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Les nouveaux visages de l’UMP

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L’UMP comptait sur eux pour remporter les municipales. Elle devra désormais compter avec eux pour se reconstruire. Christophe Béchu à Angers, Arnaud Robinet à Reims, Gérald Darmanin à Tourcoing, Xavier Bonnefont à Angoulême, Laurent Marcangeli à Ajaccio… Leurs noms sont encore méconnus du grand public et pourtant, ces jeunes élus sont devenus il y a quinze jours les nouveaux chouchous des ténors de la droite qui lorgnent la présidentielle de 2017 et tentent de se constituer d’ici là un vivier de fidèles.

Ils sont une petite trentaine. Ont moins de 40 ans. Et ont créé la surprise les 23 et 30 mars derniers, en faisant basculer des villes ancrées à gauche depuis plusieurs années. Loin des querelles intestines de leur parti qu’ils disent regarder « d’un œil consterné », ils souhaitent dépoussiérer l’UMP, en s’affranchissant de l’héritage de leurs aînés et en profitant de leur connaissance du terrain pour porter de nouvelles idées sur le plan national.

Sur les quelque 175 villes de plus de 9 000 habitants récemment passées à droite, 109 communes ont été conquises par des personnalités issues du premier parti de l’opposition (auxquelles s’ajoutent 41 villes remportées par des candidats Divers droite, 22 UDI, 3 MoDem et 1 Nouveau Centre). La liste des maires UMP fraîchement élus confirme la faiblesse du renouvellement de la vie politique française en matière de parité, puisque seules 15 femmes y figurent (pour 94 hommes). En revanche, la “vague bleue” a fait émerger un nombre important de jeunes responsables politiques, 58,72 % d’entre eux ayant moins de 50 ans.

Qui sont ces nouvelles figures de l’UMP ? Plusieurs d’entre elles ont d’abord écumé les bancs de la fac de droit avant de se lancer en politique (Laurent Marcangeli, 33 ans, à Ajaccio ; Florence Portelli, 35 ans, à Taverny ; Laurent Brosse, 28 ans, à Conflans-Sainte-Honorine…). D’autres sont issues du privé (Jean-Didier Berger, 34 ans, à Clamart ; Ugo Pezzetta, 39 ans, à la Ferté-sous-Jouarre…). D’autres encore collaboraient dans l’ombre de personnalités politiques de premier plan (Brice Rabaste, 32 ans, à Chelles, chef de cabinet de Jean-François Copé ; Grégoire de Lasteyrie, 29 ans, à Palaiseau, passé par le cabinet de Nathalie Kosciusko-Morizet à l’écologie).

À l’exception de quelques-uns, ces nouveaux élus ont derrière eux plusieurs années de militantisme. Les premiers tracts qu’ils ont distribués étaient estampillés RPR ou UDF. À la création de l’UMP en 2002, ils ont suivi Nicolas Sarkozy et ses promesses d'ouverture. La plupart d’entre eux étaient déjà largement rompus à la chose politique avant de s’installer dans leur fauteuil de maire. En témoigne le parcours du nouvel édile d’Angers, Christophe Béchu, 39 ans, dont le CV n’a rien à envier aux baronnies locales : adjoint au maire d’Avrillé (1998-2008), président du conseil général de Maine-et-Loire (depuis 2004), conseiller régional des Pays de la Loire (2010-2011), député européen (2009-2011), sénateur de Maine-et-Loire (depuis 2011)…

Le nouveau maire d'Angers, Christophe Béchu.Le nouveau maire d'Angers, Christophe Béchu. © Reuters

La liste des nouveaux maires UMP de moins de 40 ans compte également un certain nombre de députés, dont certains élus pour la première fois en 2012. Ils ont choisi de s’engager pour un mandat local, en sachant déjà qu’ils devraient choisir entre la mairie et le Parlement à compter de 2017, date à laquelle s’appliquera la loi sur le non-cumul des mandats. Laurent Marcangeli fait partie des cinq députés UMP ayant voté en faveur du texte. « Je ne me représenterai pas aux législatives de 2017 », tranche-t-il.

Soutien de Jean-François Copé, mais n’appartenant à « aucune chapelle », le nouvel édile d’Ajaccio (Corse-du-Sud) est fier d’avoir « fait mentir tous les sondages » en battant celui qui dirigeait la ville depuis 2001, Simon Renucci (Corse, social-démocrate, apparenté PS). Encarté au RPR à l’âge de 17 ans, secrétaire national de l’UMP depuis 2013, il souhaite désormais rester implanté en Corse et « apporter (sa) contribution » à la vie de son parti grâce à sa « vision du terrain ».

Les députés Gérald Darmanin – nouveau maire de Tourcoing (Nord) – et Arnaud Robinet – qui a remporté Reims (Marne) – ont quant à eux voté contre le non-cumul des mandats. « Les propositions de loi ont un impact direct sur la vie des collectivités, il me semble donc nécessaire d’avoir un mandat local et un mandat national. Mais si la loi doit être appliquée, je garderai la mairie », promet aujourd’hui Robinet. Darmanin a lui aussi expliqué sur son blog qu’il choisirait, le cas échéant, son mandat de maire.

Benjamin des députés UMP, ancien collaborateur de Christian Vanneste et de David Douillet, désormais membre de la “team XB” (pour Xavier Bertrand), Gérald Darmanin a voté contre le non-cumul des mandats parce qu'il jugeait le texte trop peu ambitieux. Lui plaide pour un changement plus profond des pratiques politiques, prônant notamment le non-cumul des mandats dans le temps, qu’il considère comme « le contraire du renouvellement ».

Un discours qui aura su séduire les électeurs, mais qui ne convainc guère au sein de son propre camp. « Les jeunes députés comme Darmanin sont comme tous les autres, regrette l’un de ses collègues parlementaires UMP, sous couvert de “off”. Sitôt élus à l’Assemblée, ils se sont empressés d’aller conquérir une ville. Tout ce qu’ils veulent, c’est le pouvoir. J’ai hâte de voir ce qu’ils feront en 2017… Ils espèrent tous devenir ministres. Je vois mal comment ils y arriveront sans mandat national. »

Courtisés par les candidats à la primaire de 2016, qui ont surchargé leurs agendas pour venir les soutenir lors des municipales, les nouveaux maires UMP sont également suivis de très près par Nicolas Sarkozy. L’ancien président de la République a ainsi multiplié les coups de fil de félicitations à l’issue du second tour. « Ça ne vous dérange pas qu'on nous écoute ? », aurait-il lancé à certains en guise d’introduction, rapporte Le Parisien.

Sarkozy reçoit plusieurs jeunes députés UMP, en septembre 2013. Parmi eux (à droite, sur la photo), Darmanin et Marcangeli.Sarkozy reçoit plusieurs jeunes députés UMP, en septembre 2013. Parmi eux (à droite, sur la photo), Darmanin et Marcangeli. © www.cadets-bourbon.com

« Il m’a appelé pour me féliciter et me dire de ne pas changer », se réjouit le nouvel édile de Saint-Étienne (Loire), Gaël Perdriau, qui ne cache pas sa fierté d’avoir été personnellement convié à rencontrer « prochainement » Sarkozy dans ses bureaux parisiens. « J’ai évidemment accepté ! J’ai toujours fait campagne pour lui. Je le trouve franc, direct, courageux », s’enthousiasme-t-il, avant de nuancer son propos : « Après, je ne sais pas si l'on peut faire du neuf avec du vieux… » Plusieurs nouveaux maires UMP ont confirmé à Mediapart avoir été invités à participer, dans les semaines à venir, à des déjeuners collectifs organisés rue de Miromesnil, en compagnie d'autres jeunes élus et de l'ancien président.

En attendant que les rencontres informelles et les coups de fil intéressés se transforment en propositions concrètes, les jeunes élus répètent à l’envi que seul leur mandat local compte. Une grande carrière nationale ? Plus tard. Peut-être. « On est encore loin de tout ça », souffle Laurent Marcangeli. « Le terrain, c’est la force de la nouvelle génération, souligne Grégoire de Lasteyrie, 29 ans, qui a détrôné l’ancien ministre de la ville, François Lamy, à Palaiseau (Essonne). À la veille du premier tour des municipales, on avait frappé à 95 % des portes de Palaiseau. Contrairement à nos adversaires socialistes, nous avions un programme très concret, sans esprit partisan. C’est ce qui a marché. »

Le nouvel édile de Ouistreham (Calvados), Romain Bail, 29 ans, a lui aussi axé sa campagne « sur l’intérêt général et non sur l’intérêt partisan ». « J’ai défendu des sujets de gauche comme la réforme des rythmes scolaires, à condition qu’elle ne ressemble pas à ce que propose le gouvernement », indique cet ancien professeur d’histoire-géo, qui a commencé à militer à l’âge de 16 ans. « Je n’ai pas du tout fait une campagne UMP, surenchérit Florence Portelli, devenue à 35 ans la nouvelle maire de Taverny (Val-d’Oise), qui a basculé à droite après vingt-cinq années de gauche au pouvoir. 66 % des gens de ma liste n’étaient pas encartés. Sans faire ma Ségolène Royal, on peut dire que j’ai tout misé sur la démocratie participative ! »

Robin Reda tient le même discours. À 22 ans, cet étudiant à Sciences-Po vient d’être élu à Juvisy-sur-Orge (Essonne), devenant ainsi le plus jeune maire de France. « Dans mon cas, ce n’est pas l’UMP qui a gagné, mais le rassemblement, explique-t-il. Ma victoire tient beaucoup aux militants de terrain et aux cadres locaux. » Qu’importe si Jean-François Copé a tenté de récupérer à son profit la “vague bleue” des municipales en déclarant au Monde qu’il voyait là « une belle reconnaissance de sa légitimité ». « C’est normal qu’il en fasse la promotion, mais il ne peut pas s’octroyer ce travail », glisse l’élu.

Nathalie Kosciusko-Morizet, Robin Reda et Valérie Pécresse, en septembre 2013.Nathalie Kosciusko-Morizet, Robin Reda et Valérie Pécresse, en septembre 2013. © Facebook / Robin Reda

« Copé a fait son travail de chef, mais hormis le soutien de quelques caciques du parti, l’UMP n’a pas franchement aidé la nouvelle génération, poursuit Romain Bail. C’est fini le temps où l'on nous soutenait financièrement. » Et pour cause : « Les caisses sont vides… » Sans surprise, seul le chef de cabinet du patron de l'UMP, Brice Rabaste, élu à Chelles (Seine-et-Marne), défend celui qui l'a formé en politique et qu'il « suivra partout ». « On peut mettre le renouvellement au crédit de Copé qui a tout fait pour soutenir la nouvelle génération, sans regarder qui était fillonniste ou copéiste », dit-il.

Malgré une conjoncture nationale favorable due au rejet de la politique gouvernementale, la grande majorité des élus interrogés par Mediapart ont tout de même choisi de se distinguer de leur parti pour mener campagne. Embourbée dans les affaires et les querelles d’ego, l’UMP n’avait guère meilleure presse auprès des électeurs.

« J’ai voulu faire une campagne locale, sans aucun leader, indique le député et maire de Reims, Arnaud Robinet. J’ai affiché l’étiquette UMP pendant toute la campagne parce que je ne souhaitais pas mentir, mais je ne voulais en aucun cas participer à la guerre des chefs. » La nouvelle génération ne mâche pas ses mots dès lors qu’il s’agit d’évoquer les séquelles provoquées par la crise interne survenue fin 2012, lors de l’élection pour la présidence de l'UMP. « Je regarde les querelles de l’UMP avec une certaine exaspération, reconnaît l’édile de Saint-Étienne, Gaël Perdriau. Tout le travail que nous faisons sur le terrain est mis à mal par les petites phrases des uns et des autres. C’est un vrai manque de respect vis-à-vis des militants. »

Laurent Marcangeli fustige lui aussi cette « guéguerre permanente » qui « a un peu nui au lancement de la campagne ». « Les électeurs nous disaient qu’on ne s’en sortirait jamais, raconte le député et maire d’Ajaccio. Ils nous ressortaient la vieille rengaine de “la droite la plus bête du monde”… » Également interpellé sur le sujet à maintes reprises, Robin Reda est sorti des municipales « renforcé par une conviction : les électeurs attendent vraiment le renouvellement ».

Aucune figure de la nouvelle génération ne semble aujourd’hui pressée de rejoindre officiellement l’une des nombreuses écuries que compte l’UMP. En revanche, tous esquissent déjà leurs préférences en vue de la primaire de 2016, dont beaucoup défendent le principe. « La primaire, c’est moderne ! Il faut vivre avec son temps, argue l’édile d’Angoulême (Charente), Xavier Bonnefont, 34 ans. Cela permettra à de nouvelles figures d’émerger. »

Arnaud Robinet, qui se revendique – comme son collègue parlementaire Gérald Darmanin – de la “team XB”, plaide lui aussi en faveur d’un scrutin interne, à condition que celui-ci soit « rapidement organisé ». Dans le cas contraire, le député et maire de Reims craint que le processus ne continue de « brouiller les cartes » et que « chacun (ne) joue sa petite musique de son côté », ajoutant ainsi de la cacophonie à la cacophonie. Quant à savoir quelle figure de l’UMP serait aujourd’hui la plus à même de conduire le parti pour la présidentielle de 2017, les jeunes élus restent très prudents.

Le député Arnaud Robinet, nouveau maire de Reims.Le député Arnaud Robinet, nouveau maire de Reims. © DR

Les noms de Bruno Le Maire, Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet sont davantage cités que ceux de Jean-François Copé et François Fillon, acteurs principaux du « triste spectacle » joué fin 2012. « Ils sont tous les deux hors course pour 2017 parce qu’ils se sont trop mal comportés », assure le maire de Ouistreham, Romain Bail, qui dit se reconnaître davantage dans « la ligne de Juppé, celle d’une droite républicaine ». « Ils ont plongé l’UMP dans une guerre d’apparatchiks dignes d’autres temps chez les socialistes. Ces deux guignols ont réussi à saboter en une heure tout notre travail de terrain. »

Reste la question du retour de Nicolas Sarkozy, dont Grégoire de Lasteyrie rappelle qu’il « continue à avoir énormément de relais dans le parti ». « La perspective de son retour suscite un espoir chez les militants », affirme le nouveau maire de Palaiseau. « Nous aurons besoin de tous les talents de l’UMP et Nicolas Sarkozy en fait partie », élude l’édile d’Angoulême, Xavier Bonnefont. « Dans tous les cas, je suivrai le choix de Copé », ajoute Brice Rabaste, chef de cabinet du patron de l'UMP et maire de Chelles, sans préciser les intentions de son mentor. Mais parmi les jeunes élus, certains se font beaucoup plus critiques vis-à-vis de l’ancien président de la République.

