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Gaza : les deux manifestations en une à Paris

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« Casse-toi avec ta banderole, c’est une manif pour la Palestine ici. Je suis arabe et je vote FN si je veux », vocifère un homme musclé, la quarantaine. Il est en passe d’en venir aux mains avec un vieillard au pied du Monument à la République, dans le centre de Paris. Le vieillard ne comprend pas, cela fait « trente ans » qu’il « milite pour Gaza ». Vite protégé par des jeunes en gilet en jaune, qui assurent le service de sécurité, le militant âgé replie sa banderole réclamant « la dissolution du Front National ». Il part rejoindre ses camarades du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), massés à une dizaine de mètres de là, sous la terrasse Émilienne Moreau-Évrard, une partie légèrement surélevée de la place de la République.

Entre la vingtaine de témoins à proximité, les regards, certains interloqués, d’autres gênés, se croisent. L’incident est clos. Presque infime. Mais d’autres scènes d’incompréhension surviendront entre les manifestants au cours de la journée du 26 juillet, organisée en solidarité pour le peuple palestinien à Gaza et interdite par les autorités.

« Les mesures d’interdiction ont l’objectif de diviser le mouvement, le piège est énorme… Le meilleur moyen est de convoquer une réunion unitaire au plus vite pour continuer à manifester tous ensemble », prévenait Olivier Besancenot, du NPA, à 15 heures, lors du début officiel du rassemblement organisé par une trentaine d’associations, dont le NPA, le mouvement des jeunes Palestiniens, les Indigènes de la République et l’Union juive française pour la paix.

À cette heure-là, les militants du NPA agitent leurs fanions aux côtés d’un groupe informel d’une cinquantaine de personnes qui arborent drapeaux et écharpes aux couleurs de la Palestine. Ils sont présents depuis 14 heures, vite rejoints par des groupes du Mouvement Ensemble (Front de gauche), puis, plus tard, du Boycott désinvestissement sanctions, la campagne appelant à boycotter Israël.

Les militants du NPA.Les militants du NPA. © TSC/MP

Les chants de chaque groupe sont alors confus, entremêlés les uns aux autres. Et l’ambiance reste bon enfant. On entonne « Israël, il est fini le temps des colonies », du côté du NPA, et « Palestine résistance, citoyens résistance », chez les manifestants aux drapeaux. Lancés spontanément, les slogans « Nous sommes tous des Palestiniens » et « Israël assassin, Hollande complice » sont les rares à être repris en chœur par une foule qui ne cesse de croître.

La volonté affichée, qu’elle soit spontanée chez les manifestants ou réclamée par les organisateurs, est d’éviter tout amalgame. « Stop au chantage : l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme », peut-on lire sur une vaste pancarte. « Il faut dire clairement que la plupart des organisateurs et des manifestants sont des sémites aussi. En tant que démocrates, on montre notre désaccord avec le gouvernement d’Israël, mais l’on s’oppose farouchement à toutes les positions qui s’expriment contre le peuple juif », expliquait, le matin, Hedi Chenchabi, l’un des organisateurs.

Au milieu de la foule, un homme, Laurent, arbore un carton « Je boycotte Israël et j’emmerde Alain Soral ». « Je viens pour dénoncer une politique d’apartheid pratiquée par Israël, mais aussi pour couper l’herbe sous le pied de notre gouvernement qui accuse les manifestants d’antisémitisme. À défaut de pouvoir les sortir des manifs, il faut au moins se démarquer clairement de ces gens-là qui créent l’amalgame, et je le fais avec ma pancarte »,dit-il.

À 15h30, « ces gens-là », comme les présente Laurent, grimpent sur la statue de la République et allument des fumigènes aux couleurs de la Palestine. Dix minutes plus tard, ils brûlent un drapeau d’Israël. Un geste qui provoque des sifflets nourris d’une partie de la foule et des applaudissements de l’autre. Désormais plus d’une vingtaine, certains affichent le symbole du mouvement R4bia, proche des Frères musulmans égyptiens, d’autres de « Gaza Firm », un groupe encore mal identifié et mis en cause dans les violences qui ont émaillé la manifestation interdite à Barbès, il y a une semaine.

Ultraminoritaires, ils accaparent pourtant l’attention sur eux. La foule, qui était jusque-là animée par les militants traditionnels de la terrasse Évrard-Moreau, leur tourne désormais le dos pour regarder vers les hommes crapahutant sur la statue de la République. Leurs agissements divisent.

« Non, non, non, c’est honteux ! » crie une jeune femme, vite appuyée par son groupe d’amis. « Là-bas, eux brûlent nos enfants, ici, c’est juste un drapeau, c’est rien ! » lui rétorque une autre, avant que le ton ne monte. Plusieurs scènes du même type se reproduisent tout autour de la statue. 

Durant l'après-midi, ces manifestants brûlent deux drapeaux israéliens, sous les sifflets d'une partie de la foule.Durant l'après-midi, ces manifestants brûlent deux drapeaux israéliens, sous les sifflets d'une partie de la foule. © TSC/MP

À quelques mètres de là, Serge, un juif déjà présent mercredi lors de la dernière manifestation, fraternise avec des femmes voilées. Sa pancarte « Je suis juif et j’emmerde le CRIF » fait un tabac chez les jeunes, politisés ou non, qui veulent tous poser pour un selfie avec lui. Les plus âgés, souvent des femmes, lui disent simplement merci. Il relativise la scène : « Brûler un drapeau en temps de guerre, ce n’est pas si grave, j’ai déjà fait pareil à l’époque du Viet-Nam. Ce n’est pas un conflit religieux. »

© TSC/MP

Jusqu’à 16 h 30, dans cette manifestation présentée à hauts risques, c’est un calme relatif qui domine. Des manifestants parviennent enfin à ramener deux énormes enceintes sur la place. La police aurait empêché les organisateurs de faire de même en début de rassemblement. Au micro, des membres du Collectif Cheikh Yassine, un mouvement ouvertement pro-Hamas qui ne fait pas partie des organisateurs, demandent à la foule de s’asseoir. Ils tiennent le porte-voix le plus bruyant de toute la place. « C’était pas tout à fait prévu ça… », soupire un militant NPA.

Cela fait déjà plusieurs dizaines de minutes que les drapeaux des partis de la gauche radicale se font rares. De nombreux manifestants quittent alors le cortège. Parmi eux, Laurent, pancarte anti-Soral baissée : « Je cherche mes potes, j’ai failli me faire tabasser plusieurs fois par des gros bras… »

Il est bientôt 17 heures. Alors qu’une partie de la foule restante est assise à terre et écoute les nouveaux maîtres de la manifestation, quelques individus jettent des projectiles sur les CRS, rue du Faubourg du Temple. Les hommes du service d’ordre, reconnaissables à leur gilet jaune, se massent devant les policiers pour contenir un immense mouvement de foule.

Leur déploiement en cordon et leurs appels au calme sont efficaces pour éviter l’affrontement, mais pas assez pour annihiler les incidents. Jusqu’à 18h30, les CRS ripostent aux projectiles par des grenades lacrymogènes – bouteilles d’eau, canettes, cailloux, barres de fer – qu’ils reçoivent en masse, principalement à l’entrée de la rue du Faubourg du Temple et de l'avenue de la République.

Le service d'ordre s'interpose entre manifestants et CRS, avant les incidents.Le service d'ordre s'interpose entre manifestants et CRS, avant les incidents. © TSC/MP

« C’est la mentalité parisienne, quoi qu’ils fassent : interdire ou autoriser, ça partira en couille. Tu sais pourquoi ? C’est trop de frustration accumulée. Moi je la retiens, mais ces petits cons qui font n’importent quoi, non. Nous les noirs et les arabes des cités, on se sent comme des citoyens de seconde zone. Maintenant qu’on a envie de prendre la parole, on nous l’enlève », explique J.-P., un Antillais, habitant à Vitry, contemplant, médusé, avec son ami Samir, le début des échauffourées. Les deux trentenaires mettent en cause la politique du gouvernement, vécue comme une injustice.

« Demain, il y a une manifestation demandée par la Ligue de défense juive. Et là, elle est autorisée. Franchement, c’est normal ? Moi je les trouve nuls les sketches de Dieudonné, mais à force d’être interdit, comme lui, je finis par m’y intéresser. Le système m’y oblige… », poursuit-il.

Après une heure et demie de provocations de certains manifestants et de charges contenues des CRS, dans lesquelles un abribus, quelques poubelles ont été détruites, ainsi qu’un manifestant blessé, et un journaliste d’i-Télé agressé, rapporte l’AFP, les forces de police commencent l’évacuation de la place. Ils restent alors entre 500 et 1 000 personnes dans le périmètre entièrement bouclé. Seuls les femmes, les enfants et les touristes étaient autorisés à traverser les barrages policiers, les autres devant partir via la station de métro.

La configuration aérée de la place, bien différente de « la souricière policière » de Barbès décrite samedi 19 juillet, et les appels au calme des 80 membres du service d’ordre permettent d’évacuer les derniers manifestants à 19 h 30, dans une grande tension mais sans heurts majeurs. Plus de 70 manifestants ont été interpellés au cours des échauffourées aux dégâts matériels limités. Branchée sur courant alternatif toute la journée, la manifestation est définitivement terminée.

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Sarkozy au Congo : les dessous d'une conférence embarrassante

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Où a-t-il encore mis les pieds ? Avant un possible retour politique à la rentrée en France, c’est chez le très controversé président congolais Denis Sassou Nguesso que Nicolas Sarkozy a fait cette semaine un discret et très rémunérateur aller-retour, comme plusieurs médias s'en sont fait l'écho ces dernières 48 heures. L’ancien chef de l’État s’est en effet rendu, vendredi 25 juillet, au Congo-Brazzaville, pour une intervention au Forum économique Forbes, organisé par le magazine Forbes Afrique, en présence de Sassou Nguesso.

D'après un organisateur, qui s'est confié à Mediapart sous le couvert de l'anonymat, Nicolas Sarkozy a été directement rémunéré par Forbes – certains avancent la somme de 100 000 euros –, dont le président-fondateur, l'homme d'affaires Lucien Ebata, est un proche du président congolais.

Nicolas Sarkozy accueilli au forum par Lucien Ebaba, le 25 juillet 2014.Nicolas Sarkozy accueilli au forum par Lucien Ebaba, le 25 juillet 2014. © Bernardin Dondos / Mediapart

Mais la présence d'un autre personnage-clé dans la galaxie de Forbes Afrique pourrait s'avérer embarrassante pour Nicolas Sarkozy, déjà empêtré dans de nombreuses affaires financières en France. Selon plusieurs documents judiciaires obtenus par Mediapart, le directeur de la société propriétaire du magazine, F. Afrique Medias Holding SA, domiciliée en Suisse, est aujourd'hui suspecté par la police française d'être un homme de paille du clan Sassou dans plusieurs opérations de corruption et de détournements de fonds pouvant atteindre 60 millions d'euros. L'homme s'appelle Philippe Chironi. C'est un Français, établi à Nyon, en Suisse. 

La venue au Congo de Nicolas Sarkozy, présenté comme l’invité vedette de cette troisième édition, a été tenue secrète jusqu’au dernier moment par Forbes. Arrivé vendredi midi, l’ancien président de la République a répondu pendant vingt minutes aux questions de la journaliste de TV5 Monde, Denise Epoté, sur l'estrade d'une salle de conférences dépendant du ministère des affaires étrangères congolais. L’équipe de Nicolas Sarkozy avait expressément demandé que cette intervention ne soit pas filmée. La consigne a été rappelée aux journalistes par les organisateurs.

Sassou Nguesso écoutant l'intervention de Nicolas Sarkozy, le 25 juuillet.Sassou Nguesso écoutant l'intervention de Nicolas Sarkozy, le 25 juuillet. © Bernardin Dondos / Mediapart

Entre deux allusions à sa candidature à la présidence de l'UMP – « Parler en public, ça me donne des idées… », a-t-il lâché en conclusion –, l’ex-président français a salué son « ami » Sassou Nguesso, qui l’écoutait, assis sur un trône aux côtés d’autres chefs d’État africains. Une adresse « amicale » et « chaleureuse », d'après plusieurs témoins. Il a ensuite participé au dîner de gala à la table du président congolais et de ses homologues du Niger, du Gabon et de Guinée.

Nicolas Sarkozy dînant à la table de Sassou Nguesso, le 25 juillet.Nicolas Sarkozy dînant à la table de Sassou Nguesso, le 25 juillet. © Bernardin Dondos / Mediapart

Le fait que Sassou Nguesso soit visé par plusieurs enquêtes judiciaires en France, dans l’affaire dite « des disparus du Beach » et celle des « Biens mal acquis », n’a pas empêché Nicolas Sarkozy de s’afficher à ses côtés. À 70 ans, dont 35 passés à la tête de ce pays pétrolier d’Afrique centrale, l’autocrate Sassou Nguesso continue de cultiver d'impressionnants réseaux politiques et d'affaires en France, à droite comme à gauche. Forbes Afrique, déclinaison africaine francophone du célèbre magazine américain, apparaît incontestablement comme l'un de ses nouveaux leviers d'influence.

Derrière Forbes Afrique, on trouve donc un homme d’affaires congolais proche du pouvoir : Lucien Ebata, patron du groupe pétrolier Orion Oil. Mais le fondateur et PDG de Forbes Afrique n'est pas le seul à entretenir des liens étroits avec Sassou Nguesso. Entre Forbes et Sassou, les connections sont nombreuses, notamment par l'entremise de Philippe Chironi.

La consultation du registre du commerce et des sociétés suisse ne laisse d'ailleurs aucun doute sur les liens entre Lucien Ebata, qui a invité Nicolas Sarkozy au Congo, et Philippe Chironi, que ce soit dans le domaine pétrolier ou dans celui des médias, avec Forbes Afrique. Philippe Chironi ne souhaite actuellement faire aucun commentaire tant que des procédures judiciaires sont en cours. Il faut dire que les découvertes, depuis un an, de la police parisienne, en marge de l'affaire des « Biens mal acquis », qui vise le patrimoine faramineux en France de plusieurs dignitaires africains (dont Sassou Nguesso), ont de quoi le gêner.

Dans un procès-verbal du 19 juin 2013, un commandant de police de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dresse un état des lieux accablant de ses activités financières : « M. Chironi a ouvert plusieurs comptes bancaires auprès d'établissements financiers (…) au nom de sociétés qui ont leur siège en territoire offshore (Maurice, Seychelles, Iles Marshall, Hong Kong…). Des transactions pour plusieurs millions d'euros ont été effectuées – 60 millions d'euros – dont l'origine pourrait être illicite. Ces fonds pourraient en effet provenir de délits de corruption commis en Afrique, Congo-Brazzaville plus précisément. »

Or, d'après les constatations de la police et de Tracfin, le service de renseignement du ministère des finances, une bonne partie de cet argent, évaporé des caisses de l'État congolais, s'est retrouvée ensuite sur les comptes de plusieurs membres du clan Sassou, après avoir transité par les sociétés-taxis de M. Chironi ou directement par son intermédiaire.

Parmi les bénéficiaires identifiés par l'enquête, on peut citer Antoinette Sassou Nguesso, la femme du président congolais, Julienne Olga Johnson, sa fille, Guy Johnson, son gendre, André Okombi Salissa, un ancien ministre congolais, ou Jean-Jacques Bouya, le délégué général aux grands travaux (d'où les 60 millions ont été transférés)…

Une partie des sommes a servi à l'achat par la famille Sassou Nguesso d'au moins 7,7 millions d'euros de montres, bijoux, costumes, chemises dans des boutiques de luxe à Paris, comme Mediapart l'a déjà raconté. Pendant ce temps, le Congo, lui, continue de faire partie des « pays pauvres très endettés » (PPTE) référencés par la Banque mondiale. Près de la moitié de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté ; l’accès à l’eau potable ou à l’électricité demeure encore difficile ; le taux de chômage national dépasse les 30 % et un quart des enfants congolais de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique.

Une précédente édition du Forum économique Forbes, en 2013, avait été financée par Orion Oil et la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont le conseiller juridique, Sylvain Lekaka, “parent” de Sassou, selon La Lettre du Continent, préside le conseil d'administration de Forbes Afrique.

Nicolas Sarkozy sur la scène du forum Forbes avec la journaliste de TV5 Monde Afrique, Denise Epoté.Nicolas Sarkozy sur la scène du forum Forbes avec la journaliste de TV5 Monde Afrique, Denise Epoté. © Bernardin Dondos / Mediapart

Sassou Nguesso et Lucien Ebata sont des familiers de plusieurs personnalités politiques françaises. L’année dernière, lorsque Nicolas Sarkozy avait décliné son invitation au forum, Ebata avait convié Jean-François Copé. L'ancien président de l'UMP avait lui aussi été rémunéré pour son intervention (30 000 euros, selon Le Journal du Dimanche). Dans le même temps, l'ancienne ministre UMP Rachida Dati avait été reçue très chaleureusement par Sassou Nguesso. Au point que des sites africains s’étaient interrogés sur l’objet des visites des responsables UMP (lire notre article).

Face à la polémique suscitée au Congo par le coût démesuré de la conférence, Lucien Ebata avait dû venir s'expliquer en catastrophe sur la télévision nationale, TV-Congo. Il avait assuré, en dépit des informations déjà confirmées, que les intervenants étaient venus à titre gratuit et que l'État n'avait pas déboursé un centime.

Deux ans plus tôt, ce sont les anciens premiers ministres chiraquiens Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin qui étaient présents au lancement de Forbes Afrique. Comme Copé, ils avaient fait le déplacement dans un avion de 50 places, spécialement affrété depuis Paris. Chaque année, les invités sont hebergés dans des hôtels cinq étoiles de la capitale.

Nicolas Sarkozy avec Sassou Nguesso au forum Forbes, le 25 juillet.Nicolas Sarkozy avec Sassou Nguesso au forum Forbes, le 25 juillet. © Bernardin Dondos / Mediapart

En se rendant à cette conférence, Nicolas Sarkozy a en tout cas participé à l'opération de promotion de Sassou Nguesso. Le forum comme la revue sont à la gloire du président congolais et visent à améliorer son image sur la scène internationale. « Forbes Afrique ou Forbes Sassou ? » s’interrogeait d'ailleurs, le 30 août 2012, La Lettre du Continent, publication spécialisée dans les questions africaines. Dès son premier numéro, Forbes Afrique lui a consacré un dossier de six pages – modestement intitulé « Congo-Brazzaville : l'aube nouvelle ». On pouvait y lire que, depuis son retour au pouvoir en 1997, Sassou Nguesso « a travaillé essentiellement à redonner l'espoir de vivre à ses quelque 3 millions et demi de compatriotes ».

Dans ce même numéro, figurait aussi un portrait de Vincent Bolloré. L'homme d'affaires français, qui contrôle l'agence publicitaire Havas, organisatrice du forum Forbes, est bien établi au Congo. En 2009, il a remporté la concession du terminal à conteneurs de Pointe-Noire. Selon l'homme d'affaires franco-espagnol Jacques Dupuydauby, Nicolas Sarkozy aurait alors fait pression sur le président Sassou Nguesso, qui avait pesé de tout son poids pour que Bolloré, concurrencé par Dubaï Ports, l'emporte. Ce qu'avait démenti à Mediapart l'industriel français, en affirmant l'avoir obtenu « en toute légalité ».

BOITE NOIRESollicitée à plusieurs reprises, Véronique Waché, la conseillère presse de Nicolas Sarkozy, n'a pas retourné nos appels. Contacté par mail, Lucien Ebata n'a pas répondu à nos questions.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : 65 choses sur la surveillance par la NSA que nous savons maintenant mais que nous ignorions il y a un an

L'Assemblée a rémunéré 52 épouses, 28 fils et 32 filles de députés en 2014

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La plupart des députés assument, bravaches. D'autres bafouillent au téléphone. D'après une enquête de Mediapart, en 2014, au moins 115 députés (sur 577) ont salarié un membre de leur famille, en CDD ou CDI, sur un temps plein ou partiel. Huit élus sont même allés jusqu'à rémunérer deux de leurs proches.

« C'est la chasse aux sorcières ou quoi ? s'étrangle Franck Gilard (UMP), quand on l'interroge sur le CDD de trois mois accordé à son fils. Avec ces histoires de transparence, tout le monde nous pisse sur les godasses ! » Le président de l'Assemblée nationale lui-même, Claude Bartolone (PS) fait travailler sa femme depuis 2012 (« Je n'ai pas embauché ma femme, j'ai épousé ma collaboratrice ! » ressasse-t-il).

Le président de l'Assemblée Claude Bartolone et son épouse, chargée de mission à son cabinet.Le président de l'Assemblée Claude Bartolone et son épouse, chargée de mission à son cabinet. © Reuters

Jusqu'ici, l'identité des assistants parlementaires, ces “petites mains” employées sur fonds publics par les 925 sénateurs et députés, était jalousement gardée au secret. Mais leurs noms sont apparus pour la première fois dans les « déclarations d'intérêts » des élus, mises en lignes le 24 juillet par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée de prévenir les conflits d'intérêts.

La plupart des députés n'y mentionnent pas le lien familial les unissant à tel ou tel collaborateur, mais en croisant ce “trombinoscope” inédit avec des informations récoltées ces dernières semaines dans les couloirs de l'Assemblée, Mediapart a pu reconstituer une liste relativement complète des députés signant des contrats en famille.

Ainsi, alors que le Parlement européen prohibe l'embauche de proches pour éviter tout emploi fictif ou de complaisance (conjoints, parents, enfants, frères et sœurs) depuis 2009, la pratique touche au moins 20 % de l'hémicycle en France.

À l'Assemblée, la seule règle supposée prévenir les abus touche au salaire : pour un proche, il est plafonné à 4 750 euros brut par mois (voir ici notre précédente enquête sur le Sénat, un peu plus strict en la matière). Sinon, un député peut choisir librement son équipe et “distribuer” jusqu'à 9 504 euros mensuels de façon discrétionnaire entre ses divers collaborateurs.

Aucun contrôle n'a jamais été effectué, par exemple, sur les emplois offerts à leurs épouses par Jean-François Copé ou Bruno Le Maire, dont Mediapart a révélé l'existence (le contrat de Pauline Le Maire a finalement été interrompu en septembre 2013). Quelle plus-value cette psychologue pour enfants et cette artiste-peintre ont-elles précisément apporté au travail parlementaire ?

Alors certes, les députés ont raison de rappeler que des dizaines de conjoint(e)s ou d'enfants effectuent des tâches bien réelles, à Paris comme dans les permanences de circonscription. Certains de leurs arguments sonnent effectivement sincères, comme le besoin de recruter une personne de confiance ou de préserver un lien conjugal, souvent malmené par une vie politique chronophage.

« Il ne s'agit pas d'avantager sa famille, insiste le socialiste Michel Lesage (qui fait appel à son fils pour un CDD de trois mois de juin à septembre). Mais il n'y a pas de raison non plus de la pénaliser quand elle a les compétences. » Cela dit, lui ne se voit pas « salarier quelqu'un de (sa) famille en permanence… »

« Il peut y avoir des emplois fictifs en dehors de tout lien familial, réagit Linda Gourjade (PS), qui vient d'embaucher sa fille, diplômée de Sciences Po Toulouse. Je ne suis pas sûre que ce soit un facteur aggravant. » D'ailleurs, son collègue, Franck Gilard, s'emporte : « Si on nous l'interdit, alors il faut l'interdire dans les boîtes privées ! »

Quand on rappelle qu'il s'agit d'argent public, quelques élus font aussi valoir ce drôle d'argument : « Je n'épuise pas l'enveloppe à laquelle j'ai droit, souligne Jean-Pierre Door (UMP), qui vient de salarier son épouse. J'utilise 6 500 euros sur les 9 500 que l'Assemblée met à notre dispostion pour payer nos collaborateurs ! » Finalement, parmi les députés de la liste interrogés par Mediapart, seul Étienne Blanc (UMP) se déclare « plutôt favorable à une interdiction, comme au Parlement européen ».

 Mais pour bien évaluer la situation, encore faudrait-il que tous les parlementaires daignent remplir convenablement leur déclaration d'intérêts. Ainsi Jean-Pierre Mignon (UMP), qui, d'après nos informations, a salarié sa conjointe en 2014, a-t-il écrit « Néant » dans la case censée lister ses collaborateurs. Sollicité par Mediapart, il n'a pas encore répondu à nos questions.

En fait, les formulaires ayant été remplis par les élus en janvier 2014, ils ne mentionnent pas les nombreux « CDD d'été » d'un, deux ou trois mois récemment accordés à un membre de la famille. Le socialiste Patrick Lemasle, par exemple, qui a recruté une première fille en mars 2014, puis une seconde en CDD pour juin et juillet, n'a pas pensé à mettre sa déclaration à jour.

Le recours aux enfants sur des contrats saisonniers est visiblement tendance. Le député Étienne Blanc (UMP) vient de prendre sa fille, étudiante en droit public, en « stage d'été sur 4 ou 5 semaines ». Idem pour le fils d'Yves Censi (UMP) ou celui de Béatrice Santais (PS). Le socialiste Hugues Fourage a salarié son fils en juin et juillet (après un CDD d'un mois, déjà, l'été dernier). Son collègue Philippe Vigier (UDI), le président du groupe centriste, vient aussi de recruter sa fille pour deux mois, « après deux ans dans une ambassade et juste avant qu'elle rejoigne son nouveau poste (dans le privé – Ndlr) à la rentrée ».

