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Sivens: selon un témoin, les gendarmes ont relancé les affrontements

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Les forces de l’ordre ont-elles relancé les affrontements qui ont entraîné la mort de Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre ? C’est ce qu’affirme un nouveau témoin à Mediapart. Zac, 18 ans, jeune travailleur (lire notre boîte noire), se trouvait sur le site de la zone humide du Testet le samedi soir, après une après-midi de manifestation contre le barrage de Sivens et de heurts quasi ininterrompus avec gendarmes et CRS. Son récit de la soirée et de la nuit du samedi au dimanche a les fragilités de tout témoignage mais il est en partie corroboré par d'autres éléments et d'autres manifestants. Zac se dit prêt à témoigner de ce qu’il a vu ce soir-là devant les enquêteurs et la justice.

Vers 21 heures, « je suis sur le front », nous raconte-t-il mardi 4 novembre, « on allumait des feux pour faire une ligne de pression et on avançait vers les flics ». Selon lui, « il n’y avait pas d’attaque de notre côté, pas d’envoi de pétards, peut-être deux ou trois cailloux, mais ce n’était pas une attaque ». Au bout d’un moment, les gendarmes menacent de faire usage de gaz lacrymogène.

« Et là, ça s’est échauffé d’un coup : ils ont balancé une dizaine de grenades lacrymogènes et assourdissantes. Ça a volé de partout, et ça ne s’est plus arrêté jusqu’à 4 heures du matin. » Selon une source proche de l’enquête interrogée par Mediapart, quelque 400 grenades au total ont été utilisées dans la nuit du 25 octobre. Les opposants ripostent en envoyant des pierres et des « bâtons enflammés » selon Zac, mais pas de cocktails Molotov, ni d’acide.

Lieu de la mort de Rémi Fraisse, sur la zone humide du Testet (JL).Lieu de la mort de Rémi Fraisse, sur la zone humide du Testet (JL).

Vers 1 h 30 du matin, Zac dit se trouver « tout près des gendarmes », à environ dix mètres, estime-t-il. Ceux-ci sont regroupés sur un terre-plein, entouré par un grillage, à l’extrémité de la zone déboisée, devant les restes d’un générateur et d’un Algeco incendiés le vendredi soir. Ils sont séparés des manifestants par de profondes douves creusées dans la terre, encore visibles une semaine plus tard. « Il y avait un énorme fossé, on ne pouvait pas les assaillir, a expliqué par ailleurs une jeune femme rencontrée sur place par Mediapart le 31 octobre. Ils n’étaient pas en danger. On ne pouvait pas les attaquer. »

De l’autre côté de ces douves, plusieurs dizaines de contestataires se déplacent de gauche à droite. Certains allument des feux sur les flancs boisés de la vallée, selon Christian, un jeune homme également présent cette nuit-là. Des gendarmes se cachent dans les arbres et envoient des tirs de flashball, selon le récit de cet autre témoin.   

Face aux gendarmes, Zac dit voir Rémi Fraisse, rencontré quelques heures plus tôt vers la métairie, une bâtisse de ferme occupée par les zadistes. Le jeune homme se trouve avec un ami, « sans cagoule, sans rien dans les mains », selon Zac. « Des lacrymos et des assourdissantes sont lancées. J’entends des explosions. Dans le nuage de gaz, je vois Rémi tomber devant moi. Un copain essaie de le tirer par les jambes. Ce copain se fait tirer dans le dos par un LBD (« lanceur de balles de défense », une arme permettant l'envoi de balles en caoutchouc - ndlr). On essaie de tirer le copain. Et là, on voit des policiers, des CRS, récupérer Rémi et le tirer par les bras sur cent mètres. Sa tête rebondit sur le sol. Ça se calme. Toutes les lumières s’éteignent. On ne voit plus rien. »

Zac n’a pas vu de grenade tomber sur la victime et explique ne pas savoir faire la différence entre grenades assourdissantes et offensives : « Je n’en ai pas vu beaucoup. » En revanche, il se souvient que quand Rémi était au sol, « les CRS lui ont foutu deux, trois coups de tonfa (matraque équipée d’une poignée - ndlr) avant de le tirer ».

Puis, selon la chronologie décrite par Zac, les gendarmes rallument alors les projecteurs posés sur les toits de leurs deux camions garés devant eux. « Et là, ils recanardent jusqu’à environ 4 h 30. J’ai attendu qu’ils partent. »

Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la Zad (JL).Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la Zad (JL).

Cette version des faits diffère sensiblement du premier récit fait par le procureur d’Albi, Claude Dérens, dimanche soir : « Les gendarmes ont repéré un corps gisant au sol, ils ont fait une sortie pour rapatrier la personne et la soigner. » Elle diffère aussi du scénario avancé par la préfecture, et révélé par RTL le 30 octobre, selon laquelle les gendarmes auraient « porté secours au jeune homme victime d’une plaie de dix à dix-huit centimètres entre les omoplates » avant de constater son décès. Selon la dernière version de la préfecture, les gendarmes mobiles auraient immédiatement porté secours à la victime après avoir tiré, « et ce sous les projectiles, afin d’emporter son corps et lui donner les premiers secours ».

Mais selon un autre témoignage recueilli par Arte Radio, « on était là. Ils nous chargeaient. Ils continuaient à charger pendant qu’ils ramassaient le mort. Ils ont fait venir les pompiers derrière notre dos et ils continuaient à nous charger quand même ».

Des témoignages décrivent une agressivité particulière des forces de l’ordre à l’encontre des manifestants voulant aider les blessés lors de la nuit du 25 au 26 octobre. « Il y avait des gens qui secouraient les blessés, ils se sont fait tirer dessus au flashball », décrit un zadiste rencontré par Mediapart. Une membre de la « legal team » de la zad raconte avoir vu des personnes qui portaient secours à un opposant mal en point après avoir reçu une grenade « se faire grenadifier et gazifier. C’est un des trucs les pires que j’aie vus. C’était révoltant »

Selon le témoignage d’Anna, la compagne de Rémi Fraisse, publié sur le site Reporterre : « Vers deux heures moins le quart, dans la nuit, des amis sont allés plus loin voir ce qui se passait. À leurs dires, ça avait l’air impressionnant, on entendait encore les explosions fortes. Rémi a voulu y aller. Le temps de faire le trajet, nous sommes arrivés sur les lieux des affrontements. Les flics tiraient en rafale. Le spectacle était très violent, l’ambiance très particulière, nous n’avions jamais vécu ça. » Puis « je l’ai vu partir d’un coup en criant "Allez, faut y aller !" Il a commencé à courir devant. Il n’avait rien pour se protéger, il n’a pas mesuré ce qui l’attendait. Les flics ont tiré en rafale, je me suis écartée pour me mettre à l’abri. Quand je me suis retournée, Rémi n’était plus là. »

Le déroulé précis de cette nuit dramatique reste à établir. Pour ajouter à la confusion, c’était une nuit de passage à l’heure d’hiver. Si bien que les souvenirs horaires des manifestants ne sont pas toujours clairs.

Le 2 novembre, sur TF1, le capitaine qui a donné l’ordre d’utiliser les grenades offensives s'est justifié par la violence des « assaillants ». Il a indiqué que son escadron de 72 gendarmes mobiles a été la cible de « fusées de détresse, de fusées très puissantes assourdissantes, de tirs de mortier artisanaux et de bombes incendiaires avec de l’acide et de l’aluminium ». Après le tir de « plus de 200 grenades lacrymogènes », « la pression est telle » selon Denis Favier que les gendarmes passent aux grenades offensives. C’est l’une d’entre elles qui tuera Rémi Fraisse, atteint dans le dos vers 2 heures du matin.

« Il faut savoir que lorsque le gradé lance sa grenade, il fait nuit, on bénéficie d’un éclairage sommaire et les assaillants sont très mobiles », a indiqué le capitaine de gendarmerie sur TF1. D’après plusieurs récits recueillis par Mediapart, ce soir-là, les gendarmes éteignaient et allumaient régulièrement leurs lumières (projecteurs, phares de camions, torches Maglite). Cette nuit-là, au moins cinq autres personnes ont été blessées parmi les zadistes, selon le décompte en cours de leur avocate. Il y aurait plusieurs blessés côté forces de l’ordre, sans qu'il soit possible d’obtenir des chiffres.

BOITE NOIREInterrogé par Mediapart, Zac, à ce stade, n'a pas souhaité voir publiée son identité complète pour des raisons de sécurité. Nous avons choisi de publier son témoignage puisqu'il se dit prêt à témoigner de ce qu’il a vu ce soir-là devant les enquêteurs dans le cadre de l'information judiciaire confiée aux deux juges d'instruction.

Ce témoignage a été recueilli par téléphone le 4 novembre vers 18 h 30. En reportage sur la Zad du Testet le 31 octobre, Louise Fessard et moi-même avions en vain cherché à rencontré Zac, dont plusieurs personnes nous avaient parlé. Mais il était resté introuvable. Il nous a finalement rappelées par l'intermédiaire d'une autre personne vivant sur la Zad.

Cet article a été modifié mercredi 5 novembre vers 11h30 pour corriger la description du LBD, qui n'a pas de double canons comme indiqué par erreur.

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En Bretagne, le non-sens paysan

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Finistère, de notre envoyé spécial.-  « On est dans le mur et on accélère. Là, c’est le bloc moteur qui est touché, mais quand ce sera l’habitacle, eh bien…, ce sera la révolution. » Gildas Leost, producteur de lait à Plabennec, près de Brest, n’a rien d’un excessif. À 52 ans, il fait partie des bons élèves de la production agricole bretonne. 85 vaches sur 75 hectares, une production de lait multipliée par trois depuis son installation. Et pourtant, il gagne moins. La Bretagne agricole va mal, ce n’est un secret pour personne. Les dossiers emblématiques de Gad, Doux, Tilly-Sabco (ces entreprises phares de l’agroalimentaire régional qui ont fait parler d’elles pour leurs plans sociaux), les coups de colère sporadiques, comme à Morlaix fin septembre, ne sont cependant que la partie émergée de l’iceberg. 

Pour reprendre les mots de Jean-Paul Vermot, conseiller municipal PS (opposition) de Morlaix, « la Bretagne n’a plus le moral, on vit la fin d’un modèle », ou ceux d’Agnès Le Brun, maire UMP de la même ville, « c’est désormais une bombe à fragmentation ». « Il y a toujours eu des crises mais là, beaucoup de secteurs sont touchés en même temps. Sur le terrain, c’est clair que le climat n’est pas favorable », abonde Marie-Louise Hellequin, présidente de MSA-Armorique, la Sécu des agriculteurs. « Il faudra pas s’étonner si ça part en sucette », dit un membre de Jeunes agriculteurs.

Ce n’est pas une crise mais un ensemble de crises, qui touchent tous les secteurs : le porc comme la volaille, le lait comme les légumes. Les causes sont nombreuses, parfois récentes mais souvent anciennes, liées très directement au modèle choisi par la Bretagne dans les années 1960. La crise est particulièrement dure au niveau régional, mais se retrouve aussi au niveau national. En témoigne la journée d'action nationale de la FNSEA, ce mercredi 5 novembre. Elle a notamment pour mot d'ordre «produire français pour manger français», mais elle vise avant tout à dénoncer les normes environnementales en vigueur ou envisagées.

À Morlaix, dans le Finistère, la ville porte encore les stigmates du dernier coup de colère des paysans. C’était le 19 septembre au soir (voir la vidéo ci-dessous). Une centaine de tracteurs (200 selon d’autres sources) ont déboulé dans la ville depuis trois routes différentes. Le centre MSA ainsi que l’hôtel des impôts ont été incendiés. Les plaques d’immatriculation des véhicules agricoles étaient camouflées, les agriculteurs au volant cagoulés. La police n’a trouvé qu’un péquin à arrêter, même pas un paysan. Ce bonnet rouge de 40 ans, chômeur, a été mis en examen pour « destruction et dégradation par moyen dangereux ». Ses défenseurs crient au lampiste.

Cette nuit du 19 septembre a marqué les esprits. Le socialiste Jean-Paul Vermot n’en revient toujours pas : « C’était une ambiance de guérilla urbaine, les gens ont vraiment eu peur. » Sans excuser les exactions, l’élu, qui a échoué à prendre la mairie en 2014 – la ville est restée à droite –, fournit cette explication : « Visiblement, le fait déclencheur est le suicide d’un jeune agriculteur qui venait de recevoir un appel de cotisations MSA. » Souvent présenté comme le grand manitou des producteurs de légumes de la région, Jean-François Jacob, président de la Sica Saint-Pol-de-Léon (premier groupement de producteurs de légumes et de fleurs en Bretagne, plus de 1 000 exploitants), confirme à demi-mots : « La fiscalité n’est pas adaptée, alors que notre activité a de gros besoins de main-d’œuvre. La MSA prend 42 % du revenu d’un exploitant, à quoi s’ajoute la fiscalité traditionnelle. D’où le coup de colère. »

Les événements de Morlaix sont le signe le plus évident de la crise, mais pas les seuls. Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes.

Prenons le porc breton. 6 000 éleveurs en Bretagne en 2013 – ils étaient 9 000 en 2000 –, près de 60 % des 25 millions de porcs produits chaque année en France et 31 000 emplois pour la filière (tous les chiffres ici). En un an, le prix du kilo de barbaque sur le marché au porc de Plérin (Côtes-d'Armor), la référence nationale, a perdu 30 centimes. Aujourd’hui, ce même kilo coûte 1,50 euro à produire et se vend 1,45 euro, en comptant les 15 centimes de prime s’il correspond exactement, en termes de poids et de taille, aux standards des abattoirs (nous y reviendrons dans un prochain article). 

Même chose dans le lait. 51 millions d’hectolitres de lait produits en 2014, près de 14 000 livreurs (producteurs, en baisse de 9 % en dix ans), 727 000 vaches. Gildas Leost, que nous rencontrons dans un café à côté de Brest, avec deux autres producteurs de lait, ne prend pas même la peine de commander à boire. Il est venu avec un dossier, en extirpe quatre documents : les deux premiers sont des factures de livraison de fuel, l’une de 1997, l’autre de 2014, les deux autres sont des factures fournies par la laiterie pour son lait, aux mêmes dates ou presque.

En 1997, le litre de fuel est moins cher que le litre de lait, en 2014, le premier coûte deux fois plus que le second. « Le problème, il est là, devant vous, et il est très clair », dit-il en serrant ses papiers. Ses deux collègues, producteurs de lait comme lui, abondent. Et surtout, ils soulignent que la fin des quotas laitiers européens, prévue au 1er avril 2015, va finir d’achever une profession déjà mise à mal en 2009, dans ce qu’on appelait (déjà !) la crise du lait.

Le marché des légumes ne se porte pas mieux… De presque 6 000 producteurs en 2000, on est passé à 4 200 en 2010. Et la crise empire à présent. Jean-François Jacob, de la Sica, dresse la chronologie : « À partir de mi-août 2013, on voyait que la crise économique commençait à peser sur la dynamique de consommation en France notamment. À l’automne 2013, la grande distribution se fait la guerre, à coups de comparateurs de prix. Et quand la grande distribution se fait la guerre, les morts sont dans les campagnes. L’hiver 2013-2014 a été doux pour tout le monde (comprendre en Europe – ndlr), du coup, notre avantage est rogné. Et là, l’embargo russe (sur les produits alimentaires européens), qui fut le détonateur. On a évalué la casse russe, c’est des milliards d'euros! »

L’embargo russe ! La mère de toutes les batailles actuelles. Si le consommateur ne comprend pas bien comment les affrontements de Donetsk et l’annexion de la Crimée ont pu provoquer l’incendie de la MSA ou du centre des impôts à Morlaix, le patron de la Sica se charge de le lui expliquer. « On est sur le marché mondial ici ! On exporte 40 % de notre production. » « Depuis les années 1990, il y a une distorsion manifeste de concurrence sur la main-d’œuvre, avec notamment l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Europe. Un fait encore renforcé dans les années 2000 avec les pays de l’Est. L’Allemagne a multiplié par 5 en 7 ans sa production légumière », poursuit Jacob.

Rejoint, sur le même sujet, par Jean-François Joly, le directeur du Marché du porc breton, à Plérin : « On est sur un marché mondial, européen et français. » Dans cet ordre ? Oui, dans cet ordre. L’embargo russe, vu par le même Joly ? « Les fonctionnaires européens sont en guerre contre la Russie, oui, mais la guerre, ils la font avec nos producteurs. »

C’est le cœur du – de l’un des – problème(s). Dans les années 1960, quand de Gaulle et son ministre Pisani ont décidé de faire de la Bretagne le centre de production national de denrées alimentaires, ils pensaient d’abord à nourrir les Français, traumatisés par la guerre et l’après-guerre et leur litanie de tickets de rationnement. Il s’est trouvé justement, à cette époque, en Bretagne, des oreilles fort réceptives, à commencer par celles d’Alexis Gourvennec (un portrait piquant ici, un éloge par là).

Alexis Gourvennec dans les années 1970.Alexis Gourvennec dans les années 1970. © DR

En Bretagne, il fait encore aujourd’hui figure de messie. C’est lui, avec quelques autres de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), qui va rebondir sur le schéma gaulliste. Sortant la Bretagne de son archaïsme, de son enclavement, en devenant, à elle toute seule ou presque, le fer de lance de la France rassasiée. Aux Bretons la bidoche, les veaux, vaches, cochons, aux Bretons les légumes, aux Bretons les engrais, les tracteurs et les innovations made in Inra (Institut national de recherche agronomique, public) !

Aux Bretons les progrès fulgurants, à tel point que l’exportation vers les autres pays d’Europe, à commencer par la Grande-Bretagne, proximité oblige, s’est imposée d’elle-même. D’autant plus facilement que l’Europe elle-même, d’abord la CEE puis l’UE, était très demandeuse. Le « modèle agricole breton » doit d’ailleurs autant à Bruxelles qu’à de Gaulle, à bien y regarder. Et de l’Europe au monde, il n’y a qu’un pas.

Et c’est ainsi qu’on trouve, en 2014, un Thierry Merret, président de la FDSEA Finistère et producteur de légumes à Taulé, déclarer: « La Bretagne est et doit rester une terre d’expédition, sinon on va disparaître. » Avant d’ajouter, crânement : « On a un avenir pour la production légumière, tout comme porcine ou aviaire. Si les Chinois sont venus chez nous ce n’est pas pour rien ! »

Cet ultralibéralisme débridé a son revers, que les producteurs font aujourd’hui mine de découvrir. David Louzaouen, secrétaire général des Jeunes agriculteurs (JA) du Finistère et porcher lui-même, s’insurge : « En Allemagne, ils ont la main-d’œuvre à bas coût des pays de l’Est, en France on a les 35 heures… » Même l’UMP Agnès Le Brun en convient, l’un des problèmes du modèle breton, c’est qu’il est « dogmatisé, idéologisé ». Du coup, le dialogue est compliqué avec les pouvoirs publics. D’autant qu’un autre paramètre est entré (ou revenu) en jeu ces dernières années, le sentiment breton (appelons-le comme ça), qui prend souvent des allures de ressentiment breton. 

Jean-François Jacob, de la Sica : « Le désenclavement de la Bretagne, c’est notre gros sujet. Il faut garder les gens au pays et redonner de la fierté aux paysans. À Paris ils peuvent nous considérer comme des râleurs mais on n’est pas des menteurs, on est des bâtisseurs. » « Décider, vivre et travailler en Bretagne » en somme. Le slogan des Bonnets rouges. Tous n’en font pas partie parmi les producteurs rencontrés, mais tous, à tout le moins, s’y reconnaissent. Car, comme le dit Sébastien Louzaouen, producteur de lait et président des Jeunes agriculteurs 29 (le cousin de David, secrétaire général du même syndicat, cité plus haut), « en Bretagne, on est excentrés et moins écoutés. On est loin de tout »

Le président de la FDSEA 29, Thierry Merret, n’a pas ces scrupules puisqu’il est aussi porte-parole des Bonnets rouges et l’une de ses deux figures tutélaires. Quand on lui fait remarquer que le maintien de la gratuité des routes est assuré et que le projet d’écotaxe est abandonné, les deux revendications des BR, il répond : « Les Bonnets rouges, ça continue ! » Alors quoi ? « Il y a encore quatre points historiques à notre combat : relocalisation des décisions (comprendre la fin du jacobinisme - ndlr), fin du dumping social (comprendre les travailleurs de l’Est en Allemagne - ndlr), simplification administrative. » Trois sur quatre, on n'aura jamais le quatrième durant l’entretien.

Le centre des impôts incendié à MorlaixLe centre des impôts incendié à Morlaix © CG

Ayant défilé au côté des Bonnets rouges, la maire de Morlaix Agnès Le Brun est bien placée pour en parler. « Il y a un paradoxe breton : à la fois ouvert sur l’extérieur et en même temps attaché à ses origines, sa culture. Les Bonnets rouges, c’est quoi ? Au mieux une conjonction, au pire une agglomération hétérogène. Thierry Merret et Christian Troadec (maire divers gauche de Carhaix, second porte-parole des Bonnets rouges - ndlr) sont tous les deux contre le jacobinisme. Troadec pour des raisons populistes et démagogiques. Merret, c’est autre chose, il est d’accord pour se développer mais il a cette poche d’amertume des Bretons. Il s’insurge contre la double peine, ce double jacobinisme de l’État et de la région. Or Rennes, ce n’est pas le Finistère. »

De ce point de vue, il n’est pas étonnant que le pacte d’avenir pour la Bretagne, signé en fanfare à Rennes fin 2013 pour répondre au mouvement contre l’écotaxe, ait fait long feu. Le pacte, ou plutôt Emglev Evit Dazont Breizh (le pacte complet ici), vu par Gwenegan Bui, député PS du Finistère, donne ceci : « Avec 2 milliards d’euros dont 1 milliard destiné au renouveau de l’agriculture et de l’agroalimentaire, le pacte d’avenir est la première pierre qui doit nous aider à reconstruire les piliers de la Bretagne que sont la valorisation de notre terre et notre capacité à innover » (lire ici). 

À quoi répond Agnès Le Brun : « Le pacte d’avenir, c’était du pipeau, un recyclage d’argent déjà annoncé, voire déjà engagé. » Thierry Merret disait la même chose en janvier dernier dans un communiqué, ajoutant que les mesures étaient « uniquement destinées à sacrifier le soi-disant modèle breton sur l’autel des dogmes écologistes » (lire ici).

Le volet environnemental du pacte est-il si terrible ? La lecture du document et de son annexe, le plan agricole et agroalimentaire pour l’avenir de la Bretagne, ne le laisse pas deviner. On y parle plus volontiers de « grand rattrapage », d’« accompagnement des mutations agricoles », de « scénario ambitieux de rebond ». Certes, le point 1.3 du plan agricole et agroalimentaire pour l’avenir de la Bretagne est bien estampillé « Environnement ». 

Jean-Marc Ayrault, premier ministre, signe le pacte d'avenir pour la BretagneJean-Marc Ayrault, premier ministre, signe le pacte d'avenir pour la Bretagne © DR

En termes généraux, on y appelle à « continuer les efforts déjà consentis par un dialogue apaisé et un accompagnement indispensable » concernant la qualité de l’eau ; et on y parle de « valorisation du biogaz et de la chaleur issus de la méthanisation ». La méthanisation, c’est le nouveau mantra en Bretagne. Même si les agriculteurs, eux, sont plus sceptiques. À l’image de Sébastien Louzaouen des JA : « La méthanisation, c’est de l’enfumage. Déjà, ça coûte un million et en plus le tarif de rachat de l’électricité est trop faible. »

Le pacte crée par ailleurs un nouveau régime, d’enregistrement, pour les installations classées pour la protection de l’environnement, à mi-chemin entre la simple déclaration et la demande d’autorisation (toutes les explications ici). En clair, sur ce seul dossier de l’élevage intensif, le pacte a plutôt simplifié la vie des producteurs. 

