Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

Hollande au Tchad : comment Idriss Déby est redevenu le meilleur ami de la France

$
0
0

Pendant quelques mois, Idriss Déby s’est inquiété. François Hollande venait d’être élu président de la République et, dépourvu des vieux réseaux de ses prédécesseurs, il jurait de rompre avec la Françafrique. Depuis, il s’est rassuré : malgré les atteintes aux droits de l’Homme, la répression de l’opposition et les accusations de corruption, le président tchadien reste un des principaux alliés de la France en Afrique. Les interventions militaires au Mali et en Centrafrique l’ont même rendu incontournable. 

La visite samedi de François Hollande à N'Djamena, la capitale tchadienne, en est une nouvelle illustration : cantonnée à une journée, comme la veille pour le Niger et jeudi pour la Côte-d’Ivoire, elle « s’inscrit principalement dans la question de la sécurité dans la région », explique l’Élysée. Après un entretien avec Idriss Deby Itno, François Hollande s'est rendu sur une base militaire française.  

Le président de la République a confirmé samedi la nouvelle opération militaire annoncée par son ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Intitulée « Barkhane », elle regroupera les forces précédentes (notamment Serval et Épervier, basée au Tchad depuis 1986 !) et son poste de commandement sera basé à N'Ddjamena. Elle commencera le 1er août, a annoncé Hollande. L’objectif : la lutte contre les menaces « terroristes », d’Aqmi au Mali à Boko Haram au Nigeria, en passant par le Sud libyen et le Soudan.

François Hollande et Idriss DébyFrançois Hollande et Idriss Déby © présidence de la République

« Nous allons aboutir très prochainement à une opération militaire régionale qui comptera environ 3 000 hommes. L'objectif unique, désormais, c'est le contre-terrorisme », a expliqué au journal Le Monde le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian.

Dans ce contexte, le Tchad de Déby est un des meilleurs alliés de la France. Du moins le croit-elle. « La clef des relations franco-tchadiennes, c’est la lutte contre le terrorisme, sujet de préoccupation pour toute la zone sahélienne et même au-delà, avec le Nigeria, la Somalie ou le Kenya, explique un diplomate français. Dans ce domaine, le Tchad s’affirme comme un partenaire fiable, efficace, engagé et influent sur les autres États africains. » Même son de cloche à l’Élysée ou au ministère de la défense.

« Nous avons une relation de coopération ancienne avec le Tchad. Et une relation solide et précieuse avec Déby », explique aussi le député socialiste Gwendal Rouillard, très proche de Jean-Yves Le Drian et coauteur d’un rapport sur les opérations françaises en Afrique. Centraliser l’opération Barkhane à N’Djamena est, selon ce spécialiste de la défense, une évidence à la fois « opérationnelle et géographique » : la capitale tchadienne est en effet « centrale par rapport au Sahel, à la RCA, par rapport à Djibouti et pas loin de Boko Haram ».

Dans ce contexte, la bonne relation avec Déby est « clairement assumée », explique Rouillard. « On applique un principe de réalité politique. La France a intérêt à la stabilité du Tchad », insiste le député. Des propos également entendus dans la bouche de diplomates et de conseillers de l’exécutif. Le ministre de la défense Le Drian assume d’ailleurs cultiver de bonnes relations personnelles avec Déby qu’il rencontre très régulièrement, à Paris ou à N’Djamena.

Il y a deux ans pourtant, François Hollande avait juré de se tenir à distance des figures les plus contestées (et contestables) du continent africain. La cellule Afrique de l’Élysée avait été supprimée ; le ministère de la coopération transformé en ministère du développement. Les vieux réseaux françafricains ne sont plus guère en cours à Paris.

À son arrivée à l’Élysée, le nouveau président avait commencé par froisser Idriss Déby. En cause : ses condamnations fermes des atteintes aux droits de l’Homme en République démocratique du Congo, avant le sommet de l’Organisation internationale de la francophonie à Kinshasa. Déby avait alors boycotté la réunion et fait savoir son agacement. Surtout, l’homme fort du Tchad depuis 1990 avait dû attendre décembre 2012 pour être reçu à l’Élysée. À l’époque, le cabinet de François Hollande avait fait savoir que le chef de l’État avait évoqué le cas de la disparition du principal opposant tchadien en 2008, Ibni Oumar Mahamet Saleh.

Ibni Oumar Mahamet SalehIbni Oumar Mahamet Saleh © DR

Deux ans plus tard, tout a changé. Ou plutôt : tout est redevenu comme avant. L’Élysée n’a plus jamais donné suite officiellement à l’affaire « Ibni » et la famille de l’ancien universitaire n’a pas été reçue par les autorités. Les sénateurs socialistes Gaëtan Gorce et Jean-Pierre Sueur, très engagés sur ce dossier depuis six ans, n’ont pas davantage de nouvelles : mercredi, ils ont de nouveau écrit à François Hollande pour lui demander d’évoquer l’assassinat d’Ibni avec Déby.

Mais leur demande de commission d’enquête parlementaire sur les responsabilités françaises – Ibni est mort après avoir été arrêté lors de la rébellion de 2008, quand le palais présidentiel de Déby était protégé par les forces françaises – est toujours au point mort. « Elle n’a toujours pas été examinée par la commission des affaires étrangères du Sénat à cause des réticences du gouvernement », explique Gaëtan Gorce. Avant d’ajouter : « Avec les enjeux stratégiques autour du Mali et de la Centrafrique, le Tchad est devenu incontournable. C’est évident que cela ne facilite pas la résolution de l’affaire Ibni. » En France, une enquête, en cours, a été confiée au pôle Génocide et crimes contre l’humanité du tribunal de grande instance de Paris. 

« Depuis l’élection de François Hollande, on n’a vu aucun changement à l’Élysée… Nous avions beaucoup d’espoirs mais ils ont été complètement déçus. La realpolitik a pris le pas sur une question aussi grave que l’assassinat du principal opposant », affirme aussi un des fils d’Ibni Oumar, Mohamed Saleh, bouleversé vendredi par la dernière tentative de déstabilisation du régime d’Idriss Déby (à lire ici).

À Paris comme à N’Djamena, l’opposition tchadienne a également multiplié les communiqués appelant Hollande à évoquer les droits de l’Homme ou la corruption qui sévit dans le pays, au profit de la famille présidentielle (à lire ici ou encore ). « L’envoi de troupes tchadiennes pour le maintien de la paix à l’extérieur ne saurait être une prime accordée au régime à l’intérieur. Ou un passe-droit pour que Déby fasse n’importe quoi ! », explique Saleh Kebzabo, un des chefs de file de l’opposition tchadienne, contacté par Mediapart à N’Djamena. Vendredi après-midi, il venait d’apprendre qu’une délégation de l’opposition tchadienne devrait finalement être reçue samedi, en marge de la visite de Hollande. Cette entrevue ne figure pas au programme officiel. 

Les ONG ont elles aussi vivement dénoncé les silences de Paris sur les atteintes aux droits de l’Homme au Tchad. « François Hollande arrive au Tchad, sûrement avec une poignée de main franche et son amitié… Il est pourtant capital que le président français ne renie pas les droits de l’Homme au Tchad au profit d’une coopération militaire privilégiée », soupire Clément Boursin, responsable Afrique pour l’Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat – lire son communiqué).

« En permettant à son pays de devenir l’épicentre d’un interventionnisme français décomplexé dans la région, François Hollande offre un nouveau soutien à la dictature d’Idriss Déby (…). Une illustration, parmi tant d’autres, des aberrations de la "guerre" que la France entend mener contre un terrorisme dont sa politique africaine est depuis toujours un terreau fertile », dénonce l’association Survie.

Reporters sans frontières a quant à elle publié une lettre à François Hollande, pour rappeler que « au cours de l’année écoulée, cinq journalistes ont été emprisonnés. Ceux qui ont été remis en liberté sont toujours sous le coup de condamnations avec sursis qui les empêchent de travailler librement ». Avant d’ajouter : « Il est crucial que la coopération militaire et sécuritaire entre les deux pays n’incite pas la France à fermer les yeux sur des actions répressives des libertés fondamentales dont la liberté d’information. »

Sauf que cela semble relativement contradictoire. « À partir du moment où l'on fait le choix d’un traitement politico-sécuritaire, on ne peut pas faire beaucoup plus sur les droits de l’Homme… Peut-être un peu plus, mais pas grand-chose », estime un ancien diplomate. L’an dernier, la brutale vague de répression qui s’est abattue sur l’opposition tchadienne a bien été condamnée par Paris, mais du bout des lèvres. « Les principes que nous posons doivent être respectés, y compris au Tchad », avait déclaré François Hollande, avant d’accueillir les troupes tchadiennes pour le défilé militaire du 14-Juillet.

C’est en participant à la guerre au Mali (quitte à payer un lourd tribut) que le Tchad a su se rendre indispensable. « Le fait que le Tchad participe à l’intervention militaire a débloqué l’attentisme de la Cédéao. Les Français étaient contents et Déby, toujours inquiet d’être battu froid par les Français, s’est mis en valeur », rappelle le chercheur Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS (CERI/Sciences-Po). Selon lui, c’est davantage Déby qui s’est porté volontaire pour intervenir au Mali que la France qui l’a convaincu.

Le calcul s’est révélé payant : Idriss Déby a été applaudi à Bamako aux côtés de Hollande en septembre 2013 (voir vidéo ci-dessous) et « se présente désormais comme un rempart et un acteur incontournable face au terrorisme islamique ou comme sous-traitant potentiel d’opérations militaires ou de maintien de la paix »rappelle le dossier consacré au Tchad du Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique. Déby a même obtenu en octobre 2013 un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour deux ans. Une première pour le Tchad.

Le pays s’est aussi retrouvé en position centrale en Centrafrique, malgré le rôle très contesté du régime de Déby dans l’armement de la Séléka. La France aurait pu prendre ombrage du double jeu du Tchad, et du retrait progressif de ses soldats de RCA, annoncé en avril dernier, ou s'inquiéter des soupçons de “gentlemen agreement” entre le régime et Boko Haram. Mais rien ne semble pouvoir affecter sa lune de miel avec N’Djamena.

« En quelques années, Déby a radicalement changé de statut sur la scène régionale. Alors qu’entre 2005 et 2009, le Tchad était vu comme un pays instable, impliqué au Darfour et fragilisé par les rébellions, il est devenu un partenaire clef. Aujourd’hui, le Tchad est même perçu comme un garant de la stabilité régionale, ce qui n’est pas sans ironie quand on connaît l’histoire de la région ! », explique Marielle Debos, chercheuse à l’Institut des sciences sociales du politique (ISP/CNRS) et auteure d’un récent article sur l’impact des interventions militaires internationales au Tchad.

Malgré son double jeu en Centrafrique, Déby conserve de solides appuis en France. Chez les militaires d’abord, qui sont nombreux à admirer le « beau guerrier » (selon leur expression), qui fut en partie formé en France et qui resta à N’Djamena quand la ville était toute proche de tomber aux mains des rebelles en 2008. « Même si en France, tout le monde sait qu’il est impliqué dans des affaires peu reluisantes, ses partisans dans l’appareil d’État jugent que lui, il en a… », résume un spécialiste de la région, qui rappelle notamment le rôle joué par le général Benoît Puga.

En 2006 et en 2008, il était à des postes à responsabilités quand la France a aidé Déby à sauver son régime. Il est aujourd’hui chef d’état-major de François Hollande à l’Élysée (lire notre enquête). Mais les soutiens de Déby se trouvent aussi dans les services de renseignement et au quai d’Orsay. Dès juillet 2012, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, s’était rendu à N’Djamena et avait longuement loué les « très bonnes connaissances » de Déby sur Aqmi. Avant d’ajouter : « Il y a un changement de président de la République, un changement de gouvernement, mais les relations d'amitiés demeurent. Le Tchad et la France, depuis très longtemps, ont des relations d'amitié, de partenariat. Nous appelons cela un partenariat. »

À chaque fois, les mêmes arguments reviennent : la stabilité et la lutte contre les « islamistes ». Ce sont ceux vantés autrefois pour les régimes de Ben Ali ou de Moubarak. 

BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été interrogées entre mardi et vendredi, par téléphone. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian


Dans une école de Belleville, « ras-le-bol des rumeurs et de l'évitement scolaire »

$
0
0

À la lecture de Mediapart, ils ont tous eu la même réaction. Horripilés. Dans un article paru le 7 juillet, des parents d’enfants de l’école maternelle de la Baleine (Paris 11e) expliquaient pourquoi ils avaient demandé une dérogation ou s’étaient tournés vers le privé plutôt que d’inscrire leur enfant à l’école primaire de Belleville à la rentrée prochaine. Plusieurs lecteurs excédés nous ont écrit pour nous faire part de leur courroux. Eux ont mis leur enfant à l’école primaire de Belleville, l’an passé ou il y a quelques années. Parfois après avoir hésité, parfois après avoir s’être vu refuser une dérogation. Et aujourd’hui, leurs enfants sont « heureux », disent-ils. 

Des parents d'élève de l'école primaire du boulevard de BellevilleDes parents d'élève de l'école primaire du boulevard de Belleville

Selon eux, l’article précédent était susceptible de nourrir la rumeur selon laquelle la violence et le mauvais niveau gangrènent « leur » école. Nous avons donc convenu de nous rencontrer le 10 juillet autour d’un café. La veille, une mère nous a appelés. « Je viendrai vous soutenir. Ils seront très nombreux et sont très remontés. Il peut y avoir de l’agressivité. »

En fait, non. Le jour dit, aucune acrimonie. Simplement le besoin de raconter. De ne pas laisser le dernier mot à ceux qui propagent les rumeurs.

À deux exceptions près, ils sont tous profs ou intermittents. Des profils quasi identiques à ceux de l’école de la Baleine, généralement qualifiés de « bobos ».

Ambre, animatrice dans une école maternelle, sort d’emblée le carnet de notes de son fils aujourd’hui au collège, après être passé par l’école primaire de Belleville. « Regardez ! Cela ne l’empêche pas d’être partout au-dessus de la moyenne générale ! » Françoise, professeure de français dans un lycée, a de son côté apporté la photo de classe de son fils, pour prouver « la mixité » au sein de l'établissement.

Chacun sourit de ces initiatives. Mais en réalité, personne ne sait comment prouver sa bonne foi. Patricia, mère de deux enfants, explique : « Quand il y a un problème dans une cour d’école, c’est normal, c’est une cour d’école. Mais quand ça se déroule à Belleville, ah ben c’est normal, c’est parce que c’est Belleville. »

Pour Nicolas, réalisateur, « ce qui est terrible, c’est qu’on ne peut pas lutter contre une rumeur. Même quand je dis à mes amis que l’école de mes enfants est super, ils restent suspicieux ». Comme s’il disait ça pour valoriser le parcours de ses enfants. Ou pour se dédouaner. « Je me sens parfois regardé comme un mauvais parent. Et ils me disent toujours que mes enfants y sont parce qu’on n’a pas eu le choix. »

Il est vrai qu’à l'origine, Nicolas avait, comme les parents de la Baleine, demandé une dérogation. Car lui et d’autres avaient à peu près tout entendu sur cette école de Belleville. « En arrivant, franchement, je m’attendais à ne trouver que des cas sociaux, des gamins se roulant au sol et hurlant sans cesse. » Renaud, prof de lettres en prépa, renchérit : « Au square, je n’avais pas entendu qu’il y avait de la violence, mais que tout l’argent censé être consacré aux sorties scolaires allait aux traducteurs pour les enfants chinois. Ce qui est complètement faux. »

Renaud regrette que « même des choses positives so(ie)nt tournées négativement ». « Je lis dans votre article qu’une mère s’est renseignée : les instituteurs s’occupent des enfants qui vont mal. Ce devrait être très bien vu. Mais c’est entendu comme "Ils ne s’occupent pas des enfants de milieux favorisés". »

Claire, intermittente, reconnaît qu’elle aussi était inquiète sur ce point. « Mais la maîtresse m’a expliqué sa méthode pédagogique. Par petits groupes. Du coup, chacun avance à son rythme. Personne n’est brimé. Et ma fille sait tout aussi bien lire et écrire que ses copains des autres écoles du quartier. Ma fille, elle fait des additions à 5 chiffres ! »  

Pour Renaud, les préjugés sont en réalité partout les mêmes. « J’ai grandi à Boulogne-Billancourt, dans un cadre donc favorisé. Et à l’époque, les parents voulaient absolument que leurs enfants aillent dans les établissement huppés du 16e. Beaucoup allaient dans le privé. Alors que Boulogne, c’était très bien aussi. En arrivant à Belleville, quand j’ai eu vent des premières rumeurs à la con, je me suis dit que c’était exactement pareil. On en a beaucoup parlé avec ma femme. La suite m’a donné raison. »

En raison de ce choix, certains de leurs amis voient Renaud et sa femme Françoise comme « des militants ». « Alors que pas du tout. Techniquement, je ne le suis pas. Et ça me paraît juste normal de mettre mon enfant dans l’école du quartier. »

À l’école de Belleville, estiment ces parents, on compte environ 1/3 d’enfants de bobos, et 2/3 d’enfants issus de classes populaires. L’école est classée en zone d’éducation prioritaire. « Ça fait qu’il y a moins de 24 élèves par classe et souvent beaucoup moins, et puis une maîtresse surnuméraire, explique Anne-Marie, professeur de français dans un lycée. Je m’étais renseignée sur le privé, mais mieux vaut être 17 ici que 30 par classe dans le privé ! Et puis là-bas, ils proposaient d'apprendre l’anglais entre midi et deux. Ça m’a effrayée ! »

Même si la diversité ne se voit pas autour de la table du café, Anne-Marie se dit choquée par les propos tenus par des parents de la Baleine : « J’imagine les parents africains qui lisent ça. C’est insultant. Ils doivent se dire qu’on a peur de leurs enfants ! » Ambre abonde : « Ce n’est pas parce qu’on porte le voile qu’on est inculte. Et il y a des parents étrangers très diplômés. »

Ambre veut à tout prix rassurer sur le fait d’être minoritaire. « Mon fils est blond aux yeux bleus. Il n’a jamais eu le moindre problème. Tiens, j’aurais dû l’emmener mon fils. C’est une parfaite publicité pour Belleville. Sage, timide, blond. » Anne-Marie appuie : « Mélanger crée quelques valeurs comme l’entraide. On valorise le progrès plutôt que le fait d’être premier. Et c’est peut-être mieux que l’esprit de compétition à tout crin. »

Nicolas tient le même discours, « même si ça fait Amélie Poulain ». Pour lui, « retrouver des gens de toutes les origines à la fête de l'école, c’est beau. Et je suis content que mon enfant voie ce qu’est la société : des gens qui vivent dans de très jolis lofts. Et d’autres qui vivent dans 12 m2 ».

De façon plus ou moins explicite, ces parents en veulent à ceux qui pratiquent l’évitement scolaire. Renaud, par exemple, « parce qu’ils participent à ce qu’il y ait une classe de moins cette année. Et parce qu’à force de ne pas y mettre leurs enfants, le risque est que l’école devienne ce qu’ils fantasmaient ». Sa femme, Françoise, fustige « ceux qui se plaignent de l’absence de mixité, alors que c’est de leur faute s’il n’y en a pas ».

Interrogée dans l’article précédent, la directrice de l’école de Belleville n’avait pas mis une folle énergie à démentir les rumeurs existantes, au risque de les accréditer. « Elle est directrice, pas publicitaire, la défend Anne-Marie. On ne défend pas une école de quartier comme on défend une entreprise. Et le fait est qu’elle tient parfaitement son établissement. »

N’en font-ils quand même pas un peu trop, tous ces parents ? « On n’est pas là pour dire que c’est la meilleure école du monde, tempère Renaud. Simplement pour témoigner que nos enfants y sont bien. » 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

A Barbès, manifestation interdite et souricière policière

$
0
0

« Ça aurait été plus simple de l'autoriser. » Ce soupir d'un CRS, au coin du boulevard et de la rue de Rochechouart, a dû rôder dans bien des têtes parmi ses collègues. Ce samedi après-midi à Paris, dans le quartier populaire de Barbès, la manifestation de soutien à la Palestine a réuni entre 5 000 et 10 000 manifestants selon les moments et les lieux. En dépit de l'interdiction prononcée la veille par la préfecture de police, avec l'accord de l'exécutif. Ceci pour empêcher d'éventuels « troubles à l'ordre public », au terme d'une semaine mouvementée (lire ici). In fine, et sans conteste, la stratégie gouvernementale s'est avérée un fiasco. 

Au carrefour de Barbès, à 15h30, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h30, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © @thomasguien

Prévenues par le maintien de l'appel à manifester annoncé par les organisateurs la veille, les forces de l'ordre mettront en œuvre un quadrillage policier progressif, mais vaste. Entre 14 et 15 heures, au carrefour des boulevards Barbès, Rochechouart et Magenta, la circulation est peu à peu bloquée par des cordons de CRS. Parmi les premiers arrivés, on compte beaucoup de jeunes et de femmes, pour partie venus de banlieue, qui arborent pour certains des tenues vestimentaires religieuses. Les slogans restent à tout moment politiques. « Résistance, de Paris à Gaza ! », « Nous sommes tous des Palestiniens », « Palestine vivra, Palestine vaincra ! » Seuls quelques « Allah Akbar » retentissent parfois, mais sporadiquement et du fait d'un ou deux individus.

La tension est relative, les jeunes se rapprochent des barrages policiers, et les dernières voitures circulent au compte-gouttes. Puis quelques jeunes montent sur un échafaudage pour brûler un drapeau israélien (deux autres le seront peu avant les échauffourées), avant d'en brandir un du Djihad islamique. 

Au carrefour de Barbès, à 15h, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

L'arrivée d'un cortège du NPA, peu avant 15 heures, permet de canaliser la foule. Il a été retardé par les multiples barrages tout autour du quartier, et sera rejoint ensuite par des militants d'Ensemble ! (anticapitalistes du Front de gauche) et du PCOF. Après discussion avec les policiers, ils organisent une marche sur le boulevard Barbès, malgré quelques mécontentements des premiers arrivés, plus ardents que la moyenne d'un rassemblement qui grossit considérablement.

Dans le cortège, qui s'étend sur près de 500 mètres, on retrouve, comme dimanche dernier, l'Union des juifs pour la paix (UJFP), on aperçoit le chercheur Julien Salingue (spécialiste du Proche-Orient) en pleine négociation avec les CRS, Sandra Demarcq, dirigeante du NPA, Youssef Boussoumah des Indigènes de la République, l'eurodéputé PCF Patrick Le Hyaric, ou Clémentine Autain du Front de gauche.

On aperçoit aussi plusieurs drapeaux français, agités ou portés sur les épaules, au côté d'un drapeau palestinien ou d'un keffieh. « C'est nécessaire qu'on le montre nous aussi, ce drapeau », explique une étudiante, avant de lancer dans la foulée un slogan immédiatement repris par un bout de foule : « On est Français, on a le droit de manifester ! » On croise aussi de jeunes couples avec enfant, de jeunes militants anarchistes, ou des retraités. 

Au carrefour de Barbès, à 14h30, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 14h30, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

La foule est bigarrée et se répartit assez équitablement entre Blancs, Arabes et Noirs, les voiles et les foulards de différentes tailles cohabitent avec entrain avec les masques d'Anonymous et les distributions d'autocollants des militants de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanction), appelant au boycott économique d'Israël. Les discussions sont multiples entre ceux qui ne veulent pas être récupéré par des partis, et d'autres qui regrettent qu'ils ne soient pas plus présents, pour grossir et « respectabiliser » la mobilisation.

À Barbès, il n'y avait aucun drapeau communiste ou écologiste, en tout cas pas visibles. Un militant du NPA reconnaît que « la situation est freestyle, mais comme les CRS ne veulent pas nous laisser passer, on ne peut que rester ici, on ne va pas aller dans les petites rues… ». Pour lui, « il est impensable de laisser la rue. C'est comme pour les “Bonnets rouges”, ce sont avant tout des classes populaires qui se mobilisent ». 

Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

Vers 15 h 15, l'arrivée d'un cortège d'environ deux cents hommes en tee-shirt noir, et pour certains d'entre eux gantés et casqués, a un temps inquiété les manifestants déjà présents. En mode "club de supporters", ils tapent dans leur main sur l'air d'un chant de football (« La LDJ, la LDJ, la LDJ est une salope ! », en référence à la Ligue de défense juive). Puis entonnent une puissante Marseillaise. Avant de faire passer dans la foule des répliques de linceuls victimaires, comme on en voit beaucoup ces temps-ci à Gaza. 

Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

Incrédules, certains se demandant s'il s'agissait de « dieudonnistes » ou de « soraliens », les manifestants plus "traditionnels" prennent davantage de distance et se regroupent à une station de métro et à quelques centaines de mètres de là, à Château-Rouge (à côté du quartier populaire de la Goutte-d'Or). Ce sont les mêmes qui, une demi-heure plus tard, seront à l'origine des débordements.

Beaucoup sont aussi remontés par l'interdiction de manifester, vécue comme une humiliation, et qu'ils raccrochent à un changement de politique internationale opéré par François Hollande, un alignement sur les positions de l'État hébreux. « Israël assassin, Hollande complice ! » aura été de loin le slogan le plus entonné, avant que n'éclatent les premières bombes lacrymogènes. Bloqués par un nouveau cordon de policiers, plusieurs militants de la cause palestinienne, ainsi que le service d'ordre du NPA, discutent avec les CRS pour essayer de négocier une sortie de cette souricière policière que n'aurait pas reniée le Jules Moch de la grande époque. Mais aux alentours de 16 heures, en quelques minutes, la situation a dégénéré.

Boulevard Barbès, à 15h25, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Boulevard Barbès, à 15h25, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

La tension monte rapidement devant le barrage de CRS. Ceux-ci subissent immobiles les premiers jets de pétards, dans l'impossibilité légale de transformer un rassemblement statique en manifestation, puisque interdite. Alors en milieu de cortège, l'auteur de ses lignes n'a pas assisté à la scène, ainsi racontée par Willy Le Devin, pour Libération :

« Vers 15 h 40, et c’est le début de la troisième mi-temps (…). Soudain, des groupes extrêmement équipés et organisés ont commencé à fendre la foule pour monter au contact des CRS. Ils avançaient en ligne, le visage couvert. À l’évidence, ils n’avaient rien de militants venus défendre la cause palestinienne. Certains arboraient des tee-shirts du virage Auteuil, une tribune du Parc des Princes. Un étrange service d’ordre s’est alors déployé pour empêcher que ces groupes n’en viennent aux mains avec les policiers. Au départ, il fut efficace. Mais quelques jeunes, montés sur un conteneur, commencèrent à jeter de gros pétards sur les forces de l’ordre. Un, puis deux, puis trois. Les CRS ont répliqué par de premières capsules de gaz peu avant 16 heures. Dès lors, c’en était fini de toute manifestation et le XVIIIe arrondissement s’est transformé en vaste champ de bataille. »

Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014.Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014. © REUTERS/Philippe Wojazer

Les premières grenades lacrymogènes sont lancées, et le gaz se propage à l'ensemble du rassemblement. Méthode classique de post-manif dispersée sur grande place. À la légère différence que la manif n'était pas dispersée (elle était même assise en sit-in). Quant aux voies d'évacuation, alors que le métro était fermé, elles prenaient la forme de petites rues commerçantes, souvent barrées par d'autres filtrages policiers. Les ruelles de la Goutte-d'Or auront même été le cadre d'affrontements.

La très grande majorité des manifestants aura continué sa route, certains marchant pacifiquement à quelques centaines vers Châtelet (au centre de Paris). D'autres rejoignant le parvis de la gare du Nord, où un gros millier de personnes n'ayant pu accéder à la manif s'est rassemblé ; d'autres se repliant près du pont des voies ferrées, dans la Goutte-d'Or ; d'autres enfin errant par poignées dans Montmartre, seule échappatoire possible vers le nord-ouest de la capitale.

Comme pour rappeler un bien plus ténébreux et sinistre décompte à l'origine de la mobilisation parisienne, la soirée aura été rythmée sur les chaînes infos par l'évolution du bilan de la manifestation interdite. À 21 heures, il était de 38 interpellations, et de 14 policiers blessés. Plusieurs affrontements "jets de pierre contre lacrymos" se sont éternisés jusqu'en fin de journée, autour du carrefour de Barbès. Quelques poubelles et deux voitures ont été vues brûler sur les boulevards.

Dans un communiqué (à lire ici), les organisateurs de la manifestation parisienne dénombrent aussi « au moins 20 manifestants blessés et souffrant de troubles respiratoires, notamment des femmes et des enfants ». Et accusent la stratégie de maintien de l'ordre de la police : « À Gare du Nord, le rassemblement s’est déroulé de façon plus calme. Sans surprise, la police a réservé un traitement plus violent aux habitants du quartier populaire de Barbès, alors que la présence de nombreux touristes à Gare du Nord semble avoir favorisé une relative retenue ; cela rappelle les plus sombres heures de l’ère coloniale. » Avant de conclure : « C’est la décision politique, pour ne pas dire idéologique, du gouvernement usant d’une violence disproportionnée qui a créé les conditions des troubles à l’ordre public, dont le gouvernement porte donc la totale responsabilité. »

Dans le reste de la France, hormis Sarcelles, toutes les manifestations ont été autorisées. Ils ont été plus de 4 000 à Lyon et Marseille, plus de 1 500 à Saint-Étienne, Lille, Montpellier, Nantes ou Strasbourg. En tout, une quinzaine de villes de province. Sans aucun heurt. 

Boulevard Barbès, à 15h50, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Boulevard Barbès, à 15h50, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

Dans leur communiqué, les organisateurs interpellent l’Élysée : « Le président Hollande a déclaré aujourd’hui : “Ceux qui veulent à tout prix manifester en assumeront la responsabilité.” En nous mobilisant massivement, nous lui avons répondu : “Ceux qui veulent à tout prix user d’un droit démocratique fondamental ne céderont pas à vos menaces”. »

Ils appellent d'ores et déjà à « une manifestation nationale samedi 15 heures place de la République à Paris ». De son côté, le NPA appelle « l’ensemble des forces de gauche et démocratiques, syndicales, associatives et politiques, à exprimer leur refus de la répression et leur solidarité active avec la lutte du peuple palestinien ».

Gérard Holtz et Manuel Valls, le 19 juillet 2014, à RisoulGérard Holtz et Manuel Valls, le 19 juillet 2014, à Risoul © capture d'écran France 2/Tour de France

Pendant ce temps-là, entre Grenoble et Risoul, Manuel Valls était « un peu » en « vacances » au Tour de France. Il a pu parler à un cycliste et à Gérard Holtz, pour dire qu'avec le Tour, il « retrouve de la confiance et de l'optimisme » et vante « la beauté de ces paysages », qui lui « donne envie de continuer ». Puis il s'est fait davantage martial, les orteils droits dans ses tongs : « L'ordre et la règle doivent s'imposer dans notre pays. Nous ne laisserons en aucun cas dire des slogans antisémites, des slogans contre les juifs de France, car ce n'est pas ça la France. Je veux dire à nos compatriotes que nous serons, le président de la République, le ministre de l'intérieur et moi-même, extrêmement déterminés à faire respecter l'ordre républicain » (voir ici).

