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MediaPorte : «Valérie T., du Sophie Davant rewrité par Mireille Dumas»

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Cette semaine, Didier Porte a donné de sa personne, en lisant le livre de l'ancienne compagne de François Hollande.
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Didier joue son spectacle “Didier Porte à droite” tous les mercredis, 21h30, au Théâtre Trévise, à Paris. Locations : 01 48 65 97 90.

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Politique de la ville: des acteurs des quartiers populaires lancent «Pas sans nous»

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De notre envoyé spécial à Nantes (Loire-Atlantique).   Fatigués des politiques de rénovation urbaine qu’ils qualifient de « saupoudrage », près de deux cents acteurs du monde associatif des quartiers populaires se sont réunis les 6 et 7 septembre à Nantes, pour se constituer en « syndicat des banlieues ». Cette structure inédite va regrouper 150 associations issues de dix-huit régions françaises. Elle ambitionne de refonder totalement la politique de la Ville en s'appuyant sur la démocratie participative. « Depuis trente ans, la politique de la ville dans les quartiers, c’est quoi ? Réparer un phare sur une voiture qui est une épave, sans jamais toucher au moteur. Résultat : on n’avance pas », expliquait samedi Moustapha Saabou, né et élevé dans le quartier du Mirail, aujourd'hui jeune actif et porte-parole d’un collectif associatif toulousain.

Réunis à Nantes à deux pas des anciennes fabriques LU, les militants ont voulu éviter de créer une énième structure usine à gaz en organisant à la chaîne des tables rondes, débats et élections à main levée tout le week-end, et ce jusqu’à une heure du matin pour certains. Les travaux ont accouché d’un nom qui sonne comme un coup poing sur une table, « Pas sans nous », et surtout d’un projet commun ambitieux : instaurer la démocratie participative dans les quartiers pour peser sur les politiques d’aménagements urbains.

Le chantier de cette refondation de la politique de la ville a commencé il y a dix-huit mois par une alliance nouée (lire notre précédent article ici) entre universitaires et leaders associatifs. Mohamed Mechmache, président d’AC Le feu, collectif constitué après les révoltes incendiaires de novembre 2005, et Marie-Hélène Bacqué, sociologue, avaient remis en juillet2013 un rapport au gouvernement préconisant «une réforme radicale de la politique de la ville». Trente mesures étaient mises en avant pour construire des politiques publiques initiées par les citoyens eux-mêmes.

Mohamed Mechmache, à l'origine du projet d'union des associations de quartier.Mohamed Mechmache, à l'origine du projet d'union des associations de quartier.

Parmi ces préconisations, « Pas sans nous » reprend dès aujourd’hui deux idées phares : faire siéger les habitants des quartiers dans des organes consultatifs du type CESE (Conseil économique social et environnemental), par le biais de « conseils citoyens » issus des quartiers, puis soutenir la création d’un fonds public d’interpellation. Ce fonds, entretenu par une ponction sur le financement de la vie politique (10 % de la réserve parlementaire, 1 % des subventions aux partis politiques), permettrait de sponsoriser des projets urbains émanant des citoyens eux-mêmes pour les proposer aux élus locaux.

La coordination veut maintenant « contraindre et non convaincre » les pouvoirs publics à appliquer ces propositions dans les mois à venir. Pour cela, elle sera épaulée d’une commission scientifique, composée d’universitaires et de professionnels (urbanistes, architectes), et se dit « capable de réaliser des audits ciblés» et d’évaluer « qualitativement les besoins locaux ».

En basant son action sur le concept nord-américain d’empowerment – l’accession au pouvoir des citoyens par leur responsabilisation individuelle –, cher à Marie-Hélène Bacqué, le nouveau « syndicat » cherche à établir un rapport de force avec les élus au pouvoir et surtout avec le Parti socialiste, accusé d’avoir trop longtemps « pris les banlieues pour un réservoir à voix ».

« La gauche nous protège, la droite nous sanctionne, c’était le discours d’il y a trente ans. Cela fait des années que ces barrières idéologiques ont sauté, on est beaucoup à ne plus faire de disctinction entre les deux. On s’est de toute façon construit sans eux. Et pourtant on nous regarde toujours avec un œil électoral. Ca me fait rire quand le PS nous dit "l’austérité, le Front national, voilà les deux ennemis", mais qui a contribué à les faire monter ? » explique Sihame Assbague du collectif Stop contrôle au faciès. Pour illustrer ce climat de défiance, Karim Touche, un éducateur provençal de 38 ans, n’hésite pas à brandir l’exemple des 13e et 14e arrondissements de Marseille, quartiers populaires par excellence, passés au FN lors des dernières élections municipales.

Les débats ont été vifs pour mettre d'accord les 150 associations.Les débats ont été vifs pour mettre d'accord les 150 associations. © TSC/MP

Dans cette atmosphère mêlant à la fois euphorie et colère, Myriam El Khomri, fraîchement nommée secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville, est venue encourager dimanche la création de la coordination. Sa venue sonne comme une sorte de reconnaissance pour le travail accompli jusqu’ici, la secrétaire d'État promettant de « faire le nécessaire » pour rencontrer les représentants de « Pas sans nous » au moins « une fois par trimestre ». Face aux militants appelant à la création d’un ministère de la Ville aux compétences transversales, « un premier ministre bis », Mme El Khormi s’est arc-boutée dans la défense du bilan du gouvernement, mettant en avant la création de 98 réseaux d’éducation prioritaires dans les ZUS, et l’effort ciblé sur les contrats d’avenir proposés aux jeunes (20 % des signataires habitent des quartiers populaires).

Myriam El Khomri accompagnée de Mohamed MechmacheMyriam El Khomri accompagnée de Mohamed Mechmache © TSC/MP

Ce n'est pas vraiment convaincant pour les militants, qui ont déjà vu défiler trois interlocuteurs différents depuis la genèse de leur projet (depuis 2012, le ministère de la Ville a été tenu successivement par François Lamy, Najat Vallaud-Belkacem, puis Patrice Kanner).

« Les gouvernements successifs, droite comme gauche, ont toujours eu l’impression qu’injecter de l’argent suffisait à résoudre les problèmes. Tant que les habitants ne seront pas dans les instances pour décider d’orienter les moyens là où ils devraient l'être, on n’aura que des exemples voués à l’échec. Regardez les zones franches censées relancer l’emploi dans les quartiers : depuis 15 ans, on a eu très peu d’embauches, mais surtout des boîtes aux lettres d’entreprises qui viennent profiter de la défiscalisation de la zone », note Mohamed Mechmache, élu dimanche co-président du mouvement.

Le dirigeant de « Pas sans nous », qui était présent à titre indépendant sur la liste EELV en Île-de-France aux dernières élections européennes, jure qu’avec les statuts votés ce week-end, obligeant chaque membre à démissionner en cas d’engagement en politique, le piège de la récupération déjà observé par le passé est désormais évité.

« On veut jouer le rôle d’un syndicat comme les autres. Si demain, après s’être réunis autour de la table, on échoue, eh bien au moins on pourra nous dire "c’est de votre faute". Actuellement, ce n’est pas le cas. Si une force d’extrême droite vient remplacer les partis traditionnels dans nos quartiers, on ne peut pas nous en imputer la responsabilité. Il ne faut pas oublier que la nature a horreur du vide… », prévient-il.

Le collectif fera le point dans un an avant d'envisager d'autres propositions.Le collectif fera le point dans un an avant d'envisager d'autres propositions. © TSC/MP

Le leader naturel du groupe, toujours appelé à la rescousse pour désamorcer les querelles d’ego entre groupes régionaux durant le week-end, qualifie sa structure de « porte-voix » des 8 millions de personnes habitant les zones périphériques. Le pari est osé. Il devra canaliser les colères des uns et empêcher les tentatives d’instrumentalisation des autres pour peser sur la vie publique. À peine né, le « syndicat », comme le résume Moustapha Saabou, meurt d’impatience d’exister : « Maintenant, la balle est dans notre camp : soit le gouvernement joue avec nous, soit on la crève. »

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Hayange : enquête sur cette ville frontiste où le FN implose

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De notre envoyé spécial à Hayange (Moselle).  « Montrez-moi d’abord votre carte de presse. » L’employé municipal veut bien parler. Mais loin du centre-ville et il faut montrer patte blanche. À la mairie, « il y a des mouchards ». Le maire épie. Sur les forums en ligne, sur les réseaux sociaux, il traque ses ennemis, réels ou imaginaires. 

En cinq mois, Hayange, ville de 16 000 habitants en Moselle conquise par le FN, une des onze municipalités gagnées en mars par le parti de Marine Le Pen, est devenu un camp retranché. D’un côté, les pro-Engelmann, anciens ou convertis, par conviction ou par intérêt. De l’autre, un bataillon de bric et de broc, frontistes en rupture de banc, militants de gauche et de droite, citoyens médusés, qui applaudissent ensemble au conseil municipal.

Fabien EngelmannFabien Engelmann © DR

Le Front national rêve de montrer qu'il est prêt à gouverner. Mais à Hayange, le maire Engelmann (35 ans), conseiller politique « au dialogue social » de Marine Le Pen, accumule bourdes et mesures contestées, sur fond de gestion autocrate. Maintenant que des arrangements financiers douteux de sa campagne sont dévoilés au grand jour, il risque de un à trois ans d’inéligibilité.

Il y en a une que ces révélations libèrent : Marie Da Silva, l'ancienne premier adjointe, celle par qui le scandale est arrivé. « Je dors très bien depuis que j’ai tout dit », lance-t-elle. Elle a transmis récemment des documents à la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), a déposé plainte le 2 septembre au TGI de Thionville contre Fabien Engelmann pour « abus de confiance, abus de bien social et harcèlement ».

Sur les affiches de campagne, Marie Da Silva était aux côtés de « Fabien ». Marie Da Silva, née Di Giovanni, est assistante de rédaction au Républicain lorrain. Elle a été encartée dix ans à la CGT, puis à Force ouvrière depuis son adhésion au Front national. C'était l'automne dernier. Marie Da Silva n’avait jamais fait de politique. Alain, le mari, est employé d’un sous-traitant d’ArcelorMittal en redressement judiciaire. Le couple habite une maison proprette juste derrière les « grands bureaux » de Florange, ce complexe industriel qui abrite les hauts-fourneaux, désormais à l’arrêt, que François Hollande s’était engagé à sauver. « Il y a eu Florange, et juste après Cahuzac. Je me suis dit : c’est bon, ils nous roulent sur la farine. J’ai contacté le FN. »

Pour Engelmann (passé par Lutte ouvrière et le NPA, c'est lui aussi un ancien de la CGT, qui l'a exclu), elle est une recrue de prix. Le « frontiste » est certes du cru – il est ouvrier municipal dans la mairie voisine de Nilvange, où travaille son père – mais il peine alors à constituer une liste qui fasse envie. Dans cette terre de tradition ouvrière ravagée par le chômage, Da Silva a le bon pedigree. Elle a été de toutes les associations. Commerçante à la fin des années 1980, elle a introduit les premiers « dessous sexy » sur le marché d’Hayange. Dans la vallée, elle est connue comme le loup blanc. Elle sera un recruteur efficace. « Sans moi, il n'aurait pas gagné », dit-elle. Le 30 mars, la liste Engelmann emporte la mairie avec 34,7 % des voix. Le maire PS, contesté, a été balayé au premier tour.

Sitôt élue, la première adjointe va déchanter. Et découvrir la réalité du personnage. Son Graal en main, le maire est devenu « autoritaire ». Engelmann affirmait à ses colistiers avoir posé des congés pour la campagne municipale ? Comme Mediapart l'a découvert, il était en arrêt maladie pendant plusieurs mois, alors que le FN s'en prend volontiers aux fraudeurs de la Sécurité sociale. Il vante la bonne gestion des deniers publics ? Le propriétaire de son ancienne permanence lui réclame 1 700 euros d’impayés. Elle s'aperçoit surtout que la campagne a été entachée d'irrégularités. Ses relations avec Engelmann deviennent exécrables. La crise dans les services municipaux s’amplifie.

Fin août, Marie Da Silva décide de révéler le linge sale du FN hayangeois. Par idéalisme (« je rêve d’un système anti-corruption »). Parce que la direction du parti, qu'elle a prévenue le 14 août, n'a pas réagi. Par ambition personnelle, ce qu’elle ne cache pas. Tant pis pour les éclats de verre. « Tu as livré Fabien aux chiens de la presse alors que cette affaire aurait pu être réglée en interne », l’accuse un frontiste. Elle dit au contraire croiser des habitants qui « lui disent merci les larmes aux yeux ».

Marie Da Silva interrogée par les journalistes, après le conseil municipal du 3 septembreMarie Da Silva interrogée par les journalistes, après le conseil municipal du 3 septembre © MM


Mercredi 3 septembre, dans l'atmosphère surchauffée du conseil municipal, Marie Da Silva s'est vu retirer son poste d'adjointe et ses délégations, au cours d'un vote douteux et sans isoloir, dont elle s’apprête à contester la régularité devant le tribunal administratif. Depuis sa nouvelle place, près d’une élue de gauche, elle a dénoncé une « chasse aux sorcières, une gestion des ressources humaines par la terreur et des arbitrages par le clientélisme ». Un opposant de droite a demandé la démission du maire. Marie Da Silva, sourire caméra professionnel, a tout redit devant les caméras. Son quart d'heure de gloire. Au premier étage de la mairie, les gros bras du FN et des opposants en sont presque venus aux mains.

L’« affaire » a éclaté le 23 août. Ce jour-là, le maire reçoit une équipe de Canal Plus. Il propose de faire l’entretien sur le perron de l’hôtel de ville. Dans le café en face, comme tous les samedis matin, Alain Da Silva sirote son petit noir. « J’ai pas réfléchi, j’ai foncé sur lui. » En survêtement, il lui réclame « son fric ». « Je veux mon fric. Tu as eu du fric en campagne que tu n'as pas déclaré. Je veux mon fric. » Il parle de « 3 000 euros ».

Diffusée sur Canal plus une semaine plus tard, la scène tourne sur les sites d’infos et réseaux sociaux. (Vidéo à partir de 14'50)

Pendant des mois, Marie Da Silva a pensé qu’une campagne électorale, c’était du cash qui se balade, des petits arrangements financiers. Un système digne des Pieds Nickelés, à mille lieues des règles strictes de la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CNCCFP) qui vérifie les comptes des candidats.

Elle a beaucoup fait les courses, des centaines d'euros, persuadée qu’on la rembourserait plus tard : du vin, de la viande, des timbres. Elle a fait établir des factures, certaines au nom du mandataire financier. Mais personne ne les lui a réclamées. Alors elle les a rangées dans un classeur. Fabien Engelmann ne nie pas ces dépenses courantes. Il affirme qu'elles n'avaient pas à être incluses dans le compte de campagne.

Foule et barrières en plastique au conseil municipal, mercredi 3 septembreFoule et barrières en plastique au conseil municipal, mercredi 3 septembre © MM

Marie Da Silva a surtout réglé l'imprimeur. C'était en mars, à la fin de la campagne. Comme Mediapart l’a révélé, le mandataire financier, Patrice Philippot, un responsable départemental du FN, n’a plus d’argent sur son compte. Il faut des tracts en urgence. Le 10 mars, un mandat en liquide de 1 000 euros au nom de Marie Da Silva est versé sur le compte d’un intermédiaire qui passe commande sur Internet.

Le 25 mars, entre les deux tours, Da Silva effectue un nouveau versement de 575 euros (lire notre enquête ici). « On a fait un tract que moi j’ai payé d’abord toute seule, dit-elle le 21 août au maire lors d'un échange téléphonique de vingt-cinq minutes que Mediapart a consulté. Et on a fait un deuxième tract plus petit (…) la semaine suivante qu’on a été à trois à payer, toi, moi et Damien. » Le fameux « Damien » est Damien Bourgois, un ancien du DPS, le service de sécurité du FN, désormais premier adjoint. Il nie avoir « donné de l'argent ce jour-là ».

Comme Mediapart l'a déjà raconté, les frais d'imprimeur seront remboursés à Marie Da Silva un mois et demi plus tard, grâce à un versement … sur le compte de sa belle-fille. Ce genre de « paiements directs » de la part des colistiers ou du candidat est pourtant interdit par la CNCCFP. C’est même un motif de rejet automatique des comptes de campagne. Patrice Philippot, le mandataire financier, un des responsables départementaux du FN, dit avoir tout ignoré. « C’est obligatoire de passer par le mandataire. Je ne savais pas qu’ils avaient fait ça. Si je l’avais su, j’aurais interdit au candidat de faire avancer de l’argent. » S’estime-t-il floué par son candidat ? « Je vous demande d’arrêter de me parler », dit-il, agacé, avant de raccrocher.

Marie Da Silva ne fait pas que payer : elle donne, aussi. Pendant une campagne électorale, les dons des personnes physiques sont possibles dans la limite de 4 600 euros. Mais chacun doit être déclaré, versé sur le compte du mandataire, faire l’objet de reçus délivrés par les préfectures. En novembre 2013, elle signe un chèque de 1 000 euros, au nom de Fabien Engelmann. Elle en a gardé la copie et la trace sur son compte. Quand Marie Da Silva le lui rappelle, le 21 août, il dit n'avoir « aucun souvenir ». Sollicité par Mediapart la semaine dernière, Fabien Engelmann avait expliqué que Marie Da Silva lui avait « acheté (s)on ancien Scenic » . En fait, comme le prouve le certificat d’immatriculation que Mediapart a pu consulter, le Scenic a été vendu le 16 août dernier à un garagiste de Thionville. « La cession est bien au nom de M. Engelmann, confirme le garagiste. Je l’ai acheté 250 euros. C’était une épave. »

Marie Da Silva est-elle la seule à avoir donné de l’argent ? Le 21 août, dans cette même conversation avec le maire, Marie Da Silva lui rappelle qu'un autre adjoint, Jordan Francioni, lui a aussi « prêté » 500 euros. « Je ne réponds pas à Mediapart », a opposé Francioni par SMS à nos sollicitations, sans démentir.

« Beaucoup d’argent a circulé pendant cette campagne », affirme un autre adjoint FN sous couvert d’anonymat. Engelmann multiplie alors les appels aux dons. « Il en parlait assez souvent, disait qu’il fallait aider », raconte Patrice Hainy, l’adjoint aux sports, qui a pris fait et cause pour Marie Da Silva. Officiellement, c’est pour « trinquer ». Dans la permanence d'Engelmann, il y a toujours une tirelire en forme de cochon. Les militants donnent aussi des enveloppes, comme cette militante qui avoue avoir donné 100 euros « mais veu[t] que ça reste ignoré ».

Hayange, centre-villeHayange, centre-ville © MM

Les soirées militantes sont une autre occasion de collecter des dons. « En mars, avant le premier tour, lors de deux réunions thématiques, on a récolté pas mal de dons, raconte Marie Da Silva. Les participants donnaient à moi ou à Fabien, ou alors mettaient directement dans le cochon. Il y avait beaucoup de billets qui circulaient, des 10, 20 euros. Je ne sais pas combien d’argent a été récolté à chaque fois. » Cet argent, Marie Da Silva dit l'avoir remis à Fabien Engelmann. Le soupçonne-t-elle d'en avoir gardé une partie pour lui ? « Je suis en droit de me poser la question », lance-t-elle. Sollicité sur ces dons, Fabien Engelmann n'a pas répondu.

En tout cas, aucun de ses dons n'a fait l'objet du moindre reçu. Ils ne figurent pas dans les comptes de la campagne. Ce que confirme Patrice Philippot, le mandataire financier. « On avait précisé entre nous deux (Fabien Engelmann et lui, ndlr) qu’on ne prenait aucun don pour ne pas faire de papiers (sic) », explique-t-il. Dans un document interne datant de mars 2014, rédigé par le M. élections du FN, Jean-François Jalkh, le « recueil de dons sans passer par le mandataire financier » fait partie des « péchés mortels » à éviter absolument.

Depuis le 14 août, la direction du FN est informée des bizarreries de la campagne électorale de Fabien Engelmann. Ce jour-là, Marie Da Silva, son mari et deux adjoints se rendent à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). La ville où Marine Le Pen s’était présentée aux législatives en 2012, face à Jean-Luc Mélenchon, a été remportée en mars dernier par Steeve Briois, le secrétaire général du parti, membre de la garde rapprochée de la présidente du FN.

Des photos les montrent, tout fiers, dans la mairie d’Hénin, symbole des conquêtes municipales du FN. L’après-midi, ils sont reçus par Briois et Bruno Bilde, un de ses adjoints. L’entretien dure trois heures, dans le bureau du maire. Briois demande des documents avant la fin du mois, en prévision du bureau national de rentrée, puis leur fait visiter la ville. Une semaine plus tard, le 22 août, Briois et Bilde reçoivent un dossier par courrier électronique. Des factures, des chèques, un des deux mandats-comptes prouvant les versements en liquide pour régler l’imprimeur. Marie Da Silva réclame un « retour rapide » : le 12 août, elle a été désavouée lors d'une réunion des adjoints conduite par Engelmann. Le 25, celui-ci lui a retiré ses délégations.

Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange.Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange. © dr

Le 27 août, Marie Da Silva adresse un ultimatum à plusieurs dirigeants du Front national. Marine Le Pen est informée. Elle lui fait passer le message : ne prendre aucune décision avant le bureau politique du 1er septembre, elle reviendra rapidement vers elle. Elle n'en fera rien. « C'est une affaire de Clochemerle, tranche-t-elle le 2 septembre sur France Info. Le maire conteste formellement cette situation, j'ai tendance à croire le maire. »

Depuis, des cadres du parti, dont le trésorier et avocat du FN, ont pris leurs distances avec Engelmann. De hauts responsables ne cachent plus leur embarras. Mais Marine Le Pen fait le dos rond. Ce week-end, dans Le Monde, la présidente du FN a évoqué des « éléments minimes », ajoutant que « les premiers pas des villes FN sont remarquables ».

Au-delà des irrégularités de sa campagne, les cinq premiers mois de Fabien Engelmann à la mairie ne peuvent pourtant qu'interroger sur la capacité réelle du parti à gérer des collectivités.

« En cinq mois, la commune a changé », a assuré Engelmann au conseil municipal du 3 septembre, citant la sécurité et la propreté. En réalité, le bilan est maigre. Un arrêté anti-mendicité a éloigné la poignée de personnes qui traînaient de temps en temps dans la ville. Pour le reste… Engelmann avait promis de baisser ses indemnités de maire ? Il a réduit celles de ses adjoints, pas la sienne. L’audit financier, sans cesse retardé, vient juste d’être lancé. Le FN vient de faire voter la hausse des loyers des logements vacants appartenant à la ville, une augmentation des tarifs de location pour les salles municipales, une baisse de l'aide de la mairie aux transports scolaires. « Pendant la campagne, vous avez montré la vitrine du FN, on commence à apercevoir l’arrière-boutique, lui a rétorqué l’ancien maire socialiste, Philippe David, à la table du conseil municipal. Hayange est isolée, vitrifiée. Vous n’avez aucun projet structurant, sinon des broutilles ou des coloriages. »

La sculpture municipale en forme d'œuf repeinte en bleu sur ordre du maireLa sculpture municipale en forme d'œuf repeinte en bleu sur ordre du maire © MM

En réalité, Engelmann met beaucoup d'énergie à faire parler de lui. Il s'est entêté à repeindre en bleu un œuf ornant une fontaine en granit de l'artiste Alain Mila, en face de la mairie. Ses services l'en avaient dissuadé, certains adjoints aussi. En vain. Coup de projecteur médiatique garanti. Mais une œuvre d'art ne peut être modifiée sans l'accord de l'artiste. Au cœur de l'été, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et élue de Moselle, a déploré une « violation manifeste du droit moral et des règles élémentaires du code de la propriété intellectuelle et de la protection du patrimoine ». Ces derniers jours, le maire a ordonné aux services techniques de gratter la peinture. Mais ils n'y sont pas parvenus. L'œuf va devoir être descellé, transporté par une société privée dans un atelier municipal, puis déplacé. Il faudra ensuite refaire la fontaine. La note risque d'atteindre des milliers d'euros.

Engelmann a enlevé le drapeau européen à la mairie, rajouté des drapeaux français. Il a aussi fait repeindre en bleu-blanc-rouge des wagons de mines qui servent de bacs à fleurs. Une « tentative de réinterprétation de l'Histoire », alors que « des immigrés de seize nationalités différentes se sont retrouvés au fond des mines de la région », selon l'association «Hayange plus belle ma ville ». Il devrait bientôt en faire repeindre un autre. Militant de la condition animale, Fabien Engelmann construit un chenil dans les ateliers municipaux. Et va baptiser une rue au nom de Brigitte-Bardot.