« Je ne suis pas convaincu que nous ayons besoin d’un “Nicolas Sarkozy le sauveur”, lance le maire de Ouistreham, Romain Bail. Il n’y a pas encore de leader à l’UMP et je trouve dommage qu’il joue là-dessus. Cela nous garde dans un atermoiement attentiste qui n’est pas bon. Si j’étais Sarkozy, je m’occuperais de bien autre chose que des Français. Il s’en est occupé pendant 5 ans et ils ne l’ont pas reconduit. Il faut passer à autre chose maintenant. »

Le nouveau maire de Ouistreham, Romain Bail (au centre) et son équipe municipale.Le nouveau maire de Ouistreham, Romain Bail (au centre) et son équipe municipale. © Twitter / @BailRomain

S’il revient pour de bon, « Nicolas Sarkozy devra changer d’entourage », explique de son côté Arnaud Robinet. Le député et maire de Reims en est convaincu : l’ex-président de la République « ne peut pas repartir avec ceux qui l’ont accompagné en 2012, tous ces protagonistes qui ont essayé de droitiser l’UMP et qui se sont cramés vis-à-vis des Français ». L’élu fait partie de ceux qui auraient préféré que le parti procède à un « droit d’inventaire » à l’issue des législatives de 2012. « Maintenant, c’est trop tard, on a trop attendu », déplore-t-il, suivi sur ce point par la maire de Taverny, Florence Portelli, qui « regrette » que l’UMP n’ait pas su « se remettre en question » : « J’ai de grands moments de solitude assez régulièrement… »

Le maire de Ouistreham continue à se revendiquer « sarkozyste », mais ne cache pas avoir lui aussi été « gêné » par certains « changements survenus à la fin du mandat » de Nicolas Sarkozy. « J’ai pris ma carte à l’UMP en 2002 et depuis je n’ai jamais quitté le navire, souligne cet ancien professeur. Cela m’a parfois amené à défendre des idées indéfendables. »

La ligne adoptée par l'ancien président de la République à compter de 2010 et du fameux discours de Grenoble ne choque pas tout le monde. « La droitisation, ça n'existe pas », garantit l'édile de Saint-Étienne, Gaël Perdriau. « Je ne peux pas critiquer cette ligne car c'était une période très particulière, le pays était en crise », ajoute celui de Chelles, le copéiste Brice Rabaste.

Brice Rabaste et Jean-François Copé.Brice Rabaste et Jean-François Copé. © chellois.com

Outre ces deux exemples, la plupart des jeunes élus interrogés par Mediapart affichent toutefois leur malaise quant à la droitisation opérée par l’UMP et à la stratégie élaborée par l’ancien conseiller officieux de Sarkozy, Patrick Buisson, durant la présidentielle de 2012. S’ils se reconnaissent toujours dans « les valeurs de la droite », ils avouent toutefois avoir perdu le fil de la ligne adoptée par le parti depuis bientôt cinq ans. « Tout ce qui est excessif est vain, indique Laurent Marcangeli. Ceux qui essaient de courir après certaines thèses doivent faire attention à ce qu’ils font. Les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie. »

Se réclamant « gaulliste et patriote », le député et maire d’Ajaccio plaide pour un recentrage de l’UMP. « Le parti doit se réorienter, se retrouver, se rechercher, esquisse également Arnaud Robinet. Il faut mener un partenariat très fort avec nos partenaires centristes. L’avenir se situe au centre droit. » À ce propos, Laurent Marcangeli, comme l’édile de Taverny Florence Portelli, regrette que la voix de l’opposition ne soit portée médiatiquement que par quelques-uns, « qui ne sont pas élus et ne représentent qu’une vision partielle du parti ».

Dans le viseur des nouveaux maires : Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, les fondateurs de la Droite forte, l’aile droite de l’UMP. Régulièrement invités par les médias, tous deux incarnent dans l’esprit collectif “la jeunesse” du parti et de facto son avenir. Au grand dam de « ceux qui préfèrent le terrain aux plateaux de télévision ». « Nous ne sommes pas la face cachée, car nous sommes très connus localement, poursuit le député et maire d’Ajaccio. Mais les médias devraient nous appeler plus souvent s’ils veulent donner une image fidèle de l’UMP. »

Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, en juin 2013.Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, en juin 2013. © Facebook / La droite forte

Le succès des jeunes élus aux municipales rebat certes un peu les cartes. Mais Arnaud Robinet veut « prendre la victoire avec humilité ». « Au vu des taux d’abstention et des résultats obtenus par le FN, il n’y a vraiment pas de quoi fanfaronner, affirme le député et maire de Reims. Ces résultats appellent surtout à une autre façon de faire de la politique. »

Exercer le pouvoir, mais autrement. Telle est l’ambition de la nouvelle génération de l’UMP. « Nous pouvons peser en amenant un autre style, affirme le maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau. Cela passe par un contact permanent avec les gens. Ce que nous vivons sur le terrain doit alimenter le projet de notre parti pour la France. » Alors que « la droite ne jure pour l’heure que par des calculs destinés à récupérer des électeurs », selon l’édile de Juvisy-sur-Orge Robin Reda, les jeunes maires entendent doter l’UMP d’un « fond idéologique » solide, directement inspiré de leur expérience locale.

D’autres, à l’instar de Romain Bail, s’aventurent encore plus loin. « Les gens n’en peuvent plus des donneurs de leçons, explique le maire de Ouistreham. Le manque de transparence, le cumul des mandats, les privilèges… Ça suffit ! Nous devons rompre avec ces vieilles méthodes. Il faut repenser tout le système des institutions françaises. » Forts de leur succès et de la courtisanerie de leurs aînés, les nouveaux maires entendent bien imposer leur voix et leurs idées. « Les ténors de l’UMP ne pourront pas se passer de nous, assure Robin Reda. Ils devront prendre en compte cette envie de renouvellement qui s’est exprimée aux municipales et s’adapter à ce que nous leur remontons du terrain. »

« Si l'on me demande mon avis, je le donnerai bien volontiers », surenchérit le député et maire d’Ajaccio Laurent Marcangeli, avant d’ajouter : « Enfin, si l'on ne me le demande pas, je le donnerai quand même. » Un point de vue partagé par Arnaud Robinet qui estime que « le poids politique » de la nouvelle génération « peut inciter (leurs) aînés à se calmer ». Le député et maire de Reims met toutefois ses petits camarades en garde : « Attention à ne pas allumer une autre guerre en se lançant dans un conflit générationnel ! »

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées par téléphone entre les 11 et 18 avril. Pour dresser la liste des communes de plus de 9 000 habitants qui ont basculé de gauche à droite, j'ai utilisé les données recensées par Francetvinfo.fr, que j'ai complétées sur l’âge, le sexe et les mandats précédents ou en cours. Dans de rares cas, je n'ai pas trouvé l’âge des élus. Il se peut aussi que certains mandats déjà effectués m'aient échappé.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La Russie veut surveiller ses élèves sur Internet


Haute tension à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

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Révolution thérapeutique ou nouveau cas de manipulation de données scientifiques ? Au moment où l’affaire des cellules STAP provoque un scandale dans la biologie japonaise, une polémique beaucoup plus discrète agite le milieu de la recherche médicale française. Elle concerne un essai clinique, réalisé par une équipe de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, qui a fait en décembre 2011 l’objet d’une publication remarquée dans l’un des plus prestigieux journaux médicaux internationaux, le New England Journal of Medicine (NEJM).

L'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (entrée Mazarin)L'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (entrée Mazarin) © Vaughan

Cet article était signé de neuf auteurs, dont le professeur Patrice Cacoub et le docteur David Saadoun, du service de médecine interne de la Pitié-Salpêtrière, et le professeur David Klatzmann, co-découvreur du virus du sida et chef du service de biothérapies du même hôpital. L’essai clinique, appelé Vascu-IL2, était soutenu par l’ANRS (Agence nationale de la recherche sur le sida et les hépatites). Il démontrait l’intérêt de l’interleukine-2 (IL-2), molécule utilisée pour soigner certains cancers, dans le traitement de patients infectés par le virus de l’hépatite C et souffrant d’une vascularite, maladie auto-immune induite par le virus. Selon les auteurs, le traitement se révélait d’une efficacité remarquable, puisqu’il entraînait « l’amélioration de l’état clinique de 8 des 10 patients. »

Ces résultats spectaculaires ont été salués dans la presse comme une « avancée prometteuse » et un « nouvel espoir » pour le traitement d’autres maladies auto-immunes comme la sclérose en plaques ou le diabète. Dans la foulée, Patrice Cacoub et David Klatzmann ont participé au lancement d’une start-up dont ils sont actionnaires, Iltoo Pharma, destinée à développer les applications thérapeutiques de l’interleukine-2. Et Klatzmann a dirigé un nouvel essai, cette fois sur le diabète, tandis que d’autres sont en cours ou en projet.

Mais ces perspectives brillantes sont assombries par une fâcheuse controverse : peu après la publication, plusieurs médecins-chercheurs ont contesté – en coulisse –  la validité de l’essai Vascu-IL2, jugeant que l’article devrait être retiré. L’ANRS et le NEJM ont été contactés et ont reçu des messages signalant des discordances entre les données publiées dans l’article et les observations faites pendant l’essai.

En octobre 2012, un groupe de correspondants anonymes a adressé au NEJM un courriel dont voici un extrait : « Nous avons été alertés par des collègues s’occupant de la surveillance biologique des patients inclus dans l’étude et par des étudiants et des praticiens impliqués dans la surveillance clinique des patients. Ils nous ont indiqué que les données publiées ne correspondaient pas aux vraies données biologiques et cliniques. Nous avons passé en revue les dossiers cliniques des patients… et sommes parvenus à la conclusion que des discordances apparaissent pour tous les patients entre (ces dossiers) et les résultats biologiques et/ou cliniques. »

 

Dans un autre mail, en février 2014, les correspondants anonymes accusent les auteurs de l’article du NEJM d’avoir fabriqué des données : « La prise en compte des résultats cliniques réels mettrait en péril la conclusion entière de l’article car certains patients ont vu leur pathologie flamber tandis que pour la plupart d’entre eux, aucune amélioration n’a été réellement observée. Nous insistons sur le fait que la présence de purpura au début de l’essai, qui est le principal symptôme clinique censé disparaître sous IL-2, a été fabriquée chez la plupart des patients. »

Le purpura est l’un des principaux symptômes de la vascularite, l’inflammation des vaisseaux sanguins dont souffrent les patients de l’essai. Il se manifeste par des taches rouges et violettes sur la peau. D’après l’article du NEJM, huit patients sur huit atteints de purpura au début de l’essai ont vu leur symptôme s’amender avec les injections d’IL-2, soit une efficacité de 100 %.

Seul problème : d’après les comptes rendus d’hospitalisation des patients, dont nous avons pu consulter des copies (anonymisées), un seul patient souffrait de purpura au début de l’essai ; et son état s’est aggravé après les injections d’IL-2, à tel point que les médecins lui ont prescrit un traitement complémentaire à la colchicine. Un autre patient a eu une flambée de purpura pendant l’étude, alors qu’il n’en avait pas au début. Le traitement apparaît donc inefficace, sinon aggravant, en contradiction avec l’article du NEJM. Au total, Mediapart a pu consulter un ensemble de comptes rendus de plus de 100 pages, où apparaissent de multiples discordances avec les données cliniques rapportées dans l’article.

Le plus étonnant est que cette controverse, qui a mobilisé l’ANRS, les autorités de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’université Pierre et Marie Curie (UPMC), à laquelle sont rattachés plusieurs auteurs de l’article, est restée confidentielle. La seule allusion à l’affaire dans un média public est un billet sur un blog spécialisé dans l’analyse des revues biomédicales, rédigé par le docteur Hervé Maisonneuve, qui évoque l’hypothèse d’un « cas d’embellissement de données ».

Le professeur Patrice CacoubLe professeur Patrice Cacoub © DR

Hypothèse énergiquement démentie par le professeur Cacoub, responsable de l’essai : « Je fais mon travail le mieux que je peux, nous a-t-il déclaré. Un courrier anonyme a été envoyé au patron de l’ANRS pour dire que les données n’étaient pas correctes. Je ne sais pas qui a fait cette démarche. Elle aurait dû être transparente. L’ANRS a mandaté un audit et a validé l’étude. Je ne vais pas faire un audit de l’audit. Il y a une malveillance vis-à-vis de l’équipe qui s’est exercée et qui persiste. Mais nous n’avons pas trafiqué les données. Il n’y a pas eu d’embellissement. »

David Klatzmann, avec qui nous avons eu un long entretien, estime que l’affaire est un « non-sujet » : « Nous sommes visés depuis le début par une campagne de dénigrement, dit-il. Si les gens qui nous critiquent étaient animés d’intentions louables, ils se seraient exprimés de façon ouverte et non sous couvert d’anonymat. Il faut se demander quel objectif poursuivent depuis deux ans ces personnes. Ce sont des manipulateurs, qui poursuivent des buts peu avouables. Cette histoire va faire pschitt. »

Le professeur David KlatzmannLe professeur David Klatzmann © Inserm/Etienne Begouen

David Klatzmann laisse entendre que les attaques sont dues à des rivalités au sein de l’hôpital plus qu’au contenu de l’article. Plusieurs sources nous ont confirmé qu’un climat de rivalité et de tension régnait dans le service de médecine interne de la Pitié-Salpêtrière, qui a d’ailleurs été divisé en deux. L’anonymat des contradicteurs les disqualifie-t-il, comme le jugent Patrice Cacoub et David Klatzmann ? Dans leur mail d’octobre 2012 adressé au NEJM, les correspondants s’en expliquent : « Bien que les médecins locaux soient conscients des problèmes soulevés par l’article, aucun d’entre eux, à cause de pressions locales et de la crainte de représailles, n’a pu vous envoyer ce mail, écrivent-ils. La raison pour laquelle nous conservons l’anonymat est aussi liée à une pression politique et à un risque élevé de poursuites judiciaires. »

Le fait que les critiques soient anonymes implique-t-il qu’elles soient infondées ? Et l’atmosphère du service explique-t-elle que les résultats publiés ne soient pas en accord avec les dossiers médicaux ?

 

UN AUDIT QUI LAISSE DES QUESTIONS SANS REPONSE

L’ANRS, organisme promoteur de l’essai, a été prévenue fin janvier 2012, nous indique le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l’agence. « J’ai été alerté par un courrier anonyme signalant des problèmes dans les données de l’article, dit-il. J’ai prévenu la direction de l’hôpital, le doyen de la faculté Pitié-Salpêtrière, ainsi que Jean Chambaz, le président de l’UPMC, et la direction de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). J’ai décidé de demander un audit de l’essai. Je précise que même si, dans ce cas, c’est l’alerte qui a déclenché l’audit, il ne s’agit pas d’une démarche exceptionnelle. Nous faisons auditer en général deux essais par ans, sans que cela préjuge d’un problème particulier. »

L’audit de l’essai Vascu-IL2 a été confié à deux sociétés privées de consultants, Antha et Medi.axe. La première est une société à associé unique dont le gérant est le docteur Jean-Michel Andrieux et qui a été immatriculée le 14 mars 2012, après l’alerte envoyée à l’ANRS. La seconde a été créée en 2001 et a de nombreux clients dans l’industrie pharmaceutique.

