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Plusieurs parlementaires de gauche (PS, Front de Gauche, EELV) veulent remettre à l'ordre du jour la reconnaissance de l'État palestinien, sur la base des frontières de 1967, avec pour capitale Jérusalem-Est. A l'Assemblée, l'initiative a été relancée depuis peu par l'ancien ministre de l'éducation Benoît Hamon, aux côtés de Gwenegan Bui et de François Loncle, députés (PS) membres de la commission des affaires étrangères. Réuni mercredi 5 novembre, les membres socialistes de cette commission ont, selon nos informations, voté cette proposition de résolution à une vingtaine de voix pour et seulement deux voix contre.
Ce combat est défendu par la France depuis la déclaration de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982, où il avait proclamé la nécessaire « reconnaissance mutuelle du droit de l’autre à l’existence [...] ce qui pour les Palestiniens comme pour les autres peut le moment venu signifier un Etat ».
Il prend une nouvelle dimension avec l'annonce par la Suède d'une reconnaissance unilatérale de la Palestine en tant qu'État. « Le gouvernement considère que les critères de droit international pour une reconnaissance de l’État de Palestine sont remplis : il y a un territoire, une population et un gouvernement », a affirmé la chef de la diplomatie suédoise, Margot Wallström, le 30 octobre. C'est une première pour un pays membre de l'Union européenne (la Pologne, la Roumanie et la Hongrie ont reconnu la Palestine en 1988 mais n'étaient pas encore membres de l'UE).
Il y a quelques jours, la nouvelle représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, affirmait pour sa part dans un entretien à cinq quotidiens européens qu'elle était favorable à une reconnaissance de l'État palestinien. «Je serai heureuse si au terme de mon mandat l’Etat de Palestine existait», expliquait-elle.
Certes, la France n'en est pas au stade de la Suède. Mais certains parlementaires (PS, EELV et Front de gauche) ont été inspirés par l'initiative suédoise et aussi par l'adoption, le 13 octobre, d'un texte au Parlement britannique réclamant la reconnaissance de la Palestine. Pour Benoît Hamon, une initiative française « remettrait la gauche dans des combats historiques, matrice de sa doctrine de politique étrangère». «À un moment, ajoute-t-il, il faut poser des actes politiques, même si le gouvernement reste parfaitement souverain de sa politique étrangère ». La sénatrice du Val-de-Marne EELV, Esther Benbassa, en a aussi fait sa priorité. « J’ai pris mon bâton de pèlerin, je vais voir les présidents de groupes au Sénat et j’ai demandé un rendez-vous avec Fabius, qu’il ne m’a pas donné », assure-t-elle. Une proposition de résolution des sénateurs Verts, que l'on peut retrouver ci-dessous, a été déposée le 23 octobre.
Le Front de gauche a également demandé au président de l'Assemblée, Claude Bartolone, de mettre la résolution de reconnaissance de la Palestine à l'ordre du jour. Le député de Seine-Saint-Denis, François Asensi, pense que le contexte politique est favorable : « J’ai cru déceler une certaine ouverture dans les propos du ministre des affaires étrangères, dernièrement au Caire. Cette solution des deux États est menacée sur le terrain avec la colonisation et le ministre a affirmé la nécessité de reconnaître l’existence de l’État palestinien. »
La proposition de résolution des députés socialistes de la commission des affaires étrangères, que l'on peut retrouver ci-dessous, « invite le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit ». Si cette résolution venait à être adoptée par l'Assemblée, elle constituerait une sérieuse avancée dans le lent processus de reconnaissance de la Palestine. In fine, seul le chef de l'Etat peut décider de cette reconnaissance.
Le député Front de Gauche, François Asensi émet quelques réserves sur le projet de résolution socialiste: « la formulation invitant le "Gouvernement français à faire de la reconnaissance de l’État de Palestine un instrument pour obtenir un règlement définitif du conflit" est sujette à interprétation », déclare-t-il. « La création d’un Etat palestinien indépendant constitue plus qu’un "instrument" diplomatique. Il s’agit d’un droit inaliénable de ce peuple, reconnu par les lois internationales et les nombreuses résolutions de l’ONU. Si cette résolution venait à être examinée par les députés dans cette rédaction, nous l’amenderions pour demander la reconnaissance sans condition et sans délai de l’Etat de Palestine », conclut-il.
S'agit-il d'un point de bascule dans la diplomatie française ? Les déclarations de l'exécutif français et les positionnements des parlementaires ces dernières années consistent en de multiples atermoiements.
Lors d'une visite à Paris du chef de l'Autorité palestinienne en avril 2011, soit avant l'élection présidentielle française, François Hollande s'exprime en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien. « Je viens donner mes encouragements à un processus qui doit conduire à la paix au Proche-Orient, à un État palestinien et à la sécurité d'Israël, lance-t-il à Mahmoud Abbas avant d'en faire mention dans le 59e engagement de son programme pour la présidentielle de 2012.
Quelques mois plus tard, en septembre 2011, dans le cadre d'une demande d'admission de la Palestine à l'ONU (les Palestiniens obtiendront un an plus tard le statut d'Etat non-membre mais observateur), une proposition de résolution du groupe socialiste à l’Assemblée demande à la France de voter pour la reconnaissance de l'État palestinien . À l’époque, le premier signataire s’appelait Jean-Marc Ayrault, suivi de près par un certain… François Hollande et dix-neuf futurs ministres du gouvernement, dont le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. « Le groupe SRC (socialiste, républicain et citoyen – ndlr) de l’Assemblée nationale appelle la France à reconnaître un État palestinien viable et souverain aux côtés de l’État d’Israël dont le droit à l’existence et à la sécurité doit être pleinement reconnu et garanti », écrivaient alors François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Laurent Fabius.
Toujours en septembre 2011, alors que la campagne présidentielle se rapproche, une liste de 110 parlementaires de droite et de gauche s'opposent à la reconnaissance unilatérale d'un État palestinien. Le texte, signé par plusieurs responsables socialistes (dont l'actuel secrétaire d'État Jean-Marie Le Guen, le président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas ou le maire de Sarcelles, François Pupponi), invite le chef de l'État à user de son droit de veto en cas de saisine du conseil de sécurité par Mahmoud Abbas (voir l'article de Lenaïg Bredoux). Au même moment, le candidat à la primaire et désormais premier ministre, Manuel Valls, fait connaître son point de vue dans une interview au journal Libération sous le titre « État palestinien : la négociation plutôt que l'unilatéralisme ». Son propos est le suivant : « Toute démarche unilatérale serait vécue par le camp d'en face comme une stratégie d'évitement des négociations visant, en creux, à imposer son point de vue. Cela n'est ni souhaitable, ni constructif, pour les Palestiniens et pour la reprise des pourparlers. »
En juin 2011 pourtant, le bureau national du PS avait adopté à la « quasi-unanimité », selon plusieurs responsables, une déclaration très claire : « Le Parti socialiste appelle la France à reconnaître l'État palestinien et à faire tous les efforts possibles pour que l'Union européenne défende cette reconnaissance à l'occasion de la prochaine Assemblée générale des Nations unies. C'est une étape décisive pour donner une réalité à la coexistence pacifique de deux États, israélien et palestinien, et à la réconciliation de leurs peuples. »
Le débat sur la reconnaissance de l'État palestinien s'invite de nouveau au concert des grandes nations six mois après l'élection d'Hollande. Le chef de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas dépose à l'ONU un projet de résolution visant à « accorder à la Palestine le statut d'État observateur dans le système des Nations unies ». Les membres de l'ONU disposent d'un mois pour donner leur avis. François Hollande, élu depuis un peu plus de six mois, tergiverse (voir notre article ici). Ce n'est que trois jours avant l'échéance du vote qu'il rompt finalement avec le suspense en annonçant le 26 novembre 2012 que la France votera en faveur d'une reconnaissance de la Palestine comme observateur à l'ONU.
Cinq mois plus tôt, en juin 2012 le nouveau président de la République apportait un timide soutien à Mahmoud Abbas : « Aujourd'hui, nous devons tout faire pour reconnaître l'État palestinien à travers un processus de négociation. Ce qu'attendent les Palestiniens, ce n'est pas une proclamation. » Fin août de la même année, à la conférence annuelle des ambassadeurs, le chef de l’État n’avait évoqué que brièvement le conflit israélo-palestinien. Surtout, il avait semblé reculer nettement à la sortie de son entretien avec le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, fin octobre : « Il y a aussi la tentation pour l'Autorité palestinienne d'aller chercher à l'Assemblée générale de l'ONU ce qu'elle n'obtient pas dans la négociation… Seule la négociation pourra déboucher sur une solution définitive à la situation de la Palestine. »
Passage obligatoire pour tout chef d'Etat en visite à Jérusalem, le discours à la Knesset, le Parlement israélien. Tous les Présidents s'y sont succédé, c'est là que François Hollande allait surtout être jugé, il y a été acclamé en novembre 2013. Sur la Palestine, François Hollande a redit la position énoncée par Sarkozy cinq ans plus tôt : « La position de la France est connue. C'est un règlement négocié pour que les États d'Israël et de Palestine, ayant tous deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité. (…) Cet accord n’aura de sens que si la sécurité d’Israël est renforcée. Quant à l’État palestinien, il devra être viable (…) – c’est pourquoi la colonisation doit cesser. »
Plus surprenant, sa visite s'est terminée par une soirée en petit comité où il a lancé un « chant d'amour » pour Israël (voir la vidéo au bout de 58 secondes) : « Si on m'avait dit que je viendrai en Israël et que j'aurais été obligé de chanter, je l'aurais fait pour l'amitié entre Benyamin et moi-même, pour Israël et pour la France. J'aurai toujours trouvé un chant d'amour pour Israël et pour ses dirigeants » avait-il conclu.
Début juillet 2014, c'est le début d'une nouvelle guerre entre Israël et la Palestine. L'État hébreu riposte à des tirs de roquette du Hamas et lance l'opération « bordure protectrice » visant dans un premier temps à pilonner la bande de Gaza et à mener une offensive terrestre dans les territoires palestiniens (lire l'article de François Bonnet). Rompant avec la ligne gaullo-mitterrandienne, François Hollande s'est rangé du côté du premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou.
Dans un communiqué publié sur le site de l'Élysée, il affirmait le 9 juillet 2014 le droit d’Israël à se défendre, sans évoquer les victimes palestiniennes ou le droit international : « Le Président de la République a exprimé la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza. Il a rappelé que la France condamne fermement ces agressions. Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces. » Par la suite, l'exécutif a nuancé son propos en mentionnant dans un nouveau communiqué les populations gazaouies. « Tout doit être fait pour mettre un terme immédiat à la souffrance des populations civiles à Gaza. »
Cette courte chronologie montre à quel point le débat est loin d'être tranché, à droite comme à gauche. Côté échéancier, plusieurs parlementaires ont été reçus mercredi 5 novembre par Laurent Fabius pour discuter des termes de la résolution. Les députés socialistes ont prévu de se réunir mercredi 12 novembre pour voter le texte. Si le projet de résolution franchit cette étape, il faudra encore attendre que le texte soit mis à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale (pas avant plusieurs semaines) pour un vote définitif.
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Le comptable public, Frank Mordacq, qui avait versé au total 268 millions d’euros aux liquidateurs du groupe Tapie à la suite de la célèbre sentence arbitrale, échappe pour l’instant à une lourde condamnation. Au terme d’un arrêt rendu ce lundi 10 novembre, la Cour des comptes l'a condamné à ne rembourser que 1 168,50 euros, sur les 152 millions d’euros du premier versement qu’il avait effectué. Et sur le second versement, d’un montant de 116 millions d’euros, la Cour des comptes a décidé un sursis à statuer.
Lors de l’audience publique, le 26 septembre dernier, à laquelle le seul média représenté était Mediapart (lire Tapie : un comptable public pourrait avoir à rembourser 268 millions d’euros), la rapporteure de la première chambre de la juridiction avait pourtant exposé des griefs très graves contre Frank Mordacq, le comptable public de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), l’établissement qui était l’actionnaire à 100 % du Consortium de réalisations (CDR), lequel CDR a accueilli en 1995 les actifs pourris du Crédit lyonnais et a donc hérité, au passage, du procès que l’ex-banque publique avait avec Bernard Tapie au sujet de la vente du groupe de sports Adidas. En clair, c’est Frank Mordacq qui a fait, en 2008 et 2009, certains des virements de l’EPFR, puisés dans les fonds publics, au profit du CDR, de sorte que celui-ci puisse s’acquitter d’une partie des 405 millions que les trois arbitres avaient alloués en dédommagement à Bernard Tapie.
D’abord, dans le cas des 152 millions d’euros, la rapporteure avait estimé que le comptable avait commis de nombreuses irrégularités. En particulier, selon une disposition inscrite dans la loi en 1999 par Dominique Strauss-Kahn (lire Affaire Tapie : le coup de pouce de Strauss-Kahn), il était prévu que l’État pourrait prendre à sa charge une éventuelle condamnation dans l’affaire Adidas, mais à la condition suspensive près que l’ex-Crédit lyonnais supporte une contribution forfaitaire de 12 millions d’euros. Selon la rapporteure, le comptable public aurait donc dû s’assurer auprès de l’EPFR que cette condition suspensive avait bien été levée. Et comme cela n’avait pas été le cas, il aurait dû suspendre l’intégralité du paiement. Pointant d’autres irrégularités sur les systèmes de délégation de signature ou sur les dates d’ordonnancement de ces dépenses, la magistrate avait donc considéré que le préjudice pour l’État était égal à la totalité de la somme engagée, soit l’intégralité de ces 152 millions d’euros.
Or, dans ce cas, l’article 60 de la loi du 23 février 1963 est très clair : « Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public. » Le même article précise encore : « La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes. » Conclusion implacable de la rapporteure : Frank Mordacq serait donc « redevable à l’EPFR de 152 millions d’euros ».
Dans le cas des 116 autres millions d’euros, qui ont été payés sept mois plus tard par le même comptable public, la rapporteure avait estimé que diverses autres irrégularités auraient été commises. Notamment, elle a estimé qu’une partie de cette somme, soit les 45 millions d’euros alloués par les arbitres à Bernard Tapie au titre du préjudice moral, n’avait pas à être supportée par l’EPFR, car cette somme ne découlait pas des conditions de la vente d’Adidas. Dans ce cas-là aussi, a-t-elle estimé, le comptable public aurait donc dû suspendre le versement. Quant au solde, correspondant à une partie des indemnités pour préjudice matériel, elle avait estimé que diverses autres irrégularités auraient été commises. En particulier, le paiement est intervenu au lendemain d’un conseil d’administration de l’EPFR, qui s’est tenu le 27 mars 2009, mais avant que la ministre des finances ne ratifie la dépense, ce qui n’interviendra qu’au cours du mois de juin suivant. En clair, le comptable public a engagé une dépense avant même qu’elle ne soit inscrite dans une loi de finances rectificative. Même conclusion implacable : « Monsieur Mordacq est débiteur auprès de l’EPFR de 116 millions d’euros. »
En bref, la rapporteure avait donc estimé que le comptable public devait être tenu personnellement et pécuniairement responsable de ces 268 millions d’euros.
Ce n’est pourtant pas en ce sens que la Cour des comptes a finalement tranché. Dans son arrêt, elle estime en effet que pour les 152 premiers millions d’euros qui ont été versés par le comptable, de très nombreuses fautes ont bel et bien été commises mais que le paiement effectué par lui n’a pas « entraîné un préjudice financier pour l’EPFR ». Or, dans ce cas, la loi prévoit que « la somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable (…) est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré ». Or, comme dans le cas d’espèce, le montant du cautionnement du comptable était de 779 000 euros, Frank Mordacq a été condamné à rembourser cette somme de 1 168,50 euros, sans que cette somme puisse faire l’objet d’une remise du ministre des finances.
Dans le cas du second virement, celui des 116 millions d’euros, l’arrêt de la Cour des comptes valide tous les griefs exposés par la rapporteure et insiste tout particulièrement sur le fait que le comptable n’aurait jamais dû verser cette somme, notamment parce que les 45 millions d’euros alloués à Bernard Tapie au titre du préjudice moral ne devaient pas être pris en charge par l’EPFR.
Mais la Cour des comptes observe « néanmoins qu’une instance est engagée devant la cour d’appel de Paris portant sur la validité de la sentence arbitrale ; que l’issue de cette instance dans des délais rapprochés est susceptible d’emporter des conséquences sur l’appréciation du préjudice financier subi par l’EPFR en raison du manquement du comptable ». Traduction : la cour d’appel de Paris va examiner le 25 novembre prochain le recours en révision introduit par le CDR, recours au terme duquel la fameuse sentence pourrait être annulée. « Dans le souci d’une bonne administration de la justice », la Cour des comptes considère donc dans son arrêt « qu’il y a lieu de surseoir au jugement sur le manquement constaté à l’occasion » de ce second versement de 116 millions d’euros. D’où, au bout du compte, cette condamnation pour l’instant légère de 1 168,50 euros qui est infligée au comptable, mais qui ne préjuge pas de l’arrêt final que pourrait rendre la Cour des comptes.
La morale de toute cette histoire, il n’est donc pas encore possible de la tirer. Mais dès à présent, quelques premiers constats s’imposent. Comme nous l’explique un bon connaisseur de la Cour des comptes, le grief majeur qui est fait au comptable n’est évidemment pas d’avoir été de mèche avec qui que ce soit de la « bande organisée » qui est soupçonnée par la justice pénale d’une possible escroquerie. Le comptable a juste été une soupape qui n'a pas fonctionné. Normalement celui-ci est le dernier verrou qui doit permettre de s'assurer que les sorties d'argent de l’État ne sont pas l'objet de manipulations frauduleuses. Même s'il ne fait que des vérifications formelles, il s'agit de s'assurer que tous les documents sont réunis pour attester de la légalité du paiement. En cas de tentative de corruption, le comptable est une épine supplémentaire dans le pied pour ceux qui veulent détourner des fonds au profit d'un bénéficiaire qui aurait obtenu moins devant les tribunaux de droit commun que dans un arbitrage.
Dans l’attente de l’arrêt définitif de la Cour des comptes, il y a donc deux hypothèses possibles. Soit le comptable public ne subit qu’une condamnation infime, et dans ce cas, l’affaire aurait de graves conséquences. Car ce laxisme judiciaire constituerait une incitation pour les autres comptables, voire pour les fonctionnaires « honnêtes », à ne pas se dresser face au pouvoir politique, en arguant des lois.
La seconde hypothèse, c’est que, après la décision de la cour d’appel, la Cour des comptes prenne une sanction beaucoup plus lourde contre le comptable – ce que les attendus du présent arrêt peuvent suggérer. Certes, pour le comptable concerné, les conséquences resteraient en grande partie symboliques. Car même quand un comptable public est condamné à payer plusieurs millions ou plusieurs centaines de millions d’euros, il s’agit plus d’une sanction morale que d’une sanction financière. Car, en réalité, le comptable peut demander une remise gracieuse au ministre des finances – et l’usage à Bercy est que cette remise soit accordée. De son côté, l’assurance du comptable paie le reliquat de la sanction financière qui est laissée à la charge du compte. En définitive, un comptable public n’a donc à payer de sa poche qu’une somme modique, à savoir la franchise de l’assurance, qui ne dépasse guère ordinairement la centaine d’euros.
Dans ce cas de figure, il ne s’agirait donc bel et bien que d’une sanction morale. Il n'empêche, la Cour des comptes serait la première juridiction à prononcer une condamnation, certes à l’encontre d’un protagoniste de second ordre et avec des sanctions mineures, dans l'affaire Tapie. Mais au moins les citoyens pourraient-ils se dire que la justice est enfin en marche, et que les personnes impliquées dans cette affaire commencent à être sanctionnées. En somme, l’État de droit, si souvent et si longtemps malmené, recommencerait à reprendre le dessus…
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Avis de tempête. D’ordinaire disciplinés, les syndicats de policiers multiplient les appels à battre le pavé à l’approche des élections professionnelles prévues début décembre : devant le palais de justice de Paris à l'appel du SCSI (premier chez les officiers) pour alerter sur l’état de la police judiciaire le 26 septembre, contre « la pression migratoire » dans le Calaisis à l'appel d'Unité SGP Police FO (majoritaire chez les gardiens et gradés) le 13 octobre, contre « la dégradation des conditions de travail et la perte de pouvoir d'achat » à l'appel d'Alliance police (deuxième chez les gardiens et gradés) le 13 novembre à Paris, etc.
Installés dans la cogestion, les syndicats de police disposent pourtant de suffisamment d’influence en interne pour rarement avoir à descendre dans la rue. Du 1er au 4 décembre, 125 000 policiers, ainsi que les autres personnels du ministère de l'intérieur, sont appelés à voter pour élire leurs représentants au sein des instances paritaires. Les revendications de cette campagne portent essentiellement sur des enjeux catégoriels : retraites, grilles indiciaires, cycles de travail, effectifs, etc. Flic est l’une des professions les plus syndiquées. Aux dernières élections de 2010, leur taux de participation frôlait les 83 %.
En 2008, Unité SGP Police FO était arrivé premier avec 47,8 %, suivi par Alliance police nationale (37,6 %) et l’Unsa police (9,7 %). Cette année, les cartes risquent d’être rebattues par l’application de la loi de 2008 sur la représentativité (lire en Prolonger), qui a obligé les syndicats policiers à se rattacher aux grandes confédérations (CFDT, CGT, FO, Unsa, CFE-CGC, CFTC). C'est ainsi qu’Alliance police, syndicat de gardiens et gradés, est désormais affilié à un « syndicat de l’encadrement », la CFE-CGC, auquel est également rattaché le Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP), qui rassemble les patrons des gardiens.
De leur score dépendra la capacité des syndicats à peser sur les décisions du ministère au sein des instances paritaires, mais également une partie de leur budget (environ un cinquième). Chaque année, le ministère de l’intérieur verse à ses organisations syndicales les plus représentatives une aide financière « au titre de la participation à leurs frais de fonctionnement ». Ce pécule grossit avec le nombre de suffrages exprimés et est réparti selon les voix obtenues.
En 2014, 15 organisations syndicales policières ont ainsi touché 1,56 million d’euros, dont près de 1,2 million pour les syndicats de gardiens de la paix et de gradés (581 540 euros pour le syndicat majoritaire Unité SGP FO Police, 452 867 euros pour Alliance police nationale et 127 559 pour Unsa police). Un trésor de guerre si sensible qu’il a fallu saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour que le ministère de l'intérieur nous donne accès à ces chiffres ainsi qu’aux comptes-rendus financiers des syndicats.
Cette subvention est une contrepartie de l’interdiction qui leur est faite, depuis 1995, de recourir à des régies publicitaires ou de démarcher eux-mêmes des annonceurs afin de se financer. À l’époque, les mandataires des syndicats n’hésitaient pas à proposer en échange d’argent des macarons à coller sur les pare-brises pour éviter les PV. « Les délégués régionaux vivaient comme des barons, car ils récupéraient l’argent, se souvient Philippe Capon, secrétaire de l’Unsa police (troisième syndicat de gardiens de la paix). Chacun sortait sa feuille de chou pour faire de la pub. » Après la condamnation le 30 janvier 1995 du patron du SNPT, mis en cause dans une affaire de démarchage abusif liée à la publicité de sa revue syndicale, l'ex-ministre de l'intérieur Charles Pasqua sonna la fin de cette faste époque.
Selon la convention signée par les organisations avec le ministère, la subvention peut servir à financer « loyers, dépenses téléphoniques, d’entretien, acquisition de mobiliers, de matériels informatiques, fournitures de bureau » ainsi que « certaines dépenses de communication (édition de documents, brochures, revues, organisation de congrès…) ». Pendant des années, plusieurs syndicats de gardiens de la paix ont ainsi confié la réalisation de leur revue ou du matériel de campagne à l’agence Credo créée par Alain Hamon, aujourd'hui journaliste d’iTélé, spécialiste des questions policières, ou à l’agence Fawa, tenue par Philippe Schwartz qui avait vendu des systèmes de vidéosurveillance au Conseil général des Hauts-de-Seine à l’époque Pasqua.
« Une campagne d’élection, c’est entre 200 000 et 300 000 euros, il y a près de 600 professions de foi », estime Henri Martini, secrétaire général d’Unité SGP Police FO, qui revendique entre 33 000 et 35 000 adhérents. La subvention finance aussi bien des dépenses de presse (abonnements aux agences) que les réceptions de certains syndicats, traditionnellement organisées dans des boîtes de nuit en présence du ministre de l’intérieur (5 946 euros au Bataclan pour le SCSI, principal syndicat d’officiers, en janvier 2013 ; 12 252 euros au Duplex pour Unité SGP Police FO en janvier 2011). La Fédération professionnelle indépendante de la police (Fpip), dirigée par Claude Choplin, un policier très proche du Front national dans les années 1990, y inclut elle des notes de restaurant (pour 600 euros au total en 2013).
Fin 2011, l’ex-ministre de l’intérieur Claude Guéant a remis un peu d’ordre dans les facilités de service accordées aux syndicats de police. Les abus devenaient trop flagrants. Pour la seule préfecture de police de Paris, le député PS Jean-Jacques Urvoas a ainsi avancé le chiffre de 351 « délégués syndicaux clandestins », dont 118 policiers membres du très droitier syndicat Alliance-Police nationale, rien que pour la région parisienne. « Aujourd’hui, il n’y a plus de détachés sauvages », assure Henri Martini. Selon Philippe Capon, le ménage effectué par Guéant a permis de récupérer « plus de 400 détachés syndicaux à temps plein ».
« Il y avait une tolérance, qui subsiste en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui permettait à certains de bénéficier d’une couverture, explique le secrétaire général de l’Unsa Police. Un chef de brigade peut par exemple donner une matinée à un de ses hommes sans la décompter. Sur le logiciel, il suffit de rentrer la personne en renfort du chef de poste. » Ce que Jean-Claude Delage, patron du syndicat Alliance, qui nie tout abus, appelle malicieusement « utiliser les textes existants de manière optimale pour créer du dialogue social ». « Un ministre de l’intérieur veut la tranquillité, donc il préfère avoir quelques délégués syndicaux supplémentaires, pour apaiser les tensions, plutôt que d’aller chercher la petite bête », finit-il par reconnaître.
L’administration ne fait en revanche pas de cadeaux aux « petits » syndicats comme la CGT police Paris ou Sud intérieur (qui sont d'ailleurs les seuls, à notre connaissance, à avoir interrogé publiquement la responsabilité du ministère de l'intérieur à la suite de la mort du jeune militant Rémi Fraisse sur le chantier du barrage de Sivens, le 25 octobre 2014, lire ici et ici). « Pour une demi-journée d’absence, il faut déposer trois exemplaires de demande plusieurs semaines à l’avance et les chefs de service les refusent souvent », dit Anthony Caillé, secrétaire général du Syndicat CGT police de la région parisienne.
« Les syndicats sont plus stables que le personnel politique : ce sont eux qui tiennent la clef de l’intronisation du ministre auprès de ses troupes », explique le sociologue Fabien Jobard, chercheur au centre Marc-Bloch à Berlin, qui parle de cogestion et de néocorporatisme. De droite comme de gauche, les ministres de l’intérieur comprennent vite la musique. « À son arrivée, Nicolas Sarkozy (UMP) s’est appuyé sur des gens qui connaissaient bien l’intérieur, Guéant et Gaudin, raconte son ami Jean-Claude Delage. Il a eu l’intelligence de rapidement se rendre compte que les syndicats de police étaient nécessaires au fonctionnement de son ministère. Il a beaucoup fait en termes d’avancée de carrière, pour les fiches de paie, les fichiers d’empreinte génétique, et les moyens juridiques donnés. » En octobre 2008, Alliance Police nationale signe un plan de carrière : en contrepartie du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, des dizaines de millions d’euros sont distribués aux gardiens de la paix et gradés. En 2010, Unité SGP Police FO, devenu majoritaire, décroche leur passage en catégorie B. Malgré la révision générale des politiques publiques (RGPP), les policiers « font partie des rares fonctionnaires à avoir été augmentés », se réjouit Henri Martini.
Dans son rapport sur les policiers et les gendarmes de mars 2013, la Cour des comptes s’effare de cette « accumulation des mesures catégorielles ». Entre 2006 et 2011, en dépit de la suppression de 7 000 emplois, les dépenses de rémunération de la police nationale ont augmenté de 10,5 %, contre 4,2 % pour l’ensemble de la fonction publique de l’État. Dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012, Sarkozy ira bien plus loin. Toutes les digues sautent dans l’espoir de s’assurer l’électorat policier et celui d’extrême droite. Le 26 avril 2012, à la suite du défilé des policiers sur les Champs-Élysées, le candidat promet « une présomption de légitime défense », une vieille revendication d’Alliance, de la FPIP et… du Front national.
Les caisses étant vides à son arrivée place Beauvau, l'ex-ministre de l'intérieur PS Manuel Valls marque lui son allégeance par l’abandon dès juillet 2012 du projet de récépissé visant à lutter contre les contrôles au faciès. Puis, en juillet 2013 dans un courrier à François Hollande, Valls torpille la réforme pénale de la garde des Sceaux Christiane Taubira, jugée laxiste par les syndicats de police. Ce qui a ensuite permis à Valls de faire passer en force un nouveau code de déontologie ainsi que le port du matricule, pourtant unanimement rejeté en décembre 2013 par les représentants des gardiens de la paix, des officiers et des commissaires.
Dernière réforme à accrocher au tableau de chasse des syndicats, celle, controversée, de la police judiciaire en Corse. Face à la bronca unanime des syndicats, le nouveau ministre Bernard Cazeneuve a enterré en toute discrétion fin juin 2014 le projet de son prédécesseur. « Nous votons à 83 % aux élections alors forcément aller à l’encontre des syndicats… », souligne Henri Martini.