Les wagons miniers repeints en bleu-blanc-rougeLes wagons miniers repeints en bleu-blanc-rouge © MM

Pour le reste, le maire déploie la panoplie habituelle de l'extrême droite quand elle gère une ville. « Ils sont à l’extrême droite de l’extrême droite », dit un adjoint FN. La commune met depuis toujours des salles à disposition des syndicats. Ils devront bientôt payer un loyer. Le Palace, le cinéma municipal, n'ouvre plus que très rarement. Le maire souhaite le vendre, selon l’adjointe à la culture, Emmanuelle Springmann, qui n'a plus voix au chapitre. Le partenariat avec le festival du film arabe de la ville voisine de Fameck ne sera pas reconduit. « C’est une erreur. On est là pour tout le monde », déplore Springmann. Une association de danse orientale qui souhaitait emprunter un local s'est vu retoquer son dossier. « On m’a répondu que si on commence comme ça, il y aura bientôt des femmes voilées », raconte Patrice Hainy, l’adjoint aux sports. Discrètement, le maire tente de persuader les vendeurs maghrébins du marché d'aller vendre un peu plus loin. Il n'y aura pas non plus de parking à côté de la mosquée, comme Marie Da Silva l'avait promis à l'imam pendant la campagne. Dimanche 14 septembre, le maire organise la première « Fête du cochon ». Un hommage à la tradition « lorraine », où il est assuré que les musulmans d'Hayange ne se rendront pas.

«Cochon qui s'en dédit». Dimanche 14 septembre, Hayange organise sa première «Fête du Cochon»«Cochon qui s'en dédit». Dimanche 14 septembre, Hayange organise sa première «Fête du Cochon» © Capture d'écran du site de la mairie d'Hayange

La mairie est comme un bateau sans cap. Il n'y a pas de DRH, pas de directeur des services financiers. Quant à la directrice générale des services, elle a décidé de partir fin août, à la fin de sa période d'essai de trois mois. Élisabeth Calou-Lalesart est pourtant idéologiquement en phase avec le maire.

Candidate du « Rassemblement Bleu Marine » aux municipales à Saint-Cyr-sur-Mer (Var), cette chef d'entreprise était arrivée à Hayange par l'intermédiaire de la sphère anti-islam qui gravite autour du FN. Comme Engelmann, c'est une proche de Riposte laïque, qui a édité son livre, intitulé Pas de voile pour Marianne. Elle côtoie les fondateurs de Riposte laïque Christine Tasin et Pierre Cassen, ou le groupe « Génération Patriotes », animé par Stéphane Lorménil, l'ancien suppléant de Fabien Engelmann aux législatives de 2012.

Pourtant, la collaboration a tourné court. À la mairie, Engelmann décide seul, avec quelques adjoints et colistiers qui bénéficient de ses faveurs (un logement social, des bons du CCAS…). « Le maire est un gourou, avec sa petite cour autour qui applaudit. Engelmann, c'est Louis XIV », dit un adjoint FN. Alors qu'il héberge Élisabeth Calou, le maire augmente son salaire pour qu'elle lui reverse un loyer en liquide. Devant son refus, il baisse à nouveau son salaire, comme elle l'a rapporté à Libération.

Ce lundi 8 septembre, le syndicaliste CGT qui a accompagné Calou à son dernier entretien a même été convoqué par le maire qui lui reproche un « abandon de poste ». Avant de regagner le sud de la France, Calou a décrit à des proches une atmosphère de « peur », des salariés en souffrance, une ambiance « digne d'un film d'Al Capone ». Sollicitée, Élisabeth Calou a refusé de nous répondre : « Je ne souhaite plus m'en mêler, je veux tourner la page. » Elle vient d'être embauchée au Luc (Var), autre ville gagnée par le FN en mars.

Le Palace, cinéma que le maire veut vendreLe Palace, cinéma que le maire veut vendre © MM

Dans les services, l'atmosphère est lourde. Une dizaine de personnes sont parties. L'ancien DGS et son adjointe bien sûr, comme c'est souvent le cas quand une mairie bascule. L'ancienne directrice du Centre communal d'action sociale, qui ne voulait pas travailler avec le FN. Mais aussi des fonctionnaires de catégories B ou C, dans d'autres collectivités ou en disponibilité. « Le personnel de la mairie a peur », déplore l'adjoint aux sports, Patrice Hainy. Le dernier tract de la CGT déplore « fuite des compétences, désorganisation, démantèlement des services, sanctions abusives ». « La gestion d'Engelmann, c'est de la folie pure. Il intimide. Il soupçonne, il espionne, il sanctionne », dit Hugues Miller, secrétaire général des territoriaux CGT d'Hayange. Le maire veut supprimer 25 % des effectifs de la mairie. Mais d'après Miller, « il augmente dans le même temps des contrats aidés pour remplacer des contractuels en attente de titularisation ». Et embauche qui il veut.

Dans les couloirs de la mairie, l'ambiance est déplorable. « Un venin », dit la femme d'un employé « à bout ». « Tout le monde surveille tout le monde », dit ce fonctionnaire. « J'aimerais qu'il y ait de nouvelles élections, rêve tout haut un adjoint Front national. Comme ça je pourrais me barrer. C’est la première fois que je m’engage en politique, on ne m’y reprendra pas. Le FN, ils sont mouillés maintenant. Ils ne sont plus près d’avoir ma voix. »

BOITE NOIREContacté lundi à 15 heures, sur son répondeur et par SMS, Fabien Engelmann n'a pas donné suite à nos demandes de précision. Je lui ai également adressé à 16h15 par mail la liste des questions précises que je comptais lui poser. Sans plus de réponse de sa part.

Ces dernières années, je me suis rendu à plusieurs reprises à Hayange (par exemple ou ). Cette fois, je m'y suis installé trois jours, de mercredi à vendredi dernier, pour raconter un premier bilan de la gestion de Fabien Engelmann. De peur des représailles, plusieurs personnes ont souhaité témoigner sous couvert d'anonymat.

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C’est une procédure de consultation citoyenne comme il en existe des milliers en France : le 15 septembre, s’ouvre en Bretagne une enquête publique concernant un projet de centrale à gaz à cycle combiné à Landivisiau (Finistère), développé par la Compagnie électrique de Bretagne (CEB), une société créée par Poweo-Direct Energie et Siemens. Jusqu’à la fin du mois d’octobre, les habitants sont invités à consulter le dossier du futur site de production d’électricité et à faire connaître leur avis. 

Aire d'étude de la centrale à gaz de Landivisiau (extrait de l'avis de l' Autorité environnementale)Aire d'étude de la centrale à gaz de Landivisiau (extrait de l'avis de l' Autorité environnementale)

Ce qu’ils ignorent, c’est que l’État a suivi de très, très près les conditions de déroulement de cette opération. Au point de demander à RTE, la filiale d’EDF chargée de transporter l’électricité, de reporter ses études sur une éventuelle interconnexion sous-marine avec le réseau irlandais. Motif : « Le lancement de telles études risque d’être perçu comme un mauvais signal pour l’avenir de la centrale de Landivisiau. » En effet, s’il semble possible de brancher les consommateurs bretons sur le courant électrique issu des éoliennes irlandaises, l’utilité d’une nouvelle centrale électrique sur place pourrait se réduire. C’est pourquoi le préfet de région, Patrick Strzoda, écrit à la présidence du directoire de RTE, en avril dernier : « Je souhaiterais a minima qu’aucune étude ne soit menée près des côtes avant les élections régionales. Un tel calendrier éviterait un télescopage avec l’enquête publique de la centrale. » C’est ce qu’il écrit noir sur blanc dans un courrier que Mediapart s’est procuré, et que nous reproduisons ci-dessous.

Copie de la lettre du préfet de Bretagne (1/2).Copie de la lettre du préfet de Bretagne (1/2).
Suite de la lettre du préfet de Bretagne (2/2).Suite de la lettre du préfet de Bretagne (2/2).

On y découvre les préoccupations très politiques du préfet qui répercute « les fortes inquiétudes » du conseil régional, « à une échéance proche des élections régionales », qui « craint » que ces études « ne soient perçues comme un mauvais signal pour le développement des projets énergétiques renouvelables en Bretagne ». Terre socialiste, la région Bretagne était présidée jusqu’en 2012 par Jean-Yves Le Drian, actuel ministre de la défense, et très proche de François Hollande.  

On y lit encore sa suggestion de « recours rémunéré » aux navires pêcheurs bretons pour les repérages en haute mer de ces mêmes études, pour en « faciliter l’acceptation sociale ». Une manière d’huiler les rouages de l’opinion publique. 

Interrogée par Mediapart au sujet de ce courrier, la préfecture de Bretagne répond que « c’est pour éviter tout risque de confusion que le Préfet de la Région Bretagne avait demandé à RTE de tenir compte du déroulement de l'enquête publique dans le calendrier des études du projet d'interconnexion », car « la concomitance des calendriers aurait pu générer un risque important de confusion dans l’esprit des citoyens ».

Pour Alain Le Suavet de l’association Gaspare qui regroupe des opposants à la centrale, « le courrier du préfet est une forme de barrage à l’enquête publique, elle ne peut plus se dérouler comme prévu ». Son association demande l'arrêt du projet, ainsi que la remise à plat du Pacte électrique breton, le document de planification de l’offre énergétique en Bretagne jusqu’en 2020. Préparé par l’État, la région et RTE en 2010, c’est lui qui donne le top départ au projet de centrale à gaz : « L’implantation d’un nouveau moyen de production classique au nord-ouest de la Bretagne s’avère indispensable, et ce le plus rapidement possible », explique le document, car « le déséquilibre structurel entre la production et la consommation bretonne expose l’ensemble de la Bretagne à un risque généralisé d’écoulement de tension ». Cette centrale doit servir d’appoint au réseau en période de pointe, ce pic de consommation d’électricité en fin de journée, alors que chacun rentre chez soi. Les logements bretons sont souvent équipés de chauffage électrique, très énergivore.

Selon les estimations du « pacte » d'après leur scénario de référence, la consommation d’électricité devait atteindre autour de 22,5 térawattheures (TW-h) en 2013 en Bretagne, alors qu’en réalité, elle a plafonné à 21,7 TW-h, soit bien en deçà de ce qu’ils craignaient. Pour Gaspare, la centrale est désormais inutile. Les opposants ont publié leur propre scénario d’évolution du système énergétique, beaucoup plus complet et précis que celui de l’État. Ils s’appuient notamment à moyen terme sur des interconnexions avec les réseaux européens d’énergies renouvelables, notamment éolienne. 

Pour Michel Rolland, militant EELV, « la centrale de Landivisiau est devenue un grand projet inutile ».

En réalité, les études de faisabilité ont tout de même eu lieu l’été dernier, explique Didier Beny, délégué RTE Ouest : au mois d’août, pendant une dizaine de jours, pour cartographier les fonds marins. Malgré la demande de la préfecture. « On leur a expliqué qu’on n’avait pas le choix », explique-t-il : les conditions météo limitent la fenêtre d’intervention et les navires nécessaires à l’opération sont très demandés et donc peu disponibles. Les études doivent se prolonger l’année prochaine, une décision pourrait être prise au plus tôt fin 2016. Soit après les futures élections régionales (prévues fin 2015). 

Vue du projet de centrale de Landivisiau (extrait de l'avis de l'Autorité environnementale).Vue du projet de centrale de Landivisiau (extrait de l'avis de l'Autorité environnementale).

Mais selon la filiale d’EDF, ce projet d’interconnexion sous-marine n’a rien avoir avec la centrale à gaz de Landivisiau : « Ce ne sont pas du tout les mêmes échéances de temps. Si l’interconnexion avec le réseau d’EirGrid, l’opérateur irlandais, se fait un jour, ce sera à l’horizon 2025/2030 ». Selon le pacte électrique breton, les 450 Mégawatts (MW) de la centrale de CEB sont indispensables à l’horizon 2020. Elle devrait bénéficier d’un tarif d’achat (financé par la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, prélevée sur la facture des clients) de 94 euros par megwatt-heure (MW-h) pendant vingt ans. 

Sans craindre de se contredire, la préfecture de Bretagne précise encore à Mediapart que « les deux projets d'interconnexion France Irlande et de la centrale à gaz de Landivisiau sont des projets totalement différents », à la fois « dans leurs enjeux, leur périmètre et les délais de mise en œuvre ainsi que leur degré de maturité ». Sans expliquer alors pourquoi deux projets si radicalement différents risquaient de créer la confusion dans l’esprit des Bretons. 

« La construction de cette centrale n’est pas souhaitable en l’état du système énergétique breton, surtout qu’il existe un fort potentiel éolien en Bretagne », considère Cyrille Cormier, de Greenpeace France : « On met la charrue avant les bœufs en essayant de répondre à la stabilité d’un territoire en augmentant la capacité de sa production d’énergie. »
 
Pour Yannick Jadot, eurodéputé EELV pour l’ouest de la France, « on est dans un projet totalement délirant, avec une triple incohérence : par rapport aux enjeux de la transition énergétique en Bretagne, par rapport au projet européen d’interconnexion des réseaux électriques et c’est aussi une énorme diversion d’argent public ».

Si elle est confirmée, la centrale de Landivisiau nécessiterait la construction d’un gazoduc de 111 km de long, qui traverserait plusieurs zones humides, alerte l’Autorité environnementale. Ses impacts environnementaux ne seraient donc pas uniquement climatiques.

Sur place, la mobilisation contre la centrale de Landivisiau est forte. Des réunions d'opposants ont rassemblé plusieurs centaines de personnes. À Landivisiau, ils ont été à deux doigts d’emporter les dernières élections municipales.

En Europe, le secteur du gaz est en pleine crise, suscitant la montée au créneau de Gérard Mestrallet, le PDG de GDF Suez, contre le système de tarif d’achat dont bénéficient les énergies renouvelables. Le gaz est délaissé, devenu plus cher que le charbon. L’hiver dernier en France, les centrales thermiques (fioul, gaz, charbon), qui assurent notamment les pics de demande, ont peu tourné, du fait en partie d’un hiver doux. Direct Energie a dû renoncer à son projet de centrale à gaz à Verberie (Oise), très contesté sur place. Son autre projet de centrale à Hambach (Moselle) vient d’être retoqué par la justice. Et l’ex-centrale thermique de  Poweo à Pont-sur-Sambre (Nord), revendue en 2010 au groupe autrichien Verbund, cherche un nouvel opérateur.

Ouvrir une centrale à Landivisiau est donc un objectif stratégique important pour Poweo-Direct Energie, entré sur le marché de l’électricité en France à la faveur de la libéralisation exigée par la Commission européenne, mais dépourvu de moyens de production, à part de petits barrages hydrauliques. Pourtant, dans ce contexte, la viabilité économique du site de Landivisiau semble fragile, et son activité promet d’être coûteuse en argent public : jusqu’à 40 millions d’euros par an pendant vingt ans, soit 800 millions d’euros.

L’ouverture d’une centrale de production d’électricité au gaz est-elle compatible avec la transition énergétique dont le projet de loi sera discuté par les députés à partir du 1er octobre ? Sollicité par Mediapart, le ministère de Ségolène Royal n’a pas répondu à nos questions.

BOITE NOIREUne copie du courrier du préfet de Bretagne est parvenue à Mediapart en début de semaine dernière. Sollicitée par téléphone le mercredi 3 septembre, la préfecture m'a répondu par courriel le 4. Toutes les personnes que j'ai contactées à ce sujet m'ont répondu par téléphone ou courriel, à l'exception du ministère de l'écologie et de l'énergie.

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Thévenoud s'accroche à son siège de député

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Cette fois, pas question de se laisser piéger. Les ministres et députés socialistes rivalisent pour exprimer leur consternation après les révélations sur l’éphémère secrétaire d’État au commerce extérieur, Thomas Thévenoud, redevenu automatiquement député. Malgré de nombreux appels au sein de la majorité, il a refusé de démissionner de son mandat à l’Assemblée et promet seulement de se « mettre en retrait » du PS.

« Après m'être entretenu ce lundi soir avec Jean-Christophe Cambadélis, j'ai décidé de me mettre en retrait du Parti socialiste et donc du groupe SRC (socialiste, républicain et citoyen – Ndlr) à l'Assemblée nationale. Mais je veux rappeler que l'enchaînement de négligences choquantes qui m'ont placé dans cette situation ne fait pas de moi un fraudeur. (…) Mes électeurs de Saône-et-Loire seront mes seuls juges », a expliqué Thévenoud dans une déclaration à l’AFP.

Le parti majoritaire n’aura donc pas de procédure disciplinaire à lancer et Thévenoud ne sera pas formellement exclu. Il n’annonce pas non plus sa démission du PS – la “mise en retrait” n’existe pas dans les statuts de la rue de Solférino. Dans l’hémicycle, le député de Saône-et-Loire va juste déménager sur les bancs des non-inscrits.

Depuis vendredi et son interview « confession » dans Le Journal de Saône-et-Loire, le mystère entourant le couple Thévenoud et ses démêlés avec le fisc n’est pourtant pas complètement dissipé. Si on lit bien ses déclarations, l’élu se serait acquitté au 1er septembre de 41 475 euros d’ “impôt sur le revenu de 2013” en compagnie de sa femme, dont 12 593 euros de pénalités. Soit un impôt de base d’environ 28 000 euros. Cette somme correspond-elle aux revenus annuels qu'ils ont déclarés à la Haute autorité pour la transparence (HAT) ?

Avant son élection comme député en juin 2012, Thomas Thévenoud cumulait officiellement 3 100 euros d’indemnités d’élu local, auxquels s’ajoutaient 1 950 euros comme « chargé de formation » chez ERDF (d’après sa déclaration d’intérêts). Une fois entré au Palais-Bourbon, il encaissait 8 300 euros maximum d’indemnités (c’est le plafond légal).

Thomas ThévenoudThomas Thévenoud © Reuters

D’après des informations recueillies par Mediapart, son épouse Sandra, salariée comme cheffe de cabinet du président socialiste du Sénat Jean-Pierre Bel, était de son côté rémunérée 9 400 euros nets par mois (en moyenne) comme contractuelle, soit 112 000 euros par an.

Lundi, le patron “hollandais” du Sénat, qui ne se représente pas aux élections du 28 septembre, a annoncé qu’il avait « accepté la demande de mise en congé sans traitement » de Sandra Thévenoud. Alors qu’elle escomptait se recaser à la Caisse des dépôts et consignations au lendemain des sénatoriales (sous les ordres de l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Pierre-René Lemas), ses espoirs semblent aujourd’hui douchés.

Selon Le Canard enchaîné, Thomas Thévenoud, qui dit souffrir de « phobie administrative », n'a pas non plus réglé le loyer de son appartement parisien pendant trois ans.

« Ça suffit maintenant, je m'en prends plein la gueule ! Je vous préviens, si vous écrivez autre chose, mon avocat est prêt et je vous attaque en justice », s’est agacé mardi Thévenoud auprès de Metronews, qui l’interrogeait sur les manquements dans sa déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence (HAT). Réplique instantanée d’un responsable PS de l’Ardèche sur Twitter: « Nous aussi on en prend plein la gueule pour lui. »

Mardi, le président du groupe UMP à l'Assemblée, Christian Jacob, a indiqué qu’il allait demander au secrétaire d’État au budget Christian Eckert « de saisir la commission des infractions fiscales pour voir s'il y a eu fraude ou pas ».

Au PS, le scandale Thévenoud ne pouvait pas intervenir à un moment plus pénible pour la majorité, déjà essorée par deux ans et demi d’exercice du pouvoir, lâchée par ses électeurs et profondément divisée sur la politique économique à mener. Après les affaires Cahuzac et Le Guen, un député PS, nommé secrétaire d’État, qui ne déclare pas ses impôts pendant plusieurs années est une catastrophe politique.

« En devenant non-inscrit, Thomas Thévenoud économisera par ailleurs les 500 euros mensuels que chaque député reverse au PS, ainsi que 300 euros pour payer les collaborateurs du groupe socialiste », grince un député socialiste dépité. Dans sa circonscription, raconte-t-il encore, les électeurs ne lui parlent que de ce nouveau scandale. Une pétition en ligne, appelant à la démission de Thévenoud de l’Assemblée, a déjà rencontré un franc succès.

Plusieurs responsables de la majorité, comme le secrétaire d’État Thierry Mandon ou la maire de Lille Martine Aubry, ont également enjoint le député à rendre son mandat, quitte à se lancer dans une élection partielle difficile à gagner pour le PS. Mais personne ne peut contraindre Thévenoud à démissionner de l’Assemblée – cette décision relève de lui seul. « On en est à un point où c'est Cambadélis qui donne des leçons de vertu… », conclut, amer, un proche de Benoît Hamon.

Mardi, les ministres de Manuel Valls n’avaient plus qu’à assumer leur dépit. Stéphane Le Foll, mardi sur France Info, a ainsi parlé de « faute directe ». « D'avoir accepté de rentrer au gouvernement et de ne pas avoir déclaré d'impôts pendant trois ans… Comment ils font ? Comment cela ne leur pose pas de problème au niveau du vécu. Cela me reste au travers de la gorge », a-t-il encore dit. « C'est dur à avaler », a également déclaré la ministre des affaires sociales Marisol Touraine.

« Je ne comprends pas comment un député, au plan moral et rationnel, peut être amené à se soustraire aux impôts », a même osé Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement. Lui-même a pourtant sous-déclaré son patrimoine et n’a promis de se mettre en conformité avec le fisc qu’une fois lancée l’enquête de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

BOITE NOIREInterrogés mardi, le PS et le cabinet de Christian Eckert n'avaient pas encore répondu à nos questions à l'heure où cet article a été mis en ligne.

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Supprimer les seuils sociaux n'aura «aucun effet sur l'emploi»

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Frein à l’embauche, à la croissance… Depuis des années, le patronat claironne le même argumentaire pour en finir avec « les seuils sociaux », ces contraintes administratives, financières et sociales imposées aux entreprises quand leurs effectifs augmentent. Deux seuils lui posent un problème particulièrement insupportable : ceux de onze et cinquante salariés qui déclenchent la création des institutions représentatives du personnel, les IRP, soit un cauchemar pour l’employeur qui fantasme une succession d’obstacles à venir. Combien d’employeurs ont recours aux heures supplémentaires ou à l’externalisation pour échapper aux seuils alors que leur production augmente ? Combien se tournent vers la filialisation ou sous-déclarent leurs effectifs pour y échapper ?

Prête à remettre en cause l'un des fondements du droit à la représentation des salariés au travail, à se mettre à dos ses électeurs comme les syndicats, la gauche ouvre aujourd’hui un boulevard au patronat et fait sienne la marotte de Pierre Gattaz. François Rebsamen, à peine installé ministre du travail, a le premier allumé la mèche, au printemps dernier, en se prononçant pour un gel provisoire des seuils sociaux pendant trois ans, le temps que la croissance revienne. « Il faut ramener du réalisme et de la simplification dans la vie économique », expliquait-il, comme nous le racontons ici. Il ne faisait que préparer le terrain miné. Manuel Valls, François Hollande lui ont emboîté le pas, encore plus fermes. Dans une interview au Monde, le 20 août dernier, le chef de l’État insistait : « Chacun doit admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuil. »

François Hollande, François Rebsamen, Thierry Le Paon et Pierre Gattaz lors de la "conférence sociale" de juillet dernierFrançois Hollande, François Rebsamen, Thierry Le Paon et Pierre Gattaz lors de la "conférence sociale" de juillet dernier © reuters

Voilà qui est clair, assumé, comme le cap libéral de l’exécutif. La réforme des seuils sociaux, intégrée dans « la négociation interprofessionnelle sur la qualité et l'efficacité du dialogue social dans les entreprises », sera l’un des dossiers les plus difficiles de la rentrée. Le gouvernement menace de reprendre la main pour légiférer si aucun terrain d’entente n’est trouvé d’ici la fin de l’année. Le temps est compté pour les partenaires sociaux. Divisés, ils ont déjà tenté en vain, entre 2009 et 2012, de s'accorder sur la question du dialogue social.

Si le patronat se frotte les mains, Medef et CGPME en tête, de voir l’un de ses vœux les plus chers sur le point d’être exaucé, les syndicats avancent divisés. Les contestataires, CGT (qui organise une journée d'action le 16 octobre) et FO, martèlent qu’il n'y a là rien à négocier. Mais le gouvernement sait qu’il peut compter sur la CFDT, son principal allié dans toutes les réformes conduites depuis deux ans, même les plus impopulaires. Laurent Berger, le dirigeant de la centrale réformiste qui était sorti du rang lorsqu'en juillet dernier, à cinq jours de la conférence sociale, il apprenait dans Les Échos le report du compte-pénibilité et l'annonce d'une réforme expresse des seuils sociaux (lire ici notre article), ne voit, aujourd'hui, plus de « sujet tabou » s'il obtient en contrepartie une meilleure représentation des salariés dans les toutes petites entreprises où elle est inexistante et une amélioration des parcours professionnels des représentants syndicaux, souvent hachés. C'est ce que le gouvernement pariait…

Sur fond de crise politique sévère et dans un climat social déjà très tendu, patronat et syndicats se sont donc mis autour de la table, ce mardi 9 septembre, au siège du Medef à Paris où ils avaient rendez-vous pour planifier l’agenda social des prochains mois et montrer les dents sur cette question ultra-sensible. Mais que recouvrent les seuils sociaux ? Par ces effets de seuils, notre Code du travail dissuade-t-il les entreprises d'augmenter leur personnel, comme on l’entend à longueur d’ondes ? Quel est l’impact d’un assouplissement ou d’une suppression des seuils sur l’emploi, le chômage ? Décryptage.