Pas de quoi rassurer les associations environnementales. François de Beaulieu nous reçoit chez lui à Morlaix. Militant depuis plus de trente ans à Bretagne vivante, l’une des plus importantes associations environnementales de la région – « 3 000 adhérents, 65 salariés, 117 sites protégés » –, il en a été administrateur avant de redevenir simple adhérent. Ça démarre plutôt bien : « Les agriculteurs ont l’impression de faire et d’avoir fait des efforts, c’est sûr. Faire des bandes enherbées entre leurs champs et les rivières, diminuer les intrants à l’hectare, ce sont des efforts. » Puis ça se complique : « Le problème, c’est qu’on est toujours dans le même modèle, imposé par l’Europe, celui du productivisme : produire le plus possible pour le moins cher possible. »

Bretagne vivante est considérée comme une association modérée. Au contraire de Sauvegarde du Trégor, un agrégat d’associations en fait, dont Yves-Marie Le Lay est membre. Il vit à Locquirec, juste en face de Saint-Michel-en-Grève où un cheval est mort à cause des algues vertes en juillet 2009. Dans sa maison « bioclimatique » (on appelait ça comme ça en 1984), il raconte une rude bataille. « La propagande des agriculteurs, c’est de dire : on fait des efforts. Il y a deux groupes d’agriculteurs : une grosse majorité de productivistes, prisonniers, enfermés dans leur modèle, et une petite minorité qui réfléchit. Je ne dis pas que dans le bloc majoritaire, il n’y a pas des agriculteurs qui font preuve de bonne volonté. Mais pas tous. »

Passé le pacte, le ministère de l’agriculture vante à présent son plan « agro-écologique », pour un modèle de production « plus économe en intrants et en énergie, tout en assurant durablement leur compétitivité ». À l’analyse des mesures envisagées, le scepticisme gagne. Car le ministère parie surtout sur la bonne volonté des paysans. « Les politiques ne veulent pas engager le bras de fer. Il y a une allégeance des politiques mais plus encore des administrations », note, amer, Yves-Marie Le Lay. Yvon Cras, producteur laitier bio, membre de la Confédération paysanne, est moins virulent : « Quand c’est appliqué, l’agroécologie, ça répond à tout : climat, environnement, économie, social. Mais le problème, c’est que ce sont des mots. »

Yvon Cras pourrait être qualifié d’agriculteur modèle. À partir de 2008, il est « parti dans le bio ». En 2009, il a installé des panneaux photovoltaïques. Quand nous le rencontrons, dans sa ferme de Plougar, il est fier de montrer sa future installation : une éolienne. Il précise cependant, dans un soupir, que le fabricant a depuis mis la clé sous la porte, tout comme l'entreprise qui lui a fourni ses panneaux photovoltaïques. Signe des temps.

Yvon Cras devant le chantier de sa future éolienneYvon Cras devant le chantier de sa future éolienne © CG

Jean-François Jacob, patron des légumiers de la Sica, a une tout autre lecture de la problématique environnementale (ce qui n’a rien d’étonnant, il est vrai). « On fait l’objet de beaucoup de polémiques », nous assure-t-il dans une des salles de réunion du vaste complexe de la Sica, Kerisnel, situé à Saint-Pol-de-Léon. « Depuis vingt ans, on a beaucoup changé les pratiques. Dès 1992-1994, nous avons fait un focus gestion des nitrates dans le sol. En parallèle, nous avons concentré notre recherche sur la résistance des plantes aux maladies, de façon à sélectionner celles qui résistent pour diminuer les intrants. » Thierry Merret est plus direct : « Les paysans ont évolué, ce qui les choque le plus, c’est qu’on vienne leur dire comment ils doivent produire. Alors qu’on arrête les conneries. »

Au vu de l’état écologique de la région bretonne, les « conneries » ne sont cependant pas près de s’arrêter.

Il y a d’abord le problème des algues vertes, phénomène lié à la présence de nitrates dans les eaux des rivières et des nappes phréatiques, qui finissent dans la mer. Ce nitrate provient pour l’essentiel des activités agricoles, notamment de l’épandage d’engrais azoté d’origine minérale ou organique sur les champs. Depuis 1994, un milliard d’euros d’aides publiques a été versé pour la réduction du taux de nitrate dans les eaux (en Bretagne), ce qui a seulement permis de stabiliser ce taux. C’est le ministère de l’écologie qui le dit.

La France vient d’ailleurs de se faire à nouveau taper sur les doigts par l’Europe sur le sujet. Le 4 septembre, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la France n’avait pas adopté certaines mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre complète et correcte de l'ensemble des exigences de la directive 91/676/CEE de 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Les ministres de l’écologie et de l’agriculture ont pris acte, arguant du fait que de nouveaux plans étaient déjà à l’œuvre. À voir.

Les huit bassins versants algues vertesLes huit bassins versants algues vertes

En Bretagne, les principaux partisans de cet épandage affirment que le niveau de nitrates a déjà baissé. « Dans les rivières, les taux de nitrates baissent, on est en avance sur les autres, qui découvrent seulement maintenant le problème environnemental », soutient par exemple David Louzaouen des JA. Globalement, ils ne sont pas loin d’avoir raison. Dans le détail, c’est un peu plus compliqué. Il y a huit bassins versants en Bretagne touchés par les algues vertes. Tous ont fait l’objet d’un plan bien spécifique engagé depuis 2010. Tous se basent sur le volontariat des producteurs. Or, « le volontariat, ça n’a pas de sens, affirme Yves-Marie Le Lay, tous les plans précédents basés sur le volontariat ont échoué »

Dans une intéressante étude sur le volontariat en termes de pollution (ici en intégralité), Philippe Le Goffe, économiste à l’agro-campus de Rennes, lui donne raison : « Les engagements non exécutoires et l’absence de contrôle expliquent que les approches volontaires aient une efficacité environnementale faible, bien que positive. Pour éviter ces écueils, les parties contractantes doivent rendre l’accord contraignant. »

C’est exactement ce qui n’a pas été fait pour les huit bassins versants algues vertes bretons. Toutes les chartes de territoire sont basées sur le volontariat des agriculteurs. Tout semble fonctionner, les taux d'adhésion des agriculteurs affichent des résultats honorables, mais la transformation de ces adhésions en baisse concrète des taux de nitrates est loin d'être acquise.

D’une manière générale, l’objectif final, arriver à une concentration de 10 mg/l de nitrates dans les eaux en 2027, semble à la fois lointain et peu réaliste. Yves-Marie Le Lay prend l’exemple de la charte de l’Horn-Guillec, « le pire des plans » selon lui. « On est à 82 mg/l, on demande aux agriculteurs de passer à 64 mg/l en 2015. 64 ! C’est 14 au-dessus de la limite de potabilité de l’eau, 39 au-dessus de ce qui est recommandé pour la consommation humaine, 54 au-dessus du seuil de déclenchement des algues vertes ! »

Le membre de l’association Sauvegarde du Trégor poursuit : « Vous voulez un exemple de la perversité du système ? Dans l’un des huit bassins versants, on demande, dans le cadre du plan algues vertes, à des agriculteurs de baisser leur production de maïs. Ils acceptent globalement. Et puis, un producteur laitier, qui avait 70 hectares d’herbe, prend sa retraite. Que croyez-vous qu’il arrive ? Un éleveur rachète pour y mettre du maïs. »

Sans compter que les plans algues vertes ont un effet pervers : ils font grimper en flèche le prix du foncier. Pour Patrice Madec, producteur de légumes bio à Taulé et membre de la Confédération paysanne, c’est bien simple, les prix « déraillent ». Les producteurs, de porc notamment, ont besoin de surfaces d’épandage. Même avec un prix à l’hectare élevé, c’est toujours moins cher que de devoir se débarrasser autrement de son lisier. Les aides de la PAC, basées sur la taille de l’exploitation, et donc sur le nombre d’hectares cultivés, font aussi monter les prix – d’où la demande régulière de la Confédération paysanne d’un plafonnement des aides PAC. Il y a, enfin, une forme de rétention du côté des Safer « qui sont dirigés par les mêmes paysans qui, du coup, favorisent les modèles qu’ils connaissent »

Les jeunes qui s’installent, quand ils peuvent s’installer, partent donc avec un lourd fardeau de dette sur le dos. « Dans le Finistère, toutes filières confondues, le prix moyen d’une installation c’est 500 000 euros », dit David Louzaouen des JA. Et encore, il s’agit là d’une moyenne. Ce qui explique, selon Patrice Madec, que « les jeunes ne soient pas plus ouverts que leurs aînés » : « Ils ont énormément investi et sont pris dans l’engrenage : leurs exploitations, plus grandes, coûtent plus cher, nécessitent des salariés. Ils sont obligés de continuer à fond. » 

David LouzaouenDavid Louzaouen © CG

La situation ne risque pas de s’améliorer. La loi d’avenir pour l’agriculture, adoptée en septembre 2014, a en effet entériné une vieille demande du syndicat ultra-majoritaire FNSEA : créer un statut d’agriculteur pour séparer le bon grain de l’ivraie. En clair, seront considérés comme agriculteurs, et donc éligibles aux aides de la PAC (9 milliards d’euros distribués chaque année par Bruxelles tout de même), ceux qui possèdent un minimum d’hectares ou d’animaux. Comme le dit Xavier Beulin, le patron de la FNSEA, cité par Le Canard enchaîné, « celui qui a deux hectares, trois chèvres et deux moutons n’est pas un agriculteur ». Hors l’inflation des hectares, des élevages, de la productivité en somme, point de salut. Corollaire de cette productivité, l’utilisation des intrants reste plus que jamais nécessaire.

Côté bonne nouvelle, l’utilisation des produits phytosanitaires a tendance à baisser en Bretagne. Selon un document de la Draaf Bretagne de 2011, entre 2008 et 2009, la vente des substances actives a connu une diminution de 8 % (en tonne), puis une diminution de 17 % entre 2009 et 2010 (ici). La tendance semble cependant au moins se stabiliser, voire légèrement augmenter sur les dernières années (lire ici les chiffres pour les engrais).

Mais si l’on prend les chiffres de la chambre de l’agriculture du Finistère, la lecture est tout autre. Les dépenses par hectare de produits phytosanitaires ne montrent plus du tout la baisse indiquée plus haut. La chambre d’agriculture apporte deux explications éclairantes : « L’évolution des types de produits utilisés et de leur prix : ces dernières années, beaucoup d’anciens produits ont été retirés du marché et les molécules de substitution sont souvent plus chères (par exemple sur les haricots et pois). L’évolution des doses : les produits récents sont souvent utilisés à des doses plus faibles et le dispositif d’alerte est amélioré » (ici page 22). 

Le bon bilan affiché s’en trouve relativisé. « Ce qu’il faut bien comprendre, selon la présidente de la MSA-Armorique, c’est que c’est la question économique qui les fera bouger. Or, les produits phytosanitaires coûtent cher. Donc ça pousse déjà l’agriculteur à en mettre moins. » François de Beaulieu, de Bretagne vivante, n’en est pas si sûr. Pour lui, « le prix des phytosanitaires n’est pas dissuasif ».

Michel Creff, apiculteur professionnel – 300 ruches actives à Trémaouézan –, en sait quelque chose. « Nous avons des pertes de plus en plus importantes, qui représentent environ 30 % de nos ruches chaque année, contre 2 à 5 % autrefois. La seule explication : les neurologiques et les graines enrobées ». Alors certes, poursuit-il, « on réduit les volumes des produits utilisés, mais comme on augmente la toxicité… L’abeille est la sentinelle de l’environnement. Derrière, il y a l’agriculteur, premier touché finalement. » François de Beaulieu est du même avis : « Nous sommes face à un déni total des agriculteurs sur les effets de l’agriculture sur la nature et sur eux-mêmes. »

Une étude au long cours de l’Inserm, la Cohorte Pélagie, menée depuis 2002 sur 3 500 mères et enfants en Bretagne, a été mise en place pour répondre aux préoccupations de santé, en particulier celle des enfants, dues à la présence de composés toxiques dans nos environnements quotidiens. Deux classes de pesticides potentiellement toxiques pour la reproduction et le développement neuropsychologique ont fait l’objet de recherches dans les urines des 600 femmes enceintes : les herbicides de la famille des triazines (atrazine et simazine) et les insecticides organophosphorés. Pour la majorité des femmes, des traces d’insecticides organophosphorés, et notamment de certaines formes dégradées, ont été retrouvées dans leurs urines. Bien que certains d’entre eux soient aujourd’hui interdits. 

Devant cet amoncellement de catastrophes, en cours ou à venir, on comprend que l’agriculteur n’ait pas le moral. En 2011, une autre étude avant fait grand bruit. Près de 500 suicides avaient été enregistrés en France par l'Institut de veille sanitaire (InVS) entre 2007 et 2009. Une hécatombe si l'on compare au nombre d'agriculteurs. La MSA-Armorique a pris depuis plusieurs années des mesures, bien avant que le numéro Agri’écoutes soit lancé en grande pompe par la MSA au niveau national au mois d’octobre. Le personnel a été formé pour détecter les personnes en difficulté, et la MSA a même des "sentinelles" sur le terrain. Des anonymes qui, un peu partout sur le territoire, peuvent signaler ce qu’ils voient, ce qu’il se passe. Il y en a 32 sur les deux départements du Finistère et des Côtes-d’Armor. 

Le suicide reste cependant tabou. Parfois pour des raisons bassement matérielles d’assurance et de succession, le plus souvent pour des raisons plus diffuses de honte face à l’échec, ou de peur que ce qui est arrivé au voisin vous arrive aussi. Des agriculteurs ont tous une histoire qu’ils racontent à voix basse. Par exemple, cet agriculteur, qui n’a pu partir en vacances d’hiver avec sa femme et s’est suicidé au lendemain du réveillon. Ou bien cet autre, qui a mis fin à ses jours après avoir reçu un appel de cotisations MSA. « Il y en a ras-le-bol d’aller à l’enterrement des copains », lance Christian Hascouet, producteur de lait à Guengat et représentant de l’Association des producteurs de lait indépendante (Apli).

N’est-il pas temps de changer de modèle ? Jean-François Jacob, de la Sica, prend deux secondes pour répondre, puis : « Il y a nécessité de se remettre en question (le journaliste tend l’oreille). Donc on diversifie. On a diversifié d’abord sur les produits, maintenant on fait de la segmentation. On a 70 000 produits en catalogue aujourd’hui. On va encore accélérer, on va encore monter en puissance. » Raté pour celui-ci. 

François de Beaulieu a son explication : « C’est aussi un problème culturel : certains ici passent aux prairies sans labour, d’autres n’arrivent pas à basculer. Il faut un sacré caractère pour changer. » Jean-Paul Vermot, conseiller municipal PS à Morlaix : « La terreur prend le dessus mais on a besoin de raisonner. Ne nous trompons pas, les agriculteurs sont nécessaires. Il en faut de tous les modèles : productiviste car on a besoin de production de masse, bio pour des raisons d’environnement, et des producteurs de niche. Mais il nous faut un débat de fond sur la question agricole. Il faut avoir le courage de débattre à long terme, et pour ça il faut un porteur de débat côté agriculteurs. »

Thierry Merret, l’indispensable patron de la FDSEA 29 et porte-parole des Bonnets rouges, peut-il être cet interlocuteur ? Un élu PS du département en doute fortement : « Merret est là pour être à la tête du Service Action des agriculteurs, il n’est pas là pour réfléchir. » Jacob peut-être ? La Sica est bien trop engagée dans le modèle productif pour faire bouger les lignes. Le salut par la base ? Balancer des jeunes dans le métier avec autour du cou un boulet de dettes donne peu d’espoir.

Les plus sereins sont pourtant ceux qui ont délibérément tourné le dos au système.

Yvon Cras, ce producteur de lait bio avec panneaux photovoltaïques et éolienne, dresse une sorte de bilan, au milieu de son champ : « Quand on a commencé avec mon frère, on était dans l’intensif sur les 40 hectares de l’exploitation, avec des pommes de terre, des légumes, du chou-fleur… Puis en 1995, on s’est dit "ça ne va pas aller", on ne maîtrisait plus les charges. On s’est donc concentrés sur le lait. Aujourd’hui, on a 45 vaches sur 40 hectares. Je suis au salaire médian : 20 000 euros par an pour 20 vaches et 20 hectares. C’est sûr, on est des petits. C’est sûr aussi qu’autour de nous, il faut faire plus de 10 kilomètres, d’un côté ou de l’autre, pour trouver un confrère bio. » À ce rythme, la Bretagne aura plus vite sombré qu’elle n’aura changé.

Vaches bretonnes © CGVaches bretonnes © CG

Prochain article : La nouvelle crise du lait

BOITE NOIREToutes les personnes citées, sauf mention contraire, ont été rencontrées sur place la semaine du 27 au 31 octobre.

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Willy Sagnol ravive les préjugés racistes du football français

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Les propos sont lourds, les condamnation rares. Willy Sagnol, actuel entraîneur des Girondins de Bordeaux et ancien entraîneur de l’équipe de France Espoirs, n’a provoqué que quelques réactions embarrassées dans le milieu du football français à la suite de l’entretien avec les lecteurs de Sud-Ouest, publié mardi, dans lequel il déclarait : « L’avantage du joueur typique africain, c’est qu’il n’est pas cher quand on le prend, c’est un joueur qui est prêt au combat, qui est qualifié de puissant sur un terrain… Mais le foot ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, c’est de la discipline, donc il faut de tout. »

Des propos qui rappellent ceux prononcés par Laurent Blanc, à l’époque sélectionneur de l’équipe de France, révélés par Mediapart en mai 2011. À l’époque, Laurent Blanc avait dû présenter ses excuses après des propos tenus lors d’une réunion officielle de la Direction technique nationale, comme : « Les Espagnols, ils disent : "Nous, on n'a pas de problème. Des Blacks, on n'en a pas." » Au-delà des préjugés sur les qualités et les défauts supposés des Noirs, la Direction technique nationale avait envisagé la mise en place de quotas pour limiter le nombre de joueurs noirs et arabes dans les centres de formation de la fédération, au motif qu’ils risquaient de choisir une autre nationalité après avoir été formés.

Aujourd’hui, dans le milieu du foot, Pape Diouf et Lilian Thuram, qui s’étaient déjà offusqués de tels propos à l’époque, ont dû se sentir bien seuls en exprimant leur désarroi. Le premier a appelé dans Le Monde à un boycott d’une journée de championnat par les joueurs africains qui évoluent en France. Le second, dans L’Équipe, en estimant que « nous sommes dans la même logique que l’affaire des quotas ». « Il est dommageable de le voir tenir un discours qui laisse entendre que “les joueurs africains” manquent de telle ou telle qualité. On enferme les gens dans des cases en fonction de leur origine. »

Claude Le Roy, sélectionneur de la République démocratique du Congo, n'a pas non plus été tendre avec l'ancien joueur du Bayern Munich sur France Info« Ça me paraît incroyable qu'on puisse entendre ça. On a l'impression qu'il a pris Éric Zemmour et Patrick Buisson en conseiller en communication. On a l'impression qu'il est encore à l'époque d'avant la Françafrique ou des tirailleurs sénégalais qui étaient de la chair à canon. C'est du racisme sous-jacent. Ça fait peur. »

SOS Racisme et la Licra, qui a mis fin à son partenariat avec les Girondins de Bordeaux, ont également dénoncé les propos de l’ancien latéral (très) à droite de l’équipe de France.

Au nom du PS, Carlos Da Silva a demandé une sanction : « Le Parti socialiste condamne avec la plus grande fermeté les propos tenus par M. Sagnol. (…). Il doit être sanctionné par la Fédération française de football et, s’il s’agit là d’une "maladresse" comme l’a déclaré M. Le Graët, Président de la FFF, s’expliquer et présenter des excuses publiques », a indiqué le porte-parole du parti socialiste.

Mais le secrétaire d'État aux sports, Thierry Braillard, sur i>télé, s’est contenté lui aussi de qualifier les propos de l'entraîneur girondin de « maladresse ».

Quant aux instances du football, comme d’habitude, elles font le dos rond comme un ballon. Pendant que Noël Le Graët plaide donc la fameuse « maladresse », la Ligue de Football se tait, comme elle s’était tue lorsque Jean-Pierre Louvel, président de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF), avait déclaré à Mediapart en juin 2013 : « Si vous avez 60 %, voire 80 %, de joueurs d'origine africaine dans un club, ce n'est pas un mal en soi, mais cela signifie mettre à l'écart des gens qui ne sont pas de leur culture. La vie sociale du club n'est plus la même. »

Invité à préciser sa pensée, Louvel avait à l’époque avancé un mystérieux problème lié à des « chants » et « aux rapports humains africains » : « Il y a par exemple des joueurs qui viennent de tribus dominantes et, du coup, ce sont toujours eux qui décident et pas les autres. » 

Les instances du football n’avaient pas plus réagi quand Pierre Ferracci, président du PFC (Paris football Club), nous déclarait en juin 2012 : « Tout le monde vous dira que les Blacks, certains Blacks, sont doués techniquement, très forts physiquement, parfois un peu décontractés, un peu indolents, et que ça peut être préjudiciable en terme de concentration. » Ou que son alter ego de l’époque, Guy Cotret, aujourd’hui président de l’AJ Auxerre, nous expliquait : « Quand on a une composition d'équipe avec seulement des joueurs africains, en termes de mobilisation, d'esprit de révolte, ce n'est pas toujours facile à animer. Ils ont un caractère qui engendre un certain laxisme. (…) À chaque fois qu'on a été mené au score, on n'est jamais revenu, on ne l'a jamais emporté. C'est la race, pas la race, je n'en sais rien. »

Les Girondins de Bordeaux, de leur côté, ont à l’inverse cherché à éteindre l’incendie en expliquant dans un communiqué que « l’interprétation de l’interview accordée à Sud Ouest semble plus tenir de réactions épidermiques et malveillantes que d’une analyse objective des mots prononcés par Willy Sagnol ». Fermez le ban. Il reste sur le banc. 

Retrouvez l'intégralité de notre dossier Foot et discriminations

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« A Sivens, un drame était inévitable »

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« Je n'ai jamais eu de carte dans un parti parce qu'il m'en aurait fallu plusieurs. » Jacques Pagès, proche des écologistes, de Nouvelle Donne et du Parti occitan, est le seul des 46 élus départementaux tarnais à s'être opposé au barrage de Sivens en mai 2013. À l'époque, deux élus communistes s'étaient abstenus. Majorité de gauche et opposition de droite avaient voté pour.

Depuis le décès de Rémi Fraisse, on n'a guère entendu cet élu discret, chargé des transports au conseil général, infirmier libéral dans le civil. Il a pourtant beaucoup à dire. Cet été, Jacques Pagès a alerté sur la violence des forces de l'ordre sur la ZAD du Testet. En visite sur le chantier du barrage le 3 septembre, il a même été renversé par un véhicule de la gendarmerie et « jeté dans un talus haut de quelques mètres », sans gravité. Effaré par le comportement des gendarmes, il avait alors dit son inquiétude au président socialiste du conseil général, Thierry Carcenac. « Je le lui ai dit clairement : toutes les conditions sont réunies pour un drame. »

Dix jours après la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade explosive lancée par les gendarmes, la réunion organisée mardi par Ségolène Royal à Paris a réuni partisans et opposants du barrage du Testet sans déboucher sur aucune décision. Le regrettez-vous?

© DR

Déjà, tout le monde s'est mis autour d'une table, c'est une avancée. La discussion, c'est quand même mieux que les gendarmes mobiles et les CRS ! Mais à la sortie de cette réunion, personne n'est satisfait. Les points de vue des uns et des autres sont-ils conciliables ? Je ne suis pas très optimiste. Je sens de la part de mes collègues (du conseil général, opposés à tout arrêt des travaux actuellement suspendus - ndlr) une volonté de montrer leurs biceps qui me fait un peu peur. Ce n'est pas ainsi que les problèmes se résoudront. Il faut désormais que la tension retombe pour éviter à tout prix un nouveau drame. Rien ne vaut la vie d'un homme.

Vous qui les côtoyez au conseil général, comment expliquez-vous l'attachement des élus du Tarn à ce barrage, malgré la mort de Rémi Fraisse et le caractère surdimensionné de l'équipement, désormais reconnu par l'État ?

J'ai beaucoup de mal à l'expliquer ! La retenue du Tescou, c'est un très vieux projet, qui était déjà dans les cartons dès la fin des années 1980. Les élus du conseil général ne se le sont approprié qu'il y a un ou deux ans, tout au plus. Leur réaction, c'est de la fierté mal placée : ils estiment qu'on ne peut plus reculer sur ce projet, que si on recule alors on ne pourra plus construire aucun projet. Mais il serait heureux qu'on ne fasse plus ce genre de projets dans de telles conditions !

Ségolène Royal peut en théorie annuler la déclaration d'utilité publique mais elle continue de renvoyer la décision au conseil général, le maître d'ouvrage du barrage. Faut-il tout arrêter ?

Oui, il faut tout arrêter. Mais même si le barrage est arrêté, deux problèmes subsisteront : un problème d'eau et un problème démocratique. La résolution de ces deux problèmes ne passera que par le dialogue. Pourquoi ne pas faire de cette vallée une zone pilote à grande échelle de la mise en place de nouveaux processus démocratiques et d'une nouvelle approche de la gestion de l'eau ?

Quand certains agriculteurs tarnais disent qu'ils ont besoin de ce barrage pour avoir plus d'eau et ainsi maintenir leurs exploitations, ont-ils raison ou tort ?

Ils n'ont pas tout à fait raison, mais pas tort non plus. Je m'explique. Dans les années 1980, il y a eu une surestimation du débit d'eau nécessaire dans cette vallée. On a donc voulu construire des barrages imposants. Mais aujourd'hui, les besoins sont moins élevés. Les usines ont fait des progrès depuis trente ans, il y a moins besoin de dépolluer. Il existe désormais des façons d'irriguer beaucoup plus raisonnées et économes, même pour la culture du maïs. Cela dit, il est vrai que cette rivière a tendance à s'assécher. Sauf que la réponse, ce n'est pas construire de gros barrages ! Si l'eau manque, c'est à cause du drainage intensif des zones humides, de la végétation de rive qui a été éliminée, de l'imperméabilisation des sols. Résultat, les sols ont perdu leur substrat, leurs matières organiques. Et l'eau fuit à toute vitesse, ce qui devient problématique en été. Il est temps de s'atteler à une gestion intelligente du territoire et de l'agriculture !

