Didier Porte a lu la lettre de Sarkozy sur Facebook. Mais n'en tire pas la même conclusion.
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Selon nos informations, le parquet de Thionville (Moselle) a ouvert une enquête préliminaire le 8 septembre dans l'affaire du financement de la campagne municipale de Fabien Engelmann. Conseiller au dialogue social de Marine Le Pen, Engelmann a été élu en mars à la tête de cette ville de 16 000 habitants. Son ex-première adjointe, Marie Da Silva, avait déposé plainte le 2 septembre au tribunal de grande instance de Thionville pour « abus de confiance, abus de bien social et harcèlement ».
L'ancienne adjointe, démise de ses fonctions lors du dernier conseil municipal (lire notre enquête), affirme, preuves à l'appui, avoir effectué au cours de la campagne municipale plusieurs achats dont la trace ne figure pas au compte de campagne. Alors qu'elle était colistière de Fabien Engelmann, elle a par ailleurs réglé 1 575 euros de frais d'impression et signé un chèque de 1 000 euros au nom du candidat. Ces dépenses n'ont pas été déclarées, en infraction avec les règles strictes de financement des campagnes électorales.
La police a d'ailleurs commencé ses auditions : selon nos informations, Marie Da Silva, ancienne première adjointe du maire FN d'Hayange Fabien Engelmann, a été entendue jeudi 18 septembre par la police judiciaire de Metz (Moselle). Une audition de plus de deux heures au cours de laquelle l'ancienne adjointe a remis plusieurs documents, dont des courriers électroniques et des copies de chèques.
Au cours de sa campagne, Fabien Engelmann a accepté d'autres dons, de la part de militants et d'un colistier. Des montants que son mandataire financier Patrice Philippot, proche de Fabien Engelmann et membre de la direction départementale du FN, n'a pas non plus déclaré. Un ancien proche de Fabien Engelmann, Stéphane Lorménil, pourrait bientôt être entendu par la police au sujet des circuits financiers d'une autre campagne législative, celle de 2012. Animateur du groupe "Génération Patriotes", proche des Identitaires, Stéphane Lorménil fut suppléant de Fabien Engelmann pour les élections législatives, à Thionville.
Sollicité par Mediapart sur l'ouverture de cette enquête préliminaire, le parquet de Thionville n'a ni confirmé, ni démenti. « La procureure ne fera pas de déclarations pour le moment dans ce dossier qu'elle suit particulièrement », se borne à répondre le secrétariat de la procureure de la République de Thionville.
Fabien Engelmann est également visé par une autre procédure, celle-là déclenchée par la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CCNCFP). Fin août, Marie Da Silva a transmis une série de documents à cet organisme chargé de vérifier la régularité des comptes électoraux. « Le dossier est en instruction », assure la Commission à Mediapart. Au terme de son enquête, la Commission pourrait décider de rejeter le compte de campagne de Fabien Engelmann. Il encourrait alors une peine d'inéligibilité de un à trois ans.
À Hayange, le climat est de plus en plus pesant au sein de la majorité Front national, en crise ouverte. La semaine dernière, Fabien Engelmann a démis deux nouveaux adjoints de ses fonctions, décision qui doit être entérinée à huis clos lors du prochain conseil municipal. De son côté, le maire a indiqué son intention de porter plainte au TGI de Thionville pour diffamation contre trois de ses adjoints qui l'accusent d'avoir falsifié un vote. Au bureau de la procureure, on affirmait lundi « ne pas avoir été avisé » d'une telle plainte.
Dans cette affaire, le FN fait toujours le dos rond. Si plusieurs responsables nationaux du parti concèdent leur embarras face au cas Engelmann, Marine Le Pen continue à soutenir publiquement le maire d'Hayange.
Le 27 août, avant que l'affaire n'éclate au grand jour, la patronne du FN prenait en tout cas l'affaire suffisamment au sérieux pour suggérer à Marie Da Silva de ne pas ébruiter l'affaire.
Selon nos informations, Marie Da Silva avait envoyé ce jour-là un message électronique à plusieurs hauts dirigeants du FN. Sans nouvelles après avoir alerté dès le 14 août Steeve Briois, le secrétaire général du FN, elle laisse clairement entendre qu'elle va parler à la presse. Deux heures plus tard, la présidente du Front national prend la peine de lui répondre en personne. Dans ce message dont Mediapart a pu prendre connaissance, Marine Le Pen dit « découvr[ir] ce désaccord ». « Je vois M. Engelmann lors du prochain bureau politique vendredi, je vous demande de ne prendre aucune décision avant cette date. Je suis convaincue que les choses peuvent s'arranger. » « Je reviens vers vous rapidement », promet-elle encore.
La présidente du FN n'en fera rien. Pour l'instant, elle n'a jamais déjugé Fabien Engelmann. Questionnée début septembre sur Hayange par Le Monde, elle affirme que « tout ça est monté en épingle pour cacher le fait que les premiers pas des villes FN sont remarquables ». Un soutien appuyé que Marine Le Pen pourrait payer cher si, dans quelques mois, Fabien Engelmann est effectivement déclaré inéligible. « Mes nouveaux maires font des débuts remarquables », a encore assuré Marine Le Pen lundi 22 septembre sur BFM-TV.
BOITE NOIREJoint lundi 22 septembre au siège du FN, Philippe Martel, le directeur de cabinet de Marine Le Pen a refusé de nous répondre. « Je considère que Mediapart n'est pas un média mais un adversaire politique », nous a-t-il déclaré, avant de mettre fin à la conversation.
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Non, il n’a pas changé. Fidèle à lui-même et l’inconscient au bord des lèvres, Nicolas Sarkozy s’est plu, dimanche 21 septembre, au 20 Heures de France 2, à se poser des questions à lui-même auxquelles il avait, comme par enchantement, la bonne réponse. Ce fut ainsi le cas sur le terrain des “affaires” : « Est-ce que vous croyez que si j’avais quelque chose à me reprocher au fond de moi, je viendrais m’exposer avec un retour en politique ? Je n’ai pas peur », a bombé le torse l’ancien chef de l’État devant le présentateur Laurent Delahousse.
Nicolas Sarkozy, donc, n’a pas peur. En 24 heures de communication accompagnant son retour en politique, que ce soit dans les colonnes du Journal du dimanche puis sur France 2, l’ex-président français n’a surtout pas eu peur de réussir l’exploit de se tromper et de mentir sur la totalité des exemples judiciaires qu’il a cités.
Bettencourt, Karachi, Azibert, financements libyens, Bygmalion... Mediapart propose une revue de détails factuelle pour démonter la rhétorique illusionniste de Nicolas Sarkozy, qui, comme au bon vieux temps, n’hésite pas à humilier la vérité pour faire oublier que jamais dans l’histoire de la Cinquième République un système présidentiel — le sien — n’a été cerné d’aussi près par la justice anti-corruption.
C’est ce que Nicolas Sarkozy a affirmé, dimanche, sur le plateau de France 2. Dans le JDD, l’ancien chef de l’État n’avait pas hésité le matin même à se présenter comme ayant été « blanchi » dans ce dossier. Le nouveau prétendant à la présidence de l’UMP dit faux. Si Nicolas Sarkozy a bien profité d’un non-lieu concernant le seul délit d’abus de faiblesse, qui lui avait d’abord valu une mise en examen, l’ancien président oublie de rappeler que s’il a échappé à un procès s’agissant du financement politique occulte, ce n’est que grâce à la prescription.
Dans l’ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel (document judiciaire qui clôt une instruction), signée le 7 octobre 2013, les juges de Bordeaux écrivent ainsi : « Il existe également des charges suffisantes à l’encontre de Nicolas Sarkozy d’avoir le 24 février 2007 sollicité un soutien financier illégal d’André et Liliane Bettencourt de nature à entraîner pour eux des conséquences gravement préjudiciables ». La prescription étant de trois ans pour le financement politique illégal et l’enquête judiciaire ayant été ouverte en juin 2010, il a manqué quatre petits mois à la justice pour confondre l’ancien président.
Dans le JDD, Nicolas Sarkozy avait utilisé quelques heures plus tôt une autre expression : « Je suis sorti. » Faux, une fois de plus. Au terme de trois ans d’enquête — et non dix, comme indiqué par l’ex-chef de l’État —, les juges anti-corruption Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire ont décidé de renvoyer devant le tribunal correctionnel, pour un procès, les seconds couteaux politiques du dossier : à savoir Nicolas Bazire, directeur de cabinet et de campagne d’Édouard Balladur à Matignon, Thierry Gaubert, conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère du budget, et Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller de François Léotard à la défense. Quant aux ministres eux-mêmes, ils ne peuvent pas être poursuivis par les mêmes juges mais dépendent d’un tribunal d’exception, la Cour de justice de la République, qui vient seulement d’être saisie du dossier. Nicolas Sarkozy n’a donc en rien été « lavé » ou « sorti ».
Pis que cela, l’enquête judiciaire a montré que, ministre du budget entre 1993 et 1995, il avait autorisé la constitution au Luxembourg d’une société offshore de la Direction des constructions navales (DCN, alors entreprise d’État), par laquelle avaient transité les commissions illégales d’un contrat militaire avec le Pakistan (“Agosta”), et qu’il avait également autorisé contre l’avis de sa propre administration le versement de commissions illégales au réseau de Ziad Takieddine en marge, cette fois, d’un marché avec l’Arabie saoudite (“Mouette”).
C’est une partie de cet argent noir qui, une fois retiré en espèces en Suisse, est revenu illégalement en France. Dans une ordonnance judiciaire, signée le 12 juin dernier, les juges écrivent ainsi au sujet de Nicolas Sarkozy : « L’audition du ministre du budget […] n’a pu être réalisée, celui-ci relevant du statut de témoin assisté et donc de la compétence de la Cour de justice. »
À mi-chemin entre le simple témoin et le mis en examen, le statut de témoin assisté suggère, pour Nicolas Sarkozy dans cette affaire, que s’il a indéniablement participé à la mécanique gouvernementale qui a permis les détournements de fonds sur les ventes d’armes du gouvernement Balladur, l’élément intentionnel — indispensable en droit pénal — est à ce stade plutôt à chercher du côté de Matignon. En résumé, les mains de Sarkozy ont aidé à commettre le délit mais le cerveau était ailleurs (voir notre dossier).
Ce pays s’appelle la France dont il ne viendrait pas à l’idée de Nicolas Sarkozy de considérer qu’il s’agit d’un pays totalitaire. Pour preuve : estimant avoir été la cible d’écoutes illégales, bien qu’elles aient été décidées par des juges d’instruction et non par une obscure officine privée, Nicolas Sarkozy, comme n’importe quel citoyen, peut se défendre en saisissant l’autorité judiciaire d’abus dont il s’estime la victime — ce qu’il n’a pas manqué de faire juste avant son retour politique.
Sur le fond, aucune des conversations privées de Nicolas Sarkozy, qui ont pu être surprises par les enquêteurs, n’a été ni conservée ni a fortiori versée à la procédure. Surtout, Nicolas Sarkozy oublie d’évoquer les raisons de son placement sur écoute : il est soupçonné d’avoir profité d’un soutien financier illégal du régime Kadhafi en Libye à l’occasion de la campagne présidentielle de 2007. Ces interceptions judiciaires ont notamment permis de découvrir que l’ancien chef de l’État profitait d’un important réseau de “taupes” au sein de l’appareil d’État (dans la police, les services secrets et la magistrature) pour tenter de freiner les enquêtes des juges qui le menacent, que ce soit dans le dossier Bettencourt ou dans celui des financements libyens. L’ancien président de la République est même allé jusqu’à utiliser un téléphone sous un faux nom — le désormais célèbre “Paul Bismuth” — pensant tromper la vigilance des juges et des policiers…
Le contenu des écoutes fut à ce point accablant que l’ancien président a été mis en examen, en juillet dernier, pour « corruption » et « trafic d’influence » avec son avocat, Me Thierry Herzog, et un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, suspecté d’avoir tuyauté les deux premiers et tenté d’influencer des décisions judiciaires en marge de l’affaire Bettencourt (voir notre dossier).
La phrase est attribuée à Nicolas Sarkozy par le JDD. Elle fait référence à la plainte pour « faux » de l’ancien chef de l’État contre Mediapart après la publication, en avril 2012, d’un document officiel libyen évoquant l’accord du régime Kadhafi pour le versement de 50 millions d’euros au moment de la campagne de 2007.
Après deux ans d’enquête, aucun élément matériel n’est venu contredire l’authenticité du document, laquelle a par ailleurs été confirmée par le diplomate et ancien traducteur de Kadhafi, Moftah Missouri, sur France 2. Aucune décision judiciaire n’ayant été rendue dans cette affaire, ni même aucune mise en examen prononcée, il est surprenant que Nicolas Sarkozy puisse affirmer publiquement ce que les juges « savent ». Conclusion : soit il s’agit d’une affaire Azibert bis ; soit il s’agit d’une énième forfanterie qui ne peut apparaître, aujourd’hui, que comme une nouvelle pression sur l’appareil judiciaire.
Sur le fond, Mediapart maintient l’intégralité de ses informations et continue de dire que la procédure intentée par Nicolas Sarkozy est un contournement du droit de la presse. Le but ? Primo, trouver nos sources et, secundo, faire oublier que la justice a ouvert, en avril 2013, une information judiciaire sur le fond des faits pour « corruption », confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman. Pris très au sérieux par la justice, les soupçons de financements libyens, alimentés par de nombreux témoins (kadhafistes ou anti-kadhafistes, libyens ou français), ont provoqué des commissions rogatoires internationales dans de nombreux pays, qui, par définition, prennent du temps (voir notre dossier).
Qui peut croire une fable pareille ? L’ancien candidat à l’élection présidentielle, qui est responsable personnellement des frais engagés pendant la campagne, peut-il ignorer quelle fut la société choisie pour assurer le poste de dépenses le plus important — les meetings ? Une photo publiée par Le Point au printemps dernier montre d’ailleurs Nicolas Sarkozy, un jour de meeting, en compagnie de Franck Attal, directeur des opérations de… Bygmalion.
Autre affirmation de l’ancien chef de l’État — qui parle de lui à la troisième personne — sur cette affaire : « La campagne électorale de Nicolas Sarkozy n’a pas coûté un centime au contribuable. » S’il est vrai que le rejet de son compte de campagne par le conseil constitutionnel, à l’été 2013, l’a privé du moindre remboursement de frais par le Trésor public, cette assertion ne manque pas de culot. En réalité, sa campagne truquée aurait dû rapporter beaucoup d’argent à l’État français. Car s’il se confirme que Nicolas Sarkozy a caché 17 millions d’euros de frais de meeting aux autorités de contrôle, ce n’est pas une amende de 363 000 euros que le Conseil constitutionnel aurait dû lui infliger, mais une méga-sanction de 17 millions d’euros, au profit de Bercy.
