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Le groupe UMP a aussi prêté de l’argent à d’anciens députés

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Le patron des députés UMP, Christian Jacob, a non seulement utilisé les réserves de son groupe pour voler au secours financier de l'UMP, mais il a aussi octroyé des prêts personnels à d'anciens députés. Là encore, sans en informer ses troupes. C’est ce qu’ont récemment découvert Gilles Carrez, Jean-François Lamour et Étienne Blanc, les trois parlementaires UMP missionnés fin juin pour éplucher la comptabilité du groupe. Un “détail” qu'ils n’ont pas communiqué à leurs collègues mardi 8 juillet, lorsqu'ils ont présenté les conclusions de leurs travaux.

Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale.Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale. © Reuters

D'après nos informations, au lendemain des législatives de juin 2012, Christian Jacob a ainsi accordé de façon discrétionnaire une avance de trésorerie à deux sortants UMP, qui venaient de perdre leur siège. « Après leur défaite, deux de nos (anciens) collègues se sont rapprochés du groupe en demandant un “prêt d’honneur” pour des raisons sociales et personnelles », explique un membre du trio parlementaire, qui ne souhaite pas communiquer l’identité des ex-élus bénéficiaires. Ces deux prêts sont certes « inférieurs à 50 000 euros », mais dénués du moindre taux d'intérêt.

Deux contrats ont été établis, signés par Christian Jacob et les intéressés, ainsi que deux actes par lesquels les anciens élus se sont engagés à rembourser les sommes dues. « Les deux prêts cumulés, il reste à ce jour environ 25 000 euros à rembourser, précise-t-on du côté du trio. Tout sera bouclé fin 2014. » Et d'ajouter : « Ces deux aides ne nous choquent pas une seconde. Un groupe politique, c’est un groupe qui s’entraide. »

Mais ces prêts individuels, qui s'ajoutent aux 3 millions d’euros fournis au parti, soulèvent à nouveau la question de l'usage que font les groupes parlementaires de leur argent, tiré pour l'essentiel des caisses de l'Assemblée nationale. Ces dotations publiques (3 millions d’euros environ pour le groupe UMP chaque année) servent théoriquement à « assurer leur fonctionnement » (comme le précise le site internet du Palais-Bourbon), et rien d'autre.

« Sauf que les députés UMP versent aussi des cotisations mensuelles à leur groupe, rappelle toutefois un élu socialiste, compréhensif. Du coup, ça n'est pas illogique qu'ils puissent exceptionnellement se tourner vers leur président, le jour où ils sont dans le besoin. »

À l'issue de leur mandat, les députés qui se retrouvent au chômage bénéficient pourtant d'une “allocation d'aide au retour à l'emploi” pendant trois ans (en théorie conditionnée à la recherche effective d'un travail). Dégressive et différentielle, cette prestation représente tout de même 100 % de l'indemnité parlementaire les six premiers mois (soit environ 5 500 euros). À ce dispositif de solidarité collective, pourquoi les groupes parlementaires devraient-ils ajouter une forme de fraternité politique ?

On peut aussi rappeler que l'Assemblée nationale accorde des prêts d'honneur à tous les députés en exercice qui en font la demande, pour un montant de 18 000 euros et un taux d'intérêt avoisinant 2 ou 3 %. D'après les comptes 2013 du Palais-Bourbon, 1,92 million d'euros ont ainsi été prêtés aux députés en 2012. En clair, un sortant inquiet de sa réélection peut toujours anticiper sa défaite et préparer ses arrières…

Les travaux comptables de Gilles Carrez, Jean-François Lamour et Étienne Blanc font par ailleurs ressortir d'autres éléments, relatifs aux contrats avec Bygmalion, qui ont stupéfait plus d’un député lors de la réunion de groupe de mardi, à huis clos. « Consternant »« irrespirable », ont lâché les élus en sortant de la salle.

Si les derniers paiements à Bygmalion remontent apparemment à 2013 (après 4,5 millions d'euros TTC versés entre 2008 et 2012 selon l'avocat de l'entreprise), les élus ont découvert qu'un drôle de contrat courait toujours pour des “bilans de mi-mandat” censés être fournis fin 2014 à 180 députés. Étrangement, la facture a été déjà réglée à 80 %, soit 280 000 euros, avant toute livraison.

Signé dans un premier temps avec la société Bygmalion, ce contrat a basculé en mars 2013 vers l'entreprise “BM Consulting” de Bastien Millot, l'un des fondateurs de Bygmalion, proche de Jean-François Copé – et qui a fini par développer ses propres activités et par quitter le groupe à l'été 2013. Alors que le premier accord prévoyait un versement mensuel de 10 000 euros pour ces futures prestations, les mensualités sont passées à 17 000 euros quand Bastien Millot a récupéré le marché.

Bastien Millot lors d'un passage sur France 3Bastien Millot lors d'un passage sur France 3

« Nous avons fait valoir notre volonté commune de ne plus travailler avec ces gens-là », a réagi Dominique Bussereau, à l’issue de la réunion de mardi. « Il faut couper les ponts », estime également Marie-Louise Fort. « Ces avances sur prestations, ça n'est pas une forme habituelle du droit contractuel, grince un troisième parlementaire. Les députés, qui n'étaient même pas au courant, n'ont pas très envie de voir cette société dresser leur bilan cet automne. Le groupe est donc demandeur que le contrat soit annulé, mais j'imagine que ça devra faire l'objet d'une négociation. » Aucun versement n'a plus été effectué depuis la fin mai, et Christian Jacob aurait adressé un courrier à BM Consulting ces derniers jours.

Joint par Mediapart, Bastien Millot, qui a récemment changé de vie et endossé la robe d'avocat, fait mine de s'étonner. « Je n'ai pas vu de courrier, affirme-t-il. Mais tout ce qui est prévu contractuellement sera livré. » Quand on évoque la suspension des paiements, Bastien Millot prévient : « On ne peut pas suspendre des paiements pour des raisons d'opportunité. Je le répète : les prestations seront délivrées. » Autrement dit, la négociation s'annonce délicate.

Au terme de leur mission, qui n’a porté que sur les comptes de la présidence Jacob (depuis novembre 2010) et pas celle de Jean-François Copé faute d’archives (2007-2010), Gilles Carrez, Jean-François Lamour et Étienne Blanc ont avancé des propositions, toutes validées. Le groupe devrait adopter un statut d’association au plus tard le 1er octobre et désigner un trésorier, chargé de présenter un « rapport financier » annuel aux députés.

Surtout, les prochains comptes devront être certifiés par un commissaire aux comptes et une « consultation » préalable mise en œuvre pour « tout marché supérieur à 50 000 € ». Aucune publication n'est cependant envisagée. Pour purger le passé, Christian Jacob a enfin annoncé l’arrivée d’un cabinet d’audit extérieur.

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Hippodrome de Compiègne : deux ex-ministres contredisent Eric Woerth

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Deux anciens ministres de l’agriculture, Hervé Gaymard et Bruno Le Maire, ont été récemment entendus comme témoins par la Cour de justice de la République (CJR), et ont contredit Éric Woerth au sujet de la vente controversée de l’hippodrome de Compiègne (Oise), selon des documents inédits dont Mediapart a pu prendre connaissance. Ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy, actuel député et maire (UMP) de Chantilly (Oise), Éric Woerth est placé sous le statut de témoin assisté dans ce dossier depuis le 4 mai 2011. Il est soupçonné d’avoir bradé l’hippodrome du Putois et 57 hectares de terrains forestiers appartenant à l’État, et inaliénables, situés en lisière de la forêt domaniale du château de Compiègne. Cela, pour faire plaisir à son voisin Philippe Marini, l’influent sénateur et maire (UMP) de cette ville. Éric Woerth risque une possible mise en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans cette affaire.

Ministre de l’agriculture de 2002 à 2004 (il est par ailleurs président du conseil d’administration de l’Office national des forêts depuis 2010, et député UMP), Hervé Gaymard a été interrogé le 7 avril dernier par la commission d’instruction de la CJR.

Hervé GaymardHervé Gaymard © Reuters

Alors ministre de tutelle, Hervé Gaymard avait refusé catégoriquement, dans un courrier du 13 août 2003, de céder l’hippodrome et les terrains forestiers inaliénables que voulait déjà acquérir la Société des courses de Compiègne (SCC), le locataire des lieux, qui obtiendra finalement gain de cause grâce à Éric Woerth en 2010, sept ans plus tard. « Compte tenu de la législation concernant les forêts domaniales, je vous informe qu'une cession par vente n'est pas possible. En revanche, un échange serait envisageable si la Société des courses de Compiègne offrait un terrain forestier de la même importance et d'une valeur suffisante », avait écrit le ministre de l’agriculture à la SCC.

« Le contenu de cette lettre répond à une demande qui ne m'a pas été adressée personnellement, et qui concernait un dossier dont je n'avais, jusqu'alors, pas connaissance », répond d’abord Hervé Gaymard aux magistrats de la commission d’instruction de la CJR. « J'ai donc demandé à celui de mes collaborateurs qui traitait le dossier, M. Daniel Caron, inspecteur général de l'agriculture, en fonction à mon cabinet, les explications nécessaires. Il m'a indiqué que la vente n'était pas possible sans autorisation légale de déclasser le domaine concerné. Par ailleurs, l'échange qui est évoqué dans la même lettre est bien soumis à la condition d'une offre d'un terrain de même importance et d'une valeur équivalente, ce qui en l'état, n'était pas le cas. Vous me demandez si je me suis interrogé sur l'éventualité d'un cas de dérogation à l'exigence d'une autorisation légale. Je vous répondrai que l'hypothèse d'une dérogation n'a pas été évoquée par mes services qui m'ont présenté la doctrine du ministère comme étant inflexible, s'agissant du domaine forestier de l'État ; je partageais d'ailleurs cette conception. »

Questionné par la CJR sur le statut inaliénable de l’hippodrome et des terrains forestiers dans lesquels il est imbriqué, Hervé Gaymard se montre très clair. « En droit, la question m'a été exposée de manière assez simple. Le domaine de l'hippodrome de Compiègne faisait partie de la forêt domaniale de Compiègne. C'est sur ce fondement que j'ai opposé un refus. Il n'était pas question à ce stade de savoir si, en fait, le domaine de l'hippodrome constituait véritablement une forêt en raison de son boisement. »

Interrogé sur la déposition d’Éric Woerth, qui estimait le 24 octobre 2013, devant les mêmes juges, que Hervé Gaymard avait agi en 2003 « en porte-parole de son administration », et que le ministre du budget est, depuis 2009, le seul représentant de l’État propriétaire (France Domaine étant chargé de céder des biens non stratégiques), l’actuel président du conseil d'administration de l’ONF se montre plus que réservé. « Il ne m'appartient pas de commenter les déclarations de M. Woerth. En ce qui me concerne, j'estime qu'en 2003, je n'ai fait qu'appliquer la loi dans le contexte de la gouvernance de l'époque », répond Hervé Gaymard. « Après 2009, les règles de cette gouvernance ont changé et le ministre du budget en a tiré les conséquences qui lui paraissaient s'imposer. Je n'ai pas à approuver ou à désapprouver sa manière de voir. »

L’ancien ministre de l’agriculture ne se prononce pas sur le prix de la cession fixé hâtivement par France Domaine, 2,5 millions d’euros, alors que les installations et l’hippodrome valent au bas mot 8,3 millions selon les experts désignés par la CJR et dont Mediapart a révélé les conclusions. En revanche, Hervé Gaymard ne se prive pas de critiquer la manière dont l’affaire a été menée par son collègue du budget, c’est-à-dire un passage en force, sans tenir compte des avis du ministère de l’agriculture et de l’ONF.

« Je pense qu'il aurait été effectivement normal de consulter le ministère de l'agriculture lequel aurait été en mesure, en raison de la connaissance qu'il pouvait avoir du bien concerné, de faire valoir ses arguments », répond-il aux juges de la CJR. Enfin, sur un dernier point, Hervé Gaymard tacle carrément Éric Woerth, qui expliquait la position du ministère de l’agriculture sur la vente de l’hippodrome par son opposition farouche, à la même époque, au projet (abandonné depuis) de transférer le siège de l’ONF de Paris vers cette même ville de Compiègne.

« La question de la vente de l'hippodrome est, à mon avis, indépendante du transfert du siège de l'ONF. Sur le fond, j'ai toujours estimé que les transferts des sièges des établissements publics étaient généralement coûteux et inefficaces. La mise en cause des responsables du ministère de l'agriculture, à cet égard, me paraît relever du procès d'intention », lâche Hervé Gaymard.

Enfin, Éric Woerth ayant évoqué en termes choisis un parti pris de l’ONF dans cette affaire – « je pense que tout ce qui pouvait apparaître comme bénéfique pour la ville de Compiègne était considéré à l'époque par l'ONF comme contraire à ses intérêts, du fait du litige concernant sa délocalisation à Compiègne » –, Hervé Gaymard met les choses au point.

« Je ne commenterai pas ces déclarations, telles que vous venez de me les rappeler, de M. Woerth. Je souhaite simplement faire trois remarques », déclare Hervé Gaymard. « La première est que l'on ne peut pas reprocher à des fonctionnaires de l'État de veiller à ce que les textes en vigueur soient appliqués. La deuxième est que, dans le dossier particulier de l'hippodrome de Compiègne, il n'a pas existé une "obsession anti-compiégnoise". La réaction du personnel de l'ONF, qui rejoignait d'ailleurs la mienne, aurait été la même quel que soit le lieu de délocalisation projeté. Troisièmement, si l'État doit changer sa politique domaniale, il doit le faire de façon claire, sous l'autorité du premier ministre, si les ministres sont en désaccord. Je pense, sur ce dernier point, que la source des difficultés réside principalement dans le décalage entre la réforme de la politique de gouvernance des biens de l'État d'une part, et le maintien des dispositions propres au code forestier qui reste, à mon avis, pleinement justifié, d'autre part. » Fermez le ban.

Bruno Le Maire, qui a été ministre de l’agriculture de 2009 à 2012, et est actuellement député (UMP), a pour sa part été interrogé comme témoin le 17 janvier dernier par la commission d’instruction de la CJR. Entretenant des relations « tout à fait cordiales » avec son collègue Éric Woerth, Bruno Le Maire entend parler incidemment du projet de cession de l’hippodrome et des terrains forestiers de Compiègne en juin 2009. À la fin de cette même année 2009, le ministre de l’agriculture apprend que la vente s’est décidée sans lui, alors qu’il est mobilisé à temps complet par la crise du lait.

« Dans ce contexte-là, je suis informé par mon directeur de cabinet, Pascal Viné, dans le courant du mois de novembre 2009, que la vente de l'hippodrome se fait », commence Bruno Le Maire. « À l'époque, je n'ai jamais entendu parler de l'hippodrome de Compiègne et cela me semblait un sujet, au regard des autres, accessoire et technique. Le point important, à mes yeux, est que le ministère de l'agriculture est mis devant le fait accompli. En novembre 2009, je donne deux instructions à mon directeur de cabinet: la première instruction est de traiter ce dossier au niveau des cabinets, la deuxième est de défendre les intérêts des forêts domaniales dont j'ai la responsabilité. Ces deux angles ont guidé mon action d'une manière constante dans cette affaire », déclare Bruno Le Maire.

Bruno Le MaireBruno Le Maire © Reuters

Selon lui, le passage en force du ministre Woerth est manifeste. « Je savais, au vu de la description que mes collaborateurs m'en avait faite, qu'il y avait un débat très complexe sur le statut juridique de l'hippodrome de Compiègne, mais je ne suis jamais entré dans ce débat. L'élément essentiel sur lequel mon attention avait été appelée, était que nous avions été mis devant le fait accompli. En effet, si le processus de la vente lui-même relevait de la compétence du service des Domaines, je ne pouvais que réagir à la manière dont il m'avait été présenté et ma responsabilité de ministre chargé de la défense des forêts me conduisait à cette réaction. Vous me demandez quelle aurait été la voie normale du processus de vente. Je vous réponds que le processus de vente normal aurait été qu'un accord intervienne entre le ministère du budget, d'une part, et le ministre de l'agriculture, d'autre part. C'est précisément pour cette raison que j'ai donné pour instruction à mon directeur de cabinet, M. Viné, de rechercher une solution entre les deux cabinets. »

Les juges demandent à Bruno Le Maire s’il avait eu connaissance du refus de vendre exprimé par son prédécesseur Hervé Gaymard, déjà sollicité par la SCC en 2003. « Je n'avais pas connaissance du courrier en tant que tel à M. Gaymard, mais lorsque mon directeur de cabinet m'a parlé de cette affaire, en novembre 2009, il m'a indiqué que ce n'était pas la première fois que le problème de la cession se posait et que nous avions, à cet égard, une politique constante de refus », répond-il.

L’hypothèse d’un échange de terrains forestiers n’a pas retenu l’attention de Bruno Le Maire. « Je ne suis pas entré dans le détail de la manière dont une procédure, tel un échange, pouvait être envisagée. Le statut juridique du domaine de l'hippodrome de Compiègne n'était pas non plus ma préoccupation principale et je concevais qu'une discussion puisse s'engager sur ce sujet. En revanche, je répète que je ne pouvais admettre qu'une décision m'ait été présentée comme prise au sujet de biens dont j'avais la responsabilité. Vous me demandez si la décision m'a été présentée comme ayant été prise au niveau du cabinet du ministre du budget ou à celui du service des Domaines. Je n'ai pas un souvenir précis sur ce point. Pour moi, la décision avait été prise sans l'accord de mon ministère et c'est ce qui importait. »

Au vu du dossier, le parcours de la demande faite par la Société des courses de Compiègne est très politique. Le président de la SCC, Antoine Gilibert, est membre de l’UMP et surtout un ami proche de Philippe Marini, lui-même membre de la SCC. Lors des perquisitions, des documents ont été découverts indiquant que la SCC voulait créer un restaurant panoramique dans l’hippodrome, et valoriser le site pour accroître ses recettes. La lettre du 15 mai 2009 dans laquelle la SCC dit son souhait d’acquérir l’hippodrome est remise par son président d’honneur, Armand de Coulanges, à son ami Christian Patria, un cacique local de l’UMP, député puis suppléant d’Éric Woerth, et également membre de la SCC. Le ministre Woerth, lui, transmet cette lettre directement à son conseiller chargé de la politique immobilière de l’État, Cédric de Lestranges, pour enclencher le processus de vente. Le ministère de l’agriculture et l’ONF n’en sont pas encore avisés.

Bruno Le Maire se montre assez critique sur cette façon de faire. « Je ne peux émettre d'avis particulier sur la manière dont cette demande a été présentée sinon qu'il aurait été opportun, à mon sens, de la part du demandeur, d'en adresser une copie au ministère de l'agriculture qui en a la tutelle. Vous me demandez si j'estime que le cabinet du ministre du budget aurait dû informer immédiatement mon ministère de cette demande. Je pense qu'une telle réaction aurait permis d'éviter les difficultés qui sont ensuite apparues compte tenu de la position constante émise sur ce sujet par mon ministère. Toutefois, je conçois que la question ait pu, à ce stade, apparaître comme une question technique qui n'impliquait pas automatiquement l'information immédiate du ministère de l'agriculture », déclare l'ex-ministre.

Pour finir, Éric Woerth s’est passé de l’avis de Bruno Le Maire, qui a réagi en sollicitant un arbitrage de Matignon lequel s’est fait à ses dépens. Le ministre de l'agriculture recevra tout de même en copie la lettre d’Éric Woerth à Antoine Gilibert, le 29 octobre 2009, dans laquelle le ministre du budget indique au président de la SCC qu’il a obtenu l’accord de l’État.

« Cette lettre respecte la procédure administrative normale dès lors qu'elle m'est adressée en copie », indique Bruno Le Maire aux juges qui l’interrogent. « Ce courrier m'a effectivement été montré par mon directeur de cabinet début novembre 2009 lorsque nous avons eu notre premier entretien concernant l'hippodrome de Compiègne. À la suite, je lui ai donné les instructions dont je vous ai précédemment parlé. J'aurais pu considérer que, cette lettre étant signée de mon collègue chargé du budget, il n'y avait pas lieu de réagir. J'ai néanmoins estimé, après en avoir parlé avec mon directeur de cabinet, qu'une réaction de ma part était nécessaire pour défendre la position de mon ministère. Je précise que la question essentielle à ce stade était que la procédure administrative normale soit respectée pour que la position de mon ministère soit entendue. »

Pour Éric Woerth, qui a agi en toute hâte, au motif affiché de réduire la dette en cédant des biens, cela même alors que la vente de l'hippodrome a rapporté peu d’argent à l’État, l'affaire de Compiègne était visiblement de la plus grande importance. Le ministre du budget avait demandé à ses collaborateurs de le tenir informé du dossier. Un détail éclaire le climat qui entourait ce dossier : dans un mail au ton pressant, adressé le 26 novembre 2009 à un conseiller de Bruno Le Maire, le directeur de cabinet d’Éric Woerth, Sébastien Proto, faisait état de l’éventualité, en cas d’échec de la vente, d’une « forte réaction » du sénateur et maire de Compiègne, Philippe Marini.

Eric WoerthEric Woerth © Reuters

La Société des courses avait-elle reçu discrètement des assurances de devenir enfin propriétaire des terrains forestiers de Compiègne, par des circuits politiques ? Curieusement, dès le mois de mars 2009, l’ONF reçoit pour instruction de ne plus facturer la SCC, son locataire, alors que la future cession n’est pas encore décidée, et qu'elle ne deviendra effective qu'avec l'arrêté pris par Éric Woerth le 16 mars 2010. En effet, selon des documents découverts par les policiers de la brigade financière, dès le 20 mars 2009, une curieuse mention « Ne plus facturer. Cession » apparaît sur la redevance que l’ONF envoyait habituellement à la SCC. Une bizarrerie de plus dans un dossier qui n’en manque pas.

Par ailleurs, une fois devenue propriétaire de l’hippodrome et des terrains forestiers, la Société des courses a aussitôt tenté d’évincer l’association du golf de Compiègne, son sous-locataire, cela pour récupérer ses installations. Celle-ci a répliqué, et l’affaire est actuellement entre les mains de la justice.

Eric WoerthEric Woerth

Dans le volet non ministériel de l'affaire de la vente des terrains forestiers et de l'hippodrome, les juges d’instruction parisiens René Grouman et Roger Le Loire sont chargés depuis 2011 d’une information judiciaire pour abus d’autorité et recel, complicité et recel de prise illégale d’intérêts, trafic d’influence et recel, favoritisme et recel. En novembre 2012, les deux juges d’instruction ont placé sous le statut de témoin assisté Antoine Gilibert, le président de la SCC, et Armand de Coulange, son prédécesseur, mais ils n’ont procédé à aucune mise en examen à ce jour.

Malgré les procédures judiciaires, la vente controversée de l’hippodrome n’a pas été remise en question par l’État après l’élection de François Hollande. Le ministre du budget Jérôme Cahuzac a, au contraire, commandé une courte étude juridique à l’une de ses connaissances, le professeur, Rapport Terneyre – un rapport payé 15 000 euros hors taxes, selon des informations obtenues par Mediapart –, pour conclure que la vente n’était pas forcément illégale, et ne rien faire. Ses successeurs à Bercy, Bernard Cazeneuve puis Michel Sapin, n’ont pas bougé. C’est un syndicat forestier, le Snupfen, rejoint par des députés écologiques, qui a sollicité l’annulation de la vente de l’hippodrome devant le tribunal administratif de Paris. Débouté de sa demande, le Snupfen a fait appel, et l'affaire suit son cours.

Témoin assisté dans l’affaire de Compiègne, Éric Woerth a d’autres soucis avec la justice. Il doit en effet comparaître prochainement en tant que prévenu dans deux procès à hauts risques qui concernent l’affaire Bettencourt. Il sera d’abord jugé pour « recel » dans le volet principal de l’affaire Bettencourt, avec une dizaine d'autres prévenus, à partir du 26 janvier et pendant 5 semaines devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Il comparaîtra ensuite, lors d’un second procès, pour « trafic d’influence », en mars, toujours à Bordeaux, cette fois-ci au sujet de la Légion d’honneur accordée à Patrice de Maistre pour le remercier d'avoir embauché son épouse, Florence Woerth, auprès de Liliane Bettencourt.

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Le show Montebourg à Bercy : entre Valmy et Renzi

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Personne ne manquait à l’appel. De Serge Dassault à Jean-Claude Mailly (FO), de Frédéric Saint-Geours, responsable de l’UIMM, aux patrons de PME, le ban et l’arrière-ban du patronat et des syndicats, des corps constitués économiques et sociaux de la République se pressaient, ce 10 juillet, dans la grande salle de conférences de Bercy pour écouter Arnaud Montebourg.

Depuis plusieurs jours, l’entourage du ministre de l’économie et du redressement productif avait distillé les petites phrases. Cela allait être un grand discours programmatique sur le redressement économique de la France, promettait-on. Celui où Arnaud Montebourg ferait entendre sa tonalité politique, trois mois après avoir choisi de rester dans le gouvernement de Manuel Valls. Rien donc n’avait été laissé au hasard, même la date. Juste après la « grande conférence sociale », juste après le vote à l’Assemblée nationale approuvant le pacte de responsabilité. Des moments qui risquent de peser très lourd dans la mémoire de la gauche, mais pas pour Arnaud Montebourg, apparemment.

© Reuters

Alors que la gauche, jusqu’au sein des rangs du parti socialiste, se désespère du revirement du gouvernement, et dénonce une alternance libérale qui ne dit pas son nom, le ministre de l’économie fait sa relecture politique des derniers événements. À l’entendre, toutes les concessions faites au patronat ces derniers mois, les 20 milliards du crédit impôt compétitivité emploi (CICE), les 40 milliards d’allégements supplémentaires consentis aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité, l’abandon du compte pénibilité sous la pression du Medef, le départ d’une partie des fédérations syndicales refusant de continuer à cautionner plus avant le simulacre de la concertation sociale, ne signifient pas l’épuisement du modèle social-démocrate, la défaite de la gauche face à un libéralisme plus intransigeant que jamais, la perpétuation d’une lutte des classes au profit des plus riches. Tous ces concepts de gauche ne semblent pas être de mise dans l’analyse d’Arnaud Montebourg.

Toutes les dernières décisions du gouvernement relèvent, selon lui, d’une autre lecture : révolutionnaire. Le CICE, le pacte de responsabilité et tout le reste, c’est l’union des Français face à la patrie en danger, c’est la France révolutionnaire montant à Valmy pour tenir tête dans la guerre économique. L’audace est requise : « Cette union de tous les Français autour du made in France, cette bataille culturelle pour le patriotisme économique conduit la France peu à peu vers une transformation progressive de son modèle économique. Un moment tentés par le modèle anglo-saxon libéral et financier, nous voici en train de revenir à un modèle entrepreneurial solidaire, productif et innovant. Nous nous serrons les coudes pour renforcer et soutenir nos producteurs. Nous nous battons pour modérer nos coûts de production, nous nous organisons pour réinventer nos productions. » La salle écoutait bouche bée, vaguement interloquée.

Les talents oratoires d’Arnaud Montebourg ne suffisaient pas à masquer le malaise. Le fiasco de la grande conférence sociale planait dans l’assistance. Comment évoquer la grande union nationale autour des entreprises, quand les syndicats sont acculés à la politique de la chaise vide, quand le patronat ne cesse de montrer son visage le plus rabougri, réclamant toujours plus d’allégements, toujours plus d’aide, toujours plus de renonciation sociale sans s’engager sur la moindre contrepartie ?

Le ministre de l’économie ne pouvait éviter l’écueil. « En retour, la Nation et toutes ses composantes sont en droit d’attendre que cet effort crée des devoirs (...). Voilà pourquoi je lance un appel aux patrons petits et grands : c’est la première fois que les entreprises sont au centre de la préoccupation publique et politique, les Français vous soutiennent en faisant le sacrifice historique de 40 milliards de baisse d’impôts. C’est le moment de faire de cette politique un compromis historique populaire : donnez aux Français, en contrepartie, à voir votre sens patriotique en créant de l’activité en France, en embauchant autant que vous le pouvez et en investissant dans votre appareil productif », insista-t-il. Il y avait dans les mots quelque chose d’implorant, la légère vibration d’un responsable qui sait qu’il est en train de liquider sa base politique, de brûler ses vaisseaux, sans savoir s’il sera payé de retour. L’histoire de ce gouvernement.

Refusant l’impuissance de l’État, Arnaud Montebourg veut voir dans le décret du 14 mai une illustration que l’action politique est toujours possible en matière économique. Ce décret, pris dans l’urgence de l’affaire Alstom, permet à l’État de s’opposer à la prise de contrôle d’entreprises travaillant dans un certain nombre de secteurs stratégiques (eau, énergie, transport, télécommunications) par des groupes étrangers. Il vient d’être validé par la commission européenne, s’est félicité le ministre de l’économie. C’est à peu près la seule fois où Arnaud Montebourg a eu un mot aimable pour Bruxelles.

Pour le reste, il a très vite retrouvé un exercice bien rodé désormais : la critique féroce des politiques d’austérité imposées à toute l’Europe par la commission européenne, et de l’euro fort décrété par la Banque centrale européenne. Arnaud Montebourg cita sans se lasser les chiffres plus catastrophiques les uns que les autres de la croissance, du chômage, de l’investissement dans toute l’Europe. « Félicitations à l’Europe ! Nous sommes dans le tableau d’honneur de l’explosion du chômage », lança-t-il. Les économistes de toutes obédiences, de Joseph Stiglitz à l’OCDE en passant par l’économiste en charge du modèle multinational à la commission européenne furent invoqués à l’appui de la démonstration des erreurs européennes. « Nul ne devrait laisser l’économie à des comptables moralistes, surtout lorsqu’ils ont des idées rigides », lança-t-il. Avant de reprendre les accusations de Matteo Renzi, qualifiant le pacte de stabilité de pacte de stupidité. La règle des 3 % est d’urgence à oublier, selon lui, en ces temps de déflation.

Le président du conseil italien a manifestement frappé les esprits chez les socialistes français. Sa façon de prendre le pouvoir, ses critiques contre la politique européenne, ses tentatives pour se négocier des marges de manœuvre, son programme social-libéral font école. Alors qu’il vient de prendre début juillet la présidence de l’Union européenne, le gouvernement français s’est rangé derrière lui à Bruxelles. Arnaud Montebourg n’échappe pas à l’attraction italienne et met ses pas dans ceux de Matteo Renzi.

Matteo RenziMatteo Renzi © Reuters

La commission européenne a fait une première concession lors du dernier sommet en acceptant le principe d’une certaine flexibilité dans le retour aux critères de Maastricht. Mais pour Arnaud Montebourg, cette première inflexion doit se concrétiser dans les faits. Allant plus loin, il demande un nouveau partage entre les économies et la croissance. « Un tiers des économies réalisées serait affecté à la réduction du déficit public, garantissant notre sérieux budgétaire et la poursuite de l’assainissement des comptes publics ; un tiers serait affecté à la baisse des prélèvements obligatoires, ce sont là les engagements purs et simples du pacte de responsabilité et notre révolution compétitive ; un derniers tiers serait affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d’améliorer leur pouvoir d’achat », propose-t-il.

Ce nouveau pacte est sa façon de se démarquer – légèrement – de Manuel Valls. Le premier ministre a déjà promis un allégement fiscal de 5 milliards d’euros pour les ménages à partir de 2015. Le ministre de l’économie réclame 18 milliards pour les classes moyennes, « les grandes victimes de la crise ».

Mais ce n’est qu’un des points du grand programme d’Arnaud Montebourg. Le ministre de l’économie se donne pour mission d’être un « grand  transformateur » de l’économie. Il évoque tous les précédents, revendique toutes les expériences. De Colbert à Mendès France, en passant par Roosevelt et Marshall, personne ne fut oublié. Comme eux, son intention est de lutter contre « la rente et le monopole ».

En prenant le pouvoir, Matteo Renzi avait dressé un plan d’action gouvernementale, les grandes réformes – allant de la loi électorale aux lois sur le travail – qu’il entendait réaliser dans les premiers cent jours de gouvernement. Arnaud Montebourg a lui aussi sa « feuille de route », plus modeste : il entend présenter une grande loi « de croissance et de pouvoir d’achat » à la rentrée.

Une des mesures phares devrait être la remise en cause d’un certain nombre de professions réglementées (huissiers, avocats, pharmaciens, opticiens, notaires, etc). Cette réforme a toutes les chances de plaire à la commission européenne : dans tous les plans de sauvegarde, une des premières préconisations de la Troïka a été l’abolition de toutes ces professions protégées, considérées comme un obstacle à la concurrence. Le ministre de l’économie chiffre la suppression de ces monopoles à 6 milliards d’euros, qui « seront restitués en pouvoir d’achat aux Français ».

Dans son plan, le ministre de l’économie prévoit aussi un programme de grands travaux, destinés à relancer la croissance. Roosevelt avait lancé dans les années 30 son grand programme d’aménagement, la Tennessee Valley. Arnaud Montebourg veut lui aussi des barrages, des aménagements de ports, de la fibre optique partout.

Mais où trouver l’argent dans ces temps de restriction budgétaire ? L’État, dit-il, est prêt à mettre au service de ce grand projet ses rares ressources disponibles. Le ministre de l’économie veut aussi solliciter les fonds européens. Mais il compte surtout sur le privé. Tous ces projets doivent être réalisés sous le sceau de la grande alliance entre le public et le privé, le partenariat. Puisqu'on vous dit qu'il s'agit d’union nationale.

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Matthieu Orphelin : «Si vous en avez marre des politiques, engagez-vous !»

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Matthieu Orphelin raconte son expérience à la Région Pays de la Loire dans son livre Chronique d’un élu écolo. Dans ce conseil régional, il n’est pas chargé de l’environnement, mais de l’éducation et de l’apprentissage. C’est dans cette fonction, et pas dans « la défense des petites fleurs et des oiseaux » qu’il a voulu mettre en pratique son idéal écologiste.

