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Toubon Défenseur des droits? La gauche en émoi, des élus s'y opposent

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« Je suis effondrée. » Jeudi matin, Sandrine Mazetier, vice-présidente PS de l'Assemblée nationale, n'arrivait toujours pas à y croire. Mercredi 11 juin, François Hollande a fait savoir par communiqué qu'il entendait proposer le nom de l'ancien ministre RPR Jacques Toubon, 73 ans, au poste prestigieux de Défenseur des droits, en remplacement du centriste Dominique Baudis, décédé en avril. Ce choix a surpris bien des membres des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui devront dans deux semaines se prononcer sur sa nomination. « Personne n'avait mentionné son nom ! », s'étonne Jean-Pierre Michel, vice-président socialiste de la commission des lois du Sénat. 

L'ancien ministre de Jean-Marc Ayrault, Alain Vidalies, qui vient lui-même d'être nommé ambassadeur de France auprès du Bureau international du travail (BIT) « ne souhaite pas s'exprimer de façon individuelle ». Il concède toutefois que « la question du choix de la personne » se pose. Un doux euphémisme. En réalité, la nomination de ce grognard de la Chiraquie, contesté pour ses prises de position sur le droit des homosexuels ou l'immigration (lire ici le parti pris de Michel Deléan), fait hurler une partie de la gauche. Certains parlementaires de gauche interrogés par Mediapart assurent d'ailleurs d'ores et déjà qu'ils voteront contre le choix de François Hollande.

Lorsqu'on la joint jeudi matin, Sandrine Mazetier, émue, ne dissimule pas son trouble. La députée de la capitale connaît bien l'ex-député et maire du XIIIe arrondissement de Paris. « Les bras m'en tombent. Je suis élue de Paris, j'ai connu la Chiraquie triomphante, puis la Tiberie, et c'est à un type qui incarne tout cela qu'on va donner le poste ! Toubon défenseur des libertés ? Non, vraiment, je n'en reviens pas. » 

« Au minimum je m'abstiendrai, mais je pense plutôt que je voterai contre, annonce le député Sébastien Denaja (Hérault). Je vais faire campagne pour invalider ce choix contestable. Le Parlement a un pouvoir de veto, voilà une bonne occasion de l'exprimer. » Pour le jeune élu, « le sexe, l'âge, le parcours, rien ne plaide pour M. Toubon ». « Il faut à ce poste incarner une exemplarité absolue. Le seul fait d'envoyer un hélicoptère dans l'Himalaya (en 1995, quand Toubon était garde des Sceaux, ndlr) pour récupérer un procureur afin de bloquer l'affaire Tiberi ne va pas dans ce sens. La vieillesse de M. Toubon ne lui confère pas les oripeaux de la sagesse. »

« Je m'interroge sur le choix de François Hollande, dit Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois du Sénat. Jacques Toubon s'est opposé dans le passé aux droits des homosexuels. En 1995, il m'avait répondu que le contrat d'union civile, ancêtre du Pacs, était un trouble à l'ordre public. II n'a pas été un grand fanatique de l'indépendance des juges. » « Je ne préjuge pas de mon vote : peut-être M. Toubon va-t-il lors de son audition s'amender, comme les délinquants s'amendent, dit-il, ironique. Et dans ce cas, nous lui donnerions l'absolution. Après tout, à 73 ans, il a peut-être décidé de défendre les droits de tout le monde… » Le sénateur estime que d'autres noms de droite étaient possibles, comme l'ex-garde des Sceaux Michel Mercier ou l'ancien médiateur de la République Jean-Paul Delevoye.

« Je ne fais pas de procès avant d'avoir entendu l'accusé, mais certains profils convenaient mieux à celui de défenseur des droits, commente le député Jean-Michel Clément. Je suis surpris, très réservé et dubitatif. Son engagement sur la question des droits ne paraît pas d'une évidence totale. Il faut à ce poste quelqu'un de consensuel, susceptible d'inspirer confiance à tous les citoyens. » Avant de parler de son vote, il entend d'abord « réfléchir à des alternatives » au choix présidentiel. 

« Avoir voté contre la loi abolissant la peine de mort, contre la dépénalisation de l'homosexualité, s'être opposé au contrat d'union civile, etc., ce sont des décisions problématiques », abonde le député PS Matthias Fekl. Il ne souhaite pas dire à ce stade quel sera son vote, mais il laisse entendre qu'il pourrait être négatif. « Son parcours est problématique et potentiellement rédhibitoire. »

L'écologiste Sergio Coronado est bien moins diplomate. « C'est n'importe quoi. Quand j'ai entendu ça, j'ai cru que c'était un gag ou que je lisais Le Gorafi (un site d'information parodique, ndlr). Jacques Toubon n'est peut-être plus l'agité qu'il fut dans les années 80, mais c'est tout de même affolant : absolument rien dans son parcours ne l'associe à la lutte pour les droits et contre les discriminations ! Pourquoi ne pas nommer dans ce cas Jean Tiberi (l'ancien maire de Paris, un autre pilier de la Chiraquie, ndlr) au poste de contrôleur général des prisons ? »

Les députés Alexis Bachelay et Yann Galut, auteurs dans la matinée de tweets rageurs, ont appelé mercredi leurs collègues des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat à rejeter sa nomination. « Le Défenseur des droits est une institution importante, elle nécessite à sa tête une personnalité engagée sur ces questions. Il ne doit pas s’agir de recaser des politiques à la retraite », écrivent-ils dans un communiqué. Ils disent craindre un « signal négatif sur la capacité de cette institution à rendre des décisions propres à favoriser la non-discrimination et la défense des citoyens, quelles que soient leurs origines, leurs sexualités, leurs opinions. » L'ancien directeur de cabinet d'Harlem Désir au PS et le porte-parole d'Europe Écologie, Julien Bayou, ont lancé une pétition « Non à la nomination pour défendre nos droits ! » sur le site Avaaz. Elle comptait jeudi soir plus de 1 200 signataires.

Pétition sur avaaz.org lancée par Mehdi Ouraoui (PS) et Julien Bayou (EELV)Pétition sur avaaz.org lancée par Mehdi Ouraoui (PS) et Julien Bayou (EELV) © DR

Les députés socialistes Pouria Amirshahi et Nicolas Bays ont également lancé un appel à leurs collègues :

Au Sénat, la centriste Nathalie Goulet a rappelé les déclarations sur les couples homosexuels de Jacques Toubon, estimant que « le Président devrait veiller à promouvoir une nouvelle génération plutôt que de se livrer au recyclage ». Moins critique, le sénateur UMP Jean-René Lecerf explique qu'il « votera pour lui sans beaucoup d'arrière-pensées ». Même s'il admet trouver ce choix « surprenant » : « C'est vrai qu'on l'avait un peu oublié. Il aura 78 ans à la fin de son mandat, et le Défenseur des droits c'est quand même une autorité administrative très lourde. Et puis c'est vrai qu'il a été un peu réac dans l'exposition de ses opinions, mais je crois qu'au fond c'est un brave type. » 

Jacques Toubon peut-il ne pas être confirmé par le Parlement ? Il faudrait pour cela que les 3/5e de l'ensemble des sénateurs et des députés de la commission des lois votent contre sa nomination. Ce qui signifie que les seules voix de gauche ne suffiront pas. Il y a par ailleurs fort à parier que des parlementaires, même éventuellement sceptiques, ne voteront pas contre le choix de François Hollande. Ne serait-ce que pour ne pas ouvrir une nouvelle crise avec l'exécutif, en plein débat parlementaire sur le projet de loi de finances rectificatif qui mettra en musique le contesté pacte de responsabilité. Certains membres des commissions des lois de l'Assemblée et au Sénat joints par Mediapart ne trouvent d'ailleurs rien à redire au choix de François Hollande, ou se désintéressent de la polémique. « Toubon a été un bon ministre de la culture, sur le reste je ne ferai aucun commentaire », évacue la sénatrice Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture de Lionel Jospin. « Ce n'est pas quelque chose de prioritaire et moi je vote toujours en faveur de François Hollande », balaie Patrick Mennucci.

Reste un « mystère », souligné par l'écologiste Sergio Coronado : « Pourquoi François Hollande a-t-il pensé à lui ? » Pour l'instant, la réponse reste assez nébuleuse, comme souvent avec le chef de l’État. Selon l’Élysée, le président de la République a souhaité nommer à ce poste une personnalité de droite – il a nommé le même jour contrôleure générale des prisons une femme de gauche, Adeline Hazan, l'ancienne maire de Reims, recasée après sa défaite aux municipales. Une volonté d'équilibre politique qui passe mal non pas sur le principe, mais en raison du pedigree de Jacques Toubon. « Je ne suis pas opposé au fait de nommer à de tels postes des personnalités de l'opposition, explique le député PS Matthias Fekl. Mais dans ce cas, ce doit être un choix incontestable. Et en l'occurrence, ce choix ne fédère pas. »

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Karachi : les doublures de Balladur, Léotard et Sarkozy renvoyées devant le tribunal

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Les magistrats anticorruption Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire viennent d’inscrire le mot “fin” à leur enquête portant sur le volet financier de l’affaire Karachi. Il s’agit du premier épilogue, avant procès, de l’un des plus importants scandales politico-financiers de ces dernières décennies, dans lequel s’enchevêtrent corruption, ventes d’armes et financements politiques illégaux. Une audience pourrait avoir lieu d’ici un an, en 2015, soit vingt ans après les faits.

En 1995. En 1995. © Reuters

Après trois ans et demi d’investigation, qui ont nécessité la coopération judiciaire de nombreux pays (Suisse, Luxembourg, Liechtenstein, États-Unis, Colombie…), les juges d’instruction ont décidé de renvoyer devant le tribunal correctionnel de Paris six personnes, selon les termes d’une ordonnance signée jeudi 12 juin.

Parmi les futurs prévenus figurent les principaux collaborateurs de l’ancien premier ministre Édouard Balladur (Nicolas Bazire, directeur de cabinet), de son ministre de la défense François Léotard (Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller spécial) et du ministre du budget de l’époque Nicolas Sarkozy (Thierry Gaubert, chef adjoint de cabinet).

Ils sont tous les trois accusés d’avoir organisé, en amont, et/ou d’avoir profité, en aval, d’un système organisé de détournements d’argent sur quatre ventes d’armes du gouvernement Balladur (1993-95) avec le Pakistan et l’Arabie saoudite. L’histoire était connue ; elle est désormais documentée par la justice et la police avec un luxe de preuves rarement réunies dans une affaire d’une telle importance.

Les trois autres protagonistes du dossier renvoyés devant le tribunal sont les marchands d’armes Ziad Takieddine et Abdul Rahman el-Assir, ainsi que Dominique Castellan, l’ancien président de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCN), entreprise d’État au moment des faits.

Les marchands d’armes Takieddine et el-Assir, imposés à la dernière minute par le gouvernement Balladur dans les négociations des marchés d’armement incriminés, ont été en quelque sorte les “mules” de l’argent détourné dans le but de financer illégalement la campagne présidentielle d’Édouard Balladur en 1995. Ils sont renvoyés pour « complicité et recel d’abus de biens sociaux ».

Privé des moyens du RPR, acquis à la cause de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle de 1995, Édouard Balladur est accusé d’avoir utilisé les leviers de l’État durant son séjour à Matignon pour trouver les financements nécessaires à sa campagne électorale. C’est pour cette raison qu’entre janvier et novembre 1994, son gouvernement sera saisi d’une frénésie de signatures de contrats dans le domaine militaire.

En tant qu’ancien directeur de cabinet et de campagne d’Édouard Balladur, Nicolas Bazire (aujourd’hui n° 2 du groupe LVMH) sera jugé pour « complicité d’abus de biens sociaux » et « détournement de fonds », tout comme Renaud Donnedieu de Vabres. L’enquête a établi qu’après avoir imposé le réseau Takieddine dans les ventes d’armes de l’État français, les deux hommes avaient aussi profité à des fins politiques d’une partie de l’argent détourné.

Thierry Gaubert, lui, sera jugé pour « recel d’abus de biens sociaux », les investigations ayant démontré qu’il avait convoyé au moins 6,2 millions de francs d’argent liquide issu des rétrocommissions.

Ziad Takieddine a d’ailleurs fini par reconnaître les faits sur procès-verbal, le 20 juin 2013, après des années de démentis. « À Genève, j’ai d’abord vu el-Assir qui avait préparé l’argent pour me le remettre en coupures de 500 francs enliassés autour d’une petite bande. Ils étaient dans des enveloppes beige Kraft, le tout dans une mallette. Puis je suis allé retrouver Gaubert dans un hôtel et je lui ai remis la mallette […]. Pour moi, c’était comme une demande de “retour d’ascenseur” après m’avoir obtenu la signature d’un contrat qui m’a amené beaucoup d’argent », avait détaillé le marchand d’armes devant le juge Van Ruymbeke, évoquant une première remise d’argent occulte au clan Balladur. Il y en eut au moins deux autres.

MM. Sarkozy, Balladur et Léotard.MM. Sarkozy, Balladur et Léotard. © Reuters

L’ancien président de la DCN-I, Dominique Castellan, sera quant à lui sur le banc des prévenus pour avoir autorisé le versement au profit du réseau Takieddine de commissions exorbitantes et indues en marge de la vente de trois sous-marins construits par la DCN au régime d’Islamabad – le contrat Agosta. Grâce aux documents bancaires obtenus et aux nombreux témoignages recueillis au sein de l’appareil militaro-industriel français, les juges sont parvenus à établir que ces commissions étaient revenues illégalement en France après avoir transité sur des comptes off-shore, abrités derrière le paravent de multiples sociétés écrans logées dans des paradis fiscaux.

Au total, 327 millions d’euros de commissions avaient été promis au réseau Takieddine et 82,6 millions avaient été effectivement versés, selon un calcul de Mediapart. Sur cette somme, la justice a établi à 72 773 000 francs (14,6 millions d'euros avec l'inflation) le montant des espèces retirées par le réseau Takieddine/el-Assir sur des comptes cachés, essentiellement à Genève.

Ziad Takieddine au palais de justice de Paris. Ziad Takieddine au palais de justice de Paris. © Reuters

« Si à l’époque des faits, il était légal de verser des commissions à des agents d’influence dont la mission était de “corrompre” des proches de décideurs politiques pour favoriser la signature de contrats d’armement, en revanche, il n’en va pas de même de commissions indues », avait noté, en mai dernier, le parquet de Paris dans son réquisitoire définitif.

De fait, la justice considère aujourd’hui, preuves à l’appui, que l’intervention à la dernière minute du réseau Takieddine n’a été d’aucune utilité pour la conclusion des différents marchés d’armement visés par l’enquête. D’où l’incrimination d’« abus de biens sociaux », un délit commis au préjudice de l’État. « L’intervention de ce réseau couverte par Nicolas Bazire et Renaud Donnedieu de Vabres, agissant au nom de leur ministre respectif, est une véritable imposture qui a eu un coût financier important in fine pour l’État français », expliquait ainsi le parquet de Paris il y a quelques semaines.

L’ordonnance de renvoi des juges Van Ruymbeke et Le Loire représente une étape décisive du processus judiciaire, mais l’affaire est loin d’être terminée. Devant le tribunal ne se présenteront en effet que les seconds couteaux du dossier, d’un point de vue politique. Les vrais décisionnaires au sein du gouvernement – Édouard Balladur et François Léotard, de manière certaine, et peut-être Nicolas Sarkozy, selon les juges – n’auront pas à répondre de leurs actes devant la justice ordinaire. Il existe toujours en France un tribunal d’exception, la Cour de justice de la République (CJR), chargée de juger les délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. François Hollande avait promis sa suppression durant la campagne présidentielle, mais n’en fit rien une fois à l’Élysée.

À ce jour, aucune enquête n’a été formellement ouverte par la CJR sur le volet financier de l’affaire Karachi. Et si tel devait être le cas, les investigations pourraient prendre encore des années.

Parallèlement, le juge antiterroriste Marc Trévidic poursuit son enquête sur l’origine de l’attentat de Karachi, qui a coûté la vie, le 8 mai 2002, à quinze personnes, dont onze employés français de la DCN œuvrant à la fabrication de sous-marins vendus au Pakistan par le gouvernement Balladur. Le magistrat, qui a exclu la piste al-Qaïda initialement privilégiée, s’interroge sur un éventuel lien, direct ou indirect, entre l’attaque terroriste et les dessous financiers de marchés d’armement franco-pakistanais.

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Migrants afghans: la police appelle à la délation les agents de la SNCF

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Cela se passe aux alentours de la gare du Nord et de la gare de l’Est, à Paris, lieu de passage des migrants en partance vers l’Allemagne ou le nord de la France, d’où certains espèrent rejoindre l’Angleterre. Des policiers les pistent avant qu’ils ne montent dans le train. Pour les identifier et éventuellement les interpeller, ils comptent sur la coopération des agents de la SNCF. Mais aussi de travailleurs sociaux du quartier.

Ces exilés ont parcouru des milliers de kilomètres pour atteindre la capitale française. Venus d’Afghanistan, du Pakistan ou d’Iran, ils fuient la guerre, les persécutions ou l’absence de perspectives dans leur pays d’origine. Aux guichets ou dans les « boutiques » SNCF, ils achètent leur billet pour relier Calais ou Dunkerque (entre 26 et 75 euros pour un aller simple). Là, ils retrouvent des compatriotes dans les « jungles » éparpillées dans la région, ainsi que des Érythréens, des Somaliens et des Syriens arrivés plus souvent par la route, en raison de parcours migratoires différents.

Depuis quelques mois, ils privilégient de nouvelles destinations, comme Francfort et Hambourg en Allemagne (100 à 270 euros), point d’arrivée pour certains, de transit pour d’autres qui visent la Scandinavie, où ils rejoignent de la famille et des amis. Entrés dans l’Union européenne par la Grèce ou la Bulgarie, via la Turquie, beaucoup ont risqué plusieurs fois leur vie. En situation irrégulière sur le territoire, ils vivotent quelques semaines autour des gares, entre les centres d’accueil de jour, la soupe populaire et les squares. Les resquilleurs sont rarissimes. Redoutant qu’un défaut de titre de transport ne serve de prétexte à un contrôle policier, ils essaient de ne pas se faire remarquer.

Employée par la SNCF comme agent commercial depuis 2009, une salariée travaillant en CDD dans une des agences situées dans le secteur a été le témoin de surprenantes pratiques policières. En avril 2014, elle était à son poste, lorsqu’un policier en civil est entré. Après avoir décliné son statut de policier, il l’a interpellée à propos des clients « d’origine étrangère ». « La boutique était vide. Il m’a demandé si j’avais observé une recrudescence de ventes de billets à des “personnes d’origine étrangère”, indique cette salariée qui préfère rester anonyme. Je lui ai dit que je ne pouvais pas répondre à sa question car la transaction se fait sans pièce d’identité et que je n’avais donc aucune idée de la nationalité des personnes. Il a levé les yeux au ciel, comme si je faisais semblant de ne pas comprendre ce qu’il voulait. Il a demandé à voir ma responsable. Son collègue, vraisemblablement un supérieur hiérarchique, l’a rejoint. Il a reposé la même question, demandant qu’elle précise s’il s’agissait de “personnes d’origine afghane”. »

La quête d’informations ne s’est pas arrêtée là. « Ils ont demandé s’ils pouvaient réquisitionner le matériel vidéo, poursuit-elle. Ma responsable a indiqué ne pas y voir d’inconvénient s’ils venaient munis des autorisations officielles. Avant de partir, le chef a donné sa carte de visite, avec un numéro de téléphone, pour qu’on le prévienne en cas de ventes de billets à des Afghans. » La carte de visite en question a été épinglée sur un tableau en liège. Elle indique le service de rattachement de l’agent : l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (Ocriest).

Un policier de l'Ocriest a laissé sa carte de visite pour être rappelé en cas de ventes à des «personnes d'origine afghane».Un policier de l'Ocriest a laissé sa carte de visite pour être rappelé en cas de ventes à des «personnes d'origine afghane».

Après cette incursion, les langues se délient dans la boutique : des fonctionnaires de police feraient régulièrement le guet à proximité, entrant et demandant aux vendeurs de les renseigner sur les destinations et les horaires de ventes à peine conclues avec des clients identifiés comme « afghans ». La plupart des agents sont choqués d’être ainsi sollicités. « Mais beaucoup ne savent pas comment réagir face à ce genre de situations qui sont taboues dans l’entreprise. Personne ne dit rien, en l’absence d’instructions claires et nettes de la part de la direction, les policiers tentent leur chance », regrette la salariée, qui a prévenu la CGT de ces agissements et pris l’initiative d’écrire, en son nom, une lettre au patron de la SNCF. Faisant part de sa « profonde indignation », elle estime que ces « actes de délation et discriminatoires » allant « à l’encontre de la mission de service public pour laquelle les agents SNCF se sont engagés » appellent une réaction en haut lieu. Guillaume Pepy n’a pas répondu – pour l’instant tout du moins – à cette missive envoyée mi-mai.

Contacté par Mediapart, le service de presse de la police nationale nie le dispositif décrit : « Nous restons dans le cadre légal, ce serait gagne-petit d’agir de la sorte. Les moyens mis en place pour démanteler des filières sont d’une tout autre envergure. Sans doute que cette carte de visite a été laissée pour une simple prise de contact. »

À l’inverse, Patrick Belhadj, secrétaire général du secteur Paris-Est de la CGT-Cheminots, confirme les faits. Et s'en indigne. « C’est proprement scandaleux que des policiers attendent des agents de la SNCF des actes de délation. Les “personnes d’origine étrangère” : ces sous-entendus sont inacceptables. Les cheminots devraient refuser de collaborer. Rien ne les oblige, dans les statuts de l’entreprise, à répondre à de telles demandes », insiste-t-il. Il regrette que certains de ses collègues cèdent : « La SNCF est à l’image de la société. La montée du FN, la stigmatisation des étrangers, nous ne sommes pas, malheureusement, imperméables à ces mouvements. Apporter son soutien aux forces de l’ordre dans ce contexte, cela arrive, c’est désolant », estime-t-il, évoquant le cas de contrôleurs qui « au moindre soupçon » demandent leurs papiers d’identité aux voyageurs, y compris à ceux qui voyagent munis d’un billet non nominatif et auxquels ils ne sont rien censés demander.

La direction de la SNCF, selon lui, ne peut pas dire qu’elle n’est pas au courant. En se taisant, estime-t-il, elle se rend « complice » de la situation. Exigeant une condamnation officielle, l’élu CGT affirme son intention de « relancer » la direction régionale de l’entreprise afin qu’elle intervienne auprès des cadres dirigeants des points de vente. « Cette question doit être soulevée à l’échelon national lors d’un conseil d’administration ou d’un CCE (comité central d’entreprise) », considère-t-il, tout en reconnaissant qu’il est plus facile de mobiliser le personnel contre la réforme ferroviaire que contre des comportements discriminatoires.

Les agents de la SNCF ne semblent pas être les seules personnes ressources identifiées par la police. D’après des informations recueillies par Jean-Michel Centres, membre du collectif de soutien des exilés du 10e arrondissement de Paris, deux centres d’accueil de jour situés dans les parages viennent de recevoir la visite de policiers en civil. Les travailleurs sociaux y ont été interrogés sur la recrudescence de la présence d’Afghans autour des gares.

Pourquoi les policiers recourent-ils à ces méthodes ? Pour interpeller des personnes en situation irrégulière et, plus sûrement, pour observer des récurrences et identifier des « réseaux » de « passeurs ». Car il arrive que les exilés fassent appel à des compatriotes munis d’un récépissé (donc en règle) pour aller chercher un billet à leur place, de peur qu’au guichet leurs papiers d’identité ne leur soient demandés. « Les policiers espèrent remonter aux têtes de réseaux, s’il y en a, en arrêtant et interrogeant les petits poissons », indique Jean-Pierre Alaux, qui, militant au Gisti, dispose d’une connaissance précise de l’organisation parisienne des exilés afghans. La définition de passeurs telle qu’elle est conçue – et punie – par le droit ne recouvre, selon lui, en rien la réalité de « services rendus entre migrants ». « Ce type de transaction se monnaie quelques euros tout au plus. On est loin du stéréotype du passeur membre d’un réseau international qu’essaie de fabriquer la police », estime-t-il (à lire, le numéro de la revue Plein droit du Gisti consacré à ce sujet).

Tout au long de leur parcours migratoire, les exilés, à un moment ou à un autre, sont conduits à échanger leur savoir-faire acquis sur la route contre quelques billets. Cela n’empêche pas les personnes ainsi interpellées d’être envoyées devant le tribunal correctionnel et, parfois, condamnées à de lourdes peines de prison. Pour repérer les « acheteurs de billets », les policiers les prennent en photo ou se servent des enregistrements des caméras de vidéosurveillance.

La politique du chiffre mise en place par Nicolas Sarkozy a été officiellement supprimée, mais les démantèlements de réseaux, quelles que soient leur taille et leur réelle nocivité, restent un indicateur valorisé par le ministère de l’intérieur. Dans le Nord, l’association Terre d’errance est confrontée au même enjeu de définition extensive du passeur, les migrants préposés à l’ouverture et à la fermeture des portes de camion étant identifiés comme tels au motif qu’ils se font rémunérer pour cette tâche. À l’image des opérations politico-médiatiques de destruction des campements, comme celle ayant eu lieu récemment à Calais, la finalité de ces filatures policières est aussi dissuasive : décourager les migrants de rester, voire de traverser le territoire.

BOITE NOIRESollicité par Mediapart, le service de presse de la SNCF n'a pas retourné notre appel. En tant que journaliste intéressée par les questions migratoires, j'avais entendu parler depuis longtemps de pratiques policières telles que celles décrites dans l'article. Mais jusqu'à présent aucun témoignage direct n'était venu corrober ces dires. 

