Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

Une plainte pour « faux » vise un juge d'instruction de Nanterre

$
0
0

Révélatrice de certains dysfonctionnements de la justice, l’affaire embarrasse au plus haut point les magistrats et la hiérarchie du tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine). Le 10 juillet dernier, un avocat de Meudon a déposé discrètement une plainte avec constitution de partie civile pour des faits de « faux en écritures publiques » contre le juge d’instruction Jacques Gazeaux, qu’il accuse d’avoir antidaté une ordonnance, selon des informations obtenues par Mediapart.

Cette plainte, qui devra nécessairement provoquer l’ouverture d’une information judiciaire, avant d’être dépaysée vers un autre tribunal, suit depuis lors un cours assez lent et tortueux au tribunal de Nanterre. Une ordonnance de consignation vient seulement d’être rendue le 4 novembre par le doyen des juges d’instruction de Nanterre, demandant au plaignant de verser 1 500 euros pour confirmer sa constitution de partie civile.

L'enjeu n'est pas mince. Selon le Code pénal (article 441-4), le faux en écritures publiques est un crime relevant de la cour d’assises et passible d’une peine de dix ans de réclusion.

L’affaire démarre en juillet 2013. Arnaud Galibert, avocat à Meudon, croit ouvrir sa porte au facteur qui a sonné pour délivrer un courrier recommandé, quand il se retrouve face à l’un de ses clients, grimé avec une casquette et des lunettes noires, et muni d’une sacoche. C’est un paranoïaque qui avait déjà menacé de mort son avocat plusieurs fois, était venu repérer les lieux la veille, et braque cette fois-ci un pistolet automatique 11.43 dans sa direction. Après un furieux corps à corps, au cours duquel l’avocat est aidé par un autre client présent dans son cabinet, l’agresseur réussit à prendre la fuite.

Les policiers de Meudon, qui le connaissent déjà, l’arrêtent le jour même à son domicile. Outre le pistolet et des munitions, ils découvrent, dans une sacoche, une cagoule, une paire de gants et une corde. En garde à vue, l’individu se bat avec des policiers, et refuse de répondre à leurs questions. Bien qu’il ait déjà été condamné à de la prison avec sursis pour des menaces de mort, il n’est toujours pas examiné par un psychiatre.

Première bizarrerie : le parquet de Nanterre décide alors de juger l’affaire en comparution immédiate, la procédure rapide qui est utilisée pour les petits délits. Les qualifications retenues par le parquet sont « menaces de mort, détention d’arme illégale et violences volontaires ». Le suspect est placé sous mandat de dépôt.

Trois jours après les faits, l’affaire est soumise à une chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre, présidée par l’expérimentée Isabelle Prévost-Desprez (connue notamment pour avoir résisté au procureur Courroye dans l’affaire Bettencourt). Celle-ci tique sur la procédure qui a été choisie : elle décide de renvoyer l’affaire au parquet, afin qu’il soit au moins procédé à une expertise psychiatrique du prévenu et à une confrontation avec les différentes victimes qui ont porté plainte pour menaces de mort, en plus de Me Galibert. D’autant que les faits commis sur l’avocat pourraient être qualifiés de tentative de meurtre ou de tentative d‘assassinat, des infractions beaucoup plus graves.

Le dossier est alors aiguillé vers le juge d’instruction Jacques Gazeaux, un magistrat ayant lui aussi quelque expérience, puisqu’il a notamment mis en examen Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs du RPR en 2009, et l’a renvoyé en correctionnelle en novembre 2010 (l’autre volet de l’affaire, celui des chargés de mission de l’Hôtel de Ville, avait été instruit à Paris par la juge Xavière Simeoni, et les deux pans du dossier avaient finalement été réunis pour le procès Chirac en 2011).

Le suspect est mis en examen, et de nouveau placé sous mandat de dépôt par un juge des libertés et de la détention. La chambre de l’instruction refuse sa liberté au motif qu’il « est également très important que des investigations d’ordre psychologique ou psychiatrique soient diligentées » sur sa personne.

Mais après quatre mois de détention provisoire, le maximum légal pour les délits qui sont visés, l’homme est remis en liberté et placé sous bracelet électronique par un JLD. En quatre mois, il a été interrogé une fois par le juge d’instruction. Un point, c’est tout.

Mécontent et inquiet, Arnaud Galibert demande une expertise psychiatrique et une confrontation en décembre 2013, et il désigne un confrère, Me Pierre Degoul, pour l’assister. Celui-ci écrit au procureur de la République et au président du tribunal de Nanterre pour critiquer le traitement de ce dossier, dans lequel ne figure aucune demande d’expertise psychiatrique, et qui a abouti à la remise en liberté assez rapide d’un homme potentiellement dangereux.

Le ton monte. Dans un courrier daté du 9 janvier 2014, le procureur et le président du tribunal répondent qu’il n’y a eu « aucun dysfonctionnement dans ce dossier », et font état d’une désignation d’expert psychiatre effectuée par le juge. Arnaud Galibert et Pierre Degoul découvrent alors dans le dossier d’instruction une « ordonnance de commission d’expert psychiatre » datée du 23 juillet 2013 et signée du juge Gazeaux. Mais à la lecture du document, plusieurs anachronismes sautent aux yeux des deux avocats.

L’ordonnance du 23 juillet mentionne ainsi la désignation de Pierre Degoul dans le dossier, qui n’est pourtant intervenue que cinq mois plus tard, en décembre 2013. Il est, en outre, fait état de la remise en liberté du suspect, qui n’est pourtant intervenue qu’en novembre 2013. Pour finir, il est encore fait état de la révocation d’une peine de prison avec sursis prononcée au mois d’août 2013. Trois anachronismes de taille. Manifestement, le document n’a pas pu être rédigé et signé par le juge Gazeaux au mois de juillet.

Selon la plainte déposée par Me Degoul pour le compte d’Arnaud Galibert, il ne peut s’agit d’une simple erreur matérielle, car les actes des juges d’instruction sont automatiquement datés par le logiciel dédié, mais plutôt d’un faux en écritures publiques. L’avocat soutient que l’ordonnance n’a pu être rédigée qu’après le 5 décembre – elle a abouti à une expertise psychiatrique finalement pratiquée le 19. « Je ne sais pas pourquoi le juge a fait ça. Mon souci, c’était surtout que mon agresseur soit interné et soigné », confie aujourd'hui Arnaud Galibert, qui a eu du mal à se remettre psychologiquement de cette agression.

Sa plainte vise également l’expert-psychiatre pour des faits de complicité, au motif que celui-ci n’a pas pu ignorer que la date de sa désignation était falsifiée.

Dans le passé, une plainte pour faux en écritures publiques avait déjà été déposée contre un juge d’instruction : il s’agissait de Philippe Courroye, alors en poste au pôle financier de Paris. En décembre 2000, les avocats de Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua et Pierre Falcone avaient déniché un document antidaté dans la procédure dite de l’Angolagate, et avaient déposé plainte contre le juge d'instruction qui avait mis leurs célèbres clients en examen. Après de nombreux rebondissements procéduraux, cette affaire dans l'affaire avait été dépaysée successivement vers les tribunaux de Reims, Troyes et Nancy, et avait duré plusieurs années, pour finir par un non-lieu en faveur du juge, en novembre 2004.

La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy (Meurthe-et-Moselle) avait alors décidé de ne pas donner suite à l'accusation de faux en écritures publiques contre le juge d'instruction parisien Philippe Courroye, suivant les réquisitions de non-lieu du procureur général de Nancy. La chambre de l'instruction avait estimé que « le caractère erroné de certaines indications ne suffit pas à établir un élément constitutif de l'infraction de faux lorsqu'elles sont en elles-mêmes sans conséquences juridiques ». Le procureur général avait auparavant estimé que « le faux incriminé ne portait pas d'intentions frauduleuses, qu'il ne créait pas de préjudice et que l'ordonnance était un acte de pure gestion administrative non-obligatoire ».

Aujourd'hui, la procédure lancée contre le juge Gazeaux risque, elle aussi, de connaître un cours assez compliqué. Sollicités par Mediapart, ni le parquet de Nanterre ni Jacques Gazeaux n’ont souhaité s’exprimer sur cette affaire.

Comme beaucoup d’autres, le tribunal de grande instance de Nanterre souffre d’un sous-effectif chronique. Il attend toujours la nomination d’un procureur de la République après le départ de Robert Gelli, nommé en septembre dernier à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), au ministère de la justice, cela après avoir réussi à pacifier en l'espace de deux ans la juridiction de Nanterre, qui avait été traumatisée par l’affaire Bettencourt... et l’époque où le procureur s'appelait Philippe Courroye.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?


Le FN attend 40 millions d'euros de Russie

$
0
0

C’est un accord financier global hors norme que le Front national a sollicité auprès de Moscou. Du jamais vu dans l’histoire des partis politiques. La somme de 40 millions d'euros au total a été demandée à ses interlocuteurs russes par le FN pour financer son activité politique, selon les informations obtenues par Mediapart. Même s’il s’agit de fonds que le parti s’engage à rembourser, ce financement pose la question de l’ingérence d’un État étranger dans la vie politique française.

Révélé le 22 novembre par Mediapart, le prêt de 9 millions d’euros obtenus de la First Czech Russian Bank (FCRB) ne serait qu’une « première tranche » de l’argent obtenu à Moscou par Marine Le Pen. Des responsables du Front national ont confirmé les proportions communiquées à Mediapart. « Une première tranche a été débloquée sur un prêt de 40 millions, a indiqué un membre du bureau politique à Mediapart. La tranche de 9 millions est arrivée, 31 vont suivre. »

Bernard Monot, conseiller « à la stratégie économique » de Marine Le Pen et député européen, indique à Mediapart qu’il n’y a pas eu « une demande ferme », en revanche « un besoin de financement global exprimé, sans doute, dans les discussions avec la banque ». « Le besoin potentiel est de 45 millions jusqu’à la présidentielle et les législatives, explique-t-il. On y va pas à pas. On affinera ça au fur et à mesure. » Cet ancien haut fonctionnaire de la Caisse des dépôts ne cache pas avoir « fait venir » Jean-Luc Schaffhauser pour rechercher des prêts auprès des établissements russes avant même qu’il soit élu député européen. « On est sur un financement au long cours », poursuit-il.

« Il n’y a pas de première tranche ou de deuxième tranche, simplement moi j’ai toujours dit que d’ici les législatives on avait besoin de 35 à 40 millions d’euros, a commenté de son côté le trésorier du Front national, Wallerand de Saint-Just, joint par Mediapart. On n’a jamais, à ma connaissance, en Russie, parlé, avec cette banque, de plus de 10 millions. » Le trésorier n’exclut pas que lors « d’autres discussions » qu’avec lui le sujet ait été évoqué : « Parce que je pense que Schaffhauser les a peut-être vus à d’autres moments », indique-t-il. Ce dernier dit ne pas être concerné par ce montant, renvoyant vers « d’autres filières ».

Marine Le Pen en juin 2013, à Moscou.Marine Le Pen en juin 2013, à Moscou. © Photo publiée sur le blog du chercheur Anton Shekhovtsov.

Marine Le Pen a rejeté, dans Le Monde, l’idée que l’obtention d’un prêt « détermine (sa) position internationale » : « Ces insinuations sont outrancières et injurieuses. Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne (pro-Russe, ndlr) », a-t-elle déclaré au Monde. La présidente du FN, qui a effectué deux visites – l’une officielle, l’autre privée – à Moscou, en juin 2013 et avril 2014, s’y serait aussi rendue en février 2014. Selon deux responsables du FN contactés par Mediapart, elle y aurait alors rencontré Vladimir Poutine.

Selon le quotidien russe Kommersant, l’un des nombreux médias à reprendre l’information, cité par RFI, l’opération « n’aurait pas pu se réaliser sans l’aval des autorités russes ». Plusieurs médias soulignent les liens de l’établissement bancaire avec l’État russe, à travers son nouveau propriétaire, Roman Yakubovich Popov, ancien cadre financier de la firme Stroytransgaz.

Alors qu’elle a justifié, dans Le Monde, « l’urgence » pour son parti d’emprunter des fonds, à quatre mois des départementales, Marine Le Pen a elle aussi fait allusion à l’importance des besoins financiers du FN : « En tout, avec les régionales, c’est 30 millions, a-t-elle répondu au Monde. Nous disposons de 5 millions d’euros de subventions par an. Nous n’avons plus de biens immeubles. On est obligés de souscrire des prêts, dans des établissements français ou étrangers. »

La présidente du Front national a assuré que l’opération « n’est pas secrète » : « Les instances du parti étaient au courant et j’ai demandé à Wallerand de Saint-Just (le trésorier du parti, ndlr) qu’il en fasse état dans son rapport moral qu’il présentera aux militants lors du congrès le 28 novembre », a-t-elle assuré au Monde. Fin octobre, elle avait curieusement prétendu « attendre des réponses » des banques, alors que le prêt avait été signé un mois plut tôt.

Fin octobre, Wallerand de Saint-Just expliquait à Mediapart avoir « un gros problème de financement » entre « le moment où les candidats sont investis et le moment du remboursement ». Le financement public du Front national a pourtant été multiplié par trois depuis 2012, passant de 1,7 million à 5,5 millions d’euros de dotation annuelle.

Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade.Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade. © eurojournaliste.eu

Le négociateur du prêt auprès de la FCRB, le député européen Jean-Luc Schaffhauser, a admis avoir lui-même perçu, « en septembre », une rémunération de « 140 000 euros » pour son rôle, comme l’ont indiqué l’AFP et Le Canard enchaîné. « C’était la commission forfaitaire de la banque », explique l'eurodéputé à Mediapart. L’élu revendique avoir été légitimement rémunéré, ayant « préparé un dossier en amont, traduit en anglais » avec son avocat d’affaires. Il soutient avoir engagé ces contacts « en juin 2013 », et effectué « un travail qui avait eu lieu bien avant (s)on élection », en juin 2014.

Jean-Luc Schaffhauser précisé à l’AFP qu’il lui « fallait un défraiement », et s’être « entendu avec la présidente » (du FN, ndlr) sur ce point. L'élu se trouve de fait dans une position extrêmement délicate, puisqu’il bénéficie ainsi lui-même du prêt qu’il a négocié. Selon ses explications, les 140 000 euros auraient été payés par la banque russe, via une structure basée au Luxembourg qu’il refuse de dévoiler. Il est contredit par le trésorier du FN, et signataire du prêt, Wallerand de Saint-Just, qui a indiqué à Mediapart que le Front national, et non la banque, avait payé cette somme : « De toute façon, c’est au débit du Front national, ce n’est pas la banque qui a payé. »

« S’il y a un conflit d’intérêts, c’est au parlement européen d’en décider, se défend Jean-Luc Schaffhauser. Je ne vois pas en quoi il y a un conflit d’intérêts puisque je continue mon activité. Il est normal que je me rende utile dans mes compétences professionnelles. J’étais consultant. Vous croyez que du jour au lendemain on abandonne ses clients ? » L’eurodéputé a en effet précisé dans sa déclaration d’intérêts avoir été consultant spécialisé dans « l’implantation de sociétés à l’étranger et dans la recherche de financement pour sociétés », mentionnant plusieurs sociétés et notamment le groupe Dassault pour lequel il dit avoir travaillé « jusqu’en 2007 ».

Le parlement européen pourrait s’interroger aussi sur l’indépendance de cet élu alors qu’il a été rémunéré par une banque russe, dans ce contexte d’un soutien financier apporté par la Russie au Front national. Son apparition en politique – aux municipales puis aux européennes – est en tout cas le prolongement de son engagement pro-russe. L’homme d’affaires avait déjà servi d’intermédiaire au rapprochement entre le Vatican et la Russie, dans les années 1990.

Le déblocage du prêt par la FCRB est le résultat de la mobilisation d’Alexandre Babakov, député de la Douma, et ancien chef du parti nationaliste Rodina au milieu des années 2000, qui est l’un des contacts privilégiés de Jean-Luc Schaffhauser. Chargé d’une commission en charge du développement du complexe militaro-industriel de la Fédération de Russie, le député russe, qui dispose de plusieurs biens immobiliers de prestige à Paris (lire notre enquête), est visé par les sanctions de l’Union européenne consécutives à l’intervention russe en Ukraine.

Sollicitée par Mediapart mercredi, par l'intermédiaire de son chef de cabinet, Marine Le Pen a fait savoir qu'elle « ne répond(ait) pas ». Après la publication de notre article, la présidente du FN a réagi sur Twitter puis auprès de l'AFP. « C'est fantaisiste, délirant. Il n'a jamais été question d'un prêt de 40 millions d'euros. Nous avons sollicité 9 millions d'euros et nous avons obtenu 9 millions d'euros », a-t-elle déclaré à l'AFP. « Dire que les campagnes électorales nécessitent un besoin financier de 30 millions d'euros, qui sont remboursables, pour l'ensemble des élections dans les cantons et pour les régionales, c'est autre chose », a-t-elle ajouté.

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé à 23h45 avec la réaction de Marine Le Pen à l'AFP.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Le candidat Hollande a réglé 700 000 euros à la société des proches de Kader Arif

$
0
0

L’amitié de Kader Arif devient de plus en plus encombrante pour François Hollande. Les sociétés d’événementiel pilotées par le frère et les neveux du secrétaire d’État démissionnaire ne se sont pas contentées de contrats juteux avec le conseil régional de Midi-Pyrénées et le ministère de la défense, visés par une enquête préliminaire sur des soupçons de favoritisme (lire notre article). D’après des informations recueillies par Mediapart, AWF Music, la première d’entre elles, a aussi encaissé plus de 700 000 euros du candidat Hollande pendant la primaire socialiste de 2011 et la présidentielle de 2012.

François Hollande et Kader Arif, le 11 novembre, à Oyonnax.François Hollande et Kader Arif, le 11 novembre, à Oyonnax. © Reuters

Cette entreprise spécialisée dans l’image et le son créée par Aissa Arif (le frère de Kader) aurait même dû gagner davantage pendant la campagne. Initialement, elle s’était vu confier l’ensemble des « petits » meetings de François Hollande. Mais à un mois du premier tour, en mars 2012, l’équipe du candidat l’a remerciée en catastrophe, après une trentaine de prestations marquées par une coupure d’électricité intempestive ou l’effondrement d’un pupitre, d'une qualité jugée insuffisante (comme le site Atlantico l'a déjà évoqué). 

D'après nos informations, ce divorce à l’amiable a donné lieu à un drôle d’arrangement de coulisse. Questionnés par Mediapart, plusieurs responsables de la campagne confient que les deux parties sont tombées d’accord sur le versement d’un « dédommagement » à AWF Music, réglé non par le candidat, mais par le parti socialiste « après l'élection » de François Hollande. Le député Régis Juanico, trésorier du PS à l’époque, confirme avoir décaissé 85 000 euros à ce titre.

Estimant que ces frais de rupture exceptionnels ne constituaient pas une « dépense à caractère électoral », l’équipe du candidat ne les a pas déclarés dans le compte de campagne. Interrogée par Mediapart sur ce choix, la commission nationale des financements politiques (CNCCFP) a confirmé jeudi sa régularité.

À ce stade, il s’avère difficile de savoir quand exactement l’accord a été scellé, et surtout qui a joué l’arbitre. Ce halo de mystère est entretenu par l’avocat de la société d’événementiel, Me Patrick Roumagnac, qui refuse de confirmer la transaction, comme de la démentir.

En quelques mois de campagne présidentielle, AWF Music a en tout cas multiplié les prestations en faveur de François Hollande pour un montant global d’environ 550 000 euros (sur 21,7 millions d’euros de dépenses, dont 10,7 remboursées par l’État). Au menu : une série de petits meetings à Mérignac (20 332 euros), Caen (20 331 euros), Toulon (20 327 euros) ou Créteil (20 296 euros), la fabrication d’un « fond de scène » (19 734 euros) ou encore l’installation d’une « connexion internet » à Strasbourg (5 738 euros).

Des exemples de factures du compte présidentiel de Hollande (consultables à la Commission nationale des financements politiques)

À vrai dire, la société d’Aissa Arif s’était mise au service de François Hollande dès 2011, lors de la primaire interne au parti socialiste. Entre juillet et octobre 2011, au moins dix factures ont ainsi été réglées par le micro-parti personnel du candidat, baptisé Répondre à gauche, pour un montant total de quelque 160 000 euros – seule une petite partie a ensuite été intégrée au compte de campagne de la présidentielle.

Alors, comment la société a-t-elle décroché le gros lot et doublé ses concurrents ? Dans quelle mesure la proximité entre Kader Arif, grognard de la “hollandie”, et le candidat a-t-elle joué ? « Il ne peut pas y avoir de favoritisme au sens pénal du terme puisqu’un candidat est absolument libre de choisir ses prestataires, rappelle un ancien responsable de la campagne. Mais il n’est pas impossible que Kader ait un peu forcé le passage. »

« Je vous confirme que Kader Arif connaissait Aissa Arif, ironise de son côté l’avocat d'AWF Music, Me Roumagnac, interrogé sur l'influence de l'ancien secrétaire d'État. Mais au-delà de son frère, je pense qu’Aissa lui-même connaissait déjà tout l’entourage de François Hollande quand il n’était qu’à 3 % dans les sondages ! »

Au moins une énigme persiste : après des mois de “test” au cours de la primaire, on comprend mal pourquoi l’équipe de François Hollande a reconduit la collaboration avec AWF Music pour la présidentielle de 2012, si les prestations n’étaient pas dignes du candidat...

« Ils travaillaient pour pas cher, le rapport qualité-prix nous a intéressés, répond le grand argentier de la campagne présidentielle de François Hollande, Jean-Jacques Augier (président de l’association de financement). Nous voulions travailler à l’économie et ça nous permettait de financer un plus grand nombre de meetings. Mais il y a effectivement eu quelques petits incidents. » On ne peut pas dire que la société ait joui, ces dernières années, d'une excellente réputation dans le milieu.

La société d’Aissa Arif a d’abord travaillé pour le producteur télé Endemol. Créée en 2003, AWF Music était surtout spécialisée dans la télé-réalité : « Star Academy  », « Secret Story », « La ferme célébrités », etc. En 2007, la petite entreprise affichait un chiffre d'affaires minime de 71 000 euros. Celui-ci s'est ensuite envolé, prospérant sur la commande publique, au point qu’en mai 2014, il atteignait 888 000 euros par an.

