L’ambiance n’est pas près de se calmer, dans les rangs socialistes. Après de nouvelles invectives et appels à quitter le PS, au lendemain d’un vote du budget marquant l’élargissement de la critique interne aux ministres écartés du gouvernement Valls (lire ici), les fractures récurrentes laissent entrevoir l’enjeu caché qui occupe les têtes militantes, élues et dirigeantes du parti, et qui expliquent les tensions et les démarcations en cours : le futur congrès.
« Il ne faut pas se leurrer, c’est le seul moment et le seul lieu où il sera possible de s’affranchir, confie un député qui a voté le budget malgré son opposition à la politique gouvernementale. Plus grand monde n’a envie d’un énième combat budgétaire, perdu d’avance. Mieux vaut mener le combat, même dans un cadre pourri, et avoir une chance d’inverser le cours des choses, que ne plus avoir de chances du tout. » Conscients de la fragilité de leur mobilisation parlementaire, qui se contraint à l’abstention pour ne pas faire tomber un gouvernement qu’ils critiquent pourtant sans cesse, les socialistes contestataires voient combien l’expression publique de leurs désaccords se heurtent toujours aux mêmes fins de non-recevoir de la part de l’exécutif.
Qu’elles émanent de députés, d'anciens ministres, de courants de l’aile gauche ou de Martine Aubry, les implorations à gauchir un peu le socialisme de l’offre restent lettre morte. Quant aux tentatives de construction d’une alternative à gauche, malgré de régulières tribunes communes et autres débats unitaires, elles semblent mises en sourdine à moyen terme. La réalité électorale des résultats des européennes (où Front de gauche et EELV n’ont pas profité de l’effondrement du PS), comme la préparation des échéances départementales et régionales à venir (en mars et en décembre 2015), avec son lot de négociations locales tortueuses pour constituer les listes de candidats, semblent s’être imposées aux socialistes les plus réticents.
Alors, pour beaucoup, c’est au futur congrès du parti socialiste que doivent se confronter leurs efforts en vue d’obtenir un changement de cap, resté illusoire jusqu’ici. Et si les tensions s’exacerbent à chaque fois un peu plus entre tenants du socialisme ou de la social-démocratie historique, et partisans d’une modernisation et d’un recentrage du parti, c’est aussi en raison de cette sourde bataille qui ne dit pas son nom, de ces vides organisationnels et partidaires, dont essaie de profiter chacun des protagonistes de l’actuelle gauche au pouvoir.
Mais envisager ce congrès, c’est comme entrer au royaume des supputations stratégiques et des hypothèses incertaines. Car à l’heure actuelle, ni la date de l’événement, ni l’état des effectifs militants, ni le positionnement de la direction actuelle, ni les forces concurrentes en présence ne sont connus, ce qui contribue au flou général entourant l’avenir du parti et de sa doctrine.
Revue de détail d’une équation à multiples inconnues, pourtant décisive pour l’avenir de la gauche au pouvoir.
C’est la première des batailles internes, qui déterminent toutes les autres. Après une première réunion de la « commission sur les conditions d’organisation du congrès », jeudi dernier rue de Solférino (le siège du PS), où il a été rappelé que le temps d’un congrès s’étalait sur quatre mois, le « premier secrétaire par intérim » Jean-Christophe Cambadélis a soumis à la discussion quatre scénarios. Soit en 2015 (« début juin », « fin juin », « octobre »), soit durant le « premier semestre 2016 ».
La majorité des opposants à l’orientation gouvernementale réclame, à voix différemment hautes, une organisation dès juin 2015, « pour que les militants tranchent nos débats au plus vite », dit Emmanuel Maurel, chef de file de l’aile gauche du PS. Si officiellement la réponse devrait être prise à la fin de ce mois et validée ensuite par un vote du conseil national, pour beaucoup, la décision sera prise in fine à Matignon et à l’Élysée. Et si Cambadélis dit sa préférence pour 2015, s’estimant sûr de gagner face à des contestataires pas encore organisés ni rassemblés, les proches de Valls et Hollande affichent une nette préférence pour 2016.
