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Croissance : l'avenue de Bruxelles est un cul-de-sac

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Il est touchant dans sa colère, Michel Sapin. Dans sa tribune au journal Le Monde publiée ce jeudi, on dirait François Hollande. Pas le Hollande de 2014 que le ministre de l’économie paraphrasait récemment devant un parterre d’économistes libéraux en parlant de « Notre amie la finance, la bonne finance ». Non, le Hollande de 2012, celui de « l’adversaire sans visage, sans parti », mais qui pourtant « gouverne », et qui se nommait, chacun s’en souviendra, « le monde de la finance »...

En ce temps-là, le futur président se posait en rempart. Il promettait aux Français de résister, à la finance et à l’Europe. Il s’engageait à renégocier le Traité européen en exigeant un volet social qui donnerait du pouvoir d’achat aux peuples, en relançant l’investissement.

À peine élu Hollande fit les gros yeux, mais pas à Bruxelles. Il désigna les Français. Au nom de la règle des 3 %, il se lança dans une politique de réduction des déficits qui associait l’augmentation de l’impôt et la réduction des crédits, un cocktail d’autant plus sévère que le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) amputait le budget d’une vingtaine de milliards et que la croissance était (déjà) en berne. L’idée, d'ailleurs répétée par les gouvernements de droite depuis 2002, était que les allègements de charges relanceraient automatiquement l’économie en libérant les énergies.

Cette politique, amplifiée par le Pacte de responsabilité, et dénoncée par le Front de gauche aussi bien que par la gauche du PS, vient de prouver son « efficacité ». La France est désespérément embourbée. L’inversion de la courbe du chômage n’est pas venue, et ne viendra pas l’année prochaine.

Croissance zéro au second trimestre, après une croissance nulle au premier. C’est le moment choisi par Michel Sapin, tel Archimède en sa baignoire, pour pousser son « Eurêka », ou le « Bon sang, mais c’est bien sûr » de l’antique commissaire Bourrel, l’homme des Cinq Dernières Minutes… Il faudrait demander des comptes à l’Europe… La changer radicalement, et ne plus se conformer à ses dogmes !

Évoquant le risque de déflation, Michel Sapin propose ainsi de « promouvoir une politique en faveur de l'investissement privé et public par la mobilisation des outils existants et par la mise en œuvre de moyens nouveaux ». Comme Hollande avant l’Élysée, il s’écrie qu’il y a « urgence à agir ». Et il conclut son manifeste par cette revendication : « L'Europe doit agir fermement, clairement, en adaptant profondément ses décisions à la situation particulière et exceptionnelle que connaît notre continent. La France pèsera en ce sens. »

Encore un effort et Michel Sapin dénoncera le Traité européen…

Sur le plan politique, l’épisode est lourd pour le président de la République, et pas seulement au plan économique. Il souligne cruellement l’absence des résultats promis, en dépit des sacrifices engagés, et renvoie le chef de l’État à ses choix, et à ses renoncements. Si l’Europe à laquelle il s’adresse aujourd’hui s’est si gravement trompée, pourquoi s’être incliné devant elle dès l’été 2012, sans engager le bras de fer que lui permettait son élection toute fraîche ? Et s’il retourne aujourd’hui à son discours de candidat, alors qu’il s’est fragilisé à gauche, à droite, et vers les extrêmes, est-ce un signe d’autorité ou d’indécision, lui qui court derrière son ombre ?       

Ainsi que le dit le journal Le Monde, dans son édition de jeudi, Hollande est bel et bien « dans une impasse ». Reste à savoir laquelle.

Le président étant ce qu’il est en France, ce diagnostic n’est pas secondaire, et ce qui se pose dès à présent, c’est sa capacité, problématique, ou son incapacité, possible sinon probable, à se présenter en 2017. Les résultats économiques de cet été 2014 vont libérer les contestations et les ambitions à gauche, de Valls en passant par Montebourg et les autres. Elles vont aussi aiguiser les appétits à droite en renforçant l’hypothèse d’une alternance : la bataille autour du retour de Nicolas Sarkozy n’en sera que plus féroce à l’UMP.

Mais cet aspect politicien n’est pas le plus essentiel pour la France et les Français. Ce qui frappe dans ce marasme économique, c’est que si Hollande est coincé dans un cul-de-sac, il ne s’y trouve pas tout seul. Avec lui, la plupart des voix dominantes de ce pays devraient s’interroger, et ne le feront pas.

Prenons les économistes officiels, qui tiennent chronique dans les radios, les télés, les magazines, les instituts de prévision, et dont la bible est répétée à longueur de journée. Ils expliquent que la France est à la traîne parce qu’elle n’a pas le courage de faire les réformes que l’Allemagne a osé. Et que « le différentiel » de croissance se creuse entre les deux pays.

Prenons les politiques majoritaires depuis trente-cinq ans, c’est-à-dire ceux des courants dominants du PS ou de l’UMP. Ils répètent peu ou prou ce discours, qui décrète que le pain sec deviendra du gâteau.

Cette politique de sacrifices chroniques rencontre une hostilité croissante dans le pays, toujours traité par le mépris depuis le référendum de 2005, malgré le « non » et les crises successives. C’est avec assurance, et agacement devant le nombre de fonctionnaires, que ces experts officiels évoquent le miracle allemand.

Il se trouve que la croissance de l’Allemagne devait s’envoler cet été : « La croissance économique de l’Allemagne accélérera cette année et encore plus l’année prochaine », déclarait le 15 avril dernier le ministre de l’économie d’Angela Merkel, Sigmar Gabriel, pieusement repris par la presse économique.

Au second trimestre 2014, après une mauvaise année 2013, l’Allemagne a fait encore moins bien que la France : contraction de 0,2 % de son PIB ! La locomotive a enclenché la marche arrière, et pourtant des orateurs, notamment, à l’UMP, décrètent qu’un échec continental se réduirait à un problème hexagonal, et qu’il faudrait aller encore plus loin dans « les réformes », c’est-à-dire dans l’austérité, pour sortir du marais dans lequel s’enfonce la zone euro, Allemagne comprise.

La leçon politique de cette folie nationale se lit donc à un double niveau. Le premier, au fond superficiel, concerne François Hollande : le président se retrouve dans une impasse, et a peu de chances d’en sortir. Tant pis pour lui. Mais le second constat, infiniment plus accablant, c’est que cette impasse passe toujours pour un boulevard, et que les forces d’alternance les mieux placées proposent plus que jamais de l’emprunter, en allant encore plus loin. Tant pis pour nous ?    

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La part d'ombre du numérique

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Impacts sur la vie quotidienne des hangars de serveurs en Seine-Saint-Denis ; course au greenwashing chez les géants d'Internet ; nécessité de transparence sur les coulisses du numérique où se décide le sort des données personnelles : Mediapart explore une part d'ombre du monde moderne avec sa série en trois volets L'envers des data centers.

[Cliquez sur les titres pour lire les articles]

Carte des data centers en Ile-de-FranceCarte des data centers en Ile-de-France

Au nord de Paris, en Seine-Saint-Denis, se multiplient les data centers, ces hangars de serveurs indispensables au fonctionnement d'Internet. Leur besoin en énergie est colossal : ils représentent un quart de la puissance électrique supplémentaire du Grand Paris d'ici 2030. Des riveraines se plaignent de leur impact sur leur vie quotidienne. (Lire ici)

Un data center de Facebook.Un data center de Facebook.

Le monde du numérique ne met pas en doute l’ampleur de son impact environnemental. Au contraire, la course au data center « propre » est un sésame de rentabilité et un moteur de concurrence. Pour quelle réussite écologique au bout du compte ? Impossible de le mesurer. (Lire ici)

Andrew BlumAndrew Blum

Massives, mondiales et en plein essor, les infrastructures matérielles d’Internet restent pourtant quasi invisibles. Pour le journaliste Andrew Blum, le public doit exercer son droit à connaître ces coulisses car s’y décide le sort de ses données personnelles. (Lire ici)

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De campements en squats, l'itinéraire des «80 d'Aubervilliers»

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« Mieux vaut réquisitionner un bâtiment de l'État. » C'est le constat que fait Mamadou Diomamde après trois mois de galère, entre son évacuation du 19, passage de l'Avenir, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), son campement près de la mairie, sa « marche jusqu'au ministère » et le casse-tête administratif auquel lui et ses compagnons sans-logis sont soumis. Depuis le 11 août, environ 80 immigrés venus principalement de Côte d'Ivoire ont choisi d'occuper le 81 de l'avenue Victor-Hugo, un immeuble qui abritait auparavant les locaux de Pôle Emploi. Après les matelas « imprégnés d'eau, de déjections canines, de saletés accumulées sur les trottoirs » et les tentes improvisées des sans logements, ce nouveau bâtiment est une aubaine.

«1 toit pour tous», banderole sur l'immeuble occupé.«1 toit pour tous», banderole sur l'immeuble occupé. © YS

« Un toit pour tous », peut-on lire en grosses lettres rouges sur un étendard pendu en haut du bâtiment. À l'intérieur, la bâtisse paraît en bon état à part la moquette grisâtre sur laquelle ont été disposés quelques matelas et sacs de couchage. Au pied d'un escalier, Meite Soualiko raconte ses péripéties depuis qu'il est arrivé de Côte d'Ivoire en France en 2009. « Quand tu arrives ici, on te traite comme si tu venais d'une autre planète. Vu ce qu'on dépense pour venir, c'est incroyable de se retrouver dans une telle situation. Au début, on ne connaît pas le système pour se loger, on nous dit qu'il y a des marchands de sommeil, mais on ne sait même pas ce que c'est. Et puis quand on voit que la mairie ne nous a pas proposé une seule possibilité de relogement en plusieurs mois, c'est impensable, ça ne nous donne vraiment pas le courage de continuer. » 

© YS

Le parcours de Meite est similaire à celui de la plupart des « 80 d'Aubervilliers ». À un bail précaire ont succédé un squat puis une expulsion et enfin la rue. Au 81 de l'avenue Victor-Hugo, les histoires d'expulsions et d'abris de fortune se répètent. Aux évacués du 22, rue du Colonel-Fabien se sont ajoutés ceux du 19, passage de l'Avenir et du 16, rue des Postes, l'immeuble qui avait été incendié le 7 juin dernier, incendie dans lequel trois personnes avaient été tuées. 

Au lendemain de l'incendie, la quasi-totalité des habitants avait été logée dans un gymnase à quelques encablures du lieu du drame. Mais une dizaine de Bangladais s'étaient retrouvés sans toit « à cause de leur incapacité à prouver qu'ils habitaient réellement là-bas », explique Simon Le Her de l'association Droit au logement. « Étant en location ou en sous-location, ils n'ont pas toujours les papiers qui leur permettent de prouver leur domiciliation », poursuit ce dernier.

C'est ainsi qu'Ahmed Arif s'est retrouvé dans une tente Quechua au pied de son ancien logement brûlé. Possédant un titre de séjour et un emploi à durée déterminé dans une boucherie, ce dernier a mis toutes les chances de son côté pour régulariser sa situation. « J'étais un opposant politique dans mon pays, je suis venu en France parce que j'avais lu dans plusieurs livres que c'était le meilleur pays pour les droits de l'homme », dit-il dans un anglais parsemé de quelques mots de français. Une chance que ses papiers n'aient pas brûlé dans l'incendie.

Ahmed Arif, au milieu de ses papiers administratifsAhmed Arif, au milieu de ses papiers administratifs © YS

D'autres comme Issiaka Karamoko se sont fait expulser de leur squat du 22, rue du Colonel-Fabien, avant de se retrouver dans un campement près de la mairie. À 33 ans, ce dernier n'ose pas avouer sa situation à ses amis ivoiriens restés au pays : « Là-bas, à part nos familles, les gens n'ont aucune idée de nos conditions de vie. » Un de ses amis raconte qu'alors même qu'elle s'était fait interpeller par la police, une personne recevait encore des coups de fil de sa famille qui lui demandait de l'argent. Un autre témoigne d'une histoire de reportage à la télé où des proches l'ont vu dans un squat. Il a dû mentir pour les rassurer en expliquant qu'il soutenait simplement des amis en galère.  

Issiaka Karamoko passe le temps en jonglant avec un marqueurIssiaka Karamoko passe le temps en jonglant avec un marqueur © YS

« Cela fait des mois que ça dure », affirme Simon Le Her de l'association Droit au logement. « Le nouveau maire d'Aubervilliers Pascal Beaudet (PCF) était venu se faire prendre en photo devant l'immeuble du 19, passage de l'Avenir, en disant qu'il recevrait les gens. Mais depuis son élection, on ne l'a jamais rencontré », déclare, exaspéré, le membre de l'association qui a suivi le parcours des sans-logis. Aujourd'hui, tout le monde se demande pourquoi la mairie n'a jamais proposé le 81 de l'avenue Victor-Hugo comme solution d'hébergement d'urgence, en attendant de trouver mieux.  

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Crise: l'urgence du débat et de l'imagination

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Le débat a été clos avant même d’avoir été engagé. Alors que le gouvernement, sous le choc d’un scénario catastrophique pour la rentrée, doit se retrouver mercredi 20 août pour le conseil des ministres, le premier ministre exclut par avance toute remise en cause de la ligne gouvernementale. « La politique que le président de la République a décidé de mettre en œuvre nécessite du temps pour produire des résultats. Mais il est hors de question d'en changer. Le pacte de responsabilité et ses 40 milliards de baisse de coût du travail vont véritablement entrer en œuvre maintenant », a prévenu Manuel Valls dans un entretien au JDD, le 17 août, mettant en cause au passage certains membres de la gauche pour « leurs propos irresponsables ».

© Reuters

La ligne gouvernementale est donc tracée. Peu importent la situation économique, l’apparition de la déflation, la montée continue du chômage, il faut s’en tenir à ce qui a été arrêté et présenté à la Commission européenne. Le gouvernement semble d’autant plus pressé de respecter les engagements pris sur l’allègement du coût du travail et la réduction des dépenses publiques qu’il ne va pas satisfaire aux autres engagements pris, et notamment la diminution du déficit budgétaire. Tenir au moins sur le front de la baisse du coût du travail démontre la crédibilité de la France, explique-t-on en substance dans les allées du gouvernement.

Des économistes ont déjà dit tout ce qu’il fallait penser de ce plan, marqué du sceau de l’idéologie libérale. Dans une tribune au Monde, l’économiste Philippe Askenazy dénonçait dès avril ce pacte de responsabilité, organisant un transfert géant vers les entreprises, un arrosage systématique et indifférencié, sans même se donner la peine de se donner des objectifs ou d’exiger des contreparties. Il y a pourtant des révisions à portée de main : les niches dont bénéficient les entreprises représentent 150 milliards d’euros chaque année, selon le conseil des prélèvements obligatoires.

Le gouvernement aurait pu au moins exiger, alors que les entreprises se plaignent de leurs marges et de leurs capacités financières, de ne pas reverser ces aides aux actionnaires. Car dans ce domaine il existe, semble-t-il, une certaine latitude. Selon une étude de Henderson Global Investors, les dividendes versés par les compagnies européennes au deuxième trimestre de cette année ont augmenté de 20 % par rapport à la même période de l’an dernier, pour dépasser les 115 milliards d’euros. Les entreprises françaises figurent en tête avec une hausse de 30 % de leurs dividendes sur un an.

Personne ne se fait d’illusion sur le sort de ce pacte. Pour beaucoup, il est déjà mort avant même d’avoir été mis en place. Le Medef a déjà anticipé son échec et les explications à donner : les mesures du gouvernement sont insuffisantes. Pierre Gattaz, le président du mouvement patronal, a élaboré une nouvelle série de mesures à demander. Selon la règle du « toujours plus » chère désormais au patronat, rien n’a été oublié : ouverture des magasins le dimanche et le soir, suppression de la taxation sur les transactions financières, suppression de toute charge pour les apprentis, abaissement de la fiscalité sur les outils de production, révision des seuils sociaux, allégement des procédures sanitaires et de santé et naturellement quelques nouveaux plans d’aides publiques pour relancer le bâtiment. Tout cela devrait contribuer à créer 400 000 et 680 000 emplois nouveaux, selon le Medef.

Bien qu’il ait déjà fait fuiter le contenu de ce nouveau programme, le patronat fait mine d’hésiter sur l’attitude à tenir. Il se demande s’il est inopportun de présenter cette liste, dès son université d’été, prévue les 27 et 28 août. Mais c’est une question de semaines et de rapport de forces. Et pour le patronat, tout joue en sa faveur.

L’aveu que la France ne respectera pas cette année encore ses objectifs de réduction du déficit budgétaire place le gouvernement sous pression. Certains responsables économiques et politiques misent sur la Commission européenne pour rappeler à l’ordre le pouvoir et l'obliger enfin à faire ces fameuses « réformes structurelles » qu’il ne se résoudrait pas à engager. Oubliant les réformes des retraites, du chômage, des prestations sociales, de l’assurance maladie, la révision du code du travail, ils réclament des mesures toujours contraignantes. « La France doit avoir le courage de faire ce que l’Espagne et le Portugal ont réalisé », commencent à murmurer certaines voix économiques autorisées. Ils n’osent invoquer l’exemple de la Grèce. Un bon plan d’austérité, imposant des réductions des salaires, des retraites, des prestations sociales, de la santé, de l’éducation, de disparition du code du travail : voilà ce qu’il faut à la France, selon eux, pour expier les folies passées et se remettre dans le droit chemin.

Même si elle ne le dit pas à haute voix, la Commission européenne partage l’analyse. Déjà, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a estimé que si l’Italie retombait en récession pour la troisième fois depuis la crise financière, elle n’avait qu’à s’en prendre à elle-même. Tout cela arriverait car elle n’a pas mené « les réformes structurelles » attendues. Il brûlait sans doute de l’envie d’ajouter la France dans ce constat. Le président du conseil italien, Matteo Renzi, lui a répliqué en retour que s’il avait fait son travail de banquier central comme il convenait, et maintenu l’inflation à 2 %, comme il est prévu dans son mandat, la tâche de l’Italie et de toute l’Europe aurait été beaucoup plus facile.

Alors que la zone euro dans son ensemble est emportée dans une spirale déflationniste, les représentants européens continuent pourtant de vanter la réussite de leur politique. Même si tous les faits leur donnent tort, ils préfèrent distordre la réalité pour défendre la ligne orthodoxe qu’ils imposent depuis sept ans. Pendant des mois, ils n’ont ainsi cessé d’annoncer le retour de la croissance en Europe, en dépit des chiffres qui actaient un ralentissement chaque mois plus prononcé. Le verdict est tombé la semaine dernière : l’ensemble de la zone euro est plombé par la stagnation. L’ économie allemande, le modèle de toute l’Europe, ne fait pas mieux que l’Italie : elle affiche une chute de 0,2 % au deuxième trimestre. Pour le troisième trimestre, l’explication à un nouveau recul prévisible de la zone euro est déjà toute prête : les risques géopolitiques, la guerre en Ukraine, les tensions avec la Russie seront les excuses avancées.

Reconnaître que l’Europe fait fausse route depuis si longtemps paraît impossible. À défaut, la Commission européenne chante les louanges de l’Espagne. Preuve, selon les commissaires, que l’austérité a été bénéfique, le pays se redresse : l’économie a progressé de 0,6 % au deuxième trimestre. Mais que signifie une telle croissance, alors que plus de 10 % du PIB a été effacé en trois ans de politique d’austérité ? Comment expliquer les bienfaits d’une chute de 25 % des salaires et des retraites sur l’emploi, quand le chômage atteint 25 % de la population ? Peut-on parler de réussite quand 53 % des jeunes sont sans emploi et condamnés pour certains à l’exil, quand l’économie souterraine représente, selon les estimations, déjà plus de 20 % de l’activité du pays, avec tout ce que cela peut supposer d’éclatement social, de violence, de trafic, d’absence de loi sauf celle du plus fort ?

Est-ce cela le modèle européen promis : un chômage structurel de masse accompagnant une économie mafieuse ? Il est vrai que la Commission européenne semble se faire une raison. Pour avoir une meilleure vision de l’activité économique, elle préconise désormais d’inclure dans les calculs du PIB les revenus de la drogue et de la prostitution. L’Italie, la Belgique et l’Angleterre ont déjà annoncé qu’elles allaient se rallier à ces nouveaux modes de calcul à partir de 2015.

« Personne ne devrait s’étonner que l’économie de la zone euro soit une fois de plus en train de replonger. C’est un résultat totalement prévisible de politiques erronées que les dirigeants européens s’obstinent à poursuivre, en dépit de toutes les preuves qu’il s’agit de mauvais remèdes », écrit le New York Times dans un éditorial au vitriol.

Janvier 2014: François Hollande annonce le «pacte de responsabilité».Janvier 2014: François Hollande annonce le «pacte de responsabilité». © Reuters

Les États-Unis s’inquiètent vivement de l’effondrement de l’Europe. Ils ne cessent d’insister sur la nécessité d'un changement de cap de la politique européenne. Le monde financier vient à la rescousse, demandant à cor et à cri une politique non conventionnelle de la Banque centrale européenne, c’est-à-dire qu’elle déverse des milliards sur les marchés comme le fait la Réserve fédérale. Certains frondeurs du PS soutiennent la même ligne.

L’ennui est que cette politique ne fonctionne pas plus que celle de l’Europe. Un silence épais a entouré les derniers résultats du Japon, qui justement a mis en œuvre cette stratégie d’argent facile. Malgré les milliards de yens déversés par la Banque centrale du Japon, l’économie japonaise affiche une contraction de 6,8 % au deuxième trimestre. L’excuse présentée pour justifier cet échec a été la hausse des impôts qui aurait tué la consommation. L’expérience des Abenomics, aboutissant à un endettement spectaculaire (220 % du PIB) sans parvenir à sortir le Japon de deux décennies de déflation, paraît cependant tirer à sa fin. Un surplus de dettes ne peut parvenir à soigner une économie qui justement croule déjà sous la dette et les excès de la création monétaire.

Même la reprise aux États-Unis, tant vantée, mérite d’être nuancée. La baisse du chômage, revenue à 6,8 % de la population active contre plus de 10 % pendant la crise, est en partie biaisée. Les Américains qui retrouvent des emplois retrouvent souvent des emplois à temps partiel, mal rémunérés. Plus de 7,5 millions de salariés voudraient travailler à temps plein. Plus grave, alors que la population américaine augmente de plus de 2 millions de personnes chaque année, la population active ne cesse de diminuer, passant de 65 % à 62 % de la population totale. Explication : de plus en plus de personnes ont renoncé à trouver tout travail et sont sorties des statistiques, ne vivant plus que de débrouille et de maigres allocations sociales.

Les grands bénéficiaires des libéralités de la Réserve fédérale ont été les financiers. Ce sont eux qui ont capté les 4 000 milliards de dollars déversés depuis le début de la crise au détriment de l’économie réelle. Jamais les marchés boursiers n’ont été aussi hauts, alors que les moteurs de l’économie mondiale sont cassés. Jamais les riches n’ont été aussi riches, comme l’ont montré les études d'Oxfam ou même de Forbes. Jamais les inégalités n’ont été aussi grandes entre le monde du capital et celui du travail.

On comprend l’engouement de ces mêmes financiers pour perpétuer le système et l’étendre à l’Europe. Après avoir capté le monde économique et politique, ils ont réussi la capture suprême, si l’on peut dire : celle des banques centrales. La Réserve fédérale comme la banque d’Angleterre par exemple n’osent plus prendre la moindre initiative, ni mettre un terme à cette politique d’argent facile, par peur de déclencher un krach sans précédent.