Pied de nez à l'inconséquence primo-ministérielle, Valls ayant bien choisi son jour pour venir sur le Tour, son homonyme dans le peloton, l'Espagnol Rafael Valls, a choisi d'abandonner la course. Cela pourrait faire sourire à Risoul si, en voyant la réussite de la manifestation pacifique à Londres, ce n'était pas à pleurer à Paris.

 

Des milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Londres (Royaume-Uni), samedi 19 juillet. Des milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Londres (Royaume-Uni), samedi 19 juillet. © REUTERS/Luke Mac Gregor

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Sauver l'UMP ou la laisser sombrer : les stratégies des ambitieux de 2017

$
0
0

Il y a ceux qui répètent inlassablement qu’il faut sauver l’UMP. Et ceux qui ont déjà acté sa disparition. Non contente de nourrir des divisions d’égos et d’idées, l’opposition s’est trouvé depuis quelques semaines un nouveau terrain de discorde : celui de l’avenir du mouvement, né il y a douze ans de la fusion du RPR (Rassemblement pour la République) et de l’UDF (Union pour la démocratie française), elle-même fruit d’une confédération de partis.

Jean-Pierre Raffarin, l'un des trois anciens premiers ministres qui assurent la présidence de l'UMP par intérim en attendant le congrès de novembre, a beau écrire sur son blog que « l’éclatement (du parti) serait une impasse pour toutes les ambitions », ce scénario est désormais privilégié par plusieurs responsables de l'opposition, à commencer par les soutiens de Nicolas Sarkozy. « En 2012, on croyait avoir atteint le pire avec la guerre Copé-Fillon, rappelle un élu sous couvert de “off”. Mais ils n'étaient que deux à l'époque. Aujourd'hui, ils sont tous à se tirer dans les pattes ! L'UMP était déjà affaiblie. Ils l'ont achevée. Et cela arrange bien les affaires de Sarko. »

Alain Juppé, François Fillon, Luc Chatel et Jean-Pierre Raffarin assurent la direction transitoire de l'UMP.Alain Juppé, François Fillon, Luc Chatel et Jean-Pierre Raffarin assurent la direction transitoire de l'UMP. © Reuters

Aux sempiternelles batailles d'égos et à l'absence manifeste de leader, s'ajoutent désormais bien d'autres problèmes : le couperet de la justice avec l'affaire Bygmalion d'abord, mais aussi une dette colossale de 74,5 millions d’euros, une machine à idées rouillée et des règlements de comptes à tous les étages de la rue de Vaugirard. Autant d’éléments qui menacent la survie de l’UMP et induisent, pour beaucoup, la question suivante : quel est l’intérêt, aujourd’hui, de sauver un parti si moribond ?

Pour y répondre, l’entourage de la direction transitoire met en avant trois atouts : « la capacité électorale de l'UMP » (selon les calculs du Monde, 98 000 des 212 974 conseillers municipaux élus en mars dans les communes de plus de 1 000 habitants sont étiquetés de droite), « sa base militante » (l’UMP comptait fin juin 161 000 adhérents à jour de cotisation, contre 124 000 à la même époque, il y a un an), « et surtout les recettes de l’État » (les dotations publiques s'élevaient à 19 870 370 euros en 2013).

« Sur le terrain, l’UMP fonctionne, confirme un proche de Bruno Le Maire. Ce qui ne fonctionne pas, c’est sa tête. » Candidat à la présidence du parti en novembre, le député de l'Eure multiplie depuis un an les déplacements à travers la France. « Les réunions publiques qu'il organise rassemblent des centaines de personnes, se réjouit-on dans son entourage. La mobilisation est là. C’est un actif qu’il ne faut pas dilapider. »

Bruno Le Maire, candidat à la présidence de l'UMP.Bruno Le Maire, candidat à la présidence de l'UMP. © Reuters

Changer le nom de l’UMP, son logo, voire son siège… Chaque responsable de l’opposition a sa petite idée sur la façon dont le parti doit se métamorphoser. « Il y a un véritable effort de communication à faire », reconnaît Gérald Darmanin, député du Nord et membre de la “team XB” (pour Xavier Bertrand). « Oui, la marque UMP est abîmée, poursuit son collègue filloniste Jean-François Lamour. Mais le fait de trépigner en disant qu'on va changer de nom, ça ne règle pas le problème ! »

La direction transitoire de l'UMP répète à l'envi vouloir organiser dans quelques mois « un congrès transparent et démocratique, irréprochable », selon les mots de Jean-Pierre Raffarin. Mais pour le reste, « ce n’est pas à elle de décider un changement de nom ou toute autre révolution de ce genre, mais au futur président », insiste un proche du triumvirat. Quant aux deux seuls candidats à ce jour déclarés pour prendre la tête du parti, Bruno Le Maire et Hervé Mariton, ils préfèrent s’en remettre aux militants.

« L’UMP n’appartient pas à un chef à plumes, mais aux militants », assène-t-on dans l’entourage du premier. « Je souhaite remettre les militants au centre du parti, qu’ils soient davantage consultés qu’aujourd’hui », plaide le second. Car s’il est un constat qui met tout le monde d’accord au sein de l’opposition, c’est bien celui de la rupture entre les élites du parti et leur base. « On s’est un peu embourgeoisé, regrette Gérald Darmanin. L’UMP traverse une fracture morale avec sa base. C'est pour cette raison que les militants demandent à la nouvelle génération de prendre le pouvoir. »

Les ambitieux de 2017 tentent par tous les moyens d’incarner ce renouveau si cher aux militants et sympathisants de droite. C’est notamment le cas de Christian Estrosi, lorsqu’il explique au Parisien que « le parti est déjà mort » et que « ce n'est pas une restructuration avec un congrès a minima qu'il faut, mais une véritable révolution ».

C’est également le cas de Xavier Bertrand, qui préconise dans Libération « un électrochoc ». « Notre mouvement est trop parisien, trop vertical, pas assez démocratique, dénonce le député et maire de Saint-Quentin. Je souhaite un mouvement décentralisé (...). Avec des primaires partout et des adhérents qui retrouvent le pouvoir. » Les deux anciens ministres de Nicolas Sarkozy sont officiellement candidats à la primaire de 2016.

Fâché que d'anciens ministres de Nicolas Sarkozy puissent aujourd'hui prendre leurs distances avec l'ex-chef d'État, un élu sarkozyste s'amuse de « ceux qui tirent sur l'ambulance et ont ainsi l'impression d’apparaître comme modernes ». « Christian Estrosi pense que l'UMP est morte, mais ça ne l'a pas empêché de pousser pour que son ex-compagne (Dominique Estrosi-Sassone, adjointe au maire de Nice et tête de liste UMP dans les Alpes-Maritimes pour les prochaines sénatoriales – ndlr) soit investie », grince également un cadre du parti.

« Si tout le monde met autant d’énergie à vouloir présider l’UMP, c’est que l’UMP ne doit pas être si morte que ça, indique pour sa part le cofondateur de la Droite forte, Geoffroy Didier. Le parti est simplement malade et c’est pour cela qu’il faut une renaissance. » Pour les soutiens indéfectibles de l’ancien président de la République, cette « renaissance » doit passer « par un renouvellement des idées et des visages », à l’exception, bien entendu, de celui de leur mentor.

Nicolas Sarkozy lors de son intervention sur TF1 et Europe 1, le 2 juillet 2014.Nicolas Sarkozy lors de son intervention sur TF1 et Europe 1, le 2 juillet 2014. © Reuters

« Nicolas Sarkozy reste le seul à pouvoir faire bouger les lignes et à être capable de rassembler, résume le député du Pas-de-Calais, Daniel Fasquelle, un autre fidèle sarkozyste. Les militants ont envie qu’il revienne comme leader et qu’il s’entoure de la nouvelle génération pour remettre de l’ordre dans la maison. » Geoffroy Didier ne dit pas autre chose : « Les Français veulent mettre un coup de balai aux partis politiques. Les élections municipales l’ont montré. De très jeunes maires ont été élus à cette occasion. Le seul à pouvoir résister à cela, c’est Nicolas Sarkozy, car il a l’expérience et l’autorité nécessaires. C’est encore l’exception qui confirme la règle. Une sorte de totem. »

Si son retour ne fait de doute pour personne, l’ancien président de la République a tout de même indiqué début juillet sur TF1 et Europe 1 qu’il ne s’exprimerait pas sur le sujet avant la rentrée. En attendant, ses soutiens se chargent d'alimenter le storytelling à coups de petites phrases distillées et de scénarios tout tracés. Le but : offrir à Nicolas Sarkozy l’occasion de jouer, en novembre prochain, son propre congrès d’Épinay, qui avait permis en 1971 à François Mitterrand de prendre le contrôle du PS, sur une ligne d'union de la gauche. Et d’apparaître ainsi comme le candidat naturel du parti à l’élection présidentielle.

« Il faut pousser les murs : comprendre pourquoi les gens votent FN, parler à des gens qui sont de gauche et qui sont désœuvrés, se tourner vers ceux qui ne vont plus voter… », détaille Geoffroy Didier, avant d’ajouter : « Pour créer un projet alternatif crédible et sérieux, il faut au moins deux ans. Nicolas Sarkozy est parfaitement dans les temps. » Les soutiens de l’ancien président parlent de calendrier politique, sans jamais évoquer le calendrier judiciaire qui attend pourtant leur mentor, récemment mis en examen pour « corruption active », « trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel » (lire ici notre article). « Tout cela va se dégonfler », veut croire Daniel Fasquelle.

Guillaume Peltier, Geoffroy Didier, Rachida Dati, Brice Hortefeux... À la fête de la Violette, le 5 juillet 2014.Guillaume Peltier, Geoffroy Didier, Rachida Dati, Brice Hortefeux... À la fête de la Violette, le 5 juillet 2014. © La Droite forte

Parce qu’ils craignent d’irriter le noyau dur du parti qui reste encore très sarkozyste, rares sont les responsables de l’opposition à évoquer ouvertement le véritable problème que pose le retour de l'ex-chef d'État à la tête de l’UMP : le risque annoncé de vivre jusqu'en 2017 au rythme des rebondissements judiciaires des différentes affaires qui visent Nicolas Sarkozy et son entourage. En “off”, les propos se font toutefois plus acerbes : « Sarko ne veut revenir que pour une seule chose : se protéger judiciairement en prenant le parti comme bouclier, s’agace un cadre de la rue de Vaugirard. Sur le fond, il n’a absolument pas changé. Il ne changera donc ni l’UMP ni ses vieilles pratiques. »

« Toujours ramener la survie de l’UMP au retour de Nicolas Sarkozy, c’est mortifère pour le parti, ajoute le filloniste Jean-François Lamour. On risque de ne pas s’en sortir à cause de cela. » Pour le député de Paris, l’avenir de l'UMP est surtout conditionné à deux éléments : « un socle de pensée solide » et « un mode de gestion transparent ». « Certains appellent cela des règlements de comptes, mais il faut aller au fond des problèmes, ajoute-t-il. Mettre la poussière sous le tapis, ce serait la pire des choses. Si nous feignons d’oublier ce qu’il s’est passé, la justice et les électeurs ne manqueront pas de le rappeler à notre bon souvenir. »

Sur le seul plan des idées, Nicolas Sarkozy s'est pour l'heure contenté d'une tribune dans Le Point consacrée à l'Europe et d'une discussion avec Jean-Marie Rouart dans Paris Match sur la littérature. Dans ses bureaux parisiens de la rue de Miromesnil, l'ancien président reçoit beaucoup de jeunes élus, mais pour l'un d'entre eux – un nouveau maire filloniste ayant participé à un déjeuner mi-juin –, l'ex-chef d'État « drague davantage la nouvelle génération qu’il ne l’écoute ».

C’est pourtant bien dans le vivier des jeunes têtes pensantes que la plupart des candidats (à la présidence de l’UMP ou à la primaire de 2016) puisent pour mettre en marche la rénovation du parti (lire ici et nos enquêtes). « On n’a pas attendu Sarkozy pour avoir des idées, rappelle un autre jeune élu, proche des cercles de Bruno Le Maire. Le travail qu’on a initié depuis son départ en 2012 mérite à lui seul qu’on sauve l’UMP. »

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes interrogées dans cet article ont été rencontrées ou jointes par téléphone les 15 et 16 juillet.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Face à Valls qui souffle sur les braises, la mobilisation pour Gaza espère s'élargir

$
0
0

Désordre républicain, nouvel acte. Au lendemain d'une manifestation parisienne ayant dégénéré dans un quartier Barbès transformé en souricière policière (lire ici notre reportage), la journée de dimanche n'aura guère fait retomber en France la tension liée à l'intervention israélienne dans la bande de Gaza. Une journée entamée par un coup de menton de Manuel Valls assumant l'interdiction des manifestations de soutien à la cause palestinienne, et se terminant par l'autorisation d'un défilé mercredi prochain, à Paris, par la préfecture de police. 

C'est le premier ministre lui-même qui a tenu à rebondir sur l'actualité de la veille, qu'il avait il est vrai délaissée pour cause de Tour de France. Profitant de son discours de commémoration de la rafle du Vél d'Hiv (lire ici en intégralité), Manuel Valls a assumé sa volonté « d'être à la hauteur » dans sa « lutte sans relâche contre l'antisémitisme sous toutes ses formes ». « Il n’y a pas à tergiverser, analyser, à débattre, a-t-il expliqué. Il nous faut d’abord agir, éduquer, rappeler, partager mais aussi sévir et, si nécessaire, interdire au nom même de l’ordre républicain, de l’autorité nécessaire pour rappeler nos valeurs. »

Pour l'ancien « premier flic de France » devenu chef de la majorité au pouvoir, « ce qui s’est passé hier encore à Paris, des débordements inacceptables, justifie d’autant plus le choix qui a été fait, avec courage, par le ministre de l’intérieur, d’interdire une manifestation ». Avec le même talent pour le diagnostic autoréalisateur, on pourrait également conclure que les préfets qui ont décidé d'autoriser les autres manifestations en province ont eu raison de le faire, puisqu'il n'y a pas eu le moindre problème…

Mais pour Manuel Valls, la réalité semble être un art tout à fait personnel. Ainsi quand il décrit, en référence aux manifestations d'il y a une semaine, qu'il y a eu une « volonté de s’attaquer à ce qu’est une synagogue, c’est-à-dire un lieu de paix, en voulant, au fond, au nom d’un conflit qui a lieu à des milliers de kilomètres, mettre de nouveau les Juifs hors de notre territoire national ». Une version pourtant largement nuancée par le rabbin de ladite synagogue, rue de la Roquette, Serge Benhaïm, selon qui « pas un seul projectile (n'a été) lancé sur la synagogue », et qui estime qu'« à aucun moment, nous n’avons été physiquement en danger » (voir la vidéo sur le site d'i-Télé et notre article sur les intox de la semaine passée).

Qu'importe, le jugement du premier ministre sur les manifestants dénonçant la situation à Gaza est clair et net : « Une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa "haine du Juif" derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël. » Circulez… 

 

Dimanche après-midi, une manifestation à Sarcelles, également interdite, s'est transformée en rassemblement pacifique et statique, où les appels au calme ont été nombreux de la part du collectif d'habitants et des partis organisateurs. Malgré tout, après la dispersion du rassemblement, des heurts ont à nouveau opposé une centaine de jeunes avec la police et fait de nombreux dégâts dans le mobilier urbain. Contrairement à une "alerte" du Figaro, rectifiée par la suite, la synagogue n'a pas été incendiée, mais des affrontements ont eu lieu à proximité avec les CRS, tandis que la Ligue de défense juive (LDJ), groupuscule d'extrême droite déjà impliqué dans les échauffourées non loin de la synagogue de la rue de la Roquette, rôdait également dans les environs, afin de « sécuriser » le quartier (voir le récit de Dominique Albertini sur Twitter, journaliste de Libération présent sur place). Bilan : deux voitures incendiées, et surtout, une épicerie casher de la ville et une pharmacie ont été brûlées. Le calme est revenu dans la soirée.

En fin d'après-midi, à Paris, un impressionnant dispositif policier a été déployé rue des Rosiers, après que la même LDJ a alerté de la possibilité de troubles, dans cette rue emblématique de la communauté juive de la capitale. Mais au bout de trois heures, aucun élément n'est venu confirmer les craintes de la milice de « protection des Juifs », qui a pourtant sillonné abondamment le quartier (voir le récit de Maud Vallereau sur Twitter, journaliste de Métro présente sur place).

En dépit de l'intransigeance affichée par Manuel Valls, la préfecture de police (PP) a autorisé ce dimanche une nouvelle manifestation parisienne pour mercredi. La raison de son revirement tient au fait que les organisateurs seraient plus « responsables », selon les termes de la PP. À Metronews, elle déclare, à propos de la manifestation de samedi : « Leur dossier n'était pas assez solide, notamment parce que leur service d'ordre n'était pas assez sérieux. » En réalité, le « Col­lectif national pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens » a l'avantage d'être bien plus large que le périmètre des organisateurs actuels, d'être mieux connu des services de police, et plus "pondéré" (ils ont déjà organisé un modeste rassemblement mercredi dernier aux Invalides). Tous les grands partis politiques de gauche (hormis le PS) et la CGT en font partie. Le tracé retenu, République-Opéra, semble aussi contenter la préfecture, qui n'aurait pas trop de lieux religieux juifs à sécuriser.

L'engagement de nouvelles organisations dans les mobilisations pro-palestiniennes rassurent également les organisateurs des deux précédentes manifs, conscients du nombre insuffisant de militants capables d'assurer le service d'ordre de cortèges imposants, même quand ils sont interdits. Ceux-ci espèrent également pouvoir compter sur eux pour confirmer la tenue d'une manifestation nationale, samedi prochain, place de la République (où certains ont prévu de se rassembler quotidiennement, à 18 heures, pour sensibiliser les passants).

Les organisateurs Michèle Sibony (UJFP), Omar Al Soumi (PYM), Alain Fojolat (NPA), Youssef Boussoumah (PIR)Les organisateurs Michèle Sibony (UJFP), Omar Al Soumi (PYM), Alain Fojolat (NPA), Youssef Boussoumah (PIR) © S.A

Réunis lors d'une conférence de presse ce dimanche en début d'après-midi (« il fallait faire vite pour ne pas laisser la version gouvernementale se propager »), les organisateurs ont vivement fait connaître leur émoi devant le discours de Manuel Valls. « Des paroles scandaleuses », estime Michèle Sibony, de l'Union des juifs français pour la paix (UJFP). « À l'entendre, ceux qui luttent pour leur survie à Gaza sont des terroristes et ceux qui les soutiennent en France sont des antisémites ! », s'indigne-t-elle, avant de signaler au premier ministre que, régulièrement, des manifestations de juifs ultra-orthodoxes et antisionistes se tiennent à New York ou Londres. « Sont-ils antisémites ? », s'agace-t-elle. Omar Al Soumi, du Mouvement des jeunes palestiniens (PYM), s'est quant à lui adressé gravement à François Hollande. « Les massacres à Gaza sont aujourd'hui conduits avec le blanc-seing du gouvernement français, s'est-il exclamé, et en plus vous voulez nous interdire de manifester ? Ceux qui veulent user d'un droit démocratique fondamental ne céderont pas à vos menaces. »

Tous ont tenu à revenir sur les événements de la veille, à Barbès. Pour rejeter la responsabilité des affrontements sur les autorités, qui ont, selon Youssef Boussoumah du Parti des indigènes de la république (PIR), « laissé s'organiser délibérément ce pataquès ». Lui et ses camarades assument de s'être malgré tout rendus à Barbès, ce samedi. « On avait de toute façon des échos que la manif allait se faire, cela ne nous laissait aucun doute, explique Boussoumah. D'abord en raison de la situation à Gaza, ensuite parce que les gens sont ulcérés de la semaine passée, du traitement médiatique de la dernière manif, et enfin à cause de l'interdiction (lire ici). Contester un gouvernement despotique est un devoir citoyen, depuis la révolution française. » « Malheureusement, les organisations n'étaient pas assez nombreuses, concède Alain Pojolat, du NPA. Mais les conditions étaient les meilleures possibles, au vu du traquenard dans lequel nous nous trouvions. »

Pendant et après la conférence de presse, plusieurs expliquent avoir eu une oreille réceptive de leurs interlocuteurs parmi les forces de l'ordre, avant que la situation ne dégénère. « On leur a proposé d'aller jusqu'à la porte de Clignancourt. » Soit dans une zone tout au nord de la ville, guère problématique, a priori. « Ils étaient d'accord, dit un militant du NPA présent dans les discussions, mais après avoir échangé avec la préfecture, c'était niet. » « Au nom “d'ordres stricts”, nous a-t-on dit », complète Alain Pojolat, du NPA, pour qui « les provocations auraient pu être gérées si l'on nous avait donné les moyens de le faire, en autorisant la manif. »

Maître Hosni Maat, l'avocat des organisateurs, redoute que l'on n'entre dans un « registre politique désormais et non plus uniquement judiciaire », concernant les interpellés de samedi, pour lesquels il craint une comparution immédiate, « avec de lourdes peines à la clé ». Par cette interdiction, « on veut empêcher Juifs et Arabes de pouvoir défiler ensemble, main dans la main », enfonce-t-il, aux côtés de Michèle Sibony de l'UJFP. Entre eux deux, Youssef Boussoumah redoute que l'on ne glisse progressivement vers « une criminalisation du soutien à la Palestine ».

Les organisateurs accusent enfin les forces de l'ordre d'avoir commis des « violences policières » et entendent recenser les témoignages et vidéos filmées au smartphone par les participants. « On en reçoit des centaines », assurent-ils. Ils évoquent un tir de Flashball dans le dos (« sur un homme en fuite »), parlent de « manifestants pacifiques interpellés jusque dans des magasins ou des halls d'immeuble », et montrent une vidéo d'un handicapé en fauteuil malmené par des policiers en civils. 

 

D'ores et déjà, ils évoquent une requête qui devrait être déposée rapidement devant l'inspection générale de la police (IGPN), pour demander les enregistrements de la vidéosurveillance d'une supérette, et « prouver un usage disproportionné de la force ». Tarek Beniba, militant d'une association franco-tunisienne et membre d'Ensemble ! (Front de gauche), indique aussi avoir été contacté par le commissariat des droits de l'Homme de l'ONU, « inquiété par le déroulement des événements de samedi ».

Côté préfecture de police, on semble pourtant satisfait, ainsi qu'indiqué à Metronews : « Nous avons rempli nos objectifs. La principale mission était d'éviter des affrontements entre les pro-Palestiniens et les Juifs. Toutes les synagogues de Paris sont d'ailleurs restées ouvertes. Et nous avons même suivi des groupes de casseurs pour les empêcher de se rendre dans le quartier juif de la capitale. » Voici les motivations du préfet pour interdire la manifestation, ainsi détaillées dans l'ordonnance du jugement du tribunal administratif, confirmant la décision des autorités appuyée par le gouvernement (télécharger ici l'ordonnance)…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

François Hollande, l'apprenti sorcier

$
0
0

Il y a deux ans, il devait incarner l’apaisement. La France sortait du quinquennat Sarkozy, marqué par la stigmatisation des musulmans, le discours de Dakar, une politique étrangère que la gauche dénonçait comme néoconservatrice, alignée sur les États-Unis et Israël, et clémente avec les dictatures arabes. Deux ans plus tard, François Hollande est le président d’une République qui semble s’être alignée sur la politique du gouvernement israélien et qui, en interdisant en France des manifestations de solidarité avec les Palestiniens, alimente une confusion généralisée.

Une nouvelle fois, il donne le sentiment d’un pouvoir qui dirige et décide au fil de l’eau, cédant aux sirènes souvent réactionnaires de l’air du temps. La nouvelle guerre menée par Israël dans la bande de Gaza en a été un révélateur brutal. Sur le papier, la France n’avait pourtant pas grand-chose à dire pour n’agacer ou ne surprendre personne : depuis François Mitterrand et Jacques Chirac, tous les présidents de la République, Nicolas Sarkozy compris, ont défendu la même doctrine.

Conformément aux résolutions de l’Onu, la France prône une solution avec deux États, sur la base des frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale. Elle condamne donc la colonisation et l’occupation israélienne – au regard du droit international, Gaza, même évacuée par les Israéliens, reste un territoire occupé – et appelle à la relance du processus de paix. C’est la doctrine dite « gaullo-mitterrandienne ». On peut la juger dépassée ou anachronique, sous l’effet multiple de la dégradation de la situation des Palestiniens, de l’aggravation de la colonisation, de l’affaiblissement du Fatah, concurrencé par le Hamas, et de la radicalisation d’une partie de la population israélienne.

Mais, pour un chef d’État, elle a l’avantage d’être prête à l’emploi, et partagée par le PS comme par l’UMP. Autant dire qu’il semblait facile d’éviter le faux pas. François Hollande l’a pourtant commis, avec une facilité déconcertante. Avec son communiqué défendant le droit d’Israël à se défendre, sans évoquer les victimes palestiniennes ou le droit international, il a non seulement donné le sentiment de s’aligner totalement sur le gouvernement de Benjamin Netanyahou, un gouvernement – faut-il le rappeler – dirigé par la droite, alliée à l’extrême droite israélienne (voir ici ses positions depuis deux ans). Il a également participé à la confusion générale provoquée par le déséquilibre politique de sa position sur le conflit à Gaza et par l’interdiction, en parallèle, de la manifestation à Paris de solidarité avec les Palestiniens.

François Hollande et Benjamin Netanyahou en novembre 2013François Hollande et Benjamin Netanyahou en novembre 2013 © Reuters

Le discours de son premier ministre Manuel Valls à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vél' d’Hiv' en a été le symbole le plus manifeste, mêlant d’un même mouvement de condamnation de l'antisémitisme l’histoire de Vichy et du nazisme, les crimes de Mohamed Merah, le conflit israélo-palestinien et les manifestations en France (discours à lire ici). La formule malheureuse de François Hollande réduisant la guerre à Gaza à des « querelles »  n’a rien arrangé. « La République, c'est la capacité de vivre ensemble, de regarder son histoire et en même temps d'être toujours prêts à défendre les valeurs démocratiques, de ne pas se laisser entraîner par des querelles qui sont trop loin d'ici pour être importées », a-t-il dit dimanche.

Lundi, l’exécutif a bien tenté de rééquilibrer ses positions – François Hollande a tout à coup estimé dans un communiqué que « tout doit être fait pour mettre un terme immédiat à la souffrance des populations civiles à Gaza ». Et il a modifié son agenda pour recevoir les « représentants des cultes religieux en France » après les incidents violents du week-end. Une démarche qu’il voulait d’ouverture, mais qui ne fait que participer à la confusion générale. Car quel rapport entre les cultes et les débats sur l’intervention militaire israélienne ? Ou entre les cultes et le maintien de l’ordre public ?

De cette confusion ressort, inévitablement, le sentiment d’un alignement de la politique étrangère française sur celle du gouvernement israélien, et d’une focalisation brouillonne de l’exécutif sur un supposé affrontement entre communautés, voire entre religions (musulmans/juifs), sur la menace que ferait peser un certain islam radical et sur la lutte antiterroriste. Dans les couloirs des ministères, et singulièrement place Beauvau, nombreux sont ceux qui se sont convaincus de la thèse d’abord émise par Manuel Valls de « l’ennemi de l’intérieur », celle d’une menace imminente pesant sur la France, « d’un 11-Septembre français » en préparation, et d’un pays « communautarisé » dans lequel les tensions n’auraient jamais été aussi vives.

Là encore, le va-et-vient entre la scène intérieure et la politique étrangère est patent. Depuis deux ans, François Hollande a de plus en plus semblé céder aux sirènes néoconservatrices (lire notre enquête) : président de la République, il a engagé la France dans deux conflits armés, au Mali et en Centrafrique, et il était prêt à le faire en Syrie. Il voulait « punir » Bachar al-Assad comme il voulait « détruire » les terroristes dans le Sahel, et il a été chaudement félicité par les néoconservateurs américains et la droite israélienne pour sa « fermeté » sur le dossier du nucléaire iranien.

© Twitter / SenJohnMcCain

En Afrique, la France vient de lancer sa troisième opération en deux ans, intitulée « Barkhane ». Basée à N'Ddjamena au Tchad, son unique objectif affiché est « le contre-terrorisme » (lire notre article sur les guerres africaines de François Hollande). Et qu’importe si l’interventionnisme français et sa focalisation sur la lutte contre les mouvements armés comme Aqmi ou Boko Haram conduisent Paris à s’allier à tous les régimes les plus discutables (et les moins démocratiques) de la région. La récente visite de François Hollande au Tchad (lire notre article) l’a de nouveau montré, confortant le despote Idriss Déby.

Depuis deux ans, François Hollande a également poursuivi la politique de Nicolas Sarkozy de rapprochement avec les États-Unis et n’a pas remis en cause le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Les socialistes ont achevé « la fin du “paradigme gaullo-mitterrandien” de la démarcation systématique vis-à-vis des États-Unis », expliquait lors d’un colloque Christian Lequesne, directeur de recherche à Sciences-Po. Quant à leur rapport avec la Russie, il est difficilement lisible tant les condamnations de l'interventionnisme de Vladimir Poutine en Ukraine sont brouillées par la vente en cours de porte-hélicoptères Mistral à la Russie.

Les premiers discours de François Hollande semblent bien loin. À peine arrivé, il avait manifesté sa volonté de rupture avec la Françafrique en condamnant les atteintes aux droits de l’Homme dans la République démocratique du Congo de Kabila. Il avait fait son contre-discours de Dakar pour sa première visite officielle en Afrique (lire notre article) et avait promis d’en finir avec « les relations d’État à État qui ignorent les peuples ». Il s’était rendu à Alger pour y tenir un discours prudent mais qui prétendait dire « la vérité » de la colonisation, avant de se recueillir sur la place Maurice-Audin. Quelques mois plus tard, en juillet 2013, il avait salué depuis Tunis « les printemps arabes » et affirmé que « l’islam et la démocratie sont compatibles ».

Ces propos signaient tous, à leur façon, une forme de rupture avec le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Qui s’en souvient aujourd’hui ? C’est comme s’ils s’étaient envolés sitôt prononcés. Parce qu’ils n’ont pas été suivis d’effets en France. Parce qu’ils ont été démentis par d’autres mots, d’autres phrases, d’autres discours, sur l’Iran, Israël ou le terrorisme. Parce qu’ils n’ont jamais dessiné une doctrine, ni même une grille de lecture du monde donnant à voir ses bouleversements.

Un ancien ministre des affaires étrangères nous l’expliquait voilà quelques mois : « Le chef de l’État est le contraire d’un doctrinaire. Un peu comme en bureau national élargi (du PS – ndlr), il se demande ce qu’il peut faire avec Poutine ou Obama. Chez Hollande, la tactique l’emporte toujours sur le reste. » À tel point que certains s’inquiètent « d’une résurgence inattendue de réflexes SFIO », selon l’expression d’un responsable du Quai d’Orsay. Et de voir François Hollande se transformer peu à peu en apprenti sorcier au sens de celui « qui provoque des événements qu'il ne peut contrôler ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Manifestation du 22 février à Nantes : les «dossiers à trous» de la justice

$
0
0

Si le dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est au point mort au plan politique, son volet répressif ne cesse, lui, de progresser. Depuis la manifestation du 22 février 2014 contre l’aéroport, une trentaine de militants ont été interpellés et jugés, le plus souvent en comparution immédiate. Quatorze ont été arrêtés le jour même de la manifestation, neuf lors d’un premier coup de filet le 31 mars, au lendemain des élections municipales, puis le reste au compte-gouttes dans les régions parisienne, nantaise et rennaise.