Qu’est-ce que les seuils sociaux ?

Les seuils sociaux fixent les obligations des entreprises en fonction du nombre de salariés. Une quinzaine de seuils déclenchent ainsi une centaine de règles concernant le dialogue social, la fiscalité… Les seuils de 11 et 50 salariés sont les plus importants.

À partir de 11 salariés, l’entreprise doit organiser des élections de délégués du personnel et leur accorder dix heures par mois, mais le patronat, dans ses complaintes, ne dit pas que deux tiers des entreprises ne respectent pas cette obligation ! À partir de 20 salariés, s’ajoutent une hausse du taux de cotisation pour la formation professionnelle, le financement en faveur du logement, l’embauche de 6 % de personnes handicapées. À partir de 25 salariés, un réfectoire est obligatoire si les salariés en font la demande.

À partir de 50 salariés, une trentaine de législations et réglementations supplémentaires tombent en rafale. Il faut un comité d’entreprise qui doit être consulté et subventionné (0,2 % de la masse salariale), un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), avec obligation de former ses membres, un plan de sauvegarde de l’emploi en cas de licenciement de plus de dix personnes, une prime de participation, des obligations comptables renforcées, etc.

Au-delà de 50 salariés, le comité d’entreprise doit être réuni davantage, une fois par mois (150e salarié), un bilan social réalisé (300e salarié). À partir de 1 000 salariés, il y a obligation de proposer un congé de reclassement au salarié licencié pour raison économique, de prévoir une salle de repos pour les salariés.

Les seuils sont-ils un frein à l’embauche, à la croissance ?

C’est l’argument déployé avec force et vigueur, depuis toujours, par le patronat. Le système français de seuils serait un carcan législatif et règlementaire qui entrave, décourage, mine l’entrepreneuriat. Argument largement repris et déployé aujourd’hui par le premier ministre Manuel Valls, qui veut que « les entreprises n'aient pas d'entraves administratives à l'embauche ». Un discours dans la droite ligne des rapports Camdessus (2004), Aghion (2007) et Attali (2008) pour qui les seuils constituent un frein à la croissance et à la création d'emplois dans une France qui compte une très forte proportion d'entreprises de moins de 20 salariés et une plus faible proportion d’entreprises de taille moyenne.

Pour le patronat, assouplir les seuils lèverait un frein psychologique à l'embauche. Le patron du Medef, Pierre Gattaz, parle de 50 000 à 150 000 créations de postes, l’IFRAP, un think thank libéral, de 70 000 à 140 000. De la poudre aux yeux ! L’assouplissement, comme la suppression, des seuils n’inversera pas la courbe du chômage. Les études sont rares sur le sujet mais toutes aboutissent à la même conclusion : un impact marginal sur l’emploi.

Celle qui fait référence date de 2010. Elle a testé l’ampleur de ces effets de seuil, en se concentrant sur les seuils de 10, 20 et 50 salariés, les plus importants dans la législation française et en se basant sur les déclarations fiscales et non sur les Déclarations annuelles des données sociales (DADS), qui offrent des chiffres encore plus précis. Elle a été réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), difficilement contestable, (vous pouvez la consulter ici dans son intégralité) et elle conclut à des effets globaux de « faible ampleur ».

Selon l'une de ses projections, l'effacement des seuils entraînerait ainsi une diminution de 0,4 point de la proportion d’entreprises de moins de 20 salariés et, en parallèle, elle permettrait d'augmenter la proportion d'entreprises entre 10 et 19 salariés et celle entre 20 et 250 salariés de 0,2 point seulement… « Ces effets sont ainsi loin de rendre compte des différences de taille d’entreprises entre la France et l’Allemagne, pour lesquelles d’autres explications doivent être recherchées », pointe l’INSEE.

Même les plus libéraux des économistes à gauche, comme Pierre Cahuc qui a l’oreille du président, relativisent l’impact quasi nul sur l’emploi de l’effacement des seuils. « Nous sommes tous assez d’accord pour dire qu’il n’y a aucun effet sur l’emploi ou alors un effet très marginal », confie Gérard Cornilleau de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il prévient aussi qu’un lissage ou une suppression des seuils pourraient avoir des effets pervers : « Les postes créés dans les petites entreprises pourraient être détruits dans les plus grandes. »

Refonte à la marge ou réforme d’ampleur ?

« Aller vers un gel des sociaux sera très compliqué et risqué pour le gouvernement dans le moment politique actuel particulièrement inquiétant. Ils ont déjà reculé sur un certain nombre d’annonces zélées comme revenir sur les 35 heures ou taper sur les chômeurs. La tactique de Valls est de frapper fort et de montrer qu'il y a un cap mais il n'ira pas jusqu'à les supprimer », avance, sous couvert d’anonymat, une figure du monde social. Proche de François Hollande, il ne voit pas l’exécutif enlever les syndicalistes des entreprises et mettre à mal la protection sociale des salariés, mais penche plutôt pour un assouplissement à la marge, administratif, financier, « un dépoussiérage, une simplification de certaines obligations, donnant-donnant pour le patronat et les syndicats ». 

Plusieurs seuils, modes de calcul… Le système est, il faut le reconnaître, d’une redoutable complexité. Il a cependant été assoupli lors de la loi de modernisation sociale de 2008 ou encore en 2013, lors de la loi découlant de l’ANI. Depuis 2013, les entreprises qui franchissent le seuil de 50 salariés ont un an de plus pour se mettre en règle, les hausses de cotisation formation ont été lissées sur plusieurs années au franchissement des seuils, etc.

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À Beaucaire comme à Fréjus, le FN fait travailler une société amie

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Le « copinage » de la classe politique, que dénonce régulièrement Marine Le Pen, a également lieu dans des mairies Front national. Après Fréjus (lire notre enquête), c'est à Beaucaire (Gard), autre ville remportée en mars par le FN, que le maire a octroyé un contrat à une société dont le dirigeant officie sous pseudonyme au Front national.

Comme l'atteste un document que Mediapart s'est procuré, la société La Financière des territoires a obtenu, le 23 juin, un contrat de 13 900 euros (hors taxes) pour assurer une prestation intitulée « assistance préparation débat d'orientations budgétaires, budgets primitifs et taux d'imposition 2014 / étude factures 2013 et premier trimestre 2014 ».

Cette mystérieuse entreprise n’existe que par une simple boîte aux lettres dans une société de domiciliation, rue de Berri, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Plus étonnant : elle a été créée le 21 mars, à l'entre-deux-tours des élections municipales. Le but de son dirigeant, Clément Brieda, était limpide : « Créer sa société pour réaliser les audits de plusieurs villes », avait expliqué fin août à Mediapart Bernard Monot, eurodéputé FN et conseiller économique de Marine Le Pen. Bernard Monot connaît bien Clément Brieda, puisque celui-ci fut son directeur de campagne aux élections européennes, en juin.

Clément Brieda.Clément Brieda. © dr

Ce consultant de 26 ans du cabinet de conseil Deloitte, diplômé de l’Edhec, évolue au Front national depuis plusieurs années sous le pseudonyme de Bastien Doutrelant. « Je l'ai fait rentrer il y a trois ans à la commission économique du parti (qui a rédigé le programme économique de Marine Le Pen à la présidentielle – Ndlr) », nous avait confirmé Bernard Monot, qui a lui-même officié sous pseudonyme au FN jusqu'en février.

Présenté aux universités d'été du FN comme « analyste financier », Clément Brieda a aussi animé les séances de formation des candidats frontistes aux municipales. Ce travail, il l’a réalisé pendant plusieurs mois « bénévolement », nous avait affirmé Jean-Richard Sulzer, monsieur « économie » du FN qui a animé un temps ces sessions avec lui. Mais avec l’assurance d’obtenir des contrats dans certaines villes FN ? Après le succès du FN aux municipales, Clément Brieda avait démarché plusieurs mairies, comme Fréjus et Le Luc, dans le Var. 

Un cadre du Front national admet à Mediapart que l’opération, à la veille des municipales, n’a pas été très discrète. « D’un point de vue com’, ce n’est pas génial… Il aurait dû faire créer cette société un an avant par sa grande-tante, la mettre en sommeil puis reprendre la gérance en mars. Là, ça prête le flanc aux critiques… »

Marine Le Pen venue le 22 février soutenir Julien Sanchez, élu maire FN de Beaucaire en mars.Marine Le Pen venue le 22 février soutenir Julien Sanchez, élu maire FN de Beaucaire en mars.

Comment le maire de Beaucaire a-t-il sélectionné cette société ? « Je ne peux pas vous répondre, voyez avec les services concernés en mairie », répond Clément Brieda, joint ce mardi. « Ce contrat n'a pas été géré par le service des marchés publics, comme tous les marchés dont le montant est inférieur à 90 000 euros », indique le responsable de ce service à la mairie de Beaucaire. 

Sollicité, le maire, Julien Sanchez, nous explique dans une réponse écrite que la société était venue démarcher sa commune « dès le début du mandat » et qu'elle « a été la seule à le faire ». « Les tarifs proposés étant dans les prix habituels, le seuil des marchés publics n’étant pas atteint, et n’ayant que 3 semaines (moins les délais fixes de convocation des deux conseils municipaux de rigueur) pour réaliser ces documents et convoquer deux conseils municipaux, nous avons choisi cette société, unique société à nous avoir démarchés dès les premiers jours », écrit-il, en citant au passage le « rapport accablant de la Chambre régionale des comptes » sur la gestion de son prédécesseur.

« Pour les prochains exercices, si vous connaissez des entreprises concurrentes encore plus compétitives et fournissant un travail d’une si grande qualité, n’hésitez pas à nous les indiquer. Même si le seuil des marchés publics ne sera sans doute pas atteint, nous aurons cette fois le temps matériel de solliciter de nombreuses sociétés, à condition que leur prétendue “déontologie” ne leur interdise pas de travailler avec une équipe ayant mon étiquette politique », ironise le maire, qui se garde en revanche de commenter le parcours de Clément Brieda au Front national.

À Fréjus, les opposants au maire FN s'étaient eux interrogés sur ce choix « douteux », et sur la compétence de Clément Brieda. Le jeune consultant n’avait à l'époque remporté aucun appel d’offres et avait investi, lors de la création de sa société, dans trois ouvrages intitulés Conduire un audit financier de début de mandatGuide pratique de l’élaboration du budget et Le budget communal : mode d’emploi.

La Financière des territoires « a fait une offre de service »« les prestations proposées » et « les délais d'intervention correspondaient aux attentes de la ville », avait répondu le maire, David Rachline, avec les mêmes arguments que Julien Sanchez. Face à la polémique, il avait diffusé un communiqué en se contentant d'expliquer que « la prestation confiée à la Financière des territoires s’(était) effectuée dans le strict respect du Code des marchés publics pour les prestations inférieures à 15 000 euros ».

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Le procureur national financier obtient un tribunal dédié aux affaires de corruption

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Créé au lendemain de l’affaire Cahuzac, le 6 décembre 2013, et accueilli pour cette raison même avec un certain scepticisme, le procureur national financier (PNF) s’installe progressivement dans le paysage judiciaire. Et la titulaire du poste, Éliane Houlette, peut aujourd’hui constater (si jamais elle en doutait) que sa volonté de traiter “vite et bien” la fraude fiscale, la corruption et la grande délinquance économique et financière est partagée par une part non négligeable de l’institution.

Massé dans une salle d’audience surchauffée de l’antique Palais de justice de Paris, mardi en fin de journée, pour l'installation officielle du nouveau président du tribunal de grande instance, le petit monde judiciaire a ainsi pu entendre un discours volontaire et très direct de l'intéressé, Jean-Michel Hayat, loin des prêches soporifiques régulièrement infligés aux fidèles lors de ces grand-messes.

Première annonce de taille du nouveau président du tribunal de Paris : les affaires du parquet national financier devraient, à l’horizon 2015, être jugées par une chambre correctionnelle dédiée. C’était justement l’une des demandes d’Éliane Houlette, soucieuse de donner une traduction visible, rapide et pédagogique au travail de son équipe, alors que l’audiencement des 31 chambres correctionnelles du tribunal de Paris est notoirement engorgé, provoquant autant de retard que de frustration chez les justiciables et les citoyens.

Jean-Michel HayatJean-Michel Hayat

Parmi ses « pistes de travail », Jean-Michel Hayat a donc dévoilé « l’éventuelle création de ce qui pourrait être la 32e chambre correctionnelle, entièrement dédiée au jugement des procédures émanant du parquet national financier », et dotée « d’un audiencement distinct et non commun, permettant ainsi d’éviter la concurrence des urgences. Une telle création permettrait, d‘une part, au parquet de Paris de bénéficier d’un désencombrement salutaire, d‘autre part au parquet national financier de disposer de plages d’audiencement immédiates, dès que les premières procédures arriveront, au début 2015, en phase de jugement », a-t-il annoncé.

Pour donner une indication de l’importance de ce qui se prépare, le nouveau président du tribunal a notamment déclaré ceci : cette future chambre correctionnelle dédiée au jugement des affaires du PNF « va être conduite à siéger, sans discontinuer, chaque semaine ». L’époque où les dossiers politico-financiers mijotaient dix ans à petit feu avant d'être jugés mollement serait donc en passe d’être révolue. Si les moyens suivent.

Eliane HouletteEliane Houlette

Éliane Houlette est actuellement à la tête d’une équipe de dix magistrats du parquet, qui travaillent tous en binômes. À terme, ils devraient être 25, pour travailler en collaboration étroite avec une dizaine de juges d’instruction spécialisés. La montée en charge du procureur national financier est régulière.

Malgré quelques petits accrocs avec le parquet de Paris, qui s’est vu déposséder de plusieurs grosses affaires, le PNF compte aujourd’hui 226 dossiers, dont 167 en cours. Les dossiers les plus sensibles du moment, au nombre de 69, sont confiés à des juges d’instruction indépendants. 58 autres font l’objet d‘enquêtes préliminaires, sous l’autorité directe du PNF. 8 autres dossiers sont en cours de règlement, et 7 en cours d’audiencement.

Parmi ces dossiers, quelques scandales de taille, comme les affaires Cahuzac, Balkany, Dassault, Guéant, le possible financement libyen de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, et encore l'affaire Wildenstein, l’affaire Herzog-Sarkozy-Azibert, ou encore les dépenses de communication du gouvernement Fillon. Le procureur de Paris, François Molins, a toutefois gardé quelques gros dossiers presque achevés, comme celui de Karachi.

Jean-Michel Hayat est un homme décidé. Avant d’être nommé par le CSM à la tête du plus grand tribunal de France, il avait présidé avec succès les tribunaux de Nice et de Nanterre. Deux juridictions qui avaient souffert de scandales retentissants (l’affaire du juge Renard à Nice, l’affaire Bettencourt à Nanterre). Jean-Michel Hayat a également été conseiller technique au cabinet de Ségolène Royal (ministre déléguée à l’enseignement scolaire), de 1997 à 2000.

À ses débuts, le juge Hayat était membre du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Alors juge d’instruction à Nanterre, il s'était fait connaître en traitant l’affaire Jobic : en 1988, il avait placé en détention ce commissaire de police, inculpé de proxénétisme aggravé et de corruption. Pour finir, Yves Jobic bénéficiera d’une relaxe, puis d’une indemnisation de la justice pour son séjour en prison. La carrière du juge Hayat n'en a pas pâti.

Éliane Houlette a, quant à elle, effectué presque toute sa carrière au parquet, en dehors de son premier poste de juge des enfants (à Blois, en 1978) et de trois années passées dans les services centraux du ministère de la justice (de 1984 à 1987).

Elle a été en poste au parquet de Versailles, puis à la section financière du parquet de Paris, et enfin à la tête de la section commerciale (de 1993 à 2001), avant de devenir substitut général puis avocat général à la Cour d’appel de Paris. Par ailleurs, de 2012 à 2014, Éliane Houlette a siégé au Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), en tant que commissaire du gouvernement. On ne lui connaît ni préférence politique, ni appartenance syndicale.

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Rythmes scolaires : « On en est presque venu aux mains »

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 « Je laisserai ouverte l’école ce mercredi mais tous les parents qui me soutiennent et qui ont été très choqués par notre convocation au tribunal vont faire un blocus », prévient le maire de Saint-Hilaire, Stéphane Pradot, l’un des quatorze maires de l’Essonne convoqués ce mardi au tribunal administratif de Versailles parce qu’il refuse de mettre en place la réforme des rythmes scolaires.

Devant la sanction financière encourue – 1 000 euros d’astreinte par jour –, l’élu de cette commune de 400 habitants a néanmoins choisi de plier comme la plupart des autres maires du département. Sur la grille de l’école qui accueille une partie des élèves de l'école élémentaire (l’autre partie ayant classe dans l’école de Chalo-Saint-Mars, la commune voisine), le maire a posé depuis la rentrée une bâche : « Non à la réforme », et a tenu l’école fermée mercredi dernier. Ce jour-là, sur les quelque 150 enfants scolarisés dans ces deux communes, seuls trois s’étaient présentés. « C’est quand même un signe que les parents nous soutiennent ! », veut croire ce maire sans étiquette. 

L'école de Saint-HilaireL'école de Saint-Hilaire © LD

Certains affichent effectivement un soutien sans faille à l’action du maire, élu en mars dernier. « C’est une honte cette réforme. Y a pas de moyens pour l’appliquer, comment on fait ? Et puis moi j’ai un gros défaut, je travaille ! », tempête Pascal, père de deux enfants scolarisés dans l’école. Pour lui, c’est d’ailleurs simple : si sa commune est l’une des dernières en France à ne pas appliquer la semaine de quatre jours et demi, « c’est parce que les autres n'ont rien dans le caleçon ! ».

Pourtant, près d’une semaine après la rentrée scolaire, beaucoup de parents s’inquiètent. « Certains sont quand même en train de se dire “Mince qu’est-ce qu’on a fait ?” », reconnaît un père d’élève élu au conseil d’école, qui préfère ne pas donner son nom parce que le climat autour de cette question s’est sérieusement envenimé. « Et puis, ça va. On n’est pas non plus le village des irréductibles gaulois contre l’Empire romain. »

La visite des gendarmes venus photographier l’école fermée mercredi dernier a marqué les esprits.

L’organisation totalement chaotique de cette rentrée scolaire commence aussi à peser sur les parents, en grande majorité opposés à l’application de la réforme dans leur village. Comme ces deux mairies ont refusé de déposer un projet d’organisation du temps scolaire conforme aux décrets Peillon-Hamon à la date butoir du 6 juin, elles se sont vu imposer par l’inspection académique le schéma départemental avec école le mercredi matin et journée de classe se terminant à 16 heures. Mais puisque aucun dialogue n’a été engagé avec le conseil général, les bus de ramassage scolaire qui assurent la navette entre les deux villages, matin, midi et soir, continuent à passer aux horaires de l’an dernier. Soit, pour le matin, plus d’une heure après le début de la classe et le soir près de trois quarts d’heure après…

« C’est sûr qu’on ne va pas tenir cent sept ans comme ça », reconnaît Albane, une mère d’élève venue bénévolement, comme d’autres parents et certains conseillers municipaux, assurer la jonction entre la fin de l’école et l’arrivée du bus à 16h35 pour emmener les enfants vers la garderie de Châlo. Ce qui rebute le plus les parents, c’est évidemment que leurs enfants ratent les heures de classe du mercredi, les maîtresses s’étant retrouvées mercredi dernier dans des écoles vides.

Albane, une mère bénévole devant l'école de Sait HilaireAlbane, une mère bénévole devant l'école de Sait Hilaire © LD

Dans ces communes mi-péri-urbaines, mi-rurales du sud de l’Essonne, la plupart des enfants font des journées de 12 heures à l’école. Beaucoup de parents travaillent à Paris – à une heure et demie de RER – et déposent leurs enfants à la garderie dès 7 heures pour les récupérer à 19 heures. Les objectifs de la réforme (réduire la journée de l’enfant en étalant mieux les horaires sur la semaine, proposer des heures d’activités sportives ou culturelles) paraissent ici totalement hors de portée. Avec l’explosion démographique des deux communes de ces dernières années, liée à l’augmentation continue des loyers en centre-ville, les trois écoles (une maternelle, deux élémentaires) débordent. Faute de locaux suffisamment grands, la cantine a désormais lieu dans la salle des fêtes de Chalo-Saint-Mars. « Cela fait déjà longtemps qu’on bricole ici, assure la maire de Chalo-Saint-Mars, Christine Bourreau. Jusque-là, on arrivait à assurer une garderie pour 25 enfants dans l’école, mais avec 60, comment je vais faire ? On n’a vraiment pas les locaux. »

Les centres aérés d’Étampes, la ville voisine, sont saturés et peinent déjà à recruter des animateurs dans le cadre de la réforme. « Alors, vous imaginez, nous, pour faire venir des gens dans nos villages ? Et puis, qu’est-ce que j’ai comme équipement… Ah si, un panier de basket ! », raille le maire de Saint-Hilaire.

Cour de l'école de Châlo saint MarsCour de l'école de Châlo saint Mars © LD
Devant l’imminence de la sanction, ils ont commencé à prendre leur calculette. Et sont tombés d’accord pour reconnaître que même en ne proposant que de la garderie, assurer la cantine le mercredi est financièrement impossible. Même avec les aides de l’État. « C’est un beau bazar parce que rien n’a été réfléchi en amont. Le gouvernement aurait peut-être pu consulter tout le monde avant de balancer cette réforme », affirme Albane qui trouve « courageux » que son maire aille « jusqu’au bout ». « À Paris, ils peuvent proposer des supers activités aux enfants, mais ici… On brasse pas des millions », ajoute-t-elle.

L’idée que le gouvernement a oublié les communes rurales en lançant cette réforme est ici largement partagée. « L’autre jour, ils montraient à la télé une ville qui avait mis en place des supers activités pour les enfants. J’en aurais pleuré. Nous, jamais on n'aura les moyens de payer ça à nos enfants ! » assure la maire de Chalo, Christine Bourreau.

« Je n’arrive déjà pas à payer un ordinateur à 300 euros pour l’école, alors quand j’entends parler d’un grand plan numérique… », s’énerve le maire de Saint-Hilaire.

« S’ils finissent l’école plus tôt, cela veut dire qu’on va payer davantage en garderie. Donc au final c’est encore pour nous ! » peste un père qui tacle, ce matin-là, comme beaucoup d’autres parents, ce gouvernement qui les « assomme avec les impôts ».

Les enseignants, eux, se sentent en porte-à-faux. Pour préparer la mise en œuvre de la réforme, « on avait préparé un projet d’organisation, construit avec les parents, les deux maires », raconte une enseignante de Chalo, « mais finalement, la mairie a décidé de ne pas suivre et déclaré qu’elle n’appliquerait pas la réforme ». « On était parvenu à des horaires à peu près acceptables. C’est six mois de boulot mis à la poubelle », ajoute de son côté un représentant de parents pour qui il était évident que le décret allait s’appliquer et qui s'est vu débordé par le mécontentement de parents l'accusant d'être trop accommodant. « Dans tous les villages, il y a des petites guéguerres, mais là, ça a été vraiment très loin. On en est presque venu aux mains », regrette-t-il. 

Classe de Chalo-Saint-MarsClasse de Chalo-Saint-Mars © LD

Pourquoi ces petites communes de l’Essonne comptent-elles parmi les dernières à refuser la réforme des rythmes scolaires, bien d’autres connaissant les mêmes difficultés ? L’explication est sans doute très politique. « C’est Marlin qui a entrainé les autres », assure ce même parent d’élève.

Frank Marlin, le maire d’Étampes et député UMP de l’Essonne, a été, avec le maire de Yerre, Nicolas Dupont Aignan, un des fers-de-lance de l’opposition à la réforme à l’Assemblée nationale. Jusqu’à la veille de la rentrée, il affichait sa volonté de ne pas appliquer la semaine de quatre jours et demi, avant de céder à la pression de la préfecture. Il est néanmoins venu soutenir les maires des communes des environs qui ont décidé d’aller jusqu’au bout et risquent aujourd’hui très gros.

Pour cet inspecteur de l’éducation nationale, croisé lors de l’inauguration d’un lycée à Étampes, « tout cela relève d’une posture politique des maires. Et comme ils n’ont rien préparé correctement, jouer les victimes les arrange bien. Ce n’est quand même pas le rôle d’un maire que d’empêcher les enfants d’aller à l’école ».

Le maire de Saint-Hilaire, qui fut chef de cabinet de Franck Marlin à la mairie d'Étampes, s’offusque de ce procès d’intention : « Bien-sûr, certains maires veulent profiter de cette occasion pour se faire mousser, mais ce n’est pas du tout notre intention. Nous, cette réforme, on n'a juste aucun moyen de l’appliquer. C’est ce qu’on a rappelé au tribunal. » L’association des maires ruraux de France s’est quant à elle désolidarisée de leur démarche jugée jusqu’auboutiste, leur directeur, Cédric Czabo, indiquant néanmoins « que ces maires soulèvent de vrais problèmes à ce jour non résolus ».

