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Ecoutes de Sarkozy: la bataille de procédure est lancée

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Parallèlement aux préparatifs du retour en politique de Nicolas Sarkozy, une discrète offensive s’organise également sur le terrain judiciaire. Handicapé par une mise en examen humiliante pour « corruption active », « trafic d’influence », et « recel de violation du secret professionnel », prononcée le 2 juillet dernier dans l’affaire Herzog-Azibert, l’ex-président de la République orchestre depuis l’été de grandes manœuvres qui visent autant à faire annuler la procédure elle-même qu’à ridiculiser médiatiquement des juges qu’il exècre.

Nicolas SarkozyNicolas Sarkozy © Reuters

Sur le terrain judiciaire, des conciliabules se poursuivaient ces jours-ci, qui sont en train de déboucher sur une, voire plusieurs requêtes en annulation de la procédure, qui seront soumises prochainement aux magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Ce vendredi, les deux premières requêtes, déposées par les avocats respectifs de Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, étaient déjà en cours d'enregistrement à la chambre de l'instruction, selon des informations obtenues par Mediapart. Le but étant d'obtenir, par ricochet, l'annulation des mises en examen et, pour finir, de toute la procédure.

En droit, deux angles d’attaque sont envisagés par le camp sarkozyste. L’un consiste à mettre en cause l’objet et la durée d’écoutes téléphoniques dites « en filet dérivant », qui auraient été prolongées artificiellement, et jusqu’à la découverte d’une infraction – selon la défense. L’autre repose sur la confidentialité des échanges et le secret professionnel qui protègent les avocats, et que ces écoutes téléphoniques auraient mis à mal. Outre Nicolas Sarkozy, qui est avocat inscrit au barreau de Paris, son défenseur, Thierry Herzog, ainsi que l’actuel bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, apparaissent en effet sur des conversations enregistrées par les enquêteurs.

L'analyse du parquet national financier et du parquet général de la cour d'appel est tout autre : ils considèrent au contraire que les deux lignes “Paul Bismuth” ayant été ouvertes sous une fausse identité, et que les conversations écoutées ayant révélé la commission d'une infraction, les retranscriptions sont procéduralement valables.

Thierry HerzogThierry Herzog

Ces requêtes en annulation pourraient être déposées par une ou plusieurs des personnalités mises en examen, à savoir Nicolas Sarkozy (maintenant défendu par Pierre Haïk), son ami et avocat Thierry Herzog (défendu par Paul-Albert Iweins), ainsi que l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert (défendu par José Allegrini). Quant au bâtonnier Pierre-Olivier Sur et à l'Ordre des avocats de Paris, qui ont déposé conjointement, dans cette affaire, une plainte contre X... pour « violation du secret de l’instruction » au mois de juillet, il n’est pas certain qu’ils se joignent officiellement à ces requêtes en annulation. Dans tous les cas, la chambre de l'instruction ne pourra statuer avant plusieurs semaines.

L'enjeu de cette bataille procédurale est, en tout cas, vital pour un Nicolas Sarkozy à cran. Sa longue garde à vue, le 1er juillet, au siège de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) de la police judiciaire, à Nanterre, a été assez tendue. L'ex-chef de l'État s'est montré tour à tour séducteur puis un brin menaçant avec les policiers. Il s’est également énervé d’être bloqué dans un ascenseur en panne.

La nuit suivante, sa présentation aux juges d’instruction Patricia Simon et Claire Thépaut, au pôle financier du tribunal de Paris, a été carrément électrique. Nicolas Sarkozy leur a proposé d’emblée une sorte de « deal » : il promettait de ne pas réclamer l’annulation de la procédure si les magistrates ne le mettaient pas en examen mais le plaçaient simplement sous le statut de témoin assisté. Les deux juges ont tenu bon.

Nicolas Sarkozy a alors refusé de parler à Claire Thépaut, au motif qu’elle est membre du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), une des organisations professionnelles qui avait pris position contre lui en 2012. Patricia Simon ayant fait observer qu’elle n’était pas membre de ce syndicat, Nicolas Sarkozy lui a répondu sèchement que c’était la même chose, car elle était « contaminée » par sa collègue...

À l'origine, cette affaire est née des investigations sur le possible financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par la Libye de Kadhafi, instruction menée par les juges parisiens Serge Tournaire et René Grouman depuis avril 2013. Les deux magistrats du pôle financier avaient placé l’ex-chef de l’État français, ainsi que ses anciens ministres Claude Guéant et Brice Hortefeux, sur écoutes téléphoniques, ce que permettent les textes. Juges et enquêteurs avaient alors découvert que Nicolas Sarkozy, volontiers disert, était devenu beaucoup plus prudent au téléphone après l’épisode médiatisé, en décembre 2013, des conversations très amicales entre Brice Hortefeux, ex-ministre de l’intérieur, et Christian Flaesch, le patron de la PJ parisienne (ce dernier a depuis été limogé).

En fait, Thierry Herzog venait de faire l’acquisition de deux téléphones au nom de Paul Bismuth, pour pouvoir communiquer discrètement avec son ami et client Nicolas Sarkozy. Or selon les retranscriptions de leurs conversations, l’ancien président – via son avocat – était renseigné officieusement sur l’évolution de deux autres procédures judiciaires par Gilbert Azibert, alors premier avocat général à la Cour de cassation, un hiérarque marqué à droite et qu’ils connaissent l’un et l’autre.

Gilbert AzibertGilbert Azibert © (Capture d'écran)

Gilbert Azibert les aurait informés, d’une part, de l’évolution de la procédure Bettencourt, dans laquelle Nicolas Sarkozy a obtenu un non-lieu et réclamait ensuite la restitution de ses agendas en invoquant l'immunité présidentielle. Mais il leur aurait aussi appris l'existence du vif intérêt de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) envers l'exploitation du contenu de ces agendas dans la procédure visant Christine Lagarde dans l’affaire de l’arbitrage Tapie. Un dossier qui inquiète manifestement Nicolas Sarkozy.

Gilbert Azibert connaissait tous les magistrats de la Cour de cassation, et avait accès à leurs échanges de documents sur intranet pour préparer les audiences et mettre les dossiers en état. En échange de ces “tuyaux” donnés à Sarkozy via Thierry Herzog, Gilbert Azibert aurait – selon les retranscriptions d'écoutes – demandé un “piston” pour devenir conseiller d’État à Monaco après son départ en retraite de la magistrature.

Les juges Tournaire et Grouman ont transmis, courant février, ces éléments au procureur national financier, Éliane Houlette. Et celle-ci a ouvert rapidement une information judiciaire, avec l'accord du procureur général de la cour d'appel de Paris, François Falletti.

Les juges Patricia Simon et Claire Thépaut, qui étaient alors les seules à être disponibles au pôle financier, ont donc hérité du dossier. Elles ont procédé à des perquisitions jusqu'à la Cour de cassation, sans trembler. Inédite à tous égards, cette affaire a provoqué le départ en retraite de Gilbert Azibert après sa mise en examen. Elle a aussi vu, pour la première fois, un ancien chef de l'État d'abord placé en garde à vue, puis s'en prendre vivement à la justice.

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Roger Martelli: «Le PCF n'en a toujours pas fini avec le bolchevisme»

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En 1984, les journalistes ne peuvent espérer parler à Roger Martelli. Il est alors un jeune membre du comité central, intellectuel agile, historien admis dans les arcanes et coulisses du parti. Et, discipline de parti oblige, il ne viendrait pas à l'idée de Martelli de parler en liberté à des journalistes, de faire état de ses doutes grandissants sur la stratégie suivie par la direction d'alors et son secrétaire général, Georges Marchais.

Il faudra attendre plusieurs années pour que des voix venues du cœur de Colonel-Fabien (le siège du PCF) se libèrent et s'expriment sur la place publique. Et un moment clé de l'histoire de ce parti restera longtemps secret, évoqué seulement dans des conversations privées et de manière très incomplète. Il s'agit de l'été 1984, de ces semaines qui suivent le calamiteux résultat électoral du PCF aux élections européennes : 11 % des suffrages exprimés, le score le plus faible du parti depuis 1936 ; 6 % des électeurs inscrits, le score le plus bas de toute l'histoire du parti.

Trente ans plus tard, Roger Martelli publie aux éditions Arcane17 L’Occasion manquée – Été 1984, quand le PCF se referme. Il s'agit d'abord d'un document historique. Martelli a eu accès aux archives du parti, en particulier à ces relevés de discussion du bureau politique du parti qui montrent à la fois le désarroi de la direction et les tensions grandissantes avec quelques opposants tétanisés à l'idée de parler, voire de rompre. La puissance dramatique de ce moment, dans un parti encore nourri au bolchevisme et au centralisme démocratique, transparaît clairement de ces documents, quand le basculement critique – et l'excommunication qui s'ensuivra – peut se jouer sur une phrase, sur un mot parfois.

Claude Poperen, alors membre du bureau politique et chargé de rédiger le rapport d'analyse du scrutin européen, le paiera très cher. Contraint de réécrire encore et encore son rapport qui sera présenté au comité central, il vit ce moment comme un drame annonciateur d'une rupture. Plusieurs années plus tard, l'homme racontait encore le déchirement que fut cet épisode. Car pour Georges Marchais, Roland Leroy, Gaston Plissonnier et quelques autres, il n'est pas question d'ouvrir, après cet échec, le grand débat, la vaste introspection que demandent timidement et avec moult précautions ceux qui, plus tard, quitteront le parti par vagues successives (de Charles Fiterman à Patrick Braouezec vingt-cinq ans plus tard !).

Mais en plus d'un récit historique solidement documenté, Roger Martelli dissèque les conséquences de cette fermeture organisée en 1984. Le PCF le paie encore au prix fort aujourd'hui, comme il l'a payé en 2007 avec la catastrophique candidature à la présidentielle de Marie-George Buffet : l'OPA du parti sur les comités antilibéraux issus du non au référendum de 2005 s'acheva par le score terrible de moins de 2 %. « La forme bolchevique » du parti est toujours là, constate Roger Martelli. 1956, 1976, 1984, 1995, 2006 : chaque fois, le PCF avait l’opportunité d’évoluer, chaque fois il a fait le choix du repli sectaire. Cette incapacité chronique à s'ouvrir, à s'enrichir d'autres luttes, d'autres sensibilités, d'autres cultures, cette impossibilité de se mettre en phase avec la société : la petite chapelle PCF résiste, certes. Mais au prix d'une marginalité qui porte le risque de la disparition.

Roger Martelli
L’Occasion manquée – Été 1984, quand le PCF se referme
Éditions Arcane 17. 124 pages, 12 euros.

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Julian Mischi : «L’objectif premier du PCF est sa survie électorale»

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Malgré l'effondrement de François Hollande au pouvoir, le Front de gauche peine toujours à incarner une alternative possible à gauche. Il continue pourtant d'en rêver – ce sera un des messages de la fête de L'Humanité, qui s'est ouverte vendredi pour trois jours à La Courneuve. Mais un constat inquiète ses militants : la montée du Front national, y compris dans l'électorat populaire. Dans son dernier livre, Le Communisme désarmé – Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970 (Agone, 2014), le chercheur Julian Mischi décortique les causes de la rupture du parti communiste avec les ouvriers.

Dans votre livre, vous rappelez les chiffres, impressionnants, de la désertion des ouvriers des rangs du PCF. En 2008, ils ne forment plus que 9 % des délégués au congrès du parti, contre encore 13 % en 2001 ou 45 % dans les années 1970. Pourquoi ?

Ces chiffres sont impressionnants car, dans le même temps, la population ouvrière est loin d’avoir diminué dans les mêmes proportions : les ouvriers forment encore 23 % de la population active française. Ces chiffres sont aussi impressionnants car le PCF revendiquait, il y a quelques années, d’être le « parti de la classe ouvrière ». Or, les ouvriers, et plus généralement les classes populaires, sont de moins en moins représentés à la tête de ce parti. Même si le PCF conserve une base militante plus populaire que les autres partis, les logiques d’exclusion politique des classes sociales défavorisées s’y retrouvent. Elles en font aujourd’hui un parti dominé par des enseignants et des cadres de la fonction publique territoriale. 

La promotion des militants d’origine populaire n’est plus la priorité du PCF. Celle-ci avait été rendue possible dans le passé, par un volontarisme de l’organisation, par la sélection et la formation de dirigeants qui devaient être à l’image des « travailleurs » au nom desquels la lutte politique était menée. Depuis, l’objectif premier est la survie électorale de l’organisation. Résultat : les inégalités sociales dans la prise de parole politique resurgissent tout naturellement. Les plus diplômés occupent les premières places. Ceux qui s’estiment ou sont vus comme les plus compétents dans le métier politique sont valorisés. Les collaborateurs d’élus, directeurs de cabinet, cadres technico-administratifs, chargés de mission sont particulièrement nombreux dans les instances dirigeantes.

Dans votre livre, vous expliquez que cette rupture avec les classes populaires n’est pas seulement due à des évolutions structurelles du monde du travail et de l’habitat... En quoi est-elle aussi due à la ligne politique et aux pratiques politiques du PCF ?

Les transformations des conditions de vie et de travail des classes populaires dans la dernière période sont défavorables à leur entrée dans l’action militante. Mais, effectivement, il y a également des obstacles du côté de l’organisation. Sur le plan du discours d’abord : le PCF ne vise plus prioritairement à donner le pouvoir aux classes populaires. Il entend désormais s’adresser à tous et à représenter la société française dans sa « diversité ». Le discours de classe tend à s’effacer derrière une rhétorique humaniste, consensuelle, autour de la démocratie participative ou de la citoyenneté. Ce discours n’est pas suffisant pour inciter les dominés à s’engager au PCF.

Mais c’est surtout au niveau de l’organisation que l’on peut identifier des obstacles à l’engagement des classes populaires au sein du PCF. Celui-ci n’a pas tant abandonné les classes populaires qu’elles-mêmes l’ont déserté car elles n’y trouvent plus leur place. Tout un système de formation et de valorisation des militants d’origine populaire s’est délité en même temps que le groupe dirigeant a rompu avec les pratiques autoritaires du centralisme démocratique. Le rejet du passé stalinien s’est accompagné d’une suspicion sur les structures militantes, perçues comme des formes d’embrigadement. Or la force du collectif et de l’organisation est essentielle pour donner des outils aux classes populaires et pour contrer leur domination politique.

Pourtant, dans votre ouvrage, vous expliquez que la ligne soi-disant ouvriériste de Marchais a aussi été vivement contestée dans les cellules ouvrières du PCF. Sur la morale, l’immigration ou le modèle soviétique.

Oui, une ligne ouvriériste a été activée par le groupe dirigeant à la fin des années 1970, juste après une période d’ouverture vers les classes moyennes et d’alliance avec le PS. Il s’agissait en réalité d’un instrument de lutte interne contre les intellectuels et les contestataires, qui refusaient un tournant sectaire. L’appel à se réorienter prioritairement vers la classe ouvrière légitimait, en réalité, un repli de l’organisation sur elle-même, autour de Georges Marchais et des permanents d’origine ouvrière.

Les archives internes que j’ai pu consulter montrent bien que ce discours provoque un rejet, non seulement chez les enseignants et d’autres professions intellectuelles, mais aussi dans certains milieux ouvriers et syndicalistes qui ne se reconnaissaient pas dans l’image caricaturale qui était faite des travailleurs. On trouve des traces d’une contestation des orientations ouvriéristes et misérabilistes du PCF dans les régions ouvrières de Longwy et Saint-Nazaire, par exemple.

Ces attitudes critiques au sein des milieux populaires sont peu connues, car elles sont restées internes. L’importance de la contestation à partir de 1978 et tout au long des années 1980 a été dissimulée par une forte autocensure publique de la part des militants ouvriers. Ils ne souhaitaient pas que leur parole contestataire soit portée hors du parti et puisse faire le jeu de ses adversaires.

L’insertion dans le jeu électoral institutionnalisé est-elle, selon vous, en elle-même contradictoire avec la construction d’un parti ouvrier ou des classes populaires ?

La puissance électorale du PCF et son ancrage municipal ont été déterminants dans la force passée de cette organisation et dans son implantation dans les milieux populaires. Les municipalités dites « ouvrières » ont longtemps constitué une vitrine du communisme français, où les élus agissaient en faveur des milieux populaires, notamment dans les domaines du logement, de la santé et de la culture. Les mairies communistes étaient et demeurent établies dans des territoires profondément populaires. Le problème aujourd’hui, c’est que le PCF tend à se réduire à ses seuls élus.

Avec le déclin de la base militante et la diminution des ressources financières, les élus et les enjeux électoraux occupent une place centrale dans l’organisation. Je montre ainsi dans le livre comment les dirigeants départementaux du PCF sont devenus élus dans leurs régions au cours des années 1990 et 2000. Or les élus, qui gèrent des collectivités locales généralement avec le PS, ont leurs propres préoccupations. Ils s’entourent de cadres de la gestion publique locale, d’experts de la communication politique, et peuvent avoir tendance à se méfier des militants. Ce qui prime à leurs yeux, c’est leur lien avec les « habitants » et les électeurs et non le développement d’une organisation militante structurée dans les milieux populaires, un objectif qui était celui des permanents d’origine ouvrière des générations précédentes.

Le PCF est-il resté prisonnier d’une vision de la classe ouvrière blanche, masculine, des grands bastions industriels ? Sa déconnexion actuelle d'avec les classes populaires n’est-elle pas aussi le fruit de son incapacité, voire sa résistance, à s’adresser aux immigrés ?

Le PCF a constitué historiquement un outil important de mobilisation et de défense des travailleurs immigrés et des enfants d’immigrés, issus d’Europe méridionale en particulier. Mais il a eu effectivement des difficultés à maintenir son influence dans les nouvelles générations ouvrières, formées, en partie, de travailleurs originaires du Maghreb. Cette distance est importante dès les années 1960 et 1970, elle exprime surtout une rétractation des réseaux du PCF et de la CGT auprès des ouvriers qualifiés et des techniciens, alors que les nouveaux travailleurs immigrés occupent souvent des postes peu qualifiés. Ils appartiennent aux fractions inférieures des classes populaires, alors que le PCF, dans son combat contre la bourgeoisie, valorise les éléments d’une classe ouvrière vue comme « respectable » : des hommes, très qualifiés, de nationalité française certes, mais issus souvent d’anciennes immigrations (Polonais, Portugais, Italiens, Espagnols, etc.).

L’entrée des enfants des immigrés algériens ou marocains au sein du PCF est d’autant plus difficile depuis les années 1980 qu’ils arrivent sur un marché du travail déstabilisé, connaissent le chômage et la précarité. Le syndicat est souvent absent de leur univers de travail alors que l’engagement syndical à la CGT constituait traditionnellement une matrice à l’adhésion des classes populaires au PCF. À cela s’ajoute la frilosité des communistes à l’égard de ces nouvelles figures populaires, notamment dans les municipalités communistes de banlieue : les discours de solidarité entre ouvriers nationaux et étrangers ont eu tendance, au tournant des années 1980, à s’effacer au profit de la lutte contre la « constitution de ghettos ». 

Julian MischiJulian Mischi © DR

Vous dites qu’aujourd’hui, dans les textes de congrès ou les débats de la direction nationale, la représentation des classes populaires a totalement disparu des discussions. L’enjeu du vote ouvrier revient pourtant systématiquement dans les commentaires des échéances électorales, du PS à l’extrême gauche, où tous s’inquiètent du vote Front national. Comment expliquez-vous cette contradiction flagrante ?

Il y a deux choses différentes dans votre question. La représentation électorale des classes populaires demeure bien sûr une question centrale pour les dirigeants communistes, comme pour les autres dirigeants des partis politiques. En revanche, la représentation militante des classes populaires, elle, n’est plus un sujet majeur de préoccupation au sein du groupe dirigeant. Il est rarement fait mention de la nécessité de donner le pouvoir aux militants d’origine ouvrière dans l’organisation et dans les mairies, d’avoir des porte-parole des classes populaires issus de ces milieux. C’est essentiellement sous le seul angle des enjeux électoraux qu’est abordée la question des classes populaires. Les ouvriers et employés sont surtout sollicités comme électeurs, aux côtés des autres catégories sociales.

L’émergence du Front de gauche depuis 2008 a-t-elle changé quoi que ce soit ?

Ce Front de gauche a initié une indéniable dynamique de mobilisation militante dans les rangs communistes, tout particulièrement lors de la campagne présidentielle. On peut déjà noter un changement à cette occasion : une certaine radicalisation du discours alors que les campagnes précédentes menées par les dirigeants du PCF étaient marquées par une euphémisation des référents communistes et anticapitalistes.

Après une longue période de léthargie et de vieillissement du parti, on a pu observer un certain rajeunissement et un renouvellement des réseaux militants, qui avaient déjà commencé à se réactiver quelques années plus tôt, lors de la campagne contre le Traité constitutionnel européen de 2005. Pour la première fois depuis la fin des années 1970, les effectifs militants annoncés par la direction se sont stabilisés et la part des moins de 30 ans dans l’organisation a augmenté.

La stratégie du Front de gauche a freiné le déclin électoral du PCF aux élections présidentielles et européennes, mais la décrue s’est poursuivie lors des élections législatives et municipales, c’est-à-dire lors de scrutins où le PCF, plus que le Front de gauche, était en première ligne. Les élections municipales de 2014 ont ainsi donné lieu à des tensions très fortes entre le PCF et le Parti de gauche (PG), mais aussi à des tensions au sein du PCF : à la base, le rôle des élus et de leur entourage est sujet à des contestations où de jeunes et nouveaux adhérents s’opposent dans de nombreuses villes aux élus qui entendent reconduire l’alliance avec le PS. Mais, pour les élus et pour une part significative de la direction du PCF, conserver les municipalités à direction communiste et les postes d’adjoints dans les autres mairies d’union de la gauche est une priorité.

Un autre changement induit par cette stratégie du Front de gauche mérite d’être mentionné : les communistes militent avec des militants d’autres cultures politiques, notamment avec d’anciens membres de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ou du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), avec d’anciens socialistes passés par l’extrême gauche, qui ont également rejoint le Front de gauche. La traditionnelle opposition entre les communistes, qualifiés de « staliniens », et les trotskystes, perçus comme « gauchistes », semble de moins en moins opérante. Une véritable recomposition semble être à l’œuvre, même si le poids des appareils et des notables locaux la freine.

  • Julian Mischi : Le Communisme désarmé – Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970. Agone, 2014

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu mercredi et jeudi, par écrit.

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Rythmes scolaires : à Marseille, la colère vient de loin

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Le vendredi après-midi pour les écoliers marseillais et leurs parents, c’est manifestation. La promesse de la Ville de mettre en place des garderies dès ce 12 septembre 2014, en attendant de vraies activités périscolaires, a tourné court suite à la grève des agents des écoles et des animateurs, pas disposés à servir de bouche-trous dans n’importe quelles conditions. À l’appel d’une intersyndicale regroupant enseignants, parents d’élèves et personnels territoriaux (à l'exception de FO), environ 500 adultes et 200 enfants ont donc à nouveau manifesté vendredi contre l’« improvisation » et « le grand n’importe quoi » de la gestion de la réforme des rythmes scolaires par la municipalité UMP.

« Gaudin irresponsable, nos enfants ne sont pas jetables », ont crié les parents d’élèves, qui ont gardé en travers de la gorge le « Occupez-vous aussi de vos enfants ! » lancé à la rentrée scolaire par un Jean-Claude Gaudin chahuté. Moins spontané mais tout aussi créatif que vendredi dernier, le rassemblement a vu fleurir de nombreux slogans malicieux. Pendant que leur progéniture barbouillait consciencieusement de craie et de peinture le parvis de l’hôtel de ville, des parents en colère invitaient à remettre « Papi Gaudin au turbin » ou lui assignaient un zéro de conduite.

