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Mort d'Ali Ziri : l'avocat général demande un supplément d'enquête

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Connaîtra-t-on enfin un jour la vérité sur la mort d’Ali Ziri, un chibani de 69 ans, décédé par suffocation, le 11 juin 2009, deux jours après son interpellation par la police à Argenteuil ? L’affaire s’était d’abord conclue par un non-lieu prononcé le 15 octobre 2012 par un juge d’instruction qui, pas plus que ses prédécesseurs, n’avait pris la peine d’entendre lui-même les policiers interpellateurs. Mais début 2014, la Cour de cassation avait estimé que les juges auraient dû « rechercher si les contraintes exercées » sur le retraité algérien « n'avaient pas été excessives au regard du comportement de l'intéressé » et « si l'assistance fournie (par les policiers, ndlr) avait été appropriée ». Elle avait dépaysé l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes. Laquelle doit désormais décider de l’annulation ou non de ce non-lieu.

Lors de l'audience, jeudi 19 novembre 2014, l’avocat général, qui représente le parquet devant la cour d’appel de Rennes, a demandé l’infirmation de ce non-lieu et un supplément d’enquête. Il s’est cependant opposé, à ce stade de l'enquête, à la mise en examen des trois policiers interpellateurs. Selon Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille d’Ali Ziri, le parquet général a estimé que l’instruction avait été sérieuse mais avait eu deux défauts. « Le premier, de ne pas avoir vérifié si la technique du pliage avait été utilisée et si une autre méthode pouvait être utilisée, détaille Me Maugendre. Le second était qu’elle n’avait pas été attentive à la transparence vis-à-vis des parties civiles et pas assez contradictoire, notamment au regard des demandes d’actes formulées par les parties civiles. » Celles-ci étaient pourtant basiques : la famille a demandé une reconstitution, ainsi que l’accès aux bandes de vidéosurveillance montrant l’arrivée d’Ali Ziri au commissariat.

Selon feu la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) qui a pu les visionner, ces bandes montrent qu'Ali Ziri a été « littéralement expulsé du véhicule » puis « saisi par les quatre membres, la tête pendante, sans réaction apparente, et emmené dans cette position jusqu'à l'intérieur du commissariat ». Mais aucun des trois juges d’instruction qui se sont succédé sur cette affaire n’a jamais jugé utile de visionner ces vidéos.

Arrêté avec un ami lors d'un contrôle routier, Ali Ziri avait été transporté à l'hôpital une heure et demie après son arrivée au commissariat. Les deux hommes de 69 ans et 61 ans, étaient fortement alcoolisés. Ali Ziri était revenu passer quelques jours en France pour effectuer des achats avant le mariage de son fils et les deux amis avaient descendu plusieurs verres dans l'après-midi.

Schéma montrant les multiples hématomes découverts sur le corps d'Ali Ziri lors de la deuxième autopsie.Schéma montrant les multiples hématomes découverts sur le corps d'Ali Ziri lors de la deuxième autopsie.

Dans son avis de mai 2010, la CNDS avait dénoncé comme « inhumain et dégradant » le fait de les avoir laissés, lui et son ami interpellé en même temps, « allongés sur le sol du commissariat, mains menottées dans le dos, dans leur vomi, à la vue de tous les fonctionnaires de police présents qui ont constaté leur situation de détresse, pendant environ une heure ».

Les rapports médicaux avaient donné lieu à une bataille d'experts. Alors qu’un premier cardiologue avait pointé une bien commode « cardiomyopathie méconnue », deux expertises ont ensuite mis en cause la technique du pliage. Un procédé que les policiers d’Argenteuil, trois jeunes gardiens de la paix, ont reconnu avoir utilisé pour maintenir le vieil homme durant le trajet vers le commissariat.

Dans son rapport de juillet 2009, l'ancienne directrice de l'institut médico-légal de Paris indiquait ainsi qu'Ali Ziri, fortement alcoolisé ce soir-là, est décédé « d'un arrêt cardio-circulatoire d'origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». L’autopsie avait en effet montré une vingtaine d'hématomes sur le corps d'Ali Ziri, pouvant « correspondre à des lésions de maintien », ainsi que des signes d'asphyxie mécanique des poumons.

Malgré cela, les juges d’instruction n’ont jamais auditionné les policiers concernés, ni les témoins présents ce soir-là au commissariat. Ils n'ont pas non plus visionné la bande des caméras de la cour du commissariat. Aucune reconstitution n’a été réalisée. La chambre de l’instruction doit rendre sa décision le 12 décembre 2014.

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Radicalisation religieuse: l’Education nationale dérape

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La radicalisation religieuse de jeunes Français est, compte tenu de l'actualité, devenue un sujet de préoccupation majeur des pouvoirs publics. Dans le cadre du « plan national de lutte contre la radicalisation » lancé en avril par Bernard Cazeneuve, l’Éducation nationale a décidé de s’atteler au problème avec l’objectif de détecter au plus tôt ces situations. Au vu du stupéfiant document que s’est procuré Mediapart, il n’est pourtant pas certain que le ministère se soit doté des outils adéquats.

Un Powerpoint de 14 pages, intitulé « Prévention de la radicalisation en milieu scolaire » (à lire ici en intégralité), a ainsi été envoyé par courriel à tous les chefs d’établissements de la Vienne. Il le sera bientôt dans toute l’académie de Poitiers. Le document qui porte l’en-tête du ministère de l’Éducation nationale et de l’académie de Poitiers se propose d’apporter à ces cadres des indicateurs pour repérer les situations potentiellement dangereuses.

Si aucune définition ne vient préciser de quelle « radicalisation » on parle, c’est pourtant exclusivement de l’extrémisme musulman qu’il est question tout au long du document. À croire qu’il n’y a pas de radicaux catholiques, juifs ou autres… Et que la radicalisation politique, à l’extrême droite, par exemple, n’intéresse pas l’Éducation nationale.

À la manière d’un petit guide pratique, le Powerpoint offre aux chefs d’établissement une liste de précieux indices pour repérer les élèves en perdition. En tête de ces « signes extérieurs individuels », la « barbe longue non taillée (moustache rasée) » doit mettre la puce à l’oreille, tout comme les « cheveux rasés » et « l’habillement musulman ». Les « jambes couvertes jusqu’à la cheville », le « refus du tatouage » viennent ensuite, juste avant le « cal sur le front » (qui apparaît après des années de pratique assidue chez les musulmans très religieux) ou la « perte de poids liée à des jeûnes fréquents » – à ne pas confondre, la tâche est ardue, avec l’anorexie adolescente. Le document ne dit pas si un seul de ces signes suffit à tirer la sonnette d’alarme ou s’il faut tous les cumuler pour mériter un signalement. Ni ce que devront faire les chefs d’établissement face à des barbus maigrichons non tatoués.

Le document pédagogique rappelle que certains « comportements » doivent inciter à la vigilance. Ainsi « le repli identitaire », la « rhétorique politique » sont particulièrement suspects surtout si l’individu fait référence à « l’injustice en Palestine », ou à certains pays précisément listés : « Tchétchénie, Iraq (sic), Syrie, Égypte ». Marquer un « intérêt pour les débuts de l’Islam » est aussi un signe inquiétant pour l’Éducation nationale. Enfin, bien qu’on imagine assez mal qu’ils le revendiquent, les jeunes qui raconteraient être soumis à une « exposition sélective aux médias (préférences pour les sites webs djihadistes) » sont à surveiller de près.

 

Le document propose aussi dans la foulée une typologie de la psychologie de ces individus en cours de « basculement ». On trouve ainsi le type « Lancelot » qui « recherche » le « sacrifice », le type « Mère Térésa : départ pour des raisons humanitaires ». Au vu du contexte, on imagine qu’il s’agit des départs vers la Syrie ou l’Irak mais rien ne vient le préciser tant tout dans ce document est frappé au coin du bon sens et du sous-entendu.

Le type « porteur d’eau » relève, note doctement le document, de « la recherche d’appartenance à un groupe » – malheureusement très fréquent chez les adolescents, ce qui peut prêter à confusion –, quand le type « GI » s’apparente plus à la « recherche de l’affrontement et du combat » et semble donc assez proche du type « Zeus » qui est une « volonté de puissance »...

Dans un souci pédagogique, quelques repères historiques sont apportés aux chefs d’établissement. Là encore, le document ne fait pas trop dans le détail. Pour ne pas encombrer la tête des enseignants et des chefs d’établissement, trois grands repères historiques sont proposés comme des éléments de contexte essentiels pour comprendre la radicalisation musulmane. « Fin des années 70 : Révolution islamique en Iran », « Fin des années 90 : Création d’Al Qaida, appel au djihad » et « Dès 2010 : Explosion des conflits au Moyen-Orient ». Les enseignants d’histoire apprécieront cette pénétrante vision historique. 

Enfin, pour étayer par des faits précis le phénomène de radicalisation, islamique, l’académie de Poitiers a élaboré un tableau qui recense, sans donner la source des chiffres présentés, le poids du djihadisme français. On apprend ainsi que « 354 » personnes sûrement sont actuellement présentes « sur place » – on ne sait pas où - au « Djihadistan » sans doute, et que « 934 » sont « concernés par le djihad »... Toujours plus éclairant.

Comment et qui a rédigé ce document qui cible exclusivement les musulmans, sans jamais distinguer d'ailleurs ce qui relève de la stricte religiosité ou du dangereux extrémisme ? Renseignement pris auprès du rectorat de Poitiers, pas moins de dix agents de l’équipe mobile de sécurité (EMS) du rectorat ont contribué à son élaboration. Ces équipes chargées d’assurer la sécurité dans les établissements scolaires, et créées en 2009, travaillent en étroite collaboration avec les préfectures. Ce seraient elles, selon Romain Mudrak, chargé de communication de l’académie de Poitiers, qui auraient demandé à ces fonctionnaires de l’éducation nationale, pour moitié d’anciens gendarmes ou policiers, de se saisir de ce sujet.

Comme mentionné à la fin du document, ces fonctionnaires se sont appuyés sur les travaux de la Miviludes (la mission interministérielle de lutte contre les sectes) et sur les analyses du CPDSI (Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam) dirigé par la très médiatique Dounia Bouzar.

Nicolas Bray, chargé de ces questions au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, confirme qu'une politique de formation des cadres a bien commencé et que des outils sont mis en place en étroite collaboration avec le ministère de l'intérieur. Visiblement très embarrassé par la teneur du document que nous publions, il assure que le cabinet ne l'a pas « à (sa) connaissance visé », et qu'il « manque peut-être de nuances » tout en précisant qu'« un Powerpoint est toujours accompagné de commentaires qui manquent un peu ici ». Sauf que les chefs d'établissement de la Vienne l'ont reçu par courriel et donc sans aucun commentaire, comme nous l'a indiqué le rectorat. Pour lui, la politique de prévention qui est en train de se mettre en place doit « permettre d'aider des jeunes en difficulté et en aucun cas stigmatiser ». Pour le coup, c'est raté.  

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Philippe Marlière, affligé mais combatif

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Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à University College London, est bien connu des lecteurs de Mediapart, où il tient l'un des blogs les plus recommandés. Il a longtemps appartenu à l'aile gauche du PS, avant d'en partir en 2009, pour rejoindre le NPA d'Olivier Besancenot, et le quitter à son tour.

Marlière fait partie d'une gauche radicale qui rêve néanmoins d'unité jusqu'aux sociaux-démocrates, sauf que pour lui les sociaux-démocrates sont représentés en Europe par Syriza en Grèce, ou Podemos en Espagne, et que dans son esprit les « sociaux-libéraux » français, François Hollande ou Manuel Valls en tête, ne représentent plus « la gauche » mais sont passés avec armes et bagages dans le camp d'en face, celui de la droite...

Avec l'économiste Liêm Hoang-Ngnoc, ancien député européen et toujours membre du PS, il a donc entrepris de tracer le contour idéologique de cette nouvelle union de la gauche, dans un « Manifeste des socialistes affligés » intitulé La gauche ne doit pas mourir (le blog sur Mediapart des socialistes affligés est ici).

Un « affligé » combatif, qui critique à boulets rouges l'idée selon laquelle il faudrait craindre les marchés ou la fuite des multinationales : « C'est un fantasme entretenu, comme l'obsession de la dette, qui est un loup-garou. »

Se défendant de tout excès (« Ce qui est excessif, c'est la politique économique du gouvernement ») il qualifie de « putsch idéologique » la nomination de Manuel Valls à Matignon, et la Cinquième République de « césarisme obscène » ou de « bizarrerie en Europe ».

Pour lui, les « sérieux », ceux qui « dispensent les leçons d'austérité en se trompant en permanence », au nom du fameux « Tina » de Margaret Thatcher (« There is no alternative »), ne sont pas des économistes mais des idéologues.

L'alternative politique, développée par Philippe Marlière dans Objections, devrait conduire à ne plus s'enfermer dans le refus de toute alliance (il vise Besancenot) et à admettre (il pense à Mélenchon) que l'avenir ne passera pas par l'effondrement des sociaux-démocrates mais au contraire par leur ancrage à gauche.

À ce titre, il regarde avec intérêt le mouvement des frondeurs, en espérant qu'ils passeront, « avant qu'il ne soit trop tard », de l'abstention à un refus clair et net.

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Marine Le Pen décroche les millions russes

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Le Front national, nouveau « parti de l’étranger » ? La question risque de hanter le congrès du parti d’extrême droite, qui s’ouvre samedi prochain, au centre des congrès de Lyon. Selon les informations obtenues par Mediapart, la présidente du FN a décroché, en septembre, un prêt de 9 millions d’euros de la First Czech Russian Bank (FCRB), une banque fondée en République tchèque aujourd’hui basée à Moscou.

Les fonds ayant déjà été partiellement versés au parti, à hauteur de 2 millions d’euros, la nouvelle du déblocage de l’argent russe a fini par sortir du premier cercle des conseillers de Marine Le Pen. « Le prêt est arrivé », a confirmé à Mediapart un membre du bureau politique. Un proche conseiller de la présidente du FN confirme lui aussi à Mediapart la signature de ce prêt, d’un taux d’intérêt fixé a 6%, qui offre au parti un droit de tirage « selon les besoins de financement »C'est le député européen Jean-Luc Schaffhauser, ancien consultant de chez Dassault, qui a servi de "go-between" en Russie pour acter le principe de ce prêt.

Le déblocage de ce prêt au Front national par une banque russe survient à un moment critique des relations entre l'Union européenne et la Russie, mises à mal par la crise ukrainienne. Cinq banques publiques russes (Sberbank, VTB Bank, Gazprombank, Vnesheconombank et Rosselhozbank) sont visées par les sanctions, et 119 personnes, parmi lesquelles des oligarques et des banquiers, sont interdites d'entrée sur le territoire de l'UE. L'un des contacts du FN, le député Alexander Mikhailovich Babakov, est d'ailleurs visé par cette mesure.

Si l’on en croit Marine Le Pen, c’est à contrecœur que le Front national s’est tourné vers les banques étrangères. « Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté, a-t-elle expliqué, le 23 octobre, à L’Obs. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie. » La présidente du FN expliquait attendre encore « des réponses », et ne pas savoir quelles banques avaient été sollicitées : « C’est le trésorier qui s’occupe de ça », signalait-elle. « L’idée est, bien sûr, de rembourser ces prêts », croyait-elle nécessaire de préciser à l’hebdomadaire.

« On a pris des contacts avec beaucoup de banques françaises et européennes, a expliqué Me Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national à Mediapart, fin octobre. C’est niet en France. Ils ne prêteront pas un centime après le rejet des comptes de Nicolas Sarkozy. Nous, on a élargi le cercle. Ce genre de négociations, plus c’est discret mieux c’est. On a pris des contacts avec les plus grosses banques. On a envoyé des lettres, c’est tout. La plupart du temps, on n’a pas de réponse. » Le trésorier ne confirmait pas encore la signature de l’emprunt russe, intervenue en septembre.

Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013.Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013. © dr

Sollicitée par l'intermédiaire de son chef de cabinet et du directeur de communication du Front national, Marine Le Pen n'a pas donné suite. « Comme d'habitude, je ne réponds pas à Mediapart. Marine Le Pen ne vous répondra pas », a indiqué Philippe Martel, son chef de cabinet. « Merci mais je n'ai pas l'intention de vous répondre », a également fait savoir à Mediapart Wallerand de Saint-Just. Finalement joint samedi après-midi, après la publication de cet article, Jean-Luc Schaffhauser a confirmé son rôle central dans l'obtention de ce prêt. « Nous avons fait notre travail, il n’y a rien de répréhensible », a-t-il admis, tout en déplorant l’exposition médiatique de ses « amitiés et réseaux ».

« Les banques sont très frileuses pour prêter aux partis politiques, quels qu’ils soient, confie un membre du bureau politique du parti. Ce n’est pas un boycott du Front national, c’est une crainte généralisée. À partir du moment où ce n’est pas un don, ni une subvention, ce qui serait interdit venant d’un État étranger, cela ne me choque pas. »

« Pourquoi ce ne serait pas une bonne nouvelle d’avoir trouvé une banque qui prête ? », a réagi le russophile Christian Bouchet, secrétaire départemental adjoint du FN en Loire-Atlantique et ancien nationaliste révolutionnaire. C’est pas pire que d’aller emprunter à Kadhafi. Pourquoi pas une banque russe ? Ce qui intéresse les militants de base et les cadres moyens, c’est que Paris nous verse notre part tous les ans. L’argent n’a pas d’odeur, c’est surtout ça. »

L’obtention de ce prêt est le résultat d’un rapprochement politique engagé par Marine Le Pen dès son arrivée à la tête du Front national en 2011, lorsqu’elle dit « admirer » Vladimir Poutine. Un lobbying intense a été mis en œuvre en direction de Moscou parallèlement aux visites de la présidente du FN sur place. Marion Maréchal-Le Pen s’y rend en décembre 2012, Bruno Gollnisch, en mai 2013. Après une visite en Crimée, Marine Le Pen y va en juin 2013 avec Louis Aliot. Elle est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un ancien général qui a connu Poutine au KGB et au FSB (sécurité de l'État). Elle rencontre aussi Alexeï Pouchkov, qui dirige le comité des affaires étrangères de la Douma, et le vice-premier ministre Dmitri Rogozine.

Marine Le Pen reçue par Dmitri Rogozine, vice-premier ministre russe, le 21 juin 2013.Marine Le Pen reçue par Dmitri Rogozine, vice-premier ministre russe, le 21 juin 2013. © Twitter / Ludovic de Danne

Marine Le Pen se fait alors l’apôtre de « l’approfondissement des liens entre la France et la Russie ». « Je pense que nous avons des intérêts stratégiques communs, je pense que nous avons aussi des valeurs communes, que nous sommes des pays européens, affirme-t-elle. J’ai le sentiment que l’Union européenne mène une guerre froide à la Russie. La Russie est présentée sous des traits diabolisés (…) une sorte de dictature, un pays totalement fermé : cela n’est pas objectivement la réalité. Je me sens plus en phase avec ce modèle de patriotisme économique qu’avec le modèle de l’Union européenne. » Une vraie déclaration d’allégeance politique. L’un des conseillers officieux et prestataires de service de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, est présent à Moscou au même moment.

En avril 2014, la présidente du Front national retourne à Moscou, cette fois-ci en visite privée, pour y revoir Sergueï Narychkine. Son engagement pro-russe s'illustre à chaque visite. Les Russes, de leur côté, courtisent depuis plusieurs années l'extrême droite française, et réservent un bon accueil à Marine Le Pen. « Vous êtes bien connue en Russie et vous êtes une personnalité politique respectée », lui avait lancé Sergueï Narychkine lors de sa visite en 2013, selon Le Figaro

Comme l’a signalé L’Obs, elle rencontre fréquemment en privé l’ambassadeur de Russie en France Alexandre Orlov. Ses entrées en Russie sont favorisées par les relations sur place d’Aymeric Chauprade, son éminence grise durant quatre ans, devenu officiellement son conseiller international à l'automne 2013, et le moteur de l’alliance pro-russe.

Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.

Chauprade avait lancé un appel devant la Douma, en juin 2013, visant à résister à « l’extension mondiale des droits des minorités sexuelles ». Il est invité à plusieurs reprises à Moscou jusqu’en septembre dernier, après avoir été, en mars 2014, l’un des « observateurs » du référendum organisé par les séparatistes en Crimée.

Aymeric Chauprade et Konstantin Malofeev lors du World Congress of Families, le 10 septembre 2014, à Moscou.Aymeric Chauprade et Konstantin Malofeev lors du World Congress of Families, le 10 septembre 2014, à Moscou. © Blog du chercheur Anton Shekhovtsov

Consultant international à Vienne, au sein du cabinet Lee & Young GMBH, élu député européen en juin, Chauprade est en relation avec un oligarque clé du régime, proche de Poutine, Konstantin Malofeev, qui est à la tête du fonds d’investissement Marshall Capital, et de la fondation Saint-Basile-le-Grand, la plus importante organisation caritative orthodoxe russe. Le 31 mai 2014, les deux hommes se sont rencontrés à Vienne lors d’une célébration des « 200 ans de la Sainte alliance », réunissant près d’une centaine d’invités à huis clos, puis le 12 septembre, lors de la visite d’une délégation de députés français, à l’hôtel Président à Moscou.

Mais c’est un troisième homme qui a permis au Front national d’obtenir un financement bancaire en Russie : Jean-Luc Schaffhauser, ancien consultant de chez Dassault, propulsé l’hiver dernier tête de liste aux municipales à Strasbourg puis, au printemps, 3e sur la liste Île-de-France aux européennes. Schaffhauser aurait présenté Marine Le Pen à un puissant député nationaliste, Alexander Mikhailovich Babakov – conseiller du président Poutine en charge de la coopération avec les organisations russes à l’étranger – lors d’un voyage resté confidentiel en Russie, en février. Lors de ce déplacement, la présidente du Front national aurait rencontré Vladimir Poutine, et enclenché la recherche d’un organisme susceptible de faire un prêt au Front national.