D’après la comptabilité cachée d’Event & Cie (la filiale de Bygmalion chargée d’organiser les meetings), l’entreprise s'est en effet contentée de facturer 4,3 millions d’euros au candidat UMP alors que ses prestations valaient en fait 21,2 millions d’euros – soit quelque 17 millions d’euros de frais dissimulés, comme Mediapart l'avait révélé (voir notre dossier).
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Un nouveau front judiciaire menace le député et maire (UMP) de Levallois-Perret, Patrick Balkany. Les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, déjà chargés d’une information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale » visant Patrick Balkany et son épouse Isabelle, ont en effet reçu, le 11 juillet dernier, un réquisitoire supplétif du parquet national financier (PNF) les autorisant à enquêter sur des faits nouveaux.
Les faits visés dans ce supplétif sont qualifiés de « corruption passive par personne exerçant une fonction publique », « corruption passive par personne n’exerçant pas une fonction publique », « recel » et « blanchiment » de ces délits.
C’est un signalement de Tracfin, l’organisme antiblanchiment de Bercy, qui a motivé ces nouvelles poursuites – comme l’a raconté Le Canard enchaîné. Tracfin a en effet détecté des flux financiers suspects, pour des montants non négligeables, qui concernent Patrick Balkany mais aussi son homme de confiance, Jean-Pierre Aubry.
Selon des sources proches du dossier, les virements bancaires dénoncés par Tracfin, dont certains ont transité par Singapour, évoquent le versement de commissions sur des contrats à l’international, notamment en Afrique, où Patrick Balkany a beaucoup voyagé ces dernières années, ainsi que sur des marchés publics passés à Levallois-Perret. D’où la qualification de « corruption » visée par le parquet national financier.
Comme Isabelle Balkany, Jean-Pierre Aubry a été mis en examen pour « blanchiment de fraude fiscale », en mai dernier, par le juge Van Ruymbeke. L’épouse du maire de Levallois avait alors dû verser une caution d’un million d’euros pour rester en liberté. Jean-Pierre Aubry avait, pour sa part, dû s’acquitter d’une caution, plus modeste, de 75 000 euros.
Ancien directeur de cabinet du maire et véritable bras droit de Patrick Balkany, Jean-Pierre Aubry est actuellement le président du club Paris-Levallois Basket, et surtout le directeur général de la Semarelp. Cette société d’économie mixte, bras armé des opérations d’urbanisme de la municipalité, actuellement présidée par Isabelle Balkany, est déjà apparue au détour de quelques dossiers judiciaires. Notamment l'affaire du « Mage » (le médium d'Isabelle Balkany, recruté par la mairie de Levallois de 2006 à 2010) et l’affaire dite « du 1 % logement », dans laquelle Thierry Gaubert – encore un ami de Nicolas Sarkozy – a été condamné en 2012 par le tribunal correctionnel de Nanterre. Reconnu coupable d’« abus de biens sociaux » et d’« abus de confiance », Thierry Gaubert n'a pas fait appel de cette condamnation, qui est aujourd’hui définitive.
Le dossier de blanchiment de fraude fiscale, ouvert en décembre 2013, après les révélations d'un ancien proche des Balkany, Didier Schuller, vise le train de vie et le patrimoine du couple, suspecté d'avoir dissimulé des avoirs importants au fisc. Les Balkany détiendraient secrètement, au travers de sociétés-écrans, de luxueuses villas au Maroc et dans les Antilles. Selon des informations du Point, les enquêteurs soupçonnent fortement Isabelle Balkany d'être la propriétaire de la somptueuse villa “Pamplemousse”, à Saint-Martin (Antilles), dissimulée au fisc par des montages off shore.
Quant au luxueux riad de Marrakech (Maroc) où se rendent souvent les Balkany, acquis via une fiduciaire suisse et une société panaméenne (lire notre article ici), il pourrait être enregistré au nom de Jean-Pierre Aubry, toujours selon des informations du Point.
Dans un livre publié l'automne dernier, French Corruption (Stock), l'ancien élu des Hauts-de-Seine Didier Schuller avait par ailleurs évoqué l'existence d'un compte ouvert en 1994 au nom de Patrick Balkany dans une banque de Zurich, ainsi qu'une société-écran au Liechtenstein, par laquelle auraient transité des fonds détournés en marge de marchés publics passés dans les années 1980 et 1990 par l'office HLM des Hauts-de-Seine, alors présidé par le maire de Levallois.
Réélu triomphalement dès le premier tour, en mars dernier, maire (UMP) de sa commune, Patrick Balkany, 66 ans, également député, bénéficie d'une immunité parlementaire, qui doit être levée avant toute mesure coercitive, comme une garde à vue ou un contrôle judiciaire accompagnant une mise en examen. En revanche, cette immunité parlementaire ne le protégerait pas de la mise en examen elle-même.
En 1996, Patrick Balkany avait été condamné pour « prise illégale d'intérêt », ayant fait supporter par les contribuables de sa ville les salaires de trois employés affectés uniquement à son service, à son domicile et dans sa résidence secondaire. Dix-huit ans, plus tard, il est soupçonné d'avoir détourné à des fins personnelles des chauffeurs de la ville. Cette affaire fait actuellement l'objet d'une information judiciaire pour « détournement de fonds publics » au tribunal de Nanterre.
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Cinq mois après sa nomination au poste ultradélicat de déontologue de l'Assemblée nationale, Ferdinand Mélin-Soucramanien doit déjà monter au créneau pour réagir à l'affaire Thévenoud. En coulisse, ce professeur de droit constitutionnel, qui succède à l'avocate d'affaires Noëlle Lenoir, doit surtout préparer d'indispensables réformes relatives aux indemnités des députés, trop souvent détournées de leur objet initial, et lutter contre les conflits d'intérêts.
Mediapart. Après son éviction du gouvernement, Thomas Thévenoud est redevenu député. On peut donc siéger à l’Assemblée nationale sans payer régulièrement ses impôts. Qu’en dit le déontologue ?
Ferdinand Mélin-Soucramanien. L’idée d’un « quitus fiscal », déjà avancée par la ministre de la justice, me paraît la plus saine. On pourrait exiger des candidats à la députation une conformité à l’égard des règles fiscales, un peu comme le prévoit le Code des marchés publics pour les entreprises. Cela permettrait de couper court en amont à toute difficulté.
Pour ce qui est de l’entrée au gouvernement, on pourrait réfléchir à une règle correspondant à une démocratie apaisée, c’est-à-dire un délai de latence entre la proposition de nomination et la nomination effective, qui pourrait être d’une semaine, dix jours ou un mois. Cette pratique française de la nomination dans l’urgence, avec des ministres qui apprennent par la presse qu’ils sont nommés ministres, est un peu anachronique.
Le bureau de l’Assemblée a enfin lancé une réflexion sur l’usage de l’Indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), cette fameuse enveloppe de 5 700 euros mensuels allouée aux députés pour couvrir leurs dépenses de mandat, trop souvent détournée pour financer le train de vie personnel (voir nos révélations sur Jérôme Cahuzac ou Pascal Terrasse). Comment assainir les choses ?
D’abord, je dois dire qu’un grand nombre de députés viennent me voir pour me poser des questions, en toute bonne foi : « Que puis-je faire de mon IRFM exactement ? » Je vais donc publier un Guide des bonnes pratiques, en liaison avec les autorités politiques et administratives de l'Assemblée, qui indiquera pour la première fois comment utiliser convenablement l’IRFM : pour le fonctionnement de la permanence, une kermesse, l’achat d’une coupe avant une manifestation sportive, etc. Il indiquera aussi ce qu’il est préférable de ne pas faire sur un plan déontologique.
Car juridiquement, on peut tout faire. Pour le Code général des impôts, « toutes les dépenses effectuées au titre de l’IRFM sont réputées conformes à l’intérêt général ».
Mais je vais recommander de ne pas utiliser l’IRFM pour acheter une permanence parlementaire, par exemple (voir notre enquête de 2011 sur le patrimoine immobilier que se constituent certains députés). Car les fonctions électives ne sont pas viagères ! Acquérir avec de l’argent public un bien immobilier, qui va ensuite rentrer dans le patrimoine privé, ça soulève une difficulté déontologique. Je recommande plutôt la location. Même chose pour le véhicule, d’ailleurs.
La difficulté avec l’IRFM, c’est que son montant couvre à peine les frais réels des députés de province qui n’ont pas de fortune personnelle et qui ne cumulent par leur mandat parlementaire avec un exécutif local. Ceux-là épuisent le montant actuel. Il faut donc remettre le système à plat, à mon avis avant la fin de cette législature qui doit préparer le « Parlement du non-cumul ». À partir de 2017, la loi sur le non-cumul va enfin entrer en vigueur ; la question des moyens financiers pour l’action des parlementaires va donc se poser. Il reste deux ans et demi pour trouver la bonne règle.
Que suggérez-vous ?
On pourrait imaginer de découper l’IRFM, avec une affectation par grandes masses : tel montant pour la permanence, tel autre pour le véhicule, etc. Pour ne pas donner cette idée d’un pot où il suffit de piocher.
Certes, mais ne faut-il pas surtout que l’Assemblée contrôle l’usage réel de cette enveloppe ?
Il faut une forme de contrôle. Mais la solution extrême qui a été adoptée par la Chambre des communes à Londres, celle d’un contrôle systématique sur notes de frais, me paraît difficile à mettre en place. En Grande-Bretagne, elle a entraîné une explosion du nombre de fonctionnaires, puisqu’il a fallu en recruter une centaine pour éplucher les notes de frais. Et ça n’a pas complètement tari les abus. L’idée serait de mettre en place un contrôle au moins sur les grandes masses…
C’est-à-dire ?
On affecte par exemple 1 500 euros pour la permanence parlementaire, 1 000 euros pour le véhicule, 1 000 euros libres pour les « faux frais », etc. Ce système permet de dire au député qui n’a pas décidé de se doter d'une permanence parlementaire, que 1 500 euros ne lui seront pas affectés.
Mais comment serait contrôlée, par exemple, l’utilisation des 1 000 euros supposément dédiés à la location d’un véhicule ?
Un système de notes de frais systématiques est lourd à mettre en place, du point de vue de l’Assemblée, comme du point de vue du député…
Certes, mais dans leurs entreprises, les Français conservent bien leurs factures, leurs tickets d’autoroute…
Je suggère plutôt un contrôle aléatoire, avec demande de justificatifs le cas échéant. Mais toutes ces pistes de réflexion sur l’IRFM sont personnelles et, pour le moment, ne constituent que des hypothèses de travail. C’est aux questeurs, qui sont chargés de cette mission, qu’il appartiendra de faire des propositions au bureau de l’Assemblée nationale (les questeurs sont les trois députés chargés par leurs pairs de gérer les finances du Palais-Bourbon – ndlr).
Les députés disposent par ailleurs d’une seconde enveloppe (jusqu’à 9 500 euros mensuels) pour recruter des assistants. Au premier semestre 2014, l’Assemblée a ainsi rémunéré 52 épouses, 28 fils et 32 filles de députés (voir la liste inédite de Mediapart). Compte tenu de l’ampleur du phénomène, jusqu’ici insoupçonné, ne faut-il pas interdire ces “contrats familiaux” pour prévenir les emplois de complaisance ou fictifs (voir nos révélations sur l'épouse de Jean-François Copé et celle de Bruno Le Maire) ?
La publication des déclarations d’intérêts des parlementaires, en juillet dernier, qui est venue assurer pour la première fois la transparence sur les noms de leurs collaborateurs, représente un vrai progrès. Mais la généralisation, ou plutôt la proportion très importante d’“emplois familiaux”, pose effectivement question. Il est certain que quand on peut éviter ce type de situation, il vaut mieux l’éviter. On peut toujours imaginer une règle de prohibition, mais cela me paraît aller un peu loin. En province, le “vivier” de personnes de confiance est parfois restreint. On ne peut pas exclure qu’il y ait des situations particulières où cela se justifie.
Mais justement, quand on atteint ces chiffres, on n’est plus dans le « particulier ».
Mon pronostic, c’est que la transparence autour des noms des collaborateurs va tarir le phénomène progressivement. Il faut voir comment cela évolue.
Certains députés salarient deux membres de leur famille. Pourquoi ne pas interdire au moins ce cumul ?
C'est aux électeurs de se faire une opinion. Les déclarations d’intérêts sont accessibles sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT) comme sur le site de l’Assemblée nationale.
Il n’est pas facile de se repérer. Les épouses portent parfois leur nom de jeune fille, les filles de députés le nom de leur mari…
Dans les circonscriptions, les électeurs savent bien ce genre de choses.
Quel est votre diagnostic sur les conflits d’intérêts des députés ?
Ça va mieux, ou moins mal. C’est un peu tout le paradoxe de la situation actuelle. On s’est doté, ces dernières années, de mécanismes visant à prévenir les conflits d’intérêts : mécanisme interne avec le déontologue de l’Assemblée nationale, externe avec la HAT. Les déclarations de dons et avantages, obligatoires au-delà de 150 euros, me permettent de voir passer un certain nombre de choses, comme les déclarations de voyages.
Donc, ça va mieux. Ça infuse, ça distille. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être vigilant, qu’il ne faut pas resserrer encore le contrôle.
Il y a d’autres mécanismes qui pourraient être mis en place ou perfectionnés. S’agissant des conflits d’intérêts, j’essaie de faire un travail de veille législative pour repérer des amendements ou interventions en commission, où le député ne respecterait pas l’article 2 du Code de déontologie, qui l’oblige à demeurer indépendant, ou l’article 3, qui prévoit qu’il demeure objectif.
Êtes-vous intervenu auprès de députés en situation de conflit d’intérêts, à cause de leur siège dans un conseil d’administration d’entreprise, d’une activité privée de consulting, etc.?
J’ai eu l’occasion de conseiller des députés qui avaient des activités de conseil. Je leur ai recommandé de prendre une position qui garantisse le traitement en toute indépendance, et de manière objective, de tel et tel sujet.
C’est-à-dire ? Vous recommandez de ne plus prendre la parole sur tel sujet ? De ne plus défendre d’amendement ? De ne plus prendre part au vote ?
Non, je suis hostile à l’obligation de « déport ». Le député représente la nation. Faire peser une obligation de déport, ou même préconiser le déport, j’y suis résolument hostile. C’est transformer un député en eunuque, ou disons, en manchot. Il serait également dommage de se priver de compétences. En revanche, conseiller à un député, sur un sujet donné, d’adopter une position qui garantisse réellement son indépendance, cela rentre dans mes fonctions.
D’une manière générale, un député a tout intérêt à jouer la transparence, à dire à ses collègues : « J’ai eu telle ou telle fonction », « J’ai travaillé dans l’industrie du médicament », etc. Ensuite, ils sont assez vigilants entre eux, l’autocensure marche un peu.
S’agissant des députés avocats, parfois conseils de grandes entreprises, la sanction de leurs conflits d’intérêts éventuels se heurte au secret professionnel : personne ne connaît l’identité de leurs clients. Cette opacité ne pose-t-elle pas problème ?