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Le système off-shore d’un grand donateur de l’UMP

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Il connaît les ors du pouvoir, fait partie du cercle étroit des fervents soutiens de l’UMP, et maîtrise bien les subtilités des systèmes off-shore qui lézardent de toutes parts la finance mondialisée. Christophe Mazurier, le dirigeant de la banque Pasche, dont Mediapart a commencé à raconter les dérives à Monaco, a directement bénéficié d’un étrange circuit financier, passant par le Rocher, les Bahamas et Panama, selon les informations et les documents rassemblés au cours de notre enquête.

L’homme est marqué politiquement : Christophe Mazurier a été l’un des membres du premier cercle de l’UMP, qui rassemblait les 544 plus grands donateurs du parti lorsque Nicolas Sarkozy était candidat à la présidence de la République en 2007. Et ce dernier l’a élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur, le 31 janvier 2008, comme Mediapart l’avait déjà relevé. De 2009 à 2011, le financier a fait fructifier un compte ouvert à son nom dans la filiale monégasque de Pasche, en lien avec une société écran panaméenne.

À l’époque, il était directeur général de cette banque fondée à Genève en 1885, qui se présente comme le « pôle de gestion de fortune privée du groupe Crédit Mutuel-CIC », deuxième banque de détail en France et premier propriétaire de titres de la presse régionale. Pasche dispose aujourd’hui de bureaux en Suisse, à Dubaï, au Liechtenstein et aux Bahamas – quatre pays ayant défendu ou défendant encore un secret bancaire inflexible – ainsi qu’en Chine et au Brésil. Mais c’est en passant par Monaco, où le bureau de Pasche a finalement été revendu en novembre 2013 à la banque luxembourgeoise Havilland, que Christophe Mazurier avait décidé d’opérer.

Christophe Mazurier, en juin 2010.Christophe Mazurier, en juin 2010. © DR

Le dirigeant (depuis l’été 2011, il est le président de son conseil d’administration) a ouvert un compte à son nom chez Pasche Monaco le 30 mars 2011. Géré directement par le dirigeant de la filiale monégasque Jürg Schmid, ce compte n’a été alimenté que par deux sources, qui sont deux entreprises : Selva et Para Inversiones Assets SA.

La première est une société civile immobilière (SCI), créée, selon ses comptes, par Christophe Mazurier le 27 mars 2007, pour détenir et gérer une villa de Saint-Tropez (Var). Le banquier en est le gérant. Le 15 décembre 2011, ses deux enfants, Amélie et Pierre, qui en détenaient chacun une part sur 1 500, se voient attribuer tous deux le tiers de son capital.

La SCI a versé 101 707,07 euros sur le compte de Christophe Mazurier le 24 octobre 2011. Le même jour, Para Inversiones Assets le créditait pour sa part d’un virement de plus de 2,4 millions de francs suisses (soit environ 2 millions d’euros) depuis son compte ouvert chez Pasche Monaco le 7 avril 2009. En tout, Para Inversiones a versé l’équivalent de 4,2 millions d’euros sur le compte monégasque de Christophe Mazurier, en quatre versements étalés entre mai et octobre 2011.

Mais qui se cache donc derrière cette entreprise ? Officiellement, difficile de le savoir, puisqu’elle a été créée le 14 mars 2007 au Panama, un pays célèbre pour permettre de cacher les propriétaires réels d’une société. Le Panama figure toujours dans la liste des pays non conformes aux standards de l’OCDE en matière d’échange d'informations fiscales, aux côtés du Botswana, de Brunei ou de la Suisse. 

Idéal pour s'offrir des sociétés écrans. Selon le registre public panaméen des entreprises, Para Inversiones Assets a été créée via une célèbre société d’avocats panaméenne, Fabrega, Molino y Mulino, et dirigée par trois directeurs qui sont en fait des prête-noms, gérant chacun sur le papier des centaines de sociétés. Elle a été dissoute le 16 novembre 2012. Pour autant, des liens clairs existent entre Para Inversiones et le banquier. Ainsi, le 16 avril 2009, neuf jours après l’ouverture du compte de la société chez Pasche, il a lui-même fait virer 324 333,42 euros sur le compte de Para Inversiones. Le même jour, 3,5 millions d’euros apparaissent sur les comptes de la société panaméenne, transférés par la SCI Selva.

Dans le relevé de comptes de la société, tel qu’il était consigné chez Pasche, d’autres bizarreries surgissent : entre juillet 2009 et avril 2010, trois transferts dépassant en tout 1,5 million de francs suisses sont comptabilisés, sans que le donneur d’ordre n’apparaisse, ce qui est pour le moins inhabituel. 

Le compte de Christophe Mazurier chez Pasche n’est qu’une des étapes du circuit financier emprunté par son argent. Ses relevés d’opérations montrent qu’entre mai et octobre 2011, l’équivalent de plus de 3 millions d’euros ont été transférés depuis Pasche Monaco vers d’autres comptes à son nom, en quatre virements distincts. La dernière opération, réalisée le 27 octobre 2011, concerne 2 480 276,16 de francs suisses (environ 2 millions d’euros), virés sur le compte de Christophe Mazurier à UBS Monaco.

Nous avons interrogé la banque Pasche sur ces éléments, mais elle n'a pas souhaité commenter, arguant de l'enquête en cours. L’été dernier, une information judiciaire a en effet été ouverte sur le Rocher pour des faits de « blanchiment ». Les investigations ont été élargies, il y a peu, à la demande du juge d’instruction chargé du dossier, Pierre Kuentz, à des « omissions de déclarations de soupçons de blanchiment » auprès des autorités de contrôle.

« Dans la mesure où des procédures judiciaires en relation avec les faits que vous mentionnez sont actuellement pendantes, notre établissement ne souhaite pas s'exprimer à ce sujet avant que les autorités concernées n'aient rendu leurs décisions, que nous attendons par ailleurs avec confiance, nous répond la banque. (…) Par ailleurs, notre établissement a saisi la justice pour calomnie et le fera chaque fois que cela s'avérera nécessaire jusqu'à ce qu'une décision de justice ait mis un terme définitif à ce feuilleton, entretenu par des personnes mal intentionnées. »

Pasche avertit aussi : « Il apparaît que des documents confidentiels ou secrets ont été dérobés à notre établissement, ce qui ne manquera pas de conduire à l'ouverture des procédures idoines. » (Lire l'intégralité de nos questions à Christophe Mazurier et à la banque, ainsi que leur réponse complète, dans l'onglet Prolonger de cet article.)

Il apparaît que l’ensemble de la hiérarchie de la filiale monégasque s’est fourvoyée dans le système opaque que nous avons commencé à décrire dans le premier volet de notre enquête. Et les dérives semblent être antérieures aux faits relatés par les trois lanceurs d’alerte, licenciés en 2013 après avoir dénoncé des pratiques litigieuses. Selon plusieurs témoignages, ces écarts avec la règle remonteraient à la nomination de Christophe Mazurier à la tête de la banque Pasche. « Tout a dégénéré un an après son arrivée à la tête de la banque en 1998, assure un ancien haut responsable de la banque, qui souhaite garder l’anonymat. C’était le roi et ses bouffons autour. » « Décisions opaques », « fait du prince », l’ex-banquier ne mâche pas ses mots. À l’époque déjà, il s’était inquiété auprès de Mazurier des errements de l’établissement. La réponse qui lui avait été faite était sans appel : « C’est comme ça ou vous prenez la porte. »

Les documents et les témoignages obtenus par Mediapart montrent en tout cas que les dérives de Pasche Monaco sont aujourd’hui connues de la direction genevoise. Dès mars 2013, Christophe Mazurier est mis au courant des suspicions de blanchiment et de fraude fiscale au sein de la filiale monégasque. Le 16 mai 2013, une réunion s’est tenue au siège du Crédit Mutuel, à Paris, entre l’avocate des lanceurs d’alerte, Me Sophie Jonquet, et plusieurs responsables de la banque. Le lendemain, Christophe Mazurier, absent de la réunion à Paris, se rend en urgence sur le Rocher. Il y réunit un comité de contrôle afin d’évoquer les comptes litigieux. Ils étaient tous gérés par Olivier Giaume, le directeur adjoint à l’époque (il est devenu dirigeant de la filiale lorsqu’elle a été rachetée par Havilland).

Dans un mail daté du 17 mai à 17 heures, adressé à l’ensemble des participants à cette réunion, Mazurier demande à Jürg Schmid et à deux contrôleurs internes de « soumettre les dossiers revus à un expert externe spécialiste » et annonce que les responsables « procéderont aux annonces nécessaires auprès du Siccfin », l’organe de surveillance bancaire monégasque. Il conclut : « Votre banque a besoin de retrouver sérénité et esprit d'équipe. » Malgré cette promesse écrite, aucune sanction n’a à notre connaissance été prise après cette réunion.

Christophe Mazurier et Jürg Schmid, en juin 2010.Christophe Mazurier et Jürg Schmid, en juin 2010. © DR

Et pour cause. Le trio composé de Christophe Mazurier, Jürg Schmid et Olivier Giaume est au cœur du système de malversations. Les documents obtenus par Mediapart établissent un fonctionnement interne suspect. Comme ce membre du conseil d’administration de la filiale monégasque recevant ses indemnités de présence au conseil d’administration en liquide. Un « retrait caisse » de 12 000 euros, en mars 2010, stipulé comme tel sur le compte interne de la banque. L’opération permet d’échapper à toute déclaration fiscale. « Le versement des indemnités en liquide était chose courante, assure un ancien responsable. Et tous les administrateurs de la banque savent ce qui se passe en son sein. »

Ces pratiques expliquent le départ précipité de Maurice Pilot, président éphémère du conseil d’administration de Pasche Monaco, entre juin et septembre 2011. De 2009 à 2013, au sein de l’antenne monégasque ou au siège genevois, les licenciements et les démissions s’accumulent. « Ceux qui ne collaboraient pas étaient tout simplement virés », assure un ex-salarié. Sollicités par Mediapart, ni Jürg Schmid ni Olivier Giaume n'ont donné suite (lire nos questions sous l'onglet Prolonger).

La conversation de mars 2013, entre Schmid et l’un des lanceurs d’alerte, Jean-Louis Rouillant (enregistrée par ce dernier qui craignait d’être licencié pour son audace), illustre le climat de méfiance qui règne au sein même du trio. Le directeur monégasque rejette toutes les responsabilités sur son second et Mazurier : « C’est que Giaume, il a tous les accords de Mazurier, et moi non ! Je ne suis pas d'accord de faire des trucs tordus. Je pense qu’il fait ça avec lui là-haut [à Genève, ndlr], c’est pour ça qu’il est là. » En privé, il confie au salarié avoir déposé chez son avocat un dossier à charge contre le directeur général du groupe. Il assure que la relation entre Giaume et Mazurier est ancienne, et joue un rôle central dans les dérives constatées.

Olivier Giaume, en juin 2010Olivier Giaume, en juin 2010 © DR

Fin 2006, Olivier Giaume, alors commercial au sein de la filiale monégasque, avait été muté au siège genevois, à la suite d'un contrôle du Siccfin, puis d'un rapport de septembre 2006 soulignant qu’il n’avait pas réalisé les contrôles nécessaires sur plusieurs transactions bancaires.

Cette mutation prend pourtant la forme d’une promotion, puisque Giaume est nommé au poste d’auditeur interne de l’ensemble du groupe. Il revient à Monaco en 2012 pour devenir directeur adjoint. « Il ne rendait de comptes qu’à Mazurier, outrepassait ses prérogatives et ne semblait pas s’inquiéter des nombreuses opérations litigieuses », raconte un ancien cadre. Le duo met peu à peu à l’écart Jürg Schmid. En 2013, lors de la cession à Havilland, ce dernier ne sera pas repris.

Dans ces jeux d’influences et de pouvoir, on n’oublie pas de s’autocongratuler. En juin 2010, pour fêter les 125 ans de la banque Pasche, la direction va offrir à ses banquiers trois jours de festivités dans un luxueux hôtel de Monaco, le Méridien Beach Plaza. Au programme, dîners gastronomiques, soirées sur la plage, concerts et danseuses brésiliennes.

Pour l’occasion, le groupe a loué trois yachts à la société Rodriguez, leader mondial du secteur, dont un des comptes est abrité par la banque. À l’époque, Rodriguez est en pleine tourmente judiciaire. Deux jours avant le début de la fête, son président a été mis en examen pour « blanchiment d’infraction à la législation sur les jeux et d’extorsion de fonds aggravée, recel de malfaiteurs, abus de biens sociaux ».

BOITE NOIREGeoffrey Livolsi, le principal auteur de cette enquête, signe avec cette série ses premiers articles pour Mediapart. Il a déjà collaboré à Libération et aux Inrockuptibles.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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A la recherche d'une définition pour le hollandisme au pouvoir

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Quand la recherche s’essaye à redéfinir l’actualité du socialisme au pouvoir. Vendredi dernier 6 juin, une dizaine de chercheurs en sciences politiques se sont réunis à l’occasion d'une journée d’études à la Maison des sciences de l’homme de Grenoble, pour tenter de faire un bilan d’étape du quinquennat de François Hollande.

Pour la plupart venus de Sciences-Po (Paris ou Grenoble), ils n’appartiennent pas aux écoles critiques de la discipline (comme peuvent l’être les disciples de Pierre Bourdieu, par exemple), mais leurs analyses n’en sont pas pour autant bienveillantes à l’égard du pouvoir socialiste, dont ils ont noté des particularités qui rendent originale la trajectoire de l’expérience Hollande dans l’histoire politique de la gauche.

Deux jeunes chercheurs ont d’abord tracé les nouveaux contours stratégiques du socialisme réinventé de François Hollande. Isolé à gauche et converti au présidentialisme. S’intéressant au périmètre d’alliances, « une problématique inhérente à la prise du pouvoir des socialistes français, car son orientation découle toujours de sa stratégie », Fabien Escalona (doctorant à Grenoble et spécialiste de la social-démocratie européenne, déjà interviewé par Mediapart à l'occasion de son dernier ouvrage) note combien François Hollande n’a pas fait de l’union des gauches un fondement de sa pratique du pouvoir. Élu à la primaire, il est devenu le candidat d’un parti ayant refusé l’alliance avec le MoDem lors du congrès de Reims de 2008, puis malgré les tentatives de « gauche solidaire » de Martine Aubry, qui a vu le PCF, sous l’influence de Mélenchon, s’autonomiser. Sitôt investi, Hollande a pris ses distances avec l’accord tout juste noué avec les écologistes, pourtant devenu partenaire privilégié.

Cette « majorité rose-verte » a toutefois permis à Hollande, selon Escalona, « de ne pas être trop dépendant dans un premier temps de son aile gauche, et de rendre introuvable la majorité alternative souhaitée par Mélenchon ». Mais en « surestimant la flexibilité idéologique des écolos », le président « ne dispose plus que d’un gouvernement PS-PRG (même le MRC a voté contre le pacte de responsabilité) », constate le chercheur.

Pour Escalona, ce rétrécissement de la coalition majoritaire autour de Hollande est « la conséquence de l’abandon par Hollande de la stratégie Aubry, qui souhaitait écologiser réellement le PS, dans la continuité de la social-écologie de Fabius, afin que ce mouvement doctrinal assure la solidité de l’accord politique ». Et l’isolement actuel fait écho au refus en 2012 d’élargir son alliance vers le centre, malgré l’appel à voter de Bayrou entre les deux tours. Une « incohérence stratégique, vu la politique menée depuis, qui a entraîné le rapprochement MoDem-UDI et la renaissance d’un centre à droite ».

Enseignante-chercheuse à l’université de Nancy, après une thèse de sociologie sur les dirigeants du PS depuis 1993, Carole Bachelot a quant à elle livré une analyse des effets de la présidentialisation sur le parti socialiste. Selon Bachelot, le PS a achevé sa conversion au présidentialisme, depuis le congrès de Reims de 2008 où, au mieux, les textes en présence n’évoquaient plus que la « reparlementarisation » en termes de changement institutionnel, loin de la VIe République un temps défendue.

Elle note également le moment décisif que fut la remise du rapport de Manuel Valls, commandé par Martine Aubry, qui a « entériné la réconciliation du PS avec la Ve République ». Enfin, la primaire aurait achevé la conversion, estime Bachelot. L’essentiel des leaders, d’abord opposés, se rangeant à l’idée initiée par Arnaud Montebourg, lui-même emblème de la « schizophrénie socialiste », quand par exemple il dit vouloir « combattre la Ve sur son propre terrain », afin de se doter d’un leader puis de combattre les institutions de l’intérieur.

Ce mouvement participe en premier lieu de « la fin progressive des courants ». La chercheuse explique : « Le pluralisme démocratique interne est régulièrement mis à mal depuis 1995 par l’instauration de scrutins majoritaires (premier secrétaire, premier fédéral, section, référendum interne, jusqu’à la réforme des statuts de 2008). Désormais, ils n’ont même plus d’influence dans la désignation d’un leader. »

 

Cette remise à jour théorique d’un PS n’ayant plus grand-chose à voir avec les volontés de rupture de celui d’Épinay, ni même avec les volontés réformatrices de la gauche plurielle, s’est également illustrée dans les interventions de chercheurs plus expérimentés, et spécialistes de politiques publiques. Sur l’économie, le social et le sociétal, ou encore la politique extérieure, tous se rejoignent pour remarquer une continuité de gestion avec les dix années précédentes du pouvoir de droite.

  • Politique économique

 

Christophe Bouillaud, professeur à Sciences-Po Grenoble, a mis en perspective le sens de la politique économique socialiste depuis 2012. Contestant la thèse médiatique d’un virage social-démocrate (« Était-ce trop tôt avant, pour expliquer aux électeurs qu’ils s’étaient fait cocufier ? »), il estime au contraire que le socialisme de l’offre et la volonté de retour à l’équilibre des comptes sont menés de façon discontinue depuis que Hollande a accédé à l’Élysée. Tout juste note-t-il un « mensonge par omission », celui de « ne pas avoir officialisé sa soumission à Bruxelles ».

Sur le plan monétaire, Bouillaud constate que les socialistes ont dû agir dans « un cadre contraint » : « À l’arrivée de Hollande, toutes les nominations importantes en la matière (banque de France, Trésor, BCE) ont déjà été faites peu de temps avant. » Sur le plan budgétaire, le chercheur estime que « le choix de s’en prendre prioritairement à l’épargne, donc aux classes moyennes supérieures, a touché les catégories les plus susceptibles de se mobiliser ». Une réussite au milieu de l’absence de résultats actuelle ? « Le gouvernement est parvenu à adapter l’austérité, de sorte que la consommation ne s’écroule pas », dit Bouillaud. En revanche, il se dit « frappé de l’absence de réflexion au pouvoir, autre que la mise en œuvre de l’austérité ».

 

Pierre Moscovici et François HollandePierre Moscovici et François Hollande © Reuters

 

Sur le plan des politiques structurelles, le politologue les juge « fidèles à celles des trente dernières années ». Il les définit à la fois comme « néoclassiques » (baisse du coût du travail pour être compétitif) et « schumpeteriennes » (priorité des investissements sur l’innovation et la montée en gamme), détaille-t-il. « Une politique qui correspond au dogme européen de l’économie compétitive à valeur ajoutée, et qui découle de la sociologie du PS », dit Bouillaud. « C’est une politique ciblée pour la méritocratie la plus éduquée – qui s’oppose à la droite et sa politique favorisant la rente », ajoute-t-il. Avant de noter « l’absence de mouvement social et intellectuel d’importance, comme avait pu l’être la réduction du temps de travail pour Jospin ».

Concluant son intervention, Christophe Bouillaud s’est demandé si finalement le chômage ne convenait pas au pouvoir, en ce qu’il « entretient la modération salariale ». « On se complaît aujourd’hui dans une société qui peut concrètement se passer des 3 à 5 millions de chômeurs actuels », lâche-t-il.

 

  • Social

 

Spécialiste de la régulation politique et sociale, Guy Groux définit la gouvernance socialiste à la mode Hollande comme s’inscrivant dans un « contexte politique et idéologique différent » des années Mitterrand ou Jospin, le contraignant presque à la modestie. Il constate ainsi que les débats en matière de politique sociale ne font « plus référence au monde ouvrier, au plan, aux nationalisations ou à la lutte des classes ». Dans la même veine, l’absence d’alliance PS/PCF est lourde de sens, car elle « incarnait l’alliance entre classes moyennes salariées et classes populaires et ouvrières ».

« L’essentiel de la vision de Hollande en matière de démocratie sociale se résume à la négociation collective, explique Groux. Une vision influencée par les débats qui ont précédé puis suivi la loi du 31 janvier 2007 » (qui a institué le principe selon lequel tout projet de loi concernant les relations sociales doit être précédé d'une concertation avec les partenaires sociaux, ndlr). Pour le directeur de recherches au Cevipof, le pouvoir socialiste fait preuve en la matière d’un « pragmatisme politique démarqué de toute idéologie », et fait le choix de consacrer la négociation collective (il fut un temps question de « constitutionnaliser le dialogue social ») en la concentrant sur la baisse du chômage.

 

François Hollande et Michel SapinFrançois Hollande et Michel Sapin

 

Problème : « Ce choix social-démocrate d’une recherche de consensus, et d’une alliance avec les syndicats primant sur toute autre alliance, n’est pas assumé », estime Guy Groux. Et l’intention du projet hollandiste se heurte à « un angle mort » : « l’absence de refondation du syndicalisme et, du coup, le décalage entre la conception d’un programme et la réalité ». Évoquant une « filiation deloriste » dans la vision hollandaise du dialogue social, il rappelle que « Delors lui-même espérait qu’un cartel majoritaire se formerait dans le syndicalisme français, qui isolerait peu à peu la CGT ». « Mais ce n’a pas été le cas », ajoute-t-il.

Et le chercheur, qui se dit « frappé par la méconnaissance du syndicalisme par les leaders du PS », de conclure, fataliste : « On ne peut pas installer la social-démocratie avec un seul fragment du syndicalisme. Même si la crise s’atténuait, et que la prospérité revenait, l’état des syndicats restera toujours problématique. Faiblesse des effectifs, divisions et défiance envers le capitalisme rendent impossible toute relation hégémonique. »

 

  • Sociétal

Au niveau sociétal, le sociologue « des valeurs et de l’opinion » Pierre Bréchon, professeur à Sciences-Po Grenoble, a tenté de réinterroger la notion de « libéralisme culturel », appliquée au pouvoir Hollande. Une notion initiée par Gérard Grunberg à la fin des années 1970 (définissant un électorat majoritaire pour la gauche et le PS, et qui rejetterait autant les valeurs traditionnelles que les principes autoritaires).

Évoquant le mariage pour tous, il s’étonne que, « malgré une prise de risque limitée par rapport à l’état de l’opinion, le pouvoir a subi des défaites dans la rue et dans les médias ». Le chercheur a estimé que, de sa campagne à aujourd’hui, le caractère « libéral-culturel » est resté discret.

 

Najat Vallaud-BelkacemNajat Vallaud-Belkacem © Reuters

 

Pointant, lors de la campagne présidentielle, « l’absence de mise en scène autre qu’antisarkozyste » sur les sujets de société, ou un « programme très prudent, notamment sur l’immigration », Bréchon voit dans les deux premières années du pouvoir « davantage l’ordre social que le libéralisme culturel ». Il note aussi certaines « positions antilibérales », comme sur la pénalisation de la prostitution ou la gestation pour autrui (GPA). Il résume d’une formule l’orientation sociétale du hollandisme au pouvoir : « Fais ce que tu veux dans ta vie privée, mais respecte l’ordre public. »

 

  • Politique étrangère

 

Directeur du Ceri, Christian Lequesne s’est fait plus indulgent vis-à-vis de la vision diplomatique des socialistes au pouvoir. Mais hormis quelques « différences protocolaires » (« il a fait très peu de gaffes ») et des « rabibochages » (avec la Turquie et la Pologne, notamment), il a davantage observé la continuité de la politique extérieure de la France. Comme lors de la dernière année de Sarkozy, avec Alain Juppé, le Quai d’Orsay a ainsi retrouvé de son influence, et non plus seulement la cellule diplomatique de l’Élysée. En revanche, les affaires européennes restent élyséennes.

En matière européenne, Lequesne évoque également une « parfaite continuité », ne voyant « pas de volonté à définir une politique alternative crédible à l’orthodoxie budgétaire allemande ». Le « compromis avec Berlin » est ainsi resté la seule ligne de conduite, « avec une seule condition, celle de fonctionner à traité constant ».

 

Jean-Yves Le Drian et Laurent FabiusJean-Yves Le Drian et Laurent Fabius © Reuters

 

En matière militaire, Hollande mène une politique d’« interventionnisme libéral » et de « guerre juste » se démarquant, à ses yeux, du « néoconservatisme » par son souci de la légalité internationale. Mais la continuité avec les années sarkozystes se retrouve tout de même dans la relation aux États-Unis. L’appartenance à l’Otan, décidée sous Sarkozy, n’a nullement été remise en cause sous Hollande. Lequesne constate que les socialistes ont achevé « la fin du “paradigme gaullo-mitterrandien” de la démarcation systématique vis-à-vis des États-Unis ». Dans ce cadre, la mise en avant de la diplomatie économique (le Quai d’Orsay vient de récupérer la compétence du Commerce extérieur) marquerait tout autant l’acceptation de la mondialisation par les socialistes français, voire leur adéquation.

Spécialiste des analyses électorales et de l’opinion à Sciences-Po Grenoble (il a aussi conseillé discrètement Jean-Marc Ayrault), Pierre Martin s’est enfin attaché, en se plongeant dans les baromètres de popularité de l'Ifop et la Sofrès depuis l’élection de Hollande, à expliquer les progressives chutes dans l’opinion du pouvoir socialiste, ayant battu tous les records d’impopularité sous la Ve République.

Depuis octobre 2012 et la défiscalisation des heures supplémentaires ajoutée aux augmentations d’impôts, jusqu'à l’automne 2013 où l’engagement militaire finalement avorté en Syrie, tandis que survenait l’affaire Leonarda, en passant par décembre 2012 et Florange, puis avril 2013 et l’affaire Cahuzac, les Français sanctionneraient, selon Martin, un « triple échec ». Économique (« pour la première fois depuis 1984 le pouvoir d’achat recule »), politique (« la faiblesse du pouvoir, la cacophonie entre ministres, le poids des lobbies, le départ de Delphine Batho ») et moral (« la répudiation de Valérie Trierweiler, le report du non-cumul des mandats, la résistance à la transparence »).

