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Valls obtient une majorité sur le fil

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Manuel Valls ne dispose plus que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Alors que le PS détient à lui seul la majorité absolue (289 sièges) depuis mai 2012, le premier ministre n’est parvenu mardi qu’à obtenir la confiance de l’Assemblée avec une majorité relative : 269 pour, 244 contre. C’est évidemment la première fois depuis le début du quinquennat. Mais c’est aussi une quasi première dans l’histoire de la Cinquième République : à chaque fois que les premiers ministres, de droite ou de gauche, ont sollicité la confiance de l’Assemblée nationale, ils l’ont toujours obtenue avec plus de la moitié de l’hémicycle. Tous, sauf Georges Pompidou, le 27 avril 1962, lors d’une déclaration sur son programme de gouvernement. Six mois plus tard, son gouvernement était renversé…

Certes, ce n’est qu’un symbole. De fait, Manuel Valls a bel et bien obtenu à nouveau la confiance des députés, gagnant le droit de rester à Matignon. Mais pour le premier ministre, l’avertissement est clair : Manuel Valls ne sauve sa peau qu’à 25 voix près. En cinq mois, il en a perdu 37.

Et dans les rangs socialistes, l’hémorragie se confirme. Le 8 avril, lors de son premier discours de politique générale, 11 socialistes s’étaient abstenus – ce qui était déjà une première. Six mois plus tard, ils sont trois fois plus nombreux. Ce mardi, 32 socialistes ont franchi le pas de l’abstention, malgré les très fortes pressions et les procès en « irresponsabilité » instruits ces dernières semaines par les chefs de la majorité.

Il y a bien sûr ceux qui s’étaient déjà abstenus la première fois, issus de l’aile gauche pour l’essentiel, rejoints par les leaders de la contestation socialiste des derniers mois (l’ex-strauss-kahnien Laurent Baumel, Christian Paul, etc.). Mais aussi des proches de Martine Aubry, dont Jean-Marc Germain et l’ancien ministre François Lamy, les deux proches lieutenants de la maire de Lille. Se sont également abstenus les trois députés chevènementistes qui avaient voté la confiance en avril, ou des députés certes critiques, mais en général peu adeptes des coups d’éclat, comme Daniel Goldberg, Anne-Lise Dufour-Tonini, Hervé Féron ou Kheira Bouziane.

Les 31 abstentionnistes auxquels s'ajoute LInda Gourjade qui a fait rectifier son voteLes 31 abstentionnistes auxquels s'ajoute LInda Gourjade qui a fait rectifier son vote

Depuis des mois, ceux-là trépignaient et avaient parfois refusé de voter certains textes. Ce mardi, ils sont passés aux actes. « J’avais voté la confiance en avril. Mais depuis, il y a eu la rentrée tout en testostérone de Manuel Valls, l’éviction d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, les déclarations du patron du Medef, explique Christophe Léonard, député des Ardennes (aile gauche du PS). J’attendais de Valls un retour aux fondamentaux. Qu’il arrête de faire des déclarations d’amour à tout le monde et ne nous inflige pas cette “gauche moderne” qui consiste à stigmatiser les chômeurs. Aujourd’hui, il a allumé tous les signaux de gauche dans son discours. Mais au-delà des mots, il n’y a rien de concret… »

Cette fois, les dix-sept députés écologistes se sont eux aussi abstenus. En avril, dix d’entre eux avaient voté la confiance au premier gouvernement Valls. Les écologistes étaient alors très divisés sur le fait de rester ou non au gouvernement. « Cette fois, nous avons tenu à faire bloc », assure l’écologiste Christophe Cavard, « car c’est le seul moyen de peser pour obtenir des avancées en matière d’écologie. Et puis, nous n’avons pas digéré le détricotage de la loi ALUR (sur le logement – Ndlr) de Cécile Duflot. Sans nous, sans une partie des socialistes, Manuel Valls gouverne désormais avec un PS replié. » Comme en avril, les dix députés Front de gauche ont voté contre. « Le premier ministre ne dispose plus que d'une majorité peau de chagrin, ce vote de confiance n'est qu'une victoire à la Pyrrhus, sans aucune perspective », commentait, mardi soir, le PCF dans un communiqué.

Après le remaniement surprise de la fin août, lors duquel les ministres qui réclamaient une autre ligne politique ont quitté le gouvernement, Manuel Valls avait choisi de faire voter la confiance alors que la Constitution ne l’y oblige pas. Une façon de dramatiser la situation, d’affirmer son autorité, de se poser en seul recours. Depuis le remaniement, le premier ministre fait passer le message : c’est lui (et sa ligne, soutenue par François Hollande) ou le chaos institutionnel. Lui ou la dissolution. Lui ou la droite, voire Marine Le Pen. Ces jours-ici, nombre de députés ont été appelés par des responsables socialistes ou des proches du premier ministre.

Mardi, le premier ministre a, sans surprise, joué sur le même registre, dramatisant l’enjeu en commençant son discours par la situation internationale, présentée sous le seul angle de la menace (en vrac l’Ukraine et « les tensions avec la Russie (qui) ramènent aux heures de la guerre froide » ; la guerre à Gaza ; « les ravages d’Ebola » ; les naufrages de migrants en Méditerranée). « Le monde est d’abord confronté à une menace terroriste dont l’ampleur et l’évolution sont inédites », a martelé Manuel Valls.

Comme le président de la République et les ministres de la défense et de l’intérieur, le premier ministre a insisté sur le lien entre la situation en Syrie et en Irak et la situation en France (lire notre article). « Dans ces moments, face à ces menaces, l’unité nationale s’impose », a dit Valls, pour rappeler à sa majorité que l’enjeu du vote de confiance ne relevait pas, selon lui, d’un débat de politique économique. Un argument également utilisé par le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, qui a commencé son discours par ce rappel.

L’exécutif n’a pas non plus hésité à agiter la menace de la dissolution face aux députés de la majorité. « Le vote de la confiance, ce n'est pas un vote sur le projet de loi de finances ou le pacte de compétitivité. On ne gomme pas les débats, mais la question politique posée par le vote de confiance, c’est d’en finir, oui ou non, avec l’hypothèse de la dissolution… Il s’agit de donner un signe de solidité de la majorité, pas d’unanimité », expliquait, ces derniers jours, un proche de Le Roux.

Sur le fond, le discours de Manuel Valls est sans surprise. Le remaniement, fin août, avait définitivement mis un terme aux derniers espoirs de certains élus de la majorité d’une quelconque inflexion de la politique de l’exécutif. Une politique de l’offre, qui mise d’abord sur le pacte de responsabilité à destination des entreprises pour relancer l’économie, et un discours sur une supposée « gauche moderne », prête à revenir sur l’interdiction du travail du dimanche ou les seuils sociaux pour les petites entreprises.

Manuel Valls l’a redit mardi après-midi : « Je comprends les impatiences, les doutes, les colères. Ils sont légitimes quand le chômage atteint des niveaux aussi élevés, et depuis si longtemps. Mais face à cela, quelle attitude adopter ? La fébrilité ? Le zigzag ? Le renoncement ? Non ! » Avant d’ajouter, dans une de ses formules dont il a truffé son discours : « Gouverner, c’est résister. Gouverner, c’est tenir. Gouverner, c’est réformer. Gouverner, c’est dire la vérité. » « Aider nos entreprises, ce n’est pas un choix idéologique, c’est un choix stratégique », a-t-il encore rappelé, conformément à ses discours précédents, notamment celui prononcé à l’université d’été du Medef, fin août.

Manuel VallsManuel Valls © Reuters

Comme à son habitude, Valls a de nouveau structuré son discours autour d’expressions empruntées aux discours libéraux, comme « adaptée à la réalité », « remettre en mouvement », ou « lever les blocages ». Sur l’accès au logement, « ce qui compte, c’est l’efficacité, pas l’idéologie », a dit le premier ministre.

Mais, devant les députés, l’ancien maire d’Évry a tenu à rassurer ses troupes : il a rappelé de façon appuyée son attachement au modèle social français, répété son discours tenu fin août à La Rochelle, pour expliquer qu’il ne « faisait pas de l’austérité », et annoncé que le minimum vieillesse sera revalorisé de 8 euros pour atteindre 800 euros, alors que les petites retraites (inférieures à 1 200 euros) bénéficieront d’une « prime exceptionnelle ».

Valls a également évoqué le combat pour « l’égalité » – une façon de rassurer sa majorité, et même une partie de son gouvernement, inquiète de la disparition du discours de l’exécutif de cette bataille identitaire pour la gauche. Mais il l’a fait à sa façon, en parlant de « l’égalité des possibles » chère au nouveau ministre de l’économie Emmanuel Macron (lire notre article). « Le grand dessein de la République, c’est l’égalité des possibles », a dit le premier ministre.

La seule nuance par rapport à son premier discours de politique générale, il y a cinq mois seulement, réside dans le passage sur l’Europe. La dernière fois, Valls avait déjà critiqué la cherté de l’euro et défendu la réorientation de la politique européenne. Il est allé un peu plus loin mardi, appelant l’Allemagne à « prendre ses responsabilités ». Mais on est très loin de la confrontation promise par certains dirigeants de la majorité ces derniers jours.

Avec le résultat de mardi, le premier ministre peut d’ores et déjà s’attendre à des votes serrés sur tous les grands textes à venir à l’Assemblée. Et notamment le budget. « Désormais, l’objectif est pour nous le budget 2015. C’est en fonction de cela que nous saurons si nous sommes toujours dans la majorité ou si nous passons dans l’opposition », prévient l’écologiste Christophe Cavard. Même tonalité auprès des socialistes de Vive la gauche : « Notre abstention aujourd’hui va nous permettre de peser dans le débat budgétaire de l’automne », assure l'aubryste Jean-Marc Germain, qui réclame des mesures en faveur du pouvoir d’achat des ménages.

En attendant, c’est au tour de François Hollande de se prêter au jeu de l’explication de texte : jeudi 18 septembre, il tiendra sa conférence de presse semestrielle à l’Élysée.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les députés socialistes votent la confiance à Valls


Air France: la grève des pilotes signe l’irrésistible ascension du low cost

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Déjà trois jours de grève, et derrière la grève une transformation majeure. Inévitable ? Démarré lundi 15 septembre et devant durer une semaine, le mouvement social lancé par les pilotes du groupe Air France devrait rester comme le plus important depuis 1998. Au moins 50 % des vols ont été annulés le premier jour de grève, avec des pointes à plus de 70 % à Lyon, Nice où Toulouse. Mardi, 60 % des avions prévus sont restés au sol, et ce mercredi le chiffre devrait être identique.

Le SNPL (syndicat national des pilotes de ligne, SNPL), majoritaire chez les pilotes d'Air France-KLM avec plus de 70 % des voix, a appelé à la grève jusqu’au 22 septembre pour protester contre la manière dont la direction prévoit de faire monter en puissance Transavia, sa filiale low cost jusque-là limitée à 14 avions. La deuxième organisation syndicale, le Spaf, a arrêté son préavis au 20 septembre, mais Air France a recommandé à tous ses clients devant prendre l’avion d’ici au 22 septembre de « reporter leur voyage ou changer leur billet sans frais ».

Le PDG d'Air France Frédéric Gagey a estimé lundi le coût du conflit à « 10 à 15 millions d'euros » par jour de grève, tandis que Alexandre de Juniac, le grand patron du groupe Air France-KLM a commencé à imputer aux grévistes un éventuel non-retour aux bénéfices en 2014.

Pour la première fois depuis longtemps, les intérêts des pilotes et de la direction divergent. Mardi soir, les discussions étaient jugées « au point mort » par un des négociateurs, qui peinait à envisager une sortie de crise. La direction a fait un geste en proposant de limiter à 30 appareils la flotte de Transavia France jusqu'à 2019, au lieu des 37 initialement prévus, mais les syndicats ont rejeté cette offre. Pourquoi ? Que signifie cette soudaine accélération d’Air France en direction du low cost ? Une autre voie est-elle possible ? Tentative d’explication, en quelques questions.

  • Comment va Air France ?

Plutôt mal. Air France et KLM ont fusionné en 2009, en espérant devenir le géant européen du transport aérien. Pari plutôt perdu. En 2013, le groupe a tout juste gagné de l'argent, avec un résultat d'exploitation de 130 millions d'euros pour 25,5 milliards de chiffre d'affaires, et une dette de presque 12 milliards d'euros. Prise isolément, la compagnie Air France est dans le rouge depuis huit ans. Le transport non passager, le cargo, est extrêmement déficitaire, avec 200 millions de pertes en 2013. Idem, avec 220 millions de pertes, pour « l’activité point à point », qui désigne les vols sans correspondances au sein du groupe, via Roissy ou Amsterdam.

Pourtant, la direction n’a pas ménagé ses efforts pour couper dans les dépenses. Avec le plan Transform 2015, les pertes du réseau moyen-courrier ont été divisées par deux en deux ans. Les effectifs globaux de la compagnie auront été réduits de 8 000 postes (dont 550 pilotes) en trois ans à la fin 2014. « Dans le cadre de ce plan, tous les pilotes ont aussi accepté de réduire de 15 à 20 % leur rémunération globale, en volant plus, en rendant des jours de congé ou en diminuant leurs avantages », pointe un des responsables du syndicat. Les pertes du moyen-courrier, qui représente 40 % de l’activité, devraient pourtant encore atteindre 120 millions d'euros cette année.

En fait, le groupe est pris en tenailles. Le court et moyen-courrier est très fortement concurrencé par les compagnies low cost, Ryanair et EasyJet en tête. À l’autre bout de l’échelle de prix, le long-courrier, qui fait la fierté des personnels et que le groupe considère comme sa spécialité et sa vraie image de marque, est attaqué par les compagnies des pays du Golfe, comme Emirates ou Qatar Airways, qui ont les moyens de faire voler des avions luxueusement équipés, avec un personnel très bien formé.

Pour expliquer les difficultés du groupe, la CGT livre de son côté plusieurs explications. D’une part, un coût du carburant toujours en hausse : « Le carburant représente à lui seul plus de 30 % des coûts d'exploitation contre moins de 10 % il y a 15 ans. » Problématique alors que les pays du Golfe facturent moins cher le pétrole, et que, assure le syndicat, certains transporteurs à bas coût embarquent moins de carburant pour voler, quitte à diminuer la réserve de sécurité. La CGT accuse surtout la direction d’avoir choisi une mauvaise stratégie commerciale, en réduisant fortement les prix de ses vols court et moyen-courrier en direction de Roissy, dans le but d’assurer un remplissage maximal de ses avions long-courrier.

© Reuters - Christian Hartmann


  • Que propose la direction ?

Il s’agit de tout changer. La compagnie Air France s’apprête à vivre la plus grosse transformation de son histoire depuis la fusion avec Air Inter en 1997. Début septembre, le groupe a annoncé une refonte totale de son organisation. Les trajets « point à point » n’alimentant pas le hub de Roissy devraient revenir à sa filiale Hop !, qui s’occupe jusqu’à présent des vols de province à province. Cela pourrait aboutir à la disparition de la marque Air France de l’aéroport d’Orly. Les détails seront présentés fin octobre, mais cela devrait permettre à la compagnie de choisir, en fonction de la fréquentation des vols, soit les Airbus A320 d’Air France, soit les petits avions régionaux de Hop !

Tous les vols européens dits de loisirs, qui transportent des vacanciers, reviendraient, eux, à Transavia. Classique compagnie de charters néerlandaise, elle a été réinventée en tenante du low cost en 2005 par KLM, avec qui Air France a ouvert une filiale française dès 2007. Mais comme le raconte cet excellent article des Échos, ce n’est que depuis cette année que Transavia est entrée dans le grand bain de la concurrence avec EasyJet et Ryanair, en multipliant les destinations et les promotions.

Jusque-là, la filiale française servait surtout de sous-traitant aux voyagistes ou aux organisateurs de charters. Mais depuis cet été, la transformation en compagnie low cost est clairement assumée, avec l'ouverture de 17 nouvelles lignes régulières, dont 11 au départ d'Orly-Sud. La part des voyagistes dans ses réservations, encore de 50 % fin 2013, est divisée par deux en quelques mois.

Cette nouvelle organisation, qui est une révolution, était préconisée en juin dans le rapport rendu par Lionel Guérin, dirigeant de Transavia devenu depuis le patron de Hop ! Elle nécessite de pousser furieusement les feux chez Transavia. Et pour cela, l’accord des syndicats est nécessaire : en 2006, afin de les rassurer sur ce modèle à moindre coût qui s’installait sous leur nez, Air France leur avait concédé le fait que Transavia France n’exploiterait pas plus de 14 appareils, et qu’elle ne desservirait pas de lignes nationales.

La direction souhaite aujourd’hui largement faire grandir la flotte de Transavia. Elle devrait aussi annoncer la création imminente de trois nouvelles bases en Europe (qui devraient être situées à Munich, Lisbonne et Porto). Elle vise la rentabilité en 2018, et espère transporter à cette date plus de 20 millions de passagers, contre 9 millions en 2013, sur une centaine d’avions, basés partout en Europe. Mais jusqu’ici, les syndicats de pilote refusent de donner leur accord à ces projets d’expansion à marche forcée du low cost.

  • Pourquoi le low cost fait-il rêver Air France ?

Inauguré aux États-Unis par la compagnie Southwest Airlines dès les années 1970, le modèle low cost s’est installé en Europe il y a une vingtaine d’années, et encore plus récemment en France. Mais il a gagné du terrain à toute vitesse. Emmanuel Combe est économiste, spécialiste du modèle low cost. Fin 2007, il a aidé Charles Beigbeder à rédiger le rapport qui avait été commandé sur le sujet par le gouvernement de l’époque. Et il a vu changer le regard du secteur français de l’aviation : « Au milieu des années 2000, quand EasyJet et Ryanair se sont vraiment implantées en France, ces compagnies étaient regardées comme des curiosités. Lorsque nous avons rédigé notre rapport, fin 2007, les réactions étaient assez timorées, les professionnels pensaient que le low cost était un feu de paille, qu’il était impossible de gagner de l’argent en vendant un billet à 50 euros. Et puis, les syndicats d’Air France m’ont invité à nouveau en 2011, et ils étaient beaucoup plus à l’écoute, ils ont compris que le modèle était en train de gagner la partie. »

Les recettes du modèle sont connues : faire voler ses avions le plus longtemps possible tous les jours, sur des plages horaires s’étalant de 5 heures du matin à minuit ; supprimer les correspondances, trop compliquées à gérer ; réduire au maximum le temps d’escale des appareils ; couper dans tous les coûts, en faisant par exemple faire le ménage au personnel navigant, mais surtout en réduisant les salaires et en multipliant les heures de vol des salariés (700 heures par an chez EasyJet et Transavia en moyenne, 800 chez Ryanair contre 450 à 500 chez Air France) ; choisir parfois des aéroports peu prisés car éloignés (en Europe, c’est surtout le modèle de Ryanair). Et enfin, multiplier les options payantes, qui garantissent aujourd’hui un quart du chiffre d’affaires d’EasyJet.

© Reuters - Charles Platiau

Ce modèle est-il une réussite ? Oui, sans aucune ambiguïté. « Aujourd’hui, Ryanair et EasyJet sont les deux compagnies les plus rentables d’Europe », souligne Emmanuel Combe. Et les coûts d’entrée sur le marché sont faramineux, étant donné la taille des concurrents déjà en place : « En Europe, il y a 200 millions de passagers sur les vols low cost tous les ans. 80 millions sont transportés par Ryanair, et 60 millions par EasyJet. En comparaison, l’ensemble du groupe Air France-KLM transporte 78 millions de passagers par an. Le low cost, c’est un monde et un combat de géants. »

Mais dans le paysage européen, la France est encore à part. « La France est encore une terre de conquête pour le secteur : en Europe, le low cost atteint 45 % de parts de marché, mais dans l’Hexagone, il n’en occupe que 20 % ! » indique Combe. J'estime que Transavia a deux ou trois ans pour s’installer sur le marché. » Faute de quoi, c’est EasyJet, qui a récemment annoncé l’achat de 130 appareils et désigné la France comme terre de conquête, qui pourrait rafler tout le marché.

  • L’Allemagne a franchi le pas, la SNCF aussi ?

Nul doute que du côté de la direction française, on s’inspire de ce qui se passe en Allemagne. En 2013, expliquent Les Échos, la compagnie Lufthansa a transféré tous ses vols « point à point » à sa filiale à bas coûts Germanwings. Mais en Allemagne aussi, les conflits sociaux ont été inévitables : une grève des pilotes Lufthansa a eu lieu ce mardi, et c’était la quatrième en moins de trois semaines. Le syndicat des pilotes Cockpit est en conflit avec la direction du groupe sur le régime de départ en préretraite, qui a notamment servi à faire partir certains des pilotes les plus expérimentés et touchant les plus gros salaires.

Les développements et les réactions au low cost aérien intéressent à coup sûr un autre secteur : celui du train. En France, la SNCF a déjà un pied dans le modèle, même si cela reste modeste. En 2004 d’abord, elle a testé l’efficacité du modèle avec iDTGV, une filiale spécifique avec des tarifs bien plus bas que ceux des TGV. Elle a plus récemment lancé Ouigo, au printemps 2013, avec des trains partant de Marne-la-Vallée vers Lyon et le sud de la France. Les trains Ouigo sont configurés comme des avions low cost, sans voiture-bar ni espace de rangement pour les bagages, et circulent 13 heures par jour au lieu de 9 heures pour un TGV classique, ce qui aurait permis, assure la SNCF, de faire baisser les coûts d’exploitation de 30 %. Certes, les résultats commerciaux sont pour l’instant mitigés. Mais la SNCF a testé un modèle pertinent pour tenter de contrer la concurrence qui s’annonce sur ses lignes internationales...

  • Que veulent les pilotes ?

Dès qu’ils parlent à un journaliste, les représentants des grévistes rappellent en préambule qu’ils ne sont pas opposés au principe même du low cost. « Avoir une partie des avions volant à bas coût, on n’a rien contre, nous avons même vu arriver le rapport de Lionel Guérin d’un plutôt bon œil, explique l’un d’eux à Mediapart. Notre problème, c’est quand ce modèle-là vient grignoter l’activité classiquement dévolue à Air France. »

Le développement du modèle low cost ne peut que poser problème aux syndicats de pilote, qui défendent des salariés très bien payés. Globalement, les pilotes et hôtesses de Transavia sont payés environ 20 % de moins que ceux de la maison mère, et ils volent bien davantage, surtout en été, où les vacanciers partent à l’assaut des vols peu chers. Après avoir annoncé des chiffres extrêmes, la direction a calculé que globalement, les salariés Transavia lui coûtaient de 20 à 25 % moins cher. Mais ils volent 30 à 40 % d’heures de plus.

D’un côté, Air France a ouvert un plan de départ volontaire pour ses pilotes. De l’autre, Transavia devrait en embaucher plus de cent dans les années à venir. Sans compter que des copilotes coincés depuis des années dans leur avancement dans la maison-mère, faute de postes de commandants de bord disponibles, pourraient enfin monter en grade dans la filiale. Alléchant ? Inquiétant surtout, jugent les syndicats, qui refusent toute mise en concurrence entre les enseignes. « On ne va pas faire la course à l’échalote pour faire baisser les salaires, indique un responsable. D’autant que nous savons que la réduction des salaires des pilotes déjà présents a déjà été évoquée du côté de Transavia… »

La principale revendication du SNPL est la création d’un contrat unique, aux conditions actuelles d’Air France, pour tous les pilotes d’avions de plus de 100 places dans le groupe, quelle que soit la compagnie qui l’emploie. Un corps unique de pilotes permettrait, assurent-ils, à la compagnie d’être flexible, quelle que soit la conjoncture économique et les goûts des passagers dans les années à venir.

Mais la vraie inquiétude des syndicats repose dans la création des futures bases internationales de Transavia. Partout dans la monde, quand une compagnie low cost s’installe dans un pays, elle emploie du personnel, y compris navigant, selon les normes sociales en vigueur dans ce pays. Les embauches sous contrat local sont légales, mais le SNPL craint une le dumping social qui pourrait survenir. « On nous promet que jamais des pilotes employés sous le droit portugais ou tchèque ne viendront assurer des liaisons à partir de la France, mais nous ne croyons tout simplement pas à cette promesse », déclare ainsi un responsable syndical.

  • Quelle sortie de crise ?

Pour l’heure, les discussions entre les grévistes et la direction ont tourné au dialogue de sourds. Sans le feu vert du SNPL, Transavia France ne pourra pas utiliser plus d’avions. Mais dès le début de la grève, Alexandre de Juniac a opposé une fin de non-recevoir à la revendication principale des syndicats : « Si on pouvait faire du low cost avec les règles de fonctionnement d’une compagnie traditionnelle, cela se saurait ! Comme on dit, on naît low cost, on ne le devient pas, a-t-il déclaré dans Les Échos. Air France a accumulé au fil des années des avantages qui font que ses coûts et ses conditions d’exploitation sont bien supérieurs à ceux de Transavia. Il n’est donc pas possible d’aller travailler chez Transavia aux conditions d’Air France, sauf à tuer Transavia. »

Tout juste accepte-t-il de réduire un peu le rythme de développement de Transavia France, ou de discuter du versement d’une prime intéressante pour les pilotes acceptant de rejoindre la filiale. Pour le reste, la ligne est très dure, et les syndicalistes interrogés par Mediapart semblent inquiets quant à l’issue du conflit. D’autant qu’ils sont assez isolés : mardi, Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du Parti socialiste, a demandé sur BFM TV mardi la fin de la grève, qui lui semble « hors de propos ».

Le responsable politique reprend-là les arguments… d’autres syndicats, qui s’opposent à un mouvement des pilotes jugé bien égoïste. Le dirigeant de la CFDT, Laurent Berger, a carrément jugé la grève « indécente » et son syndicat dénonce une « posture strictement corporatiste ». Arguments auxquels répond le SNPL en soulignant que les personnels au sol ne sont pas menacés de délocalisation, eux.