Le député UMP Bruno Le Maire avec son épouse Pauline, artiste-peintre, rémunérée comme assistante jusqu'à l'été 2013.Le député UMP Bruno Le Maire avec son épouse Pauline, artiste-peintre, rémunérée comme assistante jusqu'à l'été 2013. © DR

Francis Vercamer, lui, a bien signalé sa fille dans sa déclaration d'intérêts de janvier, mais pas encore sa conjointe. « Je prends (mon épouse) de temps en temps sur des CDD ponctuels, environ deux mois par an, justifie l'élu centriste. En général, c'est pendant les congés : en novembre, c'est pour préparer les vœux, en juin pour faire le bilan de l'année. » Pratique.

Si le socialiste Olivier Véran a bien pensé à mettre sa déclaration à jour à la mi-juillet, c'est pour signaler l'interruption du contrat de sa sœur. Dans ce sens là, c'est évidemment plus spontané.

Côté qualifications, il n'y a parfois rien à redire, comme lorsque la socialiste Estelle Grelier fait valoir le « DESS et le diplôme de Sciences Po Grenoble » de sa cousine « bilingue » (en CDI jusqu'en mars dernier). Mais le centriste Meyer Habib va jusqu'à ressortir « la mention au Bac » de son fils, pour expliquer l'octroi d'un CDD à temps partiel. De son côté, l'UMP Claudine Schmid (élue par les Français expatriés en Suisse et au Liechstenstein) a vite fait de dégainer la “carte maîtresse” de son fils qui tient sa permanence outre-Léman : « Il parle le dialecte suisse-allemand et ça ne se trouve pas en France ! » Certes, mais en Suisse ? De toutes façons, les élus ont beau jeu de rappeler en chœur que certaines tâches de secrétariat n'exigent pas d'expertise particulière.

Certains « emplois familiaux » semblent tout de même très actifs en dehors de l'Assemblée. Ainsi, était-il opportun que Florent Boudié (PS) recrute à temps plein sa conjointe, Émilie Coutanceau, alors qu'elle occupe déjà un siège de conseillère régionale (plus deux autres mandats d'élue locale jusqu'en mars dernier) ?

Le fils de Michèle Fournier-Armand (PS), lui, exerce parallèlement, à temps plein, à la Mutuelle sociale agricole comme « gestionnaire de cotisations » – la députée précise du coup qu'elle ne l'emploie que « 7 heures par semaine ». Les filles de Jean-François Mancel (UMP) et Michel Françaix (PS), respectivement actrice et « intermittente du spectacle », semblent avoir trouvé à l'Assemblée un job alimentaire. Quant au conjoint de Laure de La Raudière (UMP), « exploitant forestier », il se transforme visiblement en assistant la moitié de la semaine.

Cette transparence sur les activités annexes des collaborateurs a un objectif : elle doit permettre, le jour où leur député se penchera sur leur secteur d'activité, de mieux identifier d'éventuels conflits d'intérêts.

Il est dommage, à cet égard, que la radicale de gauche Dominique Orliac, active sur les politiques de santé et du médicament, ait omis de mentionner le métier de son fils (en CDI jusqu'à cet hiver), un pharmacien qui effectuait « des remplacements » en parallèle. De même que celui de sa fille, médecin. Le nom de celle-ci, d'ailleurs, ne figure pas encore dans la liste des collaborateurs de la députée.

À l'arrivée, au-delà de quelques situations individuelles condamnables (à défaut d'être illégales), c'est surtout le nombre et la masse des emplois familiaux qui interpelle. Alors que le marché de l'emploi en France se contracte chaque trimestre davantage, comment les Français peuvent-ils regarder ces chiffres avec décontraction ? Dans les couloirs du Palais-Bourbon, des observateurs avisés rappellent aussi que la « sous-qualification » et le « sous-investissement » de certains emplois familiaux ont des répercussions directes sur leurs collègues, qui doivent redoubler de travail et parfois se contenter d'un salaire amputé.

Dans un communiqué, le syndicat FO des collaborateurs parlementaires rappelle l'urgente nécessité de créer un statut pour ces milliers de salariés de l'ombre, privés de grille indiciaire et de convention collective.

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L'échec économique, le désastre social

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C’est l’effet boomerang du choix fait par François Hollande dès le début de son quinquennat : comme il a construit toute sa présidence sur un cadeau historique apporté au patronat, qui préempte toutes les autres marges de manœuvre, l’échec de cette réforme, qui au fil des mois devient de plus en plus manifeste, signe celui de toute sa politique économique et sociale. Faisant sienne la politique de l’offre défendue par les néolibéraux, au risque de choquer son propre camp, François Hollande espérait sans doute au moins qu’il pourrait apporter la preuve que cette stratégie était fructueuse. Or, c’est la démonstration inverse qu’il est en train, contre son gré, d’administrer : non seulement le cap choisi est socialement destructeur, gonflant le chômage et la précarité, mais le chef de l’État ne peut même plus prétendre qu’il est économiquement pertinent.

De cet échec prévisible, on a déjà eu de nombreux indices au cours des mois écoulés. D’abord, des économistes, de sensibilités parfois même opposées, ont publié des études suggérant que la montée en puissance des deux dispositifs d’allègements fiscaux et sociaux prévus par le gouvernement, le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) d’abord, puis le pacte de responsabilité, pour un montant total dépassant 35 milliards d’euros, n’auraient presque aucun effet sur l’emploi – ce qui en était pourtant la justification officielle. Des effets d’aubaine au profit des entreprises et de leurs actionnaires, à commencer par les florissants groupes du CAC 40, sûrement ; mais des effets favorables à l’emploi et à l’investissement, sûrement pas, ou alors seulement de manière marginale.

C’est d’abord la rapporteure générale (PS) du budget à l’Assemblée, Valérie Rabault, qui l’a suggéré dans un rapport publié le 23 juin dernier (on peut le télécharger ici), à la veille du débat budgétaire qui devait tout à la fois examiner le plan d’austérité de 50 milliards d’euros et les cadeaux offerts aux entreprises (lire La politique d’austérité conduit tout droit à la catastrophe). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’alerte de la responsable socialiste était claire et nette : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. »

Le constat n’était, certes, pas nouveau. Depuis que la crise économique a commencé, en 2007, de nombreux économistes ont alerté, eux aussi, sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produisait un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en œuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales, ce qui creuse les déficits que l’on était supposé diminuer. En clair, c’est une politique qui s’auto-annule.

Mais le fait que ce constat soit repris à son compte par la rapporteure générale du budget à l’Assemblée qui, de surcroît, est une socialiste, donnait une tout autre portée à cette alerte. Une portée d’autant plus forte que les chiffres cités par l’experte provenaient du ministère des finances lui-même et pouvaient difficilement être taxés de partialité. En outre, ces chiffres montraient bien que les effets de la politique d’austérité seraient non pas marginaux mais… massifs ! Près de 0,7 % de croissance en moins chaque année, près de 250 000 emplois en moins : les statistiques de Bercy établissaient bien que le gouvernement, contrairement à ce qu’il prétend, a fait le choix d’une politique récessive.

Une étude plus récente, concoctée par le bord opposé, aboutit à des conclusions guère différentes. De sensibilité néolibérale, la fondation Ifrap vient de réaliser des simulations (elles peuvent être consultées ici) des effets cumulés du pacte de stabilité budgétaire et du pacte de responsabilité. Et le verdict est différent mais tout aussi accablant : « À l’horizon 2017, il ne faut pas compter sur plus de 80 000 emplois créés et plus de 0,33 point de croissance », écrit le « think tank ». En somme, le gouvernement va jeter l’argent public par les fenêtres pour cajoler les entreprises, et imposer en retour un plan d’austérité au pays, mais au total, cela n’aura quasiment aucun effet sur l’emploi et la croissance.

Et ce n’est toujours pas tout. Deux autres études du CNRS, dont Mediapart s’est fait l’écho voici quelques jours (lire Le pacte de responsabilité n’inversera pas la courbe du chômage), suggèrent également que le gouvernement fait fausse route en prenant la doxa néolibérale pour inspiration de sa politique économique...

Et puis dans cette longue liste d’études, conduites par des experts de sensibilités différentes, mais débouchant sur des constats voisins, il faut encore ajouter le « rapport d’information relative à la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises » (il est ici), que le Sénat vient de réaliser.

Dans un préambule, la rapporteure de la mission, la sénatrice (PCF) Michelle Demessine, résume le scepticisme qui est partagé par beaucoup : « Une forme de consensus s’est établi au sein du Conseil d’orientation pour l’emploi en 2006 pour évaluer à 800 000 le nombre d’emplois détruits si l’on supprimait les exonérations de charges "Fillon". Néanmoins, le nombre d’emplois créés stricto sensu depuis 20 ans apparaît beaucoup plus faible, surtout si l’on prend en compte l’effet négatif sur l’emploi des mesures de financement prises pour compenser les pertes de recettes pour la sécurité sociale engendrées par les exonérations de cotisations sociales patronales. Au total, l’honnêteté commande de dire que personne ne sait précisément combien d’emplois ont pu être créés par les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Au-delà de sa faible efficacité, cette politique engendre plusieurs effets pervers particulièrement préoccupants : elle tend à enfermer les travailleurs les moins qualifiés dans des trappes à bas salaires et favorise le déclassement des jeunes diplômés, contraints de prendre la place des moins qualifiés pour trouver un emploi. Ce faisant, elle renforce la dualité du marché du travail. Cette politique était censée préserver notre modèle social mais nous avons des travailleurs pauvres, des travailleurs à temps très partiel, des salariés en contrats de très courte durée, des jeunes qui enchaînent des stages sans lendemain… sans accéder à l’emploi stable et au contrat à durée indéterminée. »

Et la sénatrice ajoute : « Plus largement, l’obsession de la baisse du "coût du travail", devenue une fin en soi, favorise le développement d’une économie low cost, indigne d’un pays développé comme la France et qui contribue au phénomène de déflation en Europe. Ainsi, si le Gouvernement fait le constat pertinent d’une situation économique et industrielle qui continue de se dégrader, il fait fausse route en recherchant de nouvelles baisses du "coût du travail" avec le Cice et le Pacte de responsabilité, qui ne manqueront pas de reproduire les effets pervers des allègements "Fillon". Une focalisation excessive sur le "coût du travail" pour expliquer la perte de compétitivité de l’économie française : les enjeux véritables sont la montée en gamme de notre économie par la formation professionnelle, par une politique industrielle de filières et la meilleure maîtrise du coût du capital. »

Mais il n’y a pas que le travail en chambre des économistes qui est venu attester de l’échec probable du gouvernement. Mois après mois, c’est le même inquiétant constat que sont venues nourrir les statistiques économiques et sociales, et tout particulièrement celles du chômage.

Il n’est, certes, pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. S’accrochant désespérément à l’idée que sa politique allait produire des effets, François Hollande a mille fois, contre l’évidence, pronostiqué que la courbe du chômage allait s’inverser avant la fin de 2013. Et puis, une fois que son pari s’est avéré perdu, il ne s’est toujours pas découragé, annonçant périodiquement une reprise économique qui, en fait, ne s’est jamais réellement confirmée. « On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait-il le 4 mai dernier (lire Croissance et chômage : Hollande, l’extralucide !). À peine quelques semaines plus tard, l’Insee révélait que la croissance française ne devrait guère dépasser 0,7 % en 2014, soit nettement en deçà du taux de 1 % espéré par le gouvernement, et que le chômage resterait à des sommets historiques.

Et le fait est que, sur le front du chômage, rien ne se passe comme l’espérait le gouvernement. Car pour lui, c’est l’indicateur clef, celui qu’il doit surveiller constamment. Pour deux raisons évidentes : parce que c’est celui qui compte le plus pour les Français, celui qui permet de prendre le pouls social du pays ; et puis, parce que c’est celui qui apportera la preuve définitive de l’efficacité (ou de l’absurdité !) du cap choisi.

Or, en toute logique, si le gouvernement avait choisi une stratégie économique efficace, les perspectives pour l’emploi et le chômage devraient commencer à se retourner. Le CICE est entré en vigueur en début d'année, et le pacte de responsabilité va amplifier spectaculairement les aides aux entreprises : profitant d’une meilleure visibilité sur leur environnement fiscal et social pour le court et le moyen terme, les entreprises devraient donc refaire des projets, décider de nouveaux investissements et faire les embauches correspondantes, même si c’est de manière timide dans un premier temps.

Or, tout est là ! Ce n’est pas sur cette pente de reprise économique progressive que se trouve l’économie française. L’Insee l’avait suggéré dans sa dernière « Note de conjoncture » du mois de juin ; et les chiffres du chômage viennent malheureusement le confirmer mois après mois.

Il suffit d’ailleurs d'examiner les dernières statistiques du marché du travail, celles qui ont été rendues publiques vendredi 25 juillet, pour prendre la mesure de la catastrophe sociale.

                           (Cliquer sur le tableau pour l'agrandir)

On connaît le bilan, qui est celui de François Hollande. Alors qu’il a accédé voici deux ans à l’Élysée, le nombre de demandeurs d’emploi de la catégorie A (la plus restreinte) n’a cessé de progresser, pour atteindre un sommet à 3 398 300 à la fin du mois de juin dernier, soit presque 130 000 chômeurs de plus au cours des douze derniers mois.

Mais cette statistique est trompeuse, car au cours des deux dernières décennies, le marché du travail a été dynamité par une folle avancée de la flexibilité. La frontière, qui était autrefois très délimitée, entre les situations d’emploi et les situations de chômage, s’est effacée pour céder la place à d’innombrables situations de précarité. CDD, intérim, travail à temps partiel : le travail a implosé, et la fameuse catégorie A des demandeurs d’emploi ne donne qu’une faible idée de cette folle expansion des situations intermédiaires, entre travail et chômage.

Pour en prendre la mesure, il faut observer l'évolution des demandeurs d’emploi toutes catégories confondues (de la catégorie A à la catégorie E). Dans ce cas, c’est un véritable séisme social : on dénombrait 5 719 400 demandeurs d’emploi à la fin du mois de juin dernier, soit 306 000 de plus qu’en juin 2013.

Il faut garder à l’esprit ce chiffre, car il est lourd des douleurs sociales que connaît le pays, et surtout il révèle une tendance profonde qui affecte l’économie française – sur laquelle nous reviendrons dans un instant : il suggère que si le chômage explose dans le pays, il est un mal qui progresse encore plus vite : celui de la précarité.

Cette envolée du chômage, qui retrouve des niveaux historiques, vient confirmer que le gouvernement n’a pas la politique appropriée pour lutter en faveur de l’emploi. L’Insee ne laisse d’ailleurs guère d’espoir pour les prochains mois. Selon sa dernière « Note de conjoncture » publiée fin juin, les perspectives étaient franchement mauvaises : au deuxième trimestre 2014, écrivait l’Insee, « le taux de chômage augmenterait à nouveau légèrement, à 10,2 % (9,8 % en France métropolitaine) ; puis, avec la légère hausse attendue de l’emploi total, il se stabiliserait à ce niveau au second semestre ».

C’est le couple infernal chômage-précarité qui va continuer au cours des prochains mois à façonner le climat social du pays. Car la connexion que nous venons d’observer entre les deux tendances et qui fait toujours des travailleurs précaires les premières victimes de la progression du chômage, ne cesse d’être à l’œuvre depuis plusieurs années. C’est l’onde de choc de la conversion de la France au modèle anglo-saxon, avec à la clef une place de moins en moins forte des formes d’emploi stable, dont le contrat à durée à indéterminée (CDI), et une montée en puissance exponentielle de toutes les formes d’emploi précaire, parmi lesquels les CDD, l’intérim, le travail à temps partiel. Résultat du démantèlement progressif du code du travail et notamment du droit du licenciement – auquel le gouvernement socialiste a apporté une contribution majeure en incitant les partenaires sociaux à négocier l’Accord national interprofessionnel (ANI), cette déréglementation du travail est un phénomène massif qui est au cœur de la montée de la précarité et de la pauvreté en France.

Une étude remarquable que vient de publier la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail permet de prendre la mesure de ce séisme qui est en train de submerger le marché du travail.

Cette étude, on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

Il faut prendre le temps de décortiquer ces chiffres, tant ils sont impressionnants. Globalement, le CDI reste certes la forme d’emploi dominante, car il a longtemps été, au moins jusqu’au milieu des années 1970, la seule forme d’emploi, ou presque, qui existait. À la fin de 2012, 87 % des salariés du secteur concurrentiel ont ainsi un CDI, tandis que 13 % des salariés seulement sont en contrat temporaire, soit 10 % en CDD et 3 % en intérim.

Mais ce qui retient l’attention, c’est la vitesse à laquelle les choses sont en train de changer, comme le révèlent les deux graphiques ci-dessous.

                            (Cliquer sur le graphique ci-dessous pour l’agrandir)

Pour expliquer l’importance du séisme qui bouleverse le marché du travail, l’étude de la DARES fait en particulier ce constat : « La répartition des embauches entre contrats temporaires et CDI est à l’inverse de celle observée pour les effectifs parmi les salariés en emploi. D’après les déclarations uniques d’embauche et les déclarations mensuelles des agences d’intérim, au quatrième trimestre 2012, 49,5 % des intentions d’embauche sont en CDD, 42,3 % sont des missions d’intérim et 8,1 % sont des CDI. Ainsi, dans le secteur concurrentiel, plus de 90 % des embauches s’effectuent en contrat temporaire. »

Le graphique ci-dessous permet de visualiser de manière encore plus spectaculaire ce qui est en train de se passer sur le marché du travail :

                        (Cliquer sur le graphique ci-dessous pour l’agrandir)

On comprend donc ce qui est en jeu. À la fin des années 1970, le CDI était la forme d’emploi quasi unique qui existait sur le marché du travail. Tout juste le premier ministre de l’époque, Raymond Barre, avait-il institué les premières formes d’emploi précaire – les fameux « stages Barre ». Mais cette forme d’emploi était totalement marginale. Et dans leurs « 110 propositions » pour 1981 (on peut les consulter ici), les socialistes avaient promis qu’il y serait remis bon ordre. « Le contrat de travail à durée indéterminée redeviendra la base des relations du travail », promettait fièrement la 22e proposition.

La belle promesse a depuis très longtemps été oubliée et c’est exactement l’inverse qui s’est produit : le contrat de travail précaire est devenu « la base des relations du travail ». Le graphique ci-dessus suggère même que le CDI est devenu une survivance d’un autre temps. Une survivance qui va progressivement disparaître…

Si la précarité avance encore plus vite que le chômage, c’est donc pour cela : parce que le marché du travail a implosé. Il y a donc le noyau dur du chômage ; et tout autour, il y a ce que les statisticiens appellent pudiquement le « halo autour du chômage », qui recouvre des variétés considérables de situations de précarité.

C’est dire si le gouvernement socialiste prend une lourde responsabilité en conduisant une telle politique de l’offre, qui reprend point pour point les priorités qui étaient défendues par Nicolas Sarkozy. Car il court tout droit vers un retentissant échec économique, qui est déjà perceptible au travers de nombreux indices. Mais ce faisant, il court tout droit vers une autre catastrophe : un désastre social !

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Le gouvernement encore au chevet de la LMDE, mutuelle des étudiants

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C’est un énième écart de conduite dans une vie chaotique. La Mutuelle des étudiants (LMDE) vient d’être placée sous administration provisoire. Ses administrateurs étudiants ont été chassés des lieux : ils n’ont plus de bureau, plus d’adresse mail, plus de téléphone et plus d’indemnités. Une administratrice provisoire dirige dorénavant la mutuelle. « Cette décision n’a pas été prise à la légère », souligne l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la police des banques et des assurances. En cause, une nouvelle et énième dégradation des comptes de la mutuelle.

Cette annonce a été faite le 3 juillet 2014, au pire moment, à quelques semaines de la rentrée universitaire. Le 7 juillet, pas moins de trois ministres – affaires sociales et santé, éducation, finances – ont volé à son secours. Ils assurent dans un communiqué commun que la mise sous administration provisoire « ne remet pas en cause le remboursement des soins aux étudiants, qui est garanti et continuera à être assuré ». Et le gouvernement en profite pour « réaffirmer son attachement au régime étudiant de sécurité sociale ». La LMDE est sauve, une fois encore.

Elle est née en 2000 sur les décombres de la MNEF (Mutuelle nationale des étudiants de France), dissoute après des condamnations pour abus de biens sociaux, détournement de fonds publics et abus de confiance, dont celle de son directeur général Olivier Spitakhis (deux ans avec sursis et 50 000 euros d'amende) ou de l’actuel premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis (6 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende).

Au moins sur un point, la LMDE suit les traces de sa grande sœur délictueuse : sa gestion est désastreuse. En 14 ans, elle a connu cinq exercices positifs, et accumulé 35 millions d’euros de dette. À partir de 2009, sa situation a viré au rouge, puis sombré en 2012, avec plus de 11 millions d’euros de déficit. Plus grave, en pleine restructuration, la mutuelle totalement désorganisée ne parvenait plus à remplir sa mission première : rembourser les soins des étudiants. En 2012 et 2013, les étudiants attendaient des mois leur carte Vitale, les délais de traitement des feuilles de maladie sont montés jusqu’à six semaines, certains soins n’ont jamais été remboursés. Ces dysfonctionnements ont été détaillés par la Cour des comptes, qui a rendu un rapport cinglant sur la sécurité sociale étudiante à l’automne 2013. Les plaintes de parents et d’étudiants furieux, parfois dans des situations financières et médicales dramatiques, ont inondé les réseaux sociaux, les associations de consommateurs, l’assurance maladie, les ministères de l’éducation, de la santé, etc.

Au bord de la cessation de paiement fin 2012, la LMDE a été sauvée par la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), première mutuelle de fonctionnaires, qui lui a ouvert une ligne de trésorerie de 10 millions d’euros. Début 2013, un plan d’adossement entre les deux mutuelles est acté : si les étudiants restent les administrateurs de la mutuelle, la gestion et la production doivent être à terme mutualisées. Depuis, le service rendu par la mutuelle à ses assurés s’est amélioré : « 100 % des feuilles de soins papier sont remboursées en cinq jours maximum, les délais d’ouverture des droits sont de 48 heures, les réclamations et demandes sont traitées en quatre jours maximum », affirme la LMDE. Le seul point noir reste la réponse aux appels téléphoniques, aléatoire.

Vanessa Favaro, présidente de la LMDEVanessa Favaro, présidente de la LMDE

Mais sa situation financière, qui s’était stabilisée à moins 200 000 euros en 2013, se dégrade de nouveau en 2014 à moins 1,5 million d’euros, selon Vanessa Favaro, la présidente de la LMDE. La MGEN a manifestement pris peur, et suspendu le plan d’adossement. « La MGEN n’a pas vocation à intégrer une mutuelle structurellement déficitaire », explique la mutuelle de l’éducation nationale. Le message est adressé au gouvernement, qui à son tour vient de consentir un nouveau geste financier.

Il y a beaucoup de monde au chevet de la LMDE. Les acteurs sont imbriqués dans un système d’une complexité folle, aux coûts de gestion déraisonnables. Principale subtilité : les mutuelles étudiantes n’en sont pas, la plupart du temps. Car l’essentiel de leur activité consiste à gérer non pas une mutuelle complémentaire mais simplement le régime obligatoire des étudiants. Depuis 1948, elles ont une délégation de gestion du régime général : pendant le temps de leurs études, trois ans en moyenne, les étudiants ne sont plus remboursés par l’assurance maladie, mais par la sécurité sociale étudiante, gérée soit par la LMDE, soit par un réseau concurrent des mutuelles régionales SMER. Parallèlement, rien n’empêche les étudiants de choisir une autre complémentaire santé : les trois quarts d’entre eux gardent celle de leurs parents. Voilà pour l’enfer administratif, que la LMDE justifie par la « sensibilisation des étudiants aux enjeux de la sécurité sociale » et une « gestion démocratique et autonome ».

Inscription à un régime obligatoire pour un temps très court, concurrence entre mutuelles étudiantes : pour couvrir les frais de cette gestion absurde, l’assurance maladie verse aux mutuelles étudiantes des « remises de gestion », qui s’élèvent en 2014 à 52 euros par étudiant. Selon la Cour des comptes, cette rémunération est « trop avantageuse », car supérieure aux remises de gestion versées aux mutuelles de fonctionnaires (46 euros), qui gèrent elles aussi le régime général, et bien supérieure aux frais de gestion des caisses primaires d’assurance maladie, qui ont fait de gros efforts ces dernières années, notamment grâce au traitement électronique des feuilles de soins.

Pourtant la LMDE, comme la plupart des autres mutuelles étudiantes du réseau SMER, jugent ces remises de gestion « insuffisantes » pour couvrir leurs frais. En 2014, la MGEN a pris ses distances avec la LMDE, en suspendant le plan d’adossement par crainte d'une baisse drastique de ces remises de gestion, à 46 euros dès 2014. Le gouvernement a finalement transigé : cette baisse sera progressive, de 50 euros en 2014, à 46 euros en 2017.

Qu’est-ce qui justifie cette rémunération plus favorable des mutuelles étudiantes ? Est-ce la complexité administrative du régime étudiant ? Ou un financement indirect du syndicalisme ? La LMDE est contrôlée par l’Unef (Union nationale des étudiants de France), l’une des principales organisations étudiantes et la seule qui depuis 2004 présente des listes aux élections de la LMDE, tous les deux ans.

Les 13 administrateurs de la LMDE membres du bureau, tous issus de l’Unef, sont indemnisés entre 1 500 et 1 900 euros par mois. En 2012, l’Unef a perçu 100 000 euros de la LMDE, dans le cadre d’une convention de partenariat. La mutuelle fait cependant preuve de transparence en rendant publiques ces données.

