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Démocratie sanitaire (4/4) : « Entendre ceux que l'on n'écoute plus »

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Novembre 2013, à Lille. Dans l'auditorium du palais des congrès, le public retient son souffle. Il écoute cette femme, ayant fréquenté plus jeune les foyers de l'aide sociale à l'enfance du département, aujourd'hui éducatrice de jeunes enfants en formation : « Je suis le numéro 76. Petite, je n'ai pas compris pourquoi j'avais été placée. On ne nous a pas vraiment expliqué le fonctionnement, mais on nous a donné un numéro de chambre, et un numéro sur nos vêtements. » Le stigmate est encore vivace, mais sans colère, la jeune femme interroge simplement la capacité des institutions du monde médico-social à prendre en compte la personne accueillie...

Les professionnels rassemblés ce jour-là travaillent pour la plupart dans les structures de l’Établissement public de soins, d'adaptation et d'éducation du Nord, dont les missions sont la prévention, la protection de l'enfance, le handicap et l'insertion. Les questions débattues sont celles qui traversent en permanence le monde de la santé comme celui du médico-social : comment impliquer davantage l'usager, quand il est handicapé, physique ou mental, placé par les services sociaux, amoindri par la détresse sociale ? Quelles sont les conditions du recueil de sa parole ? Comment rester pleinement un citoyen lorsque l'on est vulnérable ?

Karine LefeuvreKarine Lefeuvre

Karine Lefeuvre, directrice adjointe de l'École des hautes études en santé publique, à Rennes, qui forme les hauts cadres du médico-social :
« De façon symbolique, la même année, une grande loi sur le médico-social, puis une loi sur le sanitaire, ont été adoptées. Tous ces textes sont inspirés par la même philosophie du droit des patients. »

 

Hervé Heinry, handicapé de naissance, a fréquenté bon nombre de structures et, selon ses mots, « usé » un certain nombre de personnels... Puis le jeune homme est devenu directeur d'établissement du médico-social, avant de bifurquer pour devenir chercheur. Il est aujourd'hui doctorant à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris. Ce triple regard le rend assez sceptique sur la capacité des institutions à réellement intégrer le point de vue des usagers : « Le directeur que j'étais vous aurait dit oui, tellement il y croyait ! Le chercheur que je suis devenu est plus dubitatif. Car est-ce qu'il s'agit d'une parole écoutée ou d'une parole entendue ? Ce n'est pas tout à fait la même chose... » Pour Hervé Heinry, on sous-estime largement l'importance du capital socioculturel des usagers, qui va leur permettre de comprendre (ou non) les jargons professionnels, de maîtriser les codes, pour in fine remettre en cause le fonctionnement d'un établissement. « Le fait d'avoir recours à une institution, pour vous ou pour vos proches, vous place également dans une position de vulnérabilité, poursuit Hervé Heinry. Quand vous avez un gamin adolescent qu'il faut nourrir à la cuillère, dont vous changez encore parfois les couches, et que vous trouvez enfin une place dans un établissement, vous êtes parfois tellement soulagé que ça va être compliqué de critiquer. Il faut avoir à l'esprit cette question du "marché des places", pour comprendre dans quel cadre tout ce discours sur la parole de l'usager s'inscrit. »

Alice CasagrandeAlice Casagrande

« Comment vérifier que les personnes sont plus écoutées dans nos structures ? C'est très difficile, admet également Alice Casagrande, philosophe de l'éthique et aujourd'hui responsable qualité, gestion des risques et promotion de la bientraitance à la Croix-Rouge française. Dire aux professionnels qu'il faut mettre l'usager au cœur, ils l'ont déjà entendu mille fois, ça ne sert à rien. Je crois plus à la force de la démonstration. Et une maman qui dit ce qui s'est passé hier pour sa fille, ou un enfant autiste qui demande pourquoi il ne peut pas aller à l'école comme tout le monde, ce sont des propos vivants, plus efficaces que les guides de bonne pratique. » L'organisation a donc lancé des enquêtes qualité dans tous ses établissements de soins ou d'accompagnement, publié des rapports, tourné des films qui circulent ensuite au sein de l'organisation. Sur les signalements de maltraitance, l'organisation est passée de 17 en 2009 à 80 l'an dernier. « Je ne me félicite pas qu'on en ait davantage mais qu'on en parle plus et mieux », analyse Alice Casagrande, qui se réjouit que la « bientraitance commence à trouver pleinement sa place dans l'univers de la maladie grave, du handicap ou de la fragilité sociale ».

La démocratie sanitaire, l'idée est ambitieuse, brasse large et fait des petits au-delà de la stricte sphère de la santé. Sa réalisation va sûrement se heurter à des résistances anciennes et structurelles. La loi qui s'annonce est une belle occasion de remettre le sujet sur la table, et les usagers ou patients, sans aucun doute, voudront être invités.

  • Au 94,1 FM, Radio Larsen

Dans la campagne du Nord-Pas-de-Calais, près de Douai, un projet concret est né des textes législatifs, relatif à la sacro-sainte parole de l'usager. La radio associative Scarpe-Sensée, du nom des deux rivières qui se croisent à cet endroit, est animée par deux journalistes et une tribu de bénévoles, attirés par la variété de tons et l'humanisme de l'antenne. Laurent Buisine, éducateur à la maison de l'enfance et de la famille du Douaisis, a rencontré Hervé Dujardin, directeur de la station, en 2008 et, ensemble, ils ont créé un espace de parole hors du commun. Presque chaque mois, des jeunes accueillis par l'Aide sociale à l'enfance participent à une heure d'émission, sur des thèmes qu'ils choisissent. Le résultat est saisissant. Sexualité, religion, racisme, vie en foyer, rapport aux parents, tout y passe, y compris des remises en cause franches du fonctionnement des institutions.

→ Laurent Buisine :
« Ça permet d'entendre ceux qu'on n'écoute plus. »

 

→ Laurent Buisine :
« On entend rarement une parole aussi puissante que celle entendue à la radio. »

 

 

  • En Belgique, les experts du vécu jouent les trublions

Dans la Belgique voisine, on innove aussi pour replacer l'usager au centre du dispositif... Les Belges ont même inventé un terme pour ça, directement issu du flamand : les experts du vécu. Il s’agit d'anciens précaires, qui ont fait l'expérience intime de la pauvreté et qui intègrent les services publics pour améliorer leur fonctionnement ou traquer les incohérences, notamment vis-à-vis des personnes les plus vulnérables. Le champ est large : certains, comme Marina, aident directement les usagers dans leurs démarches pour avoir accès à un logement, une aide, un soin. D'autres réfléchissent à une simplification administrative pour permettre aux plus fragiles de ne pas passer à côté des aides qui leur sont dues. Derrière ce programme, la même philosophie que celle qui sous-tend l'expertise des patients dans le système de santé : se servir des savoirs « expérimentiels » pour transformer les pratiques.

→ Marina est experte du vécu depuis 2009 à l'hôpital Saint-Pierre, au centre de Bruxelles, qui concentre une population en grande difficulté. Elle connaît bien les méandres administratifs belges, pour les avoir empruntés elle-même, lors de son arrivée en Belgique comme demandeur d'asile. Elle témoigne avec Frédéric Lemaire, coordinateur de la partie francophone du projet.

 

→ Bégonia Cainas, responsable du service social de l'hôpital Saint-Pierre et supérieure de Marina :
« C'était pour moi quelque chose de tout à fait nouveau et inconnu, et au départ j'étais très peu convaincue. » 

 

→ Frédéric Lemaire :
« Le vécu est un point de vue sur l'administration. L'expertise du vécu, c'est dire que ce parcours d'expérience peut s'objectiver au service des citoyens, notamment les citoyens pauvres. »

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MediaPorte : « "Fournée", c'est pas antisémite, c'est boulangiste ! »

Transition énergétique : les 8 points qui feront l'ambition de la loi

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Chaque projet de loi subit son lot d’attaques, de lobbying, d’intox, et de rumeurs. Sur la transition énergétique, ce travail de sape est régulièrement relayé par d’importants ministres du gouvernement : Arnaud Montebourg contre ses objectifs de réduction de la demande d’énergie – dont le principe est pourtant inscrit dans le système législatif depuis dix ans ; le ministère du budget, au nom des 50 milliards d’économie à réaliser ; le cabinet du premier ministre Manuel Valls, communiquant vendredi 6 juin sur un « report » de la loi au printemps 2015 (en réalité acté depuis des mois même si la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, a assuré dimanche 8 juin que le projet de loi restait programmé pour une adoption à l’automne 2014). Bataille symbolique de jeux de pouvoirs tendus et d’arbitrages budgétaires toujours en suspens. La présentation du texte a bel et bien été décalée d'une semaine au 18 juin.

Ségolène Royal, ministre de l'écologie (Benoît Teissier/Reuters).Ségolène Royal, ministre de l'écologie (Benoît Teissier/Reuters).


Ces derniers jours, Ségolène Royal a pris soin de recevoir des journalistes en son ministère. Officiellement pour les rencontrer et leur demander comment ils souhaitent travailler avec elle. Ce fut surtout l’occasion pour la quatrième ministre de l’écologie en deux ans de se montrer au travail, les mains dans le cambouis de la rénovation thermique, du blocage réglementaire des habitats en bois de grande hauteur, du plantage de l’éolien terrestre… : au boulot, en défense des industries « vertes », alors qu’elle n’a pas la main sur les décisions financières qui feront ou déferont l’ambition de sa loi. Elle doit en présenter les grandes lignes mercredi 18 juin en conseil des ministres, suivi d’une conférence de presse. Le financement du texte pour l’instant ne passe pas : il faut au moins entre 10 et 20 milliards d’euros (pour le logement, les renouvelables, éventuellement de nouvelles infrastructures de transports).

Que restera-t-il du texte qualifié par François Hollande de loi parmi « les plus importantes du quinquennat » ? En l’absence de mesures fiscales (réservées à la loi de finances), en plein plan d’austérité et dans une ambiguïté maintenue sur le nucléaire, le projet législatif s’annonce minimaliste. Certains points essentiels y sont néanmoins attendus, issus des promesses de campagne de François Hollande, des revendications des secteurs d’activité concernés, du débat national sur l’énergie de 2013, des règles européennes. Ils seront donc des indicateurs du sérieux de l’ambition affichée par leur présence dans la loi de programmation. Ou par leur absence.

  • 1) Le gouvernement pourra-t-il fermer des réacteurs nucléaires ?

En 2006, la loi TSN a privé le pouvoir politique de la capacité de fermer des réacteurs nucléaires pour des raisons autres que sécuritaires (voir ici pour plus de détails). Seuls l’exploitant, EDF, et l’Autorité de sûreté du nucléaire en ont la capacité. Pour fermer la centrale de Fessenheim, le gouvernement doit retrouver cette prérogative, ce qui doit faire l’objet d’un article de la loi sur la transition énergétique. C’est en tout cas ce qui était prévu, et préparé notamment par l’ancien délégué à la fermeture de la centrale de Fessenheim, Francis Rol-Tanguy, aujourd’hui conseiller de Ségolène Royal. À quelques jours de la présentation du texte, cela ne semble plus acquis. À la place, EDF s’engagerait à revoir tous les cinq ans sa capacité de production, en fonction de l’évolution des besoins en électricité.

  • 2) La centrale de Fessenheim va-t-elle s’arrêter ?

Aucun article de la loi ne décidera de la fermeture de la centrale de Fessenheim – ni d’aucun autre réacteur. Le nom de l’installation ne peut pas figurer en tant que tel dans le texte si le législateur veut éviter le risque d’inconstitutionnalité. Le cabinet du prédécesseur de Ségolène Royal avait trouvé une astuce pour garantir la fermeture de la tranche alsacienne : le plafonnement de la puissance nucléaire installée à son niveau actuel (environ 63 300 mégawatts – MW). Selon cette règle, si les deux réacteurs de Fessenheim (d’une puissance de 900 MW chacun) ne fermaient pas, l’EPR actuellement en construction à Flamanville (1 600 MW) ne pourrait pas démarrer – ce qui n’est pas au programme de l’exécutif socialiste (voir plus ici). Si ni cette mesure, ni la précédente ne figure dans la loi, plus rien ne garantira l’arrêt du site alsacien. L’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire à l’horizon 2025 devrait quant à lui figurer dans le texte, mais devient théorique en l’absence d’outils pour le mettre en œuvre.

  • 3) Énergies renouvelables : maintien de l’obligation d’achat ?

Les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, biomasse…) bénéficient d’obligations d’achat, fondées sur un tarif d’achat préférentiel de l’électricité, via un guichet ouvert ou par appel d’offres. Ce système d’aide est combattu par les grands énergéticiens et une partie des lobbies patronaux (qui dénoncent le coût à leurs yeux excessif des renouvelables). Une précédente mouture de la loi prévoyait son maintien et la création d’une nouvelle aide : un mécanisme de « complément de rémunération » versé en sus de la vente sur le marché de l'électricité produite par les énergies renouvelables. L’objectif de ce double dispositif sera de gérer une transition progressive vers une meilleure intégration au marché des énergies renouvelables.  

  • 4) Plus de 30 % d’énergies renouvelables en 2030 ?

Soucieuse de ne pas focaliser la loi sur le nucléaire (« si tout le débat est là-dessus, les gens vont s’en désintéresser » selon son entourage), Ségolène Royal veut mettre en avant les avancées pour les renouvelables. La loi devrait donc poser un objectif pour 2030, qui pourrait atteindre 32 % (dont 40 % pour l’électricité et 15 % pour le carburant). C’est plus que ce que prévoit le paquet énergie climat au niveau européen (au moins 27 %, lire ici), mais beaucoup moins que ce que demandent les ONG écologistes (45 % dans le « vrai projet de loi » des associations), inquiètes par ailleurs de la porte que cet objectif pourrait ouvrir aux agrocarburants.

Jusqu’ici, l’objectif de la France reste de porter à au moins 23 % la consommation d’énergie produite à partir d’énergies renouvelables d’ici 2020.  En 2011, à mi-parcours, elle en était à 11,5 %, tandis que la production primaire d’énergies renouvelables (électriques et thermiques) s’élevait à 14 % de l’offre énergétique nationale. La part de l'électricité renouvelable dans la consommation électrique, calculée avec les données de production réelles de l'année, s'élève à 16,1 % en 2012 en France. Pour le reste, la loi devrait renvoyer les décisions sur l’évolution du mix énergétique à une programmation pluriannuelle énergétique, à voter à partir de 2015.

  • 5) Stagnation de la consommation d’énergie ?

Le projet de loi devrait reprendre les objectifs fixés par François Hollande lors de la Conférence environnementale en 2013 : réduction de 50 % de la consommation d’énergie d’ici 2050, baisse de 30 % de la consommation de combustibles fossiles d’ici 2030. Deux dates lointaines, hors de portée de l’exécutif et de ses politiques.

Alors, quels horizons à court terme ? Le ministère de l’écologie fait sienne une prévision de quasi-stagnation de la consommation d’électricité d’ici 2025, avec une hausse de 0,3 % à 0,4 %. Ces prévisions figureront-elles dans le texte de loi ? Elles seront déterminantes pour mettre en œuvre l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire. C’est ce qu’a expliqué Laurent Michel, à la tête de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) devant les parlementaires qui l’auditionnaient il y a quelques semaines (voir plus de détails ici). À l’inverse de ses anciennes prévisions, l’administration prévoit désormais une baisse très importante de la consommation d’électricité dans les logements et le tertiaire (adieu au chauffage électrique) ainsi que dans l’industrie, d’environ 120 térawatts-heure (TWh) d’ici 2030. Et une hausse par ailleurs, liée à la croissance économique, à la démographie et aux nouveaux usages (technologies de l’information et de la communication notamment) : « On part sur un scénario d’évolution de la demande électrique relativement modérée », a ajouté le responsable de la DGEC, pour qui l'« on va même probablement vers une baisse » si les transferts d’usage (la montée en charge des voitures électriques, par exemple) tardent à se faire. Conclusion : dans l’hypothèse de 50 % de nucléaire en 2025, il faudrait fermer « une vingtaine de réacteurs ».

  •  6) Obligation de rénover les logements ?

En 2013, 160 000 logements ont fait l’objet d’une opération de rénovation énergétique, très en deçà de l’objectif officiel de 500 000 travaux d’ici 2017. Face à ce retard irrattrapable pour tenir le délai, le monde des économies de l’énergie réclame l’instauration d’une obligation de travaux, soit lors des moments importants de la vie d’un bâtiment (réfection de toiture et ravalement), soit lors de la transaction du bien, à fixer dans le temps. C’est notamment une proposition poussée par le plan bâtiment durable. Ségolène Royal s’est montrée intéressée par cette idée, mais inquiète de ses potentiels effets pervers. Si bien qu’une autre méthode, plus douce, pourrait être de prévoir l’extinction du prêt à taux zéro sur les travaux de rénovation à partir d’une certaine date.

  • 7) Un bouclier contre la précarité énergétique ?

Une contribution climat énergie a été instaurée en France à l’automne 2013 : à partir de 2014, les taxes intérieures sur les consommations (TIC) augmentent par le biais d’une taxe sur les émissions de CO2 qui frappe les carburants et les combustibles fossiles. Mais cette fiscalité avantage les entreprises au détriment des ménages dans un premier temps (voir ici plus de détails), alors qu’aucune mesure de compensation spécifique n’a été prévue. Pour le gouvernement, l’extension des tarifs sociaux du gaz à 4 millions de ménages (loi Brottes sur l’énergie) et la baisse à 5 % de la TVA sur les travaux de rénovation énergétique sont des mesures d’accompagnement qui ont vocation à compenser la hausse du coût de l’énergie. La création d’un « bouclier énergétique », soit une compensation sous la forme d’un chèque énergie, est réclamée par les associations de lutte contre la précarité. Elle avait été évoquée plus tôt dans l’année. Plus personne n’en parle aujourd’hui.

  • 8) Déblocage du tiers financement ?

Loué par François Hollande et Ségolène Royal, créé par la loi ALUR, le tiers financement, c’est-à-dire le fait de faire payer le coût des travaux de rénovation thermique dans un logement par les économies de chauffage qu’ils permettent, est aujourd’hui bloqué par le lobby bancaire (lire ici).
Pour permettre aux premières sociétés d’économie mixte régionales qui ont vu le jour de mener à bien leurs opérations de rénovation, il faudrait que la loi de transition énergétique décide que les opérateurs de tiers financement puissent déroger au monopole bancaire sur le crédit, garanti par le code monétaire et financier. Pour l’instant, rien ne l’assure.


Ces réformes seront, ou non, instaurées par la loi à venir. Viendra ensuite le temps du débat parlementaire. Puis de la parution des décrets. Une étape parfois longue, très longue à venir. En 2010, l’article 3 de la loi Grenelle 2 de l’environnement rendait obligatoires les travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments tertiaires ou dans lesquels s'exercent une activité de service public à partir de 2020. Le décret d’application n’a toujours pas été publié.

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Bygmalion, Sarkozy, bataille d'égos... : la sourde colère des députés UMP

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Ils sont « en colère », « déçus », « désespérés », « meurtris », « tétanisés ». Ils ont découvert l’affaire Bygmalion dans la presse et ont suivi le limogeage de Jean-François Copé via les réseaux sociaux. Ils attendent à présent le bureau politique de mardi pour savoir si le triumvirat Fillon-Juppé-Raffarin sera mis en place. Attendre, ils ne peuvent faire que cela.

Ce sont les députés UMP discrets, ceux qu’on ne voit jamais à la télé, mais qui se chargent, sur le terrain, d’assurer le service après-vente d’une situation qui leur échappe. Ils ont écouté Nadine Morano, Christian Estrosi et Brice Hortefeux réclamer à cor et à cri le retour de Nicolas Sarkozy. Ils ont entendu Xavier Bertrand expliquer que « toutes celles et ceux qui auraient à répondre aux questions posées sur le financement de la campagne présidentielle de 2012 (…) devaient se tenir à l'écart de la vie du mouvement et du congrès » prévu en octobre.

Ils ont également lu le papier du Point consacré à Jérôme Lavrilleux dans lequel l’ancien directeur de cabinet de Copé traitait Laurent Wauquiez de « raclure » et expliquait que François Baroin et Alain Juppé étaient « morts de l’intérieur ». Ils sont encore stupéfaits par l’idée « qu’on puisse cultiver la haine de cette façon ».

La plupart d’entre eux ont traversé la guerre Copé/Fillon pour la présidence de l’UMP sans mot dire, mais en prenant souvent partie pour l’un ou l’autre des deux candidats. Ils croyaient être sortis des batailles d’égos et se rendent compte aujourd’hui que « tout était sous-jacent ». Ils craignent pour l’avenir de leur parti. Veulent savoir ce qu’il s’est passé exactement. Et se posent beaucoup de questions. Où ont disparu les millions évoqués dans les médias ? Qui est responsable de ce « gâchis » ? Et surtout : comment et quand l’UMP pourra-t-elle enfin sortir de cette « catastrophe » ?

Nombre d’entre eux plaident en faveur d’un renouvellement de génération. Certains voient encore Nicolas Sarkozy comme la solution miracle, tandis que d’autres ne veulent plus en entendre parler. « Il est parti en disant qu’il ne referait plus de politique et qu’il voulait faire du fric. S’il revient, il faudra qu’il explique aux électeurs pourquoi il est allé donner des conférences à 200 000 euros pour des banques qui nous ont ruinés », s’agace ainsi Thierry Lazaro, député UMP du Nord.

Mediapart a interrogé ces élus que l’on n’entend jamais réagir aux affaires. Et qui aimeraient de temps à autre faire mentir l’adage de William Cowper : non, celui qui crie le plus fort n’a pas forcément toujours raison.

  • Thierry Lazaro, conseiller politique et député du Nord. Avait soutenu François Fillon en novembre 2012.