Élu à la Douma, Alexander Mikhailovich Babakov, ancien chef du parti nationaliste Rodina, responsable de la commission en charge du développement du complexe militaro-industriel de la Fédération de Russie, a fait son apparition sur la liste des personnes visées par les sanctions de l’Union européenne consécutives à l’intervention russe en Ukraine.

Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade.Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade. © eurojournaliste.eu

Aujourd’hui député européen, M. Schaffhauser a précisé dans sa déclaration d’intérêts avoir été consultant spécialisé dans « l’implantation de sociétés à l’étranger et dans la recherche de financement pour sociétés ». Cet ancien centriste, qui n'est pas membre du Front national, est très actif sur la question de l'Ukraine, au parlement européen comme dans certains médias pro-russes. Il s'est d'ailleurs rendu en Ukraine comme « observateur » des élections séparatistes en novembre et en Crimée en mars lors du « référendum ».

Homme d'affaires et intermédiaire avant d'être député, Schaffhauser s'est vanté auprès de certains dirigeants frontistes d'avoir apporté l'emprunt russe à Marine Le Pen. Il fallait certainement de bonnes connexions pour dénicher ce petit établissement. Créée en République tchèque, en 1996, la First Czech Russian Bank (FCRB) a été progressivement reprise par le géant russe Stroytransgaz – leader dans la construction de gazoducs –, avant de basculer entre les mains de Roman Yakubovich Popov, un ancien chef du département financier de Stroytransgaz.

Roman Yakubovich Popov le 8 septembre 2011, à une soirée où était présent Dmitri Medvedev.Roman Yakubovich Popov le 8 septembre 2011, à une soirée où était présent Dmitri Medvedev. © clubdsr.ru

Aujourd’hui « banquier indépendant » basé à Moscou, Popov a créé au sein de la First Czech Russian Bank (FCRB) plusieurs filiales, notamment la European Russian Bank destinée à s’ouvrir aux pays européens, notamment l’Italie. Alors que son établissement a été classé 42e banque russe, Roman Yakubovich Popov apparaît bien placé dans l’establishment moscovite. Il a co-présidé l’anniversaire des 50 ans du vol spatial de Youri Gagarine aux côtés du premier ministre de la Fédération de Russie Dmitri Medvedev.

Le recours à cette banque, de dimension modeste et peu connue, plutôt qu'à un établissement de premier plan, pose question sur le dispositif de financement trouvé par le Front national, et l'origine des fonds mis à disposition du parti français. D'autant que cette banque est de facto entre les mains d'un ancien cadre bancaire de l'État.

Le Kremlin a en tout cas toutes les raisons d'encourager en France une force politique qui lui est aussi favorable, et d'autant plus si Le Pen fait figure d'alternative à droite. « La Russie a tout intérêt à avoir une partie du monde politique en France qui ne lui soit pas hostile. Cela ne me semble pas idiot. On est quand même pas tous obligés de trouver que les États-Unis sont le summum de la civilisation mondiale », estime le russophile Christian Bouchet. « Il y a parmi les vecteurs d’opinion de la Russie le Front national et certains députés UMP, c'est un fait acquis. Maintenant je ne crois pas que l'on touche de l’argent du Kremlin », explique un dirigeant du FN.

La First Czech Russian Bank (FCRB).La First Czech Russian Bank (FCRB). © Google Street View

« Légalement, rien n’interdit à un parti politique de contracter un emprunt auprès d’une banque française ou étrangère, à la condition bien sûr que le prêt ne dissimule pas un don de personne morale ou un blanchiment d’argent », remarque Me Jean-Christophe Ménard, avocat spécialisé en droit du financement politique, ancien rapporteur auprès de la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP).

Dans les années 1990, les dirigeants du Parti républicain (PR) avaient eu recours à un prêt fictif souscrit auprès d'une banque italienne, le Fondo. Alors dirigeants de ce parti, l’ancien ministre de la défense François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres ont été condamnés pour « blanchiment » dans cette affaire, en février 2004.

« L’origine des fonds prêtés au parti est évidemment cruciale, poursuit l'avocat. Dans le cas présent, il faudrait s'intéresser aux conditions de l'emprunt ou bien encore à l'éventuelle participation de l'État russe au capital de la banque. Le problème est que la CNCCFP ne dispose pas des compétences lui permettant de contrôler la légalité de ce type de montages financiers, parfois complexes. »

« Un parti a tout à fait le droit de contracter un prêt auprès d’une banque à l’étranger, explique-t-on à la CNCCFP. Cela apparaît forcément dans les comptes du parti, mais nous n’avons qu’un montant global des emprunts, seuls les commissaires aux comptes ont les détails en mains et effectuent ce contrôle. Nous exerçons un contrôle sur les dons, pas sur les prêts. »

En revanche, les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi sont aujourd’hui saisis de soupçons d’irrégularités sur les financements du Front national – à travers le micro-parti de Marine Le Pen –, une enquête élargie en septembre à des faits de « blanchiment en bande organisée » liés aux contrats de prêts accordés à des candidats frontistes. Il ne serait pas absurde qu’ils s'intéressent à terme au financement accordé au FN par la First Czech Russian Bank.

BOITE NOIREMises à jour: 

Cet article a été actualisé samedi 22 novembre à 16h10, avec la confirmation de la signature du prêt par un proche conseiller de Marine Le Pen, puis à 17h50 avec la réaction de Jean-Luc Schaffhauser.

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Pascal Vaillant, handicapé à vie par une grenade de CRS

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Blessé par une grenade de CRS, un jour de 2009, alors qu’il marchait dans la rue, Pascal Vaillant, 48 ans aujourd’hui, n’a pas réussi à obtenir justice. Handicapé à vie par cette blessure, il dénonce une justice peu soucieuse des victimes de violence policière. Trois semaines après la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes, il alerte sur les dangers d’un autre type d’arme utilisé par les forces de l’ordre : la « grenade lacrymogène instantanée », dite « GLI », qui contient, elle aussi, une charge explosive de TNT, dont le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve vient de confirmer l’autorisation. « Elle est dangereuse, elle peut tuer », affirme Pascal Vaillant.

Alors que des manifestations avaient lieu ce samedi 22 novembre à Nantes, Toulouse ou encore Paris contre les violences policières, Mediapart livre dans la vidéo ci-dessous le témoignage de Pascal Vaillant.

Le 29 janvier 2009, des dizaines de milliers de manifestants défilent dans les rues en France pour la défense de l’emploi, du pouvoir d’achat et du système des retraites. C’est une journée d’action syndicale nationale. À Saint-Nazaire, la mobilisation est forte, entre 10 000 et 18 000 participants. Pascal Vaillant, 43 ans, menuisier spécialisé dans la construction de cabines de navires, en reconversion professionnelle dans la vente après un accident du travail non reconnu, bat le pavé. C’est sa première manifestation, dit-il. Il veut défendre la prise en compte de la pénibilité du travail dans le calcul des retraites et protester contre la politique de Nicolas Sarkozy, « qui n’avait rien d’humain », selon lui. La foule est dense, le cortège met du temps à s’ébranler. Il patiente, marche, puis rentre chez lui.

Entre 17 h 30 et 18 heures, il sort faire des courses au magasin Ed près de son domicile. Sans le savoir, il se retrouve sur la ligne de front entre les policiers qui protègent la sous-préfecture de Saint-Nazaire et des militants qui les attaquent, comme il le raconte dans l’entretien vidéo ci-dessus. Alors qu’il tente de traverser la rue, une grenade lacrymogène instantanée (GLI), une forme explosive de lacrymo, l’atteint au pied et le mutile. Il ne lui reste plus qu’une partie du pied, amputé de deux orteils, brûlé et greffé en partie. Il marche aujourd’hui avec difficulté, est reconnu invalide à 75 % et vit d’une allocation adulte handicapé (autour de 600 euros par mois).

La GLI est une arme à effet de souffle qui contient 40 grammes d’explosif et peut être lancée à la main ou à l’aide d’un lance-grenades. Une circulaire de la gendarmerie (n° 200 000 DOE/SDOPP) la décrit ainsi : « L'effet explosif produit un éclair et une onde de choc (effet de souffle) qui peuvent se révéler dangereux (effet de panique ou lésion possible du tympan). » Selon le rapport « relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre » commandé par le ministère de l’intérieur après la mort du botaniste Rémi Fraisse, 21 ans, tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes lors d’affrontements entre forces de l’ordre et opposants au barrage de Sivens (Tarn), ce type de grenade doit être « mis en œuvre avec des mesures particulières de sécurité pour les manifestants et les membres des forces de l'ordre ». La France est le seul pays européen à utiliser des munitions explosives en opération de maintien de l’ordre.

Le 13 novembre, près de quinze jours après la mort de Rémi Fraisse, Bernard Cazeneuve a suspendu l’utilisation des grenades offensives par les gendarmes. Mais a décidé de maintenir l’usage des grenades GLI, se contentant d’en modifier les modalités d’emploi : elles doivent désormais être lancées en binôme. Pour le ministre de l’intérieur, elles sont « nécessaires au maintien à distance » et « indispensables à la gradation de la réponse ». Pourtant, le rapport, qu’il a lui-même commandé et rendu public, explique que « les dispositifs à effet de souffle produit par une substance explosive ou déflagrante sont susceptibles de mutiler ou de blesser mortellement un individu ». Le risque létal est donc officiellement reconnu mais toléré. Selon le même rapport, « comme il s’agit d’un dispositif pyrotechnique, une atteinte à la tête ou sur le massif facial ne peut jamais être totalement exclue ». En octobre 2013, plus de quatre ans après la blessure de Pascal Vaillant, un militant du mouvement Bonnets rouges a perdu une main à cause d’une grenade lors d’une manifestation contre les portiques de l’écotaxe à Pont-de-Buis (Finistère).

Selon le décompte du ministère de l’intérieur, 334 GLI ont été tirées par les CRS en 2009, tandis que les gendarmes en ont lancé pas moins de 522 en 2014. Mais ces chiffres ne reflètent pas forcément la réalité. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, « il n'existe aucun outil de collecte des données commun et exhaustif ». Pas de recension systématique du recours à ces armes, ni des blessés.

Après sa blessure, Pascal Vaillant a porté plainte au pénal pour violence involontaire. Le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire puis la cour d’appel de Rennes l’ont débouté, considérant que les policiers avaient fait « un usage nécessaire de la force » et respecté la procédure des sommations. Le commissaire Beauce a déclaré avoir procédé aux sommations marquant la fin de la manifestation autorisée et le début de la dispersion vers 16 h 30 puis à 17 heures, plus d’une heure avant que Pascal Vaillant ne soit victime du tir policier. Mais pour la cour d’appel, « il importe peu que Pascal Vaillant, seul ou plusieurs manifestants alentour, n’ait pas entendu ces sommations, ce fait n’étant susceptible que d’influencer la qualification pénale des infractions éventuellement poursuivies contre les émeutiers ». Le juge conclut ainsi qu’« il ne peut être reproché à quiconque le délit de blessures involontaires », car l’usage des grenades explosives « était proportionné au trouble ». Le jour où Pascal Vaillant a été mutilé, 26 policiers ont été blessés, souffrant notamment de contusions, selon la justice.

À l’inverse, pour son avocat, Erwan Lemoigne, « alors que les GLI sont des armes dangereuses, dont l’emploi ne peut être justifié que par l’inefficacité de matériel moins nocif, leur utilisation a ici été guidée par un défaut d’organisation et de commandement des services de maintien de l’ordre ».

Également saisie, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), aujourd’hui dissoute au profit du Défenseur des droits, s’est rangée à l’avis du juge. Quant à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, dans son rapport du 25 août 2009, elle a conclu que « les blessures occasionnées à M. Vaillant sembleraient être essentiellement dues à l’imprudence qu’il a commise en bloquant sous son pied un engin explosif lancé par les policiers ». Pascal Vaillant initie aujourd’hui une procédure au civil pour faire reconnaître les préjudices qu’il continue de subir.

BOITE NOIREJ'ai rencontré Pascal Vaillant à Saint-Nazaire, où il habite,  mercredi 19 novembre. Je lui ai proposé de retourner ensemble sur le lieu de son accident afin de mieux comprendre le déroulé des faits. Il a tout de suite accepté d'être filmé, dans l'espoir que son histoire alerte ses concitoyens sur le danger des grenades lacrymogènes instantanées. Une personne présente sur les lieux de la manifestation du 29 janvier 2009 a filmé Pascal Vaillant, encore inconscient, juste après le jet de grenade, et a mis en ligne la vidéo sur You Tube. C'est un extrait de ces images que je reprends dans la vidéo de l'interview de M. Vaillant.

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A Montpellier, la condamnation qui risque de couler un hebdo satirique

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La peine risque de clouer définitivement le bec à L’Agglorieuse, l’hebdomadaire satirique de Montpellier dont la mascotte est une mouette. Le 25 septembre, le journal, son directeur et l’un de ses journalistes ont été condamnés par la cour d’appel de Nîmes à verser 91 200 euros en tout, pour diffamation envers un promoteur immobilier local, Robert Garzillo, et sa société Strada. « La somme qu’on nous demande correspond à la moitié de notre chiffre d’affaires annuel, s’étrangle Tristan Cuche, le directeur de L’Agglorieuse. On ne peut pas payer. » Pour l'heure, le promoteur n'a d'ailleurs pas exigé l'argent.

Le petit hebdo satirique, tiré à 2 300 exemplaires, existe depuis douze ans. Pour ses créateurs, pas de doute, la condamnation équivaut à une « peine de mort », comme ils l’ont écrit à la garde des Sceaux Christiane Taubira. En cause, un article daté du 12 mai 2010, où le promoteur était durement attaqué, dès la une. L’Agglorieuse révélait que Robert Garzillo, présenté comme un « arnaqueur présumé » et « un homme d’affaires ayant pignon sur rue à Montpellier », était mis en examen pour « escroqueries, abus de confiance, abus de biens sociaux, faux, usage de faux et subornation de témoin », dans une enquête menée à Marseille, et toujours pas jugée aujourd’hui.

Il est soupçonné par les enquêteurs d’avoir participé à plusieurs arnaques à l’immobilier. Des partenaires et lui auraient empoché des sommes venant d’investisseurs intéressés par des opérations de défiscalisation, mais auraient laissé à l’abandon pendant des mois les bâtiments qu’ils étaient censés retaper dans plusieurs villes. Dans son article, L’Agglorieuse citait la procédure en cours, en nommant à plusieurs reprises la société Strada et ses filiales. Le journal évoquait aussi les « faillites retentissantes » qu’était censé avoir subies l’homme d’affaires par le passé, ainsi que d'autres « ennuis judiciaires, antérieurs à la procédure ».

Deux problèmes sont apparus rapidement après publication de l'article. D’abord, il ne donnait à aucun moment les éléments nécessaires pour accréditer les « faillites » ou les « ennuis judiciaires précédents » de l’homme d’affaires. Par ailleurs, l’entreprise Strada et ses filiales n’existaient pas au moment où ce dernier a été accusé de magouilles. Strada a été créée en 2004, et les faits dont est soupçonné Robert Garzillo s’arrêtent en 2003, alors qu’il était à la tête de deux autres sociétés, elles aussi basées à Montpellier à l’époque.

« On peine à imaginer le mal qu’a pu faire cet article, affiché sur tous les points de vente de journaux, dans une petite ville, ça a été l’horreur », assure l’avocat de l’entrepreneur, Alain Jakubowicz. De son côté, Tristan Cuche reconnaît que « le papier forçait un peu le trait » et que son journaliste « s’est emmêlé les pinceaux dans les noms des sociétés », mais estime que ces points sont « assez mineurs compte tenu du tableau global » que l’article dressait. Il rappelle « qu’on ne sait pas où est parti l’argent versé par des particuliers pour leurs opérations de défiscalisation ».

Ce n’est clairement pas l’avis de la cour d’appel de Nîmes, qui a rendu un jugement très sévère le 25 septembre. Elle a confirmé la condamnation en première instance du journal contre Robert Garzillo, à qui la publication devra verser 8 000 euros. Les termes « faillites retentissantes » et « ennuis judiciaires » qui ont été accolés au nom de l’homme d’affaires n’ont pas été justifiés par une enquête sérieuse et relèvent donc de la diffamation, a-t-elle tranché.

Mais surtout, la cour d’appel a donné raison à la société Strada et à ses trois filiales, aux mains de l’homme d’affaires mais qui attaquaient dans une procédure séparée. Et les attendus du jugement sont implacables. « Il apparaît que les prévenus ne se sont livrés à aucune enquête sérieuse », écrit le tribunal, qui évoque notamment un « e-mail très précis » envoyé par le promoteur la veille de la publication de l’article, où celui-ci soulignait que Strada ne pouvait pas être mêlée à ses ennuis judiciaires précédents, puisque la société n’existait pas à l'époque. « Force est de constater que les prévenus n’ont tenu aucun compte du mail précité », souligne le tribunal, estimant qu’« il y a là une volonté de nuire évidente ».

Ces arguments sont opposés à ceux qui avaient été retenus en première instance le 1er décembre 2011. Le tribunal de grande instance de Montpellier avait décidé qu’il n’y avait pas lieu à condamner l’hebdo satirique à la demande des sociétés de M. Garzillo. « De très nombreuses victimes se sont plaintes des malversations commises dès l’an 2000 » par le gérant d’une société de marchand de biens et ses partenaires, dont Robert Garzillo, rappelait le tribunal. Il estimait qu’« un lien incontestable peut être fait » entre Strada et les anciennes sociétés du promoteur. S’appuyant sur les e-mails échangés entre ce dernier et l’auteur de l’article (qui cite par ailleurs l'avocat Alain Jakubowicz dans son papier), le TGI jugeait l’enquête sérieuse, sans animosité personnelle, et pourvue d'un but légitime. « La bonne foi est suffisamment établie », estimait le jugement.

À Nîmes, la cour d’appel a jugé en sens inverse, et a eu la main particulièrement lourde. « Plus de 90 000 euros à payer, dont 80 000 euros de dommages et intérêts pour les sociétés, c’est problématique », déclare David Mendel, l’avocat du journal. Il rappelle que lorsque Le Canard enchaîné a été condamné en septembre pour avoir révélé le contenu de enregistrements de Patrick Buisson, il n’a dû débourser que 10 000 euros, tout comme le site Atlantico. « Le montant des dommages et intérêts ne sont pas justifiés par quoi que ce soit dans le dossier », affirme l’avocat.

« Nous acceptons les sanctions justes des erreurs que nous aurions pu commettre, mais en aucun cas que ces erreurs soient financièrement sanctionnées comme si nous étions des délinquants du CAC 40 », a écrit de son côté Tristan Cuche dans son courrier à Christiane Taubira. Il souligne aussi ne pas comprendre pourquoi, si l'article était si problématique, le tribunal a estimé que, « compte tenu de l’ancienneté des faits », la condamnation ne nécessitait pas d’être rendue publique par une diffusion dans un journal. « C’est la seule fois où notre journal a été condamné sans que nous ayons à rendre la décision publique », pointe David Mendel. Depuis 2007, L’Agglorieuse a déjà été condamnée trois fois pour diffamation et une fois pour injure (suite à un dessin de presse), et a bénéficié de deux relaxes.

L’hebdo et son avocat s’interrogent sur la personnalité de la présidente de la cour d’appel ayant jugé leur cas (avec deux assesseurs). D’une part, elle est connue comme étant plutôt sévère. À tel point qu’en février 2012, les avocats du Gard et du Vaucluse s’étaient tous mis en grève pour protester contre la dureté de ses jugements et de ceux d’un de ses confrères. Mais surtout, il apparaît que L’Agglorieuse était loin d’être inconnue pour la magistrate avant qu’elle ne juge l’affaire. L’hebdomadaire lui avait en effet consacré un de ses articles ironiques au moment de la grève des avocats, en donnant son nom. Ce qu’elle n’aurait pas apprécié, si l’on en croit le témoignage du journaliste auteur des articles sur la grève et sur Garzillo. Dans une attestation toute récente, il raconte que, lors d’un mariage à l’été 2012, la magistrate l’a « “agressé” verbalement, au moment de l’apéritif, sur le bord de la piscine du restaurant ». Elle lui aurait reproché le ton de l'article de 2012 et le fait de l’avoir citée nommément.

Le compagnon de la juge n’est pas non plus un inconnu pour le journal, puisqu’il s’agit de l’ancien directeur départemental de la police nationale, membre d’un club regroupant des personnalités de Montpellier, et candidat aux dernières élections municipales sur la liste socialiste perdante. Ces trois titres lui ont valu d’être cité plusieurs fois par L’Agglorieuse, et pas toujours de façon élogieuse.

De là à contester l’impartialité de la décision rendue, il n’y a qu’un pas, que l’hebdo compte franchir. « Nous nous sommes déjà pourvus en cassation, mais nous allons aussi saisir le Conseil supérieur de la magistrature de ces faits », annonce son avocat. En attendant, une soirée de soutien est organisée lundi 26 novembre.

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Hollande retourne à Florange avec un bilan mitigé

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François Hollande avait promis de revenir à Florange. C’était en février 2012, dans l’optimisme de la campagne présidentielle. Édouard Martin, ouvrier sidérurgiste, leader CFDT des ArcelorMittal de Florange, lui avait payé une merguez.

Dans son enthousiasme, le candidat s’était engagé à tout faire pour sauver les emplois et les hauts-fourneaux. Le président a évité les licenciements secs. Il n’a pas sauvé les hauts-fourneaux. Sa venue, lundi 24 novembre, est attendue dans une ambiance mitigée. La CGT et FO, qui n’avaient pas signé l’accord de 2012 sur la fermeture des hauts-fourneaux, ne participeront pas à la rencontre de lundi, à l’opposé de la CFDT et de la CFE-CGC.

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Lire le texte d'Aurélie Filippetti, députée de Moselle et ancienne ministre.