Extrait du catalogue AWF 2009-2010Extrait du catalogue AWF 2009-2010

C'est qu’AWF Music (ou sa déclinaison, créée en juillet 2013 sous le nom AWF), installée à Verfeil en Haute-Garonne, a accumulé les contrats en Midi-Pyrénées. Elle a par exemple organisé le grand meeting du PS aux municipales de Toulouse, en 2008 comme en 2014. « Ils sont très pros. Par rapport à leurs concurrents, ils ont cet avantage d'être très modulables et de pouvoir faire ce qu'on leur demande », justifie François Briançon, ex-directeur de campagne du candidat PS à Toulouse, Pierre Cohen. 

Ces dernières années, AWF Music a surtout été le prestataire quasi exclusif pour les événements du conseil régional Midi-Pyrénées, dirigé par le socialiste Martin Malvy. Vœux annuels, grand prix de l'apprentissage, prix Claude-Nougaro, stands de la région au salon de l'agriculture, Trophée des sports, etc. : AWF Music est depuis 2008 le grand organisateur des raouts institutionnels de la région, à laquelle elle fournit fonds de scènes, projecteurs, sonorisation, pupitres, machinistes, etc. Au total, celle-ci a versé depuis six ans plus de 2 millions d'euros pour l'organisation de 240 événements. Pour la communication du conseil régional, la société est devenue au fil des ans un partenaire obligé. 

Le premier marché avec le conseil régional est signé en 2008. Il est d'une durée théorique de deux ans mais son plafond (179 000 euros) se trouve vite atteint. En 2009, AWF Music remporte un nouveau contrat, cette fois sans montant maximum : dans les quatre ans qui suivent, la société récoltera l'équivalent de 1,7 million euros de prestations. L'été 2013, la région passe un nouvel appel d'offres. AWF est à nouveau candidate, comme quatre autres sociétés. L'une d'elles, All Access, a pour associés les deux fils d'Aissa Arif, les neveux de Kader Arif. L'appel d'offres sera annulé de justesse pour « insuffisance de concurrence ». Pendant six mois, il n'y a plus de marché encadrant les prestations, mais AWF est resté l'organisateur unique. 

Pour le conseil régional, rien de suspect dans ses contrats. « Les marchés qui lui ont été attribués l’ont été au terme d’appels d’offres qui ont fait l’objet de larges publications d’appels à la concurrence. Ils l’ont été par la commission d’appel d’offres dont la composition comprend des élus de l’opposition régionale. La transparence est totale », assure Martin Malvy. Mais, sous couvert d'anonymat, plusieurs concurrents décrivent un « marché protégé ». « Sans le dire, le conseil régional flèche les contrats vers AWF soit en fusionnant les lots, soit en spécifiant dans l'appel d'offres des équipements dont seul AWF dispose », dénonce l'un d'eux. « J'ai arrêté de répondre aux appels d'offres de la région, dit un autre. Ça ne sert à rien de passer des jours à ça pour se casser les dents. »

« Si je ne m’inscris pas au marathon, je suis sûr, moi aussi, de ne pas gagner, réplique l’avocat de l’entreprise, Me Roumagnac. Mon client est très serein. Il n’y a pas eu d’intervention de Kader Arif auprès de la région. »

Plusieurs concurrents insistent cependant sur la présence à la direction de la communication du conseil régional d'Ali Arif, l'autre frère de l'ancien secrétaire d'État. Est-il chargé, directement ou indirectement, des contrats AWF ? « Agent de catégorie C, il ne s’occupe pas de procédures administratives », nous répond le conseil régional. Un professionnel du secteur assure pourtant qu'il a vu Ali Arif gérer lui-même certains événements. « Il a pu être dans ce rôle de régisseur, confirme la collectivité. Mais chez nous, c'est la direction de la logistique qui s'occupe des marchés et des commandes. » Difficile quand même d'imaginer qu'un employé de la direction de la communication ne s'occupe jamais, même indirectement, de prestations organisées par le principal fournisseur de la région… 

Dans cette affaire, le plus étonnant est qu'AWF Music ait été liquidée en mai 2014. Elle affiche alors un passif de 245 000 euros. Comment expliquer une si mauvaise gestion ? Les dirigeants de la société ont-ils à ce point réduit leurs tarifs qu'ils n'ont plus réussi à assurer leurs charges ?

En 2014, un nouveau contrat de 2,8 millions d'euros a été signé entre la société AWF et le conseil régional, qui n'a pas été remis en cause à ce jour. Et comme tous les ans, c'est bien AWF qui devrait organiser les vœux de Martin Malvy, début janvier 2015. Quant à la troisième entité, All Access, c'est elle qui a assuré en 2014 une séance de media training à Kader Arif, alors au gouvernement. Un contrat à 50 000 euros hors taxe (60 000 euros TTC) passé sans appel d’offres par le ministère de la défense (plus précisément le « bureau des prestations intellectuelles »). L’exécutif a suspecté un cas de favoritisme et ce contrat a coûté son poste au secrétaire d’État.

BOITE NOIREJeudi 27 novembre, en début d'après-midi, nous avons intégré la réponse de la Commission nationale des financements politiques (CNCCFP) sur le dédommagement. La question lui avait été posée la veille, en amont de l'écriture de cet article.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Guaino relaxé malgré ses attaques contre la justice

$
0
0

La nouvelle fait enrager la plupart des magistrats, et redonne le sourire aux amis de Nicolas Sarkozy. Le député (UMP) Henri Guaino, qui était poursuivi pour ses attaques violentes et répétées, en 2013, contre le juge d’instruction Jean-Michel Gentil après la mise en examen de Sarkozy dans l’affaire Bettencourt, a été relaxé ce jeudi par le tribunal correctionnel de Paris. Le parquet avait requis une amende de 3 000 euros contre le parlementaire des Yvelines, poursuivi pour « outrage à magistrat » et « discrédit jeté sur une décision de justice ».

Au lendemain de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse » au préjudice de la milliardaire Liliane Bettencourt, le 21 mars 2013, Henri Guaino avait multiplié dans les médias les sorties au bazooka contre le juge Gentil. L’ex-chef de l’État avait, finalement, bénéficié d’un non-lieu dans l’affaire Bettencourt.

Son ancien conseiller spécial à l’Élysée, Henri Guaino, avait notamment accusé le magistrat d’avoir « déshonoré la justice », évoquant aussi « une salissure de la France et de la République elle-même ». L'Union syndicale des magistrats (USM, syndicat modéré et majoritaire) avait saisi le parquet de Paris. Une fois les poursuites lancées, le député avait refusé de répondre à une convocation de police avant ce procès.

Henri GuainoHenri Guaino © Reuters

Ce 27 novembre, le tribunal a estimé que, s’agissant de propos tenus par un parlementaire, sur un sujet d’intérêt général, les limites admissibles de la liberté d’expression n’avaient pas été dépassées, a expliqué la présidente Anne-Marie Sauteraud.

Pour pouvoir réprimer les délits visés, le texte « exige que l'auteur, excédant la limite de la libre critique permise aux citoyens, ait voulu atteindre dans son autorité, par-delà les magistrats concernés, la justice considérée comme une institution fondamentale de l’État », peut-on lire dans le jugement rendu par le tribunal. Citant l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, d'une part, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, d'autre part, le tribunal place le principe de la liberté d'expression au-dessus du délit d'outrage visé par l'USM et le juge Gentil.

Toujours selon le jugement de la XVIIe chambre correctionnelle, les « limites » à la liberté d'expression d'un député qui « s'exprime sur un sujet relatif à la vie publique » sont « élargies », même s'il ne peut prétendre à bénéficier d'une immunité complète.

« Henri Guaino a tenu des propos très violents et réitérés » à l'égard du juge Gentil, reconnaît le tribunal. Mais il n'a fait « qu'exprimer son indignation sans proférer d'injures, ni de diffamation ni de menaces », et « sa position a été partagée par 107 parlementaires qui n'ont pas été poursuivis », expose par ailleurs le jugement.

« Dans ces conditions, compte tenu de ces éléments, ainsi que du contexte, et en dépit de la violence de ses propos qui a pu légitimement choquer, il serait disproportionné de prononcer une sanction pénale à l'encontre d'Henri Guaino qui, s'exprimant en qualité d'élu dans le cadre d'un débat d'intérêt général, n'a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression concernant la critique de la décision d'un magistrat », conclut le tribunal.

« Ce jugement honore la justice », a réagi l'intéressé en sortant de la salle d'audience, dans une allusion ironique aux propos qui lui ont valu ce procès. « Je ne peux que remercier le tribunal d’avoir rendu la justice et reconnu la liberté d’expression des parlementaires qui est un élément absolument essentiel du bon fonctionnement d’une démocratie », a-t-il ajouté devant la presse.

Les avocats du juge Gentil ont annoncé que leur client ferait appel de la décision. Si le parquet ne fait pas de même, le procès en appel ne concernera que le volet civil du jugement. Le magistrat, désormais en poste à Lille, qui demandait 100 000 euros de dommages et intérêts, a été débouté du fait de la relaxe de M. Guaino.

« Dans ce dossier, nous considérons que l’outrage était évident, et qu’un parlementaire ne peut pas se permettre de dire tout de n’importe quelle façon », a déclaré Me Léon-Lef Forster, l'avocat du juge Gentil.

Lors de l’audience le 22 octobre, dans une salle de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris comble où plusieurs de ses collègues parlementaires UMP avaient pris place, Henri Guaino s’était attaché à transformer son procès en débat sur la liberté d’expression. Pour le moment, il a obtenu gain de cause.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

UMP : le gloubi-boulga du scrutin interne

$
0
0

Croiser les doigts très fort. Et prier pour que tout se passe bien. Après le fiasco de l’élection interne de 2012, l’UMP n’a plus le droit à l’erreur. Le vote électronique qui se déroulera du vendredi 28 novembre à 20 heures au samedi 29 novembre, même heure, pour désigner qui de Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy ou Hervé Mariton prendra la tête du parti, ne doit souffrir aucun soupçon de fraude.

Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy et Hervé Mariton.Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy et Hervé Mariton. © Reuters

« Il n’y a aucun vote qui puisse échapper à la fraude, mais nous avons tout imaginé pour l’éviter. Nous avons mis en place une dizaine de systèmes d’alerte », explique la constitutionnaliste Anne Levade, présidente de la haute autorité de l’Union. Cette instance, composée de neuf membres, a été élue en janvier 2014 pour organiser l’élection du président de l’UMP et veiller à la régularité du scrutin. Elle remplace la désormais légendaire Cocoe (Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales) qui s’était retrouvée au cœur de la guerre Fillon-Copé. Son ancien président, l’ex-sénateur Patrick Gélard, ne se remet toujours pas. « J'essaye d'y penser le moins souvent possible, a-t-il récemment confié à L’Express. J’en rêvais même la nuit. »

À l’époque, 264 137 militants avaient été appelés à départager les deux candidats, selon la direction du parti. Ils sont 268 337 aujourd’hui, si l’on en croit les chiffres de la haute autorité de l’Union, qui comprennent les adhérents à jour de cotisation au 31 décembre 2013 ou au 30 juin 2014. Pour éviter un nouveau psychodrame, l’UMP avait acté dès février 2013 le principe de ne plus accepter les votes par procuration lors des scrutins internes. En 2012, des centaines de procurations litigieuses avaient été dénoncées par les deux camps dans un exercice de grand déballage médiatique sans précédent.

« L’UMP n’a pas la culture du vote, elle ne sait pas faire », reconnaît un membre du bureau politique. Elle n’est pas la seule. Qu’il s’agisse du PS – avec le fameux « bourrage d’urnes » du congrès de Reims – ou plus récemment du Parti radical et de l’UDI, rares sont les partis à savoir gérer correctement leurs scrutins internes. Malgré les multiples précautions prises par la haute autorité de l’Union, celui de samedi s’annonce encore épique. Vrais-faux électeurs, risques de bugs, fichiers incomplets… Passage en revue du nouveau grand n’importe quoi de l’opposition.

« Ceux qu’on empêche de voter »

C’est le nom du groupe Facebook récemment créé par une ancienne militante d’Arcachon, qui s’est vu refuser sa demande de renouvellement d’adhésion en juillet dernier, sous prétexte d’avoir été « exclue » du parti, ce qu’elle dément formellement. Le fichier électoral ayant été arrêté à la date du 30 juin, conformément aux statuts de l’UMP, Martine Rigolet n’aurait de toute façon pas pu voter samedi. En revanche, les témoignages qui affluent sur sa page Facebook révèlent d’étranges situations.

Celle de Steeven Murat, par exemple. Cet étudiant parisien, militant UMP depuis l’âge de 16 ans, s’était mis en congé du parti fin 2012 « en raison de l'inadmissible usurpation du pouvoir par Copé ». Une fois l’ancien patron de l’opposition “démissionné” au mois de juin, il a immédiatement repris sa carte. Inscrit dans les temps, il ne pourra pourtant pas voter pour élire le futur président de son parti.

© Reuters

Comme tous les militants à jour de cotisation au 31 décembre 2013 ou au 30 juin 2014, Steeven aurait dû recevoir par la poste les codes personnels lui permettant de voter sur Internet chez lui ou sur un ordinateur prévu à cet effet dans 314 bureaux de vote. Or, le courrier n’est jamais arrivé. Inquiet, l’étudiant a contacté l’UMP qui lui a indiqué qu’il pourrait récupérer ses identifiants par messagerie électronique, le jour J.

Mais problème : l’adresse mail figurant dans les fichiers du parti est erronée. Et cerise sur le gâteau, elle ne peut être modifiée. Dont acte. Le militant a déposé, mercredi 26 novembre, un référé-liberté devant le tribunal administratif de Paris. Il y enjoint l’UMP de modifier ses coordonnées ou, dans le cas où cette opération se révélerait impossible, d’annuler purement et simplement l’élection. Sa demande sera étudiée sous 48 heures.

À deux jours du scrutin, nombre de militants se plaignent de ne toujours pas avoir reçu leurs codes personnels ou leur numéro d’adhérent, données indispensables pour voter. « Nous ne cessons de répéter qu’ils peuvent prendre contact avec l’UMP qui a mis 24 lignes téléphoniques à leur disposition, souligne Anne Levade. Nous avons reçu des milliers d’appels et procédé au renvoi de quelque 600 codes. »

Ceux qui n’ont jamais rien demandé

Ils sont également nombreux. Le chiffre de 268 337 adhérents à jour de cotisation arrêté par la haute autorité de l’Union peut surprendre de prime abord. Car depuis deux ans, l’UMP a perdu beaucoup, beaucoup de fidèles. Écœurés par la guerre des chefs et la succession des affaires, nombre de militants ont fini par déchirer leur carte. Selon un récent écho du Canard enchaîné, au moins une dizaine d’entre eux ont pourtant reçu leurs codes pour voter.

Des personnes n’ayant jamais souhaité adhérer au parti ont elles aussi eu la surprise de trouver un courrier estampillé UMP dans leur boîte aux lettres. La plupart d’entre elles sont en fait des donateurs du “Sarkothon”. Les 65 000 personnes ayant mis la main à la poche à l’été 2013 pour compenser l'invalidation du compte de campagne de Nicolas Sarkozy, avaient été automatiquement comptabilisées comme militants et s'étaient vus octroyer une carte de membre.

Parmi ces généreux donateurs, certains ont retourné leur carte et ont été rayés des fichiers, d’autres ont cotisé en 2014 et sont devenus officiellement membres. Mais des milliers n’ont rien fait. « Cela ne veut pas dire qu’ils ne souhaitaient pas être adhérents », affirme Anne Levade. Ils le sont donc restés de facto et pourront voter samedi.

Anne Levade, la présidente de la haute autorité de l'Union.Anne Levade, la présidente de la haute autorité de l'Union. © YouTube

Le spectre du « bug »

Pour éviter le « bourrage d’urnes » et limiter les frais, le bureau politique de l’UMP a opté au mois de juin pour un vote électronique. Souhaitant prévenir les inévitables soupçons d'impartialité, le parti a lancé un appel d’offres afin de trouver le meilleur prestataire extérieur, capable d’assurer la sécurité du vote et d’héberger sur ses serveurs le site internet qui centralisera les résultats. C’est la société Paragon Élections qui a finalement été retenue.

Cette entreprise n’a jamais organisé de vote électronique d'une telle ampleur, ce qui fait craindre aux équipes de Bruno Le Maire et d’Hervé Mariton des difficultés techniques, comme ils l’ont indiqué au Monde. Le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, Frédéric Péchenard, se dit quant à lui très confiant : « Paragon a l’habitude d’organiser ce type d’élection, a-t-il confié au quotidien. Je suis convaincu que le scrutin va se dérouler dans d’excellentes conditions. »

En vérité, le scrutin de samedi sera une grande première. « Jamais aucun prestataire n’a orchestré un scrutin électronique de près de 300 000 adhérents sur 24 heures, reconnaît Anne Levade. Mais la haute autorité assurera une permanence continue durant toute la durée du vote avec Paragon, mais aussi un cabinet d’expertise. » Le défi est d’autant plus grand que l’UMP s’est déjà fourvoyée lors d’un précédent vote électronique, celui de la primaire parisienne pour les municipales, organisé par Docapost, une société partenaire de l’entreprise d’un élu UMP, par ailleurs délégué internet de la fédération 75.

La grande inconnue du découpage départemental

C’est désormais certain : au soir du premier tour, les résultats des trois candidats seront connus sur l'ensemble du territoire uniquement. Aucun découpage départemental n’a été prévu par la haute autorité de l’Union. Hervé Mariton, le premier des trois candidats à s’en être ému, avait pourtant exigé dès le 24 octobre que « les résultats de l'élection (soient) connus par fédération ».

« Cette précision fait partie intégrante de l'expression du suffrage, écrivait-il dans un courrier adressé à Anne Levade. Nos militants, et au-delà les Français, ne comprendraient pas un autre choix. » Rapidement, les équipes de Bruno Le Maire se sont ralliées à cette idée pour « une question de transparence », bientôt suivies par celles de Nicolas Sarkozy qui s'étaient dites simplement « d'accord avec tout ce qui est proposé ».

« Nous sommes en discussion avec les équipes des candidats déclarés avant l’été depuis des mois et le sujet n’était jusqu’alors jamais apparu dans le débat, souffle Anne Levade. Les données que nous avons transmises au prestataire ne comportaient effectivement pas les notions de fédérations par département parce que nous avons conçu un scrutin au niveau national. Quand la discussion est arrivée, les codes avaient déjà commencé à être générés. Tout le monde a finalement convenu qu’il y avait un risque de modification du fichier et qu’il était plus prudent de renoncer aux statistiques par fédération. »

Si certains d’entre eux pointent en “off” l’« éternel amateurisme » de l’UMP en matière d’organisation, aucun des trois candidats n’a voulu insister sur les dysfonctionnements du vote de samedi. Hors de question de rejouer le match de 2012 et d’être, comme Jean-François Copé ou François Fillon, entaché ad aeternam de l’étiquette du « tricheur » ou du « mauvais joueur ». « Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait le moindre soupçon sur le vote », affirme-t-on dans l’entourage de Bruno Le Maire. La haute autorité de l’Union et les trois candidats peuvent continuer de croiser les doigts. Samedi, ils joueront non seulement leur crédibilité, mais aussi celle de leur parti et de sa capacité à organiser les futures primaires.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Alain Bauer a profité de contrats de complaisance à la Caisse des dépôts

$
0
0

C’est une nouvelle en apparence microcosmique mais qui en dit long sur les intrigues, les jeux d’influence et les passe-droits qui se nouent parfois dans les coulisses du pouvoir : ami intime de l'actuel premier ministre et ancien grand maître du Grand Orient de France, Alain Bauer, qui use de sa qualité de professeur en criminologie pour décrocher des missions de conseil en sécurité auprès des grandes entreprises, a bénéficié de contrats et d’avantages secrets auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), du temps où celle-ci avait pour directeur général Augustin de Romanet, puis à nouveau sous Jean-Pierre Jouyet. Mais selon nos informations, le nouveau patron de la Caisse, Pierre-René Lemas, a décidé de remettre de l’ordre dans sa maison et vient très récemment de mettre fin à ces contrats.

Devenant directeur général de la CDC en juillet dernier, derrière Jean-Pierre Jouyet parti le remplacer à l’Élysée comme secrétaire général, Pierre-René Lemas a en effet, selon nos informations, épluché les uns après les autres les contrats avec des prestataires entérinés par ses prédécesseurs. Et dans le lot, il a eu la surprise de découvrir que sa nouvelle maison était liée par contrat à la société d’Alain Bauer qui, dans le passé, était dénommée « AB Associates » avant d’être rebaptisée « AB Conseil » (AB pour Alain Bauer, naturellement). Pour être précis, ce contrat avait été passé entre AB Conseil et une filiale de la CDC dénommée CDC International Capital, dirigée par Laurent Vigier, un proche d'Augustin de Romanet, ancien conseiller comme lui de Jacques Chirac à l'Elysée.

Aussitôt, Pierre-René Lemas a donc donné des instructions pour que ce contrat ne soit pas renouvelé. Et ce, d’après nos sources, pour une double raison. D’abord parce qu’il était très onéreux : 200 000 euros par an, TVA comprise. Ensuite parce qu’il s’agissait de sommes dépensées totalement à fonds perdus. Alain Bauer se bornait en effet en contrepartie des sommes qu’il empochait à transmettre à la CDC quelques notes sur les risques sécuritaires dans le monde et en France, notes qui pour la Caisse n’avaient strictement aucune utilité, selon les nombreux témoignages que nous avons pu recueillir. Le dénommé Laurent Vigier a donc été contraint, selon une très bonne source, de prendre sa plus belle plume pour annoncer à Alain Bauer que son travail avait vraiment donné toute satisfaction – il pouvait difficilement faire autrement puisque c'est lui qui avait passé le contrat –, mais que la CDC n'avait nulle intention de le renouveler. En clair, Alain Bauer a été très poliment mis à la porte.

Pour ceux qui, à la Caisse, étaient dans la confidence, ces notes ont toujours été un motif de stupéfaction, car tout le monde connaissait leur seule destination : la poubelle !

La dénonciation du contrat décidée par Pierre-René Lemas ne s’est pourtant pas réalisée sans mal. Selon des indiscrétions recueillies par Mediapart, Alain Bauer ne s’est pas incliné sur-le-champ et s’est montré très insistant, pour ne pas dire véhément, espérant longtemps que le nouveau patron de la CDC ne persisterait pas dans son projet. C’est d’ailleurs à cause de cela que nous avons eu vent de l’affaire : comme Alain Bauer ne décolère pas depuis qu’il a appris la nouvelle et que dans les coulisses du pouvoir il a tempêté contre cette mauvaise manière qu’on lui faisait, l’affaire a fini par s’ébruiter.

