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Pourquoi Calais fait face à «une crise humanitaire jamais vue»

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Calais, de notre envoyée spéciale.- Que se passe-t-il à Calais ? Une série de faits divers autour des migrants attire les caméras et l'effet de loupe fabrique la caricature. Lundi dernier, des Érythréens et des Éthiopiens se sont battus à coups de bâton dans le bidonville de 800 personnes du terrain de l'usine chimique Tioxide. Depuis le début de l'été, on voit tourner sur le Web des images d'hommes, parfois de femmes, autour de camions pour s'y glisser, les jours d'embouteillages sur la rocade d'accès au car ferry vers l'Angleterre. Voilà pour le plus spectaculaire, le côté «jungle».

Côté Calais, il y a aussi de quoi raconter. Frédéric D., vigile, a tiré avec une carabine à plombs équipée d'une lunette de visée sur un Soudanais, Adam Joseph Gbrel, et sur un Érythréen, Jaffar Nur, qui passaient devant l'usine désaffectée qu'il surveillait, en juillet dernier. Il a blessé l'un au dos, l'autre au bras, et a été condamné à six mois de prison ferme.

Le collectif « anti-migrants » « Sauvons Calais » a pour sa part organisé un rassemblement, avec une poignée de crânes rasés, bras tendus et écussons nazis, devant l'hôtel de ville le 7 septembre. Un homme hurlait aux habitants de ne pas se laisser « égorger » et de s'« organiser par quartier » : Ivan Benedetti, ancien dirigeant de l'Œuvre française, dissoute après la mort de Clément Méric. Après douze plaintes, le procureur de Boulogne-sur-Mer Jean-Pierre Valensi a ouvert une enquête pour « incitation à la haine raciale », le 19 septembre.

La nuit même, quatre jeunes Calaisiens ont lancé trois cocktails Molotov sur une petite maison de briques qui abrite un squat d'Égyptiens. Ils ont été condamnés à des peines de six à douze mois de prison avec sursis, selon l'AFP, par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, le 13 octobre. Deux de ces jeunes étaient le 7 septembre devant la mairie. Sur la page Facebook de « Sauvons Calais », à la date du 9 juin encore accessible par une recherche de mots-clés, mais disparue du mur, des internautes appellent à « flinguer », « tuer » des migrants, et « sortir l'essence » pour un « barbeuk géant ».

Le 23 octobre 2014, sur la route qui mène au terminal de CalaisLe 23 octobre 2014, sur la route qui mène au terminal de Calais © Reuters

Le matin même, des policiers calaisiens ont manifesté à Calais en compagnie de chasseurs et d'agriculteurs, sous la banderole de Force ouvrière, pour réclamer des renforts au ministre de l'intérieur. Ils évoquent une hausse de la délinquance après que le nombre de migrants a été multiplié par quatre en dix mois. Ils étaient soutenus par « Sauvons Calais » et le Front national. À leur corps défendant, expliquait le délégué syndical FO-Police Gilles Debove quelques jours plus tôt. Selon le directeur départemental de la sécurité publique, Thierry Alonso, « 7 % des plaintes déposées à Calais pendant le mois de septembre sont imputables aux migrants ». Soit une vingtaine de faits, a-t-il indiqué à Libération le 24 octobre 2013. La Voix du Nord et Nord Littoral rapportent le cas d'un habitant, menacé au couteau par un migrant ivre qui avait pénétré chez lui (lequel a pris quatre mois de prison ferme), et une rixe entre un Calaisien et un Albanais. Vendredi 24 octobre au matin, Marine Le Pen a arpenté l'artère principale de la ville entourée de caméras et donné une conférence de presse à l'hôtel du Golf pour dénoncer « une scandaleuse incurie du pouvoir ».

L'après-midi même, on a appris la mort de Mohammad Ali Douda, un trentenaire soudanais du Darfour. Il avait été admis trois jours plus tôt au centre hospitalier de Calais. Il avait sauté depuis un pont sur un camion bâché, pour tenter de s'y glisser en coupant la bâche au rasoir. Une technique qui avait déjà cours en 2000, du temps du centre de Sangatte (Pas-de-Calais). L'homme s'est écrasé au sol. Deux jours plus tôt, Nitsuh H., une Éthiopienne qui se faisait appeler Sara, est morte fauchée par une voiture alors qu'elle traversait l'autoroute pour tenter de trouver un camion.

Une fois dépassé ce spectaculaire, ce qui se passe tous les jours à Calais a un autre visage. Et là, presque rien n'a changé depuis la fermeture du centre de la Croix-Rouge à Sangatte fin 2002 par le ministre de l'intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy. Les exilés de Sangatte étaient d'abord kosovars. Le centre avait ouvert en septembre 1999 sur décision de l'État, alors que Lionel Jospin était premier ministre, sous la pression de l'abbé Pierre et des associations locales, pour abriter 150 Kosovars qui fuyaient la guerre et dormaient dans les parcs de Calais. On y a ensuite croisé surtout des Afghans, des Kurdes d'Irak, et des Iraniens.

Aujourd'hui, les plus représentés parmi les exilés de Calais sont les Érythréens, les Soudanais du Darfour. On compte aussi des Syriens, des Afghans, des Égyptiens, des Éthiopiens, des Iraniens. Ils vivent dans la boue, certains en tongs, dans des cabanes de plastique et de palettes, dans les forêts autour de la ville, ou dans une ancienne usine polluée, dans des maisons abandonnées, ou dans les interstices du béton, sous les ponts d'autoroute. Il y a environ 250 femmes et une quinzaine d'enfants. Du jamais vu. Une cinquantaine de femmes, dont cinq enceintes, et une demi-douzaine de ces enfants sont hébergés par l'association Solid'R dans des préfabriqués loin de la ville, les autres sont dans les jungles et les squats.

« Une catastrophe », résume David Lacour, le directeur de Solid'R. « On ne peut pas laisser une femme et des enfants dormir dans la rue. » Avec sept salariés et des locaux exigus, l'association ne peut pas faire plus. Pour celles qui n'ont pas d'autre solution que les squats ou la jungle, des Calaisiens discrets en prennent quelquefois chez eux quelques jours. « On prend les gens qui nous semblent au bout du rouleau, femmes et hommes », raconte ce couple de retraités. « Ils voient bien qu'on est des vieux et que ça nous fatigue. Ils ne restent pas longtemps. La dernière fois, c'étaient une jeune fille de 17 ans et une femme de 40. Quand elles sont reparties on leur a acheté une tente. »

La plupart des exilés ne mangent qu'un repas par jour. Parfois moins : pour 1 500 migrants à la rue, l'association l'Auberge des migrants (qui distribue les repas du jeudi et du vendredi) n'a que 600 repas selon Christian Salomé, son président. L'association est déficitaire, elle n'a pas anticipé cette augmentation du nombre. Du coup, pour un repas à 16 heures, les premiers commencent à faire la queue à 14 h 30, et les derniers n'ont rien à manger.

Au campement des Soudanais du Darfour, proche de l'accès au Tunnel soit à une heure de marche de la ville, on ne se déplace même pas. « On se cotise, on ne mange pas chaque jour, on cherche de l'eau à boire, de quoi se laver », explique un exilé. Le 29 septembre, les sept douches du Secours catholique ont été incendiées – Mickaël M., l'auteur des faits, a pris six mois de prison ferme. Un camion de Médecins du monde passe plusieurs fois par semaine près des squats pour des douches, mais ne peut pas en donner plus de 25 par jour. Certains se baignent dans les rejets de l'usine Tioxide. « C'est dangereux », soupire Mariam Guerey, animatrice du Secours catholique, « à cause des rejets de l'usine, l'eau est tiède ici. Certains ont la peau qui pèle, ensuite ».

Médecins du monde distribue des kits d'hygiène, des sacs de couchage, des jerricans d'eau potable. Le Secours catholique achète par rouleaux du plastique agricole noir pour fabriquer des abris. En ce moment, il n'y en a plus.

Le 24 octobre 2014, à Calais. La file d'attente se forme bien avant la distribution du repas, prévue à 16 heures.Le 24 octobre 2014, à Calais. La file d'attente se forme bien avant la distribution du repas, prévue à 16 heures. © Reuters

Pourquoi les migrants sont-ils si nombreux en ce moment ? « Il n'y a pas d'explication unique », répond Christian Salomé. Il évalue à 1 500 le nombre d'exilés dans la ville, et à 800 autour de Calais, « chiffre stable depuis cet été, les gens qui passent sont aussi nombreux que ceux qui arrivent ». Il avance que la guerre en Libye, qui a rendu le pays « invivable » pour les Noirs, enfermés, violentés et rackettés, a poussé plus encore les gens sur les routes. Le pays, déjà dur du temps de Kadhafi, véritable camp de rétention des Européens, est encore plus dangereux selon les témoignages.

Si les migrants sont nombreux, c'est aussi qu'ils ne sont pas morts en mer. Mare Nostrum, l'opération de sauvetage par la Marine italienne, aurait permis de secourir plus de 100 000 personnes. Et puis l'Italie a cessé de prendre les empreintes des voyageurs, qui tentent du coup leur chance plus loin que l'Italie. Moins d'une semaine après avoir accosté en Sicile, des rescapés peuvent se retrouver à Calais. Menacée d'amende par la Commission européenne, l'Italie est contrainte aujourd'hui de recommencer la prise d'empreintes digitales, ce qui pourrait retarder le flux de migrants vers Calais, et sinon les obliger à nouveau à se brûler le bout des doigts pour échapper au fichage, ce que montre Sylvain George dans son film, Qu'ils reposent en révolte, toujours visible sur Mediapart.

Pourquoi l'Angleterre ? « Ce n'est pas vrai que tout le monde veut aller en Angleterre ! La plupart vont ailleurs », s'exclame un Érythréen rencontré vendredi après-midi dans la « jungle » Tioxide. « Regardez la Suède ! » Les exilés courant autour des camions et les jungles peuplées de candidats à l'asile en Grande-Bretagne faussent le regard. La Suède a accueilli 1 000 demandeurs d'asile par semaine en 2013, quand le Royaume-Uni en recevait autour de 600, la France 1 300, et l'Allemagne 2 400. L'Union européenne comptait en moyenne 860 demandeurs d'asile par million d'habitants en 2013, la France 985, le Royaume-Uni, 465, selon Eurostat. C'est moins que la Suède (5 680 demandeurs par million d'habitants), la Belgique (1 885), l'Allemagne (1 575).

En France, les demandeurs d'asile ont 17 % de chance d'obtenir une décision positive en première instance, pour 26 % en Allemagne, 38 % au Royaume-Uni, et 53 % en Suède. Le Royaume-Uni a quelques avantages. D'abord – pour ceux qui ne sont pas interceptés dans les ports, et expulsés dans les jours qui suivent – les demandeurs sont tout de suite logés, ils ont droit à un pécule, et à des bons d'alimentation. On examine leur demande en quelques mois, alors qu'en France, ce délai dépasse un an.

À Calais, il y a 150 demandeurs d'asile à la rue. Dans le camp des Soudanais, vivent côte à côte un homme qui veut passer en Angleterre, un qui demande l'asile, et un qui l'a obtenu. « Comment voulez-vous être crédible ? Comment voulez-vous que tous les autres n'aient pas envie d'aller en Grande-Bretagne ? » s'interroge Me Norbert Clément, qui a défendu, avec l'aide de Clémence Gautier-Pongelard, la juriste de la plateforme de service aux migrants de Calais, le cas de 16 personnes, un réfugié et 15 demandeurs d'asile. Au tribunal administratif, ils ont presque tous gagné. Tous logés, sauf le réfugié. Mais il faut aller au tribunal pour exiger d'être logé. Autre avantage à traverser la frontière : le travail au noir. Des migrants expulsés de Grande-Bretagne repassent même par Calais pour choisir de vivre en clandestins en Angleterre où ils ont leurs attaches, et un travail qui les attend.

Combien passent ? À Sangatte, c'était « jusqu’à 100 personnes par nuit » ces derniers mois, estimait Michel Derr, l'ancien directeur du centre de la Croix-Rouge, contre « 10 par semaine » pendant l'été 2011 selon le préfet de l'époque. Aujourd'hui ? « 20 à 50 par semaine », pense Vincent De Coninck. Voire « 30 à 40 », certains jours, selon Christian Salomé. Les deux sont d'accord pour dire que « ça passe toujours ».

Le 22 octobre 2014, au terminal de Calais.Le 22 octobre 2014, au terminal de Calais. © Reuters

Depuis le début de l'été, les Érythréens et les Soudanais sont de plus en plus nombreux. Or, désargentés, ils n'ont pas le droit aux passeurs. Et les passeurs, eux, font les trois huit, ne leur laissent aucun moment pour accéder aux parkings. Même sans passeur, il faut payer un péage pour avoir le droit d'approcher les camions. La seule solution est de tenter d'entrer dans les camions à l'arrache. Ça a toujours existé. Un tournant à angle droit près de l'usine Tioxide, où les camions sont contraints de ralentir, était déjà pratiqué par les Afghans et les Kurdes sans le sou du temps de Sangatte. Le camion tourne, il est presque à l'arrêt, et on se précipite pour ouvrir le camion et faire entrer les copains et fermer derrière.

Ce tournant, les Érythréens l'appellent aujourd'hui « Laffa ». À cet endroit, en 2002, des exilés racontaient qu'ils faisaient le coup du « boiteux ». Deux personnes traversent la route à petits pas, l'un semblant soutenir un blessé, au moment où le camion tourne. Le chauffeur freine, et on peut essayer de monter. Aujourd'hui que les Érythréens et les Soudanais sont des centaines, c'est le meilleur moyen de passer sans payer le passage en groupe.

« Des comportements complètement irrationnels », explique à Libération Thierry Alonso, le directeur départemental de la sécurité publique. « Ils sont tout de suite détectés aux points de contrôle. La probabilité de passer par ce moyen-là est assez faible. » Faible, oui, mais quand c'est le meilleur moyen, c'est rationnel, au contraire. 

À Sangatte, les Afghans, les Kurdes et les Iraniens faisaient pareil, au printemps et à l'été 2001, à l'entrée du Tunnel, jusqu'à ce que les barrières viennent l'empêcher. Les passeurs kurdes et les passeurs afghans se partageaient alors la nuit. Entre les deux, la voie était libre et les fauchés tentaient leur chance ensemble. Ils appelaient ça le « hamlé », l'assaut. Ils se lançaient à 350 sur un train, le cheminot était contraint de freiner, et tout le monde montait. Les vigiles d'Eurotunnel tentaient de les sortir, vite, puis le train repartait, avec les plus chanceux restés à bord. Quatre hommes sont morts dans ces tentatives entre février et août 2001, fauchés par le train, ou électrocutés. Un homme a été amputé. C'est dangereux, mais ça passe.

Au port aussi : les scanners, les chiens renifleurs britanniques, les détecteurs de CO2, les détecteurs de mouvements, on peut passer à travers, en cas d'embouteillage au port. C'est plus rationnel que de se faire faucher sur l'autoroute, comme Sara, ou de tomber d'un pont, comme Mohammad Ali Douda. « Plutôt que risquer leur vie par les chemins les plus dangereux ils ont choisi d’utiliser leur nombre, pour s’affranchir des passeurs, et dérouter la police et la sécurité du port », résume l'ancien responsable associatif et désormais blogueur Philippe Wannesson sur son blog « Passeurs d'hospitalités ».

Certains migrants sont à Calais depuis 5 mois, voire 7 mois. Avec la faim, la soif, la vie dehors, les pieds abîmés, la déprime quand tous les copains sont passés, les gens sont « à bout », résume Christian Salomé, et l'alcool aidant, ça peut finir en bagarre. « Désespérant », ajoute Vincent De Coninck. « Il y a cinq ans, je ne voyais jamais de gens ivres. »

Et maintenant ? Le Royaume-Uni a accepté de donner 15 millions d'euros à la France pour barricader le port, et le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve vient d'annoncer dans la Voix du Nord des renforts de 100 policiers et de gendarmes supplémentaires à Calais : « 350 policiers sont déjà mobilisés à Calais, avec les deux compagnies de CRS que j'y ai déjà affectées. » Un total de 450 policiers et gendarmes, c'est « exceptionnel pour une circonscription de police de 75 000 habitants, mais totalement justifié compte tenu de la situation ».

À quoi cela servira-t-il ? « À rien. Cela renforcera les passeurs », pense Vincent De Coninck. « Étanchéifier renforce les réseaux, puisqu'il faudra de plus en plus faire appel à eux. » Le prix fort, c'est 5 000 à 6 000 euros, pour acheter la complicité du chauffeur, et le passage dit « garanti ». Avec le risque, pour le chauffeur, même s'il est de bonne foi, d'écoper d'une amende de 2 000 livres (2 538 euros) par clandestin trouvé dans son camion. Christian Salomé, lui, espère que les renforts feront baisser la violence policière. « Les CRS seront peut-être moins agressifs, moins stressés. Il y aura peut-être moins de bras cassés par matraque. » Les violences policières ont toujours existé, même au temps de Sangatte (voir La loi des jungles, le rapport de Karen Akoka et Olivier Clochard pour la Coordination française du droit d'asile), mais elles connaissent des pics, comme après la fermeture de Sangatte, et après la destruction de la « jungle », quand il s'agissait de disperser les gens.

Aujourd'hui, le rapport accablant du Défenseur des droits a fait reculer les violences, sans les supprimer. Les associations distribuent un numéro de téléphone portable d'urgence aux exilés pour les défendre. Aucun n'a encore déposé plainte.

Dernière nouveauté : le ministre annonce bientôt un centre d'accueil de jour, expérimenté six mois, dans un ancien centre aéré, avec douches, et accès à l'eau potable, pour 400 personnes. Pour les remettre dans la rue le soir ? « Cela devient intenable », résume Vincent De Coninck. « L'hiver arrive, et ce sera encore plus dur. On est devant une crise humanitaire d'une ampleur jamais connue ici. Il faut, en toute logique, ouvrir des camps de réfugiés, de petites unités, portés par des organisations dont c'est le travail, comme le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). »

BOITE NOIRE

Haydée Sabéran est une journaliste indépendante. Elle est l'auteur de Ceux qui passent, publié en mars 2012 aux éditions Carnets Nord/Montparnasse. Elle a aussi été parmi les invités de l'une de nos soirées «En direct de Mediapart» en mars dernier, à propos de son dernier ouvrage : Bienvenue à Hénin-Beaumont, reportage sur un laboratoire du Front national, paru en février 2014 aux éditions La Découverte. On peut revoir la vidéo en cliquant ici.


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Un innocent battu en prison demande justice depuis six ans

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Il faut beaucoup de ténacité, de la patience et un certain courage pour mettre en cause l’État lorsqu’on fait partie des faibles parmi les faibles. Emprisonné à tort, violemment battu par un codétenu, laissé inconscient, puis mal pris en charge sur le plan médical, Slaheddine El Ouertani, 40 ans, est aujourd’hui handicapé à vie. Il se bat depuis plusieurs années, avec l’aide de son avocat, pour faire reconnaître les torts de l’administration pénitentiaire et des services de l’État. Et comme souvent, dans ce type d’affaires, la justice fait preuve d’une inertie et d’une frilosité pour le moins critiquables.

Les malheurs de ce Tunisien, alors sans papiers, commencent en 2008, lorsqu’il se retrouve enfermé au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, près de Paris. Le 21 juin, un de ses compatriotes, Salem Souli, est retrouvé mort dans sa chambre dans des conditions peu claires, et des incidents éclatent entre retenus et policiers. Les premiers mettent le feu à des matelas, et le CRA part en fumée le lendemain.

L'incendie du CRA de Vincennes en 2008L'incendie du CRA de Vincennes en 2008 © Cimade

La machine judiciaire se met en branle. Soupçonnés d’avoir pris part aux incidents, une dizaine d’étrangers retenus sont mis en examen pour « destruction de biens par incendie » et « violences sur agent de la force publique » (lire notre article ici).

C’est le cas de Slaheddine El Ouertani, alors repéré comme « meneur », cela uniquement « parce qu'il est musulman pratiquant, vêtu d'une djellaba blanche, et qu'il a fait la prière lors de la marche funéraire pour le retenu décédé », s’indigne alors Sébastien Rideau-Valentini, son défenseur.  

Le pieux Tunisien est mis en examen le 5 juillet 2008, et écroué à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne). Il va y passer neuf mois pour rien, avant d’être finalement mis hors de cause. Mais il n’en ressortira pas indemne.

Le 4 novembre 2008 au matin, un gardien faisant sa ronde découvre, à 7 h 25, le détenu « assis au sol, conscient mais dans l’impossibilité de répondre à ses questions », selon la version officielle. Trente minutes plus tard, revenant à sa cellule, il le retrouve « inconscient et allongé sur le sol ». Il n’y a pas de sonnettes permettant d'appeler les secours dans les cellules. On crie.

Les infirmiers finissent par arriver. Ils retournent le détenu, qui saigne d’une oreille, puis le transportent en chaise roulante à l’infirmerie. Sur quatre étages, et au motif que « le brancard ne passe pas ». Le Samu n’est appelé qu’à 8 h 41, pour venir (enfin) prendre en charge le blessé. À 9 h 10. Il est hospitalisé à la Pitié-Salpêtrière, et restera plus de trois mois dans le coma.

Il s’avère que Slaheddine El Ouertani a été frappé deux fois à la tête par son codétenu, et qu’il est tombé aussitôt dans le coma. Il gardera de graves séquelles neurologiques de cette agression : souffrant d’une hémiplégie complète du côté gauche, ainsi que de difficultés à parler, il est aujourd’hui invalide à 80 %.

La prison de FresnesLa prison de Fresnes

L’autre détenu, Igor Mutskajev, un Estonien écroué pour escroquerie, nie d’abord l’avoir frappé, puis finit par avouer. En septembre 2009, devant le juge d’instruction, il reconnaît avoir cogné El Ouertani parce qu’il faisait sa prière à voix haute cinq fois par jour et l’empêchait de dormir ou de regarder la télé. Il ajoute que celui-ci est resté « longtemps » sans aucune aide après l’agression, ce qui n’est pas de son fait.

Slaheddine El Ouertani dépose une première plainte au tribunal de Créteil (Val-de-Marne) pour « violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente », qui vise son agresseur. Puis une seconde, en août 2010, pour « violences involontaires », « non-assistance à personne en péril » et « faux en écritures publiques ». Cette fois, il met en cause l’administration pénitentiaire, dont le personnel a d’abord perdu trop de temps à le prendre en charge médicalement après son agression, et l’a en outre manipulé puis transporté sans prendre les précautions que nécessitait manifestement son état.

Ce n’est pas tout. Dans le rapport administratif adressé le jour même de l’agression à sa hiérarchie, le directeur de la maison d’arrêt de Fresnes a ouvert le parapluie en grand, en expliquant que « ces deux détenus ont été placés ensemble à leur demande », qu’ils s’entendaient bien. Ajoutant qu’ils « travaillent tous deux à l’atelier et s’y sont connus ». Faux.

El Ouertani ne quitte pas sa cellule. Quant à Igor Mutskajev, voici ce qu'il déclare en garde à vue : « Tout ce que voulais, c'est qu'on le change de cellule. Une fois, j'avais déjà fait une demande de changement de cellule alors que j'étais avec un Arabe, et moi je ne supporte pas, car je suis chrétien et je ne veux pas me trouver dans la même cellule qu'un musulman. »

Au vu de l'enquête, il s’avère donc qu’El Ouertani ne s’est jamais rendu à l’atelier avec les autres détenus, et que pour sa part, Mutskajev ne supportait pas les musulmans pratiquants, et avait déjà changé de cellule pour cette raison. Manifestement, l'administration pénitentiaire n'aurait pas dû placer ces deux hommes dans la même cellule, et c'est cette erreur qui a été grossièrement maquillée dans le rapport administratif.

En novembre 2012, Slaheddine El Ouertani a donc assigné l’État pour « fonctionnement défectueux du service de la justice » devant le tribunal de grande instance de Paris. Quant à la plainte visant l’administration pénitentiaire, longtemps enlisée au tribunal de Créteil, elle s’est heurtée à l’obstruction du procureur de la République, qui a refusé d’engager des poursuites pour « non-assistance à personne en péril », mais aussi d’un juge d’instruction qui a traîné les pieds dans le volet du « faux en écritures publiques ».

Dans un arrêt rendu le 18 février 2013 (et dont Mediapart a pris connaissance), la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a – en grande partie – donné raison à l’avocat de la victime, Sébastien Rideau-Valentini.

La chambre de l’instruction a en effet annulé « l’ordonnance de refus d’informer » pour l’infraction de faux en écritures publiques, prise le 17 novembre 2011 par le juge d’instruction de Créteil. En clair : les magistrats de la chambre de l’instruction ont estimé que l’ancien directeur de la maison d’arrêt de Fresnes pouvait être poursuivi pour son faux rapport administratif expliquant l’agression et son contexte.

De même, la chambre de l’instruction a annulé l’ordonnance par laquelle le juge de Créteil avait refusé de faire entendre comme témoin un médecin du Samu 94, qui pouvait pourtant donner un éclairage intéressant sur la prise en charge du détenu dans le coma.

Cet arrêt a donc obligé le juge d’instruction à rouvrir le dossier. Ce qui vient finalement – selon des informations obtenues par Mediapart – de provoquer le placement en garde à vue de l’ancien directeur de la prison de Fresnes, Bruno Hauron, le 24 septembre dernier, puis son placement sous le statut de témoin assisté, le même jour, par le doyen des juges d’instruction de Créteil, Joëlle Nahon. L’avocat du plaignant, Sébastien Rideau-Valentini, estime qu’une « mise en examen s’imposait », et se dit « inquiet » pour la suite de la procédure.

Lors de son audition devant la juge d’instruction, l’ancien directeur de la prison de Fresnes a catégoriquement nié qu’il ait pu y avoir des « faux », et a couvert ses subordonnés de l’époque, en apportant les explications suivantes. Les deux détenus n’avaient, selon lui, jamais eu « aucun incident disciplinaire » ni « signalement particulier » avant l’agression. S’ils étaient placés dans la même cellule, c’est avec « leur accord verbal », assure-t-il, mais aussi « par commodité de gestion des mouvements », leur coursive étant proche des ateliers où ils étaient « inscrits comme travailleurs ». L’ex-directeur de Fresnes estime, enfin, possible que Slaheddine El Ouertani ait refusé de se rendre dans les ateliers pour y travailler bien qu’il y ait été inscrit. La juge n'a pas insisté.

Bruno Hauron a été promu à un autre poste depuis les faits. Son avocate, Marie-Chantal Cahen, a tenu à s’étonner, face au juge, de la garde à vue « préjudiciable » et « non justifiée » de son client, estimant qu’aucune infraction ne peut être retenue contre lui.

Maigre consolation pour Slaheddine El Ouertani, il a obtenu un non-lieu définitif pour l’incendie du centre de rétention de Vincennes. Alors qu’il était menacé d’être expulsé, il a également réussi à obtenir sa régularisation. Par ailleurs, il a fini par être indemnisé par l’État pour ses neuf mois de détention injustifiée, et a fait condamner l’État pour « déni de justice », au vu de la longueur des procédures, le 12 février dernier.

Quant à son agresseur, il a été condamné à deux ans de prison ferme, le 25 mars 2013 au tribunal de Créteil. Mais celui-ci ne peut verser les dommages et intérêts (environ 200 000 euros) qu’il a été condamné à verser, et le dossier a donc été soumis à la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI). Encore une procédure en cours.

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Barrage de Sivens : la redoutable spirale qui a conduit à la mort de Rémi Fraisse

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Au moment où le ministère de l’écologie dévoilait officiellement le contenu d’un rapport d’experts très critique sur le projet de barrage de Sivens (Tarn), lundi après-midi, des manifestants bataillaient contre les forces de l’ordre à Albi, et des rassemblements étaient annoncés dans plusieurs dizaines de villes en hommage à Rémi Fraisse, 21 ans, mort dans la nuit de samedi à dimanche lors d’affrontements avec les gendarmes mobiles.

Le drame tant redouté du côté de Notre-Dame-des-Landes s’est finalement produit dans la zone humide du Testet, occupée depuis des mois par des opposants au chantier. L’annonce du décès du jeune homme provoque une grande émotion chez les militants et sympathisants écologistes, exprimée toute la journée de lundi sur les réseaux sociaux. En quarante ans, seules deux autres personnes ont perdu la vie lors d’une manifestation ou d’une action pour une cause environnementale : Vital Michalon, un professeur de physique-chimie de 31 ans, lors d’un rassemblement contre le réacteur nucléaire Superphénix, à Creys-Malville, en 1977, et Sébastien Briat, 22 ans, écrasé par un train de déchets nucléaires qu’il tentait d’arrêter, en 2004.

Dessin en hommage à Rémi Fraisse (Tant qu'il y aura des bouilles).Dessin en hommage à Rémi Fraisse (Tant qu'il y aura des bouilles).

Cette tristesse s’est teintée d’indignation avec les témoignages de manifestants affirmant que Rémi Fraisse a pu être heurté par un jet de grenade. Cette hypothèse n’est à ce stade « ni confirmée, ni infirmée » par les premiers résultats de l’autopsie. Mais quels que soient les résultats de l’enquête sur les conditions exactes du décès du jeune homme, cet événement tragique jette une ombre indélébile sur un projet de barrage dispendieux, destructeur de son environnement, au service d’une agriculture industrielle, entaché de conflits d’intérêts.