Thierry Lazaro.Thierry Lazaro. © Capture d'écran Dailymotion/Groupe UMP AN

« Ce que nous disent les militants ? N’en parlons même pas, tant c’est désespérant. Le pays n’est pas dirigé. Personne ne conteste l’inefficience de Hollande. Quant à nous, nous donnons une image déplorable… Les militants socialistes se cachent parce qu’ils ont honte. Et les électeurs de droite se cachent aussi, mais pour d’autres raisons, des raisons particulièrement troubles… »

« On en prend plein la tête sur le terrain. Moi, ça va encore parce que je suis un peu en marge, mais il y a une forme de désespérance. On est dans une cour de récréation remplie de gens qui aboient. Même dans une porcherie, on se tient mieux. Quand j’entends Lavrilleux qualifier Wauquiez de “raclure”, je me dis que ce n’est plus possible. Je ne jette pas l’opprobre sur Copé. Sa décision a été claire. Tout le monde fait haro sur lui maintenant, mais ce n’est plus le débat ! Qu’on nous dise où l'on va ! »

« On est au bord de l’implosion, je me demande même si l'on n’a pas déjà implosé. Quand j’entends parler de ces millions d’euros qui ont disparu, j’ai honte. J’espère que l’enquête judiciaire va aller vite. Ils sont tous là à dire que personne n’aurait osé parler à Nicolas Sarkozy pendant la campagne. Mais pourquoi ? C’était une terreur ? »

« Maintenant, on nous parle de son retour. Mais si Sarkozy voulait revenir, il n’avait qu’à le dire depuis longtemps et de façon claire. Ça nous aurait évité l’épisode de novembre 2012. Ce pas de deux, ça commence à bien faire. Il est parti en disant qu’il ne referait plus de politique et qu’il voulait faire du fric. S’il revient, il faudra qu’il explique aux électeurs pourquoi il est allé donner des conférences à 200 000 euros pour des banques qui nous ont ruinés. Autant je n’imaginais pas De Gaulle à l’arrière d’un scooter avec un casque, autant je ne l’imaginais pas non plus aller faire des conférences chez Goldman Sachs. »

« Sarkozy a réussi un tour de force en faisant croire qu’on n’avait pas vraiment perdu en 2012. Mais la claque a été horrible ! S’il avait fait preuve d’humilité, jamais nous n’aurions perdu. Cette défaite, c’est celle d’une forme d’arrogance. Et je ne vois pas en quoi il a changé sur ce point. On nous dit : “Il peut gagner parce qu’il a l’aura d’un président sortant.” Pardon ? Président sortant ? Non, président sorti, ce n’est pas la même chose. »

« Cela m’avait déjà hérissé de faire un chèque pour le “Sarkothon”. Moi, si mes comptes avaient été rejetés, on m’aurait craché dessus ! Vous voyez, je ne suis plus de bonne humeur. Je suis en colère, meurtri. J’ai participé à la fondation de l’UMP, je me suis battu pour ce parti. Pour en arriver là ? Mais qu’est-ce qu’on fait là ? Trente ans de combat politique pour me rendre compte que je n’ai servi à rien ? Toutes les vieilles barbes, j’en ai marre. Il faut que les jeunes prennent la relève. »

  • Marie-Christine Dalloz, conseillère politique et députée du Jura. Avait soutenu Jean-François Copé en novembre 2012.
Marie-Christine Dalloz.Marie-Christine Dalloz. © Capture d'écran Dailymotion/Groupe UMP AN

« J’ai le sentiment d’un gâchis terrible. Je suis profondément déçue. J’attends à présent que la justice fasse son travail et tout son travail. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais je veux le savoir. J’ose espérer que nous aurons des conclusions assez rapides sur le montant des sommes dont on nous parle. Tant que nous n’aurons pas de conclusions précises, ce sera difficile de travailler ensemble. »

« Dans la situation actuelle, il n’y a pas de leadership naturel. Personne ne sera convaincu par personne si l'on continue de diviser ainsi les écuries. Je crois que celui qui peut aujourd’hui rassembler l’ensemble de l’équipe, c’est Nicolas Sarkozy. »

« Ma grande naïveté a été de penser que le duel pour la présidence était définitivement derrière nous. Mais en réalité, rien n’était apaisé, tout était sous-jacent. Pour autant, je ne regrette pas d’avoir pris fait et cause pour Jean-François Copé en novembre 2012. Je suis atterrée par certains propos que j’entends. Jeter l’opprobre sur tout le monde, comme ça, ça me désespère. Ces échanges sont pitoyables. Ils ne sont faits que pour exister médiatiquement. Je n’imaginais pas qu’on puisse cultiver la haine de cette façon. »

« Les militants sont partagés entre la déception et la frustration. Certains sont en colère, mais ils arrivent tout de même à faire la part des choses entre la réalité et ces déclarations excessives. »

  • Pierre Morel-A-L’Huissier, conseiller politique, secrétaire départemental, conseiller général et député de Lozère. Avait soutenu Jean-François Copé en novembre 2012.
Pierre Morel-A-L’Huissier.Pierre Morel-A-L’Huissier. © datar.gouv.fr

« Je suis le seul député de Lozère, département dont le préfet est Guillaume Lambert, l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy. Il s’est cloîtré dans sa préfecture depuis 6 jours. Personne ne le voit. Cela crée une atmosphère beaucoup plus lourde ici qu’ailleurs. »

« Les gens ne comprennent pas ce qui est en train de se passer. Ils me disent : “Vous, vous êtes à part, on vous connaît.” Je suis avocat, on me crédite d’une certaine éthique, mais je souffre quand même de cette situation. C’est très malsain. Les gens me posent des questions, mais je ne peux pas leur répondre car je ne sais pas moi-même. Et la non-réponse, c’est énigmatique pour eux et ce n’est pas bon pour moi. Il y a un amalgame très mauvais. »

« Les personnes que l’on voit dans les médias ne sont pas représentatives : Juppé, Fillon, Raffarin, Wauquiez, Morano, Hortefeux, NKM… Personne n’est en capacité aujourd’hui de prendre des décisions. Il va encore y avoir des départs forcés. L’UMP va être très chaotique. On est dans l’implosion. Je suis inquiet de ce qui se passe et je ne suis pas sûr de rester. Si ça continue comme ça, je me mettrai en réserve de l’UMP. À un moment donné, trop c’est trop. Je ne suis pas dans la vie politique pour ce pugilat. »

« Sarkozy n’est pas providentiel dans le sens où il a été battu par Hollande. Il a perdu alors qu’il ne se trouvait pas face à une grosse machine. C’est quelqu’un de brillant, mais pour moi, il n’était pas assez proche des territoires. Son gros échec, c’est son entourage. Je ne suis pas pour son retour. »

« Dans l’électorat rural de droite, les gens ne voulaient plus de Sarkozy. Ils considéraient avoir été abandonnés. Les militants voient qu’il est très velléitaire, mais que cela ne s’est pas traduit pendant son mandat. Ils disent : “On a vu pendant 5 ans, il a fait des choses, mais il n’est pas allé jusqu’au bout.” Tout ce qui se passe aujourd’hui… Ce n’est plus possible ! On ne veut plus de cela ! Il faut tout changer. »

  • Philippe Houillon, député du Val-d’Oise. Avait soutenu François Fillon en novembre 2012.
Philippe Houillon.Philippe Houillon. © Facebook/Philippe Houillon

« Les sympathisants et militants UMP sont tétanisés. Certains n’y croient même pas. C’est tellement énorme… Par rapport à la flopée d’informations qu’on a sur le sujet, les gens en parlent assez peu, non pas parce qu’ils ne s’y intéressent pas, mais parce qu’ils sont complètement désespérés. L’opposition avait vocation à reprendre très rapidement les rênes et à redonner confiance aux Français et finalement, ce n’est pas ce qui se passe. C’est désolant. »

« Nous autres, élus de terrain, nous avons la confiance de nos citoyens, nous gagnons des élections… Mais tout cela est écorné par des choses qu’on ne maîtrise pas. On ferait bien de nous écouter davantage. Quand on voit les propos que tiennent les uns et les autres… Ce n’est pas l’idée que la grande majorité des élus que nous sommes se fait de la politique. »

« Je ne suis pas sûr que le retour de Nicolas Sarkozy soit une excellente chose. Beaucoup de questions se posent. Est-ce qu’un ancien président doit reprendre la tête d’un parti ? Avec qui autour de lui ? Est-ce qu’il sera encore entouré de ces personnes qui ne font pas l’unanimité et qui sont celles que l’on entend aujourd’hui ? Il y a des questions sur cette affaire Bygmalion. Tôt ou tard, elles sortiront. Je pense qu’il va être encore plus une cible. Dans l’intérêt général du parti, est-ce que c’est une bonne décision ? Je ne sais pas. »

« Je n’ai pas le sentiment d’un amalgame entre ce qui se passe à l’UMP et nous autres, élus de terrain, mais c’est vrai que cela alimente cette vieille idée du “tous pourris”. C’est très désagréable. On prend pour nous alors que c’est injuste, on n’y est pour rien. On ne peut pas être fier de ce qui se passe. »

  • Éric Straumann, secrétaire national, secrétaire départemental, conseiller général et député du Haut-Rhin. Ne souhaite pas s’exprimer sur son soutien de novembre 2012.
Jean-François Copé et Eric Straumann.Jean-François Copé et Eric Straumann. © Facebook/Eric Straumann

« Je suis étonné par le sang-froid des militants. Contrairement à novembre 2012, je n’ai pas eu de retour de carte d’adhérent à l’UMP. Nos électeurs sont très contents de notre travail de proximité. Ils nous disent : “C’est à vous de monter et de faire le ménage.” Les gens sentent que l’on passe à autre chose. Tout le monde est dans l’attente. »

« On sait aussi que tout cela va passer et que plaie d’argent n’est pas mortelle. En 2012, c’était différent parce qu’on ne savait pas comment on allait sortir de la crise. Là, on en sort. Je ne sais pas si le triumvirat Fillon-Juppé-Raffarin est une bonne chose, mais la situation était tellement difficile qu’on ne pouvait pas faire autrement. »

« Je regrette les invectives. Les gens s’autodétruisent eux-mêmes. Quelqu’un comme Lionel Tardy (député de Savoie monté au créneau contre Jean-François Copé dès les premières révélations du Point sur l’affaire Bygmalion – ndlr) est totalement discrédité auprès des élus de base. »

« Nicolas Sarkozy mobilise fortement notre électorat. Les militants ont une volonté de revanche par rapport à la défaite de 2012. Je ne sais pas si son retour à la tête de l’UMP est une bonne chose parce que je pense que le futur président du parti ne devra pas être candidat aux primaires. »

  • Marianne Dubois, secrétaire nationale et députée du Loiret. Avait soutenu François Fillon lors de l’élection de novembre 2012 pour la présidence de l’UMP.
Marianne Dubois.Marianne Dubois. © Facebook/Marianne Dubois

« Ce qui se passe est catastrophique pour notre famille politique. Les propos qui sont échangés sont extrêmement violents. Militants, sympathisants, élus… On en a tous ras-le-bol. Nos électeurs ne sont plus en état d’entendre ni d’écouter qui que ce soit. Ce qui les intéresse, c’est leur avenir, et personne n’en parle. »

« Il faut quelqu’un de fort pour dire stop à tout cela. Je ne sais pas si cela peut être Nicolas Sarkozy, mais qu’importe la personne ou le courant dont elle est issue : il faut que tout ce spectacle s’arrête ! Les Français attendent autre chose de nous. »

« Chacun y va de sa petite phrase. C’est une situation très agaçante parce qu’on se rend compte qu’il y a plusieurs niveaux de députés : ceux qui sont dans les médias et ceux qui sont sur le terrain. Malheureusement, nous sommes tous mis dans le même panier. Et c’est à nous de justifier ce que font les autres… Du coup, on courbe le dos. »

  • Jean-Pierre Decool, député du Nord. Apparenté UMP, mais non encarté.
Jean-Pierre Decool.Jean-Pierre Decool. © Facebook/Jean-Pierre Decool

« Ces affaires font du mal à tout le monde. Je ne suis pas encarté à l’UMP et je ne le serai jamais. Le fait que je ne sois qu’apparenté met beaucoup plus à l’aise les militants, même si je sens qu’en ce moment, sur le terrain, on me parle moins facilement qu’avant. Il y a un peu plus de réserve. Ce qui se passe à l’UMP est regrettable, parce que les partis politiques devraient être les terrains de la démocratie et que ce n’est pas le cas. »

« Les électeurs sont à saturation de ce type de comportements. Les partis politiques ne prennent pas assez en compte les propositions du terrain parce qu’ils ont trop d’enjeux de pouvoir. Et ça, c’est absolument regrettable. Il faut que l’abcès soit rapidement crevé, sinon les affaires de l’UMP vont polluer le débat à droite pendant quelque temps. »

« Toute personne qui n’a pas une forme de virginité intellectuelle devrait renoncer à prendre le leadership de l’UMP. On voit bien qu’aux municipales, ce n’est pas la droite qui a gagné, c’est l’antisystème. Les gens ne veulent plus des barons de la politique. Il faut une révolution intellectuelle. »

  • Annie Genevard, conseillère politique, députée du Doubs et maire de Morteau. Avait soutenu François Fillon en novembre 2012.
Annie Genevard.Annie Genevard. © anniegenevard.fr

« Le premier sentiment que l’on a, c’est la désolation. On a l’impression que quelque chose est gâché. Passé le moment de colère et de rejet, les gens nous disent qu’ils restent tout de même attachés à l’UMP. Il est indispensable que la justice face la clarté très rapidement sur ce qui s’est passé. Il faut qu’on purge la dimension judiciaire de la situation. »

« La droite est fragilisée et cela m’attriste. Je suis estomaquée par ce que dit Lavrilleux dans Le Point. C’est calamiteux. Pour moi, ce n’est pas du tout représentatif de l’UMP. Les insultes abaissent ceux qui les profèrent. Il faut sortir de cette situation mortifère parce qu’il y a un réel danger. Le parti est dans une situation financière et morale dangereuse. Si l'on continue comme ça, il sera en péril. »

« On a énormément de talents à l’UMP. Sarkozy en est un, mais il n’est pas le seul. Les primaires départageront les tendances. En attendant, il faut calmer les esprits, redonner la parole aux militants et leur donner le sentiment qu’ils sont considérés, et pas seulement quand on leur demande de l’argent. »

  • Patrick Labaune, secrétaire départemental, député de la Drôme et conseiller général de Rhône-Alpes. Avait soutenu Jean-François Copé en novembre 2012.
Patrick Labaune.Patrick Labaune. © Facebook/Patrick Labaune

« Cette affaire est déplorable. Je vois que les choses évoluent et pas dans le bon sens pour nous. Avant, les gens me parlaient du résultat des européennes, de la montée du Front national. Maintenant, ils me parlent de Bygmalion… Les militants et les sympathisants sont en colère, ils ont le sentiment d’avoir été trompés et sont catastrophés pour la suite. »

« À l’UMP, tout le monde a sa petite musique, ses petits égos. Ça part un peu dans tous les sens. C’est O.K. Corral. J’en suis malade pour le mouvement. L’affaire Copé/Fillon avait meurtri les militants, mais depuis les municipales, on voyait un regain pour les adhésions et là, bingo, ça recommence à chuter. L’union fait la force. Tirer les uns sur les autres, ça ne paye pas. »

« Qu’on le veuille ou non, Nicolas Sarkozy pèse énormément au sein de l’UMP. Mais il y a des dizaines d’affaires… Le jeu continue. À voir. Les militants parlent de tout cela en disant que trop, c’est trop. Bygmalion, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Cela peut ébranler la base. C’est pour ça que le retour de Nicolas Sarkozy risque d’être plus précipité. Il a une image de dynamisme, d’autorité, de compétence. Mais aujourd’hui, cette affaire Bygmalion, plus les autres, fait douter sur l’image du garçon. »

« Je suis un des plus anciens secrétaires départementaux de l’UMP. En 28 ans, j’en ai connu des hauts et des bas. La bagarre Balladur/Chirac en 95 a été aussi dure que la situation que nous traversons actuellement. Le grand gagnant de tout cela est évidemment le Front national. Pourtant, et c’est le paradoxe de la vie politique, nous allons continuer à gagner. Ou plus exactement, c’est le PS qui va perdre. »

  • Denis Jacquat, secrétaire national, député et conseiller général de Moselle. N’avait pris parti pour aucun des deux candidats en novembre 2012.
Denis Jacquat et François Fillon.Denis Jacquat et François Fillon. © Facebook/Denis Jacquat

« La crise que traverse l’UMP a un impact négatif sur les militants et les sympathisants. On sent une énorme déception. Je rencontre des gens qui me disent : “Si j’étais encarté à l’UMP, j’aurais rendu ma carte.” C’est la première fois que j’entends des propos de ce type. Il y a un malaise. »

« S’il y a des problèmes, il faut les régler entre nous, pas dans la presse. Chaque fois que quelqu’un de l’UMP prend la parole pour parler de nos problèmes, on perd 5 000 électeurs. Christian Jacob a demandé en réunion de groupe UMP qu’on évite les déclarations de ce type, or je vois que ça continue. Ce n’est pas sain. »

« Les gens sont déçus. La répétition des petites phrases rend tout cela nocif. N’oublions pas que nous sommes dans un contexte où le Front national est premier. Les personnes qui votent FN ne supportent plus la droite ni la gauche. Remonter est plus long que descendre. »

« Vu l’accumulation des petites phrases et des interrogations, il faudrait qu’il y ait une mise à plat et des réunions internes à l’UMP pour évoquer le problème. 11 millions d’euros sont partis quelque part, il faut savoir comment ils ont été dépensés. »

« Le retour de Nicolas Sarkozy ne me gêne absolument pas. Pour les militants et les sympathisants, il reste le préféré aujourd’hui. Sa présidence apparaît bien meilleure que celle de François Hollande. Des accusations sont faites contre lui, mais je m’en méfie comme de la peste. Je reste très circonspect sur les affaires judiciaires, surtout dans le milieu politique. »

  • Étienne Blanc, secrétaire national, député et président de la fédération départementale de l’Ain. Avait soutenu Jean-François Copé en novembre 2012.
Etienne Blanc.Etienne Blanc. © Facebook/Etienne Blanc

« L’UMP est composée de deux strates bien identifiées : celle des responsables locaux qui tirent leur force politique des militants et celle des responsables parisiens. Je m’aperçois que cette élite parisienne est aussi celle qui a les analyses politiques les moins foudroyantes. C’est un monde complètement déconnecté de la réalité. Bygmalion, c’est aussi le résultat de cette déconnexion. »

« Leur image, c’est aussi un peu la mienne. Quand ils hurlent, je suis éclaboussé. On nous met dans le même sac que les autres. Ce qui me frappe le plus, c'est que cette élite politique évolue dans un monde où la loyauté et l’éthique sont souvent absentes. C’est un monde qui existe en se singularisant sur des comportements qui ne sont pas dignes d’une famille politique. C’est exaspérant. »

« Nicolas Sarkozy est sans doute celui qui a le plus de talent. Il a vraiment une carte à jouer, mais est-ce que c’est le moment ? Toutes les affaires dont on parle vont être sur la place publique en 2016, ça va être compliqué. Sarkozy n’est pas très bien entouré. Ceux qui sont ses porte-parole ne sont pas respectés. »

« J’exige la vérité sur l’affaire Bygmalion. J’aimerais que l’UMP face un audit pour comprendre la chaîne des décisions. Car les responsabilités sont pénales, mais aussi éthiques. J’ai rencontré une femme qui a donné 20 euros pour le “Sarkothon”. Elle gagnait 420 euros de retraite par mois. Elle aussi a le droit à la vérité. »

« Quand vous êtes dans une entreprise, si quelqu’un manque d’éthique, on en tire les conséquences, mais en politique c’est toléré. C’est si vrai que quand les gens ont été condamnés, ils reviennent. Cela déclenche chez moi une amertume profonde et je ne vous cache pas que parfois, on a envie de poser le sac. »

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone les 5 et 6 juin.

Mise à jour, mardi 10 juin, à 12h : Annie Genevard, conseillère politique, députée du Doubs et maire de Morteau, a soutenu François Fillon en novembre 2012 et non Jean-François Copé. L'article a été amendé pour corriger cette erreur.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La blague de pétition pour demander l’accord de l’asile à Snowden en France

«L' Appel des 100» relance le bras de fer avec l'exécutif

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Ils ne désarment pas. Quelques jours à peine avant la présentation ce mercredi 11 juin en conseil des ministres des textes budgétaires qui mettront en musique le "pacte de responsabilité" de François Hollande et le plan massif de réduction des déficits publics de 50 milliards sur trois ans, l'Appel des 100 fait à nouveau parler de lui. Ce collectif, qui réunit depuis la raclée des municipales de mars et la nomination de Manuel Valls à Matignon les parlementaires socialistes réclamant une inflexion de la politique de l'exécutif, a publié lundi 9 juin une « plateforme pour plus d'emplois et de justice sociale » (cliquer ici pour afficher le texte ou là pour en télécharger le PDF).

Le document, élaboré par la petite centaine de parlementaires qui ont pris pour habitude de se retrouver le mardi matin à l'Assemblée nationale (des proches ou soutiens de Martine Aubry, d'Arnaud Montebourg, des députés de l'aile gauche, etc.), propose de « réorienter » « à déficit inchangé » la politique économique du gouvernement en direction de la demande, quand François Hollande plaide pour un « socialisme de l'offre » et met en avant depuis six mois un discours très pro-entreprises. Les "frondeurs", comme la presse les appelle volontiers (une expression qu'ils rejettent, jugeant légitime de tels débats entre un gouvernement et sa majorité), exigent par ailleurs une vigoureuse réorientation européenne.

Du 23 juin à début juillet, l'Assemblée nationale devra voter successivement le projet de loi de finances rectificative et le budget révisé de la Sécurité sociale, deux textes qui déclinent les mesures annoncées par François Hollande et Manuel Valls : "pacte de responsabilité" visant à baisser les cotisations sociales pesant sur les entreprises, vaste plan d'économies de 50 milliards, des mesures fiscales à destination des ménages pour éviter que des centaines de milliers de Français ne rentrent à nouveau dans l'impôt sur le revenu, etc. Pour le gouvernement, ces deux votes s'annoncent risqués. S'il ne contient pas encore de menaces explicites, ce texte vient lui rappeler que, malgré des pressions et un insistant chantage à la dissolution, 41 députés socialistes de toutes tendances se sont abstenus le 29 avril d'approuver les 50 milliards d'économies qu'il compte réaliser d'ici 2017. Le groupe socialiste à l'Assemblée nationale compte 279 députés.

« La politique économique de la France doit rechercher l'efficacité, elle ne saurait aggraver les inégalités. » Ainsi commence cette tribune de quatre pages, qui se poursuit par un constat : la croissance française est en panne, et le chômage ne va cesser d'augmenter « pendant 18 mois encore », malgré les « politiques en cours ou prévues dans les trois ans à venir ». Une façon polie de signifier que, selon eux, le pacte de compétitivité sur lequel mise François Hollande est voué à l'échec, en tout cas s'il subsiste dans sa configuration actuelle.

Trois raisons expliquent d'après les « 100 » cette stagnation « prévisible ». D'abord, la politique européenne, « l'euro trop cher et la trajectoire de réduction des déficits trop brutale ». À nouveau, ils rappellent à François Hollande sa promesse restée lettre morte de « réorientation européenne », et le pressent de ne pas soutenir un candidat à la Commission européenne qui ne prendrait pas « des engagements en ce sens ». Deuxième raison : le choix du gouvernement d'une politique de l'offre et non de la demande, résumé en deux chiffres : « 41 milliards de baisses d'impôt pour les entreprises » contre « 5 milliards pour les ménages ». Troisième explication : le "pacte de responsabilité", « sans sélectivité ni conditionnalité », n'est pas ciblé. « La France a besoin d'un véritable pacte de compétitivité concentrant les aides publiques sur les entreprises manufacturières qui investissent dans la recherche (…) et aide les entrepreneurs qui ont des projets plutôt que ceux qui ont des humeurs », allusion aux algarades du contesté président du Medef, Pierre Gattaz.

Concrètement, la plateforme propose donc de ne concentrer les baisses de cotisations sociales que sur les entreprises « qui en ont besoin » parce qu'elles sont exposées à la concurrence internationale, industrielles ou innovantes. Soit une économie de 18,5 milliards d'euros.

Cette somme serait « réorient(ée) » vers « le pouvoir d'achat, l'investissement public et l'emploi ». Première piste : tripler les mesures en faveur des ménages (de 5 à 16,5 milliards d'euros) pour « rallumer la consommation ». Les « 100 » citent d'ailleurs volontiers Matteo Renzi, le président du Conseil italien qui, sitôt arrivé aux commandes du pays, a lancé en mars un vaste plan de relance de 90 milliards d'euros. Ils s'opposent au gel des allocations familiales et logements, réclament le non-gel des retraites complémentaires en dessous de 1 200 euros et proposent surtout la création de taux réduits de CSG pour les classes moyennes et populaires. Cette CSG progressive, qui redistribuerait d'abord du pouvoir d'achat aux plus modestes, serait le possible prélude d'une fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, une promesse de François Hollande abandonnée depuis.

Autres propositions : 150 000 emplois aidés, 150 000 contrats en alternance mais aussi 5 milliards d'investissements publics locaux, alors que les collectivités locales vont voir leurs dotations diminuer de 11 milliards sur trois ans, ce qui risque, selon eux de marquer « un coup d'arrêt aux investissements publics et un effondrement de l'activité du BTP ».

« Nous avons conscience que ces inflexions excèdent par leur volume ce qui relève habituellement de la discussion budgétaire dans notre pays sous la Ve République », admettent les élus. Mais d'après eux, François Hollande n'a pas d'autre choix pour « ressouder notre majorité » et « entraîner une majorité de Français ».

Le projet de loi de finances rectificative sera présenté aux députés ce mercredi, et discuté à partir du 23 juin à l'Assemblée. Entre le gouvernement et sa majorité, le bras de fer reprend. Les épisodes à venir s'annoncent encore plus tendus que les précédents.