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Le chef de l’État se rendra au siège du futur Institut de métallurgie du val de Fensch à Uckange, puis chez ArcelorMittal à Florange, indique-t-on à l’Élysée. Il inaugurera également le nouveau site de la société Safran à Commercy. « Autant signaler les trains qui arrivent à l'heure », dit un proche de François Hollande. Manière de se rassurer à bon compte ? Selon un communiqué de la CFDT, majoritaire et cheville ouvrière de l’accord de 2012, « beaucoup de chemin a été parcouru depuis l’arrêt de la phase liquide (c’est-à-dire la production d’acier) : grâce à l’accord social signé par la CFDT qui a fait suite aux engagements entre l’État français et ArcelorMittal, les 629 salariés du site concernés par l’arrêt des hauts-fourneaux auront une affectation définitive au 31 décembre 2014 » (sur les 629, 266 salariés sont partis en retraite, 361 ont été mutés, dont 324 à Florange, et deux sont encore en formation ; il n’y a eu aucun licenciement sec). Pour continuer avec les trains qui arrivent à l’heure, ArcelorMittal a respecté jusqu’ici l’accord de 2012 et recrute à nouveau – 17 CDI annoncés pour décembre (selon L’Usine nouvelle).

Les hauts-fourneaux d'ArcelorMittal, à l'entrée de HayangeLes hauts-fourneaux d'ArcelorMittal, à l'entrée de Hayange © DR

La CGT n’en dénonce pas moins un « génocide social » dans la vallée de Florange, et une « fracture entre le monde ouvrier et les dirigeants politiques gestionnaires, François Hollande en première ligne ». Hanté par l’exemple de Sarkozy, incapable de tenir sa promesse de revenir à Gandrange, Hollande n’a pas abandonné le dossier Florange. Mais le moins qu’on puisse dire est que la gestion concrète n’a pas été à la hauteur des espérances initiales.

Rappelons les principales étapes. Début octobre 2012, ArcelorMittal annonce la fermeture des hauts-fourneaux de l’aciérie de Florange. À l’époque, Jean-Pierre Jouyet, qui n’était pas encore secrétaire général de l’Élysée mais directeur général de la Caisse des dépôts, déclare avec sa finesse habituelle que la BPI (future Banque publique d’investissement, créée en 2013), « n’a pas vocation à aider les canards boiteux ». En fait, le projet envisagé un moment d’une aide de Florange par la BPI est vite abandonné.

En novembre 2012, Lakshmi Mittal confirme la fermeture d’une partie du site de Florange. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, monte au créneau, lance l’idée d’une nationalisation temporaire du site, et trouve des soutiens à gauche comme à droite. Mais début décembre, au moment des révélations sur le compte Cahuzac, le premier ministre Jean-Marc Ayrault désavoue Montebourg. Colère des syndicats, devant ce qui apparaît comme une trahison du gouvernement, mais surtout de Hollande et de ses promesses de campagne : « Je suis venu aussi vous dire que si Mittal ne veut plus de vous, lançait-il en mars 2012 (...) je suis prêt à ce que nous déposions une proposition de loi qui dirait la chose suivante : quand une grande firme ne veut plus d’une unité de production et ne veut pas la céder, nous en ferons obligation. »

Fin novembre, Ayrault annonce un accord conclu à l’arraché, qui maintient les emplois mais ne sauve pas les hauts-fourneaux. Compromis décevant, après les espoirs suscités par Hollande et Montebourg. Après de beaux discours, on abandonne l’essentiel du site sidérurgique, pourtant jugé l’un des plus rentables du groupe, d’après un document interne de la direction de Mittal. La fracture n’est pas seulement entre les dirigeants politiques et les ouvriers, elle touche l’équipe de Hollande : « La première vraie cassure, celle qui brise quelque chose au sein du gouvernement, c’est Florange », dira une ancienne ministre, tandis que pour un ancien de Matignon, « Florange, c’est une cassure fondatrice »

Politiquement, elle se paiera au prix fort. Quand Hollande revient à Florange, fin septembre 2013, l’ambiance n’est plus à lui offrir des saucisses épicées – « nous n’avons plus les moyens d’acheter des merguez », plaisante Édouard Martin. La vraie sanction tombe aux municipales de mars 2014 : à Florange, le maire socialiste Philippe Tarillon est sèchement battu au premier tour, et l’UMP Michel Decker est élu. Mais c’est surtout Hayange, la ville voisine, le site symbolique où se trouvaient les derniers hauts-fourneaux ArcelorMittal de Lorraine (à Florange, il y avait des bureaux et la filière froide, mais pas de production d’acier), qui sanctionne l’échec politique des socialistes : la ville passe au Front national, et élit Fabien Engelmann. Certes, la victoire du FN est fragile. En septembre, le Front national implose à Hayange. Aujourd’hui, Fabien Engelmann, dont les comptes de campagne ont été rejetés par le tribunal administratif, est sous le coup d’une enquête préliminaire, et risque un à trois ans d’inéligibilité.

La portée symbolique de son élection n’en est pas moins désastreuse. Hayange était la plus grande ville de la vallée lorraine de l’acier, la Fensch, elle avait été le cœur de l’empire des Wendel. Des maîtres de forge de la famille reposent dans une église monumentale que les Wendel ont fait construire au XIXe siècle. La ville a souvent été gérée, depuis la guerre, par le PS et le PCF. François Hollande s’est pris lui-même au piège de ses promesses. Il voulait empêcher les industriels de fermer des sites rentables. Non seulement il n’a pas stoppé la fermeture des hauts-fourneaux de Hayange, mais la « loi Florange », destinée à éviter que des cas similaires se produisent, sera censurée par le Conseil constitutionnel. Elle est finalement promulguée sous une forme édulcorée, le 29 mars 2014, trop tard pour influer sur les municipales.

Aux européennes de mai 2014, le recul socialiste se poursuit. Édouard Martin, tête de liste, se retrouve seul élu de la liste PS dans l’est (voir dans la vidéo ci-dessous, l'interview qu'il nous avait donné pendant la campagne). Et le FN caracole.

 

L’accord de 2012 aura évité le pire pour les ouvriers de Florange. Il n’a pas redressé la production industrielle, ni l’économie de la vallée lorraine, ni l’image du PS. Les hauts-fourneaux désormais inutiles de Hayange restent le symbole gênant de l’impuissance et des contradictions de la gauche au pouvoir.

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Le Front national décroche les millions russes

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Le Front national, nouveau « parti de l’étranger » ? La question risque de hanter le congrès du parti d’extrême droite, qui s’ouvre samedi prochain, au centre des congrès de Lyon. Selon les informations obtenues par Mediapart, la présidente du FN a décroché, en septembre, un prêt de 9 millions d’euros de la First Czech Russian Bank (FCRB), une banque fondée en République tchèque aujourd’hui basée à Moscou.

Les fonds ayant déjà été partiellement versés au parti, à hauteur de 2 millions d’euros, la nouvelle du déblocage de l’argent russe a fini par sortir du premier cercle des conseillers de Marine Le Pen. « Le prêt est arrivé », a confirmé à Mediapart un membre du bureau politique. Un proche conseiller de la présidente du FN confirme lui aussi à Mediapart la signature de ce prêt, d’un taux d’intérêt fixé a 6%, qui offre au parti un droit de tirage « selon les besoins de financement »C'est le député européen Jean-Luc Schaffhauser, ancien consultant de chez Dassault, qui a servi de "go-between" en Russie pour acter le principe de ce prêt.

Le déblocage de ce prêt au Front national par une banque russe survient à un moment critique des relations entre l'Union européenne et la Russie, mises à mal par la crise ukrainienne. Cinq banques publiques russes (Sberbank, VTB Bank, Gazprombank, Vnesheconombank et Rosselhozbank) sont visées par les sanctions, et 119 personnes, parmi lesquelles des oligarques et des banquiers, sont interdites d'entrée sur le territoire de l'UE. L'un des contacts du FN, le député Alexander Mikhailovich Babakov, est d'ailleurs visé par cette mesure.

Si l’on en croit Marine Le Pen, c’est à contrecœur que le Front national s’est tourné vers les banques étrangères. « Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté, a-t-elle expliqué, le 23 octobre, à L’Obs. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie. » La présidente du FN expliquait attendre encore « des réponses », et ne pas savoir quelles banques avaient été sollicitées : « C’est le trésorier qui s’occupe de ça », signalait-elle. « L’idée est, bien sûr, de rembourser ces prêts », croyait-elle nécessaire de préciser à l’hebdomadaire.

« On a pris des contacts avec beaucoup de banques françaises et européennes, a expliqué Me Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national à Mediapart, fin octobre. C’est niet en France. Ils ne prêteront pas un centime après le rejet des comptes de Nicolas Sarkozy. Nous, on a élargi le cercle. Ce genre de négociations, plus c’est discret mieux c’est. On a pris des contacts avec les plus grosses banques. On a envoyé des lettres, c’est tout. La plupart du temps, on n’a pas de réponse. » Le trésorier ne confirmait pas encore la signature de l’emprunt russe, intervenue en septembre.

Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013.Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013. © dr

Sollicitée par l'intermédiaire de son chef de cabinet et du directeur de communication du Front national, Marine Le Pen n'a pas donné suite. « Comme d'habitude, je ne réponds pas à Mediapart. Marine Le Pen ne vous répondra pas », a indiqué Philippe Martel, son chef de cabinet. « Merci mais je n'ai pas l'intention de vous répondre », a également fait savoir à Mediapart Wallerand de Saint-Just. Finalement joint samedi après-midi, après la publication de cet article, Jean-Luc Schaffhauser a confirmé son rôle central dans l'obtention de ce prêt. « Nous avons fait notre travail, il n’y a rien de répréhensible », a-t-il admis, tout en déplorant l’exposition médiatique de ses « amitiés et réseaux ».

« Les banques sont très frileuses pour prêter aux partis politiques, quels qu’ils soient, confie un membre du bureau politique du parti. Ce n’est pas un boycott du Front national, c’est une crainte généralisée. À partir du moment où ce n’est pas un don, ni une subvention, ce qui serait interdit venant d’un État étranger, cela ne me choque pas. »

« Pourquoi ce ne serait pas une bonne nouvelle d’avoir trouvé une banque qui prête ? », a réagi le russophile Christian Bouchet, secrétaire départemental adjoint du FN en Loire-Atlantique et ancien nationaliste révolutionnaire. C’est pas pire que d’aller emprunter à Kadhafi. Pourquoi pas une banque russe ? Ce qui intéresse les militants de base et les cadres moyens, c’est que Paris nous verse notre part tous les ans. L’argent n’a pas d’odeur, c’est surtout ça. »

L’obtention de ce prêt est le résultat d’un rapprochement politique engagé par Marine Le Pen dès son arrivée à la tête du Front national en 2011, lorsqu’elle dit « admirer » Vladimir Poutine. Un lobbying intense a été mis en œuvre en direction de Moscou parallèlement aux visites de la présidente du FN sur place. Marion Maréchal-Le Pen s’y rend en décembre 2012, Bruno Gollnisch, en mai 2013. Après une visite en Crimée, Marine Le Pen y va en juin 2013 avec Louis Aliot. Elle est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un ancien général qui a connu Poutine au KGB et au FSB (sécurité de l'État). Elle rencontre aussi Alexeï Pouchkov, qui dirige le comité des affaires étrangères de la Douma, et le vice-premier ministre Dmitri Rogozine.

Marine Le Pen reçue par Dmitri Rogozine, vice-premier ministre russe, le 21 juin 2013.Marine Le Pen reçue par Dmitri Rogozine, vice-premier ministre russe, le 21 juin 2013. © Twitter / Ludovic de Danne

Marine Le Pen se fait alors l’apôtre de « l’approfondissement des liens entre la France et la Russie ». « Je pense que nous avons des intérêts stratégiques communs, je pense que nous avons aussi des valeurs communes, que nous sommes des pays européens, affirme-t-elle. J’ai le sentiment que l’Union européenne mène une guerre froide à la Russie. La Russie est présentée sous des traits diabolisés (…) une sorte de dictature, un pays totalement fermé : cela n’est pas objectivement la réalité. Je me sens plus en phase avec ce modèle de patriotisme économique qu’avec le modèle de l’Union européenne. » Une vraie déclaration d’allégeance politique. L’un des conseillers officieux et prestataires de service de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, est présent à Moscou au même moment.

En avril 2014, la présidente du Front national retourne à Moscou, cette fois-ci en visite privée, pour y revoir Sergueï Narychkine. Son engagement pro-russe s'illustre à chaque visite. Les Russes, de leur côté, courtisent depuis plusieurs années l'extrême droite française, et réservent un bon accueil à Marine Le Pen. « Vous êtes bien connue en Russie et vous êtes une personnalité politique respectée », lui avait lancé Sergueï Narychkine lors de sa visite en 2013, selon Le Figaro

Comme l’a signalé L’Obs, elle rencontre fréquemment en privé l’ambassadeur de Russie en France Alexandre Orlov. Ses entrées en Russie sont favorisées par les relations sur place d’Aymeric Chauprade, son éminence grise durant quatre ans, devenu officiellement son conseiller international à l'automne 2013, et le moteur de l’alliance pro-russe.

Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.

Chauprade avait lancé un appel devant la Douma, en juin 2013, visant à résister à « l’extension mondiale des droits des minorités sexuelles ». Il est invité à plusieurs reprises à Moscou jusqu’en septembre dernier, après avoir été, en mars 2014, l’un des « observateurs » du référendum organisé par les séparatistes en Crimée.

Aymeric Chauprade et Konstantin Malofeev lors du World Congress of Families, le 10 septembre 2014, à Moscou.Aymeric Chauprade et Konstantin Malofeev lors du World Congress of Families, le 10 septembre 2014, à Moscou. © Blog du chercheur Anton Shekhovtsov

Consultant international à Vienne, au sein du cabinet Lee & Young GMBH, élu député européen en juin, Chauprade est en relation avec un oligarque clé du régime, proche de Poutine, Konstantin Malofeev, qui est à la tête du fonds d’investissement Marshall Capital, et de la fondation Saint-Basile-le-Grand, la plus importante organisation caritative orthodoxe russe. Le 31 mai 2014, les deux hommes se sont rencontrés à Vienne lors d’une célébration des « 200 ans de la Sainte alliance », réunissant près d’une centaine d’invités à huis clos, puis le 12 septembre, lors de la visite d’une délégation de députés français, à l’hôtel Président à Moscou.

Mais c’est un troisième homme qui a permis au Front national d’obtenir un financement bancaire en Russie : Jean-Luc Schaffhauser, ancien consultant de chez Dassault, propulsé l’hiver dernier tête de liste aux municipales à Strasbourg puis, au printemps, 3e sur la liste Île-de-France aux européennes. Schaffhauser aurait présenté Marine Le Pen à un puissant député nationaliste, Alexander Mikhailovich Babakov – conseiller du président Poutine en charge de la coopération avec les organisations russes à l’étranger – lors d’un voyage resté confidentiel en Russie, en février. Lors de ce déplacement, la présidente du Front national aurait rencontré Vladimir Poutine, et enclenché la recherche d’un organisme susceptible de faire un prêt au Front national.

Élu à la Douma, Alexander Mikhailovich Babakov, ancien chef du parti nationaliste Rodina, responsable de la commission en charge du développement du complexe militaro-industriel de la Fédération de Russie, a fait son apparition sur la liste des personnes visées par les sanctions de l’Union européenne consécutives à l’intervention russe en Ukraine.

Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade.Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade. © eurojournaliste.eu

Aujourd’hui député européen, M. Schaffhauser a précisé dans sa déclaration d’intérêts avoir été consultant spécialisé dans « l’implantation de sociétés à l’étranger et dans la recherche de financement pour sociétés ». Cet ancien centriste, qui n'est pas membre du Front national, est très actif sur la question de l'Ukraine, au parlement européen comme dans certains médias pro-russes. Il s'est d'ailleurs rendu en Ukraine comme « observateur » des élections séparatistes en novembre et en Crimée en mars lors du « référendum ».

Homme d'affaires et intermédiaire avant d'être député, Schaffhauser s'est vanté auprès de certains dirigeants frontistes d'avoir apporté l'emprunt russe à Marine Le Pen. Il fallait certainement de bonnes connexions pour dénicher ce petit établissement. Créée en République tchèque, en 1996, la First Czech Russian Bank (FCRB) a été progressivement reprise par le géant russe Stroytransgaz – leader dans la construction de gazoducs –, avant de basculer entre les mains de Roman Yakubovich Popov, un ancien chef du département financier de Stroytransgaz.

Roman Yakubovich Popov le 8 septembre 2011, à une soirée où était présent Dmitri Medvedev.Roman Yakubovich Popov le 8 septembre 2011, à une soirée où était présent Dmitri Medvedev. © clubdsr.ru

Aujourd’hui « banquier indépendant » basé à Moscou, Popov a créé au sein de la First Czech Russian Bank (FCRB) plusieurs filiales, notamment la European Russian Bank destinée à s’ouvrir aux pays européens, notamment l’Italie. Alors que son établissement a été classé 42e banque russe, Roman Yakubovich Popov apparaît bien placé dans l’establishment moscovite. Il a co-présidé l’anniversaire des 50 ans du vol spatial de Youri Gagarine aux côtés du premier ministre de la Fédération de Russie Dmitri Medvedev.

Le recours à cette banque, de dimension modeste et peu connue, plutôt qu'à un établissement de premier plan, pose question sur le dispositif de financement trouvé par le Front national, et l'origine des fonds mis à disposition du parti français. D'autant que cette banque est de facto entre les mains d'un ancien cadre bancaire de l'État.

Le Kremlin a en tout cas toutes les raisons d'encourager en France une force politique qui lui est aussi favorable, et d'autant plus si Le Pen fait figure d'alternative à droite. « La Russie a tout intérêt à avoir une partie du monde politique en France qui ne lui soit pas hostile. Cela ne me semble pas idiot. On est quand même pas tous obligés de trouver que les États-Unis sont le summum de la civilisation mondiale », estime le russophile Christian Bouchet. « Il y a parmi les vecteurs d’opinion de la Russie le Front national et certains députés UMP, c'est un fait acquis. Maintenant je ne crois pas que l'on touche de l’argent du Kremlin », explique un dirigeant du FN.

La First Czech Russian Bank (FCRB).La First Czech Russian Bank (FCRB). © Google Street View

« Légalement, rien n’interdit à un parti politique de contracter un emprunt auprès d’une banque française ou étrangère, à la condition bien sûr que le prêt ne dissimule pas un don de personne morale ou un blanchiment d’argent », remarque Me Jean-Christophe Ménard, avocat spécialisé en droit du financement politique, ancien rapporteur auprès de la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP).

Dans les années 1990, les dirigeants du Parti républicain (PR) avaient eu recours à un prêt fictif souscrit auprès d'une banque italienne, le Fondo. Alors dirigeants de ce parti, l’ancien ministre de la défense François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres ont été condamnés pour « blanchiment » dans cette affaire, en février 2004.

« L’origine des fonds prêtés au parti est évidemment cruciale, poursuit l'avocat. Dans le cas présent, il faudrait s'intéresser aux conditions de l'emprunt ou bien encore à l'éventuelle participation de l'État russe au capital de la banque. Le problème est que la CNCCFP ne dispose pas des compétences lui permettant de contrôler la légalité de ce type de montages financiers, parfois complexes. »

« Un parti a tout à fait le droit de contracter un prêt auprès d’une banque à l’étranger, explique-t-on à la CNCCFP. Cela apparaît forcément dans les comptes du parti, mais nous n’avons qu’un montant global des emprunts, seuls les commissaires aux comptes ont les détails en mains et effectuent ce contrôle. Nous exerçons un contrôle sur les dons, pas sur les prêts. »

En revanche, les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi sont aujourd’hui saisis de soupçons d’irrégularités sur les financements du Front national – à travers le micro-parti de Marine Le Pen –, une enquête élargie en septembre à des faits de « blanchiment en bande organisée » liés aux contrats de prêts accordés à des candidats frontistes. Il ne serait pas absurde qu’ils s'intéressent à terme au financement accordé au FN par la First Czech Russian Bank.

BOITE NOIREMises à jour: 

Cet article a été actualisé samedi 22 novembre à 16h10, avec la confirmation de la signature du prêt par un proche conseiller de Marine Le Pen, puis à 17h50 avec la réaction de Jean-Luc Schaffhauser.

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Le salut fasciste de l'argentier de Marine Le Pen

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Ce sont des photos qui font voler en éclats la stratégie de « dédiabolisation » du Front national. Sur deux clichés qu'a obtenus le journaliste Thierry Vincent et que Mediapart publie, le trésorier du micro-parti de Marine Le Pen, Axel Loustau, fait un salut fasciste devant ses amis. À Canal Plus, M. Loustau a affirmé qu'il ne faisait que « saluer l'amitié et la présence » de ses « 150 amis ». Pourtant, de nombreux éléments recueillis par Mediapart montrent les rituels obsessionnels du trésorier de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, comme de son ami Frédéric Chatillon, anciens membres du Groupe union défense (GUD), qui n'ont cessé de fréquenter la mouvance néofasciste européenne.

Axel Loustau et les responsables de Jeanne sont déjà au cœur d'une information judiciaire ouverte en avril sur des soupçons de « faux et usage de faux », d’« escroquerie en bande organisée », et élargie à de possibles faits d’« abus de biens sociaux » et « blanchiment en bande organisée », concernant le fonctionnement de l'association de financement de Marine Le Pen. Les enquêteurs se penchent notamment sur le système de prêts accordés aux candidats FN et la vente de kits de campagne.

La scène de la photo se déroule sur une péniche près de la tour Eiffel, à l’occasion du 40e anniversaire d'Axel Loustau, en février 2011. Parmi les invités figurent le vieil ami de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, ancien leader du GUD, et Minh Tran Long, ancien de la FANE, un groupuscule violent et ouvertement néonazi dissous dans les années 1980.