Enseignants et personnels territoriaux ont rejoint les parents d'élèves sous les fenêtres de la mairie.Enseignants et personnels territoriaux ont rejoint les parents d'élèves sous les fenêtres de la mairie. © LF

Aux premières loges, l’opposition de gauche, réduite à la portion congrue en mars 2014, boit du petit lait. « Jean-Claude Gaudin a laissé pourrir la situation en espérant, à tort, que les parents se retourneraient contre le gouvernement », remarque Stéphane Mari, président du groupe PS au conseil municipal. Quant à Patrick Mennucci, candidat malheureux à la mairie, il rappelle ses prises de position pendant la campagne des municipales : « Le système du vendredi après-midi ne peut conduire qu’à de la garderie, car il est impossible de recruter assez d’intervenants qualifiés pour organiser du périscolaire de 13h30 à 16 heures dans les 455 écoles de Marseille en même temps. » « À défaut de respecter le décret Hamon qui dit que les activités doivent avoir une base pédagogique, la Ville risque de ne pas pouvoir les financer par le fonds d’amorçage », pointe également le député PS.

Marseille n'a lancé son appel à projets pour la rentrée que mi-juillet.Marseille n'a lancé son appel à projets pour la rentrée que mi-juillet. © LF

Du côté de la mairie, le bricolage continue. Le 9 septembre 2014, l’adjointe à l’éducation Danielle Casanova a, dans un courrier aux écoles, désigné les agents municipaux des écoles et le monde associatif pour assurer les garderies promises. Le tout sans convention d’occupation des locaux. Mais les cantinières, dites les « tatas », et les animateurs, souvent des contrats précaires, refusent de s’improviser gardes d'enfants. « Ce n’est pas dans notre statut et on ne nous donne aucune garantie », s’insurge Suzanne Markarian, de la FSU des personnels des écoles. Les agents municipaux craignent qu'en cas de problème, la mairie se retourne contre eux. « La municipalité n’a rien préparé et maintenant ils basculent sur des systèmes délirants en terme de sécurité, en faisant appel aux associations de parents d’élèves pour garder les enfants », s’émeut Sébastien Fournier, du Snuipp-FSU. Contrairement à ses engagements, la Ville recrute des animateurs sans le Bafa (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur) pour assurer les activités périscolaires, en se contentant d'une formation express de quatre jours.

Résultat, dans plus de la moitié des écoles vendredi, les tatas et les animateurs se sont mis en grève, obligeant les parents à venir chercher leur enfant dès 11h30. Selon la ville, seules 175 écoles sur 445 ont « pu être ouvertes, avec cantine ou pique-nique et garderie dans l'après-midi, soit 40 % des écoles marseillaises ».

Dans son communiqué, l’intersyndicale s’inquiète de « la remise en cause de fait du travail des femmes parce que, le plus souvent, ce sont elles qui gèrent les temps familiaux ». Dans l’école du 13e arrondissement où sont scolarisés ses enfants, l’élue municipale PS Florence Masse a constaté que les solidarités familiales jouaient, « beaucoup de gens n’ayant pas de travail ». Mais elle a aussi vu des « mamans en pleurs » qui « ont dû demander des 80 % à leur patron ». Djamila, employée à la sécurité sociale, a de son côté puisé dans ses RTT et congés jusqu’aux vacances de la Toussaint. Et après ? « Je ne sais pas si mon employeur va accepter, car je ne suis pas la seule, je devrais me mettre en arrêt-maladie », soupire la jeune femme de 36 ans.

La Ville de Marseille compte 74 000 écoliers pour 445 écoles.La Ville de Marseille compte 74 000 écoliers pour 445 écoles. © LF

Ses deux fils sont scolarisés dans le 3e arrondissement, un des quartiers les plus pauvres de France où certains écoliers n’ont pu trouver de place à la rentrée, faute de postes d’enseignants et d’écoles en nombre suffisant. Hinda, 45 ans, habite le même quartier. « On parle d’éducation nationale. Pourquoi sous prétexte que mes enfants sont à Marseille, n’ont-ils rien ? demande t-elle. Nous ne voulons pas d’une école au rabais où nos enfants vont faire du coloriage avec des animateurs, pendant que dans d’autres villes ils font du cheval ou du tennis. »

© LF

À Marseille, la colère des parents s’ancre dans un malaise bien plus ancien. Le collectif DZ, « Des aides pour les écoles marseillaises », qui regroupe parents d'élèves, enseignants et fonctionnaires territoriaux des écoles, tente d’ailleurs depuis plusieurs mois d’alerter sur l’état catastrophique du système scolaire marseillais. Vétusté des locaux, taux d’encadrement très bas – « un agent municipal pour 50 enfants à la cantine » –, absence d’infrastructures sportives, leurs demandes sont basiques. « Nous savions que nous courrions à la catastrophe avec la réforme des rythmes scolaires, car elle vient s’empiler sur un terrain déjà fragilisé », souligne Lise Massal, mère de deux écoliers et animatrice du collectif DZ.

Dans la bouche des parents et des enseignants, c’est l’exemple du manque criant de piscines qui revient le plus souvent. Alors que tous les écoliers français sont censés bénéficier de cours de natation en CE1, 55 % des petits Marseillais ne connaissent pas les gestes du « savoir nager » à l’entrée en sixième, un chiffre qui monte à 90 % dans certaines cités selon Le Monde. « Il a fallu que nous nous battions pour que nos enfants aient des créneaux à la piscine Saint-Charles », se souvient avec rage Hinda.

Sous les fenêtres du maire de Marseille, le 12 septembre, la mobilisation n'a pas faibli.Sous les fenêtres du maire de Marseille, le 12 septembre, la mobilisation n'a pas faibli. © LF

Ils sont également plusieurs à mettre en parallèle les 267 millions d'euros de la rénovation du stade Vélodrome. « Le fond de l’affaire est qu’il n’y a aucune politique scolaire sérieuse depuis vingt ans : certaines écoles n'ont même pas de soutien scolaire, tout repose sur le volontariat », analyse Sébastien Fournier. Habitant au Haut-Verduron, un îlot résidentiel plutôt privilégié du 15e arrondissement, Cathy voit elle aussi dans cette déroute « l’aboutissement d’une politique municipale exécrable pour la jeunesse ». Cette professeur de physique, partie à Paris, avait choisi « par conviction » de revenir dans sa ville d’origine enseigner à Saint-Exupéry, le grand lycée des quartiers nord. Mais elle a « de plus en plus envie de repartir » pour élever ses deux enfants ailleurs.

Dans les 6e et 8e arrondissements plus aisés et traditionnellement acquis à Jean-Claude Gaudin, plusieurs écoles ont convergé vendredi midi vers Bagatelle, la mairie de secteur, pour y pique-niquer. Ils ont été reçus par le maire UMP Yves Moraine. « Les écoles les plus mobilisées sont celles pour lesquelles des solutions seront trouvées, en pourvoyant en priorité les secteurs bien fournis en électeurs de Gaudin », prédit Pedro du Mouvement parents d'élèves du 13 de ces quartiers. De quoi creuser encore plus les inégalités face à l’école, dans une ville où 60 % des Marseillais de moins de 25 ans n’ont pas de diplôme (25,9 %) ou un bas niveau de formation (35 %). La part des jeunes non diplômés grimpe même à 40 % dans certains quartiers populaires (3e, 14e et 15e arrondissements).

© LF

Plusieurs parents d’élèves soulignent la difficulté de mobiliser dans les quartiers populaires du nord et du centre-ville, où les solidarités familiales ont souvent déjà pris le relais. « Dans le primaire, on voit aussi beaucoup d’enfants qui rentrent à pied chez eux tout seuls et vont rester livrés à eux-mêmes tous les mercredis et vendredis après-midi », souligne Sophie, 40 ans, institutrice dans une école du 14e arrondissement. Dans le 13e arrondissement, rapporte de son côté l’élue PS Florence Masse, certains parents n’ont même pas amené leurs enfants ce vendredi matin en raison de la grève des cantines. « Marseille a laissé passer une chance magnifique pour ses quartiers qui ont le plus besoin de l’école et où les enfants auraient pu découvrir des activités grâce aux nouveaux rythmes scolaires », regrette-t-elle.

La municipalité Gaudin, qui a refusé de recevoir une délégation de parents d’élèves, semble pour sa part parier sur l’essoufflement de la mobilisation. « Les élus ont tout le temps devant eux, les parents non », résume, amer, Pedro.

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Disparition de cocaïne : l'IGPN s'en tient à une «défaillance individuelle»

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Chargée d’un audit par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve après la découverte le 31 juillet 2014 de la disparition de 52,6 kilogrammes de cocaïne au siège de la police judiciaire (PJ) parisienne, la police des polices a dédouané la brigade des stupéfiants. Marie-France Monéger, la patronne de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), a présenté jeudi 11 septembre les conclusions de cet audit, sans toutefois le rendre public.

Le 6 août, un brigadier, âgé de 33 ans, a été mis en examen et écroué pour soustraction de biens par une personne dépositaire de l'autorité publique, trafic de stupéfiants, ainsi que blanchiment de trafic de stupéfiants en bande organisée. Il est suspecté d’avoir volé dans la salle des scellés les 52,6 kilos de cocaïne, saisis par son service le 4 juillet dans un appartement parisien dans le cadre d’une information judiciaire. Un gardien de la paix d'une trentaine d'années a quant à lui été placé sous statut de témoin assisté.

Le choc passé, plus question de démanteler ce prestigieux service d’une centaine de policiers, comme cela avait été un temps envisagé. Marie-France Monéger pointe une simple « défaillance individuelle », et met hors de cause la brigade des stupéfiants elle-même ainsi que ses agents, « meurtris » et « sous le choc » d’un événement « qu’ils vivent comme une trahison ». L’audit, qui n’a pas été rendu public, démontrerait que le dispositif de gestion des scellés à la brigade des stups, fermé par des « clefs sécurisées » détenues par « moins d’une demi-douzaine de personnes », était « de niveau très satisfaisant ». Le commissaire Thierry Huguet avait mis en place, depuis son arrivée à la tête de la brigade en février 2011, « une procédure claire avec un formalisme » et fait un « rappel à ses collaborateurs ».

La patronne de l’IGPN a rappelé la vétusté des « lieux mythiques du 36 » qui les rend difficilement sécurisables. En attendant le déménagement de la police judiciaire parisienne sur le futur site des Batignolles (XVIIe arrondissement de Paris) en 2017, des travaux ont été engagés : nouvelles caméras haute définition à l'intérieur des locaux et mise en place de badges. Le 31 juillet 2014, la disparition de la cocaïne entreposée avait été découverte par hasard par un policier qui souhaitait la montrer à un stagiaire. Selon une source policière, sans cette visite fortuite, la disparition aurait fort bien pu n’être découverte qu’après l’écrasement des bandes des caméras de vidéosurveillance aux entrées de la PJ, bandes qui ne sont conservées qu’un mois. Ce qui aurait rendu l’identification d'un suspect encore plus aléatoire.

À en croire Marie-France Monéger, l'augmentation des saisies de drogue depuis les années 1990 pose un vrai casse-tête aux autorités. En 2013, les forces de l’ordre ont saisi 75,7 tonnes de cannabis, 5,6 tonnes de cocaïne et 575 kilos d’héroïne. Ces scellés sont conservés au sein des services jusqu’à la fin de l’enquête policière. Ils rejoignent alors les greffes des tribunaux de grande instance, eux aussi « saturés ». En cours d’enquête, seul un magistrat peut ordonner leur destruction après prélèvement d’un échantillon. Selon une source policière, la cargaison de stupéfiants ne monte parfois même pas dans les bureaux de la PJ parisienne, le juge d’instruction « ayant la présence d’esprit de l’envoyer directement à l’incinération (sous la supervision d'un officier de police judiciaire, ndlr) ». Mais en raison du « formalisme », « les saisies s’accumulent, ce qui constitue une forme de vulnérabilité pour nous », a regretté Marie-France Monéger. La question se pose également pour les saisies quotidiennes, de barrettes de shit, par exemple, généralement jetées par les policiers dans les toilettes. Efficace, mais hors de tout cadre juridique.

Cette « recrudescence » des saisies sensibles est à relativiser : si les saisies de cocaïne ont triplé entre 1996 et 2013, celles de cannabis n’ont augmenté que de 13 % sur la même période, passant de 66,8 tonnes à 75,7 tonnes. Le problème du stockage des scellés est donc loin d’être une découverte. Le commissaire Thierry Huguet avait d’ailleurs, selon l’IGPN, obtenu l’installation d’une porte blindée. En revanche, celle d’une caméra dans la salle des scellés, également réclamée comme l’avait révélé Le Point, avait été reportée à septembre 2014… La faute à des « délais de mise en œuvre plus longs que prévu », a pudiquement expliqué la patronne de l’IGPN.

Un groupe de travail police-justice a été mis en place pour plancher sur la réduction des délais de conservation des scellés. Il est question de mutualiser leur gardiennage, voire de l’externaliser vers des sociétés privées. Car le 11 avril 2014, une décision du Conseil constitutionnel a ajouté une contrainte supplémentaire. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité à propos d'un justiciable dont le couteau avait été détruit par les policiers avant son procès, le Conseil a jugé contraire à la déclaration des droits de l'Homme de 1789 l'article de loi qui permet aux procureurs d’ordonner la destruction d’objets saisis dangereux ou illicites (armes, stupéfiants), sans même en aviser leur propriétaire. Les procureurs doivent donc désormais accorder un délai de recours d'un mois avant d'ordonner toute destruction.

De façon « inédite », les agents de la brigade des stupéfiants ont, selon la patronne de l’IGPN, participé à cet audit via des retours d’expérience. Ce qui aurait permis de soulever des soucis dépassant la question de la gestion des scellés. La hiérarchie est ainsi priée d’être plus attentive aux « signaux faibles », ainsi qu’à la déontologie et à la vulnérabilité lors des recrutements aujourd’hui focalisés sur les « compétences techniques et judiciaires » des candidats.

L’IGPN s’est également intéressée à l’esprit de corps qui règne dans ce prestigieux service. « Il s’est construit une culture de solidarité, car on passe beaucoup de temps ensemble, il faut pouvoir compter sur son collègue ; certains considèrent qu’elle s’oppose à la culture de sécurité », a signalé Marie-France Monéger. Un ancien d’une brigade de stupéfiants en région parisienne estime qu’il s’agit « du service le plus hermétique ».

Au point que, dans l’ascenseur, quand entrait un policier des stups d'un autre groupe, la conversation s’arrêtait net ; ou encore que certaines réunions avaient lieu après minuit avec seulement la moitié des policiers, ceux « de confiance, qui savaient ». Planques, infiltrations des réseaux, gestion des informateurs, la brigade des stupéfiants est très exposée. « C’est une culture spéciale, explique ce policier de PJ. Il y a la ligne entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. En stup, jusqu’à ce que tu interpelles et passes en procédure, tu es souvent de l’autre côté de la ligne. »

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Le projet de loi antiterroriste vise Internet

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C’est en urgence que les députés entament, lundi 15 septembre, l’examen d’un projet de loi de lutte contre le terrorisme destiné à lutter contre le nouvel « ennemi intérieur », « sans doute la menace la plus importante » pesant sur la France, au prix d’un coup de canif sans précédent dans les libertés numériques. Un texte qui a de fortes chances de passer sans coup férir malgré la mobilisation d'un collectif rassemblant La Quadrature du net, la Ligue des droits de l’homme, Reporters sans frontières, le Syndicat de la magistrature... et les fortes réserves du Conseil national du numérique.

Face à la multiplication des faits divers impliquant des « loups solitaires », ce terroriste isolé, auto-radicalisé sur internet et ayant combattu à l’étranger, le ministre de l’intérieur a en effet demandé une procédure accélérée pour ce texte présenté comme vital pour arrêter le départ à l'étranger de Français partis pour combattre avec les islamistes. Tout d’abord incarné par Mohamed Merah, l’auteur des tueries de Toulouse de 2012 et formé aux côtés d’al-Qaïda en Afghanistan, ce terroriste d’un nouveau type est devenu, avec l’enlisement de la guerre en Syrie, la priorité numéro un du gouvernement. « Nous n’avons jamais été confrontés à un tel défi », martelait le 3 juin dernier le premier ministre Manuel Valls.

Ces derniers mois, quasiment pas une semaine ne passe sans que la presse relate le cas d’un de ces Français partis mener le djihad contre le régime de Bachar al-Assad. Au mois d’avril dernier, à l’occasion de la libération des quatre journalistes retenus en otages en Syrie, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius affirmait ainsi que plusieurs de leurs geôliers parlaient « français ». Le 6 juin, plusieurs médias révélaient que l’un d’entre eux ne serait autre que Mehdi Nemmouche, auteur du quadruple meurtre du Musée juif de Bruxelles du 24 mai dernier. Et le lendemain, Libération affirmait même qu’il projetait  de commettre « une attaque à la Merah » 14 juillet dernier, une information toutefois démentie par le ministère de l’intérieur.

Difficile de connaître le danger réel que représentent pour la France ces djihadistes. Régulièrement, le gouvernement avance des chiffres parfois très précis et souvent incohérents. Au mois de janvier, Manuel Valls les estimait à 700, dont 150 en transit. Au mois d’avril, Laurent Fabius évoquait quant à lui le chiffre de 500 combattants français. En juin, Manuel Valls avançait cette fois « le nombre de 800 Français ou citoyens résidant en France qui sont concernés par la Syrie, soit parce qu'ils y combattent, soit parce qu'ils y sont morts – une trentaine –, soit parce qu'ils en sont revenus, soit parce qu'ils veulent y aller ». « Il s'agit de surveiller des centaines et des centaines d'individus français ou européens qui aujourd'hui combattent en Syrie », poursuivait le ministre qui se disait convaincu qu’il y a, en France « plusieurs dizaines de Merah potentiels ».

Le 22 juillet dernier, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve donnait aux parlementaires une comptabilité plus détaillée : « En six mois, les effectifs combattants sont passés de 234 à 334, comprenant au moins 55 femmes et 7 mineurs ; le nombre des individus plus généralement impliqués dans les filières djihadistes, en incluant les personnes en transit, celles qui sont de retour en France et les individus ayant manifesté des velléités de départ, est passé de 567 à 883 sur la même période, soit une augmentation de 56 %. Ces chiffres sont comparables à ceux constatés dans d’autres pays de l’Union européenne ; ils montrent la gravité du phénomène ; ils nous obligent à prendre les mesures qui s’imposent pour l’endiguer. »

Le ministre de l'intérieur Bernard CazeneuveLe ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve © Reuters

Face cette menace aussi diffuse que médiatisée, le gouvernement a décidé de s’attaquer à ce qui serait l’un des outils vitaux de ces nouveaux terroristes : internet. C’est en effet sur des sites islamistes que ces jeunes Français s’auto-radicaliseraient et c’est sur des forums que les recruteurs de l’État islamique les enrôleraient. Internet – où l’on peut si facilement apprendre à fabriquer une bombe et commander des produits explosifs – serait également devenu incontournable dans la préparation même des attentats.

Ainsi, sur les dix-huit articles que compte le projet de loi une moitié d'entre eux visent, directement ou indirectement, internet.

L’article 4 s’attaque plus globalement à la liberté d’expression en proposant de réformer la loi de 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoyant un régime spécial pour certaines infractions. Désormais, les infractions d’apologie et de provocations aux actes de terrorisme seront sanctionnées par un nouvel article du code pénal, le 421-2-5, par une peine de cinq années d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Cet article, comme d'autres du projet de loi, pose le problème de la relativité de la notion « d’apologie » du terrorisme. Si les cas médiatiques mis en avant par le gouvernement relèvent incontestablement du terrorisme, ce texte s’appliquera à bien d’autres groupes radicaux qu’islamistes. Or, en fonction des régimes, même démocratiques, la définition de « terroriste » peut très sensiblement varier. Un site de soutien au groupe de Tarnac, un blog indépendantiste ou de soutien à un mouvement palestinien pourraient très bien être considérés par certains responsables politiques comme faisant « l’apologie du terrorisme ». Outre les dangers qu'il représente en matière de liberté d'expression et de droit l'information, ce texte menace plus particulièrement internet où les peines sont aggravées et passent à sept années de prison et 100 000 euros d’amende.

L’article 5 consacre la figure du « loup solitaire » en ajoutant un autre article au code pénal, le 421-2-6, sanctionnant « l’entreprise terroriste individuelle ». Celui-ci est censé permettre l’interpellation du suspect dès la phase de « préparation » de l’attentat. Dans la première version du texte, le législateur avait défini cette notion particulièrement vague par « le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». Mais devant les risques de voir sanctionnés des internautes ayant effectué de simples recherches sur internet, la commission des lois a amendé l'article. Désormais, pour matérialiser l’infraction, il faudra un deuxième élément : « recueillir des renseignements relatifs à un lieu, à une ou plusieurs personnes », recevoir « un entraînement ou une formation » « au maniement des armes », « à la fabrication ou à l’utilisation d’explosifs » ou « au pilotage d’aéronefs » mais également « consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d’actes de terrorismes ou en faisant l’apologie ».

Ainsi, une personne qui aurait visité régulièrement des sites considérés par les autorités comme faisant « l’apologie du terrorisme » et possédant chez lui des produits chimiques pouvant servir à la fabrication d’explosif tomberait sous le coup de cet article. Or, de nombreux produits chimiques entrant dans la composition d’explosifs artisanaux sont en vente libre et utilisés pour d’autres applications, comme le peroxyde d’hydrogène, utilisé dans l’imprimerie, l’agriculture, l’aéronautique ou encore comme désinfectant.

Visiblement conscients des risques en terme de droit à l’information qu’implique l'article 5, les députés ont exclu de son champ d’application les consultations de sites qui résultent « de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. Ainsi, ce nouveau délit ne pourra entraver le travail des journalistes ou des chercheurs universitaires », précise l’exposé des motifs du texte. Restent les cas des « non professionnels », juste passionnés ou curieux. Enfin, cet article pose la question de la pénalisation d’une simple intention et de l’arrestation préventive d’une personne en vertu d’une liste de signes extérieurs de culpabilité, au risque de placer dans l’illégalité de nombreux internautes simplement curieux, ou passionnés cherchant uniquement à s’informer ou à se documenter.

L’article 9 relance un débat récurrent, celui du blocage des sites internet faisant l’apologie du terrorisme par une autorité administrative sur le modèle du dispositif existant pour les sites pédophiles. Le projet de loi prévoit la création d’une autorité administrative chargée d’établir une liste des sites qu’elle considère comme faisant l’apologie du terrorisme et dont elle souhaite voir interdire l’accès depuis la France. Pour cela, cette autorité sera aidée par une personne qualifiée désignée par la Cnil (commission nationale de l'informatique et des libertés) et qui sera chargée « de vérifier que les contenus dont l’autorité administrative demande le retrait ou que les sites dont elle ordonne le blocage sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ». Ce représentant de la Cnil n’aura qu’un pouvoir de recommandation mais pourra « saisir la juridiction administrative » « si l’autorité administrative ne suit pas » son avis.

Cette disposition est sans doute celle qui est la plus critiquée, et pas seulement par les associations de défense des libertés. Saisi au mois de juin dernier par Bernard Cazeneuve, le Conseil national du numérique (CNNum) avait rendu, au mois de juillet, un avis sévère sur cet article, dénonçant un dispositif « techniquement inefficace », « inadapté aux enjeux de la lutte contre le recrutement terroriste » et n’offrant pas « de garanties suffisantes en matière de libertés ». Le CNNum soulignait par ailleurs qu’il existe « des alternatives plus efficaces et protectrices ». Le 10 septembre, le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), Guillaume Poupard, s’est lui-même dit « très réservé sur ces mesures d’un point de vue technique » et a affirmé avoir « signalé le problème de l’efficacité de ces mesures ».