Oui, mais on ne peut pas tout interdire… On reproche souvent aux députés et sénateurs d’être « hors sol ». La tradition républicaine des avocats députés a d’ailleurs donné parmi les meilleurs parlementaires.
Ne peut-on interdire aux députés avocats de cesser toute activité de conseil pendant la durée de leur mandat ?
Non, je ne crois pas. Le travail de veille législative que j’ai débuté peut être utile dans ce cas-là. Mais il faudrait que l’institution « déontologue » s’étoffe, pour le pousser encore plus loin.
BOITE NOIRECet entretien a été relu par Ferdinand Mélin-Soucramanien et légèrement amendé.
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Sylvie Andrieux, députée (ex-PS) des quartiers nord de Marseille était absente mardi 23 septembre de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Mais, dans un entretien paru le matin même dans La Provence, elle avait prévenu : « Je ne lâcherai jamais rien. » Cela n’a pas empêché, ce mardi, les juges d’appel de confirmer et d’alourdir sa condamnation pour détournements de fonds publics, prononcée en première instance. La lecture de l'arrêt, très argumenté, montre que la Cour n'a pas été dupe des dénégations de Sylvie Andrieux qui avait minimisé jusqu'à la caricature le rôle des élus en espérant se dédouaner.
La députée est condamnée à quatre ans de prison dont trois avec sursis, une amende de 100 000 euros et cinq ans d'inéligibilité. Le 22 mai 2013, le tribunal de grande instance de Marseille s’en était tenu à trois ans de prison, dont deux avec sursis. Monique Zerbib, la présidente de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a précisé que la peine d’emprisonnement ferme s’effectuerait sous bracelet électronique, pour Sylvie Andrieux et deux autres condamnés qui y avaient consenti lors du procès en juin 2014. L’élue devra également payer, solidairement avec les autres prévenus, quelque 716 000 euros de dommages et intérêts à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).
Ses avocats, Me Gaëtan Di Marino et Me Grégoire Ladouari, ont immédiatement annoncé que la députée allait former un pourvoi en cassation dans le délai de cinq jours imparti. Ce pourvoi est suspensif. Une législative partielle sur la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône, où le candidat FN Stéphane Ravier a remporté la mairie de secteur en mars 2014, ne sera donc pas à l'ordre du jour avant plusieurs mois. La Cour de cassation peut mettre huit à dix-huit mois à se prononcer sur les requêtes en nullité qui lui seront présentées.
« C’est une des premières décisions rendues en matière de clientélisme, elle envoie un signe fort », s’est réjoui Me Gilles Gauer, avocat de la région Paca. Venu à la barre comme partie civile en première instance, Michel Vauzelle, président PS de la région Paca, avait alors parlé d' une « affaire de corruption » et qualifié le clientélisme de « pourriture pour la démocratie ».
Vice-présidente déléguée à la politique de la ville du conseil régional Paca jusqu'en 2009, Sylvie Andrieux est accusée d’avoir profité de ce portefeuille régional pour distribuer 716 000 euros de subventions à des associations fictives, situées sur sa circonscription des 13e et 14e arrondissements de Marseille. Dans l'arrêt de la cour d'appel, les juges justifient sa peine de privation de liberté « par la gravité des faits que Mme Andrieux a commis et l'ampleur du préjudice financier qu'ils ont généré, chiffré à plus de 700 000 euros, s'agissant de deniers du contribuable partis en fumée afin de servir non pas l'intérêt général mais son intérêt personnel et électoral ». Ils estiment que l’élue « a discrédité la région, attenté au fonctionnement normal des règles démocratiques et trahi la confiance de ses électeurs en favorisant grandement la distribution de fonds publics à des escrocs, à des fins électoralistes ».
La vice-présidente PS du conseil régional avait la haute main sur les 6 millions d'euros de la ligne budgétaire dédiée à la politique régionale de la ville, dite R 950, qui distribuait cet argent public d’une façon très curieuse. Pas de critères, pas de contrôle sur le terrain de la réalité des associations, ni de l’authenticité des pièces fournies, et d’ailleurs, pour éviter toute velléité de vérification sérieuse, aucun chargé de mission dédié. C’était le système des « dossiers signalés » ou « clientélaires », dont les trois-quarts allaient aux affidés de Sylvie Andrieux. A son arrivée à la tête d ela région, le président PS de la région Michel Vauzelle avait préféré fermer les yeux sur cette pratique, instaurée en 1992 par son prédécesseur Jean-Claude Gaudin (UMP). «Rien ne peut ainsi justifier que les crédits de la ligne R 950 aient ainsi été débloqués au profit de deux arrondissements de Marseille, dont Sylvie Andrieux était l'élue, sinon les préoccupations électoralistes de cette dernière», s'indigne l'arrêt de la Cour d'appel.
« En contrepartie des subventions, je m'étais engagé auprès de Rolland (Balalas, son bras droit –Ndlr) à être disponible lors des élections sur le secteur : cela signifiait amener des gens aux meetings de Sylvie (Andrieux), faire de la propagande pour elle, ce genre de trucs », avait expliqué lors de l’enquête le responsable de plusieurs de ces associations « coquilles vides », condamné à deux ans de prison ferme. des propos confirmés par son attaché parlementaire Rolland Balalas : «Sylvie Andrieux se foutait de savoir si ce qu'on finançait était bon ou pas bon dans la mesure où un moment donné, ça fait du chiffre à partir du moment et ça augmente sa popularité».
Un document interne montre que, même après le début de l'information judiciaire, Sylvie Andrieux a continué à soutenir des demandes de subvention d'associations signalées comme douteuses par les services de la région. Dans ce tableau datant d'octobre 2008, en face des demandes de subvention d'une association comorienne située dans le 13e arrondissement, et malgré un avis défavorable des services de la région, Sylvie Andrieux a inscrit une croix et écrit: « Très important 80 % à ce bureau de vote.»
Face à deux autres demandes de subvention, émanant elles aussi d'une association comorienne du 13e, Sylvie Andrieux note : « Très important Weygand Masse Andrieux. » À savoir, le nom de trois élus issus de dynasties socialistes solidement implantées sur le territoire des quartiers nord. La Cour d'appel note dans son arrêt que Sylvie Andrieux, qui a prétendu être une élue fantôme lors des débats de juin 2014, «parle et écrit aux chefs de service à l'impératif, ce qui démontre qu'elle se comporte comme un chef décisionnaire quant aux sorts des demandes de subvention».
De nombreux collaborateurs du groupe PS à la région et de l'administration ont décrit les menaces et pressions exercées par l’élue qui a ignoré leurs alertes. «Madame Andrieux avait répondu qu'en période électorale, on ne pouvait pas être regardant », a ainsi déclaré un fonctionnaire à la brigade financière. Un de ses collaborateurs, chargé de mission à la politique de la ville, s'était même «vu inviter en 2002 par Sylvie Andrieux à quitter le service après avoir précisé qu'il ne pouvait plus supporter les dérives qu'il déplorait», rappelle l'arrêt de la Cour d'appel.
Malgré ces documents et témoignages accablants, Sylvie Andrieux a toujours assuré n’avoir découvert l’escroquerie qu’à l’automne 2007, quelques mois après qu’un rapport de Tracfin a signalé les malversations de plusieurs associations des quartiers nord. En appel, elle a maintenu sa ligne de défense : la collectivité a été « escroquée » à son insu par des voyous.
« Pourquoi ce déni devant la force des réalités ? » s’était étonné l’avocat général Jules Pinelli lors des débats, en juin. « Jusqu’au dernier moment, j’ai espéré que vous viendriez dire que vous avez eu une faiblesse, comme tout le monde peut en avoir, avait-il regretté. Pourquoi ne pas avoir franchi le pas ? Vous ne l’avez pas fait car vous avez le culte de la force, de l’action, du combat. Et en matière de combat, il ne peut pas y avoir de faiblesse. Vous vous mentez à vous-même peut-être. »
En première instance, l'élue, encartée au PS dès ses 15 ans, fille du sénateur Antoine Andrieux et filleule de la sénatrice Irma Rapuzzi, avait menacé de tout balancer : « Ça ne vous choque pas que la moitié du cabinet du président vienne d'Arles (dont Michel Vauzelle était maire – ndlr) ? Sur les 4 000 employés du conseil régional, je peux vous citer un par un qui a embauché qui, qui est marié avec qui et qui a fait embaucher ses enfants. » Mais le grand déballage n’a pas eu lieu, l'héritière du système defferriste a su tenir sa langue.
Me Gilles Gauer estime donc que Sylvie Andrieux a pâti de son attitude lors du procès en appel. « Elle avait l’occasion de faire avancer les choses, remarque-t-il. Le fait qu'elle ait interjeté appel, non pour donner un éclairage sur le dossier mais pour continuer à nier les faits et présenter une version non crédible, a vraisemblablement été sanctionné par la juridiction », affirme-t-il.
De son côté, Me Gaëtan Di Marino a martelé que « le combat de Mme Andrieux se poursuit. Elle clame son innocence et elle clamera son innocence jusqu'au bout ». La députée, qui a remporté les législatives en 2012 avec 699 voix d'avance sur le candidat FN Stéphane Ravier, siège désormais avec les non-inscrits, en haut de l’hémicycle. Le PS lui a retiré son investiture dans l'entre-deux-tours des législatives, après l'annonce de son renvoi devant le tribunal correctionnel.
L’élue s’était ensuite mise en retrait lors des municipales de 2014 qui ont vu le FN emporter dans son secteur la mairie des 13e et 14e arrondissements de Marseille. À 53 ans, elle affirme mardi dans La Provence qu’il est temps de « changer les générations ». Mais manifestement, cela ne vaut pas pour elle : « Moi je suis une passionnée. J'ai un rapport presque charnel avec ceux qui m'ont élue. Ce sont eux qui me font tenir. Je ne les lâcherai jamais. »
BOITE NOIRECet article a été complété le 24 septembre, après avoir eu accès à l'arrêt de la Cour d'appel.
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En 2013, 40 policiers se sont suicidés. Depuis 2002, ils sont une quarantaine à passer à l’acte chaque année pour 143 000 agents. « Le nombre de suicides dans la police nationale est en moyenne quatre fois plus important que le nombre de décès en service », pointe le contrôleur général Frédéric Lauze, médiateur de la police nationale, dans son premier rapport annuel.
Selon le bilan social 2013 du ministère de l'intérieur, ce sont « en grande majorité les personnels de sexe masculin qui attentent à leurs jours (près de 90 %), dans la tranche d’âge des 40-44 ans (30 % des suicides) ». Au contact du terrain et en bas de l’échelle hiérarchique, les gardiens de la paix et gradés constituent la population « la plus sensible » (avec un ratio de 32 cas pour 100 000 agents). Les personnels de la police judiciaire sont les plus à risque (avec un ratio de 40 %000), suivis de ceux de la sécurité publique (35 %000). Les taux de suicide sont plus élevés en province qu'à Paris, notamment dans les régions de Metz, Lille et Lyon.
D’après une étude de 2010 de l’Inserm portant sur la période 2005-2009, le risque de suicide dans la police nationale est supérieur de 36 % à celui de la population générale. À cause de la facilité du passage à l’acte – l’arme de service est utilisée dans plus de deux tiers des cas – et parce que les policiers sont mis à rude épreuve : « Dévalorisation du métier », « sentiment d'inutilité et de frustration (antagonisme avec le système judiciaire) », « stress », « pression hiérarchique (introduction de quotas, obligation de résultat, chronométrage des tâches...) », « relations avec la mort », « frustration professionnelle née d'une perte d'idéal et les relations directes, antipathiques, voire agressives avec la population ».
Mais la maison police renvoie systématiquement ses suicidés à la sphère privée. « Dans l'écrasante majorité des cas de suicides de policiers, ce sont des facteurs personnels, souvent familiaux ou conjugaux, qui sont à l'origine du passage à l'acte »,nous répondait en 2011 Pierre Derrouch, sous-directeur à l'action sociale au ministère de l'intérieur. Seul un cas a été reconnu par le ministère de l’intérieur comme imputable au service, celui d’un commissaire qui s’était tué en 2008 après avoir revêtu son uniforme.
«La goutte d'eau qui fait déborder le vase peut être une cause personnelle, comme une séparation, mais ce qui a rempli le vase ce sont bien souvent les problèmes rencontrés en service», rectifie Stéphane Liévin, délégué national d'Unité SGP Police FO. Il regrette que l'administration ne s'intéresse qu'aux conséquences - les passages à l'acte - sans chercher à diminuer les risques psychosociaux à la source.
Face à ce déni, plusieurs proches de policiers décédés se sont tournés vers la justice administrative. Le 21 mai 2014, après dix ans de combat, le tribunal administratif de Poitiers a donné raison à la femme et la fille d’un brigadier de police, décédé, lui, le 15 juillet 2004. Pour la première fois en France, le juge administratif a reconnu que le suicide d’un policier avait bien un caractère professionnel. Il a annulé la décision attaquée du préfet délégué de la zone de défense et de sécurité sud-ouest et condamné l’État à verser à sa famille une rente revalorisée. « C’est un revirement de jurisprudence qui va renforcer les obligations pesant sur les chefs de service », redoute, sous couvert d’anonymat, un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur.
Il a fallu dix ans de combat. En décembre 2003, à 46 ans, le brigadier Philippe Berthod est brusquement muté de son poste d’îlotier à horaires fixes qu’il exerçait depuis des années aux Trois-Cités, un quartier populaire. Il rejoint une section en roulement (horaires variables) à l’hôtel de police de Poitiers. Quelques mois plus tôt, à son arrivée à la tête du ministère de l’intérieur, Nicolas Sarkozy a mis fin à la police de proximité. Le brigadier, expérimenté et bien noté, ressent cette mutation comme une brimade et tombe en dépression. À son retour d’arrêt maladie, son supérieur, le commissaire principal, le déclare « inapte à la voie publique » et le balade de service en service. Jusqu’à ce qu’il craque et se suicide, après un deuxième arrêt maladie.
Le ministère de l’intérieur engage alors un bras de fer avec sa veuve Christine Berthod. À trois reprises, la commission de réforme refuse de reconnaître la cause professionnelle du suicide. Ces décisions sont à chaque fois cassées, pour des problèmes de forme, par le tribunal administratif. « Les commissions étaient pipeautées : elles ne disposaient pas de toutes les pièces du dossier et les médecins sont liés à l’administration », dénonce Me François Gaborit.