Pour autant, les grévistes sont loin d’être sûrs d’emporter le morceau. S’ils refusent d’avaliser le plan de développement de Transavia France, qu’est-ce qui empêchera Alexandre de Juniac de lancer de nouveaux avions à partir de nouvelles implantations internationales ? « Et le PDG a un autre argument, qu’il commence à sous-entendre devant ses interlocuteurs, glisse un connaisseur : si les syndicats bloquent tout et qu’ils font péricliter le moyen-courrier, tant pis, il ne fait que faire perdre de l’argent à Air France, et EasyJet saura bien se baisser pour ramasser les clients perdus. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les députés socialistes votent la confiance à Valls

Macron et les « illettrées»: «Mais on leur apprend quoi dans les grandes écoles ?»

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« Mes excuses les plus plates vont à l'égard des salariés que j'ai pu blesser, que j'ai blessés à travers ces propos, et je ne m'excuserai jamais assez. » Après sa sortie remarquée sur les salariées « illettrées » de l'abattoir breton de Gad, Emmanuel Macron s'est excusé ce mercredi, au cours de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. « Mon regret, c'est qu'aujourd'hui vous soyez aussi révoltée par les mots, mais pas par les réalités », a lancé le nouveau ministre de l'économie à la députée UMP Laure de La Raudière.

Celle-ci l'interrogeait sur ses propos tenus le matin même. Sur Europe 1, le nouveau ministre de l'économie, ancien banquier d'affaires et tenant d'une ligne libérale assumée, a parlé en ces termes de certains salariés de cet abattoir, fermé l'an dernier :

« Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. Pour beaucoup, on leur explique, vous n'avez plus d'avenir à Gad ou aux alentours. Allez travailler à 50 ou 60 kilomètres. Ces gens-là n'ont pas le permis de conduire ! On va leur dire quoi ? Il faut 1 500 euros, il faut attendre un an ? Voilà, ça, ce sont des réformes du quotidien. » ( Vidéo: à partir de 8')

Ces propos ont suscité de nombreuses réactions indignées sur les réseaux sociaux. Dont beaucoup mettent en parallèle les propos d'Emmanuel Macron avec les « sans-dents », cette expression qu'utiliserait, selon Valérie Trierweiler, le chef de l'État pour désigner les pauvres.

Chantal Guittet, députée socialiste du Finistère, a appris les déclarations d'Emmanuel Macron alors qu'elle est en déplacement en Équateur, dans le cadre de ses activités parlementaires. L'abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau se situe dans sa circonscription. Elle connaît bien les salariés, dont seuls 10 % ont retrouvé un CDI depuis la fermeture de l'usine :

« Je suis très en colère ! Ça m'énerve, dit-elle à Mediapart. C'est inacceptable ! C'est très violent, comme si on leur disait "vous avez une case de moins". À ce niveau-là, on ne peut pas faire ce genre de maladresse. Un ministre ne peut pas dire ça, qu'il soit de gauche ou de droite. On réfléchit avant de parler ! Que leur apprend-on dans les grandes écoles ? À force d'avoir des gens qui ont toujours été dans des hautes sphères et n'ont jamais côtoyé la majorité des Français, j'ai l'impression qu'ils sont coupés du monde ! On a déjà eu Rebsamen qui a stigmatisé les chômeurs en voulant les sanctionner. J'ai été prof, je vais lui apprendre, moi, à parler aux gens ! »

« Je les connais bien les salariés de Gad, reprend-elle. Ce sont des gens qui veulent travailler. Ils aiment le travail, ils font tout pour se former. Manuel Valls dit au Medef qu'il aime l'entreprise, mais les salariés de Gad, eux, ils trouvent que les entreprises ne les aiment pas ! Qu'on arrête de les blesser, alors qu'ils sont en train de sortir la tête de l'eau difficilement ! Qu'on engueule les chefs d'entreprise qui ne les ont pas assez formés tout au long de leur carrière ! »

« Finalement, ils vont me faire regretter d'avoir voté la confiance ! » poursuit Guittet, proche des "frondeurs" PS, qui a voté "oui" mardi mais après « avoir vraiment hésité longtemps ».

Certes, certains salariés de Gad sont très peu formés. Pas très étonnant d'ailleurs pour des ouvriers cantonnés à des tâches répétitives, qui n'ont connu bien souvent qu'un seul employeur au cours de leur vie, et n'ont reçu aucune formation complémentaire au cours de leur parcours professionnel. Il y a quelques mois, le ministre de l'emploi avait lui-même déploré ces problèmes de formation – en utilisant alors le même terme d'« illettrés », ce qui était passé inaperçu. Mais ils sont loin d'être la majorité. « Ce que dit Emmanuel Macron est faux car c'est une minorité. Et de toute façon, ce n'est pas une tare, ce n'est pas de leur faute », assure Chantal Guittet.

À l'Assemblée, les propos d'Emmanuel Macron passent mal auprès d'une majorité exaspérée, qui a certes voté la confiance mardi mais reste très dubitative sur la nouvelle orientation du gouvernement, très clairement libérale et pro-entreprises. Le ton est même monté à l'entrée de l'hémicycle entre le ministre et le député socialiste de l'Ardèche Olivier Dussopt, proche de Martine Aubry. « Je lui ai dit combien ça m'avait mis en colère, que ses mots plus que maladroits sont une insulte faite à toutes ces femmes », confirme Dussopt. Le ton est si vite monté qu'Henri Emmanuelli, figure de l'aile gauche a même dû séparer les deux hommes...

« Quand Macron parle de "ces gens-là". On dirait la chanson de Brel ... », se désole un autre élu PS : 

En Bretagne, berceau de la contestation des Bonnets rouges dont l'abattoir Gad était un des foyers, les propos du ministre suscitent en tout cas des réactions outrées. « [Des salariées illettrées], il y en avait, faut pas le cacher, on était une population où la formation était quand même assez succincte. Mais ils n'étaient pas nombreux. Si on trouve pas de boulot aujourd'hui, c'est certainement pas à cause de l'illettrisme », a expliqué Olivier Le Bras, ancien délégué FO de l'abattoir.

Déléguée CFDT, Annick Le Guével, dit être « restée sans voix ! Je n’accepte pas ces mots. C’est une insulte pour les salariés d’autant plus que les femmes ne représentent que 40 % de nos effectifs ». La syndicaliste réagit également avec humour : « On l’invite à venir voir notre parking pour constater qu’il n’y a pas que des voiturettes ! Il y a beaucoup de voitures. On est prêt à le recevoir. Je peux même lui écrire une lettre pour lui prouver que je peux écrire sans fautes. »

L'abattoir Gad de Lampaul a fermé l'an dernier. Près de 900 personnes ont alors perdu leur travail. Le 11 septembre, l'autre abattoir de l'entreprise agro-alimentaire, qui emploie 950 personnes et pourrait être repris par le groupe Intermarché, a été placé en liquidation judiciaire avec poursuite d'activité par le tribunal de commerce de Rennes. La durée de poursuite d'activité a été fixée à trois mois. 

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Taser : Loïc Louise est mort après un tir de 17 secondes

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La procureur d’Orléans, Yolande Fromenteau-Renzi, a ouvert le 7 août 2014 une information judiciaire contre X... pour homicide involontaire suite au décès de Loïc Louise. Cet étudiant de 21 ans est mort le 3 novembre 2013 à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) après avoir reçu une décharge électrique tirée par un gendarme. Selon les conclusions de l’enquête préliminaire, confiée à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), ce tir a duré 17 secondes. Le pistolet électrique fonctionne par cycles d’une durée de cinq secondes : tant que l’utilisateur maintient son doigt appuyé, les cycles s’enchaînent. Ce qui signifie donc que Loïc Louise a reçu un tir prolongé. « Au vu de la réglementation, l’enquête conclut qu’il n’y a pas eu d’usage anormal », assure Yolande Fromenteau-Renzi.

Loïc Louise finissait une licence de marketing à Orléans.Loïc Louise finissait une licence de marketing à Orléans. © DR

La procureur d’Orléans a décidé de confier ce dossier à un juge d'instruction après avoir reçu début août les parents du jeune homme, tous deux fonctionnaires dans un lycée de La Réunion, et leur avocat. Selon Yolande Fromenteau-Renzi, l'enquête de l'IGGN montre que l'étudiant est décédé « par asphyxie et d’un arrêt cardiaque ». Le 5 novembre 2013,son prédécesseur avait indiqué, au vu des premiers éléments de l'autopsie, que Loïc Louise était « décédé d'un étouffement ». « Des régurgitations d'aliments ont été retrouvées dans sa trachée et ses poumons », avait-il précisé. Mais le rapport anatomopathologique ensuite réalisé est moins définitif : l'arrêt cardiaque peut avoir été causé soit par le choc électrique, soit par un étouffement lié à la régurgitation. « Il reviendra au magistrat instructeur d’établir s’il y a un lien de causalité entre ce tir et le décès, en ayant recours à des experts médico-légaux », affirme la procureur.

Selon Me Fabrice Saubert, l’avocat de la famille qui a eu accès à l’enquête de l’IGGN, l’arrêt cardiaque est survenu quelques minutes après le tir de Taser, « au moment où Loïc est au sol, menotté et encadré par trois gendarmes qui attendent l’arrivée de renforts ». Le jeune homme n’a alors « aucune trace de vomissure, les secours n'ont pas eu de difficulté pour l'intuber », précise l’avocat, selon qui les tentatives de réanimation ont pu provoquer cette régurgitation.

Le samedi 3 novembre 2013, Loïc Louise s’était rendu à la soirée d’anniversaire d'une amie à La Ferté-Saint-Aubin. Trois gendarmes, appelés par l’organisatrice de la soirée, interviennent pour mettre fin à un début de bagarre entre l'étudiant réunionnais et ses cousins, tous très alcoolisés. Selon l'avocat, Loïc Louise s’est d’abord dirigé vers un gendarme qui lui a fait une clef de bras. Ses deux cousins l'ont alors retenu. Une fois relâché, « Loïc va vers un autre gendarme, explique Me Saubert. Il sort son Taser, le repousse deux fois de la main gauche et la troisième fois, il tire jusqu’à ce que Loïc s’écroule. Ce qui pose la question de la proportionnalité ». L'avocat souligne l’aspect aléatoire de la réaction des militaires. « Seul un gendarme est équipé d'un Taser, rappelle-t-il. Dans le même cas, quand Loïc s’approche de l'un, il est repoussé grâce à une simple clef de bras ; mais quand il s’approche d'un autre, il prend une décharge. » Pour l'avocat, le gendarme a sans doute sorti son arme dans un but dissuasif, mais cela n'a eu aucun effet sur le jeune homme qui avait beaucoup bu.

Selon plusieurs témoignages recueillis par Mediapart, Loïc Louise est ensuite resté inanimé et menotté au sol pendant au moins un quart d’heure, avant qu’un de ses amis, militaire de carrière, ne soit autorisé par les gendarmes à prendre son pouls. Comment expliquer que les gendarmes ne se soient pas inquiétés de son état plus tôt alors que les directives sur l'emploi du Taser recommandent la « prudence » à l’égard des personnes « en état d’imprégnation alcoolique » ? « Les gendarmes disent qu’il se débattait, mais la vidéo du Taser montre un Loïc plutôt immobile, relate Me Saubert. Puis, un gendarme dit avoir eu l’impression qu’il dormait. » La procureur d'Orléans n'a toutefois pas choisi de viser la « non-assistance à personne en danger ».

Quatre décès sont déjà survenus en France à la suite de l’usage du pistolet à impulsion électrique, généralisé chez les forces de l'ordre en 2006. Mais il n'y a jamais eu de procès lié à l'usage du Taser. Deux enquêtes ont ainsi été classées sans suite. Une troisième, après le décès d'un homme de 34 ans le 5 septembre 2014 à Paris, est en cours. Appelés pour un homme très agité qui menaçait de se suicider, les policiers avaient utilisé leur pistolet à impulsion électrique pour l’interpeller. L'enquête a été confiée à l'Inspection générale de la police nationale.

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Notaires : une manifestation organisée de main de maître

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La droite prend ses aises dans la rue. Une droite décomplexée – au point de sembler ivre de l'être. Rien à voir avec les ligues de 1934, le béret vissé sur le crâne. Une droite enjouée, rouée, faisant flèche de tout bois, exhibant sa modernité pour défendre ses intérêts, dans le sillage de la manif pour tous opposée au mariage homosexuel. Place de la République à Paris, mercredi 17 septembre, les notaires et leurs employés s'étaient transportés en masse, rompant avec leur discrétion légendaire et professionnelle, au point de s'exciter sans mesure d'une telle transgression : « Y'a de l'extasy partout ! Putain, on se défonce la tronche ! » braille un quadragénaire, dont les seules références, en matière de rassemblement public, semblent les boîtes de nuit.

Les vêtements, les mines, les coiffures, les lunettes et les sacs ou sacoches désignent, sans la moindre ambiguïté, deux mondes : les patrons et les petites mains, ensemble réunis pour défendre leur intérêt, sinon commun, du moins corporatiste.

Mediapart a reçu quelque témoignage de clercs sommés de faire acte de présence dans les cortèges, à Paris ou en province ; menacés, même, de licenciement par des notaires qui ne badinent pas avec l'obligation de battre le pavé : « Même si le droit du travail n'est pas leur partie, comment peuvent-ils à ce point bafouer le droit au travail ? » s'interroge au téléphone une abonnée de Mediapart, qui n'a pas cédé à la pression : « Sans approuver entièrement le projet concocté par Montebourg, je suis pour la libre installation. Les charges se vendent à des prix exorbitants, du coup de jeunes diplômés, sans moyens, deviennent salariés aux côtés de nantis qui jouent aujourd'hui les martyrs ! » ajoute-t-elle.

Bien entendu, les bureaucrates interrogé(e)s sur place affirment en chœur, au côté de leur employeur, qu'ils sont là de leur plein gré : « On est une équipe, tous dans le même bateau à faire avancer », dit l'une. Un notaire nantais, en écho : « Mes équipes sont ici. Elles ont vite compris le message. Si nous avons des soucis, les collaborateurs, par ricochet, en ont aussi. »

Des militants de la CGT confirment de telles pressions et justifient en partie leur présence par la nécessité de protéger symboliquement un personnel qui se sentirait sinon entièrement sous la coupe du patronat. L'union contre le legs d'Arnaud Montebourg, cette menace de réformer trente-sept professions réglementés, dont le notariat, qui revendique 49 000 salariés et fait planer, par la voix de Jean Tarrade, président du CSN (Conseil supérieur du notariat), des licenciements qui réduiraient Florange à un épiphénomène si un tel projet de loi voyait le jour. Une syndicaliste de la CGT sent bien l'étrangeté de la situation (« vous auriez vu lundi avec les huissiers, c'était du même acabit, sauf qu'en plus ils étaient en robe ! ») : pour la première fois elle assiste à une manifestation sans que la gauche ne soit maître de la situation, mais simple puissance invitée d'une droite tenant le haut du pavé...

Le grand art des organisateurs consiste à jouer sur tous les tableaux. Les notaires, à les entendre, seraient à la fois issus d'une France archaïque, rassurante, gardant les secrets de famille, et facteur de modernité : signature électronique, modèle performant s'exportant jusqu'en Chine. Les notaires s'inscriraient dans une lutte de civilisation, celle du droit romain contre la common law anglo-américaine. Ils garantiraient, de par leur haut savoir, la « sécurité juridique », dans la mesure où leurs actes, touchant à la perfection, ne sont jamais contestés en justice. Contrairement aux États-Unis d'Amérique, où le moindre avocat pense pouvoir faire l'affaire, d'où la contestation d'un acte sur trois, selon les statistiques excipées par le Conseil supérieur du notariat bien français.

Jean Tarrade, son président, devant une foule qui boit du petit lait (20 000 manifestants sont revendiqués, occupant une bonne moitié de la place), se veut incarnation de la République. À l'image de Marianne ornant les sceaux sur chaque acte. Mais sans la gabegie propre aux fonctionnaires (huée générale en plein air)... M. Tarrade, dans son discours, semble acter la disparition de François Hollande. Il ne s'adresse qu'au premier ministre : « Puisque vous prétendez aimer l'entreprise, élargissez votre soutien auprès des entreprises notariales... »

Les notaires parviennent à faire de Montebourg un suppôt de la dérégulation sauvage américaine, contre laquelle leur corporation se poserait en digue. À la tribune, un ponte, grisé, expectore des slogans excessivement touchants : « Après le hamburger, le lawyer ? Après la malbouffe, le maldroit ? »

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Affaire Kerviel : une audience plus importante qu'il n'y paraît

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En apparence, l’audience de la cour d’appel de Versailles, chargée de statuer, ce 17 septembre, sur la demande d’expertise dans le dossier de Jérôme Kerviel face à la Société générale, a ressemblé à de si nombreuses séances judiciaires engluées dans des débats de procédure. On y parla de retards, de respect du contradictoire, avant de demander le renvoi à une audition ultérieure. La demande a été acceptée par la cour d’appel, qui a fixé l’examen de la demande d’expertise indépendante des pertes de la Société générale, présentée par Jérôme Kerviel, au 13 novembre. « Mais c’est la dernière fois », a prévenu le président de la 9e chambre, Olivier Larmanjat, soulignant qu’il n’accepterait pas d’être pris dans des manœuvres dilatoires pour éviter d’en venir au fond.

 Les deux parties demandaient conjointement le renvoi de l’audience, faute de temps et des retards pris. Les avocats de la Société générale n’avaient remis leurs conclusions sur la demande d’expertise que le 8 septembre, alors qu’il avait été prévu lors d’une première audience que celles-ci devaient être présentées fin juillet. « Le mois d’août, la complexité du dossier… » expliqua, en guise d’excuse, Me Jean  Reinhart, avocat de la Société générale. La réponse des avocats de Jérôme Kerviel aux conclusions de la défense de la banque n’est arrivée que le 16 septembre. Bref, à écouter les uns et les autres, l’enjeu était trop immense – 4,9 milliards d’euros – et les moyens soulevés étaient trop  importants pour plaider le dossier tout de suite. L’avocat de la Société générale laissa entendre qu’il avait besoin de consulter son client et de réorganiser sa défense. L’affaire ne dure que depuis sept ans…

 En dépit de ce nouveau renvoi, les pièces du dossier semblent cependant commencer à bouger. Pour la première fois devant la justice, la thèse, largement répandue, d’une Société générale victime malheureuse d’un trader « fou », Jérôme Kerviel, et ne portant aucune responsabilité dans l’affaire, est battue en brèche. C’est l’avocat général, Jean-Marie d’Huy, ancien juge d’instruction au pôle financier de Paris, qui avait tenu à intervenir personnellement, qui l’a ouverte.

 « L’arrêt de la Cour de cassation [du 19 mars, qui a cassé toute la partie civile de l’affaire et les dommages et intérêts réclamés à Jérôme Kerviel. (Voir le sursaut de la justice) – Ndlr] constitue un revirement dans la jurisprudence. La Cour de cassation nous indique un chemin, insista-t-il en préambule. La Société générale n’ignore pas qu’il va falloir tenir compte des graves défaillances, des nombreux manquements, des absences de contrôle qui ont été relevés. Si ces fautes ne sont pas de nature pénale, elles devront malgré tout être regardées et examinées pour savoir dans quelle mesure elles ont impacté, diminué le droit à réparation de la Société générale », a-t-il prévenu. Tout un pan de la défense de la banque se retrouve d’ores et déjà à terre. Il va lui être difficile de plaider, comme au cours des deux premiers procès l’irresponsabilité totale dans ce qui est arrivé.

 L’enjeu d’une expertise indépendante devient plus crucial que jamais. Rappelant que Jérôme Kerviel a été condamné à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts sans aucune expertise indépendante, son avocat, David Koubbi, a insisté sur son importance : « Il nous faut savoir quelle est la part de responsabilité de la Société générale dans les dommages qu’elle dit avoir subis. Nous devons connaître comment ont été constituées ces pertes et pour cela, savoir comment ont été débouclées les positions prises par Jérôme Kerviel, notamment. Ce sont des questions techniques, difficiles. Mais il y a une nécessité absolue de faire la lumière sur toutes ces questions. »

 En face, les avocats de la Société générale campèrent sur leurs positions. Même si leur défense a sérieusement été ébranlée par l’arrêt de la Cour de cassation, ils refusent toute expertise indépendante. « Mais pourquoi devrait-il y avoir de nouvelles expertises ? Il y en a eu dès le début du dossier, par les autorités les plus qualifiées. La commission bancaire a pointé tous les manquements et les défaillances de la banque et l’a d’ailleurs condamnée à une amende. Les commissaires aux comptes ont examiné et validé les pertes de la banque. L’Inspection générale des finances, à la demande de Christine Lagarde, a contrôlé la perte fiscale de la Société générale. Que faut-il de plus ? » expliquait Jean Veil, avocat de la banque, à la sortie de l’audience. Devant la cour, son collègue, Jean Reinhard, avait été jusqu’à invoquer le secret bancaire pour soutenir l’impossibilité de mener une expertise.

  Cela ressemble à l’argument de la dernière chance. Tiendra-t-il face à la cour d’appel de Versailles ? Celle-ci ne va-t-elle pas finir par se demander ce que la Société générale redoute pour s'opposer de toutes ses forces à tout examen extérieur ?

 

 

 

 

 

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Argent des groupes : les députés votent la transparence sur leurs cagnottes

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Cette fois, les députés UMP ont voté en faveur de la transparence. Pour l'occasion, ils ont ravalé leurs diatribes contre « le voyeurisme » et « Big brother ». Mercredi 17 septembre, l'Assemblée nationale a pu adopter à l'unanimité une réforme qui oblige tous les groupes politiques du Palais-Bourbon (PS, UMP, UDI, etc.) à faire la transparence sur leurs comptes et l'usage qu'ils font de l'argent public (10 millions d'euros de subventions de fonctionnement distribuées chaque année par l'Assemblée). Un progrès indéniable.

Claude Bartolone, président PS de l'Assemblée nationaleClaude Bartolone, président PS de l'Assemblée nationale © Reuters

Il faut dire que les députés UMP ont réalisé cet été qu'ils ignoraient tout de leur propre comptabilité. Ils ont découvert en lisant Mediapart que leur président, Christian Jacob, ponctionnait les réserves du groupe dans leur dos pour renflouer le siège du parti et d'anciens élus « en difficulté » (voir nos révélations sur le prêt caché de 3 millions d'euros). Ils ont appris, en feuilletant Le Canard enchaîné, que leur groupe avait acheté des prestations en pagaille à la société Bygmalion. En fait, les élus se sont tout bonnement aperçus que leur trésorerie avait fondu de six millions d'euros entre 2007 et 2014, sans qu'ils n'aient jamais désigné de trésorier.

C'est en réaction à ces dérives que Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, a déposé la résolution votée mercredi, co-signée par les présidents des six groupes existants, pour modifier le règlement du Palais-Bourbon. En réaction aussi au scandale qui ébranle le groupe UMP du Sénat, sous le coup d'une information judiciaire pour « détournements de fonds publics », « abus de confiance » et « blanchiment » (voir nos révélations).

« Moraliser le fonctionnement de notre démocratie est une tâche qu’il faut sans cesse remettre sur le métier », a lancé Pascal Popelin (PS), un an après l'adoption des « lois Cahuzac » et une semaine après l'affaire Thévenoud, déplorant « une interminable chronique » et un « climat irrespirable ». « Aujourd'hui la défiance est générale, on ne peut plus s'en abstraire. »

Pour l'UMP, Christian Jacob ne s'est même pas déplacé, laissant son collègue Jean-Frédéric Poisson défendre le texte, mollement. « Il est sain de rappeler à l’occasion de ce débat que les élus font aussi des efforts, a-t-il estimé. Que de plus en plus fréquemment, nous faisons en sorte que ceux qui voudraient mal se comporter soient contenus. » Dans le style, difficile d'en faire moins.

En coulisse, certains élus espèrent encore que le texte sera censuré par le Conseil constitutionnel au nom de l'article 4 de la loi fondamentale, qui prévoit que les groupes « exercent librement leurs activités ».

Jusqu'ici dépourvus de réel statut, bien qu'ils salarient des dizaines de collaborateurs, produisent des amendements et achètent des prestations de communication, les groupes devront désormais se muer en véritables associations – comme c'est déjà le cas pour le PS depuis 1988 et les écologistes depuis 2012.

Le texte adopté, qui tient en une demi-phrase, a été complété par une décision du bureau de l'Assemblée qui précise les nouvelles obligations à respecter : les fonds alloués par l'Assemblée ne devront plus servir qu'au travail parlementaire et à la rémunération de collaborateurs ; les comptes devront être certifiés par un commissaire aux comptes, présentés en assemblée générale à l'ensemble du groupe, puis publiés dans une version synthétique sur le site de l'Assemblée (ce que ni le PS ni EELV n'ont encore fait).

Pour le centriste Charles de Courson, il était temps. « J'ai été trésorier de mon groupe, a-t-il confié sur France Culture. Vous recevez une dotation mensuelle – qui est l'argent des Français – et vous en faites ce que vous voulez. J'aurais pu détourner une partie de l'argent du groupe et personne n'y aurait rien vu. C'est très simple. Personne ne contrôle quoi que ce soit. »

À la tribune, l'écologiste Éric Alauzet, satisfait, a salué les révélations de la presse dont « le travail d'investigation permet d'améliorer nos règles », mais regretté « que nous soyons réactifs bien plus que proactifs. En adoptant cette attitude défensive sur les questions de transparence, nous agissons – ou plutôt nous réagissons – lorsque le mal est déjà fait. Le mal éthique qui permet aux populismes de prospérer sur le thème du "tous pourris"». Dans une référence à l'affaire Bygmalion et à l'UMP, l'élu a rappelé que « la certification des comptes n'était pas la panacée » : « On a vu des comptes de partis politiques certifiés (par ses commissaires aux comptes) alors qu'ils étaient insincères... »

En pointe sur le sujet, le centriste Charles de Courson souhaiterait que les budgets des groupes soient non seulement publiés mais soumis à un pointilleux contrôle extérieur, « celui de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ou de la Cour des comptes ». À défaut, aux vérifications plus superficielles de la Commission nationale des financements politiques (CNCCFP), déjà en charge des comptes des partis.