Le 22 février 2014, la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avait rassemblé entre 20 000 et 50 000 personnes. Aux abords du cortège, un commissariat, deux agences de voyages, une antenne du conseil général, un abribus et une agence de Vinci, le concessionnaire de Notre-Dame-des-Landes, avaient été mis à sac. La préfecture de Loire-Atlantique avait dénombré « 130 policiers et gendarmes pris en compte par les services médicalisés des unités, 27 ayant dû être adressés au CHU » et « 40 manifestants touchés à des degrés divers ». Le ministre de l’intérieur Manuel Valls avait alors ravivé le feu de la menace de l’« ultra-gauche », en désignant comme responsables « un millier d’individus de l’ultra-gauche, ainsi que des Black Bloc, très violents ». Le cabinet du préfet de Loire-Atlantique affinait : ces casseurs ont « le profil traditionnel de ceux qu'on rencontre sur la ZAD, allant de modérément à extrêmement violents avec des méthodes qui s'apparentent à celles des Black Bloc », nous expliquait-on.

Un manifestant brise une glace en marge de la manifestation du 22 février 2014.Un manifestant brise une glace en marge de la manifestation du 22 février 2014. © Stephane Mahe/Reuters

Cinq mois après les faits, une cellule d’une douzaine de policiers de la sûreté départementale se consacre toujours à temps plein à l’enquête sur ces dégradations et violences. Selon le parquet de Nantes, les investigations se poursuivent et d’autres interpellations pourraient encore avoir lieu. « Nos équipes ont isolé les séquences, extrait des photos des différentes vidéos pour les envoyer aux différents services de police et de gendarmerie. Et puis nous avons envoyé la police technique et scientifique sur les différents lieux de saccages », a expliqué au Monde le directeur départemental de la sécurité publique, Jean-Christophe Bertrand.

Certains dossiers portent la patte évidente de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l'ex-DCRI, qui a fourni des photos des Zadistes prises au moment des faits à la cellule d’enquête. C’est le cas pour R., 23 ans, déjà connu des services de police et condamné le 19 juin 2014 par le tribunal correctionnel de Nantes. Le renseignement intérieur a transmis une série de trois photos où l’on voit un jeune homme vêtu d’un bleu de travail et d’un masque à tête de mort, sortir de l’agence Vinci un fumigène à la main. D’autres images de BFM-TV montrent ce même homme aux côtés d’un manifestant taguant la façade de l’hôtel de ville. Certains clichés sont trompeurs : le jeune homme a en fait sorti le fumigène de l’agence pour éviter un incendie. Mais surtout, comment les policiers ont-ils réussi à l’identifier ? Son dossier judiciaire reste muet sur ce point.

L’enquêteur le décrit d’abord comme un « individu de type européen/nord-africain âgé de 20-25 ans ». Une déduction extralucide, au vu de la pauvre qualité des deux seuls clichés à visage découvert dont la police dispose. Le nom de famille du jeune homme est lui clairement « nord-africain » mais à ce stade, l’enquêteur n’est pas censé le connaître. Et puis, quelques lignes plus loin : « Mentionnons que les investigations entreprises ont permis d’identifier formellement cet individu », indique le procès-verbal. Quelles investigations ? Mystère. « Il y a plein de non-dits dans ces dossiers, regrette son avocat Me Pierre Huriet. Ce sont des dossiers à trous. Ont-ils utilisé un logiciel de reconnaissance faciale ? Était-il fiché par le renseignement intérieur comme beaucoup de ceux passés sur la ZAD ? » « Ici, contrairement aux enquêtes ordinaires, il semble que les photographies viennent appuyer a posteriori le profilage réalisé par la DGSI (ex-DCRI) », constate le comité de soutien des personnes interpellées.

Le récit de l’interpellation de R. le 27 mai 2014 à la sortie du CHU de Rennes est tout aussi elliptique. Les policiers nantais indiquent « avoir été avertis par la police de Rennes de (sa) présence au CHU nord en consultation » puis avoir foncé sur place. Les policiers rennais passaient-ils devant le CHU par hasard ? « Sauf à ce qu’il y ait eu une surveillance du renseignement intérieur, on ne comprend pas comment la police a été avertie de sa consultation au CHU », s’interroge Me Pierre Huriet.

D’autant que le 17 juin 2014, la police nantaise est à nouveau très chanceuse. À 15 h 50, lors d’un contrôle routier sur le périphérique nantais, un équipage de la brigade anticriminalité tombe justement sur R., qui doit comparaître le surlendemain et se rend à Nantes pour rencontrer son avocat. Motif du contrôle ? À en croire le procès-verbal, la « vive allure » de la voiture « montée par cinq individus de sexe masculin et féminin » et des jets d’emballages par la fenêtre sont l’unique raison du contrôle. Mais les policiers semblent bien renseignés. Lorsqu’ils remarquent deux lampes frontales et un autoradio neufs, leur premier réflexe est d’appeler les magasins Décathlon et Feu vert voisins. Et bingo, le gérant du Feu vert vient juste d’être victime d’une tentative de vol d’un chargeur téléphonique par une personne dont le signalement correspond à l'un des passagers de la voiture. Ayant rattrapé le voleur sur le parking du magasin et récupéré son bien, le commerçant ne comptait pas déposer plainte mais il est chaudement incité à le faire par les policiers.

Les quatre passagers et la conductrice prennent la direction des geôles de garde à vue pour recel de vol. L’un d’eux, un autostoppeur britannique, est rapidement relâché. Les quatre autres, deux femmes et deux hommes dont R., sont poursuivis pour « association de malfaiteurs en vue de préparer un attroupement armé ». Dans la voiture, les policiers ont saisi un ordinateur, des disques durs, un pied-de-biche, une pince Monseigneur, des talkie-walkie, six antivols, des affiches appelant à un rassemblement festif devant le tribunal pour le procès de R. Ainsi que plus d’un millier d’euros en liquide et le passeport d’un autre prévenu, G., depuis condamné à un an de prison ferme.

L'affiche saisie dans la voiture des militants le 17 juin 2014.L'affiche saisie dans la voiture des militants le 17 juin 2014.

Les enquêteurs ont buté sur un courriel appelant à une réunion le 27 avril pour « repenser plus collectivement la question de la force matérielle ». Il y était également question de chantiers pour « continuer à concevoir des armes pour la ZAD». « Le contrôle n’avait rien d’anodin : il a servi de prétexte pour fouiller le véhicule, où ils avaient toutes leurs affaires pour vivre, et voir ce qu’on pouvait leur mettre sur le dos, estime Me Pierre Huriet, l'un de leurs avocats. Au passage, les policiers ont saisi leurs ordinateurs et disques durs. Rien ne ressort de leur exploitation, mais la police a eu tout le loisir de les copier. »

L’« association de malfaiteurs en vue de préparer un attroupement armé » n’a pas tenu devant le tribunal correctionnel de Nantes qui, le 18 juillet, a partiellement relaxé les quatre prévenus (lire le reportage de Reporterre). Seul l’un d’eux a été condamné à six mois avec sursis pour avoir donné une fausse identité et tenté de voler un chargeur de téléphone. Pour les autres, n’est resté du dossier que le refus de donner leur ADN et leurs empreintes digitales. Ce qui leur a valu de trois à quatre mois de prison avec sursis. Une peine très sévère au regard de la jurisprudence locale. « Pour un premier refus, normalement c’est une amende avec sursis, remarque leur avocat. Le tribunal a montré que leur garde à vue était infondée, mais a jugé illégal et durement sanctionné leur refus de se soumettre aux prélèvements ADN. »

R. a lui été condamné le 19 juin à huit mois de prison avec sursis, 4 445 euros de dédommagement et une interdiction de séjourner en Loire-Atlantique pendant deux ans, pour dégradations sur l’hôtel de ville et participation « avec arme » – à savoir le fumigène – à un attroupement. Le tribunal a ajouté un mois de sursis pour avoir refusé de donner son ADN. «Le simple fait de détenir une arme dans le cadre d'une manifestation permet d'incriminer des personnes présentes sans qu'on ait besoin de démontrer clairement qu'elles ont lancé des objets», rappelle Me Luc Bourgeois, qui a défendu trois militants.

On retrouve les mêmes ellipses dans le dossier de G., un étudiant parisien de 29 ans, condamné le 16 juillet à dix-huit mois de prison, dont douze ferme et mise à l’épreuve. S’estimant victime d’une « répression politique », il a pris la fuite à vélo pendant que le tribunal délibérait et fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt. Là encore, les seuls éléments à charge sont des vidéos et des photographies émanant de la police ou transmises « de façon spontanée » par Ouest-France, selon le parquet cité par Libération. Déjà condamné en octobre 2010 par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine à cinq ans de prison pour « vol à main armée » et « association de malfaiteurs », G. est accusé d’avoir chargé un barrage de CRS, descellé des pavés lancés sur les policiers et brisé à coup de marteaux la vitrine du voyagiste Fram.

Les images du dossier montrent un homme au visage dissimulé par un masque, des lunettes de protection et une casquette noire. Il n’apparaît le visage découvert que sur une seule image, une capture vidéo de mauvaise qualité. Malgré ce, les policiers mettent immédiatement un nom sur ce visage. « Mentionnons que les investigations entreprises ont permis d’identifier formellement cet individu », indique le procès-verbal. Quelles investigations ? Là encore, mystère.  Un des avocats de G., Me Hugo Levy, fustige « une enquête occulte de la DGSI, dont les principaux actes ne sont pas communiqués à la défense, ce qui est attentatoire au principe du contradictoire ». « Est-ce une dénonciation ou des policiers infiltrés ? demande-t-il. Comment vérifier si l’enquête n’est pas entachée d’illégalité ? »

Le 16 février 2000, la Cour européenne des droits de l’Homme avait condamné le Royaume-Uni pour avoir gardé secret le témoignage d’un indicateur rémunéré, principal accusateur dans un procès criminel. Selon sa jurisprudence, « le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l'accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l'autre partie ». La Cour reconnaît que certaines preuves ne peuvent certes être divulguées pour des motifs de « sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions » mais dans ce cas, la CEDH estime que l'accusation ne peut s’employer seule « à apprécier l'importance des informations dissimulées à la défense ». 

Au parquet de Nantes, nos questions provoquent un silence gêné. « C’est à partir d’éléments que nous avons dans les fichiers, finit par répondre la procureure de la République Brigitte Lamy. C’est comparé. Tout est dans les dossiers. Et quand cela ne paraît pas suffisant au tribunal, il y a une expertise. »

G. contestant sa présence à Nantes le 22 février, un expert de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a été prié de comparer les images de la manifestation et celles, anthropométriques, prises en détention provisoire. Lequel a confirmé l’identification de G. dans un rapport digne d’Alphonse Bertillon. On y apprend que le prévenu, au « visage long de forme triangulaire bas, asymétrique », présente une oreille remarquable, avec une « hypertrophie de la conque » identifiable entre toutes sur les images de la manifestation. Et, qui plus est, un « enroulement excessif de l’hélix », ce repli extérieur, qui fait penser l’expert au « tubercule de Darwin (…) vestige supposé de la pointe de l’oreille des mammifères ». L’expert se livre également à un petit photomontage en détourant une photographie prise lors de la manifestation pour y copier-coller le visage de G. Il conclut qu’il s’agit d’une « seule et même personne ». « Nous avons essayé, même avec Johnny Cash, ça marche ! », se pince Me Hugo Lévy. «On est sur des photos floues, souvent en mouvement, où il est compliqué de reconnaitre les gens, ce qui n'a pas empêché des condamnations», note Me Stéphane Vallée, avocat d'Enguerrand, un militant de 23 ans, sans emploi, condamné le 1er avril en comparution immédiate à un an ferme pour avoir fabriqué un fumigène.

« Les expertises d'images, où l'on prétend identifier des personnes grâce à la taille de leurs oreilles, ne sont qu'un écran de fumée, pointent les militants locaux. La vérité, c'est que la DGSI, l'ancienne DCRI qui s'était considérablement ridiculisée aux yeux de tous par le montage malhabile de l'affaire dite de Tarnac, est au cœur de ces enquêtes qu'elle diligente obscurément tout en se maintenant dans une complète opacité. » Les militants dénoncent « un fichage à usage directement répressif » entraînant « une criminalisation de fait de tous les militants anti-aéroport, susceptibles d’être arrêtés et incarcérés sans autres éléments, que ceux de la DGSI, contre lesquels ils seront sans défense ».

Dans un communiqué du 11 juillet, le syndicat de la magistrature pointe de son côté « une mobilisation policière sans précédent et, trop souvent, un traitement judiciaire en temps réel : garde à vue, fichage génétique, déferrement et comparution immédiate, cette justice expéditive génératrice d’emprisonnement ».

« L’arsenal sécuritaire, renforcé sous le précédent gouvernement et toujours en vigueur deux ans après l’alternance, s’est banalisé, constate le syndicat. Voilà que sont mobilisés pour contrer des luttes sociales : l’extension incontrôlée du fichage génétique qui, jadis réservé aux criminels "sexuels" concerne aujourd’hui la moindre dégradation, la pénalisation aveugle du refus de prélèvement ADN, le délit de participation à un attroupement armé, cette résurgence aggravée de la loi anti-casseurs, les procédures d’urgence désastreuses pour les droits de la défense mais si efficaces pour frapper par "exemplarité", sans recul… Autant d’outils sécuritaires que le gouvernement actuel, qui a déjà enterré le projet d’une loi d’amnistie sociale, est peu soucieux ou peu pressé d’abroger. »

A contrario, les six enquêtes dont a été saisie l’inspection générale de la police nationale (IGPN) à la suite des tirs de Flashball lors de la manifestation du 22 février sont, elles, « toujours en cours » selon le parquet. Trois jeunes hommes avaient été grièvement blessés à l’œil par des tirs policiers. L'un, Quentin Torselli, 29 ans, a été éborgné et n’a toujours pas pu reprendre son travail de charpentier-cordiste. Et les deux autres ont peu de chances de retrouver la vue. « Le capitaine de l’IGPN a indiqué à mon fils que son enquête était terminée, affirme Nathalie Torselli, mère du Quentin. Ils ont suivi tout son parcours en vidéo et établi qu’à aucun moment il ne représentait un danger. »

À lire aussi l'excellente enquête de Reporterre : « Contre les militants de Notre-Dame-des-Landes, la justice devient folle »

BOITE NOIREJe n'ai assisté à aucun des procès. J'ai pu accéder aux dossiers de plusieurs militants condamnés.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Les socialistes préparent l’omerta sur la vie des affaires

$
0
0

C’est une proposition de loi liberticide que les députés du groupe socialiste ont déposée le 16 juillet 2014, sur le bureau de l’Assemblée nationale : sous le prétexte de lutter conte l’espionnage dont les entreprises peuvent être victimes et de défendre leurs intérêts économiques, le texte, qui est une variante de la réforme envisagée par la droite sous Nicolas Sarkozy, constituerait, s’il était adopté – et même si ses auteurs s’en défendent –, une grave menace pour la liberté de la presse, et pour les lanceurs d’alerte ayant connaissance de dérives au sein d’un établissement industriel ou d’un groupe financier. Alors que dans le monde entier, de nombreuses grandes démocraties entérinent des législations progressistes pour accroître la transparence sur les questions d’intérêt public, la France avance, elle, à reculons, et protège le vieux capitalisme opaque qui est, de longue date, l’un de ses signes distinctifs.

Cet inquiétant projet visant à organiser l’omerta sur la vie des affaires n’est, certes, pas récent. Voilà des lustres que le patronat et les milieux financiers parisiens en rêvent. Faute d’obtenir la dépénalisation de la vie des affaires qu’ils ont longtemps espérée, ils ont fait de cette réforme visant à instaurer un délit de violation du secret des affaires l’un de leurs chevaux de bataille. Et sous le quinquennat précédent, celui de Nicolas Sarkozy, la croisade a bien failli aboutir. Comme l’a fréquemment chroniqué Mediapart (lire en particulier Une proposition de loi pour organiser l’omerta sur l’économie), un élu de l’UMP, Bernard Carayon, s’est longtemps fait remarquer en bataillant pour obtenir une telle loi sur le secret des affaires. Après avoir écrit un rapport en 2003 (on peut le télécharger ici), à la demande du premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, il a souvent mené campagne pour l’adoption de dispositions liberticides, protégeant les entreprises de la curiosité légitime des citoyens et donc des journalistes.

Et il a été à deux doigts d’y parvenir. Le 23 janvier 2012, l’Assemblée nationale a en effet voté, avec les seules voix des députés de l’UMP, une proposition de loi dont il avait pris l’initiative, avec le soutien du ministre de l’industrie de l’époque, Éric Besson, et qui avait pour objet d’instaurer un nouveau délit, celui de violation du secret des affaires. Rendant compte de cette délibération des députés (lire L’Assemblée nationale vote l’omerta sur les entreprises), ma consœur de Mediapart en pointait tous les dangers. Elle signalait d’abord que la notion même de secret des affaires, telle qu’elle était définie dans la proposition de loi, était dangereusement extensive.

Ce secret des affaires était en effet ainsi défini : « Constituent des informations protégées relevant du secret des affaires d’une entreprise, quel que soit leur support, les procédés, objets, documents, données ou fichiers, de nature commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique, ne présentant pas un caractère public, dont la divulgation non autorisée serait de nature à compromettre gravement les intérêts de cette entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle, et qui ont, en conséquence, fait l’objet de mesures de protection spécifiques destinées à informer de leur caractère confidentiel et à garantir celui-ci. »

Pour mémoire, cette proposition de loi de Bernard Carayon peut être téléchargée ici ou consultée ci-dessous :

Du même coup, c’est le droit à l’information des citoyens qui s’en trouvait menacé. Et ma consœur le montrait également, en s’interrogeant sur les enquêtes que Mediapart n’aurait pas pu publier dans le passé, sans enfreindre la loi, si une telle législation répressive avait à l’époque existé. Au diable l’enquête sur le scandale Adidas-Crédit lyonnais ! À la poubelle, les enquêtes sur les ramifications luxembourgeoises du groupe Bolloré ! À la poubelle aussi, nos enquêtes sur toutes les dérives de ce qu’il est convenu d’appeler le « private equity », c’est-à-dire le secteur particulièrement opaque des fonds d’investissement qui spéculent sur le dos des PME non cotées ! Et à cette liste d’entreprises dont il serait devenu défendu de parler, il aurait fallu bien d’autres noms : Elf, Vivendi, BNP Paribas… Au diable, en somme, l’investigation économique indépendante qui, en France, n’est pourtant guère florissante…

Les sanctions prévues par cette proposition de loi étaient en effet très lourdes. « Le fait de révéler à une personne non autorisée à en avoir connaissance, sans autorisation de l’entreprise (…) une information protégée relevant du secret des affaires (…) est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende », prévoyait le texte. Et Bernard Carayon ne manquait jamais une occasion de rappeler que les journalistes devraient bientôt se dispenser d’être trop curieux. Dans un entretien au Nouvel Observateur, il faisait en effet valoir que « les professionnels de l'information [seraient] appelés à être aussi de bons patriotes ».

Mais pendant un temps, on a pu penser que les choses allaient en rester là. Pour le plus grand déplaisir de ces milieux d’affaires, mais pour la plus grande satisfaction des citoyens attachés à l’indispensable transparence sur les sujets d’intérêt public. L’élection présidentielle a, en effet, monopolisé toutes les attentions. Et le débat parlementaire autour de cette sulfureuse proposition n’a pas dépassé l’examen du texte en première lecture devant l’Assemblée.

Résultat : après l’élection présidentielle et l’accession de François Hollande à l’Assemblée, la réforme a paru définitivement enterrée. Cela semblait d’autant plus probable que, dans les mois précédant le scrutin, la proposition de Bernard Carayon avait déchaîné une vive polémique. Tous les syndicats de journalistes l’avaient dénoncé. Même l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), qui n’est pourtant pas réputée pour être rebelle, avait dit son indignation, par la bouche de son président, Serge Marti : « Il est à craindre que quelques scandales récents (Mediator, implants mammaires…) n'auraient pas éclaté avec une telle loi », s’était-il à juste titre insurgé.

Mais voilà ! En ce domaine comme en tant d’autres, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les dirigeants socialistes tournent casaque. Dans le cas présent, c’est l’éphémère ministre des finances, Pierre Moscovici, qui s’est surtout distingué à Bercy pour son empressement à devancer les moindres désirs des milieux patronaux, qui a tombé le masque le premier. Dès le 1er octobre 2012, il a ainsi organisé au ministère des finances une première réunion interministérielle pour examiner la possibilité d’exhumer cette réforme en faveur du secret des affaires (lire Moscovici exhume le secret des entreprises).

Pendant quelques temps, on a pu, cependant, rester incrédule, pensant que Pierre Moscovici conduisait de dérisoires intrigues pour essayer de séduire les milieux d’affaires, mais que cela ne préjugeait en rien des intentions réelles du gouvernement.

Et pourtant si, tout est là ! Car depuis plusieurs mois, les choses se sont soudainement accélérées. Et les menaces sur le droit à l’information des citoyens se sont renforcées.

D’abord, une très inquiétante jurisprudence a commencé à s’installer, venant consolider ce secret des affaires, avant même qu’il n’ait force de loi. Dans le courant du mois de mars 2014, le site marseillais d’information Tourmag (adhérent, comme Mediapart, du Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne, le Spiil) a ainsi été condamné par la Cour de cassation, pour avoir brisé le secret des affaires et révélé un plan social qui concernait 484 personnes et que comptait mettre en œuvre le tour opérateur TUI (groupe Nouvelles frontières). On peut se reporter aux informations sur ce sujet de nos confrères de Marsactu, également implanté à Marseille.

À l’époque, le Spiil avait très vivement réagi, dans un communiqué (que l’on peut consulter ici) : « Depuis plusieurs années, la liberté d’expression et de l’information, garantie par la loi sur la presse de 1881, est mise en danger par des décisions de justice au plus haut niveau, celui de la Cour de cassation. Les incursions de droits spéciaux – protection de la vie privée, responsabilité civile (article 1382 du Code civil), par exemple – dans le droit de la presse se font de plus en plus fréquentes. Ce mouvement s’accélère. Ces derniers jours, Atlantico (écoutes Sarkozy) et Mediapart (affaire Bettencourt) ont été sanctionnés sur le fondement de la protection de la vie privée. Mais aussi il prend de l’ampleur. TourMaG, site de presse spécialisé dans l’actualité économique du secteur du tourisme, vient d’être condamné pour avoir publié des informations économiques et sociales incontestées concernant TUI, un opérateur économique majeur de ce secteur. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, il s’agirait d’une violation du Code du Travail et de la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Demain, quel autre droit spécial viendra ainsi fragiliser l’autonomie du droit de l’information ? »

Et puis au même moment, les partisans d’une réforme instaurant une chape de plomb sur les entreprises, pour les mettre à l’abri de toute curiosité, sont repartis à la charge. D’abord, comme Mediapart s’en est fait l’écho (lire Secret des affaires : un projet de directive organisera l’omerta), la Commission européenne a mis au point, dès le moins de novembre 2013, une proposition de directive européenne en ce sens.

Pour mémoire, voici ce projet de directive. On peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :

Et puis, sans attendre que cette directive aboutisse, un groupe de travail informel s’est constitué peu après autour de Jean-Jacques Urvoas, président socialiste de la commission des lois à l’Assemblée nationale, pour élaborer une nouvelle proposition de loi, transposant sans attendre le futur texte européen.

C’est donc ce groupe de travail qui a fini par accoucher de la nouvelle proposition de loi sur le bureau de l’Assemblée

Cette proposition de loi, on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

Preuve que ce n’est pas une initiative solitaire, elle porte la signature de son principal concepteur, Jean-Jacques Urvoas, mais aussi celle de Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée, de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du parti socialiste, ou encore de Pierre Moscivici. Traduisons : le danger d’une nouvelle loi liberticide s’est brutalement rapproché.

Dans l’exposé des motifs, les signataires s’appliquent certes à rassurer et prétendent que le secret des affaires sera juste une protection pour sauvegarder les intérêts économiques ou technologiques des entreprises, mais ne pèsera pas sur le droit à l’information des citoyens. Ils soulignent que le secret des affaires ne sera pas opposable « à toute personne dénonçant une infraction, à l’image des journalistes ou des lanceurs d’alerte ». « Avec ces nouvelles dispositions législatives, la dénonciation de violation de la loi demeurerait possible et rien ne s’opposerait au dévoilement d’un scandale tel que celui du Mediator, les médias ne risqueraient aucune condamnation. Comme l’a parfaitement établi la Cour européenne des droits de l’Homme, la presse joue un rôle fondamental dans notre vie démocratique, ce texte n’y changera rien », explique l’exposé des motifs.

Mais on comprend sans peine que cette garantie n’en est pas une, pour de très nombreuses raisons.

D’abord, pour les journalistes qui conduisent des investigations économiques, la recherche d’informations ne se limite évidemment pas à celles qui ont trait à des infractions pénales. Il y a ainsi beaucoup d’informations qui sont à l’évidence d’intérêt public tout en portant sur des faits qui ne sont entachés d'aucune illégalité mais que la direction d’une entreprise souhaite cacher. Comme dans l’affaire Tourmag, la préparation d’un plan social entre précisément dans ce cas de figure : les journalistes pourraient-ils donc être poursuivis pour violation du secret des affaires s’ils révèlent une information de cette nature ? Même interrogation : la presse pourrait-elle toujours dévoiler les généreux plans de stock options ou autres golden parachutes que les figures connues du CAC 40 s’octroient périodiquement et qui choquent, à bon droit, l’opinion ? Si certaines de ces rémunérations font l’objet d’obligations légales de transparence, ce n’est pas le cas pour toutes…

En clair, une loi instaurant un secret des affaires aurait pour effet d’installer progressivement une jurisprudence interdisant, de facto, à la presse de faire son office.

Et pour les lanceurs d’alerte, l’effet serait tout aussi dissuasif. Car beaucoup d’entre eux, qui alertent la presse, n’ont pas toujours connaissance du caractère délictueux des faits qu’ils veulent dénoncer. Ou alors, ils n’ont connaissance que d’une partie de ces faits, sans savoir précisément l’incrimination pénale dont ils pourraient faire l’objet. Avec une loi sur le secret des affaires, ils seraient donc vivement conviés, par prudence, à se taire.

La loi risquerait de jouer un rôle d’inhibiteur d’autant plus fort que la proposition socialiste prévoit aussi des sanctions très lourdes, en cas d’infraction. « Le fait pour quiconque de prendre connaissance ou de révéler sans autorisation, ou de détourner toute information protégée au titre du secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 du code de commerce, est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. La peine est portée à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque l’infraction est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France », édicte-t-elle.

De surcroît, les contrevenants pourraient être passibles de « l’interdiction des droits civiques, civils et de famille », de « l’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27 du Code pénal, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale ».

Avec un tel arsenal répressif, on comprend qu’un potentiel lanceur d’alerte y regarderait à deux fois avant de jouer son rôle citoyen. La décision du groupe socialiste de reprendre à son compte la proposition de loi que le Medef avait dictée à l’UMP, à quelques petites variantes qui ne changent pas grand-chose, est donc d’autant plus stupéfiante que dans le même temps, la grande loi promise par François Hollande pendant sa campagne présidentielle sur le secret des sources des journalistes – et offrant un statut protecteur aux lanceurs d’alerte – est sans cesse différée (lire La loi sur le secret des sources des journalistes est de nouveau reportée). Alors que le projet de loi devait être examiné le 16 janvier, le débat a été repoussé au 14 mai, avant d’être de nouveau différé sine die.

Dès le premier report, en janvier, les syndicats de journalistes avaient fait part de leurs très vives inquiétudes. Le SNJ s’était dit « surpris et choqué » (on peut lire son communiqué ici). De son côté, le SNJ-CGT avait interpellé « le gouvernement pour connaître les raisons inavouées (inavouables ?) à ce jour, de cette décision aussi soudaine qu’intolérable et qui constitue un très grave retour en arrière malgré les engagements au plus haut sommet de l’État ».

Quelles raisons inavouables ? Sans doute sont-elles aujourd’hui un peu plus transparentes : contre le droit à l’information des citoyens, les dirigeants socialistes semblent privilégier l’omerta souvent défendue par les entreprises. Et ce choix est d’autant plus préoccupant que le capitalisme français est, parmi les grandes démocraties, l’un des plus opaques, et le journalisme d’investigation sur les entreprises est sans doute, en France, l’une des formes de journalisme parmi les plus sous-développées.

Que l’on veuille bien examiner en effet les règles de fonctionnement du capitalisme français. Il a importé du modèle anglo-saxon tout ce qui a trait à l’enrichissement des mandataires sociaux (stock-options…) et les principales règles de gouvernance, et surtout celles du profit pour l’actionnaire (share holder value) Toutes les règles…, mais pas celles de la transparence, auxquelles les marchés financiers accordent beaucoup d'importance. Sur ce plan, les milieux d’affaires parisiens ont gardé les règles d’opacité qui étaient la marque du vieux capitalisme français, truffé de passe-droits et de conflits d’intérêts. Le secret des affaires, s’il devait être instauré, viendrait donc conforter ces mauvais penchants.

Et dans cette culture française assez peu démocratique, celle de la monarchie républicaine, la presse a souvent été placée dans une situation de dépendance, croquée qu’elle a été, titre après titre, par les grands oligarques du système parisien. Et le résultat est celui que l’on sait : alors qu’il existe une forte tradition de journalisme d’investigation économique dans la plupart des grands pays anglo-saxons, la France ne peut pas en dire autant. L’enquête en économie est peu fréquente, et les journaux économiques se limitent, le plus souvent, a être une presse de « services » et très peu – ou pas du tout – d’investigation.

Le résultat,  c’est qu’il est difficile de pratiquer l’investigation. Et que l’on s’y expose souvent à de très fortes rétorsions. Si je peux m’autoriser à citer ma propre expérience, voici ce dont je peux moi-même témoigner : pour avoir conduit une longue et difficile enquête prémonitoire sur les Caisses d’épargne, j’ai été mis en examen douze fois en 2009 (comme Edwy Plenel, en sa qualité de directeur de la publication), avant de gagner cette confrontation judiciaire et de faire condamner la banque pour poursuites abusives. Si une loi sur le secret des affaires avait existé à l'époque, sans doute aurais-je été condamné à ce titre, car j’avais révélé de nombreux faits sur la banque, qui n’étaient pas illégaux, mais qui ont conduit à la crise gravissime de la banque.

Et cette « judiciarisation » du travail journalistique est constante. Pour ne parler que de la période récente, j’ai encore fait l’objet, voici quelques semaines, de deux plaintes en diffamation initiées par la Société nationale immobilière (SNI – filiale de la Caisse des dépôts), et par son président, André Yché, visant pas moins de six articles apportant de nombreuses révélations sur les dérives du premier bailleur social français. Dans le contexte présent, je sais que Mediapart et moi-même pourrons, lors du procès, apporter les preuves nombreuses du sérieux de nos enquêtes en même temps de leur bonne foi. Mais avec une loi sur le secret des affaires, nous irions tout droit vers une condamnation, aussi sérieuse que soient nos enquêtes.

