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L'UMP Brigitte Barèges est déclarée inéligible pour un an

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La maire UMP de Montauban (Tarn-et-Garonne), Brigitte Barèges, a été condamnée ce mardi par le tribunal administratif de Toulouse à un an d'inéligibilité pour « violation substantielle » des règles de financement de campagne lors des municipales de mars. Elle compte faire appel de cette décision. Elle restera donc à la tête de la mairie en attendant la décision finale du Conseil d'État, l'appel étant suspensif.

Le tribunal administratif de Toulouse reproche à l'élue, maire depuis 2001, d'avoir utilisé des fonds de la mairie pour financer une promotion électorale déguisée (lire sa décision ici). Il a notamment visé « la publication, à compter du mois de septembre 2013, de seize articles financés par la commune de Montauban présentant les réalisations et la gestion de la maire sortante sous un angle particulièrement favorable dans l'édition du Tarn-et-Garonne du Petit Journal (un journal local – Ndlr) »,puis « la diffusion gratuite aux électeurs de huit numéros sur les douze numéros contenant ces articles sur les marchés de la commune de Montauban en fin de semaine », peut-on lire dans son communiqué, diffusé mardi.

Cette publication « doit être qualifiée de campagne de promotion publicitaire prohibée par les dispositions du second alinéa de l’article L.52-1 du code électoral », estime le tribunal. « Cet avantage » est évalué à hauteur de 26 407 euros, soit environ 40 % des dépenses de campagne de la candidate, « ce qui a entaché le compte de campagne de Mme Barèges, dans des proportions importantes, d'irrégularité justifiant le rejet de ce compte de campagne. »

Brigitte Barèges lors de sa conférence de presse de rentrée.Brigitte Barèges lors de sa conférence de presse de rentrée. © Capture d'écran d'une vidéo de la Dépêche du Midi

Figure de la Droite populaire et soutien de Nicolas Sarkozy, Brigitte Barèges avait été confortablement réélue aux municipales de mars, malgré une triangulaire. Début septembre, elle avait reçu de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) un avis négatif sur la gestion de ses comptes pendant l'élection municipale (lire notre article)

L'édile a réagi mardi matin lors d'une conférence de presse organisée à la mairie : « Je suis déçue parce que j’osais espérer que le tribunal administratif m’appliquerait la même jurisprudence que celle dont Jean-Paul Huchon (président PS de la région Île-de-France – Ndlr) avait bénéficié lorsque ses comptes de campagne avaient été rejetés lors de la campagne régionale en 2010, au motif qu’il avait utilisé une campagne publicitaire assez importante des trains régionaux, qui avait été assimilée à une propagande électorale. »

Elle invoque l'« écart considérable » qui l'a séparée, lors du scrutin, de son adversaire socialiste (51,3 % contre 37,7 %) et le fait que les articles en question ont été diffusés « entre septembre et novembre 2013 », une période « très éloignée du scrutin », estime-t-elle. « C’est une question d’interprétation bien subjective, dénonce-t-elle. Je me pose des questions. Me rendre inéligible aujourd’hui, alors qu’il y a des scrutins majeurs en 2015 – en mars pour les cantonales, en décembre pour les régionales –, c’est peut-être au fond essayer d’éliminer une candidate qui peut déranger. Je trouve qu’il y a là une atteinte au suffrage universel, une forme de déni de la démocratie que je ne tolère pas. »

Ces articles rédigés dans Le Petit Journal sont aussi au cœur d'une enquête préliminaire ouverte en février par le parquet de Montauban pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics à la mairie. Comme Mediapart l'avait révélé, le chargé de communication de la maire l'accuse de l'avoir rémunéré, « aux frais de la collectivité », pour écrire dans deux journaux locaux des articles « pro-Barèges » et défavorables à l'opposition (lire notre enquête).

La police judiciaire de Toulouse tente de savoir si ce chargé de communication a été payé par la collectivité pour écrire ces articles. Brigitte Barèges, qui récuse toute malversation dans ce dossier, avait été entendue en mars par la police judiciaire.

D’après les contrats de travail que Mediapart s'était procurés, Jean-Paul Fourment était, depuis septembre 2012, « chargé de communication au service communication »« à temps complet » à la mairie de Montauban. Un travail que la ville rémunérait à hauteur de 3 070,30 euros brut, d’après son bulletin de paie. Mais le collaborateur de Brigitte Barèges avait affirmé à Mediapart que « (son) poste à la mairie ne correspond(ait) pas au travail que la Maire (lui) a confié »« Je n'avais pas de bureau en mairie, ni de matériel, je travaillais avec mon ordinateur et téléphone personnels, à mon domicile. Depuis septembre 2012, je fais quasi uniquement des articles politiques nationaux et locaux qui passent dans le journal local : Le Petit Journal du Tarn-et-Garonne », nous avait-il affirmé.

« Lorsqu’elle m’a embauché, elle m’a dit : “Ce que je veux de toi, c’est que tu puisses réagir à tout ce que va dire La Dépêche du Midi, et mettre en place un vrai système de communication. Donc officiellement, tu seras à la com‘, mais officieusement, tu écriras dans Le Petit Journal et tu feras les articles que je veux que tu fasses.” Et là, on part dans un délire complet, et j’y ai participé, sans en voir les conséquences. Elle a monté un système de communication pro-Barèges », avec « une stratégie organisée et structurée », avait-il relaté.

J.-P. Fourment et B. Barèges, le 14 septembre 2013, lors de la présentation aux militants de la campagne -capture d'écran vidéo.J.-P. Fourment et B. Barèges, le 14 septembre 2013, lors de la présentation aux militants de la campagne -capture d'écran vidéo.

« Madame Barèges me téléphonait et m'envoyait des mails jour et nuit, tous les jours pour me demander des articles à sa convenance et validés par elle. Ces articles paraissaient le lundi et le samedi dans Le Petit Journal, signés par un pseudo – Sébastien Duhem – pour ne pas être reconnu par l'opposition. » Pour appuyer ses affirmations, Jean-Paul Fourment a fourni ses articles politiques et les nombreux mails dans lesquels Brigitte Barèges lui adresse ses « demandes », « précisions » et « validations ». Ces échanges par mail entre Mme Barèges et M. Fourment, que Mediapart a consultés, sont explicites.

La maire de Montauban a déjà fait parler d’elle à l’occasion de nombreuses polémiques. En 2011, elle lance, en commission des lois, à propos de l’ouverture du mariage aux homosexuels : « Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? Ou la polygamie ? » En 2012, elle préconise la « préférence nationale » contre le chômage, puis explique, en juin, qu’elle serait « ravie » que Marine Le Pen « soit élue à l'Assemblée nationale ». Pendant les municipales de 2014, elle suscite un tollé en parlant de son seul colistier noir comme étant « la tache (de sa) liste ».

La maire de Montauban s’était aussi fait remarquer pour avoir, en août 2012, triplé son salaire, ainsi que pour ses méthodes locales. Mi-septembre, contrainte d'inscrire à l'école des enfants de parents étrangers qu'elle avait refusés, Brigitte Barèges avait dénoncé cette décision, affirmant que « les Montalbanais de souche ne veulent plus aller (dans ces écoles) », et fustigeant « l'immigration massive ». Quelques jours plus tard, des citoyens s'étaient vu refuser l’accès au conseil municipal au motif qu'ils avaient participé plus tôt à un rassemblement pour « une école pour tous », en réaction à ses déclarations.

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Budget 2015 : les anciens ministres s'abstiennent

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Le signal politique est très fort. Traditionnellement, le vote du budget est l'occasion de faire apparaître à l'Assemblée nationale la solidité d'une majorité. Ce mardi 21 octobre, c'est la fragilité de la majorité actuelle qui est apparue en plein jour. La première partie du budget 2015 (son volet recettes), qui prévoit 21 milliards d'économies, n'a été approuvée qu'avec 21 petites voix d'avance. Avec 245 voix contre et 266 pour, le gouvernement Valls n'obtient que 10 voix au-dessus de la majorité nécessaire, lui qui, en théorie, détient une majorité absolue des sièges à l'Assemblée nationale.

Ce vote est le premier d'ampleur depuis le remaniement de la fin août et le départ de poids lourds réclamant une réorientation de la pollitique économique menée par François Hollande et Manuel Valls. Il intervient juste après la sortie musclée de Martine Aubry, qui a expliqué dimanche dans Le JDD « partage(r) les propositions » économiques des frondeurs : ciblage des 41 milliards d'aides aux entreprises accordées d'ici 2017, soutien à l'investissement des collectivités locales, grande réforme fiscale, etc.

De toute évidence, il traduit les doutes et les exaspérations d'une majorité qui, même sur les textes les plus importants, ne concède désormais son soutien que de justesse. De quoi inquiéter l'exécutif, alors que le gouvernement va devoir faire voter dans les semaines à venir le volet dépenses du budget et la loi de financement de la sécurité sociale.

Sur les 56 abstentions recensées, 14 viennent des rangs écologistes et 39 des sièges socialistes. La seule fois où autant de députés PS se sont abstenus, c'était le 30 avril, lors du vote du pacte de stabilité, le paquet de 50 milliards d'économies d'ici 2017. Ils étaient alors 41, 2 de plus. À l'époque, les responsables de la majorité s'étaient rassurés en se disant que ce vote n'étant qu'indicatif, les députés s'étaient « lâchés ». Cette fois, impossible pour eux d'avoir la même grille de lecture.

Cliquer ici pour afficher l'intégralité du scrutin sur le site de l'Assemblée nationale.

Comme d'habitude depuis six mois et le début de la rébellion d'une partie de la majorité contestant les choix économiques du gouvernement, les meneurs de la « fronde » (les aubrystes Christian Paul et Jean-Marc Germain, l'ex-strauss-kahnien Laurent Baumel) et les députés des ailes gauches du PS se sont abstenus. Mais  ils sont rejoints par de nouveaux refuzniks. Comme Patrice Prat et Arnaud Leroy, des députés proches d'Arnaud Montebourg, qui n'est pas parlementaire. Ou les anciens ministres Benoît Hamon, Aurélie Filippetti, qui ont quitté le gouvernement fin août et sont redevenus députés. Ou Delphine Batho, ancienne ministre de l'écologie limogée en juillet 2013 :

Par ailleurs, certains députés notoirement critiques, et qui s'étaient par exemple abstenus cet été sur le fameux « pacte de responsabilité » de François Hollande, ont voté pour. Ce qui est à la fois une bonne nouvelle pour le gouvernement, mais aussi un facteur d'inquiétude : qui peut en effet garantir qu'ils feront de même dans les prochaines semaines ?

« Ça promet sur la deuxième partie, les dépenses ! La chasse aux frondeurs peut débuter ! » s'est moqué, dans les couloirs de l'Assemblée, l'UMP Philippe Gosselin, dont les propos ont été rapportés par l'AFP.

Ces derniers jours, la discussion a été très agitée. Faute de disposer d'une majorité à certains moments sur des votes de peu d'importance, le gouvernement a dû par deux fois décaler des scrutins en demandant la « réserve des votes », un signe du peu d'entrain des députés socialistes. Mis en minorité sur trois votes, il a même dû faire, ce mardi matin, revoter les députés sur certaines dispositions.

L'abstention de députés qui faisaient encore partie du gouvernement il y a quelques semaines, et avaient accepté dans leur fonction le cadre budgétaire contraint qu'ils contestent aujourd'hui, a suscité des réactions très hostiles au PS et de la part de responables de l'exécutif. Et mercredi matin, la tension est montée brutalement. 

Sur RTL, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, s'est dit  « choqué » par le fait que "deux ministres de la République qui ont quitté le gouvernement et qui avaient accepté les arbitrages budgétaires au mois de juillet se soient abstenus ». « Ceci pose un problème éthique. Ce n'est pas loyal par rapport à son camp, ce n'est pas une bonne image par rapport à la politique », a poursuivi Cambadélis.

Réponse immédiate, et violente, des intéressés. Sur itélé, Aurélie Filippetti affirme n'avoir « aucune leçon à recevoir de qui que ce soit » et dénonce la « mauvaise foi » de l'exécutif et des responsables socialistes. Quant à Benoît Hamon, il affirme sur RFI que s'il s'est abstenu, c'est parce que la politique du gouvernement « réduit les capacités d'intervention de la puissance publique ». Et assure même qu'elle « menace la République. Et la menace de la République, c'est la préparation tout droit, comme on s'y prépare pour 2017, d'un immense désastre démocratique (...) non seulement l'arrivée au second tour de la présidentielle de Marine Le Pen sans coup férir, mais en plus la menace que demain, elle dirige le pays. »

Sur BFMTV, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll déplore à son tour dans ce vote un « manquement au devoir ». « Il serait cohérent que Benoît Hamon quitte le parti socialiste. (...) Il va trop loin, il peut avoir des sentiments et des critiques, mais une limite a été franchie. »

BOITE NOIREL'article, publié mardi soir, a été réactualisé après les déclarations de plusieurs ministres, ex-ministres et responsables PS.

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Soutien à Sarkozy: des fillonistes «s'assoient sur leurs convictions»

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La photo n’a pas deux ans, mais elle paraît dater d'un autre temps. Nous sommes fin 2012, en pleine crise pour la présidence de l’UMP. François Fillon vient de créer le Rassemblement-UMP (RUMP), un groupe parlementaire éphémère, destiné à mettre la pression sur Jean-François Copé pour qu’il accepte la tenue d’un nouveau scrutin interne. Certains élus de l’opposition voient dans cette initiative un moyen efficace de prendre leurs distances avec cette fameuse “droite décomplexée” amorcée par Nicolas Sarkozy au cours de son quinquennat et confortée par le député et maire de Meaux jusqu'à sa démission forcée au mois de juin 2014.

François Fillon et ses soutiens, en 2012.François Fillon et ses soutiens, en 2012. © DR

Ce jour-là, dans un escalier de l’Assemblée nationale, les quelques 70 députés qui ont suivi l’ancien premier ministre prennent la pose derrière leur champion. Le message est clair : c’est un bloc indéboulonnable qui se présente sous l'objectif grand angle du photographe. Une équipe aussi soudée qu'elle semble décidée à rompre avec les vieilles méthodes. En deuxième ligne, juste derrière François Fillon, figurent Éric Ciotti, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Christian Estrosi et le fidèle député du Val-d'Oise, Jérôme Chartier. À l’exception de ce dernier, tous ont dernièrement officialisé leur soutien à Nicolas Sarkozy pour l’élection du futur patron de l'UMP.

Eux qui applaudissaient, il y a encore quelques semaines, François Fillon lorsqu’il attaquait frontalement l’ex-chef de l’État, baissent à présent les yeux quand celui-ci se félicite de les avoir rassemblés derrière sa candidature. Ils ont beau jurer, comme l’ont fait Pécresse et Ciotti, que le vote du 29 novembre prochain ne les engagerait nullement pour la primaire de 2016, le résultat est le même : leur prise de position affaiblit l’ancien premier ministre dans ses velléités élyséennes. Par mépris pour la « caporalisation », Fillon avait décidé de ne donner aucune instruction à ses troupes, se contentant de souligner la nécessité de mettre en place une « nouvelle génération » à la tête du parti. Mais les sous-entendus, aussi appuyés furent-ils, n'auront pas suffi à empêcher ses plus belles prises de décrocher de l'hameçon.

« Fillon aurait dû prendre position pour Bruno Le Maire », regrette le député de Paris Bernard Debré, qui a accordé son parrainage à Hervé Mariton « pour qu’il puisse se présenter », mais qui votera en faveur du député de l’Eure. « Cela aurait permis d’éviter que tout ce monde aille baiser la babouche au moindre mouvement de foule. » D’autant que si l’on en croit un conseiller de l’ancien premier ministre, Bruno Le Maire emporte largement le suffrage des députés fillonistes : « Ils sont 23 à le soutenir, contre 8 pour Nicolas Sarkozy et 9 pour Hervé Mariton. Sans parler du Sénat ! On est quand même loin de l'hémorragie qu'on nous promettait ! »

Et ce conseiller d'égrener les noms des « rares personnalités » qui ont choisi de rallier Sarkozy : Éric Ciotti (Alpes-Maritimes), Valérie Pécresse (Yvelines), Éric Woerth (Oise), Marianne Dubois (Loiret), Camille de Rocca-Serra (Corse-du-Sud), Patrick Ollier (Hauts-de-Seine), François Guégot (Seine-Maritime), Philippe Goujon (Paris)... Quant aux autres, « cela fait longtemps que l'on a compris qu'ils ne roulaient que pour eux-mêmes ».

Christian Estrosi et Éric Ciotti.Christian Estrosi et Éric Ciotti. © Reuters

Les proches historiques de François Fillon se rassurent en répétant à qui veut l'entendre que « le retour de Sarko est raté » et qu'il « ne tiendra pas jusqu'en 2017 parce que les affaires l'arrêteront avant ». Mais ils restent toutefois très lucides quant à la situation de leur propre champion. Oui, l'ancien premier ministre traverse « une mauvaise passe ». Oui, il ne fait aucun doute qu'Alain Juppé et Nicolas Sarkozy l'ont déjà écarté du jeu, « du moins médiatiquement ». Et oui, deux ans avant la primaire, ce « malheureux constat » ne peut que les faire grimacer. Du coup ? « Du coup, on fait le dos rond et on continue de travailler sur le fond », glisse sans trop y croire un fidèle filloniste. Pour le reste, « chacun s’arrange avec sa conscience », assène un autre ex-membre du RUMP.

Parmi les troupes de l'ancien premier ministre, chacun prend soin de distinguer les différents ralliements à Nicolas Sarkozy. Il y a « ceux qui ne pensent qu'à eux et se voient déjà ministres en 2017 ». Comprendre Christian Estrosi, Laurent Wauquiez ou encore François Baroin. Pour Bernard Debré, ceux-là sont « allés un peu vite en besogne » parce qu'ils « ne se sont pas rendu compte que le retour de Sarko n’était pas si évident ».

Et puis, il y a « les autres », ceux qui « ne veulent pas être emmerdés » : Éric Ciotti, par exemple, qui n'aurait pu prendre « le risque de se mettre à dos tout le département des Alpes-Maritimes (l'un des plus sarkozystes de France – ndlr) », mais aussi le président de la fédération UMP de Paris, Philippe Goujon, et Valérie Pécresse qui ne pense qu'aux régionales de 2015 et à qui Nicolas Sarkozy a déjà proposé de coordonner l’ensemble des têtes de listes pour ce scrutin, lors d'une réunion organisée début octobre avec plusieurs élus fillonistes.

Certaines propositions ne se refusent pas. Surtout lorsqu'elles émanent de celui dont la victoire en novembre ne fait de doute pour personne. Finalement, « chacun exprime sa liberté comme il le souhaite », élude le député du Val-d’Oise, Jérôme Chartier, qui réfléchit de son côté à une éventuelle prise de position qu’il rendra publique « entre le 15 et le 20 novembre ».

« On fait avec la réalité, renchérit un autre élu filloniste, Pierre Lellouche, qui ne souhaite pas s'exprimer sur son vote. J’ai tout vu en politique, rien ne me surprend plus. Ce qui m’importe, c’est la façon dont je me comporte, moi. Je reste droit dans mes bottes en continuant à soutenir Fillon. » Le député de Paris nous fait part de son point de vue par téléphone, mais le clin d'œil adressé aux parlementaires qui ont choisi de rallier Sarkozy après l'avoir tant critiqué n'en est pas moins visible.

Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy, en 2011.Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy, en 2011. © Reuters

Bernard Debré va encore plus loin : lui se dit purement et simplement « choqué » par la prise de position de ses ex-camarades du RUMP. « Ils disent “je suis du côté de Sarkozy, mais je soutiendrai Fillon en 2016”. Comme si cette élection n'était pas un marche-pied pour la primaire... C'est ridicule, s'agace-t-il. Certains s’assoient sur leurs convictions pour s’acheter une tranquillité. Mais où est-on si on ne peut pas dire ce que l’on pense vraiment ? C’est devenu quoi l’UMP ? Le parti communiste d’il y a trente ans ? »

Les ralliements de Valérie Pécresse et d’Éric Ciotti ont été annoncés dans la presse par les intéressés un ou deux jours avant la venue de Nicolas Sarkozy dans leurs départements respectifs, les Yvelines (le 7 octobre à Vélizy-Villacoublay) et les Alpes-Maritimes (le 21 octobre, à Nice). Ils ont été prononcés du bout des lèvres et assortis de toutes les précautions langagières possibles et imaginables. « Il faut lire entre les lignes : c’est un vote, pas un soutien », prévenait ainsi l'entourage de l'ancienne ministre de l'enseignement supérieur quelques heures après son interview au Journal du dimanche. Les ficelles sont tellement grosses qu’elles ne trompent personne. Pas même les militants pro-Sarkozy qui avaient hué Pécresse lors du meeting de Vélizy.

Qu’importent les sifflements et les sourires figés. Nicolas Sarkozy est ravi de son tour de passe-passe. Pendant ses réunions publiques, il s’amuse à souligner « le calme » qu’il a, selon lui, réussi à instaurer depuis son retour. « Même si ce n’est pas sincère, c’est plus calme... », plaisantait-il encore le 7 octobre face à un parterre de fans inconditionnels qui lui répondaient en criant : « Méfiez-vous ! », « C’est de l’opportunisme ! ». Malgré ce qu’il tente de faire croire, l’ex-chef de l’État n’a pas calmé les esprits à droite. La guerre qui l’oppose à son ancien premier ministre est toujours aussi vive. En témoigne la « rencontre sous haute tension » des deux hommes dont le JDD s’est fait écho.