Sept ans après le début de la crise, les deux voies empruntées pour la résoudre – celle de l’austérité à tout crin comme celle de la facilité monétaire sans retenue – aboutissent à une même impasse. Même si les échecs ne sont pas reconnus.

Alors que l’économie mondiale s’engage dans des territoires inconnus, il est temps de laisser place à l’imagination. Les responsables politiques et économiques ne peuvent plus continuer à nous parler de la crise, comme si cela était un accident passager. Cette transformation économique et sociale niée dure depuis quarante ans. Des dizaines de millions de personnes nées depuis 1974 ont eu le chômage comme décor perpétuel.

Les bricolages envisagés par le gouvernement – une prime pour l’emploi par-ci, une baisse des impôts pour les 10 % des ménages les plus pauvres par-là – ne peuvent constituer une réponse satisfaisante face aux inégalités croissantes, à un chômage qui touche plus de cinq millions de personnes en France, et à une pauvreté subie par plus de huit millions de personnes. Même les exhortations adressées à l’Allemagne pour changer de politique ne peuvent suffire. Le voudrait-elle qu’elle ne serait pas en mesure de sortir la zone euro de la spirale déflationniste : le moteur allemand n’est pas assez puissant.

Il n’y a pas de réponse simple et facile, tant les défis sont élevés et nombreux. Ils sont sociétaux, écologiques, technologiques, économiques. Pour les affronter, il n’est plus possible de se remettre à une politique de pilotage automatique, à des recettes toutes faites, à des chiffres magiques et sans signification imposés comme références indiscutables. Il faut ouvrir le débat, se reposer toutes les questions, lever les tabous. Quand un pays semble condamné à la déflation et au chômage de masse, il ne peut se payer le luxe de s’interdire de retourner les pierres. 

Depuis le début de la crise, des groupes de réflexion, des organisations, des économistes ont posé des problèmes, indiqué des solutions, qui sur la dette, qui sur la monnaie, qui sur la construction européenne, qui sur les paradis fiscaux, qui sur les inégalités, qui sur le modèle de société. À chaque fois, les forces économiques installées, qui ont pris en capture le monde politique, ont fait en sorte d’enterrer les propos, afin que rien en change, surtout. Le monde politique a posé des interdits partout. Pas question de sortir du cadre prédéterminé, de parler de fiscalité, de reprise de contrôle du monde financier, de régulation, des traités européens, de monnaie, de redistribution ou de lutte contre les inégalités. Ces questions sont pourtant celles qui minent nos sociétés.

Maintenant que l’échec devient patent, il va bien falloir reparler des questions qui fâchent, et essayer de sortir de ce corset intellectuel afin de se donner des marges de manœuvre. C’est le gouvernement qui devrait s’en emparer plutôt que d’essayer à toute force d’enterrer le débat. Pense-t-il vraiment qu’en se conformant scrupuleusement aux préceptes énoncés, il va éviter le pire ? Le pire viendra assurément, d’une façon ou d’une autre, si les forces politiques, préférant l’inertie et le défaitisme, le chacun pour soi plutôt que le collectif, se refusent à engager le débat avec la société, jugent inutile d’essayer au moins de tracer un chemin pour l’avenir. En un mot, renoncent à faire de la politique.

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Juppé candidat: un problème de plus pour Sarkozy

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C’est donc ce 20 août, dans la langueur de la pré-rentrée politique, que Juppé a frappé les trois coups, dont un uppercut au menton de son ami Sarkozy. Traditionnellement, cette semaine est celle des plans sur la comète. On égrène les questions dont les réponses surviendront en septembre. Côté pouvoir, cette année, on se demande par exemple comment le gouvernement réagira aux mauvais résultats économiques, et comment se comportera le PS, notamment à La Rochelle. À l’occasion du conseil des ministres de rentrée, François Hollande a essayé d’apporter ses réponses dans un entretien au journal Le Monde.

À droite, la question paraissait moins compliquée. Elle se résumait à un mystère cousu de fil blanc. Nicolas Sarkozy, qui n’est jamais parti, allait-il revenir autrement qu’en vendeur de cartes postales ? Serait-il candidat à la présidence de l’UMP, afin de s’emparer du parti comme en 2004, et se propulser à la présidence de la République comme en 2007 ?

La fausse question se pose toujours, mais la sortie d’Alain Juppé en réduit la portée. Le maire de Bordeaux annonce sur son blog, mercredi 20 août, son intention d'être candidat à la primaire que prévoit d'organiser l'UMP pour désigner son candidat à l'élection présidentielle de 2017. « J’ai décidé d’être candidat, le moment venu, aux primaires de l’avenir. Il reste moins de deux ans pour les organiser (car le bon sens voudrait qu’elles aient lieu au printemps 2016) », précise l'ancien premier ministre de Jacques Chirac.

Sarkozy pourra toujours se présenter à la présidence de l’UMP, et être élu par son noyau militant, cette victoire ne peut plus faire office de passeport pour l’Élysée. Outre les multiples affaires judiciaires qui pourraient l’en empêcher, le potentiel futur président de l’UMP n’échappera pas à la confrontation qu’il redoutait, et qu’il s’emploie à écarter depuis sa défaite de 2012 : confrontation avec plusieurs adversaires internes, Juppé, Fillon, Bertrand, Mariton, etc., confrontation avec un dispositif dont il ne voulait pas (les primaires), et, à l’occasion de ces primaires, confrontation avec lui-même, c’est-à-dire avec son bilan...    

La candidature d’Alain Juppé est un fusil à plusieurs coups.

Premier effet : en prenant tout le monde de vitesse, le maire de Bordeaux désamorce la « bombe » politique qu’était censé représenter le « retour » de Sarkozy. Il lui brûle la politesse. L’événement, c’est lui, pas l’autre.

Deuxième effet : en mettant le cap sur 2017, et pas sur 2014, et en se portant candidat « aux primaires de l’avenir », Alain Juppé réduit la portée du congrès de cet automne. Il transforme le futur président de l’UMP en gestionnaire chargé d’organiser techniquement le seul grand rendez-vous qui vaille sur le plan politique, à savoir la primaire.

Troisième effet : si Nicolas Sarkozy devait décider, comme c’est probable, de revenir à la tête de l’UMP, ce n’est pas de gaieté de cœur mais parce qu’il y a été contraint. En prenant les rênes du parti, son espoir était de le verrouiller. De le piloter vis-à-vis de la justice avant que l’affaire Bygmalion ne l’emporte. Et de le contrôler politiquement, en plaçant une nouvelle équipe aux postes stratégiques, puis en se faisant désigner pour 2017, sans en passer par la primaire.

Tout porte à croire que cette stratégie est enfoncée à deux niveaux. Les juges enquêtent et enquêteront, donc l’affaire Bygmalion sera difficile à étouffer. Et depuis ce mercredi 20 août, la candidature Juppé impose officiellement la tenue d’une primaire ouverte.

D’où le quatrième effet, le plus redoutable de tous. La primaire sera forcément l’occasion d’un grand débat public. Même si les confrontations se passent correctement, on l’a vu avec les socialistes en 2011, elles provoqueront des échanges et des remises en cause. Le probable candidat Sarkozy sera l’objet d’attaques venues de ses rivaux. Il sera interrogé sur son bilan, et ce sera le retour du fameux droit d’inventaire, qui explosera à ciel ouvert. Roselyne Bachelot l’avait réclamé dès l’été 2012, et sa demande avait fait scandale. En 2016, si la primaire a bel et bien lieu, Sarkozy l’intouchable devra justifier ses zigzags à grand spectacle, qu’ils soient économiques, diplomatiques, sociétaux, ou personnels.

Plus grave encore. Si d’aventure le corps électoral de la primaire se mettait à différer du noyau des militants, en aimant moins Sarkozy dans les sondages, comme la tendance commence à se dessiner, et s’il se tournait en partie vers le maire de Bordeaux, alors un phénomène pourrait s’enclencher. Un scénario classique à l’UMP, au RPR, à l’UDR, ou même à l’UNR. Dans ces partis bonapartistes, la règle est de servir le chef, et de l’adorer. De Gaulle en a bénéficié, Chirac aussi, puis Sarkozy.

Le problème, dans cette tradition, c’est que le chef n’est aimé que s’il gagne, ou s’il promet la victoire. Que son étoile pâlisse et on change de messie. De Gaulle était adulé, mais la base a suivi Pompidou après Mai 68. Chirac était adoré par les militants gaullistes même s’il enterrait de Gaulle, et plus tard ces mêmes adorateurs ont acclamé Sarkozy quand il a « déchiraquisé ». Ils se fichaient en chœur du « roi fainéant », ils l’avaient remplacé. Sic transit gloria mundi. Que Sarkozy donne un signe de faiblesse pendant la primaire, que ses chances de retour paraissent moins absolues, et les militants chercheront un nouveau chef à aimer, pourvu qu’il batte « la gauche »...    

La déclaration de candidature d’Alain Juppé dérange donc bel et bien l’ex-président, dont les amis se taisaient mercredi matin, sonnés par la nouvelle. Mais suffit-elle à le poser en candidat crédible à la présidence de la République ? La réponse est nuancée. Si le maire de Bordeaux a décidé de devancer la rentrée, c’est qu’il a des handicaps.

Le premier est naturellement son âge. En mai 2017, il aura 71 ans et 9 mois, et deviendrait, en cas d’élection, le président le plus âgé pour un premier mandat. Au-delà des postures de forme, qui l’amèneront à vanter son expérience et son énergie présentée comme intacte, Juppé espère en fait que ce handicap se transforme en atout.

D’ailleurs, son entourage distille déjà une petite musique. Le « sage de Bordeaux » serait convaincu que les Français, traumatisés par « un quinquennat agité», celui de Nicolas Sarkozy, puis par « un quinquennat égaré », celui de François Hollande, auront envie de confier leur sort à un homme d’expérience et de mesure, d’autant que des tentations extrémistes se répandent dans le pays. Dans ce contexte, toujours selon les proches de l’intéressé, un vieux sage ne serait pas seulement accepté, il serait espéré. La France, même celle du centre-gauche, serait prête à se tourner vers un modérateur.

Peut-être. Reste que le sage Alain Juppé, qui recommande le dialogue dans son message de candidature, a bloqué la France et fait descendre dans la rue des millions de Français en 1995. Reste que cet homme de nuances a brandi à la télévision une pièce de un franc pour décider que l’entreprise Thomson ne valait pas davantage, et qu’il fallait la brader, or elle est devenue par la suite un fleuron de l'industrie française. Reste que ce candidat posé et vertueux, qui considère que son principal rival sera stoppé par la justice, a lui-même été lourdement condamné, même si c’était au nom d’un autre, un certain Jacques Chirac, son patron.

Chirac et « le meilleur d’entre nous »: le souvenir est têtu et l’accélération de la candidature Juppé trouve peut-être son origine dans cette pérennité. Le plus grand handicap du maire de Bordeaux, c’est de passer pour un second. Un « couilles molles », disent les sarkozystes, un « mort de l’intérieur », selon Jérôme Lavrilleux. Bref un homme expérimenté, honorable, mais qui ne serait pas un chef et n’aurait pas envie d’affronter les ennuis.

En se portant candidat, en le déclarant au monde et à la face de Sarkozy, donc en s’interdisant de faire machine arrière, Alain Juppé a d’abord voulu dire qu’il était décidé. Qu’il était venu, qu’il avait vu, et qu’il vaincrait. Le Césarion de la politique française aurait ainsi franchi son Rubicon, et cette vivacité au service d’un esprit de conquête, après trente-huit ans de vie politique, est à coup sûr la nouveauté du jour. Ou la dernière cartouche. 

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Hollande fait sa rentrée, sans changement

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Aller vite, « accélérer », encore. Les mots choisis par François Hollande dans la longue interview qu’il a accordée ce mercredi au Monde pour donner le ton de la rentrée politique paraissent bien galvaudés (l'entretien complet est à lire ici). Depuis son élection en mai 2012, il n’a cessé de les employer pour afficher l’inflexibilité de sa volonté en matière de réformes. Quand bien même le chômage gonflerait chaque mois, que la croissance française n’aurait pas bougé d’un iota aux deux premiers trimestres et que le paysage économique européen serait sinistré (lire notre analyse sur le risque déflationniste).

En réalité, à défaut de convaincre sur la possibilité de faire vite en matière économique, le président a décidé d’appliquer à lui-même cette méthode incantatoire. En présentant dès mercredi matin son programme de rentrée sur le site du quotidien, il a tenté de couper l’herbe sous le pied des critiques qui enflent chaque jour un peu plus, dans sa majorité au premier chef.

Neuf jours avant l'université d'été du PS à La Rochelle, il lance un appel à l’unité dans son propre parti. Alors qu’Arnaud Montebourg recevra son collègue Benoît Hamon dimanche lors de sa traditionnelle Fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, il oppose une fin de non-recevoir aux revendications du flanc gauche des socialistes, et par extension, aux revendications des radicaux de gauche et surtout des Verts (Le Nouvel Observateur publie le même jour les bonnes feuilles d’un livre de l’ex-ministre écologiste Cécile Duflot, où elle critique fortement le chef de l’État). Mais puisqu’il a déjà joué sa carte maîtresse en faisant voter le pacte de responsabilité, qui ne devrait pas redresser la situation économique du pays, Hollande est contraint de multiplier les annonces. Ou les effets d’annonce.

 

  • Le cap ne bouge pas

Mis à part quelques phrases sur la Syrie et l’Irak – il a confirmé pour la première fois que la France avait livré des armes aux rebelles syriens et souhaité l’organisation d’une « conférence sur la sécurité en Irak et la lutte contre l'État islamique » –, François Hollande a concentré l’essentiel de son message sur l’état politico-économique de la France. Avec un seul objectif affiché : maintenir le « cap ». Le président n’entend pas modifier sa politique. « J’ai fixé un cap, c’est celui du pacte de responsabilité. L’objectif est clair : moderniser notre économie en améliorant la compétitivité et en soutenant l’investissement comme l’emploi. Aujourd’hui, ce n’est pas parce que la conjoncture est plus difficile (…) que nous devons y renoncer », tranche-t-il.

La recette présidentielle pour faire face aux difficultés économiques ? « Nous devons aller plus vite et plus loin », et « accélérer les réformes ». Un message que Hollande répète depuis qu’il est élu, rappelait malicieusement un montage vidéo du Huffington Post il y a un mois, et que les médias s’empressent de relayer, note Arrêt sur images.

 

  • Plus de pouvoir d’achat ?

Le 6 août, le Conseil constitutionnel a mis un sacré bâton dans les roues de l’exécutif, en censurant la seule mesure pensée comme une aide aux particuliers dans le pacte de responsabilité : la réduction des cotisations salariales pour les bas salaires. Il s'agissait de réduire le montant des cotisations sociales des salariés au Smic de 520 euros par an (avec une réduction dégressive pour les salaires allant jusqu'à 1,3 Smic). En 2015, la mesure aurait dû toucher plus de 5 millions de salariés et 2 millions de fonctionnaires, pour un allègement fiscal total de 2,5 milliards d'euros. Après cette censure, le gouvernement s'était engagé à remplacer la mesure par un dispositif « de même ampleur pour parvenir au même but ».

François Hollande a annoncé deux réformes censées remplir ce rôle, qui seront mises en œuvre dès la prochaine loi de finances. Première mesure : « rendre plus juste et plus simple le barème de l'impôt sur le revenu notamment pour les premières tranches, c'est-à-dire pour les contribuables modestes et moyens ». Sous quelle forme, et dans quelle proportion ? Interrogé sur ce point à la sortie du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a éludé, en affirmant : « C'est maintenant au premier ministre d'annoncer clairement le périmètre et le niveau. »

L'autre réforme est d’une tout autre complexité, puisqu’elle « fusionnera la prime pour l'emploi et le RSA activité », pour « favoriser la reprise du travail et améliorer la rémunération des salariés précaires ». L'explication détaillée des enjeux de cette réforme est à lire ici. La prime pour l’emploi (PPE), instaurée en 2001 sous Lionel Jospin, est un crédit d'impôt qui vise les salariés à bas salaires. Son montant moyen est de 434 euros par an, mais le nombre de bénéficiaires baisse chaque année (6,3 millions de foyers fiscaux bénéficiaires en 2012, contre 12 millions en 2008) car son barème est gelé depuis 2009. Son efficacité est contestée, notamment parce qu’elle conduit à un « saupoudrage » important des aides versées et parce qu’elle est touchée par les particuliers avec un an de décalage par rapport à leur salaire.

La PPE devrait donc disparaître, et être fusionnée avec le RSA-activité, qui bénéficie lui aussi aux Français modestes, mais seulement à 700 000 d’entre eux, pour un total de 1,5 milliard d'euros. « Dans cette fusion », l'objectif est de « faire en sorte que dans ce dispositif aujourd'hui décalé, pas clair, on mette de la clarté, de la simplification et on y ajoute de la justice », a déclaré Stéphane Le Foll, qui a assuré que des « clarifications seront apportées dans les jours qui viennent ».

Et il y a de quoi apporter des précisions, tant le dispositif du RSA est décrié. Par exemple, moins d’un tiers des Français ayant droit au RSA-activité le demandent… La fusion PPE-RSA était proposée dès juillet 2013 dans un rapport signé par le député socialiste Christophe Sirugue. Et pourtant, jusqu’à ces tout derniers jours, même la garde rapprochée du président ne semblait pas croire à cette option : dans un article publié mardi dans Le Monde, le ministre des finances Michel Sapin confiait que cette piste n’était « pas forcément celle qui a le plus de chances de prospérer ».

Les opposants de Hollande au sein de la majorité sont loin d’être plus emballés. « Je pense que ça reste un dispositif peu lisible et précaire », indique ainsi l’un des leaders de l’aile gauche, le député européen Emmanuel Maurel. Pour ce « frondeur », l’idéologie selon laquelle « la collectivité publique rémunère le travail peu qualifié à la place de l’employeur » n’est pas adaptée. Sans compter qu’une telle fusion risque de faire de nombreux perdants, qui toucheront moins d’argent, ou qui seront exclus du dispositif. C’est ce que ne s’est pas privé de rappeler l’ancien ministre du budget UMP Éric Woerth, qui se félicite sur twitter de cette « bonne mesure ».

« Sur la fiscalité, le mieux c’est d’aller progressivement vers une fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu. C’était un des grands engagements de Hollande, mettre un grand impôt progressif », rappelle Maurel. La sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann partage cette position, pas franchement convaincue par les annonces du chef de l’État : « D’une certaine façon c’est “circulez il n’y a rien à voir” et plus il le répète, plus il sera seul. Il n’a même pas consulté les chefs de groupe des différents partis qui lui ont permis d’être élu (Verts, PC, PS). »

La CFDT « approuve que soit mis fin à la superposition de plusieurs dispositifs générateurs d'effets de seuil incompréhensibles pour les salariés, de difficultés d'accès et facteurs d'injustice », mais estime dans un communiqué qu'on « ne peut en rester là ». Le syndicat rappelle que « les aménagements des barèmes sur l’impôt sur le revenu (...) ne peuvent masquer l’absence de réforme fiscale globale ».

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, a quant à lui déclaré à l'AFP craindre qu'on « entre encore dans un système d'usine à gaz ». « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » s'est-il interrogé, regrettant que la proposition de FO d'un coup de pouce au Smic, « qui aurait été beaucoup plus simple », n'ait pas été retenue par l'exécutif.

  • Libéralisations annoncées

Le président annonce que le ministre de l’économie Arnaud Montebourg présentera en septembre « un projet de loi sur le pouvoir d'achat ». Lequel s’attaquera en réalité à divers aspects du droit du travail et du commerce, comme avait commencé à le faire entendre le ministre lors de son grand show de juillet à Bercy. Sous la bannière de la lutte « contre le maintien de certaines rentes et privilèges », Montebourg est chargé de « faire baisser les tarifs » de certaines « professions réglementées », terme fourre-tout qui regroupe huissiers, kinésithérapeute, notaires, architectes, auto-écoles ou plombiers. Cette annonce est dans la droite ligne des préconisations du rapport de l’Inspection générale des finances dont Mediapart a révélé l’intégralité, et de la stratégie d’Arnaud Montebourg ces dernières semaines.

Ce n’est pas tout, puisque le texte de loi devrait aussi comporter « des mesures de simplification des normes d'urbanisme » et, éternel serpent de mer dont Hollande semble décidé à se débarrasser, des mesures pour adapter « la réglementation sur l'ouverture des magasins le dimanche ». Le logement est aussi dans le viseur : dans ce domaine, « j'ai demandé au premier ministre de présenter un plan de relance », annonce le président, précisant qu’« il touchera à la fiscalité, aux procédures et aux financements ».

  • Fermeté face aux frondeurs

Outre ces quelques annonces, dont on voit mal comment elles pourraient inverser la tendance économique du pays, François Hollande s’exprime surtout en direction de sa majorité, se démenant pour éviter la désagrégation en cours. « Le respect entre le gouvernement et sa majorité doit être mutuel », affirme-t-il. « Il n'y a pas d'échappatoire. Le jugement en 2017 sera à la fois porté sur le président, le gouvernement et la majorité. C'est ensemble que nous réussirons. » « Les choix ne peuvent être rediscutés à chaque fois qu'un indice trimestriel est connu. La constance, c'est la confiance », déclare-t-il encore.

Interrogé sur son message aux socialistes à une semaine de l'université d'été du PS, celui qui en fut onze ans le premier secrétaire le met en garde contre la division. « Qu'ils restent unis. C'est la condition première pour convaincre », martèle-t-il. Et en réponse à ceux qui mettent ouvertement en doute ses choix, il ferme la porte à tout changement de perspective. « Toute godille ou tout zigzag rendrait incompréhensible notre politique et ne produirait pas de résultats », balaie-t-il, sur le même ton que son premier ministre dans le JDD trois jours plus tôt.

Seule concession accordée aux sceptiques de sa famille, le chef de l'État a légèrement mis de l’eau dans son vin sur l’objectif des 3 % de déficit budgétaire, en indiquant que « le rythme de la consolidation budgétaire en Europe doit être adapté à la situation exceptionnelle que nous traversons ». Il a aussi reconnu qu’une partie des difficultés économiques européennes, et notamment la faiblesse de la demande, est le fruit de « la poursuite de politiques d'austérité en Europe ». Une analyse partagée depuis des années par de nombreux économistes, le prix Nobel Joseph Stiglitz le rappelant encore en juin sur Mediapart.

Pour autant, les « frondeurs » n’auront pas droit à plus de considération. Hollande considère que le problème de l’offre est tout aussi prégnant en France, et se félicite que la France n'ait jamais emprunté à des taux aussi faibles sur les marchés financiers. « N'en déplaise aux grincheux, c'est la preuve du sérieux de notre politique. C'est aussi ça, la crédibilité. » Fermez le ban.

Une position qui fait enrager les socialistes les plus critiques. « Je ne vois aucun changement dans sa stratégie, déplore Marie-Noëlle Lienemann. Il dit qu’il n’y aura pas d’évolution dans sa politique européenne, alors qu’il fait mine de découvrir que l’Europe n’a pas de croissance. Par ailleurs, il ne peut pas dire que la politique européenne est mauvaise alors qu’il applique la même en France. » « On nous dit qu'il faut être solidaire de l’exécutif, mais j’aimerais bien que l’exécutif prenne aussi le temps de nous écouter », grince pour sa part Emmanuel Maurel.

