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Un rapport accable une Ecole polytechnique sans cap et sans vision

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Attendu avec fébrilité par un corps manifestement très chatouilleux, le rapport sur l’École polytechnique que vient de rendre le député François Cornut-Gentille (UMP) est, comme prévu, dévastateur. Signe de la nervosité ambiante, il l'a présenté mardi 30 septembre devant une salle subitement désertée par les membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le député UMP Hervé Mariton – ancien polytechnicien – a même manifesté bruyamment sa désapprobation à l'égard du rapporteur (voir ici la vidéo). 

Intitulé Polytechnique: l’X dans l’inconnu (le rapport est à lire ici en intégralité), cette étude dresse sur une quarantaine de pages le réquisitoire sans appel d’une école évoluant depuis des décennies sans véritable cap et totalement hors de contrôle de la puissance publique. École pluridisciplinaire technique et scientifique placée sous la tutelle du ministère de la défense, Polytechnique représente pour beaucoup un « fleuron républicain » ou la quintessence de l’élitisme à la française. Créée à l’origine pour former les ingénieurs des grands corps techniques de l’État et servir les « grands projets industriels et structurants de la France », écrit le député, elle jouit d’une confortable dotation de l’État : 73 millions d’euros. Ses élèves triés sur le volet perçoivent pendant leurs années d’étude une rémunération d'environ 800 euros par mois.

Auréolée de cette glorieuse image, l'école qui forme une bonne partie des élites françaises semble fonctionner en vase clos, persuadée qu'elle ne doit de comptes à personne, explique tout d'abord ce rapport. Ainsi les « rapports accablants » de la Cour des comptes, en 2003 puis en 2012, mais aussi de l’inspection générale de l’éducation nationale sur la gestion de l’école, sont restés sans suite. « Après le premier contrôle de la Cour des comptes de 2003, il faudra presque dix années pour que les choses commencent à évoluer positivement. On ne sait si le plus stupéfiant est l’inertie de l’école ou la désinvolture de la tutelle », note amèrement  François Cornut-Gentille.

Défilé d'élèves de l'XDéfilé d'élèves de l'X © Reuters

À cet égard, « la crise de la pantoufle » est selon lui un « révélateur » de l’incurie des pouvoirs publics. Depuis 2000, dans le cadre d’une réforme de l’école qui a porté à quatre ans la durée de la scolarité, un arrêté exonère de fait du remboursement des indemnités perçues par les élèves pendant leur cursus ceux qui partent directement dans le privé : c'est la « pantoufle » due normalement par ceux qui n'exercent pas dix ans au service de l'État.

« Ceci signifie qu’un polytechnicien menant carrière dans des institutions bancaires américaines est exonéré de remboursement, à la différence d’un ingénieur des Ponts travaillant dans une direction régionale de l’État », s’offusque le député. Depuis cette période, alors que les polytechniciens étaient de plus en plus nombreux à embrasser une carrière dans le privé dès leur sortie de l’école, les demandes de remboursements de la « pantoufle » sont pratiquement tombées à zéro.

Certes, l’école a finalement décidé en 2010, dix ans après cette réforme, de revenir sur ses aberrantes conséquences. Elle mettra deux ans pour se fixer comme objectif la publication d’un décret en ce sens qui, à ce jour, n’a toujours pas été publié… Dans l'hypothèse d'une publication rapide, les premiers remboursements n'interviendraient pas avant 2021. « Tout au long de ce processus de refonte de la pantoufle, la tutelle est demeurée totalement passive. Elle n’a ni initié, ni accéléré une réforme indispensable », note-t-il. Si, à aucun moment, François Cornut-Gentille n’utilise le terme de lobby, c’est bien du poids des réseaux de l’X au sein de l’appareil d’État qu’il est évidemment question pour expliquer le traitement de faveur réservé à Polytechnique.

Pour le député UMP, mener à bien cette réforme est urgent pour ne pas alimenter « le procès en élitisme des X ». La composition sociale des élèves de l’X est sans appel : 63,7 % sont issus d’une famille de cadre et profession intellectuelle supérieure, 1,3 % d’une famille d’ouvriers. Il est difficile de justifier auprès de l’opinion publique que l’État finance une scolarité ultra-privilégiée, en versant un traitement à ses élèves qui, de surcroît, rejoignent ensuite massivement le secteur privé.

Pas opposé sur le principe à une conception élitiste de cette formation, le député UMP de la Haute-Marne souligne néanmoins qu’« une élite est socialement acceptée lorsque sa contribution à l’intérêt général est avérée et reconnue de tous ».

Or, et c’est l’autre point important de ce rapport, la « contribution à l’intérêt général » de Polytechnique mérite là aussi d’être examinée de près. Aujourd’hui, « le lien entre l’école et le service de l’État est de plus en plus ténu », constate François Cornut-Gentille, principalement parce que l’État s’est désengagé « de la sphère scientifique et technique », après avoir « délégué à des opérateurs privés la mission de construire des routes, bâtir des navires, développer les ressources énergétiques ». Seuls 17,5 % des élèves intègrent un grand corps de l’État aujourd’hui. L'École revendique désormais de former « les officiers français de la guerre économique », en plaçant ses élèves à la tête de grandes sociétés privées françaises.

Une justification à laquelle croirait, peut-être, ce gaulliste nostalgique si son rapport ne faisait, en creux, le procès d’un État qui de « bâtisseur » est « devenu gestionnaire sans pour autant acquérir la qualité de stratège ». Polytechnique est donc devenu une école de l’élite, au service de ses intérêts propres, qui ne fait même plus semblant de servir un État sans projet ni vision.

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Trente mille euros par berceau : les curiosités de la dette

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Trente mille euros par tête… « Ça fait cher pour un berceau », disent les uns, « c’est un gouffre », ajoutent les autres, tandis que l’Institut Montaigne propose dans Le Figaro un compteur angoissant qui ne cesse de monter, comme un téléthon à l’envers, dont chaque tour nous rapprocherait de l’explosion finale.

Dans ce concert de métaphores le bon François Lenglet, qui n’est pourtant pas le plus caricatural, se démène sur France 2. Après un reportage qui chiffre à l’euro près la dette de chaque bébé (30 745 euros exactement), il multiplie les métaphores: « Si l’euro était un centimètre, la dette représenterait 26 fois la distance de la Terre à la Lune. »

L’auditeur, le lecteur, le téléspectateur, l’internaute ainsi prévenu, pour ne pas dire rincé par cet orage de statistiques, sera saisi par un vertige cosmique, et prêt à prendre au pied de la lettre la conclusion de ceux qui savent et répètent leurs certitudes, comme un mantra, dans leurs chroniques mécaniques. Entendu sur BFM : « Ces 2000 milliards sont le prix de la lâcheté politique. » Quel type de lâcheté ? Réponse sur le site Atlantico : « Cet argent a servi à faire la fête ! À payer les fonctionnaires ! »

Revoilà donc le credo libéral. Les enseignants, les policiers, les militaires, les magistrats, les agents hospitaliers sont les confettis d’un gaspillage d’État qui nous conduit dans le précipice.

Pourtant ces chiffres, dégustés comme des bonbons par ceux qui les énoncent, mais brandis comme des matraques en direction de ceux qui les reçoivent, n’ont aucun sens absolu. 30 000 euros par bébé ? Ah bon ? Payables quand ? À la sortie de la maternité, en une seule fois ou à la fin de la vie ? Sur quelle durée ? Avec quel intérêt ? Payables à qui ?

Et puis il y a ce message étrange dans une société de marché. Pour les défenseurs du libéralisme pur et dur, qui avaient pourtant adoré les subprimes, la dette serait une calamité en soi. L’équivalent d’un contrat placé sur la tête des nouveau-nés.

Si on suit ce raisonnement, une famille de quatre personnes aux revenus de 60 000 euros annuels, qui emprunterait 250 000 euros pour acheter une maison, se retrouverait frappée par un endettement de 400 % ! Et chacun des membres de la famille devrait donc vivre avec une charge de 62 500 euros, soit l’équivalent de 12 500 biberons. Acheter son logement serait une folie furieuse, emprunter pour sa voiture un acte de démence, et payer son lave-linge en trois fois un signe d’immaturité.

Ainsi les chroniqueurs officiels paraissent-ils éprouver un effroi collectif devant l’usage du crédit, ce qui est nouveau sous le soleil. Et ce n’est pas la seule surprise. Ce qui frappe davantage, c’est de voir les partisans de l’économie ouverte s’alarmer comme des Gaulois d’antan, enfermés dans leurs frontières, en oubliant que des dizaines de pays, au premier rang desquels les États-Unis, vivent avec un endettement supérieur au nôtre et relancent leur croissance. Et si les mondialistes ardents étaient des protectionnistes honteux ?

Enfin, la perspective des 30 745 euros par fontanelle recèle une dernière curiosité, encore plus incroyable. En affichant ce chiffre menaçant pour les prochaines générations, les commentateurs décrivent en fait une société révolutionnaire, strictement redistributive et strictement égalitaire, dans laquelle le PDG du CAC 40 de demain et le futur smicard (si le Smic existe encore) porteront exactement le même fardeau.

Nous en sommes loin. En 2014, la dette par habitant représente trente fois le Smic, mais le trentième du salaire de Carlos Ghosn.

Vivement demain !

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Après six mois de gestion, le FN est toujours en manque de cadres

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« C'est plus crédible de mettre en tête de liste un élu dans un exécutif qu'un simple militant. (...) Nous en sommes aux prémisses du développement du Front. La prochaine fois, nous aurons la possibilité d'avoir de nouveaux cadres. C'est un gros chantier en interne, c'est la priorité : le recrutement de cadres. » Lundi, Steeve Briois, le secrétaire général du parti, justifiait ainsi l’envoi de deux cumulards FN au Sénat, alors que son parti est opposé au cumul des mandats.

Cette contradiction dit la difficulté pour le Front national de recruter et former suffisamment de cadres. Si Marine Le Pen affirme être « prête à gouverner » et juge les « premiers pas des villes FN remarquables », en interne, des responsables frontistes s’inquiètent, eux, d’une « crise de croissance » du parti et du manque de cadres compétents, comme l’a rapporté l’AFP. Certains frontistes ont déjà pris leurs distances avec des maires FN dont la gestion est calamiteuse, comme Fabien Engelmann à Hayange. D’autres s'interrogent sur le choix des 23 eurodéputés, estimant qu’une partie ne se distingue pas par son travail. Décryptage de la difficile professionnalisation du FN, six mois après la conquête de onze villes.

« Le FN a été embarrassé de gagner autant de villes. Il en espérait, mais pas autant. Et maintenant il faut les gérer, sachant que c’est un enjeu important pour la présidentielle de 2017. S’ils se plantent, 2017 peut s’éloigner, explique à Mediapart l’historienne Valérie Igounet, qui vient de publier une histoire très documentée du Front national. Donc le siège (du FN) est très directif dans leurs villes. »

Il l’est d’autant plus que les maires frontistes manquent de compétences. « On le voit, les bêtises commencent déjà dans les villes FN, elles sont le fait de maires jeunes et inexpérimentés pour la plupart et non de cadres », poursuit la chercheuse, pour qui la situation est différente de celle des quatre mairies frontistes des années 1990 : « En 1995, les maires étaient des cadres, eux-même entourés de cadres et d’un large réseau. »

Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et le maire de Fréjus David Rachline, le 7 septembre, lors de l'université d'été du FNJ.Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et le maire de Fréjus David Rachline, le 7 septembre, lors de l'université d'été du FNJ. © Reuters

L’enjeu majeur pour le FN est donc de réussir à trouver des cadres territoriaux compétents. Dans un grand entretien à la revue socialiste Regard sur la droite, le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, explique que même si Marine Le Pen affirme « que “les experts, c’est le peuple”, élaborer un PLU ou un budget, diriger un CAS, cela ne s’improvise pas ». « Si les postes de cabinets d’élus sont par nature destinés à des gens combinant militantisme et compétence, le FN va devoir se construire un vivier de fonctionnaires sympathisants, et ce n’est pas gagné », juge le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP).

« Il n’y a pas de culture de gouvernement au FN, ils le reconnaissent et tentent de recruter, explique à Mediapart le sociologue Sylvain Crépon, auteur de plusieurs enquêtes sur les militants et cadres du FN. Ils espéraient un afflux de cadres après les victoires et profiter de ce levier d'opportunités. » Bruno Bilde, adjoint de Steeve Briois à Hénin-Beaumont et cadre national, affirme que des cadres territoriaux auraient rejoint le FN dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais impossible de mesurer l’état de ces recrutements, sur lequel le Front national laisse planer un large doute. Bien consciente du problème, la présidente du FN a promis d’améliorer le fonctionnement de son parti à l’occasion du congrès, fin novembre. 

Le FN pâtit aussi de sa quasi-absence de sélection. « Il ne recrute pas, il laisse venir. Parmi les 74 000 adhérents revendiqués, beaucoup sont jeunes et inexpérimentés. Et le FN manque de passerelles au sein de la société civile », analyse Valérie Igounet.

Le parti lepéniste tente d’y remédier de deux façons. D’abord en créant des collectifs et think tanks destinés à percer dans des strates de la société civile où il est peu représenté et à attirer de nouveaux électeurs: le collectif Racine (enseignants) et son antenne dédiée aux lycéens, le collectif Marianne (étudiants), le tout récent collectif Audace (jeunes actifs), et le futur collectif « écologie ». Mais ces collectifs, dont il n’est pas possible de vérifier les chiffres d'adhésion, sont pour l’instant des coquilles vides dont l’objectif est essentiellement médiatique.

Lors de l'université d'été du FNJ, à Fréjus, le 6 septembre.Lors de l'université d'été du FNJ, à Fréjus, le 6 septembre. © Mediapart

Autre chantier pour le FN : la formation des cadres et militants, « un enjeu fondamental étant donné la jeunesse du parti et le manque de cadres », estime l'historienne, qui a pu suivre plusieurs sessions de formations. Le FN ne s’y est pas trompé en investissant beaucoup dans ce secteur.

Pour Jean-Yves Camus, le FN a réalisé « un véritable progrès dans la professionnalisation des cadres » à l’occasion des municipales, « même s’il y a encore eu nécessité, pour le siège, de surveiller de très près les sites internet et autres réseaux sociaux où certains ont démontré qu'ils n’ont pas tout à fait assimilé la leçon de la “dédiabolisation” ». « Ces formations étaient davantage destinées à répondre aux journalistes en cas de questions sur le budget municipal, les prérogatives, qu'à apprendre à gérer une ville », souligne Sylvain Crépon.

Le parti a également marqué des points en faisant le choix de l’enracinement local à long terme (la plupart des maires sont issus des villes où ils ont été élus) et de la jeunesse (plusieurs de ses têtes d’affiche ont la trentaine). « Il y a de la part de la direction une volonté de favoriser l’ascension par le bas de militants locaux, là où Jean-Marie Le Pen ne la concevait que par le haut », note Jean-Yves Camus. Cette possibilité d'ascension éclair au FN pose problème à la gauche comme à la droite.

Mais pour Valérie Igounet, si le FN est « le seul parti à permettre une forte ascension », c’est d’abord « parce qu’il n’a pas eu le choix : après la scission avec Bruno Mégret (qui a causé le départ de nombreux cadres et militants - ndlr), il a dû repartir de zéro »Par ailleurs, ces jeunes trentenaires « ont une colonne vertébrale doctrinale qui leur permet de ne pas faire exploser tous les codes du “politiquement correct” sans que cela signifie, pour autant, qu’ils sont moins radicaux que leurs aînés », rappelle Jean-Yves Camus. Pour le politologue, « ils appliquent à la lettre les principes édictés par Marine Le Pen, depuis qu’elle a hérité de la présidence du FN, en janvier 2011 : transgresser le “politiquement correct”, tout en éliminant les aspérités qui ont fait de ce mouvement un parti-paria ».

D’où la nécessité des formations pour le FN. Dans ces sessions, organisées durant un week-end, par groupe de trente, on trouve à la fois des militants, des candidats, des responsables de fédérations du FNJ. « Elles comportent une partie théorique et une partie pratique. Les stagiaires apprennent notamment à parler à la presse, ils se filment (interviews, débats) puis se corrigent. Le parti se déplace également pour des formations “à domicile” comme dans les années 1990 », raconte Valérie Igounet.

Ces sessions sont « les versions actualisées de celles mises en place par Bruno Mégret et Carl Lang dans les années 1990, avec leur “guide du militant”, explique Valérie Igounet. Depuis les années 2010 et l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence, elles sont redevenues une priorité, dont s’occupe Louis Aliot. C’est très formaté, il s'agit d'apprendre à penser et à parler Front national ».

Mais la formation ne fait pas tout. Être maire ne s’improvise pas en deux jours. Fabien Engelmann, le premier magistrat d’Hayange (Moselle, 16 000 habitants), en sait quelque chose. Lui aussi a suivi la formation d’un week-end au FN. Six mois après son élection, il est pourtant devenu le boulet que traîne le FN. Il est visé par une enquête préliminaire dans l'affaire du financement de sa campagne, après la plainte pour abus de confiance, abus de bien social et harcèlement de sa première adjointe.

Son équipe a déjà implosé et plusieurs adjoints ont été démis de leurs fonctions (lire notre reportage). Sa gestion et ses premières décisions ont été décriées. Comme son choix de repeindre en tricolore des wagonnets de mines – où ont travaillé des immigrés de seize nationalités différentes –, et de colorer une œuvre d’art dans le centre-ville. « Repeindre une fontaine qui a été commandée à un artiste dont le droit de regard sur son œuvre est bafoué, c’est une faute juridique et une preuve d’amateurisme », estime Jean-Yves Camus dans Regards sur la droite.

Fabien Engelmann a aussi choqué par son livre, véritable réquisitoire contre l'islam et apologie du colonialisme, puis sa « fête du cochon », qui a attiré, outre des familles, le collectif anti-islam Riposte laïque et des militants de l’Œuvre française (groupuscule pétainiste et antisémite dissous par le gouvernement en 2013). Pour ne pas perdre en crédibilité, le FN pourrait le lâcher. « Étant donné son itinéraire politique (de l’extrême gauche à Riposte laïque - ndlr), il sera facile pour le FN de s’en désolidariser, comme il l’avait fait avec Jean-Marie Le Chevallier (maire FN de Toulon entre 1995 et 2001, condamné dans plusieurs affaires - ndlr) à la fin des années 1990. »

« Aujourd’hui, la consigne de la direction du FN est que les maires s’en tiennent aux prérogatives municipales, en évitant tout effet négatif en termes d’image, les contentieux administratifs, les décisions cassées et tout ce qui a causé la chute de la "maison" Mégret, à Vitrolles, ou de Jean-Marie Le Chevallier, à Toulon. Mais ce n’est pas parce que le FN le veut que cela se fait sans problèmes », note Jean-Yves Camus.

Stéphane Ravier et David Rachline, sénateurs et maires FN.Stéphane Ravier et David Rachline, sénateurs et maires FN. © Reuters

Si les maires frontistes ne dérogent pas à la loi comme l’ont fait ceux des villes conquises dans les années 1990, leurs six premiers mois de gestion révèlent un grand amateurisme. Certes, ils appliquent les points clés du programme général du FN, copié-collé pendant les élections municipales (baisse des impôts locaux, suppression des subventions aux associations dites « communautaristes », augmentation des effectifs de la police municipale et des caméras de vidéosurveillance). Mais plusieurs édiles sont déjà sortis des clous.

Dans plusieurs villes, les maires ont augmenté leur indemnité : de 44 % au Pontet (Vaucluse) – où elle a été retoquée par la préfecture ; de 15 % à Villers-Cotterêts (Aisne), au Luc (Var) et à Cogolin (Var), où le maire s’est aussi octroyé une indemnité de frais de représentation de 1 250 euros par mois (à l’inverse Robert Ménard a, lui, diminué de 30 % celles des élus). Dans plusieurs villes, ce sont les plus démunis qui trinquent : au Pontet, la gratuité de la cantine pour les plus pauvres a été supprimée, à Villers-Cotterêts le tarif a été augmenté, le maire jugeant qu’« il faut différencier la solidarité de l’assistanat ». À Fréjus, David Rachline a considérablement diminué les subventions des trois centres sociaux de la ville (écouter le reportage de France Culture).

À Béziers (Hérault), Robert Ménard, élu avec le soutien du FN, a réservé la garderie municipale du matin aux enfants dont les deux parents travaillent. Alors que la ville est classée parmi les dix communes les plus pauvres de France, le centre communal d’action sociale (CCAS) a subi une baisse de subventions de 365 000 euros, d'après Libération. L’épicerie sociale qui dépend du CCAS et propose des services de banque alimentaire exige dorénavant « un an de séjour minimum à Béziers ». La mairie s'est aussi retirée d’un partenariat avec le conseil général destiné à accompagner les décrocheurs et les adolescents fugueurs, grâce au travail d’éducateurs de rue.

Si des responsables frontistes avaient, comme Bruno Bilde, juré qu'ils ne feraient « pas comme à Vitrolles, où les Mégret avaient débaptisé des rues ou proposé la prime à la naissance », certaines mesures sont explicitement politiques. Y compris à Hénin-Beaumont, ville « laboratoire » dont la vitrine devait pourtant être soignée.

Steeve Briois a ainsi fermé le local de la Ligue des droits de l’homme, au motif qu’elle n’avait « eu de cesse pendant la campagne électorale de dire tout le mal qu'elle pensait de nous ». Lui qui cumule plusieurs mandats et fonctions s’est aussi scandalisé de ne pas avoir obtenu une vice-présidence de la communauté d’agglomération, ni la présidence du conseil de surveillance de l’hôpital d’Hénin-Beaumont.

Les maires de Beaucaire et Hénin-Beaumont, Julien Sanchez et Steeve Briois, posent devant des journalistes à Fréjus.Les maires de Beaucaire et Hénin-Beaumont, Julien Sanchez et Steeve Briois, posent devant des journalistes à Fréjus. © Alain Robert

À Fréjus, le maire a fermé un centre social en reprochant à sa directrice « des positions à caractère politique contre l'actuelle équipe municipale ». Il a aussi retiré le drapeau européen du fronton de l'hôtel de ville. À Villers-Cotterêts, ville où est mort le général Dumas, né esclave à Saint-Domingue et père de l'écrivain Alexandre Dumas, le maire a refusé de commémorer l'abolition de l'esclavage, « une autoculpabilisation à la mode », estime-t-il.

Au Pontet, le nouveau règlement intérieur du conseil municipal a réduit l'intervention des élus d'opposition à trois minutes et la municipalité a retiré sa subvention au Téléthon. À Cogolin, le maire a dû, face à la polémique, renoncer à son idée de baptiser un parking Maurice-Barrès. Des ateliers ou spectacles de danse orientale ont été supprimés à Hayange et à Cogolin (« parce qu’ici on est en Provence, pas en Orient »selon le maire). À Beaucaire, Julien Sanchez a suscité des réactions d'indignation après avoir dénoncé le « coût » supposé « pour les contribuables » de l'accueil des enfants non-francophones dans les écoles de sa ville et évoqué une « répercussion sur le niveau des enseignements ».

Alors que Marine Le Pen dénonce régulièrement le « copinage » et le clientélisme de ses adversaires, plusieurs maires ont fait appel à des sociétés proches du FN pour des marchés publics. David Rachline a choisi, pour les prestations d’événementiel, une société dirigée par un ancien du groupuscule néonazi la Fane (lire notre enquête). À Fréjus et Beaucaire, deux contrats ont été octroyés à une société d’audit dont le dirigeant officie sous pseudonyme au FN.

Dans plusieurs villes, des cadres ont déjà claqué la porte. Une quinzaine (sur une vingtaine) à Mantes-la-Ville (Yvelines), d’après Le Point. La municipalité frontiste a engagé un bras de fer avec la communauté musulmane en rompant le contrat passé avec la municipalité précédente sur la construction d'une nouvelle salle de prière. À Cogolin, le maire a, lui, renouvelé sa confiance à son premier adjoint FN, qui a été révoqué de la police de Cannes à la suite de son comportement et de nombreux incidents. Au Pontet, c’est un élu UDI qui a déposé une plainte pour insultes et menaces contre un adjoint FN.

Mais c'est sans doute Robert Ménard qui a le plus fait parler de lui ces six derniers mois. Ce, en plaçant deux ultras à la tête de son cabinet, avant de devoir se séparer de son chef de cabinet, dont l'appartenance à la direction du Bloc identitaire a suscité une polémique. En organisant une messe pour l'ouverture de la feria. En commémorant les « massacres d'Oran » du 5 juillet 1962 devant une stèle en l'honneur de quatre fusillés de l'OAS. En lançant un cycle de conférences pour « libérer la parole » à Béziers, avec pour premiers invités Éric Zemmour et Philippe de Villiers.

Et en prenant toute une série de mesures sécuritaires : arrêté « anti-crachat dans l'espace public », interdiction d'étendre le linge aux balcons, fenêtres et façades des immeubles visibles des voies publiques ; instauration d’un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans dans certains secteurs de la ville.

Son bilan municipal peut-il plomber le Front national ? Pour Jean-Yves Camus, ses « erreurs de gestion » ne se traduiront pas forcément par un échec au scrutin suivant. « D’abord parce qu’au jeu de qui gère mal, le FN peut pointer du doigt la mauvaise gestion des maires de droite comme de gauche. Ensuite parce que l’indignation morale qui servait de moteur à la mobilisation anti-FN des années 90 s’est fracassée à cause de la désespérance économique et sociale. »

Le Front national, parce qu'il est désormais « confronté au réel et à ses limites de gestionnaire », s'est fixé « des objectifs très modestes », analyse Sylvain Crépon. « Certains cadres disent "si on arrive à remettre les clés en n'ayant pas augmenté les impôts, voire en les ayant diminué un peu, ce sera bien". Leur stratégie, c'est la conquête du pouvoir par une "normalisation" locale : ne pas faire de vagues dans les villes, s'insérer dans la population, tisser des relais, puis appliquer ses idées une fois au sommet. » 

BOITE NOIRERetrouvez notre dossier sur les villes FN en cliquant ici.

Valérie Igounet est historienne, chercheuse associée à l’institut d’histoire du temps présent (CNRS), spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme. Elle a publié en juin aux Éditions du Seuil une histoire du Front national depuis sa création en 1972 jusqu’à l’arrivée à sa tête de Marine Le Pen, en 2011 (lire notre entretien).

Sylvain Crépon est sociologue. Il a suivi la génération « Le Pen-Maréchal » à ses débuts, entre 1995 et 2002, avant de devenir chercheur à l'université Paris-Ouest-Nanterre, puis à l'université de Tours. Il est notamment l’auteur d’une Enquête au cœur du nouveau Front national (éd. Nouveau Monde, mars 2012) et de La Nouvelle Extrême Droite : enquête sur les jeunes militants du Front national (L'Harmattan, 2006).

Jean-Yves Camus est politologue, spécialiste des extrêmes droites, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques, lancé en février.

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Budget 2015: austérité, inégalité, dettes

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Les frondeurs en avaient fait le serment cet été : les discussions autour du projet de loi de finances de 2015 (voir onglet Prolonger)  allaient être la mère de toutes leurs batailles parlementaires. Celle où ils allaient faire entendre leurs contre-propositions, tenter d’infléchir les choix du gouvernement, l’amener à ne pas tout céder aux entreprises et à répartir plus équitablement les efforts en redonnant un peu de pouvoir d’achat aux ménages. Aujourd’hui, ces colères, ces mouvements de révolte semblent avoir laissé place à une grande incompréhension et un immense désarroi.

