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Football européen: des matchs truqués à la pelle

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En football, tout s’achète. L’organisation des compétitions si l’on en croit la presse britannique. Mais aussi les matchs ou des bouts de matchs. Le parlement européen, via le député belge Marc Tarabella, vient de frapper un grand coup en s’unissant à une association d’opérateurs de paris nommée Federbet, qui contrôle les flux financiers liés à ce type de pronostics. L’enquête menée depuis le mois de septembre conclut qu’en quelques mois, dans des compétitions françaises, italiennes ou encore portugaises, 110 matchs au moins ont été truqués « sans l’ombre d’un doute » (voir ici la liste), pour des montants qui s’élèvent à « des dizaines de millions d’euros ». De lourds soupçons pèsent sur 350 autres matchs. Et le football n’est pas le seul sport concerné.

L’amplification de la fraude (ou de sa détection) est rapide. Entre 2008 et 2011, Europol n’avait repéré « que » 680 matchs très suspects. Soit environ deux fois moins par an. En décembre dernier, lors d’un premier point d’étape pour la saison 2013-2014, le député européen avait signalé 50 matchs à coup sûr achetés. Mais il n’y avait eu aucune suite. Aucun club, aucune ligue, aucune fédération n’avait saisi la justice. Comme si personne ne souhaitait voir la réalité en face.

Pour les auteurs de l’enquête, qui ne veulent pas pour l’heure détailler les montants en jeu pour chacune des rencontres, il n’y a pourtant aucun doute. Federbet retient trois critères pour juger : la hauteur anormalement élevée des sommes pariées, le fait de parier pendant le match, et l’origine géographique des fonds misés. Quand les trois critères convergent, Federbet conclut à la fraude. Quand il n’y en a que deux ou que les sommes ne sont pas exceptionnellement élevées, l’association, dont le siège social est à Bruxelles, n’émet que des doutes.

Certains matchs suspectés se sont déroulés dans le cadre de la prestigieuse Ligue des champions. D’autres relèvent de simples rencontres amicales. Dans les équipes épinglées, on en trouve de très renommées (la Lazio de Rome, le PSV Eindhoven, le Benfica de Lisbonne). Et d’autres, plus modestes. En France, le match de deuxième division CA Bastia-Clermont est ainsi désigné comme arrangé. Selon BFMTV, des parieurs d'Europe de l'Est auraient prévu que Clermont mène à la mi-temps avant de se faire rejoindre au score en seconde période. Un scénario qui s'est effectivement produit. Le montant des mises a atteint 300 000 euros, alors que d’habitude les mises ne dépassent pas 1 500 euros pour une rencontre de Ligue 2.

Mais les paris concernent aussi des divisions d’un niveau moindre. Jusque dans de tout petits championnats. « À Malte, l’intérêt d’aller au stade est limité puisque 85 % des matchs sont suspects », explique Emmanuel Foulon, porte-parole du parti socialiste au parlement européen et spécialiste du sujet.

Miser sur de petits clubs a un avantage, précisent les auteurs de l’enquête: il est plus facile de marquer un but contre son camp devant 200 spectateurs que devant 40 000 personnes et 50 caméras. Il est également plus aisé de corrompre un joueur qui gagne peu. Ou une équipe dont les finances partent à vau-l’eau.

Mais le plus inquiétant est ailleurs : Emmanuel Foulon estime que l’enquête passe à côté de 85 % des paris, la plupart des sites de pronostics n’étant pas traçables, situés dans des paradis fiscaux comme Gibraltar. Il faut donc s’en tenir à une estimation : chaque année, entre 500 et 750 milliards de dollars seraient misés sur des compétitions sportives. 10 % de cette somme ferait l’objet d’une criminalité ou d’une autre (corruption, blanchiment, etc.)

Le parlement européen a déjà œuvré au cours des derniers mois pour interdire les paris sur les matchs des mineurs d’âge. Et certains cherchent à empêcher les paris « criminogènes », qui encouragent la fraude. Ainsi, quoi de plus facile, avec une complicité à peu de frais, que de parier sur la couleur des chaussures que portera un joueur ou sur le façon dont il célébrera un but ?

Pour l’heure pourtant, beaucoup de fraudes faciles ne sont pas évitables. Au tennis, on peut parier sur n’importe quel point d’un match. Or que coûtera-t-il à un joueur de perdre le premier point de son deuxième jeu de service ? C’est encore pire pour les paris passés après le début d’un match. Quand le score est de 6-0, 4-0, la tentation est grande, les conséquences étant nulles.

Olivier Rochus a-t-il volontairement  «balancé » un set lors d'un match en Guadeloupe?Olivier Rochus a-t-il volontairement «balancé » un set lors d'un match en Guadeloupe?

Il serait aussi absurde de penser que la corruption se cantonne au football que de s’imaginer que le dopage n’existe que dans le vélo.  Pour le montrer, Federbet a fait quelques tests dans d’autres sports comme le tennis. Et est tombé un peu par hasard sur un match d’un obscur tournoi challenger qui s’est déroulé cette année en Guadeloupe, opposant l’ancien numéro 1 du tennis belge Olivier Rochus à Vincent Millot, un joueur français qui fut par ailleurs son partenaire de double lors de ce tournoi. Les flux financiers étaient équivalents à un match de Roland-Garros. Immédiatement interrogé par la presse belge, le joueur a nié ce mardi toute forme de compromission. Son frère Christophe avait également été suspecté il y a quelques années pour des faits identiques.

Des proches des joueurs auraient-ils pu parier ? Des membres de leur entourage ? Au tennis, l’ATP (association des joueurs de tennis professionnels) n’a jamais souhaité nouer un partenariat pour faire la lumière sur ce type de pratique. Seule la justice pourrait dès lors enquêter sur ces flux financiers.

À défaut, que faire ? Quelques clubs, en Espagne par exemple, ont annoncé s’être associés à des entreprises ou des associations chargées de les alerter en cas de doute. Mais les réticences restent fortes : la série B italienne (deuxième division) a renoncé au dernier moment à un partenariat de ce type face aux pressions d’un sponsor important, Eurobet, une entreprise de paris en ligne. Au parlement européen, ceux qui suivent le dossier ne désespèrent cependant pas : la FIFA a décidé de s’associer à Federbet pour la Coupe du Monde à venir.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014


Bac nord de Marseille: la justice cherche toujours ses ripoux

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La cité des Oliviers, à Marseille, le 14 août 2013.La cité des Oliviers, à Marseille, le 14 août 2013. © LF

Tout un service dissous, trente policiers suspendus, dix-sept mis en examen dont sept écroués, des inculpations criminelles de « vol en bande organisée, extorsion en bande organisée, acquisition, détention et transport non autorisé de stupéfiants » : l’affaire de l’ex-brigade anti-criminalité nord de Marseille avait stupéfié la France en octobre 2012.

Mais deux ans et demi après le début des investigations lancées en novembre 2011, la justice peine à prouver l’existence du « système organisé de vol, de racket et de trafic de drogue » dénoncé en octobre 2012 par l’ex-procureur de la République de Marseille, Jacques Dallest.

La principale information judiciaire, confiée à deux juges d’instruction marseillais, montre que l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a retranscrit de façon très orientée, et parfois même faussée, les sonorisations de six véhicules de l’ex-Bac nord. Et la crédibilité des deux témoins clés de l’affaire, tous deux passés par la Bac nord avant d’en avoir été exclus, s’effrite au fil de la découverte de leurs frasques. L’un d’eux, le brigadier E. G., est passé en conseil de discipline ce mercredi 4 juin pour des soupçons de travail dissimulé.

L’autre volet judiciaire de l’affaire, qui portait sur des soupçons d’implications de policiers de l’ex-Bac nord dans la mort d’un informateur, a lui abouti à une impasse. Le juge d’instruction aixois, en charge du dossier, a rendu un non-lieu le 10 avril 2014.

Au bout du compte, trois policiers de l’ex-Bac nord ont été révoqués, une quinzaine d’autres sanctionnés (du blâme à un an de suspension). Selon plusieurs sources, l'IGPN n'a en revanche retenu aucune responsabilité concernant le commissaire à la tête de la Division nord de Marseille et l'officier qui dirigeait l'ex-Bac nord, ce qui ne manque pas de piquant pour un « système organisé ».

Plus question de ripoux, mais de policiers incroyablement désinvoltes avec la procédure, qui détruisaient des barrettes de shit dans la rue, pour ne pas revenir au poste avec un fumeur de joint, ou qui les conservaient pour leurs informateurs. On est loin, très loin des révélations d’un Frank Serpico mettant au jour à la fin des années 1960 une corruption et un racket généralisés au sein de la police new-yorkaise.

L’un des piliers de l’affaire des « ripoux », ce sont les sonorisations de six véhicules de l’ex-Bac nord réalisées entre mars et fin septembre 2012. D’après ceux qui ont pu en entendre des extraits, leur qualité est très mauvaise et les propos échangés sonnent plutôt comme des galéjades. Ce qui n’a pas empêché l’IGPN de prendre chaque mot pour argent comptant. Seuls deux fichiers son ont été soumis à la contre-expertise du laboratoire d'analyse et de traitement de signal (Lats) de la police scientifique à Écully. Et dans les deux cas, la retranscription de la police des polices apparaît fausse. Toujours dans le même sens : pour fabriquer des policiers ripoux.

Le 5 juin 2012, un équipage de la Bac nord vient de récupérer une sacoche lâchée dans sa fuite par un dealer. Les trois policiers en inspectent le contenu. L’un des policiers présents, Régis, 36 ans, a depuis reconnu avoir ce jour-là récupéré une vingtaine de barrettes dans cette sacoche pour son informateur de La Castellane. Le ministre a signé son arrêté de révocation début 2014.

La retranscription de l’IGPN est accablante. « Moi je garde mon produit, j’en garde quelques-uns pour quelques potes de La Castellane », dit le policier mis en examen. « Et le pognon ? » lui demande un autre fonctionnaire. Le gardien de la paix répond : « Moi je le planque pas chez moi, je le fais garder par (inaudible). » Quelques minutes plus tard, une autre phrase finit de planter le décor : « Ta tune, t’es à bloc, t’es à bloc. » Bienvenue chez les malfrats…

Mais l’ingénieur du Lats n’a pas du tout entendu la même chose. Dans sa retranscription, la question « Et le pognon ? » disparaît purement et simplement. De même que les « potes de La Castellane ». « Oh je garde mon produit, je vais en prendre quelques-uns, pour (ce que font les autres) de La Castellane », dit Régis. « Mais le pro- », demande un autre fonctionnaire. « Je garde rien sur moi. Je le planque, mais je, (…) », répond le policier.

Il n’est plus, non plus, question d’être « à bloc » sur la « tune ». « Je pense qu’ils se mettaient dans des endroits calculés. (C’était) un bloc », dit Régis, selon l'expert d'Écully. En fait, le gardien de la paix décrit à son chef de bord le fonctionnement d'un point de vente de drogue, celui de La Castellane.

Alors que l’IGPN disposait de cette contre-expertise début août 2012, elle la passe pudiquement sous silence dans son rapport de synthèse du 16 septembre 2013. Celui qui vaudra au policier d’être révoqué. Seule la première version, truffée d’erreurs, est citée, laissant planer le doute sur un éventuel partage d’argent.

« Pendant toute sa garde à vue, l’IGPN et la juge ont parlé à mon fils d’argent, explique Joël Dutto, le père du gardien de la paix. Il n’a compris qu’un an plus tard quand il a eu accès aux retranscriptions : dans la voiture, ils parlaient de produit, pas d’argent ! Et ça la juge et l’IGPN le savaient avant même sa garde à vue, mais ils ne s’en sont pas servis. » Des méthodes que l’ancien élu communiste marseillais n'hésite pas à qualifier de « faux et usage de faux » dans un courrier envoyé en janvier au premier ministre. Le faux est un crime passible des assises lorsqu'il est commis par un dépositaire de l'autorité publique

L’autre sonorisation confiée au laboratoire est encore plus surprenante. Le 28 août 2012, Stéphane, un policier de la bac, raconte à deux autres collègues l’interpellation d’un charbonneur à la cité Fond Vert, dans le 14e arrondissement de Marseille. Des chiffres apparaissent dans la conversation : « 80 pour moi (…) 600 euros là. » La police des police est persuadée d'assister en direct à un partage de butin, mais la bande-son est de si mauvaise qualité que les enquêteurs l’envoient elle aussi à Écully. Ils ne vont pas être déçus. Dans la retranscription de l’expert, la phrase la plus incriminante disparaît : « Le mieux, c’est d’être seul. » Et le reste de la conversation, couverte par le bruit du moteur et de la radio, reste difficilement compréhensible.

Mais pour l'IGPN, pas de doute. « Le 28 août 2012, vous décrivez un arrachage avec pour butin une sacoche et en suivant un partage d'argent », accuse un commandant de l’IGPN lors de la garde à vue du policier. Dommage que les enquêteurs n’aient pas d’abord vérifié comment s’est réellement déroulée cette intervention à Fond Vert.

Il s’agissait en fait d’une opération commandée par la cellule communication de la DDSP des Bouches-du-Rhône pour deux photographes néerlandais. C’est ce que les policiers appellent une « touchette » : un agent de la Bac nord se fait passer pour un acheteur de cannabis afin d'interpeller en flagrant délit le vendeur. « L'idée était de montrer comment nous intervenions, et cela a bien marché puisque nous sommes intervenus et malgré la fuite d'un charbonneur, il a été rattrapé après une course pédestre et une fuite à travers des balcons au septième étage », a indiqué le major P. B., chef adjoint de la Bac, lors de sa garde à vue.

Ce jour-là, c’est le photographe de la DDSP qui trouve la sacoche du dealer dans les toilettes d’un appartement où il s’est réfugié et la remet directement au commissaire, chef adjoint de la division nord. Dans une lettre datée du 10 décembre 2012 destinée à la juge d’instruction, le chef adjoint de la Bac nord enfonce le clou : il était impossible pour les policiers de la Bac nord de s’emparer de produit ou d’argent, puisque c’est le commissaire « qui a constamment gardé par-devers lui ladite sacoche ».

« Il aurait fallu être fou pour voler quoi que ce soit sous le nez des objectifs », s’étonne l’un des témoins de l’opération, contacté par Mediapart. Qui plus est avec un dispositif comptant des dizaines de fonctionnaires des compagnies d'intervention et de sécurisation (CDI), des compagnies républicaines de sécurité (CRS), et de la Bac nord.

Sur les photos des journalistes, publiées dans Marianne et un hebdo néerlandais, on voit d’ailleurs le commissaire poser devant les barrettes de shit et les billets trouvés. L’intervention a également été immortalisée par le photographe de la DDSP. « Ce reportage photographique est à disposition auprès de la cellule de communication de l’hôtel de police », conclut le major B dans sa lettre aux enquêteurs. Vérification faite, le reportage dort toujours dans les archives de l’Évêché. L’IGPN ne l’a jamais réclamé.

Bien au contraire. Selon nos informations, les enquêteurs ont multiplié les coups de pression lors du coup de filet d'octobre 2012. « Durant la perquisition des vestiaires de la Division nord, certains fonctionnaires de l'IGPN ont débarqué en affirmant qu'ils avaient trouvé 40 000 euros chez un policier gardé à vue, ce qui était un pur mensonge », relate un témoin. Des méthodes qui auraient créé des tensions entre les différentes délégations de la police des polices, venues prêter main forte à leurs collègues marseillais. « On entendait les gens s'engueuler dans les couloirs », se souvient un fonctionnaire.

L'enquête repose également sur les témoignages de trois anciens policiers de la Bac nord. C’est principalement sur la foi des dénonciations du brigadier E. G., passé à la Bac nord de février 2010 à décembre 2010, et de l'ultra médiatisé Sébastien Bennardo, que le parquet de Marseille a ouvert le 23 novembre 2011 une enquête préliminaire sur des soupçons d’extorsions. À l'époque, ils sont présentés comme des « sources distinctes, concordantes et crédibles » par Didier Cristini, le patron de l’IGPN marseillaise.

Depuis, Sébastien Bennardo a été révoqué de la police le 6 août 2012, pour avoir laissé repartir un an plus tôt un informateur interpellé par erreur, avec une dizaine de barrettes de shit dans la poche. Parti sans arme ni uniforme, le gardien de la paix s’était trompé de client et avait cru attraper un bandit recherché. Ce n’était pas la première fois que le policier, décrit comme un « chien fou » par un ancien supérieur, passait en conseil de discipline. Condamné au pénal pour faux pour avoir tapé lui-même un procès-verbal de constatation d’un cambriolage à son domicile en janvier 2011, Bennardo avait également écopé d’une suspension administrative d’un mois.

Dans son livre intitulé Brigade anti-criminalité. Racket, pots-de-vin, corruption, intimidations…, Sébastien Bennardo raconte que lui et E.G. ont sympathisé au commissariat du 14e arrondissement, où ils avaient été relégués après leur éviction de la Bac nord. « Ça paraît compliqué de les qualifier de sources distinctes et de bonne foi. Ils avaient des raisons objectives d’en vouloir à la Bac », remarque un haut fonctionnaire.

Le brigadier E.G., 42 ans, est passé en conseil de discipline ce mercredi 4 juin 2014 pour travail dissimulé et manquement déontologique. Le 3 mai 2013 au soir, deux îlotiers surprennent E.G, que l’un d’eux connaissait pour avoir travaillé avec lui à la compagnie départementale d’intervention, derrière le comptoir d’une boulangerie du Panier. Son scooter, garé au milieu d’une ruelle, bloque la circulation. Mais le policier, alors en poste à Vitrolles, refuse de le déplacer. Lors d’un deuxième passage, une demi-heure plus tard, les îlotiers décident de le verbaliser, ainsi qu’un autre véhicule. Selon leur rapport, la compagne d’EG qui tient la boulangerie les traite alors de « ripoux » tandis que son mari menace : « Je n’en resterai pas là, j’ai fait tomber des flics pour moins que ça. »

Les enquête judiciaires et administratives ouvertes après cette altercation révèlent que le brigadier a participé sous un prête-nom à la création de la boulangerie, dont il détient la majorité des parts. L’achat du fonds de commerce et des équipements a été en partie financé par un prêt à la consommation, contracté pour... l’achat d’une BMW et sur la base d'avis d’imposition, de bulletins de paie et de RIB falsifiés. Le policier a nié être l'auteur de ces faux. Bien que filmé par un îlotier passant derrière le comptoir et desservant des tables, le brigadier nie également travailler dans la boulangerie, gérée par sa nouvelle compagne. « Moi ma vie c’est la police. Je suis entièrement consacré à la vie de policier. En deux ans au GSP d’agglomération (de Vitrolles, ndlr) je n’ai eu que deux jours d’arrêt maladie, s’est-il défendu lors de son audition en décembre 2013. Si j’ y vais, c’est pour voir ma compagne, être avec elle, boire mon café, lire mon journal et discuter avec les gens du quartier. Quand il y a des braqueurs dans le coin j’essaie de les arrêter. »

Mais pour les enquêteurs du cabinet de discipline de la police marseillaise, E.G, qui dispose d’une procuration sur le compte courant de la société, serait donc gestionnaire de fait, une fonction incompatible avec celle de policier. Le brigadier est en arrêt maladie depuis qu’il a été reversé en septembre 2013 en police secours, mutation qu'il vit comme « une punition déguisée ». Il a également été entendu le 19 décembre 2013 dans une information judiciaire pour abus de bien sociaux, recel, exécution d’un travail dissimulé (le faux et usage de faux étant prescrits) confiée à la juge Patricia Krummenacker, qui instruit également l’affaire de la Bac nord. L'enquête est toujours en cours, selon le parquet de Marseille.

E.G. estime, lui, payer pour avoir dénoncé le « racket » de ses anciens collègues de la Bac nord. Il n’a fait qu’un court passage dans ce service, avant d’en être exclu en décembre 2010 pour « insuffisance professionnelle » selon nos informations. Mais pour le brigadier qui dispose d’une bonne notation, « on essaie d’étouffer l’affaire en décrédibilisant le témoignage de gens comme (lui) ».

Ce n'est pourtant pas son premier dérapage. Le brigadier avait déjà fait l’objet de deux « blâmes », l’un en 2009 pour avoir tenté de soustraire une personne à l’autorité judiciaire, l’autre en 2011 pour avoir exercé des pressions sur des collègues policiers afin de faire sauter le PV d’un ami qui avait grillé un feu rouge. Selon Le Monde, le policier aurait également été condamné au pénal début 2013 suite à un incident dans une pizzeria.

Des policiers marseillais impliqués dans le meurtre d’un de leurs informateurs ? Le juge d’instruction aixois en charge de ce dossier a récemment clos l’affaire par une ordonnance de non-lieu rendue le 10 avril 2014. « Rien n’a pu être démontré des rumeurs médiatiques, indique Denis Vanbremeersch, procureur adjoint au parquet d’Aix-en-Provence. Aucun des auteurs ou complices du meurtre n'a pu être identifié en dépit des investigations minutieuses entreprises depuis la réouverture de l'information sur charges nouvelles en février 2012. »

Lyes Gouasmia, 20 ans, a été tué d'une balle dans la poitrine, mi-septembre 2008. Son corps avait été retrouvé en contrebas de l’autoroute A7 près de Vitrolles le 14 septembre 2008, entièrement calciné et couché dans le coffre d’une BMW volée la veille. Au fil de l’enquête, le gamin de la cité des Oliviers apparaît comme un petit trafiquant de cannabis et de cocaïne.

Pour les enquêteurs de la brigade criminelle, il s’agit d’un règlement de comptes de plus lié au trafic de stupéfiants. Mais ils se heurtent vite au nom de deux frères, arrêtés en novembre 2010 pour la séquestration d’un buraliste et depuis mis en examen dans une autre affaire de règlement de comptes. Selon des renseignements recueillis par la brigade, Lyes Gouasmia leur aurait dérobé une centaine de kilos de cannabis quelques mois avant sa mort. À défaut d’indices matériels, l’hypothèse ne sera jamais étayée et l’information judiciaire aboutit à un premier non-lieu en mars 2011. Sans surprise : en 2013, seuls 45 % des dossiers de règlements de comptes marseillais ont été élucidés par la brigade criminelle. « L'implication supposée des frères X, membres influents dans la criminalité de cité, craints dans le quartier et d'ailleurs bien connus de nos services, a certainement contribué au manque de coopération de l'entourage de la victime », indiquent les enquêteurs dans leur procès-verbal de synthèse en août 2010.

Alors que Lyes Gouasmia renseignait depuis des années des policiers marseillais, dont certains de la Bac nord, cette information n’apparaît à aucun moment dans les premières investigations. En 2006, Lyes Gouasmia permet à la police marseillaise d’identifier les jeunes des Oliviers qui ont incendié le bus 32 dans lequel se trouvait une étudiante sénégalaise Mama Galledou, grièvement brulée. C’est une policière de la Bac nord, depuis promue à la PJ, qui a recueilli le renseignement.

Autre détail troublant, l’adolescente soupçonnée d’avoir attiré Lyes Gouasmia dans un guet-apens est une amie des jeunes condamnés dans l’affaire du bus 32. Le soir de sa disparition, elle avait échangé 18 SMS avec Lyes Gouasmia. Le dernier texto avait été envoyé à 19 h 58 juste avant que le jeune homme ne descende « cinq minutes » en bas du bloc.

L’affaire rebondit en 2011 à travers les allégations du témoin clé de l’affaire de la bac Nord, Sébastien Bennardo. En différend avec la Bac nord depuis que son ex-chef a refusé de l’y réintégrer fin 2009, Sébastien Bennardo accuse ses anciens collègues du groupe B d’avoir tendu un piège à leur informateur Lyes Gouasmia. Selon lui, la protection policière dont aurait bénéficié le dealer gênait ses collègues « dans leurs magouilles ».

Sébastien Bennardo a l’oreille d’Alain Gardère, le préfet délégué à la sécurité des Bouches-du-Rhône de l’époque, et du commissaire Didier Cristini, ex-patron de l’IGPN à Marseille. Déjà aux prises avec l’enquête sur des soupçons d’extorsions ouverte le 23 novembre 2011, l’IGPN et le parquet font traîner les choses. Un peu trop au goût de Bennardo. L’affaire éclate en janvier 2012 dans Le Point. Selon l’hebdomadaire, le nom de l’informateur « a été jeté en pâture aux caïds » par des baqueux ripoux.

