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Européennes : Wauquiez et Guaino s'adjoignent des soutiens très droitiers

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« Laurent Wauquiez a des positionnements individuels parce que populistes. » Jeudi 24 avril, lors du lancement devant la presse de la campagne UMP pour les élections européennes, Jean-François Copé a balayé d’une phrase la polémique suscitée par le député et maire du Puy-en-Velay depuis la sortie de son livre Europe, il faut tout changer (Éd. Odile Jacob), dans lequel il défend notamment le retour à l’Europe des six.

« Wauquiez est complètement isolé sur cette question », a renchéri l’eurodéputé Alain Lamassoure, ajoutant que l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino – qui avait vivement critiqué le choix de sa candidature pour conduire la liste UMP en Île-de-France – n’était « d'accord qu'avec la pensée unique d'Henri Guaino ». Isolés Laurent Wauquiez et Henri Guaino ? Pas tant que ça.

Pour montrer à leurs collègues de l’opposition qu’ils ne sont pas les seuls à plaider pour une remise en cause profonde de la politique européenne, les deux députés ont publié dans Le Figaro du 25 avril une tribune cosignée par 39 parlementaires. « Chaque parlementaire à intérêt à taire ses différences durant cette campagne, voulait croire un secrétaire adjoint de l’UMP il y a encore quelques jours. Personne ne veut en rajouter. Nous devons rester unis coûte que coûte. »

Henri Guaino et Laurent WauquiezHenri Guaino et Laurent Wauquiez © Reuters

Pourtant, 31 députés, 5 sénateurs et un parlementaire européen (Jean Roatta) ont choisi de soutenir officiellement Laurent Wauquiez et Henri Guaino, se positionnant de facto contre la ligne adoptée par leur parti en vue des européennes. Qui sont ces élus qui ont décidé de casser l’unité de façade de l’UMP ? Le journaliste Laurent Boissieu analyse sur son blog les votes européens des députés-signataires et conclut que seuls cinq d’entre eux « peuvent véritablement être considérés comme souverainistes, c’est-à-dire qu’ils n’ont jamais voté en faveur de l’actuelle construction européenne ».

Plus qu’un véritable rassemblement d’eurosceptiques, la liste des cosignataires ressemble surtout à une coalition de circonstance, comprenant une majorité de fillonistes, des soutiens de Laurent Wauquiez et des proches d’Henri Guaino, auxquels se sont greffées quelques figures issues de l’aile droite de l’UMP. Sans surprise, on y retrouve 22 des 55 signataires de la motion Droite sociale, groupe lancé en 2010 par le député et maire du Puy-en-Velay. 

« Je fais partie de la Droite sociale, je suis fidèle à Laurent Wauquiez et je suis d’accord avec tout ce qu’il dit », indique le sénateur de Haute-Savoie Pierre Hérisson, qui en profite pour souligner le peu de légitimité qu'il accorde à Jean-François Copé : « Je considère que le vrai patron de l’UMP, c’est François Fillon. » Qu’importe si l’ex-premier ministre fait aujourd’hui front commun avec son ancien adversaire à la présidence de l'UMP contre les propositions de Wauquiez sur l’Europe : 17 des 73 députés qui avaient rejoint, fin 2012, son groupe parlementaire RUMP – créé en pleine crise interne – ont paraphé la tribune du Figaro.

Le député et maire de Tourcoing, Gérald Darmanin, figure aussi parmi la liste des signataires. « J’ai été approché par Henri Guaino dont je partage l’engagement eurosceptique, explique ce proche de Xavier Bertrand qui fut par le passé collaborateur de Christian Vanneste et David Douillet. Les élites de notre parti ont toujours été euro-béates. Nous avons des dirigeants mondialisés qui ne vivent pas la même chose que le peuple. »

Et le jeune élu de développer « un exemple concret » : « Tourcoing (où il vient d’être élu maire après 25 années de gauche au pouvoir) est juste à côté de la Belgique où il n’y a pas un seul camp de Roms alors que nous, nous en avons deux, dit-il. Je préférerais que l’Europe donne de l’argent à Tourcoing plutôt qu’à la Bulgarie ou à la Roumanie qui ne s’occupent pas de leurs populations. Personne ne se satisfait de cette situation : ni les Tourquennois ni les Roms qui ne sont pas accueillis dans des conditions acceptables. »

La question de l’immigration, « thème majeur » de la campagne UMP pour les européennes de mai selon les propres mots d’Alain Lamassoure, se retrouve bien évidemment dans la tribune initiée par Laurent Wauquiez et Henri Guaino. « La libre circulation poussée à l’excès qui interdit tout contrôle des déplacements à l’intérieur de l’Europe pouvant mettre en péril la cohésion de nos sociétés et qui va jusqu’à mettre en concurrence, sur notre sol, nos salariés avec des salariés qui supportent trois fois moins de charges sociales, ça ne peut plus durer », peut-on lire dans le texte.

Outre les fillonistes, les membres de la Droite sociale et les proches d’Henri Guaino, cette tribune compte également parmi ses signataires sept élus issus de la Droite populaire, collectif situé à l’aile droite de l’UMP et créé en 2010 pour faire « barrage » au Front national. Parmi eux, le député des Yvelines Jacques Myard, friand amateur de remarques sexistes et grand habitué du Machoscope de Mediapart, ainsi que le député des Alpes-Maritimes Lionnel Luca qui ne souhaite pas commenter son engagement aux côtés de Laurent Wauquiez et Henri Guaino. « Ça ne m’intéresse pas, se contente-t-il de répondre. Vous savez, des tribunes, on en signe tellement… »

Thierry Mariani, député des Français établis hors de France et leader de la Droite populaire, partage « 90 % des idées du texte », mais a toutefois refusé de le signer pour ne pas perturber l’unité de l’UMP. « Je ne pouvais pas signer une tribune initiée par un homme qui a clairement dit qu'il ne voterait pas UMP, s’est-il justifié auprès du Lab. Même si je suis sur la même ligne, je me sens tout de même plus proche de l'UMP que du Front national. »

Au-delà des membres de la Droite populaire, plusieurs cosignataires font partie d’un noyau très conservateur qui porte les couleurs de l'UMP. C’est notamment le cas du député de l’Ain Xavier Breton, l’un des leaders de l’Entente parlementaire pour la famille, qui était largement monté au créneau durant les discussions sur le mariage pour tous. On trouve également six des vingt députés qui avaient déposé, en pleine affaire Cahuzac, une proposition de loi mettant en place un dispositif d'amnistie fiscale visant à rapatrier des capitaux placés illégalement à l'étranger.

Enfin, la liste des soutiens de Laurent Wauquiez et Henri Guaino compte deux parlementaires connus pour avoir soutenu le régime de Ben Ali en Tunisie (Dino Cinieri et Didier Quentin), ainsi que le député des Hauts-de-Seine, Patrick Ollier, dont les amitiés libyennes avaient été révélées par Mediapart en février 2011.

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Ecologie : Royal inaugure ses “cent jours”

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Des formules à la pelle (« économie circulaire », « croissance verte », « écologie positive », « reconquête de la biodiversité », « mettre en mouvement les territoires »…), l’obsession d’« accélérer » le rythme des réformes, la mise en scène de soi comme ministre de premier plan devant une brochette de photographes shootant en rafale l’oratrice, tout cela en présence des directeurs de son administration, ainsi que des membres de son cabinet...

Ségolène Royal au ministère de l'écologie et de l'énergie, le 25 avril 2014 (Medde).Ségolène Royal au ministère de l'écologie et de l'énergie, le 25 avril 2014 (Medde).

Mais aussi beaucoup de flou, de réponses évasives et de renvois à des arbitrages ultérieurs : Ségolène Royal a présenté son programme ministériel vendredi 25 avril devant des journalistes que l’on n’avait jamais vu si nombreux du temps de son prédécesseur, Philippe Martin. Cette première conférence de presse clôt une semaine de réunions tous azimuts : avec le premier ministre Manuel Valls vendredi, avec les députés écologistes mercredi, les ONG jeudi. La ministre annonce un rendez-vous hebdomadaire avec les entreprises des filières dites de la croissance verte. Mardi et mercredi prochains, elle doit expliquer aux parlementaires ce qu’elle compte faire de l’écotaxe, toujours en rade, cinq mois après avoir été suspendue par Jean-Marc Ayrault. Et tenir un séminaire sur la biodiversité en début de semaine prochaine. Elle lance officiellement sa séquence des cent jours, en apparence porteuse de mille et une réformes.

Premier objectif annoncé : créer 100 000 emplois verts en trois ans, un chiffre déjà repris à son compte par sa devancière Delphine Batho après un séminaire gouvernemental, fin 2012. Comment, avec quels moyens, pourquoi pas 80 000 ou 150 000 ? Elle n’a donné aucun détail permettant d’apprécier la crédibilité de cet engagement.

Autre annonce à dimension sociale, et sujet très sensible : la préparation d’un nouveau décret sur le prix de l’électricité, pour « atteindre la modération de la hausse des tarifs, par la négociation » dans les trois ans qui viennent. Le conseil d’État ne cesse de censurer les prix de l’électricité, qui ne permettent pas de couvrir les coûts de production affichés par EDF. Le gouvernement Ayrault avait refusé d’alourdir la facture des Français à la hauteur des montants demandés (entre 10 et 17 %, voir ici notre article) sans trouver de solutions juridiques pérennes. Là non plus, Ségolène Royal n’a fourni aucune précision sur la façon dont elle comptait s’y prendre. Une conférence bancaire sur le financement de la transition écologique, organisée de concert avec Michel Sapin et Arnaud Montebourg, doit se tenir en juin.

Pour soutenir un secteur économique en plein marasme, le ministère va lancer un nouvel appel d’offres concernant les installations de solaire et de photovoltaïque de grande puissance, et devrait dévoiler les lauréats du deuxième appel d’offres pour l’éolien en mer (parcs au large du Tréport, en Seine-Maritime, et des îles d'Yeu et Noirmoutier, en Vendée) que se disputent EDF et GDF-Suez. Aussi dans les tuyaux : l’accélération du plan méthanisation, et la préparation du lancement d’un troisième appel d’offres pour l’éolien maritime.

« Principal chantier » affiché : le « nouveau modèle énergétique ». Le projet de loi de transition énergétique pourrait être examiné en commission parlementaire dès le mois de juillet. Un calendrier « audacieux », commentait ensuite un responsable d’administration, pas convaincu que le bouclage du texte permette de tenir un délai aussi rapproché. Mais la ministre n’a donné aucune indication sur le contenu de la loi, à part son souhait d’y adjoindre un volet sur l’économie circulaire, cette politique économique qui veut systématiser le recyclage des déchets de manière à récupérer tous les rebuts du système productif. En revanche, elle a souhaité que « toute nouvelle construction », à commencer par « tous les bâtiments publics », comme les écoles, soit à énergie positive, c’est-à-dire consommant peu et produisant l’énergie dont il a besoin.

À en croire la ministre, d’ici l’été, toute une série de plans doivent être mis en place ou revus : pour la rénovation thermique des logements, le tiers-financement, sur la prévention des inondations, la protection de l’atmosphère, les déchets, la voiture électrique, les réseaux intelligents, la simplification du droit de l’environnement… La stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens doit sortir des limbes « dans quelques jours ». Et une révision de la directive OGM est sur la table, dans le but d’offrir aux États membres plus de sécurité juridique pour interdire les organismes génétiquement modifiés sur leur territoire.

Ségolène Royal aura-t-elle les moyens d’être la ministre de la transition énergétique qu’elle dit vouloir être ? Elle s’est entourée d’un cabinet au profil politique (Jean-Louis Bianco, Jean-Luc Fulachier, Francis Rol-Tanguy, ancien directeur de cabinet de son prédécesseur), qui pourrait davantage peser sur la puissante administration de l’énergie qu’auparavant.

L’ombre d’un grand absent plane sur ce discours de la méthode : le dérèglement climatique. À peine évoqué en fin de présentation, et expédié en quelques mots, pour renvoyer au ministère des affaires étrangères en vue de la préparation de la conférence sur le climat de 2015. L’articulation entre diplomatie et politiques concrètes de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre reste en friche.

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A Marseille, Cazeneuve à la recherche «des vraies gens»

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Marseille, de notre envoyée spéciale.   À Marseille, les ministres de l’intérieur défilent et le maire demeure. Depuis son premier mandat en 1995, Jean-Claude Gaudin, 74 ans, a déjà vu passer treize occupants de la place Beauvau. À Bernard Cazeneuve, le nouveau ministre de l’intérieur en déplacement à Marseille vendredi 25 avril, le sénateur UMP rappelle donc, l’air de rien, qu’avec ses 36 ans sur les bancs de l’Assemblée nationale puis du Sénat, il est le « doyen des élus du département ».

Bernard Cazeneuve en visite dans une cité marseillaise, le 25 avril 2014.Bernard Cazeneuve en visite dans une cité marseillaise, le 25 avril 2014. © LF

« Un président de la République m’a dit une fois “Mais comment avez-vous fait pour durer aussi longtemps ?”» s’amuse le cumulard, qui a de nouveau remporté la ville au nez de la gauche le 30 mars 2014. Pas de quoi faire prendre la mouche à Bernard Cazeneuve qui évite soigneusement le sujet des municipales et file la comparaison entre sa ville de Cherbourg et celle de Marseille, deux villes portuaires de « grand large » et de « grands espaces ». « Je connais l’esprit de liberté de ceux qui les dirigent », salue l'ancien maire et député de Cherbourg.

Pour le reste, la visite marche comme sur du velours. Les deux hommes s'auto-congratulent des mesures mises en œuvre conjointement depuis deux ans pour améliorer la sécurité marseillaise : investissement massif dans la vidéosurveillance, augmentation des effectifs de la police municipale désormais dotée de Tasers et de Flashball, renforts policiers, création de deux zones de sécurité prioritaires (ZSP) et d’un poste de préfet de police de plein exercice, police judiciaire réorganisée pour cibler les trafics des cités. Selon Bernard Cazeneuve, les violences aux personnes ont baissé de 14 % sur les premiers mois de 2014 par rapport à la même période en 2013 sur les deux zones de sécurité prioritaires marseillaises. Et les atteintes aux biens, notamment les vols à main armée, de 8 %. Le règlement de comptes de la veille, le cinquième depuis début 2014, est en revanche à peine évoqué. 

Bernard Cazeneuve entouré d'élus marseillais, au centre de supervision urbaine.Bernard Cazeneuve entouré d'élus marseillais, au centre de supervision urbaine. © LF

Le ministre de l’intérieur PS a le droit à la visite du centre de supervision urbaine, cofinancé pour moitié par l’État et encore flambant neuf. Gaudin se penche vers l’un des 38 agents qui, sept jours sur sept, scrutent les images des 330 caméras installées dans le centre-ville (l’objectif de la mairie est de passer à 1 000). « Est-ce qu’on n’a pas une prise à montrer à M. Cazeneuve, un voleur, quelque chose de pas trop ancien ? » demande le maire. « On » trouve la vidéo d’un voleur à la tire interpellé par des policiers en civil. Satisfait, Gaudin hoche la tête vers son hôte : « Voyez, l’équipement est superbe ! C’est Manuel Valls qui l’avait inauguré (en février 2013, ndlr). »

Pas de déclarations fracassantes pour le nouveau ministre de l'intérieur.Pas de déclarations fracassantes pour le nouveau ministre de l'intérieur. © LF

Venu « mesurer les résultats de la politique mise en place depuis maintenant 24 mois par le gouvernement », Bernard Cazeneuve n’a pas non plus échappé à la traditionnelle revue des effectifs, dans la cour de l’Évêché, l’hôtel de police marseillais. Avec un message d’«exemplarité» suite à la garde à vue de quatre policiers parisiens soupçonnés de viol sur une touriste étrangère au sein des locaux de la BRI. « Je souhaite que la justice et l'Inspection générale de la police nationale aillent au terme de leurs investigations, que la vérité soit faite, a déclaré le ministre de l’intérieur. Je prendrai toutes les sanctions qui s'imposent si, au terme de l'enquête, les faits étaient établis. » «Il faut que nos forces soient reconnues pour leur exemplarité», a-t'il insisté.

On décroche la carte des caméras après le départ du ministre.On décroche la carte des caméras après le départ du ministre. © LF

Se gardant de toute annonce fracassante, Bernard Cazeneuve a dit vouloir approfondir l'action sécuritaire de son prédécesseur Manuel Valls à Marseille en reprenant les mêmes objectifs : saisie des avoirs criminels, un renseignement mieux articulé, démantèlement des trafics, et lutte contre le djihadisme. Avec une pensée particulière de l'ancien ministre délégué au budget pour la lutte contre la fraude fiscale. Bernard Cazeneuve est venu à Marseille, accompagné du préfet Christian Lambert, qui poursuit son évaluation des 64 ZSP de la première et de la deuxième vague. Après avoir rencontré pendant six jours chefs de service, magistrats et élus marseillais, il reste encore à Christian Lambert une dizaine de ZSP à visiter.

Un policier en civil et des enfants attendent le ministre à Air Bel, le 25 avril.Un policier en civil et des enfants attendent le ministre à Air Bel, le 25 avril. © LF

Seule vraie rupture de ton, le ministre socialiste ne voulait pas aller dans les cités des quartiers nord faire des déclarations martiales devant les caméras. Mais rencontrer des « vraies gens » et ne pas leur parler que de sécurité. D'où le choix d'Air Bel, une cité de 4 300 habitants dans la zone de sécurité prioritaire sud de Marseille (11e arrondissement). Depuis mi-mars 2013, la police y mène, comme dans une quarantaine d’autres cités marseillaises, une opération de « reconquête ». Mediapart avait raconté les premières semaines de cette opération.

Une heure avant l’arrivée du ministre, la cité HLM fourmille déjà de policiers : CRS aux entrées, brigades VTT qui surgissent des fourrés, patrouilles à chaque coin de bloc, et snipers en haut des tours. Même les badauds qui prennent le soleil sur les coursives ont de furieux airs d’agents en civil. Sur la placette proche de l’école primaire, les deux passages où se déroulait le trafic de stupéfiants ont été récemment murés. « Les gosses ont détruit le mur, puis les policiers l’ont fait reconstruire », explique Sow, l’animateur de « l’espace lecture ».

Le passage entre la place du marché et l'école a été muré.Le passage entre la place du marché et l'école a été muré.

« Dans mon bâtiment aussi, ils ont fermé deux entrées, c’est fait pour nous embêter, indique un chauffagiste de 26 ans. Ils ne pensent pas aux gens malades, aux mamies, aux déménagements, aux courses, et tout ça. » L’initiative a exaspéré. « C’est n’importe quoi ce mur, car les mères de famille passaient par là, lance Friga, vingt ans. Maintenant, les personnes âgées, les mamans avec les courses sont obligées de faire tout le tour. Nous, ça nous a monté les nerfs. »

Le jeune homme a ouvert en septembre 2013 une petite alimentation au coin de la place. Avec la pharmacie, c’est le seul commerce qui existe encore dans la cité. « Je voulais faire snack pour que les petits restent là au lieu de faire des conneries dehors, d’aller voler des motos ou rentrer dans le réseau, explique Friga. Mais le bailleur a refusé. La capitaine de police n’était pas d’accord non plus. Ici, il n’y a rien pour les jeunes. » Derrière la place du marché, le snack associatif a fermé le rideau en mars 2013, après un contrôle de police. En cause : un employé non déclaré et diverses autres infractions liées à la gestion. « C’est bête, avant, les gens y buvaient leur café le matin, on voyait un peu de monde et on se sentait en sécurité », regrette une habitante, fonctionnaire territoriale.

Devant l'alimentation de Friga, le 25 avril.Devant l'alimentation de Friga, le 25 avril. © LF

Un an après le début de l’opération policière, beaucoup d’habitants d’Air Bel se plaignent de la multiplication des contrôles routiers tatillons à l’entrée et à la sortie de la cité, qui sont vécus comme un véritable harcèlement. « Qu’ils regardent le permis, l’assurance et s’il n’y a pas d’arme, c’est normal, dit un jeune homme de 23 ans, qui prépare un diplôme d’accès aux études universitaires. Mais là, ils enlèvent des points à des pères de famille parce que leur contrôle technique n’est pas à jour ! » Tout le monde dans la cité a une anecdote d’amende pour un pneu mal gonflé, un clignotant pas mis sur le rond-point, ou même une rue traversée hors du passage piéton. « On sort chercher quelqu’un, il faut montrer les papiers, on revient, pareil », soupire Sow. « Et pour peu qu’on les oublie, on est verbalisé. » « Ils sont là pour la sécurité ou pour mettre des amendes ? » gronde un adolescent.

Le seul changement visible en un an, c’est le terrain de foot en gazon synthétique qui a surgi en bas de la cité. L’ancien gymnase qui s’y trouvait avait disparu (brûlé ou démoli selon les versions) il y a plus de dix ans. Et le terrain était laissé à l’abandon par la mairie. Mais un terrain de foot benjamin même doublé d’une aire de jeu pour enfants et d’un plateau sportif, « ça reste pas beaucoup pour une grande cité comme ça », remarque Soraya, 30 ans, maman de deux petits garçons.

Le ministre de l'intérieur, bien escorté...Le ministre de l'intérieur, bien escorté... © LF

« Le week-end quand je n’ai pas envie de prendre la voiture, il n’y a rien pour eux ici, même pas des jeux, des bancs pour s’asseoir ou une salle pour organiser des fêtes, c’est mort », dit-elle. « Il y a d'innombrables locaux vides, mais c’est la lutte pour avoir un studio pour faire de la musique, rage Yamine, 18 ans, en terminale littérature, qui s’est planté d'autorité devant les caméras. Ici les enfants n’ont rien à faire, ils ne connaissent rien, on ne leur ouvre pas l’esprit, Molière connaît pas ! »

Ce sont ces habitants que Bernard Cazeneuve était venu rencontrer. Mais ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’il a pu prendre le temps de les entendre dans une salle du centre socioculturel réservée à cet effet. A l’écart de la meute des élus locaux, journalistes et chefs de police de tout rang qui l’ont suivi toute la journée...

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Gauche sans-gêne et droite décomplexée

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La « gauche sans-gêne » en couverture du magazine Le Point de cette semaine, avec une photo d’Aquilino Morelle pour appuyer le propos. La formule est d’autant plus dure qu’elle tape dans le mille. Oui cette « gauche » peu regardante existe, oui elle a torpillé son camp en 1993, oui elle recommence en 2014.

Il ne manque qu’un détail à cette juste indignation. C’est que cette dénonciation n’aurait pas été possible sans des révélations empruntées à Mediapart, donc à un journal qui ne passe pas pour un suppôt de la droite.

Donc, sauf à faire preuve d’une approche hémiplégique de la morale, ce confrère libéral, qui n’a d’ailleurs pas hésité à révéler l’affaire Copé Bygmalion, ainsi que la presse de droite dans son ensemble, auront à cœur de dénoncer, avec la même vigueur, la « droite sans-gêne ».

Bienvenue au club, il y a du pain sur la planche !

Qui a dit, au soir de sa cinquième élection, en mars dernier : « Si on n’investit que ceux qui n’ont pas été condamnés par la justice, on n’a plus de candidats dans les Hauts-de-Seine. » C’est Patrick Balkany. Quand sera-t-il rejeté par son camp comme l’a été le conseiller de François Hollande ? Quand cette « droite sans-gêne » sera-t-elle « démissionnée », et priée de rentrer dans ses foyers ?

Et le couple Dassault-Bechter ? À quel moment a-t-il réalisé que les voix ne s’achètent pas en politique, et combien d’articles fracassants Le Figaro a-t-il consacrés à sa dérive sans-gêne ?

Et Gilles Bourdouleix, réélu maire de Cholet malgré sa condamnation pour apologie de crimes contre l’humanité, après avoir jugé que « Hitler n’avait peut-être pas tué assez de Roms » ? Quand a-t-il été montré du doigt et clairement évacué lorsqu’il a quitté l’UDI, et qu’il s’est affilié à Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan dont l’exigence éthique transpire à chaque discours ? Et Jacques Bompard condamné pour prise illégale d’intérêt, quand les épurateurs de l’extrême droite ou de la galaxie Bleu Marine ont-ils cessé de passer des accords avec lui dans le Vaucluse ?  

Et Maryse Joissains ? Et Éric Woerth ? Et Nicolas Sarkozy ? Les silences de la droite vis-à-vis de ses responsables incertains signifient-ils que son ardeur morale ne s’intéresse qu’aux dérives de la gauche, et s’arrête aux limites de son camp ? Est-ce à dire que la morale n’est pas une exigence qui transcende les partis pris mais un piège partisan dans lequel on enferme son  adversaire ?

Ce qui frappe à droite, c’est cette manière d’enfourcher les grands principes quand ils desservent le camp d’en face, et de s’en accommoder quand ils dérangent les amis. De faire silence, ou d’accabler ceux qui révèlent les turpitudes. De détester Mediapart à hauts cris, quand on y parle de Karachi ou de Neuilly, et de le citer à la barre des témoins, quand on dénonce Morelle ou Cahuzac.

La droite a le vent en poupe. Elle parle haut quoi qu’il arrive, et pas seulement à propos des affaires. Prenez l’économie. Les libéraux se sont crashés sur les crises successives à partir de 2008, au point de faire la manche auprès de leurs ennemis les États, mais quelques années plus tard, jamais leur discours, porté par la Commission européenne, n’a paru plus conquérant. C’est eux qui dictent, sur la morale comme sur le réalisme, c’est eux qui savent et qui rigolent. C’est que la droite n’est pas sans-gêne, elle est décomplexée, c’est même à cela qu’on peut la reconnaître. 