Axel Loustau lors de son 40e anniversaire, en 2011, sur une péniche, à Paris.Axel Loustau lors de son 40e anniversaire, en 2011, sur une péniche, à Paris. © Thierry Vincent / Mediapart
Axel Loustau (au centre) devant ses invités, à ses 40 ans, en 2011. À droite, Frédéric Chatillon. À gauche, Minh Tran Long.Axel Loustau (au centre) devant ses invités, à ses 40 ans, en 2011. À droite, Frédéric Chatillon. À gauche, Minh Tran Long. © Thierry Vincent / Mediapart

Mediapart a questionné Frédéric Chatillon et Axel Loustau au sujet de ces photos, ils ont tous deux réagi par l'envoi de « mises en demeure » de leurs avocats, expliquant qu'ils engageraient « sans délai une procédure pour diffamation » et « violation de la vie privée », en cas de publication de notre article (lire notre boîte noire). Notre confrère de Canal Plus a reçu la même mise en demeure de la part d'Axel Loustau. Marine Le Pen a fait savoir le 19 novembre par son chef de cabinet qu'elle « ne souhait(ait) pas réagir à (notre) article ».

Ces photos du trésorier de Jeanne sont révélées dans un documentaire de Canal Plus consacré à la recrudescence des violences à l’extrême droite, qui sera diffusé ce lundi soir dans l’émission Spécial Investigation. Pendant un an et demi, le journaliste Thierry Vincent a enquêté sur des violences ou agressions commises par des groupuscules d’extrême droite à Paris, Lyon, Lille, Clermont-Ferrand (notamment sur la mort du militant antifasciste Clément Méric). L'une des séquences est consacrée à Axel Loustau :

Cet ami et associé de Frédéric Chatillon fait partie du cercle des anciens du GUD, qui occupe une place grandissante auprès de la présidente du Front national. S’ils ne sont pas encartés au FN, ils travaillent avec lui, via leurs sociétés. Frédéric Chatillon a été le prestataire phare de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2012. Axel Loustau et sa société Vendôme Sécurité ont assuré à plusieurs reprises la sécurité des Le Pen lors de meetings et événements frontistes. Déjà prestataire de la campagne 2012 de Le Pen, Minh Tran Long travaille avec la plus grande mairie FN, Fréjus. Tous trois sont au cœur du QG de la rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement de Paris, où sont installés les prestataires de confiance de Marine Le Pen, et où elle se rend parfois.

Axel Loustau, à droite de Grégoire Boucher, organisateur avec l'oreillette, lors du «Jour de colère» à Paris le 26 janvier 2014.Axel Loustau, à droite de Grégoire Boucher, organisateur avec l'oreillette, lors du «Jour de colère» à Paris le 26 janvier 2014. © M.T. / Mediapart

Candidat FN aux législatives de 1997, Axel Loustau, 43 ans, apparaît régulièrement dans des manifestations de l'extrême droite la plus radicale, à Paris : au traditionnel défilé du 9 mai ; au « Jour de colère », mobilisation ponctuée de slogans antisémites, en janvier, où Mediapart l'a aperçu aux côtés d'un organisateur ; ou encore à une manifestation des identitaires, en octobre 2010, où il était venu surveiller la nouvelle génération du GUD.

M. Loustau a aussi participé aux débordements en marge de manifestations contre le mariage pour tous, aux Invalides, à Paris, où il a été interpellé le 23 avril 2013. Malgré cela, il a été promu au fil des années. Il a été propulsé, en mars 2012, au poste clé de trésorier de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen. En septembre dernier, il est devenu, d’après Le Monde, le responsable du cercle Cardinal, un nouveau cercle du FN rassemblant des petits patrons.

D'après plusieurs documents et témoignages d'anciens de ce cercle du GUD recueillis par Mediapart, le bras tendu d'Axel Loustau n'est pas un geste anecdotique. De fait, s'ils ne sont plus officiellement aux manettes du groupe radical, les anciens gudards qui entourent Marine Le Pen – Frédéric Chatillon, Axel Loustau et Olivier Duguet (trésorier de Jeanne entre 2010 et 2012, condamné en juin 2012 dans une affaire d'escroquerie au préjudice de Pôle emploi) –, en ont gardé les traditions et le folklore.

Craignant des menaces ou des représailles, plusieurs témoins n'ont accepté de nous livrer leurs récits qu'à condition que leur anonymat soit préservé, mais certains d'entre eux se disent prêts à témoigner devant la justice. Un seul a accepté d'apparaître. Denis Le Moal, militant du GUD entre 1986 et 1995, qui a « beaucoup côtoyé Frédéric Chatillon », a livré en janvier un témoignage inédit, publié sur Mediapart, remis au tribunal de grande instance de Paris par le journaliste Frédéric Haziza, dans le cadre d'une procédure en référé engagée par Chatillon pour faire censurer des passages de son livre. Depuis, l'ancien gudard a donné à Mediapart un grand nombre de détails, malgré les « menaces de mort » qu'il affirme avoir reçues après s'être exprimé.

Marine Le Pen avec Frédéric Chatillon et Axel Loustau (à droite), en novembre 2013, à Paris. Dossier Figaro Magazine (mai 2014).Marine Le Pen avec Frédéric Chatillon et Axel Loustau (à droite), en novembre 2013, à Paris. Dossier Figaro Magazine (mai 2014). © Julien Muguet / IP3 Press / MaxPPP

Il faut dire que les gudards se sont déjà montrés menaçants. L'ancien rédacteur en chef de Minute, Bruno Larebière, a été frappé en public par Frédéric Chatillon, en juin 2010. Un mois plus tôt, nos confrères du Monde avaient raconté les menaces (et crachat) reçus de la part d'Axel Loustau lors du traditionnel défilé de l'extrême droite radicale. Sur Twitter, M. Loustau s'en est aussi pris à Mediapart (ici et ) et s'est amusé à poster la photo de l'auteure de ces lignes la veille d'une manifestation que nous couvrions. Lors de son enquête pour Canal Plus, Thierry Vincent a lui aussi fait l'objet d'intimidations de l'extrême droite.

Contacté par Mediapart, seul Minh Tran Long a accepté de confirmer sa présence à l'anniversaire d'Axel Loustau. « Cette soirée était festive, déclare-t-il, pour ma part aucune allusion et aucun doute possible. Tout sera toujours pris dans le sens qui intéressera vos médias. » « Cela m'étonne qu'une telle photo ait pu paraître, surtout si je suis dessus », ajoute-t-il. Sollicité, Olivier Duguet n'a pas répondu à nos questions.

Olivier Duguet et Frédéric Chatillon lors d'un rassemblement pro-Bachar al-Assad, le 30 octobre 2011, à Paris.Olivier Duguet et Frédéric Chatillon lors d'un rassemblement pro-Bachar al-Assad, le 30 octobre 2011, à Paris. © Capture d'écran d'un documentaire de Canal Plus.

Que disent les témoignages recueillis par Mediapart ? Ils évoquent les soirées réunissant la fine fleur du GUD des années 1990, autour du trio Chatillon-Loustau-Duguet, dans leur quartier de prédilection, place Léon-Deubel, dans le XVIe arrondissement de Paris, dans un bar ou dans les locaux de la société d'Axel Loustau.

Leurs sujets favoris restent « les juifs, les camps d'extermination »« Hitler, qu'ils appellent "Tonton" », relate un témoin. « Il n'y a pas une soirée où il n’y a pas un salut nazi. Quand ils sont entre eux, ils se lâchent complètement car ils sont en confiance. Et quand ils sont dans un restaurant où il y a du monde, leur blague est de faire des petits saluts, en levant juste la main. Toutes leurs conversations tournent autour de cela. »

Certains rendez-vous restent dans les mémoires. Comme cette soirée organisée chez un ancien du GUD, à deux pas de la place Charles-de-Gaulle, à Paris, pour commémorer la mort de Jörg Haider, leader de l’extrême droite autrichienne décédé en 2008, connu pour ses propos antisémites« Il y avait un portrait d’Haider sur la cheminée avec un ruban noir, pour célébrer la perte d’un grand homme. Ils faisaient des saluts nazis », raconte le même témoin. Ou encore la soirée d'anniversaire d’Olivier Duguet, en 2009, à son domicile dans les Hauts-de-Seine : « Des chants nazis étaient passés. Il y avait une quinzaine de personnes, pratiquement toutes chantaient. »

Par mail ou sur Facebook – sur des comptes où ils figurent parfois sous pseudonymes et dont ils changent souvent les noms –, les « blagues » et allusions au nazisme et aux juifs sont « permanentes », affirme l'un des témoins. Sur Facebook, le compte d'un certain « Alex Soulatu » – anagramme d’Axel Loustau et qui affichait sa photo – enchaînait, avec ses amis, des références implicites à la Shoah, ironisant sur « 6 millions de Franciliens inquiétés par le gaz ». Ces publications, datées du 22 janvier 2013 et que Mediapart s'est procurées, ont depuis été supprimées, ainsi que toute la page.

L’antisémitisme n’est pas seulement au cœur de prétendues « blagues ». « Leur référence, c’est Robert Faurisson (historien révisionniste maintes fois condamné pour avoir nié l’existence des chambres à gaz, ndlr) », affirme l'un des témoins. Au fil des années, Chatillon et certains gudards ont d’ailleurs assuré la protection des négationnistes Robert Faurisson et Roger Garaudy (exemple en 1998 – voir ce documentaire à 45'45) lors de leurs procès.

Frédéric Chatillon (au téléphone), lors du procès de Dieudonné et Robert Faurisson, le 22 septembre 2009, à Paris.Frédéric Chatillon (au téléphone), lors du procès de Dieudonné et Robert Faurisson, le 22 septembre 2009, à Paris. © Reflexes

Ce récit rejoint le témoignage de l'ancien militant du GUD Denis Le Moal, qui détaille dans une attestation de trois pages (à lire sous notre onglet "prolonger") la « haine maladive des juifs » de Chatillon. Selon lui, « il ne s'agit aucunement d'erreurs de jeunesse », car ses « engagements de jeunesse » et ses « rapports avec les milieux néonazis français ou européens ne se sont jamais démentis »Frédéric Chatillon, celui qui confectionne le matériel de propagande de Marine Le Pen et l'accompagne dans certains déplacements, connaît bien cette mouvance : il a travaillé lui-même à la principale librairie négationniste de France, Ogmios.

Il raconte ainsi comment, « sous (l')impulsion » de Frédéric Chatillon, « le GUD prit un tournant antisémite et négationniste ». « Nous militions surtout par anticommunisme. Les juifs, avant l’arrivée de Chatillon, ce n’était pas notre problème », explique-t-il. Cette militance au GUD est parfaitement connue de Marine Le Pen : elle a été l'avocate de membres de cette organisation qui ont envahi les locaux de Fun Radio, en 1994.

F. Chatillon (à droite) et Jean-Pierre Emié, dit  « Johnny le boxeur » (à gauche), aux 25 ans du GUD, à la Mutualité, à Paris.F. Chatillon (à droite) et Jean-Pierre Emié, dit « Johnny le boxeur » (à gauche), aux 25 ans du GUD, à la Mutualité, à Paris. © Les Rats Maudits

Parmi les nombreux épisodes édifiants relatés par Denis Le Moal, le meeting des 25 ans du GUD, à la Mutualité à Paris, le 3 mai 1993. Organisé par Frédéric Chatillon, il « s’est transformé en réunion faisant l’apologie du nazisme lors de l’intervention du délégué allemand Franck Rennicke, se concluant par une série de “Sieg Heil” accompagnés de “saluts nazis” », relate-t-il.

Dans Les Rats maudits, un livre publié « sous la direction de Frédéric Chatillon » en 1995 et qui retrace les trente années du GUD, les auteurs expliquent, à l'occasion de ce meeting, que « le danger rouge n'existe plus » et que « l'ennemi change » « On retrouve aujourd’hui côte à côte les marxistes, les sionistes, et les libéraux alliés contre les défenseurs de l’identité nationale. »

D'après M. Le Moal, Chatillon « organisait » à l'époque, « chaque année », « un dîner le jour de l’anniversaire du “Führer” le 20 avril, pour rendre hommage à “ce grand homme” ». Présent à l’un de ces dîners, « dans un restaurant de Montparnasse », l'ex-gudard explique que Chatillon était venu avec « un portrait peint d’Adolf Hitler », et qu’il le présenta au cours du dîner « en prononçant ces mots “mon Führer bien-aimé, il est magnifique”, avant de l’embrasser ». Il assure aussi que l'ancien président du GUD « organisait, alors qu’il était étudiant, des soirées “pyjamas rayés” en allusion aux tenues de déportés juifs ».

Les activistes ultras n'hésitaient pas à rencontrer d'anciens dignitaires nazis. En 1992, Frédéric Chatillon et ses camarades rendent visite, à Madrid, à l'ancien Waffen-SS Léon Degrelle – ce fondateur du mouvement collaborationniste Rex en Belgique, qui estimait qu'« Hitler c’était le génie foudroyant, le plus grand homme de notre siècle ». Dans le documentaire « Léon Degrelle ou la Führer de vivre », diffusé sur la RTBF en 2009, Chatillon raconte, filmé de dos, leurs « dîners » et « réunions » avec l'ancien Waffen-SS, qu'il a vu « régulièrement »« Il nous donnait l'envie de combattre, enfin de militer pour nos idées. On revenait de là, on était galvanisés. On avait vraiment envie de continuer dans notre engagement, nos idées, c'était vraiment des moments très très forts », témoigne-t-il :

Dans ce film, on voit également Axel Loustau se faire dédicacer, en 1992, le livre de Degrelle, en lui adressant une poignée de main et un « mon Général, c’est un très grand honneur » :

Axel Loustau (à 21 ans) avec Léon Degrelle lui dédicaçant son livre, en 1992, à Madrid.Axel Loustau (à 21 ans) avec Léon Degrelle lui dédicaçant son livre, en 1992, à Madrid. © Documentaire « Léon Degrelle ou la Führer de vivre »

Frédéric Chatillon se serait également vu offrir, par le général Tlass, « à l’occasion de son premier séjour en Syrie »« un magnifique exemplaire de Mein Kampf en arabe », rapporte Denis Le Moal. Ce qui lui aurait valu d’être « interpellé pour un débriefing par les services français à sa descente d’avion », à Paris.

C'est « après cette visite en Syrie » que les actions du GUD prenant « pour cible des intérêts ou symboles juifs en France » auraient commencé, selon M. Le Moal. D'après lui, elles auraient été organisées par Chatillon « du début à la fin ». Il se souvient notamment d'une « attaque de la manifestation de la communauté juive devant l'ambassade d'Allemagne, par une trentaine de gudards », dont « Frédéric Chatillon, Axel Loustau et Olivier Duguet », au début des années 1990.

Frédéric Chatillon, Dieudonné et le négationniste Robert Faurisson, au théâtre de la Main d'or, en 2009.Frédéric Chatillon, Dieudonné et le négationniste Robert Faurisson, au théâtre de la Main d'or, en 2009. © Reflexes

Plus récemment, Frédéric Chatillon n’a pas non plus caché sa grande proximité avec les nouveaux "polémistes" antisémites Alain Soral et Dieudonné. À plusieurs reprises, au Zénith et au théâtre de la Main d’Or, il a assisté au spectacle de Dieudonné, « un pote », expliquait-il à Mediapart en 2012. Dans les années 2000, l'ancien leader du GUD est à la confluence du rapprochement des deux hommes avec le Front national. 

Il était notamment présent, ainsi que Jean-Marie Le Pen, au Zénith en décembre 2008, lorsque l'humoriste a remis à Faurisson sur scène un prix de « l’infréquentabilité et de l’insolence », apporté par une personne habillée en déporté juif. Ce proche de Marine Le Pen s'amuse depuis à s'afficher sur les réseaux sociaux faisant des "quenelles", ce geste popularisé par Dieudonné, et considéré par certains comme un « salut nazi à l'envers » :

F. Chatillon s'affichant sur les réseaux sociaux faisant une quenelle en juillet et août 2013 (avec le boxeur Jérôme Le Banner).F. Chatillon s'affichant sur les réseaux sociaux faisant une quenelle en juillet et août 2013 (avec le boxeur Jérôme Le Banner).

Chatillon escorte Alain Soral lorsqu'il est expulsé d’une dédicace mouvementée à Sciences-Po, en 2006 (voir la vidéo à 7’). En 2009, c'est Axel Loustau qui assure la protection de Dieudonné, lors d’une manifestation de soutien à Gaza, comme on le voit sur ces images.

Alain Soral et Frédéric Chatillon à la fin des années 2000. Photo postée sur le Facebook d'Alain Soral.Alain Soral et Frédéric Chatillon à la fin des années 2000. Photo postée sur le Facebook d'Alain Soral.

Soutien du régime syrien, l'ex-président du GUD s’est rendu en Syrie et au Liban avec Dieudonné et Soral en août 2006 (voir les photos de REFLEXes). Encore aujourd'hui, le tandem Chatillon-Loustau soutient implicitement Soral en relayant sur Internet les attaques visant Aymeric Chauprade, le conseiller international de Marine Le Pen, en conflit ouvert avec le polémiste.

Leur ami Minh Tran Long précise lui qu'il n'a « pas pris part à ces élucubrations » évoquées par Mediapart. « S'ils (Frédéric Chatillon et Axel Loustau, ndlr) sont mis en cause, cela les regarde, mais je ne supporterai pas les amalgames à deux balles. » Ancien de la FANE, organisation néonazie, Minh Tran Long « ne regrette rien » de son militantisme, mais le considère comme « passé » et « derrière (lui) ».

Ces photos montrant Axel Loustau en train de faire un salut fasciste relancent en tout cas la question de l’antisémitisme au Front national. Marine Le Pen, arrivée en 2011 à la tête du parti, a plusieurs fois pris ses distances avec les propos polémiques de son père. Jean-Marie Le Pen s’est illustré par ses propos antisémites (sur les chambres à gaz qualifiées, encore en 2009, de « détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », sur un ministre surnommé en 1987 « M. Durafour-Crématoire » ou, en juin, sur la « fournée » et Patrick Bruel).

En 2008, devant le tollé, Marine Le Pen explique qu’elle « ne partage pas sur ces événements la même vision que (s)on père ». L'année suivante, elle indique qu’elle « ne pense pas » que les chambres à gaz « soient un détail de l'Histoire ». En 2011, après son intronisation, elle déclare au Point : « Tout le monde sait ce qui s'est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s'y est passé est le summum de la barbarie. »

Frédéric Chatillon accompagnant Marine Le Pen lors de sa visite en Italie, en octobre 2011.Frédéric Chatillon accompagnant Marine Le Pen lors de sa visite en Italie, en octobre 2011. © Capture d'écran d'un documentaire de Canal Plus.

Néanmoins, Marine Le Pen n’a jamais retiré à son père son titre de président d’honneur du Front national, ni condamné sur le fond ses propos antisémites. Lorsque, en septembre 2013, un futur candidat frontiste aux municipales dans le Nord poste sur Facebook des publications antisémites, la patronne du FN ne le suspend qu’après qu’un député UMP a médiatisé l'affaire.

Surtout, Marine Le Pen continue de faire travailler et de confier les finances de son micro-parti à ce noyau d’anciens du GUD mené par Frédéric Chatillon. Dès 2007, lorsqu’elle dirige la campagne présidentielle de son père, elle s’« appuy(e) sur des personnes de l’extérieur et non sur les cadres maison », rapporte Valérie Igounet, spécialiste de l'extrême droite et du négationnisme, dans sa très documentée Histoire du Front national (Seuil, 2014). L'historienne cite « l’avocat Philippe Péninque, "figure de la droite extrême" et ami de Marine Le Pen », « Frédéric Chatillon, Alain Soral » qui seront « les vrais instigateurs de la campagne "à contre flots" (titre que Marine Le Pen a donné à son livre en 2006, ndlr) ».

« Depuis son accession à la présidence, et bien qu’elle s’en défende, Marine Le Pen préserve des contacts avec l’extrême droite traditionnelle, conclut la chercheuse dans son livre, en évoquant « son ami Frédéric Chatillon », qui « reste en relation avec des néofascistes et la mouvance négationniste de Dieudonné M’Bala M’Bala ».

Louis Aliot, numéro deux du FN, avait expliqué dans un entretien avec l'historienne que « la dédiabolisation (du FN, ndlr) ne porte que sur l’antisémitisme » car « c’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous ». En 2013, la direction du FN a de nouveau demandé à ses candidats de « respect(er) la ligne politique du parti » et de ne « pas se laisser aller à des délires personnels ou idéologiques ».

Et pourtant. Une étude de la Fondation pour l'innovation politique (FondaPol), proche de l'UMP, publiée le 14 novembre, démontre que l'antisémitisme reste fort au Front national. Ce que confirme L'Express, qui a exhumé le 18 novembre des publications antisémites de responsables et ex-candidats frontistes, dont des propos sur les juifs tenus en 2013 sur Facebook par le conseiller économique de Marine Le Pen, Bruno Lemaire. « Il n'est pas contraire à la réalité de penser que le lien des juifs aux puissances financières est une vérité historique – et encore actuelle – mais que la persécution qu'ils ont subie au XXe siècle est là encore une vérité historique », avait-il notamment écrit. Le conseiller a dénoncé un « mauvais procès », tout en justifiant : « C'est peut-être maladroit, mais je pense que c'est important de dire les choses telles qu'elles sont. »

BOITE NOIRE« Violences d'extrême droite : le retour », une enquête de Thierry Vincent, journaliste indépendant et ancien rédacteur en chef adjoint de Spécial Investigation. Diffusion le 24 novembre à 22 h 50 sur Canal Plus, dans Spécial InvestigationProduction Antipode, 52 min.