L’audit a été mené du 19 au 23 mai 2012 dans les services de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière ainsi qu’à l’ANRS qui, en tant que promoteur, avait un rôle de contrôle de l’essai. « Cet audit a soulevé toute une série de points, en particulier des irrégularités concernant les consentements des patients », dit Jean-François Delfraissy. L’un des patients n’a signé son consentement éclairé que le 14 février 2012, deux mois après la parution de l’article du NEJM. Pour six autres patients, les consentements éclairés ne sont pas conformes aux règles. L’audit indique que ces observations « constituent des points majeurs ».

Patrice Cacoub conteste en bloc : « Croyez-vous que le NEJM, le plus grand journal médical international, aurait accepté l’article si les consentements n’étaient pas corrects ? S’il y avait eu un problème de ce type-là, jamais l’article ne serait passé. » L’audit est pourtant clair sur cet aspect.

Les auditeurs relèvent qu’un résumé du rapport final de l’étude mentionne un « EIG », événement indésirable grave, qui n’est pas rapporté dans le dossier de l’essai présent à l’ANRS. L’article paru en décembre 2011 ne faisait état que d’effets indésirables légers (cela a été corrigé ensuite).

Les auditeurs ont comparé les données de la publication avec celles des documents sources. Ils ont constaté des « erreurs de transcription » pour plusieurs marqueurs biologiques (cryoblobulines, charge virale et C4). En revanche, l’audit affirme que les données sont « totalement concordantes » pour l’évolution clinique des patients : « L’amélioration clinique des patients rapportée dans l’article est conforme à celle notée dans les dossiers médicaux. »

Cette conclusion s’oppose aux documents médicaux que nous avons examinés. Aucune des personnes que nous avons interrogées n’a mis en doute l’authenticité de ces documents, qui émanent de l’hôpital et n’ont pu être créés de toutes pièces.

Les auditeurs ne sont pas parvenus à éclaircir des points qui paraissent importants. Ils écrivent en toute candeur « qu’il n’est pas possible de déterminer qui a constitué les fichiers Excel utilisés pour la publication ». Les auditeurs ignorent donc par qui ont été établis les fichiers de données qui ont servi à la rédaction de l’article. Cela semble une sérieuse lacune. De plus, le fait qu’un effet indésirable grave n’ait pas été signalé n’empêche pas les auteurs d’affirmer que les données cliniques sont « totalement concordantes ».

En conclusion, les auditeurs jugent que les écarts constatés ne remettent pas en cause la publication : « L’ANRS décidera s’il y a lieu de faire une rectification au NEJM, mais cela n’apparaît pas nécessaire étant donné le faible impact potentiel des différences constatées. »

Comment l’audit a-t-il résolu la contradiction entre les documents médicaux et les données cliniques rapportées dans l’étude ? Le docteur Jean-Michel Andrieu, responsable de l’audit, a répondu à nos sollicitations en invoquant une clause de confidentialité. Le professeur Jean Chambaz, président de l’université Pierre et Marie Curie, n’a pas non plus de réponse : « Après concertation avec Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS,  j’ai saisi mon délégué à l’intégrité scientifique, dit-il. Il a mené une investigation en toute indépendance, sans aucune interférence de ma part, en s’entourant des experts de son choix. Je n’ai pas eu connaissance de l’identité de ces experts ni des éléments demandés au cours de l’investigation. À défaut d’éléments nouveaux, je ne peux rien faire de plus. »

Structure cristalline de la molécule d'interleukine-2.Structure cristalline de la molécule d'interleukine-2. © Ramin Herati

 

Également contacté, le délégué à l’intégrité scientifique de l’UPMC, le mathématicien Olivier Pironneau, nous a indiqué que ses conclusions étaient réservées au président de l’université.

Deux autres audits ont été effectués, l’un en décembre 2012 et l’autre en janvier 2014. Celui de décembre 2012 donne des conseils pratiques comme celui-ci : « Quand un CV comporte plusieurs pages, il est recommandé de numéroter les pages »… Le troisième audit déconseille les « annotations faites au crayon à papier, autorisant ainsi des modifications ultérieures sans laisser de traces ». Il expose la mise en place de la base de données définitive de l’essai – plus de deux ans après la publication ! – et confirme la validité de l’étude.

En février 2014, les auteurs ont effectué une correction dans l’article : ils ont modifié les données biologiques qui comportaient des erreurs, et ont mentionné l’effet indésirable grave initialement oublié (image ci-dessous). Le rectificatif, sybillin, indique qu’un audit a été effectué, et que « l’article est correct » (consulter la version corrigée).

Version initiale et version corrigée de l'article du NEJM.Version initiale et version corrigée de l'article du NEJM. © Mediapart

 

LA TOLÉRANCE DU NEW ENGLAND JOURNAL OF MEDICINE

Les professeurs Cacoub et Klatzmann insistent sur l’extrême exigence du comité éditorial du NEJM : comment un journal de cette qualité aurait-il accepté un article entaché de graves erreurs ? Force est de constater que le journal, qui a reçu des copies traduites des trois audits, ne semble guère s’être ému de l’irrégularité des consentements qui, même si elle n’affecte pas le contenu scientifique de l’article, constitue un manquement aux règles éthiques.

Nous avons interrogé le journal sur les discordances entre les données cliniques publiées et les rapports médicaux. Le rédacteur en chef du NEJM, Jeffrey Drazen, nous a répondu par un mail du 28 mars : « Nous avons été alertés de la possibilité que les données dans la publication originale n’aient pas été correctement rapportées. Nous avons alors… demandé aux institutions sponsors des auteurs, l’ANRS et l’université Pierre et Marie Curie, de mener des investigations. Nous avons reçu des assurances du Dr Delfraissy de l’ANRS et du Dr Chambaz de l’UPMC que les symptômes cliniques observés pendant l’étude avaient été décrits honnêtement et correctement. Ils ont reconnu qu’il y avait des erreurs dans certaines données qui devaient être corrigées et notre correction a été basée sur leur examen. »

Logo du New England Journal of MedicineLogo du New England Journal of Medicine © DR

À une relance de notre part, Jeffrey Drazen a répondu en suggérant que nous soumettions nos informations à l’ANRS et à l’UPMC… En résumé, le rédacteur en chef du NEJM s’appuie sur les garanties du directeur de l’ANRS et du président de l’UPMC, qui eux-mêmes s’appuient sur l’audit effectué par Antha et Medi.Axe. Ce système de vérification indirecte n’a pas apporté de réponse claire aux questions soulevées par les correspondants anonymes du NEJM, lequel ne s’en inquiète pas davantage.

David Klatzmann observe que l’objectif premier de l’essai n’était pas de tester l’efficacité clinique du traitement, mais de vérifier un critère biologique : le fait que les injections d’interleukine-2 faisait remonter chez les patients le taux de certains lymphocytes, dits T-régulateurs (ou Tregs). « L’augmentation des Tregs, qui constitue le critère principal de l’essai, n’a été contestée par personne, dit-il. Il se trouve qu’en plus, on constate des améliorations chez la plupart des patients. C’est un bonus. »

Même si l’amélioration de l’état clinique des patients n’était pas l’objectif principal de l’étude, la précision des données cliniques reste essentielle. Pour participer à l’essai, les patients devaient présenter trois symptômes de vascularite : purpura, arthralgie (douleur articulaire), et asthénie (fatigue). Ou, à défaut, avoir subi une biopsie prouvant l’existence d’une vascularite. Si l’on applique ces critères en prenant les données cliniques issues des documents médicaux, plusieurs patients n’auraient même pas dû figurer dans l’essai !

Dans leur mail de février 2014, les correspondants anonymes indiquent au NEJM que l’un des patients a une cirrhose, « ce qui est un critère d’exclusion dans l’étude ». Et ils observent qu'un patient vient de Mongolie, « alors que seuls des patients caucasiens étaient censés être inclus ». Ils signalent aussi que certains patients ne remplissent pas les critères d’inclusion « parce qu’ils n’ont pas de mesures montrant un niveau détectable de cryoglobuline (un marqueur biologique) ». Le journal leur a répondu, sans autre explication, que les données étaient « accurate » (correctes). Pour le NEJM, l’affaire est close.

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Otages français en Syrie: une libération et des questions

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Les quatre journalistes français, ex-otages en Syrie, ont atterri dimanche matin en France, sur la base militaire d'Évreux, avant de rejoindre Villacoublay, au sud de Paris, à bord d'un hélicoptère. Accueillis par le président de la République et le ministre des affaires étrangères, Didier François (grand reporter à Europe 1), Édouard Elias (photographe), Nicolas Hénin (Le Point, Arte) et Pierre Torres (photographe indépendant) ont pu y embrasser leurs familles et collègues. Que sait-on ce dimanche de leur détention et des conditions de leur libération ?

Sur le tarmac de Villacoulblay, dimanche matinSur le tarmac de Villacoulblay, dimanche matin © Reuters

Didier François et Édouard Elias avaient été enlevés au nord d'Alep le 6 juin 2013. Nicolas Hénin et Pierre Torres avaient eux été enlevés deux semaines plus tard, le 22 juin, à Raqqa, grande ville du nord de la Syrie sur laquelle les extrémistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Isis en anglais) avaient mis la main en avril 2013. Les quatre journalistes étaient détenus par ce groupe djihadiste, créé en 2013 et principalement composé de combattants étrangers. Sur Europe 1, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a confirmé que certains de leurs geôliers parlaient français. « Il y a malheureusement des Français, des Belges, des Européens, qui sont partis, comme ils le disent, faire le djihad en Syrie », a-t-il rappelé. Parmi les 2 000 Européens combattant en Syrie, il y aurait environ 700 Français, suivis par les Britanniques et les Allemands.

Deux des journalistes, qui n’ont pas encore été débriefés par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ont donné un aperçu de leurs dix mois de détention. Prudemment, car plusieurs otages restent aux mains de l’EIIL. Didier François a ainsi insisté sur la nécessité de « réfléchir avant de dire n'importe quoi ». Selon Serge July, président du Comité de soutien, l'État islamique en Irak et au Levant détiendrait encore « plus d'une vingtaine d'Occidentaux ».

Ces enlèvements n'ont jamais été revendiqués, il n’y a pas eu de demande de rançon officielle, pas plus de messages vidéos ou de revendications politiques. Selon Gilles Kepel, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et interrogé par France info, à force de multiplier les enlèvements de journalistes et d’humanitaires occidentaux, le groupe extrémiste serait « en situation d’isolement croissant ». Accusé d’avoir confisqué la lutte contre le régime de Bachar al-Assad au profit de la création d’un califat englobant l’Irak et la Syrie, le groupe djihadiste est depuis début 2014 combattu au sein de la rébellion par certains groupes islamistes modérés. « Les soutiens à la rébellion syrienne pâtissent considérablement de la présence de l’Isis et de son image djihadiste et ultra anti-occidentale », a expliqué le chercheur au micro de France info.

Dans un premier temps, l’agence de presse turque Dogan avait indiqué que les otages avaient été relâchés vendredi soir à la frontière au poste d'Akçakale, au nord de Raqqa, par un groupe syrien inconnu, les mains liées et les yeux bandés. Nicolas Hénin a assuré à France 24 qu'ils n'avaient pas les yeux bandés. « Nous avons traversé la frontière à tête découverte et les mains dans les poches », a démenti le journaliste du Point. Il y avait clairement eu coordination. Les militaires turcs nous attendaient.»

À la base de Villacoublay, Didier François a raconté avoir eu l’impression de vivre dans un « trou noir, à l’isolement total ». « Sur les dix mois et demi » de captivité, les quatre journalistes seraient « restés dix mois complets dans des sous-sols sans voir le jour, un mois et demi entièrement enchaînés les uns aux autres ». Le tout dans un pays en pleine guerre civile. « Parfois, c'était un petit peu bousculé, les combats étaient proches, il est arrivé qu'on soit déplacés très rapidement dans des conditions un peu abracadabrantes », a décrit Didier François.

Nicolas Hénin a de son côté expliqué que les otages avaient été « plongés dans le chaos syrien avec tout ce que ça veut dire ». Samedi, le journaliste avait affirmé à France 24 être passé au total « par une dizaine de lieux de captivité ». « La plupart du temps, avec d'autres personnes, notamment Pierre Torres qui m'a rejoint assez vite. Cela a été une longue errance de lieu de détention en lieu de détention.(...) Nous avons fait des trajets parfois sur plusieurs jours donc potentiellement sur plusieurs centaines de kilomètres». Nicolas Hénin avait aussi évoqué sa tentative d'évasion trois jours après son enlèvement. « J'ai passé une nuit en liberté à courir dans la campagne syrienne avant de me faire rattraper par mes ravisseurs », a-t-il dit. Tout un parcours que les ex-otages devraient bientôt décrire en détail à la DGSE, « quand ils voudront et quand ils pourront », indiquent les autorités françaises.

«Nous n'avions jamais perdu leur trace» a assuré au Journal du dimanche un officiel français. Selon Libération qui a eu accès aux témoignages d'anciens otages qui avaient croisé leur chemin, Didier François et Édouard Elias ont d'abord été détenus à Alep «enfermés dans un hôpital transformé en prison». «Mais en janvier, alors que les combats entre factions éclatent, leurs ravisseurs décident de les transférer à Raqqa, dont ils ont encore le contrôle», écrit le journaliste Luc Mathieu. 

D’après plusieurs sources, les négociations ont été menées par la DGSE, dirigée par Bernard Bajolet, sans passer par un service tiers, contrairement à ce qui s'était passé pour les otages français d'Arlit en octobre 2013 ou pour la libération des humanitaires maliens cette semaine. « On est dans un format très classique où la DGSE a agi directement sous l’autorité du chef de l’État et du ministre de la défense », assure un représentant des autorités françaises. Ultramobilisé depuis juin 2013, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, s’est, selon une source, rendu lui-même en Turquie « ces derniers semaines, afin de finaliser le modus operandi et l’extraction des journalistes français ». Selon cette même source, le président de la République avait « été assuré en début de semaine que les choses se passeraient bien ».

Le 2 mars 2014, l’EIIL relâche à la frontière turque un journaliste espagnol, Marc Marginedas, du quotidien El Periódico, enlevé en septembre dans le centre de la Syrie. À l’issue de sa détention, Marc Marginedas avait téléphoné aux parents de Pierre Torres, avec lequel il s’était lié d’amitié pendant leur détention à Raqqa. Il leur avait indiqué que Pierre Torres était « détenu avec les trois autres Français et encore d’autres otages ». Puis, le 30 mars, c’est le tour de deux autres journalistes espagnols travaillant pour le journal El Mundo d'être libérés. Selon deux sources, des humanitaires auraient également été relâchés dans la foulée.