De l’Éducation nationale, il dit que « nous avons l’un des systèmes les plus inégalitaires du monde », et qu’il était absurde de vouloir traiter la question des rythmes scolaires comme une priorité. La priorité qu’il gère tous les jours, c’est celle de cette jeune fille qui rêve de devenir mécanicienne en dépit des préjugés sexistes. Ou c’est la vie de ces lycéens sans papiers rejetés par le système : « Quand je croise un garçon qui me dit : “Je suis dans tel établissement, mais j’ai dormi sur un banc”, je me dis que c’est intolérable »

Mathieu Orphelin s’agace du concept d’écologie punitive popularisé par Ségolène Royal à propos de la fiscalité : « C’est révoltant d’en rester à des propos comme ça… On peut faire une fiscalité écologique sans qu’elle soit punitive, à condition de le prévoir, et de l’expliquer. Ce qui est insupportable, c’est l’incapacité d’un certain nombre de politiques à préférer les formules aux changements… »

Cet élu qui met en avant le primat du politique, et qui se situe clairement à gauche, chemine avec Nicolas Hulot, personnalité de la société civile dont il est porte-parole de la Fondation. Hulot qui s’était rapproché de Nicolas Sarkozy au moment du Grenelle de l’environnement : « Le Grenelle, nous y avons tous cru ! Il faut se souvenir d’où on venait ! Les industriels rigolaient quand on parlait des immeubles de basse consommation… Et puis Hulot est l’écologiste le plus marquant des dernières années en France. »

Il est ainsi, Matthieu Orphelin, et cela s’entend pendant tout l’entretien… C’est un idéaliste qui ne jure que par le pragmatisme. Il trace des perspectives à long terme, mais travaille sur l’immédiat. Il souhaite que « les gens se remettent à croire à la politique », mais considère que dans le contexte actuel le salut passe par les ONG, ou les associations.

Ce conseiller régional, élu sur une liste Europe Écologie et porte-parole d’une fondation, lance donc un appel aux Français : « Si vous en avez marre des politiques, engagez-vous ! »

Mathieu Orphelin, vice-président écologiste de la Région Pays de la Loire, est l’invité du 21e numéro d'Objections, l'entretien politique de Mediapart.

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Illégal et hors de prix, l'incinérateur de Marseille a tout faux

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Un incendie a ravagé une partie du centre de traitement des déchets de Fos, le 1er novembre 2013.Un incendie a ravagé une partie du centre de traitement des déchets de Fos, le 1er novembre 2013. © Institut écocitoyen

Nouveau coup dur pour l’incinérateur de Fos-sur-Mer, qui accueille depuis avril 2010 les 410 000 tonnes de déchets annuels de la communauté urbaine de Marseille. L’usine avait été implantée sur le domaine du grand port maritime de Marseille, malgré l’opposition des communes voisines. Or le tribunal administratif de Marseille vient, le 4 juillet dernier, de donner en partie raison à la commune de Fos-sur-Mer et à deux associations locales de défense de l’environnement qui contestaient cette implantation.

Le tribunal a annulé, vendredi 4 juillet, deux délibérations de la communauté urbaine Marseille Provence métropole (MPM) de février 2009 autorisant son président à signer la délégation de service public avec l’industriel Evéré, qui a construit et gère l’usine de traitement des déchets.

En 2003, après l’échec de deux projets d’incinérateurs dans les quartiers est et nord de Marseille, Jean-Claude Gaudin décide de délocaliser son usine géante chez ses voisins, au bord d’un étang de Berre déjà sinistré par l’industrie pétrochimique et métallurgique. Et pour contourner un éventuel droit de préemption de la commune voisine, Fos-sur-Mer, opposée au projet, ses services choisissent de l’implanter sur un domaine privé du Grand port maritime de Marseille (GPMM). À quelques kilomètres de Port-Saint-Louis-du-Rhône et de Fos-sur-Mer, mais à 70 kilomètres du Vieux-Port.

Le 13 mai 2005, la communauté urbaine conclut un bail à construction avec le GPMM, avant de céder ce bail au concessionnaire Evéré, filiale du groupe espagnol Urbaser. C’est ce tour de passe-passe juridique que le tribunal administratif a jugé illégal. Pour les juges, le terrain, qui a été affecté au service public du traitement des déchets ménagers, est automatiquement entré dans le domaine public du GPMM, comme le soutenaient depuis 2003 les opposants au projet. Or la loi ne permet pas de bail à construction sur un domaine public. Le bail à construction de l’usine de traitement des déchets de Fos-sur-Mer est donc « illégal », ce qui « entache d’illégalité les autres stipulations du contrat », indique le tribunal. Voilà donc les délibérations de MPM à l’eau.

Guy Teissier (UMP), nouveau président de MPM, a immédiatement annoncé dans un communiqué son intention « de faire appel de cette décision et, en attendant, d’en demander le sursis à exécution ». Mais la communauté urbaine de Marseille se retrouve dans une impasse. Comment régulariser cette usine dont le coût a explosé à 411 millions d'euros ? En juin 2008, le tribunal administratif avait déjà annulé pour vice de forme la première délibération de mai 2005 autorisant l’implantation de l’usine sur le port. Le 19 février 2009, sous la présidence d’Eugène Caselli (PS), les élus communautaires avaient alors été priés de voter une nouvelle délibération dans les formes.

Un échappatoire impossible cette fois, puisque c’est le bail à construction lui-même qui est jugé illégal. « Le centre technique multifilières (c'est son petit nom – ndlr) continuera à accueillir et traiter les déchets ménagers, mais la décision du juge administratif nous contraint à tirer les conséquences sur la gestion de cet équipement », a indiqué Guy Teissier, le 4 juillet dernier. Ses équipes sont perplexes. « On ne va pas raser le centre, mais on ne voit pas comment s’en sortir », indique-t-on du côté de MPM. Pour Evéré cependant, «cette décision n’impacte pas directement le contrat de délégation de service public qui reste en vigueur».

René Raimondi (PS), maire de Fos-sur-Mer, est, lui, très amer de cette victoire tardive qui « aura des conséquences minimes par rapport à nos ambitions d’arrêter l’incinérateur ». « C’est un gâchis incroyable, le tribunal administratif se prononce cinq ans après avoir été saisi, s’indigne l’élu, président du syndicat d'agglomération nouvelle (San) Ouest Provence. Comment un justiciable peut-il avoir gain de cause alors que l’usine tourne depuis quatre ans ? » Il veut désormais « explorer toutes les pistes » avec l’avocat de la commune, Me Jean-Daniel Chetrit. « Même si nous gagnons l’appel, le préfet passera outre, car il n’y a plus d’autre solution pour traiter les déchets de Marseille, avance de son côté Daniel Moutet, président de l'association de défense du Golfe de Fos. Mais nous aurons prouvé qu’il n’était pas légal d’aller mettre ses déchets chez le voisin. »

Un autre contentieux lié à l’incinérateur risque d’arriver d’ici quelques mois devant le tribunal administratif de Marseille et de peser lourd sur les finances déjà exsangues de la communauté urbaine. Selon le tribunal administratif, l'audience est « prévue cette année ».

La filiale d'Urbaser, qui avait remporté le marché en 2005 face aux multinationales Suez et Veolia avec un modèle économique qui s'est révélé irréaliste, réclame une rallonge de 173 millions d’euros à la collectivité. Au terme des vingt ans d'exploitation prévus par le contrat, les demandes d'Evéré atteignent même 273 millions d’euros, selon une expertise remise au juge d'instruction Duchaine dans l'un des volets de l'affaire Guérini. L’entreprise argue de « retards provoqués par les 38 recours juridiques », de « l'état du sol et du sous-sol » et de « changements liés à des réflexions menées avec MPM ».

La communauté urbaine de Marseille a déjà été, le 13 septembre 2011, condamnée en référé à verser une provision de 8,6 millions d’euros. L’expert, désigné en décembre 2009 par le tribunal administratif, devrait bientôt rendre sa dernière note de synthèse sur la première facture de 107 millions d’euros présentée par Evéré. D’après nos informations, cette note ne serait pas du tout favorable à Marseille Provence Métropole. « Tout ce qui est aléa revient à MPM, tout ce qu’on ne sait pas, c’est MPM qui paye, et tout ce qu'a demandé Evéré, c’est Evéré », indique une source.

En bref, les habitants de MPM, qui ont vu leur taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom) s’envoler de 12,29 % en 2001 à 16,42 % en 2014, n’ont pas fini de payer leur incinérateur. Taxés à 18,1 %, les Marseillais paient déjà le double de la moyenne nationale (9,3 % en 2012).

Un comble pour financer un équipement dont la partie méthanisation n’a jamais bien fonctionné et qui creuse chaque année un peu plus son déficit. Depuis 2011, l’entreprise Evéré perd chaque année entre 24 et 22 millions d’euros. L’incendie qui a détruit une partie du site de Fos dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 novembre 2013 ne va pas arranger ses comptes. Depuis lors, toute la chaîne de tri des déchets et de méthanisation, en partie détruite, est à l’arrêt. Seule l'incinération a repris fin 2013 et brûle depuis à plein pour engloutir les déchets produits par les 18 communes de Marseille Provence Métropole. Les travaux de reconstruction, qui devraient démarrer début septembre selon Evéré, s’étaleront sur au moins 18 mois. «Notre volonté est toujours la même que celle affichée les jours qui ont suivi le sinistre : retrouver, dans les meilleurs délais, la configuration multifilière de notre centre avec ses 3 modes de valorisation réunis sur un même site : tri, valorisation organique et valorisation énergétique», indique l'entreprise.

Selon le rapport du 30 novembre 2013 de l’expert mandaté par les assurances et que s'est procuré Mediapart, « la thèse d’un incendie d’origine volontaire demeure la seule plausible pour expliquer la survenance de cet incendie », même si aucune trace d’accélérateur « autre que l’huile hydraulique naturellement présente dans la centrale hydraulique » n’a pu être retrouvée. L’auteur, un ingénieur incendie expert auprès de la cour d’appel de Montpellier, écarte toute « cause accidentelle crédible notamment sur sa capacité de propagation pour dégénérer en incendie généralisé ».

Il souligne que l’incendie est survenu « en pleine nuit dans les seuls bâtiments du site à être à l’arrêt, éteints et vides de tout personnel ». Et rappelle que, malgré la clôture du site, « l’accès à l’intérieur de ce bâtiment ne pose aucune difficulté particulière », que ce soit pour un employé ou un simple piéton entré « à partir de la gare de trains dans l’extrémité Nord ».

De son côté, le parquet d’Aix-en-Provence indique que l’enquête préliminaire sur l’origine de l’incendie et l’expertise judiciaire sont toujours en cours. Marseille Provence Métropole s'est constituée partie civile, après la plainte contre X pour incendie volontaire déposée en décembre 2013 par Evéré. Et un dossier judiciaire de plus pour un incinérateur qui n'en manquait déjà pas…

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D'autres «fermes des mille vaches» pourront voir le jour

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Le chef de projet de la “ferme des mille vaches” va-t-il enfin pouvoir se frotter les mains ? Si la loi d'avenir agricole passe au Sénat telle qu'elle a été adoptée par les députés, le 9 juillet 2014, non seulement les obstacles concernant l'autorisation d'atteindre le millier de laitières seront levés, mais les possibilités de dupliquer ce nouveau modèle d'agriculture intensive seront ouvertes : l'acquisition de terres n'a pas de limites et les restrictions sur la taille des méthaniseurs agricoles, ces réservoirs de fumier utilisés pour tirer de l'énergie, n'ont pas été mises à l'agenda. Le texte ouvre donc la porte à une agriculture plus encline à produire de l'électricité que des denrées alimentaires.

L'étable vue du ciel.L'étable vue du ciel. © Novissen

La scène se passe en Picardie, dans la Somme, entre Drucat et Buigny-Saint-Maclou, deux villages de 500 habitants sur lesquels s'est installée la plus grande étable de France. Mille vaches sur béton et près de 40 000 tonnes par an de déchets organiques fournissant de l'électricité, ce sont les objectifs que s'est fixés Michel Ramery, patron de BTP dans le Nord-Pas-de-Calais.

Jusqu'à présent, le projet a eu des bâtons dans les roues : entre les militants de la confédération paysanne qui ont multiplié les actions sur place et l'association locale Novissen qui ne veut pas d'une « ferme usine » dans le paysage local, le projet qui devait voir le jour en juillet ay pris du retard et l'autorisation d'exploiter n'a été délivrée que pour 500 vaches.

Des fermes d'envergure similaire existent depuis plusieurs années en Allemagne. Mais en France où l'on prône depuis cinquante ans le maintien des exploitations de type familial, le projet cristallise les peurs. Michel Ramery va-t-il salarier des agriculteurs anciennement propriétaires ? Ce projet est-il précurseur d'un nouveau modèle agricole ? La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt débattue à l'Assemblée les 8 et 9 juillet 2014 était justement censée mieux réguler l'acquisition des terres tout en fixant un cap vers l'agroécologie. 

Car pour acquérir des terrains sans être agriculteur, Michel Ramery a une astuce qui lui permet de passer outre le contrôle de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) qui a le droit de préemption, autrement dit qui peut empêcher la trop forte concentration des terres. Plutôt que de devenir propriétaire des parcelles, il crée des sociétés ou invite les agriculteurs à en créer. Puis, Michel Ramery (ou plutôt la société qu'il contrôle) peut prendre des participations dans ces sociétés. Sans devenir propriétaire des terres, l'entrepreneur devient le décisionnaire dès lors qu'il devient majoritaire. Explication dans la vidéo ci-dessous :

« Michel Ramery est très intelligent : avec son équipe d’experts, ils ont vu la faille dans le droit rural », résume Daniel Roguet, éleveur laitier et président de la Chambre d’agriculture de la Somme. Pour un agriculteur lambda, contrôler autant de terres serait illégal. « Mais juridiquement, Ramery n’est pas agriculteur, puisqu’il ne cotise pas à la MSA (mutualité sociale agricole – Ndlr), précise Grégoire Frison, l’avocat de Novissen. Il n’est donc pas soumis aux mêmes règles que les exploitants agricoles. » En fait, l’entrepreneur nordiste contourne le Code rural (article L331-2) qui limite l’accumulation des structures.

La présidente de la SAFER de la Somme, Marie-Andrée Degardin, confirme son impuissance. « On n’a pas été concerné par les mille vaches vu qu'il n’y a pas eu de mutation de foncier à proprement parler. Devant de tels montages sociétaires, le droit de regard de la SAFER et la politique de contrôle des structures (doivent) être renforcés. » 

Ce devait être une des clés de voûte de la loi d'avenir pour l'agriculture. Il n'en sera rien, et ce malgré la mise en garde de Jean-Michel Clément, député PS de la Vienne : « Nous avons assisté, avec le temps, à la mise en place d’un certain nombre d’artifices de plus en plus habiles, afin que le droit de préemption de la SAFER puisse être écarté. (…) On peut faire un apport en société, sous condition de non-préemption, puis vendre les parts. (…) Il y a donc de plus en plus de transferts de parts de sociétés, elles-mêmes porteuses de foncier, qui échappent à la SAFER. Mais, nous l’aurons tous compris, ceux dont l’imagination a été assez fertile pour éviter le droit de préemption sur les terres recommenceront forcément avec les parts. »

Pour le député PS Dominique Mouton, qui a participé à la rédaction d'amendements pour renforcer le droit de la SAFER, rien n'a été mis en place pour empêcher la financiarisation des terres : « La loi d'avenir agricole permet de renforcer le contrôle des structures, mais reste inopérante sur le droit des sociétés. C'est une faille juridique béante qui se heurte aux principes constitutionnels de la propriété privée. » Cela n'a pas toujours été le cas.

La libéralisation du contrôle des structures est récente. La loi d'orientation agricole de 2006, qui vise à faire passer « l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole », marque le pas vers la dérégulation et la circulaire du 8 août 2006 change la portée du contrôle sur les sociétés : « dans les faits, ne seront plus contrôlées la diminution du nombre des associés et la modification de répartition de capital. » N'importe qui peut désormais entrer dans le capital d'une société agricole, devenir majoritaire et, de fait, acquérir des terres. L'initiateur du projet des mille vaches, Michel Ramery, l'a bien compris.

L'absence de contrôle sur les prises de participation dans les sociétés agricoles incite à la spéculation sur le prix des terres. Le phénomène, qui affecte particulièrement les vignobles, s'étend à l'ensemble de la France. La Picardie n'est pas épargnée. En six ans, le prix des terres agricoles dans la Somme est passé de 6 420 euros l'hectare à 9 050 euros. La rareté des terres et la surenchère des prix dès qu'un hectare se libère créent une pression sur le foncier préoccupante pour les jeunes agriculteurs. Autre évolution, la taille des structures ne cesse d'augmenter. Le nombre de fermes de plus de 80 vaches a explosé en Picardie (+ 120 % entre 2000 et 2010).

« Le risque, c'est d'avoir des sociétés détentrices de milliers d’hectares qui ne seront plus transmissibles aux agriculteurs », s'alarme la directrice départementale de la SAFER, Marie-Andrée Degardin. « On a pris conscience que si on laisse faire, la pression foncière risque de devenir insupportable pour les jeunes agriculteurs. Entre l'acquisition des terres ou la location, le prix du capital d’exploitation (vaches, bâtiments, outils…), on a vite fait d’arriver à 1 million d'euros, qu'un jeune ne peut pas se permettre. En plus, les banques sont très frileuses. On ne peut pas continuer comme ça, sinon le renouvellement des générations, c’est fini. »

Autre pratique qui tend à pousser les prix des terres à la hausse : le « pas-de-porte », connu de tous, mais illégal. Le principe est simple et largement répandu : en plus du tarif officiellement fixé pour louer ou acquérir des terres, un fermier verse une somme sous le manteau au propriétaire. Un pot-de-vin agricole payé en liquide et de fait, absent des comptes. Questionné à l'automne 2013 sur cette coutume, le chef de projet Michel Welter le dit lui-même en restant flou : « on pratique, comme n'importe quel agriculteur, ni plus ni moins. »

A chaque manifestation, les militants de Novissen brandissent ces panneauxA chaque manifestation, les militants de Novissen brandissent ces panneaux © Yannick Sanchez

Le projet de “ferme des mille vaches” participe au phénomène de concentration des terres : en plus du millier de bovines, le projet a besoin de 2 700 hectares. Car une des particularités de la ferme de Michel Ramery est son méthaniseur, d'une puissance de 1,3 MW, soit dix fois supérieure à la taille moyenne des méthaniseurs agricoles en France (0,22 MW). Prévu pour être construit à proximité de l’étable, il transformera les déjections du bétail en biogaz revendu à EDF. De plus, les 40 000 tonnes par an de déchets organiques (appelés digestat et constitués entre autres de bouse de vache) qui sortiront du méthaniseur pourront servir d'engrais. L'enjeu pour Michel Ramery est donc de prouver qu'il dispose de suffisamment d'hectares pour épandre le digestat.

L'entrepreneur nordiste a prévu le coup. Soit les agriculteurs qui s'associent avec lui pour mettre à disposition leurs vaches s'engagent à recevoir le digestat sur leur terrain, soit ce sont d'autres agriculteurs qui passent un contrat d'épandage pour recevoir l'engrais. « Les agriculteurs qui le rejoignent doivent garantir les vaches et l’alimentation, explique le président de la Chambre d'agriculture de la Somme.C'est comme ça que Ramery étoffe son plan d’épandage. » Aujourd'hui, Michel Ramery dispose de 1 300 hectares, demain, il devra doubler cette surface. « On n'aura aucun problème à avoir la surface d’épandage nécessaire », déclare-t-on dans l'équipe des mille vaches. 

Pour Barbara Pompili, députée EELV de la Somme, la taille et la puissance des méthaniseurs agricoles font donc problème : « Il ne faut pas que le but de la production agricole soit d'alimenter le méthaniseur. On est sur une ligne de crête parce qu'il faut promouvoir le biogaz sans mettre en concurrence la production d'électricité et l'agriculture. » Il s'agit pour l'élue de limiter la taille des méthaniseurs agricoles qui bénéficient d'aides publiques : « Il ne faut pas détourner l'utilité du méthaniseur, comme c'est le cas dans les mille vaches », affirme-t-elle. Mais du côté de l'équipe du projet, on se veut rassurant : « C’est juste une conséquence, ce n’est pas du tout le cœur du projet. Le méthaniseur à la ferme est prévu pour traiter les déchets, la ferme aurait très bien pu vivre sans. »

Une question demeure : les agriculteurs qui se sont associés à Michel Ramery sont-ils venus d’eux-mêmes ou ont-ils été approchés par le groupe ? Pour Michel Kfoury, le président de Novissen, c’est clair : « Dès qu’il sait qu’il y a un départ à la retraite, systématiquement, Ramery prépare un dossier. Et il propose toujours des prix très élevés. » Le président de la Chambre d’agriculture Daniel Roguet est moins catégorique, mais il confie connaître au moins un agriculteur ayant été démarché parce qu’il était en difficulté financière. Ce que nie le groupe Ramery.

BOITE NOIRELa plupart des personnes citées dans cet article ont été interrogées de visu ou par téléphone, entre le 8 et le 10 juillet. J'ai rencontré à plusieurs reprises Michel Kfoury, le président de Novissen, Grégoire Frison, l'avocat de Novissen et Michel Welter, chef du projet des mille vaches lors de déplacements dans la Somme. Un certain nombre d'agriculteurs rencontrés n'ont pas souhaité s'exprimer publiquement.

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Les socialistes français face au casse-tête Juncker

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De notre envoyé spécial à Bruxelles. Ce sera l'un des votes les plus importants du mandat. Et les socialistes français, à peine élus à Strasbourg, se livrent déjà à des contorsions pour préserver l'unité du groupe. Ils doivent se prononcer mardi, aux côtés de leurs collègues du parlement européen, pour décider du sort de Jean-Claude Juncker, un démocrate-chrétien de 59 ans, candidat à la présidence de la commission européenne.

« Il y a un potentiel de division », reconnaît-on au sein de la délégation. Voici le dilemme, résumé à gros traits : voter pour Juncker et soutenir un processus institutionnel inédit, qui renforce la démocratie parlementaire en Europe, ou au contraire, rejeter un dirigeant conservateur, symbole d'une vieille Europe, ex-dirigeant d'un paradis fiscal, incapable d'assurer la « réorientation » de l'Union chère aux socialistes. Sauf annonce spectaculaire de la part du candidat Juncker d'ici lundi soir, les socialistes français devraient choisir, en majorité, l'abstention.

« Je ne me vois pas assumer, après le résultat électoral du 25 mai et le score de Marine Le Pen, un vote, qui serait certes un pas en avant pour la démocratie européenne, mais qui, d'un point de vue politique, ne promet qu'une version améliorée du dernier mandat de José Manuel Barroso, avec un FN qui va continuer de nous injurier en nous traitant d'“UMPS” en permanence », résume la socialiste Isabelle Thomas. « Le FN aura beau jeu de dire que la social-démocratie et la droite finissent toujours par voter ensemble, on va encore donner du grain à moudre au FN – et aux europhobes en général », poursuit cette élue, qui n'ira pas pour autant jusqu'à voter contre.

Juncker est devenu fin juin le candidat désigné officiellement par le conseil (26 des 28 capitales l'ont soutenu). Il lui reste à obtenir une majorité absolue – soit 376 voix sur 751 – côté parlement. Problème : avec sa seule famille politique du PPE (droite) et ses 221 élus, le Luxembourgeois est loin du compte. Il mise donc sur une grande coalition pour le soutenir, qui intégrerait, outre le PPE, les sociaux-démocrates (191 élus) et les libéraux (le groupe auquel appartient le MoDem-UDI, avec 67 députés).

C'est au nom de cette grande coalition que, début juillet, le social-démocrate allemand Martin Schulz a été reconduit à la présidence du parlement, pour deux ans et demi. Sans surprise, le même Schulz exhorte désormais ses troupes à voter pour l'ex-chef de gouvernement du Grand-Duché. Mais les 13 socialistes français sont, eux, tiraillés, à l'approche de la consultation. Faut-il privilégier la dimension institutionnelle du vote, comme le préconise François Hollande, quitte à dérouter les électeurs de gauche ? Ou revenir à une lecture plus politique et « franco-française » des choses, au risque d'une nouvelle crise au sein de la bulle bruxelloise ?

Jean-Claude Juncker mardi au parlement européen, lors de son audition devant les sociaux-démocrates. ©EU2014-European parliamentJean-Claude Juncker mardi au parlement européen, lors de son audition devant les sociaux-démocrates. ©EU2014-European parliament

« Ce qui s'est passé pendant cette campagne va compter. C'est une date importante dans l'histoire parlementaire européenne, qui confirme la montée en puissance du parlement dans le jeu bruxellois », veut croire Pervenche Berès, à la tête de la délégation des socialistes français à Strasbourg. L'élue fait référence à l'apparition de chefs de file (des « Spitzenkandidaten »), ces candidats déclarés à la succession de Barroso qui, au printemps, ont fait campagne à travers toute l'Europe. Juncker était l'un d'eux, opposé notamment à l'Allemand Martin Schulz (sociaux-démocrates), au Français José Bové (Verts) ou encore au Grec Alexis Tsipras (pour le parti de la gauche européenne, PGE).

Après la victoire de la droite aux élections de mai, les États membres ont accepté de retenir la candidature de Juncker, conformément à la logique des « Spitzenkandidaten ». Pour la première fois, les partis européens et les élus à Strasbourg ont eu leur mot à dire, en amont, sur le choix du patron de la commission. Jusqu'alors les présidents de la commission, à l'instar de José Manuel Barroso, étaient imposés par les chefs d'État et de gouvernement, au terme d'accords opaques et incompréhensibles pour les citoyens.

Après des années de gestion intergouvernementale de la crise, sous la pression du tandem « Merkozy », certains eurodéputés ont l'impression de tenir leur revanche. Cela peut paraître anecdotique pour nombre de citoyens, mais cette proto-démocratie parlementaire est perçue comme une révolution par beaucoup d'acteurs à Bruxelles. Voter Juncker, ce serait encourager la parlementarisation de l'UE – et peu importent les convictions du candidat en question.

« En 2009, les socialistes français ont voté contre Barroso. Cette fois, la question institutionnelle est déterminante, si l'on veut pouvoir peser sur la politique qui sera faite durant cinq ans », insiste Berès. Cette dernière, si cela ne tenait qu'à elle, voterait pour Juncker mardi, mais elle pense se rallier à l'abstention, pour préserver l'unité de la délégation française. Dans son esprit, confirmer le Luxembourgeois à ce poste est une manière de garantir l'influence maximale du parlement sur la commission et le conseil, dans les années à venir. « Je veux être en situation d'influence jusqu'au bout, et ceux qui disent non à Juncker se mettent hors jeu pour la suite », assure-t-elle.

Pervenche Berès ne fait ici que prolonger la position de François Hollande, qui a défendu très tôt (bien plus tôt par exemple qu'Angela Merkel, sur la défensive), ce processus de chefs de file européens. « Pour la France, c'était une logique, ce n'était pas un choix de personne, ce n'était pas un candidat que nous soutenions, Jean-Claude Juncker, c'était une logique qui avait commencé dès les élections européennes et leur préparation (…). Nous avons respecté la lettre et l'esprit des traités », a expliqué le 27 juin François Hollande, à Bruxelles (dans la vidéo ci-dessous à partir de 7'30").


Mais n'y a-t-il pas un risque, en soutenant Juncker, de dérouter ses propres électeurs socialistes ? Comment les citoyens français peuvent-ils s'y retrouver ? « Notre cinquième République, monarchique, n'est pas un modèle de démocratie ! La parlementarisation du régime européen est en marche, et il faut l'encourager », rétorque Pervenche Berès.

Nombre d'eurodéputés socialistes se montrent en tout cas plus prudents, face au cas Juncker. « Il est tout à fait normal que Juncker ait été désigné par le conseil et soit le premier à essayer d'obtenir une majorité au parlement. Mais il n'a jamais été dit pendant la campagne qu'il serait automatique de voter pour lui par la suite… C'est à lui, maintenant, d'avancer une feuille de route, pour former une majorité, et convaincre au-delà de ses troupes », analyse le socialiste Guillaume Balas, qui effectue ses premiers pas à Strasbourg. « Juncker doit nous donner quelque chose à manger, pour obtenir notre soutien », renchérit Pervenche Berès.

Jean-Claude Juncker le 8 juillet 2014 à Bruxelles. © European Union 2014 - European Parliament.Jean-Claude Juncker le 8 juillet 2014 à Bruxelles. © European Union 2014 - European Parliament.

Donner « quelque chose à manger » : c'est ce qu'a tenté de faire Juncker, lors d'une série d'auditions, mardi et mercredi, devant chacun des sept groupes politiques du parlement (lire notre reportage sur l'audition devant le groupe des Verts). Et à ce jeu-là, le Luxembourgeois n'a pas convaincu les sociaux-démocrates, qui veulent davantage de gages sur sa future politique économique. « Sur le fond, pour l'instant, il n'y a rien, juge Isabelle Thomas. Si l'on avait obtenu l'équivalent du salaire minimum pour les sociaux-démocrates, dans les négociations pour la grande coalition en Allemagne (en 2013 – Ndlr), pourquoi pas, cela pourrait se défendre, mais là, il n'y a rien ! »

« Le débat institutionnel a été gagné par le parlement, et ce n'est pas rien, c'est vrai. Mais maintenant, il reste le volet politique, avance, de son côté, le socialiste Éric Andrieu. Et en l'état les garanties apportées par Juncker ne sont pas assez précises. Il a donné l'impression lors de son audition mardi qu'il ne faisait que lire le PV du dernier conseil européen. » Pour Andrieu, qui devrait s'abstenir mardi, « le compte n'y est pas, en matière de réorientation de l'Europe ».

« Juncker nous a parlé de l'Europe d'il y a cinq, dix, trente ans, se lamente Guillaume Balas. On croit entendre un démocrate chrétien de 1972… Ce n'est pas un dangereux libéral, mais il n'a pas pris en compte les enjeux de l'Europe à venir, il ne dit rien sur les investissements publics à réaliser, rien sur la nécessaire transition écologique. »

Les sociaux-démocrates attendent de la part de Juncker des précisions sur un dossier particulièrement sensible : la flexibilité dans l'application du pacte de stabilité et de croissance, ce texte qui organise le contrôle budgétaire des États par la commission. Ils veulent aussi des garanties sur le volume des investissements (pourra-t-on extraire certains investissements du calcul du déficit du PIB des États, pour adoucir les politiques de rigueur budgétaire ?). Ils attendent enfin un geste de Juncker sur le budget de la « garantie jeunesse », un mécanisme de soutien à l'emploi pour les moins de 25 ans.

S'il consentait à faire une annonce sur l'un de ces enjeux, Juncker parviendrait peut-être à arracher quelques votes positifs au sein de la délégation PS. Jusqu'à présent, il s'est contenté de promettre que le futur commissaire aux affaires économiques, un poste-clé de la future équipe Juncker, serait un social-démocrate. Cette annonce n'a pas convaincu. « Ce n'est pas une garantie. On peut trouver des sociaux-démocrates plus à droite que Juncker sur certaines questions, vous savez », met en garde Balas. « Si l'on ne s'entend pas en amont sur un programme précis, on risque d'avoir un commissaire social-démocrate qui avale des couleuvres tout au long du mandat », confirme Isabelle Thomas.

Au sein du groupe des sociaux-démocrates européens, les Français ne sont pas isolés. D'autres délégations sont même plus radicales. Les travaillistes britanniques (20 élus) ont prévu de voter contre : « Le message des élections européennes est clair : il faut réformer l'Europe, pour plus de croissance et d'emplois. Le bilan de M. Juncker montre qu'il va rendre ces réformes plus difficiles à accomplir », résume un porte-parole de la délégation interrogé par Mediapart.

Quant aux socialistes espagnols (14 élus), d'ordinaire très sages (ils avaient même voté pour le Portugais Barroso en 2009, par solidarité « latine »), leur chef de file, Elena Valenciano, bousculée sur son aile gauche par les « indignés » de Podemos, n'a pas exclu de voter contre. Même position pour les sociaux-démocrates de Suède ou de Malte. Les Italiens, première délégation du groupe (31), sont divisés.

Au-delà du groupe social-démocrate, Juncker devrait, mardi, faire le plein des voix du PPE (dont celles de l'UMP, mais sans doute pas celles des Hongrois du Fidesz de Viktor Orban), d'une grande partie des libéraux (dont celles de l'UDI-MoDem) et d'une partie (difficile à mesurer) des Verts. Ces derniers ne participent à la grande coalition, mais certains pourraient être tentés par un vote de soutien à ce processus institutionnel inédit. Chez les Français, Eva Joly ou Karima Delli devraient voter contre. Idem pour les quatre élus rattachés au Front de gauche, dont Jean-Luc Mélenchon, et bien sûr, les 23 députés Front national emmenés par Marine Le Pen : ils s'opposeront à l'élection du Luxembourgeois.

Sauf énorme surprise, celui qui a dirigé pendant 18 ans le Luxembourg devrait remporter l'élection de mardi. Juncker devrait même profiter d'un détail technique dont le parlement européen a le secret : ce vote sur le futur président de la commission se déroulera, comme à chaque début de mandature, à bulletins secrets… Ce qui pourrait autoriser certains élus à changer d'avis dans l'isoloir – sans le dire.

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Icade: la privatisation rampante d'un acteur du logement social

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Pourquoi la Cour des comptes s’est-elle tue pendant toutes ces années ? À quoi sert de constater aujourd’hui les « éléments de dissimulation », « les défauts d’information et de gouvernance », « les manques d’information au marché et aux instances de régulation », alors que les forfaits qui se déroulaient sous ses yeux sont depuis longtemps consommés ? Les questions se bousculent à la lecture des rapports préliminaires de la Cour des comptes sur Icade, une des filiales immobilières de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), auxquels Mediapart a eu accès.

