Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

Et maintenant dissolution!

$
0
0

Quelle accélération ! Dans la foulée d’un désastre aux élections municipales, Jean-Marc Ayrault avait été congédié et Manuel Valls, alors fortement aidé par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, lui avait succédé à Matignon. L’idée était de bâtir un gouvernement de combat, uni comme les doigts de la main derrière le président de la République. Cent quarante-sept jours plus tard, cette équipe n’existe plus.

Moins de cinq mois. Hormis le gouvernement Messmer, interrompu par le décès de Georges Pompidou en 1974, jamais depuis 1958, un gouvernement n’avait tenu si peu de temps. Une durée à l’italienne… « Je veux que la gauche réussisse dans la durée », avait martelé Manuel Valls en direct sur Mediapart, le 12 mars dernier (nos vidéos à retrouver ici). Il vient effectivement d’établir un record.

Autre nouveauté frappante. Il est souvent arrivé, dans le passé, que des ministres expriment un désaccord. Jean-Pierre Chevènement l’a fait à plusieurs reprises, Alain Madelin aussi, en 1995, et plus près de nous Delphine Batho. Ils sont partis, ou ont été démis de leurs fonctions, mais c’est la première fois qu’une divergence « individuelle » se transforme en démission de tout le gouvernement. Le seul précédent nous renvoie à Jacques Chaban-Delmas, mais l’homme était premier ministre, et ce changement d’équipe avait un sens profond. Il correspondait à l’enterrement d’une politique (la Nouvelle société) et à la définition d’une autre, beaucoup plus conservatrice.

Dans la Cinquième République, un changement de gouvernement n’est jamais un rappel à l’ordre ou le licenciement d’un seul, fût-il ministre de l’économie. Il a un sens politique, et c’est encore le cas.  

François Hollande, lundi, en déplacement à l'île de Sein.François Hollande, lundi, en déplacement à l'île de Sein. © (Capture d'écran)

Au-delà des habiletés formelles, la nomination du gouvernement Valls 2 correspond, sous couvert de rappel à la discipline ou à l’autorité, à la consécration d’une ligne, et à la mise à l’écart de sa contestation. Bien sûr, de nombreux noms de rechange circulent déjà, on parle de Robert Hue en guise d’ancrage à gauche, ou de Jean-Vincent Placé et François de Rugy pour représenter le retour des écologistes. Mais ce n’est pas faire injure à l’ancien secrétaire général du parti communiste que de constater qu’il ne représente que lui-même. Quant aux écologistes, la secrétaire nationale d’Europe-Écologie, Emmanuelle Cosse, a déjà précisé que s’ils devenaient ministres ce serait «en leur propre nom».

Une fois retombé le frisson médiatique, c’est-à-dire les allées et venues à Matignon ou à l’Élysée, le nom de ceux qui restent, ou qui entrent, ou qui partent, il restera la réalité, et elle est incontournable. Valls est devenu premier ministre avec l’appui d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, sur une ligne de compromis, certes précaire, mais d’un compromis quand même, entre l’aile droite et l’aile gauche des socialistes. Ce compromis a explosé.

La majorité s’était déjà rétrécie en mars avec le départ des ministres écologistes, elle menaçait de se réduire encore sous la mauvaise humeur des radicaux qui refusent la réforme territoriale, elle avait tangué dans les appels des frondeurs, et voici que les départs de Montebourg, Hamon et Filippetti ramène le gouvernement à la base électorale de Manuel Valls : un peu plus de 5 % lors des primaires de 2011.

En termes politiques, François Hollande est ainsi passé de 52 % du corps électoral français en 2012 à la seule fraction du PS qui soutient son « Pacte de responsabilité », un pacte que Manuel Valls, déjà, dans son programme de 2011, appelait de ses vœux, sous le nom de « Pacte de croissance et de compétitivité ». Cette réduction d’un vote multiple en 2012 (extrême gauche, Front de gauche, PS, radicaux, centristes, socialistes, etc.) à une composante unique et minoritaire du seul Parti socialiste correspond à une « dissolution » de fait.

Cette majorité minoritaire, de nombreuses voix voudraient la renvoyer devant les électeurs. Des voix venues de la droite bien sûr, mais de la gauche également. Il y a pourtant peu de chances, voire aucune, pour que le président de la République prononce la vraie dissolution. Les institutions de la Cinquième République lui permettent de tenir jusqu’aux prochaines présidentielles, y compris jusqu’à l’absurde, et en dépit de « la Vérité ».

Tant pis si François Hollande lui-même commentait par avance la situation qu’il traverse aujourd’hui dans son livre d'entretien avec Edwy Plenel, Devoir de vérité, publié aux Éditions Stock. Le passage est désormais célèbre : « Je ne crois plus à la possibilité de venir au pouvoir sur un programme pour cinq ans dont il n'y aurait rien à changer au cours de la mandature. Je pense qu'il y a forcément un exercice de vérification démocratique au milieu de la législature. La réalité change trop vite, les circonstances provoquent des accélérations ou, à l'inverse, des retards, des obstacles surgissent, des événements surviennent [...] Le devoir de vérité, c'est d'être capable de dire : "Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance".»   

Par rapport à son discours de campagne, Hollande a inconstestablement changé «en cours de mandature», et même dès le lendemain de son élection. Mais le chef de l'Etat ne se résout pas à dire : « Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance. »

Dès lors, ce dossier considérable, un changement de gouvernement, est présenté comme une affaire de discipline. Comme une question d’autorité. Comme si le problème, précisément, n’était pas l’absence initiale d’autorité du président : dans son livre Voyage au pays de la désillusion, Cécile Duflot considère, comme tant d’autres, que François Hollande, fraîchement élu, pouvait, et devait, tenir tête aux conservateurs allemands, et ne l’a pas fait, contrairement à ses promesses.  

Aujourd’hui, le président en est réduit à faire preuve d’autorité, sur la personne de Montebourg et d'autres ministres, au nom d’un choix qu’il a mis en œuvre par absence d'autorité. Il exige « un gouvernement en cohérence » avec ses incohérences... Qu'il vérifie plutôt sa politique « devant le corps électoral » et ne s'en tienne pas aux délices de cette Cinquième République, si verrouillée, et si présidentielle, qu’une minorité minoritaire peut rester majoritaire.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Avec HSTS, forcez vos visiteurs à revenir en HTTPS sur votre site web


La «génération 21-avril» se trouve au pied du mur

$
0
0

Ils étaient jeunes, en tout cas moins vieux de douze ans. Ils pensaient alors que rien ne serait plus comme avant. Ou au moins qu’on ne les y reprendrait pas. Tous ont été marqués par la catastrophe du 21 avril 2002, d'un Le Pen éliminant Jospin pour accéder au second tour de la présidentielle, événement qui a marqué un tournant dans leur vie et leurs engagements politiques. Certains ont alerté, d’autres n’ont rien vu venir, ou se sont engagés avec plus d’ardeur dans la vie publique.

En 2002, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon se réunissaient (avec Vincent Peillon), pour fonder le Nouveau parti socialiste (NPS). Le premier, député turbulent ayant tenté de traduire Jacques Chirac devant la Cour de justice de la République, ne voulait plus ruminer à nouveau une « campagne de droite » telle que menée par Jospin. Le second, leader des réseaux jeunes du PS, achevait sa conversion du rocardisme originel vers l’aile gauche du parti qu'il a patiemment reconstruite et renouvelée. Ce lundi soir, sur France 2, Hamon expliquait avoir pris sa décision au regard « d'une situation nouvelle : le déferlement politique qui s'appelle le FN. Après la gauche, ce ne peut être le FN, je veux à tout prix l'éviter ».

En 2002, Cécile Duflot s’engageait en politique, n’ayant alors de cesse de demander que la gauche tire les enseignements du 21-avril (comme en 2008, lors des journées d’été des Verts qu’elle dirigeait, dans un débat avec François Hollande), et regrettant régulièrement que cet examen de conscience n'ait jamais réellement été fait.

En 2002, Christiane Taubira était rendue responsable de la défaite jospinienne. Celle qui a su entamer la reconquête de l’électorat des quartiers populaires n’a eu de cesse d’assumer depuis son positionnement (comme ici en 2010), avant de soutenir Royal puis Montebourg lors des primaires socialistes de 2006 et 2011.

Dix ans plus tard, tous sont arrivés au gouvernement, et n’ont eu de cesse d’alerter sur la mauvaise pente prise par le pouvoir. Un temps réunis dans « une bande des quatre » à l’influence aussi limitée qu’éphémère, ils ont tenté de faire entendre une voix dissonante au sein du gouvernement Ayrault, notamment au lendemain de l’affaire Cahuzac, sur l’orientation budgétaire ou les Roms (pour Hamon, Montebourg et Duflot), ou sur les ravages de « la politique du bon sens » (pour Taubira), visant indirectement Manuel Valls. Et après deux ans, tous ont quitté le gouvernement (à l’exception d’une Christiane Taubira réservant mystérieusement sa réponse).

Cécile Duflot, Benoît Hamon et Christiane TaubiraCécile Duflot, Benoît Hamon et Christiane Taubira © S.A

Dans un registre différent, la ministre Aurélie Filippetti est également un produit du 21-avril. Un an après, alors jeune normalienne et militante écologiste, elle s’attelait à l’écriture d’un premier roman au titre évocateur et faisant écho à sa condition de fille de mineurs de l’est de la France (Les Derniers Jours de la classe ouvrière, Stock). La même, devenue ministre de la culture, vécut une rupture affective et politique au moment de l’affaire Florange, et le fit savoir dans l’ouvrage de Cécile Amar (Jusqu’ici tout va mal, Grasset). Elle aussi a décidé que ce serait sans elle. Dans une lettre au président, elle évoque « la tragédie du 21 avril 2002, dont nous avions tous fait serment qu'elle ne devait plus jamais se reproduire ».

Opposé dès le début du quinquennat à Hollande, et même avant, lors de la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi cheminé depuis la défaite de la gauche en 2002. Après une déprime due à ce qu’il avouera par la suite avoir été un aveuglement (« le gouvernement le plus à gauche du monde », disait-il en tant que ministre de Jospin), il décidait lui aussi dans la foulée de « faire feu sur le quartier général » socialiste. Un référendum européen et une nouvelle défaite présidentielle du PS plus tard en 2007, le voici qui prenait ses cliques et ses claques pour reconstruire, dans le bruit et la fureur, une alternative à gauche, à l’arrêt depuis ses 11 % à la présidentielle. S'il a choisi de prendre du recul, le Front de gauche qu'il a représenté demeure, même en mauvais état.

Désormais, c’est à eux, entre autres et avec d’autres, qu'il revient d’œuvrer à la recomposition d’une gauche aujourd’hui bien mal en point. Éclatée et divisée à l’intérieur même de ses propres organisations. Incapable de peser dans les urnes, divisée par des querelles d’égos et des différends stratégiques qui semblent s’opposer à toutes les convergences programmatiques possibles.

C’est à cette génération, et aux suivantes, qu'il revient de tenter de se mettre en travers de la marche consulaire de Manuel Valls, qui affirme chaque jour un peu plus son autoritarisme républicain et la conversion d’une gauche plus vraiment de gauche à la Ve République. Avec la bienveillance médiatique d’éditocrates obsédés par l'équilibre des comptes publics, en manque de chef et avides de coups de com et de menton sarkozyens.

Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010 © Reuters/Charles Platiau

Alors que se profilent l’université d’été de La Rochelle, la fête de l’Humanité et d’autres rendez-vous de courants politiques divers, se pose la question de l’émergence d’une « gauche année zéro », post-Hollande. En premier lieu, les débats vont se porter au parlement, où les discussions budgétaires pourraient permettre d’établir l’état des forces de la majorité, entre ceux qui n’en peuvent plus et ceux qui préfèrent s’essayer envers et contre tout à la poursuite de l’austérité et des seules aides aux entreprises. Les débats auront également lieu dans les arcanes du PS, où les états-généraux du socialisme souhaités par Jean-Christophe Cambadélis, avant un congrès à l’issue aussi incertaine que sa date, devraient permettre de prendre le pouls militant. En jeu, la survie même d’un parti que Manuel Valls a toujours souhaité « dépasser », et plus encore récemment.

Il revient alors à toutes les fractions, clubs et courants politiques de dépasser leurs exclusives et leurs contentieux pour permettre un rapprochement susceptible de réintéresser un électorat, des réseaux associatifs et syndicaux, traditionnels mais aussi inattendus, qui ont abandonné les urnes et le goût de la politique, à force de voir celle-ci dévoyée.

Tous, qu’ils aient tenté ou refusé l’expérience gouvernementale d’une social-démocratie toujours plus libérale, ont alerté à temps pour que ne se reproduise pas ce qu’ils ont connu en 2002. Il leur reste maintenant à construire un débouché politique, au moment où le Front national peut se proclamer premier parti de France depuis les élections européennes. Afin que puisse émerger, si ce n’est de nouveaux Fronts populaires ou de nouveaux Épinay, au moins l'espoir que le 21-avril puisse ne pas se répéter.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Avec HSTS, forcez vos visiteurs à revenir en HTTPS sur votre site web

Les voix de gauche sont éliminées du gouvernement

$
0
0

La rupture est consommée. Avec l’annonce d’un nouveau remaniement, sans Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, François Hollande poursuit son aventure politique en solitaire. De sa campagne de 2012, il ne reste plus rien. Face à la brutale dégradation de la conjoncture économique, il s’est convaincu avec Manuel Valls d’aller encore plus loin, et plus vite, dans sa rupture avec la gauche.

Lundi matin, à la surprise générale, Manuel Valls a remis la démission de son gouvernement avant d’être aussitôt chargé par François Hollande d’en former un nouveau. Sa première équipe, « resserrée » pour « éviter les couacs » après les municipales, n’aura duré que cinq mois. En cause : les déclarations d’Arnaud Montebourg, rejoint par Benoît Hamon et soutenu par Aurélie Filippetti, appelant à rééquilibrer la politique économique de l’exécutif pour moins d’austérité et plus de relance. Dès dimanche soir, après la traditionnelle fête de la rose de Frangy-en-Bresse (lire notre reportage), Matignon avait fait savoir qu’une « ligne jaune » avait été franchie. François Hollande, en déplacement sous une pluie battante sur l'île de Sein, est resté silencieux.

François Hollande sur l'île de Sein lundiFrançois Hollande sur l'île de Sein lundi © capture d'écran Twitter

Dans la journée, Aurélie Filippetti, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ont annoncé qu’ils ne seront plus ministres. Christiane Taubira, plusieurs fois solidaire du trio, est restée mutique, consultant à tout-va et très hésitante à quitter le gouvernement, elle qui n’a plus aucun mandat. À part la garde des Sceaux, l’exécutif perd ses dernières personnalités associées à la gauche du parti socialiste. Le nouveau gouvernement doit être connu mardi.

Manuel Valls et François Hollande ont donc pris le risque de provoquer une crise gouvernementale pour la rentrée politique, à quelques jours de l’université d’été de La Rochelle, d'un conseil européen crucial et après une série d’indicateurs calamiteux sur l’état de l’économie française. « C’est une accumulation de paroles qui est en cause, Le président de la République avait clairement réaffirmé le cap : à partir de là, c’est la cohérence de l’action gouvernementale et la crédibilité de la parole de l’exécutif qui étaient en jeu », justifie-t-on dans l’entourage de François Hollande. Avant d’insister : « Il s’agit d’une prise de conscience que la cohérence gouvernementale ne peut pas se discuter. Parce qu’on a assez de problèmes comme cela à gérer ! »

Lors d’un entretien avec Manuel Valls, qui a très vite sonné la charge contre Montebourg, François Hollande s’est laissé convaincre que la publicité donnée aux désaccords au sein du gouvernement sur sa politique économique était incompatible avec les mesures qu’il a annoncées depuis sa conférence de presse du 14 janvier. « Les Français veulent des résultats et de la cohérence, pas des débats à ciel ouvert. La cohérence, c’est la condition de la confiance », explique un conseiller de l’Élysée. Et la confiance est, aux yeux de François Hollande, la condition sine qua non de la réussite de son « pacte de responsabilité ». Quitte à rétrécir encore davantage sa majorité.

« Soit il choisissait de perdre du monde, et il gagnait en solidarité gouvernementale ; soit il perdait en solidarité en gardant tout le monde à bord. Valls a convaincu le président de la première option… Quand il y a une tempête, mieux vaut que ce soit un peu moins le bordel au gouvernement. À ce niveau, le risque politique pris est en lui-même une valeur : on montre qu’on peut bouger et régler les problèmes de ligne sans barguigner », explique un autre proche de François Hollande. Un acte « d’autorité » donc, dont Manuel Valls est friand mais qui signe aussi bien l’impuissance du pouvoir que le verrou des institutions de la Ve République.

Sur le fond, « c’est la vraie nomination de Manuel Valls », glisse un ministre sous couvert d’anonymat. Selon la même source, le premier ministre a compris depuis son discours de politique générale et les votes sur le pacte de responsabilité qu’il ne parviendrait plus à convaincre tous les députés socialistes de voter les textes du gouvernement. Cet été, la contestation est encore montée d’un cran, en dehors et au sein de l’équipe de Manuel Valls, achevant de convaincre ce dernier qu’il fallait trancher dans le vif. Déjà lors du séminaire organisé à Matignon la semaine dernière et pendant le conseil des ministres de rentrée, Montebourg s’était fermement fait recadrer par le premier ministre.

« Valls fait le pari que la radicalisation de l’opposition à la ligne du gouvernement va contenir l’extension du mouvement des frondeurs et va les placer dans un espace à gauche déjà surencombré par Duflot et Mélenchon. Et puis quitte à devoir perdre 40 voix à gauche à chaque fois, autant que ce soit pour faire du Valls », explique un proche du premier ministre.

Selon plusieurs sources, Manuel Valls a appelé et/ou vu ses ministres pour leur demander de choisir entre s’engager à la loyauté absolue ou quitter le gouvernement. Arnaud Montebourg, dont le premier ministre ne voulait plus, a tranché : lors d’une brève intervention depuis Bercy, l’ex-ministre de l’économie a annoncé qu’il « reprenait sa liberté ».

« Ma lourde responsabilité comme ministre de l’économie est de chercher et de dire la vérité. Non seulement ces politiques d'austérité ne marchent pas mais, en plus d'être inefficaces, elles sont injustes. (…) Ma loyauté vis-à-vis des Français est de dire, après l’avoir dit les yeux dans les yeux depuis des semaines et des mois au Conseil des ministres, dans la collégialité du gouvernement et aux chefs, au pluriel, de l’exécutif : la gravité de la situation est de tenter de faire arbitrer les solutions alternatives qui me paraissent modérées, équilibrées, raisonnables et compatibles avec les grandes orientations qui ont été jusqu’ici décidées. (…) J’ai indiqué cet après-midi à monsieur le Premier ministre que s’il jugeait que je me trompais, s’il jugeait que mes convictions étaient contraires aux orientations du gouvernement qu’il dirige, dans ce cas, je croyais nécessaire de reprendre ma liberté », a expliqué Arnaud Montebourg. Sans mandat à l’Assemblée mais toujours conseiller général de Saône-et-Loire, il a annoncé qu’il allait chercher du travail.

Dimanche, malgré ses critiques de l’austérité, l’ancien chantre de la démondialisation espérait encore rester au gouvernement et continuait de penser que l’échéance sur son maintien ou non au gouvernement n’arriverait pas avant le débat sur le projet de loi de finances cet automne.

Mais parmi les proches de Montebourg, son départ anticipé sonne comme une libération. Parce qu’ils étaient en désaccord avec la politique menée, et que le pari fait par leur patron d’un accord stratégique avec Manuel Valls a échoué. Au printemps dernier, c’est bien le pacte noué par Valls, Montebourg et Hamon qui avait contribué à la nomination de l’ancien député d’Évry à Matignon, en lieu et place de Jean-Marc Ayrault (lire notre article sur « le ménage à trois du gouvernement »). « On pensait que l’inflexion de la politique pouvait venir de celui qu’on n’attendait pas… Au nom du pragmatisme, Manuel Valls aurait pu le faire, c’est ce qu’on attendait de lui. On s’est trompé », dit une proche de Montebourg.

Benoît Hamon est parvenu à la même conclusion : discret depuis deux ans et demi après avoir été le leader de l’aile gauche du PS, le ministre de l’éducation quitte lui aussi le gouvernement. « Depuis le début, il a fait le choix d’être à bord du bateau, mais aujourd’hui on lui fait comprendre qu’on n’a plus forcément besoin de lui sur le navire. En allant à Frangy, Benoît Hamon a répondu à une situation politique ; Valls aujourd’hui surréagit à une effervescence médiatique », a expliqué lundi son entourage. « Aujourd'hui, la rigueur budgétaire ne nous permet pas de mettre en œuvre nos objectifs. Cela devait faire baisser le chômage et ramener la croissance. Aujourd'hui, je constate que le chômage monte et qu'il n'y a pas de croissance. Le fait que Merkel soit minoritaire en Europe créait une situation nouvelle », a indiqué Benoît Hamon sur France 2. Avant d'ajouter: « Il était incohérent de rester, alors que je suis en désaccord avec la politique du gouvernement. C'est une forme d'honnêteté. »

Quant à Aurélie Filippetti, elle a écrit au président de la République et au premier ministre pour leur expliquer pourquoi elle n’était plus candidate à être ministre. Elle figurait pourtant parmi les soutiens de François Hollande dès la primaire de 2011 et compte parmi les amis personnels de Manuel Valls. Mais ces dernières semaines, elle était intervenue lors de réunions internes au gouvernement pour demander une inflexion de la politique économique. Elle s’était aussi violemment opposée à Jean-Marc Ayrault lors de l’épisode de Florange et avait tenté de faire revenir François Hollande sur l’accord Medef-CFDT concernant les intermittents. « J’ai une histoire et des convictions », explique Aurélie Filippetti à Mediapart.

Dans sa lettre (à lire ici en intégralité), celle qui était ministre de la culture depuis mai 2012 livre un véritable réquisitoire contre l’exécutif : « Aujourd’hui, nos électeurs sont désemparés. Ils nous interpellent, nous attendent, sont dans un désarroi qui les jette dans la désillusion de la politique ou, pire, dans les bras du Front national. (…) Je suis élue de Moselle et j’entends le message de désespérance de ceux qui croient encore en la gauche. (…) Au moment où nos concitoyens attendent de nous une politique réaliste mais de gauche, les discussions qui y ont eu lieu (lors du séminaire gouvernemental la semaine dernière, ndlr) furent le tragique contrepied de tout ce pour quoi nous avons été élus. Je l’ai dit lors de cette réunion, faudrait-il désormais que nous nous excusions d’être de gauche ? » Comme Benoît Hamon, elle va retrouver son siège de députée à l’Assemblée nationale.

