Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

Européennes : Muselier qualifie Wauquiez de «ridicule»

$
0
0

La tentation de Venise n’aura pas tenu deux ans. Lassé de ses déboires avec Jean-Claude Gaudin, dépité après sa défaite aux législatives de 2012 face à Arlette Carlotti, Renaud Muselier avait décidé de quitter la vie politique. Le voilà, deux ans plus tard, tête de liste UMP pour les élections européennes, dans la circonscription du Sud-Est. De Gaudin il avait dit : « Marseille est une ville qui sombre, son maire est vieillissant, ses institutions sont inefficaces. » Et puis il l’a soutenu, en échange d’un siège au parlement européen. Quand on lui rappelle sa phrase assassine, il répond, dans un sourire : « Et alors, ce n’est pas vrai ? »

Pour les européennes, il affirme que l’UMP a un programme clair. Mediapart lui montre alors, pendant l'émission, une déclaration de Laurent Wauquiez en 2011, célébrant l’Europe, et du même Wauquiez en 2014, la dénonçant comme « le rêve de Margaret Thatcher », il s’exclame : « C’est hallucinant », et finit par qualifier le changement de pied de « ridicule »...  

Tout au long de cet entretien, Renaud Muselier illustre, avec une certaine allégresse, la confiance post-municipale d’une UMP qui se sent portée par la conjoncture, et les contradictions d’une droite en concurrence avec le Front national, donc écartelée entre son credo libéral et sa tentation protectionniste. Objections, douzième entretien de Mediapart, dans les studios de Dailymotion...

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualités du 2/05/2014


Le pouvoir a un mois pour éviter de démanteler Alstom

$
0
0

Un mois. Un tout petit mois. C’est le répit qu’a accordé le conseil d’administration d’Alstom au gouvernement pour trouver une solution ou au moins un compromis acceptable sur l’avenir du groupe, de ses salariés, de ses usines. Le conseil, toutefois, n’a pas changé d’analyse : il soutient à l’unanimité la solution de reprise de la branche énergie par General Electric et les 12,3 milliards d’euros d’argent frais qui vont avec. Le conseil d’Alstom s’est toutefois engagé à examiner toute autre proposition qui lui serait présentée.  

Siemens a fait parvenir une seconde lettre d’intention dans laquelle il présenterait une proposition « plus acceptable » : en échange des actifs d’Alstom dans l’énergie, il ne proposerait plus seulement son activité en difficulté dans les trains à grande vitesse mais aussi dans les trams et les métros. Un comité ad hoc, emmené par Jean-Martin Folz, ancien de Pechiney tout comme Patrick Kron, a été formé pour étudier les offres.

Entre le conglomérat américain et l’allemand Siemens, de toute façon, le choix n’est guère réjouissant. Quel que soit le repreneur, au stade actuel et compte tenu des solutions proposées, Alstom est appelé à être démantelé.

« C’est désolant. Alstom est une entreprise centenaire. Et on veut dépecer ce fleuron en quelques jours, sans état d’âme », s’indigne, Didier Lesou, délégué central CGE-CGC d’Alstom transports.

Exclus de toutes les réflexions sur l’avenir du groupe, les syndicats en appellent unanimement à l’État pour trouver des solutions. « Le gouvernement doit mettre à profit ce délai pour continuer d’intervenir avec le souci de préserver l’emploi et les bases industrielles en France, y compris dans la sous-traitance. Il faut examiner en priorité, avec les dirigeants du groupe et l’actionnaire principal, une solution de consolidation financière et actionnariale qui permette le maintien de l’intégrité et l’indépendance d’Alstom », écrit la fédération de la métallurgie CFDT dans un communiqué, qui résume l’état d’esprit général chez les syndicats, toutes tendances confondues, du groupe. Le groupe, insistent-ils, vit de la commande publique, c'est-à-dire des subsides de l'État et des collectivités locales. Ils comprennent d'autant moins le revirement de la direction que, depuis un an, celle-ci avait lancé un vaste programme pour unifier plus étroitement les deux branches.

Patrick Kron, PDG d'AlstomPatrick Kron, PDG d'Alstom © Reuters

Le démantèlement qui se dessine en pointillé ne convient pas non plus au gouvernement. Même s’il obtient quelques engagements et garanties en faveur de l’emploi, des sites industriels, et même de centres de recherche – lors de son entrevue à l’Élysée, Jeffrey Immelt, PDG de GE, s’est dit ouvert aux discussions et a dit comprendre les préoccupations de l’État –, le gouvernement se retrouverait avec de nombreux problèmes pendants, en cas de démantèlement d’Alstom.

Voir partir les équipements énergétiques d’Alstom dans des mains étrangères, c’est se couper d’une donne stratégique. Comment imaginer la transition énergétique, censée être au cœur des préoccupations de l’État, sans avoir des discussions ouvertes avec les fournisseurs, imaginer avec eux des solutions industrielles ? EDF, GDF-Suez et tous les autres risquent de se retrouver dans une situation de dépendance par rapport à des groupes étrangers. Toute la filière énergétique, que la France a mis des années à constituer, dans laquelle elle a investi des milliards, risquerait de s’en trouver ébranlée.

De plus, l’avenir d’Alstom réduit à sa seule activité ferroviaire n’est pas garanti pour autant. Certes, le groupe se retrouvera avec beaucoup d’argent s’il vend sa branche énergie à GE. Il pourra se désendetter, consolider sa situation financière et celle de Bouygues par la même occasion : une partie des 12,3 milliards versés par le groupe américain devrait être reversée aux actionnaires sous forme de dividende exceptionnel, et donc en priorité à Bouygues, son principal actionnaire avec 29,7 % du capital. L’actionnariat d’Alstom serait aussi stabilisé. Si la branche énergie est cédée, Bouygues se dit être prêt à rester comme actionnaire de long terme à son niveau actuel chez Alstom ferroviaire.

Mais les problèmes actionnariaux et financiers, qui monopolisent l’attention actuellement, ne sont pas tout. Alstom peut-il vivre industriellement avec cette seule activité ? La cession de la branche énergie risque de priver le groupe de nombreux apports. Même si les métiers sont très différents, il y a de nombreuses synergies entre les deux branches : l’ingénierie, des techniques comme la soudure, des équipements comme le contrôle commande. D’un seul coup, tout va être découpé.

De plus, les métiers ferroviaires sont, comme ceux de l’énergie, des métiers à cycle long, demandant d’importants capitaux. Ce n’est pas par hasard que les concurrents d’Alstom sont tous de gros conglomérats, avec de multiples métiers. GE compte ainsi plus de onze métiers, allant de l’équipement électro-ménager au nucléaire, en passant par les turbines, le ferroviaire, les équipements de santé et la finance. Certaines activités très rentables compensent les autres qui obligent à mobiliser d’énormes réserves financières. Les cycles et les marchés s’équilibrent. Une des difficultés d’Alstom est justement de n’être plus un conglomérat, de n’avoir pu bénéficier de cet effet compensateur entre ces activités.

« Alstom Transport peut être autonome. Ce sera une entreprise cotée à Paris, dotée de moyens à la mesure de ses ambitions. L'opération envisagée permettra, en effet, de renforcer son bilan et d'accélérer sa croissance sur un marché porteur », assure Patrick Kron, le PDG du groupe, dans un entretien au Monde. Mais qu’adviendra-t-il demain ? La stratégie autonome, que Patrick Kron juge dangereuse pour la branche énergie du groupe aujourd’hui, ne le sera-t-elle pas pour le ferroviaire demain ? Même si Alstom pense pouvoir jouer entre ces différents marchés – celui du tram marche bien actuellement alors que celui des locomotives est à la peine –, ce n’est pas la même chose que de jouer sur un portefeuille élargi d’activités.

Le groupe ne va-t-il pas au devant de nouvelles difficultés en cas de retournement de marché, dans cinq ans, dans dix ans ? « C’est une de nos inquiétudes. Incontestablement, Alstom serait plus fragile, s’il n’a plus qu’un seul métier. Mais la commande publique peut venir à l’aide du groupe, avec un programme sur le long terme », dit Dominique Gillier, secrétaire de la fédération métallurgie de la CFDT.

Y a-t-il des alternatives au démantèlement d’Alstom ? Depuis la fameuse dépêche de Bloomberg qui a donné l’alerte, le gouvernement cherche la réponse. L’équation est à multiples dérivées. Si Patrick Kron en est arrivé à écouter avec attention l’offre faite par GE fin février, et a renoncé à son projet de cotation de la filiale ferroviaire, comme il l’envisageait jusqu’alors, c’est qu’il se voyait dans une impasse. « Je ne veux pas que les salariés d'Alstom revivent le cauchemar de 2003 (date de la faillite du groupe - ndlr) », assure Patrick Kron.

Le groupe a un besoin impératif d’une augmentation de capital. Son actionnaire principal, Bouygues, est dans une situation financière tout aussi délicate : toutes ses ressources sont mobilisées pour soutenir à bout de bras son activité de téléphonie mobile, ravagée par la guerre des prix. Il ne peut donc pas lui apporter le moindre argent. Il aurait plutôt besoin de vendre sa participation. Mais celle-ci est trop importante pour être cédée sans déséquilibrer le cours d’Alstom, déjà  malmené. Il faudrait donc trouver une solution pour Alstom et pour Bouygues. « La meilleure solution serait un investisseur privé, capable de lancer une OPA sur le groupe. Mais il n’y en a pas », constate un connaisseur du dossier. Éternel problème français...

« Il faut que l’État entre au capital. Ce n’est pas possible de laisser partir une entreprise aussi stratégique », insiste Pascal Novellin, délégué CGT. Tous les syndicats y pensent : l’entrée de l’État au capital est pour eux la seule solution pour préserver l’intégrité d’Alstom. Le gouvernement, bien sûr, y réfléchit, d’autant que l’ombre portée de Nicolas Sarkozy sur ce dossier le place dans une situation inconfortable. Comment expliquer qu’un gouvernement socialiste hésite à prendre une participation dans Alstom, alors que le gouvernement libéral précédent, lui, avait osé franchir le pas ?

« Ce n’est pas tout de mettre l’État au capital. On l’a bien vu en 2004. L’État est entré et il n’a rien fait. Il a revendu sa participation à Bouygues, sans se soucier du reste. Il ne faut pas s’arrêter à la seule participation de l’État. Il faut envisager des alliances », insiste Didier Lesou. À la recherche d’alternative à une vente à la découpe, les syndicats du groupe se prennent à rêver d’une grande alliance publique, réunissant EDF, Areva et Alstom.

Le gouvernement semble écarter cette solution, trop lourde, trop compliquée et qu’il n’a pas les moyens de mettre en œuvre. Mais d’autres schémas sont à l’étude. Une référence revient souvent dans les conversations : la coopération entre Safran et GE pour la fabrication du moteur d’avion CFM 56. La coopération dure depuis 40 ans pour la plus grande satisfaction des deux partenaires. Le modèle pourrait-il être reproduit avec la branche énergie d’Alstom, l’État entrant dans le montage ?

« Il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur quoi que ce soit dans le dossier Alstom. Tout n’est qu’au début. Il faut que le dossier se construise. La porte est ouverte à toute combinaison qui fera consensus, apportant des conditions acceptables par tous. Dans dix jours, la situation commencera à s’éclaircir », dit un proche du dossier.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Fermeture des services web, et vous?

Ségolène Royal face à la «patate chaude» de l'écotaxe

$
0
0

« On hérite d’une drôle de patate chaude. » D’emblée, Ségolène Royal n’a pas caché devant les parlementaires le casse-tête face auquel elle se trouvait. Une taxe rejetée par l’opinion publique et suspendue par le gouvernement précédent, un dispositif qui ne fonctionne  toujours pas, un contrat aberrant, des menaces de contentieux… l’écotaxe semble devenue un problème insoluble. Trouvant ce dossier sur son bureau en arrivant au ministère de l’écologie, la ministre ne veut rien dire de la suite, sauf qu’il faut remettre à plat un système dans l’impasse.

De quelle façon ? Alors que le gouvernement, en difficulté face à ses troupes, a donné comme mot d’ordre de travailler en coopération avec les parlementaires, Ségolène Royal s’y est conformée, sans hésitation. Elle dit attendre les travaux à la fois de la commission d’enquête du Sénat sur le contrat Ecomouv et de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’écotaxe pour obtenir des pistes et prendre des décisions. Les deux commissions devraient rendre leur rapport fin mai. La ministre de l’écologie a, cependant, indiqué à l’Assemblée nationale que les décisions sur l’avenir de cette taxe poids lourds pourraient intervenir « dès juin ».

Même si elle se veut ouverte à la concertation avec les parlementaires, Ségolène Royal semble déjà s’être fait une opinion assez tranchée sur le sujet. N’ayant jamais été associée de près ou de loin à ce dossier, depuis son lancement en 2007, elle dispose d’une totale liberté de parole, et ne s’en prive pas. Le premier état des lieux qu’elle a tracé lors de son intervention devant le Sénat, mardi 29 avril, a été assez décapant. Il dresse un constat de faillite généralisée.

La première faillite, pour la ministre de l’écologie, est le dévoiement du principe même de l’écotaxe. Ce qui devait être une taxe relevant du principe pollueur-payeur a été transformée en une taxe généralisée sur les produits. « La première perversion du système est que la taxe n’est plus fondée sur le coût d’usage des infrastructures », a-t-elle relevé.

Les négociations avec les lobbies des transporteurs sont passées par là. Vent debout contre l’écotaxe, les transporteurs ont obtenu dès 2010 plusieurs compensations : une baisse au minimum de la taxe à l’essieu et l’autorisation d’utiliser des camions de 44 tonnes qui, jusque-là, étaient interdits en France. Mais au fil des négociations, ils ont fini par obtenir plus : transférer le coût de l’écotaxe aux donneurs d’ordre, en la faisant inclure au pied des factures. « Le dispositif imaginé a abouti à une simple taxe sur les prestations de transports. Un calcul complexe a établi le montant de la taxe par région. Au bout du compte, toutes les prestations sont affectées, même les transports qui utilisent le train », a expliqué Ségolène Royal.

« Dans le cas de la Bretagne, les calculs ont abouti à une estimation de 45 millions d’écotaxe par mois. Cela doit se traduire par une majoration uniforme de 3,7 % sur tous les transports. Au départ, il s’agissait de faire payer les transports polluants », a rappelé la ministre de l’écologie.

Les sénateurs écoutaient, vaguement mal à l’aise. Car tout le monde a participé à cette dérive du système. Et l'on ne peut pas dire que les heures de discussions parlementaires sur le sujet et les questions des commissions d’enquête aient vraiment permis de faire émerger cette réalité, jusqu’à présent. 

Le deuxième constat de faillite sur le contrat Ecomouv a été encore plus implacable. « Ce contrat est exorbitant. La rémunération du capital prévue pour Ecomouv est de 17 %, le coût du prélèvement de la taxe est de 25 %. Est-ce que les intérêts de l’État ont bien été défendus dans ce domaine ? Pourquoi donner à une entreprise privée la charge de prélèvement de l’impôt, alors que l’État sait faire à un coût inférieur à 1 % ? », a poursuivi Ségolène Royal.

« Mais d’où tirez-vous ces chiffres ? Êtes-vous bien sûre de leur exactitude ? », a demandé, un brin suspicieux, un sénateur dans le flot de questions qui ont suivi l’intervention de la ministre de l’écologie. Ces chiffres avaient déjà été donnés devant la commission d’enquête par plusieurs intervenants dont François Bergère, responsable de la mission d’appui des partenariats public-privé (MAPPP), qui s’était étonné de ces taux inhabituels (voir Ecomouv : les anciens ministres prennent la fuite).

Ces interrogations sénatoriales illustrent un des manques cruels de cette commission d’enquête. À l’exception de la présidente, la sénatrice UMP Marie-Hélène des Eygaulx et de la rapporteuse, la sénatrice PS Virginie Klès, peu des membres semblent maîtriser le dossier. Lors des différentes interventions, parfois très surprenantes, devant la commission, ils n’ont exercé aucun droit de suite, n’ont que rarement posé des questions précises pour savoir comment le contrat Ecomouv avait été signé, pour comprendre où étaient les responsabilités. Ils ont fait diversion, en se noyant souvent dans des généralités, dans la défense et l'illustration des PPP, les problèmes d’emploi à Metz, la parole de l’État et le préjudice subi par Ecomouv. Ils se sont surtout beaucoup plaints du retard pris dans l’écotaxe, lequel les privait d’une manne espérée, qui pour faire un rond-point, qui pour faire un point de liaison routier ou autoroutier.

Selon nos informations, Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, principal maître d’œuvre à ce titre de l’écotaxe depuis 2007 et signataire par délégation du ministre de l’écologie du contrat Ecomouv en octobre 2011, s'est félicité dans les couloirs du ministère des transports de l’attitude de la commission d’enquête sénatoriale : elle se préoccupait surtout des moyens de sortir de l’impasse actuelle. Sous-entendu : pendant que les sénateurs regardaient la suite, ils ne s’intéressaient pas trop au contrat Ecomouv en lui-même et aux circonstances qui avaient conduit à sa signature.

Il en a été de même lors de l’intervention de Ségolène Royal. Les questions des sénateurs ont porté uniquement sur les voies de sortie imaginées par la ministre de l’écologie, sur sa volonté de rompre ou non le contrat Ecomouv, sur son attitude de conciliation avec le consortium privé.

Le différend entre l’État et le consortium Ecomouv a monté d’un cran depuis quelques semaines. Il prend le chemin d’un précontentieux. L’État a désigné un conciliateur. « Mais, a précisé Ségolène Royal, il n’a pas encore d’ordre de mission précis. J’attends votre rapport pour fixer le cadre de son mandat. »

La ministre de l’écologie n’en dit pas plus. Mais elle ne paraît nullement impressionnée par le fait d’avoir, s’il le faut, à s’engager sur le terrain judiciaire face au consortium privé. La menace d’avoir à verser près de 900 millions d’indemnités au consortium en cas de rupture de contrat a été constamment agitée, afin de dissuader l’État de remettre en cause le dispositif et de pousser le gouvernement au compromis. Ségolène Royal ne semble pas être dans cet état d’esprit : « On a beaucoup parlé du préjudice subi par Ecomouv. Mais l’État et les collectivités locales ont subi aussi un préjudice. Je les ferai valoir, si l'on s’engage dans un contentieux. C’est en intégrant ces préjudices dans le règlement du contentieux que nous pourrions régler ces coûts », dit-elle.

La liste des griefs qu’elle a dressée devant la commission d’enquête commence à être étoffée : atermoiements dans les décisions de la société, dysfonctionnements du dispositif, retard dans l’exécution du contrat, mauvaise information de la société qui a conduit à un rejet de la population, absence de permis de construire pour les portiques, sans parler des millions manquants pour l’État et les collectivités locales.

Même si elle dit à ce stade n’avoir aucune option arrêtée, son envie d’en finir avec l’usine à gaz actuelle de l’écotaxe transpire. « La déperdition de rendement sur le prélèvement de la taxe est difficilement compréhensible en période d’économies budgétaires », a-t-elle souligné, en revenant sur les 25 % accordés à Ecomouv pour le prélèvement de l’écotaxe. « Le dispositif financier peut-il être remis d’aplomb ? C’est très compliqué. »

Le premier souhait de Ségolène Royal paraît être de revenir à la philosophie initiale de l’écotaxe : faire payer les transports polluants. « Encore faut-il qu’il y ait des alternatives... », a-t-elle souligné en reprenant le cas breton où, pour l’instant, il n’existe aucun autre moyen de transport que la route.