La Cour des comptes a déjà fait un rapport très critique sur la gestion de la Société nationale immobilière (SNI), autre filiale de la CDC spécialisée dans le logement social. Un dossier largement documenté par Laurent Mauduit (lire ici, ou encore là). Mais celle-ci a également éprouvé le besoin de se pencher spécifiquement sur Icade. 

© dr


Trois rapports, pas moins – les rapports définitifs devraient être publiés à la rentrée –, ont été nécessaires pour passer en revue la gestion de la société entre 2006 et 2013. Ils détaillent tous les événements qui ont transformé cette filiale de la CDC, spécialisée dans le logement social intermédiaire, en une société foncière cotée en Bourse, échappant à sa tutelle, devenue un promoteur classique pariant sur l'immobilier résidentiel, le tertiaire et l'hospitalier. Ces rapports, auxquels Mediapart a eu accès, confirment largement nos enquêtes publiées depuis 2009.

L’histoire d’Icade ressemble en de nombreux aspects à celle du Crédit local de France, l’ancêtre de Dexia. Au fil des rapports de la Cour des comptes, on y retrouve à nouveau une poignée de hauts fonctionnaires et de dirigeants travaillant à la Caisse des dépôts ou au sein de l’État, oublieux du bien public et qui décident de se servir en organisant une privatisation rampante d’une activité juteuse pour leur seul bénéfice.

Les grandes manœuvres autour d’Icade commencent en 2002. À l’époque, la société immobilière vient juste de racheter les Entrepôts et magasins généraux parisiens (EMGP). La société possède surtout une grande emprise foncière aux portes de Paris, qui fait l’objet de spéculations récurrentes depuis les années 1970. À cheval sur un bout du XIXe arrondissement, Aubervilliers, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ces terrains représentent une superficie de 76 hectares.

Selon les estimations, cela se traduit par près d'un million de mètres carrés de droits à construire, soit le tiers de La Défense… De quoi susciter les appétits des promoteurs en tous genres. L’arrivée d’une des filiales de la Caisse des dépôts, grand maître d’ouvrage dans la région parisienne depuis les années 1950, suscite donc un certain soulagement chez les municipalités de Plaine Commune. Toutes veulent y voir le retour du bras armé de la puissance publique, à un moment où l'on commence à parler du Grand Paris (voir le reportage de Carine Fouteau sur ce territoire).

Le président d’Icade, qui a réalisé cette opération, n’aura pas le temps de poursuivre ses projets. Fin décembre 2002, Jacques Chirac, alors président, choisit à la surprise générale de nommer Francis Mayer à la direction générale de la Caisse des dépôts, en remplacement de Daniel Lebègue. Francis Mayer ne connaît guère le monde des collectivités locales : il est spécialiste des finances internationales, animant notamment le Club de Paris. Selon la version officielle, c’est Rafiq Hariri, chef du gouvernement libanais, impressionné par Francis Mayer au moment des discussions sur la restructuration des dettes au Liban et de la stabilisation du système bancaire libanais – sujet sensible pour nombre d’hommes d’affaires qui y ont des comptes –, qui a recommandé le haut fonctionnaire à son ami Jacques Chirac.

À peine atterri à la Caisse des dépôts, Francis Mayer apporte dans ses bagages un proche, Étienne Bertier. Ancien journaliste à Libération, il est devenu un familier d’Edmond Alphandéry qui le nomme conseiller au Trésor en 1993, quand il hérite du maroquin des finances. Lorsqu’il est parachuté en 1995 à la présidence d’EDF, Étienne Bertier le suit et devient secrétaire général du groupe public. Alors qu’Edmond Alphandéry est nommé par la suite président du conseil d’administration de la CNP, groupe d’assurances filiale de la CDC, il recommande son proche collaborateur à Francis Mayer.

Le directeur de la Caisse des dépôts en fait lui aussi l'un de ses proches conseillers, avant de le faire, en 2003, nommer à la présidence d’Icade. Les deux hommes sont d’accord sur sa mission à Icade : il s’agit pour Étienne Bertier d’organiser la séparation des activités immobilières concurrentielles de la CDC. En d’autres termes, de lancer la privatisation d’Icade, selon un plan qui paraît avoir été organisé avec une minutie d’horloger, mais en ayant recours à une cascade d'opérations opaques et complexes afin de dissuader les curieux.  

Le rapport de la Cour des comptes commence à ce moment-là. Dès juin 2003, rappelle-t-il, une résolution est présentée lors de l’assemblée générale extraordinaire d’EMGP Icade, – alors seule filiale cotée d’Icade mais qu’elle contrôle à 82 % –, afin d’autoriser l’émission d’obligations remboursables en actions (ORA) pour lever 53 millions d’euros de capitaux. Cette émission, selon les dirigeants, est destinée à aider au financement de son ambitieux plan de développement.

En avril 2004, la filiale d’Icade lance son opération. Elle se propose de lever 40 millions d’euros par le biais d’une émission obligataire remboursable en actions à partir de 2010. Cela représente une augmentation à venir de 10,3 % du capital. Les titres bénéficient d’un taux de 4,20 %. « Ce taux peut être représenté comme relativement élevé », insiste le rapport, soulignant le peu de risque dans ce type d’opération. « À titre de comparaison, poursuit-il, le taux de l’emprunt tiré par Icade sur BNP Paribas (au même moment) ressortait à 2,7 %. » Pourquoi Icade a-t-il préféré réaliser une opération onéreuse qui amène à terme à une dilution de sa part dans la filiale, plutôt que d’emprunter moins cher ? Ce n’est que la première d’une longue série d’opérations réalisées au détriment des intérêts publics.

Icade, en tant que premier actionnaire d’EMGP, a décidé de souscrire à 87 % à l’émission d’ORA de sa filiale. À ses côtés se retrouve, à hauteur de 12 %, le fonds d’investissement Forum European Realty Income. À lire la description faite de ce fonds, on comprend que les magistrats de la Cour des comptes sont mal à l’aise de le voir côtoyer une filiale de la CDC. Celui-ci tient, il est vrai, de la caricature de la finance offshore : « Ce fonds a été primitivement enregistré à Jersey le 25 mars 2003, puis déplacé aux îles Caïmans. La société de gestion Forum European Realty Invest Management est basée dans l’État du Delaware. Le groupe dispose d’une antenne au Luxembourg (…) », détaille le rapport.

Mais les enquêteurs de la Cour des comptes ne sont pas au bout de leurs surprises. La filiale d’Icade, EMGP, a à peine bouclé sa première opération qu’un protocole est signé, le 30 août 2004, entre le PDG d’Icade, Étienne Bertier, et la société irlandaise City North, représentée alors par David Shubotan. Ce personnage, qui disparaît par la suite, est alors directeur d’une société de courtage dépendant d’une banque irlandaise et sera plus tard administrateur de fonds chez Goldman Sachs, jusqu’en 2012, précise le rapport.

Dans le cadre de l’accord signé ce 30 août 2004, il est prévu qu’EMGP lancera une nouvelle émission d’ORA qui sera réservée en partie (11 %) à City North. La société irlandaise, présentée comme ayant un grand savoir-faire dans l’administration et la gestion des parcs d’activité, est prête selon l’accord « à faire bénéficier EMGP de son expérience », pour l’aider à imaginer le futur de toute son emprise aux portes de Paris. Enfin, c’est comme cela qu’elle sera présentée au conseil d’administration. Afin de garantir son investissement, City North exige toutefois d’avoir une garantie de rachat (put) accordée par Icade.

Dans son rapport, la Cour des comptes raconte la « grande expérience » de City North. « Cette société de droit irlandais a été créée peu de temps avant la signature du protocole, soit le 29 juillet 2004 », note-t-elle. Son « capital est détenu par un groupe d’investisseurs composé pour l’essentiel des promoteurs du parc d’activité City West », installé près de Dublin (ce parc fera faillite lors de l’éclatement de la bulle immobilière en Irlande, en 2010). « La structure ne permet pas de connaître l’identité effective des détenteurs des ORA », note-t-elle plus loin. « Au moment de la signature, seules 100 actions sur les 20 millions d’actions de City North (…) auraient été souscrites, dont 99 par M. Gleeson », inscrit le rapport. Ce dernier deviendra le seul interlocuteur d’Icade.

Les enquêteurs se posent beaucoup de questions sur ce mystérieux personnage. « Un des éléments manquants de la période contrôlée (2006-2013) est la relation établie alors que M. Bertier était PDG d’Icade avec des investisseurs irlandais représentés à titre principal par F. Gleeson », écrivent-ils en préambule de leur rapport. Intrigués, ils ont cherché à en savoir plus. Leurs découvertes épaississent plus le mystère qu’elles ne l’éclaircissent. Francis Gleeson est un trader, spécialisé dans le négoce de céréales et de produits alimentaires, très lié à Marc Rich mais aussi au “milliardaire rouge” (décédé) Jean-Baptiste Doumeng, dont il a épousé la fille.

Travaillant comme directeur général de Novarco (négoce de céréales de Glencore), puis de la société Marc Rich Invest, créée par Marc Rich après son éviction de Glencore, Francis Gleeson a quitté ce domaine après que la structure a été rachetée dans les années 2000 par le groupe russe Alfa, propriété de l’oligarque russe Mikhaïl Fridman. Francis Gleeson se met alors définitivement à son compte et crée en Irlande la société Gilbro Invest. Celle-ci a plusieurs filiales, certaines à Nicosie, d’autres à Malte, dans les activités les plus variées, touchant au commerce international, mais aucune dans l’immobilier.

Comment un personnage naviguant dans le monde interlope du négoce international se retrouve-t-il associé, alors qu’il n’a aucune référence en ce domaine, à une filiale immobilière de la Caisse des dépôts ? Le rapport de la Cour des comptes ne le dit pas et semble même ne pas vouloir aborder de trop près cette question brûlante. Selon nos informations, Francis Gleeson est entré sur recommandation du directeur général de la Caisse des dépôts d’alors, Francis Mayer, qu’il semble avoir bien connu. Les deux hommes se seraient rencontrés grâce à des connaissances communes travaillant au Liban. Le nom d’Alexandre Djouhri, proche de Dominique de Villepin mais aussi de Claude Guéant, intime jusqu’à récemment d’Henri Proglio, ancien PDG de Veolia et aujourd’hui PDG d’Edf, au point de devenir actionnaire important de Veolia, est évoqué comme étant celui qui aurait permis les premiers contacts.

La recommandation de Francis Mayer semble en tout cas suffisante à Étienne Bertier, PDG d’Icade, pour lui permettre de s’abstraire de toutes les contingences. « Il doit être relevé que ce protocole a été signé par le PDG d’Icade avant toute consultation formelle du conseil d’EMGP, d’Icade, de la Caisse des dépôts auxquels le texte aurait dû être préalablement soumis », note le rapport de la Cour des comptes. Saisi le 1er septembre 2004, deux jours après la signature de l’accord, le comité d’engagement de la Caisse des dépôts émet alors plusieurs réserves. « Il demandait notamment que soit approfondie la recherche sur l’honorabilité et les comptes des investisseurs », relèvent entre autres les enquêteurs, qui s’étonnent aussi que les comités des risques, de la stratégie et d’audit d’Icade n’aient pas été saisis avant la réunion du conseil d’administration de la société.

D’autant que le protocole a été modifié : les acheteurs (City North) souhaitent disposer d’une option de vente (put) sur cinq ans de leurs ORA. En contrepartie, Icade aurait une option d’achat (call) sur dix-huit mois. Ces changements auront leur importance, comme le démontre la suite de l’histoire : ils sont au cœur de la manipulation pour organiser le détournement de richesses d’Icade et sa privatisation rampante. « Ces données étaient de nature à susciter des interrogations multiples, d’abord sur la qualité voire l’identité et les références des investisseurs eux-mêmes, mais aussi sur les éléments de montage, notamment la demande d’une option de vente », souligne le rapport. Avant de poursuivre : « Dans ces conditions, les délibérations et les conclusions du conseil d’administration d’Icade, le 2 septembre 2004, ne laissent pas de surprendre », écrivent les rapporteurs.

Ceux-ci prennent un plaisir cruel à citer des morceaux entiers du procès-verbal de cette réunion. Si certains (Jérôme Gallot notamment, membre de CDC Investissements) s’interrogent sur les motivations financières des investisseurs, d’autres (Dominique Marcel en particulier, autre membre de la direction de la Caisse) assurent « qu’Icade a pu obtenir toutes les assurances sur la surface financière et la qualité des investisseurs », se félicitant au passage « qu’il soit prévu dès maintenant une possibilité de sortie en cas de coopération infructueuse ».

Après un tel soutien, le conseil d’administration d’Icade approuve le protocole et le principe d’une nouvelle levée de fonds de 50 millions d’euros sous forme d’obligations remboursables en actions. Une émission « qui ne s’imposait pas », insiste la Cour des comptes, notant que la filiale d’Icade, EMGP, a déjà tous les financements nécessaires pour son plan d’investissement. Au pire, si la société avait vraiment besoin d’argent, il aurait été préférable d’avoir recours à un crédit bancaire, beaucoup moins cher, écrit en substance le rapport.

Le besoin de financer sa filiale n’est manifestement pas la préoccupation qui taraude le plus la présidence d’Icade, à lire la suite du rapport. Le protocole stipulait, rappelle-t-il, qu’Icade céderait à City North une partie des droits préférentiels de souscription au moment de l’émission. Pour cela, City North « aurait dû préalablement trouver elle-même les moyens de régler l’acquisition. Or elle ne disposait manifestement pas de disponibilités propres ni de capacité d’endettement », relève-t-il. Qu’à cela ne tienne ! Icade, qui veut manifestement faire affaire avec ces investisseurs irlandais de « grande expérience », change le protocole : la société se propose d’acheter elle-même les ORA réservées à City North avant de les lui rétrocéder. Et pour lui permettre de trouver un emprunt bancaire, elle accepte certaines modifications juridiques, qui reviennent en fait, selon la Cour des comptes, à ce que Icade soit la garante du prêt face aux banques. Ultime faveur : Icade accepte de rétrocéder à City North les ORA à un prix d’ami. « La plus-value qu’aurait pu obtenir Icade a été minorée », note le rapport.

Dix-huit mois s'écoulent sans que la coopération entre Icade et City North ne porte le moindre fruit, comme l’ont raconté à Mediapart des élus de Plaine Commune (voir les ténébreuses manœuvres autour d’Icade). En mai 2006, l’option d’achat consentie par la société irlandaise à Icade est sur le point d’expirer. Le directeur juridique d’Icade, qui vient juste d’être introduite en Bourse, fait deux notes pour avertir la direction et conseiller le rachat. Celui-ci lui semble raisonnable : 60 millions d’euros pour une émission à l’origine de 50 millions. « La plus-value pour City North aurait été de 10 millions d’euros », note la Cour des comptes.

Mais Francis Gleeson n’est pas du tout d’accord. Il conteste la proposition de rachat et menace d’ouvrir un contentieux contre la direction d’Icade. Lors du conseil d’administration d’Icade, Étienne Bertier ne manque pas d’insister sur ce risque juridique et souligne qu’il serait dommage pour Icade « de se priver d’un partenaire efficace ». Le conseil d’administration se range à l’avis du PDG d’Icade et décide de ne pas exercer l’option d’achat.

« Par un surprenant retournement, quatre mois plus tard, le conseil d’administration d’Icade du 16 septembre 2006 décide de mettre à l’étude le rachat des ORA détenues par City North », écrivent les rapporteurs de la Cour des comptes. Ils ajoutent : « City North se trouve alors en position de force puisque le PDG d’Icade avait sciemment laissé expirer l’option d’achat, il se retrouve dans l’obligation de devoir négocier le prix d’achat. » C’est ce qu’on appelle défendre l’intérêt de la Caisse, sans nul doute.

Tout semble déjà avoir été préparé. Icade a déjà commandé une étude sur le prix de rachat des ORA à la Société générale, étude qui lui a été remise le 4 septembre. La Cour des comptes relève, mais c’est une question d’habitude, que la banque a retenu pour la valorisation des ORA les critères les plus défavorables à Icade, et que son étude indique que « la possibilité offerte aux porteurs d’ORA de remonter au niveau d’Icade constitue une réelle opportunité ». À cette date-là, l’éventualité de céder une partie du  capital d’Icade contrôlé par la CDC n’a jamais été évoquée. « La seule explication de cette mention est donc que celle-ci fait implicitement référence à un accord liant Icade, les vendeurs et la CDC, assortissant le rachat des ORA à une promesse de cession ultérieure de titres Icade », insiste le rapport. Pourtant, Icade est déjà une société cotée, donc soumise à un certain nombre d’obligations d’information et de réserve.

La mécanique de privatisation, pourtant, continue sans anicroche. Dès le 19 septembre 2006, le comité d’investissement de la CDC donne un accord de principe à une cession directe de 5 % du capital d’Icade par la Caisse des dépôts aux porteurs d’ORA. Une fois de plus, le rapport souligne l’opacité dans laquelle tout se déroule au détriment des intérêts de la Caisse, sans que cela ne suscite la moindre question dans les différents organes de direction et de gouvernance : le conseil de surveillance de la Caisse des dépôts étant soigneusement tenu dans l’ignorance, comme depuis le début, de toutes ces opérations.

En dépit des faveurs consenties par Icade, Francis Gleeson, le seul représentant connu de City North, conteste à nouveau le prix offert. Alors que la société a acquis les ORA au prix unitaire de 348,7 euros, qu’Icade lui propose de les lui racheter au prix de 916,20 euros, « soit un montant nominal multiplié par 2,72 fois en deux ans », note la Cour des comptes, il juge le prix insuffisant. Marc-Antoine Autheman, administrateur d’Icade, est désigné comme médiateur. En moins de deux jours, un accord est trouvé. Icade s’engage à lui racheter son bloc d’ORA pour 135,2 millions d’euros, soit un prix de 926 euros par titre. « La plus-value pour City North s’élève à 84,3 millions d’euros, alors qu’elle n’aurait été que 10,1 millions d’euros en mai », s’étrangle la Cour des comptes, confirmant ainsi des chiffres que même la direction actuelle d’Icade niait.

Pour faire bonne mesure, au nom de l’égalité de traitement des investisseurs, les mêmes conditions de sortie sont offertes au fonds d’investissement, Forum European Realty investment, souscripteur de la première émission d’ORA en avril 2004. Ainsi la filiale d’Icade, qui a levé auprès de ces investisseurs extérieurs 55 millions d’euros environ, leur reverse-t-elle deux ans plus tard un total de 172 millions d’euros. La direction de la Caisse des dépôts ne lève pas un sourcil.

Le troisième étage du montage se met en place. Dès que l’opération de rachat est réalisée, la Caisse des dépôts décide de céder immédiatement plus de 6 % du capital de sa filiale Icade, ce qui fait tomber sa participation à 64,7 %. Quelque 3 % du capital sont réservés à des investisseurs institutionnels et 3,47 % aux « investisseurs irlandais », toujours représentés par Francis Gleeson.

La société City North a été dissoute dès la vente des ORA. C’est une autre société, Paris North Real Estate, créée le 4 septembre 2006 et détenue officiellement par deux filiales – une à Chypre, l’autre au Luxembourg – de la holding personnelle de Francis Gleeson, Glibro investment, qui se porte acquéreur. Le prix fixé pour les parts cédées par la CDC est de 134 millions d’euros, comparable au prix de rachat des ORA. Mais Paris North Real Estate n’a pas d’argent à nouveau. Elle finance son achat par un crédit souscrit auprès de la banque Palatine, filiale des Caisses d’épargne (voir article de Laurent Mauduit, Opération Bingo).

« Il est surprenant que la Caisse ait privilégié un investisseur opaque », s’étonne à nouveau le rapport, soulignant aussi que les conditions de vente ne sont à nouveau guère favorables à la Caisse.

Car deux changements importants sont en préparation pour Icade. La société s’apprête à adopter le statut de société d’investissement immobilier cotée (SIIC), statut fiscal très avantageux qui permet de reverser aux actionnaires toutes les plus-values réalisées par la société en franchise d’impôt. De plus, Icade et la Caisse ont déjà commencé à négocier avec le ministère des finances pour obtenir de pouvoir bénéficier des financements liés au livret A. « Deux conditions requises pour maximiser le produit susceptible d’être attendu pour la vente future du pôle logement », note le rapport de la Cour des comptes.

« Si donc les acheteurs étaient d’une manière ou d’une autre informés que ces deux éléments étaient en passe d’être réunis, alors ils auraient bénéficié d’informations les conduisant à affecter un fort coefficient de probabilité à la hausse du cours qui s’est effectivement concrétisée », jargonne le rapport. En français dans le texte, cela s’appelle un délit d’initiés et est passible d’un emprisonnement de deux ans.

Mais les différents intervenants de cette histoire donnent le sentiment qu'ils se croient intouchables. Le 14 décembre 2006, un nouveau conseil d’administration d’Icade se réunit. Le directeur général de la Caisse des dépôts, Francis Mayer, est décédé cinq jours auparavant. Son successeur, Augustin de Romanet, n’est pas encore désigné. Manifestement, il importe à certains de profiter de cet entre-deux pour expédier quelques affaires urgentes.

Expliquant sa stratégie ambitieuse de développement, son besoin de financement, le PDG d’Icade explique qu’il a besoin d’une augmentation de capital, qu’il faut envisager la privatisation de la société. Dominique Marcel à nouveau lui apporte son soutien. Invoquant les mânes du directeur général de la CDC, il rappelle combien ce projet lui tenait à cœur avant son décès et presse le conseil d’autoriser l’augmentation de capital qui ramènera la participation de la CDC en dessous de la barre des 50 %. Edmond Alphandéry, qui siège aussi au conseil d’Icade – on est entre amis – lui apporte son soutien. Le conseil suit naturellement cet avis. « Il ressort de ces échanges qu’Icade et la Caisse, d’un commun accord, se sont souciés en priorité des actionnaires privés par anticipation d’une ouverture de capital alors prévue à terme », insiste la Cour des comptes.

Tout ne se passera pas exactement comme prévu. À l’été 2007, Étienne Bertier est débarqué de la présidence d’Icade, en conservant toutefois le bénéfice de ses stock-options. Il est remplacé par Serge Grzybowski. Celui-ci, comme le dit la Cour des comptes, mandate avec l’accord de la direction de la Caisse le cabinet Ricol pour réaliser un audit sur les questions de gouvernance et de gestion des risques « au regard de l’historique des opérations menées ». Cette décision illustre, selon la Cour des comptes, le fait que « ces commanditaires nourrissaient des doutes voire des soupçons ».

À plusieurs reprises des administrateurs, relève-t-elle, s’inquiètent de ce rapport et demandent des informations. Finalement, la nouvelle direction d’Icade décide de réserver une communication très restreinte à ce rapport Ricol. Ni les comités d’audit de la société, ni le conseil d’administration d’Icade, encore moins le conseil de surveillance de la Caisse des dépôts n’en auront connaissance. Seul le président du comité d’audit d’Icade, Jacques Calvet, ancien PDG de PSA, en sera destinataire en dehors de la direction d’Icade et de la CDC.

Certains administrateurs d’Icade lui demandent des éclaircissements, lors d’un conseil en juillet 2008. Le rapport de la Cour des comptes retranscrit à nouveau cruellement le procès-verbal de la réunion : « Jacques Calvet suggère de penser à l’avenir de la société plutôt que de se lancer dans une procédure longue et incertaine. Le président et le conseil conviennent de s’en remettre à la sagesse de son avis. »  «Le conseil et moi-même n'ont été guidés, dans l'ensemble des opérations que vous évoquez, que par l'intérêt d'Icade d'abord  et de la caisse des dépôts et consignations ensuite», assure Etienne Bertier, ancien pdg d'Icade , dans une correspondance qu'il nous a dressée à la suite de la publication de cet article. ( voir onglet prolonger)

Ainsi, tout est promptement enterré. Les conditions opaques et sulfureuses dans lesquelles a été réalisée la privatisation rampante d’Icade ne seront jamais vraiment élucidées. Ni la direction d’Icade, encore moins la direction de la Caisse des dépôts n’entameront la moindre démarche pour tenter de faire la lumière sur ce ténébreux dossier. Aucun signalement au titre de l’article 40 ne sera fait auprès des autorités judiciaires. Et Étienne Bertier a pu empocher ses stock-options. Après tout, il ne s’agit que de l’argent public.

2e volet : Fric-frac sur le logement social.

BOITE NOIREA la suite de la publication du premier volet de cette enquête sur Icade, Etienne Betier, ancien pdg d'Icade de 2003 à 2007, nous a fait parvenir une correspondance publiée dans l'onglet prolonger.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Hollande déroule son plan de campagne pour 2017

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Il est impopulaire, son électorat est déboussolé, parfois en colère, et sa majorité s’effrite. François Hollande le sait mais il est persuadé d’avoir raison. Lundi, lors du traditionnel entretien du 14-Juillet, sur France 2 et TF1, le président de la République a de nouveau longuement justifié son « pacte de responsabilité ». Mais il a surtout commencé à dessiner son plan de campagne pour 2017.

L’an prochain, les réformes seront consacrées à trois secteurs : « santé, grand âge, jeunesse », a rappelé François Hollande. Pour la santé, il s’agit notamment de la réforme du tiers-payant ; pour le vieillissement, du projet de loi sur l’autonomie préparé sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et, pour la jeunesse, d’un plan pour le numérique à l’école ainsi que du développement du service civique.

Le président de la République a surtout promis « d’aborder » (un terme suffisamment flou pour ne pas être contraignant) de nouvelles réformes de société en 2016 auxquelles la gauche qui l’a élu est très attachée. Il a notamment cité le droit de vote des étrangers – « Peut-on comprendre que des gens qui sont là depuis 20 ans, 30 ans, ne puissent pas voter ? Je ne renonce pas à ce que des majorités se constituent » ; la réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour renforcer l’indépendance de la justice ; et la réforme des modes de scrutin. En 2012, François Hollande s’était engagé à introduire une dose de proportionnelle aux législatives. « Toutes ces réformes seront abordées avant la présidentielle de 2017 », a-t-il déclaré lundi depuis l’Élysée. Avant d’ajouter : « Mais avant, nous devons redresser le pays. »

Il confirme ainsi ce que ses proches expliquaient depuis plusieurs semaines : la priorité est au « redressement » (plan drastique d’économies des budgets de l’État, des collectivités et de la Sécurité sociale) et à la politique de l’offre (40 milliards d’euros pour les entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité), perçue comme seule réforme capable de relancer la croissance et l’emploi. Mais dès que la France ira mieux, l’exécutif pourra lancer des réformes populaires à gauche. Et, dans l’esprit de l’Élysée, cette deuxième phase du quinquennat devrait correspondre avec la campagne présidentielle de 2017. C’est du moins leur calcul.

Pendant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait déjà promis de découper son quinquennat en deux : la réduction du déficit et les économies budgétaires – les « efforts » –, avant le « temps II », celui de la redistribution. Ce calendrier a depuis complètement disparu des discours de l’exécutif. Le voici de retour sous la forme d’une esquisse de campagne. 2017 était d’ailleurs omniprésente dans l’entretien donné aux deux journalistes de TF1 et de France 2. « Je veux qu’en 2017, les Français vivent mieux que quand je suis arrivé aux responsabilités », a affirmé à plusieurs reprises François Hollande, avant de balayer d’un revers de la main l’idée d’une primaire à gauche. Et de glisser cette phrase : « Un quinquennat, c’est très court. »

Pour le reste, le chef de l’État a sans surprise tenté d’expliquer son « pacte de responsabilité », après l’abstention d’une trentaine de députés socialistes à l’Assembléela conférence sociale, partiellement boycottée par plusieurs syndicats dont la CGT et FO, et le discours d’Arnaud Montebourg qui a émis le début du commencement d’une critique de la politique de l’exécutif.

« C’est quoi un pacte ? C’est un rassemblement. Ce sont des entreprises qui reçoivent 40 milliards d’euros pendant trois ans, ce sont des salariés qui demandent des comptes, et puis c’est l’État qui, pour verser ces fonds, va réaliser 50 milliards d’euros sur trois ans », a répété François Hollande. Avant de prévenir ceux qui auraient encore l’illusion d’une inflexion de ligne politique : « Tout est maintenant sur la table et rien ne sera modifié. » Il a d’ailleurs glissé que l’assouplissement des seuils sociaux dans les entreprises (à 10, 30 et 50 salariés), demandé par le patronat et soutenu par Manuel Valls, sera décidé d’ici la fin de l’année. Si la concertation échoue, « je décide », a rappelé Hollande. 

Le chef de l’État a également tenté de réparer les dégâts commis par son communiqué de soutien au gouvernement israélien, la semaine dernière, déjà atténué depuis par un second communiqué et les déclarations des ministres de la défense et des affaires étrangères. Et il a commis un de ces lapsus qu’il affectionne : interrogé à propos de Nicolas Sarkozy, il a défendu l’indépendance de la justice et la présomption d’innocence. Ou plutôt de « prisonnier, euh, présumé innocent ».

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À l'UMP, des groupes s'organisent pour relancer la machine à idées

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Après la révélation de l’affaire Bygmalion, en février, beaucoup ont échangé des messages, atterrés. « J'ai reçu de nombreux coups de fil de gens disant “Ce n’est pas possible, commençons à réfléchir, faisons table rase” », raconte Olivier Bogillot, qui fut le conseiller santé de Nicolas Sarkozy à l'Élysée. Depuis, ces jeunes hauts fonctionnaires de droite se sont mis au travail. Mediapart a rencontré les chevilles ouvrières de ces groupes qui veulent mener la rénovation.

« Tout le monde appelle à l’émergence d’idées neuves et prétend incarner le changement. En réalité, ceux qui bossent vraiment sont très peu nombreux », ironise Maël de Calan, jeune élu du Finistère et cofondateur de la Boîte à idées, un « groupe de réflexion et d’action » à l’UMP. 

Maël de Calan, cofondateur de la Boîte à idées, secrétaire national de l'UMP et élu municipal dans le Finistère.Maël de Calan, cofondateur de la Boîte à idées, secrétaire national de l'UMP et élu municipal dans le Finistère. © dr

Alors où se trouve le vivier actif de hauts fonctionnaires de droite, deux ans après la défaite ? Cerveau de la campagne victorieuse de 2007, Emmanuelle Mignon rapporte avoir « beaucoup de contacts avec des gens qui se sentent orphelins et qui se tournent vers (elle) pour savoir pour qui et comment ils doivent travailler », une manière « de (lui) demander si Sarkozy va être candidat ».

« Certains – pas très actifs – veulent seulement garder un pied dans le système, pour être dans la machine lorsque celle-ci redémarrera. D'autres travaillent réellement dans le but d'apporter leurs idées à celui qui sera candidat, quand on saura qui c'est. Enfin il y a de nombreux jeunes, plutôt dans l'entreprise privée, qui se disent "c'est notre tour" et qui attendent avec impatience de se mettre au service de Nicolas Sarkozy. »

Jeune économiste de la santé parti dans le privé, Olivier Bogillot estime qu'ils sont nombreux à avoir « du mal à s’identifier » car « la figure de Nicolas Sarkozy reste très présente. Certains ne reviendront que s’il revient, parce qu’il reste un profil rare : un homme d’action, volontariste, capable de mettre des idées sur la table ou d’en retirer selon les circonstances politiques ».

Comme lui, qui planche pour Bruno Le Maire, d'autres jeunes « experts » « travaillent au service d’une écurie », sans fermer la porte à l’ancien chef de l’État « S'il revient, ces idées seront à disposition. Il faudra faire la synthèse », « sans sous-estimer les inimitiés personnelles » nées des querelles à l’UMP. La députée Laure de la Raudière, porte-parole de Le Maire, assure aussi que « tout le travail des groupes de réflexion sera un acquis pour la droite en 2017. Au candidat ensuite de s’approprier les idées et d'arbitrer ».

Olivier Bogillot, ancien conseiller santé de Nicolas Sarkozy à l'Elysée.Olivier Bogillot, ancien conseiller santé de Nicolas Sarkozy à l'Elysée. © UMP

La plupart ont en tout cas acté l’impossibilité de lancer une rénovation programmatique à la tête d'un parti qui avait été transformé en « écurie » de Jean-François Copé. « La direction des études a été mise à sa disposition, pour produire des éléments de langage, non pour les idées, regrette Olivier Bogillot. Donc ce travail, on le fait à l’extérieur. »

À l'extérieur, et surtout autour des prétendants de l’UMP, à l’image du très actif « Labo des idées » de Valérie Pécresse, axé sur les régionales de 2015, ou de la Manufacture, le club de Xavier Bertrand. Du côté de Jean-François Copé, on explique pudiquement être « dans une période un peu entre deux », tout en affirmant que « le moment venu » le député de Meaux « réactivera son club Génération France. Il l’avait mis en sommeil, il va redevenir l’endroit de réflexion pour une ligne sans préjugés, sans tabous ».

C'est autour de Bruno Le Maire et François Fillon que l'on trouve les groupes les plus structurés. Candidat à la présidence du parti, mais inconnu du grand public, Le Maire est décrit jusque chez ses supporters comme un « général sans armée ». Mais l’ancien ministre de l’agriculture veut gagner en « construisant sa notoriété sur les idées et non les médias », affirme son entourage. Autour de lui, ni club ni think tank, mais des réunions quasi institutionnelles. Le député de l’Eure a entamé un travail de fond avec un pôle « idées » piloté par son ancien directeur de cabinet, Julien Steimer.

Un groupe transversal est animé depuis un an et demi par Jean-Baptiste Reignier, un ancien chargé de mission à l’Élysée passé par le cabinet de Xavier Bertrand au ministère du travail et la direction des études de l’UMP en 2007. L’objectif : explorer tous les quinze jours des thématiques avec des non-spécialistes, pour avoir un regard neuf. Parallèlement, un cercle rassemblant de hauts fonctionnaires planche sur de nouvelles idées.