Convention de partenariat entre l'Unef et la LMDEConvention de partenariat entre l'Unef et la LMDE
Indemnités des responsables de la LMDEIndemnités des responsables de la LMDE

« Les administrateurs travaillent réellement, sont indispensables au fonctionnement de la mutuelle, défend William Martinet, le président de l’Unef. Et la convention de partenariat couvre les frais de campagnes de prévention et de publicité de la LMDE », assure-t-il.

Bien plus problématique, l’UFC-Que choisir ?, qui enquête depuis de nombreuses années sur la LMDE, affirme que l’ex-Unef-ID Laurence Rossignol (elle a quitté le syndicalisme étudiant en 83), aujourd’hui secrétaire d’État à la famille et aux personnes âgées, a été salariée pendant 18 ans de la MNEF, puis de la LMDE, jusqu’en 2011, sans que l’UFC-Que Choisir ? ne trouve de trace probante de son activité réelle. Et voilà que resurgit le cadavre de la MNEF.

Qu’ils critiquent sa gestion, ses liens avec l’Unef, ou les dysfonctionnements du régime étudiant, les ennemis de la LMDE sont nombreux. « Il n’y a aucun argument, autre que politicard, pour maintenir ce système », explique par exemple Julien Blanchet, le président de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), qui demande la fin du régime spécifique des étudiants et leur réintégration dans le régime commun de l’assurance maladie. C’est aussi l’avis de tous les hauts fonctionnaires de la protection sociale : la Cour des comptes estime l’économie en coûts de gestion à 69 millions d’euros par an, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances entre 44 et 90 millions d’euros.

Au sein du gouvernement, la ministre de la santé Marisol Touraine et le ministre du budget Michel Sapin ont plaidé pour cette option. Mais « Benoît Hamon a pesé de tout de son poids », raconte la présidente de la LMDE, Vanessa Favaro. Le ministre de l’éducation Benoît Hamon a en effet remporté l’arbitrage auprès du premier ministre. Pour sauver une nouvelle fois la LMDE, les mutuelles étudiantes ont droit à un traitement de faveur, alors que 500 millions d’euros d’économies de gestion sont attendues des caisses de sécurité sociale d’ici 2017. Est-ce une décision aux arrière-pensées politiques ? Les anciens de l'Unef, de la MNEF et de la LMDE sont très présents au gouvernement et dans les rangs du Parti socialiste : Benoît Hamon, s'il s'est surtout illustré comme président du Mouvement des jeunes socialistes, est passé brièvement par l'Unef. Manuel Valls a présidé une section locale du syndicat étudiant, comme François Hollande à Sciences-Po Paris. Sans oublier bien sûr les anciens de l'Unef-ID qui ont été mouillés dans l'affaire de la MNEF : Jean-Christophe Cambadélis et Jean-Marie Le Guen (vice-président, administrateur et salarié de la MNEF, il a bénéficié d'un non-lieu). Laurence Rossignol est une autre ancienne de l'Unef-ID, dont les liens avec la MGEN puis la LMDE viennent d'être révélés. Au cabinet de Geneviève Fioraso, le conseiller Jean-Baptiste Prévost, très actif en ce qui concerne l'avenir de la LMDE, est un ancien président de l'UNEF. À l'Assemblée, la jeune députée socialiste qui monte, Fanélie Carrey-Conte, très active au sein de la commission des affaires sociales, en particulier sur les questions de protection sociale, a été membre de la direction de l'Unef, mais aussi du bureau de la LMDE (elle était à ce titre indemnisée). Pouria Amirshahi a lui présidé l'Unef-ID et la MNEF en plein scandale (1999-2000), souhaitant rompre avec les pratiques passées…

Le sujet n’est pas clos, et devrait rebondir à la rentrée. Les dirigeants de la LMDE comme de l’Unef ne nient pas les dysfonctionnements : « Le chantier reste devant nous », estime le président de l’Unef, William Martinet. Le syndicat plaide pour la fin du « duopole ». En 1972, la Mnef a été mise en concurrence avec le réseau des mutuelles régionales SMER, créant une concurrence féroce, parfois agressive sur les campus. La proposition de l’Unef fait hurler les mutuelles régionales : « La LMDE jette le discrédit sur l’ensemble des mutuelles étudiantes. Et elle devrait retrouver son monopole sur le régime étudiant ? », s’emporte Annie Coutarel, directrice générale de la Smerep, branche Ile-de-France de la SMER.

Pour l'heure, aucune réforme du régime étudiant ne se profile. Le gouvernement n’a évoqué que des « simplifications ». Cela ne satisfait personne car cela répète les erreurs commises du temps de la MNEF par les gouvernements successifs : renflouer les mutuelles étudiantes, plutôt que de traiter le problème de fond.

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Comment la galaxie Dieudonné squatte les manifestations pour Gaza

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À chaque mouvement ses marginaux qui tentent de profiter des événements et caméras. Après les incidents dans lesquels la Ligue de défense juive (LDJ) a été impliquée, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) avait cru bon de rappeler qu’il s’agissait d’une « toute petite organisation, qui n’est pas membre des institutions juives »De son côté, le mouvement propalestinien, très hétéroclite, subit des tentatives d'incruste, notamment de sympathisants de Dieudonné et de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral.

S'ils sont ultraminoritaires, la manifestation du samedi 26 juillet 2014, organisée en solidarité avec le peuple palestinien à Gaza, a été ponctuée de fortes tensions internes. Une partie du cortège a semblé débordée par des éléments radicaux (lire le reportage de Thomas Saint-Cricq). Certains sont regroupés dans un petit noyau baptisé « Gaza Firm ». Loin des milieux propalestiniens historiques, ils viennent surtout en découdre avec la LDJ. Qui tire les ficelles de cette nébuleuse ? 

Ils sont apparus le 19 juillet à Barbès, chantant La Marseillaise lors de la manifestation propalestinienne interdite. Puis quatre jours plus tard, à Denfert-Rochereau, lors du rassemblement autorisé. Samedi 26 juillet, ce nouveau collectif était plus visible, représenté par une quarantaine de personnes et une banderole blanche déployée au centre de la place de la République :

Sur les réseaux sociaux, leur hashtag « Gazafirm » s'est diffusé, assorti de vidéos et de photos où ses membres sont floutés :

Post sur Facebook, le 26 juillet.Post sur Facebook, le 26 juillet.
Photo postée sur Twitter le 25 juillet.Photo postée sur Twitter le 25 juillet. © Twitter / @HakParis
Post du 27 juillet, relayant une mise au point de Mathias Cardet, figure de la Gaza Firm, sur Facebook.Post du 27 juillet, relayant une mise au point de Mathias Cardet, figure de la Gaza Firm, sur Facebook.

Après les incidents de la rue de la Roquette, le 13 juillet, et la large couverture médiatique des rassemblements, le collectif a flairé la bonne opération de communication. Si le nom « Gaza Firm » est apparu tout récemment, le groupe a fait sa première apparition en janvier, lors du « Jour de colère », qui a vu les groupuscules de l’extrême droite la plus radicale manifester à Paris – y compris les « Dieudonnistes » –, dans un défile émaillé de slogans antisémites et homophobes.

Un groupe identifié par un journaliste de Radio France comme des membres de Gaza Firm.Un groupe identifié par un journaliste de Radio France comme des membres de Gaza Firm. © Twitter / Sylvain Tronchet.

Officiellement, le mouvement se présente, dans un communiqué diffusé le 25 juillet, comme « un groupe d’amis de divers horizons », « cultures » et « religions », « blacks blancs beurs », « réunis autour de la cause Palestinienne ». L’objectif affiché ? « Assurer la sécurité des manifestants et citoyens », et surtout « faire front » aux organisations juives radicales, la LDJ et le Betar.

Tweets du compte présenté comme "officiel" de Gaza Firm, le 22 juillet 2014.Tweets du compte présenté comme "officiel" de Gaza Firm, le 22 juillet 2014.

Égalité et réconciliation (E&R) , le mouvement d'Alain Soral, s'était empressé de soutenir sur son site la naissance de ce nouveau collectif : « Enfin une Ligue de défense goy ? ». Les membres de Gaza Firm, eux, jurent n’avoir « aucun lien » avec « l’extrême droite », « Dieudonné ou même Alain Soral ».

Mathias Cardet dans une vidéo d'Egalité et Réconciliation, en juillet.Mathias Cardet dans une vidéo d'Egalité et Réconciliation, en juillet.

Pourtant, derrière ce collectif, on trouve un proche de la galaxie soralienne : Mathias Cardet. Ce porte-voix de Gaza Firm a donné plusieurs conférences avec Alain Soral, son éditeur, et est un invité régulier de son site. Il a d'ailleurs expliqué dans cette vidéo d'Égalité et réconciliation être « lié par amitié » avec le mouvement. Il a également relayé les appels, abondamment diffusés par Égalité et réconciliation, à une « journée de retrait de l'école pour l'interdiction de la théorie du genre », cet hiver. Il était aussi présent, le 21 juin, au bal des quenelles, organisé par Dieudonné, où l’on pouvait croiser le négationniste Robert Faurisson

Cardet, qui se présente comme un ancien hooligan, est aujourd’hui à la tête d’une plateforme web baptisée « Bras d’honneur », dont E&R a assuré la promotion. L'année dernière, il a fait le tour des médias pour la promo de L’effroyable imposture du rap, un pamphlet qui lui a permis de diffuser ses thèses en prétendant révéler la face sombre du rap.

S'il a affirmé, dans une « mise au point » sur Facebook, ne pas être « le taulier de Gaza Firm », tout en « assum(ant) les actes de l'équipe », il était en tout cas à leurs côtés, avec ses proches, en marge de la manifestation du 26 juillet (voir les photos publiées par Quartiers libres) et a posté, après celle du 19 juillet, une vidéo du collectif en action.

Qui sont les militants de Gaza Firm ? Essentiellement des jeunes issus des supporters ultras du PSG : des anciens de « K-soce Team » du virage Auteuil et de Karsud ayant des liens avec la frange radicale de la tribune Boulogne (voir la cartographie de Sofoot). La référence est d’ailleurs transparente, explique à Mediapart ce fin connaisseur de cette nébuleuse : « Le mot “Firm” trahit leur origine, c’est un code de supporter ultra, qui rappelle l’Inter City Firm (la première bande de supporters de foot hooligans anglaise – Ndlr) ».

Selon lui, il s’agit d’« un milieu dépolitisé, plutôt composé de jeunes de banlieues dont certains sont sensibles au discours anti-système de Dieudonné et Soral, formés par leurs vidéos qui relayent des thèses complotistes, dénonçant les Américains, les juifs, les francs-maçons, les médias et défendant l’idée que la vérité se trouve sur Internet. C’est davantage une mouvance qu’un groupe organisé. Dieudonné et Soral ne les contrôlent pas, mais ces types se reconnaissent dans ce qu’ils font ».

Photo postée sur Twitter le 20 juillet.Photo postée sur Twitter le 20 juillet. © Twitter / J_ParisFans

Que des adeptes de Soral, ces ultras ? Les choses sont plus complexes. Certains sont « des types du milieu hip-hop constitué autour de Mathias Cardet et des jeunes paumés, qui suivent un ou deux amis, viennent faire des quenelles et des bras d’honneurs dans les manifs et se cogner avec la LDJ. C’est avant tout un phénomène de bande », souligne-t-il, en évoquant aussi des recompositions « liées à des questions de stade ».

Après notre article sur la Ligue de défense juive, Quartiers libres, un collectif de militants de la gauche radicale de banlieues, nous a écrit, étonné de lire que les manifestations propalestiniennes étaient « débordées par des partisans de Dieudonné et Soral ». L’association minimise la présence des Soraliens dans les rassemblements et estime que Gaza Firm ne représente qu’« une trentaine » de personnes qui ont tenté « une récupération médiatique en communiquant sur leur passage à Barbès » après avoir manqué « la charge contre la LDJ ». Lire ici son dernier billet de blog : Les idiots utiles du sionisme, les vrais.

Sans forcément toujours apparaître, Alain Soral et Dieudonné tentent en tout cas de surfer sur ces manifestations et le conflit israélo-palestinien. Samedi après-midi, une « conférence sur la Palestine » s'est tenue au Théâtre de la Main d'or, où se produit Dieudonné. À l’extérieur, une file d’attente s’étale sur deux cents mètres pour acheter une entrée à 5 euros. Un public hétéroclite, assez jeune. Pierre Panet, un très proche de Dieudonné qui fréquente les milieux négationnistes et fut candidat sur une liste FN aux municipales, fait patienter la foule en s'agitant devant les caméras de leur web télé, Meta-TV.

La scène du Théâtre de la Main d'or, avant le début de la conférence. Au centre, un drapeau français orné d'un ananas.La scène du Théâtre de la Main d'or, avant le début de la conférence. Au centre, un drapeau français orné d'un ananas. © M.T. / Mediapart

À l’intérieur de la salle, remplie bien au-delà de sa capacité de 250 personnes, interdit de prendre des photos ou de filmer. « Ils veulent pouvoir diffuser uniquement leurs propres images, avec leur télé », nous explique un spectateur habitué.

Dans la salle, avant le début de la conférence.Dans la salle, avant le début de la conférence. © M.T. / Mediapart

Sur l’estrade, l’ancien député belge d'extrême droite Laurent Louis, qui a soutenu les thèses négationnistes de Faurisson, anime les échanges, entouré de l'écrivain juif et militant propalestinien Jacob Cohen, de Marion Sigaut, qui se présente comme une « historienne » issue de Debout la République et aujourd’hui membre d’Égalité et Réconciliation. L'affiche de la conférence annonçait des « témoignages de Palestiniens », mais les organisateurs se cantonneront à la lecture d'une lettre d'un médecin de Shifa qui a déjà abondamment circulé sur les réseaux sociaux.

Les spectateurs ne sont venus que pour écouter Dieudonné, qui arrive, vêtu d'une combinaison orange de prisonnier de Guantanamo barrée du mot « quenelle ». Acclamé – y compris par des « Dieudonné président ! » –, il se plaint qu'« on nous ressort(e) toujours la souffrance de la Shoah » et explique que « la montée de l'antisémitisme a été inventée par le système car le système est sioniste ».

Pendant deux heures, il est question du « marketing sioniste » qui serait relayé à longueur de journée par les médias. Les organisateurs se vantent d'ailleurs d'avoir fermé la porte aux caméras de France 2. « Ce n'est pas une politique nazie que poursuit l'Etat d'Israël, c'est pire ! Même Hitler, il ne bombardait pas des hôpitaux », lâche Laurent Louis, avant d'exprimer ses « doutes » sur la version de la tuerie au musée juif  de Bruxelles. Il poursuit : « Les gens me disent : “Mais pourquoi tu parles de la Palestine, nous on veut parler du chômage!”, mais tout est lié ! Si on a la crise, c'est à cause des banques, des banques sionistes ! »

À l'entrée du Théâtre de la Main d'or, le 26 juillet.À l'entrée du Théâtre de la Main d'or, le 26 juillet. © M.T. / Mediapart

Au public, on explique que « l'homme providentiel, c'est vous ! ». La séance des questions de la salle part dans toutes les directions, provoquant même des altercations physiques entre certains groupes de spectateurs. Chacun se bat pour obtenir le micro et apporter son témoignage. Ginette Hess-Skandrani, exclue des Verts pour sa proximité avec les milieux négationnistes et colistière de Dieudonné en 2009, raconte l'éjection de son groupe par le NPA lors de la dernière manifestation.

Les questions fusent. Une femme veut savoir « comment parrainer un enfant palestinien sans être récupérée politiquement ». Une autre s'interroge sur « la position de la Russie et de la Chine »Un jeune demande des précisions sur l'histoire des terres palestiniennes. Certains s'interrogent sur la nécessité de recourir à la violence. D'autres livrent des thèses incompréhensibles ou en profitent pour donner un coup de projecteur sur des causes parfois bien éloignées de Gaza. Mais l'essentiel de la discussion tourne autour du qualificatif d'antisémite, réfuté par le public et Dieudonné, qui raille un « chantage à l'antisémitisme ».

Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral, lors d'un colloque en 2009.Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral, lors d'un colloque en 2009. © Reuters

Les deux polémistes ont en réalité rarement mis les pieds dans des manifestations de soutien à la Palestine. Lorsque, en janvier 2009, Alain Soral tente de rallier l'un de ces rassemblements, ses amis du parti antisioniste (avec lequel il s'est présenté aux européennes de 2009) sont repoussés par les antifascistes, empêchant sa venue dans le cortège, comme l'avait raconté le site d'information antifasciste Reflexes.

À l'époque, Soral avait tout de même diffusé une vidéo et un communiqué pour médiatiser sa participation malgré les « sionistes de la CNT et de la LCR » et raconter que « l'immense majorité des manifestants voit d’un bon œil la présence de patriotes anti-sionistes à leurs côtés ». Cinq ans plus tard, son site engrange les visites et ses émissions en ligne sont devenues payantes.

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« J'ai été dans une manif et maintenant, je suis un délinquant »

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Quatre mois de prison avec sursis et 1 150 euros d’amende. La peine pour rébellion a été prononcée il y a plus d’une semaine, mais A. n’en revient toujours pas. Il fait partie des manifestants condamnés après les incidents de la manifestation interdite de soutien à Gaza, à Barbès, samedi 19 juillet (lire notre article sur ces accusés sans histoire). Jusque là, il n’avait jamais eu affaire avec la police ou la justice. Son casier judiciaire était vierge. A. a 33 ans, il habite en banlieue parisienne, travaille comme informaticien ; il est marié et a trois enfants.

Quand on l’appelle pour témoigner, il hésite. Il craint que le parquet de Paris ne fasse appel. Il accepte finalement, après avoir consulté son avocat (lire notre Boîte noire). Et il suggère un lieu de rendez-vous : celui de son interpellation. « On ne sait jamais, peut-être je vais trouver les traces qui montrent que je n’ai rien fait. » On se retrouve à l’angle de la rue Custine et de la rue de Clignancourt, dans le XVIIIe arrondissement. Il vient, accompagné de sa sœur, Hayatte Maazouza, étudiante de 24 ans en école de commerce, élue municipale PS à Trappes, et qui a également manifesté le 21 juillet. Quelques heures plus tôt, le parquet de Paris a annoncé qu’il fait appel de la condamnation. À l’audience, le procureur avait demandé une peine de prison ferme avec mandat de dépôt. Voici leur témoignage.

« A. : Je voulais manifester parce qu’il suffit d’allumer la télé et de regarder ce qui se passe. C’est juste affreux. C’est même pas en tant que musulman, c’est en tant qu’être humain qu’il faut le dénoncer. C’est naturel. J’avais déjà manifesté le 13 juillet, avec mes frères et ma sœur.

Hayatte : Avec mes copines, on est sur un groupe Facebook « Manifestation nationale de soutien à la Palestine ». Tout le monde est dessus. Pour la manif à Barbès, on n’a su qu’à la dernière minute qu’elle était interdite et plein d’organisations disaient qu’elles allaient y aller quand même. Du coup, on ne savait même pas si c’était mal d’y aller.

A. : On s’est dit qu’on ne risquait pas grand-chose.

H. : D’ailleurs, quand on est arrivés, on a vu des drapeaux du NPA et du Front de gauche. Il y avait même des élus. Moi aussi, je suis élue municipale.

A. : On s’est dit “feu vert, on y va” ! Et on a rejoint la manif.

Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

H. : Très vite, des gens qui étaient sur un container ont brûlé un drapeau israélien. J’ai gueulé : “Arrêtez !” Cela a continué. Puis un gros pétard a explosé. Et d’un coup, on a senti plein de gaz lacrymogènes. J’ai cru que j’allais mourir – c’était la première fois de ma vie que je me faisais gazer. Après, c’était la panique, l’apocalypse… On ne voyait rien. Il y a des barrières de chantier vertes et grises : dans la panique, tout est tombé, on se marchait les uns sur les autres.

A. : Franchement, c’était affreux.

H. : Les seules issues, c’étaient les petites rues sur les côtés.

A. : C’est là que j’ai perdu les autres. Je suis remonté ici (dans la rue Custine, puis la rue de Clignancourt – ndlr). Je me suis dit que j’allais suivre d’autres manifestants. Cela commençait à chauffer de nouveau. J’ai entendu quelqu’un dire : “On va vers le Sacré-Cœur.” Je les ai suivis… Cela me faisait une balade. Je n’étais jamais allé là-bas, je ne connais pas. En plus, quelqu’un a dit qu’il y avait des touristes et que les policiers n’allaient pas gazer. Là, on a manifesté. Il y avait pas mal de gens.

J’y ai passé une heure et demie. Mais il y avait quand même quelques affrontements. Il était 17 heures et je suis redescendu tranquillement pour attendre les autres à la voiture. Pour moi, la manifestation était terminée.

J’avais un drapeau palestinien sur moi, et mon écharpe (palestinienne – ndlr) dans ma poche. Je ne l’avais pas sur le visage. Tout à coup, sans avoir entendu de sommation, il y a eu une charge de policiers en civil derrière moi (dans la rue de Clignancourt – ndlr)… Je me suis arrêté net, je me suis collé au mur pensant qu’ils allaient s’en prendre aux casseurs avec qui il y avait des affrontements depuis un petit moment. J’ai vu un policier tomber, de l’autre côté de la rue, il s’est blessé au visage.

Ensuite, deux collègues sont arrivés. L’un d’eux m’a foncé dessus et m’a dit de courir. J’ai commencé à repartir. Un autre est arrivé, il avait une matraque et la brandissait contre moi. Il m’a dit : “Casse-toi, casse-toi !” Là j’ai couru, j’ai cavalé dans la rue, jusqu’au carrefour avec la rue Custine. Pendant ma course, j’ai entendu un autre policier dire “Chope-le.” Une voiture noire est arrivée à ce moment-là ; le flic m’a plaqué dessus et m’a jeté directement par terre. Moi je ne l’ai pas blessé ; je n’ai pas vu son visage, je ne sais pas quel policier c’était. Selon le procès-verbal, j’aurais tenu son bras… Et je l’aurais fait tomber. Mais je ne sais pas comment j’aurais pu faire !

Il y a peut-être des images. Il y a une caméra au carrefour. Je ne sais pas si l'on peut demander d’y avoir accès… Si ça se trouve, tout a été filmé. Cela montrerait que je n’ai rien fait.

Ensuite, j’ai été emmené avec un autre manifestant pour la garde à vue. Je n’en revenais pas. Je ne réalisais pas. C’était complètement irréel.

H. : Nous, de notre côté, on le cherchait. On ne savait pas où il était. On pensait qu’il était blessé. On a appelé les hôpitaux. Mon frère est asthmatique ; on s’est dit qu’il n’avait pas supporté les gaz. Jamais on aurait imaginé qu’il avait été arrêté.

A. : Tout à coup, je ne pouvais plus rien dire, rien faire. C’était le black-out. Cela fait vraiment bizarre… Je me suis retrouvé là-dedans, sans comprendre ce qui m’arrive… Dans une cellule, sale. Les policiers m’ont insulté. J’ai demandé à manger… L’un d’eux est venu, il m’a répondu : “Pourquoi tu sonnes comme ça comme un connard ?” Je lui ai dit que je voulais juste à manger, j’ai été poli. Il m’a dit : “J’ai du travail, on verra après.” En fait, une demi-heure après, il m’a amené à manger. Mais je ne comprends pas pourquoi il m’a mal parlé. J’ai été dans une manif… et ça y est, maintenant, je suis un délinquant…

On m’a demandé à deux reprises si je voulais un avocat. Je ne savais pas quoi faire, j’ai demandé conseil aux policiers. Les deux fois, ils m’ont dit que c’était mieux de ne pas en prendre, que cela allait ralentir la procédure… Finalement, ça n’a rien changé. Je suis resté 48 heures en garde à vue.

H. : Maintenant, tu ne seras plus naïf. Moi-même j’ai toujours eu confiance dans la police.

A. : Mais j’ai vu qu’il y avait aussi des policiers qui avaient l’air sincères… Lors de la confrontation avec celui qui m’a mis en cause, j’ai halluciné de le voir maintenir ses propos. Mais à la fin, il a ajouté que je l’avais blessé de manière non intentionnelle. Il ne voulait pas m’enfoncer… Même s'il a quand même porté plainte contre moi.

À plusieurs reprises, le policier qui avait fait mon audition avait aussi l’air de penser que je n’avais rien à faire là. Il m’a même dit que je faisais tache en garde à vue. C’est vrai d’ailleurs…

H. : Non mais c’est vrai, on n’y croyait pas. Il est vraiment calme. Il joue au badminton, c’est vous dire ! (Rires) Il a sa femme, ses enfants.

A. : Moi je ne sais pas, je ne comprends pas. J’avais juste un drapeau palestinien… Je ne comprends pas pourquoi ils m’ont pris, moi.

Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014.Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014. © REUTERS/Philippe Wojazer

H. : J’ai déjà été choquée après la manifestation du 13 juillet (à Paris, suivie d’incidents à proximité d’une synagogue, rue de la Roquette – ndlr). Le gouvernement a criminalisé les manifestants, sans même parler de la présence de la LDJ (la Ligue de défense juive – ndlr). On ne savait même pas qu’il y avait une synagogue à côté de la place de la Bastille. Même les mosquées à Paris, on ne sait pas où elles sont. On n’habite pas ici ! Les médias ont relayé sans savoir… Et puis la LDJ, franchement… Ça sert à quoi d’être dans une République s’il y a des milices ? Sinon, il va y avoir une Ligue de défense musulmane, une Ligue de défense bouddhiste… Mais la France, c’est pas ça !

