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Sondages de l'Elysée : le juge va enquêter sur la disparition d'archives de Sarkozy

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Nicolas Sarkozy a tellement englouti de sondages qu'il n'en reste plus trace. Toutes les études achetées par la présidence de la République entre janvier 2010 et mai 2012 ont littéralement disparu. D'après nos informations, le juge chargé de « l'affaire des sondages de l'Élysée », qui instruisait déjà sur de possibles faits de « détournements de fonds publics » et de « favoritisme » dans les marchés passés entre la présidence Sarkozy et ses instituts favoris, est désormais saisi de soupçons de « détournement et destruction de biens publics », en l'occurrence de cartons entiers de sondages dotés du statut d'archives publiques.

Pour élargir l'enquête du juge Serge Tournaire à ces nouveaux délits, le parquet national financier a délivré un réquisitoire supplétif au début du mois d'octobre.

Nicolas Sarkozy aux Glières en 2008, au mémorial national de la résistanceNicolas Sarkozy aux Glières en 2008, au mémorial national de la résistance © Reuters

L'article 214-3 du code du patrimoine punit en effet de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende « le fait pour une personne détentrice d'archives publiques en raison de ses fonctions de détourner ou soustraire tout ou partie de ces archives, ou de les détruire sans accord préalable de l'administration ». Idem pour le fait « d'avoir laissé détruire ».

Or, si les enquêteurs en charge de « l'affaire des sondages de l'Élysée » ont pu facilement accéder à l'essentiel des sondages commandés par l'Élysée entre 2007 et 2009 (déjà rendus publics), ceux des trente derniers mois du mandat sarkozyste se sont volatilisés (680 000 euros d'achats en 2010, 794 000 euros en 2011, 77 400 euros en 2012).

L'équipe de l'ancien président a-t-elle passé ces liasses au broyeur ? Les a-t-elle mises à l'abri ? Il faut dire que ce matériel peut s'avérer compromettant s'il révèle que Nicolas Sarkozy a multiplié, avec l'argent des contribuables, les enquêtes d'opinion à des fins privées ou partisanes, voire carrément électorales pendant la campagne présidentielle de 2012 (comme l'affirme l'association Anticor qui a déposé plainte pour « détournements de fonds publics » et « favoritisme »). 

Grâce à des documents internes à l'Élysée et aux enregistrements clandestins de Patrick Buisson, Mediapart a d'ores et déjà démontré que la présidence de la République avait versé 11 960 euros à OpinionWay en 2011 pour un sondage sans rapport avec l'exercice du mandat présidentiel : il s'agissait de tester l'impact d'une prestation télévisée de Dominique Strauss-Kahn, alors patron du FMI et probable adversaire de Nicolas Sarkozy, avec des questions sur ses forces et faiblesses supposées (le socialiste a-t-il « parlé comme un professeur donneur de leçons » ? « Rassuré sur la mondialisation » ? « Inspiré confiance » ? A-t-il « fait preuve de modestie » ? « Manifesté de l’énergie » ? Etc.). Mais pour le reste...

Cette évaporation d'archives est en fait connue depuis décembre 2012. Dans un rapport sur les dépenses de l'Élysée (janvier 2011-mai 2012), la Cour des comptes avait déjà révélé que les enquêtes d'opinion effectués par l'Ifop, OpinionWay et Ipsos (les trois prestataires de la présidence) ne lui avaient « pas été transmis, pas plus qu'au service financier ou au service des archives de la présidence ». Seule une liste sommaire des commandes passées, avec des intitulés parfois abscons pouvant dissimuler tout et n'importe quoi (« Questions d'actualité », « Études qualitatives par réunion de groupe », etc.), était encore disponible. Mais pas les questionnaires ni les résultats, c'est-à-dire le plus parlant. « Cette situation n'a pas permis à la Cour de s'assurer du rattachement de ces dépenses à l'activité présidentielle », s'agaçaient les magistrats financiers dans leurs conclusions.

Les intitulés des sondages payés par l'Elysée entre 2010 et 2012

La directrice de cabinet de François Hollande a elle-même confirmé ces constatations en janvier 2013. Dans un courrier adressé à Raymond Avrillier, un militant de la transparence qui réclamait copie des sondages en question, Sylvie Hubac écrivait sans détour : « Après consultation du service des archives et des anciens secrétariats des membres du cabinet chargés de ces questions sous le précédent mandat, il apparaît que lesdits documents n'ont pas été conservés à la présidence de la République. »

Ce n'est pas le seul dossier sur lequel les juges se retrouvent confrontés à la disparition d'archives de la présidence Sarkozy. Dans une lettre envoyée à Roger Le Loire, chargé de l'instruction sur l'affaire Pérol, le secrétaire général de l'Élysée de François Hollande a certifié en mai 2013 que « le fonds d'archives papier de M. Claude Guéant (son prédécesseur à ce poste clef entre mai 2007 et février 2011 - ndlr) n'a pas été reversé aux Archives nationales, et il n'en a pas été trouvé trace dans les locaux de la présidence de la République ». Ces notes de travail de Claude Guéant auraient beaucoup servi aussi dans l'affaire Tapie. En l'occurrence, dans l'affaire des sondages, peut-être les archives privées des instituts seront-elles plus bavardes.

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Des barbouzes sur les pas de journalistes qui enquêtent sur Sarkozy

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Depuis l’affaire des micros du Canard enchaîné (en 1973) jusqu’au cambriolage de Mediapart en pleine affaire Bettencourt (en 2010), on sait que le pouvoir politique – ou certains intérêts – peut parfois avoir recours à des services de l’État ou à des officines plus discrètes pour essayer de museler la presse.

Le retour récent de Nicolas Sarkozy en politique, conjugué à ses déboires judiciaires, correspond curieusement à un retour de ces pratiques détestables, tout en hystérisant par ailleurs le débat public. Drapé dans une pose berlusconienne, l’ex-chef de l’État et actuel candidat à la présidence de l’UMP se présente en effet comme la victime d’un hypothétique complot ourdi par les médias et les juges. Qu’il soit mis en examen, ou qu’un journal publie une enquête qui le concerne, et voilà aussitôt une preuve supplémentaire de l’ignoble machination qui vise à l’abattre, martèle Sarkozy au cours de ses meetings et dans les médias. Dans le même temps, de sombres manœuvres suivent leurs cours.

Ainsi, ces jours derniers, plusieurs épisodes nauséabonds ont ciblé deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, auteurs de révélations sur les dossiers judiciaires qui concernent Nicolas Sarkozy. Mardi soir, le site internet de l’hebdomadaire Valeurs actuelles met en ligne un article hallucinant, et qui n'est pas même signé : sous prétexte de dénoncer une soi-disant « traque » de Nicolas Sarkozy, menée avec une « violation » du secret de l’instruction « orchestrée par des juges », cet article raconte avec force détails des « rendez-vous secrets » des deux journalistes du Monde à l’Élysée, au ministère de la justice, et enfin au pôle financier du tribunal de Paris.

À défaut de prouver quoi que ce soit (sinon que de vrais journalistes vérifient et croisent leurs informations aux meilleures sources), ces éléments, ainsi mis en scène par Valeurs actuelles, violent allègrement plusieurs des règles déontologiques du journalisme (lire ici la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes). Ils portent notamment atteinte à la protection du secret des sources, gage d’une information indépendante dans les démocraties. La protection des sources ne constitue pas un privilège, mais « une des pierres angulaires de la liberté de la presse », a jugé la Cour européenne des droits de l’homme (lire ici les principaux textes sur cette question).

Le Monde a annoncé son intention de saisir la justice de l'ensemble de ces faits. « Nous allons demander au parquet de Paris d’ouvrir une enquête pour espionnage, et déposer une plainte pour diffamation et injure », déclare mercredi Gilles Van Kote, directeur du Monde par intérim. Cette plainte devrait être déposée prochainement par l’avocat François Saint-Pierre.

Début septembre, Gérard Davet, Fabrice Lhomme et leurs familles ont été l’objet de menaces de mort sérieuses et détaillées parvenues à leurs domiciles, et sont placés depuis lors sous protection policière. L’un des courriers reçus faisait allusion à un dossier de criminalité organisée corse sur lequel ils avaient écrit un article documenté. Les officiers de sécurité qui protègent les deux journalistes auraient-ils rendu compte de leurs déplacements professionnels à leur hiérarchie, au sein de laquelle Nicolas Sarkozy est encore populaire ? Rien ne permet de le prouver.

Selon nos informations, ces officiers de sécurité ont, en revanche, surpris à deux reprises des voitures suspectes qui filaient Davet et Lhomme, et dont un passager prenait des photos. La piste d’une officine barbouzarde lancée aux trousses des deux journalistes est donc plus plausible.

Le site de Valeurs actuelles ce mercrediLe site de Valeurs actuelles ce mercredi © capture d'écran

Gérard Davet et Fabrice Lhomme avaient été mis en garde par certains réseaux sarkozystes dès le mois de mars, après la divulgation de l’affaire des écoutes téléphoniques judiciaires de Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog. Est-ce un hasard ? Dès le 16 mars, un article venimeux du JDD affirme que Davet et Lhomme ont été reçus à l’Élysée quelques heures avant la publication de leur enquête, reproduit un extrait d'agenda confidentiel de la présidence de la République, et sous-entend (déjà) que François Hollande instrumentalise les journalistes pour abattre Sarkozy.

Plus récemment, Libération a raconté comment Sarkozy et Herzog ont voulu piéger les deux journalistes: il s’agissait de dire que Davet et Lhomme les avaient prévenus qu’ils étaient sur écoutes, dans une conversation que l’ex-président et son avocat savaient pertinemment être enregistrée, et dont les retranscriptions pourraient ensuite « fuiter » à dessein.

Au ministère de l’intérieur puis à l’Élysée, Nicolas Sarkozy avait développé une conception policière de la politique, qui s’est notamment manifestée en pleine lumière à l’occasion de l’affaire Clearstream. Quand les juges et la presse ont commencé à s’intéresser aux dossiers Bettencourt et Karachi, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, alors confiée à son ami Bernard Squarcini, et devenue depuis la DGSI) et la police judiciaire (alors supervisée par son ami Frédéric Péchenard) n’ont pas hésité à s’intéresser aux communications téléphoniques des journalistes.

Dans ces affaires, comme dans les dossiers Tapie ou Kadhafi, il est également apparu que Nicolas Sarkozy disposait d’hommes de confiance dans les rouages de l’État (comme l’ancien patron de la PJ parisienne Christian Flaesch, ou l’ex-haut magistrat Gilbert Azibert, sans oublier Philippe Courroye).

Depuis son départ de l’Élysée, des rumeurs rapportent que des officines privées travailleraient au service de Nicolas Sarkozy ou de son entourage. L'épisode des informations personnelles sur un juge de Bordeaux et un médecin expert, opportunément surgies en marge du dossier Bettencourt, avaient déjà mis la puce à l’oreille des magistrats. Beaucoup évitent d'ailleurs d'utiliser des téléphones portables, et se montrent très prudents en public et lors de leurs déplacements.

Actuellement menacé par huit dossiers judiciaires, Nicolas Sarkozy joue son va-tout en briguant à nouveau les plus hautes fonctions. Il use de son droit à se défendre en justice (il a ainsi obtenu la suspension de l’instruction Herzog-Azibert, l'affaire Bismuth, dans laquelle il est mis en examen pour corruption), et s’exprime à foison dans les médias. Rien de plus normal. Mais la résurgence de certaines opérations de basse-police qui accompagne son retour, qu’elle lui soit directement imputable ou pas, appelle dans tous les cas une réponse forte de la presse et des pouvoirs publics.

Un projet de loi renforçant la protection des sources des journalistes a été élaboré par Christiane Taubira début 2013. Mais l'examen de ce texte a été repoussé à plusieurs reprises, et aucune fenêtre parlementaire n’est actuellement disponible pour le faire adopter, a regretté la ministre de la justice lors de la présentation de son budget à la presse, le 1er octobre. 

BOITE NOIRELes journalistes de Mediapart figurent en bonne place dans le Panthéon des détestations sarkozystes, depuis les affaires Bettencourt, Karachi et Kadhafi. Afin d’épargner du temps et de la peine aux officines, je signale qu’il nous arrive d’obtenir des rendez-vous dans des enceintes de justice, dans des ministères et autres services publics, voire à l'Élysée, ceci pour exercer notre métier. Quitte à aggraver mon cas personnel, je précise en outre connaître Gérard Davet et Fabrice Lhomme depuis 25 ans.

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EDF: l'Elysée marque son pouvoir face à Matignon

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L’annonce a pris tout le monde de court. Dès le 15 octobre au matin, alors que la loi sur la transition énergétique venait juste d’être votée par l’Assemblée nationale, Henri Proglio a été averti qu’il ne serait pas reconduit à la présidence d’EDF. Dans la foulée, l’Élysée faisait savoir que Jean-Bernard Lévy, président de Thales, allait lui succéder à la tête de l’entreprise publique.

Henri Proglio et Manuel Valls au salon mondial du nucléaire, le 15 octobreHenri Proglio et Manuel Valls au salon mondial du nucléaire, le 15 octobre © Reuters

« C’est une décision purement politique. Le bilan d’Henri Proglio à la tête d’EDF est bon. Mais François Hollande nourrit une aversion personnelle contre lui. Il ne voulait pas le reconduire. Pour lui, c’était tout sauf Proglio. Pour EDF, c’est une catastrophe. Alors que cette entreprise a besoin de continuité et de vision à long terme, pas un président depuis Alphandéry (président d’EDF en 1994) n’a fait plus qu’un seul mandat », s’énerve un de ses soutiens. Il se dit d’autant plus surpris que la manière utilisée rompt avec les usages de consensus qui se sont instaurés dans les allées du pouvoir.

Dans l’histoire mouvementée des entreprises publiques, la méthode, il est vrai, n’a qu’un précédent : le renvoi, en 1996, d’Alain Gomez, PDG de Thomson CSF (devenu Thales). Lui aussi avait appris par l'Élysée, un matin, dès potron-minet, son éviction de la présidence du groupe d’armement. Jacques Chirac, alors président, avait décidé d’agir par surprise afin de contrer toutes les manœuvres, réelles ou supposées, d’Alain Gomez, doté de puissants réseaux au sein de l’appareil d’État.

Habitué à considérer l’Élysée comme un pouvoir faible, aucun observateur n’avait imaginé qu’il puisse mener une telle Blitzkrieg. Désormais, pour eux, tout se passait à Matignon. Et Manuel Valls avait donné son feu vert au renouvellement d’Henri Proglio à la tête d’EDF. « La reconduction d’Henri Proglio à la présidence d’EDF était acquise, il y a encore dix jours. Dimanche encore, des conseillers affirmaient que, de toute façon, il n’y avait aucun candidat pour le remplacer », affirme un familier des allées du pouvoir.

En reprenant la main sur ce dossier, François Hollande vient rappeler qu’il n’est pas seulement le président qui inaugure les chrysanthèmes comme certains, y compris des proches de Manuel Valls, aiment à le dépeindre. Il a encore du pouvoir et est bien décidé à l’exercer, même si pour s’affirmer, il faut avancer un moment masqué, marcher en crabe.

Certes, officiellement, Matignon se rallie à la décision de l’Élysée, mais le premier ministre ne peut ignorer le revers. François Hollande s’est opposé à un arbitrage que Manuel Valls avait tranché et qui semblait acquis. Une décision qui se veut signal politique. Au moment où le premier ministre tend de plus en plus vers une politique libérale, rompt « les tabous » sociaux, sous les applaudissements du patronat, François Hollande envoie un signe à la majorité et à la gauche, en s’opposant à la reconduction d’Henri Proglio, figure emblématique du pouvoir sarkozyste.

Sont-ce les prémices d’une cohabitation qui ne dit pas son nom, qui s’installe au sommet du pouvoir, sans le dire ? Une lutte sourde, très sourde encore, semble en train de s’installer entre l’Élysée et Matignon, selon certains observateurs. Pour l’instant, les anicroches se font à coup de petites phrases. Lorsque Matignon prône une réforme des allocations chômage trop généreuses, l’Élysée réplique en affirmant qu’il n’est pas temps d’ouvrir le dossier. Quand Manuel Valls soutient un changement dans la redistribution des allocations familiales, l’Élysée s’y oppose. L’affaire de la présidence d’EDF ajoute désormais une nouvelle dissension.

En revisitant la séquence, certains se demandent si tout n’a pas été un jeu de dupes. Lorsque, fin septembre, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, demande de repousser le comité de nomination d’EDF qui devait entériner la reconduction d’Henri Proglio, elle semble ne le faire que pour des questions tactiques : elle ne veut pas que la question de la présidence d’EDF empoisonne les débats parlementaires sur la transition énergétique.

Personne alors ne trouve à redire à cette demande. Henri Proglio est un chiffon rouge pour nombre de parlementaires à gauche. Le report n’est qu’une question de jours. Et Ségolène Royal a donné officiellement son accord à la reconduction du président d’EDF. « Ségolène Royal a demandé ce report pour des raisons tactiques. Mais on peut se demander si, en sous-main, elle n’a pas voulu aider François Hollande », observe un connaisseur du dossier.

« Cela nous arrange beaucoup que vous écriviez que Henri Proglio va être maintenu à la présidence d’EDF. Cela nous permet d’avancer en silence », disaient, ces derniers jours, des proches de l’Élysée à Mediapart. Car dans ce dossier, il ne s’agit pas seulement de rappeler le pouvoir de l’Élysée face à Matignon, mais aussi de contrer les différents réseaux d’influence.

Jean-Bernard LévyJean-Bernard Lévy © Reuters

Au début de la semaine, l’Élysée a commencé à distiller des petits bruits, faisant savoir que les jeux n’étaient pas faits chez EDF. Le traditionnel jeu de massacre, habituel à chaque renouvellement de mandat d’entreprises publiques, a recommencé. Une liste de noms a défilé, comme autant de leurres : Philippe Varin, ancien président de PSA, et Martin Vial, ancien président d’Europ assistance, sont venus s’ajouter à ceux déjà cités de Thierry Breton, Jean-Pierre Clamadieu ou Philippe Crouzet. Même l’ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot, soutenue en sous-main par Anne Lauvergeon, ennemie jurée d’Henri Proglio, a fait acte de candidature. À aucun moment, toutefois, le nom de Jean-Bernard Lévy, président de Thales, n’a été cité.

« L’Élysée a veillé à conserver son nom secret jusqu’au bout, afin de contrer toutes les tentatives de dissuasion », dit un lobbyiste. Les tentatives n’ont pas manqué. Chaque nom cité a donné lieu à de multiples luttes d’influences. Les conseillers de l’Élysée disent avoir été surpris par la puissance de feu des réseaux d’Henri Proglio, les uns et les autres insistant auprès de chaque candidat putatif sur la faiblesse de la rémunération, 475 000 euros : une misère pour la présidence d’EDF, surtout quand tout le comité exécutif du groupe public est payé le double ! L’argument semble avoir porté chez certains. Mais le corps des Mines, l’Inspection des finances n’ont pas été en reste pour soutenir la candidature d’un des leurs ou descendre celle du voisin.

Ces pratiques en disent long sur l’état du pouvoir aujourd’hui. L’appareil d’État est devenu un objet de capture de différents intérêts et réseaux, qui tentent par tous les moyens d’influencer les choix, de contrer ceux des autres, forçant le pouvoir à utiliser l’enfumage et les leurres pour tenter de conserver une petite partie de ses capacités de décision.

Le résultat, cependant, ne diffère guère des autres fois. Jean-Bernard Lévy a le lignage qu’il convient à notre noblesse d’État : polytechnique, télécoms. Représentant des corps des Télécoms lors du délicat rapprochement avec le corps des Mines – une affaire d’État ! –, il s’est acquis depuis le soutien sans faille de ce puissant corps qui le présente comme un homme « loyal ». Tout de suite après son éviction, en juillet 2012, de Vivendi, en décembre, il a été proposé à la présidence de Thales.  