On y trouve d’anciens conseillers de l’Élysée comme Olivier Bogillot (santé), Emmanuel Moulin (économie), de hauts fonctionnaires issus des réseaux Villepin, d'anciens camarades de promo de l’ENA de Bruno Le Maire, et de jeunes ambitieux énarques comme Esther de Moustier, auditrice au Conseil d’État devenue la secrétaire générale de ce pôle, dont elle assure les comptes-rendus. À cela s'ajoutent les électrons libres qui envoient directement des notes au candidat, comme les anciens conseillers élyséens Olivier Colomb (affaires étrangères) et Nicolas Princen (économie numérique). 

L’ancien ministre de l’agriculture a demandé à ses troupes d’être « différents » et « provocateurs »« On ne s’interdit rien, mais on réfléchit à la manière dont on peut les mettre en œuvre », résume la députée Laure de la Raudière. Un participant des groupes de travail pousse le raisonnement « S’il faut lui dire, par exemple, “privatisons l’assurance maladie”, on lui dira ! Il veut incarner une droite intelligente et modérée, capable de dire qu’il y a un problème d’immigration, et en même temps que les enfants de la première, deuxième génération ne sont pas un problème d’immigration, que le jeune Abdel Kader qui vole le sac de mamie, c’est un problème de sécurité, d’intégration sociale. Et dire cela pour les électeurs de droite, c’est dur. »

Bruno Le Maire en déplacement dans le Doubs, le 11 juillet.Bruno Le Maire en déplacement dans le Doubs, le 11 juillet. © Twitter / @AvecBLM

Après le quinquennat clivant de Sarkozy, Bruno Le Maire veut lui s’adresser « à tout le monde » et notamment « aux musulmans ». Un membre de son équipe détaille « Quel discours on invente à droite pour parler des questions d’immigration sans s’aliéner 10 % de la population française ? Pour que le petit jeune de banlieue qui veut monter une entreprise et qui est sociologiquement de droite, vote aussi à droite ? Le Maire a conscience que le discours transforme la société. » Mardi, l'ex-ministre n'a pourtant pas pris de pincettes pour s'opposer au droit de vote des étrangers aux élections locales, en qualifiant cette mesure de « dernier clou sur le cercueil de la nation ».

Sa dynamique suscite en tout cas de l'intérêt à droite, notamment chez les jeunes. « On juge beaucoup les politiques à leurs entourages, Le Maire est très bien entouré » et « attractif », observe un élu sarkozyste. 

Un autre candidat – à la présidentielle celui-là –, met sur pied sa machine à idées : François Fillon. L’ancien premier ministre égrène ses propositions au fil de conventions et grands entretiens (l’éducation puis l’Europe en avril, la compétitivité en juin), grâce à des groupes qui travaillent « dans un temps et un calendrier différents », explique son porte-parole, le député Jérôme Chartier.

Un premier pôle s’articule autour de son mouvement Force républicaine, revendiqué comme une « écurie présidentielle » pour 2017. Parallèlement, de petits cercles d’intellectuels travaillent, coordonnés par Jean de Boishue, l’ancien conseiller culture de Fillon à Matignon. Des « dîners de brainstorming » sont organisés tous les deux mois (sur Alstom récemment) autour d’une quinzaine de personnes – des anciens de son cabinet, des chefs d’entreprise, des avocats, de hauts fonctionnaires. Sans oublier les déjeuners thématiques. À chaque fois, Fillon est présent.

François Fillon au pique-nique francilien de Valérie Pécresse, le 28 juin.François Fillon au pique-nique francilien de Valérie Pécresse, le 28 juin. © Twitter / FrancoisFillon

« Le système de Fillon produit des idées. Il fonctionne par une logique de cercles concentriques, avec une personne présente dans tous les groupes : Patrick Stefanini (secrétaire général de Force républicaine, ndlr), ou Jean-Paul Faugère (l’ancien directeur de cabinet de Fillon à Matignon, ndlr) », rapporte un participant.

« On s’y prend quatre ans avant. C’est le recrutement qui change tout. On est allés chercher des gens issus de la société civile qu’on n’entend pas, qui ont une certaine originalité de la pensée. Le résultat est décoiffant », promet Jérôme Chartier, sans révéler le nom de ses « experts ». Fin des 35 heures, retraite à 65 ans, suppression de l'ISF : l’ancien premier ministre prône une « rupture totale » et affiche une ligne ultralibérale, qui va bien plus loin que Sarkozy. Ses équipes se nourrissent aussi des productions de think tanks – la fondation Concorde, l’institut Montaigne, Terra Nova, Génération libre, dirigé par l'ancienne plume de Christine Lagarde, Gaspard Koenig – et des travaux d’économistes indépendants. 

Entre ces groupes, une grande porosité, pas d’exclusivité, et beaucoup de sollicitations d'un autre candidat potentiel, Nicolas Sarkozy. « Sarko voit tout le monde, de toutes les sensibilités, même mes amis, une drague absolue ! », raconte ce participant des réunions fillonistes qui a fait sa carrière dans les cabinets ministériels. Malgré ses soucis judiciaires, l'ex-président n'a pas caché son intention de reconquérir l'UMP en « change(ant) de logiciel ».

Entretiens bilatéraux, déjeuners : l’un de ses anciens conseillers élyséens qui le voit régulièrement rapporte que Nicolas Sarkozy « absorbe beaucoup » car « il a le temps ». Il rencontre des intellectuels et écrivains par l”intermédiaire de Carla Bruni. Il reçoit jusqu’au moindre élu local venu lui demander un coup de pouce pour son investiture. « Sarkozy ne l’a pas aidé, mais il l’a reçu, écouté, l’élu en ressort content », raconte un haut fonctionnaire. 

Nicolas Sarkozy recevant des jeunes de l'UMP, le 25 juin.Nicolas Sarkozy recevant des jeunes de l'UMP, le 25 juin.

Emmanuelle Mignon, aujourd'hui au conseil d'État, mais avec qui l'ancien chef de l'État entretient la flamme, confirme « Il voit tous les gens qui demandent un rendez-vous. De très gros chefs d'entreprise, des hommes politiques étrangers, des élus. Il construit une réflexion personnelle qui lui sera utile dans l'hypothèse où il serait de nouveau candidat. »

S’il s’entoure toujours de Franck Louvrier, son conseiller de communication, et voit régulièrement Xavier Musca, l’ancien secrétaire général de l'Élysée, et Michel Pébereau, l’ex-patron de BNP Paribas, l’ancien chef de l’État n’a pas encore mis en place de véritables groupes de travail structurés. « Il ne veut surtout pas donner l’impression qu’il se prépare, il veut juste laisser filtrer qu’il voit beaucoup de gens. Il sait qu’il a trois ans pour se préparer. Le jour où il aura besoin de dix énarques, il les aura », assure un haut fonctionnaire. Il rencontre en tout cas tous les groupes de réflexion qui se mettent en place et reçoit déjà des notes, comme celles des jeunes gaullistes rassemblés dans l'UJP (Union des jeunes pour le progrès).

Parallèlement, plusieurs initiatives dépassant les courants se sont lancées, reçues à chaque fois par les ténors du parti. Comme la Boîte à idées, créée en 2012 par trois trentenaires qui ont piloté l’école des cadres du parti en 2008, puis ont été rapporteurs de groupes de travail pour l’Élysée.

Maël de Calan, Enguerrand Delannoy et Mathieu Schlesinger présentent leur structure comme « le premier pourvoyeur de technos à droite » avec quelque 130 personnes entre 25 et 35 ans issues des grands corps de l'État. Ces fonctionnaires sont recrutés par un ancien de la Cour des comptes depuis un an. « Cela permet de travailler sur un rythme soutenu et sur tous les sujets – logement, baisse des marges des entreprises, réforme territoriale, assurance chômage, les corps de police aux portes de l’UE, l'euthanasie, mais aussi des sujets plus ciblés comme l’austérité en Espagne », énumère Maël de Calan.

Une partie de l'équipe de la Boîte à idées.Une partie de l'équipe de la Boîte à idées. © boite-idees-ump.fr

À la différence des « écuries », le trio affirme ne pas vouloir « créer une UMP dans l’UMP » et se félicite de « travailler avec tout le monde » : un contre-budget avec Gilles Carrez, des rapports sur les gaz de schiste avec Xavier Bertrand, sur les retraites avec Laurent Wauquiez, sur l’Europe avec Michel Barnier, une tribune avec Édouard Balladur pour « sauver l’Europe ».

« Les écuries, c’est catastrophique, chacun garde ses idées pour lui. Associer les ténors permet d’infuser. On veut être au cœur de l’UMP et fournir des propositions à tous les leaders politiques, explique Enguerrand Delannoy, qui cite en exemple l'échec de Terra Nova à diffuser dans le PS en 2012 en étant à l’extérieur du parti. L’objectif est clair : refonder la base idéologique du parti et « écrire le projet présidentiel pour 2017Le programme, c’est à 20 % la sensibilité du candidat, à 80 % le socle idéologique du parti, il faut définir ces 80 % ». Le groupe ambitionne notamment de « refonder le logiciel intellectuel sur les finances publiques », de « réidéologiser » ces questions et casser certains systèmes de réflexion, comme le modèle par répartition concernant les retraites.

Leur antimodèle idéologique, ce sont les provocations de la Droite forte. « Quand elle dit qu’il faut supprimer le droit de grève des enseignants pour remédier à leur absentéisme, non seulement ce n’est pas le problème de l’éducation nationale, mais c’est anticonstitutionnel. Si vous proposez cela, vous êtes applaudi mais une fois au pouvoir ça ne marche pas », estime Enguerrand Delannoy. Eux veulent produire « des propositions expertisées et que l’on peut mettre en œuvre. Notre leitmotiv, c’est “On ne dit plus rien qu’on ne va pas tenir en 2017”. Stop à la démagogie, sinon on se plantera ».

Mais à droite, certains leur reprochent d’être « trop techno et raisonnables », de viser un siège à l’Assemblée ou une place dans un cabinet ministériel en 2017. « On a envie de faire mieux que nos aînés qui ont ruiné le pays. Nous sommes là pour prendre le pouvoir en tant que génération », répond Maël de Calan.

Une partie du collectif "Une droite d'avance", dont Simon Laplace (1er à gauche) et Aurore Bergé (2e en partant de la droite).Une partie du collectif "Une droite d'avance", dont Simon Laplace (1er à gauche) et Aurore Bergé (2e en partant de la droite). © dr

Ils ne sont pas les seuls sur les rangs. Tout récemment, une dizaine de jeunes issus de différentes sensibilités à l’UMP ont lancé « Une droite d’avance » (lire leur tribune). Ce mouvement libéral et progressiste – aussi bien sur les questions économiques que sociétales – veut contribuer à la rénovation « en dehors des chapelles » et va mettre en place des groupes de travail resserrés. « Le candidat pour 2017 arbitrera, mais il faut commencer à travailler. Lors du congrès de 2012, il n’y a pas eu de réel débat entre les motions, on veut qu’il ait lieu maintenant », réclame Aurore Bergé, 27 ans, conseillère politique de l’UMP et élue municipale dans les Yvelines, à l’origine de l’initiative.

« On ne gagnera pas en promettant la restauration, que ce soit sur le non-cumul des mandats ou le mariage pour tous. On veut faire de l'UMP le parti de la réforme, sans tabous, mais sans se réduire à une droite décomplexée uniquement sur les questions d’immigration et de sécurité. » Son collègue Paul Boivin, 29 ans, délégué national des jeunes actifs de l’UMP et soutien de Le Maire, souligne qu'eux « ne vi(vent) pas de la politique. Nous sommes d’abord des militants qui voulons être partie prenante des décisions et montrer que des idées remontent de la base ».

Le 17 juillet, c'est un think tank que vont lancer Jonas Haddad, Michaël Miguères, Guillaume Caristan, trois jeunes secrétaires nationaux ou élus UMP. « Refonder la droite » découle de leur livre Droite 2.0 et ambitionne de produire des idées sur le numérique et l'entrepreunariat.

Jonas Haddad, Michaël Miguères, Guillaume Caristan, fondateurs de « Refonder la droite ».Jonas Haddad, Michaël Miguères, Guillaume Caristan, fondateurs de « Refonder la droite ». © refonderladroite.com
Le livre de Jonas Haddad et Michaël Miguères.Le livre de Jonas Haddad et Michaël Miguères.

« Nous ne sommes ni une motion, ni un mouvement, ni une écurie présidentielle, détaille Jonas Haddad. On ne veut pas parler de renouveau avec des champs qui existent déjà, comme le report de l'âge de la retraite ou les 35 heures. On prend des sujets d'avenir et on voit comment injecter de l'innovation. Parler de pourquoi on émigre plutôt que d'immigration, innover sur le télétravail, ne pas parler de la sécurité pour dire "la gauche est laxiste". » Le groupe souhaite faire travailler son noyau d'une « soixantaine de personnes » avec des « binômes politique-société civile » et proposer leurs idées aux élus locaux.

D’autres jeunes, anciennes figures de la Manif pour tous, estiment qu'après l'ampleur de leurs manifestations contre la loi Taubira, ils doivent eux aussi « prendre toute (leur) place » dans la rénovation du parti. Mais avec un positionnement opposé : économiquement libéral et sociétalement très conservateur. Leur structure, Sens commun, créée en décembre, se revendique comme « un courant à l’intérieur de l’UMP »« Après les manifestations vient le temps des propositions », estime son président, Sébastien Pilard, 35 ans, directeur d’une PME et ancien responsable de la Manif pour tous dans l’Ouest. 

L'équipe de Sens Commun: Arnaud Boutheon, Madeleine Bazin de Jessey, Sébastien Pilard et Marie-Fatima Hutin.L'équipe de Sens Commun: Arnaud Boutheon, Madeleine Bazin de Jessey, Sébastien Pilard et Marie-Fatima Hutin. © senscommun.fr

Leur stratégie est surtout locale « être un mouvement des régions, pénétrer les fédérations départementales de l'UMP, se présenter aux régionales et sénatoriales ». Ils comptent remettre au candidat les propositions de leurs 250 cadres début 2015, et ont pour l’instant publié leurs propositions sur « l'engagement civique ». Ils visent la barre des « 10 000 adhérents fin 2014 ». Mais à l'UMP, certains y voient un « entrisme » de la Manif pour tous.

Si tous ces groupes annoncent une révolution programmatique, chacun a en tête un modèle victorieux, érigé en « travail de référence » et véritable « mythe fondateur » : celui de 2007. Emmanuelle Mignon est restée « la statue du commandeur », résume Olivier Bogillot. « En 2007, Nicolas Sarkozy a réussi car il a mis en place un dispositif idéologique efficace avec des conventions de haut niveau, des idées testées en réunions avec des professionnels du secteur, une direction des études extrêmement solide, un socle idéologique plus puissant que la gauche. Quand il arrive au pouvoir, il a déjà une assise idéologique, un projet, des équipes », se souvient-il.

« Sarkozy a été le premier à dire qu’il était de droite, ce fut une révolution. Beaucoup de gens se sont enfin déclarés “de droite”, alors qu’elle n’était auparavant définie que par la gauche », reconnaît Stéphane Juvigny, l’éminence grise de François Baroin, qui a passé dix ans dans les cabinets ministériels.

L’exception de 2007 a surtout été possible grâce à une « double rupture inventée par Nicolas Sarkozy, qui consistait à dire : "je ne suis pas la gauche, pas la droite", raconte Emmanuelle Mignon. Il était facile de faire le programme de 2007, car on pouvait critiquer tout le monde, gauche et droite, et afficher des idées nouvelles »« En 2005-2007, il y avait un vrai ras-le-bol dans les cabinets ministériels, se souvient un ancien de la direction des études. Ils voulaient un élan réformateur après la glaciation, l’immobilisme de la fin du mandat de Chirac. Pour tout le monde, c’était Sarkozy. Il a réussi à unifier toutes les droites. »

Patrick Buisson et Emmanuelle Mignon pendant le dernier meeting de Nicolas Sarkozy, aux Sables-d'Olonne le 4 mai 2012.Patrick Buisson et Emmanuelle Mignon pendant le dernier meeting de Nicolas Sarkozy, aux Sables-d'Olonne le 4 mai 2012. © Reuters

« Emmanuelle Mignon a fait peur à la gauche à l’époque, sur la suppression de la carte scolaire, sur le RSA, explique-t-il. La gauche était imperméable aux analyses d’économistes venus par les mathématiques comme Thomas Piketty ou Philippe Askenazy, mais nous on prenait tout ce bagage idéologique. Elle mettait en avant des intellectuels brillants, elle écoutait, s’imprégnait, puis elle travaillait seule. »

La direction des études est alors considérée comme « la partie de l’UMP où la lumière ne s’éteint jamais »« On a travaillé comme des dingues. Mais c'était un pont d'or, j'avais tous les moyens et le temps, j'ai pu construire une équipe, voyager », raconte Emmanuelle Mignon. Elle est entourée d’une équipe rapprochée de dix personnes. Huit d’entre elles – des auditeurs du conseil d’État, des inspecteurs des finances, des “juniors” UMP –, travaillent sur les idées, en réalisant notes, entretiens et dossiers. Les deux autres dénichent les invités des conventions.

« On a élaboré 18 conventions en 18 mois, avec trois briques à chaque fois : un dossier d'analyse et de synthèse très complet, que Nicolas Sarkozy lisait ; son discours de clôture avec des propositions qu'on travaillait ensemble, en associant des parlementaires, et la convention elle-même, devenue le lieu où il fallait être vu », explique l'ancienne directrice des études. Chaque convention donnait ensuite lieu à un groupe de travail thématique (avec des entrepreneurs, de jeunes économistes de la Banque de France, des démographes, des policiers), qui continuait de se réunir une fois par mois.

« Le travail que l'on a réalisé a intéressé au-delà de la droite, explique-t-elle. Je décrochais régulièrement mon téléphone pour joindre des personnes réputées pour ne pas partager nos convictions, mais qui avaient de l'expertise sur tel ou sur tel sujet. Toutes, à une seule exception près, ont accepté de me rencontrer, et beaucoup de participer à une convention. Les gens avaient le sentiment qu'on allait changer les choses. Le problème, c'est qu'on n'a pas vraiment changé les choses. Dès les lettres de mission envoyées dans les ministères, on a perdu une partie du souffle du programme. Puis en juillet 2007, Nicolas Sarkozy me dit qu'il ne veut pas bousculer la France, que c'est un vieux pays, qu'il faut y aller prudemment. Il se rend compte aussi que gouverner est plus dur que prévu, qu'il y a des pesanteurs. Enfin, il y a eu la crise. »

Nicolas Sarkozy lors de son discours d'intronisation comme candidat à la présidentielle, le 14 janvier 2007.Nicolas Sarkozy lors de son discours d'intronisation comme candidat à la présidentielle, le 14 janvier 2007. © Reuters

Aujourd'hui, ils sont nombreux à expliquer que Nicolas Sarkozy « ne pourra pas refaire 2007 »« Les groupes n’auront pas le même rôle. Il doit recréer une histoire personnelle avec les Français », explique un haut fonctionnaire. « On ne pourra pas reprendre les mêmes, ce serait une erreur politique, on ne reconstitue pas des ligues dissoutesIl faut faire rentrer des idées neuves. Des jeunes, mais surtout des gens qui dans la période 2012-2017 ont été débarqués par Hollande et ont pris de l’expérience », estime aussi Olivier Bogillot. « 2007 était un contexte particulier. On a fait éclater le logiciel et les catégories de la droite. Mais ce qui a été mis en place à ce moment-là reste nos fondations idéologiques », estime Nelly Garnier.

La droite se heurte à un autre problème, qu'expose Dominique Reynié, à la tête de la Fondapol, fondation proche de l'UMP « Le travail des idées est très difficile à réaliser à l’intérieur des organisations politiques, qui sont concentrées sur leurs clientèles électorales et l’organisation des primaires. » Pour le politologue, « le circuit d’un expert qui décide quelles sont les solutions et passe le commandement au candidat est obsolète. Il faut inventer un système de mise en réseau, de consultation et de partage des idées. Ségolène Royal a été la première à saisir cela en 2007 »« Un parti n’est pas organisé pour produire des idées, elles viennent des think tanks », considère aussi Jérôme Chartier.

En France, les fondations n’ont pas la puissance de leurs homologues britanniques ou allemands. « Il n’y a pas une fondation française qui a inventé un pilier de programme, comme en Grande-Bretagne avec la “Big Society” de Philip Blond pour David Cameron, ou la “Troisième Voie” de Anthony Giddens pour Tony Blair », explique Stéphane Juvigny. « En Grande-Bretagne, il y a une porosité entre la vie des idées, le débat politique et la vie universitaire. En France, les fondations ne veulent pas trop s’afficher avec les partis politiques, et les partis ne voient pas toujours l’intérêt de travailler avec elles », estime Maël de Calan.

La revue « Une certaine idée » voulue par Philippe Séguin.La revue « Une certaine idée » voulue par Philippe Séguin.

Pour Stéphane Juvigny, le conseiller de Baroin, la droite ne parvient pas à cultiver une « vraie vie intellectuelle » comme dans les années 1990. Entre 1997 et 2002, ce proche de Philippe Séguin pilotait sa revue Une certaine idée, animée par l’économiste Nicolas Baverez. « Les cadres supérieurs s’y abonnaient, les militants la recevaient gratuitement avec leur adhésion. On attirait souverainistes et chevènementistes, mais aussi leurs rivaux libéraux. On voulait susciter le débat, il y avait de vrais clivages idéologiques, rien à voir avec aujourd’hui. »

Motiver les fameux “experts” pour travailler sur un projet sans chef de file est « difficile », reconnaît-on à droite. « On est dans une période de flou, tout le monde est dans l’expectative, attend de voir si Nicolas Sarkozy sera candidat. Ce n’est pas dans ces moments que l’on casse tout. Il faut la personne qui aura la vision, après on aura les groupes de travail », estime Nelly Garnier. Olivier Bogillot insiste sur la longueur du « temps politique en termes idéologiques » et sur la nécessité de proposer les idées « dans le bon tempo »« La bonne méthode est d’avoir une période de consultation et de réflexion, avant de faire des propositions qui seront dépassées car la situation en 2017 ne sera pas celle de 2014 », souligne aussi cet ancien de l'Élysée.

La Boîte à idées a fait l’expérience, à l’automne, de la difficulté de proposer des mesures chiffrées, au-delà des discours sur la baisse des dépenses publiques. Ils ont présenté un contre-budget de l’État avec le président de la commission des finances de l’Assemblée, Gilles Carrez, pour réaliser 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires. Ils suggéraient notamment de supprimer 15 000 postes de fonctionnaires, de geler les pensions de ceux-ci, et de couper dans les crédits de l’État aux départements. « On a été durement attaqués à droite, les députés nous disaient “ce n'est pas le moment” », raconte Maël de Calan.

« Les leaders de la droite sont-ils prêts à assumer un discours réformiste, au-delà des déclarations d’intention?, interroge cet ancien de l'Élysée. François Fillon se positionne comme très réformateur, mais il ne l’a pas appliqué au pouvoir. Bruno Le Maire parle de “révolution”, mais dans le détail, que mettra-t-il derrière ce mot ? »

BOITE NOIREDeuxième volet de notre série sur la recomposition idéologique à droite, pour laquelle nous avons rencontré une vingtaine de personnes : d'anciens membres de la direction des études ayant préparé la campagne victorieuse de 2007, d'ex-conseillers de Nicolas Sarkozy à l'Élysée (deux d'entre eux ne peuvent apparaître sous leur nom étant donné leur fonction actuelle), de hauts fonctionnaires travaillant sur le projet de la droite, de jeunes élus engagés dans des groupes de réflexion, les entourages des principaux prétendants, des membres de fondations.

Emmanuelle Mignon, directrice des études de l'UMP (2004-2007), directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Élysée (2007-2008), rédactrice de ses projets de 2007 et 2012, nous a accordé un entretien de deux heures.

Contacté, Marc Vannesson, directeur des études de l'UMP, nous a répondu qu'il n'était « pas habilité à parler avec la presse ». Sollicités sur le sujet des idées, Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand n'ont pas donné suite. Non plus que Laurent Bigorgne, directeur de l'institut Montaigne (et auditionné sur l'éducation par un groupe de Bruno Le Maire), qui explique à Mediapart qu'il n'a « pas d'éclairage à apporter sur ce sujet » et que son institut « n'est pas de droite ».

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PS du Gard: petites tueries et grand naufrage politique

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Quand il est arrivé à la manade de Vauvert, propriété du « roi des poubelles » Louis Nicollin, pour ritualiser son « Solutré » à lui, le 6 juillet, Manuel Valls s’attendait à parler devant plus de monde. Le Gard dispose d’une des rares « fédérations hollandaises », où les soutiens au premier ministre sont nombreux. Mais ce dimanche, ils n'étaient que 100 à 150 socialistes pour l’accueillir. Dans une fédération qui « pesait » encore plus de 2 000 cartes au dernier congrès de Toulouse et avait voté très majoritairement pour la motion 1, ça fait mauvais genre.

En choisissant le Gard pour participer à l’écriture de son récit personnel de conquête, Manuel Valls a voulu pointer une terre de mission face au FN : ce département est le seul où le parti d'extrême droite est arrivé en tête aux élections municipales. Mais le premier ministre a pris le risque de mêler son ascension politique à une fédération en plein délitement et en proie à d’intenses déchirements, sur fond de soupçons de dérives financières. Secoué il y a trois mois par le jugement de « l’affaire Bouvet », cette permanente qui a détourné près de 380 000 euros en cinq ans dans l’indifférence générale (lire ici notre enquête et le jugement ici), le « PS 30 » est désormais le théâtre d’un affrontement quasi shakespearien, entre son premier fédéral et son trésorier.

Stéphane Tortajada, patron de la fédération, et Bernard Casaurang, trésorier, s’accusent mutuellement de malversations financières et comptables. Ils ont tous deux déposé plainte. L’affaire est entre les mains de la procureure de Nîmes qui a ouvert une enquête préliminaire. Dans la presse locale s’étalent les accusations, tandis que Le Canard enchaîné a révélé que le premier fédéral Tortajada avait également eu une entreprise de livraison de sex toys, en association avec une permanente de la fédération (association qu'il réfute).

Longtemps désintéressée et sur la réserve, la direction nationale du PS n’a plus eu d’autre choix que d’entrer dans le jeu, en déclenchant une mission d’enquête, puis en mettant sous tutelle la « fédé ». Vendredi 11 juillet, elle a également annoncé le dépôt d’une plainte contre X, mais sans faire davantage de commentaires. Aujourd’hui, la situation de blocage est manifeste, les haines recuites, et la dépolitisation totale. Ce conflit incarne à sa façon le « socialisme à l’arrêt » du quinquennat Hollande.

Bernard Casaurang, Stéphane Tortajada et le président du conseil général, Damien Alary, en 2012.Bernard Casaurang, Stéphane Tortajada et le président du conseil général, Damien Alary, en 2012. © dr

Aux origines de l'histoire, il y a Stéphane Tortajada et Bernard Casaurang. « Torta » et « Casau ». Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Le premier, lorsqu'il était jeune entrepreneur, était dans la section nîmoise de l’ancien vice-président du conseil général, ancien président du groupe PS d’opposition à Nîmes. Puis Tortajada est devenu secrétaire d’une autre section de la ville, avant qu’ils ne prennent ensemble la fédération du Gard à l’automne 2012, après l’élection de François Hollande. Avec la bienveillance des proches de François Hollande et l'accord des strausskahniens, réunis dans la grosse motion majoritaire conduite par Harlem Désir pour le congrès de Toulouse. Quant à Manuel Valls, il a pu compter sur la « fédé » pour veiller à l'implantation du chef de cabinet du premier ministre, Sébastien Gros, deuxième de la liste PS à Nîmes aux dernières municipales.

« C'est l'histoire d'une grande proximité, quasi filiale, qui part en vrille, entre un premier fédéral et un trésorier qui l'a fait roi, soupire un dirigeant national. Aujourd'hui, ils s'accusent mutuellement, mais sans apporter d'éléments objectifs solides… » « L’un accuse l’autre de travaux fictifs, alors qu’ils ont eu lieu, l’autre de dépenses somptuaires, qui ne le sont pas, résume un parlementaire, dépité. Plus personne ne comprend la finalité des manœuvres de chacun. Il n’y a plus rien de politique ni de rationnel, le règlement de comptes a pris le pas sur tout le reste. »

Les versions diffèrent sur l’origine du désaccord. Contactés, les deux protagonistes disent avoir « tous les documents » pour prouver ce qu’ils avancent, et en communiquent certains. Pour Casaurang, Tortajada est « un truqueur et un menteur compulsif ». Pour Tortajada, pour qui Casaurang est « la personne dont j’étais le plus proche au PS », la pièce qui se joue, « c’est Cronos contre Brutus ». Soit le titan mythologique dévorant ses enfants, contre le fils adoptif de César tuant son père. Tout un programme, à l’ombre des arènes antiques de Nîmes.

Pour Stéphane Tortajada, le point de départ de son différend avec Bernard Casaurang est une facture de travaux de toiture réalisés en 2007, que le trésorier lui aurait présentée déjà réglée. « Je ne comprends simplement pas pourquoi on paye une facture sept ans plus tard, alors que celle-ci n’a jamais été provisionnée jusqu’ici », dit le premier fédéral. Dans un premier temps, il s’interroge même sur la réalité des travaux. « Bien sûr qu’ils ont eu lieu, et ils ont été décidés avec l’accord de la commission financière, s’étrangle Casaurang. Il y a un arrêté municipal qui a autorisé l’échafaudage, on a même des photos ! »

Reste la question de savoir pourquoi un paiement six ans plus tard ? « Mais parce que chaque année, Nathalie Bouvet nous disait qu’on ne pouvait pas payer, vu l’état des comptes ! », dit « Casau ». Nathalie Bouvet, cette permanente condamnée pour détournements de fonds et que Tortajada a démasquée, serait la cause, selon lui, de ses déboires (lire notre enquête). « On me fait payer d’avoir porté plainte, dit Tortajada. On veut me bâillonner. »

Alliés aux représentants locaux des motions minoritaires et « rénovateurs » gardois, le trésorier lance une pétition militante (lire ici) et alerte Solférino par un signalement détaillé (lire ici) où il liste ses griefs vis-à-vis de Tortajada. Casaurang regroupe une large majorité du conseil fédéral fin avril, qui s’est réunie en l’absence du premier fédéral pour appeler à une tutelle de la direction nationale socialiste, et au retour de l’ancien expert-comptable, pourtant critiqué par les juges pour son laisser-faire dans l’affaire Bouvet. « Il a pourtant fait une douzaine de lettres d’observation à l’époque, assure Casaurang en défenseur de l’expert, par ailleurs membre de sa section au PS. Mais elles ont été déchirées ou cachées, j’en ai retrouvé une. »

Siège de la fédé du PS 30, à NîmesSiège de la fédé du PS 30, à Nîmes © capture d'écran France 3

Pour le camp Casaurang, c’est parce que l’expert-comptable a refusé de clôturer des comptes que le trésorier refusait de contresigner, que tout s’est dégradé. « L’astuce machiavélique de Tortajada, c’est de faire croire qu’il remplace l’expert à cause de l’affaire Bouvet, estime le cadre fédéral rénovateur Joseph Ferré. Mais il lui avait renouvelé son contrat pour trois ans quelques mois avant ! » Dix jours avant le conseil fédéral du 24 avril, l’expert-comptable proche de Casaurang se voit refuser l’accès aux factures et aux justificatifs de frais. Puis il est remplacé par un autre expert-comptable, proche de Tortajada.

Ce dernier s’agace des reproches de son trésorier devenu ennemi juré. « Si l'on ne cautionne pas, on démissionne. Vous pensez franchement que c'est sérieux de conserver l'ancien comptable, après l'affaire Bouvet ? Casaurang joue les vertueux, alors qu’il était tout le temps là avant, et au courant de tout. »

Pour Casaurang, c’est justement à force de le côtoyer qu’il a pris ses distances, pour ne pas cautionner un comportement qu’il juge solitaire et suspect. « Je me suis peu à peu rendu compte que Tortajada essayait de me balader. On n’est pas dans des détournements à la Guérini (Bouches-du-Rhône) ou à la Navarro (Hérault), mais c’est de la petite escroquerie. » Et d’égrener des « achats dans (son) dos », de logiciels comme d’enrouleur à tuyau d’arrosage. Il évoque aussi l’ouverture d’un sous-compte avec carte bleue à la banque, « toujours dans (son) dos », ou encore du liquide retiré afin d’offrir à boire à la feria, des voyages à Paris et Marseille « sans objectifs clairs », des « discordances entre les bordereaux d’adhésion et les sommes déposées à la banque », comme autant de soupçons de fausses cartes d’adhérents.

« Un jour, je le lui ai notifié, et je lui ai dit que ça ne durerait pas. Et il est rentré dans une colère folle », dit Casaurang. Depuis, il dit faire l’objet de menaces et d’intimidations, et ne comprend pas que Solférino ne bouge pas, ou si peu. « C’est une forme d’humiliation sans justice. On dit qu’on est dans une République exemplaire, et on me dit de fermer les yeux ! »

Le 9 juillet, un article du Canard enchaîné a rendu publique une partie des reproches faits à Tortajada, faisant état de notes de frais excessives, d’un « budget cadeaux » de 2 000 euros ou d’un diagnostic thermique à 1 500 euros, commandé à un entrepreneur ami (et non cousin). Sa défense est souvent la même, relativisant ou minimisant sans cesse la portée des critiques, au regard des sommes concernées.

« Les frais de réception et de voyages dont on parle ont profité à tous » ; « On parle de 25 000 euros, soit 10 % du budget de la fédé, la même proportion que les années passées » ; « On a payé des formations et les déplacements de tous » ; « Les 2 000 euros de cadeaux, ce sont pour les militants, la maroquinerie c’est un cadeau au plus vieux militant gardois lors d’une fête en son honneur » ; « Le diagnostic thermique a été fait aux prix du marché ».