Voici l’effet pernicieux auquel cette loi pourrait conduire, si un jour elle devait être adoptée : elle renforcerait encore davantage l’opacité du capitalisme français et l’anémie de la presse économique. De tous les grands pays, la France est déjà celui qui avait la conception la plus extensive du « secret défense », auquel se heurte périodiquement la justice, quand elle cherche à faire le jour sur des contrats de corruption ; elle va maintenant avancer en éclaireur pour organiser le secret des affaires. C’est, en somme, une proposition de loi très dangereuse pour les libertés publiques et le droit de savoir des citoyens, qui est pourtant un droit fondamental, garanti par la Déclaration des droits de l’homme.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian


Asile et immigration: contrôles renforcés contre nouveaux droits

$
0
0

Les deux projets de loi relatifs à l'asile et au droit des étrangers présentés mercredi 23 juillet en conseil des ministres sont à l'image de Bernard Cazeneuve et de sa manière d'exercer la fonction de ministre de l'intérieur : plus consensuels que ce qu'aurait voulu son prédécesseur, Manuel Valls, qui les a initiés, ils évitent les mesures susceptibles de focaliser – inutilement selon lui – l'attention médiatico-politique (centres semi-fermés pour les déboutés du droit d'asile notamment) ; techniques, mais pas que : ils comportent des améliorations (souvent imposées par des directives européennes) pour les demandeurs d'asile et les étrangers s'installant en France, ainsi que des contraintes renforçant les contrôles dont ces personnes font l'objet de la part de l'État.

« Le ministre cherche à réconcilier la France et ses immigrés. Pour cela, il se refuse à brandir des chiffons rouges, à crisper, à instrumentaliser. En même temps, il veut rendre les dispositifs plus lisibles, plus rapides et plus efficaces, y compris les reconduites à la frontière », indique-t-on dans son entourage. Après deux ans d'attente, les défenseurs des droits des étrangers, dans le secteur associatif, sont mitigés. Certains, comme France terre d'asile, saluent la « volonté de réforme » du ministre tout en constatant que « de nombreuses interrogations subsistent ». D'autres, comme la Cimade, sont déçus. Pour ses représentants, l'arsenal législatif proposé n'est pas à la hauteur des engagements pris par les responsables politiques de gauche, y compris au parti socialiste, lors de la précédente mandature. Insuffisant pour rompre avec la « politique inadaptée et injuste » menée sous l'ère Sarkozy, il n'est pas de nature, regrettent-ils, à « mettre en place une politique fondée sur les valeurs d'hospitalité ».

En matière d'asile, la priorité du projet de loi, qui contient 23 articles (le télécharger ici), est d'accélérer l'examen de la demande d'asile, dont la durée dépasse parfois deux ans et demi, pour la ramener à neuf mois dans le droit commun. L'objectif est de limiter l'incertitude dans laquelle sont plongés les étrangers sollicitant le statut de réfugié, tout en réduisant les coûts liés à l'hébergement et aux allocations leur revenant de droit. Environ 100 000 personnes attendent actuellement une décision. 

Outre des effectifs supplémentaires, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), autorité indépendante chargée d'examiner les dossiers, se voit attribuer des pouvoirs supplémentaires. Elle obtient la possibilité de recourir davantage aux « procédures accélérées », réputées plus expéditives et se traduisant généralement par un rejet. Le but est affiché dans l'exposé des motifs du projet de loi (à télécharger ici) : il s'agit d'« assurer un traitement plus rapide des demandes abusives » qui, d'après le ministère, se développent en raison des droits juridiques et matériels accordés aux demandeurs d'asile.

En même temps, selon les obligations inscrites dans diverses directives européennes, des garanties sont apportées au demandeur d'asile. Lors de l'entretien au cours duquel il décrit les raisons de son départ de son pays d'origine, celui-ci peut être assisté d'un avocat ou du représentant d'une association agréée. Un décret à venir déterminera si l'échange sera enregistré ou s'il fera l'objet d'une retranscription contradictoire. Les personnes reconnues comme vulnérables obtiennent un traitement spécifique.

Un temps menacée, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) conserve son rôle d'instance de recours en cas de rejet par l'Ofpra. Mais le ministère, qui souhaite « normer » ses interventions jugées trop lentes, lui met la pression en lui demandant de statuer « à juge unique » dans un délai d'un mois pour les procédures accélérées. Selon l'engagement de François Hollande, les personnes déboutées ne risquent plus, quant à elles, d'être expulsées du territoire avant d'avoir épuisé l'ensemble de leurs droits.

Une refonte globale de l'hébergement est prévue. Les centres d'accueil (Cada) étant saturés en Ile-de-France et dans les principales agglomérations, un dispositif national « directif » et « contraignant », décliné par région et géré par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), est mis en œuvre afin de répartir les demandeurs sur le territoire en fonction des places disponibles. « Il s’agit d’assurer une meilleure acceptation locale des demandeurs d’asile et de mettre fin à certains effets de filières et de concentration communautaire », précise le texte. Les personnes qui refuseraient un lit ainsi attribué perdraient leur aide au logement ainsi que le pécule leur permettant de subvenir à leurs besoins (nourriture, vêtements). Une mesure initialement envisagée avait provoqué l'inquiétude des associations : l'impossibilité faite aux demandeurs de quitter leur Cada plus de 48 heures sans autorisation du préfet sous peine de voir clôturer la procédure les concernant. Ayant reconnu la « maladresse » de la formulation, les services du ministre renvoient à un décret ultérieur l'instauration d'une telle mesure de surveillance, qu'ils estiment toutefois nécessaire à la fois pour gérer les stocks de places disponibles et garder la trace des personnes en cas de rejet de leur dossier. 

Pour empêcher que les déboutés du droit d'asile ne restent en France et permettre le retour dans leur pays d'origine, Bernard Cazeneuve entend les assigner à résidence. Mais il renonce, pour l'instant tout du moins, à l'ouverture de centres spécifiques, « semi-ouverts » ou… « semi-fermés ». Son entourage justifie sa décision par son souhait de ne pas créer d'« usine à gaz ». « Des expérimentations restent envisageables. Nous en rediscuterons avec les associations », assure-t-on. L'expulsion n'est pas pour autant retardée, au contraire. Les personnes ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire (OQTF) se verront appliquer des délais de recours abrégés.

En 36 articles, le projet de loi relatif au droit des étrangers contient lui aussi son lot d'avancées et de restrictions (texte à télécharger ici). L'exigence de connaissance de la langue française est renforcée dans le contrat d'accueil et d'intégration (CAI), signé lors de son arrivée en France par l'étranger qui veut s'installer durablement en France. Un nouveau titre de séjour pluriannuel, remplaçant les actuelles autorisations provisoires, est créé. « Cela permettra d’éviter les multiples passages en préfecture, vécus comme une contrainte et préjudiciables à l’intégration, indique le texte législatif dans l'exposé des motifs (à télécharger ici). Il est donc proposé, après un premier titre de séjour d’un an, de délivrer une carte de séjour pluriannuelle d'une durée maximale de quatre ans dès lors que l'étranger aura justifié de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'État. » 

Délivrée par le préfet, cette carte reste étroitement contrôlée par lui. Des pouvoirs, « démesurés » selon la Cimade, lui sont confiés puisqu'il acquiert la possibilité de vérifier l'exactitude des informations dont il dispose « auprès d'interlocuteurs aussi divers que les fournisseurs d'énergie et de télécommunication, les banques, les entreprises de transport des personnes, la Sécurité sociale, les collectivités territoriales, les hôpitaux ou les écoles ». « Au risque de dénaturer leurs missions », insiste l'association qui intervient dans plusieurs centres de rétention. 

Bernard CazeneuveBernard Cazeneuve © Reuters

En vue d'accroître l'attractivité de la France, Bernard Cazeneuve prétend améliorer l'accueil des « talents » (chercheurs, investisseurs, travailleurs hautement qualifiés, salariés en mission, etc.), via la simplification des titres de séjour proposés et, pour les étudiants titulaires d'un master, la possibilité d'accéder à un emploi correspondant à leurs compétences ou de créer une entreprise. Quant au droit au séjour des étrangers malades, il sera délesté des freins imposés précédemment, promet l'entourage du ministre.

Côté répressif, les ressortissants européens pourraient être visés par une interdiction temporaire de circulation sur le territoire en cas d'« abus de (leur) droit de libre circulation » ou de « menace à l'ordre public ». Les services du ministre démentent cibler les populations roms, mais ils admettent vouloir limiter les déplacements de ceux dont les allers-retours sont considérés comme contrevenant au droit. À certaines conditions, les étrangers extracommunautaires peuvent être punis d'une interdiction de retour sur le sol français d'une durée maximale de trois ans, selon la transposition de la directive européenne dite « retour ».

Pour « lutter contre l'immigration irrégulière », le projet de loi privilégie, en cas d'OQTF, l'assignation à résidence, mesure moins coercitive que le placement en rétention administrative. Cet assouplissement est néanmoins compensé par la possibilité donnée aux forces de l'ordre de conduire les personnes sous la contrainte au consulat pour obtenir le laissez-passer nécessaire à leur retour forcé, voire d'aller les chercher à leur domicile pour les acheminer vers le lieu de départ. 

Pour accélérer les procédures, le délai de recours contre une OQTF peut être réduit. En cas d'enfermement, la possibilité, ouverte par la loi Besson de 2011, qu'une personne soit expulsée avant que la légalité de la procédure de rétention ne soit examinée n'est pas abolie. Cette mesure, qui a récemment encore provoqué la colère d'un juge des libertés (JLD) du tribunal de grande instance de Meaux (Seine-et-Marne), avait pourtant été combattue pied à pied par la gauche. « Telle est la position du gouvernement, mais une modification lors des débats au Parlement n'est pas exclue », indique le ministère de l'intérieur qui crée, enfin, un droit d'accès autonome (sans parlementaires) des journalistes aux centres de rétention (les refus devront être motivés et pourront être contestés), afin que ceux-ci puissent y exercer leur métier et garantir aux personnes enfermées un droit d'expression. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Les défilés pour la Palestine fracturent le PS et embarrassent les écologistes

$
0
0

Au cas où l'on ne s'en serait pas aperçu, le président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) rappelle avec insistance aux journalistes où ils se trouvent : dans la salle “Alfred-Dreyfus” du siège parisien de la LDH. Dreyfus, le capitaine juif faussement accusé de trahison à la fin du XIXe siècle, héraut du combat contre le racisme et l'antisémitisme. Tout un symbole, en ces temps de confusion généralisée.

Dans la salle “Alfred-Dreyfus”, ce mardi 22 juillet, plusieurs associations, syndicats (CGT) et partis de gauche (EELV, le PCF, le Parti de gauche, Nouvelle Donne, le NPA, etc.) réunis sous la bannière du Collectif pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens (l'ensemble des signataires est à lire ici) ont appelé à manifester ce mercredi, à 18 h 30, de Denfert-Rochereau aux Invalides, en solidarité avec le peuple palestinien, contre l'arrêt des bombardements de l'armée israélienne sur Gaza, pour la levée du blocus imposé par Israël.

« Les images de Gaza sont horribles, l'Union européenne a des moyens d'agir », a lancé l'eurodéputé communiste Patrick Le Hyaric. « Il y a un oppresseur et un opprimé. Israël est en train de faire payer à tout un peuple sa logique colonisatrice et militaire. L'État d'Israël viole le droit international depuis des années », a insisté Pascal Durand, député européen écologiste, venu parler au nom de la secrétaire nationale, Emmanuelle Cosse. Pour la LDH, Pierre Tartakowsky a exigé un « engagement plus clairement lisible du gouvernement français en faveur du processus de paix, contre le blocus et l'occupation ».

Le parti socialiste n'appelle pas à manifester. Mais deux députés PS, Pascal Cherki et Alexis Bachelay, étaient présents et ont pris la parole. Mardi, avec une trentaine de collègues, ils ont signé un appel invitant, contre l'avis de leur parti, à manifester mercredi. « La France est membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, cela lui donne plus de responsabilités que d'autres États, a rappelé Pascal Cherki. Tout ce qui contribue à déséquilibrer la position de la France nuit à sa possibilité de se poser en médiateur. » Une allusion à l'alignement de François Hollande sur la politique du gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, qui semble rompre avec la doctrine traditionnelle de la France : deux États, dans les frontières de 1967, contre la colonisation et l'occupation israéliennes.

Depuis le début de l'offensive de l'armée israélienne à Gaza le 8 juillet – d'abord aérienne, puis terrestre, elle a fait plus de 550 morts côté palestinien et 27 Israéliens ont été tués, des soldats pour l'essentiel – le Collectif a déjà appelé à manifester à deux reprises à Paris, les 11 et 16 juillet. Ces rassemblements avaient été autorisés par la préfecture de police. « Nous avons aussi organisé de nombreuses manifestations partout en France », rappelle Taoufiq Tahani, président de l'association France Palestine Solidarité.

Conférence de presse des organisateurs de la manifestation du 22 juillet.Conférence de presse des organisateurs de la manifestation du 22 juillet. © MM

Samedi dernier, ces organisations n'étaient pas de la manifestation interdite de Barbès, lancée à l'appel de l'Union des juifs français pour la paix (UJFP), des Indigènes de la république (PIR), du Mouvement des jeunes palestiniens (PYM) ou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) – même si certains de leurs militants étaient présents.

D'abord pacifique, ce cortège a dégénéré. Depuis, une autre manifestation interdite à Sarcelles (Val-d'Oise) a elle aussi donné lieu à des affrontements violents. Une épicerie casher a notamment été attaquée. De nombreux responsables socialistes, du premier ministre Manuel Valls au président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone, disant craindre l'importation du conflit israélo-palestinien sur le sol français, ont unanimement dénoncé une flambée de l'antisémitisme. Lundi, François Hollande a reçu des responsables religieux, accréditant le sentiment d'un affrontement communautaire.

C'est aussi la gestion par l'exécutif, accusé d'exacerber les tensions, que les organisateurs ont tancée. « Les fous ont pris le contrôle de l'asile », commente un participant, avant la conférence de presse. Taoufiq Tahani, de France Palestine Solidarité, dénonce la « violence verbale du président de la République et du premier ministre, qui assimilent ce conflit politique à un affrontement religieux ou qualifient le mouvement de solidarité à la Palestine d'antisémite ». « Ramener la manifestation de solidarité avec Gaza aux seules manifestations d'antisémitisme, c'est extrêmement réducteur, soutient Pierre Tartakowsky de la LDH. C'est le fait d'avoir interdit certaines manifestations qui a favorisé tous les excités. La manifestation de mercredi sera pacifique, responsable, permettra je l'espère d'animer un débat démocratique, ni hystérique ni communautaire. »

À une journaliste de télévision très insistante, ce militant des droits de l'Homme assure : « Il n'y aura pas de propos antisémites dans cette manifestation, nous n'avons jamais manifesté aux côtés des antisémites. Ce n'est pas demain que nous allons commencer. » « Il est inacceptable que la France, via son gouvernement, ait interdit une manifestation de se dérouler », dit Pascal Durand (EELV). Claude Nicolet (MRC, parti de Jean-Pierre Chevènement), constate les « dérives de la diplomatie française ». Christophe Ventura (parti de gauche, PG) assure que le « gouvernement n'a fait qu'attiser les réflexes communautaires ».

« Le deux poids, deux mesures, quand il s'agit d'Israël ou de la Palestine, est dramatique car il humilie des millions de nos contemporains », poursuit Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne). Le trajet initial déposé en préfecture (République-Opéra) a été modifié sur demande de la préfecture de police. À cause de la présence de « plusieurs magasins de luxe à Opéra », assure Taoufiq Tahani, et non en raison de la présence d'une synagogue non loin du trajet. La sécurité sera assurée par le NPA et les expérimentés services d'ordre de la CGT, du PG, du PCF.

En soutenant la manifestation de mercredi, le parti de gauche et le parti communiste, les principales composantes du Front de gauche, sont en phase avec ce qu'ils ont toujours défendu. Mais les attaques israéliennes à Gaza ont fait apparaître au sein du PS et, dans une moindre mesure, chez les écologistes, des clivages marqués.

C'est du côté du parti que François Hollande a dirigé pendant dix ans que la tension est la plus forte. Au parti socialiste, l'alignement du pouvoir sur la ligne du premier ministre Benyamin Netanyahou, à rebours des positions habituelles du parti, consterne militants et élus. Comme pris en tenaille, le PS n'a publié depuis le début de l'intervention militaire de l'armée israélienne à Gaza que trois communiqués, dont aucun n'a condamné explicitement la politique du gouvernement israélien. En 2009, lors de l'opération Plomb durci à Gaza, le PS, alors dans l'opposition, avait tenu des positions beaucoup plus fermes, dénonçant explicitement « l’offensive militaire israélienne », et demandant « le retrait des troupes israéliennes hors de Gaza ».

Publiée lundi 21 juillet, une lettre de cent militants et élus socialistes de terrain témoigne de l'étonnement de ces socialistes de base, pour beaucoup trentenaires et issus de l'immigration, face à la ligne présidentielle. Même s'il a été édulcoré depuis par d'autres propos évoquant la « souffrance » des Gazaouis, le premier communiqué de François Hollande, assurant, le 9 juillet, qu'il « appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces », les a choqués. 

« Nous avons été véritablement stupéfaits en apprenant votre position qui consistait à apporter un soutien ferme et absolu au gouvernement israélien d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou », écrivent-ils. Se disant « indignés », ils dénoncent un « soutien unilatéral sans condamnation aucune à l’égard d’Israël », évoquent l'« affront fait à celles et ceux qui œuvrent depuis longtemps pour la construction d’une paix durable au Proche-Orient ». « En cela, vous rejoignez totalement la position personnelle de votre prédécesseur Nicolas Sarkozy qui se disait être “l’ami d’Israël” plutôt que l’ami du droit international et de la paix, écrivent-ils. Vous, un cran au-dessus, vous recherchez des “chants d’amour” pour un État qui viole chaque jour un peu plus le droit d’un peuple à son indépendance, des “chants d’amour” pour un peuple qui colonise une terre à la barbe de la communauté internationale sans que personne n’arrête cette ignominie. » 

« Militants sincères, militants respectueux de nos débats internes et des règles de notre parti, nous n’aurions jamais imaginé interpeller ainsi l’homme que nous avons porté collectivement à la tête de notre pays de manière publique. Malheureusement, aucun débat interne n’a lieu et notre parti est devenu une sorte de fantôme qui hoche la tête devant vos errements », poursuivent-ils.  

Une des signataires, la vice-présidente PS de la Région Bourgogne, Nisrine Zaibi, 26 ans, se dit « blessée ». « Quand le chef de l'État dit qu'Israël peut se défendre comme bon lui semble, c'est une forme de trahison », dit-elle. Elle déplore aussi l'interdiction de la manifestation de Barbès, au nom de la lutte contre l'antisémitisme. « Bien sûr qu'il faut combattre l'antisémitisme, je suis une guerrière antiracisme. Mais en interdisant cette manifestation, Valls et Cazeneuve ont pris le risque de conséquences dramatiques. Ils accentuent la division, ramènent le conflit sur le terrain du religieux ou du communautaire. Ces manifestations sont contre le gouvernement israélien, mais pas contre les Juifs ! » Pour Nisrine Zaibi, venue des réseaux DSK et qui a soutenu François Hollande à la primaire socialiste, cet épisode est aussi le signe d'un PS « sans idées ni conviction, qui a besoin se renouveler intégralement sa classe dirigeante », où « les sections se réunissent peu et les militants partent ».

Adjointe au maire de Nanterre (Hauts-de-Seine), Habiba Bigdane fait partie des initiateurs de l'appel, lancé bien avant l'interdiction de la manifestation de Barbès, ce week-end. « C'est vraiment une accumulation, raconte-t-elle. Ces dernières semaines, le PS est resté sur sa position traditionnelle d'équilibre prudent au sujet du Proche-Orient. Mais la goutte qui a fait déborder le vase, c'est le communiqué de l’Élysée, indigne de la France et des valeurs du PS. » Pour cette jeune militante, l'interdiction de la manifestation de Barbès, « nouvel affront », a « attisé les choses » et « encouragé la haine en mettant de la religion sur un conflit politique ».

En écho, une trentaine de députés socialistes ont publié mardi un texte de soutien à la manifestation. « Nous avons le devoir d’user de notre liberté d’expression et de notre droit à manifester pacifiquement ! Mais en aucun cas, nous ne tolérons d’acte ou de parole qui puisse faire ressurgir l'antisémitisme et le racisme. Nous ne laisserons pas s’instaurer un autre conflit en France, nous soutenons la paix », expliquent-ils. Ils exigent des « positions fermes » de la France : « un cessez-le-feu immédiat, un couloir humanitaire, le retrait des troupes israéliennes hors de Gaza, l’arrêt des tirs de roquette sur Israël et l’installation d’une force internationale de protection. »

Parmi eux, des membres de l'aile gauche, un proche d'Arnaud Montebourg ou les représentants du nouveau courant Cohérence socialiste du PS (Yann Galut, Karine Berger, la rapporteure du budget Valérie Rabault). Mardi, un des initiateurs de l'appel, Alexis Bachelay, s'est fait rappeler à l'ordre par le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, pour avoir qualifié l'interdiction de la manifestation de Barbès de « liberticide ». Le même Stéphane Le Foll, un proche de François Hollande, admet toutefois que le gouvernement « s'est laissé dépasser par des gens qui voulaient de toute façon manifester ».

Au sein des écologistes, historiquement très sensibles à la question palestinienne, une discrète bataille interne a opposé ces derniers jours la majorité du parti à certains élus, députés ou sénateurs. Dès le 9 juillet, EELV a dénoncé « l’escalade meurtrière entre Israël et Palestine », tout en ciblant particulièrement « l'agression militaire israélienne ». Le 15 juillet, les écologistes
ont déploré « les actes terroristes » du Hamas, mais aussi les « frappes dix fois plus meurtrières (de l'armée israélienne) qui alimentent en retour le terrorisme et la tension », tout en « condamn(ant) toute forme de violence à l’encontre des lieux de culte, des personnes ou des institutions, en France comme au Proche-Orient ». Le 18 juillet, veille du défilé, le parti a critiqué l'interdiction de la manifestation de Barbès. Le 21 juillet, après un week-end très meurtrier à Gaza, le parti en a « appelé à une action déterminée de la communauté internationale rapide et coordonnée », alors qu'« au mépris du droit international, Israël bombarde, tue, détruit ».

Mais au sein d'EELV, certains défendent une position de « rééquilibrage ». Pour le député Christophe Cavard, « il faut dénoncer l'action de l'armée israélienne, dire que la communauté internationale doit agir plus fort, mais aussi dénoncer avec autant de force la logique guerrière et meurtrière du Hamas, qui prône la guerre pour Dieu. Et cela, EELV ne le fait pas assez ».

Sur le réseau social Twitter et sur les listes internes, les échanges entre militants ont été vifs. Dans un échange interne daté du 19 juillet, le coprésident du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, François de Rugy, dit « condamner tout à la fois l'enlèvement et l'assassinat des trois jeunes Israéliens, les représailles enclenchées par des Israéliens extrémistes qui ont mené à l'assassinat d'un jeune Palestinien, les tirs de roquette du Hamas et la riposte disproportionnée décidée par le gouvernement Netanyahou », une mise sur le même plan qui n'est pas du goût de tous les militants.

Dans un autre mail interne daté de ce lundi 21 juillet, le sénateur Jean Desessard déplore l'appel à manifester de mercredi, qui « ne parle que de l’arrêt des bombardements sur Gaza et pas de l’arrêt des bombardements sur Israël et demande des sanctions immédiates contre Israël. Comment Israël pourrait-il accepter de cesser son action si cela se traduit par des sanctions immédiates ? ». Des prises de position minoritaires, selon un responsable d'EELV, qui y décèle la « droitisation » d'une partie des parlementaires écologistes. L'an dernier, le voyage de plusieurs de ces parlementaires en Israël, menés par le sénateur Jean-Vincent Placé, avait suscité une polémique dans le parti.

La discussion divise d'ailleurs aussi les écologistes européens. Le 17 juillet, les eurodéputés écolos français ont voté la proposition de la Gauche unitaire européenne (GUE, communistes, gauche radicale, etc.) de geler l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, « tant qu'Israël continuera de violer les droits de l'Homme », de même que des écologistes suédois ou britanniques. Mais les eurodéputés écologistes allemands ne l'ont pas soutenue, et d'autres se sont abstenus.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

A l'Assemblée, consensus UMP-PS pour durcir la loi antiterroriste

$
0
0

Après un débat très consensuel, la commission des lois de l’Assemblée nationale, présidée par le député PS Jean-Jacques Urvoas, a adopté mardi 22 juillet à l’unanimité le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve. Précipité par la tuerie de Bruxelles du 24 mai, le texte est examiné par le Parlement en procédure accélérée. Il s’agit de lutter contre les départs en Syrie. En six mois, le « nombre total de ressortissants engagés sur les théâtres djihadistes » a crû de « 56 % », passant de « 567 à 883 personnes » dont « 44 mineurs », a indiqué Bernard Cazeneuve. « La DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, ndlr) traite actuellement une soixantaine de procédures judiciaires (liées à des départs ou retours de djihadistes en Syrie, ndlr) », a ajouté le ministre.

Selon un récent rapport d'Europol, près de la moitié des 535 personnes arrêtées pour des infractions relatives au terrorisme en 2013 au sein de l'Union européenne l'ont été en France, soit 225 personnes. Parmi ces 225 personnes, 144 ont été enregistrées dans la catégorie «motivations religieuses», 77 dans celle des «séparatistes», trois «extrême-droite», un «extrême-gauche» et enfin un «divers». L'Espagne et le Royaume-Uni arrivent loin derrière avec respectivement 90 et 77 interpellations au total en 2013. 

Le projet de loi prévoit le blocage administratif de sites, des interdictions administratives de sortie du territoire et une nouvelle incrimination d’« entreprise individuelle terroriste ». Alors que le texte – le quinzième en matière d’antiterrorisme depuis 1986 et le deuxième depuis l’arrivée au pouvoir des socialistes – suscite de nombreuses critiques, la commission des lois a surtout été le théâtre d’une surenchère d’amendements sécuritaires entre le PS et l’UMP. Plusieurs amendements du rapporteur du texte, le député PS Sébastien Pietrasanta, renforçant le texte, ont ainsi été adoptés. Ce qui a réjoui la droite dure. « Vive les conversions même quand elles sont tardives », a lancé le député UMP Alain Marsaud, ancien chef du parquet antiterroriste de Paris. Tandis que le corapporteur UMP Guillaume Larrivé rappelait avec malice qu’en 2006 les députés PS, alors dans l’opposition, s’étaient abstenus lors du vote de la loi antiterroriste présentée par Nicolas Sarkozy.

Les principales critiques portent sur la possibilité pour l’administration de bloquer des sites « provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie » sans passer par un juge. Selon le Conseil national du numérique, dont l’avis rendu le 15 juillet est consultatif, ce dispositif, calqué sur celui permettant déjà de bloquer les sites pédopornographiques, est « techniquement inefficace », « inadapté » aux enjeux du recrutement djihadiste et ne fournit pas suffisamment de garanties de protection de la liberté d'expression. « Le nombre de sites de recrutement se limite à une fourchette comprise entre une dizaine et une centaine, selon les experts, indique le Conseil du numérique. Au regard de ces chiffres, le risque de surcharge des tribunaux parfois évoqué n’est pas caractérisé. » Il pointe « un risque réel de dérive vers le simple délit d’opinion » car « contrairement aux dispositions relatives à la pédopornographie, (…) la qualification des notions de commission d’actes terroristes ou de leur apologie prête à des interprétations subjectives ».

Cette inquiétude est partagée par la  « Commission de rélfexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique », composée à parts égales de députés et de personnalités qualifiées (dont Edwy Plenel, directeur de Mediapart, qui explique ici ses objectifs). Dans un avis du 21 juillet, elle souligne la difficulté en l’absence de juge de tracer une frontière « entre la provocation au terrorisme et la contestation de l’ordre social établi ». Les deux organismes rappellent également les risques de surblocage, c’est-à-dire le blocage de contenus légaux autres que ceux visés, car « 90 % des contenus de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme semblent se situer sur des réseaux sociaux ou des plateformes de partage de vidéos comme YouTube ou Dailymotion », note la commission numérique.

Il existe certes une solution technique qui permettrait d'affiner le blocage, mais celle-ci est encore plus attentatoire aux libertés individuelles… « Les opérateurs n’opèrent le blocage qu’au niveau du nom de domaine (DNS), éventuellement au niveau du sous-nom de domaine, explique le Conseil national du numérique. Tout blocage plus fin (notamment par URL) exigerait des développements techniques plus importants et nécessiterait d’avoir recours aux techniques de deep packet inspection (DPI), particulièrement attentatoire au secret des correspondances. » Ce produit d'interception massive a notamment été développé par la société française Qosmos grâce à un contrat avec la Syrie du dictateur Bachar al-Assad, commeMediapart l'a raconté.

Devant les députés mardi, Bernard Cazeneuve s’est dit « parfaitement conscient des réserves que suscite ce dispositif » et prêt « à rechercher ensemble toutes les solutions pour éviter le surblocage ». Les députés ont ainsi adopté un amendement du rapporteur du texte Sébastien Pietrasanta (PS) prévoyant que l’administration demandera d’abord à l’éditeur du site, ou à défaut, à son hébergeur, de retirer un contenu illicite. « Ce n’est qu’en l’absence de retrait dans un délai de vingt-quatre heures que l’autorité administrative pourra faire procéder au blocage du site par les fournisseurs d'accès Internet », précise l’amendant.

Pas question en revanche de revenir sur le principe d’un blocage administratif. « Le juge des libertés individuelles n'est pas le juge du blocage internet. Ce n'est pas son rôle », a tranché le ministre de l'intérieur. « Pourquoi l’État serait-il capable d’interdire une manifestation, un spectacle, voire la parution d’un journal et pas d’une page internet ? », a de son côté argué Sébastien Pietrasanta. Le rapporteur a proposé qu’une personnalité qualifiée, désignée par la Cnil, ait pour mission de vérifier que les contenus bloqués « sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ».

Par ailleurs, le débat s’est focalisé sur la définition du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle. Plusieurs députés UMP souhaitaient que le texte reste « le plus flou possible », selon l’expression de Claude Goasguen, pour ne pas donner d’armes aux avocats des prévenus. « On se complique la vie, a jugé le député UMP Jacques Myard. On va passer entre les gouttes. Il vaut mieux faire confiance à la justice. » « Sans vouloir faire de mauvais esprit, je me félicite de voir que vous faites confiance aux juges », a ironisé Jean-Jacques Urvoas, qui s’est prononcé en faveur d’un texte « plus précis ».

Selon l’amendement de Sébastien Pietrasanta finalement adopté hier soir, la préparation d’un acte terroriste devra donc être caractérisée par au moins deux éléments matériels. Le premier sera « le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». Le second devra être pioché dans une liste : surveillance d’un lieu ou de personnes, entraînement au maniement des armes, utilisation de substances explosives ou incendiaires, ou pilotage d’aéronefs.