Dans son procès-verbal de renseignement du 8 février 2012, le commissaire Didier Cristini est à peine plus prudent. Au conditionnel, il avance que la qualité d’informateur de Lyes Gouasmia aurait été divulguée par des « éléments de la Bac nord auprès du milieu des dealers ». « Un petit groupe de policiers directement intéressé au dynamisme du marché de la drogue dans lequel ils pratiquaient (et pratiqueraient toujours) des extorsions, auraient considéré cette protection policière comme contraire à leur intérêts et auraient pris Gouasmia "en grippe" », écrit le commissaire, en assurant se baser sur des « sources, plurielles et déjà éprouvées positivement ». « Par ailleurs, le meurtre de Gouasmia serait survenu très peu de temps après son passage au siège de la Bac nord », précise Cristini.

À ce jour, l’enquête principale sur l’ex-Bac nord menée par deux juges d’instruction marseillaise n’a cependant démontré aucun fait d’extorsion, ni de racket de la part des fonctionnaires de l’ex-Bac nord mis en examen. Et ce scénario digne d’un polar n’a manifestement pas résisté aux investigations de la justice aixoise. Selon Le Point, l’ex-patron de la Bac nord, l’officier A. P., s'est justifié face à l’IGPN de ne pas avoir alerté les enquêteurs de la brigade criminelle. « Selon lui, Gouasmia était immatriculé comme indic officiel de la Crim elle-même, écrit Le Point. Il n'était donc nullement besoin de l'en avertir. » La famille de Lyes Gouasmia, qui fondait beaucoup d’espoirs sur cette réouverture de l’enquête, a de son côté fait appel de cette ordonnance de non-lieu. « On a l’impression que la justice n’a pas été jusqu’au bout », indique Belinda Gouasmia, sœur de la victime.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

France-Pologne: deux ans d'alliances sur des dossiers européens

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« On a tourné la page du “plombier polonais”. » Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, se souvient sans plaisir de la campagne de 2005 sur le traité constitutionnel européen, où il avait défendu en vain le “oui”, aux côtés de François Hollande. À l’époque, la directive Bolkestein et la figure du « plombier polonais » avaient symbolisé la libéralisation à tout crin et le dumping social en Europe. Près de dix ans plus tard, la France de François Hollande et la Pologne de Bronisław Komorowski se sont nettement rapprochées, au point de passer régulièrement des accords au niveau européen.

Le président de la République se rend de nouveau à Varsovie, mercredi 4 juin, pour assister aux célébrations des « 25 ans de la Liberté polonaise ». En fin de journée, il est aussi prévu qu'il dévoile avec son homologue une statue de Marie Curie-Sklodowska.

« Aujourd’hui, entre les deux pays, c’est une vraie alliance politique qui pèse », savoure Le Foll. C’est même une des rares réussites de François Hollande sur la scène européenne. Il a échoué à « réorienter » profondément l’Union et le « pacte de croissance » négocié à son arrivée en juin 2012 est dans les limbes, alors que le traité budgétaire négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy est bien entré en vigueur. Et si Hollande, comme il l’avait promis, a brisé le tête-à-tête exclusif avec l’Allemagne mis en place par son prédécesseur, il n’a jamais réussi à construire des alliances durables suffisantes pour remettre en cause l’emprise de Berlin sur les orientations de l’Europe. Mais ses ministres se réjouissent de leur “love story” avec Varsovie où ils se sont tous, ou presque, déjà rendus.

Elle commence avant même l’arrivée de Hollande à l’Élysée. Pendant sa campagne, le président polonais, pourtant libéral, avait accepté de recevoir le candidat socialiste indésirable dans la plupart des autres pays craintifs de se fâcher avec Sarkozy. Depuis son élection, il s’est déjà rendu trois fois à Varsovie et, six mois seulement après son arrivée à l’Élysée, en novembre 2012, il prononçait un discours devant la Diète. « J’ai dit que la France était un pays fondateur de l’Europe. Vous, vous êtes un pays libérateur de l’Europe. Vous avez donc à prendre toute votre place dès aujourd’hui dans la construction de la zone euro », avait notamment lancé François Hollande.

Le président polonais Bronisław Komorowski a quant à lui déjà été reçu avec tous les fastes de la République en mai 2013. « Le job a été fait dans les moindres détails », se souvient Thierry Repentin, ministre délégué aux affaires européennes de Jean-Marc Ayrault. Komorowski a même eu droit à un atterrissage en hélicoptère à l’hôtel des Invalides avant le traditionnel dîner d’État à l’Élysée, où les conseillers du président avaient astucieusement exposé plusieurs documents historiques chers aux Polonais et exhumés des Archives nationales, comme l’original du traité signé par Napoléon créant le duché de Varsovie. Komorowski a également participé aux commémorations officielles du 8-Mai 1945.

Quant à son premier ministre Donald Tusk, il passe presque aussi souvent à Paris qu’Angela Merkel. Rien que depuis le début de l’année, il a déjà été reçu deux fois officiellement à l’Élysée. Sans compter les entretiens téléphoniques qui ont fait l’objet d’un communiqué public – le 19 février et le 1er mars pour Tusk, le 3 mars pour Komorowski. « Avec Tusk, Hollande a une bonne relation personnelle », dit un diplomate français. « Ils se parlent très souvent », confirme un de ses collègues. À un niveau inférieur, le conseiller Europe à l’Élysée, Philippe Léglise-Costa, s’entend aussi très bien avec son homologue Piotr Serafin, également secrétaire d’État aux affaires européennes. Ce dernier avait parallèlement noué des « liens d’amitié » avec Thierry Repentin.

Ces relations personnelles, tissées au fil des mois, facilitent et renforcent les convergences objectives d’intérêts entre les deux pays. Très vite après son arrivée à l’Élysée, François Hollande a compris qu’il lui fallait renouer avec des pays souvent froissés par l’inconstance diplomatique de Nicolas Sarkozy et par sa relation quasi exclusive, en fin de mandat, avec Angela Merkel. À la table du Conseil européen, il découvre, dixit un de ses proches, une Europe paralysée par ses désaccords, « entre Nord et Sud, entre les pays de la zone euro et ceux qui n’en font pas partie ». « Après deux conseils, le président avait bien compris l’état des rapports de force et que tu ne pouvais rien faire si tout le monde se regarde en chiens de faïence », explique un diplomate à Paris.

Hollande met rapidement en scène sa volonté de travailler avec l’Italie et l’Espagne. Mais « la France ne doit pas être le porte-voix des pays du Sud, explique l’ancien ministre Thierry Repentin. Elle doit être le pays charnière entre le Nord et le Sud. Sinon elle est de facto affaiblie par rapport aux pays d’Europe du Nord ». Le rapprochement avec Varsovie est l’occasion idéale de « retrouver une voix à l’Est », dit-il encore. Et d’y contester (un peu) le leadership qu’y exerce l’Allemagne. Quant à la Pologne, « elle ne veut plus être l’arrière-cour de Berlin », rapporte Repentin. « Les Polonais nous ont dit : “Ne nous laissez pas dans une confrontation avec l’Allemagne. On a besoin d’être à trois” », confirme un diplomate en poste à Paris. Ce trio s’est depuis manifesté par la réactivation du « triangle de Weimar » (France, Allemagne, Pologne).

Dès 2012, la France et la Pologne se rendent également compte qu’elles ont un intérêt majeur en commun : les négociations en cours sur le budget européen menacent à la fois la politique agricole commune (PAC), à laquelle Paris tient, et les fonds de cohésion, dont Varsovie a besoin. « Il y a eu une alliance entre la France et la Pologne pour protéger les politiques communes », explique-t-on à l’Élysée. « Dès que les discussions se sont engagées, j’ai plaidé, y compris auprès du président de la République, pour lier les deux. Sinon la PAC ne pouvait pas passer… Cela a fonctionné », raconte le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll.

Il se souvient de sa première rencontre avec son homologue polonais à Chypre Stanislaw Kalemba, en septembre 2012 pour une réunion européenne informelle. « On avait tous les deux un petit problème. On s’est tapé dans la main comme des maquignons et on a passé un deal. À la réunion suivante, on s’est soutenu l’un l’autre », selon Le Foll. Le Polonais luttait contre l’interdiction voulue par Bruxelles des aides d’État directes aux agriculteurs ; le Français se battait pour débloquer le fonds européen de 40 millions d’euros pour la banane des Antilles. « À partir de la “banane verte”, on a trouvé une majorité sur tous les sujets », sourit Le Foll.

Surtout, l’exécutif français n’a eu de cesse de se féliciter du vote crucial de la Pologne en faveur d’un durcissement, même minime, de la directive sur le détachement de travailleurs. Fin 2013, c’est le retournement de Varsovie, a priori hostile à tout changement, qui a permis de l’emporter au conseil. Il a été obtenu après une visite de François Hollande à Varsovie, au retour d’une réunion internationale à Vilnius. « La France a plaidé à partir de l’état de l’Europe, touchée par des crispations nationales durables, et estimé que la meilleure façon de garantir la libre circulation des travailleurs était d’en renforcer les règles. C’est ce qui a convaincu les Polonais », explique-t-on à Paris.

Ce jour-là, Hollande et Tusk ont également parlé défense – le ministre concerné Jean-Yves Le Drian était aussi sur place, lui qui a rencontré près d’une dizaine de fois son homologue polonais depuis deux ans. Les Polonais ont participé, même a minima, aux opérations françaises au Mali (soutien à la formation et fourniture de matériel) et en Centrafrique. Et la France vient d’envoyer quatre chasseurs Rafale en Pologne pour appuyer les patrouilles de surveillance dans le ciel des pays baltes, inquiets de la politique russe en Ukraine.

Mais les efforts faits par les Polonais se paient aussi sur le terrain énergétique. Varsovie est très inquiète de sa dépendance énergétique vis-à-vis du géant russe – la situation ukrainienne n’a fait que renforcer ses craintes – et préfère conserver ses centrales à charbon très polluantes plutôt qu’augmenter ses importations de gaz russe. La Pologne a aussi rêvé exploiter les réserves de gaz de schiste qu’on lui prédisait gigantesques dans son sous-sol (un choix de plus en plus contesté par la population). « Ils cherchent une autonomie énergétique à tout prix », explique Le Foll.

Résultat : la France n’a pas milité auprès de l’Union pour que celle-ci fasse figurer l’interdiction de la fracturation hydraulique (pourtant bannie dans l’Hexagone) au niveau européen. Un geste qui fait plaisir à la Pologne, mais dans l’intérêt bien compris de la France qui n’a pas franchement envie que Bruxelles vienne mettre son nez dans le mix énergétique des États membres. Encore moins dans un pays qui défend coûte que coûte son énergie nucléaire, susceptible d’intéresser les Polonais. « Surtout, en échange, on pouvait garder les aides d'Etat sur le nucléaire! », rappelle un conseiller du quai d'Orsay. 

En dépit de son enthousiasme de départ, la France n’est pas apparue en pointe lors des premières discussions sur le paquet climat-énergie (lire notre article) qui doit garantir la réduction de 40 % des rejets de gaz à effet de serre d’ici 2030 et une part de 27 % dans la production d’énergie assurée par les renouvelables. « La France a veillé à garantir des objectifs européens qui ne remettent pas en cause les mix énergétiques des États », rapporte pudiquement l’ex-ministre des affaires européennes Thierry Repentin. En espérant que la Pologne, un des rares pays européens à avoir échappé à la récession depuis 2008 et où de très nombreuses entreprises françaises sont présentes, lui en soit reconnaissante.

Mais pour obtenir un accord européen, indispensable à la réussite de la conférence sur le climat prévue à Paris en 2015, la France sait déjà qu'elle devra faire d'importantes concessions à son nouvel ami polonais. « Tout ça va nous coûter très cher... », soupire un diplomate.

BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été jointes par téléphone.

L'idée de cet article m'est venu cet hiver quand, lors de rencontres informelles avec des membres du gouvernement, alors dirigé par Jean-Marc Ayrault, plusieurs ministres ont évoqué spontanément leurs allers-retours à Varsovie et leur coopération avec la Pologne. Leur enthousiasme m'avait alors intriguée. J'ai ensuite attendu l'occasion de m'y pencher. La visite de François Hollande début juin en est une. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Sarkozy : les secrets d'un retour catastrophe

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«Sarkozy fait du Copé. Il dit “je reviens” comme l’autre jurait qu’il ne démissionnerait pas. Son message de retour est un signal de panique. » Il n’est pas tendre, cet élu de base, plutôt filloniste, favorable à Juppé, en colère contre Copé, et fatigué d’assister à une nouvelle guerre des chefs alors que son parti n’en finit pas d’éponger le bilan politique et comptable de la campagne de 2012.  

Plus la crise se prolonge, plus elle s’aggrave, et plus l’UMP s’enfonce dans le rituel de l’éternel retour. Un scénario obsessionnel qui se répète grosso modo depuis le 6 mai 2012. Grand 1, une catastrophe met en cause l’ancien président de la République. Grand 2, ses amis rapportent ses « confidences » et chantent sa grande sérénité. Grand 3, son come-back est annoncé. En résumé, dès qu’un événement l’éloigne, il fait dire qu’il se rapproche.

L’histoire commence d’ailleurs avec sa défaite. Il a perdu le pouvoir, mais ses partisans expliquent qu’il a gagné au vu de « l’étroitesse du score » : 51,7 à Hollande contre 48,3 à Sarkozy. C’est tellement plus puissant que le 48,2 de Giscard d’Estaing face à Mitterrand ! Des voix réclament pourtant un inventaire du quinquennat, Roselyne Bachelot fait un tabac avec son livre : aussitôt une Association des amis de Nicolas Sarkozy se constitue pour poser un garrot, ou plutôt un bâillon. Sa technique : on fait dire à des canaux médiatiques, sous couvert de confidences exclusives, que « le président » est en pleine forme, qu’il est heureux d’être éloigné des mesquineries du bas-monde politique, qu’il est féroce envers son successeur, qu’il est impitoyable avec ses anciens lieutenants, qu’il est acclamé quand il se rend aux concerts de sa femme, qu’il reçoit à tour de bras, qu’il ne souhaite pas revenir, mais qu’il y consentira si « le devoir » l’y contraint. Ces « cartes postales » sont postées par différents canaux. Le Figaro fait partie des petits télégraphistes, mais Le Parisien aussi, en semaine, et Le Journal du dimanche encore, un week-end sur trois ou quatre.

Nicolas Sarkozy se signale en deux types d’occasion : quand il est éclaboussé par une affaire, ou quand un rival potentiel paraît s’opposer à lui.

Côté scandales, la chronique lui a donné mille occasions d’assurer sa présence, et de faire part de sa forme olympique. Karachi, arbitrage Tapie, écoutes, enregistrements Buisson, rejets de ses comptes de campagne, fausses factures de Bygmalion, la liste est vertigineuse, et la défense est intangible. On dirait un mantra. Comme l’écrivent pieusement ses canaux officieux, il est scandalisé ! Il tombe des nues ! Il n’a cessé de recevoir Tapie mais n’est pas intervenu, il a adoré Buisson mais Buisson l’a trahi, il a été persécuté par le Conseil constitutionnel pour quelques milliers d’euros, mais il est rattrapé par les onze millions de l’affaire Bygmalion. Pour l’occasion, l’ancien président a fait livrer par Brice Hortefeux et Nadine Morano ce commentaire extraordinaire : « Nicolas Sarkozy est très mécontent que son nom soit cité dans cette curieuse affaire. » Il se trouve que « cette curieuse affaire » est tout bonnement sa campagne de 2012 ! Sans doute avons-nous collectivement rêvé. Sarkozy n’a jamais été candidat. D’ailleurs, il n’a pas perdu, il est heureux, il ne veut pas revenir, il donne des conférences, etc.

La preuve, c’est qu’il revient ! Il est quasiment en marche. Il l’a décidé. Il envisagerait de prendre la présidence de l’UMP (lire l'interview de Brice Hortefeux au Monde de ce jour), et il a engagé contre le triumvirat composé d’Alain Juppé, François Fillon et Jean-Pierre Raffarin l’une de ces contre-attaques juridiques dont il raffole quand il est acculé, et qu’il a déjà menées à maintes reprises, notamment dans l’affaire Bettencourt : faire casser un dossier pour vice de forme. On a donc entendu Claude Guéant, l’homme qui a touché le jackpot en vendant des croûtes hollandaises, s’affoler que l’UMP, qui a pourtant mis en place une double comptabilité, puisse ne pas appliquer ses statuts ! Ainsi, dans ce navire dont l’ancien capitaine, Jean-François Copé, a forcé son élection, et vient d’être emporté par un torrent d’argent douteux, les amis de l’ancien locataire de l’Élysée éprouveraient des affolements de sœurs carmélites à l’idée qu’on n’applique pas la règle !

D’où vient cet empressement soudain ? Pourquoi ce revirement ? Sarkozy avait laissé entendre que l’UMP ne l’intéressait plus, qu’il pourrait s’en passer, et que sa candidature éventuelle suffirait à créer un mouvement irrésistible, et voilà qu’il envisage de concourir à un congrès ! Il faisait répéter que les petites manœuvres internes n’étaient plus de son niveau (lui, il serre la main à Vladimir Poutine, c’est quand même autre chose !), et voilà qu’il fait alliance avec les copéistes en mettant des bâtons dans les roues d’Alain Juppé. Il avait planifié son retour pour l’année 2015, ou 2016, en passant par-dessus les primaires, et voilà qu’un état d’urgence l’oblige à se dédire, et à accélérer.

Ce qui le décide, alors qu’il est tellement heureux, tellement détaché, alors qu’il est un sage à barbe, c’est qu’il y a le feu dans sa maison. Le scandale Bygmalion est désastreux pour lui. L’éviction de Jean-François Copé, avec son déluge d’argent, l’éclabousse forcément. Non seulement la justice pourrait lui demander des comptes, non seulement la situation financière dans laquelle il a laissé son parti finit par ressembler à l’état dans lequel il a laissé la France, et par désespérer ses partisans, mais ses rivaux potentiels ont décidé de s’organiser.

Il abat donc sa dernière carte. C’est le dernier carré de ses fidèles. Ceux qui ne sont pas encore mis en examen, ou qui ne l’ont pas abandonné. Mais c’est surtout le noyau dur des militants. Bon nombre d’entre eux, dégoûtés par les guerres intestines et les affaires successives, n’ont pas renouvelé leur adhésion, mais les plus enfiévrés demeurent, et ne jurent le plus souvent que par l’ancien président, pour lequel ils éprouvent la passion du charbonnier. Si Nicolas Sarkozy parvenait à s’emparer de l’appareil, et à faire passer les grandes décisions par le vote de ces militants-là, et d’eux seuls, il aurait une chance de revenir dans le jeu. La dernière.

Son problème, c’est que le triumvirat Juppé-Fillon-Raffarin est tout prêt de prendre les clés. D’où la course de vitesse et la tentative de déstabilisation des successeurs provisoires de Copé. L’ennui pour l’ancien président, tellement zen, et tellement « au-dessus de tout ça », c’est que cette descente dans la gadoue, avec son cortège de boules puantes et de peaux de bananes, colle assez mal avec la propagande du barbu détaché.

Une fois encore, avec la somme de ses affaires douteuses, son rapport à l’argent, sa mégalomanie, son obsession de l’image, ses manigances de communication, Sarkozy est rattrapé par lui-même, et c’est ce retour qui compromet son je reviens.   

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

A Marseille, la place Robespierre au centre d'une bataille culturelle

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C'est une information qui alimente la petite histoire du combat culturel opposant gauche et droite. Une histoire de débaptisation symbolique, mais pas anecdotique, celle de la place Robespierre, à Marseille. C'est le maire UMP du 5e secteur, Lionel Royer-Perreaut, qui vient d'en émettre l'idée, répondant à une proposition du comité du quartier plutôt huppé de Mazargues, le 16 avril dernier (lire ici le compte-rendu). Accédant à la demande d'honorer deux habitants, les époux Nazet, défenseurs de la culture provençale et félibres reconnus, le maire envisage alors de remplacer l'Incorruptible par ce couple de tambourinaïres (joueurs de tambourin).

Portrait de Maximilien Robespierre, musée CarnavaletPortrait de Maximilien Robespierre, musée Carnavalet © École française du XVIIIe siècle, musée Carnavalet

« Ce n'est pas une priorité, mais je n'ai aucune raison de ne pas soutenir la proposition à la commission des noms de rue », déclare à Mediapart Royer-Perreaut. Ladite commission, pas encore installée après les municipales, devrait se réunir entre septembre et novembre prochains. Pour certains, cette offensive symbolique a des airs de déjà-vu. Comme pour Gérard Clément, militant associatif qui se dit atterré par « les idées fixes et la haine réactionnaire » de certaines figures de la droite marseillaise. Lui avait été l’un des animateurs de la mobilisation de 1999, face à l’ancien maire Guy Teissier (mentor de Royer-Perreaut, devenu récemment président de la communauté urbaine).

À l’époque, celui-ci avait déjà souhaité débaptiser la place Robespierre, pour lui redonner son nom d'avant, la place du marché. Le débat avait animé le conseil municipal d’arrondissement (lire ici l'échange), avant qu'une forte mobilisation ne fasse renoncer Jean-Claude Gaudin, et qu’il ne retire au bout de six mois la délibération de l’ordre du jour. Avec son « cercle Robespierre » alors créé, Gérard Clément avait mené la fronde, en organisant des manifestations devant la mairie, des porte-à-porte dans le 9e arrondissement pour faire signer une pétition, des débats publics en plein air sur la place (dont une conférence de l’historien Michel Vovelle)…

Conférence organisée sur la place Robespierre de Marseille, en 1999Conférence organisée sur la place Robespierre de Marseille, en 1999 © dr

Lionel Royer-Perreaut ne semble pas craindre cette fois-ci pareille mobilisation. À La Marseillaise, il déclare ainsi au début du mois de mai : « Je n’ai reçu aucun courrier à ce sujet. On ne va pas nous refaire le coup d’il y a 15 ans. S’il y a un émoi, il est très limité et très politisé… » Dans un contexte de lourde défaite électorale pour la gauche aux dernières municipales, la victoire idéologique semble à portée de main pour lui. « Ce mouvement de dénigrement réactionnaire a du sens, dans un contexte politique où la droite se sent toute-puissante », explique Marie Batoux, une responsable locale du Front de gauche.

Pourtant, l’esprit de résistance marseillais n'a pas totalement disparu. Grâce à un militant socialiste qui s’est fait lanceur d'alerte et gardien du temple révolutionnaire. « On m’a rapporté les propos du maire devant le conseil de quartier lors de la manif du 1er mai », raconte Mikaël Balmont. Rapidement, il lance une pétition sur internet (qui recueille pour l’instant près de 600 signatures) et tente de faire connaître la nouvelle, jusqu’ici restée confidentielle. Il entre en contact avec Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche et inlassable défenseur de la mémoire robespierrienne (il y a même consacré un ouvrage – Robespierre reviens !, éditions Bruno Leprince), qui relaie sur son blog l'indignation encore confidentielle auprès d’historiens et des médias.

Plusieurs universitaires de renom, comme Yannick Bosc et Marc Belissa (qui viennent de publier un ouvrage sur « la fabrication du mythe Robespierre » - éditions Ellipses), s'emparent à leur tour de l'histoire et rédigent une lettre ouverte pour protester contre ce qui serait un « signal politique et mémoriel antirépublicain ». Interrogé voilà une vingtaine de jours, le maire ne semblait guère ébranlé, et entendait toujours rester droit dans ses bottes contre-révolutionnaires : « Je respecte l'opinion de ces universitaires, elle est digne d'intérêt, mais autant que les autres. De là à faire passer Robespierre pour un saint homme, excusez-moi, mais il y a des limites à ne pas franchir. C’était un tyran sanguinaire, qui a quand même conduit entre 1 300 et 1 400 personnes à l'échafaud. » Un argumentaire que Marc Belissa juge « absurde » : « D’où sort-il ce chiffre ?! Ça n'a pas de sens. »

Le professeur à Paris 10 explique : « D’abord, Robespierre n’était qu’un membre parmi douze du comité de salut public, où il était minoritaire, procédant d’une assemblée de 800 députés. Ensuite, on peut être d’accord ou pas avec ce qui était alors une justice d’exception, mais il s’agissait d’exécutions légales, prononcées par un tribunal révolutionnaire qui acquittait une personne sur deux… » Pour Belissa, on assiste à un nouvel épisode de la construction de la « légende noire » du révolutionnaire, mort il y a 220 ans. « C’est un nouvel écho du combat culturel de la droite conservatrice, qui accumule les gestes anti-révolutionnaires, dit-il, et qui continue à faire le procès de Robespierre, ce qui est assez ironique, quand on pense qu’il a été exécuté sans avoir pu se défendre, au terme d’un procès “jugé mais non plaidé”. »

 

« La légende noire de Robespierre », résumée en 15 minutes par Cécile Obligi, historienne et conservatrice à la BNF © Les Ernest/Ecole normale supérieure

L’historien, qui espère que la lettre ouverte sera « un appui à une mobilisation citoyenne », n’a reçu aucune réponse de la part des édiles UMP. « Ils n’accordent en général aucune valeur aux très nombreux travaux d’historiens ayant nuancé les interprétations totalitaires à la mode dans les années 1980,  regrette-t-il, préférant voir dans les révolutionnaires les figures du mal absolu, dont Robespierre serait l’archi-démon. » Signe à ses yeux de cette « démonisation », les accusations récentes d’être responsable d’un « génocide vendéen », qui ont fait florès depuis que Philippe de Villiers a avancé le terme au début des années 1990 et qu'une émission télévisée du service public a soutenu cette thèse (lire ici). « Aucun universitaire digne de ce nom ne parle de “génocide”, certifie Belissa. La Vendée a connu des massacres des deux côtés, au cours d’une guerre civile, et personne de sérieux n’en rend responsable Robespierre. » L'historien ne peut pas croire que la droite marseillaise ira jusqu’au bout dans sa démarche : « Elle tournerait le dos à l’histoire politique, et aux liens spécifiques entre Marseille et la révolution. Le nom de Robespierre ne serait pas “convivial” ? Mais la Révolution française, comme le nom des places et des rues n’ont pas à être conviviaux… » Pour le socialiste Mikaël Balmont, « le message sous-jacent qui est envoyé par Teissier et Royer-Perreaut, c’est “la révolution ça se finit toujours dans le sang, donc gardez vos pantoufles” ».