 « Cela fait un an que le pouvoir n’est plus majoritaire dans l’opinion que dans l’électorat socialiste, explique Martin. La législative partielle du Lot-et-Garonne et la cantonale de Brignolles (en juin 2013, ndlr) font déjà apparaître un total des gauches à 34 %, un Front national en hausse et d'autres forces à gauche qui ne profitent pas de la baisse du PS dans les urnes. » Selon lui, cette « incapacité assez remarquable des écologistes et du Front de gauche à ne pas profiter de l’effondrement socialiste » redonne malgré tout au PS un « caractère central » pour influer sur la suite des événements.

« On entre dans un moment et dans un territoire électoral inconnus, dit Pierre Martin. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le parti en tête n’est ni de droite ni socialiste. » D’après celui qui est aussi un compagnon de route de longue date du parti socialiste, « l’incertitude crée du pouvoir pour Valls, qui peut profiter d’une américanisation de la vie politique, où l’exécutif négocie en permanence avec sa majorité parlementaire ». Deux hypothèses seraient désormais possibles, analyse-t-il : « soit le caporalisme envers la minorité d’une gauche elle-même devenue minoritaire, soit le changement de politique afin de rassembler la gauche ».

Un point de vue que partage Fabien Escalona : « La position dominante du PS lui a jusqu’ici permis le luxe de ne pas composer avec ses alliés, mais l’a peu à peu affaibli lui-même en interne. Le rétrécissement de sa base politique renforce le pouvoir de nuisance de l’aile gauche parlementaire du PS. » Pour Carole Bachelot, qui attire l’attention sur la « fin d’un cycle biographique » au PS (avec la disparition dans le jeu interne des figures des années 1990-2000 : Rocard, Jospin, DSK, Mélenchon, Fabius), les récentes promotions de Manuel Valls à Matignon, Jean-Marie Le Guen comme ministre aux relations avec le parlement et Jean-Christophe Cambadélis à la tête du PS, marquent « la volonté d’installer des personnages capables d’imposer des rapports de force ».

Selon la chercheuse, le PS devrait continuer à s’effacer : « Affaibli par le peu d’influence de son premier secrétaire (Harlem Désir, ndlr), il l’est encore davantage par la défaite aux municipales et la perte de villes centres, traditionnellement ressources pour l’encadrement du parti. » « Le PS réduit à un organe de contrôle en amont de la contestation du groupe parlementaire, estime-t-elle. Ce dernier devient l’épicentre de la contestation. »

BOITE NOIRELa journée d'études s'est tenue le 6 juin dernier, à Grenoble, sur le campus de Saint-Martin d'Hères.

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Conflit à la SNCF : « Hollande est plus ferme à l’égard des cheminots que de la finance »

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Le 11 juin 1936, alors que les grèves du Front populaire paralysaient la France depuis des semaines, Maurice Thorez, le patron du parti communiste, appelait la gauche prolétarienne et trotskyste à « savoir terminer la grève ». Soixante-dix-huit ans plus tard, c’est François Hollande, le président le plus impopulaire que la cinquième République et la gauche aient connu, qui reprend ses termes pour monter l’opinion publique contre les cheminots à l’origine du premier grand mouvement social à la SNCF de l’ère Hollande.

Depuis la principauté d’Andorre qu’il visite en « co-prince », le chef de l’État a déclaré ce vendredi 13 juin : « Il y a un moment où il faut savoir arrêter un mouvement et être conscient des intérêts de tous (...). À un moment, c'est le travail qui doit reprendre. » Comme dans le dossier des intermittents du spectacle où la tension ne faiblit pas et menace les festivals culturels, moteur de croissance quand l’été venu, l’économie tourne au ralenti (lire nos articles ici et ), le gouvernement a choisi la fermeté. Quitte à s’installer dans l’impasse et envenimer ce conflit qu’il n’a pas vu venir et qui perturbe fortement depuis trois jours l'ensemble du trafic ferroviaire en France, les grandes comme les petites lignes, en Ile-de-France et en province, pénalisant des millions d'usagers au point que certains lancent à leur tour une grève des billets. « Il n'y a aucune raison que la grève continue », a martelé de son côté le premier ministre Manuel Valls.

© reuters

La ligne dure est risquée à l’heure où la CGT-Cheminots et Sud-Rail, majoritaires dans l'entreprise et à l’origine de la grève avant d'être rejointes par FO et UNSA-Rail, durcissent le ton en ce vendredi 13, appelant à poursuivre et amplifier le mouvement entamé mardi 10 juin. D'assemblées générales en manifestations jusque sur les rails des gares, les cheminots (17,49 % de grévistes aujourd'hui selon la SNCF) ne décolèrent pas. Ils ont voté la reconduction de la grève ce samedi 14 et il n'est pas exclu que les perturbations soient encore très fortes lundi, menaçant les candidats au baccalauréat.

Au centre de la contestation : la réforme ferroviaire qui arrive en discussion mardi 17 juin à l’Assemblée nationale après plus de deux ans de débats, d’assises et de rapports. Destinée à stabiliser la dette du secteur ferroviaire (44 milliards d'euros) et à préparer son ouverture totale à la concurrence, elle prévoit de regrouper dans une nouvelle structure la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), qui gère avec déjà de nombreux dysfonctionnements le réseau.

La CGT-cheminots demande « un grand débat télévisé » avec le secrétaire d’État Frédéric Cuvillier. Thierry Nier, secrétaire de l'organisation syndicale, entend qu'y soit évoqué l'avenir de la SNCF « pour que les Français aient l'ensemble des éléments pour juger ». Selon lui, les Français ignorent certaines conséquences qu'aurait la réforme ferroviaire du gouvernement. « Ils ne savent pas que la SNCF va être complètement éclatée et incapable de répondre à leurs besoins de transport, qu'il y aura des milliers de camions supplémentaires sur les routes, de plus en plus de gares et de lignes fermées. »

Mais comme nous l’explique ci-dessous dans un entretien à Mediapart Marnix Dressen, sociologue spécialiste des conditions de travail des agents de transport ferroviaire, enseignant à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, derrière ce conflit – le plus important depuis celui de 2010 contre la réforme des retraites Sarkozy –, se cachent d’autres frustrations et inquiétudes. À commencer par le délitement et le traumatisme d'une corporation pour qui la question de la sécurité importe plus que la compétitivité depuis le déraillement du Paris-Limoges en juillet 2013, déraillement dû à de graves défaillances de la SNCF selon un rapport indépendant dévoilé cette semaine.

Les cheminots reconduisent la grève ce samedi 14 juin pour la quatrième journée consécutive. Pourquoi cette grève maintenant ?

© dr

On pourrait se demander au contraire, pourquoi une grève seulement maintenant ? Non pas qu’elle arrive trop tard, mais il est vrai que ce qui se profile, à savoir la mise en place de trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), était sur les rails de longue date. La question de la dette de la SNCF et du devenir du statut des cheminots ne date pas d’aujourd’hui non plus. En fait, si la grève n’a été déclenchée que cette semaine, c’est qu’organiser une grève à la SNCF est beaucoup plus compliqué que ce que s’imaginent beaucoup de nos concitoyens. Ils se représentent volontiers les cheminots comme étant toujours entre deux grèves. Or, il n’en est rien.

D’une part, toute une série de verrous ont été mis en place, tout particulièrement à la SNCF, pour contraindre les acteurs sociaux, direction et organisations syndicales, à s’assoir autour d’une table avant d’engager un bras de fer. De ce point de vue, ceux qui disent qu’à la SNCF, on commence par s’affronter avant de discuter, ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent. À moins de se livrer à des grèves sauvages – et on n’est pas en ce moment dans ce cas de figure –, ce n’est pas faisable. Mais plus fondamentalement, pour comprendre pourquoi la grève a été longue à se déclencher, il faut imaginer le long travail de maturation des idées au sein de chaque organisation syndicale, des échanges internes et des discussions intersyndicales et aussi des rencontres formelles ou informelles avec la direction de la SNCF et son ministère de tutelle.

Les organisations syndicales prennent aussi le pouls de la base. Les cheminots sont-ils « chauds », c’est-à-dire prêts à la mobilisation, à « prendre la parole » comme on dit dans notre jargon de sociologue ou au contraire, la « loyauté » domine-t-elle, c’est-à-dire la passivité par pragmatisme ou par découragement ? Il n’est pas rare aussi que la compétition entre syndicats joue un rôle lorsqu’un nombre significatif de cheminots se montrent prêts à en découdre. On est très loin du stéréotype de la grève presse-bouton.

On remarquera d’ailleurs que les élections professionnelles ne sont pas en jeu puisqu’elles ont eu lieu le 20 mars dernier à la SNCF. Lorsqu’il y a de la rivalité dans l’air entre les syndicats, la question peut être de déterminer qui est le meilleur défenseur des salariés et du service public ferroviaire dans le camp des organisations les plus radicales – la CGT et SUD-Rail – ou au contraire qui est le plus raisonnable du côté des réformistes – l’UNSA et la CFDT. Parfois, les clivages connaissent de petits déplacements et des syndicats réformistes haussent un peu le ton, signe que leur base, fût-elle grandement composée de l’encadrement – agents de maîtrise et cadres – comme c’est le cas de l’UNSA à la SNCF, est aussi tentée par la mobilisation.

Le mouvement se durcit partout en France, mais la communication de la SNCF et du gouvernement visent à dire l’inverse en s'appuyant sur les statistiques… Quelle est votre lecture ?

N’étant pas dans le secret des dieux, il vaut mieux se borner à dire qu’on peut compter les trains qui roulent et ceux qui ne roulent pas. Cela donne des indications sur la mobilisation de catégories particulières qui sont susceptibles de bloquer les trafics : les conducteurs et les contrôleurs, ainsi que les aiguilleurs. Mais il y a bien d’autres professions à la SNCF, les commerciaux, les services administratifs, etc., qui peuvent ou non être en grève mais avec moins de visibilité immédiate.

On constate en tout cas une fois de plus que les statistiques des grèves sont des enjeux de lutte et que les nombres de grévistes sont des projectiles utilisés dans la guerre psychologique que se livrent les protagonistes. Cela fait partie de la construction ou du maintien du rapport de force. Ce n’est pas d’aujourd’hui et ce n’est pas spécifique à la SNCF, même si recourir à cette arme est plus banal dans les conflits des chemins de fer.

Si vraiment ces questions sont importantes, il conviendrait de mettre en place un dispositif d’observation comme celui dont on parle régulièrement à propos du nombre des manifestants, quels que soient les objets des défilés.

© reuters

«  Il y a un moment où il faut savoir arrêter un mouvement et être conscient des intérêts de tous (…). À un moment, c’est le travail qui doit reprendre », a déclaré ce vendredi matin François Hollande, reprenant à son compte une formule célèbre de l’ancien leader communiste Maurice Thorez en 1936 (« Il faut savoir terminer une grève »). Ne prend-il pas un gros risque politique en mettant la pression sur les grévistes et en s’impliquant de la sorte dans le conflit ?

Aura-t-on la cruauté de faire remarquer que le président Hollande est plus ferme à l’égard des cheminots que de la finance, dont il avait prétendu faire son adversaire au moment où il essayait de rassembler sur son nom le peuple de ce pays et donc notamment les cheminots ? Mais l’essentiel n’est pas là. Je ne pense pas qu’il prenne un gros risque politique, je crains même qu’il ne joue sur du velours. Attendons de voir ce que révéleront les enquêtes sur la perception de cette grève. Mais il faut bien convenir que les cheminots souffrent, comme diraient les agences de communication, d’un « déficit d’image », et lorsque les circulations sont perturbées, on sent souvent à leur égard de la part d’une partie au moins des usagers et des clients une sorte d’hostilité, surtout d’ailleurs du côté de ceux à qui l'on donne la parole ou qui la prennent.

La lecture des blogs de la grande presse permet de mesurer la dose d’animosité que suscitent les travailleurs du rail. Les rumeurs les plus invraisemblables sont colportées à leur encontre, comme par exemple que la dette de RFF résulterait du « statut en or massif » des cheminots… Il est vrai aussi que dans certaines circonstances – cela avait été souligné en 1995 lors de la mobilisation contre le plan Juppé, les sondages montraient que les salariés non cheminots étaient contents de « faire grève par délégation ».

Il y a là, du point de vue des syndicats grévistes, un vrai enjeu. Se donnent-ils la peine de se faire comprendre, d’expliquer les raisons du conflit et par exemple la nature du lien qui peut exister entre conservation d’un statut social protecteur et défense du service public « à la française » ? La tâche est vaste, car nombre d’organes de presse et de chaînes de télévision d’informations continues ou non sont très hostiles a priori aux conflits du travail en général et aux conflits des cheminots en particulier. Elles seront plus crédibles le jour où elles donneront aussi la parole à des usagers solidaires du conflit. Il y en a, mais on ne leur tend pas souvent le micro… En prenant d’ailleurs un peu de recul, force est de constater que si les grèves sont si perturbatrices, c’est bien que le service ferroviaire est d’une certaine utilité…

La dernière grande grève à la SNCF remonte à 2010, sous Nicolas Sarkozy, contre la réforme des retraites. Celle-ci peut-elle connaître la même ampleur au vu de l’impasse actuelle ?

Gardons-nous de tout prophétisme, il est encore trop tôt pour le dire. Pour l’heure, observons seulement que comme le remarque l’historien sociologue Georges Ribeill, la corporation cheminote menacée de délitement par la nature des restructurations permanentes, éprouve très régulièrement le besoin de ressouder ses rangs autour de grandes revendications mobilisatrices.  

La réforme ferroviaire et la politique d’austérité conduite par Guillaume Pepy cristallisent toutes les craintes des cheminots. Mais n’y a-t-il pas, derrière ce conflit, d’autres frustrations et colères ?

En l’occurrence, il ne s’agit pas seulement de la politique de Guillaume Pepy, mais aussi de celle du gouvernement Valls et des orientations vraiment très libérales de la Commission européenne. Oui, bien sûr, vous avez raison, les inquiétudes sont multiples. Dans toute lutte sociale, les composantes du mouvement sont hétérogènes. Et justement, en dehors des luttes contre les fermetures d’entreprise – et encore – la lutte se déclare lorsque des groupes aux attentes diverses se mobilisent simultanément et trouvent un dénominateur commun.

La création d’un troisième EPIC alors que deux ont montré de manière assez éclatante leur caractère dysfonctionnel, la question de la dette que personne ne veut assécher et du devenir du statut ne sont pas seuls en cause. L’ouverture à la concurrence du transport voyageur international, les appels d’offres qui se profilent pour le marché des TER dans les régions, la multiplication des filiales dans le groupe SNCF (près d’un millier à travers le monde dont deux filiales de fret qui, en France même, concurrencent Fret-SNCF), sont aussi des motifs d’inquiétude.

N’oublions pas non plus que la productivité des cheminots a été considérablement accrue à peu près sans discontinuer depuis 1945 et que les travailleurs du rail conservent néanmoins l’image de petits travailleurs tranquilles. Eux savent bien cependant ce qu’ils vivent en interne et les restructurations incessantes. Avec un collègue, Dominique Andolfatto, nous préparons une communication sur les structurations et restructurations internes de l’opérateur historique. Et un des premiers résultats de notre enquête en cours est que nombre de cheminots, à tous les niveaux de cette entreprise de 150 000 personnes, sont incapables de dire quel est aujourd’hui le découpage interne de la SNCF.

Que reste-t-il par exemple de l’échelon régional ? On entend même dire que certains cheminots sont incapables d’identifier leur hiérarchie, car les organigrammes vont moins vite que les recettes miracles vendues par les cabinets de consultants et achetées très cher par la SNCF. Chacun de ces génies de l’organisation tire à hue et à dia et parvient à imposer sa panacée, mais personne ne parvient à donner une cohérence d’ensemble à tout ça. Finalement, on peut dire des grévistes d’aujourd’hui ce que Georges Ribeill écrivait déjà de leurs prédécesseurs de 1986 : « Les agents de conduite ont en particulier la sacoche pleine de revendications précises, et d’aspirations plus floues. »

Au moment même où la grève démarrait, un rapport pointait les graves défaillances et négligences de la part de la SNCF dans le déraillement du Paris-Limoges à Brétigny-sur-Orge, qui a fait en juillet 2013 sept morts et trente-deux blessés. Est-ce que cela contribue à durcir le mouvement ?

Durcir le mouvement, c’est difficile à dire, mais ce qui est bien probable, c’est que c’est une grande souffrance pour les cheminots qui ont été socialisés à la culture de la sécurité – sécurité des circulations, du travail, etc. – de constater que faute de crédits suffisants et du fait du caractère aberrant de la séparation entre la roue (la SNCF) et le rail (RFF), les contrôles de fiabilité des installations ne sont plus à la hauteur de ce qu’ils devraient être. Il ne s'agit donc pas ou pas seulement de graves défaillances et négligences de la SNCF – on verra si le procès conclura en ce sens –, mais de tout un système qui semble se déliter et porter atteinte à l’identité professionnelle d’une corporation. Or, on le sait, les conflits sur le symbolique sont parfois plus déterminés et reposent sur des soubassements plus profonds que les revendications matérielles.

Temps de travail inférieur à la durée légale, augmentation de salaire, gratuité des transports, etc., les agents de la SNCF sont souvent dépeints à l’image de la Cour des comptes en 2010 comme une caste de privilégiés arc-boutée sur ses acquis sociaux. Qu’en est-il réellement ?

Il est probablement nécessaire qu’une institution se livre à l’exercice de repérage de l’affectation de l’argent public et dispose de moyens importants pour mener ses investigations. Et c’est un fait que les rapports de la Cour des comptes sont souvent bien documentés. Mais on aimerait bien que ces magistrats s’indignent d’autre chose que des « privilèges » des couches populaires. Car le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont l’indignation sélective. Que ne comparent-ils pas les ressources qui sont les leurs avec celles des universités ? Mais bon, n’esquivons pas la question. Il se peut que certains cheminots, comme c’est le cas dans toutes les entreprises de certains salariés, aient une durée de travail effective inférieure à ce que prévoient les textes.

En ce qui concerne les cheminots, cela peut tenir à des organisations du travail complexes, par exemple celle des conducteurs de train. Une fois un TGV amené de Paris à Nice, le temps de travail écoulé n’épuise pas complètement la journée de travail mais le solde ne leur permet pas non plus de tracter un nouveau train avant de bénéficier d’un repos. Il y a donc conflit de règles. Il semble préférable qu’un agent de conduite ne fasse pas tout à fait son temps réglementaire plutôt que dépasser ses horaires comme c’est très souvent le cas chez les opérateurs privés, où l'on voit des conducteurs de trains exploser leurs horaires au mépris d’une réglementation du travail en théorie particulièrement stricte dans le transport ferroviaire pour des raisons de sécurité.

Au rang du temps de travail perdu, on pourrait aussi examiner les réorganisations déficientes. Mesurons que les restructurations permanentes et à jet continu, bien souvent chaotiques on l’a dit, génèrent souvent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Un documentaire comme Les cheminots, de Luc Joullé et Sébastien Jousse, réalisé en  2010, montre bien le caractère absurde du découpage de l’entreprise par branche d’activité. Que de temps perdu à chercher du matériel depuis la disparition de la mutualisation entre « le transport voyageur » et le « transport du fret » ! Ce temps-là, absurde, stressant, coûteux psychologiquement et financièrement, brille par son absence dans les rapports de la Cour des comptes.

Et tant qu’à parler de temps de travail, parlons aussi de ceux qui dans les bureaux ramènent du travail à la maison, ce travail gratuit se pratiquant dans certaines fonctions à la SNCF comme dans toujours plus d’organisations professionnelles, publiques ou privées. Enfin on pourrait aussi conseiller aux auteurs de rapports, d’enquêter comme nous l’avons fait sur les sociétés de gardiennage sous-traitantes de la SNCF il y a encore quelques mois et qui pouvaient faire travailler des maîtres-chiens, sans papiers, trente jours d’affilée et quinze heures par jour. C’est vrai, il faut sérier les problèmes, mais si l'on ouvre le dossier du temps de travail, il faudra recueillir toutes les pièces pertinentes.

Et les salaires ?

Alors là, il est plaisant d’en dénoncer le niveau. Les recrutements dans l’exécution se font à peine au SMIC. Comparons aussi les salaires des conducteurs de TGV avec celui des pilotes du transport aérien, du moins dans les compagnies héritières des opérateurs historiques, Air France par exemple. Et même au plus haut niveau du statut du cheminot, on est très loin des salaires qui se pratiquent dans les entreprises privées. Comparons ce que gagne un polytechnicien qui a décidé de faire carrière dans le transport ferroviaire avec les revenus de ses camarades de promotion qui ont opté pour l’industrie pétrolière… Comparons aussi les dix plus hauts salaires de la SNCF avec celui de leurs homologues des banques…

Ce qui est vrai, c'est que jusqu’à présent, les cheminots gravissent des échelons au fil de leur carrière mais c’est aussi le cas des universitaires titulaires et des… magistrats de la Cour des comptes. En fait, derrière toutes ces polémiques, se joue bien autre chose : ce que beaucoup reprochent aux grévistes de la SNCF, c’est de résister, de ne pas se laisser plumer et ravaler au niveau de leurs camarades cheminots des sociétés ferroviaires privées comme Euro Cargo Rail, premier concurrent de la SNCF dans le fret ferroviaire.

Toutes ces querelles faites aux cheminots évoquent le passé. De tous côtés, même Nicolas Sarkozy ne s’en était pas privé, on célèbre, un siècle après sa mort, le grand homme qu’a été Jean Jaurès. Eh bien écoutons-le affronter Clemenceau le 13 mars 1906, et on percevra peut-être mieux les luttes des cheminots, même si Jaurès ne pensait pas particulièrement à eux. « Ces hommes donc, quand ils luttent sont des forces de civilisation. Et ce qu’il y a de beau chez eux, ce qu’il y a de grand, et d’admirable, c’est qu’ils ne luttent pas que pour eux-mêmes, c’est qu’ils luttent pour tous leurs camarades, pour toute leur classe, c’est souvent qu’ils luttent, qu’ils continuent le combat, sentant bien qu’eux-mêmes vont être vaincus mais sachant aussi qu’ils préparent pour des efforts nouveaux et pour des générations nouvelles, des conditions d’existence meilleures. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Webmasters, arrêtez de faire le boulot de la NSA

Troubles du sommeil : un rapport dénonce des «écarts majeurs» à l'hôpital Robert-Debré

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L’histoire paraît incroyable après le scandale du Mediator. Un jeune garçon souffrant de narcolepsie, un grave trouble du sommeil, et suivi à l’hôpital parisien Robert-Debré, a reçu un traitement à base de mazindol, anorexigène proche des amphétamines, pendant plus d’un an après avoir fait l’objet d’un diagnostic de valvulopathie cardiaque. Traité à partir d’août 2008, alors qu’il était âgé d’environ douze ans, le garçon a subi en juin 2011 une échographie cardiaque qui a révélé une anomalie de la valve mitrale. Le traitement a pourtant été maintenu jusqu’en décembre 2012, suspendu puis rétabli, en dépit d’une contre-indication évidente et d’un risque de pathologie cardio-vasculaire.

Ce cas, qui n’a pas été divulgué, est révélé par un rapport confidentiel de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), que Mediapart a pu se procurer. Le jeune patient était suivi par le docteur Éric Konofal, au Centre pédiatrique des pathologies du sommeil (CPPS) de l’hôpital Robert-Debré. Le rapport de l’ANSM, daté du 14 février 2014, fait suite à une inspection effectuée en mai 2013 au CPPS afin de contrôler les conditions de prescription de mazindol. Le rapport épingle très sévèrement le docteur Konofal, et dans une moindre mesure son collègue du CPPS, le docteur Michel Lecendreux. Les inspecteurs pointent des « écarts majeurs », autrement dit des infractions susceptibles d’entraîner des poursuites judiciaires.

Contacté par Mediapart, Éric Konofal nie avoir fait courir le moindre risque à ses patients : « Le mazindol n'est pas dangereux, dit-il. Depuis 1970, on n'a signalé qu'un effet indésirable sévère, chez une patiente japonaise qui prenait aussi de la venlafaxine. Quand il n'est pas associé à un autre médicament, le mazindol n'est pas toxique, il est même protecteur. Il a été retiré du marché pour des raisons économiques. Avant le Mediator, l'Agence du médicament ne demandait rien. » Le médecin conteste aussi les écarts signalés par le rapport, et affirme avoir répondu sur tous les points à l'ANSM. « Si moi ou mes collègues n'étions pas dans les clous, on ne nous laisserait pas prescrire », ajoute-t-il.

Le docteur Éric Konofal.Le docteur Éric Konofal. © DR

L'opinion de Konofal sur le mazindol diverge pourtant du consensus scientifique. Ce médicament ne peut être administré que dans des conditions particulières, du fait qu'il n’est pas commercialisé en France, ni d’ailleurs en Europe. Le mazindol a même été interdit en France dans les préparations pharmaceutiques par un arrêté d’octobre 1995. Comme l’Isoméride, le Mediator et d'autres anorexigènes, il peut provoquer des valvulopathies cardiaques ou des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP). Il est cependant autorisé de manière exceptionnelle en France, pour traiter de rares cas de pathologies du sommeil lourdes qui résistent aux traitements habituels (les médicaments de référence sont le modafinil [Modiodal] et le méthylphénidate, dont le nom commercial est Ritaline, et qui est aussi utilisé dans le traitement des troubles de l’attention et de l’hyperactivité).