Ce taux de participation n’est pas une particularité française. « Dans un contexte de désyndicalisation mondiale, les syndicats rassemblent par exemple 75 % des policiers aux États-Unis », dit le chercheur Fabien Jobard. Les élections professionnelles servent à élire les représentants du personnel qui siègent à parité avec l’administration dans les commissions. Or, plus que dans n’importe quel autre ministère, la carrière d’un gardien de la paix dépend de ses commissions, présentes à chaque étape de sa vie professionnelle : lors de sa titularisation, à chaque mutation, chaque avancement, de gardien de la paix à major en passant par brigadier et brigadier-chef. Policier est, en outre, un métier particulièrement exposé.
En cas de blessure en service ou de problèmes disciplinaires, ce sont également des commissions paritaires qui se prononcent (même si le préfet ou le ministre ont le dernier mot). « Au total, un policier aura besoin du syndicat au minimum une dizaine de fois sur sa carrière », estime Philippe Capon.
Les syndicats sont présents dès les bancs des écoles de police. Un secrétaire général d’un syndicat cite l’exemple d’une école de police « où le délégué syndical est également chef de discipline et responsable de la mutuelle. C’est un mélange des genres impressionnant ! (...) Toutes les nouvelles recrues sont d’abord affectées en Ile-de-France, il est donc conseillé d’adhérer pour espérer repartir dans sa région d’origine », explique Fabien Jobard. « Le discours syndical fait partie de la formation », confirme un brigadier de police du Nord-Pas-de-Calais, dégoûté du système. « C’est le seul endroit où il faut être syndiqué pour avoir son grade. » Un patron d’un syndicat de la paix le reconnaît en off : « Le syndicalisme dans la police est clientéliste. » « Un policier non syndiqué peut avoir un déroulé de carrière normal, s’il est… chauffeur d’un patron », plaisante un autre.
Pour plus de sécurité, certains policiers vont jusqu’à adhérer à la fois chez Unité SGP Police FO et chez Alliance, les deux frères ennemis. « On fait passer untel qui est au syndicat au détriment d’untel plus compétent ou plus ancien sur son grade », décrit un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur. Sous couvert d’anonymat, ce policier fustige surtout la responsabilité de l’administration qui « accède aux demandes des syndicats en toute illégalité ». Selon le patron d’un syndicat de gardiens de la paix, ce système ne perdure qu’avec la bonne volonté du ministère de l’intérieur car « sur 100 dossiers dérogatoires, 40 sont syndicaux, mais 60 viennent de magouilles politiques, d’une intervention d’un parlementaire, d’un directeur de service ou d’un préfet », avance-t-il sous couvert d’anonymat.
En juin 2010, Le Point avait épinglé le secrétaire général d’Alliance Jean-Claude Delage et son adjoint Frédéric Lagache, promus sur des postes de « responsable d’unité locale de police » (Rulp), bonification indiciaire à l’appui. Il s’agit d’un intitulé de poste rare (moins de 600 ouverts depuis 2004) et normalement réservé aux policiers actifs qui « exercent des missions d’encadrement d’unités opérationnelles ou techniques les plaçant en relation directe avec l’autorité judiciaire ou les autorités locales » selon un arrêté signé par Nicolas Sarkozy lui-même. « Ce n’était pas une promotion politique, c’est un déroulé de carrière normal arrivé à la cinquantaine pour un détaché syndical », se défend Jean-Claude Delage. Plusieurs autres responsables syndicaux en ont bénéficié : Henri Martini fin 2011 et Philippe Capon début 2012. Ce dernier précisé qu'à l'âge 61 ans, cette nomination n'avait rien d'indu.
Depuis 2008 et le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, le nombre de promotions a toutefois chuté, réduisant d’autant les possibilités de piston. « Désormais, ça passe surtout par les postes dans des zones Suep (secteurs et unités d'encadrement prioritaire) qui permettent d’accéder plus facilement au grade supérieur, remarque Anthony Caillé. C’est un système totalement opaque. »
Dans cette cogestion assumée, les syndicats policiers assurent, par défaut, la communication de la maison police. Sur les faits-divers, la dernière réforme, ils sont souvent les premiers interlocuteurs des journalistes. « Les gendarmes, eux, ont une démarche de communication proactive, avec des reportages clés en main », regrette Patrice Ribeiro secrétaire général de Synergie, le second syndicat d’officiers, lui aussi très à droite. Deux styles : en octobre 2013 alors que l’ancien directeur général de la gendarmerie nationale Denis Favier montait au créneau devant les députés de la commission de défense pour obtenir une rallonge de moyens, son homologue policier Claude Baland suggérait au principal syndicat de commissaires, le SCPN, de s’exprimer publiquement à sa place !
En arrivant place Beauvau en 2012, Manuel Valls avait pourtant exhorté ses chefs de service, jugés trop frileux, à prendre la parole devant les micros. En vain. Un de ses proches se souvient de l’avoir vu décrocher le téléphone pour reprocher à un commissaire d’avoir laissé le syndicaliste du coin commenter à sa place le dernier fait divers sur une chaîne d’info en continu. Courage, fuyons ! « Plutôt que de risquer de se prendre une volée de bois vert de la part du préfet ou du procureur, un patron préférera donner les infos aux syndicalistes », souligne Philippe Capon. « Ce qui place les syndicats en position de force face à l'administration, car ils peuvent guider le niveau d’information du public sur des affaires sensibles », estime Fabien Jobard.
Face à la dureté du métier et son impact sur la vie privée (séparations, suicides, etc.), les syndicalistes locaux jouent aussi un rôle social important, délaissé par l’administration. « Moi je voulais faire syndicaliste, pas père de famille », plaisante un délégué parisien, qui vient de passer de longues minutes au téléphone à remonter le moral d’un de ses collègues. « On sait qu’untel est en train de divorcer, qu’untel a besoin de conseil, souligne Christophe Crépin, porte-parole de l’Unsa police. Il y a un climat de confiance, qui n’existe pas avec les psychologues de l’administration. »
Depuis l'éclatement en 1995 de la puissante Fasp (Fédération autonome des syndicats de police) qui codirigeait la place Beauvau, les syndicats policiers sont éclatés et ne cessent de se déchirer. En matière politique, les trois corps, gardiens de la paix et gradés, officiers et commissaires, ont chacun leurs deux syndicats principaux, se répartissant l'un à droite, l'autre à gauche. Très schématiquement, Unité SGP Fo Police, Unsa police, le SCSI et le SCPN militent plutôt pour une police de proximité, tandis qu'Alliance, Synergie et le SICP, très proches de Nicolas Sarkozy, sont pour le tout-répressif. Ce qui ne les a pas empêchés de s'opposer en chœur au récépissé. Car les syndicats policiers font surtout preuve d’opportunisme. « Il y a un double discours et un double jeu, décrypte Fabien Jobard. Les organisations syndicales veillent toujours à la fidélité à l’égard d’un parti, mais ne brûlent jamais les discrets vaisseaux qu'elles ont pris soin de placer chez le parti concurrent. Et paradoxalement, alors que la Fasp a beaucoup contribué à la rénovation des forces policières, ce syndicalisme très éclaté et compétitif qui lui a succédé est un espace dans lequel chacun peut accuser l'autre de ne pas défendre la maison police. La compétition aboutit à la moyennisation et à la médiocrité. »
Nommé par Dominique de Villepin au Conseil économique et social, Joaquin Masanet, patron jusqu’en 2008 de l’ex-Unsa Police syndicat unique (qui fit ensuite scission), fit ainsi ouvertement campagne pour Ségolène Royal en 2007, puis François Hollande en 2012. « J’ai donné un coup de main pour que tout se passe correctement lors des meetings, raconte-t-il volontiers. J’ai mis des mecs qui faisaient ça hors service. » Fin 2011 et début 2012, Nicolas Sarkozy n’oubliera pas avant son départ de récompenser ses amis policiers : Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie officiers, et Frédéric Lagache, numéro deux d’Alliance, décorés de l’ordre national du mérite pour et Jean-Claude Delage, fait chevalier de la Légion d’honneur. En mars 2014, ce dernier a fait campagne aux côtés de Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille, sa ville d’origine. Le patron d’Alliance siège désormais au conseil d’arrondissement des 13e et 14e arrondissements marseillais.
Bruno Beschizza, l’ancien patron de Synergie, a lui bénéficié de toute la bienveillance du ministère de l’intérieur pour s’engager sous la bannière de l’UMP. Opportunément nommé sous-préfet hors cadre en 2010, ce qui lui permit de siéger au conseil régional d'Île-de-France, l’ex-officier fut titularisé par Nicolas Sarkozy quelques jours avant l’élection présidentielle de 2012. Bruno Beschizza a depuis été élu en mars 2014 maire UMP d’Aulnay-sous-Bois, après qu’un Manuel Valls plutôt conciliant a autorisé son détachement parmi les administrateurs civils. Le secrétaire national à la sécurité de l’UMP conserve un bureau rue Miromesnil, près de la place Beauvau. Il y est rémunéré à mi-temps comme chef des systèmes de sécurité, sous la houlette du haut fonctionnaire de défense adjoint, Philippe Riffaut.
Une mission qui n'a rien de fictif, explique Bruno Beschizza : « Après la mort d'une gardienne de la paix à Bourges, on m'a demandé de re-toiletter complètement tous les processus de sécurité de l'ensemble des sites du ministère. » Mais la situation provoque aujourd'hui quelques grincements de dents place Beauvau. « Le nouveau secrétaire général du ministère, le préfet Michel Lalande, m'a récemment fait comprendre que cela ne lui plaisait pas que je sois dans ses locaux », explique Bruno Beschizza qui dit avoir travaillé « avec plusieurs préfets de gauche » et avoir « toujours été loyal ». Il compte demander prochainement son détachement total « pour ne pas mettre son service en difficulté ».
L'ex syndicaliste s’inscrit dans une longue tradition : Gérard Monate, fondateur de la toute-puissante Fasp, devint en 1981 conseiller de François Mitterrand avant d’être condamné en 1997 dans le volet marseillais de l’affaire Urba. Ses successeurs, Bernard Deleplace puis Jean-Louis Arajol furent eux élus à Paris, le premier comme maire adjoint PS à la mairie du XIXe arrondissement, le second comme conseiller UMP dans le XXe arrondissement, après avoir été embauché par Pasqua au conseil général des Hauts-de-Seine.
BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été rencontrées en septembre 2014, à l'exception de Fabien Jobard joint par téléphone.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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« Le Front national est entré dans le système après l’éviction de Jean-Marie Le Pen, et il faut bien qu’il y ait un parti anti-système », explique le pamphlétaire d’extrême droite Alain Soral. Dans une vidéo postée sur internet ce mardi, et qui totalise déjà plus de 75 000 vues, Soral et l’humoriste Dieudonné annoncent officiellement la création de leur parti politique, Réconciliation nationale. Simultanément, la page du site du futur parti a été ouverte. Pour l’instant en travaux, elle présente l’esquisse de l’emblème de l’organisation : un lion et un coq, le premier posant une patte protectrice sur le cou de l’autre.
Mediapart l’avait annoncé le 21 octobre, les deux hommes ont décidé de « monter un parti politique » et une association de financement ayant « pour objet exclusif de recueillir des fonds ». Alain Soral reproche au passage à Mediapart d’en avoir précipité l’annonce grâce aux indiscrétions de « la police d’État » et des « renseignements généraux ».
Filmés durant près de 45 minutes, accoudés à un bar, les deux amis expliquent leur choix, en multipliant les allusions antisémites. Par cette déclaration fondatrice, les deux hommes s’exposent déjà à des poursuites judiciaires, et donnent probablement de premiers arguments aux juristes qui vont examiner la légalité de leur formation politique.
C’est pourtant pour fuir les tribunaux que Dieudonné voudrait créer un parti. « On a été identifiés par le premier ministre actuel comme le danger absolu de la République, dit-il. Ils m’ont interdit de spectacle, tu ne comptes plus les procès, moi c’est pareil. Est-ce qu’on a le choix de faire autrement que de monter ce parti ? »
Dieudonné est inéligible, par ses condamnations multiples, alors il voudrait aider « des gens à se présenter aux quatre coins de la France ». L’humoriste souligne les injures racistes qu'il a lui-même subies avant de rappeler ses engagements précédents – en faveur de la liste Europalestine en 2004, puis de la liste antisioniste en 2009. « Avoir 500 signatures pour la présidentielle, quand on est estampillé antisémite, c’est impossible », ajoute Alain Soral.
Ce dernier justifie sa propre décision de créer un parti politique par l’évolution du Front national, dont il a été membre entre 2007 et 2009. « Moi, ma stratégie jusqu'à présent, c'était de dire, on ne fait pas de politique, on essaye d'influer sur la politique de l'extérieur. Je ne m’en suis jamais caché, je faisais pression sur le Front national de l'extérieur pour qu’il fasse évoluer sa ligne économique, bon ça c’est fait : sur le programme économique le Front national est très bon. » Mais le polémiste estime avoir été trahi par le conseiller international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, sur les questions géopolitiques : « Dès qu'il a été élu, il a été retourné. »
Dès le 6 septembre, dans une autre vidéo, il avait déjà fait part de son projet de « se dissocier totalement du Front national », et de « rouler pour lui-même, en tant que parti politique », à cause de la position « pro-israélienne » de Chauprade. « On a fait comprendre au Front national qu’il pouvait effectivement accéder au pouvoir ou partager le pouvoir, s’il validait la ligne (d’Éric) Zemmour, la ligne de tous les partis politiques d’extrême droite d’Europe, c’est-à-dire d’être sioniste et anti-musulman. Jean-Marie Le Pen n’a jamais voulu valider cette ligne-là, mais faut comprendre qu’il n’est plus décisionnaire au Front national. »
« On », c’est bien sûr « le CRIF » (Conseil religieux des institutions juives de France – Ndlr), « qui a la haute main sur la politique française et qui décrète qui peut réintégrer ou pas l’arc républicain ». Dieudonné de surenchérir : lorsqu’il a rencontré Le Pen à la fête des Bleu Blanc Rouge, « Marine Le Pen était enfermée dans un bureau avec un responsable de la LDJ (la ligue de défense juive – Ndlr). J’ai la sensation qu’elle a trahi les idéaux patriotes de la ligne de son père. »
Le vieux fondateur du FN reste leur référence préférée. « On va prendre la place qu’a eue Jean-Marie Le Pen ces vingt dernières années. Et aussi Georges Marchais », déclare Soral qui garde par ailleurs la nostalgie du parti communiste, dont il a été membre dans les années 1990. Leur vidéo récupère au passage les propos de Jean-Luc Mélenchon tenus sur le CRIF.
Les fondateurs de Réconciliation nationale ajoutent que « l’incroyable promotion » du livre d’Éric Zemmour les a « obligés à bouger ». Dieudonné : « On a la sensation d’un personnage qui s’impose comme ça dans le paysage audiovisuel de l’ancien système. Ils sont en train de faire de Zemmour le champion, le nouveau BHL, celui qui va peser sur les politiciens. » « Celui qui mène le jeu idéologique, parce qu’il faut toujours que ce soit un membre de la communauté (juive – Ndlr) qui mène le jeu », poursuit Soral.
Au détour de la reprise d’un extrait d’émission de Zemmour, lorsque ce dernier évoque « les élites françaises », les deux hommes de Réconciliation nationale désignent l’ennemi : les photos d’une vingtaine d’hommes politiques, intellectuels, journalistes juifs apparaissent à l’écran :
Alain Soral explique qu’Éric Zemmour a emprunté 90 % des thèses de son livre, Comprendre l’Empire (2011), mais qu’il « incite à la guerre civile » en concluant que « le problème c’est l’Islam et les musulmans ». « S’il est pour la guerre civile, c’est qu’il travaille pour l’étranger, (…) pour un pays tiers », conclut Soral.
Et Dieudonné d’évoquer « l’histoire de Zemmour » : « Pourquoi il a quitté l’Algérie ? » Un extrait vidéo explique alors que le décret Crémieux a permis aux juifs d’Afrique du Nord, et donc à la famille d’Éric Zemmour, d’avoir la nationalité française… « Il refait ce que sa famille a fait en Algérie, c’est créer le chaos et la discorde et inciter à la guerre civile », précise l’humoriste.
La création de ce parti coïncide avec une série de poursuites judiciaires visant les contenus antisémites des publications et des vidéos de Soral. Le 17 octobre, alors qu’il comparaissait à Paris pour « incitation à la haine et la discrimination » après ses propos sur le journaliste Frédéric Haziza, le site d’Alain Soral recensait avec fierté ses litiges judiciaires – une quinzaine – en chiffrant à 489 292 euros les dommages et intérêts réclamés par ses adversaires. Il vient d’être condamné en appel pour ses injures contre l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë.
Ce mois-ci, Alain Soral doit aussi comparaître en appel pour la publication de cinq livres antisémites par sa maison d’édition Kontre Kulture. Le tribunal correctionnel de Bobigny a interdit L’Anthologie des propos contre les juifs, Le Judaïsme et le Sionisme de Paul-Éric Blanrue, et ordonné le retrait de passages de quatre autres livres parmi lesquels La France juive d’Édouard Drumont.
De son côté, Dieudonné a déjà été condamné à de multiples reprises pour des propos à caractère antisémite. Il doit comparaître en janvier à Paris pour provocation à la haine raciale pour ses propos sur le journaliste Patrick Cohen. Le parquet de Paris a par ailleurs ouvert une enquête en septembre pour apologie d'actes de terrorisme, après sa vidéo sur la mort du journaliste James Foley, décapité par les djihadistes de l'État islamique.
En 45 minutes de vidéo, les deux fondateurs du nouveau parti s’exposent déjà à de nouvelles poursuites, et posent de facto la question de la légalité de leur formation politique.
« En France, il n’existe pas de procédure spécifique pour prononcer la dissolution d'un parti politique alors que la Constitution les oblige à respecter les principes de la démocratie, il y a donc un vide sur ce point », explique à Mediapart l’avocat Jean-Christophe Ménard, docteur en droit et auteur d’un ouvrage sur le droit français des groupements politiques.
Deux procédures sont tout de même susceptibles d'être engagées : la dissolution judiciaire ou la dissolution administrative. La première est prévue par l’article 3 de la loi du 1er juillet 1901 sur la liberté d’association, « qui permet de procéder à la dissolution par le juge judiciaire de toute association dont l’objet serait illicite, par exemple une association qui voudrait porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement », explique Jean-Christophe Ménard. « Cette procédure est assez rarement utilisée car beaucoup trop longue. En France, on ne recense qu’un seul précédent : en 1929, un parti politique dénommé l’Étoile nord africaine, a été dissous par ce biais », souligne l’avocat.
La seconde procédure est prévue par la loi du 10 janvier 1936, relatives aux « groupes de combat et les milices privées », et codifiée en 2012 dans l’article L212-2 du code de la sécurité intérieure. C’est la procédure la plus souvent utilisée, elle l’a notamment été en 2013 pour la dissolution de groupuscules d’extrême droite (les Jeunesses nationalistes révolutionnaires et Troisième voie) lors de l’affaire Clément Méric, ce militant anti-fasciste tué par des skinheads.
« En s’appuyant sur les dispositions du code de la sécurité intérieure, une dissolution du parti de Soral et Dieudonné pourrait en effet être envisagée mais a posteriori », indique Jean-Christophe Ménard. Il s’agirait, explique l'avocat, « de voir s’il existe dans son programme, ses statuts, ses actions, des actes qui s'avèrent contraires à l’ordre public, qui ont pour but d'inciter à la haine raciale, de provoquer des émeutes, ou bien si des violences éclatent lors de leurs réunions publiques ».
Si une procédure de dissolution est initiée par l'administration, un recours est possible devant le conseil d’État, qui contrôle les motifs de la décision et le caractère contradictoire de la procédure.
Mais au-delà de la question juridique, c’est celle de l’opportunité politique d’une telle dissolution qui se pose. « Elle s’est déjà posée avec le Front national dans les années 1980-90, ou, tout récemment avec la Ligue de défense juive (LDJ). Dans une démocratie, procéder à une dissolution d’un groupement est très fort d’un point de vue symbolique », explique Me Ménard, qui rappelle que « sous la Ve République, il n’existe qu’un précédent concernant la dissolution d’un parti politique sur le fondement de la loi de 1936 : le Parti nationaliste, par un décret du 13 février 1959 ».
Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites, et à la tête de l’Observatoire des radicalités politiques, « l’interdiction d'un mouvement politique (devrait) rester une mesure de dernier ressort dans un système qui doit rester dominé par la liberté d'expression. (...) La justice sert de garde-fous », estimait-il le mois dernier dans Le Figaro. D’autant que, même si la reconstitution d’un mouvement dissous est pénalement répréhensible, celui-ci peut tout à fait se reconstituer sous un autre nom, avec un autre objet. Ce fut le cas d’Unité radicale, mouvement d’extrême droite radicale dissous en 2002, qui a laissé la place l’année suivante au Bloc identitaire, constitué en parti politique en 2009.
« Il faut simplement laisser ce parti (de Soral et Dieudonné, ndlr) vivre sa vie et disparaître lorsque les résultats électoraux ne seront pas au rendez-vous », estime Jean-Yves Camus.
Pour Jean-Christophe Ménard, « la question qui se pose de manière plus générale est de savoir si notre droit est adapté à la constitution de groupements politiques qui ont des activités ou un programme dit "extrémiste" ? Faut-il adopter une législation plus libérale au nom du débat d'idées ou au contraire réfléchir à une procédure de dissolution spécifique pour ce type de groupement ? ».
Alain Soral et Dieudonné doivent maintenant déposer les statuts de leur parti en préfecture, puis demander à la Commission des comptes de campagne (CNCCFP) un agrément, qui est quasi automatique, puisqu'il suffit de respecter les critères de dépôt des statuts.
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Mediapart l’avait annoncé le 21 octobre, les deux hommes ont décidé de « monter un parti politique » et une association de financement ayant « pour objet exclusif de recueillir des fonds ». Alain Soral reproche au passage à Mediapart d’en avoir précipité l’annonce grâce aux indiscrétions de « la police d’État » et des « renseignements généraux ».
Filmés durant près de 45 minutes, accoudés à un bar, les deux amis expliquent leur choix, en multipliant les allusions antisémites. Par cette déclaration fondatrice, les deux hommes s’exposent déjà à des poursuites judiciaires, et donnent probablement de premiers arguments aux juristes qui vont examiner la légalité de leur formation politique.
C’est pourtant pour fuir les tribunaux que Dieudonné voudrait créer un parti. « On a été identifiés par le premier ministre actuel comme le danger absolu de la République, dit-il. Ils m’ont interdit de spectacle, tu ne comptes plus les procès, moi c’est pareil. Est-ce qu’on a le choix de faire autrement que de monter ce parti ? »
Dieudonné est inéligible, par ses condamnations multiples, alors il voudrait aider « des gens à se présenter aux quatre coins de la France ». L’humoriste souligne les injures racistes qu'il a lui-même subies avant de rappeler ses engagements précédents – en faveur de la liste Europalestine en 2004, puis de la liste antisioniste en 2009. « Avoir 500 signatures pour la présidentielle, quand on est estampillé antisémite, c’est impossible », ajoute Alain Soral.
Ce dernier justifie sa propre décision de créer un parti politique par l’évolution du Front national, dont il a été membre du comité central entre 2007 et 2009. « Moi, ma stratégie jusqu'à présent, c'était de dire, on ne fait pas de politique, on essaye d'influer sur la politique de l'extérieur. Je ne m’en suis jamais caché, je faisais pression sur le Front national de l'extérieur pour qu’il fasse évoluer sa ligne économique, bon ça c’est fait : sur le programme économique le Front national est très bon. » Mais le polémiste estime avoir été trahi par le conseiller international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, sur les questions géopolitiques : « Dès qu'il a été élu, il a été retourné. »
Dès le 6 septembre, dans une autre vidéo, il avait déjà fait part de son projet de « se dissocier totalement du Front national », et de « rouler pour lui-même, en tant que parti politique », à cause de la position « pro-israélienne » de Chauprade. « On a fait comprendre au Front national qu’il pouvait effectivement accéder au pouvoir ou partager le pouvoir, s’il validait la ligne (d’Éric) Zemmour, la ligne de tous les partis politiques d’extrême droite d’Europe, c’est-à-dire d’être sioniste et anti-musulman. Jean-Marie Le Pen n’a jamais voulu valider cette ligne-là, mais faut comprendre qu’il n’est plus décisionnaire au Front national. »
« On », c’est bien sûr « le CRIF » (Conseil représentatif des institutions juives de France – ndlr), « qui a la haute main sur la politique française et qui décrète qui peut réintégrer ou pas l’arc républicain ». Dieudonné de surenchérir : lorsqu’il a rencontré Le Pen à la fête des Bleu Blanc Rouge, « Marine Le Pen était enfermée dans un bureau avec un responsable de la LDJ (la ligue de défense juive – ndlr). J’ai la sensation qu’elle a trahi les idéaux patriotes de la ligne de son père. »
Le vieux fondateur du FN reste leur référence préférée. « On va prendre la place qu’a eue Jean-Marie Le Pen ces vingt dernières années. Et aussi Georges Marchais », déclare Soral qui garde par ailleurs la nostalgie du parti communiste, dont il a été membre dans les années 1990. Leur vidéo récupère au passage les propos de Jean-Luc Mélenchon tenus sur le CRIF.
Les fondateurs de Réconciliation nationale ajoutent que « l’incroyable promotion » du livre d’Éric Zemmour les a « obligés à bouger ». Dieudonné : « On a la sensation d’un personnage qui s’impose comme ça dans le paysage audiovisuel de l’ancien système. Ils sont en train de faire de Zemmour le champion, le nouveau BHL, celui qui va peser sur les politiciens. » « Celui qui mène le jeu idéologique, parce qu’il faut toujours que ce soit un membre de la communauté (juive – ndlr) qui mène le jeu », poursuit Soral.
Au détour de la reprise d’un extrait d’émission de Zemmour, lorsque ce dernier évoque « les élites françaises », les deux hommes de Réconciliation nationale désignent l’ennemi : les photos d’une vingtaine d’hommes politiques, intellectuels, journalistes juifs apparaissent à l’écran :
Alain Soral explique qu’Éric Zemmour a emprunté 90 % des thèses de son livre, Comprendre l’Empire (2011), mais qu’il « incite à la guerre civile » en concluant que « le problème c’est l’Islam et les musulmans ». « S’il est pour la guerre civile, c’est qu’il travaille pour l’étranger, (…) pour un pays tiers », conclut Soral.
Et Dieudonné d’évoquer « l’histoire de Zemmour » : « Pourquoi il a quitté l’Algérie ? » Un extrait vidéo explique alors que le décret Crémieux a permis aux juifs d’Afrique du Nord, et donc à la famille d’Éric Zemmour, d’avoir la nationalité française… « Il refait ce que sa famille a fait en Algérie, c’est créer le chaos et la discorde et inciter à la guerre civile », précise l’humoriste.
La création de ce parti coïncide avec une série de poursuites judiciaires visant les contenus antisémites des publications et des vidéos de Soral. Le 17 octobre, alors qu’il comparaissait à Paris pour « incitation à la haine et la discrimination » après ses propos sur le journaliste Frédéric Haziza, le site d’Alain Soral recensait avec fierté ses litiges judiciaires – une quinzaine – en chiffrant à 489 292 euros les dommages et intérêts réclamés par ses adversaires. Il vient d’être condamné en appel pour ses injures contre l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë.
Ce mois-ci, Alain Soral doit aussi comparaître en appel pour la publication de cinq livres antisémites par sa maison d’édition Kontre Kulture. Le tribunal correctionnel de Bobigny a interdit L’Anthologie des propos contre les juifs, Le Judaïsme et le Sionisme de Paul-Éric Blanrue, et ordonné le retrait de passages de quatre autres livres parmi lesquels La France juive d’Édouard Drumont.
De son côté, Dieudonné a déjà été condamné à de multiples reprises pour des propos à caractère antisémite. Il doit comparaître en janvier à Paris pour provocation à la haine raciale pour ses propos sur le journaliste Patrick Cohen. Le parquet de Paris a par ailleurs ouvert une enquête en septembre pour apologie d'actes de terrorisme, après sa vidéo sur la mort du journaliste James Foley, décapité par les djihadistes de l'État islamique.
En 45 minutes de vidéo, les deux fondateurs du nouveau parti s’exposent déjà à de nouvelles poursuites, et posent de facto la question de la légalité de leur formation politique.
« En France, il n’existe pas de procédure spécifique pour prononcer la dissolution d'un parti politique alors que la Constitution les oblige à respecter les principes de la démocratie, il y a donc un vide sur ce point », explique à Mediapart l’avocat Jean-Christophe Ménard, docteur en droit et auteur d’un ouvrage sur le droit français des groupements politiques.
Deux procédures sont tout de même susceptibles d'être engagées : la dissolution judiciaire ou la dissolution administrative. La première est prévue par l’article 3 de la loi du 1er juillet 1901 sur la liberté d’association, « qui permet de procéder à la dissolution par le juge judiciaire de toute association dont l’objet serait illicite, par exemple une association qui voudrait porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement », explique Jean-Christophe Ménard. « Cette procédure est assez rarement utilisée car beaucoup trop longue. En France, on ne recense qu’un seul précédent : en 1929, un parti politique, dénommé l’Étoile nord africaine, a été dissous par ce biais », souligne l’avocat.
La seconde procédure est prévue par la loi du 10 janvier 1936, relative aux « groupes de combat et les milices privées », et codifiée en 2012 dans l’article L212-2 du Code de la sécurité intérieure. C’est la procédure la plus souvent utilisée, elle l’a notamment été en 2013 pour la dissolution de groupuscules d’extrême droite (les Jeunesses nationalistes révolutionnaires et Troisième voie) lors de l’affaire Clément Méric, ce militant antifasciste tué par des skinheads.
« En s’appuyant sur les dispositions du Code de la sécurité intérieure, une dissolution du parti de Soral et Dieudonné pourrait en effet être envisagée mais a posteriori », indique Jean-Christophe Ménard. Il s’agirait, explique l'avocat, « de voir s’il existe dans son programme, ses statuts, ses actions, des actes qui s'avèrent contraires à l’ordre public, qui ont pour but d'inciter à la haine raciale, de provoquer des émeutes, ou bien si des violences éclatent lors de leurs réunions publiques ».