L’article 10  modifie les règles régissant l’accès à un système informatique dans le cadre d’une perquisition en ajoutant un alinéa à l’article 57-1 du code de procédure pénale afin de permettre à la police de saisir les données stockées hors du domicile du suspect, par exemple sur un « cloud ». Jusqu’à présent l’accès à « des données intéressant l’enquête en cours » devait se faire depuis « un système informatique sur les lieux où se déroule la perquisition ». Désormais, cet accès peut se faire depuis « un système informatique implanté dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie ».

L’article 11 offre de nouveaux pouvoirs aux policiers face au chiffrement des données, pratique permettant de communiquer et de stocker ses données en toute sécurité, particulièrement en vogue depuis les révélations d’Edward Snowden. Le texte autorise les officiers de policier judiciaire à faire appel à « toute personne qualifiée pour mettre au clair des données chiffrées ».

L’article 12 sort de la stricte lutte contre le terrorisme en aggravant les peines prévues contre les hackers. Le texte introduit la qualification « en bande organisée » comme circonstance aggravante des atteintes aux systèmes automatisés de données. La crainte des hacktivistes est que cette nouvelle infraction permette de réprimer, comme des terroristes, les militants qui, tels les Anonymous, s’organisent pour bloquer l’accès à un site lors de manifestations virtuelles.

L'article 15, enfin, modifie le code de la sécurité intérieure pour porter de 15 à 30 jours la durée de conservation des interceptions de sécurité dont le régime avait été fortement étendu par la loi de programmation militaire.

Ce tour de vis sécuritaire sans précédent sur internet a suscité la mobilisation des principales associations de défense des libertés sur internet : La Quadrature du net, la Ligue des droits de l’homme, Reporters sans frontières, le Syndicat de la magistrature ou encore l’April. Réunies au sein d'un collectif, elles ont lancé au début du mois de septembre une « campagne citoyenne » accompagnée d’un site, Presumes-terroristes.fr, proposant une analyse détaillée du projet de loi et incitant les internautes à contacter leur député.

Celui-ci a également été l’objet de vifs débats à l’Assemblée nationale au sein de la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, composée de parlementaires et de personnalités du monde de l’internet. Dans une contribution publiée sur l'édition participative de Mediapart consacrée aux travaux de cette commission, « Libres enfants du numérique », le cofondateur de la Quadrature du net, et membre de la commission, Philippe Aigrain s’est livré à une analyse, article par article, du texte. « Le risque principal qui pèse sur le débat en séance plénière sur le projet de loi terrorisme à venir à l’Assemblée nationale est celui d’une prise d’otage de la délibération du fait de l’invocation d’une urgence sécuritaire », écrit-il. « Le projet de loi manifeste une exploitation de la situation pour faire passer des dispositions réclamées depuis longtemps par certains services de sécurité et de police, en particulier en matière du contournement du judiciaire », poursuit Philippe Aigrain. « Il met par ailleurs en place une dissuasion et une répression préventive des "parcours de radicalisation" qui est un véritable tournant dans l’institution de sociétés de la suspicion. (…) Il est non seulement légitime mais indispensable de prendre en compte les dérives qui peuvent résulter des dispositions proposées, dans d'autres situations dépassant leur objet initialement affiché. C'est pourquoi il me paraît nécessaire d'appeler les députés qui auront à débattre du PJL terrorisme à la mi-septembre à prendre le recul indispensable sur ce texte. La représentation nationale ne peut être contrainte par l'invocation d'un impératif sécuritaire à accepter d'adopter des mesures contestables dans leur efficacité et inacceptables dans leurs conséquences. »

Ce véritable réquisitoire a valu à Philippe Aigrain une réponse virulente du président socialiste de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas. « Est-il encore possible de légiférer sereinement pour adapter le dispositif judiciaire français de lutte antiterroriste ? » se plaint le député, dénonçant une « accumulation de tant de formules polémiques, d’explications dogmatiques et d’analyses simplificatrices, parfois même simplistes ». Au-delà du débat juridique, l’élu, ardent défenseur du projet de loi, assume les restrictions de libertés contenues dans ce texte. Et les justifie par les nouvelles menaces que feraient peser sur la sécurité nationale ces nouveaux terroristes. « Si nos adversaires s’adaptent en permanence en faisant évoluer les modalités de leurs interventions, à la fois pour se dissimuler, pour échapper à nos services de sécurité, et par conséquent à la justice », affirme Jean-Jacques Urvoas, « il semble logique, si nous voulons être efficaces, que nous adaptions nos propres outils. » « La démocratie est à la fois forte et fragile », estime-t-il. « Forte de la vitalité inépuisable de ses principes et fragile face aux messages sans paroles que sont les attaques terroristes (…). Nous ne saurions donc les affronter avec une main liée dans le dos. »

Cette approche sécuritaire d’internet est largement partagée sur les bancs de l’Assemblée nationale. Et il y a de fortes chances pour que le projet de loi sur le terrorisme soit adopté sans modification substantielle, comme le fut au mois de décembre dernier la loi de programmation militaire qui avait déjà élargi l’accès des services de renseignements français aux données des opérateurs de communications électroniques, des fournisseurs d'accès à Internet et des hébergeurs de sites. Malgré, déjà, une forte mobilisation des associations, des réticences du CNNum et l’opposition de quelques députés, le texte avait finalement été adopté par 164 voix contre 146.

Un espoir subsiste cependant concernant le blocage des sites internet, sujet sur lequel l’exécutif aurait été sensible aux multiples critiques. En fin d’année 2013, le gouvernement avait déjà tenté d’imposer ce filtrage de sites internet dans le cadre de l’examen du projet de loi de lutte contre la prostitution. Mais il avait finalement fait marche arrière en retirant cette mesure à la dernière minute. Deux amendements visant l’article 9 ont déjà été déposés. L’un déposé par des députés du groupe écologiste vise tout simplement à annuler cette disposition. L’autre, déposé les élus UMP Lionel Tardy et Laure de La Raudière, propose de réintroduire le juge judiciaire dans la décision de blocage. « Seul un juge doit pouvoir ordonner le blocage d’un site internet à l’issue d’un débat contradictoire, qui peut très bien être mené en urgence en la forme des référés », suggèrent les députés.

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Fête de l’Huma : Mélenchon se remet en mouvement

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Ils sont venus, ils se sont vus, et s’ils ne s’avouent pas encore vaincus, ils sont loin de se mettre d’accord pour la suite. Ce week-end à la fête de l’Huma, au parc de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), le beau temps a souvent été vu comme un signe optimiste pour les lendemains de la gauche. À travers des allées fournies d’une foule plus nombreuse que les deux années précédentes, la gauche critique, en délicatesse avec le gouvernement Valls, veut croire, avec plus ou moins d’enthousiasme et de sincérité, au début d’un quelque chose alternatif. « Le soleil brille sur la gauche, ça nous change de la pluie hollandaise », rigole un militant derrière son stand de saucisses-frites.

Pierre Laurent lors de son discours d'accueil à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014Pierre Laurent lors de son discours d'accueil à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014 © S.A

 

Puissance invitante d’un rendez-vous qu’ils ont voulu comme celui de « la gauche qui se reparle », les communistes jouent un chemin alternatif et unitaire qu’ils entendent tracer avec la meilleure bonne volonté possible. « Paradoxalement, le scénario d’un FN au second tour, qu’agitent tant Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, nous enlève des scrupules et doit nous décomplexer, explique la dirigeante communiste Marie-Pierre Vieu. Car on est sûr en l’état actuel que le PS ne sera pas en face. Donc il faut trouver autre chose. »

Lors d’un déjeuner avec la presse vendredi, le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a résumé le message qu’il n'a pas cessé de marteler au gré de ses interventions de tribunes et de médias : « Désormais, on doit construire l’alternative sociale que les Français voulaient en 2012. »

Pierre Laurent espère que le rassemblement du Front de gauche avec les écologistes et les “frondeurs” du PS va se concrétiser dans « la riposte » à l’Assemblée, voire dans la rue, puis dans « la recherche de solutions communes » et enfin dans la perspective d’une coalition électorale, pudiquement nommé pour l'instant « travail de rassemblement ». « Nous prendrons toutes les initiatives nécessaires pour faire dialoguer toutes les forces de gauche qui ne se reconnaissent pas dans le gouvernement », dit-il.

Pour l’instant, l’heure est à la reprise de contact, entre embrassades de travées et banquets devant caméras. Chacun s’arrange de cette ritualisation de l’unité de la gauche, qui semble condamnée à rester éternellement un combat. « On ne va passer à l’alternative en deux jours, admet Pierre Laurent. Les intérêts partisans de chacun ralentissent les convergences. Nous, on envoie le signal qu’on est disponible et qu’il faut aller vite. »

L’un de ses proches confie, en "off" : « Se retrouver autour d'une table, ça n’allait déjà pas de soi pour certains. C’est aussi pour cela qu’on a fait un repas plutôt que de s’essayer à un communiqué commun. On en est là… »

Déjeuner entre responsables du Front de gauche, d'EELV et des frondeurs, à la fête de l'HumaDéjeuner entre responsables du Front de gauche, d'EELV et des frondeurs, à la fête de l'Huma © S.A

Samedi midi, sous la tente du stand de la Côte-d’Or et les pieds dans l’herbe, le repas de la gauche alternative avait des airs de Cène incertaine. « On ne sait pas encore qui sera Judas », rigole un convive. Autour des escargots et d’une dizaine de dirigeants communistes et du Front de gauche (Jean-Luc Mélenchon, Éric Coquerel, Clémentine Autain ou Christian Picquet), on retrouve les socialistes de l’aile gauche (Jérôme Guedj, Pascal Cherki, Barbara Romagnan ou Marie-Noëlle Lienemann), ou des proches de Martine Aubry (Christian Paul ou Jean-Marc Germain). Mais aussi Isabelle Attard, co-présidente de Nouvelle donne, le président de la Ligue des droits de l’homme, Jacques Dubois, l’ancienne présidente du syndicat de la magistrature, Évelyne Sire-Marin, la co-présidente d’Attac, Aurélie Trouvé.

Enfin les écologistes Jean-Vincent Placé et David Cormand, qui expliquent tous deux que le groupe EELV à l’Assemblée devrait en grande majorité s’abstenir lors du vote de confiance, mardi 16 septembre. Tout le week-end, le PCF aura aussi multiplié les assauts d’amabilités envers les écolos. Envers Cécile Duflot, venue vendredi débattre sur le logement et défendre sa loi Alur, « qui n’est pas la loi Duflot, mais une des rares lois votées par toute la gauche ». Ou envers Emmanuelle Cosse, qui s’est fait applaudir par l’assistance en parlant transition énergétique et santé au travail.

Le banquet n’a pas franchement débouché sur une quelconque initiative, ni même de grandes discussions politiques. Juste une bouffe, pour s’assurer que ça vaut bien le coup de se revoir pour parler sérieusement. « On est dans les préliminaires, mais il va vite falloir passer aux travaux pratiques, explique le dirigeant écologiste David Cormand. Déjà, on va y voir plus clair après le vote de confiance, et savoir sur combien de parlementaires on pourra s’appuyer. »

Là encore, les communistes n’ont cessé d’exprimer un soutien compréhensif aux “frondeurs”, ces députés socialistes qui refusent la caporalisation libérale engagée par Manuel Valls. « Je sais bien que ça va se finir par des abstentions et que ce ne sera pas suffisant pour obtenir un changement de gouvernement, explique Pierre Laurent. Mais il n’y a pas si longtemps, il n’y avait pas de frondeurs. » Ceux-ci assument de ne pas vouloir faire tomber le gouvernement Valls, mais confirment leur amertume. « À cette étape, on assume. À cette étape… », dit Pascal Cherki. Marie-Noëlle Lienemann abonde : « Le vote contre serait une occasion pour la direction du PS de nous exclure du PS, car “ils” rêvent de garder le parti. » La sénatrice, figure de l’aile gauche socialiste, estime à 63 le nombre d’abstentions nécessaire pour faire tomber Valls, sans y croire toutefois. Car ils ne devraient être qu’autour d’une trentaine de députés PS à “fronder”, pronostiquent certains.

 

Pierre Laurent et Emmanuelle Cosse, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014Pierre Laurent et Emmanuelle Cosse, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014 © S.A

Chez les aubrystes, on vit la séquence comme un avertissement supplémentaire, renforcés par les nouvelles déclarations de la maire de Lille, « carte postale » supplémentaire à l’attention du pouvoir. « J'ai été premier secrétaire du PS, a ainsi rappelé Martine Aubry samedi, depuis une assemblée de la fédération du Nord, à laquelle était présent le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis. On fait l'unité en parlant du fond, on ne fait pas l'unité en disant "Unité, unité, unité". On fait l'unité sur un projet, on fait l'unité sur des valeurs, sur un sens et sur des réponses. » Avant de se prononcer « pour l'indépendance de chacun », au moment de voter ou non la confiance au gouvernement Valls 2. Pourtant, tout le monde reste encore dubitatif (au minimum), quant à un retour de celle qui incarne à merveille le rassemblement unitaire de cette gauche critique du gouvernement, mais qui incarne aussi toutes ses incertitudes.

Alors, faute d’imam sortant de sa cachette, ses proches demandent a minima que « les réunions de groupe PS ne soit plus un lieu où à chaque vote, c’est “soumission ou apocalypse” », selon les termes de Jean-Marc Germain. Ou ils exigent « la fin de cette période où la gauche ne pourrait pas se parler », comme Christian Paul. Ce dernier défend aussi « la nécessité d’un plan d’urgence sociale » qu’il souhaiterait voir mis en œuvre à l’Assemblée par la majorité parlementaire, autour de dispositifs fiscaux favorisant le pouvoir d’achat, d’une réelle conditionnalité de l’octroi du CICE (Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) aux entreprises, notamment en matière de création d’emplois, ou d’une nouvelle loi bancaire.

Inauguration du stand du Front de gauche à la fête de l'Huma, avec les porte-parole de chaque parti, le 12 septembre 2014Inauguration du stand du Front de gauche à la fête de l'Huma, avec les porte-parole de chaque parti, le 12 septembre 2014 © S.A

Mais aucun de ces frondeurs socialistes ne sait vraiment au bout de combien d’avertissements ils pourraient passer au blâme du gouvernement Valls. Et c’est ce qui irrite, ou du moins ne convainc pas, les sceptiques du Front de gauche. Au PG, on continue ainsi à afficher son désaccord stratégique. Et on martèle la nécessité de « ne plus s’allier au système libéral », c’est-à-dire au PS, comme l’a scandé Éric Coquerel à la tribune du débat unitaire de la fête de l’Huma.

Si on se plie de bonne grâce aux mises en scène confortant la subsistance du Front de gauche, assurant son attachement au rassemblement né il y a désormais six ans, le cœur ne semble plus y être vraiment, comme à Montreuil la semaine passée (lire ici). « Les frondeurs ne sont pas des révolutionnaires, franchement, maugrée Jean-Luc Mélenchon. Disons qu’ils sont mignons, là où les autres sont moches. » Ce dernier a choisi de repartir au combat, façon de démentir ces médias qui se seraient « réjouis trop vite » de ce qu’ils avaient interprété hâtivement comme une retraite.

Sans conteste, le héraut de l’autre gauche semble avoir digéré sa lassitude estivale et ce qu’il admet lui-même comme un échec stratégique, celui de ne pas être parvenu à dépasser le PS aux dernières européennes. Revigoré par un accueil chaleureux dans les allées de la fête (là où celui des deux dernières années était plus frais, voire tendu), enchaînant selfies bravaches et embrassades militantes, Jean-Luc Mélenchon veut regarder d’un air distant les discussions entre partis de gauche, car à son sens ce n’est plus là que ça se joue.

Jean-Luc Mélenchon pose pour un selfie, à la fête de l'Humanité, le 13 septembre 2014Jean-Luc Mélenchon pose pour un selfie, à la fête de l'Humanité, le 13 septembre 2014 © S.A

Au stand du Parti de gauche, il a prononcé un discours devant une foule nombreuse, débordant très largement dans les allées de la fête, et a assuré les « siens » qu’il ne « déserterai(t) jamais (son) poste de combat ». « On est dans un moment de reconstruction, confie-t-il ensuite à quelques journalistes. En ce moment, ça se cristallise sur la souveraineté populaire. »

Après le parti allemand Die Linke (« son échec nous a indiqué que créer un parti n’était pas la solution, c’est pour ça que nous avons continué de privilégier le Front »), les révolutions arabes (il a laissé la parole au candidat du Front populaire tunisien Hamma Hammami), la coalition grecque Syriza (dont il estime que « le besoin d’experts les a conduits à recycler des sociaux-démocrates en rupture »), Mélenchon louche désormais du côté de l’Espagne. Et du mouvement Podemos, parti en construction, issu du mouvement des Indignés. « Il y a plein de bolivariens dedans », glisse-t-il en allusion à une autre de ses références stratégiques internationales, celle des révolutions citoyennes sud-américaines (lire ici).

Devant le stand du Parti du gauche à la fête de l'Huma, lors du discours de Jean-Luc Mélenchon, le 13 septembre 2014Devant le stand du Parti du gauche à la fête de l'Huma, lors du discours de Jean-Luc Mélenchon, le 13 septembre 2014 © S.A

La souplesse et l’innovation de Podemos, qui a recueilli 8 % aux dernières européennes et envoyé cinq eurodéputés à Strasbourg et Bruxelles, sans même avoir créé encore de parti, cela rend admiratif Mélenchon. « Ils disent ce que je n’ai jamais osé dire », confie-t-il. Lui ne cache pas leur emprunter leur définition d’un nouveau clivage, surpassant gauche et droite, entre front du peuple et oligarchie. « Ils donnent la ligne d’une nouvelle confrontation », explique l’ancien candidat à la présidentielle, qu’il résume en une formule centrale, reprise aux Espagnols : « Le système n’a plus peur de la gauche, il a peur du peuple. »

Cette nouvelle approche ne convient pas franchement aux communistes, ainsi que l’explique Pierre Laurent : « Je vois l’idée que la gauche ne se relèvera pas de Hollande et Valls et qu'il faudrait donc faire autrement. Mais je n’y crois pas, car des millions de gens se retrouvent dans cet imaginaire, et cela reste un levier politique fort. Même s’il est vrai qu’ils ne mobilisent pas toutes les classes populaires, les partis restent un creuset de la démocratie, qu’on ne peut pas bazarder comme ça d’un coup. » En revanche, l’universitaire et “socialiste affligé” Philippe Marlière, qui a critiqué ce nouveau clivage dans un récent ouvrage collectif (lire ici), avoue son trouble sur la question, après en avoir longuement discuté avec deux des responsables de Podemos, venus à la fête de l’Huma. « Il faut que je cogite », sourit-il.

Pablo Bustinduy et Jorge Lago (Podemos) entourent Martine Billard, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014Pablo Bustinduy et Jorge Lago (Podemos) entourent Martine Billard, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014 © S.A

Samedi matin, ces deux-là, Pablo Bustinduy et Jorge Lago, ont détaillé minutieusement, et dans un français impeccable, leur « renouvellement profond du récit, des méthodes et des pratiques » politiques, lors d’un débat sur le stand du PG. « Si l’on veut repolitiser la souffrance et la colère, il faut admettre que le clivage gauche/droite est rejeté et faire un pari audacieux, y a expliqué Bustinduy. Nous ne savons pas qui nous sommes exactement, ni quelle est l’exactitude de nos convergences sur ce que nous voulons, mais nous savons qui ils sont en face, et nous opérons une construction politique par rapport à ceux dont nous ne voulons plus. » Podemos serait alors « un parti fondé sur une hégémonie et non une idéologie, ajoute Lago, où l’on part du plus petit dénominateur commun pour rassembler au maximum, puis on élargit toujours un peu plus ».

Concrètement, ces indignés-là ont choisi d’abord de « briser un tabou à gauche » en créant en premier lieu « une structure purement électorale ». Ouvertes à qui le souhaitait, des primaires de désignation ont vu 150 candidats se présenter aux suffrages. Plus de 30 000 votants et plus d'une centaine de milliers d’adhérents plus tard, voici Podemos quatrième force du pays, devant le partenaire traditionnel de la gauche radicale européenne, Izquierda unida.

Cet éloge de l’action dépassant les questions de chapelles plaît à Mélenchon, qui se désespère régulièrement des manques d’audace ou temporisations de ses alliés communistes. « Tout est figé, alors on laisse ceux qui veulent se retrouver autour d’une table pendant six mois, un an, deux ans… Nous, on agit et on voit, dit Alexis Corbière, dirigeant du PG. Si ça ne marche pas, tant pis, au moins on aura essayé. »

Son Podemos à lui, ce sera le « m6r », pour Mouvement pour une VIe République. Une page internet vient d'être créée, recueillant 16 000 signatures en deux jours, assure-t-il, sans compter celles obtenues dans les allées de la fête. Là encore, il s’inspire de l’expérience espagnole, et promet « un réseau social totalement horizontal, sans chefs ni cartes d’adhérents », capable de s’autogérer pour préparer les esprits à la révolution citoyenne, et appliquant « la démocratie la plus directe possible ». Pour bien montrer qu'il entend faire différemment, le logo n'a plus rien à voir avec le graphisme mélenchonien. Ni rouge, ni vert, le logo du « m6r » est jaune et orange, et aussi un peu bleu, ressemblant à un dessin enfantin de soleil ou d'étoile.

Un stand de signatures de soutien au mouvement pour la VIe République, à la fête de l'Huma, le 12 septembre 2014Un stand de signatures de soutien au mouvement pour la VIe République, à la fête de l'Huma, le 12 septembre 2014 © S.A

Lors de son discours, il a cherché à donner corps à l’enjeu d’une constituante, face à ceux qui jugent « trop abstraite » son idée. S’inscrivant dans l’histoire des républiques précédentes, « qui ont toujours servi à sortir du monarchisme, de l’empire ou du pétainisme », il voit sa VIe République comme l’outil « pour sortir du néolibéralisme qui détruit la démocratie pour pouvoir fonctionner ».

À ses yeux, il s’agit de « combiner stabilité des institutions et capacité d’intervention populaire ». Il évoque le « référendum révocatoire » afin de sanctionner des élus en cours de mandat, mais voit surtout la VIe République comme « un mot d’ordre social », constitutionnalisant « la démocratie dans les entreprises », « droit de préemption coopératif et ouvrier » en cas d’abandon d’un site par un propriétaire, élection « vraiment représentative pour le patronat », inscription de droits fondamentaux tels que « le partage, la citoyenneté, l’humanité universelle » ou « règle verte », sorte de règle d'or écologique.

Et puis, Mélenchon ne peut s’empêcher de glisser malicieusement en marge de la tribune, combien un recentrage de son action politique sur la constituante permettrait de lever un désaccord inconscient avec les communistes. « On a un cadavre dans le placard sur le sujet, dit-il en souriant. En 1917, la constituante a été dispersée par les bolcheviks… » Façon de convoquer l’histoire pour enfoncer un coin dans l’attitude dubitative des communistes français, pourtant bien lointains héritiers de la révolution d’Octobre…

Peut-être pour la première fois de sa longue carrière politique, Mélenchon ne sait-il pas où il va, n’a pas planifié son affaire plus que ça, et semble se réjouir de sauter dans l’inconnu, loin des tergiversations d’appareils. « Je ne sais pas comment ça marche, mais les camarades de Podemos vont nous l’expliquer et nous donner leurs outils. Je ne sais pas si on va y arriver, mais venez les gens, prenez le boulot en main, parce que moi, je sature ! » a-t-il lancé au micro.