« Mettre un congrès, et donc de la polyphonie, ou pire de la cacophonie, au milieu de deux élections qui risquent de mettre à nu le PS dans les territoires, ça n’a aucun sens ! » estime ainsi le sénateur Luc Carvounas, proche de Manuel Valls. Un cadre du courant hollandais (Répondre à gauche), plus optimiste, développe l’argument : « La mi-2015 est la période où on attend une reprise de l’emploi et un léger redémarrage de l’activité économique. Si, à ce moment, on assiste à une foire d’empoigne où on se dira qu’on a tout faux alors qu’on ne le saura pas encore, on s’empêche de conserver un nombre honnête de régions. » Ce responsable hollandais résume la position défendue à Solférino : « Début 2016 nous paraît plus sain pour faire le point. On pourra décider de l’orientation pour la campagne à venir du candidat. »
Un congrès avant les régionales risquerait en outre de compliquer la donne, aux dires de nombreux responsables PS de diverses obédiences, les investitures pouvant alors dépendre des résultats des motions respectives. Mais un congrès repoussé à 2016 présente également des inconvénients internes. En premier lieu celui de contredire les statuts, pourtant réformés en 2012 lors du dernier congrès de Toulouse, prévoyant la tenue d'un congrès à mi-quinquennat, « soit fin 2014 et subsidiairement en cas de difficultés matérielles, avant la fin du 1er semestre 2015 », écrit le premier fédéral de la Nièvre, Sylvain Mathieu. Celui-ci, qui avait été candidat contre Cambadélis en mars dernier (recueillant 32 % du conseil national), a même saisi la haute autorité du parti, pour tenter de faire respecter la loi interne.
Mais c’est surtout l’existence même du parti qui interroge en cas de congrès si lointain, tant les frictions et les grands écarts idéologiques s’affirment au fil des jours. « Je ne vois pas comment le parti peut tenir un an sans congrès, soupire ainsi la députée Karine Berger, avec comme seule activité interne des investitures aux élections départementales et régionales. Comment se mettre d’accord sur des primaires sans clarifier avant notre ligne ? » Plus à gauche que cette ancienne proche de Pierre Moscovici, Emmanuel Maurel exprime ses craintes sans ambages : « Dans un an, les effectifs seront tellement réduits que l’incertitude n’en sera que plus grande. Le plus grave, ce ne seront pas les tensions, mais le délitement du parti après les nouvelles déroutes électorales, qui vont créer de la panique en interne. Le parti sera exsangue en 2016. »
Ceux-là et leurs courants, Cohérence socialiste et Maintenant la gauche, plaident pour un « congrès de ligne » et de clarification idéologique, redoutant qu’un calendrier trop tardif ne transforme l’exercice en « congrès d’investiture » du prochain candidat PS à la présidentielle en 2017, que ce soit François Hollande où un autre, vainqueur de futures primaires. Pour Christophe Borgel, secrétaire national aux élections et proche de Cambadélis, la situation est « tenable, pour peu qu’on reprenne un peu de hauteur politique, et qu’on arrête de s’écharper sur des mesures auxquelles les Français ne comprennent rien ». Pour le vallsiste Luc Carvounas, « ce congrès devra être un congrès d'orientation et pas de clarification politique, comme le dit l'aile gauche, un congrès utile pour celui qui représentera le parti à la prochaine présidentielle ».
Ils sont enfin nombreux à s’interroger sur les conditions de déroulement d’un congrès en 2016, après deux défaites électorales annoncées. « La base militante n’aura plus grand-chose à voir avec les derniers congrès qu’on a connus, explique un bon connaisseur du parti : on aura perdu l’influence des barons locaux et l’appareil des régions, le dernier qui reste au parti, les militants travaillant dans les collectivités territoriales et les cabinets ne seront peut-être plus adhérents mais chômeurs, les grosses fédérations qui faisaient l’élection auparavant auront toutes été mises sous tutelle, et leurs fichiers auront donc été nettoyés. » De quoi attiser les ambitions, face à la perspective d’un congrès plus ouvert que jamais.