Deux ans et demi après le suicide, un médecin de la police nationale découvre ainsi chez le brigadier un « état bipolaire » ainsi qu’une « personnalité fragile préexistante », alors que tous les médecins datent le début de sa dépression de sa mutation. Un autre médecin de la police écrit quant à lui que le geste de Philippe Berthod apparaît « comme une réaction très inadaptée à un problème de service ordinaire, qui reflète un état prédisposant ». « Il existe donc des suicides constituant des réactions adaptées ? ironise Me François Gaborit. À chaque fois l’administration avance des problèmes familiaux, mais quand on creuse, il n’y a souvent pas grand-chose, et là pour M. Berthod, il n’y avait strictement rien ! »
Entendus par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), plusieurs collègues du brigadier décédé dénoncent des dysfonctionnements au sein de l’hôtel de police. En quelques mois, un autre fonctionnaire a fait une tentative de suicide et plusieurs sont devenus dépressifs. L’un d’eux, note la police des polices, éclate en sanglots « au simple fait d’évoquer une rencontre avec le commissaire ».
Dans son rapport du 1er juin 2005, l’IGPN souligne l’« ambiance délétère du service » et met en cause « le mode de management » du chef de service. Après ce premier rapport désastreux pour la hiérarchie, un commissaire de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) est dépêché à Poitiers pour corriger le tir. Les policiers poitevins ne vont pas être déçus. Le commissaire parisien évoque un « chantage au suicide » et de la « simulation » au sein d’un commissariat « qui gardait une culture traditionnelle et provinciale dans un environnement de conservatisme social avancé »…
Le ministère de l’intérieur se garde de transmettre ces enquêtes à la famille. « Nous avons été obligés de saisir le juge des référés du tribunal administratif de Paris et de déposer plainte au pénal pour homicide involontaire, dans le seul but de récupérer ces pièces », s’indigne Me François Gaborit. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, l’avocat de la partie civile a en effet accès au dossier.
Dans sa dernière décision du 1er octobre 2012, le préfet délégué de la zone de défense et de sécurité sud-ouest refusait de nouveau de reconnaître l’imputabilité au motif qu’il n’existait aucun lien « exclusif » entre les fonctions et le suicide. Pourtant, selon la jurisprudence, un lien « prédominant » avec le service suffit. Le tribunal administratif de Poitiers lui a donc donné tort.
L’administration risque de se faire à nouveau étriller dans un autre cas de suicide, celui de Nelly Bardaine. Le 4 juillet 2011, cette gardienne de la paix de Cagnes-sur-Mer âgée de 39 ans, s’est tuée avec son arme de service, dans une voiture de police qu'elle avait pris soin de garer en zone gendarmerie. La jeune femme laisse une lettre qui évoque la réforme de la garde à vue, la défiance à l'égard des policiers, la pression du chiffre ainsi qu'une récente mutation à la cellule anti-cambriolage. « Encore merci à M. X (son chef de service) pour cette promotion-punition. Eh oui moi c'est comme ça que je le ressens ! » a-t-elle écrit sur un papier à en-tête du commissariat.
Là encore, l'administration oppose un mur du silence à ses parents, son frère et son concubin. « Ils ont peut-être espéré que nous finirions par abandonner les démarches », suppose son compagnon Franck Magaud, également policier. Le couple venait d’acheter un terrain pour construire une maison. Le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud ne leur répond pas quand ils demandent en juin 2012 l'imputabilité au service de ce suicide. Il ne produit pas de mémoire en réponse devant le tribunal administratif de Nice. Et vendredi 19 septembre 2014, il n’envoie aucun représentant à l’audience.
Selon Nice-Matin, le rapporteur public a demandé vendredi au tribunal administratif de reconnaître le suicide de Nelly Bardaine en accident de service. S’appuyant sur les précédents de France Télécom et de La Poste, il a expliqué que « le lien direct entre ce geste et la gestion calamiteuse du service » pouvait être tenu pour établi. Comme l’avait révélé Mediapart, le commissaire de Cagnes-sur-Mer avait déjà été mis en cause par un de ses anciens subordonnés, sur un précédent poste au Brésil. Ce qui n'avait pas empêché le ministère de l'intérieur de l’exfiltrer et de la placer en août 2009 à la tête des 140 policiers de cette circonscription des Alpes-Maritimes.
« Pour le rapporteur qui a été très humain, Nelly Bardaine a choisi de mettre fin à ses jours du fait d’une pression extérieure à elle-même qui venait de son travail », explique Me Adrien Verrier, l’avocat de ses proches. Le tribunal administratif rendra sa décision dans un mois. Dans l’immense majorité des cas, elle suit les conclusions du rapporteur public. « Ça a été un soulagement et une libération, réagit Franck Magaud, contacté lundi par téléphone. Nelly s’est sacrifiée pour faire entendre des choses et ça n’a pas été complètement en vain. » En poste à Nice, le policier a obtenu le 1er septembre 2014 sa mutation hors de la région. Il espère que « cette reconnaissance pourra aider d’autres personnes dans leurs démarches ».
BOITE NOIRECet article a été modifié le 24 septembre pour ajouter la réaction d'un syndicaliste policier.
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L’espoir d’un horizon judiciaire en partie éclairci peut renaître chez Nicolas Sarkozy. Dans une ordonnance d’une page, non motivée, Édith Boizette, présidente d’une des chambres de l’instruction de la cour d’appel de Paris, a en effet décidé, mardi 23 septembre, de suspendre le cours de l’instruction pour « corruption », « trafic d’influence » et « violation du secret professionnel » dans laquelle l’ex-chef de l’État, son ex-avocat et ami Thierry Herzog, ainsi que le haut magistrat en retraite Gilbert Azibert, sont mis en examen depuis début juillet.
Dans les requêtes qu’ils avaient déposées le 12 septembre devant la chambre de l’instruction, les défenseurs respectifs de Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog avaient demandé non seulement l’annulation des écoutes téléphoniques Sarkozy-Bismuth pour faire effondrer toute la procédure, mais également la suspension de l’instruction. Or, selon des sources concordantes, les avocats se sont pris les pieds dans la procédure : ils ont effectué ces deux demandes parallèles dans des requêtes séparées, au lieu de demander l’annulation et la suspension dans la même requête.
Édith Boizette a donc déclaré les demandes de suspension irrecevables procéduralement... mais elle a tout de même décidé de geler l’instruction, le temps que le fond soit examiné, en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui confère le Code de procédure pénale (article 187). Sa décision n'est susceptible d'aucun recours.
Selon des sources concordantes, Édith Boizette a pris cette décision sans demander de réquisitions au parquet général de la cour d'appel de Paris (elle n'y était pas obligée). Or l'ouverture de l'information judiciaire sur les écoutes Sarkozy-Herzog avait été prise - le 26 février dernier - par le procureur national financier, Éliane Houlette, en accord avec son supérieur hiérarchique, le procureur général François Falletti. Aujourd'hui, comme on va le voir, la légalité de ces écoutes semble diviser la haute magistrature, et les avocats parisiens se frottent déjà les mains.
Dans la pratique, les juges Patricia Simon et Claire Thépaut ne devront plus effectuer d’actes d’instruction dans ce dossier ni verser de nouvelles pièces jusqu’à nouvel ordre. Les mises en examen demeurent, mais les investigations des juges sont gelées.
En théorie, cette décision de la présidente Boizette ne permet pas de préjuger ce que décideront collégialement les trois magistrats de la chambre de l’instruction quand ils examineront la régularité des écoutes téléphoniques. Mais tant au Palais de justice de Paris qu’au pôle financier de la rue des Italiens, les magistrats ont compris le message. « Mes demandes de suspension les plus fondées sont toujours retoquées, j’aimerais bien profiter de cette écoute là de la part des magistrats », s’amuse ainsi un avocat parisien.
« Les suspensions d’instruction sont très rares », confirme un magistrat parisien chevronné. « Elles sont prononcées quand un juge d’instruction semble hors des clous. C’est un feu rouge. Le fait qu’Édith Boizette n’ait pas saisi le prétexte de l’irrecevabilité confirme les rumeurs que nous entendions depuis plusieurs semaines : son avis sur la validité des écoutes est clairement affiché. Il lui suffira d’une autre voix au sein de la chambre de l’instruction pour faire annuler la procédure. En fait, c’est typiquement le genre de chose que Gilbert Azibert lui-même aurait pu faire lorsqu’il présidait la chambre de l’instruction avec sévérité, en annulant les procédures, au point que les juges d’instruction l’avaient surnommé Annulator. »
Les précédents d’instructions ainsi suspendues, rarissimes, ont notamment concerné l’enquête sur le financement occulte du RPR que menait Éric Halphen au tribunal de Créteil, puis des affaires de santé publique instruites par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy.
Le timing de cette décision d’Édith Boizette peut surprendre. L’instruction qui le menace est suspendue 48 heures à peine après le retour annoncé de Nicolas Sarkozy dans l’arène politique, qui a été médiatisé jusqu’à la nausée. Ce camouflet infligé aux juges d’instruction survient également au lendemain de la révélation de nouveaux éléments accablants issus du dossier d’instruction, dans France Inter et Libération notamment, après que Mediapart eut révélé des extraits des retranscriptions d’écoutes en mars dernier.
Édith Boizette aura 64 ans en octobre. Longtemps juge d’instruction, elle a notamment instruit l’affaire Pechiney-Triangle, dans les années 1989-1990. Elle a ensuite été nommée présidente de la chambre de l’instruction, l’organe de contrôle et de censure du travail des juges d’instruction. Édith Boizette bénéficie d’une réputation de magistrate expérimentée et compétente, sans appartenance politique ou syndicale connue, mais avec une sensibilité notoirement proche de la droite.
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« Les deux tiers des échecs scolaires, c'est l'échec d'enfants d'immigrés. » Cette phrase de Claude Guéant, alors ministre de l’intérieur, lancée en 2011 à l’aube d’une campagne présidentielle, réactivait au fond, au-delà de l’instrumentalisation grossière de chiffres par ailleurs farfelus, une idée ancienne devenue un poncif : celle d’une scolarité en soi problématique des enfants d’immigrés. Depuis près de trente ans, cette question est devenue un quasi-lieu commun du discours politique. Elle a engendré une abondante littérature sans que les cadres conceptuels et historiques de ce « problème » ne soient jamais analysés.
Le recueil de textes inédits du grand sociologue de l’immigration Abdelmalek Sayad, L’École et les enfants de l’immigration, vient apporter une réflexion à la fois neuve et puissante sur la manière dont l’école accueille ces nouveaux publics. Datant d’une trentaine d’années (beaucoup sont issus des travaux de la commission Jacques Berque, travaux commandés par Jean-Pierre Chevènement sur la scolarisation des enfants d’immigrés), les textes de Sayad décédé en 1998 sont d’une saisissante acuité.
Le sociologue, proche de Pierre Bourdieu, avait fini par claquer la porte de cette commission, pressentant qu’il ne serait pas écouté. Dans ces textes, il prend soin de dénoncer avec vigueur une commande politique qui instaure un « Eux » et un « Nous », qui ethnicise les problèmes scolaires en occultant la dimension sociale, ou qui célèbre naïvement les « cultures d’origine » sans jamais s’interroger sur les processus discriminatoires au sein de l’institution scolaire.
Entretien avec le sociologue Smaïn Laacher qui a, au côté de Benoît Falaize, travaillé à l’édition commentée de ces textes inédits.
L'École et les enfants de l'immigration
Abdelmalek Sayad
édité et préfacé par Smaïn Laacher et Benoît Falaize
Le Seuil, 236 pages, 19,50 euros.
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« Maintenant, je veux faire un meeting par jour ! » Cette phrase lâchée en 2012 par Nicolas Sarkozy résume la frénésie qui avait saisi le candidat à sa propre succession durant la dernière campagne présidentielle. Avec l’affaire Bygmalion, on connaît aujourd’hui les conséquences d’un tel emballement, que le bras droit de Jean-François Copé et directeur adjoint de la campagne, Jérôme Lavrilleux, avait décrit comme un « engrenage irrésistible d'un train qui file à grande vitesse ».
Deux ans plus tard, l’ex-chef de l’État repart en campagne. Pour briguer non pas l'Élysée – du moins pas encore –, mais la présidence de « sa famille politique », l’UMP. Le rythme n’a plus rien à voir avec celui de 2012 – 44 meetings, souvent enchaînés d’un jour sur l’autre –, mais il reste tout de même soutenu. Sa première rencontre avec les militants, Nicolas Sarkozy la tient ce jeudi 25 septembre, en début de soirée, au gymnase Pierre de Coubertin, à Lambersart (Nord). Elle sera suivie d’une série de rassemblements qui devraient – c’est du moins l’objectif – conduire l’ancien président à se rendre dans chacune des 22 régions métropolitaines. Soit un à deux déplacements par semaine jusqu’au 27 novembre (le scrutin électronique étant ouvert à partir du samedi 28, 20 heures).
« Ce sera une campagne tout à fait modeste », prévient son porte-parole, le jeune député et maire UMP de Tourcoing, Gérald Darmanin. « On nous a demandé quelque chose de simple, fait avec peu de moyens », renchérit le député et maire UMP, Marc-Philippe Daubresse, qui l’accueille dans sa ville de Lambersart. Pour son premier meeting, le candidat devra débourser « quelque 1 800 euros » pour la location du gymnase de Coubertin – « tarif lambersartois fixé par délibération du conseil municipal pour toutes les formations politiques », précise Daubresse – auxquels s’ajouteront un certain nombre de prestations facturées par la mairie (éclairage et sonorisation). « Le fond de scène sera géré par Paris, poursuit l'élu. Les militants du département se chargeront de l’affichage et de l’installation de la salle. »
En tout, le meeting de Lambersart « coûtera moins de 10 000 euros », indique Véronique Waché, la conseillère presse de Nicolas Sarkozy. Pour le reste, « le choix qui a été fait est de dépenser le moins possible en faisant une campagne efficace, mais sobre », affirme son directeur de campagne, l’ancien directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard. « Dans un monde où il y a des problèmes de chômage, etc., cela peut être compliqué de dépenser des sommes importantes, poursuit-il. Notre volonté est que ce soit à la fois modeste et transparent parce que les exemples passés ne sont pas toujours formidables. »
Aucune société de communication ou d’événementiel ne travaille sur la campagne, selon Péchenard. « Le seul prestataire avec lequel nous avons passé un petit contrat est une petite PME qui se charge du site internet et qui ne souhaite pas qu’on communique son nom », ajoute-t-il. Les qualificatifs « petit » et « modeste » sont répétés à l’envi. Le message est clair : hors de question de rappeler au bon souvenir des militants UMP la démesure de la dernière campagne présidentielle où le compte de Nicolas Sarkozy a littéralement explosé, atteignant plus de 39 millions d'euros, bien au-delà du plafond légal fixé à 22,5 millions d'euros.