Tous s’accordent à dire qu’il a réussi à apaiser et remettre sur pied le groupe, traumatisé par la présidence précédente de Luc Vigneron. Ses soutiens mettent en avant le fait qu’il « n’est pas obsédé par l’argent ». Dix ans de direction chez Vivendi, avec une rémunération annuelle de plus de 1 million d'euros, ses stock-options et ses 4 millions et quelque d’indemnités de départ ont permis, il est vrai, de le mettre à l’abri du besoin.

Jean-Bernard Lévy a pour mandat de mettre en œuvre la transition énergétique au sein d’EDF et de préparer le groupe à accepter la fin du tout nucléaire. Un monde qui lui était totalement étranger, jusqu’alors.

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L'encombrant médium d'Isabelle Balkany la conduit en garde à vue

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Drôle de scène. Mercredi 15 octobre, Isabelle Balkany a été interrogée par des policiers, pendant plusieurs heures, sur ses relations avec le magnétiseur du Tout-Paris, Jean Testanière dit « Le Mage », son médium personnel. Celui-ci est soupçonné d'avoir bénéficié d'un emploi fictif de fonctionnaire municipal à Levallois-Perret entre 2006 et 2010, la ville dont l'épouse de Patrick Balkany est la première-adjointe. Placée en garde à vue, l'élue UMP n'a pas été déférée devant le juge, ni mise en examen à ce stade. Une information judiciaire avait été ouverte en 2012 sur de possibles faits de « détournement de fonds publics, complicité et recel ».

Nous republions ci-dessous l'enquête de novembre 2013 consacrée à cette affaire.

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Isabelle Balkany a copiné avec Jean Testanière, dit « Le Mage », pour ses dons supposés de divination. Mais cet ancien éducateur, embauché comme fonctionnaire à la mairie de Levallois-Perret de 2006 à 2010 (sous le mandat de Patrick Balkany), magnétiseur de stars à ses heures perdues, va devoir prouver qu’il avait aussi un don d’ubiquité.

Car, en novembre 2013, la justice a estimé que Jean Testanière avait surtout été, dans ces années-là, « dirigeant de fait » du cercle de jeux parisien Wagram (alors exploité en sous-main par le gang corse de « La Brise de mer ») et l’a condamné à deux ans de prison (dont un ferme) pour « abus de confiance » et « association de malfaiteurs ». En tant que secrétaire général du Wagram, Jean Testanière a joué un « rôle assez essentiel » dans le système de détournement d’argent du cercle, pour reprendre les mots du président du tribunal.

Du coup, l’emploi levalloisien du « Mage », à la même époque, apparaît de plus en plus fictif, au point qu’il fait désormais l’objet d’une information judiciaire pour « détournement de fonds publics », confiée au juge d’instruction parisien Serge Tournaire (comme l’a récemment révélé Le Parisien). Ouverte contre X, celle-ci menace en fait Patrick Balkany dont la demeure à Giverny a été visitée par les policiers en mars dernier – le maire et député UMP de Levallois est par ailleurs visé par des enquêtes préliminaires sur ses avoirs à l’étranger ou ses chauffeurs (lire nos articles ici et ).

Jean TestanièreJean Testanière © DR

Devant les enquêteurs, Jean Testanière a d’ores et déjà reconnu qu’il avait été recruté à Levallois « par piston ». À l’époque, il cherchait à rallier la région parisienne après vingt ans de services à la mairie de La-Seyne-sur-Mer (Var), comme éducateur d’enfants handicapés. Or en 2006, « Le Mage » a opportunément été affecté au service d’une association périscolaire de Levallois, baptisée La Ruche, puis mis à disposition du Levallois Sporting Club (LSC). Cette seconde activité, rémunérée environ 3 000 euros par mois, fait particulièrement tiquer les policiers.

Car Jean Testanière a atterri au LSC à 59 ans, à quelques encablures de la retraite, avec le titre ronflant de « conseiller du président » (un certain Jean-Pierre Aubry, homme de confiance de Patrick Balkany), et une drôle de mission à partir de 2009 : préparer mentalement les athlètes du pôle olympique, en vue des JO de Londres.

« Il a un magnétisme, justifie aujourd’hui, sans rire, Nicolas Gigon, le directeur de cabinet du maire. Je n’arrive pas à le définir, parce que je suis naturellement rationnel et sceptique, mais je vous assure qu’il a des dons. »

Pour vérifier la réalité du “job”, les policiers ont, d’après nos informations, entendu en rafale plusieurs cadres du LSC. Notamment Magali Baton, une ex-championne de judo reconvertie en coach et précisément chargée de… la préparation mentale du pôle olympique de Levallois. Un doublon ?

« Magali Baton, elle, m’envoyait des rapports, confie le directeur général du club de l’époque, Dominique Georges (parti fin 2012). Mais Jean Testanière au pôle, je ne suis pas au courant. J’ai dû le voir deux fois cinq minutes en cinq ans, et on ne m’a jamais parlé d’un bureau à lui. Le fonctionnement de Levallois est ainsi fait… » D’autres témoignages concordants ont été recueillis par les enquêteurs.

Sollicité par Mediapart, Jean Testanière accepte pour la première fois de s’expliquer publiquement sur ses activités supposées au LSC. « En 2009, alors que j’avais demandé à partir à la retraite, Jean-Pierre Aubry (le président du club  ndlr) m’a proposé de me positionner sur le pôle olympique qui était en train de se créer, rapporte « Le Mage », surnommé ainsi à son corps défendant. Il savait que j’avais travaillé avec des handicapés et il m’a dit que ce serait bien que je m’occupe du côté psychologique parce que j’ai tous les diplômes pour travailler avec des déficients intellectuels. En plus, ma sœur avait été en équipe de France d’athlétisme et je l’avais déjà coachée. »

Relancé sur l’absence de traces écrites de son travail, Jean Testanière affirme : « J’ai rédigé un gros dossier de 90 pages que j’ai gardé pour moi. Le seul à qui je devais rendre des comptes, c’était Aubry. Personne ne m’a vu parce que j’étais sur le terrain. Je suis allé à deux ou trois réunions plénières, mais je travaillais en solo. (…)  Le problème, c’est qu’ils se sont étripés dans ce pôle olympique. Et puis les Jeux olympiques n’ont jamais eu lieu (sic), j’en ai eu marre ! J’ai donc pris ma retraite fin 2010. »

D’habitude peu enclins à répondre à Mediapart, les proches du maire se plient cette fois en quatre pour le défendre. « C’est politique, on cherche des poux à Patrick Balkany, s’agace ainsi Jean-Pierre Aubry, désormais à la tête de la société d’aménagement de Levallois. Patrick ne sait même pas qui est Testanière ! C’est vraiment une histoire de cornecul ! Moi je considère qu’il a travaillé. Après, comme président du LSC, si je n’ai pas été bon, je n’ai pas été bon… Mais pour qu’il y ait un emploi fictif, il faut une contrepartie. Elle est où la contrepartie ? »

Une très bonne question, à laquelle les hommes de la brigade financière s’efforcent encore de répondre. Mais leur conviction paraît faite sur le caractère fictif de l’emploi du « Mage » au LSC, depuis une série d’écoutes captées en 2009 et versées au dossier Wagram (que Mediapart a pu consulter). 

Isabelle Balkany, épouse de Patrick, première adjointe au maire de Levallois, conseillère générale de 1988 à 2011Isabelle Balkany, épouse de Patrick, première adjointe au maire de Levallois, conseillère générale de 1988 à 2011 © Reuters

Une première, datée du 25 juin 2009, s’avère particulièrement parlante. Ce jour-là, Jean Testanière apprend de la bouche de Nicolas Gigon (le directeur de cabinet de Patrick Balkany) qu’il est propulsé au pôle olympique du LSC. Mais « Le Mage » doit rédiger lui-même sa lettre de mission (que le président du club n’aura plus qu’à signer), ce qui semble le déstabiliser :

- Nicolas Gigon : Fais-la et montre-la moi. Et après je lui fais signer. (…)
- Jean Testanière : Je la fais simple ?
- Gigon : Oui. (…)
- Testanière : Je fais comme si c’était lui qui la faisait, hein ?
- Gigon : Oui, bien sûr. (…)
- Testanière : Putain quelle histoire, mon dieu. Tu sais, j’aime pas rentrer dans tout ça. Et toi ? (…)
- Gigon : Je lui fais signer, t’inquiète.
- Testanière : Qu’est-ce que je lui marque ? « Sur le plan psychologique », hein ? (…)
- Gigon : « Préparation », euh… « Préparation, motivation » « Préparation psychologique et motivation des athlètes de haut niveau du pôle olympique » (…)
- Testanière : Bon, bah, moi je vais préparer la lettre.

En réalité, « Le Mage » se tourne vers un ami, Christophe V., pour qu’il trouve les bonnes formulations à sa place. Voici leur conversation du 6 juillet 2009 :

- Christophe : Je t’ai déjà fait la note, à peu près, là. Tu me dis ce que t’en penses.
- Jean Testanière : Vas-y.
- Christophe (il lit ce qu’il a préparé) : « Faisant suite à notre dernière réunion de coordination au sein de la direction, je vous confirme les nouvelles orientations décidées en vue de l’optimisation du service. À cet effet, monsieur Testanière Jean, attaché principal, assurera… » (…) Alors on va dire : « La préparation mentale et psychologique des athlètes de haut niveau… »
- Testanière : Il la fait à moi, la note. Tu vois ce que je veux dire.
- Christophe : Eh bien : « Vous assurerez… » (….) Je vais lui trouver un truc… « Vous remerciant par avance…» À compter de quand ?
- Testanière : Eh bah, à compter d’euh, on va dire euh, la rentrée hein, premier septembre, voilà, hein. (…)
- Christophe : Par contre, après, la mise en forme euh, tu sauras la refaire toi la mise en forme ?
- Testanière : Oui, oui, ça j’arriverai, moi.
- Christophe : Sous couvert de ? C’est le service des sports ?
- Testanière : Hein ?
- Christophe : Tu appartiens à quelle direction ?
- Testanière : Au LC, euh… Sporting Club Levallois.
- Christophe : (…) LLC, c'est ça ?
- Testanière: LC.
- Christophe : Tu sais ce que ça veut dire ?
- Testanière: LC euh… LS… Loisirs sportifs Levallois.

Dans une synthèse de ces écoutes, rédigée en février 2012, les policiers concluent en ces termes : « Monsieur Testanière semble découvrir son poste, ce qui laisse à penser qu’il n’avait pas forcément souhaité cette fonction, qui s’apparente à un emploi fictif. A noter que lors de précédentes investigations (…), il a été constaté (…) que monsieur Testanière n’était jamais à la mairie de Levallois-Perret. » Ils écrivent surtout : « Il apparaît que monsieur Testanière a été recruté à la mairie (…) par madame Isabelle Balkany. »

« En 2006, je ne connaissais pas les Balkany, rétorque Jean Testanière à Mediapart. Je connais des gens de droite, mais ce n’est pas mon bord politique. »

La première adjointe de Levallois, qui consultait « Le Mage » à l’occasion, dément tout autant. « Madame Balkany n’est ni intervenue, ni n'a participé de quelque manière que ce soit à la mutation de Monsieur Testanière dans les services de la ville », répond l’attaché de presse de Levallois. Il s'agit de circonscrire l’incendie, car la question de savoir qui a « pistonné » le « Mage » est désormais au coeur de l’information judiciaire.

Ainsi le fidèle Jean-Pierre Aubry, interrogé par Mediapart, prend-il sur lui : « Un jour, Jean-Claude Darmon (grand argentier du football français –Ndlr), que je connais bien, me dit : “J’ai un ami, j’aimerais qu’il monte sur Paris. Vous n’auriez pas un poste qui se libère ?” Quelques mois plus tard, je l’ai rappelé pour lui dire qu’un poste se libérait à La Ruche. »

Jean Testanière avec Jean-Claude DarmonJean Testanière avec Jean-Claude Darmon © DR

Bizarrement, lors d’une audition effectuée dans le cadre de l’affaire Wagram, Jean-Claude Darmon affirmait avoir « croisé quelques fois » Jean-Pierre Aubry, « mais uniquement dans le cadre de rencontres sportives », ajoutant même : « En dehors de cela, je ne le fréquente pas. »...

Mais qui est exactement ce « Mage », que tous s’efforcent d’aider ? Jean Testanière semble avant tout un personnage au carnet d’adresses bien rempli. Outre le nombre incalculable de people qu’il ramenait aux tables du Wagram, l’homme fraye également avec la classe politique et ce, depuis fort longtemps. « J’ai rencontré François Mitterrand en 1980 par l’intermédiaire d’une amie, raconte-t-il à Mediapart. Ensuite, nous nous sommes vu plusieurs fois. »

Des années après, en janvier 2012, c’est le même Jean Testanière qu’un socialiste de son fief varois de La-Seyne-sur-Mer verra faire la bise à François Hollande lors d’une visite du candidat PS en janvier 2012. Quelques jours plus tard, il sera même aperçu aux premiers rangs du meeting du Bourget. « Je n’ai jamais été encarté, une fois seulement au PS, il y a 4/5 ans, mais c’était pour faire plaisir », explique-t-il aujourd’hui.

R. Dati en 2009R. Dati en 2009 © Reuters

Si l’on en croit les propos qu’il a tenus devant les enquêteurs de l’affaire Wagram, le « Mage » nourrit également des amitiés avec des personnalités politiques de droite, au premier rang desquels l’ex-garde des Sceaux, Rachida Dati. Dès avril 2009, Jean Testanière, dont le téléphone est sur écoute dans le cadre d’une autre enquête judiciaire, se vante d’être « très proche »… de la ministre de la justice. À son interlocuteur, il confie même l’appeler « ma chérie ».

Des propos qui surprennent l’entourage de Rachida Dati : « Elle le connaît à peine ! assure à Mediapart l’une de ses collaboratrices. Elle l’a croisé deux fois dans sa vie, dont une fois dans une opération caritative, avec Gilles Catoire, le maire de Clichy, Jean-Claude Darmon, et de nombreux artistes… » Testanière lui-même tempère aujourd’hui ses élans d’autrefois : « Je l’aime bien, mais nous ne sommes pas amis. Je l’ai vue quelques fois, c’est tout. »

Celui qui est véritablement proche de l’élue parisienne, c’est justement Jean-Claude Darmon. Interrogé par Mediapart, le grand argentier du football émet quelques réserves sur les relations dont « (son) ami » se prévaut : « Jean vit dans un monde qui n’est pas le nôtre. C’est un extra-terrestre. Pour lui, croiser quelqu’un deux ou trois fois, c’est le voir beaucoup… »

Pourtant, à l’époque, les deux amis parlent souvent de Rachida Dati. En témoignent des écoutes datées de 2009 dans lesquelles Jean-Claude Darmon évoque une certaine « Joséphine », qui occupe un poste important au ministère de la justice et qui s’inquiète d’une plainte qui vient d’être déposée contre elle par le président de l’Union syndicale des magistrats (USM), Christophe Régnard. La ministre aurait demandé, « par l’intermédiaire de Jean-Claude », que « Jean fasse ce qu’il peut ».

L’identité de cette mystérieuse « Joséphine » est révélée aux policiers par Jean Testanière lui-même en mars 2012. L’homme est alors interrogé au sujet d’un coup de fil passé deux mois plus tôt à la mairie du VIIe arrondissement, sous le pseudonyme « Gilbert », « pour éviter la presse ». « J’ai fait le max, max hein ? Pour euh… Elle sait quoi hein ! dit-il au téléphone à la secrétaire de l’ancienne garde des Sceaux. Cela dit, euh, si au pire elle n’a pas, y’aura un arrangement parce que j’ai la boucle. Elle comprendra ce que je veux dire hein ! Voilà ! (…) J’ai un arrange… euh… Au pire si elle l’a pas, parce que ça m’a été très difficile vous lui dites hein ? »

Face aux enquêteurs, Jean Testanière explique que Rachida Dati – « Joséphine », donc – « était un peu paumée de ne pas avoir l’investiture pour les législatives ». « Quand je lui ai dit que j’ai fait le max, ça veut dire que je me suis concentré, ce sont mes activités de “mage”, poursuit-il. Avoir la boucle, ça veut dire que pour moi, les choses vont se faire, que le “karma” est bon, qu’elle se rassure et que les choses allaient finir par se faire. » Karma ou pas, l’ancienne ministre de la justice n’a finalement pas obtenu son investiture.

BOITE NOIRENous avons sollicité Patrick et Isabelle Balkany sur le sujet dès avril 2013 (la seconde nous a fourni une réponse lapidaire par mail et par l'intermédiaire de l'attaché de presse de Levallois-Perret).

Nous avons rencontré Jean Testanière le 6 novembre, après sa condamnation dans l'affaire du Wagram.

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Cantonales : Jean-Noël Guérini dégaine le chéquier

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Lundi 13 octobre 2014, les deux hommes, jugés pour détournements de fonds publics et de recel, partageaient le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Marseille. En mars 2015, Jean-Noël Guérini, président (ex-PS) du conseil général des Bouches-du-Rhône, et Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération socialiste départementale, seront sur le terrain pour les cantonales. L'avenir dira s'ils se trouveront face-à-face ou côte à côte.

« Jean-Noël Guérini ne sera pas notre candidat à la présidence du conseil général », assure à Mediapart Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. Des propos répétés le 14 octobre par Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, face aux députés socialistes. Mais Solférino ne dit rien sur une éventuelle alliance avec les candidats de Guérini. Mis en examen dans deux affaires de marchés truqués, ce dernier a fini par quitter le PS en avril 2014, quelques jours avant d'en être exclu. Au lendemain des sénatoriales, dans Le Monde, Jean-Christophe Cambadélis, qui n’a pas retourné nos appels, laissait la porte ouverte : « L'objectif, ce sont les cantonales et les régionales. L'affrontement nous coûte trop cher. Il faut changer de méthode. » Depuis quatre ans et les premières alertes du rapport Montebourg qui dénonçait, le 8 décembre 2010, « un système de pression féodal reposant sur l'intimidation et la peur », Solférino joue toujours à cache-cache avec son ancien homme fort.

À Marseille, le groupe de militants Renouveau PS Treize demande une clarification. « Il faudrait n’investir que des candidats qui aient à un moment ou un autre pris leurs distances publiquement avec Jean-Noël Guérini, en leur laissant la possibilité de le faire maintenant », souhaite Pierre Orsatelli, l'un des porte-parole du groupe. En décembre 2013, seuls cinq conseillers généraux PS avaient osé marquer leur opposition à Guérini en s’abstenant lors du vote du budget du département (Michel Pezet, Jean-François Noyes, Marie-Arlette Carlotti, Henri Jibrayel et Janine Écochard).

« Et on ira chez un notaire signer un acte avec le candidat ? s’agace Jean-David Ciot, qui a pris en main la campagne des cantonales. Les candidats sortants n'ont pas démérité. Ils savent qu'ils s'engagent derrière un autre candidat (à la présidence – ndlr) que Jean-Noël Guérini. » L'ex-conseiller en géographie électorale de Guérini espère toujours un accord avec le Front de gauche et Europe Écologie-Les Verts (EELV) qui permettrait d’éviter que la gauche soit « éliminée dès le premier tour sur certains cantons ». « Ensuite, si monsieur Guérini veut appeler à voter pour les candidats du PS, je ne peux pas l’en empêcher », ajoute le député PS, qui ne se prononce pas sur ce qui se passera au second tour si des binômes socialistes se retrouvent dans des triangulaires face à des binômes guérinistes. Les élus socialistes craignent surtout un fort taux d'abstention et le score du Front national, notamment à Marseille où il pourrait profiter de la dispersion des voix de gauche. « Mon souci, c’est plutôt de ne pas faire élire des conseillers généraux FN si le FN se retrouve en tête dans un canton avec la droite derrière », dit Jean-David Ciot.