Alain Bauer sur Europe 1 en septembre 2014Alain Bauer sur Europe 1 en septembre 2014

Il est vrai qu’Alain Bauer est un homme secret mais influent, jusque dans les sommets du pouvoir. Formant un trio inséparable avec le patron de l’agence Havas, Stéphane Fouks, et Manuel Valls, du temps où tous les trois représentaient le courant des jeunes rocardiens au sein de l’Unef (lire Manuel Valls, l’ombre de la Mnef et les coulisses du PS), il profite aujourd’hui d’une conjoncture politique hautement favorable puisque l’un de ses plus proches amis est premier ministre – Alain Bauer est même le parrain de l’un des enfants de Manuel Valls.

Mais Alain Bauer est aussi réputé pour avoir entretenu des relations de grande proximité avec Nicolas Sarkozy, dont il a été le conseiller pour les questions de sécurité. Disposant de ses entrées à l’Élysée sous le précédent quinquennat, il a même été à l’origine de très vives controverses juste avant l’alternance de 2012, quand l’ancien chef de l’État a décidé la création d’une section criminologie à l’Université, sous la réprobation unanime de la communauté scientifique et que, du même coup, Alain Bauer est devenu professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers (lire Installer la criminologie à l’Université : le fait du Prince et le débat scientifique).

Dans quelques cénacles, Alain Bauer jouit donc de la réputation d’être un homme de réseaux et d’influence, qui bénéficie de relations privilégiées aussi bien dans les sommets dirigeants de l’aile droite du Parti socialiste, le clan des ex-strauss-kahniens qui rassemble aussi bien Manuel Valls que Jean-Christophe Cambadélis, que dans les cercles dirigeants de la « Sarkozie ».

C’est d’ailleurs pour cette raison, selon nos informations, qu’Alain Bauer a décroché son premier contrat à la CDC, en 2007. À l’époque, la Caisse a pour patron Augustin de Romanet, qui a été porté à cette fonction par Jacques Chirac juste avant l’élection présidentielle. Détesté par Nicolas Sarkozy, le patron de l’époque de la CDC, qui craint de ne pas être reconduit dans ses fonctions, a alors l’idée de confier cette mission à Alain Bauer.

En vérité, la Caisse n’a pas besoin d’enrôler un tel chargé de mission, mais le patron de l’institution peut penser faire coup triple en mettant de la sorte Alain Bauer dans sa poche. D’abord, il peut espérer que ce geste en faveur d’un proche de Nicolas Sarkozy améliorera ses exécrables relations avec l’Élysée. Deuxio, cela lui permet aussi d’établir des passerelles avec certains cénacles de la gauche. Et tertio, comme Augustin de Romanet vit avec l’obsession que ses premiers échecs à la CDC sont le produit d’un complot franc-maçon – il s'en est ouvert sans cesse à tous ses visiteurs, y compris à l'auteur de ces lignes –, il se prend à penser qu’enrôler l’ancien grand maître de la principale obédience ne peut que lui être utile.

D’où ce contrat que la Caisse signe avec la société d’Alain Bauer, pour ce montant annuel de 200 000 euros.

Alain Bauer, qui a accepté de répondre à nos questions – on peut consulter sous l’onglet « Prolonger » associé à cet article la version intégrale des questions que nous lui avons posées et des réponses qu’il nous a faites –, conteste absolument l’idée selon laquelle il aurait pu bénéficier d’un contrat de complaisance. Selon sa version, il a d’abord eu des relations avec la CDC, à l’époque de Francis Mayer, le prédécesseur d'Augustin de Romanet à la direction générale de la Caisse. Mais ces relations, dit-il, « étaient gracieuses ». « Fin 2007, ajoute-t-il, Augustin de Romanet s'est inquiété de la crise des subprimes puis en 2008 de la situation de Blue Next sur les crédits carbone. Nous avons alors signé un contrat avec la Caisse, renouvelé régulièrement depuis et élargi à ses risques internationaux. Nous ne communiquons jamais sur les éléments précis de nos contrats sauf demande du client. »

Selon Alain Bauer, la CDC avait donc besoin de ses services et il résume son travail de la manière suivante : « Il y a une veille générale sur les crises et les menaces criminelles. Et sur la gestion de crise en fonction de ces dernières. » Et il s’amuse que l’on ose prétendre que sa mission soit sans la moindre utilité pour la Caisse : « Visiblement, les témoignages sont de nature contradictoire. À l'occasion de notre fin de contrat en cours, nous avons reçu les compliments inverses… », dit-il.

Mais cette version, nous n’avons trouvé personne à la Caisse qui vienne l’étayer. Partout, nous avons recueilli le même témoignage concordant : ce qui intéresse à l’époque Augustin de Romanet, n’est pas d’obtenir des éclairages sur les questions de sécurité mais de profiter de l’entregent de l’homme d’influence qu’est Alain Bauer. De cela, il y a d'ailleurs un autre indice. Au même moment, la Caisse des dépôts fait en effet un très curieux achat : il s’agit d’un livre, dont elle fait l’acquisition en très grand nombre. L’ouvrage en question est le guide gastronomique Champérard, un guide comme tant d’autres mais qui vise une clientèle haut de gamme aimant faire bonne chère mais n’ayant pas peur des factures salées.

Ce guide est acheté par la direction de la communication de la CDC sur instruction de la direction générale en nombre considérable. Une bonne source nous assure que l’achat a porté sur plusieurs milliers d'exemplaires, entre deux à trois. Plus précisément, un premier contrat a été conclu en 2010 pour l'achat de ces guides, et la Caisse a signé un deuxième contrat pour acheter des guides de l'édition de 2011. Interrogé par Mediapart sur le nombre de guides achetés par la CDC, Alain Bauer n’a pas véritablement répondu à la question : il ne nous a informé ni sur le nombre d’ouvrages, ni sur la facture payée par la Caisse. Tout juste nous a-t-il fait ce commentaire : « Le responsable du guide Champérard est monsieur de Champérard. Augustin de Romanet cherchait juste un cadeau de fin d'année et a aimé celui qui lui avait été offert par moi à l'occasion des fêtes. »

En 2010, lors d’un séminaire annuel organisé à Deauville pour les quelque 400 cadres de l’institution, dont beaucoup sont hébergés dans un cinq étoiles, le « Royal Barrière », tous les participants ont ainsi la surprise de recevoir en cadeau un exemplaire du guide. À 29 euros le guide, cela fait donc déjà une belle mise de fond !

Et plusieurs années plus tard, si des exemplaires du guide ont été offerts par la CDC à certains de ses invités et distribués en masse en 2012 au congrès des maires de France, la Caisse n’est toujours pas parvenue à écouler les stocks considérables d’ouvrages qu’elle a acquis. « Nous avons encore des cartons innombrables de guides qui dorment dans les placards », nous assure un témoin. Quoi qu'il en soit, ces deux contrats d'achat des guides ont pris fin en 2012, lors de l'alternance.

Et pourquoi donc la Caisse des dépôts a-t-elle acheté des exemplaires de ce guide gastronomique en nombre si considérable, et pourquoi notre criminologue est-il concerné par cette histoire ? Quand on va sur le site internet personnel d’Alain Bauer (il est ici), on a un début de réponse, puisque le fameux guide Champérard y est présenté (c’est là).

Si l'on pousse un peu plus avant les recherches, on découvre qu’Alain Bauer est en réalité le directeur de ce guide : on en trouve par exemple la mention sur le site internet des Presses universitaires de France, dans la présentation qu’elles font (elle est ici) d’un ouvrage culinaire coécrit par l’intéressé.

Mais la vraie raison, c’est sur le site internet du tribunal de commerce qu’on la trouve. Car si l’on achète les statuts à jour de la SARL guide Champérard, on y découvre, comme en témoigne l’une des pages que nous reproduisons ci-dessous, qu'Alain Bauer détient le capital de la société à 50 %, l’autre moitié étant détenue par un dénommé René Pérard.

 

Il n’est pas certain, pourtant, que ce discret et coûteux coup de pouce de la Caisse des dépôts, prélevé sur des fonds publics, ait beaucoup aidé le guide Champérard. Car en vérité, celui-ci semble se porter plutôt mal, tout à la fois pour des raisons financières et éditoriales. Si l’on se plonge dans les comptes de la SARL, on découvre en effet qu’elle a réalisé en 2013 un bénéfice net de seulement 846 euros. En clair, la société est ric-rac et à l’équilibre, ce qui explique sans doute que son actionnaire fasse la manche auprès de ses clients pour la maintenir à flot.

Mais le même guide a aussi été critiqué pour ne pas payer ses additions quand il va visiter un grand restaurant. Ce dont s’est défendu Marc de Champérard, qui lui aussi est directeur du guide, dans un entretien à un site internet spécialisé Atabula. Interrogé sur les critiques d’un chef connu, Georges Blanc, qui lui a fait ce grief, celui-ci rétorque : « C’est du mensonge. C’est lui qui tenait à m’inviter, je n’y peux rien. Ces cinq dernières années, j’y suis allé avec mon compère Alain Bauer, qui est actionnaire à 50 % des éditions Champérard. Vous imaginez M. Bauer, au regard de ses fonctions et de son statut d’ancien Grand Maître du Grand Orient de France, partir sans demander son addition ? Entre francs-maçons, cela ne se fait pas ! Beaucoup de chefs invitent car ils attendent en retour une critique positive. C’est un raisonnement simpliste et bête. »

Quoi qu’il en soit, Jean-Pierre Jouyet trouve donc en héritage ce contrat de 200 000 euros passé entre Alain Bauer et la Caisse des dépôts et consignations, quand il en devient le directeur général en juillet 2012. Dans les mois qui suivent, il a donc la possibilité de le dénoncer. Il s’en garde pourtant bien. Son directeur de cabinet de l’époque, Stéphane Keita, qui est un ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn et qui fait donc partie de la même mouvance strauss-kahnienne, comme Manuel Valls et Alain Bauer, l’incite même, quand le contrat annuel arrive à échéance, à le renouveler. Et c’est donc ce que finit par faire Jean-Pierre Jouyet, même s’il sait pertinemment que c’est de l’argent public jeté purement et simplement par les fenêtres. Faisant valoir que la Caisse avait intérêt à s’attacher ses services à cause de ses activités « sur des crises aussi diverses que les crédits carbone, les subprimes, des décisions d'investissement ou de non-investissement, la lutte contre le blanchiment », Alain Bauer assure, lui, que Jean-Pierre Jouyet a reconduit ce contrat « pour exactement les mêmes raisons ». « Il a même fait lancer un appel d'offres public pour calibrer des missions à plus long terme », assure-t-il.

Mais cette fois encore, cette version fait sourire à la CDC et beaucoup, dans les instances de cette immense maison, estiment que Pierre-René Lemas a bien fait de rompre avec un contrat qui avait été signé par complaisance ou dans des logiques d’influence.

L’histoire s’arrête donc là et elle serait restée à tout jamais secrète si Alain Bauer n’avait pas protesté un peu trop bruyamment. Et cela aurait été dommage. Car elle en dit long sur certaines pratiques qui se développent dans l’ombre du pouvoir. Des pratiques qui ont eu cours à la Caisse des dépôts mais aussi dans bien d’autres entreprises publiques, où Alain Bauer a pu mettre un pied dans la porte. On en trouve une liste (sans doute non exhaustive, puisque la Caisse des dépôts n’y est pas citée) sur le site internet de AB Conseil.

Et visiblement, Alain Bauer ne vend toujours pas que des conseils en sécurité. Comme avec les guides Champérard à la Caisse des dépôts, il fait aussi du petit commerce en vendant des prestations annexes. C’est ce que lui-même nous a fait comprendre car, lorsque nous lui avons demandé s’il avait vendu des guides Champérard à d’autres entreprises publiques qui font appel à ses services, il a eu cette drôle de réponse : « Pas à ma connaissance, mais certaines ont pu commander des produits spécifiques dans des conditions proches. »

Mais l’affaire éclaire aussi les pratiques auxquelles ont eu recours les derniers patrons de la Caisse des dépôts, Augustin de Romanet et Jean-Pierre Jouyet. Et pour ce dernier, cela tombe vraiment mal. Objet d’innombrables critiques, au cœur d’une controverse ravageuse liée à son déjeuner avec François Fillon, le voilà, au travers de cette histoire, qui montre une autre facette de sa personnalité, guère plus vertueuse…

BOITE NOIREPour réaliser cette enquête, j'ai eu de longs échanges avec de nombreux témoins qui ont requis l'anonymat. J'ai aussi posé de nombreuses questions à Alain Bauer qui a accepté de me répondre. On trouvera certaines de ses réponses au fil de l'article et leur version intégrale sous l'onglet « Prolonger » associé à cet article. La Caisse des dépôts, de son côté, n'a pas souhaité faire de commentaires.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Jean-Louis Bianco : «La laïcité ne doit pas être une arme anti-religieuse»

$
0
0

Écoutez la différence… Au cours de notre entretien pour l'émission Objections, Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, ne dément aucune tension sur le sujet en France. Mais il a une conviction : il n’y a pas le feu au lac. Cette certitude s’est renforcée après quarante ans de vie publique. Il a successivement occupé toutes les fonctions politiques nationales et locales, secrétaire général de l’Élysée, ministre, maire, président de conseil général, conseiller régional…

Il n’ignore pas que la laïcité doit se confronter à « des revendications nouvelles, plus agressives, face auxquelles il faut réaffirmer les principes ».

Il ne lui a pas échappé que l’accolement d’adjectifs au mot "laïcité" est le plus souvent chargé d’arrière-pensées, voire d’hypocrisie : « laïcité positive, d’ouverture, rigoureuse… La laïcité se suffit à elle-même ! » lâche-t-il dans l’entretien, en constatant que « la laïcité est trop souvent perçue comme une arme anti-religieuse, et que dans bien des cas ceux qui la mettent en avant ne parlent pas de laïcité, mais d’islam et de foulard ».

Pour autant, Jean-Louis Bianco refuse toute forme d’angélisme : à la tête de son Observatoire, il constate que des problèmes virulents peuvent surgir de cet islam dont l'installation en France est relativement récente. Il prône alors le dialogue plutôt que la loi, même s’il soutient la loi de 2004 sur le voile à l’école, qu’il a lui-même votée et « qui est bien appliquée ». Il répète sa conviction : « Si la laïcité devait devenir une laïcité d’interdiction, on créerait des conflits beaucoup plus forts. »

Ne le sont-ils pas déjà ? La France n’est-elle pas déjà dans l’œil du cyclone ?

Sur ce point Jean-Louis Bianco est net, et son discours tranche avec le ton alarmiste qui prévaut dans le discours public : « Quand on compare avec d’autres pays, États-Unis, Allemagne, Angleterre, l’intégration française marche beaucoup mieux ! En France, un mariage sur deux se fait hors de sa communauté culturelle et religieuse d’origine. En Angleterre c’est 3 %. Aux États-Unis les affrontements sont ethniques. Pas chez nous, où ils concernent plutôt le quartier Machin contre le quartier Truc, pour des motifs divers, mais pas d’ordre ethnique ou religieux. »

Au fond, le message du président de l’Observatoire de la laïcité se décline en trois temps: 1) La laïcité est bousculée par des problèmes religieux qui ne sont pas innombrables mais qui sont virulents. 2) Ceux qui dramatisent ces problèmes ont tort et se servent de la laïcité « comme d’une arme, or la laïcité c’est d’abord une liberté ». 3) Il faut réaffirmer les principes, mais sans claquer la porte.

Tout au long de cet entretien, Jean-Louis Bianco s’efforce, en diplomate, de tenir un point d’équilibre, et ne désigne pas d’adversaires. Sa grande prudence sera pourtant prise en défaut, dans un lapsus, à propos de Manuel Valls…

Interrogé pour savoir si Manuel Valls, plutôt adepte du bâton, est d’accord avec son invitation au dialogue permanent, Jean-Louis Bianco va lâcher, sans s’en apercevoir : « Nous ne sommes pas en désaccord. Je dis pas ça pour vous dire que c’est bien. Je dis ça parce que c’est le sentiment que j’ai, et que c’est vrai… Quand il parle de notre travail il est en désaccord avec nous ! »... Vous pouvez vérifier, c’est à la quinzième minute...

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Gauche et droite s'affrontent sur la reconnaissance de la Palestine

$
0
0

Ils disent vouloir la coexistence de deux États mais ne s'entendent pas sur les modalités. Alors que les députés voteront le projet de résolution socialiste sur une reconnaissance de l’État palestinien le mardi 2 décembre à l'Assemblée (un autre projet sera examiné le 9 décembre au Sénat), la division des parlementaires paraît insurmontable. Le débat qui s'est tenu vendredi a mis en lumière les habituelles dissensions des deux côtés de l'hémicycle. À droite, les députés estiment que la reconnaissance d'un État palestinien ne peut se faire qu'à partir du moment où des accords de paix sont trouvés entre Israéliens et Palestiniens. À gauche, ils pensent qu'il faut au préalable un geste de reconnaissance de la Palestine pour encourager une reprise des négociations.

Le texte débattu a de fortes chances d'être adopté mardi prochain. Seule une dizaine de parlementaires socialistes n'ont pas signé le projet de résolution de Bruno Le Roux et, selon le député Axel Poniatowski (UMP), une vingtaine de députés UMP soutiendraient l'initiative des socialistes. Communistes et écologistes voteront eux en faveur du texte.

Après le Parlement britannique et l'Irlande début octobre, la déclaration de la Suède – premier pays membre de l'Union européenne à reconnaître l’État palestinien dans ses frontières de 1967 – et dernièrement le vote du congrès espagnol, la France devrait être le quatrième pays européen à reconnaître l’État palestinien par la voix de son parlement. Si le vote n'est que symbolique (une telle reconnaissance demeure du domaine exclusif de l'exécutif), il n'en constituerait pas moins une pierre supplémentaire dans le lent édifice de reconnaissance d'un État avec pour capitale Jérusalem Ouest. 

En Israël, le premier ministre Benyamin Netanyahou a fait savoir dimanche 23 novembre que « la reconnaissance d'un État palestinien par la France serait une grave erreur ». Au même moment, son gouvernement approuvait un projet de loi visant à définir Israël comme « l’État national du peuple juif » et non plus comme un État « juif et démocratique », entérinant une distinction des citoyens sur la base de leur religion. Le chef de l'autorité palestinienne Mahmoud Abbas ne s'est pas prononcé sur le sujet. 

« Nous sommes attendus bien au-delà de nos frontières », a lancé au début de son discours le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, face à une petite cinquantaine de parlementaires présents vendredi. « La résolution n'a d'autre but que de concourir à la paix au Proche-Orient », a-t-il affirmé avant d'inviter l'Assemblée à dépasser les clivages partisans en votant le texte mardi prochain. « Quid du Sahara occidental, de l'Abkhazie ou du Haut Karabagh ? », lui a rétorqué le député de Paris Pierre Lellouche (UMP).

Premier désaccord : pour une majorité de députés UMP, les socialistes empiètent « dans ce que l'on appelait jadis le domaine réservé du président de la République » en « invitant » le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. « La reconnaissance d’un État est une prérogative de l’exécutif, mais la situation elle-même est exceptionnelle », a tranché Laurent Fabius, précisant qu'il n'y avait là pas d'injonction et appuyant la résolution. 

Laurent Fabius face à une Assemblée clairsemée le 28 novembre 2014Laurent Fabius face à une Assemblée clairsemée le 28 novembre 2014 © Charles Platiau - Reuters

Le deuxième désaccord concerne le moment choisi pour adopter une telle résolution. Les récents attentats en Israël et les nouvelles tensions sur l'esplanade des mosquées, lieu saint pour les juifs et les musulmans, laissent présager du pire. « Beaucoup pensent qu'une troisième intifada est en germe », pense Bruno Le Roux. « Vous ne tromperez personne, a lancé l'UMP Claude Goasguen à destination du banc socialisteC’est un débat strictement politicien interne, une course de vitesse pour déposer une résolution. » « J’entends dire que cette proposition de résolution serait inopportune car prématurée, a avancé Élisabeth Guigou, présidente socialiste de la commission des affaires étrangères. Je crois au contraire que pour celles et ceux qui pleurent les victimes de ce conflit, elle vient trop tard. Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction meurtrière », a-t-elle ajouté, applaudie vivement par la gauche de l'hémicycle. 

À droite, plusieurs députés ont invoqué leur crainte de l'importation du conflit en France, à l'instar de Meyer Habib, député des Français établis hors de France (et dont la circonscription inclut Israël). « Dois-je rappeler qu’on a crié mort aux juifs dans les manifestations dans les banlieues cet été », s'est-il écrié avant d'accuser les socialistes d'avoir cédé aux coups de boutoir de la « gauche radicale et antisioniste ». Copieusement hué par les parlementaires, il n'a trouvé de relais qu'à travers les propos du frontiste Gilbert Collard : « À voir vos réactions, pendant que notre collègue prenait la parole, on peut difficilement ne pas croire que cette résolution va créer de graves tensions. »

« Aujourd’hui, la France a rendez-vous avec son destin », a clamé le député du Front de gauche François Asensi. « Nous avons la responsabilité de réparer une injustice vieille de plus de 60 ans et de reconnaître enfin au peuple palestinien le droit inaliénable qui est le sien : celui de disposer de son propre État. » 


Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a conclu le débat en rappelant la position de la France depuis quarante ans, c'est-à-dire en faveur de la coexistence de « deux États souverains et démocratiques, sur la base des lignes de 1967 et avec Jérusalem pour capitale ». Il a également rappelé le contexte international des « négociations à l'arrêt » menées par John Kerry. Il a cependant affirmé ne pas vouloir d'une « reconnaissance en trompe-l’œil suivie d’aucun effet complet ». « Nous devons fixer un calendrier », a-t-il annoncé avant de plaider pour l'organisation d'une conférence internationale.

François Hollande l'avait mentionné jeudi, Paris est prêt à accueillir une conférence internationale et se donne deux ans pour aboutir à une « solution négociée ». « La France reconnaîtra la Palestine, ce n’est pas une faveur, pas un passe-droit c’est un droit », rappelle avec véhémence le ministre des affaires étrangères. À défaut d'une telle solution dans les deux ans, jure-t-il, le pays « devra prendre ses responsabilités en reconnaissant sans délai l’État de Palestine ».  