Bien sûr, ils pensent porter encore le fer sur certaines mesures, avancer des amendements, qui pour obtenir un ciblage serré du Crédit  d’impôt compétitivité emploi (CICE) afin d’éviter les trop grands effets d’aubaine, qui pour proposer un changement de fiscalité sur les sociétés, selon que les bénéfices sont ou non réinvestis dans l’entreprise. Mais ils ne pensent guère pouvoir aller au-delà. « Ne pas voter le budget ? Mais il sera de toute façon adopté. Il y a le 49-3 en dernier recours », constate le député PS Henri Emmanuelli.

Aucune des critiques ou des remarques formulées par une partie de la gauche depuis l’annonce du pacte de responsabilité en janvier, depuis le choix d’axer tous les efforts gouvernementaux vers une politique de l’offre, ne semble avoir été retenue dans le projet de loi de finances 2015. Le gouvernement maintient sa ligne : officiellement redonner une compétitivité aux entreprises, afin de sortir de la crise et de la récession. Dans les faits, il s’agit de s’aligner sur les choix européens, organisant un immense transfert de charges des entreprises vers les ménages. La non-renégociation du traité européen de stabilité à l’été 2012 puis la décision de ne pas conduire la réforme fiscale promise lors de la campagne présidentielle portaient en germe ces orientations. Le budget de 2015 marque définitivement le tournant : la France tombe à son tour dans les politiques déflationnistes et récessives. Décryptage

Une prévision de croissance bien trop optimiste

Depuis plus de dix ans, le ministère des finances se trompe régulièrement dans ses prévisions  de croissance pour bâtir ses scénarios budgétaires. Le projet de loi de finances 2015 ne semble pas échapper à la règle. Même si les excès du passé ont été partiellement gommés – on n’évoque plus des taux de 2 % ou plus de croissance –, les prévisions de croissance semblent encore bien élevées. Pour construire le budget, Bercy a retenu comme hypothèse une croissance de 1 %, une inflation de 0,9 %, un taux d’investissement privé en hausse de 0,9 %, des dépenses de consommation en hausse de 1,3 %, une croissance de 4,9 % des exportations. Une vision très rose qui contraste avec celle de l’Unedic prévoyant au moins 100 000 chômeurs supplémentaires en 2015 en raison de la faiblesse de l’activité économique.

Comment croire en de tels chiffres alors que l'activité dans l’ensemble de la zone euro, Allemagne comprise, est en train de caler, que l’inflation n’y dépasse pas 0,3 % en septembre, que la consommation s’effondre et que les investissements des entreprises sont au point mort, faute de demande ? Le Haut conseil des finances publiques, le nouvel organisme chargé de  rendre une appréciation sur le budget 2015, n’a pu s’empêcher de relever, dès la présentation du budget ce mercredi 1er octobre, que la prévision de croissance de 1,0 % paraissait « optimiste ». « Elle suppose en effet un redémarrage rapide et durable de l’activité que n’annoncent pas les derniers indicateurs conjoncturels. En outre, le scénario du Gouvernement présente plusieurs fragilités touchant au dynamisme de l’environnement international et de la demande intérieure », note-t-il. Le ministre des finances s’est défendu de tout excès d’optimisme, soulignant que les prévisions du gouvernement étaient inférieures à celles de l’OCDE et des principaux organismes de conjoncture. Michel Sapin ne peut cependant ignorer que les dispositions budgétaires que s’apprête à prendre le gouvernement, risquent d’aggraver encore la situation et conduire à une nouvelle récession, comme cela s’est produit déjà dans d’autres pays européens.

Cap sur  l’austérité

Le ministre des finances, Michel Sapin, l’a répété lors de la présentation du budget : la France mène une politique de rigueur mais pas d’austérité. « Il n’y aura pas d’économies supplémentaires, au-delà des 50 milliards de réduction de dépenses prévues sur trois ans », a-t-il promis. À l’appui de cet engagement, le gouvernement a confirmé la révision de ses objectifs de réduction de déficit budgétaire : il ne s’agit plus de ramener le déficit budgétaire sous la barre de 3 % de PIB en 2015 comme il s’y était engagé auprès de la commission budgétaire. L’objectif est repoussé à 2017. En attendant, le gouvernement prévoit un déficit de 4,3 % en 2015 et de 3,8 % en 2016.

L’abandon de la « règle d’or » ne signifie pas que le gouvernement français est prêt à aller jusqu’à l’affrontement avec la commission européenne. Bien au contraire. En contrepartie de cet « assouplissement », il entend donner tous les gages exigés sur les « réformes structurelles ». Cela commence par le budget, en attendant les bouleversements sociaux. « La réduction des dépenses est essentielle pour notre crédibilité aux yeux des Européens. Nous respecterons nos engagements », a insisté Michel Sapin. Sur les 50 milliards d’euros d’économies dans les dépenses publiques annoncés sur trois ans, le gouvernement a l’intention d’en réaliser 21 milliards, soit 42 % du total dès 2015. 

Le gouvernement prévoit ainsi de réduire les dépenses publiques de 7,7 milliards d’euros, de supprimer 3,7 milliards d’euros de dotations aux collectivités locales, de demander10 milliards d’économies au budget social (voir le détail pages 15 et 16 dans l’onglet Prolonger). Ces réductions sont appelées à être menées selon les mêmes règles administratives abruptes qu’auparavant,  On change seulement de degré : après le rabot, le gouvernement passe aux ciseaux, en attendant la hache.  

Si ce n’est pas une politique d’austérité, cela y ressemble étrangement. Le point d’indice pour la fonction publique, gelé depuis 2010, le sera à nouveau en 2015. La perte de pouvoir d’achat pour les agents de la fonction publique doit avoisiner maintenant quelque 8 %. On n’est pas loin de la baisse des 10 % – mais décidée en une seule fois – des fonctionnaires en Espagne. Les enveloppes catégorielles, liées aux promotions, seront divisées par deux pour être ramenées à 245 millions d’euros. Le nombre de fonctionnaires diminuera de 1 278 postes, les autres ministères étant appelés à compenser les créations de postes dans l’éducation et la police. Une partie des investissements seront supprimés, l’État décidant de concentrer ses efforts sur les transports et la défense. 

Les hôpitaux sont une nouvelle fois promis à la diète, tandis qu’on se garde bien de demander quelques efforts aux médecins libéraux – ne serait-ce qu’en matière de gardes –, dont les deux tiers désormais pratiquent des dépassements d’honoraires ou consacrent 80 % de leur temps à leur clientèle privée au sein même des hôpitaux publics. 700 millions d’euros devraient être économisés dans les prestations familiales, passant notamment par une nouvelle baisse des aides à l'emploi de gardes à domicile pour les familles les plus aisées, une division par trois de la prime à la naissance à partir du deuxième enfant, un décalage dans le temps de la majoration d'allocation perçue quand les enfants grandissent, et une réforme majeure du congé parental, en détournant le principe de l’égalité homme-femme. 

Le gouvernement s’attend à des réactions. « Les économies, cela dérange forcément », dit Michel Sapin. Il semble même souhaiter qu’elles se fassent entendre jusqu’à Bruxelles, afin de convaincre la Commission européenne que la France a vraiment entrepris « les réformes structurelles » souhaitées. Il est vrai que les détricotages sociaux menés par le gouvernement, que ce soit sur le marché du travail avec l’Ani ou les retraites, y sont passés inaperçus. Il y en a encore à la commission qui réclament une réforme des retraites en France, alors que les modifications adoptées en 2012 sur le nombre de trimestres de cotisation ont conduit de facto à repousser l’âge de la retraite à 67 ans, de façon immédiate.

La liste des économies n’est peut-être qu’une première ébauche. Jusqu’à présent, les gouvernements successifs se sont beaucoup appuyés sur les mesures de gel pour encadrer les dépenses publiques. Par le simple jeu de l’inflation, ces gels permettaient d’économiser des centaines de millions chaque année. Mais ce moyen est mis à mal avec la déflation. Quel choix pour le gouvernement alors ? Maintenir ses projets sans y toucher, quitte à ne pas respecter les chiffres annoncés ? Ou engager de nouvelles réductions pour atteindre à tout prix les 21 milliards d’économies auxquels il a lié sa crédibilité ?

Une fiscalité toujours plus inégalitaire

Totalement hors des clous dans ses prévisions de recettes fiscales cette année, au point d’avoir dû les réviser par deux fois à la baisse, le gouvernement dit avoir opté pour l’an prochain pour des scénarios « prudents ». Les recettes fiscales devraient augmenter de 5,3 milliards d’euros l’an prochain, soit une hausse de 1,8 %.

Mais c’est la répartition de ces recettes qui mérite attention. Le gouvernement, sensible au « haut-le-cœur fiscal des Français » mis en avant par Manuel Valls, a confirmé dans la loi de finances son intention de supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu (voir impôt sur le revenu : le grand bricolage). Selon ses calculs, neuf millions de ménages devraient bénéficier de cette réforme. Malgré cette suppression, les recettes fiscales tirées de l’impôt sur le revenu devraient augmenter de 600 millions d’euros, selon les estimations de Bercy.

Si elle tend à redonner du pouvoir d’achat aux ménages moyens, cette mesure ne fait que rendre la fiscalité encore plus illisible, incohérente et injuste. La progressivité de l’impôt est de plus en plus mise à mal. D’autant que, dans le même temps, l’État ne semble pas ériger la lutte contre la fraude fiscale et sociale – cette dernière est estimée entre 20,1 et 24,9 milliards d’euros selon la Cour des comptes – en action prioritaire. Ou en tout cas, il n’en souffle mot.

Ces coups répétés contre l’édifice fiscal, cette tolérance à la fraude risquent de finir par saper le consentement à l’impôt. Surtout si, dans le même temps, le gouvernement remet en cause l’universalité de certaines aides sociales comme les prestations sociales en les conditionnant au revenu. Surtout si, en même temps, les entreprises sont non seulement aidées mais aussi dédouanées d’une partie de leur effort fiscal.

Car c’est une des surprises des prévisions gouvernementales : le rendement de l’impôt sur les sociétés devrait encore baisser d’au moins 2,3 milliards d’euros pour tomber à 33 milliards d’euros en 2015.  Est-ce à dire que le gouvernement n’attend aucun retour, ne serait-ce qu’une amélioration du taux de marge des entreprises, des efforts consentis par le biais du CICE ou du pacte de responsabilité en 2015 ?

Cette chute du rendement de l’impôt sur les sociétés pose en tout cas question. En 2005-2006, cet impôt rapportait encore quelque 60 milliards d’euros. La crise suffit-elle à expliquer seule une telle chute ? En tout cas, la France a facialement un taux d’impôt sur les sociétés parmi les plus élevés, ce que les groupes ne cessent de lui reprocher. Mais par le jeu d’une assiette très réduite, des trous et des exemptions, cet impôt a un rendement de plus en plus faible. Du grand art ! Dans le même temps, peu de choses semblent être prévues pour réviser ou remettre en cause la multiplicité des aides et des niches fiscales consenties aux entreprises. Elles ne coûtent que 150 milliards d’euros par an (voir ces niches si favorables aux entreprises) !

C’est par le biais de la fiscalité indirecte que le gouvernement compte compenser une partie de ces pertes de recettes. C’est-à-dire la fiscalité la plus injuste, la plus discriminante mais aussi la plus discrète. Le gouvernement prévoit une hausse des recettes de TVA de 4,8 milliards d’euros l’an prochain, soit une augmentation de 3,5 %. Comment obtenir une telle hausse dans un contexte déflationniste et alors que, selon les hypothèses budgétaires, les dépenses de consommation des ménages ne doivent progresser que de 1,9 % ? Mystère. Le gouvernement assure qu’il n’a programmé aucune hausse de la TVA. Il a toutefois déjà annoncé une hausse de 2 centimes sur le litre de gazole pour financer les grands projets d’infrastructures de transport. La redevance audiovisuelle doit augmenter de trois euros pour passer à 136 euros dans la métropole. L’augmentation sur le tabac est pronostiquée dès janvier. 

Des dettes qui s’accumulent

2000 milliards d’euros de dettes. L’annonce du passage de ce seuil symbolique par l’Insee a déclenché un concert de critiques à droite. « La France est à la veille d’un grave accident financier », a prédit François Fillon, dans Les Échos. Michel Sapin a rétorqué en retour que l’endettement de la France avait grossi de 1000 milliards d’euros entre 2002 et 2012, du temps de la droite donc.

Dans cette bataille politique, tous oublient volontiers les analyses et les avertissements établis depuis plusieurs années. Dès 2010, le rapport Cotis-Champsaur de l’Insee et le rapport Carrez à sa suite soulignaient que la dégradation des finances publiques n’était pas seulement liée à la crise, mais aussi aux baisses d’impôt inconsidérées consenties notamment sur l’impôt sur le revenu depuis 2000 (voir Ces dix années de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la France). Sans elles, la France aurait totalement respecté les critères de Maastricht, relevait alors Gilles Carrez – aujourd’hui président de la commission des finances de l’Assemblée nationale –, en s’inquiétant des baisses continues des recettes de l’État.

L’analyse peut se poursuivre aujourd’hui. La politique de rigueur, de transfert au profit des entreprises, d’évidement de l’impôt conduite par le gouvernement risque de conduire à une nouvelle détérioration de la situation économique et financière de la France et à une hausse de l’endettement. La plupart des pays de la zone euro, y compris l’exemplaire Espagne, se retrouvent dans les mêmes difficultés ; les politiques déflationnistes mènent à un endettement public et privé insupportable. Mais il est à craindre qu’il faille aller jusqu’à la démonstration patente de l’échec pour que la zone euro accepte de changer de cap.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Droit de se syndiquer des militaires : la CEDH condamne la France

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La « Grande Muette » va-t-elle devoir s’adapter ? La décision n’est pas encore définitive, mais elle est lourde de sens : la France vient d’être condamnée deux fois, ce jeudi, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en raison de l’interdiction faite aux militaires et gendarmes de se syndiquer. Il s’agit d’une violation de l’article 11 garantissant la liberté de réunion et d’association, a tranché la CEDH.

La première requête examinée avait été déposée par Jean-Hugues Matelly, officier de gendarmerie et chercheur associé dans un laboratoire rattaché au CNRS. Auteur de plusieurs tribunes qui avaient singulièrement agacé sa hiérarchie, le colonel Matelly avait également créé un forum internet intitulé « Gendarmes et citoyens » en 2007, puis une association « Forum gendarmes et citoyens » l’année suivante.

Dès lors, le directeur général de la gendarmerie nationale avait sommé Jean-Hugues Matelly de démissionner de cette association, au motif qu’elle présentait les caractéristiques d’un syndicat. Or l’article L. 4121-4 du Code de la défense, contesté depuis le début des années 1970 et la création des « comités de soldats », interdit toujours aux militaires français de se syndiquer.

Pour la CEDH, l’ordre donné à Matelly « a constitué une ingérence dans l’exercice des droits du requérant garantis par l’article 11 » de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’association et la liberté syndicale. « L’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte à l’essence même de la liberté d’association une atteinte que ne saurait passer pour proportionnée et n’était donc pas nécessaire dans une société démocratique », estime la CEDH (on peut lire l'essentiel de la décision ici).

Un second arrêt similaire a été rendu ce jeudi, suite à une requête déposée par l‘Association de défense des droits des militaires (Adefromil, créée en 2001). L’Adefromil ayant été déclarée irrecevable à agir pour défendre les militaires par le Conseil d’État, la CEDH juge, là aussi, que la France a commis une violation de l’article 11 « en raison de l’interdiction pure et simple faite aux militaires de constituer un syndicat ou d’y adhérer ».

Les deux décisions rendues ce 2 octobre sont des arrêts dits « de chambre ». La France a encore trois mois pour faire appel devant la Grande chambre de la CEDH.

 

En mars 2010, Jean-Hugues Matelly avait été radié des cadres par un décret du président de la République, Nicolas Sarkozy. Une décision annulée par le Conseil d’État en janvier 2011, qui a réintégré le colonel dans ses droits.

En avril dernier, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian avait promis « une armée exemplaire et tolérance zéro », après la remise d’un rapport sur le harcèlement et les violences sexuels dans les armées et l’annonce d’un plan de lutte. Une première pour une institution jusque-là sourde aux alertes des associations, que la publication récente d’un livre a remises en pleine lumière.

C’est cet ouvrage, La Guerre invisible (Les Arènes/Causette, 2014), écrit par les deux journalistes Leïla Minano et Julia Pascual, qui est à l’origine de l’enquête interne au ministère de la défense et confiée à l’inspecteur général des armées, Didier Bolelli, ainsi qu'au contrôleur général des armées Brigitte Debernardy. Le droit d'adhérer à une association ou à un syndicat reste, cependant, oublié.

Dans un communiqué diffusé jeudi, le ministère de la défense « prend acte » de la décision de la CEDH. Le ministère va « prendre le temps d’expertiser avec précision la décision rendue et les motifs développés par la Cour. Ce travail d’analyse permettra d’identifier à brève échéance quelles évolutions du droit français doivent être mises en place, et de déterminer les actions à entreprendre pour assurer la conformité de notre droit national aux engagements conventionnels de la France, dans le respect des valeurs fondamentales du statut militaire et, en particulier, celles de l’unicité du statut et de la neutralité des armées », conclut le communiqué.

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Malgré le soutien de l'Elysée, le sénateur Robert Navarro ne siégera pas avec les socialistes

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Désapparentement délicat. Le retour au Sénat de Robert Navarro, l'ancien homme fort de la fédération du PS de l'Hérault, a occasionné bien des soucis au président du groupe socialiste, Didier Guillaume. Exclu du PS en 2010, lors des dernières élections régionales pour son soutien à Georges Frêche, Navarro est le seul dissident local à ne pas avoir depuis réintégré le parti, mis en examen pour abus de confiance dans l'affaire des frais de fonctionnement de la « fédé » (lire ici et ici), après une plainte du PS.

Réélu dimanche dernier à quelques voix près, sur une liste dissidente à celle du PS, Robert Navarro a failli conserver son apparentement au groupe socialiste, dont il était membre lors de la précédente mandature, malgré la levée de son immunité parlementaire en mars 2012 (lire ici). A l'époque, il bénéficiait de la protection de l'ancien président du groupe PS au Sénat, François Rebsamen, devenu ministre de l'emploi. Comme Mediapart l'avait raconté, les épouses des deux élus bénéficiaient d'une « embauche croisée » (l'une travaillant comme collaborateur parlementaire de l'autre, et vice-versa).

Là encore, l'appui des hollandais historiques a influé sur la décision. « On nous a dit que c'était différent de Guérini, qu'il y avait la présomption d'innocence, qu'il ne s'agissait que d'un “rattachement administratif”… », égrène un élu socialiste, à qui l'on a bien fait comprendre que la bienveillance vis-à-vis de Navarro venait d'en haut, c'est-à-dire de l'Elysée. Contacté, un conseiller du président botte en touche et, après un long silence, dit que « cela concerne le groupe PS » tout en rappelant que « Navarro était le mandataire de François Hollande lors de la primaire du PS » (lire notre article d'alors). Dans l'entourage du président de groupe, Didier Guillaume, on confirme : « Rebsamen l'a toujours beaucoup soutenu, et il n'y avait jamais eu jusque-là de ressentiment exprimé dans le groupe à son sujet. »

Sauf que cette fois-ci, le nouveau sénateur élu sur la liste officielle du PS, Henri Cabanel, a fait connaître son désaccord « très clair », selon les termes de la présidence du groupe PS, en affirmant que ce serait Navarro ou lui. Et les responsables locaux du PS héraultais ont fait connaître de leurs côtés leur intention de mener fortement la fronde. Alors, in fine, la décision a été arrêtée ce jeudi matin : « Navarro ne fera pas partie du groupe. » Mais, affirme-t-on : « C'est une position réciproque, Navarro ne veut plus être socialiste. »

Ce dernier devrait donc siéger parmi les non-inscrits, le groupe des radicaux de gauche ayant fait savoir son refus de l'accueillir, en raison de son comportement vis-à-vis de Christian Bourquin, un autre socialiste "frêchiste" qui avait choisi de ne pas revenir au PS après son exclusion (afin de pouvoir continuer à cumuler) et de siéger au groupe radical du Sénat. Beaucoup chez les radicaux reprochent en effet à Navarro d'avoir intrigué durant l'été pour succéder à Bourquin, qui est mort fin août dernier, à la tête de la présidence de région (où Bourquin avait lui-même remplacé Frêche après son décès), à laquelle a finalement été élu ce lundi Damien Alary, jusqu'alors président du conseil général du Gard.

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Affaire Bygmalion : les acteurs de la campagne de Sarkozy face à la justice

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Les uns après les autres, ils défilent devant les juges. Avec la mise en examen de trois ex-Bygmalion, suivie de la garde à vue de trois anciens cadres de l'UMP jeudi 2 octobre, l'information judiciaire ouverte sur des soupçons de « faux et usage de faux », « abus de confiance » et « tentative d'escroquerie » s’accélère. Qui a su et décidé quoi ? Dans un procès-verbal de synthèse cité par Le Monde, les enquêteurs de l’Office central anti-corruption de Nanterre écrivaient dès juin dernier : « Les responsables de Event et Cie (filiale de Bygmalion chargée des meetings – ndlr), de l'UMP et de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy semblent inextricablement liés les uns aux autres. » Mediapart passe tous ces protagonistes en revue.

  • Guy Alvès, cofondateur de Bygmalion, mis en examen pour « complicité de faux et usage de faux »
Guy AlvèsGuy Alvès © i>Télé

C’est l’homme par lequel l’affaire des fausses factures à l’UMP est devenue l’affaire du compte Sarkozy. Le cofondateur de Bygmalion s’est d’abord retrouvé bien seul, début mai, quand Libération a révélé que sa société avait adressé des millions d’euros de fausses factures à l’UMP en 2012, sous le prétexte de conventions fictives (Mediapart les a publiées ici). Acculé, ce proche de Jean-François Copé a alors contre-attaqué par la voix de son avocat, Me Patrick Maisonneuve, en révélant en direct à la télévision que ce stratagème illégal avait en réalité servi à régler à Bygmalion toute une série de frais de meeting organisés au bénéfice du seul candidat Sarkozy pendant la présidentielle.

Lancé dans une surenchère de réunions publiques pharaoniques, le président-candidat risquait en effet d’exploser le plafond des dépenses légales en 2012, fixé à 22,5 millions d’euros. Il a donc été décidé de dissimuler la majeure partie de ses frais de meetings. Comme Mediapart l’a révélé, seuls 4,3 millions d’euros de prestations d'Event & Cie ont ainsi été déclarés dans le compte de Nicolas Sarkozy, outrageusement maquillé, contre 21,2 millions d’euros véritablement engagés. La différence (d’environ 17 millions d’euros) a été prise en charge par l’UMP dans le plus grand secret, au mépris des lois.

Pour s’expliquer, sinon se dédouaner, Guy Alvès a résumé ainsi l’histoire aux enquêteurs : « Le choix était soit d'accepter, soit de couler ma société, alors que je n'avais fait que mon travail. J'étais pris au piège. » 

En juillet dernier, sa société a finalement été placée en liquidation judiciaire. D’après une comptabilité interne (que Mediapart a pu consulter), Event & Cie avait en 2012 retiré 4,9 millions d’euros (hors taxes) de la campagne présidentielle, avant déduction des charges internes. Cette année-là, la filiale arborait un résultat avant impôts de 4,66 millions d’euros (soit une marge de 23,1 %) et de 3,07 millions après impôts.

Le scénario décrit par Guy Alvès va désormais être vérifié point par point par les juges d’instruction, euro par euro, pour s’assurer que sa version n’est pas amputée d’une réalité plus dérangeante encore : une partie du pactole engrangé par Bygmalion n’aurait-elle pas alimenté une caisse noire politique ? Cette hypothèse est en effet distillée depuis l’été dernier par les concurrents de Jean-François Copé, président du parti à l’époque des faits. Ces derniers soulignent que Guy Alvès fut son directeur de cabinet de 2004 à 2007, avant d’endosser le rôle de trésorier de son micro-parti personnel, Génération France. Les deux hommes ont désormais interdiction de se voir.

  • Bastien Millot, cofondateur de Bygmalion, mis en examen pour « complicité de faux et usage de faux »
Bastien MillotBastien Millot © DR

Il dit qu’il n'a « strictement rien à se reprocher », pour la simple et bonne raison qu’il n’a eu « aucune responsabilité » dans la campagne de 2012. À écouter Bastien Millot, les enquêteurs qui tentent d’établir la chaîne des responsabilités cherchent du mauvais côté en s’intéressant à son cas. « Certains responsables, non des moindres, de la campagne présidentielle de 2012 essaient de se draper dans la posture d’une victime alors même qu’ils le font sans doute un peu grossièrement et un peu rapidement », a-t-il soufflé à la presse le 1er octobre, à l’issue de sa garde à vue.

Ce proche de Jean-François Copé, qu’il a suivi dans tous ses cabinets, a quitté ses mandats sociaux à Bygmalion le 31 août 2013 et endossé la robe d'avocat au printemps dernier. Déjà mis en examen en avril pour « recel de favoritisme » aux dépens de France Télévisions, où il a occupé différents postes de 2005 à 2010, Bastien Millot avait déjà été condamné, voilà quelques années, pour « détournement de fonds publics, complicité de faux et complicité d’usage de faux », comme l’a raconté Mediapart.

S’il se défend d’avoir joué un rôle quelconque dans la campagne de Nicolas Sarkozy, Bastien Milllot aura en tout cas décroché de miraculeux contrats pour sa société auprès du groupe UMP de l’Assemblée nationale (tenu par les copéistes) : Bygmalion a en effet siphonné 4,5 millions d'euros des caisses du groupe entre 2008 et 2012 (voir nos articles ici et ).

  • Franck Attal, directeur général adjoint d’Event & Cie, mis en examen pour « faux et usage de faux »
Franck AttalFranck Attal © Le Raffut

C’est l’opérationnel d’Event & Cie, celui qui décrit le mieux l’emballement de la campagne de Nicolas Sarkozy, l’improvisation, la frénésie, les caprices. Lui qui s’est chargé d’engager son réalisateur télé hors de prix, de commander des wagons de drapeaux ou de « booker » des salles à la dernière seconde. Pour le meeting qu’il a orchestré à Toulouse, par exemple, Franck Attal a livré pour 900 000 euros de prestations (contre 183 000 euros seulement inscrits dans le compte de campagne du candidat). Pour Clermont-Ferrand, 623 000 euros (pour 155 000 dans le compte), etc.

Devant les enquêteurs, Franck Attal a raconté comment – et surtout quand – la décision de maquiller le compte de Nicolas Sarkozy avait été prise, dans son souvenir : « (J’ai) rencontré, début avril, à l’UMP, Fabienne Liadzé (directrice financière du parti), Jérôme Lavrilleux (directeur de campagne adjoint du candidat Sarkozy) et Éric Cesari (directeur général de l’UMP) à ce sujet. Et c’est là qu’ils me disent que le rythme des meetings va encore s’accélérer, mais qu’il y a un problème d’ordre financier lié au plafond de campagne qui va être complètement dépassé. (…) Jérôme (…) me demande de faire des fausses factures. J’ai l’impression que tous les participants à cette réunion sont piégés. À partir de ce moment-là, le comptable chez nous, Matthieu Fay, s’est organisé avec Fabienne Liadzé. »

Dans cette affaire, la chronologie des faits est capitale. Car depuis le début, Jérôme Lavrilleux affirme, lui, que c’est seulement au lendemain de la présidentielle, au moment où il a fallu déposer le compte de campagne du candidat UMP, qu’a été prise la décision de le truquer. Une version légèrement plus compatible avec l’idée que Nicolas Sarkozy, alors “retiré” de la vie politique, ait pu être tenu dans l’ignorance.