Minute de silence pour Rémi Fraisse au conseil général du Tarn, vendredi dernierMinute de silence pour Rémi Fraisse au conseil général du Tarn, vendredi dernier © DR

Mais pourquoi êtes-vous le seul à dire ce genre de choses ?

Au conseil général, nous avons pourtant travaillé sur une nouvelle gestion de l'eau, on a fait des choses bien sur la politique environnementale. Je partage 95 % de la politique menée par le département. Mais franchement, je ne comprends pas l'obstination sur ce projet-là. Cet entêtement, c'est de l'ordre de la croyance scientiste. Et puis c'est tellement plus simple de rajouter des retenues pour augmenter les volumes ! Sauf qu'on est arrivé au bout de cette logique. À l'avenir, ce genre de projets ne sera plus possible, ou alors par la seule force et avec l'aide des gendarmes. Ce n'est pas parce qu'une majorité d'élus ont pris une décision, que toutes les étapes de la légalité ont été franchies, que le projet est acceptable et légitime. Si c'est une bêtise, c'est une bêtise ! Il y a d'autres voies ! J'appelle à une autre façon de vivre la démocratie, où on prend le temps de prendre des décisions acceptables et acceptées.

Ce genre de mobilisation contre les retenues d'eau n'est pas nouveau dans le Sud-Ouest...

Non, j'ai d'ailleurs vécu la même chose, copie conforme, à la fin des années 1980. Je suis même entré en politique à cause de ça ! Il était alors question de construire un barrage beaucoup plus imposant chez moi, sur la rivière Gijou. À l'époque, il y avait déjà les mêmes acteurs qu'à Sivens : la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG, une société d'économie mixte chargée des études et de la construction du barrage de Sivens, lire ici), l'agence de l'eau Adour-Garonne décidant qu'il fallait tel débit à tel endroit, etc. On parlait alors de noyer 70 maisons, l'église, le cimetière, etc. Face à la mobilisation, ce projet a été abandonné. Mais depuis, on est resté dans les mêmes schémas. Par exemple, l'agence de l'eau Adour-Garonne estime qu'il manquera 100 millions de mètres cubes dans la vallée de la Garonne d'ici 2050. Selon moi, c'est un chiffre théorique, mal calculé : il part du principe qu'on ne fera pas d'économies et qu'on resterait d'ici là sur une agriculture productiviste. Pour combler ce besoin, la réponse est systématiquement la même : faisons des réserves, faisons des barrages. Ces dernières années, plusieurs très grands projets dans la région ont été balayés par la mobilisation des habitants. Du coup, les décideurs régionaux promeuvent des choses un peu plus modestes, des retenues du type de Sivens. Des Sivens, il y a en potentiellement une soixantaine dans la région !

Vous vous êtes rendu plusieurs fois sur la ZAD ces derniers mois. Aviez-vous senti un climat de tension ?

C'est toujours facile de dire après coup qu'on avait tout prévu, et je m'en garderai bien. Mais malheureusement, un drame était inévitable. Face aux militants anti-barrage, qui portent des convictions que l'on a méprisées, les forces de l'ordre n'avaient manifestement pas le souci de l'apaisement. La gauche est au gouvernement, comment ne pas être dans le dialogue et vouloir passer en force le plus vite possible ? Cela me semble invraisemblable. Nous, élus de gauche, ne pouvons pas être du côté des matraques.

La journée du 3 septembre a été particulièrement agitée…

Le 3 septembre, je me suis rendu sur le site. J'y suis allé en ma qualité de conseiller général, avec d'autres élus (des conseillers généraux et régionaux écologistes et du Front de gauche, alors que le chantier venait de démarrer - ndlr). Nous voulions voir ce qu'on faisait sur le chantier en notre nom, au nom de nos assemblées. Pour y entrer, j'ai dû faire preuve d'une détermination très forte. La gendarmerie bloquait et ne voulait pas me laisser entrer. J'ai été conduit comme certains élus régionaux et généraux présents à dire aux gendarmes : « Soit vous nous arrêtez, soit vous nous laissez passer ! » Nous voulions voir. Et ce que nous avons vu ne nous a pas plu. Nous nous sommes interposés à plusieurs reprises entre les gendarmes et les militants. Ce jour-là, il n'y avait que des militants pacifiques. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu des gens sur la ZAD qui voulaient en découdre avec les forces de l'ordre, et j'ai personnellement toujours condamné ce genre de violences. En tout cas, ce jour-là, ils n'étaient pas là. Et ce jour-là, la violence que j'ai vue, c'était celle des gendarmes. J'ai interpellé leur responsable, à plusieurs reprises. Je lui ai dit qu'ils cherchaient l'incident et que j'allais en témoigner.

L'incident du 3 septembre, brièvement rapporté par La Dépêche du midiL'incident du 3 septembre, brièvement rapporté par La Dépêche du midi

Vous-même avez eu affaire aux gendarmes…

À un moment, je me suis interposé entre une cinquantaine de manifestants, désarmés je le précise, et le convoi de la gendarmerie. Nous avons parlementé. Les gendarmes, habillés comme des Robocops avec leurs épaulières, ont fait semblant d'accepter de repartir par l'autre côté. Mais dès que nous avons tourné le dos pour en informer les manifestants, les gendarmes ont avancé sur nous. Ils tenaient à passer à un endroit où ce n'était pas raisonnable de le faire.

Comme j'étais en première ligne, j'ai été renversé par le car et me suis rattrapé au pare-buffle. Quatre malabars m'ont sorti du dessous du camion et m'ont jeté dans un talus, haut de quelques mètres (l'épisode a été brièvement rapporté, en passant, au bas d'un article de la Dépêche du Midi). Ce jour-là, j'étais avec des collègues élus, j'étais en costume, j'ai montré à plusieurs reprises ma carte d'élu. J'ai dit aux gendarmes : « Vous savez ce que vous êtes en train de faire ? » Ils m'ont répondu « oui, oui ». Les gendarmes auraient dû chercher l'apaisement plutôt que la confrontation. Encore une fois, je condamne les violences, d'où qu'elles viennent. Mais la violence d'État n'est pas plus acceptable que celle de groupuscules qui cherchent l'affrontement avec les forces de l'ordre. J'espère qu'on remontera la chaîne des responsabilités, que l'on nous dira qui a donné aux gendarmes des ordres d'une telle fermeté. Notre démocratie ne peut pas s'accommoder de ce genre de choses.

Avez-vous parlé de cet épisode avec le président du conseil général, Thierry Carcenac ?

Peu après, j'ai eu en ligne le président du conseil général. Je lui ai expliqué ce qui m'était arrivé, lui ai dit : ce qui se passe n'est pas normal. Je lui ai envoyé un courrier électronique après cette conversation téléphonique puis un second message électronique avec des témoignages du terrain. Je le lui ai dit clairement : toutes les conditions sont réunies pour un drame. Il n'a pas répondu. Je tiens évidemment ce message à disposition de la justice.

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Les jeux d’ombre du prestataire de Le Pen avec les néofascistes italiens

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Officieusement, Frédéric Chatillon, l’ancien leader du GUD et vieil ami de Marine Le Pen est « parti se mettre au vert » à Rome. Et il ne devrait « pas rentrer à Paris avant 2017 », selon un proche. L’information judiciaire ouverte en avril sur les malversations présumées de sa société Riwal et le micro-parti de Marine Le Pen, dont il a été le prestataire de service presque exclusif, l’a poussé à s’éloigner, mais il en profite pour s’implanter en Italie, et y transférer le cœur de ses affaires.

Le 22 octobre, Frédéric Chatillon a en effet déposé à Rome les statuts de Riwal Italia SRL, reprenant ses activités de communication et de publicité déclarées à Paris. Et il a le projet d’ouvrir une structure commerciale en s’appuyant sur les réseaux de ses camarades italiens et des amis français appartenant au mouvement néofasciste CasaPound. Le mouvement italien est, avec les néonazis grecs d'Aube dorée, l’un des invités du GUD à un « congrès européen » des groupuscules néofascistes à Paris, le 22 novembre. 

Ce meeting semble le point culminant d'une tournée promotionnelle en France, visant à présenter le « phénomène » CasaPound. L'un des porte-parole de l'organisation italienne, un proche de Chatillon installé à Rome, Sébastien Magnificat, donnait fin octobre des conférences à ParisBourges et dans le Berry ; et il a accordé en juillet une longue interview à la web télé d'extrême droite « TV Libertés »

Fondé en décembre 2003 lors de l’occupation d’un immeuble vide à Rome, CasaPound – en référence au poète américain Ezra Pound – est devenu une référence de l’extrême droite radicale en France. Inspiré par le néofasciste Gabriele Adinolfi – longtemps exilé à Paris, ce fut une figure des années de plomb –, le mouvement CasaPound s’oppose à « l’invasion » étrangère, tout en offrant des circuits d’entraide réservés aux Italiens. L’autodéfense et le maintien de ses squats impressionnent tout particulièrement les Français. Mais la réciproque est aussi vraie, et l'on a vu CasaPound déployer en mai 2013 dans plusieurs villes italiennes des banderoles rendant hommage à l'essayiste français d'extrême droite Dominique Venner, après son suicide dans la cathédrale de Notre-Dame à Paris.

Les militants de CasaPound, craignant une attaque, rassemblés devant leur immeuble, à Rome.Les militants de CasaPound, craignant une attaque, rassemblés devant leur immeuble, à Rome. © DR

En décembre 2011, CasaPound prenait ses distances lorsqu'un de ses sympathisants, Gianluca Casseri, assassinait deux Sénégalais, et en blessait grièvement un troisième sur un marché à Florence avant de se donner la mort peu après. Un mois avant, lors d’une visite à CasaPound, le pamphlétaire Alain Soral s’était dit « très admiratif » du « modèle » social des Italiens. « C’est impressionnant de voir à quel point ils sont précis, efficaces, déclarait alors Soral. Ils ont un nombre de lieux en plus du lieu principal, restaurant, bar, magasin, galerie d’art, tout ça autogéré, très soigné. (…) Ils forcent le respect par leur travail de terrain, et surtout avec une dimension sociale très importante. » Son association Égalité et réconciliation a consacré plusieurs vidéos à CasaPound (ici et ), en vantant son rôle « de salut public »

Alain Soral lors de sa visite à Casapound, en novembre 2011, filmé par E.R. Derrière lui, le drapeau de la tortue.Alain Soral lors de sa visite à Casapound, en novembre 2011, filmé par E.R. Derrière lui, le drapeau de la tortue. © Capture d'écran de la vidéo d'Égalité et réconciliation.

CasaPound continue de battre le pavé. En décembre 2013, plusieurs militants de l'organisation, dont son vice-président, ont été interpellés alors qu'ils tentaient d'arracher le drapeau de l'Union européenne au siège de la représentation européenne, à Rome. Le porte-parole français de l’organisation, Sébastien Magnificat – connu aussi sous le nom de Sébastien de Boëldieu –, est l’un des contacts du conseiller officieux de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, à Rome. 

Il est à l’origine d’une ligne de vêtements et accessoires « nationalistes », Badabing shop, vendus en magasin et sur internet. « Sébastien est le contact privilégié de tous les mouvements en Europe, explique à Mediapart un membre du GUD. Il se déplace pour qui veut le rencontrer et apprendre ce qu’est la CasaPound. C’est une organisation qui balaie tout un panorama social, avec des gens de tous les âges, un grand réseau politique et citoyen, dont la logistique peut apporter beaucoup. » Début octobre, Frédéric Chatillon s'est affiché avec le porte-parole de CasaPound, au Scholars Lounge, un pub de Rome avec un autre ancien Gudard, Olivier Duguet, trésorier du micro-parti de Marine Le Pen jusqu'en 2012.

Si CasaPound verse dans le social, ses dirigeants sont aussi portés sur les affaires, et tout particulièrement dans la restauration haut de gamme. Ainsi Gianluca Iannone, l’actuel président du mouvement – ancien du MSI – , dont la présence est annoncée à Paris, est l’un des associés du restaurant « Osteria Angelino dal 1899 », devenu à Rome un des lieux d'agapes de l'extrême droite. Alain Soral s'y est rendu lors de sa visite à CasaPound, en 2011 (voir la photo). Frédéric Chatillon compte aussi parmi les fans de la page Facebook du restaurant. Cette chaîne marche à merveille et a ouvert trois autres restaurants : à Milan, Malaga et Lima. Celui de Milan, inauguré en septembre, est propriété conjointe de l’épouse de Iannone, et du chef de CasaPound Milan, Marco Clemente.

La promotion de produits gastronomiques haut de gamme est l’autre projet de Frédéric Chatillon à Rome. Avec sa société Riwal, l’ami de Marine Le Pen s’était déjà fait la main en publiant « Cigale Mag », ce gratuit distribué dans les Boulangeries artisanales parisiennes, et de nombreuses pages promotionnelles vantant les produits du terroir. Les milieux nationalistes parisiens bruissent de son idée d'ouvrir lui-même un lieu de commercialisation des produits français (pain, vin, foie gras, fromage, etc.), ce que l'intéressé dément jusqu'à présent.

Ce départ à Rome n'est pas qu'un choix personnel. La création de Riwal Italia SRL est en effet une décision de Riwal France, société animée par la galaxie des anciens du GUD. Les statuts italiens ont été validés par le bras droit de Chatillon, Jildaz Mahé O'Chinal, qui a co-fondé Égalité et réconciliation avec l'ancien avocat Philippe Péninque et Alain Soral. Riwal France a versé les 10 000 euros nécessaires à la constitution de sa branche italienne, dont l'objet est « la réalisation de campagnes publicitaires ».

Frédéric Chatillon accompagnant Marine Le Pen lors de sa visite en Italie, en octobre 2011.Frédéric Chatillon accompagnant Marine Le Pen lors de sa visite en Italie, en octobre 2011. © Capture d'écran d'un documentaire de Canal Plus.

Chatillon et son associé connaissent bien Rome, où ils entretiennent des contacts avec les néofascistes depuis leurs années au GUD. Ils ont d'ailleurs participé activement aux voyages de Marine Le Pen en Italie, en mars et octobre 2011, puis en 2012 (voir ce documentaire à 3'40).

Les opportunités d'affaires italiennes n'empêcheront pas Frédéric Chatillon de rester aux commandes de son réseau d'entreprises parisien. Sollicité par Mediapart, il se contente d'expliquer que « l'activité de Riwal Italia va se développer en dehors de la politique ». S'il reconnaît que Sébastien Magnificat est « un ami », « comme (il) en a dans de nombreux mouvements italiens tels que Forza Italia, Frateli d'Italia, Alliance Nazionale », il refuse de s'exprimer sur CasaPound, jurant ne rien savoir du « fonctionnement exact de cette organisation atypique ». « Croyez-vous vraiment que j'aurais choisi l'Italie pour me tenir à distance de l'information judiciaire en cours sachant que je suis pratiquement toutes les semaines à Paris ? » se justifie-t-il.

L'affiche du rassemblement du 22 novembre.L'affiche du rassemblement du 22 novembre.

L'ancien leader du GUD affirme par ailleurs qu'il n'a « rien à voir ni de près ni de loin » avec le « congrès européen » organisé à Paris le 22 novembre. Ce rassemblement à l'initiative du GUD, dont le lieu ne sera communiqué qu'en dernière minute, réunira des mouvements européens de l'extrême droite la plus radicale (voir ci-contre). Parmi eux, CasaPound, mais aussi des représentants d'Aube dorée, parti néonazi grec dont l'état-major a été mis en cause pour l'assassinat d'un rappeur antifasciste en 2013.

Quatre-vingt-cinq de ses membres ou sympathisants présumés sont poursuivis depuis un an en Grèce. La totalité de ses députés est sous le coup de poursuites pour appartenance à « une organisation criminelle », conséquence de l'offensive judiciaire menée dans l'affaire du meurtre par l'un de ses membres. Le procès est attendu au début de l'année prochaine. Deux de ses militants ont par ailleurs été condamnés en septembre pour une attaque sanglante. 

Par ce rassemblement, les organisateurs du GUD veulent présenter un « premier sommet de l'Europe réelle ». « Chaque formation parlera d'abord de la situation dans son pays, puis de sa doctrine, et enfin de la situation militante, de l'action au service de cette doctrine », annoncent-ils. Ils ont prévu « une conférence privée, suivie d'un concert » et affirment à Mediapart attendre « au minimum 700 personnes ».

Sébastien Magnificat (à droite) avec Logan Djian, actuel leader du GUD à Paris, lors d'une conférence à Paris, le 23 octobre.Sébastien Magnificat (à droite) avec Logan Djian, actuel leader du GUD à Paris, lors d'une conférence à Paris, le 23 octobre.

À la préfecture de police de Paris, la tenue de ce rassemblement est prise « très au sérieux ». « Nous sommes en train d'expertiser le sujet, a indiqué à Mediapart Laurent Nunez, le directeur de cabinet du préfet de police. Cela va être un sujet compliqué en terme d'ordre public. » La préfecture de police redoute des rassemblements extérieurs.

BOITE NOIREFrédéric Chatillon a répondu à nos questions par mail. Le porte-parole de CasaPound, Sébastien Magnificat, n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.

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Sivens: la faute des gendarmes, le mensonge de l'Etat

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«Grenade ! », crie le chef J. à l’attention de ses hommes, en joignant le geste à la parole. Des grenades offensives (OF) de ce type, la plupart des gendarmes mobiles avouent ne jamais en avoir lancé. Ce sont des armes de guerre, que seul un gradé peut projeter, et encore : dans certains cas bien précis, et seulement en les jetant à terre, prévoit le règlement. Mais cette nuit du 25 au 26 octobre, dans la forêt de Sivens, environ 40 grenades de type OF sont lancées par les militaires, sur un total de plusieurs centaines d’engins divers utilisés.

Or, selon plusieurs témoignages de gendarmes présents sur place, qui ont été recueillis dès le lendemain pour les besoins de l’enquête judiciaire et dont Mediapart a pris connaissance, le chef J. lance cette grenade-là en l’air, et directement sur un petit groupe de quatre à cinq jeunes dont fait partie Rémi Fraisse et qui leur lançait des pierres et des mottes de terre. Équipés de jumelles à vision nocturne, plusieurs gendarmes reconnaîtront avoir vu tomber le jeune homme tout de suite après l’explosion, et avoir compris immédiatement ce qui venait de se passer, selon des sources proches du dossier.

La grenade offensive OFLa grenade offensive OF

Les gendarmes n’étaient pourtant pas en danger. Protégés, suréquipés, ils étaient en outre séparés des jeunes manifestants par un grillage et un fossé (lire nos articles ici et ). Autant dire qu’avec leurs casques, boucliers, armure et protections diverses, ils auraient pu tenir leur position sans dommage pendant des heures. Selon plusieurs témoignages, les manifestants étaient d’ailleurs à court de fusées éclairantes et de cocktails Molotov.

Pourquoi le chef J. a-t-il décidé de lancer une grenade offensive sur ces jeunes, avec les risques évidents que cela comportait ? A-t-il perdu ses nerfs ? Sur procès-verbal, le gradé a tenté d’expliquer son geste, un choix personnel selon lui, par l’intensité des incidents de cette nuit-là. Son supérieur au sein de l’escadron de gendarmes mobiles (EGM) 28/2 (venu de la Gironde) a donné une version légèrement différente, en assumant avoir donné cet ordre lui-même.

Très vite, en tout cas, vers 2 heures du matin, la zone a été éclairée au projecteur, et le corps de Rémi Fraisse récupéré. Et en langage militaire, il a été « rendu compte » immédiatement au commandant d’escadron, et donc au préfet, au procureur, puis aux ministres de tutelle (intérieur et justice).

Discrètement, un premier examen médico-légal de Rémi Fraisse est pratiqué deux heures à peine après sa mort dans une morgue d’Albi. Le médecin qui examine le corps conclut immédiatement à un décès provoqué par une explosion, mais on n'en savait rien jusqu'ici. Des photos sont alors faites du cadavre. Il ne reste rien ou presque du sac à dos de Rémi Fraisse. Ce dimanche 26 octobre, l'État sait déjà tout ou presque du drame, mais va choisir de feindre l'ignorance et de minimiser pendant 48 heures.

La zone déboisée de SivensLa zone déboisée de Sivens

La mort de l’étudiant écologiste est d’autant plus absurde et révoltante qu’il n’y avait strictement rien à protéger sur la zone où étaient positionnés les gendarmes mobiles ce soir-là. Le préfet du Tarn avait donné des « consignes de fermeté » aux gendarmes, lesquels sont par ailleurs accusés par plusieurs plaignants ou témoins d’avoir provoqué des incidents sur le site, et de s’être livrés à des violences injustifiées (lire ici et). En conséquence, le matin précédant le drame, à 9 h 30, une réunion entre officiers est organisée à Gaillac, dirigée par le lieutenant-colonel Andreani, qui commande le groupement du Tarn. Il est alors décidé ceci : créer une « zone de vie » sur le chantier de la forêt de Sivens, et « tenir le site ». Or les engins de chantier avaient déjà été retirés, et il ne restait plus qu’un préfabriqué sur place, où des incidents avaient eu lieu la veille au soir.

La journée de samedi avait été plutôt calme, malgré quelques incidents dans l'après-midi, et il est permis de se demander si elle ne le serait pas restée sans la présence massive de ces « Robocops ». Vers 18 h 30, les CRS présents sur place s’étaient retirés. La situation était encore calme à 21 heures. Elle s’est échauffée vers 1 heure du matin, avec des caillassages vers les gendarmes mobiles, quelques jets de cocktails Molotov et tirs de fusées éclairantes, aussi. Rémi Fraisse est allé voir. On ignore s’il a lancé une pierre, une motte de terre, ou rien du tout.

En termes prudents, mais de façon très claire, les deux médecins légistes qui ont procédé à l’autopsie du manifestant de 21 ans, tué à Sivens dans la nuit du 25 au 26 octobre, font la conclusion suivante : « Le décès de Monsieur Fraisse Rémi est compatible avec une lésion par blast secondaire (NDLR: consécutif) à une explosion en regard de la région thoracique postérieure haute. »

Dans un rapport de 7 pages, daté du 27 octobre, le professeur Telmon et le docteur Savall, du CHU de Toulouse, détaillent les blessures fatales provoquées par l’explosion d’une grenade offensive tirée par les gendarmes mobiles au cours des incidents.

Dans la « région dorsale haute du dos » de Rémi Fraisse, ils constatent « une large perte de substance de 16 cm sur 8 cm, à disposition quasi horizontale, atteignant la cavité thoracique, présentant à son extrémité inférieure de multiples dilacérations sur 3,5 cm de haut ». Les légistes font également état d’une « dilacération du lobe supérieur du poumon gauche et un fracas de la partie postérieure de la région thoracique haute, intéressant les omoplates, les arcs postérieurs des côtes et le rachis avec disjonction rachidienne du niveau T5/T6 avec rupture du cordon médullaire en regard ».

En clair, le jeune homme a eu une partie de la colonne vertébrale et de la moelle épinière arrachées par l’explosion, et il est très certainement mort sur le coup. Par ailleurs, les médecins ont relevé une longue liste de « lésions traumatiques externes », des « plaques parcheminées » et des « ecchymoses », sur le haut du corps, qu’ils expliquent par la projection et la chute du corps après l’explosion.

L'autel en hommage à Rémi FraisseL'autel en hommage à Rémi Fraisse

« D’après les données de l’enquête le dimanche 26 octobre 2014, vers 2 heures du matin, au cours d’un affrontement entre des gendarmes mobiles et des opposants, il aurait été tiré une grenade offensive », écrivent les deux experts. « A la suite de ce tir, les gendarmes auraient constaté, en éclairant la zone que Monsieur Fraisse était étendu au sol face contre terre. Ils seraient alors allés le chercher et l’auraient tiré pour le ramener et prodiguer les premiers soins. Il est fait état que le sac à dos qu’il portait apparaissait dilacéré. L’examen externe et l’autopsie ont permis de mettre en évidence un ensemble lésionnel complexe compatible avec un blast secondaire à une explosion au contact ou à très courte distance dans la région thoracique haute entraînant un traumatisme pulmonaire, costal rachidien et médullaire ayant entraîné le décès. »

Quant aux « plaques parcheminées », elles sont « compatibles avec un phénomène abrasif ou avec des effets thermiques sans qu’il ne soit noté d’élément évoquant une brûlure par flamme et sans particule retrouvée en regard du complexe lésionnel. Les autres lésions traumatiques retrouvées, notamment de la partie antérieure, en particulier en regard de la face, sont compatibles avec une chute et/ou une projection vers l'avant, ayant suivi immédiatement l’explosion en regard de la partie postérieure du corps », écrivent les légistes.

Après les premières conclusions de l’enquête, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve avait suspendu, jeudi dernier, l’usage des grenades offensives OF F1, ainsi que, pour faire bonne mesure, les grenades lacrymogènes instantanées (GLI) utilisées par les policiers et les grenades instantanées (GI), leur équivalent gendarmesque. Lancées à la main, les grenades offensives dites OF F1 sont des armes militaires datant de la guerre de 1914-18 en dotation uniquement chez les gendarmes. À la lumière du décès de Rémi Fraisse, ces grenades offensives ne peuvent apparaître que pour ce qu’elles sont : des armes de guerre pouvant provoquer des blessures fatales. L’information judiciaire qui démarre au tribunal de Toulouse n’en est que plus sensible pour le pouvoir qui est comptable de ce drame.

