Quatre nuits ont passé. C’était voilà un siècle, à l’aune de l’instantanéité sautillante, haletante, impatiente, terrifiante des chaînes siamoises d’information en continu : BFM et i>Télé. Elles se repaissent de personnalisation à outrance, s’intoxiquent aux sondages et gobent toutes sortes de pseudo-avis prétendument autorisés d’experts autoproclamés. Elles attrapent un événement à la volée pour ne plus le lâcher, le temps qu’il faudra, tel un duo de chats torturant l’oiseau tombé entre leurs griffes. Puis elles passent à la proie suivante…
Jeudi 18 septembre, la paire de tévés avait François Hollande dans les pattes. Mais le cœur n’y était pas. Elles pensaient au client à venir, un client du tonnerre, sans mesure, nerveux jusqu’à la frénésie : emballement garanti ; il n’y a qu’à suivre son rythme pour imprimer la cadence ; ça, c’est du spectacle ! En attendant, il faut hélas ! traiter de l’actuel président de la République. Ça commence à bien faire. L’ennui s’avère palpable : « C’était la moins bonne de ses quatre conférences de presse et elle n’aura pas fait grand-chose pour sa popularité. » Féline et carnassière, Ruth Elkrief résume : « On reste un peu sur sa faim. »
François Hollande, sous les ors du palais, vient d’avoir l’outrecuidance de balayer l’hypothèse échafaudée sans relâche, le scénario feuilletonnisé à l’excès : ce triennat que décréteraient volontiers BFM et i>Télé, tant le quinquennat semble long. Leur coup d’État audiovisuel permanent ne va pas s'interrompre sur un claquement de doigt élyséen. En schématisant à leur façon l'exhortation présidentielle – « maintenant on va devant, on arrête, c’est fini » –, les deux chaînes ricanent dans leur coin. Comme ces cancres sachant que le chahut ne s’arrêtera pas de sitôt, en dépit de l’admonestation professorale.
BFM diffuse, sans y prêter plus d’attention que cela, l'avis du quatrième personnage de l’État, Claude Bartolone, sur la prestation du premier personnage de l’État : « Offensif et protecteur. » Un commentateur enfile comme des perles les anaphores, cette « marque de fabrique du président Hollande », en tâchant de faire un sort à son itératif « pas facile de... ». Chacun tâche de forcer les socialistes à dire ce qu’ils n’ont pas envie de dire. Question : « N’est-ce pas un constat d’échec ? » « Non », répond le ministre Stéphane Le Foll, qui tente un dégagement sur « l’engagement et la responsabilité », que personne n’écoute.
L’UMP Bernard Debré, 69 ans, a préparé son estocade. Un micro se tend. Le député feint d’improviser une sentence de mort politique : « François Hollande est en train de se dire qu’il n’a que les journalistes à qui parler, alors il vous parle. » Le FN Florian Philippot, 32 ans, prend soin de reprendre la main sémantique (« nous ne sommes pas d’extrême droite mais patriotes »), avant de confirmer le “la” ambiant : « Nous avons perdu une ou deux heures. C’était un concours de vide. » Ruth Elkrief semble raccord : « C’est un creux ! » Silence interloqué.
Suite du propos de Mme Elkrief, dans la foulée de la pause de sa phrase : « C’est un creux dans ce quinquennat. » Son confrère de plateau, Thierry Arnaud, saisit le mot « creux » au passage. Il transforme le substantif en adjectif et glisse à l’animatrice : « Creux, c’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon vient de qualifier la conférence de presse de François Hollande… » Ruth Elkrief repousse alors une telle comparaison, de toutes ses forces révulsées : « Non ! Non ! »
Thierry Arnaud fait mine de trouver à ce président du « courage dans des circonstances difficiles ». Il a maintenu cette conférence de presse inutile et sans intérêt, sur laquelle il faut bien gloser à regret : « S’il ne l’avait pas tenue, on aurait dit, c’est Valls qui a les manettes. » « On » ? Qui aurait dit pareille chose ? Nos chaînes pythiques, pardi ! Celles qui serinent ce jeudi soir : « On sait très bien que la France sera dégradée. »
Depuis des semaines, elles rabâchent que le premier ministre mange la laine sur le dos du président. Celui-ci vient de remettre à sa place, subalterne, l’homme qu’il a nommé à Matignon. Mais i>Télé trouve aussitôt la parade : l’image qui dément sous nos yeux le propos de M. Hollande. L'image qui confirme les supputations quant aux ambitions démesurées d’un Manuel Valls putschiste jusqu’au bout des ongles. N’est-il pas en train de s’attarder sur le perron du palais, entouré d’une poignée de journalistes ? Enfin un événement à se mettre sous la dent : M. Valls a bel et bien entrepris de « tenir une conférence de presse off », comme le confirme Jean-Jérôme Bertolus, le planton de service d’i>Télé à l’Élysée.