Certes, Maurel et Lienemann jouent ici leur partition classique. Mais ils sont rejoints par d’autres figures moins attendues, comme le député Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin. « Mon désaccord est profond, il porte sur l’inadéquation des politiques actuelles avec la réalité, explique-t-il dans une interview à Mediapart. Je ne fais pas partie de la gauche du parti, mais l’économiste que je suis est réellement effaré, non seulement par la politique, mais par le discours qui est tenu, qui d’un point de vue économique est faux. »

  • Des seuils sociaux bien polémiques

Tout à sa volonté affichée d’unir les socialistes, le président a tout de même maintenu un objectif dont le premier secrétaire du PS s’est publiquement démarqué à plusieurs reprises. Comme il l’avait annoncé le 14 juillet, Hollande a indiqué sa volonté de lever « des verrous » et de « réduire les effets de seuil » dans la représentation des salariés dans les entreprises. Ce sont les seuils sociaux qui fixent des obligations légales, comme la création d’un comité d'entreprise à partir de 50 salariés. Le Medef souhaite supprimer ces seuils, mais les syndicats et une partie de la gauche sont vent debout pour les maintenir.

Des négociations entre partenaires sociaux doivent s'ouvrir à la rentrée. Si rien n’aboutit, le gouvernement passera par la loi. Pourtant, mardi 19 août, veille de l’interview de Hollande, le dirigeant du PS Jean-Christophe Cambadélis avait jugé dans Libération que « la remise en cause des seuils sociaux n'est ni urgente ni pertinente ». Il avait déjà donné son avis le 5 juin sur RTL, rappelant que le bureau national du PS ne soutenait pas « cette expérience ».

  • Peu de moyens face au patronat

À une semaine de l'université d'été du Medef, le chef de l'État expose aussi sa fermeté face aux chefs d’entreprise. Il rappelle que « le pacte [de responsabilité], c'est un contrat dans lequel chacun doit respecter ses engagements » et que « le gouvernement a tenu les siens » en dégageant 40 milliards d'euros sur trois ans pour améliorer la compétitivité des entreprises. Il attend donc que le patronat emploie « pleinement les moyens du CICE pour investir et embaucher, et non distribuer des dividendes ». Mais le gouvernement n’a en réalité aucune prise sur le patronat, qui ne s’est aucunement engagé à créer des emplois. Sur son blog, le dirigeant du Medef Pierre Gattaz ne se prive d’ailleurs pas d'affirmer que, si « le Pacte est la bonne solution », « les 40 milliards de baisse de charges promises sont encore virtuelles puisqu’elles n’interviendront de façon échelonnée qu’entre maintenant et 2017 » et « qu’il faut aller au-delà ».

Cette position a de grandes chances d’être partagée par les banques. Pour les encourager à soutenir l’économie, François Hollande annonce que « des assises se tiendront en septembre avec l'ensemble des établissements financiers pour les inciter davantage à prêter aux PME, pour mieux orienter l'épargne vers l'économie productive ». Sans aucune garantie que les établissement financiers lui tendent une oreille compréhensive.

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Fusionner le RSA et la prime pour l'emploi, explications

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Comment mieux soutenir les travailleurs pauvres ? François Hollande et Manuel Valls ont dû revoir leurs plans après la censure du Conseil constitutionnel. Le président de la République a donc annoncé mercredi, entre autres, la fusion du RSA (revenu de solidarité active) et de la PPE (prime pour l’emploi).

L’idée n’est pas nouvelle – c’est le moins que l’on puisse dire – puisqu’elle apparaît dès l’origine dans le projet du concepteur du RSA, Martin Hirsch, en 2005. Mais la fusion, jugée trop risquée politiquement, avait été abandonnée au moment de la mise en place du dispositif en 2008-2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Dans ces conditions, comment François Hollande compte-t-il s’en sortir ? Pourquoi prend-il cette décision maintenant ? Quels seront les gagnants et les perdants ?

Au vu de l’explosion du nombre de travailleurs pauvres en France (7,5 % des travailleurs aujourd’hui), le RSA avait été pensé comme un complément de revenus versé par l’État. Le dispositif devait également inciter les chômeurs à retrouver du travail. Ainsi, quand un chômeur reprend une activité même à très faible revenu, pour 1 euro de gagné, les allocations diminuent de 0,38 euro, permettant ainsi une progression globale du revenu de 0,62 euro.

Seulement, 68 % des travailleurs qui pourraient bénéficier de ce coup de pouce non négligeable (176 euros en moyenne par mois) ne le demandent pas ; bien loin de l’image de la France assistée véhiculée par Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale.

Le dispositif RSA est ouvert aux personnes âgées de 25 ans et plus. Un RSA jeunes a bien été créé en septembre 2010. Mais les conditions sont si restrictives qu’il ne bénéficie aujourd’hui qu’à 9 000 adultes âgés de 18 à 25 ans.

En tout, moins d’un million de personnes touchent le RSA-Activité (qu’il ne faut pas confondre avec le RSA socle, équivalent de l’ancien RMI, alloué à ceux qui n’ont aucun revenu). En 2010, il avait été calculé que le RSA activité avait permis une baisse modeste de 0,2 point du taux de bas revenus en 2010. Alors qu’en cas de recours intégral à la prestation, le nombre de travailleurs pauvres aurait diminué d’environ 150 000.

La PPE, elle, existe depuis 2001. 6,3 millions de personnes en bénéficient. Elle permet soit de payer moins d’impôts, soit, pour ceux qui n’en paient pas, de toucher un crédit d'impôt, c'est-à-dire une somme d'argent, une fois par an. Le montant annuel moyen versé au titre de la PPE était de 434 euros en 2012.

Il a été reproché à la PPE de « saupoudrer » la dépense publique au détriment de son efficacité. Selon la Cour des comptes, la PPE ne contribuait qu’à hauteur de 3,3 % à la réduction des inégalités de vie en 2008 et, en 2007, seuls 6 % des bénéficiaires sortaient de la pauvreté grâce à son effet.

Les deux dispositifs ont des objectifs proches, qui visent à soutenir ceux qui gagnent moins que 1,3 fois le Smic. Mais ils se complètent mal, se chevauchent, rendant l’ensemble indigeste et opaque. Ils n’ont pas la même temporalité (annuelle contre mensuelle). Ils ne relèvent pas de la même administration (administration fiscale contre CAF). N’ont ni la même assiette, ni la même logique.

Christophe Sirugue, lors de la remise de son rapport sur la prime d'activité à Jean-Marc Ayrault, en juillet 2013Christophe Sirugue, lors de la remise de son rapport sur la prime d'activité à Jean-Marc Ayrault, en juillet 2013 © Reuters

Par conséquent, dans les ministères concernés par la réforme, on confirme que l’Élysée partage le constat d’échec dressé sur ces deux dispositifs par le député Christophe Sirugue dans un rapport rendu en juillet 2013 au premier ministre. Interrogé ce mercredi, celui-ci confirme avoir été en contact avec l’Élysée mais sans savoir précisément ce qui sera retenu de sa proposition dans le projet de loi à venir. « Est-ce que tout sera calé sur mes propositions ou est-ce que le projet ne fera que s’en inspirer ? Je n’en sais rien. » Le député rappelle en tout cas que ses préconisations, élaborées avec un large groupe de travail, peuvent être mise en œuvre en six mois.

Martin Hirsch, père du RSA.Martin Hirsch, père du RSA. © Reuters

Martin Hirsch, de son côté, pense également « du bien » de l’annonce. « Le fait de ne pas intégrer la PPE dans le RSA explique les difficultés qu’on a aujourd’hui avec l’un et avec l’autre. Si on en finit avec cette concurrence, ce sera plus simple et l’accès sera meilleur », explique-t-il. En 2009, il avait été estimé que 6 millions de ménages risquaient de perdre la prime pour l’emploi. Pour une perte annuelle moyenne de 500 euros environ. D’où le renoncement.

Cette fois, le risque est moins important. D’abord parce que depuis 2008, la prime pour l’emploi a été gelée. Ce qui fait que mécaniquement, 500 000 foyers de moins la touchent chaque année.

Surtout, l’annonce ne vient pas seule. François Hollande a également fait valoir des changements concernant les barèmes de l’impôt sur le revenu. Ce qui devrait permettre de rattraper un certain nombre de ménages qui perdront la PPE.

Quel pourrait être le nouveau dispositif ? L’idée de Christophe Sirugue est de créer une prime d’activité. Fini le RSA-activité, qui avait un effet repoussoir. « L’amalgame avec le RSA-socle suscitait une stigmatisation frappante », explique le député. Cette fois, les 18-25 ans qui travaillent (hormis les jobs d’été d’étudiants et les apprentis) auraient accès à la prime d’activité. Écarté le distinguo incompréhensible qui faisait que pour la même activité et le même salaire, un jeune de 26 ans touchait plus d’argent que son copain de 24 ans.

Ce serait la CAF, et non l’administration fiscale, qui verserait un complément simplifié, mensualisé à la suite d’une déclaration trimestrielle.

Surtout, et c’est la mesure qui suscite le plus de débats aujourd’hui à l’Élysée, la prime serait individualisée. Autrement dit, on prendrait toujours en compte l’ensemble des revenus d’un ménage pour savoir si une personne est éligible à la prime d’activité. « Si un homme est un travailleur pauvre, mais que sa femme gagne plus de 5 000 euros par mois, on ne va pas la lui verser », fait valoir Christophe Sirugue.

La proposition synthétisée de prime pour l'emploi extraite du rapport SirugueLa proposition synthétisée de prime pour l'emploi extraite du rapport Sirugue

Mais une fois qu’il est éligible, seuls ses propres revenus de salarié sont pris en compte pour le calcul de la prime, qui pourrait être versée à tous ceux qui gagnent moins que 1,2 fois le Smic.

Auparavant, pour le calcul du RSA activité, l’ensemble des revenus du foyer était pris en compte, y compris les revenus des enfants vivant au foyer, rendant les calculs incertains, indigestes, et intrusifs. Martin Hirsch dit aujourd’hui ne pas savoir quelle est la meilleure solution. Christophe Sirugue, lui, en fait une condition incontournable : « Le familial, c’est un dispositif social. Alors que là, la prime est une mesure d’accompagnement du parcours professionnel, qui est un parcours individualisé. »

À l’évidence, la mesure devrait générer des perdants. « Et encore plus si on reste à budget constant », pronostique Évelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des politiques publiques de l’emploi. Des gens toucheront moins qu’avant. On supprime une source de complément de revenus. »

Qui ? Combien ? Dans les ministères concernés, les calculettes tournent à plein régime. Dans son étude, Christophe Sirugue avait identifié les familles monoparentales avec plusieurs enfants comme les grandes perdantes d’une telle réforme. Des mécanismes complémentaires avaient donc été envisagés (augmentation de l’allocation de rentrée scolaire pour ces familles, ou somme forfaitaire versée pour chaque enfant). Est-ce que ce sera le scénario retenu ? Ou serait-ce le début d’une nouvelle usine à gaz ?

Jusqu’à présent, le budget de la PPE était de 2,5 milliards par an. Et celui du RSA Activité de 1,5 milliard. Mais mécaniquement, plus le taux de recours est important, plus l’État doit débloquer d’argent. « Il aurait fallu proposer un système d’automaticité du versement, comme pour la PPE, où il n’y a qu’une case à cocher pour la toucher », explique Évelyne Serverin. Ce n’est toutefois pas le système qu’a retenu Christophe Sirugue, qui table d’ici trois ans sur un taux de recours passant de 32 % (pour le RSA-Activité) à 60%. Si François Hollande veut bien mettre en œuvre son idée.

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Pierre-Alain Muet (PS): «Je suis effaré par le discours tenu»

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Alors que François Hollande a profité de la fin de la pause estivale pour faire sa contre-offensive médiatique dans une interview au Monde dont nous détaillons les mesures, le député PS de la deuxième circonscription du Rhône, Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, s'insurge contre la politique de l'offre menée par le gouvernement « alors que le président de la République reconnaît que ce sont les politiques d'austérité qui ont enfoncé l'Europe dans la dépression ».

© DR

Dans un article paru dans le magazine L'Économie politique et que vous reprenez sur votre blog, vous parlez d'autisme du gouvernement, de déficit de la pensée macroéconomique. Vous êtes plutôt considéré comme faisant partie de la gauche modérée, d'où vient votre désaccord ?

Mon désaccord est vraiment profond, il porte sur l’inadéquation des politiques actuelles avec la réalité. Moi je ne fais pas partie de la gauche du parti, mais l’économiste que je suis est réellement effaré non seulement par la politique, mais par le discours qui est tenu, qui d’un point de vue économique est faux. On ne sort pas d’une dépression par une politique exclusive de l’offre. N’importe quel économiste ayant fait un peu de conjoncture vous le dira. 

Le discours du Bourget était la réponse pertinente à la crise, y compris dans sa composante européenne. Je n’ai pas de désaccord avec la politique pour laquelle nous avons été élus. C’est vrai qu’il manquait la compétitivité, ça faisait partie des oublis de ce programme. Mais je pense qu’avec le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) on a fait ce qu’il fallait et que l’on n’avait pas à aller au-delà avec les 40 milliards d’allègement de charge aux entreprises.

La récession européenne a été beaucoup plus forte que prévu, notamment avec les politiques d’austérité menées dans toute l'Europe. Le FMI l'a d'ailleurs reconnu quand il a parlé de « seconde récession » en Europe. Mais le problème de compétitivité en France existe depuis dix ans, ce n’est pas par des politiques de lutte pour la compétitivité que l'on sort de la dépression, il faut une reprise de la demande.

La force des années Jospin avait été d’avoir pris des mesures pertinentes au regard de la conjoncture. Là, ce n’est pas du tout le cas. Faire de la politique de l’offre l’alpha et l’oméga de la politique économique est une absurdité. Il fallait certes maintenir le pari d’inverser la courbe du chômage mais encore fallait-il s’en donner les moyens.

Vous avez rencontré le chef de l'État en juillet. Que lui avez-vous dit concernant les principales mesures d'allègements sur la fiscalité des entreprises ?

Je lui ai dit que je trouvais la politique actuelle aberrante d’un point de vue économique. Je lui ai dit qu’il fallait agir sur l’apprentissage, élargir les emplois d’avenir, en faire des emplois jeunes parce que ça a marché en 1997 et en 2006 quand le ministre de l’emploi de l’époque, Jean-Louis Borloo, a pris des mesures qui ont eu des effets sur l’emploi. Ce n’est pas en répétant tous les jours que les mesures d’offre nous sortiront de la récession que ça va fonctionner.

Les simulations de Bercy (voir le rapport de Valérie Rabault affirmant que 250 000 emplois seraient menacés et 190 000 postes créés) montrent bien que l’effet dépressif est plus important que l’effet positif avec les allègements du coût du travail. Ce déficit de la pensée macroéconomique existait sous la droite mais je suis effaré de voir que c’est aussi vrai sous la gauche. Ça laisse entendre qu’on se serait trompé de diagnostic, mais c'est faux. Le programme de Hollande était la réponse à la crise.

Ayant été longtemps conjoncturiste, je ne comprends pas cette politique économique. Le gouvernement devrait écouter les bons économistes comme Stiglitz, Krugmann ou même Piketty. 

Que pensez-vous de l'annonce faite par François Hollande concernant la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité ?

C'est une excellente annonce, il n’y avait même pas à attendre. J’ai suffisamment plaidé pour la progressivité de l’impôt sur le revenu et la CSG (contribution sociale généralisée). Bien sûr qu’il faudrait rééquilibrer les choses en redonnant du pouvoir d’achat aux ménages mais cela doit, selon moi, se faire en agissant sur le secteur non marchand. Et le gouvernement là-dessus ne va pas assez loin. Personnellement, ce qui m’a surpris, c’est le changement de pied de François Hollande dans son discours du 14 janvier sur le pacte de responsabilité.

François Hollande botte-t-il en touche lorsqu'il déplace la responsabilité de la récession actuelle sur les politiques de rigueur menées en Europe ? Pensez-vous vraiment que les Français peuvent avoir confiance en sa capacité de négociation en sachant qu'il a déjà échoué à se faire entendre sur le volet croissance dans le traité européen sur la stabilité (TSCG) ?

Il a raison lorsqu'il dit que l’essentiel de la reprise c’est l’Europe. S’est rajoutée une crise typiquement européenne quand les États-Unis faisaient le contraire de l’Europe et sortaient de la récession. À l’époque, personne n’avait conscience de la récession européenne. Il y a un vrai besoin de modifier les politiques européennes car il faut tout de même avoir conscience que la déflation européenne vient des coupes dans les salaires en Europe du Sud et que globalement ces politiques participent au fait que l’Europe ne sorte pas de la crise.

Le scénario auquel nous sommes confrontés ressemble aux années trente. Bien sûr qu’il y a une solution européenne. Roosevelt avait pris les mesures qui ont sorti l’économie américaine de la crise. Par son accent rooseveltien, le discours du Bourget était la réponse à la crise. Mais on ne peut pas dire qu'il faut changer la politique européenne et en même temps appliquer le corpus idéologique de l’Europe qui consiste à n’appliquer que des politiques de l’offre, de la compétitivité dont on sait que l’effet est de s’enfoncer encore plus dans la déflation. L’équivalent du consensus de Washington, le consensus de Bruxelles – qui est de faire uniquement des politiques de réduction massive des dépenses et du coût salarial – n’est pas la réponse pertinente. Il faut en sortir. Oui, il faut réorienter l’Europe mais il faut réorienter notre politique avec ce que l’on réclame à l’Europe.

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Crise économique: l'urgence du débat et de l'imagination

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Le débat a été clos avant même d’avoir été engagé. Alors que le gouvernement, sous le choc d’un scénario catastrophique pour la rentrée, doit se retrouver mercredi 20 août pour le conseil des ministres, le premier ministre exclut par avance toute remise en cause de la ligne gouvernementale. « La politique que le président de la République a décidé de mettre en œuvre nécessite du temps pour produire des résultats. Mais il est hors de question d'en changer. Le pacte de responsabilité et ses 40 milliards de baisse de coût du travail vont véritablement entrer en œuvre maintenant », a prévenu Manuel Valls dans un entretien au JDD, le 17 août, mettant en cause au passage certains membres de la gauche pour « leurs propos irresponsables ».

© Reuters

La ligne gouvernementale est donc tracée. Peu importent la situation économique, l’apparition de la déflation, la montée continue du chômage, il faut s’en tenir à ce qui a été arrêté et présenté à la Commission européenne. Le gouvernement semble d’autant plus pressé de respecter les engagements pris sur l’allègement du coût du travail et la réduction des dépenses publiques qu’il ne va pas satisfaire aux autres engagements pris, et notamment la diminution du déficit budgétaire. Tenir au moins sur le front de la baisse du coût du travail démontre la crédibilité de la France, explique-t-on en substance dans les allées du gouvernement.

Des économistes ont déjà dit tout ce qu’il fallait penser de ce plan, marqué du sceau de l’idéologie libérale. Dans une tribune au Monde, l’économiste Philippe Askenazy dénonçait dès avril ce pacte de responsabilité, organisant un transfert géant vers les entreprises, un arrosage systématique et indifférencié, sans même se donner la peine de se donner des objectifs ou d’exiger des contreparties. Il y a pourtant des révisions à portée de main : les niches dont bénéficient les entreprises représentent 150 milliards d’euros chaque année, selon le conseil des prélèvements obligatoires.

Le gouvernement aurait pu au moins exiger, alors que les entreprises se plaignent de leurs marges et de leurs capacités financières, de ne pas reverser ces aides aux actionnaires. Car dans ce domaine il existe, semble-t-il, une certaine latitude. Selon une étude de Henderson Global Investors, les dividendes versés par les compagnies européennes au deuxième trimestre de cette année ont augmenté de 20 % par rapport à la même période de l’an dernier, pour dépasser les 115 milliards d’euros. Les entreprises françaises figurent en tête avec une hausse de 30 % de leurs dividendes sur un an.

Personne ne se fait d’illusion sur le sort de ce pacte. Pour beaucoup, il est déjà mort avant même d’avoir été mis en place. Le Medef a déjà anticipé son échec et les explications à donner : les mesures du gouvernement sont insuffisantes. Pierre Gattaz, le président du mouvement patronal, a élaboré une nouvelle série de mesures à demander. Selon la règle du « toujours plus » chère désormais au patronat, rien n’a été oublié : ouverture des magasins le dimanche et le soir, suppression de la taxation sur les transactions financières, suppression de toute charge pour les apprentis, abaissement de la fiscalité sur les outils de production, révision des seuils sociaux, allégement des procédures sanitaires et de santé et naturellement quelques nouveaux plans d’aides publiques pour relancer le bâtiment. Tout cela devrait contribuer à créer 400 000 et 680 000 emplois nouveaux, selon le Medef.

Bien qu’il ait déjà fait fuiter le contenu de ce nouveau programme, le patronat fait mine d’hésiter sur l’attitude à tenir. Il se demande s’il est inopportun de présenter cette liste, dès son université d’été, prévue les 27 et 28 août. Mais c’est une question de semaines et de rapport de forces. Et pour le patronat, tout joue en sa faveur.

L’aveu que la France ne respectera pas cette année encore ses objectifs de réduction du déficit budgétaire place le gouvernement sous pression. Certains responsables économiques et politiques misent sur la Commission européenne pour rappeler à l’ordre le pouvoir et l'obliger enfin à faire ces fameuses « réformes structurelles » qu’il ne se résoudrait pas à engager. Oubliant les réformes des retraites, du chômage, des prestations sociales, de l’assurance maladie, la révision du code du travail, ils réclament des mesures toujours contraignantes. « La France doit avoir le courage de faire ce que l’Espagne et le Portugal ont réalisé », commencent à murmurer certaines voix économiques autorisées. Ils n’osent invoquer l’exemple de la Grèce. Un bon plan d’austérité, imposant des réductions des salaires, des retraites, des prestations sociales, de la santé, de l’éducation, de disparition du code du travail : voilà ce qu’il faut à la France, selon eux, pour expier les folies passées et se remettre dans le droit chemin.

Même si elle ne le dit pas à haute voix, la Commission européenne partage l’analyse. Déjà, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a estimé que si l’Italie retombait en récession pour la troisième fois depuis la crise financière, elle n’avait qu’à s’en prendre à elle-même. Tout cela arriverait car elle n’a pas mené « les réformes structurelles » attendues. Il brûlait sans doute de l’envie d’ajouter la France dans ce constat. Le président du conseil italien, Matteo Renzi, lui a répliqué en retour que s’il avait fait son travail de banquier central comme il convenait, et maintenu l’inflation à 2 %, comme il est prévu dans son mandat, la tâche de l’Italie et de toute l’Europe aurait été beaucoup plus facile.

Alors que la zone euro dans son ensemble est emportée dans une spirale déflationniste, les représentants européens continuent pourtant de vanter la réussite de leur politique. Même si tous les faits leur donnent tort, ils préfèrent distordre la réalité pour défendre la ligne orthodoxe qu’ils imposent depuis sept ans. Pendant des mois, ils n’ont ainsi cessé d’annoncer le retour de la croissance en Europe, en dépit des chiffres qui actaient un ralentissement chaque mois plus prononcé. Le verdict est tombé la semaine dernière : l’ensemble de la zone euro est plombé par la stagnation. L’ économie allemande, le modèle de toute l’Europe, ne fait pas mieux que l’Italie : elle affiche une chute de 0,2 % au deuxième trimestre. Pour le troisième trimestre, l’explication à un nouveau recul prévisible de la zone euro est déjà toute prête : les risques géopolitiques, la guerre en Ukraine, les tensions avec la Russie seront les excuses avancées.