Pour l’ensemble du pays, 110 à 120 patients, parmi lesquels 10 à 15 enfants, sont traités chaque année avec du mazindol pour des narcolepsies ou des hypersomnies. Ces prescriptions font l’objet d’une procédure spéciale, dite ATU, soit « autorisation temporaire d’utilisation ». Les ATU pour le mazindol sont nominatives et délivrées par l’agence au cas par cas, pour des durées limitées, selon des règles strictes, qui ont été renforcées à la suite de l’affaire Mediator.

Au CPPS de l’hôpital Robert-Debré, les docteurs Konofal et Lecendreux ont suivi, entre septembre 2010 et mai 2013, vingt-cinq patients traités au mazindol ou à la dexamphétamine (administrée quand le mazindol échoue). Les inspecteurs de l’ANSM ont examiné quinze des vingt-cinq dossiers, dont onze concernant les patients du docteur Konofal. Une des infractions constatées porte sur l’ensemble des dossiers : l’information des patients et de leurs parents (il s’agit en général de patients mineurs) est insuffisamment documentée. L'information des patients est évidemment d'autant plus importante dans une telle prescription qu'elle comporte une part de risque.

Les autres irrégularités se rapportent aux dossiers suivis par le docteur Konofal. Un patient a été traité au mazindol puis à la dexamphétamine, alors que le méthylphénidate, qui aurait dû être tenté d’abord, n’avait jamais été administré : une déclaration erronée affirmait qu’il était inefficace. L'ATU a donc été obtenue sur la base d'une déclaration fausse, d'après le rapport de l'ANSM. Ce que conteste à nouveau Konofal : « On a retrouvé la preuve que le patient avait été traité sous Ritaline et on l'a transmise à l'agence », dit-il.

Pour deux patients, les examens cardiaques n’ont pas été renouvelés à six mois d’écart, comme ils auraient dû l’être, alors que la régularité de ces examens est essentielle à la sécurité des consommateurs du médicament. Réponse de Konofal : « Avant octobre 2013, l'agence n'exigeait pas ces échographies. Et de toute façon, une telle fréquence n'est pas justifiée. »

Enfin, un patient a reçu du mazindol entre mai et octobre 2012, alors qu’il ne bénéficiait pas d’une autorisation en règle. Rappelons qu'en dehors de l'ATU, le mazindol est interdit en France. L'hôpital a donc fourni le médicament de manière illégale. Nous n'avons pas obtenu d'explication du docteur Konofal sur ce point.

Le patient atteint d’une valvulopathie évoqué plus haut n’a pas suscité de critique majeure de l’ANSM, mais son cas n’en est pas moins troublant. Le rapport cite un échange de courriers entre le docteur Konofal et le cardiologue qui suit le jeune homme, le docteur B. En juin 2011, alors que le patient est âgé de 15 ans et traité au mazindol depuis 2008 pour une narcolepsie, le cardiologue signale « une valve mitrale un peu dystrophique » avec une « micro-fuite contingente ». Le 28 août 2012, il parle d’une « insuffisance mitrale minime ».

Le 3 décembre 2012, le cardiologue finit par s’inquiéter et écrit au docteur Konofal : « Au vu de la littérature et notamment des données sur l’Isoméride et le Mediator, du fait que le mazindol est également connu pour une action anorexigène, je pense que sur le plan cardiaque et notamment valvulaire, il est souhaitable de ne pas poursuivre ce traitement au long cours et trouver une autre alternative thérapeutique (sic). »

Par un courrier daté du même jour, ce qui témoigne d’une étonnante célérité, le docteur Konofal répond : « Depuis la réception de votre compte-rendu d’examen cardiologique, nous avons demandé explicitement à X de bien vouloir suspendre son traitement. » Konofal insiste cependant sur le fait qu’il n’y a pas d’alternative thérapeutique pour son patient en dehors de la dexamphétamine. Une nouvelle lettre du docteur B, datée du 6 février 2013, précise que l’état du jeune patient est tout à fait satisfaisant, et que si les parents de X sont d’accord, en prenant bien conscience « des effets potentiels tardifs de ce type de molécule que je leur ai expliqués ce jour (HTAP, atteinte valvulaire, trouble rythmique), on peut réintroduire celle-ci sous réserve d’une surveillance cardiologique annuelle ».

Le rapport de l’ANSM ne contient aucune indication sur l’état du jeune X après décembre 2012 ni sur le traitement qu’il a reçu après cet échange de courriers. Les inspecteurs indiquent qu’ils n’ont pas retrouvé de compte rendu d’échographie cardiaque du patient avant le début du traitement. Son dossier médical précise que l’échographie était normale à la date du 21 mai 2008, mais aucun document ne le prouve. Si c’est bien le cas, le traitement est forcément responsable de l’anomalie. Si cette dernière était présente au départ, il est difficile de comprendre le choix d'administrer à ce patient le mazindol.

Les inspecteurs n'émettent pas de jugement à propos de cette situation. Ils demandent au docteur Konofal de leur fournir le compte-rendu manquant. Et indiquent que si le traitement a réellement modifié la situation initiale du patient, « une déclaration de pharmacovigilance devra être effectuée sans délai »

Modèle moléculaire du mazindol.Modèle moléculaire du mazindol. © DR

Selon le docteur Konofal, ce patient serait atteint d'une « maladie congénitale », qui n'a pas été aggravée par le médicament. « Il prend toujours le produit », ajoute le médecin. Mais comment l'examen pouvait-il être normal en 2008, s'il existait une anomalie congénitale ?

Il faut espérer que l’état de ce patient n’ait réellement pas été aggravé par la prise de mazindol. Quoi qu’il en soit, ce cas semble avoir disparu des radars. Pourtant, deux semaines avant la dernière lettre du cardiologue, le 18 janvier 2013, plusieurs spécialistes se sont réunis pour discuter de la sécurité des patients narcoleptiques traités par mazindol. Cette réunion, dont Mediapart s’est procuré le compte-rendu, ne mentionne pas le patient du docteur Konofal, mais un autre, suivi à Lyon par le docteur Patricia Franco (Unité de sommeil, Hôpital HFME). Chez ce deuxième patient, on a également diagnostiqué une anomalie d’une valve cardiaque, un « épaississement aortique sans fuite ».

Parmi les médecins présents, le professeur Marc Humbert, pneumologue, est un expert mondialement reconnu de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), la maladie la plus grave causée par les anorexigènes. Marc Humbert, qui faisait partie de l’équipe de l’hôpital Antoine-Béclère qui a découvert le risque d’HTAP associé à l’Isoméride, en 1991, dirige aujourd’hui le centre national de référence de cette maladie. Lors de la réunion du 18 janvier, il a affirmé que l’apparition d’un épaississement de la valve aortique devait être considérée comme liée au produit. D’après le compte-rendu de la réunion, cela justifiait « l’arrêt du traitement chez cet enfant ».

Le docteur Konofal n’était pas présent à la réunion du 18 janvier, mais le professeur Isabelle Arnulf, spécialiste du sommeil à la Pitié-Salpêtrière, y participait. Or, le docteur Konofal donne une consultation dans le service d’Isabelle Arnulf, et les deux médecins ont signé plusieurs publications scientifiques ensemble. Il est surprenant que le cas de valvulopathie détecté parmi les patients de Konofal n’ait pas été évoqué lors de la réunion du 18 janvier.

Ce cas n’apparaît pas davantage sur le site de l’ANSM, qui mentionne seulement celui de Lyon, sans préciser l’âge du patient ni le centre où il a été détecté. Ajoutons qu’étant donné le petit nombre de patients traités au mazindol (un peu plus d’une centaine par an, et 357 entre 2003 et 2012, selon les chiffres de l’ANSM), même l’apparition d’un cas unique est significative. Le fait que deux cas aient été détectés en un court intervalle de temps devrait évidemment être considéré comme une alerte rouge. Et si le patient de Konofal était atteint d'une anomalie dès le départ, il est incompréhensible qu'on lui ait donné le traitement.

Nous n’avons pu obtenir d'explications plus claires du docteur Konofal sur son jeune patient, mais comme on l'a vu, le médecin de Robert-Debré estime que le mazindol n’est pas un produit dangereux. Il le considère au contraire comme une alternative intéressante dans le traitement des troubles du sommeil ainsi que de ceux de l’attention.

Éric Konofal a en effet une double casquette : s’il soigne des patients narcoleptiques, il est aussi spécialiste des troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH). Et il fait la promotion du mazindol comme traitement de ces troubles qui affectent, selon certaines études épidémiologiques, entre 2 et 5 % des enfants d’âge scolaire. Cela représenterait, en France, des centaines de milliers d’enfants. Autrement dit, un marché potentiel sans commune mesure avec celui des narcolepsies. Le traitement de référence, actuellement, est le méthylphénidate (Ritaline ou ses variantes comme le Concerta). Konofal a breveté l’utilisation du mazindol pour le TDAH, et a créé deux start-up pour promouvoir son idée, BLK Pharma et Neurolifesciences (dans la première, il est associé à son collègue de Robert-Debré, Michel Lecendreux, le L de BLK).

Neurolifesciences revendique, sur son site web, 38 brevets mondiaux liés à la molécule. L’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) considère l’indication du mazindol dans le TDAH comme une innovation prometteuse. L’AP-HP est associée, en tant que demandeur, à toute une série de brevets de Konofal, comme celui-ci. En juillet 2012, BLK Pharma a été parmi les trois nominés pour les trophées de l’innovation de l’AP-HP, dans la catégorie « start-up espoir ». La même année, BLK Pharma a aussi été nominée parmi les cinq finalistes des Grands Prix de l’innovation de la ville de Paris, parrainés par PwC et Sanofi.   

Autrement dit, pour l’AP-HP, une vieille molécule anorexigène, développée par Sandoz dans les années 1960, considérée aujourd’hui comme dangereuse et qui n’est plus guère fabriquée que dans certains pays d’Amérique du Sud, représente le fer de lance de l’invention pharmacologique ! Et cela, au moment où l’onde de choc du Mediator a provoqué une grande réforme du médicament…

L’histoire ne s’arrête pas là. Konofal ne s’est pas contenté de breveter le mazindol, il l’a aussi expérimenté sur les enfants atteints de TDAH. Entre 2008 et 2009, au CPPS de l’hôpital Robert-Debré, vingt et un enfants de neuf à douze ans, atteints de TDAH, ont reçu, pendant une semaine, un traitement à base de mazindol. Certains de ces enfants étaient traités au méthylphénidate (Ritaline), médicament de référence du TDAH, qui ne présente pas le même risque que le mazindol. Leur traitement a été suspendu pour qu’ils puissent participer à l’expérience. Or, si le TDAH est une pathologie très handicapante, qui prive les enfants d’une vie scolaire et sociale normale, il ne représente pas une menace immédiate pour la santé.

Comment justifier que l’on ait donné à des enfants un produit potentiellement dangereux, alors qu’il existe un traitement efficace présentant moins de risques ? Konofal a pourtant agi dans le cadre d’un essai clinique approuvé officiellement le 1er juin 2007 par l’ANSM (qui s’appelait alors l’Afssaps), après un avis favorable donné par le Comité de protection des personnes d’Ile-de-France.

Florent Périn-Dureau, responsable des essais cliniques sur les médicaments neurologiques à l’agence, nous a expliqué que « la balance bénéfice/risque avait été jugée acceptable », compte tenu de la courte durée de l’essai. Konofal nous a expliqué qu'il souhaitait initialement faire un essai sur une période plus longue : « L'agence m'a obligé à faire une étude sur une semaine », dit-il. D’après le médecin, l’essai, finement appelé « Mazdah » (comme le dieu zoroastrien), a été une grande réussite : une amélioration a été constatée chez tous les enfants, affirme-t-il dans un article de 2012, publié par la revue Médecine du sommeil, et cosigné avec Michel Lecendreux.

Notice d'information sur le mazindol fournie aux patients de Robert-Debré.Notice d'information sur le mazindol fournie aux patients de Robert-Debré.

Mais peut-on juger sur une semaine ? Florent Périn-Dureau nous a affirmé qu’il n’y avait pas eu d’autre essai clinique ni de prolongation de l’essai Mazdah, ce que confirme Konofal. Nous avons cependant eu accès à des témoignages écrits de familles qui semblent indiquer que des enfants ont continué à recevoir du mazindol un ou deux ans après la fin de l’essai. Après vérification, l’ANSM nous a indiqué que deux enfants de l’essai Mazdah ont effectivement obtenu des ATU (autorisations temporaires d’utilisation) pour le mazindol, l’une de décembre 2008 à l’automne 2011, l’autre d’août 2009 à mai 2012.

Le premier enfant était également atteint de narcolepsie, de sorte que l’ATU a pu lui être accordée pour cette pathologie. Le second, lui, a obtenu une ATU dans l’indication TDAH (troubles de l’attention et de l’hyperactivité) – bien que celle-ci n’ait jamais été reconnue pour le mazindol par l’ANSM. Selon Françoise Mancel de la direction de l’évaluation de l’ANSM, « le prescripteur a fait état d’une amélioration notable de la situation clinique de cet enfant et a demandé la poursuite du traitement, souhaitée par les parents ».

L’ANSM affirme qu’il n’y a pas eu d'autres cas similaires. Il reste étonnant qu’une ATU ait été accordée en dehors de l’indication reconnue. Éric Konofal a une version différente de celle de l'ANSM : d'après lui, il n'y a jamais eu d'ATU dans l'indication TDAH, mais uniquement pour des patients qui avaient des troubles du sommeil. Pour ne rien simplifier, Konofal ajoute que « les parois ne sont pas étanches entre narcolepsie, hypersomnie et troubles de l'attention ». Que croire ?

Cette absence d'étanchéité apparaît d'ailleurs sur une notice d’information sur les ATU, fournie aux patients narcoleptiques du CPPS et de trois autres centres du sommeil au moins jusqu’à 2010 et sans doute plus tard. Cette notice énonçait comme un fait établi : « (Le mazindol) est également utilisé chez l’enfant pour traiter certains déficits attentionnels liés à l’hyperactivité. » Et cela, alors que l'indication dans les troubles de l'attention n’a jamais été reconnue, même si le docteur Konofal l'appelle de ses vœux (la notice porte la signature des quatre médecins responsables du Centre national de référence sur la narcolepsie et l'hypersomnie : le professeur Yves Dauvilliers, à Montpellier, le docteur Isabelle Arnulf, à la Pitié-Salpêtrière, le docteur Michel Lecendreux à Robert-Debré et le docteur Patricia Franco, à Lyon).

On peut ajouter que les inspecteurs de l'ANSM semblent avoir éprouvé quelques difficultés à comprendre les diagnostics d'Éric Konofal : « L’examen des dossiers et les discussions avec le docteur Konofal ont montré la complexité des situations cliniques et leur évolution potentielle au cours du temps, rendant parfois difficile l’établissement d’un diagnostic concernant leurs troubles du sommeil », écrivent les inspecteurs. Une façon indirecte de dire que l'on n'est pas toujours complètement sûr de savoir de quoi souffrent exactement les patients de Konofal. 

Le rapport mentionne notamment un cas pour lequel un diagnostic d’hypersomnie est posé sur la base de résultats d’examen qui ne se trouvent pas dans le dossier du patient. Mais l’agence ne pousse pas plus loin son interrogation, qui laisse certains doutes sur la pertinence des diagnostics. Et par conséquent, sur le bien-fondé des demandes d'ATU.

Éric Konofal, pour sa part, plaide toujours pour l'extension des indications du mazindol. Il justifie sa démarche par le fait qu'il y a très peu de traitements médicamenteux des troubles de l'attention et de l'hyperactivité. Mais peut-on, au nom de la prise en charge de ces troubles, et même s'ils posent un sérieux problème de société, accepter le risque d'une nouvelle épidémie de valvulopathies, après celle du Mediator ? 

Jusqu'ici, Konofal garde la confiance des autorités médicales. De 2008 à 2013, il a été expert auprès de l’Afssaps (devenue l’ANSM en avril 2012), notamment pour le groupe consacré aux « plans d’investigations pédiatriques des médicaments ». Le rapport de l'ANSM a été transmis le 20 février 2014 au professeur André Denjean, chef du service de physiologie-explorations fonctionnelles, dont dépend le CPPS. Contacté par Mediapart, le professeur Denjean nous a répondu sèchement : « L'Agence du médicament a fait une inspection et nous a transmis un rapport qui ne pose aucun problème. Nous sommes parfaitement dans les clous» Tout en précisant que ce rapport n'était pas public.

Ces affirmations ne s'accordent pas avec ce que nous explique Gaétan Rudant, responsable de la Direction de l'inspection de l'ANSM : « On est encore dans la phase contradictoire, dit-il. Le rapport définitif n'est pas émis» Il ajoute qu'il juge « très peu probable » que les écarts relevés par les inspecteurs soient remis en question.

Cette année, le docteur Konofal est à nouveau candidat pour les trophées de l’innovation de l’AP-HP, avec un brevet portant sur une nouvelle molécule, la lauflumide. Le jury annoncera le palmarès le 17 juin.

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Valls et Cambadélis veulent imposer au PS son aggiornamento

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Cela a ressemblé comme deux gouttes d’eau aux discours qu’il prononçait à la tribune des congrès socialistes, à une époque où il était archiminoritaire. Mais désormais, Manuel Valls parle comme chef de la majorité au pouvoir. Devant le conseil national du PS, réuni (une nouvelle fois) à huis clos samedi 14 juin à la Maison de la chimie, le premier ministre a souhaité fixer une ligne idéologique nouvelle à son parti, qui n’en a jamais réellement débattu jusqu’ici. Avec une franchise et une clarté que beaucoup lui ont reconnues, mais sans convaincre les sceptiques ni les oppositions qui s’expriment depuis sa nomination et les défaites aux élections municipales et européennes (lire ici – en PDF – le discours intégral).

« Insécurité culturelle et identitaire », « fractures communautaires, culturelles et géographiques », « irruption » puis « dérive » des communautarismes, combinée à l’abandon « depuis trop longtemps » par la gauche d’une « défense acharnée » de la laïcité. Telles sont, dans « un monde qui change si vite et dans lequel les menaces sont multiples et permanentes », les causes des résultats catastrophiques des derniers scrutins, selon Manuel Valls. Et son analyse des conséquences à en tirer ne fait pas un pli : « Il n’y a pas d’alternative à gauche. Notre échec électoral ne renforce pas la gauche de la gauche. Nous devons donc tirer un enseignement pour nos débats internes : c’est de nous que devra venir la solution ! »

Son alerte, qui rappelle les propos de celui qui, il y a six ans, appelait à « en finir avec le vieux socialisme », en a glacé certains parmi la moitié des 300 conseillers nationaux présents. « La gauche peut mourir, donc elle doit se dépasser », a déclamé le premier ministre, qui se « trouve de fait dans une position centrale, au cœur de la majorité ». Autodésigné au centre du dispositif, il entend incarner l’aggiornamento du PS qu’il appelle de ses vœux. Le parti, Valls le rêve en « force moderne, attractive et conquérante », et sûrement pas à la recherche d’« alliances improbables » avec les écologistes ou le Front de gauche. Car lui veut en finir aussi avec « les vieilles théories ou les stratégies du passé ». L’union de la gauche et le combat idéologique, très peu pour lui. Il veut sortir des « vieilles recettes », « du confort des idées connues, des mots qui ne fâchent pas et des dogmes ! »

Valls a son plan de route, pour expliquer à cette gauche qui « ne sait pas toujours comprendre ce monde qui change et en faire le récit ». Devant le conseil national, il a égrené les axes de sa politique si « moderne » : réduction de la dépense publique, retour de la compétitivité pour les entreprises, et, bien sûr, la politique de l’offre – « Non seulement je la mène, mais je l'assume ». À ceux qui ne sont pas encore transportés, il dit aussi vouloir « explorer d'autres chemins, sans tabou ». Comme la baisse de la fiscalité des ménages (« Les impôts sont trop lourds »), ou le « desserrement de la contrainte budgétaire européenne », mais seulement « si nous nous montrons crédibles sur notre effort budgétaire et nos réformes de structures ».

Manuel Valls, à la tribune du conseil national du PS (à huis clos), le 14 juin 2014.Manuel Valls, à la tribune du conseil national du PS (à huis clos), le 14 juin 2014. © compte twitter du PS

Fort de l’hégémonie culturelle qu’il pense avoir imposée au PS (deux ans seulement après n’avoir recueilli que 5,7 % à la primaire), Manuel Valls plaide pour un PS hégémonique à gauche, en ratissant large. « La gauche n’est jamais aussi forte que lorsque les socialistes sont unis et donnent l’exemple (…). Ne soyons pas sectaires et rassemblons tous les Français. » Mais s’il entendait enthousiasmer ceux qui dans ses rangs ne supportent plus l’orientation et l’obstination du pouvoir, l’opération n’est pas franchement réussie.

« C’est du sous-Rocard, soupire Marie-Noëlle Lienemann, qui a commencé rocardienne dans les années 1970. “Tout va mal, le monde est déstabilisé, il faut tout réinventer”… mais dans les actes, c’est tout pour les entreprises. » L’ex-strausskahnien Laurent Baumel, responsable du club de la Gauche populaire, abonde : « C’est le retour du rocardisme débridé. “Il n’y a que moi qui ai compris la mondialisation, si vous êtes contre c’est que vous n’y comprenez rien.” C’est comme si Valls voulait clore la synthèse jospinienne entre première et deuxième gauche… »

Récemment élu eurodéputé, Guillaume Balas voit du Joffre dans l’offensive du premier ministre. « Ma gauche est enfoncée, ma droite est en lambeaux, donc j’attaque, s’amuse le responsable du courant Un monde d’avance (les proches de Benoît Hamon). Valls veut profiter du moment pour tout bouleverser. » Autre figure de l’aile gauche elle aussi élue au parlement européen, Emmanuel Maurel a des envies de « faire feu sur le quartier général », comme le disait Mélenchon en son temps, après le 21 avril 2002. Pour l’heure, il se contente de regretter la fracture toujours plus grande avec la majorité au pouvoir et ce qu’il estime être la majorité réelle à gauche : « Je veux bien être solidaire de l’exécutif ; mais il faudrait pour cela que l’exécutif soit solidaire de sa base sociale. » « On a quand même en l’état un gros problème de premier tour », appuie Laurent Baumel.

Pour remodeler le PS, tout en contenant sa contestation, Manuel Valls peut compter sur Jean-Christophe Cambadélis. À l’aise dans son costume de premier secrétaire par effraction – il n’a toujours pas confirmé son engagement initial de faire valider par un vote militant sa désignation en remplacement de Harlem Désir –, “Camba” a dévoilé sa feuille de route. Laquelle entend « redonner une carte d’identité au PS », alors que « la force propulsive du cycle d’Épinay est arrivé à son terme ». Lors d’une conférence de presse conclusive, il a ainsi épousé le point de vue de Manuel Valls, évoquant « les militants plutôt que les courants », et une union de la gauche a minima, essentiellement des accords électoraux pour éviter d’être « marginalisé dans un tripartisme avec la droite et le FN, dont il n’est pas certain qu’il soit pérenne pour la gauche ». En résumé, le rassemblement ou le FN.

Sur les questions de calendrier, Cambadélis a aussi annoncé la désignation des têtes de liste socialistes aux régionales en janvier prochain, et une commission de chefs à plumes de toutes les sensibilités, pour fixer la date du futur congrès du PS (lui penche pour l’organiser dès février). Celle-ci, normalement prévue fin 2015, pourrait être bouleversée par le report des futures régionales (pour l’instant annoncée en novembre). Quant à l’éventuelle tenue d'une primaire pour 2017, pour laquelle s’est prononcée le matin même Emmanuel Maurel, Cambadélis évacue d’un sourire matois : « Les luttes déterminent les luttes. Nous verrons après les régionales. »

Jean-Christophe Cambadélis, à la tribune du conseil national du PS (à huis clos), le 14 juin 2014Jean-Christophe Cambadélis, à la tribune du conseil national du PS (à huis clos), le 14 juin 2014 © compte twitter de @MathiasUlmann

Quand on lui demande si nous sommes en train d’assister à la mue du parti socialiste français en New Labour à l’anglaise ou en Parti démocrate à l’italienne, il opine. « C’est à ce niveau-là qu’il faut se situer. Ce qui est en jeu, c’est un nouveau parti socialiste. » Mais quand on le relance pour savoir s’il s’agit d’entériner un recentrage du PS, Cambadélis tempère : « Notre Bad-Godesberg est fait depuis longtemps. Il nous faut nous réinscrire dans une réalité qui a changé. On veut pouvoir dire : “le socialisme moderne est arrivé”. » Il n’envisage toutefois pas un changement de nom et l’abandon du patronyme socialiste, comme l’avait proposé Manuel Valls il y a sept ans.

Pour l’heure, le parti semble sous contrôle de Cambadélis et Valls, avec l’assentiment des proches de François Hollande. À leurs yeux, le mécontentement interne est très relatif. Le parti verrouillé, c’est au groupe PS que résident les espoirs de l’opposition interne pour infléchir l’orientation libérale du pouvoir. À quelques jours d’un premier vote sur le budget, les députés de « l’appel des 100 » n’ont pas l’intention de déposer les armes. Après la publication de leur « plateforme pour plus d'emplois et de justice sociale ». « La politique économique du gouvernement ne se réglera pas dans le parti, mais dans l’enceinte parlementaire, prévient toutefois le député Christophe Borgel, proche de Cambadélis et ardent promoteur de Manuel Valls. Le cap défini a été validé deux fois à l’assemblée, lors du vote de confiance et du vote sur le pacte de stabilité budgétaire. On peut mener des débats sans payer le prix d'un tournant politique que n'attendent pas nos électeurs. »

Pour imposer la discipline de vote aux députés, le premier ministre joue sur la corde du « dialogue avec le Parlement », comme marque de « la nouvelle étape du quinquennat » qu’il entend incarner. Un « dialogue permanent empreint de respect, de confiance et de responsabilité », mais pour mieux favoriser « l’acceptation par tous du cap fixé par le président de la République le 14 janvier dernier ».