Déjà Audrey Pulvar passe à l’autre mâchoire de la tenaille dans laquelle serait pris le président : son prédécesseur. 2017, c’est maintenant. Et Mme Pulvar d’évoquer « l’éventuel retour ». Sur BFM, Ruth Elkrief enfonce le clou : « Nicolas Sarkozy, qui va revenir, dès demain sans doute. » Et BFM conclut en redessinant la temporalité : « François Hollande a déclaré faire son devoir en servant l’avenir plus que le présent. L’avenir peut-être très proche, c’est la déclaration de Nicolas Sarkozy : la presse régionale, les réseaux sociaux, un 20 heures ? On verra. »
Le lendemain, vendredi 19 septembre, c’est tout vu. Une vision de guerre civile. Notez, dans la vidéo ci-dessous, à 0’20, le « pas aussi européiste et islamophile que Juppé » ; ou, à 3’40, « les gens ne se supportent plus parce qu’on a deux cultures qui s’affrontent et qui ne peuvent pas vivre sur le même sol » ; ou encore, à 4’15, la fascination à la fois sépulcrale et gourmande pour les règlements de comptes à coups de fusils… Face à Nicolas Domenach, Éric Zemmour se plaint du dispositif qui l’empêcherait d’affiner ses « analyses », alors que la chaîne sur laquelle il se déchaîne s’avère le réceptacle idéal pour son caquet haineux et simpliste – des formules à l’emporte-pièce fondées sur des réminiscences d’une vague première année de Sciences-Po, à faire se retourner dans leur tombe les professeurs Girardet et Rémond ! Voici comment une rhétorique et des obsessions détestables s'acclimatent puis se propagent, en notre étrange pays...
Le résultat est là : Nicolas Sarkozy peut resurgir dans un paysage politique que les chaînes siamoises d’information en continu contribuent à faire glisser le plus à droite possible. Un paysage où Juppé incarne la gauche, Sarkozy le centre et Le Pen une droite bonasse pleine de bon sens près de chez vous. Un paysage où, comme sur BFM, le dialogue politique entre “experts” réunit le directeur de la rédaction du Figaro Magazine, Guillaume Roquette, et un journaliste de L’Opinion, Ludovic Vigogne. Comme si une tornade audiovisuelle avait préparé le terrain, pour que Nicolas Sarkozy revînt sur des positions relativement modérées, tempérées ; tel un messie du juste milieu…
L’échange entre le journaliste convulsionnaire du Figaro et son confrère plus placide de Marianne a été enregistré en un lieu confiné avant diffusion. Cependant le retour de Nicolas Sarkozy prétend répondre aux lois du direct hors studio. Les communicants de l’ancien président osent se mesurer à la grammaire de ce que l’anthropologue Daniel Dayan a défini, avec Elihu Katz, comme La Télévision cérémonielle (PUF, 1996). Ces moments mythiques du petit écran, où tout est bouleversé par un événement monstre, qui chamboule les programmes et monopolise l’attention planétaire : en 1965, les funérailles de Churchill ; en 1977, la visite de Sadate à Jérusalem ; en 1997, la mort de Diana et Jean-Paul II aux journées mondiales de la jeunesse à Paris ; tous les quatre ans, l’ouverture des Jeux olympiques. Il peut certes y avoir des adaptations au simple niveau national : un discours du président Eyadema à Lomé (Togo), une conférence de presse de François Hollande à Paris (France). Même déprécié, l'événement doit cependant donner l'impression d'en avoir pour son regard.
Alors quid du retour de M. Sarkozy ? Qui va prendre pour argent comptant cette farce : la fin de sa traversée d'un désert aux allures de minuscule bac à sable ? Comment peut-on croire à une soudaine renaissance, alors que la parturition s'accomplit depuis le soir de la défaite du compétiteur, voilà vingt-huit mois ? Un tel non-événement, éventé mais gonflé, va-t-il franchir la barre cathodique ? Suffit-il de promouvoir à l'extrême pour que le suspens instauré, aussi faux que furieux, arrache des alléluias aux tréfonds de la nation ? Le désir est grand mais la force est petite. Fiasco dans l'air...