En envisageant de substituer au nom du député de Paris celui de deux félibres, le projet révèle en outre un caractère politique douteux. Si culturellement le Félibrige est une ramification de l’occitanisme, faisant la part belle à la promotion de traditions régionalistes et de défense de la langue d’oc, quand il s’est mêlé de politique, le mouvement a surtout penché du côté de l’exaltation identitaire et de la promotion des racines chrétiennes. Et, au début du XXe siècle, le monarchisme de Charles Maurras (principal instigateur de l’Action française) avait accompagné et prolongé le fédéralisme originel du poète Frédéric Mistral, avec son assentiment (lire ici ou ici). « C’est surtout une lutte contre le jacobinisme qui est en jeu, juge Marie Batoux, dirigeante locale du PG. C’est une vieille manie de la droite locale, qui cache derrière son tropisme provençal une tradition anti-républicaine. » « Le comité de quartier a demandé de donner le nom d’un sentier montant vers l’église, pas de débaptiser la place Robespierre ! » déplore de son côté Gérard Clément, pour qui « il y a une instrumentalisation des félibres dans cette histoire. Guy Teissier est coutumier du fait. Il a déjà mis en scène les fêtes de la Saint-Michel, des festivités provençales héritées de l’Ancien Régime ».

Depuis, un collectif s’est à nouveau mis en branle, et a prévu de se réunir ce jeudi. À l’étude, impression et diffusion de tracts, relance de la pétition et démarchage des habitants du quartier, organisation d'un débat sur la place Robespierre le 14 juillet prochain… Sections locales du PS, PCF et Parti de gauche s'investissent de concert, tout comme la fédération de la libre pensée et la ligue de l’enseignement, ainsi que l’association des professeurs d'histoire-géographie. Même la fédération socialiste a relayé sur son site, au bout de deux semaines, la pétition de son militant. Celui-ci se félicite de l’unité retrouvée un temps entre socialistes et Front de gauche.

« Si la droite fait de Robespierre un combat idéologique, alors il doit en être un pour la gauche aussi », dit ainsi Mikaël Balmont. Un constat qui n’a toutefois rien d’une évidence, tant la Révolution française n’est jamais mobilisée dans les discours et les actes des caciques du PS. Encore récemment, François Hollande n’a par exemple pas retenu un seul personnage révolutionnaire dans la récente vague de panthéonisation, pas même Olympe de Gouges.

Place Robespierre, à MarseillePlace Robespierre, à Marseille © dr

À Montceau-les-Mines, en 2012, le député socialiste Didier Mathus avait estimé qu'« écrire l’Histoire n’est pas le rôle des élus de la République », rejetant la demande d'un jeune instituteur royaliste interpellant les candidats pour débaptiser la rue Robespierre (il a réitéré lors des dernières municipales). Il n'en est pas allé de même à Paris, en juin 2011, lors de la discussion ayant suivi le vœu municipal d’Alexis Corbière et du groupe Front de gauche, pour que soit créée une rue Robespierre dans la capitale (lire sur le blog de Corbière). Bertrand Delanoë et Jean-Pierre Caffet, président du groupe socialiste au conseil de Paris, ont alors fait savoir leur désaccord, en déployant les mêmes arguments que la droite marseillaise du 5e secteur (pour le coup raccord avec son homologue parisienne). Et, à l’exception d’un socialiste et de deux écologistes, la gauche s’était très largement abstenue, avait voté contre, ou avait fui l’hémicycle…

Le débat est vieux comme la gauche depuis la révolution, et divise rousseauistes dirigistes et centralisateurs, contre voltairiens libéraux et régionalistes. Pour de nombreux dirigeants socialistes, Robespierre (comme Saint-Just) a souvent valeur d’insulte interne (le terme est généralement accompagné de « aux petits pieds » ou « de bas étage »). Arnaud Montebourg a, par exemple, été maintes fois ainsi stigmatisé quand, en 2000, il tentait de convaincre les députés de signer avec lui pour traduire Jacques Chirac devant la cour de justice de la République, malgré le désaccord total de Lionel Jospin.

« Le tournant de la rigueur a été marquant au PS, dans son rapport au libéralisme, mais aussi dans sa vision de la révolution comme matrice idéologique du totalitarisme, explique Marc Belissa. À l’époque, les travaux de François Furet ont une grande influence sur la “deuxième gauche”, et le PS se branche dès lors sur une conception d’une République sage, modérée et girondine. » Certains n’hésitent pas aujourd’hui à revendiquer un « socialisme girondin », comme récemment Jean-Jacques Urvoas en tentant de définir la particularité du PS breton, qui serait bien plus décentralisateur que les héritiers du centralisme jacobin.

Plaques municipales, sur la place Robespierre, à MarseillePlaques municipales, sur la place Robespierre, à Marseille © dr

À Marseille, la controverse autour de la place Robespierre n’a, en 1999, occupé que les citoyens proches du parti communiste, les élus socialistes ayant préféré s’abstenir lors du conseil d’arrondissement, face à la droite et au FN. Et dix ans plus tôt, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, c'est sous la municipalité de Robert Vigouroux (dernier maire socialiste de la ville) qu'une plaque a été rajoutée sur la place, qualifiant ainsi Robespierre : « régnant par la terreur, accusant devient accusé ». Dans le même temps, « Mitterrand écartera des célébrations du bicentenaire les rappels à la guerre civile et à la République de 1792, pour ne célébrer que le prétendu consensus de 1789 », se souvient Marc Bélissa.

L’historien tient aussi à noter que « s’ils sont de plus en plus majoritaires à désigner la Révolution française non pas comme la naissance de la République, mais comme une pétaudière sanglante, de Gaulle évoquait très souvent dans ses discours les soldats de l’an II ». Et d'ajouter : « Il y a encore à droite des militants pour qui la révolution reste le moment initial de la nation et du patriotisme. » À Marseille, Jean-Luc Ricca semble être un de ceux-là. Pour le conseiller municipal UMP, responsable de la commission du nom des rues, « Robespierre est un personnage incontournable de la révolution, qui a marqué l’histoire. On peut lui reprocher certains actes sur la fin de sa vie, mais il a inventé la devise “Liberté, égalité, fraternité” et était pour l’abolition de l’esclavage ou la liberté d’opinion. »

Pour l’élu, « si toute la population du quartier et ses représentants étaient unanimes, on pourrait étudier une telle requête de débaptisation. Mais on en est loin aujourd’hui, puisque les défenseurs de la place Robespierre sont plus nombreux ». Pour l’heure, il dit n’avoir été « en aucun cas saisi officiellement ». À titre personnel, Jean-Luc Ricca le dit sans ambages : « Si j’étais seul à décider, je n’y toucherais pas. Je considère qu’on ne peut pas gommer l’histoire. » Puis ajoute, dans un soupir : « On a suffisamment de problèmes dans ce pays pour perdre du temps à se monter les uns contre les autres. » Cela fait tout de même parfois le charme et l'intérêt des batailles culturelles…

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Un chemin « commun » pour la révolution au XXIe siècle

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Dans leur nouvel ouvrage, le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval cherchent à dessiner rien de moins que les contours de la « révolution au XXIe siècle ». Celle-ci serait fondée sur le principe politique du commun, qui « désigne non la résurgence d’une Idée communiste éternelle, mais l’émergence d’une façon nouvelle de contester le capitalisme, voire d’envisager son dépassement ».

« Le commun constitue la nouvelle raison politique qu’il faut substituer à la raison néolibérale », écrivent le sociologue Christian Laval et le philosophe Pierre Dardot dans leur nouvel ouvrage, Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle (Éditions La Découverte, mars 2014, 400 pages, 24€). Les auteurs de La Nouvelle Raison du monde (2009) et de Marx, prénom : Karl (2012) livrent un volumineux ouvrage, fruit d’un séminaire de plusieurs années, pour cerner les origines, les contours et les potentialités de ce « principe politique » qu’est le commun.

Celui-ci, sous leur plume, se distingue de ce qu’on désigne d’habitude par les « biens communs », entendus soit comme les choses relevant du domaine public, soit comme ce qui, comme l’air ou l’eau, serait inappropriable. « Il y a dans la société des façons collectives de s’accorder et de créer des règles de coopération qui ne sont pas réductibles au marché et au commandement étatique », écrivent les auteurs. Les communs ne sont pas tant à définir comme des « choses » physiques qui préexisteraient aux pratiques, ou des domaines naturels auxquels on appliquerait de surcroît des règles, « que comme des relations sociales entre des individus qui exploitent certaines ressources en commun, selon des règles d’usage, de partage ou de coproduction ».

Pour Dardot et Laval, la perspective d’une réforme « rooseveltienne » du capitalisme, le renforcement des prérogatives de l’État, ou encore la protection du monde par « l’établissement d’une sorte de réserve de "biens communs naturels" (terre, eau, air, forêts, etc.) miraculeusement préservés de l’expansion indéfinie du capitalisme », sont des espérances illusoires. Tout cela est insuffisant face à la menace que fait peser sur la vie même l’extension infinie de la raison néolibérale.

Plutôt que de combattre cette raison néolibérale par l’envers tout aussi dangereux pour l’humanité que serait la nostalgie du communisme étatique, Laval et Dardot pensent possible de faire du « commun » un réarmement des sociétés. Fondé sur l’autogouvernement et la collaboration autour de ressources et de pratiques collectives, le commun constitue, pour eux, la possibilité d’une « révolution au XXIe siècle ».

Le livre est d’abord un repérage des luttes qui, depuis plusieurs années déjà, font de l’extension du commun leur revendication principale, par exemple autour des combats pour le gouvernement de l’accès à l’eau, sur des territoires aussi différents que l’Italie ou la ville de Cochabamba, en Bolivie. Il constitue aussi une généalogie des manières trompeuses ou édulcorées dont les biens communs ont parfois été envisagés. Il propose ainsi une véritable philosophie de l’autogouvernement et des façons possibles d’instituer le commun en créant des communautés qui ne soient pas fondées sur l’appartenance ou l’identité, mais sur la co-activité et la mise en œuvre de pratiques visant à gérer ensemble les ressources disponibles. Et il a surtout l’originalité de se conclure avec un ensemble de « propositions politiques », qui ne dessinent pas un programme électoral, mais bien une perspective pour imaginer des « forces sociales, des modèles alternatifs, des modes d’organisation et des concepts qui pourraient laisser espérer un au-delà du capitalisme ».

On peut visionner ci-dessous l’entretien vidéo que nous avons eu autour de leur livre avec les deux auteurs.

Pour celles et ceux qui aimeraient poursuivre cette réflexion, il faut noter que ce livre a déjà fait l’objet sur Mediapart d’un billet de blog qui est ici.

On peut aussi se reporter au long entretien vidéo que Mediapart avait eu en février 2009 avec les deux mêmes auteurs, lors de la parution de leur ouvrage La Nouvelle Raison du monde. Cet entretien peut être retrouvé ici.

Il est enfin possible de se reporter au blog Question Marx. Il s'agit d'un groupe d’études et de recherches qui se consacre au questionnement de la pensée de Marx et du marxisme, dont les deux auteurs sont à l'initiative.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Vivendi : une présidence à 100 millions d'euros

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Jean-René Fourtou est sur le départ. Après douze années passées à la tête de Vivendi, il s’apprête à céder le pouvoir à Vincent Bolloré, premier actionnaire du groupe, lors de l’assemblée générale prévue le 24 juin.

Le président du conseil de surveillance de Vivendi paraît occuper ses derniers jours à mettre toutes ses affaires en ordre. À la mi-mai, il a ainsi décidé de profiter d’un plan de stock-options qui traînait depuis dix ans. En quelques jours, selon les déclarations faites auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il a exercé 904 609 options au prix de 17,48 euros. Ce qui représente la coquette somme de 15,8 millions d’euros. Dans la foulée, il a revendu 817 242 titres au prix moyen de 18,75 euros. Cet aller et retour lui a permis d’empocher 15,3 millions d’euros et de réaliser un peu plus d’un million d’euros de plus-value.

© Reuters

Le bénéfice peut sembler un peu maigre, selon les critères du CAC 40. Mais le président de Vivendi a eu, malgré tout, la chance de pouvoir le réaliser. Au moment de l’approbation du plan stock-options en 2004, le prix du titre avait été fixé à 20,67 euros, donc bien au-dessus du cours de l’action aujourd’hui. Le plan était donc normalement sans valeur.

Mais, comme l’a déjà relevé un journaliste de BFM, le prix de l’option a été abaissé de 20,67 à 17,48 euros, grâce à quelques « ajustements ». Profitant d’une facilité légale, qui autorise les groupes à recalculer le prix des plans de stock-options précédents en cas de distribution d’actions gratuites ou d’utilisation des réserves pour payer les dividendes, le conseil de Vivendi a abaissé par trois fois (2011-2012-2013) la valeur des options. « Cet ajustement, destiné à permettre aux bénéficiaires d’investir la même somme que celle prévue au moment de l’attribution des droits, s’est traduit par une augmentation du nombre d’options attribuées et par une réduction de leur prix d’exercice », est-il écrit dans le rapport annuel 2013.

Avec de tels subterfuges, le principe des stock-options est totalement détourné. Ce n’est même plus : « pile je gagne, face je ne perds pas » mais « pile je gagne, face, je gagne toujours ». Durant toute sa présidence, Jean-René Fourtou a beaucoup aimé les opérations en capital, une façon de prouver sa foi et sa confiance dans Vivendi, sans nul doute.  

Dès novembre 2002, alors qu’il a remplacé depuis à peine cinq mois Jean-Marie Messier à la tête de Vivendi, alors que la direction multiplie les déclarations alarmistes au point de se demander si le groupe peut en réchapper, il participe à une émission d’obligations remboursables en actions (ORA), lancée par le groupe. L’opération, qui prévoit une conversion sur la base d’une action pour une ORA, se fait au prix de 12,71 euros. Jean-René Fourtou souscrit à cette émission pour 19,9 millions d’euros dont les trois quarts (14,5 millions) par le biais de sa fondation personnelle, Jean-René et Janelly Fourtou, spécialisée dans le soutien à l’art et aux œuvres humanitaires au Maroc. Immense avantage de la fondation, les titres sont détenus en usufruit, ne sont pas soumis à l’impôt sur les plus-values et les propriétaires échappent à l’impôt sur la fortune. De plus, la fondation peut mener toutes les opérations qu’elle souhaite sans avoir à faire la moindre déclaration.

Trois ans plus tard, au moment de la conversion, le titre Vivendi cotait plus de 21 euros. Plus-value potentielle à cette date : plus de 12,8  millions d’euros. L’AMF, qui a enclenché une enquête pour délit d’initiés sur les dirigeants du groupe qui avaient participé à cette opération, notamment Jean-René Fourtou et Jean-Bernard Lévy, directeur général, les mettra hors de cause en octobre 2006. L’AMF précisera juste qu’à l’avenir les dirigeants des groupes ont l’interdiction de se livrer à de telles opérations.

Ayant renoncé à son arrivée à toucher une rémunération de façon momentanée – il sera payé dès 2003 –, le président de Vivendi s’était fait attribuer en 2003 et 2004 de très généreux plans de stock-options à très bas prix, en compensation : en moins de dix-huit mois, il était déjà attributaire de 1,5 million d’options. Ces plans seront complétés chaque année.

En juin 2007, Jean-René Fourtou décide d’exercer 2,4 millions d’options au prix moyen de 15,85 euros. Dans la foulée, il revend 1,4 million de titres au prix moyen de 31,66 euros. Grâce à cette seule opération, il empoche 44,3 millions d’euros, avec à la clé 6,3 millions d’euros de plus-values. Sans compter le million de titres conservés.

Chaque année, Jean-René Fourtou a continué à renforcer sa position. Parti de rien en 2002, il est officiellement détenteur de 821 815 actions Vivendi, dont un peu plus de 140 000 en usufruit. Au cours actuel, cela représente un capital de 15,8 millions d’euros. Mais il y a aussi toutes les actions qui ont été placées dans la fondation. Elles ont peut-être été vendues ou conservées. Si l’ensemble a été conservé, le capital accumulé dans cette fondation devrait avoisiner les 21,2 millions d’euros.

Ces titres rapportent en plus des dividendes. Entre 2009 et 2013, Vivendi a versé entre 1 et 1,40 euro par titre chaque année. Jean-René Fourtou a ainsi touché, sur cette période, une rémunération annuelle allant de 820 000  à 990 000 euros – pour les seules actions déclarées officiellement –, venant s’ajouter aux 700 000 euros de rémunération forfaitaire perçue au titre de président du conseil de surveillance de Vivendi. Ces chiffres permettent de comprendre pourquoi Jean-René Fourtou s'est tant accroché à son fauteuil et ne s'est décidé à l'abandonner qu'après un coup de force de Vincent Bolloré, en septembre 2013.

En douze ans de présidence, Jean-René Fourtou a donc accumulé plus de 100 millions d’euros de capital. Lors de sa nomination, il avait assuré qu’il ne prenait la fonction que pour trois mois et qu’il ne demanderait aucune rémunération. Il avait été PDG du groupe pharmaceutique Aventis auparavant et avait déjà acquis une confortable retraite et une certaine fortune. Il n’avait besoin de rien d’autre, expliquait-il. Il promettait aussi de rompre avec les usages de Jean-Marie Messier, qui réclamait alors 22 millions d’euros d’indemnités de départ. Ces indemnités ne lui seraient pas versées, s’était engagé Jean-René Fourtou, se présentant comme le défenseur d’un capitalisme moral. Jean-Marie Messier n’a officiellement pas touché son parachute doré. Pour le reste...

En juillet 2002, au moment du départ de Jean-Marie Messier, le cours de Vivendi s’était effondré. L’action valait 17 euros. Douze ans plus tard, le cours est à 19,3 euros. Pendant douze ans, Vivendi a fait du surplace, pas son président.

BOITE NOIRETous les chiffres sont tirés des rapports annuels du groupe de 2002 à 2014 et des déclarations des dirigeants faites auprès de l'Autorité des marchés financiers et classées sur son site.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Démocratie sanitaire (3/4) : internet, mon médecin et moi

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Internet est-il le premier médecin de France ? La question, volontiers provocatrice, est loin d'être purement rhétorique : sept Français sur dix consulteraient internet pour y trouver de l'information médicale, selon une étude réalisée par la société Global conseil. L'usage est donc massif. Néanmoins, que le monde médical se rassure, les analyses démontrent également que la première source d'information fiable reste le médecin.

« Il faut, et c'est l'un des enjeux d'une relation plus concertée avec le patient, que la personne qui vient consulter ne se sente pas minuscule, assure le docteur Jacques Lucas, vice-président de l'Ordre national des médecins et passionné par la question. Internet peut participer à cela. Le deuxième avantage, c'est qu'internet permet de dépasser cette forme de sidération intellectuelle qui saisit le patient lorsque l'on annonce un diagnostic. Je ne crois pas que le malade va aller sur le web pour simplement vérifier les dires du médecin, mais bien pour assimiler, digérer, à son rythme, les informations qui viennent de lui être livrées. »

Marie-Thérèse Giorgio.Marie-Thérèse Giorgio.

Marie-Thérèse Giorgio fait à peu près la même analyse. Cette médecin du travail, qui tient le blog Atout santé, est également présidente de l'association des Médecins maîtres toile, qui rassemble des dizaines de professionnels de santé présents sur internet et soucieux de développer les nouvelles technologies numériques au profit des patients. « Les personnes qui viennent en consultation n'osent pas dire qu'elles sont allées sur internet avant de venir, elles ont peur de notre réaction… Mais au contraire, ça nous permet de valider des hypothèses ou de détricoter certains raisonnements hasardeux. »

Mais là encore, cela suppose de concéder un peu de son autorité, et de revoir la nature du lien qui unit le professionnel et celui qui vient consulter. « N'oublions pas que pour nous aussi, médecins, le web est un outil extraordinaire, s'enthousiasme Marie-Thérèse Giorgio. Moi-même, en consultation, quand j'ai un doute, je fais trois clics pour vérifier une information et je le fais sans me cacher du patient. Mais ça suppose d'y voir clair quant à la qualité des sites santé. » Selon le baromètre Web et santéréalisé l'an dernier par deux organismes privés, Hopscotch et Listening Pharma, 96 % des médecins interrogés consultaient internet et notamment Google au cours de leur exercice professionnel, quitte à choquer certains patients.

C'est le principal écueil : devant la profusion d'informations disponibles sur le net, comment différencier un charlatan d'un professionnel sérieux ? Faut-il faire confiance aux témoignages qui pullulent sur les forums ? Quelle place pour les médecines alternatives face aux sites officiels ? En France, le principal bouc émissaire est propriété de Lagardère et s'appelle Doctissimo. Le site, extrêmement bien référencé sur les moteurs de recherche, permet de tout savoir sur un bouton de fièvre naissant, une angine, un cancer du colon… Le rédactionnel, réalisé par des médecins et des journalistes, est d'ailleurs plutôt de bonne qualité. Seul hic, la distinction parfois difficile entre la publicité omniprésente sur le site et le contenu, ainsi que la faible modération des forums, qui peuvent sur certains sujets s'apparenter à des puits sans fond de contre-vérités.

Outre Doctissimo, l'encyclopédie collaborative Wikipédia distille également de l'information médicale, tout comme le magazine Top Santé, entre deux pop-up publicitaires, ou Eurekasanté, propriété du Vidal, alors qu'Au Féminin.com conseille les futures mères et actuelles mamans sur les maladies relatives à la grossesse ou les otites des enfants… Sans compter les blogs gérés par des individus plus ou moins militants, les sites tenus par des associations de patients ou par l'industrie pharmaceutique, ainsi que les innombrables espaces de discussion via les réseaux sociaux. Toujours selon le baromètre Web et santé, 78 % des contenus santé seraient générés par les internautes, majoritairement sur Facebook. Dans ce capharnaüm, quelle place pour les informations dispensées par la sécurité sociale via Ameli.fr, ou pour le site de la Haute autorité de santé, longtemps « aussi gai que celui de l'Observatore romano », se gausse un médecin ?

Surtout, comment analyser la véritable incidence que peut avoir la consultation du web sur la santé de la population ? En 2012, la baisse importante des ventes de vaccins, notamment pédiatriques, est attribuée en partie à la controverse virulente qui sévit à ce sujet sur le net, terrain privilégié des détracteurs de la couverture vaccinale à la française. Mais la toile n'est souvent que le reflet, certes amplifié, de polémiques bien réelles, qui vont de la remise en cause des traitements anti-cholestérol aux bienfaits de la médecine chinoise, homéopathique ou naturelle. Ainsi, les effets indésirables du Mediator circulaient sur internet bien avant que le scandale n'éclate dans les médias spécialisés puis grand public. 