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Alstom: et soudain Siemens vint

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C’est le plan B sur lequel ne comptait plus le gouvernement. À quelques heures d’un conseil d’administration qui devait entériner la cession de la branche énergie d’Alstom à son concurrent américain, General Electric (GE), pour quelque 12,7 milliards de dollars (autour de 10 milliards d’euros), le concurrent allemand Siemens a fait une contre-proposition. Selon Le Figaro – informations qui nous ont été confirmées –, le groupe allemand a proposé d'ouvrir des négociations en vue de procéder à des échanges d'actifs entre les deux groupes. Il reprendrait les activités d’énergie d’Alstom : turbines, centrales à charbon et au gaz, hydro-électricité, énergies renouvelables, réseaux. La branche  représente environ 70 % du groupe et est convoitée aussi par GE. En contrepartie, Siemens apporterait à Alstom une partie de son activité ferroviaire, afin de conforter le dernier métier du groupe (TGV, trains, tramways, métro). Une soulte devrait être aussi versée à Alstom afin de compenser le déséquilibre dans les échanges d’actifs.

Ice, le train rapide de SiemensIce, le train rapide de Siemens © Reuters

La réaction rapide de Siemens face à la proposition de GE en dit long sur les enjeux qui entourent Alstom. Le groupe allemand ne peut pas laisser son concurrent américain prendre une avance qui serait irrattrapable sur son propre marché, l’Europe, dans un secteur aussi stratégique que l’énergie. Ayant ses propres difficultés, il offre donc à son concurrent français une sorte de paix des braves après des années de combat. Sa lettre d'intention , toutefois, laisse dubitatif : dans le grand échange d'actifs proposé, Siemens offre, en échange de la reprise de toute l'activité énergie d'Alstom,  son activité de train à grande vitesse (ICE), distancée technologiquement par le TGV  et aux perspectives commerciales brouillées mais entend conserver les activités de tram et de métro, qui sont sur des marchés porteurs. Ce n'est pas exactement l'alliance du siècle, de la grande entente industrielle européenne, que certains font miroiter.

Alstom, qui n’a jamais caché sa colère vis-à-vis de Siemens, avait jusqu’alors exclu tout accord avec lui. Un rapprochement entre les activités énergie des deux groupes serait très coûteux socialement et industriellement, tant les doublons sont fréquents, a-t-il expliqué. Mais il lui est impossible d’ignorer la nouvelle proposition de Siemens. Comme l'espérait le gouvernement, le conseil d'administration , réuni dimanche, a décidé de se donner deux jours de réflexion supplémentaires. «Nous avons arrêté le processus qui conduisait à une vente éclair. Maintenant, nous avons un peu de temps pour étudier les dossiers» , se félicite-t-on au cabinet d'Arnaud Montebourg.

Sans attendre, la machine à communication s’est mise en route. On parle déjà des nouveaux Airbus de l’énergie et du transport. Dans un premier temps, le gouvernement, soulagé,  s'est précipité pour saluer cette solution qui lui semblait lui ouvrir une porte de sortie honorable. Manuels Valls n’avait-il pas défendu dans son discours d’investiture un Airbus de l’énergie ? Dès l'annonce de cette nouvelle proposition, Arnaud Montebourg faisait savoir qu’il annulait sa rencontre avec le président de GE, prévue dimanche, compte tenu de l’offre de Siemens. Après examen, la position du gouvernement se veut plus  distanciée. François Hollande devrait recevoir ce lundi Jeffrey Immelt, pdg de GE, puis Joe Kaeser, pdg de Siemens, à l'Elysée pour discuter du dossier et des engagements que l'un et l'autre sont prêts à prendre.

Le soulagement – provisoire – du gouvernement est à la hauteur de l’angoisse antérieure : « Le gouvernement est tétanisé. Après PSA, après Lafarge, après Publicis, la perte d’Alstom est pour eux une catastrophe absolue. La droite ne va pas manquer de les accuser d’avoir perdu un bijou de famille, sauvé il y a dix ans par Nicolas Sarkozy. Dans les faits, il n’y est pour rien. Il hérite d’une situation difficile. Il n’a aucun moyen et il n’est même pas actionnaire. Tout ce qui peut lui être reproché est de n’avoir rien vu venir », racontait samedi un familier du dossier.

C’est une dépêche de l’agence Bloomberg dévoilant, mercredi 23 avril, les vues de GE sur Alstom qui a sonné l’alerte au gouvernement. La surprise était d'autant plus grande que Patrick Kron, lors de sa dernière discussion avec le ministre du redressement productif il y a un mois, n'avait rien dit de ses difficultés et ne s'était pas ouvert de ses projets. Pourtant, cela faisait plusieurs semaines que des rumeurs alarmantes circulaient sur la situation du groupe. Tous parlaient de son besoin urgent de capitaux et de l’impossibilité de son principal actionnaire, Bouygues (qui détient 29 % du capital), de suivre, au moment où il est lui-même aux prises à de grandes difficultés avec le téléphone (lire notre article : La guerre des télécoms va commencer).Alors qu'il y a encore deux mois, le groupe Bouygues semblait exclure la vente de cette participation, il dit maintenant que celle-ci n'est plus prioritaire et peut être cédée. Le groupe a besoin des millions d'Alstom pour soutenir la guerre enagagée dans les télécoms.

Le président d’Alstom, Patrick Kron, avait avoué lui-même ses difficultés dès l’automne. En novembre, au moment de la publication de ses résultats semestriels – Alstom a un exercice décalé, allant du 1er mars à fin février –, le groupe affichait une chute de 22 % de son chiffre d’affaires semestriel, à 9,3 milliards d’euros. Ses dettes avaient augmenté en un an, passant de 2,8 à 3,2 milliards d’euros. Surtout, le groupe avait un "free cash-flow" négatif de 511 millions d’euros. Dans sa lettre aux actionnaires, Patrick Kron annonçait un nouveau plan d’économies et de réduction de coût et des cessions d’actifs pour 1 à 2 milliards d’euros. Il disait aussi espérer une accalmie sur le marché européen de l’énergie, totalement déprimé, où plus aucun grand contrat et projet ne se signait.

Les difficultés de la branche énergie d’Alstom sont d’abord là : dans l’effondrement de son principal marché, l’Europe. Totalement désarticulé par la politique énergétique européenne qui n’a eu comme seul objectif qu’une libéralisation sans guide du marché (teintée de soutien aux énergies renouvelables pour se donner bonne conscience), le marché de l’énergie en Europe souffre désormais d’une absence de ligne, d’un sous-investissement chronique dans les capacités de production comme dans les réseaux, tout en offrant une électricité de plus en plus chère.

La récession qui touche la zone européenne depuis cinq ans a fini d’assombrir le tableau. Pour la première fois depuis des décennies, la consommation d’électricité baisse, non pas en raison des économies d’énergie mais en raison de la chute de l’activité économique. Les résultats des principaux producteurs d’électricité européens cette année portent la marque de cet effondrement. Tous – l’italien Enel, l’allemand RWE, le français GDF Suez par exemple – ont annoncé des milliards de dépréciations d’actifs. Tous ont décidé de fermer ou de geler des capacités de production, notamment des centrales à gaz. Tous ont renoncé à leurs projets d’investissement.

Patrick Kron, PDG d'AlstomPatrick Kron, PDG d'Alstom © Reuters

Comment imaginer que les fournisseurs d’équipements se portent bien quand leurs clients vont mal ? La révolution de palais chez Siemens, concurrent d’Alstom, qui a conduit au renversement de Peter Löscher en juillet 2013, tout comme le voyage éclair de son successeur, Joe Kaeser, se précipitant à Moscou – un de ses principaux clients dans la branche énergie –, au moment où les États-Unis et l’Europe mettent en place les premières sanctions contre la Russie pour son rôle en Ukraine, pour assurer le gouvernement russe de son amitié, démontrent les difficultés rencontrées par tous.

Plus petit, moins bien assuré technologiquement, Alstom subit de plein fouet ce renversement du marché. Depuis plus d’un an, ses seuls contrats en Europe sont liés à de la maintenance et à l’amélioration des équipements que le groupe avait installés. Et encore, tous ces contrats ont été passés à prix cassés, car la guerre des prix naturellement fait des ravages. L’Europe ne représente plus que 35 % de son chiffre d’affaires contre plus de 40 % auparavant.

Alstom a bien cherché à compenser en allant chercher sur des marchés extérieurs. Ayant des liens historiques avec la Chine depuis le milieu des années 1970, le groupe a créé une joint-venture pour fabriquer là-bas turbines et centrales à charbon. Mais en Chine aussi, l’heure n’est plus à l’expansion à tout crin. Les grands projets d’équipements sont abandonnés, alors que le gouvernement chinois resserre le crédit, pour tenter de juguler la gigantesque bulle financière qui s’est formée depuis 2009.

Le groupe a essayé de vendre ses centrales, ses turbines, ses éoliennes dans les autres pays émergents, et surtout en Amérique centrale et du Sud. Le renchérissement de la monnaie européenne face au dollar – près de 10 % en un an – a compliqué la situation du groupe, qui n’a pour lui ni des technologies assez en avance par rapport à ses concurrents, ni l’arme diplomatique dont sait si bien se prévaloir GE, notamment en cas de besoin. « En dépit d’un euro fort, nous avons remporté de beaux contrats », expliquait Patrick Kron encore en décembre. La crise des pays émergents, contrecoup de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine, depuis le début de l’année, a douché ses espoirs : Brésil, Afrique du Sud, Turquie, Mexique sont tous en train de batailler pour lutter contre la fuite des capitaux étrangers. Leur arme pour le faire – la hausse des taux d’intérêts – est en train de donner un coup d’arrêt à l’activité et donc à de nombreux projets. Les équipements d’énergie sont parmi les premiers touchés.

Confronté, comme ses concurrents, à ces retournements, Alstom a un handicap supplémentaire : le groupe n’a pas la structure financière nécessaire pour porter des activités très dévoreuses de capitaux, et qui s’inscrivent dans un très long cycle de retour sur investissement.

« D’une certaine façon, Alstom ne s'est jamais remis de sa faillite de 2003 », dit un connaisseur du dossier. Cette faillite avait été provoquée par un péché originel : les conditions de sa séparation du groupe Alcatel en 1999. Les actionnaires principaux – Alcatel et le britannique GEC – avaient alors exigé un dividende exceptionnel de 5 milliards d’euros au moment de la séparation. Ils laissaient un groupe sous-capitalisé, avec des problèmes techniques, juridiques et financiers énormes, liés au rachat des turbines à gaz d’ABB, après avoir pompé toute sa trésorerie.

Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, avait pris le costume de Batman pour sauver in extremis Alstom de la faillite, alors que toutes les banques lui avaient retiré leur soutien. L’État était entré au capital à hauteur de 31 %, en lui apportant 2,8 milliards d’euros. Le redressement avait été spectaculaire. En 2006, l’État sortait du capital du groupe en revendant sa participation au groupe Bouygues avec une plus-value de 1,26 milliard d’euros. Nicolas Sarkozy était présenté en sauveur industriel de la France.

Mais cette sortie n’était accompagnée d’aucune augmentation de capital. L’État a pris sa plus-value sans se soucier du reste. La structure financière d’Alstom était toujours aussi fragile : à peine 4,5 milliards d’euros, nettement insuffisants pour les métiers du groupe. Selon différentes évaluations, le groupe en l’état actuel aurait besoin de 3 à 4 milliards d’euros, soit à peu près autant que ses fonds propres.

À aucun moment, il n’a été question de les augmenter. Par peur de diluer le groupe Bouygues, qui n’aurait pas eu les moyens de suivre ? Cette donnée a pesé dans les discussions entre Patrick Kron et Martin Bouygues qui entretiennent les meilleures relations du monde. Mais le PDG de Bouygues, qui fait une confiance aveugle au PDG d'Alstom dans la conduite du groupe, ne serait certainement pas opposé à un projet, même s’il le diluait, si sa pertinence lui avait été démontrée.

Lors de son entrée au capital d’Alstom, Martin Bouygues, il est vrai, avait un autre projet en tête : le rapprochement du groupe avec Areva, le fabricant de chaudières nucléaires. Évoqué au moment de la faillite d’Alstom en 2003, il avait été combattu alors avec la dernière des énergies par Anne Lauvergeon, PDG d’Areva. La guerre sur la filière nucléaire qui avait conduit à la sortie de la Compagnie générale d’électricité (CGE, ancêtre d’Alcatel-Alstom) de la filière en 1976, reprenait, avec la même violence et les mêmes coups fourrés. Anne Lauvergeon ira même plaider contre Alstom et le gouvernement français devant la commission européenne pour s’opposer à son sauvetage.

La seule mention d’un éventuel rapprochement entre Areva et Alstom relança une guerre à mort entre les ennemis jurés d’hier. Pendant des mois, la presse tint la chronique des attaques et des ripostes, de la propagande et des coups bas, menés par Anne Lauvergeon et Patrick Kron. Pendant cette guerre ouverte entre les deux dirigeants, l’État fut aux abris, incapable de trancher franchement. Ce n’est qu’en 2010 que Nicolas Sarkozy finit par écarter le projet de rapprochement entre Areva et Alstom. Entre-temps, Bouygues et Alstom, de toute façon, avaient changé d’avis : compte tenu des difficultés que rencontrait le groupe nucléaire sur l’EPR, sans compter le reste, ils ne voulaient pas rentrer au capital d’un groupe où régnait l’obscurité comptable. Ils ne savaient où ils mettraient les pieds.

Durant toute cette bataille, Patrick Kron avait bien eu des propositions de la part des constructeurs d’énergie japonais. Alors en grandes difficultés, Hitachi et Mitsubishi sont à la recherche d’alliés dans la fabrication d’équipements électriques et de centrales. Alstom, le plus petit des constructeurs, est naturellement approché. « Patrick Kron a-t-il surestimé les difficultés des Japonais ? N’a-t-il pas cru à ce rapprochement ? Je ne connais pas toutes les données du dossier. Mais avec le recul, on se demande s’il n’a pas laissé passer la chance du groupe. Il a sans doute pensé qu’il avait le temps. Mais il ne l’avait pas. L’accélération est impressionnante », relève le même connaisseur du dossier.

Jusqu’en février, Patrick Kron pensait pouvoir faire face seul. Le groupe avait réussi à lever 500 millions d’euros de dettes encore en septembre. Pour trouver les financements nécessaires, il avait annoncé la cotation partielle – de l’ordre de 20 à 30 % – de la filiale ferroviaire. Puis, tout semble s’être retourné. Depuis quelques semaines, Patrick Kron a engagé des discussions discrètes avec GE. « C’est un geste désespéré de sa part. Pour en être réduit à cela, il fallait qu’il ne voie plus aucune autre issue que de sacrifier sa branche énergie », dit un banquier.

Est-ce la chute des pays émergents qui le privait de tout espoir de compenser l’effondrement de l’activité en Europe ? Est-ce l’annonce par des banquiers d’affaires que la cotation partielle du ferroviaire serait difficile voire impossible dans les circonstances actuelles ? Est-ce le retrait discret des banquiers ? Sans doute, tout cela à la fois. Jeudi, l’agence de notation Standard & Poor’s annonçait une dégradation de la note d’Alstom, à BBB-, juste avant le niveau de junk bonds. Une manière, comme d’habitude, d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil.

La liste des repreneurs potentiels pour la branche énergie d’Alstom est des plus courte. Une dizaine d’acteurs mondiaux se partagent ce marché très technologique et hautement compétitif. L’allemand Siemens figure en tête de liste. Mais le passé très lourd et des antagonismes très profonds entre les deux groupes empêchaient des relations de confiance. Le coût social et industriel semblait aussi trop lourd à la direction d’Alstom. «La pire des solutions serait celle de Siemens parce que c'est un concurrent et que de fait il y aurait des doublons, et donc des destructions d'emplois», a déclaré le syndicat CGC d'Alstom. Siemens aurait pris l'engagement de conserver les emplois pendant trois ans, dans sa lettre d'intention. Mais ces promesses ne suffisent pas à effacer des années de guerre commerciale . Dans les usines d'Alstom, l'ennemi c'est Siemens. 

Jeffrey Immelt, PDG de GEJeffrey Immelt, PDG de GE © Reuters

C’est donc vers GE, l’autre prétendant évident, que s’est tourné Patrick Kron. Le conglomérat américain, qui a longtemps succombé aux charmes de la finance, est redevenu depuis quelque temps de plus en plus agressif dans les activités industrielles, alors que les États-Unis ont décidé de réinvestir l’industrie trop longtemps oubliée. Porté par un savoir-faire industriel et technologique réel, s’appuyant sur une force de frappe financière démesurée, aidé par les centaines de milliards de dollars que la Réserve fédérale a distribuées gratuitement aux banques, dont la sienne, soutenu par un dollar qui ne cesse de chuter, discrètement relayé par des pouvoirs publics américains qui n’ont jamais oublié de mettre leur diplomatie à son service, GE semble tout-puissant.

Depuis quelque temps, il se montre très attentif au marché français. Mais selon des observateurs, il n’est plus dans le même esprit de coopération que celui qui avait prévalu il y a des années pour la construction du moteur d'avion CFM 56 avec la Snecma (Safran aujourd’hui). Il est dans une logique de conquête. En 2012, il a ainsi raflé sans ménagement l’équipement aéronautique de l'italien Avio face à son partenaire Safran. Ses millions ont fait la différence. « GE a de l’argent. Il est parti à la chasse aux acquisitions. Il profite de l’effondrement industriel, économique, diplomatique français pour faire son marché », dit un observateur, qui redoute la suite : les rachats sur les équipementiers automobiles, d’aéronautique et de défense, d’énergie en France.

© Reuters

Les quelques connaisseurs du dossier ne se font guère d’illusion pour la suite, quel que soit le repreneur de la branche énergie d'Alstom. Ce ne sont pas tellement les technologies ou le savoir-faire du groupe français qui les intéressent, même s'il a des avancées réelles dans certains domaines comme les centrales à charbon. L'un comme l'autre sont là pour prendre des parts de marché, pour rafler son portefeuille de clients – la maintenance des équipements installés se fait sur des dizaines d’années et assure à l’installateur un chiffre d’affaires récurrent. Dans une offre comme dans l’autre, les centres de décision, de recherche, les usines sont sur la ligne rouge du sacrifice, au nom des synergies et de la rentabilité. Les syndicats du groupe en sont tous conscients. Tous demandent qu'aucune solution ne soit prise à la hâte et que l'Etat, grand client d'Alstom rappelent-ils, intervienne pour assurer la pérennité des savoir faire et la garantie de l'emploi.

Le ministre de l’économie Arnaud Montebourg et ses équipes ont bien compris le danger. En quelques jours, ils ont essayé de trouver des solutions possibles. Areva ? Le dossier a été aussi vite fermé qu’il avait été ouvert. Non par opposition des deux groupes mais par impossibilité financière. « Areva est en faillite, même si on ne le dit pas. Mener un rapprochement avec Alstom obligerait à faire la vérité des comptes, sur l'EPR, sur Uramin. Il faudrait renflouer Areva avant de renflouer Alstom. Au moment où l’État cherche 50 milliards d’euros d’économie, il n’a pas les moyens d’apporter 4 milliards », dit un banquier.

Le même constat a été dressé à peu de choses près pour la banque publique d’investissement. Déjà sollicitée pour entrer au capital de PSA, celle-ci n’a guère de moyens supplémentaires pour se porter au secours d’Alstom. Elle peut apporter un soutien à un tour de table, mais pas être le chef de file. L’ennui est que même si Bouygues acceptait de participer partiellement à une augmentation de capital et de se laisser diluer, il n’y a pas d’autres actionnaires volontaires pour l’aider. On se demande une fois de plus où sont les 1 500 milliards d’épargne des Français gérés par les banques ? Ils ne sont censés être ni dans les emprunts d’État – plus de 75 % de la dette française est aux mains d’étrangers, enfin surtout des filiales des banques françaises établies dans des paradis fiscaux –, ni dans les actions des entreprises du Cac 40, dépendant officiellement à plus de 50 % des investisseurs étrangers.

«Alstom est stratégique sur le plan industriel, dans des secteurs stratégiques. Il ne serait pas anormal que l'Etat intervienne y compris en prenant des parts dans le capital. L'Etat pourrait par exemple acheter les parts de Bouygues. Nous n'avons jamais été effarouchés par la nationalisation , y compris si elle doit avoir un caractère temporaire », a déclaré Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, lors de l'émission I-télé, Europe1, Le Monde. Le gouvernement se retrouve pris face à un dilemme: comment expliquer que lui, gouvernement socialiste, exclut cette possibilité, alors que le gouvernement libéral , sous la houlette de Nicolas Sarkozy, n'avait pas hésité à y avoir recours il y a dix ans pour sauver Alstom? Brusquement, les lignes semblent bouger. Alors que l'administration des finances écartait toute intervention dans le capital d'Alstom au nom de la rigueur budgétaire, le gouvernement se dit ouvert désormais à tous les projets de coopération.

L’État n’étant plus actionnaire, n’ayant ni les moyens financiers ni les partenaires pour relayer son action, n’avait plus de marge de manœuvre et en était réduit au ministère de la parole face à GE. Jusqu’à ce que la « divine surprise » de Siemens advienne. Rien n’est fait. Mais sans beaucoup s’avancer, il est sûr que les gouvernements allemand et français vont tout mettre en œuvre pour aider à la réalisation de ce projet. La reprise de la branche énergie par GE serait trop déstabilisatrice industriellement pour Siemens, politiquement pour le gouvernement français. Alstom va avoir toutes les facilités pour réaliser ce projet, et toutes les difficultés s’il s’y oppose.

Cette sortie honorable qui s’esquisse ne doit pas, cependant, masquer la réalité. Si l’Allemagne intervient, c’est que ses intérêts stratégiques sont en jeu. S’il n'en était pas ainsi, le sort d’Alstom lui aurait été indifférent. Et le gouvernement français se serait trouvé totalement pieds et poings liés, réduit au rôle de syndic de faillite, et pour seule arme la parole.

La situation actuelle est le fruit d’un lourd héritage. Depuis vingt ans, l’industrie française subit un désarmement technologique, financier, actionnarial sans précédent. Travaillant sur des temps très longs, ces attaques répétées sont passées pour négligeables et inaperçues. Mais l’addition finit par se payer. Nous y sommes.

BOITE NOIRECet article a été réactualisé lundi matin afin d'inclure les dernières informations du moment. Le dossier Alstom, devenu politiquement critique, évolue d'heure en heure.

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MediaPorte : « Trop de papes tue le papisme »

Les premières décisions des maires Front national

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Élus il y a un mois, les maires frontistes veulent faire oublier les échecs de gestion des villes gagnées par le Front national en 1995. L’objectif : crédibiliser le parti d’ici 2017 en se présentant en bons gestionnaires, désarmer leurs détracteurs en jouant l’apaisement. Depuis leur victoire, ils promettent de « travailler avec tout le monde »dans le « consensus » et répètent qu’il n’y aura « pas de chasse aux sorcières ». Nombre de leurs opposants, que Mediapart a contactés, y voient une stratégie d’installation mais notent déjà des sorties de route.

« Ils ne feront rien d'ici 2017. Leur stratégie est d'utiliser ces territoires pour montrer que quand le FN est au pouvoir, il n'y a ni événement ni contestation. Ils vont essayer de faire une gestion à la papa et laisser le champ du symbolique à Marine Le Pen », explique à Mediapart Elsa Di Méo, secrétaire nationale du PS et conseillère régionale de Paca, qui crée dans son parti une cellule de veille sur les 14 villes tenues par l'extrême droite (en comptant Orange et Bollène).

Pendant ce premier mois, les nouveaux maires ont dû préparer le budget et composer leurs cabinets. Douze directeurs de cabinet, douze directeurs généraux des services, douze directeurs de police municipale : pour le Front national, en manque de cadres compétents et expérimentés, la tâche est difficile.

En s’abritant derrière leur promesse d'économies budgétaires et de rationalisation des subventions, ils se sont attaqués à certaines associations ou se sont opposés à la construction de mosquées. Certains ont déjà pris des mesures très politiques. Inventaire des premières nominations et décisions dans les douze villes FN – ou soutenues par lui (lire notre boîte noire).

  • HÉNIN-BEAUMONT (Pas-de-Calais)

« Non, demain, il n’y aura pas de miradors installés à Hénin-Beaumont ! », avait ironisé Steeve Briois, secrétaire général du FN devenu le maire d'Hénin-Beaumont. Plusieurs épisodes ont pourtant créé la polémique dans cette ancienne cité minière de 26 000 habitants. D’abord l’atmosphère assez lourde pour les employés communaux, dont beaucoup n’ont pas caché leur inquiétude, comme l’a raconté France Info. Le Lab a rapporté cette phrase d'une employée municipale sympathisante FN, lancée à un collègue « issu de la diversité » : « Tu es sur la liste de Schindler, tu vas bientôt prendre le train. »

Des militants, comme cet écologiste, n'ont pas pu assister au premier conseil municipal.Des militants, comme cet écologiste, n'ont pas pu assister au premier conseil municipal. © Twitter / Marine Tondelier

Lors du premier conseil municipal, pourtant public, des militants de l’opposition, mais aussi le blogueur local Octave Nitkowski, ont été refoulés. Selon eux, la salle était remplie de frontistes, venus parfois de loin.

Le FN a nié toute responsabilité et rejeté la faute sur la préfecture. Des élus de l’opposition ont réagi, comme Marine Tondelier (EELV) :

Sur le volet culturel, « pas question d’avoir des positions dogmatiques ou idéologiques », « il n’y aura aucune stigmatisation, aucune chasse aux sorcières ! », avait promis Steeve Briois. L’une des premières annonces du maire fut pourtant de mettre fin à la subvention et à l'usage gratuit d'un local municipal pour la Ligue des droits de l'Homme (LDH), à qui il réclame désormais 36 000 euros de loyers rétroactifs. Le motif ? « La Ligue des droits de l'Homme est une association politisée. Elle n'a eu de cesse pendant la campagne électorale de dire tout le mal qu'elle pensait de nous », a-t-il justifié à France Info.

« L’incident illustre la conception qu’a le Front national de la confrontation d’idées », ont dénoncé la LDH, SOS Racisme, le Mrap et la Licra dans un communiqué commun. En conseil municipal, l'écologiste Marine Tondelier a dénoncé un choix « politique et délibéré » maquillé en décision « strictement juridique » contre un « contre-pouvoir ».

