Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

Palestine : Monsieur le Président, vous égarez la France

$
0
0

Monsieur le Président, cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et, à vrai dire, je n’arrive pas à m’y résoudre tant je vous croyais averti de ce danger d’une rechute socialiste dans l’aveuglement national et l’alignement international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au point de s’en servir d’alibi pour justifier les injustices qu’elles commettent.

Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui d’un militant dévoué à son parti, la SFIO, d’un dirigeant aux convictions démocratiques et sociales indéniables, qui finit par perdre politiquement son crédit et moralement son âme faute d’avoir compris le nouveau monde qui naissait sous ses yeux. C’était, dans les années 1950 du siècle passé, celui de l’émergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurs et impériaux, bref le temps de leurs libérations et des indépendances nationales.

Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité. Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l'Égypte souveraine, aux côtés du jeune État d’Israël.

Mollet n’était ni un imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres. Des autres qui, déjà, prenaient figure d’Arabes et de musulmans dans la diversité d’origines, la pluralité de cultures et la plasticité de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels s’invitaient de nouveau au banquet de l’Histoire, s’assumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et qui, selon le même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre qu’aujourd’hui encore, l’injustice européenne faite aux Juifs, ce crime contre l’humanité auquel ils n’eurent aucune part, se redouble d’une injustice durable faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement dans un État normal, aux frontières sûres et reconnues.

Vous connaissez si bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà d’elle, pour toute la gauche de gouvernement, que vous l’aviez diagnostiquée vous-même, en 2006, dans Devoirs de vérité (Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été chèrement payée : vingt-cinq ans d’opposition, ce n’est pas rien ! » Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de l’extrême droite française éclipsée depuis la chute du nazisme et l’avènement d’institutions d’exception, celles d’un pouvoir personnel, celui du césarisme présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la SFIO, l’ancêtre de votre Parti socialiste d’aujourd’hui, « a perdu son âme dans la guerre d’Algérie ».

Vous en étiez si conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au peuple algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se reproduise plus. » « Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous encore. Mais nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples : agissons-nous conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer nos principes ? Restons-nous fidèles à ce que nous sommes ? Ces questions doivent être posées à tout moment, au risque sinon d’oublier la leçon. »

Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train d’oublier la leçon et, à votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes que vous avez accumulées face à cet énième épisode guerrier provoqué par l’entêtement du pouvoir israélien à ne pas reconnaître le fait palestinien. J’en dénombre au moins sept, et ce n’est évidemment pas un jeu, fût-il des sept erreurs, tant elles entraînent la France dans la spirale d’une guerre des mondes, des civilisations et des identités, une guerre sans issue, sinon celle de la mort et de la haine, de la désolation et de l’injustice, de l’inhumanité en somme, ce sombre chemin où l’humanité en vient à se détruire elle-même.

Les voici donc ces sept fautes où, en même temps qu’à l’extérieur, la guerre ruine la diplomatie, la politique intérieure en vient à se réduire à la police.

1. Vous avez d’abord commis une faute politique sidérante. Rompant avec la position traditionnellement équilibrée de la France face au conflit israélo-palestinien, vous avez aligné notre pays sur la ligne d’offensive à outrance et de refus des compromis de la droite israélienne, laquelle gouverne avec une extrême droite explicitement raciste, sans morale ni principe, sinon la stigmatisation des Palestiniens et la haine des Arabes.

Votre position, celle de votre premier communiqué du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pour justifier une riposte israélienne disproportionnée dont la population civile de Gaza allait, une fois de plus, faire les frais. Purement réactive et en grande part improvisée (lire ici l’article de Lenaïg Bredoux), elle fait fi de toute complexité, notamment celle du duo infernal que jouent Likoud et Hamas, l’un et l’autre se légitimant dans la ruine des efforts de paix (lire là l’article de François Bonnet).

Surtout, elle est inquiétante pour l’avenir, face à une situation internationale de plus en plus incertaine et confuse. À la lettre, ce feu vert donné à un État dont la force militaire est sans commune mesure avec celle de son adversaire revient à légitimer, rétroactivement, la sur-réaction américaine après les attentats du 11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre d’invasion contre l’Irak. Bref, votre position tourne le dos à ce que la France officielle, sous la présidence de Jacques Chirac, avait su construire et affirmer, dans l’autonomie de sa diplomatie, face à l’aveuglement nord-américain.

Depuis, vous avez tenté de modérer cet alignement néoconservateur par des communiqués invitant à l’apaisement, à la retenue de la force israélienne et au soulagement des souffrances palestiniennes. Ce faisant, vous ajoutez l’hypocrisie à l’incohérence. Car c’est une fausse compassion que celle fondée sur une fausse symétrie entre les belligérants. Israël et Palestine ne sont pas ici à égalité. Non seulement en rapport de force militaire mais selon le droit international.

En violation de résolutions des Nations unies, Israël maintient depuis 1967 une situation d’occupation, de domination et de colonisation de territoires conquis lors de la guerre des Six Jours, et jamais rendus à la souveraineté pleine et entière d’un État palestinien en devenir. C’est cette situation d’injustice prolongée qui provoque en retour des refus, résistances et révoltes, et ceci d’autant plus que le pouvoir palestinien issu du Fatah en Cisjordanie n’a pas réussi à faire plier l’intransigeance israélienne, laquelle, du coup, légitime les actions guerrières de son rival, le Hamas, depuis qu’il s’est imposé à Gaza.

Historiquement, la différence entre progressistes et conservateurs, c’est que les premiers cherchent à réduire l’injustice qui est à l’origine d’un désordre tandis que les seconds sont résolus à l’injustice pour faire cesser le désordre. Hélas, Monsieur le Président, vous avez spontanément choisi le second camp, égarant ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.

2. Vous avez ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antisémitisme et antisionisme. Ce serait s’aveugler de nier qu’en France, la cause palestinienne a ses égarés, antisémites en effet, tout comme la cause israélienne y a ses extrémistes, professant un racisme anti-arabe ou antimusulman. Mais assimiler l’ensemble des manifestations de solidarité avec la Palestine à une résurgence de l’antisémitisme, c’est se faire le relais docile de la propagande d’État israélienne.

Mouvement nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec l’accord des Nations unies, URSS comprise, sous le choc du génocide nazi dont les Juifs européens furent les victimes. Accepter cette légitimité historique de l’État d’Israël, comme a fini par le faire sous l’égide de Yasser Arafat le mouvement national palestinien, n’entraîne pas que la politique de cet État soit hors de la critique et de la contestation. Être antisioniste, en ce sens, c’est refuser la guerre sans fin qu’implique l’affirmation au Proche-Orient d’un État exclusivement juif, non seulement fermé à toute autre composante mais de plus construit sur l’expulsion des Palestiniens de leur terre.

Confondre antisionisme et antisémitisme, c’est installer un interdit politique au service d’une oppression. C’est instrumentaliser le génocide dont l’Europe fut coupable envers les Juifs au service de discriminations envers les Palestiniens dont, dès lors, nous devenons complices. C’est, de plus, enfermer les Juifs de France dans un soutien obligé à la politique d’un État étranger, quels que soient ses actes, selon la même logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes de France à soutenir l’Union soviétique, leur autre patrie, quels que soient ses crimes. Alors qu’évidemment, on peut être juif et antisioniste, juif et résolument diasporique plutôt qu’aveuglément nationaliste, tout comme il y a des citoyens israéliens, hélas trop minoritaires, opposés à la colonisation et solidaires des Palestiniens.

Brandir cet argument comme l’a fait votre premier ministre aux cérémonies commémoratives de la rafle du Vél’ d’Hiv’, symbole de la collaboration de l’État français au génocide commis par les nazis, est aussi indigne que ridicule. Protester contre les violations répétées du droit international par l’État d’Israël, ce serait donc préparer la voie au crime contre l’humanité ! Exiger que justice soit enfin rendue au peuple palestinien, pour qu’il puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc., normalement, en paix et en sécurité, ce serait en appeler de nouveau au massacre, ici même !

Que ce propos soit officiellement tenu, alors même que les seuls massacres que nous avons sous les yeux sont ceux qui frappent les civils de Gaza, montre combien cette équivalence entre antisémitisme et antisionisme est brandie pour fabriquer de l’indifférence. Pour nous rendre aveugles et sourds. « L’indifférence, la pire des attitudes », disait Stéphane Hessel dans Indignez-vous !, ce livre qui lui a valu tant de mépris des indifférents de tous bords, notamment parce qu’il y affirmait qu’aujourd’hui, sa « principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie ».

Avec Edgar Morin, autre victime de cabales calomnieuses pour sa juste critique de l’aveuglement israélien, Stéphane Hessel incarne cette gauche qui ne cède rien de ses principes et de ses valeurs, qui n’hésite pas à penser contre elle-même et contre les siens et qui, surtout, refuse d’être prise au piège de l’assignation obligée à une origine ou à une appartenance. Cette gauche libre, Monsieur le Président, vous l’aviez conviée à marcher à vos côtés, à vous soutenir et à dialoguer avec vous, pour réussir votre élection de 2012. Maintenant, hélas, vous lui tournez le dos, désertant le chemin d’espérance tracé par Hessel et Morin et, de ce fait, égarant ceux qui vous ont fait confiance.

3. Vous avez aussi commis une faute démocratique en portant atteinte à une liberté fondamentale, celle de manifester. En démocratie, et ce fut une longue lutte pour l’obtenir, s’exprimer par sa plume, se réunir dans une salle ou défiler dans les rues pour défendre ses opinions est un droit fondamental. Un droit qui ne suppose pas d’autorisation. Un droit qui n’est pas conditionné au bon vouloir de l’État et de sa police. Un droit dont les abus éventuels sont sanctionnés a posteriori, en aucun cas présumés a priori. Un droit qui, évidemment, vaut pour les opinions, partis et colères qui nous déplaisent ou nous dérangent.

L’histoire des manifestations de rue est encombrée de désordres et de débordements, de violences où se disent des souffrances délaissées et des colères humiliées, des ressentiments parfois amers, dans la contestation d’un monopole étatique de la seule violence légitime. Il y en eut d’ouvrières, de paysannes, d’étudiantes… Il y en eut, ces temps derniers, dans la foulée des manifestations bretonnes des Bonnets rouges, écologistes contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, conservatrices contre le mariage pour tous. Il y eut même une manifestation parisienne aux banderoles et slogans racistes, homophobes, discriminatoires, celle du collectif « Jour de colère » en janvier dernier (lire ici notre reportage).

S’il existe une spécialité policière dite du maintien de l’ordre, c’est pour nous apprendre à vivre avec cette tension sociale qui, parfois, déborde et où s’expriment soudain, dans la confusion et la violence, ceux qui se sentent d’ordinaire sans voix, oubliés, méprisés ou ignorés – et qui ne sont pas forcément aimables ou honorables. Or voici qu’avec votre premier ministre, vous avez décidé, en visant explicitement la jeunesse des quartiers populaires, qu’un seul sujet justifiait l’interdiction de manifester : la solidarité avec la Palestine, misérablement réduite par la propagande gouvernementale à une libération de l’antisémitisme.

Cette décision sans précédent, sinon l’atteinte au droit de réunion portée fin 2013 par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, toujours au seul prétexte de l’antisémitisme (lire ici notre position à l’époque), engage votre pouvoir sur le chemin d’un État d’exception, où la sécurité se dresse contre la liberté. Actuellement en discussion au Parlement, l’énième loi antiterroriste va dans la même direction (lire là l’article de Louise Fessard), en brandissant toujours le même épouvantail pour réduire nos droits fondamentaux : celui d’une menace terroriste dont l’évidente réalité est subrepticement étendue, de façon indistincte, aux idées exprimées et aux engagements choisis par nos compatriotes musulmans, dans leur diversité et leur pluralité, d’origine, de culture ou de religion. 

Accepter la guerre des civilisations à l’extérieur, c’est finir par importer la guerre à l’intérieur. C’est en venir à criminaliser des opinions minoritaires, dissidentes ou dérangeantes. Et c’est ce choix irresponsable qu’a d’emblée fait celui que vous avez, depuis, choisi comme premier ministre, en désignant à la vindicte publique un « ennemi intérieur », une cinquième colonne en quelque sorte peu ou prou identifiée à l’islam. Et voici que hélas, à votre tour, loin d’apaiser la tension, vous vous égarez en cédant à cette facilité sécuritaire, de courte vue et de peu d’effet.

4. Vous avez également commis une faute républicaine en donnant une dimension religieuse au débat français sur le conflit israélo-palestinien. C’est ainsi qu’après l’avoir réduit à des « querelles trop loin d’ici pour être importées », vous avez symboliquement limité votre geste d’apaisement à une rencontre avec les représentants des cultes. Après avoir réduit la diplomatie à la guerre et la politique à la police, c’était au tour de la confrontation des idées d’être réduite, par vous-même, à un conflit des religions. Au risque de l’exacerber.

Là où des questions de principe sont en jeu, de justice et de droit, vous faites semblant de ne voir qu’expression d’appartenances et de croyances. La vérité, c’est que vous prolongez l’erreur tragique faite par la gauche de gouvernement depuis que les classes populaires issues de notre passé colonial font valoir leurs droits à l’égalité. Il y a trente ans, la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » fut rabattue en « Marche des Beurs », réduite à l’origine supposée des marcheurs, tout comme les grèves des ouvriers de l’automobile furent qualifiées d’islamistes parce qu’ils demandaient, entre autres revendications sociales, le simple droit d’assumer leur religion en faisant leurs prières.

Cette façon d’essentialiser l’autre, en l’espèce le musulman, en le réduisant à une identité religieuse indistincte désignée comme potentiellement étrangère, voire menaçante, revient à refuser de l’admettre comme tel. Comme un citoyen à part entière, vraiment à égalité c’est-à-dire à la fois semblable et différent. Ayant les mêmes droits et, parmi ceux-ci, celui de faire valoir sa différence. De demander qu’on l’admette et qu’on la respecte. D’obtenir en somme ce que, bien tardivement, sous le poids du crime dont les leurs furent victimes, nos compatriotes juifs ont obtenu : être enfin acceptés comme français et juifs. L’un et l’autre. L’un avec l’autre. L’un pas sans l’autre.

Si vous pensez spontanément religion quand s’expriment ici même des insatisfactions et des colères en solidarité avec le monde arabe, univers où dominent la culture et la foi musulmanes, c’est paradoxalement parce que vous ne vous êtes pas résolus à cette évidence d’une France multiculturelle. À cette banalité d’une France plurielle, vivant diversement ses appartenances et ses héritages, qu’à l’inverse, votre crispation, où se mêlent la peur et l’ignorance, enferme dans le communautarisme religieux. Pourtant, les musulmans de France font de la politique comme vous et moi, en pensant par eux-mêmes, en inventant par leur présence au monde, à ses injustices et à ses urgences, un chemin de citoyenneté qui est précisément ce que l’on nomme laïcisation.

C’est ainsi, Monsieur le Président, qu’au lieu d’élever le débat, vous en avez, hélas, attisé les passions. Car cette réduction des musulmans de France à un islam lui-même réduit, par le prisme sécuritaire, au terrorisme et à l’intégrisme est un cadeau fait aux radicalisations religieuses, dans un jeu de miroirs où l’essentialisation xénophobe finit par justifier l’essentialisation identitaire. Une occasion offerte aux égarés en tous genres.

5. Vous avez surtout commis une faute historique en isolant la lutte contre l’antisémitisme des autres vigilances antiracistes. Comme s’il fallait la mettre à part, la sacraliser et la différencier. Comme s’il y avait une hiérarchie dans le crime contre l’humanité, le crime européen de génocide l’emportant sur d’autres crimes européens, esclavagistes ou coloniaux. Comme si le souvenir de ce seul crime monstrueux devait amoindrir l’indignation, voire simplement la vigilance, vis-à-vis d’autres crimes, de guerre ceux-là, commis aujourd’hui même. Et ceci au nom de l’origine de ceux qui les commettent, brandie à la façon d’une excuse absolutoire alors même, vous le savez bien, que l’origine, la naissance ou l’appartenance, quelles qu’elles soient, ne protègent de rien, et certainement pas des folies humaines.

Ce faisant, votre premier ministre et vous-même n’avez pas seulement encouragé une détestable concurrence des victimes, au lieu des causes communes qu’il faudrait initier et promouvoir. Vous avez aussi témoigné d’un antiracisme fort oublieux et très infidèle. Car il ne suffit pas de se souvenir du crime commis contre les juifs. Encore faut-il avoir appris et savoir transmettre la leçon léguée par l’engrenage qui y a conduit : cette lente accoutumance à la désignation de boucs émissaires, essentialisés, caricaturés et calomniés dans un brouet idéologique d’ignorance et de défiance qui fit le lit des persécutions.

Or comment ne pas voir qu’aujourd’hui, dans l’ordinaire de notre société, ce sont d’abord nos compatriotes d’origine, de culture ou de croyance musulmane qui occupent cette place peu enviable ? Et comment ne pas comprendre qu’à trop rester indifférents ou insensibles à leur sort, ce lot quotidien de petites discriminations et de grandes détestations, nous habituons notre société tout entière à des exclusions en chaîne, tant le racisme fonctionne à la manière d’une poupée gigogne, des Arabes aux Roms, des Juifs aux Noirs, et ainsi de suite jusqu’aux homosexuels et autres prétendus déviants ?

Ne s’attarder qu’à la résurgence de l’antisémitisme, c’est dresser une barrière immensément fragile face au racisme renaissant. Le Front national deviendrait-il soudain fréquentable parce qu’il aurait, selon les mots de son vice-président, fait « sauter le verrou idéologique de l’antisémitisme » afin de « libérer le reste » ? L’ennemi de l’extrême droite, confiait à Mediapart la chercheuse qui a recueilli cette confidence de Louis Aliot, « n’est plus le Juif mais le Français musulman » (lire ici notre entretien avec Valérie Igounet).

De fait, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dont vous ne pouvez ignorer les minutieux et rigoureux travaux, constate, de rapport en rapport annuels, une montée constante de l’intolérance antimusulmane et de la polarisation contre l’islam (lire nos articles ici et ). Dans celui de 2013, on pouvait lire ceci, sous la plume des sociologues et politologues qu’elle avait sollicités : « Si on compare notre époque à celle de l’avant-guerre, on pourrait dire qu’aujourd’hui le musulman, suivi de près par le Maghrébin, a remplacé le juif dans les représentations et la construction d’un bouc émissaire. »

L’antiracisme conséquent est celui qui affronte cette réalité tout en restant vigilant sur l’antisémitisme. Ce n’est certainement pas celui qui, à l’inverse, pour l’ignorer ou la relativiser, brandit à la manière d’un étendard la seule lutte contre l’antisémitisme. Cette faute, hélas, Monsieur le Président, est impardonnable car non seulement elle distille le venin d’une hiérarchie parmi les victimes du racisme, mais de plus elle conforte les moins considérées d’entre elles dans un sentiment d’abandon qui nourrit leur révolte, sinon leur désespoir. Qui, elles aussi, les égare.

6. Vous avez par-dessus tout commis une faute sociale en transformant la jeunesse des quartiers populaires en classe dangereuse. Votre premier ministre n’a pas hésité à faire cet amalgame grossier lors de son discours du Vél’ d’Hiv’, désignant à la réprobation nationale ces « quartiers populaires » où se répand l’antisémitisme « auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa “haine du Juif ” derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ».

Mais qui l’a abandonnée, cette jeunesse, à ces démons ? Qui sinon ceux qui l’ont délaissée ou ignorée, stigmatisée quand elle revendique en public sa religion musulmane, humiliée quand elle voit se poursuivre des contrôles policiers au faciès, discriminée quand elle ne peut progresser professionnellement et socialement en raison de son apparence, de son origine ou de sa croyance ? Qui sinon ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, nous gouvernent, vous, Monsieur le Président et, surtout, votre premier ministre qui réinvente cet épouvantail habituel des conservatismes qu’est l’équivalence entre classes populaires et classes dangereuses ?

Cette jeunesse n’a-t-elle pas, elle aussi, des idéaux, des principes et des valeurs ? N’est-elle pas, autant que vous et moi, concernée par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple, comment pouvez-vous ne pas prendre en compte cette part d’idéal, fût-il ensuite dévoyé, qui pousse un jeune de nos villes à partir combattre en Syrie contre un régime dictatorial et criminel que vous-même, François Hollande, avez imprudemment appelé à « punir » il y a tout juste un an ? Est-ce si compliqué de savoir distinguer ce qui est de l’ordre de l’idéalisme juvénile et ce qui relève de la menace terroriste, au lieu de tout criminaliser en bloc en désignant indistinctement des « djihadistes » ?

Le pire, c’est qu’à force d’aveuglement, cette politique de la peur que, hélas, votre pouvoir assume à son tour, alimente sa prophétie autoréalisatrice. Inévitablement, elle suscite parmi ses cibles leur propre distance, leurs refus et révoltes, leur résistance en somme, un entre soi de fierté ou de colère pour faire face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. « On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel » : ces lignes prémonitoires sont d’Émile Zola, en 1896, au seuil de son entrée dans la mêlée dreyfusarde, dans un article du Figaro intitulé « Pour les Juifs ».

Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre à la place de l’autre et qui, du coup, comprennent les révoltes, désirs de revanche et volonté de résister, que nourrit un trop lourd fardeau d’humiliations avec son cortège de ressentiments. Monsieur le Président, je ne mésestime aucunement les risques et dangers pour notre pays de ce choc en retour. Mais je vous fais reproche de les avoir alimentés plutôt que de savoir les conjurer. De les avoir nourris, hélas, en mettant à distance cette jeunesse des quartiers populaires à laquelle, durant votre campagne électorale, vous aviez tant promis au point d’en faire, disiez-vous, votre priorité. Et, du coup, en prenant le risque de l’abandonner à d’éventuels égarements.

7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en empruntant le chemin d’une guerre des mondes, à l’extérieur comme à l’intérieur. En cette année 2014, de centenaire du basculement de l’Europe dans la barbarie guerrière, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y réfléchir à deux fois. Cet engrenage est fatal qui transforme l’autre, aussi semblable soit-il, en étranger et, finalement, en barbare – et c’est bien ce qui nous est arrivé sur ce continent dans une folie destructrice qui a entraîné le monde entier au bord de l’abîme.

Jean Jaurès, dont nous allons tous nous souvenir le 31 juillet prochain, au jour anniversaire de son assassinat en 1914, fut vaincu dans l’instant, ses camarades socialistes basculant dans l’Union sacrée alors que son cadavre n’était pas encore froid. Tout comme d’autres socialistes, allemands ceux-là, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassinés en 1919 sur ordre de leurs anciens camarades de parti, transformés en nationalistes et militaristes acharnés. Mais aujourd’hui, connaissant la suite de l’histoire, nous savons qu’ils avaient raison, ces justes momentanément vaincus qui refusaient l’aveuglement des identités affolées et apeurées.

Vous vous souvenez, bien sûr, de la célèbre prophétie de Jaurès, en 1895, à la Chambre des députés : « Cette société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage. » Aujourd’hui que les inégalités provoquées par un capitalisme financier avide et rapace ont retrouvé la même intensité qu’à cette époque, ce sont les mêmes orages qu’il vous appartient de repousser, à la place qui est la vôtre.

Vous n’y arriverez pas en continuant sur la voie funeste que vous avez empruntée ces dernières semaines, après avoir déjà embarqué la France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisque sans stratégie politique (lire ici l’article de François Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant le souci du monde, de ses fragilités et de ses déséquilibres, de ses injustices et de ses humanités, qui anime celles et ceux que le sort fait au peuple palestinien concerne au plus haut point.

Monsieur le Président, cher François Hollande, vous avez eu raison d’affirmer qu’il ne fallait pas « importer » en France le conflit israélo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer en guerre avec elle-même. Mais, hélas, vous avez vous-même donné le mauvais exemple en important, par vos fautes, l’injustice, l’ignorance et l’indifférence qui en sont le ressort.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent


Manifestation de Barbès : des accusés sans histoire défilent à la barre

$
0
0

Son avocat lui fait les gros yeux. C., 18 ans à peine, semble perdu dans son box des prévenus dans la chambre 23 du tribunal de grande instance de Paris. « Je ne comprends pas, madame », adresse-t-il à la présidente, quand celle-ci lui demande s’il conteste les motifs de sa comparution. Le jeune homme chétif, qui vit chez ses parents à Toulouse depuis 2008, est accusé de jets de pierres, de barres de fer et de palettes de bois sur des policiers samedi 19 juillet. Les policiers ont formellement reconnu son visage enfantin dans le groupe des caillasseurs.

« Je ne connais pas Paris, je viens du Bangladesh, je n’ai rien contre la Palestine ou Israël. J’attendais l’ouverture du métro. » Il n’en rajoutera pas plus. Autant assommé par la fatigue que figé par la peur, C., en séjour chez son cousin à Paris, est incapable de justifier sa présence à Barbès. Il est 23 heures ce mardi soir. Son audience est expédiée en 15 minutes.  

C. est alors le sixième prévenu du jour à comparaître pour des faits de violence sur des policiers samedi dernier à Barbès, après la manifestation de solidarité envers Gaza, préalablement interdite par la préfecture de police de Paris. Le jeune homme, titulaire d’une carte de séjour et en voie de professionnalisation en mécanique automobile via les programmes de la mission locale, est condamné à 6 mois de prison avec sursis.

Comme C., les autres prévenus du jour présentent un casier judiciaire vierge. Comme C, la plupart d’entre eux paraissent bien peu politisés, et affichent publiquement leur désintérêt envers le conflit israélo-palestinien. « Mais que faisiez-vous alors samedi dans un quartier dont tout le monde connaissait les risques de débordements ? » s’évertue à questionner la présidente.

W., 19 ans, tout juste bachelier, en passe d’intégrer un BTS marketing, est d’abord venu dans la zone par « curiosité ». Puis s’est engouffré dans le boulevard Barbès pour « aider un ami paniqué qui souhaitait rentrer ». « Mais qu’alliez-vous faire ? Vous êtes Superman ? » lui rétorque la présidente. Le jeune homme le reconnaît : « Je n’avais rien à faire ici », et se dit « choqué » par les scènes dont il a été témoin. Formellement reconnu par un officier de police, car il était la seule personne de « type africain dans un groupe d'individus de type nord-africain » à jeter des projectiles sur un policier. W., un jeune homme « enclin à une insertion réussie vers la vie d’adulte » selon la présidente, est condamné à 4 mois avec sursis et 150 euros de dommages et intérêts à verser à l’officier de police qui s’était constitué partie civile.

Des peines presque similaires – 3 mois de sursis – sont prononcées pour T. et B.

T., 26 ans, intérimaire régulier, est le dernier à comparaître mardi à 23 h 15. Toujours vêtu comme il l'était samedi, d’un marcel noir et d’un short bariolé, T. justifie sa présence à Barbès pour « faire des courses » dans le quartier. Malgré son look décontracté, le domicilié à Villepinte ne convainc pas le tribunal, qui l’accuse de jet de bombe lacrymogène sur les policiers à 19 heures. « Je ne suis pas violent, je ne tolère pas la violence », explique le jeune homme sans casier judiciaire jusqu’ici. La grenade lacrymogène avait d’abord atterri sur sa cuisse, lui causant un hématome de 6 cm de diamètre d’après l’expertise médicale. Le prévenu explique l’avoir saisie et relancée par « instinct ».

Pour B., le tribunal a reconnu « l’effet de groupe » pour expliquer le recours à la violence de ce jeune homme au caractère calme et serein. Cet étudiant en 3e année de droit est actuellement vacataire dans un tribunal en région parisienne. « Était vacataire », lui auraient lancé les policiers en garde à vue, selon son avocate. Celle-ci dénonce à travers ces interpellations « une politique du chiffre » de la part de l’administration. B. habite chez sa mère à Barbès. Cet après-midi-là, il dit s’être promené dans le quartier avec deux amis, allant chercher un jeu vidéo chez l’un d’entre eux. Sur le chemin, l’étudiant s’attarde même à prendre un « selfie » avec un policier. Il reste en fait plus de deux heures dans les parages et est interpellé en début de soirée pour caillassage. Une grossière erreur, avance l’étudiant qui, comme beaucoup de casseurs, portait un maillot du PSG ce jour-là. « On m’a confondu avec un autre », avance-t-il.

La veille, E., un ingénieur kurde de 26 ans, a aussi trouvé dans son accoutrement l’origine de son interpellation. Porteur d’un keffieh rouge à la sortie du métro bastille, E. est arrêté pour « participation à une manifestation illicite » puis « rébellion ». « Mon keffieh est rouge, c’est un keffieh kurde, celui des Palestiniens est noir et blanc ! » explique-t-il, avant de laisser éclater sa colère « La Palestine, j’en ai rien à foutre ! Je suis kurde. Qui attaque les Kurdes en Syrie ? C'est le Hezbollah ! Et le Hezbollah, c’est le premier soutien de la Palestine. Vous comprenez ? » Le jeune ingénieur, finalement relaxé, envisage de porter plainte pour violences policières à la suite de son interpellation musclée, a indiqué son avocat.

Il n’est pas le seul à avancer la thèse des violences perpétrées d’abord par les forces chargées du maintien de l’ordre. A., 28 ans, est pompier volontaire et pratique les sports de combat. Accusé d’outrage, de violence et de jet de projectile, ce pratiquant régulier d’arts martiaux aurait menacé les policiers : « Bande de connards (…), je vous prends tous en tête à tête. » Lui affirme avoir été « tabassé sauvagement » par les policiers alors qu’il était en train de filmer la manifestation à côté d’une patrouille. « Ils m’ont dit "tu filmes quoi là ?" et m’ont plaqué au sol », explique-t-il. L’expertise médicale a estimé à un jour l’incapacité temporaire de travail du jeune homme, ancien surveillant de collège. Le bilan médical, plutôt modeste au vu des accusations de A., est directement imputable à sa rébellion, indique le procureur. A. est condamné à 5 mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire pour outrage et rébellion, mais relaxé des faits de violence qui lui étaient reprochés.