Les services français sont-ils passés par les mêmes filières de négociation que les Espagnols ? Ont-ils bénéficié de retours et du débriefing des autorités espagnoles et d'éventuels autres négociateurs ? Un officiel français assure que la DGSE a œuvré avec plusieurs services étrangers, « européens et américains », qui cherchaient eux-mêmes à récupérer leurs ressortissants.

Mais sans passer par l’intermédiaire de chefs d'État ou des services des pays du Golfe, à l’en croire. «Nous prenons toujours les choix les plus efficaces, explique cet officiel. Pour les cinq otages maliens, libérés en début de semaine, nous avions fait le choix d’une opération militaire, d'une action par le feu. Pour les quatre otages français d’Arlit (libérés le 29 octobre 2013  ndlr), ce sont les relations de M. Mohamed Akotey avec le président du Niger qui ont été déterminantes. Là, nous avons pris un chemin plus classique. »

Y a-t-il eu rançon ? Sans surprise, François Hollande a démenti, rappelant sa stratégie officielle depuis mai 2012. « L'État ne paie pas de rançon, a répété dimanche le président de la République. C'est un principe très important pour que les preneurs d'otages ne puissent être tentés d'en ravir d'autres. » Avant d’ajouter : « Tout est fait par des négociations, des discussions. Je ne veux pas être plus précis, car nous avons encore deux otages. » Deux Français sont encore détenus par des ravisseurs au Mali, Gilberto Rodriguez Leal et Serge Lazarevic. Laurent Fabius s'est de son côté contenté d'évoquer dans un communiqué « un travail long, difficile, précis, nécessairement discret ». 

Concernant le sort de Gilberto Rodriguez Leal, 61 ans, Laurent Fabius s’est dit dimanche « très inquiet ». « Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu de nouvelles. Nous avons des contacts avec la famille mais nous sommes effectivement très inquiets », a déclaré le ministre des affaires étrangères sur Europe 1.

« Je pense que les autorités françaises n’ont pas payé, car le président de la République prendrait un risque énorme à mentir sur ce point », estime Louis Caprioli, ex sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à feu la Direction de la surveillance du territoire (DST). Ce qui n’exclut pas, selon lui, que d’autres aient pu le faire à la place de la France. « Si les négociations sont passées par les services arabes des pays du Golfe, peut-être y a-t-il eu des compensations financières ou en armement du Qatar ou de l’Arabie saoudite, deux pays qui ont développé une diplomatie du cash, grâce à leurs ressources en pétrole et en gaz », s’interroge-t-il.

Une hypothèse partagée par Alain Marsaud, ancien magistrat chargé des dossiers de terrorisme (aujourd'hui député UMP des Français de l'étranger). Il a estimé sur I-Télé qu'« il y a toujours une contrepartie » et que « si ce n'est pas nous qui payons, c'est d'autres qui payent à la place », citant notamment « nos amis, soit qataris soit des Émirats arabes unis ».

Questionnés dimanche, le ministère des affaires étrangères, celui de la défense et l’Élysée restent muets sur ce point. De son côté le Journal du Dimanche affirme que « s'il avait été fait état de négociations financières avec des montants parfois astronomiques réclamés par les djihadistes, cette fois, il ne semble plus que ce soit la condition première ». « D'autres demandes ont été satisfaites », a indiqué une source à l’hebdomadaire.

Suite à la libération des quatre derniers otages français d’Arlit, fin octobre 2013, Le Monde avait révélé que la « contrepartie » pour ces employés de Vinci et d’Areva s’était élevée à « plus d'une vingtaine de millions d'euros ». La somme avait été prélevée, selon le quotidien, sur les fonds secrets alloués aux services de renseignement. Mais l’opération n’avait pas été directement montée par la DGSE. Selon le quotidien, Pierre-Antoine Lorenzi, un ancien de la DGSE aujourd'hui à la tête de la société privée Amarante, et Mohamed Akotey, figure de la rébellion touareg, avaient agi sans que Bernard Bajolet soit mis au courant. « M. Bajolet, fidèle à la ligne fixée par le chef de l'État début 2013, défend une ligne de discussions sans versement de rançon pour la libération d'otages », décryptait alors Le Monde.

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Conflit d'intérêts : comment sanctionner Aquilino Morelle

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L’UMP s’empare du cas Morelle. Dans une interview au Journal du dimanche, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a réclamé l’audition de l’ancien conseiller de François Hollande devant la commission des affaires sociales du Palais-Bourbon. « Nous avons besoin d’y voir plus clair sur les conflits d’intérêts en cause », a lancé le parlementaire, en référence au contrat signé en 2007 par Aquilino Morelle avec un laboratoire danois, à une époque où l’énarque travaillait à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). « Ce qu'il a fait avant (l’Élysée), il a à en répondre », avait déjà lâché François Hollande vendredi.

Aquilino Morelle a démissionné de son poste à l'Elysée le 18 avril, après les révélations de MediapartAquilino Morelle a démissionné de son poste à l'Elysée le 18 avril, après les révélations de Mediapart © Reuters

Car au-delà du couperet politique, se pose désormais la question de la sanction disciplinaire et pénale – n’en déplaise au député frontiste Gilbert Collard, qui a regretté dimanche qu’un article puisse « déclencher des processus de sanction, la presse n'est pas là pour faire le boulot des procureurs de la République ». En touchant 12 500 euros du laboratoire Lundbeck en 2007, Aquilino Morelle s'est incontestablement placé en situation de conflit d'intérêts (quelle que soit la vigueur de ses dénégations), mais a-t-il commis un simple écart déontologique ? Une faute au regard du droit administratif ? Un délit ? Ou bien les trois ?

Au lendemain de nos révélations, l’Igas a en effet reconnu que son inspecteur s’était mis au service de Lundbeck sans l’autorisation de son chef de service. En creux, elle a ainsi confirmé qu’Aquilino Morelle avait enfreint l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 sur les obligations des fonctionnaires, qui leur interdit « d’exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit ».

Ce principe fondamental, qui vise à garantir l’impartialité des agents publics, ne date pas d’hier. Charles VI l’a sacralisé dès 1388 en interdisant à ses gouverneurs de contracter avec les individus qu’ils contrôlaient ! Huit siècles plus tard, c’est la même idée : comment l’un des 130 inspecteurs de l’Igas, dont la mission consiste à auditer les politiques publiques de santé et du médicament (mise sur le marché, fixation des prix, remboursement, etc.), peut-il agir en toute impartialité s’il est rémunéré en cachette par un laboratoire privé ?

Alors certes, la loi de 1983 autorise des dérogations, mais un décret en fixe les conditions : le fonctionnaire doit décrocher l’autorisation préalable de son administration, délivrée par son chef de service. Comme l’a souligné la commission Sauvé, chargée en 2011 de plancher sur la prévention des conflits d’intérêts, ce sésame n’est accordé qu’en cas de mission parallèle « compatible » avec le métier de l’agent, « ce qui paraît exclure les activités susceptibles de donner lieu à des conflits d’intérêts ».

En l’occurrence, même si Aquilio Morelle avait sollicité une dérogation, son chef aurait refusé tout net de la délivrer : « Ça n’a pas de sens, nous a répondu André Nutte, le patron de l’Igas en 2007. C’est comme si l'on accordait le droit à un directeur d’hôpital entré à l’Igas d’aller travailler parallèlement dans une clinique privée. Ou à un inspecteur du travail de conseiller une entreprise. »

Dans son rapport, la commission Sauvé avait résumé les risques ainsi encourus par les fonctionnaires qui enfreignent « les règles de non-cumul » d’activités : « (Cette) méconnaissance peut être sanctionnée par le reversement à l’administration des sommes indûment perçues (et) par une sanction disciplinaire, sans préjudice des sanctions pénales existantes. »

Alors l’Igas va-t-elle convoquer une commission disciplinaire et passer à l’acte ? Interrogée par Le Monde vendredi, sa direction n’a pas répondu. Mais au-delà des sanctions administratives, une autre question s’impose à l'Igas : peut-elle suspecter qu’un délit a été commis ? Ne doit-elle pas saisir le procureur de Paris ?

Le parquet, qui peut aussi déclencher une enquête de sa propre initiative, se référerait sans doute aux articles 432-12 et 432-11 du Code pénal, respectivement consacrés à « la prise illégale d’intérêts » et au « trafic d’influence ».

Que dit précisément le premier (dans sa version de 2007) ? « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique (…) de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance (…), est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » Comme le précise le rapport Sauvé, cette incrimination a d’abord pour objet d’éviter que les fonctionnaires « ne tirent profit de leurs fonctions », mais elle va bien plus loin : « Le délit de prise illégale d’intérêts vise également à réprimer ceux qui s’exposent au soupçon de partialité et qui se placent dans une situation où leur propre intérêt entre, ou est susceptible d’être regardé comme entrant, en conflit avec l’intérêt public dont ils ont la charge. »

Un juge pourrait-il considérer qu’Aquilino Morelle, comme inspecteur de l’Igas, était chargé « d’assurer la surveillance », à proprement parler, des labos pharmaceutiques ? La justice n’aura sans doute pas l’occasion de trancher : le délit de prise illégale d’intérêts est en effet prescrit trois ans après la commission des faits (en l’occurrence depuis 2010).

Pour le « trafic d’influence », en revanche, les règles de prescription ont été assouplies par la jurisprudence. Dans un arrêt de 2008 (relatif à l'ancien préfet pasquaïen Jean-Charles Marchiani), la Cour de cassation a considéré qu’on pouvait, dans le cas où un fonctionnaire a tout organisé pour dissimuler son méfait, reporter le point de départ du délai de prescription au jour de découverte de l’infraction – en l’espèce, la date des révélations de Mediapart par exemple.

Or Aquilino Morelle a bien organisé le secret autour de son contrat avec Lundbeck. Non seulement il n’en a jamais fait état, mais les comptes de l’Eurl Morelle, sa société de conseil aux labos qui a encaissé les fonds, n’ont jamais été déposés. Qui plus est, Aquilino Morelle en a abandonné la gérance en février 2007, juste avant sa mission pour Lundbeck, pour placer officiellement son frère cadet aux manettes !

Le laboratoire danois "propose une vaste gamme de produits pour les maladies cérébrales" Le laboratoire danois "propose une vaste gamme de produits pour les maladies cérébrales" © DR

Reste à savoir si le délit de « trafic d’influence », puni de dix ans de prison et 150 000 euros d’amende, colle vraiment aux faits qui lui sont reprochés. Il vise tout fonctionnaire qui engrange « des avantages quelconques » (…) « pour abuser de son influence réelle ou supposée, en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ».

Or d’après nos informations, Aquilino Morelle a organisé pour le labo, en échange des fameux 12 500 euros, deux rendez-vous avec des membres du CEPS (Comité économique des produits de santé), l’organisme chargé à l'époque de fixer le prix des médicaments et les taux de remboursement. « On cherchait à stabiliser le prix du Seroplex, un antidépresseur, a raconté un dirigeant de Lundbeck à Mediapart. Il nous a ouvert des portes, et c’est un enjeu majeur : nous permettre d’aller défendre notre dossier auprès de la bonne personne. »

Peu importe qu’ils aient décroché le prix espéré. En matière de « trafic d’influence », la jurisprudence est limpide : le résultat ne compte pas, seulement la tentative. Du coup, cette voie pénale mériterait peut-être un examen approfondi par le parquet de Paris.

Il faut cependant noter que les manquements à la probité (« corruption », « prise illégale d'intérêts », « trafic d'influence », etc.) sont très peu sanctionnés par les tribunaux français, comme le pointe Paul Cassia, professeur de droit public à Paris-I, dans un essai intitulé Conflits d'intérêts, les liaisons dangereuses de la République (Odile Jacob, mars 2014). En 2011, seulement 275 condamnations définitives ont été prononcées (dont 159 pour « corruption » et 50 pour « prise illégale d'intérêts »). Peu signalées, ces infractions s'avèrent en plus difficiles à caractériser – au point que Paul Cassia évoque « un taux ridicule de 0,1 mise en cause pour 1000 élus locaux » (et un taux 5 fois moins élevé encore pour les fonctionnaires territoriaux).

Dans le cas Morelle, cependant, le parquet de Paris pourrait être également saisi par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), cette instance indépendante créée par les lois sur la transparence d’octobre 2013, chargée de passer les ministres comme les hauts fonctionnaires au scanner. La HAT est d’ores et déjà entrée dans la danse vendredi, en indiquant qu’elle entamait « une étude approfondie des déclarations d’intérêts et de patrimoine » d’Aquilino Morelle, qui les a remplies en janvier dernier comme tous les collaborateurs du chef de l’État.

Sa déclaration d’intérêts, qui liste ses activités rémunérées, ne mènera sans doute pas bien loin (pas au contrat avec Lundbeck en tout cas), puisqu’elle remonte seulement cinq ans en arrière. C’est plutôt en épluchant la déclaration de patrimoine d’Aquilino Morelle que l’institution va vérifier qu’aucune infraction pénale n’a été commise : les avoirs listés par le fonctionnaire correspondent-ils aux informations dénichées par Mediapart sur ses biens immobiliers à Paris, Saint-Denis, Sarlat, Périgueux ou encore Perpignan ? Les évaluations indiquées correspondent-elles aux prix du marché ?

À vrai dire, si cette déclaration avait été publiée comme le prévoyait initialement la loi sur la transparence, Mediapart aurait pu faire ce comparatif d’emblée. Mais les données fournies par les collaborateurs du président et des ministres échappent à toute publicité, le Conseil constitutionnel ayant estimé que leur divulgation porterait « une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée » (s’agissant de personnalités non élues).

En cas d’« évaluation mensongère » ou d’« omission » suspectée chez Aquilino Morelle, la Haute autorité devra saisir le procureur de Paris, ces délits étant punis de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Ainsi, contrairement à ce qu’affirme Gilbert Collard (FN), Mediapart ne s’est pas « transformé en Fouquier-Tinville », cet accusateur public du tribunal révolutionnaire de 1793 qui a expédié des milliers de personnes à l’échafaud sans toujours bien distinguer. À partir de nos informations, les autorités administratives et la justice vont simplement pouvoir faire leur travail.

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Européennes : stupeur ou tremblement ?

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À peine remis de leur cécité municipale, les instituts de sondage, toujours extralucides, nous proposent désormais leurs visions pour les européennes, avec l’annonce d’un duel entre l’UMP et le Front national, le PS étant à la ramasse. Ils ont moins de chance de se tromper. Leurs pronostics sont moins aléatoires pour les élections générales que pour les élections locales.  