L'autre polémique est venue de l’adjoint FN à la culture, qui a accusé sur Twitter les figurants du clip de Yannick Noah de « cabotiner comme des sagouins ». L'édile frontiste a aussi donné dans le symbole. Il s’est débarrassé du géant de la commune dans le hall de l'hôtel de ville, à cause de sa ressemblance avec Gérard Dalongeville, l'ancien maire condamné pour détournement de fonds publics ; il a fait ériger des drapeaux tricolores sur le fronton et fait chanter la Marseillaise à chaque conseil municipal. 

Attendu sur le volet financier dans cette commune extrêmement endettée, Steeve Briois a annoncé un « vaste plan d'économies ». Mais il a pour l'instant décidé de baisser le montant de la taxe d'habitation de 10 %, contre l'avis de la Cour des comptes, et choisi deux collaborateurs au lieu d’un à son cabinet. 

Dans le monde culturel et associatif, certains pôles de résistance se sont formés. Un blog citoyen, « Vigilance Hénin-Beaumont », a été créé. Le traditionnel tournoi du Hénin Bridge-club a été boycotté par une partie des participants. La ville allemande jumelée depuis 60 ans avec Hénin-Beaumont réfléchit à suspendre son partenariat.

  • HAYANGE (Moselle)

Dans la ville des hauts-fourneaux d’ArcelorMittal, Fabien Engelmann, 34 ans, plombier passé par Lutte ouvrière, le NPA et la CGT, a appliqué la méthode Steeve Briois pour l’emporter : un quadrillage du terrain, la carte de l’« enfant du pays », des accents de gauche. Au lendemain de sa victoire, il a montré qu'il était surtout un militant anti-islam, avec la publication de son autobiographie, véritable réquisitoire contre l'islam et apologie du colonialisme, édité et préfacé par Riposte laïque, mouvement anti-islam.

Liant islam et immigration, il y dénonce « l’idéologie mahométane », « sectaire » et « dangereu(se) pour la démocratie, pour les droits des femmes et pour nos libertés individuelles » et fustige « la nouvelle immigration » dont « trop viennent bien souvent pour profiter des aides sociales sans travailler et pour imposer une idéologie religieuse "moyenâgeuse" ». « L’islam me fait peur, pour le respect du droit de la femme, des minorités... J’ai lu le Coran et ce livre me fait peur », a-t-il expliqué à l’AFP.

Il dresse un portrait d'une ville croulant sous l'insécurité : vols « par des Roms ou des Kosovars », des « groupes de personnes droguées et alcoolisées » traînant dans les rues, « mendicité agressive », « racailles », « cambriolages permanents ». Dans son livre, il se réjouit du « changement radical d'attitude de la part de jeunes racailles maghrébines et turques », des « mauviettes » qui désormais « baissent la tête » en comprenant, dit-il, que « le rapport de force (a) changé ».

Sur Twitter, Fabien Engelmann se félicite que le drapeau français « flotte de nouveau » sur le fronton de la mairie.Sur Twitter, Fabien Engelmann se félicite que le drapeau français « flotte de nouveau » sur le fronton de la mairie. © Twitter / Fabien Engelmann

Très proche des mouvements Riposte laïque et Résistance républicaine, il avait annoncé sa participation aux « Assises internationales contre l'islamisation », organisées par Riposte laïque et le Bloc identitaire, en décembre 2010 à Paris. Le 9 mars dernier, il était aussi à leur manifestation pour « la rémigration »

Son arrivée à la tête de la ville a déjà provoqué la suspension du jumelage avec une ville belge dont le maire explique ne pas « partager les mêmes valeurs ». À Hayange, un comité de vigilance républicain est en train de se mettre en place, en réseau avec d'autres villes passées au FN. Sur Facebook, plusieurs groupes recensent les décisions de Fabien Engelmann, « Hayange en résistance », crée par l'association « Plus belle Hayange », qui découle de la liste divers gauche, et « Hayange Unité-Résistance » du Parti ouvrier indépendant.

  • VILLERS-COTTERÊTS (Aisne)
Franck Briffaut.Franck Briffaut. © Capture video L'Express

Dans cette ville de 10 000 habitants du sud de la Picardie, l'élection du nouveau maire Franck Briffaut ne s’est pas faite dans la sérénité : elle a mis dans la rue une cinquantaine de jeunes et fait l’objet d’un recours administratif. Cet adhérent au FN depuis 1977, patron de la fédération de l’Aisne et ancien sous-officier parachutiste, a déjà annoncé, qu’« il y a deux-trois (associations) pour lesquelles il faudra remettre les pendules à l'heure ». Il se refuse aussi à accorder des subventions à la CGT et à la fédération de parents d'élèves FCPE (classée à gauche).

Il a surtout créé la polémique en refusant de célébrer la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage, le 10 mai, « une autoculpabilisation à la mode », estime-t-il (voir la vidéo). La décision est symbolique dans cette ville où est mort le général Dumas, né esclave à Saint-Domingue et père de l'écrivain Alexandre Dumas. Plusieurs associations d'outre-mer et de lutte contre le racisme ont dénoncé des propos « dangereux », « antirépublicains » et qui « portent en eux le germe de la division ». 

  • MANTES-LA-VILLE (Yvelines)
Cyril Nauth.Cyril Nauth. © Capture video iTélé

Un mois après la victoire du FN, cette ville qui était à gauche depuis la Libération est déjà sous tension. La communauté musulmane y a été ciblée à plusieurs reprises, comme Mediapart l'a raconté : terrine de porc moisie dans la boîte aux lettres, courrier islamophobe reçu, agressions verbales de croyants. L'Association des musulmans de Mantes sud (AMMS) s'apprête à déposer une troisième plainte contre X pour provocation non publique à la discrimination en raison de la religion. Son président explique à Mediapart que la victoire du FN a « libéré la parole raciste ».

Derrière ces tensions, le projet d'installation de la nouvelle salle de prière, qui doit remplacer l'ancienne, pas aux normes. Le nouveau maire, Cyril Nauth, s'oppose à ce projet, qui avait été accepté par l'ancienne municipalité socialiste. Il affirme pourtant à Mediapart faire « le choix d'éviter le symbolique et l'idéologique » dans sa gestion.

S'il s'imaginait déjà supprimer la subvention allouée à la Ligue des droits de l’Homme, une « organisation qui n’a pas d’autre but que de lutter contre le FN », il a finalement opté pour une baisse généralisée de plus de 20 % des subventions aux associations. « Je n'ai pas une haute estime de cette association, mais je ne veux pas passer pour le sectaire de service », nous explique-t-il. Surtout après le tollé suscité à Hénin-Beaumont.

L'opposition lui reproche en revanche d'avoir « doublé » le salaire du directeur de cabinet, Nicolas Boher, élu FN d'Élancourt, et d'avoir supprimé l'option « Ne prend pas part au vote » dans le règlement intérieur du conseil municipal. Les habitants ont aussi eu la surprise de voir le public du conseil municipal limité aux 20 places assises et l'entrée contrôlée par deux policiers de la ville. « On avait l'habitude d'ouvrir largement le conseil municipal, là le public a été frustré. Quand on est arrivés, cinq personnes du FN étaient déjà installées », rapporte à Mediapart l'ex-maire PS Monique Brochot.

Par ailleurs, le 27 avril, lors de la journée nationale de la déportation, le maire a refusé que l'opposition dépose une gerbe. « Il m'a répondu que c'était une cérémonie "œcuménique et consensuelle" et qu'il n'y avait que le maire qui déposait une gerbe », raconte Monique Brochot. À Mantes, certains élus et responsables associatifs ont noté un « changement de climat », des « tensions » et des « inquiétudes » par rapport à l'arrivée du FN. Un comité “de vigilance et d'action contre le Front national” se met en place, composé d'élus Front de gauche et PS, et d'une dizaine d'associations.

  • BÉZIERS (Hérault), ville soutenue par le FN
Robert Ménard lors de son élection comme maire, au Palais des congrès de Béziers, le 4 avril.Robert Ménard lors de son élection comme maire, au Palais des congrès de Béziers, le 4 avril. © Capture vidéo J-C. Russo

Paradoxalement, c’est Robert Ménard – soutenu par le FN mais se présentant comme sans étiquette – qui est allé le plus loin, à l’extrême droite, pour composer son cabinet à Béziers (71 000 habitants). Lui qui voulait « dépolitiser les embauches » a recruté deux ultras à la tête de son cabinet : André-Yves Beck, directeur de communication et idéologue de Jacques Bompard pendant 19 ans, passé par deux anciens groupuscules d’extrême droite très radicaux, Troisième voie et Nouvelle Résistance ; Christophe Pacotte, qui figure encore dans l’organigramme du bureau directeur du Bloc identitaire, avec qui Marine Le Pen refuse officiellement toute alliance (lire notre article).

Son opposant socialiste Jean-Michel Du Plaa dénonce une décision « contradictoire avec le style de sa campagne ». Car si Beck figurait déjà dans les coulisses de la campagne, où « il organisait les porte-à-porte et le service d'ordre », explique Du Plaa à Mediapart, Robert Ménard avait affirmé qu'il était seulement « en visite ». Un second membre du Bloc identitaire était présent dans son équipe, Arnaud Naudin.

Le 25 avril, le nouveau maire a annoncé que Béziers quitterait l’agglomération s'il n'obtenait pas la 1re vice-présidence, ce lundi. Il sait pourtant que la décision de changement d’agglomération ne lui appartient pas… Selon Jean-Michel Du Plaa, « il était furieux de ne pas avoir gagné la présidence de l'agglo le 17 avril. Il a reproché aux élus de l'opposition d'avoir "voté contre Béziers" ».

Dès sa victoire, Robert Ménard a débarqué le directeur de la police municipale, et annoncé des mesures sécuritaires : recruter dix policiers municipaux, avec l’objectif de « doubler les effectifs » ; armer les agents et élargir « considérablement » leurs horaires d’intervention ; appliquer « avec plus de sévérité et d’humanité l’arrêté réprimant la mendicité dite agressive » ; mettre en place un « arrêté » – que ses adversaires considèrent comme un « couvre-feu » – pour ne plus voir des « enfants qui traînent dans la rue la nuit ». 

Alors que le Trésor public a placé Béziers dans son réseau d'alerte, Robert Ménard a annoncé une baisse de 4 % des taux d'imposition des taxes directes, dénoncée par l’opposition qui s’inquiète de la perte de 2 millions d’euros de recettes. Il a aussi proposé des mesures symboliques : une baisse de 30 % des indemnités des élus municipaux ; la diminution « dans un premier temps » de la moitié du parc automobile de service ; le retour du blason historique de la Ville sur les documents officiels ; l'interdiction des repas halal dans les cantines (qui n'existent pourtant pas dans les villes gérées par le FN).

Des « effets de communication », dénoncent ses opposants, qui lui ont rappelé que plusieurs délibérations n'avaient pas été faites dans les règles et auraient pu être retoquées par le tribunal administratif. Un élu de droite joint par Mediapart s'inquiète lui des décisions à venir « sur le plan économique et culturel » et des réticences éventuelles des investisseurs à venir à Béziers : « Ils ne savent pas comment ça va évoluer, ils craignent des tensions sociales. »

L'arrivée de Robert Ménard ne s’est en tout cas pas faite sans heurt. Lors de son intronisation, la séance a été houleuse. Le doyen (Front de gauche) de l’assemblée a récité le Chant des partisans, pendant qu'une partie du public criait « Résistance ! Résistance ! », et que quelques « non au facho » s’échappaient. Deux présidents de clubs de rugby (Mohed Altrad à Montpellier et Mourad Boudjellal à Toulon) refusent désormais que leurs équipes jouent à Béziers. Le second a déjà annulé un match amical pour « faire comprendre aux Biterrois qu’ils ont fait un choix qui est de voter FN et que nous on en a fait un autre qui est de ne pas déplacer une équipe multiraciale comme celle que j’ai construite à Toulon dans une ville qui vote FN »

  • FRÉJUS (Var)
David Rachline, maire de Fréjus, avec Steeve Briois, maire d'Hénin-Beaumont, le 27 mars.David Rachline, maire de Fréjus, avec Steeve Briois, maire d'Hénin-Beaumont, le 27 mars. © Twitter / Steeve Briois

À Fréjus (53 000 habitants), le jeune apparatchik David Rachline (26 ans dont déjà 12 passés au FN) a multiplié les déclarations d'apaisement. Il a pourtant commencé son mandat en interdisant sa première conférence de presse à un journaliste de l’Express qui avait rappelé des éléments sulfureux de son passé : son passage au mouvement d'Alain Soral, sa collaboration à un livre d'entretiens de « jeunes nationalistes » en 2008, sa photo en 2006 avec un responsable de la Phalange espagnole, mouvement fascisant. Le nouveau maire n'a pas davantage aimé la vidéo du Point le montrant, en 2012, en train de plaisanter avec son chauffeur sur le « Führer »

Ces derniers mois, le leader des identitaires niçois Philippe Vardon, dont Marine Le Pen a refusé l'adhésion au FN, a soutenu Rachline. Il était d'ailleurs à Fréjus pour fêter sa victoire. Le premier conseil municipal a lui été ponctué de « La France aux Français », « On est chez nous ! », et un « Mets tes babouches et rentre à la Gabelle ! (quartier populaire où la mosquée est construction, ndlr) » lancé à un élu UMP.

Selon son rival UMP Philippe Mougin, David Rachline « n'a pas encore pris de mesures politiques, il ne veut pas renouveler l'expérience de Toulon (en 1995, ndlr), mais montrer qu'il sait gérer et faire de Fréjus un laboratoire. Pour l'instant, il prend ses marques, il va installer une administration qui lui est dévouée, rien de déterminant ne se passera avant septembre ».

Le maire frontiste a tout de même pris deux mesures symboliques : il a retiré le drapeau européen du fronton de l’hôtel de ville et refusé d'intégrer des élus d'autres partis au sein du champ protocolaire lors de l'hommage à un résistant assassiné par la Gestapo, provoquant le boycott de l'association des anciens combattants résistants de France (ANACR). Le PS a dénoncé une « position antirépublicaine ».

Dans son budget 2014, Rachline prévoit de baisser les subventions aux associations de 1,2 million d'euros. Si tous les secteurs vont devoir se serrer la ceinture dans la cinquième ville la plus endettée de France (145 millions d’euros), la police municipale et la vidéosurveillance devraient voir leurs crédits augmenter. L’édile jure de « mettre fin aux salaires de complaisance » et de diminuer « d'au moins 20 % » les rémunérations au sein du cabinet par rapport à celles de ses prédécesseurs.

Le nouveau maire est surtout attendu sur le dossier de la construction de la mosquée (sans financement public), dont les travaux ont commencé. Le frontiste en avait fait un thème de campagne en évoquant un financement avec « des fonds étrangers, d’un certain nombre de pays du Golfe » et en laissant croire qu'un minaret serait construit (voir la vidéo). Depuis, il explique qu'il a demandé « des éclaircissements sur le financement, la modération des prêches, la taille de la mosquée et les questions pratiques de stationnement ».

Pour piloter son cabinet, David Rachline a choisi deux collaborateurs issus des Hauts-de-Seine : l’ancien candidat FN d’Avignon Philippe Lottiaux, qui fut le directeur général des services de Balkany à Levallois, commune la plus endettée de France ; et l'un de ses proches, Julien Jouniaux, 29 ans, surveillant de prison de la maison d'arrêt de Nanterre.

  • COGOLIN et LUC (Var)

Dans ces deux petites villes varoises, les maires FN ont provoqué un tollé en augmentant leurs indemnités de 15 et 14,72 %. « Quelle honte ! Une fois élues, les équipes FN s'en mettent plein les poches », a dénoncé la socialiste Elsa Di Méo. « C'est plus symbolique que financier », s’est défendu le maire du Luc, qui a aussi augmenté ses adjoints, en expliquant : « Les adjoints touchent quand même moins qu'un étranger venant prendre sa retraite en France sans jamais y avoir travaillé. »

Dans un communiqué, le maire de Cogolin évoque lui une augmentation « mécanique » due au passage de sa ville dans une tranche de plus de 10 000 habitants, et affirme avoir renoncé à sa voiture de fonction. Son premier adjoint – par ailleurs policier municipal à Cannes – a aussi fait parler de lui : il serait visé, d’après Nice-Matin, par une plainte pour violence.

Dans le département, plusieurs initiatives ont été lancées face au FN. Elsa Di Méo a créé l’association « Forum Républicain » pour « remettre les digues républicaines » et « combattre le mensonge permanent ». La Ligue des droits de l’Homme (LDH) de Fréjus-Saint-Raphaël monte un « observatoire de la démocratie locale » pour « se mettre en réseau avec des associations d’autres communes devenues Front national ».

  • BEAUCAIRE (Gard)

« Ça y est, on est en zone libre! », a crié un frontiste dans les couloirs du premier conseil municipal. À Beaucaire, 16 000 habitants, la victoire de Julien Sanchez, 30 ans dont la moitié passée au FN, a suscité des remous : deux voitures et des poubelles brûlées le soir de l'élection, la suspension du jumelage par une commune belge le lendemain et le retrait du réputé festival électro qui se tient dans les arènes.

Plusieurs associations ont renoncé aux subventions de la ville, comme la Ligue de l'enseignement (26 000 euros) et les Têtes à clap (15 000 euros), qui a aussi transféré son festival de cinéma à Tarascon. La ministre de la culture a d'ailleurs exprimé son inquiétude sur le devenir de la culture dans la ville. « Parfait, cela fera des économies pour une ville surendettée », a répondu à Libération le maire frontiste. Dans son budget, voté le 24 avril, il a augmenté deux associations de protection des animaux de 2 000 euros chacune. « On ne va pas couper dans les subventions des associations cette année, mais on évaluera pour donner à celles qui méritent l’an prochain », a-t-il prévenu.

Tweet de Julien Sanchez le 13 avril.Tweet de Julien Sanchez le 13 avril. © Twitter / Julien Sanchez

Pour le reste, il annonce des mesures similaires aux autres mairies frontistes : baisse de la fiscalité, augmentation des effectifs de police municipale, qui travailleront « de nuit aux mêmes heures que la délinquance », suppression des « menus communautaires » dans les cantines (qui n'existent pourtant pas), interdiction des drapeaux étrangers à l'occasion des mariages.

Pas de rue débaptisée comme dans les villes frontistes des années 1990, mais il explique qu'il veut « vite redonner son caractère provençal à la ville en préemptant des locaux vides et en réservant des places de marché aux artisans et commerces traditionnels ». Dans son viseur : « les commerces communautaires » (comprendre les kebabs), « trop nombreux ». « Il tente de récupérer les symboles républicains, il pose à côté du buste de Marianne, chante la Marseillaise au conseil municipal, s'affiche avec un retraité présenté comme un ancien résistant », rapporte à Mediapart Claude Dubois, unique conseiller municipal de gauche.

À la tête de son cabinet, il a nommé l'un de ses proches, Yoann Gillet, qui était candidat à Nîmes. Holly Turchet, attachée parlementaire de Gilbert Collard, devient sa chef de cabinet.

  • LE PONTET (Vaucluse)

Parmi les cinq artistes programmés au Pontet dans le cadre du festival off d'Avignon, trois se sont désistés après la victoire du frontiste Joris Hébrad, dont la pianiste reconnue Laure Favre-Kahn. Le programmateur a dû annuler la totalité des spectacles.

  • CAMARET-SUR-AIGUES (Vaucluse), ville soutenue par le FN

À Camaret, le maire, Philippe de Beauregard, soutenu par le FN, a choisi de confier le poste de directeur de cabinet à Yann Baly, qui fut le secrétaire général de Chrétienté-Solidarité, mouvement catholique traditionaliste de l’ex-FN Bernard Antony.

  • MARSEILLE 7e secteur (Bouches-du-Rhône)
Stéphane Ravier lors de son élection comme maire du 7e secteur, le 11 avril.Stéphane Ravier lors de son élection comme maire du 7e secteur, le 11 avril. © dr

Lors du premier conseil d'arrondissement de ce secteur de 150 000 habitants, Stéphane Ravier s'est fait chahuter par des manifestants brandissant des pancartes fluorescentes « À gauche contre le FN » et scandant des slogans antiracistes. Les forces de l'ordre ont dû intervenir pour interrompre un début de bagarre entre pro- et anti-FN. Le même jour, le nouveau maire devait célébrer un mariage gay, qu'il a délégué à un adjoint. Il a expliqué à La Provence qu'il considère les unions homosexuelles comme « pas naturelles, civilisationnelles ».

BOITE NOIREPourquoi suivre de près les villes gagnées par le Front national en mars ? Le FN, qui a remporté près de 18 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, fonde tout son discours sur l’échec de la gauche et de la droite au pouvoir depuis trente ans. Or, depuis les gestions catastrophiques des quatre villes frontistes de la fin des années 1990, on ne dispose pas d’exemples et de bilans du Front national au pouvoir.

Il ne s'agit pas dans cet article de dresser un "bilan" – au bout d'un mois ce serait absurde –, mais de rendre compte des premières nominations dans les cabinets et des premières décisions (concernant le budget notamment). Ne figurent pas dans cet inventaire les deux autres villes aux mains de l'extrême droite, Orange et Bollène, tenues par les Bompard depuis 1995 et 2008.

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La justice enquête sur une subvention de Marseille à une école privée

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Au détour d’une enquête sur des détournements de fonds par l’ex-directeur administratif de l’établissement scolaire privé Yavné dans le 13e arrondissement de Marseille, les enquêteurs de la division économique et financière de la PJ marseillaise sont tombés sur une curieuse subvention attribuée le 17 juin 2013 par la Ville. Cette subvention d’équipement de 250 000 euros, qui n’a pas encore été versée, doit financer la future construction d'un gymnase dans la cour de l’école de confession juive Yavné. L’établissement, sous contrat d’association avec l’État, accueille environ 600 élèves, allant de la primaire au lycée.

« Nous venons d’ouvrir une enquête préliminaire incidente pour comprendre selon quelles modalités et sous quel faux nez ce gymnase était financé, explique Jean-Luc Blachon, vice-procureur de Marseille. À l’évidence, son financement interroge. »

À l’origine, la PJ avait été saisie, à la suite d'une plainte du conseil d’administration de Yavné, d’une première enquête préliminaire, pour abus de confiance et recel d’abus de confiance. Le 24 mars 2014, les policiers de la division économique ont entendu en garde à vue l’ex-directeur administratif de l’école Yavné, licencié en juin 2013. L’ex-employé, aujourd’hui gravement malade, a selon le parquet reconnu avoir détourné des dizaines de milliers d’euros sur les frais d’inscription versés en espèces par les familles.

Charles Lévy, qui avait démissionné en 2013 du conseil d’administration de l’association Yavné, en désaccord avec la reconduction du commissaire aux comptes qui n’avait pas su déceler la fraude, a été entendu comme simple témoin. De même qu’Élie Benarroch, l’ancien directeur de l’école parti fin 2012, peu avant la découverte du détournement. L’occasion aussi de quelques règlements de comptes : « Le principal suspect semble avoir été instrumentalisé par certains qui auraient aimé faire tomber M. Benarroch pour lui succéder (à la tête du Fonds social juif unifié Provence Languedoc où il a été réélu le 9 mars 2014, ndlr) », explique une source proche du dossier. Selon le parquet, l’enquête serait aujourd’hui quasiment bouclée. Mais reste un os, cette fameuse subvention d’investissement de 250 000 euros.

Le code de l’éducation encadre strictement les subventions d’investissement aux établissements privés. Celles-ci sont interdites pour le premier degré et ne doivent pas excéder « le dixième des dépenses annuelles de l'établissement » dans le secondaire. Autre précaution, le Conseil académique de l'éducation nationale (CAEN) doit préalablement « donner son avis préalable sur l'opportunité de ces subventions ». Or, selon le rectorat, « cette subvention n'a pas été soumise au CAEN de juin 2013 ».

Des dispositions souvent ignorées, et ce généralement au profit de l’enseignement et des lieux de culte catholiques choyés par les élus français, notamment sur leur réserve parlementaire. « La première demande de subvention de Yavné était dupliquée sur ce qui se fait dans les écoles catholiques, se souvient Michelle Teboul, présidente du Crif et ex-présidente du CA de Yavné. Dans les années 1990, mon collègue président de l’école Lacordaire (un établissement catholique voisin, ndlr) avait eu un beau gymnase financé par les collectivités locales. Mais notre propre demande avait été rejetée. »

Pour contourner ces restrictions, la Ville de Marseille a choisi d’attribuer la subvention pour le gymnase dans le cadre du code du sport à une association nommée Provence sport culture (PSC). Une association créée ad hoc en juillet 2010, présidée par Charles Lévy, ex-membre du conseil d’administration de l’école Yavné, et dont le secrétaire est également membre du CA de Yavné. Son objet est flou – « développement de projets sportifs, culturels ou sociaux et création d’équipements favorisant la pratique sportive, les échanges ou manifestations dans le domaine de la culture ou des initiatives permettant de créer du lien social » –, l’association n’a pas d’adhérents et n’a jamais organisé d’assemblée générale. « Nous avons décidé d’engager le projet à la suite de deux ou trois agressions antisémites, dont une sérieuse avec un élève blessé par un coup de couteau à la cuisse », explique Charles Lévy. Il assure que l’association a d'autres projets, mais serait « encore en phase de gestation » car « l’élément déclencheur sera de monter le gymnase ».