Dans la longue série des comparutions immédiates de mardi, A. est le seul à évoquer son soutien à la Palestine, même s’il avance surtout « la curiosité » et l’envie « d’observer » pour justifier sa présence à Barbès. La veille, trois autres prévenus affirmaient ouvertement leur soutien à la manifestation.

F., une jeune femme élancée au débardeur rose fluo, était la première à comparaître, lundi. On lui reproche la participation à une manifestation illicite, et le jet d’une cartouche de bombe lacrymogène à l’encontre de CRS. « J’ai pris la responsabilité d’y être parce que je voulais y être. J’étais venue pour soutenir la Palestine, je ne pensais pas que ça allait dégénérer, que ce serait la guerre », justifie-t-elle. Identifiée par un policier de la sûreté publique pour avoir ramassé à ses pieds, puis jeté, une cartouche de gaz lacrymogène, F. évoque « un réflexe ». « Vous ne le feriez pas, vous ? » demande-t-elle au président. « Moi, non, si j’ai une bombe lacrymo à mes pieds, je ne la ramasse pas, je mets un coup de pied dedans ou je m’en écarte », lui répond-il, avant de prononcer bien plus tard dans la soirée une peine de 6 mois de prison avec sursis et 105 heures de travaux d’intérêt général. Le parquet avait requis 10 mois de prison ferme « pour adresser un signal fort de découragement » aux potentiels casseurs parmi les manifestants. F. avait déjà été condamnée par le passé pour outrage et conduite en état d’ébriété.

La plus lourde peine prononcée au tribunal de grande instance de Paris s’élève à 10 mois de prison pour des faits de rébellion et participation à un attroupement interdit. N., 33 ans, était accusé dans un premier temps d’être un des organisateurs de la manifestation interdite. « Je ne suis pas organisateur mais animateur, proteste-t-il. Je disais simplement des slogans au porte-voix : "Nous sommes tous des Palestiniens", "Résistance, c’est la voie de l’existence", "Médias français, montrez-nous la vérité"… » déclare-t-il dans des propos rapportés par Libération. Cet ingénieur chez EDF, père d’une petite fille d’un an, a promis de « ne plus participer à une manifestation interdite ». Dans la même chambre, K., un informaticien de 33 ans, père de famille également, avait été condamné pour rébellion à quatre mois de prison avec sursis et 1 150 euros d’amende à verser à un policier qu’il avait fait chuter lors de son interpellation. L’arrestation musclée causant deux jours d’ITT à K., 4 jours au policier. Pour ces trois cas jugés lundi, le parquet de Paris, qui avait requis des peines de prison ferme, a fait appel des condamnations, espérant le même jugement que celui prononcé mardi à Pontoise. Quatre jeunes âgés de 20 à 28 ans y ont été condamnés de peines allant de trois à six mois de prison ferme pour des violences sur des policiers survenues dimanche dans les manifestations de Sarcelles.

Parmi les onze prévenus parisiens, deux n’ont pas été jugés. M., 32 ans, comparaissait mardi en fin d’après-midi. Le regard vide, dans un tee-shirt trop large pour lui, M. semble seul au monde. Il est en fait handicapé à 80 %, et placé sous curatelle chez sa sœur. « Il a de graves troubles neurologiques : des problèmes de mémoire, d’orientation, de raisonnement quand il est en présence d’une foule », indique son cousin, après s’être fait expulser de la salle d’audience pour avoir haussé la voix durant les débats. Son audience sera renvoyée au 22 octobre après la réalisation d’une expertise médico-psychiatrique.

Enfin, le cas de M.T. a été renvoyé au 3 septembre prochain. Ce Tunisien de 35 ans est connu sous 12 identités différentes par les services de police. Il est le seul à comparaître à la fois pour outrage, violences volontaires sur des policiers ayant entraîné 10 jours d’ITT, jet de barres de fer et port d’arme de catégorie 6 – un Opinel en l’occurrence. Le seul véritable « dur » à défiler dans le box des prévenus, au milieu de profils jusqu'ici sans histoire.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

La Ligue de défense juive, un groupuscule d'extrême droite aux méthodes radicales

$
0
0

Mercredi, les militants pro-palestiniens manifestent à nouveau à Paris, cette fois-ci avec l'autorisation du gouvernement. Débordés par des partisans de Dieudonné et d’Alain Soral, ils font aussi face à la mobilisation adverse de groupuscules juifs radicalisés. Parmi eux, la Ligue de défense juive (LDJ), organisation juive d'extrême droite.

Très présent sur Internet et les réseaux sociaux, où il promet de défendre la communauté juive et de faire « dormir à l’hôpital » les « casseurs musulmans pro-terrorisme », ce groupuscule use de méthodes violentes. Il sillonne certains quartiers comme la rue des Rosiers, l’emblématique rue de la communauté juive de Paris, pour les « sécuriser ». Le 22 juillet, la plateforme de pétition en ligne wesign.it, qui héberge la pétition réclamant la dissolution de la LDJ, a accusé dans un communiqué le groupuscule d'avoir attaqué son site internet. « Nous avons eu une attaque avec un nombre exorbitant d'adresses ip venant de Suède, des États-Unis et de nombreux pays occidentaux », explique à Mediapart son fondateur, Baki Youssoufou.

Sur Facebook, l'organisation avait annoncé qu’elle viendrait à chaque manifestation pro-palestinienne pour « raccompagner » à sa façon les manifestants pro-palestiniens – aucun appel de sa part n'est cependant visible pour la manifestation de ce mercredi.

Ces derniers jours, la LDJ a été au cœur de plusieurs échauffourées autour de synagogues. Le 13 juillet, certains de ses membres s'étaient opposés à des militants pro-palestiniens aux abords de la synagogue de la rue de la Roquette, à la fin d'une manifestation de solidarité avec Gaza, avant d'être séparés par les CRS. Plusieurs versions s’étaient affrontées (lire notre article)« Nous nous sommes seulement défendus », avait affirmé la Ligue de défense juive, alors que des éléments laissent penser que l'affrontement était prémédité. Dans une vidéo amateur relayée par i-Télé, on voit certains membres de la LDJ brandir casques de moto, barres de fer, bombes lacrymogènes, pieds de table et chaises du restaurant La Cappadoce, avant d'aller se réfugier derrière un cordon de CRS. 

Interrogé à propos de cet épisode sur France inter ce mercredi, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a estimé que la Ligue de défense juive « est dans l'excès »« Elle est dans des actes qui peuvent être répréhensibles et qui doivent être condamnés et ces actes le sont par moi de façon extrêmement ferme », a-t-il affirmé. Avant d'ajouter que « s'il y a des violences qui ont été commises, des plaintes qui ont été déposées, le droit passera ».

Le ministre a cependant démenti les propos d'un auditeur selon lesquels les forces de l'ordre auraient protégé les activistes de la LDJ. « Les forces de police se sont interposées entre la LDJ et des manifestants pour éviter des affrontements, a balayé Bernard Cazeneuve. Tout ce discours, toutes ces affirmations selon lesquelles il y aurait une complicité de la police avec la LDJ qui expliquerait que les manifestations aient mal tourné relève d'une manipulation pure et simple. »

Le tweet du ministre, retweeté par un internaute, avant qu'il ne soit effacé.Le tweet du ministre, retweeté par un internaute, avant qu'il ne soit effacé.

Dans la journée de mercredi, le blogueur Al-Kanz s'est cependant ému de ce qu'un tweet du ministre condamnant « fermement » des « actes répréhensibles » de la LDJ ait été supprimé de son compte Twitter officiel. Selon son cabinet, contacté par Mediapart, c'est tout le « live tweet » de la matinale de France inter qui a été « comme d'habitude » effacé et remplacé par un lien vers la vidéo de l'entretien. « Bernard Cazeneuve peut redire ce qu'il a dit sur la LDJ cinquante fois si besoin », nous assure-t-on. Plusieurs « live tweet » d'apparitions médiatiques de Bernard Cazeneuve ont cependant été conservées sur son compte, comme le 9 juillet lors d'un passage chez France info. 

Qui sont les militants de la LDJ ? Le groupuscule revendique plusieurs centaines de militants, mais n’en compte en réalité qu’une quarantaine, avec un noyau dur d’une quinzaine de personnes, essentiellement des jeunes basés à Paris et Lyon. Parmi ses dirigeants, on trouve Jean-Claude Nataf, qui apparaît aussi sous les pseudonymes de « Amon Cohen » ou « Carlisle ». Homme de réseaux, il a la main sur tous les outils de communication du groupuscule et entretient des contacts avec l’extrême droite française. En 2013, Mediapart l'a aperçu dans la foule du 1er-Mai du FN, où il écoutait le discours de Marine Le Pen en compagnie de Philippe Péninque, ancien du GUD et conseiller officieux de la présidente du FN.

Philippe Péninque (cheveux blancs) lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2013, avec Jean-Claude Nataf (avec le bonnet).Philippe Péninque (cheveux blancs) lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2013, avec Jean-Claude Nataf (avec le bonnet). © Mediapart

Ses premiers contacts avec l’extrême droite française, retracés par le site d’information antifasciste REFLEXes, remontent au début des années 2000, via Louis Aliot, l'actuel numéro deux du FN. D'après Libération, il s'est aussi rendu à la fête des « Bleu Blanc Rouge » du Front national, au milieu des années 2000. Parallèlement, il a côtoyé l’ex-FN Jean-François Touzé, dont il est proche, et s’est tourné un temps vers des cadres du Bloc identitaire (BI). Une rencontre aura d'ailleurs lieu à Paris en marge d’une manifestation du BI avec Fabrice Robert et Richard Roudier, qu’il avait rencontrés dès 2005.

En 2010, le Monde rapportait un billet posté sur le site de la LDJ dans lequel son administrateur soutenait Marine Le Pen après ses déclarations rapprochant les prières de rue musulmanes et l'Occupation. Un an plus tard, après la mort d'un bijoutier tué au cours d’un braquage, Nataf explique dans le Parisien que « dans la communauté », certains sont tentés « de plus en plus par un vote protestataire en faveur du Front national ». Car une partie de la LDJ voit d’un bon œil la stratégie de « dédiabolisation » de Marine Le Pen, ses appels du pied à la communauté juive (Louis Aliot s’était rendu en Israël fin 2011) et surtout son discours anti-islam.

En amont de la présidentielle de 2012, la LDJ publiait sur son site une « mise au point » pour le moins ambiguë. L’organisation « n’apporte pas son soutien au Front national », pouvait-on lire, « bien que la prise de position faite par le FN à l’encontre de l’islamisation reste un pas significatif dans les urgences politiques de notre pays ». Plus récemment, l'organisation se félicitait que Marine Le Pen ait « tué le père » après les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur la « fournée ». Le 21 juillet, dans un billet intitulé « Non, ce n’est pas le Front national qui attaque les synagogues », l’organisation fustige les comités de surveillance des mairies frontistes auxquels participent l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et Sos Racisme.

Sur Twitter, le groupuscule cultive cette même dualité, alternant défense du FN et provocations :

Parallèlement, une partie de la LDJ s'est rapprochée du collectif anti-islam Riposte laïque et son satellite Résistance républicaine. À plusieurs reprises, ce sont des militants de la ligue qui ont assuré la sécurité d’événements organisés en 2010 par Riposte laïque – comme l’apéro républicain, une manifestation devant l’ambassade d’Iran, ou les « Assises sur l’islamisation ». Organisées avec les identitaires, celles-ci ont été sécurisées sous la conduite de Philippe Wagner, un ancien skinhead nationaliste qui avait intégré la LDJ. La présidente de Résistance républicaine, Christine Tasin, sait s'en souvenir. Dans un billet, le 16 juillet, elle salue le « patriotisme » de l'organisation et évoque « le soulagement de savoir que la LDJ existe, est efficace ».

Quelles sont les actions militantes de la LDJ ? Sur son site, l'organisation se présente comme un « mouvement patriotique et nationaliste juif » qui vise à « protéger les juifs de France contre la violence tant verbale que physique de leurs ennemis ». Elle affirme prôner « un discours pacifiste ». Mais sur les réseaux sociaux, elle revendique des actes de violence :

Tweets du 17 janvier 2014, lors des affrontements entre militants de la LDJ et pro-Dieudionné.Tweets du 17 janvier 2014, lors des affrontements entre militants de la LDJ et pro-Dieudionné.

Tweet du 27 mars 2014.Tweet du 27 mars 2014.

Et diffuse des propos radicaux:

Tweet du 6 avril 2014.Tweet du 6 avril 2014.

Sur le terrain, le groupuscule se comporte en milice qui seconderait les forces de l'ordre et multiplie les messages de soutien aux policiers. Exemples :

Tweet du 20 juillet 2014.Tweet du 20 juillet 2014.

Post sur le compte Facebook de la LDJ, le 20 juillet 2014.Post sur le compte Facebook de la LDJ, le 20 juillet 2014.

L'organisation fonctionne avec un noyau de jeunes menés par un chef de bande et des méthodes violentes que certains de ses membres assument, comme dans cette vidéo diffusée en 2009 :

Sur son site, sur les réseaux sociaux ou YouTube, la LDJ met en scène ses actions coup de poing. On y voit par exemple les militants asperger de peinture rouge l'écrivain juif marocain et militant antisioniste Jacob Cohen (voir les images), la présidente de l’association CAPJPO-EuroPalestine Olivia Zémor (voir les images), ou encore la porte-parole des Indigènes de la République Houria Bouteldja :

Mais d’autres actions de l’organisation vont bien au-delà de la violence symbolique. La liste des agressions dont est à l’origine la LDJ est longue (lire la recension du journal Politis et l’article du quotidien Times of Israel qui liste 115 incidents violents depuis 2001). Certains de ses membres ont été condamnés pour des faits de violence.

En 2002, des militants du Betar et de la LDJ provoquent de violents incidents lors d’une manifestation de soutien à Israël à Paris. Un commissaire de police est grièvement blessé après un coup de poignard. En 2004, l’un de ses cadres est condamné pour avoir agressé des étudiants de la faculté de Nanterre dans l’enceinte du tribunal administratif de Paris. En 2009, quatre de ses membres sont condamnés après le saccage, avec cagoules, bâtons et bouteilles d'huile, d’une librairie parisienne proche de la cause palestinienne. La même année, ils sont soupçonnés d'être les auteurs de l'agression de trois lycéens, dont deux d'origine tunisienne.

Deux ans plus tard, la LDJ interrompt violemment une réunion organisée par l’association France-Palestine. Rue89 raconte cette opération coup de poing : slogans « Israël vaincra », drapeaux israéliens déployés, gants en cuir renforcés de plomb ou de sable enfilés.

La même année, l’organisation crée la polémique en annonçant dans un communiqué une expédition en Israël avec les « militants ayant une expérience militaire » pour « prêter main-forte à (leurs) frères face aux agressions des occupants palestiniens » et « renforcer les dispositifs de sécurité des villes juives de Judée et Samarie (la Cisjordanie, ndlr) ».

Métronews rappelle qu’en juin 2013, la LDJ avait publié un message pour revendiquer la violente agression d'un jeune. Plusieurs associations ou sites avaient dénoncé ce post Facebook alors que la victime en question était dans le coma.

Un reportage diffusé en 2012 dans « Enquête exclusive », sur M6, montre comment l’organisation joue aux justiciers dans Paris, avec des méthodes parfois illégales, sous la conduite de leur leader, alors visé par trois plaintes pour agression. On le voit s'entraîner au tir (malgré l’interdiction de port d'armes en France) et expliquer qu’ils sont « préparés face aux menaces qu’il pourrait y avoir contre Israël ». On voit également l’organisation sillonner le Marais, à Paris, en pleine nuit, pour une opération d’affichage sauvage avec des appels au meurtre contre l’assassin antisémite d'Ilan Halimi. Quelques jours plus tard, ils partent en expédition punitive porte de Bagnolet, avec des matraques télescopiques, pour venger un adolescent qui aurait été victime d’une insulte antisémite :

En 2004, « Complément d'enquête » avait révélé que les membres de la LDJ s’entraînaient dans un bâtiment officiel protégé par la police française. L'émission de France 2 avait filmé une quarantaine de leurs membres en train de suivre dans ces locaux des cours de krav maga, technique de combat utilisée par l’armée israélienne :

Autour de la Ligue de défense juive, c’est toute une galaxie de jeunes qui gravitent. Outre le Betar, autre mouvement de jeunesse juif radical, une multitude de petits groupes communautaires se montent. Ils se retrouvent dans les clubs de krav maga, comme le Maccabi, dans le Xe arrondissement de la capitale. Ils sont en lien sur les réseaux sociaux, où ils lancent des appels pour converger vers les synagogues.

La LDJ reste pourtant ultraminoritaire au sein de la communauté juive. « C’est une toute petite organisation, qui n’est pas membre des institutions juives, qui n’est pas membre du Crif »« c’est très, très marginal », a tenté de minimiser Roger Cukierman, le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), interrogé par RFI sur la responsabilité de la LDJ dans les tensions actuelles.

Photo de la Ligue de défense juive sur leur compte Twitter.Photo de la Ligue de défense juive sur leur compte Twitter. © @LDJ_France

Une « petite » organisation dont certains partis et associations demandent à nouveau la dissolution. La LDJ émane de la Jewish Defense League, fondée en 1969 par le rabbin Meir Kahane aux États-Unis puis en Israël, et dont elle se revendique. Son créateur a également fondé le parti Kach (devenu Kahane Chai), qui prônait l'expulsion des populations arabes de Palestine hors du "Grand Israël". Le parti a été interdit par le gouvernement israélien en 1994 après le massacre d'Hébron par l’un de ses membres. Il est classé comme organisation terroriste par le gouvernement américain.

Ce sont ces arguments que brandit le député communiste Jean-Jacques Candelier pour réclamer la dissolution de la LDJ. Dans une lettre ouverte à François Hollande, le 19 juillet, il dénonce une « organisation criminelle ». « L'impunité de ces barbares dont le seul but est de créer un amalgame entre judaïsme et sionisme est inacceptable », argumente le député. À gauche, d'autres élus demandent cette dissolution. « Il semble qu’il y a eu des provocations de la part de la Ligue de défense juive (LDJ), donc je suis pour la dissolution », a déclaré la sénatrice EELV Esther Benbassa dans les Inrockuptibles.

Ce n’est pas une première. Le Mrap demande cette dissolution depuis 2002, à la suite de plusieurs agressions attribuées à la LDJ. « La violence de ce groupe, l’étalage sur Internet de ses entraînements paramilitaires, les vidéos relatant les actions de commando du groupe, ses provocations jusque dans l’enceinte des tribunaux, ne peuvent passer inaperçus du ministère », dénonçait à nouveau en juillet 2012 le mouvement contre le racisme.

Au même moment, l'Union juive française pour la paix (UJFP) était également remontée au créneau auprès de Manuel Valls en s’étonnant que la LDJ soit « l’une des rares milices fascistes autorisées en France ». « En France, elle a multiplié les attaques de manifestations autorisées, de rassemblements, de réunions publiques, de locaux associatifs, et a commis des ratonnades anti-Arabes », accusait l’association.

Selon Libération, les statuts de la Ligue de défense juive ont d’abord été déposés en préfecture en tant que… « Liberté, démocratie et judaïsme ». Le 19 juillet 2003, deux ans à peine après sa création, la LDJ s’était autodissoute. Depuis, il s’agit donc d’un simple groupement informel, non enregistré au Journal officiel.

Dans le cadre de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, le président de la République peut dissoudre par décret des milices, qu’elles soient ou non constituées en association. C’est ce qui s’est passé pour le Service d’action civique (SAC), dissous en 1982 par François Mitterrand. Plus récemment, le 1er mars 2012, Nicolas Sarkozy avait dissous le groupuscule islamiste radical « Forsane Alliza » au motif qu’il s’agissait d’un « groupe de combat » qui avait pour « but d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ».

En juillet 2013, après le meurtre du militant antifasciste Clément Méric, François Hollande avait dissous plusieurs organisations d’extrême droite les 12 et 25 juillet 2013 : « Troisième Voie », les « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » de Serge Ayoub puis, deux semaines plus tard, les « Jeunesses nationalistes » d’Alexandre Gabriac et l’Œuvre française (lire nos articles ici et ).

En raison de son caractère liberticide, cette mesure doit répondre à des conditions strictes et être précédée d’une procédure contradictoire. Pour dissoudre l’Œuvre française, le  président de la République s’était par exemple appuyé sur trois motifs expressément prévus par la loi : la forme et l’organisation militaires du mouvement, le culte qu’elle vouait à la collaboration et au régime de Vichy, ainsi que son idéologie incitant à la haine et à la discrimination envers les étrangers, les juifs et les musulmans. Le Conseil d’État avait confirmé ces motifs le 25 octobre 2013, en rejetant le recours des responsables de ce mouvement d'extrême droite.

« Le Conseil d’État reconnaît une milice privée à son organisation hiérarchique paramilitaire, à l’obéissance de tous à un chef, à ses entraînements collectifs aux arts martiaux, à sa capacité à orchestrer des coups de force, c’est-à-dire à mobiliser collectivement et rapidement des effectifs autour d’un événement particulier et dans une logique de violence », explique l'avocat Nicolas Gardères dans Le Nouvel Obs.

Interrogé mardi par Mediapart à Marseille sur une éventuelle dissolution de la LDJ, Bernard Cazeneuve a éludé, en répondant qu’aucun groupe ne peut se mettre « en contravention avec les principes de la République si l’on veut que ses valeurs prévalent ». Avant de couper court au point presse qu’il tenait à l’hôtel de police sur l’élucidation de plusieurs des règlements de comptes récents par la brigade criminelle.

« Si à un moment, la LDJ remplit les critères, ce sera appliqué », précise son cabinet qui rappelle que la dissolution est « une procédure exceptionnelle, qui répond à des conditions strictes ». « Nous savons qu’il s’agit de gens malintentionnés et ils sont suivis depuis des années par le ministère de l’intérieur qui est très vigilant, assure par ailleurs le cabinet du ministre. La meilleure preuve, c’est qu’à Sarcelles dimanche, la manifestation prévue par la LDJ a également été interdite. »

« C'est clair que la LDJ n'est pas simple et que ses membres créent plus de problèmes qu'autre chose, mais à la préfecture on ne peut rien faire tant que le ministère de l'intérieur n'agit pas », déplore dans Métronews un responsable de la préfecture de Paris, sous couvert d’anonymat.

BOITE NOIRENous avons adressé lundi une série de questions au ministère de l'intérieur, à la préfecture de police et au parquet de Paris sur le manque de réaction des forces de l'ordre le 13 juillet face à des militants du LDJ armés sur la voie publique, sur le bâtiment où la LDJ s'entraîne selon « Complément d'enquête », sur les suites judiciaires de plusieurs aggressions attribuées à la LDJ, etc. Beaucoup sont pour l'instant restées sans réponse.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

« Le droit de manifester, on ne peut pas nous l’enlever »

$
0
0

Cette fois, la volte-face est réussie. À la suite des violences qui ont émaillé les rassemblements pro-Gaza interdits au préalable par l’administration le week-end dernier à Paris et Sarcelles, le gouvernement avait changé d’avis, autorisant une manifestation dans la capitale ce mercredi 23 juillet. Bien lui en a pris, puisque le cortège a réuni hier entre 14 500 et 25 000 personnes et défilé dans le calme entre la place Denfert-Rochereau et les Invalides. D'autres manifestations, comme à Bordeaux ou Toulouse, avaient également lieu mercredi soir.

Les derniers manifestants depuis le collectif "Cheikh Yassine"Les derniers manifestants depuis le collectif "Cheikh Yassine" © TSC MP

À Paris, des milliers de personnes avaient répondu à l’appel du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, regroupement d’associations, de syndicats et de partis qui se sont fait l’écho de la cause palestinienne tout en invoquant le droit de manifester.

© YS MP

Le cortège a été très encadré le long du boulevard des Invalides, où les troupes de CRS n’ont quasiment pas eu à intervenir pendant le défilé. Un calme entretenu par les services d’ordre de la CGT, NPA, Parti de gauche et PCF, rompus à ce genre d’exercice, et par l’itinéraire choisi, empruntant exclusivement de grandes artères aérées. Plus d’un millier de policiers étaient mobilisés pour l’occasion.

En tête du défilé, les plus radicaux, essentiellement des jeunes, ont eu le temps de scander des « LDJ (Ligue de défense juive) on t’encule, la LDJ est une salope » avant de se faire réprimander par leurs propres services d’ordre. Certains en ont profité pour jeter des pierres et autres projectiles sur les autorités. La tension est montée d’un cran lorsqu’un vieil homme, étranger à la manifestation, s’est fait prendre à partie au motif que sa barbe ressemblait à celle d’un rabbin. « C’est un Juif ! » s’est exclamé un gamin qui semblait vouloir en découdre. Un rapide mouvement de foule s’est formé avant d’être stoppé net par les organisateurs, laissant une échappatoire au vieil homme.

Hormis ces quelque excités surveillés de près dans les rangs, on retrouve en début de cortège des personnes de tout âge ayant répondu à l’appel entre autres du Front de gauche, du PCF, des Verts et du NPA. Plusieurs députés socialistes s’affichent à leurs côtés : parmi eux Razzy Hammadi, Yann Galut et Alexis Bachelay. La foule hétérogène et métissée, où se mêlent femmes voilées, quinquagénaires adeptes des stickers CGT et jeunes en maillot du PSG, réclame « la paix » et une « Palestine libre et indépendante ». Malgré sa fatigue énoncée deux jours auparavant, Jean-Luc Mélenchon arrive telle une star, lunettes noires, le pas pressé pour éviter les médias. Il prend la pose quelques secondes devant les caméras avant de disparaître au milieu de la foule, compacte.  

© YS MP

« Nous sommes tous des Palestiniens », et « Israël Assassin, Hollande complice » sont les slogans qui affichent le plus de succès chez les manifestants. Parmi eux, Kader, 22 ans, venu d’Angoulême pour « soutenir la cause palestinienne » et dénoncer « un génocide ». « On a tous droit à cette liberté d’expression, et c’est dommage qu’on nous l’enlève. La France est en train de perdre ses valeurs et ses principes… »

© TSC MP

Comme Kader, beaucoup sont dans la rue pour la première fois de leur vie. Certains se perdent dans un cortège de plus en plus étendu. Quand le défilé de tête emmené par la CGT atteint les Invalides, la queue du regroupement quitte à peine Montparnasse. « Elle est pas ouf cette manif », s’étonne l’un d’entre eux.

Plus loin, en queue de cortège, l’animation était de mise. Posté entre deux enceintes sur une remorque tractée par un camion de location, Abdelhakim Sefrioui harangue une centaine de personnes munies d’un drapeau palestinien géant. Au micro, ses amis lancent des « Palestine résistance » puis « Hamas résistance, Djihad résistance » du nom des deux organisations – Hamas et Djihad islamique – qui prônent la lutte armée pour défendre Gaza. A. Sefrioui est membre du collectif Cheikh Yassine, du nom d’un leader spirituel du Hamas assassiné en 2004 par l’armée israélienne. Mais dans la foule bruyante qui suit ce qui est devenu un deuxième cortège, nombreux sont ceux qui ignorent l’origine de ces hommes au micro.

« Peu importe le syndicat ou le collectif, ce qu’on dénonce, ce sont tous ces crimes commis en Palestine. En plus de ça c’est notre liberté qu’on défend : on veut montrer à l’État que le droit de manifester, on ne peut pas nous l’enlever. Personnellement, même s’il a été élu démocratiquement, je n’ai pas voulu crier Hamas, je suis français, je préfère soutenir le peuple palestinien et demander à notre gouvernement d’arrêter d’être complice des assassinats de Gaza », explique Karim*, 25 ans.

© TSC MP

Quelques mètres derrière ce groupe, plusieurs drapeaux tricolores se mêlent aux étendards palestiniens. Des autocollants réclamant un boycott d’Israël se passent de mains en mains et des pancartes rappellent le nombre de morts à Gaza – 650 – depuis le début des opérations militaires. L’une d’entre elles dénonce la position diplomatique de François Hollande et conclut : « France de Jaurès, de Chirac où es-tu ? » Devant, en milieu de cortège, des militants plus âgés défilent sous la banderole des « Juifs et Arabes unis pour la paix ».

Dans le lot des manifestants, certains ont défilé avec une pancarte indiquant en grosses lettres noires : « Je suis juif. » Une démarche inédite pour Eva, qui n’a pas pour habitude de revendiquer ses origines : « Je révèle une partie de mon identité que je n’emploie habituellement jamais. Je suis venue parce que ce qu’il se passe en ce moment n’est pas une guerre de religion, il faut casser cette dynamique d’Israël, cette propagande qui veut que toute attaque contre Israël soit dénoncée comme antisémite. Il s’agit d’une guerre de colonisation, ils massacrent un peuple pour prendre leurs terres, c’est intolérable. Ma mère me disait toujours "il faut pas dire que t’es juive", elle a toujours vécu dans la peur du retour du fascisme (...). Moi j’estime qu’il faut se battre à visage découvert. »

Eva, s'affiche comme juive pour la première foisEva, s'affiche comme juive pour la première fois © YS MP

À ses côtés, Serge ne cache lui non plus rien de son identité. S’affichant juif mais athée, il est un adepte de la tolérance. « Je tenais à montrer que je viens sans crainte dans les manifestations. Autant je n’ai pas de menaces ici, par contre de la LDJ j’en ai eu. Le danger, je le vois plus là-bas qu’ici. »

Au moment de quitter les lieux, la scène place des Invalides était joyeuse et la foule commençait à se disperser. Plus tard dans la soirée, dans un tout autre quartier, celui du Marais, seize personnes ont été interpellées. Elles auraient proféré des insultes antisémites dans un restaurant situé près du quartier juif de la rue des Rosiers et commis des dégradations dans ce restaurant.