L'épisode, grotesque, s'est mis à ressembler, trait pour trait, à une publicité américaine d'il y a 30 ans. Des dames chics et âgées (on les croirait issues de Neuilly !) s'apprêtent à goûter un hamburger prometteur. Cependant, il n'y a qu'un tout petit bout de viande à l'intérieur. Alors les dupées s'exclament : « Où est le bœuf ? » ("Where is The Beef?"). Voilà très exactement l'effet produit par Nicolas Sarkozy le 19 septembre : un regain colossal annoncé qui se transforme en ricochet avorté.
Tout a commencé par une lecture de texte. Dans les églises, les temples, les synagogues, ou les mosquées, un tel rituel en impose. Au cinéma, le dispositif impressionne, à condition d’être pensé, comme lorsqu’à la fin de Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann, de sa voix jupitérienne, égrène solennellement la liste des convois de déportés parvenus au camp d’extermination nazi, qu’un carton déroulant fait défiler sous nos yeux. L'effet produit s'avère alors grandiose : la vidéosphère, la graphosphère et la logosphère nous étreignent de concert.
Patatras ! Une catastrophe dans l'ordre de la représentation est au rendez-vous, avec la page Facebook de Nicolas Sarkozy. La déclaration de “revenez-y” sarkozyen se retrouve ânonnée par un homme et une femme pris au dépourvu, en direct sur BFM. Le ratage submerge. On ne pouvait rien rêver de pire !...
L'entier vendredi soir se révèle à l’avenant. Il n’y a rien à voir, en dépit de “l’édition spéciale” qui occupe chacune des chaînes jumelles. Alors les journalistes meublent comme ils peuvent : « Bruno Le Maire oppose son jeune corps calme au corps nerveux et plus vieux de Nicolas Sarkozy. » Tout cela semble soudain physique. Et même sexuel, s'il faut en croire Laurent Wauquiez, saisi par un étrange démon : « Ça donne envie parce que lui en a envie ! » Les commentaires parlent de « garde rapprochée ». Nous n'avions rien connu d'aussi torride depuis les “amazones” du colonel Kadhafi.
Le fond d'écran se voit occupé, plus que de raison, par un cliché torchonné du président de la République honoraire à l’arrière de sa voiture. Il a été pris au sortir de ses bureaux parisiens, mais rappelle une arrivée honteuse au tribunal de Bordeaux. BFM et i>Télé devraient chacune engager des sémiologues !
L'image fixe cède par intermittence la priorité à un petit film n'ayant rien à envier aux interludes de la télévision de papa. Une voiture automobile noire est en train de regagner le XVIe arrondissement de la capitale, où nichent M. et Mme Sarkozy. Les plans n’ont aucun intérêt. On finit par regarder ce chewing-gum pour les yeux. La berline qui chemine dans des artères huppées s'avère une Citroën C6 (57 350 € TTC avec options selon largus.fr). On découvre même son immatriculation assez grand genre, dans la mesure où on croirait un numéro de compte en banque : CF862KL75. « Il va faire du social. Il donne un signal clair puisqu’il va dans le Nord », édicte Ruth Elkrief, à propos du premier meeting « à la rencontre des militants de l’UMP », annoncé par le candidat repeint à neuf.
M. Sarkozy est candidat, mais à quoi ? À un repos bien mérité, s’il faut en croire Damien Fleurot (BFM) et Julien Arnaud (i>Télé), chacun posté dans une allée privée verdoyante (villa Montmorency). Le pied de grue journalistique y atteint des sommets, à mesure que l’heure tourne : « A priori Nicolas Sarkozy ne devrait pas sortir de son domicile, où il passera la soirée en famille », répètent sans mollir nos hallebardiers des temps modernes. Le studio revient avec constance vers ces deux-là, qui n’ont donc rien à déclarer. Il s'agit sans doute de rentabiliser l’envoi de telles sentinelles, en faction inutile, aux marches occidentales de la capitale…
Michaël Darmon se lance, histoire de donner du sens à cette folle journée – Nicolas Sarkozy, arrivé ce matin à pied à ses bureaux, annonçait par ce geste inédit un événement prodigieux : « Séduction permanente… Texte vrillé par une idée : “C’est mon devoir.”… c’est sa vie, tout simplement… même son épouse… nouvelle martingale… à la tête du pays. » Le téléspectateur se réveille en sursaut : à la tête du pays ? Sur i>Télé, un jeune présentateur, à la barbe soigneusement sauvage et au regard d’un bleu insoutenable, se prend à évoquer, dans le feu du direct, ce qu’a « publié sur Facebook le chef de l’État. Euh… l’ancien chef de l’État ».