  • Matthieu Fay, le comptable de Bygmalion, placé en garde à vue

La “petite main”, priée d’exécuter dans la coulisse le plan décidé par ses supérieurs et l’UMP, a été licenciée en mai dernier. C’est Matthieu Fay qui a conçu les tableaux Excel (récupérés par Mediapart) dotés de plusieurs colonnes pour chaque meeting de Nicolas Sarkozy : une pour le prix officiellement facturé au candidat ; une autre archivant le prix réel.

Aux enquêteurs, Matthieu Fay a raconté comment toutes ces pièces comptables bidonnées, relatives à la campagne, avaient été envoyées « à l’UMP par porteur après le second tour ». Lui chiffre le coût réel des prestations apportées par Event au candidat Sarkozy à 18,9 millions d’euros (pour 4,3 inscrits au compte de campagne).

  • Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012
Jérôme LavrilleuxJérôme Lavrilleux © Reuters

Fin mai, dans une longue intervention sur BFM-TV, l'ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé a soudain reconnu, en pleurs, la mise en place d’un système de fausse facturation. Mais il dédouanait explicitement son mentor, de même que Nicolas Sarkozy : « J'ai fait part, à plusieurs personnes, de mon sentiment que l'on aurait du mal à boucler tout ça (les factures des meetings – ndlr). Je précise que je n'en ai pas fait part à Nicolas Sarkozy ou à Jean-François Copé. »

Aux enquêteurs, qui lui ont demandé en juin si le président-candidat était informé du montage, Jérôme Lavrilleux a redit n’avoir « jamais évoqué ce sujet avec Nicolas Sarkozy » et qu’« à (son) avis, il est impossible qu'il en ait été informé ».

Mais lorsqu’ils lui demandent si le candidat était informé de l'état général des dépenses de sa campagne, le copéiste répond qu’il « n'en (a) aucune idée ». Il explique que le décision de mettre en place une double comptabilité a été prise avec quatre autres responsables de l'UMP et de Bygmalion : le directeur général de l'UMP Éric Cesari, la directrice financière du parti, Fabienne Liadzé, Franck Attal et le directeur de campagne, Guillaume Lambert.

En détaillant le fonctionnement des réunions stratégiques de campagne, auxquelles participait Sarkozy, Jérôme Lavrilleux sous-entend que Guillaume Lambert a très bien pu faire remonter l'information au président-candidat lors de leurs rendez-vous quotidiens : « Cette organisation en forme de sablier faisait que tout le monde partait du principe que ce que nous disait Guillaume Lambert venait de la réunion stratégique et que ce que nous disions à Guillaume Lambert allait remonter à la réunion stratégique », a-t-il confié aux enquêteurs.

Concernant Jean-François Copé en revanche, Jérôme Lavrilleux, devenu eurodéputé mais suspendu de l'UMP, n'a jamais changé sa version d'un iota. Il ne « l’(a) pas informé » car son « travail » de directeur de cabinet « était de protéger son patron ».

  • Guillaume Lambert, directeur de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012
Nicolas Sarkozy et Guillaume LambertNicolas Sarkozy et Guillaume Lambert © Reuters

Si Jérôme Lavrilleux laisse entendre que Guillaume Lambert a forcément été mis au courant de la fraude, ce dernier nie en bloc. Dans un courrier adressé au procureur de Paris le 12 juin dernier, que Mediapart a pu consulter, Guillaume Lambert, désormais préfet de Lozère, livre sa version des faits : « Je n’ai jamais été informé par quiconque d’un tel arrangement, pas plus que je ne l’ai sollicité, ni accepté. »

Il affirme que Jérôme Lavrilleux n’a d’ailleurs « attiré (son) attention sur la question de la maîtrise des dépenses qu’à une seule reprise », le 28 avril 2012, quelques heures avant le meeting de Clermont-Ferrand. « JFC [Jean-François Copé] ne vient pas à Clermont, il y est allé la semaine dernière, lui écrivait alors Jérôme Lavrilleux. Louer et équiper un deuxième hall est une question de coût. Nous n'avons plus d'argent. JFC en a parlé au PR [président de la République]. »

Ce texto pourrait suggérer que Nicolas Sarkozy était informé des questions financières. Mais Guillaume Lambert lui fait dire tout autre chose : « Ce message signifie qu’aucune autre demande que celles budgétées ne pouvait être ordonnée. » En clair, qu’il a fait le nécessaire pour le plafond des dépenses légales soit respecté, jusqu’au bout.

  • Nicolas Sarkozy, le candidat
Nicolas SarkozyNicolas Sarkozy © Reuters

Interrogé sur France 2 le 21 septembre, Nicolas Sarkozy a affirmé avoir « appris le nom de Bygmalion longtemps après la campagne présidentielle ». Ce qu’il a répété dans Le Figaro Magazine le 2 octobre. Plusieurs éléments mettent à mal cette réponse. D’abord les déclarations, ce jeudi, de François Fillon, qui affirme qu’il avait « souvent entendu parler de Bygmalion » et « souvent vu que Bygmalion était une entreprise qui travaillait régulièrement avec l’UMP », alors même qu’il « n’étai(t) pas associé à l’organisation de la campagne de 2012 ». « (Nicolas Sarkozy) connaissait forcément les protagonistes. C’était connu de tous ! », a également expliqué Rachida Dati jeudi, en contredisant malgré elle l’ex-président.

Par ailleurs, selon Le Monde, Nicolas Sarkozy a été informé de l'emballement des dépenses par Pierre Godet, l’expert-comptable de sa campagne. Dans une note rédigée le 26 avril 2012, celui-ci a en effet mis en garde le « candidat Nicolas Sarkozy » sur « les conséquences extrêmement graves d'un éventuel dépassement du plafond des dépenses électorales ».

Mais cette note n’informe pas le président-candidat des montants réels des dépenses. Pierre Godet y donne le chiffre des frais prévisionnels ou engagés à la date du premier tour, 18 399 000 euros : « Ce montant est supérieur à celui budgété dernièrement (16 243 000 euros) et au plafond des dépenses requises pour le premier tour (16 851 000 euros) », prévient l’expert-comptable, appelant à la retenue. Or d'après nos calculs, les seules dépenses liées aux meetings organisés par Event & Cie s’élevaient déjà à plus de 16 millions d’euros au soir du premier tour !

Nicolas Sarkozy pourrait en tout cas être entendu par les juges. Un élément le laisse penser, comme le souligne L’Express : le contrôle judiciaire imposé aux trois personnes mises en examen dans le cadre de l'affaire Bygmalion leur interdit tout contact avec l'ancien président de la République.

  • Philippe Briand, le trésorier de la campagne
Nathalie Kosciusko-Morizet et Philippe BriandNathalie Kosciusko-Morizet et Philippe Briand © Reuters

Ce député UMP, patron d’une grosse société privée, a été choisi comme trésorier par Nicolas Sarkozy en février 2012 – « Nicolas m’a dit : “Toi au moins, je suis sûr que tu me prendras pas d’argent !” ». En mai dernier, quand l’affaire explose, il dit « tomber de sa chaise », puis « tomber de l’armoire ».

« Dans les factures de meeting qu’on me présente à l’époque, je suis déjà 40 % au-dessus de François Hollande ! », rappelle Philippe Briand pour expliquer qu’il ait pu ne rien soupçonner. « Avec Dominique Dord (le trésorier du parti jusque fin 2012), on va former le club des ploucs, à qui on dit jamais rien ! », se marre le député UMP, qui compte bien assurer aux juges, quand ils le convoqueront, que lui n’a rien vu ni rien entendu.

À l’en croire, pendant la campagne, Philippe Briand s’est contenté de « signer les parapheurs que lui apportait l’expert-comptable ». « Il y avait un ordonnateur des dépenses et un payeur. Moi, j’étais le payeur et c’est Guillaume Lambert (le directeur de campagne) qui m’envoyait les factures, a-t-il expliqué à Mediapart. Lui aussi qui commandait les meetings, même si je pense qu’il avait concédé cette tâche à Jérôme Lavrilleux. » Le trésorier jure qu’il a tout découvert le même jour que les Français.

  • Jean-François Copé, président de l’UMP jusqu’en juin
Jean-François CopéJean-François Copé © Reuters

Entre les révélations approximatives du Point en février et sa démission en juin, le discours de Jean-François Copé a bien varié. « C’est un coup monté de manière absolument ignoble, c’est un tissu de mensonges », a d’abord expliqué le président de l’UMP en février, en dénonçant « une campagne de presse haineuse » et une « chasse à l’homme ».

Après des révélations plus précises de Libération le 14 mai dernier, Jean-François Copé a esquissé une nouvelle ligne de défense : il n’a jamais eu connaissance du système de fausses factures, mais il a « des interrogations » depuis les révélations du quotidien (voir la vidéo). Au 20 heures de TF1, le soir de sa démission, il accuse finalement ses « collaborateurs » d'avoir « abusé de (sa) confiance »

  • Éric Cesari, ex-directeur général de l'UMP
Eric CesariEric Cesari © DR

C’est le fantôme de l’affaire Bygmalion. Placé en garde à vue le 2 octobre, l’ancien directeur général de l’UMP, en procédure de licenciement pour faute grave depuis mi-juillet, est resté très discret depuis le début de l’affaire. À peine a-t-il juré à L’Express n’avoir « participé à aucune réunion consacrée aux comptes de campagne », contrairement à ce qu’ont affirmé Jérôme Lavrilleux et Franck Attal. « La seule fois où j'ai été saisi des problèmes financiers de l'UMP, c'est au moment de la démission du trésorier Dominique Dord, en juillet 2012 », a encore assuré Cesari, avant de préciser qu’il ne pouvait pas « donner d’ordre de paiement ».

Son nom, suivi de sa signature, est pourtant le seul à apparaître sur des devis de fausses conventions envoyés par Event & Cie à l’UMP, selon Libération. L’ancien trésorier du parti, Dominique Dord, avait d’ailleurs affirmé dès le mois de mai que chaque signature de chèque nécessitait la validation de quatre supérieurs du parti, parmi lesquels Cesari lui-même. Une version que Jérôme Lavrilleux a confirmée face aux enquêteurs le 17 juin : sur les ordres d’engagement des dépenses, « il y avait donc les visas le cas échéant du chef de service, du directeur du service concerné, de la directrice des ressources (Fabienne Liadzé), du directeur général des services (Éric Cesari) et du directeur de cabinet, c'est-à-dire moi-même, s’est rappelé l’ancien directeur adjoint de la campagne de Sarkozy. Éric Cesari validait en dernier ressort, au niveau administratif, la demande ».

Biberonné aux réseaux Pasqua des Hauts-de-Seine, cet élu de Courbevoie surnommé « l’œil de Moscou » de Nicolas Sarkozy, est depuis toujours l'un des fidèles exécutants des manœuvres politiques de l'ancien chef d'État, qui l’avait décoré de la Légion d’honneur en 2010. « Tout le monde savait qu’il gardait les clefs de la maison pour Sarkozy, confiait un ancien salarié de la rue de Vaugirard à Mediapart, en juin dernier. Il se rendait régulièrement à l’Élysée pour prendre les ordres, y compris durant la campagne présidentielle. Il n’aurait jamais pris une décision importante sans en informer Sarkozy au préalable. »

  • Fabienne Liadzé, ex-directrice administrative et financière de l'UMP
Fabienne LiadzéFabienne Liadzé © DR

Recrutée à l’UMP par Éric Woerth en qualité de directrice des ressources humaines, Fabienne Liadzé avait été propulsée directrice administrative et financière (DAF) par Jean-François Copé, avant d’être écartée par la direction transitoire du parti en juillet dernier pour faute grave. Élue conseillère municipale d’Issy-les-Moulineaux en mars dernier sur la liste du député et maire UDI André Santini, elle a été placée en garde à vue le 2 octobre. Face aux enquêteurs, Jérôme Lavrilleux l’avait désignée comme l’une des deux personnes – avec Éric Cesari – en charge de la validation des ordres de dépenses de l’UMP.

« Fin mai 2012, je crois, Éric Cesari et Fabienne Liadzé sont venus me voir dans mon bureau à l'UMP, à l'issue d'une réunion qu'ils ont tenue avec Guillaume Lambert et Franck Attal, pour parler des comptes de la campagne. Ils m'ont indiqué alors qu'il était impossible de mettre toutes les dépenses dans les comptes de campagne et qu'il faudrait donc ventiler les surplus sur le compte de l'UMP », a encore indiqué l’ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé durant son audition.

  • Pierre Chassat, l'ancien directeur de la communication de l’UMP
Pierre ChassatPierre Chassat © DR

Placé en garde à vue à l'office central de lutte anticorruption à Nanterre le 2 octobre, l'ancien directeur de la communication de l’UMP était également l’adjoint de Jérôme Lavrilleux au cabinet de Jean-François Copé, avant d’être visé par une procédure de licenciement pour faute grave en juillet dernier.

Diplômé de Sciences-Po Paris, il connaît bien les fondateurs de Bygmalion pour avoir travaillé à leurs côtés dans les deux cabinets des ministères occupés par Copé entre 2002 et 2007 (relations avec le parlement et budget). Ce “Copé's boy” est également adjoint de Patrick Balkany, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

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La partie se corse pour Pierre Moscovici à Bruxelles

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De notre envoyé spécial à Bruxelles. Pour sa grande audition devant le parlement européen, Pierre Moscovici, commissaire « désigné » au sein de la future commission de Jean-Claude Juncker, a subi une attaque en règle des élus conservateurs du PPE (droite, premier groupe de l'hémicycle) et des libéraux (centre droit, dont les députés MoDem-UDI). Le social-démocrate français a beau avoir multiplié les promesses de sérieux budgétaire, et répété à quel point il s'engageait à appliquer le « pacte de stabilité » cher à Angela Merkel, cela n'a pas suffi à apaiser l'ambiance.

L'exercice a duré trois heures. Mais il n'a presque tourné qu'autour d'une seule et obsédante question : celui qui, ministre, s'est avéré incapable de redresser les finances publiques de la France, peut-il être pris au sérieux s'il devient, demain, le gardien des comptes publics de l'UE ? « Vous avez été retiré de vos fonctions (de ministre, ndlr) il y a six mois parce que la France était incapable de respecter ses engagements. Quelle crédibilité aurez-vous pour faire des recommandations ? », l'a d'entrée de jeu bousculé Alain Lamassoure, élu UMP, sous les applaudissements de ses alliés.

« Je ne vois rien dans votre CV qui puisse nous montrer que vous avez été une force de changement, ou un artisan de réformes d'envergure. Comment pouvons-nous être certains que vous ne serez pas le braconnier qui donnera une grande chasse ? », s'est interrogée une élue néerlandaise libérale, Sophie In't Veld. « Votre problème de crédibilité, c'est ce que vous devez faire, et ce que vous auriez pu faire. Vous auriez déjà pu faire ce que vous promettez aujourd'hui de faire », a tranché un conservateur suédois, Othmar Karas. À l'un des premiers rangs, Nadine Morano et Françoise Grossetête, deux députées UMP françaises, semblaient jubiler.

Pierre Moscovici lors de son audition jeudi au parlement européen à Bruxelles. © PE.Pierre Moscovici lors de son audition jeudi au parlement européen à Bruxelles. © PE.

L'affaire était d'autant plus délicate pour Moscovici, qu'il s'exprimait devant des élus de la commission des affaires économiques du parlement, celle-là même qu'il a plusieurs fois ignorée lorsqu'il était encore ministre de l'économie (provoquant, à l'époque, le courroux de la présidente de l'assemblée). Et pour ne rien arranger, la loi de finances pour 2015, dévoilée la veille à Paris, laisse entendre que le gouvernement français ne pense plus tenir ses engagements budgétaires vis-à-vis de Bruxelles l'an prochain : un scandale aux yeux d'une majorité d'eurodéputés, très à cran sur les questions de rigueur budgétaire.

Pour sa défense, Moscovici a dit, redit et encore répété son attachement aux règles du pacte de stabilité, ce texte d'inspiration ordo-libérale qui fixe les contraintes budgétaires pour chaque pays. « Je m'engage devant vous à faire respecter nos règles budgétaires par tous les États membres. Il faut le faire sans complaisance pour les uns, sans excès de dureté pour les autres. Il faut traiter tous les États – grands ou petits – selon les mêmes règles, et selon leurs mérites propres », a-t-il affirmé, promettant qu'il serait un « arbitre juste et impartial ».

Durant son passage à Bercy, le déficit public français a reculé de 5,5 % en 2012 à 4,1 % du PIB fin 2013, s'est-il également défendu. Il n'a cessé, tout au long de l'exercice, de citer « (son) ami Wolfgang Schäuble », l'actuel ministre des finances de l'Allemagne, et fidèle d'Angela Merkel. Il s'est même autorisé une sortie dans la langue de Goethe, pour enfoncer le clou (phrase qu'il avait apparemment apprise par cœur, pour la circonstance) : « Sie können sich darauf verlassen : als Komissar werde ich den Pakt voll respecktieren » (Vous pouvez en être certains : je respecterai totalement le pacte quand je serai commissaire).

Autre clin d'œil appuyé aux conservateurs allemands d'Angela Merkel en cours de séance : il a exclu l'émission d'euro-obligations (cette dette que les États de la zone euro émettraient en commun, pour soulager la pression des marchés financiers sur certains des membres les plus endettés) d'ici cinq ans. Par le passé, le ministre Moscovici y avait été favorable. Ce qui ne l'a pas empêché, au passage, de citer, à destination des initiés, deux collectifs, en France et en Allemagne, qui travaillent à une zone euro beaucoup plus intégrée (les groupes Eiffel et de Glienicke – lire notre article).

Concernant la taxe sur les transactions financières (TTF) en chantier à Bruxelles depuis de très longs mois, Pierre Moscovici est, là aussi, rentré dans le rang. Il est désormais sur la ligne officielle de la commission : pour l'introduction d'une TTF dans les meilleurs délais, qui inclurait la taxation d'une partie des marchés dérivés. Bercy a longtemps freiné, sans le dire, le projet de « TTF » européen, et cherché à mettre de côté les dérivés, pour épargner les grandes banques françaises (Société générale et BNP avant tout), très exposées aux dérivés.

Mais cette offensive de charme, plutôt énergique, du commissaire Moscovici n'a pas suffi. À l'issue de la séance, les coordinateurs des différents groupes politiques ont plaidé, à l'exception des socialistes, pour organiser une nouvelle audition. Faute d'accord, la réunion a été écourtée. Les mêmes se sont retrouvés jeudi dans la soirée, pour décider, finalement, de demander de nouvelles précisions, par écrit, à Moscovici. Au grand dam des sociaux-démocrates, qui jugent injuste le procès fait à « leur » candidat.

Si Moscovici n'a pas obtenu jeudi le feu vert immédiat des députés, c'est en partie en raison du bilan de son action à Bercy. Mais c'est surtout un violent retour de boomerang pour les sociaux-démocrates, qui ont malmené hier plusieurs candidats de droite. À commencer par Miguel Arias Cañete, figure de la droite espagnole, critiquée, notamment, pour des conflits d'intérêts avec l'industrie pétrolière et des déclarations sexistes (lire notre article).

Les sociaux-démocrates n'ont pas voulu valider la candidature de Cañete mercredi soir, et lui ont demandé de fournir des éclaircissements, par écrit, pour la semaine prochaine, sur sa situation financière et les soupçons de conflits d'intérêts. Plus tôt dans la journée de mercredi, l'audition de Jonathan Hill, un Britannique proche de David Cameron, avait elle aussi tourné au fiasco. Ce dernier devra carrément passer une seconde audition, avant d'être fixé sur son sort. Les socialistes sont aussi montés au créneau mardi pour refuser le feu vert à la candidature de la libérale tchèque Vera Jourova, à la justice, et lui demander, là aussi, des précisions écrites pour la semaine prochaine.

Vu le contexte, l'occasion était sans doute trop belle : le parti de Cañete (PPE) et celui de Jonathan Hill (ECR, auquel sont rattachés les Tories britanniques) sont tous deux tombés sur le Français, avec l'aide des Libéraux, fâchés par l'affaire Jourova. C'est la concrétisation du fameux deal entre droite et sociaux-démocrates, qu'Alain Lamassoure (UMP) avait résumé de la sorte en amont des auditions : « Entre sociaux-démocrates et PPE, on va se tenir par la barbichette. » Et Lamassoure avait alors ajouté : « Il n'y aura aucun mort, ou il y en aura deux. »

Les auditions bruxelloises pour la future commission Juncker sont donc en train de tourner au jeu de massacre et aux coups bas en tout genre. Elles doivent officiellement prendre fin mardi prochain. Le scénario d'une redistribution des portefeuilles entre commissaires n'est plus du tout exclu. Selon le calendrier officiel, les eurodéputés sont toujours censés se prononcer lors d'un vote le 22 octobre sur l'ensemble de la nouvelle commission.

BOITE NOIREL'article a été actualisé jeudi vers 23h, avec le résultat de la réunion du jeudi soir.

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La BCE avertit la France

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Les réactions n’ont pas tardé. Au lendemain de la présentation du budget par le gouvernement français, au cours de laquelle il annonçait officiellement que la France ne respecterait pas ses engagements de ramener le déficit budgétaire sous le seuil des 3 % en 2015, mais en 2017, les responsables européens ont commencé à commenter la décision de la France de ne pas souscrire aux règles. Dès jeudi 2 octobre, le président du Conseil italien, Matteo Renzi s’empressait certes d’apporter son soutien au gouvernement français. « L’Italie respectera les 3 % mais Paris a raison », a-t-il insisté. Mais il n'en est pas allé de même du côté de la BCE.

Profitant d’un sommet exceptionnel de la Banque centrale européenne à Naples, ses responsables ont tenu à répondre dès l’après-midi à Paris. Les pays de la zone euro doivent s’en tenir aux traités, rien qu’aux traités, ont-ils rappelé d’emblée dans l’avis rendant compte de leur discussion.  

« La politique monétaire est centrée sur le maintien de la stabilité des prix sur le moyen terme et ses positions accommodantes aident à soutenir l’activité économique. Néanmoins, pour renforcer l’investissement, l’emploi et la croissance, d’autres interventions politiques sont nécessaires. En particulier, la mise en œuvre de réformes structurelles dans plusieurs pays a clairement besoin d’être accélérée, et cela aussi bien pour la production et le marché du travail que pour améliorer le cadre économique pour les entreprises. Concernant les politiques budgétaires, les pays de la zone euro ne doivent pas défaire les progrès accomplis et doivent rester en ligne avec les règles du pacte de stabilité et de croissance. Cela devrait se voir dans les projets de budget pour 2015 que les pays vont bientôt soumettre, dans lesquels ils répondront aux recommandations spécifiques à leurs pays. Le pacte doit rester le socle de confiance dans des finances publiques solides et les souplesses existantes au sein des règles doivent permettre aux gouvernements de faire face aux coûts budgétaires des réformes structurelles pour soutenir la demande et mettre en œuvre des politiques fiscales plus favorables à la croissance. »

À plusieurs reprises, le président de la BCE a insisté sur la responsabilité des États dans la gestion de la crise de la zone euro. « La BCE ne peut pas tout », a-t-il dit. Mais cette fois-ci, il se sentait dans l’obligation d’aller plus loin. D’abord, il lui fallait atténuer l’échec d’une de ses principales missions : la stabilité des prix. En dépit des différentes mesures monétaires adoptées, des milliards apportés au système financier, la zone euro est entraînée dans une spirale déflationniste chaque mois un peu plus profonde : l’inflation était encore à 0,7 % en mai, elle est tombée à 0,3 % en août. Réponse de Mario Draghi face à cet échec : « C’est le chômage qui nourrit la déflation. » En d’autres termes, les gouvernements n’ont pas fait assez de « réformes structurelles » pour soutenir la croissance.

Mais le président de la BCE voulait aussi rappeler la France à l’ordre et tenter d’éviter que son mouvement de rébellion ne fasse école, surtout auprès de l’Italie. Il est d’autant plus enclin à se faire le porte-parole du respect strict des traités qu’il doit dans le même temps, ménager Berlin, alors que la BCE veut continuer à emprunter des chemins monétaires bien éloignés de la doxa allemande. L’avertissement s'est d'abord fait par allusions. « Les pays qui n’ont pas de marge de manœuvre budgétaire ont malgré tout des moyens de mener des réformes. La consolidation budgétaire, en passant par des réduction d’impôt, par la réduction des investissements publics, permet de faire face à des mesures pour soutenir la croissance », a-t-il expliqué.

Poussé dans ses retranchements par une journaliste italienne qui lui demandait ce qu’il pensait du ralliement de l’Italie à la position française, Mario Draghi est sorti complètement de sa réserve de banquier central. « Nous sommes tous pour que la France retrouve la croissance et l’emploi (…). Mais la France a pris des engagements budgétaires en juillet. Elle doit les respecter », a-t-il insisté. Peu importe que depuis l’activité dans la zone euro s’effondre, que la récession menace à nouveau, que le chômage atteigne des sommets, il faut s’en tenir aux engagements pris, mener les réformes promises, imposer l’austérité s’il le faut pour tenir les 3 % de déficit.

Ce rappel ne peut que satisfaire un certain nombre de responsables européens, excédés par le statut à part dont bénéficie la France. Il suffisait d’entendre l’interrogatoire serré auquel fut soumis Pierre Moscovici par les parlementaires européens ce jeudi 2 octobre pour mesurer leur énervement (lire l’article de Ludovic Lamant).

Les uns s’indignent de l’étrange complaisance dont elle a profité ces dernières années, alors qu’elle n’était jamais dans les clous. Les autres, et particulièrement les pays de l’Europe du Sud, qui se sont vu imposer des programmes d’austérité drastique, avec ou sans la Troïka, ne comprennent pas pourquoi la France mais aussi l’Italie seraient épargnées. Tous ceux-là souhaitent que la France n’ait plus cette fois-ci le droit à un sort spécial et soit contrainte comme l’Italie à respecter ses engagements, quel qu’en soit le coût politique et social. Au nom des traités et de la cohésion européenne, naturellement.

En face, certains continuent, malgré tout, à prôner un certain accommodement. L’heure n’est plus, selon eux, aux politiques d’austérité, qui ont entraîné l’ensemble de la zone euro dans la régression depuis 2008. L’activité est inférieure de 15 % à son niveau d'avant la crise financière, selon l’économiste Joseph Stiglitz, qui pointe un désastre que l’Europe ne veut pas reconnaître. La sous-activité économique, le chômage de masse et la pauvreté nourrissent les tensions sociales et politiques, plaident-ils. À Naples, des milliers de manifestants protestaient en dehors de l’immeuble accueillant la BCE contre la politique d’austérité européenne et étaient dispersés avec des lances à eau par la police italienne.

Manifestation à Naples au moment de la réunion de la BCEManifestation à Naples au moment de la réunion de la BCE © #blockbce #na2ott

Sans en parler publiquement, certains s’inquiètent aussi de la fragilité de porcelaine du pouvoir politique en France, craignant que toute décision brutale ne provoque des réactions imprévisibles. Cette considération ne semble pas entrer en ligne de compte chez Mario Draghi. « Nous verrons le projet de budget que soumettra la France dans les prochaines semaines », a prévenu le président de la BCE. « Nous avons une réunion à la mi-octobre. » 

Le décor est planté. Comme dans les westerns, chacun est en train d’astiquer ses armes avant d’aller à l’affrontement final. Le gouvernement français n’attendait sans doute pas un tel durcissement. Jusqu’à présent, Manuel Valls, surtout après avoir rencontré Angela Merkel à Berlin, semblait croire que la France pourrait obtenir un nouveau répit, en contrepartie d’un paquet de réformes structurelles. La position de Mario Draghi vient dissiper ces illusions. La France paraît n’avoir d’autre choix que de se soumettre ou d’engager l’épreuve de force.

