Après la révélation de l’affaire Bygmalion, en février, beaucoup ont échangé des messages, atterrés. « J'ai reçu de nombreux coups de fil de gens disant “Ce n’est pas possible, commençons à réfléchir, faisons table rase” », raconte Olivier Bogillot, qui fut le conseiller santé de Nicolas Sarkozy à l'Élysée. Depuis, ces jeunes hauts fonctionnaires de droite se sont mis au travail. Mediapart a rencontré les chevilles ouvrières de ces groupes qui veulent mener la rénovation.
« Tout le monde appelle à l’émergence d’idées neuves et prétend incarner le changement. En réalité, ceux qui bossent vraiment sont très peu nombreux », ironise Maël de Calan, jeune élu du Finistère et cofondateur de la Boîte à idées, un « groupe de réflexion et d’action » à l’UMP.
Alors où se trouve le vivier actif de hauts fonctionnaires de droite, deux ans après la défaite ? Cerveau de la campagne victorieuse de 2007, Emmanuelle Mignon rapporte avoir « beaucoup de contacts avec des gens qui se sentent orphelins et qui se tournent vers (elle) pour savoir pour qui et comment ils doivent travailler », une manière « de (lui) demander si Sarkozy va être candidat ».
« Certains – pas très actifs – veulent seulement garder un pied dans le système, pour être dans la machine lorsque celle-ci redémarrera. D'autres travaillent réellement dans le but d'apporter leurs idées à celui qui sera candidat, quand on saura qui c'est. Enfin il y a de nombreux jeunes, plutôt dans l'entreprise privée, qui se disent "c'est notre tour" et qui attendent avec impatience de se mettre au service de Nicolas Sarkozy. »
Jeune économiste de la santé parti dans le privé, Olivier Bogillot estime qu'ils sont nombreux à avoir « du mal à s’identifier » car « la figure de Nicolas Sarkozy reste très présente. Certains ne reviendront que s’il revient, parce qu’il reste un profil rare : un homme d’action, volontariste, capable de mettre des idées sur la table ou d’en retirer selon les circonstances politiques ».
Comme lui, qui planche pour Bruno Le Maire, d'autres jeunes « experts » « travaillent au service d’une écurie », sans fermer la porte à l’ancien chef de l’État : « S'il revient, ces idées seront à disposition. Il faudra faire la synthèse », « sans sous-estimer les inimitiés personnelles » nées des querelles à l’UMP. La députée Laure de la Raudière, porte-parole de Le Maire, assure aussi que « tout le travail des groupes de réflexion sera un acquis pour la droite en 2017. Au candidat ensuite de s’approprier les idées et d'arbitrer ».
La plupart ont en tout cas acté l’impossibilité de lancer une rénovation programmatique à la tête d'un parti qui avait été transformé en « écurie » de Jean-François Copé. « La direction des études a été mise à sa disposition, pour produire des éléments de langage, non pour les idées, regrette Olivier Bogillot. Donc ce travail, on le fait à l’extérieur. »
À l'extérieur, et surtout autour des prétendants de l’UMP, à l’image du très actif « Labo des idées » de Valérie Pécresse, axé sur les régionales de 2015, ou de la Manufacture, le club de Xavier Bertrand. Du côté de Jean-François Copé, on explique pudiquement être « dans une période un peu entre deux », tout en affirmant que « le moment venu » le député de Meaux « réactivera son club Génération France. Il l’avait mis en sommeil, il va redevenir l’endroit de réflexion pour une ligne sans préjugés, sans tabous ».
C'est autour de Bruno Le Maire et François Fillon que l'on trouve les groupes les plus structurés. Candidat à la présidence du parti, mais inconnu du grand public, Le Maire est décrit jusque chez ses supporters comme un « général sans armée ». Mais l’ancien ministre de l’agriculture veut gagner en « construisant sa notoriété sur les idées et non les médias », affirme son entourage. Autour de lui, ni club ni think tank, mais des réunions quasi institutionnelles. Le député de l’Eure a entamé un travail de fond avec un pôle « idées » piloté par son ancien directeur de cabinet, Julien Steimer.