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Les intermittents luttent pour nos biens communs

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Le récent, et très beau, film de la réalisatrice Pascale Ferran, Bird People, est une fable sur les dérèglements d’un monde, le nôtre, celui d’un capitalisme hors de ses gonds, où l’argent dévore le temps, isole et sépare les individus, finit par les éloigner de la vie, d’une vie humainement décente. Trois personnages, de conditions sociales différentes, s’y débattent dans un lieu de nulle part et de partout, un hôtel de l’aéroport de Roissy-en-France : un ingénieur informaticien américain, associé de son entreprise dans la Silicon Valley, qui décide soudainement de tout plaquer, boulot et famille ; une jeune femme de chambre rêveuse et ingénue qui aimerait pouvoir reprendre ses études ; un réceptionniste qui, faute de pouvoir s’offrir un domicile, dort dans sa voiture.

Et c’est un oiseau, un simple moineau, qui indique la voie du sursaut, par la surprise d’un vol en liberté : cette grâce, entre amour, plaisir et bonheur, de ce qui ne se quantifie ni ne se monétise. On pourrait appeler cela le commun, comme l’ont récemment proposé Christian Laval et Pierre Dardot (lire ici). Non seulement ce qui est commun, ouvert à la curiosité de chacun, mais aussi ce qui est en commun, partagé par et pour tous. Ces biens communs dont l’affirmation et la protection garantissent que nous pouvons compter sur la protection d’une société solidaire, qui ne laisse personne sur le bas-côté, qui ne rejette ni ne détruit, soucieuse de l’humanité comme de la nature. Bref, ce qui fait qu’une société tient debout, affronte l’avenir, invente son futur, sans céder aux nécroses de la rancœur ou du ressentiment qui pourraient l’égarer et la perdre.

Nul hasard si je repense à cette œuvre de Pascale Ferran et au regard généreux qui l’anime, où chaque personne invisible compte pour une personne essentielle, au moment  d’évoquer la lutte actuelle, et fort ancienne, des intermittents qui est aussi celle de tous les travailleurs intérimaires et/ou précaires (sur le même sujet lire La Parisienne Libérée ici et Christian Salmon là). Car, cinéaste engagée en ce sens qu’elle est soucieuse du monde où elle vit et travaille, Pascale Ferran en a formidablement résumé l’enjeu, le soir de 2007 où son précédent film, Lady Chatterley, fut couronné par pas moins de cinq Césars. Voici un extrait de ce qu’elle déclara lors de la cérémonie, propos qui, malgré le changement de majorité politique, de droite à gauche, n’a pas pris une ride, sept ans après :

« Pendant longtemps, [le régime d’indemnisation chômage des intermittents du spectacle] était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Il produisait une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film et aussi entre les générations. Depuis des années, le Medef s’acharne à mettre à mal ce statut en s’attaquant, par tous les moyens possibles, à la philosophie qui a présidé à sa fondation.

« Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités. Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches. »

Aux Editions Amsterdam mais aussi téléchargeable sur le NetAux Editions Amsterdam mais aussi téléchargeable sur le Net

J’ai retrouvé cette citation au tout début de Intermittents et Précaires, travail aussi rigoureux qu’original de Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato (publié en 2008 aux Éditions Amsterdam mais ouvert au téléchargement gratuit en format PDF). Cette référence à une voix s’exprimant depuis le terrain concret de la création donnait le ton d’une recherche certes menée selon les codes scientifiques mais dans une nouvelle relation entre chercheurs et ceux qu’ils étudient, en vue d’une « expertise citoyenne ». Issue d’une convention entre le CNRS, l’Université de Paris I et l’Association des Amis des intermittents et précaires, son résultat est à l’image du mouvement des intermittents qui, depuis ses débuts, ne se contente pas de lutter contre mais innove et propose par la production de nouveaux savoirs sur la réalité dont il témoigne.

« L’histoire du mouvement des intermittents n’est pas seulement celle d’une lutte, écrivent ainsi Corsani et Lazzarato. C’est aussi celle d’une “expertise” permanente qui se nourrit d’une réflexion sur la politique des savoirs et place au centre de la question politique les relations entre savoirs savants et savoirs profanes, savoirs minoritaires et savoirs majoritaires. » L’expérience vécue des premiers concernés y est sans cesse mobilisée afin de problématiser la réalité du travail discontinu, d’appréhender ses inégalités et son hétérogénéité, de penser sa nouveauté et de réinventer ses solidarités comme en témoigne le site de la Coordination des intermittents et précaires (à consulter ici).

Cette expertise citoyenne nourrit en retour la connaissance savante la plus aboutie. C’est ainsi que le sociologue Pierre-Michel Menger, élu en 2013 au Collège de France, a fait de l’intermittence son terrain de recherche lui permettant d’appréhender les transformations du travail à l’heure du nouvel âge industriel dont la révolution numérique est le moteur. De Portrait de l’artiste en travailleur, sous-titré Métamorphoses du capitalisme (Seuil, 2003), à Les Intermittents du spectacle, sous-titré Sociologie du travail flexible (Ehess, 2005, puis 2011), ses travaux rejoignent le souci militant des intermittents d’inscrire leur lutte dans un combat plus large pour la protection de tous les salariés à l’emploi discontinu. Tout comme leurs propositions – ce qu’ils nomment « le Nouveau Modèle » (voir sa présentation ici) – rejoignent les réflexions d’un autre professeur lui aussi élu au Collège de France (en 2012), Alain Supiot, éminent juriste penseur de l’État social.

« La Coordination des intermittents et précaires, écrivent encore Corsani et Lazzarato, n’a pas pour ambition de défendre les acquis sociaux des Trente Glorieuses, mais entend défendre de nouveaux droits sociaux associés à la mobilité et à la flexibilité de l’emploi. […] En revendiquant de nouveaux droits sociaux non seulement pour les intermittents mais aussi pour tous les travailleurs à l’emploi discontinu, à la rémunération variable et aux employeurs multiples, ce mouvement a ouvert une bataille politique sur le front de la précarisation et de la paupérisation qui touchent désormais une partie de plus en plus importante de la population. »

C’est en ce sens que le combat des intermittents du spectacle contre la nouvelle convention Unedic de leur régime d’assurance chômage n’est en rien catégoriel. Engagé depuis une dizaine d’années (la précédente mobilisation ayant conduit à l’annulation de nombreux festivals remonte à 2003), il recouvre un triple enjeu de civilisation : la conception du travail, la place de la culture, la définition de la démocratie.

Ceux auxquels ils s’affrontent – l’État, le patronat et les organisations syndicales signataires de l’accord (CFDT, FO et CFTC) – leur opposent un argument comptable : le déficit de l’assurance chômage spécifique dont ils bénéficient qu’ils imputent à une croissance des effectifs bénéficiaires bien supérieure à celle de la quantité de travail qu’ils se partagent (sur le secteur d’emploi concerné lire ici une récente note chiffrée du ministère de la culture).

Sachant que les 110 000 intermittents du spectacle représentent 3,5 % des bénéficiaires des allocations chômage et 3,4 % des dépenses de l’Unedic, c’est évidemment un argument à courte vue qui pose la seule question des dépenses sans interroger les recettes, qui n’interroge pas la contribution insuffisante d’employeurs (notamment dans l’audiovisuel) libres d’embaucher et de désembaucher à volonté, bref qui se refuse à inventer et consolider une protection sociale nouvelle, couvrant le risque d’un sous-emploi élevé encouru par les salariés dans un système de travail au projet, fragmenté et discontinu.

Dans un moment où la discontinuité de l’emploi qui caractérise l’intermittence s’étend à bien d’autres secteurs de l’économie, au-delà des seuls mondes de l’art et de la culture, le patronat refuse que le statut spécifique des intermittents fasse école. Il veut bien, ô combien, de l’emploi discontinu, et de la souplesse qu’il lui offre pour ses propres marges, mais refuse que son extension s’accompagne de nouvelles protections sociales, et donc des charges qu’elles lui imputeraient au nom de la solidarité. Tel est, pour la Coordination des intermittents et précaires (CIP), l’enjeu d’intérêt général de sa mobilisation contre l’accord Unedic conclu le 21 mars, essentiellement entre le Medef et la CFDT.

« Pourquoi le Medef prend-il pour cibles les intermittents, si peu nombreux, les intérimaires, si précaires ? demande-t-elle (retrouver ici le texte intégral). Parce que les annexes 4, 8 et 10 de l’assurance-chômage faisaient partie des rares dispositifs de protection sociale pensés pour l’emploi discontinu. Aujourd’hui, 86 % des embauches se font en CDD, il y a des millions de salariés pauvres ou à temps partiel. Le Medef ne veut pas que le régime des intermittents du spectacle ou des intérimaires serve de modèle aux autres : il s’agit d’empêcher à tout prix les précaires de réclamer des droits sociaux en échange de l’hyper-flexibilité voulue par leurs employeurs. »  « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous », ajoute la CIP, reprenant son slogan de 2003 : « Défendre les régimes d’indemnisation qui assurent une continuité de revenu face à la discontinuité de l’emploi, c’est défendre l’ensemble des salariés. »

Entre progrès social et régrès libéral, la bataille de l’intermittence concerne donc le monde du travail tout entier, véritable laboratoire de l’affrontement entre une logique de mutualisation du risque, qui impose des solidarités collectives, et une idéologie de capitalisation, qui livre les personnes à des combats solitaires, avec cette conviction aveugle que le chômage serait de la responsabilité des seuls individus et non pas de celle de la société. Mais, loin d’avoir pour unique adversaire le néolibéralisme patronal, le combat des intermittents rencontre en chemin des conservatismes syndicaux qui n’envisagent le travail que sous la forme de l’emploi salarié et permanent, qui s’accrochent à sa défense exclusive au point de délaisser les nouvelles formes d’emplois et de trajectoires professionnelles et qui, de ce fait, aggravent leur déjà faible représentativité par l’ignorance de nouvelles catégories de travailleurs, notamment parmi la jeunesse.

Qu’il s’agisse du Medef ou de la CFDT, ceux qui signent les accords appliqués aux intermittents ne sont aucunement représentatifs des secteurs d’emploi concernés. Arguant des grands équilibres comptables de l’assurance-chômage, ils ignorent les réalités qu’ils réglementent sans concertation des premiers concernés. Ni la CFDT ni FO ne sont particulièrement implantés dans les métiers du spectacle ou de la culture, tandis que les syndicats d’employeurs du secteur, tel le Syndeac (lire ici, sur son blog de Mediapart, sa lettre ouverte au premier ministre), ont fait connaître leur désapprobation massive de l’accord conclu.

À la question centrale du travail et de ses métamorphoses, s’ajoutent donc celles, également décisives pour la société tout entière, de la culture et de la démocratie. Aveuglé par idéologie au point d’ignorer les réalités économiques, le Medef n’hésite pas à qualifier l’indemnisation chômage spécifique aux intermittents de subvention déguisée à la culture. Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas soutenir collectivement un secteur décisif pour l’économie française, sa vitalité et son innovation ? Première destination touristique mondiale avec 83 millions d’entrées touristiques internationales en 2012, largement devant les États-Unis, la France est aussi un pays que la culture enrichit, produisant de la valeur et créant des emplois.

C’est ainsi qu’elle contribue sept fois plus au produit intérieur brut (PIB) français que l’industrie automobile. Issues d’une récente étude conjointe des ministères de l’économie et de la culture (la retrouver ici), les données ne souffrent pas de discussion (voir le graphique ci-dessous) : avec 104,5 milliards d’euros d’apports directs et indirects à l’économie nationale en 2011, les activités culturelles représentent 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 3,2 % du PIB national. Un total de 670 000 personnes y sont employées soit 2,5 % de l’emploi actif en 2010, mais il faut y ajouter l’impact des initiatives culturelles sur le dynamisme socioéconomique d’un territoire.

Source : ministères de l'économie et de la cultureSource : ministères de l'économie et de la culture

« La culture et l’art, leurs modalités de production, leurs contenus, les publics qu’elles créent, les ressources et les désirs qu’ils mobilisent participent pleinement de l’émergence d’un nouveau régime de croissance », soulignent Corsani et Lazzarato au terme de leur recherche. En ce sens, loin de se réduire à un coût ou à une charge, les dépenses sociales, repensées à l’aune des transformations de l’économie et de la société, doivent être appréhendées, imaginées et défendues comme un investissement collectif contribuant au développement de ces biens communs que sont la culture, l’éducation, la formation, la santé, l’habitat, bref tout ce qui tisse le bien vivre d’une société d’individus solidaires.

Parce qu’elle est riche de son inventivité créatrice, la lutte des intermittents pose la question d’une réinvention de la démocratie, de son extension et de son approfondissement face à l’essoufflement, au risque de la nécrose autoritaire, de sa version étroitement représentative où le pouvoir de tous finit par se perdre dans la délégation à quelques-uns. C’est aussi ce que l’on ne comprend pas dans les ministères, ne voyant là qu’agitation minoritaire en lieu et place d’une authentique concertation et délibération démocratiques, alors même qu’ils ont accepté sans états d’âme de décider du sort de quelques-uns avec des interlocuteurs qui n’en sont pas représentatifs.

Loin de vieilles rengaines usées, les formes de lutte promues par les intermittents évoquent plutôt ce pragmatisme radical, ou ces radicalités pragmatiques qui furent théorisées aux États-Unis dans le sillage des philosophes pragmatistes qu’étaient John Dewey (1859-1952) et William James (1842-1910). Pour ces auteurs, l’avenir ne pouvait être qu’une invention collective, production partagée de nouveaux savoirs et de nouvelles approches, mobilisation collective autour d’exigences radicalement démocratiques. Ceux qui dirigent (l’État), ceux qui possèdent (le patronat), ceux qui représentent (en l’espèce les syndicats) ne sauraient ignorer les réflexions et les propositions de ceux qui vivent les réalités dont ils débattent.

Très tôt, y compris par le détour d’une « Commission des mots », la Coordination des intermittents et précaires a renversé la notion d’expert et d’expertise telle qu’elle s’est imposée dans les usages gouvernementaux et leurs vulgates médiatiques. Est « expert » celui qui est expérimenté, c’est-à-dire celui qui a ou qui fait une expérience. Autrement dit, proclame la CIP, « nous sommes bien les experts, je suis un expert de ma vie ». Où l’on comprend que le mouvement des intermittents, loin de défendre de façon crispée des acquis qui seraient datés, ébranle nombre de citadelles conservatrices. Pour notre bien. Pour nos biens communs.

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Enseignement de l'économie : « Il faut se confronter à la réalité sociale »

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L’enseignement de l’économie à l’université est sous le feu des critiques depuis de nombreuses années. Trop abstrait, trop formel, il est accusé de s'être peu à peu déconnecté de la réalité par la prééminence de la statistique et des mathématiques. La crise de 2008, que bien peu d’économistes ont vu venir, a aussi révélé l'homogénéité au sein de l’institution où la domination des économistes néoclassiques menace à terme tout pluralisme. L’AFEP (Association française d’économie politique), qui a minutieusement enquêté sur les mécanismes de reproduction au sein du corps des enseignants-chercheurs, a ainsi conduit l’association à réclamer la création d’une nouvelle section au Conseil national des universités (CNU). Baptisée « économie et société », elle permettrait d’accueillir des courants – institutionnalistes, conventionnalistes, régulationnistes, etc. – aujourd’hui totalement marginalisés.

En juillet dernier, Geneviève Fioraso a chargé l’économiste et historien Pierre-Cyrille Hautcœur de rédiger un rapport pour « analyser la situation actuelle de la filière sciences économiques, tant sur le plan de la recherche, dans une logique interdisciplinaire, que de la formation et de l’insertion professionnelle des étudiants ». Le président de l’EHESS devait, selon la lettre de mission adressée à la ministre, également proposer des pistes pour « maintenir ou même enrichir la diversité des options théoriques et des méthodes ».

Pierre-Cyrille Hautcœur, qui a rendu jeudi dernier son rapport (à consulter ici) à la secrétaire d’État, détaille pour Mediapart les grands axes de celui-ci, qui défend un enseignement de l’économie beaucoup plus ancré dans les sciences sociales. Il explique aussi pourquoi la création d’une nouvelle section au CNU est une fausse bonne idée. Une idée encore défendue par certains membres de sa commission (on pourra lire ici le rapport alternatif de Philippe Frémeaux, Gérard Grosse et Aurore Lalucq) et qu’avait aussi soutenue Benoît Hamon lorsqu’il était encore ministre de l’économie solidaire…

La demande d’un autre enseignement des sciences économiques à l’université s’exprime avec force depuis plusieurs années. Que propose votre rapport pour réformer des filières qui peinent de plus en plus à attirer les étudiants ?

Pierre-Cyrille HautcoeurPierre-Cyrille Hautcoeur

L’attente des étudiants de sciences économique est plurielle. Ils s’inquiètent de leur insertion professionnelle à l’issue d’un cursus jugé trop théorique et déconnecté du terrain, et se sentent sur ce point moins préparés à entrer sur le marché du travail que des étudiants qui ont fait de la gestion ou des classes préparatoires et une école. La deuxième demande est d’ordre plus intellectuel, avec des étudiants qui estiment que les outils qu’on leur donne à l’université ne leur permettent pas, dans le fond, de répondre aux questions qu’ils se posent.

Il me semble que ces deux critiques sont en partie mêlées et que la meilleure manière d’y répondre est de construire des cursus pluridisciplinaires avec une spécialisation progressive.

Je suggère qu’à l’échelle des sciences sociales, donc pour les étudiants en économie mais pas seulement, les étudiants apprennent au moins la diversité des manières de regarder et aient donc une formation initiale dans différentes disciplines de sciences sociales et humaines. Tout le monde ne peut pas tout faire, mais l’on peut imaginer que les étudiants aient une majeure et deux ou trois mineures.

C’est d’ailleurs ce qu’on enseigne aux étudiants dans les prépas et les grandes écoles, mais malheureusement de manière assez pauvre, car faible méthodologiquement du fait de la coupure avec la recherche. On leur expose une certaine pluralité des regards – historiques, économiques, sociologiques – mais de manière un peu « aplatie » : on leur donne les résultats, mais pas la manière de les construire. L’université a la chance d’avoir beaucoup d’enseignants-chercheurs qui peuvent montrer comment on procède parce qu'ils ont une pratique de la recherche. Si elle réussit à enseigner cette diversité des approches avec une certaine profondeur sur les savoir-faire, l’université peut faire beaucoup mieux que les autres formations.

Simplement, il faut accepter d’avoir une certaine forme d’exigence et en même temps d'avoir confiance envers les étudiants : considérer que même des étudiants qui n'étaient pas les meilleurs scolairement peuvent devenir très motivés s'ils sont confrontés à des problèmes économiques et sociaux importants, et que cette motivation les amènera à apprendre et à questionner leurs enseignants, et donc à acquérir une autonomie intellectuelle.

Votre rapport décrit un enseignement de l'économie qui s'est peu à peu coupé du réel. Comment y remédier ?

Il faut repartir de l’observation des faits sociaux dès les premiers cycles universitaires et redonner sa place à ce que, dans les sciences sociales, on appelle le terrain. Pour les économistes, cette notion, encore centrale pour les anthropologues et les sociologues, a disparu. Des outils statistiques ont été fabriqués, mais on n’enseigne plus du tout aux étudiants comment ils l’ont été. Les étudiants ont donc tendance à considérer que les catégories statistiques sont tombées du ciel et décrivent naturellement la réalité. Ils ne voient plus que ces statistiques ont été construites à partir de concepts qui ont permis de mettre de l’ordre dans une réalité foisonnante complexe.

Ce n’est pas qu’une question théorique puisque, pour bien s’insérer professionnellement, les étudiants ont besoin d’avoir une solide culture générale avec une appréhension globale des problèmes économiques (marché du travail, marchés financiers, fonctionnement des entreprises, etc.), mais surtout d'être capables de repérer ce qui est important dans le flux d'informations toujours plus important auquel ils seront confrontés dans leur vie.

L’idée qu’il faut mettre les étudiants plus en contact avec la société est aussi importante pour les motiver. La science doit être là pour répondre à des problèmes. Il faut construire des enseignements où l'on part de problèmes réels, et ensuite on élabore. C’est beaucoup plus difficile à faire que des enseignements standardisés de théorie « intemporelle », et c’est pour cela qu’à mon sens, il faut aussi repenser les questions de carrière des enseignants et d’organisation des enseignements.

Pour répondre au manque de pluralisme aujourd’hui dans le corps des économistes, l’AFEP (Association française d'économie politique) soutient la création d’une nouvelle section au CNU (Conseil national des universités) qui ferait toute sa place aux hétérodoxes. Benoît Hamon a d’ailleurs publiquement défendu cette option. Pourquoi la rejetez-vous ? L’AFEP a également critiqué la composition de votre commission au motif qu’elle ne comptait aucun représentant de l’hétérodoxie.

Cette demande de créer une nouvelle section au CNU est assez étrange, puisqu’il s’agirait de couper en deux une discipline au nom du fait qu’elle n’est pas assez unie. Ceux qui la réclament disent qu’on ne leur fait pas assez de place dedans, donc qu’ils préfèrent aller dehors. Mais je pense que pour eux, comme pour la science économique en général, le problème est de parvenir à les garder dedans et d’avoir une diversité interne plutôt que d’avoir des sous-groupes revendiquant la même discipline.

Si à chaque fois qu’il y a des conflits épistémologiques et politiques, on crée une nouvelle section au CNU, on ne va pas s’en sortir. Une évaluation de la recherche dont l'organisation évoluerait au fil des schismes et des excommunications n'est pas adaptée au débat raisonné qu'est censée être la science. De manière générale, mon sentiment envers le CNU est mitigé du fait de son caractère centralisé et souvent politisé, et parce qu'il renforce les frontières entre savoirs et conduit ainsi à une concentration des recherches au « centre » des disciplines. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait pas une identité propre à l’économie, un corpus théorique et méthodologique commun, ce qui me semble indiscutable et essentiel. Le travail interdisciplinaire doit se faire à partir des disciplines, qui constituent des manières d'aborder les questions spécifiques élaborées par des années de réflexion. Mais le CNU tend à exclure la recherche interdisciplinaire, alors qu'il devrait l'encourager. Ce pour quoi nous recommandons d'expérimenter une modalité de qualification dans laquelle un expert d'une autre discipline serait invité à donner un avis sur un dossier d'une discipline si la personne concernée le demande. Ainsi, un travail d'économie à forte dimension anthropologique pourrait bénéficier de l'avis voire de la présence d'un anthropologue.

Sur la composition de cette commission, il est vrai que je n’y ai invité aucun responsable de l’AFEP – pas plus que de l’AFSE (Association française de science économique) – car je ne voulais pas que le travail de notre commission tourne à un conflit entre institutions (et alors que nous avons pensé que ces deux organisations devraient au contraire se rapprocher sinon fusionner). Il y avait, en revanche, plusieurs sensibilités très différentes. Les membres de cette commission avaient des points de vue et parcours variés (plusieurs avaient par exemple exercé des responsabilités de décision publique ou privée). Nombre d'entre eux avaient auparavant fait part de leur critique des institutions universitaires ou de l'état des sciences économiques, certains affirmant notamment que la crise économique actuelle était aussi une crise de la pensée économique. Aucun n'a souhaité exprimer un avis divergent en fin de rapport, alors que je l'avais proposé à tous les membres de la commission.

Créer une nouvelle section au CNU selon l’AFEP permettrait d’enrayer un système d’autoreproduction qui fait qu’aujourd’hui ceux qui sont en place et qui appartiennent majoritairement à l’orthodoxie évaluent et promeuvent les enseignant-chercheurs, rien ne les incitant à faire de la place à la diversité.

Je ne partage pas ce constat. Il faut rappeler que l’on sort quand même d’une longue période où la droite était au pouvoir et où, dans une discipline assez politisée avec des jurys d’agrégation nommés par le gouvernement, il est arrivé que l’on nomme des professeurs pour des raisons en partie politiques, et que se retrouve écarté tout ce qui avait le moindre relent marxiste, voire critique. Le gouvernement actuel a la possibilité de nommer un jury plus respectueux des différentes sensibilités de la profession et j'imagine qu'il va le faire.