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La politique économique version PS : « No future ! »

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Jouissant d’un statut de relative indépendance même s’il est placé sous la tutelle du ministère des finances, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) joue, de très longue date, un office précieux dans la vie publique : c’est en quelque sorte le garde-champêtre du débat économique français. Produisant des statistiques les plus impartiales possible sur tous les volets de l’activité économique et sociale, il est le garant de l’honnêteté des débats en même temps que de la sincérité des politiques économiques suivies.

Il faut donc lire avec beaucoup d’attention le dernier « Point de conjoncture » que l’Insee publie ce jeudi 2 octobre. Car même si les choses sont dites comme à l’accoutumée de manière feutrée, il n’est guère difficile de décrypter le message des statisticiens et prévisionnistes publics : ils viennent confirmer pêle-mêle que la France court à la catastrophe, que les priorités économiques françaises sont stupéfiantes ou encore que le budget présenté par le gouvernement pour 2015 est totalement insincère.

Voici donc ce « Point de conjoncture ». On peut le télécharger ici, ou le consulter ci-dessous.

Un premier constat transparaît d’abord de cette note de l’Insee. Celle-ci fait apparaître clairement que le projet de loi de finances pour 2015, que le gouvernement vient tout juste de dévoiler et qui sera examiné au cours des prochaines semaines par le Parlement, est construit sur des hypothèses économiques totalement irréalistes, ou plus précisément sur des hypothèses qui sont déjà fausses. Pour parler le langage des expert comptables, on pourrait dire de lui que c’est un budget « insincère ». Pour parler cru, on pourrait dire que c’est un budget truqué ou biaisé.

À cela, il y a une explication simple. Dans ses hypothèses économiques, le gouvernement a été contraint d’admettre que la croissance de l’économie française ne dépasserait pas 0,4 % en 2014, mais il fait mine de croire qu’un rebond, même modeste, devrait intervenir en 2015, avec une croissance qui pourrait donc atteindre 1 % l’an prochain. C’est sur cette hypothèse de 1 % de croissance qu’ont été calculées les prévisions de rentrées fiscales, de déficit public, d’endettement public, d’économies budgétaires. Que l’hypothèse de croissance de 1 % soit fausse, et c’est naturellement tout l’édifice budgétaire qui menace de s’écrouler, avec des recettes fiscales qui pourraient être moindres, des déficits plus importants, etc.

Or, dès à présent, c’est ce que suggère ce « Point de conjoncture ». Observons en effet ce qu’est la situation depuis plusieurs années, telle qu’elle ressort du tableau ci-dessous :

                                (Cliquez sur le tableau pour l'agrandir)

Ce qui transparaît des chiffres, c’est que les moteurs de la croissance française sont tous en panne. Totalement en panne. Depuis plus de trois ans, l’activité oscille autour de la croissance zéro, certains trimestres à peine plus, certains autres sensiblement moins. Et pour la période la plus récente, rien n'indique que l’activité redémarre. Au contraire ! Après une croissance nulle (0 %) au premier trimestre puis de nouveau au deuxième (0 %), la croissance devrait être quasi identique au troisième trimestre (+ 0,1 %) puis au quatrième (+ 0,1 %), soit une croissance de seulement + 0,4 % sur l’ensemble de l’année, exactement comme en en 2012 et comme en 2013.

En clair, c’est un signal d’alerte qu’envoie l’Insee : malgré les rodomontades de François Hollande, qui annonce périodiquement une inversion de la courbe du chômage ou une reprise économique, l’économie française est plus que jamais dans le fond du trou.

À cela, il y a deux raisons principales, l’une qui tient à la situation propre de la France, la seconde à son environnement européen.

Comment croire en effet le gouvernement socialiste quand il pressent un frémissement de l’activité qui pourrait se confirmer en 2015 ? Dans le cas de la conjoncture française, tout atteste que les courroies d’entraînement de la croissance sont à l’arrêt. Il suffit de poursuivre la lecture de cette note de l’Insee pour en trouver la confirmation.

D’abord, malgré les quelque 40 milliards d’euros du « choc de compétitivité » puis du pacte de responsabilité déversés sans la moindre contrepartie sur les entreprises, celles-ci n’ont pas le moins du monde recommencé à investir ou à embaucher. Dans le cas de l’investissement, c’est même plus grave que cela : l’investissement va encore baisser en 2014 de – 0,6 %. Quant à l’emploi, même tendance récessive : « Avec l’atonie de l’activité, l’emploi marchand reculerait de nouveau au second semestre 2014 (– 26 000 par trimestre en moyenne) », écrit l’Insee.

Et puis l’autre courroie d’entraînement de la croissance qu’est la consommation des ménages est, elle aussi, totalement grippée. La consommation des ménages connaîtrait en effet, elle aussi, une croissance quasi nulle (+ 0,1 %) en 2014. Ce qui en vérité est tout sauf une surprise, du fait notamment des avancées ininterrompues du chômage et des évolutions très défavorables du pouvoir d’achat.

Comme le montre le tableau ci-dessous, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages continuerait d’évoluer de manière très défavorable.

                               (Cliquez sur le tableau pour l'agrandir)

Sur l’ensemble de l’année 2014, il progresserait certes de + 0,8 %. Mais cette progression recouvrerait une nette décélération dans la seconde partie de l’année, avec une baisse de – 0,1 % au troisième trimestre et de – 0,5 % au quatrième. Et puis surtout, cette notion de pouvoir d’achat du revenu disponible est trompeuse, car elle est biaisée par les évolutions démographiques. Si l'on neutralise ces effets, il est probable que le pouvoir d’achat par ménage ou par unité de consommation restera très proche de 0 % en 2014.

Et le chômage, lui-même, continuerait son ascension à des niveaux historiques : « Au deuxième trimestre 2014, le taux de chômage a légèrement augmenté, à 10,2 % de la population active en France en moyenne (9,7 % en France métropolitaine). Au second semestre, il augmenterait de nouveau légèrement, à 10,3 % en fin d’année (9,9 % en France métropolitaine) », relève l’Insee.

                               (Cliquez sur le tableau pour l'agrandir)

Mais il n’y a pas que le moteur interne de la croissance qui soit en panne. L’environnement européen est tout autant dépressif. « Au deuxième trimestre 2014, l’activité dans la zone euro a stagné (0,0 %, après + 0,2 %). Cette évolution est plus faible qu’anticipé (+ 0,3 %), du fait d’une moindre demande des entreprises (investissement et variations de stocks). La croissance a déçu dans la plupart des grandes économies de la zone, l’activité se contractant en Allemagne et en Italie (– 0,2 %) et stagnant en France », relève pudiquement l’Insee. De nombreux économistes, en Allemagne même, sont encore plus pessimistes et, pointant la faiblesse des investissements, n’hésitent pas même à parler d’un possible « déclin » de l’économie du pays.

Quoi qu’il en soit, le constat ne fait guère de doute : la France est encalminée depuis longtemps dans une situation proche de la croissance zéro et aucun indicateur – pas le moindre ! – ne suggère que la situation va s’améliorer au cours des prochains mois. CQFD ! Le projet de budget pour 2015 est déjà obsolète avant même d’avoir été soumis à l’approbation. Car pour faire redémarrer la croissance, il faudrait assurément une tout autre politique…

Or, c’est tout l’intérêt de ce « Point de conjoncture » : dans la foulée, il met aussi en relief l’incohérence de la politique économique suivie par le gouvernement socialiste. Car à l’évidence, ce n’est pas d’un problème de compétitivité dont souffre d’abord la France. Et elle aura beau inonder ses entreprises par milliards d’euros, elle ne fera qu’arroser du sable…

Étouffée par une politique d’austérité qui est de plus en plus draconienne (blocage des retraites, blocage des rémunérations publiques, remise en cause de la politique familiale, coupes claires dans de très nombreux crédits sociaux…), enserrée dans une Europe qui ne se porte guère mieux et qui connaît des tensions déflationnistes de plus en plus graves, la France aurait besoin d’un électrochoc pour que son économie redémarre. Or, le gouvernement socialiste fait tout le contraire. Il durcit chaque jour un peu plus la politique d’austérité ; ce qui a pour effet de prolonger encore un peu plus la croissance zéro ; ce qui a pour effet de gonfler encore un peu plus les déficits que le gouvernement prétend vouloir réduire ; ce qui conduira le gouvernement à renforcer encore un peu plus la politique d’austérité ; et ainsi de suite, jusqu’à l’anémie totale de l’économie.

En somme, ce que décrit bien l’Insee, c’est la spirale récessive et déflationniste dans laquelle le gouvernement socialiste entraîne le pays. En somme, ce projet de budget pour 2015 est doublement insincère. Non seulement, il repose sur des hypothèses économiques irréalistes, mais de surcroît, même si des signes de reprise devaient malgré tout s’enclencher, la politique d’austérité aurait aussitôt pour effet de les refreiner.

Voilà la perspective de la politique économique socialiste. Pour néolibérale qu’elle soit, elle pourrait s’apparenter à un slogan punk : « No future ! »

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Un rapport parlementaire vole au secours du CICE

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Circulez, il n’y a pas grand-chose à dire. C’est peu ou prou le message du rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le crédit d’impôt compétitivité emploi, le fameux CICE, cosigné par les députés Yves Blein (PS, lire notre Boîte noire) et Olivier Carré (UMP). « Il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif de l’application du CICE, et notamment pour tenter d’évaluer ses effets économiques. (...) Pour autant, les premiers éléments disponibles permettent de dresser un premier constat positif. (...) Le CICE a permis de stabiliser le coût du travail et contribue ainsi efficacement au redressement du taux de marge des entreprises. »

Pas question donc de le faire évoluer, en attendant d’hypothétiques résultats. « Les craintes face à une "usine à gaz" ou à la complexité de la mesure ne se sont pas confirmées. Cela monte en puissance progressivement », se félicite le rapporteur Yves Blein, qui vante « l’unanimité encourageante » autour du dispositif. De quoi décevoir les opposants du CICE, nombreux à gauche, qui espéraient que la mission recommanderait un ciblage plus précis d’un dispositif prévu pour coûter 20 milliards d’euros par an en vitesse de croisière, ce qui en fait, de loin, la première dépense fiscale de l’État.

« Dès la deuxième séance, c’était plié. Jean Pisani-Ferry (qui dirige le comité d’évaluation du CICE, ndlr) a dit que l’évaluation du CICE serait très difficile et pas possible avant des années. À partir de là, cette mission ne servait à rien », déplore Laurent Baumel, un des chefs de file des “frondeurs” socialistes, qui était membre de la mission. « C’est extrêmement décevant », regrette l’écologiste Eva Sas.

Le CICE est un allégement d'impôts pour les entreprises calculé en fonction de leur masse salariale, hors salaires supérieurs à 2,5 fois le Smic. Son montant, 4 % des rémunérations brutes versées en 2013, va passer à 6 % l'an prochain sur les rémunérations au titre de 2014. Il devrait coûter en vitesse de croisière plus de 20 milliards d'euros par an. Depuis le début de l’année, il est intégré au “pacte de responsabilité” décrété par François Hollande lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier. Traduction du choix par le chef de l’État d'une politique massivement tournée vers l’offre et non vers la relance de la demande (que défend traditionnellement la gauche), ce pacte comprend d’autres baisses de cotisations sociales et des allègements de taxes pour les entreprises.

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Voté fin 2012 via un simple amendement (lire ici notre article ), le CICE, devenu la première dépense fiscale de l’État, est au cœur des polémiques au sein de la majorité depuis deux ans. Inspiré du rapport de l’ancien président d’EADS Louis Gallois, il ne figurait pas dans le programme de campagne de François Hollande. Dès son instauration, en pleine affaire Florange, l’aile gauche du PS dénonçait un « chèque Mittal » accordé aux plus grandes entreprises, un tel arrosage d’argent public sans ciblage ne pouvant avoir que des effets d’aubaine massifs.

Yves Blein n’est pas choqué que le CICE ne soit pas soumis à un contrôle public drastique, de surcroît dans le contexte actuel de crise : « C’est une dépense indispensable pour redonner de l’oxygène aux entreprises. Il faut accepter que toutes les entreprises en bénéficient, au nom de la concurrence non faussée imposée par Bruxelles, et avoir de la patience avant de ressentir les résultats sur notre économie. On ne peut pas constater une panne de compétitivité et ne rien faire. » Mais à la page 15 du rapport, il propose tout de même au gouvernement de voir avec les autorités européennes si un « soutien public ciblé sur les entreprises exportatrices » ne serait pas possible… Le député PS met par ailleurs en avant les négociations prévues par la loi qui sont en cours dans les branches professionnelles. Une vingtaine devraient finaliser leurs discussions d'ici à la fin octobre, promet le Medef. 

Matignon et l’Élysée ont toujours refusé de l’encadrer et de le conditionner à des critères précis. Argument de l’exécutif : avant d’investir et de créer des emplois, les entreprises doivent d’abord reconstituer leurs marges. Et parler d’emblée de contreparties risque de détruire la confiance, condition de la relance de l’économie. Au fil des mois, la définition de contreparties est pourtant devenue une des demandes centrales des “frondeurs” socialistes, et du reste de la gauche.

Cet été, lors des débats à l’Assemblée sur le pacte de responsabilité, ils ont à nouveau plaidé pour que le CICE soit réservé aux entreprises exportatrices soumises à la concurrence internationale et qui investissent (lire ici notre reportage). En vain.

Car en face, la ligne de l’exécutif est claire : on ne bouge pas. D’où les déclarations rassurantes d’Yves Blein. Même si son rapport est, quand on le lit de près, bien plus nuancé.

Premier enseignement : la mise en route du CICE est très lente. Mardi dernier, le comité de suivi chargé d’étudier le déploiement du CICE, présidé par Jean Pisani-Ferry, calculait que les entreprises n’ont déclaré cette année que pour 8,65 milliards d'euros de crédit d'impôt, très en deçà des prévisions du gouvernement qui tablaient sur 13 milliards d’euros de dépenses. Ce jeudi, la mission parlementaire fait le même calcul. « C’est normal. Il faut du temps pour connaître le dispositif. Certaines entreprises attendaient de voir le déploiement avant de se lancer », balaie Yves Blein. Mais l’on voit bien que ce sont les grands groupes qui raflent la mise, avec une  moyenne de 12 millions d’euros par entreprise. Pour les TPE-PME plus réticentes, qui craignent des contrôles fiscaux par la suite, le montant du chèque paraît souvent si insignifiant qu’elles ne le demandent pas.

Deuxième leçon : faute d’« un suivi renforcé », impossible de savoir précisément ce qu’en font les entreprises. Le rapport parlementaire déplore que les déclarations obligatoires des entreprises, quand elles ne font pas défaut, soient « imprécises et stéréotypées ». Les premiers indices posent en tout cas des questions. Ainsi, au moins un tiers des entreprises ont profité du dispositif pour améliorer leurs marges. Devant les députés, le directeur général de l’AFEP (qui regroupe les 100 plus grands groupes privés de France) a indiqué que seuls 15 % de ses adhérents estiment que le CICE leur servira à employer ou à maintenir des emplois.

Auditionné par la mission parlementaire et membre du comité de suivi dirigé par l’économiste Jean Pisani-Ferry, Alain Giffard, syndicaliste à la CFE-CGC, ne décolère pas : « Le gouvernement est complètement à côté de la plaque : l’argent du contribuable ne profitera pas aux salariés mais aux grands groupes, dont une majorité n’a même pas à affronter la concurrence internationale. Faute de chiffres précis de la part de l’État, nous sommes allés à la source voir nos délégués syndicaux dans les différentes entreprises. Le nombre de chèques en blanc encaissés pour tout sauf l’emploi, la recherche, l’innovation, la formation professionnelle est impressionnant ! » Dans le secteur bancaire, le syndicat de l’encadrement a réalisé une étude instructive (à lire ici), qui montre que le CICE est avant tout une formidable aubaine pour payer moins d’impôts sans améliorer les conditions sociales des salariés.

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C’est l’autre grand reproche fait au CICE : il bénéficie aux entreprises qui en ont le moins besoin. « Il convient de demeurer vigilant sur ce risque, l’appropriation du CICE par des entreprises non exportatrices, dans des secteurs faiblement concurrentiels », estime d’ailleurs le rapporteur parlementaire. Le commerce et l’hôtellerie-restauration, où les bas salaires sont légion, sont ainsi les premiers bénéficiaires. À elle seule, la grande distribution devrait toucher 3 milliards en 2014. Un secteur ni exposé à la concurrence internationale ni exportateur, alors que l’un des objectifs affichés du dispositif est d’aider les secteurs industriels à accroître leur compétitivité et à mieux exporter. Carrefour, qui bénéficie déjà de 90 millions d’euros au titre des allègements Fillon et de 25 millions au titre des exonérations TEPA, a touché 90 millions d’euros au titre du CICE : 53 pour ses hypermarchés, 25 pour ses supermarchés, 8 pour la logistique et 4 pour diverses raisons.

« Où sont les embauches, les augmentations de salaire, la formation qualifiante ? Nulle part, dénonce la CFDT Carrefour (lire ici sa note sur le sujet). Carrefour dit avoir utilisé les fonds pour embaucher 5 013 personnes en 2013. Cela ne veut rien dire. Le turn-over est énorme chez nous. 15 000 personnes en moyenne sont embauchées chaque année. En 2013, elles étaient 19 559 personnes dont 57 % en CDD, 20 % à temps partiel et 16 % en contrat par alternance. Carrefour peut-il se féliciter d’utiliser le CICE pour des temps partiels subis ? En réalité, selon les chiffres obtenus par notre direction, les effectifs ont réellement augmenté de 879 personnes entre décembre 2012 et novembre 2013. »

Selon le député Front de gauche Nicolas Sansu, La Poste (qui vient d’annoncer une hausse historique de 10 centimes du prix du timbre) a touché 300 millions d’euros en 2013. Et Auchan a bénéficié de 115 millions. Le rapport de l’Assemblée élude ces estimations. « Les membres de la commission n’en ont pas eu connaissance », assure Nicolas Sansu. « Nous les avons demandées, sans résultats », déplore l’écologiste Eva Sas. La faute au « secret fiscal », d'après Yves Blein. « Nous pouvons connaître les montants branche par branche mais pas entreprise par entreprise, assure-t-il. Le montant fiscal perçu est couvert par le secret fiscal. Cela dit, la vingtaine de chefs d’entreprise, toutes tailles et tous secteurs confondus, que nous avons auditionnés n’ont pas caché les montants qu’ils avaient touchés. »

Devant les députés, La Poste a ainsi indiqué que son CICE serait massivement investi dans la formation, en prévision d’un renouvellement des activités du groupe en raison de la réduction régulière des activités de service de courrier aux particuliers. Le groupe textile Tenthorey affirme avoir utilisé ses 47 000 euros de CICE en 2013 pour procéder à l’embauche d’une commerciale. Haulotte, fabricant de nacelles élévatrices, a affecté son CICE à la recherche et développement. Dans le secteur de la chimie, Solvay l’a consacré au renforcement de son besoin en fonds de roulement ; le groupe Arkema a choisi la même affectation pour la plus grande partie de son crédit d’impôt, et en a réservé 8 % pour l’acquisition de véhicules électriques, etc.

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Mais la principale interrogation concerne l’impact sur l’emploi, et le coût des éventuels emplois créés. Une enquête de l’INSEE, citée par le rapport, estime ainsi que les effets sont nuls. De nombreuses études sur les allègements de charges, devenus la pierre philosophale des politiques publiques d’emploi depuis les années 90, aboutissent d’ailleurs à la même conclusion (lire ici et nos articles).

Dans le rapport des députés, on lit que le CICE pourrait, selon la direction du Trésor du ministère des finances, représenter une création de près d’un point de croissance et 395 000 emplois en 2017. Mais ces chiffres ne prennent pas en compte le coût du CICE pour les finances publiques. D’autant que celui-ci est financé par la hausse de la TVA, qui freine la consommation des ménages.

« Il faut évaluer l’impact net du CICE, en incluant les coûts de son financement », plaide Valérie Rabault, députée PS et rapporteure générale du budget à la commission des finances de l’Assemblée. Critique de la ligne économique mais pas “frondeuse”, la députée avait mis en garde cet été contre des coupes budgétaires trop sévères. Sur la base de calculs qu’elle était allée chercher à Bercy, elle avait rappelé que le plan massif d’économies (50 milliards d’économies entre 2014 et 2017) risquait de détruire plus d’emplois que les différentes mesures d’exonération pour les entreprises prévues dans le pacte de responsabilité, dont le CICE, pourraient en créer (lire notre article).

« Le CICE rapportera sans doute moins que ce qu’il coûte à l’économie. Ces seuls chiffres devraient suffire à tout arrêter ! », plaide le député Front de gauche Nicolas Sansu. « Le CICE, c’est une croyance, une pensée magique. De toute façon, le ver est dans le fruit par principe, assure le socialiste Laurent Baumel. Ce type de mesure produit toujours des effets d’aubaine. Quel que soit le nombre d’emplois créés, leur coût sera énorme. Aider les entreprises du Cac 40 qui s’en servent pour améliorer la rémunération de leurs actionnaires et parfois pour délocaliser, c’est incompréhensible et c’est politiquement très mauvais pour la gauche. » Alors que le débat budgétaire s’ouvre à l’Assemblée nationale, les “frondeurs” et leurs alliés à gauche vont une nouvelle fois réclamer un ciblage drastique du CICE. Sans grandes chances de succès.

BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été jointes ce jeudi 2 octobre sauf mention spéciale. Yves Blein, le rapporteur socialiste, député maire de la ville de Feyzin dans le Rhône, est lié à la famille Mulliez, la première fortune de France, qui détient notamment le groupe Auchan. Un lien de par sa femme, aujourd’hui décédée, comme le révélait ici il y a quelques mois Rue89. Interrogé, Yves Blein ne voit pas de lien : « Ce n’est pas moi qui suis veuf mais mes enfants qui de par leur mère sont liés à la famille Mulliez. »

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Un ancien résistant de 89 ans accuse un policier de l'avoir roué de coups

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Que s’est-il passé le 23 septembre à Saint-Germain-lès-Arpajon (Essonne) ? Raymond Gurême, un ancien résistant de 89 ans, affirme avoir été matraqué par un policier, lors d’une descente de police sur le terrain où sont installées sa caravane et celles de sa famille. À la suite de sa plainte, déposée le 24 septembre à la gendarmerie d’Ebly, le parquet d’Évry a ouvert une enquête préliminaire, qui a été confiée aux policiers de la cellule de déontologie de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de l’Essonne. « Comme je le fais systématiquement, cette plainte n'ayant rien de spécial, explique Béatrice Angelelli, la procureure adjointe qui suit les questions de violences policières. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ne prend que les dossiers les plus graves, avec des armes, des cas de légitime défense, etc. »

© Jean-Baptiste Pellerin

Dans un rapport daté du 29 septembre 2014 qu'a pu consulter Mediapart, la commissaire, chef de la circonscription de sécurité d’Arpajon, dément toute violence. Se basant sur les témoignages des focntionnaires sous ses ordres, elle affirme que Raymond Gurême, qui s’opposait à l’entrée des policiers dans sa caravane, a été « simplement mis de côté » par un gardien de la paix « qui le prenait par les épaules, afin de permettre aux vérifications de se poursuivre ». « Aucune arme de défense n'a été utilisée en l'espèce, en dehors de la gazeuse », affirme-t-elle. Les policiers sont intervenus « en flagrant délit » à la poursuite d’un homme de 49 ans, membre de la famille de M. Gurême, recherché dans le cadre d’une information judiciaire pour vol en bande organisée avec arme, ainsi que d’un gamin de 13 ans, qui les aurait caillassés. « Je ne vois pas comment Raymond Gurême aurait pu être victime d'un mauvais coup qui viendrait expliquer ses hématomes », insiste la fonctionnaire, qui est arrivée sur le terrain juste après la perquisition de la caravane de M. Gurême.

Comment alors expliquer ses blessures ? Raymond Gurême affirme avoir été jeté hors de sa caravane alors qu’il faisait la sieste, puis battu par un policier. « Nous avons l’habitude des interventions policières sur le terrain mais pas de le retrouver dans cet état-là », indique un de ses amis. Selon le certificat délivré le 23 septembre par son médecin de famille, Raymond Gurême présente deux ecchymoses respectivement de 5 et 8 centimètres au thorax et sur l’avant-bras droit, ainsi que des « contusions à l’épaule droite et au crâne ». Le 29 septembre, le médecin a également constaté des « cervalgies avec vertige et perte d’équilibre » qui ont nécessité le port d'une minerve. Mais aucune ITT n’a été délivrée, le vieil homme n’ayant toujours pas eu de rendez-vous à l'unité médicojudiciaire, à la grande surprise de son avocat Me Henri Braun. « Filer un rendez-vous trois semaines après les faits pour constater des coups... », s'étonne-t-il. 

L'histoire de ce résistant, fait chevalier des Arts et lettres par l’ancien ministre de la culture Frédéric Mitterrand, n’est pas étrangère à l’émoi provoqué depuis le 23 septembre sur les réseaux sociaux. À 15 ans, ce petit acrobate et sa famille furent arrêtés par des gendarmes français et internés dans les camps de Darnétal près de Rouen, puis de Linas-Montlhéry dans l’Essonne, en vertu d’une ordonnance allemande d’octobre 1940 décrétant l’internement des Tsiganes en zone occupée. Raymond Gurême s’évadera à plusieurs reprises, avant d’entrer dans la résistance et de participer à la libération de Paris. Ce patriarche a eu 15 enfants et plus de 200 descendants. Il a raconté l'histoire tragique des Tsiganes en France ainsi que les discriminations toujours existantes dans un livre coécrit avec la journaliste Isabelle Ligner, Interdit aux nomades (Calmann-Lévy, 2011).

Le 25 septembre, Raymond Gurême avait encore un important hématome au bras droit. Le 25 septembre, Raymond Gurême avait encore un important hématome au bras droit. © IL

Voici le récit que Raymond Gurême a livré le 29 septembre à la journaliste et qui a été publié sur le site Dépêches Tsiganes : « Il était autour de 15 h 30. Je me reposais dans ma caravane. J’ai entendu crier. Je me lève pour voir ce qui se passe. C’est alors que la porte s’ouvre. Un flic entre chez moi, la matraque en l’air. Il avait la trentaine. Je ne l’avais jamais vu sur mon terrain. Il était baraqué, les cheveux blonds coupés en brosse et avait de grandes oreilles. Je n’étais pas très réveillé, c’était comme un cauchemar. Il me repousse vers le fond de la caravane. Je lui dis "Pourquoi tu viens chez moi ?" Il me répond pas. Je laisse pas tomber et le questionne encore : "T’as un mandat pour perquisitionner ?" Il me dit : "On n’en a pas besoin, on n’est pas en Amérique ici. " Je lui dis : "Moi non plus je suis pas en Amérique et ma caravane non plus alors sors de chez moi." Il a crié "Ferme ta gueule" plusieurs fois et puis c’est comme s’il avait pété les plombs, il a commencé à me taper dessus avec la matraque, une matraque en fer, télescopique.

Ça faisait très mal et puis, comme j’ai que la peau sur les os, ça résonnait comme une grosse caisse. Il y a un policier plus âgé qui lui a crié "Attention, vas-y doucement c’est un vieux !", mais le jeune flic qui s’acharnait sur moi ne l’a pas écouté et l’autre a paru avoir peur et s’est mis en retrait. J’avais très mal partout mais le pire, c’est quand il a tapé sur l’arrière de l’épaule, presque derrière le cou. (…)

Quand je suis arrivé vers la porte, il m’a pris par le cou et la peau des reins et il m’a jeté du haut de la caravane vers le bas. Le flic m’a regardé partir en vrille. Comme il a vu que je retombais sur les pieds, il est revenu il m’a retapé à l’extérieur et après, ils étaient à deux sur moi. J’ai reçu des coups de pied en plus des coups de matraque. C’est là que certains de mes enfants ont cherché à me défendre. Mais un tas de policiers leur sont tombés dessus et ne leur ont laissé aucune chance. Ils étaient déchaînés. » Il ajoute avoir eu « peur qu’il me tue dans ma caravane ».