* Le prénom a été modifié.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

La réforme territoriale dresse une France des Régions plus inégalitaire

$
0
0

Un taux de chômage plus important pour l'Alsace, l'Aquitaine qui prend un coup de vieux ou encore la Bretagne et le Centre qui figurent parmi les Régions les moins riches de France, ce sont quelques-uns des grands changements qui s'opèrent à chaque coup de ciseaux dans la carte des Régions. Censé générer de 12 à 25 milliards d'économies selon le secrétaire d’État à la réforme territoriale, André Vallini, ce vaste chantier questionne davantage qu'il n'apporte de réponses. Comment moins dépenser sans réduire les services publics ? Quelles sont les Régions qui devront faire le plus d'efforts ?

Ces différentes cartes correspondent aux différentes propositions des députés. "Aujourd'hui" représente la carte de la France telle que nous la connaissons avec nos 22 Régions, la "1re réforme" symbolise la première proposition de l’Élysée le 3 juin avec 14 Régions, la "2nde réforme" est la carte finalement adoptée à l'Assemblée nationale le mardi 23 juillet 2014.

Une chose est sûre, tout le monde ne sortira pas gagnant à l'issue des débats à l'Assemblée, qui se sont achevés ce mercredi 23 juillet avec l'adoption du texte par les députés et qui reprendront d'ici à l'automne prochain en seconde lecture au Sénat. Alors qu'un des piliers de cette réforme est de créer de nouveaux pôles de compétitivité régionaux européens, plusieurs indicateurs montrent que l'un des impacts de la réforme territoriale sera le creusement des inégalités entre les Régions.

 

  • Rhône-Alpes-Auvergne, deuxième Région la plus peuplée

 

  • Le Centre, Région la moins riche de France après la Corse

Les Régions qui ne fusionnent pas seront les plus pauvres. Prévue initialement pour être intégrée dans un vaste territoire Centre-Poitou-Charentes-Limousin, la Région Centre fait les frais de son isolement. En termes de PIB, elle est rétrogradée de la neuvième place – sur les 22 Régions actuelles – à l'avant-dernière. Dans une moindre mesure, la Bretagne ou encore les Pays de la Loire (une des Régions les plus riches de France) se font doubler par les "consortiums" Midi-Pyrénées-Languedoc, Alsace-Lorraine-Champagne et Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Cette dernière devient par ailleurs la plus grosse Région de France, avec une superficie de plus de 84 000 km2

Apparaissent également trois catégories de Régions. Les deux plus compétitives que sont l'Ile-de-France et Rhône-Alpes-Auvergne se détachent très nettement du lot. Suit un large peloton constitué essentiellement des nouvelles fusions Aquitaine-Poitou-Limousin, Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou encore de l'Alsace-Lorraine. Ce sont les Régions au fort potentiel, censées tenir le choc de la compétitivité européenne, n'en déplaise à Martine Aubry qui critique l'alliance de deux Régions pauvres que sont le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. Puis il y a les bonnes dernières constituées essentiellement de la Bretagne, Normandie, Bourgogne-Franche-Comté et Centre. Mises de côté, ces Régions accusent un retard qui sera de plus en plus difficile à réduire par rapport aux nouveaux pôles régionaux européens. 

Pour mieux comprendre ces inégalités de fait, on peut les coupler avec l'évolution du PIB qu'ont connue ces Régions au cours des dernières années. Une fois de plus, le Centre apparaît comme une des Régions les moins dynamiques avec 1,2 % de croissance annuelle contre 1,4 % pour la moyenne française et plus de 2 % pour les Régions les plus dynamiques comme Rhône-Alpes-Auvergne ou l'Ile-de-France. Ces Régions tirent une partie de leur dynamisme de leur attractivité. Comme la croissance du PIB est corrélée à la croissance de la population, les écarts de richesse entre les Régions risquent de se creuser. 

 

 

  • La Corse, championne des dépenses de budget

Encore une fois, le Centre prend la dernière place du classement concernant le budget des Régions rapporté au nombre d'habitants. Alors que la Corse ne compte qu'un peu plus de 320 000 habitants, ses dépenses de budget en 2012 s'élèvent environ à 641 millions d'euros. Pour la Région Centre, cette somme est d'un peu plus de 1 000 millions d'euros, soit à peine 1,56 fois plus que la Corse pour une population huit fois plus importante. L'écart est à nuancer puisque la Corse, du fait de son insularité, bénéficie de plusieurs dérogations. « La Corse est une collectivité territoriale à statut particulier. Elle présente des volumes budgétaires plus importants lorsque les montants sont exprimés en euros par habitant », peut-on lire sur le site des collectivités locales qui présente le budget des Régions.

  • Trois Régions sur treize concentreront la moitié des richesses

Selon l'étude d'impact fournie aux parlementaires, les Régions devaient être « plus homogènes en termes de richesse », il n'en sera rien. Les trois Régions les plus riches (Ile-de-France, Rhône-Alpes-Auvergne et Aquitaine-Limousin-Poitou) concentrent à elles seules la moitié du PIB produit dans l'Hexagone. 

  • La "grande Région Aquitaine" prend un coup de vieux

Attirées par les contrées chaudes, les têtes grises se retrouvent majoritairement dans la moitié sud de la France. Ainsi, l'Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin se retrouve en pôle position en termes de proportion de personnes âgées par rapport au reste de la population, soit près d'un tiers. Suivent la Corse et Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui tournent autour de 27 % d'habitants de plus de 60 ans. Ces nouveaux territoires, où les moins de 20 ans pèsent peu par rapport aux seniors, posent la question du renouvellement des générations.


 

  • Le Nord regroupe les jeunes…

Associée à la Picardie, la Région Nord-Pas-de-Calais est celle qui concentre le plus de jeunes du pays, suivie de près par l'Ile-de-France. La France est partagée en deux, avec d'un côté les très jeunes dans les Régions de la moitié Nord et les plus âgés au sud. 

 

  • … et les chômeurs

Du point de vue du chômage, la réforme territoriale ne devrait guère influencer les statistiques. Si ce n'est qu'une fois de plus, l'objectif annoncé de réduire les inégalités entre les territoires apparaît compromis. En effet, la proportion de Régions qui seront au-dessus de la moyenne nationale du chômage (9,8 %) reste stable, voire augmente : 6 Régions sur 13, soit 46 % au-dessus du taux de chômage (9,8%) contre 41 % des 22 Régions actuelles. 

Vous pouvez consulter les différents taux de chômage en cliquant sur les Régions de la carte ci-dessous. Les zones les plus sombres sont celles avec le plus fort taux de chômage.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Ce qu’il faut retenir de la transparence des parlementaires

$
0
0

Ils sont députés ou sénateurs, mais pas que. Cela peut parfois leur rapporter gros ou les placer dans des situations de conflit d’intérêts. Restées confidentielles jusqu’ici, ces informations sont désormais (en partie) publiques après la mise en ligne, jeudi 24 juillet, par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée après le choc de l’affaire Cahuzac, des déclarations d’intérêts des 925 parlementaires français.

Leur consultation sur le site de la HATVP est particulièrement fastidieuse : les déclarations sont remplies à la main dans l’immense majorité des cas et rarement homogènes – il y a ceux qui publient leurs émoluments en net, d’autres en brut, certains raturent, d’autres débordent des cases… Pour y voir un peu plus clair, Mediapart met l’accent sur plusieurs situations particulières. En cas de conflit d'intérêts, la HATVP pourra saisir le bureau de l'Assemblée ou du Sénat (une instance très politique), mais a été privée par la loi du moindre pouvoir d'injonction à l'égard des parlementaires.

  • JEAN-FRANÇOIS COPÉ, L'AVOCAT MILLIONNAIRE
Jean-François Copé a touché près de 2 millions d'euros comme avocat.Jean-François Copé a touché près de 2 millions d'euros comme avocat. © Reuters

En 2009, alors président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé a commis un ouvrage baptisé Un député, ça compte énormément (Albin Michel). Il y expliquait les raisons du cumul de son activité parlementaire avec celle d’avocat d’affaires, d’abord au sein du cabinet Gide-Loyrette-Nouel puis à son compte. « On reproche souvent aux hommes politiques d’être complètement déconnectés du monde du travail. Avoir un pied dans le privé me permet aussi de me confronter à la réalité de l’entreprise », écrivait-il. Grâce aux déclarations d’intérêts rendues publiques par la HATVP, on sait désormais combien cette « réalité de l’entreprise » fut pour lui sonnante et trébuchante.

Ainsi, entre 2007 et 2013, Jean-François Copé déclare avoir perçu 1 864 784 € liés à ses activités d’avocat d’affaires, en plus de ses émoluments de député et maire de la ville de Meaux (Seine-et-Marne), lesquels représentent environ 75 000 €/an. Le cumul du mandat de député avec des activités d’avocat d’affaires par Jean-François Copé a suscité la polémique à plusieurs reprises ces dernières années.

Mais si l’on sait désormais combien cette activité censée lui prendre « plusieurs heures par semaine » (selon le même livre) fut immensément rémunératrice, le geste de transparence de la HATVP ne permet pas d’en savoir plus, au nom du secret professionnel, sur la liste de ses clients. Celle-ci aurait pourtant permis de mettre au jour, ou pas, de possibles situations de conflit d’intérêts de celui qui fut au service d’intérêts privés pendant qu’il faisait ou défaisait la loi. 

Empêtré dans l’affaire Bygmalion, Jean-François Copé a dû démissionner en juin dernier de la présidence de l’UMP. Quelques jours plus tard, son « entourage » faisait savoir à la presse qu’il allait reprendre ses activités d’avocat d’affaires, qu’il avait cessées en 2013.

  • PHILIPPE BRIAND, L'HOMME AUX 37 SOCIÉTÉS

Trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, ce qui lui vaut d’être lui aussi placé dans la lumière de l’affaire Bygmalion, le député d’Indre-et-Loire Philippe Briand fait figure de recordman des parlementaires actionnaires d’entreprises privées. D’après sa déclaration d’intérêts, Philippe Briand est lié directement à 37 sociétés, dont 32 sont des sociétés civiles immobilières (SCI).

Fondateur du réseau d’administrateurs de biens Citya immobilier (le n° 3 en France), le député Briand est un homme richissime. Sa participation financière directe dans la holding baptisée Arche SAS est évaluée à… 120 000 000 €, d’après les éléments fournis à la HATVP. L’homme perçoit par ailleurs de copieux émoluments au titre de ses activités diverses. Pour la seule année 2013, l’ancien trésorier de Sarkozy a déclaré un salaire de 101 643 € comme chef d’entreprise et 361 200 € de dividendes. Ceux-ci avaient atteint jusqu’à 1 749 050 € en 2011.

  • PATRICK BALKANY OUBLIE SA FEMME

Isabelle Balkany n’existe plus, du moins pour son mari. Le député des Hauts-de-Seine Patrick Balkany, cerné par plusieurs affaires financières (fraude fiscale, prise illégale d’intérêts, emploi fictif…), a écrit « NÉANT » dans la case de sa déclaration d’intérêts consacrée à l’« identification du conjoint ou partenaire ». Isabelle Balkany, sa première adjointe à la mairie de Levallois-Perret, est actuellement mise en examen pour « blanchiment de fraude fiscale » dans le cadre d’une vaste enquête internationale sur le patrimoine caché du couple, notamment au Maroc et dans les Antilles.

Pour le reste, le député Balkany, qui n’est pas connu pour vivre chichement, ne déclare aucun émolument, si ce n’est 24 900 € annuels comme maire de Levallois et 14 000 € de droits d’auteur pour son livre Une autre vérité, la mienne.

  • GÉRARD LONGUET, UN MÉLANGE DES GENRES ASSUMÉ

Il se revendique lui-même comme un militant du cumul public/privé. Le sénateur UMP de la Meuse et ancien ministre Gérard Longuet a déclaré pour l’année 2013 une rémunération de 42 000 €, en plus de ses activités parlementaires, comme président de sa société de conseil Sokratès Group. Il est aussi l’administrateur, en France et en Afrique, de la société de manutention portuaire Sea Invest, mais également du groupe Cockerill Maintenance et Ingénierie (CMI), qui lui ont rapporté environ 50 000 € de jetons de présence. 

En janvier dernier, Gérard Longuet, qui fut le ministre de la défense de Nicolas Sarkozy durant la guerre contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, s’est discrètement rendu dans une Libye en ruines pour y prospecter de bonnes affaires commerciales, notamment dans le domaine portuaire auquel il est donc lié professionnellement. Gérard Longuet était invité par un riche homme d’affaires établi à Genève, Mohamed Benjelloum. « Je n’avais pas de clients. Il est évident que si j’avais découvert une pépite, j’aurais réfléchi à l’exploiter », a-t-il fait savoir, sans ciller, à Mediapart. 

  • L'OUBLI DE JEAN-NOËL GUÉRINI
Jean-Noël Guérini, multi-mis en examen.Jean-Noël Guérini, multi-mis en examen. © Reuters

En sus de ses rémunérations de sénateur, et de président du conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini touche chaque année 5 400 € de jetons de présence pour siéger au conseil de surveillance de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) dont le département des Bouches-du-Rhône est actionnaire à hauteur de 5 %. Entre 2005 et 2010, même si cela n’apparaît pas sur sa déclaration, il a empoché 24 400 € pour représenter le département à la CNR. Les a-t-il reversés au PS ? Jean-Marc Coppola (FDG), qui a représenté la région Paca à ce même CNR jusqu’en 2010, se souvient qu’il reversait ses jetons de présence à son parti. De même que les représentants des salariés les reversent à leur syndicat. Le sénateur touche également 15 700 €/an, depuis qu’il a pris la présidence du service départemental d’incendie et des secours (Sdis 13).

Jean-Noël Guérini détient par ailleurs 22 300 € de parts dans la Socoma qu’il copréside avec Charles-Émile Loo, 92 ans. Il s’agit d’une coopérative ouvrière créée après guerre par ce dernier et d'autres proches de Gaston Defferre pour contrer la CGT et les communistes sur le port de Marseille. S’il mentionne bien que sa femme Martine Aelion-Guérini est avocate, Jean-Noël Guérini oublie de préciser qu’elle défend l'office HLM 13 Habitat, qu'il a présidé jusqu’en 1998 et qui dépend toujours du département des Bouches-du-Rhône, comme l'avait révélé Le Point en 2011.

L’une des deux assistantes parlementaires de Jean-Noël Guérini, Magali Le François, travaille également à mi-temps à son cabinet au Conseil général. Et jusqu'en 2011, elle a cumulé sa fonction d'assistante parlementaire avec celle de secrétaire générale de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, alors présidée par Jean-Noël Guérini. 

  • JEAN GLAVANY ET LE GROUPE BOLLORÉ

Député socialiste des Hautes-Pyrénées, et ancien ministre de l’agriculture dans le gouvernement de Lionel Jospin, Jean Glavany est réputé depuis longtemps pour avoir de très nombreux liens avec les milieux d’affaires. Sa déclaration d’intérêts le confirme. Elle fait d’abord apparaître qu’à la date de son élection, en 2012, il cumulait deux activités extra-parlementaires. D’abord, il était le salarié d’une société organisatrice d’événements sportifs et culturels, dénommée Angel Developpement, pour une rémunération de 61 506 € – on peut supposer que c’est une rémunération annuelle même si l’élu ne le précise pas. Ensuite, elle indique qu’à la même date, il était avocat au cabinet dénommé Parme Avocats, pour une rémunération de 60 935 €. Sur le site de ce cabinet, on ne trouve pas mention de cette collaboration.

L'ancien ministre PS Jean Glavany, sur les bancs de l'Assemblée.L'ancien ministre PS Jean Glavany, sur les bancs de l'Assemblée. © Reuters

Mais c’est à la fin de cette déclaration d’intérêts que l’on trouve les précisions les plus intéressantes. À la rubrique « Observations », Jean Glavany apporte une référence sur un volet de ses activités dont il n’a jamais aimé parler. « Je ne vois pas dans ce questionnaire où je pouvais indiquer qu’en 2012-2013 (et depuis 2001), j’étais membre du "comité stratégique" du groupe Bolloré, structure informelle s’apparentant à un "think thank" mais qui ne fait de moi ni un salarié, ni un dirigeant, ni un actionnaire de ce groupe. » Lapsus cocasse : au lieu d’écrire « think tank », le parlementaire use du mot « thank ». Comme dans « thank you very much »…

Ces liens discrets entre l’ancien ministre de l’agriculture et l’un des plus grands patrons français, qui possède des actifs immenses dans des activités du même secteur, par exemple dans le domaine des bois précieux en Afrique ou en Asie, ont en effet souvent fait jaser. Car Vincent Bolloré est l’une des grandes figures du capitalisme de connivence à la française, et a affiché une très grande proximité avec Nicolas Sarkozy tout au long de son quinquennat. Au sein de ce comité stratégique du groupe Bolloré, Jean Glavany a donc longtemps côtoyé Antoine Veil (aujourd’hui décédé), l’une des figures du capitalisme parisien, ou encore Alain Minc, qui y siège toujours et est resté le principal conseiller de Nicolas Sarkozy, tout comme celui de Vincent Bolloré.

A la suite de cette notule, Jean Glavany nous a fait parvenir une réponse, que vous trouverez sous l'onglet Prolonger.

  • GILBERT COLLARD, LA FORTUNE D'UN AVOCAT

Le député “Rassemblement bleu marine” a déclaré 393 599 € en 2012, somme liée à ses activités d'avocat. En 2013, il déclare une rémunération de 16 013 € mensuels (comme avocat), soit plus de 192 000 €, et des droits d'auteur et contrats d'édition pour des montants « non encore connus ». Entre 2008 et 2012, il a perçu, comme avocat, d’après sa déclaration, 2 027 477 €, et 110 092,77 € comme « auteur de livres et de récit d’affaires pour la télévision ».

  • AYMERI DE MONTESQUIOU, LES FRUITS DE LA TERRE

Le vice-président (UDI) de la commission des finances du Sénat est un agriculteur heureux : Aymeri de Montesquiou déclare 93 464 € de revenus annuels pour l’exploitation agricole à ses initiales, la SCEA ADM. Mais il maîtrise parfaitement le grand écart, puisqu’il est aussi membre du conseil de surveillance de la banque d’affaires Delubac & Cie, ce qui lui a rapporté la bagatelle de 120 000 € pour l’année 2013. Et quid des quatre autres années censées être couvertes par la déclaration d’intérêts ? On ne le saura ni pour son exploitation, ni pour son travail à la banque, puisqu’il s’est contenté d’indiquer « selon activité de la société » et « selon AG votées ».

Autre mystère : dans sa déclaration d’intérêts au Sénat de 2012, il se déclarait par ailleurs membre du conseil de surveillance de la société Petroplus Holdings France, qui chapeautait alors au moins une raffinerie en activité en France, à Petit-Couronne, en Seine-Maritime. Depuis, la raffinerie a déposé le bilan, et la mention de Petroplus a disparu du CV du sénateur. En 2012, il se déclarait aussi gérant de la société de conseil East South. Aujourd’hui, il indique seulement posséder une participation financière de la société. Le gérant est désormais Francis de Montesquiou.

  • JEAN-PIERRE RAFFARIN ET FRANÇOIS FILLON, SUPER-CONFÉRENCIERS

Côté rémunération, certains savent capitaliser sur leur nom et leurs fonctions. L’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin déclare ainsi entre 40 000 et 78 500 € annuels au titre des conférences qu’il donne. Il faut y ajouter les droits d’auteur de ses livres (entre 32 500 et 52 500 €/an) et ses cours à l’école de commerce parisienne ESCP (plus de 20 000 euros par an). Plus curieux, le sénateur était jusqu’au 30 avril 2013 président de… l’Association centrale des laiteries coopératives des Charentes et du Poitou, ce qui lui rapportait tout de même 18 000 euros par an.

L'ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon, désormais membre du triumvirat qui assure la direction intérimaire de l'UMP, déclare avoir touché 70 000 € en 2012 et 142 500 € en 2013 au titre de sa société de conseil en conférences EURL 2F Conseil, créée en juin 2012, quelques jours seulement avant son élection à la députation de Paris.

Son attachée de presse officielle, Caroline Morard, est par ailleurs rémunérée par l’Assemblée en qualité de collaboratrice du député du Val-d’Oise Jérôme Chartier, qui est l’un de ses soutiens les plus proches.

  • SAMIA GHALI, RETRAITÉE À 40 ANS

Une bizarrerie pour Samia Ghali. Née en 1968, la sénatrice des Bouches-du-Rhône a donc 46 ans, mais elle se déclare « retraitée de la fonction publique territoriale », alors que la retraite n’est théoriquement pas possible à cet âge pour les fonctionnaires. (Mise à jour – 21 heures : comme suggéré en commentaires, elle a pu bénéficier d'un départ à la retraite anticipé, autorisé jusqu'en 2011 pour les mères de trois enfants ou plus.)

La sénatrice a par ailleurs bien indiqué que son époux Franck Dumontel était directeur de cabinet du président de Marseille Provence Métropole au moment de son élection en 2008. Mais elle n’ajoute pas qu’après avoir été débarqué en décembre 2010, Franck Dumontel a depuis créé sa société de conseil aux collectivités locales, qui a par exemple remporté en décembre 2012 un marché public lancé par la communauté d’agglomération communiste d’Aubagne et du pays de l'Étoile.

  • JACQUES MYARD : « À BAS L'INQUISITION ! »

L’UMP Jacques Myard est réputé pour ses coups de gueule, et il n’a pas manqué à sa réputation, même sur papier. Se présentant comme « député-maire », il a agrémenté cette information d’une déclaration de son cru : « Et vive le cumul ! » Puis, au rang des observations, dernier espace où les parlementaires peuvent s’exprimer, il n’a pas hésité : « Néant – À bas l’inquisition ! »

  • HENRI GUAINO, RIEN À DÉCLARER SAUF À L'ÉLYSÉE

Député UMP des Yvelines, Henri Guaino a rempli une déclaration d’intérêts qui ne retient guère l’attention, car la mention « NÉANT » figure presque à toutes les colonnes. Tout juste y trouve-t-on le rappel d’une information qui, lorsqu’elle avait été connue, avait déclenché une très vive polémique sous le précédent quinquennat : le parlementaire indique qu’en sa qualité de conseiller spécial auprès de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, il percevait la somme de 17 851,41 € net mensuels, traitements et primes compris. L’énormité de la somme avait fait débat.

  • PIERRE CHARON, L'ARGENT SOUS SARKOZY

Le sénateur UMP de Paris Pierre Charon a gagné plus de 186 000 euros en 2013 avec ses activités de conseil. Mais on y découvre surtout que lorsqu’il était conseiller de Nicolas Sarkozy, il a perçu 101 000 euros en 2009 et 90 000 euros en 2010.

  • LUC CHATEL, QUI SONT SES CLIENTS ?

Le député et secrétaire général de l’UMP Luc Chatel déclare, en 2013, 183 135 euros liés à ses activités annexes de « conseil en communication et accompagnement stratégique ».

  • PHILIPPE MARINI, L'ULTRA-CUMULARD DANS LE PRIVÉ

Président UMP de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini a la réputation d’avoir toujours sa porte grande ouverte aux lobbies, notamment ceux du patronat (Medef et Afep) et d’entretenir des liens de grande proximité avec les milieux de la finance. Sa déclaration d’intérêts ne le dément pas : le sénateur apparaît en effet comme l’un des élus qui a les activités extra-parlementaires les plus fournies.

D’abord, il déclare être le gérant d’une EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) dénommée Aigle, qui lui procure bon an mal an un peu plus de 30 000 €/an – 33 042 € de revenus imposables par exemple en 2012. Cette structure un peu énigmatique se présente comme le « conseil stratégique » depuis 1994 d’une société, aussi peu connue, dénommée CIPM, structure dont Philippe Marini est par ailleurs administrateur.

Philippe Marini, sénateur et champion toutes catégories du cumul. Philippe Marini, sénateur et champion toutes catégories du cumul. © Reuters

Le sénateur est aussi membre du conseil de surveillance d’une société beaucoup plus connue, dénommée Gimar-Finances, rebaptisée récemment Gimar et Cie. Créée en 1999 par le banquier d’affaires Christian Giacomotto, cette structure financière est spécialisée dans les fusions-acquisitions et est fréquemment intervenue sur des dossiers qui concernaient directement l’État ou des entreprises à capitaux publics, qu’il s’agisse de dossiers liés dans le passé à la Caisse des dépôts, aux Caisses d’épargne ou encore à Areva. Autrefois proche de Philippe Séguin, il a beaucoup joué les entremetteurs entre la sphère publique et les milieux d’affaires, organisant des deals à chaque fois que cela fut possible et empochant de confortables commissions.

Certaines de ses interventions ont même été épinglées par la Cour des comptes. Le président de la commission des finances du Sénat peut-il défendre le bon usage des fonds publics, tout en siégeant dans un établissement financier qui est parfois en affaires avec l’État ou ses pupilles ? Dans sa déclaration, Philippe Marini dit vouloir poursuivre à l’avenir toutes ses activités.

Et ce n’est toujours pas tout. Philippe Marini déclare avoir perçu environ 20 000 €/an de 2008 à 2011 en sa qualité de membre du conseil de surveillance du distributeur alimentaire Guyenne et Gascogne (absorbé depuis par Carrefour). Il dit enfin percevoir en moyenne 4 000 €/an pour ses fonctions d’administrateur de la Compagnie financière privée (COFIP). Plus connue autrefois sous le nom de Didot-Bottin, qu’elle a dans le passé absorbée, la COFIP est une société d’investissement : elle mène des activités en association avec Gimar ou notamment avec la société de vente en ligne Price Minister, dirigée par Pierre Kosciusko-Morizet.

  • JEAN-MICHEL BAYLET, LES MILLIONS DE LA PRESSE

À la date de l'élection de 2004 au Sénat, le sénateur du Sud-Ouest déclare 678 298 € de rémunérations, dont 416 966 € en tant que PDG du groupe La Dépêche du Midi, 20 189 € en tant que président de la SAS Nouvelle République des Pyrénées, 133 365 € comme président de SAS Occitane de Communication et 107 777 € en tant que président de la SA Midi Olympique.

Pour l'année 2013, les rémunérations s'élèvent à 700 880 €, dont 377 159 € (La Dépêche du Midi), 23 575 € (La Nouvelle République des Pyrénées), 144 983 € (Occitane de Communication) et 155 163 € (Midi Olympique). Ce membre du parlement déclare envisager de conserver ces activités. S'ajoutent, toujours pour 2013, 56 389 € d'indemnités en tant que sénateur du Tarn-et-Garonne et 27 990 € en tant que président du conseil général du Tarn-et-Garonne, soit 84379 € d'indemnités parlementaires.

  •  FRANÇOIS PUPPONI, UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Le député et maire PS de Sarcelles, François Pupponi, déclare trois collaborateurs parlementaires, parmi lesquels sa compagne, Marie-Claude Chabé, également membre du cabinet de la mairie de Sarcelles. Ce proche de Dominique Strauss-Kahn, à qui il a succédé dans le Val-d’Oise comme au Palais-Bourbon, puise aussi dans son enveloppe pour rémunérer un chauffeur à temps partiel. Plus étonnant : ce chauffeur est également employé au sein de Leyne Strauss-Kahn & Partners (LSK), une banque d’affaires luxembourgeoise présidée depuis octobre 2013 par… DSK.

  • ALAIN MARSAUD, ENTRE CASINO ET VEOLIA

Alain Marsaud déclare gagner à son élection 13 800 € brut mensuels en tant que « directeur de société de Casino Guichard-Perrachon ». Cela correspond à 165 000 €/an. Ces cinq dernières années, au même titre, il déclare avoir gagné 26 000 € brut mensuels. Soit 1 500 000 € en cinq ans. Il est aussi – à titre bénévole – administrateur indépendant de Veolia Water and Technology, Veolia Voda (Veolia en République tchèque) et Sidem (Veolia désalinisation).

Il n’a pas déposé d’amendement sur la grande distribution, mais a déposé onze amendements dans le cadre de la loi de « transition vers un système énergétique sobre, tarification de l’eau et éolienne ». Il a aussi déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2014 concernant les taxes sur les agences de l’eau.

  • CHRISTOPHE BORGEL, LE CONFORT DE L'ACADÉMIE

Député socialiste de la Haute-Garonne, et membre de la garde rapprochée de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, Christophe Borgel indique qu’au titre des activités professionnelles lui ayant procuré des rémunérations au cours des cinq dernières années, il y a eu celle-ci : « Inspecteur de l’académie de Paris, chargé d’une mission d’inspection générale », pour une rémunération de « 4 450 euros net par mois ».

Cette mention fonctionne comme un rappel : ancien président de l’Unef, Christophe Borgel est l’un des responsables socialistes que Lionel Jospin avait promus par décret, dans la fonction d’inspecteur d’académie de Paris. La Cour des comptes avait vivement critiqué certaines de ces promotions, faisant valoir qu’elles ouvraient droit à une très confortable rémunération, pour un travail assez léger, pour ne pas dire inconsistant.