Nicolas Sarkozy et François Fillon, en 2012.Nicolas Sarkozy et François Fillon, en 2012. © Reuters

« Pourquoi ça ne serait pas toi qui nous soutiendrais, Alain ou moi, en 2017 ? » a demandé Fillon le 2 octobre à Sarkozy lors de leur entrevue au domicile de René Ricol, le président d'honneur de l'ordre des experts-comptables. « J'avais gagné contre Copé et tu ne m'as pas soutenu », s'est-il emporté, opposant une fin de non-recevoir à l'invitation lancée par l’ancien président de venir ­discuter à son bureau ou chez lui. Parmi les fillonistes qui se disent encore “non-alignés”, nul ne se gêne pour critiquer le retour fiasco de Nicolas Sarkozy. « Sa campagne n’est pas bonne, tranche le député de Charente-Maritime, Dominique Bussereau. Personne ne m'en parle sur le terrain. Ça n’accroche pas. »

Les nouveaux soutiens fillonistes de l’ex-chef de l'État ne sont en rien gages du « grand rassemblement » promis par Nicolas Sarkozy. Leur engouement soudain pour ce dernier n'est qu'un énième exemple du caractère versatile des professionnels de la politique. En revanche, ces ralliements révèlent les failles de la stratégie engagée par François Fillon depuis 2012, stratégie que certains de ses proches commencent à remettre sérieusement en question. « Il ne veut pas aller au combat, c’est dommage », souffle ainsi Bernard Debré, rejoint en ce sens par le député du Nord, Thierry Lazaro, qui votera Bruno Le Maire et penche désormais pour Alain Juppé : « Nos grands hommes doivent prendre position. »

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Meurtre à Noisy-le-Sec: un policier est renvoyé devant les assises

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Le 25 avril 2012, sa mise en examen pour homicide volontaire avait provoqué la colère de ses collègues policiers. À dix jours du second tour de la présidentielle, plusieurs centaines de policiers de Seine-Saint-Denis avaient défilé en armes sur les Champs-Élysées, gyrophares allumés et deux-tons hurlants. Dès le lendemain, le candidat Nicolas Sarkozy (UMP) leur avait promis « une présomption de légitime défense, car dans un État de droit, on ne peut pas mettre sur le même plan un policier dans l'exercice de ses fonctions et le délinquant dans l'exercice de ses fonctions à lui ».

Le 19 septembre 2014, au terme d’une minutieuse enquête, Nicolas Aubertin, vice-président chargé de l’instruction au tribunal de Bobigny, a renvoyé le gardien de la paix Damien Saboundjian, âgé de 35 ans, devant les assises pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique ». Co-saisi de l'affaire avec sa collègue Vanessa Lepeu, le juge d’instruction a décidé de requalifier les faits un grade en dessous car « l’information n’a pas permis de démontrer formellement que Damien Saboundjian avait voulu tuer Amine Bentounsi en tirant volontairement à quatre reprises dans sa direction », précise-t-il dans son ordonnance de mise en accusation.

Nicolas Aubertin écarte l’état de légitime défense. Selon lui, le policier, très bon tireur, « cherchait manifestement à interpeller coûte que coûte Amine Bentounsi, sans veiller à assurer sa protection. Enfin, rien n’établit que le fuyard l’ait à un quelconque moment réellement menacé, si ce n’est ses seules affirmations, difficilement corroborées par les versions multiples de G. B. (son collègue, ndlr) et aucunement confirmée par les témoins de la scène ».

Le 21 avril 2012, vers 20 h 30, un appel anonyme prévenait le centre de commandement de la police de Seine-Saint-Denis de la présence d’un individu nommé « Amine », recherché pour vol à main armée, devant un bar de Noisy-le-Sec. Repéré par un équipage de Police secours, Amine Bentounsi, 28 ans, s’enfuit. Les trois policiers qui s’engagent à ses trousses ignorent alors ses antécédents judiciaires. Ils pensaient partir sur un contrôle de routine. Père d’une petite fille de six ans, le jeune homme était en cavale depuis juin 2010 et avait accumulé onze condamnations depuis son adolescence, dont trois devant les assises (lire son portrait dans Libération). Il lui restait 18 mois à purger d’une condamnation pour le braquage à main armée d’un supermarché avec séquestration des employés.

Dans sa course, le fuyard lâche une grenade, qui se révélera factice, puis sa ceinture, ses gants et un étui d’arme de poing. Un des policiers chute, ils sont distancés. Leur quatrième coéquipier Damien Saboundjian, resté au volant du véhicule, contourne le pâté de maisons et tombe nez avec nez avec Amine Bentounsi. Le policier affirme alors avoir été braqué une première fois, s’être recroquevillé dans la voiture, puis s’être engagé à pied à la poursuite du jeune homme. « Quand je suis sorti de la voiture après avoir été braqué, j'ai entendu mon collègue G. B. crier "attention, il a un gun" », ajoute-t-il lors de sa première audition à 2 heures du matin le 22 avril.

Dix à quinze secondes plus tard, plusieurs coups de feu retentissaient et Amine Bentounsi tombait face contre terre, touché par une balle au bas du dos. Quatre douilles seront retrouvées au sol sur le trottoir d’en face.

Courant derrière lui, son coéquipier G.B. est le premier à arriver sur les lieux. Le gardien de la paix découvre un  revolver au sol à côté du fuyard qu’il écarte. Puis il s’aperçoit, en voulant le menotter, que le jeune homme saigne abondamment dans le dos. Il le place alors en position latérale de sécurité. À 20 h 39, leur chef de bord demande l’intervention des sapeurs-pompiers. Évacué par hélicoptère, Amine Bentounsi décède d’une hémorragie interne à 5 h 10 à l'hôpital Pompidou.

Quant au policier tireur, en pleurs, il est pris en charge par un agent de la brigade anticriminalité, puis par une cellule psychologique avant d’être interrogé par l’IGS vers 2 heures du matin. Il sera placé en garde à vue le 23 avril à 17 heures, près de deux jours après les faits. « Je calmais mon collègue qui répétait qu'il avait tiré, et touché la personne, a dit l’agent de la Bac interrogé par l’inspection générale de services (Police des polices parisienne, ndlr). Il disait "Je l'ai touché, je crois qu'il est mort, il ne m'a pas laissé le choix, il m'a braqué et j'ai tiré". »

Interrogé par l’IGS, Damien Saboundjian a affirmé avoir été à nouveau braqué par Amine Bentounsi et avoir effectué en « panique » un « tir de riposte » « pour le neutraliser, pour mettre fin au danger car j'allais mourir ». Selon lui, Amine Bentounsi l’« attendait sur le trottoir en face avec le revolver. Tant que je ne sortais pas, il restait sur le trottoir à m'attendre ». Comment alors explique-t-il l’avoir touché dans le dos ? Amine Bentounsi se serait retourné au moment où il a ouvert le feu, suggère le gardien de la paix. « À aucun moment je n'ai voulu le tuer, c'était pour me défendre », insiste-t-il devant le juge le 10 octobre 2012.

Son coéquipier G.B. a d’abord confirmé sa version avec force détails. « J’ai aperçu cette personne se retourner plusieurs fois et soudainement il a pointé son arme en direction de mon collègue, a-t-il affirmé le 22 avril à l’IGS. Je veux préciser qu'il s'est figé, il ne fuyait plus, il était bien campé sur ses pieds. Il tenait l'arme d'une main, il avait le bras devant lui semi-fléchi le canon dirigé vers mon collègue. »

Mais ses propos ont considérablement changé au fil des auditions. Au point que les enquêteurs de l’IGS ont fini par lui demander s’il ne mentait pas « pour couvrir (son) collègue ». Devant la police des polices puis le juge d’instruction, G.B. a reconnu qu’il n’avait pas vu la scène et n’avait fait que répéter « par déduction » ce que lui avait dit son coéquipier. Le commissaire de permanence cette nuit-là pour la Seine-Saint-Denis a d’ailleurs déclaré à l’IGS en août 2012 qu’à son arrivée sur les lieux, les trois collègues de Damien Saboundjian « étaient formels, ils n'avaient pas vu la scène au cours de laquelle les tirs avaient eu lieu ».

L’expertise et la contre-expertise effectuées ne permettent pas de trancher. Les deux rapports concluent qu’au début de la fusillade, Amine Bentounsi pouvait se trouver de face comme de dos. « Rien ne s’oppose à ce que la version du mis en examen soit exacte, affirment le balisticien et le médecin légiste dans leur contre-expertise du 2 janvier 2014. Il faut moins d’une seconde pour qu’un homme fasse un demi-tour sur lui-même. Il faut environ une seconde pour qu’un tireur (…) tire quatre coups de feu. »

Les témoignages des six voisins et automobilistes, qui ont entendu les coups de feu et vu une partie de la scène, sont plus gênants pour le fonctionnaire mis en examen. Aucun n’a vu Amine Bentounsi le braquer. Deux ont en revanche vu le fuyard chuter puis se relever juste avant les coups de feu, ce que n’évoquent jamais les policiers. Quatre occupantes d’une Peugeot 306 affirment même avoir été braquées un court instant par un Damien Saboundjian « complètement paniqué ». Un autre automobiliste a d’abord cru assister à un règlement de comptes entre malfaiteurs. Le bas de caisse de sa voiture a été atteint par une balle à 30 centimètres du sol, « ce qui semble démontrer qu’au moins ce coup de feu était dirigé du haut en bas », observe le juge d’instruction Nicolas Aubertin.

Le juge estime que le policier « est allé sciemment au contact d’Amine Bentounsi, sachant qu’il était armé (…) alors qu’il avait la possibilité de se mettre à l’abri derrière un fourgon Renault Master stationné à proximité immédiate ». Mais Damien Saboundjian assure qu’il est sorti pour localiser le jeune homme qu'il avait perdu de vue et craignait de le voir surgir dans son dos. « Je regardais toujours derrière moi, devant moi, car j'avais peur qu'il arrive derrière moi pour me tirer dessus », a-t-il déclaré en garde à vue. Marié et père de deux enfants, le fonctionnaire est entré dans la police en 2002 « un peu par hasard », après un CAP de pâtissier et plusieurs emplois précaires.

De façon inhabituelle en matière de violences policières, l’enquête n’a rien laissé au hasard. L’IGS a entendu la soixantaine de fonctionnaires (policiers et pompiers) qui étaient passés par la scène de l’homicide. La police des polices a épluché l’ensemble du trafic radio, la géolocalisation des véhicules, ainsi que les factures détaillées (fadettes) de téléphone portable de plusieurs policiers. Elle a mené une réelle enquête de voisinage, ce qui a permis de retrouver plusieurs témoins. Une reconstitution a eu lieu. G.B. et Damien Saboundjian ont été entendus à de nombreuses reprises, sans ménagement, par l’IGS puis par les juges d'instruction qui ont pointé les incohérences dans leurs versions. Soupçonnés de s’être concertés, les deux hommes ont même été placés sur écoute de mai à juillet 2012.

Ces écoutes, dont Damien Saboundjian semble avoir été averti – il met en garde ses interlocuteurs à plusieurs reprises –, sont de peu d’utilité pour l’enquête elle-même. On découvre des policiers « sous cachets », marqués, qui ne dorment plus et se disent « traumatisés » à l'idée même de revenir à Noisy-le-Sec sur les lieux de la fusillade. Mais les écoutes éclairent surtout de façon inédite les dessous de l'impressionnante solidarité policière qui se met en place autour du fonctionnaire mis en examen. Les bœufs-carottes de l’IGS et les juges de Bobigny, réputés anti-flics, en prennent pour leur grade. « J'aurais préféré être jugé sur Paris (…) parce que Paris, ils sont plus cools avec les flics », glisse Damien Saboundjian à un de ses amis policiers le 5 mai 2012.

Persuadé qu’il obtiendra un non-lieu, le policier, délégué syndical au sein du commissariat de Noisy, se vante d’avoir obtenu l’éviction d’un officier de l’IGS qui lui a « mis la pression » durant une audition et dont il a « balancé » le nom « au préfet et au syndicat ». « Nathalie Orioli (ex-secrétaire nationale d’Unité SGP Police FO, ndlr), elle a une audience avec l'IGS, le directeur, explique le policier à sa sœur le 5 mai. Elle leur a remis les pendules à l'heure. Elle a dit : écoutez, vous avez deux solutions. Soit moi je vais casser votre service, soit le lieutenant vous le foutez ailleurs. » Le même jour, le policier mis en examen affirme à son chef de bord que « le lieutenant qui m'a auditionné, qui m'a mis la pression, à mon avis il va changer de service ».

Le 9 mai, c’est la syndicaliste elle-même qui appelle le policier mis en examen : « On est monté à l'IGS, on a mis un coup dans la fourmilière. L'officier, il va manger et ils vont être très soft. » « Attends, ils ont touché, non seulement ils ont touché à un flic mais ils ont touché à un syndicaliste, attends, un truc qu'y faut jamais faire ça », s’exclame Damien Saboundjian le 12 mai à autre ami. Contactée par Mediapart, Nathalie Orioli nous répond que « tout s’est réglé » et refuse de commenter plus avant. Le nom du lieutenant en question continue en tout cas d'apparaître dans la procédure. 

Ses ex-collègues tiennent Damien Saboundjian régulièrement au courant des auditions à l’IGS, à l’exception de G.B. avec lequel son contrôle judiciaire lui interdit tout contact. S’il ne fait pas confiance au tribunal de Bobigny, le policier peut en revanche compter sur le ministère de l’intérieur. Il est reçu par « un pote à Sarkozy » et ex-flic Christian Lambert, préfet de Seine-Saint-Denis, ainsi que par le directeur départemental de la sécurité publique.

« Il (le préfet Lambert, ndlr) m'a dit, l'administration est avec vous, raconte Damien Saboundjian le 5 mai 2012 à un ami policier. Il m'a dit, on vous soutient jusqu'au bout. Les frais de justice c'est nous qui vont (sic) les payer, c'est nous qui payons tout, il m'a dit. Il m'a dit, on vous mute où vous voulez et on vous garde votre salaire. » Dix jours plus tard, il confie à un autre ami que « le préfet a parlé avec Sarkozy et Guéant pour le faire muter » à Grenoble, sa région d’origine où vit sa famille. Le 26 avril, le père de famille a en effet été suspendu avec maintien du traitement et affecté à Grenoble.

Il ajoute, selon le résumé en style indirect des enquêteurs, que « dans la situation où il est il claque des doigts pour obtenir ce qu'il veut ». Il espère même « avec cette affaire » prendre « le grade de brigadier ou des échelons ». « La DRCPN (direction des ressources et des compétences de la police nationale, ndlr) dit amen à tout », précise-t-il le 1er juillet 2013. Une syndicaliste lui propose également d’accélérer les demandes de mutation de ses coéquipiers. Ses trois coéquipiers obtiennent de fait leur mutation pour Toulon, Bordeaux et la brigade équestre. « C'est jackpot pour eux, constate un brin amer Damien Saboundjian le 29 juin 2012. Et moi toute la merde, c'est moi qui l'ai bouffée. » Il dit aussi qu'il passe pour un « héros » à Grenoble mais que lui a « honte ».

Le 17 mai 2012, le premier déplacement du tout nouveau ministre de l’intérieur socialiste Manuel Valls est pour le commissariat de Noisy-le-Sec. Tout un symbole. « Apparemment tout le monde il est avec, même le ministre, le nouveau ministre il est passé nous voir », réconforte le 24 mai un ami policier au téléphone son collègue mis en examen. Le même jour, son chef de bord lui précise qu’à Noisy-le-Sec, le ministre n’a pas voulu parler à la famille d’Amine Bentounsi qui l’attendait devant le commissariat. « Putain... bien ... je suis bien content », réagit le policier.

Un de ses supérieurs, officier, lui fait part six jours plus tard du soutien du maire (centriste) de Noisy-le-Sec. Un autre, commissaire, lui propose via un syndicaliste de renforcer sa défense face à la famille qui vient de prendre pour deuxième avocat un cador du barreau, Me Dupont-Moretti.

Me Daniel Merchat, l'avocat du policier, indique ne pas avoir fait appel de l’ordonnance de mise en accusation. « Nous en prenons acte et ne souhaitons pas commenter », dit l'avocat. Pas d’appel non plus du côté de la famille d’Amine Bentounsi, même si Me Michel Konitz, l’un des deux avocats de la famille, regrette la requalification des faits. « Les juges ont eu un certain courage, ils n’ont pas enterré le dossier et l’ont instruit dans un temps normal : le policier est quand même renvoyé pour avoir tué quelqu’un », réagit-il.

« Les enquêteurs ont fait un véritable travail de fourmi, reconnaît Amal Bentounsi, la sœur d’Amine. Mais ça reste un fait exceptionnel, dans toutes les autres affaires de familles faisant partie du collectif, ce n’est pas le cas. Le justiciable policier reste au-dessus du justiciable ordinaire. » Amal Bentounsi appelle à un rassemblement contre les « abus policiers » le 15 novembre 2014 devant le ministère de la justice.

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Manifestations interdites de soutien à la Palestine : Alain Pojolat (NPA) relaxé

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C'est au milieu d'affaires de harcèlement entre ex-conjoints et d'agressions physiques qu'Alain Pojolat a comparu, ce mercredi, devant la 24e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Le militant du NPA se voyait reprocher d'avoir organisé et appelé à une manifestation, malgré son interdiction par la préfecture de police de Paris, lors des deux rassemblements en soutien au peuple palestinien, à Barbès puis sur la place de la République, les 19 et 26 juillet derniers (lire nos articles ici et ici et, dans le Club, l'appel de soutien : "La solidarité est un droit, pas un délit").

Assez rapidement, la relaxe est apparue inévitable, tant l'accusation se révélait faible, de la convocation à comparaître bourrée de fautes d'orthographe et de syntaxe, relevées par la juge, jusqu'à l'argumentaire de la mise en cause. « Après les décisions d'interdiction, j'ai informé mon parti et les autres organisations qui ont décidé collectivement de leur présence », a dit Pojolat, qui représentait le NPA lors des discussions préalables avec la préfecture. Déjà condamné en juin pour un rassemblement, non déclaré, de soutien pour la libération du militant communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, emprisonné depuis trente ans en France (lire ici), Pojolat, retraité de la BNP qui milite à l'extrême gauche depuis les années 1960 (lire ici son portrait), se sait l'objet d'une attention particulière. Manuel Valls a cité son nom à la presse pendant l'été, avant qu'il ne fasse l'objet d'un portrait particulièrement à charge dans le Nouvel Observateur. Devant la juge, il précise : « Je ne suis allé à aucune des deux manifestations, ni n'ai appelé à manifester après la notification de la préfecture, bien que j'y étais favorable personnellement. »

Alain Pojolat, le 22 octobre au TGI de ParisAlain Pojolat, le 22 octobre au TGI de Paris © S.A

À quelques mètres du tribunal, un rassemblement de soutien a réuni une centaine de personnes, parmi lesquelles Olivier Besancenot (NPA), Arlette Laguiller (LO) ou Éric Coquerel (PG), dénonçant la criminalisation de la mobilisation pour la cause palestinienne. Dans la salle d'audience, les « Palestine ! Palestine ! » puis « l'Internationale » ont résonné de l'extérieur aux oreilles de la procureure pendant son réquisitoire, alors que l'ancien candidat à la présidentielle Philippe Poutou ou Monseigneur Gaillot s'étaient glissés dans l'assistance.

Selon la représentante du parquet, il aurait fallu « tout faire pour que les rassemblements n'aient pas lieu, une fois que l'interdiction de la préfecture était notifiée ». Et d'estimer que Pojolat « aurait dû participer à la "désorganisation" de la manifestation ». Elle requiert 2 mois de prison avec sursis (sans s'exprimer sur la précédente condamnation du prévenu, susceptible de potentiel emprisonnement ferme) et une amende de 1 500 euros.

Pour le défenseur du militant NPA, Me Jean-Louis Chalanset, cette plainte s'inscrit dans un contexte politique plus global, rappelant le soutien de l'Élysée à l'intervention militaire israélienne à Gaza ou le fait que Manuel Valls se dise « pro-Israël ». Interrompu par la présidente – « Ne faites pas de ce tribunal une tribune politique ! » –, l'avocat réplique : « Mais on reproche à mon client une action politique ! Si le parquet était un minimum indépendant, il aurait dit lui-même que cette plainte n'est pas fondée. Ou alors il fallait poursuivre le NPA et la dizaine d'organisations qui ont appelé à la manifestation, et ont maintenu leur appel malgré l'interdiction. »

Puis il enfonce le clou, après avoir rappelé que « beaucoup de rassemblements lycéens ou paysans ne font pas non plus l'objet de demandes d'autorisation », et lance : « On a le droit de résister et de manifester, si on considère que la cause est légitime. Avant d'appeler à manifester, il faudrait s'assurer qu'un rassemblement est autorisé ? Mais on parle de bombardements sur Gaza, qui ont provoqué des manifestations spontanées partout en province et dans le monde. Il n'y a qu'à Paris qu'elles ont été interdites… » Alain Pojolat conclut l'audience d'une dernière phrase : « Quelle que soit la décision du tribunal, aucun gouvernement de gauche, de droite ou d'extrême droite, ne nous empêchera jamais de manifester notre soutien à la cause palestinienne. »

En attendant le verdict, dans le hall, plusieurs militants et avocats proches de la cause palestinienne discutent. Parmi eux, Me Dominique Cochain raconte les « jugements très sévères » prononcés contre la trentaine de personnes jugées après les interpellations lors des rassemblements estivaux de soutien à Gaza. « Le plus souvent, les vrais casseurs se sont enfuis et ce sont ceux qui sont restés en pensant n'avoir rien à se reprocher qui ont été attrapés, dit-elle. Dans la plupart des cas, les prévenus le sont pour rébellion face aux forces de l'ordre, en fait des policiers en civil. À aucun moment, il ne leur a été accordé le bénéfice du doute. »

Elle évoque ces dossiers de photos de dégradations, « identiques pour chaque affaire », extraites des enregistrements de vidéosurveillance, où l'on voit « le lieu dégradé, mais quasiment jamais l'acte reproché en train d'être commis ». Elle regrette aussi « la confusion dans les têtes de certains magistrats, plusieurs semaines après, entre manifestations autorisées et interdites », et dit son sentiment que « le reproche principal qui est fait, c'est juste celui de jouir d'une liberté fondamentale. Une fois, un juge a même demandé à mon client : “Mais qu'êtes-vous allé faire dans cette galère ?” Il manifestait juste son indignation… »

Une fois relaxé, au milieu de ceux venus l'embrasser, criant leur joie ou écrasant quelques larmes, Alain Pojolat ne se départira pas de sa gravité. « Je ne suis pas soulagé, cette décision est juste normale. On va désormais voir si le parquet fait appel (il a dix jours pour le faire, ndlr), et ainsi continuer l'acharnement du gouvernement contre ceux qui se montrent solidaires de la cause palestinienne. »

Revoir notre débat sur les manifestations de soutien à Gaza interdites à Paris :

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Europe: feu vert pour la «commission de la dernière chance»

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L'Allemand Martin Schulz peut respirer : la « grande coalition » entre conservateurs et sociaux-démocrates, dont il est l'un des défenseurs acharnés, et qui lui a permis de rempiler cet été à la tête du parlement européen, a tenu bon. Une majorité confortable d'eurodéputés – 423 sur un total de 699 présents – a donné son feu vert, mercredi à Strasbourg, à la prochaine commission de Jean-Claude Juncker, qui doit entrer en fonction début novembre.