Mediapart a eu accès au rapport du 29 septembre 2014 de la commissaire en chef de la circonscription d’Arpajon, ainsi qu’aux comptes-rendus d’intervention des policiers, rédigés le 23 septembre. La commissaire s'étonne de la plainte déposée par Raymond Gurême, ainsi que d'un billet de blog publié le 26 septembre sur Mediapart par un de nos abonnés, sous le titre « Raymond Gurême, 89 ans, agressé chez lui par des policiers ». Priée par le directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne de s’expliquer « suite à l'article paru dans Mediapart », la commissaire qualifie ce billet de « totalement mensonger et calomnieux ». « Je n’accepte pas la référence faite par le journaliste (en fait un de nos abonnés, ndlr) à l’État de Vichy pour évoquer la façon dont nous sommes intervenus », s'indigne-t-elle.

Selon la version policière, vers 12 h 50 le mardi 23 septembre 2014, deux agents de la brigade anticriminalité (Bac) d’Arpajon, en patrouille, repèrent un membre de la famille de M. Gurême recherché pour vol en bande organisée avec arme dans le cadre d’une information judiciaire. L’homme âgé de 49 ans prend la fuite sur son scooter « en direction de son domicile ». À leur arrivée chemin Saint-Michel, où sont implantées les caravanes de la famille de Raymond Gurême, un adolescent de treize ans leur lance alors deux vélos, puis une pierre qui brise la vitre arrière de leur voiture. Les policiers battent en retraite « compte tenu de la situation tendue et de leur infériorité numérique ». Un proche de M. Gurême, joint par Mediapart, explique que cette zone très boisée, où la famille dispose de plusieurs terrains, constitue un vrai casse-tête pour les policiers lorsqu’ils recherchent quelqu’un.

« Au vu du profil des individus à interpeller et surtout de la physionomie de ce secteur habité presque exclusivement par des gens du voyage, hostiles à la police et connus défavorablement de nos services », la commissaire décide donc de réunir « un maximum de policiers » de son commissariat d’Arpajon, plus quatre équipages de renfort sollicités auprès de l’état-major et du district de Palaiseau. À 15 h 30, les policiers de diverses unités d'intervention sont de retour en force et investissent les « deux camps », au 14 et au 37, chemin Saint-Michel. Ils fouillent caravanes et chalets. L'accueil est, sans surprise, hostile. « Très rapidement (les habitants) s’opposaient fermement à notre présence, nous indiquant ne rien avoir à faire chez eux, nous intimant l’ordre de dégager, nous reprochant même de tuer leurs enfants, proférant des menaces à notre encontre et (…) des propos de plus en plus injurieux », rapporte la fonctionnaire.

Sur l'autre terrain, au numéro 14, où habite Raymond Gurême, les insultes fusent : « Espèce de PD, fils de pute, résidu de capote d'Hitler », relate un gardien de la paix dans son procès-verbal. Mais « malgré l’état de nervosité des individus, la visite s’opère sans incident jusqu’à la visite de la caravane du "patriarche" », indique son collègue. L'intervention tourne alors au vinaigre. Alertés par les cris, la commissaire et les autres policiers, qui ont fait chou blanc sur le premier terrain, se précipitent. À leur arrivée, la commissaire constate que « les policiers étaient victimes de jets de pierres, d’insultes, et de menaces de mort de la part des habitants au nombre d’une trentaine environ ». Deux des fils, un petit-fils et une petite-fille de Raymond Gurême, âgés de 36 ans à 46 ans, s’interposent. Ils sont interpellés et placés en garde à vue. Les policiers font usage de gaz lacrymogène pour disperser les habitants, avant de déserter les lieux un peu après 16 heures.

Dans leurs procès-verbaux rédigés le jour même, les agents n'évoquent pas le déroulement de la perquisition chez Raymond Gurême. Il faut donc s’en tenir au récit rapporté par la commissaire dans son rapport du 29 septembre : « À aucun moment cette personne n’a été victime de violences de la part des policiers intervenants. Ces derniers indiquent que dès leur arrivée au 14, chemin Saint-Michel, ils se sont fait copieusement insulter (…) mais qu’ils ont préféré dans un premier temps ne pas en tenir compte et procéder aux vérifications. À ce moment-là, Raymond Gurême le patriarche se tenait à l’extérieur de la caravane (et non attablé à l’intérieur comme il le prétend). Le motif de l’intervention lui a été immédiatement donné, comme aux autres personnes présentes. Les policiers s’assuraient que les individus recherchés ne se trouvaient pas dans les différentes caravanes et autres abris de fortune. »

Elle  poursuit : « Alors qu’ils allaient pénétrer dans sa caravane, Raymond Gurême s’interposait et demandait aux policiers de sortir, n’ayant pas de "mandat de perquisition". Il était simplement mis de côté par le gardien de la paix (…) qui le prenait par les épaules, afin de permettre aux vérifications de se poursuivre. Toutefois cette intervention dans la caravane du patriarche était très mal perçue par les autres membres de la famille Gurême et engendrait des tensions de plus en plus importantes.

Quelques minutes plus tard, alors que la situation dégénérait sur le camp et que les policiers procédaient aux quatre interpellations précitées pour "outrage et rébellion", Raymond Gurême se tenait en retrait, vers le fond du camp. » La commissaire dit également avoir vu des « mamans tenant des enfants dans les bras ainsi qu’une jeune femme enceinte, complètement hystérique, venant au contact des policiers qui tentaient de les repousser, nous insultant et nous jetant des pierres ». Elle martèle qu'il n'y a eu aucune faute commise, ni aucun usage d'arme « en dehors de la gazeuse ». Ses fonctionnaires ont donc été, selon la commissaire, « surpris » par la plainte de Raymond Gurême et « a fortiori » par le billet de blog publié sur Mediapart.

Un des policiers, mordu par une femme, s’est vu délivrer une ITT d’un jour. Les quatre personnes interpellées ont été condamnées en comparution immédiate le 24 septembre pour « outrage et rébellion » contre des policiers. Elles ont fait appel. « J’ai déjà trois condamnations pour "outrage et rébellion" et à chaque fois c’est ici sur notre terrain et la plupart du temps avec les mêmes flics », témoigne, sous couvert d'anonymat, l’un des fils de Raymond Gurême sur le site Dépêches Tsiganes. Selon lui, les policiers « ont provoqué pour pas repartir bredouilles ». « Ils savaient qu’en s’attaquant au père, on réagirait, affirme-t-il. J’ai essayé de le défendre mon père. (…) On s’est pris des coups, on a été plaqués au sol et puis traînés jusqu’au camion de police. »

Me Henri Braun, l’avocat et ami de Raymond Gurême qui n'a pas a eu accès au dossier, s’interroge sur une possible « violation de domicile ». En cas de flagrant délit, le consentement de l'occupant et la décision d’un juge ne sont cependant pas nécessaires. « Les autorités auraient dû réagir au plus haut niveau, estime l’avocat. C’est particulièrement grave de s’attaquer à quelqu’un de 89 ans, considéré par la loi comme un personne vulnérable. D’autant plus par rapport à son parcours d’ancien résistant. »

André Sauzer, vice-président de l’Association départementale des gens du voyage de l’Essonne (ADGVE), est tout aussi choqué. Lui qui avait l'habitude de faire avec son ami la tournée des écoles et lycées pour raconter la persécution des gens du voyage durant la Seconde Guerre mondiale, fulmine depuis qu'il l'a vu « marqué, avec une minerve ». « Trop c'est trop, s'exclame-t-il. C'est une histoire qui ne devrait plus exister de nos jours dans le pays des droits de l'Homme. » La procureur adjointe d’Évry attend elle le retour de l'enquête pour prendre une décision.

BOITE NOIREJe n'ai pas pu rencontrer M. Gurême, mais me suis entretenue avec ses proches par téléphone. Cet article a été modifié à 12 h 30 le 3 octobre pour rectifier l'orthographe du nom de M. Sauzer ainsi que de M. Braun, et pour préciser que la commissaire est arrivée sur le terrain juste après la perquisition de la caravane de M. Gurême.

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Documentaire. « La Part du feu », combats contre l'amiante

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Une voix off qui raconte un combat, une lutte pour la vie. Des images où l'on appréhende le danger de l'ennemi invisible – l'amiante – à la mesure des protections prises pour l'approcher.

Le documentaire d’Emmanuel Roy La Part du feu réussit magistralement à faire résonner toute la fragile humanité des malades sur les images d'un monde d'apocalypse.

Alors que sa toxicité est connue depuis les années 1970, l'amiante n'est interdite en France que depuis 1997. Selon un rapport du Sénat de 2005, l’utilisation de l’amiante est responsable de 35 000 décès survenus entre 1965 et 1995 en France. Entre 2005 et 2030, les parlementaires ont estimé que l'amiante pouvait encore tuer entre 65 000 à 100 000 personnes. 

  • La Part du feu d’Emmanuel Roy, sorti en novembre 2013, a été produit par Atopic et Ad Libitum et distribué par Shellac. Un DVD est disponible depuis le 2 juillet 2014 dans tous les points de vente habituels et sur le site de Shellac.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Sciences-Po Aix marchande ses diplômes à l’étranger

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Enquête en partenariat avec le site Marsactu. En cette rentrée 2014, les tramways strasbourgeois étaient redécorés aux couleurs de l’Institut d’études politiques (IEP)… d’Aix-en-Provence. Il s’agit d’une publicité pour un master délivré par une école privée en partenariat avec l’institut aixois comme il en fleurit partout, y compris dans les villes qui comptent déjà un IEP. Dans un courrier daté du 30 septembre 2014, six directeurs d’IEP s’inquiètent du développement vertigineux de partenariats avec des organismes de formation privés mis en place par l’école d’Aix. Ils menacent son directeur de l’exclure du concours commun s’il ne revient pas sur cette politique. Car le master d’études politiques de Sciences-Po Aix s’exporte désormais un peu partout en France et à l’étranger. Pour renflouer ses caisses, l’IEP a choisi depuis 2008 de nouer des partenariats avec plusieurs organismes de formation privés, comme l’Institut de gestion sociale (IGS), qui promettent aux étudiants du monde entier l’obtention de masters de l’IEP (bac + 5) en échange de droits d’inscription substantiels.

L'IEP d'Aix-en-Provence s'est lancé dans une course aux partenariats pour compenser la baisse des financements d'Etat.L'IEP d'Aix-en-Provence s'est lancé dans une course aux partenariats pour compenser la baisse des financements d'Etat. © LF

 

Le directeur de Sciences-Po Aix Christian Duval n’a même pas pris la peine de s’expliquer face à ses pairs. Contrairement à ce qu’indique l’IEP dans un communiqué de presse portant sur un incident intervenu entre un professeur et une élève, il ne s’est pas rendu à Lille où se tenait mardi 30 septembre leur réunion. Problème d’avion officiellement. Cela ressemble fort à une dérobade, tant les questions se multiplient autour de sa politique de développement. Début juillet déjà, quatre enseignants-chercheurs de l’IEP ont démissionné de leurs fonctions administratives pour protester contre une stratégie qui transforme, selon leurs courriers, cet « établissement public prestigieux en sous-Business School dans laquelle des intérêts privés s’immiscent de plus en plus ». Jean-Charles Jauffret, historien, André Cartapanis, économiste, Franck Fregosi, spécialiste de l’Islam, et Philippe Aldrin, directeur du Cherpa, le centre de recherches de l’IEP, accusent Christian Duval de « brader » les diplômes et la marque Sciences-Po. Ils pointent des « masters illégaux (...) dirigés par des amateurs ». Le 10 septembre, les représentants étudiants au conseil d’administration ont à leur tour réclamé plus de « transparence » sur la politique de partenariats, s’inquiétant pour « leurs conséquences sur la valeur du diplôme ».

À l’entrée de l’hôtel du 18e siècle qui abrite l’IEP à Aix-en-Provence, le mur des partenaires, inauguré en juin 2014, affiche la couleur : CMA-CGM, banque Lazard, LCL, GDF Suez, Onet, Société des eaux de Marseille, Airbus Helicopter, Ricard, etc. L’établissement public, dont le conseil d’administration est présidé par Christine Lagarde, directrice générale du FMI, est fier de son « ouverture » sur le monde privé. Une nécessité avant tout économique. Son directeur Christian Duval, arrivé en septembre 2006, pointe « un désengagement de l’État très net à l’égard des universités depuis les lois Pécresse en demandant aux établissements de se débrouiller ». « Quand je suis arrivé à la direction il y a huit ans, le budget de fonctionnement était financé à 80 % par l’État, désormais c’est à 40 % », affirme-t-il.

Il a donc fallu aller chercher de l’argent en France comme à l’étranger : certains étudiants surnomment le directeur "Air Duval" pour ses déplacements tous azimuts. En 2008, il confie cette politique de développement à un ancien diplômé en formation continue de l’IEP, Stéphane Boudrandi, ensuite nommé directeur adjoint. Ex-auditeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et membre d’un cabinet d’affaires aixois, ce consultant prend la tête du master "management de l’information stratégique" de l’IEP, délaissé par les étudiants de Sciences-Po. Malgré le départ de l'enseignante-chercheuse qui pilotait ce master, Sciences-Po le maintient. Seul aux manettes, Stéphane Boudrandi l’oriente vers l’audit social, les ressources humaines, la responsabilité sociale des entreprises. Bref, des domaines de compétence plus proches des formations d’écoles de commerce que de Sciences-Po, dont le cœur de métier reste les carrières publiques.

Sous la direction de Boudrandi, le master 2 devient la tête de gondole de l’IEP pour attirer des partenaires privés (Institut des études d’administration et de management, Wesford université, IGS, Cesi, etc.). C’est ainsi que ce diplôme d’État est aujourd’hui proposé par Wesford université à Genève et Clermont-Ferrand pour la modique somme de  23 700 euros par an. Ou encore par l’IGS (Institut de gestion sociale) à Lyon, Paris et Toulouse pour 11 200 euros. Depuis la rentrée 2014, le Cesi (Centre d’études supérieures industrielles), un autre organisme privé, le décline également en formation continue dans neuf villes françaises moyennant 5 000 euros de frais d’inscription. Sur ces sommes, l’IEP touche environ 1 000 euros par étudiant (contre 470 euros pour les étudiants arrivés par la voie classique du concours).  

En 2014, Sciences-Po Aix a ainsi diplômé « 200 étudiants extérieurs pour 280 étudiants en interne », selon le directeur qui reconnaît avoir atteint un seuil à ne pas dépasser. Une vraie machine à cash, puisque les cours sont totalement pris en charge par les organismes de formation privés, Sciences-Po se contentant de concevoir la maquette de l’enseignement et d’assurer le suivi et la validation des mémoires. La ligne budgétaire « Autres ressources », qui recense essentiellement les gains nés des formations à l’étranger, est passée en 2013 de 300 000 à 1 million d’euros. Des étudiants peuvent ainsi décrocher un master d’études politiques sans avoir jamais croisé un enseignant en science politique de l’IEP.

Elu directeur de l'IEP en 2006, Christian Duval est professeur des universités, agrégé en droit public.Elu directeur de l'IEP en 2006, Christian Duval est professeur des universités, agrégé en droit public. © LF

Pour les organismes privés qui peuvent délivrer des diplômes d’État, l’IEP constitue une véritable « agence de diplomation » dont ils mettent le label en avant dans leurs publicités. Certains enseignants de l’IEP se sont ainsi récemment étranglés en découvrant que le groupe IGS faisait de la retape pour recruter des étudiants en Chine en mettant en avant le master de Sciences-Po Aix. Ils ont également découvert sur Internet la création des neuf masters avec le Cesi, « sans information ou validation par les instances collégiales en interne », assure un professeur. « Nous allons vers des organismes de formation qui ont pignon sur rue », se défend Christian Duval. Le directeur dit toutefois comprendre les inquiétudes des enseignants et des représentants étudiants.

Les universitaires démissionnaires affirment ne pas avoir été associés à la conception et à la mise en œuvre de ces formations, qui portent sur des domaines très éloignés de ceux traditionnellement enseignés dans les IEP. « Ces masters n’ont reçu aucune habilitation et sont dirigés par des amateurs », accuse Jean-Charles Jauffret dans sa lettre de démission.

En fait, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a bien validé en 2011 le master d’étude politique d’Aix-en-Provence ainsi que quatorze spécialités, dont celle de « management de l’information stratégique ». Mais il n’a jamais examiné les différents sous-parcours créés depuis par l’institut. « Vous pouvez créer des parcours au fil des années sans en référer au ministère, s’ils ne s’éloignent pas trop de la philosophie du master, explique Thierry Paul, vice-président à la formation d’Aix-Marseille université qui appose son sceau sur les diplômes de l’IEP. Au bout de cinq ans, le ministère demande à ce que l’établissement dresse un bilan et c’est sur cette base qu’il renouvelle ou non l’habilitation. »

Sur son site, Sciences-Po Aix propose aujourd’hui seize spécialités de masters aux étudiants dont seules quatorze ont été validées par le ministère. Deux semblent donc totalement hors des clous : "management et gouvernance des entreprises" ainsi que "marketing et attractivité territoriale", toutes deux dirigées par des non-universitaires. Car Aix-en-Provence fait figure d’exception au sein du réseau des IEP : plusieurs de ses masters sont dirigés par des non-universitaires, anciens journalistes, consultants ou chefs d’entreprise.  

Le mur a été inauguré en juin 2014.Le mur a été inauguré en juin 2014. © LF

Seul le nom de Stéphane Boudrandi figure ainsi sur la plaquette du master professionnel et recherche « management de l’information stratégique ». Face à notre étonnement, Christian Duval, lui-même professeur des universités, assure qu’il s’est personnellement impliqué dans le suivi de ce master. Et il ajoute qu’un professeur de la fac de sports de l’université Aix-Marseille, Pierre Dantin, en est le responsable scientifique. Contacté le 29 septembre, celui-ci affirme avoir découvert l’existence de ce master six jours auparavant, lorsqu’il a été contacté en catastrophe par le directeur de l’IEP pour créer « un conseil scientifique de perfectionnement des masters professionnels ».

Ce n’est donc pas ce spécialiste des organisations sportives qui pourra éclairer la croissance exceptionnelle qu’a connue cette formation au « management de l'information stratégique ». Navire amiral des partenariats avec des organismes privés en France, ce diplôme de niveau bac + 5 sert aussi à démarcher des institutions à l’étranger. À l’époque, l’IEP rêve ouvertement d’un « Sciences-Po océan Indien basé à l’île Maurice », comme le qualifie lui-même Christian Duval lors du conseil d’administration de l’IEP, le 6 avril 2013. « Le développement constitue aujourd’hui un levier essentiel de la consolidation de la santé financière de l’IEP », martèle sur le même procès-verbal de réunion l’inévitable Boudrandi. Au programme du conseil ce jour-là, la passation d’une convention avec une entreprise privée de formation marocaine, l’institut Masnaoui.

Contre des frais d'inscription de 1 000 euros, l’IEP va accompagner l’Executive Master of Business Administration (EMBA) en « gouvernance et leviers de la performance » de l’institut Masnaoui et former les cadres des entreprises marocaines. Dans sa plaquette, l’institut marocain met en avant un seul intervenant de l’IEP, Stéphane Boudrandi lui-même, pour un cours de « management de l’information et des connaissances ». Malgré une première rentrée prévue à l’automne 2013, Christian Duval assure aujourd’hui que ce partenariat « n’a jamais fonctionné ». Les règles administratives marocaines l’auraient rendu trop difficile à mettre en place. Un « partenariat exclusif » avec la future université Mohammed VI – publique celle-ci – serait en gestation.

L’épisode Masnaoui illustre la capacité de Sciences-Po à prospecter à tout-va à l’étranger. Fort d’une marque reconnue qu’il peut utiliser comme bon lui semble à l’international, l’IEP s’est rapproché d’autres formations privées dispensées par la Chambre de commerce et d’industrie de l’île Maurice (MCCI) ou encore à l’Université professionnelle d’Afrique (UPA), qui intervient notamment au Congo. Toujours à la manœuvre, le directeur du développement Stéphane Boudrandi, qui fait miroiter à l’IEP son réseau en matière d’« intelligence économique ». Il obtient l’autorisation de créer un centre d’intelligence économique chargé de délivrer de lucratifs certificats de Sciences-Po à des professionnels hors de tout diplôme national. « Je me suis intéressé aux problématiques liées à l’intelligence économique, explique Stéphane Boudrandi. J’ai proposé à l’ex-directeur une politique en la matière, j’avais des contacts. » Bien qu’il n’ait aucun titre universitaire, Stéphane Boudrandi va alors être chargé par Christian Duval du développement des masters externalisés.

Dans ce domaine, l’expérience de Sciences-Po Aix est quasiment nulle. L’IEP va s’appuyer sur l’Institut de gestion sociale (IGS), qui pratique déjà des formations en alternance, pour développer son master. En parallèle, il se met en quête de « conseillers scientifiques qui nous aident sur des problématiques que nous ne maîtrisons pas », explique Duval. Apparaît alors Jean-Marie Peretti, professeur d’université émérite, ancien de l’université de Corse. Il devient « conseiller de Sciences-Po non rémunéré » selon le terme employé par Christian Duval. Il est encore aujourd’hui présenté comme le responsable du « pôle audit social et responsabilité sociale des entreprises » sur le site de l’IEP. À lui tout seul ou presque, il va légitimer scientifiquement la démarche de l’Institut.

Président de l’Institut d’audit social (IAS), une association regroupant divers spécialistes internationaux du domaine, Peretti est lié au directeur de la recherche de l’IGS Richard Delaye puisqu’il a aussi dirigé sa thèse de sciences de gestion. Tous deux apparaissent proches de Stéphane Boudrandi. À l’occasion, ce dernier, qui rêve de passer un doctorat pour devenir enfin un authentique universitaire, cosigne avec Delaye des articles scientifiques.

Stéphane Boudrandi, ex-directeur adjoint de l'IEP d'Aix, à Kinshasa lors des rencontres de l'audit social en novembre 2012Stéphane Boudrandi, ex-directeur adjoint de l'IEP d'Aix, à Kinshasa lors des rencontres de l'audit social en novembre 2012

À partir de l’IGS, Richard Delaye et Jean-Marie Peretti ont mis un pied en Afrique : ils ont fondé en 2002 un réseau d’écoles africaines de management, l’Université professionnelle d’Afrique (UPA). Sur certains documents, Boudrandi apparaît comme secrétaire de l’association. Il a même son adresse mail à l’UPA. Fin décembre 2013, lors de l’organisation d’un colloque sur l’audit social placé sous la direction de Peretti et Delaye, il est désigné avec une double appartenance IEP/UPA. « Secrétaire général de l’UPA, je ne valide pas. Si c’est le cas, c’était uniquement pour l’association chargée d’organiser le colloque (de l’IAS de Peretti, ndlr), rétorque l’intéressé. Avec le directeur, nous avons toujours refusé d’être membres des organismes privés partenaires. » Ce que confirme Richard Delaye : « Boudrandi était secrétaire quand nous organisions les universités d’été. Il était présent pour représenter Sciences-Po. »

En février 2013 en tout cas, l’UPA se réjouit sur son site de la délivrance d’un « master de Sciences-Po Aix, diplôme d’État et grade de master » à ses étudiants de « la promotion 4 de l’Executive MBA délivré par l’UPA et Sciences-Po Aix ». Une plaquette détaille « les douze séminaires de quatre jours tous les deux mois », assurés notamment par Stéphane Boudrandi.

Ce dernier intervient ainsi dans plusieurs formations délivrées à l’étranger. Une fonction exercée au titre de ses activités à Sciences po et «sans rémunération supplémentaire», assure-t-il de concert avec son directeur. Cela ne l’empêche pas de laisser ses connaissances de l’IGS utiliser à tort et à travers la notoriété de Sciences po Aix, créant d’évidentes situations de conflit d’intérêts.

Richard Delaye lors d'une remise de diplômes en Guadeloupe avec derrière lui le logo de Sciences Po. Richard Delaye lors d'une remise de diplômes en Guadeloupe avec derrière lui le logo de Sciences Po.

Richard Delaye a ainsi participé au développement d’un partenariat de Sciences-Po Aix en Guadeloupe avec Confor PME, un organisme privé de formation pour entreprises. Et Confor PME a pu délivrer des diplômes d’État à des cadres supérieurs prêts à débourser 20 000 euros pour un master 2 en formation continue.

Autre exemple de l’influence du réseau Boudrandi, l’Institut des études d’administration et de management (IEAM), présidé par Jean-Marie Peretti, possède lui aussi un double diplôme avec Sciences-Po Aix. Plus généralement, Jean-Marie Peretti est présent presque partout où s’installe l’IEP. Il donne ainsi une conférence dans un master externalisé à l’île Maurice, pour lequel Boudrandi et Duval ont signé un accord de partenariat avec la chambre de commerce et d’industrie. Peretti, conseiller scientifique de Sciences-Po Aix, se retrouve donc dans une situation de conflit d’intérêts évidente au regard de ses nombreuses casquettes. Interrogé par mail, il explique que sa responsabilité à Sciences-Po est une « activité totalement bénévole comme le sont tous (ses) engagements associatifs ». À ses yeux, « en apportant (sa) caution académique à l’IEAM et à l’UPA, (il) participe activement à deux projets innovants et porteurs de sens ».

Interrogé à son tour sur sa proximité avec ces partenaires, Stéphane Boudrandi minimise : « Peretti est un faire-valoir dans le domaine des ressources humaines. Dès qu’il est présent, il remplit les salles. Le professeur Peretti a créé une école française de RH : dès qu’on peut l’utiliser, on l’utilise, comme d’autres professeurs dans leurs champs de compétence. M. Delaye est un proche de M. Peretti. Il n’apparaît plus chez nous, il est membre de l’IGS. Nous n’avons pas de relation contractuelle avec lui. Il est là où est Peretti. »

Richard Delaye, à gauche, hissant le drapeau de Sciences-Po Aix à Kinshasa, en novembre 2012.Richard Delaye, à gauche, hissant le drapeau de Sciences-Po Aix à Kinshasa, en novembre 2012.

Sur un cliché posté sur sa page Facebook en novembre 2012, on retrouve pourtant ce même Richard Delaye en Afrique, hissant le drapeau de Sciences-Po Aix. La scène se déroule à Kinshasa, lors des rencontres africaines de l’audit social, où est également invité Jean-Marie Peretti. Quant à Stéphane Boudrandi, il est bien présent la même année lors de la remise de diplômes à l’école supérieure de management de Kinshasa, cofondée par Richard Delaye et membre du réseau UPA. « On m’a mis en photo à l’école lors de la remise de diplômes, mais ça ne veut rien dire, se défend Stéphane Boudrandi. Le diplôme national est extrêmement bien sécurisé. Tous ceux qui ne sortent pas du logiciel Apogée (le registre national des diplômés) ne sont pas diplômés. Qu’ils annoncent qu’ils ont des diplômes, on ne peut pas vraiment les en empêcher. » Il ajoute : « C’est aussi le problème d’Internet. Les gens voient des choses sur Internet et croient que c’est la vérité. »

Certains les y aident : début 2014, Richard Delaye a ainsi posté sur sa page Facebook une plaquette de l’école supérieure de management de Kinshasa promettant un diplôme d’État de Sciences-Po Aix. Le même Richard Delaye qui, au téléphone, nous assure qu’il s’agit de « vieilles plaquettes qu’on épuise » et que « les Africains aiment bien mettre en avant un certain nombre de choses pour se crédibiliser ». Une question demeure : quel diplôme délivre-t-on aux étudiants africains qui déboursent plusieurs milliers d’euros pour un cursus censément auréolé du prestige de Sciences-Po Aix ?