"Le Canard enchaîné" du 9 juillet"Le Canard enchaîné" du 9 juillet

« On a bien examiné les notes de frais du premier fédéral, explique Benjamin Mathéaud, secrétaire de section à Alès et proche de Tortajada. Elles représentent 730 euros par mois, pour quelqu’un qui n’est pas du tout indemnisé par le parti, n'est pas salarié comme attaché parlementaire ou comme conseiller dans un cabinet de collectivité locale. » Un autre ami du premier fédéral estime : « Quand tu es premier fédéral et que tu n’es pas élu, soit tu marches au pas, soit tu t’exposes à des problèmes… »

Tortajada souligne souvent combien « ne pas avoir les codes » semble être un handicap, pour cet entrepreneur dans le bâtiment que beaucoup parmi ses adversaires présentent comme « brutal ». Pourquoi engage-t-il des dépenses dans le dos de son trésorier, et sans l’accord de la commission financière ? « Et pour changer un pneu, il faut que je demande aussi au conseil fédéral ? »

Quant à cette promotion d’une permanente au statut de cadre, pourquoi s'est-elle faite sans concertation ni validation du conseil fédéral ? « Casaurang lui a offert des chocolats à Noël, et disait la considérer comme sa nièce, contre-attaque Tortajada. Il ne s’est jamais offusqué de cette promotion, survenue avant notre clash. C’est une personne ressource, pas plus payée que la précédente. Si désormais la promotion sociale est interdite au PS… » Tortajada ne saisit pas les accusations de son trésorier. « Il a fait des chèques jusqu’en décembre, mais comme on ne se parlait plus, on a tous fait des chèques dans le dos de l’autre, estime-t-il. Il ne vient plus à la fédé depuis septembre dernier. En tout cas plus à ma rencontre. Il dit ne pas avoir eu accès à des documents. Mais il ne les a même pas demandés ! »

Quid de la nouvelle carte bleue, qu'il s'est octroyée dans le dos de son trésorier ? « C’est parce que notre “compte dépenses” était trop vieux qu’ils nous ont dit de créer un sous-compte, j’ai un mail de la banque qui explique ça, répond Tortajada. Ça permet aux permanents de ne pas avoir à faire d’avance de leurs poches, quand ils vont acheter des fournitures ou de quoi faire un apéro militant. »

Le fait de faire travailler ses proches ? « Et Casaurang, il le fait pas ? Le gars qui a élagué les arbres de la fédé n’est pas du tout celui qui s’est occupé de ses arbres à lui ? Dans cette fédé, on a toujours fait bosser les gens qu’on connaît. Ça vaut pour tous les cadres, tous les élus, mais pas pour moi ? » « “Torta”, c’est un sanguin, mais sa brutalité est à mettre en regard du contexte extrêmement difficile et hostile dans lequel il se trouve, estime Chloé Filot, responsable locale du courant hollandais et représentante gardoise sur les listes aux européennes. Il est un intrus dans un jeu très institué et le bouleverse. Jusqu’à ce que ça s’envenime avec “Casau”, personne n’avait grand-chose à lui reprocher. »

Surtout, le premier fédéral aujourd’hui en difficulté martèle que pour la première fois depuis sept ans, le bilan comptable de la fédération a dégagé un exercice positif de 40 000 euros, là où elle s’enfonçait dans les déficits auparavant. Une version fortement relativisée par ses adversaires. « Heureusement que les comptes sont excédentaires, vu qu’il n’y a plus Nathalie Bouvet et qu’on ne fait plus rien !, explique une élue locale. Aucun tract, aucun meeting, plus de fête de la rose… Ici, le socialisme s’est arrêté. » Nicolas Cadène, un cadre fédéral proche de Ségolène Royal, abonde : « Il y a un grave problème politique, au-delà des inimitiés. Les instances internes ne sont plus réunies, le PS local est en train de mourir à petit feu. »

Le « seul reproche » que Stéphane Tortajada entend, c’est le déficit d’animation politique de ces derniers mois. « C’est vrai que je n’ai pas convoqué les instances ces derniers mois, pendant les campagnes municipales, dit-il. Je pensais que tout le monde privilégierait le terrain. » « On ne peut pas reprocher à Tortajada de ne pas faire tourner une fédération, quand on ne s’y investit pas soi-même », appuie un proche du premier fédéral. À ceux qui jugent les dépenses de réception bien élevées pour une fédération atone, il réfute : « Depuis que je suis élu, on a eu un événement par mois, occasionnant à chaque fois des frais de ce type. » Et de citer les visites ministérielles de Manuel Valls et de Stéphane Le Foll, ou de secrétaires nationaux du parti. 

Manuel Valls, à VauvertManuel Valls, à Vauvert © capture d'écran France 3

Mais sur le terrain, les conséquences de ce blocage sont désastreuses : après des municipales où le FN s’est hissé en tête des votes, et où le PS s’est ridiculisé dans l’entre-deux tours à Nîmes (lire ici), les européennes ont été marquées par une forte désertion militante, constatée par tous. « Le crash des municipales a accentué les tensions, explique un militant local. La coalition hétéroclite et changeante qui l’a porté au pouvoir se retourne aujourd’hui contre lui. Mais ça peut encore changer en fonction des intérêts de chacun. »

Ce qui marque la plupart des socialistes gardois, c’est la violence qui entoure l’affaire. « C’est le Gard… Ici, on fait de la politique avec une brutalité sans nom, dit une militante. C’est “Game of Thrones” : ce sont les derniers à rester vivants qui s'assiéront sur le trône de fer. Et encore, pas pour longtemps… » « Aux ressentiments personnels se sont ensuite ajoutées une rébellion de la base militante contre les grands élus du département et une mise en retrait de ceux-ci, explique Alain Fontanel, dirigeant national dépêché en mai par Solférino pour tenter d’apaiser les tensions. Du coup, la situation échappe à tout le monde. » Les “grands élus” du département, parlementaires et conseillers généraux, n’ont plus le premier rôle dans la fédération, depuis l’exclusion temporaire d’une bonne partie d’entre eux lors de l’affaire des listes régionales de Georges Frêche, en 2010.

Et vu le climat délétère, aucun n’a franchement envie de s’investir pour tenter de calmer le conflit. D’autant qu’une bonne partie d’entre eux n’a goûté que modérément les demandes de paiement d’arriérés de cotisation, faites par le premier fédéral Tortajada, après qu’il leur a fait savoir dans une note (lire ici) que seulement 47 % du montant attendu des cotisations d’élus avaient été versés en 2013. S’ajoute aussi le fait que personne parmi ces élus ne comprend réellement ni la nature ni l’ampleur des désaccords.

« La sagesse commande de ne pas partir tête baissée pour choisir un camp a priori, alors qu’il est question d’intégrité et que personne ne voit les preuves des uns et des autres », résume un élu régional. « S’impliquer, dans ce contexte, ça revient à jeter de l’huile sur le feu », dit le député Fabrice Verdier. Quant au président du conseil général, Damien Alary, il est aux abonnés absents. « Dans cette histoire, il n’y a ni bon ni mauvais, et aucune structuration politique autour de leaders, dit-on à Solférino. Alors ça part à la dérive. »

Jusqu’ici attentiste, la direction nationale du PS a dû sortir de sa réserve. En refusant de valider les comptes de la fédération, Tortajada a pris le risque de ne pas les voir consolidés dans ceux du PS auprès de la commission nationale des financements politiques. « Tortajada s’est tiré une balle dans le pied, car du coup la fédération perd son statut d’association pouvant recevoir financements publics et cotisations, ce qui ne peut plus passer que par le national, explique-t-on à Solférino. On n’avait pas d’autre choix que la tutelle. »

Depuis que Solférino est entré en action, la communication est minimale. Avec la nomination d'une mission d’enquête (qui doit rendre rapidement un rapport), l'envoi d'un expert-comptable parisien pour vérifier les comptes, la mise sous tutelle et le dépôt de plainte, le siège national du PS marche sur des œufs. Secrétaire national à la rénovation, Emeric Bréhier précise que cette plainte est « contre X » (ce que n’indique pas le communiqué du parti), et refuse d'en donner le motif (« Vous verrez bien »).

Pour ce dirigeant national, responsable de la tutelle gardoise, il s’agit d’une « mesure de précaution pour préserver les intérêts du parti et non d’une démarche judiciaire dirigée vers qui que ce soit. On ne sait absolument pas à ce stade quels sont les problèmes qui pourraient être dévoilés ». Pour son prédécesseur préposé aux mises sous tutelle, Alain Fontanel, « c'est une tutelle sur le modèle du Pas-de-Calais, davantage qu'une tutelle à la marseillaise ou à l'héraultaise ». Façon de dire qu’il ne s’agit pas de pointer, pour l’heure, les dérives financières d’un Guérini ou d’un Navarro, mais plutôt de constater « un grave dysfonctionnement fédéral ». Récemment, la fédération du Pas-de-Calais a élu un premier secrétaire, après un an de mise sous tutelle de ses sections, rappelle-t-on.

Quant aux présumées malversations comptables, pour Alain Fontanel, le PS ne peut que se contenter d’« avoir une évaluation et un débat sur l'opportunité de certaines dépenses ». À ses yeux, « les soupçons de détournements et de fausses factures sont du ressort de la justice, qui a des moyens d'enquête que nous n'avons pas pour faire un travail complet de vérification ».

Pour l’instant, cette tutelle ne ravit aucune des parties en conflit. Côté « Casau », on ne comprend pas pourquoi « Torta » reste en poste. Côté « Torta », on s’inquiète de n’être prévenu de rien, alors même qu’il est annoncé que cette tutelle se fera « en coordination ». « Je n’ai toujours pas eu le rapport de la mission, mais on me met sous tutelle avant, ce qui est contraire aux statuts, proteste Tortajada. Où est le respect du principe contradictoire ? »

Aujourd’hui, la banque refuse d’accepter les chèques et aucun des deux permanents n'a été payé au mois de juin. « On n’a pas le mode d’emploi », explique-t-on dans l’entourage du premier fédéral, où l’on ne se prive pas de répéter que « le national n’est jamais venu en aide à Stéphane ». Ce dernier estime vivre « un congrès avant l’heure, un règlement de comptes à l’intérieur du camaïeu de la motion 1 ».

L’un des chefs de file de la « fronde », Joseph Ferré, tente de resituer le débat sur l’urgence politique : « Nous, on demande juste que la fédé fonctionne. Et il n’y a pas 36 solutions : Tortajada et Casaurang devraient être mis en retrait le temps que la justice tranche leur désaccord. Si les responsables locaux et nationaux de la motion 1 trouvaient un hollandais de remplacement, il serait accepté par tout le monde. Mais faire cela, c’est reconnaître qu’ils n’ont pas fait le bon choix. » Pour le député Fabrice Verdier, ancien premier fédéral, la tutelle ne peut qu’améliorer les choses : « Un regard extérieur doit permettre de retrouver de la sérénité et une feuille de route, avec une direction collégiale, qui analyse enfin les défaites et se réunit à nouveau pour faire de la politique. »

D’autres souhaitent aussi que « le ménage soit fait dans les cartes » et dénoncent le poids de la section de Bagnols-sur-Cèze. Cette section a largement contribué à l’élection de Tortajada comme premier fédéral (lire ici), et avait déjà conduit Solférino à retarder le vote d’investiture aux dernières municipales (lire ici). « Ce n’est jamais bon pour la fluidité du fonctionnement d’une fédération, quand une section est aussi importante », fait-on remarquer à Solférino, tout en notant que « les adhérents existent et viennent voter, même s’ils ne font souvent que ça ».

« L’objectif est de sortir collégialement par le haut de toute cette histoire, temporise posément Emeric Bréhier. On peut compter sur moi pour que les gens se reparlent. » Ce proche de Pierre Moscovici se dit confiant, quand d’autres le pensent peu conscient de la situation. « J’ai été premier fédéral en 2005 à la tête d’une fédération à feu et à sang (la Seine-et-Marne, ndlr), dit-il. Je sais comment ça peut fonctionner. Je suis d’une nature optimiste, mais je ne suis pas naïf. »

En tout état de cause, tout le monde semble se faire à l’idée que cette tutelle durera jusqu’au prochain congrès, dont la date sera arrêtée en septembre, et oscille entre les printemps 2015 et 2016 (avant ou après les régionales, prévues en décembre 2015). « Il faut que l’outil fédéral soit clarifié pour cette échéance », confirme Emeric Bréhier. Celui-ci doit se rendre à Nîmes cette semaine, et pourrait convoquer un conseil fédéral. Le premier de la délicate tutelle gardoise.

BOITE NOIREDepuis dix jours, j'ai eu une quinzaine de protagonistes au téléphone, pour certains à plusieurs reprises, afin de réaliser cet article. Certains ont tenu à s'exprimer sous couvert d'anonymat. Ni le parquet de Nîmes ni l'expert-comptable dépêché par la direction nationale du PS n'ont retourné nos mail et appel.

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Pour la première fois, plusieurs policiers vont être jugés ensemble pour avoir tiré au Flashball et blessé des manifestants. Le 8 juillet 2009 au soir, à Montreuil, trois policiers avaient fait usage de leur arme sur des manifestants, qui s’enfuyaient après la dispersion d’un rassemblement devant une clinique, évacuée le matin même par les forces de l'ordre. Six tirs, six blessés, dont cinq touchés au-dessus des épaules. L’un d’eux, Joachim Gatti, réalisateur de 34 ans, y perd un œil (lire ici son témoignage, que nous avions publié le 13 juillet 2009, ainsi que notre enquête sur les violences policières lors de la soirée du 8 juillet 2009).

L'évacuation de la clinique le 8 juillet au matin à Montreuil.L'évacuation de la clinique le 8 juillet au matin à Montreuil.

Alors que le parquet de Bobigny avait requis début avril le renvoi d’un seul des trois policiers tireurs, Mélanie Belot, vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal de grande instance de Bobigny, a décidé le 8 juillet 2014 de renvoyer les trois fonctionnaires devant le tribunal correctionnel. L’agent de la brigade anticriminalité (Bac) de Montreuil, accusé d’avoir blessé Joachim Gatti ainsi qu’un autre jeune homme, encourt la peine la plus grave. Pour la juge d’instruction, la légitime défense invoquée par le policier ne peut être retenue. Contrairement à ce qu’affirme l’agent, « l’information n’a pas permis de retenir l’existence de jets de projectiles » au moment des tirs. « Même si tel avait été le cas », précise-t-elle, l’usage à deux reprises d'une « arme non létale, mais susceptible de causer de graves blessures en direction d’un groupe compact de personnes à une distance de l’ordre de 8 à 10 mètres (…) n’aurait pu constituer les circonstances d’une riposte proportionnée à l’attaque ».

Mais le gardien de la paix, âgé de 33 ans au moment des faits, échappe toutefois aux assises. En accord avec les victimes, indique la juge d’instruction, ces « faits criminels » ont en effet été « artificiellement » requalifiés en faits délictuels. Pourquoi ? La juge estime qu’il ne s’agit pas d’un « crime classique » mais d’une infraction commise dans le cadre de fonctions « dangereuses et risquées ».

Elle pointe surtout la lourde responsabilité de l’institution policière. Aucun des policiers tireurs n’avait bénéficié du stage de recyclage règlementaire, alors que leur habilitation au Flashball remontait à plusieurs années (près de sept ans pour l’un). Et les fonctionnaires n’avaient reçu aucune consigne de leur hiérarchie sur l’utilisation de cette arme lors de l’intervention. Ni le commissaire de Montreuil, ni son lieutenant de police, qui dirigeait l’intervention, n’avaient pensé à rappeler à leurs troupes que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur arme ». La juge d'instruction indique également avoir préféré éviter aux victimes, « déjà affectées par les faits et la longueur du traitement judiciaire du dossier », « la longueur et la lourdeur d'un procès d'assises ». Le gardien de la paix de la Bac de Montreuil est donc simplement renvoyé pour violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. La juge d'instruction choisit d'omettre la circonstance aggravante que ces violences ont été commises par une personne dépositaire de l’autorité publique.

Les deux autres policiers, un brigadier de l’unité mobile de sécurité de Montreuil et un gardien de la paix de la Bac de Rosny-sous-Bois, sont accusés d’avoir blessé quatre manifestants moins grièvement. Ils seront eux jugés pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique.

Les événements du 8 juillet avaient donné lieu à une vaste désinformation de la part des forces de l'ordre, qui mettaient en avant l'état de légitime défense. Obligeant les victimes et leurs proches à rétablir quelques vérités. En particulier, le père de Joachim Gatti s'était fendu d'une longue lettre dans laquelle il donnait la version des faits de son fils : « Le matin du mercredi 8 juillet, la police avait vidé une clinique occupée dans le centre-ville. La clinique, en référence aux expériences venues d'Italie, avait pris la forme d'un 'centro sociale' à la française : logements, projections de films, journal, défenses des sans-papiers, repas... Tous ceux qui réfléchissent au vivre ensemble regardaient cette expérience avec tendresse. L'évacuation s'est faite sans violence. Les formidables moyens policiers déployés ont réglé la question en moins d'une heure (...). Ceux qui s'étaient attachés à cette expérience et les résidents ont décidé pour protester contre l'expulsion d'organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil. Trois immenses tables de gnocchi (au moins cinq mille) roulés dans la farine et fabriqués à la main attendaient d'être jetés dans le bouillon. Des casseroles de sauce tomate frémissaient. Ils avaient tendu des banderoles pour rebaptiser l'espace. Des images du front populaire ou des colonnes libertaires de la guerre d'Espagne se superposaient à cette fête parce que parfois les images font école. »

Il poursuivait : « J'ai quitté cette fête à 20 heures en saluant Joachim. À quelques mètres de là, c'était le dernier jour, dans les locaux de la Parole errante à la Maison de l'arbre rue François-Debergue, de notre exposition sur Mai-68. Depuis un an, elle accueille des pièces de théâtre, des projections de films, des réunions, La nuit sécuritaire, L'appel des appels, des lectures, des présentations de livres... Ce jour-là, on fermait l'exposition avec une pièce d'Armand Gatti, L'homme seul (...). C'était une lecture de trois heures. Nous étions entourés par les journaux de Mai. D'un coup, des jeunes sont arrivés dans la salle, effrayés, ils venaient se cacher... ils sont repartis. On m'a appelé. Joachim est à l'hôpital, à l'Hôtel-Dieu. Il était effectivement là. Il n'avait pas perdu conscience. Son visage était couvert de sang qui s'écoulait lentement comme s'il était devenu poreux. Dans un coin, l'interne de service m'a dit qu'il y avait peu de chance qu'il retrouve l'usage de son œil éclaté. Je dis éclaté parce que je l'apprendrais plus tard, il avait trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée... »

Selon les réquisitions du procureur, dont nous faisions état ici, l'ex-commissaire de Montreuil a même dû reconnaître que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur arme ». Selon le commissaire, « les fonctionnaires ont dû se méprendre sur le cadre d’intervention ». Ni lui, ni son lieutenant de police, qui dirigeait l’intervention, n’avaient cependant pensé à rappeler cette règle à leurs troupes. Sur le terrain, « dans un contexte de feux d’artifice », le lieutenant n’aurait d’ailleurs « pas perçu » les tirs de Flashball de ses hommes.

Vers 22 heures, voyant qu’une « cinquantaine » des convives du dîner festif se dirigeaient vers la clinique, sept policiers de l’unité mobile de sécurité de Montreuil avaient appelé des renforts. Des agents des Bac de Montreuil et de Rosny-sous-Bois, du groupe de sécurité de proximité, de la brigade de nuit et de la brigade de jour les rejoignent. Soit 28 fonctionnaires au total, pas vraiment spécialistes du maintien de l'ordre. Ils reçoivent, selon le réquisitoire, « une pluie de projectiles, des canettes lancées en cloche ». Les manifestants se dispersent rapidement vers la place du marché de Montreuil, où les tirs de projectiles cessent, de l’aveu même du lieutenant. C’est pourtant à ce moment que le gardien de la paix de la Bac de Montreuil tire à deux reprises au Flashball. Atteint au visage, Joachim Gatti tombe au sol, avant d'être relevé par des manifestants, l’œil en sang.

Le policier, aujourd’hui âgé de 38 ans, affirme avoir tiré pour protéger ses collègues qui procédaient à une interpellation et qui « étaient toujours caillassés » par un groupe qui « continuait à avancer ». Le fonctionnaire, passionné par son métier et champion de France en équipe de tir à la carabine, a également assuré ne pas s’être rendu compte qu’il avait blessé quelqu’un. Une version « peu compatible » avec celle de sa propre hiérarchie et de plusieurs riverains interrogés par l’IGS (inspection générale des services), avait déjà relevé le parquet dans son réquisitoire.

Les témoins, qui ont assisté à la scène place du marché, ont effet décrit « une ambiance bon enfant » avec des manifestants qui « reculaient ». Aucun n’a vu de jets de projectiles. Et selon plusieurs riverains, « les policiers ne pouvaient pas ne pas voir le blessé, il avait chuté immédiatement et il n’y avait personne autour de lui », indique le réquisitoire. Dans leurs rapports, obligatoires après chaque utilisation du Flashball, aucun des trois policiers tireur n’a pourtant fait mention de blessés. Et ils se sont encore moins portés à leurs secours...

Cinq longues années après les faits, ce renvoi représente donc une vraie victoire pour le collectif du 8-Juillet, qui rassemble plusieurs des personnes blessées. Dans ce dossier emblématique, le parquet de Bobigny avait clairement joué la montre, mettant plus de deux ans à rendre son réquisitoire. Dans son ordonnance de renvoi, la juge d’instruction ne cache d’ailleurs pas son agacement. Elle rappelle qu’il a fallu plusieurs « rappels par courriels en automne 2013 » et une manifestation des victimes en mars 2014 sur le parvis du tribunal pour que la procureure de la République de Bobigny se décide enfin à rendre son réquisitoire définitif, le 4 avril 2014.

« Le renvoi de trois policiers devant les tribunaux et la mise en cause de leur hiérarchie est un fait rarissime », a réagi dans un communiqué le collectif du 8-Juillet. La justice « admet qu’il ne s’agit pas d’un acte isolé, ni d’une bavure, mais d’un cas avéré de violence en réunion par des policiers armés de Flashball, salue le collectif. D’autre part, en signalant les nombreuses anomalies qui caractérisent cette opération de maintien de l’ordre, elle révèle que la hiérarchie policière est compromise dans les violences de ce soir-là ».  

Selon notre décompte depuis la généralisation en 2004 en France des lanceurs de balle de défense, 26 personnes ont été grièvement blessées, pour la plupart au visage. Mais seul un fonctionnaire a été condamné. Il s'agit d'un policier condamné en janvier 2011 à six mois de prison avec sursis pour avoir éborgné six ans plus tôt un adolescent de 14 ans aux Mureaux.

Lire la tribune du collectif du 8-Juillet : « Que fait la justice ? Ça crève les yeux ! »

Lire notre dossier Flashball, les ravages d'une arme

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Le sinistre centenaire de l’impôt sur le revenu

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C’est un anniversaire important mais que les dignitaires socialistes français, oublieux des combats de leurs glorieux prédécesseurs, se sont bien gardés de commémorer : instauré par la loi du 15 juillet 1914, l’impôt sur le revenu vient juste d’avoir cent ans. Aucun oubli pourtant dans cette absence de célébration : si ni François Hollande ni Manuel Valls n’ont jugé opportun de saluer cet événement historique, c’est qu’en vérité, la politique fiscale qu’ils conduisent aujourd’hui tourne radicalement le dos aux principes de justice fiscale et sociale qui ont été à l’origine de la création du plus célèbre des prélèvements français.

En douterait-on, il suffit de consulter la passionnante étude que vient de publier à cette occasion l’Institut des politiques publiques (IPP). Retraçant l’histoire fiscale du siècle écoulé, elle établit une radiographie consternante de ce qu’est devenu l’impôt sur le revenu : un impôt croupion, qui taxe bien davantage les classes moyennes que les très hauts revenus.

Même si les dirigeants socialistes français d’aujourd’hui ont la mémoire courte, c’est peu dire, en effet, que ce 15 juillet 1914 est une date importance dans l’histoire fiscale française. Plus que cela : dans l’histoire même de la République. Car, dès les premiers soubresauts de la Révolution française, la question de l’égalité des citoyens face à l’impôt est au cœur du soulèvement populaire pour mettre à bas l’Ancien régime féodal. Dans le prolongement de la nuit du 4-Août, qui procède à l’abolition des privilèges, l’Assemblée constituante adopte ainsi, le 26 août 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui, en son article 13, érige un principe majeur : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » En clair, la République considère qu’un impôt progressif fait partie de ses valeurs fondatrices.

Joseph Caillaux.Joseph Caillaux.

Pourtant, cet impôt progressif, il va falloir attendre plus d’un siècle, après d’interminables controverses, pour qu’il finisse par voir le jour. Défendu dès 1907 par le radical Joseph Caillaux (1863-1944), le projet de création d’un impôt général sur les revenus alimente ainsi de violentes polémiques dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale. Résumant le point de vue virulent de la droite, Adolphe Thiers (1797-1877) y avait vu en son temps « l’immoralité écrite en loi ». Mais les socialistes de la SFIO se rallient à l’idée, et leur porte-voix, Jean Jaurès (1859-1914), met sa formidable éloquence au service de cette révolution fiscale.

Source: Institut des politiques publiquesSource: Institut des politiques publiques

Dans un discours remarquable, mais peu connu (dont on peut trouver de larges extraits sur le site de l’Office universitaire de recherche socialiste), prononcé le 24 octobre 1913 à Limoges, à l’occasion du congrès de la fédération socialiste de la Haute-Vienne, il a ces mots formidables : « Oui, nous voterons tous énergiquement, passionnément pour instituer l’impôt général et progressif sur le revenu, sur le capitalisme et sur la plus-value avec déclaration contrôlée. Nous le voterons parce que, quelle que soit la répercussion possible, et il en est toujours, les impôts ainsi établis sur le grand revenu et le grand capital sont moins fatalement répartis et pèsent moins brutalement sur la masse que les impôts directs qui atteignent directement le consommateur ou le paysan sur sa terre et sur son sillon. Nous le voterons donc et nous le voterons aussi parce qu’il serait scandaleux, je dirais, parce qu’il serait humiliant et flétrissant pour la France qu’à l’heure des crises nationales, quand on allègue le péril de la patrie, la bourgeoisie française refuse les sacrifices qu’a consentis la bourgeoisie d’Angleterre et la bourgeoisie d’Allemagne. »

Jean Jaurès, en 1904, par Nadar.Jean Jaurès, en 1904, par Nadar.

Mais dans le même temps, Jean Jaurès fait comprendre que, s’il soutient le projet radical, la SFIO a, pour sa part, une ambition beaucoup plus forte : « Eh ! bien, nous voterons l’impôt sur le revenu, mais il faut qu’il soit bien entendu que ce n’est pas ainsi que nous l’avions conçu, que ce n’est pas à cette fin que nous l’avions destiné. Nous voulions qu’avant tout, l’impôt progressif et global servît à dégrever les petits paysans, les petits patentés, de la charge trop lourde qui pèse sur leurs épaules. (…) Voilà à quoi nous destinions le produit de ces grands impôts sur la fortune, sur le revenu et sur le capital. Par là, nous ne servions pas seulement la masse des salariés, des travailleurs, mais aussi la production nationale elle-même, car à mesure que la masse gagnera en bien-être, la force de consommation s’accroîtra et, par suite, le débouché intérieur le plus vaste, le plus profond et le plus sûr sera ouvert à la production elle-même. »

C’est donc avec ce formidable appui que le ministre des finances, Joseph Caillaux, finit par faire voter cette loi du 15 juillet 1914, qui instaure pour la première fois en France un impôt général sur les revenus. Ou plus précisément, la réforme instaure un impôt à deux étages, avec un premier étage qui instaure des taux d’imposition proportionnels pour différentes catégories de revenus, et un deuxième étage, constitué d’un impôt général adossé à un barème progressif.

C’est ce jour-là que voit enfin le jour, dans les circonstances tumultueuses de cet été 1914, la grande promesse portée par la Déclaration des droits de l’homme. La grande promesse de l’égalité des citoyens devant l’impôt et de la justice sociale, résumée par ce principe : plus on est riches, plus on paie !

Las ! Un siècle plus tard, le bilan est proprement consternant. Car après être monté en puissance jusqu’au début des années 1980, l’impôt sur le revenu a ensuite été progressivement démantelé. Et François Hollande et Manuel Valls veulent continuer cette œuvre de destruction. Voilà en résumé ce qu’établit cette note très documentée de l’Institut des politiques publiques, que nous évoquions tout à l’heure.

Produit d’un partenariat entre la prestigieuse École d’économie de Paris et le Centre de recherche en économie statistique (CREST – un organisme adossé à l’Insee), l’IPP produit périodiquement des notes visant à évaluer les politiques publiques. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que la dernière note (n°12, juillet 2014), consacrée aux cent ans de l’impôt sur le revenu, est la bienvenue.

Cette note, on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

 

Cette note commence par des rappels historiques précieux. Elle pointe en particulier que l’impôt sur le revenu ne prend sa forme définitive qu’en 1949, avec la suppression du premier étage d’imposition (les impôts dits cédulaires, en fonction de l’origine des revenus) et l’instauration d’un nouvel impôt, dit impôt sur le revenu sur les personnes physiques (IRPP), qui restera en vigueur jusqu’en 1971. Puis, en 1971, une nouvelle réforme dessine les contours d’un impôt sur le revenu moderne.

Mais quelles que soient ces mutations au fil des ans, la note relève qu’il faut distinguer deux périodes : pour l’impôt sur le revenu, il y a un âge de stabilité qui va de 1950 à 1986 ; on entre ensuite dans une période de déclin.

Pour la première période, celle de la stabilité, la note dresse ces constats : « Après une montée en charge du barème entre 1946 (5 tranches) et 1949 (9 tranches), le taux marginal supérieur va rester inchangé à 60 % de 1946 à 1982 (exception faite des deux années 1964 et 1967 et sans tenir compte des majorations exceptionnelles). Le nombre de tranches et les taux sont restés quasiment identiques pendant 25 ans, entre 1949 et 1974 : le barème typique de cette période possède 8 à 9 tranches avec une progression simple et quasi-arithmétique des taux : 0 %, 10 %, 15 %, 20 %, 30 %, 40 %, 50 % et 60 %. Le barème de l’impôt sur le revenu a connu ensuite une période faste entre 1975 et 1986, prolongeant la logique des décennies 1950 à 1970 : la progressivité a été plus étalée sur 13 à 14 tranches avec des taux échelonnés par pas de 5 points entre 0 % et 65 %. »

La note ajoute : « Les années de 1975 à 1986 constituent la période où le barème de l’imposition des revenus est le plus progressif de l’après-guerre. En 1986, la 14e et dernière tranche présentait un taux marginal de 65 % pour les revenus supérieurs à 241 740 francs (soit environ 48 000 € en euros 2014). »

Puis, après 1986, tout bascule. Sous les effets de la vague libérale, la droite française se convertit à une politique de baisse des impôts à marche forcée. Et les socialistes lui emboîtent le pas. Par coup de boutoirs successifs, l’impôt sur le revenu va alors commencer à être démantelé et sa progressivité remise en cause, pour le plus grands profits des plus hauts revenus.

Ce démantèlement progressif de l’impôt sur le revenu, qui est pourtant au cœur des valeurs fondatrices de la République, la note la présente de façon saisissante en quelques graphiques ou tableaux qui, le plus souvent, parlent d’eux-mêmes.

Le nombre de tranche d’imposition qui culmine à 14 en 1983, garantissant la véritable progressivité du prélèvement, est d’abord spectaculairement réduit, comme le rappelle le tableau ci-dessous :

                              (Cliquer sur ce tableau pour l’agrandir)

En trente ans, la progressivité de l’impôt sur le revenu est donc gravement mise en cause, avec une réduction de 14 à 6 du nombre des taux d’imposition.

Mais il n’y a pas que la progressivité de l’impôt sur le revenu qui est remise en cause au cours de ces trois dernières décennies. C’est le poids même de cet impôt sur le revenu dans le système global des prélèvements obligatoires français qui est aussi radicalement allégé. En clair, l’impôt sur le revenu, seul impôt progressif dans le système français avec l’impôt de solidarité sur la fortune et les droits de succession, devient de plus en plus microscopique, tandis que les autres impôts, de nature proportionnelle et donc beaucoup plus injustes, prennent progressivement une part croissante, comme le résume ce graphique :

                              (Cliquer sur ce graphique pour l’agrandir)

Commentaire de la note : « En 2013, avec 68,5 milliards d’euros, les recettes de l’impôt sur le revenu ne représentent que 7 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires. À titre de comparaison, la contribution sociale généralisée (CSG) représente 91,7 milliards d’euros (soit 4,3 % du PIB), 144,4 milliards d’euros pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (soit 6,8 % du PIB) et 44,3 milliards d’euros pour l’impôt sur les sociétés (IS) (soit 2,1 % du PIB). Le graphique 2 présente la part des recettes de l’impôt sur le revenu dans le total des prélèvements obligatoires depuis 1914 : dans l’après-guerre, la part de l’impôt sur le revenu dans les prélèvements obligatoires a suivi une phase d’expansion jusqu’en 1981, dépassant 12 % des PO pour ensuite décroître jusqu’au début des années 2000 à environ 6 % des PO. »

Et ce qu’il y a de très spectaculaire, c’est que dans cette vague libérale qui a submergé la planète, la France a fait du zèle. Contrairement à une idée reçue, propagée par la droite, les milieux patronaux – mais tout autant aujourd’hui, par les hiérarques socialistes –, la France a démantelé son impôt sur le revenu bien au-delà de ce qui a été pratiqué dans les pays les plus libéraux, les États-Unis et la Grande-Bretagne en tête. La preuve, c’est cet autre graphique qui l’apporte :

                              (Cliquer sur ce graphique pour l’agrandir)

Et au profit de qui l’impôt sur le revenu est-il été progressivement démantelé ? C’est le constat le plus ravageur de cette note, qui établit précisément que depuis un siècle, les ultrariches (les 1 % les plus favorisés) ont été de plus en plus avantagés par des exonérations ou abattements successifs, cumulés avec la diminution de la progressivité de l’impôt. Dans le même temps, pour les 90 % des moins riches, le poids de l’impôt a fortement progressé, comme le résume le graphique ci-dessous :

                              (Cliquer sur ce graphique pour l’agrandir)

Du coup, on comprend pourquoi les socialistes ont eu la très pertinente idée, dans le milieu des années 2000, de faire leur autocritique et, tournant le dos à cette politique de démantèlement de l’impôt sur le revenu, de proposer de refonder en France un grand impôt citoyen et progressif sur tous les revenus, sur le modèle de la « révolution fiscale » préconisée par l’économiste Thomas Piketty.