Un groupe transversal est animé depuis un an et demi par Jean-Baptiste Reignier, un ancien chargé de mission à l’Élysée passé par le cabinet de Xavier Bertrand au ministère du travail et la direction des études de l’UMP en 2007. L’objectif : explorer tous les quinze jours des thématiques avec des non-spécialistes, pour avoir un regard neuf. Parallèlement, un cercle rassemblant de hauts fonctionnaires planche sur de nouvelles idées.
On y trouve d’anciens conseillers de l’Élysée comme Olivier Bogillot (santé), Emmanuel Moulin (économie), de hauts fonctionnaires issus des réseaux Villepin, d'anciens camarades de promo de l’ENA de Bruno Le Maire, et de jeunes ambitieux énarques comme Esther de Moustier, auditrice au Conseil d’État devenue la secrétaire générale de ce pôle, dont elle assure les comptes-rendus. À cela s'ajoutent les électrons libres qui envoient directement des notes au candidat, comme les anciens conseillers élyséens Olivier Colomb (affaires étrangères) et Nicolas Princen (économie numérique).
L’ancien ministre de l’agriculture a demandé à ses troupes d’être « différents » et « provocateurs ». « On ne s’interdit rien, mais on réfléchit à la manière dont on peut les mettre en œuvre », résume la députée Laure de la Raudière. Un participant des groupes de travail pousse le raisonnement : « S’il faut lui dire, par exemple, “privatisons l’assurance maladie”, on lui dira ! Il veut incarner une droite intelligente et modérée, capable de dire qu’il y a un problème d’immigration, et en même temps que les enfants de la première, deuxième génération ne sont pas un problème d’immigration, que le jeune Abdel Kader qui vole le sac de mamie, c’est un problème de sécurité, d’intégration sociale. Et dire cela pour les électeurs de droite, c’est dur. »
Après le quinquennat clivant de Sarkozy, Bruno Le Maire veut lui s’adresser « à tout le monde » et notamment « aux musulmans ». Un membre de son équipe détaille : « Quel discours on invente à droite pour parler des questions d’immigration sans s’aliéner 10 % de la population française ? Pour que le petit jeune de banlieue qui veut monter une entreprise et qui est sociologiquement de droite, vote aussi à droite ? Le Maire a conscience que le discours transforme la société. » Mardi, l'ex-ministre n'a pourtant pas pris de pincettes pour s'opposer au droit de vote des étrangers aux élections locales, en qualifiant cette mesure de « dernier clou sur le cercueil de la nation ».
Sa dynamique suscite en tout cas de l'intérêt à droite, notamment chez les jeunes. « On juge beaucoup les politiques à leurs entourages, Le Maire est très bien entouré » et « attractif », observe un élu sarkozyste.
Un autre candidat – à la présidentielle celui-là –, met sur pied sa machine à idées : François Fillon. L’ancien premier ministre égrène ses propositions au fil de conventions et grands entretiens (l’éducation puis l’Europe en avril, la compétitivité en juin), grâce à des groupes qui travaillent « dans un temps et un calendrier différents », explique son porte-parole, le député Jérôme Chartier.
Un premier pôle s’articule autour de son mouvement Force républicaine, revendiqué comme une « écurie présidentielle » pour 2017. Parallèlement, de petits cercles d’intellectuels travaillent, coordonnés par Jean de Boishue, l’ancien conseiller culture de Fillon à Matignon. Des « dîners de brainstorming » sont organisés tous les deux mois (sur Alstom récemment) autour d’une quinzaine de personnes – des anciens de son cabinet, des chefs d’entreprise, des avocats, de hauts fonctionnaires. Sans oublier les déjeuners thématiques. À chaque fois, Fillon est présent.