Le système du péage lui paraît être le plus simple et le plus approprié. La ministre de l’écologie a une cible privilégiée : « les camions étrangers qui empruntent nos routes. Ils font le plein aux frontières avant d’entrer en France, ne paient aucune TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), ne paient pas de péage, et ne paient donc rien pour l’usage de nos infrastructures », a-t-elle insisté. Le paiement d’une vignette aux frontières pour tous les camions étrangers entrant en France, comme cela se fait en Suisse, lui semble une voie à explorer. Mais ce système est interdit par la législation européenne, ont insisté plusieurs sénateurs. « La Grande-Bretagne et l’Allemagne ont imposé la vignette aux frontières pour les camions étrangers », a-t-elle rétorqué.

La deuxième piste à l’étude consiste à imposer aux camions d’emprunter les autoroutes payantes. En contrepartie, l’État prélèverait une taxe supplémentaire sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes. « Les sociétés autoroutières font 2 milliards d’euros par an de bénéfices. Si les camions ont l’obligation d’emprunter les autoroutes, elles toucheront des péages en plus. L’État peut leur demander en retour une contribution supplémentaire pour aider à l’entretien des réseaux routiers et des infrastructures de transports. D’autant que les propriétaires des concessions autoroutières sont les entreprises de travaux publics. Elles seront les premières bénéficiaires des travaux routiers, de l’aide à l’emploi dans leurs entreprises », a-t-elle relevé.

Si cette piste est poursuivie, elle risque de conduire à un sévère bras de fer avec les groupes concessionnaires. Car ceux-ci, pleinement conscients des difficultés financières de l’État sur l’écotaxe et autres, ont déjà commencé à travailler sur d’autres solutions, en coopération avec l’administration : ils proposent notamment une extension de la durée de leur concession autoroutière… pour aider l’État, naturellement. 

Ces dernières semaines, Daniel Bursaux est allé rencontrer les services de la Commission européenne pour étudier cette possibilité et plaider un aménagement du droit, selon nos informations. L’idée est de permettre l’allongement des concessions autoroutières d’une vingtaine d’années pour les porter jusqu’en 2033, en compensation de travaux routiers et autoroutiers que mèneraient les sociétés concessionnaires. Au passage, ces travaux seraient réalisés par les sociétés elles-mêmes, donc à un coût invérifiable, et payés par les utilisateurs.

Si cette solution voyait le jour, cela ne s’appellerait même plus un cadeau. Pour mémoire, l’État a empoché 11 milliards d’euros lors de la privatisation des autoroutes en 2006. Lorsque le gouvernement socialiste est arrivé, il avait mis à l’étude un possible rachat des concessions autoroutières. Les sociétés concessionnaires avaient estimé le coût du rachat à 30 milliards d’euros, soit une multiplication de la valeur de 2,7 fois en six ans. Normalement, une concession perd de sa valeur au fur et à mesure que le contrat approche de son expiration ou de son renouvellement. À combien se chiffrerait une extension des concessions dans ce contexte ?

Cette solution est bien éloignée de celle préconisée par Ségolène Royal, dans le cadre de la remise à plat de l'écotaxe. Qui, du politique ou de l’administration, laquelle a jusqu'alors imposé ses vues, va avoir le dernier mot sur le sujet ?

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Fermeture des services web, et vous?

François Hollande: «Putain, deux ans!»

$
0
0

Comment a-t-il plongé si bas ? C’est la question qui vient sous toutes les plumes, et sur toutes les lèvres. Les réponses sont variées, et parfois hypocrites. Les plus virulentes montent de milieux qui lui étaient hostiles avant même son élection, même si certains ont voté pour lui, par anti-sarkozysme. Mais la somme exceptionnelle de ces oppositions, ou de ces doutes, conduit toutefois à une seconde interrogation : le “retournement” économique que le président promet aujourd’hui, a-t-il une chance de se réaliser, et de le ressusciter ?

Le plus probable est qu’il faudra davantage qu’un “retournement”, et, pas seulement économique. Il faudrait un âge d’or. Une Renaissance. Il faudrait des temps nouveaux. Une résurrection. Ce redressement dont ont rêvé tous les présidents de crise, depuis Giscard d’Estaing, et qui ne s’est jamais produit. Sauf période de cohabitation, qui remet les compteurs à zéro, et transfère au premier ministre les aléas de la conjoncture, aucun chef de l’État n’est jamais sorti indemne d’une telle impopularité.

A l'Elysée, le 1er mai, lors de la traditionnelle cérémonie de remise du muguet.A l'Elysée, le 1er mai, lors de la traditionnelle cérémonie de remise du muguet.

DÉTESTÉ PAR LA DROITE…

Pour la droite, François Hollande a eu le tort de ne pas engager, dès le début, les “réformes” qu’il propose aujourd’hui, c’est-à-dire les allègements de charges et la réduction des dépenses de l’État. Il aurait asphyxié le pays en l'écrasant d’impôts, avant de le mettre sous la tente à oxygène d’un “pacte de responsabilité” qui serait arrivé trop tard.

La droite est un peu amnésique. Dès le lendemain des législatives, et encore plus clairement dès le discours du 14 juillet 2012, Hollande a engagé une politique qui s’est ensuite amplifiée. Dès le départ, il a signé le Traité européen qu’il proposait de repousser ; dès le départ, ou presque, il a consenti à une augmentation de la TVA, qu’il combattait auparavant ; dès les premières semaines, il a renoncé à “la grande réforme fiscale” qu’il proposait jusqu’au printemps ; dès novembre 2012, sur les recommandations du rapport Gallois qui fuita en septembre, il a annoncé, puis mis en œuvre, des réductions de charges pour les entreprises, en consacrant ainsi le dogme du “coût du travail”, qu’il contestait auparavant…

En fait la droite a envenimé tous les débats, qu’ils soient économiques ou sociétaux, comme la réforme pénale Taubira (qui n’a toujours pas vu le jour mais qui est accusée de toutes les dérives), ou comme la question du mariage pour tous. La droite n’est pas critique du bilan de François Hollande, elle est ulcérée par sa présence à l’Élysée. Et chaque “concession” acceptée par ce président “de gauche”, chaque gage accordé aux revendications de la droite, n’a fait qu’enflammer ce rejet, et cette détestation.

La réflexion que pourrait utilement engager l’Élysée, devrait donc cesser de porter sur les prochaines mesures destinées à apaiser la droite, afin d’obtenir son consentement, ou sa neutralité, et de constater plutôt que toutes les “ouvertures” ont entraîné des surenchères. Toutes ont été ressenties comme des encouragements à déclencher d'autres actions, en vue de nouvelles redditions.

En somme, la présidence Hollande a rencontré l’hostilité classique et clanique de la droite, la même que sous Blum, Mitterrand, ou sous le primat de Jospin. C’est une opposition de principe qui conteste à la gauche, même sous sa forme édulcorée, le droit d’exercer un pouvoir censé lui appartenir. Mais Hollande a amplifié le mouvement. Il a dopé la contestation en lui cédant sans combat. Il est remarquable de constater que plus le président socialiste a fait sien le vocabulaire des libéraux, sur “les réformes structurelles”, sur “le coût du travail” ou sur “les dépenses de l’État”, plus il a serré la ceinture de la France, et plus la droite l’a accusé de laxisme et de dérive étatiste. Comme si ce président conciliant avait aggravé son cas en manquant de résistance… Comme si, à force de “souplesse”, il avait endurci ses adversaires, au point d’être surnommé “Pépère” dès qu’il cédait, et “dictateur” dès qu’il maintenait une décision…

LÂCHÉ PAR SA GAUCHE

Pendant ces deux années, Hollande n’a pas joué des vases communicants : il a dopé ses adversaires, sans rassembler ses partisans. Il a exaspéré la droite tout en se mettant la gauche à dos. Il a rencontré, comme ses prédécesseurs, des résistances rituelles, qui remontent au congrès de Tours, mais il les a “colérisées”. La méfiance de la “gauche de la gauche” vis-à-vis des “sociaux-démocrates”, traditionnellement dénoncés comme des “socio-traîtres”, pour ne pas dire des “socialauds”, n’est pas une caractéristique des deux dernières années, mais elle fait désormais tache d’huile, jusqu’à gagner une partie des écologistes, et une frange de plus en plus large des députés PS.

Certes, François Mitterrand a été élu en dépit d’une campagne intense du Parti communiste, à l’époque assez puissant pour rassembler un électeur sur cinq et l’accusant de “virer à droite”. Certes Lionel Jospin a subi le même genre de procès malgré les 35 heures, la “couverture maladie universelle” ou l’instauration du PACS. Mais Hollande a dépassé les limites de l’affrontement entre la gauche modérée et la gauche radicale. Il n’a pas seulement subi les attaques habituelles de ses opposants de gauche qui se déclarent déçus par lui, comme s’ils avaient un jour placé leurs espoirs dans un “capitaine de pédalo”. Il a donné à cette désillusion mécanique une dimension si névralgique qu’elle a gagné ses alliés, les écologistes, ainsi qu’une part grandissante des élus socialistes.  

Hollande n’a pas promis grand-chose, et encore moins le grand soir, pendant sa campagne présidentielle, mais se retrouve sans majorité absolue au parlement après l’annonce de son pacte à 50 milliards d'euros. Il n’a pas seulement perdu la gauche mélenchonienne, qui n’a jamais cru en lui, il n’a pas uniquement découragé la gauche communiste, qui ne l’a jamais aimé, il a fait fuir Europe Écologie et braqué le cinquième de ses propres députés PS.

D’où vient donc ce scepticisme qui tourne à l’agacement, pour ne pas dire à la franche opposition, puisque ni son histoire personnelle (c’est un fils de Jacques Delors), ni ses promesses (il n’en a pas fait beaucoup) ne pouvaient laisser penser qu’ils incarnerait autre chose qu’un centre gauche ?

Le malentendu prend sans doute sa source dans son discours du Bourget. Non pas à cause de telle ou telle mesure emblématique, mais plutôt en raison d'une attitude. Ce jour-là, Hollande a emporté le morceau en désignant un adversaire, la finance, et en promettant de résister, debout, jusqu’à trouver “une autre voie”. La France ne se laisserait pas dicter sa politique…

Il se trouve que dès le lendemain des élections législatives, la France n’a résisté à rien, et que le président, après quelques envolées sur PSA, le jour du 14 juillet, a décidé de ne plus avoir d’adversaire. Dans un souci déclaré d’écoute et d’unité nationale, il s’est incliné devant les revendications libérales, en intégrant leur vocabulaire, “ras-le-bol fiscal” ou “baisse des charges”, comme si, de fil en aiguille, l’ennemi n’était plus “la finance”, mais clairement la “fiche de paie”.

“L’autre voix”, qui devait être celle de la France, et parler à l’Europe du Sud, a fini par intégrer le “Tina” de Margaret Thatcher, There is no alternative. Au point que Hollande n’attend plus son salut de sa politique, mais d’une reprise mondiale qui relancerait l’Europe, et provoquerait chez nous le fameux “retournement” dont il parlait cette semaine au Journal du dimanche.

Devenir un bon élève, pour être récompensé par la “maîtresse conjoncture”, quand viendrait l’heure des résultats, voilà la perspective dessinée par l’homme qui promettait la résistance. Dépolitiser le débat en 2014, le réduire à des mesures techniques, alors qu’il l’avait gonflé à l’espoir politique au printemps 2012, telle est la grande équivoque, celle qui consacre Manuel Valls, maître technicien réputé, mais qui creuse un gouffre entre Hollande candidat et Hollande président.

Le pari a-t-il une chance de fonctionner ? En d’autres termes, le président de la République peut-il se remettre en selle grâce à un “retournement”. Nul ne peut l’écarter, puisque l’avenir n’est pas écrit, mais l’hypothèse est hautement improbable. La crise dure depuis si longtemps qu’on en parle depuis 1973 et la crise du pétrole. On peut même se demander si elle est un moment ou un état, un désordre ou un ordre. Et si le mythe de “la sortie de crise” est un espoir raisonnable, ou un conte pour enfants sages.

En 1981, pendant sa campagne victorieuse, François Mitterrand avait fait projeter un petit film cruel à chacun de ses meetings. C’était Giscard, mais rétrospectivement, on dirait du Hollande. On y voyait le président candidat, la mine de plus en plus défaite, annoncer tous les six mois, la “sortie du tunnel”. En guise de tunnel, le sortant annonçait sa sortie.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian

Education: Hamon bute sur de premiers obstacles

$
0
0

Le départ pour « raisons personnelles » du directeur de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, homme clé de la rue de Grenelle, annoncé à ses collaborateurs le 30 avril, a provoqué un séisme dans les couloirs du ministère de l’éducation. En claquant la porte, cet homme de l’ombre – réputé pour sa discrétion – a contribué à révéler une crise qui couvait en réalité depuis plusieurs semaines au ministère de l’éducation nationale.

Ce très proche de Vincent Peillon, avec qui il fonctionnait en tandem depuis l’élaboration du projet PS pour l’éducation, était certes annoncé partant depuis longtemps puisqu’il devait faire valoir ses droits à la retraite au mois de juin. Mais le choix de quitter ses fonctions à un moment très délicatpour le ministère n’a pas manqué d’apparaître comme un geste fort de défiance à l’égard du nouveau ministre, Benoît Hamon. Fait inédit, en l’absence de successeur désigné, une des plus grandes administrations du pays se retrouve depuis jeudi dernier sans directeur à sa tête…

« J’avais souhaité que la transition se passe bien, le temps que j’apprivoise mon ministère », reconnaît sans détour Benoît Hamon, qui avait pressé son directeur de l’enseignement scolaire (Dgesco) de rester jusqu’en juin. Si son entourage ne se prive pas de qualifier d’« inélégante » la démarche de ce dernier, Hamon assure qu’il a déjà choisi son successeur, sans doute une femme, dont le nom sera annoncé au prochain conseil des ministres. Reste que l’absence, ce lundi, de Jean-Paul Delahaye lors du Conseil supérieur de l’éducation(CSE), qu’il devait normalement présider et au cours duquel le nouveau décret « d’assouplissement » sur les rythmes scolaires était examiné, met en difficulté le nouveau ministre en prenant un tour forcément politique.

Benoît Hamon.Benoît Hamon. © Reuters

« Il n’a sans doute pas voulu détricoter lui-même le décret qu’il avait contribué à élaborer. Et ce de façon, selon lui, non marginale », raconte son ami, l’historien de l'éducation Claude Lelièvre. De fait, le décret préparé par Hamon assouplit un certain nombre de critères pour la mise en œuvre de la semaine de 4 jours et demi dans le cadre d’expérimentations. Certains y voient une brèche dans laquelle les adversaires de la réforme ne manqueront pas de s’engouffrer pour la fragiliser un peu plus. La FCPE s'est ainsi insurgée contre ce qu'elle considère comme un premier recul du ministre. Le syndicat majoritaire du premier degré le SNUipp l'a lui jugé insuffisant et intervenant «trop tard», alors que 93% des communes ont déjà déposé leur projet d'organisation au ministère pour l'an prochain. Ce texte censé être de compromis n'aura finalement contenté personne puisqu'il a été rejeté en CSE recueillant 31 voix contre, 27 abstentions et trois voix pour.

Au-delà des incertitudes sur la réforme des rythmes scolaires, que Benoît Hamon n’a pas encore totalement levées, ce sont surtout des doutes quant à la volonté du nouveau ministre de poursuivre l’ensemble des réformes engagées depuis deux ans qui s’expriment. Chacun a donc depuis un mois scruté ses premiers pas en s’interrogeant sur le sens politique de sa nomination. « Est-ce que son mandat est d’étouffer tous les dossiers et d’expédier les affaires courantes ? C’est un risque », s’interroge Christian Chevalier, secrétaire général du SE Unsa.

Après l’interminable feuilleton de la réforme des rythmes scolaires qui a suscité des mécontentements de toutes parts, Benoît Hamon a-t-il pour mission de ne surtout plus faire de vagues ? « Je ne suis pas sûr que le baromètre pour être un bon ministre de l’éducation nationale soit forcément d’être le plus impopulaire, ironise le ministre, mais je puis vous assurer que mon souci ne sera pas de plaire systématiquement à tout le monde. Il y a des réformes où l’on peut avancer par consensus et d’autres où il faudra trancher », prévient-il.

Il rappelle que sa feuille de route, préparée par son prédécesseur, est bien remplie : « Nous avons une réforme des programmes qui approche, une réforme du collège, un enseignement professionnel qui se vit toujours comme une voie de second rang… La phase qui me concerne est celle de la mise en œuvre de la refondation pour réussir à inverser une tendance dramatique dans notre pays où l’origine sociale pèse comme nulle part ailleurs dans les parcours scolaires. »

L’éviction de Vincent Peillon, alors que la majorité des réformes engagées sur la formation des enseignants, les rythmes scolaires, ou l’éducation prioritaire, sont soit au milieu du gué soit encore dans les cartons (comme la réforme du collège ou des programmes), a laissé le ministère en suspens. L’arrivée d’un profil politique comme celui de Hamonplutôt néophyte sur les questions d’éducation, n’a pas forcément rassuré, dans un contexte très différent d’il y a deux ans. La priorité à l’éducation a en effet pratiquement disparu des discours de François Hollande, supplantée par le chômage et la compétitivité.

Dans son discours de politique générale, Manuel Valls a évoqué les questions éducatives après le problème des « cambriolages » et encore, uniquement pour parler de l’assouplissement de la réforme des rythmes scolaires. Hamon saura-t-il peser face au rouleau compresseur budgétaire ? Et pour quelle politique ?


Son positionnement à l’aile gauche du PS, sa proximité avec la FSU, ne suffisent sans doute pas à définir ses orientations. « Les étiquettes facilitent la vie de tout le monde, à commencer celle des journalistes ! rétorque Benoît Hamon. J’ai de très bonnes relations avec Bernadette Groison (secrétaire générale de la FSU – Ndlr) que je connais depuis très longtemps, mais je n’ai pas une vision totémique sur ces sujets. Et cela surprendra sans doute les familles syndicales, les grands anciens du secteur. »

Les clivages syndicaux, entre la FSU, le Snes et le Snuipp, majoritaires, d’une part, et les syndicats dits « réformistes », comme l’Unsa ou le Sgen-Cfdt, ont par ailleurs beaucoup évolué au cours des deux dernières années. La réécriture, très modeste, des décrets de 1950, qui définissaient le métier des enseignants sur la seule base des heures de classes (et pas sur la concertation, l'accueil des parents, etc.), naguère chiffon rouge du Snes, n’a pratiquement pas provoqué de clash. Une preuve pour Vincent Peillon que ces antagonismes anciens, et selon lui stériles, pouvaient être dépassés. 

À l'inverse, les relations avec le SNUipp-FSU, majoritaire dans le premier degré, et à l'origine très proche du programme éducation du PS, se sont peu à peu dégradées sous la pression d'une base souvent très hostile à la réforme des rythmes scolaires. Les références du nouveau ministre sur l'éducation invitent, elles aussi, à ne pas le cataloguer trop rapidement. Lorsqu’il dirigeait la convention « égalité réelle » du parti socialiste, en 2010, qui comprenait les questions d’éducation, Benoît Hamon assurait pour le volet éducatif s’être beaucoup inspiré des travaux de François Dubet, un sociologue rarement sur la ligne de la FSU… 

Ses proches vantent sa culture de la négociation et son pragmatisme. « Je crois qu’il va beaucoup s’appuyer sur le terrain, affirme le secrétaire général de son courant, Un monde d’avance, Guillaume Balas. La manière dont il a conduit l’assouplissement sur les rythmes me semble assez intelligente. Hors de tout dogmatisme. » Aujourd’hui à son cabinet, un autre proche y voit même une de ses premières victoires : « Avec cet assouplissement, on a quand même plus de chance que la réforme aboutisse que si l’on était resté sur un bras de fer stérile », assure-t-il, taclant au passage le caractère un peu "psychorigide" de l’équipe précédente. 