Ces déclarations de trois poids lourds du gouvernement ne peuvent qu’affaiblir l’équipe au pouvoir. Lundi, les proches de François Hollande et de Manuel Valls espéraient encore éviter ce qu’ils appellent eux-mêmes le « rétrécissement de la majorité » (lire l’analyse de Christian Salmon sur le « président qui rétrécit ») en convaincant des écologistes, des membres de la société civile voire des centristes à rejoindre le gouvernement. Mais rien n’indique qu’ils y parviennent au-delà de quelques figures folkloriques comme Robert Hue ou d’individualités prêtes à toutes les compromissions. Les écologistes, réunis en bureau exécutif d’urgence lundi midi, ont décidé à l’unanimité de ne pas participer à ce nouveau gouvernement. Et ce, malgré leurs profondes divisions sur ce sujet (lire notre article). François Hollande est plus seul que jamais.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées ont été interrogées lundi par téléphone.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Avec HSTS, forcez vos visiteurs à revenir en HTTPS sur votre site web

Le jour où la majorité a volé en éclats

$
0
0

Avec le départ confirmé d'Arnaud Montebourg et d'Aurélie Filippetti, de Benoît Hamon et peut-être de Christiane Taubira, figures de gauche du gouvernement, Manuel Valls dispose-t-il encore d'une majorité au Parlement ? La question peut sembler prématurée. Après tout, nous sommes encore sous la Cinquième République où la majorité présidentielle a l'habitude de voter sans coup férir, et massivement, ce que veut le chef de l'État. Même s'ils ont protesté pendant des semaines contre le pacte de responsabilité et les coupes budgétaires, les « frondeurs » socialistes n'ont d'ailleurs pas porté l'estocade : en juillet, seuls 35 d'entre eux se sont abstenus lors du vote du projet de loi rectificatif de la Sécurité sociale. Et aucun n'a voté contre, ce qui aurait marqué leur départ du groupe majoritaire.

Sauf qu'en faisant démissionner leur gouvernement, ce lundi 25 août au matin, Manuel Valls et François Hollande ont franchi un nouveau cap. Cette fois, dans un spectaculaire coup de force rendu possible par les institutions d'airain de la Cinquième République, ils se débarrassent de la quasi-totalité des personnalités du PS qui appellent de leurs vœux une ligne politique alternative. À commencer par Arnaud Montebourg, le troisième homme de la primaire socialiste, qui s'était rallié à lui au soir du premier tour, et bien sûr Benoît Hamon, l'ancien porte-parole du PS, figure de proue de l'aile gauche du parti. « Ils représentent une ligne politique qui n'est pas celle de l'exécutif et ont exprimé ces divergences publiquement, justifie Luc Carvounas, sénateur socialiste proche de Manuel Valls. Ce remaniement répond à un souci de cohérence et clarté. C'est plus clair et plus sain. »

Après le départ des écologistes du gouvernement en avril, il s'agit évidemment d'un nouveau « rétrécissement » de la majorité, selon le député PS contestataire Laurent Baumel. Mais ce remaniement-ci acte de façon spectaculaire la fracture idéologique au sein même du PS. Elle était déjà en germe depuis des mois, et palpable lors des débats du mois de juillet au Parlement (lire ici et ). Cette fois, elle éclate au grand jour. Le centriste François Bayrou évoque une « rupture désormais consommée au sein de la majorité, (une) déclaration de guerre officielle entre les deux gauches et donc (…) la fin de la majorité ».

François Hollande ne souhaite-t-il pas « une équipe en cohérence avec les orientations qu'il a lui-même définies pour notre pays » ? À part quelques prises de guerre isolées (chez les écologistes, les chevènementistes ou avec l'ancien secrétaire général du PCF Robert Hue, qui avait soutenu François Hollande en 2012) ou quelques personnalités surprises venues de la société civile, le gouvernement annoncé ce mardi 26 août sera forcément réduit à l'aile la plus à droite du PS.

Il ne sera plus question de contester la ligne officielle (choix de la rigueur budgétaire, réduction à grande vitesse des déficits, etc.) « Jusqu'à présent, les voix discordantes étaient tolérées. C'est terminé. La ligne sociale-conservatrice se confirme », analyse Fabien Escalona, enseignant à Sciences Po Grenoble. « On va vers une équipe hollando-hollandaise à l’assise populaire et politique très réduite, commente sur liberation.fr le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Un choix assumé par le premier ministre, dont l'ambition affichée est de mener, au pouvoir, un profond aggiornamento idéologique. Ce mardi, jour de l'annonce du gouvernement, le maire de Lyon Gérard Collomb, officiellement candidat à un poste de ministre, organise d'ailleurs dans sa ville, à la demande de Manuel Valls, un regroupement des « réformateurs » du PS.

Les débâcles électorales des municipales (132 villes de plus de 9 000 habitants perdues, 30 000 élus sur 60 000 privés de mandat) et des européennes (13,9 %, le pire score de l'histoire) ont pourtant prouvé la désaffection massive des électeurs du second tour de la présidentielle de mai 2012. Les sénatoriales du 28 septembre devraient aussi voir la Haute Assemblée, à gauche depuis 2011, basculer à droite — avec entre 2 et 15 sièges d'avance, selon les prévisions des stratèges électoraux socialistes. « Comme il ne s'est pas ouvert au centre pour mener cette politique qui n'est pas celle sur laquelle Hollande a été élu, le gouvernement a désormais une base très réduite dans l'électorat. Ils sont minoritaires dans le pays, minoritaires dans la gauche, et la base du PS ne s'y reconnaît plus non plus », poursuit Fabien Escalona.

Lundi, les parlementaires, à peine revenus de vacances, s'étonnaient tous de la rapidité avec laquelle le duo exécutif a décidé d'élaguer la partie gauche de son gouvernement. La sidération les empêchait parfois d'avoir des avis tranchés sur la suite des événements. « Tout le monde est surpris par l'ampleur du souffle », explique Arnaud Leroy, proche d'Arnaud Montebourg. « C'est un coup de force », dit un autre élu.

Christian Paul, un des contestataires du PS, proche de Martine Aubry et d'Arnaud Montebourg, déplore sur le site du JDD la « brutalité » de l'annonce. Et prédit déjà au gouvernement des séances parlementaires compliquées. « Remercier deux ministres qui ont fait un boulot formidable et qui posent les vraies questions, cela me paraît être une faute politique majeure. (...) François Hollande ne vire pas Montebourg pour appliquer la ligne politique que nous défendons ! Donc évidemment, cela va créer de fortes difficultés au Parlement. »

La première épreuve de vérité pourrait arriver très vite, au cours d'un éventuel discours de politique générale  Le 8 avril, il avait manqué onze voix socialistes à Manuel Valls lors du vote de confiance après son discours d'intronisation. Une première sous la Cinquième République. En théorie, le premier ministre reconduit par le chef de l'État n'est pas tenu par la Constitution de venir à nouveau parler devant le Parlement, ni même de soumettre cette déclaration au vote. Même si « depuis 1993, tous les gouvernements ont sollicité la confiance de l’Assemblée dans les quelques jours qui ont suivi leur nomination », comme on peut le lire sur le site web du premier ministre. On voit d'ailleurs mal Manuel Valls se priver de ce moment solennel, qui (c'est aussi sur le site de Matignon) « imprime un style » et lui permet de se « pose[er] en chef de la majorité parlementaire ».

Très vite, à l'automne, viendra la discussion sur le budget 2015, avec 20 milliards d'économie à trouver. Mais le départ d'Arnaud Montebourg et surtout celui de Benoît Hamon, chef de file d'une des deux ailes gauche du PS qui "tient" une vingtaine de députés PS, pourrait donner des ailes à des élus jusqu'ici restés discrets, notamment parmi les soutiens de Martine Aubry à la primaire. « Un gouvernement composé de sociaux-libéraux, de vallsiens et de gens plus ou moins seuls dans leur parti, c'est une clarification politique en soi, explique un député socialiste qui souhaite rester anonyme. C'est ouvrir les portes à toutes les formes de dissidence, à d'éventuels votes contre le budget. Si le gouvernement est une casemate, alors plus aucun vote n'est assuré. »

« Aujourd'hui, il y a une quarantaine de députés socialistes qui s'abstiennent. Si nous montons à 80, il n'y a plus de majorité », calcule Laurent Baumel, autre "frondeur" socialiste. Qui espère « possible » un « élargissement de la fronde ». Et croit que le raout des contestataires socialistes à l'université d'été de La Rochelle, ce week-end, sera un « événement ». « Les conditions économiques continuent de s'aggraver, les sondages ne sont pas bons pour l'exécutif et Valls va continuer à chuter. Les feuilles d'impôt arrivent dans les boîtes aux lettres et c'est un tsunami. Sur le terrain, on va commencer à voir les premières conséquences des 11 milliards de réductions de crédit imposés aux collectivités locales. Localement, beaucoup de parlementaires vont être mis en difficulté. » Mais Baumel n'exclut pas non plus que le coup de force de Manuel Valls n'ait le résultat contraire : « un effet de congélation total » des parlementaires socialistes, qui, tétanisés, n'oseraient plus bouger d'un pouce.

« En fait, tout dépend maintenant de la façon dont les parlementaires contestataires choisissent de mourir, commente Fabien Escalona. Soit ils ne se contentent plus d'amendements gentillets, haussent le rapport de force, mais au risque de se faire hara-kiri. Soit ils attendent que le quinquennat se termine, mais dans ce cas ils seront de toutes façons balayés. » Cette alternative cruelle résume à gros traits la trame du débat politique des prochaines semaines, où il sera beaucoup question d'une éventuelle dissolution.

D'ores et déjà, le Front de gauche, quasiment toute la droite, l'extrême droite la réclament – même si l'UMP, engluée dans ses affaires internes, n'est absolument pas prête à gouverner. « On n'est pas encore à une dissolution, car les institutions plaident en faveur du Calife et de son Vizir (François Hollande et Manuel Valls, ndlr) et que personne au PS n'a envie d'aller au casse-pipe d'une élection législative anticipée », tempère Fabien Escalona. La peur de tout perdre et de mettre un terme prématuré à l'expérience, pour l'instant catastrophique, de la gauche au pouvoir reste encore un puissant calmant des ardeurs frondeuses. « Je n'ai pas envie de continuer à avaler des couleuvres, mais si on rue dans les brancards par romantisme, ne risque-t-on pas de redonner les clés du pays à une bande de mafieux et de fachos ? » s'interroge à haute voix Arnaud Leroy, proche de Montebourg.

Dans le camp de Manuel Valls, la menace d'une dissolution, déjà utilisée au printemps à plusieurs reprises, est en tout cas à nouveau brandie de façon préventive, à l'intention de ceux qui seraient tentés par d'éventuels votes négatifs, ou même par la création d'un groupe parlementaire dissident à la gauche du PS. « Je ne crois pas à une montée en puissance des frondeurs, ou alors on a affaire à de grands suicidaires ! commente ainsi Luc Carvounas. Si nous n'avons plus de majorité à l'Assemblée nationale, la conséquence, c'est la dissolution et dans ce cas tout le monde va aller pointer à Pôle emploi. Si c'est ça que veulent nos collègues qui plaident pour une autre gauche sans formuler de propositions autres que de ne rien changer, alors très peu pour moi. » Pour les proches de Manuel Valls, qui le pressent d'affirmer son autonomie face à François Hollande, seul ce discours martial a quelques chances de réconcilier le gouvernement avec sa gauche. Mais pour une partie de la majorité, c'est justement ce qui est en train de la tuer.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Avec HSTS, forcez vos visiteurs à revenir en HTTPS sur votre site web

La rentrée européenne manquée de l'exécutif français

$
0
0

Outre la rentrée politique hexagonale, c'est une forte semaine européenne qui a débuté ce lundi 25 août. Avec, dès mardi, un sommet à Minsk, en Biélorussie, qui rassemble les présidents russe et ukrainien et des dirigeants européens. Puis, samedi matin, François Hollande doit recevoir à l'Élysée les dirigeants sociaux-démocrates du continent, dont le président du conseil italien Matteo Renzi, en amont du conseil européen qui se tient à Bruxelles le même jour.

Ce conseil est crucial: les postes de haut représentant aux affaires étrangères, de président du conseil européen et de président de l'Eurogroupe doivent être attribués et les discussions vont se poursuivre sur la répartition des postes au sein de la nouvelle commission. Selon le calendrier, la formation définitive du nouvel exécutif européen devrait être connue d'ici le 10 septembre. C'est donc une séquence majeure qui s'ouvre après les élections européennes du 25 mai et la désignation de Jean-Claude Juncker à la tête de l'exécutif européen.

Pour l'heure, depuis l'échec du dernier sommet européen, le 16 juillet, les spéculations continuent sur la répartition des postes au sein de la nouvelle commission, alors que la plupart des États, à l'exception de trois, ont présenté officiellement leurs candidats pendant l'été. Au milieu de ce casting où l'on voit revenir un certain nombre de commissaires déjà en poste dans le mandat précédent (voir cette carte interactive réalisée par le site d'informations européennes EurActiv), une certitude se dessine : cette nouvelle commission sera très masculine – seulement quatre femmes, pour l'heure, ont été proposées par leurs gouvernements respectifs. Soit un net recul par rapport à la commission Barroso, qui comptait neuf femmes commissaires.

L’Italienne Federica Mogherini, l'actuelle ministre des affaires étrangères du gouvernement Renzi, fera partie de cette minorité, même si l'inconnue demeure sur ses attributions. Un temps pressentie pour le poste de haute représentante aux affaires étrangères, elle a finalement été écartée semble-t-il en raison de ses positions considérées comme trop pro-russes, bien que Matteo Renzi pousse sa candidate avec insistance. À l'inverse, le Polonais Radosław Sikorski, lui aussi donné favori au départ de la course pour succéder à Catherine Ashton au vu de son expérience (ministre des affaires étrangères depuis 2007, ministre de la défense auparavant), est perçu comme trop farouchement anti-russe. Et son implication dans le scandale des écoutes téléphoniques qui a éclaboussé Varsovie en juin n'a probablement pas joué en sa faveur.

Ce poste des affaires étrangères est évidemment crucial pour déterminer la nature des relations à venir avec la Russie alors que le fossé entre Bruxelles et Moscou n'a cessé de se creuser tout au long de l'été. Mais le risque, à vouloir mettre tout le monde d'accord, est de désigner une personnalité tiède qui aura bien du mal à faire le poids face à Vladimir Poutine.

Nouveauté de cette commission Juncker, et qui va être au menu des discussions samedi à Bruxelles : de nouveaux postes devraient être créés, notamment un vice-président à l'investissement, et probablement un poste de vice-président en charge de la zone euro. Des portefeuilles évidemment très convoités, tout comme la succession de Catherine Ashton ou encore les postes de commissaires touchant à l'économie : affaires économiques, concurrence, marché intérieur, commerce énergie et numérique.

La France, on le sait depuis fin juillet, enverra Pierre Moscovici à Bruxelles. Commissaire au commerce, à l'énergie... ou vice-président à l'investissement ? C'est ce dernier poste que vise l'ex-ministre français, selon le site Euractiv. L'ancien patron de Bercy veut en tout cas une fonction de premier plan, en prise directe avec l'économie. Or sa candidature est loin d'avoir fait l'unanimité à Bruxelles, et elle ne suscite guère d'enthousiasme outre-Rhin. Pierre Moscovici s'était par ailleurs fait remarquer l'an dernier lors d'une réunion de crise consacrée à la crise chypriote où il s'était endormi avant d'être réveillé par Christine Lagarde. L'agence Reuters, qui relate l'histoire, conclut : « L'image du FMI réveillant le plus haut dirigeant économique de la France lors d'une réunion de crise illustre crûment une question qui embarrasse les diplomates : qu'est-il arrivé à la voix de la France en Europe ? »

La voix de la France en Europe, précisément, a bien du mal à percer. Pierre Moscovici « grand commissaire » ou commissaire de second rang, peu importe, au fond : la France ne fait rien pour infléchir l'orientation européenne actuelle face à une politique allemande qui ne semble pas vouloir bouger d'un iota malgré le recul de l'économie allemande au deuxième trimestre (chute de 0,2 % du PIB) et le contexte de contraction généralisée.

C'est l'Italie, finalement, qui avec les annonces fracassantes de Matteo Renzi depuis février et sa présidence semestrielle de l'Union européenne depuis le 1er juillet, cherche à adoucir le tout-austérité : elle propose, entre autres, d'exclure les dépenses en infrastructures du calcul des déficits budgétaires nationaux. Un axe qu'a d'ailleurs réitéré Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, en visite ce week-end aux États-Unis où, comme le rapportent Les Échos, face à son homologue à la tête de la Fed il a invité les gouvernements européens à « utiliser la flexibilité des règles budgétaires européennes » afin d'engager les réformes structurelles – après avoir pourtant longtemps défendu l'orthodoxie budgétaire. Le chef de la BCE a par ailleurs poussé à développer l'investissement public à l'intérieur de la zone euro.

De fait, la France est déjà en recul sur la scène européenne depuis le début de la présidence Hollande – et ces derniers mois n'ont fait qu'accentuer la tendance. La semaine dernière, l'Élysée a ainsi ravalé, comme l'explique EurActiv, son idée d'un programme d'investissements européen de 1 200 milliards d'euros devant celui, beaucoup plus modeste, de 300 milliards d'euros présenté par Jean-Claude Juncker lors de son discours d'investiture en juillet dernier, et qui en réalité consiste davantage en la mobilisation de fonds déjà existants qu'en un plan de relance.

« La France souhaite s'impliquer dans ce grand chantier de la croissance en Europe », a toutefois insisté Pierre Moscovici la semaine dernière sur le plateau d'iTélé, martelant qu'il fallait « plus d'investissements en Europe », assumant donc un double discours pour le moins surprenant. Car le plan de relance européen initialement lancé par le parti socialiste est bel et bien passé aux oubliettes : il n'est plus défendu, ni par le candidat à la commission, ni par François Hollande qui a affiché le même jour, dans un entretien au Monde, son soutien plein et entier à Jean-Claude Juncker, et en particulier à son plan d'investissement de 300 milliards d'euros.

En recul sur la question de la relance, la France se trouvera en outre, avec un gouvernement fraîchement remanié, en position bien faible pour influer sur les décisions prises à Bruxelles – si toutefois elle ne s'en désintéresse pas complètement. Déjà, sur le plan des relations extérieures, et notamment sur la crise ukrainienne, elle s'est effacée devant la présence allemande qui, cet été, a pleinement occupé le terrain de la diplomatie européenne. L'entretien télévisé de rentrée d'Angela Merkel, ce dimanche, est à cet égard révélateur, et significatif de la dérive de la présidence Hollande : il est presque intégralement consacré à la situation internationale.

Enfin, sur les questions de politique économique, les marges de manœuvre du nouvel exécutif seront sans nul doute très minces. Manuel Valls avait notamment promis de négocier à Bruxelles un report des délais pour réduire le déficit budgétaire afin de ne pas étouffer une croissance déjà atone. Le premier ministre avait prévu à cette fin une tournée européenne dès septembre, avec Berlin pour étape. Mais la chancelière allemande, elle, a les yeux rivés ailleurs. En Espagne, ce lundi, après un week-end marqué par un déplacement à Kiev où elle a réaffirmé son soutien à l'Ukraine, Angela Merkel a de nouveau avancé ses pions en matière économique.

À Madrid, elle a en effet déclaré son soutien à la candidature de l'actuel ministre espagnol des finances à la tête de l'Eurogroupe : une nomination qui vient entériner la poursuite de la politique monétaire menée jusqu'à présent au sein de la zone euro, le ministre de droite Luis de Guindos ayant respecté à la lettre les recommandations de Bruxelles depuis son entrée en fonction, fin 2011. Si l'attribution d'un tel portefeuille à l'Espagne aurait pu renverser la barre, donnant pour une fois du poids aux pays du Sud pris dans la tourmente de la crise de la dette et du tout-austérité depuis 2010 – les fameux « PIIGS » (acronyme signifiant « porcs » en anglais et désignant Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) –, il n'en sera rien : la chancelière a décidé, au contraire, d'adouber un fidèle allié.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Avec HSTS, forcez vos visiteurs à revenir en HTTPS sur votre site web

Mort d'un Algérien expulsé: la police est gravement mise en cause

$
0
0

Pourquoi Abdelhak Goradia, 51 ans, est-il mort lors de son transfert vers l’aéroport de Roissy dans un fourgon de police, jeudi 21 août ? Ce ressortissant algérien, sous le coup d’un arrêté ministériel d’expulsion, devait embarquer sur un vol pour l’Algérie jeudi à 21 h 15, à Roissy.

Une source policière a d’abord affirmé à l’AFP vendredi que l'homme, père d’un enfant français de six ans, était mort « d'une crise cardiaque ». « En arrivant à Roissy, les policiers se sont aperçus qu'il était en train de faire un malaise dans le fourgon et, malgré les secours prodigués, il est décédé », avait déclaré le policier. Mais dès le lendemain, un porte-parole du parquet de Bobigny, confirmant une information du Monde, indiquait que « selon les premiers résultats de l'autopsie, la mort avait été provoquée par une asphyxie due à une régurgitation gastrique ». Une information judiciaire pour homicide involontaire contre X... a été ouverte vendredi.

Contacté lundi, le parquet de Bobigny ne veut désormais plus communiquer et renvoie vers le cabinet du ministre de l’intérieur. Dans son communiqué envoyé vendredi, le ministre Bernard Cazeneuve indique simplement souhaiter « que l'enquête judiciaire permette de faire toute la lumière sur les circonstances de ce décès dramatique ».

Plusieurs proches de la victime, qui se sont rendus samedi à l’Institut médicolégal de Paris (XIIe arrondissement), affirment avoir constaté des hématomes sur son visage. Houari Goradia, l’un de ses neveux, décrit ainsi « un gros bleu au niveau du nez, un bleu sous l’œil gauche, des bosses et un creux au niveau du crâne ». « Nous étions derrière une vitre et il avait un linceul jusqu’aux oreilles qu’ils ont refusé de retirer », dit Houari Goradia, 37 ans, qui est apporteur d’affaires à Paris. Selon lui, la sœur et le frère de la victime, qui habitent en région parisienne, entendent se constituer partie civile.

Détenu depuis 2011 pour plusieurs escroqueries à la carte bancaire, Abdelhak Goradia faisait l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion, notifié le 12 août, au motif d’une « nécessité impérieuse pour la sécurité publique », selon son avocat. Le même jour, ce quinquagénaire avait été placé au centre de rétention de Vincennes, à sa sortie de la maison d’arrêt de Châteaudun. Il aurait déjà fait l'objet de deux tentatives d'expulsion, dont l'une le 16 août, auxquelles il s'était opposé. Selon son neveu, le commandant de bord avait refusé de l’embarquer le 12 août, car il était entravé aux mains et aux jambes.

Ce 21 août, Abdelhak Goradia n’était pas inscrit au tableau des départs, d’après des retenus du CRA de Vincennes joints par téléphone. « Ils lui ont dit qu’il avait une visite pour qu’il les suive », raconte Mouelhi Adnen, un Tunisien qui partageait la chambre de l’Algérien au sein du bâtiment 1 du CRA. « Il ne voulait pas partir car depuis la mort de ses parents, il n’avait plus personne en Algérie, toute sa famille vivait en France », dit Ivan Drajic, un retenu serbe au CRA de Vincennes. Arrivé sur le territoire en 1996, Abdelhak Goradia était le père d'un enfant né en France en 2008. Il était séparé de la mère.

Vers 19 heures, le jeudi soir, il a appelé son avocat et sa famille pour les prévenir qu'une escorte allait l'embarquer. Me Sohil Boudjellal a alors pu parler au chef d'escorte « qui m'a dit qu'il ne faisait qu'exécuter un ordre ». Puis le portable de l’Algérien n’a plus répondu. L’avocat et la famille n’ont plus eu de nouvelles jusqu’à ce qu’ils apprennent sa mort le lendemain matin, après avoir passé en vain plusieurs coups de fil en Algérie et au CRA de Vincennes.