« Le danger, c'est que les gens changent leur traitement, ou arrêtent de prendre tel ou tel médicament, après avoir fait un tour sur le web, s'alarme malgré tout Célia Boyer, directrice de l'association suisse Health on net (HON), chargée de certifier des sites santé. Internet est une caisse de résonance pour les discours les plus dogmatiques, c'est donc un endroit qui suppose un minimum de régulation et de contrôle. » HON œuvre depuis 1996, les prémices d'internet, pour apposer son label sur les sites qu'elle juge « transparents » : sont donc certifiés ceux qui affichent leur mode de financement, l'objectif poursuivi, des mentions légales claires, le respect de la relation patient-médecin, l'indication des sources…

L'organisme a d'ailleurs collaboré avec la Haute autorité de santé de 2007 à 2013, jusqu'à ce que des voix s'élèvent contre l'inadéquation de la démarche. « Avec la certification, on contrôle les procédures, mais pas le contenu !, s'inquiète Jacques Lucas, de l'Ordre national des médecins. Moi je dis à mes collègues de ne pas se désespérer avec internet, car on voit aussi de tout dans les livres ! Le mieux est de produire un bruit de fond qui soit fiable. Et la meilleure façon d'y arriver, c'est que les médecins produisent eux-mêmes de l'information. »

→ Jacques Lucas :
« Il ne s'agit pas uniquement de produire une information officielle, cela peut passer par des organes turbulents, dans le cadre de la démocratie sanitaire. »

Plusieurs pistes sont envisagées : d'abord une sorte de portail de santé, chapeauté par la puissance publique, qui pourrait délivrer des réponses aux questions les plus fréquentes des internautes, éventuellement par spécialité. C'est déjà en partie l'ambition du site medicaments.gouv.fr, lancé par Marisol Touraine, qui a pour ambition de répondre à certaines angoisses des usagers de la santé. Et ce n'est pas un hasard si les deux « focus médicaments » portent sur les contraceptifs oraux et les benzodiazépines, actuellement sous le feu des critiques… Ensuite, une véritable éducation à l'usage médical d'internet, pour différencier un site publicitaire d'un site d'information, savoir prendre de la distance entre un témoignage et son propre cas, apprendre à multiplier les sources. Enfin, il s'agit de se servir du « capital confiance » dont disposent toujours les médecins pour les inciter à se lancer sur le net.

C'est tout l'objectif des Médecins maîtres-toile : « Avoir un vrai site de contenu, que l'on alimente régulièrement, répondre aux commentaires, c'est un truc de passionné, estime Marie-Thérèse Giorgio, qui y passe quatre heures par jour, en plus de son activité médicale. Mais le patient pourrait consulter le site personnel de son médecin, même simplifié, qui en profiterait pour faire passer des messages de santé publique, ou orienter vers d'autres sites de qualité. Les gens vont sur internet le plus souvent pour de la “bobologie”… Utilisons cet outil formidable pour désengorger les services de soins qui sont largement saturés ! »

Le « e-médecin », prescripteur d'information... L'idée commence également à faire son chemin au sein de l'Ordre national, qui hésite encore sur le modèle à adopter : « Il nous faut une charte déontologique, un cadre, pour notamment distinguer les blogs d'opinion, légitimes, des sites professionnels, qui renseigneraient sur le médecin, sa pratique, et donneraient éventuellement des informations d'ordre médical. Je crois personnellement qu'il faut s'engager dans le numérique, mais jusqu'où aller ? » Les médecins devraient peut-être accélérer leur réflexion, car ce marché aiguise tous les appétits : ainsi, le grand laboratoire pharmaceutique MSD, via sa plateforme Docvadis, propose déjà des microsites clés en main aux médecins.   

Célia BoyerCélia Boyer

Tout le débat repose donc sur la possibilité de se repérer dans la jungle d'internet. C'est d'ailleurs l'ambition affichée du « dot health », le « point santé », qui permettrait à des noms de domaines d'être référencés comme des sites de qualité. L'actuel propriétaire de ce fameux .health est l'Internet corporation for assigned names and numbers (Icann), organisme non lucratif américain qui coordonne depuis 1998 l’attribution des noms de domaines mais aussi la création de nouvelles extensions, telles que .asia, .travel, ou encore .shop… Le risque est pourtant élevé que le .health soit racheté par une société privée, qui le revendrait ensuite au plus offrant, faisant fi d'une quelconque volonté de référencement selon l'intérêt général. D'après Célia Boyer, directrice de HON, le ticket d'entrée pour l'achat du .health s'élèverait déjà autour de 100 000 dollars (voir ici la lettre envoyée à l'Icann en décembre dernier). Trop cher pour les ONG partisanes d'une régulation, et qui espèrent trouver le moyen de conserver la main sur le nom de domaine.

L'ouverture des données médicales est également au cœur des enjeux de la démocratie sanitaire, versant numérique. La question porte actuellement sur l'utilisation, plus ou moins large, de la base du Système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniiram), qui rassemble, par le biais des feuilles de soins, des informations ultra-précises sur l'état de santé et la consommation médicamenteuse des Français. Cet incroyable réservoir de données sanitaires est, depuis un arrêté du 19 juillet 2013, accessible à l'Institut de veille sanitaire, la Haute autorité de santé, ainsi que, dans une moindre mesure, à l'Agence de biomédecine.

Mais par souci de confidentialité et par crainte de voir les industriels exploiter ces informations, les données restent réservées à des structures étatiques. Pour Xavier Rey-Coquais, coordinateur d'Actif santé qui milite dans le domaine du sida, « tout le monde » devrait avoir accès à des données statistiques anonymes les plus larges possibles, notamment dans le domaine de la recherche. À condition que tous les acteurs jouent le jeu de l'open-data, et pas seulement l'assurance maladie.   

→ Xavier Rey-Coquais :
« Avant, personne ne déclarait les essais thérapeutiques. Mais il faut aussi publier les données, et pas seulement les résumés. »

 

Sur le site Transparence santé.Sur le site Transparence santé.

Les voix s'élèvent ici ou là pour plus d’ouverture, notamment via l’initiative Transparence santé, issue de la société civile, qui dénonce une forme d'OPA sur l'open-data… Pour l'instant, rien n'a changé, malgré le débat lancé officiellement par le ministère de la santé en novembre dernier.                                                                                                                                                                    

Prochain volet : « Entendre ceux que l'on n'écoute plus »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014


La Parisienne Libérée et Jérémie Zimmermann : «Le serpent est dans la pomme»

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[en cas de problème d'affichage : dailymotion - youtube - vimeo]

Jérémie Zimmermann est cofondateur de la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet très active ces dernières années. Dans l'entretien documentaire qu'il nous a consacré, il explique l'intérêt de prendre en main un certain nombre d'outils technologiques pour lutter contre la surveillance généralisée (voir ici la vidéo, chapitre sur « la maîtrise des technologies » à partir de 7'20).

Cet effort de prise en main, nécessaire à la protection de notre vie privée et de nos données personnelles, est rendu parfois impossible par la nature même des produits proposés. C'est le cas en particulier pour ceux de Google ou de Facebook, mais aussi pour les systèmes d'exploitation Microsoft Windows ou Apple Mac OS, qui tendent à enfermer l'utilisateur : sous prétexte de lui faciliter la tâche, ils limitent en réalité ses possibilités de décision.

CONTEXTE

La société Apple vient d'annoncer le rachat de Beats et tient cette semaine sa grande conférence annuelle des développeurs à San Francisco. Elle a confirmé son intention de s'investir dans des secteurs d'activité où la protection de la vie privée joue un rôle essentiel, comme la domotique et surtout le secteur de la santé.


LE SERPENT EST DANS LA POMME
paroles et musique : la Parisienne Libérée
entretien : Jérémie Zimmermann

[citation J. Zimmermann]
« Je suis convaincu d’une chose : ce n’est qu’en s’appropriant la technologie qu’on va pouvoir la maîtriser et donc être libre. Parce que l’inverse ça veut dire se faire maîtriser par la technologie et donc se faire contrôler. Et ça, c’est le modèle d’Apple dans lequel tous les appareils sont liés avec les logiciels, avec les produits, avec les machins, vous ne pouvez pas en sortir, une fois que vous avez mis le pied dedans vous ne pouvez pas en sortir... »

C’est un monde merveilleux
Sensuel et facile
Plein de couleurs et de jeux
Aux plaisirs tactiles
Un monde où les coins sont ronds
Qui nous prend la main
Pour guider nos émotions
Viens, tout ira bien

N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !
N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !

Entends-tu comme un écho
Une voix familière
Qui murmure derrière ton dos
Et te dit quoi faire ?
Peu à peu tu investis
Dans tous ces écrans
Du plus grand au plus petit
Tout devient tentant...

N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !
N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !

C’est un monde qui fanera
Dans l’obsolescence
Un univers extra-plat
Qui trompe nos sens
Neuf encore, déjà fini
Dans sa coquille close
C’est un monde où la batterie
Meurt avec sa chose

N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !
N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !

Le soir avant de te coucher
Toujours bien trop tard
Le matin pas réveillé
Au premier regard
Des zitrucs et zibidules
Et des zimachins
Que l’on vend aux somnambules
Comme des ziptitpains

N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !
N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !

Pour assurer ton confort
Le serpent choisit
À petits coups, il te mord
Son venin agit
Dans le métro dans le bus
Le nez dans un trou
On en voit de plus en plus
Qui ne voient rien du tout

N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !
N’y va pas, n’y va pas
Ne croque pas la com’
N’y va pas, n’y va pas
Le serpent est dans la pomme !

Il se pourrait qu'un jour
Enfin, Ève et Adam
Rencontrent un Gnou* d'Amour
Qui chasse le serpent
Il se pourrait alors
Qu'ils balancent leurs iPhones
Et sans aucun remords
Le gnou croquera la pomme !
Le gnou croquera la pomme !
Le gnou croquera la pomme !

*clin d’œil au système d'exploitation libre GNU

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Les précédentes chroniques
Les Français ne sont pas tous fascistes /L'Europe de Frontex / Hé oh, les Néolibéraux ! / Bruxelles Bubble / Un vote pour rire / À gauche ! / Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

BOITE NOIRENotre idée dans cette chanson n'est évidemment pas d'encourager les auditeurs à s'équiper d'un téléphone Samsung plutôt que d'un iPhone, ou de nous situer dans le camp d'un Google (!).
La question commerciale n'est pas principale et nous ne nous plaçons pas dans une logique de concurrence mais bien sur le plan des principes et de l'apprentissage : quelles sont les technologies que nous pouvons utiliser, quelles sont celles qui nous utilisent ? Autrement dit : quelles sont celles qui contribuent à protéger et nourrir nos libertés, et quelles sont celles qui, au contraire, nous mettent en position d'être massivement surveillés et contrôlés, souvent à notre insu ? À ce titre, nous pourrions faire une chanson très similaire sur l'univers de la marque Microsoft, par exemple.

L'honnêteté intellectuelle m'oblige par ailleurs à préciser que le montage audio et vidéo de cette chronique a largement été réalisé avec des outils proposés par la marque Apple : Jérémie Zimmerman, qui est beaucoup plus libéré que moi sur le plan informatique, n'est pas responsable de ce choix technologique :))

LPL

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Pasqua et Santini seront rejugés en septembre

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Charles Pasqua et André Santini vont à nouveau se retrouver au tribunal. Selon des informations obtenues par Mediapart, ils seront rejugés à partir du 22 septembre, et pour une durée de deux semaines, pour « détournements de fonds publics » par la cour d'appel de Versailles, dans l'affaire de la fondation Hamon, un des nombreux scandales financiers ayant éclaboussé le département des Hauts-de-Seine. Charles Pasqua a longtemps été président du conseil général ainsi que sénateur, il est retraité depuis peu. Quant à André Santini, il est l'inamovible député et maire (UDI) de la riche commune d'Issy-les-Moulineaux.

En première instance, Charles Pasqua et André Santini avaient été condamnés, le 21 janvier 2013, à deux ans de prison avec sursis et une amende par le tribunal correctionnel de Versailles. L'ancien ministre de l'intérieur Pasqua avait écopé d'une amende de 150 000 euros et deux ans d'inéligibilité, tandis que Santini, lui aussi ancien ministre, avait écopé d'une amende de 200 000 euros et une peine de cinq ans d'inéligibilité. Jean Hamon, collectionneur d'art, avait quant à lui été condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis, 200 000 euros d'amende et interdiction de gérer une entreprise commerciale durant cinq ans. Parmi les onze prévenus, seul l'architecte Jean-Michel Wilmotte avait été relaxé.

Charles Pasqua et André Santini étaient jugés en tant que président et vice-président du Syndicat mixte de l'île Saint-Germain (SMISG), une structure qui devait construire un musée en échange d'une donation de 192 œuvres d'art par Jean Hamon. Un musée qui n'a jamais vu le jour. Il leur était reproché des surfacturations et l'émission de fausses factures. André Santini avait fait appel du jugement.

Des peines de deux ans de prison avec sursis et une amende de 100 000 euros chacun, ainsi que la privation des droits civiques pendant deux ans, avaient été requises lors du procès, en octobre 2012. « M. Pasqua et M. Santini signaient les factures », avait indiqué le procureur. « Il est évident que M. Pasqua n'allait pas tout vérifier, ni M. Santini, mais du fait qu'il s'agissait d'un système organisé, ils avaient conscience que M. Hamon s'enrichissait sur le dos du Syndicat mixte », avait-il soutenu.

Retour sur cette affaire

Juillet 2003. Le comptable de l'homme d'affaires Jean Hamon se rend à la PJ de Versailles pour dénoncer des malversations de son employeur, avec lequel il est en conflit. Il balance une série de fausses factures, quelques prêts litigieux, et des achats personnels imputés financièrement aux sociétés de Jean Hamon. Surtout, il accuse son patron d'avoir embauché un ami d'André Santini, cela pour renvoyer l'ascenseur à l'élu des Hauts-de-Seine. Or la société qui rémunère ce proche est financée par des fonds publics, qui sont virés par le Syndicat mixte de l'île Saint-Germain. Un syndicat cofondé par la commune d'Issy-les-Moulineaux et le puissant conseil général des Hauts-de-Seine, et qui est codirigé par André Santini et Charles Pasqua.

Créé en 2000, le Syndicat mixte avait pour objet de créer un musée d'art contemporain sur l'île Saint-Germain, à Issy-les-Moulineaux. Annoncé en fanfare en 2001, le musée devait théoriquement accueillir deux cents œuvres d'art contemporain, des pièces de choix, dont des César, Dubuffet, Arman ou Garouste, toutes léguées par Jean Hamon, et globalement estimées à 8 millions d'euros.

Personnage à facettes, ce collectionneur d'art contemporain et nouveau mécène a également été promoteur. Il a fait fortune dans l'immobilier et possède une exploitation agricole de deux cents vaches Salers à côté de son magnifique château, dans les Yvelines.

La fondation Hamon devait, selon Pasqua et Santini, ouvrir ses portes en 2004. D'ici là, le syndicat s'engageait à régler à Jean Hamon les frais de conservation, d'entretien et d'exposition des toiles que l'homme d'affaires promettait de léguer au futur musée, et qui se trouvaient dans son château. Quant au proche d'André Santini, il était salarié pour venir y organiser des visites de groupes scolaires.

Charles PasquaCharles Pasqua

Pour le futur chantier du musée, plusieurs dizaines d'arbres sont abattus, et des frais d'études importants sont engagés par le Syndicat mixte de l'île Saint-Germain. Mais une association de défense de l'environnement et des riverains dépose des recours, et obtient le gel du projet, puis l'annulation pure et simple du permis de construire. Le projet de musée tombe à l'eau, mais Jean Hamon continue à percevoir des fonds pour le stockage et la conservation de ses toiles. Quelque 800 000 euros, selon l'enquête judiciaire.

Le mécène est mis en examen pour « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « escroquerie » et « recel de détournements de fonds publics » par la juge Nathalie Andreassian, en septembre 2003, et passe même quinze jours à la prison de la Santé. Cette nouvelle inquiète le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy. Elle laisse de marbre le patron du département des Hauts-de-Seine, Charles Pasqua, qui en a vu d'autres. André Santini, quant à lui, se sent personnellement visé. La juge d'instruction n'en a cure. Elle met en examen une flopée de hauts fonctionnaires et cadres dirigeants du conseil général des Hauts-de-Seine, ainsi que l'architecte parisien Jean-Michel Wilmotte, et enfin André Santini et Charles Pasqua, tous deux poursuivis en 2006.

Un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) d'Ile-de-France est versé au dossier d'instruction en 2007. Il chiffre le coût total du projet avorté à plus de sept millions d'euros. Les magistrats financiers pointent notamment le doublement du coût prévisionnel du musée, mystérieusement passé de 6,8 à 13,4 millions d'euros. Les frais de location et d'entretien des toiles conservées chez Jean Hamon sont également critiqués. La CRC épingle par ailleurs la fameuse SEM 92, le bras armé du conseil général des Hauts-de-Seine pasquaïen pour les grosses opérations immobilières. Maître d'ouvrage du projet de musée, la SEM 92 a accumulé « défaillances » et « irrégularités » dans la passation des marchés, dont ont profité plusieurs entreprises du BTP, stipule le rapport d'observations définitives de la CRC.

André SantiniAndré Santini

Une fois Nicolas Sarkozy parvenu à l'Élysée, l'affaire est suivie comme le lait sur le feu par son conseiller pour la justice, Patrick Ouart. La menace judiciaire est bien réelle, le département des Hauts-de-Seine ayant vu servir toute la garde rapprochée sarkozyste ou presque, après que Charles Pasqua a passé la main à Nicolas Sarkozy. Le pouvoir s'inquiète quand l'avocat de Jean Hamon s'étonne à voix haute que l'on reproche à son client des fonds publics virés sous Charles Pasqua, de 2001 à 2003, alors qu'ils ont continué à l'être, sans être visés par la procédure pénale, de 2004 à 2006, c'est-à-dire après que Nicolas Sarkozy eut succédé à Charles Pasqua à la tête du département le plus riche de France.

Ce même avocat, Philippe Guméry, demande début 2008 à la juge Andreassian d'entendre comme témoin l'ancienne adjointe du directeur général des services du département : une certaine Rachida Dati, qui est alors ministre de la justice. Cette audition sera refusée par la juge d'instruction. Mais le message a été reçu en haut lieu. Du coup, le parquet de Versailles joue prudemment la montre. Alors que la juge d'instruction a clos ses investigations, le procureur Michel Desplan attend plus d'un an pour prendre ses réquisitions, fin 2008... et demander à la juge de rouvrir le dossier, pour approfondir le volet « prise illégale d'intérêts ».

Charles Pasqua et Nicolas SarkozyCharles Pasqua et Nicolas Sarkozy

C'est que, depuis 2007, André Santini est secrétaire d'État à la fonction publique (son suppléant, Frédéric Lefebvre, est devenu député), et entend bien rester au gouvernement, alors qu'il est certain que la juge veut le renvoyer en correctionnelle. La guérilla procédurale redouble. Tout en assurant qu'André Santini n'a strictement rien à se reprocher dans ce dossier, son avocat pénaliste, Grégoire Lafarge, adresse des demandes d'annulation à la chambre de l'instruction et à la Cour de cassation. Le temps n'y fait rien : la procédure d'instruction est validée. André Santini quitte le gouvernement en juin 2009, et retrouve son siège de député.

La juge Andreassian, elle, a rouvert son dossier, comme on l'y obligeait. Elle y joint des éléments de procédure issus de la célèbre affaire Elf, qui font écho au dossier de la fondation Hamon. En 1990, en effet, un premier terrain sis à Issy-les-Moulineaux avait fait l'objet d'une étonnante transaction : le groupe Elf Aquitaine l'avait vendu pour 200 millions de francs (30 millions d'euros) à la société Thinet, qui elle-même l'avait cédé quelques jours plus tard pour 300 millions de francs (45 millions d'euros) à la SEM 92. Une bien mauvaise affaire pour les contribuables.

Quelque 60 millions de francs (9 millions d'euros) de commissions occultes s'étaient évaporés au passage, dans cette affaire où les noms de Jean Hamon, d'André Santini, et de son frère, l'homme d'affaires Dominique Santini, avaient (déjà) été cités.

Novembre 2010. Nathalie Andreassian clôt pour la seconde fois ses investigations, et transmet le dossier au parquet de Versailles. Rien ne se passe. Le parquet n'ayant toujours pas pris de réquisitions cinq mois plus tard, la juge d'instruction perd patience, et finit par renvoyer onze personnes devant le tribunal correctionnel le 6 avril 2011. (On peut lire son ordonnance de renvoi ici.)

Quelques semaines plus tôt, les avocats d'André Santini avaient tenté un ultime coup de procédure, en déposant une « requête en suspicion légitime » visant à faire dessaisir la juge d'instruction. En vain.

Sollicité en septembre 2011 par Mediapart, l'avocat de Charles Pasqua, Léon-Lef Forster, avait estimé que ce procès de l'affaire Hamon ne pourrait pas avoir lieu avant l'élection présidentielle, et jugé « tout à fait inadapté que M. Pasqua soit renvoyé devant le tribunal correctionnel, son rôle n'ayant jamais été déterminé dans l'effectivité d'une infraction ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Une filiale du Crédit Mutuel en pleine «dérive mafieuse»

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C’est une plongée inédite dans l’industrie du blanchiment d'argent. Au terme de plusieurs semaines d’enquête, Mediapart entame la publication d’une série d’articles sur les dérives de la banque Pasche de Monaco entre 2010 et fin 2013. Elle était alors une filiale du groupe Crédit Mutuel/CIC, deuxième banque de détail en France et premier propriétaire de titres de la presse régionale.

Les documents et témoignages recueillis décrivent de l’intérieur un impressionnant système d’évaporation de fonds vers les paradis fiscaux (Panama, Bahamas…) et révèlent divers circuits de blanchiment d’argent liquide. Ils interrogent également sur le climat de laisser-faire entretenu, malgré les alertes internes, par les plus hautes instances de la banque monégasque, mais aussi de la maison-mère à Paris. Interrogé, le Crédit Mutuel n’a souhaité faire aucun commentaire [voir sous l'onglet « Prolonger » la liste des questions posées par Mediapart].     

Certaines personnalités associées à des affaires judiciaires, comme le Brésilien Ricardo Teixeira, ancien dirigeant de la FIFA impliqué dans plusieurs dossiers de corruption, apparaissent par ailleurs dans la liste des clients de la Pasche Monaco, d’après les documents en notre possession.

Les pratiques douteuses de la Pasche Monaco, dont le Crédit Mutuel s’est séparé  fin 2013 en catastrophe, sont au cœur depuis l’été dernier d’une information judiciaire ouverte sur le Rocher pour des faits de « blanchiment ». Les investigations ont été élargies, il y a peu, à la demande du juge d’instruction en charge du dossier, Pierre Kuentz, à des « omissions de déclarations de soupçons de blanchiment » auprès des autorités de contrôle, au regard du nombre étourdissant de transactions suspectes opérées par la banque depuis des années.

Cela ressemble à un secret de Polichinelle. « J’avais l’impression que la banque était une coquille vide, un établissement fictif sans véritable client. La Pasche était en déficit chronique depuis des années », confie aujourd’hui Maurice Pilot, éphémère président du conseil d’administration de la banque monégasque, entre juin et septembre 2011. Il sera remplacé par l’avocat genevois Dominique Walurzel, dont le nom est cité à plusieurs reprises dans le volet financier de l’affaire Karachi — Me Walurzel apparaît comme le représentant légal d’une société-écran panaméenne ayant permis la corruption de l’ancien ministre de la défense d’Arabie saoudite, le prince Sultan, en marge de ventes d’armes décidées par le gouvernement Balladur.  

Un des trois yachts loués par la banque Pasche pour célébrer ses 125 ans à Monaco, en juin 2010Un des trois yachts loués par la banque Pasche pour célébrer ses 125 ans à Monaco, en juin 2010 © DR

En décembre 2012, trois employés de la banque (un sous-directeur, un commercial et une assistante) ont alerté leur direction après avoir découvert, effarés, de nombreuses opérations suspectes : dépôts d’espèces fréquents sans le moindre justificatif allant de 10.000 à plus de 400.000 euros, transferts douteux vers des sociétés offshore, comptes actifs seulement une semaine… Leur alerte sonnera pourtant dans le vide. RTL a révélé l’existence de ces lanceurs d’alerte, et leur histoire a commencé à être racontée par Challenges et le site Bakchich.

Lors d’un rendez-vous en mars 2013, alors que les soupçons de blanchiment se renforçaient et que l’inaction de la banque se confirmait, l’un de trois lanceurs d’alerte, Jean-Louis Rouillan, sous-directeur chargé de la zone Afrique, s’est inquiété auprès du directeur de la banque, Jürg Schmid, d’une « dérive mafieuse » de l’établissement. La conversation a été enregistrée, le salarié craignant d’être licencié pour son audace — ce qui ne manquera pas d’arriver, comme à ses deux collègues.