Plaquette de l'école supérieure de management de Kinshasa cofondée par Richard Delaye.Plaquette de l'école supérieure de management de Kinshasa cofondée par Richard Delaye.

Le 19 septembre, Christian Duval accepte de nous recevoir dans son bureau en compagnie de son directeur de la communication et de l’attachée de presse de l’IEP. Il démine les sujets un à un, sans toutefois entrer dans les détails. « Ça ne fait jamais plaisir, mais ce n’est pas une crise profonde à l’IEP, minimise Christian Duval. C’est un débat qui existe dans toutes les universités, qui a existé à Sciences-Po Paris de manière très forte : qu’est-ce que l’ouverture des établissements d’enseignement supérieur ? »

Pendant deux heures, le directeur de l’IEP a tenté de démentir l’existence des partenariats les plus douteux. Il nous a ainsi présenté le partenariat avec Confor PME en Guadeloupe comme de l'histoire ancienne. Le professeur affirme y avoir mis rapidement le holà, après des retours très négatifs d’enseignants aixois. « Sur une promotion de dix-sept étudiants, nous n’en avons pris que trois (pour l’obtention du master 2, ndlr) », détaille Christian Duval. Le directeur affirme même avoir depuis cessé toute collaboration avec Richard Delaye, à l’origine de l’accord. Au téléphone, Boudrandi précise : le partenariat a été rompu « à la rentrée 2013 ».

Sur le site de l’école antillaise, on trouve pourtant encore en ligne un dossier d’inscription 2014-2015 et un programme détaillé des intervenants prévus. Les deux premiers séminaires doivent d’ailleurs être assurés par Stéphane Boudrandi et Richard Delaye. Cette fois encore, on ne trouve aucune trace de cours délivrés par un enseignant-chercheur de Sciences-Po Aix. Joint par téléphone, Jérémy Huget, le directeur de Confor PME, finit par lâcher que le partenariat a été annulé « d’un commun accord au milieu du mois d’août 2014 ». C’est-à-dire un mois après la démission des quatre enseignants-chercheurs.

Christian Duval explique également que « rien n’a commencé à l’île Maurice. Nous faisons de la formation continue, mais pas de masters ». Las, son directeur du développement Stéphane Boudrandi n’est pas sur la même longueur d’onde. Au téléphone, il explique qu’un jury « va aller sur place fin décembre » pour faire passer leurs mémoires et leurs masters de l’IEP à « six à huit » étudiants sur « dix inscrits ». Le responsable pédagogique de la Chambre de commerce et de l’industrie (CCI) de l’île Maurice confirme : « La CCI a signé un accord avec Sciences-Po Aix en janvier 2012. La première promotion, une dizaine d’étudiants, va sortir en décembre avec un master 2 de l’IEP. »

Capture d'écran du site Sciences-Po Maurice, aujourd'hui disparu.Capture d'écran du site Sciences-Po Maurice, aujourd'hui disparu.

 

La défense du directeur de l’IEP est la même concernant l’Afrique. « Stéphane Boudrandi est venu me voir plusieurs fois pour me dire que ce serait très bien de travailler avec l’UPA. Mais nous ne travaillons pas avec eux. Je ne me suis pas déplacé, je n’ai signé aucun accord, j’ai demandé à ce que tout soit débarrassé sur leur site », affirme-t-il.

L’IEP aurait été, selon son directeur, dépassé par des partenaires peu scrupuleux et tout serait en train de revenir à la normale. Mais depuis les démissions début juillet et le début de notre enquête, un vent de panique semble souffler sur l’IEP et des corrections sont apportées dans l’urgence. Une chargée de mission a été embauchée pour faire le ménage sur Internet. Plusieurs sites ont déjà disparu, comme celui de Sciences-Po Maurice, qui reprenait trop ouvertement le logo de l’établissement, ou encore le site du Centre d’intelligence économique et de gouvernance de crise, dirigé par Stéphane Boudrandi, qui est officiellement « en maintenance » depuis la fin de l’été (ici une capture du site en mai 2014).

En toute discrétion, le directeur de l’IEP a au même moment déchu son bras droit Stéphane Boudrandi de son titre de directeur adjoint, tout en affirmant lui conserver toute sa confiance. « L’objectif à Sciences-Po n’a pas été d’avoir un titre, minimise Stéphane Boudrandi. Mais c’est très utile au niveau des partenariats, nos interlocuteurs préfèrent parler au directeur adjoint. » Un audit interne a également été confié à deux professeurs, dont un des démissionnaires.

Il est d’autant plus urgent de clarifier les choses pour le directeur Duval qu’il doit également répondre aux questions de la Cour des comptes, qui intervient depuis juillet dans les murs de l’IEP. À l’entendre, il s’agit d’un simple contrôle de routine initié par la troisième chambre qui couvre l’ensemble des secteurs de la connaissance, dont l’enseignement supérieur et la recherche. « Ça faisait dix ans que nous n’avions pas été contrôlés comme l’université Aix Marseille, explique-t-il. Ils sont très très attentifs à la politique des primes, par rapport à Sciences-Po Paris je pense. » Il ne fait aucun doute que les magistrats de la Cour s’intéresseront aussi aux flux financiers générés par les masters. En effet, les organismes extérieurs à Sciences-Po ne peuvent légalement pas servir d’intermédiaire au moment du versement des frais d’inscription sous peine d’être accusés de gestion de fait, c’est-à-dire d’avoir manié de l’argent public sans en avoir le droit.

La pression des autres IEP en région est tout aussi forte. Ceux-ci ont exigé des réponses de l’IEP d’Aix avant le 10 novembre, sous peine de l’écarter du concours commun d’entrée en première année. « De nombreux doutes sont aujourd’hui émis sur la légalité des pratiques de sous-traitance de la gestion pédagogique de diplômes nationaux. C’est pourquoi nous demandons qu’une démarche de renoncement aux partenariats qui menacent notre identité et la qualité de notre label soit rapidement enclenchée. En effet nous estimons que l’IEP se place de lui-même, par ces pratiques, en dehors du réseau des concours communs », écrivent dans leur lettre commune les directeurs des IEP de Toulouse, Lille, Saint-Germain-en-Laye, Strasbourg, Rennes et Lyon.

L’équipe dirigeante de l’IEP entend désormais se recentrer sur des doubles diplômes à l’international, en associant plus étroitement l’université d’Aix-Marseille (Amu). « Là, on repart mais c’est bien cerné, veut rassurer Christian Duval. Francophonie pour le moment : Maroc, Canada, Mali et j’aimerais qu’on y mette Maurice car, même si c’est un pays anglo-saxon, les gens parlent français même s’il est très créolisé. » Stéphane Boudrandi, à l'origine de ces partenariats douteux, fait lui aussi machine arrière. « On a fait des erreurs », reconnaît-il. À l’en croire, elles relèvent déjà du passé. « Toutes les réponses, on les a déjà apportées, affirme-t-il. (...) Nous avions déjà accepté toutes les recommandations faites sur les partenariats, des process avaient déjà été mis en œuvre. »

Mais on a du mal à le suivre quand il assure plaider « depuis deux ans » en conseil d’administration pour « arrêter cette relation avec l’IGS qui nous a permis de mettre en place l’alternance ». Les faits sont têtus. Fin août 2014, juste avant la rentrée, l’Institut international d’audit social présidé par Jean-Marie Peretti tenait son raout annuel dans les locaux de l’IEP d’Aix-en-Provence, un événement organisé entre autres par Stéphane Boudrandi et Richard Delaye. Parmi les invités, figurait notamment Pierre Dinassa Kilendo, cofondateur avec Delaye et Peretti de l’Unité professionnelle d’Afrique. Ce jour-là, c’est Christian Duval qui assurait le discours d’ouverture.

Mediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

BOITE NOIRE

Richard Delaye hissant le drapeau de sciences po Aix aà Kinshasa, en novembre 2012.Richard Delaye hissant le drapeau de sciences po Aix aà Kinshasa, en novembre 2012.
Mediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

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Assistance médicale à la procréation, GPA, familles: la grande régression

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« La GPA est et sera interdite en France. » Dans le quotidien catholique La Croix, à deux jours d'une nouvelle manifestation de la "Manif pour tous", le premier ministre Manuel Valls a donné ce vendredi 3 octobre de nouveaux gages à la droite conservatrice

Pas question, dit-il, d'autoriser le recours à la gestation pour autrui (GPA), autrement dit le recours aux mères porteuses. « C’est le choix très ferme du président de la République et de son gouvernement, explique-t-il. La France n’a jamais varié sur ce sujet. Elle est opposée à la légalisation de la GPA qui est, il faut le dire, une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes. » Manuel Valls va même plus loin, contestant un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l'Homme qui impose à la France de reconnaître la filiation des enfants nés de GPA à l'étranger. En 2011, Manuel Valls était pourtant favorable à une GPA encadrée.

Mais c'était il y a trois ans. Depuis qu'il est premier ministre, Manuel Valls est coutumier des clins d'œil à la frange la plus conservatrice de la société française. Dès son arrivée à Matignon, en avril 2014, il avait fermé la porte à toute extension de l'AMP (pour assistance médicale à la procréation, aussi appelée PMA) aux couples de femmes d'ici la fin du quinquennat. Une annonce faite… depuis le Vatican ! Évidemment, ces déclarations ne peuvent être faites sans l'aval du chef de l’État lui-même, que l'on sait frileux sur les sujets de société.

Dimanche 5 octobre, des dizaines de milliers de manifestants de la "Manif pour tous" défileront à Paris et à Bordeaux. La loi autorisant le mariage aux couples de même sexe ayant été votée en avril 2013, la "Manif pour tous", mouvement constitué pour lutter contre la loi, porte désormais le combat sur d'autres terrains : contre la fameuse "théorie du genre" (qui, faut-il le rappeler, n'existe pas) ; contre le recours aux mères porteuses (la fameuse GPA), présentée comme une revendication unanime des associations LGBT (lesbiennes, gay, bi, trans), ce qui n'est pas le cas ; contre l'ouverture aux couples de femmes de l'AMP.

À droite, ces deux sujets, qui ne concernent qu'une minorité de Français, sont devenus identitaires, comme des marqueurs obligés de tout programme conservateur digne de ce nom. Dans son embryon de programme dévoilé jeudi 2 octobre, Nicolas Sarkozy n'avance que quelques idées, dont très peu sont nouvelles. En revanche, l'AMP et la GPA figurent en bonne place. L'ancien chef de l’État, candidat à la présidence de l'UMP, propose ainsi d'inscrire dans la Constitution « des verrous juridiques pour réserver la PMA aux couples hétérosexuels infertiles et interdire complètement la GPA ».

L'AMP et la GPA, que la droite conservatrice mêle volontiers, n'ont en réalité pas grand-chose à voir, ne serait-ce qu'au regard de la loi. L'une (la GPA) est strictement interdite. L'autre est autorisée en France depuis 40 ans, mais réservée sous conditions aux couples hétérosexuels infertiles : la question posée n'est pas celle de son autorisation, mais de son extension (lire ici notre article).

En fait, si AMP et GPA sont volontairement mêlées comme les deux revers d'une même médaille par la frange la plus conservatrice de la société française, c'est que ces deux pratiques ont en commun de concerner (mais pas exclusivement) des couples homosexuels désireux d'avoir des enfants. Face à cette offensive idéologique d'une droite galvanisée, teintée d'une homophobie sous-jacente et qui s'exprime parfois crûment, l'attitude du PS au pouvoir ne laisse pas d'étonner. Au lieu de démêler les amalgames entretenus par les opposants à l'égalité des droits, il semble les conforter. Au lieu de reformuler les enjeux de ces questions de société dans un sens progressiste, il laisse la "Manif pour tous" et la droite réactionnaire définir les termes du débat. Au lieu d'encourager la société à discuter de façon constructive de ces sujets complexes, il oublie ses questionnements passés et contribue à rabougrir le champ du débat public. 

Il y a d'abord eu le mariage des couples de même sexe, certes voté le 23 avril 2013, mais porté du bout des lèvres par un pouvoir hésitant. Pour l'heure, une des seules mesures de gauche que François Hollande, président sans résultats sur le terrain économique et social, pourra mettre à son actif à l'heure du bilan.

Puis c'est l'AMP pour les lesbiennes qui fut abandonnée. C'était un engagement du PS depuis des années. François Hollande l'avait aussi promise pendant la campagne présidentielle. Au terme d'une spectaculaire série d'engagements non tenus et de renoncements, le pouvoir a finalement décidé de l'exfiltrer de la loi sur le mariage des couples de même sexe. Il a ensuite renoncé à la faire voter. Avant de sous-traiter la question, devenue trop délicate pour lui, au Comité national d'éthique. Celui-ci doit en théorie donner son avis début 2015, mais ne se hâte guère. La loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels a été si prudente qu'elle a laissé les tribunaux dans le flou face à des cas d'adoption au sein de couples de lesbiennes mariées. Il y a quelques jours, après des mois d'incertitude juridique, la Cour de cassation a levé l'ambiguïté, validant l'adoption d'enfants nés de procréation médicale assistée dans ce cas (lire notre article).

Au lendemain d'une nouvelle '"Manif pour tous", il y eut aussi un recul, au début de cette année, sur la loi famille. Le premier ministre s'appelait encore Jean-Marc Ayrault. Découpée en trois, elle est aujourd'hui en jachère au Parlement. Elle concerne pourtant des sujets qui touchent toutes les familles, comme la filiation, l'autorité parentale ou l'adoption. Mais même sur ces sujets, la gauche au pouvoir a renoncé.

La gestation pour autrui est, enfin, une autre illustration de ce renoncement. Interdite en France depuis 1991, elle est légale, tolérée, ou possible dans plusieurs autres pays : Grande-Bretagne, Danemark, Canada, certains États des États-Unis, Belgique, Pays-Bas, Géorgie, Ukraine, Inde, etc. Le recours aux mères porteuses pose bien sûr des questions éthiques considérables. Elle dérange, à gauche comme à droite, les opposants à la marchandisation du corps, dont les arguments sont solides.

Il y a quelques années, c'était encore un sujet dont la France pouvait débattre sereinement.

En 2008 au Sénat, un groupe de travail sur la GPA, où l'on retrouvait des parlementaires de gauche et de droite, proposait d'« autoriser la gestation pour autrui en l'encadrant », tout en se montrant très réservé sur son utilisation par des couples homosexuels. En 2010, 22 sénateurs UMP et centristes avaient demandé sa légalisation. Secrétaire d'État à la famille, la très sarkozyste Nadine Morano s'était elle aussi dite favorable à un « cadre légal » sur la GPA.

En 2010, le bureau national du PS avait tranché pour un maintien de l'interdiction, en raison des « risques que représentent l'instrumentalisation du corps de la gestatrice et sa possible marchandisation ». Mais le débat avait été âpre (lire ici notre article). Plusieurs personnalités (Benoît Hamon, Élisabeth Guigou, Lionel Jospin, Michel Rocard, etc.) la dénonçaient alors comme une « extension du domaine de l'aliénation ». Plusieurs dizaines d'intellectuels, élus et responsables socialistes s'étaient en revanche prononcés pour une légalisation encadrée. Parmi eux, Najat Vallaud-Belkacem ou Alain Vidalies, actuels ministres du gouvernement Valls. « La GPA peut être un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l'infertilité »expliquait alors Najat Vallaud-Belkacem, évoquant un véritable « don pour autrui ».

Manuel Valls lui-même y était « favorable ». En 2011, il estimait également que l'AMP était « acceptable si elle (était) maîtrisée ». Une proposition de loi sénatoriale « tendant à autoriser et à encadrer la gestation pour autrui » avait été cosignée en 2010 par plusieurs élus socialistes – l'ancien président du Sénat Jean-Pierre Bel, l'actuel ministre François Rebsamen, Robert Badinter – ou l'écologiste Dominique Voynet.

Mais depuis deux ans, le débat sur ce sujet a tourné à l'hystérie. Dès les tout premiers débats sur le mariage des couples de même sexe, la droite en a fait un angle d'attaque de choix. Ses leaders ont alors sommé le gouvernement de ne pas adopter, puis d'abroger, la « circulaire Taubira » du 25 janvier 2013 permettant d'attribuer la nationalité française aux enfants nés de GPA à l'étranger.

Depuis, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné la France à reconnaître la filiation des enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Cet arrêt a suscité la colère des opposants au mariage des couples homosexuels, inquiets que la GPA ne soit imposée à la France par la CEDH. Elle a aussi indigné des voix à gauche. Dix députés PS ont ainsi dénoncé l'« irruption d’un droit étranger dans notre droit national ».

Dans La Croix, ce vendredi, Manuel Valls, désormais à mille lieues de ses déclarations de 2011 (un écart qu'il dit « assume[r] ») leur donne raison, actant le renoncement de l'exécutif à réfléchir sur des sujets compliqués.

Contre l'avis de la CEDH, il affirme qu'il n'y aura pas d'automaticité. « Le gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA », dit-il. Tout en annonçant que la France va lancer une « initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent ».

Le cadre juridique proposé reste à ce stade très flou. En tout état de cause, Manuel Valls semble une fois de plus donner raison aux opposants de l'égalité des droits, deux jours avant une nouvelle démonstration de force de leur part. Pour l'Inter-LGBT, Manuel Valls, « en apportant une réponse aussi forte aux fantasmes d’un autre âge véhiculés par les opposants à la loi Taubira (…), légitime non seulement ce mouvement mais toutes les violences et les discriminations qui en découlent ».

« Ces annonces sont dangereuses, commente le député écologiste Sergio Coronado. D’un point de vue politique, elles donnent des gages à la droite la plus conservatrice de notre pays. D’un point de vue juridique, elles ne seront jamais appliquées. D’abord parce que la décision de la CEDH, du 26 juin, s’impose à notre pays. (…) La convention de New York, dont l’objet est la protection de l’intérêt de l’enfant et dont nous sommes signataires, s’impose également à nous. Même si le premier ministre souhaite abroger la circulaire Taubira, ces deux textes cités contredisent sa position. »

Manuel Valls, lui, n'en a cure. Sur ces sujets, il plaide l'« apaisement » depuis des mois. On peut aussi appeler ça un renoncement.

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La fronde du Palais-Bourbon se décline dans les baronnies socialistes

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Au milieu des assiettes de couscous et d'une chorale gospel chantant Bella ciao, la « salle festive » de Saint-Étienne-du-Rouvray a accueilli jeudi soir une des premières répliques de la fronde socialiste, qui n'agitait jusqu'ici que le groupe socialiste de l'Assemblée nationale. Dans cette ville de l'agglomération rouennaise, administrée par des communistes alliés au PS, la petite centaine de militants de la section locale a fait de son traditionnel banquet républicain annuel un rendez-vous labellisé « Vive la gauche », du nom de ce collectif militant créé lors des dernières universités de La Rochelle (lire ici) par les députés de « l'Appel des cent ». Alors que ceux-ci n'ont plus été que trente-trois à s'abstenir lors du vote de confiance au gouvernement Valls 2 (lire ici), le 16 septembre dernier, leur initiative se relaie peu à peu sur le territoire.

Le lieu de la soirée n'est pas anodin. En plein cœur de la circonscription de Laurent Fabius, dans une fédération de Seine-Maritime "tenue" depuis une quarantaine d'années par l'actuel n° 2 du gouvernement, et votant au canon, congrès après congrès, pour le courant fabiusien ou celui qu'il soutient. Le ministre des affaires étrangères et ses proches et relais au niveau fédéral ne sont pas là, rares sont les élus présents, d'ailleurs. Tout juste aperçoit-on quelques conseillers généraux et régionaux, ainsi que la députée Estelle Grelier (pourtant pas une frondeuse), au milieu des 220 militants présents, venus de tout le département, dont un « petit tiers » de l'aile gauche du parti, assure un bon connaisseur local.

Gérard Filoche, Laura Slimani, David Fontaine, David Cormand, à Saint-Etienne-du-RouvrayGérard Filoche, Laura Slimani, David Fontaine, David Cormand, à Saint-Etienne-du-Rouvray © S.A

 

En guise d'apéritif, les interventions des socialistes et écologistes invités tirent toutes dans le même sens, celui d'un quinquennat qui n'est pas fini, d'un souhait que le gouvernement ne soit pas en échec, mais aussi d'une nécessité de rompre avec l'idée qu'il n'y aurait qu'une politique possible. Pour le jeune secrétaire de la section stéphanaise, David Fontaine, les militants présents sont « singuliers, car fidèles à (leurs) valeurs, le discours du Bourget et les soixante engagements de François Hollande ». Lui ne semble pas séduit par les états-généraux du PS (« C'est d'un congrès dont nous avons besoin ! ») lancés par Jean-Christophe Cambadélis et sa volonté de « changer la carte d'identité du parti », car « nous ne voulons ni changer notre identité, le socialisme, ni de pays, la gauche », dit Fontaine.

À sa gauche, l'écologiste David Cormand (président de groupe à la région de Haute-Normandie, et n° 2 d'EELV au plan national) embraye : « La compétitivité, ça passe par le renouvellement d'un modèle, pas par la baisse des droits sociaux. Jusqu'ici, la différence entre la gauche et la droite se faisait sur la redistribution de quelques points de croissance. Désormais, comment fait-on la différence quand il n'y a plus de croissance ? »

Autre "locale de l'étape", Laura Slimani, présidente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et adjointe au maire de Rouen, a elle plaidé pour « le rassemblement de la gauche face au sectarisme », allusion aux punitions ayant sanctionné les députés frondeurs (lire ici). Avant d'estimer, devant un auditoire qui assiste à la montée du FN dans un département populaire où la droite républicaine est très faible, que « c'est quand la gauche va sur le terrain de la droite qu'elle favorise la montée du FN ».

Un message vidéo de Jérôme Guedj plus tard, où le président du conseil général de l'Essonne et figure de l'aile gauche du PS note que « les sujets qui divisent sont précisément ceux qui ont été débattus en amont et collectivement », et l'invité de la soirée, Gérard Filoche, autre figure de l'aile gauche du PS, conclura les prises de parole, avec le mérite de résumer les désarrois. « Comment s'est-on retrouvé dans une situation où toute la gauche se dit “ce n'est pas notre politique qui est menée” ? », lâche l'inspecteur du travail à la retraite et membre du bureau national du parti. Avant de répondre lui-même à sa question : « Parce qu'on ne veut pas prendre l'argent où il est, parce qu'on ne veut pas taxer les 440 milliards des 500 familles les plus riches du pays, ni récupérer les 600 milliards d'évasion fiscale. »

Banquet républicain de « Vive la gauche », à Saint-Etienne-du-RouvrayBanquet républicain de « Vive la gauche », à Saint-Etienne-du-Rouvray © S.A

Dans la salle, beaucoup de cheveux blancs acquiescent, les yeux parfois dans le vide, comme incapables de s'avouer qu'ils ne se reconnaissent plus dans un parti pour lequel ils militent depuis si longtemps. « On ne sait pas bien si les abstentions des frondeurs servent à quelque chose, explique un vieux militant rouennais, mais cela permet aux militants de s'accrocher, de ne pas partir. » Un autre, la trentaine, est plus désabusé : « Notre dernière réunion de section était une succession de monologues sur la situation de sa rue, de son boulot, des discussions au marché… Il n'y a plus de réflexion collective, c'est comme si on avait appuyé sur le bouton "pause", sans savoir si on réappuierait dessus. »

Jacques, agriculteur à la barbe foisonnante, est tout aussi consterné. « Aujourd'hui, les élus encalminent le parti avec leur carrière politique, sans savoir de quoi est fait le quotidien des gens et de leurs intérêts, se désole-t-il. Ici, les maires sont désignés, les cadres du parti sont interchangeables. On est arrivé à une situation où être socialiste est devenu un métier, où cadres, élus et conseillers ne travaillent plus qu'au parti. C'est normal qu'il y ait des permanents, mais c'est comme s'il n'y avait plus que cela parmi ceux qui nous représentent. » Un autre, Patrick, délégué syndical CFDT, espère toutefois que « ce type de soirée permettra d'adresser un message à nos dirigeants ». Il l'explicite : « On ne demande même pas de coup de barre à gauche, juste qu'on redresse la barre et qu'on reprenne les promesses de François Hollande. »

Sur le parking de la salle des fêtes, Léa se réjouit de l'affluence nombreuse de la soirée. « On voulait montrer la base et sa colère, dit cette doctorante en histoire de 23 ans. Sans nous, il n'y a plus d'élus, il n'y a plus rien. Nous, on milite, on croit en ce qu'on fait, et il faut nous écouter. » À La Rochelle, elle dit avoir crié son exaspération : « "J'aime les entreprises, j'aime les entreprises…" C'est compliqué de dire, une fois, j'aime les salariés ?! » Ce jeudi soir, à Saint-Étienne-du-Rouvray, elle lâche un dernier soupir, avant de quitter la fête. « Quand des électeurs et des sympathisants viennent me demander ce que je pense de la situation, ils me disent toujours après ma réponse : "Ouf, je suis pas tout seul." J'ai les boules quand je revois les amis que j'ai convaincus de ne pas voter Mélenchon… »

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Bygmalion: les mis en examen de l'UMP ont interdiction de rencontrer Sarkozy et Copé

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Les uns après les autres, ils défilent devant les juges. Après les responsables de Bygmalion, trois anciens cadres de l'UMP ont été mis en examen, à leur tour, samedi 4 octobre. L'information judiciaire, ouverte sur des soupçons de « faux et usage de faux »« abus de confiance » et « tentative d'escroquerie » en lien avec la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, s’accélère.

Éric Cesari, surnommé « l'oeil de Sarko » à l'UMP, l'ex-directrice financière du parti, Fabienne Liadzé, et son ancien directeur de la communication, Pierre Chassat, qui avaient été interpellé jeudi, ont désormais interdiction de rencontrer Jean-François Copé, l'ancien président de l'UMP, et Nicolas Sarkozy, selon les termes de leur contrôle judiciaire.

Qui a su et décidé quoi ? Dans un procès-verbal de synthèse cité par Le Monde, les enquêteurs de l’Office central anti-corruption de Nanterre écrivaient dès juin dernier : « Les responsables de Event et Cie (filiale de Bygmalion chargée des meetings – ndlr), de l'UMP et de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy semblent inextricablement liés les uns aux autres. » Mediapart passe tous les principaux protagonistes de l'affaire en revue.

  • Guy Alvès, cofondateur de Bygmalion, mis en examen pour « complicité de faux et usage de faux »
Guy AlvèsGuy Alvès © i>Télé

C’est l’homme par lequel l’affaire des fausses factures à l’UMP est devenue l’affaire du compte Sarkozy. Le cofondateur de Bygmalion s’est d’abord retrouvé bien seul, début mai, quand Libération a révélé que sa société avait adressé des millions d’euros de fausses factures à l’UMP en 2012, sous le prétexte de conventions fictives (Mediapart les a publiées ici). Acculé, ce proche de Jean-François Copé a alors contre-attaqué par la voix de son avocat, Me Patrick Maisonneuve, en révélant en direct à la télévision que ce stratagème illégal avait en réalité servi à régler à Bygmalion toute une série de frais de meeting organisés au bénéfice du seul candidat Sarkozy pendant la présidentielle.

Lancé dans une surenchère de réunions publiques pharaoniques, le président-candidat risquait en effet d’exploser le plafond des dépenses légales en 2012, fixé à 22,5 millions d’euros. Il a donc été décidé de dissimuler la majeure partie de ses frais de meetings. Comme Mediapart l’a révélé, seuls 4,3 millions d’euros de prestations d'Event & Cie ont ainsi été déclarés dans le compte de Nicolas Sarkozy, outrageusement maquillé, contre 21,2 millions d’euros véritablement engagés. La différence (d’environ 17 millions d’euros) a été prise en charge par l’UMP dans le plus grand secret, au mépris des lois.