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?


Gauche et droite s'affrontent sur la possible reconnaissance de la Palestine

$
0
0

Ils disent vouloir la coexistence de deux États mais ne s'entendent pas sur les modalités. Alors que les députés voteront le projet de résolution socialiste sur une reconnaissance de l’État palestinien le mardi 2 décembre à l'Assemblée (un autre projet sera examiné le 9 décembre au Sénat), la division des parlementaires paraît insurmontable. Le débat qui s'est tenu vendredi a mis en lumière les habituelles dissensions des deux côtés de l'hémicycle. À droite, les députés estiment que la reconnaissance d'un État palestinien ne peut se faire qu'à partir du moment où des accords de paix sont trouvés entre Israéliens et Palestiniens. À gauche, ils pensent qu'il faut au préalable un geste de reconnaissance de la Palestine pour encourager une reprise des négociations.

Le texte débattu a de fortes chances d'être adopté mardi prochain. Seule une dizaine de parlementaires socialistes n'ont pas signé le projet de résolution de Bruno Le Roux et, selon le député Axel Poniatowski (UMP), une vingtaine de députés UMP soutiendraient l'initiative des socialistes. Communistes et écologistes voteront eux en faveur du texte.

Après le Parlement britannique et l'Irlande début octobre, la déclaration de la Suède – premier pays membre de l'Union européenne à reconnaître l’État palestinien dans ses frontières de 1967 – et dernièrement le vote du congrès espagnol, la France devrait être le quatrième pays européen à reconnaître l’État palestinien par la voix de son parlement. Si le vote n'est que symbolique (une telle reconnaissance demeure du domaine exclusif de l'exécutif), il n'en constituerait pas moins une pierre supplémentaire dans le lent édifice de reconnaissance d'un État avec pour capitale Jérusalem. 

En Israël, le premier ministre Benyamin Netanyahou a fait savoir dimanche 23 novembre que « la reconnaissance d'un État palestinien par la France serait une grave erreur ». Au même moment, son gouvernement approuvait un projet de loi visant à définir Israël comme « l’État national du peuple juif » et non plus comme un État « juif et démocratique », entérinant une distinction des citoyens sur la base de leur religion.

« Nous sommes attendus bien au-delà de nos frontières », a lancé au début de son discours le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, face à une petite cinquantaine de parlementaires présents vendredi. « La résolution n'a d'autre but que de concourir à la paix au Proche-Orient », a-t-il affirmé avant d'inviter l'Assemblée à dépasser les clivages partisans en votant le texte mardi prochain. « Quid du Sahara occidental, de l'Abkhazie ou du Haut Karabagh ? », lui a rétorqué le député de Paris Pierre Lellouche (UMP).

Premier désaccord : pour une majorité de députés UMP, les socialistes empiètent « dans ce que l'on appelait jadis le domaine réservé du président de la République » en « invitant » le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. « La reconnaissance d’un État est une prérogative de l’exécutif, mais la situation elle-même est exceptionnelle », a tranché Laurent Fabius, précisant qu'il n'y avait là pas d'injonction et appuyant la résolution. 

Laurent Fabius face à une Assemblée clairsemée le 28 novembre 2014Laurent Fabius face à une Assemblée clairsemée le 28 novembre 2014 © Charles Platiau - Reuters

Le deuxième désaccord concerne le moment choisi pour adopter une telle résolution. Les récents attentats en Israël et les nouvelles tensions sur l'esplanade des mosquées, lieu saint pour les juifs et les musulmans, laissent présager du pire. « Beaucoup pensent qu'une troisième intifada est en germe », pense Bruno Le Roux. « Vous ne tromperez personne, a lancé l'UMP Claude Goasguen à destination du banc socialisteC’est un débat strictement politicien interne, une course de vitesse pour déposer une résolution. » « J’entends dire que cette proposition de résolution serait inopportune car prématurée, a avancé Élisabeth Guigou, présidente socialiste de la commission des affaires étrangères. Je crois au contraire que pour celles et ceux qui pleurent les victimes de ce conflit, elle vient trop tard. Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction meurtrière », a-t-elle ajouté, applaudie vivement par la gauche de l'hémicycle. 

À droite, plusieurs députés ont invoqué leur crainte de l'importation du conflit en France, à l'instar de Meyer Habib, député des Français établis hors de France (et dont la circonscription inclut Israël). « Dois-je rappeler qu’on a crié mort aux juifs dans les manifestations dans les banlieues cet été », s'est-il écrié avant d'accuser les socialistes d'avoir cédé aux coups de boutoir de la « gauche radicale et antisioniste ». Copieusement hué par les parlementaires, il n'a trouvé de relais qu'à travers les propos du frontiste Gilbert Collard : « À voir vos réactions, pendant que notre collègue prenait la parole, on peut difficilement ne pas croire que cette résolution va créer de graves tensions. »

« Aujourd’hui, la France a rendez-vous avec son destin », a clamé le député du Front de gauche François Asensi. « Nous avons la responsabilité de réparer une injustice vieille de plus de 60 ans et de reconnaître enfin au peuple palestinien le droit inaliénable qui est le sien : celui de disposer de son propre État. » 


Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a conclu le débat en rappelant la position de la France depuis quarante ans, c'est-à-dire en faveur de la coexistence de « deux États souverains et démocratiques, sur la base des lignes de 1967 et avec Jérusalem pour capitale ». Il a également rappelé le contexte international des « négociations à l'arrêt » menées par John Kerry. Il a cependant affirmé ne pas vouloir d'une « reconnaissance en trompe-l’œil suivie d’aucun effet complet ». « Nous devons fixer un calendrier », a-t-il annoncé avant de plaider pour l'organisation d'une conférence internationale.

François Hollande l'avait mentionné jeudi, Paris est prêt à accueillir une conférence internationale et se donne deux ans pour aboutir à une « solution négociée ». « La France reconnaîtra la Palestine, ce n’est pas une faveur, pas un passe-droit c’est un droit », rappelle avec véhémence le ministre des affaires étrangères. À défaut d'une telle solution dans les deux ans, jure-t-il, le pays « devra prendre ses responsabilités en reconnaissant sans délai l’État de Palestine ».  

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

La Russie au secours du FN : deux millions d’euros aussi pour Jean-Marie Le Pen

$
0
0

La « filière russe » du Front national, depuis le début, c’est lui : Jean-Marie Le Pen. Le président d’honneur du Front national répète, depuis la déconfiture de l’Union soviétique, qu’il se bat pour une Europe de « Brest à Vladivostok ». Il était encore à Moscou fin octobre, où il a salué la prise de la Crimée – « qui a toujours été une province russe ». Il était logique qu’il bénéficie aussi du soutien financier accordé par la Russie au Front national, une demande portant sur des besoins estimés à 40 millions d’euros, comme Mediapart l’a révélé.

Alors que le parti d’extrême droite a obtenu en septembre le déblocage d’un prêt de 9 millions d’euros auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), l’association de financement Cotelec, présidée par Jean-Marie Le Pen, a reçu, le 18 avril 2014, deux millions d’euros d’une obscure société chypriote, Vernonsia Holdings Ltd, via un compte ouvert à la banque Julius Baer, en Suisse. « Un prêt », selon le président d’honneur du FN, en vertu d’une convention signée le 4 avril.

Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen au parlement européen.Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen au parlement européen. © Reuters

Le bénéficiaire économique de la structure chypriote, Yuri Kudimov, est un ancien du KGB reconverti dans la banque d’État Vnesheconombank investment (VEB Capital), qu’il a dirigée jusqu’en octobre. Cet établissement, détenu à 100 % par l’État russe, est le bras financier du Kremlin. Son conseil de surveillance est présidé par Dmitri Medvedev, et avant lui, Vladimir Poutine. Ce nouveau financement russe en direction du FN porte donc clairement la marque du régime.

« Nous avons en effet contracté auprès de cette société un prêt de 2 millions d’euros, qui a d’ailleurs été déclaré à l’administration française dans des conditions tout à fait normales », a expliqué M. Le Pen à Mediapart, tout en refusant de préciser le taux d’intérêt de l'emprunt. Le président d’honneur du FN n’a pas voulu confirmer non plus l’origine russe des fonds. 

Yuri Kudimov.Yuri Kudimov. © (dr)

« Ce que je sais, c’est que c’est une société chypriote, déclare-t-il. Qu’il y ait des Russes à Chypre, c’est possible ça. Qu’est-ce qu’il y aurait d’étonnant, d'anormal à ça ? Je traite avec une société qui s’appelle la Vernonsia Holdings Limited, qui accepte de me prêter de l’argent. La manière dont elle le récupère, ça ne me regarde pas. J’ai une société en face, avec des responsables juridiques, qui ont vocation à signer les engagements de cette société. Je ne fais pas une enquête sur les tenants et les aboutissants de ceux qui me prêtent de l’argent. »

Jean-Marie Le Pen concède avoir signé le document en tant que président de Cotelec. Mais concernant la négociation, il indique qu’elle a été faite par « des intermédiaires », quelques mois auparavant. « Je ne pense pas être tenu de vous en faire rapport »,poursuit-il. L'arrivée de ces fonds sur le compte de l'association de Le Pen est un nouveau signal en direction des alliés français de la Russie. Si l'on compte Marine et Jean-Marie Le Pen, et les nouveaux élus frontistes Jean-Luc Schaffhauser et Aymeric Chauprade, quatre eurodéputés français sont aujourd'hui aux avant-postes de l'activisme pro-russe, alors que l'Union européenne a choisi de sanctionner économiquement la Russie. Et tous les quatre semblent avoir mis à profit leur engagement pour renflouer au passage les caisses du Front national.

M. Jean-Luc Schaffhauser précise qu’il n’y a pas de lien entre le prêt de 9 millions d'euros qu’il a obtenu auprès de la First Czech Russian Bank et l'argent versé à Cotelec. « Ce n’est pas moi qui ai suivi cette affaire. Je pense que l’autre personne qui a des réseaux en Russie a dit que ce sont des choses complètement séparées. »

A. Chauprade à Moscou le 25 novembre avec Alexeï Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma.A. Chauprade à Moscou le 25 novembre avec Alexeï Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma. © Twitter / @a_chauprade

L'autre personne, c'est Aymeric Chauprade, conseiller international de Marine le Pen, qui n'a pas donné suite aux questions de Mediapart. Alors que Jean-Marie Le Pen suggère « qu’il n’est pas impossible » que ce dernier « ait aidé à la constitution de cette relation ».M. Chauprade s'est rendu cette semaine encore à la Douma, où il a prononcé un discours « au nom de madame Marine Le Pen ».

Statutairement « chargée de promouvoir l’image et l’action de Jean-Marie Le Pen », l’association de financement Cotelec – acronyme de « cotisation électorale » – a renfloué le Front national à plusieurs reprises ces dernières années. Depuis sa constitution, en 1988, jusqu’en 1997, Cotelec a eu pour trésorier l’un des meilleurs amis de Le Pen, l'éditeur Jean-Pierre Mouchard, remplacé dans les années 2000 par Gérald Gérin, majordome des Le Pen, devenu l'homme de confiance et l'assistant parlementaire du fondateur du FN.

M. Mouchard avait ouvert en 1981 un compte suisse à l’UBS pour Jean-Marie Le Pen, qui avait expliqué qu'il était dédié à sa maison de disques et sans aucun rapport avec son association de financement (lire notre enquête). Ce compte a été clôturé à la fin des années 1980, avant que le leader du Front national n'entre en relation avec un autre gérant de fortune sulfureux, Jean-Pierre Aubert.

L'arrivée récente de deux millions russes, via Chypre, répond aux nécessités de Cotelec. Fondé en 1988, ce micro-parti fonctionne comme une petite banque, récoltant des dons, accordant des prêts aux candidats du Front national, et empruntant aussi. Il y aurait, selon Jean-Marie Le Pen, « plus de 1 500 prêteurs » (1,1 million d’euros en 2011). Les dons à l’association, qui doivent être libellés « Jean-Marie Le Pen-Cotelec », se sont élevés à 239 464 euros en 2011, et 256 000 euros en 2012.

Avec ces diverses rentrées financières, ce « parti de poche » a prêté 4,515 millions d’euros à Marine Le Pen pour la dernière présidentielle – en quinze prêts, de mai 2011 à avril 2012. Cotelec a cependant facturé un taux d'intérêt de 7 % pour ces prêts – soit 319 453 euros au total. Or l’association emprunte, elle, à un taux de… 3 %. En 2012, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a jugé dans sa décision sur le compte de Marine Le Pen que « les intérêts relatifs à ces (…) prêts ne peuvent entrer dans l'assiette du remboursement forfaitaire » de l'État.

Cette activité semi-bancaire a aussi attiré l'attention de la justice qui examine aujourd'hui sa régularité, dans le cadre d'une information judiciaire, à Paris. En janvier dernier, la commission a par ailleurs rejeté les comptes 2013 de Cotelec, qui avait envoyé son dossier « hors délai ».

Alors que ce nouveau prêt de deux millions d'euros profitera in fine au FN, le trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, a indiqué à Mediapart qu'il « n'(était) pas au courant » de sa signature, ne « connaissant pas les finances » de ce micro-parti. Sollicitée, la présidente du FN n'a pas souhaité nous répondre.

L'emprunt russe signé par Le Pen père pose en tout cas à nouveau la question de l'immixtion russe dans la vie politique française. « Qu’un certain nombre de gens en Russie nous considèrent au Front national avec sympathie, rien de plus normal »,rétorque Jean-Marie Le Pen, « puisque nous soutenons plutôt la politique internationale des Russes que celle des États-Unis, ce n’est pas un secret, c’est une réalité politique. » Le président d'honneur du FN ne cache pas son « admiration » pour Vladimir Poutine et « la manière dont il conduit sur la voie du redressement un pays qui a été ruiné par 70 ans de communisme ».

La première visite de Jean-Marie Le Pen à son ami Vladimir Jirinovski, en février 1996.La première visite de Jean-Marie Le Pen à son ami Vladimir Jirinovski, en février 1996. © Mediapart

C'est chez les Russes de la droite extrême qu'il a noué, au milieu des années 1990, ses premiers contacts en Russie. Depuis, il entretient une vieille amitié avec l'ultranationaliste Vladimir Jirinovski, dont il a été le témoin de mariage. Fin octobre, il s'est à nouveau envolé pour Moscou (voir les images), où il a revu Jirinovski, déjeuné avec son ami Sergueï Babourine – un autre nationaliste russe –, et rendu visite au célèbre peintre Ilya Glazounov qu'il a connu en 1968 en France.

« Ces gens-là ne sont pas dans l'environnement de Vladimir Poutine », précise Jean-Marie Le Pen. C'est en effet sa fille qui a lancé les passerelles avec les cercles poutiniens, et ce dès son arrivée à la tête du FN, en 2011, en déclarant qu'elle « admire » le dirigeant russe.

Depuis, le Front national a mis en œuvre un lobbying intense en direction de Moscou, parallèlement aux visites de sa présidente sur place. Marion Maréchal-Le Pen s’y rend en décembre 2012, Bruno Gollnisch, en mai 2013. Après une visite en Crimée, Marine Le Pen y va en juin 2013 avec Louis Aliot. Elle est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un ancien général qui a connu Poutine au KGB et au FSB (sécurité de l'État). Elle rencontre aussi Alexeï Pouchkov, qui dirige la commission des affaires étrangères de la Douma, et le vice-premier ministre, Dmitri Rogozine.

Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014.Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014. © Reuters

Jean-Marie comme Marine Le Pen balayent l'idée que ces prêts placent le Front national en situation de dépendance vis-à-vis des Russes ou qu'ils « déterminent (leur) position internationale ». « Ces insinuations sont outrancières et injurieuses. Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne (pro-Russe – ndlr) », a déclaré la présidence du FN au Monde. « De quoi le Front national est-il dépendant ? » rétorque son père, en soulignant qu'il s'agit d'accords avec des « banques » et non avec des « gouvernements ».

Revenant sur les conditions d’obtention du prêt russe par le FN, Jean-Marie Le Pen déplore qu’une rétribution de 140 000 euros ait pu être versée à M. Schaffhauser pour sa mission d'intermédiaire. « Je trouve ça scandaleux qu’un élu du Front national, qui a peut-être servi d’intermédiaire ou facilité une opération d’emprunt, ait touché une commission, déclare-t-il. Je crois qu’il a dit que c’était les frais financiers. J’ai quand même dit (en interne – ndlr) que c’était un peu gros que ce député ait pu demander des commissions. »

M. Le Pen indique qu’il n’était « pas au dernier bureau politique », mais que le sujet y « sera sûrement » évoqué, et figurera « peut-être même dans le rapport financier du trésorier, Wallerand de Saint-Just », lors de l’ouverture du congrès, ce samedi. À Mediapart, le trésorier du FN affirme au contraire qu'il ne sera « certainement pas » question de la commission de M. Schaffhauser dans son intervention à l'assemblée générale du parti, à huis clos, mais qu'il « dira un mot des perspectives » et du prêt contracté par le FN.

Le rapport du trésorier devrait effectivement revenir sur les difficultés financières du parti et la recherche engagée auprès des banques pour obtenir des prêts. Cette recherche, qui aurait été infructueuse, est l’argument avancé depuis un mois par l’état-major du Front national pour justifier le recours aux fonds russes.

Indicateur supplémentaire des relations étroites entre le Front national et le pouvoir russe: deux hauts responsables russes assisteront au congrès du FN, d’après Le Monde: le vice-président de la Douma, Andreï Issaïev, et Andreï Klimov, le chef adjoint de la commission des affaires internationales du Conseil de la fédération russe (la chambre haute du Parlement). Tous deux sont membres du parti progouvernemental Russie unie. Leur présence a été confirmée au Monde par l’entourage de Marine Le Pen. « Il n’est pas exclu qu’il y ait des Russes. Des gens ont émis le souhait d’assister au congrès », avait expliqué à Mediapart Jean-Marie Le Pen.

BOITE NOIRESollicitée par l'intermédiaire de son chef de cabinet, Marine Le Pen n'a pas souhaité nous répondre, « comme d'habitude ».

Sollicité vendredi via son conseiller presse, Aymeric Chauprade n'a pas donné suite à nos questions.

Mise à jour: cet article a été actualisé samedi à 12h15 avec l'invitation de deux hauts responsables russes au congrès du FN.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Sarkozy prend l'UMP, les vraies batailles commencent

$
0
0

Ce qui devait arriver arriva. Nicolas Sarkozy a été élu, samedi 29 novembre, président de l’UMP avec 64,5 % des suffrages exprimés, contre 29,18 % pour Bruno Le Maire et 6,32 % pour Hervé Mariton. Les trois candidats ont été départagés par 155 801 votants sur les 268 000 adhérents UMP. Un résultat sans surprise, accueilli sur Facebook par le principal intéressé avec une humilité et une sobriété artificielles, tout aussi prévisibles que sa victoire en demi-teinte. « Cette campagne a été digne, écrit dans un communiqué l’ancien président. Dès lundi, je rencontrerai les principaux responsables de notre famille politique afin de créer les conditions du plus large rassemblement.Ce vote marque un nouveau départ pour notre famille politique. »

Quand bien même il n’a rien à voir avec les 85,09 % réalisés en 2004, lors de sa première élection à la tête du parti, le score final de l’ancien président reste honorable. D’autant plus qu’il a été obtenu au terme d’une campagne aussi ratée que paresseuse, marquée par une concurrence féroce, de nombreuses erreurs stratégiques et un programme fantôme.

Nicolas Sarkozy sortant de la permanence UMP du XVIe arrondissement de Paris, où il a voté le 29 novembre.Nicolas Sarkozy sortant de la permanence UMP du XVIe arrondissement de Paris, où il a voté le 29 novembre. © Reuters

Honorable surtout, parce que pendant deux mois, Nicolas Sarkozy a fait le service minimum. L’UMP a beau être le cadet de ses soucis, il en avait expressément besoin pour rester dans la course à 2017 et assouvir ainsi sa soif de revanche. En ce sens, sa victoire a quelque chose de déconcertant. Elle prouve que l’on peut prendre la tête du principal parti d’opposition français sans grande envie et sans idée. Mais avec des casseroles judiciaires, des haines recuites et trois, quatre sourires crispés. Nul n’est dupe sur les véritables ambitions de l’ancien président : cette campagne interne n’était qu’un tour de chauffe pour les primaires de 2016 qui devront désigner le candidat de la droite à l'élection présidentielle de 2017.

Là est le véritable enjeu de Sarkozy. Le seul auquel il pense. Reconstruire le parti ? Lui offrir un corpus idéologique ? Rassembler ses ténors ? Combler sa dette financière ? Pourquoi pas ? À condition que cela serve ses ambitions élyséennes. Le bout du tunnel est encore très, très loin, et les obstacles avant de l’atteindre, nombreux. Entre la dizaine de procédures judiciaires qui le visent, lui et son entourage, la concurrence qui aiguise ses armes et les idées qui manquent, le nouveau patron de l’UMP a de quoi s’occuper un bon moment.

Petites phrases, humiliations ordinaires, retournements de veste… À préparer en amateur ses munitions à l’occasion du scrutin interne de l’UMP, Nicolas Sarkozy a fini par se tirer une balle dans le pied pour 2017. Non contente d’avoir déroulé le tapis des primaires à son principal adversaire Alain Juppé, la campagne ratée de l'ex-ched de l'État a révélé au grand jour les écueils auxquels il va se heurter à peine franchi le seuil de la rue de Vaugirard.

  • Trois fronts se présentent à lui : judiciaire, idéologique et politique

Les choses sont claires depuis le début. « L’amour de la France » n’a jamais été le moteur du retour de l’ancien président. En revanche, les multiples affaires qui le visent ont fortement motivé sa décision. Il l'a confié aux prémices de sa campagne : « Si on voulait qu'(il) reste tranquille dans (son) coin, il ne fallait pas agir comme ça. » L’ancien président a fait un drôle de calcul qui laisse dubitatif jusque dans ses propres rangs. En reprenant la tête de l’UMP, il s’imaginait utiliser le parti comme bouclier pour se protéger judiciairement. Or, il s’est replacé de facto dans une énième situation de conflit d’intérêts.