Quand on lui demande quelles initiatives vont être prises, il parle d’agiter les réseaux sociaux, « avant de voir comment on peut passer du virtuel à la rue ». S’il évoque en passant la possibilité d’une nouvelle marche en novembre, pour le mi-mandat de François Hollande, pour qui les mots sont toujours aussi durs (« mais c’est devenu presque doux par rapport à ce que disent désormais les socialistes eux-mêmes »), il paraît persuadé que tout peut passer par Internet. Il dit ainsi regarder vers Avaaz, un site de pétitions et de mobilisations qui l’intrigue aussi fortement, et rappelle son intérêt ancien pour « l’école de formation de masse » qu’est devenu le numérique. « Quand j’étais jeune, on était fier d’avoir tiré un tract à 2 000 exemplaires, dit-il. Aujourd’hui, entre mon blog, twitter et Facebook, on s’adresse à des centaines de milliers de personnes. »

Quand on souligne que certains fondamentaux de Podemos ne semblent toutefois pas aisément transférables dans la gauche, comme la méthode de primaires archi-ouvertes pour les investitures (un exercice auquel le Front de gauche dans son entier a toujours été hostile), ou encore le profond renouvellement du personnel politique (majoritairement trentenaire et non-professionnel de la politique), il acquiesce, tout en faisant remarquer que « former de nouveaux militants prend du temps ». Mais ce samedi à la fête de l'Huma, il ne semble pas vouloir déjà penser à tout cela : « Il va falloir s’habituer à ce nouvel angle, comme il va falloir s’accorder avec les communistes. Mais de toute façon, soit on continue comme avant et on se fera dégager, soit on y arrive. » En aura-t-il assez et cela sera-t-il suffisant pour ouvrir un nouveau « cycle ascendant », comme il dit ? Lui-même ne le sait pas, mais il semble au moins y prendre du plaisir.

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Réputé mauvais payeur, le ministère de la défense récompensé pour sa relation avec les fournisseurs

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Les 26 000 entreprises en contrat chaque année avec l’armée française peuvent être soulagées. Vendredi 12 septembre 2014, Bercy a décerné le label « fournisseur responsable » au ministère de la défense. Le label, lancé fin 2012 par la médiation Inter-entreprises et la compagnie des dirigeants et acheteurs de France (CDAF), vise à récompenser les grandes entreprises françaises qui s’attachent à « des pratiques d’achats responsables et vertueuses » et apportent « la preuve de relations durables et équilibrées avec leurs fournisseurs ».

Refoulée lors d’une première candidature l’an passé en raison de sa difficulté à honorer ses factures dans les délais, la Défense devient aujourd’hui le tout premier ministère lauréat du fameux label. Une récompense qui vient décoller l’étiquette « mauvais payeur » apposée sur le dos de l’administration en général et sur celle de l’armée en particulier, encore récemment accusée par une PME Lilloise de ne pas payer ses commandes en instruments de musique.

Défilé du 14 juillet 2014Défilé du 14 juillet 2014 © DM

L'attribution de l'agrément s’enveloppe néanmoins d’une opacité qui permet aux fournisseurs de douter de la bonne foi du ministère. La récompense s’obtient sur la base d’un audit confidentiel, réalisé pendant six mois par l’agence privée de notation sociale Vigeo, commanditée et financée exclusivement par le ministère. Le comité d’attribution – dont le nom des membres (des représentants de la médiation Inter-entreprises, de la médiation des marchés publics, et la CDAF) « est placé sous le sceau de la confidentialité » – rend son jugement en se basant sur les travaux de Vigeo et sur des « documents probants » apportés par le ministère.

« Il y a une réévaluation chaque année. Si jamais l’on s’aperçoit que les éléments apportés ne reflètent pas la réalité, que l’on s’est fait enfumer, on retirera le label. Et croyez-moi, le retrait c’est bien pire en termes de communication. En donnant le label, on offre donc une possibilité d’aider encore plus les PME car ceux qui postulent chez nous feront tout pour le garder », se justifie Jean-Lou Blachier, président de la médiation des marchés publics.

La nouvelle fait pourtant grimacer des boulangers, blanchisseurs et autres fournisseurs des dépenses quotidiennes de l’armée. Premier coup de fil à une des PME choisies au hasard dans la liste des fournisseurs non stratégiques du ministère de la défense, première grogne. « Fin 2013, on a répondu à une demande et on a eu un retard, mais c'était dans la limite du raisonnable (entre un et deux mois de retard pour le paiement d'une facture de 10 000 euros) », raconte le gérant d'une entreprise qui installe des systèmes informatiques à la marine de Brest. « Par contre, on avait déjà travaillé pour eux il y a quelques années et à l'époque on avait eu un an et demi de retard. » 

Pendant longtemps, le responsable de ces retards était tout désigné : Chorus. Ce logiciel, système d'information comptable et budgétaire de l'État installé en janvier 2010 et depuis généralisé à tous les ministères, a connu un certain nombre de ratés à ses débuts. Les plus petites entreprises en ont été les plus affectées. Avec une trésorerie limitée, elles pâtissaient d'un inégal rapport de force avec l'armée.

La mise en place de Chorus a par exemple ruiné la société de Christophe Guillerme. Agent de sécurité à son propre compte, il était chargé pour 150 000 euros par an de surveiller les sites militaires vendus par le ministère durant leur dépollution. Documents à l’appui, il affirme avoir été payé systématiquement avec quatre ou cinq mois de retards.

Facture de l'entreprise de Christophe GuillermeFacture de l'entreprise de Christophe Guillerme © DM

« Mon banquier m’a dit : “Monsieur, on ne peut plus continuer comme ça vous êtes payé deux fois par an !” (…) Pendant des semaines, je vivais avec un euro par jour pour bouffer, puis d’un coup j’avais 80 000 euros qui tombaient. Chaque année, mes vacances passaient dans les agios avec les banques : 1 400 euros à payer. Ils ont bloqué mes cartes, je me débrouillais avec du liquide. Je ne pouvais par exemple plus payer mon assurance auto, j’ai dû rouler sans assurance. » 

Détruit psychologiquement – « c’est le même état d’esprit qu’une femme battue : d’abord on n’ose pas en parler, puis on finit par se sentir coupable… On se dit que ça fait partie du deal » –, il devient escort-boy gigolo pour arrondir ses fins de mois lors de la liquidation de sa société en juin 2013. Depuis, il continue de recevoir les paiements d'anciennes factures, comme en témoigne un de ses derniers relevés de compte qui fait état d'un paiement de 12 873 euros régularisé avec dix-huit mois de retard. 

Relevé bancaire de Christophe GuillermeRelevé bancaire de Christophe Guillerme © DM

Comme celle de Christophe Guillerme, 3 600 autres PME non stratégiques connaissent des retards de paiements plus ou moins importants avec l’installation de Chorus. C’est ce qu’affirme un rapport parlementaire daté de juillet 2011. À l’époque, seules les 400 entreprises jugées stratégiques sont payées « rubis sur l’ongle ».

En juillet 2013, le ministère de la défense finit par reconnaître des « difficultés techniques initiales » mais assure que le logiciel a « atteint son régime de fonctionnement normal ». Si plusieurs des entreprises interrogées aléatoirement dans la liste par Mediapart confirment les efforts entrepris par la Défense, une boulangerie industrielle qui souhaite rester anonyme témoigne de multiples retards de paiement. « La dernière fois, c'était fin 2013. On nous a dit que c'est parce qu'ils avaient trop de factures à régler et qu'ils privilégiaient d'abord les gros. » La facture en question s'élevait à 4 000 euros, une somme modeste mais critique pour la boulangerie.

Pour Dominique Caillaud, membre de la commission de la défense jusqu'en juin 2012 et co-auteur d'un rapport parlementaire sur la situation de crise des PME de défense, l’allongement des délais va bien au-delà du problème Chorus. Dans l'armée, affirme-t-il, « il y a une organisation verticale mise en place pour freiner les règlements des fournisseurs. Pour ralentir les paiements, on vous dira qu’il manque une pièce à votre dossier. Ces failles administratives rendent service. On a mis des étages de contrôle sur des étages de contrôle et cela permet de gagner du temps. Ça fonctionne comme ça depuis très longtemps et ça arrange tout le monde. »

Une des entreprises que nous avons contactées confirme l'analyse de l'ancien député. Entre la personne qui réceptionne la marchandise, les différents services de comptabilité et le centre achat payeur, une facture peut passer entre les mains de sept intermédiaires, tous situés à des endroits différents sur le territoire. « Quand j'ai repris l'entreprise, il y avait 240 000 euros d’impayés. On me disait que ça venait du système Chorus, puis j’ai mis mon nez un peu dedans. Il y avait des problèmes de structures de facture mais l’armée ne nous avait pas informés. C’était plus un problème de communication de l’armée et de nos systèmes de facturation que quelque chose de délibéré. Au bout d'un moment, j'ai gueulé et j'ai menacé de prévenir les médias. Il a fallu que je me déplace à plusieurs reprises et que je rencontre le personnel. Maintenant je n'ai plus de problèmes. »

Cette lourdeur administrative aboutit à des situations parfois ubuesques racontées par des militaires sur les sites spécialisées. Des soldats privés de pain à la cantine, car le boulanger refusait de livrer la base après 10 mois d’impayés ou bien un sous-officier expulsé d’un magasin de bricolage lors de son passage en caisse car ses supérieurs traînaient à honorer les factures. En réponse à Mediapart, le ministère assure pourtant mettre « tout en place pour détecter ces problèmes le plus en amont possible. Chaque année, le ministère reçoit plus de 616 000 factures, il peut bien évidemment y avoir des difficultés sur certaines d’entre elles. Le ministère est bien conscient que chaque cas est important et que les difficultés de trésorerie que peut avoir une entreprise peuvent avoir des conséquences graves ».

L’État s’est ainsi engagé en 2008 à réduire ses délais de paiement à 30 jours, et prévoit de passer en dessous des 20 jours à l’horizon 2017, selon le plan pour le renforcement de la trésorerie des entreprises. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian estimait en 2013 à 38 jours la durée moyenne d’un paiement par les services du ministère, contre 73 en 2010. En 2013, les intérêts moratoires – payés à la suite de retards de paiement – se sont élevés à 15,3 millions d’euros, contre 45 millions en 2010.

D’après une nouvelle estimation du ministère, le délai global de paiement de la Défense (temps estimé entre la réception d’une facture et son paiement) s’établirait en août 2014 à 29,5 jours pour les factures ne concernant que les commandes de l’État (c’est-à-dire hors commandes des établissements du service de santé des armées). Le graphique ci-dessous démontre cependant que le ministère de la défense se trouvait depuis longtemps hors des délais de paiement des fournisseurs fixé à 30 jours pour l’État.

C'est également la structure du budget de la Défense qui inquiète les PME. En 2015, le report de charges – c’est-à-dire les dépenses en équipements encore impayées à la fin de l’année – pourrait approcher les 2,9 milliards d’euros, a estimé la commission de la défense le 8 juillet dernierCette hausse, liée au surcoût des opérations militaires à l’étranger (analysé ici dans un rapport parlementaire) et à l’annulation de centaines de millions d’euros de crédit d’équipements, a un impact sur le règlement des fournisseurs et de leurs sous-traitants. « Le problème est que les grandes entreprises reportent elles-mêmes ces délais de paiement sur leurs sous-traitants, fragilisant ainsi la situation de nombreuses PME », expliquait le député Philippe Vitel durant une réunion de la commission de la défense.

Et le problème se répercute à l'ensemble du territoire. Au niveau local, les bases de l'armée font remonter des commandes liées à leurs besoins qu’en haut, au ministère, il est finalement impossible d’assumer lors de l’arbitrage des budgets. Cette pressurisation des budgets a pourri la vie de Fabien Guillet. Cet entrepreneur de Saint-Dizier (Haute-Marne) fournissait en mobilier métallique les chambres des officiers de l’armée de terre dans chacune de ses divisions régionales. En 2007, puis en 2011, il s’engage deux fois sur des contrats de quatre ans.

« Pour la période 2007-2011, le ministère a fait un appel d’offres pour un total compris entre 6 et 19 millions de commandes. On a regardé l’historique : il y avait un minimum de 6 millions d’euros de commandes par an pendant des années. Pourtant nos commandes ont été divisées par 10 en cinq ans. On m’a fait comprendre que les ordres étaient de couper dans les budgets. »

Face à la baisse imprévue des commandes, l’entreprise tente de se diversifier. Mais alors qu'en 2013, 30 % de son activité dépend des contrats militaires, les 600 000 euros de commandes envoyés par le ministère ne suffisent plus à sauver sa société de la liquidation. « J’ai dit aux responsables de la mission achat de la Défense, vous ne pouvez pas laisser des salariés deux ans au placard et les ressortir d’un coup quand les commandes prévues dans le contrat repartent. C’est pas jouable. J’avais 70 salariés en 2007, on est passé à 40 en 2011 jusqu’à la liquidation en 2013. »

Pour Jacques Gautier, sénateur UMP, spécialiste des questions financières de la Défense, l'histoire de Fabien Guillet n'a rien de singulier : « Il faut bien faire la différence entre ce qui concerne le quotidien, la proximité, c’est-à-dire les bases de défense où les crédits ont diminué. Avant, on avait des sociétés pour tondre les pelouses des bases, aujourd’hui on a de la broussaille partout. »

L’impact sur l’emploi est à l’heure actuelle impossible à estimer. Depuis 2003, le contrôle budgétaire effectué par la commission de la défense nationale et des forces armées ignore les contrats passés avec les entreprises non stratégiques. Les questions soulevées par les députés ces dernières années sur une évaluation des impacts sont toujours restées sans réponses chiffrées (voir ici et ). Face aux accusations, le ministère répond qu’aucune PME n’a « fermé consécutivement à la mise en place du logiciel ».

Récompensé par Bercy, critiqué par les petits fournisseurs, le ministère de la défense est loin d'être la seule administration à blâmer sur sa relation avec les PME. Plusieurs entreprises nous ont confié avoir des problèmes récurrents avec l'ensemble des services de l'État.

BOITE NOIREPour rédiger cet article, nous avons appelé une trentaine d'entreprises prises aléatoirement dans la liste des fournisseurs non stratégiques du ministère de la défense. Environ le tiers de ces entreprises a déclaré avoir connu des problèmes de retards de paiement avec le ministère de la défense. Les services de l'État nous ont répondu par courrier électronique en précisant que le dossier Vigeo ainsi que le nom des membres du jury étaient « placés sous le sceau de la confidentialité ».

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La droite est en passe de reprendre le Sénat

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Plus personne n'en doute: le 28 septembre, lors du renouvellement sénatorial, la gauche va perdre la majorité qu'elle détenait dans la Haute Assemblée depuis novembre 2011. Il y a trois ans, le Sénat avait basculé à gauche, une alternance historique. Dans deux semaines, sauf très grande surprise, la parenthèse va se refermer – sans que ces deux ans n'aient vraiment marqué l'histoire politique. Si le Sénat n'a pas le dernier mot en matière législative, le retour d'une majorité de droite risque tout de même de compliquer un peu plus les affaires du gouvernement, déjà aux prises avec une rébellion d'une partie de ses troupes à l'Assemblée nationale.

Les candidats aux sénatoriales avaient jusqu'à ce vendredi 12 septembre pour déposer leurs listes. Mais les états-majors ont déjà fait leurs calculs. Pour la gauche, le Sénat semble irrémédiablement perdu. Même Jean-Pierre Bel, son président socialiste depuis 2011, qui a décidé d'arrêter la politique et ne sera pas candidat, en convient désormais en privé. En mars, avant les municipales, ce proche de François Hollande espérait un tout autre scénario. Le Sénat «  restera à gauche », professait-il. Mais c'était juste avant la débâcle socialiste aux municipales de mars 2014.

Tous les trois ans, la moitié des sénateurs est élue au suffrage indirect, au scrutin majoritaire (à deux tours) ou proportionnel (un seul tour) selon les départements. Les 87.000 grands électeurs qui voteront le 28 septembre sont issus à 95% des conseils municipaux. Or le seul PS a perdu en mars dernier 30.000 de ses 60.000 élus, une litanie de communes et de communautés de communes. Il a également vu lui échapper la présidence de quasiment toutes les grandes associations d'élus locaux, puissants relais d'influence dans une campagne sénatoriale. Dans une moindre mesure, les communistes et les radicaux de gauche ont eux aussi perdu des plumes.

La victoire de la droite est donc mathématique. D'autant qu'à part quelques accords locaux, notamment pour garantir au président du parti radical de gauche, le multi-cumulard Jean-Michel Baylet, sa réélection dans le Tarn-et-Garonne, PS, radicaux de gauche et communistes partent désunis. « On part un peu les uns contre les autres », admet le sénateur Luc Carvounas, secrétaire national du PS aux relations extérieures. Quant aux écologistes, aucun de leurs dix sénateurs n'est renouvelable cette fois-ci. Eux, le PRG et les communistes garderont en tout état de cause leur groupe parlementaire.

Cette logique des chiffres risque d'être aggravée par le contexte politique, à commencer par les polémiques les plus récentes, de l'affaire Thévenoud au livre de Valérie Trierweiler. « Sur le marché chez moi la semaine dernière, j'ai eu huit Thévenoud et deux Trierweiler » se désole un membre du gouvernement. La réforme territoriale, adoptée cet été en première lecture à l'Assemblée nationale, arrive au Sénat en octobre. Elle passe mal auprès des élus, de même que les 11 milliards de réduction des dotations aux collectivités locales d'ici 2017.

« Ça va être extrêmement difficile. Nous sommes challengers », expliquait dès la fin du mois d'août Christophe Borgel, secrétaire national du PS aux élections. « Le climat politique est mauvais pour nous, je l'assume. Il n'est pas bon, parce que nous avons du vent dans le nez... (…) Nous ne sommes pas favoris, mais il y a des challengers qui ont créé la surprise », veut croire Didier Guillaume, le président du groupe PS au Sénat, qui court lui-même après sa réélection dans la Drôme.

Depuis 2011, PS, écologistes, radicaux de gauche et communistes possèdent 178 sièges. Avec 128 sièges, le PS n'a pas la majorité à lui tout seul. Il doit compter avec des alliés parfois exigeants, comme les radicaux de gauche, ou en désaccord avec sa politique, comme les communistes, qui ont plusieurs fois refusé de voter des votes budgétaires. La droite, elle, détient 161 sièges. (UMP et UDI).

© Sénat

Cette année, le renouvellement porte sur les sénateurs élus en 2008. Il concerne 58 départements métropolitains (de l'Ain à l'Indre et du Bas-Rhin au Territoire de Belfort), la Guyane, quatre collectivités d'outre-mer et la moitié des sénateurs représentant les Français de l'étranger, soit 178 sièges au total:

© Sénat



Selon le PS, la droite pourrait totaliser au soir du 28 septembre entre 2 et 15 sièges d'avance. A droite, on évoque une fourchette plus réduite, entre 6 et 9 sièges.

D'après les chiffres inédits de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire, la gauche pourrait perdre au total entre 27 à 31 sièges, ce qui lui coûterait la majorité absolue dans tous les cas. Le tsunami des municipales a en effet été trop puissant pour que la réforme du mode de scrutin d'août 2013, censée avantager la gauche en attribuant davantage de poids aux délégués élus dans les grandes villes, puisse renverser la tendance.

En considérant les seules villes de plus de 10.000 habitants des départements renouvelables en France métropolitaine, le PS a perdu 29 villes au profit de l'UMP. Sept sont passées à l'UDI, et cinq au Modem ou à des divers droite.  La droite a également conquis sept villes PRG, et cinq municipalités Front de gauche. La longue liste des défaites dans des villes plus petites accroît encore le cheptel des grands électeurs favorables à la droite.

En Corrèze, le fief de François Hollande où la gauche a perdu en mars des villes emblématiques (Brive, Ussel etc.), les deux sénateurs sont socialistes. La droite (qui part tout de même divisée) pourrait ravir ces sièges au PS. Ce serait une défaite de plus infligée au chef de l'Etat, d'autant que son conseiller à l'Elysée, le maire de Tulle Bernard Combes, est lui-même candidat. Les pertes risquent également d'être lourdes dans l'Aude, les Bouches-du-Rhône, en Charente, en Dordogne, dans la Drôme, dans la Haute-Garonne, la Gironde, l'Hérault, en Haute-Vienne etc.

Dans le Territoire de Belfort, le siège de l'ancien ministre Jean-Pïerre Chevènement, qui ne se représente pas, devrait passer à droite.

Le scrutin de 2017 sera d'ailleurs encore plus meurtrier pour la gauche: les départements renouvelables dans trois ans (de l'Indre-et-Loire aux Pyrénées-Orientales, mais aussi Paris et toute l'Ile-de-France) lui sont globalement défavorables: le Sénat n'est donc pas près de repasser à gauche...

A gauche, certains minimisent la victoire annoncée de la droite. « On va gagner du temps au lieu de s'escrimer à créer des compromis qui n'engagent finalement pas grand-monde », disait cet été le président de la commission des lois de l'Assemblée Jean-Jacques Urvoas.

« On va perdre le Sénat. Tout le monde s'en moque pour l'instant, parce qu'ils ne connaissent pas cette institution. Mais nous risquons vite de découvrir ce qu'est un Sénat d'opposition…», s'inquiète au contraire un ministre de Manuel Valls. La droite majoritaire pourrait en effet user de toutes les procédures à sa disposition pour retarder l'examen des textes de loi. Voire se livrer à une véritable obstruction sur des textes emblématiques, comme les textes budgétaires ou la réforme territoriale.

Signe que la droite sait sa victoire acquise, les candidatures se multiplient pour la succession de Jean-Pierre Bel. La centriste Nathalie Goulet s'est déclarée. Mais c'est des rangs de l'UMP que sortira le futur président. L'ancien premier ministre Jean-Pïerre Raffarin, l'ex président du Sénat Gérard Larcher ou l'outsider Philippe Marini ont annoncé leur candidature. En cas de victoire de la droite, ils seront départagés par une primaire interne le 30 septembre.

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Fête de l’Huma: Mélenchon se remet en mouvement sur le modèle espagnol de Podemos

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Ils sont venus, ils se sont vus, et s’ils ne s’avouent pas encore vaincus, ils sont loin de se mettre d’accord pour la suite. Ce week-end à la fête de l’Huma, au parc de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), le beau temps a souvent été vu comme un signe optimiste pour les lendemains de la gauche. À travers des allées fournies d’une foule plus nombreuse que les deux années précédentes, la gauche critique, en délicatesse avec le gouvernement Valls, veut croire, avec plus ou moins d’enthousiasme et de sincérité, au début d’un quelque chose alternatif. « Le soleil brille sur la gauche, ça nous change de la pluie hollandaise », rigole un militant derrière son stand de saucisses-frites.

Pierre Laurent lors de son discours d'accueil à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014Pierre Laurent lors de son discours d'accueil à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014 © S.A

 Puissance invitante d’un rendez-vous qu’ils ont voulu comme celui de « la gauche qui se reparle », les communistes jouent un chemin alternatif et unitaire qu’ils entendent tracer avec la meilleure bonne volonté possible. « Paradoxalement, le scénario d’un FN au second tour, qu’agitent tant Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, nous enlève des scrupules et doit nous décomplexer, explique la dirigeante communiste Marie-Pierre Vieu. Car on est sûr en l’état actuel que le PS ne sera pas en face. Donc il faut trouver autre chose. »

Lors d’un déjeuner avec la presse vendredi, le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a résumé le message qu’il n'a pas cessé de marteler au gré de ses interventions de tribunes et de médias : « Désormais, on doit construire l’alternative sociale que les Français voulaient en 2012. »

Pierre Laurent espère que le rassemblement du Front de gauche avec les écologistes et les “frondeurs” du PS va se concrétiser dans « la riposte » à l’Assemblée, voire dans la rue, puis dans « la recherche de solutions communes » et enfin dans la perspective d’une coalition électorale, pudiquement nommé pour l'instant « travail de rassemblement ». « Nous prendrons toutes les initiatives nécessaires pour faire dialoguer toutes les forces de gauche qui ne se reconnaissent pas dans le gouvernement », dit-il.