« En sortant de la visite au premier étage (au-dessus de l’accueil du CRA, ndlr), un Chinois a entendu des cris, comme une bagarre, mais il n’a pas vu ce qui se passait », explique Ivan Drajic. Ce sont cinq fonctionnaires de la compagnie de transferts, d'escortes et de protection de la police (Cotep) qui auraient embarqué l’homme. « Comme il était assez virulent, les policiers de la Cotep se sont mis à quatre ou cinq pour l’entraver, explique Cédric Caste, du syndicat Unité Police SGP-FO pour la police aux frontières (PAF) de Roissy. Ils ont écarté une lame de rasoir. Ils ont protégé sa tête avec un casque de boxe et l’ont allongé dans le fourgon, entravé aux mains et aux pieds. »

D’après le syndicaliste policier, ce n’est qu’à l’arrivée à l’unité d’éloignement de l’aéroport de Roissy, à 19 h 45, que les policiers « se sont rendu compte qu’il était bleu ». « Les policiers de la Cotep et de l'unité nationale d'éloignement, de soutien et d'intervention (Unesi) ont essayé de le réanimer et ont appelé les secours qui l’ont intubé par le nez, car il avait les voies obstruées. » D’après le ministère de l’intérieur, l’inspection générale de la police nationale était sur place « une heure après la constatation du décès ».

Dans un communiqué, l'Association service social familial migrants (ASSFAM) a souligné que la victime « n'avait jamais fait état de problèmes de santé depuis son arrivée au centre de rétention ». Me Boudjellal, l’avocat de la victime, n’a pas encore eu accès au rapport d’autopsie. « La version de départ est totalement contredite, remarque-t-il. Il n’est pas mort naturellement mais s’est étouffé devant les policiers ou sous l’effet de leurs contraintes. Ce qui suppose des convulsions et une mort atroce. » « Comment peut-on ne pas porter secours à quelqu’un qui s’asphyxie ? » s’interroge l’avocat. « Tout ce qu'on sait est qu'il n'est pas mort de mort naturelle, dit Houari Goradia. On sait comment ça se passe. On attache les pieds et les mains, on met une muselière sur la bouche, on emploie la manière forte... Même à un animal, on ne fait pas ça ! » 

Abdelhak Goradia avait été condamné à plusieurs reprises pour des escroqueries à la carte bancaire. « Avec les récidives, il avait cumulé neuf ans de prison (du fait de la loi sur les peines planchers - ndlr), explique son avocat. Il a fait six ans, il avait travaillé et remboursé les parties civiles. » « Nous savions que la prétendue suppression de la "double peine" sous Sarkozy était une mauvaise plaisanterie et qu’elle reste en vigueur sous la présidence de Hollande », remarque le Réseau éducation sans frontières (RESF).

Un premier recours en référé-liberté avait été rejeté le 20 août par le tribunal administratif de Paris, qui avait estimé que son expulsion ne constituait pas une atteinte « manifestement grave » aux libertés fondamentales. Mais le juge administratif devait se prononcer le 28 août sur un autre recours, cette fois en référé-suspension. Il s’agissait de déterminer s’il était légal ou non d’expulser le père d’un enfant français. D'après son neveu, il était confiant : « On allait le voir tous les jours au CRA : il était en bonne santé, pas en colère, il pensait qu'il allait sortir. » Son avocat affirme avoir envoyé en vain trois fax le jeudi soir, au ministère de l'intérieur, à la direction du centre de rétention ainsi qu'à la préfecture de police chargée de l'escorte pour leur rappeler cette audience. Mais ce type de recours n’est pas suspensif en France.

Selon Cédric Caste, le dossier d’Abdelhak Goradia était « plus que sensible » et suivi de près par la direction centrale de la police aux frontières, le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris. « C’est la première fois en vingt ans que je vois un arrêté ministériel au motif d’une nécessité impérieuse de sécurité pour ce type de profil, remarque Me Boudjellal. D’habitude c’est utilisé pour des braqueurs ou des terroristes, pas des petits délinquants non violents. »

En France, les deux derniers cas de décès lors de reconduites remontent à plus d'une dizaine d’années. Ricardo Barrientos, un Argentin de 52 ans, était décédé en décembre 2002 à bord de l’avion qui le ramenait en Argentine, après avoir été maintenu plié en deux par les policiers sur son siège. Mariame Getu Hagos, un Éthiopien de 24 ans, était lui mort en janvier 2003 suite à l’utilisation de la même technique policière. Il avait passé vingt minutes maintenu de force le torse plié, la tête touchant les cuisses, et menotté dans un siège d'avion à la ceinture serrée.

À la suite de ces deux décès, un manuel, publié par Mediapart en 2009 (lire l'article et l'intégralité du manuel ici), avait été mis à disposition des 180 agents de l'unité nationale d'éloignement, de soutien et d'intervention (Unesi), rattachée à la direction centrale de la police aux frontières. Tout en exposant le cadre législatif des « éloignements », ce manuel vise surtout à délivrer des « conseils techniques utiles aux fonctionnaires » afin d'« escorter efficacement les reconduits aux frontières internationales ». Y sont répertoriés les moyens de coercition à leur disposition : les menottes textiles ou métalliques, les bandes velcro et la « ceinture d'immobilisation ».

« Toute forme de bâillonnement est strictement prohibée », précise le manuel, pour tenter de mettre fin à une pratique employée il y a quelques années. À l'aide de schémas et de photographies « en situation », les gestes visant à maintenir la personne expulsée sont explicités. Comme la « régulation phonique » qui consiste en un étranglement et dont l'objectif est de « déstabiliser physiquement » la personne, de « diminuer sa résistance » et de « diminuer ses capacités à crier ». Les risques sont listés : « détresse ventilatoire et/ou circulatoire », « défaillance de l'organisme » et « risque vital ».

Des journalistes refusés à l'entrée du CRA en 2012 © Les Inrocks

Pour protester, une vingtaine des retenus du bâtiment 1 du CRA de Vincennes se sont mis en grève de la faim depuis vendredi. Ouvert en 1995, ce centre est l'un des plus importants de France avec 168 places réparties en trois ensembles. Dans un communiqué, ils réclament la possibilité pour des journalistes de « venir voir les conditions de vie dans le centre » (un accès promis par Manuel Valls en janvier 2014) ainsi qu’une punition pour « les acteurs des violences envers M. Goradia, car ils l'ont tabassé à mort ». « Une partie de la police est très agressive verbalement et fait des provocations, affirment-ils. Ils vont jusqu'à dire des insultes dans le micro. Ils hurlent et font des gestes obscènes. »

L'Afssam a saisi le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, qui depuis mai 2014 peut contrôler l'«exécution par l’administration des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers». L'association n'a pas accès aux zones de vie du centre de rétention où elle dispose juste d'un bureau. «Nous ne sommes pas non plus dans les fourgons, on ne sait pas ce qui s'y passe», explique Christian Laruelle, son directeur.

Dans un communiqué, la Ligue des droits de l’homme a pour sa part exprimé son « indignation et sa colère ». « Jamais une mesure d’expulsion ne devrait se conclure par la mort d’un homme et ceci engage la responsabilité des policiers mais aussi la responsabilité d’une autorité politique qui, de gouvernement en gouvernement, finit par considérer la mort d’un étranger comme une inévitable bavure collatérale. » RESF a également réagi. « La mort par asphyxie d’un sans-papiers dans le fourgon qui le conduisait à l’avion est révélatrice de la violence des expulsions, même si toutes ne se terminent pas de façon aussi tragique, écrivent Pablo Krasnopolsky et Richard Moyon. Les éventuels antécédents judiciaires de Monsieur Goradia, invoqués ici ou là, sont hors sujet. »

BOITE NOIREUne citation du syndicaliste Cédric Caste a été légérement modifiée : ce sont les policiers de la Cotep et de l'Unesi qui ont prodigué les premiers secours au ressortissant algérien, et non les policiers de la PAF de Roissy, comme d'abord indiqué.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

La composition du nouveau gouvernement Valls

$
0
0

Seize ministres, dont huit hommes et huit femmes. Le nouveau gouvernement Valls ne bouge guère. Deux nominations importantes : Najat Vallaud-Belkacem à l'éducation et Emmanuel Macron, ancien banquier d'affaires et ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée, au ministère de l'économie et de l'industrie. Ce gouvernement est construit sur une base politique encore plus étroite que le précédent. Les écologistes n'y participent pas plus, les radicaux de gauche conservent leurs trois postes, les proches d'Aubry y sont marginalisés. François Hollande, via Michel Sapin et Emmanuel Macron à l’Élysée, renforce encore son emprise sur Bercy tandis que Manuel Valls ne réussit pas à installer ses proches dans des ministères importants.

Les ministres

Laurent Fabius (affaires étrangères)

Ségolène Royal (écologie)

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation et de l'enseignement supérieur

Christiane Taubira (garde des sceaux)

Michel Sapin (finances et comptes publics)

Jean-Yves Le Drian (défense)

Marisol Touraine (santé, affaires sociales, elle récupère les droits des femmes)

François Rebsamen (travail)

Bernard Cazeneuve (intérieur)

Stéphane Le Foll (agriculture et porte-parolat)

Emmanuel Macron (économie, industrie et numérique)

Sylvia Pinel (logement)

Marylise Lebranchu (décentralisation et fonction publique)

Fleur Pellerin (culture)

Patrick Kanner (ville, jeunesse et sports)

George-Pau Langevin (outre-mer)

Les secrétaires d’État

Geneviève Fioraso (enseignement supérieur et recherche)

Harlem Désir (affaires européennes)

Annick Girardin (développement et francophonie)

Thierry Mandon (réforme de l'État et simplification)

Axelle Lemaire (numérique)

Kader Arif (anciens combattants et mémoire)

Alain Vidalies (transports)

Thierry Braillard (sports)

Ségolène Neuville (personnes handicapées et lutte contre l'exclusion)

Laurence Rossignol (famille, personnes âgées et autonomie)

Pascale Boistard (droits des femmes)

Myriam el-Khomri (ville)

Christian Eckert (budget)

Thomas Thévenoud (commerce extérieur)

Carole Delga (commerce et artisanat)

André Vallini (réforme territoriale)

Jean-Marie Le Guen (relations avec le Parlement)

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Le mystère Christiane Taubira

$
0
0

Partira, partira pas ? À chaque remaniement ministériel, la même question. Christiane Taubira a beaucoup hésité ces dernières heures. Beaucoup consulté aussi, auprès de ses amis, au PRG et au PS notamment. La ministre de la justice a notamment demandé son avis au vieux sage Pierre Joxe, ancien ministre de François Mitterrand devenu récemment avocat. « Je me réjouis qu’elle reste au gouvernement et à la justice. Elle a commencé des chantiers qui n’ont pas encore abouti, notamment sur le droit des mineurs, et c’est quelqu’un d’opiniâtre », confie Pierre Joxe, un brin admiratif.

Christiane TaubiraChristiane Taubira © Reuters

Pour calmer son angoisse, pendant cet interminable lundi de crise politique, Christiane Taubira a utilisé les réseaux sociaux (son compte Twitter) pour faire des déclarations… à propos de l’affaire Michael Brown et du racisme. Un pas de côté dont la ministre est coutumière. Ce mardi, en revanche, elle est restée muette.

© Capture d'écran

Comme lors de la formation du gouvernement Valls-1 au printemps, personne ne savait quelle serait sa décision jusqu’au dernier moment, même ses proches collaborateurs. En privé, la ministre se plaint de ne plus avoir de temps pour elle, et se dit souvent fatiguée. Elle peste également contre certains arbitrages politiques qu’elle a perdus. Mais dans son expression publique, rien ne peut lui être reproché par les tatillons Manuels Valls et François Hollande. Et pourtant…

Notoirement proche de ses trois collègues frondeurs sacrifiés lundi – Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti –, qu’elle rencontrait régulièrement, et auxquels elle prodiguait de discrets encouragements, Christiane Taubira aurait été en cohérence avec elle-même en décidant de prendre le large, de quitter un gouvernement caporalisé dont l’assise politique est rétrécie, et de retrouver enfin sa liberté. Elle ne l’a pas voulu.

© Reuters

Insaisissable, y compris pour ses collaborateurs, Christiane Taubira reste un mystère pour la plupart de ceux qui la côtoient. Elle peut être dure et rieuse dans la même minute. « C’est une vraie force. Elle est passionnée, mais elle donne parfois l’impression d’être capable d’une forme de violence », glisse un ancien membre de son cabinet, entre admiration et effroi. « Dans son fonctionnement au quotidien, elle est trop personnelle, trop brouillonne, même si elle est excellente à l’oral », ajoute un autre.

Exigeante avec ses collaborateurs, parfois absente du ministère, Christiane Taubira a usé beaucoup de membres de son cabinet depuis juin 2012. Les poids lourds, d’anciens membres du cabinet d’Élisabeth Guigou place Vendôme (1997-2000), sont partis dès mars 2013. Certains de leurs remplaçants ne sont restés en poste qu’une petite année.

En mars dernier, le cafouillage autour des écoutes judiciaires de Nicolas Sarkozy, dont Christiane Taubira a prétendu ignorer l’existence alors que son cabinet en était informé, a montré les limites de cet exercice assez personnel, voire baroque, des responsabilités ministérielles. Comme le vrai-faux départ du procureur général de la cour d’appel de Paris, François Falletti, un mois plus tôt, ou encore les hésitations sur le choix du procureur national financier.

Sur le plan politique, le mystère Taubira n’est pas moins intrigant. Son parcours politique est atypique, voire complexe, de l’indépendantisme guyanais jusqu’au PRG, en passant par la liste Tapie aux européennes de 1994, et ses 2,32 % au premier tour de la présidentielle de 2002. Tout cela, Christiane Taubira s’en est expliquée lors du « live » que lui a  consacré Mediapart en décembre 2013, et que l’on peut revoir ici.

Sa place sur l'échiquier politique est singulière. Femme, célibataire, noire, non-membre du PS, porteuse (avec fougue et lyrisme) d’une des très rares réussites de la présidence Hollande, le mariage pour tous : autant de conditions qui imposaient à tout prix de conserver Christiane Taubira au gouvernement. Non seulement au vu de ce qu’elle incarne pour l’électorat de gauche, mais – peut-être – aussi à cause de l’extrême détestation qu’elle provoque à droite et à l’extrême droite, où se mêlent attaques racistes, sexistes et politiques contre sa personne. François Hollande et Manuel Valls ont donc voulu conserver Christiane Taubira au gouvernement, comme un symbole, et celle-ci a accepté, malgré ses désaccords politiques et son absence d’affinités avec le premier ministre.

La nouvelle du maintien de Christiane Taubira place Vendôme ne déclenche que peu de réactions chez les magistrats. « On attendait de vraies réformes de fond, celle du Conseil supérieur de la magistrature, celle du statut du parquet... et on est resté sur notre faim », résume Marie-Jane Ody, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire et modérée). « Des avancées qui auraient été capitales, comme la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, ne sont toujours pas faites, malgré la multiplication des groupes de travail », poursuit la magistrate. « Finalement, la seule chose qui ait changé, c’est un apaisement par rapport à l’époque Sarkozy, où les magistrats étaient jetés en pâture à l’opinion à chaque fait divers. »

Le constat est encore plus sévère au Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). « Peu importe le ministre, on n’attend plus grand-chose de la part de ce gouvernement sur la justice », lâche Françoise Martres, la présidente du SM. « Que ce soit sur les libertés publiques, le droit des étrangers, la justice des mineurs ou les prisons, rien n’a changé. Quant à la réforme pénale, elle contient des mesures catastrophiques qui retirent des pouvoirs à la justice pour les confier à la police. » La conclusion est sans appel : « On ne peut pas dire que Christiane Taubira mène une politique de gauche. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI


Emmanuel Macron, symbole de la dérive libérale de l'exécutif

$
0
0

Arnaud Montebourg remplacé par Emmanuel Macron : c'est le grand symbole du remaniement annoncé mardi par l’Élysée. L'ancien banquier de Rothschild, secrétaire général adjoint de l’Élysée pendant deux ans, est nommé ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Un choix qui vient définitivement solder le débat ouvert par l'ancien candidat de la démondialisation sur la politique économique du gouvernement et qui lui a coûté son poste au gouvernement.

À 36 ans, Emmanuel Macron entame déjà une sixième vie. Pendant deux ans, de mai 2012 à juin 2014, il a été un des piliers du cabinet de François Hollande à l’Élysée, en tant que secrétaire général adjoint, supervisant tous les grands dossiers économiques et industriels, y compris certaines batailles du CAC 40, ainsi que les grandes négociations européennes. Par ses fonctions, il était très régulièrement amené à travailler avec Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif puis de l'économie, jusqu'à son départ – les deux hommes s'estimaient et ils se sont parfois mutuellement soutenus (comme sur Alstom), unis par la défense d'un certain « volontarisme industriel », selon l'expression d'Emmanuel Macron.

Sur Twitter, Arnaud Montebourg a d'ailleurs salué la nomination de l'ancien conseiller de François Hollande :

Mais sur les grands équilibres macroéconomiques, les deux hommes incarnent malgré tout deux sensibilités au sein du PS, l'une plus keynésienne et critique de l'austérité pour Montebourg, l'autre plus libérale et arc-boutée sur la réduction des déficits pour Macron. Aux yeux de la gauche du PS, mais aussi des députés critiques de la majorité, cet ancien banquier d'affaires avait fini par incarner la dérive libérale de l'exécutif et la mainmise des technocrates sur le gouvernement. Ils parlaient même de victoire de la « ligne Macron », dont l'achèvement était apparu lors de la conférence de presse de François Hollande le 14 janvier dernier avec l'annonce du pacte de responsabilité.

À l'époque, même Jean-Marc Ayrault, pourtant social-démocrate revendiqué, en est mal à l'aise. « C’est François Hollande, tout seul avec Macron et quelques patrons, qui en décide. Le premier ministre n’est prévenu que quelques heures avant », rappelle un ancien de Matignon. « Matignon était très business friendly mais très vite, on a été mal à l’aise et c’est même devenu une souffrance », témoigne un autre. Un troisième confirme : « L’équilibre politique s’est rompu avec le pacte de responsabilité. » Ayrault et son équipe s'étaient déjà heurtés à Macron à propos de la réforme fiscale : l'ex-conseiller de François Hollande était très réticent, notamment sur la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG. 

François Hollande et Emmanuel Macron à l'ElyséeFrançois Hollande et Emmanuel Macron à l'Elysée © Reuters

Avant sa nomination en avril dernier, l'ancien rapporteur du budget devenu secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, ne cachait pas non plus son agacement vis-à-vis des conseillers de l’Élysée, et plus particulièrement d'Emmanuel Macron. C'était en janvier 2014, après l'annonce d'un dispositif fiscal pour les ménages, faite par le cabinet de François Hollande. « On se souvient d’un certain nombre de comportements, notamment de Claude Guéant à une certaine époque. Il y a des élus de la République. Il n’est pas sain que des choses aussi précises, comme la baisse de la fiscalité des ménages, soient annoncées par un conseiller du président de la République, quelles que soient ses qualités », expliquait-il alors.

Emmanuel Macron avait finalement quitté l’Élysée en juin 2014, dans la foulée de la nomination comme secrétaire général de Jean-Pierre Jouyet, ami personnel de François Hollande et spécialiste des mêmes dossiers. Privé d'espace, Macron parlait de donner des cours dans de grandes universités étrangères et était resté mystérieux sur son avenir. 

Son arrivée au poste de ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique illustre aussi le glissement – peut-être définitif – du pouvoir de tous les dossiers économiques dans les mains de la technostructure de Bercy. Comme si le politique, coincé entre la haute administration des finances et la Commission européenne, avait renoncé à exercer tout pouvoir sur le sujet ou même à faire semblant. Cette dérive était déjà largement en cours lors du ministère de Pierre Moscovici. Celui-ci avait tenu à garder Ramon Fernandez, très proche de Nicolas Sarkozy, comme directeur du Trésor, poste qu’il occupait depuis 2009. Très apprécié de Berlin, c’est lui qui discutait les positions de la France dans les grandes négociations européennes et internationales, lui qui arrêtait souvent les compromis, Pierre Moscovici se contentant souvent de lire ce qui lui avait été préparé. Alors que Matignon avait demandé son remplacement, Pierre Moscovici, soutenu par toute l’administration de Bercy, s’y était opposé pendant de longs mois, avant que Ramon Fernandez finisse par céder et rejoigne son ami Stéphane Richard chez Orange, comme directeur financier du groupe.

Désormais, ce maintien des apparences ne semble même plus utile. Emmanuel Macron appartient complètement au sérail de la haute administration de Bercy. Inspecteur des finances, il connaît toutes les arcanes du ministère, ses usages et ses modes de pensée. Il partage la plupart des analyses. Il n’aura pas comme Arnaud Montebourg ces colères et ces critiques contre les hauts fonctionnaires et particulièrement du Trésor. Ce qui lui avait valu en retour d’être surnommé « le fou » par la haute administration. Aujourd’hui, Bercy triomphe totalement : c’est un des siens qui prend officiellement les manettes de l’économie, sans être passé par la case politique. Comme ils n’ont cessé de le dire, les ministres passent, eux restent. Ils font la politique de la France.  

Interrogé sur France 2 quant à la nomination d'Emmanuel Macron, Manuel Valls a défendu son nouveau ministre : « Emmanuel Macron est un socialiste. On ne peut pas dans ce pays être entrepreneur, banquier, artisan, commerçant ?! Cela fait des années qu'on crève de débats idéologiques. (...) Sur M. Macron, j'entends des critiques, des étiquettes qui à mon avis sont dépassées, surannées. Les critiques sont venues de la gauche elle-même. Il y a toujours des politiques alternatives, mais j'ai la conviction que celle que nous menons est la bonne, celle que nous devons poursuivre pour redresser le pays. Il y a de beaux symboles (dans ce remaniement, ndlr), M. Macron en est un. »

Sa première vie fut pour la philosophie. Il devint assistant de Paul Ricœur, commença une thèse, avant de s’apercevoir que tout cela n’était pas pour lui. « Paul Ricœur a fait ses grands livres après 60 ans. Je n’avais pas cette patience. C’était trop lent pour moi », explique-t-il. Alors il entama sa deuxième vie et bifurqua vers des études plus conformes à l'air du temps : Sciences-Po l’ennuya par son conformisme, l’ENA le passionna. Il y découvrit la vie de l’État, l’administration, le pouvoir et la politique. Il termina comme il se devait, dans la botte, à l’Inspection des finances.

« Sarkozy m’a beaucoup aidé et les socialistes du Pas-de-Calais aussi », dit-il pour résumer la suite, comme quoi la philosophie lui a au moins appris à relativiser les situations. D’autres y auraient vu au contraire un fâcheux coup du sort. Car à peine ses études achevées, il est tenté par une troisième vie : la politique. Il s’embarque pour faire de la politique locale dans le Pas-de-Calais. Mais entre le jeune inspecteur des finances et les caciques de Liévin, le courant ne passe vraiment pas. Les locaux ne voient en lui qu’un jeune ambitieux venu bousculer les jeux locaux. « J’étais le jeune mâle blanc, ce qui ne pouvait constituer qu’un handicap. Ils n’ont jamais considéré que je pouvais leur apporter quelque chose », raconte-t-il, encore amer, après cette expérience.

Retour donc à l’Inspection des finances à temps plein. En 2007, lorsque Nicolas Sarkozy est élu, tous les jeunes de l’Inspection des finances se précipitent pour entrer en cabinet ministériel : la voie royale pour la suite. « Toute ma promo est partie », dit-il. Pour sa part, Emmanuel Macron refuse, en dépit des multiples sollicitations notamment pour rejoindre le cabinet d’Eric Woerth au budget. Questions de convictions. Lui est à gauche, de gauche libérale certes, mais de gauche. Le voilà donc en quarantaine : chargé de mission au Quai d’Orsay.