Comme Karine Berger, ils sont plusieurs à estimer qu'« aujourd’hui, un congrès serait perdu par les soutiens de Valls et Hollande ». À l’inverse, Luc Carvounas se dit « persuadé que la majorité de Toulouse reste majoritaire aujourd'hui ». Lors de ce congrès, organisé en octobre 2012, la “grosse motion” emmenée par Harlem Désir, portée par Jean-Marc Ayrault alors à Matignon et Martine Aubry, allant de Manuel Valls jusqu’à Benoît Hamon en passant par Arnaud Montebourg, l’avait emporté avec 70 % des suffrages militants.
Depuis, rares ont été les consultations militantes pouvant indiquer l’état des forces internes dans le parti. La seule ayant été organisée, la convention sur l’Europe en juin 2013, a viré au fiasco (lire ici). Quant au remplacement de Harlem Désir par Jean-Christophe Cambadélis au lendemain des municipales, il a pris les atours d’une révolution de palais façon AG de l’Unef à huis clos (lire ici), sans qu’aucun vote des adhérents ne vienne le confirmer.
Nombre de proches de Martine Aubry se sont distanciés de la direction du parti, que les proches de Benoît Hamon ont quittée avant même la démission de l’ex-ministre de l’éducation. Il y a dix jours, une réunion de « la majorité du PS », organisée un samedi à Paris, a rencontré un succès mitigé, aux dires de plusieurs participants. Le lendemain, un conseil national du parti à huis clos (comme toutes les réunions organisées depuis la promotion de Cambadélis) a lui aussi été peu garni.
Pour autant, Christophe Borgel reste confiant pour l’équipe dirigeante actuelle, assurant qu’ils étaient « plus de 800 » à la réunion de la majorité, et certifiant avoir à leurs côtés « deux tiers des premiers fédéraux » du PS. Aux yeux du lieutenant historique de « Camba », « les doutes ne font pas un renversement de congrès ». Dans l’entourage du premier secrétaire, on compte sur le positionnement central de Cambadélis, et son habileté à jouer l’équilibriste stratège, pour assurer la continuité de l’appareil. Et on pense pouvoir compter sur le désir de stabilité dans le parti, notamment de la part de l’exécutif au pouvoir.
Dans le parti, vallsistes et hollandais font cause commune, même si les partisans du premier ministre ne sont pas organisés en courant, quand les seconds peuvent compter sur une structuration ancienne, bien que jamais vraiment aussi concrétisée qu’ont pu l’être les sensibilités strausskahniennes, fabiusiennes ou de l’aile gauche. « Vallsistes et hollandais essaient de vivre ensemble, mais dès qu’il y a des positions de fond à prendre, ils s’éloignent », assure un secrétaire national.
Il en est ainsi de la tentation d’une “blairisation” du parti, exprimée par le premier ministre devant le conseil national (lire ici) et régulièrement réaffirmée depuis. Une modernisation dépassant « les vieilles lunes de la vieille gauche », semblable à celle imposée par Tony Blair au parti travailliste britannique, devenu avec lui “New Labour”, recentré idéologiquement, après une purge militante. « Ils n’en ont pas les moyens, explique le député Gwenegan Bui, proche d’Aubry. Blair avait fait le New Labour, puis avait pris le pouvoir. Là, Hollande a fait le discours du Bourget avant. Il est difficile dans ces conditions de faire le New Labour au pouvoir. » « Cette tentation n’existe ni chez les militants, ni chez les élus du parti », abonde un “hollandais”.
Virulent à l’encontre de Benoît Hamon, Stéphane Le Foll, chef de file du « courant Hollande » et ministre de l’agriculture, s’est toutefois démarqué de ses camarades vallsistes à l’égard de Martine Aubry. Dans Les Échos, mardi, il fait ainsi entendre une musique bien plus respectueuse et compréhensive que les sèches répliques de Manuel Valls et Emmanuel Macron. « Lever des tabous sans cesse, c’est pas notre truc, dit un élu fidèle du président. Il faut être conscient qu’il y a des équilibres à tenir, être cohérent par rapport à son camp et laisser le débat ouvert. »
Chez les hollandais, on ne semble pas si désireux de théâtraliser outre mesure les débats internes dans le parti. « Pour tout parti au pouvoir, il y a forcément une évolution de doctrine, estime la ministre Carole Delga, fidèle de Hollande. Mais les calculs sur le parti ne servent pas à grand-chose, la politique reste l’art de l’instant. »
Face à cet axe majoritaire, les stratégies s’ébauchent. Karine Berger et ses amis (la rapporteure du budget Valérie Rabault ou les députés Yann Galut et Alexis Bachelay, anciens du courant NPS de Montebourg et Peillon au début des années 2000) n’excluent pas d’« aller à la motion », selon le jargon socialiste. « Car à l’heure actuelle, il n’y a personne au centre du parti, et on ne veut pas avoir à choisir entre deux blocs », dit Berger. Leur courant, Cohérence socialiste, demande une inflexion économique pas si éloignée de celle des députés contestataires et abstentionnistes, estimant que « le quinquennat s’est arrêté depuis le CICE, comme si c’était la fin de l’histoire ».