Lors de l'examen de la réforme en commission, Nathalie Kosciusko-Morizet avait d'ailleurs joué les ingénues, soufflant à ses collègues : « Je me demande, par curiosité, si le statut de parti politique, soumis à des règles plus strictes que celui d’association, a été envisagé (pour les groupes) et, dans l’affirmative, pourquoi il a été écarté... » En guise de réponse, le rapporteur du texte, le socialiste Bernard Roman, a rappelé mercredi le « principe constitutionnel de liberté des groupes politiques ». Mais « le plus beau contrôle externe qui puisse exister, c'est celui (des citoyens) », a-t-il voulu rassurer.

Pour souligner l'ampleur de la révolution à l'œuvre, Bernard Roman ne s'est pas privé de relever que le Sénat, de son côté, venait certes d'imposer à ses groupes de faire certifier leurs comptes, mais sans publication à la clef ! Au palais du Luxembourg, la transparence s'arrêtera ainsi à la porte des dignitaires : les comptes des groupes seront transmis au président du Sénat et aux trois questeurs (ces élus désignés par leurs pairs pour gérer les finances de la maison), puis consultables uniquement par les autres présidents de groupe. Un bon moyen de se tenir les uns les autres. « C'est une différence notable qui montre que le souci de transparence est plus exigeant à l’Assemblée nationale », a glissé Bernard Roman.

Même au Palais-Bourbon, quelques détails restent en suspens. La question des réserves, en particulier, n'est pas tranchée : à la fin d'une législature, qu'adviendra-t-il des fonds non utilisés ? Au-delà d'une certaine limite (un petit matelas nécessaire pour gérer une débâcle électorale et les licenciements de collaborateurs qui s'ensuivent), les groupes devront-ils reverser leur "cagnotte" dans les caisses de l'Assemblée ? Ce serait une petit révolution. Mais « peut-on pénaliser les bons gestionnaires ? » a lancé dès mercredi Jean-Frédéric Poisson.

En commission, Jean-Luc Warsmann (UMP) a lancé cet avertissement : « Si nous ne traitons pas ce problème, on ne tardera pas à voir surgir une polémique sur la présence de millions d’euros sur les comptes de certains groupes parlementaires... » 

Combien y a-t-il aujourd'hui dans les caisses du groupe PS, d'ailleurs ? Sollicité, celui-ci nous a conseillé d'attendre la publication.

Par ailleurs, enfin dotés d'une personnalité morale, les groupes auront non seulement le droit de se pourvoir en justice (Christian Jacob y réfléchit dans le différend qui l'oppose à Bastien Millot, l'un des fondateurs de Bygmalion), mais aussi de recevoir des dons. Une nouveauté qui pourrait aiguiser certains appétits.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Cambadélis: le communiqué sur mesure de Paris-7

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Le communiqué visait à éteindre l'incendie Cambadélis. Bien au contraire, il le ravive. Après nos révélations sur les diplômes universitaires usurpés de l'actuel premier secrétaire du Parti socialiste (article à lire ici), l'affaire prend une nouvelle ampleur avec l'intervention de l'Université Paris-7 Diderot en défense de Jean-Christophe Cambadélis. Mercredi en fin d'après-midi, dans un communiqué de neuf lignes, l'établissement volait au secours du responsable socialiste : « L’Université Paris Diderot, après vérification, affirme que le cursus universitaire de M. Cambadélis dans l’établissement, ainsi que l’obtention de son doctorat se sont réalisés de manière tout à fait régulière » (l'intégralité du communiqué est ici).

Quentin Guillemain.Quentin Guillemain.

Signataire de ce communiqué : Quentin Guillemain. Quentin Guillemain est le directeur de cabinet de la présidente de l'Université Paris-7 Diderot. Il fut nommé à ce poste par l'ancien président Vincent Berger, depuis parti à l'Élysée comme conseiller à l'éducation. Mais Quentin Guillemain est aussi un militant socialiste de longue date, lié à Jean-Christophe Cambadélis. Membre du bureau fédéral de la fédération socialiste de Paris (le détail du bureau fédéral est ici), il a un parcours qui ne diffère guère du premier secrétaire du PS. Il fut membre du bureau national de l'Unef de 2005 à 2008, administrateur de la Mutuelle des étudiants (ex-Mnef) de 2007 à 2009 avant d'entamer une carrière de militant professionnel : collaborateur de cabinet à la mairie de Paris du XXe arrondissement en 2009 et 2010 puis collaborateur de cabinet au conseil régional d'Île-de-France de 2010 à 2013 auprès de la vice-présidente socialiste en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche (plus de détails peuvent être trouvés sur son profil complet Linkedin).

Quentin Guillemain ne cache pas sa proximité avec Jean-Christophe Cambadélis. Sur ses blogs personnels ou tenus dans plusieurs médias (Huffington Post, Agoravox, LePlus), il a republié de nombreux textes de l'actuel premier secrétaire, qu'il classe dans un de ses blogs sous la rubrique « amis, militants ou élus » avec Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn (c'est à trouver ici) et twitte régulièrement ses communiqués.

Enfin, il est le trésorier et l'un des responsables de l'association Réformistes et Solidaires (RésoNet, le site est ici), aujourd'hui mise en sommeil et qui a été fondée par l'actuel directeur de cabinet adjoint de Jean-Christophe Cambadélis à Solférino, Maxime des Gayets (sa biographie ici). Signataire du fameux communiqué destiné à sauver Jean-Christophe Cambadélis du scandale, communiqué qui n'infirme en rien nos informations (lire ici la réponse Laurent Mauduit), Quentin Guillemain l'a aussitôt abondamment twitté lundi soir :

Contacté jeudi matin par Mediapart et interrogé sur ce communiqué sur mesure en faveur de Jean-Christophe Cambadélis, dont il est un partisan, Quentin Guillemain réfute tout conflit d'intérêts ou service politique rendu au premier secrétaire en difficulté. « Dans le privé, je suis militant dans plein d’organisations différentes », dit-il. D'ordinaire, les communiqués de l'Université Paris-7 Diderot renvoient à la directrice de communication Virginie His. Pourquoi, cette fois-ci, en est-il le signataire et contact ? « Il est normal que le cabinet prenne en charge des affaires qui mettent en cause directement l’université. J’avais déjà rédigé un communiqué dans le cas de l’affaire des diplômes des frères Bogdanoff il y a huit mois. Dans les affaires politiques comme celle-là, c’est le cabinet qui s’en occupe », précise-t-il.

Il assure également « avoir géré ce dossier en accord avec la présidence de l'université ». Mais quand nous avons tenté, jeudi matin, de joindre la présidente de l'université, Christine Clerici, il nous a été clairement répondu que ce n'était pas possible et que seul son directeur de cabinet était habilité à le faire. Il nous a été également impossible de connaître le détail de la procédure ayant mené à la rédaction du communiqué. Le directeur de cabinet aurait-il pris seul l'initiative de rédiger un communiqué « blanchissant » le premier secrétaire du PS ? Le scandale déborderait alors au sein des instances universitaires.

Interrogé sur son intervention, Quentin Guillemain, qui menace au passage de « saisir la justice », nous a déclaré : « Nos services ont recherché les documents concernant son doctorat et nous pouvons affirmer qu’il s’y est inscrit de manière tout à fait régulière. » Comment l'université a-t-elle pu en quelques heures seulement vérifier le détail de la situation universitaire de Jean-Christophe Cambadélis, une demande faite officiellement il y a plusieurs mois par notre confrère Laurent Mauduit et restée sans réponse ? C'est un mystère de plus.

Sur le fond, et comme nous l'avons déjà expliqué, ce communiqué ne change rien à cette affaire d'usurpation de diplômes universitaires. L'Université Paris-7 Diderot vient d'ailleurs en bout de parcours de ce cursus universitaire truqué, le problème principal étant l'acceptation en thèse de troisième cycle de Jean-Christophe Cambadélis alors qu'il ne possédait aucun diplôme antérieur l'autorisant à s'inscrire dans ce cyle : voir ici nos explications détaillées.

Quentin Guillemain assure aujourd'hui qu’il ne peut rendre publiques « sans son accord des informations qui ne regardent que l’intéressé ». La balle revient ainsi dans le camp du premier secrétaire du PS, sommé déjà par plusieurs responsables politiques de rendre publics ses titres, diplômes et « dérogations » dont il dit avoir bénéficié.

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François Hollande, condamné à attendre

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Sur les côtés, dans les allées, il y avait des chaises vides. Pour la quatrième conférence de presse de son quinquennat, François Hollande n’a pas fait le plein. À Mediapart, nous étions deux pour couvrir l’événement : sans doute trop pour une conférence de presse sans grand intérêt. François Hollande a certes profité de la présence de nombreux journalistes pour confirmer l’imminence de frappes aériennes françaises en Irak contre l’État islamique (EI) et insister sur la menace terroriste. Mais, sur le plan intérieur, il a donné l’impression d’un président qui a abattu toutes ses cartes et à qui il ne reste plus d’autre choix que d’attendre hypothétiques « résultats ».

C’est un paradoxe pour un président de la République qui se faisait fort au moment de son élection de maîtriser l’agenda et de construire son action dans la durée. « Deux ans et demi pour le redressement, deux ans et demi pour redistribuer », tel était le projet initial de la campagne, rappelé jeudi par François Hollande et qui semble bien loin aujourd’hui. À plusieurs reprises, lors de sa conférence de presse, le président de la République a admis qu’il n’avait plus franchement le contrôle sur ces « résultats qui, j’espère, arriveront avant 2017 ». « Quelquefois, on sert l’avenir plutôt que le présent », veut-il encore croire.

Promettant d’effectuer son mandat jusqu’au bout, François Hollande a également exclu tout référendum. Dans un livre d’entretiens avec Edwy Plenel, Devoirs de vérité (Stock), il expliquait pourtant : « Je ne crois plus à la possibilité de venir au pouvoir sur un programme pour cinq ans dont il n'y aurait rien à changer au cours de la mandature. Je pense qu'il y a forcément un exercice de vérification démocratique au milieu de la législature. (...) Le devoir de vérité, c'est d'être capable de dire : "Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance". »

Jeudi, interrogé sur ces propos tenus en 2006, le président a soutenu avoir fait cet exercice de « clarification » avec le remaniement surprise de fin août et le vote de confiance sur le discours de politique générale prononcé par Manuel Valls à l’Assemblée. « J’ai voulu qu’il y ait cette clarification. Elle a été faite. S’il n’y avait pas eu la confiance, alors le peuple aurait été appelé à renouveler l’Assemblée nationale », a-t-il dit.

De temps en temps, le chef de l’État évoque le souvenir du candidat socialiste qu’il fut. Alors qu’il a toujours répugné à le faire depuis son élection, interdisant même à son ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault d’en parler, François Hollande a rappelé la situation du pays à son arrivée à l’Élysée — « un État en faillite », a-t-il dit, reprenant l’expression de François Fillon en 2008. Le retour imminent de Nicolas Sarkozy (que François Hollande n’a pas souhaité commenter) y est sans doute pour quelque chose. À deux reprises, le locataire de l’Élysée a également évoqué ce fameux discours du Bourget, dont nombre de ses électeurs lui reprochent de s’être détourné. « Un très bon discours », dit-il, amusé, comme pour jurer qu'il n'a pas trahi ses engagements de campagne.

Mais ses phrases sont parfois alambiquées, voire difficilement compréhensibles. Comme s’il se perdait lui-même dans ses explications. À plusieurs reprises, il a aussi frôlé le lapsus – manquant d’évoquer Saddam Hussein pour parler de Bachar el-Assad, parlant d’Iran au lieu de l’Irak et de Guinée équatoriale à la place de la Guinée-Conakry – même quand il a revêtu les habits de chef de guerre.

Jeudi, il a annoncé qu’à la suite d’un conseil de défense à l’Élysée, il avait donné son accord pour des frappes aériennes françaises en Irak. Après des premiers vols de reconnaissance lundi et jeudi, elles devraient survenir dans « un délai court », a-t-il promis.

La salle de la conférence de presse n'a pas fait le pleinLa salle de la conférence de presse n'a pas fait le plein © MM

Sur les côtés, il reste de nombreuses chaises videsSur les côtés, il reste de nombreuses chaises vides © MM

En revanche, pas question d’envoyer des troupes au sol et de frapper la Syrie voisine où prospèrent et se réfugient les terroristes de l’État islamique (EI). « Nous sommes très attentifs à des aspects de légalité internationale », a justifié Hollande, avant de rappeler que si les autorités irakiennes avaient sollicité l’aide de la communauté internationale, ce n’était pas le cas de Bachar el-Assad. Le président français a également rejeté l’hypothèse, un temps soulevée par les milieux de la défense, d’une intervention menée par la France en Libye : « C’est à la communauté internationale de régler cette question. »

Avec ce nouvel engagement militaire français, François Hollande confirme son statut de président le plus interventionniste de la Ve République en si peu de temps, quitte à agiter la menace terroriste, extérieure et intérieure, avec des accents qui rappellent ceux de George W. Bush en son temps (lire notre analyse sur ce président qui aime faire la guerre).

Toute la première partie du propos liminaire du président de la République a d’ailleurs consisté à décrire un monde, et donc la France, assailli de menaces diverses : les terroristes de l’EI, liés systématiquement au projet de loi sur le terrorisme, Ebola, Gaza, la Libye, le Nigeria, l’Ukraine… « Mon premier devoir est d’assurer la sécurité », a-t-il dit en préambule, rappelant les accents de son premier ministre Manuel Valls.

Pour le reste, le chef de l’État a rappelé son cap, fondé sur une politique de l’offre et la « compétitivité » des entreprises. À l’écouter, c’est d’ailleurs ce qu’il avait promis à ses électeurs : « J’ai fait des choix, je les ai revendiqués et ils sont cohérents avec ce que j’ai dit pendant la campagne. »

« Le soutien aux entreprises est un choix irrévocable », a-t-il affirmé en direction de sa majorité, dont une partie réclame des contreparties. Lui préfère parler d’« engagements mutuels », renvoyés à la négociation en cours dans les branches professionnelles. Les 50 milliards d’économie d’ici 2017 ne sont pas remis en cause. Mais il n’y en aura pas davantage car « ce serait casser la croissance ».

Il n’est toujours pas question de faire bouger le cadre européen. Tout au plus François Hollande, dont l’objectif premier est de faire accepter par Bruxelles un report du retour à 3 % de déficits en 2017, entend-il « utiliser toutes les flexibilités prévues par les traités pour les adapter aux objectifs de croissance et d’emploi ». Le chef de l’État l’admet : « Les alternatives? Il y en a toujours. » Mais c’est pour mieux réaffirmer la pertinence de ses choix, lui qui ne veut ni « sortir de la zone euro » (il cible le programme du FN), ni « casser le modèle social » (celui de l’UMP), ni « fuir dans les déficits et la dette » (la gauche du PS, EELV, le Front de gauche, selon lui). « Être rattrapé par les marchés financiers, très peu pour moi ! », a-t-il lancé.

Hollande a également défendu l’élargissement du service civique (« je demande un grand engagement pour l’engagement »), et l’accélération promise du plan numérique dans les établissements scolaires.

Interrogé sur l’affaire Thévenoud par plusieurs journalistes, François Hollande s’est félicité du travail de la Haute Autorité pour la transparence (HAT), créée après l’affaire Cahuzac. Il s'est dit prêt à lui donner plus de moyens. Et a affirmé, comme Manuel Valls, que le député qui ne déclarait pas ses impôts n’est « pas digne de rester député ».

« Mon devoir est d’agir pour que les réformes soient menées », a surtout répété François Hollande, comme un mantra. Le discours, de ton et d’apparence optimistes, est toutefois ponctué d’images sinistres, comme le « tocsin » du résultat des européennes ou le risque d’un « enlisement de l’économie européenne dans la stagnation ». « Nous ne répondons pas assez aux angoisses, aux inquiétudes de ceux qui vivent dans les quartiers populaires », a aussi dit François Hollande. Comme un aveu.

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Terrorisme: droite et gauche au garde-à-vous à l'Assemblée

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La France est depuis le 15 septembre engagée dans une opération militaire contre les djihadistes de l’État islamique (EI) en Irak. Mais à écouter le débat parlementaire sur le projet de lutte contre le terrorisme, largement adopté jeudi 18 septembre par les députés, elle est également en guerre à l’intérieur de ses frontières.

Comme en commission des lois en juillet, tous les groupes ont soutenu le texte, à l’exception des écologistes qui se sont abstenus. Le rapporteur socialiste Sébastien Pietrasanta s’est réjoui de cette « union nationale qui permet d’envoyer un signe fort aux groupes terroristes ». Les députés UMP ont eux fait assaut depuis lundi de déclarations martiales, appelant à « l’union sacrée de toute la représentation nationale, de tous les républicains » face à une « guerre imposée par une frange fanatique du monde musulman », selon les propos de Pierre Lellouche. Examiné en procédure accélérée (une seule lecture dans chaque chambre), le projet de loi a très peu de chances d’être soumis au Conseil constitutionnel.

Il marque pourtant un glissement supplémentaire vers une police préventive, intervenant avant même la commission des faits, qu’il s’agisse d’interdire la sortie du territoire à des aspirants terroristes sur simple décision administrative, de bloquer des sites djihadistes ou de stopper des projets terroristes individuels. Les socialistes arguent que ce n’est pas leur position qui a évolué, mais la menace terroriste devenue « gravissime ». « En 2010, avions-nous le même nombre de jeunes qui basculaient dans les groupes djihadistes via Internet ? », a  ainsi rétorqué le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve au député UMP Lionel Tardy, qui lui rappelait l’opposition des socialistes au blocage administratif des sites lors du vote de la loi Loppsi 2.

C’est aussi clairement à la fréquentation assidue des services de renseignement que les socialistes ont baissé la garde. « Nous avons accès à des informations que nous n'avions pas dans l'opposition », a expliqué dans Le Monde Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois et auteur en 2013 d’un rapport sur le renseignement. « Le Parlement a fait un hold-up sur la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) », constate un syndicaliste officier. À moins que ce ne soit l’inverse...

Le ministre de l’intérieur s’est livré à un exercice de déminage, dénonçant les « contre-vérités » et le « procès d’intention » qui lui serait fait dans une partie de la presse. Dans l’hémicycle lui-même, il n’a été mis en difficulté que sur l’article 9 du texte, qui a focalisé les craintes jusque dans les rangs de l’UMP. Cet article prévoit le blocage administratif des sites internet incitant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Les critiques les plus vives sont venues des députés les plus impliqués dans les dossiers numériques, quelle que soit leur couleur politique.

Même si le mot djihad ou Syrie n’y apparaît bien sûr pas, le projet de loi est taillé sur mesure. Au point que le député PS Christian Paul a dû rappeler que « cette lutte ne concernera d’ailleurs pas seulement les mouvements djihadistes, la nouvelle menace, particulièrement barbare, à laquelle nous sommes confrontés actuellement, mais l’ensemble des actes terroristes qui peuvent être commis aujourd’hui et dans les décennies à venir ».

Les débats ont été rythmés par un suivi quasi en temps réel des départs de djihadistes vers la Syrie, qui ont, selon Bernard Cazeneuve, augmenté de 74 % depuis janvier 2014 (passant de 555 à 932). Lundi 15 septembre, le ministre annonçait ainsi qu’une adolescente française, « qui avait manifesté à plusieurs reprises son intention de se rendre en Syrie », venait d’être retrouvée en Belgique « grâce à un signalement d'Interpol ». Le mercredi 17, un communiqué du ministère de l’intérieur félicitait la DGSI pour l’interpellation dans la nuit de cinq personnes soupçonnées « d'avoir joué un rôle très actif dans le recrutement et le départ ces derniers mois vers la Syrie de plusieurs jeunes femmes ».

Ces annonces montrent l’ampleur inédite du phénomène, mais aussi le caractère industriel de la réponse des services antiterroristes. Selon le ministre de l’intérieur, depuis janvier, 110 personnes ont été interpellées et 74 mises en examen dans le cadre de procédures relatives aux filières djihadistes syriennes traitées par le pôle antiterroriste du tribunal de Paris. Parmi elles, des djihadistes de retour de Syrie, des recruteurs, des facilitateurs, etc. En regard de ces chiffres, 180 personnes parties en Syrie sont revenues en Europe depuis le début du conflit, dont une centaine en France…

Seule la tribune du photographe indépendant Pierre Torres, venue s’inviter jeudi dans les débats, a interrompu ce flux. L’ex-otage français en Syrie y accuse les services antiterroristes français d’avoir « pour se faire mousser » organisé les fuites sur la présence de Mehdi Nemmouche parmi ses geôliers. Cette information était connue depuis juin par les services mais n'a été révélée dans Le Monde que le 6 septembre. Selon lui, cette fuite, qui mettrait en danger la vie des autres otages en Syrie, relève « évidemment de l'opération de promotion ». « Du point de vue des organisateurs de cette fuite, l'opération a bien fonctionné. "Jeune-délinquant-Arabe-Syrie-attentat-France-terrorisme-antiterrorisme", toute l'artillerie sémantique est déballée afin de finir de nous convaincre que nous avons toutes les raisons d'avoir peur », constate Pierre Torres. Face aux députés, Bernard Cazeneuve a démenti toute « instrumentalisation ». « Les services ont été exemplaires », a-t-il répondu.

Que dit le texte adopté jeudi, qui doit désormais être examiné par le Sénat ?

  • Interdiction administrative de sortie de territoire

L’administration pourra interdire le départ de Français soupçonnés d’aller participer à des opérations terroristes, des crimes de guerre ou contre l’humanité à l’étranger ; ainsi que ceux cherchant à rejoindre un « théâtre d’opérations de groupements terroristes(...) dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ». L’administration leur retirera leur passeport ainsi que leur carte d’identité pour une durée de six mois, renouvelable jusqu’à deux ans maximum. La mesure vise les djihadistes partant combattre aux côté de l’État islamique en Syrie et en Irak, mais également toute organisation qualifiée de terroriste comme le Hamas, a confirmé Bernard Cazeneuve.

Seule concession : grâce à un amendement écologiste, l’interdiction devra être « écrite et motivée », ce que la première version du texte ne précisait même pas. Très critiqué pour cette mesure de police administrative, Bernard Cazeneuve a affirmé qu’en cas de recours devant le juge administratif, « le dossier pourra comprendre des notes blanches réalisées à partir du travail des services de renseignement ».

C’est déjà le cas dans les procédures d’expulsion et cela n’a rien de rassurant, à en croire Me Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés) contacté par Mediapart. « Dans les recours contre des expulsions ou des refus de titre de séjour, l’administration produit des notes blanches sans en-tête, ni signées, qui affirment qu’untel a été vu avec untel à tel moment, ou appartient à telle organisation, décrit l’avocat. Nous sommes désarmés face à ces notes qui sont considérées comme des éléments incontestables par le juge administratif. Comment apporter une preuve négative ? »

Favorable à cette interdiction, les députés de la droite dure ont donné dans la surenchère et la redondance. Éric Ciotti a ainsi proposé d’interdire aux Français partis en Syrie de revenir en France, ce qui est « totalement impossible » et « anticonstitutionnel » a rappelé le ministre de l’intérieur. L’UMP a également réclamé des mesures spécifiques concernant les binationaux, catégorie qui n’existe pas dans le droit français, a recadré la chevènementiste Marie-Françoise Bechtel. « En droit interne, on est national ou on ne l’est pas », a-t-elle précisé.

Plusieurs UMP ont exigé une déchéance de nationalité pour terrorisme, qui existe déjà. « J’ai pris, en mai dernier, des mesures pour qu’une procédure de déchéance soit engagée pour actes de terrorisme », leur a rappelé Bernard Cazeneuve. L’UMP a aussi bataillé pour la suppression des « droits sociaux » aux djihadistes, ce qui est là encore déjà le cas. Selon le rapporteur PS Sébastien Pietrasanta, 115 personnes ayant quitté le territoire ont déjà été privées de leurs prestations sociales par la CAF puisqu’elles ne justifient plus de leur présence sur le territoire français.

  • La provocation et l’apologie aux actes terroristes sorties de la loi de 1881

Le texte voté prévoit de faire rentrer dans le code pénal les délits de provocation et d’apologie aux actes terroristes, aujourd’hui réprimés comme des délits de presse dans le cadre protecteur de la loi de 1881. Cette mesure rallonge le délai de prescription de ces actes à trois ans et permet leur jugement en comparution immédiate. Surtout, elle permettra aux enquêteurs de disposer de la plupart des moyens d’enquête réservés à l’arsenal antiterroriste : surveillances, infiltrations, écoutes téléphoniques, sonorisations et captations de données informatiques…

La peine sera aggravée (sept ans d’emprisonnement) lorsque les faits sont commis sur Internet « afin de tenir compte de l’effet démultiplicateur de ce moyen de communication ». Et ce même lorsque la provocation est non publique, au motif selon Sébastien Pietrasanta que « certains forums privés comptent un grand nombre de membres ». Au nom de la Commission du droit et des libertés à l’âge numérique,le député PS Christian Paul s’est inquiété de cette « croisade contre le numérique » qui repose sur « l’idée fausse » que « l’arrivée d’Internet constituerait en quelque sorte une rupture ».

« Quand la télévision est arrivée, (…) capable de réunir cinq à dix millions de spectateurs devant le journal du soir, on n’a pas prévu de circonstances aggravantes. Pourquoi le ferions-nous aujourd’hui pour les réseaux numériques et Internet ? », a-t-il demandé. Parce que « leur propagande, c’est sur Internet qu’ils (les groupes terroristes, ndlr) la font, c’est la réalité ! », a répondu le ministre de l’intérieur. Il a également rappelé que « l’usage d’Internet est d’ores et déjà considéré comme une circonstance aggravante dans plusieurs crimes et délits », comme les viols et agressions sexuelles.

  • Nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle

Il s’agit, pour répondre au « développement de l’autoradicalisation », de pouvoir punir un projet individuel d’acte terroriste, avant même tout début de passage à l’acte. Lors de l'examen de la première loi antiterroriste socialiste fin 2012, Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, avait balayé cette nouvelle infraction qui n’aurait selon lui « eu aucune utilité concrète, pratique, efficace, sur le comportement de Mohamed Merah ». Il a depuis changé d’avis, de même que le juge d’instruction Marc Trevidic, inspirateur de cette mesure qui complète le délit d'« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », pilier depuis 1996 du système antiterroriste français.

Le juge devra prouver l’intention terroriste, qui « peut être matérialisée par un message menaçant » selon Marie-Françoise Bechtel. Puis caractériser le projet par la détention ou la recherche d’objets « de nature à créer un danger pour autrui ». Ainsi qu’un second élément matériel pioché dans ce QCM :

« - recueillir des renseignements relatifs à un lieu, à une ou plusieurs personnes ou à la surveillance de ces personnes ;

- s’entraîner ou se former au maniement des armes ou à toute forme de combat, à la fabrication ou à l’utilisation de substances explosives, incendiaires, nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques ou au pilotage d’aéronefs ;

- consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne ou détenir des documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, sauf lorsque la consultation ou la détention résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou a pour objet de servir de preuve en justice ;

- avoir séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou dans une zone où sont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. »

La possession d’un livre faisant l’apologie du terrorisme, hors du cas des chercheurs et des journalistes, devient ainsi un élément à charge parmi d’autres, de même que la consultation de sites appelant au djihad ou un voyage dans une zone de conflits où opèrent des groupes considérés comme terroristes. L’indignation des socialistes au moment de l’affaire de Tarnac semble très loin. « Parce que l’on a retrouvé l’ouvrage L’insurrection qui vient lors de la saisie d’une bibliothèque – ouvrage auquel ni mes collègues, ni moi-même n’adhérons en rien – on en a conclu que leur possesseur pouvait être un dangereux terroriste », a mis en garde la député écologiste Danielle Auroi.

  • Blocage administratif des sites prônant le terrorisme

L’administration laissera d’abord 24 heures à l'hébergeur pour supprimer un contenu qui ferait l'apologie ou provoquerait au terrorisme. L’éditeur ne sera pas forcément prévenu, afin d’éviter qu’il déplace le contenu. « Les éditeurs de ces sites ne publient pas de tels contenus par erreur ou inadvertance, mais bien par complaisance ou conviction », a justifié le rapporteur PS.

En revanche les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) seront alertés de la demande de retrait en même temps que l’hébergeur, ce qui leur permettra de bloquer le site aussitôt le délai de 24 heures écoulé. Une personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) aura un droit de regard sur la liste de sites interdits élaborée par les services de renseignement. Mais elle n’aura qu’un pouvoir de recommandation. Si celles ci ne sont pas suivies par l’administration, il ne lui restera qu’à saisir le juge administratif.

Bernard Cazeneuve appelle cela «une responsabilisation des acteurs Internet». La députée UMP Laure de la Raudière estime elle qu’on transforme les hébergeurs en «une police privée», décidant «eux-mêmes du caractère manifestement illicite des sites qu’ils hébergent», au risque de la mise en place d’une «censure» qui serait selon elle déjà à l’œuvre sur les articles traitant d’actes pédophiles. «Texte après texte, vous diffusez une doctrine attentatoire aux libertés individuelles : quand un délit est commis sur Internet, alors aucun juge n’est saisi au préalable, s’est-elle émue. Or Internet n’est pas un monde à part ou placé hors du droit.»

Cette mesure «est une erreur et je vous invite, je nous invite, à ne pas la commettre», a supplié Christian Paul (SRC) qui a rappelé que le groupe PS s’est «battu dans cet hémicycle pendant dix ans pour le principe du recours au juge judiciaire».

Lors d’une conférence le 10 septembre, Guillaume Poupard, le patron de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui assure la défense de l'Etat et des entreprises contre les cyberattaques, s’est dit «très réservé sur ces mesures d'un point de vue technique. » De même que le Conseil national du numérique et la Commission de l'Assemblée nationale sur les droits et libertés numériques, vent debout contre un système décrit comme inefficace et facilement contournable. «Vous avez l'air convaincu qu'il faut prendre l'avion pour voir un site bloqué,  je vous montrerai comment faire de votre bureau», s’est ainsi moquée la député Isabelle Attard (Nouvelle Donne).

Acculé par Laure de la Raudière, le ministre de l’intérieur a fini, après trois jours de débats, par indiquer la technique envisagée, à savoir le filtrage par serveur de nom de domaine (DNS). Ce blocage était déjà prévu pour les contenus pédopornographiques dans la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) de 2010. Mais cette mesure n’a jamais été mise en œuvre faute de décret d’application. Un décret commun au terrorisme et à la pédopornographie devrait donc être publié.

«Moi, j’ai face à moi des familles qui tous les jours me signalent des jeunes qui basculent et se sont enfermés  dans une relation exclusive de tout autre sur Internet, s’est défendu Bernard Cazeneuve. Je dois attendre que le juge judiciaire déclenche l’action civile alors qu’il ne la déclenche jamais ou très peu ? » Avant de se livrer à un plaidoyer en défense du juge administratif «qui est aussi un juge des libertés, avec de grands arrêts de jurisprudence, comme l'arrêt Bejamin de 1933». un défense un peu hors propos : la question n’était pas savoir «si, entre le juge administratif et le juge judiciaire, l’un est moins performant que l’autre s’agissant de la défense des libertés, mais s’il est préférable de mettre en œuvre des mesures de police administrative, contrôlées a posteriori par le juge, ou de demander une décision préalable», a indiqué Christian Paul.

  • Plus de pouvoirs d'enquêts sur la criminalité organisée

Les articles 10 et 15 du texte étendent les pouvoirs d’enquête sur la criminalité organisée, qui inclut les actes terroristes. Mais pas que....  Il s’agit de permettre l’enquête sous pseudonyme ; de permettre des perquisitions vers des données à distance (cloud) depuis un service de police, de se passer de l’autorisation d’un juge pour déchiffrer des données ou permettre certaines perquisitions informatiques ; de faire entrer le piratage informatique dans la criminalité organisée ; de porter de 10 à 30 jours la durée de conservation des écoutes administratives ; de faire les fadettes des téléphones portables introduits clandestinement dans les prisons, etc.

«Depuis le début de ce débat, on assiste, sous couvert de lutte contre le terrorisme, à l’aggravation des peines prévues par tous les articles du projet de loi», a regretté le député UMP Lionel Tardy. Concernant les hackers agissant en «bande organisée», les condamnations pourront ainsi aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende «alors qu’il pourrait ne s’agir que de sit-in informatiques organisés par des militants souhaitant bloquer temporairement l’accès à un site, sans qu’il y ait destruction ou extraction de données», a mis en garde le député Christian Paul.

«Compte tenu du climat général qui règne en matière de renseignement sur le réseau numérique, à travers le monde mais aussi en France», le député a réclamé une loi pour encadrer l'ensemble des activités des sevrices de renseignement. D'abord prévue pour 2015, celle-ci semble s'éloigner. «Je ne vais pas faire dans cet hémicycle des annonces qui ne relèvent pas de ma compétence», a éludé le ministre de l’intérieur.

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Barrage du Tarn, ferme des mille vaches: de nouveaux conflits pour le développement durable

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Deux conflits ruraux d’un nouveau type focalisent énergies militantes et attention médiatique : la défense de la zone humide du Testet contre le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn ; l’opposition à la création d’une ferme de mille vaches dans la Somme. Ces deux territoires sont heurtés de plein fouet par les bouleversements en cours du monde agricole. Longtemps oublié des discussions institutionnelles sur le développement durable et la croissance verte, l’avenir de l’agriculture française se retrouve au cœur de deux importantes batailles écologistes.

Blog d'opposants : "Tant qu'il y aura des bouilles".Blog d'opposants : "Tant qu'il y aura des bouilles".

Depuis des mois, les opposants au projet de barrage de Sivens dans le Tarn dénoncent la destruction annoncée de la zone humide du Testet sur 12 hectares, havre de 82 espèces animales protégées et se situant en partie sur une zone naturelle d’intérêt écologique (ZNIEFF). Jusqu’ici, le conseil général et le la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le maître d’ouvrage, poursuivent leur projet de barrage-réservoir de 1,5 million de mètres cubes d'eau, estimé à près de 8 millions d’euros.

Une dizaine d’hectares d’arbres ont déjà été défrichés par les donneurs d’ordre. La justice vient de rejeter deux recours déposés par France nature environnement (FNE). La mobilisation militante a grandi depuis la création en 2011 du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. La forêt de Sivens, aujourd’hui en partie déboisée, est occupée depuis des mois par des activistes, certains perchés dans les arbres pour empêcher qu’ils ne soient abattus. D’autres s'enterrent jusqu’au cou dans le sol, d’autres encore sont en grève de la faim. Des occupations (des fermes, un lycée à Gaillac, devant le conseil général à Albi…) s'organisent. Même le Groland s’est invité au Testet et y a créé « GroZAD ».

Dans le sillage de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ils ont déclaré le Testet en « ZAD », une « zone à défendre » contre les engins de chantier et les aménageurs. Depuis le début du mois, les affrontements ont été rudes. Comme dans le bocage nantais, les forces de l’ordre n’ont pas lésiné sur l’usage de bombes lacrymogènes. « Maïs, armée et globalisation », a dénoncé l’économiste et militante d’Attac Geneviève Azam dans une tribune.

Pour le conseil général du Tarn, la retenue de Sivens est rendue indispensable par « l’état critique chronique de la rivière du Tescou, en terme d’étiage et par les besoins d’une activité agricole raisonnée ». L’exécutif départemental dénonce les « quasi commandos » des opposants, essentiellement composés de non-riverains, critères apparemment d’illégitimité politique. Ségolène Royal a nommé une mission d’expertise et annonce vouloir « concilier la sécurisation d'une activité agricole raisonnée et la préservation de la ressource aquatique et des milieux naturels ».

Contre le projet de barrage, ses détracteurs mettent en avant son coût (8,4 millions d'euros), l'ancienneté de ce projet (près de 35 ans), les failles de l’enquête publique et la non-prise en compte de plusieurs expertises, scientifiques et des services de l’État chargés de l’eau, le mépris pour la faune et la flore condamnées par la submersion, l’ignorance de la valeur des zones humides. À cela s'ajoute un conflit d’intérêts latent : les études préliminaires ont été réalisées en 2001 par la société CACG, qui est devenue aujourd’hui maître d’ouvrage. Face à ces critiques, la puissance publique se retranche derrière le respect des procédures réglementaires, comme à Notre-Dame-des-Landes.

  • L’illusion de la compensation
Tantqu'ilyauradesbouilles.wordpress.comTantqu'ilyauradesbouilles.wordpress.com

Un autre enjeu majeur de ce conflit est jusqu’ici plutôt passé inaperçu : la mise en cause des méthodes de compensation de la destruction annoncée de la zone humide, composée d’aulnes, de saules, de frênes et de prairies permanentes naturelles. Pour le conseil général et la préfecture, la destruction de la zone humide du Testet serait compensée par la réhabilitation de zones humides ailleurs, réparties en neuf parcelles discontinues : 20 hectares doivent être recréés en amont de la retenue.

Ces mesures compensatoires présentent « un caractère hypothétique, voire inadéquat », notamment sur la restauration des caractéristiques des parcelles destinées à disparaître sous les eaux, signale le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) en décembre 2012. Il constate « une analyse bénéfices-risques défavorable pour le patrimoine naturel, notamment du fait de l’altération prévisible du bon état écologique actuel du Tescou (la rivière qui doit être équipée du fameux barrage, ndlr) » et de l’ennoiement « impossible à compenser d’une partie notable de la seule zone humide majeure de la vallée ».

« Il est rarement possible de compenser à l’identique, et plus généralement, de penser l’équivalence entre des destructions de surfaces naturelles et la recréation d’espaces naturalisés », analysent les auteurs du livre Économie et biodiversité (voir l'onglet Prolonger), pour qui « le principe de la compensation écologique repose sur l’illusion que l’ingénierie écologique et la toute-puissance de la technologie sont capables de restaurer la nature de façon équivalente. C’est pourtant loin d’être toujours le cas ».

  • La bataille de l’eau et du climat

Le rapport sur « Le climat de la France au XXIe siècle », sous la direction du climatologue Jean Jouzel, prévoit une augmentation des épisodes de sécheresse dans une large partie du sud du pays d’ici la fin du siècle. Le monde agricole y sera vulnérable, et en particulier en Midi-Pyrénées. Apprendre à s’adapter au manque structurel d’eau, de façon récurrente, va devenir un enjeu vital pour les paysans du Tarn.

Et pourtant, avec le barrage de Sivens, les pouvoirs publics poursuivent une politique d’équipement envisagée sous l’angle d'un approvisionnement toujours croissant, et non d’investissement pour réduire les besoins. Comme si à leurs yeux le dérèglement climatique n’existait toujours pas. C’est l’autre bataille cachée du barrage de Sivens. « L’enjeu majeur de ce projet est de renforcer l’irrigation des terres agricoles (maïs et oléo-protéagineux, voire abreuvage de bétail), analyse le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) en avril 2013, l’enjeu d’intérêt public majeur est évoqué sous l’angle des besoins en eau, mais aucune mesure d’économie de l’usage de l’eau n’est indiquée dans le dossier pour y parvenir. » En conséquence, il a accordé un avis défavorable au projet.

La zone humide, après déboisement (DR).La zone humide, après déboisement (DR).

Il faut fouiller dans les documents de l’enquête publique pour cerner l’ampleur du problème : près de 68 % du volume total du futur barrage doit servir à l’irrigation. Les exploitations concernées ne sont pas forcément gigantesques, la surface agricole utile ne dépasse pas 60 hectares en moyenne, précise le conseil général. Mais sans stratégie concrète d’adaptation au changement climatique, elles risquent de pomper de plus en plus d’eau pour se maintenir. Les calculs de débit et les besoins en eau n’ont pas été actualisés depuis 2009, déplore le CNPN.

Dans ces conditions, c’est tout le projet du barrage de Sivens qui entre en contradiction avec les objectifs de transition énergétique et écologique affichés par le gouvernement, à quelques jours de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi de Ségolène Royal. Pourtant, ministres de l’écologie et de l’agriculture se font discrets sur le sujet.

  • Le spectre de l’industrialisation de l’agriculture

C’est un autre conflit qui se déroule sur les terres picardes de la ferme des mille vaches : comment éviter que la transition énergétique ne serve l’agrobusiness au détriment des petits paysans, et n’accélère l’industrialisation du monde agricole ? L’exploitation agricole que le groupe de BTP Ramery développe aujourd’hui dans la Somme pourrait à terme abriter mille têtes de bétail, d’où le surnom d’« usine » des mille vaches dont l’association locale d’opposants Novissen affuble le projet.

En réalité, la préfecture a pour l’instant plafonné l’activité de l’exploitation à 500 vaches (même si son permis de construire permet d’en élever le double). Cette mégaferme doit comporter une unité de méthanisation, pour valoriser le lisier des bêtes en électricité. D’abord prévu pour atteindre 1,3 mégawatt (MW), ce qui en aurait fait le plus gros méthaniseur jamais construit en France, il vient d’être limité à 0,6 MW. Selon ce système, le gaz issu de la fermentation est récupéré pour produire de l'électricité. Les résidus de ce processus de fabrication (le « digestat ») peuvent à leur tour être utilisés comme engrais pour fertiliser les champs.

Vue générale du projet de "ferme des mille vaches" (Novissen).Vue générale du projet de "ferme des mille vaches" (Novissen).

Cette énergie produite à partir de biogaz est considérée comme renouvelable. Elle bénéficie du soutien de l’État : en mars dernier, le gouvernement a annoncé une hausse des tarifs d'achat de l'électricité, adossée à une modification des primes afin d'encourager ce procédé. La France compte aujourd’hui une centaine d'unités de méthanisation de ce type.

Des fermes vont-elles voir le jour dans le seul but de produire de l’énergie ? C’est ce que craint la Confédération paysanne : la transformation de l’élevage en « sous-produit » de la méthanisation, et la capture de terres nourricières par des cultures à vocation énergétique, comme cela s’est produit pour les agrocarburants. Autre effet pervers pointé : grâce à la vente d’électricité, un producteur de lait pourrait réduire ses marges et commercialiser son lait moins cher, alourdissant ainsi la pression sur les petits éleveurs.

Comme pour la zone humide du Testet, la mobilisation militante a crû depuis un an, à Drucat, près d’Abbeville, portée par la Confédération paysanne. Cette semaine, des militants ont bloqué le site, après avoir découvert que 150 vaches y étaient acheminées dans le plus grand secret et sous escorte policière. Le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a déclaré sur RTL qu'il n'avait « pas soutenu » le projet, selon lui « contraire » à la vision portée par la loi d'avenir de l'agriculture adoptée recemment. Sans rien enclencher pour autant pour l’empêcher, car il « respecte les règles ». En mai, cinq militants du syndicat paysan ont été placés en garde à vue pour dégradation, vol et recel aggravé. Le conseiller agriculture de François Hollande, Philippe Vinçon, a été retenu plusieurs heures. Neuf militants de la Confédération paysanne passent en procès pour ces faits le 28 octobre.

Un troisième conflit, moins médiatique, génère lui aussi une mobilisation notable : le groupe Auchan veut développer un énorme complexe de loisirs, commerces, tourisme sur 80 hectares dans le Val-d’Oise, dans le triangle de Gonesse, près de l’aéroport de Roissy. Clou du projet Europa City : une piste de ski. Il doit s’étendre sur des terres agricoles. Ses opposants organisent ce week-end, les 20 et 21 septembre, un rassemblement pour célébrer les alternatives au gigantisme de cette industrie du loisir et de la consommation : Alternatiba, « le village des alternatives ».

Barrage de Sivens, ferme des mille vaches, Europa City : ces trois conflits sont symptomatiques des tensions et contradictions qui traversent le monde agricole. Comment le gouvernement compte-t-il y répondre, en défendant quel modèle d’activité dans les campagnes ? C’est le grand brouillard.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Pierre Morel-A-L’Huissier (UMP): «Nicolas Sarkozy devra bien s’expliquer»

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« Si c’était à refaire, je le referais », dit le député de Lozère au début de cet entretien serré. Il répète sa volonté de savoir ce qui s’est passé, et martèle sa conviction que ni l’UMP, ni Nicolas Sarkozy ne feront « l’économie de la vérité sur les flux financiers de la campagne 2012 ». « De toute manière, lance-t-il comme un avertissement, si l'on voulait que ça s’arrête, la presse, les réseaux sociaux, se chargeraient de continuer. »

Il attend donc, sur le qui-vive, la forme que prendra le retour de Sarkozy. Il note que « dans le groupe à l'Assemblée, les collègues ne sont pas très satisfaits » et il exprime son scepticisme : « On ne voit pas aujourd’hui comment le conflit d’égos va se régler au sein de notre famille politique. »

Partira-t-il si Nicolas Sarkozy prend le contrôle de l’appareil et balaye le passé en créant un nouveau parti ? À cet instant de l'interview, Pierre Morel-À-L’Huissier se fait moins catégorique : « On parle d’un nouveau Sarkozy, donc je demande à voir. » Et quand on lui fait remarquer que des nouveaux Sarkozy, il en naît un chaque saison, il botte en touche : « On va voir s’il a  profondément changé… Je ne demande qu’à le croire mais je reste prudent… Je ne suis inféodé à personne, ni à un courant, ni à Nicolas Sarkozy... »

On va voir en effet. Pierre Morel-À-L’Huissier, l’invité du 23e numéro d’Objections, l’entretien politique de Mediapart, vient de publier un livre aux éditions Fil Rouge : Argent et politique, vers quelle transparence ?

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Un virement bancaire de Pinault à Cahuzac intrigue la justice

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Virement régulier ? Emploi fictif ? Blanchiment ? Le parquet national financier (PNF) devrait décider dans les prochains jours des suites judiciaires à donner à une enquête préliminaire ouverte autour d’un intrigant mouvement bancaire, à l’automne 2013, de 35 000 euros de la Financière Pinault, propriété du milliardaire François Pinault, au profit de Cahuzac Conseil, une société de consulting créée il y a plus de vingt ans par l’ancien ministre socialiste du budget.

Le 22 juillet 2013, devant la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale.Le 22 juillet 2013, devant la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale. © Reuters

Les faits avaient été signalés à la justice il y a plusieurs mois par la cellule anti-blanchiment du ministère des finances, Tracfin, au terme d’une enquête d’environnement financier sur Jérôme Cahuzac, selon des informations concordantes de Mediapart. Les investigations diligentées autour des liens financiers entre Pinault et Cahuzac ont été réalisées parallèlement à l’information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale qui vaut à l’ancien ministre, depuis avril 2013, une mise en examen au sujet de ses comptes cachés en Suisse et à Singapour.

Créée au début des années 1990, après son départ du cabinet de l'ancien ministre de la santé Claude Evin, la société Cahuzac Conseil a permis à Jérôme Cahuzac de faire fructifier son carnet d'adresses dans le monde du médicament, au travers d'opérations de lobbying en faveur de l'industrie pharmaceutique. Elle avait ensuite été mise en sommeil à la fin des années 1990.

À ce jour, nul ne peut dire si les faits signalés par Tracfin relèvent d’un éventuel délit. Le PNF a le choix entre classer l’affaire sans suite, faute de soupçons suffisamment consistants, ou d’ouvrir une information judiciaire si le dossier l’impose, voire de renvoyer les protagonistes en correctionnelle via une citation directe.  

Selon la communication de la Financière Pinault, contactée par Mediapart, le virement de 35 000 euros correspond à un « contrat de conseil » liant depuis octobre 2013 l’ancien ministre PS à la société du milliardaire concernant des analyses d’investissement dans le milieu médical. « Ils ont demandé à Jérôme Cahuzac une analyse des dossiers », explique-t-on, sans plus de précisions, dans l’entourage de la famille Pinault. « Il s’agit bien d’un vrai travail, rien de fictif », ajoute la communication du groupe, qui se dit « confiant » sur l’issue de l’enquête judiciaire.

Jérôme Cahuzac, dont le nom est désormais synonyme d’un scandale qui a durablement entaché le quinquennat de François Hollande (voir notre dossier complet), entretient depuis plusieurs années les meilleures relations avec François-Henri Pinault, gérant de la Financière Pinault et fils de François. Les deux hommes cultivent en effet une passion commune pour la boxe au point de partager le même coach. L’ancien ministre du budget, chirurgien d’implants capillaires de profession et ancien conseiller au ministère de la santé en charge de la politique du médicament sous le gouvernement Rocard, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en pleine affaire Cahuzac, après les premières révélations de Mediapart sur les avoirs occultes du ministre du budget, Le Point, propriété du groupe Pinault, avait passé à la trappe, le 22 janvier 2014, une enquête de deux journalistes de l’hebdomadaire sur « Les petits problèmes d’ISF de Jérôme Cahuzac », selon La Lettre A. La suppression de l’article, pourtant mis en page, quelques heures avant l’impression du magazine avait suscité de vifs remous au sein de la rédaction. « Nous avons en effet une enquête en cours sur Jérôme Cahuzac, mais nous recoupons et vérifions plusieurs fois les informations. Le papier n'est pas encore prêt pour être publié et n'est pas finalisé. Le Point est un journal sérieux », s’était alors justifié auprès du site Arrêt sur Images Étienne Gernelle, directeur de la rédaction du Point.

Quant au dossier de fraude fiscale qui a causé la chute de l’un des ministres stars du gouvernement Ayrault, instruit depuis plus d’un an par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, il devrait être clos dans les prochaines semaines pour être renvoyé devant un tribunal correctionnel en vue d’un procès, vraisemblablement en 2015, selon nos informations.

L’enquête judiciaire a permis d’établir avec précision qu’après avoir ouvert un compte non déclaré à l’UBS de Genève au début des années 1990, Jérôme Cahuzac a transféré 680 000 euros à Singapour sur le compte n° 310 1525 de la banque Julius Baer & Co, quelques semaines avant de devenir président de la commission des finances de l’Assemblée nationale début 2010. Les montages utilisés ont fait apparaître l’existence d’une société écran, Cerman Group Limited, immatriculée aux Seychelles et notamment gérée par un Suisse, Philippe H., vivant à Dubaï. Une vraie internationale de l’évasion et de la fraude fiscales.

Jérôme Cahuzac, qui a réussi par une dernière pirouette de communication à faire croire qu’il était passé aux « aveux » dans ce dossier, alors qu’il n’a fait que reconnaître ce que la justice avait déjà trouvé, a récemment fait parler de lui à la faveur d’un articulet dans Le Canard enchaîné. Interrogé par l’hebdomadaire satirique sur le cas du député Thomas Thévenoud, qui a omis de payer ses impôts depuis plusieurs années, Jérôme Cahuzac a déclaré : « Nos cas ne sont pas similaires. Moi, j'avais une chance que mon histoire ne soit jamais connue. »

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Un retour sous le feu des affaires

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Veut-il revenir à l’Élysée malgré les « affaires », ou, au contraire, à cause des affaires ? Entend-il se sacrifier (en faisant « don de sa personne à la France ») ou plutôt se protéger, en muselant juges et policiers, et en bénéficiant de surcroît d'une immunité présidentielle de cinq années ? C’est une des questions que pose le retour de Nicolas Sarkozy en politique, annoncé ce vendredi via un message Facebook (à lire ici). L’ex-chef de l’État, qui jurait vouloir changer de vie après sa défaite de 2012, avant de se raviser, est en effet gêné par plusieurs affaires judiciaires qui risquent de perturber son agenda et de parasiter ses prises de parole.

Dans un premier temps, Nicolas Sarkozy a d’ailleurs fait le choix tactique de pilonner les juges avant d’annoncer son retour. Il a adopté une posture de martyr, se disant victime d’un hypothétique complot politico-judiciaire. Un pari berlusconien à quitte ou double, car il peut indisposer plutôt que convaincre.