Comment une association nouvellement créée, sans adhérents, ni activité, a-t-elle pu obtenir une telle subvention ? « Il y a une étroite liaison entre l’école et l’association mais rien d’illicite, indique Daniel Sperling, adjoint UMP à l’état civil de Jean-Claude Gaudin. On sait à qui l'on s’adresse, c’est la deuxième école juive du sud-est de la France. La première caution d’emprunt qu’a accordée M. Gaudin à son arrivée à la tête de la région Paca (en 1986, ndlr), c’était à l’école Yavné. »

L’élu reconnaît cependant que la mairie est passée par le code du sport « par rapport à la chambre régionale des comptes, pour ne pas tomber sous le coup de la loi Falloux ». Membre du conseil d’administration de l’école Yavné où sont scolarisés ses enfants, Daniel Sperling a pris soin de ne pas participer au vote de la subvention en juin 2013, afin de ne pas risquer d’être accusé de prise illégale d’intérêts. Mais selon un membre du conseil d’administration de l’école, très surpris de « voir la mairie capable de débloquer une somme pareille », l’élu UMP se serait à plusieurs reprises fait fort « devant les instances communautaires juives » d’obtenir cette subvention.

La somme est d’autant plus surprenante que la mairie centrale a laissé à l’abandon la plupart des équipements sportifs du fief socialiste des 13e et 14e arrondissements : piscines fermées du jour au lendemain, stades impraticables, gymnases vieillissants aux plafonds effondrés, vestiaires insalubres, etc. En 2012, la Ville n’a par exemple alloué que 563 000 euros de crédits sportifs pour les 155 000 habitants de ces deux arrondissements. Et pour l’ensemble des 285 000 habitants des quartiers nord, qui regroupent cinq arrondissements, il ne subsiste plus que quatre piscines selon Le Monde.

« Le problème est que tout le quartier a besoin d’un gymnase, reconnaît Michelle Teboul, dont le mari est membre du CA de l'école. L’argument qui a fait basculer la mairie, c’est que le gymnase de l'école serait ouvert à toutes les communautés en dehors des horaires scolaires, le soir et les week-ends. » « Des associations de quartier auront accès au gymnase », assure aussi Daniel Sperling. « C’est un engagement de notre part », confirme Charles Lévy, président de l’association PSC. Mais cet « engagement » n’est mentionné nulle part dans la convention signée avec la Ville. Il n’a donc aucune valeur juridique.

Quant à l’abandon des équipements publics de ces quartiers, l’élu UMP en rejette la responsabilité sur Garo Hovsepian, le maire PS de secteur depuis 1998, battu par le FN aux dernières municipales. « Il n’a pas défendu grand-chose et n’était pas écouté à cause de l’affaire Andrieux (députée PS condamnée en 2013 pour détournements de fonds publics et qui a fait appel, ndlr), argue Daniel Sperling. Regardez Samia Ghali dans les 15e et 16e arrondissements, elle a obtenu des financements. »

Pressenti comme tête de liste UMP dans les 13e et 14e arrondissements, Daniel Sperling a finalement dû céder sa place à Richard Miron, adjoint au sport de Gaudin et… commissaire rapporteur de la subvention attribuée à Provence sport culture en juin 2013. Les locaux de PSC se trouvent au 15 de la rue Alphonse-Daudet, siège d’une des agences immobilières de son président Charles Lévy, à une centaine de mètres de la permanence de campagne de Richard Miron.

Un membre du CA de Yavné voit donc dans le vote de la subvention à quelques mois des municipales « un effet de manche à visées purement électoralistes ». Bref, du « clientélisme, des échanges de services personnels », lâche un autre proche de l’école. L’élu UMP Richard Miron n’a pourtant eu de cesse durant toute la campagne de fustiger le « clientélisme » de « la pourriture et la racaille socialiste de Marseille et des 13e-14e ». Il les a même accusés d’avoir « fortement contribué à l'élection du Front national ».

Dans l’entre-deux tours des municipales, après avoir en vain rencontré Garo Hovsepian, le maire PS sortant, le conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) de la région avait publié un communiqué demandant au candidat socialiste, arrivé en troisième position au premier tour, de se retirer « au profit du candidat en capacité de battre la liste du FN ». Un communiqué appuyant de façon quasi explicite Richard Miron, qui avait choqué certains membres de la communauté juive marseillaise.

Le gymnase, budgété à 1,3 million d’euros, a cependant très peu de chances de sortir un jour de terre. L’argent de la Ville ne sera débloqué que sur facture, une fois les travaux commencés. « L’école attend encore une réponse de deux fondations », indique Daniel Sperling. Du côté de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le dossier de demande de subvention déposé par Yavné serait toujours « en cours d’instruction », selon le service de presse. D'autres sources nous indiquent qu'il aurait en fait été rejeté car « hors cadre d'intervention ».

L’établissement privé s’était également vu promettre, selon nos informations, une subvention de 500 000 euros du conseil général des Bouches-du-Rhône. Mais il s’est finalement heurté à une fin de non-recevoir de son président Jean-Noël Guérini, devenu très prudent depuis les remontrances de la Chambre régionale des comptes. « Le dossier a été refusé, l’association ne rentrait pas dans les critères éligibles », indique le département, sans plus de précisions. « La PJ est venue prendre des dossiers après le rapport de la CRC, et comme ça tangue, Guérini est beaucoup plus circonspect dans ses relations avec les responsables communautaires », confie un conseiller général.

En octobre 2013, la chambre régionale des comptes (CRC) avait épinglé le fonds spécial d’intervention (FSI) du département, qui permettait à Jean-Noël Guérini de financer à discrétion de nombreuses structures communautaires, dont certaines gérées par son conseiller officieux Clément Yana, ancien président du Crif. La chambre avait notamment buté sur le financement en 2009 par le département de la construction d’une salle de spectacles et d’un gymnase pour une école privée bilingue français-arménien Hamaskaïne (12e arrondissement).

Le conseil général avait versé 1,3 million d’euros de subvention à une association culturelle, un intermédiaire, alors que le véritable bénéficiaire de l’aide était l’école Hamaskaïne. Pour les magistrats financiers, ce « montage juridique et financier » avait « bien pour effet de contourner le cadre législatif relatif aux interventions des collectivités territoriales en faveur des établissements d’enseignement privé sous contrat ». Toute ressemblance avec le montage réalisé par la Ville de Marseille étant purement fortuite...

BOITE NOIREContactée à plusieurs reprises depuis trois semaines, Mireille Pallot, la directrice de l'école Yavné, ne nous a pas répondu. Contacté le 1er avril, Richard Miron ne nous a pour l'instant pas répondu. Le service de presse de la Ville de Marseille nous a indiqué qu'il serait injoignable jusqu'au début du mois de mai.

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Plan d'austérité : veillée d’armes dans le bunker de Solférino

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« Allo, BN terminé. Je répète : BN terminé. » Il est 19 h 30, ce lundi soir, au pied du grand escalier du siège socialiste de la rue de Solférino. Le grand rideau noir, annihilant tout espoir de plumitif d’entrapercevoir la salle du bureau national, pourtant de l’autre côté de la cour intérieure, peut enfin s'ouvrir. Les quatre vigiles du service d’ordre peuvent prévenir, par talkie-walkie, le collègue qui surveille l’étage, et les deux postés à l’extérieur. Le point presse démarre, les journalistes y sont tous invités, jusqu’à ce que la porte se referme sur eux. Le champ est libre, les hiérarques peuvent sortir. Le « plan Valls » de 50 milliards de réduction des dépenses publiques a été approuvé par la direction du parti socialiste.

À l’intérieur de la salle de presse, les porte-parole du PS, Corinne Narassiguin, Olivier Faure et Carlos Da Silva, résument les deux heures de réunion en citant la déclaration à l'instant adoptée par le bureau national. Et évacuent rapidement le résultat du vote (31 voix pour, 15 contre, une abstention), un équilibre « deux tiers/un tiers », il est vrai conforme aux équilibres du dernier congrès, et à la récente désignation de Jean-Christophe Cambadélis. Au passage, aucune information supplémentaire n’a pour l’heure été communiquée quant au détail du vote militant qui validerait cette évolution de palais, pourtant promis par le successeur de Harlem Désir. Mais là n’est pas le sujet principal du soir. À la veille du vote des parlementaires, il s’agit de faire passer, même en novlangue solférinienne, le message d’un « BN conclusif » ouvrant la voie « au temps de la cohésion, après celui du débat serein ».

 

À en croire Olivier Faure, les divisions ne sont pas aussi grandes que ce que l’on pourrait penser en lisant les tribunes de ces derniers jours, s’opposant ou soutenant l’austérité made in France proposée par le gouvernement. « Nous avions trois solutions, dit-il : soit ne rien faire, au risque de se mettre dans la main des marchés ; soit augmenter la fiscalité, alors que les Français nous ont demandé d’arrêter aux municipales ; soit baisser les dépenses publiques. » Façon de dire : il n’y a pas d’alternative, enfin si, il y en a deux, mais en vrai il n’y en a pas. En tout cas, ça pourrait être bien pire : « Ce n’est pas le plan grec, italien ou portugais. Ce n’est pas non plus celui proposé par la droite », conclut-il.

Ce qui semble compter, c’est que Manuel Valls a entendu la pression parlementaire, promis juré, et qu’il l’a même écoutée. Au terme d’une mise en scène savamment orchestrée, et après avoir d'abord laissé entendre que le premier ministre ne bougerait pas, avant de rendre publique une lettre aux députés ce lundi en fin de matinée, Valls a fait quelques concessions. Et rapidement, les rebelles les plus modérés ont dit leur satisfaction. Ainsi, ils sont plusieurs à avoir annoncé leur intention de finalement voter pour le « pacte de stabilité 2014-2017 », comme les députés Matthias Fekl, Thomas Thévenoud ou Karine Berger. Cette dernière, à l’entrée du bureau national, explique : « Il y a une évolution substantielle sur 1,5 à 2 milliards d’euros. C’est un premier pas. On a eu raison de se mobiliser, et on restera attentif pour la suite. »

Au « BN », l’opposition au texte a de nouveau regroupé le courant « Un monde d’avance » (composé de proches de Benoît Hamon), celui de « Maintenant la gauche » (des proches de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel) et la « motion 4 » (celle de feu Stéphane Hessel). Les proches de Martine Aubry sont restés en retrait, se sont abstenus, étaient absents ou n’ont pas pris part au vote. « Comme toujours, ils tergiversent entre raison et conviction », soupire un membre de l’aile gauche du parti. Plusieurs d’entre eux devraient pourtant faire vivre leur fronde de moins en moins feutrée à l’Assemblée, lors du vote de ce mardi.

Parmi les signataires de « l'appel des cent », initié avant le vote de confiance à Manuel Valls, ils pourraient être au bout du compte une quarantaine de députés socialistes à s’abstenir. Même si la fiabilité des pointages est rendue difficile par les fluctuations floues et les états d’âme de chacun. Bien que consultatif, ce vote a été peu à peu dramatisé, entre intimidations et « appels à la responsabilité », sur fond de scénarios catastrophistes façon dissolution. À la sortie de la conférence de presse, le porte-parole Carlos Da Silva, proche de Manuel Valls (il est son suppléant à l’Assemblée) et souvent éruptif par le passé, a du mal à dissimuler ses yeux revolver. Après s’être contenu devant les journalistes et avoir seulement souhaité que « l’immense majorité, voire la quasi-totalité » des députés rentrent dans le rang, il lâche, d’un sourire, en quittant les lieux : « Je me retiens… »

La coercition paraît ainsi passée de mode, et les représailles à l’encontre des récalcitrants, un temps annoncées, ont été remisées. Manuel Valls a passé l’obstacle, cette fois-ci, en cédant sur quelques sujets symboliques (les petites retraites et les bénéficiaires du RSA). « Il n’y a pas besoin d’en rajouter avec des sanctions. C’est contre-productif », dit un dirigeant du PS. « Vu le climat et les votes à venir, mieux vaut ne pas lancer la bombe atomique tout de suite. Si vous pouvez transmettre à Jean-Marie Le Guen… », s’agace un député favorable au « plan Valls », qui goûte moyennement, comme beaucoup d’autres, la gestion du dossier par le ministre des relations avec le parlement (« C’est quand même un mec qui, au bout de cinq minutes de discussion, peut menacer de vous péter la gueule… »).

Le premier ministre devrait aussi profiter de « l’abstention d’encouragement » des centristes de l’UDI, pour obtenir la majorité de l’hémicycle sur son plan d’économies. Nul besoin, donc, de mener la guerre aux « sécessionnistes » dénoncés dimanche par Jean-Christophe Cambadélis. Celui-ci a décidé de prendre les accents de Maurice Thorez pour intimer aux siens : « Il faut savoir terminer une fronde. » Ça ne rajeunit pas, mais ça a le mérite de bien poser l’ambiance interne…

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Ecomouv: les anciens ministres prennent la fuite

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Ségolène Royal est attendue de pied ferme par les deux commissions d’enquête sur l’écotaxe, au Sénat mardi 29 avril et à l’Assemblée nationale, mercredi. À peine nommée, la ministre de l’écologie a jeté un certain trouble parmi les parlementaires, en évoquant de nouvelles pistes pour sortir du piège de l’écotaxe. Alors que les élus semblaient plutôt à la recherche d’aménagements ou de compromis pour remettre sur pied une écotaxe « acceptable par tous », Ségolène Royal semble pencher pour la rupture et l’enterrement de tout le système.

Affirmant vouloir en finir avec « l’écologie punitive », la ministre a avancé deux pistes de sortie : celle d’une obligation faite à tous les poids lourds étrangers d’emprunter les autoroutes, les sociétés d’autoroutes étant alors soumises à un prélèvement supplémentaire suppléant l’écotaxe ;  ou celle d’une vignette imposée aux frontières à tous les camions étrangers, pour emprunter les routes françaises.

Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l'écologieNathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l'écologie

« Faire payer les camions étrangers est bien sûr une bonne idée. Ils ne paient rien pour l’instant quand ils empruntent nos routes. Vous croyez que nous n’y avons pas pensé ? Mais il y a des règles européennes dont on ne peut pas s’abstraire. Ségolène Royal se rendra vite compte que c’est impossible. La meilleure solution, c’est l’écotaxe », a par avance répliqué Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l’écologie, lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat, le 16 avril.

Avant elle, les deux anciens secrétaires d’État aux transports, Dominique Bussereau et Thierry Mariani, avaient à peu près tenu le même langage. Si c’était à refaire, ils le referaient. Pour eux, il importe maintenant d’en finir avec toute cette agitation, de remettre très vite en route l’écotaxe et de respecter le contrat de partenariat public-privé avec le consortium Ecomouv. C’est la meilleure solution, ont-ils insisté. « Il en va de la continuité de l’État », a martelé Dominique Bussereau.

En matière de continuité de l’État cependant, l’audition des trois anciens ministres a laissé transparaître d’étranges blancs. S’ils se sont montrés très diserts sur la philosophie de l’écotaxe et ses bienfaits, particulièrement sur les recettes apportées à l’État pour l’entretien et la rénovation du réseau routier, ils ont été en revanche beaucoup plus flous sur les circonstances qui les ont amenés à choisir un contrat de partenariat public-privé, ou sur le déroulé des opérations. L’écotaxe oui, Ecomouv, connais pas ou si peu.

L’impression générale est qu’aucun d’entre eux ne veut assumer la responsabilité de ce contrat. Tout semble s’être passé loin d’eux, sans eux. « Je n’étais là qu’au moment du Grenelle de l’environnement, quand le principe de l’écotaxe s’est décidé. Quand je suis revenue au ministère de l’environnement, tout était arrêté », s’excusa Nathalie Kosciusko-Morizet. « Je n’étais là qu’au début, au moment où nous avons lancé le projet de partenariat public-privé », rajouta Dominique Bussereau. « J’ai pris le projet quand l’essentiel avait été défini », expliqua de son côté Thierry Mariani.

La discontinuité de leur mandat peut expliquer qu’aucun d’entre eux n’ait une vue complète du dossier, les uns poursuivant ce que les autres avaient décidé. Leur absence de curiosité sur ce projet est cependant gênante. À les entendre, ils n’ont vu cela que de très loin, supervisant au niveau politique ce que d’autres avaient arbitré au niveau technique.

Le contrat Ecomouv est pourtant un des plus importants signés par l’État : 3,2 milliards d’euros sur onze ans. Il marque aussi une rupture avec les principes républicains. Pour la première fois, la collecte d’un impôt est réalisée par une société privée. Et personne n’aurait arbitré ce choix au niveau politique ?

Virginie Klès, rapporteuse de la commission sénatoriale sur Ecomouv, posa avec constance la même question à tous les anciens membres du gouvernement : « Pourquoi avoir lié dans un même contrat de partenariat la réalisation technique du dispositif de l’écotaxe et le prélèvement de la taxe ? Qui a décidé ? » À chaque fois, elle a obtenu des réponses stéréotypées. « Le partenariat public-privé n’était pas du tout un parti pris libéral. C’était un dispositif trop compliqué pour l’administration. Le PPP allait de soi. Cela n’a prêté à aucune discussion », expliqua Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux transports au moment du lancement du projet. « L’administration ne savait pas faire et ne voulait pas le faire. Les douanes nous l’ont dit », ajouta Nathalie Kosciusko-Morizet. « Il aurait fallu embaucher des fonctionnaires pour le mettre en œuvre », renchérit Thierry Mariani.  

Ces explications rapides, censées répondre à toutes les objections, ne servent peut-être qu’à cacher des faits plus difficiles à avouer : ils n’ont peut-être été que les porte-parole politiques d’un projet décidé et arbitré ailleurs.

Lors de leurs auditions devant la commission, plusieurs hauts fonctionnaires ont raconté le processus. Dès 2006, alors que les autoroutes viennent d’être privatisées, ils se demandent comment compenser cette perte et trouver les recettes que leur apportaient les concessions autoroutières pour entretenir le réseau routier. Le principe d’une taxe sur les poids lourds – « qui pourrait être élargie par la suite », a reconnu Dominique Bussereau – s’est vite imposé. La préoccupation de favoriser d’autres modes de transport, d’avoir une approche écologique, entre peu dans leurs considérations. Il s’agit d’abord de s’assurer une recette pérenne pour les routes. 

C’est si vrai qu’alors même que le Grenelle de l’environnement est à peine formé, une commission interministérielle, dite mission des tarifications et réunissant cinq membres des douanes et du ministère de l’écologie, est formée dès l’été 2007. Sans attendre, elle prend les choses en main. Dès l’automne 2007, la question est posée au conseil d’État de savoir si le prélèvement d’un impôt peut être confié à un partenaire privé. Le conseil d’État répond par l’affirmative, en précisant quelques précautions à prendre en décembre 2007.

Ainsi, avant même que le Grenelle de l’environnement soit achevé, que les textes aient été votés, le dispositif d’une taxe poids lourds, repeinte en vert, est déjà bouclé, PPP et prélèvement par l’impôt compris. Qui a décidé ? La haute administration seule ? Ou Jean-Louis Borloo, ministre de l’environnement à l’époque, qui reste le grand absent de l’histoire ? En dépit de son rôle, son nom n’est jamais évoqué lors des auditions. Étrange silence.

Par la suite, plusieurs fonctionnaires des douanes ont proposé, selon nos informations, des projets pour mettre en place l’écotaxe. Ils ont suggéré notamment la mise en place d’une vignette. Ils ont plaidé pour que le prélèvement de la taxe reste de leur compétence. Aucune de leurs suggestions n’a été retenue. Le système de l’écotaxe a été mis en place tel qu’il avait été imaginé dans le secret des cabinets.

Que les ministres assument ce qui a décidé par d’autres, soit. Mais comment expliquer le suivi très distant de l’avancée d’un projet aussi important ? Thierry Mariani, ministre des transports de novembre 2010 à mai 2012, dit avoir surveillé tout cela de très loin. « Tout était déjà acté. Je n’allais pas remettre la procédure en cause. L’important était d’aller au plus vite pour mettre le dispositif en place », expliqua-t-il.

Un portique écotaxe.Un portique écotaxe. © Reuters

Face à des sénateurs assez médusés, il nia toute implication directe dans ce dossier. Avait-il eu des contacts avec les douanes sur ce dossier ? « Je n’ai eu aucun contact. » Participait-il à des réunions interministérielles ? « Je n’ai participé à aucune réunion. Je peux me tromper, mais ce sont les services qui sont compétents. » Était-il informé du dossier ? « Pas vraiment. » S'est-il rendu à des arbitrages ? « Je n’ai pas le souvenir d’y avoir participé ? » A-t-il regardé le dossier des candidatures ? « Il y a une commission consultative qui était chargée de classer les offres. Je ne vois pas en quoi j’aurais remis en cause leur sélection. Je n’ai pas la compétence technique pour cela. »

Ces réponses laconiques, inhabituelles chez cet homme politique, éveillèrent le doute. Pourquoi prendre une telle distance avec ce dossier ? Par quoi était-il gêné ? Car ses explications sont incompréhensibles : comment un ministre peut-il ne pas suivre le projet le plus important de son ministère ? Même politiquement, cette ignorance semble impossible : à l’époque, tous les parlementaires, impatients de récolter la manne de l’écotaxe, ne cessaient de venir aux nouvelles pour savoir quand elle serait enfin instaurée.

À entendre Thierry Mariani, le choix de l’écotaxe s’est donc négocié sans contrôle politique, grâce à la seule dynamique des rouages administratifs. Une commission consultative a été chargée de sélectionner entre les différents candidats au projet, selon les critères retenus par la direction générale des infrastructures, des transports et des routes et les douanes. Une commission qui, le rappela son président, Roland Peylet, conseiller d’État, lors d’une précédente audition, « n’est chargée que de donner un avis ». Mais aujourd’hui, chacun s’abrite derrière elle pour justifier le choix d’un partenariat public-privé et de la société Ecomouv.

Est-ce le secret commercial invoqué par la société Ecomouv qui empêche toute question précise sur le contrat, en dehors du huis clos ? Curieusement, aucune question ne fut posée à Nathalie Kosciusko-Morizet sur les termes du contrat Ecomouv qu’elle a signé en octobre 2011. Pourtant, les interrogations ne manquent pas. 

Au fil des interventions, les principales clauses du contrat ont en effet fini par être mises en lumière. Dans ce contrat, tout est calculé sur la base d’un taux de rémunération de 15 % pour les partenaires privés. La société Ecomouv doit percevoir un loyer de 18 millions d’euros, dès la mise à disposition du système, que l’écotaxe soit perçue ou non. Son loyer est fixe et garanti. Elle n’a aucune pénalité en cas de mauvaise perception de la taxe ou de défaillance du système.

Les actionnaires qui ne mettent que 25 millions de capitaux, mais apportent 99 millions sous forme de prêts à la société, exigent une rémunération minimale de 15 % sur l’ensemble de l’argent qu’ils apportent, et pour toute la période. C’est ce taux de rendement du capital qui sert à calculer une éventuelle indemnisation en cas de rupture du contrat, outre le rachat des installations. Estimé lors du lancement du projet à 235 millions, le coût final du dispositif est de 650 millions. Plus la rupture se fait tôt, plus l’indemnité coûte cher, car il y a une majoration de 0,2 % du taux par année perdue. Si le contrat était arrêté aujourd’hui, l’indemnité se calculerait donc sur un taux de 17 % ! Pour mémoire, le taux de l’usure pour les crédits aux entreprises sur des durées supérieures à deux ans était fixé à 6 % au troisième trimestre 2011, au moment de la signature du contrat.

À l’inverse, les pénalités de retard sont calculées sur la base journalière de 266 000 euros, plafonnées à un montant total de 47,9 millions d’euros, quelle que soit la durée du retard. L’État est vraiment bon prince. Dans ses prévisions, l’écotaxe devait lui rapporter 80 millions d’euros par mois. Le dispositif a déjà plus de dix mois de retard.

La mission d’appui des partenariats publics-privés (MAPPP), pourtant peu hostile au principe, s’est émue des termes de ce contrat, émettant de sérieuses réserves. Cette intervention exceptionnelle traduit un certain malaise. Auditionné au début de l’année par la commission d’enquête, son directeur François Bergère s’en est longuement expliqué. Même avec l’art de l’ellipse et des sous-entendus chers à la haute administration, il a fait preuve d’une rare franchise et a dénoncé de graves dysfonctionnements.

« Quand la Mappp a été saisie sur le projet de contrat définitif, nous avions un délai de 48 heures pour l’approuver, ce qui est un peu exceptionnel », a raconté François Bergère devant la commission sénatoriale. Ses propos par la suite ne pouvaient pas être plus explicites : « La mission a recommandé, si les délais le permettaient encore, de préciser ou d’ajuster certaines formulations pour éviter des incertitudes génératrices d’ambiguïté ou rétablir ce qui pouvait parfois apparaître comme un déséquilibre au détriment de la partie publique. »

Parmi les déséquilibres, il y a notamment le taux de rendement. « Un taux de 15 %, c’est effectivement élevé. Ce sont des taux que l’on retrouve dans des montages de concessions, qui impliquent des risques de trafic, de volume. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans les PPP classiques, les taux sont entre 10 et 12 % », a-t-il expliqué aux sénateurs. La MAPPP s’est aussi interrogée sur la formule de calcul retenue pour l’indemnisation en cas de rupture du contrat. « Ce n’est pas une formule habituelle dans les contrats dont nous avons eu connaissance », releva-t-il.

Après une telle mise en garde administrative, insistant sur le déséquilibre de l’accord en défaveur de l’État, il aurait dû se passer quelque chose. D’autant que la MAPPP a les moyens de se faire entendre : elle dépend de la puissante direction du Trésor, dirigée alors par Ramon Fernandez. Cette direction sait faire obstacle quand cela ne lui plaît pas et sait rappeler à l’ordre un État toujours trop dispendieux à son goût. Mais cette fois-là, silence. Personne n'a tenu compte de l’avertissement. Le contrat n'a pas été modifié. On avait déjà perdu trop de temps dans cette affaire d’écotaxe, expliqua-t-on.

Le contrat fut signé en un temps record. Valérie Pécresse, alors ministre du budget, l'a même signé avant d’avoir l’avis de la MAPPP. Six jours après, le 20 octobre 2011, tout était bouclé. Qui avait intérêt à une telle précipitation ?

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Marseille: des contrats de l'eau trop favorables à Veolia et à Suez

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Saisie par le préfet des Bouches-du-Rhône, la chambre régionale des comptes Paca s’est penchée sur les contrats de l’eau et de l’assainissement de la communauté urbaine de Marseille, remportés en novembre 2013 par des filiales de Veolia et de Suez. Cela représente quatre délégations de service public (DSP) à 3,2 milliards d’euros sur quinze ans.