À la lecture du discours de Manuel Valls, on sent même poindre la menace et l’argument d’autorité. « Si la tradition de la Ve République, de la majorité parlementaire automatique sous menace du 49-3 n’a jamais fait partie de notre culture, celle de la reparlementarisation à outrance des institutions n’est pas tenable, lance-t-il. Ce serait la voie ouverte à la multiplication d’initiatives minoritaires qui feraient exploser le bloc central de la majorité et qui mettrait celle-ci à la merci de toutes les manœuvres. »

Jean-Marc Germain, lui, ne se tait plus. Très proche de Martine Aubry, dont il a été le directeur de cabinet à Lille puis au PS, le député sort du bois. « Les Français sont dans l’attente d’un changement de cap, dit-il. Il faut acter qu’il y a une évolution économique différente de ce qui était attendu. La croissance est à l’arrêt, le chômage ne cesse d’augmenter et le Medef n’a pas négocié. Il est donc normal de faire évoluer aussi sa politique. » Comme Christian Paul ou Laurent Baumel, Germain n’est pas un radical, et il répète souvent que les amendements déposés sont « dans un chemin compatible avec la parole présidentielle », consistant seulement à répartir différemment les efforts austéritaires.

Il ne cache pas son amertume vis-à-vis de la caporalisation en cours. « Il n’y a aucune discussion possible au groupe, dit-il. Si on propose un amendement, on vote contre le gouvernement. » Alors, avec les autres leaders de « l’appel des 100 » (dont personne ne sait combien ils seront lors des prochains votes budgétaires décisifs), il veut déposer directement leurs amendements dans l’hémicycle lors de la discussion générale (et non plus les voir filtrer par le groupe PS), afin de permettre à tout le monde de « voter en conscience ». « C'est comme cela que Manuel Valls avait défini son vote pour l’interdiction du voile intégral en 2010, rappelle-t-il, malgré la décision d’abstention prise par le groupe. »

A la réunion d'Un monde d'avance, à la mairie du 11e arrondissement, le 14 juin.A la réunion d'Un monde d'avance, à la mairie du 11e arrondissement, le 14 juin. © compte twitter de @Sophie_Pons

Surtout, ajoute-t-il, l’orientation assumée par l’exécutif de Valls a de lourdes conséquences stratégiques : « On ne pourra pas ressouder la gauche si la pratique du pouvoir est contraire à ce pourquoi on a été élu. » En fin de journée ce samedi, Jean-Marc Germain, dont tout le monde espère que son engagement annonce celui de Martine Aubry, a affolé l’applaudimètre à la réunion publique unitaire, organisé par le courant hamoniste Un monde d’avance, à la salle des fêtes de la mairie du 11e arrondissement de Paris.

Il y achèvera d’enfoncer son coin, en rendant hommage au travail programmatique du PS de Aubry, balayé par l’élection de Hollande à la primaire. « Le premier ministre dit qu’on ne s’était pas préparé au pouvoir, mais je pense qu’il se trompe et que si l'on appliquait ce qu’on avait dit qu’on ferait, on se porterait mieux », a-t-il posé. Avant de rappeler une leçon qu’il dit avoir apprise de Lionel Jospin, au cabinet duquel il a croisé Manuel Valls à Matignon : « Si au pouvoir on n’applique pas ce qu’on a pensé dans l’opposition, alors on le repense avec des hauts fonctionnaires imprégnés par le monde de la finance. » Et en termes de pratique politique, le mari de Anne Hidalgo (et lui-même ancien polytechnicien) porte l’estocade : « Une bonne loi, ça ne peut se faire qu’au parlement. Sinon, elles ne se font qu’à l’Élysée ou à Matignon, avec M. Rotschild et Mme Merryl Linch. »

Aux côtés du communiste Pierre Laurent et de l’écologiste David Cormand, les orateurs socialistes (d’Henri Emmanuelli à Laurent Baumel, en passant par Marie-Noëlle Lienemann ou un représentant de la “motion 4”) ont énoncé de concert la nécessité de trouver des convergences pour provoquer le changement de cap gouvernemental, ou à défaut l’alternative au socialisme hollando-vallsien. Les discussions sont allés bon train, dans un étrange climat d’avant-congrès socialiste ou de tréteaux communs pré-manifestation.

« On a quand même un problème, note le dirigeant écolo Cormand. D’habitude, on construit le rassemblement à gauche dans l’opposition… » Pour lui, les prochaines régionales seront « un moment où des choses pourront être expérimentées ». Pour Lienemann, « il ne faut pas tarder à donner du contenu à la stratégie et du contenu à nos convergences, afin de montrer à ceux qui jugent qu’il n’y a pas d’alternative à gauche qu’ils se trompent ». Et de citer les grands axes d’une plateforme possible de la gauche retrouvée. « Refus des politiques d’austérité », « une grande réforme institutionnelle, et en premier lieu la proportionnelle », « une réelle réforme bancaire ambitieuse », « un retour du rôle de l’intervention publique, notamment dans la vie des entreprises », « la transition énergétique, sujet le plus compliqué pour nous mettre tous d’accord, mais où un compromis dynamique est possible ».

En vieux sage inquiet, Henri Emmanuelli a résumé la réponse de nombreux socialistes, et au-delà, au discours de Manuel Valls : « Je ne sais pas si la gauche peut mourir, mais nous ferons tout pour qu’elle continue à vivre. »

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Le cas Hollande

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Le rôle de l’individu dans l’Histoire n’est pas seulement une question toujours ouverte, entre déterminisme et volontarisme. C’est aussi le titre d’une réflexion aussi oubliée qu’ancienne (elle date de 1898, ici sa version anglaise), dont la postérité ne fut pas sans incidence sur le XXe siècle qu’elle annonçait. Il s’agit en effet d’un essai de Georges Plekhanov (1856-1918), l’homme auquel on doit l’introduction du marxisme en Russie et la formation du Parti ouvrier social-démocrate, où les futurs révolutionnaires russes firent leurs premières armes avant de rompre avec un mentor jugé trop droitier. 

Refusant toute vision mécaniste d’une Histoire d’avance écrite par ses causes générales, Plekhanov affirmait qu’elle s’invente dans une interaction multiforme entre ces dernières, les circonstances particulières et les initiatives individuelles. « La grandeur du grand homme ne consiste pas en ce que ses qualités personnelles donnent une physionomie individuelle aux grands événements de l’Histoire, précisait-il. Elle consiste en ce que le grand homme a des qualités qui le rendent le plus capable de servir les grandes nécessités sociales de son temps, lesquelles naissent par l’opération des causes générales et particulières. »

Autrement dit, résumait Plekhanov, « je peux faire l’Histoire sans avoir besoin d’attendre qu’elle se fasse ». Le constat, d’où le léninisme tirera son avant-gardisme jusqu’à l’impasse dictatoriale et sa dégénérescence totalitaire, vaut aussi bien pour les audaces victorieuses que pour les défaites annoncées. Si les hommes politiques agissent dans des situations qui, évidemment, les déterminent et leur échappent tout à la fois, leurs actions, choix et décisions, interagissent sur ces situations, en accélèrent, retardent, précipitent ou modifient le cours.

L’analyse de l’échec dans lequel s’est si rapidement fourvoyé le pouvoir né de la présidentielle de 2012 ne saurait faire l’impasse sur cette question, autrement dit celle du rôle individuel de François Hollande dans cette situation si catastrophique que son propre premier ministre, Manuel Valls, redoute désormais à voix haute que la gauche toute entière ne s’en relève jamais (« La gauche peut mourir », à lire ici). Certes, personnaliser, c’est souvent dépolitiser. Et les questions individuelles de comportement ou de psychologie ne peuvent servir d’excuses à des choix politiques collectivement assumés par tous ceux qui nous gouvernent depuis deux ans.

Reste que, sous la Cinquième République, le rôle de l’individu dans l’Histoire se ramène d’abord à celui de la personnalité qui l’incarne, le président. Régime archaïque, tant son césarisme bonapartiste dévitalise la volonté populaire, sa force institutionnelle est intrinsèquement sa faiblesse démocratique. Tout ou presque y procède d’un seul. Quand le président américain peut être un ancien acteur hollywoodien (Ronald Reagan) ou un rejeton de l’oligarchie politique (George Bush Jr) qui donne vie à un rôle en grande part scénarisé et mis en scène par d’autres, dans un jeu complexe de pouvoirs et contre-pouvoirs, le président français est d’emblée renvoyé à une immense solitude par des institutions d’essence monarchique plutôt que républicaines d’esprit.

Il n’est pas seulement comptable au premier chef. Il est aussi lui-même agi, transformé et révélé par les institutions qu’il préside, dans une métamorphose incertaine où sa personnalité intervient tout autant que sa politique. À cette aune, il y a bien un cas Hollande dont l’effet négatif est loin d’être négligeable sur son propre camp. Politiquement, le constat est devenu une évidence : l’orientation qu’il a donnée à sa présidence est contraire à ses engagements électoraux et à rebours de son histoire partisane. Mais, personnellement, il y ajoute la confusion désastreuse de choix faits sans mode d’emploi, sans débat avec sa famille politique ni pédagogie pour ceux qui l’ont élu, dans un mélange d’embardées, d’amateurisme et d’improvisation qui ne cesse de désespérer ses plus proches.

À l’instar d’une rupture sentimentale qui se ferait sans un mot d’explication de celle ou celui qui part, François Hollande, seul dans son château, égare la gauche en lui faisant faux bond sans jamais lui expliquer pourquoi. Comme si c’était indicible ou inavouable. C’est une des données de l’actuelle dynamique régressive qui, électoralement, ne fait surgir aucune alternative à la déroute socialiste : par son échappée solitaire et silencieuse, si loin du personnage qu’il prétendait être en façade, le président élu par toute la gauche plonge celle-ci, tout entière, dans la stupéfaction, l’entraîne dans la dépression, l’enferme dans le désarroi. Et, de ce point de vue, la toute dernière séquence est aussi exemplaire que caricaturale.

Avec François Hollande, même les rendez-vous les plus prévisibles s’épuisent rapidement comme si cette présidence, décidément, avait le souffle court et l’imaginaire pauvre. La séquence mémorielle et internationale, celle des commémorations du 6 juin 1944, où il s’est affiché en hôte du monde, n’aura duré que l’espace d’un week-end de la Pentecôte. Sans doute parce que, enfermé dans sa bulle présidentielle, il s’est convaincu qu’un passé figé parle d’évidence pour un présent mouvant, incertain et embrumé. Or, pour en dissiper les brouillards, les lumières du passé ne seront d’aucun secours sans clarté sur le futur promis. 

Au lieu de quoi, cette présidence propose un tête-à-queue incessant où elle fait perdre toute boussole à la gauche dont elle est issue, la privant en quelque sorte de sens de l’orientation, autrement dit s’entêtant à la désorienter. Alors même qu’elle fait face à des mouvements sociaux prévisibles et annoncés, ceux des intermittents et des cheminots qui la mettent en porte-à-faux par rapport à ses engagements passés et à son assise sociale (lire ici l’article de Rachida El Azzouzi), la voici qui se signale aux siens par deux décisions symboliques proprement inimaginables.

« Mon véritable adversaire, c’est la finance », avait déclaré le candidat Hollande. Et, donc, mardi 10 juin, il nomme comme conseillère à l’Élysée une économiste fort libérale, Laurence Boone, qui officiait jusque-là au sein de la deuxième plus grande banque outre-Atlantique, la Bank of America. « C’est pour la jeunesse de notre pays que je veux présider la France », déclarait encore le candidat Hollande, dans le même discours du Bourget du 22 janvier 2012. Et, donc, jeudi 12 juin, il propose la nomination au poste essentiel de Défenseur des droits d’un vieux routier du chiraquisme, symbole de l’entre-soi d’une classe politique rétive au renouvellement, Jacques Toubon, 73 ans le 29 juin prochain, lequel terminerait son mandat de six ans dans sa quatre-vingtième année s’il était effectivement désigné.

« J’ai des inclinations à gauche », a confié au Monde la nouvelle conseillère élyséenne. La précision est importante tant on ne s’en était pas aperçu à lire, dans le quotidien libéral L’Opinion, les chroniques de cette publiciste des vulgates économiques les plus conformistes et les moins progressistes (lire ici l’article de Lénaïg Bredoux). Hostile à la régulation des banques, Laurence Boone qualifiait même, le 26 mai dernier, soit seulement deux semaines avant sa nomination, de « massacre » la politique économique du pouvoir, malgré tous les efforts de ce dernier pour séduire le patronat au risque de désespérer les salariés. « Les choix de politique économique sont quasiment inexistants, écrivait-elle. La déclaration de politique générale de Manuel Valls l'annonçait : c'est un programme qui ne vise ni à soutenir la demande à court terme, ni à élever le potentiel de croissance de long terme. »

Jacques Toubon avec Jean Tiberi, en 1997.Jacques Toubon avec Jean Tiberi, en 1997. © Reuters

Si Jacques Toubon s’est fait plus discret – encore qu’il aurait carrément écrit à François Hollande pour se porter candidat –, son itinéraire parle pour lui. Élus socialistes, pétitionnaires de gauche, spécialistes de la justice ne se sont pas privés de le rappeler à un président aussi oublieux qu’indifférent. Comment transformer en Défenseur des droits rigoureux et audacieux, indépendant et inventif, un homme qui s’est distingué en ne votant finalement pas la loi Badinter abolissant la peine de mort, en s’opposant à la dépénalisation de l’homosexualité, en ne s’associant à aucun des grands combats pour la défense et l’élargissement des libertés, notamment les droits des femmes et les droits des étrangers ? Et, qui plus est, en se comportant, quand il fut ministre de la justice, en gardien des siens plutôt qu’en garde des Sceaux, s’efforçant de ralentir ou d’entraver les investigations judiciaires sur des affaires de financement politique ?

C’est devant le club Droits, justice et sécurités que François Hollande était venu, en 2012, présenter ses propositions de candidat sur la justice. Et c’est ce club DJS, rassemblement de juristes, avocats, magistrats, hauts fonctionnaires, etc., peu portés à la dissidence et toujours loyaux envers le Parti socialiste, qui lui répond de façon cinglante, en jugeant « choquante et même déplacée » cette nomination d’un homme dont la carrière ininterrompue est ainsi résumée : « Jacques Toubon, Défenseur des droites ». Faut-il préciser que l’actuelle présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dont le Défenseur des droits est membre de droit, Christine Lazerges, fut présidente du club DJS jusqu’en 2013 ? Faut-il ajouter que l’un des fondateurs de ce club n’est autre que l’avocat Jean-Pierre Mignard, qui a également manifesté son courroux ? Lequel est aussi l’ami personnel et le défenseur habituel de François Hollande (et, par ailleurs, l’avocat de Mediapart avec son cabinet Lysias – ce qui n’a aucun rapport mais doit être précisé).

Comment, pour des choix aussi symboliques que fonctionnels, François Hollande peut-il à ce point dérouter celles et ceux qui lui ont fait confiance, voire ceux-là même qui l’ont parfois aidé, soutenu et conseillé ? Il n’y aurait donc, dans les réseaux socialistes, fussent-ils modérés, aucun économiste sans lien professionnel avec le monde bancaire méritant de rejoindre la présidence de la République ? Et encore moins de personnalité nouvelle, intègre, indépendante et compétente à gauche capable d’assumer, d’impulser et d’imposer cette récente, décisive et encore trop discrète institution du Défenseur des droits chargée, tout à la fois, de protéger nos droits fondamentaux face à l’État, de lutter contre les discriminations et pour l’égalité, de veiller à la déontologie des forces de sécurité, de promouvoir les droits de l’enfant, etc. ?

François Hollande semble devenu l’otage consentant des institutions qui l’isolent, au point d’être incapable de consulter, solliciter et écouter ceux qui lui sont proches. Et cela vaut dans tous les domaines. Même ses plus fidèles soutiens dans les milieux culturels entrent en dissidence, tel Jean-Michel Ribes du théâtre parisien du Rond-Point, qui appelle à une « mobilisation citoyenne » parce que « la cause des intermittents du spectacle est celle de la défense des libertés fondamentales de la République ».

« Une forme de bras d’honneur », a brutalement déclaré à propos des deux nominations contestées l’animateur de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel, en rappelant que les choix de Laurence Boone et de Jacques Toubon viennent après celui de Jean-Pierre Jouyet, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, comme secrétaire général de l’Élysée en remplacement d’un haut fonctionnaire constamment fidèle à la gauche, Pierre-René Lemas. Bras d’honneur : l’image résume bien le fossé d’incommunicabilité qui s’est installé entre François Hollande et sa propre famille politique, ce sentiment qu’elle a d’être méprisée et ignorée.

Et comme si cela ne suffisait pas, cette semaine sidérante s’est terminée par l’annonce du premier ministre, Manuel Valls, d’une modification de l’emblématique loi sur le logement portée par celle qui en était encore ministre il y a peu, l’écologiste Cécile Duflot. Laquelle n’a pas hésité à évoquer une trahison des engagements de 2012 : « Ne soyons pas dupes, il sagit d'une opération qui consiste à attaquer une des véritables lois de gauche de ce mandat. Abroger la loi Alur reviendrait à trahir des engagements de campagne sans aucun effet positif sur la construction. »

Que tous ces choix – dont le plus emblématique, le pacte de responsabilité et ses dizaines de milliards d’économies pesant sur les ménages et les salariés, sera l’enjeu des prochains débats parlementaires – dessinent une orientation idéologique en sens opposé à celle qui accompagna l’élection de 2012, c’est l’évidence. Mais elle ne s’accompagne aucunement de l’habileté tactique, fût-elle cyniquement calculatrice, qui pourrait transformer ce tournant en nouvelle cohérence politique. Quelle est l’utilité de ressusciter un chiraquisme sans bataillons, alors même que la crise de l’UMP tétanise durablement la droite ? 

François Hollande, sur les plages du Débarquement.François Hollande, sur les plages du Débarquement. © Reuters

Quel bénéfice attendre d’une telle manœuvre aussi archaïque que sans ambition quand, sur une ligne semblablement d’ouverture à droite, François Hollande n’a pas su tendre la main à François Bayrou qui, pourtant, avait pris le risque public de voter pour lui au second tour ? Indifférence qui a renvoyé ce dernier vers ses anciens amis hier ralliés à Sarkozy et lui a ôté toute envie de venir au secours de cette présidence, d’autant moins que l’effondrement moral du sarkozysme ouvre un espace à droite à l’alliance UDI-MoDem.

De fait, la ligne suivie par ce pouvoir, jusqu’au choix comme premier ministre de Manuel Valls qui a toujours défendu au PS cette évolution vers la droite, est celle d’une nouvelle majorité au centre. Mais celui qui la conduit au sommet de l’État ne l’assume pas, refusant d’accompagner son faire d’un dire. Manuel Valls a au moins le mérite de la clarté quand il force son avantage en faisant comme si, par la grâce d’une promotion présidentielle, sa ligne, hier fort minoritaire, était devenue centrale au Parti socialiste (lire ici le récent article de Stéphane Alliès). À l’inverse, François Hollande ne cesse de brouiller et d’embrouiller, créant autour de sa présidence un climat schizophrénique et neurasthénique.

Tout pouvoir politique est une forme de récit. Une histoire que l’on raconte, une ambition que l’on propose. Son authenticité est une autre affaire, tant ce récit peut être mensonger ou sincère, fabriqué ou spontané. Dans tous les cas, son existence est nécessaire pour que l’on comprenne et juge, pour que l’on puisse débattre et affronter, approuver ou contester. Or, d’une présidence l’autre, nous sommes passés de l’excès à l’absence. Au trop-plein du sarkozysme, ces cartes postales incessantes qui distillaient le poison de transgressions démocratiques, a succédé sous le hollandisme un vide fait d’appauvrissement et d’épuisement.

Comme si la présidence de François Hollande était marquée par son incapacité à inscrire son action dans un récit politique affichant et défendant sa cohérence, aussi discutable et contestable soit-elle par ailleurs sur le fond de ses orientations. Proches ou lointains de l’individu, soutiens ou adversaires de sa politique, impliqués dans l’action gouvernementale ou lui cherchant une alternative, tous les cercles concentriques de la gauche, dans sa diversité, se perdent en conjectures sur cette énigme d’un homme qu’ils ne comprennent plus et qui leur échappe. La réponse est sans doute à l’intersection du pouvoir et de la personnalité, de l’effet révélateur de l’un sur l’autre, tant nos institutions présidentielles sont plus fortes que les individus que, dans le même mouvement, elles dévorent et dévoilent. 

« On abîme le pays lorsqu’on abîme le président », a récemment déclaré pour le défendre une ancienne journaliste, son ex-compagne, Valérie Trierweiler, entonnant le refrain du « Hollande bashing » comme cause des malheurs de cette présidence. Comme si le pays ne pouvait être abîmé par un président qui s’abîme tout seul ! Comment ne pas penser à cette formule de Karl Marx, en 1878, à destination de ses camarades sociaux-démocrates allemands : « Ils sont atteints de crétinisme parlementaire au point de se figurer qu’ils sont au-dessus de toute critique et de condamner la critique comme un crime de lèse-majesté ! » 

Aussi zélé soit-il, le crétinisme présidentiel, ou plutôt présidentialiste, ne réussira pas à sortir cette présidence de l’impasse dans laquelle elle s’est enferrée de son propre chef.

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Cheminots, intermittents : nouvelle semaine noire pour l'exécutif

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La semaine s’annonce aussi difficile que la précédente pour l’exécutif pris en tenailles par deux gros conflits sociaux jamais vus depuis deux ans d’exercice du pouvoir. Deux conflits au lendemain de deux déroutes électorales pour le parti socialiste, qui en disent long sur la faiblesse politique du gouvernement et les limites de sa démocratie sociale. S’il n’y a guère de risques de convergence des luttes, il y a le feu au lac à quelques semaines de la conclusion du pacte de responsabilité et de la grande conférence sociale qui se tiendra début juillet. Aucune sortie de crise ne semble pour l’heure se dessiner, chacun des acteurs campant sur ses positions avec une possible radicalisation dans les deux dossiers.

Certes, il y a eu avant cela des mouvements sociaux qui ont coûté cher au gouvernement : la bataille vaine des ouvriers de PSA-Aulnay, celle des métallurgistes d’Arcelor-Mittal contre la finance, qui ont fini par peser dans les urnes, la fronde des Bonnets rouges qui le fera reculer sur l’écotaxe, la mobilisation des anti-mariage pour tous qui le fera renoncer à la PMA, mais jamais de contestation d’envergure nationale aussi importante faisant peser des risques conjoncturels de taille à un moment où le pays s’enfonce un peu plus dans la crise et le chômage.

D’un côté, les cheminots ne désarment pas. Ils continuent de paralyser une grande partie des transports. Malgré la guerre de communication engagée à leur encontre auprès de l’opinion publique, dans les médias, les accusant de dévoyer le droit de grève, de prendre en otages les Français, d’être les “bonnets rouges” corporatistes du chemin de fer. Malgré les appels très fermes à la reprise du travail du président François Hollande et du premier ministre Manuel Valls, jouant de la menace qui pèse sur l’examen du baccalauréat dont les épreuves écrites commencent aujourd’hui. Malgré aussi les pressions de leurs centrales, à l’image de la CGT qui avait salué des avancées positives autour de la table des négociations mais qui a été dépassée par sa base.

Ils reconduisent au-delà du week-end ce lundi 16 juin la grève à la quasi-unanimité pour la sixième journée consécutive sur l'ensemble du territoire contre le projet de loi sur la réforme ferroviaire, qui doit être présenté au parlement demain mardi en procédure d’urgence (une seule lecture par chambre) et sur lequel le gouvernement refuse de lâcher du lest. En toile de fond : l’ouverture généralisée à la concurrence fin 2019 mais pas seulement (lire ici l’entretien avec le sociologue Marnix Dressen).  

La CGT-Cheminots et Sud Rail, rejoints par deux centrales non représentatives, First et FO, semblent déterminés à amplifier le mouvement s’ils n’obtiennent pas gain de cause : le retrait du projet de loi de la réforme ferroviaire qui va découper la SNCF en trois Epic (établissements publics industriel et commercial), tandis que le gouvernement parie sur la fermeté et l’étiolement du conflit à partir de demain mardi. L’impact économique du conflit est déjà considérable pour la compagnie ferroviaire qui traîne des milliards d’euros de dettes. Une journée de grève nationale, a-t-elle coutume de rappeler, lui coûte en moyenne 20 millions d’euros... Il n'empêche, les deux principaux syndicats ont fait savoir ce lundi que lors des AG, le mouvement a été reconduit pour mardi.

De leur côté, les intermittents du spectacle haussent le ton pour que François Rebsamen, le ministre du travail (celui là-même qui quelques semaines avant de devenir ministre avait signé une tribune dans L’Humanité avec plusieurs parlementaires disant “pas touche au régime des intermittents”), n’agrée pas l'accord du 22 mars sur l'assurance-chômage qui précarise un peu plus les plus fragiles d’entre eux (lire nos articles ici, et l’analyse d’Edwy Plenel). Et le mouvement se répand comme une traînée de poudre.

Contrairement à la grande mobilisation de 2003 qui avait entraîné l’annulation en chaîne des plus grands festivals, les intermittents ont, cette fois, le large soutien du monde du spectacle et des directeurs de festivals, parce que c’est la gauche qui est au pouvoir, que sa promesse a toujours été de tout faire pour préserver le régime de l’intermittence et la culture en général, déjà parent pauvre en ces temps de disette budgétaire. Ils intensifient le mouvement démarré il y a plus de trois mois ce lundi 16 juin avec grèves et manifestations partout en France, accentuant la pression sur les épaules du médiateur, le député PS Jean-Patrick Gille, nommé le 7 juin par le gouvernement, auquel il reste moins de huit jours pour trouver une issue au conflit.

La CGT, aux avant-postes du combat côté syndical, appelle à amplifier les arrêts de travail tout au long de la journée. À Paris, artistes, ouvriers et techniciens du spectacle ont rendez-vous sous les fenêtres de la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, pour un grand rassemblement cet après-midi à 14 h 30. À 11 h 30, c’est Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point, la salle de spectacles des Champs-Élysées, qui n’a jamais caché sa proximité avec François Hollande, « un vieil ami que je connais depuis 25 ans », qui organise un rassemblement citoyen place de la Concorde avant de converger vers la rue de Valois.