« Cela me va très bien d’avoir les deux mains dans la réalité plutôt que dans les concepts », dit aujourd’hui Benoît Hamon, qui sait qu’il va devoir trouver sa place rue de Grenelle après l’agrégé de philosophie Vincent Peillon, certes impopulaire, mais très apprécié de son administration, notamment parce qu’il connaissait parfaitement son sujet.

« Il est vrai que j’ai pu ressentir un peu de circonspection dans la haute administration. Mais je ne découvre pas ces sujets, répond Benoît Hamon. Beaucoup l’ont oublié, mais j’ai présidé la Convention pour l’égalité réelle du parti socialiste où j’ai travaillé aux côtés de Bruno Julliard pour déterminer les grandes orientations en matière d’éducation. Je n’arrive donc pas en terrain étranger. » Hamon a aussi pris soin de conserver à son cabinet quelques piliers du cabinet Peillon, notamment pour les dossiers les plus techniques.

Dans l’amertume des cartons, un membre du cabinet partant dressait un autre procès en illégitimité : « Vous imaginez ce type qui a eu une licence d’histoire à Brest et qui va diriger plus d’un million d’enseignants, présider à la stratégie nationale de la recherche… », s’étranglait ce technocrate ultra-diplômé. Ulcéré par ce type de critiques, émises par « cette aristocratie qui a eu le bon diplôme à 18 ans et demi et qui ruine le système », son ami Guillaume Balas affirme au contraire que « c’est une excellente chose qu’il ne soit pas du sérail. Benoît Hamon pense que les questions éducatives s’inscrivent dans une vision globale de la société. Il aura vraiment à cœur de combattre le déterminisme social. Si Benoît a beaucoup d'estime pour Vincent Peillon, il a, par son parcours personnel, peut-être une foi moins évidente dans le miracle de l'école républicaine dont il n'est pas un pur produit »

Son entourage rappelle qu’il a déjà remporté d’importants arbitrages : la garantie du maintien de la création des 60 000 postes « alors que le cabinet de Peillon nous avait prévenus que 20 000 d'entre eux étaient menacés »,indique un conseiller, le maintien de l’aide au logement pour les étudiants tout comme l’assurance qu’on ne toucherait pas aux frais d’inscription dans le supérieur. Ce qui reste, pour ce dernier point au moins, à voir.

Parvenir à enrayer les inégalités – même « un tant soit peu », comme il s’en fixe modestement l’objectif –, de plus en plus prégnantes dans le système éducatif, nécessitera, Benoît Hamon le sait, de courageuses réformes qui ne pourront se faire qu’avec un soutien sans faille de l’Élysée. « Jean-Paul Delahaye est parti non parce qu’il aurait eu un quelconque problème avec Benoît Hamon mais parce qu’il sentait que François Hollande se fichait totalement de l’éducation et qu’il aspirait juste à la paix dans ce secteur », affirme Claude Lelièvre. Voilà Benoît Hamon prévenu.

BOITE NOIREL'entretien avec Benoît Hamon a eu lieu vendredi soir par téléphone. Le ministre n'a pas demandé à relire ses citations. Jean-Paul Delahaye, contacté par mail, n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.

Cet article a été modifié à 17 heures pour ajouter les résultats du vote du Conseil supérieur de l'éducation.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian

MediaPorte : « FN : ça commence à sentir très mauvais »

Armes chimiques : une entreprise française accusée d'avoir aidé l’Irak et la Libye

$
0
0

Une entreprise française aurait-elle fourni du matériel pouvant servir à produire des armes chimiques aux régimes sanguinaires de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi ? C’est ce que soupçonnent très fortement les avocats des familles de victimes du massacre d’Halabja, petite ville irakienne où environ 5 000 Kurdes ont été tués et 5 000 autres blessés par des bombardements à l’arme chimique ordonnés par Saddam Hussein, en mars 1988 (lire notre article ici).

Dans une note adressée le 4 avril dernier aux juges d’instruction parisiens du pôle « Crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre », déjà saisis du dossier irakien d’Halabja, et dont Mediapart a pris connaissance, l’avocat David Père indique que plusieurs « informations capitales semblent montrer qu’à la période visée par notre plainte, la société De Dietrich fournissait à plusieurs régimes dictatoriaux des équipements nécessaires à la fabrication d’armes chimiques ». Le groupe industriel De Dietrich, basé en Alsace, « fabrique notamment des appareils à revêtement en acier vitrifié, sortes de grosses cocottes-minute que les industriels utilisent pour mélanger divers produits chimiques », précise ce courrier à l’attention des juges.

Mouammar Kadhafi.Mouammar Kadhafi. © Reuters

À l’appui de sa note, Me Père produit deux articles de presse qui remontent à 1989. Le premier, un article du Monde daté du 5 janvier 1989, fait état d’accusations précises des États-Unis contre la Libye de Kadhafi qui commençait alors « à produire des armes chimiques dans une usine de la grande banlieue de Tripoli ». L’usine « Pharma-150, située à Rabta, à une soixantaine de kilomètres au sud de Tripoli », est alors citée par des responsables américains ayant requis l’anonymat. Suit une déclaration du porte-parole du département d’État de l’époque, Charles Redman, demandant aux entreprises étrangères de cesser l’assistance fournie pour la construction et le fonctionnement de cette usine. « La Libye dépend encore de l'aide étrangère pour cette usine. Si cette aide cessait immédiatement, il lui serait très difficile de commencer la production massive et elle serait incapable de poursuivre la production limitée d’armes chimiques », lit-on.

L’article précise encore ceci : « L’une des entreprises mises en cause par les Américains, la société française De Dietrich, dont le siège se trouve en Alsace, à Reichshoffen, a démenti mardi avoir connaissance d’une quelconque protestation américaine. Elle a toutefois reconnu qu’Imhausen-Chemie, entreprise ouest-allemande également accusée par les États-Unis d’avoir participé à la construction de l’usine chimique libyenne, figurait parmi ses clients. Tout en affirmant n’avoir jamais travaillé avec la Libye, le secrétaire général de De Dietrich, M. Hervé de Brosse, a déclaré que sa société vendait “des appareils mais ne se préoccupait pas de ce qu’en faisaient les clients”. »

Le second article, daté du 20 janvier 1989, également paru dans Le Monde, fait état d’informations parvenues aux services secrets de la RFA dès 1987 sur la construction d’une usine d’armes chimiques en Libye. Il précise également que « l’ambassade des États-Unis à Bonn avait informé, le 8 mai 1988, les autorités ouest-allemandes des soupçons portés sur diverses sociétés ouest-allemandes, notamment Imhausen-Chemie » à propos de l’usine de Rabta. L’article annonce qu’aux États-Unis, « le prochain secrétaire d’État James Baker a annoncé mercredi qu’il engagerait une enquête sur 36 firmes étrangères, dont 24 ouest-allemandes, qui auraient fourni de l’équipement à l’Irak et à la Libye afin de fabriquer des armes chimiques. Dans cette liste figurent également la compagnie française De Dietrich, ainsi que des sociétés du Japon, de Belgique, des Pays-Bas, du Danemark, de Grande-Bretagne, de Yougoslavie et de Hong Kong ».

Emmanuelle Ducos, Claude Choquet et David De Pas, les trois juges d’instruction du pôle « Génocides et crimes contre l’humanité » créé en janvier 2012 au tribunal de grande instance de Paris, sont chargés depuis le 28 août 2013 du massacre à l’arme chimique de la population civile kurde d’Halabja, en Irak, commis par l’armée de Saddam Hussein le 16 mars 1988, pendant la guerre contre l’Iran (lire notre article ici).

Le bombardement chimique de la petite ville d’Halabja, commis au prétexte que les Kurdes d’Irak se seraient rebellés contre Bagdad, avait fait près de 5 000 morts et au moins autant de blessés. Or plusieurs entreprises françaises et européennes auraient, au cours des années 1980, fourni au régime de Saddam Hussein la technologie et le matériel nécessaires à la fabrication et au stockage des armes chimiques.

La plainte pour « crimes contre l’humanité, génocide, et recel du produit de ces crimes », déposée à Paris le 10 juin dernier par une vingtaine de victimes d’Halabja, survivants et parents de défunts, représentés par les avocats David Père et Gavriel Mairone, vise notamment, en tant que complices, les entreprises françaises Protec SA, Carbone Lorraine et De Dietrich.

La société De Dietrich « aurait construit des équipements de production d'agents chimiques (réacteurs, colonnes et citernes en acier vitrifiées), exportés directement ou par l'intermédiaire de la société Protec en Irak entre 1985 et 1988, et implantés dans l'usine Mohammed (intégrée au complexe de Samarra) dans laquelle l'Irak entreprit la production de gaz sarin, ainsi que le complexe de Fallujah », lit-on. La société Carbone Lorraine aurait, quant à elle, « fourni des échangeurs de chaleur (“graphite heat exchangers”) ».

La plainte des victimes se fonde notamment sur le rapport de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection de l’ONU en Irak (Cocovinu), sur des jugements rendus par la justice irakienne, sur une enquête du Centre Simon Wiesenthal, ainsi que sur des investigations effectuées à l'époque par les douanes françaises et allemandes. La Cocovinu a également conclu que des sociétés étrangères ont conçu, fabriqué et approvisionné les complexes et usines de production d’armes chimiques en Irak.

Vu la très forte médiatisation, à l'époque, de l’utilisation massive d‘armes chimiques par l’Irak contre l’armée iranienne, « les concepteurs et constructeurs des usines irakiennes d’armes chimiques tout comme les fournisseurs de technologies de laboratoire et de précurseurs de gaz toxiques devaient nécessairement porter une attention toute particulière à ces différentes informations compte-tenu de leur activité professionnelle », expose cette plainte. « En conséquence, ces industriels ne pouvaient en aucun cas ignorer que leurs actions contribuaient à l’armement chimique irakien et en conséquence à l’extermination des populations kurdes au Kurdistan, et en particulier dans la ville d’Halabja. Les personnes susvisées ayant fourni à l’Irak les moyens de commettre un crime d’une extrême gravité contre la population kurde d’Halabja l’ont donc manifestement fait en parfaite connaissance de cause », lit-on.

Saddam Hussein.Saddam Hussein. © Reuters

Après une étude juridique de cette plainte, le 26 août dernier, le parquet de Paris a signé un réquisitoire introductif pour « complicité d’assassinats, tentative de complicité, et recel du produit de ces crimes », en relevant que la qualification pénale de crime contre l’humanité, assez récente en droit français (elle n’est inscrite dans le Code pénal que depuis 1994), ne pouvait s’appliquer à des faits aussi anciens.

Depuis lors, les juges d'instruction ont commencé à s’atteler à cette affaire. Ils ont confié le dossier pour exécution à l’Office central chargé des génocides et des crimes contre l’humanité, récemment créé. Placé sous l’égide du ministère de l’intérieur et de la gendarmerie nationale, il est composé de gendarmes, de policiers et de personnels du Quai d’Orsay. Mais cet office ne compte pour l’instant que huit enquêteurs, qui sont essentiellement mobilisés par les dossiers rwandais, et devrait en accueillir prochainement trois ou quatre de plus, selon des sources informées.

Que peuvent faire les enquêteurs vingt-cinq ans après les faits ? Dans un premier temps, ils doivent rassembler, outre les dossiers médicaux des victimes et les témoignages des survivants, l’ensemble des documents officiels de l’ONU sur ce massacre, ainsi que les décisions de justice déjà rendues à l’étranger. Les juges ont déjà demandé et obtenu des procès-verbaux des services de douanes français, selon une source proche du dossier. Par ailleurs, en Allemagne, une enquête douanière a déjà débouché sur la condamnation d’une entreprise locale. Après la chute de Saddam Hussein (en 2003), la justice irakienne a également prononcé la condamnation à mort du dictateur et celle d’Ali « le Chimique », en 2007. Enfin, les avocats des plaignants ont sollicité récemment auprès des juges français l’audition d’un témoin important, et en recherchent plusieurs autres.

Des cuves en acier vitrifié, à même de stocker des produits très dangereux, ainsi que des éléments de production d’armes chimiques, des réacteurs, des colonnes et des échangeurs de chaleur figurent parmi les matériels qui ont alors été exportés en violation de l’embargo en vigueur. L’une des entreprises feignait de croire que ses cuves allaient servir à stocker des pesticides.

« En fait, le système était soigneusement cloisonné par les Irakiens : chacune des entreprises exportant séparément des éléments très spécifiques et potentiellement dangereux, cela en connaissance de cause, et de façon très profitable », explique une source proche du dossier. De fait, le secret ayant entouré l’approvisionnement chimique irakien rappelle celui qui présidait à la fabrication du « super canon » (le projet Babylone) qui devait également être utilisé contre l’Iran.

Pour l’avocat des plaignants, David Père, « compte tenu de l’information du grand public, à l’époque, sur l’utilisation d’armes chimiques par les autorités irakiennes, il est inconcevable que les entreprises qui leur ont fourni ce type de matériel aient ignoré sa destination ».

D’autres plaintes devraient être déposées prochainement en Allemagne, voire aux Pays-Bas et en Italie, pays où plusieurs entreprises sont également soupçonnées d’avoir fourni des équipements et des matières premières ayant servi à constituer l'arsenal chimique irakien. Sous couvert de produire des fertilisants et des pesticides, à partir de 1981, l’Irak s’est doté d’un complexe de fabrication d’armements chimiques, notamment dans les villes de Samarra et Fallujah. Selon les rapports officiels, quelque 3 859 tonnes d’agents neurotoxiques et gaz mortels (VX, CS, moutarde, tabun, sarin et cyclosarin) ont été produites entre 1981 et 1988 en Irak.

© DR

Les armes chimiques ont été utilisées plusieurs fois par l’Irak de Saddam Hussein contre les forces iraniennes et les populations kurdes : le 24 février 1984, contre des soldats iraniens qui occupaient les îles Majnoun, puis en mars de la même année sur la ville d’Al Howeiza, près de Bassora. Des bombardements aux gaz mortels ont été clairement revendiqués, à l’époque, par le régime irakien.

Accusés de collaboration avec l’ennemi, après la révolte des peshmergas qui voulaient obtenir l’indépendance, les Kurdes irakiens ont été victimes d’un plan d'extermination commencé en 1987 et baptisé campagne d’Anfal. Quatre mille villes et villages kurdes ont été détruits par l’armée irakienne de février à septembre 1988, et des dizaines de milliers de civils massacrés.

Le massacre d’Halabja s’est produit alors que l’Irak de Saddam Hussein avait quasiment gagné sa longue guerre contre l’Iran. Pourquoi gazer une petite ville paisible du Kurdistan irakien, au mépris des conventions internationales ? Aux yeux de Saddam et de ses généraux, Halabja, ville proche de la frontière iranienne, avait eu le tort de tomber aux mains des maquisards de l’Union patriotique du Kurdistan. Halabja reste, à ce jour, la plus grande attaque à l’arme chimique contre des populations civiles.

Pendant quinze heures, le 16 mars 1988, les chasseurs ont déversé des bombes contenant un cocktail destructeur de sarin, de gaz moutarde et de VX. Des femmes, des enfants et des vieillards ont péri en nombre, dans les souffrances que l’on imagine. Les chiffres les plus sérieux font état de 10 000 victimes dont 5 000 morts.

Depuis lors, les missions médicales et humanitaires qui se sont succédé sur place attestent des séquelles physiques (cancers, cécité, problèmes respiratoires, stérilité, fausses couches...) et des malformations génétiques qui perdurent, 25 ans après, ainsi que de traces encore fortes de produits toxiques et dangereux dans la terre, l’eau et les sous-sols des maisons. Les survivants qui se sont déplacés jusqu'à Paris pour le dépôt de leur plainte, le 10 juin dernier, en ont témoigné face à la presse.

« Je suis resté avec mes parents, mes frères et sœurs. Je me suis assis seul. J’ai touché le visage de mes parents et j’ai remué leur corps pour voir s’ils étaient vivants. Je ne voulais pas croire qu’ils étaient morts. Je n’arrêtais pas de les remuer en espérant qu’ils commencent à respirer. C’était peine perdue », lit-on dans l’une des attestations de survivants qui ont été remises, ce jour-là, à la justice. « J’avais onze ans. Je n’avais blessé personne. Ma famille était innocente. Nous n’avions rien fait. En l’espace de quelques jours, ma vie s’est assombrie et est devenue un cauchemar. »

Le pôle « Génocides et crimes contre l’humanité » du tribunal de Paris, où sera instruit le massacre d’Halabja, compte déjà une quarantaine de dossiers. Les trois quarts visent des génocidaires rwandais qui s’étaient réfugiés en France. Le premier procès issu de ces enquêtes, celui de Pascal Simbikangwa, ancien chef du Service central de renseignement (SCR) rwandais, jugé par la Cour d’assises de Paris pour « complicité de génocide et crimes contre l’humanité », a eu lieu récemment.

Les autres affaires de ce type instruites au pôle parisien, longues et complexes par nature, concernent le Cambodge, le Congo, ou la Libye. Le dossier Amesys, une filiale du groupe Bull soupçonnée d’avoir vendu à Kadhafi du matériel sophistiqué d’espionnage du Net qui a servi à traquer les opposants libyens, en fait notamment partie. Le pôle « Génocides et crimes contre l’humanité » est juridiquement compétent pour instruire les crimes de guerre, délits de guerre et autres cas de torture, dans la mesure où un auteur ou complice d’infraction se trouve sur le territoire français.

Lire également sous l’onglet Prolonger.

BOITE NOIREJ'ai cherché à plusieurs reprises à recueillir le point du vue de la société De Dietrich Process Systems sur ce dossier, en téléphonant au siège du groupe, sis au château de Reichshoffen (Bas-Rhin). Aucun responsable ou porte-parole ne pouvait être joint ni vendredi 2 mai, ni lundi 5 mai, malgré plusieurs appels et messages en ce sens. J'ai également sollicité une société de communication parisienne en charge des relations publiques de la société De Dietrich Thermique, sans plus de succès. J'exposerai bien volontiers les explications et commentaires du groupe De Dietrich s'ils me parviennent.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian

Roms: une vidéo révèle les méthodes des policiers

$
0
0

S’emparer du bien d’autrui est généralement considéré comme un vol. Sauf, manifestement, quand il s’agit des affaires appartenant à des personnes vivant à la rue. Mediapart s’est procuré une vidéo tournée à Paris le 2 avril 2014 au matin, montrant trois agents de police encerclant une famille au coin de la place de la République et de la rue du Faubourg-du-Temple. Les représentants des forces de l’ordre sont debout, en tenue bleu foncé réglementaire, écusson « Police » dans le dos, rangers et pistolets au ceinturon. À leurs pieds, un grand matelas sur lequel gisent quelques vêtements, un ours en peluche, des oreillers et une couverture en acrylique.

