Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

La directrice des affaires criminelles va quitter le ministère de la justice

$
0
0

Nommée directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice en juillet 2012, après avoir notamment été procureur d’Évry, Marie-Suzanne Le Quéau est déjà sur le départ. Un projet de nominations de magistrats du parquet, adressé aujourd'hui par la chancellerie au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), et dont Mediapart a pris connaissance, propose en effet Marie-Suzanne Le Quéau au poste de procureur général près la cour d'appel de Douai.

Il s'agit certes d'une promotion, mais à un poste moins sensible toutefois que la Direction des affaires criminelles, endroit stratégique où remontent toutes les affaires signalées par les parquets, et d'où partent les circulaires de politique pénale du ministère.

Le magistrat Pierre Valleix, conseiller justice de François Hollande à l'Elysée, est quant à lui proposé au poste de procureur général près la cour d'appel de Montpellier. Au total, huit postes de procureurs généraux changeraient de titulaire, si le CSM donne son accord à ces projets de nominations.

Par ailleurs, des mouvements seraient également en cours au cabinet de Christiane Taubira, dont on ignore encore si elle souhaite rester place Vendôme après l'examen de sa réforme pénale, prévu au mois de juin à l'Assemblée.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La blague du Rom et du banquier


Européennes: l'exécutif rentre dans la campagne à reculons

$
0
0

Ces derniers mois, la majorité s’est délectée d’une expression jargonneuse à souhait : elle allait, disait-elle, « enjamber » les scrutins à venir. Les municipales d’abord, en contenant l’impopularité de l’exécutif par la solidité de leurs baronnies, puis les européennes où elle pariait sur un score égal voire supérieur à la claque déjà subie en 2009. La débâcle de mars a semé le doute. Mais l’exécutif espère encore que, quel que soit le résultat, le scrutin sera aussi vite oublié que la campagne est atone.

Officiellement, elle est ouverte ce lundi 12 mai, pour deux semaines. Peu d’électeurs savent pour l’instant qu’ils auront à se prononcer le 25 mai pour leurs députés européens. Les grands médias télévisés en parlent peu – France Télévisions a même refusé de retransmettre le débat entre les candidats à la Commission européenne. « Mais pourquoi on n’oblige pas le service public à le faire ? C’est une décision scandaleuse », s’insurge l’ancien ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin, remplacé le mois dernier lors du remaniement par Harlem Désir.

Les partis politiques se sont aussi lancés tardivement en campagne, obnubilés jusqu’à fin mars par les municipales et, pour certains, englués dans leurs divisions internes sur l’Europe – c’est par exemple le cas de l’UMP (lire nos articles ici, et ). Le PS commence tout juste sa tournée de grands meetings, avec des ministres en guest stars – comme Marylise Lebranchu à Rezé, près de Nantes lundi – et le premier ministre Manuel Valls sera jeudi à Lille aux côtés de Martine Aubry et Jacques Delors. Il était déjà dimanche soir au 20 h de TF1.

Jusque-là, l’exécutif a plutôt donné l’impression de faire comme si les européennes n’existaient pas. La semaine dernière, le président de la République a même passé une heure sur RMC et BFM-TV sans les évoquer. Aucune question ne lui a été posée sur le sujet, rétorquent ses proches. Mais François Hollande aurait pu prendre l’initiative – il est suffisamment aguerri à l’exercice pour le savoir. Ce n’est que parce que la presse s’en est étonnée que le chef de l’État s’est finalement décidé à publier une tribune jeudi 8 mai dans le Monde. Un choix d’un classicisme déprimant, et sur la forme et sur le fond – Hollande a commencé sa tribune par un long hommage à l’Europe de la paix en ce jour de commémoration de l’armistice.

À l’Élysée, on explique que ce n’est pas le rôle du président de la République de se mêler directement de la campagne et que c’est au parti et au premier ministre de s’exposer. Soit. Sauf que l’Europe fait partie des domaines où le chef de l’État est précisément en pointe – c’est lui qui se rend au conseil européen tous les mois et qui décide de fait de la politique de la France à Bruxelles. La récente modification de l’organigramme de l’Élysée, qui a vu le conseiller Europe de Hollande devenir également secrétaire général aux affaires européennes, en est une nouvelle preuve. En Allemagne d’ailleurs, c’est la chancelière Angela Merkel qui figure sur une partie des affiches de campagne de son parti, la CDU.

Affiche de campagne de la CDU pour les européennesAffiche de campagne de la CDU pour les européennes

« Jusque-là, le président de la République a eu une façon de nier les européennes. C’est ce qu’entre nous on appelait la “tentation du silence”. Pendant longtemps, l’Élysée a cru que le PS allait bien s’en tirer, en faisant un meilleur score que la dernière fois », explique un diplomate spécialiste des questions européennes. « Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de réorienter l’Europe. Cette réorientation existe, mais elle n’est peut-être pas à la hauteur des attentes. Et puis François Hollande se dit qu’il doit d’abord se mobiliser sur la scène nationale – c’est d’ailleurs la demande politique de nos concitoyens », dit aussi un cadre socialiste.

Il y a encore quelques semaines, le discours de la majorité était bien rodé : sur le plan intérieur, les européennes n’ont que peu d’importance ; l’abstention, très élevée, en fait un scrutin mineur ; l’exécutif pourra donc « enjamber » le 25 mai sans dégâts. Certains prédisaient même qu’un FN en tête dans les sondages permettrait de remobiliser l’électorat de gauche et les troupes socialistes.

« Je ne suis pas sûr que notre score soit plus mauvais que la dernière fois. On était au plancher. Après, ce n’est pas impossible qu’on soit derrière le FN. Mais les européennes, ça a un impact pendant 15 jours », expliquait cet hiver François Rebsamen, qui n’était pas encore ministre du travail mais président du groupe socialiste au Sénat. « Les européennes n’ont jamais été un traumatisme dans la vie politique française », jugeait aussi Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale.

Début mars, une ministre du gouvernement Ayrault rappelait également la stratégie du calendrier du remaniement : « Remanier son gouvernement avant les européennes permet au président de se ressaisir de l’agenda et de ne pas voir son tempo déterminé par les élections. Cela permet de relativiser le résultat des européennes. »

François Hollande à BruxellesFrançois Hollande à Bruxelles © Reuters

L’an dernier, l’exécutif avait aussi pris deux décisions, passées relativement inaperçues mais révélatrices de son envie de réduire au minimum l’enjeu de ce scrutin. Fin mars 2013, après de longues hésitations, le PS s’était opposé à la mise en place d’une circonscription unique, proposée par les radicaux de gauche, et qui avait l’avantage de politiser davantage une élection régionalisée sur huit zones qui ne correspondent à rien. La décision avait été prise par François Hollande. En cause : la peur de voir Marine Le Pen en profiter. « On disait à l’époque que ça allait promouvoir le FN », explique un conseiller du gouvernement, alors en poste.

Quelques mois plus tard, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a quant à lui défendu la dématérialisation des professions de foi. En clair, plus de courrier mais une version numérique adressée aux électeurs. Le gouvernement l’avait inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014 présenté à l’automne, histoire de faire quelques menues économies (27,6 millions d’euros). Mais le ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin s’y était vertement opposé. Il a fini par avoir gain de cause auprès de François Hollande, mais la tentative avait renforcé le sentiment d’un désintérêt profond de l’exécutif français pour le scrutin du 25 mai.

« J'ai l'impression que le PS se protège, et protège peut-être aussi l'UMP, en faisant de telle sorte qu'il n'y ait pas de forte mobilisation pour les européennes », s'était à l’époque emporté l'eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit. Même soupçon alors exprimé par le Parti de gauche : « Après avoir renié ses engagements sur une liste unique nationale, le gouvernement parie clairement sur l'abstention et cherche à museler les voix qui pourraient porter plus haut que la sienne. »

Plus récemment, l’exclusion de plusieurs parlementaires PS actifs à Bruxelles – comme Liêm Hoang Ngoc, Françoise Castex ou Bernadette Vergnaux – a fait grincer les dents au PS (le même phénomène s'est produit à l’UMP). Tout comme le choix de l’ancienne directrice de cabinet de Sylvia Pinel, la PRG Virginie Rozière, pour conduire la liste dans le Sud-Ouest dans le cadre d’un accord avec les radicaux de Jean-Michel Baylet.

« On s'est souvent répété que ça aurait été plus simple avec une liste nationale », se désolait un dirigeant du PS en novembre dernier, à l’issue de la douloureuse constitution des listes socialistes (lire ici). « On fait l’inverse de l’Allemagne, qui a une vraie stratégie d’influence au sein des institutions européennes. La France néglige le parlement européen. Même au gouvernement, il n’y a pas assez de ministres à s’y rendre », souligne un spécialiste socialiste des dossiers européens.

La stratégie choisie par le PS a aussi de quoi surprendre : il fait surtout campagne pour Martin Schulz, actuel président du parlement et chef de file des sociaux-démocrates pour la présidence de la Commission. « Cela prouve que les européennes ne sont pas là pour faire élire des députés européens inconnus, mais qu’il y a un vrai enjeu politique à court terme. Schulz, c’est une réorientation de l’Europe possible », décrypte un “hollandais”. « On a vraiment un coup à jouer, estimait aussi récemment Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. Les écolos et la gauche radicale, une fois qu'ils auront dit qu’il “faut une autre Europe”, ils n'auront plus grand-chose à dire. Avec Martin (Schulz), on a l'incarnation d'un changement de majorité, un mec qui crédibilise la nécessité de voter PSE pour battre la droite. »

Mais l’eurodéputé allemand reste largement inconnu en France. Surtout, il est contesté à gauche : son parti, le SPD, est membre de la grande coalition avec la CDU au pouvoir en Allemagne, et Schulz est lui-même accusé d’incarner la politique d’austérité européenne qu’il est pourtant censé combattre. « Schulz, c’est pas Jules Guesde mais c’est quelqu’un qui dit que le budget européen pour la jeunesse doit être augmenté et qu’il faut relancer la croissance », défend un conseiller ministériel. L’exécutif et le PS redoutent désormais une correction le 25 mai. « Le FN en tête serait un échec de notre politique », prévient un ami de François Hollande.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La blague du Rom et du banquier

Européennes: l'exécutif entre dans la campagne à reculons

$
0
0

Ces derniers mois, la majorité socialiste s’est délectée d’une expression jargonneuse à souhait : elle allait, disait-elle, « enjamber » les scrutins à venir. Les municipales d’abord, en contenant l’impopularité de l’exécutif par la solidité de ses baronnies, puis les européennes où elle pariait sur un score égal voire supérieur à la claque déjà subie en 2009. La débâcle de mars a semé le doute. Mais l’exécutif espère encore que, quel que soit le résultat, le scrutin sera aussi vite oublié que la campagne est atone.

Officiellement, elle est ouverte ce lundi 12 mai, pour deux semaines. Peu d’électeurs savent pour l’instant qu’ils auront à se prononcer le 25 mai pour leurs députés européens. Les grands médias télévisés en parlent peu – France Télévisions a même refusé de retransmettre le débat entre les candidats à la Commission européenne. « Mais pourquoi on n’oblige pas le service public à le faire ? C’est une décision scandaleuse », s’insurge l’ancien ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin, remplacé le mois dernier lors du remaniement par Harlem Désir.

Les partis politiques se sont aussi lancés tardivement en campagne, obnubilés jusqu’à fin mars par les municipales et, pour certains, englués dans leurs divisions internes sur l’Europe – c’est par exemple le cas de l’UMP (lire nos articles ici, et ). Le PS commence tout juste sa tournée de grands meetings, avec des ministres en guest stars – comme Marylise Lebranchu à Rezé, près de Nantes lundi – et le premier ministre Manuel Valls sera jeudi à Lille aux côtés de Martine Aubry et Jacques Delors. Il était déjà dimanche soir au 20 h de TF1.

Jusque-là, l’exécutif a plutôt donné l’impression de faire comme si les européennes n’existaient pas. La semaine dernière, le président de la République a même passé une heure sur RMC et BFM-TV sans les évoquer. Aucune question ne lui a été posée sur le sujet, rétorquent ses proches. Mais François Hollande aurait pu prendre l’initiative – il est suffisamment aguerri à l’exercice pour le savoir. Ce n’est que parce que la presse s’en est étonnée que le chef de l’État s’est finalement décidé à publier une tribune jeudi 8 mai dans le Monde. Un choix d’un classicisme déprimant, et sur la forme et sur le fond – Hollande a commencé sa tribune par un long hommage à l’Europe de la paix en ce jour de commémoration de l’armistice.

À l’Élysée, on explique que ce n’est pas le rôle du président de la République de se mêler directement de la campagne et que c’est au parti et au premier ministre de s’exposer. Soit. Sauf que l’Europe fait partie des domaines où le chef de l’État est précisément en pointe – c’est lui qui se rend au conseil européen tous les mois et qui décide de fait de la politique de la France à Bruxelles. La récente modification de l’organigramme de l’Élysée, qui a vu le conseiller Europe de Hollande devenir également secrétaire général aux affaires européennes, en est une nouvelle preuve. En Allemagne d’ailleurs, c’est la chancelière Angela Merkel qui figure sur une partie des affiches de campagne de son parti, la CDU.

Affiche de campagne de la CDU pour les européennesAffiche de campagne de la CDU pour les européennes

« Jusque-là, le président de la République a eu une façon de nier les européennes. C’est ce qu’entre nous on appelait la “tentation du silence”. Pendant longtemps, l’Élysée a cru que le PS allait bien s’en tirer, en faisant un meilleur score que la dernière fois », explique un diplomate spécialiste des questions européennes. « Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de réorienter l’Europe. Cette réorientation existe, mais elle n’est peut-être pas à la hauteur des attentes. Et puis François Hollande se dit qu’il doit d’abord se mobiliser sur la scène nationale – c’est d’ailleurs la demande politique de nos concitoyens », dit aussi un cadre socialiste.

Il y a encore quelques semaines, le discours des scialistes était bien rodé : sur le plan intérieur, les européennes n’ont que peu d’importance ; l’abstention, très élevée, en fait un scrutin mineur ; l’exécutif pourra donc « enjamber » le 25 mai sans dégâts. Certains prédisaient même qu’un FN en tête dans les sondages permettrait de remobiliser l’électorat de gauche et les troupes socialistes.

« Je ne suis pas sûr que notre score soit plus mauvais que la dernière fois. On était au plancher. Après, ce n’est pas impossible qu’on soit derrière le FN. Mais les européennes, ça a un impact pendant 15 jours », expliquait cet hiver François Rebsamen, qui n’était pas encore ministre du travail mais président du groupe socialiste au Sénat. « Les européennes n’ont jamais été un traumatisme dans la vie politique française », jugeait aussi Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale.

Début mars, une ministre du gouvernement Ayrault rappelait également la stratégie du calendrier du remaniement : « Remanier son gouvernement avant les européennes permet au président de se ressaisir de l’agenda et de ne pas voir son tempo déterminé par les élections. Cela permet de relativiser le résultat des européennes. »

François Hollande à BruxellesFrançois Hollande à Bruxelles © Reuters

L’an dernier, l’exécutif avait aussi pris deux décisions, passées relativement inaperçues mais révélatrices de son envie de réduire au minimum l’enjeu de ce scrutin. Fin mars 2013, après de longues hésitations, le PS s’était opposé à la mise en place d’une circonscription unique, proposée par les radicaux de gauche, et qui avait l’avantage de politiser davantage une élection régionalisée sur huit zones qui ne correspondent à rien. La décision avait été prise par François Hollande. En cause : la peur de voir Marine Le Pen en profiter. « On disait à l’époque que ça allait promouvoir le FN », explique un conseiller du gouvernement, alors en poste.

Quelques mois plus tard, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a quant à lui défendu la dématérialisation des professions de foi. En clair, plus de courrier mais une version numérique adressée aux électeurs. Le gouvernement l’avait inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014 présenté à l’automne, histoire de faire quelques menues économies (27,6 millions d’euros). Mais le ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin s’y était vertement opposé. Il a fini par avoir gain de cause auprès de François Hollande, mais la tentative avait renforcé le sentiment d’un désintérêt profond de l’exécutif français pour le scrutin du 25 mai.

« J'ai l'impression que le PS se protège, et protège peut-être aussi l'UMP, en faisant de telle sorte qu'il n'y ait pas de forte mobilisation pour les européennes », s'était à l’époque emporté l'eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit. Même soupçon alors exprimé par le Parti de gauche : « Après avoir renié ses engagements sur une liste unique nationale, le gouvernement parie clairement sur l'abstention et cherche à museler les voix qui pourraient porter plus haut que la sienne. »

Plus récemment, l’exclusion de plusieurs parlementaires PS actifs à Bruxelles – comme Liêm Hoang Ngoc, Françoise Castex ou Bernadette Vergnaux – a fait grincer les dents au PS (le même phénomène s'est produit à l’UMP). Tout comme le choix de l’ancienne directrice de cabinet de Sylvia Pinel, la PRG Virginie Rozière, pour conduire la liste dans le Sud-Ouest dans le cadre d’un accord avec les radicaux de Jean-Michel Baylet.

« On s'est souvent répété que ça aurait été plus simple avec une liste nationale », se désolait un dirigeant du PS en novembre dernier, à l’issue de la douloureuse constitution des listes socialistes (lire ici). « On fait l’inverse de l’Allemagne, qui a une vraie stratégie d’influence au sein des institutions européennes. La France néglige le parlement européen. Même au gouvernement, il n’y a pas assez de ministres à s’y rendre », souligne un spécialiste socialiste des dossiers européens.

La stratégie choisie par le PS a aussi de quoi surprendre : il fait surtout campagne pour Martin Schulz, actuel président du parlement et candidat des sociaux-démocrates pour la présidence de la Commission. « Cela prouve que les européennes ne sont pas là pour faire élire des députés européens inconnus, mais qu’il y a un vrai enjeu politique à court terme. Schulz, c’est une réorientation de l’Europe possible », décrypte un “hollandais”. « On a vraiment un coup à jouer, estimait aussi récemment Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. Les écolos et la gauche radicale, une fois qu'ils auront dit qu’il “faut une autre Europe”, ils n'auront plus grand-chose à dire. Avec Martin (Schulz), on a l'incarnation d'un changement de majorité, un mec qui crédibilise la nécessité de voter PSE pour battre la droite. »

Mais l’eurodéputé allemand reste largement inconnu en France. Surtout, il est contesté à gauche : son parti, le SPD, est membre de la grande coalition avec la CDU au pouvoir en Allemagne, et Schulz est lui-même accusé d’incarner la politique d’austérité européenne qu’il est pourtant censé combattre. « Schulz, c’est pas Jules Guesde mais c’est quelqu’un qui dit que le budget européen pour la jeunesse doit être augmenté et qu’il faut relancer la croissance », défend un conseiller ministériel. L’exécutif et le PS redoutent désormais une correction le 25 mai. « Le FN en tête serait un échec de notre politique », prévient un ami de François Hollande.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

Les « socialistes affligés » veulent contribuer à la refonte de la gauche

$
0
0

On avait quitté l'eurodéputé sortant Liêm Hoang Ngoc, éliminé des listes du PS aux prochaines européennes sur l’autel des équilibres internes de courant. « Une vraie connerie, commentait à l'époque Christophe Borgel dans les couloirs de la convention Europe, en février dernier. Il avait acquis une vraie expertise et jouait le jeu du groupe socialiste. Le barrer, c’est prendre un risque. »

Aujourd'hui, on retrouve le parlementaire européen évincé à la tête d'un nouveau club de réflexion, au nom qui en dit long. Dans un manifeste publié par Mediapart (lire ici), « les socialistes affligés » ne mâchent pas leurs maux à l'encontre de la politique menée par François Hollande depuis deux ans. « Le PS français avait toujours déclaré vouloir se tenir à distance de la "troisième voie" promue par Tony Blair et Gerhard Schröder dans les années 90, dit le texte. À l’heure où le Parti socialiste européen (PSE), et notamment en son sein, le Labour et le SPD, explorent désormais la pertinence des "politiques de demande", il est paradoxal que les Français soient les seuls sociaux-démocrates à rester épris de TINA (There is No Alternative). »

Liêm Hoang-Ngoc, au parlement européenLiêm Hoang-Ngoc, au parlement européen © Parlement européen

L'eurodéputé a un temps discuté avec le Front de gauche, rêvant de listes allant de lui à Besancenot, mais les discussions ont tourné court, chacun souhaitant conserver voire faire fructifier ses propres positions. « Mélenchon ne voulait pas faire de place, explique un communiste. Déjà qu’il avait lutté pour en obtenir un peu plus pour le PG auprès du PCF… » Depuis, Hoang-Ngoc s'est montré dans le carré de tête de la marche contre l’austérité, le 12 avril, tout en continuant à se rendre au bureau national du parti socialiste, dont il est membre. « Ça ne me pose aucun problème, nous disait-il quelques jours après. De toute façon, c’est quand on représente un pouvoir de nuisance qu’on est respecté dans ce parti… »

Avec Philippe Marlière (blogueur émérite sur Mediapart, ancien membre du PS, compagnon de route du Front de gauche, et surtout intellectuel spécialiste du blairisme – « c’est un symbole qui n’est pas anodin en ce moment », dit Hoang-Ngoc), celui qui est aussi professeur d'économie à Paris 1 et « économiste atterré », entend créer un club de réflexion pour « fournir les ressources intellectuelles et humaines aux listes de gauche qui se présenteront aux prochaines échéances électorales ». Un think-tank avec des référents locaux, en cours de structuration sur tout le territoire.