Si une procédure de dissolution est initiée par l'administration, un recours est possible devant le Conseil d’État, qui contrôle les motifs de la décision et le caractère contradictoire de la procédure.
Mais au-delà de la question juridique, c’est celle de l’opportunité politique d’une telle dissolution qui se pose. « Elle s’est déjà posée avec le Front national dans les années 1980-90, ou, tout récemment avec la Ligue de défense juive (LDJ). Dans une démocratie, procéder à une dissolution d’un groupement est très fort d’un point de vue symbolique », explique Me Ménard, qui rappelle que « sous la Ve République, il n’existe qu’un précédent concernant la dissolution d’un parti politique sur le fondement de la loi de 1936 : le Parti nationaliste, par un décret du 13 février 1959. »
Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites, et à la tête de l’Observatoire des radicalités politiques, « l’interdiction d'un mouvement politique (devrait) rester une mesure de dernier ressort dans un système qui doit rester dominé par la liberté d'expression. (…) La justice sert de garde-fous », estimait-il le mois dernier dans Le Figaro. D’autant que, même si la reconstitution d’un mouvement dissous est pénalement répréhensible, celui-ci peut tout à fait se reconstituer sous un autre nom, avec un autre objet. Ce fut le cas d’Unité radicale, mouvement d’extrême droite radicale dissous en 2002, qui a laissé la place l’année suivante au Bloc identitaire, constitué en parti politique en 2009.
« Il faut simplement laisser ce parti (de Soral et Dieudonné – ndlr) vivre sa vie et disparaître lorsque les résultats électoraux ne seront pas au rendez-vous », estime Jean-Yves Camus.
Pour Jean-Christophe Ménard, « la question qui se pose de manière plus générale est de savoir si notre droit est adapté à la constitution de groupements politiques qui ont des activités ou un programme dit “extrémiste” ? Faut-il adopter une législation plus libérale au nom du débat d'idées ou au contraire réfléchir à une procédure de dissolution spécifique pour ce type de groupement ? ».
Alain Soral et Dieudonné doivent maintenant déposer les statuts de leur parti en préfecture, puis demander à la Commission des comptes de campagne (CNCCFP) un agrément, qui est quasi automatique, puisqu'il suffit de respecter les critères de dépôt des statuts.
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Toute politique se mesure à ses indignations. Un pays, sa vie publique, sa vitalité démocratique, se juge à ce qui l’enflamme, le transporte ou le révolte. Tout comme Albert Camus disait, à la Libération, « qu’un pays vaut souvent ce que vaut sa presse », une démocratie vaut ce que valent ses colères.
Qu’en démocratie, un jeune manifestant pacifique puisse être tué par des forces de police ou de gendarmerie, usant d’une arme de guerre – une grenade offensive – comme s’il s’agissait d’un ennemi, est de ces injustices où le funeste sort d’un seul devrait soulever les consciences de tous. Or, à l’exception des forces politiques alternatives à l’ordre établi, aussi bien économique que politique, qui s’étendent des écologistes à l’extrême gauche en passant par le Front de gauche, l’indifférence, voire le mépris ou la calomnie, l’ont emporté, de l’extrême droite à la gauche gouvernante, en passant par la droite, rivalisant de compliments pour la fermeté du premier ministre socialiste face aux « casseurs » (lire ici notre article).
Il faut donc en convenir : l’affaissement de notre vie publique se traduit aussi sur l’échelle des « affaires d’État ». Tandis que Mediapart documentait l’usage massif de grenades offensives à Sivens lors de la nuit fatale pour Rémi Fraisse et, surtout, la dissimulation par les pouvoirs publics des causes de sa mort durant près de trois jours (lire ici et là nos révélations), l’affaire Jouyet a surgi, imposée par des médias moutonniers comme la seule urgence de l’heure.
Échappant à ses trois protagonistes – le secrétaire général de l’Élysée, auteur de confidences enregistrées par deux journalistes du Monde –, elle fait office, à leur corps défendant, de superbe diversion tant pour Manuel Valls, qui échappe momentanément à l’affaire Rémi Fraisse, ce premier opposant tué sous un pouvoir de gauche depuis Guy Mollet, que pour Nicolas Sarkozy, qui en profite pour tenter de faire oublier, en les décrédibilisant, les affaires judiciaires qui le menacent.
Il est une basse politique comme existe une basse police. Aussi médiocres l’une que l’autre, elles ont en commun d’abaisser la Cité, cette polis grecque de leur étymologie partagée que la première est supposée incarner et la seconde protéger. La situation dans laquelle Jean-Pierre Jouyet s’est lui-même placé relève de cette catégorie où la politique s’abîme tandis que l’État s’égare, le discrédit devenant leur sort commun.
Aussi picrocholine que soit cette histoire d’une supposée conversation rapportée à des journalistes – sur le mode : « Un tel dit que tel autre lui a dit… » –, elle n’en est pas moins accablante pour le secrétaire général de la Présidence de la République. Et c’est pourquoi son départ de l’Élysée s’impose, ne serait-ce que par respect de l’État et de ceux qui le servent avec abnégation et discrétion.
Voici donc le premier rôle, après le Président lui-même, au sein d’un palais dont tous les occupants sont au service du gardien de la Constitution – définition institutionnelle du chef de l’État –, qui raconte sans façon à des journalistes ce que des tiers lui ont confié, sous le sceau de la confidence. Nos deux confrères ne sont évidemment pas en cause puisque, en l’espèce, ils ne font que leur métier : faire parler ceux qui, d’ordinaire, ne disent rien. Apprendre ce qui ne se sait pas. Obtenir des informations d’intérêt public. Mais il est moins certain qu’en l’occurrence, M. Jouyet ait fait le sien, de métier, si l’on entend par là être au rendez-vous d’une fonction et des responsabilités qu’elle suppose.
Car le tiers dont M. Jouyet trahit ainsi la confiance, François Fillon, n’est pas n’importe quel interlocuteur. C’est à la fois l’un des dirigeants de l’opposition au pouvoir actuel et l’ancien premier ministre d’un gouvernement auquel M. Jouyet a lui-même appartenu. En prêtant à M. Fillon des propos que ce dernier dément catégoriquement, le bras droit de François Hollande ne se contente pas de discréditer un adversaire politique qui est ainsi portraituré en manœuvrier occulte sur le terrain des affaires judiciaires. Il réussit surtout cette prouesse politique de conforter à la fois Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen.
Tandis que l’ancien chef de l’État peut ainsi faire oublier la consistance des dossiers judiciaires qui le concernent, la présidente du Front national peut à loisir entonner le refrain de l’UMPS, dénonciation de cette alliance de supposés contraires qui s’entretiennent et s’entendent comme maquignons en foire dans le dos de leurs électeurs. Et comment parvenir à lui donner tort quand Jean-Pierre Jouyet est, jusqu’à la caricature, l’hybride qui témoigne d’une gauche convertie à une politique de droite, au point de passer de l’une à l’autre, et inversement, avec toujours le même aplomb, sans embarras ni pudeur ?
Sans morale non plus puisque ce va-et-vient ne l’empêche pas de cancaner sur l’un de ceux (de droite) qu’il servit hier auprès de celui (de gauche) qu’il sert aujourd’hui.
L’affaire ne tient donc pas à l’éventuelle vérité des propos prêtés à M. Fillon par M. Jouyet. Tout simplement parce que celle-ci est indémontrable, donc sans fondement. Avec le feu vert du président, le secrétaire général de l’Élysée rapporte aux journalistes du Monde le contenu d’une conversation à trois, lors d’un déjeuner, que démentent ses deux autres protagonistes, l’ancien premier ministre et un inspecteur des finances qui fut collaborateur de l’un et de l’autre (lire ici son entretien au Figaro). Deux contre un : la seule parole de M. Jouyet ne peut accréditer des propos que rien ne vient corroborer, aucun témoin, aucun fait. En ce sens, Le Monde a été bien imprudent d’affirmer dans sa titraille ce qui n’était que la version du secrétaire général de l’Élysée et qu’il aurait dû lui attribuer – « Selon M. Jouyet… » – au lieu de le tenir comme vérité acquise.
La seule vérité en l’espèce est celle qui accable le secrétaire général de l’Élysée et, par voie de conséquence, le président de la République qu’il est supposé servir. Et qui l’accable d’autant plus qu’il a tenté de l’étouffer en démentant d’abord par un communiqué officiel ce qu’il admettra ensuite face au verbatim de l’enregistrement des journalistes.
Car, selon le récit de M. Jouyet lui-même, il n’a rien trouvé de choquant à la suggestion qui lui aurait été faite d’orienter la justice dans une certaine direction, sur le dossier des finances de l’UMP, au point de la transmettre avec empressement au président de la République, qui y aurait opposé, selon ses dires, une fin de non-recevoir, au nom de l’indépendance de la justice.
Désormais, l’Élysée aura beau faire, le soupçon est installé : ce bavardage de son secrétaire général accrédite la thèse, que la droite s’empresse d’exploiter jusqu’à fantasmer, d’un « cabinet noir », d’une présidence bien plus curieuse qu’elle ne le prétend des affaires judiciaires concernant un éventuel futur rival, Nicolas Sarkozy.
Et ce soupçon peut d’autant plus prospérer que Jean-Pierre Jouyet a choisi de se confier, avec l’aval de François Hollande, à deux journalistes dont les dossiers politico-financiers sont la spécialité, notamment ceux concernant l’ancien président de la République sur lesquels ils se sont fait remarquer par la publication régulière de pièces judiciaires, Nicolas Sarkozy étant la cible affichée de leur récent livre, Sarko s’est tuer, faisant suite à Sarko m’a tuer (tous deux chez Stock).
Pour les journalistes qui enquêtent sur des affaires sensibles, l’une des règles d’or est de se tenir à distance des camps partisans qui pourraient les exploiter, dans un sens ou dans un autre. La confiance du public est à ce prix qui, dans le fonctionnement collectif d’une rédaction, suppose une séparation des tâches et une répartition des rôles entre les professionnels qui suivent la vie politique institutionnelle et ceux qui enquêtent sur sa part d’ombre. Cela n’empêche évidemment pas le travail d’équipe entre les uns et les autres, comme Mediapart le démontre fréquemment. Mais cela interdit que s’installe une confusion où les révélations sur les affaires en cours sont suspectées de suivre l’agenda d’un pouvoir trop assidûment fréquenté.
Or il se trouve que François Hollande a lui-même choisi de brouiller ces repères en faisant des deux enquêteurs du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui ne sont pas journalistes politiques, les biographes officieux de son quinquennat, au rythme de rendez-vous très réguliers où il leur confie sa version de la présidence en cours, en vue d’un récit livresque à paraître en 2017. Entretiens qui, tout comme celui avec M. Jouyet, sont enregistrés. C’est donc à raison du livre à venir d’ici trois ans que Jean-Pierre Jouyet, avec l’accord du président de la République, s’est confié aux journalistes, leur faisant des confidences qui, finalement, n’attendront pas 2017 pour se retrouver à la Une du Monde.
Que le journal où travaillent nos confrères ait accepté ce qui, à Mediapart, aurait été refusé car relevant d’un mélange des genres et des registres risquant de porter atteinte à notre crédit, par le soupçon d’une proximité compromettante, c’est son affaire dont nous n’avons pas à nous mêler – la presse n’étant heureusement pas uniforme. En revanche, le choix fait par François Hollande nous concerne tous, dans la mesure où, dans cette dégringolade en basse politique, l’Élysée risque d’entraîner le journalisme d’enquête que Nicolas Sarkozy et bien d’autres politiques ont toujours cherché à discréditer, lui déniant toute indépendance véritable.
Le Camus de Combat, que nous convoquions en prologue, proposait au journalisme français cette ambition morale : « Élever ce pays en élevant son langage ». Façon de dire, la politique étant elle-même un langage, que la presse, loin d’être indifférente à ses fins, devait s’inquiéter de l’abaissement de la vie publique. Souhaitant restaurer « la responsabilité du journaliste devant le public », le futur prix Nobel de littérature ajoutait : « Qu’est-ce qu’un journaliste ? C’est un homme qui d’abord est censé avoir des idées. » Ce qui signifiait, dans son esprit, ajouter au souci de vérité, au service du droit de savoir des citoyens, la recherche du sens, autrement dit d’une intelligence critique des situations.
C’est ce à quoi nous nous sommes essayés ici même avec cette affaire Jouyet, en la remettant dans son contexte, celui d’une vie publique rabaissée, sous une présidence sans hauteur. En somme, d’une politique réduite à son degré zéro.
BOITE NOIREFabrice Lhomme, l’un des deux journalistes du Monde ayant recueilli les confidences de Jean-Pierre Jouyet, a participé à la création de Mediapart en 2008, avant de revenir au Monde en 2011. Comme enquêteur, il a notamment travaillé en tandem avec Fabrice Arfi, tous deux ayant notamment révélé dans notre journal l’affaire Karachi et l’affaire Bettencourt. Tous ses articles pour Mediapart sont disponibles ici.
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« Alain, tu es devenu le monstre que tout le monde craignait que tu deviennes. » Pour dresser le portrait d’Alain Soral, c’est encore sa sœur actrice, Agnès, qui a la dent la plus dure. Tout, ou presque, a été dit sur le parcours de ce fils de bonne famille savoyarde, devenu animateur de la scène conspirationniste francophone, nationaliste, figure incontournable du net hexagonal, et compagnon de route de Dieudonné, avec qui il lance aujourd'hui son parti politique.
Dans un reportage tourné par Canal Plus en janvier 2014, la comédienne, rendue célèbre par son rôle dans Tchao pantin, en 1983, raconte comment elle a vu évoluer son petit frère, des soirées dans la célèbre boîte “Les Bains Douches” dans les années 1980 aux réunions publiques où il fustige le « complot sioniste international » aujourd'hui. « Moi, je vais laisser mon nom dans le dictionnaire, quand toi, tu tomberas dans l’oubli », lui aurait-il lancé comme ultime explication de sa trajectoire de rupture toujours plus franche avec un « système » qu’il ne cesse de dénoncer.
Sa biographie officielle, disponible sur le site d’Égalité & Réconciliation, l’association qu’il a créée en 2006 pour promouvoir ses idées (en lire ici la charte) ? « Alain Soral, né le 2 octobre 1958 à Aix-les-Bains en Savoie, est écrivain, sociologue, réalisateur, instructeur de boxe, président de l'association Égalité et Réconciliation et directeur de collection aux éditions KontreKulture. Le seul diplôme dont il dispose est celui d’instructeur de boxe. »
Dans les années 1990, l’homme aime autant l’exposition médiatique que les nuits parisiennes. En 1998, il n’hésite pas à s’offrir, pour ses quarante ans, une participation à C’est mon choix, la célèbre émission d’Évelyne Thomas sur France 3. Seize ans plus tard, sa défense bravache du machisme comme mode incomparable de relation aux femmes reste saisissante.
Soral est aussi ce branché qui passe en 2003 dans l'émission Paris dernière, où il explique être expulsé du monde médiatique « par le système », et dénonce très calmement « des risques et des dangers consubstantiels à la pratique gay ».
C’est la combinaison de ses livres et de son côté agitateur et « bon client » qui a fait de lui un invité régulier des plateaux de télévision, où il occupait une place assez proche de celle d’un Éric Zemmour des premières années. Cette « œuvre » d’Alain Soral, c’est encore sa biographie officielle qui en parle le mieux : « Dans les années 90, s'inspirant de sa propre expérience, Alain Soral analyse les rapports Homme-Femme en Occident et dénonce le mensonge de l'idéologie féministe (La Vie d'un vaurien, Sociologie du dragueur et Vers la féminisation). À partir des années 2000, il approfondit son étude du communautarisme et de sa logique victimaire à travers des ouvrages toujours pédagogiques et accessibles (Abécédaires de la bêtise ambiante, Misères du désir et Chute !). »
Lors de la création d’Égalité & Réconciliation, Alain Soral est adhérent au FN depuis peu et est devenu membre du comité central du parti, sous l’œil bienveillant de Jean-Marie Le Pen. Il claque la porte en 2009 en raison de ses relations difficiles avec Marine Le Pen. En 2011, juste après avoir lancé la version actuelle du site d’Égalité & Réconciliation, base de sa renommée sur le web encore aujourd’hui, il publie son livre Comprendre l’empire, qui s’écoule à plus de 70 000 exemplaires (auxquels on peut ajouter les quelque 15 000 exemplaires des Dialogues désaccordés – Éd. Hugo Doc –, fruit d’un échange épistolaire avec Éric Naulleau, parus en 2013).
KontreKulture, sa librairie en ligne, assure largement la promotion de ses ouvrages, où il se revendique sans ciller tenant d’un « national-socialisme à la française » dont il serait le théoricien. Ses rayonnages virtuels abritent des dizaines de volumes, dont des classiques de la pensée antisémite, comme La France juive, publié à la fin du XIXe siècle par Édouard Drumont. En juin 2013, la Licra a d’ailleurs attaqué le site pour sa mise en vente de ce livre et de quatre autres. Elle a obtenu gain de cause en première instance.
Mais à tous ses détracteurs qui pointent son obsession des juifs, mais aussi des gays (il rend les deux « communautés » responsables de presque tous les maux de la France), Soral oppose son verbe, dans les vidéos fleuves tutoyant régulièrement les deux heures qui ont fait son succès sur internet. La réponse qu’il adresse au reportage de Canal Plus et à une enquête du Nouvel Observateur est un excellent exemple de sa rhétorique affûtée.
Au « monstre » qu’il est censé être, il oppose « la psychanalyse de bazar » faite sur son dos, et se réjouit que ces dénonciations lui envoient de nouveaux fans. Il prend plaisir à rappeler sa participation à la liste antisioniste aux européennes de 2009 aux côtés de Dieudonné, appelant les Français à refuser de devenir « des Palestiniens dans notre propre pays » (comprendre : face aux « sionistes » et leurs affidés censés y dicter leur loi). Se réclamant comme à son habitude du statut de « dissident », il explique que sa sœur serait tenue de parler contre lui pour pouvoir encore « bosser dans le show business », en raison de « la domination communautaire » qui y prévaudrait. Il se décrit comme « un humaniste antiraciste, un républicain authentique, un homme de gauche » injustement attaqué. « J’ai entendu vos injures, vos diffamations, vos menaces et vos agressions, je n’ai pas encore entendu vos arguments », lance-t-il avec dédain.
Cet art de la joute verbale ne l’a toutefois pas empêché d’être condamné de nombreuses fois en justice. Son apparition dans Complément d’enquête, sur France 2 le 20 septembre 2004, lui a valu une condamnation, le 4 mai 2007, pour « diffamation raciale » et « incitation à la haine raciale ». Il avait déclaré : « Ça fait quand même deux mille cinq cents ans que, chaque fois qu’ils [les juifs] mettent les pieds quelque part, ils se font dérouiller. Ça veut peut-être dire que c’est bizarre… » Des propos dont il a régulièrement répété le fond, si ce n'est la forme exacte, depuis.
Depuis 2007, les condamnations s’enchaînent. Le 17 octobre 2014, il comparaissait encore à Paris pour « incitation à la haine et la discrimination » après des propos sur le journaliste Frédéric Haziza. E&R recense avec fierté ses litiges judiciaires – une quinzaine – en chiffrant à près de 490 000 euros les dommages et intérêts réclamés par ses adversaires. Le 24 novembre, la cour d’appel de Paris examinera à son tour la plainte de la Licra contre la diffusion par son site des cinq livres antisémites. L’association tentera de faire confirmer la condamnation obtenue en première instance en novembre 2013.
BOITE NOIREDébutée il y a plusieurs semaines, cette enquête sur le phénomène Soral se décline en plusieurs volets sur Mediapart. Nous avons estimé collectivement que le sujet valait une étude approfondie (avant même que nous ne révélions que Soral et Dieudonné lançaient un parti politique ensemble).
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Malgré les mensonges par omission et les atermoiements des représentants de l’État pendant 48 longues heures, les circonstances et les causes du décès de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive de la gendarmerie dans la forêt de Sivens, dans la nuit du 25 au 26 octobre, ont été presque immédiatement connues. C’est ce qui ressort de la lecture de documents issus de l’enquête, inédits à ce jour, dont Mediapart a pu prendre connaissance.
Ainsi, sur le journal de bord du Groupement tactique gendarmerie (GTG), d’abord transmis à la chaîne hiérarchique puis remis aux enquêteurs de la section des recherches de Toulouse, les gendarmes mobiles ont indiqué, pour cette nuit-là, à 01 h 45 précise, et sans équivoque, la mention suivante : « Un opposant blessé par OF », c’est-à-dire une grenade offensive, arme dont seuls les militaires sont dotés, et que seuls leurs gradés peuvent utiliser (le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a suspendu l’usage de ces grenades quatre jours après la mort de Rémi Fraisse). Moins de quinze minutes plus tard, à 01 h 59, le journal du GTG indique ceci : « Opposant blessé serait décédé. Hémorragie externe au niveau du cou. »
Par ailleurs, le compte-rendu d’intervention, rédigé le 27 octobre par le lieutenant-colonel L., qui dirigeait le GTG, indique ceci : « A 01 h 45, un petit groupe, constitué de 5 personnes, s'approche de la zone vie par l'est. Des jets de projectiles sont effectués envers les FO (NDLR : les forces de l’ordre). Après avertissements, un gradé du peloton C procède au jet d'une grenade OF, un manifestant tombe. Le GTG, présent à l'autre extrémité du dispositif, décide de l'envoi d'un PI (NDLR : peloton d’intervention) pour récupérer l'individu blessé. Après extraction, le décès est constaté par un personnel infirmier de l'EGM 28/2 La Réole (NDLR : l'escadron de gendarmes mobiles 28/2 venu de La Réole, en Gironde). A 02 h 17, arrivée des pompiers, récupération du corps. »
Signe que la situation intéressait au plus haut point les autorités, il est également fait état, plus tôt, vers 17 h 30, dès les premiers incidents du 25 octobre, d’un entretien téléphonique du GGD 81 (NDLR : Groupement de gendarmerie du Tarn) avec le DGGN (NDLR : directeur général de la gendarmerie nationale) donnant l’ordre de « procéder à des interpellations ».
Le lieutenant-colonel qui commandait le dispositif ce soir-là, entendu comme témoin, déclare par ailleurs ceci : « Je tiens à préciser que le préfet du Tarn, par l'intermédiaire du commandant de groupement, nous avait demandé de faire preuve d'une extrême fermeté vis-à-vis des opposants par rapport à toutes formes de violences envers les forces de l'ordre. »
Par ailleurs, selon la retranscription d’un enregistrement vidéo remis aux enquêteurs, et également cité aujourd'hui par Le Monde, on entend un gendarme mobile dire, au plus fort des incidents violents, au moment où Rémi Fraisse est mortellement touché, à 02 h 03 précises : « Il est décédé le mec. Là c'est vachement grave. Faut pas qu’ils le sachent. »
Selon le décompte officiel, le nombre d’engins tirés par les militaires, cette nuit-là, est impressionnant : plus de 700 grenades en tout genre. À savoir 312 grenades lacrymogènes MP7, 261 grenades lacrymogènes CM6, 78 grenades explosives assourdissantes F4, 10 grenades lacrymogènes instantanées GLI, 42 grenades offensives OF, ainsi que 74 balles en caoutchouc LBD 40 mm. Les grenades offensives OF, les plus dangereuses, sont lancées à la main, à 10 ou 15 mètres maximum.
Pour cette soirée-là, on comptera officiellement six blessés chez les CRS (postés sur la zone jusqu’à 21 heures pour certains, et minuit pour d'autres), dont une ITT de 30 jours pour une blessure à la main, mais aucun chez les gendarmes mobiles, suréquipés et surentraînés, malgré la violence des assauts subis et le nombre de projectiles reçus entre minuit et trois heures du matin. Les manifestants les plus remuants seraient alors 100 à 150 environ, et harcèlent les gendarmes mobiles à tour de rôle, par petits groupes.
Comme le révélait Mediapart dès jeudi 6 novembre, les témoignages des gendarmes mobiles sont convergents.
Le lanceur : le maréchal des logis chef J., appelé « chef » J., est entendu à chaud, dès le dimanche 26 à 4 heures du matin.
« C'était la première fois, dans ma carrière de mobile que je voyais des manifestants aussi déterminés, violents et agressifs tant dans les mots que les actes. Ils nous jetaient toutes sortes de projectiles, pierres, cocktails Molotov, mortiers, fusées diverses et variées », raconte le gradé aux enquêteurs.
Des incidents violents ont déjà eu lieu la nuit précédente dans la forêt de Sivens, un gendarme mobile a été blessé et des grenades mobiles tirées. « Lors de nos instructions, il nous est rappelé que les grenades de quelque nature qu'elles soient ne doivent pas être jetées sur les manifestants du fait de leur dangerosité. Ils étaient tellement mobiles que dès fois ils se retrouvaient à l'endroit de chutes de nos grenades », tient à préciser le chef J.
La nuit du 25 au 26, le chef J. est à la tête d’un groupe de huit militaires positionné dans la « zone de vie », un espace protégé par un grillage et un fossé, où se trouvaient encore la veille des engins de chantier et un préfabriqué. Avec trois autres groupes, qui ont relevé les CRS à minuit, ils doivent « tenir » le site.
« Comme pour la veille, il fait nuit noire. Il y a effectivement des petits feux de part et d'autre mais pas suffisamment pour voir l'ensemble des manifestants. Nous utilisons nos projecteurs des véhicules. Pour ma part, j'utilise les intensificateurs de lumière. J'arrive à estimer que les manifestants sont entre 80 et 100. D'autres, par contre, progressent en approche de nos positions en empruntant et en logeant la RD 132. »
« Petit à petit, la situation se dégrade. Ils jettent des projectiles sur les militaires situés au niveau de portail d'accès. Ces projectiles sont du même genre que ceux que j'ai décrits précédemment. Ils provoquent. Ils harcèlent. Nous avons le sentiment qu'ils cherchent une réponse de notre part. »
« Dans un premier temps, les directives de notre hiérarchie sont claires à savoir qu'on maintient notre position sans réplique de notre part. L'agression des manifestants devient plus intense et violente toujours par le biais de leurs moyens. Ils se rapprochent de nos positions. Ils sont de plus en plus nombreux. Les directives de notre commandement varient. Il est fait état d'usage de lacrymogènes. »
« Les sommations sont faites pour les inviter à quitter la zone. Le conducteur effectue les sommations à l'aide du haut-parleur de nos véhicules de dotation. Ces sommations sont claires et audibles. Malgré nos injonctions, la situation perdure. Ils sont toujours violents et prêts à aller à l'affrontement. Les sommations sont, une nouvelle fois, réitérées. Cette fois, des grenades lacrymogènes sont projetées en direction des manifestants. Elles sont lancées à l'aide de "Cougar". La situation dégénère. Ils sont de plus en plus nombreux et viennent au contact. Maintenant en plus de la position devant le portail, ils occupent clairement le RD 132 et se déploient par petits groupes devant ma position. »
« Malgré ces sommations, la pression des manifestants s'accentue. A ce moment là, nous n'avons pas été agressés, les opposants se focalisaient sur la porte d'entrée. Plusieurs manifestants passaient devant notre position sans nous voir. Conformément aux ordres nous effectuons des tirs isolés de LBD (lanceur de balle de défense - ndlr) sur les individus les plus virulents. A un moment donné, un individu est touché, au lieu de reculer, il a appelé ces compagnons. J'ai constaté qu'un groupe de 5 à 6 personnes déterminées venait vers nous. Il était suivi de quelques mètres par un groupe plus nombreux. Ils étaient violents agressifs et motivés. J'ai vu cela alors que je regardais avec des "IL" (NDLR : jumelles à intensificateur de lumière). »
« Ils nous projetaient des pierres », poursuit le chef J. « Là, une demande de renfort est faite par mon commande de peloton. Au vu de la situation qui à mes yeux était critique, je prends la décision de jeter une grenade offensive. Avant de la jeter, je préviens les manifestants de mon intention. Devant moi il y a un grillage et je suis obligé de la jeter par-dessus celui-ci. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je prends soin d'éviter de l'envoyer sur les manifestants eux mêmes mais à proximité de ces derniers. Donc, je la dégoupille, il fait noir mais je connais leur position puisque je l'ai vue grâce à l'observation à l'aide des "IL". Je précise qu'au moment du jet les individus me font face. »
« Je la projette sur ma droite pour les éviter, mais là encore comme je vous l'ai dit, ils bougent beaucoup et je ne sais pas ce qu'ils font au moment où je jette effectivement la grenade. La grenade explose à proximité des personnes qui sont présentes. Personnellement je ne vois pas ce qu'il se passe après le jet de ma grenade. Par contre, deux de mes camarades me disent qu'ils ont vu quelqu'un tomber suite à l'explosion. D'abord je prends les " IL", et je regarde si les manifestants sont partis. Ils sont partis. Mais par contre je vois une masse au sol. Je demande à un collègue qui se trouve à mes côtés d'éclairer l'endroit où se trouve cette masse. Là, nous distinguons qu'il s'agit d'une personne qui est au sol. »
« Je rends compte verbalement à mon commandant de peloton de l'incident. Nous mettons en place un gros projecteur et là effectivement nous constatons la présence d'un corps. Ce projecteur, nous ne nous en sommes pas servi avant car, à cause de sa puissance, il a peu d'autonomie. »
« Après avoir identifié ce corps, et constatant que tous les manifestants sont éloignés, nous organisons une opération pour aller chercher la personne allongée au sol. C'est le peloton d'intervention qui se charge de cette mission. Il passe par le portail, et longe le fossé qui se trouve devant le grillage jusqu'au corps. Ils sont couverts par le reste de l'escadron qui noie la zone dans un nuage de lacrymogène. La personne est ramenée dans la zone de vie. Je vois la manœuvre. A partir de la, nous reculons nous mettre à l'abri de notre véhicule car les projectiles pleuvent sans arrêt. Une fois le corps de la personne ramené dans la zone de vie, je ne sais pas ce qui se passe. A un moment donné, on me demande de rejoindre mon commandant d'unité. Celui-ci m'explique que je vais être entendu par la BR (NDLR : la brigade de recherches) de Gaillac car la personne que le PI (NDLR : le peloton d’intervention) a secourue est décédée. »
« Entre le moment où j'ai jeté la grenade et le moment de l'annonce par mon commandant d'unité du décès de la personne, il s'est écoulé environ 5 ou 10 minutes. Ce temps, j'étais occupé à défendre notre position. Nous étions harcelés en permanence par les opposants qui continuaient leur agression », conclut le gradé.
