciliter les négociations ? Les Palestiniens veulent des négociations, nous sommes persuadés que l’issue de nos problèmes ne viendra que de là. Pourquoi n’aurions-nous pas un cycle de négociations entre l’État de Palestine et l’État d’Israël, pour voir comment concrètement, dans l’espace de deux ans comme la France l’a énoncé, effectuer le retrait des forces d’occupation israéliennes dans l’ensemble des territoires palestiniens occupés, pour revenir, comme le dit la France, aux frontières de 1967 ? »

La Palestine est aujourd’hui reconnue par 135 États. Pour le chercheur Jean-François Legrain (CNRS), les hésitations françaises sont le signe d’une absence de projet clair pour la résolution du conflit. « La diplomatie française, en réalité, patauge dans les contradictions, regrette le chercheur. En 2011, la France a voté en faveur de l'adhésion de l’État de Palestine à l'Unesco en tant que membre à part entière, de même qu'elle a soutenu son adhésion à l'ONU en tant qu'État observateur non membre un an plus tard, affichant ainsi sa différence par rapport à nombre de ses pairs. On est en droit d'en déduire que l'exécutif considère que la Palestine, dans son état actuel, répond à la définition canonique de l’État, apte à ce titre à appartenir à ces instances internationales et à agir en leur sein. La conséquence logique aurait dû être dans la foulée la reconnaissance de cet État au niveau bilatéral. Cette reconnaissance, d'ailleurs, n'aurait quasiment rien changé à la réalité ou à la forme des échanges déjà anciens avec la direction palestinienne. »

Pour Jean-François Legrain, la démarche française s'inscrit donc dans une entreprise plus globale, à savoir « l'entretien de l'illusion d'un "processus de paix" dont le mécanisme, qui a été mis en place sous égide américaine à Oslo en 1993, a montré depuis bien longtemps son incapacité à mener à la solution de la question israélo-palestinienne. Ce faisant, la mise en œuvre du droit à l'autodétermination des Palestiniens est sans cesse retardée tandis que la colonisation des territoires occupés en 1967 se poursuit et s'intensifie dans le plus grand mépris des condamnations verbales, et que la coopération technique, scientifique, économique et sécuritaire avec Israël se développe ».

Hassan Balawi partage le même scepticisme sur l’initiative de la France, mais n’invalide pas pour autant la démarche de Paris devant l’ONU : « On sent que les Français ont envie de prendre une initiative, en raison notamment de facteurs internes, car la question palestinienne est aussi importante en France, affirme-t-il. L’initiative française est symbolique. Mais la reconnaissance de l’État serait une bonne chose pour nous, car elle dit à Israël : "La Palestine est là, vous, vous êtes là, et maintenant, négociez, sous l’égide des Nations unies." Il n’y a pas d’autre démarche possible que celle-ci. »

Le chercheur Jean-François Legrain craint au contraire que la reconnaissance de l’État de Palestine ne soit « que l'expression d'une nouvelle pusillanimité en quête de bonne conscience. Elle fera croire surtout que "l’État" de Palestine d'aujourd'hui, dépourvu de toute souveraineté et oublieux du droit des réfugiés, constitue l'État de Palestine attendu. Une véritable prise en compte des droits nationaux palestiniens aurait nécessité d'adopter les moyens seuls à même de redresser l'asymétrie qui régit depuis des lustres les rapports entre les deux parties israélienne et palestinienne. Cela n'a jamais été le cas et il est sans doute aujourd'hui trop tard, en tout cas dans le cadre d'une approche en termes de deux États. Alors pourquoi reconnaître un État tout en sachant qu'il n'obtiendra jamais sa souveraineté ? À Jérusalem et en Cisjordanie, disséminés parmi les Palestiniens, les colons constituent près de 10 % de la population juive israélienne. Qui peut imaginer les voir se retirer pour laisser place à un État palestinien viable ? Dans ce contexte, la reconnaissance de l’État de Palestine a tout l'air du linceul destiné à recouvrir pudiquement un droit à l’autodétermination enterré depuis bien longtemps mais dont on se refuse encore de proclamer la mort clinique par étouffement. »

Et du côté d'Israël, qu’en pense-t-on ? Benyamin Nétanyahou avait affirmé, dimanche 23 novembre, que « la reconnaissance d'un État palestinien par la France serait une grave erreur ». Mais cette semaine, en plein débat sur les élections législatives anticipées (lire notre article à ce propos), qui se tiendront finalement le 17 mars prochain, les Israéliens ne regardent ces débats français que de loin. Depuis l’échec du sommet de Camp David en 2000, le conflit ne fait plus recette en période électorale.

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L'éducation prioritaire contre la priorité à l'éducation

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S’il y a bien des gâteaux et quelques victuailles sur la table, l’ambiance dans la salle des professeurs du collège Paul-Éluard de Montreuil (Seine-Saint-Denis) n’est pourtant pas à la fête ce soir de décembre. Après plus de dix jours de lutte pour que leur établissement soit maintenu dans l’éducation prioritaire, les visages sont fatigués mais la détermination est intacte. Les enseignants, après avoir alterné journée de grève et blocage par les parents, ont désormais décidé d’occuper jour et nuit le collège.

Comme un certain nombre d’établissements en France, Paul-Éluard est à l’arrêt depuis que les équipes ont appris que leur collège ne ferait plus partie de l’éducation prioritaire l’an prochain. « On ressent ça comme du mépris pour tout le travail que l’on a fait ici depuis des années. Tous les ans on voit nos moyens se réduire, et on se bat pour faire malgré tout quelque chose de bien », soupire Amandine Cormier, professeur de maths depuis sept ans dans le collège. Dans ce département grignoté par la crise sociale où certains établissements sont devenus de véritables ghettos éducatifs, le rectorat leur explique qu’ils sont loin d’être les plus mal lotis. « Ils veulent nous faire admettre qu’on est des privilégiés. Bien sûr qu’il y a pire ailleurs, mais nous on a juste le minimum pour pouvoir travailler », assure Vincent Gay, documentaliste au collège.

La réforme de l’éducation prioritaire annoncée par Vincent Peillon l’an dernier, peu avant son départ du ministère, et qui sera mise en œuvre l’an prochain, consiste à concentrer les moyens sur les établissements les plus en difficulté. Depuis le lancement des ZEP (zones d’éducation prioritaire) en 1982 par Alain Savary, le nombre d’établissements en zone d’éducation prioritaire n’a cessé de s’étendre – 20 % des élèves y sont actuellement scolarisés – avec pour conséquence une dilution des moyens, dès lors jugés inefficaces. Dans les établissements élus, 350 REP+, les plus difficiles, les enseignants bénéficieront de décharges horaires et de temps de concertation et de formation spécifiques. Ils verront également leurs primes doubler. Pour les autres, les REP classiques, on trouve le maintien de classes à effectifs limités mais aussi une priorité mise dans l’accès aux moyens pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans ou le dispositif « plus de maîtres que de classes » dans les écoles du réseau, et une revalorisation des primes de 50 %. Un investissement de 350 millions supplémentaires est annoncé.

Dans ce cadre, le ministère avait aussi annoncé que la carte de l’éducation prioritaire, jamais revue depuis trente ans, serait remise à plat. Pour cibler les établissements les plus en difficulté, le ministère a défini quatre critères : le taux de boursiers, le taux d’élèves issus de catégories sociales défavorisées, le taux d’élèves habitant en zones urbaines sensibles et le taux d’élèves en retard à l’entrée en sixième. Sauf qu’en fixant comme principe le maintien du nombre d’établissements labellisés pour éviter une dilution des moyens, il faut faire des choix. Pour les établissements exclus, l’effet de sanction est incompréhensible.

Enseignants réunis au collège Paul-Eluard de MontreuilEnseignants réunis au collège Paul-Eluard de Montreuil © LD

Mardi soir, dans le hall comble du collège Paul-Éluard où se tenait une assemblée générale rassemblant près de deux cents parents, un représentant de la FCPE ironisait : « Comme vous le voyez, il y a ici beaucoup de manteaux de fourrure ! » en montrant du doigt une foule bigarrée de parents. Venue passer la nuit aux côtés des enseignants, Isabelle Hazaël, mère de deux enfants dans l’établissement, renchérit : « Le quartier est très mélangé. Il y avait de l’évitement scolaire mais, au fur et à mesure, quelque chose de solide s’est construit ici. On a confiance, ce qui permet de maintenir une véritable mixité dans l’établissement. » Comme beaucoup, elle craint que la sortie de Paul-Éluard de l’éducation prioritaire ne fasse exploser le nombre d’élèves par classe, aujourd’hui limité à 23. « C’est un équilibre fragile. Si les conditions d’accueil se dégradent, les parents plus aisés mettront leurs enfants ailleurs, dans le privé notamment. »

Côté enseignants, on liste aussi tout ce qui risque de disparaître avec ce « déclassement » : le soutien aux élèves de 4e, un atelier grammaire pour les élèves de 6e. Des projets pédagogiques comme le « rallye des maths », du grec et du latin. Sans même parler de leur prime – si modique (90 euros par mois) qu’elle n’a jamais été un argument pour travailler en éducation prioritaire –, c’est bien l’ensemble de leurs conditions de travail, déjà difficiles, qui pourraient se dégrader un peu plus. « Aujourd’hui on a deux CPE. Là, on n’en aura plus qu’une. On aura aussi moins de surveillants et sans doute plus d’assistantes sociales », souligne une enseignante. L’écart entre les annonces ministérielles d’un plan ambitieux pour l’éducation prioritaire et ce qu’ils constatent pour eux les rend très amers. « Et en plus, il faut qu’on se paie le discours : regardez tout ce qu’on fait en Seine-Saint-Denis ! Tout ce qu’on fait pour l’éducation prioritaire ! », lance Vincent Gay pour qui « il n’y a pas de véritable priorité à l’éducation ». 

Au collège Gérard-Philipe d’Aulnay-sous-Bois, lui aussi exclu du réseau, l’équipe enseignante a tout autant le sentiment de payer pour ses bons résultats, pourtant obtenus de haute lutte. « Au rectorat, on met en avant nos 98 % de réussite au brevet, taux le plus élevé de Seine-Saint-Denis, mais cela ne s’est pas fait tout seul », affirme Aurélien Huguenin, professeur de français qui détaille lui aussi la somme de projets mis en place grâce aux moyens de l’éducation prioritaire : l’option théâtre, des projets sportifs, du soutien scolaire… Il redoute aussi que la baisse de moyens accordés au collège ne mette à mal des initiatives telles que la concertation hebdomadaire entre la CPE, la conseillère d’orientation, l’infirmière et l’assistante sociale pour évoquer la situation des élèves les plus en difficulté. « C’est extrêmement précieux et aujourd’hui il est très douloureux de voir que tout cela est menacé. »

Happening au collège Courbet de RomainvilleHappening au collège Courbet de Romainville © LD

Au ministère, on assure que les sorties de l’éducation prioritaire seront « accompagnées ». Si le détail de ces mesures sera dévoilé mi-décembre par Najat Vallaud-Belkacem, ce qui se profile selon nos informations est une réforme de l’allocation des moyens, avec un lissage des moyens accordés aux établissements en fonction d’indicateurs sociaux afin d’éviter les effets de seuil. Ainsi, assure-t-on, les collèges accueillant un public en difficulté sans être forcément labellisés éducation prioritaire pourraient ne pas trop perdre de moyens. « On nous a parlé de "convention de sortie de REP" mais c’est le flou total. Nous n’avons pour l’instant aucune garantie. Certains nous disent que nos moyens seront maintenus pendant trois ans, d’accord mais après ? » s’alarme Catherine, enseignante au collège Courbet de Romainville, lui aussi sorti du réseau et où les actions coups de poing se sont multipliées depuis dix jours.

Alors qu’un enseignant rappelle tout ce que le classement en éducation prioritaire a permis de développer au collège Paul-Éluard, au cours d’une des nombreuses AG, une mère d’élève l’interrompt : « En fait, ce que vous décrivez, c’est ce qui devrait se faire dans tous les établissements, non ? »

Dans une école à bout de souffle, comment définir les priorités ?  

« C’est effectivement toute la question », reconnaît Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires. Pour lui, l’école « ordinaire » devrait pouvoir s’emparer des pratiques qui ont fait leurs preuves en éducation prioritaire : « Le travail en équipe, la co-intervention, un meilleur lien entre l’école et le collège, mais il faut aussi faire attention : quand tout est prioritaire, plus rien ne l’est. Nous estimons que les moyens de l’éducation prioritaire doivent être réservés aux territoires de relégation sociale où il n’y a plus de possibilité de faire une école "ordinaire". Mais acter que, parce qu’un établissement reçoit un public populaire, il devrait être classé en éducation prioritaire, est profondément dangereux. Cela signifie que l’école "ordinaire" n’est pas faite pour recevoir ces publics. »  Devant la faillite générale du système éducatif, il reconnaît que la seule manière d’obtenir des moyens est de se faire admettre en éducation prioritaire, « mais c’est plutôt l’ensemble du système éducatif, qui ne fonctionne aujourd’hui que pour une petite élite, qu’il faut revoir ». Une réforme ambitieuse, qui nécessiterait évidemment beaucoup de moyens qui ne sont aujourd’hui pas d’actualité : « S’il est peu probable que les gouvernements qui vont suivre augmentent très nettement le budget de l’éducation nationale, il faudra faire des choix et remettre en question, par exemple, le très coûteux système de classes prépa ou la multitude d’options en lycée », estime Marc Douaire. Pas sûr que Najat Vallaud-Belkacem ait à cœur d’ouvrir de tels dossiers, politiquement explosifs, et sur lesquels son prédécesseur Vincent Peillon s’est déjà cassé les dents.

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Valérie Rabault : «Je regrette la surenchère des patrons»

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Elle est au cœur de la machine parlementaire. Rapporteure générale du budget à l’Assemblée, Valérie Rabault travaille en liaison constante avec le gouvernement pour faire voter les lois de finances et les lois de finances rectificatives, comme celle qui est actuellement discutée au Parlement (lire le portrait que nous lui avions consacré lors de sa nomination, au printemps). Pour autant, elle n’entend pas sacrifier une certaine liberté de ton vis-à-vis de l’exécutif. Dans le discours de cette ancienne banquière, percent à la fois le souci de soutenir les entreprises dans l’espoir que la croissance redémarre, et une assez grande vigilance à ne pas laisser le patronat dicter la conduite économique de la France. Une position d’équilibriste ? Elle s’estime plutôt « au centre » du parti socialiste, à équidistance des « frondeurs » et des partisans de Manuel Valls.

Pour autant, comment interpréter les mots du ministre de l’économie Emmanuel Macron lorsqu’il qualifie « d’échec » le pacte de responsabilité, sur lequel repose pourtant toute la politique économique de François Hollande ? Comme le ministre, Valérie Rabault reconnaît que s'« il y a des choses qui fonctionnent », « d’autres ne se sont pas encore mises en place ». Elle plaide en faveur de l’action du gouvernement, qui consacre 41 milliards d’euros au soutien des entreprises. « Jamais un effort d’une telle ampleur n’a été réalisé dans notre pays. Et ce sont les Français qui le financent », rappelle-t-elle.

Elle sait de quoi elle parle, elle qui avait utilisé au printemps son pouvoir d’investigation auprès de Bercy pour établir que le plan de financement du pacte devrait détruire 250 000 emplois, c’est-à-dire plus qu’il ne devrait en créer ! Elle avertit donc les dirigeants d’entreprise : « La nation entière fait un très gros effort, et il faudrait que le monde patronal l’entende. Il faut que les entreprises jouent le jeu. »

La députée occupe un poste très envié, mais elle ne se fait pas d’illusion par rapport à sa latitude d’action vis-à-vis du gouvernement. Son prédécesseur, Christian Eckert, qui entretenait lui aussi une parole libre, notamment dans Objections, n’est-il pas rentré dans le rang lorsqu’il est devenu secrétaire d’État au budget ? « Si vous me demandez si j’ai une grande marge de manœuvre, la réponse est non », reconnaît-elle.

C’est la raison pour laquelle elle « milite » pour que le congrès du PS en 2015 soit l’occasion d’un vote, pour trancher une fois pour toutes quant aux positions du parti « sur ces questions fondamentales mais qui n’étaient pas dans le programme en 2012 ». Elle refuse le « chèque en blanc » accordé aux entreprises.