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L’appel de la jeunesse

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Monsieur le Président, je vous fais cette adresse que vous lirez peut-être si vous avez le temps… C’est à l’enseigne d’une célèbre chanson des années 1950 que je viens, François Hollande, vous poser la seule question qui vaille à mi-chemin de votre quinquennat : qu’avez-vous fait de la jeunesse ? Le Déserteur, ce poème de Boris Vian qui dérange toujours les conformismes et les suivismes, dit ce désordre vital de la jeunesse. De cette jeunesse qui bouscule le présent, dérange le passé, invente le futur par ses refus, souvent bien plus raisonnables que les entêtements des ordres établis et des pouvoirs aveugles.

En l’espèce, Le Déserteur portait le cri paisible d’une jeunesse contre des guerres injustes, aussi inutiles que perdues d’avance. Précisément, ces guerres coloniales dans lesquelles la gauche socialiste d’alors perdit son âme, laissant une blessure qui n’est pas encore totalement cicatrisée. Aujourd’hui, demain, après-demain, il y aura toujours des jeunes pour se reconnaître dans la chanson de Boris Vian : le refus, quoi qu’il en coûte, d’un ordre injuste qui met en péril l’essentiel. Dire non, ce premier pas de la liberté où s’inventent des oui autrement prometteurs. Non, y compris à la loi quand elle n’est que l’alibi des pouvoirs confisqués, aveugles à leurs fins, sourds à leurs peuples.

L’affaire du barrage de Sivens n’est rien d’autre que la répétition de cette tragédie où, depuis Antigone, se joue l’affrontement d’un désordre vivant et d’un ordre mort (lire ici le parti pris de François Bonnet). Tout ce que l’on a appris, depuis la mort du pacifique Rémi Fraisse, sur ce projet d’aménagement d’un autre âge, démesuré et inutile (lire ici, et encore là), confirme que les jeunes « zadistes » étaient autrement lucides dans leur protestation que ne l’étaient dans leur entêtement des élus confits de clientélisme et de cumul. Et tout ce que l’on est en train de découvrir sur les circonstances de cette mort (lire ici nos dernières révélations), provoquée par une grenade offensive, et sur son traitement par les autorités qui en sont responsables confirme que les Créon d’aujourd’hui ont le visage du gouvernement de Manuel Valls.

Dans les jours qui ont suivi ce drame, aggravé par la morgue martiale d’un pouvoir plus prompt à criminaliser la jeunesse qu’à la comprendre en s’interrogeant sur son propre aveuglement, l’écologiste Cécile Duflot a mis des mots justes sur le désarroi qui tétanise et démobilise la gauche. Ce n’est pas nous qui avons quitté ce gouvernement, a-t-elle dit en substance, mais c’est ce gouvernement qui nous a quittés (lire ici son entretien au Monde). Ce jeudi 6 novembre, à mi-mandat de son quinquennat, la majorité de vos électeurs en 2012, François Hollande, pourrait dire la même chose, entre stupeur et colère.

Le peuple de gauche, dans sa diversité de conditions et de cultures, les classes populaires, ces ouvriers, employés et chômeurs qui en font les gros bataillons, la masse des salariés, qui sont la force sociale majoritaire face à la minorité oligarchique, savent tous pertinemment que ce pouvoir, le vôtre, s’est détourné de ceux qui l’ont élu, en faisant la politique de ceux qui ne l’ont pas voulu. Mais, avec la jeunesse, elle-même diverse socialement et culturellement, c’est une rupture plus essentielle tant son sort d’aujourd’hui, par le jeu des générations à venir, conditionne l’audace, le dynamisme, l’inventivité d’une société, sa confiance en elle-même, ses solidarités et ses cohésions.

Oui, qu’avez-vous fait de la jeunesse, cette jeunesse à laquelle vous avez tant promis et pour laquelle vous avez si peu tenu ? Vous en aviez fait votre principale promesse de campagne électorale, brandissant ce mot à la manière d’un mantra. « En donnant confiance à la jeunesse, nous mettrons notre pays en mouvement », promettiez-vous le 19 novembre 2011 à Strasbourg, proposant d’en faire l’acteur de votre « rêve français » face à un monde où « aujourd’hui tout est brouillé, confus, obscur, triste ». C’est peu dire, trois ans après, que votre propre présidence a accru le brouillard, tant cette confusion, cette obscurité, cette tristesse sont les mots qui viennent à l’esprit depuis la mort de Rémi Fraisse.

La jeunesse, donc. Cette jeunesse qu’en 2006, vous brandissiez en alliée naturelle face à la droite conservatrice, à raison de ses lucidités. « La bonne nouvelle pour le pays, sa politique et son avenir, disiez-vous dans Devoirs de véritéc’est l’irruption d’une génération inventive, déterminée et raisonnable, engagée et lucide, finalement plus responsable que celle qui nous gouverne. » Face à ce que vous n’hésitiez pas à appeler « une fin de règne » présidentiel, laquelle n’a cessé depuis de se prolonger tant ce système s’épuise quels qu’en soient les titulaires, vous vantiez alors « l’appel à la solidarité » de cette jeunesse, ce caractère « généreux » et « désintéressé » des générations qui ne sont pas encore alourdies par l’âge, pas encore corrompues par l’intérêt, pas encore étouffées sous les responsabilités.

Or que venez-vous de lui opposer, à cette jeunesse, à ses colères et ses impatiences, à ses désirs et ses rêves ? L’ordre immuable de la force, la brutalité de l’autoritarisme, la violence de l’indifférence. Loin d’être au rendez-vous de l’empathie proclamée, votre présidence, particulièrement sous le gouvernement de votre second premier ministre, n’a cessé de tourner le dos à cette jeunesse qui, pourtant, indique la voie du sursaut, du mouvement comme vous disiez quand vous étiez en campagne.

Qui, sinon la jeunesse, pour nous réveiller sur l’exigence d’égalité, le refus des injustices, la lutte contre les discriminations, le devoir de solidarité, le souci de la nature, etc. ? Qui, sinon le pouvoir actuel, le vôtre donc, pour ne pas l’entendre quand elle lutte contre l’ordinaire des contrôles au faciès, quand elle se mobilise dans les lycées pour des élèves étrangers expulsés, quand elle s’engage pour que justice soit rendue au peuple palestinien, quand elle s’alarme d’études sans emplois à l’horizon, quand elle se rassemble en défense de la Terre, de ses équilibres et de ses richesses, etc. ?

D’une rigidité caricaturale, la posture de fermeté affichée par votre premier ministre, où se laisse entrevoir l’autoritarisme des pouvoirs faibles, n’est pas seulement une fin de non-recevoir adressée à ces jeunesses conscientes et généreuses. En criminalisant leurs révoltes, en brandissant l’épouvantail des casseurs, en ayant pour seul vocabulaire les mots pauvres de l’ordre sécuritaire, elle a rejoint les pires conservatismes. Car, bien au-delà de l’opposition entre gauche et droite, qui n’ont ni l’une ni l’autre la propriété de la justice ou de la vertu, quelle est la ligne de partage véritable, celle où se joue la bataille entre progrès et régrès, invention de nouveaux droits et possibles ou crispation sur une réalité immuable et écrasante ?

C’est tout simplement l’éternel affrontement du désordre et de l’injustice, où se fait le tri entre pouvoirs conservateurs et pouvoirs progressistes, verticalité des uns et horizontalité des autres. Face à un désordre venu de la société, les premiers exigeront avec impatience qu’on y mette fin au plus vite, fût-ce au prix d’une injustice augmentée et prolongée. À l’inverse, les seconds s’empresseront de chercher l’injustice qui est à l’origine du désordre, sa cause pour tenter d’y mettre fin, en refusant donc d’y ajouter le désordre d’une injustice renouvelée.

Par quelque bout qu’on la prenne, l’affaire de Sivens n’est autre que l’histoire d’un pouvoir qui préfère l’injustice au désordre. Et c’est pourquoi la mort de Rémi Fraisse n’est pas un vulgaire fait divers, mais bien un séisme politique dont l’onde de choc continuera de se répandre. « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort », avait lancé, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le député François Mitterrand au pouvoir gaulliste, le 8 mai 1968. Un pouvoir vieilli et vieillot qui, dès lors, était condamné, comme le général de Gaulle finira par le comprendre lui-même. 

Les journalistes ne sont pas prophètes, et je ne connais pas l’avenir de votre pouvoir, François Hollande. Je sais seulement qu’il a sans doute déjà perdu la jeunesse, faute d’avoir entendu son appel.

Au mitan de son siècle, ébranlé par les printemps des peuples – en France, la révolution de 1848 –, Victor Hugo écrivit un poème que, dans l’après 68, transcendait le blues de Colette Magny. Les Tuileries est un hommage à la jeunesse, à ses imprudences créatrices, à ses désordres nécessaires, à ses audaces souhaitables. Cette strophe, par exemple, sur laquelle se termine le chant de Magny :

Nous avons l’ivresse,
L’amour, la jeunesse,
L’éclair dans les yeux,
Des poings effroyables ;
Nous sommes des diables,
Nous sommes des dieux !

BOITE NOIRECe parti pris reprend le propos de ma chronique hebdomadaire du 6 novembre 2014 sur France Culture (à écouter ici sur Mediapart ou là sur le site de la radio publique).

Je m’en suis également inspiré pour ma présentation du Live de Mediapart, tenu en nos locaux le même jour (à revoir ici et ), autour des alternatives après Sivens :

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Oui, il y a des alternatives!

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Pour sortir du marasme, de l'austérité… et de TF1, nous vous proposons, ce jeudi 6 novembre, un « En direct de Mediapart » exceptionnel. Pendant que François Hollande s'exprime sur TF1, bien d'autres alternatives sont esquissées sur Mediapart. Avec un invité de poids : Jorge Lago, un responsable du mouvement espagnol Podemos.

 • 20h30-21h15 : Réinventer la démocratie.

Avec :
Dominique Méda, sociologue,
Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel,
Sandra Laugier, philosophe.

Retrouvez ci-dessous nos entretiens :
Dominique Méda : « Une autre voie que le modèle libéral ou la sortie de l’euro »

Sandra Laugier : en route pour la « démocratie sauvage »

Dominique Rousseau : « On a inversé la fonction de la Constitution ! »


• 21h20-21h45. « Oui, nous pouvons ! » : Podemos et l’exemple espagnol. 

Avec Jorge Lago, l'un des responsables du mouvement.

Retrouvez ci-dessous nos articles :
Podemos, ce mouvement qui bouscule l'Espagne

Pablo Iglesias (Podemos) : « Nous ne voulons pas être une colonie allemande »

Fête de l’Huma : Mélenchon se remet en mouvement sur le modèle espagnol de Podemos

• 21h50-22h45. Des alternatives concrètes, exemples.

Avec :
Emmanuel Soulias, secrétaire Général d’Enercoop, 
Mélanie Gabard, co-organisatrice d’Alternatiba Lille,
Jorge Lago, l'un des responsables du mouvement,
Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. 

Retrouvez en cliquant ici notre portfolio sur Enercoop

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En direct de Mediapart, vos alternatives

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Au programme de ce En direct de Mediapart du jeudi 6 novembre :

• 18h-18h50. Le grand entretien.
Joseph Confavreux reçoit Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l'Institut universitaire européen de Florence et spécialiste de l'islam. Il publie En quête de l’Orient perdu, aux éditions du Seuil.

19h15, soirée spéciale : à l'heure de Sivens, oui, il y a des alternatives !

Soirée animée par Frédéric Bonnaud et la rédaction de Mediapart. 
Tout au long de la soirée, Hubert Huertas fera le point sur les déclarations de François Hollande, invité au même moment sur TF1 à faire son bilan à mi-mandat.

 • 19h15-20h30. Après la mort de Rémi Fraisse, deux débats sur :

Les raisons de contester l'utilité du barrage de Sivens. Avec :
Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet
Guillaume Cros, conseiller régional EELV de Midi-Pyrénées
Alice Terrasse, avocate de France nature environnement (FNE)

La gestion des forces de l'ordre et les violences policières. Avec
Christian Mouhanna, sociologue, spécialiste des questions de maintien de l'ordre
Jean-Jacques Urvoas, député socialiste du Finistère, président de la commission des lois de l'Assemblée.
Jean-Hugues Matelly, gendarme (lieutenant-colonel) et blogueur
Joachim Gatti, La parole errante

 • 20h30-21h15 : Réinventer la démocratie.
Dominique Méda, sociologue
Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel
Sandra Laugier, philosophe.

Retrouvez ci-dessous nos entretiens :
Dominique Méda : « Une autre voie que le modèle libéral ou la sortie de l’euro »

Sandra Laugier : en route pour la « démocratie sauvage »

Dominique Rousseau : « On a inversé la fonction de la Constitution ! »

• 21h20-21h45. « Oui, nous pouvons ! » : Podemos et l’exemple espagnol.
Avec Jorge Lago, l'un des responsables du mouvement.

Retrouvez notre enquête Podemos, ce mouvement qui bouscule l'Espagne
Notre entretien avec Pablo Iglesias (Podemos) : « Nous ne voulons pas être une colonie allemande »
Et aussi dans Mediapart en espagnol : Las tres decisiones clave que definirán el futuro de Podemos

• 21h50-22h45. Des alternatives concrètes, exemples.
Marie-Monique Robin, auteur de Sacrée Croissance !
Emmanuel Soulias, secrétaire Général d’Enercoop (Retrouvez notre portfolio sur Enercoop), 
Mélanie Gabard, d’Alternatiba.

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Delphine Batho sur Sivens: l'attitude du pouvoir «est incompréhensible»

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« L'autorité de l’État, c'était de refuser ce genre de projet, et c'était la première décision à prendre. Ce qui n'est pas normal, c'est de l'avoir ensuite autorisé. Il faut en revenir au point initial, qui était logique et cohérent. Il faut prononcer l'arrêt définitif de ce projet. Tant que cette clarification n'est pas prononcée, il est probable que les mobilisations vont s'amplifier. »

L'ancienne ministre de l'environnement Delphine Batho, redevenue députée socialiste, estime que l’État ne peut pas se défausser dans cette affaire sur le conseil général du Tarn, et qu'il a la possibilité d'agir puisque « 80 % des fonds qui financent le barrage relèvent directement de l’État (30 % de fonds européens, et 50 % des agences de l'eau) ».

En ce qui concerne la mort de Rémi Fraisse, Delphine Batho estimait ce matin que le silence officiel qui a suivi les événements était « absolument incompréhensible ». Les révélations de Michel Deléan, « La faute des gendarmes, le mensonge de l’État », apportent un éclairage absolument accablant…

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Barrage de Sivens: débat sur les violences policières

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Dix jours après la mort du jeune botaniste au Testet, Mediapart revient sur l'affaire. Nos révélations, le point sur le barrage lui-même et une réflexion sur la gestion des forces de l'ordre et les violences policières.

  • La gestion des forces de l'ordre et les violences policières.

Avec :
Christian Mouhanna, sociologue, spécialiste des questions de maintien de l'ordre
Farid El Yamni, frère de Wassim El Yamni mort après une interpellation
Jean-Hugues Matelly, gendarme (lieutenant-colonel) et blogueur
Joachim Gatti, La parole errante

  • Les raisons de contester l'utilité du barrage de Sivens. 

Avec :
Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet
Guillaume Cros, conseiller régional EELV de Midi-Pyrénées
Alice Terrasse, avocate de France nature environnement (FNE) Midi-Pyrénées

  • Le parti pris d'Edwy Plenel.

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Trois débats: oui, il y a des alternatives!

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Pour sortir du marasme, de l'austérité… et de TF1, nous vous proposons, ce jeudi 6 novembre, un « En direct de Mediapart » exceptionnel. Pendant que François Hollande s'exprime sur TF1, bien d'autres alternatives sont esquissées sur Mediapart. Avec un invité de poids : Jorge Lago, un responsable du mouvement espagnol Podemos.

 • 20h30-21h15 : Réinventer la démocratie.

Avec :
Dominique Méda, sociologue,
Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel,
Sandra Laugier, philosophe.

Retrouvez ci-dessous nos entretiens :
Dominique Méda : « Une autre voie que le modèle libéral ou la sortie de l’euro »

Sandra Laugier : en route pour la « démocratie sauvage »

Dominique Rousseau : « On a inversé la fonction de la Constitution ! »


• 21h20-21h45. « Oui, nous pouvons ! » : Podemos et l’exemple espagnol. 

Avec Jorge Lago, l'un des responsables du mouvement.

Retrouvez ci-dessous nos articles :
Podemos, ce mouvement qui bouscule l'Espagne

Pablo Iglesias (Podemos) : « Nous ne voulons pas être une colonie allemande »

Fête de l’Huma : Mélenchon se remet en mouvement sur le modèle espagnol de Podemos

• 21h50-22h45. Des alternatives concrètes, exemples.

Avec :
Emmanuel Soulias, secrétaire Général d’Enercoop, 
Mélanie Gabard, co-organisatrice d’Alternatiba Lille,
Jorge Lago, l'un des responsables du mouvement,
Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. 

Retrouvez en cliquant ici notre portfolio sur Enercoop

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Affaires africaines: 10 millions d’euros pour faire taire Pierre Péan

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«Si j’ai un papier là-dessus, je suis cuit », annonce, énigmatique, Pierre Péan à Mediapart. L’écrivain-enquêteur, qui a fait paraître début novembre Nouvelles Affaires africaines (Fayard), assure que le pouvoir gabonais cherche à « le salir » pour « le punir d’avoir dénoncé le système Bongo ». Et il est vrai que le porte-parole du président gabonais, Alain Claude Bilie By Nze, est en ce moment à Paris pour accabler l’écrivain. Selon des mails communiqués par l’officiel gabonais, Pierre Péan a été depuis un an au cœur d’obscures tractations avec lui : une demande d’argent formulée par des intermédiaires, puis une demande d’emploi pour un ami. Des « mensonges », selon l’écrivain.

En novembre 2013, l’homme d’affaires Ziad Takieddine et l’intermédiaire franco-sénégalais Fara M’Bow ont pourtant introduit Pierre Péan auprès du porte-parole d'Ali Bongo, avant de proposer à l’État gabonais de surseoir à la parution du prochain livre de l’écrivain moyennant le versement de 10 150 000 euros sur un compte en Suisse, et l’emploi d’un ami.

Un « protocole d’accord » est même rédigé dans les bureaux de l’avocat de Ziad Takieddine, et envoyé par mail à la présidence gabonaise. Pierre Péan dit qu’il a eu connaissance de ce qui n’est rien d’autre qu’une tentative d’extorsion de fonds, s’appuyant sur son propre travail, trois semaines après sa rencontre avec le porte-parole.

L'écrivain Pierre Péan, 76 ans, vient de publier "Nouvelles affaires africaines"L'écrivain Pierre Péan, 76 ans, vient de publier "Nouvelles affaires africaines"

L’écrivain évoque d'ailleurs lui-même l’épisode dans Nouvelles Affaires africaines : « J’appris que Ziad Takieddine – ou plutôt sa société Helliu Group, basée au Panama – aurait tenté de faire signer au chef de l’État gabonais un protocole d’accord stipulant qu’il acceptait “la mission (…) consistant à faire en sorte que l’ouvrage en question ne soit pas publié”. Et ce pour des millions d’euros ! Le dit protocole ne fut pas paraphé par Bongo. Mais comme le livre n’existait pas, il ne sortit évidemment pas en librairie début décembre. » Péan signale que les « on-dit gabonais » laissant entendre qu’il avait été « acheté pour renoncer à la publication » ont alors circulé. C’est ce qui l’aurait décidé à écrire.

Pourtant, son livre n’explicite pas l’apparition de Takieddine, personnage central de l'affaire Karachi ou de celle des financements libyens, sa demande financière, ni les contacts ambigus qu’il a lui-même maintenus avec le porte-parole du président gabonais jusqu’en avril 2014.

La première incongruité est que le pouvoir gabonais et Pierre Péan aient eu besoin d’intermédiaires pour se rencontrer. En effet, Péan connaît le Gabon depuis cinquante ans. Dans l’objectif d’un nouveau livre, il s’est rapproché d’Omar Bongo à la fin de sa vie, allant jusqu’à dénoncer les procédures judiciaires ouvertes à Paris sur les “Biens mal acquis”, comme procédant d’une vision néocoloniale. En décembre 2011, Péan a même salué les conditions de l’élection d’Ali Bongo en octobre 2009.

Mais en octobre 2013, la très informée Lettre du continent fait état, à deux reprises, de l’inquiétude du cabinet d’Ali Bongo au sujet d’une « enquête approfondie » préparée par Péan sur le pouvoir gabonais. Un site gabonais assure que le chef de cabinet d’Ali Bongo lui-même, Maixent Accrombessi, « ne dort presque plus » à la perspective de cette publication.

Ziad Takieddine et Fara M’Bow surgissent alors de nulle part. Le porte-parole du président gabonais voit les intermédiaires pour la première fois, à l’hôtel Mandarin, en novembre 2013. « Ils m’expliquent que Pierre Péan se prépare à sortir un livre qui va salir le Gabon et l’image du président, explique Alain Claude Bilie By Nze à Mediapart. Ils se proposent de faire en sorte que le livre ne paraisse pas. Ils me disent que Péan leur est redevable. Ils me disent : “Nous l’avons aidé, il ne peut rien nous refuser”, et ils m’offrent de me mettre en contact avec lui. »

Ziad Takieddine entrant au pôle financier du Palais de justiceZiad Takieddine entrant au pôle financier du Palais de justice

Jusque-là, Fara M’Bow confirme. « Pierre Péan était en train d’écrire un bouquin sur le Gabon, et il fallait intervenir pour que ce bouquin ne sorte pas au moment d’un sommet franco-africain (le sommet de l’Élysée pour la Paix et la sécurité en Afrique, des 6 et 7 décembre 2013 - ndlr), expose l’intermédiaire. La question était : est-ce qu’il pouvait reporter la publication ? Péan m’a dit non. Il m’a dit que le livre n’était pas prêt, et qu’il n’y aurait pas de livre lors du sommet. Mais j’ai organisé le rendez-vous avec le conseiller d’Ali Bongo, au café Castiglione. La rencontre a eu lieu. Je n’y ai pas assisté. J’étais un facilitateur dans cette affaire… »

Ziad Takieddine et Farah M’Bow ont la particularité d’avoir été des personnages de La République des mallettes, un livre que Péan a consacré, en septembre 2011, à un troisième intermédiaire, Alexandre Djouhri – ennemi juré de Takieddine, mais très proche de Fara M’Bow. « Ils m’ont appâté en me parlant de la Libye, puis ils m’ont parlé du Gabon, explique Pierre Péan. Et ils m’ont proposé de rencontrer quelqu’un à Paris, c’était un conseiller d’Ali Bongo. J’étais réticent au début, puis je me suis dit, pourquoi pas ? »

Le 17 novembre 2013, Péan retrouve donc Alain Claude Bilie By Nze au café Castiglione, à côté de la place Vendôme, à Paris. Fara M’Bow les présente et les laisse seuls. Après un échange de civilités, les deux hommes entrent dans le vif du sujet. Leurs souvenirs divergent. « Pierre Péan reconnaît qu’il prépare un livre, rapporte M. Bilie By Nze, mais il m’informe qu’il ne paraîtra pas avant le sommet. Il me fait savoir que le Gabon lui a fait un certain nombre de promesses. Qu’il avait sollicité l’aide d’Ali Bongo pour écrire un livre sur Omar Bongo, et qu’Ali Bongo s’était engagé à faciliter cette possibilité. Il voudrait en rediscuter avec le président. Il me dit que l’ancien ambassadeur Banga Eboumi avait évoqué la possibilité d’un versement de 300 000 euros en sa faveur pour ce projet de livre. Enfin, il nous réclame de l’aide pour un de ses amis à Libreville, Jean-Louis Gros, qu’il nous demande de recruter. »

Pierre Péan s’offusque du récit du porte-parole d’Ali Bongo. « Prétendre que j’aurais réclamé un à-valoir sur je ne sais quel livre est totalement injurieux, déclare-t-il à Mediapart. J’avais convaincu Omar Bongo de faire un livre avec moi, sur lui et les Français. En 2010, j’avais encore cette idée de faire quelque chose, puis j’ai abandonné l’idée, mais je n’ai absolument rien réclamé. »

Lors de cette rencontre, Bilie By Nze « essaye de savoir s’il y a quelque chose » dans le livre en préparation, admet Péan. Mais l’écrivain nous précise qu’il n’y avait encore aucun contrat d’édition. Seul point d’accord avec Bilie By Nze, il admet avoir demandé de l’aide pour un ami, ancien conseiller de sécurité à la mairie de Libreville. « Nous avons évoqué le cas d’une relation, Jean-Louis Gros, qui a été maltraité par les autorités gabonaises et que j’entretenais. J’ai demandé que justice lui soit rendue », confirme Péan.