« Le système de Fillon produit des idées. Il fonctionne par une logique de cercles concentriques, avec une personne présente dans tous les groupes : Patrick Stefanini (secrétaire général de Force républicaine, ndlr), ou Jean-Paul Faugère (l’ancien directeur de cabinet de Fillon à Matignon, ndlr) », rapporte un participant.
« On s’y prend quatre ans avant. C’est le recrutement qui change tout. On est allés chercher des gens issus de la société civile qu’on n’entend pas, qui ont une certaine originalité de la pensée. Le résultat est décoiffant », promet Jérôme Chartier, sans révéler le nom de ses « experts ». Fin des 35 heures, retraite à 65 ans, suppression de l'ISF : l’ancien premier ministre prône une « rupture totale » et affiche une ligne ultralibérale, qui va bien plus loin que Sarkozy. Ses équipes se nourrissent aussi des productions de think tanks – la fondation Concorde, l’institut Montaigne, Terra Nova, Génération libre, dirigé par l'ancienne plume de Christine Lagarde, Gaspard Koenig – et des travaux d’économistes indépendants.
Entre ces groupes, une grande porosité, pas d’exclusivité, et beaucoup de sollicitations d'un autre candidat potentiel, Nicolas Sarkozy. « Sarko voit tout le monde, de toutes les sensibilités, même mes amis, une drague absolue ! », raconte ce participant des réunions fillonistes qui a fait sa carrière dans les cabinets ministériels. Malgré ses soucis judiciaires, l'ex-président n'a pas caché son intention de reconquérir l'UMP en « change(ant) de logiciel ».
Entretiens bilatéraux, déjeuners : l’un de ses anciens conseillers élyséens qui le voit régulièrement rapporte que Nicolas Sarkozy « absorbe beaucoup » car « il a le temps ». Il rencontre des intellectuels et écrivains par l”intermédiaire de Carla Bruni. Il reçoit jusqu’au moindre élu local venu lui demander un coup de pouce pour son investiture. « Sarkozy ne l’a pas aidé, mais il l’a reçu, écouté, l’élu en ressort content », raconte un haut fonctionnaire.
Emmanuelle Mignon, aujourd'hui au conseil d'État, mais avec qui l'ancien chef de l'État entretient la flamme, confirme : « Il voit tous les gens qui demandent un rendez-vous. De très gros chefs d'entreprise, des hommes politiques étrangers, des élus. Il construit une réflexion personnelle qui lui sera utile dans l'hypothèse où il serait de nouveau candidat. »
S’il s’entoure toujours de Franck Louvrier, son conseiller de communication, et voit régulièrement Xavier Musca, l’ancien secrétaire général de l'Élysée, et Michel Pébereau, l’ex-patron de BNP Paribas, l’ancien chef de l’État n’a pas encore mis en place de véritables groupes de travail structurés. « Il ne veut surtout pas donner l’impression qu’il se prépare, il veut juste laisser filtrer qu’il voit beaucoup de gens. Il sait qu’il a trois ans pour se préparer. Le jour où il aura besoin de dix énarques, il les aura », assure un haut fonctionnaire. Il rencontre en tout cas tous les groupes de réflexion qui se mettent en place et reçoit déjà des notes, comme celles des jeunes gaullistes rassemblés dans l'UJP (Union des jeunes pour le progrès).
Parallèlement, plusieurs initiatives dépassant les courants se sont lancées, reçues à chaque fois par les ténors du parti. Comme la Boîte à idées, créée en 2012 par trois trentenaires qui ont piloté l’école des cadres du parti en 2008, puis ont été rapporteurs de groupes de travail pour l’Élysée.
Maël de Calan, Enguerrand Delannoy et Mathieu Schlesinger présentent leur structure comme « le premier pourvoyeur de technos à droite » avec quelque 130 personnes entre 25 et 35 ans issues des grands corps de l'État. Ces fonctionnaires sont recrutés par un ancien de la Cour des comptes depuis un an. « Cela permet de travailler sur un rythme soutenu et sur tous les sujets – logement, baisse des marges des entreprises, réforme territoriale, assurance chômage, les corps de police aux portes de l’UE, l'euthanasie, mais aussi des sujets plus ciblés comme l’austérité en Espagne », énumère Maël de Calan.