Plus récemment, l’ancien président de la République a reconstitué une véritable garde prétorienne. Il a ainsi décidé de confier le poste de directeur de campagne à Frédéric Péchenard (comme l’ont rapporté Le JDD et Le Monde). Promu directeur général de la police nationale (DGPN) par Nicolas Sarkozy avant d’être placardisé pour cause d’alternance, et alors qu'il avait échappé à une mise en examen dans l'affaire des "fadettes", Péchenard est un « grand flic » qui a fait carrière à la PJ, et sous la droite. Le tropisme policier de Nicolas Sarkozy, bien connu, l’avait déjà amené à faire de Michel Gaudin (ancien préfet de police de Paris et ex-DGPN, lui aussi) le directeur de son cabinet d’ex-président de la République, après la défaite. 

Aujourd'hui, ce double choix Gaudin-Péchenard est peut-être un gage d’efficacité, mais il n’est pas anodin. Il s’agit tout autant, pour le justiciable (et ancien avocat d’affaires) Sarkozy, d’être protégé que d’être informé et renseigné. Une conception de la politique qui accorde manifestement une place importante au risque d’opérations de basse police, ainsi qu’au péril judiciaire.

Nicolas Sarkozy en 2011Nicolas Sarkozy en 2011 © Reuters

Les dossiers ne manquent pas, qui peuvent légitimement nourrir cette inquiétude. L’affaire la plus handicapante pour Nicolas Sarkozy est indubitablement celle des écoutes Azibert-Herzog, dans laquelle l’ex-président est mis en examen depuis le 2 juillet pour  « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel », un sort qu’il partage avec son avocat et ami intime, Thierry Herzog.

Quand le fond d’un dossier est mauvais, les avocats attaquent volontiers la régularité de la procédure. Nicolas Sarkozy a donc réclamé récemment l’annulation des écoutes qui le visent devant la chambre de l’instruction, comme l’a révélé Mediapart. Il espère ainsi obtenir, par ricochet, l’annulation de sa mise en examen et, pour finir, celle de la procédure tout entière. La guérilla procédurale sera longue.

D’autres affaires menacent encore, à des degrés divers, Nicolas Sarkozy. Une information judiciaire suit son cours sur un possible financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. En théorie, une autre mise en examen du candidat Sarkozy est donc possible.

Par ailleurs, deux enquêtes préliminaires sont en cours (au parquet de Paris), l'une sur le paiement de son amende à la suite de l’invalidation des comptes de sa campagne en 2012, l'autre sur le financement d’un meeting à Toulon fin 2011, qui laissent également planer un risque pénal au-dessus de sa tête.

À un degré moindre, Nicolas Sarkozy pourrait encore être rattrapé par l’affaire de Karachi. En se dessaisissant du dossier au profit de la Cour de la justice de la République (CJR), le juge Renaud Van Ruymbeke a en effet suggéré que l’ex-ministre du budget d’Édouard Balladur pourrait éventuellement être placé sous le statut hybride de témoin assisté (entre le simple témoin et le mis en examen) dans cette affaire d’État.

Il existe encore d’autres dossiers ennuyeux qui, s’ils ne visent pas directement Nicolas Sarkozy, disent beaucoup de choses sur l’exercice du pouvoir, sur ses amitiés et sur l’affairisme galopant sous son quinquennat.

Les fausses factures adressées par Bygmalion à l’UMP font ainsi l’objet d’une information judiciaire (ouverte le 27 juin par le parquet de Paris, pour « faux et usage de faux », « abus de confiance » et « tentative d’escroquerie ») qui s’annonce à hauts risques pour ce parti et ses dirigeants, au premier rang desquels Jean-François Copé.

Les dépenses de communication et de sondages du gouvernement Fillon font, elles aussi, l’objet d’une information judiciaire menaçante (pour « favoritisme » et « détournement de fonds publics »), qui a été ouverte le 29 juillet par le procureur national financier. Ce, alors que l’affaire dite des sondages de l’Élysée et de Patrick Buisson (dans laquelle une information judiciaire est ouverte, là aussi, pour « favoritisme » et « détournements de fonds publics ») suit également son cours depuis plusieurs années. 

À toutes ces affaires, il faut encore ajouter la double enquête menée sur l’arbitrage frauduleux rendu en faveur de Bernard Tapie. L’homme d’affaires avait été reçu plusieurs fois à l’Élysée, et son ami Sarkozy a toujours poussé en faveur de l’arbitrage. Une solution arrangée, qui a coûté 403 millions d’euros aux contribuables.

On peut encore y ajouter l’affaire François Pérol, un dossier dans lequel l’ancien conseiller de l’Élysée, bombardé à la tête de la BPCE par Nicolas Sarkozy, est mis en examen pour « prise illégale d’intérêts ».

Le tout sous réserve de ce qu’il pourrait encore advenir à des amis de l’ancien président aux prises avec les juges (et parfois devenus encombrants), de l’industriel Serge Dassault à l’ex-éminence Claude Guéant, en passant par le sulfureux député-maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany et son épouse Isabelle. Autant dire que dans tous les cas de figure, la chronique des affaires de la Sarkozie n’est pas près de s’arrêter.

Ainsi, à partir du 26 janvier 2015, le procès de l’affaire Bettencourt, qui s’ouvrira pour quatre à cinq semaines au tribunal de Bordeaux, sera encore l’occasion de décortiquer les rouages de cet État-UMP, les intérêts imbriqués et les liens incestueux des milieux d'affaires et des grandes fortunes avec la Sarkozie.

Éric Woerth, ancien trésorier de la campagne de 2007 et de l’UMP et ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy, fera partie des prévenus et sera jugé pour « recel ». Avant un second procès, en mars, au cours duquel il sera jugé pour « trafic d’influence », au sujet de la Légion d’honneur offerte à Patrice de Maistre. Nicolas Sarkozy lui-même avait été mis en examen dans l’affaire Bettencourt, avant de bénéficier d’un non-lieu aux attendus très sévères.

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Doctorat usurpé: Cambadélis s’enferre dans ses mensonges

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À la suite de la publication sur Mediapart des bonnes feuilles de mon livre À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (Lire Les diplômes usurpés de Jean-Christophe Cambadélis) établissant que Jean-Christophe Cambadélis avait fraudé la loi pour s’inscrire dans la filière d’un doctorat de 3e cycle de sociologie, le premier secrétaire du parti socialiste a cherché à réfuter nos informations. D’abord en publiant mercredi soir un communiqué de démenti. Puis en prétendant faire la « transparence » sur ses diplômes et en mettant en ligne sur son blog personnel certains documents retraçant son parcours universitaire.

Si l'on examine de près les déclarations de Jean-Christophe Cambadélis, ses communiqués en même temps que les documents qu’il produit, on a tôt fait de comprendre que le premier secrétaire du PS ne cesse de se contredire lui-même, s’enferre dans des justifications qui ne tiennent pas la route et, involontairement, confirme nos révélations, alors qu’il prétend les infirmer.

Reprenons toute cette histoire depuis le début. Jean-Christophe Cambadélis devient étudiant en 1970. C’est ce que me rapportent de nombreux témoins et c’est ce qui est corroboré par la biographie que Jean-Christophe Cambadélis présente de lui-même sur son blog. Toujours selon des témoins, il aurait donc été étudiant à Paris X-Nanterre de 1970 à 1975, puis se serait inscrit de 1975 à au moins 1981 ou 1982 à l’université de Paris I-Tolbiac.

Au terme de ces onze ou douze ans de vie étudiante, quel est donc le diplôme décroché par Jean-Christophe Cambadélis ? Dispose-t-il seulement d’un DEUG, que l’on obtient ordinairement au terme de la deuxième année à l’université ? Si l’on se réfère au communiqué publié mercredi soir par Jean-Christophe Cambadélis, il est impossible de le savoir.

Pour mémoire, voici que disait Jean-Christophe Cambadélis : « Il y a près de quarante ans, étudiant en licence, j’ai obtenu une dérogation de l’université Paris VII-Jussieu – signée par le président de l’université de l’époque Jean-Jacques Fol – pour m’inscrire en maîtrise, c’était légal et usuel, dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises. J’ai obtenu ma maîtrise puis j’ai passé mon doctorat de 3e cycle. » Dans ce communiqué, il n’était donc fait nulle mention d’un DEUG ou d'un autre diplôme obtenu ailleurs qu'à l'université de Paris VII.

Puis, jeudi soir, prétendant organiser une opération de transparence, Jean-Christophe Cambadélis a mis en ligne sur son blog personnel divers documents présentant certaines étapes de son parcours universitaire – mais pas toutes. Ces documents sont accessibles ici : « La transparence sur mon DEA et mon doctorat. » Là encore, il n’est fait ici nulle mention d’un DEUG ou d'un autre diplôme obtenu ailleurs qu'à l'université de Paris VII. En clair, il est impossible de savoir si, au terme de ces douze ou treize années qui vont de 1970 à 1982 ou 1983, Jean-Christophe Cambadélis a au moins obtenu le diplôme qui ponctue la fin de la deuxième année universitaire.

Passons ensuite à l’étape suivante, celle de la licence qui s’obtient, si l’on ne redouble pas, au terme de la troisième année universitaire. Quand Jean-Christophe Cambadélis aurait-il donc pu décrocher ce diplôme ? Relisons le communiqué de mercredi soir : « Il y a près de quarante ans, étudiant en licence, j’ai obtenu une dérogation de l’université Paris VII-Jussieu – signée par le président de l’université de l’époque Jean-Jacques Fol – pour m’inscrire en maîtrise, c’était légal et usuel, dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises. »

Dans ce communiqué, Jean-Christophe Cambadélis nous apporte une information : en fait, il n’a pas passé la licence normalement, comme y sont obligés la plupart des étudiants ; il a obtenu une dérogation pour « compétences acquises ». Dans un billet de blog publié mercredi soir pour décrypter ce premier communiqué de presse (Cambadélis : un démenti qui ne dément… rien du tout !), je m’arrêtais sur  cette information, pour faire plusieurs constats. Jean-Christophe Cambadélis se rend-il compte que des centaines de milliers d’étudiants qui n’ont pas bénéficié de cette « dérogation » ou de ce passe-droit en tomberont à la renverse en découvrant que d’autres étudiants, autrement plus chanceux qu'eux ou disposant de solides appuis, ont franchi l’obstacle universitaire de la licence sans même avoir à passer les examens afférents ?

Pourquoi Jean-Christophe Cambadélis parle-t-il d'une dérogation obtenue « dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises » ? Et que veut dire cette formule mystérieuse de « compétences acquises » ? Il est vrai que la loi autorise en certains cas très limités des systèmes d'équivalence de diplômes pour des activités dans des missions de service public. Ce fut longtemps le cas pour la Mnef. Faut-il donc déduire du communiqué de Jean-Christophe Cambadélis que son emploi fictif à la Mnef, pour lequel il a été condamné en 2006 à six mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, lui aurait, envers et contre tout, permis d'obtenir une équivalence, dont il n'aurait jamais fait état ? Son communiqué aurait gagné en clarté si des réponses à ces questions avaient été apportées. L'Université aurait-elle pu récompenser ce que la justice a condamné ?

Cette obtention d’une licence grâce à une « dispense », Jean-Christophe Cambadélis la révèle mercredi soir par un communiqué. Dans la foulée, il confirme l’information à l’occasion d’un rapide entretien, mercredi, avec le journaliste du Point Emmanuel Berretta – entretien que l’on peut consulter ici.

Il faut lire avec attention ce que Jean-Christophe Cambadélis confie au journaliste, car les propos qu’il tient sont proprement stupéfiants. Cela commence par de la moquerie : « Il manque une pièce à Laurent Mauduit qui a été induit en erreur. Je n'ai pas produit de faux diplôme de l'université du Mans, jure-t-il. J'ai bénéficié d'une dérogation pour "compétences acquises" signée par le président de l'université de Jussieu, Jean-Jacques Fol, afin de passer de la licence à la maîtrise alors que je n'avais pas validé toutes mes matières. Ce document, manifestement, Laurent Mauduit ne le possède pas. »

Et puis cela se poursuit par ce propos qui laissera sans voix des centaines de milliers d’étudiants : « Normalement, j'aurais dû redoubler. Ça me faisait suer. J'ai donc demandé cette dérogation et je l'ai obtenue. C'est une pratique tout à fait légale et courante. Puis, ensuite, ma scolarité a repris son cours : j'ai eu ma maîtrise, etc., jusqu'à mon doctorat. »

« Ça me faisait suer »… Ainsi donc, Jean-Christophe Cambadélis a donc franchi l’étape de la licence, sans avoir à passer ses examens.

Mais nous ne sommes toujours pas au bout de nos surprises. Car lorsque l’on se reporte aux documents universitaires publiés par Jean-Christophe Cambadélis, on ne trouve nulle trace de la dispense pour la licence. Il y a bien une dispense, qui y est présentée, mais comme on le constatera en consultant le document ci-dessous, cette fameuse dispense porte sur… la maîtrise !

                           (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

En lisant ce document, on découvre donc que le président de l’université aurait décidé le 3 mai 1983 que « la dispense de maîtrise est accordée à Monsieur Jean-Christophe Cambadélis » en vertu notamment d’un avis du Conseil scientifique de l’université en date du 2 mai 1983.

Cette décision soulève plusieurs remarques. D’abord, lorsque l’on se réfère aux archives du Conseil scientifique de l’université de Paris VII, on ne trouve nulle trace d’une délibération portant sur une dispense pour cette séance en date du 2 mai 1983. Voici le document qui permet de le vérifier. On peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :

À la date du 2 mai 1983, il est juste fait ces mentions : « Séance du 2 mai 1983. – relations entre l’INSERM et Paris7 (allocution de M. Lazar, directeur général de l’INSERM, discussion), budget recherche 1983 : PV, liste d’émargement, rapport de la commission du budget, liste des contrats notifiés ou en attente de notification depuis le 21/02/1983, rapport de la commission du 3ème cycle, projet de convention "évaluation de la formation professionnelle en ethno-menuiserie" entre le ministère de la Recherche et de l’Industrie et le laboratoire d’ethno-technologie de la vie quotidienne (UER d’ethnologie de Paris 7), notes relatives à la réactualisation du Plan quinquennal, notes relatives au développement des relations entre Paris 7 et des Industries, dossier de demandes d’habilitation. »

Dans cette délibération, il n’est donc nullement fait mention qu’une dispense est à l’ordre du jour. Le fait retient d’autant plus l’attention que l’usage voulait que les dispenses soient évoquées et figurent à l’ordre du jour. On peut par exemple se reporter à la délibération du 7 juillet 1975, où on lit ceci : « Séance du 7 juillet 1975. – 3ème cycle (nombre de candidats à admettre, dérogation et dispense, procédure d’inscription) : PV, liste d’émargement, compte-rendu de la réunion de la commission des dérogation de 3ème cycle (3 juillet 1975), correspondance, arrêté relatif au doctorat d’État, extraits du JO ; »

La comparaison du communiqué de mercredi soir, puis des documents universitaires mis en ligne jeudi soir, suggère que Jean-Christophe Cambadélis aurait pu obtenir non pas une dispense, mais deux : d’abord la dispense pour la licence – mais dans ce cas, Jean-Christophe Cambadélis ne publie pas le document qui en atteste – puis la dispense pour la maîtrise. Cette seconde dispense appelle les mêmes interrogations que la première : pourquoi Jean-Christophe Cambadélis en a-t-il profité ? Parce que cela le « faisait suer » d’avoir à passer les examens pour obtenir la maîtrise ? Parce qu’il a excipé de son emploi (fictif) à la Mnef ? Mystère ! On dispose de la décision de dispense, mais on n’en connaît pas la justification…

Résumons. Pour l’heure, Jean-Christophe Cambadélis, qui serait donc resté de 1970 à 1985 à l’université, ne fournit pas la preuve qu’il a obtenu un DEUG, et suggère qu’il aurait obtenu d’abord une licence puis une maîtrise par une « dispense ».

La suite de son cursus universitaire laisse tout aussi perplexe. Car dans son communiqué de mercredi soir, le premier secrétaire du PS omet de mentionner qu’après la maîtrise, il a eu à passer un DEA, passage obligé avant de pouvoir soutenir un doctorat de 3e cycle. « J’ai obtenu ma maîtrise puis j’ai passé mon doctorat de 3e cycle », écrivait-il. Décryptant ce communiqué, nous nous étions donc étonnés qu’il ne fasse pas état de l’obtention d’un DEA.

Or, voilà que sur son blog, Jean-Christophe Cambadélis se souvient soudainement jeudi soir qu’il a passé un DEA. Et il produit une « attestation de diplôme » en date du 3 décembre 1984 – on peut la télécharger ici. J’ai cherché à vérifier la réalité de cette attestation, et à comprendre dans quelles circonstances et sous quelles modalités Jean-Christophe Cambadélis aurait pu passer un tel DEA.

Vendredi en début de matinée, je lui ai donc adressé le mail suivant : « Jean-Christophe, je vais naturellement porter à la connaissance des lecteurs de Mediapart dans la journée les documents que tu as mis en ligne, retraçant ton parcours universitaire. Pour que mon article soit le plus rigoureux possible, je voudrais te poser une question complémentaire : Peux-tu m'indiquer quand tu as soutenu ton mémoire de DEA ? Quel en était le sujet ? Et avec qui l'as-tu fait ? Ce mémoire, puis-je le consulter ? Dans l'hypothèse où tu ne disposerais pas de ces pièces, peux-tu donner ton autorisation au directeur de cabinet de la présidente de l'université de Paris 7 pour qu'il me fournisse ces réponses ? En te remerciant. » Mais à l’heure où nous mettons cet article en ligne, samedi, l’intéressé ne nous a apporté aucune réponse.

On connaît la suite. Jean-Christophe Cambadélis s’inscrit ensuite en doctorat de 3e cycle, et rédige une thèse sous la direction de Pierre Fougeyrollas qui est, comme lui, un dirigeant de l’OCI. Le jury qui lui octroie le doctorat lui est aussi largement acquis puisque, outre Pierre Fougeyrollas, il comprend également un universitaire socialiste, Gérard Namer, avec lequel Jean-Christophe Cambadélis a cherché les mois précédents à créer des sections Force ouvrière dans l’enseignement supérieur. Dans les documents fournis par Jean-Christophe Cambadélis, on dispose d’une information complémentaire : on découvre (le document peut être téléchargé ici) que le rapporteur du doctorat est également le directeur de thèse Pierre Fougeyrollas, ce qui n’est jamais le cas en doctorat, où les rapporteurs sont externes.

Bref, l’opération « transparence » annoncée par Jean-Christophe Cambadélis vient en vérité confirmer nos informations. Car au total, voici ce que l’on peut retenir : on ne sait toujours pas si l’intéressé a ou non obtenu un DEUG ; on sait qu’ensuite il aurait eu une dispense d’abord pour la licence, ensuite pour la maîtrise, mais on ne dispose pas de la pièce en attestant dans le premier cas et on ne dispose pas des raisons de ces dispenses dans les deux cas ; Jean-Christophe Cambadélis refuse par ailleurs d’indiquer quel a été son mémoire de DEA ; et pour finir, il a obtenu un doctorat de 3e cycle supervisé par une personnalité qui était politiquement très proche de lui.

Notre enquête vient donc confirmer le récit que j’ai établi de l’histoire de cette génération – ou d’une partie de celle-ci – qui a gravité longtemps autour de l’Unef et de la Mnef, ayant une relation très distanciée avec la vérité, et jugeant que la fin justifiait perpétuellement les moyens. De l’histoire de quelques dirigeants étudiants qui, choisissant de faire carrière au parti socialiste, ont fini par ne plus défendre qu’une seule cause : la leur.

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Sarkozy: les censeurs d’hier sont rentrés dans le rang

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Il y a encore quatre ans, Dominique de Villepin considérait Nicolas Sarkozy comme l’« un des problèmes de la France, parmi les principaux problèmes qu'il faut régler ». « Le sarkozysme représente la France vue d'en haut, du point de vue d'élites qui voudraient refaire la nation à leur image, ou plutôt à l'image de leurs intérêts », écrivait-il dans De l'esprit de cour, la malédiction française (Éd. Perrin, 2010).

« L'homme n'a pas de surmoi et veut être aimé pour ce qu'il est. Il s'est forgé une vision de la France qui lui ressemble, c'est-à-dire individualiste, avide de réussite sociale et personnelle, obsédée par les biens matériels et indifférente à l'Histoire », poursuivait l’ancien premier ministre de Jacques Chirac, en décrivant la manière dont Sarkozy, depuis 2007, avait « d'abord dévalorisé la présidence en la surexposant médiatiquement », puis l’avait « rabaissée par ses dérapages verbaux ».

Jean-Louis Borloo, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, à l'Assemblée nationale en 2005.Jean-Louis Borloo, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, à l'Assemblée nationale en 2005. © Reuters

Relaxé quelques mois plus tôt dans l’affaire Clearstream, Villepin souhaitait à l’époque « fermer la parenthèse » de cinq années de pouvoir durant lesquelles l’exécutif avait « renoué avec le fait du prince ». Mais parce qu’il n’est rien de constant si ce n’est le changement, l’ennemi juré d’hier, celui que l’ancien président voulait pendre « à un croc de boucher », a aujourd’hui rejoint « la cour apeurée de perroquets » qu’il n’a eu de cesse de moquer jusqu’ici.

« Nicolas Sarkozy a changé, a-t-il ainsi assuré le 12 octobre sur BFM-TV. Il a tiré les leçons de l'expérience du pouvoir, de l'échec au pouvoir et des blessures et des épreuves qu'il a traversées. » Dont acte. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ancien premier ministre fait désormais figure de soutien. Et il n’est pas le seul. Depuis que le retour de l’ex-chef de l’État est acquis, les censeurs d’hier sont rentrés dans le rang. Les velléités d’émancipation sont remisées au placard. Ceux qui n’avaient pas de mots assez durs pour dépeindre Nicolas Sarkozy lorsqu’ils s’en pensaient définitivement libérés semblent soudainement frappés d’amnésie.

Pour dresser le portrait du nouveau candidat à la présidence de l'UMP, Mediapart s’est replongé dans les écrits et les entretiens de ses anciens ministres, mais aussi des dirigeants étrangers et des journalistes qui l’ont côtoyé durant son mandat. Ceux qui l’ont entendu déclarer, un matin de mars 2012, qu’en cas de défaite, il arrêterait la politique. Et s’autorisaient depuis à parler sans langue de bois. S'y dessine en creux le portrait d'un homme méprisant, autocentré et changeant. Redoutable sur la forme, versatile sur le fond. Un homme qui a conduit sa famille politique à la défaite en 2012 et qui continue pourtant à la fasciner.

« On peut aimer Nicolas Sarkozy, ou le détester, le vouer aux gémonies, lui tresser des louanges, éprouver pour lui des sentiments intérieurs ou aucun, le vomir, tout continue de se presser et de grouiller autour de lui », résumait son ancien ministre de l'agriculture, Bruno Le Maire, dans Jours de pouvoir (Éd. Gallimard, 2013). « Ils se rangeront derrière lui comme des moutons... », déplorait encore début juillet celui qui entend désormais le concurrencer dans la course à la présidence de l'UMP.

Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy, en visite dans une ferme de Noyers-sur-Jabron en 2010.Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy, en visite dans une ferme de Noyers-sur-Jabron en 2010. © Reuters

« Où est-il le front anti-Sarko dont on nous rebattait les oreilles avant l’été ? a récemment plaisanté Brice Hortefeux dans Le Nouvel Observateur. Je ne vois rien, je n’entends rien. Xavier Bertrand, qui l’attaquait tous les matins, il est où ? Sous la table ? Et Bruno Le Maire ? Il est devenu drôlement prudent… » De fait, Brice Hortefeux, « l'ami de trente ans », a de quoi sourire. La prophétie moutonnière de Le Maire s’est bel et bien réalisée.

En l’espace de quelques mois, le ton a changé. Les mots aussi. Depuis le 6 mai 2012, on disait le président battu « impulsif », « narcissique », « coupé du réel » et « obsédé par l’argent ». Deux ans plus tard, c’est son « énergie », son « expérience » et sa capacité à « faire la synthèse » des différentes sensibilités de la droite, qui sont mises en avant. « L'autorité » a remplacé « l'autoritarisme ». Il aura suffi d’un été pour roder les éléments de langage. La campagne de 2007 est désormais citée en exemple. Le mandat de Sarkozy est valorisé au regard de celui de François Hollande. Quant à l’épisode de 2012, on le qualifie certes d’« erreur », mais en prenant soin de l'imputer à Patrick Buisson, l’ex-conseiller sulfureux aujourd’hui voué aux gémonies après avoir enregistré l’ancien président en secret.

Parce que Jean-François Copé craignait qu’il ne tourne « au règlement de comptes » avec le président déchu, l'inventaire du quinquennat Sarkozy, réclamé par plusieurs ténors de l’UMP, n'a jamais été fait collectivement. Qu'importe. D'anciens membres du gouvernement s’en sont personnellement chargés. L’une des premières fut Roselyne Bachelot. Dans À feu et à sang (Éd. Flammarion, 2012), paru quelques jours après les législatives, l’ancienne ministre de la santé et des sports livrait les coulisses d'une « campagne (présidentielle) hystérique » et « désorganisée », où « l’inclinaison droitière » des analyses politiques du président-candidat avait surpris plus d’un élu de droite.

Elle y décrivait surtout la dérive d’« un homme seul », « coupé du réel », qui « n’écoute que lui-même et ses conseillers ultra-conservateurs » et réduit ses ministres « au rôle de chandelier décoratif ». « Quand le président se plaint de ne pas être soutenu par ses ministres, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même, écrivait-elle. Je trouve injuste cette façon que notre candidat a (…) d’écarter ses ministres comme s’ils étaient malades d’une peste qu’il a lui-même inoculée. »

Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot.Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot. © Reuters

Cette façon que Nicolas Sarkozy a eue, durant son mandat, de mépriser les membres de son gouvernement – au point de rabaisser son premier ministre, François Fillon, au simple rang de « collaborateur » – a également été racontée par Franz-Olivier Giesbert dans deux de ses livres. Après avoir brossé le portrait d’un président égocentrique, tyrannique et hystérique dans M. Le Président (Éd. Flammarion, 2011), l'ancien directeur de publication du Point expliquait dans ses Derniers Carnets – consacrés en grande partie à 2012 – comment les humiliations ordinaires infligées par Nicolas Sarkozy à ses ministres s'étaient retournées contre lui en fin de quinquennat.