Malgré ses mises en examen, Guérini et sa liste dissidente ont fait un score inespéré aux sénatoriales de septembre 2014, en réunissant 1 047 voix, dont plus de la moitié venant du PS, du PCF et de l’UMP. Soit trois fois plus de voix que son ancienne « petite princesse », Samia Ghali. La sénatrice PS est tout juste parvenue à sauver son mandat. « Sa victoire a gâché le plaisir de Guérini, décrit une conseillère générale socialiste, sous couvert d'anonymat. Il est dans une logique de démolition du PS. C'est une espèce de vengeance. Mais que vaut vraiment son image auprès des électeurs ? Cette fois (pour les cantonales - ndlr), on n'est plus dans l'entre-soi des grands électeurs, on est dans la vraie vie. »

Jean-Noël Guérini, qui veut transformer d’ici mi-novembre son mouvement, La Force du Treize, en un parti politique, devrait se présenter dans son canton du Panier (un quartier populaire de Marseille) avec son amie, l’ex-socialiste Lisette Narducci. Cette fidèle était passée au PRG en 2012 pour pouvoir mener campagne aux législatives contre le candidat PS Patrick Mennucci. En mars 2014, Narducci avait réitéré en s’alliant avec la liste UMP de Jean-Claude Gaudin dans les 2e et 3e arrondissements marseillais, là encore, afin de barrer la route au candidat de la gauche.

À la tête d’un département doté d’un budget de 2,5 milliards d’euros, Jean-Noël Guérini dispose de solides arguments financiers. L’aide aux communes est ainsi passée de 112 millions en 2012 à 134 millions en 2014. Comme l'avait révélé Libération, cette aide va encore être augmentée. Selon une décision modificative que s'est procurée Mediapart et qui sera votée lors de la séance publique du 22 octobre, le département s'apprête à engager 273 millions d'euros d'autorisations de paiement supplémentaires pour 2014 et 2015, sans compter 48,1 millions d'euros non utilisés. Au total, au lendemain des sénatoriales, ce sont donc près de 360 millions d'euros qui seront distribués par Guérini aux communes des Bouches-du-Rhône, dont les maires sont souvent aussi conseillers généraux...

Jean-Noël Guérini a « distribué des subventions publiques pour gagner le vote de grands électeurs », a fulminé dès le dimanche soir des sénatoriales Samia Ghali, avant de prudemment faire machine arrière. La maire PS des 15e et 16e arrondissements connaît sur le bout des doigts les méthodes de son ancien mentor. Loin de la démentir, Jean-Noël Guérini s'est contenté de lui rappeler que « cette politique de soutien est identique aujourd’hui à ce qu’elle était en 2008 quand certaines personnes qui s’opposent aujourd’hui à moi figuraient alors sur la liste que je conduisais ». 

Un maire de sensibilité de droite a par exemple reconnu dans un reportage de BFMTV avoir voté Jean-Noël Guérini aux dernières sénatoriales « pour remercier un président qui nous aide, qui aide toutes les communes des Bouches-du-Rhône ». « C’est un renvoi d’ascenseur, affirme cet élu, enregistré à son insu. Jean-Claude Gaudin, qui est sénateur, ne m’apporte rien. Le député m’apporte sur sa réserve parlementaire 2 000 euros par an. Et à côté de ça, on me donne 2, 3 voire 4 millions par an. Y a pas photo... » En 2013, un maire PS « non guériniste » du pourtour de l'étang de Berre nous expliquait le dilemme qui se posait à lui :  « Le département est un acteur majeur pour le développement de mon secteur. On peut être jusqu’au-boutiste et dire : “Le département, c’est Guérini, donc je ne veux rien du département”, sauf que ce n’est pas comme ça que cela fonctionne. Il faut bien qu’on continue à faire vivre nos villes, qu’on continue à les équiper, etc. » Renouveau PS Treize a également publié un (imaginaire ?) « voyage dans la tête des conseillers généraux socialistes soutiens de Guérini » qui montre bien la logique à l'œuvre. 

« Guérini a échoué à toutes les élections, sauf les sénatoriales et les cantonales car il a le chéquier, confirme le député PS Patrick Mennucci. Nous disons aux conseillers généraux : “Sa force, c’est votre faiblesse. S’il vous a donné de l’argent pour vos communes, c’était de l’argent public auquel vous aviez le droit. C’est une question de morale et de courage.” » Le député PS avance les noms de Frédéric Vigouroux, maire PS de Miramas, ou de Loïc Gachon, maire PS de Vitrolles, pour le remplacer à la tête du département. Ceux-ci n'ont cependant jamais particulièrement brillé par leur courage face à Guérini. Pour sa part, Jean-David Ciot ne souhaite pas désigner de champion socialiste avant les élections. « Ce n'est pas dans nos traditions », dit-il.

BOITE NOIRELa citation de Christophe Borgel a été recueillie par Stéphane Alliès. Contacté mardi via le conseil général, Jean-Noël Guérini n'a pas donné suite.

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La baisse des allocations familiales pour les plus riches actée pour 2015

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« Il y a un gros danger politique », s'inquiétait il y a quelques jours ce parlementaire spécialiste des questions sociales. C'est peu dire que les 700 millions d'euros annoncés la semaine dernière sur la branche famille dans le projet de budget de la Sécurité sociale sont mal passés. Ils s'ajoutent en effet aux 3 milliards d'économies prévus pour le seul budget de la Sécurité sociale l'année prochaine, notamment sur l'hôpital et les médicaments. Et aux 21 milliards d'économies sur le budget de l'État qui vont être votés dans les semaines à venir au Parlement. Pour de nombreux parlementaires socialistes, même les moins rebelles, c'était le coup de serpe de trop.

À peine présenté mercredi matin 8 octobre en Conseil des ministres, le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2015 menaçait d'être retouché. C'est ce qui vient d'être confirmé par Marie-Françoise Clergeau, la rapporteure PS de la partie famille du budget de la Sécurité sociale pour 2015. En commission des affaires sociales, il a en effet été décidé de s'attaquer à un des principes de base du système social français depuis les années 1930 : le caractère uniforme des allocations familiales pour les familles. Pour les couples avec deux salaires et deux enfants, gagnant plus de 6 000 euros brut par mois, celles-ci seront divisées par deux, soit environ 65 euros, contre 129,35 actuellement. Au-delà de 8 000 euros pour ce même couple avec deux enfants, les allocations seront divisées par quatre, soit 32,5 euros environ. « On va avoir une plus grande justice sociale tout en gardant l'universalité », estime Marie-Françoise Clergeau dans des propos rapportés par Le Monde.

D'abord, quelques éléments de contexte. Il y a une quinzaine de jours, le gouvernement a présenté sa copie pour le budget de la Sécurité sociale 2015. Au total, la Sécurité sociale doit économiser 20 milliards d'euros entre 2014 et 2017 – une grosse part des 50 milliards d'économies décidées au début de l'année. Dans le projet pour 2015, on trouve quelques mesures ouvrant des droits nouveaux : tiers-payant intégral pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé, prime de 40 euros pour les retraités touchant moins de 1 200 euros, minimum vieillesse à 800 euros.

Mais il s'agit surtout d'une (nouvelle) diète sévère pour la branche maladie : 3,2 milliards de baisse de dépenses dans les hôpitaux, sur les médicaments ou encore des pénalités financières pour les établissements ne respectant pas les accords passés avec les agences régionales de santé.

À ces mesures, s'ajoutent les fameux 700 millions qui touchent la branche famille de la Sécurité sociale :

  • Une réforme consistant à mieux partager le congé parental entre les parents. Officiellement, pour encourager l'égalité hommes-femmes en incitant la mère puis le père à prendre, par exemple, dix-huit mois de congé chacun – le congé parental peut aller jusqu'à trois ans. Le congé parental vient pourtant d'être réformé. Et cet été encore, les députés PS estimaient qu'aller au-delà de six mois pour les hommes, qui le prennent très peu, était irréaliste. Sans incitation financière supplémentaire, les hommes, qui ont beaucoup à perdre car ils restent 20 % mieux payés que les femmes, ne risquent pas de se bousculer. Or la réforme prévoit que, si l'un des deux parents ne le prend pas, le congé serait ramené à dix-huit mois maximum. Sous couvert d'égalité, c'est surtout une façon de faire des économies substantielles… Ce dispositif a été maintenu ce jeudi par la commission des affaires sociales.
  • La prime de naissance serait amputée à partir du deuxième enfant. Versée au septième mois de grossesse, elle est aujourd'hui de 923 euros, sous conditions de ressources. Elle passerait à 308 euros à partir du deuxième enfant. La modulation des allocations familiales a été décidée ce jeudi pour revenir sur cette disposition. La prime de naissance resterait identique à aujourd'hui.
  • La majoration de 64 euros par mois des allocations familiales n'entrerait en vigueur qu'au seizième anniversaire de l'enfant, et pas au quatorzième comme aujourd'hui. 
  • Enfin, le "complément de libre choix du mode de garde" (CMG) ne serait finalement pas réduit. Actuellement versé sans conditions de ressources aux familles qui font garder leur enfant de moins de 6 ans par une aide à domicile ou une assistante maternelle, le gouvernement voulait le diviser par deux pour les 20 % des familles les plus aisées. Selon la Cour des comptes, le système actuel est profondément inégalitaire. Les 10 % des familles les plus modestes touchent 120 millions d'euros au titre de cette aide… et les 10 % les plus aisées plus d'un milliard d'euros. Mais la commission des affaires sociales a décidé de le maintenir.

La volte-face ?

Les aménagements proposés permettent de rapporter 700 millions d'euros, autant que ce qu'imaginait le gouvernement. Ils lui permettent surtout de calmer le jeu avec sa majorité, très remontée contre certaines des mesures prévues au départ. Lors de la réunion du groupe PS à l'Assemblée il y a deux semaines, quelques députés PS avaient déjà proposé de « moduler » les allocations familiales pour les plus hauts revenus. En clair, les baisser pour les ménages les plus aisés. « Cette proposition n'est pas celle du gouvernement. Nous allons en discuter avec les parlementaires », avait dit la ministre de la santé Marisol Touraine, dont un proche assure qu'elle n'était de toute façon pas convaincue par les mesures initiales, dénichées à la va-vite pour contenter le ministère de l'économie. Mais François Hollande avait semblé doucher les enthousiasmes de sa majorité. « C'est simplement une technique pour faire des économies ou un principe qui pour l'instant est en discussion et n'a pas été retenu », avait-il affirmé à Milan, où se tenait un sommet sur l'emploi en Europe. Finalement, le locataire de l’Élysée a changé d'avis.

Chaque année, plus de 12 milliards d'euros sont versés aux 5 millions de familles qui ont plus de deux enfants au titre des allocations familiales. C'est une bonne partie des 31 milliards d'euros de prestations familiales versées par la Sécurité sociale. Créées en 1932 pour encourager la natalité, les "allocs" sont devenus un totem de notre système social. Elles ont la particularité d'être dites "universelles" : le tarif est le même pour toutes les familles (en tout cas toutes les familles au-delà de deux enfants, ce qui relativise leur caractère universel), quel que soit leur revenu : 127 euros par mois au-delà de deux enfants, 290 euros pour trois enfants et jusqu'à 452 euros pour quatre enfants, plus 162 euros pour chaque bambin au-delà.

En fait, raboter les allocations familiales, en les fiscalisant (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui) ou en les plaçant sous conditions de ressources n'est pas une idée neuve. Elle resurgit fréquemment dans les cabinets ministériels. « Ça fait vingt ans qu'on en entend parler, c'est un vrai serpent de mer ! » expliquait l'an dernier à Mediapart Antoine Math, spécialiste des politiques familiales à l'Ires.

Raymond Barre y avait pensé dans les années 1980. En 1994, le rapport Minc préconisait de les mettre sous conditions de ressources. Premier ministre, Alain Juppé souhaitait les fiscaliser. Son successeur Lionel Jospin et sa ministre Martine Aubry étaient passés aux actes, avant de reculer sous la pression des associations familiales. Ce qui a laissé de mauvais souvenirs à François Hollande, qui était alors premier secrétaire du PS…

La commission Attali (2008 et 2010) avait repris l'idée, en vain. Pendant la dernière campagne présidentielle, Hollande jurait d'ailleurs qu'il n'y toucherait pas. « Je reste très attaché à l’universalité des allocations familiales qui sont aussi un moyen d’élargir la reconnaissance nationale à toute la diversité des formes familiales. Elles ne seront donc pas soumises à conditions de ressources », avait-il répondu à l'Union nationale des associations familiales (UNAF).

En 2013, le président de la Cour des comptes, l'ancien député PS Didier Migaud, a proposé de les fiscaliser, suscitant une nouvelle polémique. Quelques semaines plus tard, un rapport préconisait la « modulation » des allocations familiales des familles « des deux déciles de revenus supérieurs ». Autrement dit : diminuer les allocations des 20 % de familles les plus riches, sans « toucher le haut des classes moyennes ». De quoi rapporter entre 500 millions d'euros et un milliard.

À nouveau, cette mesure suscite une levée de boucliers. Parce qu'elle remet en cause l'"universalité" des allocations familiales, chère à la droite et à une partie de la gauche, à certains syndicats et aux associations familiales (lire par exemple l'argumentaire de l'Unaf). Parce qu'en période de ralentissement économique, elle va peser sur la consommation.

Mais aussi parce que cette mesure purement comptable semble ouvrir une brèche : si les allocations familiales sont modulées en fonction des revenus, pourquoi cela ne serait-il pas aussi le cas demain avec, par exemple, les dépenses de santé ? « La mise sous conditions de ressources de l’ensemble des prestations familiales pour une partie des plus aisés – souvent évoquée – est une erreur, écrit Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités. Elle conduira, à plus ou moins longue échéance, à la remise en cause de l’ensemble de la protection sociale le jour où les riches et les bien-portants préféreront payer pour leurs enfants plutôt que pour ceux des pauvres et leurs malades. La France souffre aujourd’hui déjà d’un déficit de politiques universelles. »

Surtout, la mise sous plafond de ressources ne peut pas corriger à elle seule l'effet puissamment anti-redistributif du quotient familial.  Exception française, cette réduction fiscale permet un allègement d'impôt dès le premier enfant. Or selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les 10 % des foyers les plus aisés captaient en 2011 46 % des baisses d'impôt qu'il générait (6,5 milliards d’euros sur 14 !). Les 50 % les moins riches, eux, ne bénéficiaient que de 10 % de la ristourne. Quant aux millions de Français non imposables, ils n'en voient pas la couleur. Une forme de redistribution à l'envers, qui profite aux foyers les plus aisés.

Le gouvernement a déjà abaissé cet avantage fiscal à deux reprises, la dernière fois l'an dernier dans le budget 2014, de 2 000 à 1 500 euros par demi-part. L'ampleur des inégalités qu'il entraîne a donc été (un peu) réduite. Louis Maurin propose de le supprimer purement et simplement, et d'augmenter d'autant les allocations familiales en les versant cette fois dès le premier enfant. Une façon de les rendre vraiment universelles. « Le niveau global des allocations familiales serait doublé, ce qui aurait un effet très net de relance de l’activité, le quotient familial d’aujourd’hui servant surtout à alimenter l’épargne des couches aisées, écrit-il. Une grande majorité des familles des catégories populaires et moyennes y gagneraient. En particulier les jeunes couples des classes moyennes au moment de la venue de leur premier enfant. »

En 2011, Terra Nova, proche du PS, proposait son remplacement par un crédit d'impôt forfaitaire par enfant, assorti d'une vraie réforme fiscale pour rendre l'impôt sur le revenu beaucoup plus progressif. Sauf que la grande remise à plat fiscale promise par le candidat Hollande a été enterrée. À défaut de grand chambardement, nous voilà donc condamnés à assister chaque année à des bricolages budgétaires en matière de politique familiale et d'impôt. Et à entendre nos dirigeants débattre sans fin des allocations familiales, qui ne sont qu'une partie du problème.

BOITE NOIREAjout : la réaction de François Hollande mercredi soir.

Correction : la prime de naissance est versée sous conditions de ressources, et pas à toutes les familles comme écrit dans la première version de l'article.

Mise à jour : Cet article a été remanié le 16 octobre après la décision prise en commission des affaires sociales de substituer la baisse de la prime à la naissance par un conditionnement des allocations familiales en fonction des ressources.

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Résultat de la crise scolaire: 900.000 jeunes sont hors système

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La publication l’an dernier des résultats de l’enquête PISA, consacrant le système scolaire français comme le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, avait créé un électrochoc. La France découvrait qu’en dépit de ses discours et postures républicaines, elle était devenue le pays où les résultats scolaires sont le plus corrélés au milieu social d’origine.  

La dernière livraison de statistiques produites par la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation) sur l’état de l’école détaille à la fois le niveau de financement, le fonctionnement et les résultats du système scolaire français. Surtout, elle apporte un éclairage particulièrement intéressant sur la manière dont la crise scolaire croise la crise sociale et l’alimente.

Si globalement le pays parvient à emmener un nombre important de jeunes vers une qualification générale (72 % de la population des 20-24 ans en 2013 a le bac), avec sur ce point un considérable effort depuis trente ans, le nombre de laissés-pour-compte du système – ceux qui le quittent avec peu ou pas de qualification – est, lui, très préoccupant. Il explique d’ailleurs en grande partie la contre-performance de la France aux tests PISA puisqu’elle continue, par ailleurs, et semble s’en satisfaire, de former une petite élite de très bon niveau. « Ce petit nombre de jeunes très bien formés ne compense pas le fait que le wagon de queue est trop important », résume Catherine Moisan, la directrice de la DEPP. 

Si les 20-24 ans possèdent un niveau de diplôme plus élevé que le reste de la population, les jeunes très peu qualifiés (aucun diplôme ou juste le brevet) représentaient l'an dernier 14 % de cette tranche d’âge. L’étude publiée ce vendredi 17 octobre montre ainsi que 9 % des élèves sortent du système avant d’avoir atteint une classe diplômante (CAP/BEP/bac/brevet professionnel). Depuis plus de dix ans, le nombre des « décrocheurs », avec de légères variations, stagne. Et ce sont donc entre 140 000 et 150 000 jeunes qui, chaque année, quittent l’école sans aucun diplôme.

Dans le contexte économique actuel, précise la directrice de la DEPP, « le danger de se retrouver au chômage quand on n’a pas de diplôme n’a jamais été aussi fort ». Un à quatre ans après avoir quitté leur formation initiale, 10 % des diplômés du supérieur sont au chômage, contre 25 % pour ceux qui n’ont que le bac ou un CAP/BEP. Et ils sont 49 % lorsqu’ils n’ont que le niveau brevet ou rien. « Nous avons 900 000 jeunes aujourd’hui en stock qui ne sont ni en formation ni en études et qui ne cherchent pas d’emploi. C’est une vraie préoccupation économique et sociale. » Leur profil est évidemment variable et recouvre des situations contrastées, du jeune qui veut prendre une année sabbatique à la jeune mère au foyer ; leur nombre montre quand même avant tout le découragement des peu ou pas diplômés à entrer sur le marché du travail.

Ce taux de jeunes ni en études, ni en formation, ni en emploi, les NEET (« not in employment, education or training », un indicateur européen mesuré depuis 2010) représente en France 15 % des 15-29 ans, comme l’avait récemment montré une étude du Conseil d’analyse économique soulignant les faiblesses de l’enseignement professionnel comme « de l’accompagnement vers l’emploi des jeunes les moins qualifiés ».

Avoir un diplôme professionnel ne protège pas toujours du chômage. « En 2013, trois ans après leur sortie du système scolaire, 22 % des jeunes actifs sont en recherche d’emploi, plus haut niveau observé dans les enquêtes d’insertion du Cereq. Face à la crise les écarts entre niveau de diplôme se creusent et les peu diplômés s’insèrent de plus en plus difficilement. » Pour les titulaires d’un BEP/CAP, l’insertion professionnelle s’est très nettement dégradée en dix ans, passant de 17 % de taux de chômage après trois ans à 31 %.