Le jugement du tribunal administratif est attendu ce jeudi.

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Aussi faibles que le pouvoir, les oppositions se livrent

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À une semaine de son deuxième vote de confiance en quatre mois, Manuel Valls a de quoi lire pour se rassurer. À sa gauche comme à sa droite, ses oppositions parlementaires sont loin d'être prêtes à venir perturber sa marche consulaire et son recentrage triangulateur. Deux livres paraissent cette semaine, fruits du travail collectif de personnalités de l'UMP et du Front de gauche, qui dressent un intéressant état des lieux de la situation de deux mouvements tout autant en difficulté face à un exécutif qu'ils vouent chacun à leurs respectives gémonies.

© Éditions Arcane 17 et Flammarion

Mise en difficulté par les affaires, incapable de se rassembler autour d’une ligne idéologique et confrontée à une crise de leadership, l’UMP tente par tous les moyens d’affirmer son audace réformatrice face au gouvernement de Valls, qui applique peu ou prou les idées traditionnellement défendues par la droite. « On a trois mois pour se mettre en ordre de marche », indiquait Christian Estrosi, le 7 septembre, en marge du campus de Nice. Le député et maire ne figure pas parmi les signataires des Douze Travaux de l’opposition (Éd. Flammarion), mais comme eux, ce soutien de Nicolas Sarkozy répète à l’envi que « le temps presse » après deux années de quasi-inertie.

Fin novembre, l’UMP aura un nouveau président. Sans doute le parti changera-t-il de nom. Peut-être vendra-t-il son siège parisien de la rue de Vaugirard. Autant de rustines qui s'avéreront inutiles si les idées ne suivent pas. C’est pourquoi la droite se veut force de propositions et le fait savoir à travers cet ouvrage collectif imaginé par le député et maire de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu, et préparé depuis le début de l’année 2014, bien avant que n’éclate l’affaire Bygmalion. Le problème est que la plupart des idées qui sont avancées ici ne sont que des resucées du quinquennat Sarkozy.

S’y distinguent nombre de promesses non tenues par l’ancien président de la République, mais aussi une poignée de propositions en condradiction les unes avec les autres. Parmi les points de désaccord : l'avenir de la loi sur le mariage pour tous que certains souhaitent « réécrire » (Jean-François Copé) en cas d'alternance en 2017, quand d'autres ne veulent pas « se contenter de la vague promesse de dépoussiérer le texte » (Laurent Wauquiez). Avec ses Douze Travaux, l'UMP voulait parler d'« une seule voix », mais ce sont bien douze personnalités, boursouflées d'ambitions personnelles, qui s'y expriment.

À l'inverse de l'échiquier politique, la “gauche de gauche” se remet peu de ses échecs électoraux et paraît sidérée par son impuissance face aux orientations toujours plus libérales d'un pouvoir qu'elle a contribué à faire élire. Des treize responsables politiques mobilisés pour le court ouvrage Gauche : ne plus tarder (Éd. Arcane 17), tous fustigent le gouvernement sans indulgence.

La lecture des douze chapitres rédigés par des représentants des diverses composantes du Front de gauche (PCF, PG, anticapitalistes d'Ensemble !), mais aussi de la militante féministe et ex-socialiste Caroline de Haas, de l'écolo de gauche Élise Lowy ou de l'universitaire et “socialiste affligé” Philippe Marlière, raconte bien l'état des divergences stratégiques de la « gauche de transformation », ainsi qu'elle est appelée en introduction de l'ouvrage.

Alors que le doute et les clivages internes traversent les principaux partis de gauche, PS compris, la seule réelle convergence que l'on retient, et c'est déjà un bon début, se porte sur les priorités délaissées par Hollande et Valls. Comme autant de points d'accord laissant entrevoir une plateforme de coalition possible, à défaut d'être probable.

Renforcement des services publics, VIe République, égalité des droits, réforme fiscale et lutte contre l'évasion fiscale reviennent dans la grande majorité des contributions. En revanche, à l'image du trouble actuel qui parcourt leurs divers clubs, courants et partis, les pistes stratégiques avancées par les auteurs laissent apparaître d'importantes nuances, dont on ne sait encore à quel point elles s'avéreront rédhibitoires.

En proposant à ses collègues de l’UMP de participer à l’écriture des Douze Travaux de l’opposition, Benoist Apparu souhaitait « démontrer que le premier parti d’opposition (pouvait) incarner un projet porté collectivement », après des années de divisions internes, tant sur le plan des hommes que sur celui des idées. L’ambition ? Prouver que « l’intérêt supérieur de la France dépasse la tension des intérêts particuliers ». Une démonstration qui ne résiste pas à l’épreuve de la lecture.

D’abord, parce que plusieurs des auteurs des Douze Travaux de l’opposition n’ont pas respecté la règle de départ qui voulait que chacun s’empare d’un seul sujet. Si Valérie Pécresse (éducation), Benoist Apparu (décentralisation), Nathalie Kosciusko-Morizet (écologie et numérique), François Baroin (économie) ou encore Brice Hortefeux (immigration) ont joué le jeu, d’autres ambitieux de 2017 (François Fillon, Xavier Bertrand, Jean-François Copé…) n’ont pas résisté à l’envie de développer leur projet pour la France.

Ensuite, parce que le détail de ces différents projets confirme la crise idéologique que l’UMP traverse depuis plusieurs années. La question de l'immigration, qui passionne toujours autant les ténors de la droite alors qu’elle ne constitue pas la priorité de la nouvelle génération, est celle qui révèle le plus de clivages. Une grande part de la réflexion des ambitieux de 2017 lui est d'ailleurs consacrée. Pourquoi ? Parce que « la France se mérite », comme l’écrit l'ancien ministre de l'intérieur Brice Hortefeux, qui s'emploie à saluer les résultats obtenus par Nicolas Sarkozy depuis son passage place Beauvau.

Dix auteurs des “Douze travaux de l'opposition”, le 9 septembre à Paris.Dix auteurs des “Douze travaux de l'opposition”, le 9 septembre à Paris. © Twitter/Benoist Apparu

Les Français « réclament plus de sécurité et une meilleure maîtrise de l’immigration, assure Jean-François Copé. N’oublions pas que le Front national est en embuscade, prêt à avancer dès que la droite républicaine lui laisse du champ dans ces domaines ». L’ancien patron de l’UMP pointe l’« échec de l’intégration » et explique qu'« il s'agira de mettre fin aux régularisations, hors circonstances exceptionnelles ». Un constat partagé par François Fillon qui déplore « le choc culturel » perceptible selon lui « dans certains quartiers » et recommande pour sa part d’« accueillir moins pour intégrer mieux ».

Prenant soin de dénoncer la stigmatisation d’« une partie des habitants de la France » – « les riches » comme « nos concitoyens d’origine étrangère » –, le premier ministre de Nicolas Sarkozy fait pourtant un peu plus loin un raccourci évocateur entre la fraude – autre marotte de l’UMP – et l’immigration : « Il faut continuer à réduire l’immigration familiale en luttant contre la fraude, comme mon gouvernement l’a fait de 2007 à 2012. »

Alain Juppé, lui, propose une tout autre approche du sujet en consacrant un chapitre à l'« identité heureuse », en écho à l'ouvrage d'Alain Finkielkraut, L'Identité malheureuse (Éd. Stock), qui avait fait l'objet d'un “petit-déjeuner inattendu” de l'UMP en janvier 2014. Le maire de Bordeaux y distingue le concept d’assimilation – « vouloir effacer les origines, couper les racines, nier toute différence » – à celui d’intégration. « La représentation collective que nous nous faisons du monde globalisé reste négative et apeurée, écrit-il. D’où le retour de balancier et le succès d’un discours politique qui dessine une France barricadée, cultivant le protectionnisme économique, refusant l’ouverture européenne, méfiance vis-à-vis de l’étranger, franchement hostile à ceux qui pratiquent la religion musulmane. »

Pour éviter que cette « peur française », qu’il qualifie d’« irrationnelle », ne prospère, Juppé propose, entre autres choses, un meilleur apprentissage du fait religieux : l'éducation devrait selon lui davantage s'intéresser à la tradition chrétienne, mais aussi à celle du judaïsme et de l’islam. « Jamais tout au long de mon parcours scolaire et universitaire, on ne m’a proposé d’ouvrir le Coran dont j’ignore à peu près tout. Comment s’étonner, dès lors, de notre méconnaissance collective de la religion musulmane, méconnaissance qui engendre trop souvent la méfiance ou la peur ? » s’interroge-t-il.

Sur le plan économique, les ténors de la droite reposent la question du travail dominical, celle de la réduction du nombre de fonctionnaires et, bien entendu, celle des 35 heures, loi sur laquelle Laurent Wauquiez préconise de revenir, mais que François Baroin ne cite pas une seule fois dans son développement sur les « erreurs fondamentales de politique économique ». L'ancien ministre de l'économie évoque par contre le “Pacte de responsabilité” de François Hollande, qui « acte, selon lui, le revirement à 180 degrés de la politique du gouvernement (socialiste) et sa récupération d'une stratégie qui était déjà celle de Nicolas Sarkozy depuis plusieurs années ».

Outre les pages rédigées par Nathalie Kosciusko-Morizet, les ambitieux de 2017 n'accordent guère d'importance aux questions écologiques. Seul François Fillon s'exprime brièvement sur le sujet en se déclarant favorable aux forages expérimentaux pour les gaz de schiste, se distinguant ainsi de la loi Jacob de juillet 2011 qui prohibe leur exploitation par fracturation hydraulique.

Pour le reste, un certain nombre de propositions faites sous le mandat de Sarkozy et largement décriées à l’époque, sont de nouveau posées. C’est par exemple le cas de la loi du député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, destinée à lutter contre l'absentéisme scolaire en suspendant les allocations familiales. Votée en septembre 2010, puis supprimée par le PS en janvier 2013, elle est remise au goût du jour, notamment par Jean-François Copé et Xavier Bertrand.

Dans son chapitre, l’ex-ministre du travail délaisse son ancien champ de compétences pour développer sa vision de la grande réforme pénale que la droite, par « frilosité », et la gauche, par « angélisme » et « dogmatisme », ont selon lui échoué à porter. Parmi ses propositions, pour partie inspirées de celles de Nicolas Sarkozy : « un plan carcéral ambitieux », qui permettrait à la France de passer de « 57 000 à 80 000 places de prison d’ici à 2022 », « l’éventuelle suppression du juge d’instruction en donnant en compensation plus de pouvoir au parquet mais aussi aux avocats », « la participation des citoyens aux décisions de justice, notamment le recours aux jurys populaires en correctionnelle »

Toujours sur le volet de la justice, François Fillon qualifie quant à lui de « signal désastreux » la remise en cause des peines planchers, se hasardant à une comparaison pour le moins populiste : « Qui peut comprendre qu'une attaque de train digne du Far West se solde par de la prison avec sursis, alors que la maltraitance d'animaux conduit à de la prison ferme ? » questionne l'ancien premier ministre.

Sur les douze auteurs du livre collectif, neuf ont participé au gouvernement de Nicolas Sarkozy. La plupart d’entre eux défendent aujourd'hui leur bilan sans jamais émettre de réelles critiques sur ce dernier ni s'aventurer à un quelconque inventaire. À peine regrettent-ils de ne pas être allés assez loin dans leur volonté de réformer le pays. Un service minimum de mea culpa qui leur permet toutefois d’anticiper les éventuelles critiques : cette fois-ci, ils l’assurent, les promesses non tenues entre 2007 et 2012 le seront en cas d’alternance en 2017.

À l’instar de Nicolas Sarkozy qui revient en politique « par devoir » et non « par envie », les ténors de la droite se sentent missionnés pour résoudre la crise que traverse le pays et dont seul François Hollande porte à leurs yeux la responsabilité. Une crise « économique, sociale et politique », mais aussi une « crise morale », comme le déplore Jean-François Copé. L’ancien patron de l’UMP, démis de ses fonctions au mois de juin en plein scandale Bygmalion, a beau jeu de s’engager sur le terrain de la moralité. Rédigé avant son départ, son chapitre ne fait nulle mention à l’affaire.

Ce sont Bruno Le Maire et Laurent Wauquiez qui se réservent le traitement de l’éthique en politique. Le premier, candidat à la présidence de l’UMP, répète les propositions qu’il défend déjà à longueur d’interviews depuis plusieurs mois : l’exemplarité des élus, la distinction entre la haute fonction publique et la vie politique, la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du nombre de mandats, y compris dans le temps…

Quant au second, désormais soutien officiel de Nicolas Sarkozy pour l'élection de novembre, il plaide en faveur de la transparence et estime qu’« un juge devrait pouvoir prononcer l’inéligibilité à vie pour tous les cas de corruption et de prise illégale d’intérêts ». Une proposition qui n’est pas sans rappeler que l’ex-chef de l’État a été mis en examen, fin juin, pour « corruption active »« trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel » dans le cadre de l’affaire Azibert.

À l'origine, ils s'étaient réunis pour signer une tribune dans Libération, le 1er juillet dernier, pour « aider à ce que se lève l’indispensable grand mouvement citoyen qui donnera corps à l’alternative à gauche ». Son titre, Gauche : ne plus tarder, est devenu celui d'un petit ouvrage collectif, où treize des signataires ont développé plus avant leur vision d'un avenir unitaire capable d'inverser le cours des choses imaginé par le pouvoir socialiste.

D'emblée, l'on peut reconnaître aux auteurs le mérite de la cohérence sur le diagnostic. Caroline De Haas, militante féministe, ancienne proche de Benoît Hamon, ayant démissionné du PS, résume habilement les multiples constats critiques, voire virulents, à l'encontre de l'exécutif socialiste : « Il faut choisir pour qui on exerce le pouvoir et être prêt à tenir bon, face aux néo-libéraux, aux forces de l’argent, aux malhonnêtes, aux magouilleurs, aux barons locaux, aux institutions financières, aux pollueurs, aux nombreux réactionnaires et quelques fachos qui descendent dans la rue… » Pour autant, l'éventualité que cette gauche qui « tient bon » accède aux responsabilités n'est guère évidente.

  Jean-Luc Mélenchon, entouré de Pierre Laurent et de Clémentine Autain lors d'une manifestation à Paris en mai 2013. REUTERS/Ch Jean-Luc Mélenchon, entouré de Pierre Laurent et de Clémentine Autain lors d'une manifestation à Paris en mai 2013. REUTERS/Ch © Reuters/Charles Platiau

Danielle Simonnet, tête de liste du Parti de gauche (PG) aux municipales à Paris, pose bien la problématique à laquelle est confrontée la gauche qui ne se reconnaît pas dans le gouvernement Valls. Ce « scénario catastrophe (…) construit en toute conscience », que serait « la possible conquête du pouvoir par le FN », et qui permettrait aux socialistes au pouvoir de « gagner, dans un ultime duel, leur réélection malgré le rejet massif de leur politique ». Dans la foulée, elle ajoute, pour parfaire un diagnostic reconnu par tous : « Nos erreurs, nos confusions stratégiques et nos divisions » ont contribué à « essouffler et démoraliser » le processus d'une alternative à gauche. Si bien que, comme l'estime Clémentine Autain, on assiste aujourd'hui à gauche à un « moment de tension entre la nécessité immédiate du changement radical et le temps plus long de la reconstitution d’une force politique ».

Sur le fond, et c'est peut-être le plus rassurant, le périmètre idéologique d'une telle reconstitution semble faire consensus, dans les grandes lignes. Le dirigeant communiste Francis Parny liste ainsi les axes principaux d'un programme commun : « 32 heures, réforme de la fiscalité, réévaluation salariale, transition écologique, réforme des institutions. » Myriam Martin et Marie-Pierre Thoubans, porte-parole d'Ensemble! (le courant anticapitaliste du Front de gauche), lui emboîtent le pas en évoquant « les bien communs » (services publics, alimentation, logement), « l'écologie », « la lutte contre le patriarcat et pour l’égalité », « une réforme démocratique ».

Sur la forme et la stratégie, qui occupent une large part des contributions, le périmètre politique anime un débat vieux comme l'extrême gauche : quelles relations entretenir avec le PS ? Les représentants d'Ensemble! et du PG sont les plus catégoriques. « La construction d’une alternative suppose une indépendance totale vis-à-vis du PS », écrit François Longérinas. Pour Danielle Simonnet, s'allier au PS comme l'ont fait communistes et écolos à Paris, c'est « s'enfermer dans la solidarité avec une majorité acquise aux idées libérales qu’ils prétendent combattre ». « L’union de la gauche, telle qu’elle a existé en France depuis la fin des années soixante-dix, a vécu », abonde de son côté Clémentine Autain, « car le PS a tourné le dos aux valeurs fondamentales de la gauche. »

L'universitaire Philippe Marlière, fondateur du club des socialistes affligés, n'est pas de cet avis. Selon lui, le Front de gauche n'a, lui non plus, pas grand-chose à voir avec ses ancêtres des années 1970 : « Les mesures phares de l’Humain d’abord ! sont globalement moins anticapitalistes que celles du Programme commun signé en 1972 par le PS, le PCF et le MRG. » Marlière n'adhère pas au nouveau clivage esquissé par Jean-Luc Mélenchon et le PG, entre « Front du peuple » et « oligarques ». « Plutôt que d’improviser un aggiornamento idéologique douteux », cingle-t-il, « il conviendrait de noter que toutes les grandes victoires de la gauche en 1936, 1946 et 1981 ont été acquises à la suite d’une convergence unitaire qui a provoqué la radicalisation des forces socialistes. » Pour ce spécialiste du blairisme, « tant que le PS restera le parti dominant à gauche, le redressement de la gauche ne se fera pas contre le PS dans son ensemble, mais avec des forces socialistes ».

Là encore, les regards vers les “députés frondeurs” socialistes divergent. Pour la secrétaire du PCF au Front de gauche, Marie-Pierre Vieu, ils prouvent que « même au sein du cercle dirigeant PS, il existe de vraies résistances à ce rouleau compresseur libéral ». Mais pour Danielle Simonnet, le risque est grand que les proclamations suivies d'abstentions (et non de vote contre) finissent par « lasser ». La dirigeante communiste Isabelle Lorand émet, elle, l'hypothèse de plumer (un peu) de la volaille socialiste. « Un bon quart de notre peuple reste solidement attaché aux valeurs qui ont fait les heures glorieuses de la gauche, écrit-elle. Pourtant, notre score reste bloqué à 10 %. » Et de pointer un objectif : « Gagner le premier cercle, les 4 à 5 % d’électeurs si proches qu’en 2012, ils ont hésité à voter Mélenchon, avant de voter Hollande. » Pour cela, Lorand avertit : « Il faut être fermes sur les valeurs et les moyens, attentifs aux formulations et accueillants. »

Au gré des pages de l'ouvrage, on note aussi de nombreux éloges des mobilisations locales, que les auteurs égrènent (de « l'aide aux habitants radiés abusivement des listes électorales » de Leïla Chaibi aux luttes des « intermittents, postiers, kiosquiers, sans-papiers, etc. » de Danielle Simonnet, en passant par les soutiens aux « coopératives, Amap, régie des quartiers » de François Longérinas).

Plusieurs contributions appellent enfin à bousculer certaines certitudes ou habitudes militantes. Leïla Chaibi, secrétaire nationale du PG passée par le NPA et les collectifs anti-précarité, met les pieds dans le plat : « Fin du cumul des mandats, rotation stricte des postes d’élus, plafonnement de leurs indemnités… Pourquoi sommes-nous si peu bavards sur ces questions ? » Avant d'enfoncer le coin : « Une application de notre devoir d’exemplarité impliquerait certainement bien des bouleversements dans les comportements de nos “oligarchies” internes. »

Beaucoup appellent aussi à être plus attentif aux quartiers populaires et à ses habitants. Ainsi Isabelle Lorand, pour qui « aujourd’hui, la classe populaire s’appelle Farida, Mamadou, Jennifer, Denis ou Vladimir », et qui estime que « la reconquête des catégories populaires est la conquête de la classe populaire contemporaine telle qu’elle est ». Un point de vue partagé par l'écologiste Élise Lowy (aile gauche d'EELV), celle-ci estimant que « la construction d’une alternative viable ne pourra pas faire l’impasse sur le respect des minorités et la tolérance à l’égard des différences culturelles et religieuses ».

La question des comportements et des intransigeances militants sur le sujet est également soulevée. Marie-Pierre Vieu alerte sur ceux qui cherchent à « reconquérir les “masses” sur des discours régressifs et identitaires ». Et redoute « un remède pire que le mal », renforçant « la banalisation de dérives sécuritaires et bénéficiant directement à la droite et à l’extrême droite ». Marie-Christine Vergiat, eurodéputée Front de gauche non affiliée à un parti, appelle carrément à se départir de la « vision néocoloniale du monde », ce qui « demande de travailler sur beaucoup de préjugés et de stéréotypes, notamment au niveau de notre vision de l’Orient ». Elle réfute « l’opposition entre social et sociétal, qui empêche de traiter les problèmes de façon globale ». Redoutant que la gauche se fasse « piéger » par des « combats d’arrière-garde », Vergiat affirme son « refus de se laisser instrumentaliser » face à ceux qui « ont remplacé le diable rouge par un diable vert islamo-terroriste ».

Au terme de Gauche : ne plus tarder, demeure le sentiment que le futur front populaire n'est pas pour demain. Seul embryon de débouché concret évoqué dans le livre par Marie-Pierre Vieu, les futures élections territoriales et régionales. « Il serait important de donner une visibilité au rassemblement et aux éléments de gestion alternative que nous voulons faire vivre. » Il faudra sans doute plus qu'un livre pour cela.

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La nouvelle cachotterie de Thomas Thévenoud

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La liste des « négligences » fautives de Thomas Thévenoud s’allonge de jour en jour. D’après nos informations, l’élu de Saône-et-Loire, redevenu député depuis son exfiltration du gouvernement, a bizarrement omis d’indiquer dans sa déclaration d’intérêts à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT) qu’il a exercé des fonctions dirigeantes au sein d’une société de négoce en vins au cours de l’année 2010.

Il se trouve que cet établissement de Beaune (Bourgogne), baptisé « Vins Bernard Gras », a été contraint à la liquidation judiciaire en 2013, après que son président a été mis en examen pour « pratiques commerciales frauduleuses » (soupçons de vins coupés, d’appellations AOC usurpées…), sur une période remontant au moins à 2010. Ouverte par le parquet de Dijon, l’information judiciaire est toujours en cours aujourd’hui.

Le député Thomas Thévenoud, mis en retrait du PSLe député Thomas Thévenoud, mis en retrait du PS © Reuters

Les lois sur la transparence de 2013 obligent pourtant les parlementaires à déclarer l’intégralité des activités exercées dans le privé « au cours des cinq dernières années » (avec les gratifications perçues), seul moyen de contrôler leurs éventuels conflits d’intérêts.

Or d’après un document du tribunal de commerce, Thomas Thévenoud est devenu directeur général de « Vins Bernard Gras » en septembre 2010. Il n’est certes pas resté longtemps en poste dans cette maison "familiale" (une dizaine de salariés), puisqu’il semble avoir cessé ses fonctions à la mi-octobre 2010. Mais pourquoi ne pas mentionner ce passage éclair noir sur blanc ?

Début novembre 2010, un entrefilet de la presse locale (Le Bien public) évoquait une "descente" de la gendarmerie et des services de la répression des fraudes dans les locaux de « Vins Bernard Gras », diligentée par le parquet de Dijon à la suite de plusieurs plaintes. Puis en avril 2012, un second article dévoilait la mise en examen du négociant pour « pratiques commerciales trompeuses », « tromperie sur la nature et la qualité substantielle des produits », « achat et vente de produits sans facturation conforme » et « utilisation frauduleuse » d’AOC – des chefs de mise en examen que le parquet de Dijon n’a pas pu nous confirmer à ce stade.

Sollicité par Mediapart, Thomas Thévenoud n’a pas retourné nos appels. Dans son édition du 10 septembre, Le Canard enchaîné a par ailleurs révélé que le député a cumulé ces dernières années d’importants retards de loyers dans son appartement du Ve arrondissement de Paris – l’élu a répondu qu’il souffrait de « phobie administrative ».

Mercredi après-midi, le premier ministre a tancé Thomas Thévenoud à l’Assemblée nationale en déclarant : « Je ne comprends pas qu'en responsabilité ou en conscience, il reste aujourd'hui membre de cette Assemblée nationale.»

BOITE NOIREMercredi soir, nous n'avions pas encore réussi à joindre Bernard Gras.

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Economie : échec, confusion et amateurisme

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A quelques jours de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, qui interviendra le 1er octobre, le gouvernement s’est livré à un exercice inédit. Il a admis, même si c’est à demi-mot, que sa politique économique conduisait tout droit à l’échec. Donnant implicitement raison à tous ceux qui depuis de longs mois dénoncent les effets récessifs induits par l’austérité et les effets d’aubaine des cadeaux aux entreprises, il a été dans l’obligation de reconnaître que toutes les prévisions économiques de Bercy, sur la croissance, les déficits ou l’inflation, devaient être revues. Toutes dans le mauvais sens.