Il y relatait notamment une scène opposant l'ex-chef de l'État à Laurent Wauquiez, quelques mois avant l'élection présidentielle. Le député et maire du Puy-en-Velay n’avait pas apprécié que Nicolas Sarkozy souhaite recueillir seul les fruits du sauvetage de l’entreprise Lejaby, sise dans son département de Haute-Loire. Quatre mots lui suffirent à le lui signifier : « Va te faire foutre ! » « C’est ce que lui disent désormais les regards de maints caciques de la majorité qui entendent lui faire payer les humiliations passées », écrivait encore Giesbert.

Dans Le Monarque, son fils, son fief (Éd. du Moment, 2012), Marie-Célie Guillaume, ancienne directrice de cabinet de Patrick Devedjian au conseil général des Hauts-de-Seine, décrivait elle aussi, mais de façon souterraine, un Nicolas Sarkozy despote et clanique, qui se plaisait à humilier l’« Arménien » du 9-2. « Il aura peu d’amis, à son départ, il a humilié trop de gens… », renchérissait le journaliste Patrick Poivre d’Arvor dans le livre Sarko m’a tué (Éd. Stock, 2011) de Fabrice Lhomme et Gérard Davet, qui regroupait vingt-sept témoignages de « victimes du sarkozysme ».

Une fois Sarkozy déchu, les « victimes » se sont mises à parler. Après le 6 mai 2012, les ex-ministres, qui avaient exécuté des tours de souplesse dorsale pendant cinq ans, s'autorisèrent enfin à dire ce qu'ils pensaient vraiment de l'homme et de son bilan à l'Élysée. « On n’échoue pas pour deux mois de meetings, on échoue sur ce qu’on n’a pas fait pendant cinq ans ! La leçon de cet inventaire, c’est que la réformette dans un système sclérosé est insuffisante », déclarait par exemple Laurent Wauquiez en août 2013.

Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy, au Puy-en-Velay en 2011.Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy, au Puy-en-Velay en 2011. © Reuters

Celui qui se présente aujourd'hui comme l'un des plus fervents soutiens de l’ex-chef de l'État dans sa course à l’UMP, enfonçait encore le clou dans Sud-Ouest quelque temps plus tard : « J'ai beaucoup de respect pour Nicolas Sarkozy, il y a beaucoup de choses qu'il a réussies, et d'autres non. Mais je suis convaincu que 2017 ne peut être la revanche de 2012. » C’était il y a dix mois à peine.

Bon nombre de critiques post-mandat se sont cristallisées autour de la question de la droitisation. L'ex-ministre des sports, Chantal Jouanno, fut la première à dénoncer l'orientation droitière de l'UMP pendant la campagne présidentielle. La plupart de ses anciens collègues lui ont par la suite emboité le pas, jusqu'à arriver à cette situation ubuesque où la porte-parole du candidat elle-même, Nathalie Kosciusko-Morizet, s'attaqua à la stratégie Buisson en déclarant que l'objectif de l'ancien conseiller était de « faire gagner Charles Maurras ». Le député de l'Essonne plaide aujourd'hui pour « un nouveau départ » avec Nicolas Sarkozy.

Parmi la liste des déçus, figurent également : l'ex-ministre de l'économie, François Baroin, qui a longtemps critiqué le débat sur l'identité nationale et la droitisation de l'UMP, mais vient d'apporter « naturellement » son soutien ; l’ex-ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, qui s’était déclaré non favorable à l'organisation d'un référendum sur l'indemnisation des chômeurs proposée par l'ancien président ; ainsi que l’ex-ministre de l’éducation, Valérie Pécresse, qui avait regretté la stratégie d’ouverture à des personnalités de gauche. Quant à l’ancien ministre du travail, Xavier Bertrand, candidat à la primaire de 2017, il déclarait encore récemment au Journal du dimanche : « La politique de Sarkozy n'a pas été à la hauteur. » « Il ne changera donc jamais ! » a-t-il également soufflé au journaliste qui l’interrogeait sur la volonté de l’ex-chef de l’État de « tout changer » à l’UMP.

L'un de ceux qui sont allés le plus loin dans la critique du sarkozysme est sans conteste François Fillon. Depuis deux ans, l’ancien premier ministre n’a eu de cesse d’attaquer celui dont il a pourtant défendu la politique pendant cinq ans. Sur son mandat : « Nous avons agi dans l’urgence, trop souvent au coup par coup, sans aller toujours au bout des changements nécessaires et attendus. » Sur sa façon de faire de la politique : le fillonisme « pourrait être une approche plus sereine et pragmatique des choses » que le sarkozysme ; « pour moi, la vie politique, ce n'est pas un spectacle. Un homme politique n'est pas une star, ses convictions et sa détermination ne se mesurent pas au nombre de ses émissions télévisées ».

Sur son statut autoproclamé d’homme providentiel : « Je ne suis pas né en pensant que la présidence de la République était mon destin, et je suis d'ailleurs choqué que l'on puisse raisonner de cette manière. » Sur les affaires : « Sans vouloir dissuader les vocations, le rôle du prochain président de l’UMP sera de poursuivre le redressement financier et fonctionnel de notre mouvement, de gérer aussi les conséquences des enquêtes judiciaires en cours » ; « ce ne sont pas les affaires qui participent à l'établissement d'un climat serein au sein de l'UMP et d'un lien de confiance avec les Français ».

Depuis la rentrée, Fillon déguise davantage ses critiques. Lui qui a accepté de rencontrer Nicolas Sarkozy, répète à qui veut l'entendre qu'il ne prendra partie pour aucun des candidats à la présidence de l'UMP, tout en continuant à marteler qu'« il serait bon qu'une nouvelle génération prenne ses responsabilités car (le) parti doit valoriser de nouveaux talents, de nouvelles méthodes... ».

Nicolas Sarkozy et François Fillon.Nicolas Sarkozy et François Fillon. © Reuters

Au-delà des promesses non tenues et de la droitisation opérée en cours de mandat, c’est bien la conception que Nicolas Sarkozy se fait du pouvoir et de son exercice qui a essuyé le plus de critiques. Dominique Paillé, son ancien conseiller à l’Élysée, ex-porte-parole de l'UMP passé depuis à l’UDI, lui a certes reproché sa « volonté permanente » de « cliver les Français », mais il a également jugé que l’ex-chef de l’État était « victime de ses propres travers et, notamment, de son incapacité à maîtriser son propre comportement lorsqu'il était président de la République ». « Ce comportement ne collait pas du tout à sa fonction », affirmait-il au Télégramme en novembre 2013.

Jean-Pierre Raffarin ne tenait pas un autre discours depuis deux ans. S’il veut désormais croire que Sarkozy « va revenir avec des idées nouvelles, avec des attitudes nouvelles », l’ex-premier ministre a longtemps regretté les « quelques faiblesses comportementales » de l’ancien président et sa « pratique un peu trop solitaire du pouvoir ». Certains s’étonneront de l’entendre aujourd'hui assurer au micro d’Europe 1 que « Nicolas Sarkozy a beaucoup réfléchi sur son quinquennat, sur ses projets », lui qui estimait, il y a quelques mois à peine, que l’ancien président était beaucoup trop présent médiatiquement pour élaborer un projet qui exige « silence (ce qu’il ne fait pas suffisamment) ».

Auprès de ses visiteurs de la rue de Miromesnil, Nicolas Sarkozy s’enorgueillit d’avoir beaucoup voyagé au cours des deux dernières années. Ses conférences rémunérées lui ont non seulement permis d'engranger des centaines de milliers d'euros en dissertant sur la politique internationale, mais elles lui ont également offert l'opportunité de se placer, aux yeux de ses interlocuteurs, au-dessus de la mêlée franco-française. S’il prend soin de communiquer sur ses “rencontres privées” avec certains de ses anciens homologues, l’ex-chef de l’État n’a pas toujours entretenu avec eux de bonnes relations.

Son “je t'aime moi non plus” avec Angela Merkel a notamment largement nourri la chronique de son quinquennat. Longtemps, la chancelière allemande l’a surnommé « Monsieur Blabla », moquant ses gesticulations à travers l’expression « président Duracell » et recevant en cadeau de son mari un Louis de Funès censé l'aider à cerner son homologue français. Outre-Rhin en 2010, les interlocuteurs de Mediapart évoquaient « l'arrogance », « l'ego surdimensionné », « l'hyperactivité » et « les maladresses » du « président bling-bling » français. Des qualificatifs recyclés plus tard par l’ancien chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, qui avait indiqué au quotidien Il Giornale que « l’ancien président Nicolas Sarkozy est une personne dont l’arrogance l’emporte sur l’intelligence ».

Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, à Bruxelles, en 2009.Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, à Bruxelles, en 2009. © Reuters

À l'étranger, nombreux furent ceux à regretter que Nicolas Sarkozy privilégie trop souvent la forme sur le fond. Un exemple parmi tant d'autres : ce témoignage d'un proche conseiller du président géorgien, Mikheïl Saakachvili, évoquant la façon dont l'ancien président avait fait signer son plan de paix européen en pleine crise géorgienne de 2008. « Il fallait le voir, Sarkozy, incapable de rester assis plus de dix secondes et l'œil rivé sur sa montre. (...) On aurait dit un lapin cocaïnomane ! Si “Micha” a signé, c'est qu'il n'avait guère le choix. Pourtant, dans ce fameux accord, il n'y a pas un seul tracé précis, pas le moindre zonage, pas l'ébauche d'un calendrier de retrait... Quant aux sanctions en cas de non-respect des engagements, n'en parlons même pas ! »

Pendant cinq ans, l'ex-chef de l'État a été perçu exactement de la même façon à l'étranger qu'en France. Les ambassadeurs et conseillers rencontrés par le journaliste Gilles Delafon pour son livre Le Règne du mépris – Nicolas Sarkozy et les diplomates (Éd. du Toucan, 2012) ont eux aussi décrit un homme méprisant et obsédé par le tout médiatique. Des traits de caractère qui figurent encore dans le portrait au vitriol dressé par l'Américain Philip Gourevitch dans No Exit (Éd. Allia, 2012) : « exhibitionniste et opportuniste », « sans vergogne et impitoyable dans sa quête du pouvoir », « autocratique et éhonté dans sa façon de l’exercer »...

« J'ai toujours entendu dire qu'on ne changeait jamais. Personne. Ni vous ni moi », a réagi François Fillon sur RTL, le 17 septembre. L'ancien premier ministre a beau répéter à ses soutiens qu’il « méprise la caporalisation et les pressions qui pourraient s'exercer » sur eux, rien n’y fait : les vieilles méthodes de communication de “Sarkozy la menace” font de nouveau mouche. Pendant que ses ennemis d'hier jouent au roi du silence, lui s'offre un vernis de “grand rassembleur de la droite”.

Pendant deux ans, son image ne s’est pourtant pas améliorée dans l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé durant le quinquennat. Au contraire, elle a plutôt eu tendance à se détériorer sous l'effet dévastateur du “pas de deux” et des “cartes postales”. En témoigne la violence des nombreux “off” qui accompagnent aujourd'hui son retour. Les critiques sur l’homme et sa façon d’utiliser le pouvoir – y compris pour se protéger judiciairement – sont toujours aussi vives. Mais à présent, elles se murmurent.

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«Debout-Payé», Gauz ou l'épopée du vigile

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Sentinelle noire et mutique de la société de consommation, le vigile est la figure de l’invisible par excellence. Mais si nous passons et repassons devant lui sans le voir, lui, voit tout. La misère de nos villes, leur intrigante poésie aussi. Debout-Payé, le roman de Gauz publié en cette rentrée au Nouvel Attila, est un portrait acéré et moqueur de notre modernité du point de vue de ceux chargés de veiller à la sécurité des biens et des personnes.

Tenir jour après jour ce poste qui consiste, à la verticale, « à répéter cet ennuyeux exploit de l’ennui » implique d’« avoir une vie intérieure très intense. L’option crétin inguérissable est aussi très appréciable. Chacun sa méthode », écrit Gauz avec un humour qui écarte, d’emblée, tout misérabilisme. Le vigile de Gauz, pour ne pas trop dépérir à exercer ce métier, observe donc, en entomologiste, la curieuse faune qui l’entoure. Celle qui se presse pour consommer compulsivement des bouts de textile tout frais venus de Chine. Ou de l'entrepôt d’à côté occupé par des sans-papiers. Les plus motivés des clients – ça seul le vigile le sait – poussent l’enthousiasme jusqu’à venir plusieurs fois par jour faire « les soldes à Camaïeu ». Il y a ceux qui viennent aussi discrètement s’arroser de parfum au Sephora des Champs-Élysées ou cette femme en voile intégral qui fait disparaître des rouges à lèvres le temps d’un essayage express à l’abri des regards.

Le premier roman de ce jeune écrivain ivoirien qui a vécu quinze ans en France – où il a notamment été vigile – décrit non seulement la dévotion à la consommation, la solitude hagarde des clients du centre commercial, mais aussi la destruction du travail portée, chez ces forçats de la surveillance, au paroxysme. Il y a l’absurdité des hangars vides qu’on garde contre le vent, ces bouts de boulot qui obligent à courir à l’heure de pause pour bosser dans la boutique d’en face. Le mensonge rituel de la lettre de motivation aux formules pompeuses et vides de sens pour convaincre un employeur qui ne regarde, au fond, que votre taux réglementaire de mélanine.

Des faubourgs mal famés d’Abidjan aux boutiques de fringues sans âme des centres commerciaux parisiens, Debout-Payé est aussi l’épopée de génération d’Africains débarqués dans la capitale. Sous la plume de Gauz, ils retrouvent non seulement une voix, un visage, mais aussi une histoire. Sous l’apparente légèreté de la chronique d’un présent sous néon, avec « radio Camaïeu » en bande-son (l’enseigne de vêtement a sa propre playlist qui rend fou le vigile), Gauz ancre ses personnages : Ossiri, étudiant ivoirien devenu sans-papiers, ou Kassoum, le novice dans l’histoire des indépendances africaines et des premières vagues de migration des années 1960. La paranoïa d’Houphouët-Boigny qui sévit jusque dans le foyer du boulevard Vincent-Auriol à Paris, les sans-papiers qui disparaissent sans que personne n’aille bien sûr les déclarer manquants à la police, le basculement sécuritaire post 11-Septembre qui disqualifie d'un coup la force un peu trop brute du vigile africain… Debout-Payé est aussi un pamphlet politique jeté entre les deux rives de la Françafrique.

Entretien avec Gauz, suivi d'un texte inédit sur Roissy.

 Le texte qui suit figurait dans le manuscrit envoyé par Gauz à la jeune maison d'édition Le Nouvel Attila. L'éditeur a jugé que ce passage consacré à l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle était trop en décalage avec le reste du livre. 

CDG Charly de Gaulle

Le grand Charles
Le plus grand aéroport de France porte le nom du plus grand président de toute l'histoire de la France : Charles de Gaulle, 1,96 m.

Miliciens
Un aéroport est une véritable caserne de vigiles. C'est l'un des corps de métiers qui y est le plus représenté. Les vigiles sont la milice privée qui épaules les forces « officielles » de l'ordre.

Défi
Du parking aux portes des avions, les postes de vigiles sont tellement différents que parfois, on n'a pas l'impression qu'il s'agit du même métier. Le premier défi pour un vigile nouveau venu à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle : trouver son poste de travail et le métier qu'il va y exercer.

Chauvin
CDG est son surnom IATA. Premier aéroport de France, l'aéroport Charles-de-Gaulle est implanté dans la bourgade de Roissy-en-France.

Les routeurs ou ceinturions
Ce sont des vigiles spécialisés dans les ceintures rétractables que l'on pose entre deux piqués argentés amovibles pour simuler une barrière. Selon l'affluence et les ordres, ils dessinent des chemins plus ou moins sinueux. Entre ceinturions, parfois le jeu est de construire le chemin le plus tortueux possible entre deux points d'accès ou de contrôle. Une des figures les plus prisées est la « double spirale reverse » ou tout simplement « double reverse » pour les intimes. Elle consiste à enfoncer les voyageur de façon concentrique à l'intérieur d'un cercle avant de les refaire sortir. La « double reverse » donne parfois l'impression aux derniers d'être les premiers et aux premiers d'être les derniers. Mais la figure la plus pratiquée reste quand même le « SS » ou « trajectoire gestapo » qui consiste en une succession de S très serrés entre un point A et un point B. A ce jour, quelque soit la sinuosité du chemin, aucune plainte, même murmurée, n'a encore jamais été enregistrée parmi les millions de voyageurs : ils suivent tous docilement.

Les michael-jackson
Avec leurs costumes sombres, chemises blanches et gants blancs obligatoires, il a été facile de trouver le surnom des préposés aux fouilles corporelles. Les « michael-jackson » sont un chaînon essentiel dans la confiscation de tous les objets non-autorisés en cabine. Toujours oublié dans la poche d'un habit ou d'un sac, le briquet est incontestablement l'objet le plus confisqué aux portiques de sécurité.

UFO
Unbelievable Found Object, les objets incroyables trouvés et confisqués par les michael-jacksons. On cite pêle-mêle dans le panthéon de ces objets : sac rempli de pompes métalliques d'alimentation pour moteur de tracteur Massey ferguson, phallus en bronze de 24 centimètres et 5 kilos, urne en forme de pointe de lance remplie d'excrément apparemment d'origine humaine, fœtus certifié humain flottant dans un bocal de formol, menottes de police plaquées or, lames rasoirs en forme de carte de crédit American Express Gold, chargeur vide de fusil d'assaut de type Kalachnikov modèle AK-47...

Rayons X
Les rayons X sont l'une des premières applications civiles de la connaissance de l'atome. Ils permettent de voir à travers des objets massifs. Chaque bagage est contrôlé aux rayons X grâce à ce qu'on peut considérer comme une mini explosion atomique maîtrisée. Ce qui fait qu'au final, chaque année, dans tous les aéroports de la taille de CDG, c'est l'équivalent de plusieurs fois l'explosion d'Hiroshima qui est provoquée pour vérifier qu'un illuminé ne veut pas faire sauter ses contemporains coincés dans un tube d'aluminium volant.

Royaume des cieux
Les braqueurs de voitures, de trains ou même de diligences ont toujours un objectifs bien terre-à-terre : prendre l'argent et se tirer le plus loin possible pour en profiter. Mais les braqueurs d'avions, ceux qu'on appelle gentiment « détourneurs » ou terroristes, ils ne demandent jamais d'argent. Eux, ils ont des revendications. Indépendance d'États improbables, libérations de prisonniers politiques inconnus, haine vive contre tel pays ou contre tel système social, etc. La plupart du temps, les revendications de cette race de braqueurs sont toujours des espèces de poèmes mystiques qu'eux seuls comprennent. Le ciel leur monte à la tête.

Apartheid
À Roissy-Charles-de-Gaulle, la séparation (apartheid en afrikaner) des compagnies aériennes est claire. Le terminal T1 pour les grandes compagnies internationales ; le terminal T2 exclusivement réservé à Air France le régional de l'étape ; et le terminal T3 (aussi surnommé terminal ethnique) pour le reste du monde.

La ligne jaune
Une ligne jaune délimite toujours une distance de sécurité et de confidentialité entre les voyageurs et le guichet de la police aux frontières. Agglutinés près d'un point d'information, un groupe de vigiles discutent pour s 'expliquer la couleur de cette ligne. Les théories fusent. Une d'elles explique que la couleur de la ligne date de l'époque où il y avait de grandes épidémies de fièvre jaune. Une ligne d'une telle couleur était tracée pour séparer les malades des hommes sains et maintenir les premiers à l'écart des seconds. La théorie remporte l'adhésion bruyante du groupe.

Complexe de supériorité
Décliner sa fonction de vigile en magasin à un vigile d'aéroport est une grave erreur. Cela déclenche toujours chez ce dernier une poussée de zèle au dessein de rappeler au premier qu'il est un vigile de basse zone à peine élevé au dessus de la condition de simple surveillant.

Complexe d'infériorité
La France a attendu 2 ans après la mort de De Gaulle pour donner son nom au plus grand édifice architectural de l'époque. En Côte d'Ivoire, c'est de son vivant même qu'on donna son nom au plus grand édifice du pays : le pont du Général-de-Gaulle. Ce pays est spécialisé dans l'hommage appuyé aux présidents français. Ainsi, il y existe un énorme boulevard Valéry Giscard d'Estaing et un boulevard François Mitterrand, tous les deux baptisés du vivant des porteurs de ces noms.

De Gaulle, idole africaine.
Adulé dans toute l'Afrique, De Gaulle était un modèle pour les hommes politiques africains. Comme un Amin Dada ou un Bokassa, d'avril à juin 1940, il est passé du grade de commandant (intérimaire) à celui de général de brigade (temporaire). En 1945, après une guerre fratricide et meurtrière, comme un Ouattara, il a été installé au pouvoir par une puissance étrangère. Ensuite, il a légitimé sa position par des élections, comme un Compaoré. Ne faisant plus l'affaire de ceux qui l'ont porté au pouvoir, on a dit qu'il a démissionné en 1946 alors qu'il a été déposé en douceur comme un Lumumba. Puis, pendant sont exil (intérieur), tel un Sassou, il a intelligemment préparé son retour. Et en 1958, tel un Sankara, après un putsch savamment orchestré avec des parachutistes d'Algérie, il reprend le pouvoir de force en faisant passé son action pour un plébiscite populaire. Et comme après tous les bons putsch de nos bonnes républiques de négritie[1], il a vite fait de changer la constitution pour se dresser le lit d'un long règne sans partage comme un Khadafi. Mais en mai 1968, sous la huée d'un immense soulèvement populaire, il a plié mais n'a jamais rompu tel un Gbagbo. Contraint de partir 2 ans plus tard comme un Traoré, c'est de chagrin, le chagrin du pouvoir perdu, qu'il mourra en 1972 comme un Mobutu.

Antilles vs Afrique
Dans la police aux frontières, il y a beaucoup d'antillais noirs. Ils sont les plus zélés pour trouver des irrégularités dans les documents de voyages des africains noirs et ainsi provoquer leur capture... Un policier antillais contrôlant les passagers d'un vol Air Sénégal, cela s'appelle un match retour.

Asymétrie
Aux départs, tout le monde, sans distinction de nationalité, passe par les mêmes guichets de police : allez-vous en tous et bon débarras. À l'arrivée, les guichets de police font la distinction entre nationaux et étrangers : vous n'êtes pas tous les bienvenus.

Dialogue de bienvenu
-        Privé ou professionnel ? Le policier.
-        Professionnel. L'homme noir.
-        Et que venez-vous faire en France ? Le policier.
-        Acheter un émetteur radio. L'homme noir.
-        Quel est votre métier ? Le policier.
-        Technicien radio, c'est écrit dans mon passeport. L'homme noir.
-        Et qu'est-ce qu'un émetteur radio ? Le policier.
-        Pardon ? L'homme noir.
-        Vous êtes technicien radio alors dites-moi ce que c'est un émetteur radio ? Le policier.
-        Euh... L'homme noir.
-        Vous ne savez pas ce que c'est un émetteur radio ? Et vous vous dites technicien radio ? Le policier.
-        L'homme noir.
-        De quel pays venez-vous vraiment ? Le policier.
-        C'est un assemblage de composants électroniques qui par l'intermédiaire d'une antenne radioélectrique, permet d'émettre des ondes de type hertziennes d'une longueur donnée. En général, c'est comme cela que je commence pour ne pas perdre mes étudiants de première année d'électronique. Là, comme l'indique mon ordre de mission que vous tenez dans la main gauche, je suis mandaté par une petite radio locale appelée Radio Nostalgie pour acheter un émetteur radio. Cette radio émet sur la petite bourgade d'Abidjan, 5 millions seulement d'habitants, et voudrait s'agrandir sur sa banlieue. C'est pourquoi elle paye des spécialistes comme... L'homme.
-        Circulez m'sieur. Le policier interrompant l'homme en tamponnant bruyamment dans son passeport.

Temps de passage
Aux guichets d'accueil de CDG spécialement réservés aux nationaux et aux européens, le temps de passage d'un homme noir possédant un passeport français ou européen est plus de deux fois supérieur à celui d'un homme blanc de la même situation administrative.

Freeshop
Pas de chemins tracés, pas de tracasseries administratives, pas de contrôles, pas de flics, des vigiles tout ce qu'il y a de plus normaux, aucun engin radioactif, de bonne vielles caméras de surveillance, des boutiques et enseignes bien connues et remplis d'objets de consommation de tous les choix. Ici, les seules contraintes sont celles imposées par les devises en poche ou les lignes de crédit des cartes bancaires. Dans les îles policés et militarisés que constituent désormais les aéroports, le freeshop est  une enclave de pure liberté.

Guerlain, guerlain pin pin
A la parfumerie du freeshop, un vigile très élégant fait sa tournée des rayons en se regardant systématiquement dans les nombreuses glaces offrant leur tain à tous les coins de la boutique. On y trouve un des rares parfums qui n'est pas vendu chez Sephora : Shalimar de Guerlain. C'est un vieux parfum créé dans les années 1920 lorsque les ouvriers des plantations de vanille dont on extrayait les essences odorantes, étaient encore corvéables pour le prix d'une lampée de rhum.

Constance d'antipathie
Pour qui a peur d'être dépaysé en arrivant quelque part, c'est rassurant de savoir que la tête du policier qui visera son passeport en sortant d'un pays, sera la même que celle du policier qui le contrôlera en entrant dans un autre pays : méfiante et peu amène.


[1]    Merci papa Kourouma. 