À la différence des « écuries », le trio affirme ne pas vouloir « créer une UMP dans l’UMP » et se félicite de « travailler avec tout le monde » : un contre-budget avec Gilles Carrez, des rapports sur les gaz de schiste avec Xavier Bertrand, sur les retraites avec Laurent Wauquiez, sur l’Europe avec Michel Barnier, une tribune avec Édouard Balladur pour « sauver l’Europe ».
« Les écuries, c’est catastrophique, chacun garde ses idées pour lui. Associer les ténors permet d’infuser. On veut être au cœur de l’UMP et fournir des propositions à tous les leaders politiques, explique Enguerrand Delannoy, qui cite en exemple l'échec de Terra Nova à diffuser dans le PS en 2012 en étant à l’extérieur du parti. L’objectif est clair : refonder la base idéologique du parti et « écrire le projet présidentiel pour 2017. Le programme, c’est à 20 % la sensibilité du candidat, à 80 % le socle idéologique du parti, il faut définir ces 80 % ». Le groupe ambitionne notamment de « refonder le logiciel intellectuel sur les finances publiques », de « réidéologiser » ces questions et casser certains systèmes de réflexion, comme le modèle par répartition concernant les retraites.
Leur antimodèle idéologique, ce sont les provocations de la Droite forte. « Quand elle dit qu’il faut supprimer le droit de grève des enseignants pour remédier à leur absentéisme, non seulement ce n’est pas le problème de l’éducation nationale, mais c’est anticonstitutionnel. Si vous proposez cela, vous êtes applaudi mais une fois au pouvoir ça ne marche pas », estime Enguerrand Delannoy. Eux veulent produire « des propositions expertisées et que l’on peut mettre en œuvre. Notre leitmotiv, c’est “On ne dit plus rien qu’on ne va pas tenir en 2017”. Stop à la démagogie, sinon on se plantera ».
Mais à droite, certains leur reprochent d’être « trop techno et raisonnables », de viser un siège à l’Assemblée ou une place dans un cabinet ministériel en 2017. « On a envie de faire mieux que nos aînés qui ont ruiné le pays. Nous sommes là pour prendre le pouvoir en tant que génération », répond Maël de Calan.
Ils ne sont pas les seuls sur les rangs. Tout récemment, une dizaine de jeunes issus de différentes sensibilités à l’UMP ont lancé « Une droite d’avance » (lire leur tribune). Ce mouvement libéral et progressiste – aussi bien sur les questions économiques que sociétales – veut contribuer à la rénovation « en dehors des chapelles » et va mettre en place des groupes de travail resserrés. « Le candidat pour 2017 arbitrera, mais il faut commencer à travailler. Lors du congrès de 2012, il n’y a pas eu de réel débat entre les motions, on veut qu’il ait lieu maintenant », réclame Aurore Bergé, 27 ans, conseillère politique de l’UMP et élue municipale dans les Yvelines, à l’origine de l’initiative.
« On ne gagnera pas en promettant la restauration, que ce soit sur le non-cumul des mandats ou le mariage pour tous. On veut faire de l'UMP le parti de la réforme, sans tabous, mais sans se réduire à une droite décomplexée uniquement sur les questions d’immigration et de sécurité. » Son collègue Paul Boivin, 29 ans, délégué national des jeunes actifs de l’UMP et soutien de Le Maire, souligne qu'eux « ne vi(vent) pas de la politique. Nous sommes d’abord des militants qui voulons être partie prenante des décisions et montrer que des idées remontent de la base ».