A l’occasion d’une conférence de presse, mercredi matin, c’est le ministre des finances, Michel Sapin, flanqué de son secrétaire d'Etat chargé du budget, Christian Eckert, qui s’est livré à cet exercice périlleux : admettre, sans l’admettre vraiment, que le gouvernement avait tout faux ; reconnaître que les priorités économiques du gouvernement conduisaient vers une impasse, mais sans les changer d'un iota.

Christian Eckert et Michel SapinChristian Eckert et Michel Sapin © Reuters

En bref, le ministre des finances a admis que les prévisions économiques du gouvernement les plus récentes, celles qui avaient été rendues publiques en juin dernier lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative, étaient toutes déjà obsolètes. Beaucoup moins de croissance ! Beaucoup plus de déficits ! Plus de déflation ! Comme dans un mouvement de panique, Bercy a enfin reconnu que, bien loin de la reprise prophétisée au printemps par François Hollande, tous les indicateurs économiques étaient mal orientés.

« On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait le chef de l’Etat  le 4 mai dernier (lire Croissance et chômage : Hollande, l’extralucide !). Las ! Quatre mois plus tard, le gouvernement doit avouer que tout cela n’était que fariboles.

Concrètement, le gouvernement a d’abord révisé à la baisse sa prévision de croissance. Pour 2014, elle ne devrait pas dépasser 0,4%, et pour 2015 Bercy table désormais sur une croissance de seulement 1% au lieu du 1,7% qui était attendu en juin dernier. En clair, François Hollande s’est totalement trompé – à moins qu’il n’ait abusé l’opinion ?- en annonçant ces derniers mois une reprise, confortée selon lui par les retombées de la politique économique du gouvernement. C’est exactement l’inverse qui est à l’œuvre. Même si le gouvernement n’a pas évoqué dans la foulée l’évolution du chômage, la révision à la baisse de la prévision de croissance fonctionne, là encore, comme un aveu : le chômage va malheureusement continuer à grimper tout au longs des mois prochains.

Tout aussi grave, les déficits publics vont du même coup déraper beaucoup plus que prévu. De l’aveu même de Michel Sapin,  ils devraient atteindre 4,4% du produit intérieur brut (PIB) en 2014, alors que l’objectif affiché en loi de finances initiale était de 3,6%, et de 3,8% en loi de finances rectificatives. Ces déficits publics, qui ont atteint 4,3% en 2013 ne sont donc pas en baisse, mais… en hausse ! En clair, la réduction des déficits publics qui était présenté comme l’objectif central de la politique économique – et qui est la justification de la politique d’austérité – est en train d’échouer.

Cet échec sur les déficits publics est un camouflet pour François Hollande, car initialement il voulait réduire les déficits publics sous la barre des 3% dès 2013, or Bercy envisage maintenant que l’objectif pourrait être atteint au plus tôt en… 2017.

Enfin, Michel Sapin est venu implicitement confirmer que la France, comme le reste de l’Europe, était confrontée à un grave danger, celui de la déflation. Le ministre a donc révisé la prévision d’inflation pour 2014 à seulement 0,5 % et 0,9 % en 2015.

Il y a quelque chose de confondant dans ces révisions des prévisions économiques. Car, de longue date, le gouvernement avait été prévenu que sa politique économique n’était pas la bonne et qu’elle conduirait nécessairement à moins de croissance et plus de déficits. Or, c’est très exactement ce scénario qui est à l’œuvre.

Il n’est d’ailleurs pas difficile d’établir avec précision que de nombreuses alertes ont été adressées au gouvernement depuis 2012, et que ce dernier, prisonnier de la doxa libérale à laquelle il s’est ralliée sitôt passée l’élection présidentielle, n’a jamais voulu y prêter attention. Avec entêtement, il a même aggravé ces erreurs qui, très tôt, sont devenues patentes.

Le gouvernement a en effet adossé sa politique économique sur deux priorités majeures, toutes les deux d’inspiration libérale. En premier lieu, il a fait de la lutte pour la réduction des déficits sa première priorité, avec à la clef le plan de 50 milliards d’euros d’économies que l’on connaît. En il a fait de son plan de plus de 40 milliards d’euros d’allègements fiscaux et sociaux sa seconde priorité. Et mariant les deux priorités, il a argué qu’il avait mis au point la bonne recette pour renouer avec la croissance. On connaît les arguments avancés, mille fois ressassés : il n’y a pas de croissance durable sans rétablissement des comptes publics ; et il n’y a pas plus de croissance dynamique si la compétitivité des entreprises est grevée par des impôts trop lourds ou des cotisations sociales trop fortes.

Mais ces arguments, puisés dans la boite à outil intellectuelle du patronat et des milieux d’affaires, sinon même de l’UMP, ont été très tôt réfutés par de nombreux experts – avant de l’être dans les rangs même du Parti socialiste par les députés frondeurs – et pas seulement eux.

Dans le cas de l’austérité, un seul exemple : dès le 6 juillet 2012, l’économiste de l’OFCE Xavier Timbeau tirette la sonnette d’alarme dans un entretien prémonitoire avec Mediapart (Lire Xavier Timbeau (OFCE) : « C’est l’escalade vers la catastrophe »). Avec le recul, ce que dit cet expert prend une forte résonance. Car nous sommes à l’époque, quand il prend la parole, le 6 juillet 2012. La gauche socialiste n’est donc au pouvoir que depuis quelques semaines. Et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a fait que prendre des premières mesures budgétaires d’économie. A l’époque, on est encore très loin du plan d’austérité de 50 milliards.

Avec le recul, il est utile de relire ce que disait cet expert dès les premiers jours du quinquennat : il expliquait que dans une période de stagnation ou même de récession, il était aberrant de conduire une politique restrictive car cela conduirait à casser toute possibilité de reprise. Il était même plus précis : il expliquait qu’une politique qui chercherait en priorité à réduire les déficits publics à marche forcée dans cette période de conjoncture dépressive serait radicalement contre-productive car, cassant la croissance, elle conduirait à tarir les rentrées de recettes fiscales et sociales. En clair, prévenait-il, c’est une politique qui « s’auto-annule ». « On est dans un processus à plusieurs étapes : dans un premier temps, on annonce un peu plus d'austérité ; et puis on dit : “Ah! c'est pas de chance ! Il y aura moins de croissance que prévu ; il faut donc que l'on soit un peu plus dur " ; et ainsi de suite…On est dans un processus où l'objectif s'éloigne au fur et à mesure que l'on cherche à s'en rapprocher. C'est la logique à l'œuvre au niveau français, comme elle l'est au niveau européen », expliquait Xavier Timbeau.

Cette critique, il n’était pas le seul à l’exprimer. Dès le printemps 2011, c’est même cela qui avait conduit le Parti socialiste a adopter une plate-forme pour la présidentielle, ratifiée par les militants, qui critiquait la décision de Nicolas Sarkozy de vouloir atteindre les 3% de déficits publics dès 2013. Pour ne pas étouffer l’activité, le projet socialiste préconisait de réduire les déficits de manière beaucoup plus prudente, en repoussant l’objectif des 3% à 2014 sinon même 2015. Mais on sait ce qu’il en est advenu : foulant au pied le projet de son propre parti, François Hollande a décidé de retenir l’objectif de Nicolas Sarkozy, avec une réduction à 3% des déficits dès 2013.

Le résultat, on le voit aujourd’hui. Comme l’avait prédit Xavier Timbeau, c’est une politique qui « s’auto-annule » que les socialistes ont mis en place. Fixant le cap sur l’austérité au nom de la réduction des déficits, il ont cassé la croissance et… creusé les déficits. Et en bout de course, on en arrive à ce bilan paradoxal : les fameux 3% de déficits que François Hollande voulait atteindre dès 2013 sont maintenant repoussés à… 2017 !

Le plus stupéfiant de l’histoire, c’est que ces mises en garde se sont ensuite multipliées, en provenance d’un peu tous les horizons. Et dans les rangs mêmes du PS, ils ont pris de plus en plus d’ampleur, ce qui a renforcé un peu plus chaque mois les rangs des frondeurs. Car au fil des ans, le gouvernement, faisant toujours la sourde oreille, a durci progressivement son action, jusqu’à adopter le plan d’austérité de 50 milliards d’euros, dont 21 milliards d’euros d’économies.

Que l’on se souvienne par exemple de la mise en garde qu’avait formulée pas plus tard qu’au printemps dernier la rapporteure générale du budget (PS) à l’Assemblée. Dans un rapport publié le 23 juin dernier (on peut le télécharger ici), à la veille du débat budgétaire qui devait tout à la fois examiner le plan d’austérité de 50 milliards d’euros et les cadeaux offerts aux entreprises (lire La politique d’austérité conduit tout droit à la catastrophe), Valérie Rabault faisait ces mises en garde – qui n’ont pas plus été entendues que les précédentes : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. » (Lire L’échec économique, le désastre social)

Mais à l’époque, cette prévision de simple bon sens avait été accueillie par des moqueries par Michel Sapin. Et pourtant, nous y sommes : si le gouvernement est contraint de revoir ses prévisions à la baisse, c’est Valérie Rabault qui avait raison.

On sait d’ailleurs pourquoi François Hollande s’est enfermé dans cette erreur : voulant apporter plus de 40 milliards d’allègements fiscaux et sociaux aux entreprises, il fallait bien que le gouvernement trouve les moyens de les financer. Impossible donc d’amender le plan d’austérité, car du même coup, cela aurait menacé encore plus gravement l’équilibre des finances publiques au moment où elles étaient par ailleurs sollicitées pour mettre en place le système de crédit d’impôt en faveur des entreprises, puis d’allègements des cotisations sociales.

La première erreur du gouvernement sur la réduction des déficits publics s’est donc doublée d’une seconde sur son plan de 40 milliards d’euros d’allègements en faveur des entreprises. Comme dans une folle fuite en avant, les dignitaires socialistes ont joué avec ce plan leur va-tout : ils ont répété à l’envi que de lui viendrait le salut. On connaît la ritournelle : les 40 milliards apportés aux entreprises vont stimuler leurs projets d’investissement et d’embauche ; la croissance va donc repartir et le chômage baisser.

Et comme il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, le gouvernement a cherché à tourné en dérision tous ceux qui lui faisaient observer que cette somme exorbitante en faveur des entreprises, déboursées sans la moindre contrepartie de la part des entreprises, ne produirait guère que des effets d’aubaine. C’est ce qu’ont répété en particulier de nombreux députés frondeurs tout au long des derniers mois.

Or, avec la révision de ses prévisions, le gouvernement vient là encore de convenir – sans le dire vraiment – que les frondeurs avaient raison : les allègements risquent de conduire à des effets d’aubaine massifs pour les entreprises ou leurs actionnaires, mais sans dynamiser l’investissement ou la croissance.

Tout invite à cette conclusion ravageuse : aussi bien ces révisions de prévisions que les dernières données dont on dispose sur les résultats des entreprises. Car si l’investissement est en chute et l’emploi en berne, les actionnaires, eux, se portent au mieux – merci pour eux ! On a même appris le mois dernier grâce à une étude d’un organisme financier, Henderson Global Investors, que la France avait décroché le trophée (assez peu glorieux pour le gouvernement socialiste!) de championne d’Europe des dividendes versés aux actionnaires. Les rémunérations versées en 2014 aux actionnaires ont en effet augmenté de 30,3 % en France pour atteindre 40,7 milliards de dollars.

Comme on pouvait le craindre, les cadeaux aux entreprises ont donc bel et bien généré des effets d’aubaine, mais pas d’effet économique véritable. Ce n’est d’ailleurs qu’un hasard, mais on ne peut s'emêcher d'y voir une valeur symbolique : ces 40 milliards de dividendes correspondent très exactement aux 40 milliards d’allègements fiscaux et sociaux. 

Mais au-delà de l’échec économique, qui est assurément celui de François Hollande, c’est aussi le grand désordre régnant dans les sommets du pouvoir qui transparaît au travers de ces modifications de prévision. Le grand désordre et aussi la panique, l’amateurisme, l’improvisation permanente qui président à l’élaboration de la politique économique. Car il ne se passe plus un jour sans que l’on assiste à un changement de pied, à un ordre suivi tout aussitôt d’un contrordre…

La semaine passée, Michel Sapin avait ainsi semblé prendre la mesure des effets récessifs du plan d’austérité et avait annoncé, prétextant la faible inflation, que le plan de 21 milliards d’euros d’économies serait revu à la baisse. Mais ce mercredi, craignant sans doute les réactions de Bruxelles après l’annonce du dérapage des déficits publics, il a annoncé qu’il n’en serait rien et que les 21 milliards seraient bel et bien appliqués. Comprenne qui pourra... Sur le front de la TVA, même confusion généralisée : agissant en sous-main pour Manuel Valls pour sonder l'opinion, le député socialiste Christophe Caresche a ainsi avancé la semaine passée la suggestion – passablement réactionnaire et inégalitaire – d’une nouvelle hausse de deux points de la TVA, mais dans les sommets du pouvoir on craint fort que ce projet, s’il voyait le jour, ne soit perçu comme la provocation de trop par des députés socialistes qui sont à cran.

De cette exaspération, il existe d’ailleurs des signes innombrables. Pour en prendre la mesure, il suffit par exemple de se reporter à la réaction très révélatrice du député socialiste Pierre-Alain Muet. Ancien conseiller économique de Lionel Jospin, homme mesuré s’il en est et économiste chevronné, le député a accueilli l’annonce de Bercy par un communiqué mi-vengeur mi-moqueur qui, quand on connaît le tempérament de son auteur, en dit long sur l’état d’esprit des troupes socialistes : « La poursuite de la récession européenne conduit à un déficit public qui ne se réduit pas en France en 2014. Dans cette situation, le gouvernement a raison de reporter à 2017 la réalisation de l'objectif de 3% pour ne pas ajouter de nouvelles mesures d'austérité à une stagnation, due, comme l'a rappelé le président François Hollande le 20 août, à "un problème de demande dans toute l'Europe ....résultant des politiques d'austérité menées depuis plusieurs années». Je salue notamment le fait que la hausse de la TVA, parfois envisagée, ait été écartée. En revanche, faut-il continuer à programmer 41 milliards d'allègements sur les entreprises dont les effets n'apparaîtront qu'à long terme, en maintenant en contrepartie l'objectif de réduction de dépenses dont l'effet dépressif est immédiat ? Cela ne semble guère réaliste au regard des réductions de dépenses réalisées antérieurement et encore moins optimal pour retrouver rapidement la croissance. Dans cette conjoncture, il serait plus efficace d'augmenter plus fortement les emplois d'avenir et l'apprentissage et de soutenir l'investissement des collectivités locales qui est en train de s'effondrer. »

Que pense même le secrétaire d'Etat chargé du budget, Christian Eckert, de la politique budgétaire et fiscale qu’il est chargé de mettre en œuvre ? Loyal, il n’en laisse rien transparaître. Mais il n’est guère besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il doit, lui aussi, avoir des états d’âme, même s’il ne les met pas sur la place publique. Il suffit de se reporter à l’entretien très critique qu’il avait donné à Mediapart le 24 janvier 2014 (Lire Christian Eckert (PS) : « Le chef de l’Etat n’est pas le seul maître à bord).

En bref, la politique économique prend eau de toute part : c’est celle du bateau ivre.

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Des chercheurs dénoncent les entraves à leurs enquêtes sur le FN

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« Le FN n’est pas un parti comme les autres, et heureusement », s’est félicité Julien Sanchez, le maire FN de Beaucaire, lors de l’université d’été du FNJ, le 6 septembre. L’affirmation vaut également pour le rapport aux journalistes et aux chercheurs. Depuis deux ans, le parti lepéniste renoue avec une culture de l’opacité. Si plusieurs médias, dont Mediapart, se voient refuser l’accès aux événements du Front national, des chercheurs travaillant sur l’extrême droite sont eux aussi ostracisés.

Messages incendiaires, invectives sur Twitter, difficultés d’accès, impossibilité de diffuser des questionnaires, autocensure dans les médias : le sociologue Sylvain Crépon et l’historien Nicolas Lebourg racontent à Mediapart les difficultés qu’ils constatent dans leur travail sur et au Front national. Ces méthodes ramènent le parti vingt ans en arrière et révèlent l’impossible normalisation du FN. 

Maître de conférences à l’université de Tours, auteurs de plusieurs enquêtes fouillées sur le parti et ses militants (lire notre boîte noire), Sylvain Crépon a commencé son travail de recherche en 1993, en se penchant, dans le cadre de son mémoire de maîtrise, sur le FNJ, le mouvement jeune du FN. « Je faisais face à une certaine défiance, à un parti structuré de manière plutôt groupusculaire. Un jour on menaçait de me casser la figure, le lendemain on me traitait comme un vieil ami, les portes s’ouvraient et se fermaient. Ils soufflaient le chaud et le froid et exprimaient une grande virilité physique, c’était assez éprouvant. À chaque fois je ne savais pas quel accueil j’aurais. C’était assez compliqué, mais je pouvais enquêter », raconte-t-il à Mediapart.

Sylvain Crépon.Sylvain Crépon.

La scission de 1998 (entre le FN de Jean-Marie Le Pen et le MNR de Bruno Mégret) suscite de l'ouverture. « Les enquêteurs étaient très sollicités, car chacun voulait balancer, parler de l’autre plutôt que de soi », rapporte-t-il. Après l’échec cinglant de 2007, le parti lepéniste est en pleine traversée du désert et peine à contenir l'hémorragie de ses cadres et militants. « Parce que le FN était marginalisé, les portes se sont ouvertes. J’étais même sollicité », se souvient le sociologue. Elles s’ouvrent un peu plus encore lors de la phase d’ascension de Marine Le Pen. « Elle était largement favorisée par son père, il y avait des dissensions. Du coup, on est revenus à l’ambiance de la scission, où chacun voulait parler de l’autre camp », dit-il.

L'enquête de Sylvain Crépon parue en 2012.L'enquête de Sylvain Crépon parue en 2012.

Le sociologue se souvient de la phase d’intronisation de Marine Le Pen (2010-2011) comme d’une « période bénie ». « On m’ouvre toutes les portes, au FN, dans les formations, etc. J’ai de très bonnes relations avec les cadres. Les militants parlent de tout, se permettent de critiquer des positions de Jean-Marie Le Pen, ils louent la stratégie de “normalisation” de Marine Le Pen ». À l’automne 2011, la nouvelle présidente du FN lui accorde même un entretien. « Elle veut m’expliquer son désaccord sur le qualificatif d’extrême droite et me propose une rencontre. La discussion est ouverte, respectueuse, enrichissante. » De ce travail, le sociologue tire en 2012 une enquête inédite sur les militants, les cadres, l’état-major du parti. « Je reçois des dizaines de retours sur ce livre de la part de cadres et militants. Tous, à l’exception d’une personne, reconnaissent “un travail honnête”, “de bonnes sources”. »

Parallèlement, Sylvain Crépon est sollicité par les médias pour livrer son analyse. « Seule une de mes intervention me vaut alors des critiques d’un cadre national : une interview où j’établis la corrélation entre le faible niveau de diplôme et le vote Front national. Le FN diffuse un communiqué, j’ai ensuite une explication très franche avec ce cadre, à qui je démontre que c’est un fait sociologique, que des outils scientifiques l’établissent. Il ne bloquera jamais aucune de mes enquêtes. »

Les premiers soucis arrivent à l’automne 2012. Dans une interview, le chercheur explique que si certains éléments ont indéniablement évolué au FN et qu’une partie des nouveaux militants n’est pas d’extrême droite, le parti, lui, n’a pas rompu avec la logique d’extrême droite. « J’en explique les raisons : son orientation nationaliste, son programme, sa position sur l’immigration. Je reçois de violentes mises en cause par sms de Florian Philippot, mettant en doute mon impartialité, m’accusant d’être dans une démarche militante, de mentir, questionnant même ma présence sur le terrain. »

En représailles, le Front national publie ce tweet :

Florian Philippot explique alors au sociologue que ce sera le cas à chaque fois qu’il qualifiera le FN « d'extrême droite ». Le 3 décembre, même scénario avec l’historien Nicolas Lebourg, qui travaille sur les extrêmes droites :

Après cet incident, Sylvain Crépon rencontre Florian Philippot pour lui expliquer sa démarche – sa méthodologie, sa « neutralité axiologique » – et réaliser un entretien sur sa trajectoire et son engagement. « Cela a été difficile. J’ai subi un assaut de critiques, il était impossible d’avoir une discussion de fond, je devais me justifier. L’entretien sur sa trajectoire a été difficile lui aussi : même en proposant d’anonymiser certains éléments personnels, il se livrait peu », rapporte le sociologue.

Des cadres qui évoluent dans l’appareil depuis une vingtaine d’années se désolent de la réaction de leur vice-président. « Ils n’approuvent pas ses méthodes mais ils ne peuvent pas s’y opposer car il a l’oreille de la présidente, rapporte Sylvain Crépon. Au FN, il fait peur. Soit les gens refusent de parler de lui, soit ils disent “ça c’est off”. Pour nous, chercheurs, tout cela révèle beaucoup de choses sur le parti, sur sa crispation. »

Depuis, « après chaque intervention médiatique qui déplaît », le sociologue reçoit « des sms vindicatifs de Florian Philippot. Jamais je n’avais eu de retours systématiques, c'est inédit ». Exemple le 3 septembre : il explique au Figaro que les collectifs créés en nombre par le FN sont des « coquilles vides » dont les chiffres d'adhésion restent par ailleurs « impossibles à vérifier ». À peine l’article publié, il reçoit un sms virulent du bras droit de Marine Le Pen, qui se fend aussi d’un tweet :

Pour les artisans de la stratégie de « dédiabolisation » du parti, seul ce qui existe médiatiquement compte. « Florian Philippot ne s'intéresse pas à nos travaux scientifiques publiés, mais à nos interventions médiatiques. Il rejette tout ce qui contredit l’image qu’il souhaite donner du FN, ce qui touche à l’identité du parti, et ce qui relève de l’enquête », analyse Sylvain Crépon.

Nicolas Lebourg.Nicolas Lebourg. © Mediapart

Le qualificatif d'« extrême droite » est au cœur de la bataille sémantique de Marine Le Pen et son entourage. « Ce terme les rend fous. Les nouveaux arrivants comme Florian Philippot ont l'impression d'être ramenés à une sous-culture – Maurras, Barrès – qui a formé idéologiquement les cadres du FN mais qui leur est étrangère, raconte à Mediapart Nicolas Lebourg. On ne cesse d'expliquer que l'emploi de ce qualificatif dans la recherche n'est en rien péjoratif mais correspond à des catégories historiques et politiques. »

L'histoire des numéros deux du FN de Nicolas Lebourg, parue en 2012.L'histoire des numéros deux du FN de Nicolas Lebourg, parue en 2012.

L'historien, qui a commencé ses travaux en 2000 en se penchant sur les néonazis et les néofascistes, explique avoir « toujours eu d'excellents contacts avec l'extrême droite radicale » et affirme que « les groupuscules sont parfois plus simples d'accès car ils n'ont pas d'enjeux forts comme le Front national, qui est un parti ».

Il avance une autre explication au changement d'attitude du FN : « Dans les années 1990, le parti avait un comité scientifique, des universitaires, comme Jean-Claude Martinez, Bruno Gollnisch, Louis Aliot. Les cadres étaient de vieux militants du parti. Aujourd'hui ce sont des frontistes issus de catégories supérieures qui n'ont jamais collé une affiche et expriment un mépris vis-à-vis des journalistes et chercheurs. Il y a un manque de culture sur le milieu de la recherche et ses approches normalisées » (lire son analyse sur l'énarchisation du FN).

Nicolas Lebourg relate un épisode révélateur. En juin 2013, lorsque des chercheurs organisent un colloque sur les 40 ans du FN, Wallerand de Saint-Just, trésorier et avocat du parti, et Florian Philippot s'indignent qu'aucun responsable frontiste ne soit invité :

Florian Philippot n'en reste pas là. Dans un communiqué de presse, il fustige la « quinzaine d’experts auto-proclamés du Front National, pour la plupart davantage connus pour leurs prises de position militantes que leur travail de fond et de terrain » et qui « ne rencontrent jamais le moindre cadre ou militant du mouvement », selon lui. Il s'agace qu'ils n'aient « même pas eu la courtoisie d’informer le Front National de ce colloque, ni évidemment d’en inviter le moindre représentant ».