Pour l’instant, l’heure est à la reprise de contact, entre embrassades de travées et banquets devant caméras. Chacun s’arrange de cette ritualisation de l’unité de la gauche, qui semble condamnée à rester éternellement un combat. « On ne va passer à l’alternative en deux jours, admet Pierre Laurent. Les intérêts partisans de chacun ralentissent les convergences. Nous, on envoie le signal qu’on est disponible et qu’il faut aller vite. »

L’un de ses proches confie, en "off" : « Se retrouver autour d'une table, ça n’allait déjà pas de soi pour certains. C’est aussi pour cela qu’on a fait un repas plutôt que de s’essayer à un communiqué commun. On en est là… »

Déjeuner entre responsables du Front de gauche, d'EELV et des frondeurs, à la fête de l'HumaDéjeuner entre responsables du Front de gauche, d'EELV et des frondeurs, à la fête de l'Huma © S.A

Samedi midi, sous la tente du stand de la Côte-d’Or et les pieds dans l’herbe, le repas de la gauche alternative avait des airs de Cène incertaine. « On ne sait pas encore qui sera Judas », rigole un convive. Autour des escargots et d’une dizaine de dirigeants communistes et du Front de gauche (Jean-Luc Mélenchon, Éric Coquerel, Clémentine Autain ou Christian Picquet), on retrouve les socialistes de l’aile gauche (Jérôme Guedj, Pascal Cherki, Barbara Romagnan ou Marie-Noëlle Lienemann), ou des proches de Martine Aubry (Christian Paul ou Jean-Marc Germain). Mais aussi Isabelle Attard, co-présidente de Nouvelle donne, le président de la Ligue des droits de l’homme, Jacques Dubois, l’ancienne présidente du syndicat de la magistrature, Évelyne Sire-Marin, l'ancienne co-présidente d’Attac, Aurélie Trouvé.

Enfin les écologistes Jean-Vincent Placé et David Cormand, qui expliquent tous deux que le groupe EELV à l’Assemblée devrait en grande majorité s’abstenir lors du vote de confiance, mardi 16 septembre. Tout le week-end, le PCF aura aussi multiplié les assauts d’amabilités envers les écolos. Envers Cécile Duflot, venue vendredi débattre sur le logement et défendre sa loi Alur, « qui n’est pas la loi Duflot, mais une des rares lois votées par toute la gauche ». Ou envers Emmanuelle Cosse, qui s’est fait applaudir par l’assistance en parlant transition énergétique et santé au travail.

Le banquet n’a pas franchement débouché sur une quelconque initiative, ni même de grandes discussions politiques. Juste une bouffe, pour s’assurer que ça vaut bien le coup de se revoir pour parler sérieusement. « On est dans les préliminaires, mais il va vite falloir passer aux travaux pratiques, explique le dirigeant écologiste David Cormand. Déjà, on va y voir plus clair après le vote de confiance, et savoir sur combien de parlementaires on pourra s’appuyer. »

Là encore, les communistes n’ont cessé d’exprimer un soutien compréhensif aux “frondeurs”, ces députés socialistes qui refusent la caporalisation libérale engagée par Manuel Valls. « Je sais bien que ça va se finir par des abstentions et que ce ne sera pas suffisant pour obtenir un changement de gouvernement, explique Pierre Laurent. Mais il n’y a pas si longtemps, il n’y avait pas de frondeurs. » Ceux-ci assument de ne pas vouloir faire tomber le gouvernement Valls, mais confirment leur amertume. « À cette étape, on assume. À cette étape… », dit Pascal Cherki. Marie-Noëlle Lienemann abonde : « Le vote contre serait une occasion pour la direction du PS de nous exclure du PS, car “ils” rêvent de garder le parti. » La sénatrice, figure de l’aile gauche socialiste, estime à 63 le nombre d’abstentions nécessaire pour faire tomber Valls, sans y croire toutefois. Car ils ne devraient être qu’autour d’une trentaine de députés PS à “fronder”, pronostiquent certains.

Pierre Laurent et Emmanuelle Cosse, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014Pierre Laurent et Emmanuelle Cosse, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014 © S.A

Chez les aubrystes, on vit la séquence comme un avertissement supplémentaire, renforcés par les nouvelles déclarations de la maire de Lille, « carte postale » supplémentaire à l’attention du pouvoir. « J'ai été premier secrétaire du PS, a ainsi rappelé Martine Aubry samedi, depuis une assemblée de la fédération du Nord, à laquelle était présent le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis. On fait l'unité en parlant du fond, on ne fait pas l'unité en disant "Unité, unité, unité". On fait l'unité sur un projet, on fait l'unité sur des valeurs, sur un sens et sur des réponses. » Avant de se prononcer « pour l'indépendance de chacun », au moment de voter ou non la confiance au gouvernement Valls 2. Pourtant, tout le monde reste encore dubitatif (au minimum), quant à un retour de celle qui incarne à merveille le rassemblement unitaire de cette gauche critique du gouvernement, mais qui incarne aussi toutes ses incertitudes.

Alors, faute d’imam sortant de sa cachette, ses proches demandent a minima que « les réunions de groupe PS ne soit plus un lieu où à chaque vote, c’est “soumission ou apocalypse” », selon les termes de Jean-Marc Germain. Ou ils exigent « la fin de cette période où la gauche ne pourrait pas se parler », comme Christian Paul. Ce dernier défend aussi « la nécessité d’un plan d’urgence sociale » qu’il souhaiterait voir mis en œuvre à l’Assemblée par la majorité parlementaire, autour de dispositifs fiscaux favorisant le pouvoir d’achat, d’une réelle conditionnalité de l’octroi du CICE (Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) aux entreprises, notamment en matière de création d’emplois, ou d’une nouvelle loi bancaire.

Inauguration du stand du Front de gauche à la fête de l'Huma, avec les porte-parole de chaque parti, le 12 septembre 2014Inauguration du stand du Front de gauche à la fête de l'Huma, avec les porte-parole de chaque parti, le 12 septembre 2014 © S.A

Mais aucun de ces frondeurs socialistes ne sait vraiment au bout de combien d’avertissements ils pourraient passer au blâme du gouvernement Valls. Et c’est ce qui irrite, ou du moins ne convainc pas, les sceptiques du Front de gauche. Au PG, on continue ainsi à afficher son désaccord stratégique. Et on martèle la nécessité de « ne plus s’allier au système libéral », c’est-à-dire au PS, comme l’a scandé Éric Coquerel à la tribune du débat unitaire de la fête de l’Huma.

Si on se plie de bonne grâce aux mises en scène confortant la subsistance du Front de gauche, assurant son attachement au rassemblement né il y a désormais six ans, le cœur ne semble plus y être vraiment, comme à Montreuil la semaine passée (lire ici). « Les frondeurs ne sont pas des révolutionnaires, franchement, maugrée Jean-Luc Mélenchon. Disons qu’ils sont mignons, là où les autres sont moches. » Ce dernier a choisi de repartir au combat, façon de démentir ces médias qui se seraient « réjouis trop vite » de ce qu’ils avaient interprété hâtivement comme une retraite.

Sans conteste, le héraut de l’autre gauche semble avoir digéré sa lassitude estivale et ce qu’il admet lui-même comme un échec stratégique, celui de ne pas être parvenu à dépasser le PS aux dernières européennes. Revigoré par un accueil chaleureux dans les allées de la fête (là où celui des deux dernières années était plus frais, voire tendu), enchaînant selfies bravaches et embrassades militantes, Jean-Luc Mélenchon veut regarder d’un air distant les discussions entre partis de gauche, car à son sens ce n’est plus là que ça se joue.

Jean-Luc Mélenchon pose pour un selfie, à la fête de l'Humanité, le 13 septembre 2014Jean-Luc Mélenchon pose pour un selfie, à la fête de l'Humanité, le 13 septembre 2014 © S.A

Au stand du Parti de gauche, il a prononcé un discours devant une foule nombreuse, débordant très largement dans les allées de la fête, et a assuré les « siens » qu’il ne « déserterai(t) jamais (son) poste de combat ». « On est dans un moment de reconstruction, confie-t-il ensuite à quelques journalistes. En ce moment, ça se cristallise sur la souveraineté populaire. »

Après le parti allemand Die Linke (« son échec nous a indiqué que créer un parti n’était pas la solution, c’est pour ça que nous avons continué de privilégier le Front »), les révolutions arabes (il a laissé la parole au candidat du Front populaire tunisien Hamma Hammami), la coalition grecque Syriza (dont il estime que « le besoin d’experts les a conduits à recycler des sociaux-démocrates en rupture »), Mélenchon louche désormais du côté de l’Espagne. Et du mouvement Podemos, parti en construction, issu du mouvement des Indignés. « Il y a plein de bolivariens dedans », glisse-t-il en allusion à une autre de ses références stratégiques internationales, celle des révolutions citoyennes sud-américaines (lire ici).

Devant le stand du Parti du gauche à la fête de l'Huma, lors du discours de Jean-Luc Mélenchon, le 13 septembre 2014Devant le stand du Parti du gauche à la fête de l'Huma, lors du discours de Jean-Luc Mélenchon, le 13 septembre 2014 © S.A

La souplesse et l’innovation de Podemos, qui a recueilli 8 % aux dernières européennes et envoyé cinq eurodéputés à Strasbourg et Bruxelles, sans même avoir créé encore de parti, cela rend admiratif Mélenchon. « Ils disent ce que je n’ai jamais osé dire », confie-t-il. Lui ne cache pas leur emprunter leur définition d’un nouveau clivage, surpassant gauche et droite, entre front du peuple et oligarchie. « Ils donnent la ligne d’une nouvelle confrontation », explique l’ancien candidat à la présidentielle, qu’il résume en une formule centrale, reprise aux Espagnols : « Le système n’a plus peur de la gauche, il a peur du peuple. »

Cette nouvelle approche ne convient pas franchement aux communistes, ainsi que l’explique Pierre Laurent : « Je vois l’idée que la gauche ne se relèvera pas de Hollande et Valls et qu'il faudrait donc faire autrement. Mais je n’y crois pas, car des millions de gens se retrouvent dans cet imaginaire, et cela reste un levier politique fort. Même s’il est vrai qu’ils ne mobilisent pas toutes les classes populaires, les partis restent un creuset de la démocratie, qu’on ne peut pas bazarder comme ça d’un coup. » En revanche, l’universitaire et “socialiste affligé” Philippe Marlière, qui a critiqué ce nouveau clivage dans un récent ouvrage collectif (lire ici), avoue son trouble sur la question, après en avoir longuement discuté avec deux des responsables de Podemos, venus à la fête de l’Huma. « Il faut que je cogite », sourit-il.

Pablo Bustinduy et Jorge Lago (Podemos) entourent Martine Billard, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014Pablo Bustinduy et Jorge Lago (Podemos) entourent Martine Billard, à la fête de l'Huma, le 13 septembre 2014 © S.A

Samedi matin, ces deux-là, Pablo Bustinduy et Jorge Lago, ont détaillé minutieusement, et dans un français impeccable, leur « renouvellement profond du récit, des méthodes et des pratiques » politiques, lors d’un débat sur le stand du PG. « Si l’on veut repolitiser la souffrance et la colère, il faut admettre que le clivage gauche/droite est rejeté et faire un pari audacieux, y a expliqué Bustinduy. Nous ne savons pas qui nous sommes exactement, ni quelle est l’exactitude de nos convergences sur ce que nous voulons, mais nous savons qui ils sont en face, et nous opérons une construction politique par rapport à ceux dont nous ne voulons plus. » Podemos serait alors « un parti fondé sur une hégémonie et non une idéologie, ajoute Lago, où l’on part du plus petit dénominateur commun pour rassembler au maximum, puis on élargit toujours un peu plus ».

Concrètement, ces indignés-là ont choisi d’abord de « briser un tabou à gauche » en créant en premier lieu « une structure purement électorale ». Ouvertes à qui le souhaitait, des primaires de désignation ont vu 150 candidats se présenter aux suffrages. Plus de 30 000 votants et plus d'une centaine de milliers d’adhérents plus tard, voici Podemos quatrième force du pays, devant le partenaire traditionnel de la gauche radicale européenne, Izquierda unida.

Cet éloge de l’action dépassant les questions de chapelles plaît à Mélenchon, qui se désespère régulièrement des manques d’audace ou temporisations de ses alliés communistes. « Tout est figé, alors on laisse ceux qui veulent se retrouver autour d’une table pendant six mois, un an, deux ans… Nous, on agit et on voit, dit Alexis Corbière, dirigeant du PG. Si ça ne marche pas, tant pis, au moins on aura essayé. »

Son Podemos à lui, ce sera le « m6r », pour Mouvement pour une VIe République. Une page internet vient d'être créée, recueillant 16 000 signatures en deux jours, assure-t-il, sans compter celles obtenues dans les allées de la fête. Là encore, il s’inspire de l’expérience espagnole, et promet « un réseau social totalement horizontal, sans chefs ni cartes d’adhérents », capable de s’autogérer pour préparer les esprits à la révolution citoyenne, et appliquant « la démocratie la plus directe possible ». Pour bien montrer qu'il entend faire différemment, le logo n'a plus rien à voir avec le graphisme mélenchonien. Ni rouge, ni vert, le logo du « m6r » est jaune et orange, et aussi un peu bleu, ressemblant à un dessin enfantin de soleil ou d'étoile.

Un stand de signatures de soutien au mouvement pour la VIe République, à la fête de l'Huma, le 12 septembre 2014Un stand de signatures de soutien au mouvement pour la VIe République, à la fête de l'Huma, le 12 septembre 2014 © S.A

Lors de son discours, il a cherché à donner corps à l’enjeu d’une constituante, face à ceux qui jugent « trop abstraite » son idée. S’inscrivant dans l’histoire des républiques précédentes, « qui ont toujours servi à sortir du monarchisme, de l’empire ou du pétainisme », il voit sa VIe République comme l’outil « pour sortir du néolibéralisme qui détruit la démocratie pour pouvoir fonctionner ».

À ses yeux, il s’agit de « combiner stabilité des institutions et capacité d’intervention populaire ». Il évoque le « référendum révocatoire » afin de sanctionner des élus en cours de mandat, mais voit surtout la VIe République comme « un mot d’ordre social », constitutionnalisant « la démocratie dans les entreprises », « droit de préemption coopératif et ouvrier » en cas d’abandon d’un site par un propriétaire, élection « vraiment représentative pour le patronat », inscription de droits fondamentaux tels que « le partage, la citoyenneté, l’humanité universelle » ou « règle verte », sorte de règle d'or écologique.

Et puis, Mélenchon ne peut s’empêcher de glisser malicieusement en marge de la tribune, combien un recentrage de son action politique sur la constituante permettrait de lever un désaccord inconscient avec les communistes. « On a un cadavre dans le placard sur le sujet, dit-il en souriant. En 1917, la constituante a été dispersée par les bolcheviks… » Façon de convoquer l’histoire pour enfoncer un coin dans l’attitude dubitative des communistes français, pourtant bien lointains héritiers de la révolution d’Octobre…

Peut-être pour la première fois de sa longue carrière politique, Mélenchon ne sait-il pas où il va, n’a pas planifié son affaire plus que ça, et semble se réjouir de sauter dans l’inconnu, loin des tergiversations d’appareils. « Je ne sais pas comment ça marche, mais les camarades de Podemos vont nous l’expliquer et nous donner leurs outils. Je ne sais pas si on va y arriver, mais venez les gens, prenez le boulot en main, parce que moi, je sature ! » a-t-il lancé au micro.

Quand on lui demande quelles initiatives vont être prises, il parle d’agiter les réseaux sociaux, « avant de voir comment on peut passer du virtuel à la rue ». S’il évoque en passant la possibilité d’une nouvelle marche en novembre, pour le mi-mandat de François Hollande, pour qui les mots sont toujours aussi durs (« mais c’est devenu presque doux par rapport à ce que disent désormais les socialistes eux-mêmes »), il paraît persuadé que tout peut passer par Internet. Il dit ainsi regarder vers Avaaz, un site de pétitions et de mobilisations qui l’intrigue aussi fortement, et rappelle son intérêt ancien pour « l’école de formation de masse » qu’est devenu le numérique. « Quand j’étais jeune, on était fier d’avoir tiré un tract à 2 000 exemplaires, dit-il. Aujourd’hui, entre mon blog, twitter et Facebook, on s’adresse à des centaines de milliers de personnes. »

Quand on souligne que certains fondamentaux de Podemos ne semblent toutefois pas aisément transférables dans la gauche, comme la méthode de primaires archi-ouvertes pour les investitures (un exercice auquel le Front de gauche dans son entier a toujours été hostile), ou encore le profond renouvellement du personnel politique (majoritairement trentenaire et non-professionnel de la politique), il acquiesce, tout en faisant remarquer que « former de nouveaux militants prend du temps ». Mais ce samedi à la fête de l'Huma, il ne semble pas vouloir déjà penser à tout cela : « Il va falloir s’habituer à ce nouvel angle, comme il va falloir s’accorder avec les communistes. Mais de toute façon, soit on continue comme avant et on se fera dégager, soit on y arrive. » En aura-t-il assez et cela sera-t-il suffisant pour ouvrir un nouveau « cycle ascendant », comme il dit ? Lui-même ne le sait pas, mais il semble au moins y prendre du plaisir.

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Manuel Valls vers un clivage droite-droite ?

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Politiquement, cette décision est illisible. Elle ressemble à un couac. Elle s’inscrit dans le débat sur les cinquante milliards d’économies à trouver pour financer le pacte de responsabilité. À l’origine, le gouvernement avait décidé de geler toutes les retraites, avant de faire une concession à son aile gauche, pour obtenir son vote à l’Assemblée. Les pensions de moins de 1 200 euros par mois seraient épargnées, et seraient donc augmentées en octobre. Et voilà qu’à la veille d’un vote encore plus névralgique, et au lendemain de la polémique sur les “sans-dents”, la concession du printemps est balayée avant l’automne, au nom cette fois du recul de l’inflation.

À gauche, les réactions ont été immédiates. À la Fête de l’Huma, le Parti de gauche, le PC, et bon nombre des frondeurs socialistes, même en désaccord sur la stratégie, ont dénoncé ensemble l’attaque sur les revenus des plus faibles et, encore une fois, la trahison de la parole donnée. La pauvre Marisol Touraine a eu beau s’époumoner pour expliquer que le gel était en fait une forme de réchauffement, et la baisse apparente une hausse relative, il a fallu que Jean-Marie Le Guen monte au créneau pour confirmer la décision, tout en promettant son retrait par le biais d'un coup de pouce, sous certaines conditions.

Ce qui frappe, c’est le montant de l’économie : 150 millions d’euros sur le budget de la France, c’est-à-dire à peu près rien par comparaison avec le coût politique, sachant que 6 millions de Français au seuil de la pauvreté sont concernés. Pour un gouvernement porté au pouvoir par un électorat de gauche, donc un exécutif qui se réclame des plus modestes, le symbole est accablant.

Il est d’autant plus lourd qu’il survient après le virage libéral du départ d’Arnaud Montebourg et de son remplacement par Emmanuel Macron. Et d’autant plus spectaculaire que le premier geste de Manuel Valls, confirmé dans ses fonctions, a été de lancer un “Je vous aime” aux patrons du Medef en échange d’une ovation debout, tandis que dans la foulée le ministre du travail pointait du doigt les chômeurs qui abuseraient de leurs indemnités.

Le choc n’était pas tant que le premier ministre veuille sortir de la dialectique du patron mécaniquement voyou, mais que précisément au même instant son ministre du travail puisse réduire, comme Nicolas Sarkozy en 2012, le cancer du chômage à un problème de chômeurs. D’un seul coup, la caricature du voyou s’inversait : ce n’était plus le patron qui pouvait être indélicat, c’était le chômeur qui abusait de son statut !

Là-dessus, comme pour boucler la boucle, Valérie Trierweiler a publié sa vengeance en accusant son ex-compagnon de mépriser les pauvres, et la première décision politique du nouveau gouvernement a donc été de faire savoir qu’il gèlerait les petites pensions.

De deux choses l’une.

Ou bien Manuel Valls ne sait plus où il habite, ni ce qu’il fait, et ces allers-retours sont le fruit de la panique provoquée par sa chute dans les sondages. Ou bien il maîtrise au contraire son discours, comme il a su gérer le départ de Montebourg, Hamon, et Filippetti. Il exprime une ligne politique, comme l’a fait Christophe Caresche sur Mediapart, la semaine dernière. Il a la conviction que la gauche française est finie, et doit être réinventée sur le modèle allemand ou anglais. Et il éprouve la certitude que cette réinvention dynamitera la droite, dont une partie voterait un jour pour lui.

La fin de la gauche, et la fin de la droite, qui serait réduite à l’extrême droite, le pari serait osé s’il était original, il n’est hélas pas nouveau. Ce rêve de dépasser la droite et la gauche traîne dans la Cinquième République depuis plus de cinquante-cinq ans, et seul Charles de Gaulle a pu s’en approcher pendant quelques années. Les autres, tous les autres, ont échoué avec pertes et fracas. Valéry Giscard d’Estaing et ses ‘“deux Français sur trois”, fracassé en 81, le rêve du Ni-Ni et de la France unie de François Mitterrand, tourné en eau de boudin en 1993, la fameuse fracture sociale de Jacques Chirac, évaporée en quelques mois, et l’ouverture de Nicolas Sarkozy, en 2007, débouchant sur une campagne au bord de l’extrême droite, en 2012.

Manuel Valls et François Hollande espèrent sans doute, au nom de la mondialisation, dépasser à leur tour le clivage gauche-droite, qui remonte à la Révolution. Si la droite ne vote pas pour eux en 2017, ce qui paraît le plus probable (la droite ne vote jamais pour le candidat d’en face), le risque est grand qu’ils parviennent à leur fin. Ils dynamiteraient les schémas. La gauche de gouvernement disparaîtrait pour très longtemps. Elle laisserait la place à un autre clivage. Le clivage droite-droite.

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MediaPorte : «Un peu de "Hollande caressing" dans un monde de brutes»

Détournements au Sénat: la tirelire secrète de plusieurs sénateurs UMP

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Un tonneau des Danaïdes percé de toutes parts. Alors que le Sénat déverse plusieurs millions d'euros par an dans les caisses du groupe UMP pour financer ses travaux parlementaires, une partie de cet argent public a fuité sur les comptes personnels de sénateurs UMP grâce à d'ingénieux canaux de dérivation que la justice est en train de mettre au jour, et sur lesquels Mediapart a enquêté.

Selon l'un des circuits utilisés, des fonds du groupe UMP sont allés dans le plus grand secret alimenter une association baptisée URS (Union républicaine du Sénat, structure quasi fantoche au service d'anciens giscardiens et centristes), qui les a redistribués à certains de ses membres sous forme de chèques ou d'espèces, sans contrepartie connue.

L'hémicycle du SénatL'hémicycle du Sénat © Reuters

La justice soupçonne que cet argent, ainsi "blanchi", ait pu constituer un complément de salaire dans certains cas, de surcroît non déclaré aux impôts.

D'après nos informations, les principaux élus UMP bénéficiaires devraient être auditionnés en rafale d'ici quelques semaines (de même que certains hauts fonctionnaires de la maison), dans le cadre d'une information judiciaire ouverte sur de possibles faits de « détournements de fonds publics », d'« abus de confiance » et de « blanchiment », confiée aux juges d'instruction parisiens René Cros et Emmanuelle Legrand (dévoilée en mai dernier par Le Parisien).

Après les révélations de cet été sur les dérives au sein du groupe UMP de l'Assemblée nationale (au profit de Bygmalion notamment), cette affaire sème un vent de panique au palais du Luxembourg, à quelques encablures des sénatoriales du 28 septembre qui devraient redonner la majorité à la droite, et rappelle l'urgente nécessité d'instaurer la transparence sur les dépenses des groupes parlementaires.