En qualité de nouveau patron de l’opposition, il va devoir gérer l’épineux dossier de l’affaire Bygmalion, dans laquelle trois anciens cadres de l’UMP sont déjà mis en examen. Durant la campagne, le sujet a donné lieu à des déclarations aussi grotesques que mensongères. « J’ai appris le nom de Bygmalion longtemps après la campagne présidentielle », a prétendu l’ex-chef de l’État dès sa première intervention sur France 2. « Je ne connaissais pas cette société Pygmalion, Bygmalion, je ne sais plus exactement », affirmait quelques jours plus tard le fidèle Brice Hortefeux, venu en renfort pour maquiller le nez pinocchiolesque de son mentor.

Qui peut croire à une fable pareille ? Même s'il fait mine de se moquer de l'affaire, le nouveau patron de l’opposition va devoir s’y intéresser sérieusement. Principal bénéficiaire du système de fausses factures mis en place en 2012, il pourrait être poursuivi pour “financement illégal de campagne électorale” dans un dossier où l’UMP s’est constituée partie civile. Nicolas Sarkozy n’étant plus à une situation schizophrénique près, il devra également jouer les Arturo Brachetti dans l’affaire de l’amende de 363 615 euros – liée au rejet de son compte de campagne – que le parti a réglée en lieu et place du candidat.

Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog à la sortie du palais de justice de Bordeaux, le 22 novembre 2012.Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog à la sortie du palais de justice de Bordeaux, le 22 novembre 2012. © Reuters

Une information judiciaire pour « abus de confiance », « complicité » et « recel » a été ouverte début octobre et l’ancien président a de fortes chances d’être prochainement entendu par les juges. Pour résumer la situation : Sarkozy-ex-candidat se retrouve accusé par Sarkozy-nouveau patron de l’UMP de s’être auto-spolié ! Le calendrier judiciaire de l’ex-chef de l’État va être fortement chargé au cours des deux prochaines années puisqu'aux affaires de la campagne de 2012, viennent s’ajouter l’affaire libyenne et celle des écoutes de son “double” Paul Bismuth. Sans compter les dossiers visant ses proches qui encombrent les cabinets d’instruction.

En faisant de l’ancien “grand flic” Frédéric Péchenard le directeur de sa campagne, comme il avait choisi auparavant l’ex-préfet de police Michel Gaudin pour diriger son cabinet de la rue de Miromesnil, Nicolas Sarkozy a prouvé à ceux qui en doutaient encore l’importance qu’il accorde au renseignement. Lui qui n’a cesse d’agiter le spectre d’un “cabinet noir” anti-sarkozyste s’est révélé bien plus informé que la moyenne. Aussi a-t-on appris au détour d’une anecdote du livre Sarko s’est tuer (Éd. Stock), comment l’ancien président était au courant avant tout le monde des sorties en scooter de son successeur à l’Élysée.

Depuis deux ans, l’ex-chef de l’État a beaucoup réfléchi. Non pas à une vision pour la France, comme il le prétend, mais à la façon de se dépatouiller de tous les sparadraps judiciaires qui le collent. Un emploi à plein-temps qui lui a fait abandonner le terrain des idées. C'est un problème pour le nouveau patron de l’UMP dont l’une des tâches principales va être de construire un projet d’alternative crédible. Mobiliser un réseau d’experts pour construire un corpus idéologique sérieux ? « Inutile, je m’en fous », confiait-t-il encore récemment devant ses proches, comme le rapporte Le Nouvel Obs.

Nicolas Sarkozy reste persuadé, depuis le départ, que sa propre personne est un programme suffisant pour revenir au pouvoir. Pourquoi s’embêter à se remettre en question quand on passe des mois à parcourir le monde pour se faire applaudir dans des conférences grassement rémunérées ? La garde rapprochée de l’ancien président a répété durant toute la campagne que « les idées viendraient » et qu’il était « normal que tout ne soit pas tranché pour le moment ».

Les différentes réunions publiques qui ont émaillé la campagne du nouveau patron de l’opposition ont révélé la faiblesse de ce qu’il ose encore appeler ses « convictions ». Quelques resucées Buisson pour faire plaisir au public ultra-droitier de la Côte d’Azur, de grandes envolées sibyllines sur la différence entre démocratie et république à Paris, un marchandage ubuesque sur l’abrogation de la loi Taubira au meeting de Sens Commun… En l’espace de deux mois, Nicolas Sarkozy a dit tout, n’importe quoi et son contraire, ce qui lui a valu d’être envoyé dix-sept fois en « cure de Désintox » par Libération.

Aux petits arrangements avec la vérité, ce sont également greffées des phrases franchement limites. Souvent prononcées en “off”, elles ont parfois franchi la barrière du “on”, comme lors de cette séance de questions-réponses, mardi 25 novembre à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), durant laquelle l'ancien président a justifié la nomination de Rachida Dati au ministère de la justice en lâchant : « Dati, avec père et mère, algérien et marocain, pour parler de la politique pénale, ça avait du sens. »

Nicolas Sarkozy en meeting à Boulogne-Billancourt, le 25 novembre.Nicolas Sarkozy en meeting à Boulogne-Billancourt, le 25 novembre. © Reuters

Nicolas Sarkozy rêvait d’un « retour stratosphérique ». Non seulement, il ne l’a pas eu, mais il continue de planer au-dessus de la surface de la Terre. Que ce soit sur la question du mariage pour tous ou encore de l’immigration, l'ancien président semble complètement déconnecté de son temps, au grand bonheur de son nouvel ami qui lui veut du bien, Alain Juppé. « Sarkozy ironisait sur mon âge, me traitait de vieux, mais, avec sa glissade sur le mariage homosexuel, c'est lui qui apparaît comme ringard et conservateur », s’est réjoui le maire de Bordeaux, en marge du meeting de Sens Commun.

En quelques mois, celui que Les Inrocks surnomme « le moins pire d’entre eux » est devenu la nouvelle bête noire de Nicolas Sarkozy. Sur le papier, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac n’avait pourtant pas grand chose pour l’emporter : de vieilles affaires, certes soldées avec la justice, mais toujours présentes dans les esprits ; 72 bougies en 2017, ce qui ne donne pas franchement l'impression de “nouveau souffle” ; le rapprochement de François Bayrou qui fait grincer les dents de tous ceux qui, à l’UMP, ne digèrent toujours pas le soutien du patron du MoDem à François Hollande en 2012…

Pourtant, il a suffi qu’il apparaisse comme une alternative crédible au retour de Nicolas Sarkozy au pouvoir pour que s’emballe la “Juppémania”. Le maire de Bordeaux s’est tout de suite mis au travail pour la primaire de 2016. Pendant que l’ex-chef de l’État trépignait en attendant que s’achève le calvaire de sa campagne interne, lui a placé ses pions un peu partout, sans négliger la jeune génération de l’UMP qui prône un discours davantage modéré que celui porté par le nouveau patron de l’opposition.

Nicolas Sarkozy a préféré lui tendre un piège dans sa ville de Bordeaux (Gironde). C’est là, le 22 novembre, que l’ex-chef de l’État a laissé son public de fans huer Alain Juppé. « Je ne suis pour rien dans les sifflets de Bordeaux mais je dois dire que Juppé n'a eu que ce qu'il mérite, aurait-il confié en “off”, après avoir juré dans un premier temps qu'il n'avait rien entendu. Quand on ne sent pas une salle, on ne sent pas non plus son électorat. »

Nicolas Sarkozy et Alain Juppé à Bordeaux, le 22 novembre.Nicolas Sarkozy et Alain Juppé à Bordeaux, le 22 novembre. © Reuters

L’ancien président a eu ce qu’il voulait, mais paradoxalement, il n'est pas sorti grandi de cet épisode bordelais qui s'est révélé être une énième erreur stratégique de sa campagne. Car en restant assis sur sa chaise, sans rien faire pour ramener le calme et empêcher Juppé de se faire conspuer, Nicolas Sarkozy a montré qu’il était incapable d’apaiser les esprits. Pire encore, qu'il se plaisait à les enflammer. 

L'ex-chef de l'État a peut-être récupéré son trône, mais les couloirs du palais Vaugirard raisonnent d’un étonnant écho. « Je fais le pari que, dans deux ans, tout le monde sera revenu dans la famille sarkozyste », assurait, il y a encore quelques mois, Brice Hortefeux. Pari perdu. Dans cette campagne interne, Nicolas Sarkozy a été officiellement soutenu par 80 parlementaires, soit seulement une petite trentaine de plus que ses concurrents Bruno Le Maire et Hervé Mariton. Pour un ex-chef de l’État, c’est un peu maigre.

François Fillon et Alain Juppé ne sont plus les seuls à le toiser. Les plus fidèles sarkozystes ont eux aussi pris leurs distances. Nadine Morano, Christian Estrosi, Henri Guaino, Nathalie Kosciusko-Morizet… La plupart des fans n°1 de l’ancien président ont certes participé à sa campagne, mais une fois les caméras baissées et les micros coupés, aucun d’entre eux n’a épargné le nouveau patron de l’opposition et son incapacité à revenir dans la bataille.

Nicolas Sarkozy confiait il y a peu au Figaro que son « premier défi sera de rassembler (sa) famille », pour mieux « rassembler », à moyen terme, l’ensemble de la droite et, d'ici 2017, une majorité de Français. Il oublie un peu vite que c’est lui qui a divisé tout le monde.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Au congrès du FN, la « camaraderie » russe est bruyamment mise en scène

$
0
0

Lyon, de notre envoyé spécial.- Le voilà à la tribune, lancant son discours par un tonitruant « Chers camarades » ! Il s'appelle Andreï Issaïev, il est le vice-président de la Douma russe (Chambre des députés), membre de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, et invité d'honneur du Front national pour cette première journée de son congrès qui se tient à Lyon samedi et dimanche. Dans la salle plénière du centre des congrès, les rires fusent comme un cri de reconnaissance, suivis d'applaudissements. S’ensuit un discours en russe peu ou non traduit, aux propos virils notamment sur l’Ukraine : « Un coup d’État anticonstitutionnel a été commis au cœur de l’Europe, l’arrivée au pouvoir des forces radicales (…), les héritiers idéologiques de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, l’alliée de Hitler. » Marine Le Pen applaudit. Andreï Isaïev enchaîne les critiques contre les États-Unis et l'Europe, s'en prenant aux « fonctionnaires inconnus de l'Union européenne, pantins des États-Unis ».

À ses côtés, d’autres leaders de partis européens populistes ou d'extrême droite, comme le néerlandais Geert Wilders, l’italien Matteo Salvini de la Ligue du Nord ou encore le bulgare Krassimir Karakatchanov, du mouvement national bulgare (VMRO), applaudissent à leur tour. L'un après l'autre, à la tribune, ils délivrent ensuite le même message devant les cadres et les militants : « Vive Marine présidente ! »

Jean-Marie Le Pen à la tribune du congrès, samedi.Jean-Marie Le Pen à la tribune du congrès, samedi. © Reuters

Interviewé, Andreï Issaïev explique à Mediapart (présent dans l'enceinte du congrès malgré l'interdiction du FN – lire notre boîte noire) qu'il a décidé de venir à à Lyon « parce que nous voyons que le FN prend de plus en plus d’ampleur en France ». À moins de trois ans de l'élection présidentielle française, un tel engagement est du jamais vu. Le Kremlin, qui cherche partout en Europe des points d'appui à sa politique, a également dépêché à Lyon le sénateur Andreï Klimov pour représenter la chambre haute du Parlement russe.

Ce samedi, devant les militants, la direction du Front national a décidé de mettre en scène et d'assumer bruyamment ce coup de barre à l'Est. Pour le politologue Pascal Perrineau, présent dans la salle, « c’est un pas de côté dans leur stratégie de respectabilisation. Je ne les ai jamais vus aussi engagés sur la Russie. On a l’impression d’un emballement. Et surtout, cela prouve qu’un lobby pro-russe est à la manœuvre. Ce qui n’est pas fait pour rassurer leurs potentiels partenaires. Cela manque de maturité politique. En politique, la confiance égare », analyse-t-il.

À la tribune, Marine Le Pen a plaidé pour « une Europe de l’Atlantique à l’Oural, et non de Washington à Bruxelles ». Les signaux envoyés à la Russie sont on ne peut plus clairs. Plus tôt dans la journée, Marine Le Pen regrettait devant la presse que la France ait reporté la livraison des navires de combat Mistral à la Russie et dénonçait les sanctions de l’Union européenne contre Moscou suite à l‘annexion de la Crimée, au printemps dernier.

Face aux micros, la présidente du FN n’a pu échapper aux questions sur les financements russes accordés au FN et révélés par Mediapart. Le dernier en date ? Les deux millions d’euros versés en avril dernier à l’association de financement de Jean-Marie Le Pen. Pour ces deux millions d’euros, « j’étais au courant », a reconnu la présidente du Front national. En revanche, Marine Le Pen assure que la présence des hauts responsables russes n’a rien à voir avec ce prêt. « Si une banque française, européenne et même pourquoi pas, américaine, veut nous prêter ou reprendre notre crédit, nous signerons demain matin. Ça ne changera pas un iota de la vision que le FN a en matière géopolitique », a-t-elle insisté.

Interrogé également sur les deux millions versés au micro-parti de Jean-Marie Le Pen, Andreï Issaïev, le vice-président de la Douma, botte en touche. « Si les banques existent, c’est pour faire des crédits, non ? Ou alors j’ai raté quelque chose »,dit-il en remettant sa cravate rouge. « Les pouvoirs russes ne soutiennent aucun parti. Chaque parti doit le décider seul », martèle-t-il.

Jean-Marie Le Pen, lui, choisit de rester plus vague sur le prêt de deux millions d’euros octroyés par une société chypriote dirigée par un ancien du KGB. Dans son langage habituel, le président d’honneur du Front national fait remarquer qu’il « ne cherche pas quelle est la couleur du slip de la maîtresse du directeur de la banque »,lorsqu’il contracte un emprunt. Jean-Marie Le Pen n’en dira pas plus sur l’intermédiaire dans cette opération ni sur les taux d’intérêts. « Ça, c’est mon problème ! » s’exclame-t-il en détournant la tête. En revanche, il contracterait volontiers d’autres emprunts par la suite, en Russie et ailleurs.

Il s’étend volontiers aussi sur ses amis russes. D’ailleurs, il aimerait rencontrer le président russe Vladimir Poutine, mais « j’attendrai son invitation », rassure-t-il.

À la droite de Jean-Marie Le Pen se trouve son ami de quinze ans, Alexandre Droban, professeur de sciences politiques à l’université de Moscou et auteur d’un ouvrage au titre évocateur, Année de gloire de la Russie – 1812 (Éd. Economica). Alexandre Droban confirme le rapprochement entre le FN et la Russie, mais pour lui, « l’histoire des prêts, c’est un petit détail de l’activité financière qui n’a pas d’importance grandiose. L’aspect général de coopération est nécessaire pour nos deux pays, avec les intermédiaires. Vous avez remarqué que la banque qui a donné 9 millions au Front National est tchéquo-russe, donc les Tchèques, les Serbes peuvent servir d’intermédiaires, d’auxiliaires, dans notre grande collaboration. C’est une petite transaction financière, entre amis qui sympathisent », lâche-t-il.

Tous les responsables interrogés s'efforcent de minimiser ces financements russes obtenus pour certains grâce à la médiation du député européen FN, Jean-Luc Schaffhauser. Dans la matinée, lors de l’assemblée générale, Wallerand de Saint Just, le trésorier du parti, a présenté son rapport moral devant les militants. Mais il n’a pas insisté sur les emprunts russes car « c’est quelque chose de parfaitement légal, qui était prévu… Florian Philippot proposait que les banques soient forcées de prêter aux candidats. C’est une piste. Il va peut être falloir en arriver là ».

Les cadres du parti ne se disent pas plus émus par la commission de 140 000 euros que reconnaît avoir perçu le député européen Jean-Luc Schaffhauser pour ses négociations avec la FCRB. Wallerand de Saint-Just prend sa défense en rappelant que Jean-Luc Schaffhauser a travaillé pendant plus d’un an pour débloquer ce prêt de 9 millions d'euros qui permettra de payer les campagnes électorales pour les élections régionales et départementales de 2015.

Et si cela fait grincer des dents dans le parti, Wallerand de Saint-Just estime que « ceux que ça agace, ce sont des jaloux congénitaux. Ils n’ont qu’à venir me parler et je leur expliquerai ». Pour Louis Aliot, cette rémunération n’est pas non plus étonnante : « 140 000 euros, ce n’est pas beaucoup, c’est seulement 1 % des 10 millions »,calcule rapidement le vice-président chargé de la formation et des manifestations.

Puis Louis Aliot ajoute : « Quand on a évoqué la Russie ce matin, il y a eu beaucoup d’applaudissements ; je pense sincèrement que les adhérents du Front ont beaucoup de sympathie pour la Russie et monsieur Poutine. » Cette première journée de congrès a été ainsi marquée par la « camaraderie » russe. Ce dimanche, les militants discuteront des résultats officiels des votes qui ont placé la jeune députée Marion Maréchal-Le Pen en tête des élections du comité central et relégué le vice-président, Florian Philippot, à la quatrième position.

BOITE NOIRELe Front national a refusé lundi 24 novembre d'accréditer Mediapart et « le Petit Journal » de Canal Plus à son congrès. Notre journaliste Marine Turchi, qui suit la formation d'extrême droite, a été à trois reprises cette année interdite ou refoulée de manifestations du Front national (pour plus de détails, lire ici). Le vice-président du FN, Florian Philippot, a expliqué cette interdiction le jour même sur i-Télé : « Ce sont des militants anti-Front national. (…) Ce ne sont pas des médias, ce ne sont pas des journalistes. »

Mediapart n'a nullement l'intention de se plier aux interdictions professionnelles édictées par le FN et à ses offensives répétées contre les journalistes et la presse indépendante. Nous entendons demeurer libres de nos choix, de couvrir ou non telle ou telle manifestation du FN. Au vu de l'importance de ce congrès et de l'impact de nos révélations sur les financements russes du FN, nous avons décidé de le couvrir. Un confrère s'est donc fait accréditer et couvre pour nous ce congrès du FN. Nous l'en remercions vivement. Nos lecteurs comprendront que pour d'évidentes raisons de sécurité, nous ne révèlerons pas l'idée de ce confrère. C'est pourquoi cet article est signé Pseudonyme.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pourquoi quitter Facebook?

Retour sur terre pour le dernier des Bonaparte

$
0
0

Elle est étonnante, la capacité des médias à gober les belles histoires de l’oncle Nicolas. Toute la journée d’hier, l’UMP a communiqué son extase vis-à-vis de la participation. Toute la journée, la presse s’est émerveillée, et le soir, chaque commentateur s’est senti obligé de souligner “le record de participation”. Imaginez une élection présidentielle, en France, où l’on annoncerait à 20 heures la même “très forte participation”, avant d’en donner le chiffre : 57 %. Les téléspectateurs se demanderaient : “Ils sont sur la planète Mars, ou quoi ? ” Pas tout à fait… Ils sont sur la planète Sarkozy.

 Pour une élection interne qui ne concerne que des militants, donc des gens a priori très engagés, un scrutin qui n’a rien à voir avec les précédents (le duel Copé-Fillon fut un foutoir organisé et l’élection de 2004 un triomphe verrouillé à l’avance), 57 % de participation ce n’est pas beaucoup, et c’est un message en soi. La grande majorité des militants UMP a envie de tourner la page.

 La planète Sarkozy s’est dégrisée hier soir. Elle est sortie des vapeurs de son auto-propagande. Elle a buté sur la réalité. L’homme qui déclarait, le 18 janvier dernier, à des députés UMP : « J’ai une stratégie de retour stratosphérique », a fait un atterrissage conforme aux lois de la gravitation universelle. Il s’est sinon cassé la figure, au moins sérieusement blessé en retournant sur la terre ferme. Il n’a échappé ni à l’histoire d’une France qui l’a licencié en 2012, et qui ne veut toujours pas de lui, ni à celle de son parti qui adore les Bonaparte à condition qu’ils les conduisent à la victoire. Or Sarkozy ne triomphe pas.  

Le décrochage de Sarkozy est une ivresse de l’altitude, à moins que ce ne soit des profondeurs. Il ne date pas d’hier, ni de 2012, mais plutôt de 2007. Une ivresse collective. Il y a Lui qui se saoule de ses paroles, et les médias qui font écho, y compris pour critiquer. Mais cela crée un climat. Quand les chimères sont imprimées, ou répétées à la télé, on dirait des réalités. Or, dès qu’il prononce un mot, y compris une sottise sans importance, une fanfaronnade, un commérage, la presse roule du tambour, et il croit qu’il fait du bruit. Sauf que tout le monde s’en fiche. La preuve : 64 %.     

Le bobard initial remonte à son élection. Une légende raconte que ce jour-là, avec son score extraordinaire, Nicolas Sarkozy a fait se lever un espoir formidable. C’est faux. Le score de sa victoire est net, 53 %, mais banal dans une élection présidentielle (Chirac a fait 52,5 % en 1995, et Mitterrand 54 % en 1988). Et l’accueil frôle l’indifférence. La foule ne s’est pas levée. Le jour de l’investiture, cet enthousiasme existe davantage dans les commentaires des journaux de 20 heures que sur les Champs-Élysées, où ne sont venus que de petits groupes de supporters, filmés en plan serré. Rien à voir avec la liesse de 1995 ou la foule de 1981.

Mais l’équivoque est en place dès le premier jour. Le nouveau président échappe très vite au réel. Il se croit tout permis. Il commet la monumentale bévue du yacht de Bolloré, après avoir annoncé pendant sa campagne qu’il se retirerait dans un couvent pour méditer, il met sa femme Cécilia au cœur de l’État avant de la changer par Carla en conférence de presse… En quelques mois, il épuise son crédit et ne remontera jamais la pente. Mais, enfermé dans son storytelling, il annoncera sans cesse son retour fracassant, l’effondrement de ses adversaires, et sa victoire finale.

Il l’annoncera si fort, et la presse diffusera si passionnément ses “confidences”, qu’il y croira pour de bon, au-delà du résultat des élections. Sa défaite de 2012 est ainsi devenue, dans sa bouche, “un résultat extraordinaire”. Une victoire contre le monde, la presse, et les pronostiqueurs. Il ne cessera de parler de son score, 48,3 % comme du socle évident de sa reconquête, et ses amis, Hortefeux et compagnie, ne cesseront de faire écho à cette statistique magique. 48,3 % ! Désormais tout est possible.