« On n'a jamais vu un colloque sur le PCF, le PS ou la démocratie chrétienne inviter les responsables des partis. Il ne s'agit pas de faire un débat télévisé », souligne Nicolas Lebourg. « Quelle est cette intrusion du politique dans le scientifique ? interroge Sylvain Crépon. Les cadres peuvent y assister, mais ils ne prennent jamais la parole. C’est un colloque où l’on réfléchit à l’ascension de l’objet Front national. »

Les chercheurs sont régulièrement la cible des critiques de responsables frontistes. En mars 2013, le vice-président du FN s'en prend au politologue Thomas Guénolé :

En octobre 2013, l'avocat du FN cible violemment Nicolas Lebourg, qui vient d'interagir sur Twitter avec un groupe antifasciste :

Mais pour ces chercheurs, les difficultés vont bien au-delà de tweets et sms rageurs. L’accès à Marine Le Pen est difficile, voire impossible. La chercheuse Valérie Igounet, auteure d’une méticuleuse histoire du Front national (Seuil, juin 2014), avait raconté à Mediapart avoir eu accès « à des documents écrits, internes et inédits » et avoir pu conduire « de nombreux entretiens », mais davantage avec « les anciens responsables du FN que les actuels », à l'exception notable de Louis Aliot.

« Marine Le Pen n'a pas voulu me rencontrer, affirmait l'historienne en juillet à Mediapart. Elle a invoqué un manque de temps, mais je lui en ai fait la demande à plusieurs reprises et je pense donc qu'il ne s'agit pas du tout d'un désintérêt. Mon livre revient sur la genèse du FN et elle ne voulait certainement pas se retrouver face à une réalité qu'elle dément sur certains points ».

Sylvain Crépon n'a lui aussi plus aucun accès à Marine Le Pen. La présidente du FN s'est par ailleurs opposée à la diffusion de ses questionnaires de recherche en 2013. Adressés aux élus et candidats aux municipales FN, ils visaient à les interroger sur leur origine sociale et leur trajectoire, sur la question des alliances (avec qui ? à quel prix ? à quel point ?), sur la capacité du FN à exercer ou non le pouvoir (à courte, moyenne et longue échéance), sur le qualificatif de parti d’extrême droite.

« J’avais, en amont, soumis mes questions à des cadres frontistes qui m’avaient conseillé de supprimer une question car “ça ne passera pas auprès de Marine” et de modifier deux autres. Mais en dernier ressort, et à deux reprises, la diffusion m’a été refusée par Marine Le Pen », raconte le sociologue.

Cette situation, et les messages de Philippot, ont contraint plusieurs chercheurs à une forme d’autocensure. « Lorsque j’ai voulu diffuser mes questionnaires, j’ai fait attention à la manière dont mes propos dans les médias pourraient être interprétés par les responsables du FN et s'ils pouvaient les contrarier », relate Sylvain Crépon. Le sociologue a par exemple fait retirer sa signature d’une tribune de chercheurs publiée dans Le Monde qui expliquait pourquoi le FN répond à la définition d’extrême droite. « L'autocensure, on la pratique tous, notamment pour ne pas compromettre un terrain que l'on compte explorer », admet Nicolas Lebourg.

Pour Sylvain Crépon, « on assiste à un paradoxe intéressant : les cadres historiques ouvrent le parti et les nouveaux arrivants, issus de la fonction publique, le ferment. Ce sont ceux qui sont venus pour mettre en place la stratégie de “normalisation” et légitimer le parti qui s'en prennent aux journalistes. C’est très révélateur ». C'est le cas, par exemple, de Philippe Martel. Le chef de cabinet de Marine Le Pen avait suscité une polémique en ciblant, dans le Point « ces connards de journalistes institutionnels » sur qui il faut « marcher » et qu'il faut « attaquer à mort ».

Pour Nicolas Lebourg, en adoptant des « attitudes groupusculaires » à l'égard de journalistes et de chercheurs, le Front national « donne l'image d'un parti fermé, arriéré, désorganisé, loin du parti professionnel qu'il souhaite devenir et de la crédibilité qu'il cherche à acquérir. S'il était rationnel, il ouvrirait ses archives et ses portes », estime le chercheur.

BOITE NOIRESylvain Crépon est sociologue. Il a suivi la génération « Le Pen-Maréchal » à ses débuts, entre 1995 et 2002, avant de devenir chercheur à l'université Paris-Ouest-Nanterre, puis à l'université de Tours. Il est notamment l’auteur d’une Enquête au cœur du nouveau Front national (éd. Nouveau Monde, mars 2012) et de La Nouvelle Extrême Droite : enquête sur les jeunes militants du Front national (L'Harmattan, 2006).

Nicolas Lebourg est historien, chercheur associé au Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes, à l'université de Perpignan. Il a notamment publié Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN (Nouveau Monde, 2012) et François Duprat, l’homme qui inventa le Front national (Denoël). Voir son entretien vidéo sur Mediapart en février 2014 (en deux parties, ici et ).

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Aquilino Morelle de retour « très prochainement » à l'IGAS

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Aquilino Morelle se répand ; l’Igas se tait. Hier lors d’une réunion avec les syndicats de la maison, la direction de l’inspection générale des affaires sociales a expliqué qu’elle refuserait de fournir quelque information que ce soit sur l’enquête interne visant l’ancien conseiller politique de François Hollande, obligé de démissionner le 18 avril après nos révélations, notamment, sur ses conflits d’intérêts lorsqu’il était à l’Igas.

Qu’a dit Aquilino Morelle pour justifier son contrat avec le laboratoire Lundbeck en 2008 alors même qu’il appartenait à un corps censé surveiller le secteur pharmaceutique ? Comment a-t-il pu défendre le fait qu’il n’ait pas demandé d’autorisation pour ce travail, alors que la loi l’y oblige ? Pourquoi a-t-il accepté de rédiger des rapports touchant aux entreprises pharmaceutiques ? Des procédures disciplinaires ont-elles été enclenchées ? Des sanctions déjà prononcées ? Selon Pierre Aballea, en charge du suivi du dossier pour le Smigas (syndicat des membres de l’inspection générale des affaires sociales), la direction – qui n’a pas répondu aux questions que nous lui avons adressées jeudi matin – a déclaré mercredi qu’elle n’apporterait aucune réponse, ni maintenant ni plus tard. Ce qui en pose une autre : l’Igas se refugie-t-elle dans le silence parce qu’elle espère enterrer l’affaire ?

La question se pose d’autant plus que la direction a annoncé aux syndicats le retour de l’inspecteur Morelle « très prochainement ». D’après les calculs rendus publics cet été, Aquilino Morelle devrait avoir épuisé ses congés le 15 septembre.

Un retour dans les murs à cette date serait loin de passer inaperçu. Car pour Pierre Aballea, le choix de la direction de ne pas dire ce qui s’est passé est à la fois « impensable » et « intenable ». « On va lui confier des missions et les gens face à lui ne sauront pas s’il est clean », s’insurge le syndicaliste. « Ce n’est bon ni pour l’intéressé ni pour l’Igas. La direction dit que cela relève d’un cas individuel mais c’est insensé : c’est aussi la gestion du corps qui est en question. »

Déjà pendant notre enquête, la direction de l’Igas avait répondu a minima et parfois avec mauvaise foi à nos questions. Puis elle avait tardé à enclencher une enquête au motif que la justice s’était saisie du dossier. Sauf qu’une faute administrative ne constitue pas forcément une faute pénale. Que les délais de prescription rendent les poursuites judiciaires aléatoires. Et surtout, que l’une n’empêche pas l’autre. Comment les inspecteurs et les inspectés de l’Igas pourraient-ils comprendre qu’un agent qui viole les règles fondamentales de sa fonction puisse continuer à exercer ses activités comme si de rien n’était ?

Ce silence risque de faire d’autant plus de bruit que dans Le Point paru jeudi 11 septembre, Aquilino Morelle se répand mais ne se repent pas. Bien qu'il démente avoir accordé une interview à l'hebdomadaire, il y défend une vision pour le moins saugrenue de l’affaire : « C’est une chasse à l’homme, un complot. C’est Servier plus les jaloux de l’Elysée (…) Il fallait me discréditer en vue de mon témoignage au procès du Mediator.  » Aquilino Morelle évoque une « liquidation par la tcheka hollandienne (police politique russe créée en 1917) » et, à propos de son départ et de celui de son ami Arnaud Montebourg du gouvernement, parle d’une « logique d’épuration ethnique ». Pas un mot en revanche sur sa déontologie et ses responsabilités : « Si je décide de reprendre activement la vie politique, je la reprendrai. »

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Détenu tué à Colmar : le gendarme simple témoin assisté

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Ce devait être une simple escorte de détenu. Mais le 26 août vers 13 h 30, Hocine B., 23 ans, a été tué sur l’autoroute d’un coup de feu au visage par l’un des deux gendarmes qui l’escortaient au tribunal de grande instance de Colmar. Le gendarme affirme avoir voulu protéger sa collègue aux prises avec le détenu, menotté, qui avait tenté de se saisir de son arme. Extrait de la maison d’arrêt de Strasbourg, le jeune homme, soupçonné dans deux affaires de braquage, devait être entendu par un juge d’instruction de Colmar.

Estimant que la légitime défense n’était pas constituée, Bernard Lebeau, le procureur de la République de Colmar, a demandé le 28 août la mise en examen du gendarme adjoint, âgé de 28 ans, du chef de « violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner par un agent dépositaire de l’autorité publique ». L’information judiciaire a été confiée à un juge d’instruction de Colmar, Jean-François Assal. À l’issue de sa garde à vue, menée par l'inspection générale de la gendarmerie nationale, le juge d'instruction a toutefois placé le gendarme sous simple statut de témoin assisté, sans contrôle judiciaire. Le procureur de Colmar n’a pas fait appel de cette décision, comme le lui aurait permis la loi. Mais « en raison de la complexité de l'affaire », un deuxième juge d'instruction, Nicolas Faltot, a été désigné en renfort de Jean-François Assal. Ce dernier est vice-président du TGI de Colmar, chargé de l'instruction, et ancien vice-procureur du même tribunal.

« En l’état du dossier, mon client ne pouvait espérer mieux », se réjouit l'avocat du gendarme, Me Thierry Moser, qui espère aboutir à un non-lieu. Il indique que le jeune militaire, « complètement déprimé et catastrophé par les conséquences de son geste », est toujours en arrêt maladie. « Le statut octroyé au mis en cause empêche toute forme de contrôle ou contrainte judiciaire à son égard », regrette de son côté Me Renaud Bettcher, l’avocat de la famille de la victime. Il y voit le signe d’« une connivence de l’institution judiciaire à l’égard des membres de la police comme de la gendarmerie ».

Conférence de presse du procureur de Colmar, le 28 août 2014. © DNA

Que s’est-il passé le 26 août ? Lors d’une conférence de presse le 28 août, le procureur Bernard Lebeau a fait un récit assez détaillé de la bagarre qui a éclaté dans la petite Clio. L’escorte était constituée de deux fonctionnaires : une sous-officier, assise sur la banquette arrière à côté du détenu, et un gendarme adjoint, d’« 1 mètre 93 pour une centaine de kilos », qui conduisait. Il s’agit du dispositif règlementaire, mais minimum pour un transport de détenu. Était-ce insuffisant ? La dangerosité du détenu a-t-elle été mal évaluée ? Soupçonné d’avoir participé à deux braquages d’un Quick de Colmar avec une arme factice en mai 2014, Hocine B. n’avait pas, selon son avocat, d’antécédents judiciaires particuliers et était décrit comme « plutôt calme ». Le jeune homme avait été transféré à la maison d’arrêt de Strasbourg début août, après avoir en vain tenté de monter sur le toit de la maison d’arrêt de Colmar. « Peut-être que toutes les informations n’avaient pas été prises en compte », s’interroge une source gendarmesque, qui rappelle « les contraintes budgétaires ».

En arrivant à hauteur de Colmar, Hocine B., qui était menotté, aurait commencé à s’agiter. Selon le procureur, il réussit à sortir l’arme de la gendarme de son étui, la tenant par la crosse dans sa direction. Le pistolet était « armé et chambré ». « Un appui fort sur la queue de détente de l’arme aurait suffi à faire partir le coup de feu, même accidentellement », affirme le magistrat. Ce point est discutable. Les pistolets Sigsauer, qui équipent les forces de l’ordre françaises, sont dotés d’un « système dit à double détente qui l(eur) donne une sécurité équivalente au revolver », décrit sur son blog le commissaire honoraire Georges Moréas. Par rapport à un simple pistolet, le tireur doit donc exercer une pression plus longue sur la queue de détente pour armer le chien, ce qui permet d’éviter la plupart des tirs accidentels.

Au moment où le conducteur pile sur la bande d’arrêt d’urgence pour prêter main-forte à sa collègue, le pistolet n’est de toute façon déjà plus dans les mains du détenu. La gendarme a réussi à le lui arracher et l’arme se retrouve à sa gauche, « coincée entre le bord du siège et la portière ». Selon le procureur, le gendarme ouvre la portière arrière gauche, braque Hocine B. par-dessus sa collègue, puis « considère que ce n’est peut-être pas très approprié » et change de tactique. Ouvrant la portière droite, il frappe à coup de bâton télescopique le détenu « allongé sur le siège arrière » pour lui faire lâcher prise. En vain. Il appelle alors des renforts au centre opérationnel de la gendarmerie.

Le gendarme s’aperçoit que sa collègue, toujours au corps à corps avec le détenu et « à moitié sortie du véhicule », a la main sur son arme, tombée sur le bitume. C’est à ce moment, selon le procureur de la République, que le gendarme aurait pris conscience d’un risque létal « imminent » pour elle et ressorti son pistolet. Entretemps, la gendarme décide d’évacuer son arme en la poussant « sous la roue arrière, à quelques dizaines de centimètres d’elle ». Quand le gendarme relève les yeux pour mettre en joue Hocine B., le pistolet a disparu. « Il estime que la seule solution qu’il avait était de tirer pour neutraliser l’adversaire », a indiqué le procureur, qui n’a pas partagé cette analyse. Touché à la pommette, Hocine B. meurt aussitôt.

Pour Me Renaud Bettcher, le gendarme « n’était clairement pas en situation de menace, il n’avait pas d’arme pointée sur sa collègue ou lui, puisqu’elle était sous la roue de la voiture ». Il s’étonne de la non-mise en examen du jeune homme. Me Thierry Moser estime au contraire que son client était en situation de légitime défense. Lors de la mise en situation réalisée au cours de la garde à vue de son client, « on a bien vu que le détenu était sur le point de s’emparer de l’arme », affirme l'avocat. Cette mise en situation était toutefois fondée sur les déclarations du gendarme adjoint, deux collègues jouant le rôle de sa collègue et du détenu. Les représentants des deux parties demandent donc une reconstitution en bonne et due forme en leur présence.

Christophe, un chauffeur routier de 47 ans, a contacté France Bleu Alsace, environ trois quarts d'heure après les faits. Il affirme avoir assisté à la scène en surplomb depuis sa cabine. Recontacté par Mediapart, le chauffeur routier décrit : « J’ai vu le détenu se débattre, les mains dans le dos et couché sur la banquette. Il mettait des coups à la gendarmette. Le gendarme a ouvert la porte du côté où le détenu avait la tête, il a matraqué le détenu. Le gendarme ne savait plus quoi faire, il tapait dans le vide. Le détenu s’est relevé pour se protéger et s’est mis dans l’autre sens, adossé à la gendarmette, qu’il a coincée. »

Il poursuit : « Elle a ouvert sa portière. Je suis reparti doucement et j’ai vu le gars valser en prenant le coup de feu. Ça l’a éjecté de la voiture, la tête la première. Alors qu’il aurait suffi que le gendarme le tire par les pieds… » Christophe dit ne pas avoir été entendu par les enquêteurs de l’IGGN. Selon lui, une voiture devant son camion et un quatre-quatre ont également été témoins des faits. 

BOITE NOIRELes personnes citées ont toutes été contactées par téléphone. Le parquet de Colmar ne communique plus depuis l'ouverture de l'information judiciaire. Les citations sont donc extraites de la vidéo de la conférence de presse du 28 août 2014, filmée par les Dernières nouvelles d'Alsace.

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Pascal Canfin : « Désormais à gauche, c'est social-libéralisme contre social-écologie »

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Au contraire de sa collègue ministre écologiste Cécile Duflot, lui a choisi de ne pas raconter dans le détail son expérience et la déception de sa participation à un gouvernement élu par la gauche. Quatre mois après avoir refusé de rentrer dans le gouvernement Valls, Pascal Canfin a choisi de reprendre contact avec la vie réelle. Pour lui comme pour son livre (Imaginons..., éditions Les Petits Matins). L'ancien eurodéputé EELV n'a plus de mandat désormais (il est devenu « conseiller climat » en vue de la conférence Cop 21 prévue à Paris en décembre 2015, pour le think-tank World resource institute), et a désiré faire son état des lieux politique par le biais de dialogues avec des « vraies gens » (une ouvrière, un patron de PME, une infirmière, un financier, une responsable à Pôle emploi, un militant associatif de quartier).

Vous publiez un livre d’entretiens avec six citoyens français, mais n’évoquez que brièvement votre expérience ministérielle. Pourquoi ne pas avoir fait de retour d’expérience, comme votre collègue écologiste Cécile Duflot ?

Précisément, les deux livres sont complémentaires. L’un raconte ce qui a conduit à la désillusion et à notre départ conjoint du gouvernement en avril, l’autre est davantage tourné vers des propositions pour incarner une alternative, et montrer qu’on n’est pas condamné au “Tina” (There is no alternative). Quand Manuel Valls dit qu’il n’y a pas d’autre politique possible, c’est la négation même de la politique, qui est d’avoir à choisir entre plusieurs chemins. Nous sommes partis du gouvernement en avril car nous avions anticipé ce qui allait se passer. Nous sommes donc aujourd’hui bien placés pour incarner une autre politique à gauche. C’est pourquoi je montre dans le livre qu’il y a bien une alternative, même en intégrant la réalité européenne actuelle, pour proposer une autre politique. C’est le cœur de cet ouvrage qui est le premier livre politique écrit sous la forme de dialogues avec des Français, y compris par exemple une ouvrière à la chaîne qui a voté Le Pen en 2012. 

Par rapport au récit de Cécile Duflot, avez-vous vécu pareille désillusion ? Auriez-vous raconté la même histoire et la même déception ?

Je partage l’idée qu’il était – et qu’il est bien sûr – toujours possible de faire autrement. Je suis aujourd’hui le seul responsable politique écologiste à avoir une expérience européenne, au Parlement européen, et au gouvernement. J’ai donc vu de l’intérieur à Paris comme à Bruxelles comment cela fonctionne – ou dysfonctionne notamment en raison d’une bien trop grande perméabilité au lobbying exercé par quelques puissants intérêts privés. Je raconte dans le livre par exemple comment la France a (jusqu’à présent) cédé au lobbying d’Alstom pour ne pas supprimer les subventions publiques à l’exportation de charbon alors que Obama a pris cette initiative en résistant à General Electric. Pareil pour la taxe sur les transactions financières, où j’ai vu la bataille des banques et l’absence quasi totale d’engagement politique en face. Et cela est vrai pour tous les sujets financiers, comme la loi bancaire l’a largement illustré.

Il y a d’un côté un grand discours politique disant qu’il faut réguler la finance puis les discussions passent tout de suite à un niveau technique, où le lobbying des banques détricote l’ambition initiale. C’est pour cela que j’explique dans le livre combien il serait essentiel de nommer, en France comme ailleurs, un ministre spécifiquement en charge de la régulation financière et de la lutte contre les paradis fiscaux. Il est quand même étonnant d’avoir un ministre des anciens combattants mais pas de ministre sur les paradis fiscaux ou sur la fiscalité internationale ! Il faut adapter la composition du gouvernement aux enjeux du siècle. Aujourd’hui, il y a un déficit démocratique extraordinaire sur ces questions pourtant majeures si l’on veut montrer que le politique peut reprendre la main sur la globalisation financière : alors même qu’on demande des efforts financiers aux Français, on ne demande pas grand-chose aux responsables de la crise financière. Cet écart nourrit tous les populismes. 

Est-ce qu’aujourd’hui, d’après vous, il y a une perspective optimiste pour la gauche qui n’est plus au gouvernement ?

D’abord, je constate que les faits économiques et politiques nous donnent raison. À force de s’être éloigné des promesses de 2012, la base politique du gouvernement de Manuel Valls est extrêmement étroite et ne représente désormais qu’une seule partie du PS, dont on ne sait même pas si elle est vraiment majoritaire. Sur le plan économique, l’effet cumulé des 40 milliards attribués aux entreprises sans contreparties et sans vision stratégique et de la baisse de 50 milliards des dépenses publiques a un effet récessif, qui empêche de créer des emplois, d’investir dans l’avenir et notamment dans la transition écologique, mais empêche aussi… de réduire les déficits. Même d’un point de vue de bonne gestion financière, et cela m’importe, cette trajectoire échoue à atteindre ses objectifs. C’est pourquoi l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté les responsables et de l'autre les « irresponsables » comme le prétend le premier ministre me heurte profondément. Ce qui est irresponsable aujourd’hui est de donner via le CICE et le Pacte de responsabilité 1 milliard aux banques et 3 milliards à la grande distribution qui n’en ont absolument pas besoin.

Nous sommes désormais à gauche dans une bataille entre un modèle social-libéral, et un modèle social-écologique, qui repose les questions fondamentales et refonde le progressisme : quel monde voulons-nous transmettre à nos enfants, le bonheur passe-t-il par une consommation toujours plus grande de biens matériels… Le projet historique de la gauche a consisté à faire grossir le gâteau pour en redistribuer une partie aux plus pauvres. Son logiciel repose sur une croissance forte. Or cette croissance forte est derrière nous et son projet ressemble donc à un canard sans tête... La social-écologie tient au contraire un discours de vérité sur le fait qu’une croissance infinie dans un monde fini n’est pas possible et en tire les conséquences en se donnant comme objectif d’augmenter l’intensité en emplois de l’économie et en développant l’économie du care et la transition écologique, qui revient à remplacer de l’énergie et du capital par du travail humain. Une économie qui privilégie les liens plus que les biens matériels jetables, largement importés et symboles d’un système économique destructeur de notre planète, est une économie créatrice d’emplois locaux, non délocalisables. C’est sur cette base que nous voulons refonder un contrat majoritaire.

C’est un beau débat d’idées, comme on n’en a pas eu depuis longtemps à gauche. C’est l’enjeu des mois qui viennent. Cela peut être à court terme, lors du vote du budget, ou à moyen terme, d’ici les élections de 2017. Peut-être faudra-t-il passer par cette phase d’entêtement dans laquelle le gouvernement est actuellement, qui nous mènera sans doute à l’échec, pour ouvrir un autre chemin.

Quel est le sens de vos entretiens avec six « vraies gens » ?

Montrer qu’en politique, il n’y a pas ceux qui savent et les autres. Je suis frappé par la déconnexion qui existe entre une partie des élites et le reste de la société. Je pense à ceux qui ont fait l’Ena, parfois comme leurs parents, dont le premier job s’est effectué dans un cabinet ministériel, avant d’aller pantoufler dans une grande entreprise, puis de se lancer en politique, à gauche comme à droite… Je le dis sans démagogie, car il faut des élites, mais ces parcours se ressemblent trop et se déconnectent donc du reste de la société. Dans l’appareil d’État aujourd’hui, il y a très peu de personnes en responsabilité qui viennent d’autres horizons que celui de quelques grandes écoles. C’est un appauvrissement extraordinaire, et les décisions prises sont souvent extrêmement conservatrices, que le pouvoir soit de gauche ou de droite.

En réalité, l’expertise existe dans la société, dans les entreprises, dans les associations, dans les quartiers. Mais cette expertise n’est pas présente à la tête de l’État. C’est aussi pour cela que je ne considère pas spontanément que l’État représente par essence l’intérêt général. J’ai trop vu des décisions se prendre au nom de l’intérêt des grands corps. Un État dont l’intérêt général est capté par des intérêts de corps est un État qui dysfonctionne. La gauche doit agir là-dessus car, bien plus que la droite, elle a besoin d’un État qui fonctionne au service de la société. Une réforme de gauche de l’État passerait par la suppression des grands corps, pour redonner de la diversité dans le recrutement de la haute fonction publique. Celui-ci ne peut pas dépendre de deux filières uniquement, Sciences-Po puis l’Ena ou Polytechnique. Enrichir l’État par la société civile est un vieux combat de l’écologie politique, et de ce qu’on appelait à l’époque la « deuxième gauche ». Il est plus que jamais d’actualité !

Carte des résultats d'EELV aux européennes de 2014Carte des résultats d'EELV aux européennes de 2014

Dans la conclusion de votre ouvrage, vous évoquez l’émergence d’une nouvelle « société écologique », en notant l’émergence d’un vote écolo inattendu (plus de 20 % aux européennes) dans un millier de petites communes formant un Y, « qui part des Hautes-Alpes vers le Pays basque d’un côté et le Périgord de l’autre, en passant par l’Isère, la Drôme, l’Ardèche et le Gers ». Qu’en savez-vous précisément ?

Ce « Y écolo », ce sont des territoires où les gens privilégient la qualité sur la quantité, le sens sur la consommation, les circuits courts sur les flux mondialisés, qui sont insérés et fiers de leur ancrage territorial sans être dans le repli identitaire. Ces valeurs-là produisent un vote écologiste à plus de 20 %, dans des communes essentiellement rurales. C’est un nouveau territoire d’ancrage pour nous, en plus de ce qu’il est convenu d’appeler les “bobos” des grandes villes, qui sont parmi les grands producteurs de richesses dans les centres urbains.