Sollicitée le 18 novembre par l'intermédiaire de son chef de cabinet Philippe Martel, Marine Le Pen a fait savoir qu'elle « ne souhait(ait) pas réagir à (notre) article ». Sollicité sur son portable et par mail, Olivier Duguet n'a pas répondu. De leur côté, Frédéric Chatillon et Axel Loustau, à qui nous avons transmis une liste de questions détaillées, ont répondu par l'envoi de deux « mises en demeure » de leurs avocats, que nous publions :

« Madame,
Je vous écris en qualité de conseil de Monsieur Frédéric CHATILLON qui vient de me transmettre le courriel que vous lui avez adressé le 18 novembre 2014 à 22 heures 24.
Les allégations évoquées dans le courriel susvisé étant de nature purement diffamatoires et portant gravement atteintes à l'honneur ainsi qu'à la réputation de mon client, ce dernier me charge de vous indiquer que si par extraordinaire vous publiez l'article envisagé, il engagera sans délai une procédure pour diffamation tant à votre encontre qu'à l'encontre du directeur de MEDIAPART sur le fondement de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 puis si nécessaire à l'encontre de CANAL PLUS.
Je reste donc dans l'attente de vous lire à cet égard étant précisé que conformément à mes règles déontologiques, vous pouvez remettre une copie du présent courriel à votre conseil habituel afin qu'il prenne attache avec mon cabinet.
Je vous prie de croire, Madame, en l'assurance de ma parfaite considération.
DGNP AARPI
Avocats au Barreau de Paris
Maître Philippe de LA GATINAIS »

« Madame,
Il a été porté à la connaissance de mon client, Monsieur Axel LOUSTAU, un projet d’article dans lequel il serait cité et certaines photographies relatives à sa vie privée diffusées.
Les allégations évoquées dans cet article sont contestées par mon client et manifestement diffamatoires. Elles constituent en outre une atteinte à la vie privée.
Ce dernier me charge de vous indiquer que si par extraordinaire vous publiez l'article envisagé je saisirai immédiatement les juridictions compétentes pour diffamation et violation de la vie privée.
Je reste donc dans l'attente de vous lire et vous remercie de m’indiquer conformément à mes règles déontologiques les coordonnées de votre avocat afin qu'il prenne attache avec mon cabinet.
Je vous prie de croire, Madame, en l'assurance de mes sentiments distingués.
Frédéric Pichon »

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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MediaPorte : « Et j'entends siffler le nain »

Audience décisive sur l'arbitrage Tapie mardi à Paris

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Dans l’interminable histoire du scandale Tapie, qui dure depuis bientôt vingt-cinq ans, ce 25 novembre 2014 devrait être une journée historique : c’est en effet ce mardi que la cour d’appel de Paris examine le recours en révision engagé par les structures publiques concernées contre le célèbre arbitrage au terme duquel une sentence avait été rendue, le 7 juillet 2008, allouant 405 millions d’euros à Bernard Tapie. Au terme de l’arrêt de cette juridiction, qui devrait sans doute être rendu au début du mois de janvier 2015, l’homme d’affaires pourrait donc être condamné à rendre le magot qu’il a perçu indûment. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’État va récupérer le pactole, qui a été prélevé sur fonds publics.

Dans le maquis complexe des poursuites judiciaires qui ont été engagées depuis que des soupçons de fraude pèsent sur l’arbitrage, on finit certes par se perdre. Il y a d’abord une procédure qui vise l’ex-ministre des finances, Christine Lagarde, actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) : elle a été mise en examen par les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR) pour « négligences » ayant pu conduire à un détournement de fonds publics. Il y a aussi une information judiciaire qui est ouverte depuis septembre 2012 et au cours de laquelle ont été mises en examen pour « escroquerie en bande organisée » une ribambelle de personnalités, dont Bernard Tapie lui-même ; son avocat Me Maurice Lantourne ; l’un des arbitres Pierre Estoup, ancien président de la cour d'appel de Versailles ; l’ancien directeur de cabinet de la ministre des finances, Stéphane Richard, devenu dans l’intervalle patron du groupe Orange ; Jean-François Rocchi, l’ancien président du Consortium de réalisation (CDR), la structure publique de défaisance dans laquelle ont été cantonnés en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais ; et plus récemment, l’ancien haut fonctionnaire Bernard Scemama, qui a présidé l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), lequel établissement public était l’actionnaire à 100 % du CDR.

Les mêmes deux hauts fonctionnaires Jean-François Rocchi et Bernard Scemama, ainsi que Stéphane Richard, sont par ailleurs renvoyés devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Et enfin Frank Mordaq, le comptable public de l’EPFR, qui a fait deux virements au profit de Bernard Tapie (152 et 116 millions d'euros) : il a déjà été jugé par la Cour des comptes, sur des présomptions d’irrégularités, mais les magistrats ont décidé un sursis partiel à statuer, dans l’attente de la décision que prendra la cour d’appel de Paris.

Car précisément, en plus de toutes ces procédures, il y en a donc une autre qui est engagée par l’État (en clair par l’EPFR et le CDR) au plan civil, pour tenter de récupérer les sommes qui ont été allouées à Bernard Tapie. C’est cette procédure qui arrive ce mardi devant la cour d’appel, qui va devoir décider si l’arbitrage a été ou non irrégulier. On comprend donc qu’il s’agit pour l’État comme pour Bernard Tapie d’une échéance décisive.

Certes, comme à son habitude, Bernard Tapie joue les flambeurs, et dit à qui veut l’entendre que l’État est bien loin d’être dans son droit et plus loin encore de récupérer sa mise. Il fait en effet valoir que l’arbitrage qui a fait sa fortune est un arbitrage international, au motif notamment que Adidas, au cœur de la confrontation judiciaire, est une entreprise allemande : il a donc engagé une procédure parallèle devant le tribunal de commerce de Paris, car dans ce cas c’est cette juridiction qui est compétente, et il lui revient, s’il est établi que l’arbitrage a été entaché d’irrégularités, de reconstituer un tribunal arbitral, soit le même si c’est possible, soit un nouveau si cela ne l’est pas – notamment parce que l’une des irrégularités serait imputable à l’un des premiers arbitres.

Mais en vérité, tous les juristes consultés par Mediapart donnent bien peu de chances d'aboutir à la tentative de Bernard Tapie de reconstituer un tribunal d’arbitres. Car mettant face à face d’un côté Bernard Tapie, de l’autre le CDR et l’EPFR, qui sont deux structures françaises, l’arbitrage initial était à l’évidence un arbitrage interne. Et dans ce cas, c’est donc bel et bien la cour d’appel qui est compétente, d’abord pour examiner le recours en révision et ensuite pour juger l’affaire sur le fond, c’est-à-dire condamner ou non Bernard Tapie à rendre son magot.

L’issue de cette confrontation judiciaire semble donc désormais assez peu incertaine – et c’est pour cela que l’audience de ce mardi devant la cour d’appel apparaît comme décisive : l’État est sans doute une bonne fois pour toutes en train de gagner sa confrontation judiciaire. Et cela n’aura pas été sans mal. D’abord parce que, sous le précédent quinquennat, Nicolas Sarkozy et ses plus proches collaborateurs auront tout fait pour entraver le cours de la justice, alors que l’État, au lendemain d’un arrêt de la Cour de cassation en octobre 2006, était déjà à deux doigts de l’emporter. Ensuite parce que depuis l’alternance, les dirigeants socialistes ont eux-mêmes, volontairement ou non, multiplié des maladresses pour le moins stupéfiantes. Ainsi l’éphémère et maladroit ex-ministre des finances, Pierre Moscovici, a-t-il fait une déclaration tonitruante, la veille de l’audition de Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République, assurant que la France apporterait toujours quoi qu’il arrive son soutien à la patronne du FMI – ce qui constituait une invraisemblable pression sur les magistrats.

Et si l’État a renouvelé beaucoup des avocats qui le conseillaient (si mal et si onéreusement !) lors de l’arbitrage, le CDR a pourtant gardé l’un de ses conseils, Me Jean-Pierre Martel. Et ce choix est pour le moins surprenant. D’abord parce que l’avocat en question a commis de nombreuses erreurs en 2007-2008, qui ont contribué à faire perdre l’État face à Bernard Tapie. Et puis le même avocat a commis une autre erreur magistrale, en engageant un recours en annulation de l’arbitrage (c’est une procédure légèrement différente du recours en révision), alors que les meilleurs experts, parmi lesquels le grand spécialiste du droit de l’arbitrage, le professeur Thomas Clay, assuraient que le recours serait hors délai. Or, c’est exactement ce qui est advenu : ce premier recours en annulation a été rejeté par la cour d’appel en avril dernier pour la raison que le professeur Clay avait pronostiquée à l’avance. En clair, Me Martel a fait perdre une bonne année à l’État.

Mais cette fois, le nouveau recours semble avoir beaucoup plus de chances de porter ses fruits. C’est l’avis de la plupart des experts : Bernard Tapie a désormais de très bonnes probabilités d’être condamné à rembourser les sommes qu’il a indûment perçues. C’est donc ce qui va se jouer ce mardi devant la cour d’appel de Paris. Mais une chose est que Bernard Tapie soit condamnée au civil – avant un éventuel renvoi au pénal devant un tribunal correctionnel – à rendre son magot ; autre chose est que l’État puisse le récupérer vraiment. Car si par précaution, les magistrats instructeurs ont placé sous séquestre une partie des biens de Bernard Tapie qu’ils ont pu identifier, ils savent que la « traçabilité » de sa fortune est encore bien loin d’avoir été établie. En particulier, ils ont la présomption qu’une partie des sommes perçues sont parties vers Hong Kong, qui est devenue l’une des places financières les plus réputées dans le gotha des gens ultra-riches, depuis que la Suisse est devenu un pays (relativement) coopératif. Car, coopérative, la place de Hong Kong ne l’est pas du tout.

L’interminable feuilleton Tapie – on peut retrouver ici les quelque 300 enquêtes que nous lui avons déjà consacrées – est encore bien loin d’être terminé…

Pour quiconque voudrait se remémorer le cœur du scandale, on peut aussi visionner ci-dessous "l'édito vidéo" que Mediapart lui avait consacré dès le 16 octobre 2008 :

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Affaire Arif : le contrat qui embarrasse l'Elysée et Matignon

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Kader Arif viré du gouvernement, la « République exemplaire » aurait-elle triomphé ? À voir. Vendredi 21 novembre, plusieurs voix au PS s'étaient empressées de saluer la démission du secrétaire d'État aux anciens combattants, après les révélations de Mediapart sur une perquisition au ministère de la défense. « Il y a aujourd'hui une exigence renforcée de transparence portée par le président de la République, se félicitait ainsi sur France Info une des porte-parole du PS, Juliette Méadel. Au moindre soupçon, et dès qu'il y a une mise en cause judiciaire, il y a démission. Dès lors qu'on fait de la politique et qu'on est mis en question dans une affaire, non seulement ça se sait rapidement, mais surtout, ce n'est plus possible de continuer. »

Jeudi, Mediapart expliquait (lire notre article) qu'une perquisition avait eu lieu le 6 novembre dernier au ministère de la défense dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte en septembre à Toulouse sur les activités de sociétés de proches de Kader Arif. Cette investigation a depuis été confiée au parquet national financier (PNF), spécialisé dans la lutte contre la délinquance financière et la fraude fiscale, créé dans la foulée de l'affaire Cahuzac.

Vingt-quatre heures après nos révélations, vendredi, vers midi, le ministre démissionnait. Avant d'être mis en examen. Avant qu'un juge n'ait été désigné. Une sortie express.

Kader Arif, un très proche de François Hollande, inamovible secrétaire d'État aux anciens combattants depuis mai 2012, a justifié sa démission par le fait que son « nom est cité dans le cadre d’une enquête préliminaire ». Un argument repris par l'Élysée, qui a dit avoir accepté cette démission pour que Kader Arif puisse « apporter toutes les précisions visant à l’établissement de la vérité dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le parquet financier dans laquelle son nom est cité ». Une nouvelle jurisprudence semble alors avoir vu le jour : sitôt inquiété par la justice, un ministre sera désormais remercié. Voilà qui tranche pour le moins avec les atermoiements de l'exécutif dans les affaires Cahuzac ou Thévenoud.

Fin de l'histoire ? Pas sûr. Trois jours plus tard, cette lecture idyllique est mise en doute. Ce lundi, le ministère de la défense (qui exerce la tutelle sur le secrétariat d'État aux anciens combattants) a assuré à Mediapart que Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense, puis très vite François Hollande et Manuel Valls, ont appris, dès le mois d'août, l'existence d'un contrat signé en 2013 entre Kader Arif, alors au gouvernement, et une société détenue par des membres de sa famille.

Si l'on en croit ces affirmations, Kader Arif serait donc resté en poste pendant trois mois, comme si de rien n'était, alors que ce contrat était connu du président et de son premier ministre et que de très forts soupçons de favoritisme pesaient contre lui. Au passage, il aurait menti en affirmant, le 10 septembre dernier, n'être « absolument pas concerné » par les enquêtes en cours. Tout comme Manuel Valls, qui avait alors assuré que son ministre n'était « en rien concerné » par les investigations de la justice.

Samedi, c'est Le Point qui a relancé l'affaire. « En perquisitionnant un service de la défense, les enquêteurs ont retrouvé une facture de 50 000 euros pour des prestations en faveur du secrétaire d'État », assurait le site internet de l'hebdomadaire. À en croire l'article, le ministère de la défense se serait aperçu dès le 22 août de l'existence d'un contrat datant de 2013, d'un montant de 50 000 euros (hors taxe), signé de gré à gré entre le secrétaire d'État et All Access, une société dont les deux associés sont les neveux de Kader Arif. Objectif de ce contrat : payer au ministre des séances de "media training".

François Hollande et Kader Arif, le 11 novembre, à Oyonnax.François Hollande et Kader Arif, le 11 novembre, à Oyonnax. © Reuters

Toujours selon lepoint.fr, sitôt ce contrat retrouvé dans les archives du Service parisien de soutien de l'administration centrale (SPAC), un service de 1 500 personnes notamment chargé des achats du ministère de la défense, le président de la République et Manuel Valls ont immédiatement été alertés par Jean-Yves Le Drian, qui fait lui aussi partie du cercle des fidèles de François Hollande. Ils auraient alors pris une curieuse décision. « Pour ne pas faire de “vagues”, il est prévu qu'Arif quittera ses fonctions après les différentes commémorations liées à la Première Guerre mondiale », écrit encore le journaliste, citant une “source proche de l'enquête”, sans plus de précision.

Ce week-end, Mediapart a eu vent de cette version des faits. Mais nous n'avons rien publié, faute de la moindre confirmation. Contacté par nos soins samedi matin, l'Élysée a continué de nous assurer que la démission de Kader Arif a été décidée « au cours des derniers jours », parce que le nom du ministre était cité dans l'enquête préliminaire. Ce matin-là, lorsque nous avons soumis à un proche du chef de l'État l'hypothèse d'une démission décidée de longue date au sommet de l'État, ce dernier nous a dit « ignore(r) » de tels faits. « Nous n'avons pas ces informations, mais cela ne semble ni probable ni cohérent », nous a-t-il dit alors.

Lundi 24 novembre, après avoir refusé de s'exprimer ce week-end, le ministère de la défense nous a pourtant confirmé la version du Point. « Nous avons procédé à un examen attentif des contrats du ministère de la défense le 22 août, raconte à Mediapart l'entourage de Jean-Yves Le Drian. Nous nous sommes aperçus qu'il y avait un contrat de 50 000 euros hors taxe conclu entre le secrétariat d'État aux anciens combattants et All Access. » Un contrat conclu de gré à gré, sans appel d'offres, qui a alors fait naître des soupçons de favoritisme – le ministère a refusé de nous communiquer le document.

« Le ministre l'a signalé immédiatement au président de la République, au premier ministre et à l'intéressé (Kader Arif – ndlr) lui-même », poursuit-on chez Le Drian. Hollande, Valls et Le Drian auraient alors pris la décision de se séparer de Kader Arif, mais pas avant le mois de novembre, date prévue de la fin des célébrations de la guerre de 1914. Au prétexte que c'est justement Arif qui était chargé de piloter cette succession de rendez-vous et de cérémonies commémoratives.

Autrement dit, si la Défense dit vrai, l'exécutif soupçonnait un cas de favoritisme, mais le ministre est quand même resté en place. Qu'en disent l'Élysée et Matignon ? À nouveau questionné lundi par Mediapart, l'Élysée n'a pas donné suite. Les proches de Manuel Valls ont refusé de répondre. « Merci de voir cela avec le ministère de la défense », nous a répondu Matignon, laconique. Quant à Kader Arif, nous l'avons contacté ce lundi sur son portable, mais il ne s'est pas manifesté.

Cette ronde mystérieuse au sommet de l'État ne laisse pas d'étonner. Pourquoi le ministère de la défense, dirigé par un “hollandais” historique proche du chef de l'État, confirme-t-il de tels faits, tandis que l'Élysée et Matignon se terrent dans le silence ? Le Drian était-il en désaccord avec la décision de conserver Arif à son poste en août ? No comment, répond son entourage. Souhaite-t-il se défendre alors que son ministère a dû avaliser un contrat douteux, éventuellement passé en dehors des règles de passation des marchés ? Veut-il protéger son administration, alors que le directeur du SPAC doit bientôt être entendu par la justice ? « L'ensemble des administrations concernées devront livrer à la justice les éléments dont elles disposent », se contente de nous répondre son ministère.

Autre interrogation : dans ce cas, pourquoi Kader Arif n'a-t-il pas quitté immédiatement le gouvernement sitôt le fameux contrat découvert ? Une occasion en or s'est pourtant présentée : le 25 août, trois jours après la découverte par le cabinet de la défense du fameux contrat, François Hollande et Manuel Valls décident de congédier du gouvernement Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et Benoît Hamon. Dans ce grand remue-ménage gouvernemental, pas grand monde n'aurait remarqué le départ d'Arif.

François Hollande souhaitait-il garder auprès de lui ce très proche, qui connaît par ailleurs tout de la “Hollandie” ? Outre le fameux contrat de 50 000 euros, l'enquête préliminaire concerne aussi des contrats passés depuis 2008 entre le conseil régional Midi-Pyrénées et AWF Music puis AWF, deux sociétés détenues par des parents de Kader Arif, figure du PS de Haute-Garonne. Liquidée en mai 2014 avec 275 000 euros de passif, AWF Music a notamment organisé des meetings lors des primaires socialistes et pendant la campagne présidentielle de François Hollande.

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La déchéance de nationalité va repasser devant le Conseil constitutionnel

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À l’heure où l’UMP et le FN demandent une extension des cas de déchéance de nationalité, le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer sur la constitutionnalité de la loi du 22 juillet 1996 qui a créé cette mesure pour les auteurs d’actes terroristes. Le Conseil d’État lui a en effet transmis le 31 octobre 2014 une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un détenu récemment déchu de sa nationalité française après avoir été condamné pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ce dernier estime que ce retrait de la nationalité est contraire au principe d’égalité consacré par la Constitution française.

Présenté lors de son interpellation comme « un des cerveaux d’Al-Qaïda au Maroc », Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi a été condamné le 22 mars 2013 par le tribunal correctionnel de Paris à sept ans de prison ferme et à cinq ans de privation de ses droits civils, civiques et familiaux. « Il lui est reproché d’avoir participé à des recrutements pour Al-Qaïda au Maroc, ainsi que des voyages en Afghanistan, mais aucun fait sur le sol français », affirme son avocat, Me Nurettin Meseci. Son client exécute aujourd’hui sa peine au centre pénitentiaire du Plessis Picard, dans le Val-de-Marne.

Marocain, Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi avait, selon son avocat, obtenu la nationalité française le 26 février 2003. Le 28 mai 2014, suite à sa condamnation, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve l’en a déchu par décret, après avis du Conseil d’État, comme le permet la loi en cas de condamnation pour acte terroriste. Le ministre de l’intérieur avait d’ailleurs fait allusion à son cas lors des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi antiterroriste, le 15 septembre. « J’ai pris, en mai dernier, des mesures pour qu’une procédure de déchéance soit engagée pour actes de terrorisme », avait-il dit sans plus de précision.

L’article 25 du Code civil prévoit quatre motifs de déchéance de nationalité :
– une condamnation pour un « crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ou pour « terrorisme » ;
– une condamnation pour un « crime ou délit prévu au chapitre 2 du titre III du livre IV du Code pénal » (espionnage, haute trahison militaire, etc.) ;
– s’être soustrait « aux obligations résultant pour lui du Code du service national » ;
– s'être « livré au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».
En 1998, le gouvernement Jospin avait abrogé un cinquième motif qui visait, depuis 1945, les personnes condamnées pour crime « à une peine d'au moins cinq années d'emprisonnement ».

Trois conditions sont nécessaires. La personne ne doit pas être née française, mais avoir été naturalisée. Elle doit posséder une autre nationalité, la Déclaration universelle des droits de l'homme interdisant de créer des apatrides. Enfin, les faits reprochés doivent s’être produits avant l'acquisition de la nationalité française ou moins de dix ans après. Et la déchéance « ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits ». Concernant les actes de terrorisme, ces deux délais ont été portés à quinze ans par la droite en 2006. C’est-à-dire qu’une personne, naturalisée en 2000, qui commet un acte terroriste en 2014, peut se voir enlever sa nationalité jusqu’en 2029.

« En réalité, la déchéance est une triple peine, car Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi est attendu de pied ferme au Maroc, qui demandera son extradition et où il encourt vingt ans d’emprisonnement pour les mêmes faits pour lesquels il a déjà été jugé en France », redoute Me Nurettin Meseci. C'est en effet le Maroc qui avait signalé les faits aux autorités françaises, entraînant en 2010 l'arrestation de Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi par l'ex-Direction centrale des renseignements intérieurs (DCRI).


Le détenu a déposé sa QPC à l’occasion d’un recours contre sa déchéance de nationalité devant le Conseil d’État. Il souligne que celle-ci porte atteinte au principe d’égalité consacré par la Constitution dans son premier article. Cet article définit la France comme une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».

Le 31 octobre, le Conseil d’État a estimé que cette QPC était suffisamment sérieuse et nouvelle pour être transmise au Conseil constitutionnel, même si ce dernier s'était déjà penché sur l'article 25 du Code civil au moment de l'adoption de la loi. Le 16 juillet 1996, saisi par des députés et sénateurs socialistes, le Conseil constitutionnel avait en effet examiné la perte de nationalité pour faits de terrorisme.

Dans cette décision, quelque peu contradictoire, le Conseil constitutionnel avait commencé par rappeler qu’« au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». Pour aussitôt justifier une différence de traitement entre Français de naissance et Français naturalisés, « eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme ». Il faut rappeler le contexte de cette décision, un an après la vague d’attentats qui frappa la France en 1995.