  • DOMINIQUE TIAN, UNE PLUS-VALUE À 15 MILLIONS

Le député UMP des Bouches-du-Rhône, premier adjoint au maire­­ de Marseille, en charge de l’emploi et des transports urbains, est également le président d’une clinique de soins et est l’associé unique de la Holding Over Line. L’élu a eu besoin de 8 pages d’annexes pour détailler ses participations dans divers SCI, hôtels, cliniques ou centres de loisirs (au total, 14 participations financières et 16 dans la gérance). En dehors de ses deux mandats d’élu, Dominique Tian a gagné plus de 700 000 € en 2013, dont 668 449 € de dividendes. Surtout, il déclare une « plus-value latente » de 15 millions d'euros avec sa holding. Il est par ailleurs administrateur délégué d'une société anonyme de droit belge, Interbuilding (hôtellerie), domiciliée à Bruxelles.

  • JEAN-LOUIS CHRIST ET SON COLLABORATEUR VOLANT

Le député UMP du Haut-Rhin déclare parmi ses collaborateurs parlementaires Éric Chomaudon, le secrétaire général adjoint de Force républicaine, la formation de François Fillon. L'assistant travaille pour Jean-Louis Christ « à temps partiel » car il se partage avec « un autre député ». Comme l’avait raconté Mediapart, Éric Chomaudon avait été rémunéré entre septembre 2012 et février 2014 comme assistant à temps partiel de l'eurodéputé UMP Alain Cadec, tout en travaillant bénévolement pour Fillon. Une manière pour l’ancien premier ministre de conserver son fidèle collaborateur, qu'il n’a pu rémunérer jusqu'en novembre 2013.

  • BONUS : COMMENT SE MOQUER DE LA TRANSPARENCE

Il y a ceux qui comptent en zlotys (monnaie polonaise) pour embrouiller le lecteur (ici le sénateur des Français de l'étranger Jean-Yves Leconte) :

Ceux qui renvoient pour plus d'informations à une déclaration de revenus non publique (ici le sénateur Jean-Pierre Cantegrit) :

Ceux qui narguent la HAT en cachant l'identité de leurs collaborateurs parlementaires (ici le député Michel Vauzelle) :

Enfin ceux qui découragent les curieux à coups de ratures (le député Éric Jalton) :

 




BOITE NOIREFabrice Arfi, Lucie Delaporte, Louise Fessard, Dan Israel, Mathilde Mathieu, Laurent Mauduit, Ellen Salvi et Marine Turchi ont contribué à la rédaction de cet article.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

A Calais, l'impasse pour les migrants

$
0
0

Jeudi 24 juillet après-midi, le tribunal d’instance de Calais a décidé de l’évacuation prochaine de l’ancienne usine désaffectée Galloo Littoral, située impasse des Salines. Ce squat, ouvert par des soutiens et des migrants pour servir de refuge aux personnes expulsées au début du mois de juillet dernier, semblait pourtant, pour la première fois depuis 12 ans, laisser entrevoir une esquisse d’espoir pour les centaines de migrants qui, dans la région de Calais, attendent de tenter leur chance pour rejoindre la Grande-Bretagne.

L'ancienne usine Galoo le jour de son occupationL'ancienne usine Galoo le jour de son occupation © Calais Ouverture Humanité

Depuis 2002 et l’évacuation du hangar de la Croix-Rouge à Sangatte, aucune solution, provisoire ou pérenne, pour les centaines de Syriens ou d’Érythréens coincés dans le Calaisis n’a été trouvée. Au contraire. La politique en la matière montre une cohérence stricte entre le gouvernement UMP d’hier et le gouvernement PS d’aujourd’hui. Dès que les migrants s’installent de manière trop visible, ou en nombre jugé trop élevé, dans un espace déterminé, une opération policière est lancée pour les disperser, les invisibiliser, les précariser.

En 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, décide de fermer le hangar de Sangatte, pour éviter tout « point de fixation ». En 2009, Éric Besson, titulaire du ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale obtient le démantèlement de ce qu’on appelle les « jungles », ces grands campements installés dans les bois à la périphérie de Calais. En 2014, au début de ce mois, rebelote sous un gouvernement socialiste, avec l’évacuation, jeudi 2 juillet à l’aube, du lieu de distribution des repas aux migrants cherchant à gagner l’Angleterre, où avaient trouvé refuge des centaines d’entre eux.

Environ 300 migrants ont été interpellés ce jour-là avant d’être conduits dans des centres de rétention dans toute la France, à Lille, Metz, Rennes ou au Mesnil-Amelot. La plupart ont été libérés dans les 48 heures, puisqu’ils sont ressortissants de pays où la situation est telle qu’ils ne sont pas expulsables. Quatre jours après cette démonstration de force policière, le nombre de migrants présents à la distribution de nourriture était ainsi le même qu’avant le 2 juillet, preuve que la plupart d’entre eux avaient, à nouveau, rejoint le Calaisis.  

© Calais Ouverture Humanité

Une lettre ouverte adressée au premier ministre et à celui de l’intérieur, signée par EELV, le PCF, le PG et de nombreux collectifs d’aide aux migrants, a dénoncé l’absence de changement de politique migratoire depuis l’élection de François Hollande. « La politique migratoire que vous menez aujourd’hui à l’encontre des exilé.e.s présent.e.s dans la région de Calais et sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord n’est guère différente de celle que les socialistes avaient sévèrement critiquée à l’époque où ils étaient dans l’opposition, explique la lettre. Au moment de l’évacuation, à l’initiative du ministre de l’immigration d’alors, de la "jungle des Pashtouns" à Calais en septembre 2009, le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, avait dénoncé une "opération de communication", qui n’allait pas "régler le problème" puisqu’"il n’y a pas une jungle mais des jungles" et que "les réfugiés vont aller ailleurs". Il fallait, concluait-il, "régler la question, autant qu’il est possible, à l’échelle de l’Europe". »

« L’occupation Galloo » aurait pourtant pu dessiner une autre manière de traiter la question récurrente de la présence des migrants du Calaisis. Mais les juges, entre le droit au logement et le droit de propriété, ont donné préséance au second. Le lieu est pourtant suffisamment grand pour accueillir la presque totalité des migrants dispersés dans la région. Des travaux ont été effectués par les occupants pour condamner les espaces dangereux ou insalubres. Et l’association Médecins du monde s’est impliquée pour installer des toilettes et des douches dans ce lieu ouvert à l’origine par les collectifs No Borders.

Les installations sanitaires mises en places par MDMLes installations sanitaires mises en places par MDM © Calais Ouverture Humanité

La question n’est donc pas technique, « mais bien politique », comme l’écrit le blog Passeurs d’Hospitalités, qui documente au jour le jour la vie de l’occupation Galloo et la situation des migrants dans le Calaisis.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Prêts toxiques : le Conseil constitutionnel donne raison à l'Etat contre les collectivités

$
0
0

Le Conseil constitutionnel et le gouvernement viennent d’interdire aux collectivités locales la méthode la plus efficace qu’elles avaient trouvée pour contester en justice les prêts toxiques que de nombreux élus avaient contractés avec des banques, Dexia en tête, dans le courant des années 2000. Dans une décision rendue jeudi 24 juillet, le Conseil a validé la loi définitivement adoptée par le Sénat le 17 juillet, qui vise à sécuriser les contrats de prêts structurés souscrits principalement par les collectivités. Elle valide rétroactivement les contrats qui ne mentionnaient pas le taux effectif global (TEG) du prêt, comme elles y étaient pourtant obligées. « Une loi d'amnistie bancaire aux frais des collectivités », a dénoncé le groupe UMP de l'Assemblée nationale en saisissant la plus haute juridiction française. Au motif de l’intérêt général, les parlementaires n’ont pas été entendus. « L’intérêt des collectivités et des contribuables locaux a été ignoré au profit des seules finances de l’État », regrette dans un communiqué l’association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET), qui fédère les élus en guerre contre leurs banques depuis 2009.

Comme Mediapart l’a déjà raconté, l’enjeu est lourd : environ 1 500 collectivités locales et établissements publics sont concernés par les emprunts toxiques. L’addition totale pour eux devrait dépasser les 10 à 12 milliards d’euros. Plus de 300 contentieux sont en cours, touchant principalement Dexia, mais aussi le Crédit agricole, la Société générale, Royal Bank of Scotland.

Ces produits toxiques ont tous une caractéristique commune : leur risque est imprévisible. Ils sont bâtis sur une combinaison de prêts bancaires classiques et de dérivés de crédit, qui peuvent être fondés sur des taux, sur les parités de change entre différentes monnaies ou sur des indices boursiers ou industriels. Comme nous le détaillions dès 2008, ces paramètres sont difficiles à appréhender sur le court terme, et deviennent totalement imprévisibles pour les durées de 25 ou 30 ans sur lesquelles ils ont souvent été souscrits. Au fur et à mesure de la diffusion de la crise financière à partir de 2008, les collectivités locales ont vu la note s’envoler. Pour des prêts qui leur coûtaient au départ moins de 4 ou 5 % par an, certaines villes ont vu le taux de leur crédit dépasser les 20 %.

Or, plusieurs collectivités ont trouvé la faille, et ont réussi à faire annuler leur prêt en justice, grâce à une technique très simple : contester la façon dont le taux effectif global (TEG) du prêt avait été calculé et leur avait été communiqué. Étant donné la complexité des produits vendus aux villes et aux départements, le TEG est souvent faux ou absent sur les contrats.

Les décisions de justice se multipliaient en défaveur des banques

La méthode est efficace. Le 4 juillet, la ville d'Angoulême, qui avait assigné Dexia pour faire annuler un emprunt de 16 millions d'euros, a obtenu en justice le remboursement de 3,4 millions d'euros. En mars 2013, c’est le département de la Seine-Saint-Denis, qui avait engagé une action au civil contre la banque Depfa, qui a gagné. Son prêt de 10 millions d’euros, contracté en 2006, était indexé sur les variations du franc suisse par rapport à l’euro. Or, le cours de la monnaie suisse a explosé de près de 30 % en 2008-2009.

Le tribunal de grande instance de Paris a cassé le contrat de prêt en raison de l’absence du TEG, et a ordonné que le taux d'intérêt appliqué soit le taux légal de… 0,04 %. La banque a fait appel. En février de la même année, le tribunal de grande instance de Nanterre avait condamné Dexia pour les mêmes motifs et obligé la banque à renoncer à son prêt consenti, déjà, au département de Seine-Saint-Denis.

Les procédures se multipliaient. Et l’État avait des sueurs froides. Car c’est désormais lui qui est détenteur, sous le nom de Sfil, de la majorité de la branche française de Dexia, qui a fait faillite. Une étude d’impact commandée par le gouvernement chiffrait le risque financier pour la Sfil, et donc pour les finances publiques, à une somme allant jusqu’à 17 milliards d’euros. Risque écarté pour l’État, puisque la loi votée le 17 juillet valide rétroactivement les contrats ne mentionnant pas, ou mentionnant mal, le TEG.

Lors du débat à l’Assemblée, Christian Eckert, le secrétaire d’État au budget, avait assuré qu’il ne s’agissait « pas de faire de cadeau mais de sortir d’une situation où beaucoup de fautes ont été commises, par certaines collectivités mais aussi, et c’est indéniable, par des banques ». Il avait aussi concédé : « Et l’État n’a-t-il probablement pas vu complètement le risque financier dans lequel il s’engageait » en reprenant Dexia. « Il s’agit certainement de la moins mauvaise solution, avait-il plaidé. Laisser prospérer des dossiers aussi complexes devant des juridictions aussi surchargées, avec les procédures d’appel, de contentieux qui peuvent remonter toujours plus haut, n’aurait en aucun cas résolu le problème des collectivités territoriales. »


Des collectivités bientôt en faillite ?

Le gouvernement a dû s’y reprendre à deux fois : il avait déjà fait voter une loi presque similaire fin 2013, mais cette dernière avait été sévèrement retoquée en décembre par le Conseil constitutionnel, notamment parce qu’elle interdisait à toutes les personnes morales (et donc les entreprises, les associations, ou même les particuliers ayant souscrit une société civile immobilière) de contester un prêt pour erreur ou absence de TEG. Cette fois, a approuvé le Conseil constitutionnel, la loi ne porte que « sur des emprunts dits structurés souscrits par des personnes morales de droit public ». « Eu égard à l'ampleur des conséquences financières », le principe de la rétroactivité est justifié par « un motif impérieux d'intérêt général », a tranché l’institution.

« Sans doute le Conseil a-t-il été très sensible à l’étude d’impact chiffrant les pertes pour les finances publiques à 17 milliards, mais il méconnaît ainsi le coup porté aux finances locales ! », peste auprès de Mediapart Christophe Greffet, le président de l’APCET et vice-président du conseil général de l’Ain. « Il y a de petites collectivités qui n’auront pas les moyens de payer dans les années à venir, à moins de se placer sous la tutelle financière de l’État », prévient-il. Peut-être se résoudront-elles plus banalement à augmenter sévèrement les impôts locaux…

L’APCET dénonce « l’abandon des collectivités » et regrette qu’« il soit procédé au transfert des pertes financières résultant de ces contrats de l’État ou de banques purement privées aux autres personnes morales de droit public, sans que ces pertes ne soient concomitamment compensées à leur juste hauteur ». En effet, l’État a bien prévu la création d’un fonds de soutien aux collectivités, mais il ne sera doté que de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans. Mais il y a des conditions : les collectivités locales doivent au préalable avoir trouvé un compromis avec les banques, sous la forme d’un remboursement anticipé, qui comprendra toutes les pénalités prévues dans le contrat de prêt. De nombreuses collectivités auront du mal à sortir la somme en une fois. D’autant que le fonds n’en remboursera au maximum que 45 %.

« À ce stade, nous ne pouvons que réclamer que le fonds de soutien de l’État soit beaucoup mieux doté », revendique Christophe Greffet. Dans son communiqué, son association assure qu’elle envisage « de recourir à tous les instruments juridiques à leur disposition afin de faire entendre raison à l’État dans ce dossier ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent


Le «pacte de responsabilité» n'inversera pas la courbe du chômage

$
0
0

Le chômage poursuit son inlassable progression, acculant un peu plus le gouvernement. Nouvelle hausse en juin après la forte augmentation du mois dernier, l'un des plus mauvais mois de l'année avec 30 000 chômeurs en plus. De nouveau, les seniors sont en première ligne et un peu moins, cette fois-ci, les jeunes, très ciblés par le gouvernement. Près de 10 000 nouveaux demandeurs d'emplois de catégorie A (9 400) soit 3 662 100 personnes qui n'ont pas du tout travaillé dans le mois en France. Le pays compte 5 343 100 chômeurs (catégories A, B, C), sans compter les catégories D et E ainsi que tous ceux qui échappent aux statistiques officielles (le halo du chômage).

Les chiffres de la Dares (que vous pouvez consulter ici) ont été dévoilés ce vendredi 25 juillet, deux jours après l'adoption des premières mesures du « pacte de responsabilité », la nouvelle arme anti-chômage du gouvernement. Pour stabiliser la courbe du chômage, à défaut d'avoir réussi à l'inverser, l'exécutif parie exclusivement sur ces quarante et un milliards d'euros d'allègement du coût du travail offerts aux entreprises sur le dos de la Sécurité sociale, des ménages, des collectivités locales, tous astreints à une cure de cinquante milliards.

Illusoire ? Le « pacte de responsabilité » ne redressera pas la France. Pour l'heure, les négociations dans les branches sont poussives. Seule une trentaine de branches sur plusieurs centaines ont commencé à discuter des contreparties en matière d'emploi, de formation, d'investissement. Un seul accord a été signé dans l'industrie chimique, prévoyant la création de 47 000 emplois d'ici à 2017. La CFDT et la CFTC l'ont approuvé, pas les autres syndicats, qui estiment que les recrutements promis ne correspondent qu'au rythme actuel de la branche. C'est dire le chantier complexe à mettre en branle avant de ressentir d'hypothétiques frémissements.

Qui plus est, le lien entre exonérations de cotisations sociales et emploi n'a jamais été démontré. L'efficacité de ce dispositif est même plus que mise à mal par de nombreux économistes et travaux empiriques (lire ici notre article). Récemment et dans l'indifférence générale, c'est un rapport venu du Sénat qui devait torpiller l'outil numéro un des politiques pour l'emploi depuis plus de vingt ans. Sauf qu'il ne sera pas publié officiellement, retoqué par les sénateurs de droite et socialistes (lire ici notre article dans lequel nous le publions). On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif et qui voit dans les baisses de “charges”, ces milliards d'euros sans contreparties au coût prohibitif pour l'État, la solution universelle des problèmes économiques se trompe.

Deux nouvelles études viennent le démontrer. Celles de trois chercheurs dont deux sont associés au centre d'études de l'emploi (CEE) : Nadine Levratto du laboratoire EconomiX sous la tutelle du CNRS et de l'université de Paris-X Nanterre, Aziza Garsaa doctorante (PSE université de Paris-I Panthéon Sorbonne et EconomiX, CNRS-université de Paris Ouest Nanterre) et Luc Tessier enseignant-chercheur (ERUDITE, université de Paris Est-Marne-la-Vallée).

La première étude (à télécharger ici ) porte sur les effets des exonérations sur la croissance des établissements industriels en France de 2004 à 2011, la seconde (à télécharger ) concerne les allègements de charges dans les départements d'Outre-Mer (DOM) sur la même période. Particularité de cette dernière : elle a été commandée par la délégation générale de l'Outre-Mer du ministère des Outre-mer. Et elle ne sera certainement jamais rendue publique « compte-tenu de nos conclusions qui incitent fortement à relativiser l'impact des exonérations sur l'emploi ». Entretien avec l'une des auteures, Nadine Levratto.

Vous avez mené deux études sur les exonérations sociales accordées aux entreprises de 2004 à 2011, l'une en métropole, l'autre dans les départements d'Outre-mer (DOM) où elles sont encore plus massives. Elles démontrent une nouvelle fois l'impact sur l'emploi très limité des allègements de cotisations…

La chercheuse du CNRS Nadine Levratto. La chercheuse du CNRS Nadine Levratto. © DR

Les travaux que nous avons menés mesurent la relation entre le taux d'exonération de cotisations sociales patronales et la création d'emplois dans les établissements en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (une unité de production géographiquement individualisée, mais juridiquement dépendante d'une entreprise). Nous travaillons principalement à ce niveau car les exonérations s’y appliquent. Les résultats obtenus montrent que, globalement, les exonérations ont un effet positif sur l'emploi. Cette tendance moyenne générale cache cependant des différences qui conduisent à relativiser l'effet bénéfique de ces dispositifs, voire à s'interroger sur leur efficacité.

En effet, nous avons différencié l'effet du taux d'exonération en fonction du rythme de croissance des établissements. Cette distinction est importante car, en France, comme à l'étranger d'ailleurs, la plupart des entreprises ont un nombre de salariés extrêmement stable dans le temps. Leur taux de croissance est tout simplement égal à zéro. Seule une minorité d’entreprises créent ou détruisent des emplois. L'important est donc de trouver des moyens qui empêchent la suppression d'emplois et favorisent leur création. Pour juger si les exonérations de cotisations sociales remplissent cette fonction, nous avons estimé leur effet selon le taux de variation de l'emploi observé d’un trimestre et d’une année à l’autre. Nos conclusions sont unanimes.

Quelle que soit la population analysée, nos travaux montrent que les exonérations produisent essentiellement leur effet dans les entreprises en croissance. En d'autres termes, les entreprises qui tirent avantage de la baisse du coût du travail liée aux exonérations sont celles qui parviennent à saisir les opportunités de croissance et à s’adapter aux tendances du marché. En revanche, les entités dont l’effectif reste identique ou diminue profitent beaucoup moins de ces dispositifs. On peut donc considérer que les exonérations facilitent la création d’emplois dans les entités qui vont bien, plus qu’elles ne permettent de créer des emplois dans les établissements qui stagnent ou de limiter les destructions d’emplois dans les établissements qui ont des difficultés.

Cependant, l’ampleur de ces effets dépend aussi des caractéristiques propres des entreprises et des établissements. La taille et le secteur d’activité conditionnent fortement l’effet de l’allègement du coût du travail. Il atteint son niveau le plus élevé dans les entreprises et les établissements de grande taille, et dans ceux qui opèrent dans le tertiaire (commerce et services). Les PME, initialement ciblées par ces dispositifs, et l’industrie, plus exposée à la concurrence, sont moins impactées par les allègements du coût du travail.

Ces résultats sont robustes. Ils sont en effet validés pour la métropole et l’outre-mer, lorsqu’on réalise des estimations spécifiques par secteur et par classe de taille et que l’on raisonne au niveau annuel ou trimestriel.

Malgré une abondance d'exonérations de charges depuis des décennies, les DOM, ces départements lointains dont personne ne parle, s'enkystent dans un chômage de très longue durée avec des taux très supérieurs à la métropole, pouvant atteindre jusqu’à 80 % chez les jeunes de moins de 25 ans. N'incarnent-ils pas, à eux seuls, l'échec de cette politique “pour l'emploi” ?

Au regard du marché du travail, les DOM se distinguent par un taux de chômage élevé dont le taux de variation suit, de manière atténuée, celui observé en métropole, des écarts de salaires avec la métropole variables selon les catégories socio-professionnelles (plus élevés pour les cadres, les professions intermédiaires et les employés, plus faibles pour les ouvriers qualifiés et non qualifiés), un taux d’occupation structurellement faible (de 32 % à 42 %) en raison d’un taux de chômage élevé et d’une forte proportion d’inactifs.

Afin de réduire les difficultés d’accès au marché du travail et les freins à l’embauche, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs spécifiques aux départements d’outre-mer. À côté des contrats aidés, essentiellement destinés au secteur non marchand, la politique de l’emploi s’est particulièrement appuyée sur des dispositifs spécifiques d’exonération de cotisations sociales patronales dont la compensation de l’État aux organismes de sécurité sociale représente environ la moitié des crédits de la Mission outre-mer. Ce régime spécifique a été mis en place par la « loi tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre-mer » du 25 juillet 1994, dite loi Perben, au moment de l'alignement progressif du salaire minimum domien sur celui en vigueur en métropole. Il a ensuite fait l’objet de plusieurs modifications.

En 2001, par la loi d'orientation pour l'outre-mer (Loom), en 2003, par la loi de programme pour l'outre-mer (Lopom, également appelée loi Girardin) et en 2009, par la loi pour le développement économique de l'outre-mer (Lodéom). Cette dernière prévoit des dispositifs d’exonération dégressifs jusqu’à 2,8 SMIC pour le régime général (avec des variantes selon que les entreprises emploient moins ou plus de 11 salariés) et jusqu’à 4,5 SMIC pour le régime renforcé. De nouveaux seuils d’exonération sont applicables, en 2014, pour les entreprises susceptibles de bénéficier du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE).

Les exonérations outre-mer représentent plus d’un milliard d’euros par an. En 2012, elles ont progressé de 4,9 % en lien avec la hausse de la masse salariale dans ces départements.

Les travaux que nous avons réalisés portent sur la période 2004-2011. Ils montrent que les taux d’exonération apparents médians sont proches de 30%. Dans les 10 % d’établissements les moins exonérés, ils sont passés de 10 à 5% entre 2007 et 2010 alors qu’ils sont passés de 66 à 58 % dans les 10 % d’établissements les plus fortement exonérés. Ils sont particulièrement élevés dans l’industrie manufacturière (y compris les IAA), la construction, le transport et l’hébergement et la restauration.

Le premier résultat est donc que les exonérations de cotisations sociales patronales contribuent globalement à réduire le coût du travail. Nous montrons aussi que la baisse des taux d’exonération liée à l’entrée en vigueur de la Lodéom s’est accompagnée d’un maintien de l’emploi dans la majorité des établissements observés, alors même que les économies entraient dans la crise. L’impact des exonérations et l’intensité de leur recours par les entreprises sur l’emploi varie également selon la dynamique propre à l’établissement. Les exonérations tendent davantage à stabiliser l’emploi dans les établissements qui réduisent le nombre de salariés qu’à intensifier les embauches dans les établissements qui sont sur des trajectoires ascendantes.

Cette tendance générale admet cependant de nombreuses exceptions suivant les secteurs d’appartenance et la taille des établissements considérés. Les exonérations produisent leurs principaux effets dans les secteurs de l’industrie et parmi les grandes entités de plus de 50 salariés. La croissance de l’emploi dans les petits établissements et pour les secteurs les plus exonérés (hébergement et restauration et commerce) est en revanche peu, voire pas, déterminée par les taux d’exonération appliqués.

Quelle a été votre méthodologie ?

Nous avons estimé dans quelle mesure les établissements réagissent à une baisse globale du coût du travail mesurée par le total des exonérations de cotisations sociales patronales rapporté à la masse salariale grâce à un modèle de variation de l’emploi de la firme bien connu des économistes industriels. Il permet de mettre en relation la variation de l’emploi des établissements et le taux d’exonération apparent (montant des cotisations rapporté à la masse salariale) en tenant compte de caractéristiques telles que la taille, le secteur, la période, etc.

Nous avons également mobilisé une technique d’estimation novatrice, qui permet de tenir compte à la fois des effets individuels et des effets temporels et ce pour les différents niveaux de variation de l’emploi observés dans les populations étudiées.

Pour réaliser nos estimations, nous avons mobilisé quatre sources de données : des fichiers fournis par l’ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité Sociale), les données CLAP (Connaissance locale de l’appareil productif) de l’INSEE, le REE (Répertoire des entreprises et des établissements) de l’INSEE, et la base comptable DIANE du bureau van Dijk, à partir desquelles nous avons constitué plusieurs panels composés d’entités actives durant la période 2004-2011. Chaque panel compte plusieurs milliers d'établissements et est représentatif de l'ensemble de l'économie française métropolitaine ou ultramarine. Une thèse en cours procède à l'estimation de modèles sur la base de panels de plus de 100 000 entreprises et établissements.

Au total, des dizaines de milliers de données portant sur la période 2004-2011 ont été mobilisées pour réaliser ce travail.

Pourquoi une telle addiction de la part des gouvernements aux exonérations de charges sociales, devenues un dogme à droite comme à gauche alors que leur impact sur l'emploi et la courbe du chômage sont quasi nuls ?

L’instauration des dispositifs visant à réduire le coût du travail grâce à une exonération des cotisations sociales patronales date des années 1990. En réponse à une hausse ininterrompue du taux de chômage, elles n'ont cessé d'être étendues depuis. À l’origine, les tenants de ces politiques ont souligné le fait que les travailleurs les moins qualifiés étant les plus touchés par le chômage et les moins productifs, ces mesures devaient être ciblées sur les bas salaires. Avec le temps, l’assiette et le taux n’ont cessé de s’étendre, l’année 2008 marquant un coup d’arrêt. Aujourd’hui, avec le CICE, on repart à la hausse. L’ACOSS a calculé qu’en 2012, les exonérations représentaient 27,6 milliards d’euros, dont près de 1,2 pour les départements d’outre-mer.

L’adhésion quasi généralisée aux politiques d’exonérations reposent sur l’idée que le facteur travail coûte trop cher, que les travailleurs peu qualifiés sont insuffisamment productifs au regard des salaires qu’ils reçoivent et que la réduction du coût du travail va améliorer la compétitivité des entreprises et, donc, leur permettre de créer des emplois. Ce discours repose sur une approche très mécanique du fonctionnement du marché du travail : la décision d’embauche repose sur le prix rapporté à la productivité. S’il est trop élevé, les entreprises sont dissuadées d’embaucher et sont pénalisées par des coûts de production (et donc des prix de vente) non compétitifs. Les exonérations permettraient alors de corriger ce déséquilibre et de favoriser l’emploi par un double effet. Un effet de substitution dans la mesure où les entreprises vont être incitées à embaucher les employés dont le coût du travail est devenu plus attractif et un effet volume car la baisse des coûts de production se répercute sur les prix si bien que la demande qui s’adresse aux entreprises concernées par les exonérations augmente, ce qui favorise l’embauche. Certains ajoutent un effet de compétitivité internationale. Au bout du compte, les exonérations de cotisations sociales sont supposées favoriser la création d’emplois et sont donc présentées comme un dispositif efficace de lutte contre le chômage.

Ce point de vue s’est imposé dans le paysage alors même que les travaux empiriques qui le confortent ont fait l’objet de nombreuses critiques et que des contradictions existent parmi les travaux qui concluent à leur caractère bénéfique.

Comment le caractère incontournable des exonérations de cotisations sociales a-t-il pu si profondément s’installer dans l’espace public français ? C’est assez mystérieux, d’autant que la comparaison du coût du travail dans l’industrie, il faut le rappeler, n’est pas préjudiciable à la France. Selon le Bureau of Labor Statistics, le coût horaire du travail dans l’industrie, en 2012, était de 39,8 dollars en France, un niveau très proche de celui des États-Unis (35,7 dollars) et nettement plus faible que celui de l’Allemagne (45,8 dollars). Les écarts deviennent défavorables à la France lorsqu’on calcule une moyenne nationale prenant en considération les secteurs de la banque et de l’assurance qui tirent la moyenne vers le haut. L’enquête européenne sur le coût de la main-d’œuvre 2008 d’Eurostat, utilisée par  Bertrand Marc et Laurence Rioux dans l’étude « Le coût de la main-d’œuvre : comparaison européenne 1996-2008 » (INSEE, Emplois et salaires, 2012), confirme ces tendances.

Depuis 10 ans, les coûts salariaux unitaires français (salaire par unité produite) ont évolué comme la moyenne européenne. L’écart du coût du travail entre la France et les pays concurrents n’épuise donc pas les explications de la désindustrialisation, des licenciements  ou de la dégradation du solde du commerce extérieur. Or, l’idée d’une baisse du coût du travail comme solution universelle aux problèmes économiques a néanmoins fini par s’imposer.