Le 17 juillet, c'est un think tank que vont lancer Jonas Haddad, Michaël Miguères, Guillaume Caristan, trois jeunes secrétaires nationaux ou élus UMP. « Refonder la droite » découle de leur livre Droite 2.0 et ambitionne de produire des idées sur le numérique et l'entrepreunariat.
« Nous ne sommes ni une motion, ni un mouvement, ni une écurie présidentielle, détaille Jonas Haddad. On ne veut pas parler de renouveau avec des champs qui existent déjà, comme le report de l'âge de la retraite ou les 35 heures. On prend des sujets d'avenir et on voit comment injecter de l'innovation. Parler de pourquoi on émigre plutôt que d'immigration, innover sur le télétravail, ne pas parler de la sécurité pour dire "la gauche est laxiste". » Le groupe souhaite faire travailler son noyau d'une « soixantaine de personnes » avec des « binômes politique-société civile » et proposer leurs idées aux élus locaux.
D’autres jeunes, anciennes figures de la Manif pour tous, estiment qu'après l'ampleur de leurs manifestations contre la loi Taubira, ils doivent eux aussi « prendre toute (leur) place » dans la rénovation du parti. Mais avec un positionnement opposé : économiquement libéral et sociétalement très conservateur. Leur structure, Sens commun, créée en décembre, se revendique comme « un courant à l’intérieur de l’UMP ». « Après les manifestations vient le temps des propositions », estime son président, Sébastien Pilard, 35 ans, directeur d’une PME et ancien responsable de la Manif pour tous dans l’Ouest.
Leur stratégie est surtout locale : « être un mouvement des régions, pénétrer les fédérations départementales de l'UMP, se présenter aux régionales et sénatoriales ». Ils comptent remettre au candidat les propositions de leurs 250 cadres début 2015, et ont pour l’instant publié leurs propositions sur « l'engagement civique ». Ils visent la barre des « 10 000 adhérents fin 2014 ». Mais à l'UMP, certains y voient un « entrisme » de la Manif pour tous.
Si tous ces groupes annoncent une révolution programmatique, chacun a en tête un modèle victorieux, érigé en « travail de référence » et véritable « mythe fondateur » : celui de 2007. Emmanuelle Mignon est restée « la statue du commandeur », résume Olivier Bogillot. « En 2007, Nicolas Sarkozy a réussi car il a mis en place un dispositif idéologique efficace avec des conventions de haut niveau, des idées testées en réunions avec des professionnels du secteur, une direction des études extrêmement solide, un socle idéologique plus puissant que la gauche. Quand il arrive au pouvoir, il a déjà une assise idéologique, un projet, des équipes », se souvient-il.
« Sarkozy a été le premier à dire qu’il était de droite, ce fut une révolution. Beaucoup de gens se sont enfin déclarés “de droite”, alors qu’elle n’était auparavant définie que par la gauche », reconnaît Stéphane Juvigny, l’éminence grise de François Baroin, qui a passé dix ans dans les cabinets ministériels.
L’exception de 2007 a surtout été possible grâce à une « double rupture inventée par Nicolas Sarkozy, qui consistait à dire : "je ne suis pas la gauche, pas la droite", raconte Emmanuelle Mignon. Il était facile de faire le programme de 2007, car on pouvait critiquer tout le monde, gauche et droite, et afficher des idées nouvelles ». « En 2005-2007, il y avait un vrai ras-le-bol dans les cabinets ministériels, se souvient un ancien de la direction des études. Ils voulaient un élan réformateur après la glaciation, l’immobilisme de la fin du mandat de Chirac. Pour tout le monde, c’était Sarkozy. Il a réussi à unifier toutes les droites. »
« Emmanuelle Mignon a fait peur à la gauche à l’époque, sur la suppression de la carte scolaire, sur le RSA, explique-t-il. La gauche était imperméable aux analyses d’économistes venus par les mathématiques comme Thomas Piketty ou Philippe Askenazy, mais nous on prenait tout ce bagage idéologique. Elle mettait en avant des intellectuels brillants, elle écoutait, s’imprégnait, puis elle travaillait seule. »
La direction des études est alors considérée comme « la partie de l’UMP où la lumière ne s’éteint jamais ». « On a travaillé comme des dingues. Mais c'était un pont d'or, j'avais tous les moyens et le temps, j'ai pu construire une équipe, voyager », raconte Emmanuelle Mignon. Elle est entourée d’une équipe rapprochée de dix personnes. Huit d’entre elles – des auditeurs du conseil d’État, des inspecteurs des finances, des “juniors” UMP –, travaillent sur les idées, en réalisant notes, entretiens et dossiers. Les deux autres dénichent les invités des conventions.