Reconnaître que l’Europe fait fausse route depuis si longtemps paraît impossible. À défaut, la Commission européenne chante les louanges de l’Espagne. Preuve, selon les commissaires, que l’austérité a été bénéfique, le pays se redresse : l’économie a progressé de 0,6 % au deuxième trimestre. Mais que signifie une telle croissance, alors que plus de 10 % du PIB a été effacé en trois ans de politique d’austérité ? Comment expliquer les bienfaits d’une chute de 25 % des salaires et des retraites sur l’emploi, quand le chômage atteint 25 % de la population ? Peut-on parler de réussite quand 53 % des jeunes sont sans emploi et condamnés pour certains à l’exil, quand l’économie souterraine représente, selon les estimations, déjà plus de 20 % de l’activité du pays, avec tout ce que cela peut supposer d’éclatement social, de violence, de trafic, d’absence de loi sauf celle du plus fort ?

Est-ce cela le modèle européen promis : un chômage structurel de masse accompagnant une économie mafieuse ? Il est vrai que la Commission européenne semble se faire une raison. Pour avoir une meilleure vision de l’activité économique, elle préconise désormais d’inclure dans les calculs du PIB les revenus de la drogue et de la prostitution. L’Italie, la Belgique et l’Angleterre ont déjà annoncé qu’elles allaient se rallier à ces nouveaux modes de calcul à partir de 2015.

« Personne ne devrait s’étonner que l’économie de la zone euro soit une fois de plus en train de replonger. C’est un résultat totalement prévisible de politiques erronées que les dirigeants européens s’obstinent à poursuivre, en dépit de toutes les preuves qu’il s’agit de mauvais remèdes », écrit le New York Times dans un éditorial au vitriol.

Janvier 2014: François Hollande annonce le «pacte de responsabilité».Janvier 2014: François Hollande annonce le «pacte de responsabilité». © Reuters

Les États-Unis s’inquiètent vivement de l’effondrement de l’Europe. Ils ne cessent d’insister sur la nécessité d'un changement de cap de la politique européenne. Le monde financier vient à la rescousse, demandant à cor et à cri une politique non conventionnelle de la Banque centrale européenne, c’est-à-dire qu’elle déverse des milliards sur les marchés comme le fait la Réserve fédérale. Certains frondeurs du PS soutiennent la même ligne.

L’ennui est que cette politique ne fonctionne pas plus que celle de l’Europe. Un silence épais a entouré les derniers résultats du Japon, qui justement a mis en œuvre cette stratégie d’argent facile. Malgré les milliards de yens déversés par la Banque centrale du Japon, l’économie japonaise affiche une contraction de 6,8 % au deuxième trimestre. L’excuse présentée pour justifier cet échec a été la hausse des impôts qui aurait tué la consommation. L’expérience des Abenomics, aboutissant à un endettement spectaculaire (220 % du PIB) sans parvenir à sortir le Japon de deux décennies de déflation, paraît cependant tirer à sa fin. Un surplus de dettes ne peut parvenir à soigner une économie qui justement croule déjà sous la dette et les excès de la création monétaire.

Même la reprise aux États-Unis, tant vantée, mérite d’être nuancée. La baisse du chômage, revenue à 6,8 % de la population active contre plus de 10 % pendant la crise, est en partie biaisée. Les Américains qui retrouvent des emplois retrouvent souvent des emplois à temps partiel, mal rémunérés. Plus de 7,5 millions de salariés voudraient travailler à temps plein. Plus grave, alors que la population américaine augmente de plus de 2 millions de personnes chaque année, la population active ne cesse de diminuer, passant de 65 % à 62 % de la population totale. Explication : de plus en plus de personnes ont renoncé à trouver tout travail et sont sorties des statistiques, ne vivant plus que de débrouille et de maigres allocations sociales.

Les grands bénéficiaires des libéralités de la Réserve fédérale ont été les financiers. Ce sont eux qui ont capté les 4 000 milliards de dollars déversés depuis le début de la crise au détriment de l’économie réelle. Jamais les marchés boursiers n’ont été aussi hauts, alors que les moteurs de l’économie mondiale sont cassés. Jamais les riches n’ont été aussi riches, comme l’ont montré les études d'Oxfam ou même de Forbes. Jamais les inégalités n’ont été aussi grandes entre le monde du capital et celui du travail.

On comprend l’engouement de ces mêmes financiers pour perpétuer le système et l’étendre à l’Europe. Après avoir capté le monde économique et politique, ils ont réussi la capture suprême, si l’on peut dire : celle des banques centrales. La Réserve fédérale comme la banque d’Angleterre par exemple n’osent plus prendre la moindre initiative, ni mettre un terme à cette politique d’argent facile, par peur de déclencher un krach sans précédent.

Sept ans après le début de la crise, les deux voies empruntées pour la résoudre – celle de l’austérité à tout crin comme celle de la facilité monétaire sans retenue – aboutissent à une même impasse. Même si les échecs ne sont pas reconnus.

Alors que l’économie mondiale s’engage dans des territoires inconnus, il est temps de laisser place à l’imagination. Les responsables politiques et économiques ne peuvent plus continuer à nous parler de la crise, comme si cela était un accident passager. Cette transformation économique et sociale niée dure depuis quarante ans. Des dizaines de millions de personnes nées depuis 1974 ont eu le chômage comme décor perpétuel.

Les bricolages envisagés par le gouvernement – une prime pour l’emploi par-ci, une baisse des impôts pour les 10 % des ménages les plus pauvres par-là – ne peuvent constituer une réponse satisfaisante face aux inégalités croissantes, à un chômage qui touche plus de cinq millions de personnes en France, et à une pauvreté subie par plus de huit millions de personnes. Même les exhortations adressées à l’Allemagne pour changer de politique ne peuvent suffire. Le voudrait-elle qu’elle ne serait pas en mesure de sortir la zone euro de la spirale déflationniste : le moteur allemand n’est pas assez puissant.

Il n’y a pas de réponse simple et facile, tant les défis sont élevés et nombreux. Ils sont sociétaux, écologiques, technologiques, économiques. Pour les affronter, il n’est plus possible de se remettre à une politique de pilotage automatique, à des recettes toutes faites, à des chiffres magiques et sans signification imposés comme références indiscutables. Il faut ouvrir le débat, se reposer toutes les questions, lever les tabous. Quand un pays semble condamné à la déflation et au chômage de masse, il ne peut se payer le luxe de s’interdire de retourner les pierres. 

Depuis le début de la crise, des groupes de réflexion, des organisations, des économistes ont posé des problèmes, indiqué des solutions, qui sur la dette, qui sur la monnaie, qui sur la construction européenne, qui sur les paradis fiscaux, qui sur les inégalités, qui sur le modèle de société. À chaque fois, les forces économiques installées, qui ont pris en capture le monde politique, ont fait en sorte d’enterrer les propos, afin que rien en change, surtout. Le monde politique a posé des interdits partout. Pas question de sortir du cadre prédéterminé, de parler de fiscalité, de reprise de contrôle du monde financier, de régulation, des traités européens, de monnaie, de redistribution ou de lutte contre les inégalités. Ces questions sont pourtant celles qui minent nos sociétés.

Maintenant que l’échec devient patent, il va bien falloir reparler des questions qui fâchent, et essayer de sortir de ce corset intellectuel afin de se donner des marges de manœuvre. C’est le gouvernement qui devrait s’en emparer plutôt que d’essayer à toute force d’enterrer le débat. Pense-t-il vraiment qu’en se conformant scrupuleusement aux préceptes énoncés, il va éviter le pire ? Le pire viendra assurément, d’une façon ou d’une autre, si les forces politiques, préférant l’inertie et le défaitisme, le chacun pour soi plutôt que le collectif, se refusent à engager le débat avec la société, jugent inutile d’essayer au moins de tracer un chemin pour l’avenir. En un mot, renoncent à faire de la politique.

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Pierre-Alain Muet (PS): «Une politique économique aberrante»

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Alors que François Hollande a profité de la fin de la pause estivale pour faire sa contre-offensive médiatique dans une interview au Monde dont nous détaillons les mesures, le député PS de la deuxième circonscription du Rhône, Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, s'insurge contre la politique de l'offre menée par le gouvernement « alors que le président de la République reconnaît que ce sont les politiques d'austérité qui ont enfoncé l'Europe dans la dépression ».

© DR

Dans un article paru dans le magazine L'Économie politique et que vous reprenez sur votre blog, vous parlez d'autisme du gouvernement, de déficit de la pensée macroéconomique. Vous êtes plutôt considéré comme faisant partie de la gauche modérée, d'où vient votre désaccord ?

Mon désaccord est vraiment profond, il porte sur l’inadéquation des politiques actuelles avec la réalité. Moi je ne fais pas partie de la gauche du parti, mais l’économiste que je suis est réellement effaré non seulement par la politique, mais par le discours qui est tenu, qui d’un point de vue économique est faux. On ne sort pas d’une dépression par une politique exclusive de l’offre. N’importe quel économiste ayant fait un peu de conjoncture vous le dira. 

Le discours du Bourget était la réponse pertinente à la crise, y compris dans sa composante européenne. Je n’ai pas de désaccord avec la politique pour laquelle nous avons été élus. C’est vrai qu’il manquait la compétitivité, ça faisait partie des oublis de ce programme. Mais je pense qu’avec le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) on a fait ce qu’il fallait et que l’on n’avait pas à aller au-delà avec les 40 milliards d’allègement de charge aux entreprises.

La récession européenne a été beaucoup plus forte que prévu, notamment avec les politiques d’austérité menées dans toute l'Europe. Le FMI l'a d'ailleurs reconnu quand il a parlé de « seconde récession » en Europe. Mais le problème de compétitivité en France existe depuis dix ans, ce n’est pas par des politiques de lutte pour la compétitivité que l'on sort de la dépression, il faut une reprise de la demande.

La force des années Jospin avait été d’avoir pris des mesures pertinentes au regard de la conjoncture. Là, ce n’est pas du tout le cas. Faire de la politique de l’offre l’alpha et l’oméga de la politique économique est une absurdité. Il fallait certes maintenir le pari d’inverser la courbe du chômage mais encore fallait-il s’en donner les moyens.

Vous avez rencontré le chef de l'État en juillet. Que lui avez-vous dit concernant les principales mesures d'allègements sur la fiscalité des entreprises ?

Je lui ai dit que je trouvais la politique actuelle aberrante d’un point de vue économique. Je lui ai dit qu’il fallait agir sur l’apprentissage, élargir les emplois d’avenir, en faire des emplois jeunes parce que ça a marché en 1997 et en 2006 quand le ministre de l’emploi de l’époque, Jean-Louis Borloo, a pris des mesures qui ont eu des effets sur l’emploi. Ce n’est pas en répétant tous les jours que les mesures d’offre nous sortiront de la récession que ça va fonctionner.

Les simulations de Bercy (voir le rapport de Valérie Rabault affirmant que 250 000 emplois seraient menacés et 190 000 postes créés) montrent bien que l’effet dépressif est plus important que l’effet positif avec les allègements du coût du travail. Ce déficit de la pensée macroéconomique existait sous la droite mais je suis effaré de voir que c’est aussi vrai sous la gauche. Ça laisse entendre qu’on se serait trompé de diagnostic, mais c'est faux. Le programme de Hollande était la réponse à la crise.

Ayant été longtemps conjoncturiste, je ne comprends pas cette politique économique. Le gouvernement devrait écouter les bons économistes comme Stiglitz, Krugmann ou même Piketty. 

Que pensez-vous de l'annonce faite par François Hollande concernant la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité ?

C'est une excellente annonce, il n’y avait même pas à attendre. J’ai suffisamment plaidé pour la progressivité de l’impôt sur le revenu et la CSG (contribution sociale généralisée). Bien sûr qu’il faudrait rééquilibrer les choses en redonnant du pouvoir d’achat aux ménages mais cela doit, selon moi, se faire en agissant sur le secteur non marchand. Et le gouvernement là-dessus ne va pas assez loin. Personnellement, ce qui m’a surpris, c’est le changement de pied de François Hollande dans son discours du 14 janvier sur le pacte de responsabilité.

François Hollande botte-t-il en touche lorsqu'il déplace la responsabilité de la récession actuelle sur les politiques de rigueur menées en Europe ? Pensez-vous vraiment que les Français peuvent avoir confiance en sa capacité de négociation en sachant qu'il a déjà échoué à se faire entendre sur le volet croissance dans le traité européen sur la stabilité (TSCG) ?

Il a raison lorsqu'il dit que l’essentiel de la reprise c’est l’Europe. S’est rajoutée une crise typiquement européenne quand les États-Unis faisaient le contraire de l’Europe et sortaient de la récession. À l’époque, personne n’avait conscience de la récession européenne. Il y a un vrai besoin de modifier les politiques européennes car il faut tout de même avoir conscience que la déflation européenne vient des coupes dans les salaires en Europe du Sud et que globalement ces politiques participent au fait que l’Europe ne sorte pas de la crise.

Le scénario auquel nous sommes confrontés ressemble aux années trente. Bien sûr qu’il y a une solution européenne. Roosevelt avait pris les mesures qui ont sorti l’économie américaine de la crise. Par son accent rooseveltien, le discours du Bourget était la réponse à la crise. Mais on ne peut pas dire qu'il faut changer la politique européenne et en même temps appliquer le corpus idéologique de l’Europe qui consiste à n’appliquer que des politiques de l’offre, de la compétitivité dont on sait que l’effet est de s’enfoncer encore plus dans la déflation. L’équivalent du consensus de Washington, le consensus de Bruxelles – qui est de faire uniquement des politiques de réduction massive des dépenses et du coût salarial – n’est pas la réponse pertinente. Il faut en sortir. Oui, il faut réorienter l’Europe mais il faut réorienter notre politique avec ce que l’on réclame à l’Europe.

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Après Rue89 et Mediapart: la police sur les traces du «hacker» Ulcan

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Mediapart a subi une attaque informatique de type DDoS (« Distributed denial of service ») pendant plusieurs heures, jeudi en fin de journée, qui a eu pour effet de bloquer ou de ralentir l’accès à notre site, sans intrusion dans nos systèmes. Cette atteinte à la liberté d’information a été revendiquée en direct sur le site ViolVocal, ainsi que par des appels téléphoniques (à Mediapart, BFMTV et iTélé), par quelques hackers regroupés autour de Grégory Chelli, alias Ulcan, 31 ans, qui se présente comme un militant sioniste et agirait depuis Israël. Mediapart a porté plainte ce vendredi à Paris.

Le hacker franco-israélien Grégory Chelli fait déjà l’objet de plusieurs procédures judiciaires pour des faits assez graves. Adepte des canulars et autres impostures téléphoniques de mauvais goût, il a notamment fait croire aux parents d’un journaliste de Rue89 dont un article lui avait déplu que leur fils était mort, au début du mois d’août.

Pire, Ulcan a ensuite réussi à faire débouler des policiers en pleine nuit à leur domicile pour un crime imaginaire. Le père de ce journaliste a fait un infarctus quelques jours plus tard, et il est depuis lors hospitalisé dans le coma : lire ici l’article de Pierre Haski, cofondateur de Rue89 ; on peut également écouter ici une conversation téléphonique entre Ulcan et ce journaliste.

UlcanUlcan © Capture d'écran

Toujours dans le même registre, Ulcan s’est ensuite fait passer pour Pierre Haski, en faisant croire à la police qu’il venait de tuer sa compagne, et en provoquant – là encore – une intervention policière nocturne et traumatisante au domicile du journaliste. La même chose est arrivée voici quelques jours au négationniste Robert Faurisson (on peut écouter les appels à la police ici).

Rue89 et ses journalistes ont déposé un total de cinq plaintes à Paris contre Ulcan et ses complices. Le pseudo-hacker, dont les motivations sont assez floues, s’en est également pris récemment aux sites internet de la CGT et de la Datar, toujours en les saturant avec des requêtes générées par des robots.

Afin de se procurer les adresses privées et les numéros de téléphone de ses cibles, Grégory Chelli a pris l’habitude de passer des coups de fil en se faisant passer pour un policier. Maîtrisant quelques aspects du jargon policier, avec quelques indicatifs radios et des numéros de téléphone de l’administration, il a notamment réussi à obtenir des informations confidentielles sur deux personnes, figurant sur les fichiers TAJ (traitement des antécédents judiciaires), auprès de la sûreté départementale du Nord.

Une plainte a été déposée auprès du parquet de Lille, qui a ouvert une enquête préliminaire le 5 août. Des faits similaires ont également été commis dans les Hauts-de-Seine, qui ont déclenché une enquête récente du parquet de Nanterre, et d’autres ont encore été signalés à Besançon.

Les conséquences graves de ces impostures d’Ulcan ont amené le ministère de l’intérieur à alerter récemment tous les commissariats, les incitant à la prudence en cas d’appel suspect, en recourant notamment à la procédure du contre-appel. Place Beauvau, où l'on prend l'affaire au sérieux, on indique qu'il n'existe aucun soupçon de complicité éventuelle au sein de la police.

Pour sa part, le parquet de Paris a, le 8 août, ouvert une information judiciaire contre X pour introduction frauduleuse dans un système de traitement automatisé de données (STAD), modification de données d’un STAD et entrave au fonctionnement d’un STAD à la suite des plaintes de Rue89, la CGT et la Datar. Parallèlement, une enquête préliminaire a été ouverte pour menaces de mort, appels malveillants, dénonciation de crimes imaginaires et usurpation d’identité, à la suite des plaintes des journalistes de Rue89.

Selon des sources policières et diplomatiques, une demande de renseignement a été adressée voici plusieurs semaines par la police française à son homologue israélienne, afin de vérifier que Grégory Chelli se trouve sur le territoire israélien. Cette demande de coopération n’a pas encore eu de réponse au moment où cet article est mis en ligne.  

Ces dernières années, Grégory Chelli a déjà eu affaire à la justice et à la police. En 2009, il a participé au saccage de la librairie militante Résistances, à Paris, au nom de la LDJ (Ligue de défense juive). Rapidement repéré, il a été condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour violences en réunion et dégradation ou détérioration du bien d’autrui par la 23e chambre correctionnelle de Paris, en juillet 2009.

Plus récemment, une plainte a été déposée contre lui par Sihem Souid, auteure du livre Omerta dans la police (Le Cherche Midi), pour menaces de mort et injures. Ulcan avait revendiqué la création du site Souid-Sihem.com, qui multiplie insultes et menaces à l’encontre de cette fonctionnaire de police actuellement détachée au ministère de la Justice.

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De plus en plus de salariés travaillent la nuit

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Les salariés français sont 15 % à travailler au moins occasionnellement entre minuit et cinq heures du matin. Et en vingt ans, la proportion de ceux dont le travail de nuit est « habituel » a été multipliée par deux. Quant aux femmes, elles sont près de 10 % à travailler la nuit, contre 5,8 % vingt ans plus tôt. Ces chiffres frappants sont issus d’une étude publiée hier par la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), l’institut statistique attaché au ministère du travail.

L’organisme a épluché les derniers résultats disponibles de l’enquête emploi de l’Insee, qui datent de 2012. Et il constate une emprise toujours plus grande du travail de nuit. Le nombre de ces salariés travaillant au moins de temps en temps la nuit est passé de 2,4 millions en 1991 (13 % des salariés à l’époque) à 3,5 millions en 2012 (15 %).

Les statisticiens retiennent une définition plus restrictive que la législation : ils considèrent qu’une personne travaille la nuit quand elle déclare que sa période de travail se situe, même partiellement, dans la tranche de minuit à 5 heures du matin, alors que pour le code du travail, la notion couvre une plage horaire allant de 21 heures à 6 heures du matin.

Entre 1991 et 2012, la proportion de salariés déclarant travailler habituellement la nuit est passée de 3,5 % à 7,4 %. Mais le travail de nuit occasionnel est devenu un peu moins fréquent (9,5 % des salariés en 1991, 8 % en 2012). Durant cette période, la proportion de salariés travaillant au moins occasionnellement la nuit a augmenté de façon continue : 13 % en 1991, 14,3 % en 2002, 15,2 % en 2009, 15,4 % en 2012.

Aujourd’hui, plus d’un homme sur cinq est dans ce cas. On dénombre moins d’une femme sur dix à l’être, mais, souligne l’étude, « au cours des vingt dernières années, le nombre de femmes travaillant la nuit, occasionnellement ou habituellement, a doublé (500 000 en 1991 ; 1 million en 2012), alors que le nombre d’hommes concernés n’augmentait que de 25 % » : « Au total, en 2012, 30 % des personnes qui travaillent la nuit sont des femmes, contre 20 % en 1991. »

Une évolution qui s’explique sans doute en partie par la changement de la loi : jusqu’en 2001, l’industrie ne pouvait pas employer de femme après 21 heures, mais une directive européenne datant de… 1976 imposait d’annuler cette disposition. Face aux revendications du distributeur de parfums Sephora, le Conseil constitutionnel a en revanche rappelé en avril qu’ouvrir les magasins après 21 heures ne pouvait être qu’exceptionnel.

Des risques pour la santé

Le travail de nuit est le plus répandu dans le tertiaire, puisqu’il concerne 30 % des salariés dans la fonction publique et 42 % dans les entreprises privées de services. Sans grande surprise, les conducteurs de véhicules et les salariés de l’armée, de la police et des pompiers sont les deux familles professionnelles qui sont le plus concernées (72 % des policiers et militaires le sont). Les infirmiers, sages-femmes et aides-soignants, où les femmes représentent la quasi-totalité des effectifs, arrivent juste après. Curiosité du « classement », les enseignants seraient 8 % à travailler la nuit. Renseignements pris auprès de l’Insee, ces chiffres reposent sur des déclarations individuelles, et concernent donc certainement le travail de préparation des cours et de correction des copies.

On ne peut pas dire que les travailleurs de nuit sont plus précaires que les autres. Ils disposent en effet plus souvent d’un contrat stable ou à temps complet. En revanche, « le travail de nuit se cumule bien souvent avec d’autres formes d’horaires atypiques », pointe l’étude. Les Français qui travaillent régulièrement après minuit sont plus de sept sur dix à travailler aussi le samedi, et 62 % à travailler le dimanche.

Certes, financièrement, le jeu en vaut un peu la chandelle, puisque la Dares estime que le bonus salarial « associé au travail habituel la nuit peut être estimé à 8,1 % et celui associé à un travail occasionnel la nuit à 3,6 % ». Mais il coûte cher sur d’autres plans. D’après les chiffres 2013 de l’Insee, les salariés de nuit décrivent des conditions de travail nettement plus difficiles que leurs collègues « de jour » : « Ils sont plus souvent soumis à de fortes contraintes de rythme de travail, doivent plus souvent se dépêcher et peuvent plus rarement faire varier les délais fixés. (…) Ils sont plus souvent confrontés à des personnes en détresse, à des tensions ou même à des agressions. Leur travail comporte davantage de facteurs de pénibilité physique et de contraintes de vigilance et ils déclarent plus souvent risquer être blessé ou accidenté. »

Ils considèrent néanmoins être mieux formés aux risques que le travail fait courir à leur santé. Ce qui ne veut pas dire que la pratique est sans danger. La Dares cite une étude de 2007 qui établissait que, « à caractéristiques sociodémographiques équivalentes, une exposition de quinze ans ou plus au travail de nuit accroît la probabilité d’être limité dans les activités quotidiennes de presque 50 % » après 50 ans. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a pour sa part classé le travail de nuit comme « cancérogène probable » pour l’homme.