Cette politique de court terme s'est aujourd'hui installée dans la durée. Le gouvernement s'appuie désormais exclusivement sur le CICE et le pacte de responsabilité pour lutter contre le chômage. À chaque fois, une focalisation excessive sur le coût du travail. Le débat n'est-il pas à côté de la plaque ?

C’est une vraie question. L’explication en vogue est que le coût excessif du travail est la cause du déficit de compétitivité des entreprises françaises. Ce constat dressé, il est fatal que les différents gouvernements œuvrent pour l’alléger. La politique actuellement suivie s’inscrit donc bien dans ce registre. Le CICE,  suivi du pacte de responsabilité et augmenté de quelques mesures supplémentaires de soutien à l’activité des entreprises, va représenter une dépense fiscale d’environ 41 milliards d’euros au bénéfice des employeurs. Dans la mesure où tous les pays d’Europe adoptent cette même politique, il n’est pas étonnant que l’on entre dans une spirale déflationniste dont les remèdes pour en sortir consistent essentiellement dans le renforcement de ceux qui ont contribué à la créer.

Une alternative est pourtant possible, mais ne parvient pas à trouver sa place dans le débat public. Quelques voix s’élèvent en effet pour souligner l’importance de la compétitivité hors-prix, liée à la qualité des produits, à leur degré de nouveauté, leur spécificité, etc., leur portée reste limitée. Dans ce domaine, la France est pourtant bien loin du sacro-saint modèle allemand : la R&D plafonne à 2,1 % du PIB en France contre 2,8 % en Allemagne. Ce différentiel est encore plus marqué si l’on considère les dépenses en R&D du secteur privé qui, en 2008, atteignaient 31 milliards d’euros en Allemagne contre 15 en France. L’innovation est pourtant un moteur de la performance des entreprises, comme le montre l’évolution comparée de la productivité des facteurs qui a diminué de 2 points entre 1999 (base 100) et 2012, alors que, parallèlement, elle augmentait de 8 points en Allemagne.

La spécialisation du modèle industriel français dans un niveau moyen de gamme des produits a rendu les entreprises plus vulnérables aux variations de prix que ne le sont leurs concurrents ou homologues allemands. Ces derniers se sont partiellement affranchis des contraintes de coût par un positionnement sur des segments de marché haut de gamme et innovants. Comme l’avaient montré Salais et Storper dans leur ouvrage de référence, Les Mondes de Production, sur ces marchés, la coordination entre acteurs s’opère par la qualité plus que par les prix.

L’argument de la baisse du taux de marge pour expliquer le recul de la position des entreprises françaises en matière d’innovation ne tient pas si l’on considère d’une part, que la hausse du taux de marge des entreprises entre 1994 et 2002 n’a pas été accompagnée d’une hausse des dépenses de R&D et d’autre part, que les dividendes ont considérablement augmenté sur la dernière décennie. Bilan de l’affaire, les dépenses en R&D qui représentaient 44 % des dividendes en 1992, n’en représentent plus qu’environ 25 % aujourd’hui.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Gaza : les deux manifestations en une à Paris

$
0
0

« Casse-toi avec ta banderole, c’est une manif pour la Palestine ici. Je suis arabe et je vote FN si je veux », vocifère un homme musclé, la quarantaine. Il est en passe d’en venir aux mains avec un vieillard au pied du Monument à la République, dans le centre de Paris. Le vieillard ne comprend pas, cela fait « trente ans » qu’il « milite pour Gaza ». Vite protégé par des jeunes en gilet en jaune, qui assurent le service de sécurité, le militant âgé replie sa banderole réclamant « la dissolution du Front National ». Il part rejoindre ses camarades du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), massés à une dizaine de mètres de là, sous la terrasse Émilienne Moreau-Évrard, une partie légèrement surélevée de la place de la République.

Entre la vingtaine de témoins à proximité, les regards, certains interloqués, d’autres gênés, se croisent. L’incident est clos. Presque infime. Mais d’autres scènes d’incompréhension surviendront entre les manifestants au cours de la journée du 26 juillet, organisée en solidarité pour le peuple palestinien à Gaza et interdite par les autorités.

« Les mesures d’interdiction ont l’objectif de diviser le mouvement, le piège est énorme… Le meilleur moyen est de convoquer une réunion unitaire au plus vite pour continuer à manifester tous ensemble », prévenait Olivier Besancenot, du NPA, à 15 heures, lors du début officiel du rassemblement organisé par une trentaine d’associations, dont le NPA, le mouvement des jeunes Palestiniens, les Indigènes de la République et l’Union juive française pour la paix.

À cette heure-là, les militants du NPA agitent leurs fanions aux côtés d’un groupe informel d’une cinquantaine de personnes qui arborent drapeaux et écharpes aux couleurs de la Palestine. Ils sont présents depuis 14 heures, vite rejoints par des groupes du Mouvement Ensemble (Front de gauche), puis, plus tard, du Boycott désinvestissement sanctions, la campagne appelant à boycotter Israël.

Les militants du NPA.Les militants du NPA. © TSC/MP

Les chants de chaque groupe sont alors confus, entremêlés les uns aux autres. Et l’ambiance reste bon enfant. On entonne « Israël, il est fini le temps des colonies », du côté du NPA, et « Palestine résistance, citoyens résistance », chez les manifestants aux drapeaux. Lancés spontanément, les slogans « Nous sommes tous des Palestiniens » et « Israël assassin, Hollande complice » sont les rares à être repris en chœur par une foule qui ne cesse de croître.

La volonté affichée, qu’elle soit spontanée chez les manifestants ou réclamée par les organisateurs, est d’éviter tout amalgame. « Stop au chantage : l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme », peut-on lire sur une vaste pancarte. « Il faut dire clairement que la plupart des organisateurs et des manifestants sont des sémites aussi. En tant que démocrates, on montre notre désaccord avec le gouvernement d’Israël, mais l’on s’oppose farouchement à toutes les positions qui s’expriment contre le peuple juif », expliquait, le matin, Hedi Chenchabi, l’un des organisateurs.

Au milieu de la foule, un homme, Laurent, arbore un carton « Je boycotte Israël et j’emmerde Alain Soral ». « Je viens pour dénoncer une politique d’apartheid pratiquée par Israël, mais aussi pour couper l’herbe sous le pied de notre gouvernement qui accuse les manifestants d’antisémitisme. À défaut de pouvoir les sortir des manifs, il faut au moins se démarquer clairement de ces gens-là qui créent l’amalgame, et je le fais avec ma pancarte »,dit-il.

À 15h30, « ces gens-là », comme les présente Laurent, grimpent sur la statue de la République et allument des fumigènes aux couleurs de la Palestine. Dix minutes plus tard, ils brûlent un drapeau d’Israël. Un geste qui provoque des sifflets nourris d’une partie de la foule et des applaudissements de l’autre. Désormais plus d’une vingtaine, certains affichent le symbole du mouvement R4bia, proche des Frères musulmans égyptiens, d’autres de « Gaza Firm », un groupe encore mal identifié et mis en cause dans les violences qui ont émaillé la manifestation interdite à Barbès, il y a une semaine.

Ultraminoritaires, ils accaparent pourtant l’attention sur eux. La foule, qui était jusque-là animée par les militants traditionnels de la terrasse Évrard-Moreau, leur tourne désormais le dos pour regarder vers les hommes crapahutant sur la statue de la République. Leurs agissements divisent.

« Non, non, non, c’est honteux ! » crie une jeune femme, vite appuyée par son groupe d’amis. « Là-bas, eux brûlent nos enfants, ici, c’est juste un drapeau, c’est rien ! » lui rétorque une autre, avant que le ton ne monte. Plusieurs scènes du même type se reproduisent tout autour de la statue. 

Durant l'après-midi, ces manifestants brûlent deux drapeaux israéliens, sous les sifflets d'une partie de la foule.Durant l'après-midi, ces manifestants brûlent deux drapeaux israéliens, sous les sifflets d'une partie de la foule. © TSC/MP

À quelques mètres de là, Serge, un juif déjà présent mercredi lors de la dernière manifestation, fraternise avec des femmes voilées. Sa pancarte « Je suis juif et j’emmerde le CRIF » fait un tabac chez les jeunes, politisés ou non, qui veulent tous poser pour un selfie avec lui. Les plus âgés, souvent des femmes, lui disent simplement merci. Il relativise la scène : « Brûler un drapeau en temps de guerre, ce n’est pas si grave, j’ai déjà fait pareil à l’époque du Viet-Nam. Ce n’est pas un conflit religieux. »

© TSC/MP

Jusqu’à 16 h 30, dans cette manifestation présentée à hauts risques, c’est un calme relatif qui domine. Des manifestants parviennent enfin à ramener deux énormes enceintes sur la place. La police aurait empêché les organisateurs de faire de même en début de rassemblement. Au micro, des membres du Collectif Cheikh Yassine, un mouvement ouvertement pro-Hamas qui ne fait pas partie des organisateurs, demandent à la foule de s’asseoir. Ils tiennent le porte-voix le plus bruyant de toute la place. « C’était pas tout à fait prévu ça… », soupire un militant NPA.

Cela fait déjà plusieurs dizaines de minutes que les drapeaux des partis de la gauche radicale se font rares. De nombreux manifestants quittent alors le cortège. Parmi eux, Laurent, pancarte anti-Soral baissée : « Je cherche mes potes, j’ai failli me faire tabasser plusieurs fois par des gros bras… »

Il est bientôt 17 heures. Alors qu’une partie de la foule restante est assise à terre et écoute les nouveaux maîtres de la manifestation, quelques individus jettent des projectiles sur les CRS, rue du Faubourg du Temple. Les hommes du service d’ordre, reconnaissables à leur gilet jaune, se massent devant les policiers pour contenir un immense mouvement de foule.

Leur déploiement en cordon et leurs appels au calme sont efficaces pour éviter l’affrontement, mais pas assez pour annihiler les incidents. Jusqu’à 18h30, les CRS ripostent aux projectiles par des grenades lacrymogènes – bouteilles d’eau, canettes, cailloux, barres de fer – qu’ils reçoivent en masse, principalement à l’entrée de la rue du Faubourg du Temple et de l'avenue de la République.

Le service d'ordre s'interpose entre manifestants et CRS, avant les incidents.Le service d'ordre s'interpose entre manifestants et CRS, avant les incidents. © TSC/MP

« C’est la mentalité parisienne, quoi qu’ils fassent : interdire ou autoriser, ça partira en couille. Tu sais pourquoi ? C’est trop de frustration accumulée. Moi je la retiens, mais ces petits cons qui font n’importent quoi, non. Nous les noirs et les arabes des cités, on se sent comme des citoyens de seconde zone. Maintenant qu’on a envie de prendre la parole, on nous l’enlève », explique J.-P., un Antillais, habitant à Vitry, contemplant, médusé, avec son ami Samir, le début des échauffourées. Les deux trentenaires mettent en cause la politique du gouvernement, vécue comme une injustice.

« Demain, il y a une manifestation demandée par la Ligue de défense juive. Et là, elle est autorisée. Franchement, c’est normal ? Moi je les trouve nuls les sketches de Dieudonné, mais à force d’être interdit, comme lui, je finis par m’y intéresser. Le système m’y oblige… », poursuit-il.

Après une heure et demie de provocations de certains manifestants et de charges contenues des CRS, dans lesquelles un abribus, quelques poubelles ont été détruites, ainsi qu’un manifestant blessé, et un journaliste d’i-Télé agressé, rapporte l’AFP, les forces de police commencent l’évacuation de la place. Ils restent alors entre 500 et 1 000 personnes dans le périmètre entièrement bouclé. Seuls les femmes, les enfants et les touristes étaient autorisés à traverser les barrages policiers, les autres devant partir via la station de métro.

La configuration aérée de la place, bien différente de « la souricière policière » de Barbès décrite samedi 19 juillet, et les appels au calme des 80 membres du service d’ordre permettent d’évacuer les derniers manifestants à 19 h 30, dans une grande tension mais sans heurts majeurs. Plus de 70 manifestants ont été interpellés au cours des échauffourées aux dégâts matériels limités. Branchée sur courant alternatif toute la journée, la manifestation est définitivement terminée.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Sarkozy au Congo : les dessous d'une conférence embarrassante

$
0
0

Où a-t-il encore mis les pieds ? Avant un possible retour politique à la rentrée en France, c’est chez le très controversé président congolais Denis Sassou Nguesso que Nicolas Sarkozy a fait cette semaine un discret et très rémunérateur aller-retour, comme plusieurs médias s'en sont fait l'écho ces dernières 48 heures. L’ancien chef de l’État s’est en effet rendu, vendredi 25 juillet, au Congo-Brazzaville, pour une intervention au Forum économique Forbes, organisé par le magazine Forbes Afrique, en présence de Sassou Nguesso.

D'après un organisateur, qui s'est confié à Mediapart sous le couvert de l'anonymat, Nicolas Sarkozy a été directement rémunéré par Forbes – certains avancent la somme de 100 000 euros –, dont le président-fondateur, l'homme d'affaires Lucien Ebata, est un proche du président congolais.

Nicolas Sarkozy accueilli au forum par Lucien Ebaba, le 25 juillet 2014.Nicolas Sarkozy accueilli au forum par Lucien Ebaba, le 25 juillet 2014. © Bernardin Dondos / Mediapart

Mais la présence d'un autre personnage-clé dans la galaxie de Forbes Afrique pourrait s'avérer embarrassante pour Nicolas Sarkozy, déjà empêtré dans de nombreuses affaires financières en France. Selon plusieurs documents judiciaires obtenus par Mediapart, le directeur de la société propriétaire du magazine, F. Afrique Medias Holding SA, domiciliée en Suisse, est aujourd'hui suspecté par la police française d'être un homme de paille du clan Sassou dans plusieurs opérations de corruption et de détournements de fonds pouvant atteindre 60 millions d'euros. L'homme s'appelle Philippe Chironi. C'est un Français, établi à Nyon, en Suisse. 

La venue au Congo de Nicolas Sarkozy, présenté comme l’invité vedette de cette troisième édition, a été tenue secrète jusqu’au dernier moment par Forbes. Arrivé vendredi midi, l’ancien président de la République a répondu pendant vingt minutes aux questions de la journaliste de TV5 Monde, Denise Epoté, sur l'estrade d'une salle de conférences dépendant du ministère des affaires étrangères congolais. L’équipe de Nicolas Sarkozy avait expressément demandé que cette intervention ne soit pas filmée. La consigne a été rappelée aux journalistes par les organisateurs.

Sassou Nguesso écoutant l'intervention de Nicolas Sarkozy, le 25 juuillet.Sassou Nguesso écoutant l'intervention de Nicolas Sarkozy, le 25 juuillet. © Bernardin Dondos / Mediapart

Entre deux allusions à sa candidature à la présidence de l'UMP – « Parler en public, ça me donne des idées… », a-t-il lâché en conclusion –, l’ex-président français a salué son « ami » Sassou Nguesso, qui l’écoutait, assis sur un trône aux côtés d’autres chefs d’État africains. Une adresse « amicale » et « chaleureuse », d'après plusieurs témoins. Il a ensuite participé au dîner de gala à la table du président congolais et de ses homologues du Niger, du Gabon et de Guinée.

Nicolas Sarkozy dînant à la table de Sassou Nguesso, le 25 juillet.Nicolas Sarkozy dînant à la table de Sassou Nguesso, le 25 juillet. © Bernardin Dondos / Mediapart

Le fait que Sassou Nguesso soit visé par plusieurs enquêtes judiciaires en France, dans l’affaire dite « des disparus du Beach » et celle des « Biens mal acquis », n’a pas empêché Nicolas Sarkozy de s’afficher à ses côtés. À 70 ans, dont 35 passés à la tête de ce pays pétrolier d’Afrique centrale, l’autocrate Sassou Nguesso continue de cultiver d'impressionnants réseaux politiques et d'affaires en France, à droite comme à gauche. Forbes Afrique, déclinaison africaine francophone du célèbre magazine américain, apparaît incontestablement comme l'un de ses nouveaux leviers d'influence.

Derrière Forbes Afrique, on trouve donc un homme d’affaires congolais proche du pouvoir : Lucien Ebata, patron du groupe pétrolier Orion Oil. Mais le fondateur et PDG de Forbes Afrique n'est pas le seul à entretenir des liens étroits avec Sassou Nguesso. Entre Forbes et Sassou, les connections sont nombreuses, notamment par l'entremise de Philippe Chironi.

La consultation du registre du commerce et des sociétés suisse ne laisse d'ailleurs aucun doute sur les liens entre Lucien Ebata, qui a invité Nicolas Sarkozy au Congo, et Philippe Chironi, que ce soit dans le domaine pétrolier ou dans celui des médias, avec Forbes Afrique. Philippe Chironi ne souhaite actuellement faire aucun commentaire tant que des procédures judiciaires sont en cours. Il faut dire que les découvertes, depuis un an, de la police parisienne, en marge de l'affaire des « Biens mal acquis », qui vise le patrimoine faramineux en France de plusieurs dignitaires africains (dont Sassou Nguesso), ont de quoi le gêner.

Dans un procès-verbal du 19 juin 2013, un commandant de police de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dresse un état des lieux accablant de ses activités financières : « M. Chironi a ouvert plusieurs comptes bancaires auprès d'établissements financiers (…) au nom de sociétés qui ont leur siège en territoire offshore (Maurice, Seychelles, Iles Marshall, Hong Kong…). Des transactions pour plusieurs millions d'euros ont été effectuées – 60 millions d'euros – dont l'origine pourrait être illicite. Ces fonds pourraient en effet provenir de délits de corruption commis en Afrique, Congo-Brazzaville plus précisément. »

Or, d'après les constatations de la police et de Tracfin, le service de renseignement du ministère des finances, une bonne partie de cet argent, évaporé des caisses de l'État congolais, s'est retrouvée ensuite sur les comptes de plusieurs membres du clan Sassou, après avoir transité par les sociétés-taxis de M. Chironi ou directement par son intermédiaire.

Parmi les bénéficiaires identifiés par l'enquête, on peut citer Antoinette Sassou Nguesso, la femme du président congolais, Julienne Olga Johnson, sa fille, Guy Johnson, son gendre, André Okombi Salissa, un ancien ministre congolais, ou Jean-Jacques Bouya, le délégué général aux grands travaux (d'où les 60 millions ont été transférés)…

Une partie des sommes a servi à l'achat par la famille Sassou Nguesso d'au moins 7,7 millions d'euros de montres, bijoux, costumes, chemises dans des boutiques de luxe à Paris, comme Mediapart l'a déjà raconté. Pendant ce temps, le Congo, lui, continue de faire partie des « pays pauvres très endettés » (PPTE) référencés par la Banque mondiale. Près de la moitié de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté ; l’accès à l’eau potable ou à l’électricité demeure encore difficile ; le taux de chômage national dépasse les 30 % et un quart des enfants congolais de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique.

Une précédente édition du Forum économique Forbes, en 2013, avait été financée par Orion Oil et la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont le conseiller juridique, Sylvain Lekaka, “parent” de Sassou, selon La Lettre du Continent, préside le conseil d'administration de Forbes Afrique.

Nicolas Sarkozy sur la scène du forum Forbes avec la journaliste de TV5 Monde Afrique, Denise Epoté.Nicolas Sarkozy sur la scène du forum Forbes avec la journaliste de TV5 Monde Afrique, Denise Epoté. © Bernardin Dondos / Mediapart

Sassou Nguesso et Lucien Ebata sont des familiers de plusieurs personnalités politiques françaises. L’année dernière, lorsque Nicolas Sarkozy avait décliné son invitation au forum, Ebata avait convié Jean-François Copé. L'ancien président de l'UMP avait lui aussi été rémunéré pour son intervention (30 000 euros, selon Le Journal du Dimanche). Dans le même temps, l'ancienne ministre UMP Rachida Dati avait été reçue très chaleureusement par Sassou Nguesso. Au point que des sites africains s’étaient interrogés sur l’objet des visites des responsables UMP (lire notre article).

Face à la polémique suscitée au Congo par le coût démesuré de la conférence, Lucien Ebata avait dû venir s'expliquer en catastrophe sur la télévision nationale, TV-Congo. Il avait assuré, en dépit des informations déjà confirmées, que les intervenants étaient venus à titre gratuit et que l'État n'avait pas déboursé un centime.

Deux ans plus tôt, ce sont les anciens premiers ministres chiraquiens Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin qui étaient présents au lancement de Forbes Afrique. Comme Copé, ils avaient fait le déplacement dans un avion de 50 places, spécialement affrété depuis Paris. Chaque année, les invités sont hebergés dans des hôtels cinq étoiles de la capitale.

Nicolas Sarkozy avec Sassou Nguesso au forum Forbes, le 25 juillet.Nicolas Sarkozy avec Sassou Nguesso au forum Forbes, le 25 juillet. © Bernardin Dondos / Mediapart

En se rendant à cette conférence, Nicolas Sarkozy a en tout cas participé à l'opération de promotion de Sassou Nguesso. Le forum comme la revue sont à la gloire du président congolais et visent à améliorer son image sur la scène internationale. « Forbes Afrique ou Forbes Sassou ? » s’interrogeait d'ailleurs, le 30 août 2012, La Lettre du Continent, publication spécialisée dans les questions africaines. Dès son premier numéro, Forbes Afrique lui a consacré un dossier de six pages – modestement intitulé « Congo-Brazzaville : l'aube nouvelle ». On pouvait y lire que, depuis son retour au pouvoir en 1997, Sassou Nguesso « a travaillé essentiellement à redonner l'espoir de vivre à ses quelque 3 millions et demi de compatriotes ».

Dans ce même numéro, figurait aussi un portrait de Vincent Bolloré. L'homme d'affaires français, qui contrôle l'agence publicitaire Havas, organisatrice du forum Forbes, est bien établi au Congo. En 2009, il a remporté la concession du terminal à conteneurs de Pointe-Noire. Selon l'homme d'affaires franco-espagnol Jacques Dupuydauby, Nicolas Sarkozy aurait alors fait pression sur le président Sassou Nguesso, qui avait pesé de tout son poids pour que Bolloré, concurrencé par Dubaï Ports, l'emporte. Ce qu'avait démenti à Mediapart l'industriel français, en affirmant l'avoir obtenu « en toute légalité ».

BOITE NOIRESollicitée à plusieurs reprises, Véronique Waché, la conseillère presse de Nicolas Sarkozy, n'a pas retourné nos appels. Contacté par mail, Lucien Ebata n'a pas répondu à nos questions.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

L'Assemblée a rémunéré 52 épouses, 28 fils et 32 filles de députés en 2014

$
0
0

La plupart des députés assument, bravaches. D'autres bafouillent au téléphone. D'après une enquête de Mediapart, en 2014, au moins 115 députés (sur 577) ont salarié un membre de leur famille, en CDD ou CDI, sur un temps plein ou partiel. Huit élus sont même allés jusqu'à rémunérer deux de leurs proches.

« C'est la chasse aux sorcières ou quoi ? s'étrangle Franck Gilard (UMP), quand on l'interroge sur le CDD de trois mois accordé à son fils. Avec ces histoires de transparence, tout le monde nous pisse sur les godasses ! » Le président de l'Assemblée nationale lui-même, Claude Bartolone (PS) fait travailler sa femme depuis 2012 (« Je n'ai pas embauché ma femme, j'ai épousé ma collaboratrice ! » ressasse-t-il).

Le président de l'Assemblée Claude Bartolone et son épouse, chargée de mission à son cabinet.Le président de l'Assemblée Claude Bartolone et son épouse, chargée de mission à son cabinet. © Reuters

Jusqu'ici, l'identité des assistants parlementaires, ces “petites mains” employées sur fonds publics par les 925 sénateurs et députés, était jalousement gardée au secret. Mais leurs noms sont apparus pour la première fois dans les « déclarations d'intérêts » des élus, mises en lignes le 24 juillet par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée de prévenir les conflits d'intérêts.

La plupart des députés n'y mentionnent pas le lien familial les unissant à tel ou tel collaborateur, mais en croisant ce “trombinoscope” inédit avec des informations récoltées ces dernières semaines dans les couloirs de l'Assemblée, Mediapart a pu reconstituer une liste relativement complète des députés signant des contrats en famille.

Ainsi, alors que le Parlement européen prohibe l'embauche de proches pour éviter tout emploi fictif ou de complaisance (conjoints, parents, enfants, frères et sœurs) depuis 2009, la pratique touche au moins 20 % de l'hémicycle en France.

À l'Assemblée, la seule règle supposée prévenir les abus touche au salaire : pour un proche, il est plafonné à 4 750 euros brut par mois (voir ici notre précédente enquête sur le Sénat, un peu plus strict en la matière). Sinon, un député peut choisir librement son équipe et “distribuer” jusqu'à 9 504 euros mensuels de façon discrétionnaire entre ses divers collaborateurs.

Aucun contrôle n'a jamais été effectué, par exemple, sur les emplois offerts à leurs épouses par Jean-François Copé ou Bruno Le Maire, dont Mediapart a révélé l'existence (le contrat de Pauline Le Maire a finalement été interrompu en septembre 2013). Quelle plus-value cette psychologue pour enfants et cette artiste-peintre ont-elles précisément apporté au travail parlementaire ?

Alors certes, les députés ont raison de rappeler que des dizaines de conjoint(e)s ou d'enfants effectuent des tâches bien réelles, à Paris comme dans les permanences de circonscription. Certains de leurs arguments sonnent effectivement sincères, comme le besoin de recruter une personne de confiance ou de préserver un lien conjugal, souvent malmené par une vie politique chronophage.

« Il ne s'agit pas d'avantager sa famille, insiste le socialiste Michel Lesage (qui fait appel à son fils pour un CDD de trois mois de juin à septembre). Mais il n'y a pas de raison non plus de la pénaliser quand elle a les compétences. » Cela dit, lui ne se voit pas « salarier quelqu'un de (sa) famille en permanence… »

« Il peut y avoir des emplois fictifs en dehors de tout lien familial, réagit Linda Gourjade (PS), qui vient d'embaucher sa fille, diplômée de Sciences Po Toulouse. Je ne suis pas sûre que ce soit un facteur aggravant. » D'ailleurs, son collègue, Franck Gilard, s'emporte : « Si on nous l'interdit, alors il faut l'interdire dans les boîtes privées ! »

Quand on rappelle qu'il s'agit d'argent public, quelques élus font aussi valoir ce drôle d'argument : « Je n'épuise pas l'enveloppe à laquelle j'ai droit, souligne Jean-Pierre Door (UMP), qui vient de salarier son épouse. J'utilise 6 500 euros sur les 9 500 que l'Assemblée met à notre dispostion pour payer nos collaborateurs ! » Finalement, parmi les députés de la liste interrogés par Mediapart, seul Étienne Blanc (UMP) se déclare « plutôt favorable à une interdiction, comme au Parlement européen ».

 Mais pour bien évaluer la situation, encore faudrait-il que tous les parlementaires daignent remplir convenablement leur déclaration d'intérêts. Ainsi Jean-Pierre Mignon (UMP), qui, d'après nos informations, a salarié sa conjointe en 2014, a-t-il écrit « Néant » dans la case censée lister ses collaborateurs. Sollicité par Mediapart, il n'a pas encore répondu à nos questions.

En fait, les formulaires ayant été remplis par les élus en janvier 2014, ils ne mentionnent pas les nombreux « CDD d'été » d'un, deux ou trois mois récemment accordés à un membre de la famille. Le socialiste Patrick Lemasle, par exemple, qui a recruté une première fille en mars 2014, puis une seconde en CDD pour juin et juillet, n'a pas pensé à mettre sa déclaration à jour.

Le recours aux enfants sur des contrats saisonniers est visiblement tendance. Le député Étienne Blanc (UMP) vient de prendre sa fille, étudiante en droit public, en « stage d'été sur 4 ou 5 semaines ». Idem pour le fils d'Yves Censi (UMP) ou celui de Béatrice Santais (PS). Le socialiste Hugues Fourage a salarié son fils en juin et juillet (après un CDD d'un mois, déjà, l'été dernier). Son collègue Philippe Vigier (UDI), le président du groupe centriste, vient aussi de recruter sa fille pour deux mois, « après deux ans dans une ambassade et juste avant qu'elle rejoigne son nouveau poste (dans le privé – Ndlr) à la rentrée ».

Le député UMP Bruno Le Maire avec son épouse Pauline, artiste-peintre, rémunérée comme assistante jusqu'à l'été 2013.Le député UMP Bruno Le Maire avec son épouse Pauline, artiste-peintre, rémunérée comme assistante jusqu'à l'été 2013. © DR

Francis Vercamer, lui, a bien signalé sa fille dans sa déclaration d'intérêts de janvier, mais pas encore sa conjointe. « Je prends (mon épouse) de temps en temps sur des CDD ponctuels, environ deux mois par an, justifie l'élu centriste. En général, c'est pendant les congés : en novembre, c'est pour préparer les vœux, en juin pour faire le bilan de l'année. » Pratique.

Si le socialiste Olivier Véran a bien pensé à mettre sa déclaration à jour à la mi-juillet, c'est pour signaler l'interruption du contrat de sa sœur. Dans ce sens là, c'est évidemment plus spontané.

Côté qualifications, il n'y a parfois rien à redire, comme lorsque la socialiste Estelle Grelier fait valoir le « DESS et le diplôme de Sciences Po Grenoble » de sa cousine « bilingue » (en CDI jusqu'en mars dernier). Mais le centriste Meyer Habib va jusqu'à ressortir « la mention au Bac » de son fils, pour expliquer l'octroi d'un CDD à temps partiel. De son côté, l'UMP Claudine Schmid (élue par les Français expatriés en Suisse et au Liechstenstein) a vite fait de dégainer la “carte maîtresse” de son fils qui tient sa permanence outre-Léman : « Il parle le dialecte suisse-allemand et ça ne se trouve pas en France ! » Certes, mais en Suisse ? De toutes façons, les élus ont beau jeu de rappeler en chœur que certaines tâches de secrétariat n'exigent pas d'expertise particulière.