La perspective d’une forte poussée de l’extrême droite est clairement envisageable. En mai 2014, le parti de Marine Le Pen pourrait bel et bien créer l’événement. Mais attention, cet événement prévisible doit être placé dans son contexte. Sur l’échelle de Richter des séismes politiques, les élections européennes provoquent plus souvent des secousses passagères que des fractures définitives.

Si les européennes pesaient en profondeur sur le destin des hommes et des partis politiques, Bernard Tapie serait en effet devenu président de la République, et les radicaux de gauche auraient mangé le parti socialiste. En 1994, Tapie avait frappé les esprits avec ses 12 %, à une encablure du PS de Michel Rocard à la dérive. Un an plus tard, pourtant, Lionel Jospin sortait en tête au premier tour des élections présidentielles.

En 1999, c’est Charles Pasqua et Philippe de Villiers qui montraient leurs muscles à la télévision. C’en était fini du RPR mené par un "loser", Nicolas Sarkozy, scotché à 12,8 % quand les souverainistes de droite atteignaient les 13,08, et que la liste Chasse et pêche d’un certain Jean Saint-Josse, qui tenait le monde au bout de son fusil, rassemblait presque 7 %. Tsunami ! Fracture ! Plus rien ne serait jamais pareil, disaient les commentateurs. Trois ans plus tard, le RPR remportait la présidentielle, se transformait en UMP, et conservait tous les pouvoirs après avoir gagné les municipales en 2001…

Et 2009, quelle émotion ! Le raz-de-marée d’Europe écologie, 16,2 %, qui talonne un PS humilié, mené par Martine Aubry. Une montée fantastique qui laisse présager des rééquilibrages majeurs à gauche. Trois ans plus tard, François Hollande est élu président de la République, et les écologistes, représentés par Eva Joly, plafonnent à 2,3 %.

Tout se passe comme si les européennes étaient vécues comme une récréation, voire un défouloir, en cas de crise à droite ou à gauche. En 1994, les socialistes venaient de subir une défaite historique, en 1999, le RPR avait raté la dissolution, en 2009, le PS sortait à peine du calamiteux congrès de Reims et de la défaite de 2007. Autant les grandes élections nationales mettent en jeu un réflexe de vote utile, autant ce rendez-vous européen paraît vécu comme un vote inutile, dans lequel on manifeste son humeur plutôt que ses choix, et son indifférence plutôt que son appartenance. Dans un contexte d’abstention croissante en France, les élections européennes, qui sont passées de 60 à 40 % de participation en un tiers de siècle, sont les plus délaissées.

Est-ce à dire qu’une victoire de Marine Le Pen aurait une portée minime ? Oui et non. Oui, en regard de ce qui précède, et qui invite à relativiser les résultats. Non, car les feux de paille européens ont tout de même connu une exception.

En 1984, un parti presque inconnu avait fait sensation. C’était le Front national de Jean-Marie Le Pen, 11 % dans toute la France, 21 % à Marseille, ville de Gaston Defferre, devant le PS… Trente ans plus tard, le FN est toujours là, et le mois dernier il a refait le même coup aux socialistes marseillais.

   

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David Thomson : «Le jihad en Syrie est très accessible»

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Le gouvernement va dévoiler, mercredi 23 avril, une vingtaine de mesures afin de dissuader de jeunes Français d'aller faire le jihad en Syrie. Ces mesures visent à mieux identifier les jeunes Français qui souhaitent partir pour combattre les forces de Bachar al-Assad. Outre le rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs, une des dispositions permettra aux familles dont l'enfant fréquente une mosquée fondamentaliste, ou encore surfe sur des sites faisant l'apologie du terrorisme, d'alerter une structure créée à cet effet.

Qui sont-ils, ces jeunes Français tentés par le jihad ? Combien sont-ils ? Pourquoi quittent-ils la France pour gagner la Syrie et faire le jihad ? « C’est l’islam qui nous a rendu notre identité. » Après avoir passé son adolescence loin des mosquées et de la religion, Yassine a tout quitté, femme, enfant, père et mère pour se rendre en Syrie et combattre le régime syrien. Son témoignage nous est donné à lire dans l’ouvrage Les Français jihadistes, paru le 6 mars 2014. Reporter au service Afrique de Radio France internationale, David Thomson a convaincu 18 candidats au jihad en Syrie de se confier longuement sur les motifs de leur conversion, leurs espoirs, les détails de leur fuite vers le « Sham », le Levant, vers cette Syrie où les combats durent depuis trois ans maintenant, et qui attire les candidats au jihad international. Son livre, qui fait fi de toute source judiciaire, est l’histoire de Yassine, Clémence, Jennifer, Souleymane… qui racontent eux-mêmes leur parcours, de la conversion au voyage à Syrie, jusqu’à leur insertion au sein de la communauté jihadiste française qui s’est formée à Alep et dans d'autres villes du pays.

Selon les statistiques communiquées par l’État français, 700 jihadistes auraient quitté la France pour rejoindre la Syrie. Dans ce processus, Internet joue un rôle clé, par le biais de réseaux sociaux et de vidéos, qui leur permet de se regrouper et de se motiver les uns les autres. Ils peuvent ainsi prendre connaissance de vidéos de « martyrs » tombés au combat face aux troupes de Bachar al-Assad, ou de messages d'émirs et d’Al-Qaida livrant une vision extrémiste de l’islam.

« C’est l’islam qui nous a rendu notre dignité parce que la France nous a humiliés. » Comme celui de Yassine, ces dix-huit témoignages racontent aussi l’histoire d’individus en marge, si ce n’est de la légalité, du moins de la société française dont ils se sentent rejetés et d’une communauté musulmane qu’ils jugent trop permissive. Dix-huit récits d’une rupture, souvent définitive, avec la vie en France, pour rejoindre coûte que coûte le champ de bataille et mourir en martyr.

Les Français jihadistes, David Thomson aux éditions Les Arènes, mars 2014, 237 pages, 18 euros.

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Crédit d'impôt recherche : la niche fiscale intouchable

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La « charge de cavalerie » dénoncée par certains députés socialistes n’a pas tardé. Dès mardi 22 avril, Louis Schweitzer, ancien PDG de Renault, qui doit être nommé commissaire général à l’investissement lors du conseil des ministres de mercredi en remplacement de Louis Gallois, montait au créneau pour défendre le crédit impôt recherche. « Il n’est pas choquant que le parlement débatte des modalités d’un plan global imposé par Bruxelles. Mais quand ils remettent en cause le crédit impôt recherche, je dis halte là. (…) Si elle est remise en cause, elle perd toute son efficacité, même une remise en cause à la marge », déclarait-il sur RTL.

Par sa voix, c’est l’ensemble du monde patronal qui s’exprime. Du Medef à l’Association française des entreprises privées (Afep) en passant par les différents clubs de réflexion et lobbies, tous se retrouvent pour dénoncer le système fiscal, social, administratif français…, sauf le crédit impôt recherche. Une mesure absolument essentielle à laquelle il ne faut surtout toucher. La seule, à les entendre, qui incite encore les entreprises à rester en France et ne pas délocaliser.

Avant même d’avoir été ouvert, le débat sur ce dispositif fiscal semble donc être clos. Pourtant, les questions et les interrogations ne manquent pas sur le sujet. Régulièrement, l’Assemblée nationale et le Sénat se penchent sur cette mesure devenue la plus grosse niche fiscale française au bénéfice des entreprises. Dès juillet 2009, le député UMP Gilles Carrez, alors rapporteur à la commission des finances de l’Assemblée nationale, dénonçait l’étonnant « avantage fiscal » accordé aux grands groupes et notamment aux banques, sans une évaluation précise de son efficacité.

Depuis, les rapports se sont succédé : celui du conseil des prélèvements obligatoires en octobre 2009, celui du Sénat en mai 2010, celui de l’Assemblée nationale en juillet 2010, celui de l’inspection générale des finances en septembre 2010, celui du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales en juin 2011, un premier de la Cour des comptes en octobre 2011, un nouveau rapport du Sénat en juillet 2012, un avis du conseil supérieur et de la technologie en septembre 2012, et un second rapport de la Cour des comptes en septembre 2013. Tant de littérature administrative en si peu de temps traduit un malaise généralisé et relevé par tous : le système du crédit impôt recherche coûte cher, de plus en plus cher – entre 5 et 6 milliards d’euros en 2014 – sans que personne soit en mesure d’en apprécier les réels bénéfices pour la communauté.

Lors de la discussion de la loi de finances, à l’automne 2013, une trentaine de députés socialistes appartenant à l’aile gauche et à la gauche populaire, mais où se trouvaient aussi Valérie Rabault (aujourd’hui rapporteur du budget à l’Assemblée nationale) et Karine Berger, présentées alors comme très proches de Pierre Moscovici, avaient présenté une série d’amendements afin d’associer les entreprises aux efforts de la Nation. Ils proposaient dans le lot de revoir les conditions d’attribution du crédit impôt recherche pour en réserver le bénéfice aux plus petites entreprises.

La proposition avait été balayée. Mais elle refait surface. Dans le lot de propositions pour économiser 50 milliards d’euros mais par d’autres moyens que ceux avancés par le gouvernement, des députés – les mêmes qu’à l’automne – ont repris l’idée de plafonner le crédit impôt recherche.

Si les députés reviennent à la charge sur ce dispositif, c’est qu’il représente désormais une dépense grandissante et hors contrôle de l’État.

À peine élu à la présidence, Nicolas Sarkozy a en effet décidé de réformer en profondeur les mécanismes de soutien à la recherche pour les entreprises. Au lieu de bénéficier d’un crédit d’impôt sur les nouvelles dépenses engagées, celles-ci allaient voir ouvrir un droit à crédit d’impôt sur la totalité de leurs dépenses de recherche, y compris de fonctionnement et de personnel. De plus, alors que les mécanismes précédents prévoyaient un crédit d’impôt de 10 % plafonné à 16 millions d’euros de dépenses nouvelles, le nouveau mécanisme propose un crédit d’impôt de 30 % sur toutes les dépenses dans la limite de 100 millions d’euros. Autre faveur : le crédit d’impôt recherche se calcule filiale par filiale, ce qui avantage nettement les grands groupes. Enfin, les entreprises bénéficient d’un étalement de leur crédit sur quatre ans. Au terme de ce délai, elles peuvent demander à l’État la restitution des sommes qu’elles n’ont pas pu déduire de l’impôt sur les sociétés.

Selon l’OCDE, c’est le système le plus généreux du monde pour le soutien à la recherche. « Bien sûr, cela coûte cher, mais cela pourrait coûter encore plus cher qu'il ne faudrait pas hésiter. Car il permet de soutenir la recherche en France », expliquait alors Nicolas Sarkozy. À l’époque, le gouvernement évalue le renchérissement du dispositif : de 430 millions d’euros avant la réforme, la dépense fiscale pour l’État devrait s’élever à 2 milliards d’euros, à plein régime.

« Le coût a été constamment sous-estimé », pointe le rapport de la Cour des comptes. Dès la première année, la dépense pour le crédit d’impôt recherche dépasse 1,5 milliard d’euros. En 2010, elle atteint 4,9 milliards. En 2012, le coût s’élève à 4 milliards d’euros. Il est estimé entre 5 et 6 milliards d’euros pour l’année 2014.

Car de nombreuses entreprises se sont emparées de ce nouveau mécanisme. Alors que le nombre de sociétés qui bénéficiaient du crédit impôt recherche auparavant était autour de 4 500, elles sont près de 20 000 maintenant à l’utiliser. Si les petites entreprises de moins de 250 salariés y ont de plus en plus recours, les très grands groupes sont devenus de très gros utilisateurs du dispositif.

Un tiers des groupes du CAC 40 aurait bénéficié du changement, selon le rapport de la Cour des comptes. Ils ont déclaré 4,7 milliards de dépenses de recherche et développement et bénéficié en 2012, selon le même rapport, d’une créance totale de 1 milliard d’euros sur l’État. « Depuis 2008, le crédit d’impôt recherche des entreprises du CAC 40 est leur premier crédit d’impôt imputé. Il représente plus de 5 % de l’impôt sur les sociétés brut, alors qu’il était de l’ordre de 2 % de l’impôt sur les sociétés en 2006 et 2007 », note la Cour des comptes.

Les groupes industriels, notamment dans la pharmacie ou l’automobile, y sont largement représentés. Mais les grandes sociétés de service ont aussi découvert les mérites du crédit impôt recherche. Leur proportion représente désormais 45 % du total des bénéficiaires. Parmi celles-ci, le rapport éprouve le besoin de consacrer une mention spéciale au secteur financier. « Les entreprises des secteurs de la banque et de l’assurance déclarent 1,7 % des dépenses totales alors qu’elles représentent 1 % des dépenses de R&D des entreprises. Le dynamisme des déclarations dans ce secteur est marqué : 90 millions d’euros de dépenses déclarées en 2007 (soit environ 10 millions d’euros de crédit d’impôt) et 310 millions d’euros de dépenses déclarées en 2011 (soit environ 90 millions d’euros de crédit d’impôt). » En d’autres termes, faut-il comprendre que l’État subventionne les ingénieurs et les mathématiciens pour aider les banques à développer, notamment, des logiciels pour le trading haute fréquence ?

De rapport en rapport, la question revient sans cesse : à quoi servent ces aides ? Sont-elles vraiment efficaces ? La Cour des comptes relève la lourdeur des frais de fonctionnement dans le dispositif : « En 2010, le forfait de dépenses de fonctionnement représente 1,8 milliard des 5,05 milliards d’euros de créance » au titre du crédit impôt recherche.

De plus, le crédit impôt recherche semble susciter de nombreuses fraudes. Des entreprises ont manifestement compris l’intérêt du système pour minorer leur impôt sans réaliser la moindre recherche ou la faire payer en France pour aller tout de suite après l'exploiter à l’étranger, voire la réaliser uniquement à l’étranger. Les exemples de fraude, y compris de blanchiment et de détournement, abondent. Les services fiscaux et de vérification se disent submergés. Ils estiment que les dossiers frauduleux représentent environ 15 % du système.

Faute de données actualisées et complètes, les différents experts pointent la difficulté de faire une évaluation complète de la validité du système. Tous pensent que le mécanisme doit avoir un effet positif. Mais de quel ordre ? Mystère. Certains estiment que cela pourrait à terme permettre de créer 24 000 postes de chercheurs en plus. D’autres ont évoqué une retombée de l’ordre de 0,5 point de PIB à l’horizon 2020. Le jeu en vaut-il la chandelle, compte tenu des efforts consentis par l’État ?