Le grand spécialiste français de la satire n’a pas obtenu d’autorisation préfectorale. « Qu’importe si les CRS nous embarquent, lâche-t-il avec sa faconde, nous nous rassemblerons pour la cause des intermittents car c’est la cause des libertés de la République. La culture, c’est le pétrole de la France, l’oxygénation de notre société, un air respiré par tout le monde. Mon théâtre est plein, les Français ont besoin de rêves. Mais derrière ces rêves, il y a une usine avec des gens qui travaillent et dont on a fait des boucs émissaires. »

La dernière fois que Jean-Michel Ribes a rencontré François Hollande, c’était au moment du salon de l’agriculture, quand les partenaires sociaux ferraillaient dans la douleur sur la nouvelle convention Unedic. Le chef de l'Etat lui avait promis de ne pas toucher au régime des intermittents, cette spécificité française qui permet de faire tourner la culture, un des poids lourds de l’économie française qui pèse dans le PIB sept fois plus que l’industrie automobile. Comme beaucoup d’acteurs du monde culturel, Ribes a activé son réseau, appelé récemment Manuel Valls. Il « attend de lui un signe, un moratoire, de remettre tout le monde autour de la table », « de la pédagogie » aussi car, comme le combat des cheminots, celui des intermittents est illisible aux yeux de l’opinion, perçu comme une bataille corporatiste.

Mais le gouvernement est pris au piège. Dans ce dossier, contrairement à celui des cheminots qui implique l’État au point que le président Hollande a paraphrasé le leader communiste Maurice Thorez appelant à savoir arrêter la grève, l’exécutif est pieds et poings liés par la démocratie sociale. Sa marge de manœuvre est plus que limitée. La convention Unedic relève des partenaires sociaux. Ne pas agréer la convention, la renégocier, relève de la mission impossible à moins de déclencher les foudres du patronat, qui menace de quitter l’Unedic si tel était le cas.

Capture d'écran de la page d'accueil du festival d'art lyrique d'Aix-en-ProvenceCapture d'écran de la page d'accueil du festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence

Pierre Gattaz, le patron du Medef, le répète : « Si la convention n'est pas agréée ou si elle est vidée de la partie relative aux intermittents, nous quitterons la gestion de l'Unedic. » Alliée du gouvernement dans la plupart des réformes conduites depuis deux ans, même les plus impopulaires, la CFDT, signataire de l’accord du 22 mars aux côtés de FO et la CFTC, ne saurait non plus le tolérer. Finalement, quelle que soit l’issue, le gouvernement a le choix entre la peste ou le choléra, la mort de l’été culturel qui pèse tant dans l’économie ou un clash social à l’heure où il va falloir mettre en musique le très contesté pacte de responsabilité.

Faut-il s’entêter à vouloir réformer ce régime, avec tous les risques que cela comporte, pour réduire d’à peine 4 % le déficit de l’Unedic ? Dans un article à lire ici, Libération pose la question et compare ces économies aux autres politiques en cours. « Le gouvernement s’est ainsi engagé à diminuer de 40 milliards d’euros la pression fiscale et sociale des entreprises. Pour le seul CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), d’un montant de 20 milliards, les estimations en termes de créations d’emplois varient, d’ici cinq ans, de 150 000 selon l’OFCE à 300 000 selon l’Insee. Soit un coût compris entre 133 300 et 66 660 euros par emploi. Le régime des intermittents, de son côté, qui représente un surcoût de 300 millions d’euros pour l’Unedic, selon un rapport parlementaire, permet de sécuriser le travail d’un peu plus de 100 000 personnes, pour une facture de 3 000 euros par emploi. Soit 22 à 44 fois moins que les emplois espérés avec le CICE. Et pour des postes de travail, eux, bien réels. »

L’été culturel qui battra son plein en juillet est en tous les cas sérieusement en péril. Les effets de la crise se font déjà sentir. Dans le Gard, le festival Uzès Danse, créé en 1996 avec la complicité de la chorégraphe Maguy Marin, est le premier des festivals de l’été à être sacrifié par solidarité avec le mouvement. « Au regard de la situation et des revendications actuelles que nous comprenons, en concertation avec l'équipe technique, administrative et le conseil d'administration du CDC Uzès danse, nous avons pris la décision d'annuler le festival 2014 à partir de ce jour à 17 h 30. » Tel est le message laconique affiché depuis samedi 14 juin au soir sur le site internet de la manifestation qui devait se tenir jusqu'au 18 juin.

Capture d'écran de la page d'accueil du festival Uzès DanseCapture d'écran de la page d'accueil du festival Uzès Danse

Depuis le début du mois de juin, la contestation a déjà perturbé de nombreux spectacles. À Montpellier, la grève a été reconduite au Printemps des comédiens, premier festival touché depuis son ouverture le 3 juin, pour participer lundi à la journée d'action. À Toulouse, le festival de musiques du monde Rio Loco s'est achevé dimanche après une édition fortement perturbée, lors de laquelle les intermittents ont bloqué des spectacles et imposé la gratuité sur d'autres. Samedi, 300 salariés du festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, dont son directeur, ont manifesté dans les rues de la ville pour sensibiliser le public.

La menace de la grève pèse sur l’ouverture du premier festival d’opéra de France. Comme elle hypothèque le festival de théâtre d’Avignon qui démarre le 4 juillet. Son directeur, Olivier Py, confie dans une interview au Monde à lire ici : « Aujourd'hui, il n'y a absolument pas d'autre solution, pour le gouvernement, que d'affirmer qu'il n'y aura pas de signature, quelles que soient les difficultés que cela suscite. Il ne faut pas oublier que préserver l'intermittence, c'est une promesse de la gauche. Si cette promesse n'est pas tenue, la gauche ne s'en remettra pas plus que le festival d'Avignon. Nous sommes tous sur un bateau qui coule. »

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Affaire Andrieux: une enquête ouverte sur des «menaces» sur un témoin clé

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Selon le parquet de Marseille, une enquête a été ouverte le 17 mars 2014 à la suite d'un dépôt de plainte pour chantage et subornation de témoin par Abderrezak Zeroual, un témoin clé de l'affaire Sylvie Andrieux.

Lors du procès en appel de la députée des Bouches-du-Rhône (ex-PS), jugée pour détournement de fonds publics, Abderrezak Zeroual, condamné en première instance pour recel d'escroquerie, était revenu le 4 juin 2014 à ses premières déclarations réalisées en garde à vue, à charge contre l'ancienne vice-présidente de la région Paca, déléguée à la politique de la ville. Selon ses propos rapportés par l’AFP, Same Benyoub, l’une des deux têtes de réseau des associations fictives qui ont bénéficié des subventions de la région, était bien « le relais de Mme Andrieux, son fer de lance dans la campagne de 2007 ». Il « assurait la sécurité des élections, le jour J » et organisait « les circuits de ramassage » en bus pour aller voter.

Condamné pour recel d'escroquerie à six mois ferme et à payer solidairement 228 000 euros de dommages et intérêts en première instance, Abderrezak Zeroual a expliqué mercredi avoir été menacé avant le procès en première instance par Same Benyoub, qui lui aurait proposé la somme de 50 000 euros pour changer de version. Same Benyoub est « venu à mon domicile avec des personnes que je ne connaissais pas » et « m'a fait comprendre qu'il serait de bon ton de ne pas charger la baronne », a rapporté l’AFP.

Une seconde scène d'intimidation intervenant sur l'autoroute est relatée par son avocat Me Lionel Febbraro, qui avait déposé plainte il y a un an, le 3 juin 2013, sans suite connue jusqu'alors. Abderrezak Zeroual comparaissait alors qu'il est détenu à Luynes en raison d'une récente condamnation à quatre ans de prison dans un dossier de trafic international de cannabis. La défense de la députée avait jugé fantaisistes ses accusations. « On est dans la conspiration permanente, c’est un cours de contre-espionnage dans les quartiers nord, avait balayé Me Grégoire Ladouari, un des avocats de Sylvie Andrieux. C’est facile le jour du procès de dire qu’on a été menacé pour expliquer ses faiblesses. »

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MediaPorte : « Enfin l'antidote à la dépression »

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Intermittents et cheminots en grève. Laurence Boone et Jacques Toubon nommés par François Hollande. Heureusement, hier soir...

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Le proviseur qui aimait trop les safaris est parachuté dans un lycée de Nanterre

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C’est une nomination qui passe franchement mal. Au lycée Joliot-Curie de Nanterre, après les enseignants qui ont débrayé mardi dernier, c’était au tour des parents d’élèves de se réunir vendredi pour tenter de faire barrage à l’arrivée prochaine du nouveau proviseur. « Nous pensons qu’il n’a pas le profil pour notre établissement », affirme, sans trop vouloir s’étendre, Éric Maldiney, le représentant FCPE (fédération des conseils des parents d'élèves). Officiellement, l’administration leur a répondu qu’« aucune faute grave n'a été relevée contre cette personne, qui a toute la confiance du ministère », comme l'a rapporté l'édition des Hauts-de-Seine du Parisien.

Les enseignants de l’établissement ont néanmoins eu vent de la piètre réputation de celui qui doit être amené à la rentrée prochaine à prendre les rênes de leur lycée et ils sont inquiets.

Au lycée français de Nairobi, où il était en poste depuis septembre 2011, le proviseur Denis Bouclon n’a pas laissé de très bons souvenirs. Lorsqu’on interroge l’AEFE (l’agence pour l’enseignement français à l’étranger) elle laisse répondre le Quai d’Orsay, son ministère de tutelle : « Des tensions fortes sont apparues au cours de cette année scolaire entre une partie de la direction pédagogique du lycée et certains membres du comité de gestion. » Au point que cela a conduit l’AEFE à juger nécessaire de rappeler le proviseur en France, « pour assurer la poursuite de l'année scolaire dans de bonnes conditions ».

Le proviseur a en effet été remercié en milieu d’année et rappelé à Paris. Une procédure lancée à l’issue d’un rapide audit de l’établissement. Denis Bouclon, contacté par Mediapart, se dit quant à lui « victime d’une campagne de diffamation », menée principalement, selon lui, par une mère d’élève « hystérique ». Les documents qu’a pu consulter Mediapart révèlent pourtant de curieuses dérives dans la gestion de l’établissement lorsqu’il était proviseur.

Un certain nombre de dépenses paraissent, tout d’abord, pour le moins étonnantes pour un établissement scolaire. Ainsi, le proviseur se fait rembourser un safari en novembre 2012, avec location de 4×4 pour 600 euros, une visite du parc national pour trois personnes le 19 septembre 2013 pour 15 000 schillings kenyans (environ 125 euros, voir documents sous l’onglet Prolonger), des entrées au club Florida 2000, une des boîtes les plus « chaudes » de Nairobi en septembre 2013, et une nuit à l’hôtel le 23 décembre en pleine période de congé scolaire avec une entrée au Kisumu Yacht club …

Parallèlement, des sorties de caisse en liquide, pour des sommes parfois considérables, semblent difficilement explicables. L’équivalent de 10 000 euros est ainsi prélevé de la caisse de secours pour de curieux « frais de dédouanement » le 28 août 2013. Le bon de sortie de caisse, contrairement à la réglementation en vigueur pour des sommes supérieures à 80 000 schillings kenyans (environ 700 euros), n’a pas été signé par le trésorier du conseil d’administration (CA). De même, pourquoi avoir payé en liquide neuf ordinateurs pour près de 5 000 euros le 12 mars 2013 ? Ou rétribué, là encore en liquide, près de 5 000 euros la société de construction Atlantis (en novembre 2013), mais sans qu’aucun justificatif n’ait été là encore visé par le trésorier du CA ?

En découvrant le motif de certaines dépenses, plusieurs membres du conseil d’administration se sont étranglés. En novembre 2012, des bons de sortie de caisse portent ainsi la mention « facilitation fees » au profit notamment du ministère de l’enseignement kenyan, ce qui en bon français pourrait bien se traduire par pots-de-vin...

La réalisation d’un certain nombre de travaux dans l’établissement a aussi laissé aux parents un goût amer. Lancée à l’été 2013, la construction d’un bâtiment de quatre classes s’est soldée de manière plutôt piteuse. Non seulement les coûts ont dérapé de plus de 60 %, un audit de Buit Sync Consult estimant le taux de surfacturation à plus de 30 % (voir document), mais le bâtiment cumule tellement de malfaçons qu’il a été jugé par le bureau Veritas inutilisable car dangereux. Le bâtiment est toujours vide…

Autre projet pour le moins étonnant : les vestiaires pour le personnel ont été facturés 88 000 euros, un montant qui paraît totalement exorbitant, alors qu’ils devaient initialement coûter moitié moins. Le peu de transparence dans la manière dont a été passé le marché a aussi amené plusieurs membres du CA à s’interroger sur les procédures suivies. « L’architecte choisi a été recommandé par la société Atlantis, à laquelle les travaux ont été ensuite confiés et ce sur recommandation de ce même architecte ! Le rapport de l’architecte explique que l’appel d’offres n’a été envoyé qu’à une seule entreprise (Atlantis), et estime le coût des travaux à 10 755 353 KSH. Cela tombe bien, la société Atlantis, qui a recommandé l’architecte et qui est le seul soumissionnaire, a fait une offre légèrement inférieure, à 10 734 736,50 KSH », raconte, écœuré, un parent d’élève.

La directrice administrative et financière, arrivée en septembre 2012, est aux abonnés absents : en congé maladie depuis le mois d’avril, elle a demandé à rentrer en France.

Interrogé par Mediapart, l’ancien proviseur Denis Bouclon affirme ne pas se souvenir du détail précis de l’ensemble de ces factures mais assure concernant les sorties de caisse en liquide qu’« au Kenya, il est très fréquent d’avoir recours à du paiement en liquide. Pour les frais de dédouanement, cela permet d’aller vite et d’éviter que le matériel scolaire reste bloqué à Mombasa ». Une explication qui laisse plus que dubitatif un membre du conseil d’administration : « Dans une entreprise ou une administration normale, on ne paie jamais les frais de dédouanement en liquide en Afrique, principalement en raison de la corruption généralisée dans ce secteur. C’est une règle de base ! Il faut donc toujours pouvoir avoir des preuves des paiements, via des virements bancaires ou des chèques. »

Concernant les safaris et autres sorties en boîte de nuit, Denis Bouclon précise qu’il est d’usage de recevoir correctement les inspecteurs de l’éducation nationale pour lesquels ces sorties auraient été organisées aux frais de l’école. « Quand on reçoit des personnes qui viennent de France, il est normal qu’on les invite au restaurant, à faire un tour de la ville ou même un safari. Tous les établissements dans le monde font la même chose. » Sa nouvelle affectation à Nanterre pourrait bien, sur ce point au moins, s’avérer décevante...

La manière dont a réagi l’AEFE à ces graves dysfonctionnements laisse penser qu’elle a surtout cherché à éteindre la polémique. Ainsi, la mère d’élève qui avait commencé à dénoncer publiquement le comportement du proviseur a été suspendue de l’association des parents d’élèves, sur proposition de l’AEFE et de l’ambassade de France à Nairobi, pour « action préjudiciable au lycée ». Une éviction qui l’empêche de fait de siéger au CA, ce qui semble arranger tout le monde.

Le directeur de l’école primaire, lui aussi en totale opposition avec ces dérives, a dû, à la suite de pressions de l’ambassade de France, renoncer à rester une année de plus. Il faut dire qu’avant l’arrivée de M. Bouclon, l’établissement avait déjà connu un précédent scandale avec des détournements de fonds lourds. La précédente directrice financière et son adjoint avaient dû partir en urgence... Est-ce pour étouffer l'affaire que l'ambassade de France à Nairobi s'est fendue d'un avis très favorable sur Denis Bouclon, estimant dans son dossier de réintégration que « M. Bouclon a fait preuve, à Nairobi, de qualités professionnelles et de compétences qui doivent pouvoir s’exercer à la tête d’autres établissements scolaires »?

Quand ils ont appris que leur ancien proviseur allait prendre la tête d’un important établissement de Nanterre, nombre de parents d’élèves du lycée français de Nairobi se sont offusqués : « On est nul mais on est nommé ailleurs, loin, là où personne ne vous connaît. Sublime gestion des ressources humaines ! », s’étrangle une mère d’élève. À moins que l'affectation de ce proviseur dans ce lycée réputé difficile de Nanterre soit considérée par l'administration comme une sanction, ce qui serait sans doute le plus grave...

BOITE NOIREPour cette enquête, nous avons contacté plusieurs parents, enseignants et membres du conseil d'administration du lycée français de Nairobi au Kenya. Ils ont préféré rester anonymes pour ne pas subir de mesures de rétorsion de la part de l'administration.

L'AEFE, comme l'ambassade de France à Nairobi, nous ont renvoyé vers le Quai d'Orsay qui s'est contenté de nous répondre par courriel.

M. Bouclon a été contacté par téléphone.

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Conflits sociaux : Manuel Valls à contre-pied

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« La gauche peut mourir », a répété Manuel Valls, sur France Info, ce lundi, et sa phrase rentrera dans l’histoire car elle résume le divorce entre le pouvoir et ceux qui l’ont choisi. Pour le premier ministre, ce diagnostic impose en effet de monter dans l’ambulance, en soutenant le gouvernement. Mais pour la gauche qui l’observe, et qui se pince pour y croire, cette formule rappelle plutôt ce vieux film des années 50, avec Noël Roquevert : « Mourez, nous ferons le reste. » Une histoire de pompes funèbres et de corbillards...

Si Valls a choisi de parler fort à l’approche de ses cent jours, donc de son premier bilan, c’est parce que son accession à Matignon n’a rien changé du tout, ni sur le plan électoral, ni sur la confiance entre l’exécutif, la majorité et le pays en général. Les choses ont même empiré. Le fiasco municipal a débouché sur une catastrophe européenne, et la révolte des parlementaires PS s’est ossifiée plutôt que dissoute. Enfin le climat social s’est alourdi avec la jacquerie des cheminots et la révolte des intermittents.

Tout au plus, Manuel Valls peut-il se prévaloir d’une meilleure gestion des couacs. Depuis qu’il est en poste, c’est vrai, le gouvernement ne grince plus, ou beaucoup moins. Il applique sagement la feuille de route du président de la République : « On maintient le cap. » Si bien que l’ambitieux premier ministre se retrouve piégé. Lui qui aime les coups d’éclat, voilà qu’il est devenu le majordome de l’ordre et le maître du silence.

D’où son coup de gueule à double sens : « Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut-être même d’un cycle historique pour notre parti. » La phrase est transparente, et elle est tonitruante. Elle ressemble à un avis de décès pour le hollandisme, et à un appel à la refondation de la gauche derrière un nouveau chef. En somme une pré-candidature pour les prochaines présidentielles.

Le problème de M. Valls, c’est que son constat pour l’avenir sonne étrangement dans le contexte actuel. Voilà un homme qui invite ses troupes à la réflexion, donc à ouvrir un grand débat, et qui le ferme aussitôt en les appelant à « assumer leur responsabilité », c’est-à-dire à soutenir sans résistance les choix d’un gouvernement « arrivé au bout de quelque chose, peut-être même d’un cycle historique »...

Moi ou le chaos… En d’autres temps la phrase avait de l’allure. Le problème, sous le quinquennat Hollande, c’est que le « moi » est lui-même chaotique, et que la phrase a l’air de dire : « le chaos ou le chaos… ».

Car le fil est bien rompu. Non seulement vis-à-vis de la droite, qui n’a jamais été aussi radicale alors qu’elle est elle-même en miettes, mais surtout par rapport aux électeurs de gauche qui ne comprennent plus rien aux décisions d’un pouvoir imprévisible, capable de mettre en place un programme de rigueur inédit, de promouvoir un UMP d'un autre temps en la personne de Jacques Toubon, et d’adopter les usages et les mots du réalisme économique imposé par la droite libérale…

Il se trouve que cette potion magique, bientôt vieille de quarante ans, est elle-même périmée, et que plus personne n’y croit, hormis quelques grands prêtres officiant à la télé, et leur petite armée de fidèles répétant leurs mantras. Cette solution libérale, et pour ainsi dire finale, jalousement imposée par la commission européenne, est faite de baisses d’impôts, de réduction du secteur public, de resserrement du nombre de fonctionnaires, de compression du coût du travail donc de baisse des salaires, de retraites amputées obtenues de plus en plus tard, d’une assurance-maladie progressivement remplacée par des mutuelles coûtant de plus en plus cher.

Si le cocktail avait donné les résultats promis par Raymond Barre, dès la fin des années 1970, les électeurs auraient tourné la page du « socialisme » depuis longtemps et se seraient convertis aux bienfaits du marché. Le problème, c’est que les bienfaits collectifs du libéralisme, promis à grands coups d’austérité, sont aujourd’hui mis en avant par un pouvoir « de gauche », et se traduisent plus que jamais par des inégalités croissantes, une vie plus dure pour la plupart, et l’absence de perspectives. Tout un peuple est bercé par l’objectif des trois pour cent ! Perspective si exaltante que les Français, angoissés, se tournent vers l’État protecteur, ne le trouvent pas, et se réfugient alors vers un parti d’extrême droite qui entend résumer la France à un seul nom, « Le Pen », et un seul chef, ou plutôt une seule cheftaine.   

Ce qui frappe en ce printemps 2014, avec son cortège de grèves, c’est que deux modèles ont atteint leurs limites, mais que l’un d’eux, le libéral, continue de revendiquer le réel et la modernité, comme s’il était le seul possible, et que l’autre, par la voix du parti socialiste au pouvoir, ne revendique plus rien, sauf de singer son rival.

À cet égard, le conflit des cheminots et celui des intermittents sont révélateurs de l’abandon en rase campagne des valeurs et des mots de la gauche. Il est possible qu’une surenchère syndicale ait poussé les agents de la SNCF à se lancer dans une grève discutable. Il est possible en sens inverse que cette réforme ait franchi une ligne rouge et que le mouvement soit justifié. On peut toujours discuter du bien-fondé d’un mouvement, et de sa conduite. Mais comment un pouvoir se réclamant de la gauche, donc historiquement bâti sur des luttes et des résistances, peut-il adopter, à l’égard d’une bataille sociale, le langage classique de la droite éternelle ? Comment peut-il parler des usagers « pris en otages », de « mauvaise grève » au prétexte qu’elle « dérange », comme si une grève, dans l’histoire sociale du monde, était autre chose qu’un blocage organisé, et avait jamais abouti à un résultat probant sans gêner provisoirement le fonctionnement d’une entreprise, ou de la société entière ? Voilà maintenant que la Hollandie recommanderait des mouvements de grève « que personne ne voit », comme s’en était flatté Nicolas Sarkozy à la tribune du Medef. Et pourquoi pas des brassards jaunes et des sourires à la une du Figaro ?

De ce point de vue, le conflit des intermittents est encore plus « extraordinaire ». On peut admettre que le mouvement des cheminots soit impopulaire, et que le gouvernement prenne donc ces distances pour ne pas être atteint par la réprobation publique… Mais l’affaire des intermittents ? En quoi Manuel Valls se sent-il obligé de ménager la chèvre et le chou, en concédant que « leur système est à bout de souffle » ? De quel souffle parle-t-il donc ? De celui de la France ou des intérêts du Medef ?

Car l’évidence n’est pas le coût de ce système mais ce qu'il rapporte, en termes économiques, et en terme de société. Non seulement le système culturel français n’est pas en crise, mais il est foisonnant, et le monde entier l’envie. Son défaut impardonnable, vu du Medef, c’est de s’inspirer d’une idée de répartition, et d’investissement public. Donc d’une approche collective. Selon le Medef, il est injuste que tout le monde paie pour les intermittents, mais il serait scandaleux que tout le monde souffre, limonadiers compris, quand les intermittents s’arrêtent de travailler ! Une idée de gauche a fait la preuve de son efficacité, ce qui n’est pas si courant paraît-il, et voilà qu’un pouvoir issu du parti socialiste le déclare « à bout de souffle ! ».         

De quelle fin de cycle veut parler Manuel Valls ? De l’effondrement d’une gauche alternative à laquelle il s’oppose depuis toujours, et qui s’accrocherait « à ses dogmes » et ses « conservatismes », ou de la déroute française de la « gauche raisonnable », à laquelle il se réfère, et dont l’ambition blairiste, ou schröderienne, consiste, au nom du modernisme, à devenir le caméléon du « réel » plutôt que son créateur ?

Sans doute des deux, en espérant trouver une troisième voix, qui ne soit officiellement ni de droite ni de gauche mais qui le conduise à l’Élysée. Giscard rêvait aussi de cette France-là en 1992, en publiant chez Flammarion son Deux Français sur trois, dans l’espoir de revenir. Trois ans plus tard, Jacques Chirac était élu...  

 

 

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Eric Cesari, l'homme des «coups montés» de Sarkozy

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On le présente souvent comme l’homme de l’ombre de Nicolas Sarkozy. Il est surtout celui de ses manœuvres politiques. Éric Cesari, 55 ans, a été placé à l’UMP par l’ancien président de la République en 2007, d’abord comme directeur de cabinet, puis comme directeur général du parti. Un poste dont il a été officiellement écarté lundi 16 juin, pour être remplacé par Philippe Gustin, ancien ambassadeur de France en Roumanie et ancien directeur de cabinet de Luc Chatel.

« L'UMP a besoin d'une véritable césure par rapport à la gestion précédente, avait indiqué Alain Juppé la semaine dernière sur France Inter. Il est donc bien dans nos intentions de renouveler complètement l'équipe administrative et financière dès le prochain bureau politique. » Le « collège » composé des trois anciens premiers ministres qui dirige désormais l’UMP, aux côtés du nouveau secrétaire général Luc Chatel, doit présenter ce mardi 17 juin le nouvel organigramme du parti.