Par ailleurs, le rôle de l’agrégation du supérieur va être fortement réduit dans les recrutements, ce qui devrait permettre à plus de sensibilités de s’exprimer. Cela va renforcer le rôle des commissions locales de recrutement, et celui du CNU. Concernant le CNU, les mêmes problèmes de politisation ont pu exister, mais son caractère largement élu protège les collègues.

Si les propositions du rapport sur l'évaluation et les modes de recrutement étaient suivies, je suis persuadé qu'une plus grande place serait naturellement faite à la diversité des manières de faire de l'économie comme des théories. Par ailleurs, je pense qu’il ne faut pas accorder trop de valeur à cette distinction entre « orthodoxes » et « hétérodoxes ». Si cela a pu jouer du point de vue des carrières, avec des économistes marginalisés au-delà de ce qu’ils méritaient et d’autres promus au-delà de ce qu’ils méritaient, cette opposition a de moins en moins de sens d’un point de vue intellectuel. Elle s'était construite dans les années 1970-80 au sein des « rénovateurs », qui avaient l’ambition commune d’émanciper davantage l’économie du droit à l’université, et de renforcer les méthodes quantitatives, la formalisation et un raisonnement économique rigoureux. Ils ont réussi ensemble cette rénovation, et désormais tous les économistes savent manier des statistiques, construire des modèles plus ou moins formalisés, et ont en partage un vaste corpus théorique. Les débats internes entre eux concernent des questions épistémologiques et méthodologiques importantes, mais le travail commun demeure présent, et une grande partie des travaux récents d'économie discutant le rôle des institutions, des normes ou de la confiance sont à la frontière entre les prétendus « orthodoxes » et « hétérodoxes ». Il me semble difficile de nier qu'il y a aujourd'hui une diversité politique et scientifique immense au sein du courant que certains qualifient encore d'« orthodoxe », peut-être même plus vaste que chez les « hétérodoxes », ce qui devrait inciter à dépasser ces catégories.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes idéologiques dans la science économique. L’idéologie, qui est souvent mêlée avec les méthodes ou l’épistémologie de l’économie, devrait être plus clairement explicitée et critiquée. C’est une des choses pertinentes qu'affirment depuis longtemps ceux qui se disent « hétérodoxes » (même si en la matière la critique est plus aisée que l'art) ; mais ce n'est pas quelque chose qui les construise comme une autre discipline ni, surtout, qui doive être séparé de l'enseignement de l'économie.

La recherche en économie semble elle aussi s’être beaucoup uniformisée dans ses objets, ses méthodes. Comment la rendre plus audacieuse ou tout simplement plus diverse ?

Repartir de problèmes réels et chercher à les résoudre devrait être la démarche de tout chercheur. Trop souvent, on observe des chercheurs qui ont fait le choix d’une profession intéressante, mais qui ne sont pas toujours « habités » par leurs sujets. Aujourd’hui, si les études sur le genre sont si dynamiques, c’est aussi que la majeure partie des chercheurs sont des militants. Je ne dis pas qu’il faut forcément être militant pour faire de la recherche, mais il faut être passionné. Et pour cela, en économie, il faut en général s’être confronté à la réalité sociale. Ce qui veut dire que, par exemple, on devrait encourager les étudiants à travailler un peu dans une autre activité avant de se lancer dans la recherche. Ce n'est pas la tendance actuelle, qui construit plutôt le monde académique comme une tour d'ivoire, mais je le regrette.

Dans les critiques adressées aujourd’hui aux économistes, il y a évidemment l’idée que cette homogénéité idéologique a conduit la majorité à ne pas voir venir la crise de 2008, mais aussi que certains d’entre eux étaient parfois dans leur expertise en situation de conflit d’intérêts. Votre rapport insiste particulièrement sur les règles déontologiques à mettre en place.

La crise a mis en évidence le fait qu’une partie de la profession soit était complètement aveugle soit, plus grave, ne voulait pas voir certains problèmes. Mon sentiment est que les problèmes de corruption – pour dire les choses brutalement – sont rares, mais qu'il y a une zone un peu grise où les gens ne font rien de répréhensible mais, du seul fait qu’ils effectuent des travaux sur commandes privées ou participent à des missions dans des banques centrales ou des administrations publiques, risquent de voir leur jugement involontairement orienté.

Il faut là-dessus une certaine transparence, rendre publics les rémunérations et les financements reçus de commanditaires ou de soutiens publics ou privés. Il est bon aussi de publier l’ensemble des données statistiques et des programmes utilisés pour une recherche, de manière à permettre sa réplication.

Sur le fond, il est clair qu'une partie des modèles macroéconomiques qui étaient devenus dominants dans les prévisions des instituts de recherche, des gouvernements et des banques centrales, et hélas à l'université, étaient inadaptés, supposant des capacités d'anticipation et de rationalité trop élevées de la part des individus, une homogénéité trop grande des comportements de ceux-ci, une perfection des marchés notamment financiers qui excluaient a priori une crise systémique. Malheureusement, ce problème n'est pas encore résolu et ne le sera que grâce à un effort important des chercheurs – effort entamé mais loin d'être achevé – et à l'ouverture des institutions économiques. À cet égard, les problèmes politiques existent et sont plus importants que les problèmes théoriques ou que les défauts de l'organisation académique.

Beaucoup de vos propositions visent la manière dont l’université fonctionne aujourd’hui, par discipline, en valorisant plus la recherche que l’enseignement avec des enseignants-chercheurs moins bien payés que les enseignants de classes préparatoires. Cela implique de très profondes réformes. Ne craignez-vous pas que tout cela ne finisse dans un tiroir ?

Ce qui est très compliqué, c’est que les universitaires doivent se prendre en main et s'attaquer – ce qui a commencé dans certaines universités – à démanteler une approche de l’université par piliers disciplinaires depuis la première année jusqu’au doctorat. Il faut comprendre que si elles ne font pas ça, les universités dépériront progressivement, et nombre d'universitaires l'ont bien compris et commencé à mettre en œuvre des transformations ambitieuses – même s'ils sont encore minoritaires.

Par ailleurs, il est important de bien mieux rémunérer les enseignants à l’université – qui gagnent moins qu’en classe préparatoire même s'ils travaillent autant –, en particulier de mieux récompenser ceux qui s’investissent dans l’enseignement. Les universités réellement autonomes devraient pouvoir mieux gérer leurs carrières en leur permettant dans le temps des modulations de service entre enseignement, recherche et activités administratives. Dans la plupart des métiers, on considère que les cadres cessent d'innover après cinq ou six ans s'ils ne changent pas d'activité. On ne devrait pas considérer qu'un enseignant-chercheur doit garder à vie les mêmes cours, la même spécialité, mais l'aider à se réorienter, lancer de nouveaux projets, apprendre de nouvelles techniques, découvrir des champs de recherche complémentaires des siens, apprendre aussi différemment par les responsabilités qu'il peut exercer au service des étudiants et de son établissement en général. Ces changements sont en cours, et l'autonomie des universités y contribuera. L'essentiel est que la direction soit claire, et je crois qu'elle l'est désormais pour beaucoup. J'espère que ce rapport y aura modestement contribué.

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Hollande change son cabinet, pas sa politique

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De nouveaux visages, mais des profils similaires. L’Élysée a confirmé mardi le départ de plusieurs conseillers du cabinet de François Hollande, dont l’emblématique Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint depuis mai 2012 et ancien de la banque Rothschild. Il sera remplacé par une autre représentante d’une grande banque, Laurence Boone, jusque-là chef économiste pour l’Europe à la Bank of America et membre du conseil d’administration du groupe de François Pinault.

Moins connue que son prédécesseur, elle lui succédera le 15 juillet en tant que conseillère économique et financière, « en charge de la macroéconomie française et internationale », selon l’Élysée, mais pas comme secrétaire générale adjointe. Depuis l'arrivée comme secrétaire général de l'ami du président, Jean-Pierre Jouyet, il pilote en direct ces dossiers qu'il connaît par cœeur. C’est d’ailleurs une des raisons du départ d’Emmanuel Macron qui va enseigner dans des universités étrangères, après avoir incarné le virage libéral du président de la République.

Laurence Boone fait elle aussi partie des cercles proches du pouvoir, naviguant entre milieux bancaires, think-tanks “mainstream”, CAC 40 et presse libérale. Économiste de formation – elle est docteure de la London Business school –, elle a commencé sa carrière chez Merrill Lynch comme analyste en 1995, avant de se consacrer à la recherche, notamment à l’OCDE de 1998 à 2004. Elle est ensuite retournée dans la banque, en devenant chef économiste France chez Barclays, avant de rejoindre Bank of America Merrill Lynch (les deux géants américains ont fusionné après la crise financière) en 2011.

Depuis 2010, Laurence Boone figure également parmi les 11 membres du conseil d’administration de PPR (Pinault-Printemps-La Redoute), rebaptisé Kering l’an dernier. Et son mandat venait d’être renouvelé pour quatre ans en mai dernier. Elle est également membre du comité des rémunérations d’un groupe qui vient de se débarrasser de ses activités de distribution (voir notre reportage à La Redoute) pour se consacrer au juteux marché du luxe (lire notre article). François Pinault fait partie du cercle des patrons les plus écoutés par François Hollande.

Avant d’être nommée à l’Élysée, Boone se gardait d’évoquer ses liens avec PPR quand elle intervenait sous d’autres casquettes. Membre du Cercle des économistes, elle a officié aux Rencontres d’Aix où elle a reçu une des dirigeantes de PPR. C’était en 2012 (voir la vidéo) : « On va discuter avec des personnes assez prestigieuses puisque comme vous savez, nous avons Patricia Barbizet qui dirige Artemis, la holding de PPR. Et chez Artemis on a fait pas mal de choses comme le rôle du manager dans l’entreprise, la transmission du savoir, la formation, du management de la carrière. »

Dans ce petit monde où tout le monde se connaît, le Cercle des économistes est par ailleurs présidé par Jean-Hervé Lorenzi, écouté à l’Élysée, et dont sont également membres Philippe Aghion, qui a œuvré pendant la campagne de François Hollande, ou Jean Pisani-Ferry, nommé l’an dernier commissaire général à la stratégie et à la prospective. Un économiste que Laurence Boone a également côtoyé au think-tank bruxellois Bruegel – la nouvelle conseillère de Hollande et le commissaire général ont coécrit de nombreux articles (voir ici ou sur les finances publiques).

Boone était également une intervenante régulière de BFM Business et tenait une chronique sur le journal en ligne libéral L’Opinion, fondé par Nicolas Beytout. Elle y a parfois critiqué la politique menée par le pouvoir mais sans entrer dans les détails. « Les choix de politique économique sont quasiment inexistants. La déclaration de politique générale de Manuel Valls l’annonçait : c’est un programme qui ne vise ni à soutenir la demande à court terme, ni à élever le potentiel de croissance de long terme », écrivait-elle au lendemain des élections européennes. Avant d’ajouter : « Les réductions de dépenses sont un énième coup de rabot synonyme de non choix : coup de rabot sur les dépenses, gel des points d’indice des fonctionnaires et gel des prestations. Jusqu’à quand ? » « Le pacte de compétitivité s’est résumé à une petite baisse des coûts du travail, bien trop faible pour combler en tendance l’écart des coûts du travail avec l’Allemagne ou les pays du sud. Le pacte de responsabilité annoncé en janvier se traduira par une autre baisse, mais encore plus faible », disait-elle aussi en avril dernier.

Avant même l’élection de François Hollande, Laurence Boone prédisait des lendemains difficiles à ses électeurs. « À court terme l’ajustement budgétaire que le prochain gouvernement aura à mettre en œuvre va affaiblir la croissance – ce pour quoi nous ne sommes pas nécessairement préparés. Et les débats n’ont aucunement porté sur la stratégie de moyen terme. Dormons encore un peu car le réveil sera dur, très dur », écrivait-elle dans Telos. Cinq ans avant, en 2007, elle avait établi, pour les clients de Barclays Capital, un « indice du libéralisme des candidats » à la présidentielle, notés de -4 à +4 (le +4 étant le plus libéral).

Sociale-libérale assumée, Laurence Boone veut une « réforme des contrats de travail », une « réforme des politiques de l’emploi » et un changement radical des politiques sociales. « Cela passe aussi par l’abandon d’un de nos plus grands dogmes : les transferts sociaux doivent cibler les démunis et non être repartis sur l’ensemble de la population », écrivait-elle en avril 2014. Elle dénonce « les travers de notre système social, son inefficacité ». « Les investisseurs attendent aussi une réforme du marché du travail qui viserait à accroître l’employabilité plutôt qu’à protéger à l’extrême ceux qui ont déjà un emploi ; du leadership en Europe plutôt que “basher” la Banque centrale européenne. En bref, un mot d’ordre : moderniser », disait Boone le 14 avril 2014.

Autant dire que si Emmanuel Macron était devenu la bête noire d’une partie de la majorité, effrayée de la politique menée par l’Élysée, sa successeure va très vite décevoir ceux qui espèrent encore une réorientation de la ligne de l’exécutif. « C'est une bonne conjoncturiste et une économiste, ce que Macron n'était pas et c'est important, estime Karine Berger, économiste de formation et députée PS. Elle a toujours eu des convictions, des amitiés de centre-gauche. Elle est proche des Gracques, mais elle n'a pas de discours politisé. Après, elle vient du milieu bancaire donc elle est forcément sensibilisée au monde de la finance. »

L’Élysée a également confirmé le départ de six autres conseillers. Patrick Vieu, en charge de l’environnement, est remplacé par un ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault Xavier Piechaczyk. Fabrice Hermel, chef du service de presse, quitte son poste au profit de Virginie Christnacht, ancienne de Vinci et qui a occupé le même poste à la mairie de Paris (où elle a travaillé avec Gaspard Gantzer, nouveau chef de la communication depuis la démission forcée d’Aquilino Morelle). David Kessler, conseiller culture, va partir dans le privé en septembre – il est remplacé par la directrice adjointe du Centre national du cinéma (CNC) Audrey Azoulay. Thierry Rey (Sports), ancien judoka et ex-gendre de Jacques Chirac, sera remplacé le 16 juin par la journaliste de Canal+ Nathalie Iannetta. À la cellule diplomatique de l'Élysée, Matthieu Peyraud est remplacé par l'ancien conseiller de Ségolène Royal Cyril Piquemal, et Christian Lechervy, conseiller Asie et affaires stratégiques, rejoint le quai d’Orsay.

Ces mouvements ne dessinent aucun changement politique mais ressemblent davantage à des mouvements naturels après deux ans de cabinet. « C’est le rythme biologique de notre démocratie. De nombreux grands chantiers ont été mis sur les rails. Et la charge au quotidien est extrêmement lourde », explique l’un des partants. Seule conséquence réelle : une plus grande féminisation d’un cabinet jusque-là très masculin.

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La CGT attaque en justice les signataires de l'assurance-chômage

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La CGT, qui a boycotté la signature de la convention de l'assurance-chomage à l'origine de la fronde des intermittents du spectacle, a décidé d'assigner devant le tribunal de grande instance de Paris pour « déloyauté, manque de sérieux des négociations » les six signataires de cet accord qui doit être agréé d'ici la fin du mois par le ministre du travail François Rebsamen. L'organisation syndicale, qui n'a jamais paraphé une convention chômage, demande l'annulation de l'accord et a prévu de l'annoncer ce mardi matin lors d'une conférence de presse au siège de la centrale à Montreuil. Entretien avec Denis Gravouil, le secrétaire général de la CGT-spectacles largement majoritaire dans le secteur.

Vous assignez devant le tribunal de grande instance de Paris les signataires de la convention de l'assurance-chômage pour « déloyauté, manque de sérieux des négociations » et vous demandez l'annulation de l'accord. C'est une grande première dans le monde de la négociation interprofessionnelle depuis ces vingt dernières années. Pourquoi ?

Les négociations ont atteint un sommet de déloyauté : tout se passait au Medef, sous sa présidence et sur ses textes, les nôtres étant écartés. Nous n'avons pas eu les mêmes chiffrages que les autres organisations et avons été écartés de négociations de couloir dans les étages du Medef au point que la séance finale a duré un quart d'heure après presque douze heures d'interruption. Et ces négociations déloyales se sont poursuivies entre l'accord du 22 mars et la convention du 14 mai, qui n'aurait dû être qu'une transposition et qui a été profondément modifiée sans avenant. C'est tout le problème d'une démocratie sociale qui ne fonctionne pas. On veut porter tous les dysfonctionnements dans les négociations interprofessionnelles et montrer par voie judiciaire que le système de dialogue social est arrivé à bout en France contrairement à ce que le gouvernement vend. On négocie au Medef sur un projet du Medef et sous une présidence du Medef. Nous ne sommes pas des partenaires sociaux car il n'y a pas d'égalité entre les différents acteurs.

Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT SpectaclesDenis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacles © dr


Mais les chances de voir aboutir en justice votre action ne sont-elles pas nulles ? L'accord signé par les partenaires n'est-il pas issu d'un processus légitime de négociation entre partenaires sociaux ? Quels sont vos arguments ?

L'accord dit "majoritaire" n'autorise pas de telles méthodes inacceptables, et nous avons des preuves de la déloyauté, en souhaitant que le juge les trouve convaincantes. Nous avons notamment des preuves que les chiffrages de l'Unedic ont été donnés à certains et pas à d'autres. La Fasap-FO a mis en ligne sur son site très rapidement après le 22 mars des chiffrages que nous n'avons eus que le 14 mai. Il y a d'autres documents tombés du camion que nous n'avons pas eus, contrairement à d'autres organisations syndicales qui se sont révélées être signataires.

Si votre action échoue et que le ministre du travail valide d'ici la fin juin la nouvelle convention d'assurance-chômage, quels seront vos recours ? Irez-vous jusque devant le conseil d'État ?

Au-delà de l'action et la grève de celles et ceux qui sont en grève, nous entendons utiliser toutes les voies de recours, et notamment contester l'agrément de l'État s'il est donné. En 1997, le conseil d'État nous avait donné raison sur les mêmes bases. C'est une jurisprudence dont on se servira.

Que pensez-vous de la nomination de Jean-Patrick Gille au poste de médiateur qui soutient la proposition de François Rebsamen d'agréer la nouvelle convention ?

Jean-Patrick Gille connaît nos métiers et avait jugé nos propositions pour les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) justes et réalistes mais il soutient l'agrément effectivement. Nous allons le rencontrer pour lui redire que ces propositions doivent être prises en compte. Au-delà du spectacle, la convention assurance-chômage du 14 mai issue de l'ANI du 22 mars est une catastrophe pour les droits de tous les chômeurs – travailleurs précaires, intérimaires, et même cadres licenciés après cinquante ans par exemple – qui vont subir des économies de deux milliards sur les trois prochaines années, deux milliards qui font partie des cinquante milliards du plan d'austérité: c'est donc aux chômeurs de payer deux fois pour la crise pendant qu'on allège les cotisations des entreprises, et sans contrepartie réelle. Si les artistes et techniciens du spectacle sont si mobilisés, c'est qu'en plus d'être traités de "privilégiés" et de subir pourtant une forte précarité – le revenu salarial moyen est de moins de 9000€ annuel selon le rapport Gille justement –, ils prennent de plein fouet le chômage dû aux baisses de budgets publics dans la culture et vont encore souffrir d'une baisse des droits sociaux.

Denis Gravouil lors de l'assemblée générale des intermittents à la Villette ce lundi de Pentecôte à ParisDenis Gravouil lors de l'assemblée générale des intermittents à la Villette ce lundi de Pentecôte à Paris © La Parisienne Libérée


En 2003, sous Chirac, la crise avait été sans précédent entraînant l'annulation des plus grands festivals. L'été culturel 2014 sera-t-il bouleversé ?

Nous appelons à la grève, et les salariés qui travaillent la votent lieu par lieu : nous ne souhaitons pas l'annulation des festivals, mais un mouvement d'ampleur est le seul à même de faire comprendre cela à un gouvernement qui ne nous entend pas. Les intermittents sont d'autant plus déçus qu'ils avaient placé tous leurs espoirs en la gauche. En 2007, le groupe socialiste avait déposé à l'Assemblée une proposition de loi co-signée notamment par François Hollande et Jean-Marc Ayrault demandant de suivre les propositions du comité de suivi et de revenir principalement à 507 heures sur douze mois. Dans ses vœux en janvier 2014, soit hier, Hollande, président, avait promis de ne pas baisser les droits des chômeurs en période de crise. C'était juste avant la négociation. Je ne parle pas de François Rebsamen qui n'était pas encore le ministre du travail et qui a co-signé en pleine négociation en mars dernier une tribune dans L'Humanité avec plusieurs parlementaires demandant que le texte ne soit pas agréé, exigeant que les propositions du comité de suivi, expertisées, chiffrées, soient prises en compte dans la négociation pour une réforme juste et équitable. Il l'avait même mise en ligne sur son blog de campagne électorale pendant les municipales !

Mais cette nouvelle convention si contestée ne sauve-t-elle pas le système que le patronat voulait voir disparaître au profit d'un régime d'indemnisation unique ?

Nous avons des propositions à la CGT pour financer l'Unedic et faire reculer la précarité : une autre réforme est possible. De même la CGT spectacle avec d'autres, notamment avec les parlementaires et les partenaires du comité de suivi, avons travaillé depuis plusieurs années des propositions équilibrées financièrement et justes. Il n'en a évidemment pas été tenu compte dans cette négociation. Le résultat de celle-ci vise à préserver les intérêts du Medef et de ses alliés : aucune contribution des employeurs sauf ceux du spectacle, toutes les économies supportées par des baisses d'allocation, augmentation du nombre de chômeurs non indemnisés – on s'approche des 6 sur 10 –, encouragement de la précarité pour conserver un volant de travailleurs prêts à accepter n'importe quel petit boulot, ce qui pèsera encore plus sur les conditions de travail et de rémunérations de tous les salariés.

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La crise des intermittents du spectacle s'amplifie

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Malgré la nomination par le gouvernement, samedi 7 juin, d’un médiateur, le député PS Jean-Patrick Gille (lire ici notre billet de blog), le mouvement des intermittents du spectacle ne faiblit pas avec un préavis de grève national déposé pour tout le mois de juin par la CGT Spectacle, largement majoritaire dans le secteur. Et s’il prend de l’ampleur, comme cela se profile, c’est toute la saison des festivals qui est menacée. Une catastrophe pour le gouvernement acculé de toutes parts, cette semaine, par la colère des intermittents mais aussi celle des cheminots, des chauffeurs de taxi. Et une catastrophe pour les artistes, les compagnies, le public et les collectivités locales, principaux financeurs des festivals. Pour bien prendre la mesure de la crise, l’annulation d’un festival comme celui d’Avignon par exemple représente un manque à gagner de 25 millions d’euros pour la ville…

© dr

À Montpellier (Hérault), le personnel salarié et les équipes artistiques, parmi les plus mobilisés, ont reconduit la grève qui paralyse le 28e Printemps des comédiens depuis son ouverture, mettant en péril sa santé financière. Leur indignation a fait tache d’huile. La menace de grève pèse sur le festival d’Anjou (Maine-et-Loire) qui s’ouvre ce mardi soir avec Molière malgré moi, interprété par Francis Perrin. D'autres annonces de grève ont déjà été décidées à Thionville, Boulogne-sur-Mer, Toulouse. À Besançon, des intermittents ont coupé le courant chez Pôle Emploi. À Paris, samedi soir, des intermittents ont occupé brièvement l'Opéra Bastille, retardant la représentation de La Traviata.