Grâce à des sources proches de l'enquête, Mediapart a pu reconstituer une partie de la liste des sénateurs UMP destinataires de chèques douteux de l'URS signés entre fin 2009 et début 2012, dont l'addition avoisinerait les 200 000 euros :

  • Jean-Claude Gaudin (Provence-Alpes-Côte-d'Azur), l'actuel patron du groupe UMP du Sénat et maire de Marseille, a ainsi encaissé 24 000 euros en six chèques
  • Roland du Luart (Pays-de-la-Loire), vice-président de la commission des finances, a bénéficié de 27 000 euros en six chèques
  • Hubert Falco (Paca), maire de Toulon et ancien secrétaire d’État sous la présidence Sarkozy, a touché 12 400 euros
  • René Garrec (Basse-Normandie), membre du Comité de déontologie parlementaire du Sénat, a empoché 12 000 euros en trois chèques
  • Gisèle Gautier (Loire-Atlantique), sénatrice de 2001 à 2011, ancienne présidente de la Délégation aux droits des femmes, a bénéficié de presque 12 000 euros
  • Jean-Claude Carle (Rhône-Alpes), vice-président du Sénat et trésorier du groupe UMP, a reçu 4 200 euros
  • Joël Bourdin (Haute-Normandie), membre de la commission interne chargée de contrôler les comptes du Sénat, a été gratifié de 4 000 euros
  • Idem pour Ladislas Poniatowski (Haute-Normandie)
  • Gérard Longuet (Meuse), ancien ministre de la Défense du gouvernement Fillon et ancien président du groupe UMP, apparaît pour 2 000 euros
  • De même que Gérard Dériot (Auvergne)

Le fondateur et président de l'URS, le sénateur UMP Henri de Raincourt, aurait carrément bénéficié, à un moment donné, d'un virement bancaire de 4 000 euros par mois, si l'on en croit Le Canard enchaîné. Cet ancien ministre du gouvernement Fillon a tout bonnement domicilié l'URS dans son château de l'Yonne – où il emploie par ailleurs son épouse comme assistante aux frais du Sénat. D'après nos informations, son plus fidèle collaborateur, Michel Talgorn, a pour sa part encaissé 25 000 euros de chèques de l'URS en 2011 et 2012.

Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement FillonLe sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon © Reuters

À ces montants, il faut encore ajouter 112 000 euros d'espèces retirées des caisses de l'URS par le secrétaire de l'association en deux ans, dont les policiers de la BRDA (Brigade de répression de la délinquance astucieuse) tentent d'identifier le(s) ultimes bénéficiaire(s).

Depuis des mois, les juges s'efforcent surtout de qualifier ces faits pénalement : peut-on conclure à un « détournements de fonds publics » au détriment du groupe UMP ? À un « abus de confiance » au préjudice de l'URS ? Dans les rangs de l'UMP, on se réfugie derrière l'article 4 de la Constitution, qui prévoit que les groupes parlementaires « exercent leur activité librement ». Sous-entendu : le groupe UMP avait tout loisir de redistribuer son argent public à sa guise, dans l'opacité la plus totale !

De fait, aucune loi n'oblige les « groupes parlementaires » à publier leurs comptes ni même à les faire certifier, à l'inverse des partis politiques. En 2012, le Sénat a ainsi alloué 3,7 millions d'euros de subventions au groupe UMP, en théorie pour couvrir ses dépenses de fonctionnement (emplois de collaborateurs, frais de communication ou réunion, etc.), en complément des cotisations versées par les élus (un million d'euros par an). Même en interne, le culte du secret est tel que le trésorier du groupe UMP, Jean-Claude Carle, n'a jamais fait la moindre présentation des comptes à ses collègues.

Interrogés par Mediapart, ceux qui ont encaissé ces chèques de l’URS optent pour le silence (Gaudin, du Luart...) ou avancent des explications hasardeuses – sinon sur le plan pénal, en tout cas sur le plan éthique. Ainsi Joël Bourdin tient-il un discours pour le moins alambiqué : « Je crois que j'ai retrouvé le fil, nous dit-il par téléphone, après quelques heures de réflexion. C'est le remboursement d'une vieille dette de l'UDF à mon égard, d'avant la création de l'UMP [en 2002]. Ça correspondait à des repas avec des élus, des meetings, des choses comme ça, que l'UDF devait me prendre en charge. Quand mon parti, l'UDF, s'est fondu dans l'UMP en 2002, je me suis retrouvé chou blanc. Depuis, je râlais au groupe UMP du Sénat, mais ils mégotaient. Le groupe a fini par me rembourser mes 4 000 euros en 2011. » Une dizaine d'années plus tard ?! Et d'oser : « C'est un cheminement logique... »

Loin de là, en réalité. Quand bien même l'élu conservait-il une créance à l'égard de son parti (UDF, puis UMP), c'était au parti de la régler sur ses propres deniers, pas au groupe UMP du Sénat. Que vient faire l'argent de la haute chambre dans cette histoire ? « Je n'ai pas cherché à comprendre, balaye Joël Bourdin. C'est de l'argent qu'on me devait, je n'allais pas faire la fine bouche pour savoir qui payait ! » A-t-il déclaré cette somme aux impôts en 2012 ? « Pour moi, ça ne correspondait pas à un revenu mais à la restitution d'une charge, rétorque Joël Bourdin. Il est donc probable que non. »

Hubert Falco se montre plus direct pour justifier ses chèques de l'URS. « Je crois que je touchais de l'ordre de 1 000 euros par mois. Ça correspond à un complément d'indemnité que nous attribuait le groupe UMP du Sénat », avance sans ciller le sénateur et maire de Toulon, comme une évidence.

Hubert Falco, le sénateur et maire de ToulonHubert Falco, le sénateur et maire de Toulon © Reuters

En plus de son salaire de sénateur (indemnité de base de 7 100 euros brut), de son enveloppe de 7 500 euros mensuels pour le recrutement d'assistants (le « crédit collaborateurs ») et de son « indemnité pour frais de mandat » officielle (6 000 euros net par mois versés par le Sénat pour couvrir les dépenses liées à l'exercice du mandat), Hubert Falco bénéficiait donc d'une rallonge secrète du groupe UMP, qui transitait par l'URS. « Ça me servait dans l'exercice de mon mandat », jure le sénateur, démentant toute dépense d'ordre privé, assurant détenir des « notes de frais ». « Ce sont des chèques qu'on encaissait tout naturellement, conclut-il. Je plaide la bonne foi, je ne pense pas que ce soit irrégulier. »

« Les groupes sont libres de faire ce qu'ils veulent de leur argent une fois qu'ils l'ont encaissé, argue son collègue Gérard Dériot, l'un des trois questeurs du Sénat (ces élus chargés par leurs pairs de gérer le budget de la maison). C'est comme un fonctionnaire : une fois qu'il a touché l'argent de l’État, il peut le dépenser librement ! » Lui-même a été gratifié d'un petit chèque par l'URS. « C'est allé au fonctionnement de ma permanence dans mon département », certifie Gérard Dériot. L'a-t-il déclaré aux impôts ? « En toute honnêteté, ça m'étonnerait. » A posteriori, pense-t-il qu'il aurait dû ? « J'en sais rien, oui, sans doute. »

Nos questions finissent par l'agacer : « Je ne suis pas contre la transparence, mais les élus se retrouvent cloués au pilori en permanence. Vous voudriez qu'on ne gagne rien, qu'on soit là pour la gloire ? Vous nous préparez une magnifique dictature – je dis ça pour la blague, hein. En réalité, vous savez, on y met souvent de notre poche. »

René Garrec, lui, propose encore une autre explication à ses chèques de l'URS, assez ahurissante. On découvre, en l'écoutant, que certains sénateurs UMP qui n'épuisaient pas leur « crédit collaborateurs » offraient leurs "restes" au groupe UMP (c'est autorisé), mais obtenaient ensuite que le groupe reverse discrètement cet argent public (censé servir à l'emploi d'assistants) sur leur compte bancaire personnel – en transitant par l'URS en l’occurrence. Une ingénierie financière difficilement justifiable. « Je pense que c'était légal », souffle René Garrec, tout en admettant : « Ça aurait peut-être dû être clarifié... »

En fait, tout est fait pour embrouiller les curieux. Pour mieux cerner les règles – et traditions – relatives aux budgets des groupes, les enquêteurs se sont tournés vers un questeur socialiste, Jean-Marc Todeschini, auditionné avant les vacances d'été. Mais d'après nos informations, le "dignitaire" s'est bien gardé de dire quoi que ce soit susceptible d'enfoncer ses collègues UMP.

La tâche de la justice est d'autant plus complexe qu'en dehors de l'URS (et d'une association plus petite baptisée le Crespi et soupçonnée de faits similaires), le groupe UMP a lui-même distribué, en direct, des chèques et des espèces à certains sénateurs dans des conditions surprenantes. Une sacrée pagaille.

Les policiers sont ainsi tombés sur un chèque de 2 000 euros encaissé par Jean-Pierre Raffarin en 2011, que Jean-Claude Carle, son principal lieutenant au Sénat, déclare avoir signé comme trésorier du groupe UMP. De quel droit ? « Jean-Pierre Raffarin a effectué un voyage au Canada, où il a notamment donné des conférences, explique l’attachée de presse de l’ancien Premier ministre. Le groupe l’a défrayé d’une partie de ses frais sur place, parce qu’il a aussi organisé des réunions avec des Français de l’UMP. Ça n’a rien d’anormal. » « C'est le seul chèque qu'il a touché, j'ai vérifié », tient à préciser Jean-Claude Carle, entendu par les enquêteurs l’an dernier. Mais quel rapport avec le groupe UMP du Sénat ? Avec le travail parlementaire ?

Jean-Pierre Raffarin et Gérard Larcher, candidats à la présidence du Sénat fin septembreJean-Pierre Raffarin et Gérard Larcher, candidats à la présidence du Sénat fin septembre © Reuters

Au passage, le trésorier reconnaît que « le groupe UMP a régulièrement pris à sa charge des frais de mission de sénateurs, de réunions, y compris à l'étranger ». Étaient-ils seulement remboursés sur factures ? « Pas toujours, non... » Comment vérifier qu'il s'agissait d'actions politiques ? Sur quels critères ses aides étaient-elles distribuées ? « En fonction de l'ancienneté, de l'implication... » En clair, à discrétion. Certains sénateurs UMP, pas au courant, n'ont d'ailleurs jamais empoché un centime par ce biais.

« Depuis les articles de presse », Jean-Claude Carle affirme avoir désormais stoppé les versements directs aux sénateurs, « sauf pour des frais parfaitement justifiés avec des factures ».

Questionné, il admet aussi avoir distribué des chèques à l'occasion d’élections sénatoriales passées, pour soutenir des « sortants » en campagne, voire des impétrants n'ayant jamais mis un pied au Sénat. « Entre 7 000 et 10 000 euros par candidat », calcule Jean-Claude Carle, qui confirme, quand on lui demande, que l'ancien président du Sénat Gérard Larcher en a lui-même bénéficié (ce dernier n'a pas retourné nos appels).

Il faut dire que jusqu’à présent, aucune loi n'encadrait le financement des campagnes sénatoriales, à l'inverse des législatives, présidentielles ou cantonales. Une exception enfin corrigée pour le scrutin du 28 septembre.

La justice n'en a pas fini de démêler toute cette tuyauterie, de distinguer les faits délictuels et le reste – pas toujours louable mais pas forcément répréhensible pénalement. Jean-Claude Carle pourrait bien sûr faciliter la tâche des juges en transmettant toute la comptabilité du groupe, mais s'y refuse. « Il y a l'article 4 de la Constitution, dit-il. Je n'ai pas à fournir les comptes. »

En plein cœur de l’été, le bureau du Sénat, composé de toutes les tendances politiques, a fini par publier un communiqué en réaction à cette affaire : « Les aides financières consenties (aux groupes politiques) par le Sénat seront désormais exclusivement destinées aux dépenses nécessaires à l’activité des groupes. » Une forme d'aveu.

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Nathalie Chabanne, députée PS : « Si la confiance n'est pas votée, il y aura une dissolution »

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Le 8 avril, la députée socialiste Nathalie Chabanne (Pyrénées-Atlantiques) faisait partie des onze députés socialistes qui s'étaient abstenus sur la déclaration de politique générale de Manuel Valls. Cinq mois et un remaniement plus tard, cette jeune élue de 41 ans, qui appartient à l'aile gauche du PS, s'apprête à faire de même ce mardi 16 septembre, alors que le Premier ministre sollicite à nouveau la confiance de sa majorité. Une vingtaine de ses collègues socialistes pourraient l'imiter. Entretien.

Que voterez-vous demain ?

Je me dirige vers une abstention. Rien dans le discours actuel du Premier ministre ni dans les annonces du gouvernement ne me pousse à un vote positif. Je n'irai pas non plus vers un vote contre, car je crains qu'il y ait une dissolution dont on nous rendrait responsables. Attention, que ce soit clair : je n'ai pas peur pour mon poste, c'est le cadet de mes soucis. Mais je crains l'explosion du PS qui en découlera. Je crains que l'on ne nous pointe du doigt, sur le thème : « Si nous n'arrivons pas à gouverner c'est à cause de ces "frondeurs", ces "irresponsables", c'est à cause d'eux que la droite revient." » Si nous ne votons pas la confiance, il y aura une dissolution. Même si elle n'est pas automatique, François Hollande ne nommera pas un troisième premier ministre. Et je ne veux pas porter la responsabilité de faire revenir au pouvoir une droite totalement décomplexée. Si la droite revient, elle fera pire que ce que fait aujourd'hui Manuel Valls.

Mais si vous n'êtes pas d'accord, pourquoi ne votez-vous simplement pas contre demain ? Votre « Retenez-moi ou je fais un malheur » permanent est-il tenable ?

De nombreux militants, même les plus en colère, estiment que notre légitimité ne passe pas forcément par un vote négatif. Mais je comprends parfaitement cette position qui, au-delà du PS, est aussi exprimée par des électeurs de François Hollande en 2012.

Nathalie ChabanneNathalie Chabanne © DR

Jean-Luc Mélenchon, par exemple, vous a de nouveau ce week-end taxés de « couteaux sans lame »

Oui. Je l'entends. Moi-même je me suis interrogée sur le sens de mon abstention. À vrai dire, je me suis même interrogée sur le sens de ce vote : nous avons déjà voté il y a cinq mois, je ne vois pas l'utilité de refaire un vote de confiance.

Y a-t-il des pressions avant le vote de demain ?

J'attends de voir demain combien nous serons à nous abstenir. Il ne faut pas perdre de vue les coups de fil que les uns et les autres nous allons recevoir, plus ou moins aimables, d'ici demain. Moi j'ai été appelée ce week-end, mais ils connaissent déjà ma position ! (rires) Donc je ne fais pas partie de ceux sur lesquels s'exercent des pressions !

Sur quoi les coups de pression portent-ils : de futures investitures, des places au sein du PS, la menace de la dissolution ?

Personnellement, je n'ai pas entendu parler des investitures. Mais l'argument de la dissolution est souvent employé : c'est faire peur, en jouant sur la dramaturgie de la situation actuelle. On nous dit : "Tu vas provoquer le retour de la droite, et donc d'une politique encore plus dure pour la population."

Finalement, Manuel Valls et François Hollande n'ont-ils pas réussi leur pari ? Vous critiquez beaucoup, mais sans jamais passer à l'acte...

Il est vrai que nous n'arrivons pas toujours à faire entendre nos propositions alternatives concrètes et pouvons donner le sentiment de nous opposer au gouvernement par idéologie. Au départ, nous avons voulu exprimer notre désaccord sur la ligne économique. Mais nous n'avons pas voulu ajouter de la discorde en formulant des propositions alternatives. Et au sein des "frondeurs", nous n'étions pas tous d'accord. Mais désormais, des alternatives, nous en avons. Or de nombreux médias ne cherchent pas à les connaître. Quand on vous traite de « cigales » dépensières en opposition aux « fourmis » sérieuses du gouvernement, je trouve ça décevant de la part des journalistes ! Avant de nous traiter d'irréalistes, d'affreux gauchos et d'utopistes, que l'on regarde ce que nous proposons sur le fond ! Nous sommes les porte-voix de ce que ressentent nombre de militants. Des porte-voix qui s'égosillent ? Peut-être. Mais ce débat est indispensable. Le PS a toujours fonctionné comme ça. « Un homme, une politique, une seule voix », ce n'est pas la solution pour avancer ! J'ai l'impression qu'on veut réduire le débat au sein du parti. Mais beaucoup de militants sont attachés à la confrontation des idées.

Justement, quelles alternatives proposez-vous ?

Peu à peu, nous avons réussi à nous mettre d'accord sur l'idée qu'il faut répartir autrement les 41 milliards d'économies. Nous faisons par ailleurs une priorité de la question des déficits. Au niveau de l'Union européenne, il faut remettre frontalement en cause la politique bruxelloise en affirmant que la réduction de déficits imposée par Bruxelles est une catastrophe qui mène nos États vers l'austérité. La France doit être en pointe et beaucoup plus offensive. Il faut aussi d'urgence un plan de relance de l'activité. Je n'ai rien contre l'entreprise, mais les propositions du Medef ce lundi matin dans la presse (réduire les jours fériés, toucher au Smic, ndlr) sont inacceptables.

Est-ce une provocation de la part du Medef ?

C'est surtout le programme sur lequel Pierre Gattaz a fait campagne. Il est en train de mener une vraie offensive sur ces thèmes. En cela, c'est beaucoup plus dangereux qu'une simple provocation.

Mais ces idées ont aussi le vent en poupe du côté de l’Élysée et de Matignon, non ?

Oui. Mais c'est oublier que notre maillage industriel, ce sont d'abord des PME, leurs patrons et leurs salariés. Ils se battent pour conserver l'emploi et leur savoir-faire alors qu'ils sont parfois en situation difficile, souvent à cause des grandes entreprises d'ailleurs ! Il est donc de notre devoir de les soutenir, et vite !

Manuel Valls semble avoir d'autres idées en tête, de la remise en cause des seuils sociaux à un assouplissement du travail dominical.

Oui. Cela dit on n'entend plus beaucoup parler d'ordonnances pour faire passer ces dispositions, comme c'était le cas fin août. Il semble qu'on en revienne à un processus législatif plus classique. Et tant mieux ! Je veux bien tout entendre, mais le recours aux ordonnances serait quand même le symptôme extrême des limites de la Cinquième République…

Que vous dit-on dans votre circonscription des affaires récentes, de Thomas Thévenoud au livre de Valérie Trierweiler?

Le livre, on ne m'en parle plus car les gens ont compris que c'était une revanche personnelle. Mais l'affaire Thévenoud, oui, on en parle beaucoup car nos concitoyens sont en train de recevoir leurs feuilles d'impôt, et ils voient ce député qui ne déclarait pas ses revenus et mettait du temps à payer ses impôts. La solution, c'est une vraie réforme fiscale : les gens sont d'accord pour payer des impôts, mais ils ne voient plus à quoi ils servent. Ils voient leurs impôts augmenter, mais ne voient pas de résultats. Ils savent que l'on aide les entreprises grâce à ces impôts, mais ne les voient pas embaucher. Sur ce thème, nous sommes confrontés de la part de nos électeurs à des remarques assez assassines, mais justifiées. Cette affaire Thévenoud est très grave. J'ai été élue députée en 2012. Certains forment en nous, les jeunes parlementaires, des espoirs de nouvelles pratiques politiques. Que cette affaire concerne un jeune parlementaire me désole.

Attendez-vous encore quelque chose du discours de Manuel Valls, mardi à l'Assemblée, ou de la conférence de presse de François Hollande, jeudi ?

Je n'oublie quand même pas que le pacte de responsabilité a été annoncé lors de la dernière conférence de presse ! (rires) Donc, oui, il faudra écouter ! Mais évidemment, je crains d'être déçue. Ça ne m'empêche pas d'espérer. J'aimerais déjà que le Premier ministre laisse aux parlementaires la plénitude de nos fonctions et garantisse notre droit d'amender les textes.

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Mali, Centrafrique, Irak: François Hollande, le président qui aime faire la guerre

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C’est la troisième fois en deux ans. En engageant militairement la France en Irak, François Hollande confirme son statut de président le plus interventionniste de la Ve République en si peu de temps. À chaque fois, le même argument est avancé : la lutte contre le terrorisme, que ce soit au Mali et en Centrafrique depuis 2013, aujourd’hui en Irak ou demain, probablement, en Libye. À tel point que le président français est régulièrement taxé de néoconservateur, et accusé de s’aligner sur les États-Unis.

Lundi, à l’occasion de la conférence sur la paix et la sécurité en Irak, organisée à Paris avec une trentaine d’États représentés, le chef de l’État français a de nouveau défendu la nécessité de frapper militairement l’État islamique (EI), que les autorités françaises n’appellent plus désormais que par son acronyme en arabe, Daech, pour lui dénier le droit de constituer un État. « Les États-Unis ont agi pour former une large coalition. La France y prendra sa part », a-t-il expliqué.

Un peu plus tôt, Jean-Yves Le Drian avait indiqué dans un discours devant les forces françaises positionnées aux Émirats arabes unis : « Soyez donc prêts à devoir intervenir. » Il a également précisé que « dès ce matin (lundi, ndlr), de premiers vols de reconnaissance auront lieu avec l’accord des autorités irakiennes et émiriennes ». Depuis le mois d’août, la France a également « livré plus de 60 tonnes de matériel » dans le cadre de son opération humanitaire en Irak. Elle devrait prochainement fournir du matériel militaire aux combattants irakiens, notamment kurdes, qui luttent contre l’État islamique.

Sans surprise, François Hollande a surtout insisté lundi sur la nécessité de la lutte contre le terrorisme, qualifiée de « menace globale ». Même si la référence est involontaire, la rhétorique rappelle évidemment celle de George W. Bush et sa guerre globale contre le terrorisme. « Telle est la menace, elle est globale, la réponse doit donc être globale », a expliqué lundi François Hollande qui a rebaptisé la conférence « sur la paix et la sécurité en Irak, et contre le terrorisme ».

Il faut « punir tous ceux qui sont associés de près ou de loin » à l’EI, a-t-il également déclaré, avant de redire sa volonté de « punir les responsables ». « Punir », c’était déjà le terme, très contesté à l’époque, que le président français avait utilisé pour appeler à des frappes militaires contre le régime de Bachar al-Assad. Et comme il y a un an, Hollande est prêt à intervenir militairement sans mandat de l’Onu. Quant aux procédures françaises, il n’a, cette fois, même pas évoqué l’organisation d’un débat parlementaire.

Surtout, François Hollande a fait le lien entre l’intervention militaire en Irak et le risque terroriste qui pèse sur la France. « Alors que la France se tient prête dans ces moments décisifs pour sa sécurité, car c’est bien aussi la sécurité de la France que menace Daech, ce pseudo-État islamique », avait déjà déclaré depuis Abou Dhabi le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Une rhétorique déjà abondamment utilisée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui défend à l’Assemblée son projet de loi antiterroriste. « Nous faisons face à une menace inédite, par sa nature et par son ampleur. (…) Face à ce phénomène inédit, notre riposte est globale : nous combattons les terroristes à l'intérieur et à l'extérieur », a-t-il expliqué au JDD.

Selon Cazeneuve, la France fait face à un risque d’attentat : « Cette menace est diffuse. Et d'autant plus dangereuse. » « Nous sommes obligés de nous défendre parce que nous sommes au bout du fusil », juge également Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Un des principaux responsables de la lutte antiterroriste en France, Loïc Garnier, à la tête de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), a même affirmé lundi : « Aujourd'hui, nous n'en sommes plus à nous demander s'il y aura un attentat en France, mais quand. » À tel point que certains médias en sont à dresser un pseudo-portrait-robot du « prochain attentat terroriste en France ».

Là encore, le parallèle avec les États-Unis interroge. Bush avait résumé le pilier de sa doctrine par la phrase suivante : « Mener le combat contre l’ennemi chez lui avant qu’il ne puisse nous attaquer chez nous. » Cela a mené les États-Unis durant les années 2000 à développer le concept des « frappes préventives », les interventions dans des pays qui ne représentaient pas une menace immédiate (Irak, Pakistan) et, d’une manière générale, la permanence d’actions militaires aux quatre coins de la planète, de la Somalie au Waziristan.