Ce vote clôt un long et périlleux processus institutionnel qui s'est ouvert en mai, avec des élections européennes marquées par une poussée des votes contestataires. « À l'heure où les citoyens perdent la foi dans nos institutions, où les extrémistes de gauche et de droite nous mettent l'épée dans les reins et où nos concurrents prennent des libertés à notre endroit, il est temps de donner un souffle nouveau au projet européen », a déclaré l'ex-premier ministre luxembourgeois, mercredi en amont du vote.

Juncker avait déjà rassemblé le 15 juillet, sur sa seule personne, un volume de voix à peu près identique (422) – Schulz avait fait un peu moins bien quelques jours plus tôt (409). Tout se passe donc comme si les auditions de commissaires, dont certaines avaient été très chahutées, début octobre, n'avaient pas changé grand-chose à l'affaire : Juncker pourra compter sur une majorité stable d'un peu plus de 400 voix (sur un total de 754 eurodéputés) pour les cinq années à venir. C'est un peu moins bien que ce qu'avait obtenu José Manuel Barroso (le Portugais avait attiré 488 voix il y a cinq ans).

Martin Schulz (à gauche) félicite Jean-Claude Juncker, le 22 octobre, à Strasbourg.Martin Schulz (à gauche) félicite Jean-Claude Juncker, le 22 octobre, à Strasbourg. © Flickr - Parlement européen.

Il aura suffi à Juncker de procéder à quelques micro-ajustements pour apaiser les tensions entre PPE (droite, premier groupe au parlement) et S&D (sociaux-démocrates, deuxième force). La première candidate slovène, une libérale, qui n'avait pas convaincu, est remplacée par le Slovaque Maros Sefkovic, pour occuper la vice-présidence à l'union énergétique. Une nouvelle commissaire slovène, Violeta Bulc, hérite des transports. Dernière modification, à la marge : le très controversé Tibor Navracsics, proche du Hongrois Viktor Orban, conserve l'essentiel de ses attributions (éducation, culture, jeunesse, sport), à l'exception de la « citoyenneté », qui revient désormais au commissaire grec chargé de l'immigration.

L'Espagnol Miguel Arias Cañete, qui paraissait bien mal parti, a sauvé sa peau, et sera le prochain commissaire au climat et à l'énergie. Il détenait, il y a encore quelques semaines, des parts dans des sociétés pétrolières. L'ex-lobbyiste britannique Jonathan Hill est quant à lui confirmé à la régulation financière. Tandis que Pierre Moscovici, « bête noire » de nombreux élus à cheval sur la rigueur budgétaire, sera bien, pour sa part, commissaire aux affaires économiques et monétaires, et à la fiscalité.

Qui a voté quoi ? Dans le détail (télécharger ici la liste nominale des votes), la quasi-intégralité du PPE (le premier groupe de l'hémicycle, auquel appartient l'UMP) a voté pour le nouvel exécutif, à l'exception de deux élus, dont Rachida Dati. L'ex-garde des Sceaux estime que certaines des auditions de commissaires « n'ont pas été convaincantes » : « Les petits arrangements entre amis, derrière des portes closes, ont tué la crédibilité de l’Europe et ont entraîné le rejet des peuples. Allons-nous continuer à risquer de mener l’Europe à sa perte ? » s'interroge l'eurodéputée.

Les libéraux emmenés par l'ex-premier ministre belge Guy Verhofstadt, auxquels sont rattachés les sept élus UDI-Modem (Marielle de Sarnez, Jean-Marie Cavada, etc.), se sont majoritairement prononcés pour Juncker et son équipe – à l'exception de quelques abstentionnistes (des Allemands et des Espagnols, en particulier). « Voter contre cette commission ne ferait qu'ajouter le désordre institutionnel à la crise économique et sociale », juge Sylvie Goulard, qui parle d'un vote de « responsabilité », même si elle reconnaît que « plusieurs commissaires ne (l)'ont pas convaincue ».

Comme souvent à Bruxelles, les sociaux-démocrates sont, de loin, le groupe le plus fragmenté : une majorité d'élus a voté pour, une vingtaine d'autres se sont abstenus (dont toute la délégation espagnole), et une dizaine d'autres ont voté contre. Chez les Français, comme Mediapart l'avait anticipé, les élus PS ont voté de manière éclatée. Pervenche Berès, à la tête de la délégation française, a voté pour, tout comme Sylvie Guillaume, Gilles Pargneaux ou Vincent Peillon. À l'inverse, quatre socialistes, représentants de l'aile gauche du parti, ont choisi de voter contre : Guillaume Balas, Édouard Martin, Emmanuel Maurel et Isabelle Thomas.

Le 15 juillet, les treize élus PS avaient réussi à s'entendre sur une position commune (abstention sur Juncker) – mais cette unité n'a pas tenu. « Qu'ils aient voté en faveur ou pas, les membres de la délégation partagent tous le même objectif : réorienter l'Europe », se défend-on côté PS. Le « dilemme » socialiste est toujours le même. Aux yeux de certains, il est impossible de valider certains commissaires douteux comme l'Espagnol Cañete. D'autant que les sociaux-démocrates, d'après eux, n'ont pas obtenu suffisamment de portefeuilles de premier plan dans le futur exécutif de Juncker.

« Voter pour cette commission, ce serait accepter une coalition sous domination de la droite. Ce serait renoncer à coaliser les forces de gauche. Cela reviendrait à laisser aux nationalistes la seule alternative possible », avançait Guillaume Balas pour justifier son vote. À ses yeux, Juncker et son équipe n'ont donné « aucune clarification sur la relance économique ».

À l'inverse, les défenseurs du « oui » au sein du PS insistent sur le rôle clé de deux futurs commissaires sociaux-démocrates : en plus de Moscovici donc, ils pensent au Néerlandais Frans Timmermans, qui sera le bras droit de Juncker. Ils estiment aussi que c'est en votant pour la future commission que leur voix sera le mieux entendue, dans les mois à venir, pour « améliorer » le fameux paquet de mesures de relance, chiffrées (un peu vite) à « 300 milliards d'euros », que la commission s'est engagée à présenter « d'ici Noël ». Ils jugent enfin qu'un vote "contre" risquerait d'ouvrir une nouvelle crise institutionnelle à Bruxelles, qui profiterait un peu plus aux adversaires du projet européen, FN en tête.

Sans surprise, les élus français du Front national (le plus important contingent français à Strasbourg, dont 20 étaient présents sur 23 mercredi) se sont opposés à la future commission Juncker. Les élus EELV et Front de gauche ont aussi refusé de soutenir le futur exécutif. Il faut signaler que Younous Omarjee, un élu de l'Union pour les Outre-mer, proche de Jean-Luc Mélenchon, a choisi de s'abstenir. Au total, 35 eurodéputés français ont voté contre, et un autre s'est abstenu, sur 70 présents.

Et maintenant ? Après un conseil européen en majorité consacré à l'énergie, en fin de semaine à Bruxelles, la commission de Jean-Claude Juncker va prendre ses fonctions le 3 novembre. Avec deux gros dossiers à suivre, sur le front économique. Un, le méga-plan de relance promis par Juncker, d'ici la fin de l'année, sur fond d'assèchement du budget de l'UE. Deux, la gestion de l'épineux dossier du budget français, qui devrait durer tout le mois de novembre.

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Contre le socialisme de caserne, le débat

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Et maintenant la purge ! Voilà que nos hérauts du social-libéralisme (mais est-il encore social ?), qui tiennent le gouvernement depuis la nomination de Manuel Valls à Matignon, font leur le vieux principe léniniste : le parti se renforce en s’épurant. Haro donc sur les voix dissonantes. Le limogeage du gouvernement, au mois d’août, d’Arnaud Montebourg, d’Aurélie Filippetti et de Benoît Hamon n’était qu’un hors-d’œuvre. Il faudrait maintenant engager des procédures d’exclusion du parti socialiste pour les grandes gueules (visé, Gérard Filoche) comme pour les voix dissidentes et critiques de ces anciens ministres qui refusent de se taire (lire ici l’article de Mathieu Magnaudeix).

L’histoire n’est pas qu’anecdotique – une énième crise de nerfs dans un PS à vau-l’eau – tant elle illustre l’ampleur d’une crise sans précédent. C’est une crise provoquée par la fusion d’un socialisme de gouvernement vidé de tout sens et d’institutions de la Ve République à bout de souffle. Le résultat est cet autoritarisme des faibles, coups de menton de Manuel Valls, menaces de Jean-Christophe Cambadélis et de Jean-Marie Le Guen, emportements de Stéphane Le Foll. Quand le caporalisme prétend ainsi effacer la politique – et les institutions l’autorisent –, la catastrophe n’est jamais loin pour la gauche. Les derniers scrutins, municipaux et européen, nous en ont donné un avant-goût (lire notre précédent article «Il est minuit moins cinq»).

Car comment s’offusquer qu’Aurélie Filippetti, Benoît Hamon, mais aussi Delphine Batho et Cécile Duflot, anciens ministres redevenus députés, ainsi que les proches d’Arnaud Montebourg se soient abstenus sur la première partie du budget 2015 ? C’est bien le contraire qui aurait posé un « problème éthique », selon la formule de Jean-Christophe Cambadélis, un spécialiste de la chose… Depuis des mois, ces responsables, d’abord au sein du gouvernement puis publiquement pour en expliquer leur départ, n’ont cessé de multiplier les alertes avant de dire leurs désaccords face à une politique qui tourne le dos à l’électorat de gauche et accumule les échecs (500 000 chômeurs de plus depuis mai 2012).

Que leur vote soit en cohérence avec leurs engagements ne peut étonner que le trio Cambadélis-Le Guen-Valls. Car l’abstention d’une quarantaine de députés lors du vote de cette première partie du budget n’est que la traduction du débat nécessaire que doivent mener le PS et, au-delà, l’ensemble de la gauche. Débat que le trio sus-cité veut à tout prix étouffer pour plusieurs raisons.

Mois après mois, députés frondeurs et autres responsables socialistes critiques ont réussi, aidés par les écologistes et le Front de gauche, à installer au centre du débat public une question autrement plus large que le simple problème de la solidarité du parti majoritaire et de ses alliés avec l’exécutif. L’enjeu est tout autre : il s’agit dans l’urgence des catastrophes électorales, des échecs économiques et sociaux, et de la montée de l’extrême droite, de redéfinir ce que la gauche peut et doit faire de l’exercice du pouvoir.

C’est l’enjeu brutalement posé ce mercredi par Benoît Hamon, affirmant que la politique de l’exécutif « menace la République ». Et ajoutant que « la menace de la République, c’est la préparation pour 2017 d’un immense désastre démocratique », soit « non seulement l’arrivée au second tour de la présidentielle de Marine Le Pen sans coup férir, mais en plus la menace que demain, elle dirige le pays ».

Ce constat aurait plus de force encore si l’ex-ministre de l’éducation s’était expliqué clairement sur les raisons de son alliance de circonstance avec Manuel Valls et Arnaud Montebourg au lendemain des municipales pour imposer un nouveau gouvernement à François Hollande… Mais la rupture est bel et bien consommée et Manuel Valls n'entend pas engager ce débat. Pour une raison immédiate : il serait lourdement minoritaire au sein même de son parti, sans parler des autres composantes de la gauche. Même les radicaux de gauche jouent à faire claquer les portes, c'est dire…

Car la légitimité de Manuel Valls n'est aujourd'hui qu'institutionnelle, dépendant du seul choix présidentiel de l'avoir nommé à Matignon. Sans majorité politique au sein du parti majoritaire, son seul levier de pouvoir est sa fonction de premier ministre. C'est de ce levier qu'il a usé pour placer Jean-Christophe Cambadélis à la tête du PS, sans consultation militante, et Jean-Marie Le Guen en charge des relations avec le Parlement, donc de la conduite de la majorité parlementaire.

Qu'une consultation non contrainte intervienne – comme ce fut le cas par exemple lors des primaires de 2011 – et il ne fait guère de doute que ce trio serait balayé. D'où l'argument d'autorité, appuyé par le carcan institutionnel, utilisé pour faire rentrer dans le rang toute voix ou entreprise dissonante. Car dans le même temps, toujours abrité en son fortin de Matignon, le premier ministre prétend faire avancer son projet politique de fond : la liquidation de l'héritage idéologique du parti d'Épinay pour un social-libéralisme dit moderne et décomplexé.

À sa manière, Emmanuel Macron l'avait dit à Mediapart, avant même sa nomination au ministère de l'économie : « L’idéologie de gauche classique ne permet pas de penser le réel tel qu’il est » ; le temps est venu de se débarrasser de cette « étoile morte » (lire ici l'article de Lenaïg Bredoux). Jean-Marie Le Guen, chargé lundi de faire feu sur Martine Aubry et sa critique virulente de la politique de l'exécutif, a énoncé le même programme dans Le Monde : « L'incapacité de la gauche à porter un projet de société moderne pousse les Français à se tourner vers la droite et, pire, vers le FN. Soyons honnêtes, le vieux logiciel socialiste n'attire plus. »

Manuel Valls enfonce le clou dans l'Obs, à paraître ce 23 octobre : « Il faut en finir avec la gauche passéiste, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses », assène le premier ministre en couverture de l'hebdomadaire, décrétant l'heure venue d'un nouveau parti pour lequel les militants n'ont été ni consultés ni invités à débattre ! Il s'agit désormais de « bâtir une maison commune de toutes les forces progressistes » et de s'ouvrir au centre. Il s'agit de ne plus dire gauche socialiste mais « gauche pragmatique, réformiste et républicaine ». Au fait, qu'en dirait donc cet électorat socialiste qui, il y a trois ans, accordait moins de 6 % de ses suffrages (sur environ trois millions de votants) au candidat à la primaire Manuel Valls ?

La volonté de passage en force du premier ministre n'est pas que le symptôme de sa fragilité politique. Elle vient souligner l'épuisement du modèle classique de la Ve République, exécutif irresponsable et parlement croupion. François Hollande aura ainsi engagé cette phase ultime de la crise de la gauche dans les habits de Ve. Dans son nouveau livre, Les Derniers Jours de la Cinquième République, comme il l'avait fait dans ses articles dans Mediapart (ils sont à lire ici), Christian Salmon diagnostique l'étendue de cet affaissement démocratique, pouvoir impuissant, débats anémiés, citoyens dépossédés.

Journal pluraliste, ambitionnant d'être le lieu de toutes les rencontres visant à reconstruire une espérance pour la gauche, Mediapart a dès le lendemain des élections municipales organisé des débats entre les différentes forces de gauche (ici notre live). De son côté, après les nombreuses conversations avec des ministres et responsables de gauche qui nourrissent son livre, Christian Salmon a demandé à plusieurs d'entre eux d'exercer leur « droit de suite ». « Droit de suite », donc de débat. Celui que refusent aujourd'hui l'exécutif et le PS. Celui que nous vous proposons ci-dessous avec ces trois textes rassemblés par Christian Salmon, textes d'Aurélie Filippetti, de Cécile Duflot et de Jean-Luc Mélenchon.

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Propos anti-juge : au tribunal, le prévenu Guaino Henri ne regrette rien

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Foule des grands jours, ce mercredi à la XVIIe chambre correctionnelle de Paris, spécialisée dans les affaires de presse. On juge l’ancienne « plume » de Nicolas Sarkozy et actuel député (UMP) des Yvelines Henri Guaino, venu pour l’occasion avec une quinzaine de collègues de son parti, plus goguenards que silencieux sur les bancs du public. On reconnaît notamment David Douillet, Georges Fenech, Alain Marsaud, Jacques Myard et Patrick Ollier, parmi cet échantillon de la droite parlementaire ne supportant les juges que lorsqu’ils condamnent les gueux (Patrick Balkany était absent). On remarque aussi quelques avocats proches de l’UMP, dont Thierry Herzog, ancien défenseur et ami proche de Nicolas Sarkozy (tous deux sont mis en examen dans l’affaire Bismuth-Azibert).

Costume gris impeccable, grand sourire, micro à la main, Henri Guaino lui-même semble aussi à l’aise que pour une remise de décoration. Pourtant, le député est renvoyé par le parquet de Paris pour deux délits assez sérieux : avoir « cherché à jeter le discrédit sur une décision de justice » (article 434-25 du Code pénal) et « outrage à magistrat » (article 434-24).

Au lendemain de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse », prononcée le 21 mars 2013 dans l’affaire Bettencourt (avant un non-lieu rendu en sa faveur le 7 octobre), Henri Guaino avait parcouru plateaux de télé et studios de radio pour vitupérer une « accusation insupportable », « grotesque », une « décision irresponsable » d’un juge, Jean-Michel Gentil, qui aurait « déshonoré les institutions et déshonoré la justice ».

Henri GuainoHenri Guaino © Reuters

Ce contre-feu des sarkozystes n’avait rien de spontané. L’ex-chef de l’État n’avait pas contesté sa mise en examen elle-même, mais avait envoyé ses lieutenants guerroyer sur le front médiatique. Et qu’importe si cette mise en examen avait été décidée collégialement par trois juges d’instruction, et qu’on ignore toujours si Jean-Michel Gentil y était favorable ou s’il a dû plier face à ses deux collègues. Il fallait bien cibler un bouc émissaire, comme l’ont aussi montré les insinuations sur la partialité d’un médecin-expert qui était amie du même juge.

Les faits, ce n’est pas le sujet d’Henri Guaino. Sûr de lui face au tribunal, le député dit ignorer ce que recouvre les délits d’outrage et de discrédit sur une décision de justice. Il préfère revendiquer fièrement sa « liberté d’expression » et son « droit d’indignation ». Le pouvoir législatif dans toute sa splendeur, qui tient l’autorité judiciaire pour chose négligeable et préfère les magistrats aux ordres. À en croire Henri Guaino, il faut se garder de la « tyrannie judiciaire » et dénoncer les « abus de pouvoir ». Visiblement peu au fait de la procédure pénale, comme du dossier Bettencourt, il estime néanmoins que son mandat s’exerce partout, pas seulement dans l’hémicycle, et que sa liberté de parole doit être absolue.

Le débat pourrait être intéressant si Henri Guaino et son avocat ne se livraient pas à des provocations répétées vis-à-vis des magistrats, et s’ils n’étaient pas venus là pour instruire le procès de la justice. Ils feignent, par exemple, d’ignorer que l’ensemble de la procédure Bettencourt a été validée par la cour d'appel de Bordeaux puis par la Cour de cassation, et agitent le spectre de graves « irrégularités » qu’aurait commises un seul des trois juges. Le même, bien sûr.

Témoin au procès, Christophe Régnard, l’ancien président de l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire), explique à la barre l’émotion et la colère ressenties alors dans la magistrature après ces sorties violentes du député Guaino. « Quand il n’y a plus de respect ni pour la justice ni pour les magistrats qui la rendent, il n’y a plus de République », lâche-t-il. Cité à dessein par Henri Guaino, Christophe Régnard est malmené par l’avocat du député, Éric Dupond-Moretti, qui s’est fait une spécialité de « bouffer » du juge. Ce procès dans le procès, celui des juges, amuse les députés UMP dans la salle, qui rient de bon cœur.

Les avocats du juge Gentil, Rémi Barousse et Léon-Lef Forster, racontent que le magistrat a reçu des menaces de mort, et que sa fille a dû être placée un temps sous protection policière. Ils expliquent les conséquences que peut avoir la violence verbale. Rappellent qu’un juge est tenu par le devoir de réserve, et qu’il doit se dessaisir s’il porte plainte lui-même contre son détracteur. Les stratégies de déstabilisation des juges sont anciennes, et bien connues.

Henri Guaino ne quitte son grand sourire que lorsque ces avocats annoncent le montant des dommages et intérêts demandés par le juge Gentil : 100 000 euros.

Dans un réquisitoire sobre et précis, le procureur rappelle quant à lui que la liberté d’expression n’est totale pour les députés qu’au sein de l’Assemblée (article 26 de la Constitution), estime les deux délits constitués, et réclame une amende de 3 000 euros contre Henri Guaino.

Le jugement a été mis en délibéré après la plaidoirie de la défense; il sera rendu le 27 novembre.

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Derrière les tensions entre socialistes, la bataille du congrès

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L’ambiance n’est pas près de se calmer, dans les rangs socialistes. Après de nouvelles invectives et appels à quitter le PS, au lendemain d’un vote du budget marquant l’élargissement de la critique interne aux ministres écartés du gouvernement Valls (lire ici), les fractures récurrentes laissent entrevoir l’enjeu caché qui occupe les têtes militantes, élues et dirigeantes du parti, et qui expliquent les tensions et les démarcations en cours : le futur congrès.

Jean-Christophe Cambadélis et Manuel Valls, à La Rochelle, 31 août 2014Jean-Christophe Cambadélis et Manuel Valls, à La Rochelle, 31 août 2014 © Reuters

« Il ne faut pas se leurrer, c’est le seul moment et le seul lieu où il sera possible de s’affranchir, confie un député qui a voté le budget malgré son opposition à la politique gouvernementale. Plus grand monde n’a envie d’un énième combat budgétaire, perdu d’avance. Mieux vaut mener le combat, même dans un cadre pourri, et avoir une chance d’inverser le cours des choses, que ne plus avoir de chances du tout. » Conscients de la fragilité de leur mobilisation parlementaire, qui se contraint à l’abstention pour ne pas faire tomber un gouvernement qu’ils critiquent pourtant sans cesse, les socialistes contestataires voient combien l’expression publique de leurs désaccords se heurtent toujours aux mêmes fins de non-recevoir de la part de l’exécutif.