Assemblées générales, débrayages, grèves, prises de parole, pétitions comme celle de la Société des réalisateurs de films (SRF, qui organise la Quinzaine des réalisateurs de Cannes) signée par 150 cinéastes dont Pascale Ferran, Jean-Pierre Darroussin, Robert Guédiguian, Michel Hazanavicius… Après plusieurs coups d’éclat (occupation de l’Opéra Garnier et du Carreau du Temple à Paris en mars, du Journal de 20 heures de France 2 le 8 avril, de la cérémonie des Molières le 2 juin…, les intermittents, soutenus par le monde du spectacle, accentuent un peu plus au fil des jours la pression sur l’exécutif, en particulier sur le ministre du travail François Rebsamen afin qu’il ne valide pas la très contestée nouvelle convention d’assurance-chômage signée dans la douleur par les partenaires sociaux le 22 mars dernier, le motif de tous les courroux.

Les intermittents jouent la montre puisque la convention chômage qui instaure de nouvelles règles d'indemnisation doit être examinée le 18 juin par le Conseil national de l'emploi, avant une signature dans la dernière semaine de juin par le ministre du travail. L’été culturel 2014 sera-t-il un remake de l’été 2003 lorsqu’une mobilisation sans précédent des techniciens et artistes à travers tout le pays avait entraîné l'annulation du festival Montpellier Danse puis des festivals d'Aix-en-Provence, d'Avignon, des Francofolies, etc. ? « Si le texte est signé, je ne sais pas ce qui se passera sur les festivals d'été. C'est ce qui s'est passé en 2003. Il risque d'y avoir une colère de plus en plus grande », avertit Denis Gravouil, le secrétaire général de la CGT Spectacle, dont le syndicat assigne même en justice les six signataires de la convention, comme il l’annonce dans un entretien à Mediapart à lire ici. Une grande première.

AG des intermittents ce lundi de Pentecôte à La Villette.AG des intermittents ce lundi de Pentecôte à La Villette. © La Parisienne Libérée

Retour en quatre questions sur ce dossier explosif pour en saisir tous les enjeux.

Pourquoi les intermittents du spectacle sont-ils en colère ?

Les intermittents ne décolèrent pas depuis le 22 mars dernier, lorsque peu après minuit, après des jours de négociations houleuses, d’abord en séance plénière autour de la table puis dans les couloirs du Medef en conciliabules informels, le patronat (Medef, UPA, CGPME) et trois syndicats (CFDT, CFTC et FO) se sont mis d’accord sur un nouveau système d’indemnisation des chômeurs à compter du 1er juillet prochain, l’un des plus gros chantiers sociaux de ce début d’année (lire ici notre article).

Ils avaient jusqu'à fin mars pour négocier de nouvelles règles dans un contexte de chômage record et de déficit abyssal de l’Unedic (20 milliards), l’organisme gestionnaire de l'assurance-chômage. En cas d’échec, l’État reprenait la main sur le paritarisme. Le texte final que la CGT (qui n’a jamais signé de son histoire une convention d’assurance-chômage même quand le régime n’était pas déficitaire) et la CFE-CGC (furieuse que les cadres chômeurs soient mis à mal) ont refusé de parapher instaure un système de « droits rechargeables » mais durcit le régime des cadres, seniors et intermittents.

Pour ce qui concerne les 112 000 intermittents du spectacle, le patronat voulait la peau de leur régime spécifique, notamment la suppression des annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes), qui craquent de toutes parts. Finalement, l'accord prévoit un maintien du régime de l’intermittence mais il le durcit. Le cumul salaire-allocations sera désormais plafonné à 5 475 euros brut par mois et un « différé » d'indemnisation est mis en place, pendant lequel les intermittents devront attendre pour toucher leurs allocations, ce qui frappera 48 % d’entre eux contre 9 % actuellement. Les cotisations sur leurs salaires vont passer de 10,8 % à 12,8 % (8 % côté employeurs, 4,8 % côté salariés), soit des cotisations deux fois plus élevées que dans le régime général. Cette disposition existait déjà mais n'était pas appliquée. Ces économies et recettes représenteront 165 millions sur 800 millions d’euros.

« Un durcissement scandaleux et injuste » pour les intermittents qui demandent au ministre du travail, François Rebsamen, de suspendre la procédure d’agrément de l’accord du 22 mars et de remettre les partenaires sociaux autour de la table. Le temps est compté, puisque l’agrément doit être validé dans la dernière semaine de juin. Ils dénoncent également une négociation "déloyale". Aucune des propositions sur lesquelles travaille depuis dix ans le Comité de suivi, qui réunit, depuis la crise de 2003, l'ensemble de la profession (syndicats de salariés, d'employeurs, CIP, collectif), des universitaires et des élus de tout bord politique, n’a été prise en compte. Ironie de l’histoire, l’un des membres de ce comité, alors sénateur, François Rebsamen, est aujourd’hui ministre du travail.

 Quel est actuellement le statut des intermittents ?

Les intermittents du spectacle bénéficient depuis 1936 d'une couverture particulière liée au caractère « intermittent » de leur profession (embauchés pendant de courtes durées ponctuées de périodes de chômage : quatre mois pour la création d'une pièce de théâtre, six semaines pour le tournage d'un film). Le régime de l’intermittence permet ainsi une embauche en contrat à durée déterminée dit d'usage. Contrairement au CDD classique, le contrat peut être de très courte durée et être renouvelé sans limite durant plusieurs années.

Entre deux contrats, un intermittent est indemnisé par l'assurance-chômage. Au départ, ce régime était réservé aux techniciens de l’industrie cinéma, avant d’être élargi au secteur du spectacle : audiovisuel, cinéma, musique, spectacle vivant. Dans le monde de la télé, c’est d’ailleurs devenu une norme inquiétante (lire ici l’enquête de Dan Israël), les sociétés de production notamment en abusant. Elles emploient des intermittents pour des postes réguliers. Ces « permittents » seraient 4 % selon l'Unedic et jusqu'à 15 % selon la Cour des comptes.

Pour avoir droit à des indemnités pendant huit mois, l’intermittent doit justifier de 507 heures sur dix mois de travail (dix mois et demi pour les artistes) contre 610 heures sur vingt-huit mois pour les salariés du régime général. Il peut ainsi bénéficier de 243 jours d’indemnités, calculées en fonction du salaire et du nombre d’heures réellement effectuées. En 2011, ils étaient 50 556 techniciens et 58 102 artistes à en bénéficier. L'indemnité moyenne journalière est de 54 euros pour les artistes et de 64 euros pour les techniciens, quand un chômeur « classique » touche en moyenne 37 euros par jour. Le principe est simple : quand un intermittent déclare le nombre de jours travaillés dans un mois, les Assedic multiplient ce nombre par 1,4 (pour englober les week-ends) et versent des indemnités pour les jours restants (le détail des règles est ici).

Selon un rapport parlementaire publié en 2013 par le député PS Jean-Patrick Gille, aujourd’hui médiateur dans ce dossier miné, 254 394 salariés ont cotisé au régime des intermittents en 2011. Un nombre en explosion : ils étaient 50 000 en 1989, moins de 100 000 en 1998.

Quel est le coût de cette exception française ?

Selon un rapport très contesté de la Cour des comptes de janvier 2013, le régime des intermittents du spectacle enregistre un déficit annuel d'environ un milliard d'euros pour à peine plus de 106 000 bénéficiaires. Ce déficit représenterait environ 20 % du déficit annuel de l'Unedic. Les Sages de la rue Cambon pointent également le fait que les allocations versées aux intermittents représentent plus de 1,26 milliard d'euros alors que les cotisations perçues seraient limitées à 232 millions d'euros. Des chiffres contestés par le député PS Jean-Patrick Gille, rapporteur de la mission d'information sur les métiers artistiques, qui relève un surcoût de seulement 320 millions d'euros par an.

Que peut le gouvernement ?

Matignon a nommé, samedi 7 juin, le député PS Jean-Patrick Gille médiateur de ce conflit. L’élu d’Indre-et-Loire est chargé de conduire un « dialogue avec toutes les parties concernées » et de remettre ses propositions au gouvernement « sous 15 jours ». Une réponse qui n’apaise pas la colère des intermittents et précaires qui réclament purement et simplement le non-agrément de l'accord du 22 mars et l'ouverture de nouvelles négociations. Mais renégocier l'accord du 22 mars, longuement négocié par les partenaires sociaux, paraît très compliqué. Aucun des syndicats signataires de l’accord ne l’accepterait, à commencer par le Medef et la CFDT.

« La phase de négociation est derrière, cet accord est signé. Il est valide, signé par des syndicats majoritaires et représentatifs et il ne concerne pas l’État. Nous attendons de l’État qu’il le transpose en loi », explique à Mediapart Véronique Descacq. La numéro deux de la CFDT rappelle par ailleurs que ce texte prévoit avant la fin de l'année 2014 l'ouverture de discussions avec l'État « sur les moyens de lutter contre la précarité » dans le secteur de la culture, notamment « en favorisant le recours au CDI », « ainsi que sur la liste des emplois concernés ». Elle ne craint pas un remake de l’été 2003. « Ce ne sont pas quelques intermittents en grève qui vont bouleverser l’été. Les modifications apportées aux annexes régissant les intermittents sont mineures. Nous sommes dans une situation de crise où tous les salariés sont sollicités pour faire des efforts », balaie-t-elle.

La situation est compliquée pour le gouvernement sur le plan politique. Quitte à se mettre à dos le monde de la culture, François Rebsamen, qui s’est vu attribuer par les intermittents le « Molière de la meilleure trahison pour son rôle d’employé du Medef » lors de la 26e cérémonie des Molières, fait la sourde oreille. Il répète à longueur d’ondes que « grâce aux partenaires sociaux, ce régime a été sauvé et contrairement à ce qui s’est dit, trois quarts des artistes ne sont pas concernés par cette réforme », ce que contestent les intermittents (lire ici le décryptage de la nouvelle convention chômage par la Coordination des intermittents et précaires – CIP). La situation est encore plus intenable pour la ministre de la culture Aurélie Filippetti qui n’est pas à la fête dans ses sorties publiques comme ce mardi matin, lors de son déplacement à Guise dans la Marne où des intermittents l’ont prise à partie. Lors des Molières, le comédien Philippe Torreton a dédié sous ses yeux son prix du « meilleur comédien dans le théâtre public » (pour sa prestation dans Cyrano de Bergerac) aux intermittents et jugé « lamentable de devoir le faire sous un gouvernement socialiste ».

De la gauche, qui avant 2012 affichait écoute et soutien à l’encontre du monde de la culture, les intermittents du spectacle attendaient autre chose que la reconduction en pire de l’accord du 26 juin 2003 qui avait mis le feu à l’été culturel, entraînant l’annulation des plus grands festivals. « À l’époque, c’était Aillagon, la droite », se souvient Denis Gravouil de la CGT Spectacle. Il a encore en tête l’audition de Michel Sapin, alors ministre du travail, devant les députés, le 26 février 2013. Ce très proche de Hollande avait fait une déclaration remarquée dans laquelle il expliquait qu’il n’y a pas lieu de dramatiser la situation financière du régime d'assurance-chômage en général, que le système de l'intermittence, « cette spécificité française », « créatrice d’emplois non délocalisables », est même un modèle dans un monde du travail où se développent les contrats précaires et que le gouvernement n'avait aucune volonté de remettre en question ce régime spécifique. Mais c’était un autre temps…

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Le FN renforce ses connexions avec les radicaux du Kremlin

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Le Front national poursuit son rapprochement avec les cercles de pouvoir russes, surfant sur l'offensive menée par Moscou contre « le lobby homosexuel » et pour la défense des valeurs traditionnelles. Après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN en 2011, puis le retour au Kremlin de Vladimir Poutine en 2012, les passerelles avaient été lancées. L'adoption en France du mariage pour tous, l'année suivante, a été un catalyseur.

Comme Mediapart l’a raconté dans cette enquête, les réseaux russes de la présidente du FN passent autant par Moscou que Paris. Mais désormais aussi par l'Autriche, où réside le conseiller "international" de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade (lire notre portrait). Le 31 mai, le nouvel eurodéputé FN (il était tête de liste en Île-de-France) a participé à Vienne à une discrète rencontre avec des personnalités russes radicales et des représentants de partis nationalistes. 

Rien ne devait filtrer. Organisée au palais du Liechtenstein, la rencontre était fermée à la presse et au public. Les entrées étaient contrôlées par un service de surveillance. Les participants eux-mêmes n'étaient pas autorisés à prendre des photos. Mais cette réunion privée a été révélée par le journal suisse Tages Anzeiger

Le thème officiel de cet événement ? Les 200 ans de la Sainte-Alliance constituée par les empires russe, autrichien et le royaume de Prusse. Selon le journal suisse, les convives ont pourtant « peu parlé d’histoire et beaucoup du futur », notamment de « l'avenir des valeurs fondamentales de la civilisation chrétienne en Europe ». Avec cette question : comment « sauver » l’Europe du « libéralisme » et du « lobby homosexuel » ? Les participants envisagent l’organisation d’une « Marche pour la vie » en Europe et prévoient de se réunir à nouveau en janvier à Moscou.

Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.

Cette réunion se tenait à l'initiative de l'oligarque Konstantin Malofeev et sa fondation Saint-Basile-le-Grand, la plus grande organisation caritative orthodoxe en Russie, dont le budget annuel dépasse les 40 millions de dollars. 

L'oligarque russe Konstantin Malofeev.L'oligarque russe Konstantin Malofeev.

Ce mécène russe proche du Kremlin, présenté par le Financial Times comme un « Raspoutine des temps modernes », a fait fortune dans la communication avec son fonds d'investissement Marshall Capital. Les médias russes l’ont suspecté d’avoir financé les séparatistes pro-russes à Donetsk en Ukraine.

Parmi la centaine d’invités, on trouvait trois responsables du FPÖ autrichien (extrême droite), dont son leader, Heinz-Christian Strache ; Volen Siderov, le président du sulfureux parti d'extrême droite bulgare Ataka (avec lequel Marine Le Pen refuse de s’allier) ; le royaliste franco-espagnol Sixte-Henri de Bourbon-Parme ; et aussi le comte d’origine russe Serge de Pahlen, à la tête d’une société financière à Genève, et mari de l’héritière de Fiat, Margherita Agnelli.

Alexandre Douguine.Alexandre Douguine.

Plusieurs participants géorgiens, croates et russes étaient présents, parmi lesquels le célèbre peintre soviétique puis nationaliste Ilia Glazounov. Mais c’est surtout la présence de l’influent idéologue Alexandre Douguine, conseiller officieux de Poutine, qui retient l’attention. Ce théoricien de l’Eurasisme – doctrine nationaliste et impérialiste russe –, défenseur des valeurs traditionalistes et antilibérales, prône un rapprochement entre la Russie et l’Europe occidentale pour contrer la puissance anglo-saxonne.

Côté FN, outre Aymeric Chauprade, le journal suisse relève la présence de Marion Maréchal-Le Pen. L’entourage de la députée a affirmé au Monde qu’elle n’avait pas rencontré Alexandre Douguine : « Elle était en week-end à Vienne pour des raisons personnelles, Heinz-Christian Strache a suggéré à Aymeric Chauprade de l'inviter à venir le soir, c'est tout. Elle n'a pas participé à la journée. »

Ce tropisme russe est dominant au Front national : ces derniers mois, plusieurs responsables frontistes se sont rendus à Moscou: Marion Maréchal-Le Pen en décembre 2012, Bruno Gollnisch en mai 2013, Marine Le Pen en juin 2013 et en avril 2014. À chaque fois, la présidente du FN a été reçue par le président de la Douma et proche de Poutine, Sergueï Narychkine.

Une plongée dans cette galaxie permet de comprendre que ces liens vont bien au-delà de la fascination de l’extrême droite française pour Moscou et ses valeurs autoritaires, au-delà aussi d'une vision commune du monde et d'un même ennemi – « l'Empire » qu'incarneraient les États-Unis et Israël. Pour le chercheur spécialiste du FN Joël Gombin, « on ne peut minimiser l'importance des soutiens matériels russes (mais aussi syriens et iraniens) dans la nébuleuse des extrêmes droites, de Soral à Dieudonné en passant par l'extrême droite nationale-catholique »

Autour d'Aymeric Chauprade, trois personnages clés œuvrent en coulisses pour renforcer cette connexion russe. D’abord l’homme d'affaires Xavier Moreau, basé à Moscou depuis 2000. Saint-cyrien et ancien officier parachutiste, il s’est reconverti en Russie avec une société de sécurité et d’intelligence économique. C’est autour de lui que les réseaux d’extrême droite se structurent dans la capitale russe.

Il distille à longueur de conférences et d’interviews sur des sites français et russes ses thèses sur le « modèle alternatif de développement social » que serait la Russie de Poutine. Jusque sur BFM-TV, où il était interrogé en mars pour un long portrait consacré à Poutine « nouveau tsar ».

Aymeric Chauprade accorde un entretien à Xavier Moreau, en 2010, pour son site Realpolitik.tv.Aymeric Chauprade accorde un entretien à Xavier Moreau, en 2010, pour son site Realpolitik.tv. © Capture d'écran Realpolitik.tv

« C’est un homme d’affaires, un garçon influent. Il a des amitiés là-bas et notamment chez M. Poutine. Je crois que c’est toujours l’un de nos contacts en Russie. Il a servi dans certaines circonstances d’intermédiaire », reconnaissait en janvier à Mediapart Bruno Gollnisch, sans vouloir en dire davantage sur la nature de ces liens pour ne pas « griller les contacts ».

L'ancien leader du GUD Frédéric Chatillon à Moscou. Photo postée le 20 juin 2013 sur ses comptes Twitter et Facebook.L'ancien leader du GUD Frédéric Chatillon à Moscou. Photo postée le 20 juin 2013 sur ses comptes Twitter et Facebook. © Twitter / fredchatillon

À Mediapart, Xavier Moreau avait affirmé qu'il « écri(vait) et conseill(ait) uniquement sur les questions stratégiques et de politique étrangère » et qu'il n'avait « pas de lien avec les partis politiques français ». C’est pourtant lui qui a organisé le voyage en Russie de Marine Le Pen en juin, d’après Le Nouvel Observateur. Lors de cette tournée russe, le conseiller officieux de la présidente du FN, Frédéric Chatillon, était lui aussi présent à Moscou, où il est régulièrement amené à se rendre pour ses affaires avec sa société de communication Riwal (lire notre enquête sur son argent syrien).

Fabrice Sorlin et Jean-Marie Le Pen, en 2007.Fabrice Sorlin et Jean-Marie Le Pen, en 2007. © FN Gironde

L’autre pilier de ce dispositif est Fabrice Sorlin, ancien candidat FN et président de l'Alliance France-Europe Russie (AAFER), qui entend « réinformer » sur la « réalité de la politique russe » à Paris. Piégé en 2010 par « Les Infiltrés », sur France 2, avec son mouvement catholique radical Dies Irae à Bordeaux, Sorlin a rebondi sur le front russe. C’est lui qui conduisait en juin 2013 la petite délégation qui a accompagné Chauprade à la Douma, d’où il a lancé son appel contre « l’idéologie mortifère et la dictature des lobbies minoritaires ».

Son rôle est grandissant depuis l'automne. Nommé représentant de la France du World Congress of Families – dont l'un des contributeurs financiers n'est autre que la fondation du mécène Konstantin Malofeev –, Sorlin a réalisé à ce titre une grande tournée en Europe de l’Est : Moscou, Kiev (Ukraine), Belgrade (Serbie), Tbilissi (Géorgie). À chaque fois il s’en prend aux « idéologues de la théorie du genre et les lobbies LGBT », et propose de « s'organiser » et « se structurer » dans une « internationale de la vie » qui mettrait en commun des moyens pour « lutter efficacement contre ces lois anti-famille ».

Fabrice Sorlin (2e en partant de la droite) en visite à Belgrade.Fabrice Sorlin (2e en partant de la droite) en visite à Belgrade. © worldcongress.org

Un troisième russophile émerge dans ce dispositif: Jean-Luc Schaffhauser, candidat FN aux municipales à Strasbourg et nouvel eurodéputé. Originaire de Strasbourg, ce consultant international (qui a notamment travaillé pour Dassault), a vécu en Russie et en Pologne. Il figure dans le comité directeur de l’Union paneuropéenne de France, héritière d’Otto de Habsbourg, fils du dernier empereur d’Autriche. Il est aussi le fondateur de l’association Rhin-Volga, qui ambitionne « d'abaisser les barrières entre Alsace et Russie », et de l’Académie européenne, sortes de "lobbies" actifs à Strasbourg et au parlement européen.

Interrogé mercredi par les Dernières nouvelles d'Alsace, le député européen explique qu'il était invité à la réunion du 31 mai à Vienne, mais n'y a pas participé, ayant « d'autres obligations ». Il dit connaître Alexandre Douguine et précise d'ailleurs qu'« il y avait aussi à cette réunion des conseillers officiels »Ami d'Aymeric Chauprade (« il est plutôt un analyste, moi un opérationnel »), Jean-Luc Schaffhauser explique sa connaissance du monde russe depuis des missions effectuées pour Dassault, Total et Thalès. D'après les informations des DNA, il était, à la période où se tenait la réunion de Vienne, en déplacement en Russie avec Marine Le Pen et aurait notamment rencontré le président de la Douma, un autre proche de Poutine, Sergueï Narychkine.

Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade.Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade. © eurojournaliste.eu

Le recrutement par Marine Le Pen d’Aymeric Chauprade, « géopoliticien » auréolé de son titre d'ancien enseignant au Collège interarmées de défense (dont il a été renvoyé par le ministre de la défense en 2009), n'a donc rien d'étonnant. Pour le chercheur Joël Gombin, l'eurodéputé « donne une apparence non seulement intellectuelle mais surtout de respectabilité aux théories géopolitiques sous-jacentes au rapprochement entre le Front national et la Russie ». Il est surtout « l'un des nœuds d'un réseau international d'influence orchestré par la Russie, de manière à peine dissimulée », estime le chercheur dans une note publiée sur Slate.

Consultant international, partisan d’une alliance franco-russe, il apporte à la présidente du FN ses solides réseaux à Moscou. En juin 2013, il était à la Douma pour lancer son « appel de Moscou » soutenant « les efforts de la Russie » contre l'extension des « “droits” des minorités sexuelles ». Trois mois plus tard, il était l’invité du Club Valdaï, forum international sous l’égide de Poutine. En mars, il plaidait, lors d'une conférence dans la capitale russe, pour un « axe Paris-Berlin-Moscou ».

Luc Michel, à la tête de l'organisation qui a invité la délégation en Crimée.Luc Michel, à la tête de l'organisation qui a invité la délégation en Crimée. © PCN

Quelques jours plus tôt, il était en Crimée pour suivre le référendum, à l'invitation d’une étrange organisation pro-russe, l’Eurasian Observatory for Democracy and Elections (EODE). Créée par un ancien néonazi belge (Jean Thiriart, ex-collaborationniste membre des Amis du Grand Reich allemand), ce lobby est aujourd'hui dirigé par Luc Michel, un national-bolchevik, fondateur du Parti communautaire national-européen (dont le quotidien flamand Da Morgen a révélé le parcours à l'extrême droite).

Dans cette délégation d'« observateurs » internationaux, on trouvait quelques membres de partis de gauche, mais surtout de sulfureux représentants de partis européens d’extrême droite, dont le secrétaire général de l'Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN), à laquelle Marine Le Pen refuse désormais d'associer le FN, ou encore l'Espagnol Enrique Ravello, ancien de l’organisation néonazie, la CECADE.

Dernier maillon de ce réseau d'influence, les médias russes à l'étranger: l'agence de presse Ria Novosti, la Voix de la Russie (programmes du Kremlin à l’étranger), Russia Today. Les Russes courtisent particulièrement l’extrême droite française. La Voix de la Russie a lancé en 2012 une web télé, ProRussia TV, où l'on retrouve plusieurs anciens du FN (elle a cessé d'émettre le 30 avril dernier). L'objectif ? Présenter les actualités russes, françaises, internationales « sous l’angle de la réinformation ». Pour ses antennes locales, la radio russe a mis les moyens : en Allemagne, elle a, selon Slate, financé des émissions en alignant plus de 3 millions d’euros, en 2012.