À la gauche du parti, on espère aussi un large rassemblement : « Nous, on veut s’unir contre une ligne libérale, explique Henri Emmanuelli. Si la ligne de Valls l’emporte, il n’y aura pas d’avenir, car il y aura une scission. » Un point de vue qui laisse sceptique Christophe Borgel, bras droit de Cambadélis, convaincu que « la désinvolture et la désunion passent mal aux yeux des militants et des sympathisants ». Et qui observe avec sérénité « le rassemblement d’une grande gauche alternative (qui) n’est pas encore là. Déjà que s’il existait, le congrès serait loin d’être joué, mais là… ».
Ce scepticisme, Emmanuel Maurel n’en a cure, persuadé que le refus du socialisme de l’offre est majoritaire chez les militants. De son côté, il continue à « structurer ceux qui sont en désaccord » et à « fédérer le reste de la gauche, sans s’interdire de parler avec Mélenchon ». Lui et ses camarades du courant Maintenant la gauche (qui s’était opposé à la grosse motion majoritaire en 2012, recueillant 13 % avant que Maurel n’obtienne 28 % face à Harlem Désir) espèrent que l’union se fera face à la direction sortante. Même s’ils n’en méconnaissent pas les obstacles : désintérêt de Montebourg pour les démarches internes, reproches faits à Hamon d’avoir délaissé l’aile gauche et permis à Valls de devenir premier ministre, et, surtout, divergences annoncées face au leadership de l’entreprise à vocation majoritaire. « La volonté unitaire doit pouvoir surpasser tout ça », espère Maurel.
Pour le député Pouria Amirshahi, « l’union la plus large possible doit primer, afin que nous ne nous laissions pas embarquer dans une “SFIOisation” du PS ». À ses yeux, le débat doit être simple : « Soit le parti accompagne la fuite en avant libérale du gouvernement, soit, dans une formule inédite, il s’inscrit dans une distance critique », et il préconise une « synthèse entre écologie, démocratie et socialisme, pour contrer un gouvernement qui ne se repose plus que sur la certitude de son autorité. »
Au centre de ces accords et désaccords potentiels, l’ancien ministre Benoît Hamon se veut serein. Il se dit en attente de la date, et assume être prêt à prendre le parti. « Pour l’heure, il convient d’organiser le repli en bon ordre des troupes les plus robustes et de tenter d’allumer quelques étoiles dans la nuit noire », philosophe-t-il. Ainsi, il s’abstient sur le vote du budget ou propose une résolution pour que la France reconnaisse la Palestine. Lors de l’université de rentrée de son courant, Un monde d’avance, il a cherché à adopter une posture centrale (lire notre reportage), dans la continuité de son “institutionnalisation” construite depuis le congrès de Reims de 2008, où il a réunifié divers courants à la gauche du parti, avant de réunir 25 % du vote militant.
Devenu porte-parole du PS, avant d’être nommé secrétaire d’État puis ministre, il apparaît compatible avec les aubrystes, bien qu’il entretienne des rapports complexes avec la maire de Lille, dont il fut conseiller au ministère du travail sous Jospin. Il pourrait in fine séduire chez les hollandais, dont certains se souviennent qu’il avait appelé Hollande à être candidat en 2007, ou louent sa loyauté depuis 2012, jusqu’à son départ du gouvernement. Quand il explique, ce mercredi, sa crainte d’une politique mettant « en danger la République » en permettant l’accession du FN, il publie très vite un communiqué de crainte d’être mal compris par ses camarades. Pour autant, Hamon ne cache pas sa proximité avec les deux autres partants du gouvernement, Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti, tout en avouant sa conversion aux questions écologiques. Avec l’objectif d’incarner une alternative à gauche, mais pas trop.