Hoang-Ngoc dit déjà compter avec lui plusieurs cadres socialistes, comme Martine Chantecaille, conseillère nationale PS, ou Sylvain Mathieu, premier fédéral de la Nièvre, qui a récemment été candidat contre Cambadélis à la tête du PS. Aux yeux du « socialiste affligé », « la perspective du 21-avril se rapproche, ainsi qu’un cataclysme électoral aux prochaines législatives, pire encore qu’en 1993 ». Hoang-Ngoc estime « l’existence même du PS en cause » et considère que « la recomposition de la gauche ne se fera que sur une nébuleuse "rose-rouge-verte" ».

Son initiative est une pierre supplémentaire à l’édifice d'une gauche mise en ruines par l’exercice du pouvoir de François Hollande, quelques jours après l'abstention de 41 députés socialistes sur le plan d'austérité de Manuel Valls. « On le voit avec l’appel des 100 députés, qui débouche sur des abstentions. Dans la Ve République, il est impossible d’aller plus loin, dit Hoang-Ngoc. L’idée, c’est de créer un lieu pour préserver l’identité socialiste et commencer à se parler, pour préparer la suite. On veut jeter des ponts, en allant au-delà des courants qui ont une visée interne. » C'est une tentative de plus de participer à une restructuration de la gauche jugée inévitable par un nombre croissant de responsables politiques à gauche, face à l'évolution de Hollande. Même si les obstacles, divergences de fond comme incompatibilités personnelles, sont encore grands.

Un colloque est d’ores et déjà prévu par les « affligés », le 7 juin, avec des experts (économistes atterrés, chercheurs de l’OFCE, bourdieusiens), syndicalistes et politiques, des socialistes Christian Paul et Pierre-Alain Muet à Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, en passant par Pascal Durand et Eva Joly. Autant de volontaires, veulent croire Hoang-Ngoc et Marlière, prêts à tracer un autre chemin à gauche.

Comme peut l’être le député Pouria Amirshahi, qui marque une opposition croissante à la ligne socialiste (lire ici ou encore récemment sur Politis). Ou Emmanuel Maurel (en congé relatif de contestation, pour cause de candidature aux européennes) et Marie-Noëlle Lienemann, chefs de file du courant PS « Maintenant à gauche », qui bataillent régulièrement dans les arcanes du PS. Ou encore le fondateur de Nouvelle Donne, Pierre Larrouturou. Ce dernier, qui a de nouveau démissionné du PS et revendique près de 8 000 adhérents dans son nouveau parti créé en décembre dernier, dit voir « beaucoup de socialistes déçus » rejoindre « ND ». Lui aussi estime que « le prochain objectif pour tout le monde à gauche est de faire en sorte que le PS ne soit plus en tête ». Pour cela, il faut « se mettre d'accord sur le fond, dans le calme et le compromis, avec le Front de gauche, les écologistes et les socialistes qui le voudront. Il faut étouffer le PS comme Mitterrand avait étranglé les communistes ».

Bien qu'en froid avec Larrouturou, depuis que celui-ci a quitté EELV pour le PS avant de créer Nouvelle Donne, la ministre écologiste Cécile Duflot n'est pas loin de partager le même type d'analyse historique. « On est dans un moment où peut se construire un basculement à gauche, comme à la fin des années 1970 », dit en privé l'ancienne ministre, nouvelle députée, pas hostile du tout à un rapprochement avec les communistes et les socialistes “tendance Aubry”. Ne rappelle-t-elle pas que les trois cheffes de parti ayant mené campagne unitaire lors des cantonales de 2011 (Marie-George Buffet, Martine Aubry et elle) sont aujourd'hui « en désaccord profond avec l'orientation actuelle » ?

Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010 © Reuters/Charles Platiau

Pour elle, « le pôle de radicalité ne repose pas sur un projet commun, et c'est aujourd'hui le cœur de la gauche, de la gauche radicale au centre gauche, qui est orphelin ». Pour autant, « il n'y a pas de plan écrit, il faut attendre que la sidération se décante », tempère-t-elle illico. « Les recompositions à gauche, on ne sait jamais ce que ça va donner, dit-elle. Après 2007, tout le monde voyait émerger le NPA et le MoDem, mais finalement ce sont le Front de gauche et Europe-Écologie qui ont percé. » Pour l'ancienne secrétaire nationale d'EELV, « chacun devra être sincère, disponible, à l'écoute. Il y a nécessité à réaffirmer l'union de la gauche ». « Cécile a fait sa part de travail en démissionnant, estime l'un de ses proches. Désormais, ça va dépendre du courage d'autres. »

La perspective d'élections régionales dès l’an prochain s’éloigne avec les promesses de réforme territoriale. Du temps gagné pour cette « autre gauche » en plein questionnement ? Pas sûr. Une année 2015 sans échéance électorale, cela signifie aussi que de nombreux cadres et responsables socialistes vont concentrer leurs énergies stratégiques sur le futur congrès du PS, prévu à l'automne. Quant au reste de la gauche, « donner du temps au temps » pourrait plomber les envies de dépassement et d'aggiornamento. Ainsi que le décrypte un cadre du Front de gauche : « Avec un délai court, on aurait peut-être pu arrêter de pinailler. Là, on va avoir le temps de se parler, encore et encore, et donc d’accorder toujours plus d’importance aux détails ou aux rancœurs personnelles qui nous divisent, plutôt qu'à nos convergences profondes. »

En février dernier, Jean-Luc Mélenchon nous confiait son peu d'appétence pour ce type de discussions, alors même qu'ils sont nombreux parmi les différents responsables à juger son hostilité et sa véhémence problématiques. « Cela fait un an et demi que la démonstration est faite que ce mode de rapprochement ne marche pas, expliquait Mélenchon. On peut continuer à bavarder, à faire des goûters ou des colloques, il n'y a aucun débouché qui émerge. Tout le monde a un couteau sans lame et agite les bras en disant à Hollande : "Attention, on a un manche de couteau !" » Lui prône une « révolution citoyenne » le plus vite possible, et plaide pour la multiplication d'actions, plutôt que de réunions.

En attendant l'éventualité de celle-ci, ni le « nouveau front populaire », ni même le « nouvel Épinay », ne semblent pour tout de suite. Mais au moins, ils restent encore d'actualité…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

Paroles de députés socialistes: «C'est un immense gâchis, tout est anéanti»

$
0
0

Parmi les 41 députés socialistes qui se sont abstenus mardi 29 avril sur les 50 milliards d'économie du gouvernement, il y a des élus de l'aile gauche du PS. Mais aussi des députés d'autres tendances qui s'abstenaient pour la première fois. Et il y a aussi ceux qui, tout en ayant voté ce plan, se posent beaucoup de questions. Ce lundi 12 mai, Manuel Valls a promis que les nouveaux foyers imposables allaient sortir de l'impôt sur le revenu, une revendication de nombreux députés très souvent interpellés à ce sujet par leurs électeurs. Et pour retisser les liens avec une majorité en colère, François Hollande pourrait bientôt recevoir les parlementaires pour une « opération papouilles », selon le porte-parole des députés PS, Thierry Mandon.

Chaque mardi matin, la centaine de parlementaires qui avaient signé l'appel des 100 pour un « nouveau contrat de majorité » au soir de la défaite des municipales vont se réunir afin d'infléchir la ligne du gouvernement. L'un d'eux, Christian Assaf, se dit même « prêt à discuter avec Mélenchon, mais sur un programme d’union ».

Mediapart a tendu le micro à des socialistes que les Français ne connaissent pas beaucoup. Ils ne courent pas les plateaux télé, ne sont d'ailleurs pas toujours à l'aise avec les caméras. Mais ça ne les empêche pas de dire leurs doutes.

Chantal Guittet (PS. Finistère). Sa circonscription est celle de l'ex-abattoir Gad (Lampaul-Guimiliau). 

 Votes précédents :

  • TSCG (9 octobre 2012) : oui
  • Accord emploi (9 avril 2013) : abstention
  • Réforme des retraites (15 octobre 2013) : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls (8 avril 2014) : oui
  • Plan de 50 milliards (29 avril) : oui
Chantal GuittetChantal Guittet © Capture d'écran Voeux 2014/Vimeo

« La trajectoire n'est pas la bonne. Une politique de l'offre seule est profondément récessive. Je ne crois pas à la phrase de François Hollande, empruntée à l'économiste Jean-Baptiste Say, selon laquelle l'offre crée la demande. C'est faux. Devant les ministres il y a deux semaines, après l'annonce des mesures de Manuel Valls, j'ai parlé “brut de décoffrage” : j'ai ma liberté de parole, je ne suis pas du sérail. J'ai dit que reculer le plan pauvreté était inadmissible, que le projet de François Hollande, le discours du Bourget, ce n'était pas la politique de l'offre à tout prix. Il y a eu un virement, il faut bien l'admettre. Ont-ils raison ? Fondamentalement, je pense que non, même si l'économie n'est pas une science exacte.

« Avant le vote, j'étais le cul entre deux chaises, angoissée, ce n'est pas la première fois d'ailleurs. Je n'ai pas forcément passé une semaine tranquille. Ça m'a travaillé, ça me travaille encore. Je n'arrête pas de voir des gens qui ne mangent pas à leur faim, c'est insupportable, je me pose plein de questions sur les décisions que nous prenons. Mais j'ai voté pour. Je ne me voyais pas mettre le gouvernement en minorité, il y avait un risque. Et même s'il se trompe sur la trajectoire, celle des autres en face est pire encore.

« On me dit “vous êtes rentrés dans le rang pour sauver votre siège”. Mais je ne suis pas entrée en politique pour avoir un siège. Je suis venue à la politique par hasard, j'étais professeur de gestion à l'université, on m'a dit pourquoi “tu ne vas pas aux législatives” ? J'ai trouvé ça loufoque, et puis dans cette circonscription de droite, j'ai mis en 2007 le candidat UMP en difficulté au second tour, ça n'était jamais arrivé. Et en 2012, j'ai gagné. Mais si je ne suis pas réélue en 2017, c'est la démocratie. De toutes façons, je suis contre le cumul des mandats dans le temps et dans l'espace.

« Il y a beaucoup de choses que je trouve étranges dans le débat politique. Par exemple qu'on ne parle que de 2017 et du retour de Sarkozy, jamais de la pauvreté et pas beaucoup de sujets importants comme les travailleurs détachés. Quand on parle de milliards, ça ne dit rien à nos électeurs. J'aimerais qu'on mesure les conséquences concrètes de ces économies pour les ménages, et ça s'adresse aussi aux journalistes.

« Maintenant, il faut Bac +5 pour comprendre un discours politique, c'est devenu trop compliqué. Il faudrait davantage former nos concitoyens au droit et à l'économie. Les lois sont devenues incompréhensibles. Notre travail à l'Assemblée nationale lui-même est d'un autre siècle. On n'arrive pas à mobiliser les médias sur les sujets de fond que nous suivons au Parlement.

« Nos concitoyens, eux, c'est sur des choses très concrètes qu'ils fondent leur jugement. La fiscalisation rétroactive des retraités ayant eu une famille nombreuse, par exemple (elle a été votée dans le budget 2014, ndlr), c'est choquant surtout que nous avons reculé l'âge de la retraite. La demi-part des veuves supprimée, je suis d'accord mais alors il fallait augmenter les petites retraites. Quand je rencontre des veuves, seules quinze dans la salle sont imposables mais toutes pensent que ce gouvernement leur a volé quelque chose ! Tant qu'on ne remettra pas la fiscalité à plat, on aura toujours ce genre de problèmes.

« Dès maintenant, on pourrait être plus radical sur certains sujets. On ne devrait plus tolérer par exemple les dépassements d'honoraires des médecins. On devrait revaloriser le salaire des enseignants, des greffiers, des infirmiers, etc. J'espère qu'une fois qu'on aura apuré les comptes du pays, il y aura une nouvelle répartition des richesses. »

Philippe Noguès (PS. Morbihan). Réclame une loi contre la sous-traitance anarchique des multinationales.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : abstention
  • Plan de 50 milliards : abstention
Philippe Noguès Philippe Noguès © DR

« Avant le vote du plan Valls, il y a eu des pressions assez phénoménales. Des collègues nous en voulaient. On nous menaçait d'une dissolution. Depuis mon élection en 2012, je n'avais jamais vécu ça.

« Si je me suis abstenu, comme sur le discours de politique générale, c'est parce que la politique de François Hollande ne correspond pas à celle pour laquelle il a été élu. Mes votes ont eu des impacts en Bretagne, où les “hollandais” sont très implantés. La fête de la rose de la fédération socialiste du Morbihan qui devait se tenir chez moi a été annulée dix jours avant. J'ai organisé à la place un repas républicain, il y avait plus de monde ! Nous avons créé un vrai espoir à gauche, chez les gens qui ne se sont pas déplacés aux municipales.

« Je n'imaginais pas qu'on en serait là au bout de deux ans de pouvoir. Je veux bien perdre en 2017, mais dans ce cas sur mes valeurs, pas sur une politique de droite. Je regrette par exemple d'avoir voté le traité européen à l'automne 2012 : je venais d'être élu, on nous a promis que ce serait “un oui exigeant”, on voit aujourd'hui sa traduction concrète : la rigueur d'Ayrault est devenue sous Valls une politique d'austérité. Dans le plan de 50 milliards, ce sont juste les mesures les plus à droite qui ont finalement été gommées.

« Je suis entré au PS en 2006. Pour les législatives 2012, j'ai été choisi par les militants contre le candidat officiel. Je ne suis pas un apparatchik, j'ai été élu pour la première fois en 2012 après 35 ans de carrière dans le privé.

« Ces abstentions m'ont libéré. Maintenant, j'ai envie de faire comme je l'entends, avec la conscience de ma responsabilité. Je vais travailler sur les textes budgétaires à venir. Je ne songe pas encore à quitter le groupe PS. Mais pour l'avenir, je ne m'interdis rien. Si j'ai un jour le sentiment d'être face à un mur, si on n'arrive pas à infléchir la politique de l'intérieur, il faudra peser d'une autre manière et restera cette solution de sortir du groupe. Cela traverse l'esprit de plusieurs députés, c'est clair. Attend-on du groupe majoritaire qu'il soit un troupeau de moutons bêlants ? Le président doit se préoccuper de sa majorité. On est vraiment au bout de cette Cinquième République où le seul qui détermine la politique est le chef de l'État. »

Florent Boudié (Gironde), “hollandais”.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : oui
Florent Boudié, à l'Assemblée nationale, décembre 2013Florent Boudié, à l'Assemblée nationale, décembre 2013 © Capture d'écran Assemblée nationale

« J'étais au “club Témoin” de Jacques Delors et François Hollande pendant mes études à Sciences-Po Bordeaux dans les années 1990 : c'est dire si je suis “hollandais” de longue date. Cette ligne sociale-démocrate me correspond. Mais le discours de politique générale tenu par Manuel Valls aurait dû l'être dès 2012. Nous serions déjà passés à une autre phase du quinquennat. S'il y a un échec, c'est de ne pas avoir mis à profit la campagne présidentielle pour tenir un discours de vérité. Ce quinquennat risque d'être très déséquilibré, avec une seule phase de rigueur ponctuée de mesures de justice sociale.

« Les municipales ont été un électrochoc. Ça nous a porté un coup au moral. Des élus avec un très bon bilan se sont fait bananer. Les ravages sont profonds. Il y a une déception sur le rythme des réformes, sur l'exercice du pouvoir et aussi une demande de justice sociale. Mais nos concitoyens veulent aussi moins de dépenses et plus d'efficacité. Il est paradoxal de dire qu'ils veulent plus de gauche alors que c'est la droite et l'extrême droite qui profitent de nos faiblesses actuelles.

« Nous n'avions pas assez mesuré l'impact de la hausse de la fiscalité. En septembre 2012, Jean-Marc Ayrault a dit que 9 Français sur 10 ne seraient pas touchés par les hausses d'impôt, c'était le contraire ! Puis il y a eu la hausse de la TVA début 2014, qui avait été balayée d'un revers de la main pendant la campagne. C'est là que le système s'est grippé dans l'opinion. Sans compter ces “couacs” qui ont montré un problème profond d'exercice quotidien de la responsabilité publique.

« François Hollande n'avait pas un programme « étincelant » comme il dit, mais il avait donné, au Bourget notamment, le sentiment qu'il ferait ce qu'il avait promis. Nous avons fait le non-cumul, la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé tôt, etc., mais tout ça s'est effacé. Le plan de 50 milliards d'économies, je l'assume pleinement, tout comme la réforme des collectivités territoriales, la plus ambitieuse jamais essayée. Maintenant, il va falloir courber l'échine pendant au moins six mois. Les défaites (européenne, sénatoriale) vont s'ajouter à l'impopularité.

« Dans cette situation, nous ne devons pas paraître divisés. Nous ne sommes pas à la veille d'un congrès du PS. Parmi les 41 abstentionnistes, beaucoup ont voulu sincèrement sonner l'alerte mais d'autres avaient des stratégies plus personnelles, ça m'agace. Nous ne sommes pas là pour être des godillots, il faut des débats, mais dans la Cinquième République, la rébellion parlementaire est inutile. Chacun à notre niveau, nous sommes tous de petits caporaux : nous assumons collectivement la responsabilité. »

Suzanne Tallard (Charente-Maritime). Proche de l'aile gauche du PS tendance Marie-Noëlle Lienemann. 

  • TSCG : abstention
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : abstention
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : abstention
  • Plan de 50 milliards : abstention

Suzanne TallardSuzanne Tallard © MM/Mediapart

« C'est l'injustice sociale qui motive mes votes. La réforme des retraites fait travailler les gens jusqu'à 67 ans : c'est impossible. Toucher les petites retraites, reculer le plan pauvreté, geler le point d'indice des fonctionnaires etc. : ces mesures prévues au départ dans le plan d'économies du gouvernement n'auraient même pas dû être proposées par la gauche. Manuel Valls est revenu dessus, c'est bien le moins.

« Mais sur le fond, le premier ministre n'a pas répondu à l'interpellation des cent députés dont je faisais partie. Le gouvernement mène une politique de droite atténuée. Donner des centaines de millions d'euros à la grande distribution sans contrepartie avec le crédit d'impôt compétitivité (CICE), c'est une injustice sociale flagrante aux yeux, par exemple, des petits retraités, et je crains que nos concitoyens ne s'en souviennent.

« Quand je me suis abstenue sur la déclaration de politique générale de Manuel Valls, avec dix autres socialistes, je m'attendais à ferrailler avec les militants. Ils m'ont dit “ne t'excuse pas”, ils m'ont même remerciée. Certains m'ont dit que notre vote les avait dissuadés de rendre leur carte du PS. Les européennes ? On connaît déjà le résultat. Le PS sera en troisième position, on va reculer, on le sait, comme on a perdu les municipales. Si le gouvernement avait mené une autre politique, on n'en serait peut-être pas là.

« Avec le gouvernement, nous sommes désormais dans un rapport de force. Ça me désole, mais c'est ainsi. La politique menée devrait être en accord avec les promesses de François Hollande : redresser la France dans la justice, le message de la campagne présidentielle, je suis à 200 % pour. Nous continuerons, au sein de la majorité, à travailler pour démontrer qu'une autre politique est possible. La façon dont le gouvernement accueillera nos propositions décidera de nos votes.