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En catimini, des écolos débattent de primaires pour « sacrifier Hollande »

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Le débat n’était pas au programme d’une université d’été un brin déprimée, mais certains écologistes ont accepté de confronter leurs visions stratégiques pour les prochaines échéances électorales. Alors que les discussions médiatiques et les grands leaders et élus se concentrent sur les conséquences de la sortie du gouvernement, sujet ravivé par la parution du livre de Cécile Duflot, les ateliers et débats se tiennent studieusement, dans une atonie presque inquiète. En revanche, aucune confrontation n’a été prévue quant aux perspectives politiques désormais ouvertes.

Ce vendredi soir, à l’initiative du courant Love (gauche du parti, proche d’Eva Joly), des dirigeants d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) se sont toutefois retrouvés dans un petit amphi de l’université de Bordeaux, pour faire le bilan de leurs différends tactiques.

 

Julien Bayou, Eva Sas, Yannick Jadot, Eva Joly, Jean-Vincent PlacéJulien Bayou, Eva Sas, Yannick Jadot, Eva Joly, Jean-Vincent Placé © S.A

 

L’ancienne candidate écolo à la présidentielle, Eva Joly, a estimé qu’« en 2017, nous ne devons pas refaire l’erreur de ma candidature, une candidature de témoignage, certes vaillant, mais sans aucune chance de victoire ». Et d’appeler à la construction d’une « plateforme », avec « les frondeurs du PS » comme avec « la gauche de la gauche », un périmètre qu’elle souhaiterait voir mis en œuvre « dès les prochaines régionales ». L’un de ses proches, Julien Bayou, par ailleurs porte-parole du parti, estime de son côté que « l’autre primaire de la gauche » que lui et les siens appellent de ses vœux (dans une tribune parue ce vendredi sur liberation.fr) doit permettre aux écologistes de « sortir de la prison de la Ve République » et de « dire aux socialistes qui ont bientôt un congrès qu’on veut travailler avec eux ».

De son côté, la députée Eva Sas a jugé prématuré de « penser dès aujourd’hui à 2017, ce n’est pas la question que se posent aujourd’hui les Français ». Selon elle, qui se félicite du départ du gouvernement (« À un moment, ça n’a plus de sens de rester dans ce gouvernement quand on vote si peu de textes à l’Assemblée »), s’interroger sur la primaire signifierait toutefois « que l’on renonce à faire bouger le gouvernement et les lignes d’ici 2017 ». Or, elle veut croire que « les choses vont continuer de bouger au parlement, et le gouvernement ne pourra pas rester éternellement dans le caporalisme ». Concentrée sur son activité parlementaire, Sas marque en outre « les différences fortes qui peuvent exister avec certaines recettes “à la papa” des frondeurs socialistes ou de la gauche de la gauche, sur la façon de créer la relance économique ». Puis, elle note aussi « le soutien des centristes de l’UDI sur plusieurs de nos amendements, surtout sur les questions environnementales ».

Pour l’eurodéputé Yannick Jadot, proche de Daniel Cohn-Bendit, les écologistes doivent plaider pour « une primaire la plus large possible », lui qui considère EELV « à équidistance du PS, du Front de gauche et du MoDem ». À ses yeux, cette primaire devrait permettre de « sacrifier François Hollande, de faire en sorte que l’intelligence collective puisse le sortir du jeu ». Lui redoute que le président sortant ne « trouve toujours une légitimité à se représenter, et il sera délicat de faire en sorte qu’il n’ait pas son parti derrière lui ».

Président du groupe EELV au Sénat, Jean-Vincent Placé a lui défendu « une primaire de l’ensemble des forces de gauche », car « une candidature écologiste seule n’a plus de sens ». Marquant son désaccord avec la proposition de Bayou et Joly, qu’il appelle « modèle grenoblois » en référence à la victoire municipale de l’écologiste Éric Piolle (allié au PG et à des mouvements citoyens, face au PS), il les a toutefois encouragés à « faire prospérer leur option », lui qui ne la « juge pas reproductible » en l’état. De son côté, après avoir été relancé par la salle, Placé estime que cette primaire ouverte de toute la gauche (« avec Duflot, Mélenchon, un socialiste, d’autres… ») se passera sans doute de François Hollande. « À lui aussi de faire vivre son option, voulant qu'il se représente naturellement, sans passer par des primaires. Mais si l'on paume les 14 nouvelles régions et qu’il est à 12 % dans les sondages, la réalité s’imposera d’elle-même… »

Yannick Jadot estime aussi « qu’on devra passer avec le PS, car il faudra être bigrement rassemblé face à Juppé/Bayrou si la gauche veut être présente au second tour ». Mais il avertit : « Il faudra passer cette fois un vrai accord de participation gouvernementale, avec le candidat finalement désigné. On ne pourra plus se satisfaire d’une croyance en un discours du Bourget. »

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Manuel Valls tente de mettre sa majorité au garde-à-vous

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L’Élysée et Matignon ne veulent voir qu’une tête. Après s’être accordés sur les derniers réglages lors de leur rencontre du vendredi 15 août, le président de la République et le premier ministre déroulent, depuis, leur grande offensive de rentrée, multipliant explications et annonces censées répondre à l’urgence de la situation économique. Mais les avertissements aussi tombent sur tous les membres de la majorité qui pourraient être tentés de contester la politique du gouvernement, voire tout simplement dire leur incompréhension devant cette « politique économique aberrante », comme le dit le député Pierre-Alain Muet. « Il n’y a pas d’alternative », a-t-il été répété aux téméraires qui osaient évoquer au moins un débat sur les orientations gouvernementales. Manuel Valls les accusant par avance de tenir des « propos irresponsables ». 

© Reuters

Chacun est prié de serrer les rangs autour du gouvernement et de ne surtout pas émettre la moindre critique, le moindre propos différent. Feu donc sur Cécile Duflot pour avoir rompu la solidarité gouvernementale et critiqué la présidence Hollande. Feu sur les députés « frondeurs » qui osent demander des inflexions dans la politique du gouvernement, mettant en doute les bienfaits de cette politique de l’offre totalement alignée sur le Medef. Dans l’attente d’une université d’été redoutée, Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée, a mis en ligne sur le site du groupe parlementaire une lettre, qualifiée de « stupide et bêtement provocante » par certains élus, pour rappeler aux députés leurs devoirs. « La dérive monarchique de nos institutions est à son comble. Le roi a parlé. Même s’il se trompe, il ne faut pas le dire, il faut nier les chiffres et la réalité. Nous en sommes arrivés au point où le simple fait de parler est considéré comme un acte de déloyauté », constate un élu, consterné par cette caporalisation des socialistes.  

La mise au pas s’applique au sein même du gouvernement. Là non plus, les avis différents ou les simples questionnements ne semblent plus tolérés. Les membres du gouvernement en ont eu une nouvelle démonstration jeudi 21 août.

Une nouvelle réunion gouvernementale se tenait à Matignon. Après un conseil des ministres de rentrée, « totalement éteint » à en croire les confidences de certains, Manuel Valls avait tenu à réunir les ministres et les secrétaires d’État pour mettre tout le monde en ordre de bataille. Le grand thème de la réunion du jour était l’attractivité de la France – un sujet cher aux conservateurs –, illustrée par toutes les mesures que le gouvernement s’apprête à annoncer dès la semaine prochaine.

Ayant arraché une grande partie des attributions du ministère du commerce extérieur pour les ramener au Quai d’Orsay, Laurent Fabius se pique, entre toutes les crises géopolitiques du moment – Irak, Gaza, Ukraine, Libye... –, d’avoir des vues très précises sur le sujet. Au printemps, il s’est prononcé pour une réforme des zones touristiques en France, et l’ouverture des magasins le dimanche, afin de mieux profiter de l’afflux touristique. Relayant les critiques des hôteliers, il a torpillé le projet de hausse de la taxe de séjour prévu par la municipalité de Paris.

Laurent Fabius se sentait donc très à l’aise sur le sujet du jour de la réunion gouvernementale. L’intervention du ministre des affaires étrangères fut longue, très longue, selon certains. Ouverture le dimanche, limitation des zones touristiques, salaires trop élevés, législations et contrôles trop lourds et tatillons, fiscalité, tout y passa, semble-t-il. Un catalogue de critiques que n’aurait pas renié le Medef. Au point que certains participants ont eu l’impression, en l’écoutant, que la mission du gouvernement était plutôt de faire allégeance aux leaders d’opinion mondiaux et de se conformer en tout point à leurs exigences que d’emporter l’adhésion et la confiance des Français.

Compte tenu de son poids politique, de son passé, de son rôle prédominant dans la politique extérieure de la France, la parole de Laurent Fabius pèse très lourd au sein du gouvernement, surtout quand il suit la pente de Matignon et de l’Élysée. Rares sont ceux qui osent donc l’affronter ou le contredire. Cette fois, le ministre des finances, Michel Sapin, s'est pourtant senti dans l’obligation de nuancer, expliquant que les évolutions devaient être équilibrées, qu’il fallait faire preuve de prudence et de mesure.

Quand ce fut à son tour de parler, la ministre de la culture n'a pu s’empêcher elle non plus de contester. D’habitude beaucoup plus effacée, à s’en faire oublier pendant la grève des intermittents du spectacle, Aurélie Filippetti a demandé, puisque le gouvernement en arrivait à ce point, s’il ne fallait pas mieux renoncer tout de suite à faire une politique de gauche, s’il ne fallait pas s’excuser d’être de gauche pour plaire au patronat.

Cela a suffi pour qu'elle s’attire les foudres de Manuel Valls. Comment osait-elle dire cela ? En quoi n’était-ce pas une politique de gauche ? Le clash fut bref mais tendu. Le premier ministre pouvait se montrer d’autant plus sévère que le bilan d’Aurélie Filippetti au ministère de la culture est des plus décevants. Sauvée lors du dernier remaniement ministériel, elle se sait sous surveillance. Quelques confidences sur ses manquements et ses bévues, relayées dans la presse, sonnent comme un avertissement.

Au-delà du malaise latent qui s’installe au sein du gouvernement, ce bref épisode traduit aussi la nervosité du premier ministre sur certains sujets. Si les propos d’Aurélie Filippetti ont fait mouche, c’est que Manuel Valls n’est pas insensible aux critiques des socialistes et de la gauche en général sur ses convictions. À plusieurs reprises, des membres du PS lui ont rappelé qu’il faisait partie de l’aile la plus droitière du parti, qu’il n’avait recueilli que 5,6 % des voix aux primaires socialistes de 2011. Certains, doutant de ses engagements, le soupçonnent même de vouloir liquider la gauche. Un débat qui pourrait s’amplifier dans les prochains mois, alors que le PS pense à son nouveau congrès, avec comme enjeux le contrôle de l’appareil et la ligne future.

Les orientations prises par le gouvernement, lors de cette semaine de rentrée, conduisent à un premier constat. Le pacte qu’avaient scellé Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon en février pour obtenir l’éviction de Jean-Marc Ayrault de Matignon et son remplacement par Manuel Valls est mort. S’ils avaient encore quelques illusions avant l’été de pouvoir peser sur les choix politiques du gouvernement, les ministres de l’économie et de l’éducation ne peuvent que constater qu’ils n’influencent rien ou pas grand-chose. Manuel Valls est seul au pouvoir.

Arnaud Montebourg a choisi de faire de Benoît Hamon son invité d’honneur lors de sa Fête de la rose à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), ce dimanche 24 août, réunion qui marque traditionnellement la rentrée politique du PS. Arnaud Montebourg, selon les confidences de son entourage, s’apprête à tenir un discours très sombre, très dur sur la situation politique et économique de la France. Il y reparlera sans aucun doute de son pacte des trois tiers – une partie des économies pour réduire le déficit budgétaire, une partie pour aider les entreprises, une partie pour redonner du pouvoir d’achat aux Français – qu’il a déjà mis en avant lors de sa grande réunion du 10 juillet. Et après ?

Les deux ministres souhaitent incarner un discours plus à gauche et renouer avec les déçus du gouvernement. Mais que peuvent-ils faire réellement, alors qu’une partie de leurs troupes s’est détournée d’eux, déçue par leur participation au gouvernement ? « Même s’ils ne se l’avouent pas, ils sont dans un corner », relève un observateur. À plusieurs reprises, Arnaud Montebourg a agité la menace de quitter le gouvernement. Mais celle-ci s’émousse à force d’être évoquée et finit par être vue comme une simple incartade sans lendemain. « Je n’en vois aucun sortir du gouvernement. Ils sont bien trop contents d’y être », relève un vieil éléphant du PS.

François Hollande et Manuel Valls n’ignorent rien de ce pouvoir d’attraction des ors de la République. Mais il y a aussi la base, ces élus qui parlent par conviction et qu’on ne peut plus tenir : ils savent qu’ils perdront leur mandat lors des prochaines élections. Pour tenter de rassurer, François Hollande a fait passer le message qu’il fallait attendre le nouveau sommet européen du 30 août. Alors qu’une nouvelle commission s’installe, que la zone euro sombre dans la déflation, la France est prête à faire entendre sa voix, à demander une réorientation des politiques européennes, a-t-on expliqué. Bizarrement, l’argument ne semble pas avoir convaincu. 

BOITE NOIRECet article est le fruit de témoignages recueillis auprès de participants ou de conseillers, ainsi que d'élus socialistes. Tous ont demandé à parler en off.

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Austérité : Arnaud Montebourg rejoint la fronde

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Bien sûr, il y a les prudences de style. Elles sont classiques dans le discours politique et consistent à soutenir qu’on ne dit pas ce qu’on dit, qu’on n’entend pas ce qu’on entend, et qu’on est parfaitement d’accord, bien qu’on soit en désaccord.

Donc, ce samedi 23 août, à la veille de son discours à Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg, très courtois, ne dit pas que le gouvernement et le président de la République se sont plantés dans les grandes largeurs en appliquant une austérité qui a échoué, et qui reste exigée, au nom de l’Europe, par le pouvoir allemand. Alors que François Hollande disait la semaine dernière : « Je ne me place pas dans un face-à-face avec l’Allemagne », son ministre de l’économie répond seulement : « Il faut hausser le ton… Nous ne pouvons plus nous laisser faire. Si nous devions nous aligner sur l'orthodoxie la plus extrémiste de la droite allemande, cela voudrait dire que le vote des Français n'a aucune légitimité et que les alternances ne comptent plus. Cela signifierait que, même quand les Français votent pour la gauche française, en vérité ils voteraient pour l'application du programme de la droite allemande ! »

De même, Arnaud Montebourg est parfaitement d’accord avec le premier ministre, Manuel Valls, qui a qualifié d’« irresponsables » ceux qui s’opposent à la politique économique du gouvernement. Leurs rapports sont « amicaux et trempés dans la franchise », précise Montebourg, mais lui, les frondeurs, donc « les irresponsables », il les invite chez lui, ce dimanche, à la fête de la Rose. Et comme si les faits ne parlaient pas d’eux-mêmes, il donne un cours de démocratie à son ami Manuel : « Dans la Constitution, le Parlement a la responsabilité de contrôler l'action du gouvernement et non l'inverse. Chacun exerce ses responsabilités. Les députés prennent les leurs. »

Ainsi, le ministre de l’économie n’est pas d’accord avec la politique économique voulue par le Président et par le Premier ministre, mais il n’envisage pas, ou pas encore de sortir du gouvernement. D’ailleurs François Hollande n’a rien entendu qui fâche, et répond, depuis l’océan Indien, qu’il « souhaite convaincre les partenaires européens de donner une priorité à la croissance, et que tous ceux qui portent cette idée sont bienvenus », donc bravo Arnaud, je te reçois cinq sur cinq. Et Manuel Valls, depuis Matignon, a déclaré qu’il n’a « rien entendu de choquant », que « la donne européenne est en train de changer », et qu’il attend d’Arnaud Montebourg « un engagement total sur la croissance et l’emploi”.

À ce niveau de clarté dans l’audition, le professeur Tryphon Tournesol est battu à plates coutures.

Au-delà des prudences diplomatiques, il y a donc bien un problème politique énorme au cœur même du pouvoir. Problème avec une majorité qui n’a cessé de s’étioler depuis deux ans et demi, au point de se réduire au seul Parti socialiste et à son annexe radicale, lesquels se divisent à leur tour. Un mouvement qui atteint désormais le gouvernement. Nombre de ministres le disent de plus en plus ouvertement, et Montebourg vient d’entrer dans une dissidence officielle qui devrait le conduire à se faire virer, ou à démissionner.

Il ne sera pourtant pas renvoyé, sauf surprise, et rien ne dit qu’il s’en ira. Le faire partir serait pour Manuel Valls un échec politique plus définitif que de faire la sourde oreille. Quant à la démission, Montebourg l’a si souvent brandie qu’on dirait une balle à blanc.

Passé l’échauffement des discours et des réactions, l’épisode a donc toutes les chances de ne pas changer grand-chose en dépit du climat, de plus en plus irrespirable. Ainsi va la Cinquième République. Un pouvoir réputé fort peut aller jusqu’au bout de sa faiblesse, avec un ministre important qui contredit son président, et continuer quand même, comme si de « Rien » n’était… « Rien », comme le nota Louis XVI dans son journal de bord, le 14 juillet 1789.

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A Bordeaux, EELV s’interroge sur son lien à la gauche

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Si les écologistes aiment répéter combien leur pensée est complexe, leur positionnement sur l’échiquier politique semble l’être devenu tout autant. À l’occasion de la mise en scène du quarantième anniversaire de la première candidature écolo à la présidentielle (celle de René Dumont en 1974), lors de son université d’été à Bordeaux, Europe Écologie-Les Verts (EELV) a souhaité faire le point sur sa proximité avec la gauche et le centre-droit.

Le débat s'est tenu samedi 23 août et son titre, L’écologie est-elle de gauche, de droite, ou ailleurs ?, en a fait tiquer plus d’un. Autour de la table, pas de représentants du PS au pouvoir – pas invités – mais le député de l’aile gauche socialiste, Pouria Amirshahi (l’un des animateurs de la gauche durable et des “frondeurs”), l’ancienne ministre d’Alain Juppé Corinne Lepage (Cap 21) et un ancien dirigeant des Verts, Yann Wehrling, devenu porte-parole du MoDem. Ainsi que l’une des porte-parole du Front de gauche, Clémentine Autain. L’UMP Nathalie Kosciusko-Morizet et l’UDI Chantal Jouanno avaient décliné l’invitation. 

Au terme de deux heures de débat, alors que l’ancienne ministre Cécile Duflot semble vouloir désormais incarner l’une des options possibles d’une alternative au cœur de la gauche, son mouvement paraît bien moins déterminé et peu au clair sur ses perspectives stratégiques.

 

Pascal Durand, Yann Wehrling, Emmanuelle Cosse, Pouria Amirshahi, Clémentine Autain et Corinne Lepage, à BordeauxPascal Durand, Yann Wehrling, Emmanuelle Cosse, Pouria Amirshahi, Clémentine Autain et Corinne Lepage, à Bordeaux © S.A

 

Yann Wehrling a su malicieusement jouer du trouble qui semble parcourir les rangs militants d’un mouvement en crise d’identité, après l’échec consommé d'un partenariat politique entamé avec Martine Aubry et dissous avec François Hollande. Appelant « à se projeter dans la modernité plutôt que dans le passé », Wehrling a lancé à ceux qui raillaient son choix d’avoir rejoint François Bayrou, désormais soutien d'Alain Juppé : « C’est bien d’avoir des ministres écolos, c’est mieux d’avoir un président. »

Avec son air juvénile et discret, celui qui est devenu conseiller de Paris, élu sur les listes de NKM, appuie là où ça fait douter. Nombreux furent à Bordeaux les cadres écolos à laisser entendre, souvent sur le ton de la blague mais pas que, combien « Juppé sur l’écologie, ça sera mieux que Hollande ». Wehrling enfonce le clou : « Le nouveau premier ministre vient de donner son accord pour qu’une autoroute traverse le Marais poitevin, son prédécesseur avec qui vous étiez au gouvernement incarnait un aéroport inutile, quant au président et à sa vision pro-nucléaire, il ne changera jamais d’avis sur le sujet. »

Et de comparer, sans être démenti, ces deux premières années avec celles du quinquennat Sarkozy, avant que l’écologie « ne commence à bien faire ». « Avec le Grenelle de l’environnement, il y avait une ambiance favorable à l’écologie, et il y a eu plus d’avancées qu’avec Hollande, il n’y a pas photo. » Wehrling a également fait résonner aux oreilles « europécologistes » les expériences de gestion des Grünen avec la CDU ou l’esprit du parlement de Strasbourg, « où le clivage gauche/droite n’a pas la même importance qu’en France ». Selon lui, ses anciens camarades de parti ne devraient plus s’occuper des « étiquettes », mais plutôt se poser la question de « savoir avec qui vous voulez travailler, en fonction des convictions écologiques de chacun, et de ceux qui veulent le plus promouvoir l’écologie ».

Ironie du débat, c’est Corinne Lepage qui viendra nuancer la proposition faustienne de Wehrling, en corrigeant celui qu’elle a côtoyé au MoDem et au parlement européen, où « quand il faut s’attaquer aux lobbies, ce n’est jamais la droite qui le fait ». L’ancienne ministre de l’environnement d’Alain Juppé renvoie dos à dos « les néolibéraux de droite » et « les scientistes de gauche ». Mais elle appelle dans le même temps au pragmatisme et à de « nouvelles synthèses ». « Pour écologiser la société, il faut être attractif et désirable, dit-elle. Les discours sur la décroissance sont inaudibles avec un taux de chômage tel qu’aujourd’hui… » Elle considère que les écologistes doivent davantage s’intéresser et convaincre dans le « monde économique » : « Entre l’économie sociale et solidaire et le Cac 40, il y a quand même autre chose… »

Écoutés par une assistance studieuse et bien moins dissipée que dans le passé parfois houleux des venues d’« écolos de droite » aux journées d’été des Verts, Wehrling et Lepage ont été tout aussi bien accueillis par les deux représentants d’EELV, la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse et son prédécesseur, Pascal Durand, devenu récemment eurodéputé. Tous deux ont insisté sur la non-automaticité d’une gauche écologiste.

« Quand on est une minorité en politique, il faut savoir reconnaître qui sont les nôtres, quels que soient les courants », a expliqué Cosse, en citant en exemple le vote interdisant la pêche en eau profonde au parlement européen, qui a échoué à cause des 14 voix des socialistes français. « Sur la régulation bancaire, je préfère largement travailler avec Michel Barnier qu’avec Pierre Moscovici », a renchéri Pascal Durand. Si la conversion à l'écosocialisme du PG a parfois été saluée, le productivisme et les positions pro-nucléaires des communistes, comme l’attachement de Jean-Luc Mélenchon aux Rafale de Serge Dassault, ont aussi été dénoncés.

Dans un parti majoritairement satisfait de ne plus participer à l’exécutif socialiste, la crise d’orientation semble pourtant déboussoler de plus en plus de responsables. « Il ne s’agit pas d’un retour au “ni gauche-ni droite” (ndlr – doctrine des Verts abandonnée au début des années 1990), mais plutôt d’une tentation du “et-et” », estime David Cormand, secrétaire national adjoint d’EELV. La perte d’influence de Cécile Duflot sur le parti, qu’elle dirigea mais qu’elle ne parvient plus à emmener derrière elle aussi massivement, est un autre marqueur des doutes qui traversent le mouvement.