Alors que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ( CICE) – qui repose sur les mêmes mécanismes que le crédit d’impôt recherche – est appelé à coûter 20 milliards d’euros à l’État, la Cour des comptes s’étonnait que les entreprises puissent bénéficier des deux dispositifs à la fois. Cela lui semblait une rupture à l’égalité fiscale et un terrible préjudice pour les recettes de l’État, déjà bien mises à mal (voir ces dix années de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la France).

La Cour des comptes proposait plusieurs pistes de réforme pour le crédit impôt recherche. Elle préconisait notamment un encadrement plus strict des dépenses éligibles, une surveillance accrue du système, un plafonnement pour les grands groupes ou une révision pour le traitement des filiales, et l’impossibilité pour les sociétés de cumuler à la fois le crédit impôt recherche et le CICE.

Les députés socialistes se sont manifestement beaucoup inspirés des recommandations de la Cour des comptes pour suggérer d’autres coupes, d’autres méthodes pour économiser 50 milliards d’euros de dépenses. Mais manifestement, ces suggestions ne plaisent guère au gouvernement, tout acquis à sa politique de l’offre en faveur des entreprises. Étrange période : même la Cour des comptes paraît désormais révolutionnaire !

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La «corruption à bas bruit» des policiers de Vénissieux

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Le 11 septembre 2012 à l’aube, treize Lyonnais sont interpellés pour des soupçons de corruption. Parmi eux, sept policiers de l'agglomération lyonnaise et deux délégués du procureur. Les fonctionnaires, dont quatre en poste au commissariat de Vénissieux, sont soupçonnés d’avoir rendu des services à une famille de Vénissieux, dont deux frères possédaient un casier judiciaire. C’est même le Raid, qui vient à 6 heures du matin cueillir dans sa villa de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, l’aîné de la famille H., gérant d'une société de discount en matériel électroménager.

Un an après la mise en examen pour corruption, trafic d'influence, association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants du commissaire Neyret, l’ex-numéro deux de la PJ lyonnaise, la presse démarre en trombe sur cette nouvelle affaire de corruption présumée. 

Aujourd’hui, l’instruction touche à sa fin, selon le parquet lyonnais. « Il faudra faire le point sur l’ensemble des éléments avec un œil objectif pour voir ce qui tient ou pas », nous explique-t-on. Traduction : malgré l’importance des moyens utilisés (écoutes, filatures, balise et surveillance en hélicoptère), certaines accusations de corruption risquent fort, à défaut de contreparties clairement identifiées, de tomber. « Les dossiers de corruption partent souvent très fort, mais on sait que ce sont des dossiers toujours difficiles judiciairement », reconnaît-on au parquet de Lyon. Surtout lorsque surgissent des soupçons de manipulation d’un des témoins sous X à l’origine de l’affaire.

Le 11 août 2011, un informateur, « partenaire régulier » de la sûreté départementale lyonnaise et enregistré au bureau central des sources, passe à l’hôtel de police de Lyon. Il livre quelques révélations fracassantes à un major. La déflagration est immédiate : le procureur de Lyon ouvre, le jour même, une enquête pour trafics de stupéfiants, corruption, vols et trafics d’influence.

À nouveau entendu sous X, le témoin dénonce la corruption d’un équipage de policiers du groupe de sécurité de proximité (GSP) de Vénissieux, accusés de protéger une famille de trafiquants de drogue, « une des plus puissantes de la commune ». « Selon la rumeur de l'époque, lorsque ces policiers procédaient au contrôle de jeunes du quartier porteurs de cannabis, le produit et le cas échéant l'argent étaient confisqués et les jeunes étaient relâchés sans autre forme de procédure », rapporte le major de police qui l'entend. Selon son indic, l’équipage de la « Golf 4 » protégeait cette famille B. en l’avisant des personnes faisant l’objet d’enquête, des dates des opérations de police, et en leur fournissant des informations issues des fichiers de police « aux fins de localiser des concurrents, ennemis ou mauvais payeurs ».

Et ce, en échange « d’enveloppes d’argent » remises au chef de groupe, un brigadier-major, « à l’occasion de contrôles routiers bidon». Selon le témoin anonyme, deux policiers auraient même été invités à Monaco où l’un des frères B. aurait « fêté son deuxième million d’euros (…) comme il est de coutume dans le milieu des trafiquants de stupéfiants ». Un deuxième témoin sous X confirme la plupart des accusations.

L’enquête est confiée dans le plus grand secret à un petit groupe d’enquêteurs de la brigade des affaires générales (BAG) de la sûreté départementale. Elle est suivie comme le lait sur le feu par Albert Doutre, directeur départemental de la sécurité publique. L’inspection générale de la police nationale (IGPN) ne sera co-saisie que quelques mois avant les interpellations. Pour des raisons bêtement matérielles, selon le parquet : « La délégation de Lyon n’a pas les moyens de mener des enquêtes de cette ampleur. » « C’est la queue de comète de l’affaire Neyret, ils ont voulu prouver qu’ils étaient capables de faire eux-mêmes le ménage dans la police lyonnaise », analyse un proche du dossier, effaré par la dimension disproportionnée qu’il a prise.

Le patrimoine des agents du GSP de Vénissieux est scruté, leur téléphonie épluchée. Sans grand résultat : aucun enrichissement personnel, ni contact téléphonique direct avec la famille B., n’est constaté. Mais en examinant les fadettes de leurs collègues, les enquêteurs tombent sur des contacts fréquents avec Assin H., 44 ans. Il fait partie d’une autre famille de Vénissieux, dont deux des quatre frères sont « très défavorablement connus des services de police ». Mais pour des faits plus mineurs, aucun n’ayant jamais été mis en cause pour des trafics de stupéfiants.

Exit les soupçons liés aux trafics de stupéfiants de la famille B. à l’origine de l’affaire. Ceux-ci sont évacués dans une information judiciaire disjointe, ouverte le 10 décembre 2012 et menée depuis sans tambours, ni trompettes. Le dossier est toujours en cours et plusieurs interpellations ont eu lieu, assure sans plus de commentaires le parquet de Lyon.

Cette fois, la nouvelle piste semble plus fructueuse. Assin H. est bien plus bavard et moins prudent au téléphone que les frères B. Ses coups de fil aux policiers de Vénissieux sont quasi quotidiens. Et le train de vie de son frère aîné, Miloud H., 46 ans, qui a fait fortune grâce à son négoce de matériels électroménagers déclassés, intéresse les enquêteurs. Ex-président de l’AS Minguettes, client régulier du casino Le Lyon Vert, ne dédaignant pas les week-ends à Saint-Tropez, l’enfant de la cité des Minguettes affiche sa réussite. Les voitures de luxe défilent, l’argent liquide aussi.

Lors des perquisitions au siège d’une de ses sociétés en litige avec Samsung, 353 840 euros en espèces appartenant à son associé, Jacques O., un ancien compagnon de service militaire, sont découverts. Ce qui vaut aux deux associés d’être également mis en examen pour abus de confiance, abus de biens sociaux et recel. Et voilà comment, à défaut de trafiquants de drogue, Miloud H. s’est retrouvé soupçonné d’être à la tête d’un réseau de corruption visant à protéger ses frères de la justice. Les enquêteurs photographient sa villa depuis un hélico de la gendarmerie et se penchent sur ses feuilles d’impôts.

Au centre de ces soupçons de corruption, son négoce. Miloud H. revend, à l’export et avec de fortes remises, des produits Samsung réparés et reconditionnés. « Les 3/4 des collègues de Vénissieux, tous grades confondus, allaient se servir chez lui », explique à l’IGPN un brigadier, interrogé le 22 octobre 2012. Réfrigérateurs, plaques à induction, fours micro-ondes, télévisions à écran plat, tablettes tactiles et téléphones « Galaxy S2 » dernier cri : Miloud H. était presque devenu le fournisseur officiel de la police de Vénissieux. Même les délégués du procureur font affaire chez lui. En tout bien, tout honneur, assure le commerçant au juge d’instruction Philippe Duval-Molinos, même si plusieurs policiers mis en cause ont du mal à retrouver certaines factures. « Je ne vends pas aux particuliers, je fais juste des prix préférentiels pour toutes mes connaissances que ce soit policiers, ou maçons, ou autres professions », affirme Miloud H. lors de son audition. Tout juste reconnaît-il avoir offert quelques téléphones Samsung « à des policiers mais aussi à mes potes ».

Miloud H. aime rendre service. « Il a un carnet d'adresses important et côtoie beaucoup de notables, mais pas seulement car il a des contacts dans toutes les classes sociales, décrit, face à l’IGPN, l’un des officiers mis en examen. Il a un bon contact avec les gens. » Au besoin, le chef d’entreprise offre une télé à un agent de la police judiciaire lyonnaise « rencontré au casino pour le tournoi de golf de l'Open Police ». Sponsorise à hauteur de 500 euros l’association au sein de laquelle la fille d’un de ses amis policiers fait du poney. Prête sa Porsche à un autre contact policier pour un mariage. C’est son frère Assin, 44 ans, qui conduit sans permis au vu et au su des policiers de Vénissieux, qui amène les mariés à la mairie de la commune. Mairie qui se trouve… juste à côté du commissariat de Vénissieux.

Pour une gardienne de la paix en galère de voiture, et qu’il drague ouvertement, Miloud H. dégote en un claquement de doigts une voiture d’occasion. Prêtée gratuitement par un ami garagiste. Quand un policier de Vénissieux veut offrir un « maillot de l'OL signé par les joueurs » pour le pot de départ d’un collègue, il fait tout naturellement appel à Miloud H. Le chef d’entreprise a de l’entregent et sait en faire profiter ses amis. À chaque rencontre de l’OL, il récupère « une cinquantaine de places dans les virages ». « Je donne une partie aux gamins de l'AS Minguettes, une autre partie à des potes, et dans ces potes, il y a des policiers », explique-t-il en audition.

Qui sont ses contacts ? Des flics du GSP de Vénissieux croisés au quotidien ou des amis d’enfance des Minguettes qui ont gravi les échelons de l’Hôtel de police de Lyon. À l'occasion, Miloud H. déjeune également avec des vice-procureurs lyonnais et des délégués du procureur (des anciens policiers en charge du petit contentieux).

« Nous nous sommes connus au foot, bien avant que je rentre dans la police, raconte ainsi à l’IGPN l’un des deux officiers mis en examen, Antoine R. Miloud ne me voit pas en flic. C'est quelqu'un de généreux, d'entier, de sincère, nous partageons ensemble la passion du foot. » Miloud H. participe d’ailleurs aux tournois de football de la police, où il se fait de nouvelles connaissances qu’il invite à venir jouer à l’AS Minguettes. « Je l'ai connu en 2003, car il avait fait l'objet d'un contrôle routier par deux effectifs de la BSD à l'époque où j'étais chef de groupe opérationnel, indique de son côté à l’IGPN le capitaine Didier M., lui aussi mis en examen. Il avait déclaré en rigolant qu'il avait fait l'objet d'un contrôle au faciès et qu'il voudrait bien en parler à un responsable. Donc j'avais été le voir et le personnage m'a intéressé. Il avait réussi en étant issu de l'immigration, issu de Vénissieux, cela sortait de l'ordinaire. Je suis repassé le voir à sa société, et petit à petit, au bout de huit ans il est devenu un bon copain. »

Au fil des années, son frère Assin H., s’est lui aussi constitué un carnet d’adresses au sein des agents en civil du GSP qui rendent de menus services à la fratrie : classement de PV, renseignements sur des procédures en cours, recherches dans les fichiers de police, envoi d’un équipage le soir de la Saint-Sylvestre lors d’une tentative d’intrusion dans le salon de thé d’Assin, etc. « Selon les problèmes, je n'active pas les mêmes personnes, a déclaré Assin H. lors de sa garde à vue. Si c'est une histoire de permis, je vois avec Sébastien M., si c'est une histoire de convocation ou d'amende, je vois avec Stéphane L., si c'est une histoire dans la rue, à Saint-Fons ou à Vénissieux, je vois avec Laurent et son équipe. »

Assin, qui dispose uniquement d’un permis algérien, a pris l’habitude de faire appel à un policier du GSP à chaque fois qu’il est contrôlé. « Ou je passe le téléphone au policier qui me contrôle, sinon je m'arrange tout seul », a-t-il expliqué en garde à vue. Au téléphone Assin H. et Stéphane L., son copain brigadier-major du GSP de Vénissieux, s'envoient constamment des vannes. Le petit voyou appelle le flic « sale poulet », « mon pote le lardu », « gros », « la volaille » ou encore « bande de racistes ». Il conclut régulièrement leurs conversations par un rituel « Je nique la police » auquel répond un non moins rituel « Je nique les Arabes ».

Assin H. a reconnu avoir demandé à ce même brigadier-major de passer au fichier « une dizaine de plaques d'immatriculation et une vingtaine de fois pour des personnes de mon entourage ». Simple technique de drague à l’en croire. « La plupart du temps pour avoir les noms de femmes », répond-il au fonctionnaire de l’IGPN qui l’interroge.

Mais il lui arrive aussi d’utiliser ses relations policières pour régler des comptes. Grâce aux fichiers de police, Assin H. a ainsi pu identifier le nom et l’adresse d’un videur « qui visiblement lui avait refusé un soir l'entrée de la boîte de nuit », indique un rapport de synthèse des enquêteurs. « Un peu plus tard dans la soirée, Assin recontactait (X) pour mettre au point le guet-apens dans lequel il comptait attirer ce videur », poursuit ce rapport, qui constate que le Lyonnais utilise ses contacts policiers pour « asseoir son statut de “caïd” pouvant savoir tout sur tout le monde à tout moment ». « Je n'ai pas vu son système. J'ai été naïf pendant quelques années », a regretté un des policiers du GSP devant le juge d’instruction, en janvier 2013. « Cela montre bien qu'il est parfois compliqué de faire la part des choses entre de petits services entre connaissances professionnelles et de la corruption passive », remarque un syndicaliste policier.

Quant à Miloud H., il est suspect, forcément suspect du fait de la réputation de ses frères, de ses amis haut placés et de sa réussite sociale. « Si l'on additionne le relationnel policier d'Assin H. à celui de son frère Miloud, (…) on peut constater que la protection qu'ils obtiennent pour eux-mêmes, leurs proches ou leurs relations, moyennant une corruption “à bas bruit” étendue, garantit, entre autres bénéfices, une immunité pénale à Toufik H., qui se soustrait pendant de longs mois à l'exécution d'une peine de prison importante, et une immunité pénale à Assin H. qui conduit pendant plusieurs années sans permis de conduire sur le territoire national », répète le juge d’instruction dans plusieurs interrogatoires.

C’est d'ailleurs à cause de l'un de ses frères, Toufik, que le chef d’entreprise va plonger. Quand ils ne déjeunent pas ensemble, Miloud H. et son ami le capitaine Didier M. vont courir plusieurs midis par semaine. Le souci est que Didier M., adjoint au chef de service des délégations judiciaires, est justement chargé de mettre la main sur son frère Toufik, en cavale depuis des mois.