Oui ou non, « ne s’agit-il que de succéder à M. Copé à l'UMP » (David Assouline sur BFM) ? Certes, pour le moment, c’est la priorité, selon le directeur de campagne du revenant, Frédéric Péchenard, un ancien policier reconverti. « Péche », dont Jean-Michel Décugis, « spécialiste Police-Justice i>Télé », nous dresse un panégyrique dont tout recul critique semble avoir été nettoyé au karcher. M. Péchenard se répand sur les ondes, avec sa mine si rassurante de passe-muraille de la plaine Monceau :
Déjà s’annonce « le premier sondage sur ce retour à la vie politique ». La formule est vague, il n'est plus question de magistrature suprême. « À tout de suite » : tiens voilà de la pub. Il y est question d'une compétition acharnée : « Les cheeps contre les cacahuètes. » La comprenette s'encrasse, face à un tel déferlement. Tiens voilà Jean-Jacques Bourdin. Mais c'est une archive. Quinze jours avant le scrutin présidentiel de mai 2012. Nicolas Sarkozy chante l'air du “jamais plus jamais”. Tout va décidément très vite. Les chaînes d'information en continu se poseraient-elles en mémoire de ce monde amnésique, en boussole de ce pays déboussolé ?
Sur i>Télé : « ...se remettre à l'abri du chef... pour l'instant pas un mot de politique. » Sur BFM, Guillaume Larrivé, un député UMP de 37 ans très propre sur lui, un peu tête à claques mais sans doute futé, puisqu'il est là. Pour nous dire ceci : « Il a un devoir, il a un devoir. Il est dans la volonté, dans l'imagination de la construction... volonté de brancher la France sur le monde. » On regarde une seconde Arte, afin de reprendre son souffle : voici une analyse structurée sur le non à l'indépendance en Écosse. Retour à Ruth Elkrief sur BFM : « Et c'est l'autre grand titre aujourd'hui, les frappes françaises en Irak. » Claude Askolovitch sur i>Télé : « Imposer une évidence, c'est imposer une histoire, tout tourne autour de lui. Nous ne parlons plus des frappes en Irak. » Il est très fort, Askolovitch : il instille une distanciation “fonctionnelle”, c'est-à-dire qui légitimise ce contre quoi elle prétend s'exercer. Son discours, c'est : permettez-moi de jouer un instant le Daniel Schneidermann de la chaîne en décryptant les panneaux dans lesquels nous tombons, ce qui nous permet, sitôt fait, de continuer sur notre lancée ! Quel tournis conceptuel, sous couvert d'apparente crétinisation des masses !...
Le pompon s'annonce. Christophe Hondelatte donne la parole à Éric Brunet, un homme qui, lorsqu'il regarde très loin sur sa gauche, aperçoit Nicolas Sarkozy. M. Brunet brosse un tableau senti de la situation : « L'ancien président a choisi des gens, comme on dit au rugby, des gens un peu méchants devant. » Le tout est ponctué d'enregistrements de réactions venues de toutes parts. Jean-Christophe Cambadélis, par exemple, tonne : « Faire oublier son passé et son passif. Il n'échappera pas à son bilan, ce sera son boulet. » Il parle, à l'évidence, du prédécesseur de François Hollande. Soudain, Christophe Hondelatte en vient à « nos Rafales » – il doit payer ses impôts pour déranger ainsi le déterminant possessif. Claude Askolovitch mobilise, pour sa part, on ne sait quelle « mystique politique ». Puis il conclut, harassé : « La réalité, on la connaîtra dans 48 heures. »
Dix-sept heures plus tard, samedi 20 septembre à 13 heures, l'esprit un peu plus vif, on s'enchaîne à nouveau. La confusion et la surchauffe menacent encore et toujours dans le poste. Le retour de Nicolas Sarkozy débouche irrémédiablement sur les journées du patrimoine en général et sur la visite de l'Élysée en particulier. Un journaliste a désormais son casting en tête. Il distribue les postes : « Bertrand, Le Maire et NKM jouent Matignon en 2017 plutôt que l'Élysée. »
Pouce ! i>Télé passe au foot : « Bordeaux-Évian, c'est un choc de culture et c'est Bordeaux qui a gagné » (dixit Pascal Praud). BFM continue de creuser seule l'inépuisable sillon : « C'est l'histoire d'un faux départ, d'une fausse absence et d'un vrai retour. » Yves de Kerdrel, de Valeurs actuelles, met beaucoup d'empathie pédagogique à expliquer « la stratégie de la carte postale » et l'impérieuse nécessité du « recours ». Il est tout à coup question des affaires. Inserts de tous les journaux possibles et imaginables sur l'écran, sauf Mediapart et Le Canard enchaîné. « On essaie en vain de l'abîmer », geint Guillaume Peltier à propos de son grand homme.