Ce genre de contrôle a posteriori est très inhabituel (sur l’ensemble de la France seuls quatre avis par an sont prononcés suite à des saisines de préfet), mais n’a rien de superflu. Une élue un peu trop proche d’une des entreprises candidates, des erreurs de calcul systématiquement au profit des multinationales, des taux de marge très confortables sans « risques réels d’exploitation », des frais de siège trop importants, des délégations d’une « durée excessive », des pénalités ridicules en cas de non-respect des contrats, des élus mal informés et servant de chambre d’enregistrement : les quatre avis de la CRC, rendus publics le 28 avril 2014, sont sanglants. Ils montrent une collectivité bien peu soucieuse de l'intérêt et des deniers de ses habitants.

Les magistrats financiers ont relevé plusieurs irrégularités qui pourraient aboutir à l'annulation des contrats s'ils étaient portés devant la justice administrative. Ils se sont également penchés sur les conditions de la négociation. Conclusion sur chaque point examiné, « l’économie générale du contrat est trop favorable à l’entreprise et MPM (Marseille Provence Métropole) n’a pas exploité ses marges de négociations », résume Louis Vallernaud, président de la CRC Paca.

Eugène CaselliEugène Caselli © Reuters

À la fin des négociations, Eugène Caselli, l’ex-président PS de MPM, avait lui-même jugé « excessivement élevé(s) » et « inacceptables » les niveaux de rentabilité de l’offre de la Société des eaux de Marseille (Sem), filiale de Veolia, qui a remporté la DSP eau. « Ce niveau de rentabilité jugé inacceptable au cours de la négociation a pourtant finalement été accepté à un niveau encore plus élevé », s'étonne la chambre. Au fil des négociations avec la communauté urbaine, le taux de marge de la multinationale est passé de 4,84 % à 4,89 % ! « Il est assez rare qu’un taux de marge augmente après renégociations », ironise un spécialiste.

Autre curiosité, les produits des entreprises délégataires sont systématiquement sous-évalués (en tablant par exemple sur une baisse irréaliste de la consommation en eau des habitants) et leurs charges d’exploitation « surévaluées ». Mais en cas de « résultat d’exploitation significativement supérieur aux prévisions » (qui paraît assez probable), MPM n’a prévu aucune clause qui lui permettrait de bénéficier d’une partie des profits excédentaires par rapport aux prévisions initiales ! Simple négligence ? Pourtant le contrat sait se montrer singulièrement précis quand les intérêts de la filiale des entreprises sont en jeu. Les pénalités des entreprises délégataires (en cas de non-respect de leurs obligations) sont ainsi plafonnées à 5 % de ses recettes annuelles. Une limite « incompatible avec l’existence de pénalités dont l’entreprise peut être redevable de plein droit », indique la CRC. 

Quant à la durée de la délégation, fixée à 15 ans sans aucun débat, elle « est manifestement excessive » au regard de la modicité des investissements demandés à l'entreprise (au total 39 millions d’euros d’investissements pour 2,3 milliards d’euros de produits). Pour un investissement presque double (80 millions d’euros), le contrat signé en 2011 par le Syndicat des eaux d’Île-de-France et Veolia durait trois ans de moins !

La CRC s’étonne également de l’absence d’inventaire des biens censés revenir à la communauté urbaine à l’issue du précédent contrat. Cette négligence « reflète l’absence de connaissance par la communauté urbaine de son actif », aux mains depuis 53 ans de la Société des eaux de Marseille, le précédent délégataire. Cette négligence « peut aussi être regardée comme conférant un avantage concurrentiel substantiel au profit du délégataire sortant, qui a été reconduit », met en garde la chambre.

Les magistrats financiers relèvent au passage le caractère ubuesque du rachat des compteurs pour près de 2,5 millions d’euros par MPM à la Sem afin de les mettre à disposition du nouveau délégataire qui n’est autre que… la Sem. « Elle reviendrait à ce que la Sem se rachète à elle-même (ou la structure dédiée "Eaux de Marseille Métropole" à la Sem) un parc de compteurs appartenant de droit à la collectivité », s’étonne la chambre, selon qui cette transaction apparaît « irrégulière ».

Autre cadeau, des frais de tuilage s’élèvent à 6,8 millions d’euros, un concept « contre-productif » selon la chambre. « En effet, si l’objectif était de ne pas pénaliser un nouvel entrant potentiel, le résultat pratique consiste à payer le sortant (…) pour se succéder à lui-même », remarquent les magistrats financiers. Parmi ces 6,8 millions d’euros, pas moins de 69 000 euros seront consacrés à « une information plénière des salariés juridiquement transférés de la Sem à la structure juridique dédiée (Eau de Marseille Métropole) ». La communauté urbaine de Marseille (Cum) s’est aussi assise sur ses propres exigences en matière de frais de siège : alors que le cahier des charges prévoyait de les plafonner à 0,5 % des charges d’exploitation, le plafond est en fin de compte multiplié par quatre.

Pour parachever ce sombre tableau, pèse également sur la collectivité un lourd risque financier. En vertu d’un avenant signé en son temps par Jean-Claude Gaudin, MPM serait redevable de près de 16 millions d’euros destinés à aligner la retraite des agents de la Sem sur celle du personnel municipal. « L’absence de résolution de cette question fait peser sur la Cum un risque de plusieurs millions d’euros », constate la chambre.

Les constats sur les trois contrats d’assainissement, remportés par la Sem et par la Seram (filiale de Suez), sont peu ou prou les mêmes. Pour deux des zones (est et ouest) où peu de gros travaux sont prévus, la CRC estime que les investissements des entreprises délégataires seront respectivement amortis sur 11 ans et 8,5 ans. La durée de délégation de quinze ans paraît donc injustifiée.

Et sur le lot centre, la Saur, le candidat le moins cher, a été écarté au profit de la Seram, qui avait présenté l'offre la plus élevée. Avec des critères assez discutables aux yeux de la chambre : « Le critère de la valeur technique de l'offre, par nature assez subjectif, (...) a été le plus discriminant puisque la Saur a été classée quatrième alors que c'est elle qui proposait l'offre financièrement la plus avantageuse. »

Mais les élus communautaires n’ont pas eu accès au détail des critères de notation et ont donc voté… en toute ignorance de cause. En tout cas « sans disposer d’explications lui permettant d’apprécier le classement qui lui était soumis, résultant pourtant d’écarts très faibles entre les notes », regrette la CRC. Les magistrats estiment donc « que le choix du délégataire n’a pas été soumis à l’assemblée délibérante dans des conditions de transparence suffisantes ».

Martine Vassal lors du Forum mondial de l'eauMartine Vassal lors du Forum mondial de l'eau © DR

Les magistrats pointent le cas préoccupant d’une élue communautaire UMP, Martine Vassal, qui a participé aux négociations avec les candidats en dépit de ses liens avec l’un d’eux, la Société des eaux de Marseille (Sem). Membre du triumvirat d’élus chargé de mener les négociations de la nouvelle DSP, l’adjointe au maire de Marseille est par ailleurs depuis 2012 trésorière du Conseil mondial de l’eau. Il s'agit d'un lobby des multinationales de l'eau présidé jusqu’en 2012 par Loïc Fauchon, le PDG de la Sem. Interrogée par Mediapart et le Ravi en décembre 2013, Martine Vassal n’avait pas caché son amitié pour Loïc Fauchon, avec lequel elle a préparé le forum mondial de l’eau de 2012 à Marseille. « C’est un homme remarquable, d’une bonté, d’une générosité, il fait de l’associatif, il va au Mali, il donne de l’eau à des enfants en train de mourir », nous déclarait-elle. Selon la CRC, cette situation de possible conflit d'intérêts pourrait « conduire le juge administratif à la considérer comme un conseiller intéressé » et donc à l’« annulation des délibérations » auxquelles l'élue UMP a participé. 

Une telle complaisance envers des multinationales de la part d’une communauté urbaine aussi pauvre et endettée (1,5 milliard d’euros) est difficilement explicable. Si ce n’est qu’à Marseille, les maires ont toujours considéré la Société des eaux de Marseille (Sem), dont ils nommaient le PDG et où ils pouvaient faire entrer leur clientèle, comme une annexe des services municipaux. Manifestement aux dépens des habitants et pour le plus grand profit de la Sem.

Mediapart et le Ravi avaient ainsi révélé que la Société des eaux de Marseille avait dégagé un total de 352,26 millions d'euros de trésorerie entre 1996 et 2012 sur l'adduction et la distribution d'eau de Marseille, Allauch et Septèmes-les-Vallons. Soit entre 18,6 millions d'euros et 24,6 millions d'euros par an. Dans le nouveau contrat, le cash va continuer à couler à flots pour la Sem. « Au vu de l'annexe du contrat, qui présente le tableau de flux de trésorerie de la société dédiée à la mise en œuvre de la convention, la chambre constate que sur l'ensemble de la période, l'exploitation du service de l'eau potable dégage un autofinancement net cumulé de 119 millions d'euros, dont 39,7 millions d'euros sont destinés au délégant et 72,7 millions directement au délégataire », indique la CRC.

Quels sont désormais les recours ? Prévoyants, les élus écologistes avaient déjà déposé un recours devant le tribunal administratif. Il portait uniquement sur la question des compteurs mais pourrait être enrichi, selon le site Marsactu. Le préfet des Bouches-du-Rhône peut lui aussi décider de saisir la justice administrative des irrégularités mises au jour par la CRC. « Il a jusqu’à fin mai », indique la préfecture. À moins que le nouveau président de MPM Guy Teissier ne se saisisse de cette opportunité pour tenter de renégocier les contrats. Louis Vallernaud offre quelques pistes : « MPM aurait pu négocier une réduction plus forte des prix pour l’usager, demander plus de travaux ou une durée de contrat plus courte. »

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La sévérité à géométrie variable du CSM

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Pour la Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l’organe de promotion et de discipline des magistrats, il est beaucoup plus grave de s’amuser comme un potache sur les réseaux sociaux que d’attenter au secret des sources des journalistes. Dans un avis d’une sévérité implacable, rendu ce lundi, et dont Mediapart a pris connaissance, la formation disciplinaire parquet du CSM recommande en effet au garde des Sceaux le déplacement d’office d’un magistrat des Landes qui avait plaisanté de façon anonyme sur le réseau Twitter avec un de ses collègues pendant un procès d’assises ou lors des suspensions d'audience, alors qu'il représentait l'accusation (lire notre article ici).

« Si le principe de la liberté d'expression bénéfice aux magistrats comme à tout citoyen, son exercice, quel qu'en soit le mode, par le magistrat, doit s'accorder avec le respect de ses obligations déontologiques », écrit le CSM. « Le prétendu anonymat qu'apporteraient certains réseaux sociaux ne saurait affranchir le magistrat des devoirs de son état, en particulier de son obligation de réserve, gage pour les justiciables de son impartialité et de sa neutralité notamment durant le déroulement du procès. L'usage des réseaux sociaux pendant ou à l'occasion d'une audience est à l'évidence incompatible avec les devoirs de l'état de magistrat. L'invocation d'une pratique d'humour sur les réseaux sociaux pour justifier ces messages est particulièrement inappropriée s'agissant d'une audience, en l'espèce de la cour d'assises », lit-on encore.

Certes, les messages échangés par ces deux magistrats n'étaient pas très raffinés (on peut les lire ci-dessous), mais ils étaient anonymes, et censés ne s'adresser qu'à quelques initiés. Le procès s'était déroulé sans aucun incident. La formation disciplinaire du CSM glisse un peu vite sur le fait que cette affaire n'aurait eu aucune conséquence sans un article de Sud Ouest, quelques jours plus tard, divulguant à la fois les identités des deux magistrats et leur tribunal, et permettant de reconnaître le procès concerné. Quant au principe de la liberté d'expression, le CSM en fait une interprétation très restrictive.


Quoi qu'il en soit, l’affaire constitue « un manquement au devoir de dignité, de discrétion, de réserve et de prudence, alors que ces messages étaient susceptibles d‘être lus, en temps réel, par des personnes extérieures à l’institution judiciaire, et qu’ils permettaient d’identifier tant leur auteur que les circonstances de leur émission », assène le CSM.

Le sort du juge assesseur qui tweetait également pendant ce procès a été fixé mercredi 30 par la formation disciplinaire “siège” du CSM. Simple assesseur lors du procès, ce magistrat n'écope que d'un blâme, rien ne prouvant qu'il ait tweeté pendant les débats.

Les deux magistrats avaient été dénoncés au procureur par un journaliste de Sud-Ouest trois jours après le verdict. Par précaution, une fois cette petite affaire rendue publique, la hiérarchie judiciaire avait décidé de rejuger le dossier initial lors d'un second procès d'assises. La carrière des deux magistrats, très bien notés jusqu'ici, pâtira à coup sûr de cette affaire.

Philippe Courroye et Nicolas SarkozyPhilippe Courroye et Nicolas Sarkozy

Dans un passé récent, le même CSM s’est pourtant montré beaucoup moins sévère avec l’ex-procureur de Nanterre Philippe Courroye, à qui il était reproché d’avoir ignoré les règles de procédure pour se procurer les factures de téléphone détaillées (fadettes) de journalistes, cela afin d'identifier leurs sources dans l’affaire Bettencourt (lire notre article ici), une affaire d'État qu'il fallait étouffer à tout prix. Il faut croire que le petit magistrat des Landes, lui, n'avait ni la même influence ni les mêmes appuis.

Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

BOITE NOIREInitialement mis en ligne mardi 29 avril en fin de journée, cet article a été complété et mis à jour mercredi 30 avec la décision concernant le second magistrat concerné par cette affaire.

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Gouvernement: les «minorés visibles» préfèrent en rire

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Quand on n'a (plus) que l'humour… Ce mardi, dans un café du centre de Paris, des représentants d'une quarantaine d'associations de lutte contre les discriminations ont choisi d'emprunter le chemin de l'absurde pour dire leur désarroi face à l'indifférence gouvernementale. Réunis à l'initiative du collectif « Stop contrôle au faciès », ils ont dévoilé une campagne de promotion qu'ils proposent aux pouvoirs publics de diffuser à leur compte. Afin de rendre plus raccord la communication avec l'absence d'actes de François Hollande, depuis son accession à l'Élysée, il y a deux ans. Et puisque Manuel Valls « ne propose en définitive que d'arrêter d'être ce qu'on est », explique Sihame Assbague, porte-parole du collectif, une dizaine d'affiches, frappées du slogan « Arrêtez d'être », seront dévoilées d'ici dimanche, jour d'une « fête du rire », dans un squat du nord de la capitale, mis à disposition par le DAL et Jeudi-Noir (voir ici le site spécialement dédié). 

L'une des trois premières affiches dévoilées ce mardiL'une des trois premières affiches dévoilées ce mardi

L'initiative est plus sérieuse qu'il n'y paraît, et le « rire collectif » se veut jaune face au « sens de l'humour » de Hollande et à la promotion de Manuel Valls, du ministère de l'intérieur à Matignon. « Une belle blague en soi », explique Amadou Ka, des Indivisibles. « Tout ça devient tellement grotesque, enchaîne Sihame Assbague. Tous les engagements du candidat sur la lutte contre les discriminations se sont avérés être une succession de leurres. » « C'est une façon de traduire ce qu'il ressort entre les lignes de la langue de bois gouvernementale : “À nous de nous travestir, à nous de nous nier” », appuie de son côté Franco Lollia, de la « Brigade anti-négrophobie ».

La singularité de l'événement, soulignée par tous les présents, est l'étendue de l'arc de forces qui s'est regroupé autour de la blague pas si potache. Associations de quartiers populaires, de handicapés, de mamans voilées, de lutte contre la précarité dans le logement, contre l'islamophobie et le racisme, ou de défense des Rroms ou des sans-papiers… « Nous sommes tous des “minorés visibles”, chacun avec nos spécificités, mais faisant tous partie de la population qui n'a pas accès aux mêmes droits que les autres », explique Sihame Assbague, qui défend l'idée d'une « coalition ».

Une idée déjà défendue par Mohammed Mechmache, fondateur de l'association collectif liberté, égalité, fraternité, ensemble, unis, (ACLEFEU), prônant une alliance entre universitaires et acteurs des quartiers populaires pour mieux se faire entendre (lire notre article). Ce dernier est encore de la partie, estimant que « ce qui réunit tout le monde ici, c'est l'idée de prendre le pouvoir en se prenant en main, face aux promesses trahies ». Candidat écolo aux européennes (en troisième position sur la liste Île-de-France), Mechmache ne tarit pas de critiques face à ceux qui « ont fait lever les salles sur les questions d'égalité pendant la campagne », et qui, finalement, n'ont « même pas sorti l'immigration et l'intégration du ministère de l'intérieur, comme sous Sarkozy ».

L'une des trois premières affiches dévoilées ce mardiL'une des trois premières affiches dévoilées ce mardi

Pour le porte-parole du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), Louis-Georges Tin, l'initiative « contrecarre le cliché selon lequel les associations n'ont pas d'humour, voire empêchent l'humour ». Comparant « les meilleurs scores de Hollande en 2012 » dans les Dom-Tom et la Seine-Saint-Denis, ainsi que le très fort vote musulman en faveur des socialistes, avec le fait que « neuf des dix villes les plus abstentionnistes aux dernières municipales se trouvent dans le 9-3 », Tin observe : « Avec les minorités, la gauche peut gagner. Sans elles, elle est condamnée à l'échec. »

En portant à nouveau le fer, et en tentant de faire unité entre discriminés, les « coalisés » n'ont pour l'heure pas réfléchi à d'autres actions. « La rapidité de la réaction des associations montre l'ampleur du malaise », indique toutefois Sihame Assbague, pour qui cette première action est « un signal à ceux qui nous gouvernent : nous ne sommes pas aussi divisés que vous le pensez. » Elle se lamente du sens donné par Hollande à la nomination du premier ministre : « Ce pouvoir ne gouverne que par les sondages. La popularité de Valls était déjà le principal argument donné aux ministres qui soutenaient le récépissé de contrôle d'identité. Mais à Matignon, il semble avoir rallié à lui deux de nos plus importants soutiens, Montebourg et Hamon, qui désormais se taisent sur ce sujet… »

Pour autant, elle nourrit encore quelques espoirs sur le successeur de Valls à l'intérieur, Bernard Cazeneuve. « Il a l'air beaucoup plus ouvert, dit-elle. Déjà, il est d'accord pour nous recevoir, ce qui nous a été systématiquement refusé jusqu'ici. » Comme l'humour, l'espoir fait vivre…

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Alstom : Hollande joue sa crédibilité industrielle

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François Hollande et Arnaud Montebourg peuvent pousser un soupir de soulagement. Mardi soir, le conseil d’administration d’Alstom leur a octroyé un léger répit, en décidant d’un délai de quelques semaines supplémentaires pour examiner et trancher définitivement entre les offres de reprise de sa branche énergie par General Electric (GE) et par Siemens. Mais si l’exécutif est parvenu à éviter une vente précipitée, dont il n’a été informé que par la presse, le chef de l’État et son ministre de l’économie jouent une nouvelle fois leur crédibilité en matière industrielle sur un dossier explosif.

On est désormais loin du scénario d’un dossier bouclé à fond de train en quelques jours, hypothèse qui semblait pourtant la plus probable à la fin de la semaine dernière, après la révélation des discussions en cours entre Alstom et General Electric par une dépêche de l’agence Bloomberg, jeudi 24 avril. Le conseil d'administration d'Alstom, le troisième en une semaine, n'a pas accepté immédiatement l’offre de GE. Il a certes annoncé une entrée en négociations avec l’industriel américain, mais Alstom multiplie les signes pour dire qu’il acceptera aussi d’examiner l’offre ferme de Siemens dès qu’elle sera déposée, l’Allemand n’ayant jusqu’à présent produit qu’une lettre d’intention.

Dans un communiqué, le groupe annonce annonce étudier « l'adossement » de sa branche énergie à l'américain General Electric, dont il a reçu une offre ferme de 12,35 milliards d'euros. Mais il ne ferme pas la porte à d'autres offres, notamment celle de l'allemand Siemens. Un comité ad hoc a été nommé afin d'examiner les offres de GE et de Siemens « d'ici à la fin du mois de mai ». Il est composé d'administrateurs indépendants et présidé par Jean-Martin Folz, l'ex-patron de PSA, un industriel reconnu qui a côtoyé Patrick Kron à la direction de Pechiney à la fin des années 1980.

« La procédure sera transparente et s’effectuera en toute sérénité. Le contraire, en somme, de la façon dont Vivendi a géré la vente de SFR à Numéricable », fait savoir un de ceux qui suivent le dossier. Bouygues, actionnaire principal d’Alstom avec plus de 29 % du capital, ne pouvait guère faire autrement qu’accepter cette procédure, tant il s’était plaint publiquement de l’opacité des moyens employés par Vivendi pour l’écarter de la vente de SFR.

Pour s’assurer que les deux offres seraient bien examinées, Arnaud Montebourg a même annoncé aux syndicats qu’il recevait mardi matin (mais sans que les représentants élus de l'entreprise ne soient conviés), qu’il saisissait l’Autorité des marchés financiers (AMF) afin qu’elle « donne instruction au conseil d’administration d’Alstom d’assurer l’égalité de traitement stricte, de contrôler la transparence du processus », selon un communiqué de Bercy. Une déclaration qui relève avant tout de l’opération de communication, puisque l’AMF n’a pas de pouvoirs particuliers dans ce dossier, qui n’est pas une offre publique d’achat d’actions (OPA).

© Reuters - Vincent Kessler

Depuis la publication de la dépêche Bloomberg, l’exécutif s’est démené pour empêcher une cession éclair. Dès jeudi, Patrick Kron, le PDG d’Alstom, a été convoqué par Montebourg à son arrivée à l’aéroport du Bourget en provenance des États-Unis. « Une entrevue très raide », dit-on à Bercy. Il a ensuite été reçu dans la soirée à l’Élysée par le secrétaire général adjoint, Emmanuel Macron.

Dimanche, c’est le président de la République qui est personnellement monté au front. Une réunion a eu lieu autour de lui avec le premier ministre Manuel Valls et les ministres concernés, Arnaud Montebourg (économie et redressement productif) et Ségolène Royal (écologie, développement durable et énergie). Lundi, Hollande a reçu les patrons de GE, de Siemens et de Bouygues – seul Patrick Kron manquait à l’appel.

À chacun de ses entretiens, selon l’Élysée, le chef de l’État a martelé qu’il n’allait pas soutenir telle ou telle offre, mais que « l’État allait regarder de très près, parce qu’Alstom est une entreprise stratégique ». « Pour le président, il y a trois points clés : la localisation des sites de production, le maintien des emplois et l’indépendance énergétique. Il leur a aussi dit qu’il fallait disposer du temps nécessaire pour que le conseil d’administration d’Alstom puisse faire un choix éclairé », explique-t-on à l’Élysée. Des propos pour partie prononcés publiquement lundi par François Hollande, à l’occasion d’un grand raout sur l’emploi à Paris.

Dans la roue de Hollande, Arnaud Montebourg s’est lui aussi attaché mardi matin à montrer aux syndicats qu’il ne soutenait pas particulièrement Siemens, malgré ses déclarations de la veille. « Le ministre a procédé à une analyse critique des deux offres, en pointant leurs forces et faiblesses respectives, se félicite le secrétaire général de la CFDT Métallurgie, Dominique Gillier. Il a acté que si l’une ou l’autre aboutissait, le groupe serait démantelé. » Mais alors que les organisations syndicales souhaitent que l’État rachète les parts de Bouygues et s’engage à sauvegarder l’intégrité d’Alstom, le ministre n’a pas évoqué cette option.  

L’activisme de l’Élysée et de Montebourg a donc surtout permis de gagner du temps. L’exécutif a en effet été pris de court par l’annonce des discussions entre Alstom et GE, les découvrant dans la presse. La chronologie des faits donne même l’impression d’un président de la République dupé par trois grands patrons (Patrick Kron, Martin Bouygues et Clara Gaymard, à la tête de GE France) qui, selon plusieurs sources, se sont bien gardés de le prévenir.

Les parties prenantes connaissent pourtant toutes très bien le chemin de l’Élysée et de Bercy. Patrick Kron et Arnaud Montebourg se voyaient régulièrement. À chaque fois, explique-t-on à Bercy, le ministre a interrogé le patron d’Alstom sur l’avenir de son capital. À chaque fois, il a juré que rien n’était encore au programme. Lors de leur dernière discussion, il y a un mois, « il a promis que ça ne bougerait pas », précise l’entourage de Montebourg. Selon la même source, Patrick Kron n’a même pas pris la peine de prévenir le ministre, lors de leur entretien de jeudi dernier, de la tenue, dimanche, d’un conseil d’administration du groupe (annulé depuis), censé valider la cession à GE.

Patrick Kron est certes un sarkozyste de cœur, et son combat entre 2003 et 2010 contre une alliance avec Areva (voulue par Bouygues et Sarkozy, mais combattue par Fillon) l’a vacciné des manœuvres d’appareil étatiques. Mais quand il s’agissait de demander un coup de main de l’exécutif pour obtenir un marché à l’étranger ou la relance de la commande de TGV par la SNCF, il n’a jamais hésité à décrocher son téléphone. Parmi les 34 plans industriels de Montebourg, deux concernent Alstom (le TGV du futur et une partie sur les énergies renouvelables), rappelle aussi le cabinet du ministre.

Quant à Clara Gaymard, la présidente de GE France, épouse de l’ex-ministre de l'économie Hervé Gaymard (UMP) et ancienne dirigeante de l'Agence française pour les investissements internationaux, elle n’a pas davantage prévenu François Hollande et Arnaud Montebourg. Elle a bien annoncé au ministre du redressement productif que la branche énergie d’Alstom l’intéressait. C’était à Washington en février, en marge de la visite officielle de François Hollande. Mais, selon un proche de Montebourg, elle avait promis que « rien ne se ferait sans (vous) prévenir ».