Le constat du salarié est alarmant. « Chaque fois qu'on vérifiait une opération, elle était référencée comme blanchiment, empilage, modification de compte », a-t-il lâché durant cette discussion. Il s’est aussi inquiété de l’impact de telles révélations sur le groupe Crédit Mutuel/CIC, par ailleurs propriétaire de quotidiens régionaux comme Le Progrès de Lyon, L’Est républicain ou Le Dauphiné libéré. « Dans la presse, Michel Lucas [le président général du groupe - ndlr] dit que c’est une des trois banques françaises les plus sûres au monde. Je voudrais bien voir M. Lucas, si on lui dit, à Monaco ça blanchit, à droite à gauche ».

L’ensemble de la conversation est accablant pour la banque. Elle met ainsi en évidence l’existence un véritable système organisé au sein de l’établissement. Et ni le contrôleur interne, ni le compliance officer, chargé de vérifier la régularité des opérations, ne vont tirer la sonnette d’alarme. Pourtant, la loi leur impose de saisir la cellule anti-blanchiment du gouvernement monégasque (Siccfin) en cas de soupçon sur des transactions.

Mais durant cette conversation, la principale inquiétude du directeur de la banque Jürg Schmid, qui n'a pas donné suite à nos sollicitations, ne semblait pas concerner ces fraudes. Le directeur a dit surtout craindre de voir l’affaire déballée sur la place publique : « Moi, je n’ai pas envie de devoir m’expliquer à gauche à droite sur la situation. Quand on fait du bruit aussi bien en interne qu’en externe, on va tous se retrouver à la rue ». Le directeur a tenté de dissuader son employé de sortir du rang et l’a prévenu : « Malheureusement, c’est toujours la banque qui a gagné ». Pour Jürg Schmid, un seul mot d’ordre, donc : « Limiter les dégâts ».

Jürg Schmid, dirigeant de Pasche Monaco, en juin 2010Jürg Schmid, dirigeant de Pasche Monaco, en juin 2010 © DR

Le patron de la Pasche Monaco se laissera toutefois aller à un aveu étonnant : « Nous, à la Banque Pasche Monaco, on a une situation où on doit probablement accepter des clients que dans d’autres banques, on n’accepterait certainement pas ». Le banquier se montre plus précis : « J’en ai un, le grand Brésilien. Je sais très bien qu’il n’y a aucune banque sur Monaco qui n’a voulu lui ouvrir un compte. Aujourd’hui, personne ne le veut car c’est vraiment un fer chaud. Mais on a tout fait car on a la déclaration d’impôt, la déclaration des tribunaux comme quoi il n’a pas été condamné. Evidemment, il est connu, mondialement connu. Alors on a un risque de réputation. On sait qu’il a reçu de l’argent pour faire des faveurs, mais ce n’est pas politique […] On a décidé ensemble, on le prend parce qu’il nous a rapporté 30 millions d’euros. Ce n’est pas rien ». 

L’homme dont il est ici question a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit du sulfureux Ricardo Teixeira, ancien membre du comité exécutif de la FIFA (1994-2012) et ex-président de la puissante Fédération brésilienne de football (1989-2012), qui a dû démissionner de ses postes après avoir été éclaboussé par diverses affaires de corruption.

La plus récente avait été révélée en avril dernier par le quotidien britannique Daily Telegraph, selon lequel 1,5 million d’euros avaient été versés en 2011 sur le compte de la fille du dirigeant brésilien, alors âgée de… 10 ans. Le versement aurait été effectué par un proche de Teixeira, Sandro Rosell, ancien patron de la marque Nike au Brésil et dirigeant du club de foot de Barcelone à cette époque.

Ricardo Teixeira, ancien patron du football brésilien et dirigeant de la FIFA impliqué dans des affaires de corruption.Ricardo Teixeira, ancien patron du football brésilien et dirigeant de la FIFA impliqué dans des affaires de corruption. © Reuters

Fin 2010 déjà, la BBC avait dévoilé que Teixeira avait touché pendant des années des pots-de-vin astronomiques de la part d’ISL, la société qui gérait les droits marketing et de retransmission télévisée du Mondial, avant de faire faillite en 2001. Le beau-père de Teixeira, João Havelange, qui fut président de la FIFA de 1974 à 1998, était également impliqué dans le scandale. Les sommes portaient sur plusieurs dizaines millions d’euros.

En 2001, le Parlement brésilien avait mis en évidence des liens financiers entre Teixeira et ISL et des députés avaient demandé que Teixeira, ainsi que d’autres dirigeants du foot brésilien, soient poursuivis pour évasion fiscale et blanchiment. En vain. Il est vrai que le patron de la fédération de football brésilienne a aussi financé des campagnes politiques plaçant certains dirigeants sportifs au parlement.

Teixeira a finalement démissionné de son poste à la Fifa en mars 2012, peu de temps avant que ne soit diffusé publiquement un document accablant : l’ordonnance de classement, rendue en mai 2010, par le tribunal cantonal de Zoug, en Suisse — le siège de la Fifa est situé à Zurich. Teixeira et Havelange étaient poursuivis par la Fifa pour avoir reçu les millions d’ISL. L’enquête judiciaire a établi tous les faits, mais a constaté que la Fifa souhaitait abandonner les poursuites, contre le versement de 2,5 millions de francs suisses (2 M€ environ) par Teixeira, qui avait déjà versé la même somme à la ISL.

L’ordonnance judiciaire suisse est on ne peut plus claire. Entre 1989 et 1999, ISL a payé plus de 122 millions de francs suisses de commissions occultes, dont au moins 12 millions sont arrivés dans les mains de Teixeira. Mais les sommes touchées par le Brésilien sont certainement largement supérieures, puisqu’en 1999 et en 2000, la bagatelle de 22 millions de francs suisses ont été versés par ISL à une société appartenant conjointement à Teixeira et son beau-père.

Dans cette affaire, la Fifa était parfaitement au courant : « On ne saurait remettre en question la constatation que la FIFA avait connaissance des versements de pots-de-vins à ses organes. D’une part, parce que différents membres du Comité Exécutif avaient reçu des fonds et en outre parce (…) qu’un paiement de la Société 1 destiné à Joao Havelange à hauteur de CHF 1'000'000.00 avait par erreur été encaissé directement sur un compte de la FIFA », signale le tribunal de Zoug.

Ces constatations implacables — et disponibles dans le domaine public — n’ont pas empêché la banque Pasche d’entretenir des relations suivies avec le Brésilien, sans n’avoir jamais alerté les autorités de contrôle, comme la cellule anti-blanchiment du gouvernement monégasque.

Ces derniers mois, Ricardo Teixeira (installé aujourd’hui en Floride) a multiplié les déplacements dans la principauté. En janvier, puis février, avril et mai 2014, à chaque fois pour des durées de deux ou trois jours. L’ancien dirigeant de la FIFA descendait toujours dans le luxueux hôtel Métropole, où les réservations étaient effectuées par la Banque Pasche, comme en attestent les factures et e-mails de réservation qu’a pu consulter Mediapart. Ce n’est sûrement pas un hasard : l’hôtel est situé à quelques mètres seulement des locaux de la banque.

Fondé en 1885, le groupe Pasche, dont le siège est à Genève, se présente comme le « pôle de gestion de fortune privée du groupe Crédit Mutuel-CIC ». Il dispose aujourd’hui de bureaux en Suisse, à Dubaï, au Liechtenstein et aux Bahamas, quatre pays ayant défendu ou défendant encore un secret bancaire inflexible, ainsi qu’en Chine et au Brésil. En janvier 2006, son président, Christophe Mazurier, ne cachait pas sa spécialité dans une interview au quotidien suisse Le Temps : « Utilisant la notoriété de CIC, nous travaillons beaucoup sur l'exil fiscal, soit la délocalisation de fortunes, en aidant des clients à s'installer en Suisse - Vaud, Valais, Genève -, à Londres, en Belgique, ou en Uruguay. »

Jürg Schmid et Christophe Mazurier, PDG de Pasche, lors de la fête des 125 ans de la banque, en juin 2010Jürg Schmid et Christophe Mazurier, PDG de Pasche, lors de la fête des 125 ans de la banque, en juin 2010 © DR

La banque a été reprise en 1996 par une filiale du CIC, la Lyonnaise de Banque, avant de tomber deux ans plus tard dans le giron du Crédit Mutuel au moment de la fusion avec le CIC. Sur le papier, le bureau monégasque n’a bizarrement jamais été en bonne santé. Si l’on en croit ses comptes publiés tous les ans au Journal officiel de Monaco, son résultat net de 2008 à 2012 n’a affiché que des pertes, s’échelonnant d’un peu plus de 612.000 euros à plus d’1,5 million de déficit…

L’enquête du juge Kuentz pourrait faire des remous sur le Rocher. Les lanceurs d’alerte de la Pasche Monaco, licenciés après avoir sonné l’alarme en interne, sont en effet décidés à aider la justice à aller jusqu’au bout. Ils ont été entendus septembre 2013 par la brigade financière de Monaco et ont commencé à révéler leurs secrets.

Même s’il s’est séparé en toute hâte de sa seule filiale monégasque au moment de l’éclatement de l’affaire, le Crédit Mutuel n’est pas à l’abri de se retrouver un jour au centre de l’enquête judiciaire. Dès le mois de mai 2013, une réunion s’est tenue au siège du Crédit Mutuel, à Paris, entre l’avocate des lanceurs d’alerte, Me Sophie Jonquet, et plusieurs responsables de la banque, dont le président Michel Lucas. Durant le rendez-vous, l’avocate a remis l’enregistrement accablant pour la Pasche Monaco.

Michel Lucas, président du Crédit Mutuel. Michel Lucas, président du Crédit Mutuel. © Reuters

Désormais, le Crédit Mutuel tente tout pour éteindre l’incendie. Le 9 avril dernier, la banque a mandaté un huissier de justice pour enregistrer une conférence de presse, à Lyon, de Me Jonquet. L’enregistrement avait été autorisé préalablement par le tribunal de grande instance de Lyon. Or, dans sa requête à la justice pour solliciter l’envoi de l’huissier, la banque n’avait pas fait mystère de sa connaissance des accusations qui pesaient sur elles.

« En juin 2013, dans le contexte de la cession de la banque Pasche Monaco, Monsieur Michel Lucas, président-directeur général du CIC, était contacté par Me Sophie Jonquet, se présentant comme l’avocat de trois salariés de la banque Pasche Monaco et affirmant que ses clients étaient en possession d’éléments permettant de démontrer que cette dernière était le théâtre d’opérations de blanchiment », a écrit la banque, qui évoque aussi un courrier de juillet 2013, dans lequel l’avocate la prévenait qu’elle adressait une dénonciation au parquet de Monaco. Au moins, la banque ne pourra pas dire qu’elle ne savait pas.

Le 10 septembre 2013, l'Association monégasque des activités financières (AMAF) a jugé, à l'unanimité de ses membres, que le licenciement de l'un des trois lanceurs d'alerte, Jean-Louis Rouillan, n'était pas justifié. Les deux autres contestent leur éviction dans le Tribunal du Travail de Monaco.

BOITE NOIREGeoffrey Livolsi, le principal auteur de cette enquête, signe ici son premier article pour Mediapart. Il a déjà collaboré à Libération et aux Inrockuptibles.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Un an après le drame de Rana Plaza, le CAC 40 fait bloc pour que rien ne change

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En avril 2013, l’effondrement d’un atelier de confection dans la banlieue de Dacca causait la mort de 1 138 travailleurs du textile. Sous les décombres, des étiquettes, notamment de marques françaises, Auchan, Carrefour, Camaïeu. Malgré les preuves, Auchan plaide non coupable, rejetant la faute sur son fournisseur. Outre le dumping social, le recours à des sous-traitants ou des filiales permet ainsi aux multinationales de diluer leur responsabilité.

Des textes internationaux permettent d’encadrer les activités des entreprises à l’étranger. Notamment les « principes directeurs » des Nations unies adoptés en 2011 qui exigent des sociétés qu’elles prennent des mesures pour prévenir des risques liés à leurs activités. Mais ces principes onusiens ne sont pas contraignants et ne permettent pas d’engager la responsabilité des sociétés mères et des donneuses d’ordre.

Une travailleuse évacuée après l'effondrement de l'immeuble Rana PlazaUne travailleuse évacuée après l'effondrement de l'immeuble Rana Plaza © Reuters

Faire reconnaître juridiquement la responsabilité des entreprises, c’est tout le combat que mènent depuis quelques années des ONG comme le CCFD-Terre solidaire ou Sherpa. Le drame du Rana Plaza a convaincu quelques députés socialistes, dont Dominique Potier, de déposer une proposition de loi en novembre 2013, votée par le groupe, visant à « rendre obligatoire un devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs chaînes d’approvisionnement ». Engager juridiquement la responsabilité des multinationales permettrait d’empêcher la « survenance de drame, en France comme à l’étranger, et obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et de l’environnement ».

Depuis, un autre projet de loi « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », examiné à l’Assemblée nationale en février et au Sénat en mai, doit être adopté avant l’été. Les discussions autour du projet furent surtout l’occasion, pour les députés et les ONG engagés dans ce combat, de tester la volonté du gouvernement à avancer sur ce sujet. Mais sous la pression du patronat et à l’écoute de Bercy, Matignon a refusé d'introduire des mesures contraignantes concernant la responsabilité des entreprises. Au bout du compte, les sociétés sont tenues d'identifier, prévenir et atténuer les atteintes aux droits de l’homme dont elles sont responsables, et cela sans obligation...

Lasses de se faire balader, six ONG, dont le CCFD-Terre Solidaire et le Collectif "éthique sur l’étiquette", ont décidé, le 24 mars, d’adresser un questionnaire aux dirigeants de 40 entreprises du CAC 40. L’objectif était de prendre leur avis sur les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Les ONG souhaitent savoir comment les entreprises les appliquent et si elles seraient favorables à un encadrement juridique.  

La réaction du Medef n’a pas tardé. Dès le 4 avril, une réunion est organisée avec l’Afep (association française des entreprises privées), pour préparer un modèle de réponse type. Mediapart a pu se procurer le document issu de cette rencontre, ainsi que la plupart des réponses (certaines sont en lien hypertexte dans l'article, vous les trouverez toutes sous l'onglet prolonger).

Voici l’avertissement patronal figurant dans le mail envoyé le 7 avril aux entreprises concernées :

« Ce questionnaire ne porte en apparence que sur les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, il doit être lu et travaillé dans le contexte de la proposition de loi sur le "devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre", fortement soutenue par la coalition des ONG auteures du questionnaire. Les entreprises seraient confrontées à de graves problèmes d’insécurité juridique et de compétitivité si la France adoptait une loi introduisant une présomption quasi irréfragable de responsabilité civile et pénale des sociétés mères et donneuses d’ordre, qui serait en contradiction avec les principes généraux qui gouvernent le droit français et en particulier le principe d’autonomie des personnes morales. »

Trente-quatre entreprises ont finalement répondu au questionnaire – six ont refusé de le faire parmi lesquelles Arcelor Mittal, Axa, Lafarge et Alcatel-Lucent. La grande majorité va reprendre les réponses proposées par l’Afep, jusqu’à la remarque préalable : un commentaire, repris par plusieurs entreprises, qui déplore « le caractère fermé du questionnaire et le trop peu de place laissé aux explications et illustrations susceptibles de tronquer la position des entreprises sur ce sujet »… 

La palme du mauvais élève revient à l’entreprise Capgemini. Son PDG, Paul Hermelin, fait d’ailleurs partie du conseil d’administration de l’Afep. La première société française de services informatiques, qui réalise près de 80 % de son activité à l’étranger, manie si bien le copier-coller qu’elle a laissé en en-tête de sa réponse les propos des organisations patronales : « À la demande des entreprises destinataires du questionnaire présentes le 4 avril, l’Afep et le Medef mettent à la disposition des répondants des éléments de contexte et de réponse possibles à certaines questions. » Plus de 40 000 informaticiens indiens travaillent pour la société sur 120 000 salariés. Capgemini compte bien poursuivre cette politique et prévoit d’employer près de 80 000 informaticiens en offshore d’ici 2015. Contacté par Mediapart, Capgemini n’a pas donné suite.

Le début du questionnaire renvoyé par CapgeminiLe début du questionnaire renvoyé par Capgemini

 

La première partie du questionnaire concerne la mise en œuvre par les multinationales des principes des Nations unies relatifs aux droits de l’homme et aux entreprises. Toutes sont d’accord avec ces règles de bonne conduite qu’elles disent appliquer de façon volontaire. C’est l’occasion pour certaines d’entre elles de faire état des multiples chartes de respect des droits sociaux et environnementaux auxquelles elles adhèrent. La lecture de ces réponses ne laisse aucun doute sur leur bienveillance.

Réponse de Veolia, par exemple : le groupe « s’engage depuis des années pour le respect des droits humains, dans ses activités mais aussi dans les territoires où l’entreprise intervient. (…) Si Veolia respecte les recommandations des organisations internationales et les législations locales dans l’ensemble des pays où le groupe est implanté, l’entreprise ne peut pas se substituer aux États défaillants en matière de droits de l’Homme ».

Extrait de la première réponse de VeoliaExtrait de la première réponse de Veolia

Dans sa réponse, Veolia a oublié de mentionner la plainte qu’elle a déposée contre l’État égyptien en juin 2012. En charge, depuis 2000, du marché de l’assainissement de la ville d’Alexandrie, Veolia a contesté l’adoption, en 2003, d’un salaire minimum obligatoire pour les employés. L’entreprise estimait qu’une hausse des salaires était contraire au contrat passé avec le gouvernement égyptien. Ce qui est une avancée pour les droits sociaux ne l’est pas pour l’entreprise française.

À la question posée sur le devoir des entreprises d’éviter « d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’Homme ou d’y contribuer par leurs propres activités » et de remédier « à ces incidences lorsqu’elles se produisent », seul Carrefour n’a pas souhaité répondre. La fédération des ouvriers du textile et de l’industrie au Bangladesh (BGIWF) a mis en cause une des marques de vêtements, Tex, vendus par le groupe et dont des étiquettes ont été retrouvées sous les décombres de l’atelier de confection. Carrefour nie toute responsabilité et refuse de participer à l’indemnisation des victimes contrairement à d'autres marques étrangères, comme l'anglo-irlandais Primark ou l'espagnol El Corte Ingles, qui ont accepté de participer à un fonds d'indemnisation des victimes, d'un montant de 54 millions d'euros. Sur ce point, Bernard Arnault, patron de LVMH, aurait pu conseiller Carrefour dont il est administrateur.

Dans sa réponse, le groupe LVMH décrit clairement le système confortable et tentaculaire de ses filiales fusibles : la multinationale est organisée en « cinq principaux groupes d’activités constitués de sociétés de tailles diverses, détentrices de marques prestigieuses, maisons mères de filiales à travers le monde. Cette organisation garantit l’autonomie des marques. La décentralisation et les responsabilités des dirigeants sont des principes fondamentaux d’organisation du groupe ». En somme, en cas de problème, le siège rejette la faute sur sa filiale. Celles-ci ont des sociétés implantées dans les pays où la fabrication de certaines pièces de maroquinerie a été délocalisée. Ces pièces sont ensuite montées dans des pays « luxueusement corrects », ce qui permet de poser un label « made in France » ou « made in Italia » plus présentable que « made in Romania » ou « made in China ».

À Sibiu, en Roumanie, où l’on compte quatre filiales du groupe, la société Somarest s’occupe de la confection de tiges et accessoires notamment pour Louis Vuitton et Céline. Pour LVMH, cette organisation de filiales en cascade sert à la fois de modèle pour la délocalisation dans des pays à bas coût mais aussi l'optimisation fiscale dans des pays à faible imposition. On comprend mieux le slogan de Louis Vuitton : « Tout bagage doit allier grande mobilité et légèreté ». Contacté par Mediapart, LVMH n’a pas donné suite.

Si les entreprises sont disposées à faire état des différentes règles de bonne conduite qu’elles édictent au sein de leur groupe, leur adhésion aux droits de l’homme est beaucoup plus réticente lorsqu’il est question d’encadrement juridique et d’aide aux victimes. Près de 70 % d’entre elles s’opposent même à faciliter le recours juridique pour les victimes. Michelin, qui ne souhaite pas s’exprimer sur la question, apporte un commentaire pour le moins surprenant : « Le recours judiciaire n’est pas toujours le meilleur levier pour compenser un préjudice. » En clair, Michelin préfère des instances de conciliation.

La non-réponse de MichelinLa non-réponse de Michelin

Il faut partir en Inde pour comprendre une telle position. Depuis novembre 2009, Michelin a construit une usine sur 117 hectares, près du village de Thervoy dans l’État du Tamil Nadu. Cette installation n’est pas sans conséquence pour les villageois qui vivent d’activités agricoles. Michelin préfère en imputer la responsabilité au gouvernement du Tamil Nadu à l’origine de cette décision en 2007. En avril 2013, le ministère de l’environnement français a pourtant déploré le manque d’étude environnementale faite par Michelin sur les risques pour la santé et l’environnement de son installation. Depuis 2007, les manifestations et les grèves de la faim se multiplient autour du site. En mars 2011, la police a arrêté 158 personnes dont 20 mineurs et 100 femmes, venus manifester pour en empêcher les travaux. Michelin ne peut feindre d’ignorer la mobilisation des populations contre son projet ni les différentes plaintes déposées.

En définitive, la quasi-totalité des entreprises ne souhaite pas voir les États assortir le respect des droits de l’homme de mesures contraignantes et donc reconnaître juridiquement leur responsabilité sociale et environnementale. Elles vantent les mérites de la « soft law », le droit souple, leur bonne volonté en somme. Dans le questionnaire, Bouygues répond d’ailleurs que « le respect des droits de l’homme par les entreprises doit être encouragé, tant par les organisations internationales que par les États, au moyen de la "soft law", l’adhésion volontaire à des codes de bonne conduite et la promotion des bonnes pratiques plutôt que par une accumulation de règles contraignantes ». Inutile de quitter l’Hexagone pour comprendre la position de Bouygues.

Il suffit d’aller en Normandie, sur le chantier du futur réacteur nucléaire à Flamanville. Certes, la sous-traitance en cascade est légion dans le BTP mais les méthodes de Bouygues ont particulièrement retenu l’attention de la justice et de l’Office centrale de lutte contre le travail illégal (OCLTI). En juin 2011, à Cherbourg, une enquête préliminaire a été ouverte pour « travail dissimulé ». Près de 140 Polonais travaillant principalement pour Bouygues Construction n’avaient aucune couverture sociale. Bouygues a eu recours à Atlanco, une société d’intérim irlandaise passant par des bureaux à Chypre et recrutant dans les pays de l’Est.

Les pertes pour l’Urssaf sont estimées autour de 8 millions d’euros. Là encore, un montage juridique complexe, disséqué par les gendarmes de l’OCLTI, a été mis en place sur le chantier pour ne pas remonter jusqu’au principal bénéficiaire de cette main-d’œuvre : Bouygues. Les conclusions des gendarmes sont claires : « Cette stratégie d’entreprise vise à faire obstacle à toute vérification notamment de l’application des règles en matière de rémunération des salariés et à s’adjuger un avantage concurrentiel déterminant face à d’autres entreprises. » Contacté par Mediapart, l’entreprise Bouygues répond : « C’est toujours mieux que les groupes s’approprient ces principes de droits de l’homme plutôt que d’être dans la contrainte. » Concernant la situation sur le chantier de l’EPR, « on peut parler de devoir de vigilance par rapport aux sous-traitants mais on n’a pas de commentaire à faire. Une enquête est en cours ».  

Et c’est bien pour des questions de compétitivité que les entreprises font bloc contre cette proposition de loi. Orange ne prend pas de pincettes : « Le recours systématique à la Hard Law (droit dur/mesures contraignantes) pour réglementer les impacts négatifs des entreprises risque à terme de freiner le développement économique (…). »

Contacté par Mediapart, le Medef, par la voix de son service de presse, regrette que certaines entreprises aient fait un copier-coller des réponses « surtout sur un sujet concernant le respect des droits de l’homme. C’est maladroit et ça édulcore les réponses ». Il assure avoir seulement voulu aider ses adhérents à « comprendre un contexte qui parfois leur échappe ». 