Avec cette nouvelle incrimination qui pousse encore plus loin le concept de justice préventive, le rapporteur PS s’est défendu de porter un texte « liberticide ». « Non, nous n’entrons pas dans l’ère de Minority Report, ce fameux film de Spielberg où la société du futur a éradiqué le crime en se dotant d’un système de prévention/détection/répression le plus sophistiqué au monde grâce aux extralucides », a assuré Sébastien Pietrasanta. De son côté, le ministre de l’intérieur a reconnu ne pas croire « au concept de loup solitaire », tout en citant deux cas qui justifieraient ce nouveau délit, celui d’un jeune militaire d’extrême droite qui avait reconnu son projet de tirer sur une mosquée de Vénissieux et celui d’un jeune homme radicalisé qui, en mai 2013, avait poignardé des militaires à La Défense.

Sur les interdictions administratives de sortie du territoire, le corapporteur UMP Guillaume Larrivé s’est même payé le luxe de retirer un de ces amendements au profit de celui de son collègue socialiste, jugé « plus dur au regard du respect des libertés ». Il s’agit d’ajouter la confiscation de la carte d’identité à celle du passeport, pour empêcher le départ de candidats au Djihad vers des pays comme la Tunisie ou la Turquie qui n’exigent que la carte d’identité des ressortissants français. Estimés à 200 par le ministère de l’intérieur, les intéressés se verront remettre… un récépissé à la place de leur carte d'identité. Seule la député MRC Marie-Françoise Bechtel a émis quelques doutes sur cette « mesure extrêmement grave », de nature à discriminer les porteurs du récépissé « dans tous les actes de la vie quotidienne, y compris l’ouverture d’un compte bancaire ».

Autre durcissement, les députés ont adopté un amendement du rapporteur PS prévoyant d’étendre le délit de provocation au terrorisme aux propos privés, afin de pouvoir sanctionner « les propos tenus soit dans des cercles de réunion privés, par exemple dans le cadre de prêches formulés dans des lieux non ouverts au public, soit sur des forums internet privés ou des réseaux sociaux dont l’accès n’est pas public »

Au passage,  Sébastien Pietrasanta et Jean-Jacques Urvoas en ont profité pour faire adopter un amendement permettant à l'administration pénitentiaire de recueillir «directement et par tout moyen technique» les données de connexion (numéro appelé, appelant, heure, date, etc.) des détenus ayant un téléphone clandestin. Et sans contrôle ni autorisation préalable d'un juge. Seule la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui contrôle déjà les interceptions de sécurité, aura un droit d'accès permanent à sur ce dispositif et pourra effectuer des « recommandations » au ministre chargé de l’administration pénitentiaire… Heureusement pour les détenus, le nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la socialiste Adeline Hazan, s'est récemment prononcée en faveur de l'autorisation des téléphones portables en détention. 

Pour ne pas être en reste, les députés UMP avaient eux déposé deux amendements punissant « le fait, pour tout citoyen français, d'aller combattre hors de France sans l'autorisation expresse des autorités françaises » d'une peine de cinq ans de prison, ainsi que « la déchéance des prestations sociales de toute nature » pour les personnes se rendant « à l’étranger dans le but de participer à des activités terroristes ». Ils ont été écartés hier. « Les prestations sociales sont versées sous conditions de résidence stable sur le territoire », a balayé Bernard Cazeneuve. À l'heure du tir à vue sur les réseaux sociaux et Internet, la foire aux propositions était d'ailleurs ouverte : la députée UMP Nathalie Kosciusko-Morizet a remis sur le tapis la sanction de la « consultation habituelle ou répétée de sites faisant l'apologie du terrorisme », tandis que son collègue François Vannson a proposé d'interdire les pseudos sur Internet !

« Alors que la commission des lois avait l'opportunité de corriger les dispositions inadmissibles de ce projet de loi, présentées au nom de la lutte contre le terrorisme, les députés viennent au contraire de les aggraver », a réagi Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de la Quadrature du Net. La discussion du texte se poursuivra à l’Assemblée nationale à la mi-septembre. Jusqu'ici, « la quasi-totalité des lois successivement adoptées pour lutter contre le terrorisme ont été soumises au Conseil constitutionnel », souligne l'étude d'impact du projet de loi. Ce qui risque de ne pas être le cas pour ce texte, car on voit mal le groupe d'opposition UMP, favorable au projet de loi, saisir le Conseil constitutionnel.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Palestine : Monsieur le Président, vous égarez la France

$
0
0

Monsieur le Président, cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et, à vrai dire, je n’arrive pas à m’y résoudre tant je vous croyais averti de ce danger d’une rechute socialiste dans l’aveuglement national et l’alignement international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au point de s’en servir d’alibi pour justifier les injustices qu’elles commettent.

Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui d’un militant dévoué à son parti, la SFIO, d’un dirigeant aux convictions démocratiques et sociales indéniables, qui finit par perdre politiquement son crédit et moralement son âme faute d’avoir compris le nouveau monde qui naissait sous ses yeux. C’était, dans les années 1950 du siècle passé, celui de l’émergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurs et impériaux, bref le temps de leurs libérations et des indépendances nationales.

Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité. Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l'Égypte souveraine, aux côtés du jeune État d’Israël.

Mollet n’était ni un imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres. Des autres qui, déjà, prenaient figure d’Arabes et de musulmans dans la diversité d’origines, la pluralité de cultures et la plasticité de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels s’invitaient de nouveau au banquet de l’Histoire, s’assumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et qui, selon le même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre qu’aujourd’hui encore, l’injustice européenne faite aux Juifs, ce crime contre l’humanité auquel ils n’eurent aucune part, se redouble d’une injustice durable faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement dans un État normal, aux frontières sûres et reconnues.

Vous connaissez si bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà d’elle, pour toute la gauche de gouvernement, que vous l’aviez diagnostiquée vous-même, en 2006, dans Devoirs de vérité (Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été chèrement payée : vingt-cinq ans d’opposition, ce n’est pas rien ! » Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de l’extrême droite française éclipsée depuis la chute du nazisme et l’avènement d’institutions d’exception, celles d’un pouvoir personnel, celui du césarisme présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la SFIO, l’ancêtre de votre Parti socialiste d’aujourd’hui, « a perdu son âme dans la guerre d’Algérie ».

Vous en étiez si conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au peuple algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se reproduise plus. » « Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous encore. Mais nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples : agissons-nous conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer nos principes ? Restons-nous fidèles à ce que nous sommes ? Ces questions doivent être posées à tout moment, au risque sinon d’oublier la leçon. »

Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train d’oublier la leçon et, à votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes que vous avez accumulées face à cet énième épisode guerrier provoqué par l’entêtement du pouvoir israélien à ne pas reconnaître le fait palestinien. J’en dénombre au moins sept, et ce n’est évidemment pas un jeu, fût-il des sept erreurs, tant elles entraînent la France dans la spirale d’une guerre des mondes, des civilisations et des identités, une guerre sans issue, sinon celle de la mort et de la haine, de la désolation et de l’injustice, de l’inhumanité en somme, ce sombre chemin où l’humanité en vient à se détruire elle-même.

Les voici donc ces sept fautes où, en même temps qu’à l’extérieur, la guerre ruine la diplomatie, la politique intérieure en vient à se réduire à la police.

1. Vous avez d’abord commis une faute politique sidérante. Rompant avec la position traditionnellement équilibrée de la France face au conflit israélo-palestinien, vous avez aligné notre pays sur la ligne d’offensive à outrance et de refus des compromis de la droite israélienne, laquelle gouverne avec une extrême droite explicitement raciste, sans morale ni principe, sinon la stigmatisation des Palestiniens et la haine des Arabes.

Votre position, celle de votre premier communiqué du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pour justifier une riposte israélienne disproportionnée dont la population civile de Gaza allait, une fois de plus, faire les frais. Purement réactive et en grande part improvisée (lire ici l’article de Lenaïg Bredoux), elle fait fi de toute complexité, notamment celle du duo infernal que jouent Likoud et Hamas, l’un et l’autre se légitimant dans la ruine des efforts de paix (lire là l’article de François Bonnet).

Surtout, elle est inquiétante pour l’avenir, face à une situation internationale de plus en plus incertaine et confuse. À la lettre, ce feu vert donné à un État dont la force militaire est sans commune mesure avec celle de son adversaire revient à légitimer, rétroactivement, la sur-réaction américaine après les attentats du 11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre d’invasion contre l’Irak. Bref, votre position tourne le dos à ce que la France officielle, sous la présidence de Jacques Chirac, avait su construire et affirmer, dans l’autonomie de sa diplomatie, face à l’aveuglement nord-américain.

Depuis, vous avez tenté de modérer cet alignement néoconservateur par des communiqués invitant à l’apaisement, à la retenue de la force israélienne et au soulagement des souffrances palestiniennes. Ce faisant, vous ajoutez l’hypocrisie à l’incohérence. Car c’est une fausse compassion que celle fondée sur une fausse symétrie entre les belligérants. Israël et Palestine ne sont pas ici à égalité. Non seulement en rapport de force militaire mais selon le droit international.

En violation de résolutions des Nations unies, Israël maintient depuis 1967 une situation d’occupation, de domination et de colonisation de territoires conquis lors de la guerre des Six Jours, et jamais rendus à la souveraineté pleine et entière d’un État palestinien en devenir. C’est cette situation d’injustice prolongée qui provoque en retour des refus, résistances et révoltes, et ceci d’autant plus que le pouvoir palestinien issu du Fatah en Cisjordanie n’a pas réussi à faire plier l’intransigeance israélienne, laquelle, du coup, légitime les actions guerrières de son rival, le Hamas, depuis qu’il s’est imposé à Gaza.

Historiquement, la différence entre progressistes et conservateurs, c’est que les premiers cherchent à réduire l’injustice qui est à l’origine d’un désordre tandis que les seconds sont résolus à l’injustice pour faire cesser le désordre. Hélas, Monsieur le Président, vous avez spontanément choisi le second camp, égarant ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.

2. Vous avez ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antisémitisme et antisionisme. Ce serait s’aveugler de nier qu’en France, la cause palestinienne a ses égarés, antisémites en effet, tout comme la cause israélienne y a ses extrémistes, professant un racisme anti-arabe ou antimusulman. Mais assimiler l’ensemble des manifestations de solidarité avec la Palestine à une résurgence de l’antisémitisme, c’est se faire le relais docile de la propagande d’État israélienne.

Mouvement nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec l’accord des Nations unies, URSS comprise, sous le choc du génocide nazi dont les Juifs européens furent les victimes. Accepter cette légitimité historique de l’État d’Israël, comme a fini par le faire sous l’égide de Yasser Arafat le mouvement national palestinien, n’entraîne pas que la politique de cet État soit hors de la critique et de la contestation. Être antisioniste, en ce sens, c’est refuser la guerre sans fin qu’implique l’affirmation au Proche-Orient d’un État exclusivement juif, non seulement fermé à toute autre composante mais de plus construit sur l’expulsion des Palestiniens de leur terre.

Confondre antisionisme et antisémitisme, c’est installer un interdit politique au service d’une oppression. C’est instrumentaliser le génocide dont l’Europe fut coupable envers les Juifs au service de discriminations envers les Palestiniens dont, dès lors, nous devenons complices. C’est, de plus, enfermer les Juifs de France dans un soutien obligé à la politique d’un État étranger, quels que soient ses actes, selon la même logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes de France à soutenir l’Union soviétique, leur autre patrie, quels que soient ses crimes. Alors qu’évidemment, on peut être juif et antisioniste, juif et résolument diasporique plutôt qu’aveuglément nationaliste, tout comme il y a des citoyens israéliens, hélas trop minoritaires, opposés à la colonisation et solidaires des Palestiniens.

Brandir cet argument comme l’a fait votre premier ministre aux cérémonies commémoratives de la rafle du Vél’ d’Hiv’, symbole de la collaboration de l’État français au génocide commis par les nazis, est aussi indigne que ridicule. Protester contre les violations répétées du droit international par l’État d’Israël, ce serait donc préparer la voie au crime contre l’humanité ! Exiger que justice soit enfin rendue au peuple palestinien, pour qu’il puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc., normalement, en paix et en sécurité, ce serait en appeler de nouveau au massacre, ici même !

Que ce propos soit officiellement tenu, alors même que les seuls massacres que nous avons sous les yeux sont ceux qui frappent les civils de Gaza, montre combien cette équivalence entre antisémitisme et antisionisme est brandie pour fabriquer de l’indifférence. Pour nous rendre aveugles et sourds. « L’indifférence, la pire des attitudes », disait Stéphane Hessel dans Indignez-vous !, ce livre qui lui a valu tant de mépris des indifférents de tous bords, notamment parce qu’il y affirmait qu’aujourd’hui, sa « principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie ».

Avec Edgar Morin, autre victime de cabales calomnieuses pour sa juste critique de l’aveuglement israélien, Stéphane Hessel incarne cette gauche qui ne cède rien de ses principes et de ses valeurs, qui n’hésite pas à penser contre elle-même et contre les siens et qui, surtout, refuse d’être prise au piège de l’assignation obligée à une origine ou à une appartenance. Cette gauche libre, Monsieur le Président, vous l’aviez conviée à marcher à vos côtés, à vous soutenir et à dialoguer avec vous, pour réussir votre élection de 2012. Maintenant, hélas, vous lui tournez le dos, désertant le chemin d’espérance tracé par Hessel et Morin et, de ce fait, égarant ceux qui vous ont fait confiance.

3. Vous avez aussi commis une faute démocratique en portant atteinte à une liberté fondamentale, celle de manifester. En démocratie, et ce fut une longue lutte pour l’obtenir, s’exprimer par sa plume, se réunir dans une salle ou défiler dans les rues pour défendre ses opinions est un droit fondamental. Un droit qui ne suppose pas d’autorisation. Un droit qui n’est pas conditionné au bon vouloir de l’État et de sa police. Un droit dont les abus éventuels sont sanctionnés a posteriori, en aucun cas présumés a priori. Un droit qui, évidemment, vaut pour les opinions, partis et colères qui nous déplaisent ou nous dérangent.

L’histoire des manifestations de rue est encombrée de désordres et de débordements, de violences où se disent des souffrances délaissées et des colères humiliées, des ressentiments parfois amers, dans la contestation d’un monopole étatique de la seule violence légitime. Il y en eut d’ouvrières, de paysannes, d’étudiantes… Il y en eut, ces temps derniers, dans la foulée des manifestations bretonnes des Bonnets rouges, écologistes contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, conservatrices contre le mariage pour tous. Il y eut même une manifestation parisienne aux banderoles et slogans racistes, homophobes, discriminatoires, celle du collectif « Jour de colère » en janvier dernier (lire ici notre reportage).

S’il existe une spécialité policière dite du maintien de l’ordre, c’est pour nous apprendre à vivre avec cette tension sociale qui, parfois, déborde et où s’expriment soudain, dans la confusion et la violence, ceux qui se sentent d’ordinaire sans voix, oubliés, méprisés ou ignorés – et qui ne sont pas forcément aimables ou honorables. Or voici qu’avec votre premier ministre, vous avez décidé, en visant explicitement la jeunesse des quartiers populaires, qu’un seul sujet justifiait l’interdiction de manifester : la solidarité avec la Palestine, misérablement réduite par la propagande gouvernementale à une libération de l’antisémitisme.

Cette décision sans précédent, sinon l’atteinte au droit de réunion portée fin 2013 par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, toujours au seul prétexte de l’antisémitisme (lire ici notre position à l’époque), engage votre pouvoir sur le chemin d’un État d’exception, où la sécurité se dresse contre la liberté. Actuellement en discussion au Parlement, l’énième loi antiterroriste va dans la même direction (lire là l’article de Louise Fessard), en brandissant toujours le même épouvantail pour réduire nos droits fondamentaux : celui d’une menace terroriste dont l’évidente réalité est subrepticement étendue, de façon indistincte, aux idées exprimées et aux engagements choisis par nos compatriotes musulmans, dans leur diversité et leur pluralité, d’origine, de culture ou de religion. 

Accepter la guerre des civilisations à l’extérieur, c’est finir par importer la guerre à l’intérieur. C’est en venir à criminaliser des opinions minoritaires, dissidentes ou dérangeantes. Et c’est ce choix irresponsable qu’a d’emblée fait celui que vous avez, depuis, choisi comme premier ministre, en désignant à la vindicte publique un « ennemi intérieur », une cinquième colonne en quelque sorte peu ou prou identifiée à l’islam. Et voici que hélas, à votre tour, loin d’apaiser la tension, vous vous égarez en cédant à cette facilité sécuritaire, de courte vue et de peu d’effet.

4. Vous avez également commis une faute républicaine en donnant une dimension religieuse au débat français sur le conflit israélo-palestinien. C’est ainsi qu’après l’avoir réduit à des « querelles trop loin d’ici pour être importées », vous avez symboliquement limité votre geste d’apaisement à une rencontre avec les représentants des cultes. Après avoir réduit la diplomatie à la guerre et la politique à la police, c’était au tour de la confrontation des idées d’être réduite, par vous-même, à un conflit des religions. Au risque de l’exacerber.

Là où des questions de principe sont en jeu, de justice et de droit, vous faites semblant de ne voir qu’expression d’appartenances et de croyances. La vérité, c’est que vous prolongez l’erreur tragique faite par la gauche de gouvernement depuis que les classes populaires issues de notre passé colonial font valoir leurs droits à l’égalité. Il y a trente ans, la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » fut rabattue en « Marche des Beurs », réduite à l’origine supposée des marcheurs, tout comme les grèves des ouvriers de l’automobile furent qualifiées d’islamistes parce qu’ils demandaient, entre autres revendications sociales, le simple droit d’assumer leur religion en faisant leurs prières.

Cette façon d’essentialiser l’autre, en l’espèce le musulman, en le réduisant à une identité religieuse indistincte désignée comme potentiellement étrangère, voire menaçante, revient à refuser de l’admettre comme tel. Comme un citoyen à part entière, vraiment à égalité c’est-à-dire à la fois semblable et différent. Ayant les mêmes droits et, parmi ceux-ci, celui de faire valoir sa différence. De demander qu’on l’admette et qu’on la respecte. D’obtenir en somme ce que, bien tardivement, sous le poids du crime dont les leurs furent victimes, nos compatriotes juifs ont obtenu : être enfin acceptés comme français et juifs. L’un et l’autre. L’un avec l’autre. L’un pas sans l’autre.

Si vous pensez spontanément religion quand s’expriment ici même des insatisfactions et des colères en solidarité avec le monde arabe, univers où dominent la culture et la foi musulmanes, c’est paradoxalement parce que vous ne vous êtes pas résolus à cette évidence d’une France multiculturelle. À cette banalité d’une France plurielle, vivant diversement ses appartenances et ses héritages, qu’à l’inverse, votre crispation, où se mêlent la peur et l’ignorance, enferme dans le communautarisme religieux. Pourtant, les musulmans de France font de la politique comme vous et moi, en pensant par eux-mêmes, en inventant par leur présence au monde, à ses injustices et à ses urgences, un chemin de citoyenneté qui est précisément ce que l’on nomme laïcisation.

C’est ainsi, Monsieur le Président, qu’au lieu d’élever le débat, vous en avez, hélas, attisé les passions. Car cette réduction des musulmans de France à un islam lui-même réduit, par le prisme sécuritaire, au terrorisme et à l’intégrisme est un cadeau fait aux radicalisations religieuses, dans un jeu de miroirs où l’essentialisation xénophobe finit par justifier l’essentialisation identitaire. Une occasion offerte aux égarés en tous genres.

5. Vous avez surtout commis une faute historique en isolant la lutte contre l’antisémitisme des autres vigilances antiracistes. Comme s’il fallait la mettre à part, la sacraliser et la différencier. Comme s’il y avait une hiérarchie dans le crime contre l’humanité, le crime européen de génocide l’emportant sur d’autres crimes européens, esclavagistes ou coloniaux. Comme si le souvenir de ce seul crime monstrueux devait amoindrir l’indignation, voire simplement la vigilance, vis-à-vis d’autres crimes, de guerre ceux-là, commis aujourd’hui même. Et ceci au nom de l’origine de ceux qui les commettent, brandie à la façon d’une excuse absolutoire alors même, vous le savez bien, que l’origine, la naissance ou l’appartenance, quelles qu’elles soient, ne protègent de rien, et certainement pas des folies humaines.

Ce faisant, votre premier ministre et vous-même n’avez pas seulement encouragé une détestable concurrence des victimes, au lieu des causes communes qu’il faudrait initier et promouvoir. Vous avez aussi témoigné d’un antiracisme fort oublieux et très infidèle. Car il ne suffit pas de se souvenir du crime commis contre les juifs. Encore faut-il avoir appris et savoir transmettre la leçon léguée par l’engrenage qui y a conduit : cette lente accoutumance à la désignation de boucs émissaires, essentialisés, caricaturés et calomniés dans un brouet idéologique d’ignorance et de défiance qui fit le lit des persécutions.

Or comment ne pas voir qu’aujourd’hui, dans l’ordinaire de notre société, ce sont d’abord nos compatriotes d’origine, de culture ou de croyance musulmane qui occupent cette place peu enviable ? Et comment ne pas comprendre qu’à trop rester indifférents ou insensibles à leur sort, ce lot quotidien de petites discriminations et de grandes détestations, nous habituons notre société tout entière à des exclusions en chaîne, tant le racisme fonctionne à la manière d’une poupée gigogne, des Arabes aux Roms, des Juifs aux Noirs, et ainsi de suite jusqu’aux homosexuels et autres prétendus déviants ?

Ne s’attarder qu’à la résurgence de l’antisémitisme, c’est dresser une barrière immensément fragile face au racisme renaissant. Le Front national deviendrait-il soudain fréquentable parce qu’il aurait, selon les mots de son vice-président, fait « sauter le verrou idéologique de l’antisémitisme » afin de « libérer le reste » ? L’ennemi de l’extrême droite, confiait à Mediapart la chercheuse qui a recueilli cette confidence de Louis Aliot, « n’est plus le Juif mais le Français musulman » (lire ici notre entretien avec Valérie Igounet).

De fait, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dont vous ne pouvez ignorer les minutieux et rigoureux travaux, constate, de rapport en rapport annuels, une montée constante de l’intolérance antimusulmane et de la polarisation contre l’islam (lire nos articles ici et ). Dans celui de 2013, on pouvait lire ceci, sous la plume des sociologues et politologues qu’elle avait sollicités : « Si on compare notre époque à celle de l’avant-guerre, on pourrait dire qu’aujourd’hui le musulman, suivi de près par le Maghrébin, a remplacé le juif dans les représentations et la construction d’un bouc émissaire. »

L’antiracisme conséquent est celui qui affronte cette réalité tout en restant vigilant sur l’antisémitisme. Ce n’est certainement pas celui qui, à l’inverse, pour l’ignorer ou la relativiser, brandit à la manière d’un étendard la seule lutte contre l’antisémitisme. Cette faute, hélas, Monsieur le Président, est impardonnable car non seulement elle distille le venin d’une hiérarchie parmi les victimes du racisme, mais de plus elle conforte les moins considérées d’entre elles dans un sentiment d’abandon qui nourrit leur révolte, sinon leur désespoir. Qui, elles aussi, les égare.

6. Vous avez par-dessus tout commis une faute sociale en transformant la jeunesse des quartiers populaires en classe dangereuse. Votre premier ministre n’a pas hésité à faire cet amalgame grossier lors de son discours du Vél’ d’Hiv’, désignant à la réprobation nationale ces « quartiers populaires » où se répand l’antisémitisme « auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa “haine du Juif ” derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ».

Mais qui l’a abandonnée, cette jeunesse, à ces démons ? Qui sinon ceux qui l’ont délaissée ou ignorée, stigmatisée quand elle revendique en public sa religion musulmane, humiliée quand elle voit se poursuivre des contrôles policiers au faciès, discriminée quand elle ne peut progresser professionnellement et socialement en raison de son apparence, de son origine ou de sa croyance ? Qui sinon ceux-là même qui, aujourd’hui, nous gouvernent, vous, Monsieur le Président et, surtout, votre premier ministre qui réinvente cet épouvantail habituel des conservatismes qu’est l’équivalence entre classes populaires et classes dangereuses ?

Cette jeunesse n’a-t-elle pas, elle aussi, des idéaux, des principes et des valeurs ? N’est-elle pas, autant que vous et moi, concernée par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple, comment pouvez-vous ne pas prendre en compte cette part d’idéal, fût-il ensuite dévoyé, qui pousse un jeune de nos villes à partir combattre en Syrie contre un régime dictatorial et criminel que vous-même, François Hollande, avez imprudemment appelé à « punir » il y a tout juste un an ? Est-ce si compliqué de savoir distinguer ce qui est de l’ordre de l’idéalisme juvénile et ce qui relève de la menace terroriste, au lieu de tout criminaliser en bloc en désignant indistinctement des « djihadistes » ?

Le pire, c’est qu’à force d’aveuglement, cette politique de la peur que, hélas, votre pouvoir assume à son tour, alimente sa prophétie autoréalisatrice. Inévitablement, elle suscite parmi ses cibles leur propre distance, leurs refus et révoltes, leur résistance en somme, un entre soi de fierté ou de colère pour faire face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. « On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel » : ces lignes prémonitoires sont d’Émile Zola, en 1896, au seuil de son entrée dans la mêlée dreyfusarde, dans un article du Figaro intitulé « Pour les Juifs ».

Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre à la place de l’autre et qui, du coup, comprennent les révoltes, désirs de revanche et volonté de résister, que nourrit un trop lourd fardeau d’humiliations avec son cortège de ressentiment. Monsieur le Président, je ne mésestime aucunement les risques et dangers pour notre pays de ce choc en retour. Mais je vous fais reproche de les avoir alimentés plutôt que de savoir les conjurer. De les avoir nourris, hélas, en mettant à distance cette jeunesse des quartiers populaires à laquelle, durant votre campagne électorale, vous aviez tant promis au point d’en faire, disiez-vous, votre priorité. Et, du coup, en prenant le risque de l’abandonner à d’éventuels égarements.

7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en empruntant le chemin d’une guerre des mondes, à l’extérieur comme à l’intérieur. En cette année 2014, de centenaire du basculement de l’Europe dans la barbarie guerrière, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y réfléchir à deux fois. Cet engrenage est fatal qui transforme l’autre, aussi semblable soit-il, en étranger et, finalement, en barbare – et c’est bien ce qui nous est arrivé sur ce continent dans une folie destructrice qui a entraîné le monde entier au bord de l’abîme.

Jean Jaurès, dont nous allons tous nous souvenir le 31 juillet prochain, au jour anniversaire de son assassinat en 1914, fut vaincu dans l’instant, ses camarades socialistes basculant dans l’Union sacrée alors que son cadavre n’était pas encore froid. Tout comme d’autres socialistes, allemands ceux-là, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassinés en 1919 sur ordre de leurs anciens camarades de parti, transformés en nationalistes et militaristes acharnés. Mais aujourd’hui, connaissant la suite de l’histoire, nous savons qu’ils avaient raison, ces justes momentanément vaincus qui refusaient l’aveuglement des identités affolées et apeurées.

Vous vous souvenez, bien sûr, de la célèbre prophétie de Jaurès, en 1895, à la Chambre des députés : « Cette société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage. » Aujourd’hui que les inégalités provoquées par un capitalisme financier avide et rapace ont retrouvé la même intensité qu’à cette époque, ce sont les mêmes orages qu’il vous appartient de repousser, à la place qui est la vôtre.

Vous n’y arriverez pas en continuant sur la voie funeste que vous avez empruntée ces dernières semaines, après avoir déjà embarqué la France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisque sans stratégie politique (lire ici l’article de François Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant le souci du monde, de ses fragilités et de ses déséquilibres, de ses injustices et de ses humanités, qui anime celles et ceux que le sort fait au peuple palestinien concerne au plus haut point.

Monsieur le Président, cher François Hollande, vous avez eu raison d’affirmer qu’il ne fallait pas « importer » en France le conflit israélo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer en guerre avec elle-même. Mais, hélas, vous avez vous-même donné le mauvais exemple en important, par vos fautes, l’injustice, l’ignorance et l’indifférence qui en sont le ressort.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

Manifestation de Barbès : des accusés sans histoire défilent à la barre

$
0
0

Son avocat lui fait les gros yeux. C., 18 ans à peine, semble perdu dans son box des prévenus dans la chambre 23 du tribunal de grande instance de Paris. « Je ne comprends pas, madame », adresse-t-il à la présidente, quand celle-ci lui demande s’il conteste les motifs de sa comparution. Le jeune homme chétif, qui vit chez ses parents à Toulouse depuis 2008, est accusé de jets de pierres, de barres de fer et de palettes de bois sur des policiers samedi 19 juillet. Les policiers ont formellement reconnu son visage enfantin dans le groupe des caillasseurs.

« Je ne connais pas Paris, je viens du Bangladesh, je n’ai rien contre la Palestine ou Israël. J’attendais l’ouverture du métro. » Il n’en rajoutera pas plus. Autant assommé par la fatigue que figé par la peur, C., en séjour chez son cousin à Paris, est incapable de justifier sa présence à Barbès. Il est 23 heures ce mardi soir. Son audience est expédiée en 15 minutes.  

C. est alors le sixième prévenu du jour à comparaître pour des faits de violence sur des policiers samedi dernier à Barbès, après la manifestation de solidarité envers Gaza, préalablement interdite par la préfecture de police de Paris. Le jeune homme, titulaire d’une carte de séjour et en voie de professionnalisation en mécanique automobile via les programmes de la mission locale, est condamné à 6 mois de prison avec sursis.

Comme C., les autres prévenus du jour présentent un casier judiciaire vierge. Comme C, la plupart d’entre eux paraissent bien peu politisés, et affichent publiquement leur désintérêt envers le conflit israélo-palestinien. « Mais que faisiez-vous alors samedi dans un quartier dont tout le monde connaissait les risques de débordements ? » s’évertue à questionner la présidente.

W., 19 ans, tout juste bachelier, en passe d’intégrer un BTS marketing, est d’abord venu dans la zone par « curiosité ». Puis s’est engouffré dans le boulevard Barbès pour « aider un ami paniqué qui souhaitait rentrer ». « Mais qu’alliez-vous faire ? Vous êtes Superman ? » lui rétorque la présidente. Le jeune homme le reconnaît : « Je n’avais rien à faire ici », et se dit « choqué » par les scènes dont il a été témoin. Formellement reconnu par un officier de police, car il était la seule personne de « type africain dans un groupe d'individus de type nord-africain » à jeter des projectiles sur un policier. W., un jeune homme « enclin à une insertion réussie vers la vie d’adulte » selon la présidente, est condamné à 4 mois avec sursis et 150 euros de dommages et intérêts à verser à l’officier de police qui s’était constitué partie civile.

Des peines presque similaires – 3 mois de sursis – sont prononcées pour T. et B.

T., 26 ans, intérimaire régulier, est le dernier à comparaître mardi à 23 h 15. Toujours vêtu comme il l'était samedi, d’un marcel noir et d’un short bariolé, T. justifie sa présence à Barbès pour « faire des courses » dans le quartier. Malgré son look décontracté, le domicilié à Villepinte ne convainc pas le tribunal, qui l’accuse de jet de bombe lacrymogène sur les policiers à 19 heures. « Je ne suis pas violent, je ne tolère pas la violence », explique le jeune homme sans casier judiciaire jusqu’ici. La grenade lacrymogène avait d’abord atterri sur sa cuisse, lui causant un hématome de 6 cm de diamètre d’après l’expertise médicale. Le prévenu explique l’avoir saisie et relancée par « instinct ».