Après les affaires Bettencourt, Kadhafi et Bygmalion, la question du financement de cette nouvelle campagne se pose forcément, quand bien même elle ne serait soumise à aucune règle. « Nous savons pertinemment que c’est un sujet, explique Véronique Waché. Nous voulons une transparence absolue et aucun mélange des genres. Nous sommes extrêmement rigoureux sur les comptes. »
Briguer la tête d’un parti politique ne nécessite pas les mêmes moyens qu’une campagne présidentielle. Mais cela coûte tout même plusieurs centaines de milliers d’euros. À titre d’exemple, Jean-François Copé avait dépensé 624 000 euros en 2012 pour batailler contre François Fillon, rappelle à Mediapart son entourage. L’UMP avait à l’époque alloué 50 000 euros à chacun des deux candidats. Le parti pourrait-il donner cette année un petit coup de pouce à ses prétendants ? « Je ne pense pas, affirme un membre du bureau politique. Il n’y a plus rien dans les caisses. » « C’est au bureau politique d’en juger, mais je ne crois pas que cela soit d’actualité », confirme Anne Levade, la présidente de la haute autorité de l’UMP. L’entourage de Bruno Le Maire, lui aussi candidat à l’élection de novembre, indique d’ailleurs que « vu la situation actuelle, jamais nous n’accepterons un centime ».
L'UMP exsangue, Nicolas Sarkozy va donc devoir puiser dans d’autres ressources que celles du parti. Outre sa “retraite” d’ancien président – une dotation égale au traitement d’un conseiller d’État, 6 000 euros par mois, définie par un texte officiel de loi daté de 1955 – et les différentes conférences – rémunérées plusieurs centaines de milliers d’euros – qu’il donne depuis deux ans, il pourrait également compter sur les nombreuses associations créées pour soutenir son action. Celle des “Amis de Nicolas Sarkozy” par exemple, présidée par « l’ami de 30 ans » Brice Hortefeux, qui a vu le montant de ses dons passer de 65 042 euros en 2012 à 508 210 euros en 2013.
« “Les Amis” n’ont rien à voir avec notre financement, assure Véronique Waché. On ne se mêle pas de cette association, on ne s’en est jamais mêlé et on ne s’en mêlera pas. » La conseillère presse de Nicolas Sarkozy précise que l’ensemble de la campagne sera financé par une autre structure, l’Association de soutien à l’action de Nicolas Sarkozy (Asans). Ce discret “parti de poche”, dont Mediapart avait dévoilé l’existence à l’été 2010, était jusqu’à peu installé dans son ancien fief de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Il a récemment déménagé au 77 de la rue de Miromesnil où se trouvent les bureaux parisiens de l’ex-chef de l’État. Également présidé par Brice Hortefeux, son trésorier n’est autre que Michel Gaudin, l’actuel directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. D’après son bilan financier, cette micro-formation politique avait 244 507 euros de côté, fin 2013.
Créée en 2000 pour « défendre et promouvoir les idées de liberté, de solidarité, de justice et de réforme défendues par Nicolas Sarkozy », l’Asans a financé depuis l’action de l’ex-chef de l’État au sens large : comme l’a récemment révélé Le Monde, c’est elle qui a pris en charge le vol Paris-Bordeaux effectué par l'ancien président le 21 mars 2013, en avion privé, pour répondre à la convocation des juges dans l’affaire Bettencourt.
L’argent de l'Asans provient pour l’essentiel des chèques de ses gros donateurs – quelques dizaines –, qui versent chacun plusieurs milliers d’euros pour intégrer cette structure ultrapersonnelle. Dans un listing datant de 2006-2007, auquel Mediapart avait eu accès, on dénichait notamment les noms de René Ricol – par la suite nommé médiateur du crédit par l’Élysée, en 2008, puis commissaire général à l’investissement en 2010 –, du financier Marc Ladreit de Lacharrière ou encore de membres de la famille Bettencourt : Liliane, André – décédé –, mais aussi leur fille Françoise… à l’origine de la plainte pour « abus de faiblesse » sur sa mère qui a déclenché toute l’affaire Bettencourt.
Si l’État ne subventionne pas ce “parti de poche”, il le finance tout de même indirectement, puisque tous les dons qui sont faits ouvrent droit à des réductions d’impôts. Sur le nouveau site de Nicolas Sarkozy, figure une page spécifiant que des dons peuvent encore être adressés à l’association dans le cadre de la campagne. « On n'a pas fait d'appel aux dons par mail ou sur Facebook parce que pour le moment, nous avons l'argent. Nous n'avons pas d'inquiétude majeure là-dessus », souligne Véronique Waché. D'autant que depuis l'affaire Bygmalion, l'appel aux dons est devenu un sujet sensible à l'UMP. Le “Sarkothon” résonne encore dans l'esprit de beaucoup de militants.
Pour ses déplacements de campagne, le candidat à la présidence de l’UMP souhaite privilégier le train. Lui qui avait loué en 2012 un jet privé à Dassault Falcon Service pour un peu plus de 386 000 euros les trois semaines, opte désormais, aux dires de Frédéric Péchenard, pour « le meilleur rapport qualité-prix ». Selon une lettre valant « décision », datée du 8 janvier 1985 et signée par le premier ministre de l'époque, Laurent Fabius, Nicolas Sarkozy bénéficie, en qualité d’ex-chef de l'État, d’un certain nombre d’avantages parmi lesquels « la gratuité pour eux-mêmes et leurs conjoints » des déplacements en France, comme à l’étranger, « sur l’ensemble des réseaux publics ferroviaires, aériens et maritimes, dans la meilleure classe ». Grâce à ce statut, il n’aura donc pas à débourser un centime pour se rendre à ses meetings. Seuls les billets de ses collaborateurs seront imputés à ses comptes de campagne.
Les déplacements « par voie ferroviaire » des deux autres candidats à la tête de l’UMP, Hervé Mariton et Bruno Le Maire, sont quant à eux pris en charge par l’Assemblée nationale, comme ceux de tous les autres députés. En revanche, les deux parlementaires ne peuvent pas bénéficier, contrairement à l’ancien président, d’un hébergement en préfecture ou en sous-préfecture « sous réserve d’en avoir préalablement informé le ministre de l’intérieur ». « Je loge chez l'habitant », a ainsi à moitié plaisanté Hervé Mariton sur LCP.
Bien qu'il soit difficile d’imaginer Nicolas Sarkozy demander à Bernard Cazeneuve l'autorisation de dormir en préfecture ou en sous-préfecture, les différents avantages que lui confère son statut d’ancien président pourraient lui être utiles durant la campagne, notamment en termes de ressources humaines. L’État met en effet à sa disposition depuis deux ans « sept collaborateurs permanents ». Parmi eux, l’ancien préfet Michel Gaudin, devenu son chef de cabinet rue de Miromesnil, mais également Véronique Waché, son actuelle conseillère média, tous deux payés sur fonds publics.
« Michel Gaudin ne participera pas directement à la campagne, explique Frédéric Péchenard. Dans la dizaine de membres de l’équipe permanente, tout le monde est bénévole, moi compris. Chacun se mettra en configuration avec ses patrons pour se dégager du temps. » La question se pose notamment pour la personne nouvellement en charge des questions politiques rue du Docteur-Lancereaux, Éric Schahl, aujourd’hui rémunéré par le Sénat pour diriger les relations extérieures du groupe UMP.
Mais elle se pose surtout sur le cas particulier de Véronique Waché, à la fois conseillère presse de l’ancien président et directrice du pôle presse du nouveau candidat. « À partir du moment où le dépôt de candidature sera officiel, c’est-à-dire le 30 septembre, je poserai des congés auprès de mon employeur (Nicolas Sarkozy, donc – ndlr) à chaque fois que j’irai au QG du candidat (Nicolas Sarkozy, toujours – ndlr) ou que je le suivrai en déplacement. » « Ça peut être parfois compliqué parce que ça se touche, reconnaît Frédéric Péchenard, mais nous essayons de bien faire la séparation pour ce soit clair. »
« Il y aura une différence très claire entre Miromesnil et les nouveaux locaux », assure encore le porte-parole de Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin. Pour bien marquer la différence, l'ex-chef de l’État a installé son QG de campagne rue du Docteur-Lancereaux, dans le VIIIe arrondissement parisien, à quelques encablures des bureaux qu’il occupe depuis deux ans pour un loyer de 15 000 euros par mois, « entièrement pris en charge par l'État, comme le veut la tradition de la Ve République ». « Un bail précaire a été signé pour trois mois, pour un loyer mensuel de 6 000 euros », détaille Véronique Waché. « Il s’agit de 85 mètres carrés en rez-de-chaussée, précise Frédéric Péchenard, avec en plus une espèce de petite salle de réunion, en sous-sol, sans lumière, dans une cave. »
Malgré toutes les précautions que prend son équipe de campagne, le retour en politique de l’ex-chef d’État pose tout de même la question du mélange des genres, du moins à moyen terme. « Cette situation est nouvelle, souligne le député PS de l’Aisne, René Dosière, auteur de L’Argent de l’État (Éd. du Seuil, 2012). On ne se posait pas ce genre de questions à l'époque du retour de Giscard. Les égards qui sont accordés depuis bientôt trente ans aux anciens présidents sont d’ordre protocolaire et n’ont pas vocation à nourrir une action politique. Si l’idée de Sarkozy est bien de se représenter en 2017, peut-il continuer à bénéficier d’avantages matériels que l’on estime à 2 millions d’euros par an ? On va forcément se retrouver devant un problème de rupture d’égalité entre les futurs candidats. »
Le retour de Nicolas Sarkozy dans la vie politique est un casse-tête juridique. En témoigne encore le flou qui entoure sa place au Conseil constitutionnel, où, comme tout ancien président, il demeure membre de droit, malgré l’interdiction pour les “sages” « d’occuper au sein d’un parti ou groupement politique tout poste de responsabilité ou de direction ». Dans l’impossibilité de démissionner, l’ex-chef de l’État avait choisi de se mettre en retrait du Conseil le 4 juillet 2012, jour du rejet de ses comptes de campagne. Depuis, il ne perçoit plus les quelque 12 000 euros mensuels d'indemnités.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet articles ont été jointes par téléphone entre le 21 et le 24 septembre.
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Longvic (Côte-d'Or), de notre envoyé spécial. Ils n'étaient qu'une miette dans un océan de transactions boursières. L'annonce du rachat de l'équipementier automobile américain TRW par son homologue allemand ZF Friedrichshafen AG pour la somme de 13,5 milliards de dollars (10,4 milliards d'euros), le 15 septembre 2014, démontre à quel point la stratégie d'un grand groupe peut être antagoniste à celle de ses employés. Le site de TRW Longvic (Côte-d'Or) était voué à la fermeture, ses 148 employés destinés à un plan social. Après quatorze mois de bras de fer avec leur direction, les anciens membres du conseil d'entreprise se sont réunis, début septembre, pour un dernier repas.
« C'est là que nos patrons dormaient lorsqu'ils venaient pour nous virer. » Au rez-de-chaussée de l'hôtel trois étoiles Wilson de Dijon, le dîner que se sont offert « les TRW » a presque un goût de revanche. Un an et demi après l'annonce de la fermeture du site de Longvic, en mars 2013, les anciens membres du conseil d'entreprise savourent une victoire en demi-teinte. « On a perdu puisque l'usine a fermé », résume Laurent Guigue, arrivé dans le site en 1996. Malgré tout, onze anciens célèbrent ce soir la fin de « la lutte » et l'issue du plan social qu'ils ont arraché à leur employeur après la délocalisation de leur usine en Pologne.
Alors que le cégétiste Christophe Depierre lit à haute voix la lettre de soutien (lire ci-dessous) que lui ont envoyée ses camarades polonais, les membres de la délégation unique du personnel (DUP) pensent à l'avenir.
Deux mois après le licenciement effectif des 148 employés (excepté la quinzaine de cadres qui achèvent le démantèlement de l'entreprise jusque fin octobre), ils sont tout juste dix à avoir retrouvé du boulot, soit environ 7 % de l'effectif. Avec 55 000 euros d'indemnités en poche et un congé de reclassement d'un an payé à 80 % du salaire d'origine pour chaque employé, la recherche de travail peut se faire plus sereinement.
Les TRW sont désormais entre les mains d'un cabinet de reclassement qu'ils ont dû choisir alors qu'ils n'étaient pas encore licenciés. Sébastien Dureuil, ancien du conseil d'entreprise, raconte le défilé des fournisseurs : « On travaillait toujours et on recevait des tas de coups de fil de cellules de reclassement, des vrais charognards. On en a reçu quatre ou cinq, puis ça a été vite fait, on a choisi le côté humain plutôt que les paillettes. Il y avait des grosses locomotives style Altedia. Je me souviens du commercial qui est arrivé en costard cravate, un bagou énorme, accompagné de trois jolies filles. Ça pète le luxe mais ça ne nous correspond pas. Ce qu'il nous faut, ce sont des gens qui se bougent pour nous retrouver un boulot.»
Une fois le cabinet de reclassement choisi, trois possibilités s'offrent aux anciens de TRW : l'adaptation, la reconversion ou la création d'entreprise. Dans le premier cas, ils reçoivent 5 000 euros et ont la possibilité de suivre des formations pour se remettre à jour dans leur domaine. S'il s'agit d'une reconversion, les anciens reçoivent 7 500 euros qui doivent être réinvestis dans une nouvelle formation ou pour reprendre des études. Dans le cas d'une création d'entreprise, le nouvel entrepreneur reçoit une aide au démarrage de 10 000 euros. Chaque cas est soumis au contrôle et au conseil du cabinet de reclassement qui examine la pertinence du projet professionnel.
Ainsi débutent les ateliers de groupe. « Tu te présentes pendant deux minutes et on fait un tour de table, explique Franck Pawelec. On t'aide à bien écrire un CV et à aller à l'essentiel. Il y a des jobs dating (entretiens d'embauche) pour se mettre dans la gymnastique des nouvelles techniques d'entretien. Je suis content d'en bénéficier, même si tu te rends vite compte qu'ils utilisent toujours la même présentation, que ça s'adresse à des métallos, des couturières ou des fabricants de fromages. »
Frank Pawelec aura 46 ans en octobre, il sait que son combat commence maintenant. « Il est loin le bout du tunnel. Psychologiquement, je suis déjà dans la catégorie senior. On sait qu’il doit y avoir entre 700 et 1 000 licenciements par jour et pas autant de créations d’emplois.
Sans être défaitiste, tu ne peux pas t’empêcher de penser que l'industrie dans la région ne va pas revenir avant longtemps. J’ai un copain qui bossait dans l’outillage. Il a passé un diplôme sur internet en 2008 et il a retrouvé du boulot il y a seulement trois mois. Il a fait plein d'entretiens où il était toujours dans les trois premiers, sans rien trouver. Moi, je ne demande pas monts et merveilles, je suis prêt à accepter une perte de salaire (Frank gagnait 1 750 euros net/mois avec 18 ans d'ancienneté – ndlr), mais je ne veux pas refaire les trois-huit, ça te tue la santé. Si c'est pour avoir une petite prime salariale en risquant de ne pas aller jusqu'à la retraite, ça ne m'intéresse pas. Mais bien sûr, il y a ce que tu peux faire, ce que tu veux faire et ce que tu trouves. »
Entre deux anecdotes sur le cabinet de reclassement, les TRW se remémorent leurs déplacements dans toute l'Europe (Angleterre, Allemagne, Belgique et deux fois en Pologne pour se rendre sur le lieu prévu de la délocalisation). « On était prêt à faire de l’anti-dumping social partout pour faire pression sur TRW », raconte leur avocat, Ralph Blindauer, qui était également de la partie. « Le seul fait de vouloir faire des économies sur la masse salariale, ce n’est pas un motif de licenciement recevable en France. Or l’usine de Longvic n’était juste pas capable de gagner autant d’argent qu'un site en Pologne, c'est ce qu'on a essayé de faire entendre », raconte Me Blindauer. Pour eux, c'est sûr, l'internationalisation du conflit a permis de gagner plus de crédibilité dans le rapport de force avec la multinationale en forçant certains responsables à s'asseoir à la table des négociations.