Autre témoignage précieux, celui de l’officier responsable des opérations cette nuit-là. Le lieutenant-colonel L., qui commande le GTC (composé de trois escadrons de gendarmes mobiles et un de CRS), est entendu dimanche 26 à 4 h 30 du matin. Le samedi 25 au matin, à 9 h 30, expose-t-il, une réunion a été organisée à la compagnie de gendarmerie de Gaillac, dirigée par l’adjoint au commandant de groupement du Tarn, le lieutenant-colonel Andréani.
« La mission que je reçois est de tenir la zone vie sur le chantier dans la forêt, Sivens à Lisle-sur-Tarn, ainsi que de tenir et défendre le site où sont stationnés les engins de chantier sur la commune de Rabastens. » Le dispositif prévu par le GTC est validé à la mi-journée par le lieutenant-colonel Rénier, commandant du groupement du Tarn.
Cette journée du 25 octobre se passe calmement jusqu’à 15 h 30, où commencent les premiers incidents. L’officier raconte. « Il est à noter que depuis 21 heures des groupes de jeunes s'installent à côté de la zone de vie en allumant des feux et en se resserrant progressivement sur la zone vie. Il y a environ 150 personnes à ce moment là. Vers une heure la pression des jeunes est de plus en plus importante, ils sont à environ 20 mètres de la zone et ont commencé à caillasser les forces de l'ordre. Trois pelotons sont impactés, à savoir Alpha et India au niveau de la grille et Charlie à l'autre extrémité du dispositif face à un grand découvert. »
« Les jets de pierres deviennent de plus en plus virulents, nous recevrons des fusées de détresse et des cocktails Molotov, je fais régulièrement des comptes rendus au CORG (NDLR : le centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie, à l’échelon départemental) par téléphone. Je rends compte également au niveau du commandant de groupement en second, le Lieutenant colonel Andréani, qui me confirme ma mission à savoir tenir le site. Je tiens à préciser que le préfet du Tarn, par l'intermédiaire du commandant de groupement, nous avait demandé de faire preuve d'une extrême fermeté vis-à-vis des opposants par rapport à toutes formes de violences envers les forces de l'ordre », rappelle le lieutenant-colonel L.
« Après des avertissements répétés plusieurs fois par l'intermédiaire des "publics-address" (NDLR : des haut-parleurs) dont sont dotés les Iris Bus, à l'adresse des manifestants qui n'ont pas pu ne pas les entendre, et qui réagissaient à chaque fois en sifflant et vociférant à notre encontre, et devant l'augmentation des jets de projectiles et le risque couru par les forces de l'ordre dû à la proximité des lanceurs, il est décidé afin de sécuriser la troupe et en application du code de la sécurité intérieure d'employer la force (grenades lacrymogènes à mains) puis l'usage des armes. »
L'officier poursuit son récit. « Dans un premier temps, grenades lacrymogènes à fusils, puis grenades à fusil F4 et grenades à main offensives. La situation est à ce moment là particulièrement tendue devant les positions des pelotons India et Alpha situés sur la gauche du dispositif puisqu'ils sont harcelés depuis les hauteurs. Dans le glacis qui fait face à la zone vie, des groupes nous harcèlent aussi bien du côté d'India que d'Alpha que du côté de Charlie qui est isolé sur la droite du dispositif. »
« L'usage des armes est régulé à un rythme contrôlé et modéré par le commandant de la troupe (moi-même) et le commandant de l'escadron le capitaine J., qui est un officier expérimenté et très calme. Il est à noter que des tirs de LBD ont eu lieu. Dans le glacis à un moment une personne semble être blessée, la projection du peloton d'intervention permet de ramener cette personne dans nos rangs et de constater qu'elle est seulement choquée suite à un projectile de LBD. »
À propos du décès de Rémi Fraisse, qualifié d'« incident », voici ce que dit l'officier. « Au moment de l'incident qui fait l'objet de la présente procédure, je me trouve à la gauche du dispositif, derrière les pelotons India et Alpha, avec le capitaine commandant l'escadron. La situation est difficile à ce moment là, car les opposants sont de plus en plus virulents et agressifs. L'usage des armes sous les trois formes déjà mentionnées (Offensives, F4 et Lacrymogènes) sont nombreux (sic). »
« Dans ce contexte, je ne peux pas voir tous les usages des armes. J'effectue cependant régulièrement des rappels concernant l'usage qu'il en est fait, afin de le limiter à la stricte nécessité. »
« A un moment, l'information me remonte qu'un individu serait étendu sur la droite de notre dispositif. En observant bien la zone, nous avons un doute, nous ne savons pas s'il s'agit d'une personne ou de matériels abandonnés. Après confirmation qu'il s'agit bien d'une personne qui est étendue et semble inanimée, je donne l'ordre très rapidement à l'escadron de La Réole de procéder à la récupération de la personne afin de la mettre en sécurité et éventuellement de procéder aux soins dont elle aurait besoin. »
« Je tiens à préciser que la récupération de la personne constitue une opération difficile étant donné le degré de violences des opposants à ce moment là. Le peloton d'intervention est donc projeté et ramène la personne derrière nos lignes. Je m'aperçois immédiatement que c'est grave car la personne semble inconsciente et ne réagit pas. Elle est étendue à l'arrière d'un Iris Bus, celui Alpha 2 il me semble, je demande à l'escadron s'il a un secouriste dans ses rangs. On me répond par l'affirmative et le secouriste arrive immédiatement. Simultanément, j'appelle le CORG pour demander l'intervention des secours », poursuit le lieutenant-colonel.
« Alors que j'attends d'être mis en relation avec le Samu, l'infirmier me rend compte que la personne semble décédée. Après avoir eu le médecin du Samu au téléphone, je décide de lui passer l'infirmier, ceux-ci échangent pendant une à deux minutes. L'infirmier n'arrivant pas à convaincre le médecin d'envoyer une équipe médicale, je reprends le téléphone. Le correspondant me dit qu'il n'y a plus de médecins disponibles au SAMU suite à leur engagement sur d'autres interventions, et que d'après les échanges avec l'infirmier de l'escadron, la mort ne semble pas faire de doute. »
« Il est finalement décidé d'envoyer les pompiers de Gaillac. Ceux-ci arrivent quelques minutes plus tard. Le corps du décédé étant resté dans l'Iris Bus. J'aperçois du sang qui coule au niveau de son cou. Les opposants ne réagissent pas, n'ayant pas conscience de la gravité de l'affaire. A l'arrivée des pompiers, et de façon discrète, ceux-ci mettent le corps dans un sac de transport afin de le mettre dans le VSAB (NDLR : véhicule de secours aux asphyxiés et blessés) et d'évacuer la zone. »
« Des gendarmes départementaux étaient arrivés sur le site environ 30 min avant cet incident. Ils sont aussitôt informés de ce fait, et recueillent immédiatement les premières informations auprès des militaires les plus proches de la zone de découverte de la personne. Ces militaires ont principalement eu un entretien avec un gradé de l'escadron qui aurait fait usage d'une grenade offensive peu de temps avant la découverte de la personne décédée et dans une zone proche de celle-ci », conclut l'officier.
Autre témoignage éclairant, celui du major A., qui est entendu par les enquêteurs dimanche 26 à 3 h 55 du matin.
« Ce jour, à minuit, nous avons relevé l'escadron déjà en place. Mission pour moi et mon groupe de renseigner et de maintenir à distance l'adversaire sur le secteur droit de la RD 132. Avec moi, se trouvaient 8 personnels scindés en deux équipes, les mêmes missions confiées à ces deux groupes mais deux secteurs déterminés », commence-t-il.
« La situation a continué de croître et j'ai à nouveau fait les avertissements réglementaires disant que nous allions faire usage de grenades explosives après avoir invité les individus présents à quitter les lieux. »
« J'ai donné l'ordre au chef J. de jeter une grenade de type OF en direction des adversaires », assure le major, alors que le chef J. dit avoir fait ce choix de lui-même. « Je n'ai pas vu le jet et donc la trajectoire prise par la grenade. Je l'ai entendue exploser et me suis retourné de suite. Les manifestants étaient à proximité. Il s'agissait d'un petit groupe de 5 à 6 personnes. Bien que nous étions toujours dans le noir et qu'il y avait des nuages de lacrymogène, on distinguait les silhouettes des individus. Quand j'ai regardé pour voir si les manifestants quittaient les lieux ou du moins, se dispersaient, j'ai vu la silhouette d'un individu s'écrouler à terre. Je ne peux vous dire avec certitude si la personne s'est écroulée au même endroit que l’endroit où a explosé la grenade. »
« Les autres adversaires ont reculé et nous avons éclairé la zone car il me semblait que l'individu que j'avais vu s'écrouler n'avait pas quitté les lieux. Nous avons vu que la personne était toujours au sol. Je précise que nous étions séparés des adversaires par un grillage et que tous les jets de projectiles et de grenade s'effectuaient par dessus. Je pense qu'il devait faire aux alentours de 180 cm de hauteur. J'ai donc rendu compte à mon commandant d'escadron qui a décidé d'engager un peloton (le peloton d'intervention) pour aller voir quelle était la situation. J'ai poursuivi ma mission avec mes hommes. »
« C'est le commandant d'escadron le capitaine J. qui m'a informé que l'individu avait été extrait de la zone et il rentrait sur notre zone. J'ai su qu'il avait été extrait par le P.I et que lorsqu'ils étaient sur notre zone, ils avaient constaté que l'individu présentait des blessures et des saignements. Le commandant d'escadron m'a appelé afin que le gendarme D., qui est également infirmier, se rende au niveau du véhicule où se trouvait la victime. Le capitaine par la suite m'a informé que la personne était décédée. J'ai appris par la radio que le corps allait être pris en charge par les pompiers. Je précise que toute cette situation est montée crescendo et que les moyens ont été adaptés à la situation. »
Saisis par le parquet d'Albi, les gendarmes de la section des recherches (SR) de Toulouse arrivent environ une heure plus tard (le passage à l'heure d'hiver, cette nuit-là, perturbe un peu la chronologie effectuée par les gendarmes), et reprennent l’enquête commencée par leurs collègues de la BR de Gaillac. Dès dimanche matin, au vu de ces deux témoignages très précis, et d’une dizaine d’autres dont Mediapart a pu prendre connaissance, il ne faisait en tout cas guère de doute qu’une grenade lancée par le militaire avait tué un jeune manifestant. Pourtant, la communication du préfet du Tarn et du procureur d'Albi, comme celle du ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, seront plus que floues sur cette responsabilité des services de l'État.
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Après les dernières révélations de Mediapart et du Monde, Bernard Cazeneuve a affirmé mercredi après-midi ne pas avoir donné de consignes de fermeté aux forces de l’ordre pour encadrer les manifestations contre le barrage de Sivens le soir où Rémi Fraisse a été tué. « Est-ce qu’il y a eu des consignes de ma part pour qu’il y ait de la fermeté dans un contexte où il y avait de la tension ? J’ai donné des instructions contraires et je le redis devant la représentation nationale », a déclaré le ministre de l'intérieur en réponse à une question de François de Rugy (EE-LV) à l’Assemblée nationale.
« J’avais conscience depuis des semaines du climat d’extrême tension de Sivens. J’étais désireux de faire en sorte que celui-ci ne conduise pas à un drame », a affirmé le ministre. « C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y avait pas de forces prépositionnées le vendredi soir à Sivens et si elle l’ont été ultérieurement, c’est qu’il y a eu dans la nuit du vendredi au samedi des heurts qui témoignaient de la violence d’un petit groupe qui n’a rien à voir avec les manifestants pacifiques de Sivens », a-t-il ajouté.
BOITE NOIREMis en ligne mercredi 12 novembre à 13 heures, cet article a été mis à jour et complété dans l'après-midi avec les réponses du ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve à l'Assemblée nationale.
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« De l’Italie des Borgia à une certaine Amérique de Wall Street, en passant par la City de Londres, la Banque, comprise comme processus de concentration et vision du monde, a pris progressivement les pleins pouvoirs sur les nations d’Occident. Pouvoir occulte mais bien réel piloté des États-Unis par Wall Street, et qui seul peut expliquer la réponse des États occidentaux au dernier crack financier. Soit plutôt que la liquidation de ces prédateurs et parasites bancaires en faillite, le transfert de leur dette aux peuples et leur renflouement par des masses encore accrues de fausse monnaie toujours dévolue à la spéculation. » - Comprendre l’Empire, p. 54.
« La domination bancaire est au service d’un projet qui lui-même est totalement religieux. N’oublions pas qu’Israël est un projet religieux, qui s’est fait contre d’ailleurs la religion juive authentique, par l’argent des Rothschild. (…) Le pouvoir total sur le monde se fait par la banque. Qui contrôle la banque contrôle le monde, et ces gens qui contrôlent la banque sont en dernière essence des religieux qui ont un projet biblique. » - À 1 h 26’30’’ de cette vidéo.
« Nous sommes en terre chrétienne. La France et le catholicisme, c’est consubstantiel. Et le catholicisme, c’est ce qui est le plus proche du message du Christ. » - À 30’20’’ de cette vidéo.
« Le catholicisme authentique, résiduel, n’est plus aujourd’hui qu’une pratique marginale de déclassés nommés “intégristes” par le nouveau pouvoir, tout simplement parce qu’ils s’efforcent de rester des catholiques intègres dans un monde ayant programmé sa désintégration. » - Comprendre l’Empire, p. 30.
À propos de Vatican II : « Pire encore, dans cet esprit de cohabitation fraternelle masquant, en réalité, une pure reddition théologique, est la déclaration selon laquelle, au nom des persécutions subies par les juifs à travers l’Histoire, l’Église renonce par son action à opposer la Nouvelle Alliance à l’Ancienne. (…) Cette déclaration de “fraternité universelle” aux relents maçonniques revient, en bonne logique, à faire purement et simplement du catholicisme un sous-produit du judaïsme en plus non reconnu par lui ! » - Comprendre l’Empire, p. 29.
« L’existence, au plus haut niveau d’initiation, de maçonneries sataniques type : Illuminati, Skull and Bones et autres sectes vouant un culte aux dieux anti-chrétiens, babyloniens ou égyptiens (…) n’est pas si délirante. » - Comprendre l’Empire, p. 113.
« L’affaire Merah a tout d’une opération de manipulation menée par ce qu’Aymeric Chauprade appelle l’État profond – dans les faits une opération conjointe franco-israélienne – et ce dans le but à la fois de diaboliser les musulmans en les associant au djihad tout en rendant les Français sensibles à la cause israélienne… L’affaire Merah, c’est un peu la version française, petit budget, des attentats du 11 septembre, le versant français de la stratégie néoconservatrice et sioniste du “choc des civilisations”. Rien ne tient dans le dossier. » - Dialogues désaccordés, p. 173.
« [Il existe] un lien évident entre la mort du président Kennedy et sa tentative de reprendre le pouvoir sur la Banque. (…) C’est cette même opposition à la Banque qui vaudra aussi, sans doute, au général de Gaulle son éviction du pouvoir en 1969. » - Comprendre l’Empire, p. 66-67.
« Nous avons à la tête de l’État français, dans les milieux du journalisme et tout ce qui est influent, un certain nombre d’agents israéliens, qu’on appelle les sayanims, qui sont en général des doubles nationaux franco-israéliens, en général de confession juive et de pratique talmudique, dont le travail permanent est la soumission de la France à l’État d’Israël et à la puissance impériale américano-sioniste, par un travail permanent de diabolisation, de terreur intellectuelle, dont Bernard-Henry Lévy est un des hauts cadres. (…) On ne peut expliquer la puissance de Bernard-Henry Lévy que par la domination, cachée mais totale pratiquement, de la puissance israélienne sur la France. » - À 38’50’’ de cette vidéo.
« Par la démocratie, il n’est jamais rien arrivé de bien, je crois. » - À 6’06’’ de cette vidéo.
L’Irak « était une dictature, ce qui d’ailleurs correspond à l’esprit moyen-oriental. La démocratie n’est jamais qu’un impérialisme, une exportation ». - À 12’01’’ de cette vidéo.
« J’aspire aujourd’hui à l’avènement d’un leader autoritaire et patriote, soucieux du peuple et porté par le peuple, une sorte de Chávez français qui nous ferait plus penser au général de Gaulle qu’à Hollande ou à Sarkozy ! (…) Et quand je pense à ce chef providentiel, dans le paysage politique actuel, je ne vois que les Le Pen ! » - Dialogues désaccordés, p. 73-74.
« Que reproche-t-on à Le Pen, en fait ? D’avoir eu raison sur tous les sujets : immigration, Europe, trente ans avant les autres ? Non. Tout le monde le pille aujourd’hui, à gauche comme à droite, sans jamais lui rendre raison. On lui reproche en fait deux “dérapages” verbaux ! Le “point de détail” et “Durafour crématoire”. Bref, comme je l’ai sous-entendu, d’avoir heurté la sensibilité juive. » - Dialogues désaccordés, p. 76.
« Cette gauche caviar qui feint, pour des raisons de prise de pouvoir, d’avoir des sympathies pour le monde ouvrier, est en fait cette gauche juive, stratégiquement issue de l’affaire Dreyfus (…). Cette gauche juive qui est en fait la droite économico-politique qui parachève sa prise de pouvoir sur la France chrétienne en achevant de marginaliser la droite catholique traditionnelle… » - Dialogues désaccordés, p. 29.
« La résistance à l’empire passe par Poutine, c’est évident. Et le salut de la France passe aussi par Poutine. » Soral appelle à l’alliance de « la puissance économique chinoise avec la puissance politico-militaire russe et avec certains points d’appuis : le Venezuela en Amérique latine, l’Iran au Moyen-Orient, peut-être même la Corée du Nord. Tout ça nous permettra peut-être un jour, la France, d’exister et de se sortir un peu de la chape de plomb impériale américano-sioniste. » - À partir de 18’20’’ de cette vidéo.
Le regroupement familial est une « immigration de peuplement imposée, sous le gouvernement Chirac, par la droite patronale et les loges, main dans la main depuis la Troisième République. La droite patronale au nom du Marché : faire consommer l’entrant sous-équipé et le payer moins cher. La maçonnerie au nom de ce fameux “universalisme des droits de l’homme” qui est, depuis 1945, le masque humaniste du mondialisme marchand. Le tout afin de détruire aussi cette cohésion ethno-culturelle qui a toujours été un frein à la division et à la domination des peuples… » - Comprendre l’Empire, p. 188.
« Après l’effondrement des trois autres forces morales d’Occident qu’étaient le catholicisme, le communisme et l’universalisme français, toutes trois d’essence helléno-chrétienne, il apparaît que la dernière civilisation de la sphère post-méditerranéenne à ne s’être pas encore totalement soumise à l’Empire est le monde musulman. (…) Un islam de résistance à l'Empire cohérent, articulé autour de la République islamique d’Iran, comprenant aussi le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. » - Comprendre l’Empire, p. 215-216.
« L’Empire aujourd’hui, pour asservir les peuples et disloquer les nations se sert d’un certain islam, à la fois extrême et de collaboration. (…) Islam radical et pourtant de collaboration actuellement à l’œuvre en Syrie notamment. Et cet islam violent, délinquant est porté et financé par l’Arabie saoudite et le Qatar avec la bénédiction des États-Unis. De façon plus subtile et plus discrète, les Frères musulmans jouent, en Tunisie et en Égypte, le même jeu de mise au pas et de déstabilisation impériales… » - Dialogues désaccordés, p. 211.
« La Oumma, sans clergé et tiraillée entre mille influences étatiques, [est] parmi les communautés effectivement agissantes, la plus dénuée en France de pouvoir politique. Raison pour laquelle, à l’évidence, elle subit tant d’attaques. » - Comprendre l’Empire, p. 109.
Soral dénonce « une stigmatisation orchestrée des musulmans, désormais désignés comme boucs émissaires au peuple de souche touché par la crise, par ceux-là mêmes qui les ont fait venir et poussés à l’agressivité anti-française, afin que la colère sociale légitime envers les élites mondialistes, fort peu musulmanes, se transforme en guerre civile inter-ethnique. » - Comprendre l’Empire, p. 231.
« Dans ce combat pour la France, nous devons apporter tout notre soutien aux (…) patriotes musulmans qui travaillent, entreprennent et ramènent des médailles pour le drapeau dans les compétitions sportives… Comme nous devons rompre désormais avec toute dialectique de l’excuse, être intransigeants avec les [islamoracailles]. » - Comprendre l’Empire, p. 236.
« Il y a aujourd’hui une déviance qui est devenue majoritaire [parmi les juifs], que j’appelle talmudo-sioniste, qui dérive de plus en plus vers le racialisme, le suprématisme racial, la théocratie violente. Et je crois que tout ça se vérifie à la fois par l’attitude de l’État israélien aujourd’hui notamment par rapport aux Palestiniens, et récemment à Gaza, et aussi en France par quelque chose de plus inquiétant encore directement pour nous : c’est la manière dont une partie des citoyens français, qui sont français par le concordat et par l’émancipation de 1791, se considèrent de plus en plus comme un peuple à part. Un État dans l’État, qui se définit racialement par le sang, et qui, aujourd’hui, prétend mener un combat pour un État étranger qui est l’État d’Israël. » - Dans cette vidéo.
« J’ai découvert la domination juive alors que j’étudiais la lutte des classes, les deux s’articulent d’ailleurs historiquement très bien. (…) J’ai avec moi, pour partager ma vision du monde, TOUS les penseurs et témoins majeurs de l’Histoire : de Cicéron à Jimmy Carter en passant par Shakespeare et Allende… Et l’accusation d’antisémitisme (…) ne pèse pas lourd face à l’argumentaire déployé dans le camp d’en face sur la domination juive, cette communauté juive organisée internationale qui règne aujourd’hui sur le monde occidental, par la montée de ce capitalisme financier qui a remplacé la féodalité chrétienne. » - Dialogues désaccordés, p. 108-109.
« On a imposé au bon peuple de France qu’un anti-judaïque était un crétin, un raciste et un malfaisant. Alors qu’en fait, c’est simplement quelqu’un qui au nom des saines valeurs humanistes universelles qui sont celles de la chrétienté ou de la République, refuse de se soumettre à un peuple qui prétend être le peuple élu, qui se transmet par le sang de la mère, c’est-à-dire un peuple qui prétend au suprématisme racial, pour des raisons théologiques et belliqueuses. » - À 19’30’’ de cette vidéo.
« Que des invertis aient l’envie de vivre ensemble, ce qu’ils font déjà, qu’ils réclament des protections sociales… il serait cruel de les leur refuser, mais qu’ils veuillent singer, dégrader une institution fondatrice de notre civilisation est une déclaration de guerre ! (…) Alors que je les tolère, les supporte, ces créatures s’attaquent à mon monde pour le détruire, par haine, esprit de vengeance de l’anormal pour le normal. » - Dialogues désaccordés, p. 36-37.
« Il ne s’agit pas que du mariage homo, mais du mariage "pour tous", donc à terme de la polygamie, ce qui n’est pas si grave, mais aussi de la possibilité de légaliser la zoophilie, et pourquoi pas l’inceste. » - Dialogues désaccordés, p. 52.
Le mariage pour tous sert « des élites pédo-criminelles satanistes dégénérées, qui représentent autant, dans un autre genre que la population qui est adhérente au Crif. » - Dans cette vidéo.
« En tant que national-socialiste français, ça m’agace d’être rangé à l’extrême droite, qualificatif qui désigne pour moi les néo-conservateurs, les impérialistes américano-sionistes et le pouvoir bancaire international (…) Un national-socialiste français : sans besoin de recours à une théorie raciale pour des raisons d’espace vital, ce qui correspond à la situation allemande. (…) Je suis national-socialiste à la manière d’Hugo Chávez soit, compte tenu du contexte de domination par le mondialisme militaro-bancaire, une authentique homme de gauche ! » - Dialogues désaccordés, p. 66.
« L’Empire [travaille] au Nouvel ordre mondial, soit à l’abolition de la démocratie et au pouvoir bancaire intégral – forme achevée du Capital – sur le dos du travail, des nations et des peuples… » - Comprendre l’Empire, p. 114.
« Le mondialisme est ce projet idéologique – sorte de religion laïque – qui travaille à la mise en place d’un gouvernement mondial et à la dissolution de toutes les nations du globe en une seule humanité. » - Comprendre l’Empire, p. 199.
« Celui qui aime les hommes a souvent tendance en vieillissant à aimer les petits garçons. (…) Ce n’est pas de la démagogie, c’est de la bonne vieille connaissance de la nature humaine. » Dialogues désaccordés, p. 42.
« Il faut bien articuler ce combat avec tout le combat contre le satanisme, contre le mondialisme qui est la même chose. N’oublions pas que le mondialisme et le projet onusien, c’est le projet maçonnique. Et le projet de la haute maçonnerie se réclame de Satan, du porteur de lumière, celui qui se révolte contre Dieu, c’est-à-dire contre l’ordre, contre l’obéissance modeste à la règle. C’est le monde des apprentis-sorciers. » - Dans cette vidéo.
« La nouvelle religion mondiale, c’est la Shoah, qui est une religion. C’est quelque chose d’inexplicable, d’inexpliqué, etc., c’est la plus grande tragédie de l’histoire, et évidemment pas les siècles et les siècles de traite négrière, pas la bombe atomique sur les populations civiles japonaises. » - À 2’50’’ de cette vidéo.
À propos de la loi Gayssot : « Pour moi, il est là le scandale : pas Faurisson, professeur injustement persécuté pour ses travaux iconoclastes, mais cette loi qui interdit d’étudier dix années d’Histoire et qui oblige, sous peine de prison, à prendre pour vérité révélée les conclusions d’un tribunal militaire. »- Dialogues désaccordés, p. 80.
« Les révisionnistes sont les prisonniers politiques de l’occident contemporain. » - Dialogues désaccordés, p. 104.
BOITE NOIREDébutée il y a plusieurs semaines, cette enquête sur le phénomène Soral se décline en plusieurs volets sur Mediapart. Nous avons estimé collectivement que le sujet valait une étude approfondie (avant même que nous ne révélions que Soral et Dieudonné lançaient un parti politique ensemble).
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Son crâne rasé, sa barbe de trois jours et sa silhouette massive font désormais partie du paysage. Sanglé ou non dans le tee-shirt marqué « goy » en lettres gothiques dont il fait la promotion ces derniers jours, aux côtés de Dieudonné ou en solo, Alain Soral a su en quelques années imposer sa marque dans le débat politique français. Il est peu présent sur le terrain, quasiment absent de toute manifestation et invisible dans les médias grand public. Mais dans les discussions publiques et sur internet, ses idées apparaissent fréquemment dès qu’on s’approche des questions sensibles que sont le communautarisme en France, la place de l’Islam dans l’Hexagone, le conflit israélo-palestinien, la position de la Russie ou des États-Unis dans le jeu géostratégique mondial, voire le mariage pour tous (lire par ailleurs notre portrait, Alain Soral, du dandy boxeur au « national-socialiste » à la française).
Aujourd’hui, l’ancien marxiste et militant FN lance un parti politique avec Dieudonné, comme Mediapart l'a relevé. La création d’une force politique capable de ramasser des dons et des subventions politiques est un pas supplémentaire dans la démarche de l’idéologue. Et une étape logique. Car il y a encore quelques années, ses analyses sur la décadence de la France, aux mains d’une élite financière, mondialisée, sioniste et/ou gay, occupée à dissoudre toute idée de nation afin de soumettre les peuples à un gouvernement mondial (lire ici des extraits choisis de ces principaux ouvrages et interventions vidéo), pouvaient paraître folkloriques ou négligeables. Elles ne le sont plus. Elles touchent un public large et varié, distillées dans des livres (Comprendre l’Empire, paru en 2011, s’est écoulé à plus de 70 000 exemplaires), sur le site de son association Égalité & Réconciliation (E&R), qui se situe environ 50 places plus haut que Mediapart dans le classement Alexa des sites français les plus visités, et dans des vidéos mensuelles dépassant régulièrement les 2 heures, qui attirent des centaines de milliers de curieux.
Pour une large part, ce public, mélangé socialement et culturellement, pourrait être celui de la gauche. Mais elle a perdu en route un bon nombre de ce que ses responsables politiques considèrent trop facilement comme leurs sympathisants naturels. Certains de ceux qui auraient pu, il y a quelques années, militer au PS, au NPA ou chez les Verts échangent aujourd’hui quenelles et références à la « communauté organisée », comme autant de clins d’œil et de signes d’appartenance à l’univers dieudo-soralien et au monde des « dissidents » autoproclamés.