Et pourtant porté à bout de bras, envers et contre presque tous, par le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, notable socialiste, tout juste réélu sénateur. « On ne peut que déplorer ce qui s'est passé, un décès est toujours atroce, a-t-il réagi lundi. Je suis très désolé de la tournure prise par les événements. Qui aurait imaginé un tel déchaînement ? »

Sur cet immense gâchis humain, écologique et économique, Ségolène Royal est jusqu’ici restée très discrète. Depuis l’annonce du décès, pas un mot de compassion, ou même de condoléances, n’est venu du gouvernement. Lundi soir, un peu avant minuit, le ministre de l'Intérieur Beernard Cazeneuve a réagi dans un communiqué : « Je pense à la famille et aux proches de Rémi Fraisse, touchés par ce drame, et à leur peine. Ce gouvernement est attaché à ce que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette disparition ».

  • Comment Rémi Fraisse est-il mort ?

Rémi Fraisse a été projeté au sol et tué sur le coup par une explosion. « La plaie importante située en haut du dos de Rémi Fraisse a été causée, selon toute vraisemblance, par une explosion », a affirmé Claude Dérens, le procureur de la République d’Albi, lundi 27 octobre, lors d’une conférence de presse. Des analyses du laboratoire de la police scientifique doivent encore établir si « une grenade, lancée depuis la zone où les gendarmes étaient retranchés » a pu être « à l’origine de l’explosion », a-t-il indiqué.

Selon les propos du procureur rapportés par l’AFP, « la déflagration a été forte puisque le jeune homme a été projeté au sol de façon violente » et « la mort a été instantanée ». « L’objet à l’origine de l’explosion n’a pas entraîné de flamme » et « aucune trace de particule métallique ou plastique n’a été retrouvée dans la plaie », a-t-il ajouté. Claude Dérens n’a pas pour autant jugé utile de nommer un juge d’instruction, se contentant d'une enquête préliminaire sous son autorité directe.

Contacté, Me Arié Alimi, l’un des avocats de la famille, dit penser « fortement à une grenade ». Lundi matin, le site d'information Reporterre a publié un témoignage en ce sens. « Il était à trente mètres de moi sur ma gauche, y affirme un jeune homme, qui dit s’appeler Camille. Je l’ai vu se faire toucher alors qu’il y avait des explosions à côté. Ils ont envoyé des grenades explosives, des tirs de flashballs. Après, cette personne s’est retrouvée à terre. » « Les militaires de la gendarmerie ne sauraient être mis en cause sur la seule base de témoignages, parfois anonymes, présentés par certains médias », a réagi dans un communiqué Denis Favier, le directeur général de la gendarmerie nationale. Selon la version des gendarmes relayée dans Le Monde, « à l’heure du décès de Rémi Fraisse, une seule grenade offensive aurait été lancée par les militaires » et les gendarmes s’interrogeraient « sur le contenu du sac à dos du défunt »

Sur place, la journaliste de Reporterre a, elle, photographié dimanche une trace de sang, entourée de bleu, ainsi que des trous, causés selon elle par des impacts de grenade. Comment expliquer que la scène n’ait pas été protégée plus tôt à la suite de la mort de Rémi Fraisse ? « Toute la journée de dimanche, le site a été ouvert au public, affirme Pascal Barbier, un ami de Jean-Pierre Fraisse, père de la victime. Vers 16 heures, ce sont les opposants qui ont mis une barrière de sécurité autour du lieu de la mort de Rémi. À côté de la tache de sang, on a retrouvé son sac à dos avec ses papiers d’identité. »

  • Que s'est-il passé le week-end dernier dans la vallée de Sivens ?

Rémi Fraisse venait de passer son BTS en environnement. Fils d’un élu apparenté Nouvelle Donne de Plaisance-du-Touch, dans l’agglomération toulousaine, le jeune militant était botaniste bénévole à Nature Midi-Pyrénées, une association appartenant à France Nature Environnement (FNE). « On ne lui connaissait aucune pathologie cardiaque et ce n’était pas un garçon organisé pour monter au combat, explique Me Emmanuel Pierrat, l’un des avocats de la famille. Il militait pacifiquement depuis des années. »

Chez les quelque 2 000 militants anti-barrage venus ce week-end de toute la France sur l'ancienne zone humide du Testet, aujourd’hui entièrement défrichée, l’émotion était intense lundi matin. Installés autour de la métairie, à une dizaine de minutes à pied du chantier du barrage où ont eu lieu les affrontements avec les gendarmes mobiles, beaucoup n’ont appris la mort du jeune homme que le dimanche matin au réveil.

Selon le communiqué de la préfecture du Tarn, il a été découvert vers 2 heures du matin par les gendarmes. Ceux-ci auraient repéré son corps gisant et fait une sortie pour le récupérer et le soigner. « Les gendarmes présents sur site étaient retranchés dans l’aire de stockage des engins de chantier et ont été attaqués en règle par le groupe de manifestants violents, approximativement une centaine qui jetaient des cocktails Molotov, des engins pyrotechniques et des pierres sur le grillage et à l’intérieur depuis l’extérieur », a affirmé dimanche soir le procureur de la République, Claude Dérens.

« Tout le samedi après-midi, il y a eu de gros nuages de fumée de l’autre côté, avec les policiers qui lançaient des bombes lacrymos, des grenades assourdissantes, raconte une jeune militante, venue des Alpes-de-Haute-Provence, sous couvert d’anonymat. Les gens n’étaient pas au courant de ce qui se passait. C’était censé être festif, il y avait de la musique. C'était bizarre comme ambiance. Il y a eu un appel sous le chapiteau où se tenaient les conférences, pour aller voir. Les gens ont fait une chaîne humaine pour s’y rendre. C’était totalement pacifiste. Mais les flics n’arrêtaient pas de balancer. »

Après un repas festif, plusieurs personnes seraient reparties vers minuit à l’assaut des gendarmes. « Là, la réponse est disproportionnée : flashballs, grenades assourdissantes et invalidantes en tirs tendus, dit Pascal Barbier, qui s'appuie sur le récit de la compagne de Rémi Fraisse. Rémi s’est retrouvé dans ce groupe d’opposants qui ont mené une action musclée. Il était parti sans aucune protection. Il a pris un projectile. Il s’est effondré pendant une charge policière. Ils l’ont traîné pour le ramener derrière la ligne des forces de l’ordre. »

Contactée, la préfecture du Tarn n’a pas souhaité préciser le nombre de gendarmes mobiles déployés samedi soir, ni leurs objectifs. D’après plusieurs témoins, il ne restait pourtant plus grand-chose à protéger sur le chantier du barrage. Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional Midi-Pyrénées, précise que l’Algeco et le générateur installés avaient été incendiés. « Si bien que le samedi, il n’y avait plus rien à défendre sur la zone, dit-il. Pourtant ils ont fait venir des centaines de gardes mobiles. » Selon un spécialiste en biodiversité présent sur place, neuf camionnettes de gendarmes mobiles étaient ainsi stationnées autour de l’Algeco incendié, « entouré par une grille de 2,50 mètres». « Sachant que c'était à l'extérieur, qu'il n'y avait rien à casser donc rien à protéger, pourquoi mettre des forces de l'ordre ? » s’interroge une source policière.

Ces dernières semaines, la répression exercée par les gendarmes s’était nettement durcie, au point que, le 20 octobre dernier, plusieurs élus EELV, dont l'ex-ministre Cécile Duflot, ont, en vain, alerté le préfet d’Albi. Mediapart a notamment pu recueillir le récit d'Elsa Moulin, une militante de 25 ans, qui a failli perdre une main le 7 octobre 2014. Elle a été grièvement blessée par une grenade de désencerclement jetée par un gendarme du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) dans la caravane où elle s’était réfugiée avec trois autres militants. La scène a été filmée par l’un d’eux.

La scène a été filmée par l'un des militants, le 7 octobre 2014.

L’épisode est à l'époque passé inaperçu, malgré sa gravité. Ce matin-là, selon son récit, une trentaine de gendarmes du PSIG, casqués et en treillis, interviennent pour expulser trois caravanes sur la zone des travaux, dite « Gazab ». « Vers 15 heures, les gendarmes du PSIG ont commencé à s’équiper, raconte Elsa Moulin. Ils ont mis à bas un tipi avec des affaires communes, du matériel de bricolage, des bâches, ont fait un tas et y ont mis le feu. Ce n’était pas la première fois qu’ils détruisaient nos affaires. » Elle poursuit : « Les gendarmes étaient venus chercher un camping-car dont ils avaient embarqué le propriétaire la veille. Nous sommes montés sur le camping-car pour faire opposition. Ils nous ont virés brutalement, puis ils ont fait un périmètre de sécurité pour que la dépanneuse vienne le prendre. Trois d’entre nous se sont réfugiés dans une caravane, qui n’était pas sur une parcelle visée par l’arrêté d’expulsion. Les autres ont été gazés et expulsés du terrain. »

C’est alors qu’un gendarme lance une bombe lacrymogène sous une des fenêtres de la caravane. « On a mis une couverture pour se protéger, mais il l’a arrachée », dit Elsa. Sur la vidéo, on voit ensuite le gendarme en treillis, avec un équipement correspondant à celui des PSIG, crier : « À trois, je vous laisse partir. » « C’est pas expulsable, putain ! » lui répond un des militants. Le gendarme recule et répète : « Je vous laisse partir. Vous avez le choix », tout en commençant son décompte. Il sort du champ de vision de la caméra, puis on entend les militants hurler. 

« Il a lancé une grenade sans voir où elle atterrissait, dit Elsa Moulin. Elle est tombée à un mètre de moi. J’ai cru que c’était une lacrymo, j’ai voulu la rejeter et elle a explosé. Avec la peur, je n’ai pas trop réfléchi. » Il s’agissait en fait, selon la jeune fille, d’une grenade de désencerclement. Cette arme de force intermédiaire provoque une forte détonation, ainsi que la projection de 18 galets en caoutchouc dans un rayon de 10 mètres. Selon les instructions des directeurs de la gendarmerie nationale et de la police nationale du 2 septembre 2014, elle peut être utilisée lorsque « les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés ». « Son emploi en milieu fermé doit être limité à des situations particulières où les risques liés aux projections et à l’explosion sont réduits », prévoit cette directive, qui ordonne aux agents de s’assurer de l’état de santé de la personne après usage.

« Les gendarmes ne se sont absolument pas préoccupés de nous. On a rejoint la métairie, où l'on a appelé les pompiers, raconte Elsa Moulin. On a été coupés à cause des brouilleurs de portable. » En état de choc, la jeune femme a été opérée le soir même à Albi, puis transférée à Toulouse. Sa main a été placée dans un caisson hyperbare pendant plusieurs jours. « Les vaisseaux sanguins ont explosé à l’intérieur de la main, ce qui détruit les tissus », explique-t-elle. Elle est aujourd'hui en rééducation : « Je pense pouvoir récupérer l'usage de ma main. »

Elsa Moulin a failli perdre sa main après un jet de grenade par un gendarme.Elsa Moulin a failli perdre sa main après un jet de grenade par un gendarme.

Éducatrice spécialisée, Elsa Moulin était présente sur la zone du Testet de mi-février à mi-avril 2014. « On a eu assez peu d’affaires de violences, les rares fois où nous voyions des gendarmes, c’étaient ceux du coin et on pouvait dialoguer avec eux. » Mais selon elle, la tension était nettement montée à son retour sur la zone début octobre. Elle décrit des humiliations, insultes et provocations de la part des gendarmes du PSIG. « Ils m’ont dit : “Ici, c’est une déchetterie, vous en faites partie et une déchetterie ça s’évacue” ou encore: “Toi ma grande, tu n’as rien pour toi”, relate-t-elle. J’ai aussi entendu : “Même mon chien, je ne le ferais pas vivre ici”. » Le blog du collectif Tant qu’il y aura des bouilles fait état de plusieurs personnes blessées par les gendarmes depuis septembre 2014. « Pour eux, nous n’avons aucune valeur, nous ne représentons rien, donc ça leur permet d’être violents, confie Elsa Moulin. Moi, je suis non violente. Notre force, c’est d’être toujours là, malgré les humiliations, malgré nos affaires détruites. Nous ne luttons pas contre eux, mais contre le barrage. »

La destruction du tipi le 7 octobre 2014, filmée par un militant.

Depuis des mois, les opposants au projet de barrage de Sivens dénoncent la destruction en cours de la zone humide du Testet, nécessaire à l’édification d’un barrage-réservoir de 1,5 million de mètres cubes d'eau, dans la vallée de Sivens, destiné à irriguer les exploitations agricoles avoisinantes, notamment de maïs.

  • Pourquoi le barrage de Sivens est-il contesté ?

Ils viennent de recevoir un soutien de poids : l’avis très critique des experts mandatés par Ségolène Royal. « Le choix d’un barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse des solutions alternatives possibles, écrivent Nicolas Forray et Pierre Rathouis. Ceci est d’autant plus regrettable que le coût d’investissement rapporté au volume stocké est élevé. » Ainsi, « l’estimation des besoins a été établie sur des données anciennes et forfaitaires » : ils ont été surestimés d’environ 35 % selon eux. De plus, « le contenu de l’étude d’impact est considéré comme très moyen ». Si bien qu’ils concluent en souhaitant que « Sivens soit considéré comme le dernier projet d’une époque, première étape d’une évolution majeure ». Pour autant, ils considèrent qu'il serait difficile d’arrêter le chantier, « compte tenu de l’état d’avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole ». Autrement dit : la collectivité est mise devant le fait accompli. D'après les experts, il est trop tard pour revenir en arrière.

Ce rapport est remis alors que la zone humide du Testet, qui couvre 13 hectares, a déjà en partie été détruite. Le boisement et la prairie ont été broyés. « Si les travaux s’arrêtent là, moyennant quelques opérations de génie écologique, les bois marécageux pourront redevenir ce qu’ils étaient, dans 30 ou 40 ans », explique le responsable d’un bureau d’études qui connaît bien la zone. Dégâts réversibles, mais dégâts tout de même. En visite sur le site, un bon connaisseur de la zone a découvert que sur les trois hectares de zone humide que l’État s’était engagé à préserver, un hectare a en réalité été très abîmé par le passage d’engins de chantier, le creusement d’un fossé et le déplacement de terre. Il dénonce l’amateurisme du conseil général et de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le maître d’ouvrage. Après la mort de Rémi Fraisse, la préfecture a informé le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet que les travaux ne reprendraient pas dans les prochains jours.

Manifestation à Albi, 18 octobre 2014 (©Collectif pour la sauvegarde du Testet).Manifestation à Albi, 18 octobre 2014 (©Collectif pour la sauvegarde du Testet).
  • Pourquoi les travaux ont-ils démarré en septembre ?

C’est en septembre qu’engins et pelleteuses ont rasé les arbres de la zone du Testet. « Il y a eu une accélération du processus », décrit François Simon, conseiller régional EELV, pour ne pas perdre les subventions, accordées au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Si l’ouvrage n’est pas en état de marche au 30 juin 2015, il risque de perdre l’aide européenne. Elle s’élève à 2 millions d’euros, soit un quart du coût total du projet, estimé à 8 millions d’euros environ. Le président du conseil général, Thierry Carcenac, a reconnu devant les neuf élus écologistes qu’il a reçus fin septembre être hors délais, et que cela posait un problème. « Les contraintes pour bénéficier des fonds européens (fin des travaux à l’automne 2015 et projet réalisé en une seule tranche) ont rendu nécessaire le démarrage du chantier début septembre du fait des retards déjà pris en raison de l’occupation du site par des opposants », reconnaît-il dans un communiqué. Mais il ajoute que « contrairement aux propos tenus par certains à l’issue de cette rencontre, ni la réalisation de cette retenue, ni l’octroi de l’aide européenne de 2 millions d’euros ne sont aujourd’hui remis en cause ».

Ce n’est pas le seul problème. Les experts soulèvent une anomalie : le FEADER ne peut s’appliquer qu’aux projets qui n’augmentent pas les prélèvements des réserves en eau du territoire concerné. Or ce n’est pas le cas du barrage de Sivens qui, s’il est construit à la dimension prévue aujourd’hui, étendrait le bassin d’irrigation. « La mission s’interroge sur la compatibilité du financement actuellement retenu » avec les critères d’attribution de la subvention. « C’est une situation aberrante » pour François Simon.
« La retenue de Sivens est un projet d’aménagement équilibré d’un territoire qui vise à permettre le maintien d’une activité agricole raisonnée et la restauration d’un bon état écologique de l’eau », explique Thierry Carcenac dans un communiqué. « Reconnue d’intérêt général, elle est indispensable pour l’avenir. Comme je l’ai répété à plusieurs reprises, je suis tout à fait prêt à examiner les propositions permettant de donner des garanties plus grandes concernant le partage et l’usage de l’eau ainsi que sur les conditions de gestion de cette retenue de substitution. Ce projet n’a pas fait l’objet d’une mise en œuvre dans la précipitation mais a fait l’objet d’une longue instruction administrative, technique et financière. »

  • Y a-t-il eu passage en force ?

Interrogés par téléphone, plusieurs élus écologistes dénoncent le passage en force du conseil général et de la préfecture. « Il y a eu une présence violente des gendarmes, explique ainsi François Simon, conseiller régional. Les gardes mobiles sont allés en permanence provoquer les jeunes zadistes, qui se sont fait molester, ont reçu des tirs de flashballs et de lacrymos. C’est toute une ambiance, une logique de guérilla, depuis des semaines. » Des pneus de voiture auraient été crevés, des vitres brisées et des vêtements brûlés par des gendarmes.

Ainsi, la « maison des druides », occupée par des « militants pacifistes », selon Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional, très présent sur le terrain, a subi 12 interventions de gendarmes pendant les dix jours qu’a duré l’occupation, « alors qu’ils n’avaient pas le droit d’intervenir » hors décision judiciaire. Lors d’une réunion, il a la surprise d’entendre le directeur du cabinet du préfet dire que des drapeaux de l’État islamique ont été vus dans les rangs des opposants. « Ils sont dans des fantasmes. » Début octobre, des opposants décident d’occuper le conseil général. Guillaume Cros s’y rend, ceint de son écharpe tricolore, et s’en fait expulser manu militari par les policiers. Après coup, un agent l’invective : « Élu ou pas élu, je t’emmerde. »

Ailleurs, à Fon Labour, c’est un lycée agricole qui a été réquisitionné pour héberger des gardes mobiles, alors que les élèves s’y trouvaient. Si bien que des gendarmes ont été vus prenant leur repas à la cantine, avec leurs armes. Pour François Simon, « il y a eu une obstination, une fermeture, un jusque-boutisme absolument dramatique ». Une logique grégaire des élus socialistes, aussi, dont aucun ne s’est élevé contre la réalisation du barrage à marche forcée.

L’ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, s’est rendue sur place la semaine dernière. Elle raconte à Mediapart qu’« ayant assisté à plusieurs mobilisations comme Notre-Dame-des-Landes, j’ai été très surprise des méthodes des gendarmes. Ils m’ont raconté, vidéos et photos à l’appui, que les gendarmes ont volé des affaires d’escalade et fait un feu avec. Ils ont détruit la nourriture des gens, piétiné des affaires. Ça a été très violent et provocateur. Nous avons alerté le préfet que nous avons rencontré. Il n’avait jamais rencontré le chef des opposants locaux, qui est un militant EELV, pas un zadiste. Puis, de retour à Paris, mardi, nous avons fait part de nos craintes à tout le monde ». Sans grand effet.

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Prédistribution? Le nouveau concept politique de Manuel Valls

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Dans son entretien très commenté à L'Obs, Manuel Valls tance la « gauche passéiste » « hantée par le surmoi marxiste », critique les hausses d'impôts des premières années du quinquennat, propose un contrat unique de travail et lance l'idée d'une « maison commune des progressistes » pour remplacer le PS. Mais, et c'est passé inaperçu, le premier ministre s'aventure aussi sur le terrain de la théorie politique. Au détour d'un paragraphe, il se livre ainsi à une critique en règle de l'État providence tel qu'il existe en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale :

« 57 % de dépenses publiques, est-ce que l'on considère que c'est efficace ? Non. Face à ce modèle inefficace qui redistribue aveuglement sans tenir compte des besoins de chacun, et revient a posteriori sur les inégalités pour les corriger, nous devons proposer un modèle que j'appelle la prédistribution pour prévenir les inégalités. D'où la nécessité d'investir massivement dans l'éducation, la recherche, la formation et la culture. »

Manuel Valls dans l'Obs, jeudiManuel Valls dans l'Obs, jeudi

« Prédistribution ». Au milieu des polémiques des derniers jours entre socialistes, pas grand monde n'a prêté attention à l'irruption de ce mot dans le débat politique. Manuel Valls est pourtant le premier à importer en France ce concept, à la mode dans les cercles sociaux-démocrates européens depuis quelques années. Alternative à la « redistribution » historiquement défendue par les partis de gauche, la « prédistribution » fait aujourd'hui figure de recette miracle pour dirigeants progressistes désargentés, à l'heure de la crise et des économies budgétaires.

Contrairement à ce qu'il laisse entendre, Manuel Valls n'est pas l'inventeur de ce terme. Celui qui l'a défini s'appelle Jacob Hacker, 43 ans, directeur de l'institut des études sociales et politiques à l'université américaine de Yale.

Spécialiste de l'État providence, Hacker est l'auteur de plusieurs ouvrages, non traduits en France. Le plus récent (Winner-Take-All Politics: How Washington Made the Rich Richer and Turned Its Back on the Middle Class Comment Washington a enrichi les riches et tourné le dos aux classes moyennes), publié en 2010, met en cause la responsabilité des élites politiques américaines dans l'explosion des inégalités aux États-Unis au détriment des classes moyennes. « Un J'accuse éloquent contre l'élite de Washington qui a mené une guerre de trente ans contre sa population au nom des riches », salue The New Statesman, hebdomadaire britannique marqué à gauche.

Le concept n'est pas très vieux : le 3 mai 2011, Hacker est invité à Oslo par Policy Network, think tank britannique très influent dans les cercles sociaux-démocrates européens. Devant un parterre d'intellectuels et de dirigeants sociaux-démocrates (dont Ed Miliband, chef du parti travailliste britannique ou Georges Papandréou, alors premier ministre grec du PASOK), il explicite son fameux concept. On peut retrouver là les contributions de ce colloque, la "Progressive Governance Conference".

« Quand nous pensons à la façon dont les gouvernements peuvent réduire les inégalités, nous pensons à la redistribution – les impôts collectés par les gouvernements et les transferts, qui consistent à prendre à certains pour donner aux autres, écrit Hacker dans l'article qui accompagne son intervention, intitulé "Les fondations institutionnelles d'une démocratie des classes moyennes" (lire ici). Mais nombre des changements les plus importants sont en fait rendus possibles par la prédistribution (…) Les réformateurs progressistes ont besoin de se concentrer sur les réformes de marché qui favorisent une distribution plus juste du pouvoir économique et de ses bénéfices avant même que le gouvernement ne collecte des taxes ou n'attribue des prestations. » Une nécessité, selon Hacker, à l'heure où la redistribution traditionnelle, et les impôts qui vont avec, sont de plus en plus contestés.

The New Statesman, 11 juillet 2013The New Statesman, 11 juillet 2013
Dans un entretien au New Statesman en 2013, Hacker définit plus simplement la « prédistribution » ("pré-distribution" en anglais) comme la nécessité de « stopper l'inégalité avant qu'elle ne commence ».

« Dans une société de plus en plus inégalitaire, le contrat social ne peut être simplement soutenu par le fait de prendre à certains des plus fortunés, les riches, pour redistribuer au reste de la société. Ça ne marche pas politiquement (…) parce que cela crée un environnement où la classe moyenne a de plus en plus de ressentiment contre ceux qui sont en bas de l'échelle sociale et qui bénéficient le plus des transferts de la puissance publique. Elle leur en veut plus qu'aux riches, alors que ce sont eux qui ont faussé les règles du jeu. (…) En tant que sociaux-démocrates et progressistes, nous créerons plus de solidarité et nous aurons plus de résultats si nous rendons la redistribution aussi peu nécessaire que possible. »

Concrètement, cela peut passer, suggère Hacker, par « une meilleure régulation financière », « des droits sociaux pour les travailleurs », un contrôle accru des salariés sur la gouvernance des entreprises, le « plein-emploi », un « investissement accru dans les savoir-faire et l'éducation primaire », et une économie davantage tournée vers les petites entreprises. Des mesures qui, sans toutes coûter de l'argent, peuvent permettre aux partis sociaux-démocrates, dans un contexte de faible croissance, de retrouver le vote des classes moyennes, assure-t-il — les classes populaires ne sont même pas évoquées, comme si elles étaient irrémédiablement perdues.

Pour le parti travailliste britannique (Labour), en quête d'une nouvelle doctrine après l'ère critiquée du "New Labour" de l'ancien premier ministre Tony Blair, la « prédistribution » est une aubaine théorique. Ed Miliband, le chef du Labour, classé à la gauche de ce parti social-libéral, l'a d'ailleurs reprise à son compte.

Le 6 septembre 2012, lors d'un discours à la Bourse de Londres, Ed Miliband a proposé pour son parti « un nouvel agenda ». Il s'est alors attardé sur la « prédistribution », érigée en principe de base d'un futur programme. « La redistribution est nécessaire et restera un objectif clé du prochain gouvernement travailliste, dit-il. Mais elle n'est pas suffisante pour atteindre nos buts (…) La prédistribution, c'est dire que nous ne pouvons pas nous permettre d'être de façon permanente coincé dans une économie qui donne des salaires bas. (…)  Dans le passé, les gouvernements de centre-gauche ont tenté d'améliorer les salaires via les dépenses publiques, dans le futur ils devront faire en sorte que le travail lui-même paie davantage. »

Malgré les remarques acerbes du premier ministre conservateur David Cameron — « la prédistribution, c'est dépenser l'argent que nous n'avons même pas » –, le concept est un des éléments de ce que Fabien Escalona, chercheur à Sciences-Po Grenoble, nomme le « nouveau récit travailliste », aux côtés de la promotion d'un « capitalisme responsable » et d'une « révolution de l'offre » de gauche après celle des années Thatcher. Il sous-tend plusieurs des propositions du parti à l'approche des élections générales du 7 mai 2015.

Ed Miliband, chef de file des travaillistes britanniquesEd Miliband, chef de file des travaillistes britanniques © Reuters


« La pré-distribution, c'est un concept qui a l'avantage d'ancrer à gauche sans remettre en cause, en tout cas dans sa version "soft", ni les structures inégalitaires du néolibéralisme ni le cadre austéritaire, analyse Escalona. Il s'agit de rendre les individus plus compétitifs, aptes à évoluer dans la compétition économique globale, mais dans un contexte financier où l'État n'a plus les moyens de corriger les inégalités par les dépenses publiques. »

« Dans sa version minimale, la prédistribution n'est rien d'autre qu'une action d'arrière-garde inefficace contre les politiques d'austérité », préviennent eux aussi les chercheurs Martin O'Neill et Thad Williamson dans un texte publié en septembre 2012 par Policy Network. « Poursuivie de façon courageuse et avec des intentions sérieuses, (elle) pourrait créer un agenda excitant et radical pour la social-démocratie », poursuivent-ils. « Mais ce ne semble pas être le sens que lui donnent Ed Miliband ou Manuel Valls », estime Escalona.

Dans l'opposition, le PS a déjà planché sur de telles thématiques. En 2004, Dominique Strauss-Kahn avait publié à la Fondation Jean-Jaurès une note « pour l'égalité réelle » restée célèbre.

En 2010, le parti, alors dirigé par Martine Aubry et sous la coordination de Benoît Hamon, avait présenté un paquet de mesures pour favoriser cette fameuse « égalité réelle », en partie inspiré d'un livre du sociologue François Dubet, Les Places et les Chances : « baisse raisonnée des prix et des loyers», contrôle public du tarif du gaz et de l'électricité, lutte contre les contrôles au faciès, service public de la petite enfance et maternelle obligatoire dès trois ans, droit à la scolarité jusqu'à 18 ans, quotas de médecins par départements, allocation d'autonomie pour les jeunes, création d'un « ministère des droits des femmes et de l'égalité entre les genres », etc. (lire notre article). À l'époque, Manuel Valls avait refusé de voter ce texte, dont il n'est quasiment plus rien resté dans le programme présidentiel de François Hollande.

Ancien strauss-kahnien en rupture de ban, aujourd'hui un des chefs de file du mouvement socialiste « Vive la gauche » qui conteste le cap économique du gouvernement, le député Laurent Baumel dit retrouver dans certains passages de l'entretien de Manuel Valls « des idées croisées dans la galaxie strauss-kahnienne pour réduire les inégalités à la racine : donner du capital culturel, augmenter l'égalité réelle en permettant aux enfants des classes populaires de réussir, etc. ». Mais l'opposition entre « redistribution » opérée par l'État providence et la « prédistribution » lui paraît simpliste. « Les deux ne sont pas antagonistes car il faut réduire les inégalités en amont et en aval. »

Difficile en tout cas à la lecture de L'Obs de savoir quelles mesures concrètes Manuel Valls mettrait en œuvre pour réformer l'État providence, qui, s'il coûte cher, a aussi été un formidable amortisseur de la crise en France ces dernières années. Faut-il par exemple drastiquement baisser les impôts ? Mais dans ce cas comment compenser le manque à gagner et financer l'investissement dans le « capital humain » que requiert la « prédistribution » ? Convient-il de reformater, et si oui selon quels critères, les investissements de l'État et le montant des salaires publics dans les territoires, alors qu'ils soutiennent l'activité locale ? Faut-il réduire les 600 milliards annuels de prestations sociales et/ou les allouer différemment ? Conserver le principe d'universalité hérité du Conseil national de la Résistance, ou l'abandonner définitivement, dans le sens de la réforme récente des allocations familiales ? Réformer plus globalement les structures de la Sécurité sociale, et si oui comment ?