Qu’elles émanent de députés, d'anciens ministres, de courants de l’aile gauche ou de Martine Aubry, les implorations à gauchir un peu le socialisme de l’offre restent lettre morte. Quant aux tentatives de construction d’une alternative à gauche, malgré de régulières tribunes communes et autres débats unitaires, elles semblent mises en sourdine à moyen terme. La réalité électorale des résultats des européennes (où Front de gauche et EELV n’ont pas profité de l’effondrement du PS), comme la préparation des échéances départementales et régionales à venir (en mars et en décembre 2015), avec son lot de négociations locales tortueuses pour constituer les listes de candidats, semblent s’être imposées aux socialistes les plus réticents.

Alors, pour beaucoup, c’est au futur congrès du parti socialiste que doivent se confronter leurs efforts en vue d’obtenir un changement de cap, resté illusoire jusqu’ici. Et si les tensions s’exacerbent à chaque fois un peu plus entre tenants du socialisme ou de la social-démocratie historique, et partisans d’une modernisation et d’un recentrage du parti, c’est aussi en raison de cette sourde bataille qui ne dit pas son nom, de ces vides organisationnels et partidaires, dont essaie de profiter chacun des protagonistes de l’actuelle gauche au pouvoir.

Mais envisager ce congrès, c’est comme entrer au royaume des supputations stratégiques et des hypothèses incertaines. Car à l’heure actuelle, ni la date de l’événement, ni l’état des effectifs militants, ni le positionnement de la direction actuelle, ni les forces concurrentes en présence ne sont connus, ce qui contribue au flou général entourant l’avenir du parti et de sa doctrine.

Revue de détail d’une équation à multiples inconnues, pourtant décisive pour l’avenir de la gauche au pouvoir.  

C’est la première des batailles internes, qui déterminent toutes les autres. Après une première réunion de la « commission sur les conditions d’organisation du congrès », jeudi dernier rue de Solférino (le siège du PS), où il a été rappelé que le temps d’un congrès s’étalait sur quatre mois, le « premier secrétaire par intérim » Jean-Christophe Cambadélis a soumis à la discussion quatre scénarios. Soit en 2015 (« début juin », « fin juin », « octobre »), soit durant le « premier semestre 2016 ».

La majorité des opposants à l’orientation gouvernementale réclame, à voix différemment hautes, une organisation dès juin 2015, « pour que les militants tranchent nos débats au plus vite », dit Emmanuel Maurel, chef de file de l’aile gauche du PS. Si officiellement la réponse devrait être prise à la fin de ce mois et validée ensuite par un vote du conseil national, pour beaucoup, la décision sera prise in fine à Matignon et à l’Élysée. Et si Cambadélis dit sa préférence pour 2015, s’estimant sûr de gagner face à des contestataires pas encore organisés ni rassemblés, les proches de Valls et Hollande affichent une nette préférence pour 2016.

À La Rochelle, en août 2012.À La Rochelle, en août 2012. © Reuters

« Mettre un congrès, et donc de la polyphonie, ou pire de la cacophonie, au milieu de deux élections qui risquent de mettre à nu le PS dans les territoires, ça n’a aucun sens ! » estime ainsi le sénateur Luc Carvounas, proche de Manuel Valls. Un cadre du courant hollandais (Répondre à gauche), plus optimiste, développe l’argument : « La mi-2015 est la période où on attend une reprise de l’emploi et un léger redémarrage de l’activité économique. Si, à ce moment, on assiste à une foire d’empoigne où on se dira qu’on a tout faux alors qu’on ne le saura pas encore, on s’empêche de conserver un nombre honnête de régions. » Ce responsable hollandais résume la position défendue à Solférino : « Début 2016 nous paraît plus sain pour faire le point. On pourra décider de l’orientation pour la campagne à venir du candidat. »

Un congrès avant les régionales risquerait en outre de compliquer la donne, aux dires de nombreux responsables PS de diverses obédiences, les investitures pouvant alors dépendre des résultats des motions respectives. Mais un congrès repoussé à 2016 présente également des inconvénients internes. En premier lieu celui de contredire les statuts, pourtant réformés en 2012 lors du dernier congrès de Toulouse, prévoyant la tenue d'un congrès à mi-quinquennat, « soit fin 2014 et subsidiairement en cas de difficultés matérielles, avant la fin du 1er semestre 2015 », écrit le premier fédéral de la Nièvre, Sylvain Mathieu. Celui-ci, qui avait été candidat contre Cambadélis en mars dernier (recueillant 32 % du conseil national), a même saisi la haute autorité du parti, pour tenter de faire respecter la loi interne.

Mais c’est surtout l’existence même du parti qui interroge en cas de congrès si lointain, tant les frictions et les grands écarts idéologiques s’affirment au fil des jours. « Je ne vois pas comment le parti peut tenir un an sans congrès, soupire ainsi la députée Karine Berger, avec comme seule activité interne des investitures aux élections départementales et régionales. Comment se mettre d’accord sur des primaires sans clarifier avant notre ligne ? » Plus à gauche que cette ancienne proche de Pierre Moscovici, Emmanuel Maurel exprime ses craintes sans ambages : « Dans un an, les effectifs seront tellement réduits que l’incertitude n’en sera que plus grande. Le plus grave, ce ne seront pas les tensions, mais le délitement du parti après les nouvelles déroutes électorales, qui vont créer de la panique en interne. Le parti sera exsangue en 2016. »

Ceux-là et leurs courants, Cohérence socialiste et Maintenant la gauche, plaident pour un « congrès de ligne » et de clarification idéologique, redoutant qu’un calendrier trop tardif ne transforme l’exercice en « congrès d’investiture » du prochain candidat PS à la présidentielle en 2017, que ce soit François Hollande où un autre, vainqueur de futures primaires. Pour Christophe Borgel, secrétaire national aux élections et proche de Cambadélis, la situation est « tenable, pour peu qu’on reprenne un peu de hauteur politique, et qu’on arrête de s’écharper sur des mesures auxquelles les Français ne comprennent rien ». Pour le vallsiste Luc Carvounas, « ce congrès devra être un congrès d'orientation et pas de clarification politique, comme le dit l'aile gauche, un congrès utile pour celui qui représentera le parti à la prochaine présidentielle ».

Ils sont enfin nombreux à s’interroger sur les conditions de déroulement d’un congrès en 2016, après deux défaites électorales annoncées. « La base militante n’aura plus grand-chose à voir avec les derniers congrès qu’on a connus, explique un bon connaisseur du parti : on aura perdu l’influence des barons locaux et l’appareil des régions, le dernier qui reste au parti, les militants travaillant dans les collectivités territoriales et les cabinets ne seront peut-être plus adhérents mais chômeurs, les grosses fédérations qui faisaient l’élection auparavant auront toutes été mises sous tutelle, et leurs fichiers auront donc été nettoyés. » De quoi attiser les ambitions, face à la perspective d’un congrès plus ouvert que jamais.

Comme Karine Berger, ils sont plusieurs à estimer qu'« aujourd’hui, un congrès serait perdu par les soutiens de Valls et Hollande ». À l’inverse, Luc Carvounas se dit « persuadé que la majorité de Toulouse reste majoritaire aujourd'hui ». Lors de ce congrès, organisé en octobre 2012, la “grosse motion” emmenée par Harlem Désir, portée par Jean-Marc Ayrault alors à Matignon et Martine Aubry, allant de Manuel Valls jusqu’à Benoît Hamon en passant par Arnaud Montebourg, l’avait emporté avec 70 % des suffrages militants.

Depuis, rares ont été les consultations militantes pouvant indiquer l’état des forces internes dans le parti. La seule ayant été organisée, la convention sur l’Europe en juin 2013, a viré au fiasco (lire ici). Quant au remplacement de Harlem Désir par Jean-Christophe Cambadélis au lendemain des municipales, il a pris les atours d’une révolution de palais façon AG de l’Unef à huis clos (lire ici), sans qu’aucun vote des adhérents ne vienne le confirmer.

Nombre de proches de Martine Aubry se sont distanciés de la direction du parti, que les proches de Benoît Hamon ont quittée avant même la démission de l’ex-ministre de l’éducation. Il y a dix jours, une réunion de « la majorité du PS », organisée un samedi à Paris, a rencontré un succès mitigé, aux dires de plusieurs participants. Le lendemain, un conseil national du parti à huis clos (comme toutes les réunions organisées depuis la promotion de Cambadélis) a lui aussi été peu garni.

Pour autant, Christophe Borgel reste confiant pour l’équipe dirigeante actuelle, assurant qu’ils étaient « plus de 800 » à la réunion de la majorité, et certifiant avoir à leurs côtés « deux tiers des premiers fédéraux » du PS. Aux yeux du lieutenant historique de « Camba », « les doutes ne font pas un renversement de congrès ». Dans l’entourage du premier secrétaire, on compte sur le positionnement central de Cambadélis, et son habileté à jouer l’équilibriste stratège, pour assurer la continuité de l’appareil. Et on pense pouvoir compter sur le désir de stabilité dans le parti, notamment de la part de l’exécutif au pouvoir.

Stéphane Le Foll et Manuel Valls à la montagne, jeudi 16 octobre 2014.Stéphane Le Foll et Manuel Valls à la montagne, jeudi 16 octobre 2014. © capture d'écran twitter

Dans le parti, vallsistes et hollandais font cause commune, même si les partisans du premier ministre ne sont pas organisés en courant, quand les seconds peuvent compter sur une structuration ancienne, bien que jamais vraiment aussi concrétisée qu’ont pu l’être les sensibilités strausskahniennes, fabiusiennes ou de l’aile gauche. « Vallsistes et hollandais essaient de vivre ensemble, mais dès qu’il y a des positions de fond à prendre, ils s’éloignent », assure un secrétaire national.

Il en est ainsi de la tentation d’une “blairisation” du parti, exprimée par le premier ministre devant le conseil national (lire ici) et régulièrement réaffirmée depuis. Une modernisation dépassant « les vieilles lunes de la vieille gauche », semblable à celle imposée par Tony Blair au parti travailliste britannique, devenu avec lui “New Labour”, recentré idéologiquement, après une purge militante. « Ils n’en ont pas les moyens, explique le député Gwenegan Bui, proche d’Aubry. Blair avait fait le New Labour, puis avait pris le pouvoir. Là, Hollande a fait le discours du Bourget avant. Il est difficile dans ces conditions de faire le New Labour au pouvoir. » « Cette tentation n’existe ni chez les militants, ni chez les élus du parti », abonde un “hollandais”.

Virulent à l’encontre de Benoît Hamon, Stéphane Le Foll, chef de file du « courant Hollande » et ministre de l’agriculture, s’est toutefois démarqué de ses camarades vallsistes à l’égard de Martine Aubry. Dans Les Échos, mardi, il fait ainsi entendre une musique bien plus respectueuse et compréhensive que les sèches répliques de Manuel Valls et Emmanuel Macron. « Lever des tabous sans cesse, c’est pas notre truc, dit un élu fidèle du président. Il faut être conscient qu’il y a des équilibres à tenir, être cohérent par rapport à son camp et laisser le débat ouvert. »

Chez les hollandais, on ne semble pas si désireux de théâtraliser outre mesure les débats internes dans le parti. « Pour tout parti au pouvoir, il y a forcément une évolution de doctrine, estime la ministre Carole Delga, fidèle de Hollande. Mais les calculs sur le parti ne servent pas à grand-chose, la politique reste l’art de l’instant. »

Face à cet axe majoritaire, les stratégies s’ébauchent. Karine Berger et ses amis (la rapporteure du budget Valérie Rabault ou les députés Yann Galut et Alexis Bachelay, anciens du courant NPS de Montebourg et Peillon au début des années 2000) n’excluent pas d’« aller à la motion », selon le jargon socialiste. « Car à l’heure actuelle, il n’y a personne au centre du parti, et on ne veut pas avoir à choisir entre deux blocs », dit Berger. Leur courant, Cohérence socialiste, demande une inflexion économique pas si éloignée de celle des députés contestataires et abstentionnistes, estimant que « le quinquennat s’est arrêté depuis le CICE, comme si c’était la fin de l’histoire ».

À la gauche du parti, on espère aussi un large rassemblement : « Nous, on veut s’unir contre une ligne libérale, explique Henri Emmanuelli. Si la ligne de Valls l’emporte, il n’y aura pas d’avenir, car il y aura une scission. » Un point de vue qui laisse sceptique Christophe Borgel, bras droit de Cambadélis, convaincu que « la désinvolture et la désunion passent mal aux yeux des militants et des sympathisants ». Et qui observe avec sérénité « le rassemblement d’une grande gauche alternative (qui) n’est pas encore là. Déjà que s’il existait, le congrès serait loin d’être joué, mais là… ».

Ce scepticisme, Emmanuel Maurel n’en a cure, persuadé que le refus du socialisme de l’offre est majoritaire chez les militants. De son côté, il continue à « structurer ceux qui sont en désaccord » et à « fédérer le reste de la gauche, sans s’interdire de parler avec Mélenchon ». Lui et ses camarades du courant Maintenant la gauche (qui s’était opposé à la grosse motion majoritaire en 2012, recueillant 13 % avant que Maurel n’obtienne 28 % face à Harlem Désir) espèrent que l’union se fera face à la direction sortante. Même s’ils n’en méconnaissent pas les obstacles : désintérêt de Montebourg pour les démarches internes, reproches faits à Hamon d’avoir délaissé l’aile gauche et permis à Valls de devenir premier ministre, et, surtout, divergences annoncées face au leadership de l’entreprise à vocation majoritaire. « La volonté unitaire doit pouvoir surpasser tout ça », espère Maurel.

Pour le député Pouria Amirshahi, « l’union la plus large possible doit primer, afin que nous ne nous laissions pas embarquer dans une “SFIOisation” du PS ». À ses yeux, le débat doit être simple : « Soit le parti accompagne la fuite en avant libérale du gouvernement, soit, dans une formule inédite, il s’inscrit dans une distance critique », et il préconise une « synthèse entre écologie, démocratie et socialisme, pour contrer un gouvernement qui ne se repose plus que sur la certitude de son autorité. »

Benoît Hamon.Benoît Hamon. © Reuters

Au centre de ces accords et désaccords potentiels, l’ancien ministre Benoît Hamon se veut serein. Il se dit en attente de la date, et assume être prêt à prendre le parti. « Pour l’heure, il convient d’organiser le repli en bon ordre des troupes les plus robustes et de tenter d’allumer quelques étoiles dans la nuit noire », philosophe-t-il. Ainsi, il s’abstient sur le vote du budget ou propose une résolution pour que la France reconnaisse la Palestine. Lors de l’université de rentrée de son courant, Un monde d’avance, il a cherché à adopter une posture centrale (lire notre reportage), dans la continuité de son “institutionnalisation” construite depuis le congrès de Reims de 2008, où il a réunifié divers courants à la gauche du parti, avant de réunir 25 % du vote militant.

Devenu porte-parole du PS, avant d’être nommé secrétaire d’État puis ministre, il apparaît compatible avec les aubrystes, bien qu’il entretienne des rapports complexes avec la maire de Lille, dont il fut conseiller au ministère du travail sous Jospin. Il pourrait in fine séduire chez les hollandais, dont certains se souviennent qu’il avait appelé Hollande à être candidat en 2007, ou louent sa loyauté depuis 2012, jusqu’à son départ du gouvernement. Quand il explique, ce mercredi, sa crainte d’une politique mettant « en danger la République » en permettant l’accession du FN, il publie très vite un communiqué de crainte d’être mal compris par ses camarades. Pour autant, Hamon ne cache pas sa proximité avec les deux autres partants du gouvernement, Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti, tout en avouant sa conversion aux questions écologiques. Avec l’objectif d’incarner une alternative à gauche, mais pas trop.

Martine Aubry et François Lamy.Martine Aubry et François Lamy. © Reuters

Reste l’(in)attendue Aubry. Enfin sortie du bois après s’être longtemps mise en retrait de la critique gouvernementale, l’ancienne première secrétaire du PS a publié une longue contribution aux états généraux du parti, assortie d’un entretien au Journal du dimanche (lire notre article). Si elle s’y dit « candidate… au débat d’idées » et à rien d’autre, la mise en scène de la publicité de ses divergences avec le pouvoir a des airs de pré-congrès. Et la liste des signataires accompagnant sa rébellion montre combien son entourage a envie d’en découdre, en mode motion.

« Ça légitime la reconquête et renforce le camp de la démarche critique et constructive », se réjouit Amirshahi. « Elle avait besoin de ressouder ses troupes, qui ne sont pas si nombreuses chez les militants, dit un responsable de l’aile gauche. Au moins, ça consolide la démarcation de certains, qui vont avoir du mal à rester dans la ligne gouvernementale après un tel réquisitoire. » Pour autant, lors du vote du budget ce mardi, ils sont encore plusieurs parmi les députés dits “aubrystes” à avoir voté pour, permettant son adoption qui ne tient plus qu’à une dizaine de voix.

François Lamy ne se place pas dans une offensive de congrès. Interrogé en milieu de semaine dernière, avant l’intervention de la maire de Lille, il martèle sa volonté d’être « avant tout utile » au parti et au quinquennat de François Hollande. Les atermoiements de cette dernière déroutent toutefois jusqu'à ses plus proches, qui ne savent pas vraiment ce qu'elle a en tête : « Là, ce serait bien qu'elle nous dise assez vite si elle y va en première ligne ou si elle pousse quelqu'un pour mener l'alternative à gauche », explique un de ses soutiens.

Pour l’heure, les rendez-vous se rapprochent, les déjeuners s’enchaînent entre “chefs à plumes” du parti socialiste, et un bon nombre s’interrogent sur les attitudes de l’autre. Beaucoup imaginent que Maurel et son courant partiront de leur côté. D’autres qu’un « pôle central » regrouperait les amis de Cambadélis, Hollande, Valls et les aubrystes. Au risque de se couper de plusieurs députés “frondeurs” et du courant hamoniste, Un monde d’avance. Tous s’interrogent enfin sur la stratégie du premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, et sur sa capacité à demeurer incontournable dans ce congrès si loin si proche.

Jusqu’ici, Jean-Christophe Cambadélis parvient à tirer son épingle du jeu dans l’épais brouillard socialiste. Si son intronisation n’a jamais été validée par un vote militant, comme il s’y était pourtant engagé, « Camba » a su remettre le parti à peu près sur pied.

« Il a un discours audible et respecté, sans apparaître comme godillot. Ce n’est pas évident, dans le contexte…, souffle la hollandaise Carole Delga, secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire. Il saura mener un débat de clarification et une restructuration du parti, tout en faisant en sorte qu’il ne soit pas trop désaligné par rapport au gouvernement. » « Il a réussi à installer un vrai cordon sanitaire avec le gouvernement, reconnaît Karine Berger. Il essaie sincèrement de faire en sorte que le parti ne disparaisse pas. » Même Emmanuel Maurel admet qu’avec Cambadélis, « les minorités sont consultées et respectées ». Mais il regrette dans le même temps que « sur le fond, on ne (sache) pas ce qu’il pense ». Et de résumer son sentiment : « Il est habile, mais il fait comme s’il n’y avait pas de réalité de la pratique du pouvoir. »

Sous couvert d’anonymat, les jugements d’autres responsables se font plus acides. « Sa force, c’est que personne dans la majorité du parti ne veut sa place », dit un aubryste. « Il gagne du temps et verrouille ce qu’il reste d’appareil, en faisant bien attention de ne pas choisir entre Hollande, Valls ou Aubry…, dit un député. Son obsession, c’est de garder le PS uni, ne pas trop se fâcher avec le reste de la gauche et que le PS soit au second tour en 2017. Le reste, ce ne sont que des moyens pour parvenir à ses fins. »

Jean-Christophe Cambadélis, lors d'une conférence de presse à La Rochelle.Jean-Christophe Cambadélis, lors d'une conférence de presse à La Rochelle. © S.A

Pour asseoir sa légitimité, Jean-Christophe Cambadélis mise sur les états généraux du PS, une initiative qui recueille à ce jour près de 4 000 contributions, individuelles ou collectives, et qui a donné lieu à une série d’auditions d’intellectuels et autres forces vives (voir ici). Un moyen aussi pour gagner du temps et contraindre les oppositions à la solidarité dans le travail de fond, même si celui-ci apparaît inégal selon les contributions, alors même que la rédaction de la charte qui sera issue de ces états généraux n’intéresse pas grand monde dans le parti.

« Il faudra bien mettre en scène les conclusions, sortir quatre ou cinq idées forces qui pourront être reprises dans les médias, explique Christophe Borgel. Si ce temps de débat peut permettre ne serait-ce que d’entériner une bonne fois pour toutes le Bad Godesberg écolo (référence au congrès du SPD allemand, en 1959, à Bad Godesberg - ndlr) du parti, ce serait par exemple énorme. » Proche de Manuel Valls, le député Luc Carvounas, et secrétaire national du PS aux relations extérieures, se fait plus terre à terre : « Les états généraux vont nous permettre de retrouver des marqueurs de gauche pour nos électeurs qui nous boudent. » À l’opposé, sur l’échiquier interne du parti, et beaucoup plus sceptique, Henri Emmanuelli remarque de son côté que « ces états généraux posent toutes les questions, sauf celle de l’action gouvernementale. Celle que tout le monde se pose ».