L’intérêt de l’enquête de la DEPP est de montrer comment l’incapacité de l’école à résorber en amont le taux d’élèves faibles – le talon d’Achille du système français – nourrit cette crise sociale. « Nous avons comme caractéristique d’avoir un noyau dur d’élèves en difficulté qui ne diminue pas », souligne Catherine Moisan. 

Le destin scolaire des élèves les plus faibles se fige de plus très tôt puisqu’en fin de CM2, 30 % des élèves ne maîtrisent pas « les principaux éléments de mathématiques », et 20 % n'ont pas la « maîtrise de la langue française ». Des lacunes qui, on le sait, sont ensuite difficilement rattrapables et suscitent des départs précoces de l’école.

Le lien entre échec scolaire et difficulté à s’insérer professionnellement est d’autant plus choquant en France que les inégalités sociales pèsent bien plus fort qu’ailleurs. Les chances d’acquérir les savoirs de base dans les établissements de l’éducation – où se concentrent les difficultés sociales – sont ainsi bien moindres que dans les établissements « classiques », montre l’enquête. « Nous sommes plus inégalitaires que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, des pays qui nous ressemblent et où il y a des inégalités comme chez nous, des ghettos urbains comme chez nous », précise la directrice de la DEPP.

Le sous-financement de l’école primaire, rappelé par l’enquête, est évidemment une nouvelle fois pointé du doigt. Pour la directrice de la DEPP, il y a surtout une difficulté en France à penser l'école en termes de « réussite collective ». « Si l'on continue à percevoir l’école comme une somme d’intérêts particuliers, à penser à la réussite de son enfant uniquement, les inégalités vont augmenter », ajoute-t-elle. 

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Affaire kazakhe : la justice piste des archives du conseiller de Sarkozy

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À l’Élysée, il a été le chef d’orchestre de l’affaire kazakhe. Damien Loras, aujourd’hui consul général de France à São Paulo, est l’homme qui a coordonné les efforts de l’équipe Sarkozy afin de venir en aide à l’oligarque kazakh Patokh Chodiev, proche du président Noursoultan Nazarbaïev, mis en cause dans une affaire de corruption en Belgique. L’intervention de l’Élysée avait pour objectif l’obtention des marchés de vente d’hélicoptères et de satellites français au Kazakhstan, effectivement signés en 2011.

Selon les informations de Mediapart, les juges Roger Le Loire et René Grouman, chargés de l’information judiciaire ouverte pour « corruption d’agents publics étrangers » et « blanchiment en bande organisée », ont officiellement demandé, le 9 octobre, les archives de Damien Loras à la présidence de la République. Une partie de ces documents sont couverts par le secret défense, leur a-t-on indiqué. L’ancien conseiller diplomatique a indiqué à Mediapart avoir laissé dans un coffre de l’Élysée deux montres – l’une d’elles d’une valeur de 44 000 euros – que lui avait offertes l’oligarque Patokh Chodiev, en septembre 2009. Des vérifications sont en cours sur ces cadeaux ; deux montres ayant effectivement été retrouvées en 2012 dans un coffre de la cellule diplomatique. L’ancien conseiller de Sarkozy a aussi confirmé à Mediapart avoir été invité en croisière par Chodiev à l’été 2012.

Le président Nazarbaïev et Nicolas Sarkozy, en octobre 2009.Le président Nazarbaïev et Nicolas Sarkozy, en octobre 2009. © Dr

Début octobre, les magistrats avaient déjà procédé à plusieurs mises en examen, dont celle de Me Catherine Degoul, l’avocate en France de Patokh Chodiev, qui aurait, selon Le Monde, versé à partir de son propre compte une somme de 300 000 euros à l’ancien préfet Jean-François Étienne des Rosaies, chargé de mission à l’Élysée de 2007 à 2010. Ce dernier a été placé en garde à vue, ainsi qu’une secrétaire particulière de Claude Guéant, en septembre.

Mercredi, des perquisitions ont été conduites au domicile et au bureau du sénateur-maire UDI de Marsan (Gers) Aymeri de Montesquiou, ainsi que l’a révélé Libération. Le sénateur, qui a été le « représentant spécial du président Nicolas Sarkozy pour l’Asie centrale », assure s’être occupé « politiquement » du « dossier des hélicoptères », pour « convaincre les Kazakhs de choisir EADS », mais n’avoir « jamais entendu parler des commissions ».

Le document qui accable le premier cercle sarkozyste est un rapport « très confidentiel » de l’ancien préfet Étienne des Rosaies à Claude Guéant, dévoilé par le Canard enchaîné en 2012 et mis en ligne par Libération la semaine dernière. Rédigé le 28 juin 2011, ce document indique noir sur blanc que lors de « l’entretien en 2009 entre le PR (Nicolas Sarkozy – ndlr) et le président Nazarbaïev », le chef d’État kazakh a « sollicité l’aide de la France pour tenter de sauvegarder en Belgique les intérêts judiciaires et économiques de "son" principal homme d’affaires Patokh Chodiev ». Étienne des Rosaies se félicite d’avoir obtenu avec son « équipe », « toutes les décisions de justice favorables et définitives en faveur de P. Chodiev et de ses associés : M. Maskevitch (Alexander Mashkevitch – ndlr) – M. Ibrahimov (Alijan Ibragimov – ndlr) – (dit le "trio") ». L’ancien préfet annonce aussi l’autre versant de son succès : « P. Chodiev (…) m’a assuré de sa gratitude pour notre succès concernant sa situation judiciaire en Belgique et il soutiendra Eurocopter. » Par l’entremise de l’ancien vice-président du Sénat belge, Arnaud de Decker, « l’équipe » de l’Élysée parvient en effet à faire adopter un nouveau texte de loi autorisant la transaction pénale en mai 2011, et tirant d’affaire l’oligarque et ses amis.

La synthèse d’Étienne des Rosaies met l’accent sur le rôle « pilote » de Damien Loras. « Lorsque D. Loras, "officier traitant" de P. Chodiev, m’a sollicité pour trouver un avocat d’affaires international – j’ai immédiatement suggéré Catherine Degoul (…) avec laquelle nous avons monté une équipe technique (judiciaire et financière) et politique en France et en Belgique. »

« La France n'a rien à reprocher à Chodiev et je ne vois pas en quoi j'aurais dû m'interdire de rencontrer quelqu'un qui a accès au numéro un d'un pays… », expliquait Damien Loras, l’ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, en 2012.

Selon la chronologie reconstituée par Mediapart, le diplomate gère ce dossier d’amont en aval et ce, depuis septembre 2008, date de sa première rencontre avec Patokh Chodiev, au Plaza Athénée. Le clan Sarkozy est aussitôt mis dans la boucle. En janvier 2009, au restaurant « Chez Laurent », Damien Loras présente ainsi Pathok Chodiev à l’un des plus proches amis du président français, Nicolas Bazire, directeur du groupe Bernard Arnault. « C’était un déjeuner business, explique Nicolas Bazire. Nous n’avons pas de représentant au Kazakhstan. J’ai dû parler de sacs à main. C’est le travail des conseillers de zone de présenter les entreprises. »

Le 23 juillet 2009, Loras est introduit auprès de Noursoultan Nazarbaïev, dans la luxueuse demeure de Patokh Chodiev du Cap Ferrat, en compagnie de Jean-David Levitte. Les deux diplomates préparent la visite de Nicolas Sarkozy au Kazakhstan, prévue pour les 5 et 6 octobre suivants, les contrats d’EADS pour les hélicoptères et les deux satellites d’observation. Pathok Chodiev et ses amis Alexander Mashkevitch et Alijan Ibragimov sont tous trois présents dans la villa. Il semble que l’équipe de l’Élysée tente de favoriser Thalès, au détriment d’EADS, durant cette période.

En septembre, Damien Loras reçoit deux montres de l’oligarque ainsi qu’il l’a confirmé à Mediapart, et il prend part au dîner offert par Chodiev à l’Ambroisie. Un autre proche de Nicolas Sarkozy est à table : Patrick Balkany, qui fera par la suite plusieurs déplacements en Afrique aux côtés de Chodiev. Le diplomate assure avoir « ramené ces montres » à son bureau, deux jours après les avoir reçues, et en avoir rendu compte à son patron. « Depuis ce même jour, elles sont dans un coffre à l’Élysée », assure-t-il.

Nicolas Sarkozy, et Damien Loras au centre, lors d'une réunion avec la présidente argentine Cristina Kirchner.Nicolas Sarkozy, et Damien Loras au centre, lors d'une réunion avec la présidente argentine Cristina Kirchner. © DR

Loras ne fait pas que des relations publiques puisqu’il rejoint la délégation d’industriels français à Astana, fin septembre, quelques jours avant la visite « éclair » de Nicolas Sarkozy sur place, le 6 octobre, et que le 10 décembre 2009, il réunit Étienne des Rosaies et l’avocate Catherine Degoul, au sujet des ennuis judiciaires de Chodiev en Belgique.

En mars 2010, l’ombre d’un différend entre les industriels et l’un de leurs intermédiaires se fait jour : Claude Guéant reçoit un mail accusateur au sujet des montres offertes à Damien Loras… Mais l’épisode reste apparemment sans suite. Le diplomate se dit victime « d’un imposteur », écarté par l’Élysée, « se faisant passer pour un intime des plus hautes autorités françaises auprès des Kazakhs et pour un proche des plus hautes autorités kazakhs auprès des autorités françaises », explique Me Frank Berton, l’avocat de Damien Loras.

Le président Nazarbaïev est reçu en France les 26 et 27 octobre 2010, pour y signer des contrats commerciaux dont le montant est évalué alors par l’Élysée à « plus de 2 milliards d'euros ». Au menu, la vente de 295 locomotives par Alstom, pour 1,6 milliard d'euros, et de 45 hélicoptères EC145 produits par un joint-venture entre Eurocopter et Kazakhstan Engineering, pour 300 millions d'euros. Astrium, la division espace d'EADS, a aussi remporté un contrat de 100 millions d'euros pour la construction d'un centre d'assemblage de satellites à Astana, tandis qu'Areva finalisait un contrat avec Kazatomprom pour la construction, via un joint-venture à 49-51 %, d'une usine de combustible nucléaire pour produire de l'électricité.

Le 27 octobre au soir, les contrats sont fêtés en grande pompe à l’hôtel d’Évreux, lors d’un « Dîner de l’Atlantique » organisé par Félix Marquardt, où l’on voit plusieurs grands patrons du CAC 40 : Anne Lauvergeon (Areva), Christophe de Margerie (Total), Gérard Mestrallet (GDF-Suez) et Louis Gallois (EADS)…

« C’est EADS qui a payé la plus grande partie de la note du dîner, de plus de 100 000 euros, indique son organisateur Félix Marquardt. Les sociétés qui financent chaque dîner le font par intérêt, ce ne sont jamais les mêmes. » En l’absence de dîner d’État, « c’est directement l’Élysée qui pilotait la soirée », assure M. Marquardt, qui signale que « Patokh Chodiev était présent ».

En juin 2011, l’oligarque et ses deux partenaires sont sauvés en Belgique par l’adoption d’un nouveau texte leur permettant de signer une transaction avec le parquet. C’est l’avocate Catherine Degoul qui signe ce protocole avec la justice belge, leur permettant de récupérer leurs biens immobiliers et leurs avoirs bancaires placés sous séquestre.

Patokh Chodiev manifestera sa reconnaissance par l’envoi de plusieurs millions d’euros à son avocate – et sur ces fonds, Étienne de Rosaies recevra la somme de 300 000 euros. Mais Damien Loras sera également remercié. Chodiev l’invite en croisière, durant l’été 2012, avec sa femme.

« Je me permets de vous indiquer, ce que vous n’ignorez pas, qu’il (Damien Loras) a quitté ses fonctions à l’Élysée au mois de mai 2012 et qu’il était alors sans affectation, explique Me Frank Berton, l’avocat du diplomate, et qu’il disposait de toute liberté pour passer ses vacances où bon lui semblait, sauf à ce que Mediapart opère même un contrôle sur les vacances de M. Loras alors qu’il était sans affectation, ni fonction. »

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Jean-Luc Bennahmias : «Ça fera rire les internautes, mais je suis un libertaire» !

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« Ça peut faire rire, et les internautes vont s’amuser à frapper dur, mais je suis d’abord un libertaire »... Jean-Luc Bennahmias ne se défile ni devant les paradoxes, ni devant les questions. De son parcours attrape-tout et attrape-rien, à la droite des Verts, qu’il quitte au moment où ils montent en puissance, puis à la gauche de Bayrou, qu’il rejoint quand il décline, puis allié d’un PS en déroute à la mairie de Marseille, et désormais soutien de François Hollande, il dira simplement : « Je m’y retrouve, je continue la même logique, je suis à la recherche d’une mouvement progressiste capable de faire 35 % aux élections. »

Ce pessimiste-optimiste, qui se réfère à Antonio Gramsci quand il publie son livre, Le Nouvel Optimisme de la volonté (éditions François Bourin), juste à la veille des dernières européennes, n’ignore pas les railleries qui l’accompagnent. Il s’agace quand on le présente comme le Brice Lalonde de François Mitterrand, ou le Robert Hue de François Hollande ; il rigole, sans démentir vraiment, quand on lui parle du ministère des sports ; il pousse un gros soupir quand on lui demande si l’objet de son parti n’est pas de maintenir l’illusion de son influence, et de faire croire à Hollande que quelqu’un le soutient encore ; il élude quand on l’interroge sur ce qu’ils se sont dit, avec le Président, la veille de l’entretien à Mediapart : « Est-ce qu’il m’écoute ? Je n’en sais rien… Qu’est-ce qu’on s’est dit ? On a parlé un peu de Marseille, des Bouches-du-Rhône »...

Soutient-il le discours du Bourget (« l’ennemi, c’est la finance »), ou le discours de Londres (« my government is pro business ») ? Les deux, mon capitaine, « mais le discours du Bourget, c’était de la propagande »...

Il en revient à son idée fixe, celle qui explique ses alliances multiformes : avec ses mille adhérents revendiqués, il rêve, comme tant d’autres, d’enjamber l’opposition droite-gauche, pour créer une majorité « progressiste » (il insiste sur le mot…), qui tienne compte du réel et l’assume.

« Moi, je soutiens le gouvernement parce qu’il soutient l’économie réelle », lâche-t-il à propos de Valls, avant de livrer cette réflexion : « Est-ce qu’il existe en France, en Europe, dans le monde, des possibilités de majorités alternatives extrêmement en rupture avec le capitalisme ? Tous les essais de rupture fondamentale aboutissent à des dictatures. Excusez-moi, je n’en ai pas envie »...

Et donc il va à l’Élysée, plus souvent qu’à son tour…

Fini les contradictions ? Enfin rentré dans le rang ? Pas tout à fait. À la fin de l’entretien, une question sur les Roms le fait sortir de ses gonds : « On pourra toujours déplacer les populations roms, elles ne s’envoleront pas. Leur situation est intolérable. Je suis au moins aussi critique que Cécile Duflot sur les phrases qu’avait employées Manuel Valls à propos de ces populations qui ne seraient pas intégrables »...

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Sciences en marche : « François Hollande doit nous répondre »

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« On ne va pas s’arrêter là. » Fort du succès – assez inattendu – de la manifestation des chercheurs qui a vu converger à Paris des milliers de personnes ce vendredi 17 octobre pour dénoncer la situation de la recherche en France, le mouvement de Sciences en marche compte bien pousser son avantage, comme le confirme l’initiateur du mouvement, le biologiste Patrick Lemaire. « C’est un pari assez fou qui a été remporté. Nous en sommes nous-mêmes un peu ébahis. Une dynamique est lancée. Cette manifestation était une convergence entre différents groupes et mouvements locaux qui vont désormais travailler ensemble », affirmait-il à l’issue de la manifestation parisienne.

Lancé en juin dernier par un petit groupe de biologistes de Montpellier, le mouvement n’a cessé de grandir ces derniers mois et a, peu à peu, été rejoint par des milliers de chercheurs. L’idée de réaliser une grande « marche », à pied, à vélo, en kayak, vers Paris pour sensibiliser aux enjeux de la recherche – et à la situation parfois dramatique des laboratoires – a germé à l’issue d’un débat organisé le 3 juin dernier sur l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche dans un amphi de la fac de Montpellier. Une université dont la présidente a longuement ferraillé l’an dernier avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche – menaçant de fermer faute de financement suffisant son site de Béziers.

Des milliers de chercheurs ont convergé vers ParisDes milliers de chercheurs ont convergé vers Paris © LD

Patrick Lemaire, biologiste directeur de recherche au CRBM (Centre de recherche de biochimie macromoléculaire) reconnaît que le pari de mobiliser une profession parfois désabusée et gangrenée par la précarité n’avait rien d’évident. « Notre démarche a sans doute plu parce qu’elle sortait un peu des cadres habituels. Sciences en marche s’est organisée hors des cadres syndicaux, par exemple, mais pas sans eux puisqu’ils ont appuyé notre démarche, sans toutefois influer sur notre message et nos revendications. Nous y tenions beaucoup », explique celui qui a un temps été proche de Sauvons la recherche, le grand mouvement de chercheurs lancé en 2004.

Pas question non plus d’aborder pour eux le débat sur la recherche sous un angle corporatiste. « Nous n’aurions pas été compris. Si l'on réalise que nous bénéficions encore d’un certain capital sympathie – c’est d’ailleurs une bonne surprise tant nous avons été attaqués (voir article précédent) – dans le fond les gens ne nous connaissent pas, ne savent pas comment on travaille, ce qu’on fait. Brandir des revendications sans expliquer, d’abord, qui nous sommes ne nous semblait pas possible. » Le choix de Sciences en marche a donc été d’organiser tout au long du trajet vers Paris des rencontres et des animations scientifiques pour aller à la rencontre du public. « Nous avons réussi à toucher un public nouveau, un public qui ne serait par exemple jamais venu à des manifestations comme la Fête de la science, comme lors de la rencontre organisée sur le parvis de la Défense où des gens sont venus nous voir simplement parce qu’ils passaient par là », raconte le biologiste. « Ils sont extrêmement surpris lorsqu’ils découvrent que, certes, nous sommes des fonctionnaires, mais que l’État ne nous donne pas de budget de fonctionnement, que c’est à nous d’aller décrocher des financements pour faire tourner nos laboratoires », poursuit-il.

La création de l’Agence nationale pour la recherche en 2005, agence qui distribue des financements sur projet, couplée avec une baisse drastique des crédits fixes accordés aux labos, a totalement bouleversé le paysage de la recherche. Les chercheurs racontent passer désormais plus de temps à chercher de l’argent en montant de très lourds dossiers (recalés à 92 % par l’ANR) qu’à réellement faire leurs recherches. Depuis deux ans et demi, et malgré les annonces de campagne, la nouvelle majorité n’a réalisé aucun changement de cap, consacrant un mode de fonctionnement particulièrement court-termiste qui est devenu la norme au niveau européen.

Le paysage de la recherche s’est parallèlement complexifié, au point que plus personne ne s'y retrouve dans la multiplicité des structures créées et que les labos sont asphyxiés par la paperasse. « Les élus locaux que nous avons rencontrés ont été très sensibles à notre discours sur l’empilement des strates administratives qui tient lieu de gouvernance à la recherche, avec un État qui n’est ni stratège, ni visionnaire », rapporte Patrick Lemaire.

La promesse de Geneviève Fioraso, à son arrivée au ministère, de réduire le mille-feuille est pour l’instant restée lettre morte. « Aller sur le terrain nous a permis de réaliser l’ampleur des inégalités vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche », précise aussi l’initiateur de Sciences en marche. Il se souvient notamment d’une étape à Courson-sur-Yonne, une commune de l’Yonne, où le maire lui expliquait que faute de transports urbains ou du fait d’un maillage universitaire peut-être défaillant, seuls 5 % des habitants accédaient à l’enseignement supérieur (contre 40 % de moyenne nationale).