Reste la question européenne… L’ancien ministre de l’économie Pierre Moscovici est désormais commissaire européen en charge de l’application des règles d’orthodoxie budgétaire… qu’il a lui-même contournées en France ! « C’est vrai, le grand public peut avoir l’impression qu’on s’y perd un peu », admet-elle. Quant au rôle ambigu de Jean-Claude Juncker, patron de la commission européenne censée régler la question de l’évasion fiscale des entreprises alors qu’il a dirigé pendant 18 ans le Luxembourg, leur principal allié européen, Valérie Rabault concède un regard un brin « utopiste » : « Il connaît bien le système, donc il peut nous dire comment on dévisse les boulons. » Il ne reste qu’à espérer.

BOITE NOIRECette émission a été enregistrée le mercredi 3 décembre dans la matinée. L'article de loi concernant l'exonération fiscale de l'UEFA et des autres organisateurs d'événements sportifs internationaux a été voté quelques heures plus tard, dans la nuit du 3 au 4 décembre.

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Violences antisémites : ce que disent les chiffres

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L’agression contre un jeune couple juif, lundi 1er décembre à Créteil, dont « le caractère antisémite semble avéré » selon le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, survient dans un contexte chargé : au cours des six premiers mois de 2014, le nombre d’incidents antisémites recensés en France par le ministère de l’intérieur s’est élevé à 327, alors qu’on en avait compté 423 pour toute l’année 2013. Un pic a été observé en janvier, après l’interdiction des spectacles de Dieudonné et la manifestation Jour de colère, avec 85 actions et menaces à caractère antisémite, plus que pour l’année 1999 tout entière. Depuis le début des années 2000, le nombre d’incidents antisémites enregistrés chaque année est 6 à 10 fois supérieur à ce qu’il était pendant la décennie 1990.

Heurts à Sarcelles le 20 juillet 2014, au cours desquels une synagogue et une épicerie casher ont été attaquéesHeurts à Sarcelles le 20 juillet 2014, au cours desquels une synagogue et une épicerie casher ont été attaquées © Reuters/Benoît Tessier

Ces statistiques mettent-elles en évidence une vague d’antisémitisme à l’échelle du pays ? Ou montrent-elles une dérive limitée, si préoccupante soit-elle ? Que représentent-elles exactement ? Comment sont-elles établies ? Au-delà des perceptions subjectives, qui varient selon les sensibilités, peut-on mesurer objectivement le phénomène antisémite ?

Deux outils principaux permettent d’effectuer cette mesure : le premier est le comptage des faits qui peuvent être qualifiés d’antisémites, à partir des plaintes et mains courantes enregistrées par les services de police et de gendarmerie ; le second outil consiste à effectuer des enquêtes d’opinion sur des échantillons représentatifs de la population, afin d’estimer le degré d’adhésion aux stéréotypes antijuifs. En France, les deux outils sont utilisés régulièrement depuis deux décennies. Aux termes d’une loi de juillet 1990, la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’homme) publie chaque année un rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, qui s’appuie sur les statistiques établies par le ministère de l’intérieur. Ce rapport annuel contient aussi une analyse, réactualisée à chaque édition, de l’opinion française à l’égard des préjugés racistes, antisémites ou xénophobes (lire ici le dernier rapport de la CNCDH).

Les deux outils ont leurs avantages et leurs limites. S’ils sont complémentaires, ils ne montrent pas la même chose. « Il y a une disjonction entre les actes et les opinions, dit Nonna Mayer, du Centre d’études européennes de Sciences-Po, qui contribue de longue date aux enquêtes d’opinion de la CNCDH. Les propos que l’on tient face à un enquêteur n’obéissent pas à la même logique que le passage à l’acte. »

D’où ce paradoxe : alors que les statistiques des incidents antisémites ont augmenté depuis le début des années 2000, l’opinion publique française dans son ensemble ne manifeste aucun regain d’antisémitisme. Au contraire : « Les préjugés contre les juifs ont constamment reculé dans notre pays depuis 1945, dit Nonna Mayer. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un tiers des sondés seulement estimaient que les juifs étaient des Français comme les autres. Aujourd’hui, la proportion est de 85 à 90 % selon les sondages. » Elle observe cependant que deux stéréotypes anciens restent tenaces, « l’idée que les juifs ont du pouvoir et qu’ils ont un rapport particulier à l’argent ».

Les enquêtes de Nonna Mayer et de ses collègues de Sciences-Po (Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale) montrent aussi que, globalement, les juifs sont la minorité la moins stigmatisée. Le sentiment d’intolérance s’exprime plus à l’encontre des milieux maghrébins et arabo-musulmans, et encore davantage à l’égard des Roms. En contraste avec la position exprimée par le président du CRIF, qui a évoqué la Nuit de cristal et les pogroms à propos d’attaques contre des synagogues. Si choquants soient-ils, ces actes ne reflètent pas l’état de l’opinion. Mais que sait-on exactement des actes antisémites ?

• INCIDENTS ANTISÉMITES : DES STATISTIQUES EN HAUSSE DEPUIS 2000

Les rapports annuels de la CNCDH reprennent les statistiques du ministère de l’intérieur pour les faits antisémites, racistes et xénophobes, et depuis 2010 antimusulmans. Les faits sont répartis en « actions » (ou actes), qui sont des atteintes physiques aux personnes ou aux lieux – attentats, homicides, violences, incendies ou actes de vandalisme –  et « menaces », autrement dit les agressions plus symboliques telles que les injures, gestes, courriers, inscription, tags.

Les statistiques montrent que le nombre de faits à caractère antisémite a augmenté : depuis le début des années 2000, il est 6 à 10 fois supérieur à ce qu’il était pendant la décennie 1990. Cette dernière a vu, à l’inverse, les chiffres des actes et menaces à caractère antisémite diminuer, atteignant un niveau minimum d’environ 80 en 1998 et 1999. Mais en 2000, les chiffres ont presque décuplé, passant à 743 faits, dont 119 actes et 624 menaces antisémites.

Après 2000, les statistiques ne sont jamais revenues au niveau des années 1990, et l’on a enregistré des valeurs records en 2002 (936 faits), 2004 (974) et 2009 (832). L’année 2014 semble marquée par une nouvelle hausse des violences antijuives avec, comme on l’a vu, un pic en janvier, et un deuxième en juillet, lié aux manifestations pour Gaza à la suite de l’opération « Bordure protectrice » lancée par l’armée israélienne.

La hausse spectaculaire de 2000 est liée aux répercussions des événements du Proche-Orient, avec l’intensification du conflit israélo-palestinien et la deuxième intifada. Les années suivantes seront marquées par le retentissement des attentats du 11 septembre 2001 puis de la guerre en Irak en 2003. Dans la même période, l’outil de mesure a été modifié, ce qui a aussi un impact sur les chiffres. Il faut donc examiner l’ensemble du processus de construction des statistiques.  

La CNCDH distingue trois catégories de faits : racisme et xénophobie, antisémitisme, et racisme antimusulman. Si les statistiques font apparaître une augmentation du nombre de faits antisémites, les deux autres catégories sont aussi en hausse (voir les courbes page suivante). Toute comparaison est cependant hasardeuse, notamment parce que les trois catégories ne sont pas homogènes. Jusqu’à 2010, tous les faits dirigés contre une minorité autre que les juifs étaient classés « racistes et xénophobes ».

Dans le système actuel, les actes visant les populations d’origine maghrébine peuvent être qualifiés d’antimusulmans lorsqu’ils ont une connotation religieuse, par exemple placer une tête de cochon à l’entrée d’une mosquée, ou de racistes s’ils ne sont pas liés à la religion. Mais que faire d’une inscription « Mort aux Arabes » apposée sur une mosquée ? L’antisémitisme, lui, forme une catégorie unique, où l’on ne distingue pas entre religion et ethnie.

• LES LIMITES DE L'INSTRUMENT DE MESURE

Comment sont obtenus les chiffres ? La CNCDH ne fait que reprendre les statistiques fournies par le ministère de l’intérieur, avec tous les défauts inhérents à ces dernières qui visent moins à donner une image réelle de la délinquance qu’à mesurer l’activité des services. De plus, la manière de construire les chiffres a changé au cours du temps. Si bien que ces chiffres reflètent à la fois l’évolution du phénomène réel et celle de l’instrument de mesure.

« L’outil s’est progressivement affiné, résume Patrick Hefner, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariat de la DGPN (direction générale de la police nationale, ministère de l’intérieur). On ne peut pas faire de comparaison rigoureuse sur quinze ans, ni même sur la dernière décennie. Les statistiques, telles que nous les produisons aujourd’hui, n’existent que depuis 2008. Avant, elles n’étaient pas obtenues avec la même méthodologie. »

Une rupture s’est produite avec la création par la loi du 3 février 2003 d’une circonstance aggravante pour les violences à caractère raciste, xénophobe ou antisémite. L’année suivante, cette circonstance aggravante a été élargie aux menaces, vols et extorsions. Les violences inférieures à 8 jours d’ITT (incapacité totale de travail), qui étaient jusqu’alors punies de simples contraventions et n’étaient pas comptabilisées, sont désormais enregistrées comme des délits dès lors que le motif raciste ou antisémite peut être retenu. Ce qui augmente mécaniquement le nombre d’actes racistes ou antisémites relevés par les forces de l’ordre.

De plus, les chiffres annuels du ministère mêlent sans aucun distinguo les dépôts de plainte, les faits constatés à l’occasion d’interventions de police, et ceux extraits des mains courantes des commissariats et gendarmeries. Ces derniers ne sont relevés que depuis la création en 2008 de la sous-direction de l’information générale (SDIG depuis devenue renseignement territorial), souligne la CNCDH qui s’interroge dans son dernier rapport, paru le 1er avril 2014, sur l’exhaustivité de ce suivi statistique vu « la complexité de la tâche ». Les agents doivent éplucher une à une ces mains courantes pour en extraire les mentions relatives à la délinquance à caractère antisémite.

Ce n’est pas tout. Pour les faits antisémites, le ministère travaille en partenariat avec le SPCJ (service de protection de la communauté juive). Les chiffres sont établis après un dialogue trois à quatre fois par an entre le SPCJ et les services concernés du ministère de l’intérieur. Des partenariats similaires existent avec la Licra pour le racisme et avec le Conseil français du culte musulman pour les actes anti-musulmans.

« Chaque mois, nous faisons remonter des services départementaux du renseignement territorial des données qui viennent à la fois de la police et de la gendarmerie, explique Patrick Hefner. Le SPCJ nous transmet, de son côté, les informations qui lui sont parvenues s’appuyant sur des faits qualifiés par une plainte. Nous confrontons ces données avec celles issues des services départementaux et nous vérifions que les plaintes recensées par le SPCJ sont bien prises en compte. In fine, pour parfaire les états statistiques, il est procédé à un ajout des infractions qui n’ont pas nécessairement fait l’objet d’une plainte. L’exemple type est une dégradation de cimetière : le conservateur du cimetière s’en aperçoit, les services municipaux réparent, mais il n’y a pas nécessairement de plainte. On a ainsi une vision plus complète du panorama. »

• UN ÉCART MAJEUR ENTRE LES STATISTIQUES ET LA RÉALITÉ

Malgré ces apports, la mesure des actes racistes ou antisémites reste très imparfaite. D’abord parce que la nomenclature utilisée par les policiers, "l’état 4001" qui remonte à 1972, est lacunaire et ne comporte pas d’index spécifique à ces faits. « Ce n’est pas spécifique aux actes antisémites, explique Cyril Rizk, statisticien à l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale). Les outils sont construits sur une nomenclature très agrégée qui ne permet pas d’avoir de statistiques dès lors qu’on s’intéresse à quelque chose de non prévu lors de la conception. Par exemple, nous n’avons pas de statistiques sur les violences intrafamiliales, sur les braquages de tabac ou sur les vols de portables. »

Jusqu’en 2013, il fallait extraire les chiffres des faits antisémites à partir des informations contenues dans le fichier Stic (système de traitement des infractions constatées) et son équivalent gendarmesque le Judex (système judiciaire de documentation et d’exploitation). À condition qu’au moment de la plainte, le policier ou le gendarme ait correctement qualifié les faits, puis qu’ils aient été saisis sans erreur dans l’un des deux fichiers. En 2008, la Cnil avait constaté que 83 % des fiches du Stic contrôlées à la demande de citoyens comportaient des erreurs ou des informations illégales. « La qualité de cette collecte dépend de la sensibilité des agents à ce type d’infractions et des directives données par la hiérarchie, met en garde Cyril Rizk. Il faut prendre ces chiffres avec prudence car s’il y a eu des instructions hiérarchiques récentes, plus de faits vont remonter. La sensibilité des agents de terrain varie aussi selon l’actualité. » 

En 2014, deux circulaires ont mis l’accent sur les actes racistes ou antisémites. Le 30 juillet 2014, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a écrit aux préfets pour leur rappeler le « contexte actuel de tensions internationales notamment au Proche-Orient » qui « se traduit par une recrudescence d’actes et de propos à caractère raciste ou antisémite ». Dans cette circulaire, il demande aux représentants de l’État de signaler ces faits « systématiquement au parquet compétent aux fins de poursuite ». Le 4 août, la garde des Sceaux a fait de même auprès des procureurs priés d’être particulièrement attentifs à ces actes, leur joignant en copie la circulaire de la place Beauvau. 

Selon le ministère de l’intérieur, le nouveau logiciel de rédaction des procédures (LRPPN), en cours de généralisation dans les commissariats, devrait résoudre une partie de ces problèmes. Mais il n’éliminera pas l’un des principaux facteurs qui limitent la portée des statistiques : elles recensent, pour l’essentiel, des faits qui ont fait l’objet d’une plainte. Or, selon la CNCDH, « en matière de délinquance à caractère raciste, le nombre de dépôts de plainte est largement en deçà du nombre de faits effectivement commis ». Globalement, on estime que seulement 16 % des victimes se résolvent à porter plainte. Patrick Hefner reconnaît qu’« il y a, bien sûr, un chiffre noir de la délinquance, qui résulte des faits non portés à notre connaissance, comme pour toute infraction ».

Comment évaluer le degré de sous-estimation des statistiques officielles ? À titre indicatif, la CNCDH cite nos voisins d’outre-Manche : « Le Royaume-Uni, par exemple, après avoir constaté, à la suite d’études sur la délinquance réelle, les défaillances de son système statistique, a tenté d’améliorer le recensement des infractions racistes. Le nombre d’actes commis à raison de l’appartenance prétendue à une "race" est passé de 6 500 en 1990 à 14 400 en 1997-1998 ; puis il a quadruplé jusqu’à 53 000 en 2000-2001. Pour l’année 2011-2012, 47 678 incidents racistes ont été signalés aux services de police concernant l’Angleterre et le pays de Galles. La comparaison avec les 1 539 actes et menaces à caractère raciste, antisémite et xénophobe enregistrés en France en 2012 fait craindre que la plupart des infractions de ce type ne se trouvent pas recensées. »

Cimetière juif de Cronenbourg près de Strasbourg, le 27 janvier 2010Cimetière juif de Cronenbourg près de Strasbourg, le 27 janvier 2010 © Reuters/Vicent Kessler

Pour des populations du même ordre de grandeur, les Britanniques comptabilisent au moins 30 fois plus d’incidents racistes que les Français. Bien sûr, les situations ne sont pas superposables. Mais les Britanniques ont pris le problème très au sérieux, à la suite d’une vague d’agressions et de meurtres racistes dans les années 1990. Ils ont mis l’accent sur la formation des policiers, ce qui a conduit les victimes à porter plainte plus facilement (lire ici un rapport de la Equality and Human Rights Commission sur le sujet). Il est frappant d’observer que le nombre d’incidents recensés en Grande-Bretagne a été multiplié par 8 en une décennie, alors même que les autorités pensent que le nombre réel a diminué, du fait de la politique antiraciste. Autant dire qu’une grande incertitude pèse sur la signification réelle des statistiques françaises.

La CNCDH regrette qu’il n’existe pas d’outils de mesure alternatifs à ceux du ministère de l’intérieur. La connaissance du phénomène raciste et antisémite peut être améliorée en s’appuyant sur les enquêtes de victimation publiées chaque année par l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). Ces enquêtes reposent sur l’interrogation des personnes qui ont subi des agressions. Elles indiquent qu’en 2012, environ 1,5 % des personnes de 14 ans et plus ont été victimes d’injures à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, un taux stable depuis 2009. Sachant que plus des trois quarts de la population est âgée de plus de 14 ans, cela représente des centaines de milliers de personnes injuriées chaque année pour leur prétendue appartenance raciale. Beaucoup plus que le millier de menaces recensées par le ministère. Cela illustre l’écart qui peut exister entre les statistiques policières et la réalité.