Sollicité à deux reprises ce vendredi, l'entourage de Manuel Valls à Matignon n'a pas jugé utile de nous rappeler pour préciser sa pensée. Le premier ministre en reste pour l'heure au stade du slogan, avant tout préoccupé par sa volonté de se constituer (comme sur à peu près tous les sujets) un profil de briseur de « tabous ».

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L'ÉTAT, MAIS DE QUEL DROIT ?


paroles et musique : la Parisienne Libérée

Cette nuit je ne dors pas
J'entends des troncs qui craquent,
Des grenades, du fracas
Et des coups de matraque

Cette nuit je suis fiévreuse
J'entends les arbres tomber
Au son des tronçonneuses
Lourdement escortées

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Le droit des bétonneurs
Et des élus repus ?
Le droit des assoiffeurs
Quand le maïs a bu ?

D'une préfecture pressée
De lancer des travaux ?
Du conflit d'intérêt
D'un maître d’œuvre en eau ?

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Dans mon rêve, au début
Il y avait une forêt
Maintenant je ne vois plus
Qu'un terrain désolé

Les engins mécaniques
Viennent retourner la terre
Leur cliquetis cynique
Laboure un cimetière

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Une grenade explose
La Gascogne, les coteaux
Tout se métamorphose
Il pleut des lacrymos

Cette nuit je suis en rage
La lune reste cachée
Quand les gendarmes chargent
Que s'est-il donc passé

Une grande abatteuse
Avance lentement son bras
C'est une tombe qu'elle creuse
Au beau milieu d'un bois
L'État, mais de quel droit ?

Une nuit de vertige
Perchée sur une cime
Au milieu des vestiges
D'une futaie en ruines

Le vent pousse un nuage
J'aperçois la vallée
À Sivens, le barrage
Ne se fera jamais.

CONTEXTE

Dimanche soir, en essayant de m'endormir, je repensais à ces images aperçues sur le site Tant qu'il y aura des bouilles : « la petite abatteuse » et « la grosse abatteuse ». Au fond, avec ses flashballs et ses grenades, l'État peut rapidement devenir une espèce dangereuse de grande abatteuse.

Le rapport d'expertise sur le projet de barrage à Sivens, rendu public ce matin, pointe une conception surdimensionnée, au financement fragile, n'ayant pas réellement pris en considération les alternatives possibles en termes d'irrigation, ni réalisé sérieusement l'étude d'impact. Et pendant ce temps-là, un opposant est mort dans la nuit de samedi à dimanche lors d'affrontements avec les gardes mobiles. Le procureur d'Albi s'est empressé de dénoncer la violence des manifestants sans questionner celle des gendarmes, pendant que Bernard Cazeneuve concluait son communiqué par la formule très vallsienne : « Aucune cause, dans un État de droit, ne peut justifier ce déchaînement de violences répétées.>»

On a donc envie de lui retourner la question : est-ce que d'après lui, dans un État de droit, un projet de barrage financé par de l'argent public et contesté par de nombreux habitants justifie la mort de Rémi Fraisse, 21 ans?

DOCUMENTATION

Ce film collectif, intitulé Le conseiller général, l'arbre et le débat démocratique, donne une idée assez détaillée de la situation lorsque les déboisements ont commencé début septembre 2014 :



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Elles sont placées sous licence creative commons pour les usages non commerciaux.

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Barrage de Sivens: les alertes des écolos ont été ignorées

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Des traces de TNT, un explosif utilisé dans les grenades utilisées par les gendarmes, ont été retrouvées sur les vêtements de Rémi Fraisse, le manifestant tué dimanche lors d’un rassemblement contre le barrage de Sivens, a annoncé mardi 28 octobre le parquet. « Ces résultats, même partiels orientent l’enquête de façon significative puisque la mise en œuvre d’un explosif militaire de type grenade offensive semble acquise », a précisé le procureur d’Albi Claude Dérens. Dans la foulée, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a décidé de suspendre l'utilisation des grenades offensives.

Les résultent confortent également un peu plus l’hypothèse d’une bavure qui serait à l’origine de la mort de Rémi Fraisse. Arié Alimi, avocat de la famille de Rémi Fraisse, a ainsi déclaré à l’AFP : «L’hypothèse que nous soutenions depuis hier (lundi) se confirme. C’est bien une grenade offensive qui a été délibérément utilisée par les gendarmes dépendant du ministère de l’Intérieur et du ministère public».
Lundi, le parquet avait déjà confirmé que le corps du jeune homme présentait une « plaie importante située en haut du dos » et que celle-ci avait « été causée, selon toute vraisemblance, par une explosion ». « La déflagration a été forte puisque le jeune homme a été projeté au sol de façon violente » et que « la mort a été instantanée ».

C'est également ce lundi que le ministère de l’écologie dévoilait officiellement le contenu d’un rapport d’experts très critique sur le projet de barrage de Sivens (Tarn). Au même moment, des manifestants bataillaient contre les forces de l’ordre à Albi, et des rassemblements se tenaient dans plusieurs dizaines de villes en hommage à Rémi Fraisse, 21 ans, mort dans la nuit de samedi à dimanche lors d’affrontements avec les gendarmes mobiles. Plus de 600 personnes ont ainsi manifesté dans le centre-ville de Nantes, pour dénoncer la « violence d'État ».

Le drame tant redouté du côté de Notre-Dame-des-Landes s’est finalement produit dans la zone humide du Testet, occupée depuis des mois par des opposants au chantier. L’annonce du décès du jeune homme provoque une grande émotion chez les militants et sympathisants écologistes, exprimée toute la journée de lundi sur les réseaux sociaux. En quarante ans, seules deux autres personnes ont perdu la vie lors d’une action pour une cause environnementale : Vital Michalon, un professeur de physique-chimie de 31 ans, lors d’un rassemblement contre le réacteur nucléaire Superphénix, à Creys-Malville, en 1977 ; et Sébastien Briat, 22 ans, écrasé par un train de déchets nucléaires qu’il tentait d’arrêter, en 2004.

Dessin en hommage à Rémi Fraisse (Tant qu'il y aura des bouilles).Dessin en hommage à Rémi Fraisse (Tant qu'il y aura des bouilles).

Cette tristesse s’est teintée d’indignation avec les témoignages de manifestants affirmant que Rémi Fraisse a pu être tué par un jet de grenade. Cette hypothèse n’est à ce stade « ni confirmée, ni infirmée » par les premiers résultats de l’autopsie. Quels que soient les résultats de l’enquête sur les conditions exactes du décès du jeune homme, cet événement tragique jette une ombre indélébile sur un projet de barrage dispendieux, destructeur de son environnement, au service d’une agriculture industrielle, entaché de conflits d’intérêts.

Ce projet a été porté à bout de bras, envers et contre presque tous, par le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, notable socialiste, tout juste réélu sénateur en septembre. « On ne peut que déplorer ce qui s'est passé, un décès est toujours atroce, a-t-il réagi lundi. Je suis très désolé de la tournure prise par les événements. Qui aurait imaginé un tel déchaînement ? » Il a aussi déclaré : « Mourir pour des idées, c'est une chose, mais c'est quand même relativement stupide et bête ».

Sur cet immense gâchis humain, écologique et économique, la ministre de l'écologie Ségolène Royal est jusqu’ici restée très discrète. Depuis l’annonce du décès, pas un mot de compassion, ou même de condoléances, n’est venu du gouvernement. Ce n'est que lundi soir, peu avant minuit, que le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a réagi dans un communiqué : « Je pense à la famille et aux proches de Rémi Fraisse, touchés par ce drame, et à leur peine. Ce gouvernement est attaché à ce que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette disparition. » Mardi matin, sur France Info, l'ex-ministre du logement et député écologiste Cécile Duflot a demandé une commission d'enquête sur les conditions de la mort du jeune homme qu'elle considère comme une « tache indélébile sur l'action du gouvernement ».

  • Comment Rémi Fraisse est-il mort ?

Rémi Fraisse a été projeté au sol et tué sur le coup par une explosion. « La plaie importante située en haut du dos a été causée, selon toute vraisemblance, par une explosion », a affirmé Claude Dérens, le procureur de la République d’Albi, lundi, lors d’une conférence de presse. Des analyses du laboratoire de la police scientifique doivent encore établir si « une grenade, lancée depuis la zone où les gendarmes étaient retranchés » a pu être « à l’origine de l’explosion », a-t-il indiqué.

Selon le procureur, « la déflagration a été forte puisque le jeune homme a été projeté au sol de façon violente » et « la mort a été instantanée ». « L’objet à l’origine de l’explosion n’a pas entraîné de flamme » et « aucune trace de particule métallique ou plastique n’a été retrouvée dans la plaie », a-t-il ajouté. Claude Dérens n’a pas pour autant jugé utile de nommer un juge d’instruction, se contentant d'une enquête préliminaire sous son autorité directe. De son côté, la famille de Rémi Fraisse a annoncé son intention de déposer plainte pour homicide volontaire.

Contacté, Me Arié Alimi, l’un des avocats de la famille, dit penser « fortement à une grenade ». Lundi matin, le site d'information Reporterre a publié un témoignage en ce sens. « Il était à trente mètres de moi sur ma gauche, y affirme un jeune homme, qui dit s’appeler Camille. Je l’ai vu se faire toucher alors qu’il y avait des explosions à côté. Ils ont envoyé des grenades explosives, des tirs de flashballs. Après, cette personne s’est retrouvée à terre. » « Les militaires de la gendarmerie ne sauraient être mis en cause sur la seule base de témoignages, parfois anonymes, présentés par certains médias », a réagi dans un communiqué Denis Favier, le directeur général de la gendarmerie nationale. Selon la version des gendarmes relayée dans Le Monde, « à l’heure du décès de Rémi Fraisse, une seule grenade offensive aurait été lancée par les militaires » et les gendarmes s’interrogeraient « sur le contenu du sac à dos du défunt »

Sur place, la journaliste de Reporterre a, elle, photographié dimanche une trace de sang, entourée de bleu, ainsi que des trous, causés selon elle par des impacts de grenade. Comment expliquer que la scène n’ait pas été protégée plus tôt à la suite de la mort de Rémi Fraisse ? « Toute la journée de dimanche, le site a été ouvert au public, affirme Pascal Barbier, un ami de Jean-Pierre Fraisse, père de la victime. Vers 16 heures, ce sont les opposants qui ont mis une barrière de sécurité autour du lieu de la mort de Rémi. À côté de la tache de sang, on a retrouvé son sac à dos avec ses papiers d’identité. »

  • Que s'est-il passé le week-end dernier dans la vallée de Sivens ?

Rémi Fraisse venait de passer son BTS en environnement. Fils d’un élu apparenté Nouvelle Donne de Plaisance-du-Touch, dans l’agglomération toulousaine, le jeune militant était botaniste bénévole à Nature Midi-Pyrénées, une association affiliée à France Nature Environnement (FNE). « On ne lui connaissait aucune pathologie cardiaque et ce n’était pas un garçon organisé pour monter au combat, explique Me Emmanuel Pierrat, l’un des avocats de la famille. Il militait pacifiquement depuis des années. »

Chez les quelque 2 000 militants anti-barrage venus ce week-end de toute la France sur l'ancienne zone humide du Testet, aujourd’hui entièrement défrichée, l’émotion était intense lundi matin. Installés autour de la métairie, à une dizaine de minutes à pied du chantier du barrage où ont eu lieu les affrontements avec les gendarmes mobiles, beaucoup n’ont appris la mort du jeune homme que le dimanche matin au réveil.

Selon le communiqué de la préfecture du Tarn, il a été découvert vers 2 heures du matin par les gendarmes. Ceux-ci auraient repéré son corps gisant et fait une sortie pour le récupérer et le soigner. « Les gendarmes présents sur site étaient retranchés dans l’aire de stockage des engins de chantier et ont été attaqués en règle par le groupe de manifestants violents, approximativement une centaine qui jetaient des cocktails Molotov, des engins pyrotechniques et des pierres sur le grillage et à l’intérieur depuis l’extérieur », a affirmé dimanche soir le procureur de la République, Claude Dérens.

« Tout le samedi après-midi, il y a eu de gros nuages de fumée de l’autre côté, avec les policiers qui lançaient des bombes lacrymos, des grenades assourdissantes, raconte une jeune militante, venue des Alpes-de-Haute-Provence, sous couvert d’anonymat. Les gens n’étaient pas au courant de ce qui se passait. C’était censé être festif, il y avait de la musique. C'était bizarre comme ambiance. Il y a eu un appel sous le chapiteau où se tenaient les conférences, pour aller voir. Les gens ont fait une chaîne humaine pour s’y rendre. C’était totalement pacifiste. Mais les flics n’arrêtaient pas de balancer. »

Plusieurs personnes seraient reparties vers minuit à l’assaut des gendarmes. « Là, la réponse est disproportionnée : flashballs, grenades assourdissantes et invalidantes en tirs tendus, dit Pascal Barbier, qui s'appuie sur le récit de la compagne de Rémi Fraisse. Rémi s’est retrouvé dans ce groupe d’opposants qui ont mené une action musclée. Il était parti sans aucune protection. Il a pris un projectile. Il s’est effondré pendant une charge policière. Ils l’ont traîné pour le ramener derrière la ligne des forces de l’ordre. »

Contactée, la préfecture du Tarn n’a pas souhaité préciser le nombre de gendarmes mobiles déployés samedi soir, ni leurs objectifs. D’après plusieurs témoins, il ne restait pourtant plus grand-chose à protéger sur le chantier du barrage. Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional Midi-Pyrénées, précise que l’Algeco et le générateur installés avaient été incendiés. « Si bien que le samedi, il n’y avait plus rien à défendre sur la zone, dit-il. Pourtant ils ont fait venir des centaines de gardes mobiles. » Selon un spécialiste en biodiversité présent sur place, neuf camionnettes de gendarmes mobiles étaient ainsi stationnées autour de l’Algeco incendié, « entouré par une grille de 2,50 mètres ». « Sachant que c'était à l'extérieur, qu'il n'y avait rien à casser donc rien à protéger, pourquoi mettre des forces de l'ordre ? » s’interroge une source policière.

Ces dernières semaines, la répression exercée par les gendarmes s’était nettement durcie, au point que, le 20 octobre, plusieurs élus EELV, dont l'ex-ministre Cécile Duflot, ont, en vain, alerté le préfet d’Albi. Mediapart a notamment pu recueillir le récit d'Elsa Moulin, une militante de 25 ans, qui a failli perdre une main le 7 octobre. Elle a été grièvement blessée par une grenade de désencerclement jetée par un gendarme du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) dans la caravane où elle s’était réfugiée avec trois autres militants. La scène a été filmée par l’un d’eux.

La scène a été filmée par l'un des militants, le 7 octobre 2014.

L’épisode est à l'époque passé inaperçu, malgré sa gravité. Ce matin-là, selon son récit, une trentaine de gendarmes du PSIG, casqués et en treillis, interviennent pour expulser trois caravanes sur la zone des travaux, dite « Gazab ». « Vers 15 heures, les gendarmes du PSIG ont commencé à s’équiper, raconte Elsa Moulin. Ils ont mis à bas un tipi avec des affaires communes, du matériel de bricolage, des bâches, ont fait un tas et y ont mis le feu. Ce n’était pas la première fois qu’ils détruisaient nos affaires. » Elle poursuit : « Les gendarmes étaient venus chercher un camping-car dont ils avaient embarqué le propriétaire la veille. Nous sommes montés sur le camping-car pour faire opposition. Ils nous ont virés brutalement, puis ils ont fait un périmètre de sécurité pour que la dépanneuse vienne le prendre. Trois d’entre nous se sont réfugiés dans une caravane, qui n’était pas sur une parcelle visée par l’arrêté d’expulsion. Les autres ont été gazés et expulsés du terrain. »

C’est alors qu’un gendarme lance une bombe lacrymogène sous une des fenêtres de la caravane. « On a mis une couverture pour se protéger, mais il l’a arrachée », dit Elsa. Sur la vidéo, on voit ensuite le gendarme en treillis, avec un équipement correspondant à celui des PSIG, crier : « À trois, je vous laisse partir. » « C’est pas expulsable, putain ! », lui répond un des militants. Le gendarme recule et répète : « Je vous laisse partir. Vous avez le choix », tout en commençant son décompte. Il sort du champ de vision de la caméra, puis on entend les militants hurler. 

« Il a lancé une grenade sans voir où elle atterrissait, dit Elsa Moulin. Elle est tombée à un mètre de moi. J’ai cru que c’était une lacrymo, j’ai voulu la rejeter et elle a explosé. Avec la peur, je n’ai pas trop réfléchi. » Il s’agissait en fait, selon la jeune fille, d’une grenade de désencerclement. Cette arme de force intermédiaire provoque une forte détonation, ainsi que la projection de 18 galets en caoutchouc dans un rayon de 10 mètres. Selon les instructions des directeurs de la gendarmerie nationale et de la police nationale, elle peut être utilisée lorsque « les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés ». « Son emploi en milieu fermé doit être limité à des situations particulières où les risques liés aux projections et à l’explosion sont réduits », prévoit cette directive, qui ordonne aux agents de s’assurer de l’état de santé de la personne après usage.

« Les gendarmes ne se sont absolument pas préoccupés de nous. On a rejoint la métairie où l'on a appelé les pompiers, raconte Elsa Moulin. On a été coupés à cause des brouilleurs de portable. » En état de choc, la jeune femme a été opérée le soir même à Albi, puis transférée à Toulouse. Sa main a été placée dans un caisson hyperbare pendant plusieurs jours. « Les vaisseaux sanguins ont explosé à l’intérieur de la main, ce qui détruit les tissus », explique-t-elle. Elle est aujourd'hui en rééducation : « Je pense pouvoir récupérer l'usage de ma main. »

Elsa Moulin a failli perdre sa main après un jet de grenade par un gendarme.Elsa Moulin a failli perdre sa main après un jet de grenade par un gendarme.

Éducatrice spécialisée, Elsa Moulin a été présente sur la zone du Testet de mi-février à mi-avril. « On a eu assez peu d’affaires de violences, les rares fois où nous voyions des gendarmes, c’étaient ceux du coin et on pouvait dialoguer avec eux. » Mais selon elle, la tension est nettement montée à son retour sur la zone début octobre. Elle décrit des humiliations, insultes et provocations de la part des gendarmes du PSIG.

« Ils m’ont dit : “Ici, c’est une déchetterie, vous en faites partie et une déchetterie ça s’évacue” ou encore: “Toi ma grande, tu n’as rien pour toi”, relate-t-elle. J’ai aussi entendu : “Même mon chien, je ne le ferais pas vivre ici”. » Le blog du collectif Tant qu’il y aura des bouilles fait état de plusieurs personnes blessées par les gendarmes depuis septembre 2014. « Pour eux, nous n’avons aucune valeur, nous ne représentons rien, donc ça leur permet d’être violents, confie Elsa Moulin. Moi, je suis non violente. Notre force, c’est d’être toujours là, malgré les humiliations, malgré nos affaires détruites. Nous ne luttons pas contre eux, mais contre le barrage. »

La destruction du tipi le 7 octobre 2014, filmée par un militant.

Depuis des mois, les opposants au projet de barrage de Sivens dénoncent la destruction en cours de la zone humide du Testet, nécessaire à l’édification d’un barrage-réservoir de 1,5 million de mètres cubes d'eau, dans la vallée de Sivens, destiné à irriguer les exploitations agricoles avoisinantes, notamment de maïs.

  • Pourquoi le barrage de Sivens est-il contesté ?

Les opposants viennent de recevoir un soutien de poids : l’avis très critique des experts mandatés par Ségolène Royal. « Le choix d’un barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse des solutions alternatives possibles, écrivent Nicolas Forray et Pierre Rathouis. Ceci est d’autant plus regrettable que le coût d’investissement rapporté au volume stocké est élevé. » Ainsi, « l’estimation des besoins a été établie sur des données anciennes et forfaitaires » : ils ont été surestimés d’environ 35 % selon eux. De plus, « le contenu de l’étude d’impact est considéré comme très moyen ».

Si bien que les deux experts concluent en souhaitant que « Sivens soit considéré comme le dernier projet d’une époque, première étape d’une évolution majeure ». Pour autant, ils considèrent qu'il serait difficile d’arrêter le chantier, « compte tenu de l’état d’avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole ». Autrement dit : la collectivité est mise devant le fait accompli. D'après les experts, il est trop tard pour revenir en arrière.

Ce rapport est remis alors que la zone humide du Testet, qui couvre 13 hectares, a déjà en partie été détruite. Le boisement et la prairie ont été broyés. « Si les travaux s’arrêtent là, moyennant quelques opérations de génie écologique, les bois marécageux pourront redevenir ce qu’ils étaient dans 30 ou 40 ans », explique le responsable d’un bureau d’études qui connaît bien la zone. Dégâts réversibles, mais dégâts tout de même.

En visite sur le site, un bon connaisseur de la zone a découvert que sur les trois hectares de zone humide que l’État s’était engagé à préserver, un hectare a en réalité été très abîmé par le passage d’engins de chantier, le creusement d’un fossé et le déplacement de terre. Il dénonce l’amateurisme du conseil général et de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le maître d’ouvrage. Après la mort de Rémi Fraisse, la préfecture a informé le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet que les travaux ne reprendraient pas dans les prochains jours.

Manifestation à Albi, 18 octobre 2014 (©Collectif pour la sauvegarde du Testet).Manifestation à Albi, 18 octobre 2014 (©Collectif pour la sauvegarde du Testet).
  • Pourquoi les travaux ont-ils démarré en septembre ?

C’est en septembre qu’engins et pelleteuses ont rasé les arbres de la zone du Testet. « Il y a eu une accélération du processus », décrit François Simon, conseiller régional EELV, pour ne pas perdre les subventions accordées au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Si l’ouvrage n’est pas suffisamment avancé au 30 juin 2015, il risque de perdre cette aide européenne. Elle s’élève à 2 millions d’euros, soit un quart du coût total du projet, estimé à 8 millions d’euros environ.

Le président socialiste du conseil général, Thierry Carcenac, a reconnu devant les neuf élus écologistes qu’il a reçus fin septembre que le chantier était hors délais, et que cela posait un problème. « Les contraintes pour bénéficier des fonds européens (fin des travaux à l’automne 2015 et projet réalisé en une seule tranche) ont rendu nécessaire le démarrage du chantier début septembre du fait des retards déjà pris en raison de l’occupation du site par des opposants », reconnaît-il dans un communiqué. Mais il ajoute que « contrairement aux propos tenus par certains à l’issue de cette rencontre, ni la réalisation de cette retenue, ni l’octroi de l’aide européenne de 2 millions d’euros ne sont aujourd’hui remis en cause ».

Ce n’est pas le seul problème. Les experts soulèvent une anomalie : le FEADER ne peut s’appliquer qu’aux projets qui n’augmentent pas les prélèvements des réserves en eau du territoire concerné. Or ce n’est pas le cas du barrage de Sivens qui, s’il est construit à la dimension prévue aujourd’hui, étendrait le bassin d’irrigation. « La mission s’interroge sur la compatibilité du financement actuellement retenu » avec les critères d’attribution de la subvention. « C’est une situation aberrante » pour François Simon.

« La retenue de Sivens est un projet d’aménagement équilibré d’un territoire qui vise à permettre le maintien d’une activité agricole raisonnée et la restauration d’un bon état écologique de l’eau », explique Thierry Carcenac dans un communiqué. « Reconnue d’intérêt général, elle est indispensable pour l’avenir. Comme je l’ai répété à plusieurs reprises, je suis tout à fait prêt à examiner les propositions permettant de donner des garanties plus grandes concernant le partage et l’usage de l’eau ainsi que sur les conditions de gestion de cette retenue de substitution. Ce projet n’a pas fait l’objet d’une mise en œuvre dans la précipitation mais a fait l’objet d’une longue instruction administrative, technique et financière. »

  • Y a-t-il eu passage en force ?

Interrogés par téléphone, plusieurs élus écologistes dénoncent pourtant le passage en force du conseil général et de la préfecture. « Il y a eu une présence violente des gendarmes, explique ainsi François Simon, conseiller régional. Les gardes mobiles sont allés en permanence provoquer les jeunes zadistes, qui se sont fait molester, ont reçu des tirs de flashballs et de lacrymos. C’est toute une ambiance, une logique de guérilla, depuis des semaines. » Des pneus de voiture auraient été crevés, des vitres brisées et des vêtements brûlés par des gendarmes.

Ainsi, la « maison des druides », occupée par des « militants pacifistes », selon Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional, très présent sur le terrain, a subi douze interventions de gendarmes pendant les dix jours qu’a duré l’occupation, « alors qu’ils n’avaient pas le droit d’intervenir » hors décision judiciaire. Lors d’une réunion, l'élu a eu la surprise d’entendre le directeur du cabinet du préfet dire que des drapeaux de l’État islamique ont été vus dans les rangs des opposants. « Ils sont dans des fantasmes. » Début octobre, des opposants décident d’occuper le conseil général. Guillaume Cros s’y rend, ceint de son écharpe tricolore, et s’en fait expulser manu militari par les policiers. Après coup, un agent l’invective : « Élu ou pas élu, je t’emmerde. »

Ailleurs, à Fonlabour, c’est un lycée agricole qui a été réquisitionné pour héberger des gardes mobiles, alors que les élèves s’y trouvaient. Si bien que des gendarmes ont été vus prenant leur repas à la cantine, avec leurs armes. Pour François Simon, « il y a eu une obstination, une fermeture, un jusque-boutisme absolument dramatique ». Et une logique de clan assiégé des élus socialistes, dont aucun ne s’est élevé contre la réalisation du barrage à marche forcée.

L’ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, s’est rendue sur place la semaine dernière. Elle raconte à Mediapart qu’« ayant assisté à plusieurs mobilisations comme Notre-Dame-des-Landes, j’ai été très surprise des méthodes des gendarmes. Ils (les opposants locaux) m’ont raconté, vidéos et photos à l’appui, que les gendarmes ont volé des affaires d’escalade et fait un feu avec. Ils ont détruit la nourriture des gens, piétiné des affaires. Ça a été très violent et provocateur. Nous avons alerté le préfet que nous avons rencontré. Il n’avait jamais rencontré le chef des opposants locaux, qui est un militant EELV, pas un zadiste. Puis, de retour à Paris, mardi, nous avons fait part de nos craintes à tout le monde ». Sans effet.

BOITE NOIRECet article, initialement mis en ligne lundi soir, a été depuis actualisé à plusieurs reprises. Dernière actualisation: l'annonce du parquet d'Albi que des traces de TNT, un explosif utilisé dans les grenades utilisées par les gendarmes, ont été retrouvées sur les vêtement de Rémi Fraisse.

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Rémy Rieffel: Internet et la culture, une vraie révolution?

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Internet a-t-il révolutionné le monde de la culture ? Pour beaucoup, la réponse est à l’évidence affirmative. Cette révolution, positive selon certains et négative selon d’autres, aurait entraîné une série de bouleversements et de crises dans le monde de la musique, du cinéma ou encore de l’édition en changeant du tout au tout les usages, les modes de production et de distribution.

Dans ce débat toujours bouillonnant, le sociologue Rémy Rieffel prend le temps de faire le point. Son livre, Révolution numérique, révolution culturelle ?, est tout d’abord un état des lieux détaillé des principales études de sciences humaines consacrées à l’influence du numérique sur la façon dont nous produisons et commercialisons des biens culturels, mais également sur la manière dont nous lisons, écrivons, écoutons de la musique, discutons, apprenons…

Or le tableau dressé par le sociologue est bien plus nuancé que les positions tranchées que l’on entend habituellement sur le sujet. Oui, la numérisation et internet ont bouleversé notre rapport à la culture en général, et même notre rapport aux autres. Mais sur de nombreux aspects, l’auteur remet en cause nombre d’idées reçues et évoque plus un « changement d’échelle » qu’un « changement de nature », une évolution plus qu’une révolution.

Révolution numérique, révolution culturelle ?
par Rémy Rieffel

Éditions Gallimard
Collection Folio actuel. 352 pages.

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L’UMP de Grande-Bretagne met Zemmour à l’honneur

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Éric Zemmour bénéficie décidément d’une belle promotion pour son dernier livre Le Suicide français – Les 40 années qui ont défait la France (Éd. Albin Michel). Et ses meilleurs relais sont politiques. Après Robert Ménard à Béziers, c’est au tour de la délégation UMP de Grande-Bretagne de faire la publicité du polémiste.

Cette délégation organise en effet une conférence autour de son dernier ouvrage, le mardi 4 novembre à Londres. Au programme : une séance de dédicaces, suivie d'une réunion publique (£12 l’entrée) affichant déjà “sold out”. Outre une annonce sur la page d'accueil du site de la délégation, un mail a également été adressé à bon nombre de ressortissants français installés outre-Manche.

Ce n’est pas la première fois que l’UMP invite Éric Zemmour. Le chroniqueur de RTL et du Figaro Magazine avait déjà été ovationné en mars 2011, quinze jours après sa condamnation pour provocation à la haine raciale, pour avoir revendiqué sa « liberté d'expression » lors d'un débat organisé par le courant libéral du parti et son secrétaire général de l’époque, Jean-François Copé (voir ci-dessous la vidéo réalisée par nos confrères de Libération).