« Je suis militante socialiste depuis 2002 et la défaite de Jospin. J'étais élue locale, je me suis dit alors : “faut y aller”. Le PS n'était pas en grande forme… aujourd'hui, je veux croire que ce parti reste ma maison. Je reste car j'ai l'espoir de le faire bouger. Je suis très triste. J'ai reçu une lettre d'une personne que je connais bien, me disant : “Suzanne, je ne voterai plus jamais socialiste.” C'est le genre de courrier qu'on n'oublie pas. Je sais que pour une personne qui m'écrit, il y en a cent qui pensent ça. Je me demande si nous n'avons pas déjà perdu 2017. »

Geneviève Gaillard (Deux-Sèvres). Maire de Niort battue aux municipales.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : oui
Geneviève GaillardGeneviève Gaillard © DR

« Les municipales ont été une violence, un choc. Il y a beaucoup de raisons à une telle défaite : le PS local qui a soutenu mes adversaires, les travaux dans le centre-ville, le fait que les écologistes et le PG soient partis seuls, cette fausse rumeur partie de l'extrême droite selon laquelle je faisais venir des hordes de populations noires dans ma ville. J'ai aussi été une victime du genre : quand elle prend des décisions, une femme est forcément autoritaire, alors qu'un homme, lui, est courageux.

« Et puis, bien sûr, il y a la politique nationale. Les électeurs nous ont passé des messages : “gauche et droite c'est pareil”, “Hollande a fait des promesses qu'il n'a pas tenues”, “vous faites la même politique que Sarkozy”. Des gens de gauche nous ont dit que certaines positions, par exemple celle du premier ministre actuel sur les Roms, les ont choqués.

« Je fais partie des députés qui avaient signé la lettre pour une autre politique. Je ne suis pas sûre que cette politique de l'offre qui oublie la demande donne autant de résultats qu'on le dit. C'est vrai, la gauche doit évoluer, le monde a changé, on ne peut plus raser gratis. Mais j'aurais aimé que François Hollande soit plus offensif sur l'Europe, qu'on n'enterre pas la réforme fiscale, qu'on lance la réforme territoriale sans tous ces atermoiements. Dans les mois à venir, la suppression de la majoration retraites pour les parents de familles nombreuses va être calamiteuse, tout comme les effets de la suppression de la demi-part pour les veuves. Je suis pour une Sixième République, on n'en entend plus parler, c'est dommage. J'étais députée sous Jospin, on était mieux traité. Il paraît que ça va changer.

« Fallait-il voter le pacte Valls ? J'ai hésité, jusqu'au dernier moment. Mais je ne voulais pas mettre le gouvernement en difficulté. Je ne suis pas sûre que les électeurs trouveraient leur compte si la droite revenait au pouvoir. J'ai la faiblesse d'être collective et loyale. Je ne quitterai pas le PS, où je suis depuis trente ans. Pour faire quoi ? Le Front de gauche, c'est non. Les écolos ? C'est autant le bordel chez eux que chez nous. Je préfère travailler de l'intérieur. Mais pourquoi le PS n'écoute-t-il pas plus les gens qui ont des choses à dire, les économistes atterrés ou Pierre Larrouturou, le fondateur de Nouvelle Donne ?

« Parfois je me dis que tout ça est un immense gâchis. On avait tout, les régions, les départements, les communes, vous vous rendez compte du tabac qu'on aurait pu faire ? Tout est anéanti. Et on peut même aller encore plus bas. Pour 2017, je pense que tout est possible. Y compris changer de candidat. Mais qui peut dire aujourd'hui quelle sera la situation à ce moment-là ? »

Stéphane Travert (Manche). Député de Flamanville (aile gauche du PS, tendance Hamon)

  • TSCG : abstention
  • Accord emploi : non
  • Réforme des retraites : abstention
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

© Assemblée nationale

« C'est parce que les leçons des municipales n'ont pas été suffisamment tirées que certains d'entre nous se sont abstenus sur le plan d'économies. Je suis d'accord pour être pragmatique, parler aux entreprises. Mais ça n'empêche pas d'avoir des convictions de gauche et de parler à notre électorat. Aux municipales, ce sont bien souvent trente ans de travail militant qui ont été mis par terre.

« Nous avions rassemblé notre camp à la présidentielle. Mais aux municipales, la gauche ne s'est pas déplacée et la droite s'est beaucoup mobilisée. Notre électorat est déstructuré, les gens sont déçus et rejettent la classe politique. Nous devons désormais reconstituer notre base électorale en poussant le curseur. La population ouvrière de Flamanville, les petits retraités, c'est à eux que je m'adresse sur le terrain. Nous devons expliquer ce que nous faisons, même si on n'y est pas toujours aidé quand des gens comme Cahuzac, ou récemment un conseiller du président de la République, viennent détruire le travail militant et trahir l'idéal de République irréprochable.

« Pour les européennes, je fais campagne pour que notre camp se déplace. En 2005, j'ai milité pour le “non” au référendum, et dans mon département il l'a emporté largement. C'est difficile d'expliquer ce que fait l'Europe, dont les fonds soutiennent pourtant des secteurs importants dans ma circonscription, comme la pêche.

« Dans le nord-ouest, chez moi, Marine Le Pen est candidate pour le Front national. Elle met en avant des propositions qui ne vont pas dans le sens du rapprochement des peuples, de la cohésion sociale et républicaine. Elle n'a jamais vraiment pris position sur la question des travailleurs détachés, elle ne travaille pas au Parlement. C'est plus facile de dire comme elle le fait que l'Europe est la cause de tous les maux, d'en appeler à de vieilles lunes. Pour nous, la campagne n'est pas facile. »

Kheira Bouziane-Laroussi (Côte-d'Or)

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : non
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

Kheira Bouziane, dans sa circonscriptionKheira Bouziane, dans sa circonscription © DR

« Les 41 abstentionnistes, on nous a traités de “djihadistes"… mais si nous nous sommes abstenus, c'est au nom du progrès social promis en 2012. Je suis économiste de formation, je connais l'entreprise. Mais le patronat français est un vrai enfant gâté : ce n'est jamais assez.

« Je l'ai dit à François Hollande : si vous voulez rapprocher les deux sensibilités de la majorité, il suffit que le pacte de compétitivité comporte des contreparties. On a déjà fait le CICE sans contreparties. Les grandes surfaces vont en bénéficier alors qu'elles ne sont pas soumises à la concurrence internationale, c'est un scandale. On demande aux Français de faire des efforts mais en face, il y a quoi ? Les 50 milliards d'économie vont se traduire par des réductions dans les collectivités, l'investissement public, la sécurité sociale. J'attends avec inquiétude de savoir où on va couper : les hôpitaux sont déjà en difficulté !

« Lors des municipales, les électeurs de gauche nous ont passé un message clair : “ce qui se passe au niveau national ne nous plaît pas”. Ils vont le redire aux européennes. Les Français sont prêts à faire des efforts, ils sont réalistes, même les plus modestes d'entre nous… mais si c'est juste pour satisfaire les 3 %, ça ne leur parle pas. Il nous faut un peu d'utopie, c'est ça qui manque ! Comment voulez-vous que les gens qui tirent la langue et cherchent du travail ne trouvent pas honteux de voir les salaires que s'octroient les grands patrons ? 

« On a voté de belles lois, le mariage pour tous, l'égalité femmes-hommes, les avancées sur les stages… Mais tout ce travail n'est pas visible parce que la croissance n'est pas là et nos concitoyens tirent la langue. Et puis il reste beaucoup à faire pour améliorer le système éducatif, les retraites. On savait que ça allait être difficile, mais à ce point… J'ai parfois des moments de découragement, pourquoi le nier ? Mais je ne suis pas résignée. Les attentes des Français étaient très fortes, c'est difficile de les satisfaire. »

Jean-Patrick Gille (Indre-et-Loire). Spécialiste des questions d'emploi.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

© DR

« Quand vous êtes parlementaire sous la Cinquième République, vous êtes soit godillot soit trublion. Je ne suis ni l'un ni l'autre. Le vote du 29 avril était l'occasion de faire un vote sur le pacte de responsabilité, et nous avons saisi l'occasion. Nous avons dit que l'exécutif devait avoir un débat avec son Parlement, comme dans toute démocratie normale. Nous avons ce problème dans nos institutions d'un président de la République qui s'occupe de tout, la guerre au Mali, les sommets européens, la crise en Ukraine, le chômage, il répond à Bourdin à la radio et gère l'affaire Leonarda, ce n'est pas possible !

« Notre rôle, c'est aussi de représenter les électeurs. Leur demande est contradictoire ; ils veulent à la fois plus de gauche et qu'on aide les entreprises. C'est notre boulot de gérer les contradictions, sinon ça part en vrille.

« Je ne suis pas au RSA mais je ne vis pas sur l'Olympe non plus, je connais la vie des gens. Et en ce moment, ils ne se sentent pas représentés à gauche, même s'ils l'expriment souvent en nous disant qu'on est coupés de leurs réalités ou qu'on est des salauds. Globalement, les 60 propositions de François Hollande ont été tenues, mais à une exception majeure : la politique sociale et économique. On ne fait pas la grande réforme fiscale, à cause de Bercy comme d'habitude. On avait dit que le coût du travail n'était pas un problème majeur, avec le CICE on change de politique en quelques jours, par amendement. D'ailleurs, je n'avais pas voté “pour” ce jour-là.

« Et maintenant on nous parle d'exonérations massives dans le pacte de compétitivité, des exonérations qui ne sont jamais évaluées. Il y a une soumission à une doxa techno-libérale portée par Bercy. Ceux qui sont au sommet de l'État n'arrivent pas à résister. Est-ce l'effet de caste ? La promotion Voltaire ? En attendant, il y a un renoncement politique.

« Je suis pour la réduction des déficits, pour des comptes sociaux à l'équilibre pour maintenir notre protection sociale, voire des gels temporaires de progression des retraites ou du salaire des fonctionnaires. Mais à la longue, c'est récessif. Et puis quelle efficacité de la politique dans laquelle on s'engage ? Total et Sanofi, qui affichent des profits conséquents, vont recevoir des chèques très importants dans le cadre du CICE.

« Quant à l'exonération totale des charges sur le Smic (annoncée par Manuel Valls dans son discours de politique générale, ndlr), c'est la fausse bonne idée par excellence. On donne 10 milliards d'exonérations supplémentaires sur les entreprises, c'est l'équivalent du budget de la politique de l'emploi en France, hors la formation professionnelle ! Et ça revient à dépenser 45 000 euros par emploi créé. Ça fait cher ! Pour créer 200 000 emplois, autant faire des aides ciblées attribuées aux entreprises qui ont embauché des salariés supplémentaires pour éviter les effets d'aubaine ! L'argent englouti là-dedans ne sera pas mis dans la réduction des déficits ou dans les investissements. Sans compter le risque de créer des pièges à bas salaires. »

Catherine Beaubatie (Haute-Vienne)

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : oui

© capture d'écran LCP

« Limoges, ma ville, était à gauche depuis 102 ans. Elle est passée à droite. Nous avons décroché de 26 points au premier tour. Dix points sont sans doute dus au contexte national. En plus des divisions, il y a aussi une certaine usure de la municipalité, une envie d'alternance. Mais au fond, tous les socialistes ont perdu car Limoges est une ville emblématique du socialisme. Nous devons évidemment nous poser des questions.

« Après, on ne gagne jamais contre son camp : nous faisons des choix, nous devons les assumer. On peut débattre, mais à un moment il faut trancher et c'est la décision de la majorité qui s'applique. Comment peut-on accorder la confiance à Manuel Valls le 8 avril et s'abstenir moins d'un mois après ? C'est laver plus blanc que blanc et faire passer les autres pour des godillots. Je ne suis pas béate. Bien sûr, la militante socialiste que je suis a parfois envie de renverser la table.

« On nous dit “vous n'êtes pas allé assez loin sur la réforme bancaire, la fraude fiscale, la finance”. Je l'entends. Mais la France n'est pas seule au monde. Et puis il y a la dette et le déficit. Tant que nous avons ces boulets aux pieds, la confiance ne reviendra pas. Les Français sont inquiets, ils ont peur de l'avenir pour eux, leurs enfants, leurs petits-enfants et veulent du pouvoir d'achat en plus. Nous sommes dans une situation jamais connue de crise économique et nous devons gouverner le pays avec des Français désabusés et qui n'ont plus de repères. Je plaide pour une vraie réforme fiscale. Des gens à petits revenus sont imposés alors qu'ils n'auraient jamais dû l'être.

« Bien sûr, je ne vais pas vous dire que je suis à l'aise dans mes baskets quand je vois et que j'entends ce que nous disent les électeurs. Mais justement Manuel Valls a envie d'aller au bout des réformes économiques, de la réforme territoriale. Il a du courage. Nos concitoyens nous jugeront dans trois ans. »

Richard Ferrand (Finistère)

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : abstention
  • Réforme retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

© PS du Finistère

« Je ne suis pas un gauchiste exalté. Mais avant de mobiliser 50 milliards d'euros, on peut quand même savoir comment cibler au mieux, surtout quand l'État n'a pas un rond ! Qu'on fasse le CICE, qu'on aide les entreprises, 1000 fois oui. Mais pourquoi en faire bénéficier la grande distribution, des assurances, les banques qui ne sont pas des entreprises de production ? Ça n'a pas de sens et on n'a jamais pu en débattre.

« Je veux bien entendre des arguments mais pas obéir à des ordres. Le contrat de majorité que nous demandions s'est transformé en ordre de mission. Et puis il y a ce fétichisme des 3 % de déficit, alors que même la Banque centrale européenne s'inquiète des risques de déflation ! Je m'inquiète de l'impact asthénique, récessif des mesures que nous prenons. On ne peut pas ajouter de l'injustice à l'inefficacité.

« Je me rappelle que j'ai été élu dans la continuité du discours du Bourget. Mais récemment, un électeur m'a dit “Quand Hollande au Bourget parlait de son ennemi, je ne pensais pas que c'était de moi qu’il parlait.” C'est vrai que François Hollande paraît désormais très déterminé dans sa volonté de mener sa politique, c'est assez courageux. Mais je ne n'oublie pas sur quoi nous avons été élus. En Bretagne ces derniers mois, il m'est arrivé de sonner le tocsin (Richard Ferrand s'était inquiété du climat social en Bretagne avant les Bonnets rouges, ndlr), je ne voudrais pas sonner le glas ! L'ADN de la gauche, c'est réduire les inégalités, pas "faire des gestes" de justice sociale. La gauche qui fait des gestes, c'est moi qui ai envie de lui en faire, des gestes. On ne peut pas continuer avec ces mesures qui ont abouti à rendre imposables des gens qui n'ont pourtant pas gagné un centime de plus.

« Pour les européennes, je suis assez inquiet. Parviendrons-nous à faire comprendre l'enjeu de cette élection ? Que desserrer l'étau européen peut nous permettre de travailler différemment ? Ça sent la rebelote après les municipales, même si le pire n'est jamais sûr.

« Je ne désarme pas. Après les municipales, rien ne peut être comme avant. Il faut que l'exécutif nous entende. Si le gouvernement veut que nous devenions les VRP de sa politique, il doit nous convaincre de la qualité de sa politique. Nous ne demandons pas de faire la révolution, nous demandons de discuter.

« Je n'ai pas envie de quitter le groupe PS. Je crois à l'intelligence collective des socialistes. C'est là que nous devons être féconds. Manuel Valls doit écouter et pas rejeter : nous voulons qu'il réussisse, avec nous tous ! François Hollande, mieux que quiconque, nous connaît très bien. Un bon manager utilise toutes les qualités de ses troupes. J'ai encore confiance dans notre exécutif, pourvu qu'il passe plus de temps avec ceux qui “sentent” et proposent qu'avec ceux qui "savent” et disposent... avec le succès que l'on sait.

« Mais je n'accepterai pas qu'on nous dise indéfiniment “vous devez voter ça”, et que face à nos réticences le gouvernement se contente de montrer les dents. Les esprits libres ont toujours nourri la force de la gauche. Les fan-clubs ont toujours fini en clubs fanés. »

BOITE NOIREHuit entretiens ont été réalisés en face-à-face la semaine dernière à l'Assemblée nationale. Stéphane Travert et Richard Ferrand ont été questionnés au téléphone. Aucun entretien n'a été relu. Richard Ferrand a ajouté quelques précisions par courrier électronique.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

La réforme Taubira sera enfin débattue en juin

$
0
0

Le projet de réforme pénale de Christiane Taubira sera finalement discuté à l'Assemblée nationale à partir du 3 juin, et devrait ensuite être rapidement transmis au Sénat. Le texte, qui était déjà bouclé, avait été repoussé à l’automne dernier, sur fond de vives tensions entre la ministre de la justice et Manuel Valls, qui était alors son homologue à l’intérieur et campait sur une ligne sécuritaire. C’est finalement François Hollande qui, en nommant Valls à Matignon, a convaincu Christiane Taubira de rester place Vendôme et de porter politiquement ce texte assez mesuré, mais qualifié d’important. Pour autant, selon des sources informées, la ministre de la justice ne semble pas désireuse de rester à son poste après l’été.

Jusqu’à l’examen du texte, repoussé une seconde fois en avril, et dont l’intitulé est « Prévention de la récidive et individualisation des peines », Christiane Taubira devrait se faire assez rare dans les médias. « Elle souhaite réserver ses explications à la représentation nationale », explique-t-on à la Chancellerie.

Christiane TaubiraChristiane Taubira © Reuters

L’argumentaire du texte évite soigneusement les questions qui fâchent, c’est-à-dire tout ce qui pourrait évoquer une volonté politique de soulager les prisons : l’UMP et le FN ont choisi de cibler Christiane Taubira en la caricaturant en garde des Sceaux « angélique » et « laxiste » qui ne rêverait que de « vider les prisons »,et attendent ce débat l'arme au pied.

La réalité est tout autre. Certes, le nombre de personnes détenues a augmenté de 35 % entre 2001 et 2012, sans réduire pour autant le taux de récidive. Mais depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, en mai 2012, les prisons françaises n’ont fait que se remplir davantage et les taux de suroccupation ont encore augmenté. Ainsi, au 1er avril, on comptait 68 859 personnes détenues pour seulement 57 680 places, soit une hausse de 2 % par rapport à avril 2013, selon les derniers chiffres de l’administration pénitentiaire. Une situation qui est jugée intenable autant par les associations que par les syndicats de gardiens.

Pourtant, ce sujet explosif de la surpopulation carcérale n’est abordé qu’avec une extrême prudence par le ministère de la justice. Pour expliquer la réforme pénale à venir, on préfère insister sur d’autres thèmes, réputés plus consensuels et en tout cas moins sujets à polémiques. L’accent est ainsi mis sur les efforts qui seront réalisés en faveur des « victimes », avec notamment la création dans les tribunaux, en 2013-2014, de 160 « bureaux d’aide aux victimes ».

L’essentiel du texte vise d’abord à « mieux individualiser » les peines prononcées par les tribunaux. Dans cette perspective, les tristement célèbres « peines planchers » seront enfin abrogées. Quelque 43 000 peines planchers ont été prononcées entre 2007 et 2011, qui ont eu mécaniquement pour effet d’alourdir les peines de prison. Les révocations automatiques de sursis seront également supprimées et devront être prononcées par des magistrats. Jusqu’ici, un nouveau délit puni de 15 jours d’emprisonnement pouvait entrainer la révocation disproportionnée d’un sursis de deux ans d’emprisonnement, explique le ministère.

Enfin, une « césure » sera instaurée dans le procès pénal, pour permettre au juge de déclarer la culpabilité d’une personne et faire indemniser la victime, puis de décider ultérieurement de la peine après une évaluation (sociale, professionnelle, psychologique, médicale…) de la personne condamnée.

Autre axe important de la réforme, la création de la « contrainte pénale » (également appelée « probation »), qui sera une nouvelle peine en « milieu ouvert ». Elle a pour but de « mieux encadrer le condamné » et de « le soumettre à un programme de responsabilisation » après une phase d’évaluation de sa personnalité par les services d’inspection et de probation. Cette peine est différente et complémentaire du sursis avec mise à l’épreuve, qui reste lié à un éventuel retour en prison. La contrainte pénale vise plutôt les personnes « qui ont besoin d‘un accompagnement, afin de leur éviter de s’ancrer dans la délinquance », ce qui se produit souvent à l’occasion d’un court séjour en prison, explique-t-on Place Vendôme.

Le constat de la Chancellerie est fondé sur des études montrant que, alors que 56 % des détenus sont en prison pour une durée inférieure à six mois, les courts séjours en prison ont pour effet de « désocialiser » les condamnés, sans pouvoir les préparer à leur sortie : ce sont ces « sorties sèches », faute d’aménagement des courtes peines, qu’il faudra réduire. La contrainte pénale s’accompagnera par ailleurs de sanctions (comme des travaux d’intérêt général) et sera soumise à l’examen d’un juge en cas de non-respect du dispositif.

Le ministère rappelle, pour désamorcer les critiques, que le suivi des condamnés en milieu ouvert est plus efficace que les courts séjours en prison pour prévenir les risques de récidive : 61 % des sortants de prison sont à nouveau condamnés à une peine d’emprisonnement dans les cinq ans qui suivent, alors que ce taux chute à 32 % pour les personnes initialement condamnées à du sursis avec mise à l’épreuve, selon une étude statistique.