Les représentants de la « gauche classique » ont quant à eux paru un brin décontenancés, s’imaginant en terrain davantage conquis. Le socialiste Pouria Amirshahi a eu beau lancer un « appel à mélanger nos forces militantes et parlementaires pour imposer une vraie transition écologique, une grande réforme fiscale et une nouvelle loi bancaire », la salle l’a écouté d’une oreille distraite, une bonne partie quittant l’amphi pour assister à une autre « plénière »…

Le député PS est toutefois parvenu à répondre à Pascal Durand et à sa comparaison d’une écologie s’affranchissant de la gauche et de la droite, comme les socialistes de la fin du XIXe siècle s’étaient autonomisés des républicains et des conservateurs de l’époque. « Je peux entendre que l’écologie est un intérêt supérieur au-dessus de la droite et de la gauche, a composé Amirshahi. Mais au temps de Jaurès, les socialistes se sont interrogés justement sur leur attachement avec la République. Et ont estimé que ce ne pouvait pas être “Nous et nous tout seuls”, mais “nous en synthèse avec la République”. » Façon de tenter de faire comprendre, en tissant l’analogie, que l’écologie pourrait difficilement se faire sans les valeurs de gauche. Un constat qu’a approuvé du bout des lèvres Emmanuelle Cosse, consentant à reconnaître qu’« il faudra toujours faire attention à ne pas oublier la question sociale au nom de l’écologie ».

Clémentine Autain a tenu enfin à rappeler que « si les écologistes ont quitté le gouvernement, ce fut tout de même à cause de positionnements concrets, bien expliqués par Cécile Duflot dans son livre, sur l’éthique, l’Europe ou les Roms ». Porte-parole d’Ensemble !,  la composante écolo-anticapitaliste du Front de gauche, elle a aussi dénoncé certaines « facilités » de langage : « Discutez avec les nouvelles générations de militants et de cadres communistes, ce n’est pas aussi caricatural que ce que vous croyez. Tout le monde au Front de gauche fait beaucoup de progrès … » À la tribune, elle a espéré voir se « réunir le meilleur du mouvement ouvrier avec le meilleur de la novation politique écologique ». Après le débat, elle ne semblait plus vraiment y croire.

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Les vérités de Duflot qui accablent Hollande

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Il n’y a que la vérité qui fâche. Pour tout connaisseur, acteur ou témoin, des deux années écoulées de présidence Hollande, Cécile Duflot, dans son livre, ne fait que dire publiquement ce qui est sur toutes les lèvres et dans toutes les conversations : le brutal reniement des engagements de la campagne présidentielle, l’incompréhension vis-à-vis d’un président indéchiffrable, le sentiment d’une trahison sans mode d’emploi, l’absence de discussion politique collective, la certitude enfin d’aller dans le mur, aussi bien politiquement qu’économiquement.

Sous-titré Voyage au pays de la désillusion, ce témoignage de l’intérieur conforte, valide et illustre ce que Mediapart n’a cessé de documenter, alertant dès l’été 2012 sur ce tête-à-queue sans précédent d’un pouvoir qui, à peine élu, renonce à ce qu’il a promis sans l’excuse d’une conjoncture inédite et sans la précaution d’une explication nouvelle. « En politique, écrit Cécile Duflot, j’ai une boussole, elle se résume en trois injonctions : n’oublie jamais qui t’a élue, pourquoi et pour quoi faire. Or, pour moi, François Hollande a oublié ceux qui l’ont porté à l’Élysée, a peu à peu tourné le dos à l’aspiration à plus d’égalité et de justice sociale qui a entraîné son élection et n’a pas tenu ses engagements. » 

Ce constat est d’autant plus redoutable qu’il ne vient pas de la gauche radicale mais d’une composante de l’actuelle majorité, qui s’assume sans embarras aucun résolument réformiste et gestionnaire. Dès lors, cette franchise est intolérable à celles et ceux qui s’accommodent d’une politique dissociée de ses engagements, jugeant anodin que l’on puisse agir à rebours de son discours et être ainsi infidèle à ses électeurs. L’immédiat assaut socialiste contre l’ancienne alliée écologiste – avant que l’actuel (et socialiste) ministre de l’économie Arnaud Montebourg ne lui embraye le pas mezza voce (lire ici la chronique de Hubert Huertas) – est aussi révélateur que sidérant.

Décidément, le présidentialisme est un crétinisme. La soumission aux décisions d’un seul, fussent-elles erronées, voire dangereuses, qui est à son principe, au mépris de toute délibération et intelligence collectives, rend politiquement stupides ceux qui s’y laissent aller. Quoi de plus naturel en effet, de plus sain et de plus nécessaire en démocratie, que le fait de rendre compte publiquement d’un itinéraire politique, de ses paris et de ses échecs, de ses convictions et de ses tournants ? Faut-il donc que notre présidentialisme délétère les ait abêtis pour qu’ils crient au crime de lèse-majesté présidentielle face à un acte démocratique élémentaire qui, au contraire de l’appel disciplinaire à la caporalisation d’une majorité électorale, témoigne d’un respect minimum pour ceux qui, momentanément, vous ont mis au pouvoir, les électeurs !

Car chef de son parti, les Verts puis Europe Écologie (EELV) pendant six ans, de 2006 à 2012, Cécile Duflot n’a pas été remerciée du gouvernement dont elle était ministre de l’égalité des territoires et du logement, exclusion dont elle se vengerait mesquinement. Non, elle est partie par choix politique volontaire, rupture dont elle rend compte fidèlement, avec honnêteté et scrupule. Elle est partie en assumant publiquement des désaccords discrètement accumulés, que le passage de Jean-Marc Ayrault à Manuel Valls au poste de premier ministre ne faisait que sanctionner et accentuer, mettant fin à ce qui avait fondé, selon elle, le pacte victorieux de l’alliance entre socialistes et écologistes pour 2012. Et elle l’a fait avec le soutien explicite de la majorité des instances dirigeantes de sa formation.

Cet acte de rupture, au bout de deux années de solidarité gouvernementale assumée et respectée, méritait des explications. Mieux, il les exigeait. Pour que les citoyens en soient juges, pour qu’ils puissent le comprendre et l’apprécier, le discuter en conséquence. Le plus sidérant, de ce point de vue, fut d’entendre l’inamovible Élisabeth Guigou, toujours en politique socialiste depuis son entrée au cabinet de François Mitterrand en 1981, non seulement disqualifier un livre qu’elle n’avait pas lu – « Ce n’est pas digne » – mais, de plus, inviter à ne pas l’acheter – « Je désapprouve et je n’achèterai pas son livre ». Quelle est cette peur panique du débat qui les habite au point d’excommunier, comme aux pires temps des sectarismes et des exclusives à gauche, le livre d’une ancienne collègue, qui plus est celui d’une des voix qui comptent chez l’allié écologiste ?

C’est d’ailleurs l’un des enseignements du témoignage de Cécile Duflot : sous la Cinquième République, notamment dans sa version hollandaise, on ne débat pas, on ne débat plus. « Les échanges sont rares avec le Premier ministre et le président de la République, raconte l’ex-ministre. Ce sera une des difficultés de ces deux années de gouvernement : nous n’avons de discussions que lorqu’il y a des problèmes. (…) Pendant longtemps, je serai persuadée qu’il y a des lieux de débat entre socialistes auxquels nous ne sommes pas conviés. À mon grand étonnement, je découvrirai que non. Comment imaginer qu’il n’y avait aucun débat collectif ? »

Loin de macérer sa déception, Cécile Duflot invite toute la gauche, dans la diversité de ses sensibilités et de ses électeurs, à avoir enfin ce débat empêché, sinon interdit. Livre instructif plutôt que vengeur, politique bien plus qu’anecdotique, De l’intérieur est en ce sens une bonne action démocratique – et c’est pourquoi il doit être lu. Pas de règlements de comptes, pas de petites phrases indiscrètes, pas de confidences trahies ou de secrets dévoilés. Mais le récit loyal et franc d’un pari perdu, celui du changement promis par la campagne présidentielle de François Hollande dont l’ancienne ministre raconte par le menu l’abandon aussi brusque qu’incompréhensible dès les premiers mois de présidence socialiste.

De l’intérieur est donc un compte-rendu de mandat ministériel. L’histoire d’un pari et de son échec. « J’ai fait le même chemin que des millions de Français, explique d’emblée Cécile Duflot. J’ai voté Hollande, cru en lui et été déçue. Mais je suis allée plus loin que tous ses électeurs découragés. J’ai essayé de l’aider à tenir ses promesses, de l’inciter à changer la vie des gens, de le pousser à mener une vraie politique de gauche. Et j’ai échoué. Alors je suis partie. » 

Loin du plaidoyer pro domo, ce bilan ne se limite pas à la défense du travail réalisé au ministère du logement – la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), dont l’ex-ministre dit qu’elle s’est heurtée à un « mur d’argent », des « lobbies » aux sirènes desquels « le président de la République lui-même n’était pas insensible ». Ni non plus au seul plaidoyer pour l’écologie dont Cécile Duflot dit que ce fut « un rendez-vous manqué ». C’est un état des lieux bien plus global qui est ici dressé où, dans l’échec, tout se tient, le renoncement écologique n’étant pas dissociable d’une politique d’ensemble marquée au sceau du passéisme, de l’archaïsme et du conservatisme.

« Au fond, rigueur et écologie, austérité et environnement ne peuvent pas faire bon ménage, écrit-elle. (…) Je crois que nous avons perdu deux années fondamentales. Depuis le 6 mai 2012, les socialistes attendent le retour de la croissance. Tout se déroule comme s’ils appartenaient à un vieux monde et qu’ils ne voulaient pas comprendre qu’il fallait en construire un nouveau. Ils campent sur des positions désuètes et croient encore au mirage productiviste qui retrouvera son âge d’or avec la reprise économique et le retour de la croissance. »

Impasse européenne, choix de l’austérité, rupture morale : les trois moments clés du renoncement mis en évidence par De l’intérieur recouvrent des questions politiques générales qui, à propos du symbole de la nomination de Manuel Valls à Matignon, amènent Cécile Duflot à carrément évoquer « cette gauche qui n’en a plus que le nom ».

La rupture morale, c’est à la fois l’affaire Cahuzac et la question rom. Sur la première, l’ex-ministre décrit un collègue « méprisant et brutal » qui n’hésitera pas à la traiter de « crasseuse » quand elle prendra, par principe, la défense de Mediapart. « La présidence normale, écrit-elle, avant d’être un style, était une manière de rappeler que les élus sont là pour servir les Français et non pour se servir eux-mêmes. En fermant les yeux et en étant complaisante avec l’un des siens, la majorité a signé l’acte de décès de cette normalité. » 

Sur la question rom, elle évoque « une brisure politique » lors des propos discriminatoires tenus par Manuel Valls en septembre 2013, « un seuil franchi »« une digue (qui) saute », « une gauche (qui) trahit ses valeurs ». Elle confie avoir fait porter une lettre manuscrite à François Hollande pour acter formellement son indignation au-delà de ses propos publics. On comprend, entre les lignes, qu’elle ne fut pas partagée comme elle l’aurait espéré, sur le fond. « S’opposer à l’idée que des populations peuvent ne pas avoir vocation à s’intégrer de par leur origine serait donc risqué », glisse-t-elle juste après l’évocation de sa rencontre d’explication avec le président de la République.

Mais la révélation du livre, c’est de comprendre que le désarroi s’est installé dès le premier été, et que seule la « muselière », selon le mot choisi par Cécile Duflot, du supposé devoir de solidarité qui contredit le devoir de vérité a retardé une rupture inévitable. Car c’est sur l’Europe – « L’impasse européenne », écrit-elle – que la plus européenne, de conviction et de composition, des formations de la majorité s’est sentie d’emblée en porte-à-faux avec les choix présidentiels. Ne pas avoir engagé l’épreuve de force promise avec Angela Merkel, cette renégociation promise en campagne du TSCG, le Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, fut « une faute majeure », « une erreur absolue », écrit celle qui, avec l’ex-député européen Pascal Canfin, représentait Europe Écologie-Les Verts au gouvernement.

« Mes amis verts européens partageaient cet espoir (celui de la renégociation), lit-on dans De l’intérieur. C’est pourtant dans leurs yeux que, pour la première fois, j’ai mesuré la déception à l’égard de François Hollande. Dès l’été 2012, une déprime généralisée s’abat sur tous les pro-européens qui avaient cru en lui. L’élève de Jacques Delors n’en avait donc pas retenu la leçon. À l’heure où l’avenir de l’Europe se jouait, la France faisait le choix de ne pas s’en mêler. Ou plutôt elle choisissait de rassurer les marchés plutôt que de prendre la tête d’une bataille européenne contre l’austérité. Lorsque les plus réalos (réalistes en langage EELV) des Verts allemands m’ont confié leur déception, j’ai compris que nous avions pris le mauvais chemin. »

L’austérité initiée, assumée et revendiquée par le pouvoir socialiste, jusqu’à exiger que l’on fasse silence dans les rangs tant cette politique contredit tous les engagements passés, fut la troisième cause de la rupture. Ce qu’affirme à ce sujet Cécile Duflot dessine un terrain d’entente entre des forces qui, des frondeurs socialistes au Front de gauche en passant par EELV, pourraient créer une dynamique majoritaire si divers intérêts plus boutiquiers que partisans ne l’entravaient.

« L’austérité n’est pas une fatalité », proclame en effet l’ex-ministre qui précise, plusieurs fois, qu’elle n’a jamais été gauchiste, qu’elle est une réformiste et qu’elle prend en compte l’enjeu de la dette. Mais elle s’oppose à ce « discours uniquement budgétaire » choisi par François Hollande comme « cap politique », où la résorption de la dette servit d’argument pour, finalement, « faire des chèques aux grandes entreprises » « Le récit politique de ce quinquennat devient le récit de la lutte sans fin contre la dette. François Hollande contre la dette, c’est pire que Sisyphe et son rocher. Un discours d’affichage, non suivi d’effets. Comme si sa parole était prédictive. Et, par conséquent, c’est la double peine : les dégâts du discours sans les bénéfices fixés par les politiques menées. »

Dès l’automne 2012, avec ce qu’elle n’hésite pas à nommer « le reniement » sur la TVA sociale, vilipendée sous Nicolas Sarkozy et, finalement, mise en place avec 20 milliards d’allègements de charge pour les entreprises, Cécile Duflot constate qu’« on s’éloignait de plus en plus des attentes des Français, des engagements pris lors de la campagne présidentielle, dans une course sans fin ». D’où son autocritique aujourd’hui : « La politique qu’on nous demande d’approuver s’éloigne de la pensée de la gauche. (…) Avec le recul, je mesure l’erreur que nous avons commise. Nous aurions dû mettre le coup d’arrêt dès ce moment-là. »

Dès lors, écrit-elle, « le renoncement devient la matrice du quinquennat ». Regrettant « l’absence totale de lien collectif », elle confie l’échec des tentatives de sursaut au sein même du gouvernement. Fondées sur l’assujettissement à un seul, les institutions présidentielles sont souvent plus fortes que les individus qui s’y soumettent. Elles les endorment, les isolent, les rendent prudents ou craintifs. « L’histoire de ce début de quinquennat fut aussi celle de multiples affadissements individuels », confie Cécile Duflot sans donner de détails, sinon ce fait que diverses réunions d’une potentielle bande des quatre, avec Christiane Taubira, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, ne déboucheront sur rien. 

Dans un cri de colère trop longtemps contenu, elle raconte comme cette abstention politique donnait la main à la technocratie, cet entre-soi des sachants qui prétendent savoir mieux que le peuple, ses élus et ses représentants, ce qui est bon pour lui. « Ces deux dernières années ont sonné la mort du politique et le règne de la technocratie, ce petit monde qui reste en poste quels que soient les gouvernants. Ces fonctionnaires qui passent du public au privé et vice versa en faisant parfois fi des conflits d’intérêts. Un fonctionnaire a le droit de partir vers le privé, mais ce doit être un aller sans retour. Je suis pour une interdiction stricte de ces allers-retours. »

La conclusion du chapitre sur l’austérité est un engagement pour l’avenir, qui devrait susciter l’intérêt de toutes les composantes de la gauche refusant l’actuelle course à l’abîme présidentielle. « Je suis sortie de ces deux années avec la certitude que l’austérité ne sera jamais la solution, que le courage en politique ne sera jamais de faire payer aux pauvres les cadeaux que l’on donne aux riches, qu’il n’y a aucun courage à piétiner les acquis sociaux. Le courage serait d’affronter la crise climatique, de réorienter l’Europe, de faire face aux vrais problèmes. Pendant deux ans, j’ai vu l’affaiblissement du politique masqué par la surpuissance des signes extérieurs d’autorité : je décide tout seul, j’ai la mâchoire serrée, je me tiens droit comme un I. (…) Je préférerai toujours la sobriété extérieure, le sens du collectif et le respect des promesses. »

En lisant De l’intérieur, on comprend que la rupture provoquée par la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre est carrément existentielle pour la militante écologiste, devenue ministre le jour de ses trente-neuf ans et qui n’a jamais oublié la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) de ses premiers engagements. Comme si le personnage politique qu’il campe – « La vérité, c’est que je n’ai aucune idée de ce qu’il pense sincèrement », confie Cécile Duflot – symbolisait à lui seul une gauche reniée, infidèle et égarée. Une gauche qui serait réversible avec la droite.

« Je ne connais pas assez Manuel Valls et Nicolas Sarkozy pour savoir s’ils se ressemblent, poursuit l’ex-ministre. Mais je sais que celui qui fut le premier ministre de l’Intérieur de François Hollande utilise des recettes similaires. Il déploie les mêmes techniques : saturation de l’espace médiatique, transgression. La figure est facile : le mec de gauche qui tient des discours de droite, c’est un peu l’écolo qui défend le nucléaire. 

« C’est ce que j’appelle la triangulation des Bermudes. À force de reprendre les arguments et les mots de la droite, de trouver moderne de briser les tabous, et donc de défendre la fin des trente-cinq heures, de dénoncer les impôts, de s’en prendre aux Roms, de prôner la déchéance de nationalité pour certains condamnés, de taper sur les grévistes, quelle est la différence avec la droite ? Une carte d’adhésion pour un parti différent ? Le fait de proclamer toutes les trois phrases “Je suis de gauche” ? Formellement, factuellement, quels sujets les opposent ?

« À force de trianguler, ils ont fait disparaître la gauche. »

À la vérité, le « ils » de cette conclusion sans appel se décline au singulier. C’est évidemment de François Hollande qu’il s’agit. De l’intérieur du pouvoir, Cécile Duflot brosse le portrait d’un président très éloigné de l’amateur de petites blagues que décrivent avec complaisance les gazettes. Sous la façade superficielle qui le protège des curieux surgit un personnage plus sombre, qui ne cesse de semer le désarroi autour de lui. Parce qu’il crée du vide et de l’absence, parce qu’il est encombré de silences, parce qu’il est insaisissable.

Au début du livre, l’ex-ministre commence par dire son incompréhension devant cet « animal politique redoutable » qui, soudain, lui échappe : « Je ne m’explique pas l’impasse dans laquelle il a engagé sa famille politique, ses alliés, et le pays tout entier. Surtout, pourquoi continuer d’avancer dans cette direction funeste ? » Puis elle ajoute : « Son problème n’est pas de ne pas savoir décider, c’est de vouloir toujours trouver la solution qui ne fait pas de vagues. Résultat, cela ne fait pas de vagues, mais cela crée un tourbillon qui aspire tout le monde vers le fond. » 

Puis, une fois racontés les désaccords qui ont conduit à la rupture, elle s’avoue désemparée comme l’ont sans doute été nombre d’électeurs ou d’observateurs : « Je ne comprenais plus François Hollande », lâche-t-elle. « Sa principale qualité est son calme. Il a des ressources de contrôle de lui-même impressionnantes, et cela reste à mes yeux une qualité primordiale à son niveau de responsabilité. Son principal défaut est de ne pas dire ce qu’il pense. (…) Faute d’avoir voulu être un président de gauche, il n’a jamais trouvé ni sa base sociale, ni ses soutiens. À force d’avoir voulu être le président de tous, il n’a su être le président de personne. »

Cette solitude n’est pas qu’institutionnelle, tant l’individu y a mis du sien. Cécile Duflot décrit ainsi un François Hollande moins aimable que sa réputation : « Au début de sa présidence, François Hollande est égal à lui-même. Puis il se transforme, il devient plus dur, plus cassant. L’exercice du pouvoir est abrasif. Ou, plutôt, sa manière solitaire de l’exercer l’est. » Surtout, elle rappelle que, de son seul chef, François Hollande a choisi d’emblée l’isolement politique, à l’exception de l’alliance avec les écologistes aujourd’hui rompue.

Il fut en effet candidat à la présidence après une primaire socialiste dont l’alors première secrétaire Martine Aubry avait été l’autre finaliste, obtenant 43,43 % des voix. Il fut ensuite élu à l’Élysée avec le renfort non négligeable des voix apportées, outre celles plus modestes d’Eva Joly pour EELV (2,31 % des suffrages exprimés), par François Bayrou (9,13 %) et Jean-Luc Mélenchon (11,10 %). Or, souligne Cécile Duflot, « il a tourné le dos à cette belle unité le 6 mai au soir » : « Il a exercé son pouvoir en éloignant Martine Aubry. Il n’a pas tendu la main à Jean-Luc Mélenchon ni au Parti communiste. La majorité du 6 mai allait de François Bayrou à Jean-Luc Mélenchon, mais aucun des deux ne siégera avec nous au gouvernement. »

« La gauche ne se satisfait pas d’un exercice solitaire du pouvoir », conclut l’ex-ministre du gouvernement Ayrault. Ce qu’elle nous fait comprendre, c’est que François Hollande aura construit seul l’isolement de sa présidence. Aux pathologies du présidentialisme s’est ajoutée la solitude maladroite d’un homme qui n’a pas su rassembler autour de lui tous ceux qui l’avaient hissé au pouvoir. Pour que la gauche et, au-delà, tous les républicains attachés à un sursaut démocratique, social et écologique méditent, s’il est encore temps, cette leçon, la lecture du livre de Cécile Duflot s’impose.

En librairie, Editions Fayard, 240 p., 17 euros.En librairie, Editions Fayard, 240 p., 17 euros.

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Légaliser le cannabis (6/7). La France s'accroche au tout-répressif

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C’était fin octobre 2013. Le groupe socialiste à l’Assemblée nationale lançait en toute discrétion une mission d’évaluation des politiques publiques de lutte contre les substances illicites. « Il ne s’agit pas de légaliser ou de dépénaliser le cannabis », insistait au téléphone l’une des deux parlementaires PS à l’origine de l’initiative, Catherine Lemorton, qui redoutait que le PS ne soit une fois de plus taxé de « laxisme ». « Face à la réalité, le vrai laxisme c’est le statu quo », sabrait pourtant en 2011 l’ancien ministre de l’intérieur PS Daniel Vaillant dans un rapport sur « la législation contrôlée du cannabis ». L’élu parisien est désormais aux abonnés absents, à en croire Marianne. « Non, il ne communique plus sur le sujet ! » a répondu son équipe à l’hebdomadaire.