Le directeur général de l’Afep, François Soulmagnon, affirme quant à lui : « Reconnaître la responsabilité civile et pénale des entreprises donneuses d’ordre est un outil anti-entreprises françaises. On est en train de se tirer une balle dans le pied parce qu’il faudrait que la règle soit la même pour tout le monde. Notre objectif est de faire prévaloir notre position, on fait du lobbying et on ne s’en cache pas. L’analyse juridique de l’ensemble des administrations, notamment Bercy, est convergente avec la nôtre. Le texte pénaliserait les intérêts des entreprises. »

Pour Mathilde Dupré, chargée de plaidoyer « responsabilité » des multinationales de l’ONG CCFD-Terre solidaire, « l’objectif de ce questionnaire était d’avoir une position claire des entreprises mais aussi du gouvernement pour sortir des positions de principe. Il est regrettable de constater que les organisations patronales verrouillent toute discussion »

Quant à Dominique Potier, député PS, résolument optimiste, il pense que « la proposition de loi pourra être présentée devant l’Assemblée nationale d’ici la fin de l’année ».

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Drame du Rana Plaza: le patronat fait bloc pour que rien ne change

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En avril 2013, l’effondrement d’un atelier de confection dans la banlieue de Dacca, au Bangladesh, causait la mort de 1 138 travailleurs du textile. Sous les décombres, des étiquettes, notamment de marques françaises, Auchan, Carrefour, Camaïeu. Malgré les preuves, Auchan plaide non coupable, rejetant la faute sur son fournisseur. Outre le dumping social, le recours à des sous-traitants ou à des filiales permet ainsi aux multinationales de diluer leur responsabilité.

Des textes internationaux permettent d’encadrer les activités des entreprises à l’étranger. Notamment les « principes directeurs » des Nations unies adoptés en 2011 qui exigent des sociétés qu’elles prennent des mesures pour prévenir des risques liés à leurs activités. Mais ces principes onusiens ne sont pas contraignants et ne permettent pas d’engager la responsabilité des sociétés mères et des donneuses d’ordre.

Une travailleuse évacuée après l'effondrement de l'immeuble Rana PlazaUne travailleuse évacuée après l'effondrement de l'immeuble Rana Plaza © Reuters

Faire reconnaître juridiquement la responsabilité des entreprises, c’est tout le combat que mènent depuis quelques années des ONG comme le CCFD-Terre solidaire ou Sherpa. Le drame du Rana Plaza a convaincu quelques députés socialistes, dont Dominique Potier, de déposer une proposition de loi en novembre 2013, votée par le groupe, visant à « rendre obligatoire un devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs chaînes d’approvisionnement ». Engager juridiquement la responsabilité des multinationales permettrait d’empêcher la « survenance de drame, en France comme à l’étranger, et obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et de l’environnement ».

Depuis, un autre projet de loi « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », examiné à l’Assemblée nationale en février et au Sénat en mai, doit être adopté avant l’été. Les discussions autour du projet furent surtout l’occasion, pour les députés et les ONG engagés dans ce combat, de tester la volonté du gouvernement d'avancer sur ce sujet. Mais sous la pression du patronat et à l’écoute de Bercy, Matignon a refusé d'introduire des mesures contraignantes concernant la responsabilité des entreprises. Au bout du compte, les sociétés sont tenues d'identifier, prévenir et atténuer les atteintes aux droits de l’homme dont elles sont responsables, et cela sans obligation...

Lasses de se faire balader, six ONG, dont le CCFD-Terre Solidaire et le Collectif "éthique sur l’étiquette", ont décidé, le 24 mars, d’adresser un questionnaire aux dirigeants de 40 entreprises du CAC 40. L’objectif était de prendre leur avis sur les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Les ONG souhaitent savoir comment les entreprises les appliquent et si elles seraient favorables à un encadrement juridique.  

La réaction du Medef n’a pas tardé. Dès le 4 avril, une réunion est organisée avec l’Afep (association française des entreprises privées), pour préparer un modèle de réponse type. Mediapart a pu se procurer le document issu de cette rencontre, ainsi que la plupart des réponses (certaines sont en lien hypertexte dans l'article, vous les trouverez toutes sous l'onglet prolonger).

Voici l’avertissement patronal figurant dans le mail envoyé le 7 avril aux entreprises concernées :

« Ce questionnaire ne porte en apparence que sur les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, il doit être lu et travaillé dans le contexte de la proposition de loi sur le "devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre", fortement soutenue par la coalition des ONG auteures du questionnaire. Les entreprises seraient confrontées à de graves problèmes d’insécurité juridique et de compétitivité si la France adoptait une loi introduisant une présomption quasi irréfragable de responsabilité civile et pénale des sociétés mères et donneuses d’ordre, qui serait en contradiction avec les principes généraux qui gouvernent le droit français et en particulier le principe d’autonomie des personnes morales. »

Trente-quatre entreprises ont finalement répondu au questionnaire – six ont refusé de le faire parmi lesquelles Arcelor Mittal, Axa, Lafarge et Alcatel-Lucent. La grande majorité va reprendre les réponses proposées par l’Afep, jusqu’à la remarque préalable : un commentaire, repris par plusieurs entreprises, qui déplore « le caractère fermé du questionnaire et le trop peu de place laissé aux explications et illustrations susceptibles de tronquer la position des entreprises sur ce sujet »… 

La palme du mauvais élève revient à l’entreprise Capgemini. Son PDG, Paul Hermelin, fait d’ailleurs partie du conseil d’administration de l’Afep. La première société française de services informatiques, qui réalise près de 80 % de son activité à l’étranger, manie si bien le copier-coller qu’elle a laissé en en-tête de sa réponse les propos des organisations patronales : « À la demande des entreprises destinataires du questionnaire présentes le 4 avril, l’Afep et le Medef mettent à la disposition des répondants des éléments de contexte et de réponse possibles à certaines questions. » Plus de 40 000 informaticiens indiens travaillent pour la société sur 120 000 salariés. Capgemini compte bien poursuivre cette politique et prévoit d’employer près de 80 000 informaticiens en offshore d’ici 2015. Contacté par Mediapart, Capgemini n’a pas donné suite.

Le début du questionnaire renvoyé par CapgeminiLe début du questionnaire renvoyé par Capgemini

 

La première partie du questionnaire concerne la mise en œuvre par les multinationales des principes des Nations unies relatifs aux droits de l’homme et aux entreprises. Toutes sont d’accord avec ces règles de bonne conduite qu’elles disent appliquer de façon volontaire. C’est l’occasion pour certaines d’entre elles de faire état des multiples chartes de respect des droits sociaux et environnementaux auxquelles elles adhèrent. La lecture de ces réponses ne laisse aucun doute sur leur bienveillance.

Réponse de Veolia, par exemple : le groupe « s’engage depuis des années pour le respect des droits humains, dans ses activités mais aussi dans les territoires où l’entreprise intervient. (…) Si Veolia respecte les recommandations des organisations internationales et les législations locales dans l’ensemble des pays où le groupe est implanté, l’entreprise ne peut pas se substituer aux États défaillants en matière de droits de l’Homme ».

Extrait de la première réponse de VeoliaExtrait de la première réponse de Veolia

Dans sa réponse, Veolia a oublié de mentionner la plainte qu’elle a déposée contre l’État égyptien en juin 2012. En charge, depuis 2000, du marché de l’assainissement de la ville d’Alexandrie, Veolia a contesté l’adoption, en 2003, d’un salaire minimum obligatoire pour les employés. L’entreprise estimait qu’une hausse des salaires était contraire au contrat passé avec le gouvernement égyptien. Ce qui est une avancée pour les droits sociaux ne l’est pas pour l’entreprise française.

À la question posée sur le devoir des entreprises d’éviter « d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’Homme ou d’y contribuer par leurs propres activités » et de remédier « à ces incidences lorsqu’elles se produisent », seul Carrefour n’a pas souhaité répondre. La fédération des ouvriers du textile et de l’industrie au Bangladesh (BGIWF) a mis en cause une des marques de vêtements, Tex, vendus par le groupe et dont des étiquettes ont été retrouvées sous les décombres de l’atelier de confection. Carrefour nie toute responsabilité et refuse de participer à l’indemnisation des victimes contrairement à d'autres marques étrangères, comme l'anglo-irlandais Primark ou l'espagnol El Corte Ingles, qui ont accepté de participer à un fonds d'indemnisation des victimes, d'un montant de 54 millions d'euros. Sur ce point, Bernard Arnault, patron de LVMH, aurait pu conseiller Carrefour dont il est administrateur.

Dans sa réponse, le groupe LVMH décrit clairement le système confortable et tentaculaire de ses filiales fusibles : la multinationale est organisée en « cinq principaux groupes d’activités constitués de sociétés de tailles diverses, détentrices de marques prestigieuses, maisons mères de filiales à travers le monde. Cette organisation garantit l’autonomie des marques. La décentralisation et les responsabilités des dirigeants sont des principes fondamentaux d’organisation du groupe ». En somme, en cas de problème, le siège rejette la faute sur sa filiale. Celles-ci ont des sociétés implantées dans les pays où la fabrication de certaines pièces de maroquinerie a été délocalisée. Ces pièces sont ensuite montées dans des pays « luxueusement corrects », ce qui permet de poser un label « made in France » ou « made in Italia » plus présentable que « made in Romania » ou « made in China ».

À Sibiu, en Roumanie, où l’on compte quatre filiales du groupe, la société Somarest s’occupe de la confection de tiges et accessoires notamment pour Louis Vuitton et Céline. Pour LVMH, cette organisation de filiales en cascade sert à la fois de modèle pour la délocalisation dans des pays à bas coût mais aussi l'optimisation fiscale dans des pays à faible imposition. On comprend mieux le slogan de Louis Vuitton : « Tout bagage doit allier grande mobilité et légèreté ». Contacté par Mediapart, LVMH n’a pas donné suite.

Si les entreprises sont disposées à faire état des différentes règles de bonne conduite qu’elles édictent au sein de leur groupe, leur adhésion aux droits de l’homme est beaucoup plus réticente lorsqu’il est question d’encadrement juridique et d’aide aux victimes. Près de 70 % d’entre elles s’opposent même à faciliter le recours juridique pour les victimes. Michelin, qui ne souhaite pas s’exprimer sur la question, apporte un commentaire pour le moins surprenant : « Le recours judiciaire n’est pas toujours le meilleur levier pour compenser un préjudice. » En clair, Michelin préfère des instances de conciliation.

La non-réponse de MichelinLa non-réponse de Michelin

Il faut partir en Inde pour comprendre une telle position. Depuis novembre 2009, Michelin a construit une usine sur 117 hectares, près du village de Thervoy dans l’État du Tamil Nadu. Cette installation n’est pas sans conséquence pour les villageois qui vivent d’activités agricoles. Michelin préfère en imputer la responsabilité au gouvernement du Tamil Nadu à l’origine de cette décision en 2007. En avril 2013, le ministère de l’environnement français a pourtant déploré le manque d’étude environnementale faite par Michelin sur les risques pour la santé et l’environnement de son installation (Mediapart dévoilait ces éléments ici). Depuis 2007, les manifestations et les grèves de la faim se multiplient autour du site. En mars 2011, la police a arrêté 158 personnes dont 20 mineurs et 100 femmes, venus manifester pour en empêcher les travaux. Michelin ne peut feindre d’ignorer la mobilisation des populations contre son projet ni les différentes plaintes déposées.

En définitive, la quasi-totalité des entreprises ne souhaite pas voir les États assortir le respect des droits de l’homme de mesures contraignantes et donc reconnaître juridiquement leur responsabilité sociale et environnementale. Elles vantent les mérites de la « soft law », le droit souple, leur bonne volonté en somme. Dans le questionnaire, Bouygues répond d’ailleurs que « le respect des droits de l’homme par les entreprises doit être encouragé, tant par les organisations internationales que par les États, au moyen de la "soft law", l’adhésion volontaire à des codes de bonne conduite et la promotion des bonnes pratiques plutôt que par une accumulation de règles contraignantes ».

Inutile de quitter l’Hexagone pour comprendre la position de Bouygues. Il suffit d’aller en Normandie, sur le chantier du futur réacteur nucléaire à Flamanville. Certes, la sous-traitance en cascade est légion dans le BTP mais les méthodes de Bouygues ont particulièrement retenu l’attention de la justice et de l’Office centrale de lutte contre le travail illégal (OCLTI). En juin 2011, à Cherbourg, une enquête préliminaire a été ouverte pour « travail dissimulé ». Près de 140 Polonais travaillant principalement pour Bouygues Construction n’avaient aucune couverture sociale. Bouygues a eu recours à Atlanco, une société d’intérim irlandaise passant par des bureaux à Chypre et recrutant dans les pays de l’Est.

Les pertes pour l’Urssaf sont estimées autour de 8 millions d’euros. Là encore, un montage juridique complexe, disséqué par les gendarmes de l’OCLTI, a été mis en place sur le chantier pour ne pas remonter jusqu’au principal bénéficiaire de cette main-d’œuvre : Bouygues. Les conclusions des gendarmes sont claires : « Cette stratégie d’entreprise vise à faire obstacle à toute vérification notamment de l’application des règles en matière de rémunération des salariés et à s’adjuger un avantage concurrentiel déterminant face à d’autres entreprises. »

Contacté par Mediapart, l’entreprise Bouygues répond : « C’est toujours mieux que les groupes s’approprient ces principes de droits de l’homme plutôt que d’être dans la contrainte. » Concernant la situation sur le chantier de l’EPR, « on peut parler de devoir de vigilance par rapport aux sous-traitants mais on n’a pas de commentaire à faire. Une enquête est en cours ».  

Et c’est bien pour des questions de compétitivité que les entreprises font bloc contre cette proposition de loi. Orange ne prend pas de pincettes : « Le recours systématique à la Hard Law (droit dur/mesures contraignantes) pour réglementer les impacts négatifs des entreprises risque à terme de freiner le développement économique (…). »

Contacté par Mediapart, le Medef, par la voix de son service de presse, regrette que certaines entreprises aient fait un copier-coller des réponses « surtout sur un sujet concernant le respect des droits de l’homme. C’est maladroit et ça édulcore les réponses ». Il assure avoir seulement voulu aider ses adhérents à « comprendre un contexte qui parfois leur échappe ». 

Le directeur général de l’Afep, François Soulmagnon, affirme quant à lui : « Reconnaître la responsabilité civile et pénale des entreprises donneuses d’ordre est un outil anti-entreprises françaises. On est en train de se tirer une balle dans le pied parce qu’il faudrait que la règle soit la même pour tout le monde. Notre objectif est de faire prévaloir notre position, on fait du lobbying et on ne s’en cache pas. L’analyse juridique de l’ensemble des administrations, notamment Bercy, est convergente avec la nôtre. Le texte pénaliserait les intérêts des entreprises. »

Pour Mathilde Dupré, de l’ONG CCFD-Terre solidaire, « l’objectif de ce questionnaire était d’avoir une position claire des entreprises mais aussi du gouvernement pour sortir des positions de principe. Il est regrettable de constater que les organisations patronales verrouillent toute discussion ». Quant à Dominique Potier, député PS, résolument optimiste, il pense que « la proposition de loi pourra être présentée devant l’Assemblée nationale d’ici la fin de l’année ».

L'intégralité des réponses des entreprises du CAC 40 est à lire sous l'onglet Prolonger de cet article

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A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Les services européens antiterroristes sont débordés par les retours de Syrie

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Au 30 mai 2014, ils étaient 320 Français à combattre en Syrie, 140 en transit vers ce pays et autant à l’avoir quitté pour retourner en France ou vers un autre pays, selon les services de renseignement français. Trente y ont trouvé la mort. Au total, au moins 630 résidents français seraient donc passés par la Syrie depuis trois ans, alors que sur les précédentes terres de djihad, comme le conflit afghan dans les années 1980, seuls une quarantaine partaient de France, toujours selon les services de renseignement.

Fin 2013, le centre international pour l’étude de la radicalisation, un think tank londonien, avait quant à lui dénombré jusqu’à 11 000 étrangers partis combattre aux côtés des groupes djihadistes en Syrie depuis le début du conflit, dont près de 2 000 combattants venant de la zone Schengen.

La tuerie au Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014 a fait quatre victimes.La tuerie au Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014 a fait quatre victimes. © Reuters/François Lenoir

La menace d’attentat consécutive au retour des djihadistes étant passés par la Syrie était connue. « La menace principale portant sur le sol français semble donc bien émaner d’individus qui retournent en France après s’être formés dans les zones de djihad, de plus en plus nombreuses et accessibles », indiquait en mai 2013 le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la surveillance des mouvements radicaux armés présidée par l'écologiste Christophe Cavard.

Elle s’est concrétisée avec l’arrestation le 30 mai 2014, à Marseille, de Mehdi Nemmouche, soupçonné d’être l’auteur de la tuerie au Musée juif de Bruxelles. Selon le ministère de l’intérieur, Mehdi Nemmouche avait été inscrit au fichier des personnes recherchées (FPR) ainsi qu’au SIS (Système d'information Schengen) durant son séjour en Syrie où il aurait combattu aux côtés de l'État islamique en Irak et au Levant. Parti en Syrie, fin décembre 2012, en passant par Bruxelles, Londres, Beyrouth et Istanbul, le jeune Français de 29 ans avait été signalé à son retour en Europe le 18 mars 2014 par les autorités allemandes, au contrôle des passeports à l'aéroport de Francfort. Puis il avait été perdu de vue jusqu’à son arrestation du 30 mai lors d’un « contrôle inopiné » des douaniers marseillais d’un bus en provenance d'Amsterdam, via Bruxelles.

Confrontés à un phénomène aussi massif et inédit, « les services européens sont débordés », reconnaît le juge d’instruction Marc Trévidic, qui travaille au pôle antiterroriste du Palais de justice de Paris. Au ministère de l’intérieur, on parle d’une « présence d’une ampleur sans précédent » et d’un « gros sujet d’inquiétude ». « Nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau Mohamed Merah ou d’un nouveau Mehdi Nemmouche, les services ne peuvent pas surveiller tout le monde », souligne-t-on. Selon un spécialiste de la lutte antiterroriste interrogé par l’AFP, chaque combattant, à son retour, est convoqué, interrogé et averti du fait qu'il pourra être surveillé. Mais à défaut de pouvoir surveiller tout le monde en permanence, l'antiterrorisme a choisi d’établir des listes par ordre décroissant de dangerosité présumée.

Ceux qui combattent Bachar al-Assad ne sont bien sûr pas tous des terroristes en puissance une fois revenus en France. Loin de là. Beaucoup de jeunes ne pensent en effet qu’à repartir, selon Marc Trévidic. « Je me fous complètement d’être repéré et surveillé par les services français sur les réseaux sociaux. Je ne rentrerai jamais », affirme par exemple un jeune Français de 27 ans combattant en Syrie auprès d'Al-Nousra (groupe qui a fait allégeance à Al-Qaïda), dont le témoignage a été publié dans Libération.

Quelle peut être la réponse des États démocratiques européens face à ce défi ? Pour l'instant, elle est surtout répressive. En France, d’après une source judiciaire, près de 50 procédures sont actuellement ouvertes à la section antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris concernant des personnes qui s’apprêtaient à partir, sont parties ou sont revenues de Syrie. Le 7 mars 2014, le tribunal correctionnel de Paris a ainsi condamné à des peines de deux à quatre ans ferme trois candidats au djihad interpellés en mai 2012 à l'aéroport de Saint-Étienne, alors qu'ils s'apprêtaient à prendre un vol pour Gaziantep en Turquie, via Istanbul. Les trois jeunes gens étaient poursuivis pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes terroristes », accusés d'avoir voulu se rendre en Syrie pour se procurer des armes, suivre un entraînement militaire et combattre.

Cette justice préventive soulève de nombreuses questions. « On considère désormais que vouloir faire le djihad c’est être un terroriste, alors que les choses ne sont pas aussi simples, avait mis en garde Marc Trévidic auditionné en 2013 par des parlementaires. Dans le temps, on intervenait après qu’une enquête avait permis de déterminer ce que les individus préparaient sur le territoire, et l’on ne disait pas que le simple fait d’aller faire le djihad quelque part est un acte terroriste en soi : on savait très bien qu’ils étaient allés combattre les Soviétiques en Afghanistan ou les Serbes en Bosnie. Ce n’était pas des "terroristes", puisqu’ils étaient dans notre camp... » 

En mai 2013, le rapport parlementaire sur la surveillance des milieux radicaux armés avait d’ailleurs signalé les états d’âme des magistrats. « Certains d’entre eux semblent réticents à qualifier d’entreprise terroriste le combat mené aux côtés des groupes islamistes et y voient plutôt une forme de résistance légitime contre le régime de Bachar al-Assad », expliquaient les auteurs. « Si vous êtes avec l’Armée syrienne libre (ASL), vous êtes le sauveur de l’humanité, si vous êtes avec Jabhat al-Nousra, vous êtes un méchant», ironise un avocat pénaliste parisien, spécialiste de ces dossiers terroristes.

Au Royaume-Uni, la procureure à la tête du parquet antiterroriste n'a pas ses scrupules. En février 2014, Sue Hemming a prévenu ses compatriotes que ceux qui allaient combattre en Syrie devaient s’attendre à être poursuivis à leur retour et risquaient une peine de prison à vie. « C’est un délit de s’engager dans un conflit, même si on peut juger le camp adverse détestable », a mis en garde la magistrate. Le « Terrorism Act » de 2006 interdit en effet tout acte préparatoire terroriste et toute assistance à une autre personne dans de telles activités, ainsi que l’entraînement dans des camps. « Si, de nos jours, George Orwell et Laurie Lee revenaient de la guerre civile espagnole, ils tomberaient sous le coup de la loi sur le terrorisme de 2006 et feraient face à une peine de prison à vie », a remarqué un éditorialiste du Guardian.

La France comme le Royaume Uni ont également décidé de faire appel aux familles pour agir en amont, en tentant d’enrayer la radicalisation et le départ de leurs jeunes vers la Syrie. Il y a du travail. En janvier 2014, La Croix avait révélé des extraits d’un rapport sur la prévention de la radicalisation, rédigé par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Selon le quotidien, ce rapport remis en octobre 2013 au premier ministre dressait un constat sévère sur « les dispositifs en place », dénonçant l’absence de recherches sur le repérage des jeunes radicaux, de « critères communs de détection », et une politique exclusivement ciblée sur « la répression ». « Aucune stratégie d’action préventive n’existe à l’égard des personnes détectées pour les aider à sortir du processus », concluait Yann Jounot, ex-directeur de la protection et de la sécurité de l’État.

Le 2 juin, Bernard Cazeneuve a joué l'apaisement au micro d'Europe 1. « L'islam n'a rien à voir avec ces agissements, a-t-il déclaré. Ce sont les résultats d'un enfermement dans une violence radicale qui aurait pu prendre d'autres formes que religieuse, de la part de jeunes qui n'ont aucune culture religieuse. »

Mais comment lutter contre cette radicalisation ? « Cela ne peut pas rester une affaire de flics, si vous me pardonnez l’expression, car il ne s’agit pas seulement de garantir la sécurité », a estimé Mathieu Guidère, professeur à l’université Toulouse II– Le Mirail, lors de son audition par des parlementaires en février 2013. Et de poursuivre : « Les islamistes radicaux, les djihadistes et tous les groupes armés assimilés estiment mener une guerre juste, et c’est pourquoi ils sont prêts à mourir pour leur cause. Mais ils nous entraînent surtout dans une lutte idéologique, que l’on ne peut mener qu’en ayant recours aux gens les plus intelligents. »

Joëlle Milquet, ministre de l'intérieur belge, et son homologue français, Bernard Cazeneuve, le 1er juin 2014.Joëlle Milquet, ministre de l'intérieur belge, et son homologue français, Bernard Cazeneuve, le 1er juin 2014. © Reuters

Pour tenter de remonter la pente, l’une des dispositions du plan anti-djihad présenté en avril par Bernard Cazeneuve permet aux familles dont l'enfant surfe sur des sites faisant l'apologie du terrorisme d'alerter une structure créée à cet effet afin qu'elles soient conseillées et accompagnées. Selon une communication du ministre de l’intérieur au conseil des ministres du 3 juin, ce numéro vert national mis en place fin avril a déjà permis « de traiter 126 signalements utiles, dont 32 concernaient des mineurs, 48 des femmes et 20 des départs avérés ».

Reporter à RFI, David Thomson raconte le parcours de 18 candidats au djihad en Syrie.Reporter à RFI, David Thomson raconte le parcours de 18 candidats au djihad en Syrie.