En qualité de directeur général de l'UMP, Cesari fut l’un des acteurs clés de la campagne présidentielle de 2012, même s’il ne figurait pas dans l'équipe officielle du candidat Sarkozy. « Il était de toutes les réunions », raconte à Mediapart un autre acteur de la campagne. Et c'est pour cette raison qu'il se retrouve à son tour embarqué dans l’affaire Bygmalion.

Eric Cesari.Eric Cesari. © Facebook/Eric Cesari

Depuis la démission de Jean-François Copé, il est au centre de toutes les discussions des cadres de l’UMP. Alors que le directeur de cabinet de l’ancien patron du parti, Jérôme Lavrilleux, s’est livré à un étrange exercice de confessions médiatiques, lui est resté particulièrement discret. Et pour cause : celui que l’on surnomme « l’œil de Moscou » de Nicolas Sarkozy était le lien entre le parti et l’ancien président de la République. Toucher Lavrilleux, c’était atteindre Copé. Toucher Cesari, c’est atteindre Sarkozy.

« Cesari va faire croire qu’il était juste là pour s’occuper des serpillières et des balais », a attaqué le directeur de cabinet de Copé dans Le Point, avant d’ajouter : « La ventilation des comptes, ça s’est déroulé dans le bureau d’Éric Cesari avec Guillaume Lambert (l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy – ndlr) et quelques autres personnes. Je n’étais pas là. Une des personnes présentes m’a garanti qu’elle avait informé Nicolas Sarkozy. »

Lavrilleux n’en dit pas plus sur l’identité de cette mystérieuse personne. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que l’homme qui a informé pendant des années l’ancien président de la République sur le fonctionnement interne de l’UMP était bien Éric Cesari. « Tout le monde savait qu’il gardait les clefs de la maison pour Sarkozy, confie un ancien salarié de la rue de Vaugirard. Il se rendait régulièrement à l’Élysée pour prendre les ordres, y compris durant la campagne présidentielle. Il n’aurait jamais pris une décision importante sans en informer Sarkozy au préalable. »

Eric Cesari et Jérôme Lavrilleux.Eric Cesari et Jérôme Lavrilleux. © Reuters

Entré en politique par le biais des réseaux Pasqua, le protégé de Nicolas Sarkozy semblait jusqu’alors intouchable. « C’est un homme de réseau qui sait très bien manœuvrer, explique un ancien cadre du parti. C’est pour cette raison qu’il a survécu aux épreuves et aux changements. » Patrick Devedjian (septembre 2007-décembre 2008), Xavier Bertrand (décembre 2008-novembre 2010), Jean-François Copé (novembre 2010-juin 2014)… Comme l’écrivent les journalistes Carole Barjon et Bruno Jeudy dans le livre Le Coup monté (Éd. Plon, 2013) : « Les secrétaires généraux passent, Cesari reste. »

« Devedjian avait beaucoup de mal à fonctionner avec lui, se souvient un collaborateur de l’actuel président du conseil général des Hauts-de-Seine. Il répétait qu’il ne pouvait rien lui confier, parce que ça remonterait aussi vite. » Aux dires d’un autre “ancien” de la rue de Vaugirard, Cesari avait également une « relation exécrable » avec Michel Bettan, l’ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand, passé depuis chez Havas Worldwide. « Bettan et Bertrand avaient pensé prendre le parti et y faire ce qu’ils voulaient, mais Cesari leur a rapidement fait comprendre que ça ne se passait pas comme ça. Sarkozy acceptait de confier le parti, mais le deal, à chaque fois, c’était de s’engager à ne pas toucher à Cesari. »

Plusieurs personnes interrogées par Mediapart décrivent le directeur général de l’UMP comme un « fainéant » qui « ne bosse pas beaucoup ». « À part la gestion du personnel, je ne sais pas exactement ce qu’il faisait », confie un ancien salarié du parti. « Il n’a jamais eu de premier rôle, ajoute un ex-responsable de la rue de Vaugirard. Il s’occupait surtout des tâches matérielles. » « Quand je l’interrogeais, il n’était jamais au courant de rien, se souvient un élu UMP des Hauts-de-Seine. On voyait bien que son vrai job, c’était d’aller voir Guéant et Sarkozy. »

« Mon rôle ici, c’est de laisser les portes ouvertes pour Sarkozy dans le cas où il déciderait de revenir en 2017 », a reconnu lui-même le principal intéressé aux auteurs du Coup monté. Qu’importe la direction de l’UMP, le directeur général du parti n’a toujours eu qu’un seul patron : Nicolas Sarkozy. Et la défaite du 6 mai 2012 n’a rien changé. Éric Cesari a continué à rendre des comptes rue de Miromesnil, comme il le faisait déjà à l’Élysée.

C’est d’ailleurs là-bas, dans les bureaux parisiens de l’ex-chef d’État, que le directeur général de l’UMP s’est employé à rassurer son protecteur sur sa non-participation à ce qu’il qualifie de « système Copé » : « Je n'ai jamais été dans le système Copé, je n'ai eu aucun échange de mails avec Bygmalion, et je ne mettais pas les pieds aux fameuses conventions », lui a-t-il indiqué, selon Le Figaro.

La défense d'Éric Cesari est aujourd'hui mise à mal par les nouvelles informations de Libération qui a révélé que le nom et la signature du directeur général de l'UMP sont les seuls à apparaître sur les devis adressés au parti par la société Event & Cie, une filiale de Bygmalion, pour une cinquantaine de conventions fantômes, facturées près de 13 millions d’euros. Cesari plaide le trou de mémoire, car des « devis », indique t-il au quotidien, il en a signé « des paquets », pour « rendre service ».

Des services, l'homme en a effectivement rendu « des paquets ». Membre du cabinet de Charles Pasqua au ministère de l’intérieur à compter de 1993, il accompagne ce dernier deux ans plus tard au conseil général des Hauts-de-Seine. Un élu du département se souvient de « l’ambiance corse » qui régnait alors dans les couloirs du conseil général : « Quand ils n’avaient pas envie que l’on comprenne ce qu’ils disaient, ils parlaient corse entre eux. »

Quand Pasqua transmet le département à Sarkozy en avril 2004, il lui demande de garder dans son cabinet deux ou trois personnes. Parmi elles, figurent Éric Cesari, qui devient directeur de cabinet du nouveau président du conseil général, mais aussi Emmanuel Millan, alors chef de cabinet, nommé plus tard directeur-adjoint de l’UMP. En mai 2004, Cesari est décoré chevalier de l’ordre national du mérite.

Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy.Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy. © Reuters

L’homme fait également partie des proches de Nicolas Sarkozy que Patrick Devedjian a accusés, en novembre 2010, d’avoir orchestré « une campagne » destinée à lui faire perdre la présidence de la fédération des Hauts-de-Seine. « J’ai appris qu'Olivier Biancarelli, attaché parlementaire de l'Élysée, et Éric Cesari, directeur général de l'UMP, (avaient téléphoné) aux principaux responsables politiques des Hauts-de-Seine pour leur dire de voter pour Jean-Jacques Guillet (député des Hauts-de-Seine élu à sa place – ndlr) », avait confié au Monde l’actuel président du conseil général du 9-2, accusant l’ancien chef de l'État d'avoir manœuvré au motif qu'il aurait perturbé les ambitions politiques de Jean Sarkozy dans le fief familial. Quelques mois plus tôt, le 30 juin 2010, Cesari avait eu l’honneur des salons de l’Élysée où il avait été décoré chevalier de la Légion d'honneur.

Deux ans après cet épisode, le directeur général de l’UMP fait de nouveau parler de lui à l’occasion de la guerre Fillon/Copé pour la présidence de l’UMP. Les auteurs du Coup monté le présentent comme « le dernier maillon de l’échafaudage » qui a permis à Jean-François Copé de conserver la tête du parti en novembre 2012, tandis que Patrice Gélard, l’ancien président de la fameuse commission de contrôle des opérations électorales (Cocoe), le pointe comme principal responsable de ce « coup monté », avec Lavrilleux. Pour le sénateur de Seine-Maritime, les deux hommes étaient « dévoués à leur chef Copé auquel ils obéissent ».

« Lavrilleux et Cesari ont surtout été des alliés de circonstance, rapporte à Mediapart un ancien de la rue de Vaugirard. Cesari n’a jamais vraiment été copéiste. Lui, c’est Sarko avant tout. Il avait dû avoir des ordres pour barrer la route à Fillon. » La route a d’ailleurs été “barrée” au sens propre le 26 novembre 2012, lorsque que le directeur général de l’UMP s’est interposé physiquement aux huissiers dépêchés par la justice, à la demande de l’ex-premier ministre, pour protéger des documents électoraux.

Jean-François Copé et François Fillon.Jean-François Copé et François Fillon. © Reuters

Éric Cesari est aujourd’hui élu à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine. Après avoir été adjoint à la sécurité dans l’équipe municipale de Rouen, il cherche, à compter de 2007 et de sa nomination à la direction générale de l’UMP, une place en banlieue parisienne. Et c’est tout naturellement qu’il échoue dans ce fief de la sarkozie. Dès son élection au conseil municipal de Courbevoie en 2008, il se voit déjà remplacer le maire Jacques Kossowski. « C’est un apparatchik qui passe le plus clair de son temps en Normandie où sa femme travaille encore… », souffle Jean-André Lasserre, conseiller général PS des Hauts-de-Seine.

Le « parachutage » de Cesari dans les Hauts-de-Seine n’est pas au goût de tout le monde. D’autant moins depuis l’affaire Bygmalion. D’autant moins, aussi, depuis que le directeur général de l’UMP a été nommé, mi-avril, président de la communauté d'agglomération Seine-Défense (Courbevoie-Puteaux). « Une fonction rémunérée 5 000 euros par mois pour diriger une coquille vide », fustige Christophe Grébert, conseiller municipal MoDem de Puteaux, qui dénonce également la nomination de 14 vice-présidents, rémunérés 1 400 euros par mois.

Parmi eux, on retrouve le fils de Joëlle Ceccaldi-Raynaud, la maire UMP de Puteaux, mais aussi le copéiste José Do Nascimento, responsable des fédérations à la direction de l'UMP, et Caroline Cornu, ancien membre du cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, passée depuis 2012 à la direction de la communication d'EDF. « La droite, Nicolas Sarkozy et les échanges de bons procédés entre amis… Un classique des Hauts-de-Seine », s’amuse un élu UMP du département.

La tradition du 9-2 aurait-elle traversé le périphérique pour se perpétuer rue de Vaugirard ? C’est l’une des questions auxquelles devra répondre l’audit interne annoncé mercredi 10 juin par François Fillon et l’enquête judiciaire confiée par le parquet de Paris à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Une question restée sans réponse après le premier rapport commandé mi-mai par Jean-François Copé à... Éric Cesari.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone les 10 et 11 juin.

Compte tenu de la proximité d'Éric Cesari avec Nicolas Sarkozy et des futurs rebondissements de l'affaire Bygmalion, la plupart d'entre elles ont accepté de témoigner à la seule condition que leurs propos soient cités en “off”.

Également contacté par nos soins, Éric Cesari n'a pas retourné nos demandes d'entretien.

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Jacques Toubon, une nomination que rien ne peut justifier

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On est injuste avec François Hollande. Le chef de l’État a au moins une qualité que nul jusqu’ici n’a voulu lui reconnaître : il peut redonner vie à des concepts que l’on croyait morts. En ce mois de juin 2014, notre président social-libéral en mal de résultats – mais toujours enclin à désespérer ses électeurs en courtisant en vain ses adversaires –, vient ainsi de ressusciter le chiraquisme, rien de moins. Un communiqué de l’Élysée diffusé mercredi soir nous apprend en effet ceci :

Le grognard chiraquien Jacques Toubon, qui fêtera ses 73 ans le 29 juin, a donc de grandes chances de s’éviter les affres d’une retraite désœuvrée grâce à François Hollande, qui se propose de lui offrir le poste de Défenseur des droits, poste qu’occupait Dominique Baudis depuis 2011 jusqu’à son décès le 10 avril dernier, à 66 ans.

Jacques Toubon, Défenseur des droits ? Est-il le mieux placé pour lutter contre les discriminations, et veiller à la déontologie de la sécurité (deux des missions du Défenseur des droits, avec la défense des enfants et celle des usagers des services publics, depuis l'absorption du Défenseur des enfants et de la Halde en 2008) ? L’idée fera sourire les plus indulgents, quand d'autres s'indignent déjà et le voient plutôt en « défenseur des droites ».

Avant de devenir ce vieux sage consensuel et pétri de valeurs humanistes que veut nommer Hollande, Jacques Toubon a été un des chevau-légers de la droite dure parlementaire contre François Mitterrand, lors de son premier septennat.

Premier accroc de taille, dans son parcours : lors de ses débuts comme parlementaire, en 1981, Jacques Toubon a fini par voter contre la loi de Robert Badinter abolissant la peine de mort, même s'il avait auparavant voté pour le principe de l'abolition (l'article 1), avec 15 autres députés RPR. Jacques Toubon s'était alors déclaré opposé à la peine de mort à titre personnel, mais hostile à une loi qui ne garantissait, selon lui, pas d'alternative (on peut lire ici son intervention dans l'hémicycle le 18 septembre 1981). Il réclamait alors, en contrepartie, « des modalités d'exécution nouvelles des peines de réclusion criminelles les plus graves », voulant aussi « réviser l'échelle des peines à travers une réforme du Code pénal ».

Cette même année 1981, Jacques Toubon s'illustre encore malheureusement en votant, comme de nombreux députés RPR, contre la loi de Gisèle Halimi dépénalisant l'homosexualité (on peut lire le compte-rendu des débats du 20 décembre 1981 ici).

Pourfendeur du socialisme, spécialiste de l'obstruction parlementaire, des interruptions et du brouhaha en séance, Jacques Toubon s'était notamment illustré en jouant les grognards de Chirac lors des débats sur la loi Savary, en 1984.

Cette même année, Jacques Toubon avait été sanctionné, avec François d’Aubert et Alain Madelin, d'une mesure de « censure » prononcée par le bureau de l'Assemblée, pour « injures ou menaces contre le président de la République ». En l'occurrence, pendant les débats de la loi relative à la communication, les trois sbires lançaient des allusions aux activités de François Mitterrand pendant l'Occupation. Une diversion au passé collaborationniste du patron de presse Robert Hersant, alors à la tête d'un véritable empire, et qui était menacé par des mesures sur la concentration de la presse.

En 1989, c'est encore lui qui ferraille durement contre la loi sur l'immigration présentée par Pierre Joxe.

Lorsqu’il occupait le ministère de la justice, de 1995 à 1997 (après deux années pittoresques à la culture), il s’était comporté en « garde des siens » plutôt qu’en garde des Sceaux. Alors que plusieurs juges d’instruction enquêtaient sur les affaires de financement du RPR, le ministre mouillait la chemise quotidiennement pour tenir ses procureurs.

Afin d’éviter aux époux Tiberi la désignation d’un juge d’instruction indépendant dans une affaire emblématique – les salaires de complaisance versés à Xavière Tiberi par le conseil général RPR de l’Essonne, alors tenu par Xavier Dugoin –, les services de Jacques Toubon avaient même commis l’impensable : envoyer un hélicoptère jusque dans l’Himalaya, avec le fol espoir d’y trouver le procureur d’Évry, Laurent Davenas (féru d'alpinisme), et de le convaincre de ramener son adjoint, Hubert Dujardin, à la raison. Le procureur adjoint d’Évry avait eu le tort et l’audace d’ouvrir une information judiciaire pendant l’intérim de Davenas, plutôt que de faire durer tranquillement l’enquête préliminaire en cours. C’était en novembre 1996.

Jean et Xavière TiberiJean et Xavière Tiberi © Reuters

Ces deux années Toubon place Vendôme, passées à promouvoir des procureurs amis et à entraver les enquêtes, ont eu des résultats plus que mitigés. « Ah mais je ne peux rien faire, il y a un juge de nommé ! », répondait un jour le ministre, dérangé au téléphone par un ami, alors qu’il accordait un entretien à l’auteur de ces lignes dans un petit salon du ministère, et jurait ses grands dieux que les « affaires » ne l'occupaient que 1 % du temps...

Pour mémoire, c'est Jacques Toubon qui avait nommé directeur de l'Administration pénitentiaire un magistrat nommé Gilbert Azibert. Celui-là même qui vient de s'illustrer malencontreusement dans l'affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy.

Malgré le zèle de Toubon et de ses amis, les dossiers les plus lourds, mêlant fausses factures du BTP, mallettes de billets et financement politique, ont certes été ralentis à l’époque, mais la plupart ont tout de même fini par être jugés (marchés du conseil régional d’Ile-de-France, emplois fictifs du RPR, OPAC, etc.). Certaines enquêtes ont toutefois été sabordées, dont l’affaire de l’office HLM des Hauts-de-Seine, dans laquelle le ministre de l’intérieur Charles Pasqua avait prêté son concours à une déstabilisation du juge Éric Halphen via son beau-père, le docteur Maréchal, fin 1994.

D'autres affaires semblent, en revanche, avoir été gonflées, comme celle qui vaut au président (MRC) du territoire de Belfort, Christian Proust, de passer 15 jours en prison en 1996, avant d'être blanchi bien plus tard, en 2004.

En tant que ministre de la justice, Jacques Toubon a encore refusé, en 1995, l’examen de la proposition de loi socialiste créant le Contrat d’union civile (ancêtre du Pacs), en déclarant notamment ceci : « Le gouvernement n’est pas favorable parce que l’ordre public s’y oppose. » Il avait aussi cherché à amnistier les commandos anti-IVG, avant de changer d'avis.

Pour finir, avec la dissolution de 1997, Jacques Toubon avait quitté le ministère de la justice sous les quolibets, couturé de cicatrices, et sa carrière politique n’avait plus tout à fait été la même. En bon soldat méritant de la Chiraquie, il n’a, cependant, jamais été au chômage.

N’arrivant pas à redevenir député après son passage remarqué à la justice, Toubon s’abrite d’abord à l’Élysée comme conseiller. Il tente un putsch hasardeux contre Tiberi en 1998, qui lui coûte son poste au Château. L’année suivante, il reçoit la visite d’Eva Joly pour une perquisition en bonne et due forme dans l’affaire Isola 2000, station de ski dirigée par sa belle-fille et grevée de malversations. Le promoteur de la station, Dominique Bouillon, laissait Jacques Toubon utiliser son bateau à l’année, et d’autres arrangements plus secrets étaient soupçonnés par la justice. Après une mise en examen, l’affaire se termine toutefois par un non-lieu.

Maire du XIIIe arrondissement de Paris de 1983 à 2001, Jacques Toubon y a laissé des souvenirs mitigés, et géré avec difficultés de gros dossiers d'aménagement. À peine Chirac réélu à l’Élysée, en 2002, il se console en obtenant un coup de piston, étant bombardé conseiller d’État au tour extérieur. Pour améliorer l’ordinaire, il est aussi élu député européen en 2004. Le bâton de maréchal lui est offert en 2005 : faute de retrouver la mairie du XIIIe, il est nommé président du groupement d'intérêt public de la Cité de l’immigration, puis président du conseil d’orientation de l’établissement public du palais de la Porte dorée en 2007, reconduit en 2010 puis encore en 2013, ce qui avait suscité un certain étonnement à gauche. Un strapontin occupé depuis près de dix ans, où Jacques Toubon n'a pas fait de vagues, ni d'étincelles.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Réforme ferroviaire: pourquoi ça coince

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Les députés entament ce mardi 17 juin l'examen de la réforme ferroviaire, sur fond de vive contestation. Depuis une semaine, deux syndicats importants de la SNCF, la CGT et Sud-Rail (53 % des votes aux élections professionnelles de mars 2014), reconduisent la grève pour protester contre cette loi qu'ils jugent dangereuse, pour les cheminots et pour les usagers. La CFDT et l'Unsa (38 % à elles deux), plus modérées, ne s'associent pas au mouvement. Laurent Berger, de la CFDT, dénonce une « mise en scène » et l'Unsa parle de « course à l'échalote » entre CGT et Sud. En face, Manuel Valls et le chef de l'État montrent les muscles et jouent l'opinion, profitant de la relative impopularité des cheminots, volontiers présentés comme rétifs au changement ou arc-boutés sur leurs supposés privilèges.

Dans les médias, le mouvement est surtout analysé par ses conséquences : retards des bacheliers aux épreuves, voyageurs TGV énervés, banlieusards lessivés par des heures de transports de plus. Les causes du conflit paraissent en revanche assez nébuleuses. « Je regrette que cette grève continue car nous n'en voyons pas le sens », a lancé Manuel Valls sur France Info. Pourtant, ce mouvement, dont la durée tient à la détermination d'une partie de la base, en dit long sur le moral des cheminots, leurs inquiétudes, la concurrence infernale dans laquelle évolue la SNCF, immense entreprise publique de 250 000 salariés aux statuts divers.

Sur un quai de gare en Ile-de-FranceSur un quai de gare en Ile-de-France © Reuters


Ce que prévoit la loi

La réforme ferroviaire que les députés discutent à partir de mardi a été examinée lors du Conseil des ministres du 16 octobre 2013. Elle était souhaitée par le président de la SNCF Guillaume Pepy, nommé par Nicolas Sarkozy mais classé à gauche (il a travaillé avec Martine Aubry). Elle comprend 19 articles et vise, selon le gouvernement, à « moderniser en profondeur l’organisation du système de transport ferroviaire français ». Principale mesure : la réunion au sein d'une seule entreprise de la SNCF, qui exploite le réseau, et de Réseau ferré de France (RFF), qui le gère et l'entretient. Depuis la loi Pons de 1997, les deux entités sont séparées. Une division en partie factice (la SNCF assurait en fait une grande partie des attributions de RFF) qui, selon le gouvernement, « se traduit par des surcoûts et des difficultés à coordonner les travaux et les circulations ferroviaires, préjudiciables à la qualité de service ». La loi vise aussi à endiguer l'endettement du système ferroviaire (plus de 40 milliards d'euros). 

Selon le rapporteur de la loi, le député PS Gilles Savary, elle vise par ailleurs clairement à « préparer l'ouverture du système ferroviaire à la concurrence ». Bruxelles souhaite en effet (c'est le « quatrième paquet ferroviaire européen » en cours de discussion) que le marché européen du rail soit totalement ouvert à la concurrence à partir de 2022 dans toute l'Europe – cela dit, les États souhaitent garder des marges de manœuvre importantes pour organiser cette concurrence. Dans cette perspective, la loi pose le principe d'un futur « cadre social harmonisé » entre les cheminots et les salariés des opérateurs privés, existants ou à venir.  

RFF-SNCF, ça n'a jamais marché

La séparation entre l'opérateur SNCF et le gestionnaire du réseau date de février 1997. À l'époque, il s'agit surtout pour la France, qui tente alors de se plier aux critères de Maastricht, de masquer dans une structure de "défaisance" la dette déjà colossale du système ferroviaire. Outre les voies ferrées, RFF endosse alors 20 milliards d'euros de passif financier. En dix-sept ans, la dette de l'ensemble du système a plus que doublé, à cause du coût d'entretien d'un immense réseau en très mauvais état (ce qui explique de nombreux retards ou fermetures temporaires de liaisons), ou encore de la construction de nouvelles lignes (quatre nouveaux tronçons à grande vitesse seront inaugurés d'ici 2017 : Paris-Strasbourg, Paris-Bordeaux, Paris-Rennes et Paris-Montpellier ; quant au futur Lyon-Turin, il n'est toujours pas financé, etc.).

La réforme est une tentative de contenir cette dette qui flambe. Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, assure que la réorganisation fera gagner 1,5 milliard d'euros par an en supprimant doublons et chevauchements inefficaces. De quoi stabiliser la dette, mais pas la réduire. Plus prosaïquement, c'est une façon de régler des bisbilles récurrentes entre les deux structures, comme l'a prouvé l'incroyable quiproquo des quais de gare à raboter pour les futurs trains express régionaux (TER).

La loi propose donc de « réunifier » SNCF (rebaptisée SNCF Mobilités) et RFF (devenu SNCF Réseau) au sein d'une même holding, sur le modèle de la Deutsche Bahn allemande – au grand dam de la commission européenne, guère friande de telles structures accusées d'être un frein à la concurrence. 

Rien n'assure toutefois que malgré la fusion, trois entreprises seront plus efficaces que deux. « À part multiplier les postes d’encadrement et les heures de réunions entre tout ce petit monde, quelle utilité ? » s'interroge le cheminot Sylvain Boulard dans un post où il explique ses raisons de faire grèvePour les députés Front de gauche, c'est le risque d'un « éclatement du système ». « Le projet de loi est fait pour pousser encore plus loin le cloisonnement et l'étanchéité entre activités (…) pour préparer la structuration en sociétés privées », craint la CGT. Pour Sud-Rail, le « service public ferroviaire doit être assuré par UNE entreprise publique intégrée, gérante de toute l’exploitation et toute l’infrastructure... ». « Nous savons – nous ne le cachons nullement – que l’ouverture du marché à la concurrence, engagée depuis 2000, sera réalisée à terme, rétorque le rapporteur de la loi Gilles Savary. Nous préparons la SNCF à cet environnement ouvert, dans lequel elle devra se battre en France et, surtout, à l’étranger (…) Loin de démanteler la SNCF, nous conservons toutes ses compétences. »

Les craintes des syndicats : plus de concurrence, plus de compétitivité

« La SNCF va être complètement éclatée et incapable de répondre aux besoins de transport, (…) il y aura des milliers de camions supplémentaires sur les routes, de plus en plus de gares et de lignes fermées », prévient Thierry Nier, secrétaire fédéral de la CGT cheminots. La loi ne prévoit pourtant pas de fermeture de gares ou de réductions de dessertes. Elle ne dit d'ailleurs rien non plus de la façon de redresser l'activité Fret de la SNCF, moribonde. 