Pour B., le tribunal a reconnu « l’effet de groupe » pour expliquer le recours à la violence de ce jeune homme au caractère calme et serein. Cet étudiant en 3e année de droit est actuellement vacataire dans un tribunal en région parisienne. « Était vacataire », lui auraient lancé les policiers en garde à vue, selon son avocate. Celle-ci dénonce à travers ces interpellations « une politique du chiffre » de la part de l’administration. B. habite chez sa mère à Barbès. Cet après-midi-là, il dit s’être promené dans le quartier avec deux amis, allant chercher un jeu vidéo chez l’un d’entre eux. Sur le chemin, l’étudiant s’attarde même à prendre un « selfie » avec un policier. Il reste en fait plus de deux heures dans les parages et est interpellé en début de soirée pour caillassage. Une grossière erreur, avance l’étudiant qui, comme beaucoup de casseurs, portait un maillot du PSG ce jour-là. « On m’a confondu avec un autre », avance-t-il.

La veille, E., un ingénieur kurde de 26 ans, a aussi trouvé dans son accoutrement l’origine de son interpellation. Porteur d’un keffieh rouge à la sortie du métro bastille, E. est arrêté pour « participation à une manifestation illicite » puis « rébellion ». « Mon keffieh est rouge, c’est un keffieh kurde, celui des Palestiniens est noir et blanc ! » explique-t-il, avant de laisser éclater sa colère « La Palestine, j’en ai rien à foutre ! Je suis kurde. Qui attaque les Kurdes en Syrie ? C'est le Hezbollah ! Et le Hezbollah, c’est le premier soutien de la Palestine. Vous comprenez ? » Le jeune ingénieur, finalement relaxé, envisage de porter plainte pour violences policières à la suite de son interpellation musclée, a indiqué son avocat.

Il n’est pas le seul à avancer la thèse des violences perpétrées d’abord par les forces chargées du maintien de l’ordre. A., 28 ans, est pompier volontaire et pratique les sports de combat. Accusé d’outrage, de violence et de jet de projectile, ce pratiquant régulier d’arts martiaux aurait menacé les policiers : « Bande de connards (…), je vous prends tous en tête à tête. » Lui affirme avoir été « tabassé sauvagement » par les policiers alors qu’il était en train de filmer la manifestation à côté d’une patrouille. « Ils m’ont dit "tu filmes quoi là ?" et m’ont plaqué au sol », explique-t-il. L’expertise médicale a estimé à un jour l’incapacité temporaire de travail du jeune homme, ancien surveillant de collège. Le bilan médical, plutôt modeste au vu des accusations de A., est directement imputable à sa rébellion, indique le procureur. A. est condamné à 5 mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire pour outrage et rébellion, mais relaxé des faits de violence qui lui étaient reprochés.

Dans la longue série des comparutions immédiates de mardi, A. est le seul à évoquer son soutien à la Palestine, même s’il avance surtout « la curiosité » et l’envie « d’observer » pour justifier sa présence à Barbès. La veille, trois autres prévenus affirmaient ouvertement leur soutien à la manifestation.

F., une jeune femme élancée au débardeur rose fluo, était la première à comparaître, lundi. On lui reproche la participation à une manifestation illicite, et le jet d’une cartouche de bombe lacrymogène à l’encontre de CRS. « J’ai pris la responsabilité d’y être parce que je voulais y être. J’étais venue pour soutenir la Palestine, je ne pensais pas que ça allait dégénérer, que ce serait la guerre », justifie-t-elle. Identifiée par un policier de la sûreté publique pour avoir ramassé à ses pieds, puis jeté, une cartouche de gaz lacrymogène, F. évoque « un réflexe ». « Vous ne le feriez pas, vous ? » demande-t-elle au président. « Moi, non, si j’ai une bombe lacrymo à mes pieds, je ne la ramasse pas, je mets un coup de pied dedans ou je m’en écarte », lui répond-il, avant de prononcer bien plus tard dans la soirée une peine de 6 mois de prison avec sursis et 105 heures de travaux d’intérêt général. Le parquet avait requis 10 mois de prison ferme « pour adresser un signal fort de découragement » aux potentiels casseurs parmi les manifestants. F. avait déjà été condamnée par le passé pour outrage et conduite en état d’ébriété.

La plus lourde peine prononcée au tribunal de grande instance de Paris s’élève à 10 mois de prison pour des faits de rébellion et participation à un attroupement interdit. N., 33 ans, était accusé dans un premier temps d’être un des organisateurs de la manifestation interdite. « Je ne suis pas organisateur mais animateur, proteste-t-il. Je disais simplement des slogans au porte-voix : "Nous sommes tous des Palestiniens", "Résistance, c’est la voie de l’existence", "Médias français, montrez-nous la vérité"… » déclare-t-il dans des propos rapportés par Libération. Cet ingénieur chez EDF, père d’une petite fille d’un an, a promis de « ne plus participer à une manifestation interdite ». Dans la même chambre, K., un informaticien de 33 ans, père de famille également, avait été condamné pour rébellion à quatre mois de prison avec sursis et 1 150 euros d’amende à verser à un policier qu’il avait fait chuter lors de son interpellation. L’arrestation musclée causant deux jours d’ITT à K., 4 jours au policier. Pour ces trois cas jugés lundi, le parquet de Paris, qui avait requis des peines de prison ferme, a fait appel des condamnations, espérant le même jugement que celui prononcé mardi à Pontoise. Quatre jeunes âgés de 20 à 28 ans y ont été condamnés de peines allant de trois à six mois de prison ferme pour des violences sur des policiers survenues dimanche dans les manifestations de Sarcelles.

Parmi les onze prévenus parisiens, deux n’ont pas été jugés. M., 32 ans, comparaissait mardi en fin d’après-midi. Le regard vide, dans un tee-shirt trop large pour lui, M. semble seul au monde. Il est en fait handicapé à 80 %, et placé sous curatelle chez sa sœur. « Il a de graves troubles neurologiques : des problèmes de mémoire, d’orientation, de raisonnement quand il est en présence d’une foule », indique son cousin, après s’être fait expulser de la salle d’audience pour avoir haussé la voix durant les débats. Son audience sera renvoyée au 22 octobre après la réalisation d’une expertise médico-psychiatrique.

Enfin, le cas de M.T. a été renvoyé au 3 septembre prochain. Ce Tunisien de 35 ans est connu sous 12 identités différentes par les services de police. Il est le seul à comparaître à la fois pour outrage, violences volontaires sur des policiers ayant entraîné 10 jours d’ITT, jet de barres de fer et port d’arme de catégorie 6 – un Opinel en l’occurrence. Le seul véritable « dur » à défiler dans le box des prévenus, au milieu de profils jusqu'ici sans histoire.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

La Ligue de défense juive, un groupuscule d'extrême droite aux méthodes radicales

$
0
0

Mercredi, les militants pro-palestiniens manifestent à nouveau à Paris, cette fois-ci avec l'autorisation du gouvernement. Débordés par des partisans de Dieudonné et d’Alain Soral, ils font aussi face à la mobilisation adverse de groupuscules juifs radicalisés. Parmi eux, la Ligue de défense juive (LDJ), organisation juive d'extrême droite.

Très présent sur Internet et les réseaux sociaux, où il promet de défendre la communauté juive et de faire « dormir à l’hôpital » les « casseurs musulmans pro-terrorisme », ce groupuscule use de méthodes violentes. Il sillonne certains quartiers comme la rue des Rosiers, l’emblématique rue de la communauté juive de Paris, pour les « sécuriser ». Le 22 juillet, la plateforme de pétition en ligne wesign.it, qui héberge la pétition réclamant la dissolution de la LDJ, a accusé dans un communiqué le groupuscule d'avoir attaqué son site internet. « Nous avons eu une attaque avec un nombre exorbitant d'adresses ip venant de Suède, des États-Unis et de nombreux pays occidentaux », explique à Mediapart son fondateur, Baki Youssoufou.

Sur Facebook, l'organisation avait annoncé qu’elle viendrait à chaque manifestation pro-palestinienne pour « raccompagner » à sa façon les manifestants pro-palestiniens – aucun appel de sa part n'est cependant visible pour la manifestation de ce mercredi.

Ces derniers jours, la LDJ a été au cœur de plusieurs échauffourées autour de synagogues. Le 13 juillet, certains de ses membres s'étaient opposés à des militants pro-palestiniens aux abords de la synagogue de la rue de la Roquette, à la fin d'une manifestation de solidarité avec Gaza, avant d'être séparés par les CRS. Plusieurs versions s’étaient affrontées (lire notre article)« Nous nous sommes seulement défendus », avait affirmé la Ligue de défense juive, alors que des éléments laissent penser que l'affrontement était prémédité. Dans une vidéo amateur relayée par i-Télé, on voit certains membres de la LDJ brandir casques de moto, barres de fer, bombes lacrymogènes, pieds de table et chaises du restaurant La Cappadoce, avant d'aller se réfugier derrière un cordon de CRS. 

Interrogé à propos de cet épisode sur France inter ce mercredi, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a estimé que la Ligue de défense juive « est dans l'excès »« Elle est dans des actes qui peuvent être répréhensibles et qui doivent être condamnés et ces actes le sont par moi de façon extrêmement ferme », a-t-il affirmé. Avant d'ajouter que « s'il y a des violences qui ont été commises, des plaintes qui ont été déposées, le droit passera ».

Le ministre a cependant démenti les propos d'un auditeur selon lesquels les forces de l'ordre auraient protégé les activistes de la LDJ. « Les forces de police se sont interposées entre la LDJ et des manifestants pour éviter des affrontements, a balayé Bernard Cazeneuve. Tout ce discours, toutes ces affirmations selon lesquelles il y aurait une complicité de la police avec la LDJ qui expliquerait que les manifestations aient mal tourné relève d'une manipulation pure et simple. »

Le tweet du ministre, retweeté par un internaute, avant qu'il ne soit effacé.Le tweet du ministre, retweeté par un internaute, avant qu'il ne soit effacé.

Dans la journée de mercredi, le blogueur Al-Kanz s'est cependant ému de ce qu'un tweet du ministre condamnant « fermement » des « actes répréhensibles » de la LDJ ait été supprimé de son compte Twitter officiel. Selon son cabinet, contacté par Mediapart, c'est tout le « live tweet » de la matinale de France inter qui a été « comme d'habitude » effacé et remplacé par un lien vers la vidéo de l'entretien. « Bernard Cazeneuve peut redire ce qu'il a dit sur la LDJ cinquante fois si besoin », nous assure-t-on. Plusieurs « live tweet » d'apparitions médiatiques de Bernard Cazeneuve ont cependant été conservées sur son compte, comme le 9 juillet lors d'un passage chez France info. 

Qui sont les militants de la LDJ ? Le groupuscule revendique plusieurs centaines de militants, mais n’en compte en réalité qu’une quarantaine, avec un noyau dur d’une quinzaine de personnes, essentiellement des jeunes basés à Paris et Lyon. Parmi ses dirigeants, on trouve Jean-Claude Nataf, qui apparaît aussi sous les pseudonymes de « Amon Cohen » ou « Carlisle ». Homme de réseaux, il a la main sur tous les outils de communication du groupuscule et entretient des contacts avec l’extrême droite française. En 2013, Mediapart l'a aperçu dans la foule du 1er-Mai du FN, où il écoutait le discours de Marine Le Pen en compagnie de Philippe Péninque, ancien du GUD et conseiller officieux de la présidente du FN.

Philippe Péninque (cheveux blancs) lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2013, avec Jean-Claude Nataf (avec le bonnet).Philippe Péninque (cheveux blancs) lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2013, avec Jean-Claude Nataf (avec le bonnet). © Mediapart

Ses premiers contacts avec l’extrême droite française, retracés par le site d’information antifasciste REFLEXes, remontent au début des années 2000, via Louis Aliot, l'actuel numéro deux du FN. D'après Libération, il s'est aussi rendu à la fête des « Bleu Blanc Rouge » du Front national, au milieu des années 2000. Parallèlement, il a côtoyé l’ex-FN Jean-François Touzé, dont il est proche, et s’est tourné un temps vers des cadres du Bloc identitaire (BI). Une rencontre aura d'ailleurs lieu à Paris en marge d’une manifestation du BI avec Fabrice Robert et Richard Roudier, qu’il avait rencontrés dès 2005.

En 2010, le Monde rapportait un billet posté sur le site de la LDJ dans lequel son administrateur soutenait Marine Le Pen après ses déclarations rapprochant les prières de rue musulmanes et l'Occupation. Un an plus tard, après la mort d'un bijoutier tué au cours d’un braquage, Nataf explique dans le Parisien que « dans la communauté », certains sont tentés « de plus en plus par un vote protestataire en faveur du Front national ». Car une partie de la LDJ voit d’un bon œil la stratégie de « dédiabolisation » de Marine Le Pen, ses appels du pied à la communauté juive (Louis Aliot s’était rendu en Israël fin 2011) et surtout son discours anti-islam.

En amont de la présidentielle de 2012, la LDJ publiait sur son site une « mise au point » pour le moins ambiguë. L’organisation « n’apporte pas son soutien au Front national », pouvait-on lire, « bien que la prise de position faite par le FN à l’encontre de l’islamisation reste un pas significatif dans les urgences politiques de notre pays ». Plus récemment, l'organisation se félicitait que Marine Le Pen ait « tué le père » après les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur la « fournée ». Le 21 juillet, dans un billet intitulé « Non, ce n’est pas le Front national qui attaque les synagogues », l’organisation fustige les comités de surveillance des mairies frontistes auxquels participent l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et Sos Racisme.

Sur Twitter, le groupuscule cultive cette même dualité, alternant défense du FN et provocations :

Parallèlement, une partie de la LDJ s'est rapprochée du collectif anti-islam Riposte laïque et son satellite Résistance républicaine. À plusieurs reprises, ce sont des militants de la ligue qui ont assuré la sécurité d’événements organisés en 2010 par Riposte laïque – comme l’apéro républicain, une manifestation devant l’ambassade d’Iran, ou les « Assises sur l’islamisation ». Organisées avec les identitaires, celles-ci ont été sécurisées sous la conduite de Philippe Wagner, un ancien skinhead nationaliste qui avait intégré la LDJ. La présidente de Résistance républicaine, Christine Tasin, sait s'en souvenir. Dans un billet, le 16 juillet, elle salue le « patriotisme » de l'organisation et évoque « le soulagement de savoir que la LDJ existe, est efficace ».

Quelles sont les actions militantes de la LDJ ? Sur son site, l'organisation se présente comme un « mouvement patriotique et nationaliste juif » qui vise à « protéger les juifs de France contre la violence tant verbale que physique de leurs ennemis ». Elle affirme prôner « un discours pacifiste ». Mais sur les réseaux sociaux, elle revendique des actes de violence :

Tweets du 17 janvier 2014, lors des affrontements entre militants de la LDJ et pro-Dieudionné.Tweets du 17 janvier 2014, lors des affrontements entre militants de la LDJ et pro-Dieudionné.

Tweet du 27 mars 2014.Tweet du 27 mars 2014.

Et diffuse des propos radicaux:

Tweet du 6 avril 2014.Tweet du 6 avril 2014.

Sur le terrain, le groupuscule se comporte en milice qui seconderait les forces de l'ordre et multiplie les messages de soutien aux policiers. Exemples :

Tweet du 20 juillet 2014.Tweet du 20 juillet 2014.

Post sur le compte Facebook de la LDJ, le 20 juillet 2014.Post sur le compte Facebook de la LDJ, le 20 juillet 2014.

L'organisation fonctionne avec un noyau de jeunes menés par un chef de bande et des méthodes violentes que certains de ses membres assument, comme dans cette vidéo diffusée en 2009 :

Sur son site, sur les réseaux sociaux ou YouTube, la LDJ met en scène ses actions coup de poing. On y voit par exemple les militants asperger de peinture rouge l'écrivain juif marocain et militant antisioniste Jacob Cohen (voir les images), la présidente de l’association CAPJPO-EuroPalestine Olivia Zémor (voir les images), ou encore la porte-parole des Indigènes de la République Houria Bouteldja :

Mais d’autres actions de l’organisation vont bien au-delà de la violence symbolique. La liste des agressions dont est à l’origine la LDJ est longue (lire la recension du journal Politis et l’article du quotidien Times of Israel qui liste 115 incidents violents depuis 2001). Certains de ses membres ont été condamnés pour des faits de violence.

En 2002, des militants du Betar et de la LDJ provoquent de violents incidents lors d’une manifestation de soutien à Israël à Paris. Un commissaire de police est grièvement blessé après un coup de poignard. En 2004, l’un de ses cadres est condamné pour avoir agressé des étudiants de la faculté de Nanterre dans l’enceinte du tribunal administratif de Paris. En 2009, quatre de ses membres sont condamnés après le saccage, avec cagoules, bâtons et bouteilles d'huile, d’une librairie parisienne proche de la cause palestinienne. La même année, ils sont soupçonnés d'être les auteurs de l'agression de trois lycéens, dont deux d'origine tunisienne.

Deux ans plus tard, la LDJ interrompt violemment une réunion organisée par l’association France-Palestine. Rue89 raconte cette opération coup de poing : slogans « Israël vaincra », drapeaux israéliens déployés, gants en cuir renforcés de plomb ou de sable enfilés.

La même année, l’organisation crée la polémique en annonçant dans un communiqué une expédition en Israël avec les « militants ayant une expérience militaire » pour « prêter main-forte à (leurs) frères face aux agressions des occupants palestiniens » et « renforcer les dispositifs de sécurité des villes juives de Judée et Samarie (la Cisjordanie, ndlr) ».

Métronews rappelle qu’en juin 2013, la LDJ avait publié un message pour revendiquer la violente agression d'un jeune. Plusieurs associations ou sites avaient dénoncé ce post Facebook alors que la victime en question était dans le coma.

Un reportage diffusé en 2012 dans « Enquête exclusive », sur M6, montre comment l’organisation joue aux justiciers dans Paris, avec des méthodes parfois illégales, sous la conduite de leur leader, alors visé par trois plaintes pour agression. On le voit s'entraîner au tir (malgré l’interdiction de port d'armes en France) et expliquer qu’ils sont « préparés face aux menaces qu’il pourrait y avoir contre Israël ». On voit également l’organisation sillonner le Marais, à Paris, en pleine nuit, pour une opération d’affichage sauvage avec des appels au meurtre contre l’assassin antisémite d'Ilan Halimi. Quelques jours plus tard, ils partent en expédition punitive porte de Bagnolet, avec des matraques télescopiques, pour venger un adolescent qui aurait été victime d’une insulte antisémite :

En 2004, « Complément d'enquête » avait révélé que les membres de la LDJ s’entraînaient dans un bâtiment officiel protégé par la police française. L'émission de France 2 avait filmé une quarantaine de leurs membres en train de suivre dans ces locaux des cours de krav maga, technique de combat utilisée par l’armée israélienne :

Autour de la Ligue de défense juive, c’est toute une galaxie de jeunes qui gravitent. Outre le Betar, autre mouvement de jeunesse juif radical, une multitude de petits groupes communautaires se montent. Ils se retrouvent dans les clubs de krav maga, comme le Maccabi, dans le Xe arrondissement de la capitale. Ils sont en lien sur les réseaux sociaux, où ils lancent des appels pour converger vers les synagogues.

La LDJ reste pourtant ultraminoritaire au sein de la communauté juive. « C’est une toute petite organisation, qui n’est pas membre des institutions juives, qui n’est pas membre du Crif »« c’est très, très marginal », a tenté de minimiser Roger Cukierman, le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), interrogé par RFI sur la responsabilité de la LDJ dans les tensions actuelles.

Photo de la Ligue de défense juive sur leur compte Twitter.Photo de la Ligue de défense juive sur leur compte Twitter. © @LDJ_France

Une « petite » organisation dont certains partis et associations demandent à nouveau la dissolution. La LDJ émane de la Jewish Defense League, fondée en 1969 par le rabbin Meir Kahane aux États-Unis puis en Israël, et dont elle se revendique. Son créateur a également fondé le parti Kach (devenu Kahane Chai), qui prônait l'expulsion des populations arabes de Palestine hors du "Grand Israël". Le parti a été interdit par le gouvernement israélien en 1994 après le massacre d'Hébron par l’un de ses membres. Il est classé comme organisation terroriste par le gouvernement américain.

Ce sont ces arguments que brandit le député communiste Jean-Jacques Candelier pour réclamer la dissolution de la LDJ. Dans une lettre ouverte à François Hollande, le 19 juillet, il dénonce une « organisation criminelle ». « L'impunité de ces barbares dont le seul but est de créer un amalgame entre judaïsme et sionisme est inacceptable », argumente le député. À gauche, d'autres élus demandent cette dissolution. « Il semble qu’il y a eu des provocations de la part de la Ligue de défense juive (LDJ), donc je suis pour la dissolution », a déclaré la sénatrice EELV Esther Benbassa dans les Inrockuptibles.

Ce n’est pas une première. Le Mrap demande cette dissolution depuis 2002, à la suite de plusieurs agressions attribuées à la LDJ. « La violence de ce groupe, l’étalage sur Internet de ses entraînements paramilitaires, les vidéos relatant les actions de commando du groupe, ses provocations jusque dans l’enceinte des tribunaux, ne peuvent passer inaperçus du ministère », dénonçait à nouveau en juillet 2012 le mouvement contre le racisme.

Au même moment, l'Union juive française pour la paix (UJFP) était également remontée au créneau auprès de Manuel Valls en s’étonnant que la LDJ soit « l’une des rares milices fascistes autorisées en France ». « En France, elle a multiplié les attaques de manifestations autorisées, de rassemblements, de réunions publiques, de locaux associatifs, et a commis des ratonnades anti-Arabes », accusait l’association.

Selon Libération, les statuts de la Ligue de défense juive ont d’abord été déposés en préfecture en tant que… « Liberté, démocratie et judaïsme ». Le 19 juillet 2003, deux ans à peine après sa création, la LDJ s’était autodissoute. Depuis, il s’agit donc d’un simple groupement informel, non enregistré au Journal officiel.

Dans le cadre de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, le président de la République peut dissoudre par décret des milices, qu’elles soient ou non constituées en association. C’est ce qui s’est passé pour le Service d’action civique (SAC), dissous en 1982 par François Mitterrand. Plus récemment, le 1er mars 2012, Nicolas Sarkozy avait dissous le groupuscule islamiste radical « Forsane Alliza » au motif qu’il s’agissait d’un « groupe de combat » qui avait pour « but d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ».

En juillet 2013, après le meurtre du militant antifasciste Clément Méric, François Hollande avait dissous plusieurs organisations d’extrême droite les 12 et 25 juillet 2013 : « Troisième Voie », les « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » de Serge Ayoub puis, deux semaines plus tard, les « Jeunesses nationalistes » d’Alexandre Gabriac et l’Œuvre française (lire nos articles ici et ).

En raison de son caractère liberticide, cette mesure doit répondre à des conditions strictes et être précédée d’une procédure contradictoire. Pour dissoudre l’Œuvre française, le  président de la République s’était par exemple appuyé sur trois motifs expressément prévus par la loi : la forme et l’organisation militaires du mouvement, le culte qu’elle vouait à la collaboration et au régime de Vichy, ainsi que son idéologie incitant à la haine et à la discrimination envers les étrangers, les juifs et les musulmans. Le Conseil d’État avait confirmé ces motifs le 25 octobre 2013, en rejetant le recours des responsables de ce mouvement d'extrême droite.

« Le Conseil d’État reconnaît une milice privée à son organisation hiérarchique paramilitaire, à l’obéissance de tous à un chef, à ses entraînements collectifs aux arts martiaux, à sa capacité à orchestrer des coups de force, c’est-à-dire à mobiliser collectivement et rapidement des effectifs autour d’un événement particulier et dans une logique de violence », explique l'avocat Nicolas Gardères dans Le Nouvel Obs.

Interrogé mardi par Mediapart à Marseille sur une éventuelle dissolution de la LDJ, Bernard Cazeneuve a éludé, en répondant qu’aucun groupe ne peut se mettre « en contravention avec les principes de la République si l’on veut que ses valeurs prévalent ». Avant de couper court au point presse qu’il tenait à l’hôtel de police sur l’élucidation de plusieurs des règlements de comptes récents par la brigade criminelle.

« Si à un moment, la LDJ remplit les critères, ce sera appliqué », précise son cabinet qui rappelle que la dissolution est « une procédure exceptionnelle, qui répond à des conditions strictes ». « Nous savons qu’il s’agit de gens malintentionnés et ils sont suivis depuis des années par le ministère de l’intérieur qui est très vigilant, assure par ailleurs le cabinet du ministre. La meilleure preuve, c’est qu’à Sarcelles dimanche, la manifestation prévue par la LDJ a également été interdite. »

« C'est clair que la LDJ n'est pas simple et que ses membres créent plus de problèmes qu'autre chose, mais à la préfecture on ne peut rien faire tant que le ministère de l'intérieur n'agit pas », déplore dans Métronews un responsable de la préfecture de Paris, sous couvert d’anonymat.

BOITE NOIRENous avons adressé lundi une série de questions au ministère de l'intérieur, à la préfecture de police et au parquet de Paris sur le manque de réaction des forces de l'ordre le 13 juillet face à des militants du LDJ armés sur la voie publique, sur le bâtiment où la LDJ s'entraîne selon « Complément d'enquête », sur les suites judiciaires de plusieurs aggressions attribuées à la LDJ, etc. Beaucoup sont pour l'instant restées sans réponse.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian

« Le droit de manifester, on ne peut pas nous l’enlever »

$
0
0

Cette fois, la volte-face est réussie. À la suite des violences qui ont émaillé les rassemblements pro-Gaza interdits au préalable par l’administration le week-end dernier à Paris et Sarcelles, le gouvernement avait changé d’avis, autorisant une manifestation dans la capitale ce mercredi 23 juillet. Bien lui en a pris, puisque le cortège a réuni hier entre 14 500 et 25 000 personnes et défilé dans le calme entre la place Denfert-Rochereau et les Invalides. D'autres manifestations, comme à Bordeaux ou Toulouse, avaient également lieu mercredi soir.

Les derniers manifestants depuis le collectif "Cheikh Yassine"Les derniers manifestants depuis le collectif "Cheikh Yassine" © TSC MP

À Paris, des milliers de personnes avaient répondu à l’appel du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, regroupement d’associations, de syndicats et de partis qui se sont fait l’écho de la cause palestinienne tout en invoquant le droit de manifester.

© YS MP

Le cortège a été très encadré le long du boulevard des Invalides, où les troupes de CRS n’ont quasiment pas eu à intervenir pendant le défilé. Un calme entretenu par les services d’ordre de la CGT, NPA, Parti de gauche et PCF, rompus à ce genre d’exercice, et par l’itinéraire choisi, empruntant exclusivement de grandes artères aérées. Plus d’un millier de policiers étaient mobilisés pour l’occasion.

En tête du défilé, les plus radicaux, essentiellement des jeunes, ont eu le temps de scander des « LDJ (Ligue de défense juive) on t’encule, la LDJ est une salope » avant de se faire réprimander par leurs propres services d’ordre. Certains en ont profité pour jeter des pierres et autres projectiles sur les autorités. La tension est montée d’un cran lorsqu’un vieil homme, étranger à la manifestation, s’est fait prendre à partie au motif que sa barbe ressemblait à celle d’un rabbin. « C’est un Juif ! » s’est exclamé un gamin qui semblait vouloir en découdre. Un rapide mouvement de foule s’est formé avant d’être stoppé net par les organisateurs, laissant une échappatoire au vieil homme.

Hormis ces quelque excités surveillés de près dans les rangs, on retrouve en début de cortège des personnes de tout âge ayant répondu à l’appel entre autres du Front de gauche, du PCF, des Verts et du NPA. Plusieurs députés socialistes s’affichent à leurs côtés : parmi eux Razzy Hammadi, Yann Galut et Alexis Bachelay. La foule hétérogène et métissée, où se mêlent femmes voilées, quinquagénaires adeptes des stickers CGT et jeunes en maillot du PSG, réclame « la paix » et une « Palestine libre et indépendante ». Malgré sa fatigue énoncée deux jours auparavant, Jean-Luc Mélenchon arrive telle une star, lunettes noires, le pas pressé pour éviter les médias. Il prend la pose quelques secondes devant les caméras avant de disparaître au milieu de la foule, compacte.  

© YS MP

« Nous sommes tous des Palestiniens », et « Israël Assassin, Hollande complice » sont les slogans qui affichent le plus de succès chez les manifestants. Parmi eux, Kader, 22 ans, venu d’Angoulême pour « soutenir la cause palestinienne » et dénoncer « un génocide ». « On a tous droit à cette liberté d’expression, et c’est dommage qu’on nous l’enlève. La France est en train de perdre ses valeurs et ses principes… »

© TSC MP

Comme Kader, beaucoup sont dans la rue pour la première fois de leur vie. Certains se perdent dans un cortège de plus en plus étendu. Quand le défilé de tête emmené par la CGT atteint les Invalides, la queue du regroupement quitte à peine Montparnasse. « Elle est pas ouf cette manif », s’étonne l’un d’entre eux.

Plus loin, en queue de cortège, l’animation était de mise. Posté entre deux enceintes sur une remorque tractée par un camion de location, Abdelhakim Sefrioui harangue une centaine de personnes munies d’un drapeau palestinien géant. Au micro, ses amis lancent des « Palestine résistance » puis « Hamas résistance, Djihad résistance » du nom des deux organisations – Hamas et Djihad islamique – qui prônent la lutte armée pour défendre Gaza. A. Sefrioui est membre du collectif Cheikh Yassine, du nom d’un leader spirituel du Hamas assassiné en 2004 par l’armée israélienne. Mais dans la foule bruyante qui suit ce qui est devenu un deuxième cortège, nombreux sont ceux qui ignorent l’origine de ces hommes au micro.

« Peu importe le syndicat ou le collectif, ce qu’on dénonce, ce sont tous ces crimes commis en Palestine. En plus de ça c’est notre liberté qu’on défend : on veut montrer à l’État que le droit de manifester, on ne peut pas nous l’enlever. Personnellement, même s’il a été élu démocratiquement, je n’ai pas voulu crier Hamas, je suis français, je préfère soutenir le peuple palestinien et demander à notre gouvernement d’arrêter d’être complice des assassinats de Gaza », explique Karim*, 25 ans.

© TSC MP

Quelques mètres derrière ce groupe, plusieurs drapeaux tricolores se mêlent aux étendards palestiniens. Des autocollants réclamant un boycott d’Israël se passent de mains en mains et des pancartes rappellent le nombre de morts à Gaza – 650 – depuis le début des opérations militaires. L’une d’entre elles dénonce la position diplomatique de François Hollande et conclut : « France de Jaurès, de Chirac où es-tu ? » Devant, en milieu de cortège, des militants plus âgés défilent sous la banderole des « Juifs et Arabes unis pour la paix ».