Pour le porte-parole du président Ali Bongo, l’histoire n’est pas finie, car il a rendez-vous le surlendemain avec les intermédiaires. Pour plus de discrétion, il loue une suite à l’hôtel Mandarin. « Ils me disent : “Notre ami nous a chargés de finaliser l’échange”, poursuit Bilie By Nze. Il y a deux sujets : une compensation financière, et l’emploi pour son ami. Je suis rentré à Libreville et le 19 novembre, j’ai reçu de l’avocat de M. Takieddine, un protocole d’accord prévoyant le paiement de 10 150 000 euros en compensation, et l’embauche de son ami. J’en ai référé tout de suite au cabinet du président. Il n’était pas question de payer. »

Alain Claude Bilie By Nze, le porte-parole du président gabonais.Alain Claude Bilie By Nze, le porte-parole du président gabonais.

Ce protocole d’accord est effectivement transmis par mail à la présidence gabonaise à partir du cabinet de Me Dominique Penin, alors avocat de Takieddine. « Veuillez trouver en pièce jointe le protocole d’accord qui comme convenu sera à compléter et à signer lundi 25 novembre », écrit l’avocat au porte-parole. Dans ce document, dont Mediapart a obtenu copie, Ziad Takieddine représente la société Helliu Group Panama SA, domiciliée à Genève. Le compte bancaire en faveur duquel le transfert de la somme de 10 millions doit s’effectuer est précisé. C’est le compte 305.9493 à la banque Julius Baer de Genève, qui, d'après nos vérifications, ne semble pas avoir été identifié jusque-là par les juges.

Voici ce que l'on peut lire dans ce document :

« Les parties ont pris connaissance du projet de publication d’un ouvrage de Pierre Péan consacré à la République du Gabon contenant des informations pouvant nuire à son image et à sa réputation. Le sommet consacré à la paix et à la sécurité en Afrique aura lieu les 6 et 7 décembre 2013 à Paris. Il a été porté à la connaissance des parties que l’ouvrage en question sera publié avant ce sommet afin d’en assurer une plus large publicité. Soucieuse de faire en sorte que cet ouvrage ne vienne ternir le bon déroulement de ce sommet et l’image de la République du Gabon, les parties se sont rapprochées afin que ce livre ne puisse paraître, en particulier dans un tel contexte.

- Article 1 : la première partie (Helliu Group - ndlr) accepte la mission qui lui a été confiée consistant à faire en sorte que l’ouvrage en question ne soit pas publié.

- Article 2. En contrepartie de cette mission, la seconde partie s’engage irrévocablement à rémunérer la première partie d’un honoraire forfaitaire et définitif d’un montant de 10 150 000 euros. »

L'article 4 du protocole, lui, prend acte de la demande spécifique concernant l’emploi de Jean-Louis Gros :

« Article 4. La seconde partie s’engage à procéder au règlement immédiat du contentieux en suspens portant sur des engagements existant entre elle et la personne qui lui a été désignée par M. Pierre Péan et dont les parties se dispensent de rappeler l’identité. »

Ce document porte la signature informatique du cabinet d’avocat. Me Dominique Penin nous a indiqué avoir mis son bureau à la disposition de M. Takieddine, et n’avoir aucun souvenir de ce « protocole », ni de son envoi par mail à la présidence gabonaise.

Questionné par Mediapart, Fara M’Bow n’est pas plus loquace. Et soutient qu’il n’est « pas au courant », alors que Pierre Péan, lui, nous indique avoir été informé par Farah N’Bow de l’existence de ce document, et de son contenu, trois semaines environ après sa rencontre avec M. Bilie By Nze. Ziad Takieddine n’a pas donné suite à nos messages.

L’autre mystère, c’est l’absence de réaction de Pierre Péan face à cette tentative d’extorsion. Il est averti début décembre par Fara M’Bow. Non seulement il ne dépose pas plainte, mais il ne fait pas la moindre allusion à cet épisode dans ses contacts avec les autorités gabonaises. « Je le sais, mais je le sais sans le savoir, répond-il. Et je sais que les Gabonais n’ont pas répondu à ce truc hallucinant. »

De fait, M. Bilie By Nze dit aussi avoir prévenu Péan de la démarche des intermédiaires. « Je lui ai dit que j’avais reçu un protocole d’accord, et ce qu’il contenait, rapporte le porte-parole présidentiel. Il m’a répondu : “Je ne suis pas concerné par les 10 millions.” Je vous fais remarquer que le protocole comprend quand même une mention de l’embauche de son ami. »

Le 6 janvier 2014, un site internet (leral.net) assure que « le livre de Pierre Péan » a été « bloqué par Fara M’Bow » après l’intervention de Bilie By Nze. Le site reçoit aussitôt un démenti de l’écrivain : « Aucun livre portant ma signature n’était programmé à la fin de l’année 2013 et donc Fara M’Bow n’a pas pu le bloquer. » Péan annonce que son prochain livre portera sur le Qatar, mais il confirme qu’il enquête sur le Gabon.

Omar Bongo, l'ancien président du Gabon et père de l'actuel.Omar Bongo, l'ancien président du Gabon et père de l'actuel. © Reuters

Pierre Péan et Bilie By Nze échangent de nombreux mails par la suite. Dans un message du 17 janvier, Péan rappelle au porte-parole ses promesses concernant son ami Jean-Louis Gros, surnommé “Michael”.

  • « Cher Vous, Il ne vous a sûrement pas échappé que les rumeurs sur mon livre courent et s'amplifient depuis quelques jours. Même notre rencontre au café Castiglione est sortie. Vous comprendrez que cela ne me plaît pas du tout. Je ne sais pas avec certitude qui est à l'origine de celles-ci même si j'ai quelques idées...
 J'avais cru que vous feriez signe à Michaël et ensuite à moi au début janvier. Y a-t-il un changement de programme? Je continue mon enquête - malgré certaines rumeurs - et suis toujours disposé à vous voir. Bien à vous.
 Pierre Péan - PS. Vous avez promis un emploi en France à Michaël. Il a loupé une opportunité que je lui avais trouvée pour honorer la promesse que vous lui aviez faite. Dois-je relancer ceux qui étaient prêts à l'employer ? »

Le porte-parole du président gabonais lui répond le même jour :

  • « Merci d’avoir repris contact, écrit Bilie By Nze. Je voudrais tout de suite vous dire que je ne suis pour rien dans ces rumeurs qui causent du tort à nos entendus (sic). Je crois également avoir mon idée, mon regard a tendance à s’orienter vers Dakar. Pour Michael, j’avais en effet promis de le voir début janvier, la longue période électorale que nous avons engagée m’empêche de me déplacer en ce moment. (…) Pour l’emploi, je maintiens ce que j’ai dit. J’espère lui faire une proposition concrète à l’occasion de mon prochain séjour. »

La possibilité d’un rendez-vous au mois de mars est évoquée par les deux hommes, puis finalement annulée. Pierre Péan s’en offusque le 15 mars :

  • « Je n'ai pas l'habitude d'être traité de façon aussi cavalière. Vous avez cherché à me voir. J'ai accepté. Depuis bientôt quatre mois vous avez annulé successivement trois rendez-vous dont le dernier sans m'avoir prévenu. (…) J'en conclus que pour des raisons qui sont les vôtres vous n’avez plus envie de me voir. J'en prends acte. Péan »

Le 23 mars, Jean-Louis Gros, l’homme à qui l’on a promis un emploi, s’impatiente lui aussi. Il écrit directement à Bilie By Nze :

  • « On se connaît bien, à l'hôtel de ville de Libreville nous avons travaillé, nous avons échangé. J'ai eu la faiblesse de penser que le fait de se connaître depuis plus de 14  ans serait de nature à faciliter les échanges, voilà pourquoi à l’époque quand ton nom m'a été donné par mon Ami, je n'ai pas hésité. Tu es le porte parole du Président de la république, à ce titre tu m'as fait deux propositions : “une indemnisation, et une activité au service de ton pays en France ou en Europe”… Voilà donc quatre mois que tu m’as fait une offre de travail et une indemnisation que j’ai accepté. J’y ai évidemment cru. Et j’ai, en décembre, refusé une offre de travail trouvé par “notre” ami. Je suis maintenant dans une position financière difficile et ne vais pas pouvoir encore très longtemps faire appel à “notre” ami  pour survivre. J’ai donc besoin de connaître TRES  RAPIDEMENT TES, VOS intentions pour prendre les décisions qui s’imposent, que je prendrais évidemment en accord avec “notre” Ami. »

Bilie By Nze lui répond qu’il faut attendre. « Je suis prêt à trouver un emploi, mais pas une compensation, commente le porte-parole aujourd’hui. Nous ne lui sommes redevables en rien. » Contacté par Mediapart, Jean-Louis Gros conteste avoir « sollicité un emploi », malgré la teneur de son mail, et dit qu’il n’a « rien à voir avec le livre de M. Péan ».

En avril, les échanges se poursuivent entre Péan et le porte-parole. Pierre Péan, le 8 avril, se plaint encore « des fuites » : « Bonsoir, Maixent (ndlr : Maixent Accrombessi, le directeur de cabinet du président Ali Bongo) s’est mal comporté avec moi ! Je le soupçonne maintenant d’être à l’origine des fuites… (ndlr : sur le site Leral.net) Bien à vous PP. »

« Vous l’avez vu aujourd’hui ? », répond aussitôt le porte-parole. Péan : « Je ne l’ai pas vu mais il dit qu’il m’a vu. Et bien d’autres choses… » Un personnage « très très important » aurait fait savoir à Péan que le directeur de cabinet d’Ali Bongo se serait vanté en privé de l’avoir « acheté ». Alain Claude Bilie By Nze lui répond que « c’est totalement faux », et que ce serait « une faute politique ». Le 24 avril, devant l’insistance de Péan, il répond encore qu’il n’est « strictement pour rien » dans les rumeurs. « Quant au président de la République, jusqu’à ce qu’il me signifie le contraire, je sais qu’il est d’accord pour vous recevoir ailleurs qu’à Libreville. C’est cet ailleurs que nous recherchons », conclut le porte-parole.

Pierre Péan voit dans ce mail la preuve que la seule chose qu’il recherchait, c’était un entretien avec Ali Bongo. Mais le porte-parole insiste : « M. Péan voulait parler de sa compensation avec M. Bongo. D’ailleurs, si c’était dans le cadre d’un livre, pourquoi vouloir le rencontrer ailleurs qu’à Libreville ? »

Nouvelles Affaires africaines est en librairie depuis une semaine. Reprenant des confidences d’anciennes barbouzes de la Françafrique et une rumeur insistante, le livre veut démontrer que l’actuel président aurait été adopté par Omar Bongo, lors de l’arrivée d’enfants biafrais à Libreville au moment où la guerre civile ensanglantait le Nigeria – entre 1967 et 1970. Selon Péan, Ali Bongo serait nigérian, et son acte de naissance aurait été falsifié, ce qui l’empêcherait constitutionnellement d’être président du Gabon. L’ouvrage a provoqué l’ire des autorités gabonaises et, à la télévision, Pascaline Bongo a réuni tous ses frères et sœurs pour contester fermement cette thèse, mercredi

BOITE NOIREAlain Claude Bilie By Nze, le porte-parole du président gabonais, a été interviewé à Paris le 4 novembre, puis joint une nouvelle fois par téléphone le 5 novembre. Pierre Péan nous a répondu à deux reprises par téléphone, les 4 et 5 novembre, puis par mail. Les deux hommes nous ont transmis leurs échanges de mails. Nous avons rencontré M. Fara M’Bow, le 4 novembre, mais M. Ziad Takieddine n’a pas répondu aux messages que nous lui avons laissés. M. Jean-Louis Gros a été joint au Gabon par téléphone. L’ancien ambassadeur du Gabon, François Banga Eboumi, n’a pas voulu faire de commentaires.

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Affaire Pérol : vers un procès pour prise illégale d’intérêt

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Le dénouement de l’affaire Pérol est maintenant imminent, et le patron de la banque BPCE risque de ne plus pouvoir échapper à un procès. Selon le journal Les Échos, le parquet national financier (PNF) a rendu ce vendredi ses réquisitions définitives dans l’affaire qui empoisonne depuis cinq ans la vie du président du directoire de BPCE. Réquisitions au terme desquelles il se prononce en faveur du renvoi de François Pérol devant un tribunal correction pour y être jugé des chefs de « prise illégale d’intérêt ». Interrogé par Mediapart, le Parquet national financier nous a confirmé cette information.

Ces réquisitions viennent confirmer la longue investigation du juge d’instruction Roger Le Loire, qui était en charge de ce dossier. C’est à ce juge que va maintenant revenir la décision définitive de renvoi.

L’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée et actuel président du groupe Banques populaires-Caisses d'épargne (BPCE), François Pérol, avait été mis en examen, jeudi 6 février 2014, pour « prise illégale d'intérêt » dans le cadre d'une enquête sur les conditions de sa nomination à ce poste en 2009 (lire Ce que révèle la mise en examen de François Pérol). Par cette mise en examen puis les réquisitions du Parquet, la justice valide implicitement les enquêtes conduites à l’époque par Mediapart et qui avaient été à l’origine de toute l’affaire – investigations qui avaient même conduit François Pérol à porter plainte contre Mediapart, avant d’être condamné pour poursuites abusives.

L'enquête du juge d’instruction Roger Le Loire a porté sur les conditions de sa nomination à la tête du groupe BPCE après avoir passé deux années à l'Élysée comme secrétaire général adjoint, sous Nicolas Sarkozy. L'association Anticor et les syndicats CGT et SUD, dont les plaintes ont déclenché l'affaire, estimaient que le fait pour le dirigeant d'avoir pris en 2009 la direction de la future BPCE constituait une prise illégale d'intérêt. Selon eux, François Pérol avait pris part à l'Élysée aux négociations sur la création du groupe BPCE. Or, la loi interdit à un fonctionnaire de travailler pour une entreprise qu'il a surveillée, avec laquelle il a conclu un contrat ou qu'il a conseillée sur ses opérations dans les trois ans précédant son passage du public au privé.

Comme le raconte l’édito vidéo mis en ligne par Mediapart le 19 mars 2009, l’affaire (à laquelle Mediapart a consacré une centaine d'articles que l'on retrouvera ici) commence en 2004 quand Nicolas Sarkozy cesse d'être ministre des finances pour devenir ministre de l'intérieur. Quittant Bercy, où il occupait les fonctions de directeur adjoint de cabinet de Nicolas Sarkozy, François Pérol avait été à l'époque autorisé par la Commission de déontologie de la fonction publique à devenir associé gérant de la banque Rothschild, mais à la condition qu'il n'ait pas à traiter des dossiers dont il avait eu à connaître du temps où il était au ministère.

En date du 22 décembre 2004, la délibération de la commission était la suivante : « Un conseiller au cabinet du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, précédemment chef du bureau “endettement international et assurance crédit” à la direction du Trésor, peut exercer une activité d'associé gérant au sein d'un département d'une banque d'affaires sous réserve qu'il s'abstienne de traiter toute affaire dont il a eu à connaître dans ses fonctions à la direction du Trésor et au cabinet du ministre, ainsi que de conseiller la direction du Trésor. »

Cette interdiction visait en particulier les Caisses d'épargne dont le haut fonctionnaire s'était auparavant occupé. Or, dès 2006, François Pérol a passé outre cette interdiction puisqu'il est devenu banquier conseil des Banques populaires, dans le cadre de la création de la banque d'investissement Natixis, création conçue à parité avec... les Caisses d'épargne. Au même moment, Matthieu Pigasse, associé gérant de la banque Lazard (et actuel copropriétaire du Monde), trahissait son client d’origine, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), passait avec armes et bagages du côté des Caisses d’épargne, qui venaient de violer leur pacte d’actionnaire avec la CDC, et conseillait la banque pour ce même projet de Natixis.

Dans une enquête, Mediapart avait même donné une évaluation des gains réalisés par François Pérol dans cette opération. Nous avions écrit que, selon notre enquête, la banque Rothschild avait perçu environ 10 millions d'euros d'honoraires et que l'usage voulait que la banque verse à l'associé gérant une gratification de l'ordre de 15 à 20 %, soit un gain au profit de François Pérol d'environ 1,5 à 2 millions d'euros. C’est l’un des motifs qui avaient conduit l’ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy à porter plainte contre nous, plainte qui s’est retournée finalement contre lui, puisque les Caisses d’épargne ont été condamnées pour poursuites abusives.

Puis, lors du changement de présidence de 2007, François Pérol quitte la banque Rothschild et reprend du service auprès de Nicolas Sarkozy, en qualité cette fois de secrétaire général adjoint de l’Élysée. Et là encore, il croise sur sa route les Caisses d’épargne. Au lendemain de la faillite de la banque Lehman aux États-Unis, l’Écureuil est en effet l’une des banques françaises les plus affectées par la crise, d’autant que l'établissement perd près de 751 millions d’euros à la suite d’une spéculation hasardeuse sur les marchés financiers, en octobre 2008.

Jouant les banquiers d’affaires, François Pérol a donc pris les choses en main depuis l’Élysée. Convoquant les présidents des Caisses d’épargne et des Banques populaires dans son bureau, il leur a ordonné de précipiter la fusion à laquelle ils songeaient depuis quelque temps. Et pour finir, quand la fusion a pris forme, au début de 2009, François Pérol a finalement quitté l’Élysée pour prendre la présidence des deux banques, puis de l’ensemble fusionné, rebaptisé BPCE.

À l’époque, l’affaire avait suscité des polémiques, car le code pénal interdit ce type de pantouflage. Les articles 432-12 et 432-13 du code pénal punissent quiconque contrevient à cette disposition : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

Le scandale avait alors été d’autant plus grand que le président de la Commission de déontologie, Olivier Fouquet, s’était effectivement pris les pieds dans cette affaire. Alors que François Pérol n’avait pas saisi la Commission pour avoir son avis, le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, avait demandé au président de la Commission son opinion informelle. Et celui-ci s’était prêté au jeu en dehors de la procédure régulière, et avait mis son institution en danger en faisant valoir que ce pantouflage ne lui semblait pas irrégulier. Indignés, deux membres de la Commission de déontologie avaient alors présenté leur démission « pour l’honneur ». On retrouvera la chronologie du début de cette affaire dans « l’édito vidéo » mis en ligne le 18 mars 2009 par Mediapart.

Or, le plus paradoxal, c’est qu’ensuite François Pérol est constamment parvenu à passer entre les mailles des filets de la justice, en usant d’un argument principal, celui-là même qu’avait évoqué Olivier Fouquet dans son échange informel avec Claude Guéant : un membre de cabinet ministériel ou du cabinet de l’Élysée n’use pas vraiment de « l’autorité publique » au sens où l’entend le code pénal ; il a seulement une fonction de conseil, auprès du ministre ou du chef de l’État, pour l’éclairer dans ses choix.

Quand les syndicats Sud et CGT Caisses d’épargne – qui ont joué un rôle majeur et courageux dans l’affaire – se sont résolus à porter plainte pour prise illégale d’intérêt contre lui, c’est donc cette version que François Pérol a fait valoir : même si les patrons des deux banques ont été vus dans son bureau de l’Élysée, il a argué du fait qu’il ne s’agissait pour lui que de préparer la décision finale de Nicolas Sarkozy. Et c’est ainsi qu’il a franchi sans encombres tous les obstacles judiciaires sur sa route.

La première épreuve n'a guère été difficile. Sous le précédent quinquennat, le Parquet a d’abord ouvert une enquête préliminaire et, après ne s’être donné la peine d’entendre qu’un seul témoin, François Pérol lui-même, il s'est ridiculisé en classant l’affaire.

Sans se décourager, les deux syndicats Sud et CGT des Caisses d’épargne ont alors de nouveau déposé plainte, mais cette fois avec constitution de partie civile. Un juge d’instruction a donc été saisi, en l’occurrence Roger Le Loire. Lequel juge d’instruction a rendu le 18 juin 2010 une ordonnance estimant qu'il y avait « lieu à informer », le rôle de François Pérol méritant des investigations.

Voici ce que disait cette ordonnance :

On apprenait en effet dans cette ordonnance que le juge d'instruction disposait depuis le printemps 2010 de documents qui lui avaient été adressés de manière anonyme, et qui soulignaient la très forte implication de François Pérol dans la vie des Caisses d'épargne et de ses différents partenaires.

Le juge Le Loire mentionnait que « le 29 mars 2010 un courrier anonyme est arrivé » à son cabinet. « Il s'agit d'échanges de mails datés des 29 mai 2007, 5 juin 2007 et 1er août 2007 où apparaissent les noms de Messieurs François Sureau (avocat des Caisses d'épargne, au cabinet Darrois), Charles Milhaud (à l'époque patron de la banque) » et différentes autres personnalités concernées par ce dossier. Et le juge ajoute : « À la lecture de ces mails, il est question du rôle de Monsieur François Pérol dans ce qui n'était à l'époque que le projet de rapprochement du Groupe Caisse d'épargne et de la Banque fédérale des Banques populaires. » Pour le juge, « ces nouveaux éléments nécessitent également la mise en œuvre d'investigations ».

Quand on connaît le contenu précis de ces mails, on comprend mieux les raisons pour lesquelles le juge estimait que des investigations complémentaires étaient nécessaires. Dans l'un des courriers en possession du juge et dont Mediapart a eu connaissance, l'une de ces personnalités écrit le 29 mai 2007 qu'il vient de passer « à peu près deux heures avec Pérol » et que ce dernier est « désireux de favoriser une belle opération stratégique comportant démutualisation totale ou partielle ».

Écrit juste au lendemain de l'élection présidentielle, ce mail retenait tout particulièrement l'attention. Il suggérait que la fusion des Caisses d'épargne et des Banques populaires n'avait pas été décidée par le chef de l'État, dans la turbulence de la crise financière qui s'est creusée en 2008, pour sauver ces dernières. Non, cette « belle opération stratégique », François Pérol aurait commencé à y travailler dès les premiers jours de son arrivée à l'Élysée et s'en serait ouvert longuement à certains de ses visiteurs. Avec en plus le projet complémentaire – et secret – d'une « démutualisation totale ou partielle » qui fait toujours aux Caisses d'épargne l'effet d'un chiffon rouge.

Or, malgré tout cela, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rendu le 3 mars 2011 un arrêt estimant qu’il n’y avait pas matière à instruction. Pour finir, les plaignants ont donc été en cassation. Avec en bout de course, le résultat que l’on sait : la juridiction a estimé qu’il fallait ouvrir une instruction (lire Pérol : la cour de cassation ordonne l’ouverture d’une information judiciaire).

Presque trois ans plus tard – ainsi va la justice, à pas parfois très lents –, l'instruction a donc débouché en février 2014 sur cette spectaculaire mise en examen de François Pérol, l’un des plus proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy, devenu dans l’intervalle l’un des principaux banquiers de la place de Paris, puis aujourd’hui sur ces réquisitions de renvoi du Parquet.

Maintenant qu’elle est relancée, l’affaire va donc avoir d’innombrables retombées. Et dès à présent, on peut en tirer plusieurs enseignements.

C’est un séisme qui se profile dans le monde bancaire. Car François Pérol est désormais en sursis. Tout le monde de la finance et du CAC 40 avait fait bloc autour de lui et c’est maintenant, comme dans un choc en retour, ces mêmes milieux de la finance qui sont atteints par ce discrédit, eux qui ne savent décidément pas se réguler par eux-mêmes.

Le séisme va aussi atteindre la Sarkozie, car François Pérol en était l’une des chevilles ouvrières. Homme de confiance, il a été au cœur d’une bonne partie des manigances du précédent quinquennat. À titre d’illustration, il est l’un de ceux, avec Claude Guéant, qui dans le premier cercle des proches de Nicolas Sarkozy ont organisé le célèbre arbitrage en faveur de Bernard Tapie, lequel a valu ensuite à certains de ces protagonistes une cascade de mises en examen pour « escroquerie en bande organisée ». À plusieurs reprises, François Pérol a ainsi reçu Bernard Tapie à l’Élysée, à cette époque. Et plus récemment, il est le banquier qui a le plus lourdement pesé pour que le pool des banques créancières accepte d’effacer presque 165 millions d’euros au profit de Philippe Hersant et de Bernard Tapie afin que les deux associés – aujourd’hui en conflit – puissent racheter à bon compte les décombres du groupe Hersant Media.

En outre, de nombreux enseignements peuvent d’ores et déjà être tirés de l’affaire.

Sur le rôle de certains syndicats, comme Sud et CGT Caisses d’épargne, qui ont eu le courage, bousculant l’inertie de la justice, de relancer leurs plaintes jusqu’à obtenir cette victoire symbolique que constituent d'abord la mise en examen de François Pérol, puis cette décision de renvoi prise par le Parquet.

Sur l'inertie d'une justice qui, effectivement, ne parvient pas faute d'indépendance à faire son office ou qui rencontre sur sa route d'invraisemblables obstacles. Faut-il que notre justice soit malade – et notre démocratie avec elle – pour que ses investigations n'entrent dans le vif du sujet qu'avec cinq ans de recul ?

Sur le discrédit aussi de la Commission de déontologie de la fonction publique, qui a accepté qu’on la piétine. Depuis cette histoire lamentable, nul ne s’est plus intéressé à cette question de l'éthique publique. La Commission de déontologie a repris son office, comme si de rien n’était, mais chacun sait qu’elle n’a plus la moindre autorité. Comment en aurait-elle une, elle qui a accepté ce que la justice soupçonne être désormais une « prise illégale d’intérêt » ? Et l'on comprend bien ce qu’il y a de ravageur dans ce déshonneur de la Commission de déontologie. Celle-ci sait se montrer intraitable contre le sous-chef d’une direction départementale de l’équipement au motif qu’il aurait pu boire un verre dans un bistrot avec un entrepreneur qui a construit de travers un rond-point dans un village. Mais cette même Commission ne dit plus rien, et même s’aplatit, dès que le mauvais exemple vient du plus haut : de l’Élysée.