« On a élaboré 18 conventions en 18 mois, avec trois briques à chaque fois : un dossier d'analyse et de synthèse très complet, que Nicolas Sarkozy lisait ; son discours de clôture avec des propositions qu'on travaillait ensemble, en associant des parlementaires, et la convention elle-même, devenue le lieu où il fallait être vu », explique l'ancienne directrice des études. Chaque convention donnait ensuite lieu à un groupe de travail thématique (avec des entrepreneurs, de jeunes économistes de la Banque de France, des démographes, des policiers), qui continuait de se réunir une fois par mois.
« Le travail que l'on a réalisé a intéressé au-delà de la droite, explique-t-elle. Je décrochais régulièrement mon téléphone pour joindre des personnes réputées pour ne pas partager nos convictions, mais qui avaient de l'expertise sur tel ou sur tel sujet. Toutes, à une seule exception près, ont accepté de me rencontrer, et beaucoup de participer à une convention. Les gens avaient le sentiment qu'on allait changer les choses. Le problème, c'est qu'on n'a pas vraiment changé les choses. Dès les lettres de mission envoyées dans les ministères, on a perdu une partie du souffle du programme. Puis en juillet 2007, Nicolas Sarkozy me dit qu'il ne veut pas bousculer la France, que c'est un vieux pays, qu'il faut y aller prudemment. Il se rend compte aussi que gouverner est plus dur que prévu, qu'il y a des pesanteurs. Enfin, il y a eu la crise. »
Aujourd'hui, ils sont nombreux à expliquer que Nicolas Sarkozy « ne pourra pas refaire 2007 ». « Les groupes n’auront pas le même rôle. Il doit recréer une histoire personnelle avec les Français », explique un haut fonctionnaire. « On ne pourra pas reprendre les mêmes, ce serait une erreur politique, on ne reconstitue pas des ligues dissoutes. Il faut faire rentrer des idées neuves. Des jeunes, mais surtout des gens qui dans la période 2012-2017 ont été débarqués par Hollande et ont pris de l’expérience », estime aussi Olivier Bogillot. « 2007 était un contexte particulier. On a fait éclater le logiciel et les catégories de la droite. Mais ce qui a été mis en place à ce moment-là reste nos fondations idéologiques », estime Nelly Garnier.
La droite se heurte à un autre problème, qu'expose Dominique Reynié, à la tête de la Fondapol, fondation proche de l'UMP : « Le travail des idées est très difficile à réaliser à l’intérieur des organisations politiques, qui sont concentrées sur leurs clientèles électorales et l’organisation des primaires. » Pour le politologue, « le circuit d’un expert qui décide quelles sont les solutions et passe le commandement au candidat est obsolète. Il faut inventer un système de mise en réseau, de consultation et de partage des idées. Ségolène Royal a été la première à saisir cela en 2007 ». « Un parti n’est pas organisé pour produire des idées, elles viennent des think tanks », considère aussi Jérôme Chartier.