Face à la polémique qu'avait suscitée cette première invitation, le député et maire de Meaux avait balayé les critiques en se disant « heureux que dans un État de droit et de démocratie, la condamnation n'empêche en rien de poursuivre sa vie et son métier ». L’argument est certes toujours d’actualité. Mais cette nouvelle mise à l’honneur de Zemmour ne peut être dissociée des dernières déclarations que l'auteur du Suicide français a faites sur le régime de Vichy et sur « la stratégie adoptée, selon lui, par Pétain et Laval face aux demandes allemandes : sacrifier les juifs étrangers pour sauver les juifs français ».

Une prise de position qui a gêné plus d’une personnalité à droite, et jusqu'à l'extrême droite. Le vice-président du FN, Florian Philippot, qui estimait il y a encore peu qu’Éric Zemmour était « un instant de fraîcheur dans le débat médiatique », a récemment pris ses distances avec le polémiste : « Il y a quelque chose d’accablant, de triste et de désespérant parfois dans son propos qui, moi, me pose problème », a-t-il indiqué le 27 octobre sur BFM-TV. Un problème que ne se pose vraisemblablement pas l’UMP de Grande-Bretagne.

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Les radicaux de gauche, insignifiants et essentiels

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Mardi 28 octobre, les radicaux de gauche ont encore donné un fier coup de main au gouvernement. En votant le budget de la sécurité sociale pour 2015, ils ont garanti à Manuel Valls une majorité pour faire passer ce texte contesté, qui contient des coupes dans l'assurance-maladie et une modulation historique des allocations familiales. « Ils sont sympas les radicaux… », s'amuse ce proche du chef de l'État.

Sentiment de déjà-vu : il y a une semaine, 39 socialistes, dont les anciens ministres Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, se sont abstenus sur la loi de finances 2015. Tout comme les écologistes. Manuel Valls n'a obtenu la majorité qu'à dix voix près. Sans le vote positif de 14 des 17 députés du groupe des radicaux de gauche, le premier ministre et le chef de l'État auraient subi une défaite cuisante, aux conséquences politiques incalculables.

Parce que la majorité absolue du PS à l'Assemblée n'est plus qu'un lointain souvenir en raison des divisions socialistes, le parti radical de gauche (PRG), dernier allié du PS au gouvernement, tient entre ses mains le sort de la majorité. Qu'il vote non, et le gouvernement serait minoritaire. Pour ce syndicat de notables locaux, satellisé par le PS depuis sa création en 1973, c'est une situation inespérée.

Cette position particulière explique évidemment les menaces de Jean-Michel Baylet. Depuis que les écologistes ont quitté le gouvernement et que la "fronde" ronge le PS, le président du PRG, ancien candidat à la primaire socialiste de 2011 (il avait alors recueilli 1 % des voix), se sent pousser des ailes. Incarnation du baron local et patron du quotidien La Dépêche du Midi, Baylet, qui n'a jamais pu être ministre depuis 2012 à cause de procédures judiciaires (il a finalement bénéficié de non-lieux), s'enhardit à mesure que la majorité rétrécit.

À quatre reprises depuis avril et l'arrivée de Manuel Valls à Matignon, qui a signé le départ pour les écolos, Baylet a menacé de quitter le gouvernement. La dernière fois, mi-octobre, l'affaire a pris des allures de drame : les trois ministres radicaux (Sylvia Pinel au Logement, les secrétaires d'État Thierry Braillard aux Sports, Annick Girardin à la Coopération), seuls membres du gouvernement non socialistes, allaient-ils partir ? Rageur après sa lourde défaite aux sénatoriales dans son bastion du Tarn-et-Garonne (lire notre article), résultat d'une contestation interne au PRG, il a fait monter la pression, à l'ancienne, comme sous la Quatrième République.

À part Sylvia Pinel, voix de Baylet au gouvernement, Braillard et Girardin ne voulaient pourtant pas partir. Ni même leurs députés, trop contents de ce nouveau rôle charnière dans les combinazione avec le gouvernement. Pourtant, la vraie-fausse menace a fait son effet. « S'ils partent, ce serait très embêtant », assurait en privé un ministre important. Les poids lourds du gouvernement (Marisol Touraine, Michel Sapin, Manuel Valls, etc.) les ont donc reçus et ont fait assaut d'amabilités. Finalement, Manuel Valls s'est fendu d'une lettre de huit pages pour les cajoler (lire ici en pdf). Et leur promettre, notamment, une loi sur l'euthanasie et le maintien de certains départements ruraux dans la réforme territoriale. La grande affaire a tenu le gouvernement en haleine pendant une semaine.


C'est un fait : les radicaux de gauche sont les héritiers d'une longue histoire, celle des opposants au Second Empire, des débuts de la République puis de la démocratie parlementaire triomphante. Léon Gambetta, Georges Clemenceau, Édouard Herriot, Jean Moulin, Pierre Mendès France, entre autres, ont appartenu au Parti radical, le plus vieux de France, parti de notables incarnant sous la Troisième et la Quatrième République la tradition intellectuelle des Lumières (émancipation individuelle, laïcité, etc.)  

Mais le parti actuel n'a plus grand-chose à voir avec ce glorieux passé. Fruit d'une scission en 1972 d'avec les radicaux "valoisiens" (centre-droit) de Jean-Jacques Servan-Schreiber, le Mouvement des radicaux de gauche (MRG, puis PRG) s'est placé d'emblée dans la roue du PS au sein du Programme commun. « Dès l'origine, les élus radicaux qui adhèrent au Programme commun avec le PS et le PCF le font pour des raisons électorales : ils ont été élus en 1968 grâce à des accords électoraux avec ces partis et ne veulent pas rompre leurs alliances », rappelle Pierre Martin, politologue au CNRS.

Législatives 74. Pour l'Union de la gauche, le radical R. Fabre (g.), G. Marchais (PCF, centre), P. Mauroy (PS, 2e d.)Législatives 74. Pour l'Union de la gauche, le radical R. Fabre (g.), G. Marchais (PCF, centre), P. Mauroy (PS, 2e d.) © Ina

Bien sûr, le parti continue à mettre en avant des revendications politiques. En 2011, Jean-Michel Baylet se fit même un petit coup de pub pendant la primaire socialiste en proposant la légalisation du cannabis. Mais les idées ne sont plus la préoccupation première de ce parti à la colonne vertébrale très souple. « Pour eux, l'accord avec le PS est obligatoire, résume Frédéric Fogacci, chercheur à la Sorbonne et directeur de la recherche à la Fondation de Gaulle, un des rares chercheurs à avoir travaillé sur eux. Ils sont donc à gauche parce qu'ils le doivent. Ils le sont aussi sur les questions de bioéthique ou de laïcité, en raison notamment du poids de la franc-maçonnerie dans leurs rangs. Sur l'économie, en revanche, ce sont des orthodoxes qui plaident pour une gestion de bon père de famille. » Voire un agenda plus social-libéral, en phase avec la droite du PS ou les modérés de l'UMP.

« Les radicaux de gauche ont perdu leur nécessité historique, assure Fabien Escalona, chercheur à Sciences-Po Grenoble. Ils ont perdu leur base sociologique, les classes moyennes indépendantes du radicalisme historique (paysans, commerçants, artisans - ndlr). Force typiquement parlementaire, ils se sont par ailleurs retrouvés dans une Cinquième République qui méconnaît les droits du Parlement et dans une bipolarisation de la vie politique qui ne leur convient pas. »

Jean-Michel Baylet, en 2011, lors du débat des primaires socialistesJean-Michel Baylet, en 2011, lors du débat des primaires socialistes © Reuters

Quant au parti, il n'existe que de façon intermittente, lors des élections et pour nouer des accords électoraux. Le secrétaire général du PRG, Guillaume Lacroix, évoque le chiffre de 12 000 adhérents (dont 4 000 élus municipaux, 150 conseillers généraux, 50 élus régionaux, 13 députés et autant de sénateurs). Selon Frédéric Fogacci, il s'agit d'abord d'« une clientèle d'élus et d'obligés » – ce qui est aussi le cas du grand frère socialiste (lire notre article). Le reste du temps, le PRG se résume à ses barons locaux.

« Le PRG a toujours fonctionné par bastions », explique Frédéric Fogacci : les "lyonnais" (dont fait partie l'actuel secrétaire d'État Thierry Braillard), les réseaux de la famille Baylet dans le Sud-Ouest (Jean-Michel est le fils de Jean Baylet, ancien député radical et patron de La Dépêche du Midi, dont la femme Évelyne a repris mandats et fonctions à sa mort en 1959), la filière rochelaise (Michel Crépeau, député et maire de La Rochelle, candidat à la présidentielle 1981), les Corses (les Giaccobi et les Zuccarrelli), etc. Autant de fiefs souvent transmis au sein de véritables dynasties politiques locales, plus ou moins sanctuarisées par les accords électoraux avec le PS au cours des années. Ce qui explique la croisade farouche de ce parti d'élus contre la loi sur le non-cumul des mandats, grande bataille du PRG au début du quinquennat.

« Cela fait longtemps que le PRG a perdu son originalité idéologique, analyse Pierre Martin. En réalité, son rôle est aujourd'hui fonctionnel : il existe encore car il a une utilité au sein du système des partis de gauche. » Le PRG a en effet de multiples avantages. Il permet de garder dans l'orbite de la gauche les dissidents du PS, exclus pour s'être présentés contre les candidats socialistes investis par le parti – c'est le cas, simple exemple parmi beaucoup d'autres, d'Olivier Falorni, candidat PS victorieux contre Ségolène Royal en 2012 à La Rochelle, désormais membre du groupe radical à l'Assemblée. Groupe qui ne compte d'ailleurs en réalité que 9 radicaux sur 17 : véritable refuge des députés sans toit, il abrite un Modem, un élu du MUP de Robert Hue, ou les suppléants socialistes des ministres radicaux.

Le PRG offre aussi l'occasion de faire de belles carrières politiques par la grâce des accords électoraux. Le sénateur écologiste Jean-Vincent Placé a par exemple débuté chez les radicaux de gauche. « C'est un espace de liberté pour des gens qui n'ont pas de convictions trop arrêtées », analyse Fogacci. Structure très flexible, il se met au service d'aventuriers de la politique qui veulent réaliser des coups : en 1994, Bernard Tapie, soutenu en sous-main par François Mitterrand, réalise 12 % aux européennes, talonnant de peu Michel Rocard qui disparaît illico de la scène politique.

Enfin, sa simple présence permet au parti socialiste d'afficher une diversité au sein de la gauche, même si elle n'est que de façade et que le PS garde tous les pouvoirs. « Mitterrand, hébergé par les radicaux de gauche dans les années 60 quand il était un sénateur sans parti, a voulu que les radicaux survivent : ils lui étaient utiles dans le rapport de force avec les communistes », explique Frédéric Fogacci. Depuis, rien n'a vraiment changé. Les radicaux ont en effet un avantage : ils sont toujours bons soldats pour voter les textes importants. Au nom du respect du principe majoritaire. Mais aussi, plus prosaïquement, parce que leur survie en dépend.

« Leur problème, c'est que le système des alliances à gauche est en voie de décomposition, explique Pierre Martin. Les appareils locaux du PS sont de plus en plus réticents à accepter les accords nationaux des états-majors des partis. Et puis le résultat de la gauche aux européennes, c'est 30 %. Dans ce contexte, à quoi bon continuer à nouer des alliances à gauche ? C'est ce que laisse entendre Manuel Valls. À partir du moment où tout le système de la gauche s'effondre, les radicaux qui n'ont qu'un rôle fonctionnel, sont menacés de disparition. »

« Notre danger, c'est la perfusion électorale », admet le secrétaire général du PRG, Guillaume Lacroix. En poste depuis cet été, il rêve de casser les images de la « cabine téléphonique » ou de la « gauche cassoulet », souvent accolées au PRG. « Ce parti a des choses à dire. On va tout faire pour ne pas être des alibis. » Lacroix a en tout cas été le premier à saluer l'idée de Manuel Valls d'une « maison commune des forces progressistes » dépassant le PS, formulée la semaine dernière dans L'Obs. Pour espérer survivre, mieux vaut ne pas injurier l'avenir.

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Le pouvoir, tel un mort

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Il aura fallu attendre plus de deux jours pour que le pouvoir s'exprime sur la mort d'un jeune homme de 21 ans, Rémi Fraisse, lors d'affrontements avec la police sur le site du futur barrage de Sivens. Plus de quarante-huit heures pour que des mots soient enfin mis sur cette tragédie. Et quels mots ! Des formules creuses, une « compassion » de parade, tout aussitôt conditionnée par un rappel à l'autorité et un soutien hautement affirmé aux forces de l'ordre, alors que celles-ci sont directement mises en cause.

Le pouvoir est-il devenu sourd et aveugle, autiste, tétanisé face à toute expression sociale, pour ainsi réagir sans générosité aucune, sans un signe, sans un hommage au jeune homme tué, sans un geste envers les compagnons de Rémi Fraisse, envers tous ces jeunes qui, à leur manière, se mobilisent dans des luttes sociales nouvelles ? Face à cette « jeunesse, ma priorité » – disait François Hollande en 2012 –, le pouvoir avance, insensible. Il avance tel un mort, drapé dans ces mots-incantations, « État de droit », « casseurs », « responsabilité », « dignité ».

« Dignité », a souligné ce mardi Manuel Valls devant l'Assemblée nationale, pour appeler la classe politique à taire toute interrogation. Est-il digne qu'après quelques mots de circonstances pour la famille du jeune homme tué, le premier ministre s'en prenne aux « casseurs », dénonce « une violence extrême » et affirme tout de go qu'« avant même qu’une enquête soit menée, (il) n'acceptera pas la mise en cause des policiers et des gendarmes » ? Est-il digne d'achever cette brève intervention par une énième rodomontade autoritaire : « Pas de place pour les casseurs » ?

Est-il digne de surjouer l'autoritarisme policier au moment où les questions les plus graves sont posées sur l'action des forces de l'ordre puisque l'échec est là, terrible : Rémi Fraisse est le premier manifestant tué depuis 1986 et la mort de Malik Oussekine. Et quelle que soit la violence réelle ou supposée des manifestants, la fonction première des forces de l'ordre est d'empêcher l'accident mortel de survenir. Est-il digne de l'affirmer ainsi quand les premiers éléments de l'enquête, selon le procureur d'Albi, accréditent la thèse d'une mort provoquée par les violences policières (des traces de l'explosif utilisé dans les grenades des gendarmes ont été retrouvées sur les vêtements du jeune homme) ?

Tel un pouvoir mort, les responsables socialistes regardent sans la voir la société. Car ce qu'ils disent à cette occasion, c'est que les derniers liens, les ultimes réflexes de solidarité ou d'attention qui pouvaient encore les lier au corps social, à ses secousses et à ses alertes, à ses tensions et à sa complexité, ont disparu. La mort de Rémi Fraisse, dans la nuit de samedi à dimanche, les aura laissés muets deux jours. Et ils l'ont dès ce mardi matin instrumentalisée en une polémique sordide avec les écologistes, faisant de ce qui aurait dû être une douleur nationale un médiocre règlement de comptes à l'encontre de Cécile Duflot.

En 1986, le président François Mitterrand s'était aussitôt rendu chez les parents de Malik Oussekine, ce jeune homme de 22 ans qui avait succombé sous les coups d'une « brigade de voltigeurs », lors d'une manifestation étudiante. Alain Devaquet, ministre de l'université, démissionnait le lendemain. Jacques Chirac retirait le projet de loi contesté le surlendemain.

En 2014, François Hollande attend deux jours avant de passer un coup de téléphone au père de la victime. Ségolène Royal, ministre de l'écologie et donc ayant autorité sur ce projet de barrage contesté depuis des mois, s'est pour sa part placée aux abonnés absents. Pas une parole, pas une apparition, pas même un communiqué depuis la mort de Rémi Fraisse ! Envisage-t-elle de démissionner pour avoir laissé pourrir ce conflit et progresser le chantier d'un barrage que ses propres inspecteurs jugent inutile (lire notre article ici) ? Ou se prépare-t-elle à stopper net le chantier et à faire rentrer dans le rang les quelques notables socialistes et aménageurs locaux ?

En 1986, Robert Pandraud, ministré délégué de Pasqua et « flic » honni de la gauche, commentait par une énormité la mort de Malik Oussekine, qui avait par ailleurs des problèmes rénaux : « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais d’aller faire le con la nuit. » Autre personnage honni de la gauche, Louis Pauwels éructait dans Le Figaro Magazine à propos des jeunes manifestants : « Ce sont des enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats de Coluche et Renaud, une jeunesse atteinte d'un sida mental. »

En 2014, principal instigateur du barrage de Sivens, le socialiste Thierry Carcenac, président du conseil général du Tarn et sénateur, s'est adonné aux mêmes inepties en commentant la mort du jeune manifestant : « Mourir pour des idées, c'est une chose, mais c'est quand même relativement stupide et bête. » Et de poursuivre en se prononçant contre l'arrêt du projet après avoir, peu avant ces déclarations, dénoncé le « déchaînement » des manifestants.

C'est finalement lundi, en ouverture du journal de 20 heures de France 2, que le pouvoir est apparu, tel un mort. Sujet d'ouverture : le jeune manifestant tué, où il fut abondamment question de casseurs, de policiers blessés et de violences, mais où on apprenait tout de même que le jeune Rémi Fraisse, bien loin de l'« activiste-zadiste-autonome-anarchiste-casseur », militait dans une petite association locale de protection de la biodiversité. Deuxième sujet : les obsèques de Christophe de Margerie, ex-patron de Total. François Hollande, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, politiques de gauche et de droite, industriels, 1 500 personnes, l'« élite » du pays se contemplait ainsi en son miroir. Et c'est une Élisabeth Guigou (députée PS de Seine-Saint-Denis) bouleversée qui nous expliquait combien cet « homme savait créer du lien social ». Aucun de ces responsables n'avait eu à cette heure un mot, un seul, pour le jeune homme tué.

Ce pouvoir mort brandit donc l'éternel : l'État, son appareil et son appareil sécuritaire. « Les forces de l'ordre ont fait face à une violence extrême », a déclamé Manuel Valls, quand d'innombrables témoignages indiquent le contraire. « 56 policiers ont été blessés et 81 procédures judiciaires engagées » depuis le début de ce conflit, a insisté le ministre de l'intérieur. Vieille tactique policière... Le ministre n'a pas rappelé qu'à Nantes, après la manifestation et les affrontements du 22 février, son ministère avait annoncé 130 policiers et gendarmes blessés. Au bout du compte, seuls 27 avaient été adressés au CHU et un seul cas grave, un officier CRS souffrant d'une fracture au bras, avait été relevé (lire ici l'article de Louise Fessard).

Le pouvoir n'a-t-il rien de plus à dire sur la gestion de ce conflit par la préfecture, quand un élu, Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional, constatait, stupéfait, que le directeur de cabinet du préfet pouvait expliquer que des drapeaux de l’État islamique avaient été vus dans les rangs des opposants. Un directeur de cabinet, Yves Mathis, qui après plusieurs postes dans l'armée est passé par la direction générale de la gendarmerie puis de la police nationale. « Il y a eu une présence violente des gendarmes, a aussi expliqué à Mediapart François Simon, autre conseiller régional écologiste. Les gardes mobiles sont allés en permanence provoquer les jeunes zadistes, qui se sont fait molester, ont reçu des tirs de flashballs et de lacrymos. C’est toute une ambiance, une logique de guérilla, depuis des semaines. »

Et pourquoi ce directeur de cabinet, si prompt à débusquer l'État islamique, n'a-t-il rien fait après les alertes réitérées d'élus – la dernière date du 20 octobre et a été faite par Cécile Duflot – sur les risques d'accident liés à une répression de plus en plus dure des forces de l'ordre ? Pourquoi lui, ainsi que la préfecture n'ont-ils rien dit de cette vidéo montrant un gendarme du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) jeter une grenade dans une caravane abritant quatre occupants de la zone du Testet ? :

Manuel Valls, qui aime tant afficher son autorité, a-t-il seulement prise sur cet appareil d'État, autrement qu'en soutenant l'insoutenable, c'est-à-dire une possible violence policière responsable de la mort d'un manifestant ? En 1986, la mort de Malik Oussekine signa la défaite d'une droite sourde aux aspirations des jeunes soutenus par une large partie de l'opinion. Il en fut de même en 1996, avec l'évacuation à coups de hache et de grenades des sans-papiers réfugiés en l'église Saint-Bernard, à Paris. La gauche s'en était à chaque fois indignée, socialistes en tête. Ces socialistes-là ne sont plus.

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Hollande et Valls font feu sur les écologistes

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Il aura fallu deux jours à François Hollande et Manuel Valls pour saluer la mémoire du jeune Rémi Fraisse, 21 ans, mort dimanche lors du rassemblement contre le barrage de Sivens dans le Tarn. Le premier mort dans une manifestation depuis Malik Oussekine, tué en 1986 lors de manifestations étudiantes. À l'unisson, les deux têtes de l'exécutif ont exprimé mardi leur « compassion » à son égard. Tout en campant sur une posture d'intransigeance, alors que les écologistes mettent en cause l'attitude des forces de l'ordre dans ce drame. En coulisses, certains conseillers et ministres pointent pourtant, eux aussi, une réaction trop tardive.

Mardi matin, en marge d'un déplacement, François Hollande a pour la première fois commenté le drame, après avoir appelé le père de la victime. « Quand un jeune disparaît, meurt, la première des attitudes c'est la compassion. (…) La seconde réaction, celle que les pouvoirs publics doivent engager avec la justice qui est saisie, c'est la vérité, toute la vérité sur ce qui s'est passé durant cette manifestation qui a été violente, sur les causes de la mort et j'y veillerai personnellement. La troisième réaction, c'est la responsabilité. Tous, ceux qui ont décidé cet ouvrage pour tirer toutes les conséquences de l'expertise du ministère de l'écologie, mais aussi la responsabilité dans les déclarations publiques, toutes les déclarations publiques. »

Cette allusion sibylline vise les écologistes, accusés d'instrumentaliser le drame. À commencer par Cécile Duflot. L'ancienne ministre de Jean-Marc Ayrault s'était rendue le 20 octobre dans le Tarn pour soutenir les opposants au projet. Elle y était revenue la semaine dernière et s'était étonnée de la violence des forces de l'ordre sur place, comme elle l'expliquait dès lundi soir à Mediapart.

Mardi matin, sur France Info, Duflot a exigé une commission d'enquête sur les conditions de la mort de Rémi Fraisse, déplorant une « situation absolument intolérable et qui va finir par être une tache indélébile, je le dis, sur l'action de ce gouvernement ». « Il est évident que le ministre de l'intérieur a la responsabilité. Pourquoi mettre des policiers sur ce site alors qu'il n'y a rien à protéger ? C'est une provocation. (…) Il y a une erreur lourde, je demande solennellement au ministre de s'expliquer », a ajouté sur BFM-TV le député européen EELV José Bové.

Lors des questions à l'Assemblée nationale, Manuel Valls a pris la peine de soutenir son ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, victime à l'entendre de « déclarations à l'emporte-pièce ». Il a également repris les éléments de langage du chef de l'État : « vérité », « transparence », « dignité » et « responsabilité ». Mais il est aussi allé plus loin, semblant par moments coiffer à nouveau sa casquette de premier policier de France. « Les forces de l'ordre font un travail extrêmement difficile, confrontées souvent à une violence extrême. Avant même qu'une enquête n'ait été conclue, je n'accepterai pas la mise en cause des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs. »

Une phrase ambiguë, dont la formulation peut sembler désamorcer d'avance toute responsabilité des forces de l'ordre dans la mort du jeune homme. Or selon les premiers éléments de l'enquête révélés mardi en fin d'après-midi par le procureur d'Albi, des traces de l'explosif utilisé dans les grenades des gendarmes ont pourtant été retrouvées sur les vêtements de Rémi Fraisse. « La mise en œuvre d’un explosif militaire de type grenade offensive semble acquise », estime le parquet d'Albi.

Face aux parlementaires, Manuel Valls a aussi pris la peine de condamner les violences qui ont éclaté en marge de certaines manifestations d'hommage à Rémi Fraisse à Gaillac et Albi (Tarn), mais aussi à Nantes. « Pas de place pour les casseurs », a-t-il lancé, applaudi par les socialistes et quelques élus de l'opposition.

D'abord silencieux, le gouvernement n'a pris que tardivement la mesure de l'événement, laissant dans un premier temps le ministre de l'intérieur seul à la barre. Dimanche, le soir du drame, Bernard Cazeneuve publie un premier communiqué. Il évoque certes la mort du jeune homme, en termes d'ailleurs très neutres, mais insiste surtout sur le « contexte de violences dans lequel est intervenu cet événement dramatique », dont l'escalade est attribuée aux opposants au barrage.

Lundi soir, Bernard Cazeneuve déplore à nouveau des « violences inacceptables » commises « depuis le début du mois de septembre, en marge des mobilisations pacifiques dans le Tarn » et les « débordements de Nantes ». Le ministre, pour la première fois, dit penser à « la famille et aux proches de Rémi Fraisse, touchés par ce drame, et à leur peine ». Troisième intervention mardi matin : cette fois, Bernard Cazeneuve évoque un « drame », présente enfin « des sentiments et des pensées de compassion et de tristesse à la famille », promet de « faire en sorte que sur cet événement tragique toute la vérité soit faite ». Mais il dénonce en même temps « l'instrumentalisation » du drame par les écologistes.

« Dans toute autre démocratie, quand il y a un mort dans une manifestation, le ministre de l'intérieur démissionne », lui répondra, quelques heures plus tard, l'écologiste Noël Mamère, cinglant, dans les couloirs de l'Assemblée. « Ce drame marque un échec de l'État », affirme le coprésident du groupe écologiste à l'Assemblée, François de Rugy. « Ce drame aurait pu être évité en privilégiant le dialogue à l'usage de la force », assure André Chassaigne, qui dirige le groupe des députés Front de gauche.

Mardi matin, avant même que François Hollande et Manuel Valls ne prennent la parole, les premiers hommages à la mémoire de Rémi Fraisse dans les rangs gouvernement ont commencé à fleurir, en désordre : Marisol Touraine, Christiane Taubira…  Pourquoi si tard ? « Le gouvernement n'a pas vu le truc venir, ils ne s'attendaient pas que ça dégénère à ce point-là », dit un député socialiste. De toute évidence, l'exécutif n'a pas vu la tension croître ces derniers jours entre les manifestants et les opposants au barrage. « Y a un côté réserve d'Indiens dans ce genre d'histoires… », balayait mardi matin encore un responsable de la majorité, un brin condescendant, persuadé que le sujet resterait local, malgré le décès de Rémi Fraisse.

Un peu comme à Notre-Dame-des-Landes, l'exécutif ne semble pas avoir vu non plus combien ce projet, validé et soutenu localement par les édiles socialistes, suscitait de résistances. « Martin Malvy (le président de la région Midi-Pyrénées – ndlr) le voulait, ce barrage… », dit un visiteur régulier du chef de l'État. Mardi, plusieurs députés PS ont d'ailleurs ostensiblement applaudi le centriste Philippe Folliot, élu du Tarn, lorsqu'il a dénoncé une « minorité agissante » capable de « bloquer les projets » comme le barrage de Sivens. 

Lundi, alors que de nombreux médias évoquaient déjà le drame, François Hollande, Manuel Valls et plusieurs ministres étaient présents aux obsèques du patron de Total, Christophe de Margerie. Désastreux carambolage. « La réaction a été hyper tardive, je ne comprends pas », glissait mardi ce conseiller gouvernemental. Plusieurs ministres déplorent eux aussi, en privé, une réaction trop tardive. « C'est un drame intolérable. Ça me fait bien sûr penser à Malik Oussekine. Je suis évidemment inquiet sur les conclusions de l'enquête. En tout cas, s'il y a eu faute, elle devra être sanctionnée. » Au gouvernement, la piste de la bavure des forces de l'ordre n'est plus exclue.

BOITE NOIREJeudi 29 octobre, le service de presse du Conseil régional Midi-Pyrénées a tenu à nous apporter les précisions suivantes par courrier électronique:

« Suite à votre article publié ce mercredi 29 octobre, intitulé « François Hollande et Manuel Valls font feu sur les écologistes », concernant les travaux du barrage de Sivens, Martin Malvy, président de la Région Midi-Pyrénées, tient à vous préciser que contrairement à ce qu’il a pu lire, il n’a jamais soutenu d’une manière particulière le projet de Sivens pour lequel la Région n’a cofinancé que les études préalables à hauteur de 81 600 €, soit 15%. En ce qui concerne le comité de bassin Adour-Garonne, son intervention s’est limitée à l’approbation il y a 10 ans du plan de gestion des étiages (PGE) du bassin du Tescou. »

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Comment Valls s'est obstiné par peur d'un nouveau Notre-Dame-des-Landes

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Des traces de « TNT », un explosif utilisé dans les grenades des gendarmes, ont, selon le procureur de la République d’Albi, été retrouvées sur les vêtements de Rémi Fraisse, ce jeune militant de 21 ans tué le 26 octobre lors d'affrontements avec les forces de l'ordre sur le chantier du barrage de Sivens. Ces résultats « orientent donc l’enquête, puisque la mise en œuvre d’un explosif militaire de type "grenade offensive" semble acquise au dossier », a déclaré mardi après-midi le procureur de la République d’Albi Claude Dérens.