Mais on comprend aussi la gravité du reniement dont s’est ensuite rendu coupable François Hollande en oubliant cette promesse de la campagne présidentielle et en annonçant qu’il en revenait à la politique de baisse de l’impôt sur le revenu, initiée par la droite française en 1986 et amplifiée par les socialistes en 2000. Versant de nouveau dans le clientélisme et le poujadisme antifiscal, François Hollande vient en effet de confirmer, lors de son allocution du 14 juillet (lire Hollande déroule son plan de campagne pour 2017), que de nouvelles baisses de l’impôt sur le revenu pourraient intervenir en 2015, après celles annoncées pour cet automne 2014 par Manuel Valls. En clair, la doxa néolibérale a repris le dessus, et le cap fiscal est de nouveau fixé sur des baisses d’impôts. Un cap très gravement inégalitaire, comme cette note l’établit.

Dans des formules gentiment diplomatiques, la note conclut de la manière suivante : « Proposer une nouvelle jeunesse à ce centenaire est un enjeu démocratique. » Mais pour l’instant, on n’en prend pas du tout le chemin. Au lieu de la « révolution fiscale » promise, c’est une contre-révolution qui est en marche. La grande réforme fiscale est tombée aux oubliettes, et selon la belle formule dont se sert Jean Jaurès dans ce même discours, c’est un peu « l’esprit de la République » qui est de la sorte piétiné.

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Au grand bazar de la réforme territoriale

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Construire « une carte régionale pour les 50 ans qui viennent ». André Vallini, le secrétaire d’État de Manuel Valls chargé de la réforme territoriale, ne craint pas les superlatifs. Ne lui en déplaise, le gouvernement n’en est pas tout à fait là. Pour l'heure, depuis que François Hollande a décidé de redessiner la France, la carte des futures régions ne cesse d’être modifiée.

Mercredi, l’Assemblée nationale a commencé à discuter de la future organisation régionale de la France – ainsi que d’un report des élections régionales et cantonales de mars à décembre 2015, et d'une baisse de 10 % des élus régionaux. Le débat va durer toute la semaine. Il ne sera bouclé qu’à l’automne, après les élections sénatoriales du 28 septembre. D’ici là, la future carte administrative de notre pays pourrait bien évoluer encore, tant les projets actuels suscitent l'incompréhension, voire la colère.

Pendant deux ans, les doublons entre collectivités, les multiples échelons administratifs, tout cela n’était pas vraiment le souci de François Hollande. La réforme territoriale n’était pas à son programme présidentiel : il avait simplement annoncé un acte III de la décentralisation. Incarnation du notable local, le chef de l’État a d’abord brossé les élus dans le sens du poil.

Mais depuis la défaite des municipales, tout a changé. Impopulaire, incapable d’inverser pour l’heure la courbe du chômage et toujours dans l’attente des résultats d'un pacte de responsabilité qui n’est pas encore voté, François Hollande veut faire de cette réforme territoriale le signe que quelque chose bouge. En menant à bien une réforme que tous les gouvernements évoquent depuis trente ans sans jamais l’avoir faite, il compte se camper en réformateur audacieux. À l'Assemblée mercredi, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a parlé de « révolution ». « La mère des batailles », dit même Manuel Valls, qui se rêve en grand rénovateur d’une société bloquée.

Le 8 avril, lors de son discours de politique générale, le tout nouveau locataire de Matignon avait surpris en annonçant la suppression de la moitié des régions, celle des départements, et la fusion des d’intercommunalités. « Les régions pourront proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er janvier 2017 », assure alors le premier ministre.

Mais cette feuille de route fixée évolue encore. Finies les discussions entre les régions ; un mois plus tard, François Hollande, soucieux d'imposer son autorité, décide d’« accélérer ». Début juin, l’Élysée dégaine une carte de 14 régions concoctée à la va-vite, établie en liaison directe avec les grands éléphants socialistes.

La première carte des régions proposée par l'ElyséeLa première carte des régions proposée par l'Elysée


Jusqu’à la dernière minute, le nombre de régions a varié. Les arbitrages n’ont eu lieu qu’au dernier moment. « Une réforme sur un coin de table », dénoncent à raison la droite, les centristes et le Front de gauche.  

Cette carte-là ne dure qu’un mois. Début juillet, le Sénat refuse de l'examiner : communistes, élus de droite et radicaux de gauche dénoncent pêle-mêle une réforme hâtive, justifiée au nom d’économie factices, mais aussi oublieuse de la ruralité et de la démocratie – le Front de gauche, l'UMP et les radicaux de gauche ont plaidé pour un référendum, refusé par les députés.

C’est donc une feuille blanche qui est revenue à l’Assemblée.

Ces dernières semaines, le groupe PS de l’Assemblée, mené par le rapporteur du texte Carlos Da Silva (un proche de Manuel Valls, son suppléant à l’Assemblée) a multiplié tête-à-tête et auditions avec les élus. Mardi 15 juillet, c’est donc une nouvelle carte qui sort de la réunion du groupe socialiste, à laquelle n’assiste qu’un tiers des 290 députés PS. 

Votée par 75 voix contre 21, elle ne compte plus que 13 régions. L’Aquitaine, esseulée dans le projet élyséen, se retrouve mariée au Limousin et à Poitou-Charentes (qui, dans un premier temps, auraient dû se fiancer avec le Centre) au grand dam, dit-on, de Ségolène Royal – même si un proche jure qu’« elle ne s’est mêlée de rien ».

La Picardie est rattachée au Nord-Pas-de-Calais, contre l’avis de la quasi-totalité des députés du Nord, mais aussi de la maire de Lille Martine Aubry.

Champagne-Ardenne, étrangement mariée à la Picardie dans le projet de François Hollande, se voit rattachée à l’Alsace. La Bretagne reste toujours seule : intime du chef de l’État, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a eu gain de cause, contre l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault qui plaidait pour la fusion Bretagne-Pays-de-Loire. D'ici vendredi, des députés de tous bords vont proposer une série d’amendements proposant toutes sortes de variantes régionales. Il n’est donc pas exclu que cette carte évolue encore.

En deux mois, trois cartes des régions de France : cliquer ici pour afficher l’infographie de Libération.

À l’Assemblée, les socialistes ne s’en cachent pas : la nouvelle carte de France, fruit du seul dialogue des élus entre eux, ne repose pas sur de grands débats théoriques. « C’est du doigt mouillé », admet l’un d’eux. « La carte qui déclenche le moins de réactions négatives », dit un autre. Il n'est même plus question de le justifier par d'éventuelles économies, tout le monde reconnaissant désormais que la réforme n'en fera pas, et risque même de générer des surcoûts dans un premier temps, contrairement aux estimations fantaisistes avancées par le secrétaire d’État André Vallini, qui avait parlé de « 12 à 25 milliards d'économies ».

« Il y a tout de même un critère : réduire le nombre de régions pour être plus compétitif, assure Luc Carvounas, sénateur PS proche de Manuel Valls. Bruxelles ne comprend pas bien que la France ait des régions aussi petites. C’est une réforme structurelle qui doit nous permettre de mieux appliquer nos politiques publiques. »

En réalité, le souci du gouvernement est surtout d'incarner la réforme, le mouvement, ce fameux « changement » promis en 2012 et qui n'a pas eu lieu. Mercredi soir à l’Assemblée, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a raillé ceux qui souhaitent « des études complémentaires, des concertations, des symposiums, des états généraux, des Grenelle multiple pour dire qu’il est encore temps d’attendre et de ne pas décider ».

Les responsables de la majorité citent à l’envi ces rapports (Mauroy en 2000, Balladur en 2009, Raffarin en 2013) préconisant une suppression de la moitié des régions et qui n’ont jamais débouché.

« Depuis 30 ans, on dispose de plusieurs rapports et cela n’a rien changé, plaide Sébastien Denaja, responsable du texte pour le groupe PS. C’est le moment de décider, même si toute carte sera nécessairement imparfaite. » « La volonté du Président d’accélérer se comprend par sa volonté de réforme, mais elle a généré quelques problèmes de méthode », nuance Olivier Dussopt, rapporteur du texte sur les compétences des régions qui va suivre à l'automne, un proche de Martine Aubry. « Espérons que ce sera cohérent à la fin, plaide François de Rugy, coprésident du groupe écologiste de l'Assemblée nationale, favorable à un redécoupage. En France, ce genre de réorganisation s'est toujours faite par le haut, même si l'on aimerait que cela se fasse à partir des territoires ou de référendums locaux. La carte des départements a été faite en trois mois en 1789, et elle n’a jamais été remise en cause depuis. »

Sur de nombreux bancs, la méthode présidentielle est très contestée. À droite comme à gauche, beaucoup assurent qu'il aurait fallu d'abord discuter des nouvelles compétences des régions avant de parler de leurs frontières. Cela aurait évité, disent-ils, de jeter une carte dans le débat public en prenant le risque de laisser chaque élu de la Nation se transformer en petit avocat de son territoire.

« Hollande fait de l’autorité sans avoir l’autorité, c’est toujours pareil », peste un député de la majorité. « C'est du n’importe-quoi territorial, sans ligne directrice, s'agace l'UMP Valérie Pécresse. Une manœuvre de diversion pour que "dessinez-moi les régions" soit le grand jeu de l’été, et que les élus ne parlent plus des vrais problèmes, comme l'emploi ou le logement. » « Dans une démocratie normale, on aurait assigné des objectifs et des critères à cette réforme, déplore l'UDI François Rochebloine. Nous aurions parlé de compétences, d'efficience et de proximité. Une nouvelle fois, la méthode est insupportable ! » « Cette réforme méprise les élus locaux, elle fait des parlementaires des simples bricoleurs des limites régionales et trompe les citoyens sur les véritables enjeux, qui sont de confisquer les pouvoirs locaux. Elle décrédibilise toutes les valeurs de la gauche », tonne André Chassaigne (Front de gauche).

Au sein du PS, les projets actuels de redécoupage suscitent d'ailleurs la furie de certains grands élus socialistes. Dans le Nord, Martine Aubry et des élus PS ont fustigé l'« aberration économique et sociale » que représenterait la fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, décidée, selon eux, « sans discussion et brutalement ». « Les conséquences de cette fusion seraient extrêmement préoccupantes pour les habitants de nos collectivités, compte tenu qu'il s'agit de deux régions parmi les moins riches de la métropole », assurent-ils.

De concert avec l'UMP, des socialistes alsaciens déplorent le rattachement de la Champagne-Ardenne à l'Alsace-Lorraine. Les socialistes du Centre (désormais esseulé) réclament eux aussi une solution, par exemple un rattachement avec Pays de la Loire, région solitaire elle aussi faute de rattachement avec la Bretagne. Le député socialiste béarnais David Habib annonce qu'il refusera de voter la fusion Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, « une humiliation » pour le « Sud atlantique »

Martine Aubry, hostile à la carte proposée par le groupe socialisteMartine Aubry, hostile à la carte proposée par le groupe socialiste © Reuters

Déjà, certains présidents de conseil général menacent de demander à changer de région, en profitant du droit d'option inclus dans la loi qui permettra ces changements à partir de 2016  – une condition posée par les écologistes pour voter la réforme. Dans le Jura, Christophe Perny aimerait quitter la Franche-Comté pour rejoindre la future région Rhône-Auvergne. Dans l'Aude, André Viola menace de délaisser Languedoc-Roussillon pour Midi-Pyrénées. Craignant une résurgence des revendications type Bonnets rouges, le gouvernement sanctuarise la Bretagne actuelle. Mais les élus bretons n'excluent pas un futur mariage avec le seul département de Loire-Atlantique. « On n'est pas la Crimée », leur répond en privé le président des Pays de la Loire, Jacques Auxiette. « Et si Nantes part des Pays de la Loire, il n'y aura plus qu'à reconstituer le pays chouan… », s'amuse un élu proche de Jean-Marc Ayrault.

Pour l'heure, la cacophonie est à peu près totale. Elle devrait durer. La deuxième lecture du texte n'interviendra qu'à l'automne, une fois les élections sénatoriales du 28 septembre passées. À ce moment-là, la Haute Assemblée sera sans doute repassée à droite. La droite sénatoriale propose de plancher sur une nouvelle carte si elle est alors majoritaire. Le Sénat pourrait vite se transformer en bastion de la résistance contre la réforme anti-Hollande. À l'Assemblée, le débat reviendra au moment des feuilles d'impôts et du vote du budget 2015, qui prévoit 20 des 50 milliards d'économies (d'ici 2017) : le moment politique sera risqué.

Une fois la nouvelle carte validée, et les élections fixées à décembre 2015, le gouvernement devra ensuite s'atteler au deuxième texte « portant nouvelle organisation territoriale de la République ». Le deuxième volet de la réforme, le véritable texte de fond. Sans supprimer les départements (il faudrait pour cela une réforme constitutionnelle, ce dont le gouvernement s'est aperçu un peu tard), il leur enlève la gestion des collèges, des routes et des ports, supprime leur clause de compétence générale, tout en leur laissant le soin de subventionner les communes – base du clientélisme local à l'échelle départementale.

Il donne aux régions des pouvoirs accrus, notamment en matière économique, de développement durable et et de transports. Il fait passer la taille minimale des intercommunalités de 5 000 à 20 000 habitants, ce qui provoquera de nombreuses fusions.

Mais il ne dit rien de l'avenir des départements après 2020, date théorique de leur suppression. Ni de la façon dont seront exercées leurs compétences en matière d'action sociale. Déjà, des présidents de conseils généraux s'organisent pour ne pas disparaître, au nom de la « proximité et de la solidarité ». Le député de Dordogne Germinal Peiro vient de créer avec 70 députés socialistes un groupe de travail pour la défense des conseils généraux en milieu rural. Leur inquiétude, partagée par le Front de gauche : que la réforme territoriale ne s'accompagne d'une grande cure d'austérité dans les services publics, alors que l’État va priver les collectivités locales de 11 milliards d'euros de dotations sur trois ans.

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Au Mobilier national, une dent contre Nicolas Sarkozy et ses chiens

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On connaissait le goût de Nicolas Sarkozy pour le bling-bling. Il semblerait qu'il méprise en plus le style Empire. À l’Élysée, en tout cas, il a laissé ses chiens vandaliser le « Salon d'argent » de Napoléon, ensemble de meubles parmi les plus précieux de la République. Le rapport de la Cour des comptes sur le budget 2013 de l’Élysée, qui a dévoilé mardi 15 juillet le coût d'entretien des œuvres installées dans les résidences présidentielles, ne dit rien évidemment de cet épisode.

Le Salon d'argent à l'ElyséeLe Salon d'argent à l'Elysée © DR

Les magistrats financiers se contentent de livrer des chiffres globaux : plus de 500 000 euros dépensés en 2013, bien plus d'un million ces cinq dernières années. Mais dans les couloirs du Mobilier national, institution héritière du Garde-meubles royal, c'est la restauration du « Salon d'argent » qui a laissé le souvenir le plus amer, d'après des informations recueillies par Mediapart.

Doté de plus de 70 000 pièces (tableaux, fauteuils, tapisseries, etc.), le Mobilier est en effet chargé des prêts aux plus hauts représentants de l’État (ministres, préfets, ambassadeurs…). Il travaille toujours dans la plus grande discrétion, avec ses propres ouvriers et quelques artisans extérieurs. Fait exceptionnel, en janvier dernier, ses services s'étaient fendus d'un communiqué pour démentir les rumeurs de millions d'euros de dégâts à l’Élysée, supposément causés par une scène de ménage entre François Hollande et Valérie Trierweiler. Mais sinon, impossible de savoir quel ministre a réclamé quelle œuvre d'art pour son bureau. Ou bien qui a cassé quoi.

S'agissant de Nicolas Sarkozy, pourtant, les langues se délient. Car le « Salon d'argent » créé à l'époque de Napoléon, avec ses meubles dorés à l’or blanc et couverts d’étoffes, a atterri dans les ateliers du Mobilier à la mi-mai 2012, juste après la présidentielle, dans un état piteux.

Plusieurs corps de métier ont dû intervenir pour retaper méridiennes et fauteuils, restaurer les bois, resculpter, retapisser, etc. Ce qui a le plus heurté ? Les chiens du président ont visiblement aiguisé leurs crocs sur les accoudoirs, fameux pour leurs becs-de-cygnes.

D’après un devis, la réfection des dorures a été sous-traitée à un artisan parisien pour plus de 6 600 euros. L’achat de galons, à lui seul, a coûté plusieurs milliers d’euros. Sans compter les soieries, ni les heures de travail des ouvriers du Mobilier.

La "négligence" de Nicolas Sarkozy a d’autant plus choqué que le Salon d’argent, œuvre de l’ébéniste Jacob-Desmalter, a traversé deux siècles d’Histoire de France, choyé dans un boudoir de l’Élysée. C’est là que Napoléon, en 1815, a dicté son abdication. Là que le président Félix Faure est mort foudroyé d’une crise cardiaque dans les bras de sa maîtresse favorite – avant que les médecins ne jugent préférable d’installer le cadavre à son bureau.

L’épisode a d’ailleurs produit l’une des répliques les plus célèbres du "Palais" : « Le président a-t-il encore sa connaissance? », avait demandé l’abbé convoqué en urgence. Réponse du garde républicain : « Non, elle est partie par le jardin. »

L’inattention de Nicolas Sarkozy, en plus, aurait des antécédents. Quand il était ministre de l’intérieur, un précieux canapé était déjà rentré au Mobilier dans un état honteux, imbibé de poils et d’urine.

« La conservation soigneuse des œuvres et objets de collection (...) doit être au premier rang des préoccupations des institutions », a pourtant rappelé le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, dans un récent discours sur le patrimoine culturel français. 

Sollicité par Mediapart, l’administrateur général du Mobilier reconnaît non seulement « des traces d'usure » mais aussi de « détérioration » sur le Salon d'argent. Questionné sur l’éventuelle facturation à Nicolas Sarkozy d’une partie des travaux réalisés en 2012, Bernard Schotter explique que « les dépenses d’entretien et de restauration du mobilier sont prises en charge, selon les cas, par les institutions dépositaires ou le Mobilier ». Jamais par l'intéressé.

Le site de la manufacture des Gobelins à ParisLe site de la manufacture des Gobelins à Paris © Mobilier national

D'après le rapport de la Cour des comptes publié mardi, l’Élysée ne règle d'ailleurs jamais son dû, à l'inverse des autres institutions « dépositaires ». Les magistrats financiers recommandent donc de corriger cette anomalie : « (Les frais de restauration) devraient être facturés (à la présidence), conformément au droit commun applicable aux administrations publiques », écrivent-ils.

Au profit de l’Élysée, le Mobilier a par exemple dépensé 253 000 euros en 2013 (pour la rémunération d'artisans extérieurs), plus 246 000 euros de frais dans ses ateliers (sans compter l'achat des matières premières).

Au-delà des réparations, le Mobilier national (qui comptabilisait plus de 5 600 œuvres déposées à la présidence fin 2012) est aussi confronté à des disparitions. D'après des chiffres provisoires de la Cour des comptes, « 625 meubles du Mobilier national » et « 32 œuvres déposées par les musées nationaux » pouvaient être réputées « non vues » en 2012, dans les différentes résidences présidentielles (fort de Brégançon, etc).

Un fastidieux récolement, soit un inventaire sur pièce et sur place, est aujourd'hui en cours à l’Élysée, certains éléments pouvant simplement avoir été oubliés dans un placard. Mais si l'on comprend bien, « l'absence de récolements » antérieurs « à jour » empêchera de savoir quelles disparitions d’œuvres « sont récentes et celles qui sont plus (voire très) anciennes », regrette la Cour, qui s'agace : « Il est impératif de ne pas s’interdire à l’avenir de déposer plainte de façon systématique. » Car « l’expérience a montré que cette procédure, dissuasive, permet souvent le retour d’une partie significative des objets supposés disparus ».

« Pour l’Élysée, je pense que nous serons en mesure de présenter un document complet l’an prochain, affirmait au printemps dernier Jacques Sallois, président de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (logée au ministère de la culture et chargée de vérifier l'état des œuvres mises à disposition des différentes administrations), interrogé par Mediapart. Ce travail n’avait pas été fait rigoureusement pendant des décennies. » Et d'ajouter : « S’il y a des disparitions, il y aura des plaintes, comme pour les services du premier ministre. »

Une plainte a été déposée par le Mobilier national après la disparition de cette lampe, confiée en 1968 à MatignonUne plainte a été déposée par le Mobilier national après la disparition de cette lampe, confiée en 1968 à Matignon © DR

Déjà vingt-et-une disparitions d’œuvres déposées à Matignon depuis les années 1950 font l’objet d’une plainte au pénal, dont un fauteuil Louis-XV, des tapis d’Orient, une « lampe bouillotte à deux lumières » style Louis XVI ou encore une estampe de Poliakoff. « Les hommes ne se respectent plus les uns les autres, regrettait Antoine de Saint-Exupéry dans ses Écrits de guerre. Huissiers sans âme, ils dispersent aux vents un mobilier sans savoir qu'ils anéantissent un royaume. »

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Pour finir, une petite réforme pénale

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Équilibrée selon les uns, trop modeste pour d’autres, la réforme pénale de Christiane Taubira a été enfin adoptée définitivement jeudi matin, à l’issue d’une procédure accélérée qui s’est avérée assez complexe, et après un passage en commission mixte paritaire. Tous les groupes de gauche du Sénat ont soutenu le texte, contre lequel se sont prononcés les sénateurs UMP – à l'exception de Jean-René Lecerf, qui a voté pour – et les centristes. Très prudent sur le fond comme sur la forme, ce texte (on peut le lire en détail ici) s’intitule – de façon assez révélatrice – « projet de loi relatif à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ». Très encadré par l’Élysée, il n'a pas paru enchanter outre mesure la ministre de la justice, qui aurait aimé défendre un texte plus ambitieux, et dont l'avenir place Vendôme semble toujours incertain.

La mesure phare du texte, espérée depuis l’élection de François Hollande en mai 2012, n’est en fait qu’une abrogation, celle des peines planchers instaurées sous Nicolas Sarkozy. Ces peines de prison quasi automatiques pour les récidivistes restreignaient la liberté d’appréciation des magistrats, et n’ont eu aucun effet constaté sur la délinquance, tout en continuant pourtant à remplir les prisons – dont on sait qu'elles sont criminogènes. La surpopulation carcérale continue d’ailleurs à être préoccupante : le nombre de personnes détenues est de 68 295 au 1er juillet, pour 57 712 places.

Manuel Valls et Christiane TaubiraManuel Valls et Christiane Taubira © Reuters

L’autre mesure importante du texte est la création d’une mesure de « contrainte pénale », également appelée « probation ». Il s’agit d’une nouvelle peine en « milieu ouvert ». L’idée est de « mieux encadrer le condamné » et de « le soumettre à un programme de responsabilisation » après une phase d’évaluation de sa personnalité par les services d’inspection et de probation. À l’origine, cette peine était censée être différente et complémentaire du sursis avec mise à l’épreuve, qui est lié à un éventuel retour en prison. La contrainte pénale visait plutôt les personnes ayant « besoin d‘un accompagnement, afin de leur éviter de s’ancrer dans la délinquance », ce qui se produit souvent à l’occasion d’un court séjour en prison. Mais les débats parlementaires ont eu raison des belles idées nées de la conférence de consensus. Au bout du compte, la contrainte pénale restera connectée à la notion de retour en prison, et elle se rapproche grandement, du même coup, du sursis avec mise à l’épreuve déjà existant.

De même, les visées généreuses des sénateurs PS, qui souhaitaient que certaines infractions parmi les moins graves (des infractions routières notamment) ne soient plus sanctionnables que par la contrainte pénale (à défaut d’être dépénalisées), ont été remisées dans les armoires.

En revanche, l’automaticité de la révocation des sursis simples en cas de récidive a été supprimée, à la grande satisfaction du monde judiciaire. De même, plusieurs dispositions techniques, adoptées sous Nicolas Sarkozy, qui retardaient et compliquaient les demandes d’aménagement de peines et de réduction de peines ont été abrogées.

À l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire), on juge que dans l’ensemble le texte final est « équilibré ». L’USM se dit notamment soulagée que la contrainte pénale ne soit pas étendue systématiquement à certains délits, ce qui aurait fait craindre une possible asphyxie du système. En première ligne, les services de probation et d‘insertion (SPIP), ainsi que les juges de l’application des peines, auront en effet un surcroît de travail avec cette réforme, dès septembre, sans que l’on sache s’ils pourront y faire face.

Au Syndicat de la magistrature (SM, gauche), on déplore en revanche le manque d’audace du texte et les occasions perdues. Ainsi, les tribunaux correctionnels pour mineurs, créés ex abrupto en août 2011, et qui fonctionnent très mal, ne sont finalement pas supprimés. Leur abrogation est renvoyée à une hypothétique réforme du droit des mineurs en 2015, annoncée comme un lot de consolation par la ministre de la justice, mais à laquelle pas grand-monde ne croit chez les professionnels.

Autre sujet de déception du milieu judiciaire, la mesure dite de « rétention de sûreté », créée en 2008, et qui permet de ne pas libérer un détenu en fin de peine au motif de sa dangerosité supposée, est finalement maintenue. Ce malgré les très nombreuses critiques qui l’accablent : celles du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) notamment, mais aussi de l'universitaire Mireille Delmas-Marty.

SM et USM se rejoignent, en revanche, pour s’inquiéter des diverses mesures de contrôle des personnes sortant de prison qui seront accordées aux « états-majors de sécurité » et aux « conseils locaux de prévention de la délinquance » (regroupant élus, préfecture, police, justice, et plusieurs administrations). Même si une partie des dispositions les plus sécuritaires a été abandonnée, les états-majors de sécurité auraient toujours un rôle de surveillance et de contrôle, au nom duquel ils pourraient devenir partie prenante du processus d’application des peines, et demander des informations aux magistrats sur les personnes sorties de prison.

Un véritable glissement de compétences de la justice vers l’administration qui semble dangereux, voire inconstitutionnel aux yeux des deux principaux syndicats de magistrats.

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Icade: fric-frac dans le logement social

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Ce fut sans doute la dernière décision de Dominique de Villepin comme premier ministre. Il y avait manifestement urgence à expédier cette ultime affaire courante. Le 15 mai 2007 – dernier jour du gouvernement –, Matignon publiait un décret au Journal officiel autorisant les bailleurs sociaux qui rachèteraient des logements sociaux déjà construits à bénéficier de conditions de financement identiques à celles des logements sociaux neufs. Comme l’avouait le directeur de cabinet de François Fillon dans une autre affaire pour justifier la signature d’un décret opportun au dernier moment : « D’une certaine façon, le ministre rend service à son successeur. Il laisse un dossier bouclé derrière lui. »

© Reuters

Matignon rendit donc service. Ce décret, resté dans la dénomination de la haute administration et du monde de l’immobilier comme le décret Icade, était une étape indispensable pour la suite, comme le souligne le deuxième rapport préliminaire de la Cour des comptes sur la gestion de la filiale de la Caisse des dépôts. Il assurait les financements de l’État (liés au livret A) plus une exonération de taxe foncière de 25 ans au lieu de 15 ans aux acquéreurs de logements sociaux déjà construits, rappelle-t-il. « Ce décret Icade a donc eu pour premier objet de faciliter le rachat des logements sociaux du groupe par des bailleurs sociaux », insiste-t-il.

La Cour des comptes revient, dans ce deuxième rapport, sur cette vaste opération de désengagement du logement social menée par Icade, avec l’appui de la Caisse des dépôts. Dans un autre rapport établi en janvier, dont Laurent Mauduit a longuement parlé (voir ici, ou encore ), celle-ci avait critiqué cette opération, accusant la Société nationale immobilière (SNI), autre filiale de la Caisse des dépôts, d'avoir agi contre l’intérêt des bailleurs sociaux en les amenant à payer ces habitations à un prix surévalué. Elle lui reprochait en outre de s’être trouvée en conflit d’intérêts, pour avoir eu les mêmes conseils qu’Icade et la Caisse des dépôts dans cette opération.

Juste avant son départ de la Caisse des dépôts pour le secrétariat général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet avait rendu public un rapport commandé à deux experts – Sabine Baïetto-Beysson, inspectrice générale de l'administration du développement durable, et Pierre Hanotaux, inspecteur général des finances. Ce rapport blanchissait la SNI, jugeant cette opération parfaitement conforme aux intérêts de la CDC et des bailleurs sociaux. Jean-Pierre Jouyet avait pu quitter ainsi la Caisse, sans avoir à intervenir plus avant.

Cette défense ne semble pas avoir convaincu la Cour des comptes. Elle reprend les mêmes accusations et les complète, en regardant cette fois du côté du vendeur, Icade. Ses nouveaux constats viennent totalement appuyer les enquêtes publiées par Laurent Mauduit sur la SNI.

Pointant ce rachat, réalisé sur des références de prix de marché au plus haut, elle constate que « l’opération Icade a mobilisé à elle seule une grande partie des financements du logement social dans la région parisienne en 2008-2011 » sans qu’un mètre carré supplémentaire de logement n'ait été construit. « Les actionnaires privés (d’Icade) ont bénéficié des dispositifs publics mis en place pour garantir cette opération », critique-t-elle. Avant d’ajouter : « De concert, l’État et la Caisse ont activement soutenu cette opération », afin de la rendre possible. Elle se demande si tout cela correspond bien « à la mission d’intérêt public de la Caisse ».

Entre 2006 et 2007, les acteurs de cette affaire ont changé. Augustin de Romanet a succédé à Francis Mayer, décédé, à la direction de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) début 2007. En août 2007, Serge Grzybowski a remplacé Étienne Bertier à la présidence d’Icade. Mais le projet reste le même. « Icade s’était engagé dans le secteur immobilier concurrentiel. Il avait donc vocation dans cette optique à se défaire de son parc de logements sociaux, incompatible avec son nouveau modèle », constate le rapport de la Cour des comptes.

Si la direction d’Icade ou les administrateurs désignés par la Caisse des dépôts avaient eu quelque velléité de résistance, au sein du conseil de la société, plusieurs voix les auraient de toute façon rappelés à l’ordre. Parmi elles, un personnage paraît se faire souvent entendre : Francis Gleeson, représentant du premier actionnaire privé, North City Real Estate, aux côtés de la CDC, nommé administrateur « indépendant » (sic) au conseil d’Icade. Il pousse à une vente rapide des logements sociaux de la société, afin que celle-ci devienne une société foncière classique. Icade est une entreprise cotée depuis 2006 : il convient d’entendre ce que disent les investisseurs. 

Dès le début 2007, une réorganisation interne a eu lieu, amenant Icade à prendre le contrôle de toutes ses filiales de promotion et de développement (EMGP, Foncière des Pimonts), afin de renforcer son caractère d’opérateur immobilier classique. Dans la foulée, la société, conseillée par la Société générale, adoptait le statut de société d’investissement immobilier cotée (SIIC) qui lui permet de vendre son patrimoine accumulé parfois depuis des années, en franchise d’impôt sur les plus-values, à la condition que le produit de la vente soit reversé à ses actionnaires. Un dispositif sur mesure, peut-on dire.

Fin décembre 2007, la direction d’Icade semble encore envisager de sortir en douceur de son rôle de bailleur social. Un plan de cession courant sur la période 2008-2011 prévoit la vente de 14 000 logements en bloc pour environ 980 millions d’euros, soit 1 000 euros le mètre carré en moyenne, note le rapport de la Cour des comptes. Puis tout s’emballe. Dès le printemps 2008, le conseil parle d’une cession totale de son parc de logements sociaux. Cela représente quelque 45 000 logements, estimés à une valeur de 2,9 milliards d’euros.

Le très grand bailleur social de la région parisienne, 3F, dirigé alors par Yves Laffoucrière, l'ancien responsable de l'OPAC (Office public d'aménagement et de construction) du temps de la gestion chiraquienne de la ville de Paris, est approché pour reprendre en bloc les logements d’Icade, comme l’a raconté Mediapart à l’époque. Les négociations se déroulent dans la plus totale opacité, avant de capoter : les 3F jugent ce rachat beaucoup trop compliqué et surtout beaucoup trop cher.

Cet échec, à suivre ce que raconte le rapport de la Cour des comptes, met le conseil d’administration en émoi. Dès juillet, lors d’une réunion de comité, l’administrateur indépendant Marc-Antoine Autheman, alors directeur du Crédit agricole, exige « une clarification sur la stratégie d’Icade ». Le 9 octobre, cet administrateur insiste, indiquant « être en contact avec des acquéreurs potentiels ».

Serge Grzybowski, PDG d'IcadeSerge Grzybowski, PDG d'Icade © Reuters

« Les plus-values dégagées sur cette cession règleraient les problèmes du cours de Bourse d’Icade », indique-t-il selon le procès-verbal du conseil cité par le rapport. Des propos qui témoignent d’une grande vision stratégique. À cette date, il y a quinze jours que la banque Lehman Brothers s’est effondrée, le monde se demande alors s’il ne va pas assister à l’écroulement du système financier international. Mais au conseil d’administration d’Icade, on parle cours de Bourse.

Le seul fait notable que le conseil paraît avoir acté est que, dans cette tourmente mondiale, il allait être compliqué de trouver des acquéreurs pour les logements sociaux. L’affaire, cependant, ne paraît devoir souffrir le moindre délai : il y a urgence, semble-t-il, à transformer Icade en un « pure player » de la promotion immobilière. Le 11 décembre 2008, un nouveau conseil d’Icade se tient. Alors que la situation est confuse, le directeur général de la Caisse des dépôts, Augustin de Romanet, lance, sybillin : « En cas d’acquisition par une filiale de la Caisse, il faudra une attestation d’équité », selon les propos rapportés par la Cour des comptes.