Mais le Conseil constitutionnel n’avait pas écrit noir sur blanc dans ses conclusions (le « dispositif » en termes juridiques) que cette mesure était conforme à la Constitution. Et depuis, les délais permettant de retirer la nationalité en cas d’acte terroriste ont été allongés à quinze ans. Pour ces raisons, le Conseil d’État a décidé, le 31 octobre 2014, que le Conseil constitutionnel pouvait à nouveau se pencher sur l’article 25 du Code civil. « Depuis le premier examen en 1996, il y a aussi eu l’entrée en vigueur de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité », précise Me Nurettin Meseci.

Il note également que le champ des infractions terroristes s’est considérablement élargi : création en 2003 du délit de non-justification de ressources d’une personne en relations habituelles avec une ou plusieurs terroristes ou encore, le 13 novembre 2014, du délit d’entreprise individuelle terroriste. « Aujourd’hui, si vous êtes incapable de justifier de vos revenus et que vous êtes en lien avec une personne condamnée pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste, vous êtes un terroriste », remarque l'avocat.

Au moment du vote de la loi antiterroriste du 22 juillet 1996, le ministre de l'intérieur n'était autre que l'actuel président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré… Me Nurettin Meseci a donc demandé sa récusation. « Le seul fait qu’un membre a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la QPC ne constitue pas à lui seul une cause de récusation », indique cependant le règlement intérieur du Conseil constitutionnel. Et lors des débats au Parlement, le projet de loi avait été porté par le garde des Sceaux Jacques Toubon (aujourd’hui Défenseur des droits), et non par Jean-Louis Debré.

La déchéance de nationalité est une procédure très rare. Questionné par des députés de l'UMP pour obtenir des chiffres, Bernard Cazeneuve avait succinctement répondu le 15 septembre 2014. « Au cours des dix dernières années, très peu de déchéances de la nationalité ont été prononcées, a-t-il indiqué. Lorsque vous étiez en situation de responsabilité, entre 2007 et 2011, il n’y en a pas eu du tout. Depuis 2012, une seule a été prononcée, mais pas pour des actes de terrorisme, puisque c’est de cela dont il s’agit aujourd’hui. Vous nous invitez à forcer l’allure : j’ai pris, en mai dernier, des mesures pour qu’une procédure de déchéance soit engagée pour actes de terrorisme. »

Selon le ministère de l'intérieur, 21 déchéances des nationalité ont été prononcées depuis 1990. De 1990 à 1999, les 13 retraits ont tous concerné des «personnes condamnées pour un acte qualifié de crime par les lois françaises à une peine d'au moins cinq années d'emprisonnement». Depuis 2000, seules 8 déchéances ont été prononcées, toutes suite à une condamnation pour acte de terrorisme.

Sur le site du Conseil d’État, une rapide recherche montre douze recours concernant des déchéances de nationalité depuis 1990, dont quatre pour actes de terrorisme. Toutes les décisions confirment le retrait, sauf dans le cas de M. Sahnouni oùles Conseil d'Etat ne s'est pas encore prononcé. Il a sursis à statuer dans l'attente de la réponse du Conseil constitutionnel.

Dans un article de 2010, Rue 89 citait le cas de Français arrêtés en 2001 et accusés de préparer un attentat contre l’ambassade des États-Unis à Paris. Parmi les six condamnés, les cinq naturalisés se verront retirer leur nationalité française et trois d’entre eux seront expulsés vers l’Algérie, selon le site d’information. L’un des membres du groupe, Kamel Daoudi, condamné à six ans d'emprisonnement, saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 3 décembre 2009, la CEDH jugea son expulsion vers l’Algérie contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit « la torture ou des peines ou traitements inhumains et dégradants ».

« Il est vraisemblable qu’en cas de renvoi vers l’Algérie, le requérant deviendrait une cible pour le DRS (services de sécurité  ndlr) », avait argumenté la Cour. « En Algérie, les personnes impliquées dans des faits de terrorisme sont arrêtées et détenues par les services de sécurité (DRS) de façon peu prévisible et sans base légale clairement établie, essentiellement afin d’être interrogées ou obtenir des renseignements et non dans un but uniquement judiciaire, avait rappelé la Cour. Selon ces sources, ces personnes, placées en détention sans contrôle des autorités judiciaires ni communication avec l’extérieur (avocat, médecin ou famille), peuvent être soumises à des mauvais traitements, y compris la torture. »

La question de la déchéance de nationalité est régulièrement agitée par la droite et l’extrême droite. L’UMP est d’ailleurs récemment revenue à la charge, inscrivant dans sa niche parlementaire une proposition de loi visant à déchoir de sa nationalité française « tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police ». Le vote aura lieu le 4 décembre à l’Assemblée nationale.

En 2010, lors du discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy avait souhaité que « toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un policier, d'un gendarme ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique » soit déchue de sa nationalité. À l'époque, Manuel Valls s’y était opposé, jugeant le « débat nauséabond et absurde ». « Des personnes qui sont françaises depuis moins de dix ans et qui tuent un policier doivent-elles perdre leur nationalité ? Posée comme ça, la question est caricaturale, est-ce que c’est ça qui empêchera les meurtres ? Non. Vous avez dans la loi la possibilité de déchoir ceux qui s’attaquent à l’autorité de la nation. Je crois qu’il faut en rester là. On rentre dans un débat nauséabond et absurde… où on essaye de faire croire qu’immigration et insécurité seraient liées. »

Quant au constitutionnaliste Guy Carcassonne, décédé depuis, il avait jugé le projet « inconstitutionnel, en vertu de l’article 1 de la Constitution, qui “assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion” ». « Faire une distinction entre les Français d’origine et ceux qui le sont devenus me paraît donc incompatible avec la Constitution, d’autant plus que le critère retenu n’est pas la gravité de l’infraction », tranchait Guy Carcassonne.

Le Conseil constitutionnel dispose désormais d'un délai de trois mois pour juger cette QPC. Mais au vu du contexte politique actuel de surenchère, un spécialiste du droit public interrogé juge peu probable une décision censurant la déchéance de nationalité. « Ce serait très courageux de la part du Conseil constitutionnel », souligne ce spécialiste.

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Les explications divergentes du FN sur son refus d'accréditer Mediapart et Le Petit Journal

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Le Front national a refusé d'accréditer Mediapart et « le Petit Journal » de Canal Plus à son congrès, qui se tiendra à Lyon les 29 et 30 novembre, comme l'a rapporté l'AFP lundi 24 novembre.

Voici l'email reçu par Mediapart lundi, où le parti explique ce refus à Mediapart :

Une source au FN a confirmé à l'AFP que Mediapart n’était pas accrédité, en justifiant : « Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde. » Pourtant, le site d'information Streetpress est, lui, parvenu à s'accréditer mardi (demande envoyée lundi), comme il l'a signalé en publiant la confirmation reçue du directeur du service de presse du FN, Alain Vizier :

Le vice-président du FN, Florian Philippot, a donné une tout autre explication de ce refus d'accréditer les deux médias, lundi soir, sur i-Télé : « Ce n'est pas nouveau... On accepte au congrès du Front national les militants du Front national et les médias, on n'accepte pas les militants des autres partis. Ce sont des militants, il faut l'assumer. En tout cas, ce sont des militants anti-Front national (... ) Ce ne sont pas des médias, ce ne sont pas des journalistes. »

Sur Twitter, il a ensuite ironisé sur ce refus, expliquant que notre journaliste « pourra profiter d'un agréable week-end de congés ».

La présidente du FN, elle, livre encore une autre explication : sur Twitter, lundi soir, elle se défend de vouloir écarter certains médias, tout en évoquant des « médias hostiles », parmi lesquels elle place l'Agence France-Presse (AFP) :

De son côté, Éric Domard, son conseiller spécial et conseiller aux sports, par ailleurs membre du bureau politique du parti, évoque ceci :

 

« On fera comme d'habitude. On parlera quand même du congrès du Front national lundi dans Le Petit Journal », a commenté lundi soir Yann Barthès, qui présente « le Petit Journal ».

« Par nos enquêtes, tant sur les liens de Marine Le Pen avec les ultras de l’extrême droite qu’avec nos révélations sur le financement du FN par une banque russe, on vient gêner la grande entreprise de communication de Marine Le Pen », a réagi François Bonnet, le directeur éditorial de Mediapart, interrogé lundi soir par l'AFP, regrettant que l’accès de notre média à des rendez-vous FN ait été refusé « trois fois en un an ».

Le Front national refuse régulièrement à Canal Plus et Mediapart l’accès à ses événements. La chaîne – et notamment « le Petit Journal » –, ont cassé plusieurs plans com’ de Marine Le Pen. Lors de la campagne municipale par exemple, les équipes de Yann Barthès n'ont pu accéder à une conférence de presse du candidat FN aux municipales d'Avignon, entraînant un boycott général des journalistes qui, ce jour-là, a contraint le FN à revenir sur sa décision. Même exclusion quelques semaines plus tard, lors d'un discours de Marine Le Pen pour ses vœux à la presse. La présidente du mouvement avait alors expliqué que « certains médias sont dans un combat politique, ils en assument les conséquences ».

Depuis la campagne de 2012, les journalistes de Mediapart sont systématiquement refoulés des événements du Front national, une date qui correspond également à une accélération de notre travail d'enquête sur le sujet. À la convention du FN à Lille, en février 2012 (lire notre article; au meeting du Zénith, à Paris, en mars 2012 ; en avril 2014, lors d’une réunion militante d’Aymeric Chauprade, puis lors d’une conférence de presse de Marine Le Pen sur les européennes – malgré l’invitation de notre journaliste par le directeur de communication du candidat Chauprade (lire l’article du figaro.fr).

En septembre, Mediapart avait pu accéder normalement à l’Université d’été des jeunes FN à Fréjus, le samedi matin, avant de s’en voir refuser l’accès dans l’après-midi. En conséquence, plusieurs journalistes (dont l'AFP, Le Monde, L’Opinion, L’Humanité, Le Ravi, Le Canard enchaîné, RFI) avaient décidé de boycotter les travaux de l’après-midi.

Outre Canal Plus et Mediapart, le Front national refuse aussi ponctuellement l'accès à ses événements à d'autres journalistes, notamment dans ses villes : exemples avec France Info et L'Express à Fréjus ; Le Ravi au Pontet, ou encore un photographe de l'AFP, qui n'avait pas reçu l'aval de la direction du FN pour assister à une conférence de presse, en décembre 2012.

En mai dernier, Aymeric Chauprade, conseiller international de Marine Le Pen, avait diffusé un communiqué ciblant violemment notre confrère de l'AFP après un article qui lui avait déplu. Il y qualifiait le journaliste de « petit Vychinski » et « (se) demand(ait) ce qu’il aurait pu être à d’autres heures bien plus sombres de notre histoire… ».

Après l'éviction de Mediapart de l'université du FNJ, en septembre, Marine Le Pen avait expliqué : « Mediapart a organisé toute une série de débats pendant la présidentielle. Ils ont dit clairement dans un texte : "Nous inviterons tous les candidats à la présidentielle sauf Marine Le Pen." S’ils invitent tout le monde sauf moi, moi j’invite tous les journalistes sauf Mediapart (...). En faisant ça, Mediapart rompt avec la déontologie journalistique. » « Marine Le Pen n’a toujours pas compris qu’en démocratie une presse est libre et doit être autorisée à couvrir les partis avec les choix éditoriaux des médias et non les siens », a rappelé François Bonnet lundi. De fait, Mediapart avait invité pendant la campagne présidentielle quatre candidats en tout et pour tout, représentant « l'alternance démocratique et sociale » (titre de notre émission live).

Wallerand de Saint-Just, l'avocat du FN, a précisé à l'AFP que le parti ou ses dirigeants avaient depuis la création de Mediapart engagé « deux ou trois plaintes » contre notre site d’information. Me Emmanuel Tordjman, l'avocat de Mediapart, a précisé à l’AFP n’avoir connaissance que de deux plaintes. La première était une plainte du FN contre un « billet de blog mis en ligne par Mediapart, gagnée en septembre 2012 » par Mediapart. La seconde, engagée par Marine Le Pen et son compagnon Louis Aliot pour diffamation à cause d’un article qui accusait la présidente du parti de « conflit d’intérêts » au Parlement européen, a été perdue le 13 novembre par les deux dirigeants frontistes, qui peuvent faire appel.

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La probable mais chaotique révision de l’arbitrage Tapie

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L’histoire du scandale Tapie approche de son dénouement. Au moins au plan civil, sinon au plan pénal. Car si les juges d’instruction qui enquêtent sur l’arbitrage et l’éventuelle escroquerie en bande organisée à laquelle il aurait pu donner lieu, allouant 405 millions d’euros à Bernard Tapie, n’ont pas encore tout à fait fini leurs investigations, la cour d’appel de Paris a examiné, elle, le volet civil de l’affaire, ce mardi 25 novembre. Saisie d’un recours en révision, elle a entendu toutes les parties et a mis son arrêt en délibéré au 17 février. C’est donc à cette date que l’on saura si le célèbre arbitrage est finalement cassé et si Bernard Tapie aura à rendre l’argent qu’il a perçu sans doute de manière indue.

En fait, comme nous l’avons expliqué à la veille de l’audience (lire : Audience décisive sur l’arbitrage Tapie mardi à Paris), il est désormais très probable que la cour d’appel de Paris accède à la demande du Consortium de réalisation (CDR, la structure publique qui est en confrontation judiciaire avec Bernard Tapie), à l’origine du recours en révision. En clair, le 17 février 2015, Bernard Tapie pourrait tout perdre et devoir bientôt rendre le magot que les arbitres lui avaient alloué.

Mais, si c’est bel et bien le dénouement qui se dessine en début d’année prochaine, il faudra admettre que l’État n’aura pas gagné facilement. Et même qu’il n’aura eu de cesse que de se tirer des balles dans le pied. Comme s’il avait trop souvent eu envie de perdre.

D’abord, un premier constat saute aux yeux. Cette idée d’un recours en révision, cela fait très longtemps qu’elle est sur la table, mais pendant aussi longtemps, personne n’a voulu y prêter attention. Pour être précis, c’est le 10 septembre 2008 que l’idée est évoquée la première fois. On la doit à Thomas Clay, le grand spécialiste français de l’arbitrage, qui est entendu ce jour-là par la commission des finances de l’Assemblée nationale. En réponse aux députés qui cherchent à comprendre comment Bernard Tapie a pu, deux mois plus tôt, percevoir un magot aussi colossal, le professeur de droit explique, comme on peut le voir avec la vidéo ci-dessous, que parmi plusieurs pistes de recours possibles, une doit être privilégiée.

Au cours de son audition (que l’on peut télécharger dans sa version intégrale ici), le spécialiste de l’arbitrage explique en particulier ceci : « La dernière modalité de recours possible est le recours en révision, exorbitant du droit commun et très exceptionnel. Il est prévu par l’article 1491 du Code de procédure pénale, qui le rend possible si un fait nouveau montre que la sentence n’a pas été rendue dans les conditions où l’on croit qu’elle a été rendue. Quatre conditions sont nécessaires : qu’il n’y ait plus de recours ordinaire possible ; que le fait litigieux soit apparu postérieurement à la forclusion du délai de recours en annulation ; qu’il soit intenté uniquement par les parties à l’instance, pendant un délai de deux mois après la découverte du fait nouveau ; que le fait soit grave – fraude, dissimulation d’une pièce décisive, production d’une pièce fausse ou formulation d’une fausse déclaration. J’insiste sur cette possibilité de recours au cas où un fait nouveau apparaîtrait prochainement. »

Or, ce qu’il y a de stupéfiant, c’est que l’arbitrage Tapie s’est précisément avéré dans les mois suivants être le cas type décrit par le professeur de droit, puisque très tôt, des présomptions de fraude ont pesé sur l’arbitrage. Mais, pourtant, il aura fallu attendre plus… de six ans – et une quantité de manœuvres, de couacs – pour que la proposition de Thomas Clay finisse par être prise en compte. Cette audience du 25 novembre – à laquelle il a assisté sur les bancs du public –, c’est donc un peu aussi sa victoire personnelle.

Mais cet invraisemblable délai avant que l’État ne se décide à introduire un recours en révision n’est pas la seule balle qu’il s’est tirée dans le pied. L’audience de ce 25 novembre a, elle-même, pris en certains moments une étrange tournure.

De manière parfaitement inexplicable, le ministère des finances n’a en effet pas fait pression sur le CDR, au lendemain de l’élection présidentielle, pour qu’il change d’avocats et mette sur la touche ceux qui avaient une part de responsabilité dans la débâcle de l’arbitrage. En particulier, le CDR a gardé pour avocat Me Jean-Pierre Martel, dont nous avons pointé les nombreuses erreurs dans plusieurs enquêtes (lire notamment Audience décisive sur l’arbitrage Tapie mardi à Paris ou encore Affaire Tapie : Guéant convoqué, les avocats de l’Etat confrontés).

Les avocats de Bernard Tapie, dont plusieurs ne manquent vraiment pas de talent, s’en sont donc donné à cœur joie tout au long de l’audience, pilonnant Me Jean-Pierre Martel, mais aussi un professeur de droit, Charles Jarrosson, qu’il a consulté, mettant en cause implicitement leur déontologie.

Me Jean-Georges Betto s'est ainsi délecté à sortir des documents montrant le rôle antérieur de Jean-Pierre Martel dans le dossier. Et notamment un document dans lequel il a écrit qu'il était défavorable au recours. Pour l'avocat en charge du… recours, cela fait désordre.

Mais c'est à l'égard d'un professeur de droit consulté par le CDR, le professeur Charles Jarrosson, professeur à l'Université Paris 2, qu'ont été portés les coups les plus rudes, d'un point de vue déontologique. Ils ont fait d'autant plus mal qu'ils étaient portés par un des avocats de Bernard Tapie, Christophe Seraglini, lui-même professeur de droit. On était donc là entre collègues, spécialistes de droit de l'arbitrage. Or Christophe Seraglini a montré que le professeur Charles Jarrosson avait publié un article récent, dans un ouvrage collectif (Mélanges en l'honneur du professeur Bernard Audit, Lextenso, 2014), qui défendait de manière prétendument neutre une question importante du dossier Tapie, à savoir la compétence de la cour d'appel, objet de l'audience de ce 25 novembre.

Cet article a été utilisé par Jean-Pierre Martel dans ses conclusions et encore durant l'audience. Or, le professeur Seraglini n'a eu qu'à rappeler que le professeur Christophe Jarrosson a été consulté à plusieurs reprises par le CDR (en clair : payé pour donner son avis). Il est notamment celui qui, le 11 novembre 2008, avait déconseillé de récuser Pierre Estoup alors qu'il était encore temps de faire casser l’arbitrage, puisqu’il n’était pas encore achevé.

Mais surtout, en rappelant cela, Christophe Seraglini a disqualifié l'article récent de Charles Jarrosson, dont il a montré que c'était une œuvre de commande inavouée. Outre que cela en dit long sur la déontologie personnelle des acteurs de la défense du CDR (en principe, un professeur de droit n'écrit pas sur des sujets qui favorisent des dossiers pour lesquels il est par ailleurs rémunéré, ou bien il le mentionne dans l'article), mais cela a surtout ruiné la défense du CDR sur ce point.

En bref, la stratégie judiciaire de l’État, même depuis que les socialistes en ont pris les commandes, est apparue soudainement, en pleine audience, stupéfiante.

Le même Jean-Pierre Martel a, de plus, été hors sujet tout au long de sa plaidoirie, parlant très longuement du fond de l’affaire, alors qu’il s’agissait de justifier la pertinence juridique de la révision de l’arbitrage. Les conseils de Bernard Tapie, eux, n’ont pas commis cette erreur, s’appliquant à essayer de démontrer que l’arbitrage était de nature internationale et que la cour d’appel n’était donc pas compétente pour examiner le recours.

Pourtant, les faits sont têtus, et les si nombreuses maladresses de l’État et tout particulièrement du CDR – maladresses qui finissent par devenir suspectes – n’y changeront sans doute rien : l’arbitrage a été émaillé de fraudes si nombreuses que sa révision sera sans doute inéluctable. C’est ce qu’a suggéré le propos du représentant du parquet. Soulignant qu’il s’agissait « d’un arbitrage interne », et non pas international, il a fait valoir que du même coup, c’était bel et bien la cour d’appel qui était compétente et pas un nouveau tribunal arbitral. Insistant sur le fait que l’un des trois arbitres, Pierre Estoup, avait « joué un rôle moteur, déterminant dans cet arbitrage » et qu’il n’avait pas tout « révélé » de ses liens avec le clan Tapie, il a conclu : « Donc, la fraude civile est démontrée. »

Au terme de six heures d'audience, le président de la première chambre de la cour d'appel de Paris a indiqué que l’arrêt sera rendu le 17 février 2015.

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UMP: dans les coulisses de la petite entreprise de Bruno Le Maire

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Un matin de novembre 2013, dans une salle de réunion du sous-sol de l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire est en train de discuter avec la poignée de fidèles parlementaires qu’il réunit tous les mercredis, quand la porte s’ouvre brusquement. Surgit Dominique de Villepin qui fonce tout droit vers son ancien directeur de cabinet à Matignon. « Vu l’état de la droite, il n’y a pas cinquante solutions : il faut faire un putsch ! », lâche l’ex-premier ministre, avant de tourner les talons et de quitter la salle aussi rapidement qu’il y était entré.

Bruno Le Maire en meeting à Nice, le 24 novembre.Bruno Le Maire en meeting à Nice, le 24 novembre. © Reuters

« Une vraie tornade, on se serait cru face à Taillard de Vorms (le personnage de la bande dessinée Quai d’Orsay, inspiré de Villepin – ndlr) », s’amuse encore, un an plus tard, l’un des élus présents ce jour-là. L’épisode fait aussi sourire Bruno Le Maire, mais deux secondes seulement, car avec lui, le premier degré l’emporte toujours. « Ce n’est pas mon caractère de faire un putsch. Le pouvoir ne se donne jamais, il doit se prendre dans de bonnes conditions », commente le député de l’Eure qui a fait de l’adjectif “sérieux” l’un de ses mots préférés. Pas de putsch donc, mais une volonté clairement affichée de s’inscrire dans un temps long, celui de la réflexion. « Je suis rigoureux et méthodique », ajoute-t-il, comme pour mieux se démarquer de Nicolas Sarkozy, de son impatience et de sa nervosité légendaires.