Reste l’(in)attendue Aubry. Enfin sortie du bois après s’être longtemps mise en retrait de la critique gouvernementale, l’ancienne première secrétaire du PS a publié une longue contribution aux états généraux du parti, assortie d’un entretien au Journal du dimanche (lire notre article). Si elle s’y dit « candidate… au débat d’idées » et à rien d’autre, la mise en scène de la publicité de ses divergences avec le pouvoir a des airs de pré-congrès. Et la liste des signataires accompagnant sa rébellion montre combien son entourage a envie d’en découdre, en mode motion.
« Ça légitime la reconquête et renforce le camp de la démarche critique et constructive », se réjouit Amirshahi. « Elle avait besoin de ressouder ses troupes, qui ne sont pas si nombreuses chez les militants, dit un responsable de l’aile gauche. Au moins, ça consolide la démarcation de certains, qui vont avoir du mal à rester dans la ligne gouvernementale après un tel réquisitoire. » Pour autant, lors du vote du budget ce mardi, ils sont encore plusieurs parmi les députés dits “aubrystes” à avoir voté pour, permettant son adoption qui ne tient plus qu’à une dizaine de voix.
François Lamy ne se place pas dans une offensive de congrès. Interrogé en milieu de semaine dernière, avant l’intervention de la maire de Lille, il martèle sa volonté d’être « avant tout utile » au parti et au quinquennat de François Hollande. Les atermoiements de cette dernière déroutent toutefois jusqu'à ses plus proches, qui ne savent pas vraiment ce qu'elle a en tête : « Là, ce serait bien qu'elle nous dise assez vite si elle y va en première ligne ou si elle pousse quelqu'un pour mener l'alternative à gauche », explique un de ses soutiens.
Pour l’heure, les rendez-vous se rapprochent, les déjeuners s’enchaînent entre “chefs à plumes” du parti socialiste, et un bon nombre s’interrogent sur les attitudes de l’autre. Beaucoup imaginent que Maurel et son courant partiront de leur côté. D’autres qu’un « pôle central » regrouperait les amis de Cambadélis, Hollande, Valls et les aubrystes. Au risque de se couper de plusieurs députés “frondeurs” et du courant hamoniste, Un monde d’avance. Tous s’interrogent enfin sur la stratégie du premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, et sur sa capacité à demeurer incontournable dans ce congrès si loin si proche.
Jusqu’ici, Jean-Christophe Cambadélis parvient à tirer son épingle du jeu dans l’épais brouillard socialiste. Si son intronisation n’a jamais été validée par un vote militant, comme il s’y était pourtant engagé, « Camba » a su remettre le parti à peu près sur pied.
« Il a un discours audible et respecté, sans apparaître comme godillot. Ce n’est pas évident, dans le contexte…, souffle la hollandaise Carole Delga, secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire. Il saura mener un débat de clarification et une restructuration du parti, tout en faisant en sorte qu’il ne soit pas trop désaligné par rapport au gouvernement. » « Il a réussi à installer un vrai cordon sanitaire avec le gouvernement, reconnaît Karine Berger. Il essaie sincèrement de faire en sorte que le parti ne disparaisse pas. » Même Emmanuel Maurel admet qu’avec Cambadélis, « les minorités sont consultées et respectées ». Mais il regrette dans le même temps que « sur le fond, on ne (sache) pas ce qu’il pense ». Et de résumer son sentiment : « Il est habile, mais il fait comme s’il n’y avait pas de réalité de la pratique du pouvoir. »
Sous couvert d’anonymat, les jugements d’autres responsables se font plus acides. « Sa force, c’est que personne dans la majorité du parti ne veut sa place », dit un aubryste. « Il gagne du temps et verrouille ce qu’il reste d’appareil, en faisant bien attention de ne pas choisir entre Hollande, Valls ou Aubry…, dit un député. Son obsession, c’est de garder le PS uni, ne pas trop se fâcher avec le reste de la gauche et que le PS soit au second tour en 2017. Le reste, ce ne sont que des moyens pour parvenir à ses fins. »
Pour asseoir sa légitimité, Jean-Christophe Cambadélis mise sur les états généraux du PS, une initiative qui recueille à ce jour près de 4 000 contributions, individuelles ou collectives, et qui a donné lieu à une série d’auditions d’intellectuels et autres forces vives (voir ici). Un moyen aussi pour gagner du temps et contraindre les oppositions à la solidarité dans le travail de fond, même si celui-ci apparaît inégal selon les contributions, alors même que la rédaction de la charte qui sera issue de ces états généraux n’intéresse pas grand monde dans le parti.