Un garçon, bonnet enfoncé sur la tête, est accroupi. Il a l’air de relacer ses chaussures ou de rassembler des objets. À ses côtés, un homme, une femme et une jeune fille sont courbés vers le sol en train de remballer précipitamment ce qui se trouve par terre et sur le matelas. Ils disposent pour tout bagage de quatre petites valises et d’un sac de courses. Le garçon se lève, s’empare de sa trottinette et se met à l’écart. Les plus grands continuent leur rangement. À peine le matelas est-il débarrassé des affaires qui le recouvrent qu’un des policiers le saisit. Ses mains ne touchent pas l’objet préempté, il revêt des gants en cuir ou en caoutchouc noir. La dame tente de retenir le matelas, mais le policier ne le lâche pas. Il part avec son butin, en le tirant derrière lui. Un de ses collègues, également ganté, l’aide à le transporter jusqu’à une camionnette blanche banalisée. Le troisième policier a gardé ses mains dans le dos pendant presque toute l’opération. Il surveille les alentours. L’une des dernières images de la vidéo montre deux des policiers se serrant la main. Ils se séparent, l’un monte dans la camionnette avec le troisième agent, l’autre part dans une voiture de la police nationale. Les véhicules démarrent et s’en vont.

Les trois hommes ont des tenues légèrement différentes. Ils pourraient dépendre de la Brigade d'assistance aux personnes sans abri (Bapsa), supposée venir en aide, comme son nom l'indique, aux plus démunis. Mais la préfecture de police de Paris, sollicitée par Mediapart, a refusé d'identifier le ou les services en cause. Elle n'a pas non plus répondu aux questions que nous lui posions sur les motivations et le cadre légal de cette intervention.

Tout s’est déroulé en moins de deux minutes. Pendant ce laps de temps, aucun passant ne s’est arrêté. Certains ont regardé la scène, beaucoup se sont retournés, mais personne n’a interpellé les policiers. Le matelas était installé non loin d’une des sorties du métro République, à proximité d’un jeune homme distribuant des journaux gratuits. Tout semble avoir eu lieu dans le calme. La famille qui vient de se faire déposséder de son bien ne bronche pas. Les policiers agissent sans recourir à la violence physique : ils ne hurlent pas, ne menacent pas, ne bousculent pas. À aucun moment, ils ne touchent les personnes. La femme continue de ranger. Elle ne tourne pas la tête pour voir où le matelas est emporté. Le petit garçon, l’homme et la jeune fille regardent, eux, leur lit partir, bouche bée, comme résignés. La famille n’a pas été expulsée, le gobelet disposé pour recueillir des pièces de monnaie est resté à son emplacement, mais le matelas a disparu. 

De l’absence de réaction des passants et de l’apparente tranquillité des policiers ressort une impression de routine, de banalité. La scène toutefois se déroule aux marges de la légalité. Les forces de l’ordre ne sont pas autorisées à s’emparer du bien d’autrui sans motif. Installé à un endroit où le trottoir est large de plusieurs mètres, le matelas n’obstruait pas le passage. L’ordre public n’était visiblement pas menacé. Les personnes assises dessus n’étaient pas non plus en danger, même si le fait qu’elles vivent dans la rue est le signe d’une extrême précarité. Des « nuisances » (bruit, insalubrité) ont pu être signalées par des voisins. Pourtant, il n’y a pas d’appartements dans les alentours. Les bagages avaient été posés au dos de bâtiments administratifs sans porte d’entrée sur cette façade, et en face de commerces fermés le soir.

Deux principes s’entrechoquent : le droit de propriété versus le droit d’occuper le domaine public. Avocat spécialisé en droit administratif, Lionel Crusoé, appelé à défendre des personnes vivant dans des bidonvilles, conteste le fondement juridique de cette intervention policière. Il rappelle le principe de la liberté d’utilisation de la voie publique tout en soulignant que les usagers sont supposés utiliser cet espace « de manière conforme à la destination de l’ouvrage ». Un trottoir, autrement dit, est principalement conçu pour circuler. S’y installer peut être considéré, en droit, comme une privatisation. Il existe néanmoins, insiste l’avocat, une tolérance à l’égard des sans-abri, confirmée par la justice administrative, notamment lorsque l'occupation est paisible et qu'elle ne compromet pas la circulation. Dans ce cadre, l'occupant a toujours le droit au respect de ses biens. La confiscation paraît donc problématique. « Aucun fondement légal ne semble, dans ce cas, autoriser cette saisie », selon lui. Un matelas, en outre, est un objet spécial. « Au droit de propriété s’ajoute le droit à une vie privée et familiale normale : malheureusement la rue est, pour beaucoup, un lieu de vie et, par cette confiscation, on touche à l’intimité », note-t-il. Sans oublier la dignité de la personne humaine : « Retirer leurs affaires à des individus qui ne possèdent quasiment rien est indéfendable surtout quand on leur retire un lit sans leur proposer d'accompagnement en vue d'un hébergement ou de logement. »

La présidente de l’association Entraides citoyennes, Sylvie Lhost, invoque elle aussi le droit à la protection de l’intimité de la vie privée (article 9 du code civil et article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme), à appliquer avec d’autant plus de fermeté que la personne est vulnérable. Le domicile, souligne-t-elle, est protégé comme lieu d’intimité par le code pénal (articles 226-4 et 432-8). Or, les jurisprudences française et européenne, rappelle-t-elle, proposent une vision extensive du domicile, celui-ci étant défini comme le lieu où la personne s’est installée pour vivre, quelle que soit la légalité de son occupation. Mais, le plus souvent, constate-t-elle, les forces de l’ordre ne vont pas si loin dans leur argumentaire : pour justifier la confiscation, elles mettent en avant le régime applicable aux « encombrants » et aux « déchets ». Pour Lionel Crusoé, cette interprétation est illégitime à partir du moment où le bien n'est pas à l'abandon et reste utilisé par ses propriétaires. « Ce phénomène de confiscation n'est pas rare. On pourrait, en fonction des circonstances, avancer sur le terrain du vol, estime-t-il. La confiscation d’un bien sans raison, sans autorisation et en abusant de la faiblesse du propriétaire entre dans le domaine de la qualification pénale du vol », insiste-t-il.

Une famille délogée de la place de la République, à Paris, le 27 avril 2014.Une famille délogée de la place de la République, à Paris, le 27 avril 2014.

Comme le montre la vidéo, les personnes elles-mêmes ne sont pas « invitées » à circuler. Mais une photo prise le 27 avril 2014 à quelques mètres témoigne du fait que la même famille est cette fois-ci délogée de son bout de trottoir. Pour « procéder à des évictions » selon le terme utilisé dans le jardon policier, les bases légales sont là encore branlantes. Elles supposent, en tout état de cause, que le juge administratif ait été saisi et qu’il ait statué (sauf en cas de « trouble grave » à la sécurité, à la tranquillité ou à la salubrité publiques, selon l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales). En France, la mendicité n’est pas interdite (ce délit a été supprimé en 1994). Sauf dans certaines zones désignées par arrêtés municipaux – la place de la République n’est pas concernée. Sauf en cas de mendicité « agressive ». Mais le gobelet laissé en place par les policiers (voir la vidéo) prouve que le « problème » n’était pas là. La présence d’un enfant était-elle en cause ? Le fait de maintenir un mineur de moins de six ans sur la voie publique « dans le but de solliciter la générosité des passants » est contraire à la loi à partir du moment où cette situation compromet sa santé, selon l’article 227-15 du code pénal introduit par la loi Sarkozy de 2003. L’enjeu était semble-t-il ailleurs, sinon les fonctionnaires se seraient gardés de retirer à la famille le seul objet qui lui permet de ne pas s’asseoir à même le sol.

Quel que soit le but recherché, ces pratiques ne sont pas sans conséquence. En fragilisant, si c’est possible, l’univers des personnes, elles les incitent à partir d’elles-mêmes. Une politique de la dissuasion et de l’auto-expulsion se met en place, sans que cela soit explicitement formulé, ou rarement comme dans le cas de la récente note interne du commissariat du VIe arrondissement de Paris, retirée après la polémique suscitée par sa diffusion, qui demandait aux policiers d’« évincer systématiquement » les « familles roms » du secteur.

Le message passe : ces personnes se savent non désirées, rejetées. Mais où aller ? Les dispositifs d’hébergement d’urgence, sous la responsabilité de l’État, étant saturés, elles décrochent au mieux quelques nuits d’hôtels, avant de se retrouver de nouveau à la rue. Les policiers ne l'ignorent pas. Tenter de les renvoyer définitivement dans leur pays d’origine ? En tant que ressortissants européens, les Roumains et les Bulgares peuvent être expulsés hors de France s’ils y résident au-delà de trois mois sans « ressources suffisantes ». Mais rien ne les empêche de revenir quelques semaines plus tard. Les forces de l’ordre parent donc au plus pressé. À la recherche de visibilité de leur action, notamment en direction des voisins et commerçants susceptibles de déposer des plaintes, elles recourent à des tracasseries du type de celles montrées dans la vidéo et sur la photo.

Certains observateurs parlent de harcèlement car ces comportements policiers ne sont pas rares. Lors d’une série d’entretiens réalisés par Mediapart à l’automne dernier, plusieurs familles roms vivant autour de la place de la République avaient fait état de colère mêlée de peur à l’égard des forces de l’ordre, qui, disaient-elles, les maltraitaient. Elles évoquaient des rondes matinales visant à les réveiller, des coups de pied dans les matelas et des injures. Un des hommes séjournant dans les parages avait montré sur son téléphone portable les photos qu’il avait prises de policiers embarquant leurs bagages et les portant dans une benne à ordures publique. Ces méthodes ne sont pas réservées aux personnes identifiées comme roms par les forces de l’ordre. Quelles que soient leur nationalité ou leurs origines, de nombreux SDF s’en plaignent.

Au Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), Claudia Charles regrette le peu de jurisprudence sur le sujet. « Les policiers n’ont pas le droit de s’emparer des affaires personnelles. Nous sommes face à la même problématique lors des expulsions de campements au cours desquelles les affaires des personnes sont détruites », remarque-t-elle. L’association Entraides citoyennes a récemment lancé un appel à témoin dans l'espoir que des procédures judiciaires soient engagées. Plusieurs types de demandes pourraient être formulés selon Sylvie Lhost : la restitution des biens, le versement d’une provision pour remplacer le matériel, ou, lors de la destruction de ce qui fait le lieu de vie, l’exigence d’un hébergement d’urgence. « Ce pourrait être très dissuasif pour l’État : toute destruction de biens serait suivie d’un référé avec demande d’hébergement. »

Dans la situation exposée par la vidéo, le matelas a été retiré à la famille le 2 avril, alors que venait de sonner la fin de la trêve hivernale (le 31 mars), limitant le nombre de places à l’abri et remettant de facto à la rue de nombreuses personnes sans domicile. L’action de la Bapsa, sur laquelle la préfecture de police de Paris (PP) communique ces jours-ci, est d’évaluer les besoins des personnes à la rue et de les accompagner dans un hôtel social ou un centre d’hébergement. Créé dans la foulée de l’appel de l’abbé Pierre, ce service (de police) a été désigné, jusqu’en 1968, comme l’« équipe de ramassage des vagabonds ». Sa mission était alors, selon le site internet de la PP, d’« enlever les indigents de la vue des citoyens » et de les conduire d’office dans un centre d’accueil.

BOITE NOIRELes auteurs de cette vidéo mise en ligne par Mediapart préfèrent rester anonymes. Afin de préserver leur volonté, la bande-son, sur laquelle on pouvait entendre leur voix, a été supprimée. Sur cette séquence apparaissent des policiers dans le cadre d'une intervention sur la voie publique. Tourner et diffuser ce type d'images n'est pas illégal, comme le rappelle le Défenseur des droits dans une note récente. L'existence d'enregistrements vidéo est même un « élément déterminant pour lever les doutes éventuels pesant sur une allégation de manquement à charge comme à décharge », souligne-t-il. Mediapart a contacté le service de presse de la préfecture de police de Paris afin d'avoir accès au compte-rendu de l'opération visualisée dans la vidéo pour en connaître les motivations et le cadre légal. Malgré plusieurs relances, cette demande est restée sans suite. Le service de presse de la préfecture de police a par ailleurs refusé d'identifier le ou les services concernés.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian


Garde à vue: les avocats n'auront pas accès au dossier complet

$
0
0

Sans surprise, l’amendement écologiste qui devait permettre à l’avocat d’une personne gardée à vue d’avoir accès à une plus grande partie de son dossier a finalement été écarté par les rares députés présents dans l’hémicycle lundi 5 mai 2014. Les syndicats de police semblent avoir eu la peau de cette avancée des droits de la défense, à laquelle s’était également opposé le gouvernement.

Au sortir d’une réunion avec son prédécesseur Manuel Valls lundi matin, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’était dit « absolument très défavorable à ce qui peut, sans améliorer les droits de la défense, alourdir les procédures ». La ministre de la justice Christiane Taubira a, elle, appelé lundi les députés à attendre les résultats (en juin) d'une mission sur une réforme de la procédure pénale qu'elle a confiée en février au magistrat Jacques Beaume.

Depuis la réforme de 2011, toute personne gardée à vue en France doit se voir notifier son droit au silence et à pouvoir être assistée d'un avocat pendant les auditions. Mais cet avocat ne peut consulter que le procès-verbal de notification de la garde à vue, le procès-verbal d’audition du gardé à vue et le certificat médical (sans en avoir copie). Un accès insuffisant pour assurer les droits de la défense en garde à vue selon le député écologiste Sergio Coronado.

« Ces documents ne concernent en rien les éléments de fond du dossier et ne permettent donc pas à l’avocat "d’assister" effectivement son client lors des auditions au cours desquelles il peut être présent – silencieusement d’ailleurs », a regretté le député lors des débats lundi 5 mai. La semaine dernière, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté son amendement prévoyant que « l'avocat peut, dès le début de la garde à vue, consulter l'ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l'exercice des droits de la défense ». Il a été retoqué lundi.

Actuellement, ce n’est qu’en cas d’ouverture d’une information judiciaire et de mise en examen par un juge d’instruction que l’accès au dossier complet devient possible. En effet, en France, « la police judiciaire, sous l’autorité du procureur de la République ou du juge d’instruction, enquête à charge et à décharge sous couvert du secret, dans le cadre d’une procédure écrite et non contradictoire, a rappelé Cécile Untermaier, la rapporteure PS du projet de loi. Ce n’est qu’au stade de l’instruction, puis lors de la phase de jugement, qu’est rétabli le contradictoire – et (donc) l’équilibre du procès ».

Sergio Coronado a bataillé devant un hémicycle presque vide. Les bancs de la droite étaient déserts et seuls dix-huit élus avaient jugé utile de participer aux débats de ce projet de loi examiné en procédure accélérée, avec une seule lecture dans chaque chambre. La France avait en effet jusqu’au 2 juin pour transposer une directive européenne du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Au passage, les députés ont également transposé une partie d’une autre directive plus récente sur le droit d’accès à un avocat des personnes suspectées.

Le député écologiste a rappelé que ces textes européens indiquent « que la mise à la disposition de l’avocat des éléments de preuve doit intervenir à temps pour qu’il puisse, si besoin, contester la légalité de la privation de liberté. Or, comment l’avocat peut-il contester cette légalité s’il n’a pas accès aux éléments de l’enquête ? ». Plusieurs avocats parisiens ont récemment lancé des procédures en annulation de garde à vue pour défaut d'accès au dossier. Ils ont obtenu gain de cause en première instance, mais la cour d'appel de Paris les a déboutés en mars 2014.

Les syndicats de police, eux, y étaient farouchement opposés, arguant comme le syndicat des cadres de la sécurité intérieure que cet amendement conduirait « les services de police judiciaire, déjà exsangues, vers une mort certaine ». Des inquiétudes largement relayées par la rapporteure PS qui indique dans son rapport que « les tâches administratives d’un officier de police judiciaire peuvent désormais représenter jusqu’à 40 % de son temps de travail au détriment de la recherche de preuves pour faire émerger la vérité dans une enquête ».

Le député socialiste Pascal Cherki a d’ailleurs dénoncé lors des débats lundi ce « travail de lobbying des syndicats de policiers ». « Ils considèrent que chaque fois que l’on fait entrer l’avocat dans le commissariat et qu’on lui ouvre l’accès à des pièces de la procédure, on les empêche de faire correctement leur travail, a-t-il affirmé. Je ne mets pas en cause la volonté des policiers de réaliser correctement leur travail, mais il me semble qu'en tant que parlementaire, mon rôle est non pas d’être le porte-parole des officiers de police mais de veiller à la défense des libertés publiques. »

Le projet de loi adopté lundi présente cependant quelques avancées et notamment la création d’un véritable statut de « suspect libre ». Chaque année près de 800 000 auditions libres sont réalisées par les services d’enquête (contre 330 000 personnes interrogées en garde à vue). Jusqu’ici, ces auditions avaient lieu dans un cadre flou et pouvaient donner lieu à toutes les pressions. Désormais, la loi liste un certain nombre de garde-fous : droit d’être informé de l’infraction qui est reprochée, droit à un interprète, droit de quitter les lieux à tout moment, droit au silence, droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits dans une structure d’accès au droit et, si la personne est entendue pour un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, droit d’être assisté par un avocat et de bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Autre avancée, dans le cadre des informations judiciaires, les parties (victimes ou mis en examen) pourront désormais demander une copie des pièces du dossier, un droit jusque-là réservé à leurs avocats. Quant aux détenus poursuivis en commission disciplinaire, ils pourront avoir accès aux enregistrements de vidéosurveillance pour se défendre.

Une fois de plus, le code de procédure français apparaît cependant à la remorque du droit européen. En avril 2011 déjà, la France avait dû autoriser en catastrophe les avocats à assister aux auditions de leurs clients en garde à vue, suite à quatre décisions de la Cour de cassation jugeant la garde à vue à la française non conforme au droit européen. Avec effet immédiat, ce qui avait mis un joyeux bazar dans les commissariats et fait peser des risques d’annulations sur les procédures passées. « Jusqu’à maintenant, notre procédure pénale a été modifiée sous le coup de décisions, de censures qui émanaient des cours suprêmes, nationale ou européenne, par à-coups et sans cohérence », a reconnu Christiane Taubira lundi lors des débats.

Avant d’ajouter : « Je considère que nous devons construire de façon pérenne les droits de la défense dans la procédure pénale, d’autant que 3 % seulement des procédures pénales font l’objet d’une information judiciaire : 97 % des procédures relèvent du parquet, où il n’y a que peu de fenêtres pour le contradictoire. Il est donc nécessaire d’améliorer l’architecture même de notre procédure pénale. » Tout un programme après deux ans à la tête de la chancellerie…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian

« Hollande a menti une fois, c'était au Bourget »

$
0
0

Les ministres déchus sont revenus à l’Assemblée. Pour leurs conseillers, le tourbillon s’est arrêté. Ils ont repris leur téléphone personnel, et il ne sonne plus tellement. Certains se sont inscrits à Pôle emploi et commencent à peine à digérer leur départ. Mediapart a rencontré une dizaine de collaborateurs du gouvernement Ayrault, de Matignon aux ministères, débarqués en même temps que leurs patrons, pour qu’ils témoignent de deux ans de pratique du pouvoir : la plupart ont accepté mais à condition de rester anonymes (voir notre boîte noire).

Les premiers mots sont encore hésitants. Peur de paraître « aigri », d’être démangé par la colère, de manquer de recul. « L’atterrissage est encore brutal », dit l’un d’eux. Ils sont plusieurs à commencer par le même ressenti : la « frustration ». Elle est logique de la part de ceux qui se vivaient dans l’action, avec des journées de 14 heures où l’on se sent forcément important, et qui ont dû s’arrêter brutalement, avec parfois des projets stoppés en plein élan. Elle est banale – à chaque remaniement, c’est la même chose. Mais elle dit également les doutes et les ressentiments sur la politique menée par la gauche au pouvoir.