Dans la foulée, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a aussitôt annoncé avoir décidé « de suspendre l’utilisation des grenades offensives », « sans attendre les résultats » d'une enquête administrative confiée à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale. Celle-ci devra « déterminer les conditions d'utilisation de ces projectiles dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre ».

« Les déclarations du procureur confirment ce que nous disions depuis deux jours, réagit Me Arié Alimi, l’avocat de la famille de Rémi Fraisse joint par Mediapart mardi soir. Je pense que le procureur le savait déjà et a tout fait pour retarder ces annonces. » Selon l’avocat, qui dit avoir été extrêmement surpris de l’usage de grenades offensives, les parents du jeune militant botaniste sont « effondrés ». Ils ont appelé au calme lors des rassemblements organisés en hommage à leur fils. « Nous sommes sur un scandale d’État sans précédent, affirme Me Arié Alimi. Le gouvernement va devoir en tirer les conséquences. Il y a eu une carte blanche laissée aux forces de l’ordre sur la zone du barrage. Plusieurs alertes ont eu lieu, elles n’ont pas été prises en compte. »

Vidéo publiée par le groupe Groix, tournée sur la zone du Testet, le 26 octobre 2014.

Plusieurs élus EELV, dont l'ex-ministre Cécile Duflot, avaient, en vain, la semaine dernière alerté le préfet du Tarn sur les dérapages des gendarmes. Lundi, Mediapart a publié le témoignage d'Elsa Moulin, une militante de 25 ans, qui avait été grièvement blessée à la main le 7 octobre sur la zone du Testet. La jeune femme affirme avoir été touchée par une grenade jetée par un gendarme du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) dans la caravane où elle s’était réfugiée avec trois autres militants. La scène a été filmée par l’un d’eux.

Le procureur d’Albi s’est dessaisi mardi du dossier au profit du parquet de Toulouse. Les faits commis par des militaires dans le Tarn relèvent en effet du pôle criminel de Toulouse. La famille du jeune homme a déposé plainte mardi matin avec constitution de partie civile pour « homicide volontaire » et pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » auprès de l’instruction criminelle à Toulouse. En cas de faits criminels, cette procédure permet de saisir directement un juge d’instruction indépendant sans passer par le parquet.

Schéma de la grenade offensive utilisée par les forces de l'ordre.Schéma de la grenade offensive utilisée par les forces de l'ordre.

Il n’existe qu’une grenade offensive au sein des forces de l’ordre française : la « grenade OF F1 ». « Ça fait cinquante ans que les grenades OF sont couramment utilisées en maintien de l’ordre », nous indique la gendarmerie nationale. Lancée à la main, celle-ci provoque une détonation et un effet de souffle plus importants que les autres grenades utilisées en maintien de l’ordre. « Il y avait déjà eu des blessés lors de manifestations violentes, avec des mutilations aux doigts de personnes qui avaient essayé de les relancer, mais jamais aucun cas létal », explique Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l’intérieur.

Lors d'un maintien de l'ordre normal, ces grenades ne peuvent être lancées qu'après autorisation du préfet ou de son représentant et après trois sommations. Mais en cas de violences contre les forces de l'ordre ou si elles estiment ne pas pouvoir défendre autrement le terrain occupé, il n'est plus besoin de sommation.

Le commandant d’une compagnie de CRS ou d’un escadron de gendarmes mobiles peut alors indifféremment ordonner l’usage de grenades offensives, de grenades de désencerclement ou encore de grenades lacrymogènes instantanées lancées avec un Cougar. Il peut également recourir aux lanceurs de balles de défense. Cette liste d'armes autorisées lors d'un maintien de l'ordre a été fixée par un décret datant du 30 juin 2011. « Il n’y a pas de gradation entre ces différentes grenades, dit Pierre-Henry Brandet. Ce sont des emplois différents, selon les circonstances : protéger les manifestants, se dégager d’un attroupement, etc. C’est au commandement d’amener la réponse proportionnée en fonction de la menace. » 

L'ancien commandant du groupement de gendarmerie du Tarn (poste quitté en juin 2014), le colonel Pierre Bouquin, est monté au créneau sur iTélé mardi soir pour expliquer qu'« une grenade offensive n'est jamais utilisée par hasard mais dans un cadre légal précis » et que ce type de grenade n'est pas utilisée « quand les manifestants sont raisonnables ». Mardi matin sur France Inter, le colonel, désormais en poste au service de communication de la gendarmerie nationale, a qualifié la mort du jeune homme d'« accident ».

Manuel de la direction de la police nationale sur le lanceur Cougar et les grenades utilisées en maintien de l'ordre
Tantqu'ilyauradesbouilles.wordpress.comTantqu'ilyauradesbouilles.wordpress.com

Les informations du procureur de la République d’Albi sur les traces de grenade offensive sur les vêtements de Rémi Fraisse contredisent cruellement la déclaration martiale de Manuel Valls mardi après-midi à l’Assemblée : « Je n'accepte pas et je n'accepterai pas les mises en cause, les accusations qui ont été portées en dehors de l'hémicycle à l'encontre du ministre de l'intérieur », a-t-il tonné à l'Assemblée : « Avant même qu’une enquête ait été conclue, je n’accepterai pas une mise en cause de l’action des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs (…) Et je n’accepterai pas ces violences. Il n’y a pas de place dans notre République, en démocratie pour les casseurs. »

Le soutien de principe et sans réserve du premier ministre aux forces de l’ordre répond à un double objectif. D’abord, éviter à tout prix un nouveau Notre-Dame-des-Landes. Les travaux du projet de nouvel aéroport sont aujourd’hui bloqués par un moratoire politique, tant que les recours juridiques déposés par les opposants n’ont pas été jugés par la justice. Bien que l’exécutif rechigne à le reconnaître, c’est en grande partie à cause de l’occupation de la zone d’aménagement différée, la fameuse « ZAD » originelle, que l’ouvrage n’a pas encore été construit.

C’est cette même forme de lutte qu’ont adoptée des opposants au barrage de Sivens, en occupant la zone humide du Testet, condamnée à disparaître sous les flots retenus par le barrage, rebaptisée « ZAD », entendue cette fois comme « Zone à défendre ». Valls semble poursuivre une idée fixe : tout faire pour ne pas devenir un nouveau Jean-Marc Ayrault. Que pourrait-on encore construire en France si cette mobilisation parvenait elle aussi à ses fins ? Du stade de Lille à celui de Bordeaux en passant par celui de Lyon, de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes au tunnel ferroviaire du Lyon-Turin et aux lignes à grande vitesse, dirigeants socialistes et de droite partagent une même vision de l’aménagement du territoire par grands projets. Cela semble même être leur principale idée de création d’activité et d’emplois – une vision archaïque à l’heure de la transition énergétique.

Mais la fixation de Manuel Valls à l’encontre de la ZAD du Testet obéit aussi à un autre schéma politique : l’alliance, ou sa tentative, avec le lobby agricole le plus productiviste, porté par la FNSEA et le syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA). Le 6 septembre, il a prononcé un discours lors de la manifestation « les terres de Jim », à Saint-Jean-d’Illac (Gironde), organisée par les Jeunes Agriculteurs, un salon de l’agriculture en plein air, à l’occasion du mondial du labour – l’antithèse absolue de l’agro-écologie soi-disant défendue par le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll.

« Je sais l’importance de mieux mobiliser la ressource en eau, cela a été dit avec beaucoup de force, déclare le premier ministre, après une pique lancée contre la réglementation européenne sur les nitrates (qui contraint notamment les éleveurs de porcs). C’est un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs. C’est pour cela que nous avons tenu bon à Sivens. Les travaux de ce barrage vont enfin commencer au terme de longues consultations et il s’agit là simplement d’appliquer le droit » (regarder la vidéo à partir de 8’56).

« Nous avons tenu bon à Sivens » : tout est dit dans cette phrase, l’obstination guerrière et le sentiment d’assiégé. Deux jours plus tard, Ségolène Royal nomme une mission d’expertise « pour favoriser le dialogue » (qui vient de rendre un rapport très critique sur la pertinence du barrage de Sivens).

Ce même jour, une journée de mobilisation unitaire est prévue sur place. Des militants se sont enterrés pour bloquer l’avancée des pelleteuses. Ben Lefetey, porte-parole du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, est le premier à arriver en voiture pour bloquer le passage. Il s’arrête devant les gendarmes mobiles. « Ils étaient très agressifs. Je fus le premier à me prendre des coups de matraque dans les jambes. Nous étions une centaine. Pourquoi appeler au dialogue et en même temps faire ça ? » s’interroge-t-il rétrospectivement. Tous les moyens étaient bons pour mettre fin à la contestation, en déduit-il aujourd’hui.

Les zadistes sont-ils des « casseurs » ? Apparemment, nombre de députés le pensent, qui ont salué l’intervention de Manuel Valls d’une salve d’applaudissements, lors des questions au gouvernement. C’est pourtant ne rien connaître à la réalité de ces mouvements. À Notre-Dame-des-Landes, au Testet, dans le Morvan, à Chambéry…, partout où elles éclosent, les ZAD ne se contentent pas de contester les grands projets d’équipement. Elles sont aussi des creusets alternatifs : des expériences de propriété collective, de démocratie directe, d’autogestion, de permaculture. Occuper un site pour y faire advenir un autre monde, des rapports sociaux plus égalitaires, une convivialité radicale...

Ce sont des formes de « politiques préfiguratives », à l’image des collectifs décrits par Isabelle Frémeaux et John Jordan dans leur beau livre Les Sentiers de l’utopie. C’est un trait commun avec le mouvement anglo-saxon des places : Occupy Wall Street, Oakland, ou l’université de Londres.

Ils partagent avec les opposants au projet de ferme des mille vaches (Somme) une critique acérée des grands équipements, qualifiés de « grands projets inutiles et imposés » (un forum européen contre les grands projets inutiles et imposés a vu le jour en 2011, réunissant Italiens, Allemands, Espagnols, Grecs, Français...), et plus particulièrement de l’industrialisation de l’agriculture. C’est une continuation des mouvements luddites, opposés à l’excès de technologies dans le travail, jusqu’à appeler au bris de machines. La référence au sabot, cette chaussure paysanne suffisamment solide pour bloquer un rouage et ainsi saboter une machine, est forte, par exemple, sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. La culture commune est celle de la désobéissance civile et de l’action directe. Des militants anars s'y retrouvent, pratiquant parfois des techniques de combats de rue de type black block. Mais ils y sont en minorité.

C’est aussi la défense d’une forme d’autonomie paysanne ou campagnarde, fondée sur le rêve de subvenir à ses besoins dans la frugalité. Autrement dit, une critique du matérialisme dominant, et de l’individualisme. Jusqu’à adopter un prénom collectif, unisexe, pour communiquer avec les médias, souvent regardés avec suspicion : « Camille ». On vit ensemble, on mange ensemble dans des cuisines collectives, on construit ensemble ses lieux de vie (cabanes, tipis, caravanes et roulottes retapées, yourtes lorsque l’on en a les moyens), on se réunit en AG et en commissions thématiques. On s’ancre dans un territoire – bocage nantais, zone humide tarnaise – que l’on arpente à pied et en vélo, auquel on finit par s’identifier. Sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, tapissée de terre gorgée d’eau, on se dit parfois « peuple de boue ».

Ce sont aussi des mouvements de jeunes, parfois mineurs, souvent autour de la vingtaine. Certain-e-s décident de s’y installer pour une longue période. Beaucoup y passent : en vacances, entre deux boulots, après un stage. Jeunes actifs, chômeurs et étudiants y croisent des punks à chien et des personnalités borderline. Ils ont en commun de se politiser en conflit avec la police et les gendarmes qui répriment ces mobilisations sans leaders ni organisations. Expérience qu’a lui aussi connue Rémi Fraisse, avant d’en devenir la victime.

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Guerre en Libye : les vérités qui dérangent d’un homme de l’ombre

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Le feu vert est passé à l’orange puis au rouge, sans qu’il s’en aperçoive. Pierre Marziali, ancien militaire français de 48 ans reconverti dans le privé, a été abattu le 11 mai 2011, en pleine rue à Benghazi, par des hommes cagoulés, alors qu’il revenait d’un restaurant où il avait dîné avec quatre collaborateurs de la société militaire privée Secopex.

Officiellement, Marziali est un espion tué « par accident » par une brigade rebelle pendant la guerre en Libye, à la suite d’un contrôle routier qui aurait dégénéré. C’est du moins la version officielle communiquée par le Conseil national de transition (CNT). Insatisfaite par cette version laconique et incohérente, la veuve de l’ancien militaire a déposé une plainte à l’origine de l’ouverture d’une information judiciaire en septembre 2011, à Narbonne.

« On nous a ordonné de nous coucher par terre, a expliqué lors de l’enquête Pierre Martinet, un ancien camarade de Marziali, présent à Benghazi le jour du drame. Pierre était à ma gauche. J’ai entendu un coup de feu. Et Pierre m'a dit "je suis touché". Il ne s’est pas débattu. Il n’a rien dit, et n’a rien fait avant le coup de feu. J’ai fermé les yeux. J’attendais mon tour. J’avais les mains attachées dans le dos. Ils ont pris Pierre à deux. Il me semble avoir vu son ventre éclaté, ouvert. »

Depuis ses débuts, l’instruction bute sur l’inefficience de l’entraide judiciaire entre la Libye et la France. L’enquêteur du comité judiciaire local, en Libye, a été dans l’impossibilité d’obtenir de l’armée l’identification du tireur et de ses complices. L’exécution a été commise par des hommes cagoulés restés non identifiés, bien qu’ils se rattachent à la Brigade du 17 février, fondée par Abdelhakim Belhadj, l’ancien leader du groupe islamique combattant (GIC). 

Robert DulasRobert Dulas © France 24

Trois ans plus tard, l’associé et ami de Marziali, Robert Dulas, a décidé de raconter dans un livre qui vient de paraître, Mort pour la Françafrique (Stock), l’histoire secrète de leurs contacts avec le régime libyen et de leur installation fatale à Benghazi. Dans un entretien à Mediapart, cet ancien conseiller du président ivoirien Robert Gueï ou du Centrafricain François Bozizé revient sur les circonstances de cette mort qui apparaît aujourd’hui comme l’un des épisodes les plus mystérieux, mais aussi les plus oubliés, de la guerre en Libye.

Pour lui, pas de doute : l’assassinat de Marziali a été « orienté » par la France. « Je vois mal par qui d’autre », dit-il. Robert Dulas raconte également à mots couverts comment avec Marziali ils ont recueilli, en mars 2011, les aveux du premier ministre Baghdadi al-Mahmoudi sur l’argent remis aux Français sous l’ancienne présidence. Il se dit prêt aujourd’hui à en témoigner devant la justice française, partie sur la trace des financements libyens de Nicolas Sarkozy. Pour lui, les motivations de la guerre en Libye relèvent d’« un grand mensonge ». « C’est la raison d’État. »

La mort de votre associé Pierre Marziali, le 11 mai 2011 à Benghazi, en Libye, a été un électrochoc pour vous. Pourquoi en avoir fait un livre ?
J’avais à cœur de réhabiliter la mémoire de Pierre. Il était mon associé, presque un fils spirituel, et j’avais décidé de lui passer la main. Je n’ai pas cru à la version initiale de sa mort. On a parlé d’un refus d’obtempérer à un barrage de police libyen. L’idée qu’il se soit rebellé à un contrôle ne lui correspondait pas du tout. Il a fait partie des forces spéciales et je l’ai vu dans des situations similaires : c’était quelqu’un qui savait garder son calme. Dès le départ, j’ai donc eu un doute.

À cela s’ajoute le fait que les deux personnes, proches de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la DCRI (le renseignement intérieur – ndlr), qui devaient l’accompagner, se sont désistées la nuit précédant sa mort. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de risque pour Pierre, mais une fois que le malheur est arrivé, ça m’a bousculé. Dès le lendemain, j’ai eu un certain Vladimir Tozzi au téléphone (l’un des deux hommes qui devaient partir avec Marziali - ndlr) qui m’a dit : “Ils l’ont exécuté.”

Pierre MarzialiPierre Marziali

Vous considérez aussi qu'il a été délibérément abattu ?
J’ai cherché à comprendre. Quand les quatre collaborateurs de Marziali sont rentrés de Libye, j’ai dû faire abstraction de mes sentiments pour les interroger comme un flic. J’ai posé les mêmes questions aux quatre. Le témoignage d’un prénommé Éric, l’un des employés de Secopex, m’a interpellé. Il n’avait pas de formation de militaire contrairement aux autres. C’était le commercial, qui était venu pour voir s’il y avait des contrats à signer.

La nuit des faits, Pierre et les autres revenaient du restaurant où ils avaient leurs habitudes à Benghazi. Plusieurs véhicules ont stoppé près d’eux. Les hommes qui sont sortis leur ont ordonné de se coucher par terre. Mais Éric s’est mis sur le dos, au lieu de se coucher sur le ventre comme les autres, et il a vu son agresseur qui lui a mis la mitraillette sur la gorge. Il m’a dit : “Le gars était cagoulé, j’avais ses yeux à un mètre des miens. Je le suppliais du regard de ne pas me tuer. Je me suis pissé dessus. À ce moment-là, un coup de feu est parti juste à côté, et les yeux du gars qui me braquait n’ont pas cillé. Il n’y a pas eu un bruit.” Si cela avait été une bavure, comme la thèse officielle le laisse entendre, il y aurait eu des réactions. Là, rien. Comme si c’était attendu. Et pourquoi étaient-ils cagoulés ? C’est la première fois qu’on a vu des gens du CNT cagoulés.

Que se passe-t-il ensuite ?
Le corps de Pierre est chargé dans le pick-up et les quatre autres sont emmenés dans une caserne du CNT où ils seront retenus pendant dix jours. C’est la Brigade du 17 février, tenue par des islamistes, qui les garde.

Les employés de Secopex ont-ils été débriefés par les services spéciaux à leur retour en France ?
Non, et c’est du jamais vu. Aucun n’a été débriefé. La règle veut qu’il y ait systématiquement un débriefing à chaud et un débriefing à froid une semaine après. Quel que soit le cas. Là, aucun. Depuis la mort de Pierre, je n’ai pour ma part jamais été entendu par qui que ce soit. Il y a vraiment de quoi se poser des questions.

Comment cette histoire libyenne a commencé pour vous ?
J’étais en relation avec Béchir Saleh (ancien directeur de cabinet de Kadhafi – ndlr), qui m’avait reçu en 2008, avec Pierre Marziali. En février 2011, au moment de l’insurrection, quand commencent les problèmes entre la France et la Libye, Bechir Saleh me demande de venir le voir à Tripoli. Là-bas, j’ai rencontré Abdallah Mansour, le neveu de Kadhafi, qui était son directeur de l’information et son confident. Il m’a annoncé que le chef de l’État libyen était prêt à se retirer au profit de son fils, Saïf al-Islam, le temps de mettre en place des élections démocratiques.

Un mandat avait été préparé à mon nom et celui de Pierre Marziali par lequel Kadhafi nous chargeait d’œuvrer dans la recherche d’une sortie de crise pacifique. Ce mandat a été visé par le premier ministre, mais il n’a finalement pas été signé par Kadhafi, à cause de l’accélération des hostilités.

Les dirigeants libyens étaient aux abois à ce moment-là.
Ils nous disaient qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait. Ils ne comprenaient pas la trahison de la France, alors qu’ils avaient été les meilleurs amis de Sarkozy. Ils nous ont demandé de la formation pour les militaires et du matériel, ce à quoi j’ai répondu qu’il m’était impossible d’agir contre mon pays et donc de les aider dans le domaine militaire. Néanmoins, nous pouvions livrer des médicaments ou des matières premières. Je suis revenu à Tripoli avec Pierre, un mois plus tard, en mars. Nous rencontrons ensemble le premier ministre, Baghdadi al-Mahmoudi, qui nous demande une nouvelle fois cette aide.

Baghdadi al-Mahmoudi, l'ancien premier ministre libyenBaghdadi al-Mahmoudi, l'ancien premier ministre libyen © Reuters

Que vous a dit le premier ministre libyen ?
Je ne peux pas balancer comme ça ce qu’il m’a dit pour des raisons juridiques.

Dans le livre, vous écrivez que le premier ministre vous a dit « qu’en six mois, M. Claude Guéant s’est assis onze fois dans le fauteuil » où vous aviez pris place. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces visites, et sur les explications de Baghdadi à l’époque ?
Je ne peux pas vous dire ce que M. Baghdadi m’a dit, parce que cela met en cause de hautes personnalités françaises qui étaient en place à l’époque.

Cela met en cause leur probité publique sur des questions financières ?
Oui, tout à fait.

À l’époque, vous êtes surpris de ces révélations de Baghdadi ?
Ah oui ! Je tombe de ma chaise. Je savais qu’il y avait une relation particulière. Personne n’allait voir Kadhafi sans repartir avec une enveloppe, cela n’existait pas. Quand il m’explique la chose, je comprends qu’à un certain niveau, ce n’était plus des enveloppes, mais des valises...

Vous pensez à du bluff ?
Non, à aucun moment. C’est direct. C’est spontané. C’est même du courroux, de la colère de la part du premier ministre. Puisqu’il me dit : “Comment vous pouvez vous dégonfler et jouer les fleurs bleues, alors que chez vous, à un échelon supérieur, on n’a pas hésité à venir s’approvisionner.”

Est-ce que, dans un cadre légal, vous seriez prêt à évoquer ces conversations auprès d’un juge chargé de ces faits ?
Oui, pour faire avancer la vérité, bien sûr. Mais il faudrait vraiment que je sois protégé. Mais est-ce qu’on peut être vraiment protégé en France ?

Baghdadi vous demande aussi d’apporter votre concours à la recherche de pourparlers et d’une solution pacifique, d’après ce que vous racontez dans le livre…
La demande est claire : “Transmettez le message, le président Kadhafi est prêt à se retirer.” M. Baghdadi me dit la même chose qu’Abdallah Mansour. J’écris d’ailleurs dans mes notes que Kadhafi est d’accord. Et lorsque je reviens en France, à l’aéroport de Toulouse, je suis arrêté par les services de la Douane, qui sont accompagnés par les services de renseignement. Mes documents sont saisis et photocopiés. Tout était mentionné dans ces notes, y compris nos refus de collaborer militairement avec le régime.

Est-ce que vous pensez que cette fouille a pu être motivée par la crainte que vous reveniez avec des documents susceptibles d’inquiéter le pouvoir en place à l’époque ?
Je réponds “oui”, catégoriquement. Je suis systématiquement contrôlé à mon entrée en France, aux aéroports, lors de mes déplacements, mais cela ne va jamais au-delà. Je n’ai jamais eu droit à une fouille comme cela. Cette fois, cela a été une fouille et une saisie.

Malgré cette fouille, à votre retour en France, vous aviez ce message à faire passer. Qu’est-ce que vous faites ?
Effectivement, on a transmis le message des Libyens à notre contact, Marc German, qui nous servait de passerelle avec la DCRI et faisait suivre toutes nos informations en haut lieu. Il était, nous disait-il, en relations avec “le Squale” [surnom de Bernard Squarcini, ancien directeur de la DCRI – ndlr] et avec Claude Guéant, puisqu’un jour, il nous a clairement indiqué qu’il avait rendez-vous avec lui pour lui amener un message. C’était patriotique, pour nous, d’informer de la sorte les plus hautes autorités de l’État. Et c’est le jeu quand on travaille dans la sécurité militaire privée. Par ailleurs, on pensait vraiment que ce qui était proposé par les Libyens était la bonne solution : Kadhafi n’était plus le guerrier qu’il avait été et le fait qu’il accepte de se mettre à l’écart pouvait permettre de régler la situation.

Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi sur le perron de l'Elysée, en 2007. Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi sur le perron de l'Elysée, en 2007. © Reuters

Et votre contact transmet les informations ?
Oui.

Que se passe-t-il ensuite ?
Pierre Marziali repart à Benghazi. Et à son retour, nous rédigeons ensemble en France une note de synthèse destinée à la présidence de la République. Dans cette note, nous indiquons plusieurs choses. On expose que la « route du sel » qui va du centre de l’Afrique jusqu’en Italie en passant par Benghazi va se rouvrir si on “explose” la Libye. Kadhafi a fermé cette route, qui a été celle des cigarettes, des armes, de la drogue puis celle des migrants. On signale aussi la création à 45 kilomètres de Benghazi d’un centre de formation obligatoire pour les migrants dans une ville où la charia est déjà appliquée et où, en réalité, les migrants sont formés à l’islam radical et pour certains, préparés au maniement d’explosifs.

Dans cette note, nous expliquions la dangerosité de la situation, en soulignant que le Conseil national de transition (CNT) est composé à 40 % d’intégristes proches d’Al-Qaïda, à 40 % d’anciens kadhafistes, pour certains impliqués dans des exactions, et 20 % de démocrates dont on tire les ficelles et qu’on met en avant à la télé. Enfin, nous signalons la disparition de 1 200 ogives de gaz sarin dans une caserne de la ville de Ghat, dans le Fezzan, le lieu où elles ont transité, et le fait qu’elles étaient destinées au Hezbollah, au Liban.

Vous faites donc savoir à l’Élysée, d’une part, qu’une solution diplomatique est possible et, d’autre part, que le CNT n’est pas un bloc homogène et animé des meilleures intentions…
Transmettre cette note était peut-être naïf. L’idée était de dire : “Attention, vous vous laissez entraîner sur un terrain dangereux par des gens qui ne connaissaient pas la réalité du terrain.” Il était peut-être encore temps de s’arrêter. La note est tellement importante pour nous que l’on sollicite nos réseaux pour qu’elle soit transmise en mains propres à l’Élysée. Un ami franc-maçon nous met en relation avec un commissaire divisionnaire en poste à l’Élysée. Il assure la permanence du ministère de l’intérieur à la présidence de la République. C’est un service qui est chargé, 24 heures sur 24, d’aviser le secrétaire général ou le président en cas d’événement majeur.

Donc nous sommes allés à l’Élysée. Ce commissaire a lu la note devant nous, puis il a nous dit : “Je vais transmettre, c’est trop important.” Le soir même, je reçois un mail de ce commissaire me disant que la note a été remise aux deux personnes qui avaient à en connaître, à savoir MM. Sarkozy et Guéant. J’ai gardé le mail.

Vous avez un retour ?
Le retour, c’est que notre relation avec le gouvernement ne semble pas mauvaise. Et que notre intermédiaire avec l’État, Marc German, nous recommande d’aller à Benghazi, dans la perspective de l’arrivée du président Sarkozy sur place, pour rendre visible l’antenne de notre société de sécurité sur place. On a fait un geste et il y a un retour positif. Nous croyons que c’est un adoubement. Par ailleurs, nos deux contacts officieux nous assurent qu’ils ont un feu vert pour venir eux aussi, et nous accompagner.

Vous voulez vous implanter dans une zone que vous décrivez vous-mêmes dans votre note à l’Élysée comme très dangereuse. Vous prenez donc un risque important. Vous pouviez être perçus par l’insurrection comme des espions de Kadhafi, non ?
Je ne crois pas. L’objectif de Pierre Marziali, qui était un technicien en matière militaire, était de créer une société militaire privée sur le modèle américain de Blackwater, qui avait si bien réussi en Irak. Il souhaitait s’implanter à Benghazi et ouvrir un couloir jusqu’à l’Égypte, pour sécuriser les déplacements de diplomates et d’hommes d’affaires.

Au sein du CNT, les anciens du régime Kadhafi nous connaissaient. Ils savaient que nous étions des amis de la Libye et que nous étions là pour faire des affaires. Les autorités de Tripoli étaient elles aussi informées de nos projets. Mais il est possible qu’une information différente ait été diffusée pour nous nuire. Je ne l’exclus pas. La veille de la remise de notre note à l’Élysée, des membres du CNT étaient reçus par la présidence. Notre note a peut-être foutu le bordel sans que nous le sachions.

Pour vous, la version officielle concernant la mort de Pierre Marziali n’est donc pas bonne. Quelle est votre hypothèse ?
Son assassinat a été, on va dire, orienté…

Par la France ?
Je vois mal par qui d’autre.

Parce que vous en saviez trop ?
Certainement parce que nous étions des empêcheurs de tourner en rond. On venait mettre de la complexité et indiquer que tout ça n’était pas blanc, mais plutôt gris, presque noir, alors que BHL chantait sur les toits que les gars du CNT étaient des anges, alors qu’il ne les connaissait que depuis deux jours. Et la suite nous a donné raison, je crois.

Mouammar Kadhafi, le jour de son exécution, le 20 octobre 2011Mouammar Kadhafi, le jour de son exécution, le 20 octobre 2011 © Reuters

Comment interprétez-vous l’entêtement français à ne pas privilégier la solution pacifique, également défendue par l’Union africaine ?
D’après moi, Kadhafi était condamné à mort depuis le départ. C’est certain. Nous n’avons pas été les seuls à faire remonter les mêmes informations. Il y avait des diplomates, des agents. Pourquoi ces informations n’ont-elles pas été étudiées sérieusement ? Parce qu’il fallait à tout prix supprimer Kadhafi. La mise à mort était programmée. Le CNT ne pouvait pas mettre en place une opération pareille. Pour intercepter son convoi à Syrte, il fallait d’abord le géolocaliser. Le CNT n’en avait absolument pas les moyens. Kadhafi a ensuite été abattu et rien n’a été fait pour le garder vivant et le juger. Surtout pas. Trois ans après, j’espère que les langues vont se enfin délier dans les services. Je peux vous assurer qu'on leur a fait faire des choses qu’ils ne voulaient pas.