Par ailleurs, une autre étude récente de la Chancellerie montre que les plus forts taux de récidive s’observent pour des délits comme les infractions liées au transports, puis la police des étrangers et les affaires de stupéfiants, pour lesquels la prison n’a souvent qu’une utilité plus que discutable (on peut lire cette étude ici).

Enfin, un nouveau dispositif de « libération sous contrainte » est instauré, qui vise à éviter les sorties de prison sans contrôle ni suivi.  Il prévoit un examen systématique de la situation des condamnés à une peine de cinq ans maximum lorsqu’ils ont exécuté les deux-tiers de leur peine. Si le juge d’application des peines le décide, le condamné pourra sortir avec une série d’obligations et un contrôle, et pourra être placé en semi-liberté ou sous surveillance électronique.

Manuel Valls et Christiane TaubiraManuel Valls et Christiane Taubira © Reuters

D’autres pistes, plus audacieuses, auraient permis de désengorger les tribunaux et de soulager les prisons, mais elles n’ont pas été retenues. Une grande réforme pénale aurait, par exemple, pu permettre de “dépénaliser” ou de “contraventionnaliser” une série d’infractions (routières notamment) qui ont été transformées en délits sous Chirac et Sarkozy, ou encore la détention de stupéfiants. De même, l’échelle des peines encourues pour certains délits n’a pas été revue à la baisse, toujours afin d’éviter d’être taxé de laxisme. Sur ces questions, comme pour d'autres réformes sociétales, la gauche de gouvernement semble décidément pusillanime et comme tétanisée.

Quoiqu'il en soit, environ 250 amendements parlementaires sont déjà prévus pour l'examen du texte à l’Assemblée. La réforme pénale de Christiane Taubira, dénoncée par avance – et largement déformée – par une bonne partie de l’UMP, est toutefois défendue (notamment dans les colonnes de Libération) par le sénateur gaulliste Jean-René Lecerf, qui trouve le texte pragmatique et équilibré. Lecerf se dit d’accord avec 90 % du texte et lance cet avertissement très direct à ses camarades de l’UMP (notamment le courant dit de de la Droite populaire): « Qualifier la réforme Taubira de laxiste, c‘est de la folie. » « On fait un procès en sorcellerie à Christiane Taubira », ajoute le sénateur.

Reste qu'à l'avenir, la réussite concrète du projet reposera en grande partie sur les épaules des conseillers de probation et d’insertion, dont le nombre devrait augmenter de 1 000 en trois ans, ce qui semble trop juste à plusieurs spécialistes. Débordés, ces conseillers traitent déjà une centaine de dossiers chacun, quand 50 à 60 paraîtraient plus raisonnables. L'organisation et les méthodes de travail devront être revues, répond la Chancellerie.

Pour le reste, le ministère de la justice ne sait pas – ou ne souhaite pas dire – quel impact prévisible pourrait avoir cette réforme dans les prisons françaises. La fourchette très large – entre 8 000 et 25 000 personnes pouvant être concernées par la contrainte pénale – n’a pas évolué depuis la présentation initiale du projet en août dernier. Et pour les éventuels mal-comprenants, les conseillers de Christiane Taubira répètent en boucle que ce qui compte, c’est « la prévention de la récidive », « le sens de la peine » et son « individualisation ».

Lire également sous l'onglet Prolonger

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

Chauprade, un pied au FN, l'autre chez les ultras d'extrême droite

$
0
0

Un candidat « de la société civile ». C'est ainsi que se présente Aymeric Chauprade, tête de liste FN en Île-de-France aux européennes. Ce géopolitologue, sorti du chapeau à l'automne dernier par Marine Le Pen, la conseille pourtant depuis 2010 et gravite depuis des années à l'extrême droite, où il entretient des contacts sulfureux. Homme de l'ombre, il cultive un certain secret sur ses réseaux et activités.

Poussé sous les projecteurs par la campagne européenne, Chauprade a longtemps préféré rester dans l'ombre. Le candidat frontiste a passé quatre ans à conseiller officieusement Marine Le Pen avant de prendre le titre officiel de « conseiller spécial » sur les questions internationales, après son intervention à l'université d'été du FN, en septembre 2013. Nommé responsable de la fédération des Français de l'étranger, puis propulsé tête de liste aux européennes, ce géopolitologue de 45 ans – docteur en science politique de la Sorbonne, diplômé de Sciences-Po Paris, consultant international –, est présenté comme le nouvel intello du FN.

Aymeric Chauprade en tête du défilé du 1er-Mai du FN, en hommage à Jeanne d'Arc, cette année.Aymeric Chauprade en tête du défilé du 1er-Mai du FN, en hommage à Jeanne d'Arc, cette année. © Twitter / a_chauprade

Ancien soutien de Philippe de Villiers, il est aujourd'hui étroitement lié à la famille Le Pen. Lors de la présentation de sa liste, le 24 avril, sur une péniche parisienne, le noyau familial est présent. Marine Le Pen, sa nièce Marion Maréchal-Le Pen, sa sœur Yann Maréchal, qui tient les finances de son association de financement (présidée par Catherine Griset, une proche de la présidente du FN, qui travaille à son cabinet) et Arnaud Stefan, conseiller médias de Marion Maréchal, qui assure désormais aussi la communication d'Aymeric Chauprade.

S’il a désormais un pied au Front national, l'intellectuel n'a pas rompu les liens avec d’autres sphères d'extrême droite que la présidente du FN elle-même juge infréquentables. La composition de sa liste a d'ailleurs suscité des remous au FN. On y trouve l'ancien président du GUD Frédéric Pichon, devenu l'avocat de nombreux militants d'extrême droite, notamment du Bloc identitaire. Ce pilier du Printemps français comptait parmi les organisateurs du « Jour de colère ».

Plusieurs militants de cette mouvance catholique ultra y figurent, des membres de « La Manif Pour Tous » comme Pierre Nicolas, l'ancien coordinateur du mouvement et Marie-Amélie Dutheil de La Rochère, la cousine de la présidente, Anne-Sophie Désir, ex-candidate d'une liste catholique anti-IVG, ou des frontistes catholiques traditionalistes (Marie-Christine Boutonnet, Alexandre Simonnot, etc).

Le candidat a aussi recruté son attachée de presse en dehors des rangs du FN : Jeanne Pavard a été candidate sur la liste du Rassemblement étudiant de droite (RED), mouvement d'extrême droite né des décombres du GUD. Cette ancienne assistante parlementaire d'Hervé Mariton, chef de file UMP des anti-mariage pour tous, ne cache pas sa sympathie pour Dominique Venner, l’essayiste d’extrême droite qui s’est suicidé dans la cathédrale Notre-Dame de Paris (lire notre enquête).

L'invitation à la réunion publique d'Aymeric Chauprade, sur Twitter.L'invitation à la réunion publique d'Aymeric Chauprade, sur Twitter.

Le 2 avril, la première « réunion militante » de Chauprade a rassemblé 80 personnes, bien au-delà du Front national. Organisé au Carré parisien, lieu phare de la droite nationale, l'événement a mêlé des responsables du Front national de la jeunesse (FNJ), comme Julien Rochedy, des catholiques ultras, des membres du Printemps français, et Mathilde Gibelin, figure d'Europe Jeunesse, mouvement scout qui forme les militants du GRECE dès huit ans.

Ce soir-là, le conseiller de Marine Le Pen espérait attirer un vivier de militants « pour tracter et coller pour sa campagne », rapporte un participant. Mais en toute discrétion. L'événement, annoncé comme « public » sur les réseaux sociaux, « n’est pas ouvert à la presse », nous fait savoir à notre arrivée l’attachée de presse, avant de demander à la sécurité de fermer les fenêtres.

Le candidat frontiste, qui n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien (lire notre Boîte noire), préfère tenir les journalistes à distance. Le 24 avril, Mediapart est refoulé de sa conférence de presse. Le 11 mai, il diffuse un communiqué ciblant violemment un confrère de l'AFP après un article qui lui a déplu. Il y qualifie le journaliste de « petit Vychinski » et « (se) demande ce qu’il aurait pu être à d’autres heures bien plus sombres de notre histoire… ».

L'extrême droite, Aymeric Chauprade en a aussi fait la tournée ces derniers mois pour présenter la dernière édition de sa Chronique du choc des civilisationsLe 12 février, il a été reçu à Versailles par Dextra, née de la scission de l'Action française (AF), principal mouvement royaliste français, pour une conférence sur le thème « Penser la place de la France dans le monde ».

Aymeric Chauprade (à droite) reçu par Dextra à Versailles. À gauche, l'avocat Frédéric Pichon, ancien leader du GUD.Aymeric Chauprade (à droite) reçu par Dextra à Versailles. À gauche, l'avocat Frédéric Pichon, ancien leader du GUD. © La Table Ronde

« C’est lui qui nous a contactés. Notre ligne l’a intéressé et il voulait venir parler chez nous », a précisé le responsable de Dextra, pour qui les « maîtres mots de la “pensée” chaupradienne (…) s’inscrivent parfaitement dans la doctrine politique de Dextra ». Le 24 avril, c'est d'ailleurs l'une de leurs militantes, Lise Caillaud, qui assure l'accueil presse à la conférence de presse de Chauprade.

Les liens entre le géopolitologue et l'Action française – qui milite pour la restauration de la monarchie – ne sont pas nouveaux. Le conseiller de Marine Le Pen y est intervenu à plusieurs reprises, notamment comme membre de l'institut d'Action française, leur institut de formation, et il figurait en 2012 dans le comité d'honneur du cortège traditionnel célébrant Jeanne d'Arc. Selon les responsables de l'AF, Aymeric Chauprade a même été « membre du comité directeur du mouvement en 2006 et 2007 ».

« On soutient son discours, on est totalement d'accord sur la politique internationale. On estime qu'il vient de notre école de pensée, l'école maurrassienne, qui défend le maintien de la place de la France dans le monde », explique à Mediapart Camille Berth, secrétaire général adjoint de l'Action française. Le candidat frontiste n'a-t-il pas écrit que le livre majeur de Charles Maurras, leur figure emblématique, était « l’un des ouvrages les plus importants de la pensée géopolitique française » ?

L'affiche du dîner-débat aux Ronchons.L'affiche du dîner-débat aux Ronchons. © Synthèse nationale

Le 20 février, c’est aux Ronchons qu’il présentait son livre, ce restaurant où la revue nationaliste et identitaire Synthèse nationale – fondée par des anciens du parti des forces nouvelles et des ex-FN qui jugeaient celui-ci trop tiède – organise ses dîners-débats.

Quatre jours plus tard, il était reçu à Genêve par un personnage sulfureux : Pascal Junod, président de l’association des amis de Robert Brasillach, ancien avocat du négationniste Roger Garaudy, et animateur du cercle Thulé, qui diffuse les écrits de la Nouvelle Droite.

Le conseiller spécial de Marine Le Pen s’est aussi rendu en décembre à la fête du livre de Renaissance catholique, un mouvement national-catholique qui « œuvre pour la restauration des valeurs chrétiennes dans la société française », et où il est un invité très régulier (exemples en 2000200320052009). 

Chauprade entretient également des contacts avec les identitaires, que Marine Le Pen tente pourtant de tenir à distance de son parti, les considérant comme « européistes »« régionalistes » et leur reprochant de « contester le rôle fondamental (de) la Nation »Au printemps 2009, le géopolitologue était reçu à Bordeaux par l’association Histoire et Identité bordelaises, « cache-sexe des identitaires », explique un participant à Mediapart. L’événement était d’ailleurs relayé par le Bloc identitaire.

L’ouvrage qu'Aymeric Chauprade dédicace à l’occasion de cette tournée lui a valu d'être démis en 2009 de ses fonctions d'enseignant du Collège interarmées de défense (l'ancien nom de l'École de guerre), par Hervé Morin. Le ministre de la défense de l'époque lui reprochait des « relents absolument inacceptables » sur les attentats du 11-Septembre. Ce renvoi a été avalisé en 2011 par le tribunal administratif, qui estime que le géopolitologue a manqué à son « devoir de réserve » en livrant « sans distance critique suffisante une présentation flatteuse de ces thèses »« sans consacrer de développements analogues à la thèse officielle ».

Dans ce livre, Chauprade écrit que « la vérité “officielle” du 11 Septembre ne parvient plus à s’imposer partout », et détaille une « seconde interprétation » des attentats, « de plus en plus répandue dans le monde », portée par le mouvement Reopen911. Depuis, le candidat frontiste répète qu'il voit « des choses douteuses » dans la « version officielle », qui « pose des problèmes ». Il a même accordé, en octobre 2011, un long entretien à Reopen911 (voir la vidéo)La présidente du FN refuse quant à elle de s’exprimer sur les doutes émis par son conseiller. 

Le géopolitologue permet en réalité à Marine Le Pen de présenter les thèses du FN sous un jour universitaire avec à sa théorie du « choc des civilisations chrétienne et islamique » : refus de l'hégémonie américaine et ébauche d'un nouveau monde bipolaire, « le potentiel révolutionnaire de l’islamisme radical (…) a remplacé celui du communisme à l’époque de la guerre froide ».

Dans ce livre, marqué par une vision très sélective de l'histoire, l'islam, qui occupe la plus grande partie du texte, est dépeint comme une « religion de combat ». Le candidat frontiste raconte par le menu le « rituel macabre des décapitations » des islamistes, de la Bosnie au Sahel en passant par l’Irak et le Pakistan. Selon lui, « ces crimes ne sont pas de simples débordements marginaux de l’islam »,mais s'expliqueraient par la « violence légitime contenue dans les textes de référence de l’islam ».

La montée d’une « conscience européenne » doit, pour Chauprade, passer par une réaffirmation des « racines chrétiennes de l’Europe », face à un « réveil violent de l’islam »« L’affirmation islamique en terre d’islam comme à l’intérieur de l’Europe (immigration massive) pourrait néanmoins conduire de plus en plus d’Européens à considérer que l’enjeu identitaire est l’enjeu vital du XXIe siècle », écrit-il.

Le géopolitologue reprend aussi l’idée d’un « grand remplacement », théorisée par l’écrivain Renaud Camus (condamné pour incitation à la haine contre les musulmans). Dans un entretien au Point, en novembre, le conseiller de Marine Le Pen expliquait que « la civilisation française » était « menacée par le multiculturalisme » et que « le modèle d'assimilation s'effa(çait) devant une logique de remplacement des Français (…) par des communautés étrangères ».

Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.Aymeric Chauprade lors de la présentation de sa candidature par Marine Le Pen, le 24 avril.

Le géopolitologue a su tisser sa toile pour organiser la diffusion de ses idées dans toute la réacosphère. Il possède son propre site, Realpolitik TV, multiplie les conférences à l'étranger, signe des tribunes sur le site d’Égalité et réconciliation, le mouvement d’Alain Soral, intervient sur Radio Courtoisie. Il collabore à la Nouvelle Revue d’Histoire, créée par Dominique Venner, qui a contribué au renouvellement des thématiques raciales en repensant le racisme sous la forme d'un « différentialisme » exaltant les origines indo-européennes de « la société occidentale blanche ». À sa mort, Chauprade a d'ailleurs dit toute son admiration pour l'essayiste dans un hommage publié sur son site.

L'aura dont il bénéficie à l'extrême droite, en surfant sur la réaffirmation du courant « réaliste », lui vaut le soutien de plusieurs sphères, du Bloc identitaire à Renaissance catholique, en passant par Égalité et réconciliation ou l'Action française.

Les fréquentations d'Aymeric Chauprade ont, à plusieurs reprises, embarrassé Marine Le Pen. Invité d'une table ronde lors du « grand week-end d'Action française », le 18 janvier, il n’est finalement pas venu. Lors de ce « Carrefour royal », l’Action française organisait un banquet « dans la pure tradition d'action française » et invitait à « venir témoigner de (sa) fidélité au roi Louis XVI (mort le 21 janvier 1793 – Ndlr), victime d’avoir trop aimé son peuple ».

« Aymeric Chauprade nous avait confirmé sa venue, il a annulé une semaine avant à cause d'un déplacement en urgence », raconte à Mediapart Camille Berth. La présidente du FN a-t-elle fait barrage à cette invitation ? « Cela fait beaucoup de monde du FN qui annule », relève-t-il, en allusion à la défection de Paul-Marie Coûteaux, l'ex-“recruteur” du FN. « On s'est posé la question. Marine Le Pen nous déteste cordialement », ajoute un autre cadre de l'AF.

Autre épisode : le rétropédalage du FN par rapport à sa venue en Crimée, le 16 mars, avec une délégation d’« observateurs » internationaux. Son entourage avait d’abord annoncé à l’AFP qu’il se rendrait sur place pour « observer le processus du référendum » en tant que géopolitologue et « conseiller spécial de Marine Le Pen aux affaires internationales ». Ce que Marine Le Pen elle-même dément à l'AFP, quelques heures plus tard : « Le FN officiellement n’envoye pas d’observateur. » Chauprade s’y rendrait à titre personnel. Sur place, l’intéressé tente de rectifier le tir. « Tout d’abord, je tiens à dire que je suis ici, en fait, en tant que géopolitologue », explique-t-il au micro de la Voix de la Russie (écoutez ici).

Comment expliquer ce revirement ? La présidente du FN a-t-elle eu peur des retombées en France d’une telle visite ? Selon le journal d’extrême droite Minute, qui a rapporté « l’affolement », ce jour-là, au siège du Front national, Florian Philippot, vice-président du parti, aurait « bombardé d’appels » Marine Le Pen « pour lui faire part de ses craintes et de l’aspect négatif de ce voyage ». Cette visite avait de quoi embarrasser le FN : même le FPÖ, parti d’extrême droite autrichienne, avait décliné l’invitation en Crimée de l’Eurasian Observatory for Democracy and Elections (EODE). 

Luc Michel, à la tête de l'organisation qui a invité la délégation en Crimée.Luc Michel, à la tête de l'organisation qui a invité la délégation en Crimée. © PCN

Cette organisation pro-russe, créée par un ancien néonazi belge (Jean Thiriart, ex-collaborationniste membre des Amis du Grand Reich allemand), est aujourd'hui dirigée par Luc Michel, un national-bolchévik, fondateur du Parti communautaire national-européen (dont le quotidien flamand Da Morgen a récemment révélé le parcours à l'extrême droite).

Des photos de cette délégation ont été publiées par le chercheur Anton Shekhovtsov, spécialiste des mouvements d'extrême droite en Ukraine. Outre quelques membres de partis de gauche, on y voit le candidat frontiste entouré de représentants de partis européens d’extrême droite, dont le secrétaire général de l'Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN), à laquelle Marine Le Pen refuse désormais d'associer le FN.

On aperçoit aussi Aymeric Chauprade aux côtés du sulfureux Enrique Ravello, ex-responsable de Terre et Peuple Espagne. Cet ancien néonazi de la CECADE avait estimé en 2012 que son passage dans cette organisation fut une « belle expérience ». Le numéro deux du FN, Louis Aliot, avait alors estimé que son parti n'avait « rien à faire ni de près, ni de loin, avec ce genre de personnes ».

Aymeric Chauprade (2e en partant de la droite) avec une partie de la délégation d'« observateurs internationaux ».Aymeric Chauprade (2e en partant de la droite) avec une partie de la délégation d'« observateurs internationaux ». © Blog d'Anton Shekhovtsov
Aymeric Chauprade prenant la parole dans la délégation.Aymeric Chauprade prenant la parole dans la délégation. © Blog d'Anton Shekhovtsov

Comment expliquer, malgré ses fréquentations, la mise au premier plan soudaine d'Aymeric Chauprade ? Également consultant international – il a notamment conseillé Mohamed VI et le président dominicain –, il apporterait à Marine Le Pen un « important carnet d'adresses international ». Il compte d'ailleurs lui organiser, après les européennes, un « programme de voyages d'État en Afrique, en Asie et dans le monde arabe ».

Mais celui qui se présente comme un « géopolitologue de renommée mondiale » a, selon l'AFP, un peu gonflé son CV. Et l'erreur grossière de son parti sur l'un de ses tracts de campagne (un drapeau tunisien pour illustrer la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne) ne lui a pas sauté aux yeux. En réalité, son ascension éclair au FN s'explique surtout par ses solides réseaux russes, qui dépassent la géopolitique (lire notre enquête)

Moteur du positionnement pro-russe du FN, ardent défenseur de Poutine, Chauprade avait lancé devant la Douma, en juin, son « appel de Moscou », pour soutenir « les efforts de la Russie visant à résister à l’extension mondiale voulue par l’Occident des “droits” des minorités sexuelles ». En mars, il plaidait, lors d'une conférence dans la capitale russe, pour un « axe Paris-Berlin-Moscou ». Quelques jours plus tôt, depuis la Crimée, il condamnait « le coup d’État de Maïdan », le « crime maquillé » de « l’Empire », les « États-Unis et les gouvernements européens alignés », et défendait Poutine « peut-être le plus modéré des Russes sur l’affaire de Crimée ».