Depuis un moment, on sent un climat : une certaine population, disons-le, les personnes issues de l’immigration, et de confession musulmane, se sentent stigmatisées. Il faut dire ce qui est. Dès qu’on n’est pas d’accord, on nous traite d’antisémites ou d’intégristes. Aujourd’hui, personne ne nous protège. Pourtant, on ne demande rien, on vit notre petite vie. Mais on en a ras-le-bol.

A. : Finalement je me dis : heureusement que c’est moi qu'ils ont pris… Parce que si ça avait été quelqu’un d’autre, avec un casier, il aurait été en prison directement. Moi j’avais rien à gagner à chercher les policiers. Jamais je ne l’ai fait, jamais je le ferai. »

BOITE NOIREJ’ai rencontré A. à Paris. Il a préféré garder l’anonymat pour ne pas que sa condamnation lui porte préjudice dans sa vie quotidienne. Sa sœur, en revanche, témoigne à visage découvert.

Ils ont simplement souhaité que l'avocat de A. relise ses propos.

 

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Transition énergétique : un projet de loi bien timide

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De très légères avancées nouvelles, encore quelques reculs, et plusieurs occasions manquées. Annoncé par François Hollande comme « l'un des plus importants du quinquennat », le projet de loi sur la transition énergétique est officiellement sur les rails. Le texte, censé initier un « nouveau modèle énergétique français », a été présenté ce mercredi en conseil des ministres et devrait commencer à être examiné début octobre par le Parlement. « Ce projet de loi fait de la France l’un des États membres de l’Union européenne les plus engagés dans la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, au moment où se discute au niveau européen le nouveau paquet énergie climat, a assuré le gouvernement. À l’approche de la Conférence de Paris sur le Climat de 2015, il traduit l’ambition française dans le cadre des négociations internationales. »

Présenté dès la mi-juin à la presse par la ministre de l’écologie Ségolène Royal, au prix de quelques retournements de situation de dernière minute, le texte a depuis été soumis au Conseil national de la transition écologique (CNTE. Son avis est à lire ici) et au Conseil économique, social et environnemental (CESE dont l’avis est là). Les deux instances ont pointé des manques et des points à clarifier ou à compléter. Ils ont été en partie entendus : le gouvernement a ajouté au texte l’objectif de faire baisser la consommation d’énergie de 2,5 % par an jusqu’en 2030 et il a élargi la notion de véhicule propre au-delà des seuls véhicules électriques ou hybrides.

Pour autant, les objectifs annoncés restent bien timides. « Rien de neuf sous le soleil », regrette le Réseau action climat, qui rassemble des experts militants spécialisés en transition énergétique. « Que ce soit sur les objectifs de moyen terme, la rénovation du bâtiment, la mobilité ou la production d'énergie, le projet de loi apporte quelques avancées à la marge mais ne donne pas l'élan nécessaire pour aller vers un modèle énergétique plus sobre, créateur d'emplois, plus proche des territoires et moins polluant », tranche l’ONG, qui appelle les parlementaires à étoffer la loi. Même attente à la fondation Nicolas Hulot, qui affiche toutefois son soutien de principe, en affirmant que « ce texte sera un acte majeur du quinquennat et une façon d'entrer enfin dans le XXIe siècle », à condition toutefois qu’il « dispose des moyens pour être appliqué, c’est-à-dire des financements à hauteur de son ambition, estimés à 20 milliards d’euros par an ».

Retour sur les annonces du projet de loi, avec ses (quelques) bons points, et ses lacunes.

LES BONUS

  • Dix milliards d’euros mobilisés

Ségolène Royal a indiqué qu'environ 10 milliards d'euros seraient mobilisés : 5 milliards apportés par la Caisse des dépôts pour des prêts dédiés aux collectivités, à un taux de 2 %, 1,5 milliard « pour renforcer le soutien aux initiatives locales exemplaires en matière de transition énergétique et d’économie circulaire », 1,5 milliard d'allègements fiscaux, mais aussi 1 milliard pour la rénovation énergétique des collèges, et divers prêts.

Parmi les aides annoncées, figure un prêt à taux zéro pour les particuliers, que le gouvernement espère pouvoir faire passer de 30 000 à 100 000 par an (malgré les demandes des ONG, ces prêts ne seront cependant pas conditionnés à un bon niveau d’efficacité énergétique des travaux). Et les ménages réalisant des travaux thermiques avant 2015 obtiendront un crédit d'impôt de 30 %, « sans être obligés de faire plusieurs travaux à la fois, comme par le passé », a indiqué Ségolène Royal. L’allègement est plafonné à 8 000 euros pour une personne seule, et 16 000 euros pour un couple.

Par ailleurs, les tarifs sociaux sont étendus aux ménages se chauffant au fioul et au bois, alors que seuls ceux se chauffant au gaz et à l’électricité pouvaient en bénéficier aujourd’hui. Mais le montant de ce chèque énergie n’est pas encore établi.

  • Le mix énergétique sur la bonne voie, mais toujours pas clair

C’était l’un des points que Mediapart jugeait incontournable, et il figurera bien dans la loi : les énergies renouvelables devront représenter en 2030 plus de 30 % de la consommation d’énergie du pays, en l’occurrence 32 % (contre 13,7 % en 2012). Et la mouture finale du texte a même ajouté une étape intermédiaire, la part du renouvelable devant être de 23 % en 2020.

La loi reprend aussi les objectifs de long terme annoncés par François Hollande : diviser par deux la consommation d’énergie d’ici 2050, baisse de 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030. Jusqu’à présent, le texte ne proposait pas d’objectif intermédiaire. Écoutant les avis du CNTE et du CESE, le gouvernement a ajouté qu’il convenait « de porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030 ». Mais cet ajout ne satisfait pas les ONG : « Il aurait été beaucoup plus lisible et clair pour tout le monde de trancher en faveur d’un seuil de baisse à atteindre en 2030 », souligne Mathieu Orphelin, de la fondation Nicolas Hulot.

LES MALUS

  • Le tiers financement reste sous contrôle bancaire

Ségolène Royal en a fait l’une des principales mesures de sa loi : la reconnaissance de l’activité des sociétés de tiers financement, ces sociétés d’économie mixte (SEM) créées par les régions pour aider les ménages à boucler le financement de leurs travaux de rénovation. Concrètement, une copropriété signe un contrat avec un opérateur qui coordonne la rénovation thermique de son bâtiment, et qui règle une partie des coûts aux artisans du chantier. En échange, les habitants lui versent l’équivalent de ce qu’ils ne dépensent plus en facture. La région Île-de-France a créé en 2013 la première SEM dédiée au tiers financement pour la rénovation énergétique, la SEM Energies POSIT’IF.



Mais le lobby bancaire, en alerte sur le sujet (voir ici notre enquête), a obtenu que les SEM concernées soient soumises au code monétaire et financier, c’est-à-dire qu’elles se transforment elles-mêmes en établissement de crédit. Elles doivent notamment s’assurer de détenir assez d’argent pour garantir le même ratio de fonds propres que les banques, ce qui est bien sûr difficile pour une petite société et pour les collectivités locales.

Dans une première version du projet de loi, datée du 14 juin, il était indiqué explicitement que cela ne devait pas être le cas. Depuis lors, ce geste de bonne volonté en faveur des SEM a disparu, et elles sont donc tenues, soit de devenir un établissement de crédit, soit de passer une convention financière avec une banque, qui se chargerait elle-même de l’offre de prêt.

  • Gouvernance du nucléaire

Le pré-projet de loi n’accorde pas à l’État le pouvoir de fermer un réacteur nucléaire pour une raison politique (voir notre enquête à ce sujet). Malgré son soutien au texte, le sénateur EELV Ronan Dantec remarque qu’« arrêter un réacteur nucléaire reste un tabou ».

  • Tarif de l’électricité : les gestionnaires ont obtenu gain de cause

Sujet hautement sensible politiquement, le tarif de l’électricité fait l’objet d’un article très favorable à EDF. Il concerne le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, le « Turpe ». Depuis 2002, ce Turpe rémunère les gestionnaires de réseaux publics, essentiellement ERDF, la filiale d’EDF, en échange de l’exploitation, de l’entretien et du développement des réseaux, et RTE qui gère le flux d’électricité. Il représente environ 11,4 milliards d’euros par an, dont 8,4 sont versés à ERDF. Or fin 2012, le Conseil d’État a annulé le Turpe mis en place pour la période allant de 2009 à 2013. Il était en fait surestimé de plusieurs centaines de millions d’euros (voir notre enquête à ce sujet) car il intégrait des dépenses déjà effectuées depuis longtemps.

Or le projet de loi établit désormais que « les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité incluent une marge raisonnable qui contribue notamment à la réalisation des investissements nécessaires pour le développement des réseaux ». En clair, les filiales d’EDF ont le droit d'intégrer tous les coûts qu'elles souhaitent dans leurs prix.

  • Angles morts de la mobilité écologique

Le projet de loi ne s’intéresse à la mobilité des personnes presque qu’à travers le soutien à la voiture électrique : sept millions de points de recharge à l’horizon 2030, aide de 10 000 euros pour le remplacement d’un diesel polluant par un véhicule électrique, remplacement d’une voiture sur deux de la flotte publique par une auto roulant à l’électricité… Malgré les demandes du CESE et du CNTE, rien sur les infrastructures de transport, et rien sur les nouveaux services de mobilité. En revanche, comme suggéré, l’État a inclus dans sa définition des véhicules propres, outre les voitures électriques ou hybrides, celles qui émettent « un très faible niveau d’émission de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques ». L’État devra, lorsqu’il renouvelle sa flotte de véhicules, atteindre 50 % de véhicules propres.

Le texte n’abolit pas l’avantage fiscal du diesel sur l’essence, malgré son impact avéré sur la santé publique.

  • Plus de citoyens actionnaires à coup sûr

C’était un des bons points que Mediapart avait relevé le 18 juin ; il a disparu aujourd’hui. Le texte aurait dû imposer que pour tout nouveau projet de production d’énergie renouvelable, le maître d’œuvre ouvre une partie de son capital aux citoyens et aux collectivités territoriales. Cet article 27 est maintenu, mais il n’est plus question d’obligation, puisqu’il indique désormais que ces entreprises « peuvent, lors de la constitution de leur capital, en proposer une part à des habitants résidant habituellement à proximité du projet ou aux collectivités locales sur le territoire desquelles il doit être implanté ».

  • Où sont passés les bâtiments à énergie positive ?

Lors de sa conférence de presse du 18 juin, Ségolène Royal avait vanté les bâtiments à énergie positive, ces constructions qui produisent l’énergie (de source renouvelable) dont elles ont besoin pour fonctionner. Dans sa version du 14 juin, le projet de loi obligeait toute nouvelle construction sous maîtrise d’ouvrage publique à être à énergie positive. Depuis, l'obligation a sauté : « Toutes les nouvelles constructions sous maîtrise d’ouvrage publique font preuve d’exemplarité énergétique et seront, chaque fois que possible, à énergie positive. »

BOITE NOIRECet article a été rédigé par Dan Israel, en s'appuyant largement sur celui de Jade Lindgaard, qui analysait les différentes versions de l'avant-projet de loi. Plusieurs passages sont donc communs à ces deux textes.

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A Sarcelles, la manifestation du 20 juillet a mis la ville sous tension

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« On a tous grandi en bonne entente » ; « on est nés dans le même hôpital » ; « je suis musulman et le vendeur d'en face est juif, on s'entend super bien. » Ces affirmations viennent de Sarcellois, respectivement d'un membre de la Ligue de défense juive (LDJ), d'un avocat et d'un vendeur de chaussures du marché. Le “vivre ensemble” à Sarcelles (Val d'Oise), prôné par la plupart des personnalités politiques, chacun s'y raccroche encore. Mais depuis les dégradations qui ont suivi la manifestation pro-palestinienne interdite du dimanche 20 juillet, certains habitants en doutent. François Pupponi, le maire socialiste de la ville, n'hésite pas à parler de communauté juive « assaillie », subissant des attaques sur sa synagogue, quitte à ajouter aux tensions tout juste observées. Dans cette ville de 61 000 habitants, cette communauté rassemble entre 12 000 et 15 000 personnes.

Y aura-t-il un avant et un après 20 juillet 2014 ? La ville aux “plus de 100 nationalités” peut-elle être le lieu de tensions inter-communautaires ? Que l'on habite la “petite Jérusalem”, ou le quartier voisin que certains nomment “Little Gaza”, un climat de méfiance s'est installé. 

Des affiches anti-Israël près de l'avenue Frédéric Joliot-Curie.Des affiches anti-Israël près de l'avenue Frédéric Joliot-Curie. © Yannick Sanchez

Au lendemain de la manifestation, Sarcelles se réveille dans la douleur. À deux pas du commissariat, une odeur de brûlé émane de la pharmacie juive du centre commercial Les Flanades. Devant, des gens se questionnent, comment a-t-on pu s'en prendre à la « mamie » de Sarcelles ? Celle qui emploie sans distinction des « juifs, des blacks et des beurs ». « C'est forcément des gens d'ailleurs », déclare un des organisateurs de la manifestation. « Nos parents achètent leurs médicaments ici », ajoute-t-il, « ça n'aurait aucun sens. »

La pharmacie de la famille Banon a été totalement détruite.La pharmacie de la famille Banon a été totalement détruite. © Yannick Sanchez

À quelques encablures de la place, l'épicerie casher Naouri a été vandalisée pour la deuxième fois en deux ans. Pour François Pupponi, c'est un signe de l'antisémitisme qui frappe Sarcelles. « Ils ont voulu casser du juif, déclare-t-il à Libération. Ce n’est qu’à la grâce d’un important dispositif policier que nous avons réussi à protéger les synagogues. » Et François Pupponi n'hésite pas à faire le lien entre les dégradations et les manifestants : « Ceux qui ont organisé ça savaient très bien ce qu’ils faisaient »,assure l'élu à Mediapart. « Faux », répondent les organisateurs, « il s'agissait d'une manifestation pacifique. »

Revenons aux faits. Le 14 juillet, soit six jours avant la manifestation sarcelloise, le « collectif des habitants de Garges-Sarcelles » décide d'organiser une manifestation en « soutien au peuple de Palestine », et commence à en parler sur les réseaux sociaux. 

Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur.Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur. © YS / MP

Dès le lendemain, le bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA) publie sur son site un communiqué en vue de faire interdire la manifestation. « Le BNVCA rappelle que les villes de Garges et Sarcelles sont la vitrine de la communauté juive de France, plusieurs agressions et attentats y ont été commis au nom du soutien aux Palestiniens. Les juifs sarcellois les commerçants (sic) attendent des représentants de l'Etat une attitude ferme. BNVCA considère que la liberté publique de manifester ne peut et ne doit exercer (sic) au détriment des droits et des Libertés des citoyens juifs. Au nom de tous ses requérants de tout l'hexagone le BNVCA demande au Ministre de l'Intérieur de prescrire aux Préfets d'interdire tout rassemblement à risque. » 

L'information se propage rapidement. Le site juif alliancefr.com publie le 16 juillet un billet intitulé « Alerte manifestation antisémite à Sarcelles », dans lequel il indique tout faire « avec le BNVCA et le préfét afin que cette manifestation anti-juifs et anti-israélienne n'ait pas lieu ». 

En parallèle, la Ligue de défense juive, groupe radical non enregistré en tant qu'association (lire ici notre article), annonce sur son site l'organisation d'une manifestation pro-israélienne au même endroit et à la même heure. Le 18 juillet, le maire de Sarcelles, François Pupponi annonce dans un communiqué l'interdiction de la manifestation : « Le risque avéré de trouble à l'ordre public que pourrait représenter cette manifestation ainsi que les réactions qu'elle pourrait engendrer, m'ont encouragé, conformément aux directives du ministre de l'Intérieur, à interdire tout rassemblement dimanche en lien avec le conflit au Proche-Orient », écrit-il. Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, justifie l'interdiction de la manifestation par les risques de troubles à l'ordre public. Ce dernier expliquera le lendemain sur BFM que sur l'un des abribus, situé près de la gare de RER Garges-Sarcelles, se trouve le message suivant : « Venez équipés de mortiers, d'extincteurs, de matraques, dimanche 20 juillet 2014. Venez nombreux, descente au quartier juif de Sarcelles. »

D'autres manifestations organisées le samedi 19 juillet à Lille, Nantes, Lyon, Saint-Étienne, Marseille, Montpellier et Toulouse sont maintenues. Les rassemblements à Paris (Barbès) et Nice sont interdits. A posteriori, le collectif des habitants de Garges-Sarcelles affirme avoir décidé d'annuler la manifestation, mais sur les réseaux sociaux, et jusqu'à la veille de l'événement, des membres du collectif invitent, malgré l'interdiction, à se rassembler.

Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur.Impression d'écran du fil Facebook d'un organisateur. © YS / MP

 

Le dimanche 20 juillet, au lendemain des heurts à Barbès, la manifestation a bien lieu. Quelques centaines d'habitants (500 selon la préfecture) de Sarcelles et des environs se rassemblent à 15 heures devant le quai de la gare Garges-Sarcelles.

Un porte-parole du collectif des habitants, Nabil Koskossi, intervient pour rappeler l'interdiction de la manifestation :  « La manifestation a été annulée, comme vous le savez tous (…) on est ici, à la base, par rapport à une initiative de paix, de soutien au peuple palestinien mais aussi à Israël, on veut qu'il y ait la paix dans les deux États. À Sarcelles, on a toujours bien vécu dans la mixité, on n'a jamais eu aucun problème avec nos frères juifs. »

Impression d'écran d'un reportage d'iTélé sur YoutubeImpression d'écran d'un reportage d'iTélé sur Youtube © DM

Pendant ce temps, sur l'avenue Paul Valéry où se situe la grande synagogue, la tension est palpable. Plusieurs camions de CRS bloquent l'entrée du quartier. Sur la rue Charles Péguy qui jouxte l'imposant édifice religieux, certains croient apercevoir des manifestants ou ce qui s'apparente à des informateurs, en voiture. Ce qui suffit à échauffer les esprits des juifs présents sur place : « Une voiture a longé la rue le long de la synagogue, raconte un des commerçants du quartier, elle s'est pris 2, 3 coups de casque de moto. » Peu après, c'est la voiture d'un chaldéen, un chrétien d'Orient, qui est amochée. « Le type s'est garé en haut de la rue et a dû se justifier ; quand ils ont compris qui il était, ils ont trouvé un arrangement. » La situation devient vite incontrôlable. Sous les yeux de la police, une voiture est violemment prise à partie. La vidéo qui suit, filmée depuis le balcon d'une des tours adjacentes, témoigne de la brutalité de ceux qui disent assurer la protection de la synagogue.


© Asma

À 15h45, les manifestants se trouvent toujours à l'opposé du centre-ville, aux abords de la station Garges-Sarcelles. Les organisateurs de la manifestation racontent ce qui, selon eux, a fait basculer la situation : « Tout se passait bien jusqu'à la réception de SMS par les manifestants leur expliquant qu'une manifestation pro-israélienne était autorisée devant la synagogue et que des membres de la LDJ s'y trouvaient. » Soudain, une partie des manifestants (200 selon la préfecture) met le cap vers la grande synagogue en faisant un détour par le marché.

Les journalistes de l'AFP sur place racontent « qu'une partie des jeunes manifestants se sont engouffrés dans la ville, vers des positions de CRS, renversant des poubelles et allumant pétards et fumigènes». C'est l'engrenage. 

Les manifestants près de la gare RER de Garges-Sarcelles.Les manifestants près de la gare RER de Garges-Sarcelles.

La pharmacie tenue par une femme juive sur la place des Flanades est en flammes et le feu menace d'emporter les habitations juste au-dessus. Une épicerie casher est détruite. Puis tout y passe : les rails du tramway, une boutique de téléphonie, une banque, les pompes funèbres. « Il faut bien distinguer les trois phases de la manifestation, explique le préfet du Val d'Oise, Jean-Luc Nevache. Le début, jusqu'à 15h45, est pacifique. Ensuite, après la dispersion, une frange des manifestants se dirige vers la synagogue en passant par l'arrière de l'avenue Paul-Valéry. Enfin, les multiples dégradations causées par des casseurs : le premier magasin est attaqué à 17h54 », tient à préciser le préfet.

© Carpe Diem

Face aux forces de police qui barrent l'entrée de la synagogue, c'est l'affrontement. Les balles en caoutchouc et grenades lacrymogènes des policiers contre les pierres et cocktails Molotov des plus radicaux, masqués pour la plupart. Difficile de dire si ce sont des habitants de Sarcelles ou des éléments extérieurs, venus pour en découdre avec les autorités.

Aux abords de la synagogue, dans le quartier juif, plusieurs habitants sont armés.Aux abords de la synagogue, dans le quartier juif, plusieurs habitants sont armés. © DM

Sur l'avenue Paul-Valéry, les forces de l'ordre paraissent débordées. Yohan affirme être responsable de la LDJ à Sarcelles. Patron d'une entreprise de sécurité, il dit accompagner de temps en temps le service d'ordre de la synagogue ou être présent lors de manifestations religieuses, comme en juin dernier où il affirme avoir mis « certains de ses vigiles à contribution pour défendre la communauté »« Moi, en tant que juif », affirme-t-il, « je n'ai aucune animosité envers les musulmans, mais ces derniers temps, on s'est réveillé parce qu'on a senti un dangerOn a repris les entraînements dans un lieu clandestin pour être prêts à se défendre. » Le jour de la manifestation, Yohan raconte avoir reçu l'autorisation, et même la recommandation, de « s'armer », lui et d'autres membres venus pour assurer la protection de la synagogue, ce que dément formellement la préfecture. 

« La police a très bien fait son boulot, mais ils étaient en sous-effectifs. Des policiers nous ont laissé prendre des matraques, des bombes lacrymos ou des battes de baseball pour protéger la synagogue. Ça m'a choqué, j'avais l'impression de ne plus être en France, je me suis dit, merde, on n'est plus protégés », poursuit Yohan. Devant le lieu de culte, ils sont quelques dizaines, armés de bâtons, extincteurs ou bombes lacrymogènes, secondés par des membres du Betar et de la LDJ Paris. À ce sujet, le maire de la ville déclare ne pas cautionner la présence de « milices », tout en affirmant « comprendre que des jeunes de la communauté veuillent défendre la synagogue »

Face à eux, une masse se rapproche aux cris d'« Israël assassin, Israël assassin ». Ceux qui protègent la synagogue entonnent une Marseillaise, « pour bien montrer qu'on est avant tout français, pour que la France nous protège », raconte Yohan de la LDJ. Dans la vidéo suivante, prise derrière les pro-Israéliens, on distingue plusieurs personnes, munies notamment de barres de fer.

Les scènes de guérilla urbaine se poursuivent jusque vers 19 heures. Plusieurs policiers et gendarmes sont blessés. Immédiatement après, 18 interpellations ont lieu, dont celles de quatre mineurs. La moitié des personnes arrêtées viennent de Sarcelles et des communes voisines. Les comparutions immédiates aboutissent pour quatre d'entre elles à de la prison ferme pour cause de « violences sur personne dépositaire de l'autorité publique » et « port d'arme ». Trois personnes ont été interpellées par les forces de police jeudi 24 juillet ; cinq autres personnes le mardi 29 juillet, selon la préfecture du Val d'Oise. 

Une plainte contre X a également été déposée par une habitante. Mediapart a pu la consulter. La jeune femme raconte avoir été « violemment poussée » et être « tombée sur le sol » alors qu'elle était en train de filmer un groupement s'apparentant à des membres de la LDJ. « Un homme, âgé de 30-35 ans, et d'assez forte corpulence, vêtu d'un blouson et d'un brassard sur lequel était mentionné “SÉCURITÉ”, s'est dirigé vers moi. (…) Il s'est alors adressé à moi en me disant : “T'as pas à filmer, t'as pas à prendre des photos, je vais te casser ton téléphone, tu dégages d'ici, tu pars d'ici, qu'on te voie plus ici ou sinon tu vas te faire violer ; t'as rien à faire ici ; tu les vois bien, ils sont tous armés, ils vont venir sur toi, alors dégage d'ici.” (…) Je lui ai dit aussi que j'allais le prendre en photo pour déposer plainte contre lui, mais il m'a répondu : “Tu peux porter plainte où tu veux, tu peux aller voir qui tu veux, ni l'État ni personne ne nous arrêtera.” », précise-t-elle dans le procès verbal.    

Le lendemain des dégradations, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, en visite à Sarcelles, dénonce « des actes antisémites ». « Quand on s'approche d'une synagogue, qu'on brûle une épicerie parce qu'elle est tenue par un juif, on commet un acte antisémite », déclare-t-il face aux journalistes venus en nombre. « Un tel déferlement de haine et de violence, c'est du jamais-vu à Sarcelles. Ce matin, les gens sont abasourdis et la communauté juive a peur », affirme le maire, présent aux côtés du ministre.

Puis, les déclarations politiques s'enchaînent. Au tour de Luc Chatel, secrétaire général intérimaire de l'UMP, de condamner les dégradations : « Les violences qui ont eu lieu en marge de la manifestation interdite à Paris, ou à Sarcelles, sont intolérables, injustifiables, incompréhensibles pour nos compatriotes. » Le candidat à la présidence de l'UMP, Bruno Le Maire affirme, lui, ne pas confondre « la petite bande de voyous excités, radicalisés, extrémistes, antisémites, qui se sont livrés à des actes intolérables sur le territoire français à Paris ou à Sarcelles avec l'immense majorité de la communauté musulmane qui est touchée, blessée par ce qui se passe aujourd'hui à Gaza et qui l'exprime, mais qui l'exprime sereinement, tranquillement »,ajoutant que l'interdiction de manifester n'était « pas une bonne idée ».