• QUI SONT LES AUTEURS DE VIOLENCES ANTISÉMITES ?

Dans son rapport de 2007, la CNCDH estime que plus de 80 % des faits racistes ou antisémites étaient imputables à l’extrême droite dans les années 1990, et que cette proportion n’est plus que d’environ un quart au milieu des années 2000. Pour l’année 2006, elle attribue 28 % des violences antisémites aux milieux arabo-musulmans et 10 % à ceux d’extrême droite. Mais pour cette même année, la grande majorité des auteurs d’actions violentes antisémites (62 %) sont non identifiés. L’idée qu’à l’antisémitisme « traditionnel » lié à l’extrême droite s’est ajoutée une composante nouvelle, provenant en grande partie de populations issues de l’immigration, a été régulièrement avancée depuis une quinzaine d’années. Mais il s’agit plus d’une opinion que d’un fait démontré : les données de terrain ne livrent que des informations très fragmentaires, et ne permettent pas de dégager de tendances claires.

Au demeurant, le ministère de l’intérieur ne fournit plus, comme il le faisait il y a quelques années, d’éléments chiffrés sur les origines de ceux qui commettent des actes racistes ou antisémites. « Nos statistiques ne peuvent faire apparaître un profil des auteurs, ou leur appartenance ethnique, dit Patrick Hefner. Tout ce qu’on peut divulguer, c’est si l’auteur est un homme ou une femme, majeur ou mineur, français ou étranger. L’affirmation selon laquelle les auteurs d’actes antisémites viendraient majoritairement de milieux arabo-musulmans n’est pas fondée sur des éléments objectifs issus de nos statistiques, puisqu’il nous est interdit d’établir des statistiques à caractère ethnique. »

Les données publiées auparavant étaient de toute façon trop incomplètes pour être éclairantes : que conclure lorsque les deux tiers des auteurs sont inconnus ? Peut-on obtenir plus d’information à travers l’action de la justice ? Bien sûr, dans le cas de faits divers criminels très graves, comme l’assassinat d’Ilan Halimi (en janvier 2006) ou la fusillade perpétrée par Mohammed Merah sur une école juive de Toulouse (en mars 2012), les auteurs sont identifiés et l’on peut dans une certaine mesure connaître leurs motivations. Mais ces faits gravissimes sont aussi exceptionnels, et n’indiquent pas de tendance générale.

Lorsqu’il s’agit de violences quotidiennes, le plus souvent, on a déjà du mal à établir les infractions, qu’il s’agisse d’actes antisémites, antimusulmans ou racistes. Cette difficulté est confirmée par les responsables des pôles anti-discrimination, mis en place depuis 2007 dans chaque cour d’appel.

« Peu de victimes déposent plainte, affirme Anne Lezer, procureure adjointe du tribunal de Marseille, responsable depuis cinq ans du pôle discrimination sur le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Même quand il y a une victime, il n’est pas évident de prouver la circonstance aggravante, que la personne a été agressée en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion. Donc il y a un chiffre noir. » 

Tout comme le parquet de Lyon et de Toulouse également interrogés, elle souligne que les agressions physiques sont rares – seulement deux comparutions immédiates à Marseille en 2013 par exemple. La majorité des actes antisémites signalés sont des dégradations, comme des tags sur des synagogues, des écoles juives ou des commerces. Les parquets évoquent également les délits de presse, comme l’« incitation à la haine et à la violence, en raison d'une origine d'une appartenance ethnique ou religieuse ».

Plus de 40 % des faits à caractère antisémite sont recensés en Île-de-France, et deux autres régions, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, concentrent chacune 10 % des faits. À Lyon comme à Marseille, aucun chiffre n’est disponible mais les parquets ne notent pas de recrudescence de violence antisémite ces dernières années. Plutôt des flambées liées à l’actualité. « C’est toujours conjoncturel, estime Anne Lezer. Dès qu’il y a un redémarrage du conflit israélo-palestinien, on a une flambée de tags à caractère antisémite puis ça redescend. En juillet, j’étais de permanence, nous en avons eu un très grand nombre. »

Le parquet de Lyon confirme : « Il suffit d’une activité internationale comme cet été avec le conflit à Gaza pour avoir des comportements aberrants, des gens qui crient “sales juifs” en passant devant une synagogue. »

Patrice Michel, procureur adjoint de Toulouse et responsable du pôle discrimination depuis quatre ans, estime que les actes antisémites ont connu une accélération depuis les tueries de Mohammed Merah. « C’est patent, dit-il. Il s’agit d’actes de toute nature : injures sur Internet, tags et agressions comme des jets de projectiles contre des bâtiments juifs ou à l’encontre de personnes qui ont des habits traditionnels. Mais les agressions physiques restent rares. » En juillet 2013, un Toulousain de 22 ans a été condamné à un an de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Toulouse pour avoir fait l'apologie sur Facebook des crimes de Mohammed Merah.

Devant le Musée juif de Bruxelles, au lendemain de la fusillade du 25 mai 2014Devant le Musée juif de Bruxelles, au lendemain de la fusillade du 25 mai 2014 © Reuters/Eric Vidal

Selon Patrice Michel, les auteurs « sont souvent des gens d’origine maghrébine » et pour certains « se revendiquent de Merah ». Mais encore plus souvent, on ne réussit pas à remonter aux auteurs, qui restent inconnus. « Quelles sont les motivations intellectuelles ? Y a-t-il réellement une conceptualisation ? s’interroge Anne Lezer. Comme on retrouve rarement les auteurs, beaucoup d'affaires sont classées sans suite et nous ne savons pas. » En 2012, moins du tiers des 2 647 affaires racistes et antisémites dont les parquets ont été saisis ont ainsi fait l’objet d’une réponse pénale.

Les actions pour lesquelles on peut attribuer aux auteurs une motivation idéologique précise sont minoritaires. Une grande partie des actes racistes et antisémites entrent dans une zone grise, comme l’explique Nonna Mayer : « En dehors des affaires graves, il y a un “antisémitisme de contact” dans les quartiers où les communautés se croisent. Les agressions dans la vie quotidienne se produisent à 40 % en Île-de-France. Ce n’est pas nouveau. À Belleville, la communauté juive et les Arabes se tapaient dessus au lendemain de la guerre des Six Jours. Mais ce type d’effet est accentué par la globalisation, les réseaux sociaux. Il y a des agressions qui se rapprochent de la petite délinquance, habillée de la “défense des Palestiniens”. Plus les juifs sont pratiquants et portent des signes extérieurs, plus ils sont inquiets. Mais le problème est le même du côté musulman, avec les agressions de femmes voilées, les arrachages de foulard, les têtes de cochon devant les mosquées»

• VIEIL ANTISÉMITISME OU NOUVELLE JUDÉOPHOBIE ?

Si l’on connaît insuffisamment le profil des auteurs d’actes antisémites, peut-on malgré tout identifier des tendances qui éclaireraient les événements récents ? 

Dans un livre paru en 2002, le philosophe et historien Pierre-André Taguieff a développé la thèse de La Nouvelle Judéophobie qui, à la différence du vieil antisémitisme, ne se fonde pas sur une vision raciale. Schématiquement, cette nouvelle forme d’antisémitisme s’appuie sur la défense de la cause palestinienne et l’antisionisme, compris comme un rejet de l’État d’Israël et de sa politique (voir ici une interview récente de Taguieff sur ce sujet dans le JDD). Autrement dit, l’antisionisme serait devenu le masque de l’antisémitisme.

Taguieff met en évidence cette nouvelle judéophobie dans de nombreux textes d’intellectuels musulmans radicaux, de leaders ou de chefs religieux islamistes, mais aussi de certains courants de l’extrême gauche française et de personnalités comme Roger Garaudy et Serge Thion passé du soutien des khmers rouges au négationnisme. Mais s’agit-il d’une forte tendance de l’opinion française ? Et cette idéologie peut-elle expliquer la fréquence des incidents antisémites enregistrés depuis 2000 ?

Une étude toute récente du think tank libéral Fondapol, largement reprise par les médias, aurait d’après ses promoteurs mis en évidence l’émergence d’un nouvel antisémitisme parmi les musulmans vivant en France (lire sur le site du Monde une tribune de Nonna Mayer sur cette étude). Selon cette étude, les préjugés antisémites seraient deux à trois fois plus fréquents parmi les musulmans que dans l’ensemble de la population. Il faut cependant souligner que cette étude ne respecte pas les précautions habituellement adoptées pour ce type d’enquête (bien qu’elle ait été réalisée par l’Ifop). Elle s’appuie sur un échantillon de la population musulmane formées de 575 personnes interrogées dans la rue. L’effectif est réduit, le mode de sélection peu clair, la représentativité sujette à caution, et les questions sont posées en mode binaire (d’accord/pas d’accord), plutôt que selon l’habituelle gradation (d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord, pas d’accord du tout).

Ces réserves étant faites, l’étude conclut que près de la moitié des interrogés ne savent pas ce qu’est le sionisme, ce qui ne plaide pas en faveur d’une adhésion à l’antisionisme censé être le moteur de la nouvelle judéophobie. Avec une méthodologie beaucoup plus rigoureuse, Nonna Mayer et ses collègues observent qu’il n’y a pas de relation systématique entre antisionisme et antisémitisme : critiquer Israël n’implique pas que l’on partage des préjugés antijuifs. « L’enquête montre que le “vieil” antisémitisme a de beaux restes, écrivent les chercheurs dans le rapport de la CNCDH. Le rejet des juifs est plus structuré par les stéréotypes classiques du pouvoir, de l’argent, l’accusation de communautarisme que par les perceptions d’Israël. »

Il est symptomatique qu’un Alain Soral, dont l’obsession antisémite est flagrante, joue systématiquement sur les vieux clichés antijuifs, se référant à La France juive de Drumont – et cultive tout autant le registre anti-Israël. Au moins dans le système Soral-Dieudonné, le vieil antisémitisme et la nouvelle judéophobie n’ont rien d’incompatible.

Quant à l’émergence d’un nouveau courant antisémite parmi les milieux arabo-musulmans, les résultats de l’étude de Fondapol ne sont pas non plus confirmés par les chercheurs de Sciences-Po. En 2005, Vincent Tiberj et son collègue Sylvain Brouard ont mené une enquête approfondie qui montrait que « l’antisémitismedes quartiers” représentait environ 10 % de la population que l’on pouvait qualifier d’antisémite, les 90 % restants relevant de l’antisémitisme “classique” ». On ne pouvait donc pas dire, au moins en 2005, que la nouvelle judéophobie avait remplacé le vieil antisémitisme. La situation a-t-elle changé ? Vincent Tiberj mène une nouvelle analyse sur le sujet, qui sera publiée dans le prochain rapport de la CNCDH, en 2015. Quel que soit le résultat, il est certain qu’une meilleure connaissance des phénomènes antisémites est nécessaire, dans le contexte actuel où les chercheurs constatent un recul de la tolérance et « une hausse globale du “rejet” de l’autre » dans la société française.

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Privatisation de l'aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti

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Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron a tranché : c’est au profit d’un groupe chinois immatriculé dans des paradis fiscaux, associé à un groupe canadien radié par la Banque mondiale pour des faits graves de corruption, que l’aéroport de Toulouse-Blagnac va être cédé.

C’est donc une privatisation doublement scandaleuse à laquelle le pouvoir socialiste a décidé de procéder. Car, outre ses bénéficiaires, il s’agit d’une privatisation d’un bien particulier. Comme ce fut le cas quand les autoroutes françaises ont été vendues à l’encan, sur une idée de la gauche mise en œuvre par la droite ; comme ce pourrait être prochainement le cas si le réseau français d’électricité est abandonné à des intérêts privés, cette cession d’un aéroport n’est pas anodine : c’est un peu de l’intérêt général qui est vendu au plus offrant.

En annonçant son choix, Emmanuel Macron a essayé de minimiser la décision qu’il venait de prendre. À l’occasion d’un entretien à La Dépêche, jeudi 4 décembre dans la soirée, il a confirmé ce à quoi on s’attendait depuis plusieurs semaines : l’aéroport de Toulouse-Blagnac va être vendu au groupe chinois Symbiose, composé du Shandong Hi Speed Group et Friedmann Pacific Investment Group (FPIG), allié à un groupe canadien dénommé SNC Lavalin. « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital. On ne vend pas l’aéroport, on ne vend pas les pistes ni les bâtiments qui restent propriété de l’État. [...] Nous avons cédé cette participation pour un montant de 308 millions d’euros », a dit le ministre de l’économie. Au cours de cet entretien, le ministre appelle aussi « ceux qui, à Toulouse, sont attachés à l’emploi et au succès d’Airbus, [à] réfléchir à deux fois aux propos qu’ils tiennent. Notre pays doit rester attractif car c’est bon pour la croissance et donc l’emploi », a-t-il dit.

Dans la foulée, le président socialiste de la Région Midi-Pyrénées, Martin Malvy, a aussi laissé miroiter l’idée, dans un communiqué publié dans la soirée de jeudi, que cette privatisation n’en serait pas véritablement une et que l’État pourrait rester majoritaire. « J’ai dit au premier ministre et au ministre de l’économie et des finances, depuis plusieurs semaines, que si l’État cédait 49,9 % des parts qu’il détient – et quel que soit le concessionnaire retenu –, je souhaitais que la puissance publique demeure majoritaire dans le capital de Toulouse-Blagnac. C’est possible. Soit que l’État garde les parts qu’il possédera encore – 10,1 % – soit que le candidat désigné cède une partie de celles qu’il va acquérir. Emmanuel Macron confirme que le consortium sino-canadien n’y serait pas opposé. Je suis prêt à étudier cette hypothèse avec les autres collectivités locales, la Chambre de commerce et d’industrie et le réseau bancaire régional, voire d’autres investisseurs. Nous pourrions nous réunir au tout début de la semaine prochaine pour faire avancer une réflexion déjà engagée sur la base d’un consortium ou d’un pacte d’actionnaires en y associant l’État », a-t-il déclaré.

Dans la foulée de la déclaration du ministre de l’économie, Mediapart a par ailleurs eu un échange avec un haut fonctionnaire de Bercy, qui connaît bien le dossier. Et il nous a fait le grief d’avoir mal présenté l’opération. Dans notre premier article consacré à cette cession (lire La scandaleuse privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac), nous avions écrit que l’État voulait vendre 49,99 % du capital de l’aéroport de Toulouse et que l’acquéreur disposerait ensuite, sous trois ans, d’une option d’achat sur les 10,1 % du capital que l’État garderait provisoirement entre ses mains.

Or, ce n’est pas une option d’achat que l’État a consentie aux acquéreurs. C’est une option de vente qu’il s’est accordée. Sous trois ans, l'État peut en fait choisir de son propre chef de céder 10,1 % du capital complémentaire et perdre le contrôle majoritaire sur le capital de la société de l’Aéroport de Toulouse ainsi que le précise l’un des avis parus cet été au Journal officiel : « Cette cession portera dans un premier temps sur 49,99 % du capital et comportera également une option de vente par l’État de sa participation résiduelle au capital. »

En somme, Emmanuel Macron semble avoir eu raison de prétendre « qu’il ne s’agit pas d’une privatisation ». Tout juste est-ce une privatisation partielle, mais la puissance publique, alliée aux collectivités locales, gardera le contrôle des destinées de l’aéroport, n’est-ce pas ? Et pourtant, non ! Il suffit de se référer au décret du 11 juillet 2014 (il est ici), qui lance l’opération de cession au privé pour lire qu’il s’agit du « transfert au secteur privé d'une participation majoritaire au capital d'une société dont l'État détient directement plus de la moitié du capital social ».

Transfert d’une « participation majoritaire » : juridiquement, les mots ont un sens. Ils signifient que la privatisation est bel et bien décidée et que l’État n’aura plus besoin, à l’avenir, de recevoir l’avis conforme de la commission de privatisation (rebaptisée commission des participations et des transferts), s’il décide de céder les 10,1 % restants. Désormais, il peut le faire, à sa guise, quand il veut et à qui il veut. En droit, la privatisation est donc consommée, quoi qu’en dise maintenant Emmanuel Macron, qui cherche à éteindre l’incendie qu’il a lui-même allumé.