Vous pensez que nous sommes dans un grand mensonge d’État ?
J’en suis persuadé, oui. C’est la raison d’État.

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  • Mort pour la Françafrique
    (Stock)

    Par Robert Dulas, Marina Ladous et Jean-Philippe Leclaire
    336 pages
    20,99 €

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Barrage de Sivens: agrobusiness, conflit d'intérêts et mauvaise gestion

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Elle est enfin sortie de son silence. Ségolène Royal, ministre de l'écologie, a annoncé mercredi, à la sortie du conseil des ministres, avoir convoqué une réunion « entre les parties prenantes » mardi prochain 4 novembre, sans préciser si les opposants qui ont occupé la zone du Testet seront invités. « Il faut que l'on trouve une solution qui justifie l'engagement des fonds publics et européens sur des ouvrages comme ceux-là », a déclaré la ministre. De son côté, Thierry Carcenac, président socialiste du conseil général du Tarn, a annoncé la suspension sine die des travaux du barrage. Mais mercredi, dans un entretien au Monde (à lire ici), l'élu socialiste explique ne pas vouloir renoncer pour autant à ce projet.

Le pouvoir et les élus locaux tentent ainsi de désamorcer la crise grandissante que provoque la mort de Rémi Fraisse, ce jeune militant de 21 ans tué le 26 octobre lors d'affrontements avec les forces de l'ordre sur le chantier du barrage de Sivens. « On sentait que ça allait arriver… » Julie, zadiste de 37 ans, n'est guère étonnée par le drame qui a eu lieu au Testet. De nombreux manifestants avaient déjà été blessés et chacun, sur place, s’attendait à ce que les affrontements virent à la tragédie. Le décès de Rémi Fraisse, qui selon toute vraisemblance a été tué par une grenade offensive, n’est donc pas une réelle surprise pour nombre d'opposants : plutôt la confirmation qu’ils ont à faire face, depuis plusieurs semaines, à une réplique totalement disproportionnée des forces de l’ordre.

Pourquoi les autorités ont-elles déployé un dispositif aussi impressionnant de forces de l'ordre et pourquoi celles-ci semblaient bénéficier d’une telle liberté d’action ? Le tout pour un projet qui, selon les termes employés par les deux experts missionnés par le ministère de l’écologie, est tout simplement « médiocre »… La réponse se trouve dans un savant cocktail fait de conflits d’intérêts, d’alliances politiciennes et d’agrobusiness.

Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Si les opposants, notamment le Collectif Testet, se sont aussi rapidement méfiés du projet du barrage de Sivens, c’est que les méthodes employées par le conseil général du Tarn, maître d’ouvrage, et la CACG (compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne), maître d’ouvrage délégué, ne sont pas nouvelles. L’étude du barrage de Fourogue, construit à la fin des années 1990, apporte un éclairage saisissant sur les abus constatés, ou à venir, concernant la retenue de Sivens. Car les deux ouvrages ont été construits sur un schéma tout à fait similaire.

Premier enseignement à tirer de ce barrage de Fourogue de 1,3 million de m3 mis en service en 1998 : il est beaucoup trop grand par rapport aux besoins réels des agriculteurs. Mediapart a pu se procurer un mail, daté du 18 octobre 2013, envoyé par le directeur des opérations de la CACG au directeur de l’eau et de l’environnement du conseil général du Tarn, aujourd’hui en charge du dossier de Sivens. Il y fait part de « la faible souscription des irrigations [:] à ce jour 269 ha au lieu des 400 prévus par la chambre d’agriculture ».

Ce surdimensionnement n’est pas sans rappeler celui dénoncé dans le cadre du projet de Sivens. Le Collectif Testet n’a dénombré que vingt exploitants susceptibles d’utiliser le réservoir de 1,5 million de m3 qui a été prévu sur la zone du Testet. Le rapport des experts, sévère dans son constat général mais néanmoins modéré dans son approche globale, estime pour sa part que le nombre de bénéficiaires est « de l’ordre de trente, et les préleveurs nouveaux environ dix ». On est loin des quatre-vingt-un exploitants annoncés par les promoteurs du projet.

Cette surestimation du nombre de bénéficiaires n’est pas financièrement indolore. Non seulement elle conduit à mener des travaux plus importants et donc plus chers que ce que réclame la situation, mais, en plus, elle engendre des déficits chroniques dans la gestion des ouvrages. C’est ce que vient de nouveau démontrer le précédent de Fourogue : dans son courrier, le directeur des opérations de la CACG explique que l’exploitation du barrage souffre d’« un déséquilibre d’exploitation important ».

Alors que les recettes nécessaires à l’équilibre de cette retenue sont estimées à 35 000 euros par an, les recettes effectives annuelles ne sont que de 7 000 euros. Résultat : après quinze années d’exploitation, la CACG déplore à Fourogue un déficit global de 420 000 euros. Pas d’inquiétude, néanmoins : la CACG et le conseil général se sont mis d’accord pour partager la note. S’adressant toujours à son collègue du conseil général, le directeur des opérations de la compagnie écrit dans un mail du 22 novembre 2013 : « Faisant suite à nos échanges en préfecture, je te propose de mettre un poste de rémunération de 50 % de la somme (…), soit 210 k€ correspondant à la prestation suivante : "Grosses réparations (15 ans)". »

La faiblesse des recettes s’explique aussi par un autre facteur : l’ouvrage de Fourogue n’a plus de véritable cadre juridique. En cause : l’annulation de la DIG (déclaration d’intérêt général), que les opposants ont obtenue en justice en 2005 suite à une longue procédure débutée avant le lancement des travaux. En l’absence de cette DIG, la CACG, qui a construit l’ouvrage, n’a pas pu le rétrocéder au conseil général comme cela était initialement prévu.

Le conseil général et la CACG ont-ils cherché à régulariser cette situation ? Une fois de plus, ils ont plutôt décidé de laver leur linge sale en famille. Le département a ainsi signé une petite vingtaine d’avenants successifs pour confier la gestion du barrage à la compagnie. Ce qui n'est pas franchement légal. Un rapport d’audit accablant sur la situation du barrage, daté de mars 2014, note par exemple que la signature de l’un de ces avenants « doit être regardée comme la conclusion d’un nouveau contrat entre le conseil général et la CACG. Ce nouveau contrat s’apparente à une délégation de service public devant être soumise à une obligation de mise en concurrence ».

Mais de mise en concurrence, il n’y a point eu… En outre, grâce à ces avenants, la compagnie d’aménagement gère le barrage depuis désormais quinze ans. Et, prévient encore le rapport, « une durée trop longue peut être considérée comme une atteinte au droit de la concurrence ».

La zone humide du Testet déboisée. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.La zone humide du Testet déboisée. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Lorsqu’il s’agit de la gestion de l’eau, la CACG devient vite, non pas l’interlocuteur privilégié du conseil général, mais plutôt son interlocuteur exclusif. Le rapport d’audit explique ainsi que « le contrat de concession d’aménagement a été signé entre le conseil général du Tarn et la CACG en l’absence de procédure de mise en concurrence conformément aux textes applicables aux concessions d’aménagement alors en vigueur. […] Or, la réalisation de la retenue d’eau constituait une opération de construction et ne pouvait donc pas faire l’objet d’une concession d’aménagement. Contrairement aux concessions d’aménagement, les opérations de construction pour le compte d’un pouvoir adjudicateur devaient déjà être soumises à une procédure de mise en concurrence. »

Grâce à ces « concessions d’aménagement », comme cela est encore le cas pour le barrage de Sivens, la CACG n’a pas à se soucier des concurrents. Il lui suffit de se mettre d’accord sur un prix avec les élus du département.

Pourquoi la CACG bénéficie-t-elle d’un tel favoritisme alors que sa gestion est contestée ?  Une inspection réalisée en janvier 2014 par les services préfectoraux préconisait par exemple certaines rénovations à effectuer sur la retenue de Fourogue. Par courrier, il a été signifié à la CACG que « le système d’évacuation des crues présente des signes de désordre laissant un doute sur la sécurité de l’ouvrage en crue exceptionnelle et nécessite des travaux à effectuer rapidement ». N’ayant reçu aucune réponse de la compagnie dans les deux mois qui lui étaient impartis, les services d’État ont perdu patience et lui ont adressé un nouveau courrier le 15 avril. Ils exigent alors qu’elle se décide enfin à « réaliser rapidement un diagnostic de l’ouvrage déterminant l’origine de ces désordres (…) et [à] mettre en place des mesures compensatoires de surveillance et de sécurité sans délai », ces deux derniers mots étant soulignés pour marquer l’urgence.

La solution finalement adoptée sera d’abaisser le niveau d’eau retenue. Ce qui ne pose aucun problème technique, puisque le barrage est beaucoup trop grand, comme l’explique en creux le courrier du responsable de la CACG : « Le volume consommé en année moyenne pour [l’irrigation] oscille plutôt autour de 200 000 m3. » Ils avaient prévu 900 000 m3

Pour comprendre les liens étroits qui unissent le conseil général et la CACG, il faut se tourner vers le fonctionnement de cette dernière. Société anonyme d’économie mixte, son conseil d’administration est principalement composé d’élus départementaux et régionaux, pour la plupart des barons du PS local ou du parti radical de gauche. Le président de ce conseil, par exemple, n’est autre que Francis Daguzan, vice-président du conseil général du Tarn. À ses côtés, on trouve André Cabot, lui aussi vice-président du conseil général du Tarn, mais aussi membre du conseil d’administration de l’Agence de l’eau, qui finance la moitié du projet de barrage de Sivens (dans le montage financier, l’Europe doit ensuite en financer 30 %, les conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne se partageant équitablement les 20 % restants).

On trouve ensuite des représentants des chambres d’agricultures, tous adhérents à la FNSEA, syndicat fer de lance de l’agriculture intensive. Aucun représentant de la Confédération paysanne dans ce conseil d’administration. Seule la Coordination rurale a obtenu un strapontin, mais ce syndicat se dit favorable au barrage. Pour compléter le tableau, siègent un administrateur salarié et des représentants de grandes banques. Des élus juges et parties, des partisans de l’agriculture intensive et des banquiers, chacun, ici, a intérêt à favoriser des ouvrages grands et onéreux.

Pour y parvenir, ce n’est pas très compliqué : les études préalables à la construction d’une retenue sont confiées à… la CACG, qui se base, pour (sur)estimer les besoins en eau du territoire, sur les chiffres de… la chambre d’agriculture, tenue par la FNSEA. Le conseil général, soucieux de la bonne santé financière de sa société d’économie mixte, n’a plus qu’à approuver, sans trop regarder à la dépense. Un fonctionnement en vase clos qui laisse beaucoup de place aux abus, et bien peu à l'intérêt général.

Exemple, à Sivens : compte tenu du fait que « la quantité de matériaux utilisables pour constituer une digue est insuffisante sur le site et, d’autre part, le coût des mesures compensatoires (…) et du déplacement d’une route et d’une route électrique », le conseil général explique dans sa délibération actant la construction du barrage que « le coût de l’ouvrage est relativement onéreux » – et encore, l’ouvrage était alors estimé à 6 millions, contre plus de 8 aujourd’hui. Pourtant, comme l’ont regretté les experts dépêchés par Ségolène Royal, aucune alternative n’a sérieusement été recherchée, et le projet a été voté en l’état par les élus. Pourquoi la CACG se serait-elle décarcassée à trouver un projet moins cher, alors qu’elle savait déjà qu’elle se verrait confier la construction de cette retenue ?

Il ne reste plus, ensuite, qu’à lancer les travaux, et vite. L’exemple de Fourogue a montré aux élus que, quels que soient les recours en justice, l’important était de finir le chantier avant que les délibérés ne soient rendus. Aujourd’hui, le barrage baigne certes dans l’illégalité, mais il existe…

Le 14 septembre, les manifestants ont eu un aperçu de l’empressement des promoteurs à boucler les travaux du Testet. Ce dimanche-là, ils s’attendaient tous à une mobilisation très importante de forces de l’ordre dès le lendemain. La raison : deux jours plus tard, le tribunal administratif de Toulouse allait rendre son délibéré sur la légalité du déboisement. Grâce à de solides arguments en leur faveur, ils avaient bon espoir que le juge leur donne raison. « Ils vont tout faire pour finir le déboisement avant le délibéré », estimait alors Fabien, un jeune zadiste de 25 ans, qui se préparait à voir débarquer en nombre les gendarmes mobiles au petit matin.

Affrontements le week-end dernier au Testet. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.Affrontements le week-end dernier au Testet. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Ce fut finalement encore plus rapide : les escadrons sont arrivés dès le dimanche soir afin que les machines puissent s’installer sur la zone, et commencer à couper les arbres restants à la première heure. Le mardi, le tribunal administratif n’a finalement pas donné raison à France Nature Environnement, à l’origine du recours en référé : il s’est déclaré incompétent, tout en condamnant l’association à 4 000 euros d’amende pour « saisine abusive ». Mais, de toute façon, le déboisement avait été achevé quelques heures plus tôt. On n’est jamais trop prudents…

À marche forcée, le conseil général et la CACG entendent donc finir le plus rapidement possible le chantier de Sivens. Ainsi, les opposants n’ont jamais obtenu ce qu’ils souhaitaient : un débat contradictoire avec le président du conseil général du Tarn. Droit dans ses bottes, Thierry Carcenac (PS) n’a jamais pris le temps de les recevoir. Le premier ministre Manuel Valls a clairement exprimé son soutien au projet, ce qui n’a sans doute pas déplu à Jean-Michel Baylet, président du département du Tarn-et-Garonne mais aussi président des radicaux de gauche aujourd’hui si précieux à la majorité socialiste.

Pour que les travaux avancent, les promoteurs ont ainsi pu compter sur le soutien sans faille de l’État et de la préfecture, qui a mobilisé durant des semaines d'importantes forces de l'ordre. Les zadistes, organisés en « automédias », ont fait tourner sur les réseaux sociaux des vidéos prouvant les abus de certains gendarmes mobiles. Lorsqu’il s’est exprimé après le drame, le dimanche 26 octobre, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’est pourtant surtout attaché à défendre le travail des forces de l’ordre et à rejeter la faute sur « un groupe [de manifestants] extrémistes de 200 personnes environ ».

Cette course effrénée a déjà eu raison des experts du ministère, qui estiment que, « compte tenu de l’état d’avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole », « il semble difficile » d’arrêter le chantier. La mort de Rémi Fraisse a mis un coup d’arrêt aux travaux. Mais pour combien de temps ? Deux jours plus tard, Thierry Carcenac n’avait pas du tout l’intention d’abandonner le projet : « L’arrêt total du projet de barrage à Sivens aurait des conséquences sur l'indemnisation aux entreprises. »

Son empressement à reprendre les travaux n'est pas anodin : rien ne dit que, comme pour Fourogue, la déclaration d’intérêt public du barrage de Sivens ne sera pas annulée en justice. Cette question fait l’objet de l’un des nombreux recours déposés par le Collectif Testet et d’autres associations. Et les délibérés pourraient ne pas être rendus avant deux ans.

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Les très chers conseillers de Manuel Valls

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Voilà quelques jours, quand des documents annexés au projet de loi de finances pour 2015 ont été publiés et ont permis de connaître le nombre exact des membres des cabinets du gouvernement de Manuel Valls et leurs rémunérations, toute la presse, unanime, a salué l’esprit de responsabilité du premier ministre. Des conseillers moins pléthoriques dans les différents ministères et des crédits budgétaires en baisse pour assurer leurs rémunérations : la nouvelle a été remarquée. Et Manuel Valls en a été félicité.

Mais nul n’a pris soin de relever un autre détail qui, il est vrai, n’apparaît pas au premier coup d’œil à l’examen de ces documents : alors que Manuel Valls impose à tout le pays, à commencer aux salariés les plus modestes, une forte rigueur salariale, il a consenti pour ses conseillers de Matignon une explosion de leurs rémunérations. Austérité renforcée pour les uns ; aisance pour les autres : les recherches effectuées par Mediapart permettent de mieux apprécier le sens de l’équité du chef du gouvernement.

La source statistique dont toute la presse s’est emparée, c’est un document budgétaire – un « jaune », comme on dit dans le jargon parlementaire – qui est présenté chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances pour l’année suivante. Voici donc le « jaune 2015 » consacré aux « personnels affectés dans les cabinets ministériels ». On peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :

Si la presse a été élogieuse, c’est que la réalité est décrite dans ce document de manière très avantageuse. On y apprend ainsi d’abord ceci : « S’agissant des membres des cabinets, les effectifs du 1er août 2014 sont en nette diminution par rapport à 2013. Parallèlement à la baisse du nombre de ministères (32 au lieu de 38), les effectifs des membres de cabinets sont en effet passés de 565 à 461 équivalents temps plein (-18,4 %). » C'est donc ce que la plupart des journaux ont retenu : avec Manuel Valls, le nombre des conseillers dans les différents ministères a baissé de 104 personnes.

On y découvre aussi que le gouvernement a veillé à ce que les rémunérations globales de ces conseillers restent sous contrôle. Concrètement, ces rémunérations sont de deux ordres : un conseiller garde son traitement s’il est fonctionnaire, ou alors il obtient un contrat de contractuel s’il vient du privé et obtient le salaire afférent. Et à ce traitement de base que perçoivent tous les conseillers vient s’ajouter ce que l’on dénomme les indemnités pour sujétions particulières (ISP). Il s’agit de ces fameuses primes de cabinet qui, jusqu’à la fin des années 1990, étaient totalement opaques et qui ont donné lieu dans le passé à énormément de dérives, avec de scandaleux versements en liquide.

Dans ce cas, le « jaune 2015 » présente aussi les choses de manière très favorable : « S’agissant des indemnités pour sujétions particulières (ISP), qui sont plus directement maîtrisables, les dotations annuelles sont en baisse de 8,9 % par rapport à 2013, et sont inférieures de 16 % à la moyenne de la période 2007-2011. »

Mediapart a pris le soin de consulter les « jaunes » des années antérieures, et il est vrai que globalement cette présentation est exacte. Concrètement, les dotations pour ISP ont atteint 29,1 millions d’euros en 2008, 31,8 en 2009, 31,1 en 2010, 28,4 en 2011, 25,8 en 2012, 26,5 en 2013 et 24,2 millions d’euros en 2014. Par rapport aux dérives qui ont été constatées durant la présidence Sarkozy, un petit peu de modération – si le terme est approprié dans ce genre de rémunération ! – a été imposée dans tous les ministères.

Dans tous les ministères, vraiment ? Oui, dans tous, à une exception notable près : Matignon ! Car dans ce cas, les rémunérations des conseillers ont flambé dès que Manuel Valls est devenu premier ministre.

Pour en prendre la mesure, il ne faut pas compter sur la présentation synthétique qui est faite dans le « jaune 2015 ». Non ! Il faut bien scruter quelques-uns des chiffres qu’il présente, sans les commenter, et les comparer aux mêmes séries statistiques qui figurent dans le « jaune » précédent : « le jaune 2014 » que l’on peut télécharger ici ou consulter ci-dessous :

 

Grâce à ces deux documents budgétaires, faisons donc les comptes. Dans le « jaune 2015 », à la page 15, on découvre ainsi que le cabinet de Matignon, au 1er août 2014, comprenait 55 membres pour une rémunération globale de 7 070 054 euros. Cela équivaut donc pour chaque conseiller à une rémunération brute moyenne de 128 546,43 euros par an ou 10 712 euros en moyenne par mois par personne.

Or, si l’on se réfère maintenant à la page 17 du « jaune 2014 », on peut comparer ces chiffres aux rémunérations moyennes du cabinet de Jean-Marc Ayrault à Matignon en 2013 et en 2012. En 2013, Jean-Marc Ayrault disposait ainsi de 67 conseillers pour une rémunération brute globale de 8 125 556 euros. Autrement dit, la rémunération brute moyenne de ces conseillers était de 121 276 euros par an, soit 10 106 euros en moyenne par mois.

Toujours à l’époque où Jean-Marc Ayrault était premier ministre, on dénombrait en 2012 à Matignon 63 membres dans le cabinet de Matignon, pour une rémunération brute globale de 7 328 311 euros. Cela correspond donc à une rémunération annuelle moyenne de 116 329 par personne et par an, soit 9 693 euros par mois.

En résumé, Manuel Valls a fait le choix de majorer en moyenne la rémunération des membres de son cabinet de 606 euros par mois, par rapport à ce que percevaient un an auparavant, en 2013, les conseillers de Jean-Marc Ayrault (soit une majoration de plus de 6 %) ; et de 1 019 euros en moyenne par mois et par personne, par rapport à ce que percevaient en 2012 les mêmes conseillers de Jean-Marc Ayrault à Matignon (soit une majoration de plus de 10 %).

Compte tenu de l’exemplarité publique à laquelle est tenu le premier ministre, ce choix soulève de multiples questions. La première coule de source : alors qu’il impose à tout le monde une politique draconienne d’austérité budgétaire ; alors qu’il impose aux fonctionnaires une austérité salariale sans précédent, avec un gel des traitements de base qui a commencé en 2010 sous Nicolas Sarkozy et qui est confirmé pour les prochaines années ; alors qu’il impose aux salariés du privé une austérité salariale tout aussi spectaculaire, avec le refus de tout « coup de pouce » en faveur du Smic, comment peut-il justifier que ses plus proches conseillers puissent être exonérés de l’effort demandé à tous les Français ?

La question prend d’autant plus d’importance que, accédant à l’Élysée, François Hollande avait voulu se montrer exemplaire en ce domaine. Baissant très fortement sa rémunération de président de la République par rapport à celle que percevait Nicolas Sarkozy, il avait aussi donné des instructions très claires pour les rémunérations des membres des cabinets ministériels.

Concrètement, un décret avait été pris en août 2012 encadrant de manière stricte les traitements du chef de l’État et des membres du gouvernement : ce décret, qui peut être consulté ici, avait eu pour effet, à l’époque où il avait été pris, de faire tomber le salaire du premier ministre et du président à 14 910 euros en brut par mois soit 12 696 euros en net, contre 21 300 brut et 18 276 euros net sous le quinquennat précédent.

Et dans le cas des membres des cabinets ministériels, une instruction, qui à notre connaissance n’avait pas été rendue publique, avait fixé deux consignes impératives. Première consigne : aucun membre d’un cabinet ministériel ne devait disposer d’une rémunération en hausse de plus de 20 % sur son salaire antérieur. Deuxième instruction : aucun membre d’un cabinet ministériel ne devait disposer d’une rémunération supérieure à celles du chef de l’État et du premier ministre.

Si bien que la hausse spectaculaire que Manuel Valls a consentie aux membres de son cabinet, portant la rémunération brute mensuelle à 10 712 euros par personne, laisse perplexe. Car il s’agit d’une rémunération moyenne. On peut donc logiquement se demander si la manne a été également répartie entre les 55 membres du cabinet de Matignon ou si les principaux responsables du cabinet du premier ministre ont été bien mieux traités que les autres conseillers. Et dans cette dernière hypothèse, cela poserait une question importante : les deux instructions interdisant une hausse de 20 % de la rémunération ou une rémunération supérieure à celle du président de la République sont-elles toujours respectées ?

Comme les « jaunes » budgétaires n’apportent aucune réponse à cette interrogation, nous avons voulu en avoir le cœur net et nous avons posé la question au service de presse du premier ministre. Celui-ci n’a pas donné suite à nos questions (voir la "boîte noire" ci-dessous). Comme si cette question d’exemplarité n’avait aucune importance…

BOITE NOIREPar mail, j'ai adressé les questions suivantes, ce mercredi matin, au service de presse du premier ministre: « Je vais publier ce soir sur Mediapart un article sur les rémunérations des membres du cabinet du premier ministre, en m'appuyant sur le "jaune" correspondant, qui donne les rémunérations moyennes du cabinet. Quelqu'un peut-il m'éclairer sur le sujet ? J'aimerais comprendre pourquoi les rémunérations ont à ce point augmenté depuis 2013 à Matignon et plus encore depuis 2012 ? Puis-je également savoir les montants des quatre ou cinq plus hautes rémunérations ? »

Le service de presse a accusé réception de mon message mais, à en fin d'après-midi, je n'avais toujours pas recu de réponse. Puis, vers 18H, au moment précis où cet article a été mis en ligne, une personne du service de presse de Matignon m'a informé que le chef de cabinet du premier ministre répondrait dans la demie heure suivante à toutes mes questions. Mais depuis, cet engagement n'a pas été honoré.

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Valls s'est obstiné par peur d'un nouveau Notre-Dame des-Landes

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Des traces de « TNT », un explosif utilisé dans les grenades des gendarmes, ont, selon le procureur de la République d’Albi, été retrouvées sur les vêtements de Rémi Fraisse, ce jeune militant de 21 ans tué le 26 octobre lors d'affrontements avec les forces de l'ordre sur le chantier du barrage de Sivens. Ces résultats « orientent donc l’enquête, puisque la mise en œuvre d’un explosif militaire de type "grenade offensive" semble acquise au dossier », a déclaré mardi après-midi le procureur de la République d’Albi Claude Dérens.

Dans la foulée, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a aussitôt annoncé avoir décidé « de suspendre l’utilisation des grenades offensives », « sans attendre les résultats » d'une enquête administrative confiée à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale. Celle-ci devra « déterminer les conditions d'utilisation de ces projectiles dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre ».

« Les déclarations du procureur confirment ce que nous disions depuis deux jours, réagit Me Arié Alimi, l’avocat de la famille de Rémi Fraisse joint par Mediapart mardi soir. Je pense que le procureur le savait déjà et a tout fait pour retarder ces annonces. » Selon l’avocat, qui dit avoir été extrêmement surpris de l’usage de grenades offensives, les parents du jeune militant botaniste sont « effondrés ». Ils ont appelé au calme lors des rassemblements organisés en hommage à leur fils. « Nous sommes sur un scandale d’État sans précédent, affirme Me Arié Alimi. Le gouvernement va devoir en tirer les conséquences. Il y a eu une carte blanche laissée aux forces de l’ordre sur la zone du barrage. Plusieurs alertes ont eu lieu, elles n’ont pas été prises en compte. »

Vidéo publiée par le groupe Groix, tournée sur la zone du Testet, le 26 octobre 2014.

Plusieurs élus EELV, dont l'ex-ministre Cécile Duflot, avaient, en vain, la semaine dernière alerté le préfet du Tarn sur les dérapages des gendarmes. Lundi, Mediapart a publié le témoignage d'Elsa Moulin, une militante de 25 ans, qui avait été grièvement blessée à la main le 7 octobre sur la zone du Testet. La jeune femme affirme avoir été touchée par une grenade jetée par un gendarme du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) dans la caravane où elle s’était réfugiée avec trois autres militants. La scène a été filmée par l’un d’eux.

Le procureur d’Albi s’est dessaisi mardi du dossier au profit du parquet de Toulouse. Les faits commis par des militaires dans le Tarn relèvent en effet du pôle criminel de Toulouse. La famille du jeune homme a déposé plainte mardi matin avec constitution de partie civile pour « homicide volontaire » et pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » auprès de l’instruction criminelle à Toulouse. En cas de faits criminels, cette procédure permet de saisir directement un juge d’instruction indépendant sans passer par le parquet.

Schéma de la grenade offensive utilisée par les forces de l'ordre.Schéma de la grenade offensive utilisée par les forces de l'ordre.

Il n’existe qu’une grenade offensive au sein des forces de l’ordre française : la « grenade OF F1 ». « Ça fait cinquante ans que les grenades OF sont couramment utilisées en maintien de l’ordre », nous indique la gendarmerie nationale. Lancée à la main, celle-ci provoque une détonation et un effet de souffle plus importants que les autres grenades utilisées en maintien de l’ordre. « Il y avait déjà eu des blessés lors de manifestations violentes, avec des mutilations aux doigts de personnes qui avaient essayé de les relancer, mais jamais aucun cas létal », explique Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l’intérieur.

Lors d'un maintien de l'ordre normal, ces grenades ne peuvent être lancées qu'après autorisation du préfet ou de son représentant et après trois sommations. Mais en cas de violences contre les forces de l'ordre ou si elles estiment ne pas pouvoir défendre autrement le terrain occupé, il n'est plus besoin de sommation.

Le commandant d’une compagnie de CRS ou d’un escadron de gendarmes mobiles peut alors indifféremment ordonner l’usage de grenades offensives, de grenades de désencerclement ou encore de grenades lacrymogènes instantanées lancées avec un Cougar. Il peut également recourir aux lanceurs de balles de défense. Cette liste d'armes autorisées lors d'un maintien de l'ordre a été fixée par un décret datant du 30 juin 2011. « Il n’y a pas de gradation entre ces différentes grenades, dit Pierre-Henry Brandet. Ce sont des emplois différents, selon les circonstances : protéger les manifestants, se dégager d’un attroupement, etc. C’est au commandement d’amener la réponse proportionnée en fonction de la menace. » 

L'ancien commandant du groupement de gendarmerie du Tarn (poste quitté en juin 2014), le colonel Pierre Bouquin, est monté au créneau sur iTélé mardi soir pour expliquer qu'« une grenade offensive n'est jamais utilisée par hasard mais dans un cadre légal précis » et que ce type de grenade n'est pas utilisée « quand les manifestants sont raisonnables ». Mardi matin sur France Inter, le colonel, désormais en poste au service de communication de la gendarmerie nationale, a qualifié la mort du jeune homme d'« accident ».