Un industriel au fait du dossier souligne que Martin Bouygues, troisième partie prenante, « répète depuis 18 mois aux ministres et à l’Élysée qu’il ne peut pas livrer deux combats à la fois, et qu’il doit d’abord défendre sa position dans les télécoms, menacée par la montée en puissance du quatrième opérateur », Free. Une version confirmée par l’exécutif. Le cabinet d’Arnaud Montebourg avait d’ailleurs commandé il y a plusieurs mois un rapport sur Alstom au cabinet Roland Berger, chargé de présenter des scénarios d’alliances. Mais le ministre était loin de se douter que les échéances étaient aussi courtes, et Bouygues ne l'a pas alerté sur ce point crucial.

Arnaud Montebourg s’est pourtant personnellement beaucoup impliqué dans le dossier SFR, où il a fermement défendu Bouygues. « De fait, personne n’a prévenu l’Élysée ou Montebourg que les discussions étaient en cours, assume l’industriel précédemment cité. Mais si l’info était arrivée jusqu’à un cabinet ministériel, elle aurait été dans la presse en deux heures, c’était impossible. On ne peut pas faire confiance aux politiques. » Le ministre de l'économie n'a pas caché son agacement devant les députés mardi : « Le gouvernement n'accepte pas le fait d'être informé un vendredi du fait qu'un fleuron national, qui vit de la commande publique, soit vendu le dimanche soir ! »

Le scénario fragilise en tout cas un président de la République déjà considérablement affaibli et qui a concentré toute sa politique sur la relance de l’économie par des aides massives et sans contrepartie aux entreprises. Son pacte de responsabilité de 30 milliards d’euros, contesté jusque dans les rangs du Parti socialiste, fait le pari qu’en restaurant la « confiance » avec les grands patrons, ils vont jouer le jeu et relancer l’activité et la création d’emplois. Le cas Alstom sonne comme un cinglant démenti.

La droite s’est logiquement engouffrée dans la brèche. Si François Fillon s’est surtout indigné de l’attitude des patrons d’Alstom et de Bouygues – « ce qui est insupportable dans cette affaire, c'est d'apprendre un vendredi qu'une entreprise va être vendue le dimanche » –, Jean-Pierre Raffarin a demandé : « La France est-elle pilotée ? Ce qui manque à la politique gouvernementale, c'est le sérieux. On décide de l'avenir d'un groupe en un week-end, sans stratégie. »

Englué dans un chômage toujours très élevé, l’exécutif joue avec Alstom, et ses 18 000 emplois en France, sa capacité à maîtriser l’économie, à se battre pour l’emploi et pour le redressement industriel du pays. En cas d’échec, les traces laissées peuvent être profondes. François Hollande et son gouvernement le savent. Ils l’ont déjà expérimenté en décembre 2012 avec l’épisode Florange, conclu par un « traîtres ! » lâché devant les caméras par le syndicaliste Édouard Martin (devenu depuis… tête de liste du PS pour les élections européennes).

Pour les ministres passés ou présents et leurs collaborateurs, l’épisode Florange fait figure de « traumatisme originel » du début du quinquennat, selon l’expression de plusieurs d’entre eux. À leurs yeux, Florange a symbolisé à la fois les profondes divisions au sein de la gauche sur l’hypothèse d’une nationalisation partielle, les détestations parfois vives au sein du gouvernement (Ayrault/Montebourg) et le fonctionnement en solitaire de François Hollande.

Alstom n’est pas Florange et Patrick Kron n’est pas Lakshmi Mittal. Mais le débat sur une nationalisation, au moins partielle et temporaire, est de nouveau posé : c’est le scénario qu’avait choisi Nicolas Sarkozy en 2003 (même si la sortie de l’État du capital d’Alstom, en 2006, s’est faite au détriment de l’entreprise), et c’est déjà la demande faite par certains syndicats, comme Force ouvrière, et par une partie de la gauche, à l’instar de Jean-Pierre Chevènement ou de Jean-Luc Mélenchon.

« On a tiré les leçons de Florange », jure-t-on dans l’entourage d’Arnaud Montebourg qui, sur Alstom, s’est bien gardé d’évoquer ouvertement la piste de la nationalisation. Cette fois, promis, tous les acteurs sont conviés en même temps aux réunions à l’Élysée et chacun a la même version des scénarios de l’exécutif… « La coordination est intense. Tout se fait ensemble », insiste-t-on à l’Élysée.

Arnaud Montebourg et Gerhard Cromme, président du conseil de surveillance de Siemens, le 28 avril.Arnaud Montebourg et Gerhard Cromme, président du conseil de surveillance de Siemens, le 28 avril. © Reuters - Philippe Wojazer

Il n’empêche : Alstom n’est pas une entreprise comme les autres. Le groupe, qui fabrique notamment les TGV et les turbines des centrales nucléaires, dépend largement de la commande publique pour des secteurs aussi stratégiques que le transport et l’indépendance énergétique.

Des représentants d’Alstom, et souvent son PDG, font systématiquement partie des délégations de chefs d’entreprise emmenées par le chef de l’État lors de ses visites à l’étranger. « Kron est toujours dans les bagages. C’est comme Siemens en Allemagne : ils font partie du patrimoine national. C’est ce qui perturbe le jeu aujourd’hui. Alstom est d’intérêt public et dépend de la commande publique, mais l’État n’en pas actionnaire… C’est un groupe qui n’est ni totalement privé, ni totalement public », dit un proche de François Hollande.

Pour le chef de l'État, le dossier renvoie aussi immanquablement à sa promesse de développer un « Airbus de l’énergie ». Lors de sa conférence de presse du 14 janvier, il avait même pris tout le monde de court en déclarant : « Nous sommes très fiers du résultat d’Airbus, exceptionnel, grande entreprise franco-allemande, mais pas simplement franco-allemande, européenne. L’idée, c’est de faire une grande entreprise franco-allemande pour la transition énergétique. »

L’Allemagne avait été peu réceptive et, quelques semaines plus tard, le ton était déjà plus mesuré. Lors du conseil des ministres franco-allemand du 19 février, il n’était plus question que de la création d’une « plateforme franco-allemande pour les partenariats industriels et technologiques », s’appuyant sur les coopérations entre les agences d’État et les organismes de recherche des deux pays. Et si Arnaud Montebourg et son homologue Sigmar Gabriel avaient déjà évoqué des pistes de coopération industrielle, Alstom ne faisait pas partie des scénarios envisagés.

Mais Berlin a saisi l’occasion et s’est dit très favorable à un rapprochement avec Siemens. Et pour cause : il renforcerait considérablement le géant allemand. Selon une source française, François Hollande et Angela Merkel n’en ont pas discuté. Arnaud Montebourg a en revanche téléphoné à Sigmar Gabriel pour lui expliquer la position française.

BOITE NOIREMise à jour mercredi 30 avril avec les annonces de la décision du conseil d'administration d'Alstom.

Toutes les personnes citées ont été interrogées mardi par téléphone.

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A l’Assemblée, le pacte de Manuel Valls passe de trente petites voix

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« Le premier ministre sonne la fin de la récré », gazouillait mardi matin une députée PS sur Twitter. Après avoir essuyé la plus véhémente rébellion parlementaire depuis deux ans, Manuel Valls a contenu l'hémorragie, mais il ne l’a pas empêchée : son plan d'économies de 50 milliards, contesté par une centaine de parlementaires, légèrement amendé après la levée de boucliers des députés PS, a été voté par 265 voix contre 232. Une majorité toute relative : 41 socialistes se sont abstenus. « C’est beaucoup… », lâchait, juste après le vote, ce cadre PS qui en attendait dix de moins.

Assemblée nationaleAssemblée nationale

Sans surprise, la droite a voté contre – seul l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Frédéric Lefebvre, a voté pour – et trois députés se sont abstenus (Jérôme Chartier, Arlette Grosskost et Fernand Siré). Le plus gros du groupe UDI (17 des 29 députés du groupe) a campé sur sa position d’une « abstention d’encouragement »

C’est la première fois depuis deux années de quinquennat Hollande qu’autant de députés PS s’abstiennent sur un texte majeur du gouvernement. En octobre 2012, 20 des 297 députés socialistes avaient voté contre le traité européen et 9 s'étaient abstenus. En avril 2013, l'accord emploi n'avait été voté qu'avec une majorité relative : 35 socialistes s'étaient abstenus, comme une grande partie de l'UMP et de l'UDI, 6 avaient voté contre. Un vote passé inaperçu, en pleine affaire Cahuzac, mais qui traduisait déjà les états d’âme du PS. 

Le 8 avril, 11 socialistes s'étaient abstenus sur le discours de politique générale de Manuel Valls.Le 8 avril, 11 socialistes s'étaient abstenus sur le discours de politique générale de Manuel Valls. © Reuters

Cette fois, toutes les tendances du PS sont concernées, et non plus la seule aile gauche. Parmi les abstentionnistes, on retrouve les aubrystes Pierre-Alain Muet, vice-président de la commission des finances, Christian Paul ou Jean-Marc Germain, pas vraiment habitués à la dissidence. Autres réfractaires : l'ancienne ministre Delphine Batho, le hollandais Philippe Noguès ou le “montebourgeois” Arnaud Leroy. Le Front de gauche, douze écologistes (sur dix-sept) et les trois chevènementistes apparentés au groupe PS ont voté contre. « Le discours du Bourget est dans le trou et on a refermé le caveau », déplore le communiste Nicolas Sansu. « Malgré les concessions, l’équilibre général de ce plan n’a pas changé et sa trajectoire est trop abrupte », a justifié Barbara Pompili, coprésidente du groupe écolo. 

Le détail du scrutin sur le site de l’Assemblée nationale

Les 41 socialistes qui se sont abstenus :

Seule consolation pour le gouvernement : aucun député PS n’a voté contre – trois d’entre eux se sont ravisés dans la journée. Il faut dire que le gouvernement a tout fait pour réduire la contestation.

Mardi matin, lors de la réunion des députés PS, le premier ministre a montré ses muscles. « Il était hyper autoritaire, on entendait les mouches voler », raconte un élu. Valls s’en est pris au « pilonnage » médiatique des frondeurs socialistes. Et a usé d’un argument massue, dans la pure tradition de la Cinquième République : ce scrutin (consultatif) est un vote de confiance, trois semaines à peine après le premier. « C'est un moment décisif. À vous d'assumer la majorité », a-t-il lancé

Dans l'hémicycle, quelques heures plus tard, Valls a poursuivi dans la même veine. « Ce gouvernement ne demande pas de vote “à blanc”, “juste pour voir”, une indication, un message. Le résultat du vote conditionne à la fois la légitimité du gouvernement, sa capacité à gouverner avec sa majorité, et surtout la crédibilité de la France. » Pression maximale. Face à une majorité dubitative, Valls a défendu son plan d’économies, « calibré pour assurer le respect de nos engagements, bien réparti et juste ». « Qui veut gouverner doit choisir, assure-t-il, ressuscitant la formule de Pierre Mendès France lors de son discours d’investiture, en 1953. Préparer l’avenir, ce n’est pas l’austérité. » Le discours est poliment applaudi dans les rangs socialistes. À la fin, environ une quarantaine de députés évitent de se lever ou d’applaudir. 

Pendant ce temps, les hésitants sont travaillés au corps. Jean-Jacques Urvoas, un proche de Valls, croit bon de qualifier les frondeurs de « djihadistes », qui « se promènent avec une ceinture d’explosifs autour de la taille ». Le nouveau ministre des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, poursuit les apartés et les coups de fil qu’il multiplie depuis des jours. Pas toujours très efficaces à en croire ce parlementaire : « Il m’a appelé, ça a duré 45 minutes, lui a parlé 44 minutes ! » « Le Guen, c’est le candidat qui fait du porte-à-porte, et dont tu dis : “Ouf, heureusement qu’il est passé, j’ai failli voter pour lui” », dit un autre. À chacun, le ministre a en tout cas passé ce message : sans un “oui” massif, une crise de régime ou une dissolution de l'Assemblée nationale menacent.

Chargé des élections au PS, Christophe Borgel, s’y colle aussi. De même qu’Yves Colmou, conseiller spécial de Manuel Valls, un très bon connaisseur des élus locaux. « Ils mettent une pression terrible », glisse un parlementaire. « Plus ils me chauffent, plus je vais finir par voter contre ! » lance dans l’après-midi Pascal Cherki (aile gauche). Pour convaincre les parlementaires, Borgel leur sert en aparté un argument massue : « Il faut soutenir Valls, il est le seul capable de tenir tête à François Hollande. » Preuve, au passage, du rejet grandissant que le chef de l’État suscite dans la majorité. 

Pendant près d’un mois, la centaine de députés mécontents (des élus de l’aile gauche, des aubrystes, des proches d’Arnaud Montebourg, etc.) ont tenté d’obtenir une réduction du plan d’austérité de 50 milliards d'euros, plus de contreparties au pacte de compétitivité de François Hollande, des mesures en faveur du pouvoir d’achat. D’abord hostile, le gouvernement a finalement lâché un peu de lest lundi (lire ici) en direction des petits salariés, des retraités qui touchent moins de 1 200 euros par mois. Sans pour autant baisser le montant de l’ardoise. Pas de quoi satisfaire une partie des mutins. « La question de fond est politique. Les concessions du premier ministre sont symboliques. Cette politique nous mène dans le mur, elle n’est pas bonne pour le pays, elle n’est même pas bonne électoralement », déplore Mathieu Hanotin, un proche du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.  

« Il y a eu des avancées, mais elles sont dérisoires. Ce n’est ni le moment, ni le montant opportun », assure Nathalie Chabanne, de l’aile gauche. « Je m’abstiens pour ces Français qui veulent que la gauche les protège et fasse des choix justes. Ce n’est pas un vote de défiance, mais un message d’alerte », explique Christian Paul. « Ce vote, c’est un bon signe compte tenu des pressions, se félicite Laurent Baumel, ex-strauss-kahnien, un des animateurs de la contestation. On aurait été nettement plus sans toute cette dramatisation. »

Il y a trois semaines, onze socialistes s'étaient abstenus lors du vote de confiance à Manuel Valls, une première sous la Cinquième République. En trois semaines, trente socialistes de plus ont basculé vers l’abstention. « Ce n’est que le début de l’histoire. Il faudra désormais négocier avec la majorité à chaque vote », assure un cadre socialiste. Sur les grands textes, les majorités absolues semblent désormais appartenir au passé.

Dès juin, une partie du pacte de responsabilité sera examinée par les députés. « Nous veillerons à ce que les baisses de prélèvements (prévues dans le pacte de compétitivité – ndlr) soient assorties de contreparties », promet déjà Christian Paul. Manuel Valls n’en a pas fini avec sa majorité, qui commence à goûter la liberté de parole. Voire sa liberté de vote. 

La droite, elle, a massivement voté contre le plan Valls. « Il y a une tradition républicaine : quand on est dans l’opposition, on ne vote pas les mesures budgétaires de la majorité », explique l’UMP Dominique Bussereau. Sur le fond, l’opposition s’est pourtant montrée particulièrement silencieuse depuis une semaine au sujet des 50 milliards d'économie. Nul n’est vraiment monté au créneau pour les critiquer jusqu’à ce mardi. Embarrassée par le virage social-libéral annoncé par François Hollande en janvier, l’UMP campe sur une position d’opposition pure et simple.

Au cours de la réunion du groupe matinale, seul le filloniste Jérôme Chartier a pris la parole pour expliquer qu’il ne se voyait pas voter contre, estimant l’analyse du premier ministre « bonne », mais pas assez audacieuse. « Elle est similaire à celle qui avait été proposée dans le programme de rigueur présenté par François Fillon et Nicolas Sarkozy en novembre 2011 », a expliqué le député au Monde

D’aucuns à l’UMP ont vu là une stratégie des fillonistes pour « se trouver une spécificité » au sein du parti. Des spéculations auxquelles l’ancien premier ministre a coupé court en déclarant qu’il voterait « contre » le pacte de responsabilité pour ne pas être « complice » d’un plan qui « n’atteindra pas ses objectifs ». Comme bon nombre de parlementaires de droite, Fillon a toutefois noté « un progrès incontestable » par rapport à la politique menée par Jean-Marc Ayrault. « Il (Manuel Valls) essaie de réparer les erreurs économiques et financières qui ont été commises ces deux dernières années », a-t-il affirmé. 

L’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy en a d'ailleurs profité pour rappeler les « deux plans d’austérité » réalisés par ses soins. Le second comprenait notamment l’anticipation du passage à 62 ans de l'âge légal de départ en retraite. Une mesure que l’opposition continue de défendre, comme, plus largement, l’ensemble du bilan du précédent quinquennat qui a pourtant vu l’endettement public s’accroître de 600 milliards d’euros, selon la Cour des comptes.

Parmi les députés UMP “hésitants”, figurait également l’ancien ministre Benoist Apparu, qui a fini par trancher lundi. « Il y avait jusqu’alors un certain nombre de mesures similaires à ce que nous avions fait, malgré quelques petites nuances, dit-il. Pour une fois que nous allions dans une direction correcte, qui allait dans le sens des réductions publiques, je ne voulais pas être manichéen. Mais Valls a finalement choisi de raboter les seules mesures qui avaient été précisément chiffrées. » Le député de la Marne a finalement voté contre

À l’Assemblée nationale, Copé a livré mardi un véritable réquisitoire contre la politique gouvernementale. Le matin même, il avait plaidé devant le groupe UMP en faveur d’une opposition unie, condition sine qua non, selon lui, pour adresser un signal fort aux électeurs, après plus d’un an de divisions internes. Dès lors, chacun a déroulé devant les caméras de télévision un seul message : reconnaître une faible avancée des propositions socialistes, tout en regrettant « le manque de réformes structurelles » et « les hypothèses de croissance farfelues émises par le gouvernement ».

D’après Copé, ce ne sont pas 50 milliards d’économies qu’il faudrait réaliser, mais 130, chiffre directement inspiré du projet économique et social de l’UMP, qui prévoit une série de mesures radicales telles que la fin des 35 heures, la retraite à 65 ans ou la remise en cause des indemnités chômage. Adopté fin janvier, ce projet d’alternance a été critiqué par Alain Juppé, François Baroin et Nathalie Kosciusko-Morizet« Tant que nous ne serons pas dans une élection présidentielle, les Français ne s’intéresseront pas à ce que l’opposition propose, reconnaît Dominique Bussereau. Le projet de l’UMP est un socle provisoire, mais il n’est pas opérationnel. Nous ne sommes pas obligés d’entrer dans le détail programmatique. »

Les députés UDI ont choisi, eux, une tout autre stratégie. Souhaitant rester dans une « opposition constructive », ils se sont en majorité abstenus mardi. Seuls 7 d’entre eux ont voté contre le plan Valls (contre 3 votes pour et 17 abstentions). Le président par intérim de l’UDI Yves Jégo avait déjà souligné dans Le Journal du dimanche « la bonne nouvelle » du pacte de responsabilité. « Valls, c’est l’anti-Ayrault, mais il ne va pas au bout du courage », a affirmé à son tour Philippe Vigier, président du groupe UDI à l’Assemblée nationale : « Il faut aller plus vite, réaliser de véritables réformes structurelles et briser les lignes habituelles du parti socialiste. » 

Vigier en est convaincu : « Cette absence de courage engendrera une nouvelle cure d’austérité dès juin 2014. » L’UDI a de son côté proposé un « contre-pacte » de 80 milliards d'économies, prévoyant notamment le rétablissement des 39 heures, la réduction des effectifs des fonctionnaires et la restructuration des collectivités locales. Le parti centriste se voit déjà constituer pour les votes futurs un réservoir de voix pour un Manuel Valls en difficulté. Pour l’heure, celui-ci rejette l’hypothèse. Pour combien de temps ?

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Axa : quand le ministère du travail sanctionne un lanceur d'alerte

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En dépit des déclarations répétées du gouvernement assurant de sa volonté de protéger les lanceurs d’alertes, les faits peinent à suivre. Stéphane Legros, cadre commercial d’Axa et salarié protégé en tant que syndicaliste CFDT, en fait la cruelle expérience. Pour avoir dénoncé certains agissements du groupe d’assurances, il vient de se voir confirmer le 18 avril son licenciement, bien que, dans un premier temps, l’inspection du travail s’y soit opposée.

Sa faute ? « Avoir manqué à ses missions professionnelles, notamment en s’abstenant de participer à plusieurs séances de formation ; avoir des résultats commerciaux nettement insuffisants en raison d’une inexécution délibérée de ses obligations contractuelles ; avoir manqué à ses obligations de loyauté en diffusant à l’extérieur de l’entreprise une lettre ouverte à la presse française accompagnée de documents internes à la société, avec la tenue de propos excessifs, injurieux voire diffamatoires à l’encontre de la société. »

Le dernier grief est le plus important, semble-t-il. Car le contentieux qui oppose Axa à son salarié dure depuis plusieurs années. Mais c'est parce que Stéphane Legros a parlé à Mediapart que le groupe a exigé son licenciement, selon son avocat, Thierry Billet (lire Menacés de licenciement pour avoir parlé à Mediapart). Le fait que les pratiques du groupe, qu’il dénonçait en interne, soient exposées au grand public a déclenché les foudres de son employeur.

Axa lui reproche « d’avoir violé son obligation de discrétion et de réserve » en « ayant communiqué aux journalistes la note d’information reprenant les conditions générales du contrat Euractiel (contrat d’assurance-vie), le guide retraite, des extraits du power point formation Euractiel et guide de rémunération, le descriptif technique Euractiel, etc. ». Pour le groupe Axa, tout cela relève d’une déloyauté caractérisée.

En quoi diffuser les termes d’un contrat d’assurance-vie censé être vendu auprès de milliers de souscripteurs est-il gênant ? Faut-il donc croire qu’il vaut mieux le laisser dans un certain brouillard ? Il est vrai que ce contrat d’assurance-vie pose problème (lire notre article Quand Axa se place au-dessus des lois). Il continue à prendre des frais précomptés – c’est-à-dire à prélever les frais de gestion en une seule fois sur un contrat censé durer dix ans, ce qui diminue l’investissement initial quasiment de moitié –, alors que la loi depuis la réforme de 2005 interdit cette pratique, jugée trop préjudiciable pour les souscripteurs, selon les législateurs.  

Lors de notre enquête, Philippe Marini, auteur de cette réforme, et aujourd’hui président de la commission des finances du Sénat, confirmait le sens à donner à son amendement : « Il s’agissait bien d’en finir avec les mécanismes des frais précomptés dans les contrats d’assurance-vie », déclarait-il alors. « L’amendement, qui a été adopté à mon initiative, plafonne à 5 % la diminution des valeurs de rachat par imputation sur celles­-ci des frais d’acquisition du contrat. Cela revient à interdire de facto les contrats dits “à frais précomptés” (…) », répétait-il dans Le Dauphiné libéré. Axa assure que son contrat est parfaitement légal.

C’est par hasard que Stéphane Legros, avec un de ses collègues, Alain Arnaud, lui aussi menacé de licenciement, a découvert l’illégalité de ce contrat. En juin 2009, Stéphane Legros, qui travaille chez Axa depuis trois ans, démarche un couple et leur fait signer un contrat Euractiel. Ses supérieurs le félicitent en découvrant le nom du souscripteur : il s’agit du sénateur UMP de Haute-Savoie, Jean-Claude Carle, aujourd’hui vice-président du Sénat.

Ce contrat, vu d’abord comme un succès, se transforme en boulet. Les services centraux qui doivent homologuer le contrat refusent de le faire. Motif avancé : « Il m’a été expliqué que le parlementaire pouvait nous causer des ennuis, en raison de ses nombreuses relations », raconte Stéphane Legros. Non seulement le contrat est annulé, mais Axa, en plus, lui reproche auprès de ses clients comme en interne, d’avoir fait une faute.

Stupéfait de ce revirement, Stéphane Legros décide de comprendre ce qui lui arrive. Il enquête avec son collègue et découvre, à force de recherches, la vérité : le contrat Euractiel ne devrait plus être commercialisé depuis 2007. Il n’est plus conforme à la loi. Il alerte sa direction, mais se heurte à un mur. Dès lors, les relations s’enveniment. Stéphane Legros et Alain Arnaud sont mis à l’écart. La direction diminue leur territoire, monte leurs objectifs, leur impose toujours plus de contraintes.

De leur côté, les deux syndicalistes s’installent dans une guerre de tranchées. Ils exigent le respect des dispositions sociales. Surtout ils mettent en garde leurs collègues sur ce danger : leurs responsabilités sont en jeu. Ils préviennent les pouvoirs publics, écrivent au ministre des finances, Pierre Moscovici, et au président du Sénat, Pierre Bel, à l’Élysée. Mais rien ne bouge. Alors, ils alertent la presse.  

Dans ces attendus pour refuser le licenciement de Stéphane Legros, l’inspection du travail relevait qu'une absence à quatre journées de formation – alors qu’une fois, il était en vacances, et une autre il avait signalé son impossibilité de s’y rendre – était « un grief d’une gravité insuffisante pour justifier un licenciement ». Elle ajoutait que « l’insuffisance de résultats ne peut constituer à elle seule une cause réelle et sérieuse de licenciement », en se demandant si les objectifs étaient réalistes.

Mais l’inspection du travail s’étendait surtout sur le troisième point. Pour elle, la démarche de Stéphane Legros pouvait être considérée de « bonne foi » ; « d’une part, écrivait-elle, son signalement ne contient pas d’informations mensongères (Axa conteste les conclusions de son analyse mais n’indique pas qu’il présente des informations ou des éléments matériels inexacts), d’autre part, poursuivait-elle, parce qu’aucune décision administrative ou judiciaire n’a à ce jour tranché la licéité du produit Euractiel, cette problématique reste donc en suspens ». Pour finir, la décision de l'inspection du travail signifiait que les documents internes transmis ne pouvaient dans leur ensemble être considérés comme une violation de la confidentialité, « l’entreprise devant définir précisément quels documents avaient un caractère confidentiel ».