Dans le lot des manifestants, certains ont défilé avec une pancarte indiquant en grosses lettres noires : « Je suis juif. » Une démarche inédite pour Eva, qui n’a pas pour habitude de revendiquer ses origines : « Je révèle une partie de mon identité que je n’emploie habituellement jamais. Je suis venue parce que ce qu’il se passe en ce moment n’est pas une guerre de religion, il faut casser cette dynamique d’Israël, cette propagande qui veut que toute attaque contre Israël soit dénoncée comme antisémite. Il s’agit d’une guerre de colonisation, ils massacrent un peuple pour prendre leurs terres, c’est intolérable. Ma mère me disait toujours "il faut pas dire que t’es juive", elle a toujours vécu dans la peur du retour du fascisme (...). Moi j’estime qu’il faut se battre à visage découvert. »

Eva, s'affiche comme juive pour la première foisEva, s'affiche comme juive pour la première fois © YS MP

À ses côtés, Serge ne cache lui non plus rien de son identité. S’affichant juif mais athée, il est un adepte de la tolérance. « Je tenais à montrer que je viens sans crainte dans les manifestations. Autant je n’ai pas de menaces ici, par contre de la LDJ j’en ai eu. Le danger, je le vois plus là-bas qu’ici. »

Au moment de quitter les lieux, la scène place des Invalides était joyeuse et la foule commençait à se disperser. Plus tard dans la soirée, dans un tout autre quartier, celui du Marais, seize personnes ont été interpellées. Elles auraient proféré des insultes antisémites dans un restaurant situé près du quartier juif de la rue des Rosiers et commis des dégradations dans ce restaurant.

* Le prénom a été modifié.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Des sénateurs américains surveillés par la CIA


La réforme territoriale dresse une France des Régions plus inégalitaire

$
0
0

Un taux de chômage plus important pour l'Alsace, l'Aquitaine qui prend un coup de vieux ou encore la Bretagne et le Centre qui figurent parmi les Régions les moins riches de France, ce sont quelques-uns des grands changements qui s'opèrent à chaque coup de ciseaux dans la carte des Régions. Censé générer de 12 à 25 milliards d'économies selon le secrétaire d’État à la réforme territoriale, André Vallini, ce vaste chantier questionne davantage qu'il n'apporte de réponses. Comment moins dépenser sans réduire les services publics ? Quelles sont les Régions qui devront faire le plus d'efforts ?

Ces différentes cartes correspondent aux différentes propositions des députés. "Aujourd'hui" représente la carte de la France telle que nous la connaissons avec nos 22 Régions, la "1re réforme" symbolise la première proposition de l’Élysée le 3 juin avec 14 Régions, la "2nde réforme" est la carte finalement adoptée à l'Assemblée nationale le mardi 23 juillet 2014.

Une chose est sûre, tout le monde ne sortira pas gagnant à l'issue des débats à l'Assemblée, qui se sont achevés ce mercredi 23 juillet avec l'adoption du texte par les députés et qui reprendront d'ici à l'automne prochain en seconde lecture au Sénat. Alors qu'un des piliers de cette réforme est de créer de nouveaux pôles de compétitivité régionaux européens, plusieurs indicateurs montrent que l'un des impacts de la réforme territoriale sera le creusement des inégalités entre les Régions.

 

  • Rhône-Alpes-Auvergne, deuxième Région la plus peuplée

 

  • Le Centre, Région la moins riche de France après la Corse

Les Régions qui ne fusionnent pas seront les plus pauvres. Prévue initialement pour être intégrée dans un vaste territoire Centre-Poitou-Charentes-Limousin, la Région Centre fait les frais de son isolement. En termes de PIB, elle est rétrogradée de la neuvième place – sur les 22 Régions actuelles – à l'avant-dernière. Dans une moindre mesure, la Bretagne ou encore les Pays de la Loire (une des Régions les plus riches de France) se font doubler par les "consortiums" Midi-Pyrénées-Languedoc, Alsace-Lorraine-Champagne et Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Cette dernière devient par ailleurs la plus grosse Région de France, avec une superficie de plus de 84 000 km2

Apparaissent également trois catégories de Régions. Les deux plus compétitives que sont l'Ile-de-France et Rhône-Alpes-Auvergne se détachent très nettement du lot. Suit un large peloton constitué essentiellement des nouvelles fusions Aquitaine-Poitou-Limousin, Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou encore de l'Alsace-Lorraine. Ce sont les Régions au fort potentiel, censées tenir le choc de la compétitivité européenne, n'en déplaise à Martine Aubry qui critique l'alliance de deux Régions pauvres que sont le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. Puis il y a les bonnes dernières constituées essentiellement de la Bretagne, Normandie, Bourgogne-Franche-Comté et Centre. Mises de côté, ces Régions accusent un retard qui sera de plus en plus difficile à réduire par rapport aux nouveaux pôles régionaux européens. 

Pour mieux comprendre ces inégalités de fait, on peut les coupler avec l'évolution du PIB qu'ont connue ces Régions au cours des dernières années. Une fois de plus, le Centre apparaît comme une des Régions les moins dynamiques avec 1,2 % de croissance annuelle contre 1,4 % pour la moyenne française et plus de 2 % pour les Régions les plus dynamiques comme Rhône-Alpes-Auvergne ou l'Ile-de-France. Ces Régions tirent une partie de leur dynamisme de leur attractivité. Comme la croissance du PIB est corrélée à la croissance de la population, les écarts de richesse entre les Régions risquent de se creuser. 

 

 

  • La Corse, championne des dépenses de budget

Encore une fois, le Centre prend la dernière place du classement concernant le budget des Régions rapporté au nombre d'habitants. Alors que la Corse ne compte qu'un peu plus de 320 000 habitants, ses dépenses de budget en 2012 s'élèvent environ à 641 millions d'euros. Pour la Région Centre, cette somme est d'un peu plus de 1 000 millions d'euros, soit à peine 1,56 fois plus que la Corse pour une population huit fois plus importante. L'écart est à nuancer puisque la Corse, du fait de son insularité, bénéficie de plusieurs dérogations. « La Corse est une collectivité territoriale à statut particulier. Elle présente des volumes budgétaires plus importants lorsque les montants sont exprimés en euros par habitant », peut-on lire sur le site des collectivités locales qui présente le budget des Régions.

  • Trois Régions sur treize concentreront la moitié des richesses

Selon l'étude d'impact fournie aux parlementaires, les Régions devaient être « plus homogènes en termes de richesse », il n'en sera rien. Les trois Régions les plus riches (Ile-de-France, Rhône-Alpes-Auvergne et Aquitaine-Limousin-Poitou) concentrent à elles seules la moitié du PIB produit dans l'Hexagone. 

  • La "grande Région Aquitaine" prend un coup de vieux

Attirées par les contrées chaudes, les têtes grises se retrouvent majoritairement dans la moitié sud de la France. Ainsi, l'Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin se retrouve en pôle position en termes de proportion de personnes âgées par rapport au reste de la population, soit près d'un tiers. Suivent la Corse et Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui tournent autour de 27 % d'habitants de plus de 60 ans. Ces nouveaux territoires, où les moins de 20 ans pèsent peu par rapport aux seniors, posent la question du renouvellement des générations.


 

  • Le Nord regroupe les jeunes…

Associée à la Picardie, la Région Nord-Pas-de-Calais est celle qui concentre le plus de jeunes du pays, suivie de près par l'Ile-de-France. La France est partagée en deux, avec d'un côté les très jeunes dans les Régions de la moitié Nord et les plus âgés au sud. 

 

  • … et les chômeurs

Du point de vue du chômage, la réforme territoriale ne devrait guère influencer les statistiques. Si ce n'est qu'une fois de plus, l'objectif annoncé de réduire les inégalités entre les territoires apparaît compromis. En effet, la proportion de Régions qui seront au-dessus de la moyenne nationale du chômage (9,8 %) reste stable, voire augmente : 6 Régions sur 13, soit 46 % au-dessus du taux de chômage (9,8%) contre 41 % des 22 Régions actuelles. 

Vous pouvez consulter les différents taux de chômage en cliquant sur les Régions de la carte ci-dessous. Les zones les plus sombres sont celles avec le plus fort taux de chômage.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Des sénateurs américains surveillés par la CIA

Ce qu’il faut retenir de la transparence des parlementaires

$
0
0

Ils sont députés ou sénateurs, mais pas que. Cela peut parfois leur rapporter gros ou les placer dans des situations de conflit d’intérêts. Restées confidentielles jusqu’ici, ces informations sont désormais (en partie) publiques après la mise en ligne, jeudi 24 juillet, par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée après le choc de l’affaire Cahuzac, des déclarations d’intérêts des 925 parlementaires français.

Leur consultation sur le site de la HATVP est particulièrement fastidieuse : les déclarations sont remplies à la main dans l’immense majorité des cas et rarement homogènes – il y a ceux qui publient leurs émoluments en net, d’autres en brut, certains raturent, d’autres débordent des cases… Pour y voir un peu plus clair, Mediapart met l’accent sur plusieurs situations particulières. En cas de conflit d'intérêts, la HATVP pourra saisir le bureau de l'Assemblée ou du Sénat (une instance très politique), mais a été privée par la loi du moindre pouvoir d'injonction à l'égard des parlementaires.

  • JEAN-FRANÇOIS COPÉ, L'AVOCAT MILLIONNAIRE
Jean-François Copé a touché près de 2 millions d'euros comme avocat.Jean-François Copé a touché près de 2 millions d'euros comme avocat. © Reuters

En 2009, alors président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé a commis un ouvrage baptisé Un député, ça compte énormément (Albin Michel). Il y expliquait les raisons du cumul de son activité parlementaire avec celle d’avocat d’affaires, d’abord au sein du cabinet Gide-Loyrette-Nouel puis à son compte. « On reproche souvent aux hommes politiques d’être complètement déconnectés du monde du travail. Avoir un pied dans le privé me permet aussi de me confronter à la réalité de l’entreprise », écrivait-il. Grâce aux déclarations d’intérêts rendues publiques par la HATVP, on sait désormais combien cette « réalité de l’entreprise » fut pour lui sonnante et trébuchante.

Ainsi, entre 2007 et 2013, Jean-François Copé déclare avoir perçu 1 864 784 € liés à ses activités d’avocat d’affaires, en plus de ses émoluments de député et maire de la ville de Meaux (Seine-et-Marne), lesquels représentent environ 75 000 €/an. Le cumul du mandat de député avec des activités d’avocat d’affaires par Jean-François Copé a suscité la polémique à plusieurs reprises ces dernières années.

Mais si l’on sait désormais combien cette activité censée lui prendre « plusieurs heures par semaine » (selon le même livre) fut immensément rémunératrice, le geste de transparence de la HATVP ne permet pas d’en savoir plus, au nom du secret professionnel, sur la liste de ses clients. Celle-ci aurait pourtant permis de mettre au jour, ou pas, de possibles situations de conflit d’intérêts de celui qui fut au service d’intérêts privés pendant qu’il faisait ou défaisait la loi. 

Empêtré dans l’affaire Bygmalion, Jean-François Copé a dû démissionner en juin dernier de la présidence de l’UMP. Quelques jours plus tard, son « entourage » faisait savoir à la presse qu’il allait reprendre ses activités d’avocat d’affaires, qu’il avait cessées en 2013.

  • PHILIPPE BRIAND, L'HOMME AUX 37 SOCIÉTÉS

Trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, ce qui lui vaut d’être lui aussi placé dans la lumière de l’affaire Bygmalion, le député d’Indre-et-Loire Philippe Briand fait figure de recordman des parlementaires actionnaires d’entreprises privées. D’après sa déclaration d’intérêts, Philippe Briand est lié directement à 37 sociétés, dont 32 sont des sociétés civiles immobilières (SCI).

Fondateur du réseau d’administrateurs de biens Citya immobilier (le n° 3 en France), le député Briand est un homme richissime. Sa participation financière directe dans la holding baptisée Arche SAS est évaluée à… 120 000 000 €, d’après les éléments fournis à la HATVP. L’homme perçoit par ailleurs de copieux émoluments au titre de ses activités diverses. Pour la seule année 2013, l’ancien trésorier de Sarkozy a déclaré un salaire de 101 643 € comme chef d’entreprise et 361 200 € de dividendes. Ceux-ci avaient atteint jusqu’à 1 749 050 € en 2011.

  • PATRICK BALKANY OUBLIE SA FEMME

Isabelle Balkany n’existe plus, du moins pour son mari. Le député des Hauts-de-Seine Patrick Balkany, cerné par plusieurs affaires financières (fraude fiscale, prise illégale d’intérêts, emploi fictif…), a écrit « NÉANT » dans la case de sa déclaration d’intérêts consacrée à l’« identification du conjoint ou partenaire ». Isabelle Balkany, sa première adjointe à la mairie de Levallois-Perret, est actuellement mise en examen pour « blanchiment de fraude fiscale » dans le cadre d’une vaste enquête internationale sur le patrimoine caché du couple, notamment au Maroc et dans les Antilles.

Pour le reste, le député Balkany, qui n’est pas connu pour vivre chichement, ne déclare aucun émolument, si ce n’est 24 900 € annuels comme maire de Levallois et 14 000 € de droits d’auteur pour son livre Une autre vérité, la mienne.

  • GÉRARD LONGUET, UN MÉLANGE DES GENRES ASSUMÉ

Il se revendique lui-même comme un militant du cumul public/privé. Le sénateur UMP de la Meuse et ancien ministre Gérard Longuet a déclaré pour l’année 2013 une rémunération de 42 000 €, en plus de ses activités parlementaires, comme président de sa société de conseil Sokratès Group. Il est aussi l’administrateur, en France et en Afrique, de la société de manutention portuaire Sea Invest, mais également du groupe Cockerill Maintenance et Ingénierie (CMI), qui lui ont rapporté environ 50 000 € de jetons de présence. 

En janvier dernier, Gérard Longuet, qui fut le ministre de la défense de Nicolas Sarkozy durant la guerre contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, s’est discrètement rendu dans une Libye en ruines pour y prospecter de bonnes affaires commerciales, notamment dans le domaine portuaire auquel il est donc lié professionnellement. Gérard Longuet était invité par un riche homme d’affaires établi à Genève, Mohamed Benjelloum. « Je n’avais pas de clients. Il est évident que si j’avais découvert une pépite, j’aurais réfléchi à l’exploiter », a-t-il fait savoir, sans ciller, à Mediapart. 

  • L'OUBLI DE JEAN-NOËL GUÉRINI
Jean-Noël Guérini, multi-mis en examen.Jean-Noël Guérini, multi-mis en examen. © Reuters

En sus de ses rémunérations de sénateur, et de président du conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini touche chaque année 5 400 € de jetons de présence pour siéger au conseil de surveillance de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) dont le département des Bouches-du-Rhône est actionnaire à hauteur de 5 %. Entre 2005 et 2010, même si cela n’apparaît pas sur sa déclaration, il a empoché 24 400 € pour représenter le département à la CNR. Les a-t-il reversés au PS ? Jean-Marc Coppola (FDG), qui a représenté la région Paca à ce même CNR jusqu’en 2010, se souvient qu’il reversait ses jetons de présence à son parti. De même que les représentants des salariés les reversent à leur syndicat. Le sénateur touche également 15 700 €/an, depuis qu’il a pris la présidence du service départemental d’incendie et des secours (Sdis 13).

Jean-Noël Guérini détient par ailleurs 22 300 € de parts dans la Socoma qu’il copréside avec Charles-Émile Loo, 92 ans. Il s’agit d’une coopérative ouvrière créée après guerre par ce dernier et d'autres proches de Gaston Defferre pour contrer la CGT et les communistes sur le port de Marseille. S’il mentionne bien que sa femme Martine Aelion-Guérini est avocate, Jean-Noël Guérini oublie de préciser qu’elle défend l'office HLM 13 Habitat, qu'il a présidé jusqu’en 1998 et qui dépend toujours du département des Bouches-du-Rhône, comme l'avait révélé Le Point en 2011.

L’une des deux assistantes parlementaires de Jean-Noël Guérini, Magali Le François, travaille également à mi-temps à son cabinet au Conseil général. Et jusqu'en 2011, elle a cumulé sa fonction d'assistante parlementaire avec celle de secrétaire générale de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, alors présidée par Jean-Noël Guérini. 

  • JEAN GLAVANY ET LE GROUPE BOLLORÉ

Député socialiste des Hautes-Pyrénées, et ancien ministre de l’agriculture dans le gouvernement de Lionel Jospin, Jean Glavany est réputé depuis longtemps pour avoir de très nombreux liens avec les milieux d’affaires. Sa déclaration d’intérêts le confirme. Elle fait d’abord apparaître qu’à la date de son élection, en 2012, il cumulait deux activités extra-parlementaires. D’abord, il était le salarié d’une société organisatrice d’événements sportifs et culturels, dénommée Angel Developpement, pour une rémunération de 61 506 € – on peut supposer que c’est une rémunération annuelle même si l’élu ne le précise pas. Ensuite, elle indique qu’à la même date, il était avocat au cabinet dénommé Parme Avocats, pour une rémunération de 60 935 €. Sur le site de ce cabinet, on ne trouve pas mention de cette collaboration.

L'ancien ministre PS Jean Glavany, sur les bancs de l'Assemblée.L'ancien ministre PS Jean Glavany, sur les bancs de l'Assemblée. © Reuters

Mais c’est à la fin de cette déclaration d’intérêts que l’on trouve les précisions les plus intéressantes. À la rubrique « Observations », Jean Glavany apporte une référence sur un volet de ses activités dont il n’a jamais aimé parler. « Je ne vois pas dans ce questionnaire où je pouvais indiquer qu’en 2012-2013 (et depuis 2001), j’étais membre du "comité stratégique" du groupe Bolloré, structure informelle s’apparentant à un "think thank" mais qui ne fait de moi ni un salarié, ni un dirigeant, ni un actionnaire de ce groupe. » Lapsus cocasse : au lieu d’écrire « think tank », le parlementaire use du mot « thank ». Comme dans « thank you very much »…

Ces liens discrets entre l’ancien ministre de l’agriculture et l’un des plus grands patrons français, qui possède des actifs immenses dans des activités du même secteur, par exemple dans le domaine des bois précieux en Afrique ou en Asie, ont en effet souvent fait jaser. Car Vincent Bolloré est l’une des grandes figures du capitalisme de connivence à la française, et a affiché une très grande proximité avec Nicolas Sarkozy tout au long de son quinquennat. Au sein de ce comité stratégique du groupe Bolloré, Jean Glavany a donc longtemps côtoyé Antoine Veil (aujourd’hui décédé), l’une des figures du capitalisme parisien, ou encore Alain Minc, qui y siège toujours et est resté le principal conseiller de Nicolas Sarkozy, tout comme celui de Vincent Bolloré.

  • GILBERT COLLARD, LA FORTUNE D'UN AVOCAT

Le député “Rassemblement bleu marine” a déclaré 393 599 € en 2012, somme liée à ses activités d'avocat. En 2013, il déclare une rémunération de 16 013 € mensuels (comme avocat), soit plus de 192 000 €, et des droits d'auteur et contrats d'édition pour des montants « non encore connus ». Entre 2008 et 2012, il a perçu, comme avocat, d’après sa déclaration, 2 027 477 €, et 110 092,77 € comme « auteur de livres et de récit d’affaires pour la télévision ».

  • AYMERI DE MONTESQUIOU, LES FRUITS DE LA TERRE

Le vice-président (UDI) de la commission des finances du Sénat est un agriculteur heureux : Aymeri de Montesquiou déclare 93 464 € de revenus annuels pour l’exploitation agricole à ses initiales, la SCEA ADM. Mais il maîtrise parfaitement le grand écart, puisqu’il est aussi membre du conseil de surveillance de la banque d’affaires Delubac & Cie, ce qui lui a rapporté la bagatelle de 120 000 € pour l’année 2013. Et quid des quatre autres années censées être couvertes par la déclaration d’intérêts ? On ne le saura ni pour son exploitation, ni pour son travail à la banque, puisqu’il s’est contenté d’indiquer « selon activité de la société » et « selon AG votées ».

Autre mystère : dans sa déclaration d’intérêts au Sénat de 2012, il se déclarait par ailleurs membre du conseil de surveillance de la société Petroplus Holdings France, qui chapeautait alors au moins une raffinerie en activité en France, à Petit-Couronne, en Seine-Maritime. Depuis, la raffinerie a déposé le bilan, et la mention de Petroplus a disparu du CV du sénateur. En 2012, il se déclarait aussi gérant de la société de conseil East South. Aujourd’hui, il indique seulement posséder une participation financière de la société. Le gérant est désormais Francis de Montesquiou.

  • JEAN-PIERRE RAFFARIN ET FRANÇOIS FILLON, SUPER-CONFÉRENCIERS

Côté rémunération, certains savent capitaliser sur leur nom et leurs fonctions. L’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin déclare ainsi entre 40 000 et 78 500 € annuels au titre des conférences qu’il donne. Il faut y ajouter les droits d’auteur de ses livres (entre 32 500 et 52 500 €/an) et ses cours à l’école de commerce parisienne ESCP (plus de 20 000 euros par an). Plus curieux, le sénateur était jusqu’au 30 avril 2013 président de… l’Association centrale des laiteries coopératives des Charentes et du Poitou, ce qui lui rapportait tout de même 18 000 euros par an.

L'ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon, désormais membre du triumvirat qui assure la direction intérimaire de l'UMP, déclare avoir touché 70 000 € en 2012 et 142 500 € en 2013 au titre de sa société de conseil en conférences EURL 2F Conseil, créée en juin 2012, quelques jours seulement avant son élection à la députation de Paris.

Son attachée de presse officielle, Caroline Morard, est par ailleurs rémunérée par l’Assemblée en qualité de collaboratrice du député du Val-d’Oise Jérôme Chartier, qui est l’un de ses soutiens les plus proches.

  • SAMIA GHALI, RETRAITÉE À 40 ANS

Une bizarrerie pour Samia Ghali. Née en 1968, la sénatrice des Bouches-du-Rhône a donc 46 ans, mais elle se déclare « retraitée de la fonction publique territoriale » (en l’occurrence du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur), alors que la retraite n’est théoriquement pas possible à cet âge pour les fonctionnaires. (Mise à jour – 21 heures : comme suggéré en commentaires, elle a pu bénéficier d'un départ à la retraite anticipé, autorisé jusqu'en 2011 pour les mères de trois enfants ou plus.)

La sénatrice a par ailleurs bien indiqué que son époux Franck Dumontel était directeur de cabinet du président de Marseille Provence Métropole au moment de son élection en 2008. Mais elle n’ajoute pas qu’après avoir été débarqué en décembre 2010, Franck Dumontel a depuis créé sa société de conseil aux collectivités locales, qui a par exemple remporté en décembre 2012 un marché public lancé par la communauté d’agglomération communiste d’Aubagne et du pays de l'Étoile.

  • JACQUES MYARD : « À BAS L'INQUISITION ! »

L’UMP Jacques Myard est réputé pour ses coups de gueule, et il n’a pas manqué à sa réputation, même sur papier. Se présentant comme « député-maire », il a agrémenté cette information d’une déclaration de son cru : « Et vive le cumul ! » Puis, au rang des observations, dernier espace où les parlementaires peuvent s’exprimer, il n’a pas hésité : « Néant – À bas l’inquisition ! »

  • HENRI GUAINO, RIEN À DÉCLARER SAUF À L'ÉLYSÉE

Député UMP des Yvelines, Henri Guaino a rempli une déclaration d’intérêts qui ne retient guère l’attention, car la mention « NÉANT » figure presque à toutes les colonnes. Tout juste y trouve-t-on le rappel d’une information qui, lorsqu’elle avait été connue, avait déclenché une très vive polémique sous le précédent quinquennat : le parlementaire indique qu’en sa qualité de conseiller spécial auprès de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, il percevait la somme de 17 851,41 € net mensuels, traitements et primes compris. L’énormité de la somme avait fait débat.

  • PIERRE CHARON, L'ARGENT SOUS SARKOZY

Le sénateur UMP de Paris Pierre Charon a gagné plus de 186 000 euros en 2013 avec ses activités de conseil. Mais on y découvre surtout que lorsqu’il était conseiller de Nicolas Sarkozy, il a perçu 101 000 euros en 2009 et 90 000 euros en 2010.

  • LUC CHATEL, QUI SONT SES CLIENTS ?

Le député et secrétaire général de l’UMP Luc Chatel déclare, en 2013, 183 135 euros liés à ses activités annexes de « conseil en communication et accompagnement stratégique ».

  • PHILIPPE MARINI, L'ULTRA-CUMULARD DANS LE PRIVÉ

Président UMP de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini a la réputation d’avoir toujours sa porte grande ouverte aux lobbies, notamment ceux du patronat (Medef et Afep) et d’entretenir des liens de grande proximité avec les milieux de la finance. Sa déclaration d’intérêts ne le dément pas : le sénateur apparaît en effet comme l’un des élus qui a les activités extra-parlementaires les plus fournies.

D’abord, il déclare être le gérant d’une EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) dénommée Aigle, qui lui procure bon an mal an un peu plus de 30 000 €/an – 33 042 € de revenus imposables par exemple en 2012. Cette structure un peu énigmatique se présente comme le « conseil stratégique » depuis 1994 d’une société, aussi peu connue, dénommée CIPM, structure dont Philippe Marini est par ailleurs administrateur.

Philippe Marini, sénateur et champion toutes catégories du cumul. Philippe Marini, sénateur et champion toutes catégories du cumul. © Reuters

Le sénateur est aussi membre du conseil de surveillance d’une société beaucoup plus connue, dénommée Gimar-Finances, rebaptisée récemment Gimar et Cie. Créée en 1999 par le banquier d’affaires Christian Giacomotto, cette structure financière est spécialisée dans les fusions-acquisitions et est fréquemment intervenue sur des dossiers qui concernaient directement l’État ou des entreprises à capitaux publics, qu’il s’agisse de dossiers liés dans le passé à la Caisse des dépôts, aux Caisses d’épargne ou encore à Areva. Autrefois proche de Philippe Séguin, il a beaucoup joué les entremetteurs entre la sphère publique et les milieux d’affaires, organisant des deals à chaque fois que cela fut possible et empochant de confortables commissions.

Certaines de ses interventions ont même été épinglées par la Cour des comptes. Le président de la commission des finances du Sénat peut-il défendre le bon usage des fonds publics, tout en siégeant dans un établissement financier qui est parfois en affaires avec l’État ou ses pupilles ? Dans sa déclaration, Philippe Marini dit vouloir poursuivre à l’avenir toutes ses activités.

Et ce n’est toujours pas tout. Philippe Marini déclare avoir perçu environ 20 000 €/an de 2008 à 2011 en sa qualité de membre du conseil de surveillance du distributeur alimentaire Guyenne et Gascogne (absorbé depuis par Carrefour). Il dit enfin percevoir en moyenne 4 000 €/an pour ses fonctions d’administrateur de la Compagnie financière privée (COFIP). Plus connue autrefois sous le nom de Didot-Bottin, qu’elle a dans le passé absorbée, la COFIP est une société d’investissement : elle mène des activités en association avec Gimar ou notamment avec la société de vente en ligne Price Minister, dirigée par Pierre Kosciusko-Morizet.

  • JEAN-MICHEL BAYLET, LES MILLIONS DE LA PRESSE

À la date de l'élection de 2004 au Sénat, le sénateur du Sud-Ouest déclare 678 298 € de rémunérations, dont 416 966 € en tant que PDG du groupe La Dépêche du Midi, 20 189 € en tant que président de la SAS Nouvelle République des Pyrénées, 133 365 € comme président de SAS Occitane de Communication et 107 777 € en tant que président de la SA Midi Olympique.

Pour l'année 2013, les rémunérations s'élèvent à 700 880 €, dont 377 159 € (La Dépêche du Midi), 23 575 € (La Nouvelle République des Pyrénées), 144 983 € (Occitane de Communication) et 155 163 € (Midi Olympique). Ce membre du parlement déclare envisager de conserver ces activités. S'ajoutent, toujours pour 2013, 56 389 € d'indemnités en tant que sénateur du Tarn-et-Garonne et 27 990 € en tant que président du conseil général du Tarn-et-Garonne, soit 84379 € d'indemnités parlementaires.

  •  FRANÇOIS PUPPONI, UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Le député et maire PS de Sarcelles, François Pupponi, déclare trois collaborateurs parlementaires, parmi lesquels sa compagne, Marie-Claude Chabé, également membre du cabinet de la mairie de Sarcelles. Ce proche de Dominique Strauss-Kahn, à qui il a succédé dans le Val-d’Oise comme au Palais-Bourbon, puise aussi dans son enveloppe pour rémunérer un chauffeur à temps partiel. Plus étonnant : ce chauffeur est également employé au sein de Leyne Strauss-Kahn & Partners (LSK), une banque d’affaires luxembourgeoise présidée depuis octobre 2013 par… DSK.

  • ALAIN MARSAUD, ENTRE CASINO ET VEOLIA

Alain Marsaud déclare gagner à son élection 13 800 € brut mensuels en tant que « directeur de société de Casino Guichard-Perrachon ». Cela correspond à 165 000 €/an. Ces cinq dernières années, au même titre, il déclare avoir gagné 26 000 € brut mensuels. Soit 1 500 000 € en cinq ans. Il est aussi – à titre bénévole – administrateur indépendant de Veolia Water and Technology, Veolia Voda (Veolia en République tchèque) et Sidem (Veolia désalinisation).

Il n’a pas déposé d’amendement sur la grande distribution, mais a déposé onze amendements dans le cadre de la loi de « transition vers un système énergétique sobre, tarification de l’eau et éolienne ». Il a aussi déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2014 concernant les taxes sur les agences de l’eau.

  • CHRISTOPHE BORGEL, LE CONFORT DE L'ACADÉMIE

Député socialiste de la Haute-Garonne, et membre de la garde rapprochée de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, Christophe Borgel indique qu’au titre des activités professionnelles lui ayant procuré des rémunérations au cours des cinq dernières années, il y a eu celle-ci : « Inspecteur de l’académie de Paris, chargé d’une mission d’inspection générale », pour une rémunération de « 4 450 euros net par mois ».

Cette mention fonctionne comme un rappel : ancien président de l’Unef, Christophe Borgel est l’un des responsables socialistes que Lionel Jospin avait promus par décret, dans la fonction d’inspecteur d’académie de Paris. La Cour des comptes avait vivement critiqué certaines de ces promotions, faisant valoir qu’elles ouvraient droit à une très confortable rémunération, pour un travail assez léger, pour ne pas dire inconsistant.

  • DOMINIQUE TIAN, UNE PLUS-VALUE À 15 MILLIONS

Le député UMP des Bouches-du-Rhône, premier adjoint au maire­­ de Marseille, en charge de l’emploi et des transports urbains, est également le président d’une clinique de soins et est l’associé unique de la Holding Over Line. L’élu a eu besoin de 8 pages d’annexes pour détailler ses participations dans divers SCI, hôtels, cliniques ou centres de loisirs (au total, 14 participations financières et 16 dans la gérance). En dehors de ses deux mandats d’élu, Dominique Tian a gagné plus de 700 000 € en 2013, dont 668 449 € de dividendes. Surtout, il déclare une « plus-value latente » de 15 millions d'euros avec sa holding. Il est par ailleurs administrateur délégué d'une société anonyme de droit belge, Interbuilding (hôtellerie), domiciliée à Bruxelles.

  • JEAN-LOUIS CHRIST ET SON COLLABORATEUR VOLANT

Le député UMP du Haut-Rhin déclare parmi ses collaborateurs parlementaires Éric Chomaudon, le secrétaire général adjoint de Force républicaine, la formation de François Fillon. L'assistant travaille pour Jean-Louis Christ « à temps partiel » car il se partage avec « un autre député ». Comme l’avait raconté Mediapart, Éric Chomaudon avait été rémunéré entre septembre 2012 et février 2014 comme assistant à temps partiel de l'eurodéputé UMP Alain Cadec, tout en travaillant bénévolement pour Fillon. Une manière pour l’ancien premier ministre de conserver son fidèle collaborateur, qu'il n’a pu rémunérer jusqu'en novembre 2013.