À la peine pour faire de « son » PS un parti rassembleur à gauche, Cambadélis tente de maintenir une union de façade, essentiellement à coups de menace de Front national au pouvoir. « On a changé d’univers dans le dialogue politique », évacue Christophe Borgel. Avec l’espoir que les prochaines cantonales permettront l’union, bien que les divergences de fond s’aggravent. « Le PRG veut conserver ses élus, les Verts souhaitent s’implanter et le PCF ne pas mourir. Ça laisse un peu d’espoir pour arriver à quelque chose. »

Pour se maintenir à la tête du parti, « Camba » espère encore réunir autour de lui une grosse motion. Avec un maître mot, que résume Borgel : « Le soutien au gouvernement ne se discute pas, l’expression de l’exigence du PS ne s’interdit pas. » Et avec l’idée de « s’unir derrière Hollande dans le débat européen, plutôt que de vouloir jouer éternellement au monsieur plus ». Le premier secrétaire espère aussi profiter de son amitié avec Martine Aubry, qu’il sait faire fructifier, en multipliant les déplacements, meetings et réunions sous son beffroi lillois. « Il est le plus emmerdé, car il voit bien que le parti est décentré, explique un aubryste. Mais il sait bien que s’il incarne le courant hollandais, on ne le soutiendra pas. »

Choisira-t-il finalement un camp ? Valls et les hollandais ? Ou les aubrystes ? « Premier secrétaire du PS était le but de sa vie, il fera tout pour le rester, donc il choisira qui il faut pour », explique un secrétaire national. « L’attitude de Camba dépendra de Valls, s’il reste ou s’il part, ou de quelle façon il part », croit savoir un de ses amis. « Je l’ai vu aller de l’OCI (Organisation communiste internationale - ndlr) à DSK, alors tout est possible », rigole Henri Emmanuelli. « Les stratégies à quinze bandes de Camba, on ne peut les comprendre que si on est dans le même univers mental que lui… », ajoute Benoît Hamon, l’un de ses potentiels concurrents.

Tout ça ne laisse guère optimiste pour un PS clairement à bout de souffle. « Aujourd’hui, tout est possible, tente Emmanuel Maurel. Le pire est le plus probable, un destin à la SFIO. La scission l’est aussi. Mais le sursaut reste encore possible. » Réponse dans huit ou dix-huit mois. Si le PS tient jusque-là.

BOITE NOIRECet article est le résultat de dix jours de rencontres et d'entretiens, le plus souvent en face-à-face, avec une vingtaine de responsables de courants et sous-sensibilités, de députés et dirigeants du PS. Certains n'ont souhaité s'exprimer que sous couvert d'anonymat. Les propos de Luc Carvounas ont été recueillis par mon collègue Mathieu Magnaudeix.

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Santé et produits chimiques : « l’inaction confondante des pouvoirs publics »

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Depuis plusieurs années maintenant, le journaliste Fabrice Nicolino tire des fils : comment et pourquoi ce que l'on mange est-il gavé de milliers de produits chimiques ? Qui est responsable ? Pourquoi les pouvoirs publics ne font-ils rien, ou presque ? Mais avec son dernier livre, Un empoisonnement universel, c'est l'ensemble du tableau qui se dessine sous les yeux du lecteur.

Pourquoi, entre 1980 et 2012, assiste-t-on à une augmentation de 110 % du nombre de cancers en France ? L'industrie chimique figure une excellente piste, explorée sous tous les angles dans le livre : l'impunité totale des industries de la chimie, l'action des lobbies industriels, l'« ignorance crasse », pour reprendre Nicolino, des pouvoirs publics.

Un exemple ? La dose journalière admissible, censée être la dose maximale qu’un homme normal peut ingérer chaque jour pendant toute sa vie. D'où vient-elle ? Mais des lobbies industriels évidemment. « Une mystification destinée à rassurer mais qui ne repose sur rien de scientifique, bricolée sur un coin de table », assène l'auteur. Le reste est à l'avenant.

 

Un empoisonnement universel – Comment les produits chimiques ont envahi la planète

Fabrice Nicolino

Éditions Les liens qui libèrent

Septembre 2014, 448 pages, 23 €.

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Nicolas Sarkozy: Patrick Buisson, c’était lui

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Les réunions de famille sont souvent des moments très gênants. Surtout vers la fin du repas, lorsque cet oncle volubile, que l’on prend soin d’éviter le reste de l’année, se met à aborder des sujets comme la politique, la religion ou l’immigration. À Nice (Alpes-Maritimes) le 21 octobre, puis à Toulon (Var) le lendemain, cet oncle si prompt à l’amalgame et aux formulations malheureuses a pris les traits de Nicolas Sarkozy. L’ancien président se sent dans le Sud-Est comme chez lui. À l’aise. Détendu. Un peu trop peut-être.

Nicolas Sarkozy et Christian Estrosi à Nice, en 2013.Nicolas Sarkozy et Christian Estrosi à Nice, en 2013. © Reuters

« C’est vrai, je suis ici comme à la maison, comme en famille », a reconnu mardi un Sarkozy boosté par les flagorneries de Christian Estrosi et la présence d’Éric Ciotti, sa dernière – et sans doute plus belle – prise filloniste. Vingt-quatre heures plus tard, à une centaine de kilomètres de là, mais toujours en compagnie du député et maire de Nice, l’ex-chef de l’État a flatté exactement de la même façon les militants UMP venus l’applaudir à Toulon. « Je suis du Var. Je suis ici chez moi. Je m’y sens bien, en famille », a-t-il lancé à ceux qui s’irritaient la gorge à force de hurler « On t’aime ! » « Moi aussi », leur a-t-il répondu dans un sourire tendre. Gênant, on vous dit.

Du coup, comme à la maison, comme en famille, le candidat à la présidence de l’UMP s’est lâché. Il a ouvert les vannes. Et quel meilleur sujet que celui de l’immigration pouvait-il choisir pour mettre tout le monde d’accord, dans ce coin de la France où le FN réalise ses plus beaux scores ? À l’occasion de ces deux réunions publiques – qui seront suivies d'une troisième à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 28 octobre –, Nicolas Sarkozy s’est montré au naturel, prouvant à ceux qui en doutaient encore que la fameuse “stratégie Buisson” de la campagne présidentielle de 2012 était aussi et avant tout la sienne.

« L’immigration ne doit pas être un sujet tabou, mais un sujet majeur, car cela menace notre façon de vivre », a-t-il ainsi expliqué le 21 octobre, avant de dérouler une litanie d’arguments qui n’ont rien à envier aux discours de Marine Le Pen. Espace Schengen, port du voile intégral, « repas à la carte » dans les cantines scolaires, aide médicale accordée aux étrangers en situation irrégulière, ce « scandale » que représente à ses yeux ce qu’il préfère qualifier de « tourisme des droits sociaux »… Sur une heure et demie d'intervention, l'immigration a occupé une heure de discours. Et rien ne nous a été épargné.

Discours de Nicolas Sarkozy à Nice, le 21 octobre 2014.

« Les Français veulent rester en France. Nous voulons bien accueillir les autres, mais nous ne voulons pas changer profondément ce que nos parents nous ont laissé. Nous voulons que notre langue et notre culture restent ce qu’elles sont. » Du Zemmour dans le texte ? Non. Du Sarkozy. Cuvée 2014. Si l’ancien président renoue avec l’antienne de « la France tu l’aimes ou tu la quittes », c’est parce qu’il reste persuadé que la question de l’immigration est un tabou français dont personne n’ose vraiment parler. À croire qu’il n’allume jamais la télévision.

Or, pour Nicolas Sarkozy, refuser de débattre cette question, « c’est encourager les peurs ». Un risque qu’il ne prendrait jamais bien entendu… Pas même lorsqu’il parle de cet « islamisme fanatisé qui rêve de semer la terreur en Occident » et qu’un frisson général traverse la salle. L’ancien président ne veut plus s’entendre dire qu’il clive les Français. Et pour prouver qu’il est l’homme de la situation et de l’apaisement, il prend sur lui et profite de ses réunions publiques pour revenir sur deux marqueurs de son quinquennat : le discours de Grenoble et le débat sur l’identité nationale.

La question épineuse du discours de Grenoble a été abordée à Toulouse le 8 octobre. « Je crois tellement à mes idées, je m’engage tellement dans ce que je fais, que parfois, j’ai pu blesser des gens et je le regrette, avait alors assuré l’ex-chef de l’État. Si j’avais à refaire le fameux discours de Grenoble, je le referais pas pareil. » À Nice, c’est le débat sur l’identité nationale qui a été mis à l’honneur de ce mea culpa auquel personne ne croit sérieusement, à commencer par Nicolas Sarkozy lui-même. Car dans les deux cas, c’est « sur la forme » que l’ancien président reconnaît avoir péché, jamais sur le fond.

L’homme des couvertures du Figaro Magazine a changé, pas ses idées. Ceux qui avaient imputé la droitisation de la campagne de 2012 à l’influence de Patrick Buisson et qui soutiennent aujourd’hui encore Nicolas Sarkozy dans sa course à la présidence de l’UMP, devraient écouter un peu plus attentivement ce que leur champion raconte lorsqu’il se retrouve « en famille ». À l’époque, Nathalie Kosciusko-Morizet s’en était pris à l’ancien conseiller sulfureux, jugeant que son objectif était « de faire gagner Charles Maurras » plutôt que l’ex-chef de l’État. Deux ans plus tard, elle a rejoint la garde rapprochée du candidat dont elle apprécie la « capacité à faire la synthèse ».

C’est la “caution modérée” de Sarkozy, celle que Buisson qualifie de « bobo » et qui ne devrait pas tarder à tomber de nouveau de sa chaise. Seulement, cette fois-ci, il lui sera difficile de se rassurer en rejetant la faute sur un obscur conseiller, venu de l’extrême droite. L’ancien président assume. Et il n’a d’ailleurs pas attendu d’être « comme à la maison » dans le Sud-Est pour le faire : « Personne n'a jamais lobotomisé mon cerveau, c'est moi qui suis responsable », avait-il lancé dès sa première intervention, le 21 septembre sur France 2.

Comme le hasard fait bien les choses, c’est justement au moment où l’ancien président renoue avec les accents Buisson, que ce dernier sort du bois. Voué aux gémonies depuis la révélation de ses enregistrements clandestins, l’ancien directeur de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute s’est confié à L’Obs pour dénoncer l’« assassinat politique » dont il se pense victime en raison d’un changement de stratégie de Sarkozy. Cette affaire « n’a été qu’un prétexte pour habiller un changement de ligne politique », poursuit-il, profitant de l’occasion pour dire tout le bien qu’il pense de la nouvelle campagne de l’ex-chef de l’État : « La mayonnaise ne prend pas. Il est seul. Y a plus de jus. Plus rien. (…) Les choses sont maintenant claires : il sera mort politiquement avant de l’être judiciairement. »

Patrick Buisson, en mars 2014.Patrick Buisson, en mars 2014. © Reuters

Pour les ennemis – de plus en plus nombreux – de l’ancien président, les affaires sont les seuls ingrédients qui pourraient désormais pimenter le scénario du retour de Sarkozy. Car pour le reste, c’est toujours la même chose. Non seulement le film est mauvais, mais en plus, son visionnage nous est imposé deux fois. Cette histoire de président qui se pensait sur le boulevard de la victoire, voit que sa campagne n’intéresse finalement que les réverbères et choisit en cours de route de bifurquer sur le chemin tortueux de l’ultra-droitisation, n’a certes rien de passionnant. Mais à force d’être diffusée, elle a toutes les chances de devenir un classique.

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Hayange : les comptes de campagne du maire FN rejetés

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La rumeur courait depuis plusieurs jours. C'est désormais officiel : le tribunal administratif de Strasbourg a confirmé jeudi 24 octobre au maire FN d'Hayange (Moselle), Fabien Engelmann, le rejet de ses comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP). « Le dossier passera en audience avant la fin de l'année, la date n'est pas encore fixée », assure un porte-parole du tribunal administratif, confirmant une information du site d'informations Lor'Actu.

« Je viens de prendre connaissance de la décision de rejet de mes comptes de campagne par la commission nationale », a confirmé l'intéressé vendredi en milieu de journée, contestant toute « fraude ». En réalité, cette décision ne faisait guère de doutes, des frais d'impression ayant été réglés par une de ses colistières durant la campagne et non par son mandataire financier, ce qui est strictement interdit et entraîne le rejet automatique des comptes.

C'est un coup dur pour Engelmann, conseiller au dialogue social de Marine Le Pen, qui risque de un à trois ans d'inéligibilité. Mais aussi pour le parti d'extrême droite lui-même : Hayange, la ville des derniers hauts-fourneaux de Lorraine désormais arrêtés, est une des onze municipalités conquises par le Front National en mars 2014.

Mis au courant depuis le mois d'août des irrégularités de la campagne du maire, le FN l'a toujours protégé, du moins officiellement.  « Le maire conteste formellement cette situation, j’ai tendance à croire le maire, oui », avait expliqué Marine Le Pen sur France Info le 2 septembre, se contentant d'évoquer « une affaire de Clochemerle ». Quelques jours plus tard, elle avait une nouvelle fois balayé le sujet dans Le Monde, évoquant des « éléments minimes ». « Les premiers pas des villes FN sont remarquables », avait-elle assuré.

Adjoints “démissionnés”, climat délétères, règlement de comptes, etc. Mediapart republie l'enquête parue le 8 septembre, sur cette ville où le FN implose. Depuis cet article, le parquet de Thionville a ouvert une enquête préliminaire (lire notre article). Lundi 27 octobre, date du prochain conseil municipal, deux nouveaux adjoints FN, Patrice Hainy et Emmanuelle Springmann, devraient se voir retirer leurs délégations.

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De notre envoyé spécial à Hayange (Moselle).  « Montrez-moi d’abord votre carte de presse. » L’employé municipal veut bien parler. Mais loin du centre-ville et il faut montrer patte blanche. À la mairie, « il y a des mouchards ». Le maire épie. Sur les forums en ligne, sur les réseaux sociaux, il traque ses ennemis, réels ou imaginaires. 

En cinq mois, Hayange, ville de 16 000 habitants en Moselle conquise par le FN, une des onze municipalités gagnées en mars par le parti de Marine Le Pen, est devenu un camp retranché. D’un côté, les pro-Engelmann, anciens ou convertis, par conviction ou par intérêt. De l’autre, un bataillon de bric et de broc, frontistes en rupture de banc, militants de gauche et de droite, citoyens médusés, qui applaudissent ensemble au conseil municipal.

Fabien EngelmannFabien Engelmann © DR

Le Front national rêve de montrer qu'il est prêt à gouverner. Mais à Hayange, le maire Engelmann (35 ans), conseiller politique « au dialogue social » de Marine Le Pen, accumule bourdes et mesures contestées, sur fond de gestion autocrate. Maintenant que des arrangements financiers douteux de sa campagne sont dévoilés au grand jour, il risque de un à trois ans d’inéligibilité.

Il y en a une que ces révélations libèrent : Marie Da Silva, l'ancienne premier adjointe, celle par qui le scandale est arrivé. « Je dors très bien depuis que j’ai tout dit », lance-t-elle. Elle a transmis récemment des documents à la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), a déposé plainte le 2 septembre au TGI de Thionville contre Fabien Engelmann pour « abus de confiance, abus de bien social et harcèlement ».

Sur les affiches de campagne, Marie Da Silva était aux côtés de « Fabien ». Marie Da Silva, née Di Giovanni, est assistante de rédaction au Républicain lorrain. Elle a été encartée dix ans à la CGT, puis à Force ouvrière depuis son adhésion au Front national. C'était l'automne dernier. Marie Da Silva n’avait jamais fait de politique. Alain, le mari, est employé d’un sous-traitant d’ArcelorMittal en redressement judiciaire. Le couple habite une maison proprette juste derrière les « grands bureaux » de Florange, ce complexe industriel qui abrite les hauts-fourneaux, désormais à l’arrêt, que François Hollande s’était engagé à sauver. « Il y a eu Florange, et juste après Cahuzac. Je me suis dit : c’est bon, ils nous roulent sur la farine. J’ai contacté le FN. »

Pour Engelmann (passé par Lutte ouvrière et le NPA, c'est lui aussi un ancien de la CGT, qui l'a exclu), elle est une recrue de prix. Le « frontiste » est certes du cru – il est ouvrier municipal dans la mairie voisine de Nilvange, où travaille son père – mais il peine alors à constituer une liste qui fasse envie. Dans cette terre de tradition ouvrière ravagée par le chômage, Da Silva a le bon pedigree. Elle a été de toutes les associations. Commerçante à la fin des années 1980, elle a introduit les premiers « dessous sexy » sur le marché d’Hayange. Dans la vallée, elle est connue comme le loup blanc. Elle sera un recruteur efficace. « Sans moi, il n'aurait pas gagné », dit-elle. Le 30 mars, la liste Engelmann emporte la mairie avec 34,7 % des voix. Le maire PS, contesté, a été balayé au premier tour.

Sitôt élue, la première adjointe va déchanter. Et découvrir la réalité du personnage. Son Graal en main, le maire est devenu « autoritaire ». Engelmann affirmait à ses colistiers avoir posé des congés pour la campagne municipale ? Comme Mediapart l'a découvert, il était en arrêt maladie pendant plusieurs mois, alors que le FN s'en prend volontiers aux fraudeurs de la Sécurité sociale. Il vante la bonne gestion des deniers publics ? Le propriétaire de son ancienne permanence lui réclame 1 700 euros d’impayés. Elle s'aperçoit surtout que la campagne a été entachée d'irrégularités. Ses relations avec Engelmann deviennent exécrables. La crise dans les services municipaux s’amplifie.

Fin août, Marie Da Silva décide de révéler le linge sale du FN hayangeois. Par idéalisme (« je rêve d’un système anti-corruption »). Parce que la direction du parti, qu'elle a prévenue le 14 août, n'a pas réagi. Par ambition personnelle, ce qu’elle ne cache pas. Tant pis pour les éclats de verre. « Tu as livré Fabien aux chiens de la presse alors que cette affaire aurait pu être réglée en interne », l’accuse un frontiste. Elle dit au contraire croiser des habitants qui « lui disent merci les larmes aux yeux ».

Marie Da Silva interrogée par les journalistes, après le conseil municipal du 3 septembreMarie Da Silva interrogée par les journalistes, après le conseil municipal du 3 septembre © MM


Mercredi 3 septembre, dans l'atmosphère surchauffée du conseil municipal, Marie Da Silva s'est vu retirer son poste d'adjointe et ses délégations, au cours d'un vote douteux et sans isoloir, dont elle s’apprête à contester la régularité devant le tribunal administratif. Depuis sa nouvelle place, près d’une élue de gauche, elle a dénoncé une « chasse aux sorcières, une gestion des ressources humaines par la terreur et des arbitrages par le clientélisme ». Un opposant de droite a demandé la démission du maire. Marie Da Silva, sourire caméra professionnel, a tout redit devant les caméras. Son quart d'heure de gloire. Au premier étage de la mairie, les gros bras du FN et des opposants en sont presque venus aux mains.

L’« affaire » a éclaté le 23 août. Ce jour-là, le maire reçoit une équipe de Canal Plus. Il propose de faire l’entretien sur le perron de l’hôtel de ville. Dans le café en face, comme tous les samedis matin, Alain Da Silva sirote son petit noir. « J’ai pas réfléchi, j’ai foncé sur lui. » En survêtement, il lui réclame « son fric ». « Je veux mon fric. Tu as eu du fric en campagne que tu n'as pas déclaré. Je veux mon fric. » Il parle de « 3 000 euros ».

Diffusée sur Canal plus une semaine plus tard, la scène tourne sur les sites d’infos et réseaux sociaux. (Vidéo à partir de 14'50)

Pendant des mois, Marie Da Silva a pensé qu’une campagne électorale, c’était du cash qui se balade, des petits arrangements financiers. Un système digne des Pieds Nickelés, à mille lieues des règles strictes de la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CNCCFP) qui vérifie les comptes des candidats.

Elle a beaucoup fait les courses, des centaines d'euros, persuadée qu’on la rembourserait plus tard : du vin, de la viande, des timbres. Elle a fait établir des factures, certaines au nom du mandataire financier. Mais personne ne les lui a réclamées. Alors elle les a rangées dans un classeur. Fabien Engelmann ne nie pas ces dépenses courantes. Il affirme qu'elles n'avaient pas à être incluses dans le compte de campagne.

Foule et barrières en plastique au conseil municipal, mercredi 3 septembreFoule et barrières en plastique au conseil municipal, mercredi 3 septembre © MM

Marie Da Silva a surtout réglé l'imprimeur. C'était en mars, à la fin de la campagne. Comme Mediapart l’a révélé, le mandataire financier, Patrice Philippot, un responsable départemental du FN, n’a plus d’argent sur son compte. Il faut des tracts en urgence. Le 10 mars, un mandat en liquide de 1 000 euros au nom de Marie Da Silva est versé sur le compte d’un intermédiaire qui passe commande sur Internet.

Le 25 mars, entre les deux tours, Da Silva effectue un nouveau versement de 575 euros (lire notre enquête ici). « On a fait un tract que moi j’ai payé d’abord toute seule, dit-elle le 21 août au maire lors d'un échange téléphonique de vingt-cinq minutes que Mediapart a consulté. Et on a fait un deuxième tract plus petit (…) la semaine suivante qu’on a été à trois à payer, toi, moi et Damien. » Le fameux « Damien » est Damien Bourgois, un ancien du DPS, le service de sécurité du FN, désormais premier adjoint. Il nie avoir « donné de l'argent ce jour-là ».

Comme Mediapart l'a déjà raconté, les frais d'imprimeur seront remboursés à Marie Da Silva un mois et demi plus tard, grâce à un versement … sur le compte de sa belle-fille. Ce genre de « paiements directs » de la part des colistiers ou du candidat est pourtant interdit par la CNCCFP. C’est même un motif de rejet automatique des comptes de campagne. Patrice Philippot, le mandataire financier, un des responsables départementaux du FN, dit avoir tout ignoré. « C’est obligatoire de passer par le mandataire. Je ne savais pas qu’ils avaient fait ça. Si je l’avais su, j’aurais interdit au candidat de faire avancer de l’argent. » S’estime-t-il floué par son candidat ? « Je vous demande d’arrêter de me parler », dit-il, agacé, avant de raccrocher.