En France, les fondations n’ont pas la puissance de leurs homologues britanniques ou allemands. « Il n’y a pas une fondation française qui a inventé un pilier de programme, comme en Grande-Bretagne avec la “Big Society” de Philip Blond pour David Cameron, ou la “Troisième Voie” de Anthony Giddens pour Tony Blair », explique Stéphane Juvigny. « En Grande-Bretagne, il y a une porosité entre la vie des idées, le débat politique et la vie universitaire. En France, les fondations ne veulent pas trop s’afficher avec les partis politiques, et les partis ne voient pas toujours l’intérêt de travailler avec elles », estime Maël de Calan.
Pour Stéphane Juvigny, le conseiller de Baroin, la droite ne parvient pas à cultiver une « vraie vie intellectuelle » comme dans les années 1990. Entre 1997 et 2002, ce proche de Philippe Séguin pilotait sa revue Une certaine idée, animée par l’économiste Nicolas Baverez. « Les cadres supérieurs s’y abonnaient, les militants la recevaient gratuitement avec leur adhésion. On attirait souverainistes et chevènementistes, mais aussi leurs rivaux libéraux. On voulait susciter le débat, il y avait de vrais clivages idéologiques, rien à voir avec aujourd’hui. »
Motiver les fameux “experts” pour travailler sur un projet sans chef de file est « difficile », reconnaît-on à droite. « On est dans une période de flou, tout le monde est dans l’expectative, attend de voir si Nicolas Sarkozy sera candidat. Ce n’est pas dans ces moments que l’on casse tout. Il faut la personne qui aura la vision, après on aura les groupes de travail », estime Nelly Garnier. Olivier Bogillot insiste sur la longueur du « temps politique en termes idéologiques » et sur la nécessité de proposer les idées « dans le bon tempo ». « La bonne méthode est d’avoir une période de consultation et de réflexion, avant de faire des propositions qui seront dépassées car la situation en 2017 ne sera pas celle de 2014 », souligne aussi cet ancien de l'Élysée.
La Boîte à idées a fait l’expérience, à l’automne, de la difficulté de proposer des mesures chiffrées, au-delà des discours sur la baisse des dépenses publiques. Ils ont présenté un contre-budget de l’État avec le président de la commission des finances de l’Assemblée, Gilles Carrez, pour réaliser 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires. Ils suggéraient notamment de supprimer 15 000 postes de fonctionnaires, de geler les pensions de ceux-ci, et de couper dans les crédits de l’État aux départements. « On a été durement attaqués à droite, les députés nous disaient “ce n'est pas le moment” », raconte Maël de Calan.
« Les leaders de la droite sont-ils prêts à assumer un discours réformiste, au-delà des déclarations d’intention?, interroge cet ancien de l'Élysée. François Fillon se positionne comme très réformateur, mais il ne l’a pas appliqué au pouvoir. Bruno Le Maire parle de “révolution”, mais dans le détail, que mettra-t-il derrière ce mot ? »
BOITE NOIREDeuxième volet de notre série sur la recomposition idéologique à droite, pour laquelle nous avons rencontré une vingtaine de personnes : d'anciens membres de la direction des études ayant préparé la campagne victorieuse de 2007, d'ex-conseillers de Nicolas Sarkozy à l'Élysée (deux d'entre eux ne peuvent apparaître sous leur nom étant donné leur fonction actuelle), de hauts fonctionnaires travaillant sur le projet de la droite, de jeunes élus engagés dans des groupes de réflexion, les entourages des principaux prétendants, des membres de fondations.
Emmanuelle Mignon, directrice des études de l'UMP (2004-2007), directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Élysée (2007-2008), rédactrice de ses projets de 2007 et 2012, nous a accordé un entretien de deux heures.
Contacté, Marc Vannesson, directeur des études de l'UMP, nous a répondu qu'il n'était « pas habilité à parler avec la presse ». Sollicités sur le sujet des idées, Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand n'ont pas donné suite. Non plus que Laurent Bigorgne, directeur de l'institut Montaigne (et auditionné sur l'éducation par un groupe de Bruno Le Maire), qui explique à Mediapart qu'il n'a « pas d'éclairage à apporter sur ce sujet » et que son institut « n'est pas de droite ».
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