Dans le cadre du club de réflexions (Imagine) que nous venons de créer avec Cécile Duflot, Philippe Lamberts et Ska Keller (eurodéputés verts, belge et allemande, ndlr), nous allons analyser cette “nouvelle société”, qui est en train de naître en s’appuyant sur des valeurs écologiques. Comme l’attachement au bien commun plutôt qu’aux biens matériels, l’importance donnée à une alimentation de qualité, la volonté de reprendre son destin en main et non d’être un pion de la consommation, la volonté de donner du sens à son activité économique en créant des entreprises sociales, des produits verts ou en développant l’économie sociale et solidaire... Le socle de cette écologie repose sur trois piliers : le « care » (le soin, le bien des personnes), le « dare » (l’audace, la culture de l’initiative et la prise de responsabilité) et le « share » (le partage, l’économie collaborative et durable…). 

Ne faites-vous pas comme pour le FN avec le périurbain ? Vous découvrez un territoire un peu marginalisé où se dégage un nouvel électorat, mais qui était celui qui vivait en banlieue avant de s’en éloigner, en l’occurrence les centres-villes pour vous…

Dans les campagnes, l’immense majorité des habitants en milieu rural ne sont plus des ruraux d’origine. Mais si vous avez en tête des néo-ruraux “babas cool façon Larzac”, ça ne représente pas 20 % à 30 % de l’électorat ! Il y a donc autre chose qui se passe, et un nouveau système de valeurs qui se crée. Ce sont des territoires qui créent des emplois, et du lien social, où naissent des maisons des services publics, de l’économie collaborative, des services aux personnes, de l’innovation sociale. Bref une nouvelle façon de faire société, positive et optimiste !

Concernant le périurbain, qui est notre angle mort électoral avec les plus de 65 ans, mon analyse est que c’est précisément l’absence de réponses écologiques qui est la cause du mal-vivre dans ces territoires : étalement urbain mal maîtrisé, absence d’alternative à la voiture, dépendance face à l’augmentation irréversible des prix de l’énergie, défaillances du maillage des services publics… Aujourd’hui, des millions de Français s’y retrouvent piégés, dans un mode de vie qu’ils n’ont pas forcément choisi. L’absence de politiques écologiques les a “insécurisés”. L’écologie pourrait les protéger.

Ce « vivier électoral » est-il en relation avec une implantation militante, ou est-ce un effet de ces militances de « l’après-croissance » (lire notre article) qui s’organisent sans les partis, et du coup votent EELV malgré l’absence de campagnes de terrain de votre part ?

Les bons résultats ne dépendent pas de l’existence, ou non, d’un groupe écologiste local. Les mauvaises langues diront même qu’il vaut mieux qu’il n’y en ait pas ! C’est l’adhésion à un système de valeurs qui conduit au vote écologiste. Et c’est la plus belle motivation !

Le dernier entretien de votre livre est pour un militant des quartiers populaires, Adil El Ouadehe (du collectif Stop contrôle au faciès). Les positions de l’écologie politique pourraient vous permettre d’avoir une bonne audience dans ces zones (laïcité ouverte, lutte contre les discriminations, droit de vote des étrangers, voire légalisation du cannabis). Comment faire pour que cet électorat fasse encore confiance à la gauche en général, et aux écologistes en particulier ?

Nous sommes de plus en plus présents sur le terrain. EELV est par exemple en progression en Seine-Saint-Denis, mais nous manquons de leaders. C’est notre responsabilité aujourd’hui de travailler avec cette nouvelle classe moyenne qui émerge des quartiers, issue des deuxième et troisième générations d’immigrés d’Afrique et du Maghreb. Ils ne se vivent pas comme des victimes, ont plutôt réussi dans leurs études, mais ne sont représentés nulle part. Nulle part dans les médias, dans le monde économique ou dans le monde politique.

L’écologie politique, c’est par définition l’identité multiple, locale et globale, citoyen d’ici et citoyen du monde. Soit on assume enfin que la France est un pays d’immigration et que notre histoire est riche de sa diversité. Soit on s’enferme dans la négation de cette réalité et on laisse alors le champ libre à une vision figée de notre identité qui ne profite in fine qu’au Front national. Sur ce sujet comme sur d’autres, la bataille idéologique est fondamentale. Et la gauche aujourd’hui incarnée par Manuel Valls a trop tendance à se taire, en se disant que la bataille est perdue. Je crois au contraire qu’il est fondamental de la mener et qu’une grande partie de la société française n’attend que ça.

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu dans les locaux de Mediapart, le 2 septembre. Il a duré une heure et a été amendé sur la forme par Pascal Canfin.

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Aussi affaiblies que le pouvoir, les oppositions se livrent

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À une semaine de son deuxième vote de confiance en quatre mois, Manuel Valls a de quoi lire pour se rassurer. À sa gauche comme à sa droite, ses oppositions parlementaires sont loin d'être prêtes à venir perturber sa marche consulaire et son recentrage triangulateur. Deux livres paraissent cette semaine, fruits du travail collectif de personnalités de l'UMP et du Front de gauche, qui dressent un intéressant état des lieux de la situation de deux mouvements tout autant en difficulté face à un exécutif qu'ils vouent chacun à leurs respectives gémonies.

© Éditions Arcane 17 et Flammarion

Mise en difficulté par les affaires, incapable de se rassembler autour d’une ligne idéologique et confrontée à une crise de leadership, l’UMP tente par tous les moyens d’affirmer son audace réformatrice face au gouvernement de Valls, qui applique peu ou prou les idées traditionnellement défendues par la droite. « On a trois mois pour se mettre en ordre de marche », indiquait Christian Estrosi, le 7 septembre, en marge du campus de Nice. Le député et maire ne figure pas parmi les signataires des Douze Travaux de l’opposition (Éd. Flammarion), mais comme eux, ce soutien de Nicolas Sarkozy répète à l’envi que « le temps presse » après deux années de quasi-inertie.

Fin novembre, l’UMP aura un nouveau président. Sans doute le parti changera-t-il de nom. Peut-être vendra-t-il son siège parisien de la rue de Vaugirard. Autant de rustines qui s'avéreront inutiles si les idées ne suivent pas. C’est pourquoi la droite se veut force de propositions et le fait savoir à travers cet ouvrage collectif imaginé par le député et maire de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu, et préparé depuis le début de l’année 2014, bien avant que n’éclate l’affaire Bygmalion. Le problème est que la plupart des idées qui sont avancées ici ne sont que des resucées du quinquennat Sarkozy.

S’y distinguent nombre de promesses non tenues par l’ancien président de la République, mais aussi une poignée de propositions en condradiction les unes avec les autres. Parmi les points de désaccord : l'avenir de la loi sur le mariage pour tous que certains souhaitent « réécrire » (Jean-François Copé) en cas d'alternance en 2017, quand d'autres ne veulent pas « se contenter de la vague promesse de dépoussiérer le texte » (Laurent Wauquiez). Avec ses Douze Travaux, l'UMP voulait parler d'« une seule voix », mais ce sont bien douze personnalités, boursouflées d'ambitions personnelles, qui s'y expriment.

À l'inverse de l'échiquier politique, la “gauche de gauche” se remet peu de ses échecs électoraux et paraît sidérée par son impuissance face aux orientations toujours plus libérales d'un pouvoir qu'elle a contribué à faire élire. Des treize responsables politiques mobilisés pour le court ouvrage Gauche : ne plus tarder (Éd. Arcane 17), tous fustigent le gouvernement sans indulgence.

La lecture des douze chapitres rédigés par des représentants des diverses composantes du Front de gauche (PCF, PG, anticapitalistes d'Ensemble !), mais aussi de la militante féministe et ex-socialiste Caroline de Haas, de l'écolo de gauche Élise Lowy ou de l'universitaire et “socialiste affligé” Philippe Marlière, raconte bien l'état des divergences stratégiques de la « gauche de transformation », ainsi qu'elle est appelée en introduction de l'ouvrage.

Alors que le doute et les clivages internes traversent les principaux partis de gauche, PS compris, la seule réelle convergence que l'on retient, et c'est déjà un bon début, se porte sur les priorités délaissées par Hollande et Valls. Comme autant de points d'accord laissant entrevoir une plateforme de coalition possible, à défaut d'être probable.

Renforcement des services publics, VIe République, égalité des droits, réforme fiscale et lutte contre l'évasion fiscale reviennent dans la grande majorité des contributions. En revanche, à l'image du trouble actuel qui parcourt leurs divers clubs, courants et partis, les pistes stratégiques avancées par les auteurs laissent apparaître d'importantes nuances, dont on ne sait encore à quel point elles s'avéreront rédhibitoires.

En proposant à ses collègues de l’UMP de participer à l’écriture des Douze Travaux de l’opposition, Benoist Apparu souhaitait « démontrer que le premier parti d’opposition (pouvait) incarner un projet porté collectivement », après des années de divisions internes, tant sur le plan des hommes que sur celui des idées. L’ambition ? Prouver que « l’intérêt supérieur de la France dépasse la tension des intérêts particuliers ». Une démonstration qui ne résiste pas à l’épreuve de la lecture.

D’abord, parce que plusieurs des auteurs des Douze Travaux de l’opposition n’ont pas respecté la règle de départ qui voulait que chacun s’empare d’un seul sujet. Si Valérie Pécresse (éducation), Benoist Apparu (décentralisation), Nathalie Kosciusko-Morizet (écologie et numérique), François Baroin (économie) ou encore Brice Hortefeux (immigration) ont joué le jeu, d’autres ambitieux de 2017 (François Fillon, Xavier Bertrand, Jean-François Copé…) n’ont pas résisté à l’envie de développer leur projet pour la France.

Ensuite, parce que le détail de ces différents projets confirme la crise idéologique que l’UMP traverse depuis plusieurs années. La question de l'immigration, qui passionne toujours autant les ténors de la droite alors qu’elle ne constitue pas la priorité de la nouvelle génération, est celle qui révèle le plus de clivages. Une grande part de la réflexion des ambitieux de 2017 lui est d'ailleurs consacrée. Pourquoi ? Parce que « la France se mérite », comme l’écrit l'ancien ministre de l'intérieur Brice Hortefeux, qui s'emploie à saluer les résultats obtenus par Nicolas Sarkozy depuis son passage place Beauvau.

Dix auteurs des “Douze travaux de l'opposition”, le 9 septembre à Paris.Dix auteurs des “Douze travaux de l'opposition”, le 9 septembre à Paris. © Twitter/Benoist Apparu

Les Français « réclament plus de sécurité et une meilleure maîtrise de l’immigration, assure Jean-François Copé. N’oublions pas que le Front national est en embuscade, prêt à avancer dès que la droite républicaine lui laisse du champ dans ces domaines ». L’ancien patron de l’UMP pointe l’« échec de l’intégration » et explique qu'« il s'agira de mettre fin aux régularisations, hors circonstances exceptionnelles ». Un constat partagé par François Fillon qui déplore « le choc culturel » perceptible selon lui « dans certains quartiers » et recommande pour sa part d’« accueillir moins pour intégrer mieux ».

Prenant soin de dénoncer la stigmatisation d’« une partie des habitants de la France » – « les riches » comme « nos concitoyens d’origine étrangère » –, le premier ministre de Nicolas Sarkozy fait pourtant un peu plus loin un raccourci évocateur entre la fraude – autre marotte de l’UMP – et l’immigration : « Il faut continuer à réduire l’immigration familiale en luttant contre la fraude, comme mon gouvernement l’a fait de 2007 à 2012. »

Alain Juppé, lui, propose une tout autre approche du sujet en consacrant un chapitre à l'« identité heureuse », en écho à l'ouvrage d'Alain Finkielkraut, L'Identité malheureuse (Éd. Stock), qui avait fait l'objet d'un “petit-déjeuner inattendu” de l'UMP en janvier 2014. Le maire de Bordeaux y distingue le concept d’assimilation – « vouloir effacer les origines, couper les racines, nier toute différence » – à celui d’intégration. « La représentation collective que nous nous faisons du monde globalisé reste négative et apeurée, écrit-il. D’où le retour de balancier et le succès d’un discours politique qui dessine une France barricadée, cultivant le protectionnisme économique, refusant l’ouverture européenne, méfiance vis-à-vis de l’étranger, franchement hostile à ceux qui pratiquent la religion musulmane. »

Pour éviter que cette « peur française », qu’il qualifie d’« irrationnelle », ne prospère, Juppé propose, entre autres choses, un meilleur apprentissage du fait religieux : l'éducation devrait selon lui davantage s'intéresser à la tradition chrétienne, mais aussi à celle du judaïsme et de l’islam. « Jamais tout au long de mon parcours scolaire et universitaire, on ne m’a proposé d’ouvrir le Coran dont j’ignore à peu près tout. Comment s’étonner, dès lors, de notre méconnaissance collective de la religion musulmane, méconnaissance qui engendre trop souvent la méfiance ou la peur ? » s’interroge-t-il.

Sur le plan économique, les ténors de la droite reposent la question du travail dominical, celle de la réduction du nombre de fonctionnaires et, bien entendu, celle des 35 heures, loi sur laquelle Laurent Wauquiez préconise de revenir, mais que François Baroin ne cite pas une seule fois dans son développement sur les « erreurs fondamentales de politique économique ». L'ancien ministre de l'économie évoque par contre le “Pacte de responsabilité” de François Hollande, qui « acte, selon lui, le revirement à 180 degrés de la politique du gouvernement (socialiste) et sa récupération d'une stratégie qui était déjà celle de Nicolas Sarkozy depuis plusieurs années ».

Outre les pages rédigées par Nathalie Kosciusko-Morizet, les ambitieux de 2017 n'accordent guère d'importance aux questions écologiques. Seul François Fillon s'exprime brièvement sur le sujet en se déclarant favorable aux forages expérimentaux pour les gaz de schiste, se distinguant ainsi de la loi Jacob de juillet 2011 qui prohibe leur exploitation par fracturation hydraulique.

Pour le reste, un certain nombre de propositions faites sous le mandat de Sarkozy et largement décriées à l’époque, sont de nouveau posées. C’est par exemple le cas de la loi du député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, destinée à lutter contre l'absentéisme scolaire en suspendant les allocations familiales. Votée en septembre 2010, puis supprimée par le PS en janvier 2013, elle est remise au goût du jour, notamment par Jean-François Copé et Xavier Bertrand.

Dans son chapitre, l’ex-ministre du travail délaisse son ancien champ de compétences pour développer sa vision de la grande réforme pénale que la droite, par « frilosité », et la gauche, par « angélisme » et « dogmatisme », ont selon lui échoué à porter. Parmi ses propositions, pour partie inspirées de celles de Nicolas Sarkozy : « un plan carcéral ambitieux », qui permettrait à la France de passer de « 57 000 à 80 000 places de prison d’ici à 2022 », « l’éventuelle suppression du juge d’instruction en donnant en compensation plus de pouvoir au parquet mais aussi aux avocats », « la participation des citoyens aux décisions de justice, notamment le recours aux jurys populaires en correctionnelle »

Toujours sur le volet de la justice, François Fillon qualifie quant à lui de « signal désastreux » la remise en cause des peines planchers, se hasardant à une comparaison pour le moins populiste : « Qui peut comprendre qu'une attaque de train digne du Far West se solde par de la prison avec sursis, alors que la maltraitance d'animaux conduit à de la prison ferme ? » questionne l'ancien premier ministre.

Sur les douze auteurs du livre collectif, neuf ont participé au gouvernement de Nicolas Sarkozy. La plupart d’entre eux défendent aujourd'hui leur bilan sans jamais émettre de réelles critiques sur ce dernier ni s'aventurer à un quelconque inventaire. À peine regrettent-ils de ne pas être allés assez loin dans leur volonté de réformer le pays. Un service minimum de mea culpa qui leur permet toutefois d’anticiper les éventuelles critiques : cette fois-ci, ils l’assurent, les promesses non tenues entre 2007 et 2012 le seront en cas d’alternance en 2017.

À l’instar de Nicolas Sarkozy qui revient en politique « par devoir » et non « par envie », les ténors de la droite se sentent missionnés pour résoudre la crise que traverse le pays et dont seul François Hollande porte à leurs yeux la responsabilité. Une crise « économique, sociale et politique », mais aussi une « crise morale », comme le déplore Jean-François Copé. L’ancien patron de l’UMP, démis de ses fonctions au mois de juin en plein scandale Bygmalion, a beau jeu de s’engager sur le terrain de la moralité. Rédigé avant son départ, son chapitre ne fait nulle mention à l’affaire.

Ce sont Bruno Le Maire et Laurent Wauquiez qui se réservent le traitement de l’éthique en politique. Le premier, candidat à la présidence de l’UMP, répète les propositions qu’il défend déjà à longueur d’interviews depuis plusieurs mois : l’exemplarité des élus, la distinction entre la haute fonction publique et la vie politique, la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du nombre de mandats, y compris dans le temps…

Quant au second, désormais soutien officiel de Nicolas Sarkozy pour l'élection de novembre, il plaide en faveur de la transparence et estime qu’« un juge devrait pouvoir prononcer l’inéligibilité à vie pour tous les cas de corruption et de prise illégale d’intérêts ». Une proposition qui n’est pas sans rappeler que l’ex-chef de l’État a été mis en examen, fin juin, pour « corruption active »« trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel » dans le cadre de l’affaire Azibert.

À l'origine, ils s'étaient réunis pour signer une tribune dans Libération, le 1er juillet dernier, pour « aider à ce que se lève l’indispensable grand mouvement citoyen qui donnera corps à l’alternative à gauche ». Son titre, Gauche : ne plus tarder, est devenu celui d'un petit ouvrage collectif, où treize des signataires ont développé plus avant leur vision d'un avenir unitaire capable d'inverser le cours des choses imaginé par le pouvoir socialiste.

D'emblée, l'on peut reconnaître aux auteurs le mérite de la cohérence sur le diagnostic. Caroline De Haas, militante féministe, ancienne proche de Benoît Hamon, ayant démissionné du PS, résume habilement les multiples constats critiques, voire virulents, à l'encontre de l'exécutif socialiste : « Il faut choisir pour qui on exerce le pouvoir et être prêt à tenir bon, face aux néo-libéraux, aux forces de l’argent, aux malhonnêtes, aux magouilleurs, aux barons locaux, aux institutions financières, aux pollueurs, aux nombreux réactionnaires et quelques fachos qui descendent dans la rue… » Pour autant, l'éventualité que cette gauche qui « tient bon » accède aux responsabilités n'est guère évidente.

  Jean-Luc Mélenchon, entouré de Pierre Laurent et de Clémentine Autain lors d'une manifestation à Paris en mai 2013. REUTERS/Ch Jean-Luc Mélenchon, entouré de Pierre Laurent et de Clémentine Autain lors d'une manifestation à Paris en mai 2013. REUTERS/Ch © Reuters/Charles Platiau

Danielle Simonnet, tête de liste du Parti de gauche (PG) aux municipales à Paris, pose bien la problématique à laquelle est confrontée la gauche qui ne se reconnaît pas dans le gouvernement Valls. Ce « scénario catastrophe (…) construit en toute conscience », que serait « la possible conquête du pouvoir par le FN », et qui permettrait aux socialistes au pouvoir de « gagner, dans un ultime duel, leur réélection malgré le rejet massif de leur politique ». Dans la foulée, elle ajoute, pour parfaire un diagnostic reconnu par tous : « Nos erreurs, nos confusions stratégiques et nos divisions » ont contribué à « essouffler et démoraliser » le processus d'une alternative à gauche. Si bien que, comme l'estime Clémentine Autain, on assiste aujourd'hui à gauche à un « moment de tension entre la nécessité immédiate du changement radical et le temps plus long de la reconstitution d’une force politique ».

Sur le fond, et c'est peut-être le plus rassurant, le périmètre idéologique d'une telle reconstitution semble faire consensus, dans les grandes lignes. Le dirigeant communiste Francis Parny liste ainsi les axes principaux d'un programme commun : « 32 heures, réforme de la fiscalité, réévaluation salariale, transition écologique, réforme des institutions. » Myriam Martin et Marie-Pierre Thoubans, porte-parole d'Ensemble! (le courant anticapitaliste du Front de gauche), lui emboîtent le pas en évoquant « les bien communs » (services publics, alimentation, logement), « l'écologie », « la lutte contre le patriarcat et pour l’égalité », « une réforme démocratique ».

Sur la forme et la stratégie, qui occupent une large part des contributions, le périmètre politique anime un débat vieux comme l'extrême gauche : quelles relations entretenir avec le PS ? Les représentants d'Ensemble! et du PG sont les plus catégoriques. « La construction d’une alternative suppose une indépendance totale vis-à-vis du PS », écrit François Longérinas. Pour Danielle Simonnet, s'allier au PS comme l'ont fait communistes et écolos à Paris, c'est « s'enfermer dans la solidarité avec une majorité acquise aux idées libérales qu’ils prétendent combattre ». « L’union de la gauche, telle qu’elle a existé en France depuis la fin des années soixante-dix, a vécu », abonde de son côté Clémentine Autain, « car le PS a tourné le dos aux valeurs fondamentales de la gauche. »

L'universitaire Philippe Marlière, fondateur du club des socialistes affligés, n'est pas de cet avis. Selon lui, le Front de gauche n'a, lui non plus, pas grand-chose à voir avec ses ancêtres des années 1970 : « Les mesures phares de l’Humain d’abord ! sont globalement moins anticapitalistes que celles du Programme commun signé en 1972 par le PS, le PCF et le MRG. » Marlière n'adhère pas au nouveau clivage esquissé par Jean-Luc Mélenchon et le PG, entre « Front du peuple » et « oligarques ». « Plutôt que d’improviser un aggiornamento idéologique douteux », cingle-t-il, « il conviendrait de noter que toutes les grandes victoires de la gauche en 1936, 1946 et 1981 ont été acquises à la suite d’une convergence unitaire qui a provoqué la radicalisation des forces socialistes. » Pour ce spécialiste du blairisme, « tant que le PS restera le parti dominant à gauche, le redressement de la gauche ne se fera pas contre le PS dans son ensemble, mais avec des forces socialistes ».

Là encore, les regards vers les “députés frondeurs” socialistes divergent. Pour la secrétaire du PCF au Front de gauche, Marie-Pierre Vieu, ils prouvent que « même au sein du cercle dirigeant PS, il existe de vraies résistances à ce rouleau compresseur libéral ». Mais pour Danielle Simonnet, le risque est grand que les proclamations suivies d'abstentions (et non de vote contre) finissent par « lasser ». La dirigeante communiste Isabelle Lorand émet, elle, l'hypothèse de plumer (un peu) de la volaille socialiste. « Un bon quart de notre peuple reste solidement attaché aux valeurs qui ont fait les heures glorieuses de la gauche, écrit-elle. Pourtant, notre score reste bloqué à 10 %. » Et de pointer un objectif : « Gagner le premier cercle, les 4 à 5 % d’électeurs si proches qu’en 2012, ils ont hésité à voter Mélenchon, avant de voter Hollande. » Pour cela, Lorand avertit : « Il faut être fermes sur les valeurs et les moyens, attentifs aux formulations et accueillants. »

Au gré des pages de l'ouvrage, on note aussi de nombreux éloges des mobilisations locales, que les auteurs égrènent (de « l'aide aux habitants radiés abusivement des listes électorales » de Leïla Chaibi aux luttes des « intermittents, postiers, kiosquiers, sans-papiers, etc. » de Danielle Simonnet, en passant par les soutiens aux « coopératives, Amap, régie des quartiers » de François Longérinas).

Plusieurs contributions appellent enfin à bousculer certaines certitudes ou habitudes militantes. Leïla Chaibi, secrétaire nationale du PG passée par le NPA et les collectifs anti-précarité, met les pieds dans le plat : « Fin du cumul des mandats, rotation stricte des postes d’élus, plafonnement de leurs indemnités… Pourquoi sommes-nous si peu bavards sur ces questions ? » Avant d'enfoncer le coin : « Une application de notre devoir d’exemplarité impliquerait certainement bien des bouleversements dans les comportements de nos “oligarchies” internes. »

Beaucoup appellent aussi à être plus attentif aux quartiers populaires et à ses habitants. Ainsi Isabelle Lorand, pour qui « aujourd’hui, la classe populaire s’appelle Farida, Mamadou, Jennifer, Denis ou Vladimir », et qui estime que « la reconquête des catégories populaires est la conquête de la classe populaire contemporaine telle qu’elle est ». Un point de vue partagé par l'écologiste Élise Lowy (aile gauche d'EELV), celle-ci estimant que « la construction d’une alternative viable ne pourra pas faire l’impasse sur le respect des minorités et la tolérance à l’égard des différences culturelles et religieuses ».