Ces revendications, apparues au long de ces dernières semaines, Patrick Lemaire entend maintenant les porter au plus haut niveau de l’État. « Nous avons été reçus par Geneviève Fioraso, à son initiative d’ailleurs. Le problème c’est que Mme Fioraso, qui n’est même plus ministre de plein exercice (elle est devenue secrétaire d’État lors du remaniement, ndlr), ce qui est bien un signe de notre déclassement, n’a pas le poids politique suffisant pour imposer quoi que ce soit. Tout se décide à l’Élysée et c’est maintenant à François Hollande de nous répondre. »

Aux quelques députés qui sont venus à sa rencontre ce vendredi, Patrick Lemaire a rappelé l’urgence selon lui de réformer le crédit impôt recherche. Sciences en marche réclame une réorientation d’un tiers de la plus grosse niche fiscale à disposition des entreprises, aujourd’hui quelque 6 milliards d’euros, dispositif dont la Cour des comptes a déjà, à plusieurs reprises, souligné à quel point il était inefficient pour soutenir la recherche.

En janvier dernier, François Hollande avait assuré que le CIR serait maintenu jusqu’à la fin du quinquennat, comme toutes « les mesures qui incitent à l’investissement », avait-il précisé lors de ses vœux aux partenaires sociaux.

Cette nuit, lors du débat parlementaire sur le budget, les amendements déposés par des députés socialistes « frondeurs », Front de gauche ou écologistes, visant à redéployer le dispositif vers la recherche ont tous été rejetés. « Le crédit d'impôt recherche est le principal facteur d'attractivité de notre pays auprès des investisseurs étrangers. Le gouvernement ne souhaite pas bouger, pour des raisons de lisibilité, de signal politique », a déclaré le secrétaire d’État au budget Christian Eckert.

Devant l’ampleur du succès de la manifestation de ce vendredi, des contacts ont néanmoins été établis entre Vincent Berger, le conseiller pour l'enseignement supérieur et la recherche de François Hollande, et les leaders de Sciences en marche.

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L’obscénité de la corruption

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Palerme, 1998. La photographe Letizia Battaglia saisit Roberto Scarpinato avec son escorte policière. © DRPalerme, 1998. La photographe Letizia Battaglia saisit Roberto Scarpinato avec son escorte policière. © DR

« Les problèmes de corruption et de criminalité mafieuse semblent avoir été rayés de l’agenda des partis politiques. La corruption a disparu sous une chape de silence, bien que son irrépressible prolifération ait un coût global de plus en plus insoutenable pour le pays. » Il suffit de citer ces toutes premières lignes du Retour du Prince (Il Ritorno del Principe, paru en 2008 en Italie et en 2012 en France, aux éditions La Contre Allée) pour comprendre pourquoi la présence de Roberto Scarpinato s’imposait lors de cette réunion publique où, dans la diversité de leurs métiers, des journalistes, des magistrats, des avocats, des policiers, des économistes, des sociologues et des philosophes lanceront un appel pour en finir avec la corruption. (voir en fin d'article les détails de la soirée)

L'affiche de la réunion publique du 19 octobre au Théâtre de la Ville à Paris qui sera retransmise en direct sur Mediapart.L'affiche de la réunion publique du 19 octobre au Théâtre de la Ville à Paris qui sera retransmise en direct sur Mediapart.

Compagnon des juges anti-mafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino assassinés en 1992, le procureur Scarpinato est aujourd’hui au sommet du parquet de Palerme. Vivant sous escorte policière permanente depuis plus de vingt ans, il est le magistrat dont les enquêtes ont dévoilé les liens entre la mafia d’en bas, cette mafia traditionnelle dont la violence est mise en exergue, et la « haute mafia », celle de la bonne société, au croisement des affaires économiques et des clientèles politiques, dans une subordination de la première à la seconde. Mais, né en 1952, il est aussi un homme de sa génération, fidèle aux aspirations démocratiques, sociales et morales de sa jeunesse au point d’envisager, dans une Italie où le parquet est indépendant du pouvoir exécutif, son métier comme un engagement.

Scarpinato est donc le symbole vivant de ce que les trois initiateurs de la soirée du 19 octobre, nos confrères Fabrice Arfi (Mediapart), Benoît Collombat (France Inter) et Antoine Peillon (La Croix), ont voulu faire : imposer la corruption en haut de l’agenda politique et médiatique, prendre la mesure de sa banalisation et de ses ravages, impulser un front de révolte et de résistance face à ce mal qui mine nos démocraties. Publiant en même temps trois livres dont les constats se rejoignent, ils ont préféré la solidarité à la compétition : regrouper confraternellement leurs efforts pour donner plus d’écho à leur découverte commune. À savoir que la corruption n’est pas à la marge, mais au cœur d’un système dirigeant qui a promu l’argent et le pouvoir en seules valeurs de référence.

Roberto Scarpinato l’a su avant eux, et ce fut une expérience douloureuse. « Vous savez ce qui est écrit dans l’Ecclésiaste ? Celui qui accroît son savoir accroît sa douleur » : c’est sa traductrice, Anna Rizzello, qui raconte cette confidence en ouverture d’un premier livre, un bref entretien titré Le Dernier des juges (La Contre Allée, 2011). Et de commenter : « Il sait, et cette connaissance a changé sa vie à jamais. La douleur de savoir est inscrite sur son visage et dans ses gestes. »

Les trois livres dont la parution simultanée est à l'origine de la réunion publique du 19 octobre à Paris.Les trois livres dont la parution simultanée est à l'origine de la réunion publique du 19 octobre à Paris.

Intellectuel féru de culture classique (voir ici sur le site de son éditeur français), Scarpinato rappelle, en ouverture du Retour du Prince, que les oracles de la Grèce antique étaient souvent aveugles, à l’instar du plus connu d’entre eux, Tirésias. Cette cécité ne tenait pas du hasard, explique-t-il : « Pour accéder à l’essentiel, il est nécessaire de se rendre aveugle à l’inessentiel. »

C’est ainsi que justice véritable et journalisme authentique ont d’emblée partie liée : donner à voir pour donner du sens, ce qui, nous concernant, signifie débusquer l’information d’intérêt public en échappant à la diversion du divertissement.

Car tout est fait pour nous empêcher de bien voir, c’est-à-dire d’entrevoir l’essentiel. Loin d’être une nouveauté de nos sociétés d’immédiateté et de superficialité médiatiques, c’est l’antique ruse de toutes les dominations. Intellectuel de pouvoir, et donc au service du pouvoir, le cardinal Mazarin, ce jésuite d’origine italienne qui conseillait Louis XIV, rappelait que « le trône se conquiert par les épées et les canons, mais se conserve par les dogmes et les superstitions ».

Un livre indispensable pour retrouver l'espérance démocratique et sociale.Un livre indispensable pour retrouver l'espérance démocratique et sociale.

Partant de cette formule, Scarpinato en vient à ce qu’il considère comme la théorisation la plus explicite de cette domination par l’aveuglement des sujets, tandis que ceux qui sont au sommet se réservent une sorte d’« hyper-voyance ». La référence ne manque pas d’ironie puisqu’il s’agit de Joseph de Maistre, l’ancêtre de Patrice de Maistre, cette discrète figure de l’oligarchie régnante dévoilée par l’affaire Bettencourt. « Si la foule gouvernée peut se croire l’égale du petit nombre qui gouverne, il n’y a plus de gouvernement, écrivait ce penseur de la contre-révolution. Le pouvoir doit être hors de portée de la compréhension de la foule des gouvernés. L’autorité doit être constamment gardée au-dessus du jugement critique à travers les instruments psychologiques de la religion, du patriotisme, de la tradition et du préjugé. » 

Lutter contre la corruption, c’est faire tomber cette mise en scène. Ruiner ses faux-semblants, dissiper ses mystères, démasquer ses impostures. Et c’est bien pourquoi l’enjeu de cette lutte n’est pas que judiciaire, mais fondamentalement politique. La corruption est au ressort d’un système culturel qui met à distance les gouvernants des gouvernés, tout comme les possédants des exploités. Bref qui isole, désarme et désoriente le peuple. Car cette distance repose sur l’incompréhension, la perte de sens, la confusion des repères, l’abaissement des idées.

« Tout itinéraire de libération, personnelle et collective, implique un processus de déstructuration des impostures culturelles qui imprègnent nos vies dès le plus jeune âge, confie Scarpinato à la fin du Dernier des jugesVoilà pourquoi le combat pour la construction d’un pouvoir au service des Hommes, et non sur les Hommes, passe forcément par le champ du savoir : tant qu’on ne se construit pas un savoir libéré des chaînes du pouvoir, celui-ci se perpétue, égal à lui-même, maintenant les individus dans cette illusion qu’ils se déterminent de manière autonome. »

Du journalisme à la justice, cette bataille du savoir contre sa confiscation par les tenants de l’avoir et du pouvoir, à l’abri de l’opacité et du mensonge, est décisive pour restaurer la politique comme bien commun et comme bien vivre en favorisant son renouvellement du bas vers le haut. Sinon, nous serons condamnés à vivre sous le règne d’une oligarchie déguisée en démocratie. Et ce sera de notre faute : par indifférence pour la corruption, par tolérance de son amoralité, par silence devant ses dégâts – richesse volée, humanité dévoyée, principes bafoués, servitude acceptée, imposture tolérée, etc.

Pour mieux le faire comprendre, jusqu’à saisir ce qui se joue ici non seulement d’essentiel mais d’éternel, Scarpinato remonte le fil du temps et du sens. Et, dans cette exploration, il nous fait comprendre que, s’il y a entre elles, selon les périodes, des différences de degré dans la violence, il n’y a pas de différence de nature entre les ruses du pouvoir criminel et celles du pouvoir oligarchique. 

Un entretien de Roberto Scarpinato avec sa traductrice en français Anna Rizzello.Un entretien de Roberto Scarpinato avec sa traductrice en français Anna Rizzello.

Il commence par le mot « imposture » : de imponere en latin, soit imposer. Dans le langage ecclésiastique, rappelle-t-il, le verbe imponere désignait parfois le fait de « faire porter le poids d’une croyance par le biais d’une tromperie »« L’histoire du pouvoir, y compris dans ses déclinaisons criminelles telles que la mafia, la corruption et le terrorisme, pourrait donc se réécrire comme un récit de voyage au royaume de l’imposture, lieu de construction et de perpétuation de fausses croyances utiles au maintien du pouvoir. »

Puis vient le mot « obscène » : de ob scenum, soit ce qui opère « hors scène ». Ce qui n’est pas sur scène et, donc, ne relève pas de la mise en scène. « Le véritable pouvoir est toujours obscène », affirme Scarpinato. D’où il découle que le dévoilement de cette obscénité est le moyen le plus efficace pour l’ébranler, dans une stratégie du faible au fort. Montrer l’obscénité qui surprend, révolte ou indigne, c’est-à-dire dévoiler le hors scène afin de briser l’omerta qui permet au pouvoir d’échapper à la honte du dévoilement. La honte, soit en italien vergogna, du latin vereor gogna, autrement dit « je crains le pilori ».

Comme l’ont illustré hier jusqu’à la censure judiciaire les péripéties de l’affaire Bettencourt, comme l’illustrent aujourd’hui les campagnes de diabolisation et de discrédit de Nicolas Sarkozy contre juges et journalistes, la question de la vérité factuelle, concrète, matérielle, celle des témoins, des documents et des enregistrements, est l’enjeu décisif, et donc le plus disputé, de ce chemin de justice où le pouvoir risque d’être mis à nu, entre obscénité et honte. Scarpinato l’explique dans l'un des rares passages où il convoque son expérience concrète de procureur, avec cette tristesse définitive de celui qui a vu et entendu l’obscène.

« Les vocations de héros et de martyrs se faisant rares de nos jours », écrit-il, « seules les machines brisent de temps à autre le silence artificiel dont le pouvoir s’est entouré : lorsque les résultats des procès pénaux sont rendus publics, les enregistrements issus des micros espions et des écoutes téléphoniques permettent aux citoyens sans pouvoir d’entendre, en direct et sans censure, la voix secrète du pouvoir. Et c’est comme soulever un coin du rideau pour entrevoir une réalité dégradante, derrière tous les sépulcres blanchis qui occupent le devant de la scène. »

Rejoignant les alarmes de son compatriote le journaliste Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra (lire ici et ), Scarpinato nous met en garde contre une réduction de la criminalité mafieuse à la seule violence visible, celle de la mafia d’en bas, ancrée dans les misères sociales et les désespoirs populaires. « La méthode mafieuse perd de sa visibilité, écrit-il : non parce qu’elle disparaît mais parce qu’elle se propage. » Aussi s’en prend-il à cette « vulgate médiatique selon laquelle la mafia ne serait qu’une sale affaire criminelle parsemée de fusils à canon scié et de dissolution de cadavres dans l’acide ».

Non, insiste-t-il, citation du code pénal italien à l’appui, « l’association mafieuse se caractérise par sa finalité particulière, qui ne consiste pas simplement à commettre des crimes, comme c’est le cas des associations criminelles ordinaires, mais à conquérir illégalement des espaces de pouvoir, en particulier économique et politique ». Et cette finalité de l’association mafieuse suppose un moyen qui est précisément « ce mal obscur qui ronge le pouvoir » « Une minorité organisée, composée de sujets dotés de différentes formes de pouvoir (social, politique, économique, et quelquefois militaire) mises à disposition du collectif dont la force devient ainsi invincible au regard de quiconque appartient à la majorité non organisée. »

« L’offense à la vérité est à l’origine de la catastrophe » : dans son exceptionnelle maïeutique démocratique, Roberto Scarpinato cite le devin Tirésias, clairvoyant bien qu’aveugle. Dans Œdipe Roi, la tragédie de Sophocle, rappelle-t-il, c’est cet oracle qui lance au tyran de Thèbes, lequel l’interrogeait sur le mal mystérieux qui rongeait sa ville : « L’assassin que tu cherches, c’est toi. » Façon de dire que, face à la corruption, nous serons tous cet assassin si nous continuons à regarder l’inessentiel et à nous aveugler sur l’essentiel. Autrement dit complices d’une « mafiosisation » du monde, qui s’étend à l’abri de notre indifférence et de notre passivité.

Roberto Scarpinato est de ces justes exemplaires qui ne s’y résignent pas. « Vivez comme si vous deviez mourir demain mais pensez comme si vous étiez éternels » : il a fait de cette maxime antique de la culture grecque, qu’il considère comme « l’apogée de la sagesse humaine », sa devise personnelle. Le 19 juillet 2012, il fut au rendez-vous de cet engagement sans concession pour l’une de ses rares apparitions publiques : l’hommage à son ami Paolo Borsellino, vingt ans après son assassinat.

L'hommage (sous-titres en français) de Roberto Scarpinato à Paolo Borsellino le 19 juillet 2012.

D’emblée, il commença son discours (à lire en intégralité dans le Club de Mediapart) en forme d’adresse au juge disparu par s’étonner de la présence « aux premiers rangs, aux places réservées aux autorités, des personnages dont la conduite semble être la négation même des valeurs de justice et d’égalité pour lesquelles on t’a assassiné. Des personnages au passé et au présent équivoques dont les vies dégagent, pour utiliser tes mots, cette puanteur du compromis moral que tu exécrais tellement et qui s’oppose au frais parfum de la liberté »

Qu’ils aient au moins la grâce, sinon de rester chez eux, du moins de se taire, poursuivit-il : « Vous qui ne croyez à rien si ce n’est à la religion du pouvoir et de l’argent, et qui n’êtes pas capables de vous élever au-dessus de vos petits intérêts personnels, taisez-vous le 19 juillet, car ce jour est dédié au souvenir d’un homme qui a sacrifié sa vie pour que des mots comme État, Justice et Loi aient enfin un sens et une valeur dans notre pauvre et malheureux pays. »

Dans ce discours bouleversant, il y a notamment ce rappel qui vaut plus que jamais, ce passé plein d’à présent : « Toi et Giovanni [Falcone] avez surtout été d’extraordinaires créateurs de sens. Vous avez accompli la mission historique de rendre l’État aux gens, car c’est grâce à vous et à des hommes comme vous que, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, l’État se présentait sous des traits crédibles auxquels il était possible de s’identifier, et dire “L’État c’est nous” prenait du sens.

« Vous nous avez appris que, pour construire ensemble ce grand Nous qui est l’État démocratique de droit, il est nécessaire que chacun retrouve et cultive la capacité de tomber amoureux de la destinée des autres. Lors des cérémonies publiques, on se souvient de toi comme d’un exemple du sens du devoir. Ils te sous-estiment Paolo, car tu nous as appris quelque chose de beaucoup plus grand. Tu nous as appris que le sens du devoir est peu de chose s’il est réduit à une exécution détachée et bureaucratique de nos propres tâches et à l’obéissance à nos supérieurs. »

Roberto Scarpinato terminait son hommage par l’engagement de « découvrir la vérité », c’est-à-dire ces « forces obscures et puissantes » qui se cachent derrière la main du bourreau. Il a tenu promesse. Après avoir été convoqué devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) italien pour ses fortes paroles, puis évidemment blanchi après une large protestation populaire, et enfin nommé début 2013, par le même CSM, procureur général au parquet de Palerme, il a récemment requis la comparution immédiate de deux officiels, un général et un colonel – et non des moindres (lire ici et sur Il Fatto Quotidiano) –, pour leurs liens avec la mafia.

Peu après, alors que son bureau est théoriquement aussi inaccessible qu’un bunker nucléaire, il y trouvait, posée en évidence, une lettre de menace très bien rédigée et fort bien renseignée. Aucune trace d’intrusion sur les caméras de surveillance. Rien, aucun indice, de manière à faire comprendre que la menace est au plus près, au plus proche, de l’intérieur de l’État lui-même et de l’oligarchie qui se l’approprie.

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Les invités de la soirée du dimanche 19 octobre : 

•       Roberto Scarpinato, procureur général auprès du parquet de Palerme
•       Éric Alt, magistrat, vice-président de l'association Anticor et auteur de plusieurs ouvrages sur la corruption. Il tient aussi un blog sur Mediapart, L'esprit de corruption
•       Chantal Cutajar, universitaire, directrice du Groupe de recherches actions sur la criminalité organisée (Grasco, université de Strasbourg). Retrouvez sa tribune publiée par Mediapart et intitulée Fraude fiscale : pour en finir avec le « verrou de Bercy »
•       William Bourdon, avocat, président fondateur de l'association Sherpa, dont l'objet est de protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques. Auteur d'un Petit manuel de désobéissance citoyenne (JC Lattès, 2014) sur les lanceurs d'alerte
•       Monique Pinçon-Charlot, sociologue. Derniers ouvrages parus : La Violence des riches (ZONES, 2013), L'Argent sans foi ni loi (Textuel, 2012), Le Président des riches. Enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (La Découverte, 2010)
•       Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice, éditeur, membre du comité éditorial de la revue Esprit
•       Jean-Paul Philippe, policier, ancien responsable de la Brigade centrale de lutte contre la corruption de la police judiciaire, coauteur de 92 Connection. Les Hauts-de-Seine, laboratoire de la corruption ? (Nouveau Monde Éditions, 2013)
•       Cynthia Fleury, philosophe. Relire son Appel à une République nouvelle, publié par Mediapart
•       Paul Jorion, économiste, chercheur en sciences sociales. À revoir dans En direct de Mediapart d'avril 2014 sur l'austérité
•       Pierre Lascoumes, sociologue, auteur d'enquêtes sur les représentations sociales de la corruption et sur les politiques de lutte contre la délinquance financière
•       François Morin, économiste, auteur de La Grande Saignée. Contre le cataclysme financier à venir (Lux, 2013). Son blog sur Mediapart

Cette soirée sera présentée par Edwy Plenel et animée par Fabrice Arfi, Benoît Collombat et Antoine Peillon. 

Entrée libre dans la limite des places disponibles 

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris 

Cette rencontre se déroulera en partenariat avec le théâtre de la Ville et avec le soutien des éditions Calmann-Lévy, La Découverte et Le Seuil.

Elle sera retransmise en direct sur Mediapart.