Manuel de la direction de la police nationale sur le lanceur Cougar et les grenades utilisées en maintien de l'ordre
Tantqu'ilyauradesbouilles.wordpress.comTantqu'ilyauradesbouilles.wordpress.com

Les informations du procureur de la République d’Albi sur les traces de grenade offensive sur les vêtements de Rémi Fraisse contredisent cruellement la déclaration martiale de Manuel Valls mardi après-midi à l’Assemblée : « Je n'accepte pas et je n'accepterai pas les mises en cause, les accusations qui ont été portées en dehors de l'hémicycle à l'encontre du ministre de l'intérieur », a-t-il tonné à l'Assemblée : « Avant même qu’une enquête ait été conclue, je n’accepterai pas une mise en cause de l’action des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs (…) Et je n’accepterai pas ces violences. Il n’y a pas de place dans notre République, en démocratie pour les casseurs. »

Le soutien de principe et sans réserve du premier ministre aux forces de l’ordre répond à un double objectif. D’abord, éviter à tout prix un nouveau Notre-Dame-des-Landes. Les travaux du projet de nouvel aéroport sont aujourd’hui bloqués par un moratoire politique, tant que les recours juridiques déposés par les opposants n’ont pas été jugés par la justice. Bien que l’exécutif rechigne à le reconnaître, c’est en grande partie à cause de l’occupation de la zone d’aménagement différée, la fameuse « ZAD » originelle, que l’ouvrage n’a pas encore été construit.

C’est cette même forme de lutte qu’ont adoptée des opposants au barrage de Sivens, en occupant la zone humide du Testet, condamnée à disparaître sous les flots retenus par le barrage, rebaptisée « ZAD », entendue cette fois comme « Zone à défendre ». Valls semble poursuivre une idée fixe : tout faire pour ne pas devenir un nouveau Jean-Marc Ayrault. Que pourrait-on encore construire en France si cette mobilisation parvenait elle aussi à ses fins ? Du stade de Lille à celui de Bordeaux en passant par celui de Lyon, de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes au tunnel ferroviaire du Lyon-Turin et aux lignes à grande vitesse, dirigeants socialistes et de droite partagent une même vision de l’aménagement du territoire par grands projets. Cela semble même être leur principale idée de création d’activité et d’emplois – une vision archaïque à l’heure de la transition énergétique.

Mais la fixation de Manuel Valls à l’encontre de la ZAD du Testet obéit aussi à un autre schéma politique : l’alliance, ou sa tentative, avec le lobby agricole le plus productiviste, porté par la FNSEA et le syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA). Le 6 septembre, il a prononcé un discours lors de la manifestation « les terres de Jim », à Saint-Jean-d’Illac (Gironde), organisée par les Jeunes Agriculteurs, un salon de l’agriculture en plein air, à l’occasion du mondial du labour – l’antithèse absolue de l’agro-écologie soi-disant défendue par le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll.

« Je sais l’importance de mieux mobiliser la ressource en eau, cela a été dit avec beaucoup de force, déclare le premier ministre, après une pique lancée contre la réglementation européenne sur les nitrates (qui contraint notamment les éleveurs de porcs). C’est un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs. C’est pour cela que nous avons tenu bon à Sivens. Les travaux de ce barrage vont enfin commencer au terme de longues consultations et il s’agit là simplement d’appliquer le droit » (regarder la vidéo à partir de 8’56).

« Nous avons tenu bon à Sivens » : tout est dit dans cette phrase, l’obstination guerrière et le sentiment d’assiégé. Deux jours plus tard, Ségolène Royal nomme une mission d’expertise « pour favoriser le dialogue » (qui vient de rendre un rapport très critique sur la pertinence du barrage de Sivens).

Ce même jour, une journée de mobilisation unitaire est prévue sur place. Des militants se sont enterrés pour bloquer l’avancée des pelleteuses. Ben Lefetey, porte-parole du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, est le premier à arriver en voiture pour bloquer le passage. Il s’arrête devant les gendarmes mobiles. « Ils étaient très agressifs. Je fus le premier à me prendre des coups de matraque dans les jambes. Nous étions une centaine. Pourquoi appeler au dialogue et en même temps faire ça ? » s’interroge-t-il rétrospectivement. Tous les moyens étaient bons pour mettre fin à la contestation, en déduit-il aujourd’hui.

Les zadistes sont-ils des « casseurs » ? Apparemment, nombre de députés le pensent, qui ont salué l’intervention de Manuel Valls d’une salve d’applaudissements, lors des questions au gouvernement. C’est pourtant ne rien connaître à la réalité de ces mouvements. À Notre-Dame-des-Landes, au Testet, dans le Morvan, à Chambéry…, partout où elles éclosent, les ZAD ne se contentent pas de contester les grands projets d’équipement. Elles sont aussi des creusets alternatifs : des expériences de propriété collective, de démocratie directe, d’autogestion, de permaculture. Occuper un site pour y faire advenir un autre monde, des rapports sociaux plus égalitaires, une convivialité radicale...

Ce sont des formes de « politiques préfiguratives », à l’image des collectifs décrits par Isabelle Frémeaux et John Jordan dans leur beau livre Les Sentiers de l’utopie. C’est un trait commun avec le mouvement anglo-saxon des places : Occupy Wall Street, Oakland, ou l’université de Londres.

Ils partagent avec les opposants au projet de ferme des mille vaches (Somme) une critique acérée des grands équipements, qualifiés de « grands projets inutiles et imposés » (un forum européen contre les grands projets inutiles et imposés a vu le jour en 2011, réunissant Italiens, Allemands, Espagnols, Grecs, Français...), et plus particulièrement de l’industrialisation de l’agriculture. C’est une continuation des mouvements luddites, opposés à l’excès de technologies dans le travail, jusqu’à appeler au bris de machines. La référence au sabot, cette chaussure paysanne suffisamment solide pour bloquer un rouage et ainsi saboter une machine, est forte, par exemple, sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. La culture commune est celle de la désobéissance civile et de l’action directe. Des militants anars s'y retrouvent, pratiquant parfois des techniques de combats de rue de type black block. Mais ils y sont en minorité.

C’est aussi la défense d’une forme d’autonomie paysanne ou campagnarde, fondée sur le rêve de subvenir à ses besoins dans la frugalité. Autrement dit, une critique du matérialisme dominant, et de l’individualisme. Jusqu’à adopter un prénom collectif, unisexe, pour communiquer avec les médias, souvent regardés avec suspicion : « Camille ». On vit ensemble, on mange ensemble dans des cuisines collectives, on construit ensemble ses lieux de vie (cabanes, tipis, caravanes et roulottes retapées, yourtes lorsque l’on en a les moyens), on se réunit en AG et en commissions thématiques. On s’ancre dans un territoire – bocage nantais, zone humide tarnaise – que l’on arpente à pied et en vélo, auquel on finit par s’identifier. Sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, tapissée de terre gorgée d’eau, on se dit parfois « peuple de boue ».

Ce sont aussi des mouvements de jeunes, parfois mineurs, souvent autour de la vingtaine. Certain-e-s décident de s’y installer pour une longue période. Beaucoup y passent : en vacances, entre deux boulots, après un stage. Jeunes actifs, chômeurs et étudiants y croisent des punks à chien et des personnalités borderline. Ils ont en commun de se politiser en conflit avec la police et les gendarmes qui répriment ces mobilisations sans leaders ni organisations. Expérience qu’a lui aussi connue Rémi Fraisse, avant d’en devenir la victime.

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Corse: l'intouchable Paul Giacobbi

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Paul Giacobbi, député (PRG) et président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse (CTC), vit depuis deux ans sous la protection de deux policiers armés, 24 heures sur 24. Au rythme où tombent les notables dans l'île, le dispositif n'est pas près d'être levé. Deux de ses proches ont été assassinés : Dominique "Dumè" Domarchi, son fidèle conseiller, tué d'une décharge de chevrotine en mars 2011 ; puis Jean Leccia, en mars 2014, directeur général des services du conseil général de Haute-Corse (CG2B), que Paul Giacobbi avait recruté lorsqu'il présidait cette collectivité.

À chacun de ces événements dramatiques, le député a fait un discours, digne et émouvant, depuis son banc de l'Assemblée nationale. « Même s’il se dit que le crime perpétré à l’encontre d’un proche collaborateur, d’un élu fidèle et surtout d’un ami très cher, au soir d’une journée électorale, dans la maison même de la victime, sous les yeux de son épouse, pourrait être un avertissement qui me serait destiné, je ne changerai pas les habitudes d’une vie réglée et limpide », a-t-il ainsi déclaré au lendemain de l'assassinat de Dominique Domarchi, sous les applaudissements nourris de ses collègues.

À Paris, Paul Giacobbi, 57 ans, force l'admiration de ses pairs. On loue son courage, son intelligence, sa maîtrise des dossiers économiques et sa connaissance des affaires internationales — son épouse, indienne, est haut fonctionnaire à l'Unesco. Arrogant et donneur de leçons, certes, mais brillant.

Paul Giacobbi, député et élu local en Corse.Paul Giacobbi, député et élu local en Corse. © Reuters

En Corse, la musique est différente. Si personne n'ose s'exprimer publiquement, la question enfle : pourquoi le président passe-t-il au travers des gouttes de la justice ? Pourquoi n'est-il pas entendu par les policiers et les juges qui enquêtent sur les affaires politico-financières locales ? Pourquoi le conseil général de Haute-Corse, qu'il a présidé de 1998 à 2010, ne lui demande-t-il pas des comptes sur les marchés publics truqués et des détournements de subventions, présumés avoir eu lieu pendant son dernier mandat et visés par deux informations judiciaires ? Pourquoi ce silence gêné autour d'une fantomatique association des jeunes errants, dotée de près de 700 000 euros de subventions du CG 2B sous sa présidence, disparue aussi mystérieusement qu'elle avait vu le jour ?

Le 29 août dernier, dans Corse Matin, Jean-Michel Baylet, le président de son propre parti, le PRG, a osé briser l'omerta, citant un proverbe antillais : « Quand on veut monter sur le cocotier, il faut avoir les fesses propres. Comment peut-il se permettre de donner des leçons, lorsqu'on voit le nombre de procédures judiciaires et de perquisitions au conseil général de la Haute-Corse qu'il a présidé de longues années, ou encore le nombre d'assassinats dans son entourage immédiat ? Il ferait bien mieux de se regarder dans son miroir… »

Le conseil général de Haute-Corse est en effet visé par deux informations judiciaires. La première est en cours d'instruction à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille. C'est l'un des volets du tentaculaire dossier Guérini. La justice reproche au département d'avoir attribué des marchés publics à des sociétés dirigées par un membre de la famille de son ancien directeur des interventions sanitaires et sociales (DISS), Pierre Olmeta. Outre ce dernier, mis en examen pour favoritisme et détournement de fonds publics, deux proches de Paul Giacobbi, qui continuent de travailler à ses côtés, ont été mis en examen (pour complicité de détournement de fonds publics) par le juge Charles Duchaine, en 2010 et 2011 : son directeur de cabinet François-Dominique de Peretti, qui l'a suivi à la CTC, et son conseiller Augustin "Mimi" Viola. Dominique "Dumè" Domarchi avait lui aussi été mis en examen, quelques jours avant son assassinat.

Inconnus sur le continent, Dumè et Mimi ont joué un rôle clé dans l'accession au pouvoir de Paul Giacobbi, né et élevé en région parisienne, qui ne connaissait pas grand-chose à la Corse profonde avant de prendre la succession de son père au conseil général. Ces hommes de terrain, taiseux, incarnent sa part d'ombre. Ils étaient les seuls autorisés à entrer sans frapper, à toute heure, dans le bureau du président, à Bastia. Dumè inspirait la crainte, dans le rôle de ramasseur de voix dans les villages de l'intérieur, fief électoral de son patron.

Mimi Viola continue aujourd'hui, à la CTC, de recevoir les solliciteurs désireux d'obtenir emplois, logements, marchés ou subventions. Le passé trouble de cet ancien gérant de brasserie parisienne, considéré comme lié à la bande de la Brise de Mer (voir Les Parrains corses, de Jacques Follorou), n'a jamais ému Paul Giacobbi. Son influence s'est encore renforcée depuis que sa fille Vanessa a été recrutée comme assistante parlementaire du député, comme le révèle la déclaration d'intérêts de ce dernier à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Mimi Viola bénéficie, comme son patron, d'une protection rapprochée depuis la mort de son alter ego. C'est le conseil général qui finance ses frais d'avocats, dans le cadre de sa mise en examen pour les marchés publics. C'est la seule affaire judiciaire dans laquelle Paul Giacobbi a été entendu, à sa demande, par le juge d'instruction marseillais Charles Duchaine.

Dans la seconde affaire, celle des gîtes ruraux, révélée par L'Express en février 2012, il n'a pas été interrogé. Par contre, le CG 2B a accordé sa protection fonctionnelle aux cinq agents et élus mis en examen et ne s'est pas porté partie civile, malgré l'ampleur des sommes en jeu. Entre 2008 et 2010, 480 000 euros de subventions ont été versés pour la création de gîtes ruraux dans les villages de montagne, dont 90 % ont servi à financer des travaux dans les résidences privées de proches d'élus du département.

Une douzaine de personnes ont été mises en examen pour escroquerie ou abus de confiance, début 2013, par un juge d'instruction du TGI de Bastia. Parmi eux, Jean-Marc Domarchi, fils du conseiller assassiné : il a touché 45 000 euros pour la construction d'un gîte qui n'a jamais vu le jour, dans sa maison de Sant’ Andrea di Cotone. C'est d'ailleurs à la suite de ce crime que les comptes de la famille ont été épluchés et qu'un signalement Tracfin (la cellule anti-blanchiment de Bercy) a été transmis au parquet, conduisant à la mise au jour d'un véritable système de détournement d'argent public.

« Nous aurions voulu poursuivre nos investigations sur d'autres lignes de crédit du conseil général, comme les aides à la réfection de toits de lauze dans le Cap corse, mais nous n'y avons pas été autorisés », se souvient un policier chargé de l'enquête, qui s’exprime sous couvert d’anonymat pour des raisons de devoir de réserve. Autre frustration pour les enquêteurs, l'impossibilité d'interroger Paul Giacobbi. Dans un document que Mediapart s'est procuré (à consulter ici), le vice-procureur Benoît Couzinet avait pourtant proposé au directeur régional de la police judiciaire d’« entendre M. Giacobbi, ancien président du conseil général, sur l'ensemble des agissements révélés ». Le même jour, son supérieur hiérarchique, le procureur Dominique Alzeari, rectifiait le document transmis à la PJ de Bastia, supprimant le passage concernant l'élu le plus puissant de Corse. 

Les policiers bastiais se sont heurtés au même mur lors d'une autre affaire, pour emploi fictif cette fois, qui a abouti à la condamnation à trois ans de prison avec sursis d'Alexandre Alessandrini, président du PRG de Haute-Corse, le 17 juin 2014. Une ancienne collaboratrice d'élu avait été recasée en 2007 au CG 2B, où elle a émargé pendant plusieurs années sans y mettre les pieds et affectée, tout aussi fictivement, au service du PRG. Sur ce sujet, personne n'a jugé non plus utile de déranger Paul Giacobbi.

Le service central de prévention de la corruption, sollicité par le parquet de Bastia, avait pourtant rendu un avis dans ce sens. Dans une lettre confidentielle, en date du 12 avril 2012, que Mediapart s'est procurée (à consulter ici), son président François Badie estimait que les faits pourraient conduire, « sous réserve de son audition, à la mise en cause de Monsieur Paul Giacobbi, président du conseil général de Haute-Corse pendant toute la période d'emploi de Mme L. pour des faits de détournement de fonds publics ». Et puis, rien.

Quelle bonne fée veille donc sur l'homme fort de l'île de Beauté ? Son amitié, ancienne et fidèle, avec la ministre de la justice Christiane Taubira, pourrait-elle expliquer la bienveillance à son égard ? Tous deux ont longtemps appartenu au même parti et siégé côte à côte sur les bancs de l'Assemblée nationale, jusqu'à ce que Christiane Taubira quitte le PRG, au lendemain de sa cuisante défaite à l'élection présidentielle de 2002.

« Il est le seul avec qui j'ai plaisir à boire un chocolat à la buvette de l'Assemblée, déclarait-elle à L'Express en 2010. Je suis allée souvent en Corse où, grâce à Paul, j'ai obtenu un score magnifique à l'élection présidentielle de 2002. » Leur proximité est telle qu'ils ont partagé, de 2002 à 2012, la même collaboratrice parlementaire, Anne-Marie Vignon, ancienne responsable de la communication du conseil général de Haute-Corse. Depuis septembre 2012, Anne-Marie Vignon a réintégré le bureau de Paul Giacobbi, après un passage éclair au cabinet de la garde des Sceaux.

La ministre de la justice Christiane Taubira.La ministre de la justice Christiane Taubira. © Reuters

Christiane Taubira, restée lors du dernier remaniement gouvernemental alors que certains la donnaient partante, a bénéficié du soutien sans faille de son ami corse. Ce dernier est monté au créneau, avec une violence insoupçonnée, contre son propre camp, lorsque Jean-Michel Baylet, le président du PRG, a menacé de retirer ses trois ministres du gouvernement s'il n'obtenait pas satisfaction à propos du projet de réforme territoriale (Baylet réclame le maintien des conseils généraux dans les départements ruraux, à commencer par celui qu'il préside, le Tarn-et-Garonne).

Le 27 août, Paul Giacobbi a publié sur son blog un article titré « Retenez-moi ou je fais un malheur », illustré par une photo en noir et blanc de Bernard Blier en tonton flingueur. Il s'y moque ouvertement des rodomontades de Jean-Michel Baylet et réaffirme, une fois de plus, son soutien enthousiaste à « Christiane Taubira, la figure emblématique de ce parti ». C'est cette charge qui lui a valu la réplique cinglante du président du PRG, avec le proverbe du cocotier.

Un autre dossier, dont Mediapart dévoile ici la teneur, devrait logiquement éveiller la curiosité de Nicolas Bessone, le nouveau procureur de Bastia. Il s'agit d'un possible détournement de fonds publics, par le biais de subventions à une mystérieuse association des jeunes errants (ADJE 2B), fondée en 2008 à Bastia et liquidée en 2013. Cette structure a bénéficié, pendant trois ans, de généreuses aides du conseil général, brutalement interrompues après le départ de Paul Giacobbi pour la CTC : 176 000 euros en 2008, 205 000 euros en 2009, 306 000 euros en 2010. Nul ne se doutait qu'il puisse y avoir anguille sous roche jusqu'à ce qu'en avril 2012, le président (PRG) du conseil général Joseph Castelli explique en séance que « la situation de cette association paraît préoccupante, sachant que tout ou partie des subventions n'ont pas été justifiées par la remise de comptes certifiés et de rapports d'activité suffisamment précis ».

Certains conseillers ont alors cherché à en savoir plus. L'un d'eux, qui tient à rester anonyme, a découvert que le fondateur et trésorier de l'association, Alain Olmeta, était le frère de Pierre, mis en examen dans l'affaire des marchés publics ; que l'association était un copié-collé d'une association existant à Marseille ; et surtout, que  « des enfants errants, on n'en voit pas souvent traîner dans les rues des villes et des villages corses ». « J'ai de sérieux doutes sur la réalité de l'action de cette association. À quoi cet argent a-t-il été utilisé ? » s'interroge cette source.

Ni Alain Olmeta, ni Joseph Castelli n'ont donné suite à nos demandes de précisions. Noëlle Graziani, jointe par téléphone, minimise son rôle : « Je me suis retrouvée présidente malgré moi. C'est le Cortenais Pierre Ghionga, conseiller général (PRG) de Haute-Corse, qui m'a mise en lien avec Alain Olmeta. Ils ne trouvaient personne, alors j'ai accepté. Nous avions une réelle activité, avec des locaux à Bastia, une secrétaire et deux travailleurs sociaux. » Paul Giacobbi, non plus, n'a pas souhaité répondre à nos questions. La justice sera-t-elle plus curieuse cette fois ?

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Sciences-Po Aix: le directeur tente d'étouffer le scandale

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Une centaine d’étudiants ont réclamé, mardi 28 octobre, le départ de Christian Duval, directeur de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, en allant scander sous ses fenêtres son mot d’ordre favori : « Rigueur, respect, responsabilité ». Depuis les révélations de Marsactu et Mediapart sur la politique de développement et d’externalisation des masters de Sciences-Po Aix, les interrogations sur sa gestion ne cessent de grandir.

Le 28 octobre, une centaine d'étudiants de l'IEP d'Aix ont réclamé le départ de son directeur.Le 28 octobre, une centaine d'étudiants de l'IEP d'Aix ont réclamé le départ de son directeur. © Jean-Marie Leforestier (Marsactu)


Pour Christian Duval, qui dirige Sciences-Po Aix depuis 2006, le grand oral aura lieu ce jeudi 30 octobre à Paris. Il doit rencontrer Simone Bonnafous, la directrice générale de l'enseignement supérieur, avant de s’expliquer devant les directeurs des six autres IEP régionaux qui ont menacé d’exclure Aix du concours commun d’entrée en première année. À la veille de ce rendez-vous, Christian Duval a fini par admettre sur le site intranet de l’IEP l’ampleur des partenariats noués avec des organismes de formation privés, confirmant point par point nos informations.

Plusieurs documents internes ont été publiés in extremis mercredi soir sur cet espace numérique à destination des étudiants et du personnel, dont 14 lettres de résiliations de partenariat, pour certaines envoyées le jour même. Selon les chiffres ainsi dévoilés, c’est bien autour du master de management de l’information stratégique (MIS), décliné en de multiples parcours non soumis à habilitation, que s’est développé un système exponentiel de marchandage et de sous-traitance de diplômes d’État.

D’après le bilan social déjà en notre possession, le nombre d’étudiants inscrits en master 2 à l’IEP aurait plus que triplé entre la rentrée 2011 et 2013, passant de 174 à 618 étudiants. Cette progression fulgurante est essentiellement due à ce master MIS, jusqu’alors dirigé par Stéphane Boudrandi, un consultant nommé directeur adjoint de l’IEP en 2013 (il a depuis été rétrogradé).

Selon les chiffres dévoilés mercredi soir, sur 534 étudiants inscrits en 2013-2014 dans ce master, 389 ont en fait été formés « hors les murs » dans des organismes privés, dont les tarifs annuels peuvent grimper jusqu’à 23 700 euros (pour Wesford Université Genève). À lui seul, le groupe IGS, qui fédère plusieurs écoles privées, a commercialisé le label « Science-Po Aix » auprès de 316 étudiants en 2013-2014.

Lors de notre rencontre, le 19 septembre, Christian Duval, dont l’épouse est responsable administrative et financière de l’IEP, avait minimisé ces externalisations. Il préférait citer le nombre de diplômés en 2014 : « 200 étudiants extérieurs pour 280 étudiants en interne ».

Les documents publiés mercredi soir confirment également que la plupart des étudiants du master MIS n’ont jamais croisé un seul enseignant-chercheur de Sciences-Po Aix. Selon le détail des enseignements délivrés, seules 18 heures de cours ont été assurées par un universitaire “permanent” de l’IEP en 2013-2014. Et zéro en 2012-2013… Ce au mépris des exigences de l’université d’Aix-Marseille (AMU) qui délivre les diplômes de l’Institut. Une charte adoptée en octobre 2013 prévoit qu’a minima « 50 % des heures étudiantes seront assurés par des enseignants d’AMU dans le cadre de chaque année de formation délocalisée ».

Certaines lettres de résiliation concernent des partenariats dont le directeur de l’IEP niait jusqu’alors l’existence. Le 19 septembre, il nous avait par exemple assuré qu’il n’y avait jamais eu de convention avec l’université professionnelle d’Afrique (UPA), pas plus qu'avec un réseau d’écoles de management dépendant du groupe IGS, l’institut Masnaoui au Maroc ou encore avec la chambre de commerce de l’île Maurice.

Ces lettres de résiliation mettent également au jour des accords jusqu’ici méconnus avec la Chine, l’Arménie et une myriade d’organismes privés en France pour certains récemment créés. Le master MIS a été décliné à toutes les sauces, très loin de son habilitation et du cœur de métier de l’IEP. On découvre ainsi qu’un centre de formation privé parisien, l’EFE, commercialise ce diplôme avec le label « Sciences-Po Aix» sous le nom de « master en gestion fiscale de l’entreprise » (dirigé par Christian Duval lui-même selon sa plaquette). Véritable couteau suisse, le master MIS sert également à l’IEP pour diplômer des élèves de l’école des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN) de Melun, après des cours de « correspondance », « renseignement », « gestion de crise », ou « commandement et exercice de l’autorité ». En interne, étudiants et personnels sont stupéfaits par l’ampleur du développement tous azimuts de l’institut.

Le directeur de Sciences-Po Aix a donc partiellement mis fin à la logique de mensonge et de dénégation dans laquelle il s’était enfermé depuis des semaines. À plusieurs reprises depuis fin septembre, les directeurs des autres IEP régionaux ont réclamé à Christian Duval des données aussi basiques que la liste des partenariats privés de l’Institut ou le nombre d’étudiants extérieurs inscrits en master, sans les obtenir. Dans un courrier du 23 octobre 2014, ils accusent par ailleurs Christian Duval d’avoir distillé des « informations erronées » en interne et auprès des médias.

Cette opacité a aussi fait capoter l’audit interne confié cet été à deux professeurs de l’IEP, le démissionnaire André Cartapanis et Guy Scoffoni, un soutien de Christian Duval. Les deux universitaires avaient listé les documents nécessaires. Le 30 septembre, ils ont déchanté quand il leur a été remis des cartons en pagaille avec des chemises numérotées mais pour beaucoup vides. Manquaient la plupart des pièces les plus importantes dont les conventions avec des organismes privés à l’étranger. Les deux enseignants-chercheurs ont alors refusé de poursuivre l’inspection qui a depuis été confiée au service d’audit interne de l’université d’Aix-Marseille.

Composée d’un inspecteur de l’éducation nationale, un chef de service d’audit d’université, une responsable du crédit municipal de Marseille et un ancien agent comptable d’université, c’est cette commission qui a finalement contraint Christian Duval à produire la documentation nécessaire. La pression interne a également joué son rôle au cours de plusieurs semaines marquées par les protestations des enseignants-chercheurs démissionnaires, puis d’anciens et d’actuels étudiants ainsi que des doctorants, dont le point d’orgue aura été la manifestation du 28 octobre.

Entre-temps, Christian Duval a trouvé des soutiens de poids, embarqués de fait aujourd’hui dans ses mensonges. En visite à Marseille le 28 octobre, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem l’a plutôt encouragé. « Il y a un équilibre à trouver pour ne pas être trop tiré vers la privatisation. Mais le directeur de Sciences-Po Aix en a conscience et est en train de travailler sur le sujet, donc je lui laisse le temps d’y travailler pour rééquilibrer si besoin », a-t-elle déclaré en conférence de presse.

Christine Lagarde, qui préside le conseil d’administration de Sciences-Po Aix, a mis tout son poids de directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) dans la balance. Devant témoins, elle a apporté son soutien à Christian Duval le 23 octobre lors d’une visite dans ses locaux. Le vice-président Patrick Ollier, député-maire UMP de Rueil-Malmaison, est lui aussi monté au créneau, dans Le Monde, pour défendre Duval : « Le directeur a pris les décisions rapides et pertinentes qui s'imposaient », a-t-il affirmé le 11 octobre.

Elu directeur de l'IEP en 2006, Christian Duval est professeur des universités, agrégé en droit public. Elu directeur de l'IEP en 2006, Christian Duval est professeur des universités, agrégé en droit public. © LF

L’exercice soudain de transparence entrepris par Duval a ses limites. D’abord parce que l’accord avec les écoles du groupe IGS n’est pas encore tombé. C’est pourtant le plus gros avec 316 étudiants inscrits pour la seule année 2013-2014. Le courrier de résiliation envoyé par Christian Duval évoque un arrêt au 1erseptembre 2015. Mais sa valeur pourrait bien être nulle. Faute d’avoir arrêté les frais avant le 27 septembre, date anniversaire de la convention, Christian Duval a selon les termes de celle-ci laissé se relancer un accord pour trois années supplémentaires, engageant l’IEP jusqu’en 2018 !

Le maintien du partenariat avec IGS n’a rien d’anodin puisqu’il s’agit en fait d’une convention à tiroirs, l’IGS regroupant de nombreuses écoles de management à travers toute la France. Le plus grand flou entoure ces partenariats. Leurs étudiants, laissés sans information, en sont les premières victimes. « Nous sommes 60 à avoir terminé notre formation, on est sur le marché de l’emploi mais nous n’avons reçu aucun diplôme, détaille un étudiant de l’ICD International School of Business, une des antennes de l’IGS. On ne nous dit rien. On a une carte d’étudiant de Sciences-Po, la formation en alternance a coûté à nos entreprises 11 000 euros dont 1 000 versés à Sciences-Po et on n'a aucune nouvelle. On est très inquiets. »

Certaines structures éconduites risquent fort de s’estimer lésées et de se retourner contre l’IEP. « Les rentrées ont lieu le 21 octobre prochain et concernent près de 80 stagiaires, a réagi le 13 octobre dans un communiqué le Cesi. Si, comme il est dit dans la presse, Sciences-Po Aix envisage de mettre un terme à ce partenariat, les conséquences seront extrêmement dommageables pour l’ensemble de ces stagiaires et leurs entreprises. » La menace de poursuites est à peine voilée. « Toute convention peut être arrêtée pour un motif d’intérêt général », veut rassurer Didier del Prête, maître de conférences en droit à Sciences-Po et avocat dans un cabinet aixois où le professeur de droit public Christian Duval intervient comme « consultant universitaire ».