Certains « emplois familiaux » semblent tout de même très actifs en dehors de l'Assemblée. Ainsi, était-il opportun que Florent Boudié (PS) recrute à temps plein sa conjointe, Émilie Coutanceau, alors qu'elle occupe déjà un siège de conseillère régionale (plus deux autres mandats d'élue locale jusqu'en mars dernier) ?

Le fils de Michèle Fournier-Armand (PS), lui, exerce parallèlement, à temps plein, à la Mutuelle sociale agricole comme « gestionnaire de cotisations » – la députée précise du coup qu'elle ne l'emploie que « 7 heures par semaine ». Les filles de Jean-François Mancel (UMP) et Michel Françaix (PS), respectivement actrice et « intermittente du spectacle », semblent avoir trouvé à l'Assemblée un job alimentaire. Quant au conjoint de Laure de La Raudière (UMP), « exploitant forestier », il se transforme visiblement en assistant la moitié de la semaine.

Cette transparence sur les activités annexes des collaborateurs a un objectif : elle doit permettre, le jour où leur député se penchera sur leur secteur d'activité, de mieux identifier d'éventuels conflits d'intérêts.

Il est dommage, à cet égard, que la radicale de gauche Dominique Orliac, active sur les politiques de santé et du médicament, ait omis de mentionner le métier de son fils (en CDI jusqu'à cet hiver), un pharmacien qui effectuait « des remplacements » en parallèle. De même que celui de sa fille, médecin. Le nom de celle-ci, d'ailleurs, ne figure pas encore dans la liste des collaborateurs de la députée.

À l'arrivée, au-delà de quelques situations individuelles condamnables (à défaut d'être illégales), c'est surtout le nombre et la masse des emplois familiaux qui interpelle. Alors que le marché de l'emploi en France se contracte chaque trimestre davantage, comment les Français peuvent-ils regarder ces chiffres avec décontraction ? Dans les couloirs du Palais-Bourbon, des observateurs avisés rappellent aussi que la « sous-qualification » et le « sous-investissement » de certains emplois familiaux ont des répercussions directes sur leurs collègues, qui doivent redoubler de travail et parfois se contenter d'un salaire amputé.

Dans un communiqué, le syndicat FO des collaborateurs parlementaires rappelle l'urgente nécessité de créer un statut pour ces milliers de salariés de l'ombre, privés de grille indiciaire et de convention collective.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

L'échec économique, le désastre social

$
0
0

C’est l’effet boomerang du choix fait par François Hollande dès le début de son quinquennat : comme il a construit toute sa présidence sur un cadeau historique apporté au patronat, qui préempte toutes les autres marges de manœuvre, l’échec de cette réforme, qui au fil des mois devient de plus en plus manifeste, signe celui de toute sa politique économique et sociale. Faisant sienne la politique de l’offre défendue par les néolibéraux, au risque de choquer son propre camp, François Hollande espérait sans doute au moins qu’il pourrait apporter la preuve que cette stratégie était fructueuse. Or, c’est la démonstration inverse qu’il est en train, contre son gré, d’administrer : non seulement le cap choisi est socialement destructeur, gonflant le chômage et la précarité, mais le chef de l’État ne peut même plus prétendre qu’il est économiquement pertinent.

De cet échec prévisible, on a déjà eu de nombreux indices au cours des mois écoulés. D’abord, des économistes, de sensibilités parfois même opposées, ont publié des études suggérant que la montée en puissance des deux dispositifs d’allègements fiscaux et sociaux prévus par le gouvernement, le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) d’abord, puis le pacte de responsabilité, pour un montant total dépassant 35 milliards d’euros, n’auraient presque aucun effet sur l’emploi – ce qui en était pourtant la justification officielle. Des effets d’aubaine au profit des entreprises et de leurs actionnaires, à commencer par les florissants groupes du CAC 40, sûrement ; mais des effets favorables à l’emploi et à l’investissement, sûrement pas, ou alors seulement de manière marginale.

C’est d’abord la rapporteure générale (PS) du budget à l’Assemblée, Valérie Rabault, qui l’a suggéré dans un rapport publié le 23 juin dernier (on peut le télécharger ici), à la veille du débat budgétaire qui devait tout à la fois examiner le plan d’austérité de 50 milliards d’euros et les cadeaux offerts aux entreprises (lire La politique d’austérité conduit tout droit à la catastrophe). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’alerte de la responsable socialiste était claire et nette : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. »

Le constat n’était, certes, pas nouveau. Depuis que la crise économique a commencé, en 2007, de nombreux économistes ont alerté, eux aussi, sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produisait un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en œuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales, ce qui creuse les déficits que l’on était supposé diminuer. En clair, c’est une politique qui s’auto-annule.

Mais le fait que ce constat soit repris à son compte par la rapporteure générale du budget à l’Assemblée qui, de surcroît, est une socialiste, donnait une tout autre portée à cette alerte. Une portée d’autant plus forte que les chiffres cités par l’experte provenaient du ministère des finances lui-même et pouvaient difficilement être taxés de partialité. En outre, ces chiffres montraient bien que les effets de la politique d’austérité seraient non pas marginaux mais… massifs ! Près de 0,7 % de croissance en moins chaque année, près de 250 000 emplois en moins : les statistiques de Bercy établissaient bien que le gouvernement, contrairement à ce qu’il prétend, a fait le choix d’une politique récessive.

Une étude plus récente, concoctée par le bord opposé, aboutit à des conclusions guère différentes. De sensibilité néolibérale, la fondation Ifrap vient de réaliser des simulations (elles peuvent être consultées ici) des effets cumulés du pacte de stabilité budgétaire et du pacte de responsabilité. Et le verdict est différent mais tout aussi accablant : « À l’horizon 2017, il ne faut pas compter sur plus de 80 000 emplois créés et plus de 0,33 point de croissance », écrit le « think tank ». En somme, le gouvernement va jeter l’argent public par les fenêtres pour cajoler les entreprises, et imposer en retour un plan d’austérité au pays, mais au total, cela n’aura quasiment aucun effet sur l’emploi et la croissance.

Et ce n’est toujours pas tout. Deux autres études du CNRS, dont Mediapart s’est fait l’écho voici quelques jours (lire Le pacte de responsabilité n’inversera pas la courbe du chômage), suggèrent également que le gouvernement fait fausse route en prenant la doxa néolibérale pour inspiration de sa politique économique...

Et puis dans cette longue liste d’études, conduites par des experts de sensibilités différentes, mais débouchant sur des constats voisins, il faut encore ajouter le « rapport d’information relative à la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises » (il est ici), que le Sénat vient de réaliser.

Dans un préambule, la rapporteure de la mission, la sénatrice (PCF) Michelle Demessine, résume le scepticisme qui est partagé par beaucoup : « Une forme de consensus s’est établi au sein du Conseil d’orientation pour l’emploi en 2006 pour évaluer à 800 000 le nombre d’emplois détruits si l’on supprimait les exonérations de charges "Fillon". Néanmoins, le nombre d’emplois créés stricto sensu depuis 20 ans apparaît beaucoup plus faible, surtout si l’on prend en compte l’effet négatif sur l’emploi des mesures de financement prises pour compenser les pertes de recettes pour la sécurité sociale engendrées par les exonérations de cotisations sociales patronales. Au total, l’honnêteté commande de dire que personne ne sait précisément combien d’emplois ont pu être créés par les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Au-delà de sa faible efficacité, cette politique engendre plusieurs effets pervers particulièrement préoccupants : elle tend à enfermer les travailleurs les moins qualifiés dans des trappes à bas salaires et favorise le déclassement des jeunes diplômés, contraints de prendre la place des moins qualifiés pour trouver un emploi. Ce faisant, elle renforce la dualité du marché du travail. Cette politique était censée préserver notre modèle social mais nous avons des travailleurs pauvres, des travailleurs à temps très partiel, des salariés en contrats de très courte durée, des jeunes qui enchaînent des stages sans lendemain… sans accéder à l’emploi stable et au contrat à durée indéterminée. »

Et la sénatrice ajoute : « Plus largement, l’obsession de la baisse du "coût du travail", devenue une fin en soi, favorise le développement d’une économie low cost, indigne d’un pays développé comme la France et qui contribue au phénomène de déflation en Europe. Ainsi, si le Gouvernement fait le constat pertinent d’une situation économique et industrielle qui continue de se dégrader, il fait fausse route en recherchant de nouvelles baisses du "coût du travail" avec le Cice et le Pacte de responsabilité, qui ne manqueront pas de reproduire les effets pervers des allègements "Fillon". Une focalisation excessive sur le "coût du travail" pour expliquer la perte de compétitivité de l’économie française : les enjeux véritables sont la montée en gamme de notre économie par la formation professionnelle, par une politique industrielle de filières et la meilleure maîtrise du coût du capital. »

Mais il n’y a pas que le travail en chambre des économistes qui est venu attester de l’échec probable du gouvernement. Mois après mois, c’est le même inquiétant constat que sont venues nourrir les statistiques économiques et sociales, et tout particulièrement celles du chômage.

Il n’est, certes, pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. S’accrochant désespérément à l’idée que sa politique allait produire des effets, François Hollande a mille fois, contre l’évidence, pronostiqué que la courbe du chômage allait s’inverser avant la fin de 2013. Et puis, une fois que son pari s’est avéré perdu, il ne s’est toujours pas découragé, annonçant périodiquement une reprise économique qui, en fait, ne s’est jamais réellement confirmée. « On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait-il le 4 mai dernier (lire Croissance et chômage : Hollande, l’extralucide !). À peine quelques semaines plus tard, l’Insee révélait que la croissance française ne devrait guère dépasser 0,7 % en 2014, soit nettement en deçà du taux de 1 % espéré par le gouvernement, et que le chômage resterait à des sommets historiques.

Et le fait est que, sur le front du chômage, rien ne se passe comme l’espérait le gouvernement. Car pour lui, c’est l’indicateur clef, celui qu’il doit surveiller constamment. Pour deux raisons évidentes : parce que c’est celui qui compte le plus pour les Français, celui qui permet de prendre le pouls social du pays ; et puis, parce que c’est celui qui apportera la preuve définitive de l’efficacité (ou de l’absurdité !) du cap choisi.

Or, en toute logique, si le gouvernement avait choisi une stratégie économique efficace, les perspectives pour l’emploi et le chômage devraient commencer à se retourner. Le CICE est entré en vigueur en début d'année, et le pacte de responsabilité va amplifier spectaculairement les aides aux entreprises : profitant d’une meilleure visibilité sur leur environnement fiscal et social pour le court et le moyen terme, les entreprises devraient donc refaire des projets, décider de nouveaux investissements et faire les embauches correspondantes, même si c’est de manière timide dans un premier temps.

Or, tout est là ! Ce n’est pas sur cette pente de reprise économique progressive que se trouve l’économie française. L’Insee l’avait suggéré dans sa dernière « Note de conjoncture » du mois de juin ; et les chiffres du chômage viennent malheureusement le confirmer mois après mois.

Il suffit d’ailleurs d'examiner les dernières statistiques du marché du travail, celles qui ont été rendues publiques vendredi 25 juillet, pour prendre la mesure de la catastrophe sociale.

                           (Cliquer sur le tableau pour l'agrandir)

On connaît le bilan, qui est celui de François Hollande. Alors qu’il a accédé voici deux ans à l’Élysée, le nombre de demandeurs d’emploi de la catégorie A (la plus restreinte) n’a cessé de progresser, pour atteindre un sommet à 3 398 300 à la fin du mois de juin dernier, soit presque 130 000 chômeurs de plus au cours des douze derniers mois.

Mais cette statistique est trompeuse, car au cours des deux dernières décennies, le marché du travail a été dynamité par une folle avancée de la flexibilité. La frontière, qui était autrefois très délimitée, entre les situations d’emploi et les situations de chômage, s’est effacée pour céder la place à d’innombrables situations de précarité. CDD, intérim, travail à temps partiel : le travail a implosé, et la fameuse catégorie A des demandeurs d’emploi ne donne qu’une faible idée de cette folle expansion des situations intermédiaires, entre travail et chômage.

Pour en prendre la mesure, il faut observer l'évolution des demandeurs d’emploi toutes catégories confondues (de la catégorie A à la catégorie E). Dans ce cas, c’est un véritable séisme social : on dénombrait 5 719 400 demandeurs d’emploi à la fin du mois de juin dernier, soit 306 000 de plus qu’en juin 2013.

Il faut garder à l’esprit ce chiffre, car il est lourd des douleurs sociales que connaît le pays, et surtout il révèle une tendance profonde qui affecte l’économie française – sur laquelle nous reviendrons dans un instant : il suggère que si le chômage explose dans le pays, il est un mal qui progresse encore plus vite : celui de la précarité.

Cette envolée du chômage, qui retrouve des niveaux historiques, vient confirmer que le gouvernement n’a pas la politique appropriée pour lutter en faveur de l’emploi. L’Insee ne laisse d’ailleurs guère d’espoir pour les prochains mois. Selon sa dernière « Note de conjoncture » publiée fin juin, les perspectives étaient franchement mauvaises : au deuxième trimestre 2014, écrivait l’Insee, « le taux de chômage augmenterait à nouveau légèrement, à 10,2 % (9,8 % en France métropolitaine) ; puis, avec la légère hausse attendue de l’emploi total, il se stabiliserait à ce niveau au second semestre ».

C’est le couple infernal chômage-précarité qui va continuer au cours des prochains mois à façonner le climat social du pays. Car la connexion que nous venons d’observer entre les deux tendances et qui fait toujours des travailleurs précaires les premières victimes de la progression du chômage, ne cesse d’être à l’œuvre depuis plusieurs années. C’est l’onde de choc de la conversion de la France au modèle anglo-saxon, avec à la clef une place de moins en moins forte des formes d’emploi stable, dont le contrat à durée à indéterminée (CDI), et une montée en puissance exponentielle de toutes les formes d’emploi précaire, parmi lesquels les CDD, l’intérim, le travail à temps partiel. Résultat du démantèlement progressif du code du travail et notamment du droit du licenciement – auquel le gouvernement socialiste a apporté une contribution majeure en incitant les partenaires sociaux à négocier l’Accord national interprofessionnel (ANI), cette déréglementation du travail est un phénomène massif qui est au cœur de la montée de la précarité et de la pauvreté en France.

Une étude remarquable que vient de publier la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail permet de prendre la mesure de ce séisme qui est en train de submerger le marché du travail.

Cette étude, on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

Il faut prendre le temps de décortiquer ces chiffres, tant ils sont impressionnants. Globalement, le CDI reste certes la forme d’emploi dominante, car il a longtemps été, au moins jusqu’au milieu des années 1970, la seule forme d’emploi, ou presque, qui existait. À la fin de 2012, 87 % des salariés du secteur concurrentiel ont ainsi un CDI, tandis que 13 % des salariés seulement sont en contrat temporaire, soit 10 % en CDD et 3 % en intérim.

Mais ce qui retient l’attention, c’est la vitesse à laquelle les choses sont en train de changer, comme le révèlent les deux graphiques ci-dessous.

                            (Cliquer sur le graphique ci-dessous pour l’agrandir)

Pour expliquer l’importance du séisme qui bouleverse le marché du travail, l’étude de la DARES fait en particulier ce constat : « La répartition des embauches entre contrats temporaires et CDI est à l’inverse de celle observée pour les effectifs parmi les salariés en emploi. D’après les déclarations uniques d’embauche et les déclarations mensuelles des agences d’intérim, au quatrième trimestre 2012, 49,5 % des intentions d’embauche sont en CDD, 42,3 % sont des missions d’intérim et 8,1 % sont des CDI. Ainsi, dans le secteur concurrentiel, plus de 90 % des embauches s’effectuent en contrat temporaire. »

Le graphique ci-dessous permet de visualiser de manière encore plus spectaculaire ce qui est en train de se passer sur le marché du travail :

                        (Cliquer sur le graphique ci-dessous pour l’agrandir)

On comprend donc ce qui est en jeu. À la fin des années 1970, le CDI était la forme d’emploi quasi unique qui existait sur le marché du travail. Tout juste le premier ministre de l’époque, Raymond Barre, avait-il institué les premières formes d’emploi précaire – les fameux « stages Barre ». Mais cette forme d’emploi était totalement marginale. Et dans leurs « 110 propositions » pour 1981 (on peut les consulter ici), les socialistes avaient promis qu’il y serait remis bon ordre. « Le contrat de travail à durée indéterminée redeviendra la base des relations du travail », promettait fièrement la 22e proposition.

La belle promesse a depuis très longtemps été oubliée et c’est exactement l’inverse qui s’est produit : le contrat de travail précaire est devenu « la base des relations du travail ». Le graphique ci-dessus suggère même que le CDI est devenu une survivance d’un autre temps. Une survivance qui va progressivement disparaître…

Si la précarité avance encore plus vite que le chômage, c’est donc pour cela : parce que le marché du travail a implosé. Il y a donc le noyau dur du chômage ; et tout autour, il y a ce que les statisticiens appellent pudiquement le « halo autour du chômage », qui recouvre des variétés considérables de situations de précarité.

C’est dire si le gouvernement socialiste prend une lourde responsabilité en conduisant une telle politique de l’offre, qui reprend point pour point les priorités qui étaient défendues par Nicolas Sarkozy. Car il court tout droit vers un retentissant échec économique, qui est déjà perceptible au travers de nombreux indices. Mais ce faisant, il court tout droit vers une autre catastrophe : un désastre social !

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Le gouvernement encore au chevet de la LMDE, mutuelle des étudiants

$
0
0

C’est un énième écart de conduite dans une vie chaotique. La Mutuelle des étudiants (LMDE) vient d’être placée sous administration provisoire. Ses administrateurs étudiants ont été chassés des lieux : ils n’ont plus de bureau, plus d’adresse mail, plus de téléphone et plus d’indemnités. Une administratrice provisoire dirige dorénavant la mutuelle. « Cette décision n’a pas été prise à la légère », souligne l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la police des banques et des assurances. En cause, une nouvelle et énième dégradation des comptes de la mutuelle.

Cette annonce a été faite le 3 juillet 2014, au pire moment, à quelques semaines de la rentrée universitaire. Le 7 juillet, pas moins de trois ministres – affaires sociales et santé, éducation, finances – ont volé à son secours. Ils assurent dans un communiqué commun que la mise sous administration provisoire « ne remet pas en cause le remboursement des soins aux étudiants, qui est garanti et continuera à être assuré ». Et le gouvernement en profite pour « réaffirmer son attachement au régime étudiant de sécurité sociale ». La LMDE est sauve, une fois encore.

Elle est née en 2000 sur les décombres de la MNEF (Mutuelle nationale des étudiants de France), dissoute après des condamnations pour abus de biens sociaux, détournement de fonds publics et abus de confiance, dont celle de son directeur général Olivier Spitakhis (deux ans avec sursis et 50 000 euros d'amende) ou de l’actuel premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis (6 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende).

Au moins sur un point, la LMDE suit les traces de sa grande sœur délictueuse : sa gestion est désastreuse. En 14 ans, elle a connu cinq exercices positifs, et accumulé 35 millions d’euros de dette. À partir de 2009, sa situation a viré au rouge, puis sombré en 2012, avec plus de 11 millions d’euros de déficit. Plus grave, en pleine restructuration, la mutuelle totalement désorganisée ne parvenait plus à remplir sa mission première : rembourser les soins des étudiants. En 2012 et 2013, les étudiants attendaient des mois leur carte Vitale, les délais de traitement des feuilles de maladie sont montés jusqu’à six semaines, certains soins n’ont jamais été remboursés. Ces dysfonctionnements ont été détaillés par la Cour des comptes, qui a rendu un rapport cinglant sur la sécurité sociale étudiante à l’automne 2013. Les plaintes de parents et d’étudiants furieux, parfois dans des situations financières et médicales dramatiques, ont inondé les réseaux sociaux, les associations de consommateurs, l’assurance maladie, les ministères de l’éducation, de la santé, etc.

Au bord de la cessation de paiement fin 2012, la LMDE a été sauvée par la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), première mutuelle de fonctionnaires, qui lui a ouvert une ligne de trésorerie de 10 millions d’euros. Début 2013, un plan d’adossement entre les deux mutuelles est acté : si les étudiants restent les administrateurs de la mutuelle, la gestion et la production doivent être à terme mutualisées. Depuis, le service rendu par la mutuelle à ses assurés s’est amélioré : « 100 % des feuilles de soins papier sont remboursées en cinq jours maximum, les délais d’ouverture des droits sont de 48 heures, les réclamations et demandes sont traitées en quatre jours maximum », affirme la LMDE. Le seul point noir reste la réponse aux appels téléphoniques, aléatoire.

Vanessa Favaro, présidente de la LMDEVanessa Favaro, présidente de la LMDE

Mais sa situation financière, qui s’était stabilisée à moins 200 000 euros en 2013, se dégrade de nouveau en 2014 à moins 1,5 million d’euros, selon Vanessa Favaro, la présidente de la LMDE. La MGEN a manifestement pris peur, et suspendu le plan d’adossement. « La MGEN n’a pas vocation à intégrer une mutuelle structurellement déficitaire », explique la mutuelle de l’éducation nationale. Le message est adressé au gouvernement, qui à son tour vient de consentir un nouveau geste financier.

Il y a beaucoup de monde au chevet de la LMDE. Les acteurs sont imbriqués dans un système d’une complexité folle, aux coûts de gestion déraisonnables. Principale subtilité : les mutuelles étudiantes n’en sont pas, la plupart du temps. Car l’essentiel de leur activité consiste à gérer non pas une mutuelle complémentaire mais simplement le régime obligatoire des étudiants. Depuis 1948, elles ont une délégation de gestion du régime général : pendant le temps de leurs études, trois ans en moyenne, les étudiants ne sont plus remboursés par l’assurance maladie, mais par la sécurité sociale étudiante, gérée soit par la LMDE, soit par un réseau concurrent des mutuelles régionales SMER. Parallèlement, rien n’empêche les étudiants de choisir une autre complémentaire santé : les trois quarts d’entre eux gardent celle de leurs parents. Voilà pour l’enfer administratif, que la LMDE justifie par la « sensibilisation des étudiants aux enjeux de la sécurité sociale » et une « gestion démocratique et autonome ».

Inscription à un régime obligatoire pour un temps très court, concurrence entre mutuelles étudiantes : pour couvrir les frais de cette gestion absurde, l’assurance maladie verse aux mutuelles étudiantes des « remises de gestion », qui s’élèvent en 2014 à 52 euros par étudiant. Selon la Cour des comptes, cette rémunération est « trop avantageuse », car supérieure aux remises de gestion versées aux mutuelles de fonctionnaires (46 euros), qui gèrent elles aussi le régime général, et bien supérieure aux frais de gestion des caisses primaires d’assurance maladie, qui ont fait de gros efforts ces dernières années, notamment grâce au traitement électronique des feuilles de soins.

Pourtant la LMDE, comme la plupart des autres mutuelles étudiantes du réseau SMER, jugent ces remises de gestion « insuffisantes » pour couvrir leurs frais. En 2014, la MGEN a pris ses distances avec la LMDE, en suspendant le plan d’adossement par crainte d'une baisse drastique de ces remises de gestion, à 46 euros dès 2014. Le gouvernement a finalement transigé : cette baisse sera progressive, de 50 euros en 2014, à 46 euros en 2017.

Qu’est-ce qui justifie cette rémunération plus favorable des mutuelles étudiantes ? Est-ce la complexité administrative du régime étudiant ? Ou un financement indirect du syndicalisme ? La LMDE est contrôlée par l’Unef (Union nationale des étudiants de France), l’une des principales organisations étudiantes et la seule qui depuis 2004 présente des listes aux élections de la LMDE, tous les deux ans.

Les 13 administrateurs de la LMDE membres du bureau, tous issus de l’Unef, sont indemnisés entre 1 500 et 1 900 euros par mois. En 2012, l’Unef a perçu 100 000 euros de la LMDE, dans le cadre d’une convention de partenariat. La mutuelle fait cependant preuve de transparence en rendant publiques ces données.

Convention de partenariat entre l'Unef et la LMDEConvention de partenariat entre l'Unef et la LMDE
Indemnités des responsables de la LMDEIndemnités des responsables de la LMDE

« Les administrateurs travaillent réellement, sont indispensables au fonctionnement de la mutuelle, défend William Martinet, le président de l’Unef. Et la convention de partenariat couvre les frais de campagnes de prévention et de publicité de la LMDE », assure-t-il.

Bien plus problématique, l’UFC-Que choisir ?, qui enquête depuis de nombreuses années sur la LMDE, affirme que l’ex-Unef-ID Laurence Rossignol (elle a quitté le syndicalisme étudiant en 83), aujourd’hui secrétaire d’État à la famille et aux personnes âgées, a été salariée pendant 18 ans de la MNEF, puis de la LMDE, jusqu’en 2011, sans que l’UFC-Que Choisir ? ne trouve de trace probante de son activité réelle. Et voilà que resurgit le cadavre de la MNEF.

Qu’ils critiquent sa gestion, ses liens avec l’Unef, ou les dysfonctionnements du régime étudiant, les ennemis de la LMDE sont nombreux. « Il n’y a aucun argument, autre que politicard, pour maintenir ce système », explique par exemple Julien Blanchet, le président de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), qui demande la fin du régime spécifique des étudiants et leur réintégration dans le régime commun de l’assurance maladie. C’est aussi l’avis de tous les hauts fonctionnaires de la protection sociale : la Cour des comptes estime l’économie en coûts de gestion à 69 millions d’euros par an, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances entre 44 et 90 millions d’euros.

Au sein du gouvernement, la ministre de la santé Marisol Touraine et le ministre du budget Michel Sapin ont plaidé pour cette option. Mais « Benoît Hamon a pesé de tout de son poids », raconte la présidente de la LMDE, Vanessa Favaro. Le ministre de l’éducation Benoît Hamon a en effet remporté l’arbitrage auprès du premier ministre. Pour sauver une nouvelle fois la LMDE, les mutuelles étudiantes ont droit à un traitement de faveur, alors que 500 millions d’euros d’économies de gestion sont attendues des caisses de sécurité sociale d’ici 2017. Est-ce une décision aux arrière-pensées politiques ? Les anciens de l'Unef, de la MNEF et de la LMDE sont très présents au gouvernement et dans les rangs du Parti socialiste : Benoît Hamon, s'il s'est surtout illustré comme président du Mouvement des jeunes socialistes, est passé brièvement par l'Unef. Manuel Valls a présidé une section locale du syndicat étudiant, comme François Hollande à Sciences-Po Paris. Sans oublier bien sûr les anciens de l'Unef-ID qui ont été mouillés dans l'affaire de la MNEF : Jean-Christophe Cambadélis et Jean-Marie Le Guen (vice-président, administrateur et salarié de la MNEF, il a bénéficié d'un non-lieu). Laurence Rossignol est une autre ancienne de l'Unef-ID, dont les liens avec la MGEN puis la LMDE viennent d'être révélés. Au cabinet de Geneviève Fioraso, le conseiller Jean-Baptiste Prévost, très actif en ce qui concerne l'avenir de la LMDE, est un ancien président de l'UNEF. À l'Assemblée, la jeune députée socialiste qui monte, Fanélie Carrey-Conte, très active au sein de la commission des affaires sociales, en particulier sur les questions de protection sociale, a été membre de la direction de l'Unef, mais aussi du bureau de la LMDE (elle était à ce titre indemnisée). Pouria Amirshahi a lui présidé l'Unef-ID et la MNEF en plein scandale (1999-2000), souhaitant rompre avec les pratiques passées…

Le sujet n’est pas clos, et devrait rebondir à la rentrée. Les dirigeants de la LMDE comme de l’Unef ne nient pas les dysfonctionnements : « Le chantier reste devant nous », estime le président de l’Unef, William Martinet. Le syndicat plaide pour la fin du « duopole ». En 1972, la Mnef a été mise en concurrence avec le réseau des mutuelles régionales SMER, créant une concurrence féroce, parfois agressive sur les campus. La proposition de l’Unef fait hurler les mutuelles régionales : « La LMDE jette le discrédit sur l’ensemble des mutuelles étudiantes. Et elle devrait retrouver son monopole sur le régime étudiant ? », s’emporte Annie Coutarel, directrice générale de la Smerep, branche Ile-de-France de la SMER.

Pour l'heure, aucune réforme du régime étudiant ne se profile. Le gouvernement n’a évoqué que des « simplifications ». Cela ne satisfait personne car cela répète les erreurs commises du temps de la MNEF par les gouvernements successifs : renflouer les mutuelles étudiantes, plutôt que de traiter le problème de fond.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Comment la galaxie Dieudonné squatte les manifestations pour Gaza

$
0
0

À chaque mouvement ses marginaux qui tentent de profiter des événements et caméras. Après les incidents dans lesquels la Ligue de défense juive (LDJ) a été impliquée, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) avait cru bon de rappeler qu’il s’agissait d’une « toute petite organisation, qui n’est pas membre des institutions juives »De son côté, le mouvement propalestinien, très hétéroclite, subit des tentatives d'incruste, notamment de sympathisants de Dieudonné et de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral.