Le collectif des habitants de Garges-Sarcelles est furieux : « Les médias et les politiques ont récupéré l'affaire, en opérant un discours quasi-similaire, calqué sur les communiqués de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme –Ndlr) et de l'UEJF (Union des étudiants juifs de France – Ndlr) et en donnant des informations à peine vérifiées. En stigmatisant aussi une partie de la ville et en victimisant une autre. » 

Arié Alimi est avocat, juif, il a grandi à Sarcelles et revient régulièrement voir sa famille qui y demeure. Comme il l'écrit dans un billet de blog publié sur Mediapart, il a défendu deux des Sarcellois en comparution immédiate, deux jours après la manifestation du 20 juillet. Pour lui, il ne s'agit pas « d'émeutes antisémistes au sens propre du terme mais d'actes antisémistes en débordement de la manifestation. À Sarcelles, certains cherchent la confrontation, mais il n’y a de confrontation que s’il y a quelque chose en face. Il y a la volonté de se frotter à une autorité quelconque. Les jeunes ont envie de se sentir mecs, virils et, après seulement, vient l’appartenance communautaire ». Ce dernier s'inquiète néanmoins d'une tension naissante entre les différents quartiers de la ville :   « Ce qui s’est passé le week-end dernier, il y a dix ans ça ne se serait pas passé. Là, chacun voulait en découdre. Mais le plus choquant, c’est le manque d’anticipation des forces de police. »

La police municipale sur la place des Flanades, avec, à droite, la pharmacie brûlée.La police municipale sur la place des Flanades, avec, à droite, la pharmacie brûlée. © Yannick Sanchez

 

Nessim (le prénom a été changé), 21 ans, a participé à la manifestation. Il prône le recours à la violence, mais selon lui, cela n'a rien à voir avec l'antisémitisme : « C'est plusieurs petits facteurs qui ont fait que ça dégénère. Déjà, il y a l'interdiction de la manifestation, on devrait tous avoir le droit de manifester. Ensuite, il y a les propos racistes de la LDJ. Il y a une maman qui m'a dit que les policiers disaient aux juifs de s'armer, c'est une guerre inégale. Et puis après, il y a les gens qui ont voulu en profiter pour foutre le bordel. C'est vrai qu'on a jeté des pierres et des bouteilles, mais s'ils ne comprennent que la violence… Au moins ça a fait réfléchir, le ministre est venu, les médias aussi. »

Une semaine jour pour jour après les événements, les terrasses des cafés ont retrouvé leur clientèle et les aires de jeu résonnent des cris des enfants. Les véhicules de CRS encerclent toujours la synagogue. Sur le marché, les vendeurs dénoncent unanimement la mauvaise publicité pour la ville de Sarcelles. « On n'a quasiment pas vu de juifs au marché aujourd'hui », déclare un vendeur ivoirien. « En ce moment je pense que c'est dur pour eux », ajoute son voisin qui déplore la tournure des événements. 

Le long de l'avenue Paul-Valéry.Le long de l'avenue Paul-Valéry. © Yannick Sanchez

 

De l'autre côté de la ville, pour atteindre le quartier de “la petite Jérusalem”, il faut passer devant un car et quatre camions de CRS. Les contrôles d'identité sont fréquents et tout reporter se voit interdire de prendre en photo les édifices religieux.

Chez les commerçants, l'inquiétude se lit sur les visages. « On ne veut plus en parler, l'incident est clos », affirme un serveur. Un peu plus loin, des jeunes acceptent de témoigner. « La différence, aujourd'hui, c'est que je cache ma kippa dans ma casquette », répond l'un d'entre eux. « Moi je vais me faire pousser la barbe », assure un de ses amis. L'employé d'un des commerces situé en face de la grande synagogue montre des photos qu'il a prises de la manifestation. On y voit des gens armés, certains portant des brassards de la Ligue de défense juive. Lui-même affirme être prêt à se défendre. En cas d'attaque, il assure avoir un pistolet dont une photo traîne d'ailleurs sur son smartphone, « au cas où, si ça devait mal tourner ».  

Y aura-t-il un avant et un après 20 juillet à Sarcelles ? C'est le cas pour la LDJ. « Ici, on était une vingtaine, déclare Yohan. On est maintenant quarante. On a aussi obtenu des dons financiers, ça va nous permettre d'acheter des tatamis et des équipements pour les entraînements. »

BOITE NOIREChaque personne mentionnée dans cet article (à part Nabil Koskossy, l'un des porte-paroles du collectif des habitants de Garges-Sarcelles) a fait l'objet d'une interview entre le 24 et le 30 juillet, sur place ou au téléphone. Le maire de Sarcelles, François Pupponi ne nous a pas recontacté, tel que convenu après une première interview, pour nous fournir les photographies ayant mené à l'interdiction de la manifestation. Plusieurs personnes ont souhaité rester anonyme.

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Ecoutes Sarkozy : la preuve était dans le peignoir de Me Herzog

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Pour l'année du centenaire de la naissance de Louis de Funès, dont son client raffole, l’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, a offert aux « bâtards de juges » une scène digne du Grand Restaurant, qui fait encore rire au pôle financier du palais de justice de Paris ou dans les couloirs de l’Office central de lutte contre la corruption, à Nanterre.

Les faits remontent au 4 mars et ils en disent long sur le sentiment d’impunité du célèbre pénaliste parisien, ami et défenseur acharné de l’ancien président de la République – ils sont aujourd’hui tous les deux mis en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » dans l’affaire Azibert.

Me Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy.Me Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy. © Reuters

Ce 4 mars, une escouade de policiers débarque dans les bureaux et au domicile de Me Herzog, à Paris et à Nice. Ils sont chargés d’exécuter les actes d’instruction des juges Patricia Simon et Claire Thépaut, qui enquêtent sur les liens troubles de Nicolas Sarkozy et de son avocat avec le haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert. L’ex-chef de l’État et son conseil sont soupçonnés d’avoir promis au magistrat de l’aider à obtenir un poste sous le soleil de Monaco, en échange d’informations confidentielles et d’influences diverses sur des procédures en cours à la Cour de cassation, en marge de l’affaire Bettencourt.

Les soupçons sont nés d’écoutes judiciaires réalisées par d’autres juges dans l’affaire des financements libyens et, au vu de la gravité des faits découverts, ont donné lieu en février à l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet national financier. Les surveillances téléphoniques de Nicolas Sarkozy avaient notamment permis de découvrir que l’ancien président avait acquis, sous la fausse identité de “Paul Bismuth”, un second téléphone portable pour discuter secrètement avec son avocat des dossiers sensibles, les deux hommes ayant appris grâce à une fuite illégale qu’ils étaient écoutés par les juges sur leurs lignes officielles.

Thierry Herzog était si sûr de sa stratégie téléphonique, digne d'un épisode de The Wire, que ce 4 mars, quand un enquêteur lui demande en pleine perquisition combien de téléphones il possède, il répond sans ciller : « Un seul. » L’enquêteur se permet d’insister, lui demandant s’il est vraiment certain de n’utiliser qu’une seule ligne. L’avocat est formel. Oui, une seule. C’est alors qu’un enquêteur tape le numéro de son téléphone secret, qu’il utilise avec “Paul Bismuth”, pensant ainsi tromper la vigilance des policiers. Une sonnerie retentit alors à quelques mètres de là. Le téléphone était caché dans un peignoir de l’avocat, suspendu dans sa salle de bains.

Gros moment de gêne pour le défenseur de Nicolas Sarkozy et victoire pour les policiers et les juges, qui tenaient là la preuve matérielle définitive de l'appartenance de l'un des téléphones secrets à l’avocat de l’ancien président et, dans le même temps, celle de son mensonge éhonté devant eux.

Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog avaient réellement tout à craindre de leurs téléphones. Comme Mediapart et Le Monde l’ont rapporté ces dernières semaines, le contenu accablant des écoutes judiciaires réalisées sur les multiples téléphones du duo Sarkozy/Herzog a en effet révélé l’existence d’un système organisé, s’appuyant sur plusieurs “taupes” dans l’appareil d’État (justice, police, services secrets…), pour tenter d’entraver le travail de la justice dans plusieurs affaires qui menacent l’ancien président.

Une synthèse de sept écoutes judiciaires réalisées entre les 28 janvier et 11 février sur les vrais-faux mobiles de MM. Sarkozy et Herzog, révélée par Mediapart le 18 mars dernier, montrait déjà l’activisme de « Gilbert » [Gilbert Azibert – ndlr] à la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt, que ce soit pour tenter de convaincre certains collègues de rendre des décisions favorables à l’ancien président ou en faisant suivre à l’avocat de celui-ci des éléments dont il n’aurait jamais dû avoir connaissance.

« Il a bossé, hein ! », se réjouissait par exemple Thierry Herzog, en ligne avec Nicolas Sarkozy, le 29 janvier, à 19 h 25, au sujet dudit Azibert. « Il a eu accès à l’avis qui ne sera jamais publié. Cet avis conclut au retrait de toutes les mentions relatives à tes agendas. Ce qui va faire du boulot à ces bâtards de Bordeaux », ajoutera l’avocat le lendemain, à 20 h 40, en parlant des juges de l’affaire Bettencourt. Une autre écoute du 5 février, à 9 h 42, montrait que le même Azibert avait rendez-vous « avec un des conseillers » en charge de l’affaire Bettencourt à la Cour de cassation « pour bien lui expliquer »

Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierre Herzog. Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierre Herzog. © Reuters

Le même jour, comme le révélera Le Monde, Thierry Herzog annonce à Nicolas Sarkozy que leur “taupe” à la Cour de cassation avait envie de voir du pays. « Il m’a parlé d’un truc sur Monaco, parce qu’il voudrait être nommé au tour extérieur. » « Je l’aiderai », répond Nicolas Sarkozy. « Ben oui, reprend Me Herzog, d’après la discussion reproduite par le quotidien, parce qu’il va y avoir un poste qui se libère au Conseil d’État monégasque (…) Mais simplement, il me dit : “J’ose pas demander”. Ben, je lui ai dit : “Tu rigoles, avec tout ce que tu fais.” » « Non, ben t’inquiète pas, dis-lui. Appelle-le aujourd’hui en disant que je m’en occuperai parce que moi je vais à Monaco et je verrai le prince », assure Nicolas Sarkozy.

Le 24 février, l’ancien président français se montre toujours aussi conciliant pour sa “taupe”. Il assure à Thierry Herzog : « Tu peux lui dire que je vais faire la démarche auprès du ministre d’État demain ou après-demain. » Le 25 février, rebelote : « Tu peux lui dire que je ferai la démarche, puis je t’appellerai pour te dire ce qu’il en est. » Mais surprise, le lendemain, Nicolas Sarkozy assure à son avocat, cette fois sur leurs lignes officielles, qu’il n’a finalement pas osé faire la démarche tant espérée par Gilbert Azibert.

Les enquêteurs nourrissent aujourd’hui les plus gros doutes sur cette conversation dans la mesure où ils avaient déjà découvert, grâce à une écoute du 1er février (à 11 h 46) que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog prenaient un malin plaisir à organiser des conversations Potemkine sur leurs lignes officielles, dans des mises en scène à peine croyables destinées à tromper les juges. Ce jour-là, comme Mediapart l’a déjà rapporté, l’ancien chef de l’État appelle son conseil pour « qu’on ait l’impression d’avoir une conversation », évoquant « les juges qui écoutent ». Ce qu’il n’était, légalement, pas censé savoir.    

Cinq mois plus tard, au terme de quinze heures d’audition en garde à vue, l’ancien chef de l’État français et son avocat ont été présentés aux juges – « ces deux dames », comme Nicolas Sarkozy les qualifiera plus tard à la télévision avec dédain – dans la nuit du 1er au 2 juillet. Une mise en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » leur a été signifiée dans la foulée.

La descente aux enfers judiciaires de Nicolas Sarkozy a eu pour effet immédiat de provoquer, d’une part, une campagne de dénigrement d’une rare violence contre l’une des juges de l’affaire Azibert (au seul prétexte qu’elle était membre du Syndicat de la magistrature…) et, d’autre part, d’accélérer le potentiel retour de l’ancien président sur la scène politique française. Le but ? « Revenir pour mieux se défendre face aux juges », comme l’a écrit, ce 27 juillet, Le Figaro dans un stupéfiant aveu.

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En direct de Mediapart spécial Gaza

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Mediapart organise ce jeudi, de 18 heures à 22 heures, une émission en direct de la rédaction autour de la situation à Gaza. Et aussi en mémoire de Jean Jaurès, le jour du centenaire de son assassinat, le 31 juillet 1914 (voir la vidéo ici). 

Gaza : aveuglement israélien, réalité du terrain

Autour de Frédéric Bonnaud et Edwy Plenel, nos journalistes Thomas Cantaloube et Pierre Puchot (de retour d'Israël et de Palestine) et Leila Seurat, chercheuse associée au Ceri, et Mego Terzian, président de Médecins sans frontières (MSF) étaient réunis pour un grand débat portant sur la situation en Israël et en Palestine.


Gaza : à propos de la lettre d'Edwy Plenel à François Hollande


Gaza : les égarements français

Second plateau de notre soirée spéciale, avec un zoom sur la France. Pour la rédaction de Mediapart, Lenaïg Bredoux. Nos invités : Youssef Boussoumah, membre du Parti des indigènes de la République (PIR), l'un des organisateurs des manifestations interdites, Arié Alimi, avocat originaire de Sarcelles (lire son billet de blog sur Mediapart), et Hayatte Maazouza, élue PS à Trappes.

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Palestine : le revirement de Manuel Valls

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Le revirement est manifeste. Depuis le début de la guerre menée par Israël à Gaza, Manuel Valls a été le plus virulent pour dénoncer les manifestations de soutien aux Palestiniens organisées en France et pour condamner ce qu’il appelle un « nouvel antisémitisme ». Des propos conformes à ses écrits ou ses déclarations des dernières années. Mais parmi les organisateurs ou les participants à ces défilés, certains se souviennent du maire peu connu d’une ville de banlieue qui dénonçait la colonisation israélienne et plantait un olivier pour la paix à l’appel d’une plate-forme d’ONG.

L’épisode est peu connu (voir notre boîte noire), tant il remonte à une époque où Manuel Valls était loin de faire la une des journaux. Jusqu’à sa candidature à la primaire de 2011, il était un député socialiste parmi d’autres, largement inconnu du grand public, sauf quand il faisait parler de lui en soutenant la TVA “sociale” ou la loi contre le port du niqab de Nicolas Sarkozy. Mais dans les années 1990, jusqu’à la fin des années 2000, l’actuel premier ministre s’est démarqué, y compris au sein de son parti, par des positions dites “pro-palestiniennes”.

Le PS est traditionnellement divisé sur le conflit israélo-palestinien et il a toujours compté en son sein de fervents défenseurs d’Israël. Manuel Valls n’était alors pas de ceux-là. Élu en banlieue parisienne, il a régulièrement participé à des manifestations de soutien aux Palestiniens. À Évry, dont il est le maire de 2001 à 2012, Manuel Valls entretient même, selon plusieurs témoins, une « relation de confiance » avec les militants de la cause palestinienne. En 2002, à la suite de l’opération “Rempart” menée par Israël pour occuper la Cisjordanie, le jeune maire prononce un discours pour y condamner « la poursuite de la colonisation qui viole le droit international ».

Surtout, comme le rappellent l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et le PCF, Valls lance alors : « Oui, la cause de la Palestine est la cause du droit, de la justice, du droit des Palestiniens à disposer d’un État et à vivre en paix. Il faut qu’Israël res­pecte les réso­lu­tions de l’ONU. Pour cela le rapport de force est indis­pen­sable et donc il faut amener les par­le­ments et les gou­ver­ne­ments à sus­pendre l’accord d’association Union européenne-Israël, ce qui aurait effec­ti­vement un écho énorme en Israël et en Palestine. Oui, chers amis, nous devons faire la démons­tration de notre volonté inébran­lable pour que le peuple pales­tinien, à travers notre mobi­li­sation, retrouve le chemin de l’Histoire. » Douze ans plus tard, la suspension de l’accord d’association ne fait plus partie des revendications de Manuel Valls, ni même du vocabulaire de l’exécutif français (lire notre article sur les positions de François Hollande). 

En 2006, une nouvelle convention de jumelage est signée entre la ville de l’Essonne et le camp de réfugiés de Khan Younès, situé dans la bande de Gaza. Manuel Valls préside logiquement la cérémonie et y prononce un discours aux côtés de Hind Khoury, nouvelle déléguée générale de la Palestine en France.

Dans le fascicule de présentation, toujours disponible sur le site de l’association Évry Palestine, cheville ouvrière du jumelage et membre de l’AFPS, le maire de l’époque y écrit : « La signature par la ville d’Évry d’un accord de coopération avec le camp de réfugiés de Khan Younès incarne la volonté de marquer, fortement et symboliquement, son engagement solidaire avec ce peuple de Palestine, riche de ses traditions et de sa culture. Alors que la tragédie ne fait que s’amplifier, notre mobilisation aux côtés de l’association Évry Palestine est fondamentale. Elle marque notre souhait d’aider nos amis palestiniens par des actions, certes modestes, mais concrètes. Elle permet d’informer nos concitoyens sur la réalité de la situation à Gaza. Elle repose, enfin, sur le vœu d’une paix durable entre deux États, dans la sécurité et la liberté pour chacun des deux peuples. »

La brochure coéditée par Evry Palestine et la ville d'EvryLa brochure coéditée par Evry Palestine et la ville d'Evry

La brochure, coéditée par l’association et la mairie d’Évry, parle, cartes à l’appui, de la bande de Gaza comme d’un « territoire enfermé et assiégé », avant de donner une liste de contacts « pour en savoir plus sur la Palestine et la situation dans la bande de Gaza ». Parmi eux : l’AFPS, l’Union juive française pour la paix ou encore les étudiants palestiniens du Gups. Autant d’organisations qui manifestent depuis le début du mois de juillet, y compris dans les défilés autorisés dont Manuel Valls dit aujourd’hui tout le mal qu’il pense. 

Mais à cette époque-là, le député et maire d’Évry participe aux manifestations d’Évry Palestine, notamment les « Six heures pour la Palestine » organisées chaque année à l’hôtel de ville. « C’était même dans la salle du conseil municipal ! » se souviennent plusieurs participants (voir aussi l’affiche de présentation ci-contre). En 2006, Manuel Valls participe à un débat avec un « repré­sentant du camp de réfugiés, Denis Sieffert de Politis, Richard Wagman, pré­sident de l’Union juive fran­çaise pour la paix, Mohamed Kacimi, écrivain ». Le thème : « Témoi­gnages, soli­darité concrète avec la Palestine, soli­darité poli­tique. » Deux ans plus tard, en 2008, le maire est encore là pour une table ronde avec Claude Nicolet, président du RCDP, le Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine.

La même année, il plante un olivier à Évry dans le cadre de la cam­pagne de la Plate-forme des ONG pour la Palestine, et en com­mé­mo­ration de la Journée de la Terre du 30 mars 1976 (voir la vidéo ci-dessous). « Je pense évidemment peut-être d’abord aux habitants de la bande de Gaza enfermés, qui vivent une situation infernale, dans tous les sens du terme. Et bien sûr à tous nos amis du camp de Khan Younès avec lequel notre commune a signé un accord de coopération décentralisée. Je pense aussi évidemment au Liban, à l’Irak, à une politique américaine qui caricature les conflits au nom de la confrontation entre civilisations. Tout cela interpelle. (...) L’édification d’un mur honteux, la poursuite des colonisations, le sort des prisonniers, l’absence de dialogue, l’humiliation. Bref, des événements qui ne vont pas dans le sens de la paix. (…) Il est plus que jamais nécessaire de souligner l’urgence de la création d’un État ; d’une patrie viable, réelle, concrète pour les Palestiniens », affirme alors Manuel Valls.

Autour de lui, des élus, des militants, dont certains tiennent des pancartes. Sur l’une d’elles, un autocollant a été ajouté. On peut y lire : « Je refuse qu’on me traite d’antisémite quand je dis non à l’occupation de la Palestine. » En décembre 2006, le maire d’Évry participe à un rassemblement de soutien aux Palestiniens.

Les témoins de l’époque n’en reviennent pas aujourd’hui. Denis Sieffert l’a raconté en novembre 2012 dans un article de Politis intitulé « La conversion de Manuel Valls » : « Nous avons été nombreux à connaître Manuel Valls, maire d’Évry, honorant de sa présence les "Six heures pour la Palestine" qui se tiennent chaque année dans sa ville. Nous l’avons vu, en 2002, accueillir chaleureusement Leïla Shahid, alors déléguée de la Palestine en France, à l’occasion du jumelage d’Évry-Ville nouvelle avec le camp de Khan Younès. Nous pouvons encore relire ses mots prononcés à la tribune de la Mutualité, un certain 20 novembre 2002, quand il jugeait la situation "révoltante" et dénonçait "la colonisation qui viole le droit international". »

« À l’époque, Manuel Valls tenait des positions très claires et affirmait de façon très nette les positions traditionnelles de la France sur la création de deux États, sur les frontières de 1967, avec chacun Jérusalem pour capitale, et sur la condamnation de la colonisation », explique aussi aujourd’hui Claude Nicolet, à la tête du RCDP et conseiller régional Nord-Pas-de-Calais sous l’étiquette du MRC.

Le président de l’association Évry Palestine Bertrand Heilbronn, qui refuse de se focaliser sur « l’itinéraire d’une personne », confirme cependant le « tournant » de Manuel Valls. « Il faut que Manuel Valls comprenne que son avenir politique ne passe pas par la complicité avec des criminels de guerre (les dirigeants actuels d’Israël, ndlr). Et puisqu’il a fait un tournant dans un sens, il n'est jamais trop tard pour en refaire un, dans l’autre sens. De toute façon, c’est la position du gouvernement français qui importe et qui doit changer », explique-t-il.

La rupture entre les militants pro-palestiniens d’Ile-de-France et Manuel Valls a lieu en 2009 : le maire propose que la ville ne soit pas seulement jumelée avec le camp de réfugiés palestiniens de Khan Younès, mais aussi avec une ville israélienne. Évry Palestine s’y oppose en jugeant le moment mal choisi – c’est l’époque de l’opération “Plomb durci”. Résultat, quelques mois plus tard, Valls refuse que la mairie continue d’accueillir les « Six heures pour la Palestine ». La subvention annuelle de la ville à l’association est elle aussi supprimée.

Deux ans plus tard, en 2011, Manuel Valls interdit un débat après la projection du film Gaza-strophe dans la communauté d’agglomération d’Évry (lire notre article de l’époque). Il « a demandé l'annulation du débat, dans le souci d'éviter l'instrumentalisation d'un lieu public au profit d'une organisation politique, Évry Palestine, à qui il arrive parfois de défendre des thèses assez radicales », explique alors à Mediapart le maire de la commune voisine de Ris-Orangis, Thierry Mandon, aujourd’hui secrétaire d’État du gouvernement de Manuel Valls.

Au niveau national, le basculement est identique. En 2010, Manuel Valls, mais aussi François Hollande, s’opposent vigoureusement à la campagne de boycott des produits israéliens. Surtout, l’année suivante, le futur premier ministre fait partie des socialistes qui s’opposent à la reconnaissance de l’État de Palestine à l’ONU. Une position minoritaire au PS mais partagée par 110 parlementaires à l’époque, dont l’actuel secrétaire d’État aux relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen.

À cela s’ajoute une dénonciation vigoureuse et permanente de l’antisémitisme par Manuel Valls, convaincu que Lionel Jospin, à l’époque de la gauche plurielle, avait minoré le phénomène. Le sujet n’a en soi pas grand-chose à voir avec la politique israélienne, mais l’ex-maire d’Évry, à l’instar du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui organise ce jeudi un rassemblement de soutien à Israël à Paris, entretient la confusion entre antisémitisme et condamnation du gouvernement de Benjamin Netanyahou. En 2012, selon Le monde juif.info, Manuel Valls promet de « combattre l’antisionisme, cet antisémitisme qui vise à nier Israël », lors de l’inauguration de l’allée des Justes, à Strasbourg.  

Plus récemment, lors de la commémoration de la rafle du Vél' d’Hiv' et à propos de l’interdiction de certaines manifestations de soutien à la Palestine, le premier ministre a parlé d’« une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa "haine du Juif" derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ». Pour Valls, ce « nouvel antisémitisme » se confond, et se mêle, au diagnostic qu’il porte depuis plusieurs années sur le pays : celui d’une jeunesse des quartiers populaires en perdition qui peut se réfugier dans l’islam radical et fait porter un risque de déstabilisation voire un danger terroriste.

« Lisez mes œuvres complètes. J'ai été un des premiers à parler d'un nouvel antisémitisme. Il se construit depuis des années. J'ai été un des rares, avec Sarkozy, à me confronter à Tariq Ramadan (et notamment dans une tribune de 2003 cosignée par Jean-Luc Mélenchon et Vincent Peillon, où les trois se présentent comme "altermondialistes"), a récemment déclaré Manuel Valls au Figaro. Ce qui m'inquiète, c'est de voir le jihadisme se mêler à l'antisémitisme. » Avant d’ajouter à propos de l’extrême gauche et des écologistes qui participent aux manifestations de soutien à Gaza : « Ils ont un problème avec Israël. »

 

En 2011, lors d’une rencontre organisée et filmée par Radio Judaïca à Strasbourg, Manuel Valls est vivement mis en cause par une question qui « accusait le PS d’être antijuif », selon le directeur de la radio, cité par Arrêt sur images en 2012. Il répond tout aussi vivement : « Je ne parle que pour moi : la lutte contre l’antisémitisme, je dis ça pour des raisons politiques, historiques, ma famille est profondément liée à Vladimir Jankélevitch qui a écrit le plus beau livre qu’on puisse écrire sur l’imprescriptible et la Shoah ; par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël, quand même... », explique-t-il.