Il se trouve qu’en 1981, Valéry Giscard d’Estaing avait été battu, comme lui, après un seul mandat, sur le score de 48,2 %, et que sa défaite avait été jugée cuisante… Mais il en va ainsi de la Sarkozie. Elle ne gère pas le réel, elle l’invente. Elle le fabrique à sa guise, en distribuant les rôles, lui au centre, tout puissant, et tout autour, des figurants, des nuls, des pignoufs, des traîtres, et des adorateurs. Ce qui étonne dans ce décrochage, c’est la capacité de la presse à répercuter ces signaux, comme s’ils étaient essentiels. Depuis deux ans, la légende des “cartes postales”, qui n’étaient autre que des bribes de piapia, a ainsi été traitée comme des actes politiques.

À force d’avoir été adulé pendant un mandat où il a été rejeté, à force d’avoir gagné en 2012, à force d’avoir passionné une France qui s’en fichait avec le faux suspens de son retour, Nicolas Sarkozy est donc revenu sur la terre ferme, et elle est plus ferme que prévu.

Son problème désormais, c’est qu’au-delà des aspects personnels, son retour est également bancal sur le plan historique. Nicolas Sarkozy, souvent caricaturé en Bonaparte, incarne la tradition du même nom, issue du parti gaulliste dans la Cinquième République. La tradition du Chef. Et c’est au nom de cette tradition qu’il a fait son retour.

Or rien ne colle entre son rêve et la réalité.

Dans l’UNR, puis l’UDR, puis le RPR, puis l’UMP qu’il a conquise en 2004, la tradition est celle d’un parti qui émane du Chef, et pas d’un Chef qui émane de son parti. De Gaulle a fabriqué l’UNR, Chirac a fabriqué le RPR, Sarkozy a transformé l’UMP pour en faire un outil à sa main.

Or ce qui s’est passé hier est tout bêtement l’inverse : une élection. Si Sarkozy avait gagné triomphalement, avec 80 % des voix, l’affaire était pliée. Le parti serait redevenu celui du Chef. Or il a plafonné à 64,5 % des votants, et une force d’opposition interne s’est manifestée derrière Bruno Le Maire. Dans un parti bonapartiste, il s’agit là d’un sacrilège, et c’est ce sacrilège que le “Président” élu hier devra assumer. Dans sa campagne, Nicolas Sarkozy avait annoncé la fin des courants, et l’union derrière un seul homme. C’est raté. Depuis 2012, il refusait l’inventaire de son quinquennat. C’est raté. L’inventaire, c’était hier soir. Pour l’avenir, il se réservait d’organiser les primaires à sa main. C’est raté. Il va devoir composer.

Le parti dont hérite le dernier Bonaparte de la Cinquième République a clairement, et irrévocablement, choisi de sortir du bonapartisme, voilà le résultat majeur de l’élection d’hier. Sur le plan historique, c’est un événement considérable. Dans l’éternelle guerre des Droites, qui oppose peu ou prou, depuis 55 ans, une droite de caserne, rangée derrière un général, et une droite gazeuse, un coup UDF, un coup UDI, avec toutes ses composantes, une droite incapable de se structurer mais permanente dans son désir de fonctionner sur un mode parlementaire, la droite bonapartiste a subi une défaite d’autant plus radicale qu’elle émane de ses rangs.

Voilà que le parti bonapartiste a une opposition ! C’est impensable… Voilà qu’il va organiser des primaires, et que son futur Chef dépendra du parti et non l’inverse. C’est impossible… Voilà que le parti bonapartiste n’est plus bonapartiste, et que le dernier des Bonaparte, à sa tête, va devoir descendre de son cheval dans le seul espoir de gagner le grand prix du président de la République, à pied…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

Au congrès du Front national, l'entreprise Le Pen prospère

$
0
0

Lyon, de notre envoyé spécial – Dimanche, 15 heures, les militants agitent des drapeaux tricolores et trépignent en attendant l’arrivée de Marine Le Pen. Selon la communication du Front national, ils seraient plus de 3 000 ce jour-là. Une vidéo annonce l’arrivée de la présidente. On y voit les trésors de France et un slogan, maintes fois rabâché : « La France est belle, protégeons-la. » Puis, elle arrive. Émergeant du côté de la scène, sa tête blonde traverse la salle devant les militants. Tout de noir vêtue, Marine Le Pen monte sur scène et écarte fougueusement les bras pour saluer son public. C’est la liesse générale. Seule candidate, Marine Le Pen a été réélue présidente du mouvement d'extrême droite avec 100 % des suffrages exprimés.

Pour clore le XVe congrès, la cheffe incontestée se lance dans une diatribe d’une heure contre l’« UMPS », contre l’Europe, contre la situation économique, l’immigration, l’insécurité ou encore contre ces maires qui financeraient des mosquées. La température monte. « On est chez nous, on est chez nous », scande à plusieurs reprises la salle. En pré-campagne, la présidente assure ensuite que « les stratégies de (leurs) adversaires se déterminent en fonction de nos poussées électorales… Aucun doute, nous serons au second tour. L’ancien président et le nouveau se bataillent pour savoir qui sera à la deuxième place ! ».

Les rires fusent. Mais au bout du compte, ce discours de synthèse reste assez classique. « Elle s’est inscrite dans la ligne droite de Jean-Marie Le Pen », analyse sur place le sociologue Sylvain Crépon, membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP). « Elle a aussi beaucoup insisté sur la nécessité de former des cadres pendant le congrès, je ne l’avais jamais entendu autant. Le FN se met en ordre de marche pour 2017 », constate le chercheur.

Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen à la tribune du XVe congrès du FN, le 30 novembre. À l'arrière-plan, Marion Maréchal-Le Pen.Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen à la tribune du XVe congrès du FN, le 30 novembre. À l'arrière-plan, Marion Maréchal-Le Pen. © Reuters

Dans la salle, Hélène et Carmen ne cachent pas leur admiration. Elles ont conduit pendant six heures pour venir de Metz à Lyon. Au chômage ou en reconversion, elles pensent que le FN est leur seul espoir pour que la Lorraine ne finisse pas comme « le Ch’Nord ». Dans le hall, un immense drapeau tricolore est tendu par les organisateurs. C’est l’heure de la quête. Cinq, dix ou vingt euros… Les militants jettent leur argent dans la toile républicaine. Une tradition remise au goût du jour, mais qu’il ne vaut mieux pas photographier ou filmer. Une équipe de Canal Plus en a d’ailleurs fait les frais. Alors qu’elle filmait la scène, un vigile a poussé le caméraman de façon agressive, sans explications. Ambiance tendue avec la presse. Si Mediapart et le « Petit Journal » de Canal Plus étaient interdits d'accès, le FN avait en revanche accrédité la presse d'extrême droite, notamment le journal national-catholique Présent et la web-télé TV-Liberté.

Hervé, lui, vide ses poches dans le drapeau français. Pour cet agent de sécurité de 58 ans, c’est un geste envers la « famille ». Trente ans qu’il milite au FN. Sa fille, une blondinette, peintre dans le bâtiment, n’a que deux euros. À 22 ans, sa Marie ne jure que par Marion « qui a presque le même âge », comme ses amis ouvriers. Elle est ravie que Marion Maréchal-Le Pen soit arrivée en tête ce dimanche après l’élection du comité central.

À 24 ans, la députée du Vaucluse, petite-fille de Jean-Marie Le Pen et nièce de Marine Le Pen, est arrivée devant Louis Aliot, compagnon de la présidente du FN et numéro deux du parti. Marine Le Pen a, elle, été réélue à la tête du parti avec 100 % des voix, étant l'unique candidate. Plus que jamais, le Front national fait figure de PME familiale. Même si Marion Le Pen explique face aux micros qu'elle n'a « pas accepté de vice-présidence car (elle) ne voulai(t) qu’on puisse reprocher à Marine Le Pen le “front familial” ».

Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen, au XVe congrès du Front national, le 29 novembre.Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen, au XVe congrès du Front national, le 29 novembre. © Reuters

En face, le vice-président du parti, Florian Philippot, n’a pas percé comme espéré face à ce mur. Il  n’arrive qu’en quatrième position. « Je n'ai pas ce coup de pouce de m'appeler Le Pen », a-t-il réagi, samedi. Interrogé sur le nouvel exécutif, ce proche de Marine Le Pen en charge de la communication se dit satisfait car cela « reflète le “marinisme”. Il y a une montée en puissance d’une nouvelle génération, il y a aussi des personnes plus historiques, il y a des nouvelles têtes, notamment celle de Gaëtan Dussausaye, le directeur du FNJ, c’est une bonne nouvelle ». Il assure ne pas être déçu de sa quatrième place, « parce que ce sont des logiques internes, l’ancienneté joue. J’ai fait 70 %, soit 7 adhérents sur 10 qui ont voté pour moi. Alors, 8 sur 10 ont voté sur Marion, oui, et je suis content pour elle », conclut Florian Philippot, visiblement saturé.

Fin des débats sur de « prétendues dissensions internes ». Le mot d’ordre du week-end était l’unanimité derrière Marine Le Pen, malgré deux lignes différentes entre Marion Le Pen, plus conservatrice, et Florian Philippot, plus étatiste. « Il y a un focus grossissant des médias aussi. Le FN n’a pas d’opposition interne véritablement structurée, et ça, parce que Bruno Gollnisch ne l’a pas voulu », relève le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite et directeur de l'ORAP. « Au fond, le FN a une certitude, c’est qu’il faut marcher sur ces deux jambes-là, et pas sur une seule. Le FN a tout intérêt à faire cohabiter les deux sensibilités. Une deuxième scission (comme en 1998) n’est pas envisageable. La maison va tenir car le FN est conscient de la chance historique que le front a », souligne Jean-Yves Camus.

Le XVe congrès du Front national, au centre des congrès, à Lyon, le 30 novembre.Le XVe congrès du Front national, au centre des congrès, à Lyon, le 30 novembre. © Reuters

Un peu plus loin, Bruno Gollnisch, battu par Marine Le Pen pour la présidence du parti en 2008, attire la sympathie des militants. Il faut dire qu’il a mis des atouts de son côté en offrant du beaujolais aux congressistes. Plus de mille bouteilles de vin, cuvée « Gollnisch », se sont arrachées samedi dans les stands du congrès, entre les saucissons de Lyon, les grattons et les photos-souvenirs. Renouvelé au bureau politique, le conseiller régional de Rhône-Alpes s’offusque lorsqu’on lui fait remarquer que ses proches tombent dans les tréfonds du classement du comité central. Imperturbable, Bruno Gollnisch affirme qu’il a parrainé Catherine Salagnac, nommée dans le nouveau bureau politique. À l'écouter, la ligne gollnischienne ne serait pas tout à fait éteinte.

En revanche, de nouvelles têtes d’affiche s’imposent, comme Nicolas Bay, nommé dimanche, sans surprise, secrétaire général du parti (lire son portrait par l'AFP et dans Le Monde). Député européen et conseiller régional de Haute-Normandie, il a été mis en avant lors de ce congrès. Sur son profil Twitter, il pose sans complexe à la soirée de gala du FN avec le vice-président de la Douma, Andreï Issïev, le représentant du Kremlin à Lyon.

« C’est ce qui m’a le plus marqué dans ce congrès », précise Sylvain Crépon, sociologue, « c’est la présence d’un responsable de Russie Unie. C’est extraordinaire qu’ils s’affichent avec un représentant de la Russie et des leaders de partis populistes européens, de grands radicaux comme Heinz-Christian Strache du FPO autrichien, qui reste ambigu sur le passé nazi de l’Autriche. »

Une nouvelle tête également a fait parler d’elle. Il s’agit de Julien Sanchez, 31 ans, nouveau maire FN de Beaucaire dans le Gard. C’est lui qui a animé la scène ce dimanche, avant l’annonce des membres élus au comité central. S’il n’est pas dans le bureau politique, ce jeune frontiste est arrivé à la quinzième place au comité central. Adhérent de longue date, ses idées sont plus proches de celles de Jean-Marie Le Pen, le président d’honneur du parti, toujours autant ovationné à chaque entrée sur scène. « Pour la peine de mort, je suis plutôt pour son rétablissement. Je pense que c’est quelque chose d’important pour l’échelle des peines. Aujourd’hui, quand on commet un crime, on ne risque pas grand-chose. Le but, c’est que ce soit dissuasif », explique-t-il, sans ciller, dans les couloirs du congrès.

Dernièrement, Julien Sanchez a fait parler de lui en recrutant à la communication de sa mairie Damien Rieu, le porte-parole de Génération identitaire – mouvement de jeunesse des identitaires. Damien Rieu était d’ailleurs présent au congrès du FN. Tout comme Arnaud Naudin, autre membre du Bloc identitaire et rédacteur en chef de Novopress, qui a assisté au discours de la présidente du Front national. D’autres se livraient à un étrange jeu de cache-cache avec les journalistes : Guillaume Lotti (cadre du Bloc identitaire) et Maxime Martin (militant de Génération identitaire) se targuaient d’espionner dans la salle les journalistes du Monde et de l’AFP, qu’ils jugent militants (voir leurs tweets ici et ).

L'ascension de Nicolas Bay dans l'appareil frontiste lancera-t-elle d'autres passerelles vers les identitaires ? Le nouveau secrétaire général du FN bénéficie de nombreux contacts au Bloc identitaire et a favorisé le rapprochement de plusieurs cadres avec le Front national (lire notre article). En novembre 2012, Marine Le Pen avait officiellement exclu toute alliance électorale entre son parti et le Bloc identitaire, un mouvement d'extrême droite formé selon elle d'« européistes », de « régionalistes », qui « contestent le rôle fondamental de la Nation ».

Depuis, plusieurs identitaires ont rejoint des mairies frontistes, notamment à Beaucaire et Cogolin. Début novembre, c'est une autre figure du Bloc identitaire, Philippe Vardon, qui était présent dans le public lors du conseil municipal du Pontet (Vaucluse), ville FN.

Désormais, les responsables frontistes vantent même ouvertement les qualités du Bloc identitaire. Nicolas Bay explique ainsi à Mediapart qu'« il y a dans la mouvance identitaire un certain nombre des personnes qui partagent l’essentiel de nos idées et qui sont susceptibles de nous rejoindre et de travailler avec nous ». S'il affirme que le FN « n'envisage pas du tout d’accords bilatéraux avec des structures », il explique qu'il en revanche que « si des identitaires veulent nous rejoindre, c’est envisageable »

De son côté, Julien Sanchez estime aussi que s'il n'a « pas eu d'engagement chez les identitaires », cela ne « (l')empêche pas de trouver certaines de leurs actions plutôt sympas ». Interrogé par Mediapart sur sa nouvelle recrue identitaire à Beaucaire, il répond : « Ça ne me gêne absolument pas de travailler avec les identitaires. Ce n'est pas un travail politique mais professionnel, qui concerne la communication. Sur ceux qui ont postulé à cet emploi, c'était le meilleur. » Marion Maréchal-Le Pen a de son côté expliqué, dimanche, que le Bloc identitaire était « manifestement un bon centre de formation en termes de com' et d'agit-prop ».

Bien implantés à Lyon, les identitaires, même minoritaires, étaient donc visibles ce week-end, et en marge du congrès également. À l’extérieur, le bâtiment était cerclé de CRS, une vingtaine de fourgons s’alignaient le long du centre des congrès. Et pour cause : une manifestation anti-FN se tenait à Lyon samedi, qui a réuni environ 3 000 personnes. Les identitaires comptaient s’y inviter pour « défendre les commerçants » face aux « casseurs d’extrême gauche ». Mais après discussion avec la police, ils seraient officiellement restés dans leur local de la Traboule dans le vieux Lyon, samedi après-midi, pour « ne pas mettre de l’huile sur le feu ».

Mais, samedi, la manifestation anti-FN organisée par la Coordination nationale contre l’extrême droite (Conex) a dégénéré. Des vitrines ont été saccagées et quatorze personnes interpellées. Pour Armand Creus, conseiller régional du Front de gauche et membre du collectif Vigilance 69, « des provocateurs se sont infiltrés et notre manifestation pacifique a été dénaturée. Ils étaient peut-être deux cents et très bien organisés. Ils avaient des marteaux, des pierres. Notre service d’ordre a été coupé en deux. On a dû se disperser sous les gaz lacrymogènes », regrette-t-il. Dans un communiqué, le collectif dit s'interroger « sur qui sont ces provocateurs qui ont dénaturé l'objectif et le message de notre manifestation, ce dont seule l'extrême droite peut se féliciter ».

BOITE NOIRELe Front national a refusé, lundi 24 novembre, d'accréditer Mediapart et « le Petit Journal » de Canal Plus à son congrès. Notre journaliste Marine Turchi, qui suit la formation d'extrême droite, a été à trois reprises cette année interdite ou refoulée de manifestations du Front national (pour plus de détails, lire ici). Le vice-président du FN, Florian Philippot, a expliqué cette interdiction le jour même sur i-Télé : « Ce sont des militants anti-Front national. (…) Ce ne sont pas des médias, ce ne sont pas des journalistes. »

Mediapart n'a nullement l'intention de se plier aux interdictions professionnelles édictées par le FN et à ses offensives répétées contre les journalistes et la presse indépendante. Nous entendons demeurer libres de nos choix, de couvrir ou non telle ou telle manifestation du FN. Au vu de l'importance de ce congrès et de l'impact de nos révélations sur les financements russes du FN, nous avons décidé de le couvrir. Un confrère s'est donc fait accréditer et couvre pour nous ce congrès du FN. Nous l'en remercions vivement. Nos lecteurs comprendront que pour d'évidentes raisons de sécurité, nous ne révélerons pas l'identité de ce confrère. C'est pourquoi cet article, et celui de samedi, sont signés Pseudonyme.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

Didier Porte : « Allô, Sarko, non mais allô ! »


Energies renouvelables : la France fait du surplace

$
0
0

François Hollande n’a pas lésiné sur les adjectifs dans son discours inaugural de la conférence environnementale, jeudi 27 novembre : « La France veut être exemplaire » de la transition écologique. Après avoir symbolisé la patrie des droits de l’homme, elle veut s’imposer comme celle des « droits de l’environnement », a-t-il dit. À un an de la conférence Paris Climat 2015, « on ne peut pas convaincre si nous n’avons pas nous-mêmes engagé des actes forts ».

Prototype d'éolienne à voiles, à Grande Synthe (Nord) (JL).Prototype d'éolienne à voiles, à Grande Synthe (Nord) (JL).

Il y a pourtant un angle mort de la politique énergétique française, depuis son élection en mai 2012 : les énergies renouvelables. Quelques mesures ont bien été prises depuis deux ans, essentiellement de déblocage, mais elles sont ténues, éparses et discrètes. Rarement mises en valeur, peu portées politiquement.  

Officiellement, la France compte 13,4 % d’énergies renouvelables (16,6 % de son électricité). Mais une fois que l’on ôte les barrages hydrauliques, construits depuis des lustres, il ne reste que des poussières de mégawattheures verts : les éoliennes ne produisent que 3 % de notre courant électrique, le photovoltaïque et la biomasse… 1 % chacun (0,8 % pour le solaire en métropole). Misère.

Même lorsqu’on prend en compte les barrages, le compte n’y est pas. La loi fixe un objectif de 23 % d’énergies renouvelables en 2020 et de 27 % en 2030. Mais le premier cap ne sera pas franchi à temps. Pour l’éolien terrestre, l’objectif national est d’atteindre 19 gigawatts (GW) installés en 2020. Or en juin 2014, on n’en comptait que 8,5. « Il faudrait 1,7 GW de plus à la fin de l’année, alors qu’on sera vraisemblablement autour de 900 mégawatts (MW) », analyse Sonia Lioret, déléguée générale de France Énergie éolienne (Fée), association professionnelle du secteur.

Le photovoltaïque accuse lui aussi du retard : fin juin 2014, la puissance totale raccordée en France a franchi le cap des 5 GW, alors que les objectifs cumulés des Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) dépassent les 15,5 GW pour 2020. Il faudrait tripler d'ici cinq ans la puissance installée, alors que le rythme annuel de développement en 2014 est très inférieur. La commission de régulation de l’énergie (CRE) ne prévoit que 8 GW en 2020. Pour l’éolien terrestre, elle ne s’attend qu’à 15 GW en 2020 (au lieu des 19 prévus), 2 GW d’éolien offshore au lieu de 6 et 500 MW de biogaz au lieu de 625 MW. Le ministère de l’écologie vient de lancer un nouvel appel d’offres pour 1 GW supplémentaire d’éolien en mer.

Comparaison des énergies renouvelables en France et en Europe (©CLER).Comparaison des énergies renouvelables en France et en Europe (©CLER).

La France est économiquement en retrait sur les renouvelables, a récemment pointé le consultant Yves Marignac : elle pèse 15,7 % du PIB européen, mais seulement 5,6 % du chiffre d’affaires européen de l’éolien et 7,9 % du photovoltaïque, selon ses estimations. Aucun groupe français ne figure dans les 10 premiers fabricants mondiaux d’éoliennes, ni dans les 15 premiers en photovoltaïque. 

Pourtant, dans le reste du monde, les énergies renouvelables se développent à un rythme effréné : en 2013, pour la première fois, les nouvelles capacités installées des renouvelables ont dépassé toutes les autres énergies (nucléaire, charbon, gaz, et pétrole) pour la production d’électricité dans le monde, et de loin : 58 % contre 42 %. En 2012, pour la première fois, le Japon, la Chine et l’Allemagne ont produit plus d’électricité par les « nouvelles renouvelables » (hors grands barrages) que par l’atome. En Espagne, pays nucléaire pourtant, l’éolien est devenu la première source d’électricité.

Centre de recherche sur le photovoltaïque, à Loos-en-Gohelle (Pas de Calais) (JL).Centre de recherche sur le photovoltaïque, à Loos-en-Gohelle (Pas de Calais) (JL).

C’est sur le photovoltaïque que l’échec français est le plus patent. Les lecteurs du livre de Jeremy Rifkin, La Nouvelle Société du coût marginal zéro, y ont découvert une Amérique couvrant les toits de ses maisons et de ses parkings de panneaux solaires. Dans l’Hexagone, on continue de ne voir que briques et ardoises. C’est que dans notre système actuel, rien n’incite à passer ce cap. S’inspirant de l’Allemagne, la France a instauré un système de tarif d’achat : EDF est obligé d’acheter le courant produit par les installations photovoltaïques à un prix fixé pour 20 ans, qui varie en fonction de la taille des installations, mais est supérieur au prix du courant nucléaire. C’est une forme d’aide, financée par les consommateurs par le biais de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Mal calibré à cause de tarifs trop élevés et indexés sur l’inflation, ce système a généré une bulle spéculative, dopée par les crédits d’impôts du Grenelle de l’environnement au début du quinquennat Sarkozy.