Mais si une partie des cheminots sont si inquiets, c'est parce que leur environnement quotidien change très vite : le service public se veut désormais ultra-rentable et concurrentiel. « Depuis 1983, la SNCF a perdu 100 000 cheminots, soit un tiers de l’effectif, alors qu’elle transporte 400 millions de voyageurs supplémentaires par an », résume Gilles Savary. La SNCF est devenue un groupe mondial, en compétition dans de nombreux pays du globe pour l'exploitation de dessertes régionales, de réseaux urbains, ou dans le cadre de marchés d'ingénierie.

Guillaume Pepy, patron de la SNCFGuillaume Pepy, patron de la SNCF © Reuters

Elle compte aujourd'hui 250 000 salariés, dont 144 000 seulement ont le statut de cheminot. Les autres sont des contractuels de droit privé (environ 10 000), ou encore salariés du millier de filiales que compte désormais l'entreprise (environ 100 000, employés à des conditions moins avantageuses et avec plus de flexibilité). Parmi ces filiales, certaines sont connues du grand public, comme ID-TGV, voyages-sncf.com ou les autocars low-cost IDBUS, lancés en 2012. D'autres le sont beaucoup moins. Comme VFLI, une filiale qui taille des croupières à l'activité fret de la SNCF, ou Sféris, spécialiste de l'entretien du réseau en concurrence avec l'activité infrastructures de la SNCF (l'actuelle SNCF Infra). D'après la CGT, un tiers des embauches se fait d'ailleurs hors statut cheminot – ce que la direction dément. Selon un cadre cité par Les Échos, les filiales servent à « vider le statut cheminot à la petite cuillère ». Une sorte de dumping interne pour contourner le vieux statut maison afin de faire des économies et gagner en compétitivité.

Dans le même temps, le secteur ne cesse de se libéraliser. Le fret (transport de marchandises) est ouvert à la concurrence depuis 2006. Selon l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF, le gendarme du marché ferroviaire dont la loi muscle d'ailleurs les attributions), les opérateurs privés représentent déjà 32 % du marché (autant qu'en Allemagne, qui a pourtant ouvert ce marché douze ans plus tôt). Fret SNCF, l'opérateur historique, en crise structurelle, est concurrencé par EurocargoRail (filiale de la Deutsche Bahn),  Europorte (filiale du groupe Eurotunnel), Colas Rail, ou une filiale de la SNCF comme VLFI. 

Les transports internationaux de voyageurs sont ouverts à la concurrence depuis décembre 2009. En pratique, la SNCF les assure tous encore, via des coopérations avec des opérateurs d'autres pays (Eurostar, Thalys, Alleo, Lyria). Depuis décembre 2011, la compagnie privée Thello (Trenitalia/Transdev) propose toutefois des Paris-Venise et des Paris-Rome via Milan. 

Les trains express régionaux (TER) sont toujours conduits et entretenus par la SNCF. Mais les régions, autorités organisatrices de transport à travers des délégations de service public, consacrent 6 milliards d'euros par an au ferroviaire et doivent gérer un trafic de plus en plus important. Elles militent pour gérer elles-mêmes leurs transports, et réclament une loi qui leur permettrait de faire appel (à titre expérimental, dans un premier temps) à des opérateurs privés ou à des régies. Certains opérateurs, comme la filiale de trains régionaux de la Deutsche Bahn, les courtisent d'ailleurs activement pour les encourager à sauter le pas. 

Sans supprimer le statut particulier des 144 000 cheminots (qui leur garantit notamment l'emploi à vie, une retraite pas encore alignée sur le régime général, la possibilité de partir à 50 ans pour les conducteurs nés avant 1967, des règles de mobilité et d'avancement, etc.), la réforme ferroviaire crée un « cadre social commun à tous les travailleurs de la branche ferroviaire ». Objectif : préparer le terrain à une future négociation entre l'UTP (patronat des transports publics, auquel appartient la SNCF) au sujet d'une convention collective unique entre les cheminots, les salariés de la SNCF et ceux des entreprises concurrentes. « L’ensemble des entreprises de la branche ferroviaire seront ainsi soumises à un régime homogène en matière de durée du travail », promet le gouvernement.

Formellement, le statut cheminot (le "RH0001" dans le jargon maison) n'est pas mis en cause. « Ce cadre social harmonisé, c'est la destruction de nos métiers, la remise en cause de nos accords », s'inquiète pourtant la CGT-cheminots, qui craint un détricotage social en cascade.

Le contexte interne

Ces éléments mis à part, le contexte social et syndical de la SNCF explique aussi la durée du mouvement – le plus long depuis la réforme des retraites de 2010.

Dans cette grande entreprise publique où la culture de mobilisation reste ancrée, la grève reste une façon de ressouder les rangs en période d'incertitudes. « La corporation cheminote menacée de délitement par la nature des restructurations permanentes éprouve très régulièrement le besoin de ressouder ses rangs autour de grandes revendications mobilisatrices », explique le chercheur Marnix Dressen. Au risque de provoquer l'incompréhension d'une partie du pays, gênée dans ses déplacements.

Alors que la sécurité à la SNCF est un véritable dogme, les défauts de signalisation et autres problèmes techniques sur le réseau sont par ailleurs perçus par certains cheminots comme le signe d'une crise des valeurs internes. À ce titre, l'accident mortel de Brétigny-sur-Orge (juillet 2013) a pu servir de révélateur. Comme un récent rapport indépendant l'a montré, la SNCF paraît avoir de lourdes responsabilités : de très nombreux boulons servant à retenir le rail étaient défectueux ou manquants. La CGT a vu dans cet accident mortel (un événement rarissime à la SNCF) le signe d'une « déstructuration » de l'entreprise.

Côté syndical, l'éclatement n'aide guère à apaiser le paysage social. L'hégémonie historique de la CGT est un peu plus remise en cause à chaque élection professionnelle (par Sud, mais aussi par l'Unsa en pleine ascension). Ce qui explique ses atermoiements (son leader, Gilbert Garrel, a paru indécis, et la confédération CGT le soutient du bout des lèvres), mais aussi son intransigeance actuelle.

Enfin, le rapport de force créé par le gouvernement (« Il faut savoir terminer un mouvement », a lancé François Hollande, paraphrasant le communiste Maurice Thorez en 1936) entraîne en retour un sursaut de mobilisation dans les assemblées générales. En décembre 1995, les cheminots étaient à la tête du mouvement de contestation du plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale. Les temps ont changé mais ils savent que leur capacité de nuisance et de mobilisation inquiète n'importe quel pouvoir.

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Mediapart publie la comptabilité complète de Bygmalion

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Les chiffres ont parlé, meeting par meeting, prestataire par prestataire. Selon une comptabilité interne de la société Bygmalion récupérée par la police judiciaire et à laquelle Mediapart a également eu accès en intégralité, le candidat Nicolas Sarkozy a dissimulé presque 17 millions d'euros de frais de campagne aux autorités de contrôle en 2012.

Les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption ont mis la main, lundi 26 mai, sur une clef USB contenant une double facturation établie par Event & Cie (la filiale événementielle de Bygmalion) pour les 44 meetings électoraux de Nicolas Sarkozy. Dans un premier classeur, sobrement intitulé « Factures 2012 », sont rangées les factures officielles, avec les tarifs déclarés à la commission des comptes de campagne. Dans un second, baptisé « Balances 2012 », se niche une comptabilité secrète avec les prix réels meeting par meeting, souvent trois ou quatre fois plus élevés, parfois jusqu'à sept fois (comme à Marseille).

Nicolas Sarkozy au Trocadéro, le 1er mai 2012.Nicolas Sarkozy au Trocadéro, le 1er mai 2012. © Reuters

Les additions sont accablantes. Alors que Nicolas Sarkozy a officiellement réglé 4,3 millions d'euros à Event & Cie pour l'organisation de ses 44 meetings, il a en fait dépensé pour 21,2 millions d'euros (17,7 millions hors taxes) auprès de cette société fondée par deux proches de Jean-François Copé, Bastien Millot et Guy Alves, si l'on en croit leurs archives informatiques qui ne semblent pas avoir été modifiées depuis 2012, selon les constatations de Mediapart.

Vertigineux, l'écart entre les frais déclarés et les frais réels avoisine donc 17 millions d'euros, une somme bien supérieure aux « 11 millions » initialement évoqués par l'avocat de Bygmalion lors de sa conférence de presse du 26 mai. De fait, Me Patrick Maisonneuve avait alors prévenu qu'il s'agissait d'une « fourchette » très approximative.

Quand on tient compte de ces frais de meeting cachés, le compte de Nicolas Sarkozy explose littéralement pour atteindre plus de 39 millions d'euros, bien au-delà du plafond légal fixé à 22,5 millions d'euros. On serait donc loin du dérapage “mineur” repéré par le Conseil constitutionnel en juillet 2013, lorsqu'il a rejeté le compte du candidat, le privant du remboursement de l'État. Désormais, la clef USB de Bygmalion atteste d'une autre histoire : celle d'une fraude industrielle majeure, dissimulée avec la complicité de l'UMP.

Pour que les équipes d'Event & Cie soient payées en intégralité, il a en effet été imaginé que les 17 millions d'euros non facturés à Nicolas Sarkozy seraient supportés illégalement par le parti de Jean-François Copé. La formation politique (largement subventionnée par de l'argent public) a ainsi payé rubis sur l'ongle une cinquantaine de conventions fictives, facturées par Bygmalion entre janvier et juin 2012.

Ces fausses factures, révélées par Libération dès le 14 mai dernier et que Mediapart a pu consulter dans leur totalité, couvrent un montant d'au moins 15,2 millions d'euros (TTC), auquel il faut probablement ajouter quelque 500 000 euros de surfacturations portant sur des événements, eux, bien réels.

Pour illustrer l'ampleur de la triche opérée par l'équipe de Nicolas Sarkozy, Mediapart a rassemblé les données d'Event & Cie dans un tableau permettant de comparer, meeting par meeting, le prix réel d'Event pour les prestations fournies au candidat avec le tarif affiché dans le compte de campagne. Dans la troisième colonne se trouve le différentiel, c’est-à-dire le montant dissimulé à la Commission (il est possible que certains frais engagés par Event & Cie en marge des meetings n’aient pas été déclarés pour la bonne raison qu’ils n’avaient pas de caractère électoral, mais pour des sommes très mineures).

Aucune des 44 factures officielles ne correspond à la réalité. Toutes sont sous-évaluées d'au moins 100 000 euros, bien souvent 200 000 ou 300 000 euros. Dans neuf cas, ce sont plus de 500 000 euros de frais qui ont été masqués à la commission des comptes de campagne. À Villepinte, la part dissimulée grimpe jusqu'à 1,37 million…

Nicolas Sarkozy et son directeur de campagne, le préfet Guillaume Lambert.Nicolas Sarkozy et son directeur de campagne, le préfet Guillaume Lambert. © Reuters

Pis encore : pour le rassemblement géant de la Concorde, scénarisé par l'entreprise concurrente Agence publics, aucune prestation de Bygmalion ne figure dans le compte de campagne. Or, d'après les fichiers que nous avons épluchés, Event & Cie aurait travaillé en coulisse pour 1,87 million d'euros. Idem pour le Trocadéro : seules les équipes d'Agence publics apparaissent facialement dans le compte de Sarkozy, alors que Bygmalion était aussi dans le coup pour 576 000 euros, si l'on en croit ses propres chiffres.

D’autres données gravées dans la clef USB prouvent le caractère bidon des factures déposées dans le compte de campagne. Pour chaque meeting, l’entreprise a en effet listé les prestataires extérieurs auxquels elle a dû faire appel (pour la sonorisation, l’image, la retransmission sur internet, etc.) et les sommes qu’elle leur a versées. Mediapart a pu vérifier leur exactitude auprès de plusieurs sous-traitants.

Ainsi, à Nice, Event & Cie a déboursé 412 257 euros pour payer ses prestataires ; or dans le compte de campagne officiel, Event & Cie n’a facturé que 98 972 euros à Nicolas Sarkozy pour l’ensemble du meeting, marge comprise. Et c’est pareil dans chaque ville. Ligne après ligne, le trucage massif du compte ne fait plus aucun doute.

Plusieurs médias ont raconté comment la campagne de Nicolas Sarkozy s'était emballée en 2012, comment le candidat s'est grisé au point de réclamer presque une réunion publique par jour. Il fallait toujours plus de drapeaux, de caméras mobiles, l'un des meilleurs réalisateurs de Paris... Mais jusqu'ici, on manquait cruellement de chiffres et d’éléments matériels.

Cette fois, les policiers les ont entre les mains. Dès le 26 mai, jour de la perquisition au siège du groupe Bygmalion, ils ont aussi entendu son président, Guy Alves, ainsi que Franck Attal, le responsable opérationnel pour la présidentielle, avant de recueillir, quelques jours plus tard, le témoignage du comptable maison.

Estampillé “copéiste”, Guy Alves a assuré aux policiers que les conventions fictives réglées par l’UMP à Bygmalion n’ont servi qu’à couvrir Nicolas Sarkozy – pas question pour lui de laisser penser qu’elles auraient alimenté une caisse noire au bénéfice de son ancien mentor. Les policiers s'efforcent depuis d'authentifier ses fichiers informatiques, de contrôler qu'ils n'ont pas été manipulés. Un travail de bénédictin.

En parallèle, ils vont aussi calculer la marge engrangée par la société et vérifier l’exactitude des chiffres avancés par ses dirigeants dans les médias – ils ont parlé d'une marge autour de 25 %. D’après nos calculs, basés sur les chiffres contenus dans la clef USB, Event & Cie a retiré 4,9 millions d’euros (hors taxes) de la campagne présidentielle, avant déduction des charges internes (salaires maison, cotisations, etc.). Dans les comptes 2012 de la société, que nous avons pu consulter, Event & Cie affiche ainsi un résultat avant impôt de 4,66 millions d’euros (soit une marge de 23,1 %) et de 3,07 millions après impôts.

Mais le principal enjeu de l’enquête préliminaire va désormais consister à identifier les responsabilités des uns et des autres dans la mise en œuvre de ce vaste système de fausse facturation pour masquer le trucage massif des comptes de campagne d’un ancien président de la République.

Interrogé par Mediapart, Jérôme Lavrilleux est l’un des rares à assumer publiquement le délit qu’il a commis, au point d’affirmer : « Ma carrière politique est désormais terminée et je serai probablement condamné, je le sais. » À la fois ancien directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy et ex-directeur de cabinet de Jean-François Copé à l’UMP, il ne retient aujourd’hui plus ses flèches : « Ça rend service à beaucoup de monde, je crois, que je sois le coupable idéal. Mais la seule personne qui pouvait savoir, celui qui avait une vision de tout ce qu'il se passait, c'était le directeur de campagne, Guillaume Lambert. Il est rigoureusement impossible qu'il ne soit pas au courant, tout comme le directeur général des services de l'UMP (Éric Césari, qui n'a pas donné suite à nos sollicitations - ndlr). Sinon, ils faisaient quoi de leur journée ? »

Jérôme Lavrilleux, bras droit de Copé et directeur adjoint de campagne de Sarkozy. Jérôme Lavrilleux, bras droit de Copé et directeur adjoint de campagne de Sarkozy. © Reuters

Selon son récit des événements, la décision portant sur la mise en place d’un système de fausses factures pour masquer le dérapage des frais de campagne n’aurait été prise qu’« entre le 6 mai et le mois de juillet, lors d'une réunion dans le bureau d'Éric Césari en présence du directeur de campagne Guillaume Lambert, de Franck Attal de Bygmalion, et Fabienne Liadzé, la directrice financière de l'UMP ». « J'en ai été informé une heure après. Et moi, j'assume d'avoir validé », précise-t-il. Dans la presse, des sources internes à Bygmalion ont plutôt évoqué la date de la « mi-avril ».

De son côté, l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, Guillaume Lambert, désormais préfet de Lozère, balaie toutes les accusations par la voix de son avocat. « S'il y avait eu pour 17 millions de plus, cela se serait vu ! Il y a peut-être une facturation qui a dérapé, mais sûrement pas les frais de campagne. Mon client a fait très attention, il rognait sur toutes les dépenses. Il a essayé et a même réussi à faire baisser les prestations, notamment après les meetings de Marseille et Annecy dont les prix étaient hallucinants », déclare Me Christophe Ingrain à Mediapart.

L’argument fait sursauter son ancien adjoint, Jérôme Lavrilleux : « Cette position ne résiste pas à l'examen des faits trente secondes ! Si, comme ils le disent, ils ont trouvé les prestations de Bygmalion trop chères après les meetings d’Annecy et Marseille, pourquoi les avoir gardés après, avec les mêmes fournisseurs et pourquoi les avoir fait travailler en plus d'autres prestataires sur des gros meetings comme le Trocadéro ou Villepinte ? C’est absurde. »

L’ancien directeur adjoint de campagne de Nicolas Sarkozy répète l’histoire d’une campagne qui s’emballe comme un train fou, impossible à freiner. « C'était démentiel, chaque meeting était un véritable plateau télé. Tout se décidait au jour le jour », se souvient-il. Ce récit nous a été confirmé par plusieurs acteurs de premier plan de la campagne, qui ont été ou vont être entendus par les enquêteurs.  

« Il faut laisser l’enquête se faire », balaye l’ancien trésorier de Nicolas Sarkozy, qui souhaite se dégager de toute responsabilité. « Il y avait un ordonnateur des dépenses et un payeur, déclare Philippe Briand. Moi, j’étais le payeur. C’est Guillaume Lambert qui m’envoyait les factures. C’est lui aussi qui commandait les meetings, même si je pense qu’il avait concédé cette tâche à Jérôme Lavrilleux. Moi, les seules factures que j’ai vues sont celles du compte de campagne. On pouvait penser que c’était déjà bien tarifé, puisque François Hollande a dépensé 50 % de moins que nous en meetings. » 

L’avocat de l’UMP, Me Philippe Blanchetier, qui a défendu Nicolas Sarkozy devant le Conseil constitutionnel à l’été 2013, souligne pour sa part qu’« il y a déjà 13,7 millions d’euros de manifestations publiques déclarées dans le compte. C’est un chiffre en ligne avec ce qui a été fait sur toutes les présidentielles depuis 1995. D’ailleurs, la question d’éventuelles sous-facturations n’a jamais été soulevée par la commission des comptes de campagne, qui ausculte pourtant chaque dépense ! » Pas sûr que les comptes de 1995, truqués du côté d’Édouard Balladur comme de Jacques Chirac, soient une référence.

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Document. Meeting par meeting, le détail du financement

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Mediapart a eu accès à la comptabilité interne d’Event & Cie, la filiale de Bygmalion qui a organisé les 44 meetings électoraux du candidat Sarkozy en 2012 – ou plutôt sa double comptabilité (lire ici notre article analysant ces chiffres).

Ces données, qui sont en possession des enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption depuis la fin mai, font apparaître que Nicolas Sarkozy a dépensé pour 21,2 millions d'euros en meetings (17,7 millions hors taxes) auprès d’Event & Cie, alors que l’ancien président n’a déclaré que 4,3 millions de factures de cette société dans son compte de campagne.

Nous avons rassemblé ces données dans un tableau qui permet de comparer, meeting par meeting, le prix réel d’Event & Cie avec le tarif officiel affiché dans le compte de campagne. La troisième colonne donne le différentiel, c’est-à-dire le montant des dépenses qui auraient été dissimulées à la Commission.

(Il est possible que certains frais engagés par Event & Cie en marge des meetings n’aient pas été déclarés pour la bonne raison qu’ils n’avaient pas de caractère électoral, mais alors pour des sommes très mineures.)

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À Marseille, une embauche du maire FN fait polémique

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À Marseille, l'entourage du maire FN du 7secteur suscite bien des questions. Mediapart avait révélé en mai la présence autour de Stéphane Ravier, pendant la campagne municipale, de royalistes et d'un néofasciste condamné en 2004 à deux mois de prison ferme pour violences. Un mois plus tard, le maire des 13e-14e arrondissements recrute au poste stratégique de directeur général des services celle qui a été au cœur de l'épisode des censures dans la bibliothèque à Marignane, lorsque la ville était aux mains du Front national (1995-2001). 

Marie-Dominique Desportes, 43 ans, fut en effet la directrice des affaires culturelles et des activités d’animation de Daniel Simonpieri, élu maire FN de Marignane (Bouches-du-Rhône) en 1995. C’est elle qui justifiait alors le grand ménage dans la bibliothèque municipale, au nom d'un « rééquilibrage ». Cette censure, qui a également eu lieu à Orange, avait déclenché une polémique nationale. Son embauche contraste avec la volonté de Marine Le Pen de mettre sous le tapis les échecs des quatre gestions frontistes des années 1990.

À l'époque, les journaux d'extrême droite Présent, National Hebdo et Rivarol font leur entrée à la bibliothèque de Marignane, tandis que, quelques mois plus tard, les abonnements à Libération, L'Événement du Jeudi et au quotidien local communiste La Marseillaise sont supprimés. À l'automne 1996, un double dispositif de contrôle est mis en place. La bibliothèque est placée sous la tutelle de celle qui s’appelait encore Marie-Dominique Terzoglou, chargée en outre d’élaborer, sous l’autorité du directeur de cabinet, le joumal de la municipalité. Parallèlement, toutes les commandes de la bibliothèque doivent désormais être agréées par un comité composé d’élus – en réalité de deux adjoints FN.

Ravier porté par des militants de l'Action française (dont Anthony Mura, tout à gauche), le 30 mars 2014.Ravier porté par des militants de l'Action française (dont Anthony Mura, tout à gauche), le 30 mars 2014. © Romain Beurrier/REA

 

Plusieurs ouvrages sont refusés avec un prétexte « économique »Dans le rapport de la mission d'inspection de la bibiliothèque, ordonnée par le ministre de la culture Philippe Douste-Blazy, les inspecteurs relèvent la censure d'ouvrages concernant « la gauche, son idéologie, ses représentants, ceux qui leur font écho », « la droite libérale », mais aussi ceux qui sont « hostiles à la municipalité et à l’idéologie dont elle se réclame ». Exit par exemple Blanqui l’insurgé, d’Alain Decaux ; Portrait d’un artiste (il s'agit de François Mitterrand) d’Alain Duhamel ; La Nouvelle Grande-Bretagne : vers une société de partenaires, de Tony Blair, avec une préface de Martine Aubry ; Chemins de sagesse : traité du labyrinthe, de Jacques Attali, ou encore les Mémoires de Jean-François Revel.

Autre cible : les livres décrivant les civilisations étrangères sous un jour positif ou présentant « l’étranger comme source d’enrichissement », mais aussi les ouvrages sur l’homosexualité. Exemples : les contes pour enfants et les musiques extra-européennes ; Le Rose et le Noir, les homosexuels en France depuis 1968, de Frédéric Martel ; l’autobiographie de Zaïr Kedadouche, Zaïr le Gaulois, les ouvrages de Freud ou encore un recueil d’entretiens entre l’abbé Pierre et Bernard Kouchner.

J-M. Le Pen et les maires FN en 1995: Jean-Marie Le Chevallier (Toulon), Jacques Bompard (Orange), Daniel Simonpieri (Marignane)J-M. Le Pen et les maires FN en 1995: Jean-Marie Le Chevallier (Toulon), Jacques Bompard (Orange), Daniel Simonpieri (Marignane) © Reuters

Dans la foulée, de nombreux livres, tous rédigés par des membres du FN, des auteurs d’extrême droite, royalistes ou négationnistes, font leur apparition dans les rayons, parfois en plusieurs exemplaires. Parmi eux, ceux publiés aux Editions Nationales de Jacques Bompard, maire FN d'Orange, et ceux de Jean-Yves Le Gallou, conseiller FN d'Île-de-France ; quelques ouvrages de Bruno Gollnisch, Robert Brasillach, Jacques Bainville ; l’ouvrage révisionniste de Roger Garaudy sur les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Le rapport note l’acquisition de nombreux « ouvrages exprimant les positions politiques de la droite nationale », de livres tentant d’« accréditer l’idée que le régime démocratique et ses dirigeants sont corrompus » ou évoquant « la monarchie autrefois, l’armée ».

Cette commande suscite une réaction de Marie-Pascale Bonnal, présidente régionale de l'Association des bibliothécaires de France (ABF), qui regrette que la municipalité ait « déni(é) aux bibliothécaires la responsabilité des acquisitions », « (mis) en place un comité de censure » et « imposé ses choix d'ouvrages aux lecteurs ».

Interrogée à l'époque par Libération, Marie-Dominique Desportes assurait que ces décisions répondaient à « une politique d'économie appliquée à tous les services » et un souci de pluralisme car « le courant national n'était pas représenté au rayon des périodiques de la bibliothèque ». Elle affirmait aussi qu’« au moins 40 % de la population marignanaise y adhèr(ait)  ».

Comme le rappelle La Provence, après son départ de la mairie de Marignane, au début des années 2000, Mme Desportes avait rejoint la direction de la propreté de la communauté urbaine, puis la mairie (UMP) des 11e-12e arrondissements comme directrice générale des services, tout en restant proche du Front national, comme en atteste notamment sa présence à une fête organisée par le FN en 2009.

Les mairies de secteurs ont peu de pouvoir. Mais l'arrivée, au 1er juillet, de ce profil comme DGS suscite tout de même des interrogations dans l'opposition. Deux élus Front de Gauche, Marion Honde et Samy Johsua, s'inquiètent dans un communiqué d'éventuelles « menaces » sur la culture. Ils réclament que « toutes les garanties soient données aux habitant-e-s des nos arrondissements qu’aucune atteinte à la liberté d’expression et d’information ne surviendra sous une quelconque forme, et que la chape de plomb de la pensée extrémiste ne leur sera pas imposée ».

Interrogé par Mediapart, Patrick Mennucci, chef de file PS à Marseille, y voit « la confirmation que le FN est une organisation extrémiste » et précise qu'« il faudra suivre de près ce qui se passe dans la mairie du 13e-14e »Nous avons sollicité mardi à plusieurs reprises le cabinet du maire pour joindre Stéphane Ravier et Marie-Dominique Desportes, sans obtenir de réponse.

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