Achille (le prénom a été changé à sa demande, voir la boîte noire de l'article) est l’un d’eux. Ce Français de 28 ans, chargé de communication en Suisse, est plus qu’un sympathisant de passage. Adhérent à E&R, il revendique sereinement sa démarche. « C’est une adhésion de soutien, explique-t-il. J’ai adhéré à E&R comme j’achète les jeux ou la musique qui me plaisent, pour soutenir leur auteur. Le discours d'Alain Soral m’a été utile dans ma formation intellectuelle et j’estime qu’il peut l’être pour d’autres. » Achille incarne à merveille le projet d’Alain Soral de « réconciliation nationale » entre la « gauche du travail » et la « droite des valeurs », tel qu'il est présenté en bannière de son site : « Je viens d’un paysage intellectuel d’extrême gauche, j’étais fan de Bourdieu, lecteur d’Acrimed ou d’@rrêt sur images, raconte le jeune homme. Mais dans les analyses que je lisais, critique des médias ou du capitalisme, je butais toujours sur un point : des présupposés portant sur les idées développées à l’autre extrémité de ce qu’on appelle l’arc républicain. Soral m’a convaincu d’abandonner ces a priori. »
Achille insiste sur le fait qu’il a découvert sur le net « dissident » un espace de dialogue : « E&R, c’est un endroit où des gens très différents peuvent se parler, sans étiquette et sans mépris. Je suis métis, fils d’un Noir et d’une Blanche, et je n’aurais jamais pensé pouvoir discuter tranquillement avec des royalistes pour écouter ce qu’ils ont à dire. »
Dans cet univers, Achille n’est pas seul, loin de là. Philippe Corcuff, maître de conférences en sciences politiques à l’IEP de Lyon, ex-membre du NPA passé à la fédération anarchiste, en a fait l’expérience. Son récent livre, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard (éd. Textuel), est tiré de plusieurs cours donnés l'an dernier dans le cadre de l’Université populaire de Lyon. Et comme il l’a raconté, un cours de février portant notamment sur Alain Soral a été suivi de près par les sympathisants d’E&R. Présents sur place, ils ont monopolisé l’heure de débat qui a suivi son exposé. « Ils étaient peut-être une quarantaine, dans la salle et au dehors. Ils avaient moins de 30 ans, un look d’étudiants et étaient à proportion égale blancs et d’origine maghrébine, décrit-il. Quarante jeunes réunis dans un projet politique, à Lyon, c’est important : il n’y a pas 40 jeunes du NPA ou du PC dans cette ville ! »
D’autres intellectuels ou cadres associatifs, évoluant depuis longtemps à gauche et notamment dans les quartiers populaires, partagent ce constat : les idées de Soral s’enracinent. À droite et à l'extrême droite sans doute, mais aussi sur leur terrain à eux. Sociologue, prof de philo dans un lycée de banlieue parisienne, cofondateur du site Les mots sont importants qui dénonce régulièrement l’islamophobie prévalant en France, Pierre Tevanian garde ainsi un œil attentif sur cette mouvance depuis qu’il a coécrit, il y a dix ans, un texte où il mettait en garde sur les méthodes de l’idéologue. « Dans les lycées, on trouve de plus en plus d’élèves se revendiquant ouvertement des thèses d’Alain Soral et de Dieudonné, indique-t-il. L’an dernier par exemple, un de mes élèves, plutôt bon, a rempli sa fiche de présentation de début d’année comme un parfait petit soralien, en notant que ses centres d’intérêt étaient l’étude de l’oligarchie, de “l’Empire” ou de la “communauté organisée”. C’est arrivé à d’autres collègues autour de moi récemment, et c’est nouveau. Par ailleurs, ce discours s’invite de plus en plus dans les réunions militantes. Par essence, le soralien veut convaincre, il a donc un vrai pouvoir de nuisance. »
Depuis un autre poste d’observation, Fateh Kimouche conclut lui aussi à la prégnance nouvelle des thèmes chers à Soral. Entrepreneur et musulman pratiquant, il est le fondateur et animateur du site Al-Kanz, l’un des piliers des sites musulmans en France avec 13 millions de visites l’an dernier (Rue89 en a tiré un bon portrait). Il ne cache pas son opposition à Dieudonné, notamment en raison, selon lui, de son irrespect de l’Islam. Il raconte avoir vu émerger le terme « sioniste », employé comme une insulte et comme une explication de tous les problèmes. « Je suis tous les jours sur internet depuis 1998, et cela ne fait que deux ou trois ans que le mot est devenu récurrent, note-t-il. Nul doute que Soral, bien relayé par Dieudonné, y est pour beaucoup. Désormais, sur tous les sujets, les “sionistes” surgissent comme des coupables idéaux, par exemple dans cet échange très symptomatique que j’ai eu sur Twitter ou dans les réactions lorsque j’ai critiqué Dieudonné, fin 2013. »
Bien sûr, les adhérents d’E&R ne sont que quelques centaines (sur ce point comme sur tous les autres, Alain Soral n’a pas souhaité répondre à nos questions, lire la boîte noire de cet article). Mais combien sont les sympathisants ? Ils répondent en tout cas présent par dizaines aux conférences que Soral organise de temps à autre un peu partout en France. Et les profils sont variés, témoigne Aurélien Montagner, étudiant bordelais qui a analysé le discours de Soral dans son mémoire de Master 2 en sciences politiques (lire son travail sous l'onglet Prolonger), et qui y consacre aujourd'hui sa thèse : « Durant les deux réunions publiques auxquelles j’ai assisté, il y avait des gens de tous horizons, immigrés ou non, de 30 à 60 ans. »
Mais les curieux sont surtout hameçonnés sur le net. Car les mots de Soral circulent aujourd’hui avant tout sur le web, de façon assez fragmentée. « La pensée de Soral, c’est une espèce de Tétris idéologique, où il pioche tout ce qui donne corps à sa vision du monde », expose André Déchot, animateur du groupe de travail Extrême droite de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et coauteur de La Galaxie Dieudonné (éd. Syllepse, 2011), avec Michel Briganti et Jean-Paul Gautier. Les discours et les vidéos où il expose ses thèses sont, de même, construits par blocs sur des thèmes distincts. Sa rhétorique est donc parfaitement calibrée pour notre ère numérique du zapping et du best of. Sur Dailymotion et Youtube, on trouve des dizaines et des dizaines d’extraits de ses vidéos mensuelles ou de ses interventions publiques, des anthologies de ses citations, des montages alliant ses provocs à celles de Dieudonné, etc.
« Soral a découvert qu’il existe un espace de légitimité propre sur internet, plus puissant en fait que les médias dominants en cours d’effondrement, pointe Corcuff. Si Zemmour représente la “rebellitude” intégrée au système, lui incarne la “rebellitude” sur l’espace semi-public du net. »
Pour André Déchot, celui qui se décrit comme un « national-socialiste à la française » a « très bien saisi les rouages du numérique, et compris qu’il y avait chez les citoyens un désir de s’éduquer en dehors des médias dominants. Il insiste sur donc les canaux alternatifs », reprenant au passage les théories d’un Jean-Yves Le Gallou (exposées en partie ici par André Déchot), figure de l’extrême droite, apôtre de la « réinformation ». Les jeunes web-télés TVLibertés (pendant de Radio Courtoisie) et MetaTV, relais efficaces des messages de Soral et de Dieudonné, appellent par exemple à regarder le monde d’un œil « neuf ».
« Je n’irai pas jusqu’à dire que Soral a été un révélateur, mais il m’a montré qu’il existait un autre angle de vue intéressant que celui qu’on nous rabâche tous les jours, confirme Achille, l’adhérent d’E&R. Il m’a aidé dans ma formation intellectuelle. Ce qu’il propose, c’est une porte d’entrée, une invitation à creuser, un état des lieux qui incite à réfléchir. » Lire et écouter Soral lui a permis de se plonger dans la lecture d’auteurs venus du marxisme aussi bien que du « camp national », Bakounine et Proudhon, tout comme Bernanos, l’historien Jacques Bainville, proche de Charles Maurras, ou Lucien Rebatet, brillant écrivain et collaborationniste féroce pendant la Seconde Guerre mondiale.
Des conseils de lecture et des réflexions de l’activiste, Achille retient notamment la critique du capitalisme, un point de vue économique privilégiant ceux qui sont au bas de l’échelle, des positions géostratégiques hostiles à la politique américaine, et sa critique du sionisme, « une politique coloniale et raciste qui trouve des prolongements en France ».
Ce désir de formation intellectuelle et de compréhension du monde est une constante chez les sympathisants de Soral. « Il touche plutôt les gens à capital culturel, qui sont par exemple passés par l’université, qui ont une attente d’un certain habillage intellectuel », souligne Corcuff. Moins charitable, Pierre Tevanian décrit ainsi le « pacte de lecture » qui existerait entre l’activiste et ses fidèles : « En acceptant d’être à une place passive de suiveur, vous devenez membre du petit cercle des initiés, avec une grille d’analyse du monde clés en main. Moyennant une angoisse zéro et peu d’effort, un peu d’assiduité devant son ordinateur et la maîtrise de quelques termes, vous avez l’impression de vous élever au-dessus de la masse. »
Une aspiration, louable, qu’on retrouve partout en France. En banlieue aussi. Éric Marlière, sociologue, auteur de La France nous a lâchés (éd. Fayard), dans lequel il s’arrêtait en 2008 sur le sentiment d’injustice chez les jeunes des cités, a continué depuis d’arpenter les banlieues. Il y a vu monter les références à Dieudonné et à Soral. « Dans les quartiers populaires, ceux qui connaissent bien le discours de Soral, bien moins nombreux que les fans de Dieudonné, ne sont pas des paumés, souligne-t-il. Ils ont du ressort intellectuel. Il faut accepter de regarder des vidéos de plusieurs heures, ou mieux, lire des livres… Ce sont plutôt des jeunes intellos, bac+3 ou +4, mais au chômage. Ils ont joué le jeu de la compétition scolaire, et, moins compétitifs, ils l’ont perdu. Ils sont en colère contre la République. »
« Le public de Soral aujourd’hui, c'est un peu “groupie”, un peu “conspi”», juge, plus dubitatif, celui qui fut le compagnon de route des débuts d’Égalité & Réconciliation, avant une rupture définitive en 2010. Aux côtés du leader, Marc George a été pendant quatre ans l’architecte du grand projet de l’association qu’ils ont montée ensemble : amener une partie des musulmans vers le « camp national » et le FN. Amer, il raille les théories du complot défendues par son ex-ami, tout comme sa position de presque gourou. Pourtant, il admire son aisance dans la parole. « Il faut le voir, quand il parle, tout le monde l'écoute, ça n'est pas donné à tout le monde… » Celui qui se définit comme un « activiste politique » et qui livre encore parfois sur son site sa vision du monde (proche de celle d’E&R), caressait l’espoir d’exploiter ce charisme pour faire aboutir son « idéal » politique. « Soral aurait pu le faire », regrette-t-il encore aujourd’hui.
Le parcours de l'ancien bras droit d'Alain Soral est un long cheminement, du PS dans sa jeunesse au FN depuis la fin des années 1980. Du Front national, il garde un goût certain pour le nationalisme et une admiration sans borne pour Jean-Marie Le Pen. « Je découvre Le Pen en 1988 lors d'un meeting où il est génial, relate-t-il, et je bascule à droite sur le plan sociétal. Mon point de vue, c'est que l'on ne peut être de gauche aujourd'hui, et anti-libéral, qu'en étant de droite. Les valeurs traditionnelles préservent les intérêts des classes populaires. Dans ma tête, je suis un chevènementiste radical. »
Son histoire avec le « Front », Marc George l'a d'abord vécue sans Alain Soral. Et a vite déchanté. « Au début des années 1990, je découvre l'envers du décor du FN, cette espèce de Samaritaine avec tout dedans, des imbéciles, des racistes, des gens très drôles… Il n'y avait vraiment que Le Pen qui me plaisait là-dedans. » Après avoir été élu municipal dans le Val-d’Oise sous l’étiquette FN, il « arrête la politique ».
C'est Dieudonné qu’il l’y fera revenir. Et qui lui permettra de faire la jonction avec Alain Soral. En 2004, quand Dieudonné fait le fameux sketch sur l'extrémiste juif sur France 3, qui lui vaudra le début de son éviction du système médiatique, Marc George est devant sa télé. « Ça me fait marrer, je vois comment il va se prendre le lobby (sioniste – ndlr). Pour moi, Dieudonné, c'est un antiraciste qui me fait marrer. Je vois qu'il résiste au lieu de se taire. Et ça me plaît. Quand son spectacle à l'Olympia est annulé, j'y vais pour protester. Je rencontre Pierre Panais, un de ses proches. Je vais à ses manifestations le dimanche, je discute avec “Dieudo”, il me rassure sur le fait que ce n'est pas un problème pour lui que je vienne du FN. Je suis peut-être même un des premiers nationalistes avec lequel il a l'occasion de discuter ! »
Il passe régulièrement au théâtre de la Main d’or, QG de Dieudonné. C’est là, un soir de 2005, qu’il rencontre Soral, déjà repéré lors de ses passages télévisés et avec qui il échangeait « des e-mails de temps en temps ». « J'ai tout de suite vu qu'il avait quelque chose en plus, et que c'était potentiellement une locomotive pour quelqu'un comme moi, quand tout un pan du FN, les ringards, racistes, cathos tradis bornés, etc., me sortaient par les yeux, relate Marc George. Cette année-là, le FN rétablit les BBR (la Fête des Bleu-Blanc-Rouge, grand salon annuel du parti – ndlr). Je m'y rends, c’était deux jours après notre rencontre. Et sur qui je tombe ? Soral, en train de discuter avec le directeur de cabinet de Le Pen de l'époque, Olivier Martinet. Je lui dis : “Écoute, il n'y a pas beaucoup de gens que l'on rencontre le mercredi à la Main d'or, et que l'on voit ensuite le week-end aux BBR.” »
L'appui de Jean-Marie Le Pen
Les deux hommes se fréquentent beaucoup et élaborent en quelques semaines l'idée de créer un « club politique » partenaire du FN : « On avait la sympathie et l'appui de Le Pen, et “Dieudo”, une force médiatique importante avec lequel on était en bons termes. Nous voulions construire une structure sur des bases patriotiques, antisionistes, antiracistes et avec une vision de classes. Un mélange entre (Roger) Holeindre et (François) Duprat, plus un peu de marxisme qu'apportait Soral. Et E&R a démarré comme ça, début 2006. Pour vous résumer la pensée que nous avons avec Soral et “Dieudo” : le problème qui se pose avec le lobby juif, c'est qu'il contient une forme de suprématisme qui est majoritaire aujourd'hui. On peut dire ce que l'on veut sur les chrétiens, les musulmans, pas sur les juifs. »
Les têtes d’affiche, ce sont Soral et Dieudonné. Dans leurs interventions publiques et dans les vidéos qu’ils commencent à diffuser avec régularité, ils se citent régulièrement l’un l’autre, s’invitent, font assaut d’amabilités. Pour Pierre Tevanian, « une des clés du succès de Soral, c’est bien l’emprise qu’il a sur Dieudonné : l’ex-humoriste pense qu’il a besoin de lui, et il bénéficie donc de tout ce que Dieudonné charrie comme affects et comme symboles, notamment dans un discours de dénonciation du “deux poids, deux mesures” qui prévaut effectivement en France. S’il n’était pas associé à lui, Soral apparaîtrait beaucoup plus comme le symbole du maurrassisme à la française, du facho blanc pour le dire vite. »
En parallèle, le duo George-Soral avance ses pions au FN. Soral y adhère en 2006 et entre au comité central. « Mon rêve, c'était que Le Pen se maintienne à la tête du parti, en s'appuyant sur nous et sur (Bruno) Gollnisch, explique George. Marine nous a été hostile d'emblée. Quand je propose à Dieudonné de venir aux BBR et qu'il accepte, en 2006, elle prend ça comme une trahison, alors que son père est ravi. Mais enfin, Le Pen nous protégeait, il permettait à Soral d'intervenir dans les sessions de formation, et j'ai moi-même dirigé une campagne électorale à Nice. »
Cette stratégie échoue en 2009, alors que, selon son récit, Marc George doit diriger la campagne de Le Pen aux élections européennes et que Soral est pressenti pour être tête de liste en Île-de-France. Pourquoi ? En mars 2009, Jean-Marie Le Pen réaffirme l’« évidence » du fait que les chambres à gaz sont un « détail » de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, propos pour lequel il a été condamné en 1991. « C'était très tendu avec sa fille qui le soutenait du bout des lèvres, se rappelle George. On voulait marquer des points en affichant notre soutien à Le Pen, et Soral a fait un texte, intitulé “Pour le droit au blasphème”. » Problème, il y glisse une phrase qualifiant les sorties de Le Pen de « lubies d'un vieil homme ». « Je savais que Le Pen prendrait ça comme une offense. Mais malgré mes protestations, Soral a maintenu sa phrase, regrette son ancien comparse. Lorsque Le Pen me reçoit quelque jours plus tard, il me dit simplement : “Pourquoi faut-il qu'il perde en une ligne tous les bénéfices qu'il aurait pu tirer de ce texte ?” J'ai su que c'était fini. »
Lâché par Le Pen, toujours en lutte contre sa fille, Soral quitte bientôt le FN. Après avoir fait partie de la liste antisioniste de Dieudonné aux européennes de 2009, il se concentre sur Égalité & Réconciliation. Il prépare le lancement de son nouveau site, début 2010, qui doit permettre à l’association de décoller. « Le site était voué à devenir le site de référence de la dissidence, en faisant de l'agrégation, parce qu'il fallait du contenu pas cher, et en s'appuyant sur le charisme d'Alain pour faire de l’audience et amener des ressources pour l'association, détaille son ex-bras droit. Mais au lieu d'avoir une boutique au service de l'organisation, on a aujourd’hui une organisation au service d'une boutique, celle d'Alain Soral. Et depuis quatre ans, E&R vit sur ce qui a été fait en 2010, et Comprendre l'empire. Depuis, il n'y a pas eu d'université, de formations, comme nous le faisions auparavant. Soral s'est mis derrière “Dieudo”, et depuis quatre ans profite à plein de la machine. »
En effet. Comme l'a démontré avec brio le site Article11 voilà un an, le site d'E&R est une formidable machine commerciale, qui renvoie vers des sites « partenaires » spécialisés dans les livres, le bio, le vin ou... le survivalisme, dont le patron détient discrètement de larges parts. Selon le site, il aurait touché plus de 50 000 euros de bénéfices rien que sur l'activité de ces sites marchands.
Si Marc George estime que Soral a organisé E&R pour faire son autopromotion, Soral l'accuse, lui, d'avoir voulu prendre sa place. Entre les deux hommes, la rupture est consommée. Mais l'idée qu'ils voulaient imposer au FN, Soral la met en pratique dans sa petite « boutique » : séduire un nouveau public qui ne se sent pas représenté sur la scène politique, la communauté musulmane de France. En usant notamment de la posture victimaire de Dieudonné et de la lutte pour la Palestine.
Un discours et une séduction tournés vers les musulmans de France
« Il faut prendre au sérieux Alain Soral et ce qu’il représente car il a réussi (avec Dieudonné) à capter un auditoire conséquent. » Dans son livre, Les 7 Péchés capitaux, consacré aux défis auxquels doivent faire face selon lui les musulmans de France, Nabil Ennasri s'est penché sur la manière dont E&R recueille une audience de plus en plus attentive autour de lui. Spécialiste du Qatar, habitant de Saint-Denis, Nabil Ennasri (lire ce portrait de Tariq Ramadan qui lui est partiellement consacré) a étudié les sciences religieuses à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon, l’école des imams de l’UOIF, et est enseignant au centre Shatibi, qui enseigne la langue arabe et le Coran. Celui qui est aussi président du Collectif des musulmans de France (CMF) affirme être « énormément marqué ces trois dernières années par Soral, son influence, et la prégnance du discours complotiste » autour de lui.
Pour Ennasri, l’essor de Soral dans la communauté date de 2011 et du début des « révolutions arabes », et plus sûrement de la révolution syrienne : « Dans ma propre famille, dans mon entourage, sur les réseaux sociaux, je discute avec des personnes dont la grille d’analyse a très vite évolué vers une hypothèse complotiste sur la crise syrienne, disant “ce n’est pas possible que ce soit une révolte populaire, il y a forcément quelque chose derrière”. La Syrie est concomitante avec l’opération militaire en Libye, et beaucoup de gens ont fait l’association. Et dès lors que BHL s’est fait le porte-voix de la révolte libyenne, par réflexe épidermique, beaucoup de gens de la communauté ont automatiquement pris une position inverse. C’est ce que j’appelle la pensée par délégation, dans laquelle Soral s’est engouffré avec succès, laissant entendre que les printemps arabes n’étaient finalement qu’une vaste farce au profit d’Israël. »
Nabil Ennasri décrit dès lors la « machination intellectuelle qui prend pied dans la communauté », la crise syrienne devenant l’élément qui cristallise cette théorie du complot. « Soral, qui a des accointances avec les relais immédiats et des conseillers de Bachar al-Assad, y a tout de suite trouvé son intérêt », explique Ennasri. Voyage au Liban en 2006 à la suite duquel Soral et Dieudonné apparaissent notamment à l’antenne de la télévision nationale syrienne, promotion par Dieudonné de la République islamique, de Mahmoud Ahmadinejad et du Guide suprême iranien en direct à la télévision iranienne… Soral considère la nation comme stade ultime de l’organisation sociale, et avoue sans façon sa fascination pour les hommes forts ou les « despotes éclairés ». Deux raisons, alliées à sa méfiance profonde des États-Unis, qui le poussent à légitimer Bachar al-Assad et son régime dictatorial. C'est le même raisonnement complotiste qu'il déploie dans sa vidéo mensuelle de septembre, pour expliquer l'essor de l’État islamique, qui serait en fait une création de l'alliance entre l'Empire (les États-Unis), Israël et le Qatar.
Cette rhétorique complotiste n’est en rien nouvelle pour Soral, qui en truffe ses explications de l’actualité et de la marche du monde. Pour lui, le 11-Septembre est « un “inside job” des élites mondialistes impériales, qui sont des élites américano-sionistes » (à 25’40” de cette vidéo) et le virus Ebola, « comme par hasard, arrive très opportunément » en Afrique alors que les « prédateurs impériaux » ont « un projet très hostile pour les populations : piller les matières premières et se débarrasser des populations » (à 1 h 40’ de celle-ci).
C’est ainsi qu’un « Français de souche » issu d’une bonne famille savoyarde, ancien proche du parti communiste devenu nationaliste et nostalgique de la colonisation française, devient très écouté au sein de la communauté musulmane de France. Houria Bouteldja est la porte-parole du parti des Indigènes de la République, qui entend combattre « les inégalités raciales qui cantonnent les Noirs, les Arabes et les musulmans à un statut analogue à celui des indigènes dans les anciennes colonies » et lutter « contre toutes les formes de domination impériale, coloniale et sioniste ». Elle constate la séduction opérée par Soral sur une partie du public arabo-musulman, qui repose notamment sur un levier simple, mais puissant : « le rapport à la nation », interrogeant « la place des populations post-coloniales en France ». « Toute la journée, on leur dit : “Vous n’êtes pas chez vous”, rappelle-t-elle. Soral, lui, dit : “Vous êtes chez vous. À mes conditions, mais vous êtes français.” »
Mais un autre élément est essentiel dans la compréhension de l'implantation croissante de son discours : Soral utilise sans retenue le « carburant émotionnel » qu’est la cause palestinienne, selon Ennasri. « Début octobre, dans une conférence que je donnais à Bobigny, on nous a demandé pourquoi on ne s’alliait pas “à la dissidence de Soral”, puisque nous sommes tous les deux antisionistes. C’est là où il a insufflé son venin. »
Auteur d'une thèse sur l'Autorité palestinienne, militant du NPA et salarié de l’association Acrimed, Julien Salingue parcourt la France pour des conférences sur le conflit israélo-palestinienne. « Comme je travaille sur la question palestinienne et dans le domaine de la critique des médias, certains fans d'Alain Soral pensent que nous sommes du même bord, abonde-t-il. Récemment encore, à la terrasse d'un café, un jeune homme m'a expliqué qu'il respectait mon travail et celui de Soral, et qu'il trouvait dommage que le “camp de la dissidence” soit divisé… C'est toujours difficile de me retrouver assimilé à un individu situé à l'autre bout du champ politique et qui surfe sur des thématiques qu'il ne travaille aucunement, pour détourner les bonnes volontés vers sa petite boutique d'extrême droite. »
La stratégie est pourtant très efficace, selon Nabil Ennasri, pour qui le discours de Soral porte désormais en profondeur : « Je connais des convertis, des militants de la cause palestinienne, des musulmans avec ou sans bagage universitaire, et même une partie de ma famille qui, s’ils ne valident pas l’ensemble des thèses de Soral, lui reconnaissent au moins un “courage”, celui d’affronter le lobby sioniste. » Il s’en sert même pour se démarquer de Tariq Ramadan, qui vise un public similaire au sien. « Il dit : “Regardez, moi je suis banni des médias, quand Ramadan va toujours sur Canal Plus et édulcore son discours.” Ramadan assimilé comme agent du Qatar, je l’ai entendu régulièrement dans la communauté », assure Ennasri. Bien sûr, les musulmans de France ne vont pas adhérer en masse à Égalité & Réconciliation. « Mais il possède des locaux à Saint-Denis, certaines associations musulmans l’invitent pour des conférences, un certain nombre d’imams lui ouvrent la porte de leur mosquée et lui apportent un soutien financier pour ses procès… »
Un antisionisme qui fleure bon les années trente
Tout cela en vertu d’un combat contre le « sionisme »… Un concept qu’il définit pourtant de façon floue. « Pour Soral, c’est une entité transnationale, aux contours mal définis, qui dicterait sa politique aux banques, aux gouvernements des pays occidentaux et aux médias, et qui serait ainsi la source de la crise économique, politique et sociale », résume Julien Salingue. Autrement dit, « on est très loin de ce qu'est réellement le sionisme, à savoir le projet d'établissement d'un “État des Juifs” en Palestine, et la défense, aujourd'hui, de la légitimité de cet État et du traitement structurellement discriminatoire qu'il réserve aux Palestiniens ».
Les mots de Soral, tranche le chercheur, relèvent plutôt d’« un antisémitisme assez classique, qui fait écho aux thèses des extrêmes droites des années 1920-1930 ». Fateh Kimouche, de Al-Kanz, attaque lui aussi « un antisémitisme très clair, déguisé en antisionisme, avec lequel il sabote le combat pro-palestinien ». « Au fond, balaie Houria Bouteldja, il utilise les populations post-coloniales comme des tirailleurs sénégalais, au service de son obsession antisémite. Il est prêt à en admettre certains, à ses conditions, pour ce combat anti-juifs. »
Dans la deuxième partie de cette enquête, nous nous arrêterons sur l'antisémitisme de Soral, mais aussi sur la façon dont il a surfé sur les oppositions au mariage pour tous et à la « théorie du genre ». Des caisses de résonance, sur fond d'air du temps résolument conservateur, qui rendent la gauche inaudible.
Lire aussi sous l'onglet Prolonger le mémoire universitaire consacré à l'idéologie d'Alain Soral.
BOITE NOIREDébutée il y a plusieurs semaines, cette enquête sur le phénomène Soral se décline en plusieurs volets sur Mediapart. Nous avons estimé collectivement que le sujet valait une étude approfondie (avant même que nous ne révélions que Soral et Dieudonné lançaient un parti politique ensemble). Les interviews ont été réalisées au cours du mois d'octobre et des premiers jours de novembre.
Contactés à plusieurs reprises par mail par Mediapart pour cette enquête, ni Alain Soral, ni les autres responsables d'Égalité & Réconciliation n'ont répondu à nos demandes pour organiser un entretien. Le seul adhérent à E&R à nous avoir répondu est Achille, cité dans l'article, qui nous a demandé de modifier son prénom pour que son adhésion ne lui pose pas de problème professionnel.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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Le département socialiste des Bouches-du-Rhône a longtemps servi de mécène à la branche départementale d’Unsa police, syndicat unique, puis à son successeur Unité Police. Au total, entre 2005 et 2010, le conseil général, présidé par le sénateur Jean-Noël Guérini (ex-PS), a versé 440 000 euros à l’antenne départementale du syndicat, dont l’un des membres tient toujours une section police au siège de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. Rien d’illégal, puisque la loi permet aux collectivités locales de financer les structures locales des syndicats représentatifs. Mais les montants sont, à notre connaissance, inédits pour une organisation policière. Interrogés, les autres syndicats de police nous ont assuré ne jamais toucher d’aides supérieures à 5 000 euros.
Alertés par une lettre anonyme en février 2011, les gendarmes de la section de recherche de Marseille, en charge des affaires Guérini, ont épluché les comptes du syndicat. Ils ont conclu le 6 septembre 2012 à l’absence de toute malversation financière. « De l'analyse de la comptabilité 2009, il ressort que les subventions 2009 du CG13 ont été régulièrement utilisées dans les domaines pour lesquels elles avaient été demandées et accordées », écrivent les enquêteurs, même si la générosité du conseil général permettait aux syndicalistes marseillais de vivre grand train. « Les dirigeants du syndicat se sont octroyé en 2009 des indemnités (allant jusqu’à 6 924 euros pour l’un d’eux, Jean-Claude Hoang-Phu - ndlr), relèvent les gendarmes dans une première synthèse datée du 19 janvier 2012. Ces sommes sont justifiées en comptabilité pour partie par la présentation de factures de restauration, de transport et de carburant et pour partie en un forfait pour la téléphonie portable. » Sur un compte-rendu d’un bureau départemental qui s’est tenu le 3 mars 2009, Joël Gaspérini, l’ex-secrétaire départemental du syndicat, rappelle clairement que ce « dispositif indemnitaire lié à des frais de représentation est conditionné à l'obtention de la subvention de fonctionnement et sera maintenu sous cette réserve essentielle ».
Chaque année, le syndicat marseillais recevait une subvention de fonctionnement de 55 000 euros. En sus, le syndicat multiplia les congrès nationaux à Marseille, financés à hauteur de 20 000 euros par le département en 2007, puis de 25 000 euros en 2008 et 2010. Le 16 avril 2009, la subvention atteignit même 40 000 euros pour l’organisation, trois mois plus tôt, d’un congrès national d’Unité Police à l’hôtel Mercure près du Vieux-Port. L’intégralité de cette subvention du conseil général semble avoir été reversée pour remboursement au bureau national, en violation de la convention signée avec le département qui interdisait à l’antenne locale de « reverser tout ou partie de la subvention à d’autres associations, sociétés, collectivités privées ou œuvres ».