« Les tarifs d'achat du photovoltaïque ont été fixés en 2006 à des niveaux trop élevés, bien au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer le développement voulu », explique le CLER, association regroupant des professionnels du secteur. « En quelques années à peine, les extraordinaires progrès de l’industrie ont fortement fait baisser les prix des équipements, entraînant un découplage complet entre le coût de plus en plus bas des installations et le niveau du tarif d’achat, toujours plus élevé. » Conséquences : un surcoût pour la collectivité. Les contrats de photovoltaïques représentent 5 milliards d’euros cumulés depuis la création de la CSPE, essentiellement entre 2008 et 2011, a calculé le CLER. Entre 2014 et 2025, 24 milliards d’euros y seront consacrés pour des contrats signés avant 2013.

"Adoptez une cellule" : pétition de soutien à Photowatt en 2012 (DR)."Adoptez une cellule" : pétition de soutien à Photowatt en 2012 (DR).

En 2010, un moratoire suivi d’une baisse drastique des tarifs a tout gelé, portant un coup d’arrêt à l’essor de la filière, dont elle peine encore à se remettre aujourd’hui. Tous les fabricants de modules ont mis la clef sous la porte. Photowatt, en faillite, est devenu une simple marque d’EDF, au devenir incertain. Les installateurs ont été obligés de se diversifier sur d’autres activités. Le français Exosun, l’un des leaders mondiaux des trackers (panneaux modifiant leur orientation en fonction de la position du soleil) se concentre sur l’international. « Il n’existe plus de filière. C’est une érosion lente et sûre. Il n’y a plus de chiffre d’affaires en photovoltaïque », se désole Marc Jedliczka d’Hespul, association de développement du solaire. Près de 15 000 emplois ont disparu en trois ans. « L’équivalent de cinq PSA-Aulnay », calcule Raphaël Claustre du CLER.

Après deux ans de chute, les nouveaux raccordements d'installations photovoltaïques ont connu un rebond au premier semestre 2014. Ségolène Royal vient d’annoncer l'attribution de 217 projets par le biais d’appels d’offres, en dehors du système du tarif d’achat. Mais ils ne représentent qu’un faible volume total (41 MW), insuffisant pour relancer la filière.

Horriblement complexes (cinq tarifs d’achat différents cohabitent avec des appels d’offres), le système français comporte par ailleurs de véritables chausse-trapes réglementaires qui achèvent de plomber le secteur. Par exemple, les particuliers doivent intégrer leurs modules photovoltaïque « au bâti », c’est-à-dire au toit de leur logement, pour bénéficier du tarif d’achat. Mais cette contrainte entraîne des problèmes techniques et engendre des surcoûts, d’environ 30 % selon Raphaël Claustre du CLER. Résultat : installer des modules coûte plus cher en France qu’en Allemagne, et crée une vulnérabilité technique.

Autre handicap : le coût de raccordement au réseau électrique, monopole d’ERDF, la filiale d’EDF. « C’est une boîte noire, décrit Marc Jedliczka. ERDF fait les tarifs et les applique. On ne peut pas en discuter. » Jusqu’en 2010, les producteurs d’électricité bénéficiaient d’une remise de 40 %. Elle a été supprimée lors du moratoire, ce qui renchérit d’autant leurs factures. Et crée une discrimination entre producteurs et consommateurs, pourtant interdites par les règlements européens. Mais ce n’est pas tout : l’autre filiale d’EDF, RTE, présente une autre « douloureuse » aux producteurs de renouvelables, qui correspond à l’impact de leur puissance installée sur le réseau de transports à haute tension. Mais là aussi, tout est opaque : en fonction des régions, la facture peut aller de 0 à 40 000 euros par MW installé, décrit Hespul. Côté éolien, les délais de raccordement varient d’une région à l’autre et peuvent prendre quelques années. Jusqu’à cinq ans, selon un cas « extrême » recensé par France énergie éolienne (Fée), qui regroupe des entreprises du secteur. Face à RTE et ERDF, il n’existe aucun contre-pouvoir.

La situation de la filière éolienne s’est pourtant « améliorée depuis deux ans », estime Sonia Lioret, déléguée générale de la Fée. Mais « c’était catastrophique, on buvait la tasse ». À la suite d’un recours contre le tarif d’achat éolien par une fédération d’opposants, Vent de colère, plus aucune banque ne voulait financer les projets. Le litige est toujours en cours devant la Cour de justice européenne, mais le gouvernement s’est porté garant du tarif, levant l’incertitude financière. Pour un temps car, paradoxalement, la loi de transition énergétique crée de nouveau une inquiétude sur le tarif d’achat, en ouvrant la possibilité de création d’un système de marché couplé à l’octroi de primes pour les nouvelles installations, en application d’une guideline européenne, que la France semble vouloir appliquer avec zèle.

Un an plus tôt, la loi Brottes de 2013 avait fait sauter deux freins réglementaires (le régime contraignant des zones de développement de l’éolien, et l’obligation d’au moins cinq mâts par champ). Des avancées concrètes qui ont répondu à une partie des attentes des entreprises de la filière, représentées par le syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais les projets éoliens mettent toujours six à huit ans à se développer. Sur le terrain, ils s’opposent souvent à l’armée, qui réserve d’importantes portions du territoire à ses radars (de même que Méteo France).

Modules photovoltaïques sur un toit de Saint-Dié (Vosges) (JL).Modules photovoltaïques sur un toit de Saint-Dié (Vosges) (JL).

Le principal problème est systémique : c’est l’absence de véritable marché pour les acteurs des renouvelables, décrypte Sonia Lioret de la Fée. « Tout se fait en contrat, au gré à gré. 80 % du volume de l’électricité consommée aujourd’hui en France n’est pas vendu sur le marché de gros. Les petits acteurs n’ont aucune marge de manœuvre. » Le système reste pensé par et pour le nucléaire : centralisé, rigide, figé par le monopole de la distribution et du transport de l'électricité et l'omnipotence d'EDF. Propriétaires de leurs réseaux de distribution d'énergies, l'immense majorité des collectivités locales préfèrent en concéder la gestion à EDF qui continue ainsi à contrôler tous les échelons de l'édifice électrique.

Cette situation est aussi très favorable aux fossiles. C’est un paradoxe éclairé par le dernier rapport de la CRE : la CSPE, l’outil principal de financement des renouvelables, a en réalité historiquement surtout profité aux énergies fossiles. Parmi les 30 milliards d’euros financés par la CSPE depuis son apparition, les deux tiers ont servi à financer charbon, fioul et gaz (en particulier via la péréquation tarifaire et l’obligation d’achat cogénération). L’éolien ne touche que 10 % de la CSPE chaque année, soit 4 euros par ménage et par an, selon Sonia Lioret.

Dans les DOM et sur les îles, la situation est caricaturale : le système de péréquation finance les fossiles en masse. Sur les douze dernières années, son coût cumulé atteint 10,8 milliards d’euros, dont seulement 7 % pour les renouvelables, relève le CLER. Jusqu’en 2025, il montera à 26 milliards dont seulement 19 % serviront aux énergies vertes. Le premier bénéficiaire de cette manne est EDF SEI, la filiale d’EDF en Corse et en Outremer. Cette politique de soutien a conduit à une explosion de la production et des recettes pour les énergies fossiles, note encore le CLER. Sur l’île de Sein, dont 100 % de l’électricité sont fournis par du fioul, une énergie fossile très émettrice de gaz à effet de serre, un projet d’éolien participatif bataille contre le monopole d’EDF. Les niches fiscales profitant aux énergies fossiles dépassent 33 milliards d’euros en France, selon les calculs du spécialiste en fiscalité Guillaume Sainteny.

L’enjeu de la CSPE est ainsi central dans la compréhension des blocages systémiques à l’essor des renouvelables : elles ne pâtissent pas d’un manque d’argent. Des dizaines de milliards d’euros sont programmés d’ici 2030. Mais cette manne est mal utilisée, en partie captée au service du statu quo énergétique alors qu’elle devrait initier la transition vers un modèle organisé autour de la réduction de la demande et des gaz à effet de serre.  

Les rejets de CO2 bénéficient d’une subvention cachée : l’absence de fiscalité écologique. Elle permet aux industries et comportements polluants de bénéficier de la gratuité des dommages quasi irréversibles qu’ils causent à l’atmosphère. Dans ces conditions, les énergies fossiles livrent une concurrence déloyale aux renouvelables, qui ont besoin que la tonne de dioxyde de carbone coûte cher pour consacrer leur rentabilité. Les énergies vertes ont besoin du respect du principe pollueur-payeur pour prospérer. La contribution climat énergie, introduite en 2013 dans la loi de finances, est bien trop maigre pour avoir le moindre effet. Elle devient même parfaitement invisible alors que les cours du pétrole s’effondrent. Face à l’enjeu capital de la mise en place d’une offre énergétique renouvelable, c’est la plus grande défaillance de l’actuel exécutif.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

Le congrès socialiste connaît ses premiers soubresauts

$
0
0

Au PS, les huiles marchent sur des œufs, la moutarde ne monte pas encore au nez, mais on ne sait pas si la mayonnaise va prendre. À sept mois du congrès socialiste, ce week-end a été l’occasion pour diverses composantes du parti de se positionner en vue de l’événement interne qui devrait animer le premier semestre 2015, avec les élections départementales.

À la réunion de Vive la gauche, le 29 novembre, au gymnase Mouchotte, à Paris.À la réunion de Vive la gauche, le 29 novembre, au gymnase Mouchotte, à Paris. © VLG

Samedi, le collectif « Vive la gauche » s’est réuni dans un gymnase du XIVe arrondissement de Paris, afin de se montrer à lui-même que, malgré les abstentions à répétition à l’Assemblée, les socialistes critiques pouvaient nourrir un projet commun. Devant près de 500 personnes, ils n’ont toutefois pas tenu de meeting enflammé, mais plutôt un espace de parole ferme mais polie, sur la nécessité de retrouver un ancrage à gauche dans la politique gouvernementale.

Rares ont été les grandes envolées contre la dérive libérale du gouvernement, venant surtout de hérauts de l’aile gauche du parti, comme Emmanuel Maurel (« Nous ne laisserons pas fracturer la gauche en notre nom ! ») ou Jérôme Guedj (« Les mots de nos dirigeants tournent le dos à l’histoire de la gauche ! »), qui ont pourtant déclenché les applaudissements les plus vifs, de la part d’une assistance semblant frustrée de tant de tempérance.

Car la plupart des intervenants ont privilégié de courts discours sans effet de manche, cherchant à apporter leur pierre à l’édifice d’une fin de quinquennat enfin utile, chacun y allant de ses espérances. De façon concrète, comme Jean-Marc Germain, proche de Martine Aubry (« abolir le droit de dissolution, élire la moitié des députés à la proportionnelle, soutenir la croissance plutôt que de gaspiller notre argent dans le CICE »), ou plus générale, comme le député Christian Paul (« Nous ne sommes pas condamnés à un duel Le Pen-Sarkozy ») ou l’ancienne ministre Aurélie Filippetti, nouvelle venue à « Vive la gauche » (« Il n’y a pas de fatalité ni de déterminisme pour la gauche à exercer le pouvoir sans se renier »).

Quant à Benoît Hamon, qui continue de tracer son sillon comme chef de file possible d’un tel attelage de congrès, rassemblant ailes gauche (les courants Maintenant la gauche et Un monde d’avance), anciens de la « motion Stéphane Hessel » et aubrystes, il a appelé le président de la République à prendre « quelques risques », plaidant notamment pour un référendum sur les institutions, une reprise de la bataille du droit de vote des étrangers. Et pour « faire en sorte que ce quinquennat soit associé à une grande réforme sociale ». Tout en retenue, il a plaidé pour l'unité à gauche et a estimé que « le congrès du PS ne peut être que le point de départ d’un nouveau cycle politique, dont 2017 ne sera qu’une étape, et qui implique que toutes les formations de gauche se dépassent ».

En coulisses, le sujet du congrès est davantage sur les lèvres des responsables locaux, partagés entre leur envie d’en découdre et le sentiment que la situation va rester bloquée jusqu’aux lendemains des élections départementales. « Localement, c’est clair que ça bloque un peu les velléités avec les élus, qui sont déjà en campagne et n’ont pas envie de rentrer dans le congrès », explique une députée. D’autres redoutent que la construction d’un gros « pôle gauche » du parti ne résiste pas aux stratégies de congrès. « Jusqu’ici, tout va bien, la mobilisation ne faiblit pas et s'élargit, résume Frédéric Hocquard, proche de Benoît Hamon. Quand la dynamique est bonne, c’est compliqué de se diviser sur des prétextes. » Mais beaucoup redoutent que les proches de Martine Aubry, si ce n’est carrément elle-même, affichent leur soutien à Jean-Christophe Cambadélis.

Le premier secrétaire « par intérim » (son titre officiel tant qu’il n’a pas été élu par les militants) cherche de son côté à rester le maître du jeu socialiste. Après avoir annoncé il y a deux semaines qu’il « y aura une contribution et une motion Cambadélis », le député de Paris a dévoilé dimanche, sur Europe 1, un peu plus sa stratégie. Se félicitant qu’avec l’élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP, « le temps du “tous contre le PS” s’achève », Jean-Christophe Cambadélis a cherché à se positionner comme le pivot intangible de l’exercice interne socialiste. Face à Jean-Pierre Elkabbach, il a défendu « l’autonomie de jugement du PS » face au gouvernement, tout en résumant sa ligne : « Ni godillot, ni gaucho. » 

Jean-Christophe CambadélisJean-Christophe Cambadélis © Reuters

« Camba » a enfin, et surtout, mis sa majorité actuelle au pied du mur, en expliquant qu’il présenterait une contribution « au nom du secrétariat national du PS » et qu’il demanderait à « l’ensemble » des dirigeants actuels du parti de la « soutenir ». Façon de rééditer la blitzkrieg réussie par Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault lors du congrès de Toulouse de 2012 et de contraindre une large majorité du parti à se réunir dans une grande motion. « Il est entré dans les habits du premier secrétaire de la synthèse permanente, estime le porte-parole du PS, Olivier Faure. Il réussit un travail de régulation du débat dans le parti qui n’existait pas depuis le début du quinquennat, et qui a contribué à le plomber. »

Mais l’époque est différente, nous sommes à mi-mandat plombé, et il n’est pas évident que la majorité de Toulouse, déjà amputée des proches de Benoît Hamon, suive à nouveau comme un seul homme. En tout cas comme une seule grosse motion. Cambadélis, lui, veut le croire. Et quand il lui est demandé si les amis de Martine Aubry seront à ses côtés, il répond : « Ils seront dans ma contribution, évidemment, comme tout le secrétariat national. »

Pour les principaux intéressés, en dépit de la rumeur selon laquelle l’ancienne première secrétaire aurait « topé » avec son successeur, l’accord semble moins évident. « Je confirmerai cela, ou pas, quand viendra l’heure du congrès. C’est-à-dire en février », évacue François Lamy, proche de la maire de Lille et « conseiller spécial » de Cambadélis à Solférino. D’autres secrétaires nationaux aubrystes sondés disent n’être « au courant de rien ». « Je ne vois pas comment certains “frondeurs” pourraient la suivre si cela arrivait, explique un proche de Benoît Hamon. Avec quelle perspective ? Être dans la même motion que Stéphane Le Foll et les proches de Manuel Valls ? »   

À l’aile droite du parti, auto-défini « pôle des réformateurs », on se dit tout aussi circonspect. Réunis ce samedi à Strasbourg, autour du maire de Lyon Gérard Collomb, du ministre Jean-Marie Le Guen ou des parlementaires Nicole Bricq et Christophe Caresche, eux ont décidé de « s’engager dans le congrès » et de déposer leur propre contribution. « On veut faire en sorte de peser dans les débats avec un texte identitaire fort sur le droit du travail ou l’ouverture du parti (au centre) », explique Caresche, qui espère pouvoir rassembler dans ce pré-congrès « les rocardiens, les proches de Moscovici et ceux de Vincent Peillon ».

S’ils entendent « participer ensuite au rassemblement » et ne voient pas d’obstacle à se ranger derrière Cambadélis, les « réformateurs » craignent de retomber dans l’« unité de façade » et « les vieux réflexes qui font qu’une fois au pouvoir, on ne sait pas vraiment comment l’exercer », comme le résume Caresche. À ses yeux, « si le premier ministre n'a pas vocation à animer un courant, il est naturellement dans la majorité du parti ». Et d’estimer que « si c’est pour dire qu’il faut faire autrement, ça va poser problème ». Au risque de voir la mayonnaise tourner vinaigre.

BOITE NOIREJe me suis rendu à la réunion de « Vive la gauche », samedi, à Paris. Olivier Faure a été rencontré la semaine dernière. Christophe Caresche a été joint par téléphone, ce lundi, tout comme François Lamy et d'autres aubrystes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

EDF: un nouveau président sous influence

$
0
0

Cela a, semble-t-il, été sa première décision. Avant même d’avoir pris officiellement la présidence d’EDF, Jean-Bernard Lévy a décidé de s’adjoindre un conseiller en communication extérieur. Il a fait appel aux services d’Anne Méaux, la présidence du cabinet Image 7. Sa mission : « conseiller le président d’EDF et la direction de la communication pour toutes les questions de communication », explique-t-elle. Montant du contrat : secret défense.

Jean-Bernard Lévy, président d'EDFJean-Bernard Lévy, président d'EDF © Reuters

Jean-Bernard Lévy s’inscrit avec cette première décision dans les habitudes des patrons des grands groupes du CAC 40. Les services de communication interne de leur groupe, pourtant généralement fournis, ne leur semblant pas suffisants, ils s’empressent de s’adjoindre une société de conseil externe, totalement dévolue à leurs services, plus qu’à ceux du groupe bien souvent. Interrogeant quelques amis proches, certains lui auraient donc vivement recommandé de s’occuper de son image de grand patron et de s’entourer des conseils d’Anne Méaux. Jean-Bernard Lévy s’est empressé de suivre le conseil.

La décision a surpris nombre d’observateurs. Ils ne s’attendaient certes pas à ce que Stéphane Fouks, patron de l’agence Euro RSCG et très proche du premier ministre Manuel Valls, soit reconduit dans ses fonctions : il s’était trop engagé dans la campagne pour le renouvellement d’Henri Proglio à la tête d’EDF. Mais de là à désigner Anne Méaux, il y avait un pas qu’ils n’imaginaient pas que Jean-Bernard Lévy, nommé par un gouvernement de gauche, franchirait.

Même dans les milieux gouvernementaux, cette décision aurait fait tousser, selon nos informations. Car Anne Méaux n’est pas une figure neutre dans le monde du conseil.

Depuis plus d’une décennie, cette libérale convaincue s’est constitué une sphère d’influence notable dans le monde français de l’énergie, avec l’appui de ses amis de droite.

En 2004, au moment de la nomination de Pierre Gadonneix à la présidence d’EDF, elle se vantait d’être à l’origine de sa promotion à la tête du groupe public, en ayant recommandé son nom auprès de son ami, le premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, et d’avoir ainsi empêché la reconduction de François Roussely, défendu par Stéphane Fouks (voir l’enquête de Libération de cette époque). Pendant une période, elle a conseillé le président d’EDF « jusqu’à la privatisation » du groupe, dit-elle.

Les années ont passé et la présidence controversée d’Henri Proglio chez EDF a occulté ce qui s’est passé auparavant. Mais la présidence de Pierre Gadonneix, chaudement recommandé par Anne Méaux, a été une des plus calamiteuses pour le groupe public. Son bilan peut se lire ici, ici ou . Son aventurisme aux États-Unis a coûté plus de cinq milliards d’euros au groupe. Il est parti en laissant une entreprise souffrant de sous-investissement chronique, y compris dans la sécurité nucléaire, percluse de dettes et condamnée à augmenter ses tarifs pour faire face.

Mais c’est surtout aux côtés d’Anne Lauvergeon, l’ancienne présidente d’Areva, que le rôle d’Anne Méaux a été le plus important. Pariant l’une comme l’autre beaucoup – tout ? – sur la com, Anne Lauvergeon et Anne Méaux se sont tellement bien entendues qu’elles sont devenues amies. Ferraillant sur tous les terrains, elles ont mené ensemble une bataille ininterrompue de communication en défense d’Areva, contre les ennemis du groupe nucléaire, Henri Proglio en tête. Ces combats incessants ont permis d’entourer de fumée le reste, le plus important : la gestion industrielle et financière du groupe. Trois ans après le départ d’Anne Lauvergeon, la poussière est en train de retomber, permettant de découvrir la réalité, mise en exergue par le pré-rapport de la Cour des comptes : celle d’un groupe en perdition, qui a besoin d’une recapitalisation d’au moins 1,5 milliard d’euros. « Comment Anne Méaux ose-t-elle se présenter à nouveau comme conseil d’EDF, après avoir été mêlée de si près au sinistre d’Areva ? » s’interroge un proche du dossier.

Ces précédents ne semblent pas avoir gêné Jean-Bernard Lévy. Arrivant seul, dans un secteur où il n’a jamais travaillé, où il n’a aucune expérience, ni aucune amitié, le nouveau PDG d’EDF est pressé de se constituer des relais et des appuis. Anne Méaux est l’un de ceux-là. D'autant qu'elle est en relation étroite avec l'ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot, une autre de ses clientes, qui, après avoir postulé à la présidence d'EDF pour remplacer Henri Proglio, a obtenu du gouvernement en lot de compensation un poste d'administrateur dans le groupe public.

Mais le contrat avec Image 7 n’est que la partie visible de l’édifice. Derrière cette décision, ce sont tous les réseaux de Gérard Longuet – auxquels Anne Meaux a appartenu, ayant été comme lui, comme Pierre Gadonneix, à Occident dans les années 1970 – qui sont en train de venir prêter main forte à Jean-Bernard Lévy, de lui suggérer les nouveaux noms de l'état-major, de l’aider à comprendre ce qu’il peut faire.