Et puis, qu’il nous soit permis de le dire, cette affaire révèle aussi le rôle indispensable d’une presse indépendante. Car le scandale des Caisses d’épargne, c’est effectivement Mediapart qui l’a révélé, dès sa création, dans les premiers mois de 2008 – et même avant cela, sur le pré-site de Mediapart. Le départ de François Pérol de l’Élysée pour la présidence des Caisses d’épargne, c’est encore Mediapart qui l’a révélé, en pointant sur-le-champ le fait que ce pantouflage était sans doute illégal. Et les pantalonnades de la Commission de déontologie, comme beaucoup d’autres volets de l’affaire, c’est encore et toujours Mediapart qui en est à l’origine. Ce qui nous avait donc valu à Edwy Plenel, en sa qualité de directeur de la publication, et à l’auteur de ses lignes, onze mises en examen des anciens dirigeants des Caisses d’épargne, plus une douzième de François Pérol. Des procédures, comme nous l’avons signalé, qui se sont retournées contre leurs auteurs puisque nous les avons fait finalement condamner pour poursuites abusives.

Bref, c’est dire que la mise en examen de François Pérol, puis ces réquisitions du Parquet revêtent une grande importance. Avec cette épée de Damoclès judiciaire au-dessus de la tête, François Pérol est désormais un grand banquier en sursis. À cause aussi de la symbolique de ce rebondissement : au travers de François Pérol, c’est un peu la Sarkozie, et le système qu’elle a incarné, qui est aujourd'hui enfin rattrapée par la justice.

BOITE NOIRECet article reprend en grande partie l’article retraçant l’affaire Pérol que nous avions mis en ligne le 6 février 2014, lors de la mise en examen du patron de BPCE. L’article en question est ici.

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Après la mort de Rémi Fraisse, la gauche peut-elle continuer comme avant ?

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Assumer un mort, et vivre avec. Le PS au pouvoir semble faire comme si de rien n’était, depuis la mort de Rémi Fraisse, un jeune botaniste de 21 ans, en marge du rassemblement de Sivens (Tarn) il y a deux semaines. Une mort dont les circonstances laissent entrevoir un mensonge d’État (lire nos révélations), qui a été évacuée en une minute par le président de la République au tout début de son émission sur TF1 jeudi, où il a indiqué ne pouvoir « admettre qu'un jeune meure pour ses idées » et devoir « la vérité à sa famille », assurant en tirer « toutes les conclusions en terme de responsabilités ».

Dans le détail, le drame de Sivens soulève des questions profondes pour la gauche, en responsabilité ou non. Sur son rapport à la jeunesse comme à une radicalité qu’elle ne saisit plus, sur son appréhension des méthodes policières, ou sur sa relation à l’écologie ou à la légitimité démocratique.

Chez les socialistes, l’embarras est grand, mais à de très rares exceptions (comme Delphine Batho ici ou Pouria Amirshahi, qui « interroge la légalité de l'acte policier » à Sivens), le malaise ne s’exprime pas publiquement. Comme si la progressive dépolitisation du PS devait aujourd’hui faire place à une déshumanisation de moins en moins inconsciente, sous couvert de responsabilité. Après une semaine à faire corps derrière Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, ceux qui ne sont pas dans le déni ne parlent que mezzo voce, et dans le huis clos des instances du parti. Comme lors du bureau national, ce mardi, où les plus offensifs auront été les anciens leaders d’organisation de jeunesse, et notamment les dirigeants (nombreux) ayant connu en première ligne les mouvements contre la loi Devaquet en 1986, théâtre de la mort de Malik Oussekine.

Aux dires de plusieurs participants, c’est Julien Dray qui a été le plus virulent au sein du BN, évoquant sans précaution une « bavure policière » et rappelant les protestations passées des socialistes contre les « tirs tendus » policiers. Plus mesuré, David Assouline a demandé à « faire attention à ne pas perdre ce qui a fondé nos engagements et notre jeunesse ». Malek Boutih et Pascal Cherki embraieront, critiquant l’absence d’empathie après la mort du jeune homme, avant que Jean-Christophe Cambadélis ne parle de « faute politique », pour qualifier le retard dans les réactions du gouvernement, dont l’absence d’humanité en met plus d’un mal à l’aise. « On peut aussi comprendre que l’exécutif s’interroge et ne veuille pas affaiblir l’institution policière en la remettant en cause », souffle un secrétaire national.

Car la grande majorité des dirigeants interrogés réfutent en bloc toute inscription dans l’histoire du sinistre panthéon de ceux qui, à gauche, n’ont pas hésité à réprimer durement les manifestations au prix du sang, de Guy Mollet à Georges Clemenceau, en passant par Jules Moch. « Cazeneuve n’a rien à voir avec Moch, il est très ébranlé et n’a voulu à aucun moment faire tirer sur la foule », s’insurge un membre de la direction du PS. Qui refuse tout autant une quelconque responsabilité de Manuel Valls : « Ce n’est pas parce qu’il a dit qu’il ne céderait pas à Sivens que c’est un appel à la répression. » « L’affaire est complexe et invite à la retenue, estime Marie-Pierre de la Gontrie, secrétaire nationale aux libertés publiques. On ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé et l’hystérisation politique fait qu’on ne sait plus de quoi on parle vraiment. » Pour un ministre interrogé ce jeudi encore, « il n’y a pas de problème de violences policières » et la mort de Rémi Fraisse est un « malheureux accident ».

Manuel Valls, François Hollande et Bernard CazeneuveManuel Valls, François Hollande et Bernard Cazeneuve © REUTERS/Philippe Wojazer

Depuis le drame, seuls deux communiqués ont été publiés par le PS sur le sujet. L’un, vendredi dernier, de Cambadélis pour dénoncer les tags sur les locaux du parti en marge des affrontements à Nantes et Lille, et affirmant que le PS « s'oppose à la violence d'où qu'elle vienne ». L’autre, mardi soir, de la secrétaire nationale à la sécurité, Olivia Polski, où le parti fait part de sa « tristesse et incompréhension », et estime que si « les policiers et gendarmes n’ont pas non plus à subir des mises en cause déplacées », c’est à la justice « d'éclaircir les circonstances exactes de ce drame et de punir, le cas échéant, les responsables ».

Par ailleurs, très peu de responsables socialistes se sont exprimés sur les conséquences du drame, au-delà d’un hommage à la famille. Ceux interrogés par Mediapart tiennent à peu près la même ligne. En substance : la droite aurait enterré une telle affaire et se comporte d’ailleurs aujourd’hui sans humanité, là où la gauche suspend l’usage de grenades offensives, permet une enquête judiciaire et peut-être des sanctions. Nombreux sont aussi ceux qui louent le rôle apaisant de Ségolène Royal, la ministre de l’écologie qui reprend le dossier en main.

Au-delà de cette prudence, le moment révèle aussi une méconnaissance de cette nouvelle radicalité façon « insurrection qui vient », éloignée des “autonomes” qu’ils ont connus du temps de leurs manifs à eux. « Ce sont des groupes sans frontières politiques, en tout cas pas les mêmes que celles qu’on connaissait », assure un dirigeant ancien leader étudiant, qui note aussi qu'« à notre époque, on avait des services d’ordre qui contenaient les rassemblements, ce qui ne semble pas être franchement le cas pour les écolos ».

Ce décalage entre le PS et cette frange radicalisée de la jeunesse mobilisée s’est aussi illustré dans un échange tendu entre Mathieu Burnel, du groupe de Tarnac, et la porte-parole du PS, Juliette Méadel, lors de l’émission Ce soir où jamais. Alors que Burnel concentre rapidement sa parole sur un appel à manifester et à en découdre avec la police, Méadel lâche, un brin désemparée : « Vous voulez tabasser les flics, mais les flics c’est l’État, et l’État c’est nous »

Un responsable de la gauche du parti confie de son côté sa surprise : « On pensait qu’il n’existait pas de “génération Bérurier noir” comme on l’a connu dans les années 80, “poussant au cul” le PS. En fait si, elle existe, mais elle se mobilise autour de l’écologie. Et comme ce n’est pas notre paradigme, on ne la voit pas. » « Beaucoup, y compris à la gauche du parti, sont pris en tenailles entre leur soutien à la jeunesse et leur attachement à la démocratie représentative », ajoute Guillaume Balas, responsable du courant Un monde d’avance (proches de Benoît Hamon). De plus en plus de voix se font d’ailleurs entendre au parti pour demander un « référendum local » sur le sort du barrage de Sivens, comme le député Pouria Amirshahi (lire ici). Façon de sortir de cette « démocratie à la papa », où le pouvoir légal ne souhaite jamais voir sa légitimité remise en cause.

Certains socialistes expliquent aussi s’être retrouvés « piégés entre Duflot et Valls » et avoir retenu leur réaction publique, au-delà d’un tardif hommage à Rémi Fraisse. « Il doit pouvoir y avoir une parole entre le silence gêné et les exagérations et instrumentalisation… », juge ainsi le sénateur David Assouline. Le ressentiment envers Cécile Duflot revient aussi souvent dans les bouches socialistes, qui l’accusent sur tous les tons de récupération, même si, à la gauche du parti, on lui reconnaît « une émotion sincère ». Celle-ci assume ses propos initiaux et martèle son indignation, dans Le Monde comme au Grand journal sur Canal +. Et jusque dans l’hémicycle, où elle imposa mardi quelques secondes de silence à un Claude Bartolone que l’on a connu plus humaniste…

« Ce qui s’est passé acte un divorce réel, plus seulement stratégique, estime Stéphane Sitbon, un proche de l’ancienne ministre. Valls n’a pas rompu avec la “doctrine Tarnac” de Sarkozy, selon laquelle l’extrême gauche est traitée comme un ennemi intérieur, avec l’hyper-répression qui va avec. » Déjà, lors des dernières universités, l’ancienne ministre et leader d’EELV avait laissé transpirer ses désirs d’opposition de gauche. Ulcérée par l’attitude du gouvernement, alors qu’elle avait alerté François Hollande et Bernard Cazeneuve de la situation inflammable à Sivens avant que le drame ne survienne, elle réapparaît en première ligne d’une écologie de combat. Et n’entend rien lâcher, même si certains ministres la traitent de « gauchiste » ou s’indignent d’une volonté cachée d’instrumentalisation. « Sur les libertés publiques, il n’y a pas de tergiversation possible avec elle, explique Sitbon. Fut un temps pas si lointain dans l’opposition, où elle était allée rencontrer et soutenir le groupe de Tarnac. Comme un certain François Hollande. »

Aux côtés de Duflot, les divisions récurrentes du mouvement se sont effacées derrière une contestation unanime des leaders de EELV. José Bové (ici) comme Jean-Vincent Placé (ici) ou Noël Mamère (ici) n’ont ainsi pas épargné le ministre Bernard Cazeneuve. « Chez nous, les divisions sont d’ordre stratégique, mais il y a une vraie unité de valeurs sur les fondamentaux écolos, dit un parlementaire. On n’est pas le PS… »

Sous la pression médiatique et politique, les écolos ont toutefois peu à peu condamné les violences entre policiers et activistes, en les renvoyant dos à dos, à l’exception de quelques-uns disant leur compréhension. « Le parti a une culture non-violente, depuis sa création », dit Sitbon. « J’ai eu des pratiques politiques jugées violentes, estime de son côté Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV et ancienne présidente d’Act-up. Quand des gens s’en prennent à du mobilier civil ou s’opposent aux forces de l’ordre, ça dit forcément quelque chose de la crise démocratique extrêmement forte. On ne peut pas mettre un voile là-dessus en espérant que ça passe. Même si malgré tout, nous écologistes, on ne se reconnaît pas dans le mode d’action des zadistes. »

Ce vendredi, elle a, au nom de son parti, tenu « à réaffirmer sa demande de transparence et de vérité » face « aux soupçons de mensonge d’État », estimant, au lendemain de nos révélations, que « le président de la République doit lever le voile sur la manière dont son gouvernement a communiqué après que (le décès est) advenu ». Sans grand espoir de réponse. Pour autant, la rupture ne semble pas encore consommée pour les écologistes. Ce mercredi, lors de son point-presse au siège d’EELV, Emmanuelle Cosse avait ainsi réaffirmé la « disponibilité » de son mouvement, « donner du sens à la majorité, autour de l’ambition qui nous animait en 2012 ».

Cette relative retenue se retrouve aussi dans la maigre mobilisation des rassemblements pacifiques du dimanche 2 novembre (lire ici), illustrant la faiblesse structurelle d’une écologie militante atomisée. « Bien sûr que j’aurais préféré qu’il y ait des manifestations de rue énormes, soupire Emmanuelle Cosse. Dans nos rangs, il y a des gens écœurés, tristes. » Un autre dirigeant écolo estime que « la façon dont on a essayé de décrédibiliser la personne de Rémi Fraisse, comme la focalisation sur les violences urbaines, a aussi pu jouer sur la mobilisation ». Celui-ci note également que seule la Fédération nature environnement (FNE, à laquelle appartenait Fraisse) avait appelé au recueillement pacifique.

Manifestation lycéenne en hommage à Rémi Fraisse, le 6 novembre à ParisManifestation lycéenne en hommage à Rémi Fraisse, le 6 novembre à Paris © Louise Fessard

« C’est la jeunesse qui se mobilise, sur des bases écolos, et cette jeunesse est fondamentalement inorganisée, juge Stéphane Sitbon. Les élus du parti peuvent être des porte-voix et porter la contestation dans la sphère politique, mais n’ont pas vocation à organiser le mouvement social. » Également présent dans le Tarn lors du rassemblement ayant précédé le drame, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi appelé à la démission de Bernard Cazeneuve. « Le ministre doit s’en aller car il doit assumer devant la société la responsabilité de la mort du manifestant, écrit l’ancien candidat à la présidentielle sur son blog. Car c’est l’échec suprême de la tâche de maintien de l’ordre dans une démocratie pacifique, quand une opération de police aussi banale tourne à l’opération militaire. »

Au Front de gauche, le PG et Ensemble soutiennent aussi le mouvement (tout comme le NPA et Nouvelle Donne), appelant eux aussi à la démission soit de Cazeneuve, soit de Valls (comme la députée Isabelle Attard), avec l'espoir de parvenir à amplifier la mobilisation. Ce jeudi, celle-ci est partie de façon spontanée dans les lycées parisiens (dont une vingtaine a été bloquée ces jeudi et vendredi - voir notre portfolio). Sans que l’on ne sache encore s’il s’agit d’une protestation éphémère (comme pour l’expulsion de Leonarda ou contre le FN, au lendemain des européennes), ou d'un mouvement pouvant s’inscrire dans la durée.

De quoi sortir la contestation de son relatif anonymat, face aux silences et dénégations ministérielles ? Une hypothèse à laquelle ne croit pas du tout un ministre, interrogé ce jeudi : « Chaque défilé de protestation ne présage pas d’un embrasement général. La radicalité qui s’exprime est d’ailleurs un signe qu’on est davantage dans la marginalité que dans la contestation de masse. » Restées jusqu'ici en retrait, les organisations lycéennes et étudiantes, pour la plupart embarassées par leur proximité avec le PS, rejoignent finalement le mouvement, en ordre divisé. La Fidl annonce une manifestation nationale pour jeudi prochain, estimant qu'« il est temps pour la jeunesse oubliée de se mobiliser » (lire ici). L'Unef et l'Union nationale des lycéens (UNL) appellent de leur côté à se rendre à la manifestation parisienne, place de la Bastille ce samedi, alertant le gouvernement « sur la fracture grandissante entre les jeunes et les pouvoirs publics » (lire ici). In extremis, le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) a rallié la manifestation, dans un communiqué envoyé après que celle-ci a commencé…

 

 

Derrière ce rassemblement, un collectif d’organisations vient enfin de se créer, allant de la Fédération anarchiste à EELV, en passant par Attac, le syndicat Solidaires, le NPA, le PCOF ou le PG (lire ici l'appel à manifester). Le PCF reste, lui, en retrait de la mobilisation, même si localement ses élus ont voté contre le projet de barrage contesté au conseil général. Le secrétaire national du parti, Pierre Laurent, entend cependant profiter du moment pour passer à l’action, et va ainsi appeler ce week-end, lors de la conférence nationale du PCF, à la construction concrète de l’alternative.

« Sivens doit agir comme un révélateur pour la gauche en général et les écologistes en particulier, explique le porte-parole du PCF Olivier Dartigolles : on voit bien aujourd’hui combien leur accord faisait l’impasse sur un objectif commun de changement de modèle, et à quel point toute recherche d’alternative ne peut en fait pas être discutée. » Pour le dirigeant communiste, « même si on respecte les cheminements de chacun, il est temps de passer à l’action, car le surplace et les abstentions à répétition renforcent Valls, qui donne lui l’impression d’avancer, même s’il dérive ». Or, ajoute Dartigolles, « le départ de Valls doit désormais être un objectif commun ».

BOITE NOIRESauf mention contraire signifiée par un lien, toutes les personnes citées, sous couvert d'anonymat ou non, ont été interrogées entre lundi et jeudi, certaines par téléphone ou en face-à-face. Cet article a été mis à jour ce vendredi dans la soirée, après que l'Unef et l'UNL ont appelé à manifester samedi. Puis à nouveau mis à jour ce samedi en début d'après-midi, avec l'appel à manifester du MJS.

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Hubot roi ou le spectacle de la souveraineté perdue

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En acceptant de participer à l’émission de TF1, François Hollande voulait sans doute endiguer le discrédit et « recharger » une popularité en berne, qui a battu, avec un taux de 12 % de Français satisfaits en octobre, un nouveau record.  Gouverner, aujourd’hui, c’est résister au discrédit. Le récent naufrage d’Obama aux dernières élections de mid-term en témoigne une fois de plus.

Aux lendemains de sa réélection en 2004, George W. Bush avait déclaré : « J'ai acquis un capital (politique) pendant la campagne et j'ai l'intention de le dépenser. » Mais le capital accumulé pendant les campagnes s’use de plus en plus vite à l’épreuve du pouvoir, les hommes d’État se « déchargent » et doivent donc être « rechargés » plusieurs fois en cours de mandat par toutes sortes d’actions symboliques et de performances. C’est la nouvelle condition néopolitique.

© Reuters

La légitimité que donne aux gouvernants l’élection au suffrage universel ne suffit plus à la durée de leur mandat. Comme les hubots (moitié humains, moitié robots) de la série d'Arte Real Humans, les hommes d’État sont tenus de « recharger » leur crédit de plus en plus souvent. La télévision leur offre pour cela des millions d’écrans qui sont autant de stations-service, de bornes de rechargement. C’est à la télévision que les gouvernants sont tenus de passer pour recharger leur crédit. Le président normal n’échappe pas à la règle. À 12 % de popularité, et à mi-mandat, il avait un besoin urgent de se recharger. Il s’est donc rendu sur TF1.

Mais la TV n’est pas seulement une borne où se brancher discrètement, à la sauvette, c’est une scène insupportablement éclairée. La scène d’une épreuve perverse : pour se recharger, le hubot politicus doit masquer son caractère humanoïde et se dévoiler comme un être humain. C’est le paradoxe de la « normalité » artificielle. Pour se recharger en sympathie, le hubot politicus doit prouver qu’il est normal, faire la preuve de ses sentiments, témoigner de sa proximité avec les humains, dévoiler son intimité et son autonomie. Bref : faire oublier qu’il est là simplement pour se « recharger » et donner des gages de son « humanité » intrinsèque. C’est le prix à payer pour se recharger...

C’est pourquoi il s’agit moins de juger la prestation du chef de l'État que d'analyser le dispositif même de ce genre d'émissions, véritable piège pour les hommes politiques. D'où la régie scrupuleuse qui préside à sa mise en scène. Les lois de la représentation politique, avec leurs rites et leurs protocoles, laissent la place à une logique de transgression et d’exhibition, les deux carburants de la captation des attentions. L’écran de TV est désormais ce trou noir qui aspire ce qu’il reste du rayonnement du politique. Plus l’homo politicus est visible, plus il disparaît. Il disparaît, à son corps défendant, au su et au vu de tous, au comble de son exposition. Il disparaît à la une. Non plus le règne de l’État mais sa régie. On n’a pas assez souligné le fait que TF1 avait choisi pour réaliser cette émission le réalisateur de « The Voice ». « The Voice » et non pas la Voix de la France.

Le dispositif de l’émission fonctionne comme un piège. Un piège en trois temps, trois actes comme une pièce de théâtre, ou en trois plateaux comme dans un jeu vidéo : 1. L’exposition de l’intime ; 2. Le test de proximité ; 3. L’épreuve de crédibilité...  À chaque épreuve, son interlocuteur et un dispositif : 1. Le prêtre (Thierry Demaizière) et le dispositif de la confession pour l’exposition de l’intime ; 2. Un échantillon de Français pour le test de proximité ; 3. L’examinateur Yves Calvi pour l’épreuve de crédibilité. À ces trois tests, François Hollande a répondu en trois phrases types. Test de l’intime : « Je me cramponne. » Test de proximité : « J’aime les gens. » Épreuve de crédibilité : « Toutes les réformes, je les ai décidées. »

Si on pouvait reprocher à Nicolas Sarkozy une forme d’exhibitionnisme, d’impudeur stratégique (« Avec Carla c’est du sérieux »), personne ne peut en accuser François Hollande qui, sans doute plus par tempérament que par calcul, répugne à afficher sa vie privée. Pourtant le résultat a été le même. Nicolas Sarkozy transgressait l’étiquette. Il fit entrer le smartphone et le jogging à l’Élysée. François Hollande, lui, est piégé par le dispositif. Il connaît un désaveu sans précédent sous la Cinquième République. C’est le résultat d’une série de batailles perdues qui ont entraîné le pays dans une spirale qui délégitime la fonction présidentielle.

En deux ans et demi, François Hollande a perdu successivement la bataille des mots en adoptant le langage de la droite en matière économique (coût du travail, charges sociales, endettement ...) ; il n’a pas su proposer un récit du changement qui soit capable de donner du sens à son action ; il a subi le démenti des chiffres (sur les 3 % de déficit, l’inversion de la courbe du chômage, le retour de la croissance...) ; il a perdu la bataille des valeurs avec les affaires Cahuzac et Morelle et les révélations de son ex-compagne Valérie Trierweiler... Le président timide s’est fait bizuter rue du Cirque par la presse people. Et son casque intégral ne l’a pas vraiment protégé, il est même devenu le corps du délit, une sorte de masque, de « voile » présidentiel qui fut considéré comme une transgression de l’injonction à la transparence.

Depuis Le Coup d’État permanent de François Mitterrand, les opposants à la Cinquième République ont constamment dénoncé son caractère monarchique, le rôle et la place d’un président élu au suffrage universel, érigé au sommet de la pyramide du pouvoir qui décide de tout et qui est pendant la durée de son mandat le maître du temps politique. Or, que constatons-nous depuis une dizaine d’années ? L’homme réputé le plus puissant de la nation est un homme qui doit négocier ses marges de manœuvre avec la commission de Bruxelles ou la chancellerie à Berlin. Le chef d’État qui détient le feu nucléaire est soumis aux injonctions de Washington et  de son armée à réintégrer le commandement de l’OTAN. Depuis le traité de Maastricht et l’acte unique européen, c’est un souverain sans monnaie ni frontières.

La Cinquième République et la fonction présidentielle chancellent sous les coups de boutoir conjugués que lui ont portés la révolution néolibérale, les abandons de souveraineté au profit de l’Union européenne de Maastricht à Lisbonne, les différentes lois de décentralisation, l’apparition des chaînes d’info en continu et l’explosion d’Internet et des réseaux sociaux... La souveraineté de l’État fuit de partout vers le haut : l’Union européenne, les marchés financiers et leurs agences de notation, les multinationales, les organismes supranationaux (FMI, OTAN...). Vers le bas : au profit des régions qu’on se propose d’agrandir et de renforcer. L’histoire récente de la Cinquième République est ainsi l’histoire d’un strip-tease au cours duquel le monarque se dépouille de ses pouvoirs constitutionnels au profit d’organes transnationaux non démocratiques. Et pourtant, notre vie politique médiatique continue à se concentrer sur l’élection au suffrage universel qui surdétermine toutes les stratégies des acteurs.

Le déclin de la souveraineté étatique est un phénomène mondial à la croisée de plusieurs révolutions simultanées : 1. Dans l’histoire du capitalisme à travers la financiarisation et la mondialisation des marchés ; 2. Dans l’histoire de l’Europe avec la construction européenne qui opère une déconstruction des États-nation qui la composent ; 3. Dans l’histoire des technologies de l’information et de la communication qui surexpose et banalise les hommes politiques et 4. dans l'histoire politique avec la fin de la guerre froide et l’intégration de la France au bloc occidental sous l’égide de l’OTAN.