Mais les longues tractations qui ont abouti aux 55 000 euros d'indemnités de départ ont laissé des séquelles chez certains employés. Le responsable syndical de la CGT, Christophe Depierre, en première ligne dans le bras de fer avec la direction, a fait quatre semaines d'hôpital psychiatrique, courant 2011.
Toujours sous traitement, il dit s'en être particulièrement bien sorti grâce au soutien de sa femme. D'autres sont plus vulnérables. « Avec le PSE, il y a pas mal de couples qui éclatent, confie Laurent Guigue. Certains sont en dépression, le licenciement leur laisse un gros vide. Le choc psychologique est énorme. Pour moi aussi c'était très dur, j'ai perçu la fermeture comme une trahison de la part de l'entreprise. Quand tu vois le salaire du gros patron et qu’on te dit que tu coûtes trop cher, il ne faut pas abuser. »
L'ancien PDG de l'entreprise, John Plant, a perçu en 2013 un peu plus de 41 millions de dollars de revenu annuel, soit l'équivalent de près de 2 000 fois le salaire moyen des employés du site de Longvic-Dijon. « Plus jamais je ne veux avoir affaire à un patron, lance Sébastien Dureuil, débauché par TRW en 1995. J'ai été écœuré par l'attitude de l'entreprise. Pour moi, une boîte qui fait du pognon n'est pas censée fermer. D'ailleurs, j'étais le seul à vouloir continuer le combat jusqu'en Cour de cassation. Mais tout ça, c'est fini pour moi, maintenant, j'ai fait le deuil. » Après dix-neuf ans de fidèles et loyaux services, ce dernier dit vouloir « se reconstruire ». « Je vais reprendre les études et intégrer une école viticole », ajoute-t-il, « j'ai la chance d'être né à Nuits-Saint-Georges et comme Obélix, je suis tombé dans le vin quand j'étais petit. »
« Chacun prend le licenciement différemment, déclare Christophe Depierre. Il y en a qui ne veulent plus entendre parler de l'industrie automobile alors que d'autres ne se voient pas travailler ailleurs. J'en connais même qui pourraient presque rebosser pour TRW. » Lui a décidé de monter son restaurant à Dijon. « C'est un retour à mon métier de départ », assure celui qui a démarré sa carrière dans l'hôtellerie. « Maintenant, il faut couper les ponts avec TRW », dit-il, même s'il continue deux fois par mois à se rendre à l'usine.
Tous ne sont cependant pas armés pour rebondir. « Certains sont alcoolos, d’autres complètement paumés, précise Sébastien Dureuil. Et les personnes de 45 à 55 ans qui vont attendre la fin du congé de reclassement risquent d'aller droit dans le mur. Plus ils attendent, plus il sera dur de trouver du boulot. »
« Quand je suis arrivé chez TRW, j’avais mis dans ma tête le risque de fermeture, affirme Laurent Guigue, 43 ans. Ma mère travaillait chez Hoover, la célèbre marque d'aspirateurs, et ils ont laissé les salariés sur le carreau. Du coup, quand j’ai acheté ma maison, j’ai tout prévu avec mon assurance. » Pour ce dernier, il est hors de question de rester trop longtemps au chômage. « J'ai rapidement attaqué une formation avec mise à niveau pour être sur le marché de l'emploi le plus vite possible. Après vingt ans d'expérience dans la même boîte, ils disent qu'on est trop formaté aux équipements qu'on utilise tous les jours. Les trois-huit, je préfère laisser ça aux jeunes parce que quand tu passes le cap de la quarantaine, tu récupères moins vite. Cela dit, tout est question de compromis car comme beaucoup d'entre nous, je suis père de famille et j’ai mon crédit immobilier sur le dos. »
En se rendant dans les différents sites de l'industriel ainsi qu'au siège européen du groupe à Düsseldorf, les employés espéraient faire pression sur les dirigeants, mais surtout sensibiliser leurs collègues européens sur l'impact des délocalisations. « C'est l'Europe qui a payé les murs et les machines de l'usine délocalisée, la Pologne a offert le terrain pour favoriser la création d'emplois. En allant là-bas, on a compris que la contrepartie de la fermeture de notre usine, c'était la création de 900 postes en Pologne », explique un des employés. Pour la députée (PS) Kheira Bouziane qui a également fait le déplacement – par ailleurs une des six députés à avoir voté en juin 2013 contre l'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi (ANI) permettant à un employeur de se passer des syndicats pour mettre en place un PSE –, la question des délocalisations doit être posée au Parlement européen.
Avec l'usine Fralib de Gémenos (Bouches-du-Rhône), TRW symbolisait l'un des derniers plans sociaux annoncés avant le vote de l'ANI. « C'était un des derniers combats classiques entre salariés et employeur, regrette Kheira Bouziane. « Aujourd'hui, avec la nouvelle loi, une entreprise comme TRW aurait beaucoup plus de facilité à fermer une de ses unités. C'est dramatique parce qu'à 50 ans, dans le contexte actuel, vous êtes limite au ban de la société. » Me Blindauer va plus loin : « Avec l'ANI, le pouvoir socialiste nous a laissés un peu à poil. Il va falloir que les salariés fassent preuve de créativité et d'inventivité. » Quitte à se faire entendre par-delà les frontières.
BOITE NOIRECet article a été édité le mercredi 24 septembre pour rendre compte du rachat du groupe américain TRW par son homologue allemand ZF Friedrichshafen AG. La transaction, annoncée à 13,5 milliars de dollars (10,4 milliards d'euros) va donner naissance à l'un des premiers équipementiers automobiles mondiaux.
Je me suis rendu à Dijon les jeudi 4 et vendredi 5 septembre pour rencontrer les anciens employés de TRW. Tenus par un accord de confidentialité avec l'entreprise, la plupart d'entre eux n'ont pas souhaité s'étendre sur la teneur du plan social. L'avocat de l'entreprise et la députée Kheira Bouziane ont été contactés par téléphone.
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De 14 heures à 16 heures, la rédaction de Mediapart a répondu en direct à vos questions: à lireci-dessous. Prochain rendez-vous à 18 heures autour de notre premier invité, François Maspero.
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Dimanche 28 septembre, 87 625 grands électeurs sont appelés aux urnes. En quelques heures, ils vont élire la moitié des sénateurs, toujours désignés au suffrage indirect. Lundi matin, 178 des sièges de la Haute Assemblée auront été renouvelés. Il n'y a pas de suspense : vu l'ampleur de la défaite du PS aux municipales, le Sénat devrait repasser à droite. D'ici 2017, l'opposition compte bien en faire une tribune anti-Hollande.
Parmi ces électeurs, 3 900 députés, sénateurs, conseillers régionaux et généraux des 63 départements et collectivités d'outre-mer, renouvelés cette année. Lorsqu'ils sont élus municipaux (ce qui est souvent le cas), ceux-ci détiennent d'ailleurs une sorte de double voix : ils doivent dans ce cas désigner un remplaçant, souvent un membre de leur famille, qui votera évidemment comme eux.
La liste des 87 625 grands électeurs appelés aux urnes dimanche, fournie à Mediapart par le ministère de l'intérieur (format .xls)
Le reste du corps électoral ? Les délégués des conseils municipaux. Dans leur écrasante majorité, ils sont élus. Mais ce n'est pas le cas dans les villes de plus de 30 000 habitants où des "délégués supplémentaires" sont désignés avant chaque scrutin. Ces délégués très particuliers sont nommés selon le bon vouloir de la majorité et de ses oppositions. En théorie, ils sont là pour équilibrer le mode de scrutin sénatorial, qui a toujours avantagé la représentation du monde rural au détriment des villes.
En août 2013, le gouvernement a même fait voter une loi pour augmenter leur nombre. Dans les grandes villes, il y a désormais un "délégué supplémentaire" par tranche de 800 habitants. Au total, ils sont plusieurs milliers – dans les données qu'il nous a fournies (lire aussi la boîte noire), le ministère de l'intérieur ne distingue pas les délégués de droit et les supplémentaires, d'où un calcul forcément au doigt mouillé !
Dans les plus grandes métropoles, cela fait beaucoup de monde. À Marseille, la deuxième ville de France, ils sont plus de 1 000 : c'est près d'un tiers du collège des grands électeurs du département des Bouches-du-Rhône. Ils sont 550 à Lyon (auxquels il faut rajouter ceux des autres grandes villes du Rhône), 520 à Toulouse, 390 à Nice, 300 à Montpellier, etc. Beaucoup plus que les délégués élus !
Certes, ce privilège de voter aux sénatoriales ne rapporte rien (les grands électeurs qui ne votent pas doivent d'ailleurs acquitter une amende de 100 euros). Mais dans les grandes villes, il est frappant de constater que ce droit est parfois accordé aux très proches : femme, époux ou enfant(s) des candidats, parents des colistiers aux municipales, collaborateurs politiques, responsables administratifs, cadres du parti, entrepreneurs locaux, etc. Ils sont si proches de l'élu, ou lui doivent tant, que leur vote est garanti. Voilà comment une partie de l'élection sénatoriale est légalement accaparée par les élus et leurs entourages. Ils ont d'autant plus de poids que dans les départements les plus peuplés, le scrutin est proportionnel à un seul tour…
Cette année, 93 villes ont désigné des "délégués supplémentaires", d'après les calculs de Mediapart. Nous nous sommes centrés sur les plus importantes. Et le cas le plus frappant est sans conteste Marseille. Comme Marsactu et Le Monde l'ont raconté, la liste des 1 000 délégués supplémentaires est un véritable défilé de proches, d'amis et de soutiens politiques. Samia Ghali, sénatrice PS sortante, a désigné une vingtaine de membres de sa famille, dont son mari, ses deux fils, ses deux assistantes parlementaires, et deux cousins épinglés par la chambre régionale des comptes pour des subventions douteuses versées par le Conseil régional lorsque Samia Ghali en était la vice-présidente. On trouve aussi deux proches de Samia Ghali, Daniel Bœuf un lobbyiste, membre du cabinet de conseil HBQ créé par le député PS Razzy Hammadi, et Béatrice Attali, femme du promoteur immobilier Hubert Attali (PDG de Sud Réa) qui a plusieurs programmes à Marseille.
Candidat à un quatrième mandat de sénateur, le maire Jean-Claude Gaudin a recruté une foule d'employés municipaux (le directeur de la communication de la ville, des secrétaires, des membres du service de presse, etc.) ; mais aussi des architectes proches de la mairie, l'homme d'affaires Xavier Giocanti, compagnon de la patronne du FMI Christine Lagarde, des membres de la famille Dumon actionnaires de Sodexo qui gère les cantines de la ville. Ou encore d'anciens responsables du puissant syndicat FO-Territoriaux avec qui Gaudin cogère la ville.
Auto-exclu du PS et candidat à sa réélection au Sénat sur les listes du parti radical de gauche, le président du conseil général Jean-Noël Guérini, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Marseille pour "détournement de fonds publics", fait voter sa fille et certains fidèles. Quant au maire Front national du 7e arrondissement Stéphane Ravier, qui pourrait devenir dimanche le premier sénateur FN, il a inscrit ses deux neveux et sa belle-sœur.
Dans le même département, Aix-en-Provence offre aussi un beau spécimen de cooptation des amis. La déjà sénatrice Sophie Joissains, fille de la maire Maryse Joissains-Masini, est à nouveau candidate aux sénatoriales, deuxième de la liste UMP du département derrière Jean-Claude Gaudin. Et tout est fait pour la faire gagner.
Une vingtaine de proches de conseillers municipaux UMP ont été désignés, de même que des anciens adjoints. Mais aussi le père de la sénatrice, qui est aussi son assistant parlementaire... et a été lui-même maire d'Aix, condamné pour abus de biens sociaux après avoir fait financer par la municipalité des travaux dans la maison de ses beaux-parents. Entre 2001 et 2008, il fut directeur de cabinet de Maryse Joissains, jusqu’à ce que la justice administrative s’émeuve de son salaire. Il a déposé un ultime recours et n’a toujours pas remboursé le trop-perçu (167 806 euros).
Les employés municipaux et leurs proches ne sont pas en reste : la directrice de cabinet du maire (Jacqueline Barbolosi) et son époux, la directrice de la communication, la directrice de cabinet de la communauté d’agglomération, des directeurs et cadres de la communauté d'agglo. Deux petites mains du cabinet du maire, leurs proches, mais aussi Omar Achouri, chauffeur de la maire promu par ses soins cadre A de la fonction territoriale Ainsi que son amie Sylvie Roche, ancienne chargée de la maltraitance animale à l'agglomération, dont l’embauche a valu à Maryse Joissains une mise en examen pour "pour prise illégale d'intérêts et détournement de fonds". La liste ne serait pas complète sans Maurice Farine, PDG de la confiserie du Roy René et président de l’agence de développement de l'agglomération. Le roi du calisson a inauguré en juin 2014 sa nouvelle unité de production à Puyricard, près d’Aix-en-Provence.
À Lyon (Rhône), les grands électeurs (la liste ici) ont été désignés lors d'une séance extraordinaire non ouverte au public, raconte Lyon Capitale. Le journal a décortiqué leur pedigree. Gérard Collomb, sénateur PS et maire de Lyon (un de ceux qui s'étaient le plus opposés à la loi contre le cumul des mandats), sera ainsi réélu dimanche par son épouse, des collaborateurs de son cabinet à la mairie et à la communauté urbaine (et parfois leurs conjoints), des responsables ou salariés du PS lyonnais (et leurs conjoints), ou des cadres de grandes entreprises (Compagnie nationale du Rhône, Eiffage) passés par les cabinets socialistes locaux. L'UMP n'est pas en reste.