S'ils sont ultraminoritaires, la manifestation du samedi 26 juillet 2014, organisée en solidarité avec le peuple palestinien à Gaza, a été ponctuée de fortes tensions internes. Une partie du cortège a semblé débordée par des éléments radicaux (lire le reportage de Thomas Saint-Cricq). Certains sont regroupés dans un petit noyau baptisé « Gaza Firm ». Loin des milieux propalestiniens historiques, ils viennent surtout en découdre avec la LDJ. Qui tire les ficelles de cette nébuleuse ? 

Ils sont apparus le 19 juillet à Barbès, chantant La Marseillaise lors de la manifestation propalestinienne interdite. Puis quatre jours plus tard, à Denfert-Rochereau, lors du rassemblement autorisé. Samedi 26 juillet, ce nouveau collectif était plus visible, représenté par une quarantaine de personnes et une banderole blanche déployée au centre de la place de la République :

Sur les réseaux sociaux, leur hashtag « Gazafirm » s'est diffusé, assorti de vidéos et de photos où ses membres sont floutés :

Post sur Facebook, le 26 juillet.Post sur Facebook, le 26 juillet.
Photo postée sur Twitter le 25 juillet.Photo postée sur Twitter le 25 juillet. © Twitter / @HakParis
Post du 27 juillet, relayant une mise au point de Mathias Cardet, figure de la Gaza Firm, sur Facebook.Post du 27 juillet, relayant une mise au point de Mathias Cardet, figure de la Gaza Firm, sur Facebook.

Après les incidents de la rue de la Roquette, le 13 juillet, et la large couverture médiatique des rassemblements, le collectif a flairé la bonne opération de communication. Si le nom « Gaza Firm » est apparu tout récemment, le groupe a fait sa première apparition en janvier, lors du « Jour de colère », qui a vu les groupuscules de l’extrême droite la plus radicale manifester à Paris – y compris les « Dieudonnistes » –, dans un défile émaillé de slogans antisémites et homophobes.

Un groupe identifié par un journaliste de Radio France comme des membres de Gaza Firm.Un groupe identifié par un journaliste de Radio France comme des membres de Gaza Firm. © Twitter / Sylvain Tronchet.

Officiellement, le mouvement se présente, dans un communiqué diffusé le 25 juillet, comme « un groupe d’amis de divers horizons », « cultures » et « religions », « blacks blancs beurs », « réunis autour de la cause Palestinienne ». L’objectif affiché ? « Assurer la sécurité des manifestants et citoyens », et surtout « faire front » aux organisations juives radicales, la LDJ et le Betar.

Tweets du compte présenté comme "officiel" de Gaza Firm, le 22 juillet 2014.Tweets du compte présenté comme "officiel" de Gaza Firm, le 22 juillet 2014.

Égalité et réconciliation (E&R) , le mouvement d'Alain Soral, s'était empressé de soutenir sur son site la naissance de ce nouveau collectif : « Enfin une Ligue de défense goy ? ». Les membres de Gaza Firm, eux, jurent n’avoir « aucun lien » avec « l’extrême droite », « Dieudonné ou même Alain Soral ».

Mathias Cardet dans une vidéo d'Egalité et Réconciliation, en juillet.Mathias Cardet dans une vidéo d'Egalité et Réconciliation, en juillet.

Pourtant, derrière ce collectif, on trouve un proche de la galaxie soralienne : Mathias Cardet. Ce porte-voix de Gaza Firm a donné plusieurs conférences avec Alain Soral, son éditeur, et est un invité régulier de son site. Il a d'ailleurs expliqué dans cette vidéo d'Égalité et réconciliation être « lié par amitié » avec le mouvement. Il a également relayé les appels, abondamment diffusés par Égalité et réconciliation, à une « journée de retrait de l'école pour l'interdiction de la théorie du genre », cet hiver. Il était aussi présent, le 21 juin, au bal des quenelles, organisé par Dieudonné, où l’on pouvait croiser le négationniste Robert Faurisson

Cardet, qui se présente comme un ancien hooligan, est aujourd’hui à la tête d’une plateforme web baptisée « Bras d’honneur », dont E&R a assuré la promotion. L'année dernière, il a fait le tour des médias pour la promo de L’effroyable imposture du rap, un pamphlet qui lui a permis de diffuser ses thèses en prétendant révéler la face sombre du rap.

S'il a affirmé, dans une « mise au point » sur Facebook, ne pas être « le taulier de Gaza Firm », tout en « assum(ant) les actes de l'équipe », il était en tout cas à leurs côtés, avec ses proches, en marge de la manifestation du 26 juillet (voir les photos publiées par Quartiers libres) et a posté, après celle du 19 juillet, une vidéo du collectif en action.

Qui sont les militants de Gaza Firm ? Essentiellement des jeunes issus des supporters ultras du PSG : des anciens de « K-soce Team » du virage Auteuil et de Karsud ayant des liens avec la frange radicale de la tribune Boulogne (voir la cartographie de Sofoot). La référence est d’ailleurs transparente, explique à Mediapart ce fin connaisseur de cette nébuleuse : « Le mot “Firm” trahit leur origine, c’est un code de supporter ultra, qui rappelle l’Inter City Firm (la première bande de supporters de foot hooligans anglaise – Ndlr) ».

Selon lui, il s’agit d’« un milieu dépolitisé, plutôt composé de jeunes de banlieues dont certains sont sensibles au discours anti-système de Dieudonné et Soral, formés par leurs vidéos qui relayent des thèses complotistes, dénonçant les Américains, les juifs, les francs-maçons, les médias et défendant l’idée que la vérité se trouve sur Internet. C’est davantage une mouvance qu’un groupe organisé. Dieudonné et Soral ne les contrôlent pas, mais ces types se reconnaissent dans ce qu’ils font ».

Photo postée sur Twitter le 20 juillet.Photo postée sur Twitter le 20 juillet. © Twitter / J_ParisFans

Que des adeptes de Soral, ces ultras ? Les choses sont plus complexes. Certains sont « des types du milieu hip-hop constitué autour de Mathias Cardet et des jeunes paumés, qui suivent un ou deux amis, viennent faire des quenelles et des bras d’honneurs dans les manifs et se cogner avec la LDJ. C’est avant tout un phénomène de bande », souligne-t-il, en évoquant aussi des recompositions « liées à des questions de stade ».

Après notre article sur la Ligue de défense juive, Quartiers libres, un collectif de militants de la gauche radicale de banlieues, nous a écrit, étonné de lire que les manifestations propalestiniennes étaient « débordées par des partisans de Dieudonné et Soral ». L’association minimise la présence des Soraliens dans les rassemblements et estime que Gaza Firm ne représente qu’« une trentaine » de personnes qui ont tenté « une récupération médiatique en communiquant sur leur passage à Barbès » après avoir manqué « la charge contre la LDJ ». Lire ici son dernier billet de blog : Les idiots utiles du sionisme, les vrais.

Sans forcément toujours apparaître, Alain Soral et Dieudonné tentent en tout cas de surfer sur ces manifestations et le conflit israélo-palestinien. Samedi après-midi, une « conférence sur la Palestine » s'est tenue au Théâtre de la Main d'or, où se produit Dieudonné. À l’extérieur, une file d’attente s’étale sur deux cents mètres pour acheter une entrée à 5 euros. Un public hétéroclite, assez jeune. Pierre Panet, un très proche de Dieudonné qui fréquente les milieux négationnistes et fut candidat sur une liste FN aux municipales, fait patienter la foule en s'agitant devant les caméras de leur web télé, Meta-TV.

La scène du Théâtre de la Main d'or, avant le début de la conférence. Au centre, un drapeau français orné d'un ananas.La scène du Théâtre de la Main d'or, avant le début de la conférence. Au centre, un drapeau français orné d'un ananas. © M.T. / Mediapart

À l’intérieur de la salle, remplie bien au-delà de sa capacité de 250 personnes, interdit de prendre des photos ou de filmer. « Ils veulent pouvoir diffuser uniquement leurs propres images, avec leur télé », nous explique un spectateur habitué.

Dans la salle, avant le début de la conférence.Dans la salle, avant le début de la conférence. © M.T. / Mediapart

Sur l’estrade, l’ancien député belge d'extrême droite Laurent Louis, qui a soutenu les thèses négationnistes de Faurisson, anime les échanges, entouré de l'écrivain juif et militant propalestinien Jacob Cohen, de Marion Sigaut, qui se présente comme une « historienne » issue de Debout la République et aujourd’hui membre d’Égalité et Réconciliation. L'affiche de la conférence annonçait des « témoignages de Palestiniens », mais les organisateurs se cantonneront à la lecture d'une lettre d'un médecin de Shifa qui a déjà abondamment circulé sur les réseaux sociaux.

Les spectateurs ne sont venus que pour écouter Dieudonné, qui arrive, vêtu d'une combinaison orange de prisonnier de Guantanamo barrée du mot « quenelle ». Acclamé – y compris par des « Dieudonné président ! » –, il se plaint qu'« on nous ressort(e) toujours la souffrance de la Shoah » et explique que « la montée de l'antisémitisme a été inventée par le système car le système est sioniste ».

Pendant deux heures, il est question du « marketing sioniste » qui serait relayé à longueur de journée par les médias. Les organisateurs se vantent d'ailleurs d'avoir fermé la porte aux caméras de France 2. « Ce n'est pas une politique nazie que poursuit l'Etat d'Israël, c'est pire ! Même Hitler, il ne bombardait pas des hôpitaux », lâche Laurent Louis, avant d'exprimer ses « doutes » sur la version de la tuerie au musée juif  de Bruxelles. Il poursuit : « Les gens me disent : “Mais pourquoi tu parles de la Palestine, nous on veut parler du chômage!”, mais tout est lié ! Si on a la crise, c'est à cause des banques, des banques sionistes ! »

À l'entrée du Théâtre de la Main d'or, le 26 juillet.À l'entrée du Théâtre de la Main d'or, le 26 juillet. © M.T. / Mediapart

Au public, on explique que « l'homme providentiel, c'est vous ! ». La séance des questions de la salle part dans toutes les directions, provoquant même des altercations physiques entre certains groupes de spectateurs. Chacun se bat pour obtenir le micro et apporter son témoignage. Ginette Hess-Skandrani, exclue des Verts pour sa proximité avec les milieux négationnistes et colistière de Dieudonné en 2009, raconte l'éjection de son groupe par le NPA lors de la dernière manifestation.

Les questions fusent. Une femme veut savoir « comment parrainer un enfant palestinien sans être récupérée politiquement ». Une autre s'interroge sur « la position de la Russie et de la Chine »Un jeune demande des précisions sur l'histoire des terres palestiniennes. Certains s'interrogent sur la nécessité de recourir à la violence. D'autres livrent des thèses incompréhensibles ou en profitent pour donner un coup de projecteur sur des causes parfois bien éloignées de Gaza. Mais l'essentiel de la discussion tourne autour du qualificatif d'antisémite, réfuté par le public et Dieudonné, qui raille un « chantage à l'antisémitisme ».

Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral, lors d'un colloque en 2009.Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral, lors d'un colloque en 2009. © Reuters

Les deux polémistes ont en réalité rarement mis les pieds dans des manifestations de soutien à la Palestine. Lorsque, en janvier 2009, Alain Soral tente de rallier l'un de ces rassemblements, ses amis du parti antisioniste (avec lequel il s'est présenté aux européennes de 2009) sont repoussés par les antifascistes, empêchant sa venue dans le cortège, comme l'avait raconté le site d'information antifasciste Reflexes.

À l'époque, Soral avait tout de même diffusé une vidéo et un communiqué pour médiatiser sa participation malgré les « sionistes de la CNT et de la LCR » et raconter que « l'immense majorité des manifestants voit d’un bon œil la présence de patriotes anti-sionistes à leurs côtés ». Cinq ans plus tard, son site engrange les visites et ses émissions en ligne sont devenues payantes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent


« J'ai été dans une manif et maintenant, je suis un délinquant »

$
0
0

Quatre mois de prison avec sursis et 1 150 euros d’amende. La peine pour rébellion a été prononcée il y a plus d’une semaine, mais A. n’en revient toujours pas. Il fait partie des manifestants condamnés après les incidents de la manifestation interdite de soutien à Gaza, à Barbès, samedi 19 juillet (lire notre article sur ces accusés sans histoire). Jusque là, il n’avait jamais eu affaire avec la police ou la justice. Son casier judiciaire était vierge. A. a 33 ans, il habite en banlieue parisienne, travaille comme informaticien ; il est marié et a trois enfants.

Quand on l’appelle pour témoigner, il hésite. Il craint que le parquet de Paris ne fasse appel. Il accepte finalement, après avoir consulté son avocat (lire notre Boîte noire). Et il suggère un lieu de rendez-vous : celui de son interpellation. « On ne sait jamais, peut-être je vais trouver les traces qui montrent que je n’ai rien fait. » On se retrouve à l’angle de la rue Custine et de la rue de Clignancourt, dans le XVIIIe arrondissement. Il vient, accompagné de sa sœur, Hayatte Maazouza, étudiante de 24 ans en école de commerce, élue municipale PS à Trappes, et qui a également manifesté le 21 juillet. Quelques heures plus tôt, le parquet de Paris a annoncé qu’il fait appel de la condamnation. À l’audience, le procureur avait demandé une peine de prison ferme avec mandat de dépôt. Voici leur témoignage.

« A. : Je voulais manifester parce qu’il suffit d’allumer la télé et de regarder ce qui se passe. C’est juste affreux. C’est même pas en tant que musulman, c’est en tant qu’être humain qu’il faut le dénoncer. C’est naturel. J’avais déjà manifesté le 13 juillet, avec mes frères et ma sœur.

Hayatte : Avec mes copines, on est sur un groupe Facebook « Manifestation nationale de soutien à la Palestine ». Tout le monde est dessus. Pour la manif à Barbès, on n’a su qu’à la dernière minute qu’elle était interdite et plein d’organisations disaient qu’elles allaient y aller quand même. Du coup, on ne savait même pas si c’était mal d’y aller.

A. : On s’est dit qu’on ne risquait pas grand-chose.

H. : D’ailleurs, quand on est arrivés, on a vu des drapeaux du NPA et du Front de gauche. Il y avait même des élus. Moi aussi, je suis élue municipale.

A. : On s’est dit “feu vert, on y va” ! Et on a rejoint la manif.

Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

H. : Très vite, des gens qui étaient sur un container ont brûlé un drapeau israélien. J’ai gueulé : “Arrêtez !” Cela a continué. Puis un gros pétard a explosé. Et d’un coup, on a senti plein de gaz lacrymogènes. J’ai cru que j’allais mourir – c’était la première fois de ma vie que je me faisais gazer. Après, c’était la panique, l’apocalypse… On ne voyait rien. Il y a des barrières de chantier vertes et grises : dans la panique, tout est tombé, on se marchait les uns sur les autres.

A. : Franchement, c’était affreux.

H. : Les seules issues, c’étaient les petites rues sur les côtés.

A. : C’est là que j’ai perdu les autres. Je suis remonté ici (dans la rue Custine, puis la rue de Clignancourt – ndlr). Je me suis dit que j’allais suivre d’autres manifestants. Cela commençait à chauffer de nouveau. J’ai entendu quelqu’un dire : “On va vers le Sacré-Cœur.” Je les ai suivis… Cela me faisait une balade. Je n’étais jamais allé là-bas, je ne connais pas. En plus, quelqu’un a dit qu’il y avait des touristes et que les policiers n’allaient pas gazer. Là, on a manifesté. Il y avait pas mal de gens.

J’y ai passé une heure et demie. Mais il y avait quand même quelques affrontements. Il était 17 heures et je suis redescendu tranquillement pour attendre les autres à la voiture. Pour moi, la manifestation était terminée.

J’avais un drapeau palestinien sur moi, et mon écharpe (palestinienne – ndlr) dans ma poche. Je ne l’avais pas sur le visage. Tout à coup, sans avoir entendu de sommation, il y a eu une charge de policiers en civil derrière moi (dans la rue de Clignancourt – ndlr)… Je me suis arrêté net, je me suis collé au mur pensant qu’ils allaient s’en prendre aux casseurs avec qui il y avait des affrontements depuis un petit moment. J’ai vu un policier tomber, de l’autre côté de la rue, il s’est blessé au visage.

Ensuite, deux collègues sont arrivés. L’un d’eux m’a foncé dessus et m’a dit de courir. J’ai commencé à repartir. Un autre est arrivé, il avait une matraque et la brandissait contre moi. Il m’a dit : “Casse-toi, casse-toi !” Là j’ai couru, j’ai cavalé dans la rue, jusqu’au carrefour avec la rue Custine. Pendant ma course, j’ai entendu un autre policier dire “Chope-le.” Une voiture noire est arrivée à ce moment-là ; le flic m’a plaqué dessus et m’a jeté directement par terre. Moi je ne l’ai pas blessé ; je n’ai pas vu son visage, je ne sais pas quel policier c’était. Selon le procès-verbal, j’aurais tenu son bras… Et je l’aurais fait tomber. Mais je ne sais pas comment j’aurais pu faire !

Il y a peut-être des images. Il y a une caméra au carrefour. Je ne sais pas si l'on peut demander d’y avoir accès… Si ça se trouve, tout a été filmé. Cela montrerait que je n’ai rien fait.

Ensuite, j’ai été emmené avec un autre manifestant pour la garde à vue. Je n’en revenais pas. Je ne réalisais pas. C’était complètement irréel.

H. : Nous, de notre côté, on le cherchait. On ne savait pas où il était. On pensait qu’il était blessé. On a appelé les hôpitaux. Mon frère est asthmatique ; on s’est dit qu’il n’avait pas supporté les gaz. Jamais on aurait imaginé qu’il avait été arrêté.

A. : Tout à coup, je ne pouvais plus rien dire, rien faire. C’était le black-out. Cela fait vraiment bizarre… Je me suis retrouvé là-dedans, sans comprendre ce qui m’arrive… Dans une cellule, sale. Les policiers m’ont insulté. J’ai demandé à manger… L’un d’eux est venu, il m’a répondu : “Pourquoi tu sonnes comme ça comme un connard ?” Je lui ai dit que je voulais juste à manger, j’ai été poli. Il m’a dit : “J’ai du travail, on verra après.” En fait, une demi-heure après, il m’a amené à manger. Mais je ne comprends pas pourquoi il m’a mal parlé. J’ai été dans une manif… et ça y est, maintenant, je suis un délinquant…

On m’a demandé à deux reprises si je voulais un avocat. Je ne savais pas quoi faire, j’ai demandé conseil aux policiers. Les deux fois, ils m’ont dit que c’était mieux de ne pas en prendre, que cela allait ralentir la procédure… Finalement, ça n’a rien changé. Je suis resté 48 heures en garde à vue.

H. : Maintenant, tu ne seras plus naïf. Moi-même j’ai toujours eu confiance dans la police.

A. : Mais j’ai vu qu’il y avait aussi des policiers qui avaient l’air sincères… Lors de la confrontation avec celui qui m’a mis en cause, j’ai halluciné de le voir maintenir ses propos. Mais à la fin, il a ajouté que je l’avais blessé de manière non intentionnelle. Il ne voulait pas m’enfoncer… Même s'il a quand même porté plainte contre moi.

À plusieurs reprises, le policier qui avait fait mon audition avait aussi l’air de penser que je n’avais rien à faire là. Il m’a même dit que je faisais tache en garde à vue. C’est vrai d’ailleurs…

H. : Non mais c’est vrai, on n’y croyait pas. Il est vraiment calme. Il joue au badminton, c’est vous dire ! (Rires) Il a sa femme, ses enfants.

A. : Moi je ne sais pas, je ne comprends pas. J’avais juste un drapeau palestinien… Je ne comprends pas pourquoi ils m’ont pris, moi.

Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014.Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014. © REUTERS/Philippe Wojazer

H. : J’ai déjà été choquée après la manifestation du 13 juillet (à Paris, suivie d’incidents à proximité d’une synagogue, rue de la Roquette – ndlr). Le gouvernement a criminalisé les manifestants, sans même parler de la présence de la LDJ (la Ligue de défense juive – ndlr). On ne savait même pas qu’il y avait une synagogue à côté de la place de la Bastille. Même les mosquées à Paris, on ne sait pas où elles sont. On n’habite pas ici ! Les médias ont relayé sans savoir… Et puis la LDJ, franchement… Ça sert à quoi d’être dans une République s’il y a des milices ? Sinon, il va y avoir une Ligue de défense musulmane, une Ligue de défense bouddhiste… Mais la France, c’est pas ça !

Depuis un moment, on sent un climat : une certaine population, disons-le, les personnes issues de l’immigration, et de confession musulmane, se sentent stigmatisées. Il faut dire ce qui est. Dès qu’on n’est pas d’accord, on nous traite d’antisémites ou d’intégristes. Aujourd’hui, personne ne nous protège. Pourtant, on ne demande rien, on vit notre petite vie. Mais on en a ras-le-bol.

A. : Finalement je me dis : heureusement que c’est moi qu'ils ont pris… Parce que si ça avait été quelqu’un d’autre, avec un casier, il aurait été en prison directement. Moi j’avais rien à gagner à chercher les policiers. Jamais je ne l’ai fait, jamais je le ferai. »

BOITE NOIREJ’ai rencontré A. à Paris. Il a préféré garder l’anonymat pour ne pas que sa condamnation lui porte préjudice dans sa vie quotidienne. Sa sœur, en revanche, témoigne à visage découvert.

Ils ont simplement souhaité que l'avocat de A. relise ses propos.

 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Transition énergétique : un projet de loi bien timide

$
0
0

De très légères avancées nouvelles, encore quelques reculs, et plusieurs occasions manquées. Annoncé par François Hollande comme « l'un des plus importants du quinquennat », le projet de loi sur la transition énergétique est officiellement sur les rails. Le texte, censé initier un « nouveau modèle énergétique français », a été présenté ce mercredi en conseil des ministres et devrait commencer à être examiné début octobre par le Parlement. « Ce projet de loi fait de la France l’un des États membres de l’Union européenne les plus engagés dans la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, au moment où se discute au niveau européen le nouveau paquet énergie climat, a assuré le gouvernement. À l’approche de la Conférence de Paris sur le Climat de 2015, il traduit l’ambition française dans le cadre des négociations internationales. »

Présenté dès la mi-juin à la presse par la ministre de l’écologie Ségolène Royal, au prix de quelques retournements de situation de dernière minute, le texte a depuis été soumis au Conseil national de la transition écologique (CNTE. Son avis est à lire ici) et au Conseil économique, social et environnemental (CESE dont l’avis est là). Les deux instances ont pointé des manques et des points à clarifier ou à compléter. Ils ont été en partie entendus : le gouvernement a ajouté au texte l’objectif de faire baisser la consommation d’énergie de 2,5 % par an jusqu’en 2030 et il a élargi la notion de véhicule propre au-delà des seuls véhicules électriques ou hybrides.

Pour autant, les objectifs annoncés restent bien timides. « Rien de neuf sous le soleil », regrette le Réseau action climat, qui rassemble des experts militants spécialisés en transition énergétique. « Que ce soit sur les objectifs de moyen terme, la rénovation du bâtiment, la mobilité ou la production d'énergie, le projet de loi apporte quelques avancées à la marge mais ne donne pas l'élan nécessaire pour aller vers un modèle énergétique plus sobre, créateur d'emplois, plus proche des territoires et moins polluant », tranche l’ONG, qui appelle les parlementaires à étoffer la loi. Même attente à la fondation Nicolas Hulot, qui affiche toutefois son soutien de principe, en affirmant que « ce texte sera un acte majeur du quinquennat et une façon d'entrer enfin dans le XXIe siècle », à condition toutefois qu’il « dispose des moyens pour être appliqué, c’est-à-dire des financements à hauteur de son ambition, estimés à 20 milliards d’euros par an ».

Retour sur les annonces du projet de loi, avec ses (quelques) bons points, et ses lacunes.

LES BONUS

  • Dix milliards d’euros mobilisés

Ségolène Royal a indiqué qu'environ 10 milliards d'euros seraient mobilisés : 5 milliards apportés par la Caisse des dépôts pour des prêts dédiés aux collectivités, à un taux de 2 %, 1,5 milliard « pour renforcer le soutien aux initiatives locales exemplaires en matière de transition énergétique et d’économie circulaire », 1,5 milliard d'allègements fiscaux, mais aussi 1 milliard pour la rénovation énergétique des collèges, et divers prêts.

Parmi les aides annoncées, figure un prêt à taux zéro pour les particuliers, que le gouvernement espère pouvoir faire passer de 30 000 à 100 000 par an (malgré les demandes des ONG, ces prêts ne seront cependant pas conditionnés à un bon niveau d’efficacité énergétique des travaux). Et les ménages réalisant des travaux thermiques avant 2015 obtiendront un crédit d'impôt de 30 %, « sans être obligés de faire plusieurs travaux à la fois, comme par le passé », a indiqué Ségolène Royal. L’allègement est plafonné à 8 000 euros pour une personne seule, et 16 000 euros pour un couple.

Par ailleurs, les tarifs sociaux sont étendus aux ménages se chauffant au fioul et au bois, alors que seuls ceux se chauffant au gaz et à l’électricité pouvaient en bénéficier aujourd’hui. Mais le montant de ce chèque énergie n’est pas encore établi.

  • Le mix énergétique sur la bonne voie, mais toujours pas clair

C’était l’un des points que Mediapart jugeait incontournable, et il figurera bien dans la loi : les énergies renouvelables devront représenter en 2030 plus de 30 % de la consommation d’énergie du pays, en l’occurrence 32 % (contre 13,7 % en 2012). Et la mouture finale du texte a même ajouté une étape intermédiaire, la part du renouvelable devant être de 23 % en 2020.

La loi reprend aussi les objectifs de long terme annoncés par François Hollande : diviser par deux la consommation d’énergie d’ici 2050, baisse de 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030. Jusqu’à présent, le texte ne proposait pas d’objectif intermédiaire. Écoutant les avis du CNTE et du CESE, le gouvernement a ajouté qu’il convenait « de porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030 ». Mais cet ajout ne satisfait pas les ONG : « Il aurait été beaucoup plus lisible et clair pour tout le monde de trancher en faveur d’un seuil de baisse à atteindre en 2030 », souligne Mathieu Orphelin, de la fondation Nicolas Hulot.

LES MALUS

  • Le tiers financement reste sous contrôle bancaire

Ségolène Royal en a fait l’une des principales mesures de sa loi : la reconnaissance de l’activité des sociétés de tiers financement, ces sociétés d’économie mixte (SEM) créées par les régions pour aider les ménages à boucler le financement de leurs travaux de rénovation. Concrètement, une copropriété signe un contrat avec un opérateur qui coordonne la rénovation thermique de son bâtiment, et qui règle une partie des coûts aux artisans du chantier. En échange, les habitants lui versent l’équivalent de ce qu’ils ne dépensent plus en facture. La région Île-de-France a créé en 2013 la première SEM dédiée au tiers financement pour la rénovation énergétique, la SEM Energies POSIT’IF.



Mais le lobby bancaire, en alerte sur le sujet (voir ici notre enquête), a obtenu que les SEM concernées soient soumises au code monétaire et financier, c’est-à-dire qu’elles se transforment elles-mêmes en établissement de crédit. Elles doivent notamment s’assurer de détenir assez d’argent pour garantir le même ratio de fonds propres que les banques, ce qui est bien sûr difficile pour une petite société et pour les collectivités locales.

Dans une première version du projet de loi, datée du 14 juin, il était indiqué explicitement que cela ne devait pas être le cas. Depuis lors, ce geste de bonne volonté en faveur des SEM a disparu, et elles sont donc tenues, soit de devenir un établissement de crédit, soit de passer une convention financière avec une banque, qui se chargerait elle-même de l’offre de prêt.

  • Gouvernance du nucléaire

Le pré-projet de loi n’accorde pas à l’État le pouvoir de fermer un réacteur nucléaire pour une raison politique (voir notre enquête à ce sujet). Malgré son soutien au texte, le sénateur EELV Ronan Dantec remarque qu’« arrêter un réacteur nucléaire reste un tabou ».

  • Tarif de l’électricité : les gestionnaires ont obtenu gain de cause

Sujet hautement sensible politiquement, le tarif de l’électricité fait l’objet d’un article très favorable à EDF. Il concerne le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, le « Turpe ». Depuis 2002, ce Turpe rémunère les gestionnaires de réseaux publics, essentiellement ERDF, la filiale d’EDF, en échange de l’exploitation, de l’entretien et du développement des réseaux, et RTE qui gère le flux d’électricité. Il représente environ 11,4 milliards d’euros par an, dont 8,4 sont versés à ERDF. Or fin 2012, le Conseil d’État a annulé le Turpe mis en place pour la période allant de 2009 à 2013. Il était en fait surestimé de plusieurs centaines de millions d’euros (voir notre enquête à ce sujet) car il intégrait des dépenses déjà effectuées depuis longtemps.

Or le projet de loi établit désormais que « les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité incluent une marge raisonnable qui contribue notamment à la réalisation des investissements nécessaires pour le développement des réseaux ». En clair, les filiales d’EDF ont le droit d'intégrer tous les coûts qu'elles souhaitent dans leurs prix.

  • Angles morts de la mobilité écologique

Le projet de loi ne s’intéresse à la mobilité des personnes presque qu’à travers le soutien à la voiture électrique : sept millions de points de recharge à l’horizon 2030, aide de 10 000 euros pour le remplacement d’un diesel polluant par un véhicule électrique, remplacement d’une voiture sur deux de la flotte publique par une auto roulant à l’électricité… Malgré les demandes du CESE et du CNTE, rien sur les infrastructures de transport, et rien sur les nouveaux services de mobilité. En revanche, comme suggéré, l’État a inclus dans sa définition des véhicules propres, outre les voitures électriques ou hybrides, celles qui émettent « un très faible niveau d’émission de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques ». L’État devra, lorsqu’il renouvelle sa flotte de véhicules, atteindre 50 % de véhicules propres.