Bruno Le Maire veut apparaître comme un candidat sérieux, ce qui a le don d'agacer son principal adversaire à la présidence de l'UMP. Pas un jour ne passe sans que sorte un “off” de l’ex-chef de l’État sur ce « connard qu’(il a) fait ministre » et qu’il taxe en privé de « Bac +18 ». L’ancien ministre de l’agriculture fait mine de se moquer de ces petites phrases assassines. Mais comme tout un chacun, il sait qu’elles dénotent la fébrilité qui gagne le camp sarkozyste depuis le retour fiasco de leur champion. Et il ne peut que s’en réjouir. Alors que la campagne-naufrage de l’ancien président ne trouve grâce qu’aux yeux de l’hebdomadaire ultra-conservateur Valeurs actuelles, celle de Bruno Le Maire rencontre en revanche un certain succès. « Le candidat des médias », raille-t-on du côté de la concurrence pour minimiser l’audience grandissante de celui qui se fait désormais surnommer “BLM”.

Depuis l’annonce de sa candidature le 11 juin, l’ancien bras droit de Villepin ne cesse de répéter qu’il créera « la surprise » le 29 novembre, date du premier tour de l'élection interne à la présidence de l'UMP. En vérité, il peut s’enorgueillir d’avoir déjà surpris tous ceux qui, à droite, lui prédisaient au mieux un rôle de figurant aux côtés de l’ex-chef de l’État. Certes, le « tsunami » Sarkozy qu'annonçaient les soutiens de ce dernier s’est finalement révélé être une petite vaguelette et la confiance de Bruno Le Maire s'en est trouvée renforcée. Mais comment expliquer qu’un ancien second couteau du gouvernement Fillon, que l’on présentait il y a encore quelque temps comme un énarque coincé au « charisme d’huître », ait pu si rapidement s’imposer dans le débat et remplir des salles de meeting entières ? Précisément parce que la mutation ne fut pas rapide.

Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire.Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire. © Reuters

La campagne BLM n’a pas commencé il y a cinq mois, mais il y a deux ans. En septembre 2012, le député de l’Eure renonce à se présenter à la tête de l’UMP, faute d’avoir recueilli le nombre de parrainages nécessaires. Volontaire pour incarner une « troisième voie » face au duel Fillon-Copé, il doit se rendre à l’évidence : personne ne l’attend. Pire, tout le monde se contrefiche parfaitement de lui, de ses idées et de ses ambitions. L’homme a beau s’être constitué un précieux carnet d’adresses dans le sillage de Dominique de Villepin à Matignon, il reste notoirement méconnu au sein de sa propre famille politique. « Un réseau, ce n’est rien, explique-t-il aujourd'hui. Ce qui compte, c’est le poids politique. » Or, à l’époque, Le Maire est un poids plume.

L’ancien ministre de l'agriculture se lance alors dans une vaste entreprise : construire son propre parti. Lui s’en défend, préférant parler de « nouvelle offre politique ». C’est pourtant bien un mouvement à côté du mouvement UMP qu'il commence à charpenter à l’automne 2012. « Je l'ai vu organiser un parti politique au sens structurel du terme, se souvient Jean-Baptiste Reignier, qui a piloté un temps le “pôle idées” du candidat. On avait une mini-direction des finances, une mini-direction des études, une mini-direction du territoire... » « On a créé un parti politique à partir de rien ! » se réjouit encore l’un des principaux artisans de ce projet, l'avocat Jérôme Grand d’Esnon.

C’est d'ailleurs autour d’un dîner avec cet ancien conseiller de Jacques Chirac à l'Élysée que les premiers plans de la future structure BLM sont tracés. Grand d’Esnon accepte de prendre les choses en main à condition que son poulain fasse « du terrain, du terrain et encore du terrain », « la seule bonne école ». Pour le reste, « je lui ai dit que je m'en occupais ! », ajoute celui vers qui Dominique de Villepin s'était déjà tourné lorsqu'il songeait à se présenter à la présidentielle de 2007. Le chiraquien n'est pas seul dans cette entreprise. Pour l'épauler, il peut compter sur le soutien de plusieurs anciens collaborateurs ministériels de Le Maire : Sébastien Lecornu, Jérôme Steiner, Camille Tubiana ou encore Bertrand Sirven. Ensemble, ils se retrouvent chaque dimanche soir.

Afin d’incarner le fameux « renouveau » de son slogan de campagne (« Le renouveau, c'est Bruno »), le député de l'Eure a besoin de soutiens politiques, mais aussi financiers. Il crée donc rapidement son propre micro-parti – l’Association de Financement d’Avec BLM – qui, selon Jérôme Grand d’Esnon, engrange près de 200 000 euros dès 2013. « Nous avons approché de gros donateurs et fait du fundraising par mail, détaille le chiraquien devenu entre-temps directeur de campagne. C’est Alain Missoffe (chef d’entreprise et frère cadet de Françoise de Panafieu – ndlr) qui était en charge de tout cela. Bruno avait besoin d'argent pour son projet, il a rencontré beaucoup de monde. Les dons ont augmenté au fur et à mesure. Depuis juin, cela afflue. Ceux qui ont donné en 2013 ont généralement redonné en 2014. »

Jérôme Grand d'Esnon, le directeur de campagne de Bruno Le Maire.Jérôme Grand d'Esnon, le directeur de campagne de Bruno Le Maire. © YouTube

Le député de l'Eure a promis de publier la totalité de ses comptes de campagne à l’issue du scrutin de fin novembre. En attendant de jouer complètement la transparence, il se contente d'assurer que ce sont « les petits dons qui font vivre », contredisant ainsi son directeur de campagne qui estime pour sa part que « le plus gros » de la cagnotte “A.F.A.BLM” provient de ces généreux « gros donateurs » dont il préfère évidemment taire le nom. Quand on l’interroge sur la présence d’Ernest-Antoine Sellière, principal héritier de Wendel et ancien président du Medef, au meeting parisien de la Maison de la Mutualité le 4 novembre, il botte en touche.

Nous ne saurons pas si Sellière fait partie de ceux qui ont donné un “coup de pouce” à Bruno Le Maire, mais le fait qu’il s’affiche ainsi à une réunion publique de l'ancien ministre de l'agriculture est en soi un marqueur intéressant du désamour du milieu des affaires – du moins celles qui ne sont pas judiciaires – pour Nicolas Sarkozy. Le député de l’Eure, en revanche, est très bien entouré en la matière. « Il a rencontré beaucoup de monde à Matignon, raconte l’un de ses proches. À l’époque, Chirac n’était déjà pas très en forme et Villepin peu accessible. Pendant deux ans, Le Maire s’est donc retrouvé à piloter l’appareil d’État et à discuter avec tout le CAC 40. »

Dominique de Villepin et Bruno Le Maire.Dominique de Villepin et Bruno Le Maire. © www.brunolemaire.fr

Quand il commence ses premières réunions à l'automne 2012, Bruno Le Maire peut compter sur la présence d'une dizaine de fidèles issus de tous horizons. Autour de la table, certains de ses anciens camarades de promo de l’ENA discutent avec des hommes d'affaires, des banquiers et même… un éditeur. En marge de ce petit cercle de privilégiés, se constitue un deuxième groupe, plus large, destiné à fournir à l’élu des notes « en flux » sur toutes sortes de thématiques. Placé sous l’égide de la députée d'Eure-et-Loir Laure de la Raudière, fidèle parmi les fidèles, il est animé par Jean-Baptiste Reignier, un ancien chargé de mission à l’Élysée passé par le cabinet de Xavier Bertrand au ministère du travail et la direction des études de l’UMP en 2007.

« J’ai assez vite compris que Xavier Bertrand n’était pas vraiment intéressé par les idées et j'ai donc rejoint Bruno Le Maire qui tenait un discours très clair sur le sujet, se souvient Reignier, précisant avoir également apprécié le fait que le député de l'Eure soit l'un des rares ténors de la droite à n'avoir jamais défilé contre le mariage pour tous. Il répétait tout le temps : “Ce ne sont pas les énarques qui trouveront des idées, elles doivent venir de la société civile, donc ouvrez grand vos écoutilles.” Pour lui, la question à se poser n’était pas “quoi ?”, mais “comment ?”. Cela m’a séduit. » Grâce au travail accompli par des dizaines de spécialistes, l'ancien ministre de l'agriculture commence à se dégrossir, multipliant les prises de position au sein du groupe UMP à l'Assemblée nationale, mais aussi dans l'hémicycle et sur les plateaux de télévision.

Lui qui martèle ne jamais changer d'avis en fonction des intérêts du moment, a tout de même acquis avec le temps une solide capacité d'adaptation. Sans pour autant retourner sa veste comme l'a fait Nicolas Sarkozy au meeting de Sens commun le 15 novembre, il sait jouer les équilibristes quand cela lui semble nécessaire. Sur la réforme des allocations familiales, par exemple, celle qu'il défendait il y a encore un an et qu'il juge aujourd'hui « proprement indigne ». Ou encore lors des réunions militantes durant lesquelles il écoute sans ciller les discours les plus droitiers de ceux qui, à la base de l'UMP, franchissent sans vergogne la ligne frontiste.

Bruno Le Maire en meeting à la Maison de la Mutualité à Paris, le 4 novembre.Bruno Le Maire en meeting à la Maison de la Mutualité à Paris, le 4 novembre. © Reuters

Bruno Le Maire est à son tour devenu un stratège politique. Bien qu'il refuse encore de s'exprimer sur ses ambitions post-29 novembre, l'objectif du travail qu'il a engagé en 2012 est tracé depuis le début. « Il nous a tout de suite dit qu'il visait les primaires de 2016 », explique l'un des pionniers du projet. Pour être à la hauteur de ses ambitions, l'ancien homme invisible de l'UMP a donc enclenché très tôt la machine à idées et à financements. Restait une pièce essentielle pour parfaire son puzzle : les soutiens politiques. Sans le savoir, ce sont François Fillon et Jean-François Copé qui la lui ont offerte.

Début 2013, en pleine crise interne à l'UMP, le député de l'Eure profite de la brèche ouverte par la guerre que se livrent les deux hommes pour remettre sur la table son idée de « troisième voie ». Chef de file des élus “non-alignés”, il multiplie à ce moment-là les tête-à-tête avec ses collègues parlementaires. Autour d'un café ou dans son bureau de l'Assemblée nationale, il les invite à le rejoindre dans sa réflexion « sur la façon de transformer les pratiques politiques et de proposer un renouveau complet de la droite républicaine après 30 ans d'échec au pouvoir ». « Ma position de neutralité m'a permis d'asseoir ma crédibilité », reconnaît-il aujourd'hui.

« Au début, nous étions une petite dizaine à nous réunir le mercredi pour aborder toutes sortes de sujets d’actualité », détaille le député de l'Ain, Damien Abad. « On se réunissait chaque semaine pour parler de positionnement politique, confirme Laure de la Raudière. Au début, notre démarche n'était pas connue. On se demandait comment structurer notre action. Ce qui est agréable, c'est que nous avons toujours été libres. Bruno n'a jamais rien promis à personne. » L'ambiance, décrite par tous les membres de ce petit groupe comme « très sympa », attire de plus en plus de monde. Les rangs BLM grossissent au fil des mois, ce qui explique en partie que le candidat puisse désormais se prévaloir d'être soutenu par 53 parlementaires qui ont officiellement pris position en sa faveur, et ce malgré le retour et les pressions de Nicolas Sarkozy.

Tandis que Bruno Le Maire se constitue un réseau de fidèles dans les couloirs du Palais-Bourbon, ses anciens collaborateurs ministériels et Jérôme Grand d’Esnon continuent à travailler dans l'ombre, discrètement secondés par un petit groupe d’assistants parlementaires. Sept « responsables de zone » sont désignés afin de quadriller le territoire et de trouver des soutiens locaux parmi les jeunes pop. En 2013, BLM dispose ainsi d’un référent par département. En 2014, chaque circonscription en compte un. La plupart n'ont même pas encore dépassé la trentaine. Ce sont eux qui donnent aujourd'hui de la voix dans les meetings de leur champion, arborant des tee-shirts colorés et se brûlant les mains à force d'applaudir.

Bruno Le Maire et les jeunes BLM à Nice, le 6 septembre.Bruno Le Maire et les jeunes BLM à Nice, le 6 septembre. © Reuters

Le terrain reste la pierre angulaire du projet de Bruno Le Maire. « Le principe de deux déplacements par semaine est instauré à partir de janvier 2013 », explique son directeur de campagne. « Il a très vite théorisé le fait qu'il labourait le terrain, souligne également le député de Seine-et-Marne, Franck Riester, qui a toujours été très proche de l'ancien ministre de l'agriculture, mais n'a réellement intégré le dispositif qu'à l'été 2014. Il avait semé quelque chose et il le cultivait. »

En mars 2014, le député de l’Eure a déjà effectué plus de cent déplacements en France, alors que Jean-François Copé n'en est encore qu'au quart de la moitié du commencement d'un éventuel départ. Les élections municipales lui offrent une nouvelle occasion de soigner ses réseaux politiques en se rapprochant des jeunes candidats UMP qui ne souhaitent pas s’afficher en compagnie de Jean-François Copé ou de François Fillon, qui ont cristallisé bien trop de divisions. Mais un ancien ministre, qui plus est quadra et prêchant la bonne parole du « renouveau », « franchement, ça coûte pas très cher », comme dirait Nicolas Sarkozy.

Pendant plusieurs semaines, Bruno Le Maire se fait donc prendre en photo aux côtés de tout ce que la nouvelle génération UMP compte de plus prometteur. Comme lui, ces futurs jeunes élus veulent en finir avec « les vieilles méthodes » de leur parti. « Bruno incarne vraiment le renouveau, cette façon de renouer avec le terrain et la base militante, assure le député Arnaud Robinet, élu maire de Reims en mars dernier. J'ai été reçu par Nicolas Sarkozy courant octobre. Il m'a dit : “Les inaugurations et les dépôts de gerbes, ça va un temps, tu seras présent à mes côtés en 2017”. Cela m'a tellement déçu... Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que la politique s'envisage depuis la rue de Miromesnil. »

Damien Abad, Arnaud Robinet, Delphine Bürkli... Plusieurs figures de la nouvelle génération de l'UMP soutiennent Bruno Le Maire.Damien Abad, Arnaud Robinet, Delphine Bürkli... Plusieurs figures de la nouvelle génération de l'UMP soutiennent Bruno Le Maire. © ES

Les nombreux voyages en train de l'ancien ministre de l'agriculture n'auront pas été vains. Outre le fait de s'être constitué un réseau de fidèles locaux et d’avoir enrichi sa réflexion avec des retours directs du terrain, Bruno Le Maire a également pu se passer des services d'un coach personnel. À force de réunions militantes, il a acquis une certaine aisance qui surprend jusque dans les rangs sarkozystes. « C’est comme ça qu’il s’est déboutonné ! » se félicite Jérôme Grand d’Esnon, heureux de pouvoir faire la nique à tous ceux qui lui répétaient que son poulain était trop bien élevé, trop froid, trop lisse, trop ceci et surtout, pas assez cela.

Pour paraître crédible, Bruno Le Maire devait devenir BLM. « Il a beaucoup observé la façon de faire de Jacques Chirac, confie l'un de ses fidèles. Cette façon de prendre le temps avec les gars, de boire une petite bière à l’issue des réunions… » Cette façon aussi de lâcher quelques gros mots en interview ou d’expliquer qu’il apprécie Beyoncé et son mari « Jizé ». Une “coolitude” parfois poussée jusqu’à la caricature, qui a pu faire sourire ses plus proches soutiens.

Son directeur de campagne assure pourtant qu’il n’y a jamais eu aucun calcul derrière tout cela. « On ne vend pas un produit commercial, on essaie de mettre en avant un homme politique, dit-il. Ça ne sert à rien de truquer sa personnalité. Les sorties de Bruno Le Maire sont à son image. Il a aussi ce goût de la provoc’. » Plus largement, Grand d’Esnon refuse toute forme de “pipolisation”. « Le jour où il posera sur des feuilles mortes, avec une harpe, je quitte le bateau ! » plaisante-t-il, en référence à un célèbre cliché de Nathalie Kosciusko-Morizet paru dans Paris Match. Bruno Le Maire n’a toutefois pas complètement échappé au « choc des photos » de l’hebdomadaire, posant en 2011 avec femme et enfant, ou encore dernièrement en tenue de tennis.

Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire se mettent en scène dans Paris Match.Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire se mettent en scène dans Paris Match. © Paris Match

Preuve supplémentaire de l’importance que le député de l'Eure porte à son image et à sa communication : l’embauche de Dimitri Lucas, ancien chargé de mission à l’Élysée, qui gère aujourd’hui ses relations presse et le recrutement plus récent d'un photographe professionnel qui alimente les réseaux sociaux de clichés du candidat. « Ce sont les seules personnes salariées de l'équipe. À part eux, tout le monde est bénévole », assure Grand d'Esnon.

Comme celui de Nicolas Sarkozy, le calendrier de Bruno Le Maire s’est accéléré avec l’affaire Bygmalion et la démission forcée de l'ex-patron de l'opposition, Jean-François Copé. L'ancien ministre de l'agriculture, qui prenait jusqu'alors soin de s'inscrire dans un temps long, a finalement décidé de saisir la balle au bond. « L’enchaînement des événements à partir du mois de mai a renforcé la conviction que nous avions depuis le début, rapporte Laure de la Raudière. Les choses étaient claires : ça ne pouvait plus durer comme ça. Début juin, Bruno nous a tous réunis pour nous demander ce que nous pensions du fait qu’il brigue la présidence de l’UMP. Nous avons été unanimes. Il devait y aller ! »

Au terme d'une « réflexion collective », le député de l’Eure officialise donc sa candidature sur BFM-TV, le 11 juin. La suite a été largement relatée dans la presse. Mi-octobre, dans les colonnes du Monde, Bruno Le Maire se réjouissait que sa « PME (soit) devenue une vraie machine politique ». Samedi 29 novembre, les résultats du premier tour de l’élection pour la présidence du parti scelleront l’avenir de sa petite entreprise.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone au cours des deux dernières semaines.

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Institutions: 101 façons de voir la VIe République

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François Bayrou, Jean-Marie Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg ou encore Marie-Noëlle Lienemann ont au moins un point commun. Tous ont prôné, à un moment de leur carrière politique, le passage à une VIe République. Ce qui démontre qu'il peut y avoir autant de visions différentes sur la VIe que de personnes qui s'en réclament. « Il ne s'agit pas simplement de contester la Cinquième mais de dire quelle Sixième République on veut », affirmait déjà en 1992 Marie-Noëlle Lienemann, actuelle sénatrice socialiste de Paris. Plus de vingt ans plus tard, le débat refait surface.

Depuis la rentrée 2014, on ne compte plus les personnalités politiques qui exhortent à s'engager sur le terrain des réformes institutionnelles. Même le président de l'Assemblée, Claude Bartolone (PS), y est allé de son haro sur les institutions dans son dernier livre Je ne me tairai plus (Flammarion) : « Le Parlement français n'a ni la place, ni les moyens qu'il mérite au regard de l'exigence démocratique qui doit être la nôtre, déclare-t-il. La réforme de nos institutions est inéluctable, et sera à coup sûr un des principaux thèmes de la prochaine présidentielle. » C'est la raison pour laquelle le député de Seine-Saint-Denis a lancé, aux côtés de l'historien Michel Winock, une mission sur l'avenir des institutions. La première réunion du groupe composé de onze parlementaires et de onze personnalités aura lieu ce jeudi 27 novembre (voir la liste complète dans l'onglet Prolonger). 

L'un des membres de cette mission n'est autre que le sénateur socialiste Luc Carvounas, proche de Manuel Valls, qui vient tout juste de publier à la fondation Jean Jaurès un essai intitulé La Politique autrement, réinventons nos institutions. L'élu du Val-de-Marne liste 43 propositions de « rénovation institutionnelle » dont certaines sont une véritable révolution parlementaire, dans un sens présidentialiste. 

Parmi celles-ci, Carvounas se prononce pour « un scrutin proportionnel intégral dès les prochaines élections législatives », de quoi faire rentrer en force le loup FN dans la bergerie parlementaire, puisque l'extrême droite pourrait constituer le groupe le plus important à l'Assemblée. De quoi aussi rendre quasi inéluctable une « grande coalition » gauche-droite, seule à même d'être majoritaire face à une chambre « tiers-Marine ». L'ancien directeur de campagne de Manuel Valls aux primaires socialistes défend aussi l'idée de la réduction du nombre de parlementaires pour renforcer leur influence (400 députés au lieu des 577 actuels et 300 sénateurs au lieu des 348) et leur enveloppe budgétaire. 

Côté gauche de la gauche, il faut désormais compter avec le m6r, le mouvement pour la VIe République de Jean-Luc Mélenchon. L'ancien co-président du Parti de gauche a fait d'une rupture avec les institutions de la Ve l'un de ses fers de lance. L'ont rejoint dans ce mouvement qui vise les 100 000 signatures, le parti Nouvelle Donne, une partie de l'aile gauche d'EELV ainsi que le club des socialistes affligés (ils ont un blog sur Mediapart).

L'ancien ministre de l'économie Arnaud Montebourg avait également travaillé en 2005 à la rédaction d'une nouvelle Constitution aux côtés des constitutionnalistes Paul Alliès (PS) et Bastien François (membre du conseil d'orientation politique d'EELV). Il s'agissait de la c6r, convention pour la VIe République. Leurs trente propositions sont toujours d'actualité, et ont d'ailleurs récemment été mises à jour (on peut les retrouver ici). D'autres initiatives se distinguent par leur originalité: le mensuel Témoignage chrétien s'est par exemple prêté à l'exercice en rédigeant sa propre Constitution.