« C’est encore trop tôt pour se dire si on a bien fait notre job et si on a été fidèle à ce pourquoi on était là. Mais c’est la question qu’on se pose. Et je ne suis pas sûr qu’on ait trouvé le chemin d’équilibre social-démocrate qui avait été choisi par François Hollande et Jean-Marc Ayrault », dit un “ex” de Matignon, réputé modéré. Qu’ils soient plus ou moins à gauche dans le spectre de la majorité, les conseillers rencontrés témoignent tous d’un glissement progressif de la ligne de l’exécutif, vers le social-libéralisme, le libéralisme, ou même la droite.

Ils refont le film du début du quinquennat. À Matignon, ils se souviennent que Jean-Marc Ayrault avait proposé, dès son discours de politique générale, de prévenir qu’il y aurait du « sang et des larmes », que la France était au bord de la faillite, que les marchés pouvaient l’attaquer du jour au lendemain et que cela provoquerait une crise mondiale. L’Élysée a refusé. « François Hollande pensait que tout discours anxiogène pourrait aggraver ou même provoquer la crise », se souvient un témoin de l’époque.

Deux ans plus tard, le président juge qu’il a eu tort – il l'a dit mardi sur BFM TV. Qu’importe. L’essentiel est ailleurs. Il est dans le paysage, décrit par les ex-conseillers, de contraintes étouffantes et d’un exécutif incapable de s’en libérer en imaginant d’autres chemins. « On a passé l’été 2012 avec la peur absolue de la sanction des marchés financiers. Il y a eu un combat de souveraineté par rapport à la dette française. On est même passé à deux doigts de la correctionnelle », dit un “ex” de Matignon.

Tout leur semble difficile, les pressions qu’ils subissent sont très fortes, et sur tous les sujets. Un conseiller, qui a travaillé avec Ayrault, se souvient de la loi sur le logement de Cécile Duflot : la garantie universelle des loyers braque violemment les professionnels du secteur, inquiets de leurs privilèges. À tel point qu’ils menacent de restreindre l’accès au logement – soit l’exact inverse du but recherché. Finalement, la “GUL” sera très adoucie. Commentaire du conseiller : « En 1997 (sous Jospin ndlr), c’est évident qu’on aurait réussi. Mais ce n’était pas la crise. » D’autres ont le même sentiment sur la décentralisation – une « vision juridique, techno et pas très politique », ou sur la transition énergétique – et l’inertie « épuisante » de l’exécutif sur le sujet.

Au cœur du pouvoir, ils sont nombreux à se demander s’ils sont utiles, si l’État peut encore, s’ils ne contribuent à une illusion savamment orchestrée pour mettre en scène ce qui reste de puissance publique. Un conseiller, dont c’était la première expérience à ce poste, n’en revient toujours pas de « la difficulté du changement », des « réunions qui ne décident rien », des « injonctions contradictoires ». À l’inverse, un autre novice en sort en étant « moins sceptique sur l’action publique qu’avant ». « J’avais été assez intoxiqué par l’idée du cercle des contraintes et que la politique ne peut plus grand-chose. Si la volonté politique est là, c’est possible de faire », dit-il.

À leurs yeux, c’est un mélange de renoncement et de choix idéologiques profonds qui a conduit au désastre annoncé. Ceux qui n’étaient pas hauts fonctionnaires ont découvert la puissance de la « noblesse d’État », celle des grands corps issus de l’Ena, qui ont trusté les postes les plus importants (lire notre enquête). « J’ai une impression, sans doute un peu naïve, de dépossession de notre victoire par les hauts fonctionnaires qui, dans le fond, ne sont pas de gauche », dit un jeune conseiller.

Partout le même phénomène semble avoir sidéré les plus politiques des cabinets (ainsi que les députés). Ils parlent de « technos sans vision de transformation », d’un conformisme finalement assez libéral vu l’air du temps, d’un « ventre mou de hauts fonctionnaires avec l’obéissance et le conformisme chevillés au corps » qui renforce les renoncements de l’exécutif. Plusieurs évoquent un manque d’imagination, un petit monde parisien replié sur lui-même, coupé de la société. Voire de « médiocrité » – le mot revient souvent – dans un univers sans vision. « C’est là qu’est la banalisation de notre action. Tout est dépolitisé », dit un ancien collaborateur du gouvernement.

Emmanuel MacronEmmanuel Macron © Reuters

Au fil des mois, les conseillers des ministères voient aussi « peu à peu la ligne Macron » s’imposer, du nom du secrétaire général adjoint de l’Élysée, social-libéral et ex de la banque Rothschild. « Au bout de six mois, ils construisent l’idée d’une forteresse de responsabilité à l’échelle de l’histoire de la France à ne plus faire augmenter la dette. Ils se convainquent qu’ils sont là pour ça. Ils n’ont pas découvert de cadavres dans les placards mais ils changent de grille d’analyse », explique un ancien responsable de cabinet.

L’exemple le plus frappant est le retournement spectaculaire de l’exécutif sur le coût du travail : érigé en priorité par Nicolas Sarkozy, il est réduit à un élément subalterne par François Hollande candidat, qui insiste surtout sur la compétitivité dite hors coûts (recherche, investissement, organisations des filières, financement de l’économie, etc.). Le rapport Gallois et l’annonce subite du « pacte de compétitivité » dès l’automne 2012 viennent couronner la volte-face partagée par l’Élysée et par Matignon.

« Il y a eu une prise de conscience progressive. Au gouvernement, on dispose de davantage de moyens pour mesurer la compétitivité que dans l’opposition. On pouvait aussi dialoguer avec beaucoup plus d’économistes. Et tous étaient d’accord », se souvient un ex de Matignon. « C’est un virage qu’aucun d’entre nous n’a vu venir. À l’époque, on pense que s’il n’y a rien, ou presque, sur la compétitivité hors coûts, c’est de la fainéantise, un effet d’affichage. On ne mesure pas tout de suite le virage idéologique », témoigne un conseiller d’un ministère social.

Il aboutira, le 14 janvier dernier, à l’annonce du « pacte de responsabilité » (encore un pacte – depuis qu’il est à l’Élysée, François Hollande adore les « pactes » et les « chocs »). « C’est François Hollande, tout seul avec Macron et quelques patrons, qui en décide. Le premier ministre n’est prévenu que quelques heures avant », rappelle un ancien de Matignon. « Matignon était très business friendly mais très vite, on a été mal à l’aise et c’est même devenu une souffrance », témoigne un autre. Un troisième confirme : « L’équilibre politique s’est rompu avec le pacte de responsabilité. » 

Entre l’Élysée et Matignon, les relations se tendent dangereusement à partir de l’automne 2013. À ce moment-là, Ayrault est impopulaire et détesté par beaucoup de ministres importants (Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici, etc.). Il manque même d’être débarqué et – déjà ! – remplacé par Valls, mais se sauve avec la relance de la réforme fiscale promise pendant la campagne électorale. C’est un coup politique et une tentative de réconciliation avec la majorité de gauche. Mais ni Bercy ni l’Élysée n’y sont favorables, et font tout pour détricoter le projet de Jean-Marc Ayrault. Il s’est finalement perdu dans les limbes.

« C’est devenu dur au second semestre 2013. Puis en janvier, en février et en mars, cela devient insupportable. On pensait que le pacte était trop déséquilibré, qu’il y avait trop d’effets d’aubaines. L’Élysée au contraire nous demande de faire beaucoup plus encore en terme de baisse des charges », raconte un conseiller passé par Matignon.

Peu à peu, la distance politique entre Ayrault et Hollande se creuse (lire notre article de l’époque). Sur le pacte de responsabilité mais aussi sur les libertés publiques, de la réforme pénale à la stigmatisation des Roms en passant par le rapport sur l’intégration. En petit comité, le premier ministre dit à plusieurs reprises qu’il est « plus à gauche » que le président. Les écologistes en conviennent, eux qui avaient d’abord eu les pires difficultés avec l’ex-maire de Nantes, ardent défenseur de Notre-Dame-des-Landes.

François Hollande et Jean-Marc AyraultFrançois Hollande et Jean-Marc Ayrault © Reuters

« Si tu voulais t'adresser aux patrons, tu allais à l’Élysée. Si tu voulais aider les pauvres, tu allais à Matignon », résume en souriant un ancien conseiller ministériel. « De toute façon, ajoute un autre “ex”, Hollande dit souvent qu’il faut faire la même politique que Nicolas Sarkozy, mais en douceur… »

Peu à peu, les ministères opèrent le même glissement que les députés de la majorité et que l’électorat de gauche : après les gloses sur les fameux « couacs » gouvernementaux et les carences de Jean-Marc Ayrault, c’est le grand patron qui est mis en cause. François Hollande devient la cible des critiques. Sur la ligne – « il n’a menti qu’une fois, c’était au Bourget », glisse un des plus critiques. Et sur la méthode de gouvernement – « il voulait le contrôle managérial », dit un ancien conseiller d’un ministère.  

Pour certains, la cassure survient dès l’hiver 2012-2013. De l’affaire Cahuzac, les anciens de l’équipe Ayrault parlent peu. « C’était une cassure de plus, une cassure morale, mais elle concernait un homme. La première vraie cassure, celle qui brise quelque chose au sein du gouvernement, c’est Florange », dit une ancienne ministre. À Matignon, le souvenir est encore douloureux. À l’époque, Montebourg demande la nationalisation temporaire. L’Élysée laisse dire – c’est de la pure tactique – mais, autour de Jean-Marc Ayrault, personne n’a le moindre doute : il ne faut pas nationaliser Florange ; Hollande est d’accord ; Montebourg ne fait que s’agiter. Sauf que cela se termine par un affrontement public entre le premier ministre et son ministre, que Hollande ne voudra pas trancher – il refuse la démission de Montebourg. « Florange, c’est une cassure fondatrice », dit un ancien de Matignon.

Quelques mois plus tard, le scénario se reproduit, cette fois entre Ayrault et Valls, à propos de Leonarda Dibrani. L’issue sera la même : Hollande désavoue Ayrault, favorable au retour de la famille ; conserve Valls et sort de son chapeau une solution délirante – Leonarda Dibrani peut revenir mais seule... Et là aussi, tout se jouera un samedi dans le bureau présidentiel. « À chaque fois, c’est un conflit d’égos que le président règle avec une synthèse molle », ironise un conseiller parti s’occuper d’une collectivité. « Une synthèse du PS », dit un ancien de Matignon, blessé dans sa conscience de gauche depuis les propos de Manuel Valls sur les Roms. « J’ai eu honte une fois. Je me suis demandé ce que je faisais dans ce gouvernement », dit-il. Il se l’est demandé d’autant plus qu’il voit Hollande « trembler devant Valls », incapable de déjuger un ministre aussi populaire.

Les dysfonctionnements laissent des traces. Ayrault considère que Montebourg et Valls ne jouent jamais collectif, et même qu’ils ne sont pas loyaux, mais ils sont protégés par Hollande. Situation intenable. Les réunions entre ministres, et même au niveau des conseillers, sont de moins en moins conclusives. La machine semble grippée. Matignon n’arbitre plus, ou plus assez vite. « Au fur et à mesure, Ayrault a été prudent. Sur tous les sujets, il avait appris qu’il devait d’abord en parler avec le président pour ne pas prendre le risque d’être démenti par un SMS. C’est la bordélisation créée par François Hollande », témoigne un ancien conseiller ministériel.

Tous ces ingrédients ne pouvaient que conduire à la débâcle, celle des élections municipales. Ayrault est parti, Valls l’a remplacé, consacrant le glissement politique de l’exécutif depuis deux ans. Pour Hollande, tout est à reconstruire. Sa parole n’a toujours pas retrouvé de sens. Il parle de « changement qui s’inscrit dans le changement ». Il dit : « Ce que j'ai appris, c'est que la France compte si elle a de bons comptes. » Ou bien : « Je n'ai pas été élu parce que j'avais un programme étincelant. » Sa majorité, ses électeurs l’observent avec méfiance. Les conseillers partis sont parfois taraudés par le doute. Leur inquiétude, palpable, se résume en une question : et s’ils avaient vécu l’ultime échec de cette gauche en laquelle ils croient ?

BOITE NOIREPour cet article, j’ai contacté une petite dizaine de conseillers du gouvernement (dont plusieurs à Matignon), partis après le remaniement, pour leur demander ce qu’ils retenaient de leurs deux années dans les cabinets. La plupart ont accepté mais à condition de rester anonymes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian

La République bien peu « exemplaire » de Pierre Moscovici

$
0
0

Tous ceux qui souffrent du plan d’austérité dont il a été l’un des artisans seront sans doute ravis de l’apprendre : l’ex-ministre des finances, Pierre Moscovoci, n’a pas, lui, trop à craindre de l’avenir. Car il va bénéficier d’une disposition peu souvent utilisée du Code électoral qui lui permettra de trouver un point de chute confortable d’ici six mois, soit comme commissaire européen s’il parvient à décrocher le poste, soit comme député s’il n’y parvient pas. L’artifice est parfaitement légal mais assez peu conforme à la « République exemplaire » que François Hollande avait promise et qui est, de jour en jour, un peu plus écornée.

Le début de l’histoire s’est joué mardi 6 mai. Ce jour-là, un mois après la démission du précédent gouvernement, Pierre Moscovici a retrouvé son siège de député, comme ce fut le cas également pour quelques anciens ministres, parmi lesquels Jean-Marc Ayrault ou encore Cécile Duflot. Mais comme on le sait, pour n’avoir pas brillé à Bercy, il n’en espère pas moins décrocher en novembre prochain un poste de commissaire européen. Un subterfuge a donc été trouvé par l’Élysée et Matignon lui permettant de défendre sa candidature à Bruxelles mais de rester en fin de compte député dans l’hypothèse où il ne décrocherait pas le poste. Un subterfuge qui aurait de surcroît l’avantage d’éviter une élection partielle dont les socialistes ne veulent surtout pas, parce qu’ils cesseraient alors très vraisemblablement d’être majoritaires à l’Assemblée.

Le subterfuge est le suivant. Par un décret en date du 5 mai, publié le 6 mai au Journal officiel (on peut le consulter ici), Pierre Moscovici a été chargé par Manuel Valls « d’une mission temporaire ». Le décret précise que cette mission se déroulera dans le cadre des « dispositions de l'article LO 144 du code électoral susvisé ».

Pour comprendre la nature du subterfuge, il faut donc savoir précisément quelle est cette mission ; et savoir également ce que prévoient ces dispositions du code électoral.

Dans le premier cas, cela tombe pile-poil : « Le premier ministre m'a confié une mission parlementaire pour six mois, sur la contribution des politiques européennes à la croissance et à l'emploi, bien sûr à l'échelle européenne, aussi à l'échelle française, ainsi que sur la manière dont les agents économiques, et notamment les entreprises, pouvaient s'approprier ces politiques », a expliqué Pierre Moscovici à l'AFP à sa sortie d'une rencontre avec Manuel Valls à Matignon. En clair, l’ex-ministre a hérité d’une mission bidon pour faire la tournée des capitales européennes et rencontrer les chefs d’État et de gouvernement afin de préparer au mieux sa candidature, et essayer d’être en bonne place pour succéder à Michel Barnier, dont le mandat arrive à échéance en novembre.

Invité de l'émission politique de Linternaute.com, 20 Minutes et Ouest-France, mercredi matin, Pierre Moscovici a, certes, tenté de justifier la raison d’être de son nouveau travail : « C'est une mission qui a une substance : quelle est la contribution des politiques européennes à l'emploi et à la croissance ? (…) Je vais inventorier, faire un diagnostic des politiques européennes, de la façon dont elles sont appliquées en France. » Mais la vraie « substance » est dans l’explication suivante : « Je ferai pour ça un tour d'Europe. »

Quant aux subtilités du code électoral, elles sont les suivantes. Quand un parlementaire est chargé d’une mission pour six mois ou moins, il peut cumuler cette mission avec sa fonction de député. Voici l’article du code électoral qui l’autorise. Mais si d’aventure, la mission est prolongée au-delà de six mois, alors le cumul n’est plus permis et, dans ce cas, c’est le suppléant du député qui le remplace, et cela jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale. Voilà les dispositions du code électoral qui l’édictent.

En clair, cessant d’être ministre, Pierre Moscovici aurait pu accepter de redevenir député, et de démissionner de son poste s’il avait été choisi comme commissaire européen. Ce qui aurait conduit à une élection législative partielle, pour pourvoir à son remplacement.

Il aurait pu tout autant choisir de redevenir un simple citoyen, et ne revendiquant aucun privilège du gouvernement, il aurait pu être réaffecté à son corps d’origine, qui est la Cour des comptes – ce qui constitue déjà une garantie de l’emploi dont ne jouissent pas de nombreux autres élus. Ce qui ne l’aurait pas empêché de briguer le poste de commissaire européen. Mais dans cette hypothèse, cela aurait aussi conduit à une élection partielle.

Pierre Moscovici a donc choisi une autre voie qui lui permettra d’être gagnant dans tous les cas de figure. Et sans qu’il n’y ait d’élection législative partielle. Grâce à ces subtilités du Code électoral, il va en effet pouvoir cumuler dans un premier temps ses fonctions de chargé de mission et de député – même s’il n’exercera plus son droit de vote – et cela jusqu’au 6 novembre prochain. Or, à cette échéance, il saura s’il a une chance de devenir commissaire européen. Dans cette hypothèse favorable, sa mission pourra donc être prolongée de quelques jours ou de quelques semaines, avant qu’il ne soit adoubé par Bruxelles. Et toujours dans cette hypothèse, son suppléant le remplacerait donc à l’Assemblée, jusqu’au remplacement de l’Assemblée, c'est-à-dire jusqu'aux législatives de 2017.

Et dans l’hypothèse contraire, s’il n’est pas adoubé pour aller à Bruxelles – ce qui semble aujourd’hui assez probable –, Pierre Moscovici aura la possibilité de ne pas demander la prolongation au-delà de 6 mois de sa mission ; et il reviendra s’asseoir comme si de rien n’était sur les bancs de l’Assemblée. À quelques jours près, du cousin main…

Du cousu main, d’autant qu’avec le retour de l’écologiste Cécile Duflot à l’Assemblée et donc le départ de sa suppléante qui était socialiste, le Parti socialiste ne dispose plus, désormais, que de 290 députés à l’Assemblée nationale, soit 1 député de plus seulement que la majorité absolue. Avec le départ de Pierre Moscovici, la majorité socialiste serait donc en danger, car une élection partielle aurait de fortes chances de se conclure par une nouvelle bérézina. D’où aussi le stratagème qui a été mis sur pied.

Tout cela est donc parfaitement légal. Mais prétendre que c’est une illustration de la « République exemplaire » serait abusif. C’est plutôt un petit arrangement entre copains pour des raisons de convenance mutuelle.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mysearch version 1.0 et paquet debian

Paroles d'anciens des cabinets. « Hollande a menti une fois, c'était au Bourget »

$
0
0

Les ministres déchus sont revenus à l’Assemblée. Pour leurs conseillers, le tourbillon s’est arrêté. Ils ont repris leur téléphone personnel, et il ne sonne plus tellement. Certains se sont inscrits à Pôle emploi et commencent à peine à digérer leur départ. Mediapart a rencontré une dizaine de collaborateurs du gouvernement Ayrault, de Matignon aux ministères, débarqués en même temps que leurs patrons, pour qu’ils témoignent de deux ans de pratique du pouvoir : la plupart ont accepté mais à condition de rester anonymes (voir notre boîte noire).