Ce mensonge, Mediapart est d’ailleurs en mesure d’en apporter une preuve encore plus précise, en révélant certaines clauses du dispositif. Un cahier des charges a été publié par Bercy, pour présenter les modalités de l’opération (il peut être téléchargé ici). A la page 24, il est mentionné que le « pacte » qui liera les différents actionnaires après l’opération « sera transmis aux seuls candidats recevables ».

Ce pacte d’actionnaire secret, Mediapart a pu en prendre connaissance, grâce à l’une des nombreuses collectivités qui sont concernées par le projet. Or, ce pacte contient des dispositions stupéfiantes, qu’Emmanuel Macron a cachées et qui contredisent les propos publics rassurants qu’il a tenus.

Au titre II, consacré à la gouvernance de la nouvelle société, il est ainsi prévu : « L’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membres du conseil présenté par l’acquéreur. » Plus loin, il est aussi consigné noir sur blanc que « l’État s’engage d’ores et déjà à ne pas faire obstacle à l’adoption de décisions prises en conformité avec le projet industriel, tel que développé par l’acquéreur dans son offre ». De même, « l’État s’engage par ailleurs, sauf motif légitime, à voter au conseil dans le même sens que l’acquéreur pour les décisions importantes ».

En clair, au terme de clauses secrètes, l’État renonce quasiment à tous ses droits d’actionnaires, et octroie quasiment les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois alliés au groupe canadien. Une clause tout aussi choquante donne aussi les pleins pouvoirs aux investisseurs d’octroyer les rémunérations qu’ils souhaitent à l’état-major de la société qu’ils composeront à leurs mains. Sans caricaturer, l'État va devenir « un sleeping partner », comme on dit dans le langage financier anglo-saxon. Un actionnaire dormant, tout juste bon à ratifier les décisions prises par les vrais propriétaires de la société.

Emmanuel Macron ne peut donc pas affirmer que la puissance publique gardera la main. C’est en fait exactement le contraire.

L’argument d’Emmanuel Macron sur les effets induits possibles sur l’emploi est aussi d’une grande mauvaise foi. Car beaucoup d’oligarques chinois qui viennent investir en France ont précisément la réputation de promettre monts et merveilles, notamment en matière d’emplois, et de ne souvent guère tenir parole. On peut lire à ce sujet un intéressant reportage que vient de publier Le Nouvel Observateur sur les engagements pris par un groupe d’investisseurs chinois à Châteauroux, dans le Berry, et où, sept ans plus tard, « on attend toujours les emplois ».

Les arguments du ministre de l’économie apparaissent d’autant plus stupéfiants que l’identité des groupes qui composent le consortium aurait dû suffire à les disqualifier. Comme nous l'avons raconté dans notre précédente enquête, le groupe chinois Friedmann Pacific Investment Group (FPIG) et ses différentes filiales sont immatriculés dans une myriade de paradis fiscaux, dont les îles Caïmans et les îles Vierges britanniques. Quant au groupe canadien, SNC Lavalin, il a été radié jusqu’en 2023 par la Banque mondiale pour des faits graves de corruption, comme on peut le vérifier sur le site Internet de l’institution.

Tout cela n’a pas pesé. Les trois autres candidats au rachat – Aéroports de Paris, allié à Predica, la filiale assurances du Crédit agricole ; le groupe d’infrastructure Vinci, associé à la filiale spécialisée de la Caisse des dépôts, CDC infrastructures, et une filiale d’EDF dénommée EDF Invest ; et Cube, un fonds d’investissement spécialisé dans les infrastructures, associé à Natixis, la banque d’investissement de BPCE – ont été écartés au profit de ce sulfureux consortium.

De plus, cette privatisation concerne un bien possédé par l’État d’un type très particulier : un aéroport, c’est-à-dire, un bien qui peut être au cœur des politiques d’aménagement du territoire ou des politiques industrielles conduites par la puissance publique. De plus, l’aéroport de Toulouse-Blagnac est une entreprise florissante (près de 10 millions d’euros de profits lors de son dernier exercice) qui dispose d’une situation de monopole : la privatisation va donc offrir à ses bénéficiaires un avantage formidable, avec des effets de rente massifs.

Pour sa première véritable privatisation, le pouvoir socialiste renoue avec les cessions les plus scandaleuses, celles qui ont offert à quelques grands opérateurs privés d’inadmissibles situations de rente. Elle s'inscrit dans la même philosophie que celle qui a conduit à la privatisation des autoroutes. Et elle préfigure des privatisations qui se profilent, celles d’autres aéroports français et de bien d’autres services publics.

Dans le passé, ces privatisations ont suscité bien des polémiques. Au tout début, en 1986-1988, quand le gouvernement de Jacques Chirac et Édouard Balladur a abandonné au privé de grands groupes détenus par l’État, les controverses ont surtout porté sur les prix de cession, souvent jugés trop bas, et sur l’identité des repreneurs, souvent proches du RPR, l’ancêtre de l’UMP. Mais au fil des ans, les privatisations ont changé de nature. Avec Lionel Jospin, elles ont commencé aussi à faire des ravages sur les services publics, avec la privatisation partielle de France Télécom – des opérations poursuivies par la droite avec l’ouverture du capital d’EDF puis celle de GDF, sous la houlette de Suez.

Et dans la foulée, on a assisté aussi à la privatisation progressive de grands monopoles « physiques », à commencer par celle des autoroutes françaises. C’est dans ce dernier type de privatisations que s’inscrit celle de l’aéroport de Toulouse, celles de biens physiques en situation de monopole que rien ne peut venir concurrencer, et qui disposent de surcroît d’une situation de rente.

Pour mesurer à quel point ces privatisations sont choquantes, il suffit d’analyser les effets qu’elles ont eus dans le cas des autoroutes. C’est un ministre des finances socialistes, Laurent Fabius, qui, en février 2002, deux mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, a l'idée de lancer le processus de privatisation du réseau autoroutier français. Le tabou étant brisé, la droite le met ensuite en œuvre, pour l’essentiel sous le gouvernement de Dominique de Villepin, en 2006.

Dans un rapport publié en juillet 2013, la Cour des comptes a détaillé les conséquences de ces privatisations. Elles sont intervenues après que l’État eut réalisé et achevé d’immenses investissements depuis l’après-guerre, et les aient en grande partie amortis, alors que le réseau était achevé. Il s’agissait, comme le notent les magistrats, d’un « réseau mature et dense ».

On peut télécharger ici le communiqué de presse de la Cour des comptes qui présente ce rapport. Et le rapport lui-même, dans sa version intégrale, peut être téléchargé là ou consulter ci-dessous :

C’est donc au moment précis où l’État est en mesure de profiter des dividendes de ces colossaux investissements – soit pour en faire profiter des finances publiques de plus en plus en déshérence, soit pour en faire profiter les consommateurs par des baisses de tarifs des péages – que les privatisations interviennent. En quelque sorte, c'est la rente qui est privatisée.

Au fil des années 2000, plus de 9 000 kilomètres de réseaux autoroutiers sont ainsi abandonnés à des concessions, soit les trois quarts du réseau. Et sur les dix-huit concessions, seize sont détenues par des groupes privés, qui profitent d’un effet tiroir-caisse hallucinant. Témoins les chiffres cités par la Cour des comptes : au total, pour 2011 par exemple, ces sociétés concessionnaires empochent 7,6 milliards d’euros de recettes de péages, dont 4,3 milliards pour le groupe Vinci qui dispose de trois concessions (ASF, Escota et Cofiroute), 2 milliards pour le groupe APRR qui dispose de deux concessions (APRR et Area) et 1,4 milliard pour la Sanef, avec ses deux concessions (Sanef et SAPN).

Dopés par des hausses de tarifs des péages qui ont constamment été supérieurs à ceux de l’inflation, les recettes de péages n’ont cessé d’exploser, comme en témoigne le tableau ci-dessous.

Et les bénéfices des concessionnaires d’autoroutes ont eux-mêmes explosé, comme en témoignent ces deux autres tableaux ci-dessous :

« L’excédent brut d’exploitation (EBE) des sociétés concessionnaires historiques a progressé en moyenne de 5,1 % par an entre 2006 et 2011. Il a augmenté de 4,2 % en 2010 et 4,1 % en 2011. Entre 2006 et 2011, l’EBE a davantage progressé que les recettes de péages (+ 3,8 %) et, plus largement, que le chiffre d’affaires (+ 4 % par an), les sociétés ayant pu maîtriser leurs charges d’exploitation », explique le rapport de la Cour des comptes. En clair, d’immenses profits ont été privatisés ; et ce sont les automobilistes qui ont fait office de vaches à lait.

Le gâteau financier est apparu à ce point alléchant que les groupes concernés se sont tous pliés aux mœurs du capitalisme de connivence à la française. Témoins les Espagnols possédant la Sanef qui ont eu l’idée en 2011 d’enrôler comme président de leur conseil d’administration Alain Minc, l’éminence grise de Nicolas Sarkozy et de quelques grandes fortunes….

Avec l’aéroport de Toulouse, c’est une privatisation du même type qui a été engagée, et la controverse autour d'elle n’a rien de circonstancielle ni de régionale. De plus, après la privatisation d’une bonne partie du réseau autoroutier français puis de l’aéroport de Toulouse, d’autres privatisations sont annoncées.

Il y a d’abord les privatisations des aéroports de Nice et de Lyon. Le gouvernement compte en effet les mener à bien, même s’il rencontrera sans doute plus de difficultés. Dans le cas de Toulouse, le montant de l’opération ne nécessitait pas en effet que la privatisation fasse l’objet d’une loi. Comme la société et ses filiales comprenaient moins du millier de salariés, un décret suffisait. Mais dans le cas des privatisations des aéroports de Nice et de Lyon, comprenant un nombre de salariés supérieur, une mesure législative est obligatoire. Les deux projets ont donc été insérés dans le projet de loi fourre-tout soutenu par Emmanuel Macron, qui comprend de nombreux autres volets, dont celui qui concerne les professions réglementées ou encore la déréglementation du travail le dimanche.

Mais, compte tenu des polémiques qu’il suscite, que restera-t-il du projet Macron, après son examen par le Parlement ? Et les projets de privatisations des aéroports de Nice et de Lyon survivront-ils aux controverses provoquées par l’opération de Toulouse ? Pour l’heure, Emmanuel Macron fait mine de croire que le projet sera mené à son terme et, à Bercy, on estime que les deux aéroports de Lyon et de Nice pourraient être privatisés dans le courant du second semestre de 2015.

De même, d’autres opérations du même type commencent à être caressés, même si c’est à des horizons plus lointains. Ma consœur de Mediapart, Martine Orange, en a donné récemment une illustration très éclairante dans une enquête pointant tous les indices d’une possible privatisation en France des réseaux de transports d’énergie (lire Le gouvernement prêt à brader les réseaux de transport d’énergie).

Lors d'un colloque de l'Association des investisseurs en infrastructure à long terme, Emmanuel Macron a en effet annoncé le 17 octobre dernier l’intention du gouvernement de hâter le pas sur les privatisations, pour un montant total compris entre 5 et 10 milliards d’euros dans les dix-huit mois à venir. Et dans le lot des opérations envisagées, il a apporté ces précisions : « Nous avons des infrastructures existantes dans le pays dans plusieurs entreprises publiques de réseau. Notre volonté, c'est de les ouvrir », faisant clairement allusion à la société RTE, la filiale d'EDF opérateur du réseau de transport d'électricité français. Dans une dépêche rapportant le même jour les propos du ministre, l’agence Reuters précisait : « Une cession de GRTgaz, le gestionnaire du transport du gaz en France détenu par GDF Suez, est également considérée comme possible. »

À ce rythme-là, les gares de la SNCF seront-elles un jour prochain, elles aussi, cédées au privé ? En 2004, un rapport parlementaire du député UMP Hervé Mariton l’avait proposé. Depuis, l’idée est périodiquement évoquée. Et la stratégie à long terme du patron de la SNCF, Guillaume Pepy, semble préparer le terrain pour que les gares deviennent des annexes commerciales pour de grands groupes spécialisés, comme Unibail. Et puisque le gouvernement britannique a décidé de mettre en vente les 40 % que Londres détient dans Eurostar, la France n’aura-t-elle pas, elle aussi, l'envie de céder un jour au privé les 55 % appartenant à la SNCF ?

Bref, ce sont les plus sulfureuses des privatisations que le pouvoir socialiste a relancées avec l’aéroport de Toulouse-Blagnac, et qui vont sans doute s’accélérer au cours des prochains mois. Des privatisations qui, à dire vrai, ne sont pas une spécificité française. Car Emmanuel Macron ne fait que mettre en œuvre les commandements du FMI, lequel s’est fait une spécialité de recommander aux pays qu’il a placés sous tutelle de pimenter leurs plans d’austérité par des vagues massives de privatisations de leurs principales infrastructures.

En somme, la France ne fait que suivre l’exemple du Portugal qui, sur instruction du FMI, a vendu, lui aussi, ses aéroports, ou encore celui de la Grèce, qui a cédé à l’encan les plus précieuses de ses infrastructures, les ports…

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Surcomplémentaire santé : vers une médecine à trois vitesses ?

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Les campagnes de pub parasitent déjà les ondes des radios. Selon la loi d’un marché hyper concurrentiel, les complémentaires santé se livrent une féroce bataille pour nous vendre un produit d’un genre nouveau, un brin monstrueux : une « surcomplémentaire ». Un contrat complémentaire à notre contrat complémentaire à l’assurance maladie. De quoi renforcer certaines garanties en fonction des besoins : dépassements d’honoraires extravagants de médecins spécialistes, orthodontie et couronnes dentaires en or, lunettes de luxe. Notre système de santé déjà à deux vitesses, l’assurance maladie obligatoire et complémentaire, serait-il en train de se doter d’une troisième ?

Les trois familles de complémentaires santé ne sont pas d’accord entre elles. Côté assureurs, c’est très clair : « Ceux qui en auront les moyens prendront une surcomplémentaire. Les autres auront à leur charge une partie de leurs dépenses de santé », explique Véronique Cazals, conseillère du président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), en charge de la protection sociale. Les institutions de prévoyance, paritaires et très présentes dans les entreprises, sont également formelles : « On observe dans les récents sondages une demande de surcomplémentaire », selon Évelyne Guillet, directrice santé du Centre technique des institutions de prévoyance (Ctip). Christian Saout, le secrétaire général adjoint délégué (et ancien président) du Ciss, le Collectif des associations de patients, en est lui aussi tout à fait sûr : « On est en train de créer un appel d’air pour ces produits. » Au contraire, Étienne Caniard, le président de la Mutualité française, met en garde contre « les merveilleux discours de marketing qui affirment que les surcomplémentaires vont devenir indispensables ».

Tout part d’un décret paru le 19 novembre dernier. Il fixe les nouveaux critères des contrats complémentaires dits « responsables », qui représentent 94 % des contrats, et qui bénéficient à ce titre d’une fiscalité allégée. Dans la fusée à plusieurs étages de l’assurance maladie, ce décret crée de nouveaux planchers et plafonds de tarifs : le forfait hospitalier de 18 euros par jour doit désormais être pris intégralement en charge par les complémentaires. Mais celles-ci ne rembourseront plus les dépassements d’honoraires au-delà de 125 % du tarif de la sécurité sociale, puis de 100 % à compter de 2017. Autrement dit, les complémentaires ne rembourseront plus au-delà de 45 euros pour une consultation chez un médecin spécialiste, de 150 euros pour une échographie chez un gynécologue libéral, de 600 euros pour un accouchement dans une clinique privée, etc. Pour l’optique, ce sont six niveaux de planchers et de plafonds qui sont fixés en fonction des degrés de correction : de 470 euros maximum pour des lunettes avec des verres à simple foyer, à 850 euros maximum pour les verres multifocaux. 