Selon les documents internes d’Unité police Treize consultés, le congrès était budgété à 120 000 euros, dont 78 000 euros pour l’hébergement/repas et 38 000 euros pour les transports. Le financement devait être assuré à hauteur de 80 000 euros par le bureau national et à hauteur de 40 000 euros par la subvention du conseil général. Le 9 janvier 2009, le syndicat national a viré 75 000 euros, comme promis, à son antenne départementale qui a aussitôt réglé la note de l'hôtel où s'était déroulé le congrès (69 105,10 euros). Mais pourquoi les 40 000 euros de la subvention départementale ont-ils ensuite atterri à Paris ?
« Je crois qu’il y a eu une avance de 40 000 sur le compte départemental et ça a été remboursé au niveau national », nous a d’abord répondu Henri Martini, secrétaire général d’Unité SGP police FO, lorsque nous l’avons rencontré en septembre 2014. Nous n'avons pas réussi à retrouver dans les documents en notre possession la trace de cette avance de 40 000 euros. Réinterrogé, Henri Martini nous répond par courriel que l‘avance de 75 000 euros versée par Paris le 9 janvier 2009 « comprenait le montant de l’éventuelle subvention départementale de 40 000,00€ que nous sollicitions ». Faut-il comprendre que le congrès n’a finalement coûté que 75 000 euros ? Il est pourtant comptabilisé à hauteur de 112 883,37 euros dans le compte de résultat 2009 de l’antenne départementale. « Il faut intégrer qu’un événement syndical de la sorte génère des dépenses bien au-delà des sommes partiellement engagées au niveau local, indique par courriel, sans plus de précisions, Henri Martini. Notre organisation syndicale nationale assume, et en cette occasion notamment, d’importants frais complémentaires remboursés ou avancés à des congressistes en provenance de l’ensemble du territoire. » Il est par exemple possible que ces 40 000 euros aient servi à payer des dépenses de transport des délégués syndicaux vers Marseille.
Mais comment expliquer des subventions aussi élevées du département ? « Près de 400 personnes dans votre ville, ça fait une retombée économique. On fait travailler les traiteurs, les hôteliers », justifie Henri Martini, qui assure avoir également reçu des subventions d’Aix-en-Provence pour un congrès en 2001 et de Reims en 2008. Vérification faite, rien de semblable : à Reims, la ville indique avoir versé seulement 5 000 euros en 2008 pour un congrès de 250 personnes. Autre bizarrerie, l’enquête des gendarmes montre qu’en 2009, Henri Martini et son ex-conseiller Jean-Claude Hoang-Phu, ancien secrétaire national d’Unité police, ont reçu des défraiements de l’antenne des Bouches-du-Rhône, alors qu’ils ne disposaient pas de mandats locaux. « Ça ne me dit rien du tout, s’étonne Henri Martini. À l’époque j’étais à Paris. Quand je me déplace, je paie l’hôtel, mais si on me rembourse, c’est Paris. »
Selon le conseiller général Jean-François Noyes, ex-directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini, son interlocuteur au sein du syndicat était Jean-Claude Hoang-Phu, ex-conseiller d’Henri Martini. Encarté au PS, le syndicaliste marseillais militait au sein de la « section police » socialiste de la rue Montgrand. Dans des écoutes téléphoniques liées à l’affaire Guérini, Jean-Claude Hoang-Phu apparaît comme l’intermédiaire entre Bernard Squarcini, l’ancien patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur - ndlr), et Alexandre Guérini, le frère du président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône. Ce qu'a également affirmé Me Olivier Grimaldi, ex-avocat d'Unité police et d'Alexandre Guérini, lors de son audition par les gendarmes en février 2011. Bernard Squarcini n'a cependant jamais été entendu à ce sujet par les enquêteurs. En février 2009, redoutant des complicités dans l’appareil policier, l’ex-procureur de la république de Marseille avait préféré confier l’enquête sur le système Guérini à la section de recherche de la gendarmerie plutôt qu'à la PJ.
« Ça n’a jamais été un informateur, dément Jean-François Noyes. JHCP nous aidait beaucoup mais uniquement dans les services d’ordre pendant la campagne 2007 de Ségolène Royal, notamment pour une manifestation au Dôme à Marseille. » Le député PS Patrick Mennucci, qui dirigeait la campagne de Ségolène Royal, et Joaquin Masanet, ex-secrétaire de l’Unsa police qui avait soutenu la candidate en 2007, affirment eux catégoriquement n’avoir jamais eu affaire à JCHP pour le service d’ordre des meetings de la candidate. Aujourd’hui proche de la retraite et retenu par des problèmes familiaux, Jean-Claude Hoang-Phu n’a pas donné suite à nos demandes, de même que l’ex-secrétaire départemental Joël Gaspérini qui souffre de problèmes de santé.
Depuis 2010, Jean-Noël Guérini, aujourd'hui mis en examen dans plusieurs affaires de marchés truqués, a stoppé net ses subventions. Unité SGP Police FO, plutôt marqué à gauche, redoute que cette histoire passée ne constitue un boulet face à leur concurrent Alliance police nationale, au sein duquel ont atterri à Marseille plusieurs anciens de la FPIP, un syndicat réputé proche de l’extrême droite. « Tous nos comptes ont été vérifiés et revérifiés par le commissaire aux comptes parisien. Et nous aux élections (professionnelles en décembre 2014, ndlr), on fait face à des fachos », s’inquiète un délégué local, qui n'a accepté de nous rencontrer qu'en off.
BOITE NOIREEn novembre 2012, suite à une décision de la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs), le conseil général des Bouches-du-Rhône m'avait transmis le montant des subventions versées en 2010 à l'antenne départementale du syndicat Unité police, en omettant celles des années précédentes au prétexte que le syndicat avait changé de nom. Recontacté le 27 août 2014 pour savoir à quand remontait la subvention et pour obtenir les montants antérieurs à 2010, le conseil général des Bouches-du-Rhône ne m'a toujours pas répondu. J'ai rencontré Henri Martini en septembre, puis je lui ai demandé des précisions par courriel.
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Le comptable public, Frank Mordacq, qui avait versé au total 268 millions d’euros aux liquidateurs du groupe Tapie à la suite de la célèbre sentence arbitrale, échappe pour l’instant à une lourde condamnation. Au terme d’un arrêt rendu ce lundi 10 novembre, la Cour des comptes l'a condamné à ne rembourser que 1 168,50 euros, sur les 152 millions d’euros du premier versement qu’il avait effectué. Et sur le second versement, d’un montant de 116 millions d’euros, la Cour des comptes a décidé un sursis à statuer.
Lors de l’audience publique, le 26 septembre dernier, à laquelle le seul média représenté était Mediapart (lire Tapie : un comptable public pourrait avoir à rembourser 268 millions d’euros), la rapporteure de la première chambre de la juridiction avait pourtant exposé des griefs très graves contre Frank Mordacq, le comptable public de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), l’établissement qui était l’actionnaire à 100 % du Consortium de réalisations (CDR), lequel CDR a accueilli en 1995 les actifs pourris du Crédit lyonnais et a donc hérité, au passage, du procès que l’ex-banque publique avait avec Bernard Tapie au sujet de la vente du groupe de sports Adidas. En clair, c’est Frank Mordacq qui a fait, en 2008 et 2009, certains des virements de l’EPFR, puisés dans les fonds publics, au profit du CDR, de sorte que celui-ci puisse s’acquitter d’une partie des 405 millions que les trois arbitres avaient alloués en dédommagement à Bernard Tapie.
D’abord, dans le cas des 152 millions d’euros, la rapporteure avait estimé que le comptable avait commis de nombreuses irrégularités. En particulier, selon une disposition inscrite dans la loi en 1999 par Dominique Strauss-Kahn (lire Affaire Tapie : le coup de pouce de Strauss-Kahn), il était prévu que l’État pourrait prendre à sa charge une éventuelle condamnation dans l’affaire Adidas, mais à la condition suspensive près que l’ex-Crédit lyonnais supporte une contribution forfaitaire de 12 millions d’euros. Selon la rapporteure, le comptable public aurait donc dû s’assurer auprès de l’EPFR que cette condition suspensive avait bien été levée. Et comme cela n’avait pas été le cas, il aurait dû suspendre l’intégralité du paiement. Pointant d’autres irrégularités sur les systèmes de délégation de signature ou sur les dates d’ordonnancement de ces dépenses, la magistrate avait donc considéré que le préjudice pour l’État était égal à la totalité de la somme engagée, soit l’intégralité de ces 152 millions d’euros.
Or, dans ce cas, l’article 60 de la loi du 23 février 1963 est très clair : « Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public. » Le même article précise encore : « La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes. » Conclusion implacable de la rapporteure : Frank Mordacq serait donc « redevable à l’EPFR de 152 millions d’euros ».
Dans le cas des 116 autres millions d’euros, qui ont été payés sept mois plus tard par le même comptable public, la rapporteure avait estimé que diverses autres irrégularités auraient été commises. Notamment, elle a estimé qu’une partie de cette somme, soit les 45 millions d’euros alloués par les arbitres à Bernard Tapie au titre du préjudice moral, n’avait pas à être supportée par l’EPFR, car cette somme ne découlait pas des conditions de la vente d’Adidas. Dans ce cas-là aussi, a-t-elle estimé, le comptable public aurait donc dû suspendre le versement. Quant au solde, correspondant à une partie des indemnités pour préjudice matériel, elle avait estimé que diverses autres irrégularités auraient été commises. En particulier, le paiement est intervenu au lendemain d’un conseil d’administration de l’EPFR, qui s’est tenu le 27 mars 2009, mais avant que la ministre des finances ne ratifie la dépense, ce qui n’interviendra qu’au cours du mois de juin suivant. En clair, le comptable public a engagé une dépense avant même qu’elle ne soit inscrite dans une loi de finances rectificative. Même conclusion implacable : « Monsieur Mordacq est débiteur auprès de l’EPFR de 116 millions d’euros. »
En bref, la rapporteure avait donc estimé que le comptable public devait être tenu personnellement et pécuniairement responsable de ces 268 millions d’euros.
Ce n’est pourtant pas en ce sens que la Cour des comptes a finalement tranché. Dans son arrêt, elle estime en effet que pour les 152 premiers millions d’euros qui ont été versés par le comptable, de très nombreuses fautes ont bel et bien été commises mais que le paiement effectué par lui n’a pas « entraîné un préjudice financier pour l’EPFR ». Or, dans ce cas, la loi prévoit que « la somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable (…) est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré ». Or, comme dans le cas d’espèce, le montant du cautionnement du comptable était de 779 000 euros, Frank Mordacq a été condamné à rembourser cette somme de 1 168,50 euros, sans que cette somme puisse faire l’objet d’une remise du ministre des finances.
Dans le cas du second virement, celui des 116 millions d’euros, l’arrêt de la Cour des comptes valide tous les griefs exposés par la rapporteure et insiste tout particulièrement sur le fait que le comptable n’aurait jamais dû verser cette somme, notamment parce que les 45 millions d’euros alloués à Bernard Tapie au titre du préjudice moral ne devaient pas être pris en charge par l’EPFR.
Mais la Cour des comptes observe « néanmoins qu’une instance est engagée devant la cour d’appel de Paris portant sur la validité de la sentence arbitrale ; que l’issue de cette instance dans des délais rapprochés est susceptible d’emporter des conséquences sur l’appréciation du préjudice financier subi par l’EPFR en raison du manquement du comptable ». Traduction : la cour d’appel de Paris va examiner le 25 novembre prochain le recours en révision introduit par le CDR, recours au terme duquel la fameuse sentence pourrait être annulée. « Dans le souci d’une bonne administration de la justice », la Cour des comptes considère donc dans son arrêt « qu’il y a lieu de surseoir au jugement sur le manquement constaté à l’occasion » de ce second versement de 116 millions d’euros. D’où, au bout du compte, cette condamnation pour l’instant légère de 1 168,50 euros qui est infligée au comptable, mais qui ne préjuge pas de l’arrêt final que pourrait rendre la Cour des comptes.
La morale de toute cette histoire, il n’est donc pas encore possible de la tirer. Mais dès à présent, quelques premiers constats s’imposent. Comme nous l’explique un bon connaisseur de la Cour des comptes, le grief majeur qui est fait au comptable n’est évidemment pas d’avoir été de mèche avec qui que ce soit de la « bande organisée » qui est soupçonnée par la justice pénale d’une possible escroquerie. Le comptable a juste été une soupape qui n'a pas fonctionné. Normalement celui-ci est le dernier verrou qui doit permettre de s'assurer que les sorties d'argent de l’État ne sont pas l'objet de manipulations frauduleuses. Même s'il ne fait que des vérifications formelles, il s'agit de s'assurer que tous les documents sont réunis pour attester de la légalité du paiement. En cas de tentative de corruption, le comptable est une épine supplémentaire dans le pied pour ceux qui veulent détourner des fonds au profit d'un bénéficiaire qui aurait obtenu moins devant les tribunaux de droit commun que dans un arbitrage.
Dans l’attente de l’arrêt définitif de la Cour des comptes, il y a donc deux hypothèses possibles. Soit le comptable public ne subit qu’une condamnation infime, et dans ce cas, l’affaire aurait de graves conséquences. Car ce laxisme judiciaire constituerait une incitation pour les autres comptables, voire pour les fonctionnaires « honnêtes », à ne pas se dresser face au pouvoir politique, en arguant des lois.
La seconde hypothèse, c’est que, après la décision de la cour d’appel, la Cour des comptes prenne une sanction beaucoup plus lourde contre le comptable – ce que les attendus du présent arrêt peuvent suggérer. Certes, pour le comptable concerné, les conséquences resteraient en grande partie symboliques. Car même quand un comptable public est condamné à payer plusieurs millions ou plusieurs centaines de millions d’euros, il s’agit plus d’une sanction morale que d’une sanction financière. Car, en réalité, le comptable peut demander une remise gracieuse au ministre des finances – et l’usage à Bercy est que cette remise soit accordée. De son côté, l’assurance du comptable paie le reliquat de la sanction financière qui est laissée à la charge du compte. En définitive, un comptable public n’a donc à payer de sa poche qu’une somme modique, à savoir la franchise de l’assurance, qui ne dépasse guère ordinairement la centaine d’euros.
Dans ce cas de figure, il ne s’agirait donc bel et bien que d’une sanction morale. Il n'empêche, la Cour des comptes serait la première juridiction à prononcer une condamnation, certes à l’encontre d’un protagoniste de second ordre et avec des sanctions mineures, dans l'affaire Tapie. Mais au moins les citoyens pourraient-ils se dire que la justice est enfin en marche, et que les personnes impliquées dans cette affaire commencent à être sanctionnées. En somme, l’État de droit, si souvent et si longtemps malmené, recommencerait à reprendre le dessus…
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La valse des promesses a recommencé. Face aux critiques de Martine Aubry dénonçant le coût politique, social et économique du travail le dimanche, les défenseurs du projet multiplient les annonces. « On sait déjà que l’on créera forcément de l’emploi, des milliers d’emplois », a répliqué le ministre de l’économie Emmanuel Macron, au micro de RTL, le 19 octobre. Le président du Medef, Pierre Gattaz, s’est fait encore plus précis le 28 octobre sur France Inter. Le travail le dimanche devrait permettre, selon lui, de créer « entre 40 000 et 50 000 emplois ». Pas plus que pour le million d’emplois promis avec le pacte de responsabilité, le président du Medef ne dit d’où proviennent ces estimations. L’important est d’avancer des chiffres en prévision de la bataille à venir.
Car la bataille est déjà inscrite, souhaitée même. Le ministre de l’économie a présenté une communication sur l’assouplissement du travail le dimanche mais aussi de nuit – les deux sont liés dans l’esprit du gouvernement – au conseil des ministres le 15 octobre. Ce texte devrait être présenté officiellement en décembre et discuté au Parlement au début de l’année prochaine.
Cette question du travail du dimanche, qui devait au départ n’être que la clarification d’une législation illisible, s’est transformée en un axe majeur de la politique économique et sociale du gouvernement. Depuis cet été, les séminaires ministériels en parlent systématiquement. C’est Laurent Fabius qui, au nom de sa responsabilité sur le commerce extérieur, milite pour supprimer tous les obstacles du code du travail pour transformer la France en une vaste zone touristique. C’est Emmanuel Macron, qui voit dans les verrous réglementaires une survivance des vieilles lunes qui brident l’économie. C’est Manuel Valls, qui annonce à Londres, en guise de démonstration de sa politique « pro-business », que « les commerces à Paris seront ouverts tous les dimanches ».
Il fut un temps, en avril 2012, où un candidat socialiste à la présidence de la République annonçait : « Le combat de 2012, c’est de préserver le principe du repos dominical, c’est-à-dire de permettre aux travailleurs de consacrer un jour de leur semaine à leur famille, au sport, à la culture, à la liberté. Et j’y veillerai. » Comment le gouvernement en est-il arrivé à défendre l’opposé ? Le travail le dimanche se révèle pourtant n'être ni rentable ni créateur d’emplois. Décryptage de cette mesure et de ses enjeux cachés. Chiffres à l’appui.
Que dit la réglementation sur le travail le dimanche ?
Le dimanche est reconnu comme le jour de repos hebdomadaire dans le code du travail, article L3132-3. Toutefois, certaines entreprises peuvent ouvrir le dimanche, sans autorisation préalable, « dans les secteurs nécessaires à la continuité de la vie économique et sociale », comme la santé, l’énergie, les transports, certaines activités industrielles qui ne s’arrêtent jamais, l’hôtellerie et la restauration.
Les commerces alimentaires bénéficient d’une certaine souplesse et peuvent ouvrir jusqu’à 13 heures le dimanche. Parallèlement, les commerces peuvent ouvrir cinq dimanches par an, selon les autorisations données par le maire ou par la préfecture à Paris.
Ce cadre réglementaire a été constamment attaqué. « À chaque fois qu’une dérogation est accordée, le jour suivant il y a de nouvelles atteintes à la loi », constate Karl Ghazi, responsable de CGT-commerce et du Clic-P, l’intersyndicale (CGT, CFDT, Sud, CGC et Unsa) qui luttent pour le respect de la loi, le respect du travail dominical et du travail de nuit dans la région parisienne.
D’abord, il y a eu les autorisations pour les chaînes d’ameublement – loi Ikea – afin de leur permettre d’ouvrir leurs surfaces commerciales le dimanche. Puis cela a continué avec la loi Virgin, autorisant l’ouverture du magasin sur les Champs-Élysées au motif qu’il vendait des produits culturels. Tous les magasins de l’avenue se sont engouffrés dans la brèche. Cela s’est poursuivi avec les zones touristiques élargies, autorisées à ouvrir tous les dimanches de l’année.
Enfin, il y eut la loi Mallié. En 2009, Richard Mallié, député UMP de Gardanne (Bouches-du-Rhône) et donc concerné au premier chef par l’illégalité de la vaste zone commerciale de Plan de campagne (voir Plan de Campagne, le Far West du travail dominical), proposa un nouveau texte dérogatoire, confirmant l’ouverture le dimanche pour les commerces de détail dans toutes les communes touristiques et les zones touristiques d’exception. Surtout, la loi autorisa l’ouverture des commerces le dimanche dans les « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE), où il existe déjà de véritables habitudes, anciennes, de consommation dominicale. Toutes les grandes zones commerciales ont ainsi été légalisées.
Cette nouvelle loi créant des distorsions de concurrence entre certaines enseignes de bricolage – Bricorama en particulier –, le gouvernement a pris un nouveau décret en avril 2014, autorisant l’ouverture le dimanche pour le secteur du bricolage.
Ces dérogations incessantes ont créé un état législatif et réglementaire illisible. Le droit a été remplacé par la politique du fait accompli, une volonté assumée par les grandes enseignes de se mettre en contravention par rapport à la loi. Ces violations réglementaires n’ont jamais été sanctionnées par les pouvoirs publics. « Les autorités qui sont en charge de faire respecter la réglementation sont les premières à soutenir les contrevenants », remarque Me Vincent Lecourt, qui ne compte plus le nombre de procès, de recours, qu’il a dû déposer au nom des syndicats salariés devant toutes les juridictions pour rappeler la loi. Lors du procès sur l’ouverture de Plan de campagne devant le tribunal administratif, le rapporteur général, Frédéric Dieu, n’avait pas eu lui non plus de mots assez durs pour dénoncer « la complicité des autorités publiques » qui avaient permis à cette zone commerciale de prospérer en toute illégalité pendant quarante ans.
La connivence des pouvoirs publics qui refusent de faire respecter la loi, pire parfois, qui mettent tout en œuvre pour protéger les contrevenants, est constante et finit par poser question. Quelques exemples au hasard. En 2008, les syndicats poursuivaient devant le tribunal administratif l’autorisation donnée par la préfecture de Paris à LVMH, très en pointe sur ce dossier depuis des années, d’ouvrir son magasin Louis Vuitton sur les Champs-Élysées. La veille de l’audience, le préfet, Michel Gaudin, annula l’arrêté. Le procès n’avait donc plus lieu d’être. Le lendemain de l’audience, il reprit le même arrêté confirmant l’autorisation d’ouverture du magasin Louis Vuitton sur les Champs-Élysées.
En 2012, le préfet de la Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, donna l’autorisation d’ouvrir le dimanche au nouveau centre commercial Millenium, situé dans la Plaine Saint-Denis. Pour compliquer les recours, il prit deux arrêtés, l'un le 14 novembre, qu’il annula par la suite pour reprendre rigoureusement le même le 17 novembre. Pour faire casser l’autorisation par le tribunal administratif, il fallait attaquer les deux arrêtés. Entre-temps, même si le tribunal administratif a cassé la décision, le préfet a classé la zone commerciale en périmètre d’usage de consommation exceptionnel, estimant qu’il s’était créé des habitudes de consommation dominicale.
Jugeant que la multiplication des procédures et des condamnations ne semblait avoir aucun effet, que les autorités publiques ne semblaient toujours pas décidées à faire respecter la loi, le syndicat FO a porté l’affaire plus haut. Il a engagé une procédure auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) contre l’État français pour « carence effective » à faire respecter le repos dominical. L’OIT a déjà rappelé à l'ordre à plusieurs reprises sur le sujet les pouvoirs publics. Elle devrait dire dans les prochaines semaines si elle instruit ou non le dossier.
Que propose le projet de loi Macron ?
En décembre 2013, Jean-Paul Bailly, ancien président de La Poste, avait remis un rapport au gouvernement sur les ouvertures commerciales le dimanche. Reprenant en partie les propositions de ce rapport, le projet de loi devrait prévoir la possibilité pour les commerces d’ouvrir douze dimanches au lieu de cinq dans l’année.
La possibilité d’ouvrir tous les dimanches, accordée jusqu'ici aux commerces en zones touristiques, serait fortement élargie. Les commerces pourraient ouvrir le dimanche lorsqu’ils sont situés dans les « zones touristiques à fort potentiel économique ». Cette disposition, qui vise en priorité Paris, devrait permettre aux grands magasins du boulevard Haussmann (Printemps, Galeries Lafayette) d’ouvrir enfin le dimanche, ce qui leur a été jusqu’à présent refusé. La disposition risque cependant de créer de nombreux conflits. « Inévitablement, cette mesure va produire des effets de seuils. D’autres quartiers vont demander à être inclus dans le dispositif. À terme, c’est tout Paris qui va se retrouver classé comme zone touristique », pronostique Karl Ghazi.
Le gouvernement souhaite aussi accorder l’ouverture le dimanche dans les gares. Ce sujet n’avait jamais été mentionné jusqu’à présent. Mais il est vrai que la SNCF s’est transformée entre-temps en aménageur commercial et a cédé en concession ses plus importantes gares pour les transformer en centres commerciaux. Toutes les concessions ou presque sont aux mains d’Unibail, groupe puissant et occulte, qui est en situation oligopolistique dans les centres commerciaux et d’exposition parisiens.
Enfin, pour faire bonne mesure, le gouvernement prévoit que le « travail en soirée » pourra être autorisé « sur décision de l’État », dans les « zones à haut potentiel économique » et moyennant des majorations de salaires. Avec cette proposition, le gouvernement vole au secours du groupe LVMH, condamné pour ouverture illégale après 21 heures de sa boutique Sephora (maquillage) sur les Champs-Élysées. Il s’assoit en même temps sur les décisions prises par les plus hautes autorités judiciaires sur le sujet. Après le Conseil constitutionnel qui avait rappelé que le travail de nuit devait rester l’exception, la Cour de cassation avait souligné fin septembre que « le travail de nuit n’était pas inhérent à l’activité de Sephora », et avait donc jugé que rien ne justifiait de dépasser les horaires légaux.
L’argumentation du gouvernement sur ce point reprend celle développée par Sephora et LVMH devant les tribunaux, aux mots près, relève Karl Ghazi. « C’est à l’occasion du procès Sephora qu’est apparue l’expression de travail en soirée utilisée par les avocats de LVMH. Un bel habillage pour parler du travail jusqu’à minuit, qui a été repris par le Medef et maintenant par le gouvernement. Mais dans la loi, le travail en soirée n’existe pas. Il y a le travail de nuit et il commence à neuf heures du soir », explique-t-il.
Ces projets vont à l’encontre des décisions de la municipalité de Paris. En 2010, celle-ci avait refusé l’élargissement des zones touristiques, en invoquant notamment l’hostilité des riverains. Une mission d’information et d’évaluation, placée sous la présidence de Bernard Gaudillère, examine à nouveau le dossier sur le travail du dimanche et de nuit à Paris. Elle doit remettre ses conclusions le 16 décembre. Mais que se passera-t-il si elle s’oppose à nouveau à une libéralisation des zones touristiques ? Qui l’emportera, l’État ou Paris ?
La déclaration de Manuel Valls à Londres semble laisser entendre qu’il juge le problème réglé. Il annonçait alors que tous les commerces à Paris, à l’avenir, seraient ouverts le dimanche comme à Londres. À une différence près cependant : les magasins anglais ont le droit d’ouvrir le dimanche, mais les horaires d’ouverture sont limités à six heures, du type 10 heures-16 heures ou 12 heures-18 heures. Le projet de loi français ne prévoit aucune limitation par rapport aux autres jours. Mieux, les magasins pourront ouvrir le dimanche jusqu’à minuit.
Travailler le dimanche et la nuit pour quelles contreparties ?
Le travail le dimanche et de nuit ne pourra se faire que sur la base du volontariat, assure le gouvernement. Dans les établissements comptant plus de onze personnes, les salariés qui accepteront de travailler avec ces horaires décalés devront recevoir « une compensation importante ». Le chiffre de 200 % du salaire normal, calqué sur la législation actuelle, est donné comme la référence en cas de travail le dimanche ou la nuit. Le projet de loi, toutefois, semble vouloir laisser aux accords d’entreprise ou de branches le soin de fixer le montant des majorations.
Pour l’intersyndicale regroupant les salariés du commerce, ces compensations annoncées sont des miroirs aux alouettes. Pour les syndicats, le volontariat comme les majorations salariales risquent d’être très vite oubliés. Ils redoutent que le travail de nuit et le dimanche ne se généralise sans aucune compensation.
À l’appui de leur doute, les syndicats citent déjà les textes existants. Alors que le gouvernement et le patronat agitent la perspective d’un salaire augmenté de 200 % pour convaincre l’opinion publique du bien-fondé de faire sauter les verrous législatifs sur le travail le dimanche, ils rappellent que les majorations n’existent plus pour les salariés travaillant dans les zones touristiques mais sont comprises dans le salaire général. « La loi n’impose pas de contrepartie pour les salariés travaillant le dimanche dans les communes touristiques. Elle se contente de poser une obligation de négocier », rappelait la direction régionale des entreprises et de la concurrence du Calvados en mars 2014 dans un différend entre salariés et commerce à Deauville.
Pour les autres cas, c’est encore plus compliqué. Le commerce est un des secteurs où le travail est en miettes. Contrats précaires, assortis d’obligations de disponibilité qui ne sont pas loin des contrats zéro heure anglais, horaires décalés, temps de travail allongé, heures supplémentaires non reconnues, travail semi-déclaré ou au noir: les formes de salariat les plus « flexibles » y sont toutes expérimentées depuis des années.
Les rares salariés – ils ne sont plus qu’une minorité dans le commerce – qui travaillent pour de grandes enseignes avec des contrats à durée indéterminée, connaissent par expérience les pratiques du travail le dimanche. Certes, leurs salaires sont majorés de 200 % lorsqu’ils travaillent le dimanche, les cinq fois autorisées dans l’année. Mais les majorations sont calculées sur le fixe et non sur la totalité du salaire qui inclut souvent des primes. Résultat : la prime de 200 % n’est en fait que de 100 %, voire de 50 %. Un dimanche travaillé qui devait rapporter plus de 150 euros ne rapporte en fait que 55 euros.
La situation pour les autres salariés est encore plus médiocre. S’appuyant sur les précédents législatifs, le projet de loi stipule que les majorations s’appliqueront pour les établissements comportant plus de onze salariés. Un grand nombre de commerces ne sont pas dans ce cas. Les grandes enseignes ont pris l’habitude depuis longtemps de créer autant d’entités juridiques que de points de vente. Certaines comme Franprix sont connues pour veiller scrupuleusement à ne pas dépasser ce seuil fatidique. « Les conseils des grandes enseignes vont s'empresser de leur recommander de créer des filiales pour éviter le seuil des 11 salariés, si elles ne l'ont déjà fait », dit l’avocat Vincent Lecourt.
De plus, dans nombre de grands magasins, des espaces sont loués à des marques qui ont leurs propres démonstrateurs – trois ou quatre, rarement plus. Ceux-ci dépendent directement de la marque et sont souvent sous contrats précaires et ne peuvent en aucun cas prétendre à être inclus dans les conventions collectives. Pour eux, les majorations pour le travail de nuit ou le dimanche pourraient n’être qu'un rêve.