C’est là que Jacques Attali, chargé par Nicolas Sarkozy d’animer une commission pour la croissance, vient le chercher. Dans la quarantaine d’experts, économistes, conseillers en tout genre qui participent aux travaux, il n’y en a pas tellement qui ont les idées, la plume et le temps pour organiser les réunions et en rédiger les comptes-rendus. Deux mois après, Emmanuel Macron est nommé rapporteur général de la commission Attali. Présentés en grande pompe, les beaux projets de la commission connaîtront le sort de tant d’autres : à la première menace de grève des taxis, furieux de voir remettre en cause le numerus clausus, le tout est promptement enterré dans un tiroir.

Mais cet interlude a permis à Emmanuel Macron d’élargir son cercle de connaissances, de rencontrer d’autres personnes et de réfléchir. Il n’a plus envie de repiquer à l’administration sous l’ère Sarkozy. Il veut un travail autre, plus international, qui lui permette de comprendre le privé, la vie des affaires, ce qui structure vraiment l’économie. « Tu devrais regarder dans la banque d’affaires », lui suggère Serge Weinberg, ami de Jacques Attali, qui le présente à la banque Rothschild. Il rencontre tous les associés et est coopté. En septembre 2008, il entre dans la maison. « J’ai eu de la chance. J’avais un parcours très peu intelligible. Personne ne pouvait le comprendre ailleurs que chez Rothschild », dit-il.

La quatrième vie commence : celle de banquier d’affaires. Emmanuel Macron apprend le monde des entreprises, les techniques financières, les opérations internationales, le big business : « Les grandes rationalités et ses aberrations », comme il le dit lui-même. Il s’y amuse et y réussit : en 2011, il devient le plus jeune associé-gérant de la banque. Mais il n’ignore pas combien cette vie de vif-argent, surpayée, a ses limites : rien ne s’y construit sur le long terme. Surtout, il n’a pas oublié la politique.

Parce qu’il considère qu’il est impossible de laisser faire sans réagir, il propose gracieusement son aide en 2010 à la société des rédacteurs du Monde, au moment où celle-ci se bat seule une dernière fois pour son indépendance. Son plan est simple et audacieux : oser aller jusqu’au dépôt de bilan pour apurer la situation financière et renégocier avec les créanciers. Mais ni la direction du journal, ni les banquiers, ni le pouvoir élyséen n’ont envie d’une telle solution : Le Monde doit se normaliser et devenir un journal comme un autre. Avec regret, il regarde les journalistes du quotidien pris au piège, n’ayant d'autre issue que de choisir leurs repreneurs.

Dans le même temps, il a déjà commencé à travailler avec des proches de François Hollande sur ce que pourrait être un futur programme économique. Son nom fut naturellement prononcé comme un des membres de l’équipe de l’Élysée, dès l’élection. Même s’il y eut quelques hésitations sur le poste : conseiller économique ou secrétaire général adjoint. Il est attendu à la fois sur les dossiers économiques mais aussi pour assurer un relais avec le monde des affaires que le président connaît peu.

La banque Rothschild s’est quant à elle résignée à voir partir un de ses associés-gérants les plus prometteurs. Cela devient une habitude d’aller puiser chez elle des responsables pour la République. Déjà, Georges Pompidou était directeur général de la banque Rothschild avant de devenir premier ministre du général de Gaulle. En 2007, Nicolas Sarkozy était allé aussi rechercher son ancien directeur de cabinet, François Pérol, devenu associé-gérant de la banque, pour le nommer secrétaire général adjoint.

BOITE NOIREUne partie de cet article avait déjà été publié lors de la nomination du cabinet de François Hollande à l'Elysée, en mai 2012.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

François Hollande a verrouillé l'équipe «Valls-II»

$
0
0

Manuel Valls pensait renverser la table. Lundi matin, c’est lui qui avait exigé, et obtenu, de François Hollande le départ d’Arnaud Montebourg et des ministres ouvertement contestataires. En démissionnant son gouvernement, le premier ministre comptait marquer les esprits : imposer un cap social-libéral tout en se dégageant, un peu, de l’influence de François Hollande. Au vu du casting gouvernemental, le pari de l’autonomisation est raté : le gouvernement (16 ministres, 17 secrétaires d’État) reste à la main de François Hollande, chef de l’État conforté par les institutions de la Cinquième République.

Manuel Valls, le 22 juillet dernier.Manuel Valls, le 22 juillet dernier. © Reuters

Le premier ministre annonce d’ores et déjà un vote de confiance « en septembre ou en octobre » qui s’annonce délicat. Et il promet « des annonces dans 48 heures pour débloquer le pays ». Mercredi 27 août, il est attendu à l’université d’été du Medef, où il pourrait dérouler une partie de ce menu devant un parterre de patrons. « Il n'y a qu'une seule ligne, a martelé mardi soir le premier ministre sur France 2. La France est un immense pays, la cinquième puissance mondiale, la deuxième puissance économique de l'euro, sa voix pèse dans le monde. Mais pour être fort, il faut une économie forte. Ma seule mission c'est que notre économie soit plus forte, réduire le chômage. »

Les poids-lourds reconduits

Sept heures de tête-à-tête entre Manuel Valls et François Hollande à l’Élysée et de multiples coups de téléphone auront finalement abouti à un gouvernement en forme de quasi-décalque du précédent. Hormis Montebourg, Hamon, Filippetti et Frédéric Cuvillier, virés ou auto-exfiltrés, les poids-lourds occupant les postes régaliens, la plupart “hollandais”, restent à leur poste : Jean-Yves Le Drian (défense), Marisol Touraine (affaires sociales, qui récupère le droit des femmes), François Rebsamen (emploi, travail et dialogue social), Bernard Cazeneuve (intérieur), Stéphane Le Foll (agriculture et porte-parole du gouvernement) etc. Idem pour Ségolène Royal (écologie, développement durable et énergie), nommée en avril dernier, et Christiane Taubira (garde des Sceaux), maintenue à un poste qu’elle occupe depuis juin 2012.

Le casting des secrétaires d’État est assez peu modifié. De même que les périmètres ministériels. À l’exception du droit des femmes : noyé dans un grand ministère des droits des femmes, des sports et de la ville en avril dernier, ce portefeuille est désormais placé sous l’égide de Marisol Touraine. Et bénéficie d’une secrétaire d’État, la vallsiste Pascale Boistard. Sous Jean-Marc Ayrault, c’était un ministère de plein exercice.

Une femme à l’éducation

Le gouvernement reste paritaire. Najat Vallaud-Belkacem, nouvelle numéro quatre du gouvernement, remplace Benoît Hamon. C’est la première femme ministre de l’éducation depuis 1824, comme le remarque notre blogueur Claude Lelièvre. Fleur Pellerin, chargée du commerce extérieur depuis 2012, prend le portefeuille de la culture. Des « symboles », a fait remarquer Manuel Valls, de « nouveaux visages qui représentent la diversité du pays ».

À part Emmanuel Macron, peu de nouvelles têtes

La nomination d’Emmanuel Macron, ancien associé-gérant de la banque Rothschild, ex-conseiller de François Hollande à l’Élysée et proche des milieux d’affaires, est évidemment très remarquée (lire notre portrait). À part ce choix, qui hérisse une partie de la gauche, au PS et au-delà, peu de nouvelles têtes font leur entrée. Mais en installant Emmanuel Macron à Bercy, François Hollande construit une ligne de responsables qui lui sont dévoués : Macron et Sapin auront la haute main sur la politique économique, avec Pierre Moscovici comme futur commissaire européen – à un poste économique important, exige Paris – qui devrait la relayer. Ce qui laisse peu d'espace pour Manuel Valls.

Seul autre nouveau ministre (hormis la promotion de Fleur Pellerin) : Patrick Kanner. Actuel président du conseil général du Nord, âgé de 57 ans, il est nommé ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

Militant socialiste depuis son plus jeune âge, ce Lillois est proche de Martine Aubry, mais n'est pas considéré comme un aubryste (il était déjà actif à Lille du temps de Pierre Mauroy, dont il était devenu à la fin des années 1980 adjoint à la mairie). Il a remplacé Bernard Derosier à la présidence du conseil général du Nord en 2011. Patrick Kanner, membre du conseil national du parti socialiste, s’alarmait à la veille de sa nomination.

Il y a deux mois, il se montrait aussi très critique à l’égard de la réforme territoriale prônée par l’exécutif.

Diplômé de droit public et professeur à l’université de Lille III, Patrick Kanner, par ailleurs président de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCASS), va devoir mettre en œuvre la réforme de la politique de la ville, finalisée en juin dernier par Najat Vallaud-Belkacem. 

Seuls trois des dix-sept secrétaires d’État n’ont jamais été ministre : Pascale Boistard (droit des femmes), Thomas Thévenoud (commerce extérieur), Myriam el-Khomri (politique de la ville).

Ancienne élue parisienne parachutée in extremis dans la Somme en 2012, où elle s’est fait élire députée, Pascale Boistard, 43 ans, est une fabiusienne de choc, qui a fait ses armes à Solférino sous la direction de Martine Aubry, où elle s’est notamment occupée de la tutelle de la fédération de l’Hérault. Elle s’est rapprochée récemment de Manuel Valls, dont elle est devenue ces derniers mois un des soutiens les plus affirmés à l’Assemblée. En circonscription, en revanche, la nouvelle secrétaire d’État est redoutée par ses collaborateurs, qui ont dénoncé ses méthodes devant les prud’hommes, ainsi que l’a raconté notre partenaire Le Télescope d’Amiens.  

François Hollande et Manuel Valls, six heures de réunion, mardi.François Hollande et Manuel Valls, six heures de réunion, mardi. © Reuters

Adjointe de Bertrand Delanoë puis d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, Myriam el-Khomri, 36 ans, est nommée secrétaire d’État à la politique de la ville. C’est une spécialiste de la sécurité. Sous Ayrault, ce portefeuille bénéficiait d’un ministère délégué (occupé par François Lamy). Mais dans le premier gouvernement Valls, aucun poste n’était dédié à cette tâche, qui entrait dans les attributions de Najat Vallaud-Belkacem. Fin 2013, quand Anne Hidalgo demande à Daniel Vaillant de ne pas se représenter dans le 18e, elle escompte prendre la place. Mais le maire sortant ne veut pas qu’elle prenne sa succession. Elle négocie alors de se retirer contre un portefeuille élargi auprès de Anne Hidalgo (sécurité, prévention, politique de la ville et intégration). En dépit de ce mandat, elle a continué à être rémunérée en tant qu’assistante parlementaire de Daniel Vaillant, comme l’a révélé la déclaration d’intérêts du député, publiée cet été.

Autre entrant : Thomas Thévenoud, nommé au commerce extérieur, au tourisme et aux Français de l’étranger auprès de Laurent Fabius. Député de Saône-et-Loire, le fief d’Arnaud Montebourg, Thevenoud, fabiusien de 40 ans qui a soutenu Aubry à la primaire socialiste, est un proche de l’ancien ministre de l’économie. Souvent déçu par son mentor, Thevenoud joue depuis deux ans sa propre carte : défense des « petits » salariés (il était contre la suppression du dispositif des heures supplémentaires de Nicolas Sarkozy), patriotisme économique, etc. Il a à son actif quelques coups d’éclat remarqués : un rapport sur la TVA dans la restauration qui lui a valu les foudres de McDonald’s, son travail de dynamiteur dans le conflit entre les taxis et les VTC. Plein de bagou, capable de défendre à peu près tout et son contraire, Thomas Thévenoud avait été nommé récemment porte-parole des députés PS.

Enfin, Alain Vidalies, ancien ministre des relations avec le Parlement de Jean-Marc Ayrault, viré du premier gouvernement Valls, fait son retour, cette fois aux transports, à la mer et à la pêche. Des dossiers sensibles (SNCF, SNCM) pour cet avocat de profession, soutien de Martine Aubry à la primaire. C'est un spécialiste des dossiers sociaux, réputé pour sa diplomatie.

Pas d’élargissement, aucune ouverture

Valls, le magicien de la com’, semble avoir perdu sa baguette. En l’espace de 24 heures, le premier ministre a essuyé une série de refus relativement impressionnante, ne parvenant pas à élargir la majorité actuelle. Lundi, Luc Carvounas, sénateur proche de Manuel Valls, nous disait espérer que « des chevènementistes, des écologistes ou Robert Hue rejoignent le bateau PS ». C’est raté. Jean-Michel Baylet et Robert Hue ont fait connaître, avant l’annonce du nouveau gouvernement, leur refus d’en être, l’un devant les caméras à la sortie de l’Élysée, l’autre par communiqué. Personne non plus du côté du MRC.

Quant aux écologistes, après avoir laissé fuiter leurs discussions avec Jean-Vincent Placé et Barbara Pompilli (présidents de groupe EELV au Sénat et à l’Assemblée), ces derniers se sont finalement rangés à la position unanime de la direction du mouvement écolo, prise la veille. « Des débauchages individuels n’apportaient rien à Valls dans l’escarcelle parlementaire, au contraire ça aurait même contraint certains pro-gouvernement à se radicaliser », explique un dirigeant d’EELV.

Côté PS, ce nouveau gouvernement quasi identique n’a connu qu’une réelle défection, outre les trois départs fracassants de la veille, celle du secrétaire d’État aux transports Frédéric Cuvillier, un proche de François Hollande. Celui-ci, maire de Boulogne-sur-Mer (le seul ministre à s’être présenté tête de liste aux dernières municipales), a fait connaître dans un communiqué, peu avant l’annonce élyséenne, son refus de continuer sous l’autorité de Ségolène Royal : « Dans la configuration qui m’a été proposée, j’estime ne pas disposer de cette capacité d’action et de l’autonomie nécessaire à la réussite d’une politique cohérente porteuse d’espoir pour nos territoires et nos concitoyens, confrontés à une crise profonde. »

L’ancien proche lieutenant de Martine Aubry, François Lamy, a quant à lui refusé de faire son retour au gouvernement. « C’est une question de ligne politique, a expliqué l’ancien secrétaire d’État à la politique de la ville de Jean-Marc Ayrault : « Je ne suis pas sûr de partager les orientations du futur gouvernement sur la réforme du code du travail, le relèvement des seuils sociaux ou la baisse des dépenses publiques, et notamment les 11 milliards d’euros en moins pour les collectivités locales. » Les aubrystes ne seront représentés à la table du conseil des ministres que par Marylise Lebranchu.

Enfin, aucune ouverture vers des personnalités centristes n’a été réalisée. Pas de Corinne Lepage ou de Jean-Luc Bennhamias, ni de François Bayrou, annoncés dans la presse comme autant d’intox rituelles dans ces moments-là. Mais la personnalité d’Emmanuel Macron à Bercy agit à elle seule comme un épouvantail pour la gauche. Sur France 2 mardi soir, Manuel Valls a martelé sa confiance de voir désormais la discipline dans les rangs. « L’immense majorité des députés nous soutient et sera au rendez-vous », a-t-il estimé.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Christine Lagarde mise en examen dans l'affaire Tapie

$
0
0

Au terme de trois ans d'enquête, l’ex-ministre de l’économie, Christine Lagarde, a été mise en examen par les magistrats de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) dans le cadre de l’affaire Tapie, selon des informations obtenues ce mercredi matin par Mediapart. L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, qui a été longuement interrogée mardi, de 9 heures du matin jusqu’à minuit, a été mise en examen pour « négligence d’une personne dépositaire de l’autorité publique » en relation avec le détournement de fonds publics, en l’occurrence l’arbitrage litigieux rendu en faveur de Bernard Tapie (article 432-16 du Code pénal). Un délit passible d’une peine d’un an de prison et 15 000 euros d’amende.

Christine LagardeChristine Lagarde © Reuters

Jusqu’ici, Christine Lagarde était témoin assisté dans cette procédure. L'actuelle patronne du FMI a réagi à sa mise en examen ce mercredi matin, en indiquant à l'AFP qu'elle ne quitterait pas son poste, et qu'elle entend contester sa mise en examen. En 2008, Bernard Tapie avait reçu quelque 403 millions d’euros au terme de cet arbitrage arrangé, dont 45 millions au titre du « préjudice moral ».

Cinq autres personnes ont été mises en examen dans le volet non-ministériel de cette affaire, dont Bernard Tapie, le juge-arbitre Pierre Estoup, et l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, Stéphane Richard. Impliqué pour « escroquerie en bande organisée », l'actuel patron d’Orange s’est agacé, critiquant la différence de traitement entre lui et l’ancienne ministre. Une confrontation entre Stéphane Richard et son ancienne patronne avait été organisée en mars dernier.

La Cour de justice de la République (CJR, seule juridiction compétente pour instruire et juger les délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions) avait été saisie du cas Lagarde le 10 mai 2011 par l'alors procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, dont Mediapart avait révélé le rapport le 26 mai (lire notre article ici).

Par la suite, la commission des requêtes de la CJR avait décidé qu'il fallait instruire ce dossier le 4 août 2011, dans un avis motivé également révélé par Mediapart le 17 août (lire notre article ici).

Au terme de son instruction, le dossier Lagarde peut soit faire l'objet d'un non-lieu, soit (plus vraisemblablement) être renvoyé devant la commission de jugement de la CJR, au sein de laquelle les parlementaires sont majoritaires.

Il est à noter que la commission d'instruction de la CJR ne retient, avec la « négligence », qu'un délit somme toute assez modeste (et rarement invoqué) contre Christine Lagarde, alors que celui de « complicité de détournement de fonds publics », initialement visé par la commission des requêtes, est puni par une peine maximum de dix ans de prison et une amende d'un million d'euros (article 432-15 du Code pénal). Soit la même peine qu'encourent les mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le volet non ministériel de ce même dossier - qui auront certainement quelques motifs de contester cette inégalité de traitement.

La Cour de justice, véritable usine à gaz dont le candidat Hollande avait promis la suppression en 2012, est par ailleurs chargée du cas d'Éric Woerth dans l'affaire de l'hippodrome de Compiègne (Oise). L'ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy, soupçonné d'avoir bradé les terrains forestiers et l'hippodrome sans respecter les procédures légales, est témoin assisté dans cette affaire, un statut à mi-chemin entre celui de mis en examen et celui de simple témoin (lire notre article ici).

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Hayange: les peintures bleu-blanc-rouge du maire FN

$
0
0

Après avoir déclenché une polémique en peignant en bleu la sculpture d’un artiste dans le centre-ville, sculpture qu’il jugeait « sinistre », le maire FN d’Hayange (Moselle) a repeint en bleu-blanc-rouge des wagonnets de mine qui font office de pots de fleurs. Une initiative qui suscite l’opposition d’une partie de la population.

Une cinquantaine de personnes ont manifesté le 23 août pour dénoncer une « tentative de réinterprétation de l'Histoire et le patriotisme frauduleux de la municipalité ». Pour Gilles Wobedo, l'un des organisateurs et président de l'association « Hayange plus belle ma ville », en repeignant ces wagonnets aux couleurs françaises, le maire tente de « nier notre histoire commune » et « oublie que des immigrés de seize nationalités différentes se sont retrouvés au fond des mines de la région »En signe de protestation, les manifestants ont planté des drapeaux aux couleurs de la Turquie, de l'Italie ou encore de la République tchèque, pays d'où étaient originaires les mineurs de Hayange, cette ville symbolique de la sidérurgie lorraine.

Les wagonnets repeints en tricolore par le maire FN.Les wagonnets repeints en tricolore par le maire FN. © Capture d'écran sur le site du Parisien.

Fin juillet déjà, le maire avait, pour égayer le centre-ville, dit-il, unilatéralement décidé de repeindre en bleu une fontaine en métal et pierre, achetée en 2001 par la municipalité socialiste de l'époque à un artiste local. L’artiste, Alain Mila, avait expliqué à Mediapart que cette peinture s’était faite sans son autorisation.

La fontaine d'Hayange, avant et après avoir été repeinte par la municipalité.La fontaine d'Hayange, avant et après avoir été repeinte par la municipalité. © Photos transmises par Alain Mila.

Dans une pétition lancée le 23 juillet, l'artiste et une association locale dénonçaient le « non-respect » par la municipalité de l’œuvre d’art et de sa propriété intellectuelle, mais aussi « un préjudice moral » étant donné les « valeurs » d’Alain Mila, qui sont « à l’encontre des idées et de l’image du Front national ». L'artiste avait jugé que le bleu utilisé était « très proche de celui du logo du Front national » et avait annoncé son intention d’attaquer la collectivité devant le tribunal administratif de Strasbourg.

La ministre de la culture d’alors, Aurélie Filippetti, avait dénoncé dans un communiqué « une violation manifeste du droit moral et des règles élémentaires du code de la propriété intellectuelle et de la protection du patrimoine ». « Qui sont ces gens qui s'arrogent le droit de dénaturer des œuvres ? Ça arrive dans une ville Front national, on voit bien le mépris dans lequel certains élus Front national tiennent l'art et la culture », avait-elle dénoncé sur France Info.

« Sa fontaine, tout le monde la trouve affreuse », avait répliqué Fabien Engelmann, interrogé par Le Républicain lorrain. À l'AFP, il avait expliqué « ne pas comprendre qu'on fasse tout un pataquès » pour une œuvre, selon lui, « dont on peine à appeler ça de l'art ». « Il n'y avait rien de mal à faire ça. On a une ville assez lugubre, sinistre, on a voulu l'égayer. On a repeint le fond en bleu piscine, le reste en bleu turquoise... Ça n'était en aucun cas pour détériorer la fontaine. » Après cette polémique, le maire a expliqué qu’il souhaitait « revendre la fontaine à M. Mila », en rappelant qu'elle avait été achetée en 2001 « près de 9 000 euros, sans le moteur et la tuyauterie ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Jean-Marc Germain (PS): «Nous refusons cet enfermement sous la contrainte»

$
0
0

Les parlementaires PS contestant la ligne sociale-libérale de François Hollande ne retiennent plus leurs coups. Proche lieutenant de l'ancienne première secrétaire du PS Martine Aubry et coanimateur de l'« Appel des 100 » prônant une réorientation de la politique économique et sociale, Jean-Marc Germain estime que le gouvernement Valls-2, expurgé des voix dissonantes (un gouvernement « de clarté », a dit Manuel Valls mardi soir sur France 2), « ne reflète pas la majorité qui a élu François Hollande en juin 2012 ». Et il promet une « régression démocratique » si le débat y est désormais interdit. Germain regrette par ailleurs « le symbole » de la nomination de l'ancien banquier Emmanuel Macron au ministère de l'économie.

Votera-t-il la confiance au gouvernement Valls ? Pour l'heure, le député des Hauts-de-Seine élude : « Je ne suis pas dans une situation de divorce, mais s'il n'y a pas de débats on peut aller dans une impasse. » Les « frondeurs », dit-il, restent dans la majorité. Mais ils refuseront « de se laisser enfermer dans ce choix binaire qui nous est proposé à chaque début de séquence : soumettez-vous si vous voulez éviter l'apocalypse. » Pas question donc de se laisser intimider par les « menaces de dissolution », une « décision du seul président de la République ». Alors que certains ministres proches de Hollande envisagent désormais de dégainer le 49-3 (débat sans vote) ou de gouverner par ordonnances, Jean-Marc Germain entend, comme ses collègues, revaloriser le Parlement. Il confirme que Martine Aubry va « s'exprimer prochainement », mais que « la conquête du pouvoir n'est pas son sujet ».

Mediapart.- Le gouvernement « Valls-II » vous satisfait-il ?