La question des comportements et des intransigeances militants sur le sujet est également soulevée. Marie-Pierre Vieu alerte sur ceux qui cherchent à « reconquérir les “masses” sur des discours régressifs et identitaires ». Et redoute « un remède pire que le mal », renforçant « la banalisation de dérives sécuritaires et bénéficiant directement à la droite et à l’extrême droite ». Marie-Christine Vergiat, eurodéputée Front de gauche non affiliée à un parti, appelle carrément à se départir de la « vision néocoloniale du monde », ce qui « demande de travailler sur beaucoup de préjugés et de stéréotypes, notamment au niveau de notre vision de l’Orient ». Elle réfute « l’opposition entre social et sociétal, qui empêche de traiter les problèmes de façon globale ». Redoutant que la gauche se fasse « piéger » par des « combats d’arrière-garde », Vergiat affirme son « refus de se laisser instrumentaliser » face à ceux qui « ont remplacé le diable rouge par un diable vert islamo-terroriste ».

Au terme de Gauche : ne plus tarder, demeure le sentiment que le futur front populaire n'est pas pour demain. Seul embryon de débouché concret évoqué dans le livre par Marie-Pierre Vieu, les futures élections territoriales et régionales. « Il serait important de donner une visibilité au rassemblement et aux éléments de gestion alternative que nous voulons faire vivre. » Il faudra sans doute plus qu'un livre pour cela.

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Pascal Canfin: «A gauche, c'est social-libéralisme contre social-écologie»

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Au contraire de sa collègue ministre écologiste Cécile Duflot, lui a choisi de ne pas raconter dans le détail son expérience et la déception de sa participation à un gouvernement élu par la gauche. Quatre mois après avoir refusé de rentrer dans le gouvernement Valls, Pascal Canfin a choisi de reprendre contact avec la vie réelle. Pour lui comme pour son livre (Imaginons..., éditions Les Petits Matins). L'ancien eurodéputé EELV n'a plus de mandat désormais (il est devenu « conseiller climat » en vue de la conférence Cop 21 prévue à Paris en décembre 2015, pour le think-tank World resource institute), et a désiré faire son état des lieux politique par le biais de dialogues avec des « vraies gens » (une ouvrière, un patron de PME, une infirmière, un financier, une responsable à Pôle emploi, un militant associatif de quartier).

Vous publiez un livre d’entretiens avec six citoyens français, mais n’évoquez que brièvement votre expérience ministérielle. Pourquoi ne pas avoir fait de retour d’expérience, comme votre collègue écologiste Cécile Duflot ?

Précisément, les deux livres sont complémentaires. L’un raconte ce qui a conduit à la désillusion et à notre départ conjoint du gouvernement en avril, l’autre est davantage tourné vers des propositions pour incarner une alternative, et montrer qu’on n’est pas condamné au “Tina” (There is no alternative). Quand Manuel Valls dit qu’il n’y a pas d’autre politique possible, c’est la négation même de la politique, qui est d’avoir à choisir entre plusieurs chemins. Nous sommes partis du gouvernement en avril car nous avions anticipé ce qui allait se passer. Nous sommes donc aujourd’hui bien placés pour incarner une autre politique à gauche. C’est pourquoi je montre dans le livre qu’il y a bien une alternative, même en intégrant la réalité européenne actuelle, pour proposer une autre politique. C’est le cœur de cet ouvrage qui est le premier livre politique écrit sous la forme de dialogues avec des Français, y compris par exemple une ouvrière à la chaîne qui a voté Le Pen en 2012. 

Par rapport au récit de Cécile Duflot, avez-vous vécu pareille désillusion ? Auriez-vous raconté la même histoire et la même déception ?

Je partage l’idée qu’il était – et qu’il est bien sûr – toujours possible de faire autrement. Je suis aujourd’hui le seul responsable politique écologiste à avoir une expérience européenne, au Parlement européen, et au gouvernement. J’ai donc vu de l’intérieur à Paris comme à Bruxelles comment cela fonctionne – ou dysfonctionne notamment en raison d’une bien trop grande perméabilité au lobbying exercé par quelques puissants intérêts privés. Je raconte dans le livre par exemple comment la France a (jusqu’à présent) cédé au lobbying d’Alstom pour ne pas supprimer les subventions publiques à l’exportation de charbon alors que Obama a pris cette initiative en résistant à General Electric. Pareil pour la taxe sur les transactions financières, où j’ai vu la bataille des banques et l’absence quasi totale d’engagement politique en face. Et cela est vrai pour tous les sujets financiers, comme la loi bancaire l’a largement illustré.

Il y a d’un côté un grand discours politique disant qu’il faut réguler la finance puis les discussions passent tout de suite à un niveau technique, où le lobbying des banques détricote l’ambition initiale. C’est pour cela que j’explique dans le livre combien il serait essentiel de nommer, en France comme ailleurs, un ministre spécifiquement en charge de la régulation financière et de la lutte contre les paradis fiscaux. Il est quand même étonnant d’avoir un ministre des anciens combattants mais pas de ministre sur les paradis fiscaux ou sur la fiscalité internationale ! Il faut adapter la composition du gouvernement aux enjeux du siècle. Aujourd’hui, il y a un déficit démocratique extraordinaire sur ces questions pourtant majeures si l’on veut montrer que le politique peut reprendre la main sur la globalisation financière : alors même qu’on demande des efforts financiers aux Français, on ne demande pas grand-chose aux responsables de la crise financière. Cet écart nourrit tous les populismes. 

Est-ce qu’aujourd’hui, d’après vous, il y a une perspective optimiste pour la gauche qui n’est plus au gouvernement ?

D’abord, je constate que les faits économiques et politiques nous donnent raison. À force de s’être éloigné des promesses de 2012, la base politique du gouvernement de Manuel Valls est extrêmement étroite et ne représente désormais qu’une seule partie du PS, dont on ne sait même pas si elle est vraiment majoritaire. Sur le plan économique, l’effet cumulé des 40 milliards attribués aux entreprises sans contreparties et sans vision stratégique et de la baisse de 50 milliards des dépenses publiques a un effet récessif, qui empêche de créer des emplois, d’investir dans l’avenir et notamment dans la transition écologique, mais empêche aussi… de réduire les déficits. Même d’un point de vue de bonne gestion financière, et cela m’importe, cette trajectoire échoue à atteindre ses objectifs. C’est pourquoi l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté les responsables et de l'autre les « irresponsables » comme le prétend le premier ministre me heurte profondément. Ce qui est irresponsable aujourd’hui est de donner via le CICE et le Pacte de responsabilité 1 milliard aux banques et 3 milliards à la grande distribution qui n’en ont absolument pas besoin.

Nous sommes désormais à gauche dans une bataille entre un modèle social-libéral, et un modèle social-écologique, qui repose les questions fondamentales et refonde le progressisme : quel monde voulons-nous transmettre à nos enfants, le bonheur passe-t-il par une consommation toujours plus grande de biens matériels… Le projet historique de la gauche a consisté à faire grossir le gâteau pour en redistribuer une partie aux plus pauvres. Son logiciel repose sur une croissance forte. Or cette croissance forte est derrière nous et son projet ressemble donc à un canard sans tête... La social-écologie tient au contraire un discours de vérité sur le fait qu’une croissance infinie dans un monde fini n’est pas possible et en tire les conséquences en se donnant comme objectif d’augmenter l’intensité en emplois de l’économie et en développant l’économie du care et la transition écologique, qui revient à remplacer de l’énergie et du capital par du travail humain. Une économie qui privilégie les liens plus que les biens matériels jetables, largement importés et symboles d’un système économique destructeur de notre planète, est une économie créatrice d’emplois locaux, non délocalisables. C’est sur cette base que nous voulons refonder un contrat majoritaire.

C’est un beau débat d’idées, comme on n’en a pas eu depuis longtemps à gauche. C’est l’enjeu des mois qui viennent. Cela peut être à court terme, lors du vote du budget, ou à moyen terme, d’ici les élections de 2017. Peut-être faudra-t-il passer par cette phase d’entêtement dans laquelle le gouvernement est actuellement, qui nous mènera sans doute à l’échec, pour ouvrir un autre chemin.

Quel est le sens de vos entretiens avec six « vraies gens » ?

Montrer qu’en politique, il n’y a pas ceux qui savent et les autres. Je suis frappé par la déconnexion qui existe entre une partie des élites et le reste de la société. Je pense à ceux qui ont fait l’Ena, parfois comme leurs parents, dont le premier job s’est effectué dans un cabinet ministériel, avant d’aller pantoufler dans une grande entreprise, puis de se lancer en politique, à gauche comme à droite… Je le dis sans démagogie, car il faut des élites, mais ces parcours se ressemblent trop et se déconnectent donc du reste de la société. Dans l’appareil d’État aujourd’hui, il y a très peu de personnes en responsabilité qui viennent d’autres horizons que celui de quelques grandes écoles. C’est un appauvrissement extraordinaire, et les décisions prises sont souvent extrêmement conservatrices, que le pouvoir soit de gauche ou de droite.

En réalité, l’expertise existe dans la société, dans les entreprises, dans les associations, dans les quartiers. Mais cette expertise n’est pas présente à la tête de l’État. C’est aussi pour cela que je ne considère pas spontanément que l’État représente par essence l’intérêt général. J’ai trop vu des décisions se prendre au nom de l’intérêt des grands corps. Un État dont l’intérêt général est capté par des intérêts de corps est un État qui dysfonctionne. La gauche doit agir là-dessus car, bien plus que la droite, elle a besoin d’un État qui fonctionne au service de la société. Une réforme de gauche de l’État passerait par la suppression des grands corps, pour redonner de la diversité dans le recrutement de la haute fonction publique. Celui-ci ne peut pas dépendre de deux filières uniquement, Sciences-Po puis l’Ena ou Polytechnique. Enrichir l’État par la société civile est un vieux combat de l’écologie politique, et de ce qu’on appelait à l’époque la « deuxième gauche ». Il est plus que jamais d’actualité !

Carte des résultats d'EELV aux européennes de 2014Carte des résultats d'EELV aux européennes de 2014

Dans la conclusion de votre ouvrage, vous évoquez l’émergence d’une nouvelle « société écologique », en notant l’émergence d’un vote écolo inattendu (plus de 20 % aux européennes) dans un millier de petites communes formant un Y, « qui part des Hautes-Alpes vers le Pays basque d’un côté et le Périgord de l’autre, en passant par l’Isère, la Drôme, l’Ardèche et le Gers ». Qu’en savez-vous précisément ?

Ce « Y écolo », ce sont des territoires où les gens privilégient la qualité sur la quantité, le sens sur la consommation, les circuits courts sur les flux mondialisés, qui sont insérés et fiers de leur ancrage territorial sans être dans le repli identitaire. Ces valeurs-là produisent un vote écologiste à plus de 20 %, dans des communes essentiellement rurales. C’est un nouveau territoire d’ancrage pour nous, en plus de ce qu’il est convenu d’appeler les “bobos” des grandes villes, qui sont parmi les grands producteurs de richesses dans les centres urbains.

Dans le cadre du club de réflexions (Imagine) que nous venons de créer avec Cécile Duflot, Philippe Lamberts et Ska Keller (eurodéputés verts, belge et allemande, ndlr), nous allons analyser cette “nouvelle société”, qui est en train de naître en s’appuyant sur des valeurs écologiques. Comme l’attachement au bien commun plutôt qu’aux biens matériels, l’importance donnée à une alimentation de qualité, la volonté de reprendre son destin en main et non d’être un pion de la consommation, la volonté de donner du sens à son activité économique en créant des entreprises sociales, des produits verts ou en développant l’économie sociale et solidaire... Le socle de cette écologie repose sur trois piliers : le « care » (le soin, le bien des personnes), le « dare » (l’audace, la culture de l’initiative et la prise de responsabilité) et le « share » (le partage, l’économie collaborative et durable…). 

Ne faites-vous pas comme pour le FN avec le périurbain ? Vous découvrez un territoire un peu marginalisé où se dégage un nouvel électorat, mais qui était celui qui vivait en banlieue avant de s’en éloigner, en l’occurrence les centres-villes pour vous…

Dans les campagnes, l’immense majorité des habitants en milieu rural ne sont plus des ruraux d’origine. Mais si vous avez en tête des néo-ruraux “babas cool façon Larzac”, ça ne représente pas 20 % à 30 % de l’électorat ! Il y a donc autre chose qui se passe, et un nouveau système de valeurs qui se crée. Ce sont des territoires qui créent des emplois, et du lien social, où naissent des maisons des services publics, de l’économie collaborative, des services aux personnes, de l’innovation sociale. Bref une nouvelle façon de faire société, positive et optimiste !

Concernant le périurbain, qui est notre angle mort électoral avec les plus de 65 ans, mon analyse est que c’est précisément l’absence de réponses écologiques qui est la cause du mal-vivre dans ces territoires : étalement urbain mal maîtrisé, absence d’alternative à la voiture, dépendance face à l’augmentation irréversible des prix de l’énergie, défaillances du maillage des services publics… Aujourd’hui, des millions de Français s’y retrouvent piégés, dans un mode de vie qu’ils n’ont pas forcément choisi. L’absence de politiques écologiques les a “insécurisés”. L’écologie pourrait les protéger.

Ce « vivier électoral » est-il en relation avec une implantation militante, ou est-ce un effet de ces militances de « l’après-croissance » (lire notre article) qui s’organisent sans les partis, et du coup votent EELV malgré l’absence de campagnes de terrain de votre part ?

Les bons résultats ne dépendent pas de l’existence, ou non, d’un groupe écologiste local. Les mauvaises langues diront même qu’il vaut mieux qu’il n’y en ait pas ! C’est l’adhésion à un système de valeurs qui conduit au vote écologiste. Et c’est la plus belle motivation !

Le dernier entretien de votre livre est pour un militant des quartiers populaires, Adil El Ouadehe (du collectif Stop contrôle au faciès). Les positions de l’écologie politique pourraient vous permettre d’avoir une bonne audience dans ces zones (laïcité ouverte, lutte contre les discriminations, droit de vote des étrangers, voire légalisation du cannabis). Comment faire pour que cet électorat fasse encore confiance à la gauche en général, et aux écologistes en particulier ?

Nous sommes de plus en plus présents sur le terrain. EELV est par exemple en progression en Seine-Saint-Denis, mais nous manquons de leaders. C’est notre responsabilité aujourd’hui de travailler avec cette nouvelle classe moyenne qui émerge des quartiers, issue des deuxième et troisième générations d’immigrés d’Afrique et du Maghreb. Ils ne se vivent pas comme des victimes, ont plutôt réussi dans leurs études, mais ne sont représentés nulle part. Nulle part dans les médias, dans le monde économique ou dans le monde politique.

L’écologie politique, c’est par définition l’identité multiple, locale et globale, citoyen d’ici et citoyen du monde. Soit on assume enfin que la France est un pays d’immigration et que notre histoire est riche de sa diversité. Soit on s’enferme dans la négation de cette réalité et on laisse alors le champ libre à une vision figée de notre identité qui ne profite in fine qu’au Front national. Sur ce sujet comme sur d’autres, la bataille idéologique est fondamentale. Et la gauche aujourd’hui incarnée par Manuel Valls a trop tendance à se taire, en se disant que la bataille est perdue. Je crois au contraire qu’il est fondamental de la mener et qu’une grande partie de la société française n’attend que ça.

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu dans les locaux de Mediapart, le 2 septembre. Il a duré une heure et a été amendé sur la forme par Pascal Canfin.

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Christophe Caresche, illustration et défense du libéralisme façon Valls

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Tout au long de cet entretien, Christophe Caresche, député socialiste de Paris, assume la ligne économique du gouvernement : « On a besoin de la finance ! » s’écrie-t-il sans détour, défendant à la fois la déclaration d’amour aux entreprises de Manuel Valls, devant le Medef, et la mise à l’index des fraudeurs présumés du chômage, prononcée par François Rebsamen.

Décidé à dépasser ce qu’il considère comme une conception archaïque du socialisme, Christophe Caresche prône une augmentation de la TVA et se félicite, entre autres, du détricotage de la loi Alur sur le logement voulue par Cécile Duflot, pourtant votée par l’Assemblée. Pour lui, le salut viendra des acteurs privés de l’économie, et non pas de la puissance publique. Vivement interrogé sur cette conception politique, il finit par lâcher : « L’État, c’est pas si bien que ça ! »

Et quand on lui fait remarquer que son programme reprend plutôt les propositions de Nicolas Sarkozy que celles de François Hollande en 2012, il répond par cette phrase : « On nous dit qu’on fait une politique de droite, mais la droite, elle ne l’a pas faite cette politique ! »

Au-delà du résultat de la question de confiance, cet entretien résume en fait la fracture politique vertigineuse qui s’est creusée entre l’aile droite du PS, au pouvoir, et le reste de la gauche.

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Grand Stade de Lille : l'affaire judiciaire qui gêne Martine Aubry

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Son retour sur la scène politique nationale marqué par plusieurs passes d'armes avec Manuel Valls, par médias interposés, pourrait être perturbé. Selon plusieurs documents réunis par Mediapart, l’enquête portant sur les conditions d’attribution du marché du Grand Stade de Lille en faveur du groupe de BTP Eiffage apparaît aujourd’hui comme une possible épée de Damoclès judiciaire pour l’ancienne ministre socialiste et actuelle maire de Lille, Martine Aubry.

Les policiers de la PJ lilloise, qui enquêtent depuis deux ans sur l’établissement d’un faux document administratif ayant permis à Eiffage de décrocher le marché du Grand Stade, ont mis la main sur une lettre embarrassante pour Martine Aubry. Datée du 22 juillet 2008 et signée de sa main en tant que présidente de Lille Métropole Communauté urbaine (LMCU), cette lettre montre que l’édile socialiste a transmis, en connaissance de cause, le document frauduleux au cœur de toute la procédure judiciaire : un rapport d’analyse des offres finales pour la construction du Grand Stade, un juteux partenariat public-privé évalué à 440 millions d’euros.

Ce rapport, daté du 1er février 2008, attribue la meilleure note au projet du groupe Eiffage pour l’obtention du contrat. Seulement voilà, il est aujourd’hui considéré comme un faux grossier par la justice. En effet, le 23 janvier 2008, après un an d'études, le vrai rapport final des services techniques de Lille Métropole avait donné sa préférence au projet de stade présenté par le groupe Bouygues, beaucoup moins onéreux pour les finances locales.

Mais une semaine plus tard, en séance plénière, 82 % des conseillers communautaires ont voté pour le projet Eiffage, en s’appuyant sur un soi-disant nouveau classement plaçant Eiffage en tête. Pourtant, aucun élu n’aura eu accès au nouveau rapport d’évaluation entre-temps. La raison ? Le document n’existe pas. Du moins, pas à cette date... Et pour cause : il ne sera transmis que six mois plus tard par Martine Aubry, une fois l’affaire réglée.

L’enquête judiciaire a depuis permis d’établir que le rapport a été réalisé dans la précipitation au mois de mai 2008, suite à une demande de contrôle de légalité de la préfecture du Nord. Le 22 juillet, c’est donc en parfaite connaissance de cause que Martine Aubry transmet le rapport frauduleux aux conseillers communautaires.

Martine Aubry, ancienne ministre socialiste et maire de Lille. Martine Aubry, ancienne ministre socialiste et maire de Lille. © Reuters

Contacté, le cabinet de Martine Aubry se défend : « Martine Aubry n’a fait que transmettre aux élus une copie du document envoyé par Michèle Démessine à la préfecture. À aucun moment, elle n’a eu connaissance de l’existence d’un faux jusqu’à la révélation de cette affaire. » L’entourage de la maire de Lille précise : « Ce document a été signé automatiquement par la machine ! » Quant à la connaissance par Martine Aubry du caractère frauduleux du document, son attaché de presse explique que l’intéressée « ne vérifie pas toutes les dates des documents qui lui sont soumis et qui ont été visés par l’administration ».

En décembre 2013, un rapport de synthèse rédigé par un commissaire de la brigade financière de Lille citait déjà nommément Martine Aubry, parmi cinq personnes, comme ayant pris part à l’usage de faux sur lequel la justice enquête. Ce rapport, évoqué par le site Atlantico, ouvrait de facto la voie à une possible mise en cause judiciaire de Martine Aubry.

Son contenu ne laissait que peu de place au doute : « En l'espèce, le faux document est matérialisé par le rapport d'analyse des offres finales daté du 1er février 2008 (…) Il a engendré des conséquences quant à l'appréciation portée sur la procédure par les instances de contrôle (Préfecture du Nord, Chambre régionale des comptes...), par les élus communautaires et éventuellement par d'autres tiers. » Et d’enfoncer le clou : « Les élus ayant transmis ce document, et ayant participé à la délibération du 1er février 2008, ne pouvaient ignorer que ce document n'avait pas été rédigé à la date indiquée, car non communiqué lors de ladite séance à laquelle ils avaient participé. »

Tout a donc été fait pour une modification a posteriori du rapport d’analyse dans le but de faire correspondre le choix politique et le choix des services techniques de l’agglomération. C’est ce qu’atteste également le procès-verbal de la réunion du bureau du conseil communautaire du 1er février 2008, à laquelle assiste la maire de Lille. À l’époque, l’ancien premier ministre Pierre Mauroy est encore président de Lille Métropole.

Ce jour-là, le directeur général de services, Bernard Guillemot, évoque la nécessité de réaliser un nouveau rapport d’analyse final suite à leur vote favorable à Eiffage : « Le rapport de 75 pages doit donc être également modifié… Il faut alors que les élus fassent des propositions différentes parce que, dès la semaine prochaine, il est probable que nous aurons quelque recours et que nous serons amenés à joindre, au projet de délibération, le rapport qui vient à l’appui du classement. Très vite, il faut travailler ensemble pour produire le rapport correspondant à votre analyse et qui viendra en appui de la délibération. » Un tripatouillage en règle qui a incité les policiers à aller réclamer à la justice l’élargissement de l’enquête à des faits de favoritisme – en vain à ce jour.

Mis en examen en mai dernier, l’ancien chef du projet Grand Stade, Vincent Thomas, et l’ancien directeur-adjoint des grands équipements de Lille Métropole, Stéphane Coudert, ont tous deux reconnu que « les élus savaient qu’ils n’avaient pas le document à la date du 1er février », comme le montrent leurs PV d’audition. Des informations confirmées par l’ancienne vice-présidente communiste de l’agglomération, Michèle Démessine, placée sous le statut de témoin assisté, lors de son audition devant la juge : « Tout le monde savait que ce rapport a été établi après (le bureau du conseil communautaire) puisqu’il n’existait pas le 1er février. »

Comme l’avait déjà rapporté Mediapart, le vrai-faux rapport d’analyse final envoyé aux élus n’a été modifié qu’à la marge. Sur les 85 pages que compte le document seules deux phrases ont été modifiées concernant la qualité architecturale des projets, permettant ainsi à Eiffage d’obtenir une meilleure note que Bouygues. Un tour de passe-passe qui coûtera 100 millions de plus à la Métropole lilloise : le projet de Bouygues était bien moins cher que celui d’Eiffage.

Le Grand Stade de Lille au cœur de l'enquête judiciaire. Le Grand Stade de Lille au cœur de l'enquête judiciaire. © DR

À la tête du groupe UMP en 2008, Marc-Philippe Daubresse, député du Nord, confie aujourd’hui à Mediapart : « Nous avons attendu plusieurs mois que Mme Aubry nous transmette le rapport d’analyse final qui avait classé Eiffage en tête. Mais nous avons eu la surprise de découvrir que l’argumentaire qui avait fait pencher le choix vers Eiffage, ne se trouvait pas dans le rapport. Seules deux lignes avaient été modifiées ! »

Reste à savoir comment les conseillers de Lille Métropole ont pu aussi massivement voter pour le projet Eiffage, pourtant écarté par les services de la collectivité. Des soupçons de pots-de-vin se font d’ores et déjà jour – une lettre de dénonciation, signée, a même été envoyée en ce sens à la justice. Les enquêteurs ne sont cependant pas saisis de ces faits.

Pour ce qui est du faux, l’affaire paraissait donc entendue. Et voilà que contre toute attente, la juge d’instruction en charge des investigations, Fabienne Atzori, qui vient d’être mutée à la cour d'appel de Lyon, a décidé de classer son enquête le 11 août dernier, invoquant des faits de prescription qui surprennent la plupart des acteurs du dossier. Dans son ordonnance, la magistrate a ainsi estimé que le faux, dont elle reconnaît elle-même l’existence, a été réalisé dans un cadre « privé » – ce qui réduit les délais de prescription – alors que les investigations portent bien sur un marché public et mettent en cause les pratiques d’une collectivité locale.

Me Joseph Breham, l’avocat de l'élu lillois Éric Darques, partie civile et membre de l’association anti-corruption Anticor, à l’origine de l’enquête, ne décolère pas : « Un faux a été réalisé consciemment par les services techniques de la ville, puis diffusé par des élus, en pleine connaissance de cause. Le parquet a été des plus rétifs pour ouvrir une enquête et maintenant après deux ans d'instruction, deux mises en examen, un témoin assisté, on classe l'affaire pour un prétexte procédural. » L’avocat a saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lille pour contester le classement du dossier.

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