Ces plafonds de prise en charge sont-ils trop bas, comme le pensent les assureurs et les institutions de prévoyance ? Ou au contraire trop haut, comme l’explique Étienne Caniard ? Le président de la Mutualité s’accroche à « la réalité : 75 % des médecins libéraux ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires, 92 % des généralistes et 50 % des spécialistes. La moyenne des dépassements des spécialistes est de 56 % ». Autrement dit, la plupart des Français paient rarement des dépassements d’honoraires à des médecins spécialistes, et ceux-ci facturent en moyenne 35 euros leur consultation par exemple. Vont-ils profiter de ces nouveaux plafonds pour augmenter leur prix à 45 euros ? La directrice santé du Ctip Évelyne Guillet en convient : « Afficher réglementairement un plafond de dépassement de 100 % est un mauvais signal donné à de nombreux médecins qui sont aujourd’hui en dessous. »

Bien sûr, 45 euros reste bien insuffisant pour être reçu en consultation privée par quelques « médecins stars » : au hasard, le cancérologue David Khayat, 260 euros ; l’urologue Thierry Flam, 150 euros ; le gynécologue René Frydman, 100 euros en moyenne, etc. Mais plus grave, les médecins libéraux spécialistes qui ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires sont en voie de disparition à Paris. Et il suffit de consulter le site de l’assurance maladie, qui renseigne sur les tarifs des médecins, pour constater qu’il est aussi difficile de trouver un gynécologue sans dépassements d’honoraires en Lozère, ou un chirurgien dans la Loire.

« Dans les grandes villes, on a encore le choix entre des médecins aux tarifs différents. Mais il y a des déserts médicaux de spécialistes où presque tous les chirurgiens, les gynécologues ou les pédiatres pratiquent des dépassements d’honoraires », explique Christian Saout. Et cela ne va pas s’arranger, car la grande majorité des jeunes médecins spécialistes s’installent en secteur 2 : 94 % des gynécologues de moins de 40 ans pratiquent des dépassements d’honoraires, 98 % des chirurgiens, 93 % des ophtalmologues, etc. Quant à l’optique, la plupart des Français n’ont qu’à se promener dans la plus petite ville, pour constater que deux ou trois enseignes se disputent le chaland dans la rue principale. Le prix des lunettes en France, 50 % plus chères que dans le reste de l’Europe, finance en réalité un réseau de distribution obèse.

Ces tarifs déraisonnables, qui ont échappé au contrôle de l’assurance maladie, et à toute régulation, ne cessent de renchérir le coût des contrats complémentaires et les rendent toujours moins accessibles aux jeunes, aux retraités, aux précaires, aux chômeurs, qui ne sont pas couverts par un contrat d’entreprise, aidés fiscalement, et pris en charge en partie par l’employeur. Pour Étienne Caniard, le plus inquiétant dans cette affaire est le recul historique de la couverture complémentaire : « Entre 2010 et 2012, pour la première fois depuis les années 1970, 500 000 personnes ont renoncé à leur contrat santé. » Selon l’Institut de recherches et de documentation en économie de la santé (Irdes), 5 % des Français n’ont pas de complémentaire en 2012, contre 4,2 % en 2010.

« Les dépassements d’honoraires ont été créés en 1980 par Raymond Barre pour quelques chirurgiens réputés, rappelle Christian Saout, du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). Ce système exceptionnel est devenu quasi général. Aujourd’hui, les dépassements d’honoraires sont hors de contrôle. Notre système de santé est en train de se dérégler. À force de colmater les brèches, il n’a plus aucune allure. Les Français paient chaque année 175 milliards d’euros d’impôts et de cotisations sociales pour une assurance maladie qui ne rembourse plus que 50 % des soins courants. Et ils versent en prime 30 milliards d’euros à des complémentaires santé qui ne complètent plus. Il est plus que temps de se demander où on va. »

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Des diplômes bidons à Sciences-Po Aix

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Enquête en partenariat avec le site Marsactu. « Ce n'est pas l'université de Toulon. » Quand nous l'avions rencontré, en septembre 2014, c'est par ces mots que le directeur de Sciences-Po Aix, Christian Duval, avait voulu écarter toute idée de scandale à grande échelle au sein de son institution. Depuis, chaque semaine qui passe rapproche pourtant l'école aixoise de ce gouffre. Dernier épisode en date, un audit, mené par Aix-Marseille université (AMU) et remis le 17 novembre, qui étaie les dérives révélées il y a deux mois par Marsactu et Mediapart.

Deux jours après la remise de ce document estampillé « confidentiel », Christian Duval annonçait sa démission. Elle deviendra effective ce samedi 6 décembre lors d'un conseil d'administration de l'Institut d'études politiques (IEP). Que contient donc ce rapport qui l’a poussé à partir ?

Exemplaire anonymisé d'un des «diplômes» bidon délivrés en juin 2014

L’équipe d'audit interne d'AMU a mis la main sur un diplôme bidon, signé en juin 2014 de la main même de Christian Duval. Il a été décerné, parallèlement à un vrai diplôme de l’AMU, à 28 militants et permanents du syndicat CFE-CGC qui ont suivi une formation continue en « intelligence sociale ». Officiellement inscrits dans un master d'études politiques spécialité management de l'information stratégique (MIS), ils ont obtenu un diplôme sur-mesure mentionnant le parcours « intelligence sociale », qui n’a jamais obtenu aucune habilitation du ministère de l’enseignement supérieur. Et le directeur de l’IEP, qui a signé ces diplômes où est apposé le sceau de Sciences-Po, n'en avait pas le droit. Il a assuré aux auteurs de l’audit qu’il s’agissait d’une simple « attestation de validation ».

« L'IEP a privilégié les demandes des partenaires et c'est allé très loin, explique l'audit, documents à l'appui. En effet, pour répondre à une demande persistante d'une promotion CFE-CGC, un diplôme de master d'études politiques parcours intelligence sociale, aux armoiries de l'IEP, mais avec toutes les mentions obligatoires (décrets, arrêté ministériel relatif aux habilitations…) et signé par le directeur de l'IEP, a été remis à 28 étudiants qui avaient reçu le master MIS. »

Remise des diplômes en juin 2014

Ce parcours proposé aux syndicalistes est révélateur des dérives de l'IEP. D'abord, l'audit note « un éloignement de la maquette d'habilitation et la disparition de la langue vivante pourtant obligatoire en master ». Concrètement, les enseignements délivrés n'ont pas grand-chose à voir avec ceux que sanctionnent les diplômes d'État validés par le ministère après discussion avec l'université, « tant en contenu qu'en nombre d'heures dispensées ». La conclusion est sans appel : « L'IEP a fait preuve d'un manquement important à ses obligations. » Autre incongruité : le montage économique de ce partenariat. Au lieu de délivrer lui-même ces cours « à Paris et à Aix », l'IEP a préféré les sous-traiter à un organisme de formation aixois récemment créé, l'Institut supérieur en intelligence sociale (Isis).

Le rapport d’audit confirme que sur les 12 masters habilités de l’IEP, les dérives concernent uniquement les spécialités du master management de l'information stratégique (MIS), dirigé par le consultant Stéphane Boudrandi dont Christian Duval avait fait son numéro deux. Initialement dédié aux sciences de l’information, ce master a été décliné à toutes les sauces, au gré des demandes des partenaires privés de l’IEP. « De nouveaux parcours on été créés avec des programmes s’éloignant de plus en plus de la maquette de départ », constatent les auteurs du rapport, qui assurent que l’AMU n’a jamais été informée de ces modifications. Ils citent notamment un parcours « Management et gouvernance des entreprises, dont les objectifs sont la finance, le marketing, les ressources humaines, communication ou business ».

Le rapport rappelle que Sciences-Po Aix a passé de nombreuses conventions avec des partenaires extérieurs prévoyant la délivrance du master MIS avec des cours délocalisés, mais que « quasiment aucun cours n’a été assuré par des enseignants-chercheurs ». Et pour cause, selon le rapport, le nombre d'étudiants des masters MIS a été multiplié par 34 en deux ans (passant de 16 étudiants en 2011-2012 à 547 en 2013-2014), « alors que l’équipe d’enseignant-chercheurs de l’IEP n’a quasiment pas évolué ». Dans certaines spécialités, seules 70 heures de cours ont été délivrées au total au lieu des 500 heures prévues par la maquette du diplôme. Et les étudiants dans ces masters délocalisés ont été recrutés n’importe comment. « Sur un échantillon de 104 étudiants inscrits pour les années universitaires 2012-2013 et 2013-2014, plus de la moitié n’avaient pas le niveau de diplôme requis », s'alarment les auteurs.

Certains avaient des parcours tortueux : 52 étudiants « d’origine chinoise » avaient pour adresse Pointe noire, au Congo Brazzaville. « Ils avaient comme dernier diplôme un MBA (master of business administration) de l’IEAM (une école de management) et l’Université professionnelle d’Afrique était mentionnée dans leur dossier », relève le rapport. Ces deux organismes font partie de ceux qui ont noué des partenariats douteux avec Sciences-Po Aix. Une trentaine d’autres étudiants inscrits étaient eux originaires de Kinshasa, « mais les dossiers n’ont pas été retrouvés », et ils n’ont finalement pas été diplômés.

Le rapport conclut, dans un langage très administratif et poli, que les diplômes du master MIS délivrés en 2013 et 2014 avaient tout faux. Ces diplômes dérogeaient « aux standards prévus à la fois au dossier d’habilitation, à l’arrêté relatif au diplôme de Master et aux exigences d’un diplôme universitaire, tout cela par le fait d’importants dysfonctionnements au sein de l’IEP ».

Les auteurs soulignent que les documents qui leur ont été remis par la direction de l’IEP étaient « incomplets ». Certaines maquettes de master leur sont arrivées en catastrophe le 17 novembre 2014, « veille de la remise du rapport final », comme celles du partenariat avec l’École nationale supérieure des sapeurs-pompiers ou encore l’École des officiers de la gendarmerie de Melun. Cette dernière semble d’ailleurs particulièrement éloignée de la maquette d’origine du diplôme, puisque seules 122 heures sur 669 sont consacrées au management de l’information stratégique, les autres étant dédiées à la « formation professionnelle », au « stage et pratiques professionnelles », à l’« éducation physique et sportive », ainsi qu’à l’« anglais ».

Combien d’incongruités ont ainsi été cachées aux auditeurs ? Ils n’ont par exemple pas eu accès aux conventions de partenariat signées avant 2012. Surtout, ils n’ont pas eu le temps d’aborder « toute la partie financière qui pourtant nécessitait certainement d’être étudiée ». À l’IEP d’Aix-en-Provence, un petit nombre de personnes semblait en effet avoir la main haute sur les partenariats.

Cette étape semble incontournable dans la mission de Didier Laussel, l’administrateur provisoire qui vient d’être nommé par le ministère de l’enseignement supérieur pour succéder à Christian Duval. Ce professeur agrégé d’économie est par ailleurs conseiller spécial d’Yvon Berland, le président d’Aix-Marseille université. Yvon Berland, qui siège au conseil d’administration de l’IEP, entend désormais obtenir plus de garanties avant de délivrer de nouveaux masters. « Nous avons repris l’ensemble des dossiers : il n’y a jamais eu de conventions présentées au vote en conseil d’administration, mais seulement des projets de convention. Puis en juillet 2013, Christian Duval a obtenu une délégation pour les conclure sans passer par le CA. Rien n’est arrivé dans les instances d’Aix-Marseille université. »

Au besoin, il envisage même une rupture de la convention qui autorise Sciences-Po Aix à délivrer au nom d’AMU des masters. Yvon Berland n’écarte pas non plus l’hypothèse d’une éventuelle suite judiciaire aux découvertes de son service d’audit : « Les services juridiques d’AMU examinent cela au microscope. » À défaut de l'avoir fait plus tôt.

Mediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

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Guaino relaxé malgré ses attaques contre la justice

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La nouvelle fait enrager la plupart des magistrats, et redonne le sourire aux amis de Nicolas Sarkozy. Le député (UMP) Henri Guaino, qui était poursuivi pour ses attaques violentes et répétées, en 2013, contre le juge d’instruction Jean-Michel Gentil après la mise en examen de Sarkozy dans l’affaire Bettencourt, a été relaxé ce jeudi par le tribunal correctionnel de Paris. Le parquet avait requis une amende de 3 000 euros contre le parlementaire des Yvelines, poursuivi pour « outrage à magistrat » et « discrédit jeté sur une décision de justice ».

Au lendemain de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse » au préjudice de la milliardaire Liliane Bettencourt, le 21 mars 2013, Henri Guaino avait multiplié dans les médias les sorties au bazooka contre le juge Gentil. L’ex-chef de l’État avait, finalement, bénéficié d’un non-lieu dans l’affaire Bettencourt.

Son ancien conseiller spécial à l’Élysée, Henri Guaino, avait notamment accusé le magistrat d’avoir « déshonoré la justice », évoquant aussi « une salissure de la France et de la République elle-même ». L'Union syndicale des magistrats (USM, syndicat modéré et majoritaire) avait saisi le parquet de Paris. Une fois les poursuites lancées, le député avait refusé de répondre à une convocation de police avant ce procès.

Henri GuainoHenri Guaino © Reuters

Ce 27 novembre, le tribunal a estimé que, s’agissant de propos tenus par un parlementaire, sur un sujet d’intérêt général, les limites admissibles de la liberté d’expression n’avaient pas été dépassées, a expliqué la présidente Anne-Marie Sauteraud.

Pour pouvoir réprimer les délits visés, le texte « exige que l'auteur, excédant la limite de la libre critique permise aux citoyens, ait voulu atteindre dans son autorité, par-delà les magistrats concernés, la justice considérée comme une institution fondamentale de l’État », peut-on lire dans le jugement rendu par le tribunal. Citant l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, d'une part, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, d'autre part, le tribunal place le principe de la liberté d'expression au-dessus du délit d'outrage visé par l'USM et le juge Gentil.

Toujours selon le jugement de la XVIIe chambre correctionnelle, les « limites » à la liberté d'expression d'un député qui « s'exprime sur un sujet relatif à la vie publique » sont « élargies », même s'il ne peut prétendre à bénéficier d'une immunité complète (la Constitution accorde aux députés une immunité liée à leur activité de parlementaire, cela pour éviter les arrestations arbitraires, mais aussi une immunité concernant les propos tenus dans l'hémicycle, ce qui n'est pas le cas ici).

« Henri Guaino a tenu des propos très violents et réitérés » à l'égard du juge Gentil, reconnaît le tribunal. Mais il n'a fait « qu'exprimer son indignation sans proférer d'injures, ni de diffamation ni de menaces », et « sa position a été partagée par 107 parlementaires qui n'ont pas été poursuivis », expose par ailleurs le jugement.

« Dans ces conditions, compte tenu de ces éléments, ainsi que du contexte, et en dépit de la violence de ses propos qui a pu légitimement choquer, il serait disproportionné de prononcer une sanction pénale à l'encontre d'Henri Guaino qui, s'exprimant en qualité d'élu dans le cadre d'un débat d'intérêt général, n'a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression concernant la critique de la décision d'un magistrat », conclut le tribunal.

« Ce jugement honore la justice », a réagi l'intéressé en sortant de la salle d'audience, dans une allusion ironique aux propos qui lui ont valu ce procès. « Je ne peux que remercier le tribunal d’avoir rendu la justice et reconnu la liberté d’expression des parlementaires qui est un élément absolument essentiel du bon fonctionnement d’une démocratie », a-t-il ajouté devant la presse.

Les avocats du juge Gentil ont annoncé que leur client ferait appel de la décision. Si le parquet ne fait pas de même, le procès en appel ne concernera que le volet civil du jugement. Le magistrat, désormais en poste à Lille, qui demandait 100 000 euros de dommages et intérêts, a été débouté du fait de la relaxe de M. Guaino.

« Dans ce dossier, nous considérons que l’outrage était évident, et qu’un parlementaire ne peut pas se permettre de dire tout de n’importe quelle façon », a déclaré Me Léon-Lef Forster, l'avocat du juge Gentil.

Lors de l’audience le 22 octobre, dans une salle de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris comble où plusieurs de ses collègues parlementaires UMP avaient pris place, Henri Guaino s’était attaché à transformer son procès en débat sur la liberté d’expression. Pour le moment, il a obtenu gain de cause.

BOITE NOIRELe parquet de Paris a fait appel du jugement de relaxe vendredi 28 novembre. Henri Guaino sera donc rejugé par la cour d'appel de Paris.

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Complémentaire santé : vers une médecine à trois vitesses ?

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Les campagnes de pub parasitent déjà les ondes des radios. Selon la loi d’un marché hyper concurrentiel, les complémentaires santé se livrent une féroce bataille pour nous vendre un produit d’un genre nouveau, un brin monstrueux : une « surcomplémentaire ». Un contrat complémentaire à notre contrat complémentaire à l’assurance maladie. De quoi renforcer certaines garanties en fonction des besoins : dépassements d’honoraires extravagants de médecins spécialistes, orthodontie et couronnes dentaires en or, lunettes de luxe. Notre système de santé déjà à deux vitesses, l’assurance maladie obligatoire et complémentaire, serait-il en train de se doter d’une troisième ?