Jean-Marc Germain.- Le choix des équipes est de la responsabilité du président et du premier ministre. Ce que nous souhaitons, c'est un remaniement de la politique économique menée, plus équilibrée entre l'offre et la demande, faisant plus de place aux attentes sociales. Le gouvernement ne reflète pas cette réorientation. Je regrette le départ des ministres qui portaient cette attente : Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Aurélie Filippetti.

Leur départ n'est pas une bonne nouvelle : un gouvernement doit débattre, y compris de manière publique, dès lors que des décisions ne sont pas prises. La soustraction du gouvernement de ceux qui portaient ces débats économiques essentiels est un regret. C'est de mauvais augure. Par ailleurs, que les ministres s'engagent désormais à ne plus avoir de débats est très étrange. C'est une régression démocratique forte. En temps de guerre, on pourrait comprendre cette nécessité. Mais une démocratie en temps de paix fonctionne par l'intelligence collective, le débat au gouvernement, au Parlement, dans la société civile. Nous sommes déterminés à mener notre travail parlementaire, comme c'est le cas dans toute démocratie. Le vrai rendez-vous sera à l'automne (lors du vote du budget pour 2015)

Jean-Marc GermainJean-Marc Germain © Reuters

 

La nomination d'Emmanuel Macron au ministère de l'économie est-elle une provocation ?

Je ne connais pas Emmanuel Macron. C'est d'ailleurs bizarre, alors que j'ai été depuis deux ans rapporteur au Parlement de lois importantes (par exemple l'accord interprofessionnel sur l'emploi, ANI). Je respecte sa personne, mais je regrette le symbole que cette nomination représente. La mainmise de la finance a écrasé l'économie, empêché son développement. Mettre au ministère de l'économie et de l'industrie quelqu'un qui, par son parcours, l'incarne, n'est pas opportun. Si j'avais été président de la République ou premier ministre, je n'aurais pas fait ce choix.

Espérons juste que, désormais, les ministres en face de nous auront de vrais pouvoirs. Ils nous expliquaient ces derniers mois qu'ils n'avaient pas de marge de manœuvre, que tout était déjà décidé plus haut. Les décisions ne peuvent pas se prendre dans un grand bureau à l'Élysée, cela voudrait dire que le Parlement ne sert à rien : dans ce cas, c'est un système technocratique et ce n'est pas possible.

Manuel Valls se rend ce mercredi 27 août à l'université d'été du Medef. Une négociation entre les syndicats et le patronat va débuter en septembre sur les seuils sociaux, et pourrait donner lieu à une loi. Le gouvernement veut aussi assouplir le travail dominical. Les vannes des réformes d'inspiration sociales-libérales sont-elles ouvertes ?

S'il nous est proposé de supprimer les seuils sociaux, je voterai contre ce texte. Des études de l'Insee montrent qu'il n'y a pas ou très peu d'impact sur l'emploi, au mieux quelques centaines. Renoncer à des droits sociaux sur la négociation collective, sur les salaires, la formation, le dialogue économique pour un effet nul sur l'emploi, cela n'a aucun sens. Le PS s'est d'ailleurs exprimé contre. Ce n'est pas parce que le président de la République soumet un texte que je dois le voter sans réfléchir. Quant au travail dominical, la loi nous offre toutes les possibilités d'organiser ce qui est nécessaire pour le tourisme, l'alimentation et aussi protéger les salariés. Il peut y avoir des aménagements, mais pas de reculs sociaux. Si c'est le cas, je m'y opposerai de manière claire et déterminée.

Le gouvernement a-t-il toujours une majorité à l'Assemblée nationale ?

En tout cas, l'affichage et sa composition ne reflètent pas la majorité qui a élu François Hollande en juin 2012. Il n'y a pas les Verts, l'aile gauche du PS en est absente. Les aubrystes, qui ont fait 44 % à la primaire socialiste, ne sont pas représentés. Patrick Kanner (le nouveau ministre des sports, président PS du conseil général du Nord) n'est pas un aubryste. C'est un proche de Pierre Mauroy, il n'a jamais été dans les clubs de Martine Aubry. D'ailleurs, personne ne le connaissait avant de découvrir sa biographie. Le sujet des aubrystes, ça n'est pas d'être au gouvernement, mais que la politique économique, sociale et sociétale menée soit la bonne. Nous avons donc à nous organiser, à grossir et à peser sur les choix qui sont faits.

Il n'y aura pas de majorité garantie à chaque texte ?

Je n'en sais rien. Il y a eu une majorité sur les textes précédents, cela peut continuer. Dans les jours qui viennent, nous allons expliquer que la Cinquième République peut fonctionner avec ces différences importantes entre nous, sans qu'il y ait pour autant de divorce entre l'exécutif et sa majorité. Nous sommes tous d'accord sur le redressement dans la justice, pour dire qu'il faut aider les entreprises, et pour considérer que sans politique de l'offre, une politique de la demande, c'est comme arroser le sable. Même François Hollande commence à le dire ! Il y a donc entre nous des controverses importantes sur les sujets économiques et sociaux et sur les dosages, mais personne à gauche ne considère que la droite ferait mieux !

Donc l'idée n'est pas de mettre en minorité ce gouvernement ?

Je n'ai pas été élu pour m'asseoir sur le fauteuil rouge de l'Assemblée et appuyer tout le temps sur le bouton vert. L'idée est de voter ce que nous pensons bon pour le pays. En fait, les choses sont relativement simples : soit nous sommes minoritaires à penser ce que nous pensons et alors nous prendrons date. Nous aurons au moins démontrés aux Français que nous ne sommes pas monocolores à gauche. Soit nous sommes une majorité, et dans ce cas le gouvernement devra procéder par 49-3 (un article de la Constitution qui permet l'adoption d'un texte sans vote) s'il persiste dans sa ligne, ou accepter nos amendements s'il veut évoluer.

Je ne souhaite pas une dramatisation avec une menace de dissolution sur chacun des textes ou des votes importants. C'est pourtant ce qui s'est passé depuis le mois d'avril (lire ici). La menace d'une dissolution n'a pas à être brandie à chaque vote, lors du budget, lors d'un vote de confiance. Si on ne vote pas la confiance, comme dans toute démocratie digne de ce nom, le premier ministre composera un gouvernement qui peut la recueillir.

Manuel Valls va demander la confiance au Parlement « en septembre ou en octobre », ce que la Constitution ne l'oblige pas à faire. La voterez-vous en l'état ?

Nous ne souhaitons pas nous laisser enfermer dans ce choix binaire qui nous est proposé à chaque début de séquence : soumettez-vous si vous voulez éviter l'apocalypse. Nous refusons cet enfermement sous la contrainte. Nous avons une ligne de politique économique très claire que nous jugeons essentielle pour la réussite du gouvernement et du pays. Sur cette ligne-là, nous verrons combien nous sommes.

Mais diriez-vous que votre vote n'est pas acquis, ou qu'il l'est de toutes façons parce que vous appartenez à la majorité ?

Non. Rien ne nécessite que tel ou tel vote soit acquis. Je ne suis pas dans une situation de divorce, mais s'il n'y a pas de débats, on peut aller dans une impasse : quelques hommes ne peuvent pas traiter tous les problèmes de ce pays sans faire appel à l'intelligence collective des parlementaires, des syndicats, du patronat, de la société civile. Si jamais il devait y avoir une dissolution, ce serait une décision du seul président de la République, que rien ne l'obligerait à prendre puisque les autres possibilités existent dans nos institutions. Il ne souhaite pas le faire, nous non plus. Mais ce scénario ne doit pas être brandi comme une menace qui empêche de débattre sereinement. D'ailleurs, prétendre avoir la majorité alors que le vote des parlementaires est obtenu sous contrainte n'est pas une bonne chose, ni pour le président de la République, ni pour le premier ministre.

Martine Aubry et Manuel Valls, en 2011Martine Aubry et Manuel Valls, en 2011 © Reuters

Plaidez-vous pour un congrès rapide du PS ?

Oui, je suis favorable à un congrès. La carte d'identité du PS est difficile à définir tant qu'il n'y aura pas eu de débat sur la politique économique et sociale. On pourrait l'organiser en avril, mai ou juin  2015, suffisamment en amont des élections régionales.

François Hollande souhaite pourtant le repousser le plus tard possible.

Il est illusoire de croire qu'après des régionales qui ne s'annoncent pas triomphales, il y aura au premier semestre 2016 un congrès de pure formalité désignant à nouveau François Hollande comme notre candidat à la présidentielle. Un congrès d'orientation politique, on ne l'évitera pas, en 2015 ou 2016 : autant qu'il arrive au moment défini dans les statuts du parti, c'est-à-dire à mi-mandat.

Montebourg et Hamon deviennent-ils des leaders possibles pour ce parti ?

Attendons qu'ils expriment leurs intentions. Mais ils devront rassembler bien au-delà de ce qu'ils ont porté politiquement jusque-là. Pour l'heure, je tire de l'expérience espagnole la possibilité de voir émerger des têtes nouvelles dans un congrès sur une ligne politique de gauche décomplexée. Pedro Sanchez, le nouveau leader du PSOE (le parti socialiste de l'ancien premier ministre José Luis Zapatero, qui a gouverné le pays de 2004 à 2011), a défendu un programme totalement de gauche, avec une génération nouvelle (lire notre article). Inconnu il y a trois mois, il a réussi à être majoritaire, à redonner du crédit à son parti. Ils étaient très bas sous la direction de leur ancien dirigeant, Alfredo Robalcaba, qui était un peu le Manuel Valls de Zapatero.

Sanchez, pour l'instant, semble réussir, y compris en récupérant des voix de gauche qui s'étaient « perdues » chez Podemos, mouvement de contestation sans débouché politique. Cette expérience est instructive, et peut-être annonciatrice d'un renouveau au sein du PS. Ce ne sera peut-être pas au congrès de 2015 ou 2016, ce sera peut-être après la présidentielle de 2017, mais tôt ou tard cela arrivera.

Le PS a-t-il d'ores et déjà perdu la présidentielle de 2017 ?

Non. Mais un autre chemin était possible : celui du rassemblement du PS, des Verts et au-delà. Ce n'est pas si difficile de rassembler la gauche. Cet été, certains de nos amendements ont été votés par les radicaux, les écologistes, les communistes. Ils prônaient l'arrêt des aides aux entreprises sans contreparties, et un équilibre différent entre le soutien massif aux entreprises et le progrès social par le soutien au pouvoir d'achat et l'investissement public. Sur cette ligne-là, on réunit assez large à gauche. C'était le moment de le faire.

Martine Aubry va bientôt prendre la parole. Que doit-elle dire selon vous ?

Elle ne souhaite pas être dans le commentaire, ni donner des bons et des mauvais points, ni revenir sur la composition du gouvernement. Elle dira ce qu'elle pense devoir être fait dans les trois ans qui viennent, ce qu'elle pense bon et utile pour le pays, comme elle l'a fait l'an dernier par une tribune appelant à une « nouvelle renaissance ». Elle considère que nous sommes à un tournant du quinquennat. Nous étions jusqu'ici dans la phase de mise en œuvre des 60 engagements présidentiels, quoi qu'on pense des lois votées pour les mettre en œuvre. Désormais, nous entrons dans une autre phase, où il est nécessaire de redéfinir ce qu'est le « redressement dans la justice », cette page politique relativement blanche. Cela concerne le parti et ses grands dirigeants comme Martine Aubry. Elle souhaite aussi s'exprimer sur le modèle de société dans lequel nous voulons vivre. Mais elle parlera sur le fond, en s'extrayant des questions de personne, afin qu'on écoute ce qu'elle dit. La conquête du pouvoir n'est pas son sujet.

Donc elle n'est pas en « conquête du pouvoir», mais pas non plus retranchée sur son Aventin lillois ?

Elle veut être utile à son pays. Compte tenu du fait qu'elle n'est ni présidente de la République ni premier ministre, cela signifie éclairer les choix que le pays doit prendre, de façon non conflictuelle.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Emmanuel Macron: la gauche classique est une «étoile morte»

$
0
0

Emmanuel Macron à Bercy, c’est la consécration de la ligne économique choisie par François Hollande depuis son arrivée à l’Élysée. Il est un des inspirateurs du « pacte de responsabilité » annoncé en janvier dernier. Son parcours est en lui-même symbolique : énarque brillant, ardent défenseur de la « gauche moderne » à mille lieues de celle qui serait, dixit l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, arc-boutée sur ses « repères classiques » et les « statuts », il est aussi passé par la banque d’affaires chez Rothschild.

Deux ans et demi après le discours du Bourget où l’adversaire de François Hollande était la finance, cette nomination sonne comme une ultime clarification de la politique menée par l’exécutif. Mais pas seulement pour le symbole. Aussi sur le fond.

Emmanuel Macron et Arnaud Montebourg lors de la passation de pouvoirs mercrediEmmanuel Macron et Arnaud Montebourg lors de la passation de pouvoirs mercredi © Reuters

Il y a un an, alors qu’il était encore conseiller de l’Élysée, Mediapart avait longuement rencontré Emmanuel Macron pour l’interroger sur la nature du « hollandisme ». Il avait, à cette occasion, défendu la nécessité de « repenser les objets » de la gauche et le « socialisme de l’offre », pour une « gauche des possibles », plus qu’une gauche « des statuts ». Voici le verbatim de cet entretien (lire également la boîte noire en pied de cet article).

Sur les « réflexes de gauche »

« Nous sommes de facto entrés dans une période faite de plus de contraintes, où notre modèle se fissure de toutes parts : parce que la contrainte financière, européenne et politico-sociale nous comprime de toutes parts. On ne peut plus présenter la gauche comme l’extension infinie des droits. La gauche classique, c’est être pour l’extension des droits, comme entre 1997 et 2002 (sous Lionel Jospin, ndlr) avec la CMU, les 35H ou le Pacs.

Aujourd’hui encore, parce que nous sommes en temps de crise, dans un moment de transition, la gauche se crispe sur ses objets. Et ses repères sont très classiques. Quand on est de gauche, on est contre l’expulsion des étrangers et pour le pouvoir d’achat des Français. Les yeux fermés, j’aurais pu dire la même chose il y a 5, 10 ou 15 ans – ce n’est pas un truc moderne et il n’y a pas d’approche d’ensemble.

Le pouvoir d’achat, c’est la rencontre d’un salaire et d’un coût de la vie. Si on dit qu'il faut systématiquement augmenter les salaires, soit c’est l’État qui paie – et l’endettement, qui étouffe l’économie française, continue à courir. Soit ce sont les entreprises qui évoluent dans un monde ouvert, dans lequel elles délocalisent déjà des activités en raison d’un coût du travail trop élevé. Si être de gauche, c’est trépigner en disant « Je suis pour le pouvoir d’achat des Français », alors honnêtement c’est une politique qui dure six mois. On se fera plaisir mais cela n’ira pas très loin.

L’idéologie de gauche classique ne permet pas de penser le réel tel qu’il est. Il nous manque des outils – il faut le reconnaître. La gauche n’a pas assez repensé ses objets. »

Le « socialisme de l’offre »

« Ce qu’on appelle de manière un peu vieillotte le "socialisme de l’offre", c’est faire attention à la répartition de la charge entre les différents acteurs de l’économie. Nous voulons préserver le modèle social français, et notre politique ne doit pas se faire au détriment des salariés. Mais on reconnaît aussi la nécessité d’avoir un moteur dans l’économie. Et ce moteur, c’est l’entreprise.

Ce "socialisme de l’offre" suppose donc de revisiter un des réflexes de la gauche, selon lequel l’entreprise est le lieu de la lutte des classes et d’un désalignement profond d’intérêts. Elle l’est pour partie – c’est ce que nous corrigeons avec le droit du travail et le droit social. Mais elle n’est pas que cela : sur le plan économique, elle est un alignement de forces. La bataille n’est pas à mener au sein de l’entreprise, mais pour la conquête de nouveaux marchés et de nouveaux clients. Plus une entreprise française aura la capacité à capter de la valeur ajoutée et de la croissance, plus elle pourra la redistribuer. Si on reste dans un critère classique de lutte de classes, et donc de division de la collectivité humaine dans l’entreprise, alors on continuera à creuser l’impasse dans laquelle on se trouve.

Notre politique économique comporte aussi une politique industrielle. Dans notre socialisme de l’offre, ou de la production, il y a des choix macroéconomiques mais aussi un vrai volontarisme politique. On essaie de passer des contrats avec les parties en présence ; on essaie d’orienter leur action. C’est par exemple le cas avec les 34 plans industriels (lancés en 2013 par Arnaud Montebourg, aujourd’hui remplacé par Emmanuel Macron). »

Sur la « gauche moderne » : des statuts aux capacités

« Je crois qu’il y a vraiment une voie que nous sommes en train de fait de suivre, qui n’est ni cette espèce de réflexe de gauche pavlovien qui consiste à mal revisiter la lutte des classes, ni cette espèce de libéralisme à tout crin qui consiste à dire qu’il faut que le capitaliste puisse faire des profits pour être heureux et que s’il est heureux et libre, il sera bon pour l’économie. Cette inflexion a du mal à dire son nom mais elle change des repères classiques de la gauche sans pour autant être sur le terrain de la droite.

L’axe idéologique, c’est de rendre la société plus juste mais aussi plus forte. Nous voulons aller vers une France plus en maîtrise de son propre destin, plus indépendante de l’extérieur qu’elle ne l’est aujourd’hui pour faire et assumer ses choix ; plus inscrite dans la mondialisation ; plus ouverte, moins statutaire en son sein, qui laisse plus de chances aux individus ; un pays où l’on aurait accru « l’égalité des possibles » pour reprendre la formule d’Éric Maurin.

La gauche moderne est celle qui donne la possibilité aux individus de faire face, même aux coups durs. Elle ne peut plus raisonner en termes de statuts. La société statutaire où tout sera prévu va inexorablement disparaître. Il y aura donc des moments difficiles avec l’histoire de la gauche parce que cela supposera de revenir sur des certitudes passées, qui sont, à mes yeux, des étoiles mortes. »

BOITE NOIREJoseph Confavreux et moi-même avons rencontré Emmanuel Macron il y a un an, dans le cadre d'une enquête intitulée L'impossible définition du « hollandisme ». Notre entrevue avait duré un peu plus d'une heure et elle avait été enregistrée. Dans le cadre de notre article, paru en octobre 2013, Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Elysée, avait accepté d'être cité pour quelques citations qu'il avait relues.

Nous avons estimé que sa nomination à Bercy justifiait d'en publier de larges passages, pour illustrer les réflexions et les prises de position d'Emmanuel Macron.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Meeting des «Amis de Nicolas Sarkozy»: une plainte déposée

$
0
0

Un an après le meeting de l'association des « Amis de Nicolas Sarkozy » à Arcachon (Gironde), une opposante municipale dépose plainte contre la municipalité. L'élue, une ex-UMP, estime que ce rassemblement « soulève de nombreuses questions pointées par Mediapart ». En janvier, Mediapart avait révélé que cet événement avait été en partie pris en charge par la collectivité.

Les 1er et 2 septembre 2013, le président de l'association, Brice Hortefeux, avait choisi la ville de son ami Yves Foulon, député et maire UMP proche de Nicolas Sarkozy, pour organiser un rassemblement de quelque 2 000 personnes. Comme Mediapart l'avait raconté, cet événement avait été en partie pris en charge par la collectivité. La ville avait mis à disposition gratuitement un espace municipal avec vue sur le bassin d'Arcachon ; des employés municipaux avaient été mis à contribution pour la logistique du rassemblement.

Anny Bey, exclue de l'UMP en 2013 et candidate divers droite à la mairie d'Arcachon en mars, avait alors expliqué à Mediapart qu'elle « (se) réserv(ait) le droit, après les élections municipales, d'agir, en tant que citoyenne ». Mardi, elle a écrit au procureur de la République de Bordeaux pour déposer plainte contre la ville. Dans une lettre adressée au magistrat le 26 août, dont Sud-Ouest et Mediapart ont eu copie, l'élue explique qu'« en pleine campagne électorale pour les municipales, la venue de cette association a mobilisé les services municipaux du vendredi au dimanche ». « Des questions se posent également sur les frais d’hôtels et de bouche des membres de l’association, de la prise en charge par les taxis de ces mêmes personnes », ajoute-t-elle.

Y. Foulon, B. Hortefeux, N. Morano et C. Estrosi lors de l'assemblée générale de l'association, à Arcachon, le 2 septembre 2013.Y. Foulon, B. Hortefeux, N. Morano et C. Estrosi lors de l'assemblée générale de l'association, à Arcachon, le 2 septembre 2013. © amisdenicolassarkozy.fr

Elle souligne également que, « contrairement aux propos tenus par le maire d’Arcachon, les tentes ne sont jamais mises à disposition gratuitement pour les mariages de même qu’aucun employé municipal. La gratuité de la salle du Tir au Vol est assurée uniquement deux fois par an pour les associations arcachonnaises ».

Nicolas Sarkozy et Yves Foulon lors d'un match de football amateur, le 5 août 2006.Nicolas Sarkozy et Yves Foulon lors d'un match de football amateur, le 5 août 2006. © dr

Par ailleurs, l'association des « Amis de Nicolas Sarkozy » n'avait pas respecté toutes les clauses de la convention (lire notre enquête)« De nombreuses infractions comme le manquement de souscription d’assurance obligatoire, la signature de la convention dont on ne sait qui l’a signée au nom de Brice Hortefeux sont autant de points obscurs. Une vente d’objets à l’effigie de Nicolas Sarkozy a été réalisée à l’encontre du règlement régissant l’utilisation du Tir au Vol », écrit l'élue dans son courrier au procureur, en lui demandant de « donner à cette affaire une suite légale ».

Contacté par Mediapart, le procureur de la République adjoint, Olivier Étienne, explique attendre la réception de cette plainte pour l'examiner.

Yves Foulon lors du second rassemblement des « Amis de Nicolas Sarkozy » dans sa ville d'Arcachon, le 2 septembre 2013.Yves Foulon lors du second rassemblement des « Amis de Nicolas Sarkozy » dans sa ville d'Arcachon, le 2 septembre 2013. © amisdenicolassarkozy.fr

Ce n'est pas la première fois qu'un meeting des « Amis de Nicolas Sarkozy » suscite des interrogations sur son financement. En août 2012, pour le premier grand rassemblement de l’association, organisé à Nice, la ville de Christian Estrosi avait mis à disposition, pendant deux jours, le jardin public des Arènes de Cimiez et déployé la police municipale pour sécuriser la manifestation. Une élue socialiste et le responsable d'Anticor 06 avaient saisi le procureur de Nice pour des « faits susceptibles d’être qualifiés de prise illégale d’intérêts et de concussion ».

Un mois plus tôt, Christian Estrosi, le secrétaire général de l’association, avait promu l’organisation aux frais de l’Assemblée nationale. Comme l’avait révélé Mediapart, le député et maire de Nice avait profité du bureau de poste de l'Assemblée nationale pour adresser un courrier aux milliers d'électeurs de sa 5e circonscription des Alpes-Maritimes, en glissant, au passage, un bulletin de l’Association des amis de Nicolas Sarkozy. Une initiative que proscrit le règlement du Palais-Bourbon. Une plainte avait été déposée pour « détournement de biens publics » par un militant d'Europe Écologie-Les Verts (EELV) et membre de l'association anti-corruption Anticor. Le parquet de Nice avait ouvert un enquête préliminaire, mais classé l’affaire.

 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI


Ils ont un emploi, un contrat mais vivent à la rue

$
0
0

Travailler le jour, galérer la nuit. En France, près de 16 000 sans domicile fixe posséderaient un emploi régulier. Cette estimation est tirée d’une enquête de l’Insee auprès des personnes ayant fréquenté un centre d’hébergement géré par une association, soit 66 000 personnes en 2012. 