Après la nomination de Manuel Valls place Beauvau, la vidéo a été supprimée du site de la Radio Judaïca Strasbourg, puis de Dailymotion et de YouTube, comme l’avaient noté Alain Gresh du Monde diplomatique et Arrêt sur images. Une décision prise par la radio et non à la demande du nouveau ministre, selon son directeur.

De toute façon, Valls parle là de la lutte contre l'antisémitisme, pas de sa position sur le conflit israélo-palestinien. Et on peut être lié à Israël et à la communauté juive sans défendre les positions du gouvernement israélien. « Son virage à 180 degrés est aussi concomitant du début de sa trajectoire présidentielle. Et à ses yeux, dans cette trajectoire, c’est impossible d’être pro-palestinien », affirme Jacques Picard, conseiller régional Europe Écologie-Les Verts et président de l’association L’Olivier de Corbeil-Essonnes. Avant d’ajouter : « Manuel Valls est de ceux qui pensent que le Crif est influent sur la vie politique française et que l’on ne peut pas être président avec l’opposition du Crif. »

« En restant sur un segment trop étroit, comme celui de l’engagement pro-palestinien, on a du mal à s’imposer comme un premier rôle en politique, estime aussi Claude Nicolet, du RCDP. Et puis, Manuel Valls a posé le diagnostic d’une droitisation de la société française. Il y a dans son positionnement actuel une volonté de faire exploser les clivages à gauche et de procéder le plus rapidement possible à une recomposition de la vie politique française. » Un avis partagé par la sénatrice EELV Esther Benbassa, auteure d’un billet cinglant en réponse au premier ministre : « Il est vrai, aujourd’hui, que défendre les Palestiniens ne sied guère à un présidentiable. Je n’en dirai pas plus, par respect pour la fonction de premier ministre. »

« Sur tous les grands dossiers, Valls a été dans le sens du vent », rappelle aussi un de ses compagnons de route du PS, citant l’exemple de ses revirements sur le traité constitutionnel européen. Après avoir défendu le « non », le député PS avait fini par faire campagne pour le « oui ». « Manuel Valls est très intelligent. Mais son intelligence première est de capter les vents et, en fonction, d’adapter sa position », dit cette même source, sous couvert d’anonymat.

Interrogé, le cabinet de Manuel Valls nie tout changement dans les positions du premier ministre. « Nous ne considérons pas que sa position ait varié. Cette analyse est un artifice. Le seul camp, c'est celui de la paix », explique son entourage.

BOITE NOIRENous avons été alertés sur les changements de position de Manuel Valls concernant le conflit israélo-palestinien lors de discussions informelles avec plusieurs organisateurs des manifestations de soutien à Gaza et avec des responsables politiques. Nous en avons été surpris et avons commencé nos recherches.

C’est là que nous avons mesuré à quel point la “fachosphère” et les sites relayant les positions antisémites d’Alain Soral et de Dieudonné s’étaient emparés de ce sujet. Mais nous avons estimé qu’il ne fallait pas pour autant abandonner. D’autant moins qu’il ne faut pas laisser à ces sites infréquentables l’idée qu’ils étaient les seuls à l’aborder. Ce n’est d’ailleurs pas le cas, comme en témoignent, par exemple, ce billet de blog de 2011 du conseiller régional EELV Jacques Picard sur Mediapart, cet article de Politis de novembre 2012 ou de Rue 89 en mars 2014.

Toutes les personnes interrogées l’ont été par téléphone au cours des dix derniers jours.

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Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? Notre émission

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Au jour anniversaire de l'assassinat, le 31 juillet 1914, du leader socialiste qui disait non à la guerre, Antoine Perraud revient sur sa série autour de la deuxième mort de Jaurès, l'acquittement de son assassin en 1919 (série que vous pourrez retrouver ici). L'historien Nicolas Offenstadt et le comédien Claude Aufaure, ainsi qu'Edwy Plenel, participaient à ce débat animé par Frédéric Bonnaud.

Voici les textes de Jean Jaurès, lus en cours d'émission par le comédien Claude Aufaure :

  • Dernier discours prononcé en France, dans un café du quartier populaire de Vaise, à Lyon, le 25 juillet 1914 :

Ce n’est plus seulement le traité d’alliance entre l’Autriche et l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît les clauses essentielles, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France: « J’ai contre moi deux adversaires, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit d’invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre place à mes côtés. »

À l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu, c’est le monde en feu. Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit et j’atteste devant l’Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées ; lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci de la France

Voilà, hélas ! notre part de responsabilités. Et elle se précise, si vous voulez bien songer que c’est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est l’occasion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche : « Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc » et nous promenions nos offres de pénitence de puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie : « Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à l’autre bout de la rue, puisque moi j’ai volé à l’extrémité. »

Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie. Eh bien ! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la duplicité de la diplomatie russe.

 

  • Ultime discours de Jaurès, à Bruxelles, sur l’invitation du Conseil général du Parti ouvrier belge, le 29 juillet 1914 :

Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise ? C’est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement, célèbrent la guerre, mais la craignent individuellement. (Acclamations) C’est pourquoi, quand les bourgeois chauvins ont rendu l’orage menaçant, ils prennent peur et demandent si les socialistes ne vont pas agir pour l’empêcher. (Rires et applaudissements)

Mais pour les maîtres absolus, le terrain est miné. Si dans l’entraînement mécanique et dans l’ivresse des premiers combats, ils réussissent à entraîner les masses, à mesure que les horreurs de la guerre se développeraient, à mesure que le typhus achèverait l’œuvre des obus, à mesure que la mort et la misère frapperaient, les hommes dégrisés se tourneraient vers les dirigeants allemands, français, russes, italiens, et leur demanderaient : quelle raison nous donnez-vous de tous ces cadavres? Et alors, la Révolution déchaînée leur dirait: « Va-t-en, et demande pardon à Dieu et aux hommes! » (Acclamations)

Mais si la crise se dissipe, si l’orage ne crève pas sur nous, alors j’espère que les peuples n’oublieront pas et qu’ils diront: il faut empêcher que le spectre ne sorte de son tombeau tous les six mois pour nous épouvanter. (Acclamations prolongées)

Hommes humains de tous les pays, voilà l’œuvre de paix et de justice que nous devons accomplir ! 

Le prolétariat prend conscience de sa sublime mission. Et le 9 août, des millions et des millions de prolétaires, par l’organe de leurs délégués, viendront affirmer à Paris l’universelle volonté de paix de tous les peuples.


  • Dernier éditorial, “Sang-froid nécessaire”, paru dans L'Humanité le 31 juillet 1914 (1 min 25) :

Le plus grand danger à l’heure actuelle n’est pas, si je puis dire, dans les événements eux-mêmes. Il n’est même pas dans les dispositions réelles des chancelleries, si coupables qu’elles puissent être ; il n’est pas dans la volonté réelle des peuples ; il est dans l’énervement qui gagne, dans l’inquiétude qui se propage, dans les impulsions subites qui naissent de la peur, de l’incertitude aiguë, de l’anxiété prolongée. À ces paniques folles les foules peuvent céder et il n’est pas sûr que les gouvernements n’y cèdent pas. Ils passent leur temps (délicieux emploi) à s’effrayer les uns les autres et à se rassurer les uns les autres (...)

Pour résister à l’épreuve, il faut aux hommes des nerfs d’acier, ou plutôt il leur faut une raison ferme, claire et calme. C’est à l’intelligence du peuple, c’est à sa pensée que nous devons aujourd’hui faire appel si nous voulons qu’il puisse rester maître de soi, refouler les paniques, dominer les énervements et surveiller la marche des hommes et des choses, pour écarter de la race humaine l’horreur de la guerre. Le péril est grand, mais il n’est pas invincible si nous gardons la clarté de l’esprit, la fermeté du vouloir, si nous savons avoir à la fois l’héroïsme de la patience et l’héroïsme de l’action. La vue nette du devoir nous donnera la force de le remplir. 


  • En guise de sortie d'émission, ce texte prémonitoire de Jaurès en 1895 :

Un jour viendra peut-être où nous serons abattus précisément par un de ceux que nous voulons affranchir. C'est du même peuple souffrant que sortent, selon le vent qui souffle, les violences des révolutions ou les violences des réactions, et la même mer, brisant les navires qui se combattent, en a plus d'une fois réconcilié les débris dans ses profondeurs. Qu'importe après tout ! L'essentiel n'est pas qu'à travers les innombrables accidents de la vie nous soyons épargnés par la faveur des hommes ou par la grâce des choses ; l'essentiel est que nous agissions selon notre idéal, que nous donnions notre force d'un jour à ce que nous croyons la justice, et que nous fassions oeuvre d'hommes en attendant d'être couchés à jamais dans le silence de la nuit.

 

 

 

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Retour sur nos enquêtes : la « transparence » des députés, les affaires Sarkozy

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Rythmes scolaires : Aubervilliers opte pour le service minimum

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À Aubervilliers, la contestation contre la mise en place de la semaine de quatre jours et demi à l'école primaire a viré l’an dernier au bras de fer avec le maire socialiste Jacques Salvator qui a, depuis, perdu les élections. Dans cette ville de Seine-Saint-Denis devenue emblématique de la fronde contre la réforme des rythmes scolaires, la nouvelle majorité Front de gauche s’était engagée pendant la campagne municipale à tout remettre à plat et à mener enfin une concertation sur le sujet qui a, de l’avis de tous, cruellement fait défaut l’an dernier. Mais le projet de la ville pour la rentrée prochaine, présenté juste avant les vacances aux parents, laisse pourtant à beaucoup un goût amer. Si la ville, désormais dirigée par le communiste Pascal Beaudet, applique bien les neuf demi-journées réglementaires, avec des journées de classe commençant à 8 h 45 et se terminant à 15 h 45, avec le mercredi matin travaillé, elle ne propose pourtant plus aucune activité périscolaire sur les trois heures hebdomadaires dégagées par la réforme.

Ces activités sportives ou culturelles dont les élèves bénéficiaient gratuitement l'an dernier, ont été jugées par la nouvelle équipe municipale trop chères et sans grande plus-value. « Nous sommes déjà dans une situation de crise et de manque de moyens pour nos écoles, avec des enseignants non remplacés, des locaux dégradés. Le gouvernement veut nous imposer des exigences supplémentaires, mais sans mettre les moyens correspondants », plaide la première adjointe, Meriem Derkaoui, en charge de l’éducation, qui assume parfaitement la suppression de ces activités à la rentrée prochaine. « Faute de locaux, les écoles étaient transformées en hall de gare, dans une totale confusion entre ce qui relève du scolaire et le périscolaire. Nous avons donc choisi de redonner à l’école ce qui lui appartient, comme le demandaient les enseignants », explique-t-elle. Pour elle, le premier bénéfice de cette remise à plat – ou du détricotage de ce qu’avait fait la précédente majorité – est que le climat s’est enfin rasséréné autour de cette réforme.

Aubervilliers détricote la réforme des rythmes scolaires.Aubervilliers détricote la réforme des rythmes scolaires.

L’an dernier, la mise en œuvre au forceps de la réforme, contre l’avis des conseils d’école de la ville et dans un climat de franche opposition du corps enseignant, avait engendré une rentrée scolaire sous haute tension. Quelques semaines après la rentrée, près de deux tiers des écoles de la ville avaient ainsi fermé en signe de protestation. L’organisation faite pour optimiser les locaux et les emplois du temps des personnels recrutés s’était avérée complexe, avec des écoles divisées en deux groupes et fonctionnant sur des rythmes différents. La qualité des activités périscolaires dans cette ville pauvre de Seine-Saint-Denis s’était aussi révélée très inégale. Alors que le maire sortant, Jacques Salvator (PS et Républicains), avait déclaré vouloir faire de sa ville une « tête de pont de la réforme des rythmes scolaires en Seine-Saint-Denis », il s’était surtout attiré les foudres des enseignants, mais aussi d’une majorité de parents, le dossier ne comptant sans doute pas pour rien dans sa défaite aux municipales.

Pourtant, le choix radical de la nouvelle majorité de supprimer ces activités fait quand même renoncer à une très importante enveloppe pour la ville. L’an dernier, la mairie avait ainsi touché près de 1,7 million d’euros d’aides publiques pour mettre en place ces activités périscolaires – pour un coût total de 3,6 millions d’euros – (780 000 euros de fonds d’amorçage, 405 000 euros de la Caisse d'allocations familiales, ainsi que le remboursement du coût salarial des emplois d’avenir embauchés dans ce cadre, 575 000 euros), selon les chiffres de l’actuel directeur des finances de la ville.

« C’est scandaleux qu’on en arrive à une telle impasse ! » juge le président de la fédération des parents d'élèves FCPE 93, Rodrigo Arenas, pour qui « à Aubervilliers, les enfants ont été pris en otages par des règlements de comptes locaux». « Rien ne justifie le fait que des mairies renoncent à organiser des activités périscolaires pour les gamins. Comment se fait-il que dans des villes pourtant pas riches comme Clichy-sous-Bois, Stains ou Sevran, ce soit possible ? À un moment, il s’agit de choix politique de la part la ville. » Un parent d’élève, pourtant très remonté contre la manière dont la réforme avait été appliquée l’année dernière, a lui aussi le sentiment « d’un immense gâchis ».

« Le coût net direct (du maintien des activités périscolaires) pour le contribuable communal s'établirait donc à 1,8 million d'euros. Cette somme équivaut à 4 % d'impôts locaux. C'est énorme et clairement insupportable », affirme Gaël Hilleret, directeur des finances de la ville.

L’aide publique, toujours pas pérenne puisqu’elle provient pour l’essentiel d’un fonds d’amorçage dont le ministre Benoît Hamon reconnaît lui-même que le maintien n’est pas acquis dans les années à venir, relève donc du mirage.

« Nous ne renonçons pas à cette somme. Il vaut mieux voir qu’on ne dépensera pas plus d’un million d’euros pour une réforme qui n’a fait que des mécontents. Avec ces sommes, on pourra se consacrer à d’autres priorités, comme la réhabilitation de certains bâtiments », assure Meriem Derkaoui.

La nouvelle majorité s’était-elle néanmoins suffisamment préparée sur ce dossier ? Au vu du déroulement des quelques réunions de concertation mises en place juste après les élections, certains parents en doutent. « Ces réunions ont un peu servi de défouloir contre tout ce qui n’avait pas marché l’an dernier, raconte une mère d’élève. Et il n’y a pas vraiment eu d’espace pour construire un projet. On a même eu le sentiment que la nouvelle équipe n’avait pas réfléchi à grand-chose. » La chargée de l’enfance reconnaît d’ailleurs qu’elle est personnellement favorable au retour de la semaine de quatre jours – une position extrêmement minoritaire qui va à l’encontre de l’appel de Bobigny signé par la quasi-totalité des syndicats enseignants et des associations de parents.

Si les associations qui ont répondu aux appels d’offres l’an dernier sont évidemment très déçues, la ville précise qu’elles n’avaient été engagées que pour un an et que la fin des activités périscolaires n’engendrera aucun licenciement sec. Pour la nouvelle municipalité Front de gauche, cela aurait quand même un peu fait désordre. Une chose est sûre : le budget de l’éducation devrait être considérablement réduit du fait de cette nouvelle politique.

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Aventurier néolibéral ou modèle? Face à Renzi, la gauche française reste sceptique

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Manuel Valls n'a pas apprécié. Une réunion du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, un mardi matin, peu après les européennes de mai. Après des municipales catastrophiques, le PS a affiché un piteux 14 %, le pire score de son histoire. Il est question du “pacte de responsabilité”, pilier de la nouvelle politique économique “hollandaise”. Manuel Valls, tout nouveau premier ministre, est face aux députés.

L'ancienne économiste Karine Berger, une modérée du PS, prend la parole. Elle cite en exemple les enviables 40 % de Matteo Renzi, le nouveau président du Conseil italien. Suggère qu'il faudrait peut-être, comme lui, baisser les impôts. Et ajoute en plaisantant que l'Italien, 39 ans, est plutôt beau garçon. « Valls a pris la mouche et s'est mis à l'engueuler », raconte un témoin. Le premier ministre lui répond sur le fond. Dit que l'Italie n'est pas la France. Que de l'autre côté des Alpes, des années d'austérité ont permis quelques marges de manœuvre budgétaires que notre pays n'a pas. Dans sa réponse, certains décèlent une pointe de « jalousie ».

Renzi à Turin, octobre 2012Renzi à Turin, octobre 2012 © Reuters


Pour les leaders d'une gauche européenne moribonde, Matteo Renzi a tout du gars agaçant. Inconnu en France jusqu'à cet hiver – même s'il est, dixit le chercheur Marc Lazar, un « tueur » qui a gravi tous les échelons de la politique italienne –, l'ancien maire de Florence, star politique et médiatique, a réussi en très peu de temps à éliminer ses rivaux au parti démocrate (PD, centre gauche), à prendre la présidence du Conseil en Italie. Mais aussi à satelliser la momie Berlusconi et à ringardiser l'anti-système Beppe Grillo. Le tout en lançant plusieurs mesures de relance qui sonnent doux aux oreilles de la gauche.

Ce catholique fervent, biberonné à la démocratie chrétienne, serait-il donc le messie laïque de la gauche européenne ? Beaucoup veulent le croire. Renzi, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union européenne depuis le début du mois, fait se pâmer commentateurs et éditorialistes. Il « réveille l'Europe » (Libération, 2 juillet), serait l'« espoir de l'euro-gauche » (Nouvel Observateur, 5 juin 2014). « Dans l'atonie de la gauche européenne, de la politique en général, Renzi occupe un vide. Il tranche par sa jeunesse, son style provocateur, son utilisation des médias, les "one man shows" politiques à l'américaine qu'il organise », explique Marc Lazar, directeur du centre d'histoire des Sciences-Po, qui a vu en lui le « nouvel espoir de la gauche européenne ».

Grandi au centre droit, Renzi pense que le clivage droite-gauche est dépassé mais a fait adhérer son parti, longtemps réticent et partagé, au groupe du Parti socialiste européen au Parlement européen. Dans des tweets ravageurs, il attaque verbalement l'Europe mais ne remet plus en cause les sacro-saints 3 % de déficit. Il a annoncé bille en tête une réforme de la carte électorale et la suppression du Sénat, mais veut aussi se donner du temps.

Matteo Renzi est un parfait caméléon politique (lire ici le portrait enquête d'Amélie Poinssot). « L'intérêt pour Renzi, pointe avancée d'un parti de centre gauche qui n'a aucun ancrage historique dans la gauche de classe, est un symptôme du temps, abonde Fabien Escalona, chercheur en sciences politiques à l'université de Grenoble. Il prouve en creux l'absence d'identité forte de la social-démocratie européenne et le grand désarroi de la gauche française. » « Renzi révèle tous les dilemmes de la gauche européenne, résume Marc Lazar. Et au-delà du programme, il lui pose une question cruciale : celle du leadership. Le parti démocrate est surnommé par le politiste italien Ilvo Diamanti le "parti de Renzi". Cette personnalisation à outrance, cette démagogie à la limite du populisme qui choque la culture classique de la gauche, n'est-ce pas le pedigree de l'homme politique du XXIe siècle ? »

Depuis la débâcle des européennes, Renzi fait figure de locomotive du centre gauche européen. Au sein d'un PS au pouvoir qui semble rater à peu près tout ce qu'il touche, le cas Renzi intrigue. « Pas étonnant, commente l'essayiste Gaël Brustier, proche de l'aile gauche du PS. Le PS a collectivement arrêté de réfléchir. Les intellectuels y sont réduits au rôle d'organisateurs des universités d'été de La Rochelle ! Il n'y a plus de débat idéologique en son sein. La social-démocratie n'a ni vision du monde, ni projet alternatif, et même plus une sociologie qui le soutient. Dans cette décrépitude, il est facile de céder aux sirènes d'un effet de mode comme Renzi, qui semble remettre en cause l'austérité depuis le centre gauche tout en faisant de très orthodoxes réformes de structure. »

Incapable d'imposer en Europe la « réorientation » européenne promise à ses électeurs, François Hollande, chef de l’État impopulaire, a vite compris l'utilité de se montrer aux côtés du président du Conseil italien. Il l'a invité dès le 15 mars à l’Élysée, moins d'un mois après sa nomination. L'occasion de plaider la nécessité des « réformes ». « Dans les annonces qu’a pu faire le président Renzi, dans les choix que j’ai faits pour la France, notamment le pacte de responsabilité, il y a beaucoup de points communs », a dit ce jour-là François Hollande, deux mois après avoir lancé un vaste plan d'économies de 50 milliards d'euros sur trois ans et décrété une baisse massive du coût du travail. « Avec lui, Hollande fait comme avec tout le monde : il tente de vampiriser son énergie pour son propre compte », grince un député socialiste.

Plombé par le score piteux du PS et la percée de l'extrême droite aux européennes, François Hollande a encore perdu de l'éclat dans le paysage de la social-démocratie européenne. « Face à Angela Merkel, Renzi est en train de prendre la place que Hollande n'a jamais occupée », estime le radical de gauche Joël Giraud, président du groupe d'amitié France-Italie de l'Assemblée nationale.

Matteo Renzi et François Hollande à l'Elysée, le 15 mars 2014Matteo Renzi et François Hollande à l'Elysée, le 15 mars 2014 © Reuters


Moins sévère, la socialiste Karine Berger considère que Renzi est le « meilleur atout » de François Hollande « pour réorienter l'Europe. Hollande a besoin de trouver un point progressiste d'alliance en Europe ». Berger, longtemps proche de Pierre Moscovici avant de prendre ses distances, décèle en Renzi « une forme de modernité intéressante ». « Son discours n'est pas très différent de celui que tient la majorité ici, mais lui incarne physiquement un discours de reprise et d'optimisme. Il est le seul en Europe dans ce cas. À ce stade, il fait ce qu'il dit et il vit un état de grâce. Mais l'Italie reste dans une situation sociale, économique très difficile. Il incarne son message, encore faut-il qu'il aille au bout des réformes annoncées. »

Plus à gauche, les “frondeurs” socialistes, qui contestent précisément les fameuses réformes structurelles, se réfèrent aussi à Renzi et son fameux chèque de 80 euros par mois pour les ménages modestes, destiné à soutenir la consommation. La mesure coûte à l’État italien 16,5 milliards d'euros, trois fois plus que les 5 milliards d'exonérations de cotisations sociales de Manuel Valls. Une politique de relance de la consommation « plus massive qu'en France », constate Laurent Baumel, un des initiateurs de l'“Appel des 100”.

« Invoquer Renzi pour les contestataires du PS, c'est aussi tenter de trouver une ressource extérieure afin de prouver que leur combat n'est ni isolé ni d'arrière-garde », décrypte le chercheur Fabien Escalona. Pour eux, la référence à Renzi reste d'ailleurs plutôt oratoire : sur le fond, ils sont loin d'être convaincus. « Dans la phraséologie, la rhétorique, la volonté de contester l’État providence, le droit du travail, les fonctionnaires, Renzi peut servir de référence à la droite, mais pas à nous », dit Laurent Baumel.

« En Europe comme en France, il y a cette aspiration à un style réformateur, puissant, imaginatif, susceptible de mettre du mouvement dans une société. Renzi veut incarner l'énergie de la réforme et en cela il est intéressant, analyse Christian Paul, autre initiateur de la contestation interne à l'Assemblée. Il a cette conscience que lorsqu'on accède au pouvoir, c'est un compte à rebours qui commence, une guerre éclair pour surmonter les immobilismes. Il n'est pas sur un rythme sénatorial, suivez mon regard… » Mais Paul, proche de Martine Aubry, « ne succombe pas à la séduction. Le mouvement ne suffit pas. Et même s'il est encore trop tôt pour juger, je me demande si Renzi n'habille pas d'une volonté réformatrice et progressiste ce qui est en réalité une résignation au monde tel qu'il est ».

Aux dires de ses proches, le premier ministre Manuel Valls goûte assez qu'on le compare à Matteo Renzi. S'il n'y avait pas pensé, les commentateurs de la vie politique s'en sont de toute façon chargés pour lui. Vague ressemblance physique, dynamisme revendiqué, ambition assumée, com huilée : “Et si Valls était le Renzi français ?” est devenu un passage obligé des déjeuners entre journalistes et politiques, un thème imposé sur lequel aiment plancher les éditorialistes (ici, ou ). Les deux hommes, lit-on, seraient de la même trempe. À la différence que l'un, l'Italien, serait libre de ses mouvements quand l'autre, le Français, serait corseté par les institutions de la Cinquième République qui le relèguent au rang d'exécutant du président.

Le 26 avril, à peine nommé, Manuel Valls se rendait à Rome, le seul voyage officiel à l'étranger que François Hollande lui a permis. Les deux hommes ont dîné ensemble.

À Vauvert (Gard), le 6 juillet, en même temps qu'il promettait de « réinventer la gauche », prônant un « réformisme assumé », Manuel Valls a cité Renzi : « On cherche parfois à me comparer à ce qu'est en train de faire le président du Conseil italien, Matteo Renzi, je prends la comparaison » (cliquer ici pour lire la vidéo).