Pour s’expliquer, sinon se dédouaner, Guy Alvès a résumé ainsi l’histoire aux enquêteurs : « Le choix était soit d'accepter, soit de couler ma société, alors que je n'avais fait que mon travail. J'étais pris au piège. » 

En juillet dernier, sa société a finalement été placée en liquidation judiciaire. D’après une comptabilité interne (que Mediapart a pu consulter), Event & Cie avait en 2012 retiré 4,9 millions d’euros (hors taxes) de la campagne présidentielle, avant déduction des charges internes. Cette année-là, la filiale arborait un résultat avant impôts de 4,66 millions d’euros (soit une marge de 23,1 %) et de 3,07 millions après impôts.

Le scénario décrit par Guy Alvès va désormais être vérifié point par point par les juges d’instruction, euro par euro, pour s’assurer que sa version n’est pas amputée d’une réalité plus dérangeante encore : une partie du pactole engrangé par Bygmalion n’aurait-elle pas alimenté une caisse noire politique ? Cette hypothèse est en effet distillée depuis l’été dernier par les concurrents de Jean-François Copé, président du parti à l’époque des faits. Ces derniers soulignent que Guy Alvès fut son directeur de cabinet de 2004 à 2007, avant d’endosser le rôle de trésorier de son micro-parti personnel, Génération France. Les deux hommes ont désormais interdiction de se voir.

  • Bastien Millot, cofondateur de Bygmalion, mis en examen pour « complicité de faux et usage de faux »
Bastien MillotBastien Millot © DR

Il dit qu’il n'a « strictement rien à se reprocher », pour la simple et bonne raison qu’il n’a eu « aucune responsabilité » dans la campagne de 2012. À écouter Bastien Millot, les enquêteurs qui tentent d’établir la chaîne des responsabilités cherchent du mauvais côté en s’intéressant à son cas. « Certains responsables, non des moindres, de la campagne présidentielle de 2012 essaient de se draper dans la posture d’une victime alors même qu’ils le font sans doute un peu grossièrement et un peu rapidement », a-t-il soufflé à la presse le 1er octobre, à l’issue de sa garde à vue.

Ce proche de Jean-François Copé, qu’il a suivi dans tous ses cabinets, a quitté ses mandats sociaux à Bygmalion le 31 août 2013 et endossé la robe d'avocat au printemps dernier. Déjà mis en examen en avril pour « recel de favoritisme » aux dépens de France Télévisions, où il a occupé différents postes de 2005 à 2010, Bastien Millot avait déjà été condamné, voilà quelques années, pour « détournement de fonds publics, complicité de faux et complicité d’usage de faux », comme l’a raconté Mediapart.

S’il se défend d’avoir joué un rôle quelconque dans la campagne de Nicolas Sarkozy, Bastien Milllot aura en tout cas décroché de miraculeux contrats pour sa société auprès du groupe UMP de l’Assemblée nationale (tenu par les copéistes) : Bygmalion a en effet siphonné 4,5 millions d'euros des caisses du groupe entre 2008 et 2012 (voir nos articles ici et ).

  • Franck Attal, directeur général adjoint d’Event & Cie, mis en examen pour « faux et usage de faux »
Franck AttalFranck Attal © Le Raffut

C’est l’opérationnel d’Event & Cie, celui qui décrit le mieux l’emballement de la campagne de Nicolas Sarkozy, l’improvisation, la frénésie, les caprices. Lui qui s’est chargé d’engager son réalisateur télé hors de prix, de commander des wagons de drapeaux ou de « booker » des salles à la dernière seconde. Pour le meeting qu’il a orchestré à Toulouse, par exemple, Franck Attal a livré pour 900 000 euros de prestations (contre 183 000 euros seulement inscrits dans le compte de campagne du candidat). Pour Clermont-Ferrand, 623 000 euros (pour 155 000 dans le compte), etc.

Devant les enquêteurs, Franck Attal a raconté comment – et surtout quand – la décision de maquiller le compte de Nicolas Sarkozy avait été prise, dans son souvenir : « (J’ai) rencontré, début avril, à l’UMP, Fabienne Liadzé (directrice financière du parti), Jérôme Lavrilleux (directeur de campagne adjoint du candidat Sarkozy) et Éric Cesari (directeur général de l’UMP) à ce sujet. Et c’est là qu’ils me disent que le rythme des meetings va encore s’accélérer, mais qu’il y a un problème d’ordre financier lié au plafond de campagne qui va être complètement dépassé. (…) Jérôme (…) me demande de faire des fausses factures. J’ai l’impression que tous les participants à cette réunion sont piégés. À partir de ce moment-là, le comptable chez nous, Matthieu Fay, s’est organisé avec Fabienne Liadzé. »

Dans cette affaire, la chronologie des faits est capitale. Car depuis le début, Jérôme Lavrilleux affirme, lui, que c’est seulement au lendemain de la présidentielle, au moment où il a fallu déposer le compte de campagne du candidat UMP, qu’a été prise la décision de le truquer. Une version légèrement plus compatible avec l’idée que Nicolas Sarkozy, alors “retiré” de la vie politique, ait pu être tenu dans l’ignorance.

  • Matthieu Fay, le comptable de Bygmalion, placé en garde à vue

La “petite main”, priée d’exécuter dans la coulisse le plan décidé par ses supérieurs et l’UMP, a été licenciée en mai dernier. C’est Matthieu Fay qui a conçu les tableaux Excel (récupérés par Mediapart) dotés de plusieurs colonnes pour chaque meeting de Nicolas Sarkozy : une pour le prix officiellement facturé au candidat ; une autre archivant le prix réel.

Aux enquêteurs, Matthieu Fay a raconté comment toutes ces pièces comptables bidonnées, relatives à la campagne, avaient été envoyées « à l’UMP par porteur après le second tour ». Lui chiffre le coût réel des prestations apportées par Event au candidat Sarkozy à 18,9 millions d’euros (pour 4,3 inscrits au compte de campagne).

  • Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012
Jérôme LavrilleuxJérôme Lavrilleux © Reuters

Fin mai, dans une longue intervention sur BFM-TV, l'ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé a soudain reconnu, en pleurs, la mise en place d’un système de fausse facturation. Mais il dédouanait explicitement son mentor, de même que Nicolas Sarkozy : « J'ai fait part, à plusieurs personnes, de mon sentiment que l'on aurait du mal à boucler tout ça (les factures des meetings – ndlr). Je précise que je n'en ai pas fait part à Nicolas Sarkozy ou à Jean-François Copé. »

Aux enquêteurs, qui lui ont demandé en juin si le président-candidat était informé du montage, Jérôme Lavrilleux a redit n’avoir « jamais évoqué ce sujet avec Nicolas Sarkozy » et qu’« à (son) avis, il est impossible qu'il en ait été informé ».

Mais lorsqu’ils lui demandent si le candidat était informé de l'état général des dépenses de sa campagne, le copéiste répond qu’il « n'en (a) aucune idée ». Il explique que le décision de mettre en place une double comptabilité a été prise avec quatre autres responsables de l'UMP et de Bygmalion : le directeur général de l'UMP Éric Cesari, la directrice financière du parti, Fabienne Liadzé, Franck Attal et le directeur de campagne, Guillaume Lambert.

En détaillant le fonctionnement des réunions stratégiques de campagne, auxquelles participait Sarkozy, Jérôme Lavrilleux sous-entend que Guillaume Lambert a très bien pu faire remonter l'information au président-candidat lors de leurs rendez-vous quotidiens : « Cette organisation en forme de sablier faisait que tout le monde partait du principe que ce que nous disait Guillaume Lambert venait de la réunion stratégique et que ce que nous disions à Guillaume Lambert allait remonter à la réunion stratégique », a-t-il confié aux enquêteurs.

Concernant Jean-François Copé en revanche, Jérôme Lavrilleux, devenu eurodéputé mais suspendu de l'UMP, n'a jamais changé sa version d'un iota. Il ne « l’(a) pas informé » car son « travail » de directeur de cabinet « était de protéger son patron ».

  • Guillaume Lambert, directeur de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012
Nicolas Sarkozy et Guillaume LambertNicolas Sarkozy et Guillaume Lambert © Reuters

Si Jérôme Lavrilleux laisse entendre que Guillaume Lambert a forcément été mis au courant de la fraude, ce dernier nie en bloc. Dans un courrier adressé au procureur de Paris le 12 juin dernier, que Mediapart a pu consulter, Guillaume Lambert, désormais préfet de Lozère, livre sa version des faits : « Je n’ai jamais été informé par quiconque d’un tel arrangement, pas plus que je ne l’ai sollicité, ni accepté. »

Il affirme que Jérôme Lavrilleux n’a d’ailleurs « attiré (son) attention sur la question de la maîtrise des dépenses qu’à une seule reprise », le 28 avril 2012, quelques heures avant le meeting de Clermont-Ferrand. « JFC [Jean-François Copé] ne vient pas à Clermont, il y est allé la semaine dernière, lui écrivait alors Jérôme Lavrilleux. Louer et équiper un deuxième hall est une question de coût. Nous n'avons plus d'argent. JFC en a parlé au PR [président de la République]. »

Ce texto pourrait suggérer que Nicolas Sarkozy était informé des questions financières. Mais Guillaume Lambert lui fait dire tout autre chose : « Ce message signifie qu’aucune autre demande que celles budgétées ne pouvait être ordonnée. » En clair, qu’il a fait le nécessaire pour le plafond des dépenses légales soit respecté, jusqu’au bout.

  • Nicolas Sarkozy, le candidat
Nicolas SarkozyNicolas Sarkozy © Reuters

Interrogé sur France 2 le 21 septembre, Nicolas Sarkozy a affirmé avoir « appris le nom de Bygmalion longtemps après la campagne présidentielle ». Ce qu’il a répété dans Le Figaro Magazine le 2 octobre. Plusieurs éléments mettent à mal cette réponse. D’abord les déclarations, ce jeudi, de François Fillon, qui affirme qu’il avait « souvent entendu parler de Bygmalion » et « souvent vu que Bygmalion était une entreprise qui travaillait régulièrement avec l’UMP », alors même qu’il « n’étai(t) pas associé à l’organisation de la campagne de 2012 ». « (Nicolas Sarkozy) connaissait forcément les protagonistes. C’était connu de tous ! », a également expliqué Rachida Dati jeudi, en contredisant malgré elle l’ex-président.

Par ailleurs, selon Le Monde, Nicolas Sarkozy a été informé de l'emballement des dépenses par Pierre Godet, l’expert-comptable de sa campagne. Dans une note rédigée le 26 avril 2012, celui-ci a en effet mis en garde le « candidat Nicolas Sarkozy » sur « les conséquences extrêmement graves d'un éventuel dépassement du plafond des dépenses électorales ».

Mais cette note n’informe pas le président-candidat des montants réels des dépenses. Pierre Godet y donne le chiffre des frais prévisionnels ou engagés à la date du premier tour, 18 399 000 euros : « Ce montant est supérieur à celui budgété dernièrement (16 243 000 euros) et au plafond des dépenses requises pour le premier tour (16 851 000 euros) », prévient l’expert-comptable, appelant à la retenue. Or d'après nos calculs, les seules dépenses liées aux meetings organisés par Event & Cie s’élevaient déjà à plus de 16 millions d’euros au soir du premier tour !

Nicolas Sarkozy pourrait en tout cas être entendu par les juges. Un élément le laisse penser, comme le souligne L’Express : le contrôle judiciaire imposé aux trois personnes mises en examen dans le cadre de l'affaire Bygmalion leur interdit tout contact avec l'ancien président de la République.

  • Philippe Briand, le trésorier de la campagne
Nathalie Kosciusko-Morizet et Philippe BriandNathalie Kosciusko-Morizet et Philippe Briand © Reuters

Ce député UMP, patron d’une grosse société privée, a été choisi comme trésorier par Nicolas Sarkozy en février 2012 – « Nicolas m’a dit : “Toi au moins, je suis sûr que tu me prendras pas d’argent !” ». En mai dernier, quand l’affaire explose, il dit « tomber de sa chaise », puis « tomber de l’armoire ».

« Dans les factures de meeting qu’on me présente à l’époque, je suis déjà 40 % au-dessus de François Hollande ! », rappelle Philippe Briand pour expliquer qu’il ait pu ne rien soupçonner. « Avec Dominique Dord (le trésorier du parti jusque fin 2012), on va former le club des ploucs, à qui on dit jamais rien ! », se marre le député UMP, qui compte bien assurer aux juges, quand ils le convoqueront, que lui n’a rien vu ni rien entendu.

À l’en croire, pendant la campagne, Philippe Briand s’est contenté de « signer les parapheurs que lui apportait l’expert-comptable ». « Il y avait un ordonnateur des dépenses et un payeur. Moi, j’étais le payeur et c’est Guillaume Lambert (le directeur de campagne) qui m’envoyait les factures, a-t-il expliqué à Mediapart. Lui aussi qui commandait les meetings, même si je pense qu’il avait concédé cette tâche à Jérôme Lavrilleux. » Le trésorier jure qu’il a tout découvert le même jour que les Français.

  • Jean-François Copé, ancien président de l’UMP
Jean-François CopéJean-François Copé © Reuters

Entre les révélations approximatives du Point en février et sa démission en juin, le discours de Jean-François Copé a bien varié. « C’est un coup monté de manière absolument ignoble, c’est un tissu de mensonges », a d’abord expliqué le président de l’UMP en février, en dénonçant « une campagne de presse haineuse » et une « chasse à l’homme ».

Après des révélations plus précises de Libération le 14 mai dernier, Jean-François Copé a esquissé une nouvelle ligne de défense : il n’a jamais eu connaissance du système de fausses factures, mais il a « des interrogations » depuis les révélations du quotidien (voir la vidéo). Au 20 heures de TF1, le soir de sa démission, il accuse finalement ses « collaborateurs » d'avoir « abusé de (sa) confiance »

  • Éric Cesari, ancien directeur général de l'UMP, mis en examen pour « faux et usage de faux » et « abus de confiance »
Eric CesariEric Cesari © DR

C’est le fantôme de l’affaire Bygmalion. Mis en examen le 4 octobre pour « faux et usage de faux » et « abus de confiance », l’ancien directeur général de l’UMP, en procédure de licenciement pour faute grave depuis mi-juillet, est resté très discret depuis le début de l’affaire. À peine a-t-il juré à L’Express n’avoir « participé à aucune réunion consacrée aux comptes de campagne », contrairement à ce qu’ont affirmé Jérôme Lavrilleux et Franck Attal. « La seule fois où j'ai été saisi des problèmes financiers de l'UMP, c'est au moment de la démission du trésorier Dominique Dord, en juillet 2012 », a encore assuré Cesari, avant de préciser qu’il ne pouvait pas « donner d’ordre de paiement ».

Son nom, suivi de sa signature, est pourtant le seul à apparaître sur des devis de fausses conventions envoyés par Event & Cie à l’UMP, selon Libération. L’ancien trésorier du parti, Dominique Dord, avait d’ailleurs affirmé dès le mois de mai que chaque signature de chèque nécessitait la validation de quatre supérieurs du parti, parmi lesquels Cesari lui-même. Une version que Jérôme Lavrilleux a confirmée face aux enquêteurs le 17 juin : sur les ordres d’engagement des dépenses, « il y avait donc les visas le cas échéant du chef de service, du directeur du service concerné, de la directrice des ressources (Fabienne Liadzé), du directeur général des services (Éric Cesari) et du directeur de cabinet, c'est-à-dire moi-même, s’est rappelé l’ancien directeur adjoint de la campagne de Sarkozy. Éric Cesari validait en dernier ressort, au niveau administratif, la demande ».

Biberonné aux réseaux Pasqua des Hauts-de-Seine, cet élu de Courbevoie surnommé « l’œil de Moscou » de Nicolas Sarkozy, est depuis toujours l'un des fidèles exécutants des manœuvres politiques de l'ancien chef d'État, qui l’avait décoré de la Légion d’honneur en 2010. Les juges lui ont désormais interdit de le voir. « Tout le monde savait qu’il gardait les clefs de la maison pour Sarkozy, confiait un ancien salarié de la rue de Vaugirard à Mediapart, en juin dernier. Il se rendait régulièrement à l’Élysée pour prendre les ordres, y compris durant la campagne présidentielle. Il n’aurait jamais pris une décision importante sans en informer Sarkozy au préalable. »

  • Fabienne Liadzé, ancienne directrice administrative et financière de l'UMP, mise en examen pour « faux et usage de faux » et « abus de confiance »
Fabienne LiadzéFabienne Liadzé © DR

Recrutée à l’UMP par Éric Woerth en qualité de directrice des ressources humaines, Fabienne Liadzé avait été propulsée directrice administrative et financière (DAF) par Jean-François Copé, avant d’être écartée par la direction transitoire du parti en juillet dernier pour faute grave. Élue conseillère municipale d’Issy-les-Moulineaux en mars dernier sur la liste du député et maire UDI André Santini, elle a été mise en examen le 4 octobre pour « faux et usage de faux » et « abus de confiance ». Face aux enquêteurs, Jérôme Lavrilleux l’avait désignée comme l’une des deux personnes – avec Éric Cesari – en charge de la validation des ordres de dépenses de l’UMP.

« Fin mai 2012, je crois, Éric Cesari et Fabienne Liadzé sont venus me voir dans mon bureau à l'UMP, à l'issue d'une réunion qu'ils ont tenue avec Guillaume Lambert et Franck Attal, pour parler des comptes de la campagne. Ils m'ont indiqué alors qu'il était impossible de mettre toutes les dépenses dans les comptes de campagne et qu'il faudrait donc ventiler les surplus sur le compte de l'UMP », a encore indiqué l’ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé durant son audition.

  • Pierre Chassat, l'ancien directeur de la communication de l’UMP, mis en examen pour « faux et usage de faux » et « abus de confiance »
Pierre ChassatPierre Chassat © DR

Placé en garde à vue à l'office central de lutte anticorruption à Nanterre le 2 octobre, l'ancien directeur de la communication de l’UMP était également l’adjoint de Jérôme Lavrilleux au cabinet de Jean-François Copé, avant d’être visé par une procédure de licenciement pour faute grave en juillet dernier.

Diplômé de Sciences-Po Paris, il connaît bien les fondateurs de Bygmalion pour avoir travaillé à leurs côtés dans les deux cabinets des ministères occupés par Copé entre 2002 et 2007 (relations avec le parlement et budget). Ce “Copé's boy” est également adjoint de Patrick Balkany, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

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François Rebsamen fait dépublier une interview gênante

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Jérémie Lorand n’a pas encore répondu à l’invitation mais Le Petit journal de Canal Plus le réclame sur le plateau. C’est « l’effet Streisand » qui propulse sous les projecteurs ce jeune journaliste, co-fondateur et rédacteur en chef du Miroir, un site régional d’informations de Saône-et-Loire, gratuit et indépendant. Ce phénomène internet qui veut que toute publication censurée ou supprimée soit amplifiée dans sa diffusion et sa médiatisation, se retournant contre ses censeurs.

« Une histoire de fous », dit-il. Elle a embrasé Twitter ce vendredi 3 octobre. Hashtag : Rebsamengate. Ou le couac grandiose du ministre du travail qui enchaîne les déconvenues. Aspergé d’eau jeudi par des intermittents en colère dans un salon de l’emploi à Paris, voici que le lendemain, il demande et obtient le retrait d’une interview gênante quelques heures après sa publication alors que lui-même et son attachée de presse viennent de la twitter au motif que ce non-entretien n’a jamais existé.

Capture d'écran de l'interview au Miroir avant sa dépublication.Capture d'écran de l'interview au Miroir avant sa dépublication. © capture d'écran de l'interview avant sa dépublication

Dans cet échange-fleuve que vous pouvez consulter ici dans sa version en cache toujours accessible, l’ancien maire de Dijon défend une vision franchement libérale de l’économie. Dans la veine de ce que le patronat, la droite réclament. Une vision édifiante en contradiction avec le discours de politique générale prononcé par Manuel Valls mi-septembre à l'Assemblée nationale et une bombe, à quelques jours de l’ouverture de la négociation sur la modernisation du dialogue social entre syndicats et patronat.

Sans ambages, Rebsamen dit tout ce qu’il pense sur la nécessité de réformer le contrôle des chômeurs, le modèle social français, les 35 heures, le travail le dimanche, les seuils sociaux. Plus que ses positions pas nouvelles, sa fibre libérale connue de tous, c’est la virulence du propos assumé qui détonne et rompt avec la langue de bois habituelle. Quand il attaque sa famille politique en particulier, le PS et « les socialistes qui ne vivent plus comme les gens », Cambadélis, Montebourg et « ses gamineries », Sapin qui s’est « totalement trompé » et qui « lui a laissé des boulets au pied »… Il estime que les Français « ont conscience qu'il faut adapter notre système social en renforçant les contrôles, en assouplissant les seuils, la législation sur les 35 heures, en autorisant le travail le dimanche ». Il reproche au secrétariat national du PS de refuser « toutes ces avancées ».

Jérémie Lormand a retiré l’article pour être « conciliant » : « Quand la conseillère communication m'a appelé pour me dire que l’interview était catastrophique pour Rebsamen, je lui ai demandé quelles phrases modifier. Elle m'a répondu que modifier des phrases aurait un effet désastreux et m’a demandé de supprimer l'article. Ce que nous avons fait, afin de trouver une solution dans la journée. Sauf que les réseaux sociaux, les twittos, s'en sont emparés et cela a pris une ampleur que je n'aurais jamais imaginée. »

Il a enregistré l’entretien mardi, rue de Grenelle à Paris, dans le bureau du ministre, en présence de Marie D’Ouince, son attachée de presse et d’un photographe du Miroir. « Nous avions convenu deux articles, l’un plus magazine sur le quotidien de l’ancien maire de Dijon dans son ministère, et un entretien d’une quarantaine de minutes pour le site web sur les grands dossiers du ministre. J'ai bien précisé que c'était une interview. »

Ce que conteste vivement Marie d’Ouince qui parle, elle aussi, d’une « histoire de fous » : « Le ministre a reçu les journalistes du Miroir pour faire un reportage sur la vie du ministère, pas pour une interview. François Rebsamen ne donne jamais d’interview sans relecture. L’échange était à bâtons rompus et les propos ont été mal retranscrits. Jérémie Lorand n’a pas fait la différence entre le maire de Dijon et le ministre. C’est une bourde de journaliste. » Elle a organisé une riposte dans Le Bien Public, autre journal local, où Rebsamen affirme que « sa ligne, c’est celle du gouvernement, sociale progressiste ».

« C’est plutôt une dérive de la communication et une bourde de leur part, dénonce ce dernier. J'ai l'habitude de travailler avec François Rebsamen depuis 4 ou 5 ans à Dijon, jamais il n'a relu d'interview. J'ai continué à bosser comme je bossais avant, l'interview n'a pas été relue et n'a donc pas été validée par le ministère. » Il a remis l’interview en ligne ce samedi matin et dit tout des conditions de sa réalisation devant les accusations du ministère. « Nous n’avons pas été déloyaux, puisqu’il était prévu que l’on réalise, en s’installant autour d’une table avec de François Rebsamen, micro en main, questions et relances à l’appui, une interview, et non pas “une discussion à bâtons rompus”. » Il a essayé de s’en expliquer avec le ministre en personne vendredi en fin de journée à Dijon où il était en déplacement. « Quatre gardes du corps m’ont entouré et demandé de m’éloigner quand j’ai essayé de l’approcher. »

Extraits :

« Malgré l’amitié que je porte à Michel [Sapin], il s’est totalement trompé. On ne juge pas le chômage mois par mois, mais sur des périodes plus longues : un trimestre, un semestre. Il s’est mis des boulets aux pieds et les a laissés à son successeur.

Je tente de renverser la compréhension des choses : le taux de chômage est différent du nombre d’inscrits et il permet les comparaisons internationales. Le taux de chômage en France métropolitaine est de 9,7 % de la population active au sens du Bureau international du travail. C’est beaucoup, mais il y a déjà eu plus. Si on ne s’y attarde pas, les citoyens seront persuadés que nous avons un taux de chômage qui a explosé. Pour parler clair : je tente de m’enlever un boulet, assez plombant, en changeant de stratégie. »

« Arnaud Montebourg s’est investi dans sa mission. Il aime l’industrie, l’industrie lourde, l’industrie tricolore. Il préférait une entreprise allemande à une autre parce qu’elle était américaine. Arnaud Montebourg est un personnage complexe : il s’accrochait avec des patrons en arrivant puis les câlinait. Il a bien fait son boulot pour les entreprises en difficulté. Il s’est investi, mais avait une approche particulière. Un peu “olé olé” ! C’est un comédien, un avocat. »

« (Sa sortie sur les chômeurs fraudeurs début septembre) fut un véritable tollé médiatique. Politique aussi. Ce qui n’a pas empêché 60 % de la population d’approuver ce message. Ils ont conscience qu’il faut adapter notre système social, par ailleurs très protecteur. Les Français considèrent qu’il faut renforcer les contrôles, assouplir les seuils, la législation, autoriser le travail le dimanche. Ils sont bien plus en avance que nous sur la nécessité d’un certain pragmatisme en économie.

Malheureusement, le parti socialiste, ou du moins son secrétariat national, refuse toutes ces avancées. Il ne veut pas casser les tabous, se pose en garant de l’ordre social établi. Je ne suis pas là pour stigmatiser les chômeurs, encore moins pour casser les droits sociaux, mais pour rappeler les règles. Et c’est parfois dur. Je ne suis pas un ennemi de l’entreprise, je ne suis pas pour l’économie administrée ni pour les pays communistes. Je me bats depuis longtemps pour une vision libérale de l’économie, de la vie de l’entreprise. Avec des droits sociaux, avec une protection de l’individu.

Les citoyens des classes populaires se rendent bien compte que la droite ou la gauche ne sont pas prêtes à appliquer ces réformes alors ils se tournent vers les extrêmes. C’est ça que je veux éviter. Les socialistes ne vivent plus comme les gens : les élus ne connaissent pas le terrain. Ils ne savent pas comment la vie se déroule dans un HLM, dans le quartier de la Fontaine-d’Ouche, qui rassemble toutes les nationalités, dans sa diversité… »

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Dans l'Yonne (1/2), passées les délocalisations, il ne reste que l'intérim

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Saint-Florentin (Yonne), de notre envoyé spécial.-  Ses derniers habitants sont des hirondelles. Au printemps prochain, l’immeuble HLM avenue de l’Europe à Saint-Florentin (Yonne) sera démoli, comme beaucoup d’autres avant lui. Inhabitée depuis des années, si ce n’est par des espèces protégées d’oiseaux migrateurs, la barre est aujourd’hui le symbole d’une époque presque révolue : celle de Saint-Florentin, cité ouvrière et fière de l’être. 

Une époque où les industries, basées principalement sur la métallurgie, allaient chercher des ouvriers des deux côtés de la Méditerranée. Des Espagnols un peu, des Portugais et des Marocains surtout. « Aux infos régionales, ils disaient : “Saint-Florentin, deuxième ville la plus cosmopolite de France après Marseille” », se remémore Éric, 52 ans, la moitié de sa vie ouvrier agricole dans une pépinière, l’autre dans une fabrique d’extincteurs.