Cette situation de mal-logement est encore plus criante à Paris. Dans l’agglomération parisienne, un SDF sur trois est en contrat de travail, affirme une étude complémentaire publiée en juin 2014 avec l'APUR (l'Atelier parisien d'urbanisme). Des chiffres confirmés par les services de communication de l’association Emmaüs concernant les personnes accueillies dans leurs structures. 

Parmi cette population de travailleurs, 40 % d'entre eux indiquent être en CDI. Ce sont donc plusieurs milliers de personnes, aux revenus et à l’emploi stables qui dorment chaque soir dans un centre d’hébergement ou dans les rues de la capitale. Les 50 000 logements sociaux construits dans l’agglomération parisienne depuis 2001, soit près de 4 000 appartements chaque année, n’ont pas permis d’accueillir cette population qui est restée stable depuis dix ans d’après l’étude. 

Selon l’APUR, les prix du mètre carré dans le marché privé ont quadruplé à Paris entre 1998 et 2012, poussant davantage les classes moyennes à se tourner vers le parc locatif social. Avec désormais plus de 140 000 demandes annuelles, le nombre de logements sociaux à offrir chaque année se réduit considérablement. La mairie estime aujourd’hui à sept ans les délais d’attribution d’un logement social dans la capitale. Des délais énormes qui provoquent la frustration des populations les plus fragiles. 

« Quand on élabore une demande de logement avec une personne dans la rue, on doit tout prendre en compte : les besoins, les ressources, les charges, la situation sociale. Mais les services à qui on transmet le dossier, eux, ne peuvent faire qu’en fonction des places disponibles… et aujourd’hui il y a saturation. Ça peut créer un sentiment d’injustice ou de manque d’écoute chez les personnes accueillies », déplore Ingrid Albert, assistante sociale de l’association les Enfants du Canal. 

Pour remédier à ces situations de détresse, le gouvernement a mis en place, début 2007, le droit au logement opposable (DALO). Le dispositif oblige, dans chaque département, le préfet à proposer un logement dans un délai de six mois aux personnes dont le dossier est considéré comme prioritaire, et parmi elles de nombreux sans domicile fixe. À Paris, en 2013, sur 6 009 décisions jugées prioritaires, 5 494 personnes restaient encore à reloger.

Comment gère-t-on l’attente, la lourdeur administrative, ou tout simplement le regard des collègues quand on est un travailleur à la rue ? Six employés, rencontrés en tête-à-tête au cours de l’été, ont accepté de raconter leur quotidien. Témoignages.

  • Hamidou, 51 ans, agent en restauration, en CDI, loge depuis 5 ans en centre d’hébergement. Gagne 1 300 euros par mois. Sénégalais.
Hamidou est cuisinier au SAMU social.Hamidou est cuisinier au SAMU social. © TSC/MP

« J’ai déjà eu un HLM. Un 14 m2. Au regroupement familial, on m’a conseillé d’emménager dans un appartement plus grand et de le meubler pour que ma femme et mes deux enfants me rejoignent depuis Dakar. Ça faisait depuis 1999 que je les attendais. Alors je me suis empressé, j’avais un contrat, je me suis dit qu’en France, c’était facile d’avoir des crédits. Je me suis endetté pour acheter des meubles, et j’ai emménagé dans un T3 à Montreuil.

Quand les crédits se sont accumulés et que le loyer est passé à 600 euros par mois, l’OMI (NDLR : l'Office des migrations internationales) m’a dit que mes revenus étaient trop faibles pour que ma demande soit acceptée. Quand j’ai su la nouvelle, ça a été comme un énorme coup de massue. Ça m’a traumatisé la tête (sic). J’ai laissé les clés, les meubles, et je suis parti sur un coup de tête. Après un mois de rue, j’ai trouvé une chambre partagée en centre d’hébergement avec l’armée du salut, que je paye 275 euros par mois. 

Je n’ai jamais accepté le chômage ou les Assedic, pour moi, c’était de la charité. C’est ça le plus dur quand tu travailles : te sentir sous-évalué par les autres. Quand tu rentres du boulot et que tu te diriges vers la porte du centre, les gens que tu croises dans la rue font un petit écart sur le trottoir. Après, tu passes devant une grande affiche (NDRL on y voit un sans-abri assis sur un trottoir) dans le hall tous les jours, qui te met le moral en l’air. Tu te dis, ce n'est pas moi.

Tes collègues t’invitent chez eux, on mange, on palabre, mais en centre tu n’as pas le droit de les recevoir en retour. Ici, tu ne peux pas te faire d’amis mais que des camarades. Il faut le vivre pour le comprendre. J’aimerais m’abonner à Canal + ou à Internet pour voir du football à la télévision, installer un micro-ondes, toutes ces petites choses du quotidien qui te rendent vivant, on te les prive. Alors au bout d’un moment tu te sens mal, et tu vas voir les assistants sociaux. C’est comme ça depuis 5 ans. 

Depuis 15 ans que je suis en France, j’ai fait des économies et bientôt remboursé mes dettes mais quand tu poses un dossier dans une agence avec l’adresse du centre, on te répond toujours la même chose "Ah, vous êtes à l’armée du Salut ? Désolé monsieur il n’y a rien de disponible pour le moment". Ça fait cinq ans que je fais des demandes d’HLM, j’ai saisi le DALO depuis un an et demi, mais toujours rien. Les logements sociaux dans la rue d'à côté je les ai vus se construire depuis ma chambre de 9 m2. On m’a toujours dit que les logements sociaux, c’était pour les cas sociaux, pourtant je n’y vois que des belles bagnoles, des couples bien habillés. » 

  • Martial, 47 ans, maçon et coffreur dans le BTP, en CDD depuis un an et demi. 1 700 euros par mois. Vit en centre d’hébergement. Français. 

« J’ai l’impression que plus on travaille, plus on nous cherche des poux dans la tête. Je pars le matin à 6h30 et je reviens à 19h30, je ne vois pas comment je pourrais aller pleurer à la mairie d'arrondissement pour avoir mon logement. Par contre, ceux qui ne bossent pas, qui se déchirent la tête, passent en priorité parce qu’ils sont malheureux. Mais si on est ici, c’est qu’on a tous un problème. Moi j’ai fait des bêtises avec l’alcool. Je buvais et devenais agressif. Je me suis séparé de ma femme et de mes deux gamins il y a trois ans, j’étais plaquiste et je gagnais 2 000 euros par mois. Je pars en sevrage deux mois cet été, à mon retour fin septembre, si tout va bien, j’aurai un CDI. Mes patrons sont au courant de mes problèmes, ils me soutiennent, disons que je les intéresse beaucoup le matin, moins l’après-midi… 

En ce moment, je bataille avec mon dossier au tribunal pour le droit de garde de mes enfants. Le seul logement que l’on m'a proposé, c’est un 20 m2. Comment voulez-vous que j’y loge mes enfants ? J’ai dû décliner car dès qu’on accepte, on n’est plus prioritaire, et on attend des années. Pour moi, l’aide sociale est insuffisante, on manque de personnels, ça change sans arrêt, je suis sûr qu’ils se mélangent les dossiers. Le fait d’être en sevrage, de ne pas pouvoir dialoguer avec qui que ce soit, d’être en chambre seul, ça donne le cafard… Je suis obligé d’aller à l’hôpital Fernand Vidal pour discuter avec des médecins. Je trouve ça dégueulasse.

Si ça continue, je ne vois pas l’intérêt de continuer à travailler. Je vais devoir me mettre au chômage pour trouver le temps de régler toutes ces démarches. Et une fois que j’y serai, on me refusera un logement parce que je ne travaillerai plus. On tourne en rond, c’est une spirale infernale. »

  • Hamid, 43 ans, chauffeur de taxi. Loge en centre d’hébergement d’urgence depuis 2013. Marocain.
Chauffeur de taxi, Hamid louait jusqu'en 2013 un pavillon à 800 euros par moisChauffeur de taxi, Hamid louait jusqu'en 2013 un pavillon à 800 euros par mois © TSC/MP

« De l’extérieur on se dit que la France, basée sur un système social de cotisation, est incapable de mettre des gens dehors. La vérité, c’est que le système d’accès au logement est écœurant. Je suis arrivé ici en 1995 après avoir eu un contrat d’acrobate dans un cirque en Allemagne. J’ai travaillé au marché de fruits et légumes, je faisais des déménagements, vivais dans un squat. À cette époque, j'existais, mais j'étais invisible.

Je me suis marié en 1999 avec une Française. Le soir même où j’ai eu ma carte de séjour, on m’a embauché dans une station-service. En trois semaines j’étais en CDI. Au bout de deux ans, je me suis endetté pour prendre une licence de taxi. Après mon divorce en 2005, je me suis laissé aller, je travaillais moins régulièrement, je ne payais plus mes factures. L’année dernière, je n’arrivais plus à joindre les deux bouts et j’ai fini par tomber à la rue. Même si j’avais travaillé pendant plus de dix ans et cotisé plus de 100 000 euros à l’État, il a fallu repartir de zéro. Ma carte de séjour n’était plus valide. Avec un cabinet de juristes associatifs, j’ai mis cinq mois à obtenir un rendez-vous en préfecture, puis un an et demi à rassembler tous les documents. 

Quand je suis arrivé en préfecture, la conseillère m’a dit qu’il me fallait un « acte de mariage récent ». Comment ça, un acte récent ? On se marie tous les jours ? J’ai cru devenir fou. Avec la lenteur de l’administration il y a de quoi péter un câble… Quand je me suis marié en 1999, il fallait 45 minutes pour renouveler un passeport. Maintenant il faut presque deux ans pour pouvoir retravailler légalement. On a coupé tous les robinets dans la gestion du social, il n’y a plus de personnels administratifs. La France prend la voie des États-Unis, c’est tu marches ou tu crèves. Pour le logement, je n’y crois même plus. Dès que je recommence mon activité, je chercherai dans le privé par du piston, je me suis même prêt à payer sous la table un courtier, si c’est la seule solution. »

  • Kardiatou, 40 ans, agent de service hôtelier en maison de retraire. En CDD depuis un an. 1 300 euros par mois. Loge en centre d’hébergement depuis 7 mois. Mauritanienne.

« Je suis arrivée en France en 2007 et j’ai obtenu mes papiers il y a un peu plus de trois ans. Dès le début j’ai pu trouver du travail comme femme de chambre : je fais le ménage, je prépare le petit-déjeuner. J’ai travaillé dans plusieurs hôtels privés à Paris, et même à Disneyland. J'enchaîne les petits boulots et les CDD depuis sept ans. Avant d’être en centre d’hébergement, j’ai été trimballée de studio en studio où je logeais avec deux ou trois compatriotes, mais c’était trop éprouvant. J’ai pris une sous-location et passé quelques nuits dehors le temps de trouver une place dans un centre.

Le plus dur, ce n’est pas de trouver du travail mais d’être en mesure de le garder. Je sais que ce n’est pas normal d'enchaîner autant de contrats, mais mon unique préoccupation, c’est d’avoir un peu d’argent pour avoir un loyer à moi et me reposer. Tout ce que je demande c’est un logement à moi, même 5 m2 j’accepterai. Dans le privé c’est impossible, ils vont exiger une caution, un CDI, alors j’attends. 

Du travail il y en a, en maison de retraite, on m’appelle même mes jours de repos. Le problème, c’est que je suis tellement fatiguée que je n’ose pas démarcher des entreprises pour un CDI. Dans ma situation, j’ai peur de craquer à cause de la fatigue et de perdre définitivement mon emploi. Je préfère continuer les contrats temporaires, celui que j’ai en ce moment finira en 2015, et si jamais je suis à bout je me mettrai au chômage le temps de me reposer. C’est le plus grand problème ici : le repos. On est souvent réveillé par l’alarme à 3 heures du matin, ou par des gens qui crient. Quand je travaille jusqu’à 12 heures par jour, je reviens tard et le self est fermé. Étant donné qu’on ne peut pas faire sa cuisine, je suis obligée d’aller au McDo dans ces cas-là. C’est très difficile à supporter : je ne suis pas autonome, je ne mange pas bien, j’ai perdu 5 kilos ces derniers mois. Ce que je ne comprends pas, c’est que des gens au RSA ont pu avoir accès à une résidence sociale, et moi qui travaille, non. »
-------------------------------
*Contactée avant la publication du reportage, l’association Emmaus affirme que Kardiatou bénéfice désormais d’une résidence sociale, c’est-à-dire un logement autonome encadré par une assistance sociale. Son
« cas particulier » a été mis en priorité auprès des services compétents (le SIAO) après l’interview fin juillet.

  • Jérôme, 44 ans, agent d'accueil social. En CDD depuis 6 mois. 840 euros par mois. Vit dans un squat. Diplômé DEUG de maths et licence d’histoire. Français.
Jérôme a déjà connu la rue après ses études, toujours après une séparation.Jérôme a déjà connu la rue après ses études, toujours après une séparation. © TSC/MP

« Travailler quand on est à la rue, c’est avant tout une question de personnalité. Mon histoire, c’est le schéma classique : un divorce, une dépression, puis on plonge dans l’alcool, puis l’héroïne. C’est arrivé il y a cinq ans. Je tenais un bar en co-gérance à Belleville. Au début, tu loges sur les canapés des amis, tu continues à lutter. Mais tout me rappelait ma vie d’avant, ma femme, mon fils. En deux semaines, j’ai quitté mes amis, mon bar avant de mettre tout le monde mal à l’aise avec ma dépression. Là, tu restes à la rue et tu regardes les arbres et tu te demandes comment tu vas pouvoir t’y accrocher. Tu laisses tout aller, tes papiers, ta situation sociale. Je n’avais même pas la force de pousser la porte de Pôle Emploi pour toucher mes indemnités. 

Au bout de plusieurs mois, j’ai repris le boulot. J’ai caché ma situation à tout le monde. C’est le mieux, car un employeur est rebuté par le fait que tu vives dehors. Il a peur de ne pas pouvoir compter sur toi, de te voir pas opérationnel. Pour y arriver, il faut d’abord être clean. Pour sa laver à Paris, c’est tout à fait jouable, mais à partir de 9-10 heures du matin. Je m’étais inventé une adresse : je disais que je louais un studio à Clamart. J’avais repéré le code d’un immeuble, et à l’intérieur je me suis fabriqué une boîte aux lettres avec mon nom dessus. Les gens font tellement peu attention à leurs voisins… Comme ça, j’ai pu trouver des boulots d’électricien dans le BTP, puis d’assistant d’accueil dans un centre d’hébergement.

Depuis j’ai été embauché à mi-temps par les Enfants du Canal. Je modifiais les dates dans mon CV pour masquer mes périodes dehors, mais au fil de l’entretien j’ai compris que c’est surtout mon vrai parcours qui les intéressait pour accueillir et conseiller les personnes de la rue. Je vis depuis en squat. Dans un pavillon en banlieue, déclaré en mairie, avec deux colocataires et un petit potager. Le but ultime, c’est d’obtenir du tribunal la garde alternée de mon fils, sa mère est même d’accord. Mais d’abord il faut se reconstruire, me prouver à moi-même que je suis capable d’assumer mon emploi. Ensuite je penserai à d’autres formations dans le social, puis à un logement. 

Quand tu as connu l’errance, tu ne peux pas tout solutionner à la fois. Il y a tellement de petits freins administratifs que ça me paraît aujourd’hui impossible. Je suis en reconstruction mais je n’ai rien à jour. Dans mes périodes d’errance, j’ai par exemple accumulé près de 10 000 euros d’amendes auprès de la SNCF et de la RATP. Si je mets tous mes papiers en règle, ils vont me tomber dessus. J’attends de toucher le Smic dans mon emploi pour avoir du répondant, économiser pour au moins leur montrer ma bonne foi et leur proposer une partie de la somme. Si je veux prétendre à un logement et à la garde de mon fils, il faudra d’abord que je solde ça. »

  • Rachid, 51 ans, chauffeur routier. En CDI depuis 18 ans. 1 800 euros mois. Logé dans une tente dans un parc du XIVe arrondissement. Français.
Suite à un divorce, Rachid loge d'hôtel en hôtel avant les centres, puis la rue.Suite à un divorce, Rachid loge d'hôtel en hôtel avant les centres, puis la rue. © MP/TSC

« Je préfère dormir sous la tente. Je viens d’une famille nombreuse de 19 enfants. Quand tu as connu la DASS, les foyers durant ton adolescence, c’est impossible de se réadapter à nouveau à la vie en centre social. Je suis resté deux ans en centre d’hébergement d’urgence, j’ai vu des mecs mourir dans leur chambre à cause de l’alcool. J’ai préféré partir. Je demande un trois-pièces en HLM depuis 2012 pour recevoir mes enfants. J’ai fait une demande auprès de Paris Habitat (NDLR, le principal bailleur social de pairs) et du DALO mais je n’ai aucune réponse. Le problème, c’est qu’on se base uniquement sur mes salaires. Je travaille depuis 18 ans comme chauffeur routier, je touche 1 800 euros par mois, ça peut monter bien plus haut avec les primes quand je pars en Allemagne ou en Espagne... Sauf que je suis divorcé et j’ai deux enfants.

Actuellement, je dois verser 300 euros de pension à mon ex-femme, je paye son loyer et participe aux fournitures scolaires. Le week-end quand je vois mes enfants, je loue un hôtel et ça monte vite à 300 euros par week-end, plus mes dettes. Ces frais, on ne les prend pas en compte dans mes demandes de logement. Au final, il ne me reste plus que 800 euros par mois pour vivre. Là, par exemple, je suis à découvert, j’ai dépensé près de 1 500 euros pour les vacances de mes deux enfants. Je préfère leur dire "Ramène-moi des bonnes notes et vous aurez des cadeaux" plus que "Papa dort dans la rue…". Mais ça, tout se paye. La misère aussi a un coût.

Mon patron connaît ma situation, on a commencé ensemble comme ouvrier à la fin des années 1980. Il me fait des acomptes régulièrement. Quant tu cherches à te loger, j’ai parfois l’impression qu’on est un numéro, on te dit "T'as une chambre, ferme ta gueule et attends". Bien sûr, on n’est pas des enfants de chœur, on a tous accumulé des dettes ou des conneries derrière soi mais on ne prend jamais en compte notre avis. Je me sens mieux dehors, en attendant de trouver un petit cocon grâce à des amis ou mon patron. »

BOITE NOIRELes personnes interrogées dans ce recueil d'entretiens ont été rencontrées en tête-à-tête du 15 juillet au 22 août 2014, grâce à l'accueil des associations Emmaüs, Armée du Salut et les Enfants du Canal, qui disposent toutes les trois d'équipes de maraudes et de centres d'hébergement et de réinsertion dans la capitale.

Les personnes interrogées ont été contactées à nouveau avant publication via les associations qui les accompagnent pour connaître une éventuelle modification de leur situation sociale.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Vallaud-Belkacem est sous le feu de la droite et de la galaxie Belghoul

$
0
0

«La polémique inutile et les débats stériles n'auront pas de place dans mon ministère, dit-t-elle. Je ne tolérerai pas les instrumentalisations insupportables de l'école.» Depuis qu’elle est arrivée au ministère, les premiers mots de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, sur RTL, ont été à l’apaisement. À peine sa nomination annoncée, la galaxie des réactionnaires de tout poil a commencé à se mobiliser, avec une violence parfois inouïe. En ligne de mire de la droite et plus globalement de toute la galaxie des « anti-genre », son engagement dans la promotion des ABCD de l’égalité – ce programme destiné à lutter contre les stéréotypes de genre à l’école, aujourd’hui retiré –, mais aussi sa défense sans faille du mariage pour tous.

À l’UMP, le nom de la nouvelle locataire de la rue de Grenelle à peine connu, on s’est littéralement déchaîné. D’Isabelle Balkany à Éric Ciotti, chacun y est allé de sa petite phrase pour dénoncer une « provocation », ou pour la sommer, comme le patron de l’UMP Luc Chatel, de clarifier ses positions quant à la « théorie du genre ».

De manière assez surprenante au regard du parcours bien sage de la nouvelle ministre, commencé aux côtés de Gérard Collomb puis de Ségolène Royal, la droite a aussi tiré à boulets rouges, à l’instar de Thierry Mariani,  sur son « sectarisme » voire son « gauchisme ». Femme, jeune, Arabe, socialiste, de confession musulmane, féministe, Najat Vallaud-Belkacem donne visiblement à certains des bouffées de chaleur. Nadine Morano, pleine de sous-entendus, a ainsi tenu à rappeler sur Twitter que la nouvelle ministre avait voté contre la loi interdisant la burqa.  

Dans les rangs de la Manif pour tous, où l’ex-ministre du droit des femmes est une figure honnie, on n’en finit pas de crier à l’outrage. « Je suis horrifiée », a ainsi déclaré dans Le Figaro la patronne de la Manif pour tous, Ludovine de La Rochère, à l’annonce de cette nomination. « C'est aberrant, choquant. Nous appelons d'autant plus les Français à descendre dans la rue le 5 octobre. » Cette manifestation est prévue de longue date contre la « circulaire Taubira sur la GPA ». Son instigatrice appelle désormais à ce qu’elle se transforme en un rassemblement contre la nouvelle ministre, coupable d’être « dans la lutte des sexes comme d'autres ont été dans la lutte des classes » et de « prôner l’indifférenciation des sexes et (de) diffuser l’idéologie du genre à l’école », explique-t-elle dans un communiqué publié mardi.

Christine Boutin, alors que la rumeur de l’arrivée de Najat Vallaud-Belkacem à l’Éducation commençait à circuler, s’était, elle, fendue d’un avertissement sur Twitter pour dire que sa nomination serait « une vraie provocation pas tolérable ». L’arrivée de l’ex-ministre du droit des femmes au ministère de l’éducation nationale aura réussi en quelques heures à électriser toute la galaxie des complotistes de « la théorie du genre » qui lui vouent, de longue date, une détestation sans nuance.

Farida Belghoul, la porte-parole des «Journées de retrait de l’école», et qui peut pourtant se targuer d’avoir obtenu le retrait des ABCD de l’égalité, a de son côté publié un communiqué halluciné, intitulé « Belkacem versus Belghoul ». Elle y explique que la nomination de « Monsieur Najat Vallaud-Belkacem » (sic), « la chouchoute du lobby gay, trans et bi et cie », est tout simplement une « déclaration de guerre aux familles de France ». Dans la prose illuminée qui est sa marque de fabrique, elle prédit néanmoins « la victoire finale » : « Ils pressent le pas car leur défaite est à l’horizon. (…) Ils plantent une femme “arabe” dans le dos d’une autre femme “arabe”. Ils oublient que l’une des deux, et c’est ce qui la caractérise bien plus que sa race, est prête à mourir pour sauver les enfants. (…) Pères et mères de France, engagés et courageux, rassemblez-vous dans les rangs de la FAPEC (…) lancez-vous dans ce combat béni. (…) Battez-vous ! Votre regard intensément posé sur votre enfant emporte déjà la victoire finale. »

Forte du succès inattendu, l’an dernier, de ces «Journées de retrait de l’école» et des premiers reculs du gouvernement sur ces questions, Farida Belghoul a en effet décidé de passer à la vitesse supérieure en créant à la rentrée la « Fédération autonome des parents engagés et courageux », la FAPEC, avec, pour horizon, les élections des représentants de parents d’élèves du 12 octobre prochain.