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Martine Aubry passe à l'attaque

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Elle parle, enfin, de façon structurée. Après avoir régulièrement envoyé des « cartes postales » à François Hollande et Manuel Valls (s'opposant à la réforme des collectivités territoriales ou à l'abandon de l'encadrement des loyers), selon les termes amusés de son entourage, Martine Aubry défie l'exécutif.

Dans un long entretien au Journal du dimanche (lire ici) et dans une non moins longue contribution aux états généraux du PS (intitulée « Pour réussir », lire ici), la maire de Lille fait connaître son incompréhension face à l'orientation du gouvernement. C'est la première fois depuis deux ans et demi qu'elle prend la parole.

« Détricoter au XXIe siècle les progrès du XXe est une étrange option pour la modernité », explique-t-elle dans son texte, assurant que « notre idéal n’est ni le libéralisme économique, ni le social-libéralisme ». « Il serait assez curieux, avec la crise sous les yeux, de s’amouracher à contretemps d’illusions qui démoralisent notre pays. Les tentatives de Tony Blair et de Gérard Schröder sont derrière nous », insiste-t-elle.

Dans son entretien au JDD, elle demande « qu'on réoriente la politique économique » et prévient à l'avance ceux qui au gouvernement vont riposter à son réquisitoire : « Il n'y a pas d'un côté les sérieux et de l'autre les laxistes. »

Martine Aubry s'en prend successivement aux réformes envisagées du travail le dimanche comme à celle des seuils sociaux ou aux velléités de réforme de l'assurance chômage. Puis propose, à l'image des députés socialistes critiques, de « mieux cibler les aides aux entreprises sur celles qui sont exposées à la concurrence internationale et sur celles qui investissent et qui embauchent ». Avec l'objectif de « libérer » 20 milliards d'euros sur les 41 prévus pour les aides aux entreprises du pacte de stabilité mis en œuvre par l'exécutif. La maire de Lille appelle aussi à s'atteler à « une grande réforme fiscale plus que jamais nécessaire » et « préférable à des mesures au fil de l'eau », évoquant « retenue à la source » et « fusion de la CSG avec l'impôt sur le revenu ». Une proposition également défendue par l'ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault, avec qui Martine Aubry s'est ostensiblement affichée il y a quelques jours.

Si elle confie n'être candidate qu'au « débat d'idées », la sortie d'Aubry a tout d'une mise en ordre de bataille de ses troupes.

Cette sortie était annoncée depuis des semaines. Martine Aubry souhaitait dans un premier temps s'exprimer avant le débat budgétaire, pour que son intervention ne soit pas simplement interprétée comme un soutien aux députés de la majorité qui contestent la ligne économique du gouvernement. Cette prévention initiale a été balayée. Martine Aubry dit explicitement « partage(r) » les propositions des "frondeurs" socialistes, qui bataillent à coups d'amendements pour réclamer des mesures en faveur du pouvoir d'achat, l'encadrement du crédit impôt-compétitivité emploi (CICE) ou une réforme fiscale. Il s'agit donc d'un soutien de poids pour les "frondeurs" qui n'ont ni chef de file ni vrai débouché politique immédiat.

Sur le fond, Aubry avance un concept, « la nouvelle social-démocratie », et développe son idée de « société bienveillante », déjà détaillée il y a plus de quatre ans dans un grand entretien à Mediapart (lire ici). Comme l'ancien ministre écologiste Pascal Canfin, qui l'avait expliqué dans nos colonnes il y a un mois (lire ici), elle s'appuie sur les notions anglo-saxonnes de « care, share et dare », que l'on pourrait traduire par « le soin » et le bien des personnes ; « l'audace », la culture de l’initiative et la prise de responsabilité ; et « le partage », l’économie collaborative et durable.

Sous sa plume, cela devient : « Le lien social renouvelé, le partage et le goût du commun comme alternative aux simplismes du marché, l’audace et l’imagination pour oser produire du progrès face au déclin. La culture n’y est pas considérée comme un luxe, mais comme le moyen de l’émancipation, et pour chaque génération la possibilité de laisser sa mémoire et sa trace. » Et Aubry d'estimer qu'un « nouveau moment social-démocrate » doit se concentrer sur « trois défis de notre temps : la révolution numérique, le réchauffement climatique, et les fractures entre les territoires ».

Sur la forme, l'initiative a des airs de structuration d'avant-congrès socialiste, avec son lot de signataires soutenant la prise de parole de l'édile lilloise, avant peut-être de se concentrer sur la prise du parti. Derrière Martine Aubry, on retrouve ainsi les fidèles, "frondeurs ou non", députés, présidents de conseils régionaux et généraux. Il y a dix jours, elle avait réuni ses troupes à huis clos un mardi à l'Assemblée nationale, dans le plus grand secret, pour leur expliquer qu'elle comptait « parler et agir ». « L'armée de l'ombre s'est vite remise au pas derrière elle », sourit l'un de ses proches, pour qui le message principal délivré par l'ancienne patronne du PS fut : « Puisqu'ils n'écoutent rien au gouvernement, il faut mener la bataille symbolique pour jouer la reconquête au parti, et obtenir des victoires pour le peuple de gauche, afin de ne pas être déjà condamné lors des prochaines élections. »

Quant aux ambitions personnelles de la maire de Lille, elles sont toujours aussi illisibles. Au PS, certains de ses adversaires politiques voient d'abord sa prise de parole comme une volonté d'exister ou de nuire, plutôt que de construire. Ses atermoiements déroutent jusqu'à ses plus proches, qui ne savent pas vraiment ce qu'elle a en tête : « Là, ce serait bien qu'elle nous dise assez vite si elle y va en première ligne ou si elle pousse quelqu'un pour mener l'alternative à gauche », explique un de ses soutiens. En ligne de mire, le prochain congrès du parti socialiste, dont la date (soit en juin ou septembre 2015, soit au printemps 2016) est en train d'être discutée au siège de la rue de Solférino.

« Les états généraux, c'est pas simplement la machine à revenir sur tout ce qui est tranché (...). Je ne crois pas que ce soit en remettant en cause tout ce que nous avons fait depuis deux ans que nous arriverons à redresser la situation du pays », a rétorqué dimanche le président du groupe PS à l'Assemblée nationale Bruno Le Roux, un proche de François Hollande.

Sans citer la maire de Lille, le premier ministre Manuel Valls a lui aussi réagi à la sortie de Martine Aubry, lors d'un discours à Paris devant le Forum républicain du parti radical de gauche. « À gauche, nous avons toujours considéré la diversité comme une richesse. Nous la faisons vivre chaque jour, même chaque dimanche, a-t-il ironisé. Parfois un peu trop, mais il faut avoir les nerfs solides. Comptez sur moi pour avoir les nerfs solides. » Il y a dix jours, Martine Aubry et Manuel Valls ont déjeuné ensemble. « C'était glacial », raconte un proche de la maire de Lille.

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Corruption, ça suffit ! Notre grande soirée

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Retrouvez notre grande soirée publique de témoignages et d'alerte de la société civile sur les ravages de la corruption, avec la présence exceptionnelle de Roberto Scarpinato, procureur général auprès du parquet de Palerme, organisée à l'occasion de la parution des ouvrages des journalistes Fabrice Arfi de Mediapart – Le Sens des affaires (Calmann-Lévy) –, Benoît Collombat de France Inter – Histoire secrète du patronat (La Découverte) – et Antoine Peillon de La Croix – Corruption (Seuil).

La corruption est la peste des États et le fléau des peuples. Nous en sommes tous, collectivement, les victimes invisibles. De grands témoins (sociologue, anthropologue, philosophe, économiste, avocat, policier et magistrat…) nous livreront leur expérience personnelle pour sensibiliser le plus grand nombre aux dangers quotidiens de la corruption et pointer les faiblesses françaises – culturelles, politiques ou institutionnelles – qui empêchent d’endiguer durablement le phénomène. Vous pouvez lire et signer notre appel ici.

Avec la présence exceptionnelle de Roberto Scarpinato, procureur général auprès du parquet de Palerme (Sicile), qui vit sous protection policière depuis plus de vingt ans pour son combat sans relâche contre toutes les mafias, criminelles ou financières (lire ici l'article d'Edwy Plenel).

Les plateaux : 

  • L'intervention d'Edwy Plenel

 

  • Lutte contre la corruption, la France sous armée

Avec :
• Éric Alt, magistrat, vice-président de l'association Anticor et auteur de plusieurs ouvrages sur la corruption. Il tient aussi un blog sur Mediapart, L'esprit de corruption
• Chantal Cutajar, universitaire, directrice du Groupe de recherches actions sur la criminalité organisée (Grasco, université de Strasbourg). Retrouvez sa tribune publiée par Mediapart et intitulée Fraude fiscale : pour en finir avec le « verrou de Bercy »
• William Bourdon, avocat, président fondateur de l'association Sherpa, dont l'objet est de protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques. Auteur d'un Petit manuel de désobéissance citoyenne (JC Lattès, 2014) sur les lanceurs d'alerte
• Jean-Paul Philippe, policier, ancien responsable de la Brigade centrale de lutte contre la corruption de la police judiciaire, coauteur de 92 Connection. Les Hauts-de-Seine, laboratoire de la corruption ? (Nouveau Monde Éditions, 2013)

 

  • L'intervention de Roberto Scarpinato

Roberto Scarpinato, procureur général auprès du parquet de Palerme (Sicile), qui vit sous protection policière depuis plus de vingt ans pour son combat sans relâche contre toutes les mafias, criminelles ou financières.

 

  • L'intervention d'Antoine Garapon

Antoine Garapon est magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice, éditeur, membre du comité éditorial de la revue Esprit.

 

  • Une oligarchie déguisée en démocratie

Avec :
• Monique Pinçon-Charlot, sociologue. Derniers ouvrages parus : La Violence des riches (ZONES, 2013), L'Argent sans foi ni loi (Textuel, 2012), Le Président des riches. Enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (La Découverte, 2010)
• Pierre Lascoumes, sociologue, auteur d'enquêtes sur les représentations sociales de la corruption et sur les politiques de lutte contre la délinquance financière
• François Morin, économiste, auteur de La Grande Saignée. Contre le cataclysme financier à venir (Lux, 2013). Son blog sur Mediapart
• Cynthia Fleury, philosophe.

 

  • L'intervention de Paul Jorion

Paul Jorion est économiste, chercheur en sciences sociales.

 

  • Lecture de l'appel "Nous, citoyens contre la corruption"


Cette rencontre s'est tenue en partenariat avec le Théâtre de la Ville et avec le soutien des éditions Calmann-Lévy, La Découverte et Le Seuil.

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MediaPorte : « Happy Birthday la gauche ! »

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Didier Porte joue son spectacle, Didier Porte, à droite !, tous les mercredis à 21 h 30 au Théâtre Trévise : 14, rue de Trévise, 75009 Paris (réservation : 01 48 65 97 90).

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Hollande-Valls, une « idylle » pleine de sous-entendus

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Ce n’est pas une scission, encore moins une crise. Entre François Hollande et Manuel Valls, tout fonctionne, nous dit-on, comme dans le meilleur des mondes. « À côté de certains duos président-premier ministre, c'est même l'idylle absolue », dit un proche du chef de l'État.

Officiellement, rien ou presque ne sépare le locataire de l'Élysée et celui de Matignon. Même ligne libérale, maintenant que les ministres qui réclamaient une autre politique ont quitté le gouvernement. Même priorité donnée à la réduction des déficits, avec des économies de 21 milliards d'euros pour la seule année 2015, tout en tentant d'obtenir l'indulgence de Bruxelles pour ne revenir sous les 3 % de déficit qu'en 2017. Au point que quand Valls parle, certains s'imaginent que c'est François Hollande qui lance des ballons d'essai. De fait, depuis deux ans et demi, Hollande et son ancien directeur de la communication, devenu ministre de l'intérieur puis premier ministre, ont noué une relation assez particulière: l’un (Valls) parle et s’agite, l’autre (Hollande) ne dit mot et consent, ainsi que l’ont laissé entrevoir deux ouvrages parus en début d’année (lire notre analyse).

Pourtant, plusieurs témoignages recueillis ces dernières semaines par Mediapart accréditent l’idée d’une sourde méfiance entre les deux têtes de l’exécutif. Car s'ils sont effectivement « collés » (selon un proche de Hollande) sur la même ligne politique, à la fois par conviction et par nécessité, Hollande et Valls continuent, au mitan du quinquennat et en prévision des échéances à venir, à se préoccuper de leur propre capital politique. Impopulaire, François Hollande tente de le ressusciter. Ancien “M. 5 %” de la primaire socialiste de 2011, Manuel Valls, lui, tente de le faire fructifier. La récente polémique sur l’assurance-chômage, premier exemple de vraie dissonance entre le chef de l’État et son premier ministre, est la face émergée de cette discrète guerre de position. 

Évidemment, le thème de la rivalité entre le chef de l’État et le premier ministre est un classique du genre, souvent monté en épingle par les commentateurs. La faute à cette fameuse « dyarchie de la Ve République », dont de nombreux conseillers ou ministres se plaignent (lire, par exemple, cet entretien avec Aurélie Filippetti). « Cette bizarrerie institutionnelle crée parfois du flottement, comme s’il y avait deux centres de décision. On se marche sur les pieds, c’est inévitable », déplore un conseiller à l'Élysée.

Parfois, les courts-circuits se transforment en querelles. Par exemple entre François Hollande et Jean-Marc Ayrault, à l’automne 2013 avec l’annonce d'une grande réforme fiscale aussitôt enterrée. Puis tout au long de l’hiver 2014, avant que l’ancien maire de Nantes ne soit débarqué au lendemain de la débâcle municipale fin mars

François Hollande et Manuel Valls, le 15 août, au fort de BrégançonFrançois Hollande et Manuel Valls, le 15 août, au fort de Brégançon © Reuters

Serait-ce déjà le cas avec Manuel Valls ? Il n’est pas question de conflit ouvert ou de grave dysfonctionnement. Valls est même loué pour sa capacité à faire « fonctionner la machine » de l’État (sous-entendu, mieux que Jean-Marc Ayrault), et le compliment vient de l’Élysée, comme d’anciens ministres qui lui sont hostiles. Il n’en reste pas moins qu’une sorte de méfiance semble s’être installée à la tête de l’État : Matignon s’inquiète de la gouvernance par SMS de François Hollande, de la solitude de sa gestion du pouvoir, et met en avant son ardeur réformatrice pour mieux exacerber le contraste avec l’Élysée ; au « Château », on s’interroge sur les intentions futures de Manuel Valls, dont la loyauté est mise en doute.

Jusque-là, l’attelage Hollande-Valls a déjoué les pronostics d’une cohabitation digne des années Mitterrand-Rocard. Les proches du premier ministre répètent qu’il est là « pour durer ». « L’idée de Valls, c’est d’aller jusqu’en 2017 », explique un de ses soutiens au gouvernement. « Manuel Valls ne trahira jamais, et l’avenir le prouvera », jure Luc Carvounas, sénateur PS et fidèle de Valls. «  Le modèle de Manuel Valls, c’est Clemenceau, pas Fouché (incarnation de la duplicité en politique - ndlr). Lui et le chef de l’État sont encordés », assure Thierry Mandon, secrétaire d’État à la réforme de l’État. 

« Ils sont liés par une situation tellement catastrophique qu’aucun des deux n’a intérêt à jouer au con », résume crûment Christophe Caresche, député de l’aile droite du PS. À son arrivée à Matignon, Manuel Valls, alors soutenu par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, semblait disposé à mener l’épreuve de force avec l’Union européenne. Il n'en est plus question. À entendre ce “hollandais” historique, il y a désormais « une répartition des rôles » : « Le premier ministre est le garant des réformes vis-à-vis de Bruxelles. Le président, lui, a un espace pour aborder les problèmes plus politiques au niveau de l’Union, comme la stratégie et la relance en Europe. »

L’épisode récent de l’assurance-chômage a pourtant révélé une dissonance. « C'est la première fois qu'il y a une divergence entre eux », concède un ministre important du gouvernement. En “off”, en Allemagne puis à Londres, Manuel Valls a expliqué pourquoi il voulait réformer le système français. Il a même été jusqu’à évoquer une « préférence française pour le chômage de masse bien indemnisé », expression typique des libéraux. Le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, a enfoncé le clou. Par deux fois, François Hollande et l’Élysée ont temporisé en affirmant que ce n’était pas à l’ordre du jour.

Manuel Valls et Emmanuel Macron, le 16 septembre à l'Elysée, lors de la conférence de presse de François HollandeManuel Valls et Emmanuel Macron, le 16 septembre à l'Elysée, lors de la conférence de presse de François Hollande © Reuters

À aucun moment, François Hollande n’a déjugé Manuel Valls sur le fond, se contentant de rappeler le calendrier prévu, à savoir la renégociation de l’assurance-chômage de 2016. À aucun moment, il n’a fait dire qu’il ne fallait pas réformer le régime français, ni expliqué qu’il n’y avait pas de « préférence française » pour le chômage. Le désaccord ne porte que sur le calendrier et le choix des mots, pas sur la ligne politique. Rien à voir par exemple avec les propos de Martine Aubry qui assure au JDD qu’« on ne réforme pas (l'assurance-maladie) au moment où il y a tant de chômeurs ».

La passe d’armes a toutefois révélé la volonté de Manuel Valls de se démarquer en affichant sa posture préférée, celle du « réformateur » qui brise les « tabous ». Tandis que François Hollande, au moins par souci tactique, semble avoir voulu éviter de s’aliéner complètement son électorat. « Sur l’assurance-chômage, le président a fermé la porte assez fortement car ça commençait à dériver sérieusement », assure un de ses proches.

Passade ? Amorce d’un virage ? Ces dernières semaines, François Hollande, au plus bas dans les enquêtes de popularité, semble désireux de commencer à reconstituer son espace politique (réduit) et rehausser son crédit (faible). Son arme : la toute-puissance institutionnelle de sa fonction. « Le président tente de mettre le dispositif sous contrôle, analyse Christophe Caresche, député proche de Valls. Il l’a fait au moment du remaniement en mettant beaucoup de proches en responsabilité, les principaux leviers de pouvoir sont entre leurs mains. »

Pour Hollande, le remaniement a certes eu l'inconvénient de le couper d'une partie de sa gauche. Mais l'expulsion d'Arnaud Montebourg, avec qui Valls avait conclu une alliance politique, lui a aussi permis de rogner les ailes de Manuel Valls en l'isolant. « Il a verrouillé, ne s'est pas mis dans la main de Manuel Valls et tente désormais de retrouver un espace, y compris pour parler à sa gauche », poursuit Caresche. Pour cela, jouer du contraste avec Manuel Valls lui est évidemment utile. « Hollande reste tactiquement le plus malin, estime un député socialiste qui ne le porte pas dans son cœur mais le juge insubmersible. Il y a nécessité pour lui de se remettre au centre du parti, donc il droitise Valls. »

Ce recentrage s'effectue par petites touches. Le 6 novembre, pour l’anniversaire de ces deux ans et demi de mandat, le chef de l’État sera à la télévision. À l’Élysée, on entend à nouveau parler du fameux « temps deux du quinquennat » : une phase de redistribution après deux ans d’efforts. C’était un slogan de la campagne présidentielle, vite jeté aux oubliettes.

Alors qu'au Parlement, le gouvernement fait face, débat budgétaire oblige, aux assauts de “frondeurs” sans perspective politique immédiate mais de moins en moins isolés idéologiquement, les proches du chef de l’État insistent aussi sur le fait que c’est à l’Élysée qu’a été prise la décision de moduler les allocations familiales des plus riches (lire notre article). « Une mesure soutenue par 70 % des Français, dans la majorité et au-delà », explique-t-on à l’Élysée. De fait, voilà un débat interne à la majorité qui s’est conclu sans drame, c’est assez rare pour être signalé.

Les signaux de fumée se multiplient aussi envers les forces politiques extérieures au PS. François Hollande a reçu à cinq reprises l’élu Modem Jean-Luc Bennahmias, lui-même étonné d’une telle sollicitude. Il s’est récemment invité à un dîner de parlementaires verts et a reçu la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, Emmanuelle Cosse. Laquelle a annoncé à l’issue de cette entrevue que la centrale nucléaire de Fessenheim fermerait bien d’ici 2017. L’annonce a pris de court le gouvernement.