Le texte n’abolit pas l’avantage fiscal du diesel sur l’essence, malgré son impact avéré sur la santé publique.

  • Plus de citoyens actionnaires à coup sûr

C’était un des bons points que Mediapart avait relevé le 18 juin ; il a disparu aujourd’hui. Le texte aurait dû imposer que pour tout nouveau projet de production d’énergie renouvelable, le maître d’œuvre ouvre une partie de son capital aux citoyens et aux collectivités territoriales. Cet article 27 est maintenu, mais il n’est plus question d’obligation, puisqu’il indique désormais que ces entreprises « peuvent, lors de la constitution de leur capital, en proposer une part à des habitants résidant habituellement à proximité du projet ou aux collectivités locales sur le territoire desquelles il doit être implanté ».

  • Où sont passés les bâtiments à énergie positive ?

Lors de sa conférence de presse du 18 juin, Ségolène Royal avait vanté les bâtiments à énergie positive, ces constructions qui produisent l’énergie (de source renouvelable) dont elles ont besoin pour fonctionner. Dans sa version du 14 juin, le projet de loi obligeait toute nouvelle construction sous maîtrise d’ouvrage publique à être à énergie positive. Depuis, l'obligation a sauté : « Toutes les nouvelles constructions sous maîtrise d’ouvrage publique font preuve d’exemplarité énergétique et seront, chaque fois que possible, à énergie positive. »

BOITE NOIRECet article a été rédigé par Dan Israel, en s'appuyant largement sur celui de Jade Lindgaard, qui analysait les différentes versions de l'avant-projet de loi. Plusieurs passages sont donc communs à ces deux textes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

A Sarcelles, la manifestation du 20 juillet a mis la ville sous tension

$
0
0

« On a tous grandi en bonne entente » ; « on est nés dans le même hôpital » ; « je suis musulman et le vendeur d'en face est juif, on s'entend super bien. » Ces affirmations viennent de Sarcellois, respectivement d'un membre de la Ligue de défense juive (LDJ), d'un avocat et d'un vendeur de chaussures du marché. Le “vivre ensemble” à Sarcelles (Val d'Oise), prôné par la plupart des personnalités politiques, chacun s'y raccroche encore. Mais depuis les dégradations qui ont suivi la manifestation pro-palestinienne interdite du dimanche 20 juillet, certains habitants en doutent. François Pupponi, le maire socialiste de la ville, n'hésite pas à parler de communauté juive « assaillie », subissant des attaques sur sa synagogue, quitte à ajouter aux tensions tout juste observées. Dans cette ville de 61 000 habitants, cette communauté rassemble entre 12 000 et 15 000 personnes.

Y aura-t-il un avant et un après 20 juillet 2014 ? La ville aux “plus de 100 nationalités” peut-elle être le lieu de tensions inter-communautaires ? Que l'on habite la “petite Jérusalem”, ou le quartier voisin que certains nomment “Little Gaza”, un climat de méfiance s'est installé. 

Des affiches anti-Israël près de l'avenue Frédéric Joliot-Curie.Des affiches anti-Israël près de l'avenue Frédéric Joliot-Curie. © Yannick Sanchez

Au lendemain de la manifestation, Sarcelles se réveille dans la douleur. À deux pas du commissariat, une odeur de brûlé émane de la pharmacie juive du centre commercial Les Flanades. Devant, des gens se questionnent, comment a-t-on pu s'en prendre à la « mamie » de Sarcelles ? Celle qui emploie sans distinction des « juifs, des blacks et des beurs ». « C'est forcément des gens d'ailleurs », déclare un des organisateurs de la manifestation. « Nos parents achètent leurs médicaments ici », ajoute-t-il, « ça n'aurait aucun sens. »

La pharmacie de la famille Banon a été totalement détruite.La pharmacie de la famille Banon a été totalement détruite. © Yannick Sanchez

À quelques encablures de la place, l'épicerie casher Naouri a été vandalisée pour la deuxième fois en deux ans. Pour François Pupponi, c'est un signe de l'antisémitisme qui frappe Sarcelles. « Ils ont voulu casser du juif, déclare-t-il à Libération. Ce n’est qu’à la grâce d’un important dispositif policier que nous avons réussi à protéger les synagogues. » Et François Pupponi n'hésite pas à faire le lien entre les dégradations et les manifestants : « Ceux qui ont organisé ça savaient très bien ce qu’ils faisaient »,assure l'élu à Mediapart. « Faux », répondent les organisateurs, « il s'agissait d'une manifestation pacifique. »

Revenons aux faits. Le 14 juillet, soit six jours avant la manifestation sarcelloise, le « collectif des habitants de Garges-Sarcelles » décide d'organiser une manifestation en « soutien au peuple de Palestine », et commence à en parler sur les réseaux sociaux. 

Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur.Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur. © YS / MP

Dès le lendemain, le bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA) publie sur son site un communiqué en vue de faire interdire la manifestation. « Le BNVCA rappelle que les villes de Garges et Sarcelles sont la vitrine de la communauté juive de France, plusieurs agressions et attentats y ont été commis au nom du soutien aux Palestiniens. Les juifs sarcellois les commerçants (sic) attendent des représentants de l'Etat une attitude ferme. BNVCA considère que la liberté publique de manifester ne peut et ne doit exercer (sic) au détriment des droits et des Libertés des citoyens juifs. Au nom de tous ses requérants de tout l'hexagone le BNVCA demande au Ministre de l'Intérieur de prescrire aux Préfets d'interdire tout rassemblement à risque. » 

L'information se propage rapidement. Le site juif alliancefr.com publie le 16 juillet un billet intitulé « Alerte manifestation antisémite à Sarcelles », dans lequel il indique tout faire « avec le BNVCA et le préfét afin que cette manifestation anti-juifs et anti-israélienne n'ait pas lieu ». 

En parallèle, la Ligue de défense juive, groupe radical non enregistré en tant qu'association (lire ici notre article), annonce sur son site l'organisation d'une manifestation pro-israélienne au même endroit et à la même heure. Le 18 juillet, le maire de Sarcelles, François Pupponi annonce dans un communiqué l'interdiction de la manifestation : « Le risque avéré de trouble à l'ordre public que pourrait représenter cette manifestation ainsi que les réactions qu'elle pourrait engendrer, m'ont encouragé, conformément aux directives du ministre de l'Intérieur, à interdire tout rassemblement dimanche en lien avec le conflit au Proche-Orient », écrit-il. Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, justifie l'interdiction de la manifestation par les risques de troubles à l'ordre public. Ce dernier expliquera le lendemain sur BFM que sur l'un des abribus, situé près de la gare de RER Garges-Sarcelles, se trouve le message suivant : « Venez équipés de mortiers, d'extincteurs, de matraques, dimanche 20 juillet 2014. Venez nombreux, descente au quartier juif de Sarcelles. »

D'autres manifestations organisées le samedi 19 juillet à Lille, Nantes, Lyon, Saint-Étienne, Marseille, Montpellier et Toulouse sont maintenues. Les rassemblements à Paris (Barbès) et Nice sont interdits. A posteriori, le collectif des habitants de Garges-Sarcelles affirme avoir décidé d'annuler la manifestation, mais sur les réseaux sociaux, et jusqu'à la veille de l'événement, des membres du collectif invitent, malgré l'interdiction, à se rassembler.

Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur.Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur. © YS / MP

 

Le dimanche 20 juillet, au lendemain des heurts à Barbès, la manifestation a bien lieu. Quelques centaines d'habitants (500 selon la préfecture) de Sarcelles et des environs se rassemblent à 15 heures devant le quai de la gare Garges-Sarcelles.

Un porte-parole du collectif des habitants, Nabil Koskossi, intervient pour rappeler l'interdiction de la manifestation :  « La manifestation a été annulée, comme vous le savez tous (…) on est ici, à la base, par rapport à une initiative de paix, de soutien au peuple palestinien mais aussi à Israël, on veut qu'il y ait la paix dans les deux États. À Sarcelles, on a toujours bien vécu dans la mixité, on n'a jamais eu aucun problème avec nos frères juifs. »

Impression d'écran d'un reportage d'iTélé sur YoutubeImpression d'écran d'un reportage d'iTélé sur Youtube © DM

Pendant ce temps, sur l'avenue Paul Valéry où se situe la grande synagogue, la tension est palpable. Plusieurs camions de CRS bloquent l'entrée du quartier. Sur la rue Charles Péguy qui jouxte l'imposant édifice religieux, certains croient apercevoir des manifestants ou ce qui s'apparente à des informateurs, en voiture. Ce qui suffit à échauffer les esprits des juifs présents sur place : « Une voiture a longé la rue le long de la synagogue, raconte un des commerçants du quartier, elle s'est pris 2, 3 coups de casque de moto. » Peu après, c'est la voiture d'un chaldéen, un chrétien d'Orient, qui est amochée. « Le type s'est garé en haut de la rue et a dû se justifier ; quand ils ont compris qui il était, ils ont trouvé un arrangement. » La situation devient vite incontrôlable. Sous les yeux de la police, une voiture est violemment prise à partie. La vidéo qui suit, filmée depuis le balcon d'une des tours adjacentes, témoigne de la brutalité de ceux qui disent assurer la protection de la synagogue.


© Asma

À 15h45, les manifestants se trouvent toujours à l'opposé du centre-ville, aux abords de la station Garges-Sarcelles. Les organisateurs de la manifestation racontent ce qui, selon eux, a fait basculer la situation : « Tout se passait bien jusqu'à la réception de SMS par les manifestants leur expliquant qu'une manifestation pro-israélienne était autorisée devant la synagogue et que des membres de la LDJ s'y trouvaient. » Soudain, une partie des manifestants (200 selon la préfecture) met le cap vers la grande synagogue en faisant un détour par le marché.

Les journalistes de l'AFP sur place racontent « qu'une partie des jeunes manifestants se sont engouffrés dans la ville, vers des positions de CRS, renversant des poubelles et allumant pétards et fumigènes». C'est l'engrenage. 


Les manifestants près de la gare RER de Garges-Sarcelles.Les manifestants près de la gare RER de Garges-Sarcelles.

La pharmacie tenue par une femme juive sur la place des Flanades est en flammes et le feu menace d'emporter les habitations juste au-dessus. Une épicerie casher est détruite. Puis tout y passe : les rails du tramway, une boutique de téléphonie, une banque, les pompes funèbres. « Il faut bien distinguer les trois phases de la manifestation, explique le préfet du Val d'Oise, Jean-Luc Nevache. Le début, jusqu'à 15h45, est pacifique. Ensuite, après la dispersion, une frange des manifestants se dirige vers la synagogue en passant par l'arrière de l'avenue Paul-Valéry. Enfin, les multiples dégradations causées par des casseurs : le premier magasin est attaqué à 17h54 », tient à préciser le préfet.

Face aux forces de police qui barrent l'entrée de la synagogue, c'est l'affrontement. Les balles en caoutchouc et grenades lacrymogènes des policiers contre les pierres et cocktails Molotov des plus radicaux, masqués pour la plupart. Difficile de dire si ce sont des habitants de Sarcelles ou des éléments extérieurs, venus pour en découdre avec les autorités.

© Carpe Diem

Aux abords de la synagogue, dans le quartier juif, plusieurs habitants sont armés.Aux abords de la synagogue, dans le quartier juif, plusieurs habitants sont armés. © DM

Sur l'avenue Paul-Valéry, les forces de l'ordre paraissent débordées. Yohan affirme être responsable de la LDJ à Sarcelles. Patron d'une entreprise de sécurité, il dit accompagner de temps en temps le service d'ordre de la synagogue ou être présent lors de manifestations religieuses, comme en juin dernier où il affirme avoir mis « certains de ses vigiles à contribution pour défendre la communauté »« Moi, en tant que juif », affirme-t-il, « je n'ai aucune animosité envers les musulmans, mais ces derniers temps, on s'est réveillé parce qu'on a senti un dangerOn a repris les entraînements dans un lieu clandestin pour être prêts à se défendre. » Le jour de la manifestation, Yohan raconte avoir reçu l'autorisation, et même la recommandation, de « s'armer », lui et d'autres membres venus pour assurer la protection de la synagogue, ce que dément formellement la préfecture. 

« La police a très bien fait son boulot, mais ils étaient en sous-effectifs. Des policiers nous ont laissé prendre des matraques, des bombes lacrymos ou des battes de baseball pour protéger la synagogue. Ça m'a choqué, j'avais l'impression de ne plus être en France, je me suis dit, merde, on n'est plus protégés », poursuit Yohan. Devant le lieu de culte, ils sont quelques dizaines, armés de bâtons, extincteurs ou bombes lacrymogènes, secondés par des membres du Betar et de la LDJ Paris. À ce sujet, le maire de la ville déclare ne pas cautionner la présence de « milices », tout en affirmant « comprendre que des jeunes de la communauté veuillent défendre la synagogue »

Face à eux, une masse se rapproche aux cris d'« Israël assassin, Israël assassin ». Ceux qui protègent la synagogue entonnent une Marseillaise, « pour bien montrer qu'on est avant tout français, pour que la France nous protège », raconte Yohan de la LDJ. Dans la vidéo suivante, prise derrière les pro-Israéliens, on distingue plusieurs personnes, munies notamment de barres de fer.

Les scènes de guérilla urbaine se poursuivent jusque vers 19 heures. Plusieurs policiers et gendarmes sont blessés. Immédiatement après, 18 interpellations ont lieu, dont celles de quatre mineurs. La moitié des personnes arrêtées viennent de Sarcelles et des communes voisines. Les comparutions immédiates aboutissent pour quatre d'entre elles à de la prison ferme pour cause de « violences sur personne dépositaire de l'autorité publique » et « port d'arme ». Trois personnes ont été interpellées par les forces de police jeudi 24 juillet ; cinq autres personnes le mardi 29 juillet, selon la préfecture du Val d'Oise. 

Une plainte contre X a également été déposée par une habitante. Mediapart a pu la consulter. La jeune femme raconte avoir été « violemment poussée » et être « tombée sur le sol » alors qu'elle était en train de filmer un groupement s'apparentant à des membres de la LDJ. « Un homme, âgé de 30-35 ans, et d'assez forte corpulence, vêtu d'un blouson et d'un brassard sur lequel était mentionné “SÉCURITÉ”, s'est dirigé vers moi. (…) Il s'est alors adressé à moi en me disant : “T'as pas à filmer, t'as pas à prendre des photos, je vais te casser ton téléphone, tu dégages d'ici, tu pars d'ici, qu'on te voie plus ici ou sinon tu vas te faire violer ; t'as rien à faire ici ; tu les vois bien, ils sont tous armés, ils vont venir sur toi, alors dégage d'ici.” (…) Je lui ai dit aussi que j'allais le prendre en photo pour déposer plainte contre lui, mais il m'a répondu : “Tu peux porter plainte où tu veux, tu peux aller voir qui tu veux, ni l'État ni personne ne nous arrêtera.” », précise-t-elle dans le procès verbal.    

Le lendemain des dégradations, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, en visite à Sarcelles, dénonce « des actes antisémites ». « Quand on s'approche d'une synagogue, qu'on brûle une épicerie parce qu'elle est tenue par un juif, on commet un acte antisémite », déclare-t-il face aux journalistes venus en nombre. « Un tel déferlement de haine et de violence, c'est du jamais-vu à Sarcelles. Ce matin, les gens sont abasourdis et la communauté juive a peur », affirme le maire, présent aux côtés du ministre.

Puis, les déclarations politiques s'enchaînent. Au tour de Luc Chatel, secrétaire général intérimaire de l'UMP, de condamner les dégradations : « Les violences qui ont eu lieu en marge de la manifestation interdite à Paris, ou à Sarcelles, sont intolérables, injustifiables, incompréhensibles pour nos compatriotes. » Le candidat à la présidence de l'UMP, Bruno Le Maire affirme, lui, ne pas confondre « la petite bande de voyous excités, radicalisés, extrémistes, antisémites, qui se sont livrés à des actes intolérables sur le territoire français à Paris ou à Sarcelles avec l'immense majorité de la communauté musulmane qui est touchée, blessée par ce qui se passe aujourd'hui à Gaza et qui l'exprime, mais qui l'exprime sereinement, tranquillement »,ajoutant que l'interdiction de manifester n'était « pas une bonne idée ».

Le collectif des habitants de Garges-Sarcelles est furieux : « Les médias et les politiques ont récupéré l'affaire, en opérant un discours quasi-similaire, calqué sur les communiqués de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme –Ndlr) et de l'UEJF (Union des étudiants juifs de France – Ndlr) et en donnant des informations à peine vérifiées. En stigmatisant aussi une partie de la ville et en victimisant une autre. » 

Arié Alimi est avocat, juif, il a grandi à Sarcelles et revient régulièrement voir sa famille qui y demeure. Comme il l'écrit dans un billet de blog publié sur Mediapart, il a défendu deux des Sarcellois en comparution immédiate, deux jours après la manifestation du 20 juillet. Pour lui, il ne s'agit pas « d'émeutes antisémistes au sens propre du terme mais d'actes antisémistes en débordement de la manifestation. À Sarcelles, certains cherchent la confrontation, mais il n’y a de confrontation que s’il y a quelque chose en face. Il y a la volonté de se frotter à une autorité quelconque. Les jeunes ont envie de se sentir mecs, virils et, après seulement, vient l’appartenance communautaire ». Ce dernier s'inquiète néanmoins d'une tension naissante entre les différents quartiers de la ville :   « Ce qui s’est passé le week-end dernier, il y a dix ans ça ne se serait pas passé. Là, chacun voulait en découdre. Mais le plus choquant, c’est le manque d’anticipation des forces de police. »

La police municipale sur la place des Flanades, avec, à droite, la pharmacie brûlée.La police municipale sur la place des Flanades, avec, à droite, la pharmacie brûlée. © Yannick Sanchez

 

Nessim (le prénom a été changé), 21 ans, a participé à la manifestation. Il prône le recours à la violence, mais selon lui, cela n'a rien à voir avec l'antisémitisme : « C'est plusieurs petits facteurs qui ont fait que ça dégénère. Déjà, il y a l'interdiction de la manifestation, on devrait tous avoir le droit de manifester. Ensuite, il y a les propos racistes de la LDJ. Il y a une maman qui m'a dit que les policiers disaient aux juifs de s'armer, c'est une guerre inégale. Et puis après, il y a les gens qui ont voulu en profiter pour foutre le bordel. C'est vrai qu'on a jeté des pierres et des bouteilles, mais s'ils ne comprennent que la violence… Au moins ça a fait réfléchir, le ministre est venu, les médias aussi. »

Une semaine jour pour jour après les événements, les terrasses des cafés ont retrouvé leur clientèle et les aires de jeu résonnent des cris des enfants. Les véhicules de CRS encerclent toujours la synagogue. Sur le marché, les vendeurs dénoncent unanimement la mauvaise publicité pour la ville de Sarcelles. « On n'a quasiment pas vu de juifs au marché aujourd'hui », déclare un vendeur ivoirien. « En ce moment je pense que c'est dur pour eux », ajoute son voisin qui déplore la tournure des événements. 

Le long de l'avenue Paul-Valéry.Le long de l'avenue Paul-Valéry. © Yannick Sanchez

 

De l'autre côté de la ville, pour atteindre le quartier de “la petite Jérusalem”, il faut passer devant un car et quatre camions de CRS. Les contrôles d'identité sont fréquents et tout reporter se voit interdire de prendre en photo les édifices religieux.

Chez les commerçants, l'inquiétude se lit sur les visages. « On ne veut plus en parler, l'incident est clos », affirme un serveur. Un peu plus loin, des jeunes acceptent de témoigner. « La différence, aujourd'hui, c'est que je cache ma kippa dans ma casquette », répond l'un d'entre eux. « Moi je vais me faire pousser la barbe », assure un de ses amis. L'employé d'un des commerces situé en face de la grande synagogue montre des photos qu'il a prises de la manifestation. On y voit des gens armés, certains portant des brassards de la Ligue de défense juive. Lui-même affirme être prêt à se défendre. En cas d'attaque, il assure avoir un pistolet dont une photo traîne d'ailleurs sur son smartphone, « au cas où, si ça devait mal tourner ».  

Y aura-t-il un avant et un après 20 juillet à Sarcelles ? C'est le cas pour la LDJ. « Ici, on était une vingtaine, déclare Yohan. On est maintenant quarante. On a aussi obtenu des dons financiers, ça va nous permettre d'acheter des tatamis et des équipements pour les entraînements. »

BOITE NOIREChaque personne mentionnée dans cet article (à part Nabil Koskossy, l'un des porte-paroles du collectif des habitants de Garges-Sarcelles) a fait l'objet d'une interview entre le 24 et le 30 juillet, sur place ou au téléphone. Le maire de Sarcelles, François Pupponi ne nous a pas recontacté, tel que convenu après une première interview, pour nous fournir les photographies ayant mené à l'interdiction de la manifestation. Plusieurs personnes ont souhaité rester anonyme.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Ecoutes Sarkozy : la preuve était dans le peignoir de Me Herzog

$
0
0

Pour l'année du centenaire de la naissance de Louis de Funès, dont son client raffole, l’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, a offert aux « bâtards de juges » une scène digne du Grand Restaurant, qui fait encore rire au pôle financier du palais de justice de Paris ou dans les couloirs de l’Office central de lutte contre la corruption, à Nanterre.

Les faits remontent au 4 mars et ils en disent long sur le sentiment d’impunité du célèbre pénaliste parisien, ami et défenseur acharné de l’ancien président de la République – ils sont aujourd’hui tous les deux mis en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » dans l’affaire Azibert.

Me Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy.Me Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy. © Reuters

Ce 4 mars, une escouade de policiers débarque dans les bureaux et au domicile de Me Herzog, à Paris et à Nice. Ils sont chargés d’exécuter les actes d’instruction des juges Patricia Simon et Claire Thépaut, qui enquêtent sur les liens troubles de Nicolas Sarkozy et de son avocat avec le haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert. L’ex-chef de l’État et son conseil sont soupçonnés d’avoir promis au magistrat de l’aider à obtenir un poste sous le soleil de Monaco, en échange d’informations confidentielles et d’influences diverses sur des procédures en cours à la Cour de cassation, en marge de l’affaire Bettencourt.

Les soupçons sont nés d’écoutes judiciaires réalisées par d’autres juges dans l’affaire des financements libyens et, au vu de la gravité des faits découverts, ont donné lieu en février à l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet national financier. Les surveillances téléphoniques de Nicolas Sarkozy avaient notamment permis de découvrir que l’ancien président avait acquis, sous la fausse identité de “Paul Bismuth”, un second téléphone portable pour discuter secrètement avec son avocat des dossiers sensibles, les deux hommes ayant appris grâce à une fuite illégale qu’ils étaient écoutés par les juges sur leurs lignes officielles.

Thierry Herzog était si sûr de sa stratégie téléphonique, digne d'un épisode de The Wire, que ce 4 mars, quand un enquêteur lui demande en pleine perquisition combien de téléphones il possède, il répond sans ciller : « Un seul. » L’enquêteur se permet d’insister, lui demandant s’il est vraiment certain de n’utiliser qu’une seule ligne. L’avocat est formel. Oui, une seule. C’est alors qu’un enquêteur tape le numéro de son téléphone secret, qu’il utilise avec “Paul Bismuth”, pensant ainsi tromper la vigilance des policiers. Une sonnerie retentit alors à quelques mètres de là. Le téléphone était caché dans un peignoir de l’avocat, suspendu dans sa salle de bains.

Gros moment de gêne pour le défenseur de Nicolas Sarkozy et victoire pour les policiers et les juges, qui tenaient là la preuve matérielle définitive de l'appartenance de l'un des téléphones secrets à l’avocat de l’ancien président et, dans le même temps, celle de son mensonge éhonté devant eux.

Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog avaient réellement tout à craindre de leurs téléphones. Comme Mediapart et Le Monde l’ont rapporté ces dernières semaines, le contenu accablant des écoutes judiciaires réalisées sur les multiples téléphones du duo Sarkozy/Herzog a en effet révélé l’existence d’un système organisé, s’appuyant sur plusieurs “taupes” dans l’appareil d’État (justice, police, services secrets…), pour tenter d’entraver le travail de la justice dans plusieurs affaires qui menacent l’ancien président.

Une synthèse de sept écoutes judiciaires réalisées entre les 28 janvier et 11 février sur les vrais-faux mobiles de MM. Sarkozy et Herzog, révélée par Mediapart le 18 mars dernier, montrait déjà l’activisme de « Gilbert » [Gilbert Azibert – ndlr] à la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt, que ce soit pour tenter de convaincre certains collègues de rendre des décisions favorables à l’ancien président ou en faisant suivre à l’avocat de celui-ci des éléments dont il n’aurait jamais dû avoir connaissance.

« Il a bossé, hein ! », se réjouissait par exemple Thierry Herzog, en ligne avec Nicolas Sarkozy, le 29 janvier, à 19 h 25, au sujet dudit Azibert. « Il a eu accès à l’avis qui ne sera jamais publié. Cet avis conclut au retrait de toutes les mentions relatives à tes agendas. Ce qui va faire du boulot à ces bâtards de Bordeaux », ajoutera l’avocat le lendemain, à 20 h 40, en parlant des juges de l’affaire Bettencourt. Une autre écoute du 5 février, à 9 h 42, montrait que le même Azibert avait rendez-vous « avec un des conseillers » en charge de l’affaire Bettencourt à la Cour de cassation « pour bien lui expliquer »

Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierre Herzog. Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierre Herzog. © Reuters

Le même jour, comme le révélera Le Monde, Thierry Herzog annonce à Nicolas Sarkozy que leur “taupe” à la Cour de cassation avait envie de voir du pays. « Il m’a parlé d’un truc sur Monaco, parce qu’il voudrait être nommé au tour extérieur. » « Je l’aiderai », répond Nicolas Sarkozy. « Ben oui, reprend Me Herzog, d’après la discussion reproduite par le quotidien, parce qu’il va y avoir un poste qui se libère au Conseil d’État monégasque (…) Mais simplement, il me dit : “J’ose pas demander”. Ben, je lui ai dit : “Tu rigoles, avec tout ce que tu fais.” » « Non, ben t’inquiète pas, dis-lui. Appelle-le aujourd’hui en disant que je m’en occuperai parce que moi je vais à Monaco et je verrai le prince », assure Nicolas Sarkozy.

Le 24 février, l’ancien président français se montre toujours aussi conciliant pour sa “taupe”. Il assure à Thierry Herzog : « Tu peux lui dire que je vais faire la démarche auprès du ministre d’État demain ou après-demain. » Le 25 février, rebelote : « Tu peux lui dire que je ferai la démarche, puis je t’appellerai pour te dire ce qu’il en est. » Mais surprise, le lendemain, Nicolas Sarkozy assure à son avocat, cette fois sur leurs lignes officielles, qu’il n’a finalement pas osé faire la démarche tant espérée par Gilbert Azibert.

Les enquêteurs nourrissent aujourd’hui les plus gros doutes sur cette conversation dans la mesure où ils avaient déjà découvert, grâce à une écoute du 1er février (à 11 h 46) que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog prenaient un malin plaisir à organiser des conversations Potemkine sur leurs lignes officielles, dans des mises en scène à peine croyables destinées à tromper les juges. Ce jour-là, comme Mediapart l’a déjà rapporté, l’ancien chef de l’État appelle son conseil pour « qu’on ait l’impression d’avoir une conversation », évoquant « les juges qui écoutent ». Ce qu’il n’était, légalement, pas censé savoir.    

Cinq mois plus tard, au terme de quinze heures d’audition en garde à vue, l’ancien chef de l’État français et son avocat ont été présentés aux juges – « ces deux dames », comme Nicolas Sarkozy les qualifiera plus tard à la télévision avec dédain – dans la nuit du 1er au 2 juillet. Une mise en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » leur a été signifiée dans la foulée.

La descente aux enfers judiciaires de Nicolas Sarkozy a eu pour effet immédiat de provoquer, d’une part, une campagne de dénigrement d’une rare violence contre l’une des juges de l’affaire Azibert (au seul prétexte qu’elle était membre du Syndicat de la magistrature…) et, d’autre part, d’accélérer le potentiel retour de l’ancien président sur la scène politique française. Le but ? « Revenir pour mieux se défendre face aux juges », comme l’a écrit, ce 27 juillet, Le Figaro dans un stupéfiant aveu.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

En direct de Mediapart spécial Gaza

$
0
0

Mediapart organise ce jeudi, de 18 heures à 22 heures, une émission en direct de la rédaction autour de la situation à Gaza. Et aussi en mémoire de Jean Jaurès, le jour du centenaire de son assassinat, le 31 juillet 1914 (voir la vidéo ici). 

Gaza : aveuglement israélien, réalité du terrain

Autour de Frédéric Bonnaud et Edwy Plenel, nos journalistes Thomas Cantaloube et Pierre Puchot (de retour d'Israël et de Palestine) et Leila Seurat, chercheuse associée au Ceri, et Mego Terzian, président de Médecins sans frontières (MSF) étaient réunis pour un grand débat portant sur la situation en Israël et en Palestine.


Gaza : à propos de la lettre d'Edwy Plenel à François Hollande


Gaza : les égarements français

Second plateau de notre soirée spéciale, avec un zoom sur la France. Pour la rédaction de Mediapart, Lenaïg Bredoux. Nos invités : Youssef Boussoumah, membre du Parti des indigènes de la République (PIR), l'un des organisateurs des manifestations interdites, Arié Alimi, avocat originaire de Sarcelles (lire son billet de blog sur Mediapart), et Hayatte Maazouza, élue PS à Trappes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live