Debout-Payé
par Gauz
Editions Le Nouvel Attila, 17 euros.

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Les «bébés Buisson et Hortefeux» menacés

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Demain, Nicolas Sarkozy choisira-t-il de s’appuyer sur eux ? Les médiatiques cofondateurs de la Droite forte, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, s’autoproclament « premier mouvement militant de l’UMP » depuis leur arrivée en tête des motions au congrès de 2012 de l'UMP, et se veulent « incontournables ». Mais ces « bébés Buisson et Hortefeux » ne risquent-ils pas de faire les frais de l'ostracisation de l'ex-conseiller élyséen Patrick Buisson après l'affaire des enregistrements, et de l'échec de sa stratégie de « droitisation » en 2012?

À l'UMP, beaucoup voient en eux une « imposture ». Guillaume Peltier, issu de l’extrême droite, se pose en héritier d’un Sarkozy qu’il a longtemps éreinté. Quant à Geoffroy Didier, s’il a toujours soutenu l’ex-président, il est passé de l’aile gauche de l’UMP à la droite la plus dure. Décryptage d’un attelage "marketing" à droite.

En amont du retour de l’ancien chef de l’État, le duo s’est activé : réunion des fidèles de l’ancien président à leur Fête de la violette en juillet ; lancement d’une campagne de parrainages en faveur de sa candidature fin août. Avec leur mouvement, ils entendent bien peser dans la nouvelle équipe que mettra en place Nicolas Sarkozy. Vendredi, Guillaume Peltier estimait que ce retour était « la seule bonne nouvelle politique des deux dernières années ». Quant à Geoffroy Didier, il a entamé un marathon médiatique (LCI, iTélé, BFM, le Grand Journal, etc.) pour répéter que la « crise de leadership à l'UMP » était en passe d’être résolue, que Sarkozy avait « mûri » et était « en train d’accomplir une démarche d’humilité ».

Dimanche soir, ils se sont félicités sur Twitter d'être invités par Nicolas Sarkozy à France-2 à l'occasion de son intervention au Journal de 20 heures:

Leur alliance de circonstances en agace plus d’un à droite. « Ils s’arrogent le renouveau générationnel et le sarkozysme » avec des « idées nocives électoralement et idéologiquement » ; « ils nous ont fait perdre toutes les élections » ; « ce sont des bulles médiatiques », expliquaient de jeunes pousses de l’UMP, interrogées par Mediapart avant l’été (lire notre article).

Déjà en 2012, lors de l’élection du président de l’UMP, ils avaient suscité une polémique interne en voulant se présenter comme la motion « Génération Sarkozy ». Levée de boucliers dans le parti. Le duo est contraint de reculer et d’opter pour le nom « Droite forte » (dérivé du slogan de 2012 « la France forte »), mais affiche son slogan « Fiers d’être de droite, fiers d’être sarkozystes ». L’objectif : mener une campagne façon « Sarko 2007 ». Leur plan de communication est rodé.

Décembre 2012: deux mois après son arrivée en tête des motions au congrès de l'UMP, le tandem pose dans Paris Match.Décembre 2012: deux mois après son arrivée en tête des motions au congrès de l'UMP, le tandem pose dans Paris Match. © Capture d'écran de l'article de Paris Match.


Mais ce coup politique est d’autant plus osé que Guillaume Peltier a passé dix ans à naviguer dans les eaux de l’extrême droite avant de rallier l’UMP, son quatrième parti à seulement 38 ans. Cocasse pour celui qui, lors de la campagne présidentielle de 2007, raillait les accords électoralistes et promettait qu’il ne « trahir(ait) pas (ses) idées pour un maroquin ministériel ».

« J'ai changé. » C’est ce que répétait cet ancien prof d’histoire pour justifier son ralliement à l’UMP. « Je l'ai dit et je vous le redis. Quatre ans à l'UMP et je m'y sens très bien. C'est toujours réducteur de juger quelqu'un sur son passé, non ? », se justifiait-il en 2011 sur Twitter. Les mêmes mots que ceux, quelques années plus tôt, pour justifier son passage du FN au MPF de Philippe de Villiers. « Quand on a vingt ans, on hésite, on cherche, j’ai longtemps hésité, cherché, et j’ai trouvé mon bonheur en Philippe de Villiers », « J’étais au Front à 20 ans, aujourd’hui ça fait 7 ans que je suis avec (lui), il est absolument exceptionnel », expliquait-il sur le plateau de Laurent Ruquier, sur France 2, en janvier 2007.

G. Peltier, lors de ses 18 mois passés au FN.G. Peltier, lors de ses 18 mois passés au FN. © DR

Le parcours de ce poulain de Patrick Buisson, devenu en mars maire UMP d'une petite commune du Loir-et-Cher, est une longue traversée à l’extrême droite de l’échiquier politique, après un bref attrait pour « la gauche de la gauche ». Il crée Jeunesse-Action-Chrétienté, un mouvement qui se mobilise contre le PACS, la pilule du lendemain et la contraception à l'école en 1996, milite à l’UNI, syndicat étudiant de droite, puis rentre au FNJ, le mouvement jeune du FN, jusqu’en 1998 (année où il sort major de l’université d'été) ; il fait un passage éclair au MNR de Bruno Mégret après la scission avec le FN ; approche Charles Millon, banni de l’UDF pour avoir fait alliance avec le FN (contacts démentis par l’intéressé) ; se présente sur la liste divers droite du maire d’Épernay (Marne) en 2000 et se range, la même année, derrière Philippe de Villiers (lire notre portrait en deux volets ici et là).

À l’époque, Peltier lui déroule sa stratégie pour le MPF : il faut « rompre avec la majorité » et créer un véritable appareil politique, qui ira séduire les électeurs lepénistes. En 2003, le jeune ambitieux devient secrétaire général du MPF et surtout le bras droit médiatique de Philippe de Villiers. Son grand virage à droite entraîne remous et départ de cadres qui dénoncent une « ambition débordante » et des « méthodes frontistes ».

Pendant ces années, il étrille le leader de l’UMP sur les plateaux de télé, avec une idée phare : « La droite avec Nicolas Sarkozy met trop souvent ses pieds dans ceux de la gauche. » En 2006, dans une vidéo du MPF, il estime que « rien n’a changé » avec Sarkozy au ministère de l’intérieur et juge son bilan « désastreux » :

Il dénonce le « communautarisme islamique » et « les barbus » qui « avaient récupéré l’ensemble des jeunes de ce département (Seine-Saint-Denis, ndlr) », raille les « bobos » et les médias.

Invité de Thierry Ardisson en mars 2006, il fustige « l'islamisation rampante », renvoie droite et gauche dos à dos et promet que de Villiers sera « national et social ». Huit mois plus tard, sur France 3, il enfonce Nicolas Sarkozy qui « est pour le droit de vote des étrangers, pour le mariage homosexuel, pour la discrimination positive, pour le financement public des mosquées », dit-il. S’il lui reconnaît « un certain courage », il lui reproche de se soumettre « à la pensée unique de la gauche », quand Philippe de Villiers incarne « la vraie droite, la droite décomplexée ».

En 2007, dans une autre vidéo de son parti, il dénonce « deux échecs flagrants et majeurs » de Sarkozy « en matière de sécurité comme en matière d’immigration », et énumère les chiffres :

 

Lors de la présidentielle de 2007, il martèle que le MPF n’appellera pas à voter Nicolas Sarkozy au second tour. « Je me méfie d’une droite un peu trop frileuse qui sur l’Europe appelle à voter “oui”, qui sur le communautarisme et la place de l’islam n’est pas si claire que ça et Nicolas Sarkozy qui propose un mariage homosexuel bis avec le contrat d’union civile », explique-t-il le soir du premier tour, sur France 2. Mais quelques jours plus tard, de Villiers rallie finalement Sarkozy.

Guillaume Peltier et Philippe de Villiers en campagne, le 31 mars 2007.Guillaume Peltier et Philippe de Villiers en campagne, le 31 mars 2007. © Reuters

Ironie, c’est par l’intermédiaire de l’ami de trente ans de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, que Peltier rebondit. Après des mois de contacts avec le ministre de l'immigration de l’époque, il rejoint l’UMP en 2009 (voir la vidéo). Et tant pis si Guillaume Peltier a fait perdre à l’UMP une série d’élections locales en se présentant contre elle. Il entame une ascension éclair : membre de la « cellule riposte » de l’UMP en 2011, secrétaire national du parti chargé des études d'opinion et des sondages en 2012, porte-parole adjoint de Sarkozy pendant la présidentielle, vice-président de l’UMP en 2013.

Alors dès juin 2007, Peltier change de discours. « On soutiendra François Fillon, on soutiendra Nicolas Sarkozy lorsqu’il s’agira de faire les réformes dont la France a besoin, mais on sera vigilants », dit-il sur iTélé. Très critiqué en interne après l’échec de Philippe de Villiers (2,2 % des voix), le jeune ambitieux cède son poste de numéro 2 du parti et est accusé par certains de « s'être servi du parti à son profit et pour sa gloriole personnelle et non pas d'avoir servi le candidat ».

À rebours de ses salves de 2007, il se dit en 2012, dans le Monde« fier » de leur « bilan » et défend Sarkozy le « président juste ». Désormais, le voilà qui estime que l'ex-président « a fait en 2007 et 2012 deux très bonnes campagnes ».

Au sein de l’UMP, Peltier a aussi participé à la création de deux courants : la droite populaire, collectif rassemblant l’aile droite du parti derrière le député Thierry Mariani, en 2010 ; la Droite forte, son propre mouvement, créé en 2012 avec Geoffroy Didier. Il se positionne sans complexe en héritier de l’ex-président : (« La Droite forte, c'est une droite qui a pour fondation le sarkozysme »), et vante la « révolution programmatique initiée par Nicolas Sarkozy ».

L’attelage de la Droite forte est d’autant plus étrange que son compère Geoffroy Didier, 38 ans, bras droit de Brice Hortefeux depuis 2005, a fait le cheminement inverse : lui a toujours soutenu Nicolas Sarkozy, mais avec des idées pour le moins changeantes. S’il réfute tout « grand écart » idéologique, ce jeune avocat est passé de l'aile gauche de l'UMP à la droite dure du parti. En 2006, il cofonde la Diagonale, un club qui fédère les sarkozystes de gauche. La profession de foi de ce mouvement – « Pour un sarkozysme de gauche » – ne laisse pas de doute sur sa ligne. Il s’agit de soutenir Sarkozy « en dépit de son appartenance affichée à une droite décomplexée », de « peser » sur ses idées, et de « l’alimenter d’idées nouvelles, progressistes et humanistes ».

Geoffroy Didier au « Grand Journal » pour commenter le retour de Nicolas Sarkozy, vendredi 19 septembre.Geoffroy Didier au « Grand Journal » pour commenter le retour de Nicolas Sarkozy, vendredi 19 septembre. © Capture d'écran Canal Plus.

Geoffroy Didier devient le porte-parole de ce club qui défend notamment « le droit de vote aux municipales des étrangers sur le territoire depuis dix ans » et une nouvelle approche de certains thèmes sociétaux comme l'égalité des droits pour les homosexuels ou l’euthanasie. C’est lui-même qui permet le ralliement de Véronique Vasseur (ex-médecin-chef à la prison de la Santé, auteure d’un livre choc sur le monde carcéral) à Sarkozy et milite pour l’amélioration des conditions de détention.

« Je veux aider le président à imposer sa modernité au sein de son camp, où il y a encore beaucoup de conservateurs », disait alors Didier, qui voulait « déringardiser l’UMP » et être « une passerelle sur les thèmes de société ». Un quinquennat plus tard, il incarne l'aile la plus à droite de l'UMP, prône « l’ordre comme premier ingrédient de la justice », « le patriotisme et l’autorité républicaine », s’oppose au vote des étrangers, défend « les valeurs familiales » et « le droit pour chaque enfant de vivre avec un père et une mère ».

« Il adhérait totalement au corpus de la Diagonale, et sur certains sujets comme les prisons, il était même plus avancé », se rappelle un ancien de la Diagonale interrogé par Mediapart. Cela ne faisait aucun doute qu’il était pour le mariage des couples de même sexe. On était plus que “gay friendly”, on était le vecteur du "lobby" gay à droite. Sur l’euthanasie, à laquelle on était favorable, je n’ai jamais entendu la moindre réticence de sa part. C’était un libéral plutôt “centre gauche”. » Cet ancien du club des “sarkozystes de gauche” voit dans le duo de la Droite forte « une alliance tactique de deux jeunes ambitieux issus de la bourgeoisie parisienne. Geoffroy Didier a suivi l’orientation et les errements idéologiques du sarkozysme. La Diagonale était une machine à capter des bobos. La Droite forte est une machine à capter du petit Blanc ».

En 2011, candidat UMP aux cantonales à Gonesse, dans le Val-d’Oise, il entame un virage radical dans ses propos. Il suscite même la polémique avec un tract « Non aux minarets, non à la burqa, non à l’asservissement de la femme ». Le but est clair : il veut braconner sur les terres du Front national.

Lui prend soin de préciser à Mediapart qu'il n'a « jamais été socialiste ». « Je suis venu à la Diagonale par Brice Hortefeux et dans la démarche d’un Sarkozy qui transgressait et faisait bouger les lignes », dit-il. Il affirme ne pas avoir changé d’avis sur le mariage pour tous (« J’ai toujours été pour l’égalité des droits pour les homosexuels et pensé qu’on aurait dû faire l’union civile (promise en 2007 par Sarkozy, ndlr). Mais j’ai toujours été contre l’adoption ») ou sur la vie carcérale (« J’ai cet intérêt depuis longtemps pour les prisons, je n’ai pas changé d’un iota là-dessus »). Il ne reconnaît qu’une évolution radicale : sur le droit de vote des étrangers aux élections locales. « J’ai vu que la société française n’était pas prête. J’ai changé d’avis, j’assume totalement. »

Son évolution d’un bout à l’autre de l’UMP, il l’explique par une « adaptation à une société qui s’est tendue et communautarisée avec la crise économique, puis avec l’élection de François Hollande ». « On peut évoluer, mûrir sur certains sujets, j’essaye de ne pas être trop péremptoire. »

Arrivée de Geoffroy Didier, Rachida Dati et Guillaume Peltier à la Fête de la violette de la Droite forte, en juillet.Arrivée de Geoffroy Didier, Rachida Dati et Guillaume Peltier à la Fête de la violette de la Droite forte, en juillet. © ES

Les propositions de la Droite forte, elles, le sont. Suppression de l'AME pour les étrangers en situation irrégulière, introduction d'un quota de journalistes de droite à la télévision, suppression du droit de grève aux enseignants, création d'une « "Charte républicaine des musulmans de France" qui aura valeur de loi », « adaptation à l’architecture française par l’interdiction de la construction de minarets » ; « interdiction des prières de rue et de la burqa » ; suppression « à vie des allocations sociales pour tout fraudeur récidiviste », création d'un « fichier » listant les fraudeurs ; soumission du « versement de toute allocation sociale (RSA, minimum vieillesse...) pour les étrangers aux conditions suivantes : avoir travaillé, cotisé et habité au moins 10 ans en France » ; suppression de la CMU (couverture maladie universelle) pour la « remplacer par une “carte de santé départementale” contrôlée et plafonnée ». Certaines propositions sont clairement proches de celles du Front national (lire notre décryptage).

Sur le parcours de son compère Guillaume Peltier, il dit simplement : « Je préfère quelqu’un qui vienne du FN à l’UMP que l’inverse. Guillaume et moi avons des parcours, des histoires, des sensibilités différentes. Mais nous avons fait au même moment le même diagnostic sur la société. Je suis très content de ce qu’on a fait ensemble. Mais chacun a sa culture. J'ai tout appris avec Brice Hortefeux, d'ailleurs on nous surnomme le "bébé Hortefeux" et le "bébé Buisson". » Avec le retour d'un Sarkozy qui se proclame rassembleur, Guillaume Peltier, proche de l'artisan de la stratégie de « droitisation » Patrick Buisson, va-t-il être placé sur la touche?

BOITE NOIREGuillaume Peltier n'a pas donné suite à notre demande d'entretien, vendredi. Geoffroy Didier a lui bien volontiers répondu à nos questions.

Mise à jour: cet article a été actualisé dimanche à 20h.

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Pourquoi les Français adhèrent au «Salauds de pauvres»

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L’expression « Salauds de pauvres » n’a pas été inventée par Coluche. Jean Gabin la prononce en 1956, dans le film La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara (d’après un roman de Marcel Aymé). Dans cette scène, il ne s’adressait pas à des « prolos », ou des « clodos », mais à un couple de bistrotiers. Le créateur des Restos du cœur a repris l’interjection au début des années 1980 et l’a rendue célèbre. En endossant le rôle d’un nanti qui égrène des poncifs à propos des « sans-le-sou », c’est-à-dire des fainéants qui méritent ce qui leur arrive, il en a fait un cri de révolte.

Trente ans plus tard, il serait catastrophé. Son « Salauds de pauvres » gagne du terrain, mais il est presque pris au pied de la lettre. Les Français se mettent à penser que les chômeurs n’ont pas d’emploi parce qu’ils n’en cherchent pas, que les minima sociaux les encouragent à rester chez eux, que les prestations sociales sont trop généreuses pour les familles, et qu’il faut laisser les riches tranquilles.

On n’est pas loin de ce que le journal Libération rappelait dans ses colonnes, en octobre 2010, et qui nous renvoie au XIXe siècle : dans un poème intitulé « Assommons les pauvres », le poète suggérait, sur le mode coluchien, de « rouer de coups un mendiant pour l’obliger à répondre avec la même violence. Manière, selon Baudelaire, de rendre au pauvre "l’orgueil et la vie" et d’en faire l’égal des rupins »...

L’étude dont il est ici question n’est pas un sondage de circonstance, mais le trente-cinquième numéro d’une enquête que le Centre de recherche pour l’étude et l’observation a lancée dans les années 1980, et qui analyse, années après année, « les inflexions du corps social ». Alors que la pauvreté s’est accrue depuis 2008, notent les auteurs, Régis Bigot, Émilie Daudey et Sandra Hoibian, « la solidarité envers les plus démunis n’apparaît plus comme une idée fédératrice de la société française ». C’est une brutale nouveauté. D’ordinaire, en temps de crise, les Français se montraient plutôt compatissants.

Plusieurs observations illustrent ce glissement.

Dans l’enquête « Conditions de vie et aspirations », 64 % des Français pensent que « s’ils le voulaient vraiment la plupart des chômeurs pourraient retrouver un emploi » (six points de plus qu’en 2012). Presque un Français sur deux estime que « faire prendre en charge par la collectivité les familles aux ressources insuffisantes leur enlève tout sens de la responsabilité » (10 points de plus en deux ans, un score jamais atteint !). 37 % sont convaincus que les pauvres n’ont pas fait d’efforts pour s’en sortir (7 points de plus depuis 2012, 12 points de plus qu’au lendemain de la crise) !

Le deuxième graphique remet en cause les politiques sociales. Trois Français sur quatre estiment qu’il est « parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que de travailler » (augmentation de 9 points en deux ans), 54 % sont convaincus que les pouvoirs publics en font trop (en hausse de 18 points depuis 2012), et 53 % déclarent que le RSA incite les gens à s’en contenter (soit 9 points de plus en deux ans).

Le troisième graphique concerne l’aide aux familles. Depuis 1982 elle était jugée insuffisante. Ainsi, 69 % pensaient en 2008 que l’aide aux familles n’allait pas assez loin. En 2014, renversement total. Ils ne sont plus que 31 % à souhaiter qu’on l’améliore…

Un quatrième graphique concerne l’idée de la contribution des riches pour la justice sociale. En 2012, 71 % du corps social considérait « qu’il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres ». Ils ne sont plus que 55 %, soit une chute de 16 points.

Le Credoc pointe un renversement spectaculaire et radical. Un séisme idéologique que les urnes ont enregistré lors des élections municipales et des élections européennes. Ce sont bel et bien les idées de gauche qui se sont effondrées, et c’est, qu’on le veuille ou non, la campagne de Nicolas Sarkozy, en 2012, qui paraît prendre sa revanche.

L’enquête avance plusieurs hypothèses pour comprendre « le scepticisme croissant ». Les Français pourraient penser que les caisses de l’État sont trop vides pour être généreuses. Que les politiques sociales sont une chose trop sérieuse pour être confiées à des politiques démonétisés. Que trop d’aides deviennent une aide à la paresse. Que les classes moyennes, qui paient les pots cassés de la crise, ont le sentiment d’avoir assez donné comme ça, et qu’au train où vont les choses elles deviendront les classes pauvres de demain.

Une autre explication pourrait cependant être avancée, qu’un organisme comme le Credoc ne peut pas mettre en avant. Une explication de nature politique. Et si, à force de renoncements, la gauche avait abandonné son terrain, dans un sauve-qui-peut idéologique qui tourne à la Bérézina ? Car cette étude peut se lire de deux manières.

Première lecture : elle dirait le « réel ». Voilà ce que penseraient les Français, et ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour gagner les élections. On devrait les écouter, pour satisfaire leurs « aspirations ». En finir avec les pauvres en les accusant de leur sort. C’est au fond ce qu’a fait François Rebsamen en remettant sur le devant de la scène le personnage obscur du chômeur fraudeur, qui abuserait de l’argent public. C’est aussi la lecture du Medef qui développe désormais des propositions impensables, et imprononçables, il y a seulement dix ans.

L’autre lecture, c’est que ces chiffres ne traduisent pas, ou pas seulement, une évolution de l’opinion des Français, mais aussi et surtout l’abandon des valeurs de la gauche par la gauche au pouvoir. Quelle grande voix est montée au créneau pour souligner, par exemple, cette vérité terre à terre : si le chômage est passé de un million à plus de cinq millions en quarante ans, ce n’est quand même pas parce que les Français ont fabriqué en deux générations quatre millions de petits fainéants ? Dès lors, si les fraudeurs doivent être poursuivis, et condamnés sans ménagement, qui peut oser confondre le malade et la maladie ?

Et pourquoi, quitte à dénoncer les détournements d’argent public, le ministre du travail ne brandit-il pas, avec une vigueur décuplée, la fraude aux cotisations sociales pointée cette semaine par la Cour des comptes ? Elle atteint pourtant entre 21 et 24 milliards d’euros par an, et n’est pas le fait des chômeurs indélicats, mais du travail au noir mis en place par certains chefs d’entreprise, notamment dans le secteur du bâtiment.  

Même chose avec l’idée désormais dominante à propos des minima sociaux. Il serait plus avantageux de les recevoir que d’aller au travail, penseraient les Français rencontrés par le Credoc ! Là encore, pourquoi la gauche a-t-elle avalé sa langue ? Pourquoi regarde-t-elle ses chaussures comme si elle avait honte ? Si les minima sociaux sont ce qu’ils sont, et s’ils ont tendance à rattraper le salaire minimum, ce n’est pas qu’ils sont trop hauts (essayez de vivre avec 700 euros…), c’est que les salaires sont trop bas, même si Pierre Gattaz rêve de supprimer le Smic. Les salariés qui vivent dans la rue ne sont pas une vue de l’esprit, mais le phénomène de cette décennie. Quant au salaire médian des Français (1 712 euros mensuels), permet-il autre chose que de garder la tête hors de l’eau ?

En vérité, depuis une quinzaine d’années, le phénomène majeur n’est pas que les minima sociaux aient rejoint les salaires, c’est que l’écart entre les moins riches et les plus fortunés se soit creusé jusqu’au vertige. Henry Ford estimait dans les années 1930 que son salaire devait valoir trente fois celui de ses ouvriers. En 2014, ce différentiel est passé de 1 à 500. François Hollande le répétait sur tous les tons en 2012, pendant la campagne présidentielle, et les Français lui prêtaient une oreille attentive. Les mêmes voix font silence aujourd’hui, et les Français n’entendent plus que le glouglou des larmes de Depardieu, ou le soupir profond des exilés fiscaux, monté du pavé de Belgique.  

Marre d’aider les pauvres… La question fiscale se profile naturellement derrière la lassitude des Français, et là encore le discours du pouvoir de 2012 s’est effacé derrière celui de la droite. Plus de réforme fiscale, comme promis, mais la reprise de l’expression « ras-le-bol fiscal », sur le mode bon élève. Bien sûr, personne n’aime payer ses tiers provisionnels et sa facture de septembre, mais comment, quand on est de gauche, oublier d'expliquer que l’impôt sur le revenu, qui est un prélèvement progressif (les plus riches paient davantage) ne résume pas toute la fiscalité ? Pourquoi en faire l’unique objet de tous les ressentiments ?

Pourquoi ne pas rappeler qu’il est d’autres prélèvements, plus diffus mais plus accablants ? Pourquoi ne pas souligner que les Français, tous les Français, paient davantage de TVA (où le smicard est taxé au même niveau que le patron du Cac 40) que d’impôt sur le revenu ? Pourquoi ne pas faire savoir, en toutes occasions, que ce qu’on appelle les « dépenses contraintes », comme le souligne le Credoc, se sont envolées par rapport aux salaires, avec le prix de l’immobilier, le loyer, le chauffage, l’électricité, l’autoroute, etc. Au nom de quoi les « dépenses contraintes » seraient-elles plus nobles, et plus caressantes, que les dépenses imposées ?

Au nom de quelle vérité supérieure la gauche de gouvernement a-t-elle fait sienne, depuis les années 2000, comme les bourgeois de Calais, corde au cou, repentante, la théorie de l’impôt prédateur, et d’abord de l’impôt sur le revenu ? L’impôt est peut-être trop élevé, et dans ce cas qu’on le réforme, mais ce n’est pas sa baisse qu’on proclame ces temps-ci, c’est son indignité. Or sans impôt pas de société, pas de pays, pas de collectivités, pas plus que sans cotisation il n’existe d’association, d’amicales, de clubs…  

Dans cette débâcle, peu importe le destin du gouvernement Valls, le sort de la question de confiance, la conférence de presse de Hollande, ou le retour permanent du Sarkozy nouveau. Comment s’étonner qu’en lâchant les fondamentaux qui l’ont hissé dans l'Histoire, le pouvoir soit lâché par son électorat ? Le pays, fatigué par la crise, n’entend plus son discours, mais celui de l’opposition, qu’il reprend à son compte, et que les Français répètent aussi, faute de mieux, en choisissant l’original plutôt que la photocopie. « Impôts, déficits, réformes structurelles, compétitivité, coût du travail, flexibilité, chômeurs qui se la coulent douce, RSA trop confortable », on n’entend plus que cette chanson. À moins qu’il n’y ait qu’une seule pensée, celle des conservateurs allemands, et qu’il n’y ait plus d’adversaires… Sauf les chômeurs, ça va de soi.