Au fil de nos investigations, c’est un véritable « IEP bis » dénoncé en juillet dans sa lettre de démission par l’un des enseignants qui semble se dessiner. On découvre ainsi que l’IEP d’Aix avait prévu de créer un cursus complet en Chine sous la houlette de Stéphane Boudrandi. Aix s’accaparait au passage l’étiquette « Sciences-Po Chine » au nez et à la barbe des autres IEP. Ce qui a rendu leurs directeurs furieux. Ce partenariat « au delà de son intérêt financier sans doute indéniable porte en effet très directement atteinte aux démarches engagées par ailleurs de sécurisation de la marque commune et fragilise les discussions conduites dans ce cadre avec Sciences-Po Paris », écrivent-ils dans un courrier adressé le 23 octobre 2014 à Christian Duval.

Sur le papier, tel que présenté au conseil d’administration en avril 2014, le projet est ambitieux et semble plutôt valoriser l’institution aixoise : il est alors évoqué « un partenariat avec les plus grandes universités chinoises ». En coulisses pourtant, ce sont des organismes de formation privés qui sont à la manœuvre dont l’IEAM (Bac +3), une école de management créée par Jean-Marie Peretti, un professeur d’université partie prenante de nombreux partenariats déjà connus. Richard Delaye, cadre à l’IGS avec lequel Christian Duval avait juré lors de notre entretien ne plus travailler, opère lui aussi dans cette aventure asiatique.

Dans une lettre de mission visant à développer à Pékin des "doctorate in business administration" (DBA) à 43 000 euros l’année, Richard Delaye apparaît comme le représentant désigné de "Sciences-Po Chine". L’adresse de cette antenne, indiquée en bas du courrier, n’est autre que celle de l’IEAM, l'institut des études d’administration et de management basé à Paris. Mais, s’il entretient sciemment la confusion avec un doctorat français et ses thèses consistantes, ce "DBA" en deux ans n’a que l’apparence d’un diplôme d’État.

Sur son site (aujourd’hui inaccessible), le centre de formation en intelligence économique et sociale de Sciences-Po Aix, créé par Stéphane Boudrandi, l’admettait lui-même en 2008 : « Le label britannique AMBA (Association of MBA's) est un label qui concerne les Doctorates in Business Administration (DBA), il évalue les programmes selon des critères précis de qualité pédagogique et de gouvernance. (...) Ces labels n'ont aucune valeur officielle. Ce sont des accréditations accordées par des organisations non-gouvernementales et indépendantes dont l'unique but est de valoriser les écoles de commerce et les programmes qui répondent à des critères de qualité bien définis. » À la manœuvre en Chine, Delaye est également présent dans de nombreux partenariats à l’étranger de l’IEP, de l’université professionnelle d’Afrique à Kinshasa dont il est le doyen, au groupe IGS où il dirige la recherche.

On peut s'interroger sur la manière dont cet IEP parallèle a pu prospérer aussi longtemps. L’enseignante-chercheuse en charge du master MIS à sa création, avec qui nous nous sommes entretenus, dit avoir été écartée après s’être étonnée d’inscriptions parallèles dans sa formation.

En interne, de nombreuses questions restent en suspens. Elles visent notamment la considérable enveloppe de primes (passée de 234 000 à 296 000 euros en 2013), la multiplication récente d’embauches et l’augmentation de certains frais. Les doutes concernent la sincérité de Christian Duval dont les versions n’ont cessé d’évoluer. Avant l’audit d'AMU, un toilettage a ainsi été effectué sur le site de l’IEP.  Plusieurs plaquettes des masters de l’IEP dirigés par des non-universitaires ont été modifiées dans la nuit du 22 au 23 octobre. Le nom de Stéphane Boudrandi, jusqu’alors responsable du master MIS, a ainsi disparu de la plaquette du master star de l’IEP pour être remplacé par celui de Christian Duval. Voici la version avant et après.

Lors de notre rencontre, Christian Duval nous avait affirmé que le responsable scientifique du master était Pierre Dantin, un professeur de la faculté de sports de l’université Aix-Marseille. Ce dernier avait démenti. Dans les documents remis à la commission d’audit d'AMU, la direction de l’IEP sort de son chapeau une troisième version. Le master serait coordonné « gratuitement » depuis 2012 par un « maître de conférences en sciences de gestion, titulaire d'une habilitation à diriger les recherches, et chercheur publiant au centre d'études et de recherche en gestion d'Aix-Marseille » qui a fondé en 2009 « l'observatoire des pratiques et usages d'intelligence économique dans les administrations et les entreprises françaises ». Le document ne cite aucun nom, mais il s’agit vraisemblablement de Serge Amabile. Ce maître de conférences a publié plusieurs articles scientifiques avec Stéphane Boudrandi.

Au cours de cette grande révision, Sciences-Po Aix a publié un nouvel organigramme où Stéphane Boudrandi n’occupe plus ni les fonctions de directeur adjoint, ni celles de directeur du développement. Mais il apparaît toujours comme responsable du master en management de l’information stratégique...

Ce nettoyage du réseau n’efface pourtant pas la réalité des dérives. Dans son courrier aux étudiants publié sur l’intranet mercredi soir, Christian Duval écarte sa propre démission. « Nous avons des partenaires puissants et attentifs et de hautes personnalités ont le souci de notre devenir, justifie-t-il. Il serait trop simple et injuste de balayer ce que nous avons construit ensemble, dont une large partie n’est pas en cause dans les événements récents. Il est de ma responsabilité de préserver les intérêts de l'IEP et je ne peux quitter ce navire à l'heure actuelle car je n’imagine pas l’IEP placé sous tutelle. Elle porterait atteinte à sa réputation et laisserait, pour de longs mois, notre institution dans l’incertitude et nos diplômes interrogés. Ma trajectoire, mes combats, mes engagements s’y refusent. »

Son entourage s’attache à minimiser son rôle. « Il est paumé, sur les rotules. Il a été dépassé parce qu’il n’a su dire non à personne », assure son directeur de la communication, l’ex-journaliste Hervé Nédélec, qui nous a soigneusement tenus à l’écart d’une conférence de presse de Christian Duval, ce 28 octobre.

L’argumentaire suffira-t-il à convaincre le ministère et les autres patrons d’IEP ce jeudi ? Au-delà de la responsabilité du directeur de l’IEP, qui avait été alerté sur la prolifération de ces partenariats, pourquoi aucun des garde-fous n’a-t-il fonctionné ? Le conseil d’administration et sa présidente Christine Lagarde n’ont-ils pas fait preuve de négligence ? Pourquoi l’université d’Aix-Marseille, seule entité habilitée à délivrer des diplômes – un droit délégué à l’IEP –, ne s’est-elle pas inquiétée de leur soudaine démultiplication ? Le prochain rapport de la Cour des comptes, qui examine la gestion de l’IEP depuis plusieurs mois, pourrait apporter quelques réponses.

Mediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

BOITE NOIREMediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

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Les arrangements d'une procureure et d'un maire UMP

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Le 11 avril dernier, les enquêteurs de la section de recherches de la gendarmerie de Toulouse perquisitionnent la mairie de Tarbes (Hautes-Pyrénées) pour la troisième fois en cinq mois. L’affaire est grave : la collectivité et son maire, Gérard Trémège (UMP), sont depuis plus d’un an dans le viseur de la justice, qui soupçonne l’existence d’un vaste système de trucage de plus de deux cents marchés publics. Mais une fois de plus, la perquisition ne donne rien. Les pandores font chou blanc. Les notes manuscrites ont disparu, pas un seul papier volant sur les bureaux, ni dans les corbeilles. Seuls restent en place les documents officiels et, pour les gendarmes, une sale impression de ménage qui a été fait.

Les enquêteurs doivent alors se rendre à l’évidence : depuis le début, cette affaire, qui a donné lieu à l'ouverture en juin 2013 d'une information judiciaire au tribunal de Pau pour « prise illégale d'intérêts », « favoritisme », « détournements de fonds publics » et « blanchiment » visant le maire de Tarbes, semble hantée par de mauvais esprits. 

Gérard Trémège, le maire de TarbesGérard Trémège, le maire de Tarbes © Reuters

L’explication est peut-être à trouver dans les conclusions d’un rapport de la gendarmerie, daté du 25 mars 2014, et remis à la juge d’instruction de Pau en charge de l’affaire, Isabelle Ardeff. Mediapart a pu avoir accès à ce document explosif, qui en dit long sur certaines dérives au sein de la magistrature et sur les collusions qui peuvent miner des procédures entières.

Dans ces quelques pages, les enquêteurs font état de l'incroyable ingérence de la procureure de la République de Tarbes dans une enquête dont elle n’est même plus saisie, puisque dépaysée, comme la loi l’autorise, à Pau après une enquête préliminaire à Tarbes – les deux villes sont situées à une trentaine de kilomètres l’une de l’autre. Le contenu du procès-verbal, rédigé par un adjudant de la gendarmerie à partir d’écoutes téléphoniques, est accablant pour la procureure Chantal Firmigier-Michel. Le document relate ainsi ses différentes interventions, sous des formes très diverses, dans le dossier qui menace le maire de sa ville, dont elle apparaît proche.

Le gendarme retranscrit d’abord des conversations interceptées sur le téléphone portable de Gérard Trémège, avant de conclure : « Au regard des investigations, il semblerait que des communications pourraient avoir lieu entre Roger-Vincent Calatayud, adjoint au maire [de Tarbes – ndlr], et Chantal Firmigier, procureur de la République de Tarbes, sur des points de l'enquête en cours, afin que les renseignements recueillis soient communiqués directement à Gérard Trémège. »

Les enquêteurs font également état noir sur blanc d’une étrange anecdote, qu’ils ont eux-mêmes vécue avec la magistrate. Le 27 novembre 2013, alors qu’ils rencontrent la procureure de Tarbes au sujet d’une tout autre enquête en cours, cette dernière aborde l'affaire Trémège dont elle n’est pourtant plus saisie. « Au cours de la conversation, la procureure de la République de Tarbes tente d'obtenir quelques informations sur le dossier de la mairie de Tarbes, impliquant Gérard Trémège », note, incrédule, le gendarme dans son rapport.

Il y a pire. Les écoutes téléphoniques révèlent que la procureure a utilisé « des moyens policiers » (captation vidéo et envoi d'équipage policier sous son autorité) pour identifier et pister les gendarmes. Lors d'une conversation entre le maire de Tarbes et l’un de ses adjoints, Roger-Vincent Calatayud, interceptée le 13 décembre 2013, les propos tenus par le second ne laissent guère de place au doute au sujet de cette enquête policière parallèle : « C'est nous, par l'intermédiaire du procureur de la République [de Tarbes – ndlr], qui avons envoyé un équipage de la police nationale », se vante l’adjoint.

Il se trouve que cette conversation entre les deux élus se déroule précisément quatre jours après une descente de gendarmes dans plusieurs commerces de Tarbes, dans le cadre de l’enquête sur les marchés truqués. Informée par l'adjoint au maire, la procureure a donc cherché, selon les écoutes, à identifier quels étaient les enquêteurs qui s'étaient rendus dans la ville, allant jusqu'à mobiliser la police nationale pour enquêter sur leurs collègues de la gendarmerie… Du jamais vu.

L'adjoint va même jusqu’à détailler fièrement auprès de son patron la descente bis des policiers, dans le dos des gendarmes : « La police est arrivée en disant : “Voilà sur ordre du procureur de la République, nous venons vous demander qui est venu ?” »

Chantal Firmigier-Michel, la procureure de Tarbes.Chantal Firmigier-Michel, la procureure de Tarbes. © DR

La procureure se fait aussi fort, toujours selon les écoutes, de donner des conseils aux élus mis en cause s'agissant des astuces légales envisageables pour obtenir l’identification des gendarmes qui les importunent. La retranscription de l’écoute vaut le coup d’œil :

— L’adjoint : « Alors, elle me dit : “Moi, je conseille au maire, mais il ne faut pas que ça soit dit, je conseille au maire de dénoncer cette situation au DDSP (directeur départemental de la sécurité publique – ndlr)” et que, voilà, que (avec les vidéos) on peut savoir qui c'est, si on connaît la date et l'heure à laquelle ces personnes (les gendarmes) sont allées, on peut éventuellement les rechercher sur les caméras de vidéo. »
— Le maire : « Ah, excellent ! »
— L’adjoint : « Je lui ai dit : “Mais si on dénonce, est-ce que tu peux demander l'extraction ?” Elle dit : “Évidemment. S’il y a une enquête qui est en cours, l'autorité judiciaire peut demander l'extraction et on peut voir exactement qui est rentré et à quelle heure et qui sont ces gens-là. Et on va vite les récupérer.” »
— Le maire (décidément ravi) : « Excellent ! »

Contacté par Mediapart, le propriétaire du bar Le Régent, l’un des commerces tarbais visités par les gendarmes, a confirmé l’existence d’un étrange ballet policier après la visite des gendarmes : « Un officier de la police nationale, un gradé, est passé deux ou trois jours après les gendarmes. Il m'a demandé sur quoi ils enquêtaient, ce qu'ils m'avaient demandé, ce que j'avais répondu. C'était informel, il n'a pris aucune note. » 

De fait, ces derniers mois, plusieurs événements ont montré que Gérard Trémège est un peu trop bien informé sur le contenu d’un dossier auquel il n’a pas accès légalement. Le 21 septembre 2013, lors d’une conférence de presse à l’hôtel de ville, le maire de Tarbes a ainsi évoqué le contenu d’un rapport de synthèse des gendarmes et les faits qui lui sont reprochés, alors qu’aucune information n’avait été rendue publique par la justice à ce stade.

Précision utile : à cette période, cela ne faisait que quelques semaines que l’enquête n'était plus sous l’autorité de la procureure Firmigier-Michel (voir "Boîte noire"). Dénonçant alors une « machination purement politicienne », le maire n’a pas hésité pas à dérouler devant les journalistes les prochaines étapes de l’enquête : « La machine est lancée. Courant octobre, il va y avoir des interrogations de chefs d'entreprise, de personnes travaillant avec moi et de moi-même. »

Contacté afin de réagir à nos informations, Gérard Trémège a eu pour seule réponse : « Allez vous faire foutre, Mediapart ! Vous sortez des informations truquées et mensongères. Allez vous faire foutre (bis) ! »

À la tête de l'agglomération du Grand Tarbes de 2008 à 2014, réélu maire sans discontinuer depuis 2001 et président du groupe UMP au conseil régional de Midi-Pyrénées, Gérard Trémège a su tisser un réseau puissant dans la région.

Les gendarmes qui enquêtent sur lui en sont donc certains : l’élu était informé de tous leurs faits et gestes, y compris de perquisitions à venir. Mais en plus des agissements de la procureure de Tarbes, ils soupçonnent aussi des fuites en interne, et au plus haut niveau. « Nous avons lancé des fausses pistes pour savoir d'où venait la fuite et nous sommes remontés jusqu'à la source, un gradé », confie, sous le sceau de l’anonymat, un enquêteur.

L’affaire n’a provoqué à ce jour aucune sanction au sein de la magistrature. Si la nouvelle procureure générale de Pau, Blandine Froment, s’est tout de même résolue à convoquer en juillet dernier sa consœur de Tarbes pour obtenir des explications sur ces fuites à répétition au profit du clan Trémège, cela n’a donné aucune suite. Contactée, la procureure générale fait la tortue romaine et défend sa collègue : « C'est un tissu de bêtises, la procureure a mené l'enquête préliminaire puis s'est dessaisie au profit du parquet de Pau. Il s'agit d'une rumeur et d'un règlement de comptes entre gens. » Lesquels ? Mystère.

Après la publication de notre enquête, le ministère de la justice a pour sa part fait savoir, vendredi 31 octobre vers midi, que, d'après l'analyse de la procureure générale de Pau, il n'existait pas « d’éléments probants justifiant des poursuites disciplinaires à l’encontre de la procureur de la République de Tarbes ». En fin de journée, Europe 1 a finalement annoncé l'ouverture d'une enquête de l'Inspection générale des servces judiciaires, décidée par la ministre de la justice Christiane Taubira. 

Quant à la principale intéressée, Chantal Firmigier-Michel, elle n’a pas retourné nos appels. Les questions, pourtant, ne manquaient pas.

Ainsi, dans un autre dossier impliquant Gérard Trémège sur une fraude à l’URSSAF s’élevant à 300 000 euros – officiellement à la retraite, il poursuivait une activité de commissaire aux comptes dans une dizaine d'entreprises –, la procureure de Tarbes a également fait des miracles. Cette fois, la magistrate avait toute autorité sur le dossier, puisque sous le statut d’enquête préliminaire. Après la rédaction d’un rapport de synthèse daté du 20 juin dernier accablant l’édile, les gendarmes ont réclamé des perquisitions et l’audition de l’élu. Résultat ? En septembre, la section de recherches de Toulouse, décidément un peu trop curieuse, a été dessaisie du dossier.

BOITE NOIREACTUALISATION - Cet article a été actualisé, vendredi 31 octobre à 13 heures, après la réaction du ministère de la justice. Il a été de nouveau actualisé à 17 heures après l'annonce, par Europe 1, de l'ouverture d'une enquête de l'Inspection générale des services judiciaires, décidée par le ministère de la justice.

Par ailleurs, dans une première version de cet article, il était indiqué que l'enquête sur les marchés truqués de Tarbes était sous l'autorité de la procureure Chantal Firmigier-Michel en septembre 2013. Elle s'est officiellement dessaisie du dossier, en juin 2013, au profit du parquet de Pau, qui ne l'a cependant récupéré concrètement qu'en septembre de la même année.

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Barrage de Sivens: les dérives d'un socialisme de notables

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Vendredi 31 octobre, les conseillers généraux du Tarn, tenu par le PS, devaient décider du sort réservé au barrage de Sivens, sur le chantier duquel le jeune Rémi Fraisse a été tué ce week-end par une grenade offensive qu'avaient lancée les gendarmes. Ils ne se sont pas déjugés. Ils ont « pris acte de l'impossibilité de poursuivre toute activité liée au déroulement du chantier sur le site de Sivens ». Et renvoyé la balle dans le camp de l'Etat, qui organise mardi prochain une réunion de crise sous la houlette de Ségolène Royal, la ministre de l'écologie.Sans renoncer explicitement au barrage. Pour cause: ce projet aujourd'hui contesté et remis en cause, ils l'ont toujours soutenu.

Le 17 mai 2013, les élus de gauche (majoritaires) et de droite l'avaient approuvé par 43 voix sur 46. À l'époque, seuls trois élus avaient voté contre : Jacques Pagès (divers gauche) et deux communistes, Roland Foissac et Serge Entraygues, qui réclament aujourd'hui l'abandon du projet.

Dans les années 1990, il en était déjà question pour stocker l'eau et aider les exploitations agricoles dans le bassin-versant du Tescou, cette partie pauvre du département. Le récent rapport des experts du ministère de l'écologie pointe une série de dysfonctionnements : des besoins en eau surévalués (le nombre d'exploitants bénéficiaires serait de 30 à 40, pas 81 comme l'affirme le conseil général), une étude d'impact insuffisante, un plan de financement « fragile », etc. Malgré le drame, la majorité des élus locaux campent sur leurs positions : suspendre le chantier, d'accord. Le redimensionner comme le suggère le rapport d'experts ? Peut-être. Mais l'arrêter comme le demandent les écologistes, pas question. « Il n'est pas possible que des gens violents imposent leur décision à tous les autres », assure dans Le Monde le président du conseil général, Thierry Carcenac, qui en a fait une affaire personnelle.

« Si on cède à 200 personnes aujourd'hui, on ne pourra plus construire d'autoroutes en France », tempête Jacques Valax, député PS, lui aussi élu départemental. L'opposition locale est sur cette ligne, comme les responsables nationaux de la FNSEA, le premier syndicat agricole, connu pour sa défense d'un modèle productiviste. « Ce barrage est primordial pour les agriculteurs et s'il est arrêté, définitivement, c'est la mort d'une vallée », menace Jean-Claude Huc, président de la chambre d'agriculture du Tarn, administrateur de la FNSEA. Dans Le Figaro, le président de la FNSEA, Xavier Beulin, s'en est violemment pris aux activistes anti-barrages, accusés d'être des « djihadistes verts ».

Le Tarn, terre de gauche imprégnée de socialisme et de radicalisme, fut la patrie de Jean Jaurès, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort. Le fondateur de L'Humanité y fut d'abord professeur de philosophie, puis élu en 1893 député de Carmaux, en pleine grève des mineurs. Par fidélité au fondateur de la SFIO, l'ancêtre du PS, c'est à Carmaux que François Mitterrand lança sa campagne présidentielle en 1980. Depuis la décentralisation de 1982, le conseil général a toujours été à gauche, dirigé par le PS avec le soutien des radicaux de gauche.

Dans ce fief rose, c'est aujourd'hui un socialisme gestionnaire, de plus en plus contesté dans les urnes, qui est aux manettes. C'est là sans doute une clé d'explication de l'entêtement de Thierry Carcenac, président du conseil général, à soutenir un barrage à l'intérêt discutable, puis à en lancer les travaux malgré la contestation d'occupants toujours plus nombreux au cours des derniers mois et malgré les nombreux recours en justice encore en cours d'examen. Combiné à une forte présence des gendarmes, ce jusqu'au-boutisme a contribué à tendre la situation sur place.

Il y a une semaine, Carcenac, 63 ans, était un parfait inconnu dans la politique française. Jusqu'à la mort de Rémi Fraisse et cette déclaration qui a choqué : « Mourir pour des idées, c'est une chose, mais c'est quand même relativement stupide et bête. »


Thierry Carcenac est l'incarnation du grand baron local, réélu à tout coup. Issu d'une famille modeste, il a exercé à peu près tous les mandats qu'offre la République. Il est élu la première fois en 1976 – conseiller municipal de Lescure-d’Albigeois. Puis trois ans plus tard au conseil général (canton d'Albi Nord-Est), dont il est alors le benjamin. Depuis trente-cinq ans, il n'a jamais quitté les bancs de l'assemblée départementale. En 1992, il succède à la présidence à Jacques Durand, l'homme fort du département, mort prématurément. Il y est toujours. Cumulard assumé, Carcenac a été député entre 1997 et 2012. Le 28 septembre, il a été élu sénateur. Talonné de 17 voix par un candidat UMP, mais élu.

Dans les années 80 et 90, cet inspecteur des impôts de profession a été chargé de mission auprès de ministres socialistes, de l'industrie et du budget : Édith Cresson, Michel Charasse, Martin Malvy, l'homme fort de la région. Il exerce ou a exercé une série de fonctions locales clés : président de l'Agence pour l'animation du Tarn économique, des sociétés d'économie mixte Sem 81 et E.Téra, des syndicats mixtes de l'Abbaye-École de Soréze et d'aménagement du musée Toulouse-Lautrec d'Albi ou encore président du syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) d'Arthès-Lescure.

« C'est vrai que ma longévité peut interroger, concédait-il déjà en 2004. Je ne suis pas usé, je me remets en cause en permanence et je suis le plus possible à l'écoute des autres. Mon atout c'est mon expérience. (…) Jeune, vous arrivez et vous ne connaissez rien. » Dix ans plus tard, il a le même discours pour justifier sa candidature aux sénatoriales. « J’aurais pu arrêter. Mais je pense que je peux encore apporter quelque chose. Je veux être une voix et une écoute. »

Dans une lettre à en-tête du conseil général envoyée le 17 septembre à ses électeurs, Thierry Carcenac dénonce une « opposition » agressive et violente qui « tente d'imposer l'abandon du projet par des méthodes inadmissibles dans un État de droit ». Dans la campagne des sénatoriales, Carcenac a mis en avant son intransigeance pour s'attirer les voix des grands électeurs. Le Parti de gauche (PG), qui a déposé un recours contre son élection au Sénat, lui reproche d'ailleurs d'avoir « utilisé les moyens financiers du conseil général pour s'adresser aux électeurs par des publi-communiqués publiés dans La Dépêche du Midi dans lesquels il défendait le projet de barrage ».

Plus globalement, les politiques locaux à majorité socialiste ne semblent avoir pris que tardivement la nature et la mesure de la contestation suscitée par le projet, comme s'ils n'avaient voulu y voir que des « casseurs » opposés à tout progrès – une rhétorique reprise ces derniers jours par Manuel Valls qui, avant le drame, s'était vanté d'avoir « tenu bon »  à Sivens devant les Jeunes Agriculteurs (lire notre article).

La faute à leur profil ? Maître d'ouvrage du projet, l'assemblée départementale est âgée : aucun trentenaire, une seule quadra, 64 ans et demi en moyenne selon nos calculs. Les trois quarts des élus ont plus de 60 ans, ce n'est "que" 60 % dans les autres conseils généraux. Un conseiller général sur 6 a plus de 70 ans. Il est aussi peu féminisé : 5 femmes seulement, dont quatre sont simples conseillères et ont moins de 60 ans. La seule femme vice-présidente, Claudie Bonnet, en charge de l'action sociale (plus de la moitié des 440 millions d'euros de budget du département), a été assistante parlementaire d'un ancien sénateur socialiste.

La très mâle assemblée départementaleLa très mâle assemblée départementale © DR

La faute à l'inertie et à l'entre-soi ? Le Tarn est une petite baronnie socialiste. Les carrières politiques y sont longues. Jacqueline Alquier, sénatrice PS qui s'est retirée en 2014, a été élue au conseil général dès 1979, avant de devenir députée puis d'être élue à la Haute Assemblée en 2004. Le Tarn est aussi la terre de l'ex-sénateur socialiste Jean-Marc Pastor, élu au conseil général en 1982 (il y est resté 26 ans) et au palais du Luxembourg en 1996. En 2011, Mediapart avait révélé qu'il avait fait payer par le Sénat 2 500 euros de fausses factures émises par le restaurant géré par sa fille et dont il détenait des parts. Ce qui l'avait poussé à produire une fausse lettre de soutien du président du Sénat…

Dans l'actuel conseil général, nombre d'élus l'ont été dans les années 1990. C'est par exemple le cas d'André Cabot, vice-président PS du conseil général, qui supervise le projet de barrage. Élu en 1992 dans le canton de Valderiès, la ville dont il est maire, ce technicien d'agriculture de profession est aussi président du « puissant et omniprésent syndicat d'adduction d'eau de Valence Valderiès », dixit La Dépêche du Midi.

Cabot est aussi administrateur de la CACG (Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne), stociété d'économie mixte interrégionale qui a mené les études sur le barrage, mais est censée le construire et même l'exploiter. « Elle a joué depuis 25 ans un rôle central dans le portage de cette opération », pointe le rapport des experts du ministère, qui remet en cause certains de ses calculs et déplore qu'aucune alternative au barrage n'ait été étudiée. Cette structure est trustée, côté politiques, par des représentants socialistes et radicaux et, côté agriculteurs, par la FNSEA. André Cabot est aussi vice-président de l'agence de l'eau Adour-Garonne qui finance 50 % des 9 millions d'euros de travaux.

Ce monde de décideurs en vase clos ne remet guère ses certitudes en doute. Comme Mediapart l'a écrit (lire ici notre enquête), le conseil général du Tarn a déjà mis en service un barrage surdimensionné en 1998, construit et exploité par la CACG, et aujourd'hui lourdement déficitaire. Dans un autre domaine, la quasi-totalité des élus du Tarn plaident depuis des années pour une autoroute entre Castres et Toulouse. Thierry Carcenac n'écarte pas la piste d'un partenariat public-privé, qui garantirait des délais rapides mais pourrait faire monter la facture pour l'automobiliste jusqu'à 15 euros l'aller-retour. Au sein du PS, seul Samuel Cèbe, le jeune secrétaire fédéral, et  Linda Gourjade, députée PS qui fait partie des "frondeurs" socialistes, se prononcent pour une liaison sans péage.

Comme ailleurs, le système politique local est condamné à évoluer. Le PS, qui ne détient pas Albi et Castres, les deux grandes villes, a perdu du terrain aux municipales de mars, Graulhet et Gaillac étant passés à droite. Le Front national est entré dans cinq conseils municipaux. À Graulhet, le candidat frontiste a fait plus de 30 %.

Avec l'introduction de la parité et le renouvellement global et plus partiel de l'assemblée départementale, les cantonales de 2015 vont accélérer le renouvellement du personnel politique. Manuel Cèbe, le jeune premier fédéral, a posé une règle claire : pas plus de trois mandats. « Thierry Carcenac a inscrit sa présidence dans la durée, le rassemblement, l’expérience et le respect des personnes. La fédération du PS le soutient dans sa mission jusqu’en 2015 », indique-t-il dans la presse locale. Autrement dit : pas au-delà. « Dix-huit ans, c’est suffisant pour accomplir sa tâche. L’objectif est de renouveler et d’ouvrir les exécutifs », dit-il. Thierry Carcenac n'a pas dû apprécier.

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Manifestation dimanche à Paris. France Nature Environnement, dont Rémi Fraisse était membre, annonce un « sit-in pacifique » à la mémoire du jeune militant écologiste mort à Sivens. Cette manifestation aura lieu le dimanche 2 novembre à 16 heures au Champ-de-Mars à Paris, devant le Mur pour la paix.

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