C'est donc un vieux débat que celui qui concerne les institutions. Si Jean-Luc Mélenchon affirme avoir été pionnier dans l'écriture d'un texte mentionnant la VIe République en 1991, Bastien François allègue que les écologistes sont les premiers à avoir parlé de VIe République lors de la création du parti aux universités d'été de 1984. « C’est un peu ridicule parce que le premier à avoir critiqué la Ve, certifie Paul Alliès, c’est Pierre Mendès France, le 15 décembre 1959. » C'est durant ce discours que l'ancien président du Conseil a critiqué l'omnipotence du chef de l'État : « Le président de la République est la seule volonté susceptible d'agir et de s'imposer tandis que l'Assemblée n'a plus qu'un rôle de figuration », déplorait-il déjà à l'époque. Et c'est dans son livre, La République moderne, publié en 1962, qu'il théorisera le renouveau des institutions et les limites de la Ve République. Cinquante ans plus tard, le refrain n'a guère évolué. 

  • Pourquoi changer de régime ?

« Comment peut-on prétendre faire fonctionner un Parlement qui ne représente même pas la moitié de la population ? » La question que se pose Paul Alliès taraude plus d'un responsable politique. Pour Arnaud Montebourg, le Parlement serait devenu une « chambre d'enregistrement des projets du Président », Marie-George Buffet parle de « monarchie institutionnelle », Marie-Noëlle Lienemann d'« anesthésie démocratique ». Nombre de parlementaires partagent ainsi le constat d'un pouvoir démesuré, concentré dans les mains du seul chef de l'État et font connaître leur impossibilité d'infléchir la ligne politique définie par le président. 

  • Quelle VIe République ?

À ceux qui souhaitent limiter les pouvoirs du président en renforçant le poids du premier ministre et des parlementaires, s'opposent ceux qui veulent faire disparaître le premier ministre, à l'instar de Claude Bartolone et de deux parlementaires membres de sa nouvelle mission d'avenir sur les institutions : la députée (PS) des Hautes-Alpes, Karine Berger et le sénateur Luc Carvounas, proche de Manuel Valls. Ces derniers s'inspirent du modèle américain où le président est responsable devant le Congrès qui peut le démettre de ses fonctions.

« Même si le président américain a beaucoup de pouvoir, ce sont les chambres qui ont le dernier mot, explique Karine Berger. Ça crée une respiration démocratique. » Pour Claude Bartolone, l'élection du président au suffrage universel direct est « l'élection à laquelle les Français sont le plus attachés ». C'est pourquoi ce dernier se dit favorable à « un régime présidentiel à la française », avec néanmoins un rééquilibrage des pouvoirs et notamment « la suppression du droit de dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République », ainsi que l'impossibilité pour l'Assemblée de renverser le gouvernement. 

À l'inverse, que ce soit du côté des Verts ou du président de la convention pour la Sixième République, Paul Alliès, proche d'Arnaud Montebourg, l'idée serait plutôt d'instaurer un « régime parlementaire primo-ministériel » où le premier ministre détiendrait la réalité du pouvoir. Que deviendrait le président dans ce cas ? « Il n'est pas simplement quelqu'un qui inaugure les chrysanthèmes », affirme Paul Alliès. « On pourrait imaginer que la trentaine de hautes autorités administratives, telles la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) ou la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), soient sous la houlette du président. » « Il faut que le président de la République soit le garant des institutions, du long terme et pourquoi pas du développement durable », ajoute Bastien François.

Jean-Luc Mélenchon au Relais de l'Odéon à Paris.Jean-Luc Mélenchon au Relais de l'Odéon à Paris. © Yannick Sanchez

Jean-Luc Mélenchon introduit quant à lui le concept de référendum révocatoire des élus. Le principe est simple : si un nombre suffisant de citoyens l'exige, un référendum peut être organisé pour savoir si un élu peut garder son mandat ou être déchu. « On doit juger l'action dans la durée », rétorque la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. « Si les élus avaient des garde-fouson ne serait peut-être pas obligés de l’appliquernuance Isabelle Attard, qui ne se dit pas pour autant contre le référendum révocatoire. « Si les politiques dévient aujourd'hui, c’est parce qu’ils sont dans une logique de réélection, argue la coprésidente de Nouvelle Donne. Mais si on est au mandat unique, on supprime cette tentation permanente. »

Le constitutionnaliste Paul Alliès est plus circonspect : « Mélenchon a développé pas mal d’idées avec une démarche qui m’a semblé un peu problématique dans la mesure où il propose d’inscrire des nouveaux droits, principes qui d’ordinaire font partie du Préambule de la Constitution, précise-t-il. Par ailleurs, une fois qu’on a réduit les pouvoirs du président, je ne vois pas en quoi le révoquer est un élément majeur. Ça me semble un argument de circonstance pour populariser un nouveau régime. » 

  • L'écriture de la Constitution

« Pour moi, la méthode a plus d'importance que le résultat final », explique Jean-Luc Mélenchon. Soit une Constitution rédigée par le peuple, pour le peuple. L'ancien leader du Parti de gauche conditionne donc la signature de sa pétition pour la VIe République à la mise en place d'une Assemblée constituante non constituée d'experts, donc sans parlementairesLe professeur de droit constitutionnel Bastien François émet quelques réserves : « Je ne vois pas pourquoi on devrait exclure des gens parce que ce serait des professionnels de la politique. »

« La règle du jeu doit être consentie », répond Jean-Luc Mélenchon. « La convocation d'une Assemblée constituante, c'est le cœur de la question. On a fait 24 révisions de la Constitution de la Ve République mais seulement deux référendums, souligne-t-il. C'est pourquoi je milite pour que ceux qui sont élus dans cette assemblée n'aient jamais été membres d'une assemblée et pour qu'ils ne le soient pas par la suite. » Mais pour Bastien François, la constituante, c'est « ringard »« Ce sont des trucs du XVIIIe ou du XIXe siècle, assure-t-il. Aujourd'hui, on peut construire des débats beaucoup plus larges qu'un groupe d'élus tirés au sort. Tout le monde n'a pas des choses à écrire sur une Constitution. »

Pour ce dernier, l'idée serait de mettre en place une plateforme internet participative de type “wiki-Constitution” afin que tout un chacun puisse intervenir sur les sujets qui l'interpellent. À la différence de Mélenchon qui prône le non-recours aux experts, le conseiller régional EELV pense que la présence de spécialistes est nécessaire. « Les experts pourront dire si on a déjà essayé une des propositions et si ça a fonctionné ou non. On a 250 ans d’expérience sur les constitutions en France, alors, au lieu de partir de zéro, ça peut sûrement être utile d’avoir des personnes qui connaissent bien le sujet. »  

Paul Alliès s'inscrit aussi dans cette dynamique. Le constitutionnaliste imagine l'organisation d'un « débat constituant, un jour ou deux par semaine ». « Parallèlement, détaille-t-il, le garde des Sceaux pourrait mettre en place une Assemblée constitutionnelle, laquelle piloterait un débat sur internet. » Jean-Luc Mélenchon parle plutôt de cyberespace. Ce dernier dit s'inspirer du Venezuela où le référendum révocatoire existe depuis 2004 et de l'Espagne avec le jeune parti Podemos qui organise ses votes sur le web.

  • Mélenchon conjure-t-il le sort de la VIe en se l'appropriant ?

« C'est la question que je me suis posée, reconnaît Isabelle Attard qui a finalement décidé de signer le texte du m6r. Dès qu’il lance quelque chose, on le ramène à sa personne mais il a le mérite de lancer ces projets. C'est aux autres de s’en emparer. » « C'est mon plus gros problème, concède le principal intéressé. J'ai mis au service du mouvement ma notoriété mais il faut que ce mouvement dispose d'une force en dehors de moi. » 

« Ce que ne comprend pas Mélenchon, affirme Bastien François, c'est que son mouvement aurait une capacité d'impulsion bien supérieure s'il mettait 80 personnes qui ont la capacité de raconter cette histoire de VIe République autour de lui. » L'élu Vert explique par ailleurs avoir été contacté par Jean-Luc Mélenchon pour signer le texte, mais regrette de ne pas avoir été associé au processus de réflexion en amont. Marie-Noëlle Lienemann pense de son côté que « les gens ont compris que la question institutionnelle doit transcender les personnes ». En outre, cette dernière pense que « ce n'est pas parce que c'est Jean-Luc Mélenchon qui a lancé le débat qu'il en sera le meilleur représentant » 

Au-delà des bisbilles sur la paternité de la VIe République, Bastien François affirme se réjouir de l'existence du débat : « Comme disait Mao, philosophe-t-il, il faut “que 100 fleurs s'épanouissent” pour qu'émerge vraiment quelque chose de tout ça. » Mais pour l'instant, sans rassemblement, il demeure 101 façons de voir la VIe République.

BOITE NOIREHormis Claude Bartolone qui n'a pas souhaité (ou pris le temps de) répondre à nos questions, toutes les personnes citées dans cet article ont été contactées entre le 18 et le 21 novembre.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Un décret sur mesure pour Aquilino Morelle à l'Igas

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Pour Aquilino Morelle, c’est inespéré. L’ancien conseiller politique et en communication de François Hollande, démis de ses fonctions le 18 avril dernier, pourrait échapper à toute sanction de son corps d’origine, l’Inspection générale des affaires sociales(Igas), bien qu’il en ait violé les règles de base en travaillant pour un laboratoire danois en même temps qu’il appartenait à ce corps censé veiller sur l’industrie pharmaceutique (voir notre enquête ayant conduit à sa démission). La procédure prévoit en effet qu’une sanction de ce type doit être prise par l’autorité qui l’a officiellement nommé à ce poste, à savoir le président de la République. Or, certains ne souhaitent visiblement pas que François Hollande « condamne » une seconde fois celui qui a connu pendant deux ans une bonne partie des secrets du Palais.

Mercredi, l’Élysée a démenti auprès de Mediapart avoir donné une quelconque consigne en ce sens. Il n’empêche : plus de sept mois après la révélation des faits, Aquilino Morelle n’a toujours pas été sanctionné. Il a récupéré son poste d’inspecteur comme si de rien n’était. Et à l’Igas, au motif que la direction n’a pas à se prononcer sur des cas individuels, on refuse de dire si l’Élysée est intervenu ou non dans la procédure. L’Igas confirme cependant qu’un décret est bien en préparation visant à déléguer à son chef de service un certain type de sanctions.

Sans ce décret, il devrait incomber à la direction de l’Igas la tâche de réunir et de présenter à François Hollande les éléments de son enquête. Ensuite, le président de la République saisit la commission administrative paritaire (CAP) de l’Igas d’un rapport indiquant les faits reprochés. La CAP siège alors en formation disciplinaire, sous la présidence du chef de l’Igas. Au terme d’une procédure contradictoire, elle rend un avis motivé sur la base duquel il revient au chef de l’État de prendre une décision. 

Cela n'aura donc pas lieu, ce qui irrite profondément au sein du corps d’inspection. Les syndicats maison sont fortement opposés au projet. Le Smigas (syndicat des membres de l’Igas), majoritaire (non politique), s'alarme : « On ne voit pas pourquoi le droit commun ne s’applique pas à Aquilino Morelle. Ce décret sur mesure est encore plus pernicieux qu’un enterrement de première classe. Un corps d’inspection ne doit pas être aux ordres. S'il y a eu une dérive déontologique, il doit y avoir sanction. »

Or, rien ne la laisse présager. D’abord, parce qu’il faut un temps indéterminé pour mettre en place ces nouvelles procédures. Le temps, peut-être, que l’affaire soit oubliée, ou qu’Aquilino Morelle reparte ailleurs en se gargarisant de ne pas avoir été sanctionné. Ensuite, parce que même si le décret était publié, son caractère rétroactif pose question. Juridiquement, comment être certain qu’une nouvelle réglementation s’applique à des faits antérieurs ? Aquilino Morelle ne manquerait certainement pas de s’engouffrer dans cette brèche, ce qui ne dérangerait peut-être pas tant que ça la direction de l’Igas, soucieuse depuis le début de nos investigations que l’affaire fasse le moins de bruit possible.

Enfin, le texte en préparation, qui modifie le décret n° 2011-931 du 1er août 2011 afin de faire application à l’Igas de l'article 67 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, ne peut dans ce cadre que prévoir une possible délégation que pour certaines sanctions disciplinaires, celles des 1er et 2e groupes, les plus faibles (avertissement, blâme...). Autrement dit, avant même qu’une procédure contradictoire soit menée et les instances adéquates saisies, on préjuge de la décision à venir en estimant que les fautes commises par Aquilino Morelle ne méritent pas des sanctions lourdes (rétrogradation, exclusion de longue durée, révocation…).

Aucune concertation officielle n’a été menée à l’Igas sur le sujet, comme s’il fallait éviter toute réflexion, toute publicité. Le sujet n’a même pas été évoqué lors de la récente assemblée générale. Une présentation en comité technique ministériel le 7 novembre puis le 26 novembre a abouti à deux reprises à un avis défavorable de toutes les organisations syndicales. Mais cet avis n’est que consultatif.

Déjà en mai, le chef de l’Igas, Pierre Boissier, qui n’a jamais accepté de répondre à nos questions, avait botté en touche, expliquant que les sanctions relevaient du président de la République. L’Élysée avait rétorqué que l’Igas était libre de mener l’instruction. Depuis, rien.

Pierre Boissier a simplement expliqué aux syndicats s’être entretenu avec Aquilino Morelle. Et il a précisé que celui-ci avait nié avoir tenu dans la presse les propos qui lui étaient attribués. Tout va donc pour le mieux : Aquilino Morelle s’en est tenu à son devoir de réserve, il n’a jamais évoqué « la tcheka hollandienne », n’a jamais parlé d’« épuration ethnique » concernant son limogeage et il n’a jamais critiqué son ancien patron : ce sont les journalistes qui inventent. Le dossier de l'ancien conseiller en communication du président ne s’est donc pas alourdi, ont appris les syndicats, choqués. « L’absence de traitement du sujet Morelle donne l’impression que les inspecteurs généraux évoluent dans une zone de non-droit, où on peut tout se permettre », analyse le Smigas.

À l’Élysée, on tente de noyer le poisson en expliquant que la refonte du décret ne touche pas seulement l’Igas, mais également les deux autres grands corps d’inspection, l’IGA et l’IGF. Sauf que pour l’heure, le projet est abandonné pour ces deux derniers corps d’inspection. « Cela porte atteinte à notre réputation professionnelle en suggérant que les dérives déontologiques seraient plus nombreuses ou plus graves dans notre corps, ce qui est faux. Soit la délégation est pertinente et elle l’est pour les trois inspections générales, soit elle ne l’est pas et ne doit pas être appliquée à l’Igas », s’agace le Smigas.

À ce rythme, dans quelques mois, Aquilino Morelle, même s'il fait également l'objet d'une enquête judiciaire, pourra de nouveau donner des leçons à la terre entière.

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Benjamin Dessus : l’énergie souffre d’« une centralisation considérable »

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Sur l’énergie et le climat, les quelques réformes du pouvoir socialiste ne changent rien aux fondamentaux du système français : centralisé, focalisé sur le nucléaire et obsédé par la production. L’économiste Benjamin Dessus, qui publie Déchiffrer l’énergie, décrypte les limites de la transition à la française alors que démarre la Conférence environnementale ce jeudi. 

 

Benjamin Dessus, Déchiffrer l'énergie, Belin, 383 p. 29,90 euros.

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Simone Veil : la face cachée d'une célébration

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La première leçon, et la plus grande, c’est que l’urgence politique, contrairement aux idées reçues et matraquées à longueur de journées, n’est pas de gérer le pain quotidien ni de guérir les écrouelles, c’est de modifier le cours de l’Histoire. Or le cours de l’Histoire ne s’inscrit pas seulement dans la courbe du chômage ou du plein emploi, dans le déficit ou l’excédent du commerce extérieur, dans la croissance ou dans la récession.

Ce qui a changé la vie sous le septennat de Giscard d’Estaing, ce ne sont pas les mesures pour faire face à la crise du pétrole, ou les discours d’austérité du professeur Raymond Barre. Ce ne sont pas non plus les repas ridicules et médiatiques du président d’alors chez les Français, ou sa visite aux éboueurs. Ce sont deux mesures de nature Ins-ti-tu-tion-nelles et So-cié-tales. Le droit de vote à 18 ans et la loi sur l’avortement.

Aujourd’hui, de telles mesures feraient figure de diversion, ou d’absence de sérieux. Car ce que veulent les Français, disent les instituts de sondage, « c’est qu’on leur parle du chômage ». En vertu de quoi des questions comme le droit de vote des étrangers aux municipales, qui provoquerait de grands débats, sont renvoyées à plus tard. En vertu de quoi la simple introduction d’une part de proportionnelle aux élections législatives n’est pas jugée prioritaire. En vertu de quoi la loi sur la famille a été édulcorée car, comme l'avait dit Jean-Christophe Cambadélis : « Les choses sont claires : notre priorité, c’est la croissance. Les problèmes de société seront traités mais en temps et en heure. »

Au nom de l’urgence, adieu réformes institutionnelles, adieu réforme fiscale de fond, adieu réformes tout court, bonjour ciseau et bonjour sparadrap.

Pourtant, quel sera l’équivalent de la loi Veil dans le quinquennat Hollande ? Assurément la loi sur le mariage. Et que retient l’histoire de la présidence de Gaulle à partir de 1958 ? Le nouveau franc ou la Constitution de la Cinquième République ? La grève des mineurs ou l’élection du président au suffrage universel direct ?

Et le 21 avril 1944, à Alger, en pleine guerre, était-il bien sérieux de la part de l’homme du 18 Juin de signer cette ordonnance hors des priorités, inapplicable dans la France occupée, sur le droit de vote des femmes…

Prenez encore l’abolition de la peine de mort, votée sous Mitterrand, prenez le quinquennat adopté sous Chirac, considérez la limitation à deux mandats successifs voulue par Sarkozy : les grands marqueurs de l’action politique, les grandes ambitions, celles qui changent en bien ou en mal le fonctionnement même de la République ne portent pas sur « l’actualité » mais sur « les problèmes de société », qui provoquent souvent des polémiques immenses. Elles ne portent pas sur le visible mais d’abord sur l’invisible, donc, entre autres, sur « les institutions »…

Toutes choses absentes aujourd’hui, alors même que la crise du politique est d’abord une crise de l’effacement des politiques. Des politiques qui se sont progressivement dessaisis de tous les leviers économiques, en les transférant aux marchés, mais qui devraient se confiner aux comptes de la nation, et seraient à côté de la plaque dès lors qu’ils se saisiraient de leurs domaines de compétences !

Autant dire qu’en renonçant aux réformes « sociétales », un pouvoir renonce tout simplement à exister, voilà la grande leçon, la leçon implicite des hommages à Simone Veil.

La deuxième leçon, qui bousculera d’autres idées contemporaines, c’est que les grandes avancées ne se conquièrent pas dans les synthèses molles, mais dans les affrontements. Simone Veil s’est opposée frontalement à des réactionnaires furieux qui annonçaient « l’implantation d’abattoirs », comme Philippe de Villiers comparant vingt-cinq ans plus tard le Pacs à un « retour à la barbarie », comme les activistes du « mariage pour tous » qui continuent d’annoncer « la fin de la famille », ou comme les opposants au droit de vote des femmes qui vouaient « la nature féminine à la sphère du privé » et prédisaient que « le foyer » serait un « enfer » ou que « les enfants seront négligés si les mères votent ».

À l’heure où le discours économique désormais porté par Emmanuel Macron tend à décrire les relations sociales comme un éden de bisounours où plus personne ne veut écraser l’autre, et où le salarié discute avec son employeur sur un pied d’égalité pour dépasser les 35 heures, le courage de Simone Veil rappelle que la démocratie consiste aussi à gérer les affrontements, pas seulement à noyer les poissons pour faire taire les pêcheurs...   

La troisième leçon complétera la deuxième : si la politique est un champ d'affrontement, et si les responsables politiques doivent l'assumer ou s'en aller, le public doit également se méfier des héros tout d'une pièce. La célébration de Simone Veil prend ces temps-ci une dimension tellement unanime qu'elle tourne au matraquage, et doit nous inviter à prendre un peu de recul. À propos de l'avortement, cette femme a eu du cran, certes, mais sa participation à une manifestation contre le mariage pour tous, en janvier 2013, prouve tout de même qu'on peut s'opposer aux réactionnaires un jour, et les rejoindre quelques années plus tard. De même, sur le plan politique, si son mari Antoine, dont on chante les louanges dans le même mouvement, a cru bon d'apporter son soutien au Sarkozy de l'entre-deux tours, c'est-à-dire à Patrick Buisson, c'est que l'étendard des Veil peut incarner le progrès, mais n'a pas peur du discours de Grenoble.     

Cette nuance apportée, la dernière leçon ne concernera pas les politiques mais la fameuse « opinion publique », c’est-à-dire nous tous. Les politiques ont des torts, mais les peuples ont des absences, ou des emballements. L’image de Simone Veil est belle et télégénique. Une femme qui défend les femmes, qui tient tête à une assemblée d’hommes, en bousculant sa propre majorité, l’histoire est inoubliable. Le problème, c’est que ce story-telling, raconté sous le seul prisme d’un ministère emblématique, oublie tout de même le personnage central.

Si Simone Veil a été nommée ministre, alors qu’elle était inconnue, et si le dossier de l’avortement lui a été confié, c’est qu’un homme a osé braver l’électorat qui venait de le porter à l’Élysée. Aujourd’hui, Valéry Giscard d’Estaing dégage un parfum de naphtaline plutôt que de modernité, et on se moque souvent de lui, mais est-ce conforme à la vérité historique quand on parle de la loi sur l’avortement ?

La densité unanime des hommages à Simone Veil a donc sa face cachée. L'image de cette femme, faiblement politique, a soufflé totalement le souvenir du président de l’époque, personnage totalement politique. La « sanctification » de l'une et l'effacement de l'autre peuvent avoir deux origines : l’indifférence à Giscard, ce qui serait un peu injuste ; ou l’antipolitisme ambiant. Là, ce serait beaucoup plus grave.      

           

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