Les trois familles de complémentaires santé ne sont pas d’accord entre elles. Côté assureurs, c’est très clair : « Ceux qui en auront les moyens prendront une surcomplémentaire. Les autres auront à leur charge une partie de leurs dépenses de santé », explique Véronique Cazals, conseillère du président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), en charge de la protection sociale. Les institutions de prévoyance, paritaires et très présentes dans les entreprises, sont également formelles : « On observe dans les récents sondages une demande de surcomplémentaire », selon Évelyne Guillet, directrice santé du Centre technique des institutions de prévoyance (Ctip). Christian Saout, le secrétaire général adjoint délégué (et ancien président) du Ciss, le Collectif des associations de patients, en est lui aussi tout à fait sûr : « On est en train de créer un appel d’air pour ces produits. » Au contraire, Étienne Caniard, le président de la Mutualité française, met en garde contre « les merveilleux discours de marketing qui affirment que les surcomplémentaires vont devenir indispensables ».

Tout part d’un décret paru le 19 novembre dernier. Il fixe les nouveaux critères des contrats complémentaires dits « responsables », qui représentent 94 % des contrats, et qui bénéficient à ce titre d’une fiscalité allégée. Dans la fusée à plusieurs étages de l’assurance maladie, ce décret crée de nouveaux planchers et plafonds de tarifs : le forfait hospitalier de 18 euros par jour doit désormais être pris intégralement en charge par les complémentaires. Mais celles-ci ne rembourseront plus les dépassements d’honoraires au-delà de 125 % du tarif de la sécurité sociale, puis de 100 % à compter de 2017. Autrement dit, les complémentaires ne rembourseront plus au-delà de 45 euros pour une consultation chez un médecin spécialiste, de 150 euros pour une échographie chez un gynécologue libéral, de 600 euros pour un accouchement dans une clinique privée, etc. Pour l’optique, ce sont six niveaux de planchers et de plafonds qui sont fixés en fonction des degrés de correction : de 470 euros maximum pour des lunettes avec des verres à simple foyer, à 850 euros maximum pour les verres multifocaux. 

Ces plafonds de prise en charge sont-ils trop bas, comme le pensent les assureurs et les institutions de prévoyance ? Ou au contraire trop haut, comme l’explique Étienne Caniard ? Le président de la Mutualité s’accroche à « la réalité : 75 % des médecins libéraux ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires, 92 % des généralistes et 50 % des spécialistes. La moyenne des dépassements des spécialistes est de 56 % ». Autrement dit, la plupart des Français paient rarement des dépassements d’honoraires à des médecins spécialistes, et ceux-ci facturent en moyenne 35 euros leur consultation par exemple. Vont-ils profiter de ces nouveaux plafonds pour augmenter leur prix à 45 euros ? La directrice santé du Ctip Évelyne Guillet en convient : « Afficher réglementairement un plafond de dépassement de 100 % est un mauvais signal donné à de nombreux médecins qui sont aujourd’hui en dessous. »

Bien sûr, 45 euros reste bien insuffisant pour être reçu en consultation privée par quelques « médecins stars » : au hasard, le cancérologue David Khayat, 260 euros ; l’urologue Thierry Flam, 150 euros ; le gynécologue René Frydman, 100 euros en moyenne, etc. Mais plus grave, les médecins libéraux spécialistes qui ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires sont en voie de disparition à Paris. Et il suffit de consulter le site de l’assurance maladie, qui renseigne sur les tarifs des médecins, pour constater qu’il est aussi difficile de trouver un gynécologue sans dépassements d’honoraires en Lozère, ou un chirurgien dans la Loire.

« Dans les grandes villes, on a encore le choix entre des médecins aux tarifs différents. Mais il y a des déserts médicaux de spécialistes où presque tous les chirurgiens, les gynécologues ou les pédiatres pratiquent des dépassements d’honoraires », explique Christian Saout. Et cela ne va pas s’arranger, car la grande majorité des jeunes médecins spécialistes s’installent en secteur 2 : 94 % des gynécologues de moins de 40 ans pratiquent des dépassements d’honoraires, 98 % des chirurgiens, 93 % des ophtalmologues, etc. Quant à l’optique, la plupart des Français n’ont qu’à se promener dans la plus petite ville, pour constater que deux ou trois enseignes se disputent le chaland dans la rue principale. Le prix des lunettes en France, 50 % plus chères que dans le reste de l’Europe, finance en réalité un réseau de distribution obèse.

Ces tarifs déraisonnables, qui ont échappé au contrôle de l’assurance maladie, et à toute régulation, ne cessent de renchérir le coût des contrats complémentaires et les rendent toujours moins accessibles aux jeunes, aux retraités, aux précaires, aux chômeurs, qui ne sont pas couverts par un contrat d’entreprise, aidés fiscalement, et pris en charge en partie par l’employeur. Pour Étienne Caniard, le plus inquiétant dans cette affaire est le recul historique de la couverture complémentaire : « Entre 2010 et 2012, pour la première fois depuis les années 1970, 500 000 personnes ont renoncé à leur contrat santé. » Selon l’Institut de recherches et de documentation en économie de la santé (Irdes), 5 % des Français n’ont pas de complémentaire en 2012, contre 4,2 % en 2010.

« Les dépassements d’honoraires ont été créés en 1980 par Raymond Barre pour quelques chirurgiens réputés, rappelle Christian Saout, du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). Ce système exceptionnel est devenu quasi général. Aujourd’hui, les dépassements d’honoraires sont hors de contrôle. Notre système de santé est en train de se dérégler. À force de colmater les brèches, il n’a plus aucune allure. Les Français paient chaque année 175 milliards d’euros d’impôts et de cotisations sociales pour une assurance maladie qui ne rembourse plus que 50 % des soins courants. Et ils versent en prime 30 milliards d’euros à des complémentaires santé qui ne complètent plus. Il est plus que temps de se demander où on va. »

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Contre les violences policières, la mobilisation s'organise

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À leurs yeux, la « malheureuse plaque » en hommage à Malik Oussekine, « par terre, même pas sur un mur » et « qui ne mentionne même pas la police », est le symbole d'une lutte à continuer. Celle d'une conscientisation de la société française face aux violences policières. À l'occasion des 28 ans de la mort de cet étudiant, frappé à mort par les voltigeurs en marge des manifestations contre la loi Devaquet, plusieurs représentants de collectifs venus d'horizons divers ont décidé d'unir leurs paroles et de faire converger leurs mobilisations.

Plaque commémorative de la mort de Malik Oussekine, rue Monsieur-le-Prince, à ParisPlaque commémorative de la mort de Malik Oussekine, rue Monsieur-le-Prince, à Paris

Ce vendredi, dans un appartement face à la gare du Nord, à Paris, ces militants ont dit leur détermination à porter leur combat pour la reconnaissance de « morts policières » et l'apaisement des relations entre forces de l'ordre et citoyens. Pour ce faire, toutes les occasions sont bonnes, de Malik Oussekine aux événements de Ferguson, outre-Atlantique, en passant par la mort de Rémi Fraisse à Sivens. Cette dernière a, selon Sihame Assbague (porte-parole du collectif « Stop contrôle au faciès »), « permis de vraies convergences entre des associations écolos et libertaires, des collectifs antiracistes et de défense des minorités ». Elle cite également une tribune (publiée ce vendredi par Mediapart) réunissant tous ces acteurs et des universitaires, ainsi qu'un autre texte commun (lire ici sur SaphirNews), signé par la sœur de Rémi Fraisse, Amal Bentounsi et Farid El-Yamni (sœur et frère de jeunes de quartier tués lors d'interpellations, lire ici) et Raymond Gurême, octogénaire ayant porté plainte pour violence policière (lire ici et ici). Selon Assbague, « le drame de Ferguson, et l'ample couverture médiatique qui en a été faite en France, nous fait espérer qu'il puisse en être de même à propos de ce qui se passe ici. Depuis Ferguson, il y a eu onze morts en France liés à des contrôles policiers, des courses-poursuites, des tirs de taser ».

Ce samedi, place du Trocadero à Paris, ils étaient plusieurs centaines à s'être rassemblés, pour entonner les slogans américains inspirés de deux récentes morts policières : « Hands up ! Don't shoot ! » (« Mains en l'air ! Ne tirez pas »), ou « I can't breathe ! » (« Je ne peux pas respirer »). Une occasion aussi de sensibiliser sur la situation hexagonale. « On cherche à faire le lien entre des systèmes judiciaires et des méthodes policières différents mais similaires, explique Youssouf du collectif « Ferguson in Paris ». Afin d'expliquer que des Mike Brown, il y en a plein chez nous. » Et de citer l'impressionnant travail du site Bastamag, qui recense « 50 ans de morts par la police » depuis les manifestations contre la guerre d'Algérie (voir leur enquête ici et leur frise là), pour étayer leurs dires.

 

 

Politiquement, le lobbying entamé par ces militants pour l'égalité des droits n'est guère couronné de succès. « On s'est tous réjouis quand la gauche est arrivée au pouvoir, car on pensait que ça allait changer, explique Sihame Assbague. La lutte contre le contrôle au faciès était même une des soixante propositions de Hollande. »

Elle raconte avoir rencontré « des ministres, des parlementaires », avoir assisté à « quatre propositions de loi différentes sur le récépissé de contrôle d'identité, d'Esther Benbassa à Jean-Christophe Lagarde et Marie-George Buffet », mais s'interroge aujourd'hui sur « l'indifférence et les absences de réponse » actuelles. Et soupire : « On sait qu'aujourd'hui, c'est Valls qui bloque. »

Comme ses camarades, elle ne comprend pas la sortie de Christiane Taubira (lire ici) sur la police qui assassine aux États-Unis : « Elle est au courant que la situation est similaire en France, il serait bon qu'elle s'exprime aussi sur la situation ici. » De fait, les bonnes relations que peuvent entretenir ces collectifs avec la ministre de la justice ne se sont pas traduites en actes.

À ses côtés, Amal Bentounsi, sœur d'Amine mort d'une balle dans le dos le 21 avril 2012, lors d'une arrestation qui a mal tourné. Elle s'exprime au nom de « tous ces collectifs de familles et d'amis de victimes de mort policière ». D'une voix toujours posée, elle dit vouloir que « les affaires puissent avancer, sans pression sur les magistrats, sans dissimulation de preuves ni expertises médicales mensongères ». Elle aimerait qu'il y ait « plus que 5 % de condamnations ferme » pour les forces de l'ordre coupables de bavure mortelle, plutôt que « des suspensions et des mutations, qui sont parfois même des promotions ». Elle conclut : « Avec la mort de Rémi Fraisse, un militant blanc et écologiste, les politiques et les médias ont dénoncé un mensonge d'État. Mais on rencontre les mêmes mensonges dans nos histoires… »

À l'autre bout de la table, Yann opine. Lui se dit « autonome », mobilisé dans les réseaux anarchistes et dans les ZAD (zones à défendre). « Il est temps de mettre en commun nos problématiques respectives par rapport à la justice et l'impunité policière », explique celui qui dit s'être jusque-là surtout mobilisé contre l'emploi du flashball. Selon lui, « on est confronté toujours aux mêmes attitudes : d'abord, on essaie de salir la victime, puis on dédouane la police, enfin on fait traîner la procédure judiciaire. C'est toujours le même schéma à l'œuvre, dans les manifs écolos comme dans les quartiers populaires ». Selon lui, « il y a une volonté en France de ne jamais ternir la réputation du maintien de l'ordre à la française, car c'est un savoir-faire qu'on exporte à l'étranger ».

Autour de la table, Sihame, Youssouf, Amal et Yann ne veulent pas être uniquement dans la dénonciation, mais documentent leurs critiques et leurs espoirs de façon étayée. Tous jugent insignes les réformes récentes en matière de police qui ont été prises par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve et son prédécesseur devenu premier ministre, Manuel Valls. Le retour du matricule ? « C'est un simple scratch, la plupart des policiers ne le portent pas », dit l'une. « Quand on le demande lors d'un contrôle, ils rigolent », renchérit l'autre. La possibilité de saisir l'IGPN directement par internet ? « Avant de remplir sa plainte, il faut lire un préalable menaçant sur le faux témoignage », soupire Sihame Assbague. « Quand j'ai été passé à tabac pour avoir filmé la police lors d'une manif, l'IGPN s'est dessaisie au bout de quelques jours, raconte Yann. Je n'avais eu que deux jours d'ITT (interruption temporaire de travail). »

Manifestation de soutien à Ferguson, place du Trocadéro, à Paris, le 6 décembreManifestation de soutien à Ferguson, place du Trocadéro, à Paris, le 6 décembre © #FergusoninParis


Quant aux mini-caméras qui vont équiper bientôt l'ensemble des forces de l'ordre, ainsi que l'a annoncé Bernard Cazeneuve après le drame de Sivens, elles ne recueillent pas plus d'assentiment. « C'est un dispositif bien plus cher et compliqué à mettre en œuvre que le récépissé, s'étrangle Assbague. Et l'usage de ces caméras sera laissé à l'appréciation des policiers, qui pourront les allumer et les éteindre quand ils le voudront. » « Ce qui pourrait être un moindre mal, positive Youssouf, ce serait d'annuler les procédures pour outrage à force de l'ordre, un classique policier pour obtenir ses objectifs, si jamais la caméra n'est pas déclenchée depuis le début de l'interpellation… »

Youssouf et Amal Bentounsi, le 5 décembre, à ParisYoussouf et Amal Bentounsi, le 5 décembre, à Paris © S.A

Youssouf a la quarantaine, et aimerait voir s'apaiser les relations entre la police et les citoyens. « On discute avec les policiers sur le terrain. Notre mobilisation n'est pas contre la police, mais pour que ça se passe mieux, dit-il. Pour que les relations soient meilleures. Il y a eu une époque, celle des îlotiers, où on jouait au foot ensemble, au même club de boxe… » Il tient à signaler que les suicides dans la police révèlent aussi un malaise qu'il faudrait pouvoir accompagner. Mais aujourd'hui, lui aussi, comme les autres, constate une impunité qui ne peut pas être discutée.

« La simple parole du policier suffit, on part du principe qu'il est de bonne foi, explique Yann. Au détriment même de preuves vidéo. » S'ils n'ont rien contre les forces de l'ordre, tous aimeraient les voir désacralisées. « Une fois que tu as enlevé l'uniforme, les policiers en tant qu'individus ne valent pas mieux que ceux qu'ils contrôlent, lâche Youssouf. On voit s'accumuler dans la presse les affaires de drogues, corruption, viols au sein même de l'institution. » Amal Bentounsi se fait « volontairement provocante » : « Franchement, pour quelqu'un de raciste et violent, s'engager dans la police, c'est la bonne planque, on te reconnaît toujours la légitime défense… »

Sihame Assbague et Yann, le 5 décembre, à ParisSihame Assbague et Yann, le 5 décembre, à Paris © S.A

Quels peuvent être aujourd'hui les espoirs de ces collectifs ? Comment la mobilisation peut-elle prendre, comme elle a pris aux États-Unis ? Les militants n'ont pas de réponse nette. Ils évoquent le rôle « décisif » des médias : « Qu'ils couvrent la situation française comme ils ont très bien couvert la situation américaine. » Mais ils font surtout confiance à eux-mêmes. « On va continuer à parler avec les élus locaux, dit Sihame Assbague. Il y a de vraies inquiétudes chez eux sur ces questions de relations police/citoyens, on nous appelle de plus en plus pour qu'on vienne mener des actions de sensibilisation sur le terrain. » Ils évoquent aussi la montée en puissance de leur « pôle juridique », qui peut être joint via une application internet, un répondeur téléphonique et un système de messagerie SMS, ainsi que leur lien permanent avec le défenseur des droits ou la diffusion de leur « guide d'action face aux contrôles abusifs » (lire ici).

Pour eux, le fait, déjà, de « créer des passerelles et des convergences » est en soi un premier succès. « Ça prend du temps, on n'a pas les mêmes cultures militantes, on ne croit pas tous de la même manière en la justice, en la possibilité que les choses bougent dans la police », dit Assbague. « La violence policière crée de l'unité et de la prise de conscience, abonde Yann. C'est en train de bouger, on apprend à se connaître, on devient amis… Il n'y a déjà plus les dichotomies d'antan entre militants des quartiers populaires et militants politiques. »

À l'heure actuelle, assure Sihame Assbague, plusieurs représentants politiques nouent des contacts, à la gauche du PS ou chez les “frondeurs”. La porte-parole de « Stop le contrôle au faciès » sait que « bientôt il va y avoir de nouvelles échéances électorales, alors les politiques vont revenir voir les quartiers populaires ». Elle se satisfait aussi des « convergences internationales » qui sont en cours. Comme ces étudiants américains avec qui ils ont manifesté place du Trocadéro. « Ce n'est pas qu'avec les Américains, on a été contacté par des collectifs allemands, belges, suédois… », dit-elle.