Rassemblement pour l'appel du «18 joint» sur la Canebière à Marseille, en 2014.Rassemblement pour l'appel du «18 joint» sur la Canebière à Marseille, en 2014. © LF

Officiellement, le gouvernement socialiste ne craint pas le débat. Le ministre de l’intérieur PS Bernard Cazeneuve nous a ainsi répondu le 12 août 2014 être favorable « au plus large débat »… en refermant aussitôt la porte. « Mais dans ce débat, j’ai ma position : je suis fermement hostile à toute dépénalisation. »

Face aux lecteurs du Parisien en juin 2014, Christiane Taubira restait tout aussi prudente : « À partir du moment où 40 % des adolescents ont touché au cannabis, on ne peut pas se cacher sous le sable. Pourquoi, dans un pays où l'on peut débattre des sujets les plus compliqués, n'est-il pas possible de débattre de celui-ci ? Si l'on légalise, terminé le trafic ! Mais moi, je ne suis pas qualifiée pour dire qu'il faut légaliser. Faut-il des états généraux ? Je pense que oui. »

Mais quand la sénatrice écologiste Esther Benbassa dépose le 28 janvier 2014 une proposition de loi « visant à autoriser l'usage contrôlé du cannabis », l’ex-ministre de l’intérieur Manuel Valls coupe court. « J’ai demandé un débat sans vote dans l’hémicycle pour sensibiliser les élus, raconte la sénatrice. Manuel Valls a immédiatement refusé. » « Nous considérons qu’il faut des interdits, nous a répondu Manuel Valls le 12 mars 2014. Ça ne veut pas dire que le débat n’aura pas lieu. Qui peut l’empêcher ? Nous avons besoin de normes, de règles, d’interdits. » Voir ci-dessous la vidéo à la 30e minute.

A partir de 30 min

Votée un soir de Saint-Sylvestre, le 31 décembre 1970, la loi française met dans le même sac héroïne, cocaïne et cannabis, classés comme stupéfiants (lire le décret). Le tabac et l’alcool, qui sont respectivement à l’origine de 73 000 et 49 000 décès par an selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ne sont pas inclus dans cette liste. « La distinction se fait entre des drogues licites, socialement tolérées, et des drogues illicites, socialement discriminées », explique le rapport Vaillant. 

L’usager de cannabis risque une peine de prison allant jusqu’à un an et une amende de 3 750 euros. Et pour verrouiller l’opinion publique, la loi punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait de présenter la consommation et le trafic de stupéfiants « sous un jour favorable ». 

Une loi choc pour un phénomène à l’époque marginal : seules 1 944 personnes seront interpellées pour usage de stupéfiants en 1971. Mais le gouvernement français veut endiguer « une vague de contestation portée par ce que certains ont appelé la dissolution des mœurs ». Six mois plus tôt, le Parlement a adopté la loi anti-casseurs, qui sera abrogée par la gauche à son arrivée au pouvoir en 1981. « Une panique morale s’installe après 1968, il y a l'overdose d’une jeune fille à Bandol, on a peur d’une catastrophe sanitaire comme aux États-Unis, rappelle le sociologue Michel Kokoreff, professeur à l’université Paris 8. Nixon lance sa guerre à la drogue et met la pression sur Pompidou à propos de la French connection. »

Le 18 juin 1976, Libération publie le fameux « Appel du 18 joint ». « Cigarettes, pastis, aspirine, café, gros rouge, calmants font partie de notre vie quotidienne. En revanche, un simple joint de cannabis peut vous conduire en prison ou chez un psychiatre. Des dizaines de documents officiels ont démontré que le cannabis n'engendre aucune dépendance physique, contrairement aux drogues dites dures, telles que l'héroïne, mais aussi au tabac ou à l'alcool, et n'a aucun effet nocif comparable. »

Apparaît une véritable « police du cannabis », focalisée sur l’usage du cannabis dans l’espace public. En 25 ans, les interpellations pour usage du cannabis sont multipliées par dix, passant de 11 896 en 1985  à 122 439 en 2010, selon une étude de l’OFDT. En 2010, le cannabis représente 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants, contre 71 % en 1990. Pour traiter cet afflux et ne pas paralyser les tribunaux, les parquets développent des alternatives aux poursuites (rappels à la loi, injonctions thérapeutiques, etc.).

Grâce à celles-ci, la sanction pénale devient presque systématique. En région parisienne, selon l'OFDT, seules 8,5 % des affaires d’usage ont été classées sans suite en 2008, contre près de 30 % sept ans plus tôt. Chaque parquet bricole, avec de fortes inégalités territoriales d’une juridiction à l’autre. «Il y a un vrai problème de politique pénale en matière de stupéfiants, explique Benoît Vandermaesen, secrétaire national du Syndicat de la magistrature (minoritaire) qui défend la légalisation. Pour 10 grammes de résine, ça peut être usage (puni par le code de la santé publique) et détention (puni par le code pénal). Certains procureurs vont demander une disqualification des poursuites, d'autres vont viser la détention de stupéfiants. La peine encourue est alors de dix ans. Ce qui veut dire que les condamnés seront en état de récidive légale sur les dix ans à venir.» « La répression sur le cannabis n’est pas la même en Seine-Saint-Denis que dans le Finistère, reconnaissait en 2013 Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Interpellé avec le même nombre de grammes, vous ne serez sans doute pas sanctionné de la même façon. »

L’argument de cette coûteuse politique répressive (entre 500 millions à 600 millions d’euros par an selon une estimation de l’économiste Christian Ben Lakhdar) reste la protection de la jeunesse contre les effets nocifs du cannabis. « Cancers, troubles du comportement et effets psychiatriques, liste Bernard Cazeneuve. Je peux comprendre que ce principe soit considéré comme un peu old fashioned mais, pour ce qui est de mes propres enfants, je leur déconseillerais le cannabis et les protégerais. Donc a fortiori, pour tous les autres. »

Comme nous l'avons décrit dans un précédent volet, difficile en l'état des recherches d'être aussi définitif. Le cannabis est moins addictif que d’autres drogues et n’a jamais provoqué d’overdose mortelle. Mais il comporte des risques de dépendance psychique, des risques pour le système pulmonaire (d'autant plus qu'il est associé au tabac), ainsi que des impacts négatifs sur la mémoire, la concentration, l’attention et la motivation des usagers au long cours. Des études sur sa relation avec les troubles psychiques, de type schizophrénie, sont toujours en cours. Des recherches portent également sur les possibles propriétés médicinales de la marijuana, qui suscitent beaucoup d’espoirs.

Pendant ce temps, le nom de la Mildt (devenue Mildelca, mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) s'allonge... et son budget ne cesse baisser. Il est passé de 32,27 millions d'euros en 2009 à 20,9 millions d'euros en 2014. Même sur le plan thérapeutique, la France est à la traîne. En 2001, le ministre délégué à la santé Bernard Kouchner s'était dit favorable à l'utilisation thérapeutique du cannabis « dans un cadre très précis » pour soigner la douleur de la sclérose en plaques et de certains cancers.

Il faudra attendre... janvier 2014 pour que l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) autorise la mise sur le marché du Sativex, un spray buccal fabriqué à base de cannabis déjà autorisé dans la plupart des pays européens. Une première en France, où jamais un médicament à base de cannabis n'avait été commercialisé. Mais l'utilisation de la plante dans des préparations magistrales reste interdite, tout comme fumer de l'herbe pour soulager des douleurs.

Graphique réalisé par l'OFDT (Obradovic)Graphique réalisé par l'OFDT (Obradovic)

L’échec de cette politique saute aux yeux. Le cannabis est devenu une pratique culturelle française répandue dans toutes les classes sociales. Environ 13,4 millions de Français ont déjà consommé au moins une fois du cannabis, selon l’OFDT. Quelque 1,2 million en consomment de façon régulière (plus de dix fois par mois), dont 550 000 quotidiennement. Le nombre de jeunes de 17 ans ayant déjà expérimenté le cannabis a doublé en France entre 1993 et 2011, passant de 21 % à 41,5 %. La France a donc aujourd’hui « le triste privilège de figurer dans le peloton de tête des pays de l’Union européenne pour ce qui concerne la consommation de cannabis », constatait le 13 août 2013 l'ex ministre de l’intérieur Manuel Valls.

Pire, « l'interdiction du cannabis apparaît bien comme l'allié objectif des mafias à qui elle donne leur raison d'exister sur ce secteur d'activité », concluait le rapport Vaillant. Résultat : « l’actuelle régulation du cannabis est faite par des organisations criminelles qui contrôlent le type de produit, sa qualité, la vente aux mineurs, etc. », affirme l’économiste Pierre Kopp, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Comme aux États-Unis dans les années 1920, la prohibition nourrit des réseaux criminels qui régentent certains quartiers populaires (lire Quartiers shit de Philippe Pujol). Et recrute leurs adolescents comme guetteurs, charbonneurs, etc.

« Le gouvernement se sert de la jeunesse comme d’un bouclier humain, constate Kshoo, 47 ans, l’un des cofondateurs du Collectif d’information et de recherche cannabique (Circ). On prétend la protéger, mais on criminalise une partie de la jeunesse. Ils deviennent adultes avec le statut de délinquant. » Certains y voient même un calcul plus cynique. Comme ce gérant d’un « growshop » marseillais, pour qui les autorités publiques achètent la paix sociale dans les quartiers en laissant les jeunes « s’assommer avec du shit pourri ». « Dans les années 1980, ils s’engageaient pour la marche des Beurs, contre les massacres de Sabra et Chatila, etc. Aujourd’hui, vu la qualité de ce qu'ils fument, les velléités de révolte, ils les laissent dans le cendrier. »

Liste des règlements de comptes à Marseille, lors du «18 joint» 2014.Liste des règlements de comptes à Marseille, lors du «18 joint» 2014.

À Marseille, et dans une moindre mesure en région parisienne, le bilan se compte également en cadavres. En 2011, un groupe d’universitaires et d’experts en santé publique, basé en Colombie-Britannique, a épluché les données existantes sur l’impact de la répression policière. Ils concluent « que la violence liée à la drogue et les taux élevés d’homicides sont probablement une conséquence naturelle de la prohibition ». « Les méthodes de plus en plus sophistiquées, et abondamment financées, de perturbation des réseaux de distribution de drogues peuvent involontairement augmenter la violence », précisent-ils.

Pourquoi les pouvoirs publics n'actent-ils pas cet échec ? « Autant la France a eu une approche très libérale et offensive du soin des drogues dures, avec des dispositifs d’accueil anonymes et gratuits, autant la possession et l’usage de cannabis restent de l’ordre d’un interdit moral et le premier qui bouge sur le sujet est traité de laxiste », remarque le journaliste spécialisé Laurent Appel, membre de l’association Autosupport pour les usagers de drogues (Asud). « On ne sortira pas de cette impasse, tant qu’on reste dans un volet moral "Le shit c’est mal, c’est la chienlit" », critique Mohamed Bensaada, membre de l’association Quartiers nord, quartiers forts à Marseille.

En la matière, les préjugés ont la vie dure : 70 % des Français sondés par l'OFDT fin 2012 sont par exemple persuadés que « fumer du cannabis conduit à consommer par la suite des produits plus dangereux ». Cette théorie de l’escalade, largement reprise par les politiques français, a pourtant été réfutée par la plupart des études scientifiques.

Campagne de prévention de la Mildt de 2005Campagne de prévention de la Mildt de 2005

« Il y a une frilosité évidente des politiques qui considèrent que c’est un dossier suicidaire au regard des sondages », affirme Michel Kokoreff, qui pointe « une classe politique vieillissante, en décalage avec l’évolution des mœurs ». Selon l'enquête conduite par l'OFDT sur un échantillon de 2 500 personnes fin 2012, 78 % des sondés étaient opposés à la mise en vente libre du cannabis, mais 60 % se disaient prêts à l'autoriser sous certaines conditions (interdiction aux mineurs et avant de conduire). En la matière, le PS comme l’UMP semblent donc en retard sur l'opinion publique.

« La gauche n’a jamais rien fait : toutes les initiatives de réduction des risques en matière de drogues dures sont venues de la droite », rappelle même Fabrice Olivet, directeur d’Asud et secrétaire général de l'Association française pour la réduction des risques (AFR).

« Le débat a été tué dans l’œuf par l’arrivée du PS au pouvoir, confirme Benoît Vandermaesen. Le PS a l’illusion qu’il perdrait toute légitimité dans la lutte contre la délinquance en abordant ces questions. Alors il reste dans la surenchère : montrer qu’il fait mieux que la droite, sans changer de paradigme. » L’UMP se garde, elle, sur sa droite, où progresse le Front national. « Le premier qui donnera l’impression d’être faible sur les drogues aura perdu », résume Pierre Kopp.

Échaudé par l’épisode houleux du « mariage pour tous », François Hollande ne veut plus de débats « sociétaux », jugés trop sensibles. « Les socialistes ne veulent pas choquer les gens, mais que des jeunes se procurent du cannabis auprès de groupes mafieux ne gêne personne », s'indigne Esther Benbassa. Pour elle, le « traumatisme » du mariage pour tous qui « a divisé la France en deux », les récents débats autour de la réforme pénale montrent un pays « replié sur ses stéréotypes et ses conservatismes ». « Malgré leur conservatisme, les États-Unis sont en avance sur les libertés individuelles », dit la sénatrice qui rêve d’une mission parlementaire au Colorado.

Aux États-Unis, ce sont des associations financée en grande partie par des milliardaires, la Drug Policy Alliance et le Marijuana Policy Project, qui portent le combat anti-prohibition. Ces acteurs font défaut en France, où « les groupuscules existant ne pèsent pas lourd face au poids des institutions et au rôle ambivalent des médias », remarque Michel Kokoreff.

Les associations françaises anti-prohibition sont nées au début des années 1990 en pleine épidémie de sida chez les usagers d'héroïne. La politique de répression est alors l'un des facteurs de propagation du sida par les seringues souillées. A Paris, Lyon, Marseille, l'hécatombe frappe les cités et les jeunes issus de l'immigration qui viennent de surgir dans l'espace public avec la « Marche des beurs ». Ils tombent par milliers, dans l'indifférence générale, comme le relate cette enquête du Monde.

La France finit par adopter des mesures très offensives – centres de soins, programmes d’échanges de seringues en 1991 et traitements de substitution aux opiacés en 1994  – et obtient des résultats spectaculaires. Le nombre des infections par le VIH chez les usagers de drogue est divisé par quatre et les overdoses chutent. « Il y a eu une sorte de deal politique : d’accord pour la prise en charge médicale du sida et de l’hépatite C, mais pas un mot sur les droits, pas un mot sur les questions politiques autour de la drogue », relate Fabrice Olivet, directeur d’Asud fondée en 1992. Agréée par l’État pour représenter les usagers, l’association est aujourd’hui financée par l’État à hauteur de quelque 100 000 euros, sur un budget d’environ 350 000 euros.

Numéro «On a testé pour vous 50 produits» d'AsudNuméro «On a testé pour vous 50 produits» d'Asud

Axées sur la réduction des risques, les associations  françaises sont démunies pour parler du cannabis qui présente peu de risques sanitaires aigus au côté de l’héroïne ou du crack. « Le débat sur les salles d'injection gêne moins les politiques de droite comme de gauche que celui sur la légalisation du cannabis, estime Fabrice Olivet. On a sorti un manuel, Se shooter propre, un test comparatif de 50 produits stupéfiants, mais, en 14 ans, les seuls ennuis judiciaires que nous ayons eus étaient toujours liés au cannabis. »

En juin 1999, le président d'Asud est condamné à une amende pour l'organisation du « 18 joint » 1998. Puis en 2002, les responsables de l’association sont auditionnés par la brigade des stupéfiants de Paris pour un numéro spécial sur le cannabis thérapeutique.

« S'engager dans le militantisme autour du cannabis, c'est s'exposer et risquer beaucoup d'embrouilles », remarque un militant marseillais. Le contexte de la prohibition rend difficile la prévention. Pourtant, selon les variétés de cannabis, le taux de THC varient et peuvent grimper jusqu'à 35%. « C'est comme l'alcool : la journée on va prendre une bière, le soir pour faire la fête un whisky, explique ce même militant. Il faut retrouver cette éducation des produits adaptés à tel ou tel moment de la journée. Mais on ne peut même pas dire : "Fumez un joint le soir, mais pas toute la journée". »

« La loi sur les stups de 1970 interdit tout débat et transforme la brigade des stupéfiants en une police politique, dit Kshoo, cofondateur du Circ en octobre 1991 avec Jean-Pierre Galland. Dès qu’on tient un autre discours que celui prohibitionniste, ça risque d’être considéré comme une incitation à la consommation. » Selon lui, les militants se sont épuisés dans les combats judiciaires. « Ça nous a pas mal calmés pendant dix ans », reconnaît Kshoo.

Pour contourner les obstacles légaux, il s’est lancé comme plusieurs militants dans la promotion du « chanvre global » (culture légale après accord des autorités publiques s'il contient moins de 0,002 % de THC). Il s’agit de réhabiliter une culture traditionnelle pour produire des matériaux de construction, des vêtements, des boissons, des aliments, etc., qui iront alimenter les rayons des boutiques et salons bio. Le développement de l’autoproduction et des « grow shops », des boutiques vendant du matériel de culture hydroponique, permet également à certains activistes de vivre – indirectement – du cannabis. Plusieurs stands français seront ainsi présents mi-septembre à « Expogrow », un salon du cannabis stratégiquement placé à Irun (Espagne), à quelques kilomètres de la frontière avec le pays basque français.

Depuis trois ans, l’actualité internationale a redonné un coup de fouet aux anti-prohibition qui observent avec intérêt les expériences de légalisation de l’Uruguay, du Colorado et de Washington. « Ce qui s’est passé aux États-Unis est une ringardisation de la politique française, estime Pierre Kopp. En schématisant, aujourd’hui, être d’accord avec Obama, c’est être pour la légalisation. » « Plus ces expériences se poursuivent, mieux on mesurera les impacts sur la consommation de cannabis, les rentrées d’impôts pour les États, les gangs et la violence, etc. », souligne Laurent Appel. Autant d’aspects concrets et chiffrés pour sortir des fantasmes français.

Campagne du CircCampagne du Circ

Certains aimeraient ainsi mener cette question sur le terrain des droits civiques, en s’inspirant de la façon dont le mouvement pro-légalisation aux États-Unis a su mobiliser des associations de lutte contre les discriminations ethniques et sociales. Aux États-Unis, une étude de la grande association de lutte pour les droits civiques ACLU montre que les Afro-Américains ont 3,73 fois plus de chances de se faire arrêter pour possession de marijuana que les Blancs, alors que les deux groupes en consomment autant. En décembre 2013, dans une tribune commune, Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (Cran) et Fabrice Olivet pour l'AFR, tentent une comparaison avec la France. « La guerre aux drogues, inefficace et coûteuse » n’y serait-elle pas « en outre une guerre racialisée » ?

« Nous n’avons pas de chiffres, mais nous avons vraiment l’impression qu’en France, la guerre à la drogue vise surtout les banlieues, et les Arabes et les Noirs qui y vivent », dit Fabrice Olivet. À défaut de statistiques ethniques en France, « les enquêtes en population générale montrent qu'un grand nombre de jeunes consomment du haschich dans toutes les catégories sociales, mais que l'immense majorité des poursuites pour usage de stupéfiants concerne les jeunes des milieux populaires », nous indiquait le sociologue Laurent Mucchielli en  2011. Dans les quartiers populaires, la police mène une guerre à la drogue qui transforme la plupart des habitants en ennemis.

La contestation vient donc aussi des intervenants dans ces quartiers populaires les plus confrontés à ces trafics organisés de façon entrepreneuriale. Stéphane Gatignon, le maire EELV de Sevran, une des communes les plus pauvres de France, milite depuis 2011 pour la légalisation. « Les réseaux sont de plus en plus structurés, décrivait-il en avril 2013. Avant, l’argent de la drogue redescendait sur les quartiers. Les trafiquants ouvraient un petit commerce, un kebab… Désormais, l’argent reste en haut, chez ceux qui tiennent le trafic. Et ils n’investissent plus vraiment dans de petits commerces, mais dans des SCI. De l’argent sale circule dans le milieu de l’immobilier. »

C’est aussi le constat de certains policiers, comme ce commissaire qui connaît bien les cités marseillaises. Selon lui, la légalisation se heurte cependant à la crise actuelle. « Dans les quartiers nord, on compte près de 300 000 habitants, dont 40 % de jeunes au chômage. On ne peut pas dire aux mecs : "Votre trafic, c’est fini, demain c’est estampillé Seita et ça se déroule au bureau de tabac." Le trafic de shit fait vivre des familles entières ainsi que l’État puisque, quand les jeunes achètent des Nike, 20 % revient dans les caisses publiques. Et même 80 %, lorsqu’on les retrouve aux tables de poker dans les casinos autour de Marseille. » Les policiers craignent également  que les groupes criminels s'adaptent à une éventuelle légalisation en proposant des produits à moindre coût ou avec des taux de THC supérieurs à celui réglementé.

C'est pourquoi, plutôt qu’un monopole d’État, Mohammed Bensaada de l’association « Quartiers nord, quartiers forts » et candidat du Parti de gauche aux municipales, imagine lui « un dialogue avec ceux qui n’ont pas de sang sur les mains » pour « officialiser, contrôler et taxer les réseaux existants, tout en développant des centres sanitaires et de pédagogie. » « Si l'on évince les trafiquants, c’est sûr qu’ils se tourneront vers d’autres trafics », remarque-t-il.

Éparpillés, les militants anti-prohibition tâtonnent donc encore en France. Début 2013, l’expérience de sortie de la clandestinité de cannabiculteurs a fait long feu avec la condamnation de Dominique Broc, le médiatique porte-parole du Cannabis social club français (CSCF). L’idée était de déclarer en préfecture sous forme d’association loi 1901 un maximum des réseaux amicaux de cultivateurs. « Révulsé de filer du fric à des mafias », Dominique Broc prône l’autoculture et agite le chiffre de 400 cannabis social clubs. Mais au printemps 2013, seules six associations se déclarent au Journal officiel (en Charente-Maritime, Creuse, Haute-Vienne, Indre-et-Loire, Loire-Atlantique et Vendée).

Apparu avec ses pieds de cannabis dans plusieurs reportages, Dominique Broc est perquisitionné le 21 février 2013. Les policiers saisissent 126 plants de cannabis et 26 grammes d’herbe. Le jardinier de 45 ans est condamné en première instance à huit mois de prison avec sursis et à une amende de 2 500 euros pour « détention et usage de cannabis ». L’expérience de désobéissance civile tourne court.

En off, des militants du CSC regrettent l’« amateurisme » et le « manque de préparation » de cette campagne, qui aura tout de même été très relayée par les médias. « Nous sommes un peu bordéliques, c’est typique, reconnaît Kshoo. L’action était censée susciter un débat qui n’a pas eu lieu. Mais l’expérience continue, avec des mutualisations entre cannabiculteurs, mais les gens ne déposent plus les statuts d’association loi 1901. » Lui aussi regarde du côté des États-Unis, où la liberté de ton des médias, même les plus conservateurs, le stupéfie. « Le jour où la loi changera en France, on se rendra compte de l’absurdité de la situation actuelle », dit-il.