Comme Mediapart l’a raconté, le départ d’Henri Proglio de la direction d’EDF est aussi le fruit d’une discrète guerre des nerfs entre Matignon et l’Élysée, remportée par ce dernier.

En privé, François Hollande se remet aussi à évoquer la réforme institutionnelle, promise en 2012 et laissée en jachère depuis. Elle pourrait être mise en branle au lendemain des élections départementales, en mars prochain. L’Élysée travaille en effet sur la réduction du nombre de députés et l’introduction d’une part de proportionnelle aux législatives, ainsi que sur la relance de plusieurs textes déjà votés par l’Assemblée mais bloqués au Sénat, comme la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou la suppression de la Cour de justice de la République (CJR). 

D’après un proche, François Hollande n’a pas non plus renoncé au droit de vote des étrangers aux élections locales, mesure qui n’est pas jugée prioritaire par Manuel Valls. Toutes ces mesures auraient, entre autres, l’énorme avantage de plaire à la gauche, y compris au PS qui a bien besoin de se rassurer sur la politique qu’il mène au pouvoir.

Manuel Valls et le premier ministre britannique David Cameron, à Londres, le 6 octobreManuel Valls et le premier ministre britannique David Cameron, à Londres, le 6 octobre © Reuters

En face, Manuel Valls, avant-dernier de la primaire socialiste de 2011 avec 5 % des voix, profite de Matignon pour faire fructifier son capital politique.

« Il est quand même passé en douze ans de sous-conseiller de Jospin à premier ministre, c’est une sacrée progression en quelques années ! » remarque la députée PS Karine Berger. « De son point de vue, il a déjà gagné, analyse François Lamy, ancien ministre d'Ayrault et proche lieutenant de Martine Aubry : il a accédé à une stature inespérée et pourra la faire fructifier s’il sort du gouvernement. » Ce qui fait dire à l’UMP Christian Jacob que le premier ministre est « avant tout occupé à la mise en scène de sa sortie »...

En attendant, Valls travaille sa posture de puncheur qui tape sur tout ce qui bouge, surtout si cela ressemble à un « totem » de la gauche – l’expression est de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS. Ici, un coup de griffe aux allocations-chômage, là un vibrant “J’aime l’entreprise” au Medef (lire notre article), et un discours remarqué devant les patrons de la City à Londres (« my government is pro-business »), là, une posture de fermeté sur les sujets de société, etc. « Il n’y a pas un jour sans provocation de sa part », s’énerve un député aubryste. « La méthode Valls, c'est retrouver la confiance, rassurer les acteurs économiques pour relancer la croissance, détaille Christophe Borgel, secrétaire national du PS et soutien de Manuel Valls. Et puis c'est la guerre au terrorisme. Il n'a pas besoin d'affirmer davantage une image de social-libéral ou d'autorité, il l'a déjà. »

« Valls a tranché pendant l’été et a choisi d’emprunter une option ouvertement libérale, où il n’est plus possible de rien infléchir, où c’est Bruxelles qui va dicter le bon contrat social, et où le souci d’économies prime sur le souci de justice, déplore l’ancien ministre de l’éducation Benoît Hamon, débarqué du gouvernement fin août. Quand j’ai quitté le gouvernement, s’il a essayé de me retenir, il n’a pas insisté non plus. Il a vu là l’occasion de tracer un sillon pour devenir un leader du centre-gauche en se renforçant sur le centre-droit. » D'ici 2017 ou bien après, après une défaite attendue de la gauche.

« Valls a toujours eu ce discours "la réforme pour la réforme". C'est d’ailleurs cette énergie de la réforme qui lui a ouvert les portes de Matignon après les municipales, explique un ténor du gouvernement. Mais si on ne dit pas ce qu'on veut et où on va, alors ce type de discours est anxiogène. Ce que je crains le plus, c'est le discours "la réforme pour la réforme" comme il y a eu "la rupture pour la rupture " », une allusion à la fameuse « rupture » sarkozyste.

Pour Luc Carvounas, autre soutien de Valls, « il n’y a pas une feuille de papier à cigarette » entre Valls et Hollande. « Il n’y a qu’une politique : celle du président de la République. Chacun est dans son rôle : le président fixe le cap et il a donné au premier ministre la mission de faire des réformes », assure-t-il... Ce qui ne doit pas empêcher son mentor de polir son image de briseur de “tabous”. « On ne va pas se prendre les pieds dans le tapis en s’évitant de phosphorer, en s’évitant d’entretenir dans l’opinion l’idée de la réforme, du mouvement, en refusant de lever les scellés sur des sujets qui apparaissent dogmatiques ou fermés. »

Il arrive même à Manuel Valls de mettre explicitement la pression sur l’Élysée, manière de faire apparaître, par contraste, l’Élysée comme le lieu du statu quo. « Si d'ici trois à six mois, la situation ne s'est pas inversée, ce sera foutu », lâche-t-il mi-septembre dans Le Monde, avant de démentir avoir tenu ces propos, ce qui ne trompe personne. 

Mais en privé, ses amis sont plus explicites. « Le président est dans la nasse et il faut qu’il y reste », expliquait récemment à des députés un de ses proches, le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen. Valls comme rempart à Hollande : comme Mediapart le racontait alors, ce type d'argument était déjà utilisé en avril par Le Guen et Borgel pour inciter les députés récalcitrants à voter la confiance au gouvernement.

« À son âge, avec sa position politique, il n’est pas anormal que Manuel Valls réfléchisse à son positionnement politique », relativise, un brin ironique, un proche de François Hollande.

De l’avis général, les hostilités ne sont pas déclenchées. « Entre les deux hommes, je ne vois pas de différenciation qui conduirait peu à peu à un schisme, assure le secrétaire d’État Thierry Mandon. Manuel Valls ne veut pas ferrailler : il veut qu'on se dise qu’il a été loyal jusqu’au bout. »

Ce qui n’exclut pas qu’il saute un jour du train s’il estime sa position intenable. Ce qui n’exclut pas non plus que François Hollande se débarrasse de lui, par exemple après l’échec programmé des cantonales puis des régionales (mars et décembre 2015), ou s’il compte un jour tenter de renouer avec la majorité des électeurs qui l’ont élu président.

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Micro-parti de Le Pen : l’enquête est élargie au «blanchiment en bande organisée»

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Au printemps, ils en rigolaient encore, persuadés que l'enquête judiciaire allait « faire pschitt ». Les responsables de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, ont désormais de quoi s'inquiéter. D'après nos informations, le système de prêts massifs vendus à de nombreux candidats FN lors des dernières élections législatives et locales, qui se retrouve au cœur d’une instruction confiée aux juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi, a été organisé par cette formation politique dans des conditions qui se révèlent de plus en plus douteuses.

Marine Le Pen en 2011Marine Le Pen en 2011 © Reuters

D’après des sources proches de l’enquête, au moins un candidat frontiste, censé avoir souscrit un emprunt d’une dizaine de milliers d’euros auprès de Jeanne au taux particulièrement élevé de 6,5 % pour financer sa campagne législative, a déclaré qu’il n’avait jamais rien signé de tel et qu’il avait découvert l'existence d’un contrat au lendemain du scrutin. À l’en croire, quelqu’un aurait paraphé la convention de prêt dans son dos.

On comprend désormais mieux pourquoi l’information judiciaire, déclenchée par un signalement de la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), a été ouverte en avril dernier sur des soupçons de « faux et usage de faux » et d’« escroquerie en bande organisée ». D’après nos informations, elle a depuis été élargie à de possibles faits d’« abus de biens sociaux », mais aussi de « blanchiment en bande organisée » à la suite d’un réquisitoire supplétif délivré à la mi-septembre par le parquet de Paris.

Nombre d’éléments recueillis par Mediapart suggèrent aussi que des candidats frontistes (ou Rassemblement bleu marine) ont été priés d’antidater — donc de falsifier — leurs contrats de prêts avec Jeanne. Alors que certains prêts à 6,5 % n’avaient pas été conclus en temps et en heure (c’est-à-dire pendant la campagne), des représentants du micro-parti se seraient adressés aux candidats après les élections seulement, pour réclamer qu’ils signent une convention antidatée. Questionnés par Mediapart, les responsables de Jeanne ne nous ont pas répondu sur ce point.

À ce stade, difficile de comprendre ce que cachent exactement tous ces bidouillages, dans un micro-parti qui affichait 9 millions d’euros de recettes en 2012. Mais il faut rapprocher ces éléments d’une autre “bizarrerie” déjà racontée par Mediapart : presque tous les candidats frontistes aux dernières élections législatives se sont vu imposer l'achat auprès de Jeanne d'un « kit de campagne obligatoire » (comprenant la conception et l’impression d’un journal, d’une carte postale, d’une lettre de candidature, etc.). Tarif : environ 16 000 euros par personne, parfois plus.

Si Jeanne a développé un système de prêts à marche forcée au “bénéfice” des candidats, ce serait donc pour mieux leur vendre ses coûteux kits, en quelque sorte pour financer sa propre activité commerciale. C’est d’ailleurs un seul et même document que les candidats remplissent pour passer commande — ils cochent simplement une case pour signifier qu’ils acceptent le prêt de Jeanne au taux de 6,5 %.

Le véritable bénéficiaire de ce système, c’est l’entreprise de communication prestataire de Jeanne, qui fabrique tous ces kits à la chaîne. Baptisée Riwal, elle est dirigée par l’un des plus fidèles conseillers de l’ombre de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, un proche du régime syrien souvent présenté dans les couloirs du FN comme « l’argentier officieux de Marine ». En 2012 déjà, pendant la présidentielle, il lui avait facturé plus de 1,6 million d’euros de prestations. C’est aujourd’hui l’un de ses associés, un certain Axel Loustau, qui occupe le poste clef de trésorier de Jeanne. Pratique.

Selon l’un de ses amis, le patron de Riwal serait récemment parti « se mettre au vert » à l’étranger. « Je suis très régulièrement en Italie pour développer une filiale sans aucun rapport avec la politique », nous rétorque Frédéric Chatillon, pas bavard sur la marge de son entreprise, dont les comptes n’ont plus été déposés depuis 2007. Ses kits vendus aux candidats du FN lors des dernières municipales, par l’intermédiaire de Jeanne, ne seraient-ils pas surfacturés ?

D’après nos informations, la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) serait tentée de répondre à cette question clef par l’affirmative. Dans le cadre de son contrôle, elle est en train de décortiquer les factures de Jeanne et les prestations de Riwal. Or, d’après des courriers expédiés cet été à certains candidats FN, que Mediapart a pu consulter, les rapporteurs de l’autorité indépendante ont tiqué au moins sur deux points.

D’abord, pourquoi des « frais de conception » des documents (journal, carte postale, etc.) sont-ils facturés à chacun des candidats, alors que leur « conception » n’a eu lieu qu’une fois pour toutes ? « S’agissant de documents strictement identiques (le changement de photographie du candidat relevant exclusivement de l’impression), le montant total des frais de conception ainsi versé au prestataire (Riwal - ndlr) pourrait être considéré comme manifestement excessif et sans rapport avec la réalité de la prestation effectuée », écrivent les rapporteurs, qui doivent boucler leurs travaux d’instruction d’ici la fin novembre.

Plus globalement, certaines « dépenses de conception et d’impression paraissent avoir été surévaluées », estiment ces rapporteurs. « Telle somme peut être considérée comme supérieure aux prix du marché », ont-ils signifié à de nombreux candidats FN, en leur demandant « de préciser les circonstances particulières qui seraient de nature à établir que les prix ainsi pratiqués étaient justifiés et ne caractérisaient pas une surfacturation. »

En l’absence de justifications, la commission pourrait bien décider qu’une partie de ces dépenses n’a rien à faire dans un compte de campagne et refuser qu’elle soit remboursée par l’État aux candidats.

Questionné par Mediapart, le trésorier de Jeanne, Axel Loustau, relativise déjà ces difficultés, parlant d’une « réformation partielle et mineure » des comptes des candidats. Il assure qu’à ce stade, aucune des décisions rendues par la CNCCFP ne conteste « la réalité des prestations servies par Jeanne et ses sous-traitants, ni le montant des tarifs pratiqués ». Et de défendre ces derniers : « Vous noterez que l'économie française n'obéit pas à des règles de droit soviétique mais est soumise au régime de la liberté du commerce et de l'industrie, principe de valeur constitutionnelle. »

« À ma connaissance, aucun compte n’est rejeté à ce jour », insiste de son côté Frédéric Chatillon. En mai dernier, le patron de Riwal s’était agacé de nos questions : « Vous devriez attendre la fin de l'enquête, à moins que vous ne travailliez pour la police. »

Les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi n’en sont — il est vrai — qu’au milieu de leurs investigations. Les enquêteurs s’interrogent également sur le taux d’intérêt particulièrement élevé de 6,5 % auquel Jeanne prête en général. Sous certaines conditions, les intérêts d’emprunt que les candidats lui versent peuvent en effet être admis dans la catégorie de leurs dépenses remboursables par l’État. Une aubaine.

En avril dernier, lors de l’ouverture d’une information judiciaire, Marine Le Pen (qui a pris soin de ne pas figurer dans les statuts de Jeanne) avait réagi vertement sur Twitter : « Enquêtes, informations judiciaires, perquisitions, le pouvoir socialiste ne manque pas d'imagination face à son opposition politique. » Et d’ajouter : « Tout cela se terminera comme à chaque fois par un non-lieu ou une relaxe dans quelques mois, mais la calomnie aura rempli son rôle. »

D’après son compte de campagne aux législatives, que Mediapart a consulté, Marine Le Pen s’est en tout cas bien gardée de contracter un emprunt auprès de Jeanne. Pour elle-même, la présidente du FN a préféré la Société générale.

BOITE NOIRESollicitée par l'intermédiaire de son chef de cabinet, Philippe Martel, Marine Le Pen n'a pas souhaité nous parler. « Je n'ai rien à vous dire », s'est contenté de répondre ce dernier. Jean-François Jalkh, vice-président du FN en charge des élections et secrétaire général de Jeanne, n'a pas retourné notre appel. L'intégralité de la réponse d'Axel Loustau, trésorier du micro-parti, est consultable sous l'onglet Prolonger, ici.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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La justice reconnaît la cause professionnelle du suicide d’une policière

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Le tribunal administratif de Nice a reconnu le 10 octobre 2014 le suicide de Nelly Bardaine, policière de Cagnes-sur-Mer qui s'est tuée en juillet 2011, comme un accident de service. « Les circonstances dans lesquelles Mme Bardaine a exercé ses fonctions constituent la cause déterminante de son suicide, qui ne peut être regardé comme un fait personnel détachable du service, affirment les juges dans leur décision. Par suite, c’est à tort que l’administration a refusé de 
reconnaître comme imputable au service le suicide de Nelly Bardaine. »

Alors qu’une quarantaine de policiers se suicident chaque année, c’est la deuxième fois à notre connaissance que la justice reconnaît leur caractère professionnel. Signe d’une évolution, ces deux reconnaissances ont eu lieu en 2014. Le 21 mai 2014, après dix ans de combat, le tribunal administratif de Poitiers avait ainsi donné raison à la femme et la fille d’un brigadier de police, décédé le 15 juillet 2004.

Nelly Bardaine, âgée de 39 ans, s’est tuée avec son arme de service le 4 juillet 2011, dans une voiture de police qu'elle avait pris soin de garer en zone gendarmerie. La jeune femme a laissé une lettre sans équivoque, écrite à la va-vite sur un papier à en-tête du commissariat : « Marre de monde con qui marche a l'envers où les autres sont assistés pour être surs d’être relaxes, les flics sont fliqués. Marre monde qui ne fonctionne plus qu’aux stats alors que ceux qui les demandent ne savent pas a quoi elles correspondent !! Encore merci à M. G. (son chef de service commissaire - ndlr) pour cette promotion-punition. moi comme ça que je le ressens. »

La jeune femme travaillait au service de l’identité judiciaire où « elle était considérée comme excellente », rappelle le tribunal administratif dans sa décision. Elle avait été affectée en mars 2011 contre son gré et pendant ses congés dans un autre service, « ce qu’elle a vécu comme une punition ». Le commissaire de Cagnes-sur-Mer lui avait fait miroiter à plusieurs reprises une réintégration, sans donner suite. « Cette situation était très mal vécue par la défunte, plusieurs de ses collègues l’ayant vu se plaindre de cette situation et l’ayant vu pleurer », indique le tribunal.

Comme l’avait révélé Mediapart, le commissaire de Cagnes-sur-Mer avait déjà été mis en cause par un de ses anciens subordonnés, sur un précédent poste au Brésil. Ce qui n'avait pas empêché le ministère de l'intérieur de l’exfiltrer et de le placer en août 2009 à la tête des 140 policiers de cette circonscription des Alpes-Maritimes. Les juges ont donc condamné l’État à indemniser son compagnon Franck Magaud, également policier, à hauteur de 30 000 euros, ses parents à hauteur de 20 000 euros chacun et son frère à hauteur de 10 000 euros. L’administration, qui n’avait pas répondu à leur demande de reconnaissance du caractère professionnel du suicide, n’a pas cherché à se défendre devant le tribunal administratif. Aucun représentant du ministère de l’intérieur n’était présent à l’audience le 19 septembre 2014. L'Etat dispose de deux mois pour faire appel.

« Nous sommes satisfaits que l'administration soit reconnue coupable de son ingérence dans le placement de ce commissaire au commissariat de Cagnes-sur-Mer, réagit Franck Magaud. Mais notre demande portait aussi sur ce chef de service qui n'a pas été inquiété plus que cela à l'issue de la procédure (il a été muté à Toulouse - ndlr). Il a même passé son grade de commissaire divisionnaire en 2013. » La plainte contre X... pour « harcèlement moral »,  «conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine » et « homicide involontaire », déposée par Me Adrien Verrier l'avocat de la famille en septembre 2011, avait en effet été rapidement classée sans suite par le parquet.

Seuls deux cas de suicide ont été reconnus par le ministère de l’intérieur lui-même comme imputables au service, celui d’un commissaire qui s’est tué en 2008 après avoir revêtu son uniforme et celui plus récent d'un major d'une cinquantaine d'années qui s'est suicidé en 2013 à Brest. La fin d'un tabou ? Alerté sur ce problème, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve s'est récemment rendu au commissariat de Bergerac afin de rencontrer les collègues d'un adjoint de sécurité de 20 ans qui a mis fin à ses jours. « C'est une question délicate, qui implique beaucoup de finesse, des dialogues avec les représentants des personnels, un travail sur le management, un renforcement des conditions d'accompagnement social des policiers en difficulté, a-t-il déclaré selon Sud-Ouest.  Il y a un travail en cours. »

Dans le Val-d'Oise, après le suicide de deux policiers le 17 septembre 2014 avec leur arme de service (utilisée dans deux tiers des cas), la directrice départementale de la sécurité publique (DDSP) a ainsi demandé à titre provisoire aux troupes de police de déposer leurs armes en quittant leur service. Un pis-aller, ont dénoncé plusieurs syndicats de police.

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Documentaire. « Qu'ils reposent en révolte », sur les migrants de Calais

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Alors que la situation se tend à nouveau à Calais entre les migrants, les forces de l'ordre et les habitants (douches de migrants gérées par le Secours catholique incendiées fin septembre, échauffourées avec la police qui tente d'empêcher l'accès à la rocade aux migrants, ce week-end...), le film de Sylvain George, Qu'ils reposent en révolte (Des figures de guerre I), vient rappeler l'indigence des conditions de vie de ces migrants.

Sylvain George a tourné durant trois ans (entre 2007 et 2010, et la destruction de la « jungle » par Éric Besson) auprès de ces personnes bloquées à Calais dans l'attente et l'espoir d'un passage vers le Royaume-Uni. Un film formellement réussi, succession de fragments, de récits, où la patience du cinéaste croise celle, infinie, de ces hommes venus d'Afrique et d'Asie.