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Aéroport de Toulouse: les preuves du mensonge

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Dans le dossier de la privatisation de l’aéroport de Toulouse, Emmanuel Macron a décidément pris une incompréhensible posture. Prétendant que la cession aux investisseurs chinois ne portera que sur une part minoritaire du capital, et suggérant du même coup que l’État et les collectivités locales resteront aux commandes de l’entreprise, il s’en est pris, samedi, très vivement aux détracteurs du projet.

Dans le prolongement de notre précédente enquête, dans laquelle nous pointions plusieurs contrevérités énoncées par le ministre de l’économie (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti), Mediapart est pourtant en mesure de révéler la teneur précise du pacte d’actionnaires qui lie désormais l’État aux investisseurs chinois ayant remporté l’appel d’offres lancé pour la privatisation. Ce document a pour l’instant été tenu soigneusement secret par Emmanuel Macon. Les reproductions que nous sommes en mesure de révéler établissent clairement que le ministre de l’économie a menti.

Avant d’examiner le détail de ce pacte d’actionnaires secrets, reprenons le fil des événements récents pour comprendre l’importance de ce document. Annonçant au journal La Dépêche que l’aéroport de Toulouse-Blagnac allait être vendu au groupe chinois Symbiose, composé du Shandong Hi Speed Group et Friedmann Pacific Investment Group (FPIG), allié à un groupe canadien dénommé SNC Lavalin, Emmanuel Macron avait fait ces commentaires : « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital. On ne vend pas l’aéroport, on ne vend pas les pistes ni les bâtiments qui restent propriété de l’État. [...] Nous avons cédé cette participation pour un montant de 308 millions d’euros », avait dit le ministre de l’économie. Au cours de cet entretien, le ministre appelait aussi « ceux qui, à Toulouse, sont attachés à l’emploi et au succès d’Airbus, [à] réfléchir à deux fois aux propos qu’ils tiennent. Notre pays doit rester attractif car c’est bon pour la croissance et donc l’emploi », avait-il dit.

Dans la foulée, le président socialiste de la région Midi-Pyrénées, Martin Malvy, avait aussi laissé miroiter l’idée, dans un communiqué publié dans la soirée de jeudi, que cette privatisation n’en serait pas véritablement une et que l’État pourrait rester majoritaire. « J’ai dit au premier ministre et au ministre de l’économie et des finances, depuis plusieurs semaines, que si l’État cédait 49,9 % des parts qu’il détient – et quel que soit le concessionnaire retenu –, je souhaitais que la puissance publique demeure majoritaire dans le capital de Toulouse-Blagnac. C’est possible. Soit que l’État garde les parts qu’il possédera encore – 10,1 % – soit que le candidat désigné cède une partie de celles qu’il va acquérir. Emmanuel Macron confirme que le consortium sino-canadien n’y serait pas opposé. Je suis prêt à étudier cette hypothèse avec les autres collectivités locales, la Chambre de commerce et d’industrie et le réseau bancaire régional, voire d’autres investisseurs. Nous pourrions nous réunir au tout début de la semaine prochaine pour faire avancer une réflexion déjà engagée sur la base d’un consortium ou d’un pacte d’actionnaires en y associant l’État », avait-il déclaré.

Invité dimanche soir du journal de France 2, Manuel Valls a, lui aussi, fait entendre la même petite musique lénifiante. L'aéroport de Toulouse, a-t-il fait valoir, « va rester majoritairement dans les mains des collectivités territoriales et de l'Etat (...) il faut assumer que nous vivons dans une économie ouverte », a-t-il déclaré. « Nous, nous avons le droit de vendre des Airbus, d'investir en Chine et les Chinois ne pourraient pas investir chez nous ? Mais dans quel monde sommes-nous ? », s'est-il insurgé, avant d'ajouter : « Il faut assumer que nous vivons dans une économie ouverte et, en même temps, nous préservons bien sûr nos intérêts fondamentaux. Ce que nous faisons pour un aéroport, nous ne le ferons évidemment pas dans d'autres filières, je pense par exemple au nucléaire ».

En somme, le ministre de l’économie, le président socialiste de la région et le premier ministre ont, tous les trois, fait comprendre que l’aéroport de Toulouse resterait entre les mains de l’État et des collectivités locales, l’investisseur chinois ne mettant la main que sur 49,9 % du capital, l’État gardant 10,1 %, la Région, le département et la ville de Toulouse détenant le solde, soit 40 %.

En apparence dans son bon droit, Emmanuel Macron a donc monté encore d’un cran, en prenant très vivement à partie, samedi, tous ceux – et ils sont nombreux, au plan national comme au plan régional – qui s’inquiètent de ce projet de privatisation soi-disant partielle. « Celles et ceux que j'ai pu entendre, qui s'indignent de cette cession minoritaire de la société de gestion de l'aéroport de Toulouse, ont pour profession d'une part d'invectiver le gouvernement et d'autre part d'inquiéter les Français », a-t-il déclaré, en marge du congrès de l'Union nationale des professions libérales.

La formule volontairement féroce contre ceux qui « ont pour profession d'une part d'invectiver le gouvernement et d'autre part d'inquiéter les Français » risque fort, toutefois, de se retourner contre son auteur car la combinaison du mensonge et du dénigrement des opposants est une curieuse vision de l'exercice du pouvoir en démocratie.

Oui, du mensonge ! Le terme n’est pas exagéré. Déjà dans notre précédente enquête, nous avions usé de cette formulation et, pour l’étayer, nous avions révélé quelques courts extraits du pacte d’actionnaires qui va désormais lier l’État français aux acquéreurs – pacte d’actionnaires dont ont eu connaissance certaines des collectivités publiques concernées par le projet et auprès desquelles nous avions obtenu ces informations. Mais comme le ministre de l’économie persiste à dire qu’il s’agit d’une privatisation partielle et suggère que les actionnaires publics gardent la main, nous sommes en mesure de rendre publics les fac-similés des passages les plus importants de ce pacte d’actionnaires secret, qui établissent le mensonge du ministre et que ces mêmes collectivités nous ont transmis.

Voici d’abord la page de garde de ce pacte d’actionnaires :

Dès le premier coup d’œil, on trouve donc la confirmation que le pacte d’actionnaires lie bel et bien l’État, qui conserve pour l’instant 10,1 % du capital, non pas à la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse (25 % du capital), le Conseil général du département (5 %), le Conseil régional (5 %) et la Ville de Toulouse (5 %). Non ! Alors que sur le papier les actionnaires publics restent majoritaires, l’État trahit ses alliés naturels et conclut un pacte d’actionnaires avec l’acquéreur chinois. En clair, les investisseurs chinois sont des actionnaires minoritaires, mais l’État leur offre les clefs de l’entreprise pour qu’ils en prennent les commandes.

Les dispositions prévues par ce pacte d’actionnaires secret pour les règles de gouvernance de la société viennent confirmer que les investisseurs chinois, pour minoritaires qu’ils soient, seront les seuls patrons de la société. Voici les règles de gouvernance prévues.

D’abord, la société sera supervisée par un conseil de surveillance de 15 membres, dont 2 désignés par l’État et 6 désignés par l’investisseur chinois, selon la disposition « 2.1.2 » du pacte. Autrement dit, ces huit membres du conseil de surveillance, liés par le pacte, garantiront aux investisseurs chinois minoritaires de faire strictement ce qu’ils veulent et d’être majoritaires au conseil de surveillance.

Le point « 2.1.3 » du pacte consolide cette garantie offerte aux investisseurs chinois puisqu’il y est précisé que « l’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membres du conseil de surveillance présentés par l’Acquéreur, de telle sorte que l’Acquéreur dispose de six (6) représentants au Conseil de surveillance ».

Mais il y a encore plus grave que cela. Au point « 2.2.2 », l’État donne la garantie quasi formelle à l’investisseur chinois, aussi minoritaire qu’il soit, qu’il pourra décider strictement ce qu’il veut et que la puissance publique française ne se mettra jamais en travers de ses visées ou de ses projets. C’est consigné noir sur blanc – et c’est la clause la plus stupéfiante : « L’État s’engage d’ores et déjà à ne pas faire obstacle à l’adoption des décisions prises en conformité avec le projet industriel tel que développé par l’Acquéreur dans son Offre et notamment les investissements et budgets conformes avec les lignes directrices de cette Offre. »

Qu’adviendrait-il ainsi si l’investisseur chinois décidait d’augmenter le trafic de l’aéroport dans des proportions telles que cela génère de graves nuisances pour le voisinage ? Par un pacte secret, l’État a déjà pris l’engagement qu’il ne voterait pas aux côtés des collectivités locales pour bloquer ce projet, mais qu’il apporterait ses voix aux investisseurs chinois.

Si on prolonge la lecture de ce pacte d’actionnaires pour s’arrêter aux « décisions importantes » pour lesquelles l’État sera contraint d’apporter ses suffrages aux investisseurs chinois, on a tôt fait de vérifier que cela concerne tous les volets de la vie de l’entreprise. Voici en effet, au point « 4 » les « décisions importantes » qui sont en cause :

En clair, les « décisions importantes » concernent tout à la fois « l’adoption du plan stratégique pluriannuel », « l’adoption du plan d’investissement pluriannuel », « l’adoption du budget », etc.

Bref, les investisseurs chinois ont carte blanche pour faire ce qu’ils veulent. Au point « 3 », on en trouve d’ailleurs la confirmation, avec cette autre clause stupéfiante : « Le Directoire sera composé de (3) trois membres. L’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membre du directoire et de Président du directoire présentés par l’acquéreur, étant précisé que ces candidats feront l’objet d’une concertation entre l’État et l’Acquéreur préalablement à la séance du  Conseil de surveillance concerné, afin de s’assurer que l’État n’a pas de motif légitime pour s’opposer à la désignation de l’un quelconque des candidats proposés par l’Acquéreur. » En clair, là encore, l’État trahit ses alliés naturels que sont les collectivités locales, pour offrir les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois, même s’ils sont minoritaires.

Au passage, l’État donne aussi les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois, sans le moindre garde-fou, pour qu’ils pratiquent la politique de rémunération qu’ils souhaitent au profit de ceux qui dirigeront la société. « Les mêmes dispositions s’appliqueront, mutatis mutandis, s’agissant de la détermination de la rémunération de ces mêmes candidats », lit-on à ce même point « 3 ».

Et toute la suite du pacte est à l’avenant. Voici la fin du point « 4 » et les points « 5 » et « 6 » :

Et il est prévu au point « 10 » que ce pacte liera les parties pour une très longue durée. Voici ce point « 10 » :

Le pacte est donc prévu pour une durée de douze ans, reconductible ensuite pour les dix années suivantes.

Alors, avec le recul, les belles assurances ou les anathèmes du ministre de l’économie prennent une bien étrange résonance. Comment comprendre que le ministre de l’économie ait pu jurer, croix de bois, croix de fer, « qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital » ? Comment comprendre cette sortie tonitruante contre ceux qui « ont pour profession d'une part d'invectiver le gouvernement et d'autre part d'inquiéter les Français » ? Un mélange de mensonge et de cynisme…

BOITE NOIREMis en ligne ce dimanche 7 décembre vers 17H, cet article a été amendé vers 20H45, pour intégrer les déclarations faites par Manuel Valls au journal du soir de France 2.

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Argent du FN: les hommes de la filière russe

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Le Front national n'a pas trouvé le soutien des banques russes par hasard, et par défaut, contrairement à ce que Marine Le Pen a répété dimanche soir sur BFMTV, en expliquant y avoir été « contrainte ». Pour obtenir l'octroi successif de deux prêts, de 9 et 2 millions d'euros (révélés par Mediapart ici et), le parti d'extrême droite a au contraire mobilisé une galaxie de sympathisants, d'intermédiaires et d'oligarques.

En surfant sur l'isolement diplomatique de la Russie depuis la crise ukrainienne, les représentants du FN ont transmis à Moscou une demande portant sur des besoins financiers estimés à 40 millions d’euros, d'ici à 2017. Des questions restent posées sur les conditions de ces prêts, les commissions versées, et le rôle déterminant du Kremlin dans leur déblocage. Le parlement européen a d'ailleurs demandé publiquement des explications. Retour sur les principaux acteurs de cette opération, inédite, de financement d'un parti politique français par des banques étrangères.

  • Bernard Monot, conseiller de Le Pen : le "commanditaire" du prêt
Bernard Monot.Bernard Monot. © Photo postée sur son blog de candidat aux européennes.

Éminence grise, Bernard Monot a d'abord travaillé en souterrain pour le Front national, puisqu’il a rédigé le programme économique de Marine Le Pen en 2012, sous le pseudonyme de Nicolas Pavillon. Devenu officiellement son conseiller « en stratégie économique » au printemps, puis élu député européen dans la foulée, cet ancien de la Caisse des dépôts explique à Mediapart être « le chercheur de financements » du parti et le « commanditaire du prêt auprès de Jean-Luc Schaffhauser ». C'est lui qui a « fait venir » au FN Schaffhauser, qu'il avait connu au Forum démocratique. Lui aussi qui a demandé à Marine Le Pen qu'il « soit en bonne position » sur la liste Ile-de-France, aux européennes.

Bernard Monot a rencontré le directeur général de la VTB Bank, la deuxième banque publique russe, « mais cela n’a pas abouti », dit-il. Il a donc demandé à Jean-Luc Schaffhauser « de jouer de ses amitiés, car nous on pédalait. Il a fait le nécessaire, c’est un grand négociateur, il a un grand réseau, 100 % du mérite lui revient. Je n’ai pas demandé les détails, je cloisonne. C'est un homme très discret, secret, pour toutes les raisons que vous imaginez »

  • Konstantin Malofeev, oligarque : le financier de l'extrême droite européenne
Konstantin Malofeev, l'oligarque orthodoxeKonstantin Malofeev, l'oligarque orthodoxe

Cet oligarque russe proche du Kremlin, présenté par le Financial Times comme un « Raspoutine des temps modernes », a fait fortune dans la communication avec son fonds d'investissement Marshall Capital. Financier des séparatistes pro-russes en Ukraine, il est aussi à l'origine, avec sa fondation Saint-Basile-le-Grand – la plus grande organisation caritative orthodoxe en Russie –, d'événements internationaux marqués à l'extrême droite. Il s'est associé à Philippe de Villiers dans la création de déclinaisons russes du Puy du Fou.

« Ami » du conseiller de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, il est apparu à ses côtés lors de la célébration des « 200 ans de la Sainte Alliance », réunissant près d’une centaine d’invités à huis clos, à Vienne, en mai ; ou encore en septembre, à Moscou, lors de la visite d’une délégation de députés français, à l’hôtel Président, puis au World Congress of Families.

  • Aymeric Chauprade, eurodéputé, celui qui a relancé la filière russe
Aymeric Chauprade.Aymeric Chauprade. © dr

Il est sorti du chapeau de Marine Le Pen à l’automne 2013. Propulsé tête de liste aux européennes en Ile-de-France et conseiller aux affaires internationales de la présidente du FN, Aymeric Chauprade la conseille en réalité depuis 2010. Moteur de l’engagement pro-russe du FN, ce consultant international multiplie les voyages en Russie : il intervient devant la Douma en juin 2013, il est l'invité du club Valdaï – forum international sous l’égide de Poutine – trois mois plus tard ; il se rend comme « observateur » du référendum organisé par les séparatistes en Crimée en mars 2014 ; puis au World Congress of families en septembre ; il est de nouveau à la Douma le 24 novembre, pour un discours « au nom de madame Marine Le Pen ».

D’après Jean-Marie Le Pen, « il n’est pas impossible » qu’Aymeric Chauprade « ait aidé à la constitution de cette relation » qui a abouti au « prêt » de 2 millions d’euros octroyé à son micro-parti.

  • Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé, intermédiaire : le négociateur du prêt
Jean-Luc Schaffhauser.Jean-Luc Schaffhauser. © Capture de vidéo.