Les premiers mots sont encore hésitants. Peur de paraître « aigri », d’être démangé par la colère, de manquer de recul. « L’atterrissage est encore brutal », dit l’un d’eux. Ils sont plusieurs à commencer par le même ressenti : la « frustration ». Elle est logique de la part de ceux qui se vivaient dans l’action, avec des journées de 14 heures où l’on se sent forcément important, et qui ont dû s’arrêter brutalement, avec parfois des projets stoppés en plein élan. Elle est banale – à chaque remaniement, c’est la même chose. Mais elle dit également les doutes et les ressentiments sur la politique menée par la gauche au pouvoir.

« C’est encore trop tôt pour se dire si on a bien fait notre job et si on a été fidèle à ce pourquoi on était là. Mais c’est la question qu’on se pose. Et je ne suis pas sûr qu’on ait trouvé le chemin d’équilibre social-démocrate qui avait été choisi par François Hollande et Jean-Marc Ayrault », dit un “ex” de Matignon, réputé modéré. Qu’ils soient plus ou moins à gauche dans le spectre de la majorité, les conseillers rencontrés témoignent tous d’un glissement progressif de la ligne de l’exécutif, vers le social-libéralisme, le libéralisme, ou même la droite.

Ils refont le film du début du quinquennat. À Matignon, ils se souviennent que Jean-Marc Ayrault avait proposé, dès son discours de politique générale, de prévenir qu’il y aurait du « sang et des larmes », que la France était au bord de la faillite, que les marchés pouvaient l’attaquer du jour au lendemain et que cela provoquerait une crise mondiale. L’Élysée a refusé. « François Hollande pensait que tout discours anxiogène pourrait aggraver ou même provoquer la crise », se souvient un témoin de l’époque.

Deux ans plus tard, le président juge qu’il a eu tort – il l'a dit mardi sur BFM TV. Qu’importe. L’essentiel est ailleurs. Il est dans le paysage, décrit par les ex-conseillers, de contraintes étouffantes et d’un exécutif incapable de s’en libérer en imaginant d’autres chemins. « On a passé l’été 2012 avec la peur absolue de la sanction des marchés financiers. Il y a eu un combat de souveraineté par rapport à la dette française. On est même passé à deux doigts de la correctionnelle », dit un “ex” de Matignon.

Tout leur semble difficile, les pressions qu’ils subissent sont très fortes, et sur tous les sujets. Un conseiller, qui a travaillé avec Ayrault, se souvient de la loi sur le logement de Cécile Duflot : la garantie universelle des loyers braque violemment les professionnels du secteur, inquiets de leurs privilèges. À tel point qu’ils menacent de restreindre l’accès au logement – soit l’exact inverse du but recherché. Finalement, la “GUL” sera très adoucie. Commentaire du conseiller : « En 1997 (sous Jospin ndlr), c’est évident qu’on aurait réussi. Mais ce n’était pas la crise. » D’autres ont le même sentiment sur la décentralisation – une « vision juridique, techno et pas très politique », ou sur la transition énergétique – et l’inertie « épuisante » de l’exécutif sur le sujet.

Au cœur du pouvoir, ils sont nombreux à se demander s’ils sont utiles, si l’État peut encore, s’ils ne contribuent à une illusion savamment orchestrée pour mettre en scène ce qui reste de puissance publique. Un conseiller, dont c’était la première expérience à ce poste, n’en revient toujours pas de « la difficulté du changement », des « réunions qui ne décident rien », des « injonctions contradictoires ». À l’inverse, un autre novice en sort en étant « moins sceptique sur l’action publique qu’avant ». « J’avais été assez intoxiqué par l’idée du cercle des contraintes et que la politique ne peut plus grand-chose. Si la volonté politique est là, c’est possible de faire », dit-il.

À leurs yeux, c’est un mélange de renoncement et de choix idéologiques profonds qui a conduit au désastre annoncé. Ceux qui n’étaient pas hauts fonctionnaires ont découvert la puissance de la « noblesse d’État », celle des grands corps issus de l’Ena, qui ont trusté les postes les plus importants (lire notre enquête). « J’ai une impression, sans doute un peu naïve, de dépossession de notre victoire par les hauts fonctionnaires qui, dans le fond, ne sont pas de gauche », dit un jeune conseiller.

Partout le même phénomène semble avoir sidéré les plus politiques des cabinets (ainsi que les députés). Ils parlent de « technos sans vision de transformation », d’un conformisme finalement assez libéral vu l’air du temps, d’un « ventre mou de hauts fonctionnaires avec l’obéissance et le conformisme chevillés au corps » qui renforce les renoncements de l’exécutif. Plusieurs évoquent un manque d’imagination, un petit monde parisien replié sur lui-même, coupé de la société. Voire de « médiocrité » – le mot revient souvent – dans un univers sans vision. « C’est là qu’est la banalisation de notre action. Tout est dépolitisé », dit un ancien collaborateur du gouvernement.

Emmanuel MacronEmmanuel Macron © Reuters

Au fil des mois, les conseillers des ministères voient aussi « peu à peu la ligne Macron » s’imposer, du nom du secrétaire général adjoint de l’Élysée, social-libéral et ex de la banque Rothschild. « Au bout de six mois, ils construisent l’idée d’une forteresse de responsabilité à l’échelle de l’histoire de la France à ne plus faire augmenter la dette. Ils se convainquent qu’ils sont là pour ça. Ils n’ont pas découvert de cadavres dans les placards mais ils changent de grille d’analyse », explique un ancien responsable de cabinet.

L’exemple le plus frappant est le retournement spectaculaire de l’exécutif sur le coût du travail : érigé en priorité par Nicolas Sarkozy, il est réduit à un élément subalterne par François Hollande candidat, qui insiste surtout sur la compétitivité dite hors coûts (recherche, investissement, organisations des filières, financement de l’économie, etc.). Le rapport Gallois et l’annonce subite du « pacte de compétitivité » dès l’automne 2012 viennent couronner la volte-face partagée par l’Élysée et par Matignon.

« Il y a eu une prise de conscience progressive. Au gouvernement, on dispose de davantage de moyens pour mesurer la compétitivité que dans l’opposition. On pouvait aussi dialoguer avec beaucoup plus d’économistes. Et tous étaient d’accord », se souvient un ex de Matignon. « C’est un virage qu’aucun d’entre nous n’a vu venir. À l’époque, on pense que s’il n’y a rien, ou presque, sur la compétitivité hors coûts, c’est de la fainéantise, un effet d’affichage. On ne mesure pas tout de suite le virage idéologique », témoigne un conseiller d’un ministère social.

Il aboutira, le 14 janvier dernier, à l’annonce du « pacte de responsabilité » (encore un pacte – depuis qu’il est à l’Élysée, François Hollande adore les « pactes » et les « chocs »). « C’est François Hollande, tout seul avec Macron et quelques patrons, qui en décide. Le premier ministre n’est prévenu que quelques heures avant », rappelle un ancien de Matignon. « Matignon était très business friendly mais très vite, on a été mal à l’aise et c’est même devenu une souffrance », témoigne un autre. Un troisième confirme : « L’équilibre politique s’est rompu avec le pacte de responsabilité. » 

Entre l’Élysée et Matignon, les relations se tendent dangereusement à partir de l’automne 2013. À ce moment-là, Ayrault est impopulaire et détesté par beaucoup de ministres importants (Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici, etc.). Il manque même d’être débarqué et – déjà ! – remplacé par Valls, mais se sauve avec la relance de la réforme fiscale promise pendant la campagne électorale. C’est un coup politique et une tentative de réconciliation avec la majorité de gauche. Mais ni Bercy ni l’Élysée n’y sont favorables, et font tout pour détricoter le projet de Jean-Marc Ayrault. Il s’est finalement perdu dans les limbes.

« C’est devenu dur au second semestre 2013. Puis en janvier, en février et en mars, cela devient insupportable. On pensait que le pacte était trop déséquilibré, qu’il y avait trop d’effets d’aubaines. L’Élysée au contraire nous demande de faire beaucoup plus encore en terme de baisse des charges », raconte un conseiller passé par Matignon.

Peu à peu, la distance politique entre Ayrault et Hollande se creuse (lire notre article de l’époque). Sur le pacte de responsabilité mais aussi sur les libertés publiques, de la réforme pénale à la stigmatisation des Roms en passant par le rapport sur l’intégration. En petit comité, le premier ministre dit à plusieurs reprises qu’il est « plus à gauche » que le président. Les écologistes en conviennent, eux qui avaient d’abord eu les pires difficultés avec l’ex-maire de Nantes, ardent défenseur de Notre-Dame-des-Landes.

François Hollande et Jean-Marc AyraultFrançois Hollande et Jean-Marc Ayrault © Reuters

« Si tu voulais t'adresser aux patrons, tu allais à l’Élysée. Si tu voulais aider les pauvres, tu allais à Matignon », résume en souriant un ancien conseiller ministériel. « De toute façon, ajoute un autre “ex”, Hollande dit souvent qu’il faut faire la même politique que Nicolas Sarkozy, mais en douceur… »

Peu à peu, les ministères opèrent le même glissement que les députés de la majorité et que l’électorat de gauche : après les gloses sur les fameux « couacs » gouvernementaux et les carences de Jean-Marc Ayrault, c’est le grand patron qui est mis en cause. François Hollande devient la cible des critiques. Sur la ligne – « il n’a menti qu’une fois, c’était au Bourget », glisse un des plus critiques. Et sur la méthode de gouvernement – « il voulait le contrôle managérial », dit un ancien conseiller d’un ministère.  

Pour certains, la cassure survient dès l’hiver 2012-2013. De l’affaire Cahuzac, les anciens de l’équipe Ayrault parlent peu. « C’était une cassure de plus, une cassure morale, mais elle concernait un homme. La première vraie cassure, celle qui brise quelque chose au sein du gouvernement, c’est Florange », dit une ancienne ministre. À Matignon, le souvenir est encore douloureux. À l’époque, Montebourg demande la nationalisation temporaire. L’Élysée laisse dire – c’est de la pure tactique – mais, autour de Jean-Marc Ayrault, personne n’a le moindre doute : il ne faut pas nationaliser Florange ; Hollande est d’accord ; Montebourg ne fait que s’agiter. Sauf que cela se termine par un affrontement public entre le premier ministre et son ministre, que Hollande ne voudra pas trancher – il refuse la démission de Montebourg. « Florange, c’est une cassure fondatrice », dit un ancien de Matignon.

Quelques mois plus tard, le scénario se reproduit, cette fois entre Ayrault et Valls, à propos de Leonarda Dibrani. L’issue sera la même : Hollande désavoue Ayrault, favorable au retour de la famille ; conserve Valls et sort de son chapeau une solution délirante – Leonarda Dibrani peut revenir mais seule... Et là aussi, tout se jouera un samedi dans le bureau présidentiel. « À chaque fois, c’est un conflit d’égos que le président règle avec une synthèse molle », ironise un conseiller parti s’occuper d’une collectivité. « Une synthèse du PS », dit un ancien de Matignon, blessé dans sa conscience de gauche depuis les propos de Manuel Valls sur les Roms. « J’ai eu honte une fois. Je me suis demandé ce que je faisais dans ce gouvernement », dit-il. Il se l’est demandé d’autant plus qu’il voit Hollande « trembler devant Valls », incapable de déjuger un ministre aussi populaire.

Les dysfonctionnements laissent des traces. Ayrault considère que Montebourg et Valls ne jouent jamais collectif, et même qu’ils ne sont pas loyaux, mais ils sont protégés par Hollande. Situation intenable. Les réunions entre ministres, et même au niveau des conseillers, sont de moins en moins conclusives. La machine semble grippée. Matignon n’arbitre plus, ou plus assez vite. « Au fur et à mesure, Ayrault a été prudent. Sur tous les sujets, il avait appris qu’il devait d’abord en parler avec le président pour ne pas prendre le risque d’être démenti par un SMS. C’est la bordélisation créée par François Hollande », témoigne un ancien conseiller ministériel.

Tous ces ingrédients ne pouvaient que conduire à la débâcle, celle des élections municipales. Ayrault est parti, Valls l’a remplacé, consacrant le glissement politique de l’exécutif depuis deux ans. Pour Hollande, tout est à reconstruire. Sa parole n’a toujours pas retrouvé de sens. Il parle de « changement qui s’inscrit dans le changement ». Il dit : « Ce que j'ai appris, c'est que la France compte si elle a de bons comptes. » Ou bien : « Je n'ai pas été élu parce que j'avais un programme étincelant. » Sa majorité, ses électeurs l’observent avec méfiance. Les conseillers partis sont parfois taraudés par le doute. Leur inquiétude, palpable, se résume en une question : et s’ils avaient vécu l’ultime échec de cette gauche en laquelle ils croient ?

BOITE NOIREPour cet article, j’ai contacté une petite dizaine de conseillers du gouvernement (dont plusieurs à Matignon), partis après le remaniement, pour leur demander ce qu’ils retenaient de leurs deux années dans les cabinets. La plupart ont accepté mais à condition de rester anonymes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ajouter un moteur de recherche à Firefox

Rémunérations : le double langage du patronat

$
0
0

Le symbole est désastreux pour le gouvernement. Au moment où il se débat avec sa majorité pour faire adopter son plan de 50 milliards d’économies et l’augmentation du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), des patrons viennent apporter la démonstration des soupçons que nourrit une partie de la majorité : que le patronat n’est pas prêt à jouer le jeu du pacte de responsabilité.

Et pas n’importe quels patrons : Pierre Gattaz et Denis Kessler ! Le premier est président du Medef, le second ancien vice-président de l’organisation patronale et une des références du monde patronal. Il est l’homme qui préconisait en 2007 de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance.

François Hollande et Pierre GattazFrançois Hollande et Pierre Gattaz © Reuters

Depuis des semaines, ces deux figures du monde patronal multiplient les critiques à l’égard du gouvernement, estimant que les 50 milliards d’économies sont tout à fait insuffisants, qu’il faut aller plus loin dans les remises en cause. Le premier prône la modération salariale. Le second plaide pour le renoncement aux 35 heures, la fin des régimes spéciaux de retraite, le durcissement des conditions de l’assurance chômage. Et tous les deux laissent planer en filigrane le démantèlement du Smic. Une rigueur et une modération qui ne sont manifestement que pour les autres.

Lundi, Le Canard enchaîné révélait que Pierre Gattaz, en tant que PDG de l’entreprise Radiall, s’était accordé une hausse de 29 % de sa rémunération pour la porter à 426 000 euros. Le lendemain, Denis Kessler, comme PDG du groupe de réassurance Scor, se faisait voter une augmentation de 28 % de la part variable de son salaire à 1,3 million d’euros, sa rémunération totale dépassant les 5 millions d’euros, stock-options et actions de préférence comprises.  

« Ce double discours n’est pas responsable. C’est Pierre Gattaz lui-même, qui a incité à la modération dans le monde patronal. Et il fait exactement le contraire. Il ne respecte pas ses engagements. Symboliquement, c‘est désastreux. La confiance, cela se crée », commente Juliette Méadel, secrétaire nationale PS à la politique industrielle et auteure d’un rapport sur les aides publiques aux entreprises, en écho aux propos très critiques de François Hollande sur le sujet sur BMFTV.

Avec trois autres secrétaires nationaux du PS, elle est signataire d’un communiqué incendiaire sur le comportement de Pierre Gattaz et Denis Kessler (lire ici). « À un moment où tout le monde se serre la ceinture, tout cela n’est pas tolérable. Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement ? Il faut réfléchir à la traduction des engagements dans le pacte de responsabilité », assure-t-elle.

Les doutes émis par des députés socialistes, la gauche, des syndicalistes, des économistes, sur la politique d’allégement en faveur des entreprises et du CICE risquent de reprendre. L’attitude d’un Pierre Gattaz et d’un Denis Kessler n’est-elle pas le préambule de ce qui risque de se passer par la suite ? Les 30 milliards d’euros supplémentaires – qui viennent s’ajouter à quelque 175 milliards d’euros d’allégements et niches fiscales existants – accordés aux entreprises, ne vont-ils pas servir à améliorer les dividendes et les rémunérations des dirigeants plutôt qu’à l’investissement et à l’emploi ? Tout cet argent ne va-t-il pas être dépensé en pure perte ?

À voir comment se comportent les dirigeants des grands groupes, ces questions ne peuvent que resurgir. En mai 2013, Pierre Moscovici, alors ministre des finances, avait enterré sans autre forme de procès le projet d’encadrement des rémunérations abusives des dirigeants patronaux. Un projet qui figurait, pourtant, dans les promesses présidentielles de François Hollande. « Il n’y aura pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises. J’ai choisi d’agir dans le dialogue. Dans cet esprit, j’ai rencontré la semaine dernière la présidente du Medef, Laurence Parisot, et le président de l’Afep, Pierre Pringuet, qui se sont engagés à présenter rapidement un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance. Ils m’ont assuré qu’ils étaient prêts à des avancées importantes, notamment en recommandant le "Say on Pay", qui permettra à l’assemblée des actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants », avait-il annoncé abruptement.

Dès novembre, les deux organisations patronales ont élaboré un nouveau code, recommandant de soumettre les rémunérations des dirigeants aux votes des actionnaires. Mais il ne faut pas se tromper sur le sens de cette mesure : il s’agit, dans un esprit libéral, de permettre aux actionnaires de contrôler si les intérêts des dirigeants sont bien alignés sur ceux des actionnaires. De plus, les recommandations faites par le code Afep-Medef sont très compréhensives. Elles conseillent une transparence sur toutes les composantes des rémunérations – part fixe, part variable, stock-options, actions de performance, retraite chapeau, conventions réglementées – mais si le groupe omet certains détails, il n’y a aucune sanction.

Surtout, les actionnaires peuvent se prononcer sur la rémunération des dirigeants, mais leur vote n’est que consultatif, à la différence de ce qui se pratique en Suisse ou en Grande-Bretagne. En d’autres termes, qu’ils approuvent ou s’opposent aux rémunérations versées aux dirigeants des groupes, cela ne change rien.  Les dirigeants touchent les montants prévus. Au mieux, les votes peuvent servir à influencer les politiques futures de rémunération.

Ce nouveau dispositif du « Say on Pay » est en train d’être inauguré lors des assemblées générales des groupes qui se tiennent actuellement. Premier constat : plus cela change, plus c’est pareil. La transparence et le vote indicatif, qui étaient censés apporter plus de contrôle et de modération, n’ont modifié en rien les comportements des dirigeants. Il y a toujours les mêmes excès, les mêmes débordements, les mêmes augmentations parfois sans rapport avec les performances des entreprises. Pis, accuse Colette Neuville, présidente de l’association des actionnaires minoritaires (Adam), « la transparence qui devrait être un outil de modération et de contrôle, conduit à un dévoiement du système. Tout le monde s’aligne par le haut, en se justifiant par des comparaisons. Puisque le concurrent est payé à ce niveau, il n’y a pas de raison de ne pas s'aligner sur lui. » Il le vaut bien donc je le vaux bien.

Chaque année est marquée par un cas stupéfiant. L’an dernier, Maurice Lévy, PDG de Publicis, défrayait la chronique en se faisant verser 16 millions d’euros de rémunérations, dont une partie liée à des salaires différés. Cette année, le président de Publicis se montre plus « raisonnable » : il se contente de 4,5 millions d’euros. Ce qui le place, en dépit de tout, en tête des rémunérations du Cac 40, alors que sa fusion avec l’américain Omnicom est en train de capoter : le montage d’évasion fiscale entre Pays-Bas et Grande-Bretagne se heurte à l’agrément des différentes autorités fiscales.