En juin, près de Lyon, la FAPEC a réuni ses premières assises autour d’un attelage hétéroclite de personnalités allant du militant d’extrême droite Alain Escada, président de l’institut Civitas, à Albert Ali « auteur-patriote-musulman », comme se définit ce proche de l’essayiste antisémite Alain Soral, ou encore Rémy Daillet, père de sept enfants et militant de l’école à la maison.

Pour Farida Belghoul, il s’agit d’offrir aux parents une formation afin de « remédier aux difficultés scolaires de leur enfant », mais aussi de rappeler aux élèves les vrais jalons de l’histoire de France, avec « une formation sur la France des rois, avec des personnages décisifs comme Clovis, Saint Louis ou Jeanne d’Arc ». À ses côtés, le président de Civitas, Alain Escada, a expliqué que cette fédération avait pour but de lutter contre le « nouvel ordre sexuel mondial » pour « offrir une alternative à l’école de la République aux ordres d’une vision laïciste et internationaliste (qui) veut séparer l’enfant de Dieu comme de ses parents ». Il déclare tranquillement que cette organisation a pour but « d’encourager de plus en plus de parents à choisir soit l’école à domicile, soit les écoles hors contrat pour préserver leurs enfants de l’entreprise de subversion à laquelle nous assistons depuis des décennies ».  

Celle qui fustige depuis des années l'école, « ce lieu où rien ne marche (...) où on fabrique des délinquants, demain des barbares », comme elle le disait dans un documentaire qui lui était consacré, il y a quelques années, a réussi à fédérer autour d'elle, au-delà des catholiques intégristes et des musulmans traditionalistes, les grands brûlés de l'école, à l'image de Mourad Salah, élu municipal à Melun et qui se présente (voir la vidéo ci-dessous) comme « le pur produit de l'échec scolaire ». Dans cette conférence de presse où se côtoient Christine Boutin, Nabil Ennasri du collectif des musulmans de France et Béatrice Bourges de la Manif pour tous, on voit l'élu au logement appeler à retirer les enfants « de cette antre du mal ». 

« Cette instrumentalisation de l’école est effectivement très inquiétante, dénonce Paul Raoult, le président de la FCPE, principale fédération de parents d’élèves. Nous sommes bien sûr pour le pluralisme mais ces gens-là sont connus pour leurs délits xénophobes. Ils défendent des valeurs qui ne sont pas celles de l’école. » 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Les villes FN, un nouveau business pour les sociétés proches de l'extrême droite

$
0
0

S'il ne manque pas une occasion de dénoncer les copinages dans les gestions PS et UMP, le Front national n'y échappe pas lui-même. Événementiel, communication, conseil, etc. : avec onze villes, le parti de Marine Le Pen a désormais les moyens de distribuer postes, contrats et marchés. Et il n'oublie pas les amis. Au-delà de la belle opération politique pour Marine Le Pen, les élections municipales représentent un nouveau business pour la galaxie frontiste.

En 1995, lorsque le FN avait remporté trois villes, l’ancien leader du GUD (Groupe Union Défense), Frédéric Chatillon, avait créé sa société de communication, Riwal, et décroché notamment la réalisation du journal municipal de Marignane. Vingt ans plus tard, certains de ses proches se pressent à Fréjus (Var), le nouveau centre de gravité du Front national. Plus grande ville remportée par le FN (53 000 habitants), Fréjus, dirigée par David Rachline, figure frontiste montante de 26 ans, a été choisie pour organiser le séminaire des cadres du parti au début de l'été, mais aussi son université d'été, les 6-7 septembre.

Plusieurs sociétés de la nébuleuse d'extrême droite ont déjà remporté des marchés dans cette citée touristique du Var. Leur point commun ? Elles se sont créées au moment du succès du Front national aux municipales. Après la victoire du FN, les habitants ont vu débouler une société d’événementiel baptisée la Patrouille de l’événement. Créée le 25 avril avec un site Internet passe-partout, elle est basée à Paris mais dispose d’une adresse à Fréjus. Il faut dire que la ville est son unique client. « C'est le seul contrat qu’on a signé, c’est plutôt un bon client pour le moment », explique à Mediapart son co-fondateur, Romain Petitjean.

Sur la page Facebook de la Patrouille de l'événement.Sur la page Facebook de la Patrouille de l'événement.

Après avoir remporté un marché de 29 990 euros pour organiser la fête de la musique et son plateau DJ dans les Arènes, elle a produit tous les spectacles de l'été (concerts, soirées DJ avec Fun radio, corrida sans mise à mort, etc.), à grands renforts d'annonces sur Facebook.

« La ville nous a demandé d’animer la saison estivale. Nous intervenons comme producteur indépendant qui propose ses spectacles et se rémunère avec la billetterie. Les montants sont liés à la tête d’affiche, aux moyens techniques mis en œuvre, etc. Les entrées coûtent entre 20 et 30 euros, avec un public de 2 000 à 3 000 personnes par soir », détaille Romain Petitjean.

La Patrouille de l’événement a également assuré, pendant la Coupe du monde de football, « une animation événementielle avec écran géant » sur la place de la mairie, financée par « des entreprises diverses et variées », explique le maire, sans dire lesquelles.

Cette société n’a en tout cas pas atterri par hasard à Fréjus. Ses actionnaires sont issus de l’extrême droite et certains travaillent déjà avec le Front national. C’est le cas de Minh Tran Long, qui figurait parmi les prestataires de la campagne présidentielle de Marine Le Pen.

Après avoir milité à la Fane, un groupuscule néonazi dissous en 1980, puis s’être engagé sept ans dans la Légion étrangère, M. Tran Long a lancé sa société d’événementiel, Crossroads, puis, en 2011, Clicks and Apps.

Romain Petitjean et Minh Tran Long, sur le site de la Patrouille de l'événement.Romain Petitjean et Minh Tran Long, sur le site de la Patrouille de l'événement. © patrouilledelevenement.com

Habitué à la discrétion – sur le site de la "Patrouille", il apparaît sous le nom de « Minh Arnaud » –, il évolue, comme Mediapart l’a raconté, dans le cercle des anciens du GUD qu'incarne Frédéric Chatillon, vieil ami et conseiller officieux de Marine Le Pen. Minh Tran Long a d'ailleurs installé le siège social de la Patrouille de l’événement à la même adresse que plusieurs sociétés de la « GUD connection » : le 27 de la rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement de Paris. C'est au rez-de-chaussée de cet immeuble résidentiel que se met en place le « QG secret de Le Pen » décrit par l’hebdomadaire Marianne

L'immeuble du 27 rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement de Paris.L'immeuble du 27 rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement de Paris. © M.T. / Mediapart

Son associé ne cache pas qu'il connaît lui aussi Frédéric Chatillon. Outre ses douze années dans l’événementiel, en partie aux côtés de Tran Long, Romain Petitjean est passé par le bureau d’Europe Jeunesse, mouvement scout du GRECE, une organisation d’extrême droite, puis chez les identitaires. Sous le pseudonyme de Romain Lecap, il anime sur Radio Courtoisie le libre journal des lycéens et réalise la communication des « Bobards d’or », organisés par la Fondation Polémia de Jean-Yves Le Gallou.

C’est d’ailleurs le fils de cet ancien du FN et du GRECE, Aymeric Le Gallou-Blanc, que l’on retrouve parmi les actionnaires de la Patrouille de l’événement. « Question hors-sujet, répond Romain Petitjean quand on l’interroge sur son militantisme. Je vous réponds sur la société que je dirige, le reste, ça ne vous regarde pas. »

Minh Tran Long explique être arrivé à Fréjus après un appel de David Rachline « pendant la campagne municipale ». « On se connaît, il m'a demandé si je pourrais assurer les spectacles pendant la période estivale. » Dans la foulée, il crée sa société. « J'ai supposé qu'il allait être élu », raconte-t-il.

De son côté, le maire frontiste affirme que l'entreprise a été la seule à répondre à la « mise en concurrence auprès de trois sociétés »Les CV de ses dirigeants ne lui posent pas problème. « Je ne m’intéresse pas à l’historique politique des uns et des autres. La ville doit probablement travailler aussi avec d’anciens trotskistes ou maoïstes. M. Tran Long a la réputation qu’il a, mais elle ne m’intéresse pas. Il apporte une véritable valeur ajoutée aux événements qu’il organise, c’est tout ce qui compte. »

La société et le maire ont d'autres projets ensemble, même si « rien n'est acté », précise Romain Petitjean, qui affirme pourtant être « déficitaire » à l'issue des prestations estivales... La Patrouille de l'événement va-t-elle participer à l'organisation de l'université d'été du FNJ ? Ses dirigeants assurent que non.

Clément Brieda.Clément Brieda. © dr

Fréjus a attiré d’autres mystérieuses sociétés. Pour préparer son budget, David Rachline a fait appel à la Financière des territoires, une entreprise créée le 21 mars et qui n’existe que par une boîte aux lettres dans une société de domiciliation, rue de Berri, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Comme l’a révélé Marianne, son président et associé unique, Clément Brieda, invisible sur Internet, appartient à la sphère frontiste puisqu’il a contribué à la construction du programme économique du parti.

Bernard Monot, à la tête de la commission économie du FN, élu député européen FN en juin.Bernard Monot, à la tête de la commission économie du FN, élu député européen FN en juin.

D’après nos informations, les liens entre Clément Brieda et le FN sont bien plus étroits encore. Ce consultant de 26 ans du cabinet de conseil Deloitte, diplômé de l’Edhec, évolue au Front national depuis plusieurs années sous le pseudonyme de Bastien Doutrelant. « Il était au FNJ, je l'ai fait rentrer il y a cinq ans à la commission économique du parti », confirme l'eurodéputé Bernard Monot, qui a lui-même officié sous pseudonyme jusqu'en février comme conseiller économique de Marine Le Pen. 

Directeur de campagne de Monot aux européennes, présenté aux universités d'été du FN comme « analyste financier », Clément Brieda a aussi animé les séances de formation des candidats frontistes aux municipales, à qui il expliquait qu’ils étaient « les moyens de la crédibilisation du parti, en vue des élections présidentielles ».

Clément Brieda, directeur de campagne de B. Monot, animant une réunion de travail à Blois, en février, en amont des européennes.Clément Brieda, directeur de campagne de B. Monot, animant une réunion de travail à Blois, en février, en amont des européennes. © Site du FN41

Ce travail, il l’a réalisé pendant plusieurs mois « bénévolement », affirme Jean-Richard Sulzer, monsieur « économie » du FN qui a animé un temps ces sessions avec lui. Mais avec l’assurance d’obtenir des contrats avec certaines villes FN ? À la veille des élections municipales, le jeune consultant dépose au tribunal de commerce les statuts de la Financière des territoires, mais aussi de Strat’Pol’, une société de conseil aux collectivités, entreprises et associations. Là encore, cette entreprise ne possède ni bureaux, ni téléphone, ni site Internet, mais une simple boîte aux lettres dans le XVIe arrondissement.

À peine élu, David Rachline fait appel aux services de Clément Brieda. Il est d’abord question que la Financière des territoires réalise l’audit de la ville. Le maire a-t-il fait marche arrière après l'ébruitement de cette information, en mai ? Aujourd’hui, il explique que « l’audit viendra dans un second temps, début 2015 » et qu’il ne sait pas encore quelle société le réalisera. Et s’il se murmurait dans la cité varoise qu'il songeait à faire appel à Start’Pol’ pour du conseil en stratégie politique, Rachline « démen(t) catégoriquement »En mai, Clément Brieda, qui avait démissionné du cabinet Deloitte le 17 mars, retourne en tout cas chez son ancien employeur pour une mission de trois mois...

« Son projet était de créer sa société pour réaliser les audits de plusieurs villes », raconte Bernard Monot. Clément Brieda a en effet démarché plusieurs mairies frontistes, comme Le Luc (Var). Au Front national, un cadre admet que l’opération, à la veille des municipales, n’a pas été très discrète. « D’un point de vue com, ce n’est pas génial... Il aurait dû faire créer cette société un an avant par sa grande-tante, la mettre en sommeil puis reprendre la gérance en mars. Là, ça prête le flanc aux critiques... ».

Comment le maire a-t-il sélectionné cette société ? « Elle a fait une offre de service », « les prestations proposées » et « les délais d'intervention correspondaient aux attentes de la ville », répond-il, précisant qu'« au regard de l'urgence et de la proposition, le contrat a été conclu de gré à gré, en totale conformité avec le Code des marchés publics ».

David Rachline se défend de tout copinage : « J'avais par le passé eu l'occasion de rencontrer Clément Brieda, qui m'apparaissait compétent et tout à fait digne de confiance », « mais ça ne fait pas un lien d’amitié pour autant ». Quant au parcours au FN de son « expert », il se refuse à le confirmer : « Je ne vois pas en quoi il serait moins bon qu’un autre s’il était avéré qu’il appartenait au Front national. Qu’il en soit membre ou non, je m’en fous. »

David Rachline dans son bureau à la mairie de Fréjus.David Rachline dans son bureau à la mairie de Fréjus. © Capture d'une vidéo.

Les prestations de « conseil et d'accompagnement » de la Financière des territoires ont coûté « 13 900 euros hors taxes », d'après la ville. Cette société a-t-elle servi à affirmer aux Fréjusiens que le FN avait hérité d’une situation financière « calamiteuse » et qu’il avait « réussi le tour de force de trouver les 20 millions d’euros qui manquaient pour boucler le budget », comme le répète David Rachline ?

Certains opposants locaux se sont en tout cas interrogés sur ce choix « douteux » et sur la compétence de Clément Brieda. Celui-ci n’a en effet remporté aucun appel d’offres et a investi, lors de la création de sa société, dans trois ouvrages intitulés Conduire un audit financier de début de mandat, Guide pratique de l’élaboration du budget et Le budget communal : mode d’emploi.

« Pourquoi faire venir des sociétés parisiennes, on a ce qu’il faut localement ! » dénonce le conseiller municipal UMP Philippe Mougin. Pour l'élu, « le Front national tisse sa toile, on le voit avec ces sociétés et dans les recrutements du maire. Il faut qu’ils aient leur retour sur investissement, quoi de mieux que la première commune touristique du Var ? ».

« David Rachline a expliqué qu’il était élu pour mettre fin au clientélisme d’Élie Brun (maire UMP sortant, ndlr), mais il est en train d’installer un système clientéliste à sa solde : des expertises bidons ou qui sont le fruit des copains », estime de son côté la socialiste fréjusienne Elsa di Méo, conseillère régionale et secrétaire nationale du PS. Pour la fondatrice du Forum républicain, qui coordonne les comités de vigilance sur l’action du FN, le maire « marque dans le marbre le manque de transparence alors qu'il devait solder l’héritage des mairies FN des années 1990 ».

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées ont été interrogées par Mediapart. Contacté, David Rachline a d’abord expliqué qu’il ne « souhait(ait) pas répondre à ces questions ». Il a finalement accepté un entretien téléphonique après l'envoi de nos questions détaillées par mail.

Sollicité à de multiples reprises via ses sociétés, via le cabinet Deloitte, son entourage et le Front national, Clément Brieda n’a pas donné suite. Une grande partie des pages le concernant sur des sites frontistes et sur les réseaux sociaux (dont son profil Facebook ouvert sous son pseudonyme) ont été supprimées.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Le chemin de croix de Fillon jusqu'à 2017

$
0
0

De notre envoyée spéciale à Rouez-en-Champagne (Sarthe). On l’avait quitté au début de l’été, en pleine crise Bygmalion, isolé au sein de son propre parti et accusé par ses adversaires sarkozystes et copéistes d’être à l’origine des fuites distillées dans la presse. C’est entouré de près de 200 personnes qu’il a fait sa rentrée politique, mercredi 27 août, sous les applaudissements d’une cinquantaine de parlementaires réunis à l’abbaye de Rouez-en-Champagne, dans son fief sarthois.

François Fillon a voulu « frapper fort », selon les mots de son entourage, et montrer qu’il demeurait plus que jamais dans la course de la primaire UMP pour la présidentielle de 2017. Comment ? En s’éloignant de la cuisine du parti dont il assure la présidence transitoire avec Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et le secrétaire général, Luc Chatel. Et en occupant un créneau bien plus noble : celui des idées. « C’est le seul sujet qui compte », indique le député du Val-d’Oise Jérôme Chartier, l’un de ses plus fidèles soutiens.

François Fillon, Jérôme Chartier, Valérie Pécresse, Eric Ciotti, Pierre Lellouche et Hervé Mariton, le 25 août, dans la Sarthe.François Fillon, Jérôme Chartier, Valérie Pécresse, Eric Ciotti, Pierre Lellouche et Hervé Mariton, le 25 août, dans la Sarthe. © ES

Nombre de parlementaires qui avaient rejoint fin 2012 le RUMP – ce groupe qu’il avait créé après l’élection fiasco pour la présidence de l’UMP puis dissous quelques semaines plus tard – sont présents ce mercredi. Candidats pour prendre la tête du parti, et donc forcément présents à la moindre réunion organisée par un responsable de l’opposition, Bruno Le Maire et Hervé Mariton ont eux aussi répondu présents à l’invitation du leader du mouvement Force républicaine.

Sous le chapiteau installé pour l’occasion, on aperçoit également Luc Chatel, l’ancien ministre de la défense Gérard Longuet, mais aussi la députée des Yvelines Valérie Pécresse ou encore Gérard Larcher, qui brigue la présidence du Sénat. Même le copéiste Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, est de la partie. « Certainement une façon de nous remercier de l’avoir maintenu à son poste après l’affaire du prêt de 3 millions », s’amuse un député.

Au même moment, à plusieurs kilomètres de là, Alain Juppé, candidat à la primaire de 2016 depuis une semaine, prend un bain de foule à l’université d’été que le Medef organise à Jouy-en-Josas (Yvelines). Les questions posées aux fillonistes sur ce nouvel adversaire n’obtiennent qu’un haussement d’épaules en guise de réponse. En revanche, une autre annonce nourrit largement les apartés : celle que fera Nicolas Sarkozy dans le courant du mois pour officialiser son retour.

Chacun croit détenir la bonne information sur l’agenda de l’ancien président. « La semaine prochaine dans Le Figaro Magazine », souffle un député. « Autour du 15 septembre, après les différents campus (au Touquet les 30 et 31 août, à La Baule et à Nice les 6 et 7 septembre – ndlr) », assure un autre. Pierre Lellouche et Dominique Bussereau, eux, ne croient toujours pas en ce retour. « Je ne suis pas certaine que ce soit dans son intérêt de descendre d’une position de recours politique à la position d'une UMP dans laquelle il faut faire le ménage », élude simplement Valérie Pécresse. En vérité, ici, personne ne sait rien des velléités de Nicolas Sarkozy. Et surtout, tout le monde fait mine de ne pas s’en soucier.

« Les deux seuls candidats de second tour que nous ayons aujourd’hui, ce sont Juppé et Fillon, note Lionel Tardy. La droite sarkozyste, ça représente peut-être 80 % des militants UMP, mais ça ne fait pas 50 % des Français. » Pour le reste, le député de Haute-Savoie rappelle que « le plus gros avantage de Fillon, c’est d’avoir des troupes, notamment chez les parlementaires ».  « Certains rejoindront sans doute Sarkozy, mais ils seront peu nombreux. » Quant à Alain Juppé, « c’était peut-être le meilleur d’entre nous en 1995, mais aujourd’hui, parmi les parlementaires, personne ne le connaît ».

Déjeuner de rentrée politique de François Fillon, le 27 août, dans la Sarthe.Déjeuner de rentrée politique de François Fillon, le 27 août, dans la Sarthe. © ES

Dans la liste des “avantages” de François Fillon, ses soutiens mettent en avant le travail sur les idées effectué au sein de Force républicaine, son mouvement qui lui sert également de think thank. « Le seul à proposer un vrai projet aujourd’hui à l’UMP, c’est lui », assure à Mediapart Valérie Pécresse qui dit partager « à 80 % » les idées de son ex-chef de gouvernement. « Ce qui m’intéresse chez François Fillon, c’est qu’il est honnête intellectuellement et moralement. Et ça, c’est beaucoup. »

Bruno Le Maire salue lui aussi la réflexion idéologique engagée par François Fillon, à une nuance près : « Nous sommes deux à vraiment faire ce travail, affirme-t-il. Lui et moi. » Le député de l’Eure reste d’ailleurs très prudent sur certaines propositions avancées par l’ancien premier ministre, notamment sur le plan économique. « Je ne suis pas d’accord avec tout, précise-t-il. Par exemple, contrairement à lui, je ne me réclame pas de Thatcher, mais je trouve positif qu’il y ait un débat sur ces questions de fond. »

Ces arguments font sourire les adversaires sarkozystes et copéistes de l’ancien premier ministre qui s’emploient à pointer ses « incohérences » : ses déclarations sur le Front national, sa proximité avec Vladimir Poutine, son parachutage à Paris et son renoncement à briguer la mairie de la capitale, mais aussi ses prises de distance avec la politique de Nicolas Sarkozy, qu'il a pourtant défendue pendant cinq ans de “collaboration”. « Fillon sait faire son autocritique », argue Jérôme Chartier qui répète les propos tenus quelques minutes plus tôt à la tribune par son mentor : « Il prend sa part de responsabilité et en tire des leçons pour l’avenir. »

Les soutiens de l’ancien premier ministre rappellent d’ailleurs que François Fillon a « sérieusement » songé à présenter sa démission au cours du quinquennat Sarkozy. « Il y a renoncé parce qu’il voulait se défendre de l’intérieur », explique le député de Paris Jean-François Lamour. « Les gens n’étaient pas dans les coulisses, ils ne savaient pas exactement ce qu’il se passait entre les deux hommes, mais il y a bien eu une ou deux fois où Fillon a voulu partir », renchérit Pierre Lellouche. Dans l’entourage très proche du leader de Force républicaine, certains regrettent qu’il n’ait pas démissionné en 2010. « Après, c’était trop tard… », regrette un conseiller.

François Fillon est coutumier des départs manqués. Plusieurs des parlementaires qui l’avaient suivi après sa guerre contre Jean-François Copé gardent aujourd’hui encore « un goût d’inachevé » de l’épisode de fin 2012. « La dissolution du RUMP, ce n’était pas forcément habile, estime Lionel Tardy. Nous aurions eu les moyens de nos ambitions, d’autant que nous avions de réels moyens financiers. » « Si nous avions dû quitter l’UMP, c’était effectivement en janvier 2013 qu’il fallait le faire », souligne également Jean-François Lamour.

Le retour de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP pourrait-il offrir à l'ancien premier ministre et à ses troupes une nouvelle occasion de prendre définitivement le large ? La plupart des personnes interrogées estiment que la question n’est pas à l’ordre du jour, mais un proche conseiller du leader de Force républicaine nous assure qu’elle sera pourtant « forcément discutée dans les semaines à venir ». La députée du Haut-Rhin Arlette Grosskost a pour sa part déjà arrêté son choix : « Le retour de Nicolas Sarkozy à la présidence serait ridicule. S’il revient, je quitte le parti. Et je ne serai pas la seule. »

Jean-François Copé et François Fillon.Jean-François Copé et François Fillon. © Reuters

Ce scénario ne déplairait pas aux adversaires sarkozystes et copéistes de l’ancien premier ministre qui n’ont pas encore digéré les nombreuses fuites (factures téléphoniques de Rachida Dati, salaire du collaborateur de Brice Hortefeux, Geoffroy Didier…) dont ils ont tenu Fillon et ses équipes responsables. « Bizarrement, il n’y a qu’une seule personne qui ne s’est pas exprimée sur le sujet pendant la réunion », avait ainsi sous-entendu Valérie Debord au sortir du bureau politique du 8 juillet, avant d’ajouter : « C’est un ancien premier ministre, je vous laisse deviner de qui il s’agit... Ce n’est pas très compliqué. »

L’ancienne garde des Sceaux Rachida Dati s’était faite moins elliptique en postant sur Twitter une série de messages attaquant directement son ancien chef de gouvernement. « François Fillon est celui qui a été le plus en amont sur les questions de transparence à l’UMP. À partir du moment où il a dit les choses aussi clairement, c’était très facile pour les autres d’en faire le coupable idéal. Mais la vérité sur l’origine des fuites est beaucoup moins évidente qu’il n’y paraît... », explique un proche du leader de Force républicaine.