Condamné en janvier 2011 par la cour d’appel à deux ans de prison ferme pour des violences sur un automobiliste, Toufik est recherché par la police. A-t-il bénéficié d’une impunité grâce aux contacts de son frère ? Lors d’une garde à vue pour conduite sans permis, en novembre 2011, les policiers du service des délégations judiciaires omettent de lui notifier l’arrêt. Puis, à deux reprises, ils échouent à l’attraper, une fois au petit matin à son domicile où il prend la poudre d’escampette par les toits, une autre fois lors d’une convocation chez son conseiller d'insertion et de probation à laquelle il ne se présente pas. Début 2012, sa demande d'inscription au fichier des personnes recherchées est curieusement retrouvée dans les dossiers en attente d'archivage. Autant de négligences qui valent au capitaine Didier M. les pires soupçons. Le capitaine nie toute intervention en faveur de Toufik. les écoutes montrent même qu'il a demandé à Miloud H. de tenter de convaincre son frère de se rendre.

Mais au printemps 2012, apparaît un nouveau témoin sous X, qui enfonce fort opportunément le clou. Dans sa déposition, le témoin anonyme accuse le capitaine Didier M. d'avoir « renseigné Miloud H. sur la situation de Toufik et (...) fait avorter une tentative d’interpellation le concernant devant les locaux du centre de semi-liberté du Spip », selon un rapport de synthèse de l’IGPN. Mais cette déposition s’écroule un an plus tard. Comme l'a révélé Lyon capitale, le témoin semble avoir été manipulé. Un adjoint de sécurité (ADS) confie au juge que le témoin sous X est en réalité l’un des "tontons" (un indic) du capitaine Stéphane C., chef du service des délégations judiciaires, et que ce dernier l’aurait instrumentalisé pour faire tomber son adjoint, Didier M., qu’il détestait.

L’ADS et son patron Stéphane C. connaissent très bien le témoin sous X avec lequel ils sont en affaire. Tous deux ont « acheté deux voitures à Monsieur X, a indiqué l’ADS au juge d’instruction. Nous en avons revendu une par le biais du Bon coin ». L’ADS raconte un déjeuner au restaurant, qui a eu lieu un jour avant la déposition du témoin sous X, où son chef Stéphane C. aurait fait pression sur leur informateur pour qu'il écrive à l’IGPN.

Des propos confirmés par le témoin sous X lui-même lors d’une confrontation dans le bureau du juge, le 28 juin 2013. « C. m’a dit qu’il devait passer commandant, que son adjoint (Didier M.) était jaloux de lui, qu’il allait lui mettre des bâtons dans les roues et qu’il fallait qu’il se débarrasse de son adjoint, a révélé le témoin sous X. C’est pour cela que je devais faire un courrier où je devais expliquer qu’il y avait un grand policier qui travaillait avec une famille de Vénissieux. »

Les deux officiers, Stéphane C. et Didier M., étaient en compétition pour passer au grade supérieur, celui de commandant. Passé par une mission pour l’Onu à Haïti après le tremblement de terre de 2010, ancien officier de sécurité d’Alain Juppé, Didier M. avait de « meilleurs états de services » que son chef et tenait la corde. « C. était haineux envers M. car, de retour de Haïti, il avait pu rembourser sa maison, a témoigné un ancien brigadier de police qui a travaillé avec les deux hommes. Quant à lui, C. avait des problèmes financiers. Il ne fait pas du tout attention à ce qu'il dépensait. Sa femme le gérait de A à Z. Il était jaloux de la vie de M. »

Au point que lorsque Didier M. a été écroué en septembre 2012, son rival aurait invité son ADS chez lui pour se réjouir. « Il m'a dit : “Alors, tu as vu, on va ouvrir une bouteille de champagne”, car il voulait fêter l'écrou de Didier M. », a raconté ce dernier, entendu par le juge début 2013.

Face au juge d'instruction, le capitaine Didier M., passé par la case prison du fait des accusations du témoin sous X et obligé de jouer les pizzaiolos pour subvenir à ses besoins, s'est dit « bouleversé » par ce témoignage qui a brisé sa carrière. Démentant énergiquement ces propos accablants et toute manipulation, Stéphane C. est néanmoins ressorti sans mise en examen du cabinet du juge d'instruction. Tout comme son « témoin sous X ».

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Cinq des sept policiers mis en examen et passés par plusieurs semaines de détention provisoire ont été réintégrés fin 2013 en attendant la fin de l’instruction. Les deux autres, des officiers, sont toujours suspendus. Le 8 août 2012, dans son rapport de synthèse, l’IGPN listait les qualifications pénales susceptibles de tomber : corruption, violation du secret professionnel, détournement de finalité de traitements automatisés de données, trafic d’influence et faux en écriture publique. Mais, selon l’IGPN, après un an d’enquête de la sûreté départementale, plusieurs faits semblaient prescrits ou devaient encore être « vérifiés » ou « confortés ». « Il n’est pas établi, à ce jour, que les services de ce policier aient donné lieu à des contreparties, autres que des déjeuners, permettant de caractériser l’infraction de corruption », remarquait par exemple la police des polices à l’égard de Didier M. L'affaire risque donc de se dégonfler.

En France, la loi prévoit depuis 2002 le recours aux témoignages sous X pour les infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement, lorsque l'audition d'un témoin « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches ». Le Code de procédure pénale prévoit cependant qu'« aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies (sous X) ». 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 22/04/2014


Edouard Martin : «Je ne suis pas un produit marketing»

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« J’ai envie de rester moi-même », nous a lancé Édouard Martin, en conclusion du onzième numéro d’Objections. Une manière de répondre à ceux qui l’accusent de « trahison » pour avoir accepté de mener la liste PS aux élections européennes, dans l’est de la France.

Et de fait, tout au long de cet entretien, Martin fait du Martin… Le syndicaliste emblématique de Florange est resté fidèle à son image de combattant, carré, sans concession, toujours à l’offensive. Un charisme incontestable mais un changement de fonction. L’imprécateur va devenir député.

Qu’est-il venu faire dans cette galère ? Il répond à la première personne du pluriel : « Nous les ouvriers, réplique-t-il en revendiquant son choix, on nous accuse d’aller à la soupe quand on va en politique. » Son salaire multiplié par trois ou quatre ? « La question du salaire, on ne la pose qu’à moi ! Quand Pascal Lamy trouve que le Smic est trop élevé, on ne lui demande pas combien il gagne ! »  

Est-il une “prise de guerre” pour le PS ? Réponse : « Si c’est uniquement un coup tactique que fait le Parti socialiste, ils vont se rendre compte que je ne suis pas un produit marketing ! »

De fait, tout au long de cet entretien, il ne ménage personne, ni Jean-Marc Ayrault qu’il accuse encore de « trahison », ni Manuel Valls qui est « le premier ministre de la France et pas celui de l’Europe », ni « le carcan complètement imbécile des 3 % », ni le pacte de responsabilité, ni « les cadeaux aux entreprises », ni « l’Europe aux 27 millions de chômeurs », ni Pierre Gattaz qualifié de « lamentable ».

Édouard Martin n’est plus syndicaliste mais il n’a pas rangé sa langue dans sa poche. « Jugez-moi aux actes », demande-t-il au détour d’une phrase.

En attendant son action, à vous de juger son entretien…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 22/04/2014

«En direct de Mediapart» : Europe : tout est à refaire !

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À un mois des élections européennes, « En direct de Mediapart » consacrera son grand débat (20 h 30-23 h) à l'Europe. Mais avant... le programme complet :

17 heures : le grand entretien

Joseph Confavreux interroge Daniel Defert. Ce philosophe, sociologue, légataire de Michel Foucault dont il fut le compagnon, a été le président fondateur de la première association française de lutte contre le sida, AIDES. Il publie ses mémoires au Seuil. Entretien à retrouver ici

18 heures : Rwanda, la responsabilité de la France

Vingt ans après le génocide des Tutsis, pourquoi la France s'arc-boute-t-elle à un déni brutal de son implication dès 1990 dans le conflit rwandais qui allait conduire au génocide ?
Avec Patrick Saint-Exupéry, Rafaëlle Maison, Joseph Confavreux et Edwy Plenel. Entretien à retrouver ici.

Retrouvez  notre dossier complet « Rwanda, vingt ans après le génocide »

19 heures : Retour sur nos enquêtes

L'affaire Aquilino Morelle, les laboratoires pharmaceutiques et la politique. L'après-municipales : Valls à Matignon, Hollande en son labyrinthe, décryptage d'une crise. Animé par Frédéric Bonnaud avec la rédaction de Mediapart.

Débat à retrouver ici.

20 h 30-23 heures : Europe, tout est à refaire !

Animé par Frédéric Bonnaud et la rédaction de Mediapart.

  • 1.- BCE, Troïka, euro, relance : pour en finir avec l'austérité (débat animé par Frédéric Bonnaud et Martine Orange)

Agnès Bénassy-Quéré, économiste, présidente déléguée du Conseil d'analyse économique, membre du groupe Eiffel pour une communauté politique de l'euro. 
Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste et économiste, coauteur d'un rapport d'enquête sur les mesures de la Troïka. 
Paul Jorion, économiste, chercheur en sciences sociales. 
Laura Raim, journaliste indépendante, coauteure du livre Casser l'euro (éditions Les liens qui libèrent, avril 2014).

Débat à retrouver ici


  • 2.- Reconquérir la démocratie (débat animé par Frédéric Bonnaud et Ludovic Lamant)

Pervenche Berès, eurodéputée socialiste française, présidente de la commission Emploi et affaires sociales du Parlement, chef de file pour la campagne du PS en Ile-de-France. 
Isabelle Durant, eurodéputée belge du groupe des Verts, vice-présidente du parlement européen.
Corinne Morel Darleux, chef de file pour le Front de gauche dans le Centre, pour les élections européennes.
Constance Le Grip, eurodéputée française UMP, candidate en Ile-de-France (4e position).
Rui Tavares, eurodéputé portugais, ancien élu du Bloco de Esquerda, désormais membre du groupe des Verts.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pixlr

Mediapart Live: vos réactions en direct

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Abonné ou non, commentez en direct notre soirée de débats en vidéo.

Le programme complet de la soirée :

17 heures : le grand entretien

Joseph Confavreux interroge Daniel Defert. Ce philosophe, sociologue, légataire de Michel Foucault dont il fut le compagnon, a été le président fondateur de la première association française de lutte contre le sida, AIDES. Il publie ses mémoires au Seuil.

18 heures : Rwanda, la responsabilité de la France

Vingt ans après le génocide des Tutsis, pourquoi la France s'arc-boute-t-elle à un déni brutal de son implication dès 1990 dans le conflit rwandais qui allait conduire au génocide ?
Avec Patrick Saint-Exupéry, Rafaëlle Maison, Joseph Confavreux et Edwy Plenel

Retrouvez ci notre dossier complet « Rwanda, vingt ans après le génocide »

19 heures : Retour sur nos enquêtes

L'affaire Aquilino Morelle, les laboratoires pharmaceutiques et la politique. L'après-municipales : Valls à Matignon, Hollande en son labyrinthe, décryptage d'une crise. 
Animé par Frédéric Bonnaud avec la rédaction de Mediapart.

20 h 30-23 heures : Europe, tout est à refaire !

Animé par Frédéric Bonnaud et la rédaction de Mediapart.

  • 1.- BCE, Troïka, euro, relance : pour en finir avec l'austérité

Agnès Bénassy-Quéré, économiste, présidente déléguée du Conseil d'analyse économique, membre du groupe Eiffel pour une communauté politique de l'euro. 
Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste et économiste, coauteur d'un rapport d'enquête sur les mesures de la Troïka. 
Paul Jorion, économiste, chercheur en sciences sociales. 
Laura Raim, journaliste indépendante, coauteure du livre Casser l'euro (éditions Les liens qui libèrent, avril 2014).

  • 2.- Reconquérir la démocratie

Pervenche Berès, eurodéputée socialiste française, présidente de la commission Emploi et affaires sociales du Parlement, chef de file pour la campagne du PS en Ile-de-France. 
Isabelle Durant, eurodéputée belge du groupe des Verts, vice-présidente du parlement européen.
Corinne Morel Darleux, chef de file pour le Front de gauche dans le Centre, pour les élections européennes.
Constance Le Grip, eurodéputée française UMP, candidate en Ile-de-France (4e position).
Rui Tavares, eurodéputé portugais, ancien élu du Bloco de Esquerda, désormais membre du groupe des Verts.

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«En direct de Mediapart» : le grand entretien avec Daniel Defert

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Joseph Confavreux interroge Daniel Defert. Ce philosophe, sociologue, légataire de Michel Foucault dont il fut le compagnon, a été le président fondateur de la première association française de lutte contre le sida, AIDES. Il publie ses mémoires au Seuil : Une vie politique (entretiens avec Philippe Artières et Éric Favereau).

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«En direct de Mediapart» : Rwanda, la responsabilité de la France

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Vingt ans après le génocide des Tutsis, pourquoi la France s'arc-boute-t-elle à un déni brutal de son implication dès 1990 dans le conflit rwandais qui allait conduire au génocide ? Joseph Confavreux et Edwy Plenel reçoivent le journaliste Patrick Saint-Exupéry, auteur de L'Inavouable : La France au Rwanda (éd. les Arènes, 2004) et de Complices de l'inavouable : La France au Rwanda (nouvelle éd. revue et augmentée, les Arènes, 2009) et Rafaëlle Maison (lire sa tribune publiée le 14 avril 2014 sur Mediapart, ici).

Retrouvez  notre dossier complet « Rwanda, vingt ans après le génocide »

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«En direct de Mediapart» : retour sur l'affaire Aquilino Morelle

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Révélée par Mediapart (lire ici), l'affaire du conseiller de François Hollande, Aquilino Morelle, et ses relations avec les laboratoires pharmaceutiques malmène la majorité et le Président de la République quelques jours après la claque reçue lors des municipales. Débat animé par Frédéric Bonnaud avec Mathilde Mathieu, Mathieu Magnaudeix, Lenaïg Bredoux et Edwy Plenel.

  • Lire nos articles sur Aquilino Morelle en cliquant ici.

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«En direct de Mediapart» : Europe, en finir avec l'austérité

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Première partie de notre débat à un mois des élections européennes : BCE, Troïka, euro, relance... pour en finir avec l'austérité. Avec Agnès Bénassy-Quéré, économiste, présidente déléguée du Conseil d'analyse économique, membre du groupe Eiffel pour une communauté politique de l'euro ; Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste et économiste, coauteur d'un rapport d'enquête sur les mesures de la Troïka ; Paul Jorion, économiste, chercheur en sciences sociales ; Laura Raim, journaliste indépendante, coauteure du livre Casser l'euro (éditions Les liens qui libèrent, avril 2014). Débat animé par Frédéric Bonnaud et Martine Orange.