À Matignon, on ne souhaite pas épiloguer. « Cela relève de l'analyse politique d'un journaliste, difficile de commenter nous-mêmes », répond le conseiller presse du premier ministre. Mais les proches de Manuel Valls ne se privent pas, eux, de souligner les similitudes. « Tous deux tentent de faire bouger les lignes, dans leur camp et dans leur pays, explique le sénateur PS Luc Carvounas, fidèle de Manuel Valls. Ils sont en train d'écrire le logiciel politique du XXIe siècle : dire la vérité aux citoyens, remettre en cause les baronnies politiques, dépasser les conservatismes », dit-il, citant la réforme territoriale, menée en même temps en Italie et en France. Avec une « forme de bonapartisme qui consiste à prendre l'opinion en face, parce que la société fonctionne comme ça. C'est vrai pour Manuel Valls, c'est vrai pour Renzi, très présent sur les réseaux sociaux. »

Selon Christophe Caresche, de l'aile sociale-libérale du PS, « il y a en Renzi quelque chose d'exemplaire : il incarne cette idée que la gauche peut "faire", tout en se construisant sur le rejet d'une partie du logiciel de la gauche : son rapport dépassé à la mondialisation, le recours à un logiciel étatiste très prononcé. C'est reconnaître les entreprises et le marché comme créateurs de richesses, combattre les déficits et la dépense publique. Nous le faisons ici, mais Renzi a moins de complexes. Comme lui, Manuel Valls essaie de mobiliser l'opinion, en installant un rapport de force vis-à-vis des conservatismes. Il pense qu'une partie de la gauche est morte, souhaite une clarification et une recomposition de la gauche. Il tente de créer une nouvelle offre politique au pouvoir. Le chef de l’État est attaché à une méthode moins conflictuelle ».

« Valls et Renzi arrivent tous les deux à un moment de désastre dans leur camp. En profitant d'un effet de sidération, ils tentent d'imposer leurs propres options, et un changement de culture, analyse Fabien Escalona. Pour Renzi, c'est plus simple : le parti démocrate a déjà éradiqué une partie de la culture historique de la gauche italienne. Pour l'instant, Manuel Valls impose une certaine ligne, une vision bonapartiste et décomplexée, au point de reprendre les mots de la droite. S'il arrive à convaincre le PS du bien-fondé de sa ligne, il aura réussi le casse du siècle. Mais il n'est pas sûr que la base socialiste soit convaincue… »

C'est en effet la grande différence entre Renzi et Valls : alors qu'en décembre 2013, Matteo Renzi a gagné haut la main (68 %), sur son nom, une primaire ouverte à 2,5 millions de participants, Manuel Valls reste le Monsieur 5 % de la primaire de l'automne 2011. « Renzi n'est pas un aventurier : il est président du Conseil parce qu'il a pris son parti, et parce que l'Italie est un régime parlementaire, certes instable, mais où des "deals" au Parlement peuvent être trouvés », rappelle Karine Berger. En l'occurrence, Renzi gouverne avec le soutien de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi.

« Valls n'est pas au pouvoir parce que son parti l'a voulu mais parce qu'il a été nommé à ce poste par le chef de l’État, insiste Christophe Bouillaud, enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble, spécialiste de l'Italie. Il a la loyauté de l'appareil et des institutions, mais pas de légitimité populaire. » Pour ce chercheur, la tâche qui attend Renzi est d'ailleurs très compliquée, loin du cliché du dirigeant à qui tout réussit. « Ce que l'on perçoit chez lui comme de l'audace est le fruit de la nécessité. L'Italie est en plein marasme. Le niveau de l'activité dans le BTP est celui du milieu des années 60 ! La consommation est bloquée. Renzi a beaucoup promis, mais si la relance n'est pas au rendez-vous, il finira par perdre le pouvoir. »

Sans surprise, l'engouement pour Renzi s'émousse totalement à la gauche de la gauche, où l'Italien est surtout dépeint en nouvel avatar de Tony Blair ou de Gerhard Schröder. « Il n'y a chez lui rien de bien nouveau, analyse Gilles Garnier, responsable Europe au Parti communiste (PCF). Il est l'homme providentiel qui "bouge" et parle fort, exactement ce qu'attend une partie de la population en période de crise, en Italie comme ailleurs. Il est plus proche de Blair ou de Zapatero que de la gauche. Et il profite de la faiblesse de la gauche alternative. »

« Il incarne la négation de la gauche, tranche Christophe Ventura, responsable de la commission International du Parti de gauche (PG). Une sorte de nouvelle synthèse qui permet une énième fuite en avant de la social-démocratie dans sa stratégie d'accompagnement du néolibéralisme et de ses crises. Il incarne une rénovation des apparences, de la communication. Mais il ne préfigure que le remplacement d'une vieille oligarchie corrompue par une nouvelle, plus jeune, mais qui continuera la même politique, soutenue par le monde industriel, financier et médiatique : il est le bon produit qui permet au système de perdurer. »

Ancien secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts, désormais député européen, Pascal Durand dit avoir été « très déçu » par son discours devant le Parlement européen, le 2 juillet. L'allocution était truffée de références et imagée : « Si l'Europe faisait un 'selfie', quelle image verrait-on à l'écran ?, a lancé Renzi. Son visage aurait l'air ennuyé, fatigué, résigné. »

« C'était bien écrit, plein de références, mais après ? Sur la jeunesse, le chômage, l'environnement, la régulation de la finance, j'ai trouvé ça très convenu. Renzi comble un vide, car la gauche européenne a envie de quelqu'un qui la remobilise, lui donne envie. Mais comme Valls, comme tous les leaders européens, il reste dans le mainstream de la pensée politique et économique. Ils tentent tous un mélange entre la rigueur, la compétitivité, la relance de la consommation. Mais ils ne voient pas que le vieux modèle est fini et qu'ils n'ont pas les clés du nouveau. »

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Autoroute A831 : Royal piégée par Ségolène

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C’est la marque de fabrique de la ministre de l’écologie, et ancienne candidate à la Présidentielle. Elle déboule sans prévenir. Elle surprend. Ses admirateurs vantent un flair politique qui lui fait aborder des domaines oubliés mais qui passionnent les Français. Ses détracteurs parlent de ses improvisations, souvent à l’emporte-pièce, parfois mal calibrées, qui désarçonnent jusqu’à son entourage.

Convaincue de disposer d’une légitimité particulière depuis que dix-sept millions de suffrages se sont portés sur son nom en 2007, Ségolène Royal n’entend pas appliquer la doctrine Chevènement : « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne »... Au contraire : elle, elle ouvrirait plutôt la sienne, au nom même de sa mission !

Elle l’a d’ailleurs ouverte dès son arrivée au ministère de l’environnement en décrétant la « remise à plat de l’écotaxe », et en proposant d’instituer une redevance sur les poids lourds étrangers pour pallier le manque à gagner. Comme d’habitude des boucliers se sont levés. Les dirigeants d’Europe Écologie se sont inquiétés en déplorant « un enterrement de première classe ». La commission sur le développement durable à l’Assemblée a dénoncé « les désastreux effets d’un éventuel abandon ». La mission parlementaire sur l’écotaxe s’est sentie « court-circuitée ». Et la porte-parole de la commissaire européenne chargée des transports, Helen Kearns, a évoqué « un système discriminatoire entre Français et étrangers »...

Beaucoup de bruit, voire de fureur, mais qui confortait au fond l’image d’une ministre au plus près du quotidien, capable d’entendre le message monté de Bretagne sous le symbole du bonnet rouge. Avec cette « remise à plat », Mme Royal mettait en pratique son refus d’une « écologie punitive ». Et si les états-majors institutionnels se dressaient contre elle, dans les partis, au Parlement, à Bruxelles, son image forgée en 2007 en sortait renforcée. Elle était bien la femme qui s’était exclamée, le 6 février 2007, à la Halle Carpentier : « Je veux être la présidente des sans voix, de ceux qui n’ont jamais droit à la parole. Et je m’engage à ce que cette parole ne vous soit jamais confisquée. »

Et soudain patatras. Dans le dossier du projet d’autoroute A831, qui traverserait le Marais poitevin en reliant Fontenay-le-Comte en Vendée à Rochefort en Charente-Maritime, Ségolène Royal avance à front renversé. L’arroseuse se retrouve arrosée ! C’est elle qu’on accuse de décision solitaire et d’abus de pouvoir, et ses procureurs qui s’expriment au nom de la proximité. Certes, le député Olivier Falorni qui parle de « décisions autocratiques » est aussi son ennemi irréductible depuis les dernières législatives et le tweet de Valérie Trierweiler, certes la pique du président UMP du conseil général de Vendée, Bruno Retailleau, sent le machisme à plein nez (« C’est le caprice de Dame Ségolène…»), certes le président UMP de Charente-Maritime, Dominique Bussereau, est un vieil adversaire, certes le président PS de la Région Pays de la Loire, Jacques Auxiette, est nerveux depuis le débat sur la réforme territoriale, mais ces élus s’avancent au nom de leurs administrés, et personne ne dira jamais qu’un élu local peut avoir d’autres préoccupations que celles de ses électeurs.

L’autoroute A831 est donc présentée comme « absolument essentielle à la vitalité de nos territoires durement touchés par la crise, et parfaitement compatible avec le Marais poitevin » par bon nombre des élus de la région, même si quelques-uns, comme Jean-François Macaire, président de la région Poitou-Charentes, soutiennent que le marais est « un patrimoine exceptionnel », et qu’il ne peut « subir la blessure d'une autoroute ».

La position de l’ancienne candidate à la présidentielle est si inconfortable que Manuel Valls, souvent embarrassé par les déboulés de sa ministre, s’est autorisé le plaisir politique de la contrer sèchement tout en faisant mine de la soutenir. Alors que Ségolène Royal avait posé son veto clair et net, il a rappelé, dans un courrier aux élus en colère, que c’est lui qui déciderait en dernier ressort, et que « pour faire le bon choix il faut avoir tous les éléments en main ». Autant dire qu’à ses yeux, Mme Royal n’en dispose pas et qu’elle a parlé trop vite. Bon prince, Manuel Valls s’est tout de même payé le luxe de faire du Ségolène, façon démocratie participative : « Je suis comme la ministre, à l’écoute des élus de la région. » Ils n’entendent donc pas la même chose.

Coincée, Mme Royal a fait le dos rond en assurant qu’elle avait été associée à l’écriture de la lettre du premier ministre… Vive les vacances et rendez-vous à la rentrée.

Cet épisode pourrait paraître anecdotique. Il contient les ingrédients mineurs d’un feuilleton politique qui flirte avec la rubrique people : personnalité de l’éternelle candidate à la présidentielle, coups d’éclats, nature misogyne des réactions qu’elle peut déclencher, etc.

À y regarder de plus près, ce conflit entre une ministre qui se réclame “des gens” et des élus qui se revendiquent “du terrain” pose pourtant un problème de fond. Au moment où s’engage une réforme territoriale qui va donner des pouvoirs accrus à des régions plus puissantes, cette affaire pose la question des limites de la décentralisation. Entre un pouvoir national et un pouvoir régional, tous deux issus du suffrage universel, lequel est le mieux à même de trancher des dossiers de dimension à la fois locale et générale ?

Compte tenu de la dimension environnementale de cette autoroute, et de ses retombées sur le tissu régional, qui est le plus légitime pour décider du feu vert ou du feu rouge ?

À part quelques vieux jacobins, presque personne ne dira que c’est l’État central. L’idée admise, avec statut d’évidence, c’est, pour démarquer une phrase célèbre, que « le terrain, lui, ne se trompe pas ». On verrait mieux d’en bas que d’en haut. Le pouvoir central serait coupé des réalités, et le pouvoir local en phase avec les aspirations du peuple. D’où les lois de décentralisation votées en 1982 et maintes fois retouchées. D’où ce conflit latent, et jamais exprimé ouvertement, entre l’échelon central qui voudrait garder le contrôle, et les échelons locaux qui entendraient le conquérir, ou l’élargir.

Mine de rien, l’enjeu est redoutable, et la mésaventure de Ségolène Royal, prise au piège de son discours sur la proximité, l’éclaire d’une lumière crue. Ne s’est-elle pas enferrée dans une contradiction qui la dépasse, et qui concerne toutes nos institutions ?

Prenez le niveau national. Depuis quelques années, une idée fait son chemin, propulsée par des affaires retentissantes. Elle dit qu’il faut établir une distance absolue entre le politique qui décide et le dossier qu’il arbitre. Qu’il faut chasser les conflits d’intérêts. Que ce n’est pas aux labos de décider de la loi sur la santé. Pas à EDF d’envisager l’avenir de Fessenheim. Pas aux entreprises de travaux publics de décréter le bien-fondé d’un grand chantier. Bref, comme disait Clemenceau, que la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires.

Prenez maintenant la France du niveau local, ou régional, dans son évidence partagée. Soudain, le raisonnement s’inverse de façon spectaculaire. Plus de distance minimale à établir, mais au contraire une proximité maximale à rechercher. L’intérêt général serait dicté par la somme des intérêts locaux, et le bon élu devrait se confondre avec eux jusqu’à en devenir l’incarnation…

Qui décide, et en fonction de quels paramètres, ou de quelles valeurs ? Voilà une grande question pour les années qui viennent. Charles de Gaulle symbolise l’équilibre d’après guerre. La tête et les jambes. L’État fort et les régions qui suivent. Ce consensus permit au Général de lancer aux maires de France réunis en congrès : « Bonjour messieurs, comment vont vos canalisations ? »

Un tel mépris n’a plus cours aujourd’hui, et ça n’est pas dommage, mais la question des compétences n’est toujours pas clairement fixée, trente ans après Gaston Defferre. Faute de balises, tout le monde s’avance et revendique son pouvoir, en contestant celui du partenaire, dans une espèce de foire d’empoigne où l’on plonge dans l’ancien régime : Royal y est traitée « d’Aliénor d’Aquitaine », et les élus locaux qualifiés de « grands barons ». De temps en temps, quelqu’un change de terrain, et se prend les pieds dans le tapis.

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Défilé pour Gaza : paroles de jeunes manifestants

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Ils forment le gros du cortège des manifestants présents ce samedi 2 août (11 500 selon la préfecture, 20 000 selon les organisateurs), leur voix est habituellement couverte par celle des casseurs des fins de manifestation. Ils se regroupent spontanément, souvent via les réseaux sociaux, et ne se sentent pas spécialement représentés par les organisations syndicales ou les partis qui orchestrent les rassemblements. Ils chantent pourtant de bon cœur leur soutien à la Palestine, reprenant les slogans. Ne vivant pas à Paris, ils n'hésitent pas à passer trois heures aller-retour dans les transports pour arriver à temps. Mediapart les a rejoints, à Trappes (Yvelines), où leur petit cortège s'est formé.

De gauche à droite, Aziz, Hayatte, Fatiha et ClémentDe gauche à droite, Aziz, Hayatte, Fatiha et Clément © Yannick Sanchez

Sur le quai, Aziz rejoint Hayatte. Un arrêt plus tard, Fatiha embarque, puis Clément. Les quatre se connaissaient à peine il y a quelques semaines, la cause qu'ils défendent les a soudés. Dans le train, Hayatte sort son keffieh et des pancartes qu'elle a gardées des précédents rassemblements. La conversation s'engage sur les raisons qui les ont motivés à aller manifester.

« Je n'ai pas l'habitude des manifestations, lance Fatiha. Ce qui m'a déterminée, c'est le communiqué de Hollande qui encourage Israël à prendre toutes les mesures pour défendre sa population. J'ai eu beau voter pour lui, je ne pouvais pas rester chez moi. J'avais besoin de dire mon désaccord. D'ailleurs, le gouvernement a fait marche arrière depuis, cela prouve bien que les manifestations ne sont pas inutiles. » 

© Yannick Sanchez

Fatiha est juriste, en droit de la santé. Elle a grandi dans la banlieue parisienne, d'abord à Colombes dans les Hauts-de-Seine puis à Élancourt (Yvelines), cité voisine de Trappes.

Avec sa sœur et un de ses cinq frères, ils sont les seuls dans sa famille, originaire du Maroc, à soutenir publiquement la cause palestinienne. « C'est une question de tempérament, selon elle. Avec mon père c'est "pas de politique à la maison", ce n'est pas dans sa culture de manifester. Ma mère au début ne voyait pas trop l'intérêt d'aller manifester mais les interdictions l'ont interpellée. Je crois qu'elle s'est un peu dit, "là-bas on tue des Arabes et ici on les empêche de manifester". Du coup avant que je parte à la manifestation elle m'a dit de dire : "où sont les droits de l'homme dans tout ça ?", ça m'a touché qu'elle change un peu d'avis. Malgré tout, je crois que pour mes parents les manifestations donnent une mauvaise image et desservent la cause palestinienne. Moi c'est l'inverse, je suis convaincue qu'il faut se faire entendre. »  

Aziz a 28 ans, il est conseiller en courtage assurance et travaille à la Défense. Il vit toujours à Plaisir, dans la grande banlieue Ouest de Paris et vient à presque tous les rassemblements de soutien à la Palestine... quand il n'oublie pas de se réveiller. Pour lui, le droit de manifester est essentiel pour défendre des « causes justes ». Il a déjà battu le pavé plusieurs fois pour Gaza ou encore « les droits des Tibétains » mais ne se considère pas comme un militant pur jus.

© YS

« Je ne suis pas politisé, annonce-t-il. Je ne vote pas, j'ai perdu toute confiance dans le vote, en nos élites, il n'y a que des riches qui gouvernent. Lorsque je viens ici, ce n'est pas en tant que musulman, arabe ou français, je viens pour faire entendre ma voix dans un moment de crise. Au final, on parle beaucoup des musulmans dans ces manifestations, mais j'ai été très surpris par la diversité des gens dans la foule. J'ai rencontré des Blancs, des Noirs, des Philippins, des Asiatiques et beaucoup de femmes aussi. » 

La famille d'Aziz est sur la même longueur d'onde au sujet du conflit israélo-palestinien : « Mes parents sont tout à fait d'accord avec le fait que je manifeste. Eux aussi sont allés dans la rue mais leur mobilisation a davantage concerné le terrain religieux. Ils ont été très touchés de voir que les Palestiniens se sont fait bombarder en plein ramadan. Pour moi c'est différent, même si c'est vrai que ça a amplifié mon rejet de la politique menée par Israël. » Parmi ceux qui défilent dans la famille il y a aussi la petite sœur d'Aziz : « Elle a 18 ans, c'est sa toute première manifestation. C'est un peu grâce à moi d'ailleurs ce nouvel engagement. Elle voyait mes vidéos sur Facebook, ça lui a donné envie de se mobiliser. » 

Si Aziz se dit loin de la politique, son amie Hayatte est son exacte opposée. Conseillère municipale PS dans la ville de Trappes, Mediapart l'a reçue lors de son dernier live sur Gaza pour qu'elle témoigne du cas de son frère de 33 ans, interpellé sans raison par la police lors de la dernière manifestation interdite à Barbès, et condamné à quatre mois de prison avec sursis avant que le parquet ne fasse appel (lire l'article sur son audience).

Capture d'écran du téléphone d'Hayatte MaazouzaCapture d'écran du téléphone d'Hayatte Maazouza © MP

À 24 ans, Hayatte déborde d'une énergie contagieuse qu'elle met à profit à chaque rassemblement de soutien à la cause palestinienne : « On se réunit facilement à travers les réseaux sociaux ou des applications sur nos téléphones. Les vidéos qui montrent le conflit nous révoltent. Avant on ne voyait pas ces images à la télé, mais maintenant on peut mettre un nom quasiment sur chaque mort, ça nous touche énormément. Je viens pour apporter un message de paix. On parle beaucoup des casseurs mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Personnellement, je crois encore à la cohabitation possible d'un État palestinien et d'un État israélien. » 

© Yannick Sanchez

Au milieu du cortège, Hayatte croise un de ses frères, Foued, déguisé en résistant du Hamas. C'est l'attraction du défilé, plusieurs manifestants se prennent en photo à ses côtés, ce qui a le don d'agacer Hayatte qui ne souhaite pas que l'image de son frère soit instrumentalisée par des pro-Dieudonné qui posent à côté de lui en faisant des "quenelles". « Lui compare le Hamas aux résistants français pendant la Seconde Guerre mondiale, déclare Hayatte, nos points de vue divergent là-dessus. Je pense que le Hamas n'aurait pas de raisons d'exister s'il n'y avait pas les colonies israéliennes. Lorsqu'il y aura un État palestinien, la résistance n'aura plus lieu d'être. C'est dans la misère que le populisme prospère. »  

Hayatte et son frère FouedHayatte et son frère Foued © Yannick Sanchez

Clément, 28 ans, est infographiste. Il connaît Hayatte à travers le mouvement des jeunes socialistes (MJS).

© Yannick Sanchez

À la différence de ses compagnons de défilé, il a déjà participé à des « centaines de manifestation ». « En tant que membres des MJS, pour moi c'est un peu naturel de manifester. Une de mes premières fois, c'était avec mes parents lors du passage de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002. L'année suivante, je suis allé dans la rue pour dénoncer l'opération militaire en Irak. Concernant Gaza, j'avais manifesté lors de l'opération "plomb durci" entre 2008 et 2009. La particularité aujourd'hui, c'est le contexte politique. Il y a beaucoup d'amalgames entre la dénonciation du conflit israélo-palestinien et ce que certains perçoivent comme de l'antisémitisme. On peut être antisioniste et pas antisémite. Ce qui me choque aussi, c'est le fait que Hollande ait réuni les représentants des institutions religieuses au lendemain des heurts à Barbès et Sarcelles. C'est inacceptable, tout comme le fait d'interdire les manifestations. »

 « J'ai participé au dernier rassemblement à Barbès, mais il y a une chose qui m'échappe. Si on interdit la manifestation pourquoi laisse-t-on les gens se rassembler ? Moi je pense qu'à travers cette souricière policière, l'État n'a pas bien protégé les manifestants. Quand il y a eu les charges des CRS et les grenades lacrymogènes, je me suis réfugié chez un ami qui habite dans le coin. J'ai pris le métro aérien deux heures plus tard. Lorsqu'on est passé au-dessus de Barbès, la police a coupé l'électricité, on s'est retrouvés juste au-dessus des deux voitures de la RATP qui ont brûlé. Les flammes remontaient jusqu'au niveau de la rame de métro, on était assez inquiets. Il y avait des touristes qui n'ont pas compris du tout ce qui se passait. Cela m'a donné d'autant plus envie de revenir aux manifestations, pour montrer la vraie mobilisation, celle de ceux qui sont contre ce qui se passe à Gaza. »

Après deux bonnes heures de marche sous un soleil de plomb, le rassemblement aux Invalides est troublé par de grosses gouttes de pluie. Les gens s'empressent de s'abriter sous les arbres chétifs de la place, avant de regagner le métro le plus proche. « Elle est belle la résistance ! » lance Clément qui en a vu d'autres mais qui n'est pas non plus mécontent de rejoindre un endroit au sec.

© Yannick Sanchez

La pluie a mâché le travail des policiers qui n'ont eu qu'à observer le départ rapide des manifestants. Dans le cortège pacifique, il n'y avait trace ni de la Ligue de défense juive, ni du groupe radical Gaza firm. D'autres manifestations ont également eu lieu ailleurs en France, ils étaient environ 2 000 à Marseille, Lyon, Lille et près de 800 à Mulhouse ou encore à Nantes pour soutenir le peuple palestinien. Aucun heurt n'a été recensé.

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L'envers des data centers (1/3) : Ordiland en Seine-Saint-Denis

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À brûle-pourpoint, si l'on vous demandait de pointer sur une carte de France la zone de plus forte concentration de data centers, ces hangars de serveurs informatiques qui font tourner Internet, que désigneriez-vous ? Le quartier de La Défense, près des sièges des multinationales ? Grenoble la technophile, avec son « campus d’innovation » spécialisé en nanotechnologies, Minatec ? Le long du couloir rhodanien et de ses nombreuses centrales nucléaires ?

Vous auriez tort.

La plus forte concentration de data centers s’étale sur Plaine Commune, l’agglomération de Seine-Saint-Denis qui regroupe au nord de Paris, Saint-Denis, Aubervilliers, La Courneuve, Stains, Saint-Ouen, Pierrefitte, Villetaneuse, Épinay et l’Île-Saint-Denis.

Par quelle ruse de l’Histoire l’un des départements les plus pauvres de France, havre de cités en galère, s’est-il retrouvé terre pionnière de l’économie numérique ? Par une accumulation d’avantages topographiques et techniques méconnus du grand public : bon équipement en câbles électriques et fibre optique, bonne desserte routière, situation hors zone inondable, foncier pas cher, proximité avec la capitale.

À l’été 2014, une quinzaine de data centers sont en service sur Plaine Commune (sur 130 environ en France dont la moitié en Île-de-France).

Carte des data centers en service en Ile-de-France (pastilles violettes) (DRIEE).Carte des data centers en service en Ile-de-France (pastilles violettes) (DRIEE).

Visite du site d'Aubervilliers avec Romaric David, information, membre du groupe de recherches EcoInfo :

À Plaine Commune, plusieurs nouveaux sites sont aujourd'hui en projet, dont un gigantesque data center de 44 000 m2 à La Courneuve, sur l’ancien site d’Eurocopter.

La consommation d’énergie de ces centres est pharaonique : d’ici 2030, ils devraient représenter un quart de la puissance électrique installée supplémentaire du Grand Paris, autour de 1 000 mégawatts (MW). Autant qu'un petit réacteur nucléaire. Autant que toutes les nouvelles activités tertiaires et industrielles de l’Île-de-France (1 million d’emplois attendus). C’est sidérant.

Les autorités régionales prévoient 500 000 m2 de nouvelles fermes de serveurs. Plaine Commune étudie actuellement trois à cinq projets de plus de 5 000 m2, susceptibles d’occasionner une demande de l’ordre de 750 MW.