Sur sa liste aux européennes, il a placé en troisième position le russophile Jean-Luc Schaffhauser, autre partisan d'une « grande Europe »« jusqu’à la Russie ». Mais ce tropisme russe est dominant au FN : ces derniers mois, plusieurs responsables frontistes se sont rendus à Moscou (Marion Maréchal-Le Pen en décembre 2012, Bruno Gollnisch en mai 2013, Marine Le Pen en juin 2013 et en avril dernier).

Mais c'est Chauprade qui joue la passerelle, aidé de deux personnages clés : l'homme d'affaires Xavier Moreau, basé à Moscou, et Fabrice Sorlin, ancien candidat FN et président de l'Alliance France-Europe Russie (AAFER), qui entend « réinformer » sur la « réalité de la politique russe » à Paris. Tous trois se retrouvent sur le site de géopolitique du conseiller de Marine Le Pen, dont Moreau dirige l’antenne russe.

Aymeric Chauprade accorde un entretien à Xavier Moreau, en 2010, pour son site Realpolitik.tv.Aymeric Chauprade accorde un entretien à Xavier Moreau, en 2010, pour son site Realpolitik.tv. © Capture d'écran Realpolitik.tv

Sur cette nébuleuse pro-russe d'extrême droite, Chauprade entretient là aussi le plus grand secret. Sollicité en janvier sur le sujet par Mediapart, il n'avait pas répondu. À l'AFP, qui lui demande comment il s'informe sur l'Ukraine, il répond un énigmatique « c'est la question des réseaux »

BOITE NOIREDepuis début avril, nous avons sollicité à de multiples reprises Aymeric Chauprade pour un entretien. Le 2 avril, nous nous sommes rendus à sa première réunion militante, dont l'accès a été refusé à la presse et les fenêtres fermées par les organisateurs. Le 24 avril, nous sommes allés, à l'invitation de son directeur de communication, à sa première grande conférence de presse, pour lui poser nos questions : Mediapart en a été refoulé en raison de « consignes de la direction ».

En janvier déjà, sollicité pour notre enquête sur les réseaux russes de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade n'avait pas donné suite.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

Face aux licenciés de Gad, Martin Schulz tente de sauver la mise

$
0
0

Lampaul-Guimiliau, de notre envoyé spécial.   La colère s’est éloignée, et Martin Schulz a su ne pas la réveiller. Mardi matin, dans la salle polyvalente de Lampaul-Guimiliau (Finistère), le candidat des socialistes européens (PSE) à la présidence de la commission a décidé d’entamer sa journée de campagne bretonne (la veille, il a tenu meeting à Nantes) par un échange avec les ouvriers licenciés de Gad. La crise de cette entreprise agro-alimentaire, avec la fermeture des abattoirs de porcs, avait été à l’origine de la révolte des bonnets rouges (lire notre reportage).

Ils étaient une petite cinquantaine de salariés de Gad à avoir répondu présent à l’invitation, dans le cadre d’un « café commère », ce rendez-vous imaginé depuis la décision du tribunal de commerce afin que « les Gad » puissent continuer à prendre des nouvelles les uns des autres, autour d'un café et de gâteaux faits maison. Sur les 900 licenciés, seulement une soixantaine a aujourd'hui retrouvé un emploi en CDD ou CDI.

Le social-démocrate allemand face aux bonnets rouges bretons : la confrontation avait de quoi faire frémir. Mais Martin Schulz connaît son Finistère, et en habitué des parages (il se rend chaque été en vacances non loin de Morlaix, ville jumelée avec Würselen, dont il a été le maire pendant onze ans), il entame le dialogue en reconnaissant d’emblée « l’esclavage moderne insupportable » auquel se prêtent certaines entreprises agroalimentaires allemandes, qui ont transformé « les travailleurs de l’Est en sous-traitants ambulants »

Le maire Jean-Marc Fuchois, le délégué FO Olivier Le Bras, Martin Schulz et la députée Chantal Guittet.Le maire Jean-Marc Fuchois, le délégué FO Olivier Le Bras, Martin Schulz et la députée Chantal Guittet. © SA

Tour à tour, les ouvriers licenciés s’alarment de la situation. Mais le ton est las et courtois, presque résigné. « L’Europe doit comprendre que si elle a été construite pour assurer la paix, elle crée aujourd’hui la guerre économique, et celle-ci cause aussi beaucoup de dégâts », explique le syndicaliste FO Olivier Le Bras, qui attend toujours que lui soit notifié son licenciement et qui a récemment été élu adjoint au maire (PS) dans un village voisin. À ses côtés, le maire de Lampaul-Guimiliau, Jean-Marc Puchois, prévient : « S’il n’y a pas d’évolution, cela signifierait que notre drame n’a servi à rien. » Un autre ne comprend pas que « l’Europe impose des normes communes à l’ensemble des paysans pour les animaux et pas pour les hommes ».

À chaque fois, Schulz acquiesce. Selon lui, « la situation économique bretonne n’a rien à voir avec la question des travailleurs détachés, mais avec la migration de la pauvreté ». Et le candidat du PSE de faire un clin d’œil à son auditoire, « même si je sais que ça n’améliorera pas votre quotidien », en expliquant combien « Gad a joué un rôle pendant la négociation gouvernementale à Berlin, entre la CSU et le SPD, pour mettre en œuvre un salaire minimum en Allemagne ».

Car pour Schulz, plus que la directive sur les travailleurs détachés (héritée de la directive Bolkestein), c’est « l’équilibre entre la liberté économique et le respect des droits sociaux qu’il faut changer. Il n’est pas normal que le capitalisme soit devenu transnational, mais que les droits sociaux demeurent nationaux ». Face à la « concurrence déloyale » des autres continents, « où il n’y a pas de droit de grève, de syndicat ou de smic », il répète sa volonté de mettre en œuvre des salaires minimums dans chaque pays européen, ou son intention de lutter vigoureusement contre les paradis fiscaux. Il se dit même prêt à imaginer « le respect d’un certain nombre de standards, afin de pouvoir exporter chez nous ».

Durant l’heure et demie de discussion, Schulz soigne sa mise en scène, n’hésite pas à descendre de la tribune pour se rapprocher de son interlocuteur, à élever la voix quand il est interrompu par un syndicaliste véhément. Il accepte avec le sourire quand on lui offre un bonnet rouge ou un t-shirt de lutte. Mais il ne rentre pas non plus dans le détail de ses engagements. S’il se refuse à « promettre de l’emploi pour tous demain », il demande à ce qu’on lui donne « un crédit politique » pour « changer les choses, pour que l’Europe s’occupe enfin des travailleurs : avec moi, on discutera du niveau des revenus, et pas uniquement de celui des dépenses publiques ». Son message, en fin de compte, tient en une sentence : « Soyons francs, pour changer l’Europe, il faut en changer la majorité. »

Une seule fois le ton montera dans la matinée, quand Dominique (un ex-Gad, qui a retrouvé un emploi dans une entreprise de salaison voisine) intervient : « Oui, mais c’est l’Europe de l’argent qui décide. En France, on nous a promis la justice sociale, et on voit où on en est aujourd’hui. C’est fini le temps des promesses, on veut du concret ! Des emplois ! » Faisant allusion au projet de reprise des abattoirs par d’anciens cadres de Gad (qui prévoient 250 emplois), Olivier Le Bras ne comprend pas non plus « pourquoi ce n’est pas possible de réquisitionner un site industriel laissé à l’abandon quand un repreneur existe ». À ces interpellations, ils n'auront pas de réponse.

Martin Schulz n’entend pas rentrer dans le débat français. « Je ne suis pas là pour remplacer François Hollande, dit-il, on ne vote pas pour l’Assemblée nationale, mais pour le parlement européen. » « Pour l’instant, vous avez raison, ce ne sont que des promesses, admet-il ensuite. Mais on ne peut pas tout changer du jour au lendemain. » Il insiste cependant pour rappeler que « le gouvernement français a soutenu le PSE et le Parlement pour obtenir le petit changement acquis sur la directive travailleurs détachés ».

Martin Schulz à Lampaul-Guimiliau.Martin Schulz à Lampaul-Guimiliau. © S.A

Tout en engloutissant une paire de croissants, il explique ensuite à quelques journalistes qu’il trouve « le PS plus mobilisé que la dernière fois », puis déroule son amour du Finistère aux médias locaux. En revanche, quand on l’interroge sur la réalité de ses engagements à l’épreuve du compromis probable entre son PSE et la droite européenne (PPE), il refuse de répondre. Quand on lui rappelle la similitude de ses discours avec ceux qu’il tenait déjà en 2009, avant de s’entendre avec le PPE (et de devenir en deuxième partie de mandat président du parlement européen), le ton se fait même plus sec. « Je ne parle pas d’un accord avec la droite pendant la campagne. »

Puis il se refait bonhomme, et explique la nécessité du compromis passé : « Notre stratégie a été d’éviter au maximum d’avoir des majorités contre nous, et de gagner des marges de manœuvre politique. Cela a permis des victoires dans certains votes, parfois au détriment de défaites sur d’autres… »

Avec deux autres camarades de l’intersyndicale de Tilly-Sabco (une entreprise voisine, en chômage partiel), Corinne Nicole semble loin des subtilités bruxelloises des accords de coulisses. La déléguée CGT est venue elle aussi interpeller Schulz. Elle « respecte » le fait que le candidat du PSE soit venu, mais ne comprend pas « pourquoi nous n’avons jamais eu de contacts avec les eurodéputés, avant les votes nous concernant ».

« Les patrons, eux, il n’y a pas de souci, ils passent leur temps à plaider leur cause à Bruxelles », soupire celle qui a accepté de figurer sur la liste autonomiste présentée par le maire de Carhaix, Christian Troadec, aux européennes. Le dossier de sauvegarde de son usine n’avance pas, entre impuissances politiques, désaccords internes entre patrons de l’agro-alimentaire breton et faible mobilisation des syndicalistes paysans. « La radicalisation n’est pas pour tout de suite, dit-elle, mais pour bientôt. Nous n’avons pas de visibilité sur ce qui va nous arriver cet été. » Elle se dit « prête à avoir un casier judiciaire, pas pour casser des radars » : « juste pour préserver mon emploi ». « Mon sac de couchage est dans ma voiture, si jamais il ferme l’usine, j'y dormirai dedans. » Pas sûr que Martin Schulz ait une solution…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper


Anne Joubert (Nouvelle Donne): l'indignation européenne

$
0
0

« Absolument insupportable… » C’est ainsi qu’Anne Joubert qualifie la situation « économique, sociale, environnementale et démocratique, de la plupart des pays européens ». Et c’est pour ça que cette femme aux vies multiples, SDF, enseignante, journaliste, membre de la haute administration, a décidé de se lancer en politique. Elle le fait à Nouvelle Donne, ce tout nouveau parti, composé pour partie de déçus du PS et d’Europe Écologie et pour moitié de membres de la société civile lassés du fonctionnement des partis classiques, mais convaincus que le progrès passe par le combat politique. Un combat qu'elle présente comme celui du réalisme et des rapports de force, en misant sur « la pression des citoyens ».

Nouvelle Donne (dont l’un des fondateurs est Pierre Larrouturou, cet ancien du PS, théoricien de la réduction du temps de travail) est convaincue que le pari du retour de la croissance, « ça ne marche pas, et (qu’)il faut chercher d’autres façons de partager les richesses ». Son programme réclame « la sortie de l’austérité », comme Mélenchon, ou « la préservation de la planète », comme Europe Écologie.

Mais si Anne Joubert admet « des convergences », elle souligne des divergences avec les listes classées à gauche. Nouvelle Donne serait « plus réaliste » que le Front de gauche sur le Smic ou les baisses de charges sociales, et plus volontariste que les écologistes en revendiquant un investissement européen de « mille milliards pour sauver la planète ». « On a bien trouvé ces mille milliards pour sauver les banques », répète-t-elle tout au long de cet entretien. Et quand on lui parle de la mondialisation, elle répond du tac au tac : « La main invisible des marchés ? Il faut la reprendre ! Il faut reprendre la main sur la finance ! »

Qu’espère-t-elle sur le plan électoral ?
« On peut créer la surprise… J’espère que la surprise ne sera pas le Front national. »
Et si ça ne marchait pas ?
« On ne lâchera pas ! »
Anne Joubert, Nouvelle Donne, est l'invitée d’Objections, l’entretien vidéo hebdomadaire de Mediapart.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

«En direct de Mediapart» : le débat Cambadélis-Cosse-Mélenchon

$
0
0

Débat animé par Frédéric Bonnaud, Edwy Plenel et la rédaction de Mediapart. Les européennes seront-elles une réplique des municipales pour le Parti socialiste ? Pourquoi les écologistes et le Front de gauche ne profitent-ils pas des défaites du PS ? Comment reconstruire un projet et une dynamique commune ? La gauche de gouvernement est-elle condamnée à se renier au nom du « réalisme » ? Quelles sont les alternatives à gauche du PS ? Débat avec : Jean-Christophe Cambadélis (PS), Emmanuelle Cosse (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche, parti de gauche).

1. La déception française à l'égard de la gauche et comment en sortir.

 

2. Pourquoi PS, EELV et FdG donnent l'impression de ne pas penser l'Europe, de ne pas construire une réflexion sur l'Europe, ou, en tous cas, de rester divisés, à l'intérieur même des partis, sur la question ?

 

3. Finalement, vos trois partis représentent-ils vraiment quelque-chose ?


 

Quelques-uns de nos articles :
« Hollande a menti une fois, c'était au Bourget »

Quelques pistes pour sortir du champ de ruines socialiste

François Hollande: «Putain, deux ans!»

François Hollande en son labyrinthe

Deux ans après le discours du Bourget : le vide du pouvoir

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

David Guéranger: « La gauche a échoué à démocratiser la décentralisation »

$
0
0

Le chef de l'État lance ce mercredi 14 mai des consultations avec les partis poliitiques pour lancer la réforme territoriale. Mais David Guéranger, sociologue et politiste, chercheur et maître de conférences à l'école des Ponts et Chaussées, doute de son avenir. « Au début de son quinquennat, François Hollande disait exactement le contraire. » Coauteur de La Politique confisquée, un ouvrage très critique sur l'organisation des intercommunalités (références sous l'onglet Prolonger), Guéranger plaide pour une « critique de gauche » de la décentralisation, pour l'instant quasi inexistante.

Alors que la débâcle socialiste aux municipales a été lue comme une sanction nationale à l'égard de François Hollande, il suggère d'ailleurs une autre hypothèse : la responsabilité des élus locaux eux-mêmes, dont la gestion très présidentialiste au niveau local et l'« apolitisme » revendiqué de l'action publique locale nourrissent aussi « désenchantement et défiance » à l'égard des politiques. Surtout ceux de gauche qui, en adoptant des recettes standard de gestion publique dans les « territoires », se sont « éloignés de leur électorat (...) et de leur philosophie politique d'origine ». Explications.

La défaite du PS aux municipales a été lourde. Au-delà de la contestation du pouvoir, faut-il y voir une protestation contre la décentralisation ? De nombreuses baronnies socialistes ont basculé en une soirée…

Il y a sans aucun doute un effet de sanction des politiques gouvernementales, un rejet de la politique de François Hollande. On peut aussi dire que l’abstention ou la montée du Front national sont le fruit de la défiance à l’égard de la politique, d’une crise de régime. Le problème de ces explications générales, nationales, c’est qu’elles ne désignent finalement aucun responsable, ou seulement un unique responsable. En particulier, elles évitent aux élus locaux une autocritique douloureuse, alors qu’ils sont aussi responsables du désintérêt, de la défiance, de la sanction.

La façon dont la politique est exercée localement est un facteur explicatif important. Par exemple, les élus locaux aiment afficher le soi-disant apolitisme de leur action ; cela leur permet évidemment d’élargir leurs réserves de voix et, pour ceux de la majorité gouvernementale, de ne pas écoper de l’impopularité présidentielle. Ce faisant, ils accréditent l’idée que gauche et droite font la même chose, qu’il n’y a pas vraiment d’alternative ; ce qu’ils font contribue à produire désenchantement, défiance. On a longtemps préservé les maires de la crise démocratique, alors que l’abstention aux municipales est en progression constante depuis 1977. Avec son nouveau record aux dernières élections, difficile de continuer à se voiler la face… Il y a de toute évidence un épuisement de la démocratie locale, au fondement des lois de décentralisation de 1982. Il est temps de mettre les élus locaux face à leurs responsabilités.

En quoi les élus locaux sont-ils à blâmer ?

D’abord parce qu’ils ont concentré le pouvoir autour de leur personne. Je ne parle pas ici de tous les élus, évidemment, mais surtout des principaux membres des exécutifs locaux. Le présidentialisme de la Cinquième République est souvent critiqué, mais ce n’est rien comparé au présidentialisme de nos gouvernements locaux ! Qui contestera que les maires sont les seuls patrons dans leur commune ? La multiplication des structures satellites des collectivités n’a fait que renforcer cet exercice du pouvoir par quelques-uns. Je pense aux sociétés d'économie mixte (d'aménagement urbain par exemple), aux sociétés publiques locales, aux syndicats mixtes de transports, aux structures intercommunales… Ces satellites fonctionnent avec des règles de gestion confortables pour leurs membres, puisqu'ils n'ont aucun compte à rendre, ni aux électeurs, ni aux conseils qui les ont élus. Elles offrent à quelques-uns des ressources (jetons de présence, indemnités, etc.) pour se professionnaliser. Le cumul des mandats tel qu’il est envisagé aujourd'hui, notamment dans la loi anticumul, n’est que la face émergée de l’iceberg. La loi fait l’impasse sur le cumul des mandats locaux, auquel la majorité n'a pas voulu mettre un terme, et le cumul dans le temps. Son report à 2017 a des airs d’enterrement, ce que semblent d’ailleurs anticiper les nombreux parlementaires qui se sont représentés aux dernières municipales…

On peut vous rétorquer que cette concentration du pouvoir ne leur laisse justement pas les coudées franches pour, précisément, faire de la politique.

C’est l’argument des pro-cumuls, mais ce n’est pas le cas. C’est un des paradoxes – un apparent paradoxe – de cette décentralisation : d’un côté, elle concentre le pouvoir, mais de l’autre elle dépolitise son exercice. Il suffit de constater l’uniformisation très forte des programmes d'action, au-delà de l'arrimage partisan. Dans toutes les grandes villes, c'est la même fascination des élites pour les métropoles, la même volonté d'attirer les classes moyennes supérieures, la même volonté d’avoir son écoquartier, son tramway, son grand stade, la même frénésie des « smart grids » (les “villes intelligentes”, ndlr).

Quelles sont les conséquences politiques de ces choix ? Par exemple, à qui doivent profiter les grands investissements ? Comment la « ville intelligente » installe-t-elle un système de surveillance généralisé ? Ces questions de fond, politiques, sont rarement débattues. Quant à la vidéosurveillance, elle est une recette prisée aussi bien par des élus de gauche que de droite… Il n'y a donc plus de lien entre les politiques menées et certaines des valeurs attachées aux appareils partisans. On est même parfois dans la contradiction la plus complète, comme à Lille où le projet de Grand Stade construit sous partenariat public-privé avec une grande entreprise du BTP est porté par une sénatrice communiste. En faisant circuler ainsi les recettes d’une prétendue bonne gestion, les élus locaux alimentent l'idée selon laquelle il n'y a, au bout du compte, pas de différence notable entre gauche et droite. Cette similitude, difficile à justifier au niveau national, ne semble pourtant pas leur poser problème localement.

Cela concerne donc tous les élus ?

Le phénomène de notabilisation des partis touche autant la gauche que la droite, mais pas toutes les formations politiques. À gauche par exemple, le parti socialiste est depuis fort longtemps un parti d’élus locaux, du fait de son lien historique avec le socialisme municipal ; au contraire, le parti communiste a toujours été méfiant à l’égard des élus et de leur autonomisation, et il devient un parti d’élus dans le sillage des lois de décentralisation de la décennie 1980. Aujourd'hui, c’est au tour des écologistes de “subir” les conséquences des accords électoraux avec le PS, amorcés avec les municipales de 2001. Cela crée des tensions fortes au sein des appareils avec les bases militantes.