  • BONUS : COMMENT SE MOQUER DE LA TRANSPARENCE

Il y a ceux qui comptent en zlotys (monnaie polonaise) pour embrouiller le lecteur (ici le sénateur des Français de l'étranger Jean-Yves Leconte) :

Ceux qui renvoient pour plus d'informations à une déclaration de revenus non publique (ici le sénateur Jean-Pierre Cantegrit) :

Ceux qui narguent la HAT en cachant l'identité de leurs collaborateurs parlementaires (ici le député Michel Vauzelle) :

Enfin ceux qui découragent les curieux à coups de ratures (le député Éric Jalton) :

 




BOITE NOIREFabrice Arfi, Lucie Delaporte, Louise Fessard, Dan Israel, Mathilde Mathieu, Laurent Mauduit, Ellen Salvi et Marine Turchi ont contribué à la rédaction de cet article.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Des sénateurs américains surveillés par la CIA

A Calais, l'impasse pour les migrants

$
0
0

Jeudi 24 juillet après-midi, le tribunal d’instance de Calais a décidé de l’évacuation prochaine de l’ancienne usine désaffectée Galloo Littoral, située impasse des Salines. Ce squat, ouvert par des soutiens et des migrants pour servir de refuge aux personnes expulsées au début du mois de juillet dernier, semblait pourtant, pour la première fois depuis 12 ans, laisser entrevoir une esquisse d’espoir pour les centaines de migrants qui, dans la région de Calais, attendent de tenter leur chance pour rejoindre la Grande-Bretagne.

L'ancienne usine Galoo le jour de son occupationL'ancienne usine Galoo le jour de son occupation © Calais Ouverture Humanité

Depuis 2002 et l’évacuation du hangar de la Croix-Rouge à Sangatte, aucune solution, provisoire ou pérenne, pour les centaines de Syriens ou d’Érythréens coincés dans le Calaisis n’a été trouvée. Au contraire. La politique en la matière montre une cohérence stricte entre le gouvernement UMP d’hier et le gouvernement PS d’aujourd’hui. Dès que les migrants s’installent de manière trop visible, ou en nombre jugé trop élevé, dans un espace déterminé, une opération policière est lancée pour les disperser, les invisibiliser, les précariser.

En 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, décide de fermer le hangar de Sangatte, pour éviter tout « point de fixation ». En 2009, Éric Besson, titulaire du ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale obtient le démantèlement de ce qu’on appelle les « jungles », ces grands campements installés dans les bois à la périphérie de Calais. En 2014, au début de ce mois, rebelote sous un gouvernement socialiste, avec l’évacuation, jeudi 2 juillet à l’aube, du lieu de distribution des repas aux migrants cherchant à gagner l’Angleterre, où avaient trouvé refuge des centaines d’entre eux.

Environ 300 migrants ont été interpellés ce jour-là avant d’être conduits dans des centres de rétention dans toute la France, à Lille, Metz, Rennes ou au Mesnil-Amelot. La plupart ont été libérés dans les 48 heures, puisqu’ils sont ressortissants de pays où la situation est telle qu’ils ne sont pas expulsables. Quatre jours après cette démonstration de force policière, le nombre de migrants présents à la distribution de nourriture était ainsi le même qu’avant le 2 juillet, preuve que la plupart d’entre eux avaient, à nouveau, rejoint le Calaisis.  

© Calais Ouverture Humanité

Une lettre ouverte adressée au premier ministre et à celui de l’intérieur, signée par EELV, le PCF, le PG et de nombreux collectifs d’aide aux migrants, a dénoncé l’absence de changement de politique migratoire depuis l’élection de François Hollande. « La politique migratoire que vous menez aujourd’hui à l’encontre des exilé.e.s présent.e.s dans la région de Calais et sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord n’est guère différente de celle que les socialistes avaient sévèrement critiquée à l’époque où ils étaient dans l’opposition, explique la lettre. Au moment de l’évacuation, à l’initiative du ministre de l’immigration d’alors, de la "jungle des Pashtouns" à Calais en septembre 2009, le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, avait dénoncé une "opération de communication", qui n’allait pas "régler le problème" puisqu’"il n’y a pas une jungle mais des jungles" et que "les réfugiés vont aller ailleurs". Il fallait, concluait-il, "régler la question, autant qu’il est possible, à l’échelle de l’Europe". »

« L’occupation Galloo » aurait pourtant pu dessiner une autre manière de traiter la question récurrente de la présence des migrants du Calaisis. Mais les juges, entre le droit au logement et le droit de propriété, ont donné préséance au second. Le lieu est pourtant suffisamment grand pour accueillir la presque totalité des migrants dispersés dans la région. Des travaux ont été effectués par les occupants pour condamner les espaces dangereux ou insalubres. Et l’association Médecins du monde s’est impliquée pour installer des toilettes et des douches dans ce lieu ouvert à l’origine par les collectifs No Borders.

Les installations sanitaires mises en places par MDMLes installations sanitaires mises en places par MDM © Calais Ouverture Humanité

La question n’est donc pas technique, « mais bien politique », comme l’écrit le blog Passeurs d’Hospitalités, qui documente au jour le jour la vie de l’occupation Galloo et la situation des migrants dans le Calaisis.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Egypte, Syrie, Ukraine, Palestine… toujours rien.

Prêts toxiques : le Conseil constitutionnel donne raison à l'Etat contre les collectivités

$
0
0

Le Conseil constitutionnel et le gouvernement viennent d’interdire aux collectivités locales la méthode la plus efficace qu’elles avaient trouvée pour contester en justice les prêts toxiques que de nombreux élus avaient contractés avec des banques, Dexia en tête, dans le courant des années 2000. Dans une décision rendue jeudi 24 juillet, le Conseil a validé la loi définitivement adoptée par le Sénat le 17 juillet, qui vise à sécuriser les contrats de prêts structurés souscrits principalement par les collectivités. Elle valide rétroactivement les contrats qui ne mentionnaient pas le taux effectif global (TEG) du prêt, comme elles y étaient pourtant obligées. « Une loi d'amnistie bancaire aux frais des collectivités », a dénoncé le groupe UMP de l'Assemblée nationale en saisissant la plus haute juridiction française. Au motif de l’intérêt général, les parlementaires n’ont pas été entendus. « L’intérêt des collectivités et des contribuables locaux a été ignoré au profit des seules finances de l’État », regrette dans un communiqué l’association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET), qui fédère les élus en guerre contre leurs banques depuis 2009.

Comme Mediapart l’a déjà raconté, l’enjeu est lourd : environ 1 500 collectivités locales et établissements publics sont concernés par les emprunts toxiques. L’addition totale pour eux devrait dépasser les 10 à 12 milliards d’euros. Plus de 300 contentieux sont en cours, touchant principalement Dexia, mais aussi le Crédit agricole, la Société générale, Royal Bank of Scotland.

Ces produits toxiques ont tous une caractéristique commune : leur risque est imprévisible. Ils sont bâtis sur une combinaison de prêts bancaires classiques et de dérivés de crédit, qui peuvent être fondés sur des taux, sur les parités de change entre différentes monnaies ou sur des indices boursiers ou industriels. Comme nous le détaillions dès 2008, ces paramètres sont difficiles à appréhender sur le court terme, et deviennent totalement imprévisibles pour les durées de 25 ou 30 ans sur lesquelles ils ont souvent été souscrits. Au fur et à mesure de la diffusion de la crise financière à partir de 2008, les collectivités locales ont vu la note s’envoler. Pour des prêts qui leur coûtaient au départ moins de 4 ou 5 % par an, certaines villes ont vu le taux de leur crédit dépasser les 20 %.

Or, plusieurs collectivités ont trouvé la faille, et ont réussi à faire annuler leur prêt en justice, grâce à une technique très simple : contester la façon dont le taux effectif global (TEG) du prêt avait été calculé et leur avait été communiqué. Étant donné la complexité des produits vendus aux villes et aux départements, le TEG est souvent faux ou absent sur les contrats.

Les décisions de justice se multipliaient en défaveur des banques

La méthode est efficace. Le 4 juillet, la ville d'Angoulême, qui avait assigné Dexia pour faire annuler un emprunt de 16 millions d'euros, a obtenu en justice le remboursement de 3,4 millions d'euros. En mars 2013, c’est le département de la Seine-Saint-Denis, qui avait engagé une action au civil contre la banque Depfa, qui a gagné. Son prêt de 10 millions d’euros, contracté en 2006, était indexé sur les variations du franc suisse par rapport à l’euro. Or, le cours de la monnaie suisse a explosé de près de 30 % en 2008-2009.

Le tribunal de grande instance de Paris a cassé le contrat de prêt en raison de l’absence du TEG, et a ordonné que le taux d'intérêt appliqué soit le taux légal de… 0,04 %. La banque a fait appel. En février de la même année, le tribunal de grande instance de Nanterre avait condamné Dexia pour les mêmes motifs et obligé la banque à renoncer à son prêt consenti, déjà, au département de Seine-Saint-Denis.

Les procédures se multipliaient. Et l’État avait des sueurs froides. Car c’est désormais lui qui est détenteur, sous le nom de Sfil, de la majorité de la branche française de Dexia, qui a fait faillite. Une étude d’impact commandée par le gouvernement chiffrait le risque financier pour la Sfil, et donc pour les finances publiques, à une somme allant jusqu’à 17 milliards d’euros. Risque écarté pour l’État, puisque la loi votée le 17 juillet valide rétroactivement les contrats ne mentionnant pas, ou mentionnant mal, le TEG.

Lors du débat à l’Assemblée, Christian Eckert, le secrétaire d’État au budget, avait assuré qu’il ne s’agissait « pas de faire de cadeau mais de sortir d’une situation où beaucoup de fautes ont été commises, par certaines collectivités mais aussi, et c’est indéniable, par des banques ». Il avait aussi concédé : « Et l’État n’a-t-il probablement pas vu complètement le risque financier dans lequel il s’engageait » en reprenant Dexia. « Il s’agit certainement de la moins mauvaise solution, avait-il plaidé. Laisser prospérer des dossiers aussi complexes devant des juridictions aussi surchargées, avec les procédures d’appel, de contentieux qui peuvent remonter toujours plus haut, n’aurait en aucun cas résolu le problème des collectivités territoriales. »


Des collectivités bientôt en faillite ?

Le gouvernement a dû s’y reprendre à deux fois : il avait déjà fait voter une loi presque similaire fin 2013, mais cette dernière avait été sévèrement retoquée en décembre par le Conseil constitutionnel, notamment parce qu’elle interdisait à toutes les personnes morales (et donc les entreprises, les associations, ou même les particuliers ayant souscrit une société civile immobilière) de contester un prêt pour erreur ou absence de TEG. Cette fois, a approuvé le Conseil constitutionnel, la loi ne porte que « sur des emprunts dits structurés souscrits par des personnes morales de droit public ». « Eu égard à l'ampleur des conséquences financières », le principe de la rétroactivité est justifié par « un motif impérieux d'intérêt général », a tranché l’institution.

« Sans doute le Conseil a-t-il été très sensible à l’étude d’impact chiffrant les pertes pour les finances publiques à 17 milliards, mais il méconnaît ainsi le coup porté aux finances locales ! », peste auprès de Mediapart Christophe Greffet, le président de l’APCET et vice-président du conseil général de l’Ain. « Il y a de petites collectivités qui n’auront pas les moyens de payer dans les années à venir, à moins de se placer sous la tutelle financière de l’État », prévient-il. Peut-être se résoudront-elles plus banalement à augmenter sévèrement les impôts locaux…

L’APCET dénonce « l’abandon des collectivités » et regrette qu’« il soit procédé au transfert des pertes financières résultant de ces contrats de l’État ou de banques purement privées aux autres personnes morales de droit public, sans que ces pertes ne soient concomitamment compensées à leur juste hauteur ». En effet, l’État a bien prévu la création d’un fonds de soutien aux collectivités, mais il ne sera doté que de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans. Mais il y a des conditions : les collectivités locales doivent au préalable avoir trouvé un compromis avec les banques, sous la forme d’un remboursement anticipé, qui comprendra toutes les pénalités prévues dans le contrat de prêt. De nombreuses collectivités auront du mal à sortir la somme en une fois. D’autant que le fonds n’en remboursera au maximum que 45 %.

« À ce stade, nous ne pouvons que réclamer que le fonds de soutien de l’État soit beaucoup mieux doté », revendique Christophe Greffet. Dans son communiqué, son association assure qu’elle envisage « de recourir à tous les instruments juridiques à leur disposition afin de faire entendre raison à l’État dans ce dossier ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Egypte, Syrie, Ukraine, Palestine… toujours rien.

Le «pacte de responsabilité» n'inversera pas la courbe du chômage

$
0
0

Le chômage poursuit son inlassable progression, acculant un peu plus le gouvernement. Nouvelle hausse en juin après la forte augmentation du mois dernier, l'un des plus mauvais mois de l'année avec 30 000 chômeurs en plus. De nouveau, les seniors sont en première ligne et un peu moins, cette fois-ci, les jeunes, très ciblés par le gouvernement. Près de 10 000 nouveaux demandeurs d'emplois de catégorie A (9 400) soit 3 662 100 personnes qui n'ont pas du tout travaillé dans le mois en France. Le pays compte 5 343 100 chômeurs (catégories A, B, C), sans compter les catégories D et E ainsi que tous ceux qui échappent aux statistiques officielles (le halo du chômage). Les chiffres de la Dares (que vous pouvez consulter ici) ont été dévoilés ce vendredi 25 juillet, deux jours après l'adoption des premières mesures du « pacte de responsabilité », la nouvelle arme anti-chômage du gouvernement. Pour stabiliser la courbe du chômage, à défaut d'avoir réussi à l'inverser, l'exécutif parie exclusivement sur ces quarante et un milliards d'euros d'allègement du coût du travail offerts aux entreprises sur le dos de la Sécurité sociale, des ménages, des collectivités locales, tous astreints à une cure de cinquante milliards.

Illusoire ? Le « pacte de responsabilité » ne redressera pas la France. Pour l'heure, les négociations dans les branches sont poussives. Seule une trentaine de branches sur plusieurs centaines ont commencé à discuter des contreparties en matière d'emploi, de formation, d'investissement. Un seul accord a été signé dans l'industrie chimique, prévoyant la création de 47 000 emplois d'ici à 2017. La CFDT et la CFTC l'ont approuvé, pas les autres syndicats, qui estiment que les recrutements promis ne correspondent qu'au rythme actuel de la branche. C'est dire le chantier complexe à mettre en branle avant de ressentir d'hypothétiques frémissements.

Qui plus est, le lien entre exonérations de cotisations sociales et emploi n'a jamais été démontré. L'efficacité de ce dispositif est même plus que mise à mal par de nombreux économistes et travaux empiriques (lire ici notre article). Récemment et dans l'indifférence générale, c'est un rapport venu du Sénat qui devait torpiller l'outil numéro un des politiques pour l'emploi depuis plus de vingt ans. Sauf qu'il ne sera pas publié officiellement, retoqué par les sénateurs de droite et socialistes (lire ici notre article dans lequel nous le publions). On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif et qui voit dans les baisses de “charges”, ces milliards d'euros sans contreparties au coût prohibitif pour l'État, la solution universelle des problèmes économiques se trompe.

Deux nouvelles études viennent le démontrer. Celles de trois chercheurs dont deux sont associés au centre d'études de l'emploi (CEE) : Nadine Levratto du laboratoire EconomiX sous la tutelle du CNRS et de l'université de Paris-X Nanterre, Aziza Garsaa doctorante (PSE université de Paris-I Panthéon Sorbonne et EconomiX, CNRS-université de Paris Ouest Nanterre) et Luc Tessier enseignant-chercheur (ERUDITE, université de Paris Est-Marne-la-Vallée).

La première étude (à télécharger ici ) porte sur les effets des exonérations sur la croissance des établissements industriels en France de 2004 à 2011, la seconde (à télécharger ) concerne les allègements de charges dans les départements d'Outre-Mer (DOM) sur la même période. Particularité de cette dernière : elle a été commandée par la délégation générale de l'Outre-Mer du ministère des Outre-mer. Et elle ne sera certainement jamais rendue publique « compte-tenu de nos conclusions qui incitent fortement à relativiser l'impact des exonérations sur l'emploi ». Entretien avec l'une des auteures, Nadine Levratto.

Vous avez mené deux études sur les exonérations sociales accordées aux entreprises de 2004 à 2011, l'une en métropole, l'autre dans les départements d'Outre-mer (DOM) où elles sont encore plus massives. Elles démontrent une nouvelle fois l'impact sur l'emploi très limité des allègements de cotisations…

Les travaux que nous avons menés mesurent la relation entre le taux d'exonération de cotisations sociales patronales et la création d'emplois dans les établissements en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (une unité de production géographiquement individualisée, mais juridiquement dépendante d'une entreprise). Nous travaillons principalement à ce niveau car les exonérations s’y appliquent. Les résultats obtenus montrent que, globalement, les exonérations ont un effet positif sur l'emploi. Cette tendance moyenne générale cache cependant des différences qui conduisent à relativiser l'effet bénéfique de ces dispositifs, voire à s'interroger sur leur efficacité.

En effet, nous avons différencié l'effet du taux d'exonération en fonction du rythme de croissance des établissements. Cette distinction est importante car, en France, comme à l'étranger d'ailleurs, la plupart des entreprises ont un nombre de salariés extrêmement stable dans le temps. Leur taux de croissance est tout simplement égal à zéro. Seule une minorité d’entreprises créent ou détruisent des emplois. L'important est donc de trouver des moyens qui empêchent la suppression d'emplois et favorisent leur création. Pour juger si les exonérations de cotisations sociales remplissent cette fonction, nous avons estimé leur effet selon le taux de variation de l'emploi observé d’un trimestre et d’une année à l’autre. Nos conclusions sont unanimes.

Quelle que soit la population analysée, nos travaux montrent que les exonérations produisent essentiellement leur effet dans les entreprises en croissance. En d'autres termes, les entreprises qui tirent avantage de la baisse du coût du travail liée aux exonérations sont celles qui parviennent à saisir les opportunités de croissance et à s’adapter aux tendances du marché. En revanche, les entités dont l’effectif reste identique ou diminue profitent beaucoup moins de ces dispositifs. On peut donc considérer que les exonérations facilitent la création d’emplois dans les entités qui vont bien, plus qu’elles ne permettent de créer des emplois dans les établissements qui stagnent ou de limiter les destructions d’emplois dans les établissements qui ont des difficultés.

Cependant, l’ampleur de ces effets dépend aussi des caractéristiques propres des entreprises et des établissements. La taille et le secteur d’activité conditionnent fortement l’effet de l’allègement du coût du travail. Il atteint son niveau le plus élevé dans les entreprises et les établissements de grande taille, et dans ceux qui opèrent dans le tertiaire (commerce et services). Les PME, initialement ciblées par ces dispositifs, et l’industrie, plus exposée à la concurrence, sont moins impactées par les allègements du coût du travail.

Ces résultats sont robustes. Ils sont en effet validés pour la métropole et l’outre-mer, lorsqu’on réalise des estimations spécifiques par secteur et par classe de taille et que l’on raisonne au niveau annuel ou trimestriel.

Malgré une abondance d'exonérations de charges depuis des décennies, les DOM, ces départements lointains dont personne ne parle, s'enkystent dans un chômage de très longue durée avec des taux très supérieurs à la métropole, pouvant atteindre jusqu’à 80 % chez les jeunes de moins de 25 ans. N'incarnent-ils pas, à eux seuls, l'échec de cette politique “pour l'emploi” ?

Au regard du marché du travail, les DOM se distinguent par un taux de chômage élevé dont le taux de variation suit, de manière atténuée, celui observé en métropole, des écarts de salaires avec la métropole variables selon les catégories socio-professionnelles (plus élevés pour les cadres, les professions intermédiaires et les employés, plus faibles pour les ouvriers qualifiés et non qualifiés), un taux d’occupation structurellement faible (de 32 % à 42 %) en raison d’un taux de chômage élevé et d’une forte proportion d’inactifs.

Afin de réduire les difficultés d’accès au marché du travail et les freins à l’embauche, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs spécifiques aux départements d’outre-mer. À côté des contrats aidés, essentiellement destinés au secteur non marchand, la politique de l’emploi s’est particulièrement appuyée sur des dispositifs spécifiques d’exonération de cotisations sociales patronales dont la compensation de l’État aux organismes de sécurité sociale représente environ la moitié des crédits de la Mission outre-mer. Ce régime spécifique a été mis en place par la « loi tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre-mer » du 25 juillet 1994, dite loi Perben, au moment de l'alignement progressif du salaire minimum domien sur celui en vigueur en métropole. Il a ensuite fait l’objet de plusieurs modifications. En 2001, par la loi d'orientation pour l'outre-mer (Loom), en 2003, par la loi de programme pour l'outre-mer (Lopom, également appelée loi Girardin) et en 2009, par la loi pour le développement économique de l'outre-mer (Lodéom). Cette dernière prévoit des dispositifs d’exonération dégressifs jusqu’à 2,8 SMIC pour le régime général (avec des variantes selon que les entreprises emploient moins ou plus de 11 salariés) et jusqu’à 4,5 SMIC pour le régime renforcé. De nouveaux seuils d’exonération sont applicables, en 2014, pour les entreprises susceptibles de bénéficier du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE).

Les exonérations outre-mer représentent plus d’un milliard d’euros par an. En 2012, elles ont progressé de 4,9 % en lien avec la hausse de la masse salariale dans ces départements.

Les travaux que nous avons réalisés portent sur la période 2004-2011. Ils montrent que les taux d’exonération apparents médians sont proches de 30%. Dans les 10 % d’établissements les moins exonérés, ils sont passés de 10 à 5% entre 2007 et 2010 alors qu’ils sont passés de 66 à 58 % dans les 10 % d’établissements les plus fortement exonérés. Ils sont particulièrement élevés dans l’industrie manufacturière (y compris les IAA), la construction, le transport et l’hébergement et la restauration.

Le premier résultat est donc que les exonérations de cotisations sociales patronales contribuent globalement à réduire le coût du travail. Nous montrons aussi que la baisse des taux d’exonération liée à l’entrée en vigueur de la Lodéom s’est accompagnée d’un maintien de l’emploi dans la majorité des établissements observés, alors même que les économies entraient dans la crise. L’impact des exonérations et l’intensité de leur recours par les entreprises sur l’emploi varie également selon la dynamique propre à l’établissement. Les exonérations tendent davantage à stabiliser l’emploi dans les établissements qui réduisent le nombre de salariés qu’à intensifier les embauches dans les établissements qui sont sur des trajectoires ascendantes. Cette tendance générale admet cependant de nombreuses exceptions suivant les secteurs d’appartenance et la taille des établissements considérés. Les exonérations produisent leurs principaux effets dans les secteurs de l’industrie et parmi les grandes entités de plus de 50 salariés. La croissance de l’emploi dans les petits établissements et pour les secteurs les plus exonérés (hébergement et restauration et commerce) est en revanche peu, voire pas, déterminée par les taux d’exonération appliqués.

Quelle a été votre méthodologie ?

Nous avons estimé dans quelle mesure les établissements réagissent à une baisse globale du coût du travail mesurée par le total des exonérations de cotisations sociales patronales rapporté à la masse salariale grâce à un modèle de variation de l’emploi de la firme bien connu des économistes industriels. Il permet de mettre en relation la variation de l’emploi des établissements et le taux d’exonération apparent (montant des cotisations rapporté à la masse salariale) en tenant compte de caractéristiques telles que la taille, le secteur, la période, etc.

Nous avons également mobilisé une technique d’estimation novatrice, qui permet de tenir compte à la fois des effets individuels et des effets temporels et ce pour les différents niveaux de variation de l’emploi observés dans les populations étudiées.

Pour réaliser nos estimations, nous avons mobilisé quatre sources de données : des fichiers fournis par l’ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité Sociale), les données CLAP (Connaissance locale de l’appareil productif) de l’INSEE, le REE (Répertoire des entreprises et des établissements) de l’INSEE, et la base comptable DIANE du bureau van Dijk, à partir desquelles nous avons constitué plusieurs panels composés d’entités actives durant la période 2004-2011. Chaque panel compte plusieurs milliers d'établissements et est représentatif de l'ensemble de l'économie française métropolitaine ou ultramarine. Une thèse en cours procède à l'estimation de modèles sur la base de panels de plus de 100 000 entreprises et établissements.

Au total, des dizaines de milliers de données portant sur la période 2004-2011 ont été mobilisées pour réaliser ce travail.

Pourquoi une telle addiction de la part des gouvernements aux exonérations de charges sociales, devenues un dogme à droite comme à gauche alors que leur impact sur l'emploi et la courbe du chômage sont quasi nuls ?

L’instauration des dispositifs visant à réduire le coût du travail grâce à une exonération des cotisations sociales patronales date des années 1990. En réponse à une hausse ininterrompue du taux de chômage, elles n'ont cessé d'être étendues depuis. À l’origine, les tenants de ces politiques ont souligné le fait que les travailleurs les moins qualifiés étant les plus touchés par le chômage et les moins productifs, ces mesures devaient être ciblées sur les bas salaires. Avec le temps, l’assiette et le taux n’ont cessé de s’étendre, l’année 2008 marquant un coup d’arrêt. Aujourd’hui, avec le CICE, on repart à la hausse. L’ACOSS a calculé qu’en 2012, les exonérations représentaient 27,6 milliards d’euros, dont près de 1,2 pour les départements d’outre-mer.

L’adhésion quasi généralisée aux politiques d’exonérations reposent sur l’idée que le facteur travail coûte trop cher, que les travailleurs peu qualifiés sont insuffisamment productifs au regard des salaires qu’ils reçoivent et que la réduction du coût du travail va améliorer la compétitivité des entreprises et, donc, leur permettre de créer des emplois. Ce discours repose sur une approche très mécanique du fonctionnement du marché du travail : la décision d’embauche repose sur le prix rapporté à la productivité. S’il est trop élevé, les entreprises sont dissuadées d’embaucher et sont pénalisées par des coûts de production (et donc des prix de vente) non compétitifs. Les exonérations permettraient alors de corriger ce déséquilibre et de favoriser l’emploi par un double effet. Un effet de substitution dans la mesure où les entreprises vont être incitées à embaucher les employés dont le coût du travail est devenu plus attractif et un effet volume car la baisse des coûts de production se répercute sur les prix si bien que la demande qui s’adresse aux entreprises concernées par les exonérations augmente, ce qui favorise l’embauche. Certains ajoutent un effet de compétitivité internationale. Au bout du compte, les exonérations de cotisations sociales sont supposées favoriser la création d’emplois et sont donc présentées comme un dispositif efficace de lutte contre le chômage.

Ce point de vue s’est imposé dans le paysage alors même que les travaux empiriques qui le confortent ont fait l’objet de nombreuses critiques et que des contradictions existent parmi les travaux qui concluent à leur caractère bénéfique.

Comment le caractère incontournable des exonérations de cotisations sociales a-t-il pu si profondément s’installer dans l’espace public français ? C’est assez mystérieux, d’autant que la comparaison du coût du travail dans l’industrie, il faut le rappeler, n’est pas préjudiciable à la France. Selon le Bureau of Labor Statistics, le coût horaire du travail dans l’industrie, en 2012, était de 39,8 dollars en France, un niveau très proche de celui des États-Unis (35,7 dollars) et nettement plus faible que celui de l’Allemagne (45,8 dollars). Les écarts deviennent défavorables à la France lorsqu’on calcule une moyenne nationale prenant en considération les secteurs de la banque et de l’assurance qui tirent la moyenne vers le haut. L’enquête européenne sur le coût de la main-d’œuvre 2008 d’Eurostat, utilisée par  Bertrand Marc et Laurence Rioux dans l’étude « Le coût de la main-d’œuvre : comparaison européenne 1996-2008 » (INSEE, Emplois et salaires, 2012), confirme ces tendances.

Depuis 10 ans, les coûts salariaux unitaires français (salaire par unité produite) ont évolué comme la moyenne européenne. L’écart du coût du travail entre la France et les pays concurrents n’épuise donc pas les explications de la désindustrialisation, des licenciements  ou de la dégradation du solde du commerce extérieur. Or, l’idée d’une baisse du coût du travail comme solution universelle aux problèmes économiques a néanmoins fini par s’imposer.

Cette politique de court terme s'est aujourd'hui installée dans la durée. Le gouvernement s'appuie désormais exclusivement sur le CICE et le pacte de responsabilité pour lutter contre le chômage. À chaque fois, une focalisation excessive sur le coût du travail. Le débat n'est-il pas à côté de la plaque ?

C’est une vraie question. L’explication en vogue est que le coût excessif du travail est la cause du déficit de compétitivité des entreprises françaises. Ce constat dressé, il est fatal que les différents gouvernements œuvrent pour l’alléger. La politique actuellement suivie s’inscrit donc bien dans ce registre. Le CICE,  suivi du pacte de responsabilité et augmenté de quelques mesures supplémentaires de soutien à l’activité des entreprises, va représenter une dépense fiscale d’environ 41 milliards d’euros au bénéfice des employeurs. Dans la mesure où tous les pays d’Europe adoptent cette même politique, il n’est pas étonnant que l’on entre dans une spirale déflationniste dont les remèdes pour en sortir consistent essentiellement dans le renforcement de ceux qui ont contribué à la créer.

Une alternative est pourtant possible, mais ne parvient pas à trouver sa place dans le débat public. Quelques voix s’élèvent en effet pour souligner l’importance de la compétitivité hors-prix, liée à la qualité des produits, à leur degré de nouveauté, leur spécificité, etc., leur portée reste limitée. Dans ce domaine, la France est pourtant bien loin du sacro-saint modèle allemand : la R&D plafonne à 2,1 % du PIB en France contre 2,8 % en Allemagne. Ce différentiel est encore plus marqué si l’on considère les dépenses en R&D du secteur privé qui, en 2008, atteignaient 31 milliards d’euros en Allemagne contre 15 en France. L’innovation est pourtant un moteur de la performance des entreprises, comme le montre l’évolution comparée de la productivité des facteurs qui a diminué de 2 points entre 1999 (base 100) et 2012, alors que, parallèlement, elle augmentait de 8 points en Allemagne.

La spécialisation du modèle industriel français dans un niveau moyen de gamme des produits a rendu les entreprises plus vulnérables aux variations de prix que ne le sont leurs concurrents ou homologues allemands. Ces derniers se sont partiellement affranchis des contraintes de coût par un positionnement sur des segments de marché haut de gamme et innovants. Comme l’avaient montré Salais et Storper dans leur ouvrage de référence, Les Mondes de Production, sur ces marchés, la coordination entre acteurs s’opère par la qualité plus que par les prix.

L’argument de la baisse du taux de marge pour expliquer le recul de la position des entreprises françaises en matière d’innovation ne tient pas si l’on considère d’une part, que la hausse du taux de marge des entreprises entre 1994 et 2002 n’a pas été accompagnée d’une hausse des dépenses de R&D et d’autre part, que les dividendes ont considérablement augmenté sur la dernière décennie. Bilan de l’affaire, les dépenses en R&D qui représentaient 44 % des dividendes en 1992, n’en représentent plus qu’environ 25 % aujourd’hui.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Egypte, Syrie, Ukraine, Palestine… toujours rien.

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live