Les nouveaux besoins en électricité des futurs data centers sont si énormes que la préfecture de Région estime qu’ils « ont un impact sur le réseau de distribution, susceptible d’entraîner localement des déséquilibres structurels ». Or, une partie de cette énergie provient des centrales thermiques, donc polluantes pour le climat, dans la périphérie parisienne.

Fonctionnement d'un data center (ALEC Plaine Commune).Fonctionnement d'un data center (ALEC Plaine Commune).

C’est ERDF, la filiale d’EDF spécialisée dans la distribution de l’électricité, qui a donné l’alerte devant la quantité d’énergie réservée par les fermes de serveurs : elle n'est tout simplement pas en capacité d’acheminer tout le courant demandé. Il faut construire au moins un nouveau poste source, onéreux équipement nécessaire pour livrer les électrons aux clients.

À Aubervilliers, les fermes de serveurs se concentrent dans le quartier des entrepôts de grossistes en textiles, sacs et jouets. Au milieu de rues anonymes mais chiffrées (« Rue n° 31 », « Rue n° 21 », « Avenue n° 5 »), des parois de tôle ondulée, coffrées ou non de bois, se mêlent aux devantures bariolées des commerçants. Tout autour, les voitures ne cessent d’aller et venir dans le sifflement permanent des pneus et le ronflement des moteurs. Un vendeur ambulant propose des melons à la cantonade. Partout, des objectifs de caméras de vidéosurveillance se braquent sur les trottoirs. Juste en face d’un data center d’Interxion, sans autre signe distinctif qu’une camionnette siglée au nom de la multinationale, une publicité pour GDF Suez assène fort à propos vu son emplacement, qu’il « est difficile d’imaginer se passer d’énergie au quotidien ». Un massif de fleurs jaunes et une rangée d’arbres encore jeunes jettent des touches de nature dans cet environnement parfaitement artificiel. À quelques mètres du futur campus Condorcet, dévolu aux sciences humaines et sociales, Interoute, l’un des plus anciens centres du coin, a investi un bâtiment industriel peint en rose pâle, tout près du chimiste Solvay.

Jusqu’ici, une pure histoire de développement économique et de renaissance industrielle. Mais les villes ont aussi des habitants.

Khadija, devant une fissure sur la façade de sa maison de La Courneuve. (JL)Khadija, devant une fissure sur la façade de sa maison de La Courneuve. (JL)

À La Courneuve, rue Rateau, Khadija se plaint du ronflement émis par l’imposant data center qu’Interxion a ouvert à 10 mètres de sa maison : « Il y a du bruit toute la nuit. Quand il fait chaud, je ne peux pas ouvrir la fenêtre. J’ai toujours ça dans mes oreilles. On a travaillé toute une vie pour acheter nos maisons. C’est même pas esthétique. »

Elle habite là depuis une vingtaine d’années, au sud de l’A86. Sa façade s’est fissurée lors des travaux de construction du centre, dit-elle. Celle de sa voisine Matilda aussi, qui montre les ouvertures qui lézardent les marches de son petit escalier. Mais en l’absence d’expertise préalable au chantier, impossible de le faire reconnaître comme dommage. Missionné sur place, un expert n’a pas confirmé les nuisances.

Pourtant la nuit une sirène se déclenche parfois inopinément. Ainsi, une nuit de juillet, vers 23 h 30 :

La sirène d'un data center, en pleine nuit, enregistrée sur le portable d'une riveraine.

Sur le plan du cabinet d’architectes qui a conçu l’entrepôt, il y a des arbres, des passants et une cycliste, mais pas d’habitations. Une autre voisine, Brigitte, appelle ce centre « la boîte de conserve » : « C’est une horreur, c’est moche. » Elle raconte que son faux plafond s’est en partie effondré lors des travaux, et qu’aujourd’hui, les nuisances sont causées par le ventilateur qui émet des « boum, boum, boum » lancinants.

Mais ce n’est pas le pire. Ce qu’elle redoute le plus, c’est le risque d’explosion : le data center stocke du fioul dans des cuves, afin de pouvoir alimenter des groupes électrogènes en cas de coupure de courant. Internet ne doit jamais s’arrêter. « Le 14-Juillet, quand j’ai entendu tous les pétards, j’ai cru qu’ils allaient faire sauter le truc, raconte Brigitte. Quand j’entends la foudre tomber, j’y pense aussi. Si ça saute, c’est toute La Courneuve qui saute. » Quelques secondes de silence. Matilda : « Ni le maire, ni les gens d’Interxion n’habitent en face. Nous, on est exposés. On n’a pas demandé cette exposition. On veut avoir la paix, la tranquillité, une vie saine, comme tout le monde. »

Matilda devant le data center de la rue Rateau, à La Courneuve, en face de chez elle. (JL)Matilda devant le data center de la rue Rateau, à La Courneuve, en face de chez elle. (JL)

Dans son rapport, le commissaire enquêteur reconnaît que le site « présente des risques d’incendies », mais considère qu’ils ont été pris en compte (cuves enterrées, équipées de double enveloppe avec détection de fuite et alarme) et rend un avis favorable. Le data center est donc étiqueté installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et conformément à son nouveau permis de construire, il va pouvoir s'étendre et doubler ses réserves de fioul : 568 000 litres.

Interrogée par Mediapart, la mairie de La Courneuve répond que « le danger suscité par ces cuves n’est pas supérieur à celui d’une station-service qui stocke du carburant en plein Paris ». Mais pour Matilda, « en fait, c’est pire : il y a huit salles de batteries reliées entre elles. C’est plus dangereux. Tu dors tranquille ? S’il y a une étincelle ? On habite à dix mètres et en plus on ne nous a pas demandé notre avis ». Situées à l’arrière des bâtiments, ces réserves de fioul se trouvent en réalité à 200 mètres des habitations, ajoute la mairie, selon qui « ce quartier n’est pas un quartier “résidentiel” à proprement parler. Le data center est situé rue Rateau, rue historiquement industrielle qui accueille encore aujourd’hui un grand nombre d’entreprises ».

A gauche le data center, à droite les maisons, rue Rateau, à La Courneuve (JL).A gauche le data center, à droite les maisons, rue Rateau, à La Courneuve (JL).

Mais pour le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Seine-Saint-Denis (CAUE 93), un organisme qui conseille les collectivités locales, « le data center représente un danger pour le quartier, non pas par son activité propre mais par la quantité de fioul stockée sur le site et par la présence de batteries de sauvegarde implantées sur le site et à proximité des habitations ». Il insiste : « Cette activité n’est pas compatible par “sa nature” avec le caractère résidentiel du quartier et il est de nature à porter atteinte à la sécurité publique. »

Il a fait connaître son avis par courrier à la mairie de La Courneuve, qui n’a pas réagi. Interrogé par Mediapart, l’entourage du maire (communiste) de La Courneuve, Gilles Poux, a dit ignorer l’existence de cette missive. Saisie, l’autorité environnementale a rendu un avis favorable. Le commissaire enquêteur aussi, ainsi que tous les conseils municipaux consultés. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a autorisé l’exploitation des installations en décembre 2013.

Data Center d'Interxion, à la Courneuve (JL).Data Center d'Interxion, à la Courneuve (JL).

Curieusement, Interxion n’avait pas attendu la conclusion de l’enquête publique pour inaugurer son data center, le 29 novembre 2012. Plus d’un an auparavant, comme en témoigne cette vidéo autopromotionnelle : on y voit Fabrice Coquio, PDG d’Interxion France, vanter le plus gros investissement jamais réalisé par Interxion dans un bâtiment (132 millions d’euros) – il parle bien de l’entrepôt de La Courneuve, mais son nom officiel est « Paris 7 », c’est plus chic. On y voit aussi Claude Onesta, alors entraîneur de l’équipe de France de handball, championne du monde, et parrain de l’événement. Pour Stéphane Troussel, président (socialiste) du conseil général du 93, l’ouverture de ce data center fait de la Seine Saint-Denis « l’avant-garde de l’économie la plus compétitive, la plus moderne ».

Ouvrir un site avant la conclusion de l’enquête publique le concernant, c’est illégal. Être une multinationale du numérique exempte-t-il du respect de la loi ? A priori non. En réalité, Interxion a adopté une stratégie d’installation en deux temps : d’abord l’agrément pour une version réduite du site, moins contrôlée ; puis l’agrandissement du centre. D’où cette célébration préventive.

Ce n’est pas la seule fois que la société s’est arrangée avec le cadre juridique. Le plan de zonage du secteur prévoyait un espace vert, non pris en compte par le permis de construire. Le plan local d’urbanisme (PLU) n’a pas été entièrement respecté. Des bâtiments d’intérêt patrimonial n’ont pas été conservés. La ville n’a pas été assez exigeante, analyse un expert en urbanisme.

Sollicité par Mediapart, Interxion a d’abord proposé un rendez-vous avec son PDG pour la France, Fabrice Coquio, avant de l’annuler et de demander que l’échange ne se produise que par mail. Une fois les questions envoyées, la société a fait savoir qu’elle ne répondrait à aucune d’entre elles. La mairie de La Courneuve vient d’accorder un nouveau permis de construire de 45 000 m2 à Interxion, pour un « campus digital center », gigantesque ferme de serveurs, sur l’ancien site d’Eurocopter. Il se trouve aussi face à des habitations.

Site du futur méga-data center d'Interxion à La Courneuve, sur l'ancien site d'Eurocopter.Site du futur méga-data center d'Interxion à La Courneuve, sur l'ancien site d'Eurocopter.

La consommation énergétique des infrastructures du Web (serveurs, data centers…) pourrait représenter, en 2030, l’équivalent de toute la consommation énergétique mondiale de 2008, estime l’Ademe, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. C’est colossal.

L’infrastructure des data centers est en elle-même incroyablement énergivore, principalement à cause de la climatisation nécessaire au refroidissement de la salle des machines (lire notre prochain article). Un centre de données de 10 000 m2 consomme autant d'énergie qu'une ville de 50 000 habitants, selon une comparaison récurrente.

Cuves à l'arrière d'un data center d'Aubervilliers. (JL)Cuves à l'arrière d'un data center d'Aubervilliers. (JL)

Les fermes de serveurs prolifèrent au rythme de l’essor du « nuage », le cloud  computing, c’est-à-dire l’usage à distance de serveurs connectés, et de l’Internet mobile (téléphonie, courriels, applications comme le GPS ou la participation aux réseaux sociaux). Leur impact est accentué par un principe de base : ils réservent le double de l’électricité dont ils ont besoin, par précaution, en cas de rupture d’approvisionnement. D’où l’effroi des techniciens de la Seine-Saint-Denis face à une demande exponentielle qu’ils doivent servir. « On nous demande de faire des économies d’énergie. De baisser la température des radiateurs, de mettre un pull… Mais pour qui, pour eux ? Ils compensent ? Ils reversent quelque chose à la société ? On est dans une zone de précarité énergétique, ici ! » proteste Matilda, depuis son petit salon de La Courneuve.

Des élus commencent à s’en préoccuper et veulent conditionner l’acceptation des prochaines fermes de serveurs à de plus stricts critères urbanistiques et environnementaux. À Aubervilliers, la nouvelle municipalité (PC / Front de gauche) n’exclut pas de les interdire à terme. Mais beaucoup de coups sont déjà partis. Depuis la réforme de la taxe professionnelle, sous la présidence Sarkozy, les recettes fiscales des data centers se sont effondrées : elles ne rapportent plus qu'un dixième de leurs revenus d’avant, selon les services de Plaine Commune. Et les emplois créés sont rares : un temps plein par 10 000 m2 pour un data center de Saint-Denis, selon l’agglomération, qui insiste néanmoins sur les retombées (non chiffrées) en emplois indirects, notamment de maintenance et de gérance. Les nombreux studios audiovisuels de la Plaine et « l'industrie créative » que le territoire veut développer sont aussi très consommateurs de cloud et de bande passante.

Sollicité par Mediapart, Interoute, qui fait tourner un centre à Aubervilliers, dit avoir créé un seul emploi local. Telecitygroup nous répond qu'ils auraient « beaucoup à dire en termes de recrutement local et d’engagement environnemental. Néanmoins, nous nous trouvons actuellement en “close period” (c’est-à-dire peu de temps avant une publication financière officielle – ndlr), période pendant laquelle nous ne communiquons pas ».

Entrée d'un data center de Telecity Group, à Aubervilliers (JL).Entrée d'un data center de Telecity Group, à Aubervilliers (JL).

En novembre 2012, l’Agence locale de l’énergie et du climat (Alec) a réuni les grands acteurs de la question pour leur présenter une analyse assez critique des impacts énergétiques des data centers. L’échange se déroulait au rez-de-chaussée d’Icade, promoteur du parc d’entreprises aux abords de la porte d’Aubervilliers et de son centre commercial en souffrance, le Millénaire. Pour Interxion, Fabrice Coquio y explique : « Quand je demande un câble supplémentaire de raccordement, c’est à cause de vous tous, de vos usages : les smartphones, la 4G… Ce n’est pas à cause des méchants data centers. Je ne pense pas que demain tout le monde va mettre un bonnet rouge pour dire : “Je ne veux pas la 4G”. »

Mais difficile d’avoir une conversation démocratique sur les data centers quand tout ce qui les concerne, ou presque, doit rester confidentiel : la liste des clients, la quantité exacte d’énergie dépensée, les conditions d’obtention des agréments publics… Bien enrobés derrière leurs rangées d’arbres et leurs designs postmodernes, les data centers sont les nouvelles boîtes à secrets de nos villes.

BOITE NOIREJ'ai commencé à m'intéresser aux data centers l'année dernière, lorsque j'ai rencontré Khadija et Matilda, par l'intermédiaire d'une habitante d'Aubervilliers, où j'habite également. Depuis, de nouveaux projets de fermes de serveurs ont déjà éclos sur place. Pendant toute cette enquête, je me suis confrontée au silence buté des sociétés de data centers, en particulier d'Interxion, qui m'a d’abord proposé un rendez-vous avec son PDG pour la France, Fabrice Coquio, avant d’annuler ce rendez-vous et de demander que l’échange ne se produise que par mail. Une fois les questions envoyées, la société a fait savoir qu’elle ne répondrait à aucune d’entre elles.

Même échec auprès du maire de La Courneuve, Gilles Poux, du maire d'Aubervilliers, Pascal Beaudet et de celui de Saint-Denis, également en charge du développement économique de l'agglomération, Didier Paillard. En revanche, je me suis beaucoup servie de la remarquable note de l'Agence locale de l'énergie et du climat sur les data centers à Plaine Commune, ainsi que du livre publié par les chercheurs du groupe EcoInfo : Impacts écologiques des technologies de l'information et de la communication (Éco Sciences, 2012).

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A l'Assemblée, consensus UMP-PS pour durcir la loi antiterroriste

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Après un débat très consensuel, la commission des lois de l’Assemblée nationale, présidée par le député PS Jean-Jacques Urvoas, a adopté mardi 22 juillet à l’unanimité le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve. Précipité par la tuerie de Bruxelles du 24 mai, le texte est examiné par le Parlement en procédure accélérée. Il s’agit de lutter contre les départs en Syrie. En six mois, le « nombre total de ressortissants engagés sur les théâtres djihadistes » a crû de « 56 % », passant de « 567 à 883 personnes » dont « 44 mineurs », a indiqué Bernard Cazeneuve. « La DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, ndlr) traite actuellement une soixantaine de procédures judiciaires (liées à des départs ou retours de djihadistes en Syrie, ndlr) », a ajouté le ministre.

Selon un récent rapport d'Europol, près de la moitié des 535 personnes arrêtées pour des infractions relatives au terrorisme en 2013 au sein de l'Union européenne l'ont été en France, soit 225 personnes. Parmi ces 225 personnes, 144 ont été enregistrées dans la catégorie «motivations religieuses», 77 dans celle des «séparatistes», trois «extrême-droite», un «extrême-gauche» et enfin un «divers». L'Espagne et le Royaume-Uni arrivent loin derrière avec respectivement 90 et 77 interpellations au total en 2013. 

Le projet de loi prévoit le blocage administratif de sites, des interdictions administratives de sortie du territoire et une nouvelle incrimination d’« entreprise individuelle terroriste ». Alors que le texte – le quinzième en matière d’antiterrorisme depuis 1986 et le deuxième depuis l’arrivée au pouvoir des socialistes – suscite de nombreuses critiques, la commission des lois a surtout été le théâtre d’une surenchère d’amendements sécuritaires entre le PS et l’UMP. Plusieurs amendements du rapporteur du texte, le député PS Sébastien Pietrasanta, renforçant le texte, ont ainsi été adoptés. Ce qui a réjoui la droite dure. « Vive les conversions même quand elles sont tardives », a lancé le député UMP Alain Marsaud, ancien chef du parquet antiterroriste de Paris. Tandis que le corapporteur UMP Guillaume Larrivé rappelait avec malice qu’en 2006 les députés PS, alors dans l’opposition, s’étaient abstenus lors du vote de la loi antiterroriste présentée par Nicolas Sarkozy.

Les principales critiques portent sur la possibilité pour l’administration de bloquer des sites « provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie » sans passer par un juge. Selon le Conseil national du numérique, dont l’avis rendu le 15 juillet est consultatif, ce dispositif, calqué sur celui permettant déjà de bloquer les sites pédopornographiques, est « techniquement inefficace », « inadapté » aux enjeux du recrutement djihadiste et ne fournit pas suffisamment de garanties de protection de la liberté d'expression. « Le nombre de sites de recrutement se limite à une fourchette comprise entre une dizaine et une centaine, selon les experts, indique le Conseil du numérique. Au regard de ces chiffres, le risque de surcharge des tribunaux parfois évoqué n’est pas caractérisé. » Il pointe « un risque réel de dérive vers le simple délit d’opinion » car « contrairement aux dispositions relatives à la pédopornographie, (…) la qualification des notions de commission d’actes terroristes ou de leur apologie prête à des interprétations subjectives ».

Cette inquiétude est partagée par la  « Commission de rélfexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique », composée à parts égales de députés et de personnalités qualifiées (dont Edwy Plenel, directeur de Mediapart, qui explique ici ses objectifs). Dans un avis du 21 juillet, elle souligne la difficulté en l’absence de juge de tracer une frontière « entre la provocation au terrorisme et la contestation de l’ordre social établi ». Les deux organismes rappellent également les risques de surblocage, c’est-à-dire le blocage de contenus légaux autres que ceux visés, car « 90 % des contenus de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme semblent se situer sur des réseaux sociaux ou des plateformes de partage de vidéos comme YouTube ou Dailymotion », note la commission numérique.

Il existe certes une solution technique qui permettrait d'affiner le blocage, mais celle-ci est encore plus attentatoire aux libertés individuelles… « Les opérateurs n’opèrent le blocage qu’au niveau du nom de domaine (DNS), éventuellement au niveau du sous-nom de domaine, explique le Conseil national du numérique. Tout blocage plus fin (notamment par URL) exigerait des développements techniques plus importants et nécessiterait d’avoir recours aux techniques de deep packet inspection (DPI), particulièrement attentatoire au secret des correspondances. » Ce produit d'interception massive a notamment été développé par la société française Qosmos grâce à un contrat avec la Syrie du dictateur Bachar al-Assad, commeMediapart l'a raconté.

Devant les députés mardi, Bernard Cazeneuve s’est dit « parfaitement conscient des réserves que suscite ce dispositif » et prêt « à rechercher ensemble toutes les solutions pour éviter le surblocage ». Les députés ont ainsi adopté un amendement du rapporteur du texte Sébastien Pietrasanta (PS) prévoyant que l’administration demandera d’abord à l’éditeur du site, ou à défaut, à son hébergeur, de retirer un contenu illicite. « Ce n’est qu’en l’absence de retrait dans un délai de vingt-quatre heures que l’autorité administrative pourra faire procéder au blocage du site par les fournisseurs d'accès Internet », précise l’amendant.

Pas question en revanche de revenir sur le principe d’un blocage administratif. « Le juge des libertés individuelles n'est pas le juge du blocage internet. Ce n'est pas son rôle », a tranché le ministre de l'intérieur. « Pourquoi l’État serait-il capable d’interdire une manifestation, un spectacle, voire la parution d’un journal et pas d’une page internet ? », a de son côté argué Sébastien Pietrasanta. Le rapporteur a proposé qu’une personnalité qualifiée, désignée par la Cnil, ait pour mission de vérifier que les contenus bloqués « sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ».

Par ailleurs, le débat s’est focalisé sur la définition du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle. Plusieurs députés UMP souhaitaient que le texte reste « le plus flou possible », selon l’expression de Claude Goasguen, pour ne pas donner d’armes aux avocats des prévenus. « On se complique la vie, a jugé le député UMP Jacques Myard. On va passer entre les gouttes. Il vaut mieux faire confiance à la justice. » « Sans vouloir faire de mauvais esprit, je me félicite de voir que vous faites confiance aux juges », a ironisé Jean-Jacques Urvoas, qui s’est prononcé en faveur d’un texte « plus précis ».

Selon l’amendement de Sébastien Pietrasanta finalement adopté hier soir, la préparation d’un acte terroriste devra donc être caractérisée par au moins deux éléments matériels. Le premier sera « le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». Le second devra être pioché dans une liste : surveillance d’un lieu ou de personnes, entraînement au maniement des armes, utilisation de substances explosives ou incendiaires, ou pilotage d’aéronefs.

Avec cette nouvelle incrimination qui pousse encore plus loin le concept de justice préventive, le rapporteur PS s’est défendu de porter un texte « liberticide ». « Non, nous n’entrons pas dans l’ère de Minority Report, ce fameux film de Spielberg où la société du futur a éradiqué le crime en se dotant d’un système de prévention/détection/répression le plus sophistiqué au monde grâce aux extralucides », a assuré Sébastien Pietrasanta. De son côté, le ministre de l’intérieur a reconnu ne pas croire « au concept de loup solitaire », tout en citant deux cas qui justifieraient ce nouveau délit, celui d’un jeune militaire d’extrême droite qui avait reconnu son projet de tirer sur une mosquée de Vénissieux et celui d’un jeune homme radicalisé qui, en mai 2013, avait poignardé des militaires à La Défense.

Sur les interdictions administratives de sortie du territoire, le corapporteur UMP Guillaume Larrivé s’est même payé le luxe de retirer un de ces amendements au profit de celui de son collègue socialiste, jugé « plus dur au regard du respect des libertés ». Il s’agit d’ajouter la confiscation de la carte d’identité à celle du passeport, pour empêcher le départ de candidats au Djihad vers des pays comme la Tunisie ou la Turquie qui n’exigent que la carte d’identité des ressortissants français. Estimés à 200 par le ministère de l’intérieur, les intéressés se verront remettre… un récépissé à la place de leur carte d'identité. Seule la député MRC Marie-Françoise Bechtel a émis quelques doutes sur cette « mesure extrêmement grave », de nature à discriminer les porteurs du récépissé « dans tous les actes de la vie quotidienne, y compris l’ouverture d’un compte bancaire ».

Autre durcissement, les députés ont adopté un amendement du rapporteur PS prévoyant d’étendre le délit de provocation au terrorisme aux propos privés, afin de pouvoir sanctionner « les propos tenus soit dans des cercles de réunion privés, par exemple dans le cadre de prêches formulés dans des lieux non ouverts au public, soit sur des forums internet privés ou des réseaux sociaux dont l’accès n’est pas public »

Au passage,  Sébastien Pietrasanta et Jean-Jacques Urvoas en ont profité pour faire adopter un amendement permettant à l'administration pénitentiaire de recueillir «directement et par tout moyen technique» les données de connexion (numéro appelé, appelant, heure, date, etc.) des détenus ayant un téléphone clandestin. Et sans contrôle ni autorisation préalable d'un juge. Seule la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui contrôle déjà les interceptions de sécurité, aura un droit d'accès permanent à sur ce dispositif et pourra effectuer des « recommandations » au ministre chargé de l’administration pénitentiaire… Heureusement pour les détenus, le nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la socialiste Adeline Hazan, s'est récemment prononcée en faveur de l'autorisation des téléphones portables en détention. 

Pour ne pas être en reste, les députés UMP avaient eux déposé deux amendements punissant « le fait, pour tout citoyen français, d'aller combattre hors de France sans l'autorisation expresse des autorités françaises » d'une peine de cinq ans de prison, ainsi que « la déchéance des prestations sociales de toute nature » pour les personnes se rendant « à l’étranger dans le but de participer à des activités terroristes ». Ils ont été écartés hier. « Les prestations sociales sont versées sous conditions de résidence stable sur le territoire », a balayé Bernard Cazeneuve. À l'heure du tir à vue sur les réseaux sociaux et Internet, la foire aux propositions était d'ailleurs ouverte : la députée UMP Nathalie Kosciusko-Morizet a remis sur le tapis la sanction de la « consultation habituelle ou répétée de sites faisant l'apologie du terrorisme », tandis que son collègue François Vannson a proposé d'interdire les pseudos sur Internet !

« Alors que la commission des lois avait l'opportunité de corriger les dispositions inadmissibles de ce projet de loi, présentées au nom de la lutte contre le terrorisme, les députés viennent au contraire de les aggraver », a réagi Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de la Quadrature du Net. La discussion du texte se poursuivra à l’Assemblée nationale à la mi-septembre. Jusqu'ici, « la quasi-totalité des lois successivement adoptées pour lutter contre le terrorisme ont été soumises au Conseil constitutionnel », souligne l'étude d'impact du projet de loi. Ce qui risque de ne pas être le cas pour ce texte, car on voit mal le groupe d'opposition UMP, favorable au projet de loi, saisir le Conseil constitutionnel.

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