Marie Da Silva ne fait pas que payer : elle donne, aussi. Pendant une campagne électorale, les dons des personnes physiques sont possibles dans la limite de 4 600 euros. Mais chacun doit être déclaré, versé sur le compte du mandataire, faire l’objet de reçus délivrés par les préfectures. En novembre 2013, elle signe un chèque de 1 000 euros, au nom de Fabien Engelmann. Elle en a gardé la copie et la trace sur son compte. Quand Marie Da Silva le lui rappelle, le 21 août, il dit n'avoir « aucun souvenir ». Sollicité par Mediapart la semaine dernière, Fabien Engelmann avait expliqué que Marie Da Silva lui avait « acheté (s)on ancien Scenic » . En fait, comme le prouve le certificat d’immatriculation que Mediapart a pu consulter, le Scenic a été vendu le 16 août dernier à un garagiste de Thionville. « La cession est bien au nom de M. Engelmann, confirme le garagiste. Je l’ai acheté 250 euros. C’était une épave. »

Marie Da Silva est-elle la seule à avoir donné de l’argent ? Le 21 août, dans cette même conversation avec le maire, Marie Da Silva lui rappelle qu'un autre adjoint, Jordan Francioni, lui a aussi « prêté » 500 euros. « Je ne réponds pas à Mediapart », a opposé Francioni par SMS à nos sollicitations, sans démentir.

« Beaucoup d’argent a circulé pendant cette campagne », affirme un autre adjoint FN sous couvert d’anonymat. Engelmann multiplie alors les appels aux dons. « Il en parlait assez souvent, disait qu’il fallait aider », raconte Patrice Hainy, l’adjoint aux sports, qui a pris fait et cause pour Marie Da Silva. Officiellement, c’est pour « trinquer ». Dans la permanence d'Engelmann, il y a toujours une tirelire en forme de cochon. Les militants donnent aussi des enveloppes, comme cette militante qui avoue avoir donné 100 euros « mais veu[t] que ça reste ignoré ».

Hayange, centre-villeHayange, centre-ville © MM

Les soirées militantes sont une autre occasion de collecter des dons. « En mars, avant le premier tour, lors de deux réunions thématiques, on a récolté pas mal de dons, raconte Marie Da Silva. Les participants donnaient à moi ou à Fabien, ou alors mettaient directement dans le cochon. Il y avait beaucoup de billets qui circulaient, des 10, 20 euros. Je ne sais pas combien d’argent a été récolté à chaque fois. » Cet argent, Marie Da Silva dit l'avoir remis à Fabien Engelmann. Le soupçonne-t-elle d'en avoir gardé une partie pour lui ? « Je suis en droit de me poser la question », lance-t-elle. Sollicité sur ces dons, Fabien Engelmann n'a pas répondu.

En tout cas, aucun de ses dons n'a fait l'objet du moindre reçu. Ils ne figurent pas dans les comptes de la campagne. Ce que confirme Patrice Philippot, le mandataire financier. « On avait précisé entre nous deux (Fabien Engelmann et lui, ndlr) qu’on ne prenait aucun don pour ne pas faire de papiers (sic) », explique-t-il. Dans un document interne datant de mars 2014, rédigé par le M. élections du FN, Jean-François Jalkh, le « recueil de dons sans passer par le mandataire financier » fait partie des « péchés mortels » à éviter absolument.

Depuis le 14 août, la direction du FN est informée des bizarreries de la campagne électorale de Fabien Engelmann. Ce jour-là, Marie Da Silva, son mari et deux adjoints se rendent à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). La ville où Marine Le Pen s’était présentée aux législatives en 2012, face à Jean-Luc Mélenchon, a été remportée en mars dernier par Steeve Briois, le secrétaire général du parti, membre de la garde rapprochée de la présidente du FN.

Des photos les montrent, tout fiers, dans la mairie d’Hénin, symbole des conquêtes municipales du FN. L’après-midi, ils sont reçus par Briois et Bruno Bilde, un de ses adjoints. L’entretien dure trois heures, dans le bureau du maire. Briois demande des documents avant la fin du mois, en prévision du bureau national de rentrée, puis leur fait visiter la ville. Une semaine plus tard, le 22 août, Briois et Bilde reçoivent un dossier par courrier électronique. Des factures, des chèques, un des deux mandats-comptes prouvant les versements en liquide pour régler l’imprimeur. Marie Da Silva réclame un « retour rapide » : le 12 août, elle a été désavouée lors d'une réunion des adjoints conduite par Engelmann. Le 25, celui-ci lui a retiré ses délégations.

Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange.Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange. © dr

Le 27 août, Marie Da Silva adresse un ultimatum à plusieurs dirigeants du Front national. Marine Le Pen est informée. Elle lui fait passer le message : ne prendre aucune décision avant le bureau politique du 1er septembre, elle reviendra rapidement vers elle. Elle n'en fera rien. « C'est une affaire de Clochemerle, tranche-t-elle le 2 septembre sur France Info. Le maire conteste formellement cette situation, j'ai tendance à croire le maire. »

Depuis, des cadres du parti, dont le trésorier et avocat du FN, ont pris leurs distances avec Engelmann. De hauts responsables ne cachent plus leur embarras. Mais Marine Le Pen fait le dos rond. Ce week-end, dans Le Monde, la présidente du FN a évoqué des « éléments minimes », ajoutant que « les premiers pas des villes FN sont remarquables ».

Au-delà des irrégularités de sa campagne, les cinq premiers mois de Fabien Engelmann à la mairie ne peuvent pourtant qu'interroger sur la capacité réelle du parti à gérer des collectivités.

« En cinq mois, la commune a changé », a assuré Engelmann au conseil municipal du 3 septembre, citant la sécurité et la propreté. En réalité, le bilan est maigre. Un arrêté anti-mendicité a éloigné la poignée de personnes qui traînaient de temps en temps dans la ville. Pour le reste… Engelmann avait promis de baisser ses indemnités de maire ? Il a réduit celles de ses adjoints, pas la sienne. L’audit financier, sans cesse retardé, vient juste d’être lancé. Le FN vient de faire voter la hausse des loyers des logements vacants appartenant à la ville, une augmentation des tarifs de location pour les salles municipales, une baisse de l'aide de la mairie aux transports scolaires. « Pendant la campagne, vous avez montré la vitrine du FN, on commence à apercevoir l’arrière-boutique, lui a rétorqué l’ancien maire socialiste, Philippe David, à la table du conseil municipal. Hayange est isolée, vitrifiée. Vous n’avez aucun projet structurant, sinon des broutilles ou des coloriages. »

La sculpture municipale en forme d'œuf repeinte en bleu sur ordre du maireLa sculpture municipale en forme d'œuf repeinte en bleu sur ordre du maire © MM

En réalité, Engelmann met beaucoup d'énergie à faire parler de lui. Il s'est entêté à repeindre en bleu un œuf ornant une fontaine en granit de l'artiste Alain Mila, en face de la mairie. Ses services l'en avaient dissuadé, certains adjoints aussi. En vain. Coup de projecteur médiatique garanti. Mais une œuvre d'art ne peut être modifiée sans l'accord de l'artiste. Au cœur de l'été, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et élue de Moselle, a déploré une « violation manifeste du droit moral et des règles élémentaires du code de la propriété intellectuelle et de la protection du patrimoine ». Ces derniers jours, le maire a ordonné aux services techniques de gratter la peinture. Mais ils n'y sont pas parvenus. L'œuf va devoir être descellé, transporté par une société privée dans un atelier municipal, puis déplacé. Il faudra ensuite refaire la fontaine. La note risque d'atteindre des milliers d'euros.

Engelmann a enlevé le drapeau européen à la mairie, rajouté des drapeaux français. Il a aussi fait repeindre en bleu-blanc-rouge des wagons de mines qui servent de bacs à fleurs. Une « tentative de réinterprétation de l'Histoire », alors que « des immigrés de seize nationalités différentes se sont retrouvés au fond des mines de la région », selon l'association «Hayange plus belle ma ville ». Il devrait bientôt en faire repeindre un autre. Militant de la condition animale, Fabien Engelmann construit un chenil dans les ateliers municipaux. Et va baptiser une rue au nom de Brigitte-Bardot.

Les wagons miniers repeints en bleu-blanc-rougeLes wagons miniers repeints en bleu-blanc-rouge © MM

Pour le reste, le maire déploie la panoplie habituelle de l'extrême droite quand elle gère une ville. « Ils sont à l’extrême droite de l’extrême droite », dit un adjoint FN. La commune met depuis toujours des salles à disposition des syndicats. Ils devront bientôt payer un loyer. Le Palace, le cinéma municipal, n'ouvre plus que très rarement. Le maire souhaite le vendre, selon l’adjointe à la culture, Emmanuelle Springmann, qui n'a plus voix au chapitre. Le partenariat avec le festival du film arabe de la ville voisine de Fameck ne sera pas reconduit. « C’est une erreur. On est là pour tout le monde », déplore Springmann. Une association de danse orientale qui souhaitait emprunter un local s'est vu retoquer son dossier. « On m’a répondu que si on commence comme ça, il y aura bientôt des femmes voilées », raconte Patrice Hainy, l’adjoint aux sports. Discrètement, le maire tente de persuader les vendeurs maghrébins du marché d'aller vendre un peu plus loin. Il n'y aura pas non plus de parking à côté de la mosquée, comme Marie Da Silva l'avait promis à l'imam pendant la campagne. Dimanche 14 septembre, le maire organise la première « Fête du cochon ». Un hommage à la tradition « lorraine », où il est assuré que les musulmans d'Hayange ne se rendront pas.

«Cochon qui s'en dédit». Dimanche 14 septembre, Hayange organise sa première «Fête du Cochon»«Cochon qui s'en dédit». Dimanche 14 septembre, Hayange organise sa première «Fête du Cochon» © Capture d'écran du site de la mairie d'Hayange

La mairie est comme un bateau sans cap. Il n'y a pas de DRH, pas de directeur des services financiers. Quant à la directrice générale des services, elle a décidé de partir fin août, à la fin de sa période d'essai de trois mois. Élisabeth Calou-Lalesart est pourtant idéologiquement en phase avec le maire.

Candidate du « Rassemblement Bleu Marine » aux municipales à Saint-Cyr-sur-Mer (Var), cette chef d'entreprise était arrivée à Hayange par l'intermédiaire de la sphère anti-islam qui gravite autour du FN. Comme Engelmann, c'est une proche de Riposte laïque, qui a édité son livre, intitulé Pas de voile pour Marianne. Elle côtoie les fondateurs de Riposte laïque Christine Tasin et Pierre Cassen, ou le groupe « Génération Patriotes », animé par Stéphane Lorménil, l'ancien suppléant de Fabien Engelmann aux législatives de 2012.

Pourtant, la collaboration a tourné court. À la mairie, Engelmann décide seul, avec quelques adjoints et colistiers qui bénéficient de ses faveurs (un logement social, des bons du CCAS…). « Le maire est un gourou, avec sa petite cour autour qui applaudit. Engelmann, c'est Louis XIV », dit un adjoint FN. Alors qu'il héberge Élisabeth Calou, le maire augmente son salaire pour qu'elle lui reverse un loyer en liquide. Devant son refus, il baisse à nouveau son salaire, comme elle l'a rapporté à Libération.

Ce lundi 8 septembre, le syndicaliste CGT qui a accompagné Calou à son dernier entretien a même été convoqué par le maire qui lui reproche un « abandon de poste ». Avant de regagner le sud de la France, Calou a décrit à des proches une atmosphère de « peur », des salariés en souffrance, une ambiance « digne d'un film d'Al Capone ». Sollicitée, Élisabeth Calou a refusé de nous répondre : « Je ne souhaite plus m'en mêler, je veux tourner la page. » Elle vient d'être embauchée au Luc (Var), autre ville gagnée par le FN en mars.

Le Palace, cinéma que le maire veut vendreLe Palace, cinéma que le maire veut vendre © MM

Dans les services, l'atmosphère est lourde. Une dizaine de personnes sont parties. L'ancien DGS et son adjointe bien sûr, comme c'est souvent le cas quand une mairie bascule. L'ancienne directrice du Centre communal d'action sociale, qui ne voulait pas travailler avec le FN. Mais aussi des fonctionnaires de catégories B ou C, dans d'autres collectivités ou en disponibilité. « Le personnel de la mairie a peur », déplore l'adjoint aux sports, Patrice Hainy. Le dernier tract de la CGT déplore « fuite des compétences, désorganisation, démantèlement des services, sanctions abusives ». « La gestion d'Engelmann, c'est de la folie pure. Il intimide. Il soupçonne, il espionne, il sanctionne », dit Hugues Miller, secrétaire général des territoriaux CGT d'Hayange. Le maire veut supprimer 25 % des effectifs de la mairie. Mais d'après Miller, « il augmente dans le même temps des contrats aidés pour remplacer des contractuels en attente de titularisation ». Et embauche qui il veut.

Dans les couloirs de la mairie, l'ambiance est déplorable. « Un venin », dit la femme d'un employé « à bout ». « Tout le monde surveille tout le monde », dit ce fonctionnaire. « J'aimerais qu'il y ait de nouvelles élections, rêve tout haut un adjoint Front national. Comme ça je pourrais me barrer. C’est la première fois que je m’engage en politique, on ne m’y reprendra pas. Le FN, ils sont mouillés maintenant. Ils ne sont plus près d’avoir ma voix. »

BOITE NOIREContacté lundi à 15 heures, sur son répondeur et par SMS, Fabien Engelmann n'a pas donné suite à nos demandes de précision. Je lui ai également adressé à 16h15 par mail la liste des questions précises que je comptais lui poser. Sans plus de réponse de sa part.

Ces dernières années, je me suis rendu à plusieurs reprises à Hayange (par exemple ou ). Cette fois, je m'y suis installé trois jours, de mercredi à vendredi dernier, pour raconter un premier bilan de la gestion de Fabien Engelmann. De peur des représailles, plusieurs personnes ont souhaité témoigner sous couvert d'anonymat.

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Déficit: la lettre de Bruxelles que l'Elysée ne veut pas publier

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Bruxelles de notre envoyé spécial permanent. « Je vous écris pour vous demander les raisons qui ont conduit à ce que la France prévoie de dévier des objectifs budgétaires fixés par le Conseil, en ce qui concerne à la fois le déficit public général, et l'ajustement de l'équilibre structurel en 2015. Je voudrais également savoir comment la France prévoit de se conformer à ses obligations de politique budgétaire en 2015, conformément au pacte de stabilité et de croissance. »

L'auteur de ces lignes est Jyrki Katainen, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires. Il s'adresse à Michel Sapin, ministre des finances français, dans un courrier envoyé en début de semaine à Paris. François Hollande a confirmé, jeudi soir en marge du conseil européen à Bruxelles, l'existence de cette lettre mais il s'est refusé à la publier. « C'est une lettre très banale », a-t-il dit, « qui n'a pas de grande signification au-delà de demander un certain nombre d'informations et de précisions ». Des cinq pays qui ont reçu une lettre de l'exécutif de José Manuel Barroso – Autriche, Italie, France, Malte, Slovénie–, seule l'Italie a jusqu'à présent rendu le document public.

Dans le courrier envoyé à Paris, que Mediapart a pu consulter et publie en intégralité (lire ci-dessous), la commission fait état de ses inquiétudes concernant le projet de budget français pour 2015. Elle pourrait aller jusqu'à émettre un « avis négatif » sur la copie française, mercredi prochain, si les négociations entre Paris et Bruxelles, d'ici là, ne se débloquent pas. C'est la procédure classique désormais prévue par le semestre européen, un ensemble de règles, notamment budgétaires, qui doivent permettre aux États de mieux coordonner leurs politiques économiques, pour éviter une répétition de la crise des dettes souveraines.

« À partir de la proposition française, il ressort que l'ébauche de proposition budgétaire (draft budgetary plan, ndlr) ne prévoit pas de ramener le déficit public global sous la barre des 3 % du PIB définie par les traités d'ici 2015, qui correspond à la date butoir fixée par le Conseil dans ses recommandations du 21 juin 2013 – avec l'objectif de mettre fin à la procédure de déficit public excessif pour la France », lit-on dans le document.

« D'après notre analyse préliminaire (…), l'ajustement du déficit structurel devrait ressortir à un niveau bien inférieur au niveau recommandé. Dès lors, tout porte à croire que l'ébauche de programme budgétaire pour 2015 prévoit de manquer aux obligations budgétaires qui découlent des recommandations du Conseil, sous la procédure de déficit public excessif », est-il encore écrit. Le déficit structurel français, au cœur des inquiétudes à Bruxelles, correspond au déficit public débarrassé des effets de la conjoncture: c'est l'indicateur central du débat.

La composition de la lettre envoyée à Paris est à peu près identique à celle des Italiens. Mais le ton y est, par endroits, plus offensif. « C'est la preuve que les négociations avec les Italiens se déroulent mieux, tandis que celles avec les Français, qui ont eu lieu cette semaine, sont beaucoup plus houleuses », décrypte une source bruxelloise. La France, par ailleurs, fait l'objet d'une procédure dite « de déficit excessif », ce qui n'est pas le cas de l'Italie. Cela oblige la commission à faire preuve de davantage de fermeté avec Paris.

Lors de sa conférence de presse jeudi soir à Bruxelles, François Hollande a assuré qu'il comptait respecter les « engagements européens, mais avec le maximum de flexibilité ». Il a affirmé qu'il n'irait pas au-delà des 21 milliards d'euros d'économies prévues dans son budget 2015. « On peut voir comment on peut mieux mobiliser certaines ressources, mieux calculer certaines dépenses, mais il n'y aura pas de modification sur ce point », a-t-il insisté. Paris table sur un déficit de 4,3 % fin 2015 – très loin de la barre des 3 %.

La stratégie du chef de l'État reste floue, dans ces négociations budgétaires, hésitant sans cesse entre la confrontation avec Bruxelles et le profil bas. Dans la foulée du conseil européen, qui s'est ouvert jeudi à Bruxelles, un sommet de la zone euro devait avoir lieu vendredi midi et après-midi, à la demande, en particulier, de Rome et Paris. Les deux capitales espèrent clarifier la manière dont les règles du pacte de stabilité et de croissance peuvent être interprétées, avec davantage de flexibilité. Mais elles doivent compter avec les réticences d'Angela Merkel, la chancelière allemande.

« La commission souhaite poursuivre un dialogue constructif avec la France, dans la perspective de déboucher sur une appréciation définitive (du projet de budget, ndlr). J'attends donc de connaître votre position dès que vous le pourrez, et si possible d'ici le 24 octobre (ce vendredi, ndlr). Cela permettrait à la commission de prendre en compte les positions françaises, dans la suite de la procédure », conclut Jyrki Katainen.

Vendredi dans la matinée, un collectif de députés PS, dont Karine Berger, Yann Galut et Valérie Rabault, est monté au créneau, pour demander au chef de l'État de publier « immédiatement » la lettre. « Nous demandons au président de la République française que la lettre reçue par la France soit immédiatement publiée, afin que les Français puissent connaître les points de discussion entre leur pays et la Commission européenne », écrivent-ils. « Garant de cette souveraineté budgétaire, le Parlement français doit être partie prenante à la discussion qui se noue entre notre pays et la commission européenne », jugent-ils.

Ci-dessous le verbatim anglais de la lettre envoyée à Paris :

« Dear Minister,

First and foremost, I would like to thank you for the submission of France's Draft Budgetary Plan (DBP) for 2015, which we received on 15 October.

Based on the submission by France, the DBP itself does not plan to bring the general government deficit below the 3 % of GDP Treaty reference value by 2015, the deadline set by the Council in its recommendation of 21 June 2013 with a view to bringing an end to the situation of an excessive government deficit in France.

According to our preliminary analysis - confirmed on the basis of the recalculation by the Commission services using the commonly agreed methodology - the adjustment in the structural deficit is expected to be well below the level recommended. In that respect, there is a strong indication that the DBP for 2015 plans a breach of the budgetary policy obligations which stem from the Council recommendation under the excessive deficit procedure. Against this background, further exchanges of information have already taken place between your services and the Commission.

In line with the provisions of Article 7(2) of Regulation (EU) № 473/2013 of 21 May 2013, I am writing to consult you on the reasons why France plans to deviate from the budgetary targets set by the Council regarding both the general government deficit and the adjustment in the structural balance in 2015. I would also wish to know how France could ensure full compliance with its budgetary policy obligations under the SGP for 2015.

The Commission seeks to continue a constructive dialogue with France with the view to come to a final assessment. I would therefore welcome your view at your earliest convenience and if possible by 24 October. This would allow the Commission to take into account France's views in the further procedure.

Yours sincerely, »

Ci-dessous la lettre envoyée à l'Italie :


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Prédistribution? Le nouveau concept politique non identifié de Manuel Valls

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Dans son entretien très commenté à L'Obs, Manuel Valls tance la « gauche passéiste » « hantée par le surmoi marxiste », critique les hausses d'impôts des premières années du quinquennat, propose un contrat unique de travail et lance l'idée d'une « maison commune des progressistes » pour remplacer le PS. Mais, et c'est passé inaperçu, le premier ministre s'aventure aussi sur le terrain de la théorie politique. Au détour d'un paragraphe, il se livre ainsi à une critique en règle de l'État providence tel qu'il existe en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale :

« 57 % de dépenses publiques, est-ce que l'on considère que c'est efficace ? Non. Face à ce modèle inefficace qui redistribue aveuglement sans tenir compte des besoins de chacun, et revient a posteriori sur les inégalités pour les corriger, nous devons proposer un modèle que j'appelle la prédistribution pour prévenir les inégalités. D'où la nécessité d'investir massivement dans l'éducation, la recherche, la formation et la culture. »

Manuel Valls dans l'Obs, jeudiManuel Valls dans l'Obs, jeudi

« Prédistribution ». Au milieu des polémiques des derniers jours entre socialistes, pas grand monde n'a prêté attention à l'irruption de ce mot dans le débat politique. Manuel Valls est pourtant le premier à importer en France ce concept, à la mode dans les cercles sociaux-démocrates européens depuis quelques années. Alternative à la « redistribution » historiquement défendue par les partis de gauche, la « prédistribution » fait aujourd'hui figure de recette miracle pour dirigeants progressistes désargentés, à l'heure de la crise et des économies budgétaires.