Les mêmes images forment la même ronde : Sarkozy au théâtre, accueilli par un auteur à la page (BHL). Sarkozy à bicyclette. Sarkozy au pas de course. Sarkozy s'installant dans sa voiture noire, à la plaque d'immatriculation désormais floutée... Thierry Saussez, conseiller du revenant, interrogé tel un vieux sage : « Aller au cœur de ses soutiens sur Facebook, puis faire le buzz dans tous les médias – vous en êtes d'ailleurs le meilleur exemple –, avant d'approfondir à la télévision, puis de partir à la rencontre des militants. C'est une boule d'énergie et d'initiative. Il ne vient pas faire la restauration, mais donner la même énergie pour construire un projet. Il faut la puissance et il faut la proximité. »
Pendant ce temps, la BBC développe quatre titres : la libération d'une cinquantaine d'otages turcs en Irak, l'accord sur une zone démilitarisée en Ukraine, les élections en Nouvelle-Zélande et de terribles inondations aux Philippines.
Samedi est un jour sans, un entre-deux (le lendemain de Facebook, la veille de France 2). Cela patine, sur BFM et i>Télé. Cela radote et ressasse : « Enquête sur un come back minutieusement orchestré » – la caisse de résonance ne fait-elle pas partie de l’orchestration ? Le ronron du climatiseur médiatique s'installe : « Après l’omni président, l’omni absent… Ah ! les concerts de sa femme, Carla : dans la salle comme en coulisse, il fait partie du spectacle. »
Le jour d’y croire est arrivé. Mais en ce dimanche 21 septembre à 13 heures, François Bayrou se montre réfractaire. Non au parti unique et à toute tentative de soumission du centre : « Ce n’est pas imaginable et je ferai tout ce qu’il faut pour que ce ne soit pas imaginé. »
À 18 heures, le compte à rebours est entamé : « Sarkozy, le retour, acte II. L'ancien président va s'expliquer devant les Français », affiche i>Télé en fond d'écran. Audrey Pulvar : « Il ne va pas pouvoir dire j'ai changé, il va trouver une autre narration. » Michaël Darmon : « Il va dire j'ai compris. Ce qui n'a pas changé chez lui, c'est sa croyance absolue en la saturation médiatique et à sa force quand il s'exprime. »
Sur BFM, deux heures avec Julien Dray, le socialiste peut-être le moins incompatible avec le côté flambeur de l'ancien président sur le retour. M. Dray arbore une minuscule montre à son poignet dodu. Il n'a jamais cru à l'effacement de Nicolas Sarkozy : « À 20h05 le 6 mai 2012, j'étais convaincu qu'il serait candidat en 2017. Je regrette de ne pas avoir parié dès le départ. » Question perfide et glacée d'Apolline de Malherbe : « Vous auriez gagné gros ? »
Julien Dray change de sujet et sonne la charge : « Depuis vendredi, tout tourne autour de lui et s'est presque noué un rapport sado-maso avec la presse. » Apolline de Malherbe le coupe : « Je vous en prie ! » Julien Dray évoque Nicolas Sarkozy avec une complicité à peine comprimée : « J'ai à peu près le même âge que lui. Il y a ceux qui l'apprécient et ceux qui ne l'apprécient pas. Je ne suis pas fan mais il m'a épaté, j'ai été au départ un peu fasciné. Toutefois il y a un grand fossé entre le Sarkozy qui parle et celui qui agit. » Apolline de Malherbe : « N'est-ce pas le cas de François Hollande ? »
Près de deux heures plus tard, en nage sous les projecteurs, Julien Dray persiste et signe. Alors que France 2 s'apprête à recevoir trois quarts d'heure durant Nicolas Sarkozy, le conseiller régional socialiste d'Île-de-France se montre toujours mesuré dans son appréciation de l'ancien président – « ses talents, ses qualités, ses défauts » – et tire pour le PS les conséquences d'un tel retour : « Il faut désormais une forme de solidarité entre nous. » Apolline de Malherbe prend congé en annonçant une « soirée 100 % politique ». Julien Dray s'arroge le dernier mot : « 100 % Sarkozy ! »