Partout dans le monde, les États sont confrontés à cette crise de la souveraineté. Elle est aggravée en Europe par la construction européenne qui a, de manière concertée, organisé des abandons massifs de souveraineté (la monnaie et le contrôle des frontières). La France est le pays européen où cette crise est la plus aiguë car la Cinquième République entretient l’illusion d’un homme tout-puissant.

À l’abri de l’élection présidentielle qui accrédite tous les cinq ans le mythe d’une nation souveraine et dope l’illusion d’un choix collectif,  c’est « un gouvernement d’affaires courantes » qui  enjambe les élections. L’essentiel se joue ailleurs. L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, en synchronisant tous les mandats, n’ont fait qu’accentuer l’affaiblissement de la fonction présidentielle. Ce qui allait de soi sous le septennat, c’est-à-dire la suprématie de la fonction présidentielle, doit désormais être sans cesse réaffirmé sous le quinquennat. « Manuel Valls applique la politique que j’ai moi-même fixée », a rappelé sur TF1 le président François Hollande à l’intention de son premier ministre dans une parodie voulue de Jacques Chirac recadrant Nicolas Sarkozy : « Je décide, il exécute ! »

Le président et son premier ministre.Le président et son premier ministre. © Reuters

C’est pourquoi le régime présidentiel court à sa perte. L’élection au suffrage universel ne suffit plus à donner la légitimité pour gouverner. Elle apparaît comme une étape de plus dans la spirale du discrédit qui ronge nos institutions démocratiques. C’est le paradoxe terminal de la Cinquième République. François Hollande en est le produit.

Ce n’est donc pas seulement la faillite ou l’échec d’un homme, c’est le crash d’un système politique. Ses opposants ne devraient pas trop s’en réjouir, car c’est tout le spectre politique qui est entré en décomposition, non pas le PS seulement mais tous les partis, non pas François Hollande seulement mais tous les hommes politiques embarqués sur le pont de ce Titanic qu’est devenue la Cinquième République.

Le général de Gaulle avait opté pour un régime présidentiel dans le but de restaurer l’autorité de l’État minée de l’intérieur par ce qu’il appelait « le régime des partis ». Le général de Gaulle se méfiait des partis à cause du jeu des ambitions et des rivalités personnelles qui minaient l’autorité de l’État. Mais la Cinquième République s’est accommodée du régime des partis. Le président de la République n’est plus un obstacle à leur influence dissolvante. Bien au contraire ! En leurs seins, la bataille pour l’élection présidentielle ne s’interrompt jamais. Ils sont devenus des appareils partisans, des machines financières et des écuries militantes pour la conquête du pouvoir.

La crise au sein de l’UMP depuis l’automne 2012, qui a atteint un point de paroxysme avec la sombre affaire Bygmalion, a révélé des délits de fausses factures à l’occasion du financement de la dernière campagne électorale de Nicolas Sarkozy et a entraîné la démission forcée de Jean-François Copé.

Le Parti socialiste ne va guère mieux et les symptômes apparus à son congrès de Reims en 2008, au moment de l’élection contestée de Martine Aubry, loin de se dissiper avec l’élection de François Hollande, sont remontés jusqu’au sommet de l’État, devenu le champ clos des luttes de clans et d’écuries.

De ce crash, Hollande est à la fois la victime et l’accélérateur. La Cinquième République finissante lui a laissé ce rôle de composition : une présidence de bas régime caractérisée par quatre phénomènes propres à ce moment politique :

  •  La trahison des élites et la faillite de la classe politique qui n’a plus aucune corde de rappel, aucun recours institutionnel, dans le cadre de la Cinquième République qui confie tous les pouvoirs à un homme qui a lui-même renoncé au pouvoir de la politique.
  •  Le retour d'un racialisme assumé et de l’impensé colonial dans l’inconscient collectif tel qu’il s’est manifesté dans La Manif pour tous.
  • L’effondrement d’une droite institutionnelle qui a tourné le dos au gaullisme pour se jeter dans les bras d’un Nicolas Sarkozy.
  • L’hégémonie idéologique de l’extrême droite qui dicte les thèmes et le tempo de la conversation nationale.

François Hollande par sa gouvernance qui se voulait « normale » a accompagné la perte de l’autorité du chef de l’État. Loin d’être magnifié par la fonction, il apparaît désormais écrasé par elle, humilié, infériorisé, soumis à des rituels désuets, contraints de jouer les présidents, de « faire président » sans en avoir les moyens. Faute de puissance d’agir, de résolution et d’action, faute de souveraineté, il reste la mise en scène de la souveraineté, c’est le côté spectral, et pas seulement spectaculaire, de la souveraineté, car ce qui est mis en scène, c’est la hantise de la souveraineté perdue… Les gestes, les formes, les rites de l’État-nation ne sont plus les signes de sa puissance ni les figures de son pouvoir, mais les membres fantômes d’un État amputé, des formes hallucinatoires de la souveraineté perdue. Non plus la nation tant célébrée, tout juste une halluci-Nation... « Au fond, comme chef de l'État, deux choses lui avaient manqué, écrivait de Gaulle à propos d’Albert Lebrun, président de 1932 à 1940 : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un État. »

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Mort de Rémi Fraisse: la chronologie du mensonge, jour après jour

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Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi d'ignorer les circonstances de la mort de Rémi Fraisse, ce jeune homme de 21 ans qui a perdu la vie sur le site du projet de barrage de Sivens dans la nuit du 25 au 26 octobre ? Alors que l’État sait immédiatement que Rémi Fraisse a été tué par une grenade lancée par les gendarmes, les pouvoirs publics ont fait comme s'ils l’ignoraient pendant 48 heures. Nous avons reconstitué la chronologie des déclarations officielles et les avons mis en rapport avec ce que l'enquête sur place commençait à révéler.

  • DIMANCHE 26 OCTOBRE

Ce jour-là, après une nuit d’affrontements entre gendarmes et manifestants sur la zone humide du Testet à la suite d’une journée de manifestation contre le projet de barrage de Sivens (Tarn), une dépêche AFP tombe à 9 h 55 : « Le corps d'un homme a été découvert dans la nuit de samedi à dimanche sur le site du barrage contesté de Sivens (Tarn), où des échauffourées avaient eu lieu en marge d'une mobilisation d'opposants, a annoncé dimanche la préfecture du Tarn à Albi. »

Rémi Fraisse (DR)Rémi Fraisse (DR)

C’est la dépouille de Rémi Fraisse, jeune homme de 21 ans, dont le pays n’a pas encore découvert la fin tragique. S’appuyant sur un communiqué de la préfecture du Tarn, la dépêche précise que le corps a été « découvert » par les gendarmes « vers 2 heures du matin ». Comme s’ils étaient tombés sur la dépouille par hasard. « Une enquête a été ouverte sous l'autorité du procureur d'Albi afin de déterminer les causes du décès et l'identité de la victime », est-il précisé. Les journalistes de l’AFP ont joint le lieutenant-colonel Sylvain Renier, commandant du groupement de gendarmerie du Tarn : il « dit ne pas être au courant d'un décès ».

Une demi-heure plus tard, l’agence de presse publie une version actualisée de cette première dépêche. Ben Lefetey, porte-parole du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, explique que la mort du jeune homme a « eu lieu dans le contexte d'affrontements avec les gendarmes », sans affirmer pour autant que « les forces de l'ordre ont tué un opposant ». Mais dans cette nouvelle dépêche, le lieutenant-colonel Sylvain Renier refuse désormais de réagir : « Interrogé par l'AFP, le lieutenant-colonel, commandant du groupement de gendarmerie du Tarn, n'a pas voulu faire de commentaire. » La préfecture ne veut pas non plus commenter. Le procureur de la République à Albi, lui, « était injoignable ».

Pourtant, selon des sources proches du dossier, les gendarmes mobiles constatent le décès de Rémi Fraisse dès 2 heures du matin dans la nuit de samedi à dimanche, quand ils récupèrent son corps. Plusieurs gendarmes mobiles, certains équipés de jumelles à vision nocturne, ont vu le jeune s'écrouler après l'explosion de la grenade offensive lancée par un de leurs gradés.

L'infirmier de l'escadron de gendarmes mobiles sur place tente alors les gestes de premiers secours, mais il ne peut que constater le décès du manifestant, qui a une énorme blessure dans le haut du dos. Les pompiers de Gaillac arrivent vers 2 h 30 et constatent, eux aussi, le décès. Le corps est descendu dans une housse mortuaire jusqu'à la morgue de Rabastens (et non pas Albi comme indiqué par erreur dans notre article de jeudi). Après une heure d'examens – il est alors 5 heures du matin dimanche –, le légiste constate un décès immédiat provoqué par une « explosion localisée », et fait prendre des photos des très graves blessures dans le haut du dos de Rémi Fraisse.

Dès 2 h 05 du matin, le groupement de gendarmerie du Tarn est donc avisé du décès, puis la section des recherches de Toulouse vers 2 h 20. Le parquet d'Albi est à son tour informé du décès d'un manifestant à 2 h 10 par les gendarmes, selon nos informations. L'identification de Rémi prendra quelques heures, il n'a qu'un téléphone portable et pas de papiers sur lui.

Cette chronologie est aujourd'hui confirmée par Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, dans Le Parisien samedi 8 novembre : « Les faits se passent à 1 h 40, le parquet est avisé à 2 heures et notre autorité de police judiciaire locale à peine une demi-heure plus tard. »

 
L'enquête de flagrance et les interrogatoires démarrent dès dimanche 26 à partir de 4 h 30 du matin, selon des sources proches du dossier. Les témoignages des gendarmes mobiles laissent peu de place au doute sur les causes du décès de Rémi Fraisse. Le gradé qui a lancé la grenade ayant tué le jeune homme, le chef J., tente d’expliquer son geste, un choix personnel selon lui, par l’intensité des incidents de cette nuit-là. Son supérieur au sein de l’escadron de gendarmes mobiles (EGM) 28/2 (venu de la Gironde) donne une version légèrement différente, en assumant avoir donné cet ordre lui-même. Les gendarmes mobiles assurent que la grenade offensive a été tirée après sommations, et non pas sur le petit groupe, mais à côté, ce pour faire fuir des assaillants. Mais aucune de ces informations n’est communiquée au public. Pire, les pouvoirs publics réagissent comme si elles n’existaient tout simplement pas.

Sur le lieu du drame, où les incidents violents se sont poursuivis jusqu'à 3 heures du matin, aucune précaution n’est prise pour protéger la scène de la mort de Rémi Fraisse. Jusqu’au milieu de l’après-midi, n’importe qui peut se rendre sur place, marcher là où le jeune homme est mort, endommager d’éventuels indices. Une journaliste du site Reporterre prend en photo la flaque de sang laissée par sa dépouille. « Toute la journée de dimanche, le site a été ouvert au public, affirme Pascal Barbier, un ami de Jean-Pierre Fraisse, père de la victime. Vers 16 heures, ce sont les opposants qui ont mis une barrière de sécurité autour du lieu de la mort de Rémi. À côté de la tache de sang, on a retrouvé son sac à dos avec ses papiers d’identité. »

Le dimanche, à 20 h 18, alors que les gendarmes ont reconnu sur procès-verbal que Rémi Fraisse était certainement mort du tir d’une grenade venue de leur camp, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, condamne « avec la plus grande fermeté les incidents qui se sont déroulés dans la soirée à Gaillac (la ville toute proche du lieu des heurts - ndlr) » le dimanche soir, lendemain de la mort du manifestant. « Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées, parmi lesquelles des individus très violents, certains cagoulés, qui ont commis des dégradations dans la ville, porté atteinte au Monument aux morts et brûlé des drapeaux tricolores », dénonce le ministre de l’intérieur. Pas un mot sur la mort de Rémi Fraisse, rien sur les conditions de sa mort : comme si rien ne s’était passé.

Dans son communiqué, Bernard Cazeneuve revient sur les affrontements du samedi 25 octobre, mais c’est pour dire qu’« en marge du rassemblement pacifique d'opposants au projet de barrage de Sivens (...), quelques centaines d'individus ont choisi une forme d'action particulièrement violente en affrontant délibérément les forces de l'ordre par des jets de projectiles, d'engins incendiaires et de produits corrosifs ». Le ministre de l’intérieur, qui exerce la tutelle politique sur les gendarmes, ajoute : « Aucune cause, dans un État de droit, ne peut justifier ce déchaînement de violences répétées. »

Lieu de la mort de Rémi Fraisse, sur la zone humide du Testet (JL).Lieu de la mort de Rémi Fraisse, sur la zone humide du Testet (JL).
  • LUNDI 27 OCTOBRE

Lundi matin, plus de 24 heures après la mort de Rémi Fraisse, et les déclarations des gendarmes sur PV, la famille du jeune homme n’a toujours pas été informée des causes de sa mort : interrogé sur I-Télé, son père, Jean-Pierre Fraisse, s’interroge à haute voix : « S’il a pris un flashball dans la tête à bout portant ou presque, j’en sais rien, je vous dis n’importe quoi puisqu’il n’y a pas eu d’autopsie de faite. » L’autopsie de la dépouille n’a en effet pas encore été conduite. Mais le premier examen médico-légal a, lui, eu lieu dès la nuit du samedi. À l’évidence, aucun compte-rendu n’en a été fait à la famille, qui n’a pas pu voir le corps.

À la mi-journée, quatre gendarmes de la section de recherches de Midi-Pyrénées ont entamé leurs premières constatations techniques à l'endroit, marqué par une tache de sang, où le corps du manifestant avait été récupéré, rapporte l’AFP. Ce même jour, l’autopsie du corps de Rémi Fraisse est pratiquée à Toulouse par le professeur Telmon et le docteur Savall, du CHU de Toulouse. Ils détaillent les blessures fatales provoquées par l’explosion d’une grenade offensive tirée par les gendarmes mobiles au cours des incidents. Comme Mediapart l’a écrit jeudi 6 novembre, leur rapport explique que « le décès de Monsieur Fraisse Rémi est compatible avec une lésion par blast secondaire (consécutif - ndlr) à une explosion en regard de la région thoracique postérieure haute ».

Vers 16 h 30, le procureur d’Albi, Claude Dérens, reçoit les journalistes dans son bureau. « La plaie importante située en haut du dos de Rémi Fraisse a été causée, selon toute vraisemblance, par une explosion », explique-t-il.  Des analyses restent à établir pour savoir si « une grenade, lancée depuis la zone où les gendarmes étaient retranchés », a pu être « à l'origine » de cette explosion, ajoute le magistrat. « L’objet à l’origine de l’explosion n’a pas entraîné de flamme » et « aucune trace de particule métallique ou plastique n’a été retrouvée dans la plaie ». Il précise aussi que « la déflagration a été forte puisque le jeune homme a été projeté au sol de façon violente » et que « la mort a été instantanée ».

Dans un communiqué, Denis Favier, le directeur général de la gendarmerie nationale, réagit : « Les militaires de la gendarmerie ne sauraient être mis en cause sur la seule base de témoignages, parfois anonymes, présentés par certains médias. » Selon la version des gendarmes relayée dans Le Monde, « à l’heure du décès de Rémi Fraisse, une seule grenade offensive aurait été lancée par les militaires » et les gendarmes s’interrogeraient « sur le contenu du sac à dos du défunt ». Selon nos informations, 40 grenades offensives ont pourtant été lancées la nuit du drame.

En fin d’après-midi, Thierry Carcenac, président du conseil général du Tarn, explique à La Dépêche du Midi que « mourir pour des idées, c'est une chose, mais c'est quand même relativement stupide et bête ».

Le soir à 23 h 40, près de 48 heures après le drame, Bernard Cazeneuve réagit enfin à la mort de Rémi Fraisse : « Je pense à la famille et aux proches de Rémi Fraisse, touchés par ce drame, et à leur peine. Ce gouvernement est attaché à ce que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette disparition. » Mais il ne dit rien de la responsabilité des forces de l’ordre dans son décès. Au contraire, il critique une nouvelle fois la violence des opposants au barrage de Sivens : « Depuis le début du mois de septembre, en marge des mobilisations pacifiques dans le Tarn, des violences inacceptables sont commises. Ces violences n’ont pas leur place dans un État de droit et doivent être condamnées ».  

Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la Zad (JL).Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la Zad (JL).
  • MARDI 28 OCTOBRE

Dans la matinée, première déclaration de François Hollande sur la mort de Rémi Fraisse : « Un jeune de 21 ans est mort, quelles que soient les circonstances, quand un jeune disparaît, meurt, la première des attitudes, la première des réactions, c'est celle de la compassion », a lancé le chef de l'État, qui dit avoir « appelé son père ce matin ».

L’après-midi, Bernard Cazeneuve continue de dénoncer l’instrumentalisation politique « sans vergogne » de la mort du jeune. À l’Assemblée nationale, Manuel Valls déclare : « Je n'accepte pas et je n'accepterai pas les mises en cause, les accusations qui ont été portées en dehors de l'hémicycle à l'encontre du ministre de l'intérieur. » Et aussi : « Avant même qu’une enquête ait été conclue, je n’accepterai pas une mise en cause de l’action des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs (…) Et je n’accepterai pas ces violences. Il n’y a pas de place dans notre République, en démocratie pour les casseurs. »

Ce même après-midi, le parquet d’Albi révèle que des traces de TNT, un explosif utilisé dans les grenades utilisées par les gendarmes, ont été retrouvées sur les vêtements de Rémi Fraisse. « Ces résultats, même partiels, orientent l’enquête de façon significative puisque la mise en œuvre d’un explosif militaire de type grenade offensive semble acquise », a précisé le procureur d’Albi Claude Dérens.

Le procureur d’Albi se dessaisit alors du dossier au profit du parquet de Toulouse. Les faits commis par des militaires dans le Tarn relèvent en effet du pôle criminel du tribunal de Toulouse. La famille de Rémi Fraisse dépose plainte mardi matin avec constitution de partie civile pour « homicide volontaire » et pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » auprès de l’instruction criminelle à Toulouse. Le parquet de Toulouse ouvre une information judiciaire mercredi 29 et confie le dossier à deux juges d'instruction.

Dans une interview au Monde, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve explique vendredi 7 novembre : « Si je m’étais exprimé peu après les faits [le dimanche 26 octobre] avant le procureur de la République [d’Albi] alors que des gendarmes étaient en cause, les mêmes qui m’accusent aujourd’hui de m’être tu me reprocheraient d’avoir tenté de faire pression sur la justice. » Pourtant, il s’est bien exprimé dès le dimanche soir, avant le résultat officiel de l’autopsie.

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Sarkozy et Le Maire: « le mégalo » et « l’intellectuel » vus par leurs militants

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Ils se sont mobilisés au printemps 2012 pour offrir à Nicolas Sarkozy ses 48,37 % et ont finalement vu François Hollande accéder à l’Élysée. Ils ont pris parti pour Jean-François Copé ou François Fillon quelques mois plus tard et sont devenus les victimes collatérales d’une guerre des chefs dont ils ne se remettent toujours pas. Ils ont mis la main au porte-monnaie à l’occasion du “Sarkothon” pour renflouer les caisses de l’UMP, avant d’apprendre l’existence de la société Bygmalion, des 17 millions d’euros de frais de campagne présidentielle dissimulés aux autorités de contrôle et du train de vie champagne de certains de leurs élus.

En deux ans, les militants UMP ont avalé tellement de couleuvres et de crapauds qu’ils pourraient ouvrir des centaines de vivariums. Et pourtant, ils sont encore là. À Paris, où Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy ont chacun tenu un meeting à trois jours d’intervalle, ils se sont déplacés en nombre pour écouter ce que les deux candidats à la présidence du parti avaient à leur dire. Mardi 4 novembre, dans les locaux feutrés de la Maison de la Mutualité, là-même où l’ancien président avait fait son “ce n’est qu’un au revoir” au soir du 6 mai 2012, ils étaient plus d’un millier à applaudir Bruno Le Maire. Dans le public, des militants certes, mais aussi beaucoup de sympathisants ou de simples curieux. L’ambiance – que les “jeunes avec BLM” et leurs tee-shirts colorés ont essayé de chauffer – est restée relativement calme durant toute la soirée.

Bruno Le Maire en meeting à la Maison de la Mutualité, le 4 novembre.Bruno Le Maire en meeting à la Maison de la Mutualité, le 4 novembre. © ES
Les “jeunes avec BLM” au meeting parisien de Bruno Le Maire.Les “jeunes avec BLM” au meeting parisien de Bruno Le Maire. © ES

Autre lieu, autre ambiance, vendredi 7 novembre, dans le plus petit pavillon du Parc des expositions de la porte de Versailles, où Nicolas Sarkozy a rassemblé au mieux 3 500 personnes – et non 5 000 comme l’ont assuré les organisateurs du meeting. Autre public, aussi. Car les soutiens de l’ancien président sont plus que des militants : ce sont des fans. Avec toute l’hystérie et l’absence de sens critique que l’idolâtrie peut engendrer. Ils hurlent « Nicolaaas » comme d’autres hurlaient « Patriiick » dans les années 90. Pas simple, dans ces conditions, de les aborder pour leur demander ce qu’ils pensent des candidats à la présidence de l’UMP. Beaucoup d’entre eux se méfient des journalistes « qui écrivent des mensonges sur Sarkozy » et qui « font tout pour l’abattre ». Quand vous précisez travailler pour Mediapart, les choses se corsent encore davantage.

« À quoi ça sert que tu répondes ?, glisse une dame à son amie que nous sommes en train d’interroger. De toute façon, ce sera déformé ! » Françoise, la cinquantaine, n’a cure du conseil. Elle accepte de discuter « comme des gens civilisés ». Surtout, elle tient à expliquer pourquoi elle continue à soutenir l’ex-chef de l’État. « La politique, c’est comme un match de foot, dit-elle. On soutient notre équipe dans les bons comme dans les mauvais moments. Nicolas Sarkozy est le seul à avoir la volonté et l’expérience nécessaires pour nous emmener vers la victoire. » Les autres candidats ? Françoise ne s’y intéresse guère. Certes, elle « ne déteste pas » Bruno Le Maire, « mais enfin, il reste trop intellectuel, pas assez proche de nous ». Sur le fond, elle estime que les propositions de l'ancien ministre de l'agriculture pour rénover le parti « ne sont pas mauvaises », ajoutant toutefois que « de toute façon, ce ne sont pas les idées qui comptent puisqu'ils ont tous les mêmes ».

Au meeting parisien de Nicolas Sarkozy, porte de Versailles le 7 novembre.Au meeting parisien de Nicolas Sarkozy, porte de Versailles le 7 novembre. © ES

Rémi est « assez d’accord » avec cette analyse. Assis sur une chaise, une pancarte « Avec Nicolas » sur les genoux, cet ingénieur de 50 ans ose même une comparaison : « Bruno Le Maire me fait penser à Valéry Giscard d'Estaing. Il est issu de la haute fonction publique, il veut faire proche des gens, mais ça sonne faux. » Dans la bouche des militants sarkozystes, les mêmes mots reviennent régulièrement pour qualifier l’ancien ministre de l’agriculture : « manque de charisme », « pas assez d’expérience », « peu de légitimité »« J’ai tendance à le trouver trop lisse, il manque de personnalité, affirme Amélie, une étudiante de 21 ans. Il n’est pas mauvais, mais ses assises ne sont pas assez solides. » « Sarko face à Le Maire, c’est le héros face à la personne lambda, ajoute son ami Pierre-Arnaud, lui aussi étudiant. Les gens plébiscitent forcément le héros ! »

Amélie et Pierre-Arnaud au meeting de Nicolas Sarkozy, le 7 novembre.Amélie et Pierre-Arnaud au meeting de Nicolas Sarkozy, le 7 novembre. © ES

« Sarkozy, c’est une star pour les militants », reconnaît le porte-parole de l’ancien président, Gérald Darmanin, qui signe lui-même des autographes à l'issue du meeting. « En tout cas, c’est ma star à moi, confirme Céline, venue de Guadeloupe pour applaudir son champion. Je le suis depuis que je suis toute petite. J’ai toujours su qu’il ferait de grandes choses. » Cette chef d’entreprise de 44 ans parle de l’ex-chef de l’État avec des étoiles dans les yeux. Elle ne comprend pas « l’acharnement » que lui font subir, selon elle, « ses adversaires, en interne comme en externe ». « Les affaires dont on l’accuse, c’est un peu le lot de tous ceux qui accèdent au pouvoir, affirme-t-elle. Est-ce que ça empêche de faire le travail ? Non. Tout le monde fait des erreurs. » Comme la plupart des militants interrogés vendredi par Mediapart, Céline se sent « boostée par ces attaques ». « Cela renforce notre soutien, explique également Annie, qui a fait le déplacement depuis la Nièvre. Nous faisons bloc derrière lui. »

Les militants UMP venus écouter Bruno Le Maire trois jours plus tôt à la Maison de la Mutualité tiennent un tout autre discours sur les nombreuses affaires qui entourent Nicolas Sarkozy. « Son retour n’est pas bon pour le parti parce qu’il a trop de casseroles, affirme ainsi Catherine, une retraité de 70 ans, encartée depuis 1981. Cela risque d’être catastrophique pour notre famille politique. Quand je l’entends dire qu’il n’a jamais entendu parler de Bygmalion, ça m’agace. Il faudrait qu’il soit un petit peu honnête ! » François, un militant de 67 ans, est du même avis. Lui qui a assisté à « quelques meetings » de la campagne de 2012 estime qu’il « fallait être idiot pour ne pas se rendre compte de leur démesure ». À l'en croire, ces réunions publiques « étaient tout simplement à l’image de la mégalo de Sarkozy ».