Ouvrir le dimanche, une pratique non rentable
Le patron de Bricorama, Jean-Claude Bourrelier, en avait fait une question de principe : ses magasins de bricolage devaient pouvoir ouvrir le dimanche, comme ceux de ses concurrents, Leroy-Merlin ou Castorama. Il a fini par avoir gain de cause. Pourtant, aujourd’hui, il déchante : « L'analyse des chiffres montre qu'au cumul, depuis le début de l'année, nous n'avons reçu que le même nombre de clients qu'en 2013 alors que nous avons le bénéfice de l'ouverture du dimanche », écrit-il dans une revue interne. Il attribue cette chute à une perte de clientèle partie à la concurrence, qu’il ne parvient pas à récupérer. Tous les salariés de l’enseigne sont appelés à faire des efforts. En d’autres termes, à travailler le dimanche quand même, car l’enseigne de bricolage ne se voit par fermer à nouveau le dimanche, mais sans majoration de salaire.
Le cas n’est pas isolé. Alors que les grandes enseignes et le gouvernement mettent en avant un boom de la consommation, une envolée des chiffres d’affaires pour justifier l’ouverture le dimanche, les chiffres ne viennent pas toujours confirmer les arguments avancés. Le dimanche est souvent un mauvais jour pour le commerce. Ainsi, lors des derniers soldes d’été au Printemps, alors que pour attirer les clients, le grand magasin à Paris consentait 20 % de rabais supplémentaires ce jour-là, il réalisa le premier dimanche des soldes son chiffre d’affaires le plus bas, inférieur de plus de 40 % à celui du samedi. Les habitudes de consommation ne se modifient pas comme cela.
De plus, ouvrir le dimanche impose des charges fixes supplémentaires. Non seulement il faut payer les salariés – avec ou sans majoration –, mais il y a aussi les frais d’électricité, de chauffage, de sécurité. L’addition finit par être très lourde pour un chiffre d’affaires qui n’est pas au rendez-vous. Cela risque surtout de dégrader les marges. « Quel que soit le nombre de dimanches accordés, cela ne changera rien aux chiffres d’affaires des commerces : les consommateurs n’ont pas plus d’argent à dépenser et les magasins feront le même chiffre sur 7 jours que sur 6. (…) Côté commerçant, cela va rendre plus difficile la rentabilité de l’entreprise qui, en ouvrant le dimanche, devra doubler ses charges, y compris salariales », remarque Christophe Rollet, directeur général de Point S, spécialisé dans l’entretien auto, qui a renoncé à ouvrir le dimanche depuis plusieurs années.
Dans l’esprit du gouvernement, l’ouverture du dimanche est moins destinée à relancer la consommation intérieure qu’à offrir un attrait supplémentaire à destination des touristes. Dès le printemps, Laurent Fabius, qui a réussi à arracher le dossier du commerce extérieur à Bercy pour le rapatrier au Quai d’Orsay, insistait sur la nécessité d’ouvrir le dimanche et le soir afin d’attirer les touristes. Le ministre visait particulièrement les touristes chinois qui, depuis 2012, sont de plus en plus nombreux à visiter l’Europe et la France. « Plus de 1,2 million de touristes chinois se sont rendus en France l'an dernier et ces chiffres sont appelés, nous l'espérons, à augmenter massivement dans les prochaines années », expliquait-il. Mais pour les séduire, il convient, selon lui, de lever tous les verrous : « Le touriste qui trouve porte close le dimanche ou à 19 heures n’attend pas le jeudi suivant », insistait-il.
Le mythe du touriste chinois qui ne rêverait que d’arpenter les grands magasins et les enseignes des Champs-Élysées, était lancé. Dans les faits, le touriste chinois, prétexte à la mise en pièces du droit social, sert de couverture à des pratiques peu avouables et peu rentables, comme l’ont raconté des syndicalistes du commerce lors de leur audition devant la mission parlementaire d’information et d’évaluation, le 18 septembre.
Si les touristes chinois piétinent devant les portes des Galeries Lafayette ou du Printemps dès 9 heures le matin pour y faire des achats, ce n’est pas parce qu’ils considèrent les grands magasins du boulevard Haussmann comme un passage obligé à Paris au même titre que le Louvre et la tour Eiffel, mais parce que tout a été organisé pour les y amener.
Les grandes enseignes paient chèrement des intermédiaires pour faire partie du programme de visite. Selon les chiffres cités devant la mission d’information et d’évaluation, le Printemps a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 295 millions d’euros avec cette clientèle chinoise. Mais, pour les faire venir, le groupe a versé une rémunération de 32,8 millions d’euros à des intermédiaires.
La somme est énorme. Elle équivaut aux frais de personnel de tout le Printemps Haussmann sur une année. Déduction faite de toutes les charges et des frais fixes, la marge nette du grand magasin réalisée grâce à la clientèle chinoise est estimée à 4,1 millions, soit 1,38 % du chiffre d’affaires réalisé. Les marges des grands magasins se situent en général autour de 3 % à 4 %.
Le résultat est à peu près identique aux Galeries Lafayette. La direction a d’ailleurs trouvé que ces opérations étaient tellement peu intéressantes qu’elle a baissé, semble-t-il, le montant de ses commissions. Elle s’inquiète aussi de l’effet d’éviction provoqué auprès de la clientèle française, qui commence à déserter les grands magasins, considérant qu’ils ne s’adressent plus à eux.
Les enjeux cachés de l’ouverture le dimanche
Pourquoi les grandes enseignes font-elles pression sur le gouvernement pour obtenir d'ouvrir le dimanche, alors que tout semble prouver que ce n'est pas rentable ? Les organisations syndicales du commerce ont une vue très arrêtée sur le sujet. Selon elles, le processus s’inscrit dans une guerre commerciale menée par les grandes enseignes et la grande distribution. « La bataille sur l’ouverture du dimanche, c’est d’abord une bataille de parts de marché dans une période de crise », résume Karl Ghazi.
Avec la crise, le commerce vit des heures sombres. La baisse des prix, les rabais, les soldes qui ne disent pas leur nom sont devenus des pratiques quotidiennes, afin d’attirer les clients. Le nombre de magasins qui mettent la clé sous la porte est en croissance exponentielle. De plus en plus de boutiques sont vides dans les centres commerciaux.
Au-delà de la chute de la consommation, les habitudes des consommateurs changent. Les clients désertent les grandes zones commerciales au-dehors des villes, leur préférant les commerces de proximité et les achats en ligne. Ces changements mettent sous pression les grandes enseignes. Pour ces dernières, les centres-villes sont devenus un enjeu de taille où il importe de se développer ou de se renforcer. Les petits commerces sont un obstacle dans leur marche. Ce sont eux qu'elles visent en priorité pour assurer leur position. Dans ce contexte, l’ouverture le dimanche ou le soir est une arme contre les commerces indépendants : ceux-ci ne peuvent pas assurer des ouvertures sans limite. Les grandes enseignes espèrent ainsi capter leurs clients et les mettre à terre.
Il suffit de voir les réactions des uns et des autres pour comprendre l’ampleur de la bataille. Les grands magasins, les grandes enseignes de vêtements et de marques, qui saturent déjà totalement l’offre commerciale, ont tous pris position en faveur de l’ouverture le dimanche et le soir. Même s’ils y perdent de l’argent momentanément, ils sont persuadés d’en sortir gagnants.
Sans attendre, les groupes de la grande distribution demandent eux aussi de pouvoir bénéficier de l’ouverture dominicale pour toute la journée – et non plus jusqu’à 13 heures – pour tous les supermarchés de moins de 1 000 mètres carrés dans les villes de plus de 50 000 habitants. C'est ce créneau, sur lequel ils se sont le plus développés depuis la loi sur la modernisation de l’économie en 2008, qui leur a permis de conquérir les centres-villes sans autorisation préalable et d’éliminer la plupart des commerces indépendants.
À l’inverse, les commerçants indépendants sont vent debout contre l’ouverture le dimanche. « Les commerçants n’auront pas la possibilité de payer double leurs salariés. Ils fermeront leurs portes et créeront du chômage », a déjà protesté Gérard Atlan, président du conseil du commerce de France. Le président de la fédération de l’habillement, Bernard Morvan, s’est lui aussi élevé contre l’ouverture le dimanche. « C’est une menace pour les commerçants indépendants », prédit-il, soulignant qu’à Paris, 80 % des commerces parisiens sont des commerces indépendants de proximité, fruits d’une politique commerciale d’urbanisme assumée depuis plus de trente ans. Au-delà de la promotion de la diversité et de la proximité, ce dernier défend aussi les intérêts de sa fédération : la disparition des petits commerces priverait toute la filière de l’habillement de débouchés au profit de grandes marques mondialisées.
Le gouvernement mesure parfaitement les risques de déstabilisation que peut provoquer l’ouverture le dimanche dans le commerce et les filières industrielles qui en dépendent étroitement. Pourtant, il semble décider à poursuivre dans cette voie. La volonté du gouvernement de « libéraliser » le commerce répond aussi à des visées à plus long terme.
En commençant par le commerce, il s’attaque au secteur le plus faible, le plus désarticulé socialement. La précarisation du travail y est désormais la norme et les salariés sont sans moyens. L’ouverture du dimanche comme le travail la nuit, censés être des repères forts dans le Code du travail, vont créer des précédents. Il sera plus facile par la suite de s’attaquer à d’autres tabous sociaux, comme le contrat de travail, le temps de travail ou les salaires.
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Jérôme Cahuzac n'est pas un cas isolé. Plusieurs parlementaires français ont détenu un compte en Suisse non déclaré pendant des années, voire des décennies, sans que les autorités ne se soient donné les moyens de les débusquer jusqu'ici. Les cas du député Lucien Degauchy (UMP) et du sénateur Bruno Sido (UMP), mais aussi du député Bernard Brochand (UMP), ont été signalés à la justice par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), l'instance chargée depuis cette année d'éplucher les déclarations de patrimoine des élus, qui l'a fait savoir jeudi 13 novembre dans un communiqué.
Présidée par Jean-Louis Nadal, cette autorité indépendante qui collabore étroitement avec l'administration fiscale a saisi le parquet de Paris, non pas de soupçons de « fraude fiscale » (seul Bercy pouvant porter plainte en la matière), mais pour signaler le fait que ces trois parlementaires ont probablement menti dans leurs déclarations de patrimoine, en omettant de mentionner leurs avoirs détenus outre-Léman. Dans un communiqué publié jeudi soir, elle évoque « un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations ».
Or, depuis les lois sur la transparence de 2013, toute « omission » peut valoir aux délinquants en col blanc et cravate jusqu'à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende, possiblement alourdis d'une interdiction des droits civiques et d'exercer une fonction publique.
Sachant que des avoirs ont été dissimulés au fisc pendant des années, rien n'empêchera évidemment le parquet, une fois saisi, d'élargir ses investigations à des soupçons de « blanchiment de fraude fiscale », s'il le juge nécessaire. Saisi le 7 novembre des cas de Bruno Sido et Lucien Degauchy, il a d'ores et déjà ouvert des enquêtes préliminaires, confiées à l'Office anti-corruption de Nanterre. De son côté, Bernard Brochand assure dans un communiqué que son compte en Suisse était déclaré au Fisc français et que « les dépôts d’argent (...) effectués sur ce compte dans les années 70 ont été soumis à l’impôt français. »
En septembre, arguant d'une nécessaire exemplarité des élus, nombre de parlementaires UMP avaient appelé Thomas Thévenoud à renoncer à son siège de député, lui qui ne déclarait pas correctement ses impôts. Cette fois, combien vont remettre en cause les mandats de messieurs Brochand, Degauchy et Sido ? Certains vont sans doute se dépêcher d'attendre.
Car la HAT devrait tirer d’autres salves. Alors qu'elle n'a pas tout à fait terminé de contrôler les déclarations de patrimoine des parlementaires (bientôt consultables en préfecture), des saisines pourraient suivre pour des cas d’évaluations immobilières outrageusement minorées – le signalement relatif à Lucien Degauchy s'appuie aussi sur une "sous-déclaration" de ses biens immobiliers estimée à 50 % environ par la HAT. À ce stade, elle se refuse à tout commentaire.
En attendant, la Haute Autorité a sélectionné trois premiers dossiers peu "risqués", difficilement récusables, comme pour se faire les dents.
Cet agriculteur de métier a longtemps été l'ayant droit d'un compte suisse ouvert par son père au milieu des années 1990 à la banque cantonale vaudoise, comme il l'a reconnu auprès de Mediapart. « C'est un héritage, je n'ai jamais alimenté moi-même ce compte dormant », déclare Bruno Sido, en précisant qu'il contenait environ 150 000 euros.
L'élu affirme avoir lancé une procédure de régularisation en juillet 2013, qui aurait débouché sur un rapatriement effectif des fonds en France « à la fin 2013 ». « De mémoire, j'ai payé 26 000 ou 28 000 euros de pénalités », assure-t-il. Pourquoi donc avoir attendu si longtemps ? « J'ai d'abord considéré que je l'avais en nue-propriété, jusqu'à la mort de mon père en 2002. Puis il fallait que j'en discute avec mes frères et sœurs... »
Quand il a rempli sa déclaration de patrimoine pour la HAT début 2014, Bruno Sido a certes mentionné cette procédure et les montants concernés. Mais pendant toutes les années antérieures, il a remis de fausses déclarations à l'ancêtre de la Haute autorité, ne pipant mot de ses avoirs dissimulés en Suisse. En particulier en 2011, après sa réélection au Sénat.
C'est cette « omission » qui fait aujourd'hui l'objet d'un signalement au parquet. « Il ne s'agit pas d'argent public, insiste Bruno Sido. Et ça ne concerne en rien mes mandats locaux. »
Par le passé, ce baron local, sénateur discret dans l'hémicycle mais poids lourd à la tête du groupe des présidents de conseils généraux de droite et du centre, mobilisé contre la suppression des départements, a déjà été épinglé par France Soir pour son train de vie.
En 2011, le quotidien passait tout en revue : son surnom de « roi Sido » ; le contrat d'assistante parlementaire de son épouse, qui cogère par ailleurs sa société agricole (il est toujours en cours) ; les subventions européennes de la PAC empochées par son exploitation (« 133 700 euros en 2009 pour 400 hectares de céréales ») ; son choix de résider dans « un hôtel particulier de deux étages appartenant au conseil général », avec « personnels de maison » requis pour l'occasion, « potager et serre personnels » entretenus par les jardiniers de la collectivité, etc. « Il n'y a eu aucune remarque de la chambre régionale des comptes », avait alors répliqué Bruno Sido. En 2013, sa collègue socialiste Laurence Rossignol lui a par ailleurs décerné « la palme du misogyne » du Sénat.
Dans sa déclaration de patrimoine, l'ancien maire de Cannes, que nous n'avons pas réussi à joindre à ce stade, est soupçonné d'avoir dissimulé d'importants avoirs en Suisse à la banque UBS, de source judiciaire. Celle-ci évoque un montant dépassant le million d'euros. Jeudi soir, le député a cependant affirmé, par communiqué, que « les dépôts d’argent, gagnés légalement par mon travail, effectués sur ce compte dans les années 70 ont été soumis à l’impôt français. Ma situation est donc claire, légale et honnête. Que la Haute Autorité fasse son travail est normal, en revanche, que je sois jeté en pâture et victime d’amalgame avec des fraudeurs est honteux, je ne l’accepte pas. Je demande donc que les vraies informations soient communiquées. »
Dans un autre dossier, un juge cannois a déjà demandé en avril la levée de son immunité, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte notamment sur des soupçons de « corruption passive et active », pour l’entendre sous le régime de la garde à vue. Une levée refusée. Plusieurs personnes de l’entourage de Bernard Brochand, qui ne s’est pas représenté aux dernières municipales, ont été mises en examen.
En pleine affaire Cahuzac, l'élu avait publié une tribune sur son site internet, pour s'élever contre la publication du patrimoine des parlementaires (ils sont uniquement consultables) : « Cela ne ferait que dresser les Français les uns contre les autres en rappelant des heures sombres de notre histoire. »
Comme il l'a déjà admis dans Le Monde du 23 octobre, Lucien Degauchy, ancien horticulteur de 77 ans, cinq mandats de député au compteur, a été l'ayant droit d'un compte en Suisse ouvert par ses parents pendant trois décennies, jusqu'au lancement d'une procédure de régularisation à l'été 2013. Mais le député UMP de l'Oise, voisin de circonscription d'Éric Woerth, a quelque peu enjolivé l'histoire narrée au quotidien du soir.
D'après nos informations, l'argent stocké sur son compte avant le rapatriement s'approcherait en fait des 200 000 euros. « C'est faux », nous rétorque Lucien Degauchy, qui ne s'accroche certes plus à la somme de « 100 000 euros » indiquée au Monde, mais parle désormais de « 138 000 ou 148 000 euros ».
« C'est le compte que mes parents commerçants ont racheté à un ami banquier à l'arrivée de François Mitterrand (ndlr, en 1981), insiste le député, aujourd'hui assujetti à l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune). Parce qu'ils pensaient qu'ils étaient fichus en France. » En réalité, l'opération daterait de quelques années plus tard.
À l'en croire, s'il n'a pas signalé d'avoirs en Suisse dans sa déclaration de janvier à la HAT, « c'est que le compte était clôturé, que j'attendais les fonds », souffle Lucien Degauchy. D'après nos informations, la procédure de rapatriement n'aurait pourtant abouti qu'à l'été 2014… De toute façon, ce n'est pas d'une fausse déclaration de patrimoine qu'il s'agit, mais d'une multitude : depuis sa première élection comme conseiller général en 1985, jamais ses avoirs en Suisse n'ont été mentionnés.
« Je ne me sentais pas propriétaire de ce compte, sur lequel je n'ai jamais déposé un centime, se justifie-t-il aujourd'hui. Ce sont mes parents qui l'ont alimenté, en me faisant promettre que l'argent irait à leurs petits-enfants. À la mort de mon père, il y a une quinzaine d'années, c'est devenu un compte dormant. Pour moi c'était un fardeau, une épée de Damoclès. Je n'y étais pour rien, bon Dieu ! »
Pourquoi a-t-il décidé de régulariser en 2013 seulement ? « Cette année-là, les serres de mon fils horticulteur ont été ravagées par la grêle et ma fille a divorcé. J'ai vu l'occasion de respecter les dernières volontés de mes parents en dépannant mes enfants, tout en profitant de la circulaire Cazeneuve (des pénalités atténuées pour les évadés fiscaux se présentant spontanément à l'administration, ndlr). J'ai tout fait le plus légalement possible, j'ai donné pouvoir au cabinet spécialisé Francis Lefebvre, j'ai payé les pénalités ! Pourquoi devrait-on me traiter comme un bandit ? Si j'avais fait comme tout le monde, si j'avais payé un scooter en Suisse pour rapatrier l'argent comme tout le monde, vous auriez dit quoi ? Toute ma vie, j'ai essayé d'être d'une honnêteté sans pareille ! »
Après des décennies sans bouger le petit doigt, l'argumentaire convainc difficilement. Lucien Degauchy a eu moult occasions de se mettre en règle plus vite avec le fisc, en particulier en 2011. Comme le député le détaille lui-même, sa banque l'a prié à l'époque de transférer son argent dans un autre établissement, jugeant trop risqué de conserver un parlementaire français dans ses listings (une « personnalité exposée politiquement » dans le jargon des banquiers suisses). « Ils avaient des fuites ou je ne sais pas quoi, nous confie Lucien Degauchy. Ils ne pouvaient pas me garder, j'ai dû virer l'argent dans une autre banque à eux. » À l'entendre, il serait presque victime dans cet épisode : « Ça n'est pas vraiment moi qui ai changé de banque, ça s'est fait d'autorité. »
De 2007 à 2010, alors que son collègue et voisin Éric Woerth était ministre du budget, bien placé pour lui expliquer comment procéder discrètement, le député n'avait pas davantage régularisé sa situation. « J'y ai bien pensé, rétorque Lucien Degauchy. Mais je ne voulais pas, vis-à-vis de lui. Je ne voulais pas qu'on dise que je profitais d'Éric Woerth pour rapatrier. »
En mars 2013, en tout cas, le parlementaire a jugé opportun en pleine affaire Cahuzac de signer une proposition de loi pour « la mise en place d'un dispositif d'amnistie fiscale » à l'intention des évadés fiscaux français. « À l’heure où le gouvernement français cherche de nouvelles recettes fiscales, il est urgent d’imaginer des mesures fortes afin de rapatrier les capitaux indispensables à la relance de notre économie », pouvait-on lire dans ce texte, qui proposait d'instaurer une « taxe forfaitaire » de 5 % seulement sur les avoirs ainsi rapatriés ! « Selon certaines estimations, le montant des seuls avoirs français placés en Suisse atteindrait près de 45 milliards d’euros », insistait à juste titre la proposition de loi.
« Je ne me souviens plus, relativise aujourd'hui Lucien Degauchy. J'en signe vingt par jour, des propositions de loi que mon groupe politique me demande de signer. Quand il n'y a pas de contre-indication, je signe ! » En l'espèce, il n'en a pas vu.
Il faut dire que le député a une drôle de conception du travail parlementaire, qui se reflète dans ses interventions en séance publique : huit entre 2007 et 2012, quatre depuis. Et encore, sur son dernier mandat, ne s'agit-il que de participations aux questions au gouvernement télévisées. En commission, où se joue l'essentiel, Lucien Degauchy n'a pas dit un mot depuis 2012.
Sa dernière question remonte au 26 juin 2014 et concernait « les orages de grêle » inhabituels qui se sont abattus sur l'Oise, avec « des hectares de serres et de vérandas pulvérisés », dont celles de son fils. Ce jour-là, Lucien Degauchy s'est attiré les railleries de ses collègues en pointant l'éventuelle responsabilité « d'expériences anti-(orage) menées notamment à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ». Balayant cette « rumeur » sans fondement, le secrétaire d’État aux transports ne s'est pas privé, en réponse, de dévoiler que Lucien Degauchy lui avait « fait parvenir une revue de presse tout à fait éloquente sur les différents villages touchés ainsi que sur l'état des serres massacrées par la tempête », « notamment des serres Degauchy ». On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
Hollande : « Je ne veux pas (...) un responsable public qui ne soit pas en ordre »
Ces signalements de la HAT interviennent alors que son président, Jean-Louis Nadal, vient d'être chargé par François Hollande de rédiger « un état des lieux de la législation française » en matière d’exemplarité de la vie publique, assorti de « recommandations » sur « les moyens dont dispose la HAT ». En clair, le chef de l’État semble partant pour confier plus de pouvoirs à la Haute Autorité.
« Si elle pouvait signaler quelques empêchements ou difficultés pour accéder à l’information (...), alors je prendrai en compte les observations ou les propositions du président de cette Haute Autorité, a déjà indiqué François Hollande, lors de sa conférence de presse de rentrée. Parce que je veux aller jusqu’au bout. Je ne veux pas que l’on puisse penser, au terme de mon quinquennat, qu’il y a un parlementaire, un ministre, un responsable public qui ne soit pas en ordre. »
Comme Mediapart l’a récemment expliqué, la HAT fait aujourd'hui l’objet d’une contre-offensive. Certains de ses détracteurs ont saisi l'occasion de récentes fuites dans la presse sur des parlementaires, en particulier nos révélations sur le probable redressement fiscal du député Gilles Carrez, pour tenter de la déstabiliser, elle qui commence sérieusement à gêner – y compris quelques hauts fonctionnaires de Bercy soucieux de conserver la main sur leurs données fiscales et leur usage, au nom d’une expertise incomparable. La voilà qui prouve définitivement son utilité.
BOITE NOIRECet article a été mis à jour quelques minutes après sa publication, pour compléter les informations relatives à Bernard Brochand et signaler l'ouverture d'enquêtes préliminaires par le parquet de Paris. Il a ensuite été complété avec le communiqué du député des Alpes-Maritimes.
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Dans une conférence de presse organisée en urgence ce jeudi soir, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé l’interdiction dans les opérations de maintien de l’ordre des grenades offensives, une arme militaire en dotation uniquement chez les gendarmes. « Parce que cette munition a tué un jeune garçon de 21 ans et que cela ne doit plus jamais se produire, j'ai décidé d'interdire l'utilisation de ces grenades dans les opérations de maintien de l'ordre », a-t-il déclaré après la remise mercredi soir d'un rapport sur ces munitions.
Ce rapport, mis en ligne jeudi soir, souligne « la spécificité française, seule nation d'Europe à utiliser des munitions explosives en opération de maintien de l'ordre avec l'objectif de maintenir à distance les manifestants les plus violents ».
Une circulaire, dont un extrait est publié dans le rapport, décrit ainsi la grenade offensive des gendarmes, la plus puissante : « Uniquement lancée à main, la grenade explosive OF n'a aucun effet lacrymogène mais seulement un effet de souffle combiné à un effet assourdissant. Le fonctionnement explosif ne projette aucun éclat métallique dangereux. Si la situation le permet, les grenades explosives sont dans un premier temps lancées chaque fois que possible dans les endroits dépourvus de manifestants. Leur emploi doit être proportionné aux troubles rencontrés et prendre fin lorsque ceux-ci ont cessé. »
Selon les chiffres de la gendarmerie, les « pics de mise en œuvre » correspondent à des « troubles sociaux particuliers ». Sont ainsi citées les émeutes à Mayotte contre la vie chère en 2011 (91 grenades OF), l'évacuation des squats et premières opérations de maintien de l'ordre à Notre-Dame-des-Landes en 2012 et 2013 (104 grenades OF), ainsi que les manifestations contre l'installation des portiques éco-taxes en Bretagne (6 grenades OF), puis en 2014 les manifestations contre la construction du barrage de Sivens (43 grenades OF). « Lors des opérations de Sivens, dans la seule nuit du 25 au 26 octobre 2014 (de 00h20 à 03h27), en trois heures d'engagement de haute intensité, on dénombre le tir de 237 grenades lacrymogènes (dont 33 à main), 38 grenades GLI F4 (dont 8 à main) et 23 grenades offensives F1 (dont 1 qui a tué Rémi Fraisse), ainsi que de 41 balles de défense avec lanceur de 40 x 46 mm », précise le rapport.
Les auteurs notent que « les années 2013 et 2014 sont marquées par une nette augmentation du nombre de gendarmes blessés (plus de 110 blessés, ndlr) en maintien de l’ordre en raison des troubles rencontrés sur les grands projets tels que la THT (Basse Normandie), l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le barrage de Sivens ».
Bernard Cazeneuve a également décidé de « durcir les modalités d'emploi des grenades lacrymogènes à effet de souffle, dites “GLI” pour grenade lacrymogène instantanée ». Désormais, « l'utilisation de ces munitions devra se faire en binôme composé du lanceur lui-même et d'un superviseur ayant le recul nécessaire pour évaluer la situation et guider l'opération », a-t-il poursuivi. « Mon rôle est de faire en sorte qu’un tel drame ne soit plus possible », a dit Bernard Cazeneuve.
Un autre rapport, confié à l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et qui sera remis début décembre, portera lui sur le déroulement des opérations de maintien de l’ordre à Sivens. Parallèlement, un groupe de travail police-gendarmerie est censé plancher sur les techniques de maintien de l’ordre, en associant les parlementaires à leur réflexion. Soulignant en creux les défaillances à Sivens, Cazeneuve a déjà annoncé que la présence permanente d’« une autorité civile (un représentant du préfet) deviendra obligatoire » sur le terrain pour « réévaluer en temps réel le dispositif ». Et que ces opérations seront désormais « intégralement filmées », avec des sommations plus claires. Les sommations actuelles « n'annoncent pas explicitement l'usage des armes », regrette le rapport.
Selon les éléments d’enquête révélés mercredi par Mediapart et Le Monde, les gendarmes, aux prises avec les manifestants sur le chantier du barrage de Sivens la nuit du 25 au 26 octobre, ont immédiatement compris que Rémi Fraisse venait d'être tué par une grenade offensive et l’ont consigné sur leur journal de bord. Dès 5 heures du matin le dimanche, le médecin légiste constate un décès immédiat provoqué par une « explosion localisée ». Mais pendant 48 heures, les autorités ont brouillé les pistes, la préfecture et le ministère évoquant simplement le dimanche 26 octobre la « découverte » d’un corps par les gendarmes à 2 heures du matin. Il faudra attendre le mardi 28 octobre pour que le procureur de la République annonce que l’enquête s’orientait sur la piste « d’un explosif militaire de type grenade offensive ».
Jeudi 13 novembre, questionné par un journaliste, Bernard Cazeneuve a finalement reconnu qu’il avait été averti dans la nuit de dimanche de cette découverte, et non le matin comme soutenu jusqu’alors. « Après minuit, c’est le matin », a balayé le ministre. Il estime « injuste » « le procès selon lequel le gouvernement aurait su dès le dimanche » et se dit dans « une obsession de la vérité ». « Ce qui me blesse profondément est qu’on ait pu m’accuser de créer délibérément les conditions de la mort de ce jeune homme et d’avoir ensuite voulu cacher des choses. » Le ministre s’est, une fois de plus, réfugié derrière l’indépendance de la justice et le secret de l’instruction, affirmant avoir « choisi d’assurer les conditions d’un travail serein de la justice ».
« Le magistrat qui avait accès au dossier ne savait pas et moi qui n’y avait pas accès, j’aurais dû savoir ? », a-t-il martelé. « Les seules informations dont j’ai disposé sont celles que m’a adressées M. Favier (directeur général de la gendarmerie nationale, ndlr) », a également répété Cazeneuve. C'est-à-dire de la simple « concomitance » entre le tir d'une grenade offensive et la mort du jeune botaniste sans certitude sur le lien de causalité, selon le récit désormais bien rodé des deux hommes qui se sont exprimés ce jeudi sur France inter et RTL.
L'entourage de Bernard Cazeneuve évoque le choix d'une « posture de neutralité » pour ne pas faire pression sur la justice. Ce qui n'a pas empêché le ministre de condamner dès le 26 octobre dans son communiqué « une forme d’action particulièrement violente » des opposants au barrage, tandis que Manuel Valls refusait le mardi 28 octobre toute « mise en cause de l’action des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs ».