Contrairement à ce qu'il laisse entendre, Manuel Valls n'est pas l'inventeur de ce terme. Celui qui l'a défini s'appelle Jacob Hacker, 43 ans, directeur de l'institut des études sociales et politiques à l'université américaine de Yale.

Spécialiste de l'État providence, Hacker est l'auteur de plusieurs ouvrages, non traduits en France. Le plus récent (Winner-Take-All Politics: How Washington Made the Rich Richer and Turned Its Back on the Middle Class Comment Washington a enrichi les riches et tourné le dos aux classes moyennes), publié en 2010, met en cause la responsabilité des élites politiques américaines dans l'explosion des inégalités aux États-Unis au détriment des classes moyennes. « Un J'accuse éloquent contre l'élite de Washington qui a mené une guerre de trente ans contre sa population au nom des riches », salue The New Statesman, hebdomadaire britannique marqué à gauche.

Le concept n'est pas très vieux : le 3 mai 2011, Hacker est invité à Oslo par Policy Network, think tank britannique très influent dans les cercles sociaux-démocrates européens. Devant un parterre d'intellectuels et de dirigeants sociaux-démocrates (dont Ed Miliband, chef du parti travailliste britannique ou Georges Papandréou, alors premier ministre grec du PASOK), il explicite son fameux concept. On peut retrouver là les contributions de ce colloque, la "Progressive Governance Conference".

« Quand nous pensons à la façon dont les gouvernements peuvent réduire les inégalités, nous pensons à la redistribution – les impôts collectés par les gouvernements et les transferts, qui consistent à prendre à certains pour donner aux autres, écrit Hacker dans l'article qui accompagne son intervention, intitulé "Les fondations institutionnelles d'une démocratie des classes moyennes" (lire ici). Mais nombre des changements les plus importants sont en fait rendus possibles par la prédistribution (…) Les réformateurs progressistes ont besoin de se concentrer sur les réformes de marché qui favorisent une distribution plus juste du pouvoir économique et de ses bénéfices avant même que le gouvernement ne collecte des taxes ou n'attribue des prestations. » Une nécessité, selon Hacker, à l'heure où la redistribution traditionnelle, et les impôts qui vont avec, sont de plus en plus contestés.

The New Statesman, 11 juillet 2013The New Statesman, 11 juillet 2013
Dans un entretien au New Statesman en 2013, Hacker définit plus simplement la « prédistribution » ("pré-distribution" en anglais) comme la nécessité de « stopper l'inégalité avant qu'elle ne commence ».

« Dans une société de plus en plus inégalitaire, le contrat social ne peut être simplement soutenu par le fait de prendre à certains des plus fortunés, les riches, pour redistribuer au reste de la société. Ça ne marche pas politiquement (…) parce que cela crée un environnement où la classe moyenne a de plus en plus de ressentiment contre ceux qui sont en bas de l'échelle sociale et qui bénéficient le plus des transferts de la puissance publique. Elle leur en veut plus qu'aux riches, alors que ce sont eux qui ont faussé les règles du jeu. (…) En tant que sociaux-démocrates et progressistes, nous créerons plus de solidarité et nous aurons plus de résultats si nous rendons la redistribution aussi peu nécessaire que possible. »

Concrètement, cela peut passer, suggère Hacker, par « une meilleure régulation financière », « des droits sociaux pour les travailleurs », un contrôle accru des salariés sur la gouvernance des entreprises, le « plein-emploi », un « investissement accru dans les savoir-faire et l'éducation primaire », et une économie davantage tournée vers les petites entreprises. Des mesures qui, sans toutes coûter de l'argent, peuvent permettre aux partis sociaux-démocrates, dans un contexte de faible croissance, de retrouver le vote des classes moyennes, assure-t-il — les classes populaires ne sont même pas évoquées, comme si elles étaient irrémédiablement perdues.

Pour le parti travailliste britannique (Labour), en quête d'une nouvelle doctrine après l'ère critiquée du "New Labour" de l'ancien premier ministre Tony Blair, la « prédistribution » est une aubaine théorique. Ed Miliband, le chef du Labour, classé à la gauche de ce parti social-libéral, l'a d'ailleurs reprise à son compte.

Le 6 septembre 2012, lors d'un discours à la Bourse de Londres, Ed Miliband a proposé pour son parti « un nouvel agenda ». Il s'est alors attardé sur la « prédistribution », érigée en principe de base d'un futur programme. « La redistribution est nécessaire et restera un objectif clé du prochain gouvernement travailliste, dit-il. Mais elle n'est pas suffisante pour atteindre nos buts (…) La prédistribution, c'est dire que nous ne pouvons pas nous permettre d'être de façon permanente coincé dans une économie qui donne des salaires bas. (…)  Dans le passé, les gouvernements de centre-gauche ont tenté d'améliorer les salaires via les dépenses publiques, dans le futur ils devront faire en sorte que le travail lui-même paie davantage. »

Malgré les remarques acerbes du premier ministre conservateur David Cameron — « la prédistribution, c'est dépenser l'argent que nous n'avons même pas » –, le concept est un des éléments de ce que Fabien Escalona, chercheur à Sciences-Po Grenoble, nomme le « nouveau récit travailliste », aux côtés de la promotion d'un « capitalisme responsable » et d'une « révolution de l'offre » de gauche après celle des années Thatcher. Il sous-tend plusieurs des propositions du parti à l'approche des élections générales du 7 mai 2015.

Ed Miliband, chef de file des travaillistes britanniquesEd Miliband, chef de file des travaillistes britanniques © Reuters


« La pré-distribution, c'est un concept qui a l'avantage d'ancrer à gauche sans remettre en cause, en tout cas dans sa version "soft", ni les structures inégalitaires du néolibéralisme ni le cadre austéritaire, analyse Escalona. Il s'agit de rendre les individus plus compétitifs, aptes à évoluer dans la compétition économique globale, mais dans un contexte financier où l'État n'a plus les moyens de corriger les inégalités par les dépenses publiques. »

« Dans sa version minimale, la prédistribution n'est rien d'autre qu'une action d'arrière-garde inefficace contre les politiques d'austérité », préviennent eux aussi les chercheurs Martin O'Neill et Thad Williamson dans un texte publié en septembre 2012 par Policy Network. « Poursuivie de façon courageuse et avec des intentions sérieuses, (elle) pourrait créer un agenda excitant et radical pour la social-démocratie », poursuivent-ils. « Mais ce ne semble pas être le sens que lui donnent Ed Miliband ou Manuel Valls », estime Escalona.

Dans l'opposition, le PS a déjà planché sur de telles thématiques. En 2004, Dominique Strauss-Kahn avait publié à la Fondation Jean-Jaurès une note « pour l'égalité réelle » restée célèbre.

En 2010, le parti, alors dirigé par Martine Aubry et sous la coordination de Benoît Hamon, avait présenté un paquet de mesures pour favoriser cette fameuse « égalité réelle », en partie inspiré d'un livre du sociologue François Dubet, Les Places et les Chances : « baisse raisonnée des prix et des loyers», contrôle public du tarif du gaz et de l'électricité, lutte contre les contrôles au faciès, service public de la petite enfance et maternelle obligatoire dès trois ans, droit à la scolarité jusqu'à 18 ans, quotas de médecins par départements, allocation d'autonomie pour les jeunes, création d'un « ministère des droits des femmes et de l'égalité entre les genres », etc. (lire notre article). À l'époque, Manuel Valls avait refusé de voter ce texte, dont il n'est quasiment plus rien resté dans le programme présidentiel de François Hollande.

Ancien strauss-kahnien en rupture de ban, aujourd'hui un des chefs de file du mouvement socialiste « Vive la gauche » qui conteste le cap économique du gouvernement, le député Laurent Baumel dit retrouver dans certains passages de l'entretien de Manuel Valls « des idées croisées dans la galaxie strauss-kahnienne pour réduire les inégalités à la racine : donner du capital culturel, augmenter l'égalité réelle en permettant aux enfants des classes populaires de réussir, etc. ». Mais l'opposition entre « redistribution » opérée par l'État providence et la « prédistribution » lui paraît simpliste. « Les deux ne sont pas antagonistes car il faut réduire les inégalités en amont et en aval. »

Difficile en tout cas à la lecture de L'Obs de savoir quelles mesures concrètes Manuel Valls mettrait en œuvre pour réformer l'État providence, qui, s'il coûte cher, a aussi été un formidable amortisseur de la crise en France ces dernières années. Faut-il par exemple drastiquement baisser les impôts ? Mais dans ce cas comment compenser le manque à gagner et financer l'investissement dans le « capital humain » que requiert la « prédistribution » ? Convient-il de reformater, et si oui selon quels critères, les investissements de l'État et le montant des salaires publics dans les territoires, alors qu'ils soutiennent l'activité locale ? Faut-il réduire les 600 milliards annuels de prestations sociales et/ou les allouer différemment ? Conserver le principe d'universalité hérité du Conseil national de la Résistance, ou l'abandonner définitivement, dans le sens de la réforme récente des allocations familiales ? Réformer plus globalement les structures de la Sécurité sociale, et si oui comment ?

Sollicité à deux reprises ce vendredi, l'entourage de Manuel Valls à Matignon n'a pas jugé utile de nous rappeler pour préciser sa pensée. Le premier ministre en reste pour l'heure au stade du slogan, avant tout préoccupé par sa volonté de se constituer (comme sur à peu près tous les sujets) un profil de briseur de « tabous ».

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Irrégularités fiscales chez les députés : même le président de la commission des Finances est concerné

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À l’Assemblée nationale, c’est l’un des meilleurs spécialistes de la fiscalité et l’un des chantres de la réduction des déficits publics. Le symbole n’en est que plus fort. D’après des informations recueillies par Mediapart, le président UMP de la commission des Finances, Gilles Carrez, est convoqué dans une dizaine de jours par l'administration fiscale de son département du Val-de-Marne, en vue d'un probable redressement fiscal. 

Gilles Carrez, président UMP de la commission des Finances de l'Assemblée nationaleGilles Carrez, président UMP de la commission des Finances de l'Assemblée nationale © Reuters

Compte tenu de ses biens immobiliers, les services de contrôle estiment qu'il devrait payer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dont Gilles Carrez ne s'acquitte plus depuis 2011. En France, tout contribuable est redevable de l'ISF quand son patrimoine dépasse la valeur nette de 1,3 million d'euros.

Interrogé par Mediapart, Gilles Carrez, député et maire du Perreux-sur-Marne, fait valoir « une totale bonne foi ». « Si les services fiscaux estiment que je dois basculer dans l’ISF, je ne vais pas discuter, dit-il. Je vais l'appliquer, je ne saisirai pas la juridiction administrative. Ce n’est pas un drame. »

Celui qui fut rapporteur général du budget sous Nicolas Sarkozy fait aujourd'hui partie des dizaines de parlementaires en délicatesse avec le Fisc, une « soixantaine » selon Le Canard enchaîné du 22 octobre, qui agrège des situations très variées allant de l'évasion et de la fraude fiscale au “simple” retard de paiement, en passant par la sous-évaluation plus ou moins intentionnelle d'appartements.

Jeudi, Le Monde a d'ores et déjà dévoilé les noms de deux d'entre eux, le député Lucien Degauchy (UMP) et le sénateur Philippe Marini (UMP), qui auraient minoré la valeur de leurs biens immobiliers – le premier a surtout détenu un compte en Suisse non déclaré.

Sollicité vendredi soir, Gilles Carrez n'esquive pas les questions de Mediapart. Il explique ainsi être propriétaire d'un pavillon au Perreux détenu avec son épouse, non pas directement mais au travers d'une SCI (une société civile immobilière). Pour calculer la valeur de son bien (qui conditionne son entrée ou non dans l'ISF), le député applique un abattement de 30 % autorisé quand il s'agit d'une résidence principale, en l'occurrence « un abattement de l'ordre de 150 000 euros ».

« Or il semblerait que quand vous êtes propriétaire en SCI, vous n’ayez pas le droit à l'abattement de 30 %, même si vous habitez votre maison comme nous depuis trente-huit ans, poursuit Gilles Carrez. J'avoue que j'ignorais complètement ce point, bien que j'aie été rapporteur du budget pendant dix ans. Nous allons en discuter (avec les services fiscaux) et s'il le faut, je réintégrerai les 30 %. Je passerai donc au-dessus (du seuil de) 1,3 million d'euros et je paierai l'ISF. Le taux étant à 0,5 %, ça n'est vraiment pas un drame, pas un problème financier. La seule chose qui m'ennuie, c'est que dans cette affaire, je suis complètement de bonne foi. »

Ce « point » ignoré par le président de la commission des Finances semble pourtant connu de bien des fiscalistes. Sur internet, nombre d'articles de presse, soupesant les intérêts et inconvénients de transformer son habitation en SCI, en font état noir sur blanc.

À l'arrivée, l'élu reconnaît qu'il pourrait être redressé sur une ou plusieurs années. « Si on me réintègre les 30 %, je pense que je devrais être assujetti à partir de 2012 ou 2013 », déclare Gilles Carrez, qui espère échapper à des pénalités pour mauvaise foi.

Le député UMP est justement l'auteur de l'amendement qui a instauré l'abattement de 30 % sur la résidence principale (auparavant limité à 20 %), co-signé à l'été 2007 avec Jean-François Copé. « Dans mon esprit, assure Gilles Carrez, c'était pour la résidence principale quelle que soit la modalité de détention. » SCI ou pas SCI, « ce qui était important, c'était qu'on y habite ! ». Coût estimé à l'époque pour cette mesure dont il devait bénéficier ? Environ 110 millions d'euros par an pour l'État. Même ses collègues centristes avaient dénoncé un « cadeau » aux plus fortunés, tandis que les socialistes hurlaient : « Vous continuez à vider l'ISF de sa substance, c'est inadmissible ! »

Quatre ans plus tard, le député a également défendu la réforme du gouvernement Fillon qui a fait passer le seuil d'entrée dans l'ISF de 800 000 euros à 1,3 million d'euros. Une mesure que Gilles Carrez jugeait « conforme à l'objectif poursuivi par l'impôt de solidarité sur la fortune : taxer uniquement les grandes fortunes ».

En toute transparence, il explique aujourd'hui à Mediapart en avoir profité : « J'ai payé l'ISF de 2007 à 2010, et puis quand le seuil est passé de 800 000 à 1,3 million d'euros, je me suis retrouvé un peu au-dessus d'un million mais très en dessous de 1,3 million. » Dès 2011, Gilles Carrez n'a donc plus déclaré d'ISF... jusqu'aux vérifications fiscales en cours.

Par ailleurs, le parlementaire s'inquiète d'une éventuelle méconnaissance par les services fiscaux du caractère semi-professionnel de son pavillon du Perreux. « Il comprend les locaux de la pharmacie exploitée par ma femme, précise Gilles Carrez. Mon assurance, d'ailleurs, distingue bien : j'ai 120 m2 côté logement, et puis 75 m2 plus 75 m2 de réserve côté pharmacie. Or la pharmacie, c'est un bien professionnel, ça n'a pas à rentrer dans l'ISF. Quand je verrai les services fiscaux, je mettrai ce point en évidence. »

Après trente minutes d'entretien, Gilles Carrez finit par s'agacer. « Tous ces noms (de parlementaires) qui vont être égrenés dans la presse, qu'on va donner en pâture, ça ne fera qu'entretenir le Front national », s'alarme le député, choqué de voir des noms “fuiter” à droite à gauche. « Mediapart en sait autant que le directeur des services fiscaux du Val-de-Marne ! »

Les contrôles en cours sur les parlementaires sont la conséquence des travaux entrepris par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée d'éplucher les déclarations de patrimoine et d'intérêts de 9 000 hauts responsables publics. Quand ses services ont quelque suspicion, ils peuvent se tourner vers Bercy et demander d'accéder aux données fiscales – une démarche qui déclenche des vérifications en bonne et due forme, sous la houlette de la direction générale des finances publiques.

« Ce que je souhaite, c'est que le secret fiscal soit préservé, lui qui fonctionnait encore à peu près, en tout cas un peu mieux que le secret de l'instruction, insiste le président de la commission des Finances. Mais là, à partir du moment où des listes se baladent... À partir du moment où vous mettez en place des procédures de type HAT, avec une liaison avec les services fiscaux (d'ailleurs nécessaire), vous mettez dans la boucle des dizaines de personnes. Et il y en a une qui se fait un malin plaisir... » 

Certains hauts fonctionnaires de Bercy voient d'un très mauvais œil le partage d'informations avec la HAT, qui vient bousculer leurs habitudes. Créée en réponse à « l'affaire Cahuzac », l'autorité indépendante du pouvoir exécutif a pourtant démontré son utilité dans les affaires Benguigui, Le Guen ou encore Thévenoud« En trente-huit ans, avec ma femme, on n'avait jamais eu de contrôles fiscaux », confie Gilles Carrez. C'est désormais chose faite. 

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Et si Manuel Valls finissait par s’exclure de la gauche

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Pour un peu, avec ses certitudes martiales et ses coups de menton virils, Manuel Valls passerait pour Bonaparte, comme Nicolas Sarkozy. Un homme capable de trancher. Un gagneur, qui ramènerait l’ordre et redonnerait le goût de la victoire. Las, deux cent dix jours plus tard, les européennes ont tourné au désastre, le Sénat a basculé, les élus PS redoutent une catastrophe électorale dans les cantons et les régions, les couacs sont devenus des crises, la majorité est en morceaux, la popularité de l’exécutif est en loques et les oppositions internes sont si fortes que le premier ministre finit par avoir l’air d’un opposant minoritaire !

Il faut dire que Manuel Valls a dépassé son maître, le président de la République François Hollande, dont on a souvent raillé l’esprit de synthèse, c’est-à-dire cette manière d’associer la carpe et le lapin. Il se trouve que ces mariages de circonstance ont fonctionné dans les congrès et l’ont propulsé à l’Élysée, mais ont montré leurs limites dès l’arrivée au pouvoir. Pressé en Europe par la droite allemande et à Paris par la droite française, Hollande a lâché du lest, comme à son habitude, mais cette fois dans un seul sens, ou presque. Il a reculé sur à peu près tous les terrains, au point de céder jusqu'à son territoire aux élections municipales.

C’est là qu’est arrivé Manuel Valls, et que la machine s’est emballée. Valls n’a plus concédé à la droite, il a milité à sa place. La gauche « moderne » s’est décomplexée. Elle a mis sur le devant de la scène des débats qui s’y trouvaient déjà, depuis longtemps parfois, en les abordant à front renversé, comme si Napoléon se transformait en Wellington pour gagner à Waterloo !

Dès le 2 avril, Pascal Lamy proposait l’instauration de petits boulots payés au-dessous du smic, avec, déjà, cet argument repris en boucle par Manuel Valls, Emmanuel Macron et leurs amis : « Il faut accepter de temps en temps de franchir les espaces symboliques de ce type pour rentrer dans la réalité et la transformer. » Or qui réclamait jusqu’à présent la fin du salaire minimum, même si l’Allemagne commençait à le promouvoir ? Pierre Gattaz, le président du Medef…

Puis, au nom du même réel, Manuel Valls détricotait la loi sur le logement tout juste votée par le Parlement. À l’entendre, avant même d'entrer en vigueur, elle avait un effet délétère sur le marché immobilier.

Viendrait ensuite la question du chômage, par la voix de François Rebsamen, qui ressuscitait le discours de Nicolas Sarkozy en 2012 en accusant les chômeurs de profiter du système. Le nouveau ministre du travail faisait machine arrière en expliquant ne pas confondre les auteurs des abus et l’immense majorité des demandeurs d’emploi, mais le 12 octobre dans Le Journal du dimanche, Emmanuel Macron, nommé après le départ d’Arnaud Montebourg, ressortait l’artillerie lourde. Il jugeait que l’accord sur l’assurance chômage, pourtant signé en janvier par les syndicats et le patronat, « n’allait pas assez loin », et que « l’État devait reprendre la main si les blocages étaient trop lourds ». Dans la foulée, Pierre Gattaz réclamait l’ouverture de la négociation. Normal, cette revendication était d’abord la sienne.

Pourquoi Macron avait-il anticipé sa demande ? Parce qu’il ne faut avoir « ni posture, ni tabou »… Une attitude « moderne » qui le conduisait à réclamer aussi qu’on assouplisse la législation sur le travail du dimanche. Une idée novatrice dans la bouche d’un ministre socialiste, mais ancienne de trente ans dans l’esprit du patronat.

À peine apaisée l’émotion ressentie par la gauche et au lendemain de l’abstention de trente-neuf députés de la majorité sur le vote des recettes du budget, Manuel Valls poursuivait cette offensive, cette fois à propos du contrat unique, qui serait une sorte de CDI dans une main de CDD, à moins que ce ne soit un CDD dans un gant de CDI.

Et la série n’était pas close. On apprenait ce vendredi que la loi Hamon, donnant un droit d’information aux salariés des PME en cas de cession d’entreprise, serait à son tour désossée. Là encore, la suppression de l’article 98 de la loi Économie sociale et solidaire était l’objet du vif courroux des instances du Medef.

Ce qui frappe dans ces propositions et dans le ton visionnaire utilisé par le premier ministre, c’est cette manière de vouloir inventer la gauche nouvelle en l’habillant dans les vieux plis de la droite. Non pas qu’il soit interdit d’ouvrir des débats sur tous les sujets du monde, mais voilà que la gauche est mise en demeure de les trancher comme si le repos du dimanche, le contrat de travail, l’indemnisation du chômage, le salaire minimum, et tant d’autres, n’étaient pas des repères historiques et collectifs, mais des obstacles à karchériser…

D’où vient par exemple cette thématique du « tabou », ou de l’ancien et du moderne, répétée comme un mantra par le premier ministre ? Le mot « tabou » a été utilisé il y a trente ans dans le champ politique par Jean-Marie Le Pen quand il réclamait qu’on revisite « librement » l’histoire des camps de concentration, puis recyclé à propos de l’immigration, avant d’être repris à tort et à travers par la droite et par la gauche. Quant à l’idée que la défense des protections sociales (vacances, temps de travail, retraite, santé, allocations familiales) serait un combat dépassé, elle est le fruit d’une brillante et très efficace campagne de la droite libérale dans les années 1990. Elle stipule que l’équité consiste à s’aligner sur le plus pauvre. Dans cet esprit, l’injustice ne serait pas que le CDD soit privé de CDI, mais que le CDI conserve des garanties quand le CDD en est privé. Cette conception soutient aussi que le progrès dépend avant tout de la levée des blocages réglementaires. Il suffirait en somme de revenir au XIXe siècle, c’est-à-dire à l’époque d’avant le Code du travail, pour garantir l’avenir des jeunes générations.