Catherine au meeting de Bruno Le Maire, le 4 novembre.Catherine au meeting de Bruno Le Maire, le 4 novembre. © ES

François ne cache pas sa colère contre l’ancien président, mais aussi et plus largement, contre tous les « caciques de l’UMP », « ces gens qui ne pensent qu’au pouvoir et ne sont même pas fichus de reconnaître leurs erreurs ». S’il soutient Bruno Le Maire, c’est parce que « lui au moins, il ne se trompe pas de combat ». « Nicolas Sarkozy aurait mieux fait de patienter un peu au lieu d’avoir la gigote comme ça, dit-il. Il revient parce qu’il sait que s’il reprend l’UMP, ce sera sa machine de guerre pour 2017. » Un scénario qui n’enchante pas vraiment Catherine, qui considère que le parti « a déjà été largement démoli par la guerre Fillon-Copé » et qu’il « ne faut pas grand-chose pour que cela explose de nouveau ». « J’ai peur que toutes ces divisions recommencent avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, grimace-t-elle. Son retour, ça fait très politique, opportuniste. On voit que ce qui l’intéresse, c’est le pouvoir. Il pense davantage à lui-même qu’aux Français… »

Nicolas Sarkozy en meeting au Parc des expositions de la porte de Versailles, le 7 novembre.Nicolas Sarkozy en meeting au Parc des expositions de la porte de Versailles, le 7 novembre. © ES

« Nicolas Sarkozy fait tout en même temps, c’est dommage », soupire Christine-Hélène, 65 ans. Cette ex-attachée de direction chez Roger & Gallet votera Bruno Le Maire le 29 novembre prochain parce qu’elle veut quelqu’un de « propre » à la tête de son parti, mais aussi parce que « l’autre, on le connaît par cœur, il n’y a pas de surprise ». Le discours de « renouveau » prôné par l’ancien ministre de l’agriculture passe bien auprès des personnes réunies à la Maison de la Mutualité. En témoigne le nombre important de “non-encartés” croisés par Mediapart ce soir-là. Entre deux escaliers, Patrice, 62 ans, nous confie avoir « toujours voté à gauche ». « Je trouve que François Hollande a cassé l’esprit de la gauche, explique-t-il. Comme simple citoyen, l’offre politique que Bruno Le Maire propose me semble intéressante : le renouveau des hommes et des méthodes. » Un bon point pour le député de l’Eure en cas de primaires ouvertes en 2016, mais qui ne lui sera guère utile pour le scrutin de fin novembre où seuls les adhérents de l’UMP sont appelés à voter.

Jean-Bernard, 26 ans, a pris sa carte à l’UMP il y a six mois, ce qui ne l’empêche pas de plaider, lui aussi, en faveur du renouveau. Un renouveau qui ne nécessite pas, selon lui, de « tout changer », comme le propose Nicolas Sarkozy, mais plutôt de travailler dès à présent sur les idées et les valeurs de la droite. Or, outre « le talon d’Achille » que représentent à ses yeux les affaires, le jeune homme a bien du mal à voir « où sont les nouvelles idées » de l’ancien président. « Il s’appuie sur son statut d’ex-chef de l’État, mais pour le reste, il se contente de dire qu’il va rassembler la droite et le centre, tout en tenant un discours très Droite forte (le courant ultra-droitier de l’UMP – ndlr). C’est un peu court, non ? »

Les réunions publiques que Nicolas Sarkozy a tenues courant octobre dans le Sud-Est, et plus particulièrement celle de Nice (Alpes-Maritimes), n’ont pas été appréciées par les modérés de l’UMP. « Sarko est trop extrême, regrette Anne-Marie à l’issue du meeting de Bruno Le Maire. Son retour est une erreur, il y a trop de choses qu’il n’a pas comprises. J’ai l’impression qu’il est complètement déconnecté depuis la fin de son mandat. Je comprends qu’il ait envie de revenir, mais je ne suis pas sûre qu’il ait bien analysé l’évolution de la société. Son discours sur l’immigration, par exemple. Certes, il y a des problèmes, mais il ne faut pas exagérer non plus. » Catherine, la militante encartée depuis 1981, se dit pour sa part « inquiète » des discours que tient l'ancien président sur le sujet. « Bruno Le Maire, lui, ne flirte pas avec les extrêmes, souligne-t-elle. Et il a raison. Ce n’est pas à l’extrême droite que nous devons aller chercher des solutions… Il faut être raisonnable. »

Au meeting parisien de Nicolas Sarkozy, le 7 novembre.Au meeting parisien de Nicolas Sarkozy, le 7 novembre. © ES

Les propos tenus chez Le Maire tranchent radicalement avec ceux des militants présents vendredi soir au meeting parisien de Nicolas Sarkozy. Qu’il s’agisse de Jean-Paul, ex-agent immobilier de 79 ans, qui a fait ses premières armes militantes dans les années 1950 au sein du mouvement anti-communiste “Paix et liberté”, ou de Rémi, qui a résilié il y a deux ans son abonnement au Point – « trop critique vis-à-vis de Sarko » – pour s’abonner à Valeurs actuelles, tous valident la ligne Buisson de 2012, remise au goût du jour en 2014. Et tous opinent du chef quand on leur demande s’ils pensent, comme Nicolas Sarkozy, que « l’immigration menace notre façon de vivre ».

Interroger les militants UMP est un bon exercice pour révéler la fracture du premier parti d’opposition. Car si Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy ont tous deux envie de « rassembler » leur famille politique, il ne fait aucun doute que leur ambition confine à la mission impossible, tant le fossé qui sépare les modérés du parti des tenants de la “droite décomplexée” s’est creusé. Mardi 4 novembre, à la Maison de la Mutualité, la maire du IXe arrondissement de Paris, Delphine Bürkli, félicitait Bruno Le Maire d’avoir « su incarner » les militants parisiens, « connectés au monde qui les entoure » et « ouverts sur l’évolution de la société ». Mais ces militants ne constituent pas le gros du “noyau dur” de l’UMP, cette « immense armée » dont parle Nicolas Sarkozy et qui a toutes les chances de le sacrer vainqueur fin novembre.

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Manifestation pour Rémi Fraisse : les organisations traditionnelles dépassées

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« Mais que fait la police ? Elle assassine ! », « Flics, porcs, assassins »... Dans un climat parfois très tendu, les manifestants rassemblés à Paris, samedi 8 novembre, pour dénoncer les violences policières après la mort de Rémi Fraisse ont scandé tout l’après-midi des slogans sans équivoque. « J’ai la rage », a inscrit un jeune sur une petite pancarte quand un autre tient un carton où il a écrit « Et moi, vous allez me tuer ? ».

Parti plutôt clairsemé de la place de la Bastille, le cortège parisien s’est peu à peu étoffé et comptait à l’arrivée, place Gambetta, quelques milliers de personnes. Des associations de quartiers populaires ouvrent la marche en brandissant des photos de plusieurs victimes de bavures policières : des portraits de Rémi Fraisse côtoient des photos de Zied et Bouna (les deux adolescents tués dans un transformateur électrique en 2005, alors qu’ils étaient poursuivis par la police) ou de manifestants molestés. Une rangée de CRS qui protège une station-essence à l’intersection de l’avenue Parmentier et de la rue Oberkampf essuie des tirs de projectiles pendant une dizaine de minutes sous les huées de la foule. « Cazeneuve démission », peut-on encore entendre à intervalle régulier.

 

© LD

Des lycéens – dont les blocages de lycées jeudi et vendredi ont pris tout le monde de court – sont bien présents et défilent eux aussi en tête, loin devant les partis politiques ou les organisations traditionnelles de jeunesse qui paraissent depuis la mort de Rémi Fraisse totalement dépassées. Un lycéen proche du MILI (Mouvement inter luttes indépendant), un collectif créé l’an dernier par des lycéens suite aux mobilisations contre les expulsions de jeunes sans papiers dans le sillage de l’affaire Leonarda, voit d’ailleurs d’un très mauvais œil les quelques drapeaux d’organisations comme la Fidl ou l’UNL, des organisations de lycéens plus ou moins proches du Parti socialiste qui sont, selon lui, venues « faire de la récupération ».

© LD

En fin de cortège, une poignée seulement de lycéens défilent sous le drapeau de l’UNL (Union nationale des lycéens) aux côtés des rangs tout aussi clairsemés des partis politiques et des organisations syndicales. Ce qui ne trouble d’ailleurs pas outre mesure Sylla Kalilou, membre du bureau national de l'UNL, qui explique l’absence de son organisation dans les premiers rassemblements après la mort de Rémi Fraisse par le fait qu’« il n’y avait pas vraiment de débouché syndical. C’était juste des hommages ».

Même son de cloche dans le « cortège » de l’Unef qui ne compte guère plus d’une vingtaine de personnes au démarrage de la manifestation. « Il y a beaucoup de jeunes dans la manifestation, c’est ça qui est important », prévient Pauline Raufaste, une responsable parisienne de la principale organisation étudiante qui n’a appelé à manifester ce samedi – après moult tergiversations – que la veille à 20 h 30… 

Depuis la mort du jeune militant écolo, étudiant de 21 ans, l’Unef a d’ailleurs fait preuve d’une étonnante retenue publiant simplement un communiqué demandant – au cas sans doute où personne n’y aurait songé – une « enquête indépendante » sur les circonstances de la mort du jeune homme et se gardant bien de tout appel à manifester. Et de toute condamnation des violences policières.

© LD

Contacté vendredi, William Martinet, le président de l’Unef, expliquait les hésitations de son organisation à participer à la manifestation par « un contexte un peu compliqué. Certains groupes utilisent ces manifestations pour aller à la castagne. Nous sommes donc très prudents dans les appels que nous pouvons lancer ». L’attitude de la préfecture, qui a d’abord interdit la manifestation de ce samedi avant de l’autoriser in extremis, n’a pas beaucoup aidé à construire une mobilisation. À Toulouse, où le rassemblement a été interdit, de violents heurts ont d'ailleurs eu lieu avec la police.

Pour une militante du MJS (Mouvement des jeunes socialistes) présente dans le cortège et qui se désole franchement de la faible participation, « il n’y a pas que l'attitude de la préfecture ». « C’est dur à admettre mais je crois que beaucoup à gauche ont encore un problème avec l’écologie. Rémi Fraisse a en plus été présenté par la presse comme un vilain casseur. Beaucoup ne se sentent pas concernés », lance-t-elle amèrement, avant d’expliquer qu’elle préfère ne pas donner son nom. Le communiqué des MJS appelant à la manifestation est d’ailleurs parti une minute avant le départ du cortège. Les jeunes écologistes, une petite vingtaine de personnes, pointent eux aussi un problème d'organisation et des « appels partis très tard», explique Martin, jeune militant écolo.

Les syndicats de salariés, à part Solidaires sont, eux, tout simplement aux abonnés absents.

Dans les rangs à peine plus fournis du NPA, Alain Krivine reconnaît « qu’une nouvelle génération ne se reconnaît plus dans les partis et les syndicats. Même d’extrême gauche. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’indignation mais elle ne s’exprime plus de la même façon ».

Tout aussi démuni Laurent Sorel, du mouvement Ensemble, ne peut que constater « une méfiance de la jeunesse vis-à-vis des organisations politiques. Nous sommes nous aussi – il faut l’admettre – pas suffisamment en phase avec elle ».

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Jean-Pierre Jouyet s'est empêtré dans une intrigante polémique

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De l’art de se noyer dans un verre d’eau agité. En l’espace de quelques jours, l’affaire du déjeuner entre François Fillon et Jean-Pierre Jouyet s’est transformée en nouveau fiasco élyséen. En cause, la révélation par deux journalistes du Monde d’une discussion, le 24 juin dernier, entre le prétendant UMP à la présidentielle et le secrétaire général de l’Élysée, proche ami de François Hollande et ancien ministre de Sarkozy et Fillon.

Jean-Pierre Jouyet et François Hollande.Jean-Pierre Jouyet et François Hollande. © Reuters

Un déjeuner au cours duquel l’ancien premier ministre aurait incité l’exécutif à accélérer la procédure judiciaire autour du remboursement par l’UMP des dépenses de campagne de Nicolas Sarkozy, alors directement visé en pleine affaire Bygmalion. « Tapez vite, tapez vite ! Jean-Pierre, tu as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir. Alors agissez ! », aurait lancé François Fillon, accusant l'ex-président d'« abus de bien social », « de faute personnelle ».

« Quand Fillon m'a dit ça, j'ai dit, tiens, oui, on pourrait peut-être simplement signaler le machin…, explique Jouyet au Monde. Mais François Hollande m'a dit : “Non, non, on ne s'en occupe pas.” » Pas de citation directe en comparution immédiate, comme aurait pu en décider le parquet, mais l’ouverture d’une enquête préliminaire puis, le 6 octobre dernier, d’une information judiciaire pour « abus de confiance », « complicité » et « recel ».

Cette histoire, racontée par deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, dans un livre tout juste publié (Sarko s’est tuer, Éd. Stock), ouvre une nouvelle crise au sommet de l’État. Au départ, Jean-Pierre Jouyet dément en bloc, ce jeudi 6 novembre. Il déclare à l’AFP que Fillon ne lui avait « pas demandé une quelconque intervention, démarche par ailleurs inimaginable ». Il envoie un SMS à Fillon exprimant « excuses et regrets » pour « ces bruits de couloirs élyséens ».

Mais ce dimanche, après que les deux journalistes – qui ont par ailleurs leurs entrées au château et tiennent le récit du quinquennat de François Hollande en vue d’un livre devant sortir en fin de mandat – ont assuré avoir enregistré leur échange, Jouyet modifie sa version. Dans un communiqué, il explique finalement avoir menti quelques jours plus tôt, avouant avoir « fait part à (ses) interlocuteurs du fait que la présidence de la République ne pouvait rien s'agissant de cette procédure relevant de la justice ».

Dernier acte, pour l’instant, de ce vaudeville allant à vau-l’eau, François Fillon s’est invité au journal télévisé de TF1, à 20 heures dimanche, pour démentir vigoureusement la teneur de la conversation du déjeuner. « Nous n'avons pas parlé des pénalités (payées par l'UMP), c'est un mensonge », a-t-il dit, demandant également que les enregistrements soient « rendus publics » par les journalistes. « Je rendrai coup pour coup », a aussi lâché l'ancien premier ministre, qui menace Jouyet de poursuites judiciaires (une plainte en diffamation a déjà été annoncée à l’encontre des deux journalistes du Monde).

François Fillon a un avantage sur Jean-Pierre Jouyet dans cet embrouillamini difficilement compréhensible. Lui a eu l’intelligence de faire en sorte que sa conversation ne soit pas enregistrée. Il peut donc démentir aisément. Personne ne peut, à ce stade, affirmer avec certitude qu’il a bien dit ce que Jouyet a dit qu’il lui avait dit. D'autant que le troisième protagoniste du “déjeuner piégé du 24 juin”, Antoine Gosset-Grainville, ancien du cabinet de Fillon à Matignon, semble confirmer la version du député UMP. Quant à Jouyet, personne ne peut être sûr qu’il ne se soit pas poussé du col devant des journalistes avec lesquels il pensait être en confiance.

Dans cette affaire, on ne retient globalement qu’une affaire de basse politique et d’intrigues de palais comme la Ve République finissante en a connu tant et tant dans le passé, sous Mitterrand comme sous Giscard, Chirac ou Sarkozy. Dès ce dimanche soir sur France 3, la présidente du FN, Marine Le Pen, s’est exclamée : « Ce sont les 3 M : magouille, manœuvre, mensonge, c’est le fondement de la vie politique dans notre pays depuis de nombreuses années, les mêmes méthodes de droite et de gauche. »

À nouveau fortement fragilisée, l’Élysée ne voit dans le revirement de Jean-Pierre Jouyet qu'une simple « maladresse ». Mais l'affaire embarrasse. « Ce n'est vraiment pas bon. Jouyet aurait mieux fait de se taire, dit ce proche de François Hollande. Il aurait suffi qu'il rembarre son interlocuteur, point à la ligne. Mais non, il a été le dire aux journalistes, puis l'a démenti, avant de le reconnaître. Beaucoup dans la sphère gouvernementale pensent que Fillon ment, qu'il a bien fait une demande en ce sens. Mais Jouyet dit la vérité d'une manière chaotique qui rend presque crédibles ses dénégations ! » La présidence de la République risque de voir la pression médiatique et politique se resserrer autour de Jean-Pierre Jouyet, et Hollande pourrait se poser la question de se débarrasser de son n° 2. « Au-delà du week-end, ça peut disparaître des écrans radars. Mais si Sarko sort l'artillerie lourde, ça peut s'envenimer », pronostique un ministre.

« C'est une telenovela brésilienne, ce quinquennat ! Jouyet est mort, je pense », commente lundi matin un député socialiste, qui se dit « sidéré ». Un autre n'arrive pas à imaginer que Jean-Pierre Jouyet ait pu se répandre ainsi devant les journalistes du Monde. « Tout cela est très bizarre. Je sais que Jouyet se croit inattaquable et tout permis, mais quand même... c'est l'imprudence de trop. » Ironie de l’histoire, cet ami de plus de trente ans, camarade de promotion à l’Ena dans la fameuse promotion Voltaire, ne s’était fâché qu’une seule fois avec François Hollande. Quand il avait rejoint le gouvernement de François Fillon, juste après l’élection de Nicolas Sarkozy.

Sitôt élu à l’Élysée, François Hollande avait nommé son ami à la tête de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Sa première nomination. À l'époque, plusieurs voix s'étaient élevées dans la majorité. Comme celle du député Daniel Golberg (lire notre article), qui n'a aujourd'hui pas de mots assez durs sur la conduite du secrétaire général de l’Élysée dans cette affaire. « Tout cela donne une impression d'entre-soi mortifère pour la gauche, commente-t-il. Jean-Pierre Jouyet a affirmé qu'il ne fallait pas soutenir les "canards boiteux" en économie (à propos de Florange, ndlr), mais que dirait-il des acteurs politiques à ce sujet ? Il est le symbole de ce qui désespère le peuple de gauche dans la gestion des affaires publiques. Et le pire, c'est qu'on ne parle plus du tout des turpitudes judiciaires de Sarkozy, qui sont quand même le fond du sujet ! »

Du côté de l’ancien président, on ne pouvait en effet rêver meilleure aubaine que cette affaire pour valider la rhétorique qu’il utilise depuis deux ans. Nicolas Sarkozy et son entourage en sont persuadés : les « abattre » est devenu « une obsession de l’État », pour reprendre les mots qu’employait en juillet dernier l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant, lors de la mise en examen de son mentor dans un autre dossier pour « recel de violation du secret professionnel », « corruption » et « trafic d'influence » actifs. Une rhétorique qui fait mouche auprès des militants sarkozystes, lesquels croient dur comme fer au complot politique et à l’instrumentalisation de la justice. « Cela renforce notre soutien, expliquait vendredi à Mediapart une militante venue applaudir l’ex-chef de l’État en meeting à Paris. Nous faisons bloc derrière lui. »

Les ténors de la droite sont pleinement conscients de l'aura que réussit à conserver l'ex-chef de l'État auprès de la base de l'UMP. Aussi ont-ils choisi de ne jamais attaquer frontalement Nicolas Sarkozy. Depuis deux ans, le seul à avoir osé critiquer ouvertement l’ancien président est justement François Fillon. Et cela ne lui a pas porté chance. L’affaire Bygmalion, qui a pourtant révélé qu’il était dans le juste fin 2012 lorsqu’il dénonçait les manœuvres de son adversaire à la présidence de l’UMP, Jean-François Copé, n’a pas changé la donne. Aux yeux du “noyau dur” du parti, l’ex-premier ministre conserve une image de « traître ». L’inimitié entre les deux hommes est un secret de polichinelle, et c’est une des raisons pour lesquelles personne n’a vraiment été étonné que François Fillon ait pu tenir les propos que Jean-Pierre Jouyet lui prête.

Nicolas Sarkozy et François Fillon.Nicolas Sarkozy et François Fillon. © Reuters

Les soutiens de Nicolas Sarkozy n’ont d’ailleurs pas tardé à monter au créneau, voyant là une belle occasion de sortir définitivement du jeu l’ancien premier ministre. Le député copéiste du Nord Sébastien Huygue a ainsi déclaré sur BFM-TV que Fillon devait « quitter la présidence de l'UMP », qu'il assure pour l'instant avec Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin. « Les masques tombent, tweetait-il encore dans le courant de la journée de dimanche. #Fillon a sollicité l'Elysée pour empêcher le retour de @NicolasSarkozy. » Nouveau tweet, mais autre tonalité après le passage de François Fillon sur TF1 : « #Jouyetgate le problème n'est plus de savoir ce qu'a dit ou non #Fillon mais qu'il y a mensonge et manipulation à l'#Elysée #ScandaleDEtat » Certains copéistes de la première heure, comme la députée et maire du Cannet (Alpes-Maritimes), Michèle Tabarot, en ont profité pour régler leurs comptes avec les fillonistes :

Plusieurs autres élus UMP, à l’instar des députés Henri Guaino et Christian Estrosi, se sont également exprimés sur le sujet, se contentant toutefois d’appeler l’ancien premier ministre à s’expliquer. C’est ce qu’il a fait ce dimanche, d’abord dans le JDD puis sur TF1, où il a joué la carte du rassemblement afin de prouver à ceux qui en doutent qu’il ne joue pas contre son propre camp. Reconnaissant avoir avec Nicolas Sarkozy « des divergences de vues sur la manière dont il faudrait redresser notre pays », il a toutefois souligné n’être ni son « adversaire » ni son « ennemi ».

« On a gouverné le pays ensemble, on a un respect mutuel l’un pour l’autre, a-t-il assuré. Jamais on n’utiliserait des méthodes comme celles-là. » En accusant le secrétaire général de l’Élysée d’avoir menti, François Fillon a transformé le “FillonGate” en “JouyetGate”. L’un de ses conseillers, contacté dimanche après-midi par Mediapart, soupçonnait « une manipulation de Jean-Pierre Jouyet » permettant de « foutre le bazar à droite » tout en faisant « passer l’idée d’une gauche vertueuse qui n’instrumentalise pas la justice ».

« Cela veut dire qu’au sommet de l’État, il y a des personnes qui cherchent peut-être à déstabiliser un responsable de l’opposition, à éliminer un probable candidat à l’élection présidentielle, qui cherchent à diviser le principal parti d’opposition, qui cherchent avec une balle à atteindre Nicolas Sarkozy et François Fillon en même temps », a résumé de son côté l’ancien premier ministre sur TF1. Ses soutiens, tels les deux députés des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti et Jean Leonetti, lui ont emboîté le pas sur Twitter :

Sur le fond de la discussion que Jean-Pierre Jouyet assure avoir eue avec François Fillon, à savoir l’affaire des pénalités de la campagne de Sarkozy pour laquelle une information judiciaire a été ouverte, il ne fait nul doute que l’ancien premier ministre s’y soit intéressé dès le mois de juin et la mise en place d’une direction intérimaire à l’UMP. Comme l’a raconté Mediapart, Alain Juppé et François Fillon, conscients du risque pénal qu’encourait le parti pour avoir payé la fameuse amende, avaient souhaité que les commissaires aux comptes de l’UMP, chargés de les certifier, jouent un minimum la transparence auprès de la Commission des financements politiques et mentionnent la persistance d’un débat juridique sur les 364 000 euros réglés. En vain.

Ce n’est qu’au lendemain du 30 juin, date du dépôt des comptes de l’UMP, que les mêmes commissaires aux comptes ont adressé un signalement au parquet de Paris pour pointer ces faits potentiellement délictueux, déclenchant l’ouverture d’une enquête judiciaire. « C’est une discussion que nous avons eue à l’intérieur de l’UMP », a reconnu l’ancien premier ministre sur TF1, avant d’ajouter qu’il avait laissé depuis à la justice, « saisie de ce sujet », le soin de s’en occuper. Que François Fillon ait pu aborder les affaires qui touchent le parti dont il a pris provisoirement les manettes, à un moment où tout le monde ne parlait que de cela, n’est guère surprenant. Il ne s’en est d’ailleurs pas vraiment défendu. Mais pour ce qui concerne les demandes de pression sur la justice dont on l’accuse, il assure qu’il ne s’agit là que de « mensonges ».

L’ancien premier ministre n’entend pas se laisser déstabiliser par ce qu’il envisage comme un « scandale d’État ». C’est en reprenant à son compte l’un des mantras de Nicolas Sarkozy – ce qui ne me tue pas, me rend plus fort – qu’il a choisi de conclure son interview sur TF1. Quand l’ex-chef de l’État affirme que les affaires ont « beaucoup renforcé (sa) détermination » et assure que « si on voulait qu’(il) reste tranquille dans (son) coin, il ne fallait pas agir comme ça », Fillon explique en écho : « Ceux qui pensent que ces accusations vont m’affaiblir ou vont me décourager se trompent. Au contraire, elles me font redoubler d’ardeur parce que je suis convaincu qu’il faut changer profondément les méthodes de ce pays. »

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