La Caisse des dépôts a trouvé la solution : à défaut d’acheteurs extérieurs, ce sera une autre de ses filiales, la SNI, qui va être l’acheteur. Le 29 décembre 2008, un accord de confidentialité est signé entre Icade et la Société nationale immobilière. Cette dernière se propose de devenir le chef de file d’un certain nombre de bailleurs sociaux dans la région parisienne, en vue de racheter dans le cadre d’un consortium les logements sociaux d’Icade. « Aucune consultation préalable avec les collectivités concernées ou avec les organismes des logements sociaux n’a été engagée », relève le rapport. Tout se passe entre soi, au sein de la Caisse.

Pourquoi Augustin de Romanet se rallie-t-il au projet d’évolution d’Icade, qu’il avait critiqué à son arrivée à la Caisse des dépôts ? Pourquoi accepte-t-il que la Caisse des dépôts prête main-forte à sa filiale cotée ? Est-ce la perspective d’empocher des dividendes confortables ou autre chose ?

Il est vrai qu’Augustin de Romanet est sous la pression de l’Élysée. Très critiqué par Nicolas Sarkozy, il sait que celui-ci souhaiterait le remplacer par un proche à la direction de la Caisse des dépôts. Le directeur de la Caisse sait aussi que le dossier Icade est désormais

Augustin de Romanet , directeur général de la CDCAugustin de Romanet , directeur général de la CDC © Reuters
suivi de très près par le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant. André Yché, le dirigeant de la SNI, est devenu le conseiller de l’Élysée en matière de logement social et il y va chercher des appuis lorsque la Caisse paraît faire de la résistance à son ambition de devenir le premier bailleur social de France. Pour terminer le tableau, le banquier Jean-Marie Messier, qui vient justement d’embaucher le gendre de Claude Guéant, Jean-Charles Charki, sera enrôlé quelques mois plus tard comme banquier conseil d’Icade et de la SNI.

Le rapport revient sur la situation étrange qui s’installe au sein de la Caisse. La SNI choisit les mêmes conseils que la Caisse des dépôts : la banque HSBC et le cabinet d’avocats Weil Gotshal (voir l’article de Laurent Mauduit sur le rôle de Frédéric Salat-Baroux, gendre de Jacques Chirac et avocat à ce cabinet). « Il est surprenant de voir le conseil de l’acheteur potentiel désigné de fait par le principal actionnaire du vendeur (…). Il aurait été plus légitime que les acheteurs fassent appel à des conseils extérieurs au groupe », écrit-il.

La SNI, selon la Cour des comptes, se retrouve en « conflit de mission », intervenant tantôt comme chef de file du consortium, tantôt comme acheteur direct de certains logements, tantôt comme associé d’Icade. Quelle mission a-t-elle privilégiée ? La suite prouve que ce flou n’a pas aidé à la transparence de la transaction.

Deux milliards d’euros ! Avant même d’avoir fait la moindre analyse du patrimoine vendu, le prix est fixé. « À ce stade, les estimations et les offres sont faites à l’aveugle », rapporte la Cour des comptes. Elle cite une lettre d’André Yché adressée à Christine Lagarde, ministre des finances, en ce sens. « Même si ce montant ne saurait constituer un engagement de la part de la SNI, il est mieux de voir qu’un consortium non encore constitué (il le sera un mois plus tard, ndlr) puisse être ainsi réputé proposer un ordre de prix par le truchement de son futur chef de file », écrit-il.

Les sociétés d’HLM de la région parisienne, qui ont été invitées « sur le seul choix de la SNI », note le rapport, à participer au

André Yché, pdg de la SNIAndré Yché, pdg de la SNI © dr
consortium formé pour conduire le rachat des logements sociaux d’Icade, protestent quand ils découvrent les prétentions d’Icade. On leur demande des fortunes qu’elles ne sont pas capables de payer. Des maires, des élus s’insurgent d’avoir à racheter une deuxième fois des logements sociaux que leurs communes ont aidé à construire, à un prix prohibitif. Ils s’inquiètent de voir tant d’argent engagé dans une opération qui ne créera pas un logement social de plus. 

Cette révolte menace de faire échouer à nouveau la vente. Il est rappelé alors que les acheteurs peuvent bénéficier des financements aidés, distribués par la CDC, dans le cadre du logement social. « La CDC n’est donc pas restée en retrait mais a facilité les achats, les financements rendus disponibles pouvant déterminer la volonté d’acquérir voire l’acceptation du prix d’achat, apportant son concours au vendeur », accuse le rapport. Il enfonce le clou, en démontant la défense de la direction de la Caisse des dépôts qui a fait valoir que ses administrateurs siégeant au conseil d’Icade s’étaient abstenus de participer à chaque vote lié à cette vente, afin d’éviter le conflit d’intérêts. « L’abstention était opportune mais sans rapport avec les entrecroisements d’intérêts entre les entités concernées », insiste-t-il.

Que ce soit Icade, la SNI ou la CDC, tous ont de fait intérêt à voir se réaliser cette vente des logements sociaux. Finalement, Icade lâche du lest et accepte de conserver certains programmes immobiliers dont les bailleurs ne veulent pas. Un accord est trouvé en novembre 2009. Le consortium emmené par la SNI va payer 1,637 milliard d’euros pour reprendre les logements sociaux d’Icade.

L’effort n’est qu’apparent, comme le relève la Cour des comptes. « La transaction envisagée au départ prévoyait la cession de 31 453 logements pour 2 milliards d’euros, soit 63 586 euros en moyenne par logement. (…) Dans le protocole final, il est prévu de céder 24 407 logements pour 1,637 milliard d’euros, soit 67 071 euros en moyenne par logement », écrit le rapport. En quelques mois, le prix moyen a augmenté de 6,2 %, en pleine crise financière et économique. Un exploit !

Logements sociaux à la Plaine Saint-Denis.Logements sociaux à la Plaine Saint-Denis. © DR

La Cour des comptes revient longuement sur les méthodes de calcul utilisées pour évaluer ce patrimoine. La référence à l’actif net réévalué, utilisée par les sociétés foncières privées, ne lui paraît adaptée à des bailleurs sociaux, « soumis à d’autres règles ». « Ce recours conduisait à renchérir le prix des biens vendus », dit-elle. En écho au rapport en défense de la Caisse des dépôts, qui avait jugé que la somme versée à Icade « paraît justifiée et raisonnable » et « ne constitue donc en rien une spoliation des acquéreurs », les magistrats de la Cour des comptes citent un autre avis d’expert, celui d’Associés en finance : « La cession permet de cristalliser un niveau élevé de plus-value pour l’actionnaire dans un contexte de crise immobilière. La transaction se fait au prix moyen de juin 2008, soit au plus haut du marché », avait-il écrit.

La Cour des comptes arrive au même constat. Les prix lui semblent d’autant plus élevés que, comme le note le rapport, « des acquéreurs ont eu de mauvaises surprises sur l’état des immeubles », les obligeant à engager des travaux qui n’avaient pas été pris en compte (voir Icade et ses locataires : une longue histoire de haine). Les bailleurs sociaux n’ont en effet pu visiter les immeubles et les logements qu’une fois l’offre déposée. « Le vendeur semble s’être exonéré des obligations contractuelles classiques », note le rapport. À chaque étape, tout a ainsi été fait au détriment des bailleurs sociaux.

Au-delà du prix, la Cour des comptes relève que cette opération va à l’encontre de la politique du logement social. À lire le rapport, la cession des logements d’Icade s’apparente à une opération d’affichage. Les logements rachetés, souvent classés en catégorie intermédiaire, ont été reclassés en logement sociaux. « Les communes ont pu ainsi afficher un taux de 20 % de logements sociaux (seuil fixé dans le cadre de la loi SRU – ndlr), notamment dans les Hauts-de-Seine », note-t-il.

Mais dans les faits, pas un mètre carré de logement social supplémentaire n’a été construit. De plus, la cession a abouti à faire disparaître des logements intermédiaires, alors qu’il y a pénurie de ces logements en Ile-de-France, souligne la Cour des comptes, reprenant une grande partie des critiques des élus de la région à l’époque. Le rapport insiste aussi sur le fait que l’opération Icade a mobilisé « des fonds représentant une année de production pour les bailleurs sociaux de l’Ile-de-France ». Des ressources qui « auraient pu être utilisées pour de nouveaux programmes de construction », dit le rapport.

L’appauvrissement est aussi pour les communes. Pour faciliter l’opération, l'État a accepté d’exempter les acheteurs des logements Icade de toute taxe foncière pendant 25 ans au lieu de 15. Face à la fronde des élus, la Caisse a réussi à obtenir un autre geste de l’État. Fin décembre 2009, la ministre des finances, Christine Lagarde, s’engageait à compenser intégralement ce manque à gagner pour les communes. La mesure n’a pas tenu deux ans. La compensation a déjà été ramenée à 60 %. Compte tenu des plans d’économie prévus par le gouvernement, le destin de cette disposition semble scellé. Certaines communes pourraient se souvenir encore longtemps de l’opération Icade. « De concert, l’État et la Caisse ont activement soutenu cette opération », tranche le rapport.

Tout cela répond-il vraiment à la mission d’intérêt public de la Caisse ?, se demandent les enquêteurs, qui relèvent que dans cette opération, la CDC n’a eu comme préoccupation que de « maximiser son gain », accusent-ils.

Car les seuls bénéficiaires de ce fric-frac dans le logement social ont été les actionnaires. « Les actionnaires privés ont bénéficié des dispositifs publics mis en place pour garantir le succès de cette opération », insiste le rapport. En 2010, la direction d’Icade a décidé de distribuer 206 millions d’euros, sous forme de dividendes exceptionnels, pour célébrer le succès de la vente de ses logements sociaux. En 2012, Icade a de nouveau accordé un dividende exceptionnel, l’amenant à verser aux actionnaires 86 % de son cash flow. La CDC en a profité : l’opération Icade a permis de lui faire remonter plus de 600 millions d’euros. Juste derrière elle, se retrouve la société North Paris Real Estate, qui n’a cessé pendant toute cette période de monter au capital d’Icade, pour arriver au-delà du seuil de 5 %.

Débarrassée de ses logements sociaux, Icade a réalisé sa grande ambition : devenir un promoteur classique. La société a lancé de multiples programmes de bureaux, de commerces sur les terrains si convoités de la zone de la Plaine Commune en Seine-Saint-Denis. Son président, Serge Grzybowski, a multiplié les acquisitions pour se hisser parmi les grands de la promotion immobilière. Fin 2009, juste après la conclusion de la cession de ses logements sociaux, la société a racheté à prix d’or la compagnie de la Lucette, une société foncière spécialisée dans les bureaux, filiale de la banque Morgan Stanley. À cette occasion, la banque américaine est entrée au capital, devenant le deuxième actionnaire derrière la Caisse. En 2013, après plus d’un an de bataille boursière, Icade a acquis la société Silic, spécialisée dans les parcs d’affaires locatifs.

À chacune de ces acquisitions, la participation de la Caisse a été un peu diluée, tombant aujourd’hui à un contrôle indirect de 37 % du capital de sa filiale. L’objectif fixé en 2004 a été atteint : Icade est désormais une société privée. Pourquoi la Caisse ne vend-elle pas le tout ? Icade n’a plus aucune vocation d’aménageur public et agit comme une société foncière normale. Sa présence, finalement, ne revient qu’à donner une garantie publique implicite aux actionnaires privés, un aléa moral qui se conjugue à tous les temps.

De tels succès valaient bien récompense. Étant dans la sphère publique, la rémunération de Serge Grzybowski est officiellement plafonnée à 450 000 euros par an. Mais il y a les à-côtés, comme le relève le troisième rapport de la Cour des comptes sur Icade. Chaque année, le PDG d’Icade se fait attribuer des bonus par son conseil : 112 000 euros en 2009, 68 000 euros en 2010, 120 000 euros en 2011. La Cour note que les critères d’attribution de ces bonus sont des plus fluctuants. En 2009, le conseil salue « la bonne gestion sociale du transfert des salariés », Icade ayant repris lors de la vente de ses logements sociaux une partie du personnel qui y travaillait. En 2012, il obtient un bonus pour le succès du rapprochement avec Silic, « alors que l’opération n’est pas encore achevée », s’étonnent les rapporteurs. Au bout du compte, « la rémunération du président d’Icade est supérieure à celle du directeur général de la Caisse des dépôts », relèvent-ils, jugeant cette disparité incohérente.

En se repositionnant sur l’immobilier tertiaire et résidentiel, Icade visait les marchés les plus profitables. Mais aujourd’hui, ce grand projet a quelques ratés. Avec la crise, le marché des bureaux est en difficulté et les rendements baissent. Il faut parfois plusieurs mois pour trouver les locataires d’une tour, même à La Défense, et en consentant d’importantes remises. Les centres commerciaux, déstabilisés eux aussi par la crise, les changements de mode de consommation et le e-commerce, ne sont plus la mine d’or qu’ils étaient auparavant. Et comme tous ceux qui se veulent les acteurs du Grand Paris, Icade presse les bailleurs sociaux de venir le rejoindre et de participer activement à l’aménagement de ces nouveaux territoires. Finalement, ce n’est pas si mal que cela, le logement social.

Le 14 janvier 2014, à quelques jours de la remise du premier rapport de la Cour des comptes sur la SNI, Francis Gleeson a démissionné du conseil d’administration d’Icade, mettant ainsi un point final à cette “fructueuse” collaboration. Sa présence ne s'imposait plus : au fil de l'année 2013, la société irlandaise qu’il représentait a vendu toute sa participation. À la mi-mai, il est devenu le dirigeant d’une coquille suisse spécialisée dans les placements. Celle-ci est basée dans le canton de Zoug, paradis fiscal suisse.

BOITE NOIRECe nouveau rapport de la Cour des comptes sur la vente des logement sociaux par Icade, rachetés en partie par la SNI, vient confirmer les enquêtes de Laurent Mauduit sur la SNI. La publication du premier rapport de la Cour des comptes sur cette société fait l'objet d'une plainte en diffamation déposée par la SNI et son directeur André Yché contre Mediapart et Laurent Mauduit. Six plaintes ont été déposées au total (lire ici).

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Bercy rappelle un peu à l'ordre la grande distribution

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À chaque guerre ses victimes collatérales. Dans le monde de l’agro-alimentaire, les plus petits acteurs (agriculteurs, PME) comme les plus grandes multinationales s’estiment pris à la gorge par la course au prix bas menée par les enseignes de la grande distribution, les centres E.Leclerc en tête. Le bras de fer entre producteurs et fabricants d’un côté et distributeurs de l’autre n’est pas nouveau, mais, en ces temps de crise, la fragilisation des revenus des consommateurs radicalise les débats.

Face à la fronde menée par une alliance presque contre-nature des agriculteurs et PME avec les multinationales, l’exécutif avait donc décidé de taper du poing sur table. Trois ministres, Arnaud Montebourg (économie), Stéphane le Foll (agriculture), et Carole (commerce et consommation) avaient invité jeudi soir à Bercy les représentants de la grande distribution à s’expliquer sur leurs pratiques commerciales visant à proposer des prix toujours plus bas. 

Les représentants présents de Carrefour, Intermarché, Leclerc, Auchan et Système U se sont fait taper sur les doigts par les ministres. Dans un communiqué, Bercy a en effet reconnu l’existence de pratiques irrégulières de la part des grandes surfaces. Les enquêtes de la répression des fraudes (DGCCRF) ont relevé l’existence de « demandes de baisse de tarif après signature du contrat, des menaces de rupture, de déréférencement » ou encore  « des rétrocessions de chiffre d’affaires injustifiées ». Affichant sa fermeté, le gouvernement a promis de boucler cet été le rapport de la répression des fraudes et de sanctionner les géants de la distribution en cas de pratiques assimilables à de l’extorsion.

Des menaces donc, mais c’est à peu près tout. Les producteurs sont « restés sur leur faim », a expliqué à l’AFP Yves Le Morvan, directeur général délégué de Coop de France. Ces derniers affichent leur colère depuis plus d’un mois. Dans une lettre envoyée le 11 juin dernier au premier ministre, les géants de l’agroalimentaire, représentés par l’association nationale des industries alimentaires (ANIA), les agriculteurs, par l’intermédiaire de la FNSEA, et les PME et coopératives via le mouvement Coop de France, dénonçaient avec inquiétude les agissements de la grande distribution. 

Selon ces fournisseurs, la grande distribution s’est lancée dans une « guerre des prix », qu’elle accompagne « d’abus » durant les phases de négociations et « de menaces de retraits de certains produits de leurs rayons ». D’après leurs calculs, la situation pourrait détruire près de 20 000 emplois en France.

Si peu d’éléments de la table ronde de Bercy ont filtré, une répétition générale avait eu lieu la veille, mercredi, en public, au palais Bourbon. Conviés par les députés de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, l’ensemble des acteurs de la filière se sont dit leurs quatre vérités (l'intégralité de la réunion est à voir ici). Sur fond de conflit commercial, la question du pouvoir d’achat est restée centrale devant les députés.

La majeure partie du chiffres d’affaire des centres Leclerc est réalisée en « semaine 2 », lors du « versement des allocations », indique Michel-Édouard Leclerc. Une preuve de plus que le pouvoir d’achat du consommateur français se fragilise. Les ménages consacrent aujourd’hui 13 % de leur budget à l’achat de denrées alimentaires, soit le troisième poste de dépenses après le logement et le transport. 

Pas question donc pour les centres E.Leclerc de changer la politique des prix bas. Assis devant les parlementaires à côté de Jacques Creysse, représentant entre autres Auchan, Carrefour et Casino, il érige la grande distribution en « amortisseur de crise ». 

Mais pour les députés de la commission, la course effrénée aux prix initiée par Leclerc provoque un cercle destructeur d’emplois, chez les fournisseurs comme chez les distributeurs. « Auchan a supprimé 22 % de ses cadres et gelé ses investissements pour avoir les moyens de (les) suivre », explique Annick Le Loch, élue PS du Finistère.

Comment proposer des prix aussi bas aux consommateurs ? Les fournisseurs des grandes surfaces ont la réponse. Selon eux, les hypermarchés répercutent systématiquement leurs prix faibles sur leurs coûts d’achat aux producteurs, jamais sur leurs marges brutes. « Entre 2007 et 2008, il y a eu une augmentation de 7 % des prix des denrées alimentaires, suite à la hausse des cours des matières premières agricoles, c’est quatre fois plus de ce qu’on observait d’habitude. Pourtant en 2009, après l’effondrement des cours, les prix sont restés stables en rayon », rappelle devant les députés Olivier Andrault, spécialiste des questions alimentaires pour l’UFC Que Choisir. La tendance se poursuit depuis et pourrait s’expliquer par l’augmentation surprenante des marges que la grande distribution applique sur certains produits. Pour le poulet ou le porc, les hypermarchés appliquent en moyenne une marge brute de 42 %, constate Olivier Andrault.

 Selon un calcul de l’UFC Que Choisir, l’augmentation des marges équivaudrait depuis 2004 à 7,7 milliards d’euros de gains pour les grandes enseignes, au détriment des consommateurs. Faux, répond Michel-Édouard Leclerc : « On a grillé 0,8 point de marge depuis le début de l’année pour les baisses de volumes. »

La grande distribution est accusée de toute part d’abuser de sa position dominante. Jean-Philippe Girard, représentant l’ANIA, réclame aux pouvoirs publics un « durcissement des contrôles » et des sanctions plus sévères envers les distributeurs.

« On est face à une inflation des coûts et une déflation des prix, c’est impossible à tenir pour une entreprise » constate le président de l’ANIA, qui défend les intérêts de 12 000 entreprises agroalimentaires, dont des multinationales comme Coca-Coca, Nestlé ou Ferrero.

Mais les plus gros fabricants ne publiant pas leurs marges brutes enregistrées sur le marché français, difficile pour les députés d’estimer l’équilibre du rapport de force. « Il n’y a pas de déséquilibre, produit par produit, il y a 2 ou 3 entreprises qui représentent 80 % des marchés et qui font jusqu’à 20 % de marges nettes », se défend Jacques Creysse. Les distributeurs dénoncent au contraire des « blocages » de la part des multinationales dans les négociations fournisseurs-distributeurs. Celles-ci sont accusées d’appeler le gouvernement à l’aide en « s’abritant derrière les petits », dans un étonnante « alliance du matou et de la souris », ironise Michel-Édouard Leclerc.

Car mercredi, au sein de l’assemblée, les députés font bloc pour alerter sur la situation de certaines PME et des agriculteurs exploitants, incapables d’imposer un rapport de force dans cette course au prix. Pour Michel-Édouard Leclerc, le salut des producteurs doit venir par la valorisation-produit, le marketing et l’innovation, c’est ce que fait « tout entrepreneur digne de ce nom ». Les ministres vont dans ce sens en demandant jeudi aux distributeurs de mettre plus en avant les produits d’origine française, en particulier pour les filières les plus fragiles (lait, fruits et légumes, œufs, produits de la mer). 

Les comparateurs de prix et le CICE aussi dans le viseur 

La valorisation des produits de qualité passerait ainsi par une meilleure identification, voire presque « une éducation » du consommateur. Là encore, les méthodes d'E.Leclerc empêcheraient une telle démarche. Unanimement, les professionnels du secteur ciblent Michel-Édouard Leclerc sur l'une de ses armes de communication favorites : la publicité comparative des prix. Vivement critiqués par les trois associations de fournisseurs, mais aussi par les autres acteurs de la distribution car jugés « destructeurs de valeurs » et sources de « déstructuration des efforts de production et de contrôle sanitaire », les comparateurs de prix seront mieux surveillés, promet Carole Delga. Les sites qui garantissent « une information exacte et loyale des consommateurs » resteront en place. 

Pas de modification non plus au programme pour le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui offre des exonérations de charges aux distributeurs. En 2013, Carrefour a perçu 90 millions d’euros, selon la section CFDT du groupe, grâce à ce dispositif de soutien aux entreprises créé par Jean-Marc Ayrault. La FNSEA souhaiterait que les grandes enseignes utilisent cette manne financière pour diminuer leurs marges. Mais le CICE ne prévoyant pas de réelles contreparties, les moyens d’actions sont maigres pour le gouvernement. Le sujet n’a d’ailleurs été que « très brièvement évoqué » jeudi en présence des ministres, rapporte Bercy. 

Affichant sa volonté de fermeté, le gouvernement n’a en réalité que peu de marges de manœuvre pour apaiser les tensions entre les acteurs de la filière. La grande distribution, à part des exceptions prêtes à relever certains prix comme Système U, semble rester inflexible. Michel-Édouard Leclerc clôturait à sa manière la réunion de mercredi à l’Assemblée : « Si c’est pour faire remonter les prix, non, je ne le ferai pas. Vous pouvez en parler pendant 20 ans, mais ce sera sans moi… »

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Arnaud Montebourg ou l’atermoiement illimité

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La nuit, l’énorme cheval d’arçon long de 70 mètres qui enjambe à Bercy la voie express rive droite et plonge ses pieds dans la Seine, ressemble à un vaisseau fantôme, avec ses quais déserts plongés dans l’obscurité et ces cabines allumées tard dans la nuit. « Un monument à la Kafka, à l’architecture soviétoïde, conçu par un architecte communiste », écrivent les auteurs d’une enquête sur le ministère des finances (Thomas Bronnec et Laurent Fargues, Bercy au cœur du pouvoir, Denoël, 2011) : 206 000 m² de bureaux, 40 kilomètres de couloirs, des forêts de papier couverts de tableaux Excel, de courbes qui ne s’inversent pas, de camemberts affligés et de séries statistiques unanimes ; l’économie est à l’arrêt, le taux de croissance atone, le chômage continue d’augmenter, l’endettement se poursuit faute de rentrées fiscales suffisantes.

Bercy, ministère des Finances.Bercy, ministère des Finances.

À l’extrême pointe du navire, le bâtiment Colbert abrite les appartements privés des ministres. Surnommé « la pile », la façade de verre fumé surplombe le viaduc de Bercy et s’enfonce dans la Seine. À ses pieds, deux navettes fluviales sont amarrées en permanence, prêtes à conduire les ministres et leurs collaborateurs à Matignon, à l'Élysée pour le conseil des ministres et à l’Assemblée nationale pour défendre un projet de loi ou répondre aux questions au gouvernement. Sept minutes seulement les séparent des centres du pouvoir.

Prévenu de mon arrivée, le douanier de la grille d’entrée m’accompagne au sixième étage. Depuis sa promotion au ministère de l’économie, Arnaud Montebourg a vu les bureaux de ses collaborateurs s’étendre sur deux étages, mais lui n’a pas changé d’appartement. Il occupe toujours ce vaste appartement au mobilier design et impersonnel.

Le grand salon qui donne sur la Seine – très lumineux le jour – semble, le soir, laisser entrer par les hautes baies vitrées l’immensité de la nuit. De l’autre côté de la Seine, les quatre bâtiments en angle de la BNF se dressent dans l’obscurité comme des livres ouverts. Entre la forteresse Bercy et la Bibliothèque de France, des points lumineux indiquent les ponts et ponctuent, entre les deux rives de la Seine, un espace qui semble vide…

Arnaud Montebourg est assis sur un long canapé, face à moi. Assis, c’est beaucoup dire, car le nouveau patron de Bercy ne tient pas en place : tour à tour jovial, menaçant, péremptoire, sarcastique, il ne cesse de se lever en se penchant au-dessus des longues tables basses couvertes de livres (L’histoire de France de Michelet, une biographie de Kennedy, mais aussi deux brochures de Léon Trotski et de Simone Weil…, des livres d’art et L’Intranquille de Gérard Garouste…) ; il ne se lasse pas d’argumenter, de plaider, de prêcher même. Il se fait pédagogue, procureur, stratège dessinant de ses bras des mouvements de troupes invisibles prenant en tenaille quelque bastion du pouvoir. Il se lève. Arpente la pièce. Met en joue un adversaire imaginaire en joignant le geste à la parole : « Si tu bouges, tu es mort. »  Il se rassied. Se déchausse. Consulte son Blackberry sans cesser de parler. Reprend l’impitoyable réquisitoire qu’il instruit depuis deux ans contre un exécutif auquel il appartient. Les cibles changent. Hier, c’était Ayrault, surnommé « Bob l’éponge » ; aujourd’hui, c’est une certaine politique sans audace ni ambition… La liste est longue des fossoyeurs de la République, l’armée grise des comptables, les bons élèves de l’Union européenne, les défaitistes et les transfuges capables de sacrifier à leur destin personnel les « bijoux de famille » de la France.

Le vieux parti socialiste moribond n’est pas épargné, ni les grands corps de l’État, soupçonnés de défaitisme voire d’intelligence avec l’ennemi. Montebourg n’a pas de mots assez durs contre l’arrogance de la technocratie omnisciente, la trahison des clercs… Les occasions ratées. Les promesses non tenues.

Combien de fois l’envie de tout plaquer l’a-t-elle assailli depuis deux ans, comme en ce jour de novembre 2012 – nous étions assis à la même place – lorsque, désavoué par Matignon dans l’affaire Florange, il rédigea sa lettre de démission. La blessure est encore à vif. Florange pour Montebourg, c’est le moment où tout a basculé. À partir de Florange, « ils » ont piétiné leurs promesses, détruit leur crédibilité. La trahison a été signée là. Tout le reste est venu avec…

Sur la nationalisation provisoire de l’usine sidérurgique, tout le monde était d’accord. Guaino était pour ; Bayrou. Borloo… Toute la gauche. Mélenchon était pour. Qui a brisé le consensus républicain ? C’est de là qu’est venue la poussée du FN. Aux municipales de mars 2013, toute la région et la ville de Florange sont passées au FN. Après dix ans d’analyses sur le 22-Avril, des centaines de rapports et autant de colloques, tout a été écrit. Les classes populaires démoralisées votent en fonction de l’espérance qu’on leur donne, de la promesse qu’on leur fait de les protéger, au moins de la possibilité de croire dans l’institution républicaine…

Il évoque la loi Florange, engagement du candidat socialiste aux ouvriers d’Arcelor Mittal, lorsque François Hollande s’était rendu sur le site, en février 2012. La loi visait à empêcher la restructuration d’une entreprise si l’outil industriel était en bonne santé. Arnaud Montebourg en fut l’un des dix premiers signataires avec Jean-Marc Ayrault, Laurent Fabius et d’autres…

Arrivé à Bercy en tant que ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg avait une ambition folle, la volonté de « changer de modèle industriel », de l’énergie à revendre, les cartons plein d’« idées et de rêves » forgés dans la campagne des primaires socialistes, entouré d’une jeune garde de militants enthousiastes et d’experts prêts à forcer le destin. À Bercy, aidé de ses commissaires du redressement productif en région, il allait arrêter l’hémorragie industrielle, créer la Banque publique d’investissement, lancer de nouveaux plans industriels, réconcilier la France et son industrie. Et sceller une nouvelle alliance : celle des inventeurs, des ingénieurs et des créateurs, capable de mener à bien la troisième révolution industrielle. Dans l’ardeur des commencements, les mots se bousculaient. Sur une nappe en papier, il griffonnait un plan de bataille. Je l’ai conservé. Tout y est déjà : le « réarmement de la puissance publique » ; le « Patriotisme économique » ; « La réorientation de la politique européenne » ; les « Biens stratégiques nationaux ». Mais aussi les « nouveaux objets de la France industrielle » qu’il présentera chaque mois à Bercy… Déjà sur ce schéma, deux récits se dessinent : le patriotisme économique et l’esprit de conquête. L’État stratège et l’État architecte, participatif, voire coopératif.

Schéma griffonné par Arnaud Montebourg sur un coin de table, le 8 août 2012.Schéma griffonné par Arnaud Montebourg sur un coin de table, le 8 août 2012.

Dans les discours du nouveau ministre du redressement productif, la guerre économique et l’épopée des inventeurs sont deux récits qui vont alterner et parfois se contredire.

Le « patriotisme économique » est un terme apparu en 2003 dans un rapport parlementaire du député UMP Bernard Carayon, membre du courant de la droite populaire. Il s’inscrit dans un champ lexical où se retrouve le concept de « danger extérieur » (Bruxelles et son ingérence, la concurrence déloyale de la Chine et des pays émergents, l’empire américain, l’Allemagne de Bismarck), et toute une syntaxe guerrière (« bataille », « front », « bras armé », « puissance »).

L’épopée des inventeurs exalte le génie français et les grandes aventures industrielles du passé (Ariane, Airbus et le TGV). Ce génie doit s’entendre à la fois comme discipline, art de l’ingénieur, (le génie civil et militaire) que comme talent hors du commun des inventeurs, des grands scientifiques, (Pierre et Marie Curie, Pasteur, les frères Montgolfier, Niepce, Becquerelle, les frères Lumière, les grands capitaines d’industrie…). Il met en scène l’ingénieux Louis Gallois, Ulysse moderne aux mille expédients, capable d’affronter tout à la fois la baisse de compétitivité, la désindustrialisation et la concurrence déloyale des Chinois et des Coréens.

Le premier récit permet d’afficher la détermination de l’État, de mobiliser l’opinion en désignant un ennemi, de réveiller et de stimuler l’orgueil national. Le second est plus en phase avec la troisième révolution industrielle. Le premier exalte le pouvoir de l’État central et s’appuie sur la conception d’un État stratège où l’action publique est hiérarchique et verticale. Ce récit ne connaît que des victoires et des défaites, jamais d’expérimentations. Le second invite à repenser l’intervention de l’État à l’âge des réseaux. C’est un État networker, qui agence, met en relation, dégage des horizons d’action. Dans un monde qui se présente à bien des égards comme une terra incognita (mondialisation, nouveaux rapports de forces géostratégiques, pays émergents, épuisement des ressources naturelles, troisième révolution technologique, défis écologiques…), l’épopée des inventeurs invite les citoyens à faire l’expérience d’un nouveau monde, à déchiffrer les nouveaux rapports au temps et à l’espace, les nouvelles formes de coopération dans le travail, la production et la distribution de l’énergie, les réseaux de transports, mais aussi la santé, l'habitat…

En Une du « Parisien Magazine », le 19 octobre 2012.En Une du « Parisien Magazine », le 19 octobre 2012.

Tout oppose bien sûr la geste guerrière, d’inspiration néolibérale, et l’épopée de l'ingéniosité, dans sa version néorooseveltienne. L’une finira par avaler l’autre. La Nation efface peu à peu le Peuple dans sa diversité d’intérêts et de situations. La France éclipse la gauche. Et l’appel au patriotisme gomme l’exigence du changement, devenu inversion, retournement voire simple mouvement. Tout cela finira dans l’ambiguïté et la confusion que préfigurait déjà l’exposition warholienne du robot ménager et de la marinière.

De mois en mois, le discours évolue. La grammaire change, les alliances se renversent, le front se déplace. C’est une guerre de mouvement dont l’objectif n’est plus le changement mais le pouvoir. Hier, on jouait l’Élysée contre Matignon. Maintenant, on joue Matignon contre l’Élysée. On pratique la VIe République de l’intérieur de la Ve. Les primaires sont à l’horizon. Son alliance avec Manuel Valls ? Un mouvement stratégique visant à ouvrir la seconde période du quinquennat. Contre la promesse d’une réorientation de la politique d’austérité, il aurait échangé son soutien à la nomination de Valls à Matignon. Le tournant vallsien de Montebourg est pris dans le plus grand secret dès octobre 2013, dans cet appartement donnant sur la Seine. Les conjurés se réunissent sous les auspices d’Aquilino Morelle, alors influent conseiller du président à l’Élysée. Une réunion de deux heures au cours desquelles le programme du futur gouvernement est rédigé. Aquilino Morelle prend des notes qui seront reprises – « partiellement… » – dans le discours de politique générale de Manuel Valls du 8 avril 2014. À la veille du deuxième tour des municipales, Arnaud Montebourg adresse une lettre à François Hollande. Elle mettra en fureur le président, car le ministre pose deux conditions à son maintien au gouvernement : la réorientation de la stratégie macro économique de la France et le départ de Jean-Marc Ayrault.