Saisi par Axa, qui contestait cette décision, le ministère du travail a invalidé tous les arguments de l’inspection du travail. Le harcèlement moral dont se dit victime Stéphane Legros est « une allégation qui n’est étayée par aucun fondement ». Quant aux objectifs « déterminés dans le cadre d’une négociation collective, ils doivent être considérés comme réalistes . (…) Leur non-respect est donc bien de nature fautive ».

La plus longue explication revient naturellement sur la publicité faite autour du contrat Euractiel. « Le caractère illicite de ce contrat n’a été reconnu par aucune juridiction », est-il écrit. Avant de poursuivre : les envois à la presse « revêtent un caractère diffamatoire par la nature des propos tenus à l’encontre de la société et de ses dirigeants ». Pour conclure que la divulgation de documents internes est une violation du règlement intérieur. « Les faits établis sont d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement, notamment au regard du caractère délibéré et systématique de son attitude d’opposition en dépit des mises en garde successives, et de son atteinte à l’image de l’entreprise », tranche le ministère du travail.

Un petit détail de procédure, cependant, titille l’esprit. Le 22 avril, le fonctionnaire chargé du dossier adresse un courriel à Axa pour lui demander des précisions sur le dossier. « Suite à notre rencontre du 14 février 2014, le ministère du travail souhaite savoir si l’arrêt d’appel (de la cour de Chambéry suite à une plainte de Stéphane Legros pour harcèlement moral et pour faire trancher la légalité du contrat Euractiel) a fait l’objet d’un pourvoi en cassation », écrit-il. « Pour la bonne règle et le respect du contradictoire, merci de répondre à tous », précise-t-il. La procédure d’examen semble donc être toujours en cours.

D’ailleurs, une responsable d’Axa lui répond le jour même : « En réponse à votre mail de ce jour, je vous confirme que Monsieur Legros a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 24 mail 2012. Vous trouverez en pièce jointe la copie de l’arrêt de non admission du 23 octobre 2013 (la Cour de cassation a refusé de trancher sur la légalité du contrat Euractiel). »

Mais pourquoi demander encore des pièces de procédures et des éclaircissements sur le dossier, alors que celui-ci est censé avoir été tranché ? La décision d’autorisation de licenciement de Stéphane Legros signée par le directeur général du travail est datée du 18 avril, soit quatre jours auparavant. Elle lui sera notifiée le 23 avril.

Les dates ont leur importance. Selon la loi, le recours hiérarchique pour contester la décision de l’inspection du travail dans le cas d’un licenciement d’un salarié protégé doit être formé dans les deux mois de la notification. Le ministre doit prendre sa décision quatre mois après sa saisine. Si le ministre ne répond dans les quatre mois, cela signifie qu'il a implicitement rejeté le recours. La décision de l'inspecteur du travail est alors considérée comme confirmée.

Axa a déposé son recours hiérarchique auprès du ministère du travail pour contester la décision de l’inspection du travail de ne pas autoriser le licenciement de Stéphane Legros le 20 décembre. Le ministère du travail avait donc jusqu’au 20 avril pour trancher, sinon la décision de l’inspection du travail s’imposait.

Que faut-il penser de tout cela ? Pourquoi la procédure se poursuit-elle, alors que le dossier a été arbitré ? Aurait-on cherché à cacher une erreur ? Y aurait-il eu quelque influence ? Joint par mail, le fonctionnaire à qui nous avons adressé ces questions nous a répondu qu’il lui était impossible de répondre, en invoquant le secret professionnel. Le directeur chargé des recours hiérarchiques n’a pas retourné notre appel.

En attendant, Axa poursuit son chemin. Son nouveau contrat d’assurance-vie, Composium est la copie conforme du précédent, avec les mêmes frais précomptés. À plusieurs reprises, des clients ont averti différents services de l’administration, ont écrit à des parlementaires. Sur plusieurs forums consacrés au patrimoine, certains ont dénoncé les risques de ce contrat. Mais rien n’y fait. L’administration des finances est muette. La justice refuse de se prononcer sur la légalité de ce contrat. Et maintenant, le ministère du travail sanctionne les lanceurs d’alerte. Axa est décidément très puissant.

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Rythmes scolaires: « On prend tout par le mauvais bout ! »

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Alors que la réforme des rythmes scolaires – aujourd’hui appliquée seulement dans près de 4000 communes – doit être généralisée à la rentrée prochaine, ce projet phare du gouvernement continue de susciter interrogations et inquiétudes.

Benoît Hamon vient de présenter aux partenaires sociaux un projet d’assouplissement du décret Peillon. L’objectif affiché par le nouveau ministre de l’éducation nationale, après une année de crispations multiples autour d’un dossier dont la gestion a coûté son poste à son prédécesseur, est essentiellement de répondre aux difficultés de beaucoup de communes à organiser ces nouveaux temps scolaires. Auditionné ce mercredi 30 avril par la commission d’information sur les rythmes scolaires du Sénat, Benoît Hamon a expliqué qu’il était temps désormais de « tenir compte de la réalité et ne pas être dans le déni » quant aux difficultés rencontrées sur le terrain.

Précisant que son prochain décret viendrait compléter le décret Peillon, et certainement pas s’y substituer, il a affirmé que les maires qui, à l’instar de Jean-Claude Gaudin à Marseille, menaçaient de ne pas appliquer la réforme, se mettraient dans une forme « d’impasse ». Il n’a néanmoins pas répondu aux craintes concernant la pérennisation du fonds d’amorçage, expliquant simplement que « plusieurs scenarii étaient à l’étude » mais que, quoi qu'il en soit, les activités périscolaires étaient facultatives (et donc leur financement aussi, sans doute).

À la veille d'une généralisation de la réforme, Mediapart a voulu interroger la chronobiologiste et psychologue de l’éducation Claire Leconte sur le regard qu'elle porte sur sa mise en œuvre jusque-là. Cette chercheuse, l’une des meilleures spécialistes du sujet, qui sillonne depuis près de deux ans le pays à la demande des maires ou des enseignants pour expliquer la nécessité d’une réforme, est aussi très critique sur la manière dont celle-ci a été concrètement menée.

Benoît Hamon vient de publier un nouveau décret sur les rythmes scolaires qui revient, plutôt à la marge, sur le décret Peillon. Comment le jugez-vous ?

Un assouplissement était absolument nécessaire au vu de certaines difficultés d’organisation mais j’attendais que le nouveau ministre comprenne qu’il fallait entrer dans ce sujet par une tout autre logique que celle qui a prévalu jusque-là. La question des rythmes n’est pas qu’une logique d’emploi du temps, avec des grilles horaires, mais une logique de construction de projet éducatif global qui doit permettre d’associer tous les partenaires. Il me semble qu’on prend tout par le mauvais bout, au lieu de se poser les bonnes questions au départ.

Je regrette donc que ce nouveau décret reste dans une logique quantitative d’un nombre d’heures à remplir dans des horaires très cadrés avec l’unique ambition de faire un cadeau aux maires en permettant de libérer un après-midi. Entendons-nous bien, je ne suis pas du tout contre, j’ai au contraire défendu cette solution depuis longtemps, mais il me semble que la réforme doit avoir de plus grandes ambitions.

Et de nouveau cela n’est pas du tout le cas puisque l’on n’entend pratiquement plus parler de PEDT (projet éducatif de territoire), qui n’apparaît même plus comme nécessaire pour expérimenter une forme d’organisation. Il y est certes, mais de manière optionnelle. Alors qu’avant, dans le décret Peillon, pour demander des dérogations, il fallait que cela s’inscrive dans des PEDT, ce qui, d’ailleurs, avait fait reculer des maires sur certaines demandes de dérogations.

Enfin je m’interroge sur ce qu’il reste véritablement du projet de refonder l’école, dont cette réforme devait être un levier. En ce qu’elle touche tout le monde, elle devrait être traitée en interministériel parce qu’elle touche aussi aux temps de travail, à la santé, à la famille. Il faut rester ambitieux.

Par ailleurs, le décret continue de rigidifier les organisations en découpant la semaine en demi-journées (le décret pose un découpage en huit à neuf demi-journées), qui plus est, elles-mêmes bornées plus encore que dans le décret Peillon, ce qui ne s’était plus fait depuis Jules Ferry et 1887. Cela entraîne que, concrètement, une organisation qui fonctionne depuis 17 ans à Lille, organisation sur 5 jours avec 5 longues matinées, deux après-midi d’enseignements et deux après-midi consacrés aux parcours éducatifs est hors décret. Cela fait vingt-quatre ans que les écoles de Munster, Épinal, Moulins sont organisées sur ce modèle et que tout le monde est très satisfait.

Quel bilan faites-vous de la mise en place du décret Peillon dans les communes qui l’ont mis en œuvre depuis presque un an ? Tout cela a semblé parfois très chaotique.

Dans le mois qui a suivi la rentrée, j’ai eu effectivement des appels à l’aide de parents, d’enseignants, qui me disaient leur amertume par rapport à ce qu’on avait pu leur présenter comme une réforme menée « dans l’intérêt de l’enfant ». Je me souviens d’un père de famille, à côté d’Amiens, qui souhaitait que je lui rédige un argumentaire pour le maire de sa commune qui disait s’appuyer sur des travaux de chronobiologistes pour faire une longue pause méridienne. Ses jeunes enfants étaient épuisés, pleuraient et ne voulaient plus aller à l’école !

Allonger la pause méridienne permettait au maire de garder les mêmes animateurs que pour la cantine et de ne pas investir davantage. Donc les enfants se retrouvaient à avoir deux heures quarante-cinq, au milieu de la journée, à s’énerver et se bousculer dans la cour de récréation. C’est totalement absurde puisque la pause de midi est un temps qui doit être aménagé le mieux possible ! Voilà un exemple, mais il y en a des centaines de ces aberrations qui ont pu être développées.

D’autre part, personne ne peut dire précisément s’il y a eu des améliorations là où la réforme s’est appliquée puisqu’on n’a pas pris la précaution de faire un diagnostic de base : fatigue des enfants, qualité de vie professionnelle des enseignants, qualité des activités, etc. On fonctionne sur un niveau de satisfaction qui, parfois, se résume pour les maires à dire je suis content d’avoir un adulte devant mon groupe d’enfants. Sans parfois se préoccuper de la taille du groupe d’enfants. J’ai découvert des groupes de 28 enfants. C’est illégal mais qu’importe ! Ils n’ont simplement pas le financement de la CNAF (Caisse d’allocation familiale).

Depuis le début, cette réforme cristallise des oppositions, des crispations, des tensions entre les maires, les enseignants, les parents. Le ministère n’est-il pas condamné sur un tel sujet à des formes de compromis forcément décevantes alors que les intérêts sont parfois divergents ?

D’abord, je voudrais dire que ceux que l’on dit être le plus opposés à la réforme des rythmes, à savoir les enseignants et a fortiori le Snuipp-FSU, ne le sont en fait pas. Je suis intervenue dans pratiquement tous les départements de France depuis deux ans. Ce que j’ai pu constater et je n’ai cessé de le dire à M. Peillon et son entourage, c’est que les enseignants n’avaient qu’une envie, c’est qu’on les écoute enfin. Pour beaucoup, ce sont des enseignants en burn out, en épuisement professionnel. Ils ont été laminés pendant des années, on n’a pas arrêté de leur envoyer des injonctions contradictoires, de les infantiliser. Ils attendaient donc de ce nouveau gouvernement qu’on les écoute à nouveau. Il fallait qu’ils soient assurés de la confiance qu’on a en eux et de l’apport du ministère pour les aider à réfléchir à d’autres pratiques pédagogiques.

Ils ont des envies de changement, de travailler autrement et je le dis fermement parce que je suis sans arrêt en contact avec eux et que ces enseignants me demandent, là où je suis déjà intervenue, d’y retourner parce qu’ils ont envie de travailler autrement.

L’opposition parfois frontale à la réforme a néanmoins surpris puisqu’il y a eu de longues négociations en coulisse avec les organisations syndicales sur le sujet, pendant la campagne, puis une concertation à l’été. Les rapports sur la nécessité de changer les rythmes se sont aussi accumulés depuis des années.

Évidemment, mais les gens de la base n’étaient pas du tout associés à tout cela. Sur le terrain, je n’ai pas vu cette opposition chez les enseignants mais des attentes importantes pour pouvoir changer, évoluer pour revenir sur certaines pratiques qu’ils utilisent malheureusement parfois depuis des années.

Et notons aussi que la nécessité affichée de « changer les rythmes » est apparue alors même que l’école fonctionnait sur 4 jours et demi. Ce ne sont donc pas les 4 jours seuls qui mettent à mal l’école.

Je l’avais dit lors de la concertation de l’été. J’avais dit, prenez le temps, que tout le monde s’approprie les connaissances qu’on doit avoir pour mieux respecter le rythme des enfants. J’ai vu des dizaines de milliers de personnes au cours de ces deux dernières années. Ce sont des connaissances que personne n’a et cela aurait permis d’éviter les aberrations que l’on a vu se mettre en place.  

C’est-à-dire ?

Je crois fondamentalement qu’il n’y a aucune confiance dans les enseignants. On le voit bien lorsque le ministère se crispe sur un découpage en neuf ou huit demi-journées. Je ne peux y voir qu’une forme de volonté de caporalisation. Quand Jules Ferry avait proposé un découpage en demi-journée, c’était pour s’assurer de la présence des enfants en classe mais aussi des enseignants, en 1887... En 2014, on pourrait espérer qu’on passe à autre chose. Or je vois que le ministère reste obsédé par l’idée que les enseignants arrêtent l’école le vendredi midi. Mais dans ce cas, qu’il encourage l’école le samedi matin, comme le préconisent d’ailleurs la majorité des chronobiologistes. Le mercredi, les centres de loisirs explosent littéralement et les parents récupèrent des enfants fort fatigués. De plus le samedi coûte moins cher à la commune puisqu’il n’y a pas de restaurant scolaire et le long week-end est le plus dérégulateur du rythme veille-sommeil.

Je défends de longue date une organisation du temps scolaire avec de longues matinées – sur cinq jours du lundi au samedi, ce qui permet de dégager des après-midi pour les activités périscolaires, comme cela se fait à Lille depuis 1996.

Personne n’a envie de changer : les parents sont rassurés, les enseignants ont une qualité de vie professionnelle – ils apprécient d’avoir des après-midi pour se réunir, d’avoir le temps de faire de la recherche documentaire –,  les animateurs aussi, les enfants sont ravis et en plus ils ont progressé.

Vous dénoncez aussi une forme d’illusion ministérielle autour de cette réforme ?

Je rappelle que les mauvais scores de PISA sont le résultat d’apprentissages premiers faits avec la semaine de quatre jours et demi et les programmes de 2002. C’est important ça, quand même. Qu’on ne vienne pas dire que le seul fait de revenir à quatre jours et demi et de changer les programmes va subitement faire qu’ils vont mieux travailler.

Moins longtemps en classe, oui mais vont-ils se reposer en garderie ? Freinet n’a cessé de rappeler que lorsque l’enfant est actif dans ses apprentissages, il peut rester concentré deux à trois heures. On se plante en ne parlant que de quantitatif.

Là, on met en place des cases vides et puis on remplit. Non, il faut d’abord se demander quel contenu et pour quoi et comment faire. On fait l’inverse. Je le dénonce depuis longtemps.

Par exemple, le matin, faire entrer les enfants dans la classe tout de suite plutôt que de les laisser s’énerver 15 minutes dans la cour de récréation puis se bousculer dans les escaliers, etc. Ceux qui ont essayé ne veulent plus changer. Chaque enfant arrive calmement dans la classe. On ne crie pas. Temps de transition véritable mais calme. On ne commence pas par un problème de maths ou une dictée mais par une activité pédagogique qui leur permette de se mettre en route. À partir de là, on perd beaucoup moins de temps. On a des enfants plus disponibles. La récréation ne doit pas non plus être utilisée comme une soupape de la cocotte-minute quand les élèves sont énervés. Il vaut mieux prendre deux minutes pour les relaxer avant de partir en récréation ou sinon ils s’énerveront beaucoup plus. C’est seulement quand ils sont détendus qu’ils pourront profiter véritablement de la récréation. De même, il est indispensable de répéter aux familles que la régularité du rythme veille-sommeil est capitale ainsi que la prise de petit-déjeuner avant d’entrer en classe, mais est indispensable aussi la formation de tous les professionnels qui encadrent les enfants tout au long de la journée pour éviter de nombreuses erreurs éducatives.

Comprenez-vous la fronde des maires qui menacent de ne pas appliquer la réforme qu'ils jugent non financée ?

Ce que j’entends beaucoup, c'est : "Quand il n’y aura plus le fonds d’amorçage, qu’est-ce qu’on va faire ?" C’est une vraie question. On est en train de vider certaines réserves à l’heure actuelle. Ceux qui arrivent découvrent qu’ils ne tiendront pas la route financièrement. La ville de Tourcoing qui a basculé est en train de se poser un certain nombre de questions. Le travail financier, semble-t-il, n’est fait que jusqu’en décembre. Ils ont prévu d’interroger la population pour savoir si la réforme est souhaitée ou pas.

De grandes villes disent qu’elles vont être en souffrance et rencontrent de vrais problèmes de recrutement. Et nombreuses sont celles qui s’interrogent sur l’intérêt réel que cela représente pour les enfants, d’autant qu’aucun projet éducatif n’a été construit.

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Le gouvernement a un mois pour éviter le démantèlement d'Alstom

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Un mois. Un tout petit mois. C’est le répit qu’a accordé le conseil d’administration d’Alstom au gouvernement pour trouver une solution ou au moins un compromis acceptable sur l’avenir du groupe, de ses salariés, de ses usines. Le conseil, toutefois, n’a pas changé d’analyse : il soutient à l’unanimité la solution de reprise de la branche énergie par General Electric et les 12,3 milliards d’euros d’argent frais qui vont avec. Le conseil d’Alstom s’est toutefois engagé à examiner toute autre proposition qui lui serait présentée.  

Siemens a fait parvenir une seconde lettre d’intention dans laquelle il présenterait une proposition « plus acceptable » : en échange des actifs d’Alstom dans l’énergie, il ne proposerait plus seulement son activité en difficulté dans les trains à grande vitesse mais aussi dans les trams et les métros. Un comité ad hoc, emmené par Jean-Martin Folz, ancien de Pechiney tout comme Patrick Kron, a été formé pour étudier les offres.

Entre le conglomérat américain et l’allemand Siemens, de toute façon, le choix n’est guère réjouissant. Quel que soit le repreneur, au stade actuel et compte tenu des solutions proposées, Alstom est appelé à être démantelé.

« C’est désolant. Alstom est une entreprise centenaire. Et on veut dépecer ce fleuron en quelques jours, sans état d’âme », s’indigne, Didier Lesou, délégué central CGE-CGC d’Alstom transports.

Exclus de toutes les réflexions sur l’avenir du groupe, les syndicats en appellent unanimement à l’État pour trouver des solutions. « Le gouvernement doit mettre à profit ce délai pour continuer d’intervenir avec le souci de préserver l’emploi et les bases industrielles en France, y compris dans la sous-traitance. Il faut examiner en priorité, avec les dirigeants du groupe et l’actionnaire principal, une solution de consolidation financière et actionnariale qui permette le maintien de l’intégrité et l’indépendance d’Alstom », écrit la fédération de la métallurgie CFDT dans un communiqué, qui résume l’état d’esprit général chez les syndicats, toutes tendances confondues, du groupe. Le groupe, insistent-ils, vit de la commande publique, c'est-à-dire des subsides de l'État et des collectivités locales. Ils comprennent d'autant moins le revirement de la direction que, depuis un an, celle-ci avait lancé un vaste programme pour unifier plus étroitement les deux branches.

Patrick Kron, PDG d'AlstomPatrick Kron, PDG d'Alstom © Reuters

Le démantèlement qui se dessine en pointillé ne convient pas non plus au gouvernement. Même s’il obtient quelques engagements et garanties en faveur de l’emploi, des sites industriels, et même de centres de recherche – lors de son entrevue à l’Élysée, Jeffrey Immelt, PDG de GE, s’est dit ouvert aux discussions et a dit comprendre les préoccupations de l’État –, le gouvernement se retrouverait avec de nombreux problèmes pendants, en cas de démantèlement d’Alstom.

Voir partir les équipements énergétiques d’Alstom dans des mains étrangères, c’est se couper d’une donne stratégique. Comment imaginer la transition énergétique, censée être au cœur des préoccupations de l’État, sans avoir des discussions ouvertes avec les fournisseurs, imaginer avec eux des solutions industrielles ? EDF, GDF-Suez et tous les autres risquent de se retrouver dans une situation de dépendance par rapport à des groupes étrangers. Toute la filière énergétique, que la France a mis des années à constituer, dans laquelle elle a investi des milliards, risquerait de s’en trouver ébranlée.

De plus, l’avenir d’Alstom réduit à sa seule activité ferroviaire n’est pas garanti pour autant. Certes, le groupe se retrouvera avec beaucoup d’argent s’il vend sa branche énergie à GE. Il pourra se désendetter, consolider sa situation financière et celle de Bouygues par la même occasion : une partie des 12,3 milliards versés par le groupe américain devrait être reversée aux actionnaires sous forme de dividende exceptionnel, et donc en priorité à Bouygues, son principal actionnaire avec 29,7 % du capital. L’actionnariat d’Alstom serait aussi stabilisé. Si la branche énergie est cédée, Bouygues se dit être prêt à rester comme actionnaire de long terme à son niveau actuel chez Alstom ferroviaire.

Mais les problèmes actionnariaux et financiers, qui monopolisent l’attention actuellement, ne sont pas tout. Alstom peut-il vivre industriellement avec cette seule activité ? La cession de la branche énergie risque de priver le groupe de nombreux apports. Même si les métiers sont très différents, il y a de nombreuses synergies entre les deux branches : l’ingénierie, des techniques comme la soudure, des équipements comme le contrôle commande. D’un seul coup, tout va être découpé.

De plus, les métiers ferroviaires sont, comme ceux de l’énergie, des métiers à cycle long, demandant d’importants capitaux. Ce n’est pas par hasard que les concurrents d’Alstom sont tous de gros conglomérats, avec de multiples métiers. GE compte ainsi plus de onze métiers, allant de l’équipement électro-ménager au nucléaire, en passant par les turbines, le ferroviaire, les équipements de santé et la finance. Certaines activités très rentables compensent les autres qui obligent à mobiliser d’énormes réserves financières. Les cycles et les marchés s’équilibrent. Une des difficultés d’Alstom est justement de n’être plus un conglomérat, de n’avoir pu bénéficier de cet effet compensateur entre ces activités.

« Alstom Transport peut être autonome. Ce sera une entreprise cotée à Paris, dotée de moyens à la mesure de ses ambitions. L'opération envisagée permettra, en effet, de renforcer son bilan et d'accélérer sa croissance sur un marché porteur », assure Patrick Kron, le PDG du groupe, dans un entretien au Monde. Mais qu’adviendra-t-il demain ? La stratégie autonome, que Patrick Kron juge dangereuse pour la branche énergie du groupe aujourd’hui, ne le sera-t-elle pas pour le ferroviaire demain ? Même si Alstom pense pouvoir jouer entre ces différents marchés – celui du tram marche bien actuellement alors que celui des locomotives est à la peine –, ce n’est pas la même chose que de jouer sur un portefeuille élargi d’activités.

Le groupe ne va-t-il pas au devant de nouvelles difficultés en cas de retournement de marché, dans cinq ans, dans dix ans ? « C’est une de nos inquiétudes. Incontestablement, Alstom serait plus fragile, s’il n’a plus qu’un seul métier. Mais la commande publique peut venir à l’aide du groupe, avec un programme sur le long terme », dit Dominique Gillier, secrétaire de la fédération métallurgie de la CFDT.

Y a-t-il des alternatives au démantèlement d’Alstom ? Depuis la fameuse dépêche de Bloomberg qui a donné l’alerte, le gouvernement cherche la réponse. L’équation est à multiples dérivées. Si Patrick Kron en est arrivé à écouter avec attention l’offre faite par GE fin février, et a renoncé à son projet de cotation de la filiale ferroviaire, comme il l’envisageait jusqu’alors, c’est qu’il se voyait dans une impasse. « Je ne veux pas que les salariés d'Alstom revivent le cauchemar de 2003 (date de la faillite du groupe - ndlr) », assure Patrick Kron.

Le groupe a un besoin impératif d’une augmentation de capital. Son actionnaire principal, Bouygues, est dans une situation financière tout aussi délicate : toutes ses ressources sont mobilisées pour soutenir à bout de bras son activité de téléphonie mobile, ravagée par la guerre des prix. Il ne peut donc pas lui apporter le moindre argent. Il aurait plutôt besoin de vendre sa participation. Mais celle-ci est trop importante pour être cédée sans déséquilibrer le cours d’Alstom, déjà  malmené. Il faudrait donc trouver une solution pour Alstom et pour Bouygues. « La meilleure solution serait un investisseur privé, capable de lancer une OPA sur le groupe. Mais il n’y en a pas », constate un connaisseur du dossier. Éternel problème français...

« Il faut que l’État entre au capital. Ce n’est pas possible de laisser partir une entreprise aussi stratégique », insiste Pascal Novellin, délégué CGT. Tous les syndicats y pensent : l’entrée de l’État au capital est pour eux la seule solution pour préserver l’intégrité d’Alstom. Le gouvernement, bien sûr, y réfléchit, d’autant que l’ombre portée de Nicolas Sarkozy sur ce dossier le place dans une situation inconfortable. Comment expliquer qu’un gouvernement socialiste hésite à prendre une participation dans Alstom, alors que le gouvernement libéral précédent, lui, avait osé franchir le pas ?

« Ce n’est pas tout de mettre l’État au capital. On l’a bien vu en 2004. L’État est entré et il n’a rien fait. Il a revendu sa participation à Bouygues, sans se soucier du reste. Il ne faut pas s’arrêter à la seule participation de l’État. Il faut envisager des alliances », insiste Didier Lesou. À la recherche d’alternative à une vente à la découpe, les syndicats du groupe se prennent à rêver d’une grande alliance publique, réunissant EDF, Areva et Alstom.