À ses débuts, avant d’être chez Matra, puis chez Vivendi et pour finir chez Thalès, Jean-Bernard Lévy est d’abord passé par le cabinet de Gérard Longuet en 1986, lorsque ce dernier était secrétaire d’État des postes et des télécommunications. Les deux hommes se sont manifestement très bien entendus puisque, lorsque Gérard Longuet est à nouveau nommé ministre de l’industrie en 1993, il offre à Jean-Bernard Lévy d'être son directeur de cabinet. Ils sont restés très proches. Ces derniers temps, Gérard Longuet tout comme Pierre Gadonneix semblent lui accorder beaucoup de temps pour lui dispenser quelques conseils et réflexions.

Néolibéral convaincu, Gérard Longuet est un fervent partisan de la libéralisation de tous les services publics. Outre les questions de défense, le sénateur UMP de la Meuse dit avoir toujours été très intéressé par les questions d’énergie. Depuis plus d’une décennie, il est un de ceux qui ont le dossier en main, donnent toutes les impulsions législatives et réglementaires. Son programme, dans le passé, était des plus arrêtés : il était favorable à une mise en concurrence totale de l'énergie, la fin des tarifs régulés, une augmentation des prix afin de soutenir la concurrence, un démontage des services d’EDF et une libéralisation totale du nucléaire en France.

Gérard LonguetGérard Longuet © Reuters

Son équipe et lui ont investi méthodiquement toutes les places depuis cette époque pour le mettre en œuvre. Il y eut d’abord Edmond Alphandéry, très proche d'eux, nommé président d'EDF en 1994, puis Pierre Gadonneix en 2005. C’est ainsi que Philippe de Ladoucette, un ami très proche de Gérard Longuet, fut aussi désigné en 2006 pour prendre la présidence de la commission de régulation de l’énergie (CRE). Malgré des résultats contestés, celui-ci, contre toute attente, a été reconduit dans ses fonctions en 2011. Depuis, il se fait oublier, se contentant d’entériner les hausses successives des prix de l’énergie, décidées par le gouvernement mais qu’il a chaudement recommandées depuis des années.

Grâce à ses liens et son influence, Gérard Longuet a noué de solides relations et gagné de puissants soutiens dans le secteur. Ses avis semblaient si prisés que GDF Suez l’a embauché comme conseiller  en 2008, juste après la fusion avec Gaz de France, pour travailler « sur le déploiement du nucléaire en France et à l’étranger ». Ce contrat contre nature l’a bloqué, plus tard, dans ses ambitions pour devenir ministre de l’industrie, semble-t-il.

Gérard Longuet avait postulé pour devenir président d’EDF en 2004 puis à nouveau en 2009. En vain. Mais il peut aujourd’hui se réjouir d’avoir un de ses proches à la présidence du groupe public, avide de conseils et de suggestions, prêt à s’entourer d’amis. Jean-Bernard Lévy ira-t-il jusqu’à suivre toutes les recommandations qui lui sont faites ?

Au gouvernement, certains commencent à se rendre compte que Lévy n’est peut-être pas seulement ce polytechnicien soutenu par le corps des Mines. Ils se demandent si sa nomination, liée à une guéguerre entre Matignon et l’Élysée, n’a pas été une erreur, s’il n’y avait pas d’autre candidat plus présentable. Trop tard. Il fallait se poser les questions avant et s'interroger sur la stratégie plutôt que sur le casting patronal. Jamais un sujet aussi essentiel, censé être au cœur des préoccupations gouvernementales, n'a été traité de façon aussi brouillonne et inconsidérée. Il restera à la gauche les effets de tribune pour défendre « l’État stratège » et vanter les mérites « des services publics à la française ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

Emmanuel Macron, le renard et le poulailler

$
0
0

Emmanuel Macron a l’air de tomber des nues : ce mardi matin, sur Radio Classique, il était en colère contre Pierre Gattaz, le président du Medef : « Je n’ai pas à qualifier l’attitude de Pierre Gattaz, s’est-il écrié. J’ai simplement à dire que dans le pacte de responsabilité, il y a le mot responsabilité. Aujourd’hui, il y a très peu d’accords de branche qui sont signés. Aujourd’hui, c’est un échec et c’est aussi le sien. »

Rappel des faits : au lendemain de son élection, François Hollande, conseillé par un certain Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée, décide de se lancer dans ce qu’on appelle « une politique de l’offre ». Alléger les charges des entreprises, afin de les rendre plus « compétitives », ce qui permettrait de créer de l’emploi. Vingt milliards d’euros sont d’abord investis dans le CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi, complétés à partir de janvier 2014, par vingt autres milliards, le tout s’appelant désormais « pacte de responsabilité ».

La promesse est celle d’un échange « gagnant-gagnant ». J’allège tes charges, et en contrepartie tu allèges mon chômage en procédant à des embauches.

Un débat s’engagera à gauche, et jusqu’au cœur du gouvernement. D’un côté ceux qui se méfient, ou qui s’indignent : le Front de gauche, la plupart des écologistes, et une partie des socialistes inspirés par les frondeurs, considèrent que cet énorme chèque, quarante milliards, le plus gros jamais signé sous la Cinquième République, en pleine période de rigueur, est un cadeau pur et simple, et un contresens économique qui oblige à pressurer les ménages, donc à réduire la consommation au moment où il faudrait la relancer.

En face d’eux, les défenseurs du pacte voulu par le président de la République. Ils se disent convaincus que le Medef est un partenaire, et qu’il renverra l’ascenseur. Dans leur esprit, les quarante milliards d’allègement ne sont pas une dépense mais un investissement. Cette politique, présentée comme « la seule possible », est symbolisée par la déclaration d’amour de Manuel Valls, applaudi debout par le patronat, après avoir lancé son célèbre « j’aime l’entreprise ». Un choix si radical qu’il provoquera une crise au sommet de l’État, avec le départ d’Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti.

Malgré ces remous politiques, qui se sont ajoutés aux catastrophes électorales des municipales et des européennes pour l’ensemble de la gauche, et malgré l’abstention des frondeurs socialistes, le budget a été voté, avec, pour les particuliers, des économies à tous les étages, et pour les entreprises les milliards du fameux pacte.

Au bilan, malgré une rafale de déclarations publiques allant dans le sens du Medef, à propos des chômeurs dormants, des trente-cinq heures bloquantes, ou du Smic mirobolant, le patronat n’a pratiquement engagé aucune négociation sur les contreparties du pacte, il est vent debout sur le volet pénibilité des retraites, et les petits patrons viennent de descendre dans la rue.

Emmanuel Macron, surnommé jadis « le Mozart de la finance », paraît découvrir ce décor. Un Macron apparemment tout étonné que Pierre Gattaz en demande davantage, et qui muscle son discours depuis quelques jours, comme s’il avait des doutes sur la politique du baiser sur la bouche illustrée par Manuel Valls, et qu’il voulait la remplacer par un bras de fer avec le patronat.

Macron qui découvre donc, en homme de gauche, et en émule de Montebourg, la bonne vieille fable du renard libre dans le poulailler libre. Le problème, c’est que son budget est voté et qu’on voit mal comment il s’y prendra pour lancer au patron des patrons : « rendez les poules » !

 

       

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

Affaire Bettencourt : haro sur les lanceurs d'alerte !

$
0
0

D’un côté, une information judiciaire, menée entre décembre 2010 et octobre 2013 par trois juges d’instruction financiers de Bordeaux, décortiquant cliniquement les abus considérables dont a été victime la femme la plus riche de France, Liliane Bettencourt, de la part d’aigrefins et de prédateurs qui étaient censés l’entourer, la protéger ou la servir. De l’autre, une guérilla procédurale engagée par quelques-uns de ces personnages influents aux prises avec les juges, et confiée à des cabinets d’avocats redoutablement efficaces. Voici le tableau qu’offre aujourd’hui l’affaire Bettencourt.

Alors que le procès du volet principal de cette affaire, celui des « abus de faiblesse » commis sur l’héritière de l’empire L’Oréal, doit s’ouvrir le 26 janvier au tribunal de Bordeaux, un curieux rebondissement vient de se produire au tribunal de Paris. Claire Thibout, l’ex-comptable des époux Bettencourt, a été mise en examen pour « faux témoignages » et « attestations mensongères » par le juge d’instruction Roger Le Loire, le 27 novembre au soir, comme l’a annoncé Atlantico le lendemain.

À l’origine de cette affaire dans l’affaire, on trouve François-Marie Banier, écrivain et photographe ayant le plus profité des largesses de Liliane Bettencourt, et Patrice de Maistre, l’ancien gestionnaire de fortune de l’octogénaire. Tous deux doivent être jugés à Bordeaux, en compagnie de l’ex-ministre Éric Woerth et sept autres prévenus.

Après avoir protesté auprès du juge Gentil et ses collègues contre les témoignages qui les accablaient, Banier et Maistre ont décidé d’ouvrir un nouveau front judiciaire. Les avocats du photographe ont déposé en avril 2012 une première plainte pour « faux témoignages », visant plusieurs employés des Bettencourt, auprès du parquet de Bordeaux. Le procureur de la République n’a pas donné suite. Banier a donc choisi de déposer une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile cette fois-ci, le 11 juillet 2012, au tribunal de grande instance de Paris. Patrice de Maistre a fait de même le 21 décembre 2012.

C’est le juge d’instruction Roger Le Loire qui a été désigné pour instruire ces deux plaintes en janvier 2013. Après avoir convoqué Claire Thibout, ce magistrat l’a soumise à un interrogatoire, puis mise en examen dans la foulée, jeudi 27 novembre.

Claire Thibout.Claire Thibout. © DR

Selon des sources proches du dossier, le juge Le Loire soupçonne Claire Thibout d’avoir porté sciemment de fausses accusations contre Banier et Maistre, notamment dans certaines dépositions, ainsi que dans une attestation écrite remise à Françoise Meyers-Bettencourt, la fille unique de la milliardaire, quand celle-ci avait décidé de saisir la justice des abus de faiblesse dont sa mère était victime.

La mise en examen de Claire Thibout concernerait notamment plusieurs détails, dont une erreur de dates qu’elle a commise, au sujet des 50 000 euros remis à Patrice de Maistre début 2007, et les modalités de cette remise d'espèces. Dans un premier temps, la comptable des Bettencourt avait déclaré que Maistre lui avait, début 2007, demandé 150 000 euros pour les remettre à Éric Woerth et qu’elle n’avait pu retirer que 50 000 euros en espèces. La chronologie a un peu varié lors des différentes auditions de Claire Thibout. La comptable a d’abord parlé de mars ou avril 2007, puis de début 2007, avant que les vérifications bancaires et dans les agendas permettent aux juges de dater le retrait litigieux au 17 janvier 2007. Soit deux jours avant un rendez-vous décisif entre Maistre et Woerth.

L’enquête des juges bordelais a, par la suite, permis de vérifier ce point précis, ainsi que le complément de 100 000 euros en espèces que Patrice de Maistre avait fait venir de Suisse. Sur l’ensemble de cette somme, les juges bordelais ont retenu que 50 000 euros avaient été remis à Éric Woerth, le trésorier de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy et grand argentier de l’UMP.

Conformément aux témoignages des employés de maison, les juges ont également démontré que Patrice de Maistre avait fait venir clandestinement quelque 4 millions d’espèces depuis la Suisse, entre février 2007 et décembre 2009, par le truchement de la société genevoise Cofinor.

Soumise à une garde à vue lors de l’enquête préliminaire menée par le procureur Courroye, en juin 2010, Claire Thibout a depuis été entendue à de nombreuses reprises, et a dû puiser dans ses souvenirs pour reconstituer les faits. Elles a dû encaisser des coups répétés. Elle a ainsi fait l’objet d‘une plainte pour « vol » déposée par Georges Kiejman, alors avocat de Liliane Bettencourt, alors qu’elle avait remis les archives et documents qu'il recherchait (dont les carnets de caisse de la maison) à Fabrice Goguel, autre avocat de la milliardaire. Plainte sans suite.

Éric Woerth.Éric Woerth. © Reuters

Claire Thibout a également dû subir une enquête préliminaire sur un prêt personnel (300 000 euros) déclaré devant notaire, que lui avait accordé Françoise Meyers-Bettencourt pour pallier ses problèmes professionnels et financiers. Enquête classée sans suite.

L’ex-comptable avait, par ailleurs, dû s’expliquer sur les indemnités touchées après son licenciement (800 000 euros en tout, dont la moitié versée par Françoise Meyers-Bettencourt), indemnités qui lui avaient déjà valu une plainte pour « subornation de témoin », déposée par François-Marie Banier en septembre 2010. Plainte restée sans suite.

Pour faire bonne mesure, en juillet 2010, Éric Woerth lui-même y était allé d’une plainte pour « dénonciation calomnieuse » visant directement Claire Thibout. Toujours aucun résultat. Le pilonnage du témoin Thibout a pourtant continué, avec cette dernière plainte pour « faux témoignage », déposée à Paris cette fois-ci.

Sa mise en examen imprévue lui a fait l’effet d’un coup de massue. « Claire Thibout est abattue, écœurée. Sa mise en examen est incompréhensible », se contente de déclarer à Mediapart son avocat, Antoine Gillot, qui ne souhaite pas entrer dans le détail des soupçons qui visent sa cliente. Même silence radio chez les défenseurs de Patrice de Maistre (Pierre Haïk et Jacqueline Laffont), et ceux de François-Marie Banier (Pierre Cornut-Gentille et Laurent Merlet), qui boivent du petit lait.

Pour mémoire, l’ancien majordome des Bettencourt, l’homme qui avait réalisé les enregistrements accablants dans leur hôtel particulier de Neuilly, est poursuivi à Bordeaux pour « atteinte à l’intimité de la vie privée », ainsi que des journalistes de Mediapart et du Point pour « recel ». En résumé, ce sont ceux-là mêmes qui ont révélé les abus de faiblesse sur l’octogénaire, et qui ont permis à la justice d’y mettre fin en évitant que l’affaire soit étouffée, qui sont aujourd’hui poursuivis. Rappelons également que la juge Isabelle Prévost-Desprez, soupçonnée d’avoir, au début de l'affaire, échangé des SMS avec un journaliste du Monde, est elle aussi poursuivie à Bordeaux, pour « violation du secret professionnel ».

Liliane Bettencourt.Liliane Bettencourt.

Il reste, pourtant, que le dossier Bettencourt est solide. Les témoignages des employés ont été largement confirmés par plusieurs expertises médicales, des vérifications bancaires et financières poussées et les diverses perquisitions effectuées par les magistrats. À cet égard, la lecture de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, un document de 267 pages d'octobre 2013 (dont Mediapart a publié de larges extraits, notamment sur l’étrange non-lieu accordé à Nicolas Sarkozy), est éclairante quant au rôle qu’ont joué Patrice de Maistre, Éric Woerth et François-Marie Banier.

« Liliane Bettencourt doit être considérée comme une personne particulièrement vulnérable : en raison de son âge et des troubles graves qui l’accompagnent, en raison de son infirmité de surdité, en raison d’une maladie ou déficience physique ou psychique, au moins depuis le 1er septembre 2006 », résument les juges. À cette époque-là, Patrice de Maistre se dit écrasé de travail. Il faut dire qu’il gère des fonds vertigineux, 200 millions d’euros d’abord, puis 542 millions. Du coup, il obtient des Bettencourt que ses honoraires, déjà copieux, soient revus à la hausse : de 800 000 euros annuels fin 2006, ils passent en 2009 à 1,2 million d’euros annuels. Mais cela ne suffit pas.

En septembre 2008, Maistre se fait offrir une donation de 5 millions d’euros par Liliane Bettencourt, déjà diminuée. La milliardaire règle aussi les « droits et frais afférents », le coût total de la donation se montant pour elle à 8 millions d’euros. Le gestionnaire de fortune assure aux juges que Liliane Bettencourt voulait absolument « faire quelque chose » pour lui, une sorte de « retraite complémentaire », qu’il avait fini par accepter.

Ce n’est pas tout. L’enquête a révélé que Maistre a encore perçu, en décembre 2010, une somme de 2,656 millions d’euros « en raison de la rupture des relations entre la SARL Eugenia et associés, dont il était le seul actionnaire », la SA Clymène d’une part, et Liliane Bettencourt d’autre part, cela en raison d’une convention opportunément signée en mars 2010, alors que le scandale avait déjà éclaté. Les juges notent aussi que le gestionnaire de fortune a perçu des « frais de justice » pour un montant de 86 000 euros. Le total des « libéralités » qu’il a obtenues de façon illicite se monte à plus de 12 millions d’euros.

Patrice de Maistre se voit également attribuer par les juges un rôle assez trouble dans le conflit entre Françoise Meyers-Bettencourt et François-Marie Banier. À la lecture du dossier, il contribue à éloigner Liliane Bettencourt de sa fille, laissant les profiteurs et les aigrefins profiter des largesses de l’octogénaire. Il supervise notamment le curieux legs de l’île d’Arros à une fondation dont Banier tire en fait les ficelles.

C’est aussi lui, qui s’occupe personnellement de rapatrier des espèces depuis la Suisse, à hauteur de 4 millions d’euros, entre février 2007 et décembre 2009, sans que l’on soit certain que Liliane Bettencourt saisisse bien tout ce qui se passe. Les juges notent que Maistre ne peut justifier l’utilisation de 800 000 euros livrés par coursier en février et avril 2007, puis d’une somme de 2 millions d’euros remise en décembre 2008 « dont les investigations n’ont pas permis d’identifier un autre bénéficiaire que lui-même à titre personnel ».

Autre épisode fameux que rappellent les magistrats : « Patrice de Maistre a proposé à Liliane Bettencourt, à la fin de l’année 2009, de se faire offrir le bateau de 1,2 million d’euros dont il rêvait et de recevoir, en personne et en espèces, au siège de la société S.A. Clymène, la somme correspondante, dont il ne peut justifier non plus l’utilisation par un autre que lui-même. » Enfin, il fait signer à la vieille dame, le 4 mars 2010, une convention d’honoraires assurant 800 000 euros par an à sa société Eugenia pour une mission de conseil relative à la fondation Bettencourt.

Dans l'ordonnance de renvoi, les juges d’instruction reproduisent plusieurs conversations enregistrées clandestinement par le majordome Pascal Bonnefoy – celles-là mêmes que Maistre ne veut plus voir sur Mediapart. Ainsi, à propos d’un dialogue surréaliste sur la signature de cette convention du 4 mars 2010, les juges écrivent : « Liliane Bettencourt ne comprend absolument pas de quoi il s’agit. » Les magistrats ajoutent ceci : « Cette scène est particulièrement révélatrice du comportement abusif de Patrice de Maistre à l’égard de Liliane Bettencourt lorsqu’il veut arriver à ses fins. »

Au final, « il résulte de l’information que la situation de faiblesse de Liliane Bettencourt était parfaitement connue de Patrice de Maistre, résument les juges. Le comportement général de Patrice de Maistre à l’égard de Liliane Bettencourt, et notamment son emprise croissante dans sa sphère personnelle, doit être considéré comme abusif, et c’est ce comportement qui a incontestablement conduit Liliane Bettencourt à des actes gravement préjudiciables. »

Le gestionnaire de fortune indélicat est renvoyé en correctionnelle pour « abus de faiblesse », « blanchiment d’abus de faiblesse », « complicité d’abus de faiblesse » et « complicité de fraude fiscale ». Quant à l'île d'Arros, finalement revenue dans le giron de Liliane Bettencourt, elle a été revendue pour 49 millions d’euros en 2012.

Éric Woerth et Patrice de Maistre ont par ailleurs été renvoyés en correctionnelle le 4 juillet 2013 pour « trafic d’influence » dans l’affaire de la Légion d’honneur. Maistre avait reçu sa médaille des mains d'Éric Woerth en personne au mois de janvier 2008, soit deux mois après avoir embauché son épouse, Florence Woerth, au service de l’héritière de l'empire L'Oréal. Ce procès-là doit se dérouler en mars 2015 à Bordeaux.

Patrice de Maistre.Patrice de Maistre.

Le photographe François-Marie Banier, ami de Liliane Bettencourt, est celui qui a tiré le plus grand avantage financier des largesses de la vieille dame. L’ordonnance de renvoi des juges bordelais fait état de « l’emprise » exercée par Banier sur l’héritière L’Oréal, ajoutant qu'il s'est, selon plusieurs témoins, « employé à l’isoler et à détruire la relation qu’elle entretenait avec sa fille ». Raison pour laquelle Françoise Meyers-Bettencourt, craignant sérieusement une adoption du photographe par sa mère, a fini par saisir la justice, en décembre 2007.

Les dons consentis à Banier par Liliane Bettencourt sont vertigineux. En septembre 2006, il devient bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie de 262 millions d’euros. En décembre de la même année, il reçoit des dons d’argent de 11,7 millions d’euros, puis des œuvres d’art d’une valeur de 8,8 millions d’euros, soit 33 millions d'euros, en comptant les droits et autres frais réglés par Liliane Bettencourt.

François-Marie BanierFrançois-Marie Banier © Reuters

En juin 2007, Banier reçoit encore un contrat d’assurance-vie de 83 millions d’euros, soit un coût de 132 millions avec les droits de 60 % à payer sur cette donation.

En avril 2008, le photographe reçoit encore des livres et manuscrits rares pour un montant de 4,7 millions d’euros. En septembre 2009, ce sont des meubles de prix, des dessins et peintures, pour 2,3 millions d’euros. En mai 2007, une fondation est mise sur pied pour qu’il puisse disposer à sa guise de l’île d’Arros. Et en décembre, un testament l’institue légataire universel de Liliane Bettencourt.

« Il résulte de l’information que la situation de faiblesse apparente de Liliane Bettencourt était parfaitement connue de François-Marie Banier, mais également que Liliane Bettencourt était vis-à-vis de lui en état de sujétion psychologique, résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement », écrivent les juges d’instruction.

« Le comportement général de François-Marie Banier à l’égard de Liliane Bettencourt doit être considéré comme abusif, et c’est ce comportement qui a incontestablement conduit Liliane Bettencourt à des actes gravement préjudiciables », exposent les magistrats. Les abus qui lui sont reprochés (sur la période de saisine des juges) représentent précisément 414 685 228,60 euros.

 

On peut comprendre, dès lors, que le photographe mondain (comme les neuf autres prévenus) ne tienne pas particulièrement au procès public, prévu fin janvier. Une réunion de préparation des débats entre magistrats et avocats est prévue à Bordeaux le 19 décembre, qui s'annonce déterminante.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Comment Google verrouille Android

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live