Une autre web télé est apparue en janvier 2014, « TV Libertés », qui rassemble des figures des extrêmes droites françaises (Renaud Camus, Robert Ménard, les ex-FN Roger Holeindre et Martial Bild), en particulier de la Nouvelle Droite et du Club de l'Horloge (Jean-Yves Le Gallou, Yvan Blot). Son directeur d’antenne n’est autre que Gilles Arnaud, l’ex-rédacteur en chef de ProRussia.tv, propriétaire de l’ « Agence2presse », boîte de production qui avait un partenariat très étroit avec La Voix de la Russie.

La page d'accueil de TV-Libertés.La page d'accueil de TV-Libertés.

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé le 11 juin à 17h45 avec les informations des Dernières nouvelles d'Alsace.

Nous avions sollicité, pour notre première enquête sur les réseaux russes, en janvier, Marine Le Pen et ses conseillers aux affaires européennes et internationales (Ludovic de Danne et Aymeric Chauprade). Aucun n'avait donné suite à nos demandes. À nouveau sollicité en avril, Aymeric Chauprade n'a pas accepté de nous recevoir.

Xavier Moreau nous avait répondu par email qu'il « ne souhait(ait) pas traiter d'un tel sujet »Sollicité via le site de son association l'Alliance France-Europe Russie, Fabrice Sorlin n'avait pas donné suite.

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Réforme des retraites: les contours du compte pénibilité se précisent

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Les contours du « compte personnel de prévention de la pénibilité », l’une des mesures principales de la réforme des retraites, commencent à se préciser. Ce mardi 10 juin, Michel de Virville, ancien DRH de Renault, conseiller-maître à la Cour des comptes, chargé par le gouvernement d’une mission de concertation pour mettre en place ce dispositif qui pourrait concerner un salarié sur cinq, a rendu ses préconisations aux ministres du travail et de la santé, François Rebsamen et Marisol Touraine. Ces derniers devraient annoncer d’ici à deux semaines les modalités retenues, qui découleront directement du rapport de Virville. Elles seront ensuite traduites ou pas par décret d’ici juillet pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2015.

Si cette avancée sociale suscite l’ire du patronat qui y voit une usine à gaz – Pierre Gattaz répétant que la mesure est « inapplicable », « très anxiogène » et « une énorme boîte de Pandore pour les entreprises » –, c’est un pas en avant pour les syndicats qui réclament depuis des années la remise à plat du volet pénibilité, censé compenser, dans un souci d'équité, l'espérance de vie moins longue des ouvriers et des employés les plus exposés, l’un des grands fiascos de la réforme Woerth de 2010. La CFDT avait notamment suspendu son soutien à la réforme des retraites de 2013 à la création de ce compte.

À compter de 2015, les salariés exposés à des facteurs de pénibilité (bruit, manutention de charges lourdes, rythme décalé, travail de nuit ou dans un milieu sous forte pression, températures extrêmes, postures pénibles, exposition à des produits chimiques et travail en équipe alternante) pourront ainsi engranger des points sur un compte (voir les conditions sous la page Prolonger). Lesquels, en s'accumulant tout au long d'une carrière, permettent aux travailleurs concernés de se former, travailler à temps partiel ou de partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite.

Pour chaque critère, le rapport de Virville propose des seuils précis, aussi bien sur leur intensité que sur leur durée. Pour la plupart des critères, le seuil est de 900 heures par an, sauf pour le bruit ramené à 600 heures ou les vibrations à 450 heures. Le compte pénibilité se calculera finalement de façon annuelle et non mensuelle comme initialement prévu, ce qui vient rassurer le patronat. L'employeur fera une moyenne sur l'année (au prorata de la durée travaillée pour les contrats inférieurs à un an) de l'exposition subie par ses salariés. Une fois ces seuils atteints, le salarié sera considéré comme étant en situation de pénibilité, et engrangera des points.  

En cas de dépassement des seuils, le compte du salarié sera crédité de quatre points (huit en cas de polyexposition) et le nombre total des points sera plafonné à 100 points. Dix points permettront l'acquisition d'un trimestre de retraite supplémentaire ou une réduction du temps de travail d'un trimestre à mi-temps, les 20 premiers points ne pouvant être utilisés que pour le financement d'une formation sauf pour les salariés proches de la retraite. La mesure n'est pas rétroactive, mais les salariés âgés de 59,5 ans au 1er janvier 2015 bénéficieront des points à un rythme doublé.

Dans son rapport, de Virville propose d’intégrer les expositions de chaque salarié au logiciel de paie, ce qui évitera aux patrons une déclaration sociale de plus. Le logiciel générera alors automatiquement le versement des cotisations et surcotisations dues par l'entreprise (une cotisation générale pénibilité de 0,2 %, payée sur la masse salariale et une cotisation spécifique de 0,3 à 0,8 % portant sur les salariés exposés), la transmission à la caisse de Sécurité sociale, et enfin l'édition des fiches de pénibilité.

Mais il se pourrait que le gouvernement lâche finalement du lest en n’obligeant pas les entreprises à verser la cotisation générale sur la pénibilité lors des premières années de sa mise en place et en démarrant avec des taux très faibles. Le salarié, lui, recevra chaque année sa fiche de pénibilité pour connaître l’évolution de son exposition, fiche qui ne serait cependant pas obligatoire avant le 1er juin 2015, le temps d’adapter les outils informatiques.

Pour pallier la complexité du dispositif (l’une des principales critiques des organisations patronales), de Virville mise sur des modes d'emploi par branches applicables à chaque métier. Le coût du dispositif est estimé à 500 millions d'euros par an en 2020 et 2,5 milliards d'euros en 2040. Son succès est un véritable enjeu pour le gouvernement qui a fait de cette mesure l’emblème de justice de sa réforme.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Affaire Bygmalion: Eric Cesari, l'homme des «coups montés» de Sarkozy

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On le présente souvent comme l’homme de l’ombre de Nicolas Sarkozy. Il est surtout celui de ses manœuvres politiques. Éric Cesari, 55 ans, a été placé à l’UMP par l’ancien président de la République en 2007, d’abord comme directeur de cabinet, puis comme directeur général du parti. Un poste qu’il doit désormais quitter dès la semaine prochaine.

Il pourrait être remplacé – de façon bénévole – par un duo formé par Gilles Boyer – qui se présente comme le « bras gauche » d’Alain Juppé – et le préfet Patrick Stefanini, bras droit de François Fillon. L'Agence France-Presse avance un autre nom pour lui succéder : Philippe Gustin, ancien ambassadeur de France en Roumanie et ancien directeur de cabinet de Luc Chatel.

« L'UMP a besoin d'une véritable césure par rapport à la gestion précédente, a indiqué le maire de Bordeaux sur France Inter. Il est donc bien dans nos intentions de renouveler complètement l'équipe administrative et financière dès le prochain bureau politique. » Le « collège » composé des trois anciens premiers ministres qui dirige désormais l’UMP, aux côtés du nouveau secrétaire général Luc Chatel, doit présenter mardi 17 juin le nouvel organigramme du parti.

En qualité de directeur général de l'UMP, Cesari fut l’un des acteurs clés de la campagne présidentielle de 2012, même s’il ne figurait pas dans l'équipe officielle du candidat Sarkozy. « Il était de toutes les réunions », raconte à Mediapart un autre acteur de la campagne. Et c'est pour cette raison qu'il se retrouve à son tour embarqué dans l’affaire Bygmalion.

Eric Cesari.Eric Cesari. © Facebook/Eric Cesari

Depuis la démission de Jean-François Copé, il est au centre de toutes les discussions des cadres de l’UMP. Alors que le directeur de cabinet de l’ancien patron du parti, Jérôme Lavrilleux, s’est livré à un étrange exercice de confessions médiatiques, lui est resté particulièrement discret. Et pour cause : celui que l’on surnomme « l’œil de Moscou » de Nicolas Sarkozy était le lien entre le parti et l’ancien président de la République. Toucher Lavrilleux, c’était atteindre Copé. Toucher Cesari, c’est atteindre Sarkozy.

« Cesari va faire croire qu’il était juste là pour s’occuper des serpillières et des balais », a attaqué le directeur de cabinet de Copé dans Le Point, avant d’ajouter : « La ventilation des comptes, ça s’est déroulé dans le bureau d’Éric Cesari avec Guillaume Lambert (l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy – ndlr) et quelques autres personnes. Je n’étais pas là. Une des personnes présentes m’a garanti qu’elle avait informé Nicolas Sarkozy. »

Lavrilleux n’en dit pas plus sur l’identité de cette mystérieuse personne. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que l’homme qui a informé pendant des années l’ancien président de la République sur le fonctionnement interne de l’UMP était bien Éric Cesari. « Tout le monde savait qu’il gardait les clefs de la maison pour Sarkozy, confie un ancien salarié de la rue de Vaugirard. Il se rendait régulièrement à l’Élysée pour prendre les ordres, y compris durant la campagne présidentielle. Il n’aurait jamais pris une décision importante sans en informer Sarkozy au préalable. »

Eric Cesari et Jérôme Lavrilleux.Eric Cesari et Jérôme Lavrilleux. © Reuters

Entré en politique par le biais des réseaux Pasqua, le protégé de Nicolas Sarkozy semblait jusqu’alors intouchable. « C’est un homme de réseau qui sait très bien manœuvrer, explique un ancien cadre du parti. C’est pour cette raison qu’il a survécu aux épreuves et aux changements. » Patrick Devedjian (septembre 2007-décembre 2008), Xavier Bertrand (décembre 2008-novembre 2010), Jean-François Copé (novembre 2010-juin 2014)… Comme l’écrivent les journalistes Carole Barjon et Bruno Jeudy dans le livre Le Coup monté (Éd. Plon, 2013) : « Les secrétaires généraux passent, Cesari reste. »

« Devedjian avait beaucoup de mal à fonctionner avec lui, se souvient un collaborateur de l’actuel président du conseil général des Hauts-de-Seine. Il répétait qu’il ne pouvait rien lui confier, parce que ça remonterait aussi vite. » Aux dires d’un autre “ancien” de la rue de Vaugirard, Cesari avait également une « relation exécrable » avec Michel Bettan, l’ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand, passé depuis chez Havas Worldwide. « Bettan et Bertrand avaient pensé prendre le parti et y faire ce qu’ils voulaient, mais Cesari leur a rapidement fait comprendre que ça ne se passait pas comme ça. Sarkozy acceptait de confier le parti, mais le deal, à chaque fois, c’était de s’engager à ne pas toucher à Cesari. »

Plusieurs personnes interrogées par Mediapart décrivent le directeur général de l’UMP comme un « fainéant » qui « ne bosse pas beaucoup ». « À part la gestion du personnel, je ne sais pas exactement ce qu’il faisait », confie un ancien salarié du parti. « Il n’a jamais eu de premier rôle, ajoute un ex-responsable de la rue de Vaugirard. Il s’occupait surtout des tâches matérielles. » « Quand je l’interrogeais, il n’était jamais au courant de rien, se souvient un élu UMP des Hauts-de-Seine. On voyait bien que son vrai job, c’était d’aller voir Guéant et Sarkozy. »

« Mon rôle ici, c’est de laisser les portes ouvertes pour Sarkozy dans le cas où il déciderait de revenir en 2017 », a reconnu lui-même le principal intéressé aux auteurs du Coup monté. Qu’importe la direction de l’UMP, le directeur général du parti n’a toujours eu qu’un seul patron : Nicolas Sarkozy. Et la défaite du 6 mai 2012 n’a rien changé. Éric Cesari a continué à rendre des comptes rue de Miromesnil, comme il le faisait déjà à l’Élysée.

C’est d’ailleurs là-bas, dans les bureaux parisiens de l’ex-chef de l’État, que le directeur général de l’UMP s’est employé à rassurer son protecteur sur sa non-participation à ce qu’il qualifie de « système Copé » : « Je n'ai jamais été dans le système Copé, je n'ai eu aucun échange de mails avec Bygmalion, et je ne mettais pas les pieds aux fameuses conventions », lui a-t-il indiqué, selon Le Figaro.

La défense d'Éric Cesari est aujourd'hui mise à mal par les nouvelles informations de Libération qui a révélé que le nom et la signature du directeur général de l'UMP sont les seuls à apparaître sur les devis adressés au parti par la société Event & Cie, une filiale de Bygmalion, pour une cinquantaine de conventions fantômes, facturées près de 13 millions d’euros. Cesari plaide le trou de mémoire, car des « devis », indique t-il au quotidien, il en a signé « des paquets », pour « rendre service ».

Des services, l'homme en a effectivement rendu « des paquets ». Membre du cabinet de Charles Pasqua au ministère de l’intérieur à compter de 1993, il accompagne ce dernier deux ans plus tard au conseil général des Hauts-de-Seine. Un élu du département se souvient de « l’ambiance corse » qui régnait alors dans les couloirs du conseil général : « Quand ils n’avaient pas envie que l’on comprenne ce qu’ils disaient, ils parlaient corse entre eux. »

Quand Pasqua transmet le département à Sarkozy en avril 2004, il lui demande de garder dans son cabinet deux ou trois personnes. Parmi elles, figurent Éric Cesari, qui devient directeur de cabinet du nouveau président du conseil général, mais aussi Emmanuel Millan, alors chef de cabinet, nommé plus tard directeur-adjoint de l’UMP. En mai 2004, Cesari est décoré chevalier de l’ordre national du mérite.

Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy.Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy. © Reuters

L’homme fait également partie des proches de Nicolas Sarkozy que Patrick Devedjian a accusés, en novembre 2010, d’avoir orchestré « une campagne » destinée à lui faire perdre la présidence de la fédération des Hauts-de-Seine. « J’ai appris qu'Olivier Biancarelli, attaché parlementaire de l'Élysée, et Éric Cesari, directeur général de l'UMP, (avaient téléphoné) aux principaux responsables politiques des Hauts-de-Seine pour leur dire de voter pour Jean-Jacques Guillet (député des Hauts-de-Seine élu à sa place – ndlr) », avait confié au Monde l’actuel président du conseil général du 92, accusant l’ancien chef de l'État d'avoir manœuvré au motif qu'il aurait perturbé les ambitions politiques de Jean Sarkozy dans le fief familial. Quelques mois plus tôt, le 30 juin 2010, Cesari avait eu l’honneur des salons de l’Élysée où il avait été décoré chevalier de la Légion d'honneur.

Deux ans après cet épisode, le directeur général de l’UMP fait de nouveau parler de lui à l’occasion de la guerre Fillon/Copé pour la présidence de l’UMP. Les auteurs du Coup monté le présentent comme « le dernier maillon de l’échafaudage » qui a permis à Jean-François Copé de conserver la tête du parti en novembre 2012, tandis que Patrice Gélard, l’ancien président de la fameuse commission de contrôle des opérations électorales (Cocoe), le pointe comme principal responsable de ce « coup monté », avec Lavrilleux. Pour le sénateur de Seine-Maritime, les deux hommes étaient « dévoués à leur chef Copé auquel ils obéissent ».

« Lavrilleux et Cesari ont surtout été des alliés de circonstance, rapporte à Mediapart un ancien de la rue de Vaugirard. Cesari n’a jamais vraiment été copéiste. Lui, c’est Sarko avant tout. Il avait dû avoir des ordres de l’Élysée pour barrer la route à Fillon. » La route a d’ailleurs été « barrée » au sens propre le 26 novembre 2012, lorsque que le directeur général de l’UMP s’est interposé physiquement aux huissiers dépêchés par la justice, à la demande de l’ex-premier ministre, pour protéger des documents électoraux.

Jean-François Copé et François Fillon.Jean-François Copé et François Fillon. © Reuters

Éric Cesari est aujourd’hui élu à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine. Après avoir été adjoint à la sécurité dans l’équipe municipale de Rouen, il cherche, à compter de 2007 et de sa nomination à la direction générale de l’UMP, une place en banlieue parisienne. Et c’est tout naturellement qu’il échoue dans ce fief de la sarkozie. Dès son élection au conseil municipal de Courbevoie en 2008, il se voit déjà remplacer le maire Jacques Kossowski. « C’est un apparatchik qui passe le plus clair de son temps en Normandie où sa femme travaille encore… », souffle Jean-André Lasserre, conseiller général PS des Hauts-de-Seine.

Le « parachutage » de Cesari dans les Hauts-de-Seine n’est pas au goût de tout le monde. D’autant moins depuis l’affaire Bygmalion. D’autant moins aussi depuis que le directeur général de l’UMP a été nommé, mi-avril, président de la communauté d'agglomération Seine-Défense (Courbevoie-Puteaux). « Une fonction rémunérée 5 000 euros par mois pour diriger une coquille vide », fustige Christophe Grébert, conseiller municipal MoDem de Puteaux, qui dénonce également la nomination de 14 vice-présidents, rémunérés 1 400 euros par mois.

Parmi eux, on retrouve le fils de Joëlle Ceccaldi-Raynaud, la maire UMP de Puteaux, mais aussi le copéiste José Do Nascimento, responsable des fédérations à la direction de l'UMP, et Caroline Cornu, ancien membre du cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, passée depuis 2012 à la direction de la communication d'EDF. « La droite, Nicolas Sarkozy et les échanges de bons procédés entre amis… Un classique des Hauts-de-Seine », s’amuse un élu UMP du département.

La tradition du 9-2 aurait-elle traversé le périphérique pour se perpétuer rue de Vaugirard ? C’est l’une des questions auxquelles devra répondre l’audit interne annoncé mercredi 10 juin par François Fillon et l’enquête judiciaire confiée par le parquet de Paris à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Une question restée sans réponse après le premier rapport commandé mi-mai par Jean-François Copé à... Éric Cesari.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone les 10 et 11 juin.

Compte tenu de la proximité d'Éric Cesari avec Nicolas Sarkozy et des futurs rebondissements de l'affaire Bygmalion, la plupart d'entre elles ont accepté de témoigner à la seule condition que leurs propos soient cités en “off”.

Également contacté par nos soins, Éric Cesari n'a pas retourné nos demandes d'entretien.

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L'UMP Arlette Grosskost : «Sarkozy, c'est du passé»

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Si vous rêvez d’un discours sans langue de bois, regardez l’entretien de Mediapart avec Arlette Grosskost, députée UMP du Haut-Rhin. Comme de nombreux parlementaires de droite (lire « La sourde colère des députés UMP »), elle a assisté à ce qui s’est passé au sommet de son parti, la bataille Copé-Fillon, les multiples affaires, le scandale Bygmalion, et l’incessant feuilleton du retour de Nicolas Sarkozy.

Elle veut en finir, et elle a décidé de le dire, sans détour.

À propos du débat sur « le respect des statuts » mis en avant par Claude Guéant : « C’est cynique. C’est un prétexte pour confirmer le retour de Sarkozy. Les gens en ont marre de ceux qui donnent des leçons de morale alors que leur attitude n’a pas été exemplaire. »

À propos de ceux « qui ne savaient pas » : « Dire qu’on ne savait pas, c’est se déresponsabiliser. C’est facile d’accuser les autres. Quand on est à la tête d’une campagne ou d’un pays, on assume. »

À propos du retour de Sarkozy : « Il savait chauffer les salles. Mais derrière ce charisme, il y a l’homme, et je le trouve moins flamboyant. »

Et si Sarkozy revenait quand même ? « Sarkozy, c’est du passé. Si nous voulons une rupture, faisons-la. S’il revient, je démissionne. Ça n’incarne pas ce que je pense de la politique. Je ne ferai pas partie de ce jeu, car ce serait un jeu... »

Mais elle-même, peut-elle dire qu’elle ne savait pas ? « Si vous voulez dire que nous avons été un peu hypocrites, vous avez raison. Dans la campagne, où nous voulions battre le candidat de la gauche, il y avait la passion, et à partir de là, on n’a peut-être pas été assez regardants. »

Est-elle isolée à l’UMP ? « Je ne suis pas la seule parmi mes collègues parlementaires, parmi les sympathisants, parmi nos concitoyens. L’homme providentiel, on n’y croit pas. Il nous faut reconstruire avec des gens qui ne sont pas touchés par ces affaires. Il nous faut des nouveaux. Des plus jeunes... »

Arlette Grosskost, députée UMP du Haut-Rhin, invité d'Objections, l'entretien politique de Mediapart

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Patrimoine de Jean-Marie Le Pen : un enrichissement suspect de 1,1 million d’euros

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Jean-Marie Le Pen devient très encombrant pour sa fille, mais pas seulement à cause de ses sorties aux relents antisémites. Le président d'honneur du Front national est aussi visé par une enquête préliminaire sur son patrimoine ouverte fin 2013, déclenchée après que la Commission pour la transparence financière de la vie politique a évalué son enrichissement personnel à 1 127 000 euros entre 2004 et 2009 et l’a jugé suspect, d’après des informations recueillies par Mediapart.

Jean-Marie Le Pen a été réélu député européen en mai dernierJean-Marie Le Pen a été réélu député européen en mai dernier © Reuters

Comme nous l’avions déjà révélé en février dernier (lire ici), l’ancienne commission chargée d’éplucher les déclarations de patrimoine des élus et de débusquer les fraudeurs, remplacée depuis par la Haute autorité pour la transparence (HAT), a saisi la justice en novembre 2013.

En comparant la déclaration de patrimoine remplie par l’eurodéputé en 2009 (à l’issue de son mandat) avec celle fournie en 2004 (au début de son mandat), l’autorité indépendante alors présidée par le vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, a tiqué sur l’ampleur de l’enrichissement personnel affiché par Jean-Marie Le Pen (en particulier ses investissements massifs dans des Sicav), inattendu au vu de ses revenus officiels. D’où venait l’argent ?

Les explications, ou tentatives d’explications, fournies par le dirigeant frontiste pour expliquer la variation de ses actifs, au fur et à mesure des relances de la commission et de fastidieux échanges écrits, n’ont pas été jugées convaincantes. Voici les justifications fournies par l’élu qui ont paru douteuses, au moins en partie :

• Jean-Marie Le Pen a déclaré que le Front national avait renoncé en 2006 à lui réclamer une dette de 198 000 euros contractée en 1991, sans apporter de preuve.

• Il a assuré que son micro-parti personnel, Cotelec, lui avait viré presque 300 000 euros en 2008. Sans fournir de justificatifs.

• Il a affirmé qu’une étude notariale de sa commune de Saint-Cloud (Chargelegue Marchand Bories) lui avait versé en 2008 quelque 150 000 euros, toujours sans trace probante. Idem pour 50 000 euros supposément encaissés d’une banque lorraine, dont il n’a pas justifié la provenance.

• Enfin, il a fait état d’une « remise gracieuse » d’environ 400 000 euros obtenue du fisc en 2006, à l’issue d’une médiation. A l’appui de cette assertion ? Toujours aucun justificatif.

Jean-Marie Le Pen aurait-il pris le risque de mentir ? Jusqu’à sa disparition fin 2013, la commission manquait terriblement de moyens d’enquête et ne pouvait compter sur une collaboration active du fisc, à l’inverse de sa remplaçante, la HAT, désormais autorisée à bombarder Bercy de questions. Confrontée à autant de zones d’ombre, l'ancienne commission s’était en tout cas décidée, avant de disparaître, à saisir le parquet de Paris.

Depuis, l’enquête préliminaire confiée à la brigade financière de la préfecture de police de Paris avance lentement, au rythme des réquisitions bancaires. A ce stade, ni Jean-Marie Le Pen, ni les trésoriers du FN ou de Cotelec n’ont été entendus.