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Montebourg et Hamon entrent en «résistance»

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La réponse ne s'est pas fait attendre. François Hollande a demandé lundi matin à Manuel Valls de former un nouveau gouvernement. L'annonce intervient au lendemain des discours d'Arnaud Montebourg et Benoît Hamon qui ont tous deux demandé, dimanche, une autre politique économique sans pour autant se dissocier du gouvernement mais en marquant nettement leurs divergences avec le premier ministre. « La ligne jaune a été franchie », avait riposté l'entourage de Manuel Valls. Après une rencontre d'une heure avec François Hollande lundi matin, le premier ministre, Manuel Valls, a présenté lundi 25 août la démission de son gouvernement, a annoncé l'Élysée.

Le chef de l'État a demandé au premier ministre « de constituer une équipe en cohérence avec les orientations qu'il a lui-même définies pour notre pays », a indiqué la présidence de la République dans un communiqué. La composition du nouveau gouvernement sera annoncée mardi. Manuel Valls reçoit lundi tous les membres du gouvernement, afin de sonder leur position vis-à-vis de la ligne de l'exécutif. Premiers reçus, lundi matin : Benoît Hamon, suivi de Laurent Fabius, Bernard Cazeneuve... « L'idée est de reconstituer une équipe qui soit en adéquation avec la ligne économique de l'exécutif », a précisé le cabinet de M. Valls. Dimanche, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon avaient sonné la charge lors de la Fête de la rose à Frangy-en-Bresse. Ci-dessous notre reportage :
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Frangy-en-Bresse, de notre envoyé spécial.   À une semaine de l’université d’été du PS à La Rochelle, Arnaud Montebourg a lancé, dimanche 24 août à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), aux côtés de Benoît Hamon, sa propre rentrée politique en choisissant de faire dérailler le train-train gouvernemental. Si l’enfant du pays et ministre de l’économie aime revenir dans sa Bourgogne natale pour y célébrer la Fête de la rose, cette année 42e du nom, il aime par-dessus tout donner le ton de la rentrée. Exercice réussi cette année, à un point tel que Matignon estimait dimanche soir qu'«une ligne jaune a été franchie».

L'arrivée de Montebourg sous les projecteursL'arrivée de Montebourg sous les projecteurs © Yannick Sanchez

En invitant le ministre de l’éducation nationale à sa table, avec qui il avait fondé le Nouveau Parti socialiste en 2003, Arnaud Montebourg a voulu montrer qu’il existe des voix pour porter l’étendard d’une alternative à l’austérité et à une politique économique en faveur des entreprises.

Il a surtout balayé les mouvements tactiques engagés ces derniers jours par le président de la République et par le premier ministre pour empêcher tout débat sur la politique économique et sociale conduite. Jeudi, Manuel Valls s'était employé à verrouiller ce débat lors d'un séminaire gouvernemental agité: lire notre article Manuel Valls tente de mettre sa majorité au garde-à-vous. La veille, à l'occasion d'un entretien au Monde et du conseil des ministres de rentrée, François Hollande avait exclu une inflexion politique, s'en prenant en termes définitifs à toute voix dissonante: lire Hollande fait sa rentrée, sans changement ainsi que Pierre-Alain Muet (PS): «Une politique économique aberrante».

Dimanche, un groupe de députés « frondeurs » a répondu à l’appel de l’ancien député de Saône-et-Loire. Philippe Baumel, Christian Paul et Régis Juanico, les locaux de l’étape, ou encore Laurent Baumel, unis dans leur rejet de la politique droitière menée par le gouvernement. Un symbole fort alors que le premier ministre, Manuel Valls, qualifiait ces mêmes frondeurs d’«irresponsables» dans les colonnes du JDD le dimanche précédent.

Aux alentours de 12 h 30, Arnaud Montebourg a débarqué le premier, chemise entrouverte, un tantinet blagueur et désinvolte – « Il s'est perdu dans la Bresse profonde, Benoît Hamon ». Avant de lâcher aux journalistes qui le pressaient de questions sur la mauvaise conjoncture économique et la ligne politique du chef de l'État : « Je vais lui envoyer une cuvée du redressement, au Président. »

Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ont ensuite pris place aux côtés des frondeurs, partageant le poulet de Bresse et les idées politiques. « Il y a un combat ici et maintenant pour la réorientation de la politique économique du gouvernement », a affirmé le député d'Indre-et-Loire, Laurent Baumel. Ce dernier déplore que le « centre de gravité du parti se soit déplacé à droite » et assure qu'à terme « il faudra bien qu'il y ait un retour d'expérience sur ce que l'on est en train de traverser ».

Arnaud Montebourg, Cécile Untermaier et Christian PaulArnaud Montebourg, Cécile Untermaier et Christian Paul © Yannick Sanchez

L'un des meneurs de la fronde parlementaire, Christian Paul, souhaite que « le débat ait lieu au niveau du gouvernement. Nous partageons le constat sur la mauvaise politique économique, il faut désormais des solutions avec une vraie réforme fiscale et une deuxième loi bancaire ». Ce dernier n'a par ailleurs pas apprécié d'être traité d'irresponsable par Manuel Valls : « Je me demande qui sont les irresponsables, entre les entreprises qui ont empoché des dividendes 30 % plus élevés cette année et les parlementaires qui essaient de faire entendre une autre voix que celle de l'austérité. »

Parmi les militants, plusieurs se disent déçus des deux premières années du quinquennat Hollande. Michèle, 72 ans, a beau avoir gardé son affiche du Président chez elle, elle affirme ne pas comprendre la politique menée par le chef de l'État. « À force de prendre aux classes moyennes, il risque de n'y avoir plus que des riches et des pauvres sans rien au milieu. » Jean-Michel, venu des Hauts-de-Seine, pense que le débat n'est pas national, « il doit se jouer à l'échelle européenne ». Mais comment faire si la France n'applique pas elle-même la politique qu'elle souhaite voir se généraliser en Europe ? Pour eux, Arnaud Montebourg est l'homme de la situation. Danielle vient à la Fête de la rose depuis plus de dix ans, elle pense que le ministre de l'économie peut relever le défi et souhaite par-dessus tout que « notre pays puisse conserver son modèle social ».

© Yannick Sanchez

Place aux discours. Il était attendu conquérant, tonitruant mais sombre comme les perspectives économiques du pays. Le discours d'Arnaud Montebourg fut moins grave qu'annoncé. Après avoir dressé le portrait de la situation macro-économique du pays, le ministre de l'économie, « depuis seulement cinq petits mois », a déclaré avoir « fait le choix d’organiser la résistance ». « La deuxième puissance économique de la zone euro n’a pas à s’aligner sur les axiomes idéologiques de l’Allemagne. La France est un pays libre qui ne peut accepter des pertes de souveraineté sur sa monnaie qu’à la condition qu’elle en retire de la prospérité. » 

Si le ton d'Arnaud Montebourg envers une partie du gouvernement est plus menaçant, ses idées n’ont guère varié par rapport au discours du 10 juillet dernier. À Bercy, face à Serge Dassault et à Louis Gallois, il s’offusquait déjà de la politique du « tout austéritaire » menée en Europe : « Félicitations à l’Union européenne, nous sommes dans le tableau d’honneur mondial de l’explosion du chômage », avait-il lancé en juillet dernier. « Félicitations à monsieur Barroso », s'est-il écrié cette fois-ci. « La promesse de remettre en place l'économie n'a pas marché. Le rôle de tout homme d’État est d’accepter cette réalité en proposant des solutions économiques. »

À ce sujet, rien de neuf. Arnaud Montebourg a d’abord rappelé le décret qu’il avait pris sur le « contrôle des investissements étrangers » depuis la prise de participation de l’État dans l’entreprise Alstom. Puis il a évoqué la « règle des trois tiers » qu'il compte promouvoir à la rentrée, au moment du débat sur la loi de finances 2015. Il s'agit de mieux répartir les 40 milliards d'allègements fiscaux accordés aux entreprises. Un tiers serait dédié à la réduction des déficits, un tiers pour soutenir les entreprises, enfin un dernier tiers à destination des ménages afin de stimuler la demande et in fine la croissance.

« Cela supposerait qu’à la loi de finances 2015 il y ait des baisses d’impôt équivalant à 16 milliards sur plusieurs années », a explicité le ministre de l'économie. « La croissance est une question politique, nous pouvons donc aller la chercher avec nos propres mains », a-t-il poursuivi.

Sur les professions réglementées, l'ancien député de Saône-et-Loire a multiplié les exemples d'application de « la loi que l’on pourrait appeler Jean-Pierre-Pernault, parce qu'elle touche tout le monde ». Il s'agirait ici de « faire baisser les péages, diminuer le prix des cours de conduite, du dentiste (...). Vous allez chez le pharmacien, il se peut que les marges qui sont prises sur les médicaments soient trop importantes. » Cette partie du discours a largement plu à l'auditoire. « Vous voyez, a assuré le ministre, l’économie n’est pas une science en chambre, c’est plutôt un sport de combat. L’économie appartient à tous les Français. » 

Le ministre de l'éducation nationale, Benoît Hamon lui a emboîté le pas dans un discours qui a duré plus d'une heure. « Au moment où nous faisons face à une crise majeure, est-il acceptable aujourd’hui que les chefs d’entreprise soient les champions d’Europe du versement des dividendes ? », a-t-il lancé en début de discours. « Est-ce qu’une seule fois monsieur Gattaz (président du Medef, ndlr) a demandé aux entreprises de modérer le versement des dividendes ? Jamais ! » 

© Yannick Sanchez

Pour Benoît Hamon, l'heure est grave. La montée du Front national, « premier parti de France », serait la conséquence directe des mauvais résultats économiques. Il s'agit donc, selon lui, de changer radicalement de politique économique avec « des baisses d’impôt », l'ouverture du RSA aux moins de 25 ans et « à terme la remise en cause du gel du point d’indice pour les fonctionnaires ».

Le tandem Montebourg-Hamon a fait son effet. Peu de temps après les discours, l'entourage de Manuel Valls a affirmé à l'AFP qu'une « ligne jaune venait d'être franchie » et que la riposte était à l'étude. «On considère qu’une une ligne jaune a été franchie dans la mesure où un ministre de l’économie ne peut pas s’exprimer dans de telles conditions sur la ligne économique du gouvernement et sur un partenaire européen comme l’Allemagne. Donc le premier ministre est déterminé à agir dans les prochains jours. Une chose est sûre : il y a des cadres dans lesquels on peut débattre et d’autres où la cohérence gouvernementale doit primer », a déclaré cette source. À une semaine de l'université d'été du Parti socialiste, ce ne peut être qu'un début.

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Ecologistes: comment sortir de l'impuissance

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Bordeaux, de notre envoyé spécial.   Déboussolés, avec une boussole à trois flèches. Lors de leurs journées d'été à Bordeaux, de jeudi à samedi, les écologistes ont livré leurs doutes et leurs désaccords. Devant plus de 1 500 cadres et militants, l'ambiance a été davantage studieuse qu'enthousiaste ou conquérante. Si les relations entre chefs à plume restent cordiales, l'ambiance bon enfant et les ateliers « sur le fond » de bonne tenue, les écologistes constatent pour l'heure une certaine impuissance, venant clore définitivement la séquence « europécologiste », cinq ans après la redynamisation écolo dans les urnes et dans les assemblées.

Après l'âge d'or et un partenariat privilégié avec Martine Aubry, la confrontation au pouvoir au côté du socialisme hollandais a tourné au fiasco, et des temps incertains s'annoncent. Alors que les députés socialistes critiques fourbissent leurs armes avant l'université de La Rochelle et qu'Arnaud Montebourg et Benoît Hamon demandent un coup de barre à gauche (lire ici) à un Manuel Valls et un François Hollande impassibles, au risque d'une crise gouvernementale, les écologistes ont fait du surplace. Aucun grand débat sur l'avenir stratégique et les orientations politiques futures du mouvement. Hormis un, qui a permis à certains « écolos de droite » de lancer des appels du pied vers le centre ou Alain Juppé (lire ici). Trois hypothèses se sont cependant dégagées des débats de coulisses, conférences de presse et autres forums improvisés.

Sur le campus de l'Université Montesquieu de Pessac, on croisait ceux qui voulaient refaire le match du gouvernement, regrettant quatre mois après leur départ de l'exécutif et réaffirmant une volonté de rester des partenaires privilégiés de la majorité de Manuel Valls. Parmi eux, on retrouve les présidents de groupes parlementaires Jean-Vincent Placé et François de Rugy, le vice-président de l'Assemblée nationale Denis Baupin, et le courant « réalo » du parti (Via écologica, emmené par Karim Zéribi, Stéphane Gatignon ou Christophe Rossignol, et qui a fait 17 % au dernier congrès).

Ceux-là continuent de ressasser et regretter le départ du gouvernement Valls. « On part après avoir avalé deux ans de couleuvres à cause de nos 2 % à la présidentielle, fulmine Rossignol, et on est partis alors qu'on en faisait 10% aux municipales, enfin en capacité de peser. » Pour Placé, qui s'éloigne ainsi de la majorité du parti, c'est « parce qu'il est resté que Montebourg aujourd'hui peut imposer ses idées dans le débat ».

Stéphane Gatignon, Marie-Pierre Bresson, Denis Baupin, Karim Zeribi et Eric Loiselet, lors d'une conférence de presseStéphane Gatignon, Marie-Pierre Bresson, Denis Baupin, Karim Zeribi et Eric Loiselet, lors d'une conférence de presse © S.A

La majorité des parlementaires partage ce point de vue. Ils redoutent que « désormais, ceux qui ne veulent plus gouverner ne veuillent plus être dans la majorité », et que le mouvement ne « tombe dans un toboggan gauchiste ». Pour Baupin, « ce qui compte, c'est d'être le plus utile possible, pas enthousiastes ». Et d'évoquer le débat sur la discussion parlementaire lors de la loi sur la transition énergétique, dont il est co-rapporteur : « Depuis que nous sommes sortis, notre rapport de force s'est dégradé. » Dans les têtes de certains, un éventuel retour au gouvernement n'est pas à exclure, « après les régionales », dit Placé.

Ce dernier, président du groupe EELV au Sénat, a tenté de convaincre son auditoire, lors d'un compte-rendu de mandat. « Plus on est militant, plus on est en contact avec d'autres réseaux militants et associatifs, plus on est déçus, c'est normal, explique-t-il. Mais cela a représenté 30 000 votants à nos primaires. Tous les sondages disent que nos électeurs nous préfèrent au gouvernement, à 85,88, 90 %… Et ça, ça représente deux à trois millions d'électeurs. » Dans l'assistance, un militant grenoblois lui répond : « Nous concernant, les sondages ne nous voyaient pas gagner la mairie, et si on l'a fait c'est grâce à nos réseaux citoyens et au relais des associations. »

Dans le reste du mouvement, on redoute même que ces « réalos » ne participent à une reconfiguration de l'espace politique, plus au centre et aux côtés de Jean-Luc Bennahmias, ancien dirigeant des Verts puis du MoDem, présent à Bordeaux et qui vient de créer son Front démocrate, avec la bienveillance de François Hollande. « C'est du Mitterrand/Lalonde au rabais, une tentative de Génération écologie du pauvre », persifle un ancien responsable, en référence au parti écolo concurrent, fondé par Brice Lalonde, ancien candidat écolo à la présidentielle de 1981 (3,9 %), qui avait contrarié, avec le soutien en sous-main de François Mitterrand, le début d'émergence politique des Verts, au début des années 1990.

Dans les allées de la faculté, entre les amphis rebaptisés René Dumont et Vandana Shiva, on trouve aussi une aile gauche du parti divisée mais soucieuse de renouer avec la gauche de la gauche (les amis d'Eva Joly) et le mouvement social (les proches de l'eurodéputée Karima Delli). Les premiers, après avoir défendu un rapprochement avec Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche, prônent un renforcement de la « stratégie grenobloise » qui a vu gagner l'écolo Éric Piolle. Ils évoquent déjà des primaires de l'autre gauche et une « plateforme » pour contrer Hollande, avec ou sans le PS (lire ici).

Les seconds appellent à « sortir des frondes ou des vassalités », explique Delli, pour être une « alternative ». « Les primaires, c'est pour dans trois ans, dit-elle. Il faut redonner goût aux militants dès maintenant, en se mobilisant avec d'autres sur la conférence climat, le traité transatlantique ou la situation européenne. Et reposer des débats comme le temps de travail, ou se greffer à des initiatives comme celle des Basques d'Alternatiba. » Le discours n'est pas si différent chez l'eurodéputé Yannick Jadot, ancien de Greenpeace et proche de Cohn-Bendit : « Aujourd'hui, il n'y a que Marine Le Pen qui intéresse. Il nous faut retrouver un espace dans la société, avec les syndicats, les agriculteurs, les entreprises d'énergies renouvelables… On ne peut pas gouverner avec une alliance FNSEA/Medef/Crif… »

Entre les stands végétariens, pro-palestiniens ou anti-corrida, les camions d'huîtres et de burgers bio, et l'estrade où se produisait régulièrement un groupe de rock aussi amateur de reprises que de volume sonore élevé, il y a aussi Cécile Duflot. Captant l'attention médiatique suscitée par la sortie de son livre réquisitoire de son expérience gouvernementale (lire ici), l'ancienne ministre du logement a saturé une bonne part de l'espace, entre séances de dédicaces, participations à de nombreux ateliers, lancement d'un club de réflexions (« Imagine ») avec son ancien acolyte ministériel Pascal Canfin.

Cécile Duflot, Pascal Canfin, Ska Keller, à BordeauxCécile Duflot, Pascal Canfin, Ska Keller, à Bordeaux © S.A

Cécile Duflot a décidé de se lancer dans la bataille de la recomposition à gauche, après quatre mois de mise en retrait et un retour discret à l'Assemblée. « J'ai pris une responsabilité politique, pour qu'on puisse collectivement rediscuter de l'orientation actuelle, car on voit tous venir la catastrophe, dit-elle. Au moins que l'on renoue avec des débats et que l'on arrête la logique du “tais-toi et rame”. » Son désaccord politique avec Hollande et Valls n'est pas un « tournant gaucho », martèle un de ses proches.

Pour le démontrer, la nouvelle députée insiste auprès des journalistes. Elle constate que « Juppé parle d'écologie dans sa déclaration de candidature aux primaires de l'UMP, quand Hollande n'en dit pas un mot durant tout l'été », se dit « en phase avec Jean-Christophe Cambadélis quand il critique le dogme des 3 % de déficit », ou « en total accord avec Pierre-Alain Muet », le député PS, « qui est un économiste loin d'être gauchiste » et qui a récemment confessé à Mediapart son « effarement » (lire ici).

En revanche, elle compte bien occuper le terrain de l'union de la gauche, comme au temps de Martine Aubry. À l'Assemblée, elle sera en contact étroit avec « l'appel des 100 » députés socialistes critiques, durant les discussions budgétaires. Elle se rendra aussi à la fête de l'Humanité, puis à l'université de rentrée du courant Un monde d'avance, des proches de Benoît Hamon et Henri Emmanuelli.

L'amphi René Dumont, lors des journées d'été d'EELV à Bordeaux, août 2014L'amphi René Dumont, lors des journées d'été d'EELV à Bordeaux, août 2014 © S.A

En interne, les amis de Duflot entendent également influer. Au début de l'été, ils ont créé Rebondir, « une sorte d'inter-courant comme il y a des intergroupes à l'Assemblée », dit David Cormand, afin de « stabiliser un centre de gravité du parti, estimant qu'il n'y a pas des gauchistes d'un côté et des droitiers de l'autre, juste une volonté commune d'un changement de cap ». L'ancienne patronne du parti conserve une influence dans EELV, mais semble toutefois ne plus pouvoir compter sur les 90,7 % de militants qui l'avaient réélue lors du congrès de La Rochelle, il y a quatre ans, après que sa motion avait recueilli 50 %, écrasant celle de Daniel Cohn-Bendit (25 %).

Désormais, selon une estimation assez largement partagée, les trois grands courants d'Europe Écologie-Les Verts (aile gauche, aile réaliste et aile « duflotiste », que l'on peut résumer en un « réformiste mais plus à gauche que Hollande ») se répartissent environ en trois tiers dans l'appareil. « Depuis la sortie du gouvernement, les majorités au conseil fédéral sont très larges, à 60 ou 70 % », relativise David Cormand. « Pour l'instant, l'aile gauche et les amis de Cécile sont ensemble », résume un habitué des arcanes écolos. « C'est juste la réalité des faits qui marque l'échec de Hollande, pas les frondeurs ou Duflot, juge le député de l'aile gauche Sergio Coronado. C'est l'occasion pour EELV de réactiver un discours de rupture sur la finance ou le modèle de croissance. »

Mais parmi les 30 à 40 % qui s'opposent en interne, les parlementaires ont du poids politique et médiatique. Même si une bonne part des pragmatiques du parti ne les suit pas dans leur nostalgie de la participation gouvernementale. Comme Yannick Jadot, selon qui « on est très bien hors de ce gouvernement, qui incarne toutes les trahisons de la social-démocratie, et qui ne se distingue plus de la droite libérale sur le niveau de baisse du coût du travail ». Idem pour la députée Eva Sas, qui estime « intenable de rester dans un gouvernement qui s'est autant éloigné de nos positions, et qui nous a fait passer du discours rooseveltien du Bourget à l'obligation de voter contre nos volontés ».

Devant un tel paysage interne, la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse semble souhaiter d'abord stabiliser des visions divergentes, et évacue le débat devant la presse aussi prestement qu'il l'a été de la programmation des débats de Bordeaux. « Si c'est juste pour constater que la gauche périclite chaque jour un peu plus et que 2017 est perdu, ça ne sert à rien », dit-elle. Quitte à apparaître un brin tétanisée, en se refusant à toute expression d'un avis personnel sur les enjeux internes de son propre mouvement.

« Elle vient de la culture ONG, où on peut être radical, mais ou on aime parvenir à s'entendre à la fin », dit David Cormand, membre du bureau exécutif. Cette éthique de responsabilité déroute toutefois un de ses amis du groupe écologiste du conseil régional Île-de-France, où Cosse est vice-présidente. « Qui l'a connue et se rappelle ce qu'elle disait la première année au gouvernement peut avoir du mal à la reconnaître, sourit-il. Elle s'institutionnalise »

Cécile Duflot et Emmanuelle CosseCécile Duflot et Emmanuelle Cosse © Reuters

Comme son prédécesseur, Pascal Durand, elle compte les points entre les désaccords qui s'affichent dans la presse ou dans les librairies, et souvent sans en être informée au préalable. Mais là où Durand faisait entendre sa liberté de parole, quitte à parfois dérouter un peu plus et à rendre un peu moins audible EELV, Cosse préfère ne dire mot. Et se concentre sur le fond, en lançant des « chantiers de l'écologie », séances d'audition de la société civile écolo.

« Emma doit surtout s'occuper du fond, estime de son côté Nicolas Dubourg, un autre membre de la direction d'EELV. De toute façon, les prochaines échéances électorales qui s'annoncent sont les régionales, et ça va surtout se régler localement, en vertu de nos statuts. » Les proches de Cécile Duflot plaideront pour une « autonomie ouverte ». Soit des listes de premier tour indépendante du PS, élargies à d'autres partis et personnalités. « Même si ça va être coton, vu le nombre important de sortants », dit un cadre.

Ces horizons permettent en tout cas de voir venir, et de donner un peu de temps à EELV pour sortir de son surplace actuel. À moins que la crise gouvernementale qui s'ouvre n'oblige les écologistes à sortir de leur état stationnaire. Au risque d'être bousculés par l'événement, et que les positionnements de chacun aillent dans tous les sens.

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