Mais il y a une responsabilité singulière de la gauche. Ces “bonnes recettes” du local font le lit d’une action publique gestionnaire, consensuelle, mais elles s’accommodent beaucoup moins bien des enjeux plus clivants, des objectifs de lutte contre la pauvreté, contre les discriminations, contre l’exclusion, par exemple. Les politiques locales redistributives (logement social, aménagement), les mesures qui visent les populations les plus pauvres (aires d’accueil des gens du voyage, gratuité des transports pour certaines catégories) sont celles qui souffrent le plus de cette dépolitisation.

C'est pour cela que la gauche est doublement responsable. D'une part, les élus de gauche (comme ceux de droite) se sont éloignés de leur électorat. D'autre part, leurs pratiques sont en contradiction complète avec ce qui fait le cœur de leur philosophie politique d'origine. On a coutume de dire que la décentralisation a bénéficié à la gauche, en raisonnant en termes de postes ; c’est sûrement beaucoup moins vrai si l'on examine cette question à l’aune des liens entre les catégories populaires et d’autres dimensions de la politique : la représentation par les élus, les objectifs des politiques publiques, le sens de l’action politique.

Déjà en 2009: les propositions du comité Balladur pour fusionner des régionsDéjà en 2009: les propositions du comité Balladur pour fusionner des régions © Articque

Cela dit, les élus communautaires sont désormais élus au suffrage universel. Et ce sera aussi le cas de certains représentants des futures métropoles. N'y a-t-il pas quand même une certaine démocratisation ?

Attention, le fléchage des élus communautaires, ce n’est pas le suffrage universel : il n’y a pas de circonscription électorale intercommunale, pas de bulletin propre… Et puis la dépolitisation n'est pas qu’une simple affaire d'élection : on la retrouve aussi dans des structures démocratiquement élues comme les conseils généraux et régionaux. Il faut donc lui trouver d’autres explications.

L’une d’entre elles, parmi bien d’autres, c’est l’évolution du recrutement social des présidents d'exécutifs. Les travaux de sociologie politique montrent bien la sélectivité encore plus forte des critères d’âge, de genre, de profession : les maires sont plutôt des hommes, quinquagénaires, (anciens) cadres ou issus de professions intellectuelles supérieures.

La décentralisation a eu pour effet de renforcer cette figure de l’expert, celui qui maîtrise techniquement les dossiers, qui valorise son savoir professionnel. C'est une premiè­­re manière de dépolitiser. Aujourd'hui, cela prend des formes nouvelles : aux dernières municipales, des maires sortants de grandes villes socialistes (à Rennes, à Grenoble, à Nantes, etc.) ont placé pour leur succéder d'anciens collaborateurs ou directeurs de cabinet, formés dans les IEP, biberonnés au management public, aux finances publiques. Pour ces gestionnaires, les ressources partisanes sont moins structurantes que pour leurs aînés. Ils sont ainsi plus enclins à épouser une gestion publique en apparence indifférente à l'idéologie ou aux valeurs politiques.

Votre discours ne donne-t-il pas des arguments au Front national qui critique l'« UMPS » ? Ne renforce-t-il pas l'idée selon laquelle la gauche et la droite, c'est pareil ?

C'est une difficulté en effet, et c'est aussi tout l'enjeu à mes yeux : outiller à gauche la critique de la décentralisation. Je ne prétends évidemment pas que droite et gauche, c’est pareil : je pense au contraire que ces différences existent, mais que la gestion locale les occulte. Je ne prétends pas non plus que les dérives de la décentralisation sont affaire de vertu, de moralité ou de convictions personnelles, et qu’il suffirait de dégager les notables actuels pour régler le problème : je pense au contraire qu’il faut changer les institutions. Ce sont les institutions vertueuses qui font les comportements vertueux, et pas le contraire… Et puis le Front national, qui a peu d'élus locaux, a beau jeu de critiquer la décentralisation. Laissons passer les coups de sang de la période électorale et voyons comment il va gérer les onze villes qu’il gouverne désormais, et ses relations avec les élus UMP ou PS au sein des exécutifs intercommunaux…

Quelles pourraient être les bases d’une critique de gauche de la décentralisation ?

Une voie parmi d’autres consisterait à réintroduire la référence aux questions et catégories sociales politiquement prioritaires : les précaires, les chômeurs, les classes populaires, d’autres peut-être. La décentralisation leur a au contraire substitué le « territoire ». Le « territoire », sous toutes ses formes, est devenu l’alpha et l’oméga de l’action publique locale : la défense de « l’identité communale », la concurrence entre « régions », le rayonnement des « métropoles », le développement des « quartiers ». La lutte contre les inégalités ou la mise en œuvre des solidarités, elles-mêmes, sont « territoriales »… Les populations fragiles se retrouvent noyées, diluées. Et que dire de ceux qui n’ont pas leur « territoire » ? J’ajoute que ce phénomène aggrave la personnalisation du pouvoir : qui d’autre que le président de l’exécutif est à même de représenter son « territoire » ?

Vainqueurs à Grenoble, les écologistes et le parti de gauche associés à des collectifs citoyens promettent une nouvelle gestion locale, plus soucieuse des citoyens, loin des schémas gestionnaires classiques que pouvait incarner la municipalité PS sortante. Faut-il y voir une alternative ?

C’est un laboratoire intéressant. Pendant la campagne, les écologistes et le parti de gauche (PG) grenoblois ont tenté d'élaborer un contre-modèle en liant les sujets locaux à des questions politiques. Par exemple, lorsqu'ils prônent le retour en régie d'un certain nombre de services publics municipaux. Dans d'autres villes, comme à Bordeaux ou Paris, le retour en régie de l'eau avait été justifié par des considérations largement financières, des arguments plutôt gestionnaires et dépolitisés. À Grenoble, ce discours est assez secondaire par rapport à la critique de la mondialisation, de la prédation des actionnaires privés, etc. Sur le papier, c'est une manière intéressante de politiser des enjeux locaux, c'est-à-dire de les connecter à des débats plus généraux et plus évidemment politiques. En pratique, il va falloir suivre de près ce qui se passe : cette municipalité a une responsabilité politique forte.

Le nouveau premier ministre, Manuel Valls, a annoncé après les municipales un véritable big-bang territorial : fusion des régions, disparition des départements, tout cela mené en quelques années, avec un report possible des régionales et des cantonales qui étaient prévues en 2015. Faire disparaître des doublons, réduire le millefeuille territorial, n'est-ce pas justement une opportunité de démocratiser la décentralisation ?

La belle affaire… Au risque de passer pour un incorrigible pessimiste, je voudrais juste faire un peu d’histoire. Nicolas Sarkozy prononçait à Toulon en 2008 un discours va-t-en-guerre sur le « big bang » territorial, le coût du « millefeuille territorial », le trop grand nombre de collectivités et d’élus. Ce discours débouche sur l’installation du comité Balladur qui préconise (outre le renforcement de l’intercommunalité) la réduction du nombre de régions et de départements, sur le mode du volontariat.

À l’issue du débat parlementaire, il n'est resté qu'une seule mesure de ce projet : le conseiller territorial, que les socialistes arrivés au pouvoir en 2002 se sont empressés d’abroger. Alors comment comprendre aujourd'hui les déclarations présidentielles sur cet objectif, qui ne figurait même pas dans son programme de campagne ? Au début de son quinquennat, François Hollande disait d'ailleurs exactement le contraire pour ne pas froisser les élus. J’y vois pour l’essentiel une déclaration symbolique, une manière de mettre en scène le volontarisme et le changement, à un moment où l’impopularité présidentielle est au plus haut.

Quant aux chances de succès de cette énième réforme, elles me semblent bien minces si l'on en juge par l’échec des précédentes tentatives, ou par le profil politique de celui qui est chargé de l’écrire : André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, est par ailleurs un pur notable local, archétype du cumulard, entre autres président du conseil général de l’Isère depuis 2001, ancien membre du comité Balladur ! Alors certes, il aime être présenté comme un régionaliste convaincu, mais il va devoir défendre au Parlement un texte qu’il n’a pas écrit, dans un contexte compliqué : les relations avec les parlementaires ne sont pas très simples et les élections régionales, même repoussées d’un an, pas très loin.

Pour aller plus loin, des références et des liens sous l'onglet “Prolonger”.

BOITE NOIREL'entretien, dont l'idée a germé à l'approche des municipales, est le fruit de plusieurs entretiens téléphoniques et de plusieurs échanges avec David Guéranger.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

MediapartLive du 14 mai: relire vos réactions en direct

$
0
0

Voici le déroulé de la soirée « En direct de Mediapart » du 14 mai 2014, à moins de deux semaines des élections européennes qui s'annoncent comme un nouveau séisme :

  • 18h-18h50. Le grand entretien : Sanjay Subrahmanyam

Joseph Confavreux reçoit Sanjay Subrahmanyam. Indien, parlant dix langues, ayant enseigné aux États-Unis et en France, il est l'un des plus grands historiens. Pionnier de l'histoire globale, il a été nommé en juin 2013 professeur au Collège de France à la chaire d'Histoire globale de la première modernité (sa leçon inaugurale peut être vue ou écoutée ici). En écho à ses travaux, il évoquera les résultats des élections indiennes qui se sont achevées le 12 mai.

  • 19h-20h. Le grand débat : « Dans la tête de Vladimir Poutine »

Frédéric Bonnaud et François Bonnet animent un débat « Dans la tête de Vladimir Poutine ». À la lumière des événements d'Ukraine, quelles sont les évolutions du régime russe, ses intérêts spécifiques ? Quelle stratégie interne à la Russie Vladimir Poutine met-il en place ? Comment caractériser son régime ? Quel est précisément l'argumentaire russe ? Invités:

Françoise Daucé, a dirigé le Centre franco-russe en sciences sociales et humaines de Moscou, chercheuse à l'EHESS et au CERCEC.
Jean-Robert Raviotprofesseur à l'université Paris-Ouest Nanterre, spécialiste de la politique et du pouvoir en Russie.
Jacques Sapir, économiste, directeur du CEMI-EHESS, spécialiste de la Russie. Son blog RussEurope est ici.

Notre dossier Ukraine-Russie est à retrouver ici

  • 20h30-22h30. Les européennes après les municipales : la fin de la gauche ?

Débat animé par Frédéric Bonnaud, Edwy Plenel et la rédaction de Mediapart. Les européennes seront-elles une réplique des municipales pour le Parti socialiste ? Pourquoi les écologistes et le Front de gauche ne profitent-ils pas des défaites du PS ? Comment reconstruire un projet et une dynamique commune ? La gauche de gouvernement est-elle condamnée à se renier au nom du « réalisme » ? Quelles sont les alternatives à gauche du PS ? Débat avec :

Jean-Christophe Cambadélis (PS)
Emmanuelle Cosse (EELV)
Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche, parti de gauche)

Quelques-uns de nos articles :
« Hollande a menti une fois, c'était au Bourget »

Quelques pistes pour sortir du champ de ruines socialiste

François Hollande: «Putain, deux ans!»

François Hollande en son labyrinthe

Deux ans après le discours du Bourget : le vide du pouvoir

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper

Européennes: l'exécutif y va à reculons

$
0
0

Ces derniers mois, la majorité socialiste s’est délectée d’une expression jargonneuse à souhait : elle allait, disait-elle, « enjamber » les scrutins à venir. Les municipales d’abord, en contenant l’impopularité de l’exécutif par la solidité de ses baronnies, puis les européennes où elle pariait sur un score égal voire supérieur à la claque déjà subie en 2009. La débâcle de mars a semé le doute. Mais l’exécutif espère encore que, quel que soit le résultat, le scrutin sera aussi vite oublié que la campagne est atone.

Officiellement, elle est ouverte ce lundi 12 mai, pour deux semaines. Peu d’électeurs savent pour l’instant qu’ils auront à se prononcer le 25 mai pour leurs députés européens. Les grands médias télévisés en parlent peu – France Télévisions a même refusé de retransmettre le débat entre les candidats à la Commission européenne. « Mais pourquoi on n’oblige pas le service public à le faire ? C’est une décision scandaleuse », s’insurge l’ancien ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin, remplacé le mois dernier lors du remaniement par Harlem Désir.

Les partis politiques se sont aussi lancés tardivement en campagne, obnubilés jusqu’à fin mars par les municipales et, pour certains, englués dans leurs divisions internes sur l’Europe – c’est par exemple le cas de l’UMP (lire nos articles ici, et ). Le PS commence tout juste sa tournée de grands meetings, avec des ministres en guest stars – comme Marylise Lebranchu à Rezé, près de Nantes lundi – et le premier ministre Manuel Valls sera jeudi à Lille aux côtés de Martine Aubry et Jacques Delors. Il était déjà dimanche soir au 20 h de TF1.

Jusque-là, l’exécutif a plutôt donné l’impression de faire comme si les européennes n’existaient pas. La semaine dernière, le président de la République a même passé une heure sur RMC et BFM-TV sans les évoquer. Aucune question ne lui a été posée sur le sujet, rétorquent ses proches. Mais François Hollande aurait pu prendre l’initiative – il est suffisamment aguerri à l’exercice pour le savoir. Ce n’est que parce que la presse s’en est étonnée que le chef de l’État s’est finalement décidé à publier une tribune jeudi 8 mai dans le Monde. Un choix d’un classicisme déprimant, et sur la forme et sur le fond – Hollande a commencé sa tribune par un long hommage à l’Europe de la paix en ce jour de commémoration de l’armistice.

À l’Élysée, on explique que ce n’est pas le rôle du président de la République de se mêler directement de la campagne et que c’est au parti et au premier ministre de s’exposer. Soit. Sauf que l’Europe fait partie des domaines où le chef de l’État est précisément en pointe – c’est lui qui se rend au conseil européen tous les mois et qui décide de fait de la politique de la France à Bruxelles. La récente modification de l’organigramme de l’Élysée, qui a vu le conseiller Europe de Hollande devenir également secrétaire général aux affaires européennes, en est une nouvelle preuve. En Allemagne d’ailleurs, c’est la chancelière Angela Merkel qui figure sur une partie des affiches de campagne de son parti, la CDU.

Affiche de campagne de la CDU pour les européennesAffiche de campagne de la CDU pour les européennes

« Jusque-là, le président de la République a eu une façon de nier les européennes. C’est ce qu’entre nous on appelait la “tentation du silence”. Pendant longtemps, l’Élysée a cru que le PS allait bien s’en tirer, en faisant un meilleur score que la dernière fois », explique un diplomate spécialiste des questions européennes. « Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de réorienter l’Europe. Cette réorientation existe, mais elle n’est peut-être pas à la hauteur des attentes. Et puis François Hollande se dit qu’il doit d’abord se mobiliser sur la scène nationale – c’est d’ailleurs la demande politique de nos concitoyens », dit aussi un cadre socialiste.

Il y a encore quelques semaines, le discours des scialistes était bien rodé : sur le plan intérieur, les européennes n’ont que peu d’importance ; l’abstention, très élevée, en fait un scrutin mineur ; l’exécutif pourra donc « enjamber » le 25 mai sans dégâts. Certains prédisaient même qu’un FN en tête dans les sondages permettrait de remobiliser l’électorat de gauche et les troupes socialistes.

« Je ne suis pas sûr que notre score soit plus mauvais que la dernière fois. On était au plancher. Après, ce n’est pas impossible qu’on soit derrière le FN. Mais les européennes, ça a un impact pendant 15 jours », expliquait cet hiver François Rebsamen, qui n’était pas encore ministre du travail mais président du groupe socialiste au Sénat. « Les européennes n’ont jamais été un traumatisme dans la vie politique française », jugeait aussi Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale.

Début mars, une ministre du gouvernement Ayrault rappelait également la stratégie du calendrier du remaniement : « Remanier son gouvernement avant les européennes permet au président de se ressaisir de l’agenda et de ne pas voir son tempo déterminé par les élections. Cela permet de relativiser le résultat des européennes. »

François Hollande à BruxellesFrançois Hollande à Bruxelles © Reuters

L’an dernier, l’exécutif avait aussi pris deux décisions, passées relativement inaperçues mais révélatrices de son envie de réduire au minimum l’enjeu de ce scrutin. Fin mars 2013, après de longues hésitations, le PS s’était opposé à la mise en place d’une circonscription unique, proposée par les radicaux de gauche, et qui avait l’avantage de politiser davantage une élection régionalisée sur huit zones qui ne correspondent à rien. La décision avait été prise par François Hollande. En cause : la peur de voir Marine Le Pen en profiter. « On disait à l’époque que ça allait promouvoir le FN », explique un conseiller du gouvernement, alors en poste.

Quelques mois plus tard, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a quant à lui défendu la dématérialisation des professions de foi. En clair, plus de courrier mais une version numérique adressée aux électeurs. Le gouvernement l’avait inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014 présenté à l’automne, histoire de faire quelques menues économies (27,6 millions d’euros). Mais le ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin s’y était vertement opposé. Il a fini par avoir gain de cause auprès de François Hollande, mais la tentative avait renforcé le sentiment d’un désintérêt profond de l’exécutif français pour le scrutin du 25 mai.

« J'ai l'impression que le PS se protège, et protège peut-être aussi l'UMP, en faisant de telle sorte qu'il n'y ait pas de forte mobilisation pour les européennes », s'était à l’époque emporté l'eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit. Même soupçon alors exprimé par le Parti de gauche : « Après avoir renié ses engagements sur une liste unique nationale, le gouvernement parie clairement sur l'abstention et cherche à museler les voix qui pourraient porter plus haut que la sienne. »

Plus récemment, l’exclusion de plusieurs parlementaires PS actifs à Bruxelles – comme Liêm Hoang Ngoc, Françoise Castex ou Bernadette Vergnaux – a fait grincer les dents au PS (le même phénomène s'est produit à l’UMP). Tout comme le choix de l’ancienne directrice de cabinet de Sylvia Pinel, la PRG Virginie Rozière, pour conduire la liste dans le Sud-Ouest dans le cadre d’un accord avec les radicaux de Jean-Michel Baylet.

« On s'est souvent répété que ça aurait été plus simple avec une liste nationale », se désolait un dirigeant du PS en novembre dernier, à l’issue de la douloureuse constitution des listes socialistes (lire ici). « On fait l’inverse de l’Allemagne, qui a une vraie stratégie d’influence au sein des institutions européennes. La France néglige le parlement européen. Même au gouvernement, il n’y a pas assez de ministres à s’y rendre », souligne un spécialiste socialiste des dossiers européens.

La stratégie choisie par le PS a aussi de quoi surprendre : il fait surtout campagne pour Martin Schulz, actuel président du parlement et candidat des sociaux-démocrates pour la présidence de la Commission. « Cela prouve que les européennes ne sont pas là pour faire élire des députés européens inconnus, mais qu’il y a un vrai enjeu politique à court terme. Schulz, c’est une réorientation de l’Europe possible », décrypte un “hollandais”. « On a vraiment un coup à jouer, estimait aussi récemment Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. Les écolos et la gauche radicale, une fois qu'ils auront dit qu’il “faut une autre Europe”, ils n'auront plus grand-chose à dire. Avec Martin (Schulz), on a l'incarnation d'un changement de majorité, un mec qui crédibilise la nécessité de voter PSE pour battre la droite. »

Mais l’eurodéputé allemand reste largement inconnu en France. Surtout, il est contesté à gauche : son parti, le SPD, est membre de la grande coalition avec la CDU au pouvoir en Allemagne, et Schulz est lui-même accusé d’incarner la politique d’austérité européenne qu’il est pourtant censé combattre. « Schulz, c’est pas Jules Guesde mais c’est quelqu’un qui dit que le budget européen pour la jeunesse doit être augmenté et qu’il faut relancer la croissance », défend un conseiller ministériel. L’exécutif et le PS redoutent désormais une correction le 25 mai. « Le FN en tête serait un échec de notre politique », prévient un ami de François Hollande.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Le débat des gauches: Cambadélis-Cosse-Mélenchon

$
0
0

Débat animé par Frédéric Bonnaud, Edwy Plenel et la rédaction de Mediapart. Les européennes seront-elles une réplique des municipales pour le Parti socialiste ? Pourquoi les écologistes et le Front de gauche ne profitent-ils pas des défaites du PS ? Comment reconstruire un projet et une dynamique commune ? La gauche de gouvernement est-elle condamnée à se renier au nom du « réalisme » ? Quelles sont les alternatives à gauche du PS ? Débat avec : Jean-Christophe Cambadélis (PS), Emmanuelle Cosse (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche, parti de gauche).