Chauprade, Schaffhauser : deux « filières » distinctes, comme ils l’ont eux-mêmes indiqué ici et là. Le second est un ancien centriste qui n'a pas sa carte au Front national. C'est pourtant lui qui a permis au FN d'obtenir un prêt de 9 millions d'euros. Investi tête de liste à Strasbourg aux municipales de mars, puis 3e sur la liste aux européennes en Ile-de-France en mai, Jean-Luc Schaffhauser n'avait pas vocation à devenir « un homme public », dit-il à Mediapart.

Ce discret consultant international se définit comme « l'homme de certaines missions ». Il est spécialiste de « l’implantation de sociétés à l’étranger et dans la recherche de financement pour sociétés », d'après sa déclaration d'intérêts de parlementaire. C'est cette déclaration que le parlement européen a décidé d'examiner, puisque l'eurodéputé n'y a pas fait figurer la commission de 140 000 euros qu'il a reçue en septembre pour son rôle d'intermédiaire dans le prêt.

Proche de l'Opus Dei, M. Schaffhauser a œuvré pour le rapprochement entre le Vatican, la Russie et l'Église orthodoxe, à partir de 1991, « à la demande de Rocco Buttiglione », ami de Jean-Paul II. Il affirme que c'est l'économiste russophile Jacques Sapir qui « (l'a) beaucoup aidé dans (ses) premiers contacts en Russie, liés au système militaro-industriel, au milieu des années 1990 ».

Dans les années 2000, il a travaillé pour Total, Auchan puis Dassault « jusqu'en 2007 ». Il a notamment « représenté Dassault dans le lobbying en Pologne en 1999-2000, d'abord sur les Falcone. Les Russes nous aidaient pour que les Français l'emportent plutôt que les Américains », raconte-t-il. Il souhaite aujourd'hui mettre sur pied une fondation – « Multipolar World » –, axée vers la Russie, et qui s'appuiera sur l'Académie européenne qu'il a créée en 1995.

  • Alexander Babakov, conseiller de Poutine : l'homme qui a ouvert les portes
Dmitri Rogozin, ancien leader de Rodina devenu vice-premier ministre, et Alexander Babakov, en 2004.Dmitri Rogozin, ancien leader de Rodina devenu vice-premier ministre, et Alexander Babakov, en 2004. © Reuters

Ancien responsable du parti nationaliste Rodina, dont il fut longtemps le principal financier, Alexander Babakov a depuis rejoint le parti Russie unie, celui de Vladimir Poutine, et il est devenu son conseiller en charge de la coopération avec les organisations russes à l’étranger.

Placé sur la liste des sanctions européennes depuis cet été, il est le contact central de Jean-Luc Schaffhauser, qu'il a rencontré au milieu des années 2000, « par le biais de l’Église orthodoxe », explique à Mediapart l'eurodéputé frontiste. M. Babakov aurait été présenté par Schaffhauser à Marine Le Pen lors d’un voyage resté confidentiel en Russie, en février 2014.

Comme Mediapart l’a raconté, le nationaliste Babakov est à la tête d’un patrimoine immobilier caché en France. Patrimoine estimé à plus de 11 millions d'euros, alors qu’en Russie, il se présente comme l’un des députés de la Douma les moins fortunés. Il a par ailleurs usé de l’influence de ses réseaux sur différents partis politiques de plusieurs pays européens de l’Est pour contribuer à la constitution d’un groupe au parlement européen.

  • Sergueï Narychkine et Dmitri Rogozine : les hiérarques qui soutiennent Le Pen
Sergueï Narychkine, le président de la Douma.Sergueï Narychkine, le président de la Douma. © Reuters

À Moscou, deux figures du pouvoir russe ont déroulé le tapis rouge à Marine Le Pen lors de ses venues : le président de la Douma Sergueï Narychkine, un très proche de Poutine, qu'il a connu au KGB ; et le vice-premier ministre Dmitri Rogozine, ancien leader du parti nationaliste Rodina.

D'après le Temps, Sergueï Narychkine s’occuperait « de tisser des liens avec des mouvements politiques européens hostiles à Bruxelles ». À chacune des visites de la présidente du FN, en juin 2013 et en avril 2014, il la complimente, estimant qu'elle est « bien connue en Russie » et « une personnalité politique respectée », ou soulignant qu'ils ont « beaucoup en commun dans nos positions sur la manière de régler la crise » en Ukraine. Il va jusqu'à la féliciter pour le score du FN aux municipales, un « tournant dans la vie de la France ».

Marine Le Pen et Dmitri Rogozine, le 21 juin 2013, à Moscou.Marine Le Pen et Dmitri Rogozine, le 21 juin 2013, à Moscou.

Quant à Rogozine, qui avait déjà rencontré Jean-Marie Le Pen « il y a cinq ou six ans, à Bruxelles », d’après le fondateur du FN, il n’a pas caché son soutien à Marine Le Pen. En mai 2012, il l’avait déjà félicitée sur Twitter, « en signe de reconnaissance », « pour son brillant résultat aux élections présidentielles en France ».

  • Vladimir Poutine, président russe : chasseur de têtes en Europe

Marine Le Pen a affirmé dimanche sur BFMTV qu'elle n'avait « jamais » rencontré le président russe. Pourtant, Aymeric Chauprade a lui évoqué la possibilité d'une « rencontre non officielle ». C'est aussi ce qu'ont affirmé deux autres responsables frontistes à Mediapart.

Vladimir Poutine miserait, selon plusieurs connaisseurs de la Russie, sur une ascension du Front national. La présence d'une délégation russe, et du vice-président de la Douma Andrei Isaiev, membre du parti de Poutine, au récent congrès du parti d'extrême droite à Lyon vient confirmer cette thèse.

Vladimir Poutine.Vladimir Poutine. © Reuters

Selon The Independent, le président russe aurait planifié une « opération fric et séduction » envers les partis « anti-système ». Et ce dans l'objectif de fragiliser le front diplomatique auquel il fait face dans la crise ukrainienne. Au-delà de la France, d'autres formations « europhobes » sont soupçonnées d'avoir eu recours à des prêts en Russie. Comme l'a détaillé Mediapart, plusieurs eurodéputés font même l'objet de procédures, accusés, dans leur pays d'origine, d'être des agents du régime de Vladimir Poutine au parlement européen.

  • Roman Popov, banquier russe : l'homme qui a débloqué 9 millions

Pour se renflouer, le Front national a choisi un établissement des plus confidentiels, mais qui n'est pas sans lien avec l’État russe. Fondée en 1996 sur l’initiative du gouvernement tchèque, la First Czech Russian Bank (FCRB) devait à l'origine soutenir les échanges commerciaux entre les deux pays, avec pour actionnaires la Banque postale d'investissement tchèque (IPB) et la banque moscovite Vozrojdenie (Renaissance). Jusqu’à ce qu’en décembre 2002, le géant russe Stroytransgaz (STG), leader dans la construction de gazoducs et dont le principal client est Gazprom, décide d’en faire sa « banque de poche ». STG rachète d’abord 50 % puis 94,5 % du capital de la FCRB, injectant 100 millions de dollars. Naguère 195e banque russe, la FRCB se hisse alors à la 43e place, et ses actifs gonflent à vue d’œil, passant de 1,7 milliard de roubles à 11,4 milliards, comme le racontait Vedomosti en 2003. 

Roman Popov, aujourd'hui propriétaire à 100 % de la FCRBRoman Popov, aujourd'hui propriétaire à 100 % de la FCRB

C’est à ce moment que Roman Popov entre en scène, parachuté à la tête de l’établissement. Il n’a que 30 ans. Diplômé de l’institut moscovite d’économie Plekhanov, il a occupé de 1992 à 2002 le poste de vice-directeur financier de Stroytransgaz (STG). Peu charismatique et très discret, il sera désormais la vitrine de la FCRB.

Au milieu des années 2000, la banque cherche à s’implanter en Europe, en Tchéquie, en Slovaquie, mais aussi en Italie, afin aussi de soutenir les projets de Stroytransgaz dans ces pays. À deux reprises, la Banque centrale tchèque refuse de lui accorder une licence bancaire, estimant que la structure du capital n’est pas suffisamment transparente, comme l’a écrit en 2010 le journal tchèque Prajskyi Telegraph. L’affaire est traitée à un haut niveau, puisque Vladimir Poutine plaide alors en faveur de la banque lors d’une rencontre avec ses homologues tchèques.

La First Czech Russian Bank soulève des interrogations au sein des organes de sécurité tchèques qui estiment qu’elle « pourrait avoir des liens avec les services secrets russes, ou avec des éléments du crime organisé », lit-on dans un blog de la Jamestown Foundation.

En 2008, la situation se débloque et la filiale de la FCRB, la banque pour la coopération internationale, rebaptisée ensuite European-Russian Bank (ERB) obtient un feu vert. C’est la première fois depuis la disparition de l’URSS qu’un établissement bancaire russe peut opérer en République tchèque. Cette licence est valable dans tous les pays de l’Union européenne.

Quelques mois auparavant, en février 2007, le capital de la FCRB avait été remanié de fond en comble. Stroytransgaz (STG) se retire alors officiellement de l’établissement et Roman Popov acquiert à titre privé 74,45 % des parts – alors que Viktor Lorents, le directeur de STG, en rachète 25,55 % tout en continuant à travailler au sein de l’entreprise de construction.

Aujourd'hui, Popov apparaît comme seul maître à bord, propriétaire de 100 % du capital de la banque qui est retombée au 147e rang des établissements russes selon un classement réalisé en novembre. En 2012, le Wall Street Journal a cité la FCRB comme la seule banque russe – une « petite et obscure institution financière » – à avoir encore ouvertement des liens avec l'Iran, pays sous sanctions européennes et américaines. Ces liens avec la République islamique sont assumés. En mars 2012, Roman Popov a été élu à la tête du Conseil des affaires russo-iranien. Il multipliait alors les rencontres et les échanges avec différents représentants du business iranien, prônant la nécessité pour la Russie d'occuper les niches laissées par les Occidentaux. Il a depuis quitté ses fonctions à la tête du Conseil. 

Dans un autre registre, la banque finance des projets immobiliers. Roman Popov assistait, en juin 2013, à l’inauguration d’un centre commercial « Plaza City » à Adler, dans le sud de la Russie, aux côtés du propriétaire des lieux, un certain Ruben Tatoulian alias "Robson" (voir la vidéo). Cet homme d'affaires est considéré comme le maire de l’ombre de Sotchi, proche des milieux du crime, selon plusieurs articles parus dans la presse russe

La FCRB donne aussi dans le sponsoring. En 2011, elle a été parmi les organisateurs des festivités du 50e anniversaire du vol spatial de Youri Gagarine, célébrées en présence de Dmitri Medvedev alors président de la Russie. Elle finance aussi une revue culturelle de luxe branchéeThe Prime Russia Magazine, dont la directrice est la femme de Popov, Anna Popova, née Baboussenko.  

  • Viatcheslav Baboussenko, l'ancien apparatchik du KGB passé à la tête de la banque prêteuse
Viatcheslav Baboussenko, ancien du KGB et beau-père de Roman Popov. Ici en 2011 au bal d'hiver de Moscou.Viatcheslav Baboussenko, ancien du KGB et beau-père de Roman Popov. Ici en 2011 au bal d'hiver de Moscou.

Ces liens de famille ne sont pas anodins, puisque Mme Popova est la fille d’un certain Viatcheslav Baboussenko, ancien responsable du KGB, qui est l'une des figures clés de la First Czech Russian Bank (FCRB).

Alexandre Baboussenko affiche un parfait parcours de KGbiste. Né en 1957, il a été formé par la haute école du KGB Dzerjinski. Au moment du putsch raté contre Boris Eltsine en 1991, il appartient à la direction du KGB-Russie, chef du département des relations avec le gouvernement, comme en témoigne le livre Dans les coulisses du putsch : les tchékistes russes contre la destruction des organes du KGB en 1991. Il apparaît alors sur plusieurs photos d’époque. 

M. Baboussenko a passé plus de 20 ans au sein de Stroytransgaz (STG). De 1996 à 2001, il est numéro deux du département de la sécurité, puis devient l’un des premiers vice-directeurs de la société.

Viatcheslav Baboussenko (le 3e en partant de la droite) et ses collègues du KGB-Russie en 1991.Viatcheslav Baboussenko (le 3e en partant de la droite) et ses collègues du KGB-Russie en 1991. © dr

Il pourrait raconter l’histoire des liens tortueux entre Stroytransgaz, le pouvoir russe et la FCRB. Créée en 1990, Stroytransgaz a dès le départ été une poule aux œufs d’or qui vit alors à 80 % des commandes de Gazprom. À l’époque, parmi les actionnaires de la société, on trouve les deux fils du Premier ministre Viktor Tchernomyrdine et la fille du tout-puissant président de Gazprom, Rem Viakhiriev. Avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, les cartes sont redistribuées. Un intime de Poutine, Guennadi Timtchenko, qui est aujourd’hui touché de plein fouet par les sanctions américaines (lire notre article), jette en 2007 son dévolu sur Stroytransgaz, dont il contrôlera bientôt 80 % du capital.  

En avril 2008, le directoire de la STG est démissionné en bloc, dont Baboussenko, qui rejoint alors la tête du conseil de surveillance de la First Czech Russian Bank. Aujourd’hui le nom de Baboussenko n’apparaît plus sur le site de la banque, mais il y a conservé un numéro de téléphone et un bureau. Mediapart a laissé un message à sa secrétaire, resté sans réponse à ce jour. Plus séduisant que son gendre, Alexandre Baboussenko aime les mondanités. En 2011, il participait ainsi au traditionnel bal d’hiver de Moscou organisé dans un palace, en qualité de premier vice-président de la FCBR. 

  • Yuri Kudimov, ancien espion : le banquier qui a renfloué le micro-parti de Jean-Marie Le Pen

Yuri KudimovYuri Kudimov

C’est l’homme derrière le « prêt » accordé au micro-parti de Jean-Marie Le Pen, en avril. Yuri Kudimov détient la société chypriote Vernonsia Holdings Limited qui a versé les deux millions d’euros à Cotelec, via un compte suisse ouvert à la banque Julius Baer.

Kudimov n’est pas sans lien avec le pouvoir russe : il était, jusqu’en octobre dernier, le directeur de la banque VEB Capital, une filiale à 100 % de la Vnechekonombank, bras financier du Kremlin. Cette banque est détenue à 100 % par le gouvernement russe. Le président du conseil de surveillance est Dmitri Medvedev, et avant lui Vladimir Poutine. Elle fait partie des banques visées par les sanctions de l'UE.

Ancien officier du KGB opérant sous couverture, il a été démasqué comme espion en 1985 et expulsé de Londres, comme l'ont raconté le Guardian et le New York Times. Il se présentait comme correspondant de la Komsomolskaya Pravda.

Yuri Kudimov poursuit aujourd’hui ses activités de banquier, mais de manière plus souterraine. Comme l’a révélé le journal russe Kommersant en février, il est désormais à la tête d’un étrange fonds d’investissement enregistré à Moscou en août 2013 : Pangeo Capital. Cette structure, dotée d’un milliard de dollars, a été créée en tandem avec Igor Makarov. Ce dernier est un homme d’affaires bien connu en Russie. Dans les années 1990, sa société Itera, première compagnie gazière indépendante, exportait le gaz turkmène et avait des liens étroits avec les dirigeants de Gazprom.

En 2013, Itera a été revendue à Rosneft pour environ 4 milliards de dollars. C’est une partie de cette fortune que se propose d’investir Yuri Kudimov en Russie, dans les télécoms, l’immobilier et la finance. Curiosité : dans la base de données SPARK que Mediapart a pu consulter, Yuri Kudimov apparaît comme le directeur général de Pangeo Capital, alors que le seul actionnaire est Reyl Private Office Sarl à Genève, qui fait partie du groupe Reyl, la banque où le compte de l’ancien ministre Jérôme Cahuzac a été découvert ! Interrogé par Kommersant, Yuri Kudimov a précisé que Reyl fournissait « des services de conseils en gestion en Russie », y compris pour les projets d’investissement de Pangeo Capital (voir le document)

  • Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN : celui qui a signé
Wallerand de Saint-Just.Wallerand de Saint-Just. © Capture d'écran du figaro.fr

S'il n'a pas été aux avant-postes de la négociation, le trésorier du Front national s'est rendu en Russie en septembre. Fin octobre, il affirmait à Mediapart attendre encore les réponses des banques étrangères sollicitées. En réalité, il avait lui-même signé le prêt… un mois plus tôt.

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