C’est la Blitzkrieg de Montebourg, une guerre éclair qui veut casser « la dorsale libérale » du gouvernement, incarnée par Jean Marc Ayrault, Pierre Moscovici, Jérôme Cahuzac en son temps et d’autres. Affaibli par le résultat des élections municipales, bouleversé, raconte-on, par la perte du bastion socialiste de Limoges, le président se range à l’avis des conjurés et, contre toute attente et toute logique électorale, nomme Manuel Valls à Matignon. Pour la première fois, un président de la République se voit imposer le choix de son premier ministre.

La crise politique en France est le produit de deux maux dont les effets n’ont pas cessé de s’enchevêtrer : la révolution néolibérale et la Constitution gaulliste de 1958. L’une a mis du temps à s’imposer en France, l’autre agonise depuis l’instauration du quinquennat, en 2002. Faute de déconstruire la logique néolibérale, les socialistes ont adopté ses présupposés. Faute de trancher le nœud gordien de l’élection au suffrage universel du président de la République, la gauche manque à sa mission émancipatrice (élever le niveau démocratique du pays) et à sa culture horizontale et parlementaire, foncièrement hostile au centralisme et au bonapartisme qui est l’ADN de la droite.

Entre le logos néolibéral élyséen et l’ethos autoritaire de Matignon, la voie d’une politique de gauche est étroite mais Montebourg ne la laisse à personne. À ceux qui lui reprochent son tournant vallsien, ses appels à l’union nationale, aux patrons patriotes, « petits et grands », sa légitimation du CICE et du pacte de responsabilité, ses silences lors des grands attaques de Valls contre les Roms… (même si en privé, l’avertissement est tombé : « ne nous entraîne pas là dedans… »), il tient à défendre l’ancrage à gauche de sa politique. N’a-t-il pas obtenu « à l’arraché » la création d’un comité d’économistes anti-austérité composé entre autres de Joseph Stieglitz, le prix Nobel américain, et du keynésien Jean-Paul Fitoussi ? N’a-t-il pas fait signer à Manuel Valls un décret de contrôle des investissements étrangers en France, une arme de « démondialisation », et obtenu la nationalisation partielle d’Alstom après celle de PSA ? Ne s’apprête-t-il pas à lancer ses grands travaux, un programme de construction de barrages, dans la grande tradition du New Deal. Montebourg revendique son amitié avec Jean-Claude Mailly, le leader du syndicat FO, et brandit comme un bulletin de victoire, un tract de la CGT qui le félicite d’avoir sauvé Ascometal.

Dans son récent discours-programme du 10 juillet 2014, il ne se prive pas de morigéner les porteurs de pin’s du Medef et ne retire rien de ses philippiques contre les familles Peugeot et Mittal.

Car il croit au pouvoir du verbe. Il en joue avec habileté, véhémence et efficacité. Pour lui, la communication structure l’action, les paroles agissent, les mots sont des actes. Montebourg goûte le clairon, il ne s’en cache pas. Les premiers mots de son discours du 10 juillet sonnent comme un appel à la mobilisation : « Une feuille de route dans le langage militaire, c'est une orientation stratégique… »  Il cite la France (39 fois), parle de mobilisation (12 fois), de patriotisme (9 fois), d’effort (12 fois), de redressement, de sacrifice…

La politique, à ses yeux, consiste à poursuivre la guerre par le verbe. Et dans cette guerre, le rythme compte autant que le sens. Le langage l’a élu et l’exalte… Sans aucun doute la plus grande voix du gouvernement. Une citation d’Habermas ou de Roosevelt et il embrase son auditoire…

Pris dans la tenaille des programmes d’austérité, Montebourg n’a pas le choix. Faute d’État-providence (welfare state), les espoirs de redressement sont reportés sur l’entreprise providence (welfare corporate). La « révolution compétitive » « consacre l'entrepreneur comme l'un des piliers de la Nation ». À l’ordo-libéralisme allemand s’oppose un national-libéralisme. Au néolibéralisme anglo-saxon s’oppose le patriotisme économique. Le réarmement de la puissance publique marque le pas, mais Montebourg, lui, ne désarme pas. Il hausse le ton, comme il l’a fait le 10 juillet.

Contre la haute trahison du PDG d’Alstom, coupable d’avoir voulu sauver sa peau face à la justice américaine en cédant un bijou de famille industriel à General Electric, il brandit l’arme de la nationalisation et obtient la montée de l’État au capital de l’entreprise, comme il l’a fait auparavant chez PSA. Au sein du gouvernement, il est le seul à militer ouvertement contre le traité transatlantique. Et sur la politique étrangère de la France, il ne se gène pas pour dire que l’exécutif est sur une pente « néocon » !

Deux ans après sa nomination à Bercy, Arnaud Montebourg a changé. On ne saurait dire si l’expérience du pouvoir l’a mûri ou usé. Gouverner par gros temps n’est pas chose aisée : il faut fixer un cap tout en naviguant à vue, faire preuve d’audace et de responsabilité, conformément à cette souveraineté limitée qui est celle des États européens, contenue par le corset des règlements tissés par le traité de Maastricht. Il faut de la volonté et du tact, de l’énergie et de la patience, des qualités d’imagination et d’administration. Montebourg a montré en deux ans qu’il n’en manquait pas. Reste qu’il n’est ni président, ni premier ministre.

De la démondialisation au patriotisme économique, du New Deal au pacte de responsabilité, du retour de l’État à la bataille du made in France, il y a loin de la coupe aux lèvres. À son corps défendant, le général de la démondialisation s’est mué en sergent recruteur d’une guerre ambiguë, menée au nom d’une France inféodée à Bruxelles, et soumis aux intrigues des grands corps de l’État, à l’entre-soi des élites. De la Tennessy Valley Authority, créé par Roosevelt en plein New Deal, Manuel Valls n’a retenu qu’un mot, autorité. L’interventionnisme de l’État n’est que le cache misère d’une politique d’insouveraineté qui en est réduite à en appeler au consensus et à la protection du « patron patriote » devenu le seul vecteur du changement. Ce pouvoir n’a donc plus rien à défendre que la vieille union nationale… Il ne croit plus au dissensus qui est l’aiguillon des démocraties vivantes.

La déception gagne les rangs de ses supporters. Ses plus proches collaborateurs s’interrogent. Le pacte avec le droitier Manuel Valls en ébranla plus d’un. L’affaire Aquilino Morelle, qui fut le directeur de campagne de Montebourg pendant les primaires, et qui, de l’Élysée tissa les intrigues et les manœuvres de ce gouvernement improbable, a fini de déciller les plus incrédules. Ceux qui l’ont accompagné depuis les primaires socialistes font grise mine. Tout ça pour ça !

L’alliance avec Manuel Valls ne passe pas. Lors des primaires socialistes, il avait invoqué l’éthique de responsabilité contre l’éthique de conviction pour justifier son soutien à François Hollande plutôt qu’à Martine Aubry. C’est donc que la conviction n’y était pas… Le voilà désormais en compagnie des députés contestataires. Le pacte vallsien a fait long feu…

Que Montebourg songe à partir n’est pas un scoop. Il y songe depuis les premiers mois, depuis l’acceptation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), depuis le conflit avec Moscovici sur la Banque publique d’investissement (BPI), depuis la trahison de Florange et les longs mois d’abattement qui ont suivi, depuis l’affaire Cahuzac et l’échec de la loi bancaire, depuis le pacte de responsabilité sans contreparties, depuis l’alignement de Valls sur la politique d’austérité… L’arme de la démission n’est pas seulement un moyen de faire pression, c’est le ressort de l’intrigue, le « ticking time bomb scenario » de la série 24 heures. Comme Jack Bauer, Montebourg est un formidable tenseur narratif d’un quinquennat qui en manque décidemment. C’est pourquoi Hollande ne lui en tient pas rigueur. « Romanesque. Romanesque… »

Son surmoi politique, ce n’est ni Roosevelt ni Colbert, c’est Kafka. Montebourg ou l’atermoiement illimité. S’il démissionne, il sort du champ et meurt à la politique. S’il reste, il est comptable de la déroute annoncée. Leader sans peuple, stratège sans armée, il se tient sur la crête d’un renoncement sans cesse différé. Il donne sa démission tous les soirs. La reprend tous les matins.

Arnaud Montebourg.Arnaud Montebourg. © Reuters

Il faut savoir gré à Arnaud Montebourg d’une forme de sacrifice au nom d’une certaine idée de la politique : il doit faire la preuve qu'il y a encore du pouvoir alors que le système politique est en pleine décomposition. Bien sûr, ce sacrifice n’est pas dénué d’ambition personnelle, mais le sacrifice n’en est que plus cruel. Montebourg est en charge non pas seulement du redressement de l’économie mais de l’impossible résurrection du politique. Et cela est d’autant plus tragique qu’il le fait, qu’il ne peut le faire que sous régime hollandiste, au nom de ce néolibéralisme qui, justement, met fin un peu partout à l'exercice du pouvoir politique. L’arpenteur Montebourg n’a pas le choix : faute de remembrer le cadastre politique, il est condamné à mesurer la distance croissante entre les décisions du Château et les attentes du village, les paroles et les actes.

Une anecdote suffira à montrer la difficulté de l’entreprise : le 16 juin dernier, Michel Sapin, tout juste déclaré « ami de la bonne finance », présidait à l’installation du comité Paris Europlace 2020 composé des dirigeants des plus grandes banques (la Société générale, BNP-PARIBAS), de Christian Noyer (président de la Banque de France), de Jean-Paul Huchon pour la région Ile-de-France, du représentant des assurances, du patron de l'autorité des marchés financiers (AMF), de l'économiste néolibéral Jean-Hervé Lorenzi, et de l’inévitable et omniprésent Christophe de Margerie, PDG de Total, arrivé en retard… « Où est mon ami aux moustaches ? » s’égaye Michel Sapin en début de réunion.

Après que le gouverneur de la Banque de France a affirmé qu’il fallait « lutter contre tous les projets qui mettent à mal le modèle de banque universelle », Jean-Laurent Bonnafé, le patron de BNP-Paribas, rend hommage à la direction du Trésor « qui a œuvré pour sauver le modèle des banques universelles ». Michel Sapin à son tour remercie le directeur du Trésor, Ramon Fernandez, « un serviteur dont on a tous pu apprécier le dévouement et qui sera peut-être un jour à votre place… ». À son tour, il le félicite d’avoir préservé le modèle de banque universelle en ajoutant : « Je pense qu’ici, autour de cette table, tout le monde vous en est reconnaissant. »

On savait que le lobby des banques s’était mobilisé contre la promesse de campagne de François Hollande de « séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives », une mesure au cœur de la réforme bancaire prônée par Arnaud Montebourg pendant les primaires. Qu’ils se réjouissent d’avoir atteint leur objectif, il n’y a là rien d’étonnant. Qu’ils félicitent le directeur du Trésor, un haut fonctionnaire français, appartenant au corps des administrateurs civils, d’avoir œuvré en ce sens est déjà une information troublante, mais que le ministre des finances et des comptes publics se réjouisse, en leur présence, de l’échec d’une réforme voulue par son propre gouvernement, c’est plus que de la duplicité. C’est une preuve supplémentaire que la scène politique est complètement désinvestie et disqualifiée.

BOITE NOIREChristian Salmon, chercheur au CNRS, auteur notamment de Storytelling – La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (2007, La Découverte), collabore de façon à la fois régulière et irrégulière au fil de l'actualité politique nationale et internationale, avec Mediapart. Ses précédents articles sont ici.
En mai 2013, il a publié chez Fayard La Cérémonie cannibale, essai consacré à la dévoration du politique. On peut lire également les billets de blog de Christian Salmon sur Mediapart.

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La manifestation pour Gaza interdite à Paris, après une semaine sous tension

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Pour la première fois depuis le début de la nouvelle intervention militaire israélienne à Gaza, une manifestation de soutien à la cause palestinienne est interdite dans une grande capitale occidentale. Prévu ce samedi à Paris, le rassemblement a été interdit par la Préfecture de police, avec l’accord du ministère de l’intérieur, « au vu des risques graves de trouble à l'ordre public qu'engendrerait sa tenue dans un contexte de tension accrue », a fait valoir la Préfecture. Cette dernière a également annoncé samedi que les personnes se rendant tout de même au rassemblement pourraient être interpellées. En revanche, les manifestations prévues en province (deux ont été interdites en début de semaine à Lille et à Nice) devraient pouvoir se dérouler normalement. « J'ai demandé aux préfets de regarder au cas par cas les manifestations prévues à cet égard », a expliqué le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, sans plus de précisions.

À Paris, la décision a fait l’objet d’un appel dit « référé-liberté » des organisateurs auprès du tribunal administratif. Mais le tribunal a confirmé l'interdiction vendredi soir. Quel que soit le résultat de la procédure judiciaire, le risque que la situation s’envenime est très grand, ainsi que l’ont expliqué les organisateurs lors d’une conférence de presse, vendredi matin à Paris.

Pour Youssef Boussoumah, responsable du Parti des indigènes de la République (PIR), « cette interdiction achève de stigmatiser une population en la rendant coupable d’actes qu’elle n’a pas commis ». Les organisateurs disent avoir proposé un nouveau tracé, de Barbès à la place de l’Opéra, en vain. Rappelant que les associations et partis ayant appelé au rassemblement n’auront « pas le droit de faire de service d’ordre, sous peine d’être condamnés », Tarek Beniba (militant à Ensemble, une organisation du Front de gauche) ne cache pas son inquiétude : « Il est évident que, vu l’escalade à Gaza et l’intervention terrestre en cours, la colère va être très grande et voudra s’exprimer. Les gens vont converger malgré tout à Barbès, et là, que va faire le gouvernement ? Une nouvelle bataille d’Alger en plein Paris ? »
Ce vendredi soir, le NPA explique dans un communiqué appeler « tout de même, avec les forces politiques, syndicales et associatives attachées aux respects des droits démocratiques et révoltées par les crimes commis à Gaza, à se rassembler pour protester publiquement ».

Selon l’avocat des organisateurs, Maître Hosni Maat, qui a déposé le « référé-liberté », « la possibilité de troubles à l’ordre public ne suffit pas à l’interdiction d’une manifestation, tous les étudiants en deuxième année de droit le savent depuis l’arrêt Benjamin (CE, 1933). On l’a déjà vu lors des manifestations contre le mariage pour tous, qui ont largement pu se tenir, malgré des contre-manifestations ». D’autres ont cité les exemples des manifestations de chauffeurs de taxi, d’agriculteurs ou des opposants à Notre-Dame-des-Landes, « qui ont toujours pu se tenir alors qu’elles n’ont pas toujours été calmes ». L’avocat insiste : « Si l’interdiction définitive est prononcée, les associations ne manifesteront pas, car nous sommes légalistes, mais il ne faut pas compter sur un “appel au calme” de notre part. Que l’État et le gouvernement, qui ont le monopole du contrôle de la violence, assument leurs actes. »

Du côté du ministère de l’intérieur, on explique que l’arrêté d’interdiction a été pris en raison des « tensions vives » que suscite le conflit au Proche-Orient en France, singulièrement à Paris, des « heurts » à l’issue de la précédente manifestation, dimanche, et de « risques forts d’affrontements entre éléments radicaux de part et d’autre, et incontrôlables », un samedi, jour où les synagogues sont très fréquentées. « Mais ce n’est que la troisième mesure d’interdiction que nous prenons. Hier (jeudi – Ndlr), 44 rassemblements ont eu lieu, avec un total de 11 000 personnes et tout s’est bien passé », précise-t-on dans l’entourage de Bernard Cazeneuve.

Sauf que cette fois, le ministère, avec la Préfecture de police, a jugé que les risques d’incidents violents entre la Ligue de défense juive (LDJ – extrême droite) et certains éléments propalestiniens, notamment des partisans de Dieudonné et d’Alain Soral, étaient trop élevés. Les forces de l’ordre ne seraient donc pas en mesure de protéger toutes les synagogues présentes à proximité du parcours. « Le degré de tension est extrêmement élevé dans la société. Beaucoup plus que les années précédentes », explique-t-on place Beauvau.

« Qu’il y ait de l’émotion, qu’il y ait de la part d’une partie de nos compatriotes l’envie d’en appeler aussi au cessez-le-feu, je peux comprendre. Mais il ne peut y avoir des manifestations qui se font face et qui représentent des risques pour l’ordre public. Nous ne pouvons rester indifférents lorsque les objectifs ne sont pas simplement de manifester », a expliqué depuis le Niger, où il était en déplacement, le président de la République François Hollande. 

D’après Le Figaro, toujours bien informé sur le ministère de l’intérieur, les services de police et de renseignement n’ont pas renâclé à la tâche cette semaine, et environ 200 « individus à risques » ont été mis sur écoute, avec une « “attention particulière” portée sur certains activistes politiques d'extrême gauche, suspectés de souffler sur les braises ». « On n'a pas vu ambiance aussi malsaine au ministère de l’intérieur depuis Guy Mollet ! » ironise Tarek Beniba (Front de gauche).

Et comme les effectifs de police sont réduits en cette fin juillet, le gouvernement a préféré prendre le risque de heurter toute une partie de la population française. « Des crimes contre l’humanité sont perpétrés tous les jours à Gaza, et le gouvernement français n’a comme seule préoccupation que d’empêcher l’émotion de s’exprimer ! » reproche Youssef Boussoumah.

Les organisateurs de la manifestation, reçus jeudi plus de deux heures à la Préfecture de police, sont d’autant plus furieux qu’ils dénoncent avec force « l’intox » et la « manipulation médiatique » dont ils s’estiment victimes depuis les affrontements de dimanche dernier, à la fin de la dernière manifestation parisienne, près de la synagogue Isaac Abravanel, rue de la Roquette. Ils pointent notamment le rôle, jusqu’ici très peu dénoncé dans la classe politique, de la Ligue de défense juive.

Dimanche dernier, la manifestation de soutien à Gaza a d’abord fait l’objet d’un traitement médiatique essentiellement résumé en une attaque de synagogues. Suite à la dépêche AFP rendant compte de « heurts » à la fin de la manifestation, Manuel Valls et SOS-Racisme ont très rapidement condamné les « actes antisémites » et les « tentatives d’importation » du conflit israélo-palestinien (lire ici et ici). Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui a depuis été reçu en milieu de semaine par François Hollande puis Manuel Valls, comme le grand rabbin de France, Haïm Korsia, ont tous deux évoqué sans ménagement une ambiance de « Nuit de Cristal » (lire ici et ici), en ajoutant aux deux synagogues « attaquées » celle d’Aulnay-sous-Bois (victime toutefois d’une « canette Molotov »).

Mais après une intense mobilisation sur les réseaux sociaux et les blogs dits communautaire à propos du « LDJgate » (comme Al-Kanz, par exemple), plusieurs médias sont revenus sur leurs versions premières pour évoquer désormais les deux versions de débordements auxquels aucun journaliste n’a assisté (dont l’AFP, ainsi que le raconte Arrêt sur images). Et depuis, le scénario de dimanche semble nettement plus complexe que sa présentation initiale. Plusieurs vidéos montrant les scènes d’affrontements entre la Ligue de défense juive (LDJ) et des militants pro-palestiniens, ainsi que des captures d’écran de messages sur les réseaux sociaux, mettent désormais à mal la version initiale d’une attaque délibérée de la synagogue par certains éléments de la manifestation.

Les nombreuses vidéos (dont celle-ci, mise en ligne par le site Citizenside) ayant fleuri sur internet ont été « visionnées » par les organisateurs à la Préfecture, jeudi, en compagnie des autorités policières. Alain Pojolat (NPA) explique qu’« à aucun moment durant notre entretien, la police n’a parlé d’“agression de la synagogue” » et que plusieurs « silences gênés » ont accompagné leurs questions sur le maintien de l’ordre rue de la Roquette.

Aux dires des organisateurs, « durant toute la manifestation, notre coopération avec notre officier de police référent s’est très bien passée », citant l’exemple de « la demande policière que nous mettions en place un service d’ordre à l’entrée de la rue de la Roquette, ce que nous avons fait immédiatement ». Michèle Sibony, de l’Union juive française pour la paix (UJFP), qui avait appelé à la manifestation de dimanche, évoque de son côté plusieurs provocations durant le défilé comme à l’angle de la rue du Pas de la Mule (« 4 ou 5 types de la Ligue de défense juive montés sur un banc, complètement entourés et protégés par deux rangs serrés de CRS, qui jetaient insultes et projectiles sur la foule et les services d’ordre, et les responsables calmant les manifestants : “Ne vous énervez pas ne répondez pas aux provocations, c’est ce qu’ils attendent” »).

Pour eux, pas de doute : la LDJ est venue provoquer les manifestants, et a fini par susciter des incidents à proximité d’une synagogue, sans que les forces de police n’aient anticipé quoi que ce soit (lire à ce sujet la contre-enquête d’i>Télé). Quitte à parfois minimiser l’attitude belliqueuse d’une frange minoritaire de militants pro-palestiniens au moments des affrontements. « La station de métro étant fermée à Bastille, les gens ont emprunté la rue les menant la station Voltaire. Et ils sont tombés sur la LDJ », affirme ainsi l'un des organisateurs.

Serge Benhaïm, président de la synagogue Don Isaac Abravanel, située Rue de la Roquette, a longuement témoigné sur I-télé et démenti à la fois que le lieu de culte ait été attaqué, et que la LDJ ait d'abord attaqué les manifestants. « Pas un seul projectile lancé sur la synagogue », dit-il. « A aucun moment, nous n’avons été physiquement en danger », explique-t-il. Il raconte également ne pas avoir vu les militants de la LDJ venir provoquer les manifestants, du moins après l'arrivée des forces de l'ordre, au-delà d'un secteur allant de 150 m à droite et 150 m à gauche de la synagogue. Benhaïm ajoute que si les gens de la Ligue de Défense Juive sont des « électrons libres et incontrôlés », elle doit être dissoute. Selon ses termes, « ce n’est pas parce qu’ils sont juifs qu’ils ont l’autorisation d’être incontrôlables, ou incontrôlés ». Le président estime aussi que ce n'était pas des affrontements entre musulmans et juifs, mais entre « petits voyous contre les juifs » - voir la vidéo sur le site d'i-télé

Groupuscule très rarement atteint par les condamnations, encore moins les menaces d’interdiction, malgré des violences répétées en France (lire ici), la LDJ est aujourd’hui au centre des discussions, et des étonnements quant à son impunité. L’organisation d’extrême droite, interdite en Israël (après le massacre du caveau des patriarches par Baruch Goldstein, en 1994) et aux États-Unis, a récemment été adoubée comme un « service de protection » par le grand rabbin Haïm Korsia, dans une interview dans Libération. Pour le Crif également, « les jeunes juifs présents devant la synagogue de la rue de la Roquette n'ont fait que protéger les personnes participant à une réunion ». Il y a dix jours, la LDJ a pourtant davantage été à l’initiative que dans la « protection », en venant perturber la fin d’un premier rassemblement de soutien, à la fontaine des Innocents (voir ici).

Pour beaucoup de militants pro-palestiniens, le sentiment de déséquilibre, de “deux poids, deux mesures”, est renforcé par les vidéos postées sur Youtube (qui sont des scènes instantanées, sans que nous en connaissions l’avant ni l’après) de ces militants de la LDJ scandant : « Sale arabe » et « Sale nègre » devant des CRS. Ils éprouvent aussi une impression de complicité policière face aux images donnant l’impression d’une protection des CRS (« Si vous continuez à charger, on ne pourra plus rien faire pour vous »).

Ils ne comprennent toujours pas non plus l’attitude de la Préfecture. Comment a-t-elle pu accepter un tracé de manifestation passant par deux synagogues, dont une avait prévu « un rassemblement de soutien à Israël » à la même heure que l’arrivée de la manifestation ? Pourquoi aucun cordon de forces de l’ordre n’a filtré l’entrée de la rue de la Roquette, pour éviter que la synagogue soit menacée ? Et ce, alors que de nombreux messages circulaient sur les réseaux sociaux, avant le défilé, appelant à la confrontation.

Après leur débriefing jeudi à la Préfecture de police, les organisateurs ont expliqué qu’eux-mêmes et les forces de police « ont été surpris par l’affluence », attendant tous deux « quelques centaines de personnes » au lieu des 15 000 finalement réunies. Les manifestants sont également restés pantois à la lecture de l’audience qui a conduit à la condamnation à quatre mois de prison ferme d’un des protestataires de dimanche, pour « rébellion » (lire l'hallucinant compte-rendu d'audience de Libération), et dénoncent le fait que les arrestations n’aient visé que des militants propalestiniens.

Les organisateurs jurent aussi n’avoir entendu aucun manifestant crier « mort aux Juifs » pendant la manifestation. Le président du Crif, Roger Cukierman, a pourtant affirmé dès dimanche soir que cet appel à la haine raciale avait été prononcé. Mardi, le journaliste de Radio J et de LCP, Frédéric Haziza, s’appuyait aussi sur ce slogan pour dénoncer les « nazislamistes ». Sans toutefois écrire l’avoir entendu de ses oreilles. Mercredi encore, Cukierman a expliqué sur i>Télé que ces phrases ont été prononcées « au micro » lors de la manif. Une affirmation réfutée sur le site même du Crif, dans le texte présentant son interview…

Capture d'écran du site du Crif.Capture d'écran du site du Crif.

Surtout, sur les nombreuses vidéos de la manifestation mises en ligne, on ne parvient pas à trouver une preuve d’un tel slogan à l’intérieur du cortège ou lors des rixes proches de la synagogue. Sur cette vidéo du collectif Cheikh Yassine, on voit un drapeau israélien brûler, on entend beaucoup de fois le mot « sioniste » et beaucoup de monde chante « Hamas résistance, Djihad résistance, Palestine résistance, citoyens résistance ! ». Mais pas « mort aux Juifs ». Cela ne veut pas dire que des propos violemment antisémites n’aient pas été prononcés dimanche à l'intérieur de la manifestation, mais aucun élément matériel n’est jusque-là venu en attester. D’ailleurs, l’argument est repris désormais comme une phrase souvent prononcée sur les réseaux sociaux, et non plus dans les manifestations.

Pour beaucoup, la seule présence de l’Union des juifs pour la paix (UJFP) atteste de l’impossibilité à se livrer à de tels dérapages. Présente à la conférence de presse des organisateurs, l’une de ses militantes, Emmeline Fagot a tenu à affirmer : « Non seulement je n’ai entendu aucun slogan antisémite, mais nous avons reçu un accueil très chaleureux. Ce type de manifestation permet justement de lutter contre les amalgames. » Les organisateurs ne comprennent pas non plus pourquoi Bernard Cazeneuve se revendique de son statut de « ministre des cultes » pour justifier l’interdiction de défiler (lire ici). « Nous ne sommes pas dans le cadre d’affrontements intercommunautaires, explique Alain Pojolat, du NPA, mais dans la cadre d’un problème politique international. »

Toutefois, un organisateur confie qu’il y a « un problème dans la mobilisation parisienne », regrettant la prudence, par crainte de se retrouver mêlées à des mouvements islamistes, d’organisations politiques traditionnellement engagées dans les manifestations de soutien à la cause palestinienne. « Les “islamos”, il vaut mieux les avoir avec nous et les canaliser, que de les laisser seul », dit-il, tout en s'inquiétant de l’influence des décisions gouvernementales sur les effectifs des “soraliens” (proches d’Alain Soral, essayiste d’extrême droite, proche de Dieudonné).

Dans la manifestation de dimanche dernier, si l’on a pu voir des photos de “quenelles” ou de maquettes de roquettes siglées de la croix de David ensanglantée (ici), les organisateurs assurent avoir « toujours été extrêmement clairs sur notre refus de récupération de l’extrême droite dans nos manifestations », ce que de nombreuses organisations participantes ont fait savoir par communiqué. « On a même passé la semaine à déminer un appel à rassemblement à Bastille pour samedi, où l’on demandait de venir avec des drapeaux français, des masques et des fumigènes », explique-t-on.

À l’heure actuelle, l’association France-Palestine (pourtant active dans les rassemblements en province) est en retrait, ainsi que des partis de gauche comme les écologistes (EELV) ou le parti communiste français (PCF). Ceux-ci, sans appeler à manifester, dénoncent vendredi soir l’interdiction de la manifestation (lire ici et ici). Dans un autre style, et sans appeler non plus à défiler, le parti de gauche (PG) a quant lui demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les affrontements rue de la Roquette (lire ici). Quant au parti socialiste, impossible de connaître le fond de sa pensée, faute de prise de parole claire sur le sujet.

La semaine dernière, le président de la République a totalement repris à son compte le récit israélien (lire notre article), dans un communiqué qui défendait le droit d’Israël à assurer sa sécurité sans évoquer les victimes palestiniennes, et sans appeler à un cessez-le-feu. Le texte, publié après des pressions du cabinet de Benjamin Netanyahou, selon Le Monde, a heurté les militants de la cause palestinienne mais également de nombreux socialistes et une grande partie du Quai d’Orsay, attachée à la doctrine dite « gaullo-mitterrandienne », qui s’appuie sur les résolutions de l’Onu pour demander deux États, ayant chacun Jérusalem pour capitale, dans les frontières de 1967.

Dès le lendemain, l’Élysée a tenté de rattraper sa bévue, en publiant un second communiqué, et le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a redonné durant le week-end la position officielle de la France.

Mais la déclaration première de François Hollande n’est pas une simple bévue. Et pour une bonne raison : elle est un signe de plus de la proximité du chef de l’État avec le gouvernement israélien, pourtant dirigé par la droite alliée à l’extrême droite. Dès son arrivée à l’Élysée, le président français a donné des gages à Benjamin Nétanyahou. Quelques mois plus tard, il a hésité jusqu’au bout à ce que la France vote oui à la reconnaissance de la Palestine à l’Onu. Il est également réticent à l’étiquetage des produits fabriqués dans les colonies, mis en œuvre dans plusieurs pays européens.

En novembre dernier, lors de sa visite en Israël, François Hollande avait de nouveau affiché sa bonne entente avec Nétanyahou, et les deux hommes s’étaient tutoyés lors de leur conférence de presse commune – ils partagent notamment la même focalisation sur les dangers du programme nucléaire iranien. Lors du dîner d’État, le président français avait porté un toast qui avait suscité une polémique, après sa diffusion sur Canal Plus : « Si on m'avait dit que je viendrais en Israël, et qu'en plus de faire de la diplomatie, j'aurai été obligé de chanter… Je l'aurais fait ! Pour l'amitié entre Benjamin et moi-même. Pour Israël et pour la France. (…) J'aurais toujours trouvé un chant d'amour pour Israël et pour ses dirigeants. »

 

 

Lors de son discours à la Knesset, le président français avait finalement rappelé la position française défendant deux États, mais n’avait pas évoqué les frontières de 1967 ni la détérioration constante des conditions de vie des Palestiniens (lire notre reportage). Deux points évoqués par Nicolas Sarkozy en son temps. Surtout, jusqu'à la dernière minute, le discours de Hollande a fait l’objet d’aller-retours incessants (une trentaine de versions, selon une source diplomatique).

En cause : la sensibilité personnelle de François Hollande. De ses années à la tête du parti socialiste, il a conservé la réputation d’être plutôt “pro-israélien”, en tout cas d'être un modéré. Sa formation politique, historiquement proche du parti travailliste israélien, s’est d’ailleurs toujours divisée sur ce conflit. En 2011, au début du débat sur la reconnaissance de l’État palestinien à l’Onu, les chefs de file du PS avaient étalé leurs divergences : parmi les adversaires d’un tel vote, Manuel Valls, l’actuel premier ministre, et plusieurs proches de François Hollande.

Les mêmes lignes de fracture se retrouvent aujourd’hui au sein de l’exécutif. Au sein du gouvernement, Valls mais aussi des ministres comme Bernard Cazeneuve sont très sensibles au discours des Israéliens sur leur droit à défendre leur sécurité et aux menaces liées aux islamistes radicaux. Le ministre de l’intérieur est d’ailleurs monté très vite au créneau pour demander l’interdiction de manifestations de solidarité avec Gaza.

À l’Élysée, plusieurs conseillers diplomatiques du chef de l’État sont sur la même ligne, quand d’autres sont plutôt catalogués dans la catégorie « propalestiniens ». Le député Gwendal Rouillard, très proche de Jean-Yves Le Drian, est aussi très proche de plusieurs dirigeants du Fatah. Le Quai d’Orsay est traversé des mêmes fractures et plusieurs diplomates se sont inquiétés ces derniers mois du départ de spécialistes de la région, plutôt perçues comme propalestiniens, remplacés par des figures de la division des affaires stratégiques, réputée plus néoconservatrice et pro-israélienne.

Au PS, c’est l’embarras. Sa seule expression sur la situation française se résume à une critique de « l’attaque de la synagogue d’Aulnay-sous-Bois », pour rappeler que « les socialistes seront toujours en première ligne du combat contre l'intolérance et la violence ». Quant à la situation à Gaza, seul deux communiqués, équilibrés, sont venus, au début des tensions, puis ce vendredi, après l’intervention terrestre de Tsahal à Gaza (intitulé « Le PS appelle à la paix »). Seule autre activité en lien avec le conflit, une rencontre à Paris entre Jean-Christophe Cambadélis et son homologue Isaac Herzog, chef du parti travailliste (très affaibli aujourd’hui, qui pèse entre 10 % et 15 % de l’électorat israélien).

Parmi les députés, ils ont été trois à s'affranchir du communiqué unilatéral de François Hollande : Razzy Hammadi, Alexis Bachelay et Pouria Amirshahi. Ces deux derniers se sont aussi rendus au rassemblement à proximité de l’Assemblée nationale, mercredi, comme l’eurodéputé Edouard Martin a manifesté à Strasbourg. Ils sont par ailleurs deux de plus (avec Pascal Cherki et Yann Galut) à dénoncer l’interdiction de manifester ce samedi, « une mesure d’exception disproportionnée ».

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