Avant de retrouver plus bas l'émission intégrale, voici quatre temps forts de l'émission :

1. Échange Mélenchon-Cambadélis sur le traité transatlantique



2. Cambadélis : « Les 3 % de déficit, c'était du doigt mouillé »



3. Mélenchon à Cambadélis : « L'Europe, c'est la guerre ! »

 

4. Cambadélis, Cosse et Mélenchon échangent sur l'euro

 

 

L'émission intégrale en trois parties :

1. La déception française à l'égard de la gauche et comment en sortir.

 

2. Pourquoi PS, EELV et FdG donnent l'impression de ne pas penser l'Europe, de ne pas construire une réflexion sur l'Europe, ou, en tout cas, de rester divisés, à l'intérieur même des partis, sur la question ?

 

3. Finalement, vos trois partis représentent-ils vraiment quelque chose ?


 

Quelques-uns de nos articles :
« Hollande a menti une fois, c'était au Bourget »

Quelques pistes pour sortir du champ de ruines socialiste

François Hollande: «Putain, deux ans!»

François Hollande en son labyrinthe

Deux ans après le discours du Bourget : le vide du pouvoir

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Sarkozy sur le patron de la DCRI : «Il nous est fidèle, lui ?»

$
0
0

Pour enrayer le cours d’une justice qui le menace, Nicolas Sarkozy est décidément prêt à tout. Mediapart révèle le contenu de nouvelles écoutes judiciaires qui montrent que Nicolas Sarkozy s'est étonné l'été dernier du peu de coopération de l'actuel patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dans l'affaire Kadhafi afin de l’informer sur le contenu des investigations en cours, voire d'en empêcher les embarrassants développements. « Mais il nous est fidèle, lui ? », s'est-il ainsi inquiété auprès de son directeur de cabinet, en juin 2013.

Les juges en charge de l’affaire des financements libyens sont par contre parvenus à identifier une possible “taupe” de l’équipe Sarkozy dans ce dossier, travaillant sur les questions libyennes dans les services secrets intérieurs. Ils s'interrogent par ailleurs sur le rôle d'un cadre dirigeant du groupe EADS.

Une fois de plus dans cette affaire, les écoutes ordonnées par les juges ont parlé. Huit communications et deux SMS interceptés à l’été 2013 se sont avérés particulièrement instructifs pour les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption.

Le 8 décembre 2007.Le 8 décembre 2007. © Reuters

Le 21 juin 2013, à 14h44, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, l’ancien préfet de police Michel Gaudin, reçoit un appel d’un certain « Jean-Louis », que les juges ont identifié comme étant Jean-Louis Fiamenghi. Ancien patron du Raid puis du Service de protection des hautes personnalités (SPHP), Jean-Louis Fiamenghi a obtenu le statut de préfet grâce à Nicolas Sarkozy en 2010. Les deux hommes sont réputés très proches.

Lors de cette première conversation téléphonique captée par les écoutes judiciaires, Jean-Louis Fiamenghi prévient que l’une de ses relations a « des choses pointues à révéler » à Nicolas Sarkozy. L’“informateur” en question n’est pas n’importe qui : il s’agit de Philippe Bohn, actuel vice-président du groupe de défense et d’aéronautique EADS, selon les informations de Mediapart, du Point et du Monde. Ses bureaux et son domicile ont été perquisitionnés, le 26 mars, par les policiers dans cette affaire.

Né en 1962, Philippe Bohn est un fin connaisseur de la Libye — il a dirigé les activités africaines et moyen-orientales d’EADS — et il est très introduit dans les milieux du renseignement français, que ce soit à la DGSE ou à la DCRI. C’est aussi un homme politiquement engagé à droite, qui ne cache pas sa proximité avec son mentor Alain Madelin ou l’ancien ministre de la défense de Sarkozy, Gérard Longuet. Il a aussi été très actif durant la campagne présidentielle de 2007 en faveur du centriste François Bayrou.

Philippe BohnPhilippe Bohn © DR

Après ce premier coup de fil, un rendez-vous Bohn/Gaudin/Sarkozy est immédiatement organisé, le jour même. D'après ce qu'a pu reconstituer Mediapart, le vice-président d’EADS est alors interrogé sur un diplomate libyen, Moftah Missouri. Ancien traducteur de Mouammar Kadhafi, Missouri fut en quelque sorte les oreilles et la bouche des relations franco-libyennes pendant près de quinze ans. « Il a pu arriver que je sois questionné sur des aspects techniques concernant le fonctionnement institutionnel de certains pays africains », a dit pudiquement à Mediapart Philippe Bohn. « Mais je n'ai pris aucune initiative en aucune manière pour renseigner qui que ce soit sur une procédure en cours dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants », a-t-il précisé.

La veille de la rencontre avec Philippe Bohn, le magazine d’investigation de la chaîne France 2, Complément d’enquête, avait diffusé une interview accablante de Missouri. Le diplomate y confirmait d’une part l’authenticité d’un document officiel libyen, révélé par Mediapart, selon lequel le régime de Kadhafi avait délivré en 2006 un accord de principe au déblocage de 50 millions d’euros pour l’équipe Sarkozy à l’occasion de l’élection présidentielle. Il indiquait d’autre part que, d’après ses informations, l’équivalent de 20 millions de dollars avait été effectivement versé. Voici un extrait de son témoignage, publié à l'époque par Mediapart :

Même si Nicolas Sarkozy soupçonne Philippe Bohn d’être un « combinard », son expertise semble être prise suffisamment au sérieux pour que l’ancien président en personne et Michel Gaudin appellent à deux reprises entre le 21 et le 24 juin l’actuel patron de la DCRI, Patrick Calvar, pour lui réclamer des comptes sur les liens de son service avec cet encombrant témoin libyen. Insistant, l’ancien président de la République demande au chef de la DCRI, comme s’il s’agissait d’un affidé, si ses agents avaient des informations sur lui. Patrick Calvar a répondu qu’à sa connaissance aucune enquête n’avait été faite sur Missouri — ce qui reste à démontrer.

Le 24 juin, à 18h39, les enquêteurs surprennent une nouvelle conversation entre Sarkozy et son directeur de cabinet. Les deux hommes s’inquiètent du fait que le patron de la DCRI ne les ait toujours pas rappelés pour leur livrer plus d’informations sur Missouri. « Il est très respectueux, mais embêté », observe durant cette conversation Nicolas Sarkozy à l’endroit de Patrick Calvar. Puis l'ex-président lâche à son directeur de cabinet cette phrase révélatrice de l'emprise qu'il pense avoir sur l'appareil d'État même s'il n'est plus en fonctions : « Mais il nous est fidèle, lui ? » Michel Gaudin croit savoir que oui. Patrick Calvar est réputé pour être un ami de son prédécesseur à la DCRI, le très sarkozyste Bernard Squarcini.

Le même jour, à 19h08, nouveau coup de fil entre l’ancien président français et son dircab’. L’inquiétude est palpable chez Sarkozy : « Ce n’est pas bon signe quand même pour lui [Patrick Calvar – ndlr] de ne pas nous avoir rappelés. » Michel Gaudin dit à son patron qu’il a eu de nouveau son informateur d’EADS. Le collaborateur de Sarkozy précise au téléphone que Bohn « a rendez-vous avec notre homme à 11h30 ». De qui s’agit-il ? Mystère.

Cette succession d’écoutes judiciaires a provoqué, le 28 mars, l’audition comme témoin du patron de la DCRI par les juges Tournaire et Grouman, comme l’a déjà rapporté Le Monde. Interrogé sur sa « fidélité » au clan Sarkozy, Patrick Calvar a répondu, d’après les éléments recueillis par Mediapart, qu’il n’était fidèle qu’à une seule personne : « la République ». Quant aux éventuelles enquêtes de son service sur le diplomate libyen Moftah Missouri, le maître-espion n’a pas répondu, opposant le « secret défense » au magistrat.

Plus intéressant, il apparaît que les juges et les policiers ont depuis plusieurs semaines dans leur collimateur un agent actuellement en poste à la DCRI, Tristan H. — une récente loi interdit aux médias de révéler l’identité d’agents du renseignement au nom de la sécurité nationale.

Les enquêteurs s’interrogent sur l’activisme en faveur du clan Sarkozy de ce sous-lieutenant affecté au suivi des affaires libyennes, au point que le directeur de la DCRI a été interrogé à son sujet durant son audition par les juges. Patrick Calvar, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, a dit qu’il ne le connaissait pas, alors qu’il s’agit bien de l’un de ses agents. Tristan H. serait-il « notre homme » dont parle le directeur de cabinet de Sarkozy dans une écoute ? Impossible de l’affirmer avec certitude pour le moment.

Moftah Missouri (au centre), avec Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, à TripoliMoftah Missouri (au centre), avec Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, à Tripoli © Reuters

Mais ces nouvelles découvertes sur l’importance du réseau d’informateurs de la Sarkozie, toujours actifs dans l’appareil d’État, ne laissent pas d’interroger sur le niveau de compromission dans la haute administration au profit d’un clan politique.

L’enquête des juges Tournaire et Grouman a en effet déjà permis de mettre en lumière les agissements d’un ancien directeur de la police judiciaire parisienne, Christian Flaesch, surpris dans une écoute téléphonique de novembre 2013 en train de préparer l’ancien ministre Brice Hortefeux à une audition judiciaire en lien avec le dossier libyen. Le policier, qui est allé jusqu’à souffler quel type de questions allaient lui être posées et quel document apporter pour assurer ses arrières, fut limogé sur-le-champ sitôt l’information rendue publique.

D’autres écoutes, réalisées début 2014 sur un téléphone portable de Nicolas Sarkozy acheté sous un nom d’emprunt — le désormais célèbre “Paul Bismuth” —, avaient montré que l’ancien président et son avocat, Me Thierry Herzog, s’étaient inquiétés le 1er février d’une éventuelle perquisition judiciaire, toujours en lien avec le dossier libyen.

Dans cette écoute, dont Mediapart a déjà fait état, l’ancien président demandait à son avocat « de prendre contact avec nos amis pour qu’ils soient attentifs ». « On ne sait jamais », ajoutait Nicolas Sarkozy. Son avocat précisa qu’il allait « appeler (son) correspondant ce matin (…) parce qu’ils sont obligés de passer par lui ». Vu la sensibilité de la manœuvre, Nicolas Sarkozy s’était montré inquiet quant à la façon de consulter la source. Thierry Herzog le rassura, lui indiquant qu’il a « un discours avec lui qui est prêt », c’est-à-dire un message codé pour communiquer. « Il comprend tout de suite de quoi on parle. »

Ce même jeu d’écoutes avait également permis de mettre au jour la proximité du couple Sarkozy/Herzog avec un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert. Il est apparu à la lecture des interceptions téléphoniques que le magistrat rencardait l’avocat de l’ancien président en marge de l’affaire Bettencourt et aurait tenté d’influer, moyennant un soutien pour une nomination à Monaco, sur une décision de la cour portant sur la restitution (ou non) des agendas présidentiels de Nicolas Sarkozy. Saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt, ces agendas étaient susceptibles en effet d’intéresser d’autres enquêtes visant Nicolas Sarkozy, comme l’affaire des financements libyens. Ces dernières écoutes ont débouché sur l’ouverture d’une information judiciaire pour « trafic d’influence » visant les trois hommes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014


La Parisienne Libérée : «Hé oh, les Néolibéraux !»

$
0
0

[en cas de problème d'affichage : dailymotion - youtube - vimeo]

Sur le thème du néolibéralisme, notre duo avec le philosophe Michel Feher est à revoir ici et l'entretien filmé que nous avions réalisé avec lui est .

HÉ OH, LES NÉOLIBÉRAUX !
paroles et musique : la parisienne libérée


Néos depuis 50 ans
Ils ont fait plus que leur temps
Trois mots résument leur pensée :
« Il faut privatiser ! »

Tels de vilains champignons
Ils s'installent sur le tronc
De toutes les fonctions publiques
Jusqu'à ce qu'elles périclitent

Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'écho
Et les idéaux vieillots
Des Néolibéraux

Là où ils passent, la Sécu
Hélas, ne repousse plus
Quand ils sèment leurs sauterelles
C'est pour replanter des mutuelles

Nos CDI dans l'abîme
Se transforment en intérim
Depuis le temps qu'ils plantent leurs choux
À la mode de chez nous !

Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'écho
Et les idéaux vieillots
Des Néolibéraux
Hé Oh Hé Oh

L'Europe se perd dans l'Euro

Ils ne créent rien, c'est dommage
À part du chagrin et du chômage
La valse des gouvernements
Et des logements vacants

Ils attaquent les gentils
Et dévorent les petits
Ils n'ont pas de problème de cœur
Les Privatiseurs

Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'écho
Et les idéaux vieillots
Des Néolibéraux
Hé Oh Hé Oh

L'Europe se perd dans l'Euro


Ils nous vendent des voitures
Dont les crédits nous capturent
Puis désignent nos ennemis
Tous les coups sont permis

Voilà que c'est la faute aux Grecs
Aux Roumains, aux Russes, aux Tchèques
Aux migrants qu'on trouve noyés
Dans la Méditerranée

Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'écho
Et les idéaux vieillots
Des Néolibéraux
Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'Euro

Ils menacent nos dépôts
Puis financent des technos
Pour combler les déficits
Qu'ils ont creusés – c'est pratique

En s'accaparant si bien
Tout ce qui nous était commun
Qu'on se retrouve assoiffés
À se battre pour une monnaie

Hé Oh Hé Oh
Faut changer de numéro
Ou les médiévaux dévots

Paieront l'apéro
Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'Euro
Hé Oh Hé Oh
L'Europe se perd dans l'écho
Et les idéaux vieillots
Des Néolibéraux



-------------
Les précédentes chroniques
Bruxelles Bubble / Un vote pour rire / À gauche ! / Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Encore un procès pour Eric Woerth

$
0
0

L’année 2015 sera chargée, sur le plan judiciaire, pour Éric Woerth. Selon des informations obtenues par Mediapart, l’ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy et ancien trésorier de l’UMP doit en effet être jugé les 23, 24 et 25 mars 2015 au tribunal correctionnel de Bordeaux, dans l’affaire de la Légion d’honneur attribuée à Patrice de Maistre. Dans ce volet de l’affaire Bettencourt, jugé séparément, Éric Woerth est soupçonné d’avoir remercié l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt d’avoir embauché son épouse en le décorant. Un échange de bons procédés qui leur vaudra à l’un et à l’autre d'être jugés pour « trafic d’influence ». Ils avaient été renvoyés en correctionnelle le 4 juillet 2013 par les juges d’instruction de Bordeaux, malgré des réquisitions de non-lieu prises le 10 mai par l’alors procureur Claude Laplaud, remplacé depuis par Marie-Madeleine Alliot.

Eric WoerthEric Woerth

Patrice de Maistre avait reçu sa médaille des mains d'Éric Woerth en personne au mois de janvier 2008, soit deux mois après avoir embauché son épouse, Florence Woerth, au service de l’héritière de l'empire L'Oréal. Malgré les dénégations des uns et des autres, un courrier d’Éric Woerth à Nicolas Sarkozy de mars 2007, pendant la campagne présidentielle, atteste que Patrice de Maistre, généreux donateur et membre du Premier cercle de l’UMP, avait réclamé sa décoration à son ami Woerth. C’est également à cette époque que le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt rapatriait clandestinement des fonds depuis la Suisse pour en remettre une partie à Éric Woerth, selon les juges d'instruction. Les magistrats instructeurs ont estimé que l’octroi de cette décoration à Patrice de Maistre était bien lié à l’embauche par celui-ci de Florence Woerth, l’épouse du ministre du budget, au sein de la société Clymène.

Avant ce procès, une épreuve plus longue attend Éric Woerth, député et maire (UMP) de Chantilly (Oise), qui devra passer quatre à cinq semaines sur le banc des prévenus du tribunal de Bordeaux : il doit, en effet, être jugé à partir du 26 janvier 2015 pour « recel » dans le volet principal de l’affaire Bettencourt, en compagnie de neuf autres personnalités dont Patrice de Maistre.

Patrice de MaistrePatrice de Maistre

Selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel signée par les juges le 7 octobre 2013, et dont Mediapart a révélé de larges extraits, deux rendez-vous très discrets avec Patrice de Maistre, pendant la campagne présidentielle de 2007, font peser de lourds soupçons sur Éric Woerth. « Il résulte de l’information qu’Éric Woerth a perçu des sommes en espèces qui lui ont été remises par Patrice de Maistre », écrivent les juges d’instruction Jean-Michel Gentil et Valérie Noël à la page 244 de leur ordonnance. « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. »

La chronologie reconstituée par les magistrats instructeurs est limpide. Maistre demande l’argent à la comptable de Liliane Bettencourt le 11 janvier 2007, lors d’un rendez-vous dans les locaux de la société Clymène, qui gère les investissements de Liliane Bettencourt, sise rue des Poissonniers, à Neuilly. Claire Thibout retire 50 000 euros le 17. Elle les remet le 18 à Maistre, dans l’hôtel particulier des Bettencourt. Et dès le 19 au matin, Woerth et Maistre se rencontrent discrètement dans un bar. Sur l’agenda de Claire Thibout, figure à cette date une mention très explicite : « 8h30 : Patrice et Trésorier – rue des Poissonniers – Paye et sécurité. » Le même jour, André Bettencourt signe une lettre de soutien au candidat Nicolas Sarkozy.

Le second rendez-vous entre Éric Woerth et Patrice de Maistre, toujours aussi discret, a lieu le 7 février 2007. Quelques jours plus tôt, le 30 janvier, Maistre s’était rendu en Suisse chez l’avocat René Merkt, gestionnaire des comptes cachés de Bettencourt. Il avait ensuite lâché cette phrase devant Claire Thibout : « Des fois ça sert d’avoir des comptes en Suisse. »

Les juges ont établi qu’à la suite de ce déplacement en Suisse, quelque 400 000 euros avaient été mis discrètement à la disposition de Patrice de Maistre et Liliane Bettencourt le 5 février. Le 7 février au matin, Woerth et Maistre se retrouvent donc pour la seconde fois dans un bar. Le 10, Nicolas Sarkozy rend visite à André Bettencourt.

« La réalité des rendez-vous est établie. La réalité de l’obtention des fonds et de leur remise l’est également. Les déclarations tant de Patrice de Maistre que d’Éric Woerth sur l’objet de ces deux rendez-vous sont peu crédibles au regard des déclarations corroborées de Claire Thibout sur la chronologie des faits », écrivent les juges.

Les magistrats vont plus loin : « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. » Jurisprudence à l’appui, les magistrats expliquent que le délit de « recel » suppose la connaissance de l’origine frauduleuse de la chose reçue, mais « pas que le receleur ait connu précisément le délit d’origine. Il importe donc peu qu’il ignore les circonstances dans lesquelles a été commise l’infraction d‘origine »

« De l’absence de relations entre ces deux personnes, qui se connaissaient depuis peu, et ne s’étaient rencontrés qu’une fois en septembre 2006 pour parler du soutien que l’un, Patrice de Maistre, à titre personnel ou au nom de son employeur Liliane Bettencourt, pouvait apporter à l’autre, Éric Woerth, en sa qualité de trésorier de l’UMP, du fait que c’est cette qualité de “trésorier” qui était justement mentionnée dans l’agenda de Claire Thibout pour le premier rendez-vous, il apparaît que l’objet du rendez-vous du 19 janvier 2007 était bien lié à un soutien financier », écrivent les juges.

Ils notent par ailleurs que pour des raisons de « discrétion » et de « confidentialité », ces rendez-vous avaient lieu dans un bar, et qu’Éric Woerth a évoqué de façon très vague, sur procès-verbal, une « aide » que souhaitait apporter Maistre.

Les magistrats concluent ainsi : « Par sa profession, ses mandats électifs exercés, ses fonctions anciennes de trésorier d’un parti politique et surtout ses fonctions de trésorier de la campagne électorale d’un candidat à l’élection présidentielle au moment des faits, Éric Woerth ne pouvait ignorer l’origine frauduleuse de sommes importantes remises en espèces, sans déclarations, sans enregistrements ni reçus. »

« De l’ensemble de ces faits, des déclarations de Claire Thibout, des circonstances de ces deux rendez-vous, il apparaît qu’Éric Woerth a accepté, à deux reprises, des sommes en espèces provenant d’un circuit financier manifestement illicite mis en place par Patrice de Maistre, et il importe peu qu’il n’ait pas connu le détail des circonstances de la commission du délit d’où provenaient les fonds recelés, 50 000 euros le 19 janvier 2007 et entre 100 000 et 400 000 euros le 5 février 2007 » (il s’agit en fait du 7 février – ndlr).

« Dès la réception réitérée de ces fonds, dans de telles conditions, Éric Woerth n’a pu – voire n’aurait pas dû – ignorer leur origine frauduleuse. Il n’a pas pu avoir le moindre doute sur celle-ci, quand bien même il ne connaissait pas précisément la qualification pénale du délit commis par Patrice de Maistre, d’abus de faiblesse ou de blanchiment de fraude fiscale qui lui sont reprochés ».