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Comme une impression de ménage qui aurait été fait. Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve affirme dans un courrier officiel, dont Mediapart et France Inter ont eu connaissance, que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, ex-DCRI) n’a conservé aucun document sur un acteur clé de l’affaire Karachi, Ali Ben Moussalem, un cheikh saoudien proche de plusieurs hommes politiques français. Cette absence de documents sur Ben Moussalem dans les archives du ministère est pour le moins suspecte, l’enquête judiciaire ayant clairement laissé apparaître ces derniers mois que la DGSI avait bel et bien travaillé sur lui à de nombreuses reprises.
S’émouvant de cette « disparition de documents écrits classifiés », plusieurs parties civiles au dossier ont réclamé, le 22 octobre, dans un courrier adressé par l’avocate Me Marie Dosé au juge Marc Trévidic, une nouvelle offensive judiciaire contre le secret défense. Une énième. Mais cette fois, l’objectif est inédit, visant à ce que la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) auditionne et libère du secret plusieurs fonctionnaires du renseignement qui auraient eu à connaître d’informations confidentielles sur Ali Ben Moussalem. Jusqu’à maintenant, tous se sont retranchés derrière le secret défense pour ne pas répondre au juge.
Né en 1940 à Najran, en Arabie Saoudite, et mort en 2004 à Genève dans des circonstances qui ont longtemps interrogé les services de renseignements, Ali Ben Moussalem a la particularité d’être cité dans les deux volets de l’affaire Karachi, financier et terroriste. Depuis plusieurs années, le juge antiterroriste Marc Trévidic cherche en effet à découvrir le mobile de l’attentat de Karachi, qui a tué le 8 mai 2002 onze employés français de la Direction des constructions navales (DCN). Il a été attribué à tort pendant des années à Al-Qaïda et une possible piste financière est aujourd’hui à l’étude.
Au fil des ans, Ali Ben Moussalem est apparu pour le juge comme un protagoniste clé de son enquête du fait de ses ramifications protéiformes, entre États – Arabie Saoudite, France, Pakistan… –, ventes d’armes et terrorisme.
D’abord, il y eut l’argent. Ancien conseiller du roi Fahd mêlé au scandale de l’Irangate, devenu en France chef du réseau d’intermédiaires Takieddine/El-Assir, Ben Moussalem est celui qui, main dans la main avec le gouvernement d’Édouard Balladur, a supervisé au milieu des années 1990 les détournements massifs d’argent sur trois ventes d’armes de l’État impliquant la DCN avec l’Arabie Saoudite (Mouette, Sawari 2 et Shola/Slbs). L’argent noir qui a été en partie versé a permis le financement occulte des balladuriens à l’occasion de la campagne présidentielle de 1995, et quelques enrichissements personnels au passage – un premier procès devrait avoir lieu en 2015.
Mais Ben Moussalem, qui avait confié une partie de ses fonds offshore au gestionnaire suisse Jacques Heyer, un proche de Nicolas Sarkozy, est aussi celui qui a probablement perdu le plus d’argent – au-delà de 100 millions d’euros d’aujourd’hui en comptant l’inflation, malgré quelques compensations – après la décision de Jacques Chirac de couper court, une fois élu président en 1995, aux versements des sommes dues aux intermédiaires balladuriens.
Ensuite, il y a le sang. Ben Moussalem, homme des missions spéciales du Royaume wahhabite (au Yémen, au Maroc, en Algérie ou auprès de Kadhafi en Libye) avant d’obtenir le rang de ministre, a été soupçonné par plusieurs centrales de renseignements d’avoir été lié de son vivant au financement du terrorisme. Au lendemain des attentats du 11-Septembre, les États-Unis l’avait clairement ciblé. Le 4 janvier 2002, le département du Trésor, qui avait ouvert une enquête sur la banque Al-Taqwa, dirigée par un certain Youssef Nada, citait Ben Moussalem en ces termes : « Depuis les années 1980, à la suite du retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan, Moussalem, aidé de Nada, a fourni des services indirects d’investissements pour Al-Qaïda, investissant des fonds pour Ben Laden, et effectuant des livraisons d’argent liquide sur demande pour l’organisation Al-Qaïda. »
La synthèse de la Central Intelligence Agency (CIA) qui a inspiré cette note du département du Trésor américain soulignait que la découverte d’une « connexion entre Moussalem et Oussama Ben Laden serait très embarrassante pour la famille royale saoudienne, mais le lien sera difficile à établir car les fonds d’investissements de Ben Laden ont été très bien habillés et seuls des retraits en espèces ont été réalisés pour Al-Qaïda ».
En France, le peu de documents déclassifiés par la Direction générale des services extérieurs (DGSE), sous tutelle du ministère de la défense, ont de leur côté laissé apparaître que Ben Moussalem était tombé en disgrâce en 1997 à la cour du roi d’Arabie Saoudite en raison de ses démêlés liés aux commissions occultes de l’époque Balladur.
De tout cela, les services de renseignements du ministère de l’intérieur n’auraient, eux, rien su ou rien voulu savoir ? Le seul et unique document sur Ben Moussalem déclassifié par la place Beauvau du temps de Manuel Valls à l’intérieur est une analyse sommaire, datée de juin 2004, d’un article de presse du quotidien suisse Le Temps titré « Terrorisme : la Suisse enquête sur un conseiller du roi d’Arabie Saoudite ». Seul point intéressant dans cette note, dont l’essentiel avait été copieusement noirci avant sa déclassification : les services secrets intérieurs faisaient part de leurs interrogations sur les raisons de la mort du cheikh saoudien. On peut ainsi lire à la fin de cette note cette mention du service : « La source a précisé être dans l’incapacité de préciser les circonstances, naturelles ou non, de ce décès. » Ce qui montre bien que la DGSI s’intéressait de près au personnage. Puis plus rien.
Sollicité à de nombreuses reprises par les parties civiles à son arrivée place Beauvau en avril 2014, Bernard Cazeneuve, ancien rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’affaire Karachi, a dû se résoudre à l’évidence : les archives sonnent creux sur Moussalem dans son ministère. Le 23 juin dernier, il a écrit aux parties civiles un courrier catégorique, désormais versé à la procédure. « Les recherches entreprises par la DCRI (aujourd’hui DGSI – ndlr) sur ce sujet sont restées vaines », peut-on lire sous la plume du ministre.
L’aveu paraît stupéfiant. Non seulement les services du ministère de l’intérieur n’auraient pas poursuivi leurs recherches sur Ben Moussalem après sa mort, mais ils n’auraient conservé aucune trace de toutes les informations dont ils avaient été préalablement destinataires pendant des années, comme l’a affirmé devant le juge sur procès-verbal un ancien correspondant de la DGSI, Gérard Willing.
Homme de l’ombre lié à divers services de renseignements français, Gérard Willing a fait plusieurs révélations le 28 janvier 2013 devant le juge Trévidic. Sur la corruption française autour des ventes d’armes, pour commencer :
Gérard Willing, qui s’est reconverti dans le privé avec un ex-ponte du MI-6 britannique, a assuré au magistrat avoir fourni un « très grand nombre d’informations orales qui ont fait l’objet de nombreuses notes de contacts sur plusieurs mois », comme c’est l’usage dans les services.
Concernant l’attentat de Karachi à proprement parler, Gérard Willing avait par ailleurs rédigé dès le 13 mai 2002, soit onze jours après les faits, une note blanche sur « la possible piste financière », arrivant aux mêmes conclusions qu’un ancien espion privé de la DCN, Claude Thévenet, auteur d’un rapport (nom de code : “Nautilus”) évoquant l'éventualité d'un lien – non prouvé à ce jour – entre les dessous financiers des ventes d’armes françaises et l’attentat de Karachi.
Devant le juge Trévidic, Willing a confirmé avoir transmis ses informations à la DST :
De tout cela, la place Beauvau n’aurait absolument rien gardé, ni rapports ni notes de contact, comme c’est pourtant la règle ? C’est ce qu’affirme aussi par écrit le ministre Cazeneuve dans son courrier du 23 juin : « Concernant le rapport évoqué lors de témoignages dans le bureau du magistrat, son existence n’est pas formellement avérée ainsi que sa remise à la DST (ex-DCRI) puisque la DCRI n’en détient aucun exemplaire. »
Un ancien gradé de la DGSI, aujourd’hui en poste… à l’Élysée, Éric Bellemin-Comte, s’est pourtant montré moins catégorique devant le juge, lors de son audition le 23 octobre 2013. « Je connais Gérard Willing. Je ne pourrais pas vous confirmer ni vous infirmer qu’il a été une source du service parce que la loi me l’interdit », a-t-il indiqué au magistrat. À la question de savoir s’il a été informé de l’hypothèse émise par Willing sur l’attentat de Karachi, même non-réponse : « Je suis obligé de vous opposer le secret de la défense nationale. » Un autre ancien de la DST, l’ex-sous-directeur Jean-Jacques Martini, s’est lui aussi retranché derrière le secret défense pour ne pas répondre au juge.
Dans sa requête au juge Trévidic du 22 octobre dernier, Me Marie Dosé, qui représente plusieurs blessés de l’attentat de Karachi, en conclut logiquement que « les auditions de MM. Martini et Bellemin-Comte démontrent en tout état de cause que des informations couvertes par le secret de la défense nationale concernant M. Willing et M. Ben Moussalem avaient bien été portées à la connaissance de la DST devenue DCRI (puis DGSI – ndlr) ».
Pour contourner le mur du secret défense, devenu dans les affaires sensibles l’alibi de l’entrave à la justice, l’avocate réclame du juge Trévidic ce qui n’a encore jamais été fait en la matière, mais que le droit ne proscrit pas : à savoir que le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale auditionne chacun des témoins concernés afin de recueillir toutes les informations qu’ils possèdent sur le travail de Willing et sur celui de la DGSI concernant Ben Moussalem, « avant d’émettre un avis sur l’opportunité ou non de déclassifier des informations ». La décision finale reviendra, comme c’est l’usage bien que cela soit contraire au principe de séparation des pouvoirs, au ministre de l’intérieur. C’est-à-dire au pouvoir exécutif.
Reste une question de fond encore non élucidée : le ménage a-t-il été fait dans les archives des services secrets intérieurs concernant Moussalem, un fantôme encombrant pour la droite française, tout particulièrement pour les balladuriens devenus des sarkozystes ? La DCRI se refuse à tout commentaire officiel sur le sujet. L’ancien tout-puissant directeur de la DCRI, Bernard Squarcini, un proche de Nicolas Sarkozy, s’en défend.
Dans un livre qui lui a été consacré en 2012, L’Espion du Président (Robert Laffont), trois journalistes du Point et du Canard enchaîné avaient recueilli le témoignage d’un haut fonctionnaire, Joël Bouchité, ancien patron des Renseignements généraux et ex-conseiller sécurité à l’Élysée jusqu’en juillet 2011, qui jette pourtant le doute. Selon lui, Bernard Squarcini a conservé « des camions d’archives » visant « notamment des politiques et des journalistes ». Ben Moussalem, un peu trop proche des premiers, en ferait-il partie ?
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Soudain, l’atmosphère s’allégea pour les avocats de la Société générale. L'avocat général, Jean-Marie d’Huy, parlait. Et tout ce qu’il disait leur convenait.
Les avocats de Jérôme Kerviel et de la Société générale s’opposaient, depuis le début de la matinée de ce jeudi 13 novembre, sur la demande d’expertise, présentée par Jérôme Kerviel, pour évaluer les pertes de 4,9 milliards d’euros et la responsabilité de la banque dans le cadre du procès civil devant la cour d’appel de Versailles. Intervenant à la suite, l'avocat général mit alors toute son autorité dans le débat pour « éclairer les juges ». « Il ne faut pas se tromper de procès. Le procès pénal a bien eu lieu. Le tribunal a jugé par deux fois que la Société générale n’avait eu aucune responsabilité dans la fraude », insista-t-il. Avant d’adresser sa recommandation au tribunal : « Gardez-vous bien de prononcer cette expertise qui enlisera le débat par toutes sortes de questions hors sujet ! »
Il est rare que le ministère public prenne part aux débats lors d’un procès civil – il ne concerne que les parties civiles –, encore plus quand il s’agit d’une demande d’expertise, acte technique. Mais cette fois, Jean-Marie d’Huy s’y sentait autorisé. Il lui fallait, selon lui, montrer le chemin du droit, après la situation nouvelle créée par le jugement de la Cour de cassation.
Dans son arrêt du 19 mars 2014, celle-ci a en effet bousculé la jurisprudence. Alors que jusqu’alors, elle admettait que les victimes puissent réclamer une réparation totale du préjudice subi, elle a fait volte-face dans le cas Kerviel. Jugeant que le tribunal n’avait pas tenu compte « des fautes commises par la Société générale », elle avait cassé le jugement condamnant Jérôme Kerviel à payer 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la banque. Et renvoyé le procès civil devant la cour d’appel de Versailles. Celle-ci est donc chargée de défricher cette nouvelle règle.
Mais comment apprécier les responsabilités de la Société générale dans cette affaire ? « Il va falloir des expertises », avait commenté en aparté Me Jean Reinhart, un des avocats de la Société générale, à la sortie du jugement de la Cour de cassation. C’est précisément ce que demandait David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel, en préambule des débats.
« Depuis sept ans, nous sommes dans un dossier où, pour la banque, il suffit de parler pour être cru. Traitons enfin ce dossier comme un dossier normal : quand on allègue, on prouve ! », expliqua-t-il, souhaitant que la cour saisisse « l'occasion historique de faire la lumière » sur la responsabilité de la banque. À l’appui de ses propos, il demandait une expertise indépendante sur la façon dont avaient été débouclées les positions de Jérôme Kerviel, ainsi qu’une expertise auprès d’Eurex, la chambre de compensation qui garde mémoire de toutes les opérations et de toutes les contreparties mais qui n’a pourtant jamais été interrogée dans ce dossier. Il demandait aussi la saisie de tous les courriels internes des supérieurs de Jérôme Kerviel, afin de mieux évaluer leur degré de connaissance et leurs responsabilités.
Les avocats de la Société générale, en face, étaient embarrassés. En réponse aux demandes d’expertise indépendante, ils avaient opposé par écrit un refus catégorique et définitif. Pour eux, toutes les expertises avaient été menées. Les demandes présentées par Jérôme Kerviel étaient « inutiles et dilatoires ». Ils y voyaient une manière de revenir sur la chose jugée, de refaire le procès perdu au pénal.
Mais entre-temps, le PDG de la Société générale, Frédéric Oudea, avait parlé. Interrogé le 6 novembre, lors de la présentation des résultats trimestriels de la banque, sur les raisons de la banque de refuser une expertise indépendante, il avait expliqué qu’il n’opposait aucun refus. « Je ne m’oppose pas à une expertise indépendante, (…) même si je l’estime inutile », avait-il déclaré sur BFM business.
Difficile de soutenir une position devant la presse et une autre devant les juges. Un certain flottement s’était donc installé parmi les avocats de la Société générale. D’un côté, François Martineau, deuxième avocat de la banque, reprenait tous les arguments juridiques développés dans les conclusions écrites pour s’opposer à une demande d’expertise indépendante, invoquait le secret bancaire et le secret de la correspondance pour refuser toute communication des mails internes des supérieurs de Jérôme Kerviel. De l’autre, son confrère, Jean Veil, troisième avocat de la banque, soutenait qu’il n’y avait pas d’opposition de principe à une expertise indépendante, même si elle était parfaitement inutile. Mais la banque, ajoutait-il, refusait d’en payer le coût, n’étant pas « une institution de bienfaisance ».
L’intervention de l'avocat général dissipa l’embarras. Après avoir longuement rappelé le jugement pénal, la situation nouvelle créée par la Cour de cassation, il soutint que les demandes d’expertise n'étaient « ni utiles ni nécessaires ». Pour le ministère public, « toutes les réponses sont dans le dossier ». Les faits et les pertes ont été vérifiés, rappela-t-il, par l’inspection interne de la banque, par la Commission bancaire, par les commissaires aux comptes de la banque. Autant d’experts indépendants dont les travaux ne sauraient être discutés. « On n’imagine pas que des informations fausses aient pu être publiées », lança-t-il.
On n’imagine pas effectivement. Mais comment se fait-il que les commissaires aux comptes de la banque aient approuvé les comptes semestriels au 30 juin 2007 de la Société générale, sans avoir vu alors la position perdante de quelque 2,2 milliards d’euros de Jérôme Kerviel, qui devait pourtant se voir au moins au niveau de la trésorerie de la banque ?
De même, comment expliquer l’absence de réaction de l’inspection générale, organe indépendant lié à la seule direction comme insista l'avocat général, après la lettre d’avertissement sur les comptes de Jérôme Kerviel, adressée par Eurex aux organes de contrôle, début novembre 2007 ? L’inertie fut telle que la chambre de compensation diligenta une nouvelle enquête début janvier 2008, qui fut arrêtée après les révélations de l’affaire Kerviel par la Société générale.
Enfin, de quelle façon faut-il lire la validation de la perte de 4,9 milliards d’euros, annoncée dès le 23 janvier 2008 – chiffre qui ne variera plus jamais – par la commission bancaire, alors que dans son rapport, celle-ci précise bien qu’à cette date, toutes les positions prises par Jérôme Kerviel n’ont pas été dénouées. Il reste alors, selon le rapport même de la commission bancaire, encore 10 000 contrats sur le Dax, d’une valeur d’un milliard d’euros environ. Une paille. Comment ont-ils été débouclés, au bénéfice ou au détriment de la banque ?
Tout est si connu d'ailleurs que c'est la première fois, au bout de sept ans d'instruction, qu'un avocat de la Société générale révèle au détour d'une phrase que la banque avait bien une assurance pour la couvrir contre le vol, la fraude et les pertes de trading. Mais, dans le cas du dossier Kerviel, elle n'avait pas fonctionné. « Clause d'exclusion », dit-il, sans plus de précision.
Ce ne sont que quelques exemples. Mais la justice est passée, selon le ministère public. « Les arguments de Jérôme Kerviel ont été débattus contradictoirement », releva-t-il. Poursuivant dans l’interprétation de la nouvelle jurisprudence à créer, il insista : « Nul expert ne peut dicter à la cour le partage de responsabilité entre Jérôme Kerviel et la Société générale. Cela relève de l'appréciation souveraine des juges. »
Il traça alors quelques pistes pour aider le tribunal. Des indications ont été données, selon lui, avec les jugements précédents, pour départager les responsabilités. D’un côté, il y avait Jérôme Kerviel, condamné pour fraude à 5 ans de prison, « la peine maximum », insista-t-il. De l’autre, la Société générale sanctionnée par la Commission bancaire à payer 4 millions d’euros d’amende et qui avait reçu un blâme, « le deuxième degré des sanctions de l’autorité de contrôle », mentionna-t-il. Mais elle n’avait pas été frappée d’interdiction, même temporaire, d’exercer sur les marchés des dérivés, par exemple, releva-t-il.
Cette absence d’interdiction s’explique aisément : cela aurait pu déclencher, pour le coup, une véritable crise systémique dans le système financier international, compte tenu du poids de la Société générale, numéro un mondial sur les marchés des dérivés actions. Le ministère public, peut-être peu aux faits de ces particularités du monde financier, semble plutôt interpréter cette sanction comme une simple remontrance des autorités de contrôle. À s’en tenir à la version de la justice, qu’une banque ne puisse pas jamais voir qu’un de ses traders engage illégalement 50 milliards d’euros sur les marchés, relève de simples dysfonctionnements, donc.
« Mais de quoi avez-vous peur ? » interrogea l’avocat de Jérôme Kerviel face au refus d’expertise défendu par les avocats de la Société générale. Tout au long de cette audience, la question se posa. En quoi une expertise indépendante peut-elle nuire au cours de la justice ?
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Insoumise, c’est le titre du livre de Delphine Batho, publié chez Grasset. Cet ouvrage fait partie d’un mouvement caractéristique du quinquennat. De nombreux anciens ministres expriment des points de vue particulièrement critiques après avoir choisi de quitter le gouvernement ou après en avoir été chassés, comme ce fut le cas de notre invitée.
« Je ne me contente pas de critiquer, précise d’emblée Delphine Batho. Critiquer l’austérité n’est pas suffisant »… La députée des Deux-Sèvres, entrée au PS en 1994, très proche de Ségolène Royal en 2007, porte-parole de François Hollande en 2012, raconte le basculement de la campagne présidentielle aux premiers pas du quinquennat : « Pour ne pas effrayer les marchés, on a fait un choix décisif sans qu’il soit débattu. On s’est retrouvé dans le système de la Cinquième République où il n’y a plus d’équipe, et dans une situation défensive qui ne permet pas d’avancer. »
Au-delà du mode de fonctionnement, Delphine Batho considère qu’il y a « une incompréhension fondamentale, à propos de la raréfaction des ressources. Le programme de la gauche, c’était 10 % de croissance en cinq ans. On ne comprend pas la nouvelle époque dans laquelle nous sommes entrés. La question pour la gauche, c’est celle du changement de modèle. »
Dans cette « nouvelle époque » certains livres, comme ceux d’Éric Zemmour, se vendent infiniment plus que le sien, pourtant très soutenu médiatiquement. Delphine Batho n’esquive pas la question dans notre émission politique « Objections »…
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Elle n'a pas encore eu lieu que certains parlent déjà de succès. Des dizaines d'associations, syndicats et formations politiques de gauche ont répondu à l'appel lancé par le collectif 3A (Alternative à l'austérité), né de la manifestation du 12 avril dernier contre « l'austérité, pour l'égalité et le partage des richesses ». Prévue ce samedi 15 novembre place Denfert-Rochereau à Paris et dans une « vingtaine de villes », cette mobilisation intervient à la mi-mandat du quinquennat de François Hollande, dans un contexte de rejet de plus en plus manifeste de la politique économique et sociale menée par le gouvernement.
« C’est certainement la mobilisation la plus importante qu’on ait eue depuis le début du quinquennat en termes de diversité politique et d’engagement syndical », estime Éric Coquerel, secrétaire national à la coordination politique du Parti de gauche. « Avec Nouvelle Donne, la gauche d'EELV et surtout les importants relais de la CGT un peu partout en France, on a largement plus de signataires que la dernière fois. » Il faut dire qu'entre le rejet des politiques économiques d'inspiration libérale, les luttes contre les « projets inutiles », les questions de logement ou, plus récemment, la lutte contre les violences policières avec la mort de Rémi Fraisse, chaque collectif assure avoir au moins une bonne raison de battre le pavé ce samedi.
On devrait donc voir défiler, aux côtés du Front de gauche et du NPA, l'aile gauche des écologistes, le parti de l'économiste Pierre Larrouturou Nouvelle Donne, les syndicats (CGT, FSU, Solidaires) et une bonne dizaine d'associations (voir la liste complète sous l'onglet Prolonger).
« On veut créer des convergences, indique Pierre Khalfa, coprésident de la fondation Copernic et membre du conseil scientifique d'Attac. L'idée est de créer une sorte de mouvement de la société civile contre les politiques menées. Ce n'est pas seulement une manifestation ponctuelle, c’est le produit d’un travail de convergence en route depuis plusieurs mois, depuis la manifestation du 12 avril. » À l'époque, entre 25 000 (selon la préfecture) et 100 000 personnes (selon les organisateurs) avaient défilé dans les rues de Paris pour dénoncer l'austérité. Huit mois ont passé, François Hollande a maintenu son cap, Manuel Valls a déclamé son fameux « j'aime l'entreprise », quand le tout nouveau ministre de l'économie, Emmanuel Macron, faisait ses gammes avec les « illettrés de Gad », quelques semaines après sa prise de fonctions.
Pour ceux qui étaient dans la rue le 12 avril dernier, la rupture avec les socialistes est consommée. Il s'agit maintenant de trouver un nouveau souffle, plus démocratique, porté par une « transformation sociale et écologique ». La convergence opère, du moins celle des mots. Lors du discours de clôture du conseil national du Parti communiste le 9 novembre dernier, Pierre Laurent a pour la première fois exclu l'hypothèse d'alliances futures avec les socialistes.
« Manuel Valls n’est pas, et ne sera jamais le premier ministre de la gauche », a tempêté le secrétaire national du PCF, avant d’invoquer « une nouvelle majorité de gauche, un nouveau contrat de transformation sociale, écologique et démocratique mis en œuvre par un nouveau gouvernement ».
Même le fondateur du parti Nouvelle Donne Pierre Larrouturou, favorable à une baisse des inégalités via un autre partage des richesses, assume le rapprochement avec le Front de gauche et le NPA : « On voit qu’il y a de vraies convergences pour refuser l’austérité. On était des centaines à Amiens contre l’usine des 1 000 vaches, c’est très bien si on est de plus en plus nombreux pour dire que notre pays est en train de crever du manque de débat. » « C'est une manifestation de riposte sociale contre le gouvernement, dit le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot. Il y a aujourd'hui une synthèse entre la gauche sociale et la gauche politique. »
Certains restent sur leurs gardes, tel Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche : « Est-on sûr que nos camarades communistes ne vont pas refaire une alliance avec les socialistes en bout de ligne ? J’espère que ce ne sera pas une carabistouille », affirme le ténor du Parti de gauche. « Si l'on en croit les propos tenus par François Hollande en 2006, il devait y avoir un exercice de vérification démocratique à mi-mandat, on l'attend toujours », pointe Alexis Corbière.
C'est pourquoi le Parti de gauche a organisé une votation citoyenne pour révoquer les élus. Pendant 4 jours, dans 75 départements français y compris la Guadeloupe et l’île de la Réunion, 500 urnes ont été ouvertes où chacun pouvait répondre à la question « Êtes-vous favorable au droit de révoquer les élu(e)s ? ». Au total, d'après les chiffres du Parti de gauche,184 892 personnes ont participé à la votation, 181 186 personnes ont répondu « oui », 3 706 ont répondu « non » (soit 98 % de votes en faveur du droit de révocation).
Chez les écologistes, le message anti-austérité ne laisse pas insensible. L'ancienne porte-parole des Verts Élise Lowy, chef de file de l'aile gauche d'EELV qui a cosigné une tribune sur le site Bastamag intitulée « Sortir de l'ambiguïté », y voit l'occasion de « créer une alternative ». « Ce genre de moment où l'on arrive à faire converger les revendications, ça n'arrive pas si souvent. Maintenant il faut qu'on puisse échanger, pas qu'à gauche d'ailleurs. Il faut une alternative qui soit viable et porteuse d'une mobilisation écologique forte. »
Mais comment ne pas rester figé dans une contestation sans débouchés, sans propositions concrètes ? Secrétaire national adjoint EELV, David Cormand pense que la priorité n'est pas à la manifestation. « Je pense que les gens ont bien compris qu’EELV ou que le Front de gauche ne sont pas d’accord avec le gouvernement. Des manifestations communes, ça fait un moment qu’on en fait, le sujet c’est moins de se réunir que de formuler des propositions, analyse le délégué aux relations extérieures. Le premier parti, c’est l'abstention et le deuxième, c’est l’extrême droite. La gauche est très loin derrière. Il faut une offre politique alternative à la droite et au PS mais qui réunit sur des propositions. C’est plutôt à ça qu’il faut réfléchir, plutôt que de se tenir chaud dans des manifestations. »
Clémentin Autain, du « collectif Ensemble », n'est pas de cet avis : « Ce que nous avons à faire, c'est soulever cette chape de plomb qui brise les imaginaires, mais pour cela il faut dire non, pour inventer un oui. Nous ne sommes pas dans l’alignement des manifestations, le refus est un préalable aux solutions alternatives. »
C'est là que compte entrer en scène Jean-Luc Mélenchon, pour qui la manifestation sera l'occasion de promouvoir le mouvement de la Sixième République (m6r). « Je vous appelle à m’aider dans l’entreprise que j’ai impulsée avec plus de 63 000 de nos concitoyens qui ont déjà donné leur signature à la demande d’une assemblée constituante pour changer les institutions », affirmait-il lors d'un point presse la semaine dernière. Appel reçu par un certain nombre de « socialistes affligés » – du nom du cercle créé par l'ancien eurodéputé Liêm Hoang-Ngoc et le professeur de sciences politiques Philippe Marlière – qui ont décidé de rejoindre le m6r. « Nous sommes des responsables nationaux, fédéraux et locaux du PS et du MJS, nous sommes des mandataires de courants dans les fédérations et les sections du PS et nous sommes tous affligés ! C’est pourquoi, nous répondons positivement à l’appel lancé en faveur d’un mouvement pour une Sixième République » (voir le billet de blog).
La suite se jouera aux élections départementales de mars 2015. Si les responsables politiques restent encore flous sur leur stratégie, tous se disent ouverts au rassemblement. « On est dans l'esprit d'une coalition la plus large possible », affirme le porte-parole des Verts, Julien Bayou, qui pense se joindre aux manifestants samedi. « Aujourd'hui, la relance du Front de gauche à laquelle nous appelions il y a un mois n'est pas ce qui est en train de se passer. Sans dire qu'une telle relance réglerait le problème de la gauche, une non-relance contribuerait à la déprime », déclarait le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, le 5 novembre. Le Parti de gauche planchera lui sur l'écriture d'une charte nationale comme un label qui « correspondrait à des listes citoyennes », explique le conseiller régional Éric Coquerel.
Pour Pierre-François Grond du « collectif Ensemble », le contexte est favorable à un « retour de résistance », mais il ne faut pas brûler les étapes. « Il y a des luttes écologistes, des luttes contre l’austérité et un début de mobilisation jeune sur le meurtre de Rémi Fraisse. Ça doit être une co-construction, il faut que les syndicalistes et les représentants de courant politique soient à égalité. C’est plus efficace au long terme mais c’est toujours plus lent au départ. »
BOITE NOIRESauf mention contraire dans l'article, toutes les personnes ont été contactées par téléphone entre le 11 et le 13 novembre.
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