Interrogé par Mediapart quelques jours après sa sortie sur Patrick Bruel (« On fera une fournée la prochaine fois »), Jean-Marie Le Pen clame n’avoir « aucune inquiétude ». « Mais je n’ai pas le dossier sous les yeux, évacue-t-il. Je n’ai pas eu le temps de fouiller dans mes papiers ». D’emblée, il accuse l’ancienne commission de « désinvolture », de « paresse » et de parti pris idéologique : « Ça lui apporte sans doute un petit bénéfice politique de faire peser un soupçon d’illégalité sur Jean-Marie Le Pen. » En pleine polémique avec sa fille, il ironise : « C’est la cerise sur le gâteau ! »

Quand on insiste, celui qui siège toujours au bureau exécutif du FN consent à fournir quelques "précisions" sur les rentrées d’argent suspectes aux yeux de la commission. L’annulation d’une dette vis-à-vis du FN ? « C’est lié à ma condamnation au civil dans l’affaire du "détail" (ndlr : il a été condamné en 1991 pour avoir déclaré, à propos des chambres à gaz : « Je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale »). Le Front m’a prêté les 130 millions de centimes que j’ai dû payer. Comme c’était une sanction politique, le parti n’a jamais réclamé le remboursement. (En 2006), le bureau politique a officiellement décidé de renoncer à sa créance. » De quoi expliquer, selon lui, un bond de 198 000 euros entre ses déclarations de patrimoine de 2004 et 2009.

« Ca ne me parle pas trop », répond cependant à brûle-pourpoint Jean-Pierre Reveau, trésorier historique du FN jusqu’en 2009, quand on l’interroge. « Mais de l’eau est passée sous les ponts, ajoute-t-il. Maintenant que vous me le dîtes, je me souviens qu’on a renoncé à un remboursement. J’étais pas tout seul à décider... » Les enquêteurs vont évidemment contrôler la réalité de ce cadeau. Si son existence est confirmée, a-t-il été effectué dans les règles ? A-t-il été signalé aux impôts ?

S’agissant du fisc, justement, Jean-Marie Le Pen affirme qu’entre sa déclaration de patrimoine de 2004 et celle de 2009, il aurait bénéficié d’une « remise gracieuse » de plus de 400 000 euros sur un redressement vieux de plusieurs décennies, grâce à l’intervention du « médiateur du ministère des Finances ». « C’est une affaire très compliquée, balaye-t-il, quand on s’étonne. Le fisc a estimé anormalement bas les loyers que je versais comme locataire à la SCI propriétaire de Montretout (son château hérité du cimentier Hubert Lambert dans des conditions contestées, ndlr)… » De fait, Jean-Marie Le Pen étant le principal actionnaire de cette SCI, un montage lui permettait de réduire artificiellement ses revenus.

Le domaine de la famille Le Pen, parc de Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine)Le domaine de la famille Le Pen, parc de Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) © Google Map

Questionné par Mediapart, la direction générale des finances publiques n’a pas souhaité confirmer ou infirmer l’existence de cette ristourne fiscale, « ne s'exprimant jamais sur les dossiers particuliers ». Là encore, la brigade financière devrait facilement vérifier.

Quant aux 150 000 euros qui auraient été versés par l’étude notariale de Saint-Cloud en 2008, Jean-Marie Le Pen nous répond : « Il faut que je fasse des recherches, c’est probablement un héritage… » Sollicitée, la société se refuse à tout commentaire au fond. « Il y a des clients qui virevoltent de notaire en notaire, se contente de répondre Patrick Marchand. Aucun des associés n’est un ami de M. Le Pen en tout cas. »

Quand on enchaîne avec les 50 000 euros arrivés d’une banque de Lorraine, le député européen se débarrasse encore plus vite des questions : « Comme ça, je ne vois pas… »

Enfin, il assure à Mediapart que les 300 000 euros virés sur son compte personnel par Cotelec, son micro-parti, correspondent « probablement à un prêt pour sa campagne électorale (de 2009), qui a dû être remboursé ». « Il a remboursé, oui, dégaine le trésorier de Cotelec, Gérald Gérin, ancien majordome de M. Le Pen à Montretout, qui hésite toutefois sur l’élection concernée et parle initialement des municipales de 2008 (auxquelles Jean-Marie Le Pen ne s’est pas présenté). Nos comptes sont d’une transparence de cristal ! » Quand on lui rappelle que la commission des comptes de campagne a pourtant rejeté en janvier 2014 ceux de Cotelec (« non conformes » car déposés « hors délai »), le trésorier s’offusque : « Le coursier les a apportés à la mauvaise adresse, l’enveloppe s’est simplement perdue ! »

Pour vérifier l’existence d’un prêt d’environ 300 000 euros dans le compte de campagne de Jean-Marie Le Pen aux européennes de 2009, Mediapart s’est évidemment tourné vers la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), qui n’a pu répondre dans les délais impartis. Le dossier est en effet stocké aux archives nationales de Fontainebleau, inaccessible depuis des semaines pour raisons de sécurité.

Quoi qu’il en soit, les flux financiers qui existent entre les Le Pen et leurs micro-partis (celui de Marine Le Pen est visée par une information judiciaire ouverte sur des soupçons d’« escroquerie en bande organisée ») offrent quelques arguments aux partisans d’une fusion entre la HAT et la CNCCFP, les deux organes qui se partagent aujourd’hui le contrôle des financements politiques, la première se chargeant de l’argent des élus, la seconde de l’argent des partis et des campagnes. Alors qu’elles travaillent pour l’instant séparément, certains parlementaires suggèrent un regroupement des forces, pour créer une grande juridiction de moralisation de la vie publique qui gagnerait en force de frappe, en particulier sur des sujets transversaux comme les micro-partis.

S’agissant de Jean-Marie Le Pen, en tout cas, l’affaire n’en est qu’à ses débuts. La Haute autorité pour la transparence, gendarme bien mieux armé pour éplucher les déclarations de patrimoine des élus que son prédécesseur, va bientôt s’en saisir. L’eurodéputé avait jusque début juin pour adresser sa déclaration de patrimoine, nouvelle version.

BOITE NOIRESollicité le vendredi 6 juin par mail, Jean-Marie Le Pen nous a répondu par téléphone quatre jours plus tard, mardi 10 juin.

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Le FN renforce ses connexions russes

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Le Front national poursuit son rapprochement avec les cercles de pouvoir russes, surfant sur l'offensive menée par Moscou contre « le lobby homosexuel » et pour la défense des valeurs traditionnelles. Après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN en 2011, puis le retour au Kremlin de Vladimir Poutine en 2012, les passerelles avaient été lancées. L'adoption en France du mariage pour tous, l'année suivante, a été un catalyseur.

Comme Mediapart l’a raconté dans cette enquête, les réseaux russes de la présidente du FN passent autant par Moscou que Paris. Mais désormais aussi par l'Autriche, où réside le conseiller "international" de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade (lire notre portrait). Le 31 mai, le nouvel eurodéputé FN (il était tête de liste en Île-de-France) a participé à Vienne à une discrète rencontre avec des personnalités russes radicales et des représentants de partis nationalistes. 

Rien ne devait filtrer. Organisée au palais du Liechtenstein, la rencontre était fermée à la presse et au public. Les entrées étaient contrôlées par un service de surveillance. Les participants eux-mêmes n'étaient pas autorisés à prendre des photos. Mais cette réunion privée a été révélée par le journal suisse Tages Anzeiger

Le thème officiel de cet événement ? Les 200 ans de la Sainte-Alliance constituée par les empires russe, autrichien et le royaume de Prusse. Selon le journal suisse, les convives ont pourtant « peu parlé d’histoire et beaucoup du futur », notamment de « l'avenir des valeurs fondamentales de la civilisation chrétienne en Europe ». Avec cette question : comment « sauver » l’Europe du « libéralisme » et du « lobby homosexuel » ? Les participants envisagent l’organisation d’une « Marche pour la vie » en Europe et prévoient de se réunir à nouveau en janvier à Moscou.

Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.

Cette réunion se tenait à l'initiative de l'oligarque Konstantin Malofeev et sa fondation Saint-Basile-le-Grand, la plus grande organisation caritative orthodoxe en Russie, dont le budget annuel dépasse les 40 millions de dollars. 

L'oligarque russe Konstantin Malofeev.L'oligarque russe Konstantin Malofeev.

Ce mécène russe proche du Kremlin, présenté par le Financial Times comme un « Raspoutine des temps modernes », a fait fortune dans la communication avec son fonds d'investissement Marshall Capital. Les médias russes l’ont suspecté d’avoir financé les séparatistes pro-russes à Donetsk en Ukraine.

Parmi la centaine d’invités, on trouvait trois responsables du FPÖ autrichien (extrême droite), dont son leader, Heinz-Christian Strache ; Volen Siderov, le président du sulfureux parti d'extrême droite bulgare Ataka (avec lequel Marine Le Pen refuse de s’allier) ; le royaliste franco-espagnol Sixte-Henri de Bourbon-Parme ; et aussi le comte d’origine russe Serge de Pahlen, à la tête d’une société financière à Genève, et mari de l’héritière de Fiat, Margherita Agnelli.

Alexandre Douguine.Alexandre Douguine.

Plusieurs participants géorgiens, croates et russes étaient présents, parmi lesquels le célèbre peintre soviétique puis nationaliste Ilia Glazounov. Mais c’est surtout la présence de l’influent idéologue Alexandre Douguine, conseiller officieux de Poutine, qui retient l’attention. Ce théoricien de l’Eurasisme – doctrine nationaliste et impérialiste russe –, défenseur des valeurs traditionalistes et antilibérales, prône un rapprochement entre la Russie et l’Europe occidentale pour contrer la puissance anglo-saxonne.

Côté FN, outre Aymeric Chauprade, le journal suisse relève la présence de Marion Maréchal-Le Pen. L’entourage de la députée a affirmé au Monde qu’elle n’avait pas rencontré Alexandre Douguine : « Elle était en week-end à Vienne pour des raisons personnelles, Heinz-Christian Strache a suggéré à Aymeric Chauprade de l'inviter à venir le soir, c'est tout. Elle n'a pas participé à la journée. »

Ce tropisme russe est dominant au Front national : ces derniers mois, plusieurs responsables frontistes se sont rendus à Moscou: Marion Maréchal-Le Pen en décembre 2012, Bruno Gollnisch en mai 2013, Marine Le Pen en juin 2013 et en avril 2014. À chaque fois, la présidente du FN a été reçue par le président de la Douma et proche de Poutine, Sergueï Narychkine.

Une plongée dans cette galaxie permet de comprendre que ces liens vont bien au-delà de la fascination de l’extrême droite française pour Moscou et ses valeurs autoritaires, au-delà aussi d'une vision commune du monde et d'un même ennemi – « l'Empire » qu'incarneraient les États-Unis et Israël. Pour le chercheur spécialiste du FN Joël Gombin, « on ne peut minimiser l'importance des soutiens matériels russes (mais aussi syriens et iraniens) dans la nébuleuse des extrêmes droites, de Soral à Dieudonné en passant par l'extrême droite nationale-catholique »

Autour d'Aymeric Chauprade, trois personnages clés œuvrent en coulisses pour renforcer cette connexion russe. D’abord l’homme d'affaires Xavier Moreau, basé à Moscou depuis 2000. Saint-cyrien et ancien officier parachutiste, il s’est reconverti en Russie avec une société de sécurité et d’intelligence économique. C’est autour de lui que les réseaux d’extrême droite se structurent dans la capitale russe.

Il distille à longueur de conférences et d’interviews sur des sites français et russes ses thèses sur le « modèle alternatif de développement social » que serait la Russie de Poutine. Jusque sur BFM-TV, où il était interrogé en mars pour un long portrait consacré à Poutine « nouveau tsar ».

Aymeric Chauprade accorde un entretien à Xavier Moreau, en 2010, pour son site Realpolitik.tv.Aymeric Chauprade accorde un entretien à Xavier Moreau, en 2010, pour son site Realpolitik.tv. © Capture d'écran Realpolitik.tv

« C’est un homme d’affaires, un garçon influent. Il a des amitiés là-bas et notamment chez M. Poutine. Je crois que c’est toujours l’un de nos contacts en Russie. Il a servi dans certaines circonstances d’intermédiaire », reconnaissait en janvier à Mediapart Bruno Gollnisch, sans vouloir en dire davantage sur la nature de ces liens pour ne pas « griller les contacts ».

L'ancien leader du GUD Frédéric Chatillon à Moscou. Photo postée le 20 juin 2013 sur ses comptes Twitter et Facebook.L'ancien leader du GUD Frédéric Chatillon à Moscou. Photo postée le 20 juin 2013 sur ses comptes Twitter et Facebook. © Twitter / fredchatillon

À Mediapart, Xavier Moreau avait affirmé qu'il « écri(vait) et conseill(ait) uniquement sur les questions stratégiques et de politique étrangère » et qu'il n'avait « pas de lien avec les partis politiques français ». C’est pourtant lui qui a organisé le voyage en Russie de Marine Le Pen en juin, d’après Le Nouvel Observateur. Lors de cette tournée russe, le conseiller officieux de la présidente du FN, Frédéric Chatillon, était lui aussi présent à Moscou, où il est régulièrement amené à se rendre pour ses affaires avec sa société de communication Riwal (lire notre enquête sur son argent syrien).

Fabrice Sorlin et Jean-Marie Le Pen, en 2007.Fabrice Sorlin et Jean-Marie Le Pen, en 2007. © FN Gironde

L’autre pilier de ce dispositif est Fabrice Sorlin, ancien candidat FN et président de l'Alliance France-Europe Russie (AAFER), qui entend « réinformer » sur la « réalité de la politique russe » à Paris. Piégé en 2010 par « Les Infiltrés », sur France 2, avec son mouvement catholique radical Dies Irae à Bordeaux, Sorlin a rebondi sur le front russe. C’est lui qui conduisait en juin 2013 la petite délégation qui a accompagné Chauprade à la Douma, d’où il a lancé son appel contre « l’idéologie mortifère et la dictature des lobbies minoritaires ».

Son rôle est grandissant depuis l'automne. Nommé représentant de la France du World Congress of Families – dont l'un des contributeurs financiers n'est autre que la fondation du mécène Konstantin Malofeev –, Sorlin a réalisé à ce titre une grande tournée en Europe de l’Est : Moscou, Kiev (Ukraine), Belgrade (Serbie), Tbilissi (Géorgie). À chaque fois il s’en prend aux « idéologues de la théorie du genre et les lobbies LGBT », et propose de « s'organiser » et « se structurer » dans une « internationale de la vie » qui mettrait en commun des moyens pour « lutter efficacement contre ces lois anti-famille ».

Fabrice Sorlin (2e en partant de la droite) en visite à Belgrade.Fabrice Sorlin (2e en partant de la droite) en visite à Belgrade. © worldcongress.org

Un troisième russophile émerge dans ce dispositif: Jean-Luc Schaffhauser, candidat FN aux municipales à Strasbourg et nouvel eurodéputé. Originaire de Strasbourg, ce consultant international (qui a notamment travaillé pour Dassault), a vécu en Russie et en Pologne. Il figure dans le comité directeur de l’Union paneuropéenne de France, héritière d’Otto de Habsbourg, fils du dernier empereur d’Autriche. Il est aussi le fondateur de l’association Rhin-Volga, qui ambitionne « d'abaisser les barrières entre Alsace et Russie », et de l’Académie européenne, sortes de "lobbies" actifs à Strasbourg et au parlement européen.

Interrogé mercredi par les Dernières nouvelles d'Alsace, le député européen explique qu'il était invité à la réunion du 31 mai à Vienne, mais n'y a pas participé, ayant « d'autres obligations ». Il dit connaître Alexandre Douguine et précise d'ailleurs qu'« il y avait aussi à cette réunion des conseillers officiels »Ami d'Aymeric Chauprade (« il est plutôt un analyste, moi un opérationnel »), Jean-Luc Schaffhauser explique sa connaissance du monde russe depuis des missions effectuées pour Dassault, Total et Thalès. D'après les informations des DNA, il était, à la période où se tenait la réunion de Vienne, en déplacement en Russie avec Marine Le Pen et aurait notamment rencontré le président de la Douma, un autre proche de Poutine, Sergueï Narychkine.

Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade.Jean-Luc Schaffhauser, eurodéputé élu le 25 mai sur la liste d'Aymeric Chauprade. © eurojournaliste.eu

Le recrutement par Marine Le Pen d’Aymeric Chauprade, « géopoliticien » auréolé de son titre d'ancien enseignant au Collège interarmées de défense (dont il a été renvoyé par le ministre de la défense en 2009), n'a donc rien d'étonnant. Pour le chercheur Joël Gombin, l'eurodéputé « donne une apparence non seulement intellectuelle mais surtout de respectabilité aux théories géopolitiques sous-jacentes au rapprochement entre le Front national et la Russie ». Il est surtout « l'un des nœuds d'un réseau international d'influence orchestré par la Russie, de manière à peine dissimulée », estime le chercheur dans une note publiée sur Slate.

Consultant international, partisan d’une alliance franco-russe, il apporte à la présidente du FN ses solides réseaux à Moscou. En juin 2013, il était à la Douma pour lancer son « appel de Moscou » soutenant « les efforts de la Russie » contre l'extension des « “droits” des minorités sexuelles ». Trois mois plus tard, il était l’invité du Club Valdaï, forum international sous l’égide de Poutine. En mars, il plaidait, lors d'une conférence dans la capitale russe, pour un « axe Paris-Berlin-Moscou ».

Luc Michel, à la tête de l'organisation qui a invité la délégation en Crimée.Luc Michel, à la tête de l'organisation qui a invité la délégation en Crimée. © PCN

Quelques jours plus tôt, il était en Crimée pour suivre le référendum, à l'invitation d’une étrange organisation pro-russe, l’Eurasian Observatory for Democracy and Elections (EODE). Créée par un ancien néonazi belge (Jean Thiriart, ex-collaborationniste membre des Amis du Grand Reich allemand), ce lobby est aujourd'hui dirigé par Luc Michel, un national-bolchevik, fondateur du Parti communautaire national-européen (dont le quotidien flamand Da Morgen a révélé le parcours à l'extrême droite).

Dans cette délégation d'« observateurs » internationaux, on trouvait quelques membres de partis de gauche, mais surtout de sulfureux représentants de partis européens d’extrême droite, dont le secrétaire général de l'Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN), à laquelle Marine Le Pen refuse désormais d'associer le FN, ou encore l'Espagnol Enrique Ravello, ancien de l’organisation néonazie, la CECADE.

Dernier maillon de ce réseau d'influence, les médias russes à l'étranger: l'agence de presse Ria Novosti, la Voix de la Russie (programmes du Kremlin à l’étranger), Russia Today. Les Russes courtisent particulièrement l’extrême droite française. La Voix de la Russie a lancé en 2012 une web télé, ProRussia TV, où l'on retrouve plusieurs anciens du FN (elle a cessé d'émettre le 30 avril dernier). L'objectif ? Présenter les actualités russes, françaises, internationales « sous l’angle de la réinformation ». Pour ses antennes locales, la radio russe a mis les moyens : en Allemagne, elle a, selon Slate, financé des émissions en alignant plus de 3 millions d’euros, en 2012.

Une autre web télé est apparue en janvier 2014, « TV Libertés », qui rassemble des figures des extrêmes droites françaises (Renaud Camus, Robert Ménard, les ex-FN Roger Holeindre et Martial Bild), en particulier de la Nouvelle Droite et du Club de l'Horloge (Jean-Yves Le Gallou, Yvan Blot). Son directeur d’antenne n’est autre que Gilles Arnaud, l’ex-rédacteur en chef de ProRussia.tv, propriétaire de l’ « Agence2presse », boîte de production qui avait un partenariat très étroit avec La Voix de la Russie.

La page d'accueil de TV-Libertés.La page d'accueil de TV-Libertés.

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé le 11 juin à 17h45 avec les informations des Dernières nouvelles d'Alsace.

Nous avions sollicité, pour notre première enquête sur les réseaux russes, en janvier, Marine Le Pen et ses conseillers aux affaires européennes et internationales (Ludovic de Danne et Aymeric Chauprade). Aucun n'avait donné suite à nos demandes. À nouveau sollicité en avril, Aymeric Chauprade n'a pas accepté de nous recevoir.

Xavier Moreau nous avait répondu par email qu'il « ne souhait(ait) pas traiter d'un tel sujet »Sollicité via le site de son association l'Alliance France-Europe Russie, Fabrice Sorlin n'avait pas donné suite.

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Jean-Marie Le Pen: un enrichissement suspect de 1,1 million d’euros

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Jean-Marie Le Pen devient très encombrant pour sa fille, mais pas seulement à cause de ses sorties aux relents antisémites. Le président d'honneur du Front national est aussi visé par une enquête préliminaire sur son patrimoine ouverte fin 2013, déclenchée après que la Commission pour la transparence financière de la vie politique a évalué son enrichissement personnel à 1 127 000 euros entre 2004 et 2009 et l’a jugé suspect, d’après des informations recueillies par Mediapart.

Jean-Marie Le Pen a été réélu député européen en mai dernierJean-Marie Le Pen a été réélu député européen en mai dernier © Reuters

Comme nous l’avions déjà révélé en février dernier (lire ici), l’ancienne commission chargée d’éplucher les déclarations de patrimoine des élus et de débusquer les fraudeurs, remplacée depuis par la Haute autorité pour la transparence (HAT), a saisi la justice en novembre 2013.

En comparant la déclaration de patrimoine remplie par l’eurodéputé en 2009 (à l’issue de son mandat) avec celle fournie en 2004 (au début de son mandat), l’autorité indépendante alors présidée par le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, a tiqué sur l’ampleur de l’enrichissement personnel affiché par Jean-Marie Le Pen (en particulier ses investissements massifs dans des Sicav), inattendue au vu de ses revenus officiels. D’où venait l’argent ?

Les explications, ou tentatives d’explications, fournies par le dirigeant frontiste pour justifier la variation de ses actifs, au fur et à mesure des relances de la commission et de fastidieux échanges écrits, n’ont pas été jugées convaincantes. Voici les justifications fournies par l’élu qui ont paru douteuses, au moins en partie :

• Jean-Marie Le Pen a déclaré que le Front national avait renoncé en 2006 à lui réclamer une dette de 198 000 euros contractée en 1991, sans apporter de preuve.

• Il a assuré que son micro-parti personnel, Cotelec, lui avait viré presque 300 000 euros en 2008. Sans fournir de justificatifs.

• Il a affirmé qu’une étude notariale de sa commune de Saint-Cloud (Chargelegue Marchand Bories) lui avait versé en 2008 quelque 150 000 euros, toujours sans trace probante. Idem pour 50 000 euros supposément encaissés d’une banque lorraine, dont il n’a pas justifié la provenance.

• Enfin, il a fait état d’une « remise gracieuse » d’environ 400 000 euros obtenue du fisc en 2006, à l’issue d’une médiation. À l’appui de cette assertion ? Toujours aucun justificatif.

Jean-Marie Le Pen aurait-il pris le risque de mentir ? Jusqu’à sa disparition fin 2013, la commission manquait terriblement de moyens d’enquête et ne pouvait compter sur une collaboration active du fisc, à l’inverse de sa remplaçante, la HAT, désormais autorisée à bombarder Bercy de questions. Confrontée à autant de zones d’ombre, l'ancienne commission s’était en tout cas décidée, avant de disparaître, à saisir le parquet de Paris.

Depuis, l’enquête préliminaire confiée à la brigade financière de la préfecture de police de Paris avance lentement, au rythme des réquisitions bancaires. À ce stade, ni Jean-Marie Le Pen, ni les trésoriers du FN ou de Cotelec n’ont été entendus.

Interrogé par Mediapart quelques jours après sa sortie sur Patrick Bruel (« On fera une fournée la prochaine fois »), Jean-Marie Le Pen clame n’avoir « aucune inquiétude ». « Mais je n’ai pas le dossier sous les yeux, évacue-t-il. Je n’ai pas eu le temps de fouiller dans mes papiers. » D’emblée, il accuse l’ancienne commission de « désinvolture », de « paresse » et de parti pris idéologique : « Ça lui apporte sans doute un petit bénéfice politique de faire peser un soupçon d’illégalité sur Jean-Marie Le Pen. » En pleine polémique avec sa fille, il ironise : « C’est la cerise sur le gâteau ! »

Quand on insiste, celui qui siège toujours au bureau exécutif du FN consent à fournir quelques "précisions" sur les rentrées d’argent suspectes aux yeux de la commission. L’annulation d’une dette vis-à-vis du FN ? « C’est lié à ma condamnation au civil dans l’affaire du "détail" (ndlr : il a été condamné en 1991 pour avoir déclaré, à propos des chambres à gaz : « Je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale »). Le Front m’a prêté les 130 millions de centimes que j’ai dû payer. Comme c’était une sanction politique, le parti n’a jamais réclamé le remboursement. (En 2006), le bureau politique a officiellement décidé de renoncer à sa créance. » De quoi expliquer, selon lui, un bond de 198 000 euros entre ses déclarations de patrimoine de 2004 et 2009.