Mais au Royaume-Uni, comme en France, ces plans, reposant sur les proches des candidats au départ, ont laissé sceptiques les spécialistes ainsi que les familles des intéressés. Selon David Thomson, auteur des Français jihadistes, le discours des parents n’a pas d'effet sur la plupart des jeunes partis en Syrie, qui sont justement en rupture avec une communauté musulmane qu’ils jugent trop permissive. « La radicalisation n’est pas un processus, mais une rupture brutale, et elle ne s’opère ni dans les mosquées, ni dans les prisons, écrit l'universitaire Jean-Pierre Filiu. Il est donc inutile de mobiliser imams, parents ou “grands frères” pour endiguer cette menace, car elle se construit justement contre de telles références sociales et culturelles. » Le témoignage d'Amina Deghayes, la tante d'un jeune Britannique de 18 ans tué en Syrie en avril 2014, va dans le même sens. « Si la stratégie est d'aller parler aux gars avant qu'ils partent, je pense que les proches l'ont déjà fait, ils n'ont pas attendu le gouvernement pour cela »,a-t-elle indiqué au Guardian.

Entre-temps, les autorités françaises ont également mis la pression sur leurs homologues turcs pour les inciter à mieux surveiller leurs frontières avec la Syrie. Jeudi 5 juin, Bernard Cazeneuve et Joëlle Milquet, son homologue belge, ont présidé une réunion à Bruxelles avec les neuf pays européens les plus touchés par le djihadisme. Les deux ministres ont proposé d'améliorer les  échanges d'information entre services de renseignement (notamment celle des passagers aériens, la France ayant fin 2013 créé une plateforme de collecte de ces données), ainsi que le contrôle des contenus postés sur Internet. « Nous demandons à la commission européenne de s’adresser aux opérateurs du net et de les responsabiliser sur les contenus postés sur leurs plateformes », indique le ministère.

Bernard Cazeneuve doit présenter d’ici cet été au Parlement le volet législatif de ce plan anti-djihad qui prévoit « l’interdiction des départs de ressortissants français majeurs liés à des activités terroristes ». Ainsi qu’une énigmatique « capacité juridique des services français à mettre en œuvre des techniques d’investigation et des modalités d’exploitation de données qui ne leur sont pas encore ouvertes ». Selon le ministère de l’intérieur, il s’agirait de mettre en place des cyber-patrouilles permettant aux enquêteurs d’infiltrer les sites djihadistes, à l’instar de ce qui se fait déjà en matière de lutte contre la pédophilie.

Le ministère de l’intérieur réfléchit également à la création « d’une nouvelle incrimination relative à la préparation d’actes de terrorisme par un individu isolé ».

À travers le délit très malléable d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », la législation française permet déjà de punir de façon préventive des projets terroristes, avant même toute tentative de passage à l’acte. Mais cette incrimination n’est « plus une garantie suffisante» selon les déclarations de M. Cazeneuve. «Il ne faut s'interdire aucun sujet, conforme évidemment à notre droit et à notre Constitution», a enfoncé le clou le premier ministre Manuel Valls, jeudi lors de la séance des questions d'actualité au Sénat. «Il faut réfléchir très intelligemment», a-t-il ajouté, sur la façon dont «on peut mieux prévenir, voire punir, le seul fait de vouloir aller combattre à l'étranger».

La notion d’association de malfaiteurs est pourtant déjà extrêmement large. En mai 2012, le tribunal correctionnel de Paris avait ainsi condamné à quatre ans d’emprisonnement ferme un physicien du Cern pour avoir échangé des courriels équivoques avec un mystérieux correspondant. Ce dernier, présenté par les enquêteurs comme un responsable présumé d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, n’avait jamais été formellement identifié.

« On nous a beaucoup reproché d'utiliser de façon trop extensive l'association de malfaiteurs : au lieu d’être hypocrites, mettons les pieds dans le plat, estime le juge d’instruction Marc Trévidic, partisan de cette nouvelle incrimination. Certains jeunes endoctrinés sur Internet essaient par exemple d’intégrer un groupe et sont refusés par l’émir. Nous ne pouvons pas les poursuivre, car il n’y a pas d’entente terroriste. Il s'agit de cas rares, mais qui existent. » À l'autre bout du spectre idéologique, il cite l’exemple d’un militaire français de 23 ans, proche de l’extrême droite, qui avait reconnu son projet de tirer sur une mosquée de Vénissieux, mais a bénéficié en mars 2014 d’un non-lieu partiel de la cour d’appel de Paris, faute d’entente terroriste.

« Il faudrait encadrer précisément cette incrimination, qu’elle soit caractérisée par plusieurs faits matériels, et non par "un ou plusieurs faits matériels" comme l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », met cependant en garde le magistrat. Selon le ministère de l’intérieur, cette future infraction, encore à l'étude, pourrait concerner des individus répondant à au moins deux des trois critères suivants : avoir surveillé des lieux ou des personnes de façon régulière, s’être procuré des armes et avoir fréquemment consulté des sites publics ou des forums de propagande. Des arbitrages avec le ministère de la justice doivent encore avoir lieu.

Fin 2012, dix mois après l'affaire Merah, l’ex-ministre de l’intérieur socialiste Manuel Valls avait déjà renforcé l’arsenal antiterroriste français. La loi du 21 décembre 2012 permet désormais de punir les actes terroristes commis à l’étranger, dont l’entraînement à la lutte armée, par des résidents en France. Mais Manuel Valls s’était, à l’époque, opposé à la création d’un délit spécifique aux individus isolés, qui n’aurait selon lui « eu aucune utilité concrète, pratique, efficace, sur le comportement de Mohamed Merah ». « Au-delà des dispositifs que nous concevons, au-delà de la réponse judiciaire, au-delà de la création de nouvelles incriminations, la réponse tient à l’organisation des services de renseignement intérieurs et aux moyens que nous souhaitons leur donner », avait indiqué l’ex-ministre de l’intérieur.

En mai 2013, une mission parlementaire sur le cadre juridique des services de renseignement, menée sous la houlette de Jean-Jacques Urvoas, président (PS) de la commission des lois de l'Assemblée nationale, avait jugé « partiellement caduque » la stratégie du système antiterrorisme français. Selon les auteurs, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), créée en juin 2008, souffre d’avoir hérité de l’organisation et de la culture hypercentralisée de la Direction de la surveillance du territoire (DST), inadaptée aux menaces terroristes actuelles « infra-étatiques, non-conventionnelles, dynamiques, diffuses et non prévisibles ». « La DCRI a été conçue comme une forteresse pour lutter contre le "grand" terrorisme organisé transnational », a résumé l’une des personnes auditionnées.

Interpellation par la DGSI et le Raid de sept jeunes Strasbourgeois de retour de Syrie le 13 mai 2014, à la Meinau.Interpellation par la DGSI et le Raid de sept jeunes Strasbourgeois de retour de Syrie le 13 mai 2014, à la Meinau. © Reuters

Un point de vue partagé par Marc Trévidic. « Avant 2001, nous avons eu à combattre des groupes terroristes qui avaient constitué des filières pour amener des gens en Afghanistan, a-t-il expliqué lors de son audition par la mission. Dans ce cadre, notre système très centralisé était idéal et nous avons été hyper-performants. Les informations essentielles provenant de l’international, la DST dressait immédiatement procès-verbal et l’on pouvait engager de belles procédures contre les gens qui allaient s’entraîner dans les camps d’Al-Qaïda. Mais la fusion des services a encore renforcé la centralisation de notre dispositif alors même que la situation a changé. Il n’y a plus de filières d’acheminement. Ce sont maintenant des individus qui partent, et ces déplacements peu repérables sont difficiles à gérer par un système lourd et hiérarchisé, ainsi conçu que toutes les informations, même celles qui proviennent des brigades régionales, remontent à Paris. »

Les auteurs du rapport pointaient également le mépris de la DCRI pour ses bureaux locaux, la coupure avec le renseignement de terrain pratiqué par les ex-RG, ainsi que le faible nombre de fonctionnaires chargés du suivi de l'islam radical. « La DCRI estime qu’elle aurait besoin de doubler le nombre de ses fonctionnaires arabisants », indiquait le rapport.

Grand chantier de Manuel Valls lors de son passage place Beauvau, la réforme de la DCRI a abouti début 2014 à la création d’une direction générale du renseignement intérieur (DGSI), placée directement sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Ce qui lui permet de disposer d’un budget propre et de diversifier son personnel en recrutant des non-policiers à l’instar de son modèle, la puissante DGSE. Dans les cinq prochaines années, la DGSI devrait recruter 430 civils, analystes, interprètes, informaticiens ou chercheurs.

Mais cette réforme n’a pas non plus permis à la nouvelle DGSI d’arrêter à temps les projets du principal suspect de la tuerie du musée de Bruxelles. « La masse d'informations à traiter dépasse les capacités classiques et nécessite un saut quantitatif et technologique, indique Emmanuel Roux, secrétaire général du syndicat national des commissaires de la police nationale (SCPN). Mais l'opinion publique souhaite-t-elle un État policier ? »

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Taubira fait adopter sa réforme pénale, amputée sous pression de l'Elysée

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Christiane Taubira a fait du Taubira. De longues démonstrations, techniques, argumentées ou imagées, souvent brillantes. De jolies tournures de phrase, des rires et des amabilités suaves, mais aussi des remarques assassines quand elle dénonce les « procédés abjects » d'un député UMP ou humilie en direct une de ses collaboratrices.

Comme on pouvait s'y attendre, la garde des Sceaux, souvent donnée partante sitôt « sa » réforme pénale votée, a défendu ce projet de loi avec brio. Mais Christiane Taubira n'a pu faire oublier que la loi sur la « prévention de la récidive et l'individualisation des peines », que les députés ont fini d'examiner dans la nuit de jeudi à vendredi, reste en deçà de ce que souhaitait le PS quand il hurlait dans l'opposition contre les lois sécuritaires de Nicolas Sarkozy.

Tétanisé par le climat politique et une droite qui lui reproche comme un mantra son « laxisme » supposé en matière pénale, l'exécutif a opté pour une réforme pénale expurgée des dispositions les plus polémiques. Des reculs et des atermoiements (la réforme a été repoussée à plusieurs reprises) que la garde des Sceaux, qui optait pour un texte plus ambitieux, n'a pu faire mine de ne pas regretter. « Je constate qu’il nous aura fallu deux ans pratiquement pour arriver à ce débat », a-t-elle glissé, évoquant aussi une loi « qui a tardé à arriver ». Le texte sera formellement adopté par les députés mardi 10 juin.

Manuel Valls et Christiane TaubiraManuel Valls et Christiane Taubira © Reuters


Pour défendre ce « texte de protection de la société » (dixit Christiane Taubira), la garde des Sceaux, fidèle à son habitude, a bien entendu convoqué le Panthéon des grandes voix de la gauche : Mendès France, Jaurès, Hugo : « Les opiniâtres sont les sublimes. Qui n’est que brave n’a qu’un accès, qui n’est que vaillant n’a qu’un tempérament, qui n’est que courageux n’a qu’une vertu ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur. » Ou encore la Lettre à la France de Zola, en pleine affaire Dreyfus : « Je parlerai aux petits et aux humbles, à ceux qu’on empoisonne et qu’on fait délirer. Je ne me donne pas d'autre mission, je leur crierai où est vraiment l'âme de la patrie, son énergie invincible et son triomphe certain. »

Elle a aussi fait référence à quelques grandes figures de la droite humaniste. En face, l'UMP, combative mais assez peu imaginative, a martelé quelques arguments en boucle. Sur tous les tons, ils ont dénoncé une loi « laxiste » (Georges Fenech), qui traduit une « idéologie anti-carcérale » (Annie Genevard), fait la part belle aux récidivistes, cherche à « vider les prisons » et « oublie les victimes » (Marc Le Fur). L'opposition s'est surtout délectée des ambiguïtés du gouvernement, et de quelques passes d'armes entre le gouvernement et la majorité.

L'UMP s'est plu à relire, parfois « avec beaucoup de plaisir » (Éric Ciotti), plusieurs extraits de la fameuse lettre de Manuel Valls à François Hollande de l'été 2013. Alors ministre de l'intérieur, Valls pointait dans ce courrier rendu public « des désaccords sur le fond » avec Christiane Taubira. Il dénonçait une réforme « au socle de légitimité fragile » et souhaitait augmenter le nombre de places de prison, alors que la garde des Sceaux, qui évoque un « taux de surpopulation carcérale considérable » avec 68 000 détenus (+35 % depuis 2001, sans effet sur la baisse de la récidive), souhaite d'abord les désengorger.

Manuel Valls remettait surtout en cause l'instauration dans la loi de la « contrainte pénale », une peine alternative à la prison, préférant d'abord réformer le fonctionnement des parquets. Finalement, si Valls n'a pas gagné tous les arbitrages, c'est sa ligne plus sécuritaire qui l'a emporté sur celle, plus à gauche, de la garde des Sceaux. « Je n’ai pas à me justifier de mes prises de position qui ont toujours été extrêmement claires », a répondu l'actuel premier ministre à un énième député UMP qui lui rappelait ses propos.

La loi pénale traduit certes plusieurs engagements de François Hollande ou du parti socialiste, qui n'a cessé depuis 2002 de dénoncer l'activisme législatif sécuritaire de la droite, et de Nicolas Sarkozy en particulier. L'affirmation dans le Code pénal que les peines doivent être individualisées, la fin des sorties sèches de prison, la césure du procès pénal afin d'ajuster la peine une fois la culpabilité prononcée, et bien sûr la fin des très décriées peines plancher, qui fixaient une sanction automatique en cas de récidive, sont autant de mesures importantes. L'Assemblée a par ailleurs voté la suspension des peines de prison pour les femmes enceintes.

Pour autant, aucun des nouveaux délits créés par la droite entre 2002 et 2012 n’a été supprimé du Code pénal. Il n'a pas été question de  “dépénaliser” ou de “contraventionnaliser” une série d’infractions (routières notamment) qui avaient été transformées en délits sous Chirac et Sarkozy, ou encore la détention de stupéfiants. De même, l’échelle des peines encourues pour certains délits n’a pas été revue à la baisse, toujours afin d’éviter un procès en laxisme. Le texte se fait même plus sécuritaire que certaines lois votées sous la droite lorsqu'il réduit la possibilité pour les juges de procéder à des aménagements de peine.

Les débats ont plusieurs fois prouvé la gêne d'une partie de la majorité face à un texte édulcoré. Mercredi dans la nuit, un curieux face-à-face a ainsi opposé la majorité, convaincue de la nécessité de supprimer les tribunaux correctionnels spéciaux pour mineurs, à une ministre d'accord avec eux mais qui n'avait pas le feu vert de l'Élysée et de Matignon pour abroger cette mesure phare des années Sarkozy, comme François Hollande s'y était engagé. « La garde des Sceaux disait que c'était sa feuille de route », a rappelé l'écologiste Sergio Coronado.

À court d'argument, le rapporteur socialiste Dominique Raimbourg a estimé qu'un tel amendement ne pouvait pas être voté « dans un souci d’efficacité vis-à-vis de l’opinion publique ». « C’est un engagement du président de la République », a rappelé Christiane Taubira elle-même, qui n'a pas caché s'être « posé la question ».

Finalement, faute d'engagement du gouvernement sur un calendrier précis, six députés socialistes, les écologistes et les communistes ont voté pour leur suppression. Et ceux qui ont voté contre au PS l'ont fait à contrecœur. « J'ai été disciplinée mais il aurait fallu voter cette disposition dans ce texte, déplore la socialiste Céline Untermaier. Toute la gauche était pour cette suppression, c'est assez rare pour être signalé. Le gouvernement ne le souhaitait pas par peur de rajouter des abcès de fixation pour l'opposition, mais il n'y avait pas de risque politique. » « On est d'accord et on n'arriverait pas à voter tous ensemble ? » a lancé, désolé, le communiste Marc Dolez.

« L'engagement du président de la République sera respecté », mais « pas par amendement », a promis Jean-Jacques Urvoas, un proche de Manuel Valls. Pascal Cherki (aile gauche du PS) lui a rétorqué que le crédit impôt pour les entreprises, lui, avait bien été voté par amendement à l'automne 2012.

Une autre passe d'armes a eu lieu sur la contrainte pénale, cette peine alternative à la prison instaurée par la loi. La semaine dernière, en commission, la garde des Sceaux avait volontairement laissé passer un amendement l'étendant des délits passibles de moins de cinq ans de prison à tous les délits (dix ans de prison maximum). Elle avait été rappelée à l'ordre par l'Élysée. Dès mardi, un accord avait été trouvé entre le groupe PS de l'Assemblée et le gouvernement : l'extension aux délits les plus graves ne se fera que dans trois ans, au 1er janvier 2017. « Ce sont les parlementaires qui votent la loi ! » a rappelé l'ancienne ministre écologiste Cécile Duflot, redevenue députée. En vain : une fois de plus, le gouvernement a imposé ses vues.

L'Assemblée nationale a par ailleurs rejeté la suppression de la rétention de sûreté, instaurée en 2008, qui prévoyait de priver de liberté des criminels dangereux ayant déjà purgé leur peine. Une loi « honteuse », selon plusieurs députés PS qui proposaient de l'abroger, même si elle n'a concerné que très peu de cas depuis.

« La gauche l'a toujours jugée inacceptable, estime le socialiste Matthias Fekl, qui a voté pour sa suppression. Les rétentions de sûreté sont une tache dans notre droit pénal républicain. Elles ne servent à rien. Elles ont été jugées "hasardeuses" et "incertaines" par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. L'idée que des gens puissent être retenus après avoir purgé leurs peines introduit une rupture avec le droit pénal tel qu'il existe depuis la Révolution française. Avec cette mesure, il devient théoriquement possible de rendre les enfermements infinis. »

Christiane Taubira a convenu que leur suppression était une « nécessité ». Mais elle a donné rendez-vous à plus tard. Rien n'indique pourtant que le gouvernement, en grande difficulté politique et convaincu que le pays se droitise à toute vitesse, fera voter de sitôt un nouveau texte pénal.

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Comptes de Sarkozy 2007: la justice ordonne la transparence

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C'est quand même la moindre des choses. En pleine affaire Bygmalion, alors que les révélations se multiplient sur les millions d’euros de dépenses vraisemblablement dissimulées par Nicolas Sarkozy en 2012 et sur les ruses utilisées pour mystifier les instances de contrôle, la justice vient rappeler la principale d’entre elles, la Commission nationale des comptes de campagne, à ses obligations de transparence.

Nicolas Sarkozy en meeting à Marseille en 2007Nicolas Sarkozy en meeting à Marseille en 2007 © Reuters

Dans une décision rendue mardi 3 juin, le tribunal administratif de Paris, saisi par Mediapart, a ordonné à la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) de nous communiquer une série de documents relatifs à l’instruction menée sur le compte de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007, validé à l'époque avec très peu de retouches.

Alors que Mediapart réclame ces pièces depuis plus de deux ans, pour mieux saisir le travail des rapporteurs de la commission et jauger l’étendue réelle de leurs vérifications, celle-ci nous oppose un abusif « secret des délibérations », ainsi que cet argument à peine croyable : leur divulgation risquerait de « porter préjudice au candidat » Sarkozy.

Pourtant, Mediapart n'a rien demandé d'autre que les courriers échangés entre les "petites mains" de la commission et le trésorier de campagne de 2007, à savoir Éric Woerth. Alors que le compte déposé par Nicolas Sarkozy et ses cartons de factures sont déjà consultables, de même que la décision rendue par la commission, il serait utile de savoir quelles questions les rapporteurs ont posées en amont, sur quelles factures ils ont tiqué, quelles réponses leur ont été apportées, etc.

En arrière-fond plane évidemment l'interrogation suivante : ces rapporteurs de l’ombre ont-ils soulevé des irrégularités au stade de l’instruction, enterrées le jour de la décision finale par les neuf membres de la commission ? Rien ne l'indique à ce stade. Mais l'opacité entretenue par la CNCCFP s'est transformée, comme toujours dans ces cas-là, en machine à fabriquer du doute et des suspicions.

D'autant que l'Histoire est entachée d’un précédent. En 1995, les rapporteurs du Conseil constitutionnel avaient recommandé le rejet du compte irrégulier d'Édouard Balladur, avant d'être désavoués par les "Sages" qui l'ont validé sans ciller – une forfaiture révélée au grand jour en 2010 seulement.

Cette fois, le tribunal administratif de Paris enjoint la commission de nous transmettre l'essentiel des pièces d'instruction dans un délai d'un mois et de nous verser, au passage, 1 500 euros pour frais de justice. Si ses membres le décident, la CNCCFP peut toutefois contester ce jugement devant le conseil d'État.

Une telle obstination apparaîtrait comme une volonté de dissimulation, pour ne pas dire d'obstruction. La commission a-t-elle quelque chose à cacher ?

Elle doit bien admettre que les aveux de la société Bygmalion, qui déclare avoir « sous-facturé » en 2012 les meetings du chef de l’État sortant pour l'aider à cacher qu’il explosait le plafond de dépenses légales, viennent renforcer les soupçons, déjà lourds, qui pesaient sur le compte de campagne de 2007.

Car les mathématiques sont cruelles : comment croire que Nicolas Sarkozy est vraiment resté sous la barre des 22 millions d'euros en 2007 (en douze mois de campagne), s'il se confirme qu'il a dépassé le plafond de plusieurs millions d'euros en 2012 (en trois mois seulement) ? L’équation paraît intenable. Plus que jamais, les citoyens ont donc le droit de savoir comment la commission des comptes de campagne instruit ses dossiers.

En 2007, loin de repérer des dépenses cachées dans le compte ficelé par Éric Woerth, il se trouve que la commission avait plutôt corrigé l’addition à la baisse, de plusieurs dizaines de milliers d'euros ! En fait, depuis les révélations de Mediapart dans le scandale Woerth-Bettencourt et dans l'affaire des financements libyens, tout indique que certains frais de campagne ont été réglés en 2007 en dehors de toute comptabilité officielle.

D’abord, faut-il rappeler qu'Éric Woerth est renvoyé devant le tribunal correctionnel en janvier prochain pour avoir perçu de l'argent des mains de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, en cachette et en plein cœur de la campagne (50 000 euros en espèces en janvier 2007, puis 100 000 euros minimum en février) ?

Son successeur au poste de trésorier en 2012, le député Philippe Briand, s’est lui-même chargé de le rappeler au bureau politique de l’UMP, le 27 mai dernier, avec une bonne dose de maladresse: « Cette fois-ci (en 2012), il n'y avait plus de Bettencourt ! » a-t-il lancé à huis clos, d’après Le Figaro. À quelles dépenses de campagne ces « coupures Bettencourt » auraient-elles servi en 2007 ? À payer du personnel au noir ? Des prestataires ? Les rapporteurs de la CNCCFP n'ont-ils rien reniflé ?

Surtout, deux juges d’instruction enquêtent aujourd’hui sur des soupçons de financement occulte par le régime de Mouammar Kadhafi, à la suite de la publication par Mediapart d’un document officiel libyen révélant un projet de soutien à hauteur de 50 millions d’euros. Depuis deux ans, pour démentir, le camp Sarkozy réplique doctement aux journalistes qu’une telle somme ne pouvait de toutes façons servir à rien dans une campagne limitée à 22 millions d’euros… Avec l’affaire Bygmalion, cet argument ne tient plus.

Le 8 décembre 2007.Le 8 décembre 2007. © Reuters

Dans ce contexte, la CNCCFP ne peut garder au secret plus longtemps les courriers échangés entre ses rapporteurs et l’équipe de Nicolas Sarkozy en 2007. Dans son mémoire, signé de son président François Logerot, la commission assure qu’il ne s’agit pas « de défendre un quelconque candidat », mais de respecter un supposé « secret des délibérations », ainsi que la vie privée de chacun. À l’en croire, cette confidentialité serait « essentielle pour que le rapporteur puisse agir en toute indépendance et liberté intellectuelle ».

Surtout, François Logerot rappelle que « la commission (…) ne retient pas nécessairement tous les griefs des rapporteurs ». Du coup, la divulgation d’un « soupçon initialement développé par le rapporteur (…) porterait préjudice au candidat ». On se pince.

Pour plaider la cause de Mediapart, Me Ivan Terel du cabinet Lysias s’est appuyé sur la loi de 1978 qui reconnaît aux citoyens le droit d’accéder à tous les documents produits par l’administration. Le texte prévoit certes une exception pour respecter « le secret des délibérations (…) des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif », mais la CNCCFP, autorité administrative indépendante, ne relève d’aucun pouvoir et certainement pas du gouvernement (lire le mémoire de Mediapart sous l'onglet Prolonger).