La cité HLM de Saint-Florentin en pleine rénovation.La cité HLM de Saint-Florentin en pleine rénovation. © TSC/MP

À 30 kilomètres au nord d’Auxerre, uniquement accessible par des routes départementales et une gare TER à 1 h 45 de Paris, « Saint-Flo » l’ouvrière est en reconversion (lire aussi notre reportage sur Joigny, ville martyre de la réforme de l'État). En centre-ville, on gratte les façades des maisons à colombages et on rénove les charmantes rues médiévales pendant qu’en contrebas, sur les bords du canal de Bourgogne, les dernières barres HLM encore habitées aujourd’hui sont sur le point d’être détruites ou reclassées. Logique : en trente ans, la ville a perdu la moitié de ses habitants (au dernier recensement, ils étaient 4 693).

Dans les années 1990, plusieurs usines ferment. En 2000, des poids lourds de la métallurgie se restructurent, se délestant au passage de quelques centaines de salariés. Dans un département ni plus, ni moins sinistré que le reste de la France (9,5 % de chômage, 0,3 % de croissance démographique par an), Saint-Florentin voit son taux de chômage s’élever à 20 %.

« Le bassin florentinois, c’était un brasier ardent, maintenant c’est un tas de cendres avec quelques braises éparpillées », explique José Carlos Folgado, délégué syndical CGT chez Sicli, une fabrique d’extincteurs.

Désormais, c’est au tour de l’usine de José Carlos d’être menacée. En janvier 2015, le site de Sicli, créé en 1967, devrait définitivement fermer ses portes. « Un immense gâchis » pour le délégué, qui se présente comme « enfant de la délocalisation ». Ses parents travaillaient déjà chez Sicli à Saint-Ouen, en région parisienne, avant son déménagement dans l’Yonne, il y a plus de 40 ans.

De 1967 à 2012, l’usine icaunaise a toujours été bénéficiaire. Mais après un résultat négatif de 600 000 euros l’an passé, la holding américaine UTC, propriétaire des lieux et de la marque Sicli cherche un repreneur au site de Saint-Florentin. Sans cela l'usine disparaitra. Selon la CGT, une partie de l'activité pourrait être envoyée en Pologne, six ans après une première délocalisation partielle en Chine. Le délégué CGT accuse son patron, la holding américaine UTC, propriétaire des lieux et de la marque depuis 2005, de saborder volontairement l’usine.

L'avenir s'annonce sombre pour les salariés de SicliL'avenir s'annonce sombre pour les salariés de Sicli © TSC/MP

« Ils grattent la moindre marge possible, c’est écœurant. On est dans un marché de la sécurité où les débouchés sont assurés. La loi oblige les clients à s’équiper. Et avec notre savoir-faire, on fait les meilleurs extincteurs du monde. Un produit Sicli, à la sortie, c’est zéro défaut, la marque capte 27 % des parts de marché. Dans ce contexte, on se disait, ça vivra toujours. Mais plus les certitudes sont fortes, plus les désillusions sont grandes… »

81 emplois sont aujourd’hui en jeu, la direction propose le reclassement de 27 d’entre eux dans une autre usine du Loiret, à deux heures et demie d’ici. De quoi décourager jusqu’aux plus combatifs. « À 52 ans, je ne vais pas refaire mon trou en usine. C’est impossible de retrouver un emploi à mon âge », explique Éric, 14 ans de boîte derrière lui, à soulever quotidiennement 7 tonnes d’extincteurs usagés à réparer, l’activité « la plus juteuse » de l’usine. « La reconversion, c’est pour ceux qui ont encore de la force et qui font de l’intérim. »

L’intérim a progressé de 12% en un an dans le département, selon la Chambre de commerce et d'industrie. C'est désormais la solution toute trouvée par les recalés de « la Saunière », la zone industrielle historique de la ville. Car, avec 57 % des emplois salariés de la commune et des poids lourds de la métallurgie, l’industrie bouge encore. Juste en face de Sicli, Conimast, l’usine, propriété d’Yves Delot, le maire UMP de la commune, spécialiste de supports d’éclairage urbain (mâts, lampadaires), et Alcan France Extrusion, fabricant de profilés en aluminium, emploient chacune entre 200 et 300 employés.

« Quand on cherche, on trouve. L’intérim, ça fonctionne, mais faut pas être regardant. » Abdel, 43 ans, arrivé à Saint-Florentin à l'âge de deux ans avec ses parents marocains, a été éjecté d’Alcan en 2005. Après une « engueulade » avec son contremaître. « Autrefois, ton boulot ne te plaisait pas le matin, tu allais frapper dans l’usine d’en face l’après-midi et ils t’embauchaient. On pensait que ça allait durer et j’ai peut-être fait le con par moments. » En intérim depuis dix ans, cet ouvrier du BTP a tenté de retrouver un CDI à Montpellier, sans succès, avant de revenir dans sa région natale en 2012. Attablé dans un bar quasi désert, Abdel admet « (se) poser des questions sur la France ».

« Il n’y a plus de boulot pour tout le monde. La France a accepté beaucoup de monde, trop sans doute. Mon père, à l’époque, était mineur au Maroc, on était venu le chercher exprès », analyse froidement ce fils d’immigrés. Après avoir connu quatre mois de chômage cette année, il se donne encore quinze jours pour chercher une mission d’intérim, avant de prospecter des chantiers à Paris. « C’est compliqué, mais parfois, tu peux loger dans des bungalows sur des chantiers. »

L'usine Conimast, propriété du maire UMP, principal employeur de la zone industrielle de la communeL'usine Conimast, propriété du maire UMP, principal employeur de la zone industrielle de la commune © TSC/MP

À Saint-Florentin, la dernière agence d’intérim a fermé ses portes en début d’année. Les plus proches sont établies à Auxerre, tout comme l’agence Pôle Emploi, à 35 minutes de là en voiture.

Les chômeurs les moins mobiles peuvent chercher de l’aide auprès de la principale d’association d’aide aux chômeurs, l’Activité services florentinois. En 2013, la structure, installée depuis vingt-sept ans dans ce qu’il reste de la cité HLM, a fait travailler 128 personnes en mission temporaire. Parmi elles, seules sept ont trouvé un CDI. Isabelle Vendange, sa directrice, réclame « davantage de souplesse dans le droit du travail ».

« On n’est pas plus misérables que d’autres, mais la société a évolué trop vite pour nous. Le marché de l’emploi actuel n’est plus adapté à des personnes niveau CAP. Les exigences sont trop élevées et on exclut énormément de personnes qui ont des compétences, des CASES », explique-t-elle. Alors l’association, qui traite avec 63 % de femmes, se rattrape avec les services à la personne. La population du centre de l’Yonne vieillit et le secteur est en plein boum. Il y a encore quelques années, l’association trouvait 70 % de ses contrats grâce aux entreprises du coin. Désormais, elle travaille en majorité avec les collectivités, les maisons de retraite et les particuliers. « Les métiers de services, c’est bien, mais ça ne donne pas un salaire à temps plein. »

Dans l'un des trois troquets encore ouverts du centre-ville (il y a dix ans, la ville en comptait huit), un homme trapu, en tee-shirt kaki, s’énerve à l’écoute d’une conversation sur l’emploi dans la région. « Mais arrêtons de se plaindre, du boulot, il y en a. Faut juste tout accepter. » Lui est conducteur d’engin, intérimaire depuis « au moins vingt ans », trouvant régulièrement des missions à Saint-Florentin, puis à Sens, Migennes, Auxerre dans un rayon de 30 kilomètres. « Il ne faut pas accepter n’importe quoi non plus, hein, mais, au moins tout ce que tu peux demander. Même les petits boulots d’usine, je prends si besoin, mais par exemple, en dessous de 11 euros de l’heure, je ne me déplace pas. »

L’homme ne veut pas que l’on publie son nom, ni celui de ses employeurs successifs – « ici, on se connaît vite, je suis pas fou ». Depuis quelque temps, ce conducteur d’engins, fort d’une longue expérience chez un géant du BTP, s’est mis à « faire du black », car « ça devient galère depuis un an ». Son scooter est en panne depuis un mois. Il se déplace désormais avec les bus du conseil général, deux euros l’aller-retour pour Auxerre, trois navettes par jour. Quand ses horaires sont incompatibles, un deal avec les chauffeurs de bus scolaires, un peu de marche et le tour est joué pour aller travailler… « Si tu ne sais pas te démerder à la campagne, t’es mort. »

Se démerder et assumer seul. L’état d’esprit des travailleurs rencontrés en ville fait grincer les dents des syndicalistes de Sicli, dans leur local, à l’intérieur de l’usine. « Les mécanismes de solidarité sont cassés, même nous, parfois, on n’arrive plus à fédérer, peste Éric, qui a déjà connu cinq plans sociaux dans l’entreprise. Le mec, il connaît ça une fois, deux fois, trois fois, il se dit, un jour, ce sera mon tour, l'accepte et baisse les bras. Les gens sont usés. »

Dans les années 1960, la mère d’Éric travaillait dans la même usine, à l’époque une fabrique de frigos à la chaîne avant l’installation de Sicli. Assis sur la pelouse à l’entrée des quais de l'entrepôt situé à quelques centaines de mètres de la gare TER, il constate, avec un amer sentiment de gâchis, le lent déclin industriel de Saint-Florentin. « Il y a encore deux ans, on pouvait se faire livrer par rail directement devant nos quais. Depuis, les aiguillages ont disparu. » Le TGV Paris-Lyon-Marseille traverse cette commune au passé ferroviaire chargé. Il ne s’y est jamais arrêté, comme d’ailleurs nulle part ailleurs dans le département.

Lui et ses amis dénoncent un abandon de l’État. Dans son local syndical, José Carlos Folgado secoue une lettre, adressée en mars au préfet, dans laquelle il s’interroge sur les 2,3 millions d’euros touchés en 2014 au titre du CICE, censé relancer l’emploi, par Chubb France, la maison mère de Sicli. On lui répond au cours d’une discussion informelle : « Que voulez-vous, c’est la mondialisation. »

À ses côtés, un autre salarié, Jean-Luc, cheveux longs grisonnants et cigarillo au bord des lèvres, pointe lui la construction européenne depuis Maastricht et la fin du contrôle des mouvements de capitaux : « Jusqu'en 2004-2005, avec la parité euro-dollar, ça tournait bien encore. Les problèmes ont commencé quand l’euro a commencé à grimper et que les pays de l’Est ont intégré l’UE. C’est une coïncidence étrange, non ? »

Dans cette commune, dirigée par la droite depuis la Seconde Guerre mondiale, 70 % des électeurs se sont abstenus aux dernières élections européennes. «Mes enfants me disent : mais pourquoi veux-tu qu’on vote ? Ils (les politiques) ne peuvent rien. Je m’évertue à les convaincre…, mais au final, ils ont sans doute raison», explique Alain, trente-deux années chez Sicli et une idée en tête : « travailler ici encore deux dernières années pour atteindre la retraite en beauté. » Les larmes montent quand il évoque à voix haute sa préoccupation.

José Carlos Folgado, syndicaliste chez SicliJosé Carlos Folgado, syndicaliste chez Sicli © TSC/MP

José Carlos aimerait secouer une bonne fois pour toute cette morosité ambiante. Ce père de famille a convaincu une toute petite poignée de salariés de reprendre les activités sous forme de scop. Son but : maintenir l’emploi et éviter une énième pêche aux contrats temporaires.

Plutôt qu’un « gros chèque » de départ, José Carlos Folgado vise un accord avec UTC pour faire du site historique de Saint-Florentin une usine d’assemblage, et des employés un sous-traitant crédible. Il suffirait au moins « d’une trentaine de salariés » pour renouer avec un passé pas si lointain où, fiers, les gens « se baladaient avec un autocollant Sicli sur leurs voitures ». La direction de Sicli se dit simplement « à l'écoute », sans avoir trouvé d'autres pistes pour l'instant selon son porte-parole.

Et si le projet échoue ? Le délégué « y croit toujours ». Mais, signe du temps, envisage à demi-mot une reconversion comme aide-soignant.

A suivre

BOITE NOIREJe me suis rendu à Saint-Florentin, Brienon-sur-Armançon, Tonnerre et Flogny-la-Chapelle dans le but de faire témoigner les habitants, les travailleurs et les responsables des structures d'aide à l'emploi sur la vie dans les villes de 5 000 habitants à l'heure de la désindustrialisation.

Tous les interlocuteurs ont été rencontrés entre les 17 et 20 septembre 2014. La direction de Sicli a été contactée par téléphone avant publication, le 30 septembre.

* Le prénom a été changé à la demande de l'intéressée.

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Filippetti : « Il faut une VIe République et un pouvoir moins monarchique »

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C'est la rentrée des ministres remaniés. Plus d'un mois après leur départ du gouvernement, Benoît Hamon, Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti veulent relancer le débat sur la politique menée par François Hollande et Manuel Valls. L'ancien ministre de l'éducation réunit ses amis dans les Landes et l'ex-défenseur du “made in France” au redressement productif a rendez-vous dans le Gard avec ses partisans. Quant à la ministre de la culture de mai 2012 à août 2014, elle s'explique dans un entretien à Mediapart sur son départ volontaire du gouvernement de Manuel Valls. « Un choix de conscience » face à l'échec de la politique économique de l'exécutif, « longuement mûri » après l'épisode de Florange et l'austérité appliquée au budget de la culture, dit Aurélie Filippetti. En creux, elle décrit un président de la République incapable de résister à la « doxa libérale » et à la technocratie.

Redevenue députée, l'élue de Moselle va s'investir à la commission des finances de l'Assemblée nationale où elle compte voter des amendements pour rééquilibrer la politique de l'offre du gouvernement, pour encourager davantage la demande. « On peut et on doit opérer un vrai changement de la politique économique. Il est toujours temps de le faire », explique l'ancienne ministre, qui s'afflige également des commentaires sexistes ayant accompagné la révélation de sa relation avec Arnaud Montebourg.

Mediapart. Vous avez quitté le gouvernement de Manuel Valls fin août, en écrivant une lettre dénonçant les renoncements de la gauche au pouvoir. Regrettez-vous cette décision ?

Aurélie Filippetti. Rien de ce qui s’est passé depuis ne m’amène à regretter ma décision, bien au contraire. Je ne faisais pas partie des ministres « sans état d’âme » et heureusement. C’est une décision que j’ai longuement mûrie et que j’ai prise pour des raisons politiques de fond. C’est un choix de conscience. J’avais une série de désaccords et je pensais qu’il fallait rapidement des inflexions dans la politique menée pour redonner confiance au peuple de gauche. Il ne faut jamais oublier qui vous a fait roi. Quand j’ai pris cette décision, j’ai estimé que  les conditions de cette confiance étaient rompues. J’ai jugé que j’étais davantage à ma place à l’extérieur, en reprenant ma liberté de parole et d’action sur le terrain pour incarner une partie de la gauche. On ne peut pas penser que l’on va dans le mur et ne pas chercher à agir pour l’empêcher.

Aurélie Filippetti à l'université d'été de La Rochelle, en août 2014Aurélie Filippetti à l'université d'été de La Rochelle, en août 2014 © Reuters

Vous êtes tout de même restée ministre pendant deux ans et demi. À quel moment avez-vous pensé que vous n’aviez plus votre place au gouvernement ?

Le moment de Florange a été un révélateur (Aurélie Filippetti avait soutenu la nationalisation des hauts-fourneaux et s’était publiquement démarquée de Jean-Marc Ayrault – Ndlr), mais c’était trop tôt. Quand on accepte une fonction ministérielle, on doit assumer et savoir serrer les dents pendant un temps donné, et mes dossiers culturels me tenaient à cœur : le plan d’aide à la librairie, l’exception culturelle, la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel, la féminisation des nominations dans le monde de la culture.

Partir n’est pas une décision facile à prendre, même quand on a des doutes profonds. Il faut se décider par rapport à des moments : la discussion sur la ligne économique a été ce moment. Ce débat aurait dû pouvoir avoir lieu au sein du gouvernement, tout simplement parce qu’il a lieu partout ailleurs, dans le pays, en Europe et parmi les économistes. Il aurait dû aboutir à des inflexions.

J’ai été la ministre qui a dû assumer – et c’est le rôle d’un ministre d’assumer un choix collectif même quand il l’a combattu – la baisse du budget de la culture de 6 % sur deux ans, dont 4 % dès la première année. C’était une décision très lourde et c’était inutile. La culture représente 0,75 % du budget de l’État ; ce n’est donc pas comme cela que l’on réduit les déficits. La culture aurait dû être préservée, parce qu’elle est un symbole et une force pour la France. C’était déjà un symptôme de la politique d’austérité qui a jeté la France, mais aussi l’Europe, dans une situation de blocage économique.  

Cette décision sur le budget de la culture se prend assez vite après l’élection de François Hollande…

Elle est prise tout de suite.

Le virage du quinquennat vers une politique de l’offre et la focalisation sur la réduction du déficit public se fait dès le 6 mai 2012 ?

La question de la réduction du déficit était présente dans la campagne présidentielle. Mais elle ne résumait pas, à elle seule, le pacte de confiance et d’espoir avec le peuple de gauche qui était le seul pacte que l’on aurait dû suivre. Elle n’aurait pas dû devenir un mantra.  

Vous étiez de l’équipe de campagne de François Hollande, vous avez même été sa porte-parole. Vous n’avez vu aucun signe précurseur ? Cette inflexion politique est-elle la conséquence d’une crise plus grave que prévue ou bien le révélateur des véritables convictions du chef de l’État ?

La doxa idéologique libérale exerce une pression extrêmement forte sur tous les gouvernants. Tout comme celle qu’impose la technocratie. Et je ne parle pas seulement de la technocratie de Bruxelles, mais celle qui existe en France. Il est très difficile de résister à cette pression. Il faut une volonté politique très forte. Face au discours ambiant qui présentait les politiques d’austérité comme l’unique solution, il aurait fallu être plus imaginatif.

Malheureusement, même s’il y a eu les emplois d’avenir et un effort notable pour l’éducation nationale et la justice, la priorité a été de tenter de convaincre les marchés plutôt que le peuple. Notre électorat a été désorienté. Et sans résultat. La situation a même empiré pour le chômage. C’est un drame absolu. Car c’est la baisse du chômage qui peut permettre de recréer de la croissance et donc de faire rentrer de l’argent dans les caisses pour réduire les déficits.

Mais vous avez été un des soutiens de François Hollande dès la primaire ! Ministre, vous avez aussi fait partie de ceux qui ont défendu le remplacement de Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls. Quelle est la cohérence de ces choix avec votre discours aujourd’hui ?

Dans la primaire, François Hollande était à mes yeux le plus à même de l’emporter, de gagner contre Nicolas Sarkozy et de donner confiance à ceux qui aspiraient à un vrai changement. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit. Il a gagné l’élection. Il avait une position rassembleuse et j’appréciais sa manière assez simple de vouloir incarner la fonction présidentielle. L’idée du “président normal” avait été mal interprétée, mais sa volonté de laïcisation du rapport au pouvoir me semblait très saine. Il aspirait à être président de la République, tout en ayant une forme de lucidité par rapport à lui-même, réjouissante dans un monde politique souvent contaminé par le mythe de l’homme providentiel. Il était entouré de gens motivés et engagés politiquement, pas de technocrates coupés du monde.

Quant à Manuel Valls, il a joué un rôle crucial dans la campagne présidentielle. Il en était le pivot. Après près de deux ans au pouvoir, nous vivions une vraie crise dans le fonctionnement gouvernemental : il fallait un changement fort avec une personnalité disposant de charisme et d’autorité et qui pouvait, là encore, rassembler les familles de la gauche. La composition du premier gouvernement de Manuel Valls, avec Benoît Hamon à l’Éducation par exemple, montrait que les cartes étaient rebattues, l’ensemble des familles socialistes étaient présentes…

Mais les écologistes étaient partis ! Vous faisiez donc partie de ceux qui pensaient que même si Manuel Valls était à la droite du PS, il aurait l’intelligence tactique de la situation…

Oui. Et qu’il saurait entendre les mécontentements et précisément être là où on ne l’attendait pas. Et porter un virage sur le fond. Le fonctionnement gouvernemental a tout de suite été plus efficace. Mais, sur la ligne politique, l’attente n’a pas été exaucée. J’ai tout de même obtenu, avant de partir, la sanctuarisation du budget et des emplois de la culture pour les trois ans à venir.

Le discours du Bourget a-t-il été trahi ?

Le discours du Bourget a montré qu’on pouvait être élu président de la République en 2012 avec un discours de gauche. Cela signifie que nous ne devons pas nous excuser d’être de gauche. Ni toujours chercher à donner des gages à ceux qui portent une vision très idéologique et néolibérale du monde et qui ont d’autres représentants dans le monde politique.

J’entends souvent dire que la gauche n’est pas majoritaire dans ce pays : elle l’a été en 2012. Nous devons nous inspirer des économistes, des chercheurs, de la société civile, de la participation citoyenne, pour trouver de nouvelles solutions économiques, qui soient des réponses de gauche. Les recettes libérales ont fait la preuve de leur nocivité.

Donc le discours du Bourget a été trahi par François Hollande ?

Le discours du Bourget semble avoir été oublié.  

Comme ministre de la culture, vous avez vu votre budget baisser et les intermittents du spectacle dénoncer leur nouveau régime. Vous n’étiez d’accord sur aucun des deux points. Pourquoi avez-vous perdu tous ces arbitrages ?

L’offensive de Bercy sur le budget de la culture a été très forte. J’ai aussi dénoncé celle du Medef sur les intermittents.

Mais vous êtes-vous assez battue ? Ou bien avez-vous, vous aussi, été prise dans la machine technocratique que vous dénoncez aujourd’hui ?

Je me suis énormément battue en interne. J’ai essayé de le faire le plus longtemps possible dans la plus grande loyauté possible. Je tentais d’infléchir les décisions sans avoir à exprimer des désaccords publics. C’était ma conception de la vie ministérielle : se battre jusqu’au bout, et n’aller chercher l’expression médiatique qu’au dernier moment.

Maintenant que vous êtes redevenue députée, vous voulez incarner une « partie de la gauche ». Dans votre lettre de départ du gouvernement, vous avez parlé d’une « politique réaliste mais de gauche ». Quelle est cette gauche ?

La gauche, c’est le présupposé de l’égalité entre les citoyens. Ce n’est pas seulement un objectif mais un point de départ. Et l’idée que la réussite des individus est le fruit d’une œuvre collective. La société n’est pas l’ennemie de l’individu mais l’un des leviers de son épanouissement. Il faut donc donner à chacun les moyens de s’inventer dans la vie sociale. Cela passe par des politiques de redistribution, par la promotion de valeurs qui ne soient pas seulement matérielles, mais humanistes, la culture, l’éducation au premier rang.

Mais vos anciens camarades du gouvernement disent que cette gauche de la redistribution est celle du XXe siècle, qu’elle n’est plus adaptée au monde dans lequel on vit et que les électeurs n’en veulent plus, puisqu’ils votent à droite ou à l’extrême droite, plutôt qu’à la gauche de la gauche.

Mais les électeurs ont voté pour cela en 2012 ! C’était la gauche de 2012. Si les gens se tournent aujourd’hui vers le Front national, c’est bien plus par défiance vis-à-vis de la parole politique que par adhésion à leurs propositions. Leurs solutions sont des impasses, tout le monde le sait. Le vote FN est une critique très forte de la trahison de la confiance dans la politique. Pour réussir, il faut de la confiance et des solutions innovantes.

Quant à cette accusation de passéisme, elle est elle-même très idéologique. Une juste régulation économique est un idéal moderne. À l’inverse, on pourrait dire que le néolibéralisme déterritorialisé est une vision économique du XIXe siècle. Un exemple : entre le modèle économique monopolistique ravageur d’Amazon, dénoncé par des centaines d’auteurs cet été, et un dense réseau de librairies territorialisées variées, le plus moderne et le plus pertinent n’est pas forcément celui qu’on croit. Diffuser des films sur internet, c’est bien, participer au financement de leur création, c’est ce qui a permis au cinéma français d’être le deuxième au monde.

Aurélie Filippetti à l'Assemblée nationaleAurélie Filippetti à l'Assemblée nationale © Reuters

Vous siégez de nouveau à l’Assemblée, à la commission des finances. Que pensez-vous du budget pour 2015, présenté mercredi, et que vous allez examiner ?

On est en récession profonde en Europe à cause de l’austérité. Dans ce budget, il y a eu une très légère inflexion sur le rythme de réduction des déficits. Mais la politique dite de l’offre est toujours la seule boussole. Il y a clairement un manque sur la demande, aujourd’hui totalement bloquée. On fait 12 milliards pour les entreprises et 3 milliards pour les ménages : le rééquilibrage est insuffisant. Je soutiendrai certains amendements allant en ce sens.

Ceux qui seront défendus par les députés “frondeurs” ?

Mes votes seront libres. Je travaille beaucoup avec Pierre-Alain Muet, qui a voté la confiance tout en ayant une parole forte sur la politique économique (lire notre entretien avec Pierre-Alain Muet – Ndlr). Je voterai en conscience et surtout en responsabilité vis-à-vis de mes électeurs.

Vous auriez voté la confiance ?

 La question ne se pose pas. Je n’étais pas encore redevenue députée. Ma position, je l’ai exprimée le 25 août, et de manière je pense suffisamment forte, en quittant le gouvernement.

Vous estimez que vos électeurs vous demandent de défendre une inflexion sans rompre avec le gouvernement ?

Les électeurs, y compris les jeunes, sont mécontents et décontenancés, voire désenchantés. Ils attendent des résultats en terme d’emplois et de crédibilité de la parole politique. On peut et on doit opérer un vrai changement de la politique économique – ce que j’appelle un virage sur l’aile. Il est toujours temps de le faire. Tout est ouvert.

François Hollande et Manuel Valls ont pourtant clos le débat.

L’Assemblée a un rôle à jouer. Il y a une vie au sein du groupe socialiste : elle est très agitée et c’est très sain ! On ne peut pas être sourd à ce que nous disent les gens, partout, tout le temps. Il faut que cela se retrouve au sein de la majorité. C’est très utile. Sinon, on serait dans un syndrome Potemkine. L’esprit de cour doit s’arrêter aux portes de l’Assemblée nationale.

Il faut aussi relancer le chantier, que l’on a abandonné, d’un changement institutionnel. Il faut une VIe République, avec une répartition moins monarchique du pouvoir. Le système de la dyarchie à la tête de l’État, qui confine à l’absurdité kafkaïenne, est à bout de souffle. Il faut un pouvoir plus horizontal, et des contre-pouvoirs plus structurés.

Cette architecture institutionnelle est-elle une des raisons de l’échec du début du quinquennat ?

François Hollande est victime de l’ultra-personnalisation du pouvoir dans la Ve République. Cela ne correspond pas à son habitus personnel. Mais quelqu’un à qui on donne les pouvoirs du président de la République a tendance à vouloir les exercer et à s’y enfermer. On se laisse happer par cette mécanique à laquelle il est très difficile d’échapper. Il faut donc un changement institutionnel pour ne pas devoir s’en remettre à la « vertu » individuelle, comme disent les philosophes…

La révélation de votre relation avec Arnaud Montebourg a conduit à une relecture machiste de votre départ du gouvernement selon laquelle vous n’auriez fait que le suivre.

Je ne laisserai pas s’installer cette lecture. Je suis députée de Moselle depuis 2007. Je suis engagée en politique depuis 15 ans et j’ai gagné des élections législatives, cantonales, municipales à Metz avec le maire Dominique Gros. J’ai expliqué les raisons de mon départ de manière très claire dans une lettre que j’ai rendue publique. Il est regrettable que l’on en soit toujours là vis-à-vis des femmes politiques, mais le machisme est aussi une manière bien commode d’éviter de répondre aux questions gênantes que je posais dans cette lettre restée sans réponse. C’est donc à nous de les inventer, ces nouvelles réponses dont la gauche a besoin.

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu vendredi à Paris. Il a été relu et légèrement modifié par Aurélie Filippetti.

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