Très remarqué à sa sortie en 2011, Qu'ils reposent en révolte a déjà été présenté sur Mediapart par Carine Fouteau (lire ici son l'article) et par un billet dans le Club de Mediapart de Jérôme Valluy (à lire ici). Un entretien avec Jacques Rancière : « Savoir où l'on place l'intolérable dans nos vies » avait été aussi réalisé à cette occasion.

Ce film circulera pendant le Mois du film documentaire (organisé en novembre par Images en Bibliothèques) dans le cadre de la thématique “Figures de migrants”. Sylvain George l'accompagnera lors des projections. Pour en savoir plus, cliquer ici

  • Qu'ils reposent en révolte a été plusieurs fois primé : prix du meilleur film et de la critique internationale au BAFICI ; mention d’honneur à la 47e Mostra del Nuovo Cinema, Pesaro ; prix du meilleur film au Filmmaker Film Festival, Milan ; prix du Jury au Festival International du Film de Valdivia

BOITE NOIRECe documentaire vous est proposé durant trois mois sur Mediapart, grâce à notre partenariat Images en Bibliothèques, avec qui nous nous associons pour vous permettre de voir, chaque mois, un documentaire dans son intégralité. Le précédent, La part du feu, d'Emmanuel Roy, sur les combats contre l'amiante est toujours visible ici.

En novembre, Images en Bibliothèques organise le mois du film documentaire, avec quelque 3 000 projections en France. Tout le programme est ici.

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Sur fond d’antisémitisme, Soral et Dieudonné lancent leur parti

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On devrait savoir assez vite lequel est la marionnette de l’autre, même si l’on s’en doute un peu. Le pamphlétaire antisémite Alain Soral et l’humoriste Dieudonné ont décidé de créer leur propre parti politique. Cette organisation doit s’appeler Réconciliation nationale, selon les statuts obtenus par Mediapart.

Déjà proches, les deux hommes ont leurs raisons. Dieudonné ne cache pas qu’il veut désormais répondre « aux larbins du Congrès juif mondial », « cette organisation mafieuse et sataniste », qui a « fait plier le conseil d’État » en faveur de l’interdiction de son spectacle. Alain Soral a, quant à lui, annoncé, dès le 6 septembre, son projet de « se dissocier totalement du Front national », et de « rouler pour lui-même, en tant que parti politique », à la suite des prises de position « pro-israéliennes » du conseiller international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, cet été. Ce qu’il a appelé « la trahison de Chauprade ».

Alain Soral et Dieudonné en mai 2009 lors du dépôt de leur liste aux européennes.Alain Soral et Dieudonné en mai 2009 lors du dépôt de leur liste aux européennes. © Reuters

Créée en 2007 pour servir le parti de Marine Le Pen – auquel Soral appartenait à l’époque –, l’association Égalité et Réconciliation (E&R) devrait être mise au service du futur parti politique. Selon les documents en notre possession, le parti Réconciliation nationale a été domicilié 3, rue du Fort de la Briche, à Saint-Denis (93), où sont déjà installées Égalité et réconciliation et la maison d’édition Kontre Kulture, mise en cause pour avoir publié, en 2013, plusieurs livres antisémites.

Alain Bonnet, dit Soral, et Dieudonné M’bala M’bala seront tous deux co-présidents du parti. Ils ont simultanément créé une Association de financement du parti Réconciliation nationale ayant « pour objet exclusif de recueillir des fonds » et pour bénéficier des aides publiques en cas d’élection, et préparent leur demande d’agrément auprès de la commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Mais le tandem ne souhaite pas communiquer sur sa future formation. « Nous avons nos propres médias, nous ne communiquons pas à l'extérieur, nous avons des consignes très strictes », a répondu Julien Limes, numéro deux d'E&R, questionné par Mediapart au sujet de la création du parti. 

Selon une source interne, les deux hommes envisagent avec gourmandise l'éventualité d’une dissolution de l’Assemblée nationale, qui leur permettrait de concourir avant 2017 et de recevoir une part des financements dévolue aux partis en mesure de présenter des candidats dans 50 circonscriptions – à condition de dépasser 1 % des suffrages exprimés. En 2009, Dieudonné et Soral avaient déjà tenté une incursion en politique, en se présentant sur la liste d’Île-de-France du Parti antisioniste aux européennes. Dans l’une de ses nombreuses vidéos, Alain Soral a révélé depuis avoir obtenu « l’argent des Iraniens » pour « faire la liste antisioniste », qui n’avait pas eu d’élus.

L’association de financement de Réconciliation nationale projette déjà de confier sa communication à son propre réseau de prestataires – la société Culture pour tous, façade de la maison d’édition de Soral, les Productions de la plume, qui gèrent les spectacles de Dieudonné, et les sites partenaires d’E&R –, et de lui faire bénéficier des remboursements légaux. Depuis quelques mois, cette nébuleuse profite d’une vague d’adhésions à l’association de Soral qui compterait aujourd’hui 12 000 personnes inscrites. Le pamphlétaire, qui diffuse ses interventions par vidéos sur internet, a depuis juillet choisi de les rendre payantes, via Dailymotion, moyennant une part très avantageuse des rentrées publicitaires.

La création du parti coïncide avec une série de poursuites judiciaires visant les contenus antisémites des publications et des vidéos de Soral, et le déclenchement d’enquêtes financières sur la nébuleuse Dieudonné. Le 17 octobre, alors qu’il comparaissait à Paris pour « incitation à la haine et la discrimination » après ses propos sur le journaliste Frédéric Haziza, le site d’Alain Soral recensait avec fierté ses litiges judiciaires – une quinzaine – en chiffrant à 476 792 euros les dommages et intérêts réclamés par ses adversaires. Il vient d’être condamné en appel pour ses injures contre l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë.

Le mois prochain, Alain Soral doit aussi comparaître en appel pour la publication de cinq livres antisémites par sa maison d’édition Kontre Kulture. Le tribunal correctionnel de Bobigny a interdit L’Anthologie des propos contre les juifs, Le Judaïsme et le Sionisme de Paul-Éric Blanrue, et ordonné le retrait de passages de quatre autres livres parmi lesquels La France juive d’Édouard Drumont. De son côté, Dieudonné, déjà condamné pour des propos antisémites, a été mis en examen en juillet pour fraude fiscale et abus de biens sociaux. Le juge Renaud Van Ruymbeke s’interroge en particulier sur les fonds envoyés par l’humoriste au Cameroun (400 000 euros depuis 2009).

La première annonce de la création du futur parti par Alain Soral est passée presque inaperçue, le 6 septembre. Dans une vidéo intitulée « La trahison de Chauprade », le patron d’Égalité et Réconciliation a dénoncé avec violence un texte publié en août par le conseiller international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, « face à la question islamique »« Il s’est permis au mois d’août, dans le dos de tout le monde et visiblement aussi du Front national, de produire un texte de soumission au sionisme », a dénoncé Soral, traitant au passage le conseiller de « fils de pute » et « d’ordure »« Je le dis bien clairement, Chauprade est responsable du fait que ER aujourd’hui se dissocie totalement du Front national, et va rouler pour lui-même, en tant que parti politique. Et vous verrez que ça ne va pas vous aider. »

Le patron d’Égalité et Réconciliation se plaint d’avoir été « sollicité » par Chauprade, en amont de la campagne européenne, puis d’avoir été « trahi totalement » par celui-ci, alors qu’il avait conduit « des patriotes musulmans » à le soutenir. Il l’accuse aussi de le « mettre en danger de mort » par son revirement. Chauprade a expliqué qu’il se sentait « plus proche d'un Israélien que d'un membre du Hamas », tout en appelant à « éliminer in situ » les 1 000 djihadistes français en Syrie…

Alain Soral dans sa vidéo consacrée à Aymeric Chauprade, en septembre.Alain Soral dans sa vidéo consacrée à Aymeric Chauprade, en septembre. © Capture d'écran de la vidéo d'E&R.

Réconciliation nationale risque fort d’être le nouveau vecteur de l’obsession antisémite des deux compagnons de route. Dans sa dernière vidéo, le 18 octobre, Dieudonné s’est lancé dans une longue tirade contre le Congrès juif mondial, et son président Ronald Lauder, digne des pires feuilles antisémites du début du XXe siècle. « Ronald Lauder. Ouais, ouais l’odeur. Ouais, il porte bien son nom. Quand il ouvre la bouche, c’est vrai (…)  même une mouche à merde, s’est évanouie… Alors vous imaginez l’odeur… C’est un multi milliardaire Lauder. Il achète des tableaux à 140 millions comme toi tu achètes un Pif gadget. Il met ça au-dessus de sa cheminée, il regarde ouais, je suis content, et quand il a plus de feu, il met ça au feu. Ils ont du pognon… Il chie le fric. » Dieudonné s’en est pris au passage au président (PS) du conseil général de l'Essonne, Jérôme Guedj, qui a préconisé de « pourrir la vie » de l’humoriste, en donnant l’adresse et le numéro de téléphone personnel de l'ancien député, et en l’invitant à partir en Israël.

Ces derniers mois, le mouvement Égalité et Réconciliation a surfé sur les mesures d’interdiction des spectacles de Dieudonné. Il a enregistré une vague importante d’adhésions, et s’est réorganisé en interne. E&R semble désormais en mesure de mobiliser des militants radicaux pour renforcer sa présence lors des manifestations de rue et y faire le coup de poing en cas de besoin. Lors des mobilisations pro-palestiniennes de cet été, l’un des proches de Soral, Mathias Cardet, a été identifié parmi les animateurs du groupe « Gaza firm », venu « sécuriser » le cortège ou plutôt ses débordements (lire notre enquête). Ce groupe issu pour partie des supporters ultras du PSG – anciens du « K-soce team » de la tribune d’Auteuil – a été présenté par cette mouvance comme une « ligue de défense goy ». Il est apparu pour la première fois lors de la manifestation d’extrême droite « Jour de colère », en janvier.

Certains de ces gros bras sont visibles autour d’Alain Soral lors de ses apparitions publiques. Le 17 octobre, le pamphlétaire est venu au tribunal entouré d’une demi-douzaine de gardes du corps, de plusieurs caméras, et de plusieurs dizaines de militants venus chanter la Marseillaise. À l’image des partis existants, E&R est parvenu à structurer son association en « antennes » régionales et en « sections » locales, comprenant des « pôles de compétences » (militantisme, événement, localisme-écologie, communication, idées et formation théorique, relations extérieures).

L’adhésion elle-même fait l’objet d’un étroit filtrage. « Le membre s’attachera à être humble, honnête, discipliné, poli, ponctuel et respectueux de l’ensemble de ses camarades et de sa hiérarchie, stipule l'un des règlements internes obtenus par Mediapart. Il n’y a donc dans la section aucune place envisageable aux notions de profit personnel, d’égocentrisme intéressé, de manigance, d’arrivisme hypocrite, de mensonge ou de trahison. »

Le « protocole de recrutement » d’E&R (ci-dessous), qui préfigure celui du parti Réconciliation nationale, précise même la « gestion de la prise de contact ». Le responsable de section doit s’assurer de l’identité « réelle » des demandeurs, afin d’effectuer « des recherches préventives » pour obtenir des éléments « d’ordre professionnel ou personnel ». Deux courriels types sont impératifs pour filtrer les demandes, afin « de faire réfléchir à deux fois les éventuels infiltrés ». Le premier rendez-vous est aussi important : il « devra être fixé dans un lieu public, fréquenté, et facilitant le contrôle visuel de la zone », « où l’on se rendra un quart d’heure en avance afin de surveiller tout élément suspect ».

L’entretien est cadré. Le chef de section confronte ses recherches à la présentation du demandeur : « situation familiale, vie professionnelle, type de lectures, connaissance d’ER et des ouvrages d’Alain Soral, (…) expériences politiques, casier judiciaire ». Le futur adhérent est briefé sur la sécurité et la confidentialité : « insister lourdement sur ce point en imposant une certaine pression au membre afin qu’il soit tout de suite dans le bain », préconise le « protocole de recrutement ».

Les consignes de base sont assez strictes : « création obligatoire d’un boîte mail anonyme réservée à l’activité ER, aucun enregistrement de nom dans les contacts internet, interdiction du Facebook militant, non divulgation de tout type d’infos (lieu de réunion coordonnées, projet) ». Les adhérents sont priés d’utiliser des pseudonymes ou des prénoms.

En septembre 2013, le matériel militant utilisé par Égalité et Réconciliation a fait l’objet d’une dispute entre Alain Soral et la compagne de Dieudonné, Noémie Montagne, qui dirige plusieurs sociétés de la galaxie Dieudonné. Dans une série de mails, mis en ligne ici, cette dernière a vivement reproché à E&R d’utiliser « la quenelle et l’ananas (référence à la chanson « Shoah nanas » - ndlr) » sur un autocollant E&R. « Je comprends que nous puissions être des alliés face au sionisme, mais une association complète avec Égalité et réconciliation ne saurait être judicieuse pour l’image de Dieudonné », avait-elle écrit.

Noémie Montagne assurait ne pas vouloir « s’immiscer dans la relation politique » entre Soral et son mari. « ER et mes sociétés avons des intérêts communs mais nous ne dépendons pas l’un de l’autre, écrit-elle aussi. Tout ce qui touche à l’image de Dieudonné et qui est commercialisé me concerne. » « Vous nous reprochez quoi ? De profiter un peu de la dynamique de la quenelle ?! lui a répondu Soral. Il ne manquerait plus que ça, que nous n’en profitions pas à E&R, alors que nous mouillons le maillot avec vous depuis bientôt 10 ans ! (...) J'espère que demain il ne faudra pas aussi vous payer des droits pour être antisémite. »

La création du parti Réconciliation nationale ouvre une nouvelle page entre eux. Elle sera aussi une pierre dans le jardin du Front national, alors qu’une partie des militants d’E&R sont encartés au parti lepéniste. Au moment de la création d’Égalité et Réconciliation, Alain Soral était lui-même membre du comité central du FN – qu’il quitte en 2009 –, et plusieurs proches de Marine Le Pen l’ont accompagné dans cette association destinée à lui servir de vivier en banlieue : l’ex-avocat Philippe Péninque, présent depuis de nombreuses années dans le premier cercle des Le Pen et l’ancien du GUD (Groupe Union défense) Jildaz Mahé O'Chinal, animateur avec Frédéric Chatillon, du réseau d’entreprises prestataires de services du parti lepéniste. Chatillon lui-même a introduit Soral auprès de ses réseaux en Syrie et au Liban.

Marine Le Pen et Alain Soral dans l'émission de Frédéric Taddéï.Marine Le Pen et Alain Soral dans l'émission de Frédéric Taddéï. © Capture d'écran de l'émission.

Depuis lors, la progression des thèses de Soral inquiète une frange du Front national, engagée dans une stratégie de « dédiabolisation »En octobre 2013, le numéro 2 du FN, Louis Aliot, s’en est pris à « ceux qui sont obnubilés par des événements passés et des communautés particulières » et qui « n’ont rien à faire chez nous ! ».

Marine Le Pen, de son côté, peine à maintenir l’équilibre précaire du parti, traversé par plusieurs tendances. D’un côté, elle a pris ses distances avec le texte de son conseiller international, qui n’a d’après elle exprimé que « sa vision personnelle de la situation »Mais de l’autre, la présidente du FN a justifié, cet été, l’existence de la Ligue de défense juive (LDJ), le groupuscule d'extrême droite habitué aux affrontements de rue avec les pro-palestiniens : « S'il existe une Ligue de défense juive, c'est qu'il y a un grand nombre de juifs qui se sentent en insécurité. Ils ont le sentiment que monte un nouvel antisémitisme en France et qui est le fait de confrontations communautaires. »

Alain Soral dispose encore de réseaux au sein du FN, notamment parmi ses cadres. Lors de son départ du parti, en 2009, il avait salué, dans une vidéo, « la confiance et l’amitié que (lui) accordait le président (Jean-Marie Le Pen - ndlr), le respect et la neutralité courtoise d’un Bruno Gollnisch ». Ce même Gollnisch qui a jugé, dans Marianne« un peu angélique la manière qu'a Chauprade de reprendre le discours officiel des autorités israéliennes ».

En septembre, après « la trahison Chauprade », Alain Soral s’est plaint d’avoir eu aussi « Aliot sur la gueule » : « Aujourd’hui, je le dis à ceux qui me regardent, ne votez pas pour le Front national, ça c’est clair, on va attendre et on va faire autrement. » Jean-Marie Le Pen aurait pris l’initiative d’aller discuter avec Soral pour désamorcer le conflit. Visiblement en vain.

BOITE NOIRENous avons sollicité, en vain, Alain Soral et Dieudonné au siège d'Égalité et Réconciliation et au théâtre de la Main d'or. Julien Limes, secrétaire (et numéro deux) d'Égalité et réconciliation, a été joint mardi midi mais s'est refusé à tout commentaire sur le sujet.

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Jean-Luc Bennahmias: «Je suis un libertaire!»

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« Ça peut faire rire, et les internautes vont s’amuser à frapper dur, mais je suis d’abord un libertaire »... Jean-Luc Bennahmias ne se défile ni devant les paradoxes, ni devant les questions. De son parcours attrape-tout et attrape-rien, à la droite des Verts, qu’il quitte au moment où ils montent en puissance, puis à la gauche de Bayrou, qu’il rejoint quand il décline, puis allié d’un PS en déroute à la mairie de Marseille, et désormais soutien de François Hollande, il dira simplement : « Je m’y retrouve, je continue la même logique, je suis à la recherche d’une mouvement progressiste capable de faire 35 % aux élections. »

Ce pessimiste-optimiste, qui se réfère à Antonio Gramsci quand il publie son livre, Le Nouvel Optimisme de la volonté (éditions François Bourin), juste à la veille des dernières européennes, n’ignore pas les railleries qui l’accompagnent. Il s’agace quand on le présente comme le Brice Lalonde de François Mitterrand, ou le Robert Hue de François Hollande ; il rigole, sans démentir vraiment, quand on lui parle du ministère des sports ; il pousse un gros soupir quand on lui demande si l’objet de son parti n’est pas de maintenir l’illusion de son influence, et de faire croire à Hollande que quelqu’un le soutient encore ; il élude quand on l’interroge sur ce qu’ils se sont dit, avec le Président, la veille de l’entretien à Mediapart : « Est-ce qu’il m’écoute ? Je n’en sais rien… Qu’est-ce qu’on s’est dit ? On a parlé un peu de Marseille, des Bouches-du-Rhône »...

Soutient-il le discours du Bourget (« l’ennemi, c’est la finance »), ou le discours de Londres (« my government is pro business ») ? Les deux, mon capitaine, « mais le discours du Bourget, c’était de la propagande »...

Il en revient à son idée fixe, celle qui explique ses alliances multiformes : avec ses mille adhérents revendiqués, il rêve, comme tant d’autres, d’enjamber l’opposition droite-gauche, pour créer une majorité « progressiste » (il insiste sur le mot…), qui tienne compte du réel et l’assume.

« Moi, je soutiens le gouvernement parce qu’il soutient l’économie réelle », lâche-t-il à propos de Valls, avant de livrer cette réflexion : « Est-ce qu’il existe en France, en Europe, dans le monde, des possibilités de majorités alternatives extrêmement en rupture avec le capitalisme ? Tous les essais de rupture fondamentale aboutissent à des dictatures. Excusez-moi, je n’en ai pas envie »...

Et donc il va à l’Élysée, plus souvent qu’à son tour…

Fini les contradictions ? Enfin rentré dans le rang ? Pas tout à fait. À la fin de l’entretien, une question sur les Roms le fait sortir de ses gonds : « On pourra toujours déplacer les populations roms, elles ne s’envoleront pas. Leur situation est intolérable. Je suis au moins aussi critique que Cécile Duflot sur les phrases qu’avait employées Manuel Valls à propos de ces populations qui ne seraient pas intégrables »...

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