Le gouvernement semble écarter cette solution, trop lourde, trop compliquée et qu’il n’a pas les moyens de mettre en œuvre. Mais d’autres schémas sont à l’étude. Une référence revient souvent dans les conversations : la coopération entre Safran et GE pour la fabrication du moteur d’avion CFM 56. La coopération dure depuis 40 ans pour la plus grande satisfaction des deux partenaires. Le modèle pourrait-il être reproduit avec la branche énergie d’Alstom, l’État entrant dans le montage ?

« Il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur quoi que ce soit dans le dossier Alstom. Tout n’est qu’au début. Il faut que le dossier se construise. La porte est ouverte à toute combinaison qui fera consensus, apportant des conditions acceptables par tous. Dans dix jours, la situation commencera à s’éclaircir », dit un proche du dossier.

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La Parisienne Libérée: «Un vote pour rire»

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[en cas de problème d'affichage : dailymotion - youtube - vimeo ]

CONTEXTE
En 2008, l'article 50-1 a été introduit dans la constitution lors de la réforme dite de modernisation : « Devant l'une ou l'autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire (...), faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité. »
C'est cet article qui a été utilisé par Manuel Valls pour faire valider cette semaine un plan de 50 milliards d'économies.

Lors de sa création, l'article 50-1 a été présenté comme une mesure progressiste permettant aux députés et aux sénateurs de s'exprimer sur des sujets politiques, donc renforçant leur pouvoir. Mais on peut s’interroger sur ce qu'il induit comme conception du parlement et sur les usages possibles par l'exécutif pour transformer les assemblées en chambres décoratives. En effet, les parlementaires sont normalement là pour voter des lois, pas pour écouter les discours d'un premier ministre et légitimer sa politique par un vote sans portée législative.

Cela est particulièrement problématique à l'Assemblée nationale, et au-delà des luttes internes il faut bien entendre ce que disent les députés que la presse a désignés sous le terme ambigu de « frondeurs » : depuis sa prise de pouvoir, François Hollande n'a cessé de diriger seul, sourd aux critiques des élus. Leurs alertes ont pourtant été constantes et répétées : à propos du traité budgétaire, du CICE, lors du vote de l'ANI, de la séparation bancaire, de la réforme des retraites, de l'augmentation de la TVA, des députés de la majorité ont demandé une orientation politique plus conforme au discours du Bourget et aux engagements de campagne. En vain.

En mars 2013, nous chantions « Le Blues du Parlementaire ». Au fil des mesures antisociales et devant les pressions répétées de l'exécutif, il gagne de plus en plus d'élus. Mais pour l'instant, les députés socialistes qui sont en désaccord avec la politique gouvernementale se contentent de s'abstenir, ce qui limite la portée de leur position.

UN VOTE POUR RIRE
paroles et musique : la Parisienne Libérée

[Citation de P. Cherki]
« Est-ce que vous allez tout voter ?
— Moi ça dépend de ce qui est présenté. Je suis un député de la nation, l'ensemble de l'Assemblée nationale forme la représentation nationale. Nous ne sommes pas les collaborateurs techniques du Président de la République ! Tout ne part pas du Président de la République, c'est nous qui consentons à l'impôt. Nous avons fait la révolution française pour que les députés, les représentants de la nation et du peuple, puissent consentir à l'impôt. (...) Je fais partie d'une majorité à partir du moment où cette majorité est écoutée et respectée. Si quand le Président de la République dit quelque chose, ça devient parole d'évangile, moi je dis non ! Je ne suis pas dans un régime monarchique, je suis un républicain. »

Une assemblée consultative
Des députés pour faire joli
Des lois conformes aux directives

Votez-moi ça, vous serez gentils

Une chambre basse qui reste en bas
Et n'use pas de son initiative
Faut se tenir au-dessus du débat
Dans l'assemblée décorative

Allez, c'est juste un vote pour rire
Juste un scrutin comme ça
Fais-moi un grand sourire
Et appuie... sur ce bouton là !

Un bien gentil Palais-Bourbon
Avec le petit doigt rangé
Contre la couture du pantalon
Tout prêt à se faire inspecter

Un régiment de majorité
Sachant plier ses convictions
Oublieux de sa souveraineté
Un bon toutou à sa Nation

Allez, c'est juste un vote pour rire
Juste un scrutin comme ça
Fais-moi un grand sourire
Et appuie... sur ce bouton là !

Sous la couronne encore dorée
Du Roi de notre République
Il devient très rare de croiser
Une idée qui soit politique

Ça fait le bonheur des corbeaux
Qui tournent au-dessus de l'État
En s’accaparant nos impôts
Et en promettant des emplois


Et puis c'est juste un vote pour rire
Juste un scrutin comme ça
Fais-moi un grand sourire
Et appuie... sur ce bouton là !

Le Prince et ses preux Chevaliers
Font la leçon à leurs manants
Sans honte aucune de les priver
Pour gaver des amis gourmands

Le premier qui ose critiquer

Se fera traiter de djihadiste
Le Parti est organisé

Y a plus de social, mais y a des listes...


Tu vois, c'est juste un vote pour rire
Juste un scrutin comme ça
Fais-moi un grand sourire
Et appuie... sur ce bouton là !

Gentils élus, braves godillots
Paraphez-moi vite ce grimoire
Ne lisez pas, c'est bien trop gros
Il y en a pour cinquante milliards

Oui, on va baisser les salaires
Mettre un coup de latte à la Sécu
Mais qu'est-ce que ça peut bien vous faire
Dans trois ans vous n'y serez plus !

Et puis c'est juste un vote pour rire
Juste un scrutin comme ça
Fais-moi un grand sourire
Et appuie... sur ce bouton là !
Allez, fais-moi un grand sourire
Et appuie sur ce bouton là !

CITATION
Pascal Cherki - BFMTV - 23.04.14

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Les précédentes chroniques
À gauche ! / Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

BOITE NOIREL'article 50-1 issu de la réforme constitutionnelle de 2008 a-t-il déjà été utilisé par François Fillon et Jean-Marc Ayrault devant l'Assemblée nationale et dans sa version avec vote ? Si oui, sur quels sujets ? Nous l'ignorons et malgré nos recherches sur le web nous n'avons pas réussi à trouver l'information. Si quelqu'un s'en souvient ou sait comment trouver cette info sur le site de l'Assemblée nationale, qu'il/elle n'hésite pas à nous l'indiquer en commentaire. Merci !
LPL et Mimoso

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Affaire Ablyazov: la justice française est à son tour mise en cause

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Genève, de notre correspondante. Certains s’étaient réjouis un peu trop vite. Ce 9 janvier 2014, quand la cour d’appel d’Aix-en-Provence tranche en faveur de l’extradition du milliardaire kazakh Mukhtar Ablyazov vers la Russie et l’Ukraine (la priorité étant donnée à ce premier pays), faisant fi de toutes considérations humanitaires, c’est toute une équipe d’avocats, juristes, communicateurs et autres lobbystes qui sablent le champagne, entre Paris, Londres et Astana. Mission accomplie : le principal opposant et pourfendeur du régime corrompu de Noursoultan Nazarbaïev, arrêté le 31 juillet 2013 dans le sud de la France, a enfin été mis à terre, rattrapé par ses propres turpitudes financières : le présumé détournement de 5,4 milliards de dollars entre 2005 et 2009, alors qu’il était à la tête de la BTA Bank, le géant bancaire kazakh nationalisé.

Mukhtar AblyazovMukhtar Ablyazov © Reuters

Mais aujourd’hui les espoirs d’un dénouement rapide se sont envolés. Le 9 avril, la Cour de cassation a annulé les deux arrêts de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en faveur d’une extradition vers la Russie (voir ici) et l'Ukraine (voir là). Il est reproché à la cour d’avoir omis de faire signer à M. Ablyazov un nouveau procès-verbal de refus d’extradition, alors que sa composition avait changé. Et d’avoir accepté un mémoire complémentaire de l’Ukraine, en plus de la requête d'extradition.

L’affaire sera rejugée sur le fond devant la cour d’appel de Lyon, avec le risque qu’elle n’apparaisse sous un jour encore plus tortueux et complexe. Car à ces péripéties judiciaires classiques, vient désormais s’ajouter une sombre affaire d’espionnage et de piratage informatique qui pollue la procédure et prend des proportions inhabituelles. 

Mardi 29 avril, Mukhtar Ablyazov, qui vient d’être transféré de la prison de Luynes (Sud) à celle de Lyon Corbas, a attaqué en diffamation l’avocate générale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait requis son extradition, Solange Legras. Le 10 avril, dans un article du quotidien régional la Provence (voir ici), la magistrate s’était offusquée du « piratage informatique scandaleux » dont elle a été la cible. « Le seul à qui cela profite, c’est bien M. Ablyazov », déclarait-elle, ajoutant qu’il s’agissait de « méthodes de voyou relevant de la criminalité organisée ».

Le 2 avril dernier, quelques jours avant la décision de la Cour de cassation, le site du Nouvel Obs révélait que le téléphone portable de Guillaume-Denis Faure, l’avocat parisien de la SELARL W&S (le cabinet correspondant de la firme américaine Winston & Strawn), mandaté par l’Ukraine dans la procédure d’extradition, avait été mis sur écoute. Le cabinet a déposé, le 20 mars, une plainte contre X auprès du Tribunal de grande instance de Paris. Une enquête préliminaire a été ouverte sur des soupçons d’espionnage en marge de la procédure Ablyazov. 

Comme il le raconte à Mediapart, maître Faure a eu le 11 mars la surprise, « grâce à un système d’alerte sur Google », de découvrir qu’un obscur site internet ukrainien – trust.ua – avait retranscrit des SMS qu’il aurait reçus ou échangés avec cinq autres confrères avocats impliqués dans le dossier Ablyazov, mais aussi avec l’avocate générale, Solange Legras, qui s’était vigoureusement prononcée en faveur de l’extradition de l’oligarque Kazakh. Deux enregistrements audio ont aussi été piratés sur sa boîte mail et mis en ligne. « Il s’agit de montages faits sur la base d’interceptions illégales », affirme l’avocat. « Il y a un faisceau d’indices concordants qui désignent Mukhtar Ablyazov et des gens qui lui sont proches comme les commanditaires. Je suis victime de procédés barbouzes. En quinze ans de métier, je n’ai jamais vu ça ! », ajoute-t-il, refusant cependant d’en dire plus.

Le contenu des SMS piratés, qu’il s’agisse de vrais échanges ou de montages, a de quoi surprendre. Réalisées les 11, 12 et 13 décembre, les interceptions laissent apparaître un degré de connivence plutôt inhabituel entre l’avocat Guillaume-Denis Faure et la magistrate Solange Legras. Le 12 décembre, le jour où cette dernière requiert l’extradition de Mukhtar Ablyazov vers la Russie et l’Ukraine, des SMS sont échangés en fin d’après-midi. Maître Faure a dû regagner Paris après s’être exprimé sur l’Ukraine dans la matinée. « C renvoyé ? », demande l’avocat. « Non pas du tout mais ils plaident toujours... », répond la magistrate, alors en pleine audience. « Ablyazov pleure ?? », relance-t-il. « Presque !! Mais surtout moi !!!! », écrit madame Legras qui s’impatiente sur la longueur des débats.

Jointe par Mediapart, la magistrate juge que ces écoutes sauvages sont « absolument incroyables, du jamais vu ». Si elle évoque des « montages », elle ne conteste pas que les échanges avec l'avocat de l'Ukraine émanent de sa messagerie. « Il est nécessaire et normal de communiquer avec les avocats », explique-t-elle. Mme Legras a déposé plainte à Paris pour piratage et recel de piratage, estimant faire l'objet d'« une campagne de déstabilisation qui vise aussi l'appareil judiciaire français »

Les SMS ne sont qu’une petite partie de ce qui a été publié sur le site trust.ua. Le grand déballage a commencé le 23 février 2014, un jour après la fuite du président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Le site prétend avoir reçu de manière anonyme ce qui est présenté comme « une enquête journalistique ». Intitulé "Corruption & Partenaires", le premier volet commence par un rappel des faits particulièrement flatteur pour Mukhtar Ablyazov, décrit comme un « opposant kazakh, ancien businessman à succès et ex-banquier » qui se serait vu confisquer sa banque par le clan Nazarbaïev.

Le propos est de montrer comment la justice ukrainienne, celle qui obéissait aux ordres du pouvoir corrompu de Viktor Ianoukovitch, a été instrumentalisée par le pouvoir kazakh dans la conduite de l’enquête contre Mukhtar Ablyazov et ses anciens partenaires. De nombreux courriels piratés, en russe et en ukrainien, sont reproduits. Il en ressort que le major de milice Maxime Melnik – celui qui a signé la requête d’extradition envoyée à la France – a été guidé de bout en bout par un cabinet privé d’avocats, Ilyashev & Partners. Cette étude, qui conseille par ailleurs la BTA Bank aujourd’hui nationalisée, indiquait à l’enquêteur Melnik les questions qu’il fallait poser aux prévenus, les actes à rédiger, ou les mandats d’arrêt à envoyer à Interpol.

Cette correspondance met sérieusement en doute les garanties alors données par la justice ukrainienne à la justice française quant au fait que Mukhtar Ablyazov ne serait pas réextradé vers le Kazakhstan. 

Le second volet de l’"enquête", paru le 11 mars 2014, va encore plus loin. Un courriel entre deux avocats du cabinet Ilyashev & Partners mentionne que « Maxime demande de l’essence », périphrase qui selon le site indique que l’enquêteur Melnik aurait réclamé un dessous-de-table pour services rendus (voir ci dessous).

Le mail entre les deux avocats de Ilyashev & PartnersLe mail entre les deux avocats de Ilyashev & Partners

C’est dans ce second volet qu’ont fuité les courriels et SMS piratés en France, et qui selon trust.ua prouveraient que comme en Ukraine « une étroite et inadéquate coopération entre les avocats de la BTA Bank, les enquêteurs et les procureurs s’est mise en place en France ». Outre les SMS entre maître Faure et l’avocate générale, Solange Legras, mentionnés plus haut, des textos montrent qu’Antonin Lévy, l’avocat de la BTA Bank qui a assisté aux audiences, était en contact étroit avec l’étude SELARL W&S. Toujours prêt à briefer son confrère sur les ennuis judiciaires de l’oligarque Ablyazov au Royaume-Uni. Et à envoyer des communiqués aux journalistes (voir ici le communiqué publié par la BTA Bank le 9 avril). 

Mukhtar Ablyazov a fui le Kazakhstan fin janvier 2009 pour se réfugier à Londres. Quelques jours après, le gouvernement kazakh décidait d’entrer en force dans le capital de la BTA Bank. Depuis cette date, la banque reprise en main par le président Nazarbaïev mène une titanesque bataille judiciaire au Royaume-Uni, accusant Mukhtar Ablyazov d’avoir détourné 6 milliards de dollars.

Selon la version officielle, au lendemain de la nationalisation, la banque a découvert un trou de 10 milliards dans son bilan. L’audit de Price Waterhouse Cooper qui en fait état n’a cependant jamais été rendu public. Dans le cadre d’un processus de restructuration de la dette de la BTA Bank, 11 plaintes ont été déposées devant la Haute Cour de justice à Londres. En août 2009, un juge britannique ordonnait le séquestre de tous les actifs de Mukhtar Ablyazov (worlwide freezing order). Ordre lui était alors donné de dévoiler les dessous de son immense fortune et de ne pas quitter le territoire britannique. Les juges britanniques se heurtaient au casse-tête d’un patrimoine en milliards, détenu directement ou indirectement via une constellation de sociétés off-shore.

Haute Cour de justice, LondresHaute Cour de justice, Londres © Reuters

 

Mukhar Ablyazov s’est toujours défendu d’avoir pillé « sa propre banque » dont il détenait plus de 75 % des parts. Мais il a reconnu avoir mis en place d’opaques montages pour « se protéger des déprédations illicites du président Nazarbaïev ». Dans un témoignage devant la Cour, il a raconté la manière dont le potentat kazakh lui avait, à de nombreuses reprises, réclamé 50 % de sa banque, le menaçant de poursuites judiciaires. La nationalisation forcée aurait ainsi provoqué la quasi-faillite de la BTA, entraînant des retraits massifs parmi la population, et des demandes de remboursements anticipés par les créditeurs internationaux, plus de 12 milliards de dollars de prêts.

L’ancien banquier a cependant commis un faux pas en « oubliant » de déclarer certains de ses actifs, dont de luxueuses propriétés achetées via des sociétés dont il était au bout du compte le bénéficiaire économique. En février 2012, il a été condamné à 22 mois de prison pour "outrage à la Cour" (voir décision ici)Il s’est alors évaporé dans la nature, quittant précipitamment Londres et se privant du même coup du droit de se défendre contre les accusations de la BTA Bank. Il a été arrêté dans le sud de la France le 31 juillet 2013.

Durant la cavale du banquier, plusieurs jugements ont été rendus en faveur de la BTA, pour des sommes totalisant 4 milliards de dollars. Cette procédure civile britannique, même s'il ne s’agit que « de jugements rendus par défaut et donc non contradictoires, s’est largement invitée dans la procédure d’extradition à Aix-en-Provence », estime Peter Sahlas, l’un des avocats de Mukhtar Ablyazov, interrogé par Mediapart.

Dans le troisième et dernier volet de l’"enquête" de trust.ua, c'est toute l'intervention du représentant de la Russie, Denis Grunis, prononcée le 12 décembre 2013 devant la Cour, qui est mise en ligne. Ainsi que plusieurs courriels écrits par Solange Legras. Dans l'un d'entre eux, daté du 16 décembre, Solange Legras s'adresse à Denis Grunis, disant attendre avec impatience la décision de la cour d'appel. « J'espère que nous ne nous serons pas battus pour rien ! », écrit-elle.

Dans un autre mail, rédigé une semaine auparavant, l'avocate générale transmet à Nicole Besset, la présidente de la chambre, quatre décisions de la justice britannique qui n’ont jamais été versées au débat. « S’ils s’avèrent authentiques, ces e-mails font preuve d’une incroyable complicité et collusion entre l’avocate générale et le siège qui s’envoient des documents concernant M. Ablyazov en dehors de tout contrôle contradictoire », estime maître Sahlas.

Il n’en fallait pas plus pour que les défenseurs de Mukhtar Ablyazov s’engouffrent dans la brèche, exigeant que « la lumière soit faite dans les plus brefs délais sur les révélations du site trust.ua, qu’elles soient falsifiées ou établies ». Le 9 avril, à l’annonce de la décision de la Cour de cassation, Jean-Pierre Mignard (par ailleurs avocat de Mediapart), Gérard Tcholokian et Bruno Rebstock ont annoncé avoir saisi la garde des Sceaux Christiane Taubira « d'une requête aux fins de diligenter une enquête de l'Inspection générale des services judiciaires sur de possibles et graves dysfonctionnements de l'administration de la justice, et précisément le comportement prêté aux magistrats du siège et du Parquet général dans le procès de monsieur Mukhtar Ablyazov, dont l'extradition est requise par la Russie et l'Ukraine » (voir leur communiqué ici). La lettre est partie le 8 avril, restée sans réponse à ce jour.

Peter Sahlas qui, en sa qualité d’avocat au barreau de New York, n’est pas associé à cette démarche, décrit « une dérive totale de la procédure à Aix-en-Provence », réfutant le fait que son richissime client puisse être derrière les écoutes sauvages, alors qu'il en profite objectivement. « Si c’était le cas, les éléments seraient sortis bien avant de manière à peser sur les décisions d’extradition », répond-il.

L'explication est un peu courte, si l’on se replace dans le contexte de la guerre des clans qui oppose depuis plusieurs années le clan Nazarbaïev au clan Ablyazov-Khrapunov – Madina, la fille aînée de Mukhtar Ablyazov, ayant épousé Ylias Khrapunov, le fils de l’ancien maire d’Almaty, lui aussi en disgrâce et qui vit aujourd’hui à Genève. À peine réfugié au Royaume-Uni, où il a obtenu l’asile politique en 2011, Mukhar Ablyazov s’est employé à dénoncer presque quotidiennement la corruption endémique qui règne au sommet de l’État kazakh.

Tous les moyens sont alors bons. Début 2010, une masse de « kompromaty » (documents compromettants) est publiée sur le site eurasia.org.ru qui, depuis, a été hacké par le pouvoir kazakh et rebaptisé neweurasia.info. Le gendre préféré de Noursoultan Nazarbaïev, Timur Kulibayev, qui a fait fortune dans les hydrocarbures, est dans le viseur. Des mails, certificats de propriété, contrats et relevés de compte fuitent alors, provenant manifestement d’un piratage informatique massif. Il en ressort que plusieurs opérations de vente illégale d’actifs pétroliers et gaziers, accompagnées de dessous-de-table, ont été conduites (voir notre enquête à ce propos).

Entre Genève et Londres, des agences de détectives privés sont mises à contribution. Une dénonciation pénale qui reprend la plupart de ces éléments atterrit au printemps 2010 au ministère public de la confédération à Berne. Officiellement déposée par « de simples citoyens kazakhs ». Une enquête pour blanchiment est ouverte contre Timur Kulibayev, entraînant dans un premier temps le gel de près de 600 millions de dollars au Crédit suisse. Mais les Suisses se heurtent vite à la non-collaboration de la justice kazakhe et la procédure est finalement classée le 27 novembre 2013.

Madina, la fille aînée de Mukhtar Ablyazov et son mari Ilyas Khrapunov. Ils ont déposé à Genève une plainte pour espionnageMadina, la fille aînée de Mukhtar Ablyazov et son mari Ilyas Khrapunov. Ils ont déposé à Genève une plainte pour espionnage © Reuters

 

Réponse du berger à la bergère : les Khrapunov, qui ont repris le flambeau de la contestation à Genève, sont désormais eux-mêmes la cible d’actes d’espionnage incessants. En février 2012, Madina, la fille d’Ablyazov, a déposé une plainte pénale contre inconnu, après avoir été suivie plusieurs jours à Genève. Elle exprimait alors sa crainte d’être espionnée pour le compte du gouvernement kazakh. Des intrusions se sont produites régulièrement dans les ordinateurs de la famille. Une enquête a été ouverte à Genève, transmise il y a peu à Berne.

Les Khrapunov sont, eux aussi, dans le collimateur de la justice kazakhe. Une demande d'entraide judiciaire a été adressée à la Suisse, accusant l’ancien maire d’Almaty, Viktor Khrapunov, et sa femme Leila de corruption et escroquerie en bande organisée. Le ministère public genevois, conscient de l’arrière-plan politique de l’affaire, a ouvert contre eux une procédure pour blanchiment au printemps 2012. L’instruction progresse à tout petits pas. Une source proche de l’enquête explique « ne pouvoir faire confiance à personne », preuve s’il en faut que les affaires kazakhes peuvent difficilement être appréhendées par la justice occidentale.  

En attendant le dénouement du pataquès judiciaire en France, Mukhtar Ablyazov continue à subir des revers sur le front britannique. Le 16 avril, le Financial Times a révélé qu’en janvier 2014, le « Home Office » (département responsable de l'immigration) avait notifié son intention d’annuler le statut de réfugié politique de l'ancien banquier, obtenu à l’été 2011. Les autorités britanniques mettent en avant les jugements par défaut prononcés au civil contre lui et sa condamnation pour outrage à la Cour. Une décision finale devrait être prise avant le 15 mai prochain.

Là encore, l’affaire pourrait se compliquer. Le Financial Times dit avoir reçu de la part de l’avocat Peter Sahlas des documents qui prouvent que « deux cabinets d’avocats basés à Londres, Reed Smith et Ronald Fletcher Baker, ont agi pour le compte du gouvernement kazakh en faisant du lobbying auprès du gouvernement britannique et du Serious Fraud Office pour les presser d’ouvrir une procédure pénale contre M. Ablyazov ».

Le quotidien cite un extrait d’une "note" de Reed Smith, qui explique que le statut de réfugié politique de M. Ablyazov « est considéré comme un obstacle pour les relations entre le Royaume-Uni et le Kazakhstan » et que le premier ministre « David Cameron pousse en faveur d’une solution pro-Kazakhstan, partisan d’une avancée des relations » entre les deux pays. Le FT rappelle que « l’année dernière, lors d’une visite au Kazakhstan, M. Cameron a signé des contrats d’une valeur de 700 millions de livres sterling ». Il avait alors déclaré que le « Royaume-Uni devait être en première ligne pour des contrats d’une valeur de 85 milliards de livres ces prochaines années ».

Interrogé sur ces documents, Peter Sahlas dit n’avoir eu qu’une seule copie papier entre les mains, « par mesure de sécurité ». Il l'a transmise au FT. Il précise qu’une lettre a été envoyée au Home Office, accompagnée d'éléments qui « montrent également que des contacts totalement inappropriés ont eu lieu entre les autorités kazakhes et britanniques au sujet de M. Ablyazov après qu’il a obtenu l’asile politique à l’été 2011 ».« C’est une violation de la convention de Genève sur les réfugiés », conclut-il.

Alma Chabalaïeva, la femme de Mukhtar Ablyazov qui vient d'obtenir le statut de réfugié en ItalieAlma Chabalaïeva, la femme de Mukhtar Ablyazov qui vient d'obtenir le statut de réfugié en Italie © Reuters

 

De leur côté, Alma Chalabaïeva, l’épouse d’Ablyazov, et leur fille de 7 ans Alua ont obtenu, le 18 avril dernier, le statut de réfugié en Italie, après bien des péripéties. En mai 2013, mère et fille avaient été arrêtées en pleine nuit dans leur villa de Rome, puis déportées au Kazakhstan deux jours plus tard, provoquant un scandale politique en Italie et la mobilisation de nombreuses ONG de défense des droits de l’Homme. Elles avaient finalement été autorisées à quitter le Kazakhstan en décembre 2013.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualités du 2/05/2014

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