Mais Arnaud Lagardère a pris le relais dans l’outrance : sa rémunération dépasse les 16 millions d’euros. Son salaire de 2,4 millions d’euros a augmenté en raison d’une hausse de 15 % de son bonus porté à 1,6 million d’euros. Un dividende statutaire correspondant à 1 % du bénéfice est aussi versé aux dirigeants de la société en commandite. L’an dernier, il était de 0,9 million, cette année, il s’élève à 13 millions d’euros. Une grande partie de cette somme revient à Arnaud Lagardère.

« Trop, c’est trop », s’est indigné le cabinet Proxinvest, qui conseille un certain nombre de fonds et de grands investisseurs. Celui-ci a recommandé aux actionnaires de voter contre la rémunération exorbitante d’Arnaud Lagardère. Car il faut aussi compter les dividendes. Actionnaire du groupe à hauteur de 9,3 %, Arnaud Lagardère va toucher les dividendes, soit 16,3 millions d’euros. Mais le groupe, profitant de la cession de sa participation dans EADS, puis de la vente des 20 % qu’il détenait dans Canal+, a aussi multiplié la distribution de dividendes exceptionnels. Ces distributions ont permis à Arnaud Lagardère d’empocher 183 millions d’euros au cours des deux dernières années. De quoi rembourser ses emprunts. Le dirigeant du groupe s’était en effet considérablement endetté en 2007-2008 pour augmenter sa participation dans le groupe.

« La réduction de votre dette personnelle est-elle devenue l’objet social du groupe ? » a demandé un petit actionnaire lors de l’assemblée générale. Cela n’a pas empêché les actionnaires d’approuver massivement la rémunération du dirigeant, par 94 % des suffrages. Par rapport aux 99 % des votes recueillis sur les autres résolutions, cela est, paraît-il, presque un désaveu.

La contestation sur les rémunérations patronales ne règne guère dans les rangs d’actionnaires. Carlos Ghosn, le PDG de Renault, est l'un des dirigeants qui a obtenu le plus mauvais score jusqu’à présent. Seuls 64,3 % des votants ont approuvé son salaire de 2,6 millions d’euros, stable par rapport 2013. Mais il perçoit par ailleurs 8,8 millions d’euros au titre de sa présidence chez le japonais Nissan.

À entendre le monde patronal, ce ne sont que quelques contre-exemples qui portent ombrage à l’ensemble. « Les salaires des patrons du Cac 40 reculent pour la troisième année d’affilée » titraient les Échos, lundi. Selon ses calculs, la rémunération moyenne des grands patrons est de 2,25 millions d’euros. Mais tout cela n’est qu’une moyenne qui n'inclut pas de surcroît les stock-options, les actions gratuites et autres actions de performance qui alimentent l’ordinaire salarial des dirigeants depuis des années.

Alors que les groupes qu’ils dirigent sont confrontés à des difficultés parfois importantes, certains dirigeants ont désormais le réflexe de renoncer à tout ou partie de leur rémunération variable. C’est le cas de Martin Bouygues, qui a exclu tout salaire variable, après l’année noire qu’a connue son groupe dans les télécoms.. Les PDG de Danone, de Lafarge, d’Orange, de Pernod-Ricard, d’Accor, ont réduit aussi leur rémunération variable, compte tenu des chiffres décevants de leur groupe. C’est bien le moins. Difficile d’inscrire 15 milliards d’euros de dépréciation d’actifs, comme dans le cas de GDF-Suez, et de s’augmenter en même temps. 

Mais les mauvais résultats et les déboires n’empêchent pas les récompenses. Michel Combres, directeur général d’Alcatel-Lucent, a vu sa rémunération augmenter de 26,36 % à 1,5 million d’euros. 2013 a pourtant été une nouvelle année catastrophique pour le groupe d’équipements téléphoniques, marquée par des milliers d’emplois supprimés, des sites fermés, des résultats en berne. Patrick Kron, PDG d’Alstom, a, lui, bénéficié d’une augmentation de plus de 11 % en 2013, portant son salaire à 2,55 millions d’euros. Le groupe a annoncé un résultat en baisse de 28 % à 556 millions d’euros.

Une mention spéciale doit être attribuée aux dirigeants bancaires. Pour eux, la crise est bien terminée. Jean-Laurent Bonafé, directeur général de BNP Paribas, se classe dans les toutes premières rémunérations du Cac 40 avec 3,4 millions d’euros. En un an, son salaire a augmenté de 20 %. Frédéric Oudéa, de la Société générale, le suit de quelques places avec une rémunération de 2,7 millions d’euros en hausse de 8,5 % sur un an. Jean-Paul Chifflet, directeur général du Crédit agricole, fait presque pâle figure à côté : son salaire s’est élevé à 1,9 million en 2013. Il a, toutefois, doublé en un an. François Pérol, PDG de la BPCE, commence lui aussi à sortir « du carcan » du monde mutualiste. Son salaire total a été de 1,4 million en 2013, en hausse de plus de 27 % par rapport à l’année précédente.

Les dirigeants des grandes banques françaises ont su, cependant, se montrer « solidaires » à l’égard de certains de leurs salariés. Alors que l’Europe a adopté de nouvelles réglementations pour limiter les bonus des traders et autres gérants de fortune, les grands établissements bancaires ont décidé d’avoir leur propre lecture des textes. Ils ont exclu toute une partie de leur personnel, qui normalement aurait dû être concerné par les mesures d’encadrement des bonus. Selon eux, travailler dans la banque d’investissement n’est pas une condition suffisante pour relever de cette réglementation.

Résultat ? Les salariés concernés ont été divisés par neuf chez BNP Paribas. De 3 250 en 2012, ils sont passés à 357. À la Société générale, le nombre a été divisé par huit (360 contre 2 900 en 2012), par quatre au Crédit agricole (308 contre 1 200), par trois chez Natixis (218 contre 721). Il faut savoir rester compétitif et attirer les talents.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ajouter un moteur de recherche à Firefox

La Parisienne Libérée et Jérémie Zimmermann : «Bruxelles Bubble»

$
0
0


[regarder la vidéo sur dailymotionyoutubevimeo]

Troisième volet du projet Datalove. Les deux premiers sont là : Rien à cacher (sur la protection de la vie privée) et Genèse du Net (sur la neutralité du net).

Jérémie Zimmermann est cofondateur de la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet très active ces dernières années, et qui a obtenu plusieurs victoires politiques importantes telles que le spectaculaire rejet d'ACTA au parlement européen. Il raconte avec passion la vie mouvementée aux abords des bâtiments officiels (voir ici le chapitre sur «la Bulle Bruxelloise» de l'entretien documentaire, à partir de 42'11) et montre l'importance de s'intéresser aux institutions européennes pour ne pas laisser les lobbies seuls aux abords du parlement et de la commission...


BRUXELLES BUBBLE [datalove #3]
paroles et musique : la Parisienne Libérée
entretien : Jérémie Zimmermann

[citation J. Zimmermann]
« C’est frappant de voir combien d’un côté il y a cet univers en vase clos, avec ses codes, ses règles, ses personnalités, ses usages, et de l’autre combien tout le monde se fout de ce qui se passe à Bruxelles ! Il y a une vraie déconnexion. Et ce qui s’engouffre dans cette déconnexion, ce sont les lobbies. »

C'est Place du Luxembourg
Devant le parlement
En se voyant tous les jours
Que très naturellement
On partage un petit verre
Et quelques sentiments
Puis sans en avoir l'air
On fait des amendements !

De bière en bière
De bar en bar
Wanabee députés
Lobbies et volupté
De bière en bière
De bar en bar
On ne se sent jamais seul
Dans la Bruxelles Bubble

À force de cultiver
Toutes ses connexions
La bulle est savonnée
Par des groupes de pression
Ce soir c'est table ouverte
Chez les gens du tabac
La grande blonde est offerte
Et certains ne se privent pas !

De bière en bière
De bar en bar
Wanabee députés
Lobbies et volupté
De bière en bière
De bar en bar
On ne se sent jamais seul
Dans la Bruxelles Bubble

Il y a les fonctionnaires
Il y a leurs assistants
Et puis les mercenaires
De tel ou tel groupement
Je t'offre une Chimay Bleue
Et tu me racontes un peu
Un repas étoilé
Je pourrai t'expliquer !

De bière en bière
De bar en bar
Wanabee députés
Lobbies et volupté
De bière en bière
De bar en bar
On ne se sent jamais seul
Dans la Bruxelles Bubble

Le long de la Rue de la Loi
Il y a le monde en miniature
Les gens qui travaillent là
Ont chacun leur devanture
Fédération bidule
Du cabinet machin
Qui souffle sur la bulle
Pour marquer son chemin

De bière en bière
De bar en bar
Wanabee députés
Lobbies et volupté
De bière en bière
De bar en bar
On ne se sent jamais seul
Dans la Bruxelles Bubble

Au pied du Berlaymont
On croise le ballet
Des petites délégations
De technos engoncés
L’univers bruxellois
Est une brasserie de cervelles
Qui vit dans l'entre-soi
D'un monde parallèle...

De bière en bière
De bar en bar
Wanabee députés
Lobbies et volupté
De bière en bière
De bar en bar
On ne se sent jamais seul
Dans la Bruxelles Bubble

[Final sifflé par Jérémie]


-------------
Les précédentes chroniques
Un vote pour rire / À gauche ! / Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ajouter un moteur de recherche à Firefox

Réforme territoriale : Hollande prend la droite à son propre jeu

$
0
0

Proposer un référendum pour éviter d’aborder les questions de fond. Telle est la stratégie choisie par les dirigeants de l’UMP après les annonces de François Hollande concernant l’accélération de la réforme territoriale et l’éventualité de reporter les élections régionales et cantonales de 2015 à 2016. Lors de son intervention sur RMC et BFM-TV, le président de la République a d’ailleurs tenté de se prémunir contre les attaques de l’opposition en déclarant : « On verra qui sont les réformateurs et qui sont les conservateurs. »

Mise en difficulté par cette réforme initiée en 2010 sous le mandat de Nicolas Sarkozy – avant d’être « détricotée » par la majorité socialiste –, la droite a donc décidé d’attaquer sur la forme, plutôt que sur le fond. Jean-François Copé, François Fillon, Xavier Bertrand, Jean-Pierre Raffarin… Depuis 24 heures, les ténors de l’UMP multiplient les interventions médiatiques pour dénoncer le « tripatouillage électoral » du chef de l'État et appeler ce dernier à « s’adresser au peuple français ». Des revendications que Manuel Valls a balayées mercredi en séance de questions au gouvernement, en demandant à l’opposition de rejoindre la majorité « dans cette idée de réforme territoriale, sans arrière-pensée ni idée de référendum ».

« Le référendum, qui est prévu par la Constitution, est toujours périlleux car on n’est jamais sûrs que les Français répondent vraiment à la question qui leur est posée », a prévenu mardi le secrétaire d'État à la réforme territoriale, André Vallini. « Demander un référendum est habile, mais à double tranchant, indique le député et maire PS d'Annonay (Ardèche), Olivier Dussopt. Ça peut aussi être un moyen de ne pas répondre aux questions. C'est compliqué pour la droite de dire non à cette réforme, qui ressemble à ce qu'ils avaient eux-mêmes proposé. » D'autant que chacun garde en mémoire l'échec du référendum alsacien d'avril 2013, que beaucoup avaient imputé au « climat politique », en pleine affaire Cahuzac.

Puisque tout le monde s’accorde, à quelques exceptions près, à dire qu'une réforme territoriale de grande ampleur est nécessaire, c'est donc sur le report des élections que la droite a décidé de se crisper. Sur ce sujet, la députée des Yvelines Valérie Pécresse, qui mise beaucoup sur les régionales en Ile-de-France, est même allée jusqu’à comparer François Hollande à « un chef d’État de République bananière ». Une expression également employée par le secrétaire général de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde.

Reporter des élections n’est pourtant pas nouveau. « La droite a fait pareil en son temps, reconnaît le député et maire de Châlons-en-Champagne (Marne), Benoist Apparu. Il faut arrêter ces petits jeux et travailler sur le fond du sujet. » Mais sur le fond du sujet, justement, il n'y a rien à dire, ou presque. La droite se contente donc de fustiger « les incohérences » et de moquer « le grand bazar socialiste ».

Un mois après avoir écouté le discours de politique générale de Manuel Valls, dans lequel étaient annoncées la suppression des conseils départementaux à l'horizon de 2021, la réduction de moitié du nombre de régions françaises d'ici au 1er janvier 2017 et la suppression de la clause de compétence générale, l’opposition se plaît à railler les annonces de François Hollande qu’elle juge « en parfaite contradiction » avec ce qui avait été avancé par son premier ministre.

Manuel Valls lors de son discours de politique générale, le 8 avril, à l'Assemblée nationale.Manuel Valls lors de son discours de politique générale, le 8 avril, à l'Assemblée nationale. © Reuters

« Nous sommes au terme d’un processus qui dénote un désordre hallucinant, explique le député et maire du Havre (Seine-Maritime) Édouard Philippe. Il y a d’abord eu l’idée d’un grand projet de loi, puis il a été scindé en trois parties. Une seule a été présentée au Parlement et elle a déjà suscité une forte opposition à gauche. Ensuite, Valls a fait son discours de politique générale et seulement trois semaines après, Hollande a dit tout le contraire de son premier ministre. C’est moins du tripatouillage que de l’amateurisme… »

Parmi les « incohérences » pointées par la droite, figure la fameuse question de la clause de compétence générale, disposition juridique qui permet aux différentes collectivités de s’occuper de tout. Supprimée par Nicolas Sarkozy en 2010, elle a finalement été réintroduite par François Hollande après son élection, avant que Manuel Valls annonce de nouveau sa suppression. « On a juste perdu deux ans… », souffle le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, qui estime pour autant que « la droite ne ferait rien de différent si elle était au pouvoir que de fusionner les régions et les départements ». « Cette loi ressemble fortement à ce que nous voulions faire. Sur le fond, quand le texte arrivera, nous le voterons », tranche-t-il.

Tout le monde, à l'UMP, n'est pas du même avis que Thierry Solère. Le député du Val-d’Oise Jérôme Chartier, qui avait irrité Jean-François Copé en s’abstenant lors du vote du plan Valls, se dit « sceptique et attentiste ». « Je suis d’accord pour examiner la réforme territoriale, mais pour l’instant ce n’est qu’un mot. Je ne peux pas être favorable à quelque chose qui n’a pas de substance. On est déjà en train de parler de faire un référendum, alors qu’on ne connaît absolument pas le contenu de cette réforme. » Quant aux « quelques pistes » annoncées pour le moment, ce proche de François Fillon souligne déjà leur « non-sens » : « On parle de supprimer les départements et la compétence générale. Mais la spécification des compétences ne servira plus à rien si les conseils généraux viennent à disparaître… »

Jean-François Copé au milieu du groupe UMP de l'Assemblée nationale.Jean-François Copé au milieu du groupe UMP de l'Assemblée nationale. © Reuters

Création de grandes régions – au nombre de 11, 12, 15 ou 16 –, maintien ou non des départements, répartition des compétences selon les collectivités… À droite, comme à gauche, chacun ambitionne de réformer, mais nul ne s’accorde sur les modalités de cette réforme. « C’est un clivage qui dépasse les partis politiques, explique un proche d’Alain Juppé. Il divise surtout les élus locaux et les élus nationaux, les jacobins et les partisans de la décentralisation… » « Cette question ne fait pas consensus », admet également le député de Charente-Maritime, Dominique Bussereau.

Figurant parmi les rares parlementaires UMP à avoir voté pour l'abrogation du conseiller territorial instauré par Nicolas Sarkozy, l’ancien ministre – également président du conseil général de Charente-Maritime – a « toujours été partisan de grandes régions qui ressembleraient aux régions européennes », à condition toutefois que soient maintenus les départements et, avec eux, « le lien de cohésion des territoires ».

Autre élu à s’être prononcé en faveur de la suppression du conseiller territorial – « une usine à gaz », selon lui –, le député et maire de Phalempin (Nord), Thierry Lazaro, n’est pas « hostile » à la fusion des conseils généraux et régionaux. Pour autant, il conteste lui aussi « la méthode » employée par le gouvernement socialiste. « Au fond, ils reviennent sur des choses que la droite républicaine avait souhaitées, dit-il. Il ne faut pas être incohérent et s’opposer pour s’opposer. Mais les annonces de François Hollande ne peuvent que semer le trouble. C’est comme pour les rythmes scolaires, ils font tout à la va-vite ! »

Le député de Maine-et-Loire Michel Piron, passé de l’UMP à l’UDI après l’épisode de la guerre Fillon-Copé pour la présidence du parti, estime au contraire que le processus peut « se faire assez rapidement ». « La réforme territoriale est la mère de toutes les réformes, plaide-t-il. Il y a eu un très grand rapport qui peut servir de base à toutes les réflexions : le rapport Balladur. Les réflexions sur le sujet existent. Ce qu’il faut derrière, c’est assumer. Quels sont les blocages ? Il y a au Sénat des personnes qui ne veulent pas entendre que les choses puissent bouger (les présidents de conseil général étant en grande majorité des sénateurs – ndlr). Mais si un projet de loi sur les collectivités est clairement posé, chacun devra prendre ses responsabilités. »

Pour l’heure, tous souhaitent attendre de prendre connaissance des précisions du texte pour voir comment il pourra s’appliquer juridiquement, constitutionnellement et politiquement. « Il faut sortir du flou, conclut le député de Savoie Hervé Gaymard. Ce qu’on nous dit depuis deux-trois jours ne figure pas dans le projet de loi qui a été transmis au Conseil d’État, fin avril. Attendons de voir l’ampleur de ce qui nous sera proposé avant de nous prononcer pour ou contre. »

Mardi, à l’Assemblée nationale, la conférence des présidents a confirmé l’organisation d’un débat sur le sujet. Demandé par le groupe UDI, ce débat, initialement programmé le 10 avril, a été annulé en raison du discours de politique générale qui tombait la même semaine. Il a finalement été reporté au 26 mai, au lendemain des élections européennes. En attendant, l’Élysée a fait savoir que François Hollande allait « entamer des discussions avec des responsables et des dirigeants des partis politiques représentés au Parlement » à compter du 14 mai, date à laquelle le projet de loi devait initialement être présenté en conseil des ministres.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ajouter un moteur de recherche à Firefox


Les inspecteurs de l'Igas réclament une enquête sur Morelle

$
0
0

L’Élysée n’en a pas fini avec l’affaire Morelle. D’après nos informations, la présidence de la République a en effet été interpellée, mercredi 7 mai, par le syndicat majoritaire à l’Igas (l’Inspection générale des affaires sociales), le corps d’origine d’Aquilino Morelle. Dans un courrier adressé au secrétaire général de l’Élysée, également évoqué par Le Figaro, le Smigas réclame l’ouverture d’une enquête administrative, en réponse aux révélations de Mediapart.

Sachant que les 130 inspecteurs de l’Igas sont nommés sur décret présidentiel, l'organisation "maison" estime que l’autorité de nomination, en clair François Hollande, doit prendre ses responsabilités.

La section CFDT du service, de son côté, a adressé une requête similaire au chef de l’Igas, Pierre Boissier, avec copie à l’Élysée. 

Trois semaines après nos informations sur les contrats signés par l’inspecteur Morelle avec des laboratoires pharmaceutiques, la réaction traîne en effet à venir côté administration. D’abord silencieux, les deux syndicats de ce grand corps de contrôle, chargé d’auditer les politiques publiques en matière de santé et de médicament, ont donc décidé qu’ils en avaient assez d’attendre. « Ce serait très choquant s’il devait ne pas y avoir d’enquête administrative », confie un inspecteur à Mediapart, sous couvert d’anonymat.