L’Élysée et le Quai d’Orsay réfutent de façon virulente tout parallèle entre leur politique et celle de Bush. Si les États-Unis ont attaqué l’Irak sous prétexte d’une menace imaginaire (les armes chimiques), il s’agit cette fois, a expliqué en privé Laurent Fabius, de frapper à la demande de l’État irakien une menace avérée. Pour le chef de la diplomatie française, on assiste actuellement à un changement de paradigme international dans un monde qui se décompose.

Reste que la France est déjà engagée sur de nombreux terrains, au maximum sur ses capacités militaires, avec des résultats très contestés. Au Mali, l’opération Serval est devenue l’opération Barkhane. Le changement n’est pas uniquement sémantique puisque le théâtre d’opération des militaires français n’est plus le seul Mali, mais aussi les pays alentour : Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad. Si la logique antiterroriste est évidente, les djihadistes et les trafiquants de tous acabits qui leur sont associés passant aisément d’un territoire à l’autre, la question du mandat est confuse et la question politique assez faiblarde.

Contrairement à l’intervention malienne de janvier 2013 (officiellement à la demande du président de l’époque et sous la menace des combattants venus du Nord), les soldats français de Barkhane opèrent au nom d’accords bilatéraux avec les cinq pays concernés et donc avec des règles d’intervention qui changent d’une nation à l’autre. Quant à la gestion politique de cette crise qui affecte le Sahel, elle semble toujours au point mort.

« La crise politique malienne, à l’origine de l’affaissement de l’État qui a suscité l’intervention française, n’est absolument pas résolue, soupire un diplomate européen en poste à Bamako. Le président Ibrahim Boubacar Keita s’est coulé dans les habits de ses prédécesseurs et il traîne des pieds pour entreprendre les réformes ou renouer le dialogue avec les Touaregs. Quant à la formation de l’armée malienne par les Européens, on nous dit que cela va durer des années… »

Des soldats français au MaliDes soldats français au Mali © Reuters

Sur France Info, le général Palasset, en charge de l’opération Barkhane, parle d’une durée minimum de trois ou quatre ans. Connaissant les prévisions généralement optimistes des militaires dans ce domaine, il faut admettre que la France est réengagée lourdement et pour très longtemps dans cette partie du Sahel.

De plus, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a récemment appelé à « agir en Libye », estimant que Barkhane pourrait être amené à « monter vers la frontière libyenne ». La Libye est pourtant l’exemple d’une intervention militaire décidée sans réel accompagnement sur le long terme, qui finit par se retourner contre ses initiateurs. À la dictature libyenne a succédé un état de chaos qui menace de basculer dans une « beyrouthisation » de la capitale Tripoli.

Depuis le début de son mandat, François Hollande donne en tout cas le sentiment de céder aux sirènes néoconservatrices, du moins de se laisser aller à l’air du temps (lire notre enquête). Ou à un « interventionnisme libéral » assez désidéologisé, comme l’estime le chercheur Christian Lequesne, auteur d’un article récent sur la politique extérieure de la France. « Il y a aujourd’hui un assez grand consensus chez les diplomates français, de gauche comme de droite, pour dire que la coercition militaire fait partie des outils de la diplomatie. Depuis Nicolas Sarkozy, et aujourd’hui avec François Hollande, le vieux paradigme gaullo-mitterrandien n’est plus l’état d’esprit », explique-t-il à Mediapart.

François Hollande lundi, avec le président irakien Fouad MassoumFrançois Hollande lundi, avec le président irakien Fouad Massoum © présidence de la République

Un dernier diagnostic partagé par Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur. « On est dans la gestion de crise, sans donner de perspectives plus lointaines. Et on n’est plus du tout dans la tradition gaullo-mitterrandienne. Il s’agit plutôt d’une tendance occidentaliste, celle d’un Occident qui devrait affirmer ses valeurs, comme sous Nicolas Sarkozy », décrypte-t-il. Selon lui, une partie de l’opinion publique des pays arabes risque de percevoir la France comme étant à la remorque des États-Unis, dans une coalition où elle n’aurait que peu d’indépendance. D’autant plus que, selon Aubin de la Messuzière, la France a abdiqué tout rôle dans le conflit israélo-palestinien.  

En Irak, et peut-être même en Syrie, « notre rôle sera modeste, il s’agit d’un rôle d’appoint par rapport aux États-Unis », dit aussi François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran. Mais, insiste l’ex-diplomate, la France fait tout « pour se poser dans le champ médiatique comme une puissance motrice, à l’initiative ».

Selon plusieurs sources, Paris a demandé à Washington de conserver un minimum de marge de manœuvre. « Il y a deux choses qui inquiètent l’Élysée : la légitimité de l’intervention et le souci de ne pas trop dépendre des Américains », analyse un diplomate du Quai d’Orsay. Avant d’ajouter : « Pour la première, c’est réglé grâce à l’appel à l’aide du premier ministre irakien. Pour le deuxième, c’est plus compliqué : les Américains ont des moyens et des renseignements que nous n’avons pas. Il est donc délicat d’être complètement autonomes à leur égard, et en même temps, on ne veut pas se retrouver embarqué dans une guerre qu’on ne maîtrise pas» Une frappe française qui ferait des victimes civiles sur la base d’un renseignement américain aurait un effet dévastateur.

Mais sur le fond, précise encore ce diplomate qui se dit plus proche de l’UMP que du PS, « Hollande fait partie de cette génération de socialistes, comme Fabius, qui se veulent réalistes et décidés à dépasser ce qu’ils estiment être un vieux tropisme de gauche : le non-interventionnisme et le pacifisme ».

Si Barack Obama est apparu comme un « guerrier réticent », selon une expression que l’on retrouve de plus en plus dans la presse américaine, refusant de bombarder la Syrie en 2013 et se mobilisant contre l’État islamique sous la pression de la droite américaine, François Hollande semble même aimer se draper dans des habits martiaux. Il avait ainsi déclaré, peut-être submergé par l’émotion lors de sa visite au Mali en février 2013 : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique, parce qu'à un moment une décision doit être prise, elle est grave, elle engage la vie d'hommes et de femmes. »

« Hollande est comme tous les présidents de la Ve République qui arrivent à l’Élysée », confiait il y a quelques semaines un général en retraite à qui l’on demandait si l’actuel président ne se précipitait pas un peu trop pour intervenir à l’étranger. « Il découvre que l’armée est une institution qui fonctionne au quart de tour et sans poser de questions. Il suffit de prendre une décision et, 48 heures plus tard, des centaines de soldats français interviennent à l’autre bout du monde avec généralement la plus grande efficacité. C’est très grisant d’appuyer sur un bouton et d’obtenir un résultat immédiat. »

Le président français espère aussi que son interventionnisme à l’étranger lui permette de conserver ce qui lui reste de popularité en France. Il sert en outre à exercer une pression supplémentaire sur les députés rétifs, qui hésitent à voter la confiance que demandera mardi à l’Assemblée le premier ministre Manuel Valls.

Plusieurs responsables de la majorité expliquent aussi depuis plusieurs jours que les débats sur la politique économique ne sont pas à la hauteur, alors que la France est sous la menace d’un attentat terroriste et qu’elle s’engage en Irak. « Il faut sortir de l’hémicycle : la France s’engage en Irak ; le président a besoin d’appuis sur la scène européenne et le FN est le troisième parti de France. L’enjeu du vote de confiance est à cette hauteur-là », affirmait récemment un proche de François Hollande. Pas sûr que la ficelle, grossière, soit non plus à la hauteur.

BOITE NOIREUn vif débat sémantique fait rage sur le nom de l’État islamique (EI), d’abord appelé État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et que les autorités françaises refusent désormais de désigner autrement que par l’acronyme en arabe Daech (ou Daesh, ou Da’ech). Quant au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, il ne parle plus que des « égorgeurs de Daech ».

« Vous avez parlé d'un prétendu “État islamique” : permettez-moi de revenir, un instant seulement, sur cette expression. Le groupe terroriste dont il s'agit n'est pas un État. Il voudrait l'être, il ne l'est pas, et c'est lui faire un cadeau que l'appeler “État”. De la même façon, je recommande de ne pas utiliser l'expression “État islamique”, car cela occasionne une confusion entre l'islam, l'islamisme et les musulmans. Il s'agit de ce que les Arabes appellent “Daech”, et que j'appellerai pour ma part “les égorgeurs de Daech” ! », a justifié Laurent Fabius devant le Parlement, comme l’a relevé Marianne.

Mais ce choix sémantique – récent de la part de la France – est contesté, y compris par des chercheurs spécialistes de la région. C’est par exemple le cas de Romain Caillet, qui considère que « l’acronyme Daech est un terme impropre et péjoratif, utilisé par les opposants à l’État islamique ». « Si en langue arabe il peut y avoir une légitimité à l’employer, son utilisation en français est clairement idéologique », explique-t-il.

À Mediapart, nous continuons à parler d’État islamique (EI), évidemment pas en signe de soutien avec ce groupe terroriste, mais par souci de cohérence dans notre couverture journalistique.

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Nathalie Chabanne (PS) : « Si la confiance n'est pas votée, il y aura une dissolution »

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Le 8 avril, la députée socialiste Nathalie Chabanne (Pyrénées-Atlantiques) faisait partie des onze députés socialistes qui s'étaient abstenus sur la déclaration de politique générale de Manuel Valls. Cinq mois et un remaniement plus tard, cette jeune élue de 41 ans, qui appartient à l'aile gauche du PS, s'apprête à faire de même ce mardi 16 septembre, alors que le premier ministre sollicite à nouveau la confiance de sa majorité. Une vingtaine de ses collègues socialistes pourraient l'imiter. Entretien.

Que voterez-vous demain ?

Je me dirige vers une abstention. Rien dans le discours actuel du premier ministre ni dans les annonces du gouvernement ne me pousse à un vote positif. Je n'irai pas non plus vers un vote contre, car je crains qu'il y ait une dissolution dont on nous rendrait responsables. Attention, que ce soit clair : je n'ai pas peur pour mon poste, c'est le cadet de mes soucis. Mais je crains l'explosion du PS qui en découlera. Je crains que l'on ne nous pointe du doigt, sur le thème : « Si nous n'arrivons pas à gouverner c'est à cause de ces "frondeurs", ces "irresponsables", c'est à cause d'eux que la droite revient." » Si nous ne votons pas la confiance, il y aura une dissolution. Même si elle n'est pas automatique, François Hollande ne nommera pas un troisième premier ministre. Et je ne veux pas porter la responsabilité de faire revenir au pouvoir une droite totalement décomplexée. Si la droite revient, elle fera pire que ce que fait aujourd'hui Manuel Valls.

Mais si vous n'êtes pas d'accord, pourquoi ne votez-vous simplement pas contre demain ? Votre « Retenez-moi ou je fais un malheur » est-il tenable ?

De nombreux militants, même les plus en colère, estiment que notre légitimité ne passe pas forcément par un vote négatif. Mais je comprends parfaitement cette position qui, au-delà du PS, est aussi exprimée par des électeurs de François Hollande en 2012.

Nathalie ChabanneNathalie Chabanne © DR

Jean-Luc Mélenchon, par exemple, vous a de nouveau ce week-end taxés de « couteaux sans lame »

Oui. Je l'entends. Moi-même je me suis interrogée sur le sens de mon abstention. À vrai dire, je me suis même interrogée sur le sens de ce vote : nous avons déjà voté il y a cinq mois, je ne vois pas l'utilité de refaire un vote de confiance.

Y a-t-il des pressions avant le vote de demain ?

J'attends de voir demain combien nous serons à nous abstenir. Il ne faut pas perdre de vue les coups de fil que les uns et les autres nous allons recevoir, plus ou moins aimables, d'ici demain. Moi j'ai été appelée ce week-end, mais ils connaissent déjà ma position ! (rires) Donc je ne fais pas partie de ceux sur lesquels s'exercent des pressions !

Sur quoi les pressions portent-elles: de futures investitures, des places au sein du PS, la menace de la dissolution ?

Personnellement, je n'ai pas entendu parler des investitures. Mais l'argument de la dissolution est souvent employé : c'est faire peur, en jouant sur la dramaturgie de la situation actuelle. On nous dit : "Tu vas provoquer le retour de la droite, et donc d'une politique encore plus dure pour la population."

Finalement, Manuel Valls et François Hollande n'ont-ils pas réussi leur pari ? Vous critiquez beaucoup, mais sans jamais passer à l'acte...

Il est vrai que nous n'arrivons pas toujours à faire entendre nos propositions alternatives concrètes et pouvons donner le sentiment de nous opposer au gouvernement par idéologie. Au départ, nous avons voulu exprimer notre désaccord sur la ligne économique. Mais nous n'avons pas voulu ajouter de la discorde en formulant des propositions alternatives. Et au sein des "frondeurs", nous n'étions pas tous d'accord. Mais désormais, des alternatives, nous en avons. Or de nombreux médias ne cherchent pas à les connaître. Quand on vous traite de « cigales » dépensières en opposition aux « fourmis » sérieuses du gouvernement, je trouve ça décevant de la part des journalistes !

Avant de nous traiter d'irréalistes, d'affreux gauchos et d'utopistes, que l'on regarde ce que nous proposons sur le fond ! Nous sommes les porte-voix de ce que ressentent nombre de militants. Des porte-voix qui s'égosillent ? Peut-être. Mais ce débat est indispensable. Le PS a toujours fonctionné comme ça. « Un homme, une politique, une seule voix », ce n'est pas la solution pour avancer ! J'ai l'impression qu'on veut réduire le débat au sein du parti. Mais beaucoup de militants sont attachés à la confrontation des idées.

Justement, quelles alternatives proposez-vous ?

Peu à peu, nous avons réussi à nous mettre d'accord sur l'idée qu'il faut répartir autrement les 41 milliards d'économies. Nous faisons par ailleurs une priorité de la question des déficits. Au niveau de l'Union européenne, il faut remettre frontalement en cause la politique bruxelloise en affirmant que la réduction de déficits imposée par Bruxelles est une catastrophe qui mène nos États vers l'austérité. La France doit être en pointe et beaucoup plus offensive. Il faut aussi d'urgence un plan de relance de l'activité. Je n'ai rien contre l'entreprise, mais les propositions du Medef ce lundi matin dans la presse (réduire les jours fériés, toucher au Smic, ndlr) sont inacceptables.

Est-ce une provocation de la part du Medef ?

C'est surtout le programme sur lequel Pierre Gattaz a fait campagne. Il est en train de mener une vraie offensive sur ces thèmes. En cela, c'est beaucoup plus dangereux qu'une simple provocation.

Mais ces idées ont aussi le vent en poupe du côté de l’Élysée et de Matignon, non ?

Oui. Mais c'est oublier que notre maillage industriel, ce sont d'abord des PME, leurs patrons et leurs salariés. Ils se battent pour conserver l'emploi et leur savoir-faire alors qu'ils sont parfois en situation difficile, souvent à cause des grandes entreprises d'ailleurs ! Il est donc de notre devoir de les soutenir, et vite !

Manuel Valls semble avoir d'autres idées en tête, de la remise en cause des seuils sociaux à un assouplissement du travail dominical.

Oui. Cela dit on n'entend plus beaucoup parler d'ordonnances pour faire passer ces dispositions, comme c'était le cas fin août. Il semble qu'on en revienne à un processus législatif plus classique. Et tant mieux ! Je veux bien tout entendre, mais le recours aux ordonnances serait quand même le symptôme extrême des limites de la Cinquième République…

Que vous dit-on dans votre circonscription des affaires récentes, de Thomas Thévenoud au livre de Valérie Trierweiler?

Le livre, on ne m'en parle plus car les gens ont compris que c'était une revanche personnelle. Mais l'affaire Thévenoud, oui, on en parle beaucoup car nos concitoyens sont en train de recevoir leurs feuilles d'impôt, et ils voient ce député qui ne déclarait pas ses revenus et mettait du temps à payer ses impôts. La solution, c'est une vraie réforme fiscale : les gens sont d'accord pour payer des impôts, mais ils ne voient plus à quoi ils servent. Ils voient leurs impôts augmenter, mais ne voient pas de résultats. Ils savent que l'on aide les entreprises grâce à ces impôts, mais ne les voient pas embaucher. Sur ce thème, nous sommes confrontés de la part de nos électeurs à des remarques assez assassines, mais justifiées. Cette affaire Thévenoud est très grave. J'ai été élue députée en 2012. Certains forment en nous, les jeunes parlementaires, des espoirs de nouvelles pratiques politiques. Que cette affaire concerne un jeune parlementaire me désole.

Attendez-vous encore quelque chose du discours de Manuel Valls, mardi à l'Assemblée, ou de la conférence de presse de François Hollande, jeudi ?

Je n'oublie quand même pas que le pacte de responsabilité a été annoncé lors de la dernière conférence de presse ! (rires) Donc, oui, il faudra écouter ! Mais évidemment, je crains d'être déçue. Ça ne m'empêche pas d'espérer. J'aimerais déjà que le premier ministre laisse aux parlementaires la plénitude de leurs fonctions et garantisse leur droit d'amender les textes.

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Mali, Centrafrique, Irak: Hollande, le président qui aime faire la guerre

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C’est la troisième fois en deux ans. En engageant militairement la France en Irak, François Hollande confirme son statut de président le plus interventionniste de la Ve République en si peu de temps. À chaque fois, le même argument est avancé : la lutte contre le terrorisme, que ce soit au Mali et en Centrafrique depuis 2013, aujourd’hui en Irak ou demain, probablement, en Libye. À tel point que le président français est régulièrement taxé de néoconservateur, et accusé de s’aligner sur les États-Unis.

Lundi, à l’occasion de la conférence sur la paix et la sécurité en Irak, organisée à Paris avec une trentaine d’États représentés, le chef de l’État français a de nouveau défendu la nécessité de frapper militairement l’État islamique (EI), que les autorités françaises n’appellent plus désormais que par son acronyme en arabe, Daech, pour lui dénier le droit de constituer un État. « Les États-Unis ont agi pour former une large coalition. La France y prendra sa part », a-t-il expliqué.

Un peu plus tôt, Jean-Yves Le Drian avait indiqué dans un discours devant les forces françaises positionnées aux Émirats arabes unis : « Soyez donc prêts à devoir intervenir. » Il a également précisé que « dès ce matin (lundi, ndlr), de premiers vols de reconnaissance auront lieu avec l’accord des autorités irakiennes et émiriennes ». Depuis le mois d’août, la France a également « livré plus de 60 tonnes de matériel » dans le cadre de son opération humanitaire en Irak. Elle devrait prochainement fournir du matériel militaire aux combattants irakiens, notamment kurdes, qui luttent contre l’État islamique.

Sans surprise, François Hollande a surtout insisté lundi sur la nécessité de la lutte contre le terrorisme, qualifiée de « menace globale ». Même si la référence est involontaire, la rhétorique rappelle évidemment celle de George W. Bush et sa guerre globale contre le terrorisme. « Telle est la menace, elle est globale, la réponse doit donc être globale », a expliqué lundi François Hollande qui a rebaptisé la conférence « sur la paix et la sécurité en Irak, et contre le terrorisme ».

Il faut « punir tous ceux qui sont associés de près ou de loin » à l’EI, a-t-il également déclaré, avant de redire sa volonté de « punir les responsables ». « Punir », c’était déjà le terme, très contesté à l’époque, que le président français avait utilisé pour appeler à des frappes militaires contre le régime de Bachar al-Assad. Et comme il y a un an, Hollande est prêt à intervenir militairement sans mandat de l’Onu. Quant aux procédures françaises, il n’a, cette fois, même pas évoqué l’organisation d’un débat parlementaire.

Surtout, François Hollande a fait le lien entre l’intervention militaire en Irak et le risque terroriste qui pèse sur la France. « Alors que la France se tient prête dans ces moments décisifs pour sa sécurité, car c’est bien aussi la sécurité de la France que menace Daech, ce pseudo-État islamique », avait déjà déclaré depuis Abou Dhabi le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Une rhétorique déjà abondamment utilisée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui défend à l’Assemblée son projet de loi antiterroriste. « Nous faisons face à une menace inédite, par sa nature et par son ampleur. (…) Face à ce phénomène inédit, notre riposte est globale : nous combattons les terroristes à l'intérieur et à l'extérieur », a-t-il expliqué au JDD.

Selon Cazeneuve, la France fait face à un risque d’attentat : « Cette menace est diffuse. Et d'autant plus dangereuse. » « Nous sommes obligés de nous défendre parce que nous sommes au bout du fusil », juge également Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Un des principaux responsables de la lutte antiterroriste en France, Loïc Garnier, à la tête de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), a même affirmé lundi : « Aujourd'hui, nous n'en sommes plus à nous demander s'il y aura un attentat en France, mais quand. » À tel point que certains médias en sont à dresser un pseudo-portrait-robot du « prochain attentat terroriste en France ».

Là encore, le parallèle avec les États-Unis interroge. Bush avait résumé le pilier de sa doctrine par la phrase suivante : « Mener le combat contre l’ennemi chez lui avant qu’il ne puisse nous attaquer chez nous. » Cela a mené les États-Unis durant les années 2000 à développer le concept des « frappes préventives », les interventions dans des pays qui ne représentaient pas une menace immédiate (Irak, Pakistan) et, d’une manière générale, la permanence d’actions militaires aux quatre coins de la planète, de la Somalie au Waziristan.

L’Élysée et le Quai d’Orsay réfutent de façon virulente tout parallèle entre leur politique et celle de Bush. Si les États-Unis ont attaqué l’Irak sous prétexte d’une menace imaginaire (les armes chimiques), il s’agit cette fois, a expliqué en privé Laurent Fabius, de frapper à la demande de l’État irakien une menace avérée. Pour le chef de la diplomatie française, on assiste actuellement à un changement de paradigme international dans un monde qui se décompose.

Reste que la France est déjà engagée sur de nombreux terrains, au maximum sur ses capacités militaires, avec des résultats très contestés. Au Mali, l’opération Serval est devenue l’opération Barkhane. Le changement n’est pas uniquement sémantique puisque le théâtre d’opération des militaires français n’est plus le seul Mali, mais aussi les pays alentour : Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad. Si la logique antiterroriste est évidente, les djihadistes et les trafiquants de tous acabits qui leur sont associés passant aisément d’un territoire à l’autre, la question du mandat est confuse et la question politique assez faiblarde.

Contrairement à l’intervention malienne de janvier 2013 (officiellement à la demande du président de l’époque et sous la menace des combattants venus du Nord), les soldats français de Barkhane opèrent au nom d’accords bilatéraux avec les cinq pays concernés et donc avec des règles d’intervention qui changent d’une nation à l’autre. Quant à la gestion politique de cette crise qui affecte le Sahel, elle semble toujours au point mort.

« La crise politique malienne, à l’origine de l’affaissement de l’État qui a suscité l’intervention française, n’est absolument pas résolue, soupire un diplomate européen en poste à Bamako. Le président Ibrahim Boubacar Keita s’est coulé dans les habits de ses prédécesseurs et il traîne des pieds pour entreprendre les réformes ou renouer le dialogue avec les Touaregs. Quant à la formation de l’armée malienne par les Européens, on nous dit que cela va durer des années… »

Des soldats français au MaliDes soldats français au Mali © Reuters

Sur France Info, le général Palasset, en charge de l’opération Barkhane, parle d’une durée minimum de trois ou quatre ans. Connaissant les prévisions généralement optimistes des militaires dans ce domaine, il faut admettre que la France est réengagée lourdement et pour très longtemps dans cette partie du Sahel.