Évidence ou pas, le message des adversaires de Fillon a été soigneusement distillé dans l’opinion publique. À les entendre, l’ancien premier ministre était « une fois de plus » l’instigateur des divisions internes de l’opposition. Une façon de rappeler qu’il n’était pas étranger à un autre épisode clef de la lente décomposition du parti : celui de la désormais fameuse guerre Copé/Fillon dont les deux hommes n’ont jamais réussi à se relever.

« Maintenant, on sait plus exactement ce qu’il en est, souligne Valérie Pécresse. On sait que le scrutin a été manipulé et on sait la vérité sur les uns et les autres, mais François Fillon reste tout de même marqué par le fait qu’il n’a pas gagné. » Et il reste, pour bon nombre de militants, celui qui attise les braises de l'UMP. Pour ne pas se voir accoler la même étiquette, les ténors de la droite prennent désormais soin de jouer la carte du rassemblement, loin des polémiques, des petites phrases et des attaques frontales qui rebutent leur base. Fillon lui-même se veut plus nuancé dans ses propos. « Son seul adversaire, c’est François Hollande », martèle Jérôme Chartier.

Certes, tout le monde aura reconnu l’avertissement lancé mercredi à Nicolas Sarkozy : « Sans vouloir dissuader les vocations, le rôle du prochain président de l’UMP sera de poursuivre le redressement financier et fonctionnel de notre mouvement, de gérer aussi les conséquences des enquêtes judiciaires en cours », a-t-il lâché à la tribune. Mais le plus gros de son discours visait la gauche et ses « 27 mois (de pouvoir) pour rien ».

Même si l’entourage de l’ancien premier ministre rappelle que « ce ne sont pas forcément les militants qui feront l’élection de la primaire ouverte de 2016 » – en insistant sur la nécessité que cette primaire soit ouverte à l'ensemble des électeurs de droite, ndlr –, rien ne sert de se mettre à dos les quelque 150 000 adhérents que compte encore le parti en s’en prenant à l’ancien chef d’État. D’autant que le noyau dur de l’UMP reste encore farouchement sarkozyste. « On peut répéter qu’il est temps de passer à autre chose, sans forcément critiquer Nicolas Sarkozy », conseille Bruno Le Maire.

François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, en novembre 2010.François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, en novembre 2010. © Reuters

Reliquats de sa guerre contre Jean-François Copé, candidatures de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, incohérences politiques… La route qu’entend suivre « sans dévier » l’ancien premier ministre jusqu’à la présidentielle de 2017 est encore semée d’embûches. « Ce sont des obstacles, voire parfois même des aiguillons, mais rien n’est insurmontable », parie Jean-François Lamour, qui pousse en revanche son champion à être davantage présent médiatiquement. « Il faut qu’il s’affirme plus fort, insiste Pierre Lellouche. La droite française veut un chef qui s’affirme comme tel, alors que lui a plutôt tendance à fuir la presse qu’à la courtiser. »

S’il veut rester dans la course pour 2017, Fillon doit donc cesser de jouer les hommes invisibles. Un rôle qui a pourtant jusque-là réussi à Alain Juppé. « La rareté en politique, cela paye toujours, rappelle Lellouche. Mais dès que Juppé parlera du fond, il perdra son statut de sage. » Un autre ténor de l’UMP espère secrètement récupérer la place : l’ancien chef de l’opposition Jean-François Copé qui tente de se faire oublier depuis l’affaire Bygmalion en observant une période de disette médiatique. « Cet été, il est parti à la rencontre des Français aux quatre coins de la France, loin des caméras », indique simplement son entourage.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Légaliser le cannabis (7/7). Les fumeurs français se font jardiniers

$
0
0

C’est ce qu’on peut appeler des circuits courts : en Europe, le cannabis est de plus en plus produit dans le pays où il est consommé. Cela pose quelques problèmes aux autorités, notamment françaises, plus habituées à saisir la résine importée du Rif marocain qu’à repérer des plantations clandestines. Le sociologue David Weinberger (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) dit assister depuis 2005 à une « transformation majeure » du marché européen du cannabis, traditionnellement dominé par le haschich (la résine de cannabis). Les consommateurs recherchent de plus en plus l’herbe, quitte à la faire pousser eux-mêmes pour s’assurer de sa qualité. « C’est aussi une adaptation du marché aux saisies records de résine marocaine en Espagne », avance le sociologue. L'ambition des autorités françaises est en effet de «couper les routes de la drogue», qu'ils s'agisse du cannabis ou de la cocaïne. Lors de son passage au ministère de l'intérieur, Manuel Valls avait ainsi conclu en octobre 2012 un accord avec l'Espagne pour renforcer la coopération policière des deux pays, sur le modèle de la traque en commun des séparatistes de l'ETA.

Culture de cannabis «indoor» chez un particulier.Culture de cannabis «indoor» chez un particulier. © LF


Difficile de chiffrer le phénomène. Selon le rapport le plus récent de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), sept millions de plants ont été saisis en Europe en 2012. Leur nombre a triplé en cinq ans. En France, 141 000 pieds de cannabis ont été arrachés en 2013 d'après une dépêche AFP, contre 55 000 en 2010… et seulement 1 591 pieds en 1990. Mais ces chiffres, produits par les forces de l'ordre, mesurent surtout leur propre activité ainsi que leurs priorités.

À partir de procédures judiciaires épluchées en 2008, David Weinberger distingue deux profils de cannabiculteurs : des consommateurs, généralement avec peu d’antécédents judiciaires, qui « cherchent à échapper aux effets pervers de la prohibition », et une minorité de commerciaux avec des exploitations géantes allant jusqu’à plusieurs milliers de plants (voire des centaines de milliers en Italie). Selon lui, en 2008, ces derniers ne représentaient que 5 % des cannabiculteurs arrêtés, mais 40 % de la production d'herbe saisie par les forces de l'ordre.

Vidéo de l'observatoire européen des drogues et de la toxicomanie sur la culture du cannabis


À Marseille, le préfet de police a lancé depuis décembre 2012 une ambitieuse opération de reconquête des cités afin de faciliter le travail d’autres intervenants (bailleurs, police municipale, Urssaf, Caf, associations de prévention, éducation nationale, Pôle emploi, etc.). Mais moins que la crainte de l’interpellation, c’est la question du budget, le souci de la qualité du cannabis et le refus de nourrir le trafic qui semblent motiver les fumeurs-cannabiculteurs rencontrés dans cette ville. « S’il y a une opération de police, ils prennent dans leur panel une des trente autres cités de Marseille : si c’est fermé à Castellane, ils vont à Font-Vert, etc. », dit un gérant d’un growshop marseillais.

Certains sont de vrais passionnés, intarissables sur les différentes variétés, les produits (herbe, extraits, huile, etc.) et leurs principes actifs (tétrahydrocannabinol, cannabidiol, etc.). «La légalisation du cannabis médical dans 23 Etats américains a permis la publication de beaucoup d’articles scientifiques et économiques sur le sujet», explique Sébastien Béguerie, vice président du Club de la Canebière. L'association, qui vise à promouvoir les aspects historiques et économiques du chanvre, cultivé au Moyen âge dans l'actuel centre-ville de Marseille, a déposé ses statuts en juillet 2014 à la préfecture des Bouches-du-Rhône.

Julie*, une ancienne toxicomane de 42 ans, fume du cannabis pour « arrêter les médocs » et ses problèmes de sommeil. Sur les 780 euros mensuels de son allocation d’adulte handicapé, elle dépense environ 200 euros par mois en résine et songe à passer à la culture « si rien ne bouge ». « Qu’on soit au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, il y a du shit partout à Marseille, dit-elle. Si c’est bloqué par les flics, il suffit souvent de revenir le soir. L’autre jour, j’étais aux Lauriers, les guetteurs ont vu arriver les flics de loin, ils ont prévenu et ça va vite. Ils sont très bien organisés et super bons commerçants. »

Certains plans marseillais ressemblent « à des coffee shops » avec des pancartes déclinant les différentes qualités de shit et d’herbe proposés. Mais Julie a des doutes sur les produits de coupe « qui sentent la bougie » et surtout elle ne supporte plus « d’acheter à des petits, qui ont parfois l’âge de ma fille ».

Dans l’armoire de ce petit appartement marseillais, les quatre plants de « Blueberry » « une variété avec beaucoup de CBD pour ne pas trop être défoncé » sont presque arrivés à maturité. Quelques têtes patientent déjà dans le séchoir, près du frigo. Arthur*, 24 ans, réalise trois récoltes par an, pour lui et sa copine. Il fume quatre à cinq joints par jour et dépanne aussi des amis. « On ne se considère pas comme des revendeurs, on s’entraide entre potes. » Il a appris les techniques de botanique « en autodidacte » sur des forums spécialisés. Sa première motivation ? « Maîtriser la qualité de ce que je fume. » C’est aussi la raison pour laquelle il voudrait passer à la « vaporisation » à partir d’extraits de fleurs « pour éviter les effets nocifs de la combustion ».

« Au début, on utilisait les plans d’amis dans les Alpes, où les prix sont beaucoup moins élevés car ils font pousser en extérieur », explique Arthur*, qui avait « de plus en plus de mal à aller à la cité ». « À cause de la loi actuelle, on se fait servir par des ados de moins de seize ans, parfois des petits de douze ans », décrit-il. Cet étudiant a adapté sa culture à la législation. « Je perds beaucoup de temps à réduire les risques judiciaires, estime-t-il. Je préfère faire 4 plants à 100 grammes, que 40 plants à 10 grammes. Si je me fais attraper, cela jouera en ma faveur. Je ne risque quasiment rien : une injonction thérapeutique, une amende, au pire du sursis. Et je me balade avec deux joints maximum. »

Si sa porte n’est ouverte qu’aux amis, « pas aux amis des amis », c’est par crainte des cambriolages, plus que d'une dénonciation. « Ça représente beaucoup d’argent. Quand j'étais en colocation, on faisait ça dans le garage, c’était moins visible. » Comme plusieurs autres fumeurs, il décrit une relative indifférence des policiers. Il raconte qu’au rassemblement du « 18 joint » sur la Canebière, un policier des RG l’aurait abordé : « Pourquoi êtes-vous là ? Il ne faut pas vous montrer, faites ça chez vous. »

Moins prudent, Thomas*, 26 ans, s’est quant à lui fait contrôler à Marseille en 2013 avec 25 grammes d’herbe – « ma conso pour deux semaines » – et une balance. En perquisitionnant chez ce jeune entrepreneur, les policiers ont trouvé une trentaine de plants végétatifs. « Ils ont saisi les lampes et les plants, mais ça les faisait plutôt rire », dit Thomas, qui ne se voit pas du tout comme un « délinquant ». « Au début on consomme du shit pour se défoncer. Puis on recherche une conso plus saine, explique-t-il. Je suis quelqu’un d’inséré, je ne dérange personne, je n’ai pas envie d’être marginalisé à cause de ma passion. »

Il comparaîtra en septembre 2014 pour acquisition, détention et transport de stupéfiants, une infraction qui peut aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 7,5 millions d’amende. La veille, il est retourné se « dépanner » dans les quartiers nord, mais n’a vraiment pas aimé l’expérience. « On se demande ce qu’on finance… »

La loi considère la culture du cannabis comme une production de stupéfiants, un crime passible des assises. Ce qui transforme les cannabiculteurs en trafiquants encourant jusqu’à vingt ans de réclusion et 7,5 millions d’euros d’amende, voire 30 s’ils agissent en « bande organisée ». Mais à petite échelle, seuls l’usage et la détention de stupéfiants sont généralement poursuivis. « Si on retrouve des balances, des pochons de conditionnement avec des cultures à grande échelle, là on bascule dans du trafic ; mais ça reste correctionnalisé, on ne passe pas aux assises », explique le chef d’escadron Rémi Bouillot, qui commande la police judiciaire au sein du groupement de gendarmerie des Bouches-du-Rhône.

Au printemps 2013, six cannabis social clubs français ont tenté de sortir de la clandestinité en se déclarant en préfecture. L'expérience a tourné court avec la condamnation, le 18 avril 2013, de leur porte-parole Dominique Broc à huit mois de prison avec sursis et 2 500 euros d'amende pour détention et usage de drogue et la dissolution de la plupart des clubs par la justice. Échaudés par l’expérience, les cercles de cannabiculteurs se font désormais discrets.

Richard*, 32 ans, qui tient une galerie d’art à Marseille, se fournit auprès d’un réseau local « un genre d’Amap, avec un cultivateur qui vend à ses amis depuis quelques années ». Il habite dans les quartiers nord où il croise « l’hypocrisie » tous les jours. « Les dealeurs ont pignon sur rue. Les politiques ne veulent pas en parler, alors que les jeunes bourgeois vont se fournir dans les quartiers, sans aucun problème de sécurité. S’il doit y avoir une ville pilote en France, c’est Marseille, à cause des enjeux sociaux. Combien de morts dans des règlements de comptes faudra-t-il avant qu’on prenne une décision politique ? »

Autre signe du développement d’un cannabis fabriqué en France, l’essor des « growshops », ces boutiques qui vendent du matériel permettant une culture intensive en intérieur. Parfois sous le nez des forces de l'ordre. À Nanterre, l’un des growshops se situe ainsi à quelques centaines de mètres seulement des nouveaux locaux de la police judiciaire, qui abritent la brigade des stupéfiants.

La boutique « Chanvre et Cie » a été la première à ouvrir à Montreuil (Seine-Saint-Denis) après la publication du best-seller Fumée clandestine (Éditions du Lézard, 1992) de Jean-Pierre Galland. Aujourd’hui, le site Growmaps recense environ 400 commerces en France, dont plus de la moitié dépendent des deux principales enseignes « Indoor Garden » et « Culture indoor ». Les deux sociétés de botanique, respectivement créées en 2001 et 2002, ne publient pas leur chiffre d’affaires, comme les y oblige pourtant la loi. Et éconduisent courtoisement les curieux. « Je n’ai jamais répondu sur toutes mes sociétés à aucun journaliste », indique Bruno Goffroy, patron d’Indoor garden, joint par téléphone.

Comme le reconnaissent plusieurs vendeurs interrogés, seule une minorité des clients de ces boutiques vient pour faire pousser des tomates, des orchidées ou des cultures biologiques. Les autres – « environ 80 % » – sont intéressés par le cannabis. En vitrine d’une des six boutiques du centre-ville de Marseille, aucune image de cannabis, mais l’équipement du parfait cannabiculteur : armoire de culture, lampes, systèmes de ventilation, bacs de culture hors sol, engrais et même graines de cannabis. « Graines de collection, non destinées à un usage agricole », prévient un panneau.

La vente du matériel est légale, celle des graines plus incertaine, même si elles ne sont pas mentionnées dans les conventions internationales sur les stupéfiants ratifiées par la France, comme celles des Nations unies. « En théorie, la graine n’est pas illégale, sauf pour la police parisienne qui s’affranchit des conventions internationales », explique un fonctionnaire, sous couvert d 'anonymat.

Tout est dans l’ambiguïté. « Nous essayons d’éviter d’être clairs, nous parlons de la plante, des sommités, des efflorescences, sourit un vendeur, 44 ans. Si un client demande si c'est une bonne génétique, nous lui répondons que ce n’est pas pour cultiver. C’est de l’hypocrisie totale... » Il explique que le matériel de culture hydroponique (hors-sol) s’est démocratisé depuis que l’Espagne « est devenue un énorme marché avec la création des cannabis social club ». « Il y a quinze ans, trouver une simple ampoule à sodium était compliqué, certains petits malins les récupéraient sur les éclairages publics ; maintenant nous proposons quinze références », ajoute-t-il.

...détournée par le Circ, une association anti-prohibition...détournée par le Circ, une association anti-prohibition

Les clients vont de « 15-16 ans à plus de 70 ans », selon les professionnels rencontrés. « Des docteurs, des employés de mairie, des ouvriers, des cadres, bref des gens honnêtes qui paient leurs impôts, en ont marre d’engraisser un marché parallèle et d’être considérés comme des délinquants », décrit l’un d’eux, 36 ans. Certains viennent pour des usages médicaux et demandent des génétiques spécifiques « avec une forte concentration de cannabidiol (CBD) pour ingérer ou vaporiser et soigner des glaucomes, douleurs musculaires, troubles neurovégétatifs », ajoute un autre commerçant.

La plupart des growshops s’en tiennent à la vente du matériel « pour éviter les soucis ». Mais certains n’hésitent pas à donner un coup de main pour démarrer des plantations comme ce père de famille, la trentaine, qui a récemment monté sa boutique, diplôme d’horticulture à l’appui. Il est fier d’avoir vendu des milliers de graines. « Plus il y a de monde qui plante, plus l’État est cerné, les tribunaux engorgés, et on élimine les trafics de cité, l’argent qui circule », avance-t-il.

Son truc, ce sont les variétés autoflorissantes qui donnent quatre à cinq récoltes par an. « Les voleurs et les gendarmes cherchent les pieds fin septembre, quand il n’y a déjà plus rien », s’amuse-t-il. Lui-même produit pour un cercle fermé d’amis. Débit rapide, accent chantant, le jeune homme navigue entre débrouille, business et militantisme. « On voudrait créer un cahier des charges pour des cannabis social clubs avec des contrôles, des référents par zone qui aient une formation sanitaire pour que l’herbe soit propre », dit-il.

Dans les cités, les réseaux tentent de s’adapter à cette nouvelle demande. Selon un policier spécialisé, les trafiquants marocains qui « voient des parts de marché leur échapper » ripostent en augmentant le taux de concentration du THC dans les produits exportés. Un récent article du Monde évoque un taux de concentration moyen passé en dix ans de 7 à 8 % à « 17 % pour la résine, et 12,5 % pour l'herbe ». Et « l’approvisionnement peut aussi se développer dans des formes semi-industrielles avec des plantations développées en appartements loués à cette fin dans des cités HLM, ou en extérieur de la commune, sur des terrains agricoles discrets, comme la zone inondable du Val de Durance », notent les observateurs marseillais de Trend, un dispositif de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Une installation de 316 pieds découverte par les gendarmes dans les Bouches-du-Rhône en avril 2014.Une installation de 316 pieds découverte par les gendarmes dans les Bouches-du-Rhône en avril 2014. © Gendarmerie

Dans l'éphémère magazine mensuel Bons baisers de Marseille, le journaliste Philippe Pujol décrivait en janvier 2014 l’une de ces « fermes d’un nouveau genre » installée sur deux étages d’une tour marseillaise, derrière une porte blindée. Mais la botanique hors-sol n’est pas innée. « Plus on augmente la taille de l’exploitation, plus il faut de la technique, explique le gérant d’un growshop. Certains petits veulent monter leur réseau sans passer par les grands et le résultat est catastrophique, alors ils viennent solliciter un chef de culture. » Et de préciser : « On les envoie paître. »

Dans les Bouches-du-Rhône, la plus grosse installation démantelée par la gendarmerie comptait 316 pieds, découverts en avril 2014 au premier étage d’une maison à Saint-Pierre-les-Aubagne. « Il y avait la totale : 24 rampes lumineuses, des extracteurs d’air, des pompes à eau, des ventilateurs, des tapis chauffants, des broyeurs, des sécheurs et des sachets de conditionnement », décrit le chef d’escadron Rémi Bouillot. Premier réflexe en cas de soupçon : une réquisition à EDF. La facture s’élevait à un millier d’euros par mois, selon le gendarme. Le cultivateur, un commerçant sans casier judiciaire, a été condamné à 18 mois de prison avec sursis plus cinq ans de mise à l’épreuve par le tribunal correctionnel de Marseille.  

Sur les sept premiers mois de 2014, la gendarmerie des Bouches-du-Rhône a déjà saisi 975 pieds (32 affaires), contre 482 pieds (37 affaires) sur l’ensemble de l’année 2013. « C’est moins risqué et moins onéreux de cultiver et consommer chez soi, explique Rémi Bouillot. Internet permet désormais de s’approvisionner facilement en graines et en matériel. Et le produit se banalise avec l’exemple des États qui dépénalisent ou légalisent. » Mais rien de comparable avec les usines à cannabis de la région parisienne.

Récolte saisie par les gendarmes des Bouches-du-Rhône dans une plantation  en avril 2014.Récolte saisie par les gendarmes des Bouches-du-Rhône dans une plantation en avril 2014. © Gendarmerie

En février 2011, les enquêteurs des deux offices centraux spécialisés dans la répression de l'immigration irrégulière et la lutte contre le trafic illicite des stupéfiants étaient tombés à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) sur 700 plants de cannabis cultivés par des immigrés vietnamiens sans papiers, sur le modèle des cannabis factories au Canada, au Royaume-Uni ou en Italie. Pour rembourser leur passage, les migrants devaient travailler sur ces exploitations dans des conditions proches de l’esclavage. Une saisie réalisée un peu par hasard par la PJ française qui travaillait au départ sur un trafic d'êtres humains...

En septembre 2012, deux plantations de plus de 3 000 pieds de cannabis au total ont également été découvertes en rase campagne dans deux maisons de l'Aube. La saisie faisait suite à l'interpellation de plusieurs personnes de nationalité vietnamienne en région parisienne. Selon le sociologue David Weinberger, cette apparente spécialisation de réseaux criminels asiatiques dans la culture du cannabis trouverait son origine en Colombie-Britannique (Canada). Cet Etat «abrite une importante communauté sino-vietnamienne depuis le 19e siècle, et constitue, avec la Californie et Amsterdam, l’une des principales régions originelles de la culture intensive de cannabis, écrit-il. Conscients des perspectives de développement que représente la sinsemilla, certains criminels canadiens d’origine asiatique auraient décidé d’exporter ce mode opératoire en Europe et au Royaume-Uni notamment.»

Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 entend couper court à ce cannabis « made in France ». Les moyens d'action semblent limités. Il s'agit de combattre les « idées reçues sur les vertus bio du cannabis issu de ces cultures » ainsi que « l’image communément répandue du caractère artisanal et convivial de la cannabiculture ». Le plan cible également les « canaux d’accès à la cannabi­culture (magasins spécialisés, sites Internet, fret postal et express) » qui feront l’objet d’une « surveillance particulière ». 

Les enquêteurs français restent à la peine. En avril 2011, sous la coordination de l'Office central de lutte contre le trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis), police et gendarmerie avaient mené sur l'ensemble de la France vingt-trois descentes chez des cannabiculteurs. L’opération était baptisée « Cannaweed », du nom du site néerlandais où les jardiniers français échangent conseils et bons plans sur l’autoproduction de cannabis. Le bilan s'est révélé plutôt maigre (100 pieds de cannabis saisis ainsi que 4 kilogrammes d'herbe d'après l'AFP) et la « réponse pénale zéro », selon un policier dépité. Depuis, la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, ex-Mildt) et l’Ocrtis ont diffusé un petit guide de l'enquête sur la cannabiculture destiné à sensibiliser policiers, gendarmes et magistrats.

BOITE NOIRETous les prénoms des gens rencontrés et cités dans cet article ont été changés.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live