« Ça ne me parle pas trop », répond cependant à brûle-pourpoint Jean-Pierre Reveau, trésorier historique du FN jusqu’en 2009, quand on l’interroge. « Mais de l’eau est passée sous les ponts, ajoute-t-il. Maintenant que vous me le dites, je me souviens qu’on a renoncé à un remboursement. J’étais pas tout seul à décider... » Les enquêteurs vont évidemment contrôler la réalité de ce cadeau. Si son existence est confirmée, a-t-il été effectué dans les règles ? A-t-il été signalé aux impôts ?

S’agissant du fisc, justement, Jean-Marie Le Pen affirme qu’entre sa déclaration de patrimoine de 2004 et celle de 2009, il aurait bénéficié d’une « remise gracieuse » de plus de 400 000 euros sur un redressement vieux de plusieurs décennies, grâce à l’intervention du « médiateur du ministère des finances ». « C’est une affaire très compliquée, balaye-t-il, quand on s’étonne. Le fisc a estimé trop bas les loyers que je versais comme locataire à la SCI propriétaire de Montretout (son château hérité du cimentier Hubert Lambert dans des conditions contestées, ndlr)… » De fait, Jean-Marie Le Pen étant le principal actionnaire de cette SCI, un montage lui permettait de réduire artificiellement ses revenus.

Le domaine de la famille Le Pen, parc de Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine)Le domaine de la famille Le Pen, parc de Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) © Google Map

Questionné par Mediapart, la direction générale des finances publiques n’a pas souhaité confirmer ou infirmer l’existence de cette ristourne fiscale, « ne s'exprimant jamais sur les dossiers particuliers ». Là encore, la brigade financière devrait facilement vérifier.

Quant aux 150 000 euros qui auraient été versés par l’étude notariale de Saint-Cloud en 2008, Jean-Marie Le Pen nous répond : « Il faut que je fasse des recherches, c’est probablement un héritage… » Sollicitée, la société se refuse à tout commentaire au fond. « Il y a des clients qui virevoltent de notaire en notaire, se contente de répondre Patrick Marchand. Aucun des associés n’est un ami de M. Le Pen en tout cas. »

Quand on enchaîne avec les 50 000 euros arrivés d’une banque de Lorraine, le député européen se débarrasse encore plus vite des questions : « Comme ça, je ne vois pas… »

Enfin, il assure à Mediapart que les 300 000 euros virés sur son compte personnel par Cotelec, son micro-parti, correspondent « probablement à un prêt pour sa campagne électorale (de 2009), qui a dû être remboursé ». « Il a remboursé, oui, dégaine le trésorier de Cotelec, Gérald Gérin, ancien majordome de M. Le Pen à Montretout, qui hésite toutefois sur l’élection concernée et parle initialement des municipales de 2008 (auxquelles Jean-Marie Le Pen ne s’est pas présenté). Nos comptes sont d’une transparence de cristal ! » Quand on lui rappelle que la commission des comptes de campagne a pourtant rejeté en janvier 2014 ceux de Cotelec (« non conformes » car déposés « hors délai »), le trésorier s’offusque : « Le coursier les a apportés à la mauvaise adresse, l’enveloppe s’est simplement perdue ! »

Pour vérifier l’existence d’un prêt d’environ 300 000 euros dans le compte de campagne de Jean-Marie Le Pen aux européennes de 2009, Mediapart s’est évidemment tourné vers la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), qui n’a pu répondre dans les délais impartis. Le dossier est en effet stocké aux archives nationales de Fontainebleau, inaccessible depuis des semaines pour raisons de sécurité.

Quoi qu’il en soit, les flux financiers qui existent entre les Le Pen et leurs micro-partis (celui de Marine Le Pen est visé par une information judiciaire ouverte sur des soupçons d’« escroquerie en bande organisée ») offrent quelques arguments aux partisans d’une fusion entre la HAT et la CNCCFP, les deux organes qui se partagent aujourd’hui le contrôle des financements politiques, la première se chargeant de l’argent des élus, la seconde de l’argent des partis et des campagnes. Alors qu’elles travaillent pour l’instant séparément, certains parlementaires suggèrent un regroupement des forces, pour créer une grande juridiction de moralisation de la vie publique qui gagnerait en force de frappe, en particulier sur des sujets transversaux comme les micro-partis.

S’agissant de Jean-Marie Le Pen, en tout cas, l’affaire n’en est qu’à ses débuts. La Haute autorité pour la transparence, gendarme bien mieux armé pour éplucher les déclarations de patrimoine des élus que son prédécesseur, va bientôt s’en saisir. L’eurodéputé avait jusque début juin pour adresser sa déclaration de patrimoine, nouvelle version.

BOITE NOIRESollicité le vendredi 6 juin par mail, Jean-Marie Le Pen nous a répondu par téléphone quatre jours plus tard, mardi 10 juin.

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L'attribution des HLM parisiens sera plus transparente

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Qui doit être prioritaire dans l’attribution d’un logement social à Paris ? Un SDF ou une femme battue par son mari ? Un couple d’instituteurs ou une famille nombreuse en situation de sur-occupation ? Un habitant de la capitale ou un banlieusard qui se coltine tous les jours 3 heures de trajet aller-retour pour y travailler ? Bref : qui privilégier parmi les quelque 148 000 ménages demandeurs d’un logement social à Paris quand 12 000 seulement sont attribués chaque année ? Et surtout comment rendre lisibles les critères de sélection pour que ceux qui attendent depuis des années ne se sentent pas floués ?

La mairie de Paris a décidé d’apporter une réponse à ces questions hautement sensibles en attribuant des points aux demandeurs en fonction de la situation qu’ils vivent. Mediapart a eu accès en avant-première à ces données qui seront exposées lundi au Conseil de Paris par le nouveau maire adjoint en charge du logement, Ian Brossat (PCF), qui a repris et peaufiné le travail très largement entamé sous la dernière mandature de Bertrand Delanoë.

Le projet est ambitieux. Dans ses principes, il a déjà été mis en œuvre ailleurs, par exemple à Rennes. Mais certains acteurs du secteur estimaient pendant la dernière campagne municipale que ce système dit du « scoring » ou de la « cotation » n’était pas adapté à une ville comme Paris où le marché du logement est particulièrement tendu, où chacun se ressent comme prioritaire.

Anne Hidalgo et son adjoint au logement Ian Brossat pendant la campagne des municipales. Anne Hidalgo et son adjoint au logement Ian Brossat pendant la campagne des municipales. © Reuters

La nouvelle maire de Paris, Anne Hidalgo, pense visiblement le contraire. Elle a décidé de suivre les préconisations de la mission d’information et d’évaluation de la Ville qui avait travaillé en 2012 sur ce sujet, et dont les recommandations avaient été votées par l’ensemble des groupes politiques du Conseil de Paris. Alors que l’ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, avait de son côté renoncé à imposer ce dispositif, se bornant à proposer des expérimentations.

Les critères, nombreux, relèvent des conditions d’occupation (nombre de personnes par pièce, surface par occupant), des conditions de logement (procédure d’expulsion en cours, résidence étudiants, hébergement chez ses parents, dans un hôtel social, part des revenus consacrée au logement, etc.), de critères familiaux (divorce, rapprochement du lieu de travail, etc.).

Pour chaque situation, un nombre de points est attribué. Le score final est affiné par un coefficient multiplicateur qui tient compte du lien avec Paris (le fait d’y vivre ou d’y travailler) et de l’ancienneté de la demande. Le système permet de sélectionner les cinq dossiers prioritaires par rapport au logement vacant. Une commission sera en revanche toujours chargée de classer ces cinq dossiers, mais, et c’est également une nouveauté, les dossiers seront anonymisés, de façon à éviter les discriminations à l’œuvre dans le logement social. Là aussi, la volonté politique est forte, sachant que les bailleurs sont généralement rétifs à ce type de procédés.

La grille ci-dessous détaille les modalités du calcul. (Certains critères, comme cela apparaît sur la grille, sont surpondérés s’il y a un justificatif : stades de la procédure d’expulsion, violences familiales…)

L’objectif de lisibilité ne saute pas aux yeux. Mais qui veut se pencher sur son score et comprendre pour quelle raison il n’a pas obtenu d’appartement pourra se plonger dans la grille. « Le système actuel, sans visibilité ni compréhension des critères de sélection, génère de la frustration, de l’angoisse, et alimente inévitablement les soupçons sur l’équité du système », explique Ian Brossat.

Autre objectif affiché : « une palette de critères variés ». D’une part, pour faire ressortir des profils différents : ne pas avoir que des SDF, que des familles nombreuses, etc. – la mairie de Paris a ainsi réalisé sept simulations consécutives sur l’ensemble du fichier avant d’obtenir cette diversité espérée. D’autre part, « il fallait une grille précise et étalée de façon qu’une multitude de ménages n’obtiennent pas le même nombre de points ».

De façon à y voir plus clair, la mairie de Paris nous a transmis certaines des simulations réalisées. Au vu des résultats qu'elle a obtenus sur l'ensemble du fichier, la note moyenne est de 8,6. 50 dossiers ont plus de 50 points, 345 ont entre 40 et 50 points.

Par ailleurs, Ian Brossat désire que le demandeur ne soit plus seulement dans l’attente d’une réponse. Mais qu’il se positionne lui-même. L’idée est de mettre en ligne les logements disponibles et que chaque ménage postule si un appartement libre l’intéresse. Ce système a déjà été mis en œuvre aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne mais il pose la question de l’accessibilité. Comment candidatent ceux qui n’ont pas accès à Internet ? « Nous allons commencer par un échantillon. Et nous verrons comment cela fonctionne », répond l’adjoint au logement.

Pour cet aspect comme pour les autres, un comité de suivi sera mis en place pour adapter le modèle, au vu des premiers résultats. De toute façon, le système ne va pas basculer du jour au lendemain. D’abord parce que la mairie de Paris ne maîtrise pas l’ensemble des attributions, loin s’en faut. Un tiers relève de la préfecture. Un tiers d’Action logement (l’ancien 1 % logement, alimenté par les entreprises). Et un tiers seulement est directement géré par la mairie centrale et les mairies d’arrondissement.

L’évolution sera donc progressive. Le 1er octobre, la mairie centrale et certaines mairies d’arrondissement volontaires adopteront la cotation. Au premier trimestre 2015, l’ensemble des mairies d’arrondissement s’y soumettra. Ian Brossat espère alors convaincre la préfecture et Action logement, par un effet d’entraînement, d’adopter à leur tour un système de cotation.

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La Parisienne Libérée : «Le chant de ceux qui n'agréent pas»

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Cette chronique est le premier volet d'une série sur le thème des « Interluttants ».

CONTEXTE

L'accord du 22 mars qui établit les nouvelles règles d'indemnisation de l'assurance-chômage est en cours d'agrément et son entrée en application était prévue pour le 1er juillet. Les coordinations d'intermittents et de précaires se mobilisent depuis plusieurs mois pour tenter de faire connaître ce texte qui durcit les conditions d'indemnisation pour des catégories déjà très fortement touchées par la crise et la précarité, comme les artistes et techniciens du spectacle, des intérimaires et des seniors.

Aux côtés de nombreux parlementaires, associations, syndicats, les coordinations demandent au ministre du travail de ne pas agréer la convention issue de cet accord et dénoncent les conditions dans lesquelles ont été conduites les négociations. La CGT vient même de porter l'affaire en justice. Un comité de suivi composé d'intermittents, de parlementaires et de chercheurs existe par ailleurs depuis plusieurs années et avait élaboré des propositions chiffrées. Le chercheur Mathieu Grégoire, qui a participé à ces travaux, explique qu'elles n'auraient pas été plus coûteuses, tout en étant moins pénalisantes pour les travailleurs précaires (voir sa conférence sous l'onglet Prolonger). Pour l'instant, ces propositions n'ont même pas été examinées, alors qu'elles étaient largement soutenues par les actuels membres du gouvernement avant leur arrivée aux responsabilités.

De nombreuses équipes sont actuellement en grève, fortement déterminées dans leur opposition à l'agrément. Les enjeux de ce conflit sont multiples, comme l'a rappelé Edwy Plenel cette semaine sur Mediapart et France Culture.

La nomination d'un médiateur favorable à l'agrément pose question sur la volonté du gouvernement d'ouvrir un réel dialogue social.




LE CHANT DE CEUX QUI N'AGRÉENT PAS

paroles et musique : la Parisienne Libérée

Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Le Medef et ses petits chefs
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
L'Unedic et toute sa clique

Nous somme ceux qui n'agréent pas

Les cours des comptes imbéciles
Nous somme ceux qui n'agréent pas
Les syndicats dociles

Nous sommes ceux qui n'agréent pas

La fin de l'assurance chômage
Nous sommes ceux qui n'agréent pas

Les économies du carnage
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Qu'on prélève des culs de chandelle
Pour éclairer le patronat
Jusque dans son hôtel

Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Le passe-passe du 22 mars
L'accord pas plus majoritaire
Que les rouges dans l'armée de l'air
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Ceux qu'on essaye de fractionner
Mais ceux qui ne se battront pas
Entre précarisés

Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Les retournements subis
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Surtout quand on les a trahis
Au milieu des ruines du PS
Les ministres sont nommés

Pour oublier leurs promesses
Et ils le font, d'un air étonné





Nous sommes ceux qui n'agréent pas

Et resteront solidaires

Si tu crois qu'on ne travaille pas

Viens donc un jour faire les lumières

Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Nous les inquiets du lendemain

Un jour, une semaine, un mois
On voit rarement plus loin



Une grève ça vous crève le cœur
Et ça complique les fins de mois
Si on garde nos bonnes humeurs
C'est parce qu'on pense qu'on la gagnera
Nous sommes l'unité plurielle

Celle qui peut faire bouger les lignes

Il fallait bien qu'on se rebelle
Face à ces gens indignes

Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Qu'on leur fasse jouer les boucs émissaires
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Ce genre d'hyperviolence austère
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Depuis plus de dix ans déjà
Le petit air néolibéral
Le jeu de massacre social

Nous sommes ceux qui n'agréent pas

Les insultes faites à la chaîne
Bobo par-ci, bobo par-là

Et tous les babils de la haine
Ceux qui refusent qu'on les désagrège

Ceux qui ne se laissent pas diviser
Et si ça, c'est un privilège

Venez le partager !

Nous sommes ceux qui n'agréent pas
Le Medef et ses petits chefs
Nous sommes ceux qui n'agréent pas
L'Unedic et toute sa clique

Nous sommes ceux qui n'agréent pas

Cette cour des comptes imbécile
Nous somme ceux qui n'agréent pas
Les syndicats dociles

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Les précédentes chroniques
Le serpent est dans la pomme /Les Français ne sont pas tous fascistes /L'Europe de Frontex / Hé oh, les Néolibéraux ! / Bruxelles Bubble / Un vote pour rire / À gauche ! / Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

BOITE NOIREChanteuse, chroniqueuse, je suis une intermittente par intermittence depuis une dizaine d'années. J'ai connu les mobilisations de 2003 qui ont abouti à la création des coordinations actuelles.

Voici la grille de cette chanson :
Cm Gm Bb Cm Cm Gm Bb Eb / [D Sus4] D Gm Ab Gm D Eb Ab D7

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Jacques Toubon en Défenseur des droits: une nomination que rien ne peut justifier

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On est injuste avec François Hollande. Le chef de l’État a au moins une qualité que nul jusqu’ici n’a voulu lui reconnaître : il peut redonner vie à des concepts que l’on croyait morts. En ce mois de juin 2014, notre président social-libéral en mal de résultats – mais toujours enclin à désespérer ses électeurs en courtisant en vain ses adversaires –, vient ainsi de ressusciter le chiraquisme, rien de moins. Un communiqué de l’Élysée diffusé mercredi soir nous apprend en effet ceci :

Le grognard chiraquien Jacques Toubon, qui fêtera ses 73 ans le 29 juin, a donc de grandes chances de s’éviter les affres d’une retraite désœuvrée grâce à François Hollande, qui se propose de lui offrir le poste de Défenseur des droits, poste qu’occupait Dominique Baudis depuis 2011 jusqu’à son décès le 10 avril dernier, à 66 ans.

Jacques Toubon, Défenseur des droits ? Est-il le mieux placé pour lutter contre les discriminations, et veiller à la déontologie de la sécurité (deux des missions du Défenseur des droits, avec la défense des enfants et celle des usagers des services publics, depuis l'absorption du Défenseur des enfants et de la Halde en 2008) ? L’idée fera sourire les plus indulgents, quand d'autres s'indignent déjà et le voient plutôt en « défenseur des droites ».

Avant de devenir ce vieux sage consensuel et pétri de valeurs humanistes que veut nommer Hollande, Jacques Toubon a été un des chevau-légers de la droite dure parlementaire contre François Mitterrand, lors de son premier septennat.

Premier accroc de taille, dans son parcours : lors de ses débuts comme parlementaire, en 1981, Jacques Toubon a fini par voter contre la loi de Robert Badinter abolissant la peine de mort, même s'il avait auparavant voté pour le principe de l'abolition (l'article 1), avec 15 autres députés RPR. Jacques Toubon s'était alors déclaré opposé à la peine de mort à titre personnel, mais hostile à une loi qui ne garantissait, selon lui, pas d'alternative (on peut lire ici son intervention dans l'hémicycle le 18 septembre 1981). Il réclamait alors, en contrepartie, « des modalités d'exécution nouvelles des peines de réclusion criminelles les plus graves », voulant aussi « réviser l'échelle des peines à travers une réforme du Code pénal ».

Cette même année 1981, Jacques Toubon s'illustre encore malheureusement en votant, comme de nombreux députés RPR, contre la loi de Gisèle Halimi dépénalisant l'homosexualité (on peut lire le compte-rendu des débats du 20 décembre 1981 ici).

Pourfendeur du socialisme, spécialiste de l'obstruction parlementaire, des interruptions et du brouhaha en séance, Jacques Toubon s'était notamment illustré en jouant les grognards de Chirac lors des débats sur la loi Savary, en 1984.

Cette même année, Jacques Toubon avait été sanctionné, avec François d’Aubert et Alain Madelin, d'une mesure de « censure » prononcée par le bureau de l'Assemblée, pour « injures ou menaces contre le président de la République ». En l'occurrence, pendant les débats de la loi relative à la communication, les trois sbires lançaient des allusions aux activités de François Mitterrand pendant l'Occupation. Une diversion au passé collaborationniste du patron de presse Robert Hersant, alors à la tête d'un véritable empire, et qui était menacé par des mesures sur la concentration de la presse.

En 1989, c'est encore lui qui ferraille durement contre la loi sur l'immigration présentée par Pierre Joxe.

Lorsqu’il occupait le ministère de la justice, de 1995 à 1997 (après deux années pittoresques à la culture), il s’était comporté en « garde des siens » plutôt qu’en garde des Sceaux. Alors que plusieurs juges d’instruction enquêtaient sur les affaires de financement du RPR, le ministre mouillait la chemise quotidiennement pour tenir ses procureurs.

Afin d’éviter aux époux Tiberi la désignation d’un juge d’instruction indépendant dans une affaire emblématique – les salaires de complaisance versés à Xavière Tiberi par le conseil général RPR de l’Essonne, alors tenu par Xavier Dugoin –, les services de Jacques Toubon avaient même commis l’impensable : envoyer un hélicoptère jusque dans l’Himalaya, avec le fol espoir d’y trouver le procureur d’Évry, Laurent Davenas (féru d'alpinisme), et de le convaincre de ramener son adjoint, Hubert Dujardin, à la raison. Le procureur adjoint d’Évry avait eu le tort et l’audace d’ouvrir une information judiciaire pendant l’intérim de Davenas, plutôt que de faire durer tranquillement l’enquête préliminaire en cours. C’était en novembre 1996.

Jean et Xavière TiberiJean et Xavière Tiberi © Reuters

Ces deux années Toubon place Vendôme, passées à promouvoir des procureurs amis et à entraver les enquêtes, ont eu des résultats plus que mitigés. « Ah mais je ne peux rien faire, il y a un juge de nommé ! », répondait un jour le ministre, dérangé au téléphone par un ami, alors qu’il accordait un entretien à l’auteur de ces lignes dans un petit salon du ministère, et jurait ses grands dieux que les « affaires » ne l'occupaient que 1 % du temps...

Pour mémoire, c'est Jacques Toubon qui avait nommé directeur de l'Administration pénitentiaire un magistrat nommé Gilbert Azibert. Celui-là même qui vient de s'illustrer malencontreusement dans l'affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy.

Malgré le zèle de Toubon et de ses amis, les dossiers les plus lourds, mêlant fausses factures du BTP, mallettes de billets et financement politique, ont certes été ralentis à l’époque, mais la plupart ont tout de même fini par être jugés (marchés du conseil régional d’Ile-de-France, emplois fictifs du RPR, OPAC, etc.). Certaines enquêtes ont toutefois été sabordées, dont l’affaire de l’office HLM des Hauts-de-Seine, dans laquelle le ministre de l’intérieur Charles Pasqua avait prêté son concours à une déstabilisation du juge Éric Halphen via son beau-père, le docteur Maréchal, fin 1994.

D'autres affaires semblent, en revanche, avoir été gonflées, comme celle qui vaut au président (MRC) du territoire de Belfort, Christian Proust, de passer 15 jours en prison en 1996, avant d'être blanchi bien plus tard, en 2004.

En tant que ministre de la justice, Jacques Toubon a encore refusé, en 1995, l’examen de la proposition de loi socialiste créant le Contrat d’union civile (ancêtre du Pacs), en déclarant notamment ceci : « Le gouvernement n’est pas favorable parce que l’ordre public s’y oppose. » Il avait aussi cherché à amnistier les commandos anti-IVG, avant de changer d'avis.

Pour finir, avec la dissolution de 1997, Jacques Toubon avait quitté le ministère de la justice sous les quolibets, couturé de cicatrices, et sa carrière politique n’avait plus tout à fait été la même. En bon soldat méritant de la Chiraquie, il n’a, cependant, jamais été au chômage.

N’arrivant pas à redevenir député après son passage remarqué à la justice, Toubon s’abrite d’abord à l’Élysée comme conseiller. Il tente un putsch hasardeux contre Tiberi en 1998, qui lui coûte son poste au Château. L’année suivante, il reçoit la visite d’Eva Joly pour une perquisition en bonne et due forme dans l’affaire Isola 2000, station de ski dirigée par sa belle-fille et grevée de malversations. Le promoteur de la station, Dominique Bouillon, laissait Jacques Toubon utiliser son bateau à l’année, et d’autres arrangements plus secrets étaient soupçonnés par la justice. Après une mise en examen, l’affaire se termine toutefois par un non-lieu.

Maire du XIIIe arrondissement de Paris de 1983 à 2001, Jacques Toubon y a laissé des souvenirs mitigés, et géré avec difficultés de gros dossiers d'aménagement. À peine Chirac réélu à l’Élysée, en 2002, il se console en obtenant un coup de piston, étant bombardé conseiller d’État au tour extérieur. Pour améliorer l’ordinaire, il est aussi élu député européen en 2004. Le bâton de maréchal lui est offert en 2005 : faute de retrouver la mairie du XIIIe, il est nommé président du groupement d'intérêt public de la Cité de l’immigration, puis président du conseil d’orientation de l’établissement public du palais de la Porte dorée en 2007, reconduit en 2010 puis encore en 2013, ce qui avait suscité un certain étonnement à gauche. Un strapontin occupé depuis près de dix ans, où Jacques Toubon n'a pas fait de vagues, ni d'étincelles.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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