À Nice (Alpes-Maritimes), la famille Estrosi a pillé son carnet d'adresses pour permettre l'élection au Sénat de Dominique Estrosi-Sassone, l'ex-épouse du député et maire UMP. Parmi les délégués supplémentaires (la liste est ici), on trouve la mère de la candidate et une des filles du couple. Mais aussi une foule d'employés de la ville et de la métropole (tenues toutes deux par Christian) : sa secrétaire, son directeur de cabinet Anthony Borré (marié à son adjointe, elle-même électrice), son chef de cabinet Pascal Condomitti et trois de ses proches (dont sa femme... ex-chef de cabinet d'Estrosi) ; le directeur général des services techniques, les chargés de communication, le conservateur du patrimoine, le chef du protocole, celui du service automobile, le président d'un centre sportif ou la directrice de la cinémathèque, etc. ; des salariés de Côte d'Azur Habitat (présidé par Dominique) ; le propriétaire de nombreux restaurants italiens de Nice et celui de la "Petite Maison", la cantine d'Estrosi ; de nombreux maris, épouses, fils et filles d'élus UMP locaux ; le président de l'OGC Nice ou encore l'entrepreneur qui s'est occupé des sites de campagne du maire. Au Cannet, le fief de Michèle Tabarot, ex-numéro deux de l'UMP, 15 des 29 délégués supplémentaires sont des employés municipaux.
À Montpellier (Hérault), les grands électeurs n’échappent pas à la règle de l’entre-soi et du vote familial. Parmi les délégués supplémentaires (voir ici), on retrouve d’anciennes figures politiques locales (la maire sortante Hélène Mandroux, l’ancien chef de cabinet de l'ancien maire Georges Frêche Jean-Pierre Foubert, le responsable des grands équipements de l’agglomération, l’ancien élu et militant associatif Brahim Abbou), ou leurs conjoints (la femme du premier adjoint, celle d'un élu régional, etc.). Les filières familiales sont également au rendez-vous : on dénombre trois Saurel (de la famille du nouveau maire de la ville), trois Tortorici (de la famille d’un adjoint au maire). Plusieurs patronymes identiques se retrouvent sur la liste, concernant des élus ou responsables socialistes, mais aussi de droite comme du Front de gauche.
Le choix des délégués spéciaux, qui se déroule ailleurs dans le calme puisque chaque camp désigne qui il veut, a été l’occasion de constater à quel point le PS local, battu aux municipales de mars par le “dissident” Philippe Saurel, est en ruines. Le président du groupe PS au conseil municipal, Jean-Pierre Moure, a en effet désigné lui-même les noms sur la liste. Or beaucoup sont des proches du sénateur Robert Navarro, ancien homme fort du PS exclu du parti pour avoir rallié l'ancien président du conseil régional Georges Frêche, mis en examen pour abus de confiance suite à une plainte de son propre parti dans l’affaire des frais de fonctionnement de la fédération PS de l'Hérault.
Resté proche de François Hollande, Navarro a lorgné (en vain) le siège du président de la région Languedoc-Roussillon, Christian Bourquin, décédé il y a un mois. Il rêve désormais de garder son siège au Sénat, même sans l’étiquette socialiste. « Cela fait trois semaines qu’il invite des grands électeurs à tous les matchs possibles, en profitant des invitations de la région », soupire un socialiste local. À Béziers, le maire Robert Ménard, soutenu par le FN, a nommé son épouse Emmanuelle. De même que nombre d'anciens colistiers, conjoints ou parents d'adjoint(e)s, ou des employés de la mairie.
À Toulon (Var), le maire Hubert Falco, sénateur depuis 1995, est à nouveau candidat aux sénatoriales. Et il met toutes les chances de son côté. On retrouve sur la liste (lire ici) de nombreux parents de ses adjoints. Mais aussi ses trois enfants Emmanuel, Estelle et Fabien, ainsi que leurs conjoints. Ou encore le président de l'association "Les amis du maire" Gilbert Picconi, son ancien directeur des services au conseil général (dont il a été président), le directeur du CCAS, le président du crédit municipal, le suppléant de la députée UMP de Toulon qui est aussi l'adjointe au maire de Falco, etc. À Frejus, le FN David Rachline a blindé la liste de plusieurs anciens colistiers.
Çà et là, on repère d'autres curiosités. À Montauban, la maire UMP Brigitte Barèges a nommé son compagnon (dont l'embauche dans la société d'économie mixte d'émargement avait fait polémique), la directrice d'une clinique privée, le président de l'office municipal des sports, ou Gérard Poujol, le plus gros promoteur immobilier de Montauban qui fait des affaires avec la ville.
À Bordeaux (Gironde, la liste ici), la femme du maire, Isabelle Juppé, figure sur les listes. Didier Cazabonne, adjoint d'Alain Juppé, va voter pour son frère jumeau Alain, maire de Talence, vice-président de la communauté urbaine chargé de la communication, qui lorgne un siège au Sénat. Et l'on retrouve de nombreux affidés politiques : en parcourant les tout premiers noms de la liste, on tombe sur une attachée du groupe de la majorité à Bordeaux, un responsable de la communauté urbaine, une chargée de mission au cabinet de Juppé, des responsables UMP locaux, l'assistante d'une adjointe au maire, etc.
À Toulouse (Haute-Garonne, ici la liste) ont été désignés des très proches du nouveau maire (et député) UMP Jean-Luc Moudenc : sa femme Blandine (qui est aussi sa cheffe de cabinet à l'agglo), son chef de cabinet à la mairie Michel-Paul Monredon, sa cheffe du secrétariat particulier, des conseillers, des proches d'adjoints. Toute la famille Micouleau (Jacques, Adrien, Édouard, Émilie) a été enrôlée. Pas étonnant : adjointe au maire de Toulouse et fidèle de Moudenc, Brigitte Micouleau espère bien être élue sénatrice dimanche soir.
BOITE NOIREObtenir le nom des "délégués supplémentaires" n'est pas chose aisée. Bien que l'information soit publique, il n'existe pas de liste nationale des 87.000 grands électeurs. « Nous n'avons pas de fichier global, cela n'a pas d'utilité pour nous », affirme le ministère de l'intérieur qui supervise les élections. Il faut donc s'adresser aux préfectures. Qui n'ont visiblement pas de consignes claires pour la publication de ces données. Souvent, la liste est accessible en quelques clics à partir de la page d'accueil. Mais dans d'autres cas, il faut ramer. Rien par exemple d'immédiatement visible sur le site de la préfecture du Rhône. Au téléphone, on nous assure même que la liste n'est pas publique. Avant, finalement, de nous envoyer le bon lien : « elle est disponible depuis le 18 juillet, mais le chemin pour la trouver est un peu compliqué », admet une chargée de communication. En Gironde, le listing n'est même pas en ligne. Pour l'obtenir, c'est uniquement par mail, et il faut être électeur ou candidat! Après avoir consulté le ministère de l'intérieur, la préfecture nous a finalement envoyé une liste. Mais elle n'est pas à jour, nous prévient le service de presse…
Une fois les informations obtenues, il n'est pas simple de les traiter. Ces listes sont disponibles au format "pdf", mais pas en "excel", plus pratique pour construire des bases de données. Aucune présentation n'est similaire: simples scans sans possibilité de cliquer ou de faire des copiés-collés (Alpes-Maritimes), longues listes presque illisibles (Hérault), ordre alphabétique aléatoire (tout le temps). Pour les décomptes, aucun chiffre (sauf dans le Var ou en Gironde): il faut faire les calculs à la main.
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Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Bordeaux après le dépôt d'une plainte contre la municipalité d'Arcachon (Gironde) s'agissant du meeting de l'association des « Amis de Nicolas Sarkozy », organisée en septembre 2013 dans cette ville UMP. « J'ai saisi la DIPJ (direction interrégionale de la police judiciaire) de Bordeaux pour cette enquête », confirme à Mediapart la procureure de Bordeaux, Marie-Madeleine Alliot.
Fin août, une opposante municipale, ex-UMP, avait déposé plainte contre la municipalité. L'élue estime que ce rassemblement des « Amis de Nicolas Sarkozy » « soulève de nombreuses questions pointées par Mediapart ». En janvier, nous avions révélé que cet événement avait été en partie pris en charge par la collectivité (lire notre enquête).
Les 1er et 2 septembre 2013, le président de l'association, Brice Hortefeux, avait choisi la ville de son ami Yves Foulon, député et maire UMP proche de Nicolas Sarkozy, pour organiser un rassemblement de quelque 2 000 personnes. Comme Mediapart l'avait raconté, cet événement avait été en partie pris en charge par la collectivité. La ville avait mis à disposition gratuitement un espace municipal avec vue sur le bassin d'Arcachon ; des employés municipaux avaient été mis à contribution pour la logistique du rassemblement.
Anny Bey, exclue de l'UMP en 2013 et candidate divers droite à la mairie d'Arcachon en mars, avait alors expliqué à Mediapart qu'elle « (se) réserv(ait) le droit, après les élections municipales, d'agir, en tant que citoyenne ». Le 26 août, elle a écrit au procureur de la République de Bordeaux pour déposer plainte contre la ville. Dans ce courrier, elle explique qu'« en pleine campagne électorale pour les municipales, la venue de cette association a mobilisé les services municipaux du vendredi au dimanche ». « Des questions se posent également sur les frais d’hôtels et de bouche des membres de l’association, de la prise en charge par les taxis de ces mêmes personnes », ajoute-t-elle.
Elle souligne également que, « contrairement aux propos tenus par le maire d’Arcachon, les tentes ne sont jamais mises à disposition gratuitement pour les mariages de même qu’aucun employé municipal. La gratuité de la salle du Tir au Vol est assurée uniquement deux fois par an pour les associations arcachonnaises ».
Par ailleurs, l'association des « Amis de Nicolas Sarkozy » n'avait pas respecté toutes les clauses de la convention. « De nombreuses infractions comme le manquement de souscription d’assurance obligatoire, la signature de la convention dont on ne sait qui l’a signée au nom de Brice Hortefeux sont autant de points obscurs. Une vente d’objets à l’effigie de Nicolas Sarkozy a été réalisée à l’encontre du règlement régissant l’utilisation du Tir au Vol », écrit l'élue dans son courrier au procureur, en lui demandant de « donner à cette affaire une suite légale ».
Ce n'est pas la première fois qu'un meeting des « Amis de Nicolas Sarkozy » suscite des interrogations sur son financement. En août 2012, pour le premier grand rassemblement de l’association, organisé à Nice, la ville de Christian Estrosi avait mis à disposition, pendant deux jours, le jardin public des Arènes de Cimiez et déployé la police municipale pour sécuriser la manifestation. Une élue socialiste et le responsable d'Anticor 06 avaient saisi le procureur de Nice pour des « faits susceptibles d’être qualifiés de prise illégale d’intérêts et de concussion ».
Un mois plus tôt, Christian Estrosi, le secrétaire général de l’association, avait promu l’organisation aux frais de l’Assemblée nationale. Comme l’avait révélé Mediapart, le député et maire de Nice avait profité du bureau de poste de l'Assemblée nationale pour adresser un courrier aux milliers d'électeurs de sa 5e circonscription des Alpes-Maritimes, en glissant, au passage, un bulletin de l’Association des amis de Nicolas Sarkozy. Une initiative que proscrit le règlement du Palais-Bourbon. Une plainte avait été déposée pour « détournement de biens publics » par un militant d'Europe Écologie-Les Verts (EELV) et membre de l'association anti-corruption Anticor. Le parquet de Nice avait ouvert une enquête préliminaire, mais classé l’affaire.
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Retrouvez ici le tchat avec la rédaction, qui s'est déroulé ce jeudi de 14 à 18 heures.
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Pour fêter notre cent millième abonné, Mediapart organisait jeudi soir un live exceptionnel, en vidéo streaming sur notre site. Retrouvez ci-dessous cette émission.
Présenté par Frédéric Bonnaud et Géraldine Delacroix
Un premier mot d'Edwy Plenel :
1- Mediapart, l'entreprise
Ses actionnaires, ses comptes, ses impôts, ses chiffres, son marketing, ses développements techniques
Avec : Marie-Hélène Smiejan
Estelle Coulon
Étienne Samson
François Bonnet
Avec, en mémoire, ces quelques phrases :
Isabelle Balkany : « Je souhaite du fond du cœur que Mediapart fasse faillite »
Alain Minc : « Si vous me dites que le modèle d’indépendance pour la presse, c’est Mediapart, alors je suis assez inquiet pour la démocratie française. Rassurez-vous et croyez-en mon expérience, Mediapart ça ne marchera jamais. La presse sur le Net ne peut être que gratuite »
Alain Finkielkraut : « Mediapart, le site d'information qui donne envie de changer de planète »
Nadine Morano : « Mediapart me fait gerber. Je ne veux pas donner une seule information qui puisse ramener de l'argent à ce journal de vomi et à ce Plenel dégueulasse »
Florian Philippot : « Mediapart fait de la mousse à partir de rien »
Transition : Marine Sentin explique la gestion du service abonnés
2- Mediapart, le journal sans frontières
Quelle couverture internationale à l'heure des guerres : terrorisme, Irak, Syrie, Ukraine ? Les engagements éditoriaux de l'équipe.
Avec : Amélie Poinssot
Pierre Puchot
Thomas Cantaloube
François Bonnet
Transition : Michel de Pracontal explique les choix de la rubrique Sciences
3- Mediapart, l'« officine » et le « journalisme de bûcher »
Les « affaires », nos enquêtes, leur impact, notre couverture politique.
Avec : Martine Orange
Antoine Perraud
Michel Deléan
Lenaïg Bredoux
Avec, en mémoire, ces quelques phrases :
Bruno Roger-Petit : « Mediapart a peut-être inventé le journalisme de bûcher »
Hubert Védrine : « La transparence est une maladie entretenue par les vautours comme Mediapart »
Jean-François Copé : « Ce sont des méthodes, excusez-moi, des années 30 »
Dominique Paillé : Mediapart est une « honte pour le journalisme ». Edwy Plenel « a sur les mains quelque chose qui n'est pas du sang mais s'y apparente »
Xavier Bertrand : « Mediapart, c’est le site qui utilise des méthodes fascistes »
Transition : Renaud Creus, ce qui se dit sur les réseaux sociaux
4- Mediapart, « Ce qui n’existe pas »...
... ou pas encore, ou pas assez, ou ce qui se développe : social, multimédias, vidéos et photoreportages
Avec : Yolande Laloum Davidas
Christophe Gueugneau
Edwy Plenel
Avec en mémoire ces phrases :
Ziad Takieddine : « Vous êtes une des saletés les plus performantes dans la saleté »
Brice Hortefeux : « Je voudrais ce soir encourager les téléspectateurs à lire Mediapart. Ils y découvriront ce qui n’existe pas »
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Le grand, très grand, écrivain, éditeur et libraire François Maspero était l'invité de Joseph Confavreux.
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Trois thématiques pour cette émission : la machine Sarkozy est de retour, avec Fabrice Arfi et Ellen Salvi ; Cambadélis-Le Guen-Valls et la présidence Hollande, avec Laurent Mauduit ; Quelle transparence de la vie politique ? Avec Mathilde Mathieu.