De plus, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a récemment appelé à « agir en Libye », estimant que Barkhane pourrait être amené à « monter vers la frontière libyenne ». La Libye est pourtant l’exemple d’une intervention militaire décidée sans réel accompagnement sur le long terme, qui finit par se retourner contre ses initiateurs. À la dictature libyenne a succédé un état de chaos qui menace de basculer dans une « beyrouthisation » de la capitale Tripoli.

Depuis le début de son mandat, François Hollande donne en tout cas le sentiment de céder aux sirènes néoconservatrices, du moins de se laisser aller à l’air du temps (lire notre enquête). Ou à un « interventionnisme libéral » assez désidéologisé, comme l’estime le chercheur Christian Lequesne, auteur d’un article récent sur la politique extérieure de la France. « Il y a aujourd’hui un assez grand consensus chez les diplomates français, de gauche comme de droite, pour dire que la coercition militaire fait partie des outils de la diplomatie. Depuis Nicolas Sarkozy, et aujourd’hui avec François Hollande, le vieux paradigme gaullo-mitterrandien n’est plus l’état d’esprit », explique-t-il à Mediapart.

François Hollande lundi, avec le président irakien Fouad MassoumFrançois Hollande lundi, avec le président irakien Fouad Massoum © présidence de la République

Un dernier diagnostic partagé par Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur. « On est dans la gestion de crise, sans donner de perspectives plus lointaines. Et on n’est plus du tout dans la tradition gaullo-mitterrandienne. Il s’agit plutôt d’une tendance occidentaliste, celle d’un Occident qui devrait affirmer ses valeurs, comme sous Nicolas Sarkozy », décrypte-t-il. Selon lui, une partie de l’opinion publique des pays arabes risque de percevoir la France comme étant à la remorque des États-Unis, dans une coalition où elle n’aurait que peu d’indépendance. D’autant plus que, selon Aubin de la Messuzière, la France a abdiqué tout rôle dans le conflit israélo-palestinien.  

En Irak, et peut-être même en Syrie, « notre rôle sera modeste, il s’agit d’un rôle d’appoint par rapport aux États-Unis », dit aussi François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran. Mais, insiste l’ex-diplomate, la France fait tout « pour se poser dans le champ médiatique comme une puissance motrice, à l’initiative ».

Selon plusieurs sources, Paris a demandé à Washington de conserver un minimum de marge de manœuvre. « Il y a deux choses qui inquiètent l’Élysée : la légitimité de l’intervention et le souci de ne pas trop dépendre des Américains », analyse un diplomate du Quai d’Orsay. Avant d’ajouter : « Pour la première, c’est réglé grâce à l’appel à l’aide du premier ministre irakien. Pour le deuxième, c’est plus compliqué : les Américains ont des moyens et des renseignements que nous n’avons pas. Il est donc délicat d’être complètement autonomes à leur égard, et en même temps, on ne veut pas se retrouver embarqué dans une guerre qu’on ne maîtrise pas» Une frappe française qui ferait des victimes civiles sur la base d’un renseignement américain aurait un effet dévastateur.

Mais sur le fond, précise encore ce diplomate qui se dit plus proche de l’UMP que du PS, « Hollande fait partie de cette génération de socialistes, comme Fabius, qui se veulent réalistes et décidés à dépasser ce qu’ils estiment être un vieux tropisme de gauche : le non-interventionnisme et le pacifisme ».

Si Barack Obama est apparu comme un « guerrier réticent », selon une expression que l’on retrouve de plus en plus dans la presse américaine, refusant de bombarder la Syrie en 2013 et se mobilisant contre l’État islamique sous la pression de la droite américaine, François Hollande semble même aimer se draper dans des habits martiaux. Il avait ainsi déclaré, peut-être submergé par l’émotion lors de sa visite au Mali en février 2013 : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique, parce qu'à un moment une décision doit être prise, elle est grave, elle engage la vie d'hommes et de femmes. »

« Hollande est comme tous les présidents de la Ve République qui arrivent à l’Élysée », confiait il y a quelques semaines un général en retraite à qui l’on demandait si l’actuel président ne se précipitait pas un peu trop pour intervenir à l’étranger. « Il découvre que l’armée est une institution qui fonctionne au quart de tour et sans poser de questions. Il suffit de prendre une décision et, 48 heures plus tard, des centaines de soldats français interviennent à l’autre bout du monde avec généralement la plus grande efficacité. C’est très grisant d’appuyer sur un bouton et d’obtenir un résultat immédiat. »

Le président français espère aussi que son interventionnisme à l’étranger lui permette de conserver ce qui lui reste de popularité en France. Il sert en outre à exercer une pression supplémentaire sur les députés rétifs, qui hésitent à voter la confiance que demandera mardi à l’Assemblée le premier ministre Manuel Valls.

Plusieurs responsables de la majorité expliquent aussi depuis plusieurs jours que les débats sur la politique économique ne sont pas à la hauteur, alors que la France est sous la menace d’un attentat terroriste et qu’elle s’engage en Irak. « Il faut sortir de l’hémicycle : la France s’engage en Irak ; le président a besoin d’appuis sur la scène européenne et le FN est le troisième parti de France. L’enjeu du vote de confiance est à cette hauteur-là », affirmait récemment un proche de François Hollande. Pas sûr que la ficelle, grossière, soit non plus à la hauteur.

BOITE NOIREUn vif débat sémantique fait rage sur le nom de l’État islamique (EI), d’abord appelé État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et que les autorités françaises refusent désormais de désigner autrement que par l’acronyme en arabe Daech (ou Daesh, ou Da’ech). Quant au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, il ne parle plus que des « égorgeurs de Daech ».

« Vous avez parlé d'un prétendu “État islamique” : permettez-moi de revenir, un instant seulement, sur cette expression. Le groupe terroriste dont il s'agit n'est pas un État. Il voudrait l'être, il ne l'est pas, et c'est lui faire un cadeau que l'appeler “État”. De la même façon, je recommande de ne pas utiliser l'expression “État islamique”, car cela occasionne une confusion entre l'islam, l'islamisme et les musulmans. Il s'agit de ce que les Arabes appellent “Daech”, et que j'appellerai pour ma part “les égorgeurs de Daech” ! », a justifié Laurent Fabius devant le Parlement, comme l’a relevé Marianne.

Mais ce choix sémantique – récent de la part de la France – est contesté, y compris par des chercheurs spécialistes de la région. C’est par exemple le cas de Romain Caillet, qui considère que « l’acronyme Daech est un terme impropre et péjoratif, utilisé par les opposants à l’État islamique ». « Si en langue arabe il peut y avoir une légitimité à l’employer, son utilisation en français est clairement idéologique », explique-t-il.

À Mediapart, nous continuons à parler d’État islamique (EI), évidemment pas en signe de soutien avec ce groupe terroriste, mais par souci de cohérence dans notre couverture journalistique.

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L'UMP Brigitte Barèges et les écoles pour les « Montalbanais de souche »

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« On arrive à des écoles où les Montalbanais de souche ne veulent plus aller, parce qu'ils se trouvent confrontés à ces difficultés. » Mardi, lors de sa conférence de presse de rentrée, la maire UMP de Montauban (Tarn-et-Garonne) a fustigé les « inscriptions d'office de l'Inspection académique » d'enfants de parents étrangers, et énuméré des « difficultés »

« Ce qui entraîne des difficultés, parce que vous avez des écoles aujourd'hui où malheureusement ces élèves sont concentrés, du fait d'ailleurs des inscriptions d'office de l'Inspection académique. Je pense par exemple à l'école du centre où, pratiquement, ils sont majoritaires », a déclaré Brigitte Barèges, poursuivant : « Les directeurs sont quand même en grandes difficultés parce qu'il y a des problématiques de langues étrangères qu'il faut évidemment régler, etc. C'est un sujet qui doit être abordé avec sérenité mais avec aussi équité, et surtout sans parti pris. On sait que c'est un fait, l'immigration massive. Ce n'est pas en fermant les yeux ou en imposant des ratios qui ne sont pas cohérents qu'on règlera ce problème »Voici la vidéo de la Dépêche du Midi :

 

À la rentrée, une dizaine d'enfants s'étaient vus refuser l'accès à l'école. L'association Réseau éducation sans frontières (RESF) résumait la situation, le 12 septembre : « Les familles sont allées déposer la demande d'inscription de leur enfant à l'école en temps utile. Leurs dossiers devaient être présentés à la commission d'affectation du 11 juin. Ils n'ont pas été examinés lors de cette commission et ont été mis de côté. La mairie a demandé aux familles d'attendre le 29 août. Le 29 août, 12 dossiers, au moins, n'étaient toujours pas présentés en commission d'affectation et étaient en attente dans le cabinet du maire. Les services municipaux ont demandé aux familles de revenir le lundi 1er septembre. À 16h30 ce jour-là, il leur a été signifié que les enfants n'étaient pas inscrits et devaient attendre jeudi 4. En vain. »

L'Inspection académique avait dû intervenir début septembre pour que ces enfants bénéficient d'une inscription provisoire. « Mais ils n'ont pas accès à la cantine ainsi qu'aux activités péri-scolaires », avait dénoncé Joëlle Gréder, présidente du Centre Amar, dans une lettre ouverte au maire. En octobre 2013, Brigitte Barèges avait déjà refusé d’inscrire trente enfants d’étrangers à la cantine, malgré les rappels à l’ordre du préfet, de l’inspecteur de l’académie et la mise en demeure du Défenseur des droits. 

La maire de Montauban a déjà fait parler d’elle à l’occasion de nombreuses polémiques. En 2011, elle lance, en commission des lois, à propos de l’ouverture du mariage aux homosexuels : « Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? Ou la polygamie ? » En 2012, elle préconise la « préférence nationale » contre le chômage, puis explique, en juin, qu’elle serait « ravie » que Marine Le Pen « soit élue à l'Assemblée nationale »En février dernier, elle suscite un tollé en parlant de son seul colistier noir comme étant « la tache (de sa) liste ».

La maire de Montauban s’était aussi fait remarquer pour avoir, en août 2012, triplé son salaire, ainsi que pour ses méthodes locales. Tout récemment, elle s'est vue notifier une invalidation de ses comptes de campagne qui pourrait entraîner une nouvelle élection (lire notre article).

Par ailleurs, le parquet de Montauban a ouvert une enquête préliminaire pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics à la mairie. Comme Mediapart l'avait révélé, le chargé de communication de la maire l'accuse de l'avoir rémunéré, « aux frais de la collectivité », pour écrire dans deux journaux locaux des articles « pro-Barèges ».

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Manuel Valls obtient une majorité sur le fil

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Manuel Valls ne dispose plus que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Alors que le PS détient à lui seul la majorité absolue (289 sièges) depuis mai 2012, le premier ministre n’est parvenu mardi qu’à obtenir la confiance de l’Assemblée avec une majorité relative : 269 pour, 244 contre. C’est évidemment la première fois depuis le début du quinquennat. Mais c’est aussi une quasi première dans l’histoire de la Cinquième République : à chaque fois que les premiers ministres, de droite ou de gauche, ont sollicité la confiance de l’Assemblée nationale, ils l’ont toujours obtenue avec plus de la moitié de l’hémicycle. Tous, sauf Georges Pompidou, le 27 avril 1962, lors d’une déclaration sur son programme de gouvernement. Six mois plus tard, son gouvernement était renversé…

Certes, ce n’est qu’un symbole. De fait, Manuel Valls a bel et bien obtenu à nouveau la confiance des députés, gagnant le droit de rester à Matignon. Mais pour le premier ministre, l’avertissement est clair : Manuel Valls ne sauve sa peau qu’à 25 voix près. En cinq mois, il en a perdu 37.

Et dans les rangs socialistes, l’hémorragie se confirme. Le 8 avril, lors de son premier discours de politique générale, 11 socialistes s’étaient abstenus – ce qui était déjà une première. Six mois plus tard, ils sont trois fois plus nombreux. Ce mardi, 32 socialistes ont franchi le pas de l’abstention, malgré les très fortes pressions et les procès en « irresponsabilité » instruits ces dernières semaines par les chefs de la majorité.

Il y a bien sûr ceux qui s’étaient déjà abstenus la première fois, issus de l’aile gauche pour l’essentiel, rejoints par les leaders de la contestation socialiste des derniers mois (l’ex-strauss-kahnien Laurent Baumel, Christian Paul, etc.). Mais aussi des proches de Martine Aubry, dont Jean-Marc Germain et l’ancien ministre François Lamy, les deux proches lieutenants de la maire de Lille. Se sont également abstenus les trois députés chevènementistes qui avaient voté la confiance en avril, ou des députés certes critiques, mais en général peu adeptes des coups d’éclat, comme Daniel Goldberg, Anne-Lise Dufour-Tonini, Hervé Féron ou Kheira Bouziane.

Les 31 abstentionnistes auxquels s'ajoute LInda Gourjade qui a fait rectifier son voteLes 31 abstentionnistes auxquels s'ajoute LInda Gourjade qui a fait rectifier son vote

Depuis des mois, ceux-là trépignaient et avaient parfois refusé de voter certains textes. Ce mardi, ils sont passés aux actes. « J’avais voté la confiance en avril. Mais depuis, il y a eu la rentrée toute en testostérone de Manuel Valls, l’éviction d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, les déclarations du patron du Medef, explique Christophe Léonard, député des Ardennes (aile gauche du PS). J’attendais de Valls un retour aux fondamentaux. Qu’il arrête de faire des déclarations d’amour à tout le monde et ne nous inflige pas cette “gauche moderne” qui consiste à stigmatiser les chômeurs. Aujourd’hui, il a allumé tous les signaux de gauche dans son discours. Mais au-delà des mots, il n’y a rien de concret… »

Cette fois, les dix-sept députés écologistes se sont eux aussi abstenus. En avril, dix d’entre eux avaient voté la confiance au premier gouvernement Valls. Les écologistes étaient alors très divisés sur le fait de rester ou non au gouvernement. « Cette fois, nous avons tenu à faire bloc », assure l’écologiste Christophe Cavard, « car c’est le seul moyen de peser pour obtenir des avancées en matière d’écologie. Et puis, nous n’avons pas digéré le détricotage de la loi ALUR (sur le logement – Ndlr) de Cécile Duflot. Sans nous, sans une partie des socialistes, Manuel Valls gouverne désormais avec un PS replié. » Comme en avril, les dix députés Front de gauche ont voté contre. « Le premier ministre ne dispose plus que d'une majorité peau de chagrin, ce vote de confiance n'est qu'une victoire à la Pyrrhus, sans aucune perspective », commentait, mardi soir, le PCF dans un communiqué.

Après le remaniement surprise de la fin août, lors duquel les ministres qui réclamaient une autre ligne politique ont quitté le gouvernement, Manuel Valls avait choisi de faire voter la confiance alors que la Constitution ne l’y oblige pas. Une façon de dramatiser la situation, d’affirmer son autorité, de se poser en seul recours. Depuis le remaniement, le premier ministre fait passer le message : c’est lui (et sa ligne, soutenue par François Hollande) ou le chaos institutionnel. Lui ou la dissolution. Lui ou la droite, voire Marine Le Pen. Ces jours-ici, nombre de députés ont été appelés par des responsables socialistes ou des proches du premier ministre.

Mardi, le premier ministre a, sans surprise, joué sur le même registre, dramatisant l’enjeu en commençant son discours par la situation internationale, présentée sous le seul angle de la menace (en vrac l’Ukraine et « les tensions avec la Russie (qui) ramènent aux heures de la guerre froide » ; la guerre à Gaza ; « les ravages d’Ebola » ; les naufrages de migrants en Méditerranée). « Le monde est d’abord confronté à une menace terroriste dont l’ampleur et l’évolution sont inédites », a martelé Manuel Valls.

Comme le président de la République et les ministres de la défense et de l’intérieur, le premier ministre a insisté sur le lien entre la situation en Syrie et en Irak et la situation en France (lire notre article). « Dans ces moments, face à ces menaces, l’unité nationale s’impose », a dit Valls, pour rappeler à sa majorité que l’enjeu du vote de confiance ne relevait pas, selon lui, d’un débat de politique économique. Un argument également utilisé par le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, qui a commencé son discours par ce rappel.

L’exécutif n’a pas non plus hésité à agiter la menace de la dissolution face aux députés de la majorité. « Le vote de la confiance, ce n'est pas un vote sur le projet de loi de finances ou le pacte de compétitivité. On ne gomme pas les débats, mais la question politique posée par le vote de confiance, c’est d’en finir, oui ou non, avec l’hypothèse de la dissolution… Il s’agit de donner un signe de solidité de la majorité, pas d’unanimité », expliquait, ces derniers jours, un proche de Le Roux.

Sur le fond, le discours de Manuel Valls est sans surprise. Le remaniement, fin août, avait définitivement mis un terme aux derniers espoirs de certains élus de la majorité d’une quelconque inflexion de la politique de l’exécutif. Une politique de l’offre, qui mise d’abord sur le pacte de responsabilité à destination des entreprises pour relancer l’économie, et un discours sur une supposée « gauche moderne », prête à revenir sur l’interdiction du travail du dimanche ou les seuils sociaux pour les petites entreprises.

Manuel Valls l’a redit mardi après-midi : « Je comprends les impatiences, les doutes, les colères. Ils sont légitimes quand le chômage atteint des niveaux aussi élevés, et depuis si longtemps. Mais face à cela, quelle attitude adopter ? La fébrilité ? Le zigzag ? Le renoncement ? Non ! » Avant d’ajouter, dans une de ses formules dont il a truffé son discours : « Gouverner, c’est résister. Gouverner, c’est tenir. Gouverner, c’est réformer. Gouverner, c’est dire la vérité. » « Aider nos entreprises, ce n’est pas un choix idéologique, c’est un choix stratégique », a-t-il encore rappelé, conformément à ses discours précédents, notamment celui prononcé à l’université d’été du Medef, fin août.

Manuel VallsManuel Valls © Reuters

Comme à son habitude, Valls a de nouveau structuré son discours autour d’expressions empruntées aux discours libéraux, comme « adaptée à la réalité », « remettre en mouvement », ou « lever les blocages ». Sur l’accès au logement, « ce qui compte, c’est l’efficacité, pas l’idéologie », a dit le premier ministre.

Mais, devant les députés, l’ancien maire d’Évry a tenu à rassurer ses troupes : il a rappelé de façon appuyée son attachement au modèle social français, répété son discours tenu fin août à La Rochelle, pour expliquer qu’il ne « faisait pas de l’austérité », et annoncé que le minimum vieillesse sera revalorisé de 8 euros pour atteindre 800 euros, alors que les petites retraites (inférieures à 1 200 euros) bénéficieront d’une « prime exceptionnelle ».

Valls a également évoqué le combat pour « l’égalité » – une façon de rassurer sa majorité, et même une partie de son gouvernement, inquiète de la disparition du discours de l’exécutif de cette bataille identitaire pour la gauche. Mais il l’a fait à sa façon, en parlant de « l’égalité des possibles » chère au nouveau ministre de l’économie Emmanuel Macron (lire notre article). « Le grand dessein de la République, c’est l’égalité des possibles », a dit le premier ministre.

La seule nuance par rapport à son premier discours de politique générale, il y a cinq mois seulement, réside dans le passage sur l’Europe. La dernière fois, Valls avait déjà critiqué la cherté de l’euro et défendu la réorientation de la politique européenne. Il est allé un peu plus loin mardi, appelant l’Allemagne à « prendre ses responsabilités ». Mais on est très loin de la confrontation promise par certains dirigeants de la majorité ces derniers jours.

Avec le résultat de mardi, le premier ministre peut d’ores et déjà s’attendre à des votes serrés sur tous les grands textes à venir à l’Assemblée. Et notamment le budget. « Désormais, l’objectif est pour nous le budget 2015. C’est en fonction de cela que nous saurons si nous sommes toujours dans la majorité ou si nous passons dans l’opposition », prévient l’écologiste Christophe Cavard. Même tonalité auprès des socialistes de Vive la gauche : « Notre abstention aujourd’hui va nous permettre de peser dans le débat budgétaire de l’automne », assure l'aubryste Jean-Marc Germain, qui réclame des mesures en faveur du pouvoir d’achat des ménages.

En attendant, c’est au tour de François Hollande de se prêter au jeu de l’explication de texte : jeudi 18 septembre, il tiendra sa conférence de presse semestrielle à l’Élysée.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Brigitte Barèges (UMP) et les écoles pour les «Montalbanais de souche»

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« On arrive à des écoles où les Montalbanais de souche ne veulent plus aller, parce qu'ils se trouvent confrontés à ces difficultés. » Mardi, lors de sa conférence de presse de rentrée, la maire UMP de Montauban (Tarn-et-Garonne) a fustigé les « inscriptions d'office de l'Inspection académique » d'enfants de parents étrangers, et énuméré des « difficultés »

« Ce qui entraîne des difficultés, parce que vous avez des écoles aujourd'hui où malheureusement ces élèves sont concentrés, du fait d'ailleurs des inscriptions d'office de l'Inspection académique. Je pense par exemple à l'école du centre où, pratiquement, ils sont majoritaires », a déclaré Brigitte Barèges, poursuivant : « Les directeurs sont quand même en grandes difficultés parce qu'il y a des problématiques de langues étrangères qu'il faut évidemment régler, etc. C'est un sujet qui doit être abordé avec sérenité mais avec aussi équité, et surtout sans parti pris. On sait que c'est un fait, l'immigration massive. Ce n'est pas en fermant les yeux ou en imposant des ratios qui ne sont pas cohérents qu'on règlera ce problème »Voici la vidéo de la Dépêche du Midi :

 

À la rentrée, une dizaine d'enfants s'étaient vus refuser l'accès à l'école. L'association Réseau éducation sans frontières (RESF) résumait la situation, le 12 septembre : « Les familles sont allées déposer la demande d'inscription de leur enfant à l'école en temps utile. Leurs dossiers devaient être présentés à la commission d'affectation du 11 juin. Ils n'ont pas été examinés lors de cette commission et ont été mis de côté. La mairie a demandé aux familles d'attendre le 29 août. Le 29 août, 12 dossiers, au moins, n'étaient toujours pas présentés en commission d'affectation et étaient en attente dans le cabinet du maire. Les services municipaux ont demandé aux familles de revenir le lundi 1er septembre. À 16h30 ce jour-là, il leur a été signifié que les enfants n'étaient pas inscrits et devaient attendre jeudi 4. En vain. »

L'Inspection académique avait dû intervenir début septembre pour que ces enfants bénéficient d'une inscription provisoire. « Mais ils n'ont pas accès à la cantine ainsi qu'aux activités péri-scolaires », avait dénoncé Joëlle Gréder, présidente du Centre Amar, dans une lettre ouverte au maire. En octobre 2013, Brigitte Barèges avait déjà refusé d’inscrire trente enfants d’étrangers à la cantine, malgré les rappels à l’ordre du préfet, de l’inspecteur de l’académie et la mise en demeure du Défenseur des droits. 

La maire de Montauban a déjà fait parler d’elle à l’occasion de nombreuses polémiques. En 2011, elle lance, en commission des lois, à propos de l’ouverture du mariage aux homosexuels : « Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? Ou la polygamie ? » En 2012, elle préconise la « préférence nationale » contre le chômage, puis explique, en juin, qu’elle serait « ravie » que Marine Le Pen « soit élue à l'Assemblée nationale »En février dernier, elle suscite un tollé en parlant de son seul colistier noir comme étant « la tache (de sa) liste ».

La maire de Montauban s’était aussi fait remarquer pour avoir, en août 2012, triplé son salaire, ainsi que pour ses méthodes locales. Tout récemment, elle s'est vue notifier une invalidation de ses comptes de campagne qui pourrait entraîner une nouvelle élection (lire notre article).

Par ailleurs, le parquet de Montauban a ouvert une enquête préliminaire pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics à la mairie. Comme Mediapart l'avait révélé, le chargé de communication de la maire l'accuse de l'avoir rémunéré, « aux frais de la collectivité », pour écrire dans deux journaux locaux des articles « pro-Barèges ».

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