Après avoir examiné les documents réclamés par Mediapart, le tribunal administratif de Paris est ainsi resté imperméable aux chicaneries de la commission. Ce faisant, il s’inscrit dans la droite ligne de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui affirme dans son article 15 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Ce serait un comble qu’après deux ans de procédure, Mediapart doive encore attendre une confirmation du conseil d’État en cas de recours de la commission.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Réforme pénale: les magistrats s'inquiètent des reculs du texte

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De mauvaises surprises se cachent dans la réforme de la loi pénale qui a été adoptée à l’Assemblée dans la nuit de jeudi à vendredi (lire notre article ici). Chose rare, les deux principaux syndicats de magistrats (USM et SM) s’accordent à dénoncer ensemble quelques reculs des libertés, visant certainement à rassurer et à plaire aux élus locaux, mais qu’ils jugent inacceptables en l'état.

Des dispositions très techniques de la réforme pénale permettent, en effet, de transférer vers les préfets et les élus locaux des compétences qui relevaient jusqu’ici de la justice (soit du procureur de la République, du juge de l’application des peines ou du service de probation et d’insertion). Ainsi, selon les articles 15 et 17 du projet de loi Taubira (on peut le lire ici), les conseils locaux de prévention de la délinquance (créés en 2002) et les états-majors de sécurité (créés en 2009), seraient désormais parties prenantes de l’application des peines, et destinataires de données personnelles et confidentielles sur les citoyens sortant de prison.

Christiane TaubiraChristiane Taubira © Reuters

Les conseils de prévention de la délinquance (départementaux, intercommunaux ou communaux, qui regroupent maire, préfet, conseil général, éducation nationale, bailleurs sociaux, associations, etc.) auraient ainsi leur mot à dire non seulement sur les orientations générales, mais aussi sur l'élaboration d'un « plan stratégique » de l'application des peines.

L’état-major de sécurité (co-présidé par le préfet et le procureur dans chaque département, et où siègent notamment police, impôts et éducation nationale) pourrait ainsi demander et obtenir le « bulletin numéro 1 » du casier judiciaire des personnes libérées, ainsi que les extraits de jugement ou d’arrêts et autres copies des rapports d’expertises concernant les personnes remises en liberté. Ces documents restent aujourd’hui entre les mains de la justice.

L’état-major de sécurité pourrait, également, désigner certaines personnes libérées aux services de police ou de gendarmerie pour qu’ils les surveillent, en regard du risque potentiel que représenterait leur situation judiciaire passée. Autrement dit, élus et administrations pourraient être tentés de stigmatiser des personnes libérées, ayant été jugées parfois pour des faits anciens, cela au vu de pièces confidentielles parfois difficiles à interpréter, comme les rapports d’expertises psychologiques ou psychiatriques, par exemple.

« Les élus locaux, les bailleurs sociaux, les écoles et les cantines scolaires pourraient subitement découvrir des choses remontant à dix ans, au détriment du droit à l’oubli, et prendre peur, contrairement à la volonté affichée de favoriser la réinsertion », s’inquiète-t-on au Syndicat de la magistrature (SM, gauche). « Que se passera-t-il, si des gens perdent leur logement ou des aides, seulement parce qu’un élu ou une administration l’aura décidé en regardant leur dossier judiciaire ? »

Dans le même ordre d’idées, députés et sénateurs pourraient désormais être informés par ces deux conseils, et participer à leurs réunions. Encore des « gages de fermeté » donnés aux élus pour faire passer la réforme pénale, fulmine le SM.

À l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire), on juge également que « le transfert des compétences vers le Conseil départemental de prévention de la délinquance et l’État-major de sécurité privent le procureur de façon scandaleuse de la maîtrise de la politique pénale sur son ressort », et « expose dangereusement les condamnés à la révélation à l’opinion publique de leur situation personnelle ».

Par ailleurs, « les officiers de police judiciaire se verront reconnaître le droit de recourir à la géolocalisation ou à des écoutes téléphoniques lorsqu’une personne sortie de détention sera soupçonnée de ne pas respecter une interdiction d’entrer en relation avec certaines personnes », s’inquiète l’USM, pour qui il s’agit d’une « atteinte tout à fait excessive à la vie privée, et se révèle en contradiction avec les dispositions protectrices récemment adoptées ».

 « Aujourd’hui, quelqu’un qui sort de prison pour une affaire de violences conjugales ou un viol, par exemple, est déjà pris en charge discrètement par la justice et la police », explique un juge de l’application des peines, qui s’inquiète de la future diffusion d’informations confidentielles par cercles concentriques, et des dégâts potentiels.

Ces dispositions, qui généralisent la surveillance et le contrôle de tous les sortants de prison, s’éloignent singulièrement de l’idée de départ, qui était de « penser autrement la peine ». Le paradoxe est que cette tentation de transformer les élus locaux en « shérifs » est ancienne, et que la droite n’y avait, jusqu’ici, cédé qu’en partie seulement.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014

Procès Andrieux : un «pillage parfaitement organisé» selon l'avocat général

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Sur les bancs de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence où elle est rejugée pour détournement de fonds publics depuis le 2 juin 2012, Sylvie Andrieux, le visage fermé et sombre, a perdu de son assurance. Le 22 mai 2013, la députée (ex-PS), 52 ans, avait été condamnée à trois ans de prison, dont un ferme, plus 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité par le tribunal correctionnel de Marseille.

Sylvie Andrieux arrivant au palais de justice avec un de ses avocats, Me Ladouari, le 6 juin 2014.Sylvie Andrieux arrivant au palais de justice avec un de ses avocats, Me Ladouari, le 6 juin 2014. © LF

Vice-présidente déléguée à la politique de la ville du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) jusqu'en 2009, Sylvie Andrieux est accusée d’avoir profité de ce portefeuille régional pour distribuer 716 000 euros de subventions à des associations fictives situées sur sa circonscription des 13e et 14e arrondissements. Lors des dernières municipales, la mairie de secteur de ce fief socialiste a basculé entre les mains du Front national.

Mais, questionnée à la barre lors des deux premiers jours du procès, l’ancienne présidente du groupe PS à la région n’a pas foncièrement changé sa défense : elle n’a rien vu ni entendu, son collaborateur Roland Balalas ne l’a pas prévenue des fausses factures, elle n’a exercé ni pressions, ni menaces sur l’administration, d’ailleurs elle n’avait « aucun pouvoir ». Et les subventions de la politique de la ville étaient votées en masse en commission permanente, sans que les élus n'en connaissent le contenu. Bref, la collectivité a été « escroquée » à son insu par des voyous.  

Selon ses déclarations, c’est le fonctionnement défaillant de la région, voire l’organisation du système politique français dans son ensemble, qui sont à l’origine de ces dérives. « Je m'occupe de remplir ma fonction de députée du mardi au jeudi, je n'étais quasiment jamais à la région, a déclaré Sylvie Andrieux selon Marsactu. Ça, c'est une vraie erreur, c'est pour ça que je suis maintenant pour le mandat unique. »

Une défense présentant les élus sous un jour si sombre qu’elle en a stupéfié la présidente de la Cour, Monique Zerbib. « Alors c'est une délégation de papier, c'est du vent ! Vous n'êtes qu'un messager, un simple facteur ! » a lâché cette dernière, selon Marsactu. Mais malgré les perches tendues par la magistrate, qui a comparé sa ligne de défense à un « laminoir » et à un « tank », Sylvie Andrieux n’a pas dévié.

« Pourquoi ce déni devant la force des réalités ? » s’est étonné vendredi 6 juin l’avocat général Jules Pinelli, qui a estimé sa culpabilité « parfaitement établie » et a demandé une peine identique à celle prononcée en première instance. « Jusqu’au dernier moment, j’ai espéré que vous viendriez dire que vous avez eu une faiblesse, comme tout le monde peut en avoir, a-t-il regretté dans son réquisitoire. Pourquoi ne pas avoir franchi le pas ? Vous ne l’avez pas fait car vous avez le culte de la force, de l’action, du combat. Et en matière de combat, il ne peut pas y avoir de faiblesse. Vous vous mentez à vous-même peut-être. »

Car comme les voyous auraient leur code de l’honneur, certains élus ont leur culte, celui du terrain, si bien décrit par les auteurs de Gouverner Marseille (La Découverte, 2005). « Aller sur le terrain, c’est montrer qu’on paye de sa personne, qu’on s’engage », écrivaient Michel Peraldi et Michel Samson. « La veille d’accoucher, elle était sur le terrain jusqu’à 22 heures », soulignait à propos de Sylvie Andrieux son adjoint Garo Hovsepian, comme si c’était son fait d’armes principal. Fille du sénateur Antoine Andrieux, adjoint de Gaston Defferre, la députée des Bouches-du-Rhône Sylvie Andrieux est une « battante », une de ces élues en campagne permanente qui se font une fierté de ne manquer aucune réunion de quartier, kermesse ou inauguration de terrains de boules.

C’est sur ce fameux terrain que se gagnent les combats électoraux, mais aussi que peut s’opérer un glissement progressif vers des actes répréhensibles pour assurer « la gagne », a estimé Me Gilles Gauer, avocat de la région Paca, partie civile au procès. « De l’aveuglement on passe au fait de ne plus vouloir voir, le jour où des personnes viennent vous voir pour vous dire : "Il y a des difficultés sur certains dossiers, ce que vous faites est dangereux" », a commenté Me Gauer. « Ce dossier est le dossier d’un système dont Mme Andrieux détenait les clefs, ces clefs vous les avez remises à des envahisseurs qui sont entrés dans le temple et l’ont pillé, a de son côté lancé l'avocat général. En contrepartie de ce pillage parfaitement organisé, il faut occuper le terrain, le labourer et en récupérer les bénéfices en termes électoraux. »

Pas à pas, méthodiquement, l’avocat de la région s’est attaché à démontrer la réalité du détournement de fonds publics par Sylvie Andrieux. Comment elle intervenait à toutes les étapes de l’attribution des subventions litigieuses, d’abord pour décider des demandes qui seraient enrôlées à chaque commission permanente et du montant accordé, puis au moment du vote, et enfin pour faire voter et précipiter certains paiements urgents en période électorale.

À cet effet, l’élue faisait régner un climat de « terreur », selon un témoignage, sur un service de la politique de la ville construit à sa main, avec une ligne budgétaire politique de la ville qu’elle monopolisait. En 2002 déjà, un chargé de mission s’était inquiété dans un courrier au directeur général des services du danger que représentait la multiplication des dossiers dits « signalés », principalement présentés par l’élue, et sur lesquels l’administration n’avait aucun contrôle. Sylvie Andrieux l’avait poussé à changer de service...

Me Gilles Gauer relève aussi que Sylvie Andrieux, qui avait accablé son assistant parlementaire Roland Balalas, a pourtant continué à le salarier après sa mise en examen. Et ce alors qu'il ne pouvait pourtant plus travailler, très diminué par un AVC en mars 2010. « Quelle est la contrepartie de cette rémunération ?, a demandé l'avocat. En tout cas, pas le travail. »

Pour dynamiter la défense de la députée, l’avocat général s’est lui aussi appuyé sur les témoignages à charge des « petites mains » du service, des contractuels et des chargées de mission, souvent recrutées par Sylvie Andrieux elle-même, « qui avaient tout à perdre et rien à gagner ». Il a balayé le « sacro-saint clivage entre administratif et politique », « l’absence de pouvoir d’une vice-présidente », l’« incompétence » des agents de contrôle, le rôle de « tireur de ficelles » et de « fomenteur de complots ».

En première instance, le procureur Jean-Luc Blachon avait parlé d’« un procès de voyous » devant les rétractations à la barre de plusieurs prévenus, qui avaient initialement mis en cause la députée durant l’enquête. L’un d’eux, Abderrezak Zeroual, qui comparaît alors qu'il est détenu en raison d'une récente condamnation à quatre ans de prison dans un dossier de trafic international de cannabis, est revenu le 4 juin devant la cour d’appel d'Aix à ses premières déclarations, réalisées en garde à vue. Selon ses propos rapportés par l’AFP, Same Benyoub, l’une des deux têtes de réseau des associations fictives, était bien « le relais de Mme Andrieux, son fer de lance dans la campagne de 2007 ». Il « assurait la sécurité des élections, le jour J » et organisait « les circuits de ramassage » en bus pour aller voter.

Condamné pour recel d'escroquerie à six mois ferme et à payer solidairement 228 000 euros de dommages et intérêts en première instance, Abderrezak Zeroual a expliqué mercredi avoir été menacé avant le procès en première instance par Same Benyoub, qui lui aurait proposé la somme de 50 000 euros pour changer de version. Same Benyoub est « venu à mon domicile avec des personnes que je ne connaissais pas » et « m'a fait comprendre qu'il serait de bon ton de ne pas charger la baronne », a rapporté l’AFP.

Une seconde scène d'intimidation sur l'autoroute est relatée par son avocat Me Lionel Febbraro, qui a déposé plainte le 3 juin 2013, sans suite à sa connaissance. Same Benyoub, qui n'avait pas fait appel de sa condamnation à trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis, n'était pas présent et n'a donc pas pu répondre. « On est dans la conspiration permanente, c’est un cours de contre-espionnage dans les quartiers nord, balaie Me Grégoire Ladouari, un des avocats de Sylvie Andrieux. C’est facile le jour du procès de dire qu’on a été menacé pour expliquer ses faiblesses. »

Plus encore que la « malhonnêteté », c’est donc « la violence » qui règne sur cette affaire qui a déplu à l’avocat général, « cet impact moral et physique, là on est dans une autre sphère ». Jules Pinelli a rappelé la scène racontée par un agent de la région : Balalas dans son bureau, livide après que Boumediene Benamar, l'autre tête de réseau des associations fictives, lui a lancé : « Tu veux faire le mariolle, je vais m'occuper de ton cas, tu vas morfler. » Ou encore un autre prévenu qui « à court d’arguments a inventé la mort de sa mère pour qu’on le laisse un peu tranquille » et « contraint de s’habiller de noir pendant plusieurs jours ». Boumediene Benamar est d’ailleurs le seul pour lequel l’avocat général a demandé une aggravation de peine, avec quatre ans de prison, dont un avec sursis, au lieu de 30 mois ferme.

La tâche sera donc compliquée pour Me Grégoire Ladouari et Me Gaëtan Di Marino, avocats de Sylvie Andrieux, qui plaideront mardi matin. Ils ne manqueront sans doute pas de s'interroger sur la responsabilité du patron de la région, le socialiste Michel Vauzelle, partie civile dans ce procès, mais qui a laissé se perpétuer le système qui a mené à ces dérives.

BOITE NOIREPour des raisons d'agenda, je n'ai pu assister qu'à l'audience de ce vendredi.

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Gaz de schiste : pro et anti s’affrontent sur Mediapart

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Vendredi 16 mai, en pleine assemblée générale de Total, le PDG du groupe Christophe de Margerie a été interpellé par une ingénieure opposée au permis de forage de gaz de schiste que le pétrolier possède en Argentine, dans l’aire naturelle protégée d’Auca Mahuida, une réserve d'espèces rares (voir ici). L'ONG les Amis de la Terre vient de publier un rapport très critique sur « la ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine », où les forages du groupe français sont accusés de divers manquements à leurs obligations (lire ici).

La fracturation hydraulique est interdite en France depuis la loi Jacob de juillet 2011, mais pour autant, l’actualité des gaz de schiste ne cesse de se renouveler. Le 30 avril, la mission parlementaire nommée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale pour étudier le rôle des gaz de schiste dans l’économie américaine et mondiale a rendu ses travaux. Frédéric Barbier, député (PS) du Doubs, son rapporteur, appelle au « lancement d'un petit bout de recherche » dans les sous-sols français afin de savoir quelle quantité d’hydrocarbures non conventionnels s’y trouve. De son côté, Arnaud Montebourg, le ministre de l’économie, souhaite la création d’une compagnie minière nationale, qui pourrait en théorie conduire cette recherche. Mais François Hollande a déclaré qu’« il n'y aura pas d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste en France » le 14 juillet dernier, et n’est pas publiquement revenu sur cette position depuis. L'exécutif socialiste est en réalité ambigu : il prohibe la fracturation hydraulique mais ne s'interdit pas de forer un jour des gaz de schiste avec une autre technique, aujourd'hui inexistante.

En Allemagne, le gouvernement de coalition d'Angela Merkel s'apprête à déposer un projet de loi pour autoriser et encadrer la fracturation hydraulique. Cela pourrait concerner 80 % de son territoire.

C’est dans ce contexte que nous avons réuni quatre acteurs de ce débat. Côté pro-gaz de schiste : Renaud Lions, le nouveau directeur général de la filiale de Total consacrée aux gaz de schiste, Total Gas Shale Europe, dont c’est la toute première intervention dans les médias ; Pascal Baylocq, président du groupe de réflexion sur les hydrocarbures de roches mères pour le GEP AFTP, un groupement d'entreprises pétrolières. Et côté anti : Maryse Arditi, spécialiste en énergie pour France Nature Environnement, fédération d’associations écologistes ; Thomas Porcher, économiste et auteur du livre Le Mirage des gaz de schiste, en 2013.

Ils s’affrontent pendant une heure, lors d’un débat vidéo que nous avons enregistré à Paris le 7 mai. La discussion aborde huit thèmes principaux. Dans l’ordre, les voici :

  • Les gaz de schiste sont-ils un risque pour la santé ?
  • Quelles perspectives pour les gaz de schiste en France et en Europe ? (12’53)
  • Quelles réelles alternatives à la fracturation hydraulique ? (23'07)
  • Pollution environnementale, paysages et coûts de production (27'37)
  • Gaz de schiste : combien d'emplois ? (36'25)
  • À propos du film Gasland et de l'impact climatique des gaz de schiste (42'18)
  • Quand vos adversaires ont-ils raison ? (56')

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“Socialistes affligés” cherchent alliés à gauche

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Hollande désespère l’électorat qui l’a élu le 6 mai 2012. Mais les autres gauches n’en profitent guère. Les résultats des européennes ont fait figure de choc et de révélateur pour ceux qui croyaient encore que l’effondrement du PS allait mécaniquement profiter aux écologistes ou à la gauche radicale. Depuis le 25 mai, une série d’initiatives ont été annoncées ou sont en préparation.

Parmi elles, le club des « socialistes affligés » (voir leur blog), lancé par l’ex-eurodéputé socialiste Liêm Hoang-Ngoc et le chercheur Philippe Marlière (voir son blog), a réuni samedi à Paris les principales forces à la gauche du PS. La semaine prochaine, ce sera au tour d’un des courants de l’aile gauche du PS, Un monde d’avance, de faire de même. Au Front de gauche, les appels à un « front commun anti-austérité » se multiplient – la prochaine réunion de la direction aura lieu le 16 juin, après un conseil national du PCF.

La secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts Emmanuelle Cosse a écrit à toutes les formations politiques qui avaient soutenu Hollande en 2012 (Modem et Cap 21 compris) pour leur proposer d’organiser ensemble des débats sur trois questions – l’emploi, la transition écologique et la démocratie – afin d’apporter des propositions communes au gouvernement. « Nous traversons une grave crise économique et morale », écrit Cosse. Le PCF a déjà répondu positivement.

Au PS, les initiateurs de « l’appel des 100 » députés opposés au pacte de responsabilité promettent de combattre le collectif budgétaire à venir à l’Assemblée. Les tribunes se multiplient dans les médias (voir aussi les deux débats organisés par Mediapart, avec Jean-Christophe Cambadélis, Emmanuelle Cosse et Jean-Luc Mélenchon, et au soir des européennes).

C’est un des paradoxes depuis l’élection de François Hollande : le président de la République a déporté sa politique vers le centre, voire vers la droite, libérant chaque jour un espace plus grand au reste de la gauche. Sur le papier du moins. Car dans les faits, et dans les urnes, les autres gauches patinent, avec un faible score aux européennes et un mouvement social atone, laissant le champ libre au Front national.

Samedi, dans la petite salle parisienne choisie par les « socialistes affligés », vite remplie, les mêmes mots sont revenus : « urgence » et « sidération ». Une partie du PS, les écologistes et le Front de gauche sont saisis du même constat. Celui de leur impuissance et celui d’un climat politique créé par François Hollande qui semble anesthésier toute tentative d’alternative. « Affligé, atterré, consterné, on ne sait plus quel terme utiliser. Surtout quand chaque jour apporte une nouvelle mauvaise surprise », dit d’emblée Sylvain Mathieu, responsable du PS dans la Nièvre et récent candidat de la gauche du parti face à Jean-Christophe Cambadélis. Il témoigne de la « désorientation » de l’électorat de gauche face à un président de la République qui mène « a priori un virage libéral » mais avec qui « ce n’est jamais clair ».

« Quand Nicolas Sarkozy était au pouvoir, j’étais en colère, j’avais tout le temps envie de manifester. Là, je suis passée à un état de sidération. Ce désintérêt pour la politique, que l’on sent chez les gens, est alimenté par le fait que la gauche au pouvoir fait plus ou moins la même chose que la droite », dit Caroline de Haas, qui a démissionné du PS et présenté des listes féministes aux européennes. « Quand un gouvernement élu par la gauche mène une politique de droite, cela discrédite toute la gauche. D’autant plus une gauche émiettée qui se combat. Aujourd’hui, le parti numéro 1 à gauche, c’est l’abstention », confirme Philippe Marlière, spécialiste de la troisième voie de Tony Blair.

« Que faire ? » a demandé le chercheur, référence amusée au célèbre ouvrage de Lénine, aux responsables des forces de gauche présents – Pascal Durand, Eva Joly et Julien Bayou pour EELV ; Éric Coquerel (PG), Pierre Laurent (PCF), Clémentine Autain (Ensemble) pour le Front de gauche ; et Gérard Filoche pour le PS. Avec Liêm Hoang-Ngoc, Marlière plaide pour une nouvelle alliance rose-rouge-verte, incluant la base socialiste. Mais sur quelle ligne politique ? Avec quelle organisation ? En s’adressant à qui, et comment ? 

Liêm Hoang-Ngoc et Philippe MarlièreLiêm Hoang-Ngoc et Philippe Marlière

Chacun y est allé de son idée, mais les réponses restent bien floues. Les écologistes plaident pour un « projet novateur », comme Eva Joly qui veut « sortir de la logique des appareils ». « Ce n’est pas suffisant de dire qu’on appartient à la gauche pour construire une alternative », a redit l’ancienne magistrate, favorable à une primaire de l’autre gauche en 2017. La preuve : quand Pierre Laurent (PCF) a dénoncé le possible dépeçage d’Alstom au profit de General Electric ou de Siemens, Pascal Durand, récemment élu eurodéputé EELV, a défendu une solution européenne et souligné son désaccord sur une nationalisation. « Aujourd’hui, le mot gauche est soit associé au gouvernement, soit à peu près rien : les valeurs de la gauche, l’égalité, sonnent dans le vide », a résumé Clémentine Autain.

« Pour reconstruire, il n’y a pas de création ex nihilo pour remettre la situation en mouvement à partir de rien », a prévenu Éric Coquerel pour le PG (Jean-Luc Mélenchon, annoncé, n’est pas venu). Un avis partagé par Gérard Filoche, qui pense à son congrès et à la bataille acharnée qu’il mène depuis tant d’années dans l’appareil socialiste. « Le gouvernement Valls est minoritaire, même à gauche, même au PS. Il repose sur une moitié d’une motion (du congrès de Toulouse, ndlr) », a-t-il dit, avant d’appeler à « mettre Valls en minorité » à l’Assemblée. Mais quand le premier pense à un Front de gauche élargi comme pivot de la « recomposition » tant attendue de la gauche, le second songe évidemment au PS… Et Julien Bayou d’EELV estime que son parti est « au carrefour des gauches ». 

Les “autres gauches” devront trancher entre au moins deux scénarios, explique le socialiste Liêm Hoang-Ngoc, un temps proche de Benoît Hamon. D’abord « un scénario Pivert », du nom de Marceau Pivert, tenant du courant révolutionnaire de la SFIO qu’il a finalement quittée après avoir échoué à conquérir la majorité, mais qui fonctionnerait 75 ans après. « Si le PS organise un congrès avant les régionales, il pourrait donner une majorité demandant un changement de cap. Et si François Hollande sort de son mutisme, il nommerait un gouvernement s’appuyant sur une majorité rose-rouge-verte. C’est la voie la plus rapide pour changer les choses », dit Hoang-Ngoc, sans y croire tout à fait.

L’autre scénario est celui d’un Syriza français, fruit d’une recomposition forcée de la gauche sur les « ruines » laissées par la politique de François Hollande. Mais à quel horizon ? « 2017 », répond l’ancien député européen. Trois ans, c’est interminable. 

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