« Il faudra bien mettre en scène les conclusions, sortir quatre ou cinq idées forces qui pourront être reprises dans les médias, explique Christophe Borgel. Si ce temps de débat peut permettre ne serait-ce que d’entériner une bonne fois pour toutes le Bad Godesberg écolo (référence au congrès du SPD allemand, en 1959, à Bad Godesberg - ndlr) du parti, ce serait par exemple énorme. » Proche de Manuel Valls, le député Luc Carvounas, et secrétaire national du PS aux relations extérieures, se fait plus terre à terre : « Les états généraux vont nous permettre de retrouver des marqueurs de gauche pour nos électeurs qui nous boudent. » À l’opposé, sur l’échiquier interne du parti, et beaucoup plus sceptique, Henri Emmanuelli remarque de son côté que « ces états généraux posent toutes les questions, sauf celle de l’action gouvernementale. Celle que tout le monde se pose ».
À la peine pour faire de « son » PS un parti rassembleur à gauche, Cambadélis tente de maintenir une union de façade, essentiellement à coups de menace de Front national au pouvoir. « On a changé d’univers dans le dialogue politique », évacue Christophe Borgel. Avec l’espoir que les prochaines cantonales permettront l’union, bien que les divergences de fond s’aggravent. « Le PRG veut conserver ses élus, les Verts souhaitent s’implanter et le PCF ne pas mourir. Ça laisse un peu d’espoir pour arriver à quelque chose. »
Pour se maintenir à la tête du parti, « Camba » espère encore réunir autour de lui une grosse motion. Avec un maître mot, que résume Borgel : « Le soutien au gouvernement ne se discute pas, l’expression de l’exigence du PS ne s’interdit pas. » Et avec l’idée de « s’unir derrière Hollande dans le débat européen, plutôt que de vouloir jouer éternellement au monsieur plus ». Le premier secrétaire espère aussi profiter de son amitié avec Martine Aubry, qu’il sait faire fructifier, en multipliant les déplacements, meetings et réunions sous son beffroi lillois. « Il est le plus emmerdé, car il voit bien que le parti est décentré, explique un aubryste. Mais il sait bien que s’il incarne le courant hollandais, on ne le soutiendra pas. »
Choisira-t-il finalement un camp ? Valls et les hollandais ? Ou les aubrystes ? « Premier secrétaire du PS était le but de sa vie, il fera tout pour le rester, donc il choisira qui il faut pour », explique un secrétaire national. « L’attitude de Camba dépendra de Valls, s’il reste ou s’il part, ou de quelle façon il part », croit savoir un de ses amis. « Je l’ai vu aller de l’OCI (Organisation communiste internationale - ndlr) à DSK, alors tout est possible », rigole Henri Emmanuelli. « Les stratégies à quinze bandes de Camba, on ne peut les comprendre que si on est dans le même univers mental que lui… », ajoute Benoît Hamon, l’un de ses potentiels concurrents.
Tout ça ne laisse guère optimiste pour un PS clairement à bout de souffle. « Aujourd’hui, tout est possible, tente Emmanuel Maurel. Le pire est le plus probable, un destin à la SFIO. La scission l’est aussi. Mais le sursaut reste encore possible. » Réponse dans huit ou dix-huit mois. Si le PS tient jusque-là.
BOITE NOIRECet article est le résultat de dix jours de rencontres et d'entretiens, le plus souvent en face-à-face, avec une vingtaine de responsables de courants et sous-sensibilités, de députés et dirigeants du PS. Certains n'ont souhaité s'exprimer que sous couvert d'anonymat. Les propos de Luc Carvounas ont été recueillis par mon collègue Mathieu Magnaudeix.
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