Pour le cas particulier d’Éric Woerth, les juges préfèrent ne pas choisir entre ces deux hypothèses et le renvoient donc devant le tribunal pour « recel d‘un délit commis par Patrice de Maistre au préjudice de Liliane Bettencourt ».

 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Cambadélis appelle les forces de gauche à «reconstruire un tronc commun»

$
0
0

Est-ce l'amorce d'un tournant politique majeur ? Le débat organisé par Mediapart, mercredi 14 juin, entre les trois dirigeants des principales formations de gauche (PS, Europe Écologie-Les Verts et Front de gauche) était en soi un événement. Cet échange était le premier entre un premier secrétaire du PS et le co-président du Front de gauche (Hollande puis Désir avaient toujours refusé de débattre avec Mélenchon). Il était également le premier entre un dirigeant socialiste et Emmanuelle Cosse, responsable nationale d'EELV, depuis le départ des écologistes du gouvernement.

Mais outre cette volonté de reprendre publiquement langue, la surprise a été l'appel lancé par Jean-Christophe Cambadélis aux autres responsables des gauches : appel à « retrouver le chemin de la convergence ». « Il faut dialoguer sur le fond, essayer de voir où peut se reconstruire le tronc commun de la gauche et des écologistes. Je ne sais pas si c'est en passant à nouveau par des Assises de la transformation sociale (comme cela fut organisé en 1994 – ndlr). C'est un espace de confrontation qu'il faudrait créer et un espace où les citoyens pourraient intervenir », a précisé Cambadélis.

S'agit-il d'une simple habileté tactique, dans un moment où le PS n'est pas seulement isolé à gauche, affaibli par la rupture de la coalition avec les écologistes, mais aussi divisé en son sein avec une centaine de parlementaires critiquant à voix haute la politique Valls-Hollande ? Habileté tactique également d'un Cambadélis parachuté à la tête du PS, sans congrès et sans vote militant ? Les mois qui viennent diront s'il ne s'agit là que d'une posture, au lendemain d'une déroute électorale lors des municipales et à la veille d'élections européennes qui s'annoncent tout aussi difficiles pour le parti au pouvoir.

Mais la première partie de ce débat (elle est à regarder ci-dessous) a incontestablement souligné qu'un ton nouveau était de mise côté socialiste, tandis que les dirigeants écologiste et Front de gauche se disaient prêts également à participer à une entreprise de refondation de la gauche. « Je suis disponible pour un débat sur le fond », assurait Jean-Luc Mélenchon. « C'est bien d'avoir des débats, mais il faut avancer », ajoutait Emmanuelle Cosse, soulignant tout de même la difficulté de l'exercice au vu du bilan des deux années de François Hollande à l’Élysée.

Cette démarche nouvelle, au moment où partis et clubs nouveaux se créent à gauche (Nouvelle Donne, par exemple), se fonde sur un constat largement partagé par les trois dirigeants et qui ne concerne pas seulement le brutal « désamour » (Cambadélis), le « discrédit » (Mélenchon) provoqué par la présidence Hollande. La crise est plus profonde encore, elle ne concerne pas que le PS mais l'ensemble des forces de gauche.

« Le PS a subi une défaite majeure, les fondations mêmes du parti ont été ébranlées, ces fondations du socialisme municipal, mais dans l'ensemble de la gauche il y a aussi divisions et désarroi. Si nous ne parvenons pas à nous écouter et à échanger, alors nous allons entrer dans une période extrêmement difficile », estime Jean-Christophe Cambadélis. « Je partage beaucoup d'éléments de ce diagnostic, oui, toute la gauche recule ensemble, j'en suis parfaitement conscient », répond Jean-Luc Mélenchon. Même analyse d'Emmanuelle Cosse : « Quand l'électorat de gauche, et particulièrement socialiste, ne vote pas, tout le monde en souffre. »

Quant aux raisons de la crise profonde du PS, mais aussi de la social-démocratie européenne, ou encore des gauches critiques, les trois dirigeants n'affichent pas de divergences radicales. Cambadélis souligne ce qui est, pour lui, la « défaite majeure : la question sociale, celle de l'égalité républicaine, a été battue par la question de l'identité. C'est pour cela que le FN progresse, qu'il est bien là, qu'il est en dynamique et qu'une lutte à mort s'engage contre lui et durera jusqu'à la présidentielle ».

Jean-Luc Mélenchon veut voir plus grand et parle, lui, « d'une crise de civilisation européenne », civilisation ravagée par les dogmes du libéralisme. « Il nous faut dessiner une ligne d'horizon, d'espoir, de futur. L'ancien logiciel de gauche est mort, celui du communisme d’État, n'en parlons pas, mais aussi le logiciel social-démocrate. Les écologistes ont apporté quelque chose qui est la clé de sortie vers le haut. Il nous faut construire l'écosocialisme basé sur la transition écologique », assure-t-il.

Débattre, oui, mais de quoi et comment ? Emmanuelle Cosse est venue rappeler quelques réalités dérangeantes à un Jean-Christophe Cambadélis qui, en plus de deux heures trente de débats, n'aura pas cité le nom de Manuel Valls, et évoqué du bout des lèvres François Hollande – et en rappelant que lui avait soutenu Martine Aubry lors de la primaire socialiste. « Cela fait vingt ans que je dis que le logiciel de la gauche est mort. Débattre... mais nous discutons beaucoup ensemble ; nous avons préparé 2012 avec le PS, nous avons signé un accord : le problème est qu'une fois le PS parvenu au pouvoir, tout cela est effacé ! », a insisté la secrétaire nationale d'EELV.

Que pouvait bien répondre Cambadélis, lesté par le bilan du pouvoir et les pieds comme coulés dans le béton ? Le premier secrétaire du PS a tenté de distinguer « le temps court », celui de l'exercice du pouvoir et de ce que pourraient être les trois prochaines années de présidence Hollande, d'un « temps long », principal défi posé à la gauche. Mais si « enjamber » ainsi le quinquennat Hollande lui a permis de prendre toutes les distances possibles par rapport aux politiques menées aujourd'hui, cela ne lui a pas permis d'échapper aux quelques questions clés posées par ses interlocuteurs.

Emmanuelle Cosse l'a redit : « On ne souffre pas d'un manque de dialogue, d'un manque d'idées, le problème est comment mettre en œuvre les politiques décidées une fois parvenus au pouvoir ; et pourquoi ne l'avons-nous pas fait. » « On peut bien sûr débattre à un niveau idéologique, a renchéri Jean-Luc Mélenchon, mais il faut ensuite venir sur des choses concrètes et parler sérieusement programme. »

Et c'est là que les difficultés commencent, multiples et bien souvent irréductibles. Si le Front de gauche et le mouvement écologiste paraissent en phase sur quelques questions centrales (redistribution, transition écologiste, investissements publics, développement soutenable plutôt que course à la croissance), le dirigeant socialiste n'a pu que prendre acte de l'ampleur des désaccords et assumer un « réformisme » revendiqué plutôt qu'une « tension » ou une « rupture » avec le capitalisme. Le choix, tel que résumé par Mélenchon, étant entre « une politique de l'offre ou une activité écologiquement soutenable », les fractures entre ces gauches sont apparues béantes.

« Je mets de côté la pratique gouvernementale, mais le parti socialiste a lui aussi intégré l'écologie », a tenté Cambadélis sans pouvoir tenir très longtemps la position... Idem sur la défense du pacte de responsabilité et des 50 milliards d'économies dans les dépenses publiques qui ont provoqué l'abstention de 41 députés socialistes. Le premier secrétaire a tenté une audacieuse explication : la désignation de Hollande lors de la primaire socialiste avait comme « logique » cette politique, puisque le candidat n'avait pas encore prononcé le discours du Bourget et s'était en revanche déclaré partisan d'un retour aux 3 % de déficit budgétaire... Le savaient-ils, ces premiers électeurs de Hollande, qu'ils voteraient pour le plan aujourd'hui défendu par Valls ? Oui, veut faire croire Cambadélis. C'est à voir ci-dessous :

Autres désaccords majeurs : les politiques sociales et la question de la redistribution. « Augmenter le SMIC, c'est écologique ! », a tonné Mélenchon dans une de ces formules qu'il affectionne. Vu par Cambadélis, cela donne ceci : « Le cœur de notre désaccord avec ceux que j'appelle les néocommunistes, parce que je ne peux pas les appeler mélenchonistes, c'est cela : on ne peut pas redistribuer ce que l'on n'a pas encore produit ! » Dialogue de sourds inévitable : ni Mélenchon, ni Cosse – avec des arguments différents – ne peuvent se ranger à l'argumentaire ressassé depuis des mois par le pouvoir.

Et puis, bien d'autres questions divisent ces gauches sans que l'on discerne comment réduire les fractures. L'Europe, bien sûr, avec un fédéralisme revendiqué par Emmanuelle Cosse et fortement rejeté par Jean-Luc Mélenchon, pour qui « l'Europe ne doit pas être changée ou réorientée mais totalement refondée ». L'euro ensuite, comme le rôle et les pouvoirs de la Banque centrale européenne. Le projet de traité transatlantique de libre-échange Europe/États-Unis enfin, qui voit à nouveau EELV et Front de gauche s'opposer ensemble au PS.

Les tentatives de Cambadélis d'expliquer qu'« à ce stade », le PS était contre, quand le candidat des socialistes européens Martin Schulz se dit pour – moyennant quelques conditions (lire ici les réponses de Schulz à nos questions), sont apparues comme désespérées. Voir la vidéo ci-dessous :

Au vu de ces désaccords, toute reprise de dialogue entre les forces de gauche est-elle vouée à l'échec ? Les résultats des européennes, puis la capacité ou non du pouvoir socialiste à sortir de l'impopularité détermineront largement les futurs possibles de tels échanges. Mais au moins Cambadélis pourra-t-il dire qu'il aura pris date en lançant cet appel. Le PS ne peut prendre le risque de voir se construire des convergences – et plus si affinités – entre les autres forces de gauche qui viendraient l'isoler, le marginaliser. Et, pourquoi pas ?, le doubler lors de la prochaine présidentielle.

Retrouvez ici l'intégralité du débat Cambadélis, Cosse, Mélenchon

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Le patron de l'Igas interroge Aquilino Morelle

$
0
0

L’Igas se réveille. Il y a quelques jours, comme Mediapart s’en était fait l’écho, deux syndicats de l’Inspection générale des affaires sociales s’étaient émus que, trois semaines après la parution de notre article sur les manquements d’Aquilino Morelle vis-à-vis de son corps, et sa démission de son poste de conseiller politique du président à l’Élysée, aucune enquête administrative n’ait été enclenchée.

Ce 15 mai, le Smigas (syndicat des membres de l’Igas) a fait savoir que le chef de service de l’Igas, Pierre Boissier, les avait informés mercredi qu’il avait commencé à interroger Aquilino Morelle, expliquant : « Sans attendre [le résultat des deux autres enquêtes en cours] et afin de préparer l’action de l’administration, j’ai demandé à monsieur Aquilino Morelle de bien vouloir m’apporter des explications et justificatifs nécessaires à propos des faits rapportés dans les médias et qui sont susceptibles de constituer des manquements au regard des obligations de fonctionnaires. »

Interrogé ce même 14 mai par Mediapart, l’Igas s’était refusé à toute explication : « Il ne nous est pas possible de donner d’informations sur les diligences de l’administration en la matière s’agissant de questions portant sur le traitement en cours du dossier individuel d’un agent, a fortiori lorsque les questions pendantes font par ailleurs l’objet d’une enquête judiciaire. »

Mediapart avait également interrogé le ministère des affaires sociales et de la santé, cherchant à savoir pourquoi Marisol Touraine, ministre de tutelle, n’exigeait pas une telle enquête. Il nous avait été répondu : « Marisol Touraine n'a pour sa part aucune réserve de principe sur le lancement d'investigations administratives qui pourraient être utiles au chef de l'Igas. »

Pour le Smigas, cette démarche de Pierre Boissier « est un début : une enquête en bonne et due forme confiée à un tiers non Igas nous paraîtrait une meilleure solution, mais ceci est une avancée dans la bonne direction. Le Smigas prend acte que le chef de service a pris sous sa responsabilité directe, l’établissement des faits que nous appelons de nos vœux. »

Au Smigas, on ne cachait pas mardi que « ne rien faire serait intenable : aucun autre fonctionnaire ne pourrait revenir comme s’il ne s’était rien passé. Il faut une enquête administrative sur les faits. On doit s’appliquer les règles que l’on applique pour les autres lors de nos contrôles. »

En tant que membre de l’Igas, Aquilino Morelle a rédigé plusieurs rapports entre 2007 et 2011 évaluant les politiques du médicament sous divers aspects, alors même qu’il avait travaillé pour un laboratoire américain en 2006 puis qu’en 2007, alors qu’il était revenu à l’Igas, il avait réalisé une mission pour le laboratoire danois Lundbeck sans en informer l’Igas.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Croissance et chômage: Hollande l’extralucide!

$
0
0

Décidément, il ne faut jamais trop croire ce que dit François Hollande. Durant la campagne présidentielle, il a mille fois répété son slogan favori : « Le changement, c’est maintenant ! » Et on a vu ce qu’il en est advenu : depuis, il n’a quasiment rien changé et poursuit, au grand désespoir de ses électeurs, quasiment sans la moindre modification, la politique économique et sociale de son prédécesseur. À gauche, on n’a donc cessé de ruminer le reniement socialiste : le changement, c’était maintenant !

Et voilà que l’histoire bégaie. Se servant d’un nouvel élément de langage, sans doute savamment élaboré par ses communicants, le chef de l’État a étrenné au début de ce mois, comme pour calmer l’exaspération du « peuple de gauche », un nouveau slogan : « Le retournement économique arrive ! » Sous-entendu : la croissance va revenir et le chômage va enfin baisser. Et patatras ! Même pas deux semaines plus tard, l’Institut national de la statistique et des études économique (Insee) révèle que le cocorico présidentiel est au mieux prématuré, au pire stupide, puisque la croissance économique de la France a été nulle au premier trimestre de cette année 2014. Le retournement, c’était maintenant !

Pas plus tard que le 4 mai, pour commémorer un peu à l’avance le (sombre) deuxième anniversaire de son élection à la présidence de la République, François Hollande avait confié son optimisme au Journal du dimanche. « On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait-il.

Et le JDD, qui excelle dans l’art de servir les puissants, ajoutait : « Pour le Président, qui a toujours pensé que l'économie était de la psychologie, l'important c'est ce "retournement", le moment où les Français prendront conscience que la crise est finie. Le 14 juillet 2013, Hollande annonce que "la reprise est là" ; aujourd'hui, il va plus loin, il prévoit la redistribution. »

Depuis, tous les ministres ont été priés de colporter la bonne nouvelle. Et si possible, tous les élus socialistes aussi. Le jour même, le patron du groupe socialiste à l’Assemblée, Bruno Le Roux, le petit doigt sur la couture du pantalon, a donc claironné sur BFM : « Le temps du retournement économique est en vue. » Ce retournement « comprend l’inversion de la courbe du chômage et la baisse de l’impôt », a-t-il applaudi.

Dans les heures qui ont suivi, beaucoup d’économistes ou de conjoncturistes ont fait part de leur scepticisme. Cela n’a pas empêché la campagne de communication de se poursuivre.

Voilà donc, sans grande surprise, que l’Insee, garde-champêtre de l’honnêteté du débat économique, vient de dire que les voyants et extralucides, visiblement nombreux dans les hautes sphères de l’État, seraient bien inspirés de jeter à la poubelle leurs communiqués triomphalistes. Car la vérité, c’est que l’économie française est toujours en panne, tout près de la croissance zéro, comme elle l’est depuis plus de deux ans.

Voyons en effet les vrais chiffres, ceux que publie l’Insee :

 

Selon ces comptes nationaux trimestriels publiés ce jeudi 15 mai, l’état des lieux est inquiétant : la croissance a été nulle (0 %) au premier trimestre de cette année 2014. Et si l’on regarde les chiffres dans le détail, on observe que toutes les courroies d’entraînement du moteur de l’activité sont bloquées, aussi bien la consommation des ménages qui chute de 0,5 % au premier trimestre que l’investissement des entreprises qui recule dans les mêmes proportions (– 0,5 %). Seules les exportations contribuent à la croissance. En clair, si la France n’est pas retombée dans la récession, ce n’est pas du fait de la politique économique nationale, c’est à cause de son environnement européen – au demeurant pas très bon.

                          (Cliquer pour agrandir ce tableau)

Autrement dit, non seulement le fameux « choc de compétitivité » voulu par François Hollande commence à ruiner les finances publiques et condamne le pays à un plan d’austérité, mais de surcroît, il n’a pas d’effets perceptibles.

En cela, la situation de la France ne se distingue pas vraiment de celle de la plupart des grands pays européens, l’Allemagne mise à part. Tout juste a-t-elle un niveau d’activité un peu plus faible que la moyenne, comme en attestent les derniers chiffres d’Eurostat, l’institut européen de conjoncture :

 

On découvre que la France, avec une croissance zéro au premier trimestre, est en dessous des pays de la zone euro (+ 0,2 %). Elle fait aussi moins bien que la Belgique ou l’Espagne (+ 0,4 %) et plus encore l’Allemagne ou, hors la zone euro, le Royaume-Uni (+ 0,8 %).

En somme, les pays de la zone euro, avec une croissance de seulement 0,2 % au cours de ce premier trimestre, sont en piteux état. Assommés par une cascade de plans d’austérité, ils ont en bonne partie cassé la dynamique de sortie de crise qui pouvait s’enclencher. Et la France a été une bonne élève de ces politiques néolibérales récessives : le gouvernement socialiste a préféré organiser des transferts massifs en faveur des entreprises, générant à leur bénéfice des effets d’aubaine sans conséquences réelles sur l’économie ; et, du fait de cette politique, cumulée à la marche pour la réduction des déficits publics, la demande intérieure a été étouffée.

Du même coup, le gouvernement plonge le pays dans une situation d’anémie, sans doute prolongée. Officiellement, le pacte de stabilité, voté la semaine dernière à l'Assemblée nationale, a été adossé à une hypothèse de croissance de 1 % en 2014 et 1,7 % en 2015 (avant 2,25 % en 2016). Mais au rythme où vont les choses, il n’est pas même certain que la France atteigne ces objectifs.

Alors, d’un seul coup, ce jeudi, les dignitaires socialistes ont été contraints de renouveler en catastrophe leurs éléments de langage. Finies les prévisions extatiques d’un retour de la croissance ! Finies les odes à François Hollande, le grand manitou du « choc de compétitivité » ! Subitement, le ton des messages publics a changé. « Ce n'est pas grave », a dit ainsi Michel Sapin, le ministre des finances.

Il faut même lire en entier la phrase prononcée par le ministre, car elle est encore plus surprenante que cela : « Ce n'est pas grave mais cela conforte toute la politique que nous menons aujourd'hui. » Étrange formule, un tantinet cafouilleuse, que l’on peine à décrypter. Car il ne faut pas manquer d’audace pour commenter de la sorte ce 0 % de croissance. Le chiffre pourrait inspirer, en fait, un commentaire strictement opposé : c’est grave, et c’est bien la preuve que la politique conduite aujourd’hui n’est pas confortée et qu'il faut donc en changer…

Non seulement la politique économique et sociale du gouvernement contribue fortement à la stagnation économique et donc à la hausse historique du chômage, mais de surcroît, les principaux responsables du pouvoir exécutif multiplient les sorties approximatives ou les tartarinades. Ce qui donne un curieux sentiment : une politique économique de droite conduite par des amateurs !

Car cette malencontreuse sortie sur le « retournement » de l’économie n’est pas le premier fait d’armes présidentiel. Tout au long de l’année 2013, il s’est aussi distingué en jurant ses grands dieux, contre l’évidence, que la courbe du chômage s’inverserait avant la fin de l’année. Courant micros et caméras, il a répété cette contre-vérité, alors que l’on savait pertinemment que c’était au pire un mensonge, au mieux une ânerie…

À preuve, selon les dernières prévisions de l’OCDE pour la France publiées la semaine passée, la fameuse inversion pourrait ne même pas intervenir en 2014, mais seulement en 2015. Et encore ! Seulement en fin d’année et dans des proportions faibles. « Le taux de chômage ne devrait baisser que faiblement vers la fin 2015 », estime l’OCDE

Et voilà que cela recommence avec le « retournement » : à l’Élysée, Madame Irma a repris du service et décèle un avenir radieux dans sa boule de cristal…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live