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« Sur la Libye, les juges savent que les documents sont faux », a déclaré, péremptoire, Nicolas Sarkozy la semaine dernière dans Le Journal du Dimanche à propos du document officiel libyen, publié par Mediapart, sur le financement de sa campagne présidentielle de 2007. Cela semble clair et net. L’ancien président fait croire qu’il a l’information. Et pourtant, c’est tout le contraire. Les juges, partis sur la trace du document à la suite de la plainte pour « faux » déposée par Nicolas Sarkozy, ont justement accumulé ces derniers mois de nombreux éléments qui confortent son authenticité.
Saisie de l’enquête, la gendarmerie a rendu, le 7 juillet dernier, un rapport de synthèse des auditions de membres des corps diplomatique et militaire auxquelles ils ont procédé. « De l’avis unanime des personnes consultées, le document publié par Mediapart présente toutes les caractéristiques de forme des pièces produites par le gouvernement libyen de l’époque, au vu de la typologie, de la datation et du style employé. De plus, le fonctionnement institutionnel libyen que suggère le document n’est pas manifestement irréaliste », peut-on lire dans le rapport signé par un capitaine de la section de recherches de Paris.
Entendu le 29 juillet, Bernard Squarcini, ex-directeur de la DCRI, qui avait déclaré au Nouvel Observateur qu’il s’agissait d’un « faux grossier », a finalement indiqué aux juges que c’était une « hypothèse » de sa part. « Je ne lis pas l’arabe et ne peux donc faire aucun commentaire ni sur le fond ni sur la forme, si ce n’est que les couleurs me rappellent vaguement les documents libyens que j’ai pu voir », a dit Squarcini. Ce proche de l’ancien président a en outre précisé qu’aucune enquête ou vérification n’avait été entreprise par son service, contrairement à ce que plusieurs médias avaient rapporté. « Il n’y a pas eu de rapport sur ce document établi par la DCRI, d’une part car il était hors de la compétence du service, et surtout parce que nous n’avions pas les compétences techniques, notamment linguistiques, pour analyser ce document. »
Autre avancée dans l’enquête, les juges se sont rendus, le 5 août, au Qatar, pour y entendre l’ancien ministre Moussa Koussa, également ex-directeur des services secrets extérieurs, dont la signature figure sur le document publié par Mediapart. Tout en contestant l’avoir signé, il a choisi de donner du crédit au document. « Le contenu n’est pas faux, mais la signature est fausse », déclare-t-il. « Ce n’est pas moi qui ai signé. »
« Qu’est-ce qui n’est pas faux dans ce document ? » lui demandent alors les juges. « Son origine, son contenu, c’est ça, répond-il. Le contenu de ce document, c’est ça qui est dangereux. C’est à vous de savoir si c’est un faux ou un vrai. Je ne vous ai pas dit que c’était faux ou pas. Il y a ce qui est mentionné dans ce document et quelqu’un qui a mis une fausse signature en dessous, à vous d’enquêter. »
Le document faisait « référence aux instructions émises par le bureau de liaison du comité populaire général », et à « l’accord de principe (…) d’appuyer la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles, Monsieur Nicolas Sarkozy, pour un montant de cinquante millions d’euros ».
Or, lors de son audition par les juges, Moussa Koussa attribue la paternité du document au secrétaire général du comité populaire général, alors premier ministre, Baghdadi Ali al-Mahmoudi. « Mahmoudi a fait le document, qui est parti après la révolution (le premier ministre s'était réfugié en Tunisie -ndlr), déclare Koussa. Vous me demandez de quels éléments je dispose pour le mettre en cause, c’est parce qu’on vivait ensemble, je veux dire par là que je le connaissais très bien. Vous me demandez si je dispose d’éléments pour le mettre en cause : oui, j’en ai, mais ne m’introduisez pas dans cette histoire. »
Si l’on suit M. Koussa, ce document a donc bien été établi au moment des faits, par les plus hautes autorités de l’État libyen. Actuellement détenu en Libye, Baghdadi Ali al-Mahmoudi a lui même déclaré à la justice tunisienne avoir coordonné le paiement d’une partie des fonds destinés à Nicolas Sarkozy. La note annonçant un feu vert, « l’accord de principe », pour le paiement était adressée au président d’un des fonds souverains libyens, le Libyan African Portfolio (LAP) – alors Bachir Saleh, directeur de cabinet de Kadhafi –, réputé pour avoir été l’un des leviers de corruption internationale de l’ancien régime.
Moussa Koussa a par ailleurs déclaré avoir « découvert ce document aujourd’hui », avec les juges, alors que les médias français ont plusieurs fois fait état de son démenti. Il a aussi été prié d’authentifier sa signature, apparaissant sur sa demande de carte de séjour obtenue en juin 2008, puis sur un formulaire de renouvellement en avril 2011, mais il a déclaré qu’il ne s’agissait pas non plus de sa signature.
L’enquête de la gendarmerie s’est par ailleurs penchée sur les caractéristiques techniques du document lui-même. Entendu le 25 mars, l’ancien officier Patrick Haimzadeh, qui fut deuxième conseiller de l’ambassade de France à Tripoli (2001-2004) chargé des questions militaires, a offert aux gendarmes le témoignage le plus circonstancié dans cette affaire, validant ligne par ligne la cohérence du document. « La couleur verte est typiquement celle de la Jamarahirya libyenne ainsi que le logo et la typographie utilisée pour le corps du texte. Il s’agit de “coufique” (style de calligraphie arabe) en ce qui concerne le destinataire ainsi que le titre du signataire », a-t-il d’abord expliqué.
« La première date est celle du calendrier grégorien avec un symbole “f” correspondant au sigle en vigueur en Libye depuis 2000 pour désigner le calendrier chrétien. La deuxième correspond au calendrier libyen en vigueur depuis 2000, c’est un calendrier solaire comprenant le même nombre de jours que le calendrier grégorien. Les numéros des mois et des jours sont donc les mêmes, seul change le numéro de l’année puisque ce calendrier débute à la mort du prophète Mohamed d’où les deux lettres figurant après la date 1374, qui sont les abréviations “d’après la mort du prophète”. Je confirme que les dates sont cohérentes de par leur correspondance et l’évocation des deux calendriers. Tous les documents de ce type ne possèdent que ces deux dates (…). Les documents à usage interne libyens étaient systématiquement revêtus de ces deux dates. Vient ensuite le numéro d’enregistrement qui me semble cohérent. Je précise que dans le bas à droite de la feuille figurent des symboles et initiales désignant probablement des destinataires internes au service », a poursuivi Patrick Haimzadeh, par ailleurs auteur d’un livre de référence sur l’ancien régime libyen, Au cœur de la Libye de Kadhafi.
Sur le fond, l’ancien militaire ne se dit pas choqué : « Selon la pratique de Kadhafi, que j’ai décrite d’ailleurs dans mon ouvrage, il était d’usage d’apporter un certain nombre de soutiens financiers à d’autres pays, entités, président ou groupes d’opposition, notamment africain. L’objectif stratégique de K. était le rapprochement avec l’Europe et en particulier la France. Je ne suis donc pas surpris en ce qui concerne la partie libyenne, mais ne peux me prononcer sur la réception d’un tel soutien de la part de la partie française. »
L’ancien commissaire divisionnaire Jean-Guy Pérès, qui fut attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de Tripoli (2005-2008), ne voit, lui non plus, rien de surprenant dans le document. « C’est tout à fait ressemblant aux documents officiels employés par la Libye en ce qui concerne le texte et la typographie (…). Les formulations sont très ressemblantes à ce que je recevais. Même sur un sujet aussi sensible, le fait que ce document existe ne m’étonne pas ; les Libyens étant très formalistes et bureaucratiques. Ils mettent tout par écrit », a-t-il fait savoir aux gendarmes sur procès-verbal, le 30 juin.
Première conseillère d’ambassade à Tripoli entre 2005 et 2008, la diplomate Véronique Vouland-Aneini est allée dans le même sens lors de son audition, le 21 mars : « L’arabe me semble d’un très bon niveau technique et correspond à un document administratif de cette nature. Les documents officiels libyens comportaient effectivement plusieurs dates (…). Dans son aspect général, cela pourrait correspondre à un document libyen. »
Enfin, le lieutenant-colonel de l’armée de l’air Bruno Vrignaud, ancien attaché de défense à Tripoli (2004-2007), aujourd’hui impliqué dans le monde du renseignement militaire, a confié aux enquêteurs le 27 juin dernier : « Le texte, la typographie et les formulations sont très ressemblantes. » Se disant seulement surpris de l’absence de lieu concernant une réunion de négociation évoquée dans le même document, le lieutenant-colonel a même conclu : « L’existence d’un écrit et d’un relevé de conclusions d’une réunion, même dans ces circonstances, ne me surprend pas. »
L’ancien ambassadeur de France en Libye entre 2008 et 2011, François Gouyette, avait déjà affirmé en janvier dans le cadre de l’enquête judiciaire « qu’il pouvait s’agir d’un document authentique ». Surtout, le diplomate avait confié aux juges René Cros et Emmanuelle Legrand, chargés d’instruire la plainte de l’ancien président contre Mediapart, avoir recueilli deux témoignages d’officiels libyens au sujet des financements occultes de Nicolas Sarkozy. Il citait notamment le diplomate et ancien traducteur de Mouammar Kadhafi, Moftah Missouri, qui avait pour sa part authentifié face caméra le document, pour l’émission Complément d’enquête sur France 2.
BOITE NOIREMediapart est à l’origine des révélations sur les soupçons d’un financement occulte libyen sous le règne de Mouammar Kadhafi à l’occasion de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, lesquels soupçons sont aujourd’hui au centre des investigations judiciaires visant le premier cercle de l’ancien président de la République (lire notre dossier).
Après plusieurs mois d’une enquête commencée à l’été 2011 et ayant donné lieu à de nombreux articles sur les relations entre les proches entourages de Nicolas Sarkozy et de Mouammar Kadhafi, Mediapart a ainsi publié, le 28 avril 2012, un document officiel libyen évoquant ce soutien financier du régime de Tripoli au candidat Sarkozy au moment de l’élection présidentielle de 2007.
L’ancien chef de l’État français, qui n’a pas poursuivi une seule fois Mediapart en diffamation, a contourné le droit de la presse en nous attaquant pour « faux et usage de faux » au printemps 2012, tandis que nous ripostions en l’accusant de « dénonciation calomnieuse » (lire ici). L’enquête préliminaire menée par la police judiciaire ne lui ayant évidemment pas donné raison, Nicolas Sarkozy a déposé plainte avec constitution de partie civile à l’été 2013, procédure qui donne automatiquement lieu à l’ouverture d’une information judiciaire pour « faux et usage de faux ».
Mediapart, à travers son directeur de la publication Edwy Plenel et les deux auteurs de cette enquête, Fabrice Arfi et Karl Laske, a été placé fin 2013 sous le statut de témoin assisté dans ce dossier. Nous n’avons pas manqué de contester une procédure attentatoire au droit de la presse et de faire valoir le sérieux, la consistance et la bonne foi de notre enquête (lire ici et là).
De fait, nos révélations sont au cœur de l’information judiciaire ouverte un an plus tard, en avril 2013, pour « corruption » sur le fond des faits de cette affaire franco-libyenne qui inquiète grandement Nicolas Sarkozy et ses proches. L'instruction a été confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman.
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Robert Ménard assure-t-il la promotion du livre d'Éric Zemmour aux frais du contribuable ? La question mérite d'être posée à Béziers. Le maire, élu en mars avec le soutien du Front national, lance dans sa ville un cycle de conférences intitulé « Béziers libère la parole ! ». Objectif affiché : lutter contre « la censure et la pensée dominante » en invitant ceux dont la parole « dérange ce système ».
Le premier invité est le chroniqueur de RTL et du Figaro Magazine Éric Zemmour, condamné en 2011 pour provocation à la haine raciale. Il interviendra le 16 octobre pour une conférence au palais des congrès de Béziers, « pour son livre Le suicide français (Le Suicide français – Les 40 années qui ont défait la France, Albin Michel, ndlr) ». Sa promo a déjà commencé avec la une du Figaro Magazine, où il explique « comment on en est arrivé là », et un portrait qui lui est consacré dans Le Figaro.
Les habitants de Béziers ont, eux, découvert jeudi une campagne d'affichage dans la ville, où figurent le livre et le portrait du polémiste. « Entrée gratuite, livres sur place », précisent les affiches.
Les impôts des Biterrois ont-ils servi à financer cette campagne d'affichage ? Le palais des congrès est-il ouvert gratuitement à Eric Zemmour ? « Il s'agit d'une conférence organisée par la ville. Il n'y a donc pas de mise à disposition gratuite. M. Zemmour est invité, de même que, la semaine dernière, le Conseil général a invité des auteurs pour des conférences dans le cadre d'une fête du livre », répond à Mediapart la responsable communication de la mairie, Marie-Laure Corbière, en précisant que le coût des affiches s'élève à « 730 euros hors taxe ».
À Rue89, André-Yves Beck, le directeur de cabinet du maire, répond lui par l'affirmative à ces questions. « On va inaugurer un cycle de conférences avec des gens qui sortent des livres, le premier invité de la ville est Éric Zemmour. Le suivant sera Philippe de Villiers. Pour la suite, rien n’est fixé », explique-t-il également, en précisant que ce sont les services culturels de la mairie qui ont choisi les invités. « Il est bien évident que Robert Ménard s’intéresse de très près à tout ce qui est culturel », ajoute-t-il.
Ce cycle de conférences a été annoncé par Robert Ménard lors du conseil municipal du 18 septembre : « On croit trop souvent en France que les atteintes à la liberté de penser n’existent que dans des pays lointains aussi dictatoriaux que tropicaux. On a tort. Bien sûr, nul en France n’est envoyé en prison, torturé ou abattu pour ses écrits. La censure y est plus subtile. (...) Nous inviterons tous ceux qui ont quelque chose à dire qui dérange ce système. Ces paroles rendues publiques pourront être contradictoires les unes aux autres mais elles auront un point commun : penser la France, penser le monde, penser la culture différemment de ce qui est en place et qui a échoué depuis si longtemps. Patriote ou anarchiste, peu importe, pourvu que le robinet d’eau gluante de trente années de pensée unique sur les questions d’identité, d’économie, de culture ou de social, soit définitivement fermé. Parole libre donc, pourvu qu’il s’agisse d’une parole féconde. »
Cette annonce a notamment été relayée par l'hebdomadaire d'extrême droite Minute, le 24 septembre :
Ce cycle de conférences n'est pas sans rappeler la revue Médias, lorsque celle-ci avait été prise en mains par Robert Ménard et sa femme Emmanuelle Duverger (lire notre enquête). Le magazine avait alors ouvert ses colonnes à Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, Alain Soral, Renaud Camus, le théoricien du « grand remplacement », Pierre Cassen, le fondateur de Riposte laïque qui « déteste l’islam », etc.
BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé le 26 septembre à 16h20 puis 16h40 avec les réponses de la responsable communication de la mairie.
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