Au bout de sept mois, et deux gouvernements, Manuel Valls et ses amis sont donc allés au-delà de la technique dite de la « triangulation », qui consiste à s’emparer des thèmes de l’adversaire pour le désarçonner. À force de reprendre à leur compte, dans le fond et la forme, les thèmes de la droite libérale, et jusqu’à ses tics de langage, c’est leur camp qu’ils ont pris à contre-pied.

Il est frappant de constater que la synthèse hollandaise, qui consistait à associer l’aile droite et l’aile gauche du PS, s’est volatilisée. Le gouvernement est devenu monocolore, si solitaire qu’il en est réduit à marchander avec des formations fantômes, Radicaux de gauche, Mouvement unitaire progressiste de Robert Hue, Front démocrate de Jean-Luc Bennhamias.

Frappant aussi de voir s’installer, au nom du « pragmatisme », un climat d’excommunication, quand ce n’est pas d’épuration. Même l’excellent Stéphane Le Foll, en général mieux inspiré, a trouvé « déloyal » que des ministres ayant démissionné du gouvernement en raison de leurs divergences au mois d’août, expriment ce désaccord à l’occasion du vote du budget en octobre. Il a carrément proposé à Benoît Hamon de quitter le Parti socialiste !

Ce pouvoir brandit son « pragmatisme », qui serait moderne, par opposition à « l’idéologie », qui serait datée. Il parle d'élargir le PS en le dépassant, pour créer une « maison commune ». Il se trouve qu’il s’est réduit d’emblée, avec le départ des écologistes, puis qu’il s’est cassé en deux, avec la démission forcée de Montebourg et compagnie, et qu’il reproche aujourd’hui à ses frondeurs officiels et à ses soutiens critiques, d’appartenir à « la gauche passéiste ». Il l’assume fièrement, car cette solitude serait le prix à payer pour redresser l’économie, donc le pays. Le vallsisme serait une avant-garde…

Le problème, sauf retournement, c’est que la voie de ce redressement ressemble à une triple impasse. Impasse économique d’abord : les remèdes dont s’inspire le docteur Valls prouvent leur limite dans toute l’Europe, et jusqu’en Allemagne. Impasse politique ensuite : à force de s'éloigner de son camp, Manuel Valls va finir par s’en exclure lui-même. Impasse électorale enfin : le premier ministre se rêve en Tony Blair. Le problème, c’est que Blair a beaucoup gagné, et créé le New Labour avant sa première victoire, alors que Valls a beaucoup perdu, et qu’il construit sa « maison commune » en se délitant dans les sondages.

Espère-t-il, au bout du compte, attirer les électeurs de droite à la place de ceux de la gauche, en dépassant les clivages ? Croit-il sincèrement que la gauche n’a plus de substance et la droite plus de réalité ? Dans ce cas, la lecture du magazine Le Point de cette semaine le ramènera à la terre ferme. Sous-titre de l’interview d'un économiste allemand : « Cinglant : Hans-Werner Sinn explique pourquoi la France est plus proche du communisme que de l’économie de marché ».

La France de François Hollande, communiste ! Encore un effort d’imitation et de modernité et Manuel Valls viendra nous dire qu'il faut chasser les chars soviétiques de la place de la Concorde…

                  

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Vivre à côté d’une autoroute

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Vue depuis sa voiture, une autoroute, ça sert à rouler vite. Mais vue de la fenêtre de son logement, ça fait quoi, une autoroute ? Du bruit, de la poussière noire, des détours pour aller faire ses courses, du vertige quand il faut la franchir depuis une passerelle en hauteur pour se rendre au collège, ou à l’hôpital. À Saint-Denis, au nord de Paris, les autoroutes enserrent la ville comme un diaphragme : l’A86 tranche la Plaine dans le sens de la largeur, au sud du stade de France ; l'A1 la borde sur son aile orientale, passe devant le fort de l’est, la cité des Cosmonautes, et file droit vers Le Bourget. Pile en face de l’entrée de l’hôpital Delafontaine, l’une des plus importantes maternités de la Seine-Saint-Denis, se déploie un monumental toboggan de bitume : le viaduc n°3 de l’A1. Si bien que pour s’y rendre à pied, il faut emprunter un tunnel de plusieurs dizaines de mètres creusé en dessous de la voie rapide (voir les cartes ci-dessous). 


 

 

Jeudi 23 octobre, vers 10 h 30 du matin, une femme enceinte, puis une autre s’y engagent à pas comptés. « Ce tunnel a provoqué plein de légendes urbaines : quelqu’un s’y était fait égorger, des femmes violer… Ce n’était pas vrai, mais les gens avaient peur. Ça puait la pisse. C’était horrible », se souvient Salah Khemissi, qui a grandi dans la cité Joliot-Curie, et qui, un jour, s’est retrouvée serrée de près par la bretelle de l’autoroute. Délaissé par les riverains, le tunnel reste quasiment vide, malgré ses murs graphés de poissons bigarrés qui le rendent moins carcéral.  

Passants sur le trottoir de l'avenue Lamaze, coupée par la bretelle de l'A1 (JL).Passants sur le trottoir de l'avenue Lamaze, coupée par la bretelle de l'A1 (JL).

Âgé de la cinquantaine, le directeur de la salle de concerts La ligne 13, à Saint-Denis, a encore en tête des images de son quartier d’avant sa découpe routière, avec ses jardins ouvriers qui s’étendaient au pied des tours : « Quand tu es entouré de verdure, tu as l’impression de vivre dans un quartier, pas dans une cité. On construisait des cabanes dans le jardin, on cueillait des framboises en allant à l’école. Avant le toboggan, la vie était plus sociale. Le plus grand drame, c’est la séparation avec les Cosmonautes. Ils se retrouvent enclavés : en face ils ont la cité des 4000, à La Courneuve, et derrière : rien. Ils sont devenus le monde de nulle part. » Le chômage, le manque d’argent, les discriminations, les tensions entre voisins : il existe bien d’autres causes de malheur dans l’immense cité bâtie à la frontière de Saint-Denis et de La Courneuve. Mais dans cette galère, l’enclavement a joué un rôle. Aujourd’hui un tramway dessert le quartier, le rapprochant des services en centre-ville et du marché. Quand la ligne approche de l’A1, elle est bordée des deux côtés par un campement de Roms, engoncé dans un triangle de misère, collé au sommet du talus de l’autoroute. Le rejet des indésirables aux confins des voies à grande vitesse se poursuit. « Une nationale qui passe en face de chez toi, c’est hyper agressif, poursuit Salah, c’est violent une voiture qui passe. »

La sortie du tunnel reliant la cité Saint-Rémy à l'hôpital Delafontaine (JL).La sortie du tunnel reliant la cité Saint-Rémy à l'hôpital Delafontaine (JL).

Ce n’est pas le seul problème. Il y a aussi la pollution. « Il y a tellement de poussière sur la fenêtre que la pluie fait des traînées noires », raconte Ansari Nguyen, habitant de la cité Joliot-Curie depuis quinze ans. Il est assis sur un banc de l’aire de jeux du quartier, à quelques mètres d’Insaf Boulaabi. Elle vit à Rennes mais a grandi ici, où vivent toujours ses parents. « Le bruit des voitures sur l’autoroute me réveille maintenant le matin. Avant, il n’y avait même pas de mur anti-bruit. On l’entendait encore plus », confie Insaf. Pour autant, le quartier ne s’est pas mobilisé contre la bretelle. « On s’habitue à ce fond sonore, poursuit-elle, cette fichue autoroute, on l’a sous les yeux depuis 40 ans. »

A gauche l'A1, à droite un campement de Roms (JL).A gauche l'A1, à droite un campement de Roms (JL).

D’autres problèmes plus saillants, plus urgents, perturbent davantage le quotidien et forment un écran entre les nuisances de l’autoroute et leur perception par ses riverains. La saleté de la résidence, les papiers gras et les canettes qui traînent par terre. La gardienne disparue et remplacée par des femmes de ménage qu’on ne connaît pas. Le bruit causé par les squatteurs de cages d’escalier et les détritus qu’ils laissent derrière eux.

Évelyne Liotardo habite la cité voisine de Saint-Rémy depuis sept ans. Son logement est collé à la bretelle. L’été, il fait trop chaud, on ne peut pas ouvrir les fenêtres. Elle décrit aussi la poussière noire sur ses rebords de fenêtre. Elle évite de secouer ses draps par la fenêtre pour les garder indemnes de pollution et lorsqu’elle aère chez elle, elle ferme le rideau, en guise de filtre. L’autoroute, elle n’en parle pas trop avec les voisins. On a déjà du mal à avoir de la tranquillité. Avant elle vivait à Marseille. Déjà au bord d’une autoroute. Denis Guillien vit quant à lui aux abords du carrefour Lamaze, où débouche la bretelle de l’A1, depuis 1989. Chaque jour y passent environ 45 000 véhicules. « Quand on est arrivé là, on s’est rien demandé du tout. On a vu le prix, et voilà. »

À Paris et en petite couronne, près de 30 % de la population vit à moins de 75 mètres d’un axe à fort trafic routier (plus de 10 000 véhicules par jour). Cette proximité est responsable d’environ 16 % des nouveaux cas d’asthme chez les moins de 17 ans, selon une étude de l’Observatoire régional de santé Île-de-France. En Île-de-France, 55 % des crèches, écoles, structures d’hébergement des personnes âgées, hôpitaux et terrains de sport se situent à moins de 500 mètres d’un axe routier majeur.

Aire de jeux Sergent Bobillot, pour les enfants de 2 à 12 ans, sous l'autoroute A1 (JL).Aire de jeux Sergent Bobillot, pour les enfants de 2 à 12 ans, sous l'autoroute A1 (JL).

À Saint-Denis, deux jours sur trois, les quantités de particules fines et de dioxyde d’azote dans l’air dépassent les seuils autorisés. Environ un tiers de sa population est exposé à des niveaux de bruit gênants et à une pollution record. La station de mesure d’AirParif située en bordure de l’A1 enregistre les plus hauts taux de gaz de toutes ses stations en Île-de-France. Les normes européennes ont été dépassées 192 jours en 2012. Les émissions de microparticules sont massives. Elles proviennent essentiellement des véhicules roulant au diesel. Sur chaque autoroute de Saint-Denis, déboulent plus de 200 000 véhicules par jour en moyenne. C’est essentiellement un trafic de transit : les véhicules traversent la commune pour se rendre ailleurs. Faute d’interconnexion efficace entre grands axes, ce flux se répand dans les rues.

« Notre ville souffre d’un écartèlement en quartiers séparés par des balafres urbaines : canal, sillons ferroviaires, autoroutes, routes à grande circulation datant d’un demi-siècle et traversant des zones alors peu urbanisées », décrivent le collectif Lamaze et le comité Porte de Paris dans un document commun. Ces deux associations d’habitants ont écrit une pétition réclamant l’enfouissement de l’A1 à Saint-Denis : chacune a recueilli plus de 1 700 signatures, selon elles. Bruit, pollution, accidents : pour les voisins de ces routes à grande vitesse, ce sont plus que des nuisances, « de véritables maltraitances » pour des milliers d’habitants et de salariés, les travailleurs des sièges sociaux et des bureaux de la Plaine et des abords du stade de France.

Élus et services administratifs de Saint-Denis et de son agglomération, Plaine Commune, ne restent pas insensibles aux plaintes des riverains d’autoroutes. Un adjoint à l’insertion urbaine des infrastructures autoroutières vient d’être nommé, une expérimentation de zone d’action prioritaire pour l’air (ZAPA) a été lancée. Dans son contrat de développement territorial (CDT), la ville souhaite « renforcer l’urbanité du territoire et recréer du lien entre les quartiers ». En supprimant notamment l’autopont de l’A1 combattu par le collectif Lamaze. Mais cela coûte cher et elle ne peut seule en décider.

Que serait la vie sans autoroute ? En 2013, une fête de quartier (« Lamaze, enlève tes bretelles ! ») a occupé le toboggan autoroutier que connaissent bien Salah, Ansari, Insaf, Évelyne et Denis. Plus aucune voiture entre 6 heures et 18 heures. Georges Salomon du collectif Lamaze se souvient d’habitants réveillés car « ils n’entendaient plus de bruit ». Effet spectaculaire de l'habitude à un problème diffus, comme un bruit de fond.

BOITE NOIREJ’ai rencontré des membres du collectif Lamaze et du comité Porte de Paris dans le cadre d’un projet de « toxic tour/detox » en Seine-Saint-Denis, mettant en lien pollution et dérèglement climatique. Plus d’infos ici.
Une « balade toxique » de l’autoroute A1 se tient dimanche 26 octobre à 14 heures à Saint-Denis (infos et parcours ici).

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Les « Pas sans nous » entendent peser sur la démocratie de quartier

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Jusqu'ici, tout ne va pas mal. Un mois et demi après sa constitution à Nantes (lire notre reportage), la coordination « Pas sans nous » entend bien œuvrer concrètement à la mise en œuvre, dans la politique de la ville, des principes du rapport Mechmache/Bacqué, du nom du responsable de l'association « AC le feu » (devenu porte-parole de la coordination) et d'une sociologue spécialiste de l'empowerment, sur la participation et l'interpellation citoyenne dans les quartiers populaires (lire ici). C'est un rapport, commandé par le ministère de l'égalité des territoires et François Lamy, alors secrétaire d'État dans le gouvernement Ayrault, qui a donné lieu à la création de ce « syndicat des banlieues », regroupant les acteurs associatifs présents dans les quartiers populaires. Si ce réseau jusque-là informel de militants, accompagné par des universitaires avec le soutien d'autres associations de lutte pour l'égalité (comme Droit au logement, ou ATD quart monde), a pris le temps de se construire (lire notre reportage), avant de se fonder en association nationale, l'heure est désormais aux travaux pratiques.

Ce vendredi, près de deux heures durant, la coordination a été reçue par la secrétaire d'État à la ville, Myriam El-Khomri. Cette dernière est « dans un état d'esprit très positif et prend très au sérieux ces interlocuteurs, reconnus comme tels par les pouvoirs publics, avec d'autres organisations comme les parents d'élèves ou les centres socioculturels », fait savoir son entourage. « Elle les a encouragés à s'organiser le plus rigoureusement possible », explique-t-on au ministère, qui a demandé aux préfets de recevoir les responsables locaux du « syndicat des banlieues ». En outre, les « Pas sans nous » auront deux représentants au jury de l'attribution des « bourses d'expérimentation » destinées à aider les initiatives de participation citoyenne, dont le montant vient d'être doublé pour atteindre 1,2 million d'euros (pour une cinquantaine de projets retenus).

Du côté de la coordination, on se félicite de l'échange, qualifié de « franc » et « positif ». « La ministre nous a demandé d'être carrés, d'être présents aux réunions, et c'est normal, raconte Mohammed Mechmache. Nous lui avons dit que nous étions structurés et qu'on entendait bien conserver notre autonomie dans les discussions ». Déjà, il pointe quelques « comportements inquiétants » dans la constitution des conseils citoyens de quartier, seul outil préconisé par le rapport qui a été repris dans la loi sur la politique de la ville. « Et aussi dans des villes de gauche », précise-t-il, citant Strasbourg, Sarcelles, Creil, Gennevilliers ou Ivry. « On a des alertes de la base, explique Mechmache. Pour la désignation par tirage au sort des représentants de quartiers, là où on préconise d'utiliser le fichier EDF, des municipalités préfèrent choisir parmi les seuls volontaires. Mais comment sont informés les habitants, si un maire ne prévient que ceux qui l'arrangent ? Il y a aussi ceux qui retiennent les listes électorales, empêchant du coup les résidents étrangers de pouvoir participer. »

Prédécesseur de Myriam El-Khomri au ministère, François Lamy regrette que les pouvoirs locaux aient repris la main sur ces créations, qui auraient pu être placées sous la responsabilité des préfets, alors même que l'esprit du rapport Mechmache/Bacqué reposait sur une remise en cause profonde du clientélisme dans les banlieues, et une distanciation voire une coupure du lien de dépendance entre associations de quartiers et subventions municipales. Toutefois, Lamy estime que « la méthode retenue va dans le bon sens, car elle provoque du débat et doit rendre la démocratie de représentation complémentaire avec la démocratie d'interpellation, au lieu de les opposer ».

 

Fanélie Carrey-Conte, Barbara Romagnan et Mohammed Mechmache, devant l'assemblée, le 15 octobre 2014Fanélie Carrey-Conte, Barbara Romagnan et Mohammed Mechmache, devant l'assemblée, le 15 octobre 2014 © S.A

Il y a une dizaine de jours, devant l'Assemblée nationale, une trentaine de représentants des « Pas sans nous » se sont ainsi rassemblés pour convaincre les députés de signer leur pétition en faveur de la création d'un fonds d'interpellation citoyenne, permettant le financement de la démocratie citoyenne de quartiers, et directement alimenté par le prélèvement de 10 % sur la réserve parlementaire des députés. « Pour qu'on puisse jouir des mêmes moyens qu'un élu local, en cas de désaccord, au moins qu'on puisse l'exprimer », résume Mechmache devant le Palais-Bourbon.

Quelques députés socialistes (Fanélie Carrey-Conte ou Barbara Romagnan) et écologistes (Danielle Auroi, Eva Sas, Barbara Pompili, Cécile Duflot) ont accepté de la signer, tandis que François Lamy a d'ores et déjà décidé d'attribuer 10 % de sa réserve. « Si déjà les parlementaires s'engagent à donner spontanément, ça créera une habitude et fera bouger les mentalités », dit-il.

Si la ministre reste prudente sur le dossier, revendication phare du rapport Mechmache/Bacqué, elle a dit sa disponibilité « pour favoriser le dialogue » entre la coordination et les députés. L'objectif des « Pas sans nous » est d'organiser début 2015 une grande conférence citoyenne, si possible à l'Assemblée nationale, sur la participation dans les quartiers. En attendant, les responsables de la coordination se réunissent à nouveau la semaine prochaine, à Mulhouse, pour faire le point et faire remonter les paroles locales. Un sujet semble émerger, celui des subventions supprimées dans les villes gérées par le FN. « On va réfléchir à des actions qu'on pourrait mener », a déclaré Mechmache.

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MediaPorte: «De quoi le FN est-il le nom»

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Cette semaine, Didier Porte s'inquiète de la crise de recrutement au FN qui va devoir « faire appel à un bataillon d'énarques roumains ».

Didier Porte joue son spectacle, Didier Porte, à droite !, tous les mercredis à 21 h 30 au théâtre Trévise : 14, rue de Trévise, 75009 Paris (réservation : 01 48 65 97 90).

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La Parisienne Libérée chante le Testet : «L'Etat, mais de quel droit ?»

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L'ÉTAT, MAIS DE QUEL DROIT ?


paroles et musique : la Parisienne Libérée

Cette nuit je ne dors pas
J'entends des troncs qui craquent,
Des grenades, du fracas
Et des coups de matraque

Cette nuit je suis fiévreuse
J'entends les arbres tomber
Au son des tronçonneuses
Lourdement escortées

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Le droit des bétonneurs
Et des élus repus ?
Le droit des assoiffeurs
Quand le maïs a bu ?

D'une préfecture pressée
De lancer des travaux ?
Du conflit d'intérêt
D'un maître d’œuvre en eau ?

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Dans mon rêve, au début
Il y avait une forêt
Maintenant je ne vois plus
Qu'un terrain désolé

Les engins mécaniques
Viennent retourner la terre
Leur cliquetis cynique
Laboure un cimetière

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Une grenade explose
La Gascogne, les coteaux
Tout se métamorphose
Il pleut des lacrymos

Cette nuit je suis en rage
La lune reste cachée
Quand les gendarmes chargent
Que s'est-il donc passé

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Une nuit de vertige
Perchée sur une cime
Au milieu des vestiges
D'une futaie en ruines

Le vent pousse un nuage
J'aperçois la vallée
À Sivens, le barrage
Ne se fera jamais.

CONTEXTE

Dimanche soir, en essayant de m'endormir, je repensais à ces images aperçues sur le site Tant qu'il y aura des bouilles : « la petite abatteuse » et « la grosse abatteuse ». Au fond, avec ses flashballs et ses grenades, l'État peut rapidement devenir une espèce dangereuse de grande abatteuse.

Le rapport d'expertise sur le projet de barrage à Sivens, rendu public ce matin, pointe une conception surdimensionnée, au financement fragile, n'ayant pas réellement pris en considération les alternatives possibles en termes d'irrigation, ni réalisé sérieusement l'étude d'impact. Et pendant ce temps-là, un opposant est mort dans la nuit de samedi à dimanche lors d'affrontements avec les gardes mobiles. Le procureur d'Albi s'est empressé de dénoncer la violence des manifestants sans questionner celle des gendarmes, pendant que Bernard Cazeneuve concluait son communiqué par la formule très vallsienne : « Aucune cause, dans un État de droit, ne peut justifier ce déchaînement de violences répétées.>»

On a donc envie de lui retourner la question : est-ce que d'après lui, dans un État de droit, un projet de barrage financé par de l'argent public et contesté par de nombreux habitants justifie la mort de Rémi Fraisse, 21 ans?

DOCUMENTATION

Ce film collectif, intitulé Le conseiller général, l'arbre et le débat démocratique, donne une idée assez détaillée de la situation lorsque les déboisements ont commencé début septembre 2014 :



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Les précédentes chroniques de la Parisienne Libérée sont rassemblées ici.
Elles sont placées sous licence creative commons pour les usages non commerciaux.

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