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Sarkozy, BFM et i>Télé: la machine à décerveler

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Quatre nuits ont passé. C’était voilà un siècle, à l’aune de l’instantanéité sautillante, haletante, impatiente, terrifiante des chaînes siamoises d’information en continu : BFM et i>Télé. Elles se repaissent de personnalisation à outrance, s’intoxiquent aux sondages et gobent toutes sortes de pseudo-avis prétendument autorisés d’experts autoproclamés. Elles attrapent un événement à la volée pour ne plus le lâcher, le temps qu’il faudra, tel un duo de chats torturant l’oiseau tombé entre leurs griffes. Puis elles passent à la proie suivante…

Jeudi 18 septembre, la paire de tévés avait François Hollande dans les pattes. Mais le cœur n’y était pas. Elles pensaient au client à venir, un client du tonnerre, sans mesure, nerveux jusqu’à la frénésie : emballement garanti ; il n’y a qu’à suivre son rythme pour imprimer la cadence ; ça, c’est du spectacle ! En attendant, il faut hélas ! traiter de l’actuel président de la République. Ça commence à bien faire. L’ennui s’avère palpable : « C’était la moins bonne de ses quatre conférences de presse et elle n’aura pas fait grand-chose pour sa popularité. » Féline et carnassière, Ruth Elkrief résume : « On reste un peu sur sa faim. »

François Hollande, sous les ors du palais, vient d’avoir l’outrecuidance de balayer l’hypothèse échafaudée sans relâche, le scénario feuilletonnisé à l’excès : ce triennat que décréteraient volontiers BFM et i>Télé, tant le quinquennat semble long. Leur coup d’État audiovisuel permanent ne va pas s'interrompre sur un claquement de doigt élyséen. En schématisant à leur façon l'exhortation présidentielle – « maintenant on va devant, on arrête, c’est fini » –, les deux chaînes ricanent dans leur coin. Comme ces cancres sachant que le chahut ne s’arrêtera pas de sitôt, en dépit de l’admonestation professorale.

BFM diffuse, sans y prêter plus d’attention que cela, l'avis du quatrième personnage de l’État, Claude Bartolone, sur la prestation du premier personnage de l’État : « Offensif et protecteur. » Un commentateur enfile comme des perles les anaphores, cette « marque de fabrique du président Hollande », en tâchant de faire un sort à son itératif « pas facile de... ». Chacun tâche de forcer les socialistes à dire ce qu’ils n’ont pas envie de dire. Question : « N’est-ce pas un constat d’échec ? » « Non », répond le ministre Stéphane Le Foll, qui tente un dégagement sur « l’engagement et la responsabilité », que personne n’écoute.

L’UMP Bernard Debré, 69 ans, a préparé son estocade. Un micro se tend. Le député feint d’improviser une sentence de mort politique : « François Hollande est en train de se dire qu’il n’a que les journalistes à qui parler, alors il vous parle. » Le FN Florian Philippot, 32 ans, prend soin de reprendre la main sémantique (« nous ne sommes pas d’extrême droite mais patriotes »), avant de confirmer le “la” ambiant : « Nous avons perdu une ou deux heures. C’était un concours de vide. » Ruth Elkrief semble raccord : « C’est un creux ! » Silence interloqué.

Suite du propos de Mme Elkrief, dans la foulée de la pause de sa phrase : « C’est un creux dans ce quinquennat. » Son confrère de plateau, Thierry Arnaud, saisit le mot « creux » au passage. Il transforme le substantif en adjectif et glisse à l’animatrice : « Creux, c’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon vient de qualifier la conférence de presse de François Hollande… » Ruth Elkrief repousse alors une telle comparaison, de toutes ses forces révulsées : « Non ! Non ! »

Thierry Arnaud fait mine de trouver à ce président du « courage dans des circonstances difficiles ». Il a maintenu cette conférence de presse inutile et sans intérêt, sur laquelle il faut bien gloser à regret : « S’il ne l’avait pas tenue, on aurait dit, c’est Valls qui a les manettes. » « On » ? Qui aurait dit pareille chose ? Nos chaînes pythiques, pardi ! Celles qui serinent ce jeudi soir : « On sait très bien que la France sera dégradée. »

Depuis des semaines, elles rabâchent que le premier ministre mange la laine sur le dos du président. Celui-ci vient de remettre à sa place, subalterne, l’homme qu’il a nommé à Matignon. Mais i>Télé trouve aussitôt la parade : l’image qui dément sous nos yeux le propos de M. Hollande. L'image qui confirme les supputations quant aux ambitions démesurées d’un Manuel Valls putschiste jusqu’au bout des ongles. N’est-il pas en train de s’attarder sur le perron du palais, entouré d’une poignée de journalistes ? Enfin un événement à se mettre sous la dent : M. Valls a bel et bien entrepris de « tenir une conférence de presse off », comme le confirme Jean-Jérôme Bertolus, le planton de service d’i>Télé à l’Élysée.

Déjà Audrey Pulvar passe à l’autre mâchoire de la tenaille dans laquelle serait pris le président : son prédécesseur. 2017, c’est maintenant. Et Mme Pulvar d’évoquer « l’éventuel retour ». Sur BFM, Ruth Elkrief enfonce le clou : « Nicolas Sarkozy, qui va revenir, dès demain sans doute. » Et BFM conclut en redessinant la temporalité : « François Hollande a déclaré faire son devoir en servant l’avenir plus que le présent. L’avenir peut-être très proche, c’est la déclaration de Nicolas Sarkozy : la presse régionale, les réseaux sociaux, un 20 heures ? On verra. »

Le lendemain, vendredi 19 septembre, c’est tout vu. Une vision de guerre civile. Notez, dans la vidéo ci-dessous, à 0’20, le « pas aussi européiste et islamophile que Juppé » ; ou, à 3’40, « les gens ne se supportent plus parce qu’on a deux cultures qui s’affrontent et qui ne peuvent pas vivre sur le même sol » ; ou encore, à 4’15, la fascination à la fois sépulcrale et gourmande pour les règlements de comptes à coups de fusils… Face à Nicolas Domenach, Éric Zemmour se plaint du dispositif qui l’empêcherait d’affiner ses « analyses », alors que la chaîne sur laquelle il se déchaîne s’avère le réceptacle idéal pour son caquet haineux et simpliste – des formules à l’emporte-pièce fondées sur des réminiscences d’une vague première année de Sciences-Po, à faire se retourner dans leur tombe les professeurs Girardet et Rémond ! Voici comment une rhétorique et des obsessions détestables s'acclimatent puis se propagent, en notre étrange pays...

Le résultat est là : Nicolas Sarkozy peut resurgir dans un paysage politique que les chaînes siamoises d’information en continu contribuent à faire glisser le plus à droite possible. Un paysage où Juppé incarne la gauche, Sarkozy le centre et Le Pen une droite bonasse pleine de bon sens près de chez vous. Un paysage où, comme sur BFM, le dialogue politique entre “experts” réunit le directeur de la rédaction du Figaro Magazine, Guillaume Roquette, et un journaliste de L’Opinion, Ludovic Vigogne. Comme si une tornade audiovisuelle avait préparé le terrain, pour que Nicolas Sarkozy revînt sur des positions relativement modérées, tempérées ; tel un messie du juste milieu…

L’échange entre le journaliste convulsionnaire du Figaro et son confrère plus placide de Marianne a été enregistré en un lieu confiné avant diffusion. Cependant le retour de Nicolas Sarkozy prétend répondre aux lois du direct hors studio. Les communicants de l’ancien président osent se mesurer à la grammaire de ce que l’anthropologue Daniel Dayan a défini, avec Elihu Katz, comme La Télévision cérémonielle (PUF, 1996). Ces moments mythiques du petit écran, où tout est bouleversé par un événement monstre, qui chamboule les programmes et monopolise l’attention planétaire : en 1965, les funérailles de Churchill ; en 1977, la visite de Sadate à Jérusalem ; en 1997, la mort de Diana et Jean-Paul II aux journées mondiales de la jeunesse à Paris ; tous les quatre ans, l’ouverture des Jeux olympiques. Il peut certes y avoir des adaptations au simple niveau national : un discours du président Eyadema à Lomé (Togo), une conférence de presse de François Hollande à Paris (France). Même déprécié, l'événement doit cependant donner l'impression d'en avoir pour son regard.

Alors quid du retour de M. Sarkozy ? Qui va prendre pour argent comptant cette farce : la fin de sa traversée d'un désert aux allures de minuscule bac à sable ? Comment peut-on croire à une soudaine renaissance, alors que la parturition s'accomplit depuis le soir de la défaite du compétiteur, voilà vingt-huit mois ? Un tel non-événement, éventé mais gonflé, va-t-il franchir la barre cathodique ? Suffit-il de promouvoir à l'extrême pour que le suspens instauré, aussi faux que furieux, arrache des alléluias aux tréfonds de la nation ? Le désir est grand mais la force est petite. Fiasco dans l'air...

L'épisode, grotesque, s'est mis à ressembler, trait pour trait, à une publicité américaine d'il y a 30 ans. Des dames chics et âgées (on les croirait issues de Neuilly !) s'apprêtent à goûter un hamburger prometteur. Cependant, il n'y a qu'un tout petit bout de viande à l'intérieur. Alors les dupées s'exclament : « Où est le bœuf ? » ("Where is The Beef?"). Voilà très exactement l'effet produit par Nicolas Sarkozy le 19 septembre : un regain colossal annoncé qui se transforme en ricochet avorté.

Tout a commencé par une lecture de texte. Dans les églises, les temples, les synagogues, ou les mosquées, un tel rituel en impose. Au cinéma, le dispositif impressionne, à condition d’être pensé, comme lorsqu’à la fin de Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann, de sa voix jupitérienne, égrène solennellement la liste des convois de déportés parvenus au camp d’extermination nazi, qu’un carton déroulant fait défiler sous nos yeux. L'effet produit s'avère alors grandiose : la vidéosphère, la graphosphère et la logosphère nous étreignent de concert.

Patatras ! Une catastrophe dans l'ordre de la représentation est au rendez-vous, avec la page Facebook de Nicolas Sarkozy. La déclaration de “revenez-y” sarkozyen se retrouve ânonnée par un homme et une femme pris au dépourvu, en direct sur BFM. Le ratage submerge. On ne pouvait rien rêver de pire !...

L'entier vendredi soir se révèle à l’avenant. Il n’y a rien à voir, en dépit de “l’édition spéciale” qui occupe chacune des chaînes jumelles. Alors les journalistes meublent comme ils peuvent : « Bruno Le Maire oppose son jeune corps calme au corps nerveux et plus vieux de Nicolas Sarkozy. » Tout cela semble soudain physique. Et même sexuel, s'il faut en croire Laurent Wauquiez, saisi par un étrange démon : « Ça donne envie parce que lui en a envie ! » Les commentaires parlent de « garde rapprochée ». Nous n'avions rien connu d'aussi torride depuis les “amazones” du colonel Kadhafi.

Le fond d'écran se voit occupé, plus que de raison, par un cliché torchonné du président de la République honoraire à l’arrière de sa voiture. Il a été pris au sortir de ses bureaux parisiens, mais rappelle une arrivée honteuse au tribunal de Bordeaux. BFM et i>Télé devraient chacune engager des sémiologues !

L'image fixe cède par intermittence la priorité à un petit film n'ayant rien à envier aux interludes de la télévision de papa. Une voiture automobile noire est en train de regagner le XVIe arrondissement de la capitale, où nichent M. et Mme Sarkozy. Les plans n’ont aucun intérêt. On finit par regarder ce chewing-gum pour les yeux. La berline qui chemine dans des artères huppées s'avère une Citroën C6 (57 350 € TTC avec options selon largus.fr). On découvre même son immatriculation assez grand genre, dans la mesure où on croirait un numéro de compte en banque : CF862KL75. « Il va faire du social. Il donne un signal clair puisqu’il va dans le Nord », édicte Ruth Elkrief, à propos du premier meeting « à la rencontre des militants de l’UMP », annoncé par le candidat repeint à neuf.

M. Sarkozy est candidat, mais à quoi ? À un repos bien mérité, s’il faut en croire Damien Fleurot (BFM) et Julien Arnaud (i>Télé), chacun posté dans une allée privée verdoyante (villa Montmorency). Le pied de grue journalistique y atteint des sommets, à mesure que l’heure tourne : « A priori Nicolas Sarkozy ne devrait pas sortir de son domicile, où il passera la soirée en famille », répètent sans mollir nos hallebardiers des temps modernes. Le studio revient avec constance vers ces deux-là, qui n’ont donc rien à déclarer. Il s'agit sans doute de rentabiliser l’envoi de telles sentinelles, en faction inutile, aux marches occidentales de la capitale…

Michaël Darmon se lance, histoire de donner du sens à cette folle journée – Nicolas Sarkozy, arrivé ce matin à pied à ses bureaux, annonçait par ce geste inédit un événement prodigieux : « Séduction permanente… Texte vrillé par une idée : “C’est mon devoir.”… c’est sa vie, tout simplement… même son épouse… nouvelle martingale… à la tête du pays. » Le téléspectateur se réveille en sursaut : à la tête du pays ? Sur i>Télé, un jeune présentateur, à la barbe soigneusement sauvage et au regard d’un bleu insoutenable, se prend à évoquer, dans le feu du direct, ce qu’a « publié sur Facebook le chef de l’État. Euh… l’ancien chef de l’État ».

Oui ou non, « ne s’agit-il que de succéder à M. Copé à l'UMP » (David Assouline sur BFM) ? Certes, pour le moment, c’est la priorité, selon le directeur de campagne du revenant, Frédéric Péchenard, un ancien policier reconverti. « Péche », dont Jean-Michel Décugis, « spécialiste Police-Justice i>Télé », nous dresse un panégyrique dont tout recul critique semble avoir été nettoyé au karcher. M. Péchenard se répand sur les ondes, avec sa mine si rassurante de passe-muraille de la plaine Monceau :

Déjà s’annonce « le premier sondage sur ce retour à la vie politique ». La formule est vague, il n'est plus question de magistrature suprême. « À tout de suite » : tiens voilà de la pub. Il y est question d'une compétition acharnée : « Les cheeps contre les cacahuètes. » La comprenette s'encrasse, face à un tel déferlement. Tiens voilà Jean-Jacques Bourdin. Mais c'est une archive. Quinze jours avant le scrutin présidentiel de mai 2012. Nicolas Sarkozy chante l'air du “jamais plus jamais”. Tout va décidément très vite. Les chaînes d'information en continu se poseraient-elles en mémoire de ce monde amnésique, en boussole de ce pays déboussolé ?

Sur i>Télé : « ...se remettre à l'abri du chef... pour l'instant pas un mot de politique. » Sur BFM, Guillaume Larrivé, un député UMP de 37 ans très propre sur lui, un peu tête à claques mais sans doute futé, puisqu'il est là. Pour nous dire ceci : « Il a un devoir, il a un devoir. Il est dans la volonté, dans l'imagination de la construction... volonté de brancher la France sur le monde. » On regarde une seconde Arte, afin de reprendre son souffle : voici une analyse structurée sur le non à l'indépendance en Écosse. Retour à Ruth Elkrief sur BFM : « Et c'est l'autre grand titre aujourd'hui, les frappes françaises en Irak. » Claude Askolovitch sur i>Télé : « Imposer une évidence, c'est imposer une histoire, tout tourne autour de lui. Nous ne parlons plus des frappes en Irak. » Il est très fort, Askolovitch : il instille une distanciation “fonctionnelle”, c'est-à-dire qui légitimise ce contre quoi elle prétend s'exercer. Son discours, c'est : permettez-moi de jouer un instant le Daniel Schneidermann de la chaîne en décryptant les panneaux dans lesquels nous tombons, ce qui nous permet, sitôt fait, de continuer sur notre lancée ! Quel tournis conceptuel, sous couvert d'apparente crétinisation des masses !...

Le pompon s'annonce. Christophe Hondelatte donne la parole à Éric Brunet, un homme qui, lorsqu'il regarde très loin sur sa gauche, aperçoit Nicolas Sarkozy. M. Brunet brosse un tableau senti de la situation : « L'ancien président a choisi des gens, comme on dit au rugby, des gens un peu méchants devant. » Le tout est ponctué d'enregistrements de réactions venues de toutes parts. Jean-Christophe Cambadélis, par exemple, tonne : « Faire oublier son passé et son passif. Il n'échappera pas à son bilan, ce sera son boulet. » Il parle, à l'évidence, du prédécesseur de François Hollande. Soudain, Christophe Hondelatte en vient à « nos Rafales » – il doit payer ses impôts pour déranger ainsi le déterminant possessif. Claude Askolovitch mobilise, pour sa part, on ne sait quelle « mystique politique ». Puis il conclut, harassé : « La réalité, on la connaîtra dans 48 heures. »

Dix-sept heures plus tard, samedi 20 septembre à 13 heures, l'esprit un peu plus vif, on s'enchaîne à nouveau. La confusion et la surchauffe menacent encore et toujours dans le poste. Le retour de Nicolas Sarkozy débouche irrémédiablement sur les journées du patrimoine en général et sur la visite de l'Élysée en particulier. Un journaliste a désormais son casting en tête. Il distribue les postes : « Bertrand, Le Maire et NKM jouent Matignon en 2017 plutôt que l'Élysée. »

Pouce ! i>Télé passe au foot : « Bordeaux-Évian, c'est un choc de culture et c'est Bordeaux qui a gagné » (dixit Pascal Praud). BFM continue de creuser seule l'inépuisable sillon : « C'est l'histoire d'un faux départ, d'une fausse absence et d'un vrai retour. » Yves de Kerdrel, de Valeurs actuelles, met beaucoup d'empathie pédagogique à expliquer « la stratégie de la carte postale » et l'impérieuse nécessité du « recours ». Il est tout à coup question des affaires. Inserts de tous les journaux possibles et imaginables sur l'écran, sauf Mediapart et Le Canard enchaîné. « On essaie en vain de l'abîmer », geint Guillaume Peltier à propos de son grand homme.

Les mêmes images forment la même ronde : Sarkozy au théâtre, accueilli par un auteur à la page (BHL). Sarkozy à bicyclette. Sarkozy au pas de course. Sarkozy s'installant dans sa voiture noire, à la plaque d'immatriculation désormais floutée... Thierry Saussez, conseiller du revenant, interrogé tel un vieux sage : « Aller au cœur de ses soutiens sur Facebook, puis faire le buzz dans tous les médias – vous en êtes d'ailleurs le meilleur exemple –, avant d'approfondir à la télévision, puis de partir à la rencontre des militants. C'est une boule d'énergie et d'initiative. Il ne vient pas faire la restauration, mais donner la même énergie pour construire un projet. Il faut la puissance et il faut la proximité. »

Pendant ce temps, la BBC développe quatre titres : la libération d'une cinquantaine d'otages turcs en Irak, l'accord sur une zone démilitarisée en Ukraine, les élections en Nouvelle-Zélande et de terribles inondations aux Philippines.

Samedi est un jour sans, un entre-deux (le lendemain de Facebook, la veille de France 2). Cela patine, sur BFM et i>Télé. Cela radote et ressasse : « Enquête sur un come back minutieusement orchestré » – la caisse de résonance ne fait-elle pas partie de l’orchestration ? Le ronron du climatiseur médiatique s'installe : « Après l’omni président, l’omni absent… Ah ! les concerts de sa femme, Carla : dans la salle comme en coulisse, il fait partie du spectacle. »

Le jour d’y croire est arrivé. Mais en ce dimanche 21 septembre à 13 heures, François Bayrou se montre réfractaire. Non au parti unique et à toute tentative de soumission du centre : « Ce n’est pas imaginable et je ferai tout ce qu’il faut pour que ce ne soit pas imaginé. »

À 18 heures, le compte à rebours est entamé : « Sarkozy, le retour, acte II. L'ancien président va s'expliquer devant les Français », affiche i>Télé en fond d'écran. Audrey Pulvar : « Il ne va pas pouvoir dire j'ai changé, il va trouver une autre narration. » Michaël Darmon : « Il va dire j'ai compris. Ce qui n'a pas changé chez lui, c'est sa croyance absolue en la saturation médiatique et à sa force quand il s'exprime. »

Sur BFM, deux heures avec Julien Dray, le socialiste peut-être le moins incompatible avec le côté flambeur de l'ancien président sur le retour. M. Dray arbore une minuscule montre à son poignet dodu. Il n'a jamais cru à l'effacement de Nicolas Sarkozy : « À 20h05 le 6 mai 2012, j'étais convaincu qu'il serait candidat en 2017. Je regrette de ne pas avoir parié dès le départ. » Question perfide et glacée d'Apolline de Malherbe : « Vous auriez gagné gros ? »

Julien Dray change de sujet et sonne la charge : « Depuis vendredi, tout tourne autour de lui et s'est presque noué un rapport sado-maso avec la presse. » Apolline de Malherbe le coupe : « Je vous en prie ! » Julien Dray évoque Nicolas Sarkozy avec une complicité à peine comprimée : « J'ai à peu près le même âge que lui. Il y a ceux qui l'apprécient et ceux qui ne l'apprécient pas. Je ne suis pas fan mais il m'a épaté, j'ai été au départ un peu fasciné. Toutefois il y a un grand fossé entre le Sarkozy qui parle et celui qui agit. » Apolline de Malherbe : « N'est-ce pas le cas de François Hollande ? »

Près de deux heures plus tard, en nage sous les projecteurs, Julien Dray persiste et signe. Alors que France 2 s'apprête à recevoir trois quarts d'heure durant Nicolas Sarkozy, le conseiller régional socialiste d'Île-de-France se montre toujours mesuré dans son appréciation de l'ancien président – « ses talents, ses qualités, ses défauts » – et tire pour le PS les conséquences d'un tel retour : « Il faut désormais une forme de solidarité entre nous. » Apolline de Malherbe prend congé en annonçant une « soirée 100 % politique ». Julien Dray s'arroge le dernier mot : « 100 % Sarkozy ! »

Sur i>Télé, oyez, oyez braves gens : « Retour en grande pompe. Saura-t-il convaincre les Français qu'il a changé ? Analyse et décryptages. » Il est 20 heures et Michaël Darmon entame sa péroraison : « L'ancien président avait averti qu'il ferait un retour stratosphérique et il revient par le parti. Comme toujours, Nicolas Sarkozy s'adapte aux circonstances. » Le journaliste décrit des luttes titanesques à venir entre « les enfants de Jacques Chirac » (Juppé contre Sarkozy). On attend alors un morceau de bravoure : une référence wagnérienne, une allusion au Walhalla. L'éditorialiste s'en tient à l'univers télévisuel : « C'est inamicalement vôtre ! »

Puis il anticipe – les chaînes d'information jouent volontiers les cartomanciennes – « le dernier duel » à droite. Avec une nouvelle recrue repérée aux côtés de Nicolas Sarkozy, le député du Nord Gérald Darmanin : le revenant fait ainsi coup double, en privant Xavier Bertrand d'un soutien tout en avertissant les quadragénaires réticents qu'il saura puiser dans un plus jeune vivier à disposition...

Le rythme se précipite du côté de France Télévisions. On signale « ses deux fils Pierre et Jean ». Toujours pas de commentaires sur une absence atroce, dans ce dispositif de reconquête du pouvoir qui s'édifie sous nos yeux : Nadine Morano. Jeudi soir, sa marionnette des Guignols, sur Canal+, dans une saynète au poil, avait pourtant prévenu PPD, qui la voyait laissée au bord du chemin : « T'as d'la merde dans les yeux ! Comment tu veux qu'Nico y se passe d'une princesse comme moi ? »

Sur i>Télé, Claude Askolovitch, fine mouche du PAF, poursuit son petit jeu consistant à participer de cette machine infernale, mais avec un regard de biais et un pas de côté : « Jusqu'à présent et depuis vendredi, c'était les produits dérivés du sarkozysme : en particulier les commentaires et nous en faisons partie. Là, nous allons le voir en vrai, pendant 40 minutes. C'est un effet de loupe, la télévision. En 2006, Lionel Jospin a tenté un retour dans les mêmes conditions. Mais à la minute où les gens l'ont vu, ça n'y était plus. Il ne faut rien exclure. Les Français, dans l'instant qui approche, vont-ils ressentir, presque intimement, s'ils ont envie de refaire un bout de chemin avec cet homme-là ? »

Chauffé à blanc par la paire de chaînes d'information en continu, on passe sur France 2. Curieux entretien d'embauche d'un briscard de 59 ans. Mouvements d'épaule inaltérés. Phrases toujours sujettes à caution ou interprétation : « Je n'ai jamais cru à l'homme providentiel. » « J'avais pas envie de laisser tomber les gens. » « On m'a même soupçonné d'être responsable de la mort de nos compatriotes : les pauvres ! » Sans oublier ce : « Je n'aime pas l'injustice », qui sonne comme : « Je n'aime pas la justice »...

C'est alors que, mobilisé depuis quatre jours par Mediapart et gorgé de “pipolisation” contagieuse, l'enquêteur sur canapé perçoit, en guise de sondage instantané, la voix de son fils de 13 ans qui s'est glissé devant le spectacle : « On dirait le même en plus vieux. C'est une bête de télé, mais il est vraiment nul. » En compensation, le fidèle Éric Besson sait trouver les mots adéquats, exprimés du bon côté de l'écran (à l'intérieur du poste et non en face) : « Il y a des hommes qui dégagent quelque chose de particulier. »

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