Sur i>Télé, oyez, oyez braves gens : « Retour en grande pompe. Saura-t-il convaincre les Français qu'il a changé ? Analyse et décryptages. » Il est 20 heures et Michaël Darmon entame sa péroraison : « L'ancien président avait averti qu'il ferait un retour stratosphérique et il revient par le parti. Comme toujours, Nicolas Sarkozy s'adapte aux circonstances. » Le journaliste décrit des luttes titanesques à venir entre « les enfants de Jacques Chirac » (Juppé contre Sarkozy). On attend alors un morceau de bravoure : une référence wagnérienne, une allusion au Walhalla. L'éditorialiste s'en tient à l'univers télévisuel : « C'est inamicalement vôtre ! »
Puis il anticipe – les chaînes d'information jouent volontiers les cartomanciennes – « le dernier duel » à droite. Avec une nouvelle recrue repérée aux côtés de Nicolas Sarkozy, le député du Nord Gérald Darmanin : le revenant fait ainsi coup double, en privant Xavier Bertrand d'un soutien tout en avertissant les quadragénaires réticents qu'il saura puiser dans un plus jeune vivier à disposition...
Le rythme se précipite du côté de France Télévisions. On signale « ses deux fils Pierre et Jean ». Toujours pas de commentaires sur une absence atroce, dans ce dispositif de reconquête du pouvoir qui s'édifie sous nos yeux : Nadine Morano. Jeudi soir, sa marionnette des Guignols, sur Canal+, dans une saynète au poil, avait pourtant prévenu PPD, qui la voyait laissée au bord du chemin : « T'as d'la merde dans les yeux ! Comment tu veux qu'Nico y se passe d'une princesse comme moi ? »
Sur i>Télé, Claude Askolovitch, fine mouche du PAF, poursuit son petit jeu consistant à participer de cette machine infernale, mais avec un regard de biais et un pas de côté : « Jusqu'à présent et depuis vendredi, c'était les produits dérivés du sarkozysme : en particulier les commentaires et nous en faisons partie. Là, nous allons le voir en vrai, pendant 40 minutes. C'est un effet de loupe, la télévision. En 2006, Lionel Jospin a tenté un retour dans les mêmes conditions. Mais à la minute où les gens l'ont vu, ça n'y était plus. Il ne faut rien exclure. Les Français, dans l'instant qui approche, vont-ils ressentir, presque intimement, s'ils ont envie de refaire un bout de chemin avec cet homme-là ? »
Chauffé à blanc par la paire de chaînes d'information en continu, on passe sur France 2. Curieux entretien d'embauche d'un briscard de 59 ans. Mouvements d'épaule inaltérés. Phrases toujours sujettes à caution ou interprétation : « Je n'ai jamais cru à l'homme providentiel. » « J'avais pas envie de laisser tomber les gens. » « On m'a même soupçonné d'être responsable de la mort de nos compatriotes : les pauvres ! » Sans oublier ce : « Je n'aime pas l'injustice », qui sonne comme : « Je n'aime pas la justice »...
C'est alors que, mobilisé depuis quatre jours par Mediapart et gorgé de “pipolisation” contagieuse, l'enquêteur sur canapé perçoit, en guise de sondage instantané, la voix de son fils de 13 ans qui s'est glissé devant le spectacle : « On dirait le même en plus vieux. C'est une bête de télé, mais il est vraiment nul. » En compensation, le fidèle Éric Besson sait trouver les mots adéquats, exprimés du bon côté de l'écran (à l'intérieur du poste et non en face) : « Il y a des hommes qui dégagent quelque chose de particulier. »
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