L’immobilisme des pouvoirs publics semble d’autant plus intenable que l’ancien conseiller de François Hollande, qui a remis sa démission le 18 avril au chef de l’État, a fait son retour à l’Igas le jour même, de façon automatique. En congés, Aquilino Morelle n’a toutefois pas repris le travail.

« On ne va quand même pas le remettre sur une mission comme si de rien n’était », souligne l’un des 130 inspecteurs, qui ne souhaite pas voir son nom apparaître. « La crédibilité de l’Igas est engagée. C’est notre pain quotidien d’enquêter sur de possibles dérapages déontologiques. Personne ne comprendrait qu’on ne se soumette pas aux mêmes règles. »

Interrogée jeudi par Mediapart, la présidence de la République se dédouane. « Ça n’est pas à l’Élysée de prendre l’initiative de déclencher une telle enquête administrative, fait savoir le service communication. C’est de la compétence du chef de service de l’Igas. » Sollicitée jeudi en fin d’après-midi, jour férié, la direction de l’Igas ne nous a pas encore répondu.

À ce stade, pour les syndicats, il ne s’agit pas de réclamer une sanction disciplinaire, mais de diligenter une enquête à charge et à décharge, qui pourrait être confiée à des conseillers d’État par exemple.

« Il faut vérifier les éléments publiés par Mediapart, entendre le principal intéressé, regarder quels enseignements tirer de cette histoire », insiste un inspecteur.

Seuls quelques-uns de ses collègues se montrent dubitatifs, visiblement soucieux de ne pas tirer sur « un homme à terre », victime d’un « lynchage médiatique ». Ceux-là insistent sur l’existence, depuis le 18 avril, d’une enquête pénale ouverte par le parquet de Paris et d’« une étude approfondie » d’ores et déjà lancée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, en train d’éplucher les déclarations d’intérêts et de patrimoine de l’intéressé.

« L’un n’empêche pas l’autre, rétorque un inspecteur. Il ne faut pas faire l’économie d’une enquête administrative qui peut nous permettre de progresser dans notre fonctionnement, en matière de transparence notamment. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ajouter un moteur de recherche à Firefox

Caroline de Haas : après la rose, le féminisme au poing

$
0
0

Les listes de "Féministes pour une Europe solidaire" seront présentes dans les huit circonscriptions pour les européennes du 25 mai. L’engagement féministe, explique d'emblée Caroline de Haas, elle-même candidate en Ile-de-France, n’est pas une affaire de femmes, mais un projet global de société, ancré à gauche. 

« L’Europe assume sans le dire qu’elle ne fera jamais l’égalité entre les hommes et les femmes », dénonce notre invitée tout au long de cette émission. Deux faits le prouvent à ses yeux. D’abord, l’Europe laisse des pays comme l’Espagne ou la Lituanie s’attaquer au droit à l’avortement. Ensuite, les politiques d’austérité frapperaient d’abord les femmes, parce qu’elles suppriment des services qui s’adressent en premier lieu à elles, ensuite parce qu’elles réduisent partout l’emploi public, et qu’en Europe « les deux tiers des fonctionnaires sont des femmes ».

Cet entretien est une réflexion sur l’engagement. Caroline de Haas a longtemps milité au PS car elle considérait qu’il était « le meilleur outil pour transformer la vie des gens », et qu’un certain nombre de mesures décidées par Lionel Jospin « sont allées dans ce sens ». Elle a rompu parce qu’elle considère que le pouvoir actuel, notamment avec Manuel Valls, « transforme la vie, mais pas dans le sens du progrès social ».

Elle déplore aussi que l’Europe soit présentée comme « un objet neutre » alors qu’elle est « un objet politique », et aspire à recréer un rapport de force entre la droite et la gauche : « C’est une bataille essentielle, voilà pourquoi les féministes y participent. » Caroline de Haas, est l'invitée du treizième numéro d’Objections, l’entretien politique de Mediapart.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Récupérer le flux RSS d’une page Facebook

Karachi : le parquet accable les doublures de Balladur, Léotard et Sarkozy

$
0
0

La cause est désormais entendue. Il s’agissait bien de « rétribuer de façon occulte des politiques français ». Au fil d’un réquisitoire de 145 pages signé lundi 5 mai, dont Mediapart a obtenu une copie, le parquet de Paris accable les principaux collaborateurs d’Édouard Balladur, François Léotard et Nicolas Sarkozy, au sein du gouvernement français entre 1993 et 1995, dans le volet non-ministériel de l’affaire Karachi.
Sont respectivement visés :

  • Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet de Balladur à Matignon et aujourd’hui n°2 du groupe LVMH, par ailleurs intime de Sarkozy ;
  • L’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller spécial de Léotard à la défense à l’époque des faits ;
  • Et Thierry Gaubert, conseiller de Sarkozy au budget et ami personnel de l’ancien président.

Les deux premiers (Bazire et Donnedieu) sont accusés d’avoir été au sein du gouvernement Balladur les petites mains de la mise en place d’un vaste système de détournement d’argent sur des ventes d’armes de l’État avec le Pakistan et l’Arabie saoudite. Le troisième (Gaubert) est soupçonné, comme ses deux anciens compères, d’avoir secrètement « réceptionné » les fonds détournés pour alimenter la campagne présidentielle d’Édouard Balladur en 1995.

Au terme de leur réquisitoire définitif, les procureurs Chantal de Leiris et Nicolas Baïetto réclament le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de six personnes, sur les dix mises en examen durant l’instruction. Outre les trois collaborateurs ministériels déjà cités, les marchands d’armes Ziad Takieddine et Abdul Rahman el-Assir, ainsi que l’ancien patron de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCN), Dominique Castellan, sont concernés par ces demandes, comme Libération l’a rapporté en début de semaine.  

Les lecteurs de Mediapart connaissent bien cette histoire. Privé des moyens de son parti, le RPR, tout acquis à la cause de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle de 1995, le premier ministre Édouard Balladur est suspecté d’avoir utilisé les leviers de l’État durant son séjour à Matignon, entre 1993 et 1995, pour trouver les financements nécessaires à sa campagne électorale. Ainsi, entre janvier et novembre 1994, le gouvernement Balladur sera saisi d’une frénésie de signatures de contrats dans le domaine militaire. Quatre ventes d’armes ont été conclues en toute hâte dans la période avec le Pakistan et l’Arabie saoudite.

Edouard BalladurEdouard Balladur © Reuters

Les quatre marchés en question ont tous été frappés du même phénomène. Alors que la France était assurée d’emporter les contrats, le gouvernement Balladur a imposé en catastrophe un réseau d’intermédiaires emmené par les hommes d’affaires Ziad Takieddine, Abdul Rahman el-Assir et le cheik saoudien Ali Ben Moussalem (aujourd’hui décédé). Il avait été surnommé à l’époque le « réseau K ».

Au total, 327 millions d’euros de commissions occultes avaient été promises sur les quatre contrats frauduleux au réseau K, « imposé par les hautes autorités de l’État », comme on peut le lire dans le réquisitoire. Le parquet de Paris va même jusqu’à évoquer « une intervention forcée » dans le cadre du marché des sous-marins vendus au Pakistan. Du jamais vu.  

« Si à l’époque des faits, il était légal de verser des commissions à des agents d’influence dont la mission était de “corrompre” des proches de décideurs politiques pour favoriser la signature de contrats d’armement, en revanche, il n’en va pas de même de commissions indues », notent les procureurs dans leur réquisitoire.

« L’enjeu de cette information, poursuivent-ils, est de démontrer que ces commissions étaient frauduleuses, en raison de la finalité même de ces versements, le financement de politiques français. Indues, elles le sont puisque le réseau incriminé n’est pas intervenu pour favoriser la signature des contrats d’armements. Indues, elles le sont puisque leur vocation première était de rétribuer de façon occulte des politiques français. »

Après trois ans et demi d’enquête menée par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, « il résulte des constations que Renaud Donnedieu de Vabres, représentant le ministre de la défense, et Nicolas Bazire, représentant le premier ministre, ont en connaissance de cause introduit ce réseau inutile », écrit le parquet. Celui-ci confirme que le réseau Takieddine/el-Assir était « un réseau imposé par le pouvoir politique en place avec des arguments fallacieux (…) alors que les décideurs politiques des pays concernés étaient déjà pris en charge par les réseaux officiels, au titre des commissions, et que les contrats étaient en bonne voie d’être finalisés ».

Pis encore, « l’intervention de ce réseau couverte par Nicolas Bazire et Renaud Donnedieu de Vabres, agissant au nom de leur ministre respectif, est une véritable imposture qui a eu un coût financier important in fine pour l’État français », poursuit le ministère public. En octroyant des enveloppes de commissions exorbitantes qui n’ont pourtant servi à rien dans la conclusion des contrats, le gouvernement Balladur a en effet durablement grevé les finances publiques, en plus de commettre un « abus de biens social ».

Ziad Takieddine, Dominique Desseigne (patron du Fouquet's) et Thierry Gaubert sur le yacht du marchand d'armes.Ziad Takieddine, Dominique Desseigne (patron du Fouquet's) et Thierry Gaubert sur le yacht du marchand d'armes.

Après avoir décortiqué en amont la mécanique du détournement d’argent sur les ventes d’armes, les procureurs s’attaquent dans leur réquisitoire aux cheminements des sorties d’espèces obtenues, en aval, par les destinataires des sommes détournées. « Ces retraits en espèces, opérés dans la plus grande opacité possible, pour en occulter l’origine et les destinataires, permettent d’affirmer qu’il s’agit de rétrocommissions, Ziad Takieddine et el-Assir n’ayant aucun intérêt à courir de tels risques pour sortir des espèces françaises d’autant qu’ils disposaient de comptes en France », affirment-ils. 

À qui cet argent noir a-t-il profité ? Pour le parquet, pas de doute : « Les retraits en espèces devaient nécessairement profiter à ceux qui avaient autorisé la mise en place du réseau el-Assir/Takieddine, le ministre de la défense, représenté par son conseiller Renaud Donnedieu de Vabres, et le Premier ministre, représenté par son directeur de cabinet, Nicolas Bazire. »

Au total, 72 773 000 millions de francs (14,6 M€ d’aujourd’hui en comptant l’inflation) ont été retirés sur divers comptes offshore du réseau K identifiés par l’enquête des juges. Pour le parquet de Paris, Ziad Takieddine devra être jugé « du chef de recel aggravé » portant sur la totalité de la somme, « ayant été le détenteur des espèces frauduleuses qui seront acheminées en France ».

Dans l’architecture gouvernementale, c’est Thierry Gaubert, alors conseiller au cabinet de Nicolas Sarkozy à Bercy, qui avait la charge de convoyer l’argent en France pour financer illégalement le premier ministre. « Il sera requis le renvoi de Thierry Gaubert du seul chef de recel aggravé par l’habitude d’abus de biens sociaux pour les 6,2 millions de francs transférés en France pour alimenter la campagne d’Édouard Balladur », lit-on dans le réquisitoire, le parquet évoquant au surplus le recel à titre personnel de 2,7 millions de francs et 1 million de francs suisses. Les 6,2 millions de francs ont été ensuite « réceptionnés » par Nicolas Bazire, directeur de cabinet puis directeur de campagne de Balladur, qui les « a remis au trésorier au titre de recettes du compte de campagne ».

Quant à Renaud Donnedieu de Vabres, il est suspecté d’avoir recelé à titre personnel 250 000 francs, perçus en espèces, et quelque 40 millions de francs qui auraient quant à eux abondé les caisses du Parti républicain (PR) de son mentor François Léotard.

Mais au-delà des responsabilités des seconds couteaux de ce volet non-ministériel de l’affaire Karachi, le réquisitoire du parquet de Paris dessine déjà en filigrane le raisonnement juridique qui pourrait permettre à Nicolas Sarkozy de ne pas être poursuivi dans ce dossier. Les juges d’instruction ont d’ores et déjà fait savoir que s'ils estimaient nécessaires les mises en examen de François Léotard et Édouard Balladur devant la Cour de justice de la République (CJR), la seule juridiction habilitée à juger les délits commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions, ils sollicitaient pour Nicolas Sarkozy le statut judiciaire de témoin assisté (entre simple témoin et mis en examen).

Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy en 1995. Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy en 1995. © Reuters

Il est indéniable que Nicolas Sarkozy a été un rouage du système incriminé, en validant la création d'une société-écran de la DCN au Luxembourg par laquelle ont transité les commissions occultes du réseau K avec le Pakistan ou en autorisant, contre l’avis de son administration, le versement anticipé de commissions indues sur un marché saoudien, baptisé Mouette. Mais dans les deux cas, les magistrats du parquet comme les juges d’instruction semblent s’accorder pour dire qu’il manque la preuve d’un élément intentionnel (essentiel en droit pénal) pour justifier une mise en examen.    

Ainsi, dans l’exemple du contrat Mouette, qui a permis au réseau K de percevoir 210 millions de francs de commissions illégales en 1995 et 1996, le parquet de Paris impute l’intention du délit à un « arbitrage » de Matignon. « Les problèmes soulevés par ce contrat ont été tranchés par l’intervention du Premier ministre », observent les procureurs. De fait, l’administration du budget était vent debout contre une telle dérogation octroyée aux intermédiaires, mais elle a dû se coucher devant les « lettres de couverture du ministre du budget de l’époque », lequel appliquait une décision supérieure de Matignon, rappelle le parquet.

La CJR, dont les magistrats viennent de se faire communiquer la totalité de l’enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire, étudie actuellement le dossier. Mais aucune investigation n’a encore été formellement ouverte. Si tel devait être le cas, elle pourrait encore prendre des années… Quant au volet non ministériel du dossier, il revient désormais aux deux juges d’instruction de suivre tout ou partie des réquisitions du parquet pour rédiger une ordonnance dite « de renvoi devant le tribunal correctionnel ». Celle-ci ouvrira la voie à un procès probablement en 2015, vingt ans après les faits.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Récupérer le flux RSS d’une page Facebook

Quand les banquiers infiltrent les sommets de l’Etat

$
0
0

Nicolas Namias, ex-conseiller de Jean-Marc Ayrault pour le financement de l’économie, à Matignon, va être nommé directeur de la stratégie de la banque d’investissement Natixis, filiale du groupe BPCE. Révélée par Les Échos, l’information est loin d’être anecdotique. Au contraire, elle prend valeur de symbole : alors que François Hollande avait promis de faire de la finance son ennemie mais a finalement pactisé avec elle, ce pantouflage révèle la totale porosité qui existe entre le monde de la banque et les sommets de l’appareil d’État.

La trajectoire de Nicolas Namias, qui est le fils de Robert Namias, figure connue de TF1, et frère de Fabien, qui dirige Europe 1, ne manque, de fait, pas d’intérêt. De juillet 2008 à avril 2012, l’intéressé a en effet déjà dirigé le pilotage et l'analyse de la performance au sein du groupe BPCE. Après avoir passé presque deux ans à Matignon pour conseiller le premier ministre sur les questions ayant trait au financement de l’économie — c’est-à-dire, pour parler clair, ayant trait au rôle des banques —, c’est donc un retour au bercail qu’il effectue aujourd’hui.

Or, ce mouvement d’essuie-glace — un jour dans une banque, le lendemain dans les sommets de l’État, le surlendemain à nouveau dans la même banque — pose naturellement des questions en cascade.

D’abord, cela pose une question majeure de déontologie. Car, en théorie, le code pénal interdit à un haut fonctionnaire ayant exercé l’autorité publique sur une entreprise privée d’aller ensuite y travailler dans les trois années suivantes. Et la Commission de déontologie de la fonction publique est chargée de remettre des avis aux hauts fonctionnaires qui envisagent de passer dans le privé.

Mais depuis que François Pérol, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, a pris la présidence de BPCE dans des conditions controversées, conduisant à sa mise en examen pour prise illégale d’intérêt (lire ici toutes nos enquêtes), la Commission de déontologie qui a accepté, à l’époque, de jouer un rôle scabreux, a perdu toute autorité et toute légitimité. Et du même coup, une jurisprudence laxiste s’est installée. Ancien secrétaire général de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy, Xavier Musca en a ainsi profité en devenant directeur général délégué du Crédit agricole en juin 2012. Et c’est donc de cette même jurisprudence que vient, semble-t-il, de profiter le collaborateur de Jean-Marc Ayrault, car selon la direction de la communication de BPCE, la Commission de déontologie de la fonction publique aurait émis un avis favorable à son pantouflage.

Il faut toutefois observer que le nouveau président de la Commission de déontologie, Jacques Arrighi de Casanova (la liste des membres est ici), serait plus strict que son prédécesseur, selon les témoignages recueillis par Mediapart, et enclin à rendre des avis un peu moins laxistes.

Ce transfert pose un problème politique et éthique encore plus profond. Entre autres dossiers, Nicolas Namias s’est naturellement occupé à Matignon de la réforme annoncée par François Hollande visant à organiser une partition des banques. En application du célèbre engagement de François Hollande pris pendant la campagne présidentielle au Bourget (« Mon ennemi, c’est la finance »), cette partition des banques, pour isoler les activités spéculatives des activités commerciales, devait être l’une des réformes majeures du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Or, on sait ce qu’il en est advenu : la grande réforme a tourné à la pantalonnade, et à peine plus de 0,5 % du bilan des grandes banques a fait l’objet d’un cantonnement.

Il faut donc regarder la question en face : un haut fonctionnaire qui a pantouflé dans une grande banque et qui, passant ensuite dans un cabinet ministériel, peut-il véritablement faire des recommandations énergiques contre cette même banque, sachant qu’il a de bonnes chances d’y retourner travailler ? C’est La Tribune qui soulève cette interrogation, et elle est naturellement fondée : « Comment réformer son futur employeur ? » se demande le site internet.

En vérité, la question ne concerne pas au premier chef les hauts fonctionnaires  — car après tout, si la Commission de déontologie a donné son feu vert, pourquoi Nicolas Namias se priverait-il de retourner à BPCE ? Non, elle concerne surtout la puissance publique et tout particulièrement Matignon et l’Élysée. Il est assez étonnant d’observer que les dirigeants socialistes, après s’être indignés du scandale Pérol sous le quinquennat précédent, n’aient en rien cherché à reconstruire une déontologie de la fonction publique. Et puis encore, il est stupéfiant d’observer qu’ils tolèrent et même organisent eux-mêmes une véritable « infiltration » — c’est le terme judicieux utilisé par La Tribune — des sommets de l’État par les directions des grandes banques françaises.

En quelque sorte, l’affaire Namias révèle un problème majeur, celui du pantouflage à l’envers, du privé vers le public. Car Nicolas Namias, venu de BPCE et conseillant Jean-Marc Ayrault, n’était naturellement pas le seul « pantoufleur » à l’envers. Il y en a d’autres, à commencer par Emmanuel Macron qui, ex-associé gérant de la banque Rothschild, est désormais secrétaire général adjoint de l’Élysée auprès de François Hollande, et retournera vraisemblablement au sein de la banque Rothschild plus tard.

L’affaire Namias est en quelque sorte l’un des symptômes, parmi de très nombreux autres, de la mort lente du socialisme français : il est incapable de générer lui-même des élites intellectuelles qui portent ses valeurs et va les recruter dans le monde de la finance. Là, commencent la tyrannie de la finance et l'effondrement de la gauche.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Récupérer le flux RSS d’une page Facebook

MediaPorte : «Fox News embauche Philippe Val !»

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live