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«En direct de Mediapart» : Europe, reconquérir la démocratie

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Deuxième partie de notre débat à un mois des élections européenne : comment reconquérir la démocratie. Autour de Frédéric Bonnaud et Ludovic Lamant, Pervenche Berès, eurodéputée socialiste française, présidente de la commission Emploi et affaires sociales du Parlement, chef de file pour la campagne du PS en Ile-de-France ; Isabelle Durant, eurodéputée belge du groupe des Verts, vice-présidente du parlement européen ; Corinne Morel Darleux, chef de file pour le Front de gauche dans le Centre, pour les élections européennes ; Constance Le Grip, eurodéputée française UMP, candidate en Ile-de-France (4e position) ; Rui Tavares, eurodéputé portugais, ancien élu du Bloco de Esquerda, désormais membre du groupe des Verts.

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Toulouse: un militant blessé par un tir de Flashball lors de l’évacuation d’un squat

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Un jeune homme a déposé plainte jeudi 24 avril 2014 auprès du procureur de Toulouse après avoir été grièvement blessé par un tir policier le 21 avril à Toulouse, lors de l’évacuation de deux maisons squattées. Yann Zoldan, psychologue de 26 ans, souffre de multiples fractures à la joue droite, causées selon lui par l’impact d’un tir de LBD 40×46 (le Flashball nouvelle génération, plus puissant et plus précis). 

Yann Zoldan, le 23 avril, blessé à la joue droite.Yann Zoldan, le 23 avril, blessé à la joue droite.

Les forces de l’ordre étaient intervenues lundi 21 avril en fin d’après-midi pour déloger une trentaine de familles de deux maisons récemment squattées, au 38 et 40 rue Louis-Plana, à Toulouse. Selon le ministère de l'intérieur, les propriétaires avaient déposé plainte dans après-midi et le parquet avait donné pour instruction de procéder à l’évacuation des deux squats ainsi qu'à l'audition libre des principaux responsables pour des faits de violation de domicile. Plusieurs militants de la Crea (campagne pour la requisition, l'entraide et l'autogestion), un collectif toulousain qui depuis trois ans « réquisitionne » des bâtiments vides pour y créer des « centres sociaux autogérés », étaient présents. « C’était des maisons inoccupées depuis des années et nous avons les preuves qu’on les occupait depuis plus de 48 heures (passé ce délai, la police ne peut normalement plus intervenir en flagrant délit et le propriétaire doit obtenir une décision de justice pour procéder à l’expulsion des squatteurs), dit Mathieu, 33ans, l'un des militants. Mais les policiers sont passés outre. Le nouveau maire, Jean-Luc Moudenc (UMP), s’est fait un devoir de réprimer la Crea. »

Selon les militants interrogés, à la vue des agents de la brigade anticriminalité (Bac) et des CRS venus en nombre, les occupants auraient préféré quitter les lieux d'eux-mêmes. « Il a fallu sortir les affaires, organiser des voitures, c’est alors qu’un camarade a été interpellé par la Bac, explique Louise, une étudiante de 26 ans. Plusieurs personnes se sont rapprochées pour savoir pourquoi ils l’interpellaient. Les policiers de la Bac ont sorti les matraques et un LBD. La violence a monté d’un coup. Ils ont lancé une grenade assourdissante à travers la rue. »

Vers 20 heures, intrigué par une première déflagration, Clément, un voisin de 26 ans, a assisté à la scène depuis son palier, au rez-de-chaussée du 30, rue Louis-Plana. « J’ai clairement entendu un CRS dire “Celui-là, attrapez-le”, ils ont couru vers un gars et là c’est parti en vrille avec des coups de matraque, des mecs qui se sont retrouvés au sol, puis j’ai entendu une nouvelle déflagration de Flashball », décrit le jeune homme, électricien et musicien. C’est à ce moment que Yann Zoldan, qui cherchait à fuir, aurait été touché. « Je m’étais réfugié derrière une poubelle, un policier en civil m’a dit “Sors et cours”, donc je suis sorti en levant les mains en l’air et en le regardant, affirme le jeune homme, militant du droit des animaux. Le policier a essayé de me donner un coup de matraque, j’ai reculé et là je me suis pris le tir. Je suis tombé sur les genoux, puis c’est devenu la confusion. » Selon lui, seul un policier de la Bac était armé d’un lanceur de balles de défense et l'arme était dotée d'un « viseur » (caractéristique des LBD 40×46). « Plusieurs militants lui avaient dit “Ne visez pas la tête”», se souvient Yann Zoldan.

Le ministère de l'intérieur indique de son côté que «tandis que le déménagement s’opérait dans le calme, un des squatteurs, rapidement soutenu par une vingtaine d'individus protestait contre le principe de son audition». Toujours selon cette version (lire l'intégralité en prolonger): «Le groupe le soutenant s'en prenait alors violemment aux policiers (violences, jets de projectiles, etc...) Pour se dégager, les policiers faisaient usage d'une grenade de désencerclement puis de deux tirs de LBD40/46 vers un des assaillants qui prenait la fuite.»

Soutenu par ses amis, Yann Zoldan est mis à l’abri chez le voisin Clément, qui avait laissé sa porte ouverte, au cas où. « Il était conscient mais complètement sonné et pissait le sang, c’était impressionnant, décrit ce dernier. On lui a donné les premiers secours puis je l’ai emmené aux urgences de Purpan. » Diagnostic : une joue droite en miettes. Après scanner, le certificat du médecin des urgences daté du 21 avril dénombre pas moins de cinq fractures des os du visage : « Fracture mandibulaire droite, fracture du malaire, fracture du sinus maxillaire, facture du plancher de l’orbite, hémosinus du maxillaire droit. »

Des blessures « compatibles avec l’impact de la balle de Flashball », a précisé deux jours plus tard le médecin légal, qui a attribué une ITT de dix jours renouvelable. « Le médecin des urgences m’a dit que des morceaux d’os avaient explosé et que si j’avais été touché un peu plus haut, au niveau de la tempe où les os sont plus fins, ç'aurait été la mort à coup sûr », indique Yann Zoldan. Le jeune homme, doctorant en psychologie, devrait être opéré dès que sa joue aura dégonflé pour « mettre des plaques de métal ».

Son avocat, Me Julien Brel, a déposé plainte jeudi 24 avril devant le procureur de Toulouse pour violences avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique, en demandant l’ouverture directe d’une information judiciaire. L’avocat connaît bien ces blessures. Il défend déjà Joan Celsis, un étudiant toulousain qui avait perdu un œil en mars 2009, après un tir de Flashball. L’affaire avait abouti à non-lieu, confirmé le 14 mars 2013 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, faute d’identification du policier tireur.

Les quatre personnes interrogés assurent qu’il n’y a eu aucune violence envers les forces de l’ordre le 21 avril 2014. « De ce que j’ai vu, les squatteurs n’étaient pas du tout dans une attitude agressive qui aurait justifié la réponse des policiers, ils étaient en train de partir petit à petit », indique Clément, le voisin. « La police a été extrêmement violente pour casser la Crea, estime de son côté Louise. Ça fait plusieurs années qu’ils nous ont dans le viseur et là avec l’arrivée de Jean-Luc Moudenc, ils ont voulu marquer le coup. » D’après la jeune femme, les policiers auraient saisi et donné des coups de pied dans l’appareil photo d’un militant, qui photographiait les interpellations et les « violences policières ». Selon le ministère de l'intérieur, un policer a également été blessé.

Quatre personnes ont été interpellées ce soir-là, dont Mathieu, 33 ans. Le jeune homme a été placé en garde à vue pour « violation de domicile » selon son avocat Me Julien Brel. « Puis ils lui ont rajouté refus de prélèvement d’ADN et ont prolongé sa garde à vue jusqu’à mercredi 11 heures, pour l’interroger sur des faits plus anciens », explique l’avocat. Près de 40 heures de garde à vue qui ont abouti, selon Me Julien Brel, à une simple « convocation à la maison de la justice et du droit pour un rappel à la loi » comme pour deux autres des interpellés... Mathieu parle d’une « arrestation arbitraire ». « Comme d’habitude, les policiers ont désigné des chefs, ils essaient de fabriquer des responsables pour mieux réprimer, alors que la Crea est un mouvement de gens en galère sans chef », dit-il. 

L'IGPN n'a été saisie d'aucune enquête judiciaire pour l'instant et attend des retours des responsables policiers locaux pour éventuellement ouvir une enquête admnistrative.

BOITE NOIRECet article a été modifié vendredi à 18 heurs pour tenir compte des informations communiquées par le ministère de l'intérieur. A sa demande, le nom de famille d'un des militants a également été enlevé.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Malgré les menaces, des députés socialistes ne voteront pas le plan d'austérité

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Dans une tribune publiée vendredi par Libération, deux députés proches de Martine Aubry, Christian Paul et Jean-Marc Germain, ainsi que la première vice-présidente PS de l'Assemblée nationale, Laurence Dumont, annoncent qu'ils ne voteront pas « le pacte de stabilité de François Hollande ».

« Pour la première fois depuis juin 2012, nous n’apporterons pas notre suffrage au gouvernement issu de la majorité à laquelle nous appartenons », écrivent-ils. « Où est la justice quand, pour financer la baisse des prélèvements des entreprises, on envisage la baisse du pouvoir d’achat des pensions de retraite, des allocations familiales, des aides au logement et du traitement des fonctionnaires, y compris les plus modestes ? Car il faut appeler un chat un chat, c'est bien de cela qu'il s'agit quand on gèle des prestations alors que les prix augmentent. »

« Nous avons toujours voté, cette fois nous décidons de ne pas le faire, explique à Mediapart Jean-Marc Germain. Quand ça ne va pas, on dit non. Dire non, c'est parfois salutaire. Nous disons oui aux économies de structures, non aux reculs sociaux. » Mardi, ils devraient s'abstenir.

À quelques jours du vote consultatif sur le plan de réduction des déficits publics de 50 milliards d'euros sur trois ans, mardi 29 avril à l'Assemblée nationale, le gouvernement est confronté à la plus grande fronde de sa majorité depuis deux ans. Mercredi, sitôt le plan de Manuel Valls confirmé, de nombreux députés PS ont exprimé leurs frustrations et leur colère lors d'une réunion très mouvementée du groupe socialiste (lire notre reportage ici).

Plusieurs dizaines de députés PS, hostiles au montant du plan et au gel des prestations sociales, pourraient s'abstenir. À ce stade, une majorité n'est pas acquise. Il y a deux semaines, onze députés PS s'étaient abstenus de voter la confiance à Manuel Valls, du jamais vu dans l'histoire de la VeRépublique.

Jeudi, le président du groupe PS, Bruno Le Roux, a tenté de dramatiser l'enjeu, au risque d'aggraver encore les tensions. « Quand on est un groupe, une majorité, on assume ses responsabilités », a-t-il dit sur RTL. « Il n'y a pas de vote sans conséquence », a-t-il rappelé, laissant entrevoir d'éventuelles « mesures » contre ceux qui s'abstiendraient ou voteraient contre la trajectoire de réduction des dépenses publiques, vaste programme d'économies qui doit être adressé à Bruxelles début mai, et sera ensuite décliné dans plusieurs lois (à commencer par une loi de finances rectificative en juin pour faire voter le pacte de responsabilité cher à François Hollande). « Si on n'accompagne pas le gouvernement, celui qui fait ça doit se poser la question d'appartenir à la majorité, au groupe, et au Parti socialiste », affirme Le Roux. 

« Chaque député de la majorité est là parce qu'il y a une majorité. Et chacun sait que cette majorité est issue d'une majorité présidentielle. Chacun doit être en cohérence. Mais chacun a droit à ses colères », a également prévenu jeudi le ministre des comptes publics, Michel Sapin. Depuis plusieurs jours, les responsables de la majorité multiplient SMS et messages envers les députés hésitants, maniant la menace d'une éventuelle dissolution en cas de vote négatif, mardi – alors même que le vote n'est que consultatif. « Une absence de majorité conduirait à une crise dont personne ne peut prévoir toutes les conséquences », explique ces derniers jours Bruno Le Roux aux réticents.

« Les mesures disciplinaires sont décalées par rapport aux enjeux que nous défendons. Le sujet, ce n'est pas l'autorité au sein du parti, c'est l'austérité dans notre pays », explique à Mediapart Jean-Marc Germain, un des signataires du texte, qui est aussi l'ancien directeur de cabinet de Martine Aubry. « C'est un mouvement profond de la base des députés auquel nous assistons, dont de très nombreux "hollandais" ou des amis de Manuel Valls », assure Germain. S'il dément que la maire de Lille soit à l'initiative de ce texte, il rappelle toutefois qu'elle « était au courant de sa position » et qu'elle a publiquement soutenu la révolte des parlementaires, initiée au soir de la débâcle des municipales.

Pour tenter d'apaiser sa majorité, Manuel Valls a annoncé jeudi « une mesure forte » pour les retraités modestes. De nouvelles annonces pourraient être faites dans les prochains jours. Vendredi, la ministre de la santé Marisol Touraine a par ailleurs opportunément annoncé la revalorisation de certaines prestations sociales pour les familles nombreuses modestes et les parents isolés. Mais ces gestes semblent encore insuffisants, une partie de la majorité plaidant pour une réorientation de la politique européenne, une réduction substantielle du plan d'économies, des mesures en faveur de l'investissement et du pouvoir d'achat, etc.

Bruno Le Roux, président du groupe PS à l'AssembléeBruno Le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée © Reuters

Une réunion extraordinaire du bureau national du Parti socialiste est prévue lundi soir. « Nous demanderons que l'ensemble des parlementaires, que nous avons écoutés, que nous avons entendus (...) respecte la décision du BN. Et j'ai confiance, je pense que, très très largement, ceci sera entendu », assure le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui se rendra mardi à la réunion du groupe PS de l'Assemblée, quelques heures avant le vote.

Plusieurs centaines de militants PS, de diverses tendances, ont publié vendredi un appel contre l'austérité, où ils apportent leur « soutien aux députés “pour une autre politique” ».

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Le retour à l'Igas de l’encombrant inspecteur Morelle

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En démissionnant de ses fonctions de conseiller de François Hollande, l’Inspecteur général des affaires sociales Aquilino Morelle a automatiquement réintégré son corps d’origine, le 17 avril dernier, 24 heures après les révélations de Mediapart. Il perçoit d’ores et déjà son confortable salaire d’inspecteur, mais il n’est pas « pour l’heure physiquement présent à l’inspection générale », puisqu’il a « demandé à mobiliser le compte épargne temps qu’il avait alimenté au cours de sa carrière », a précisé l’Inspection en réponse à nos questions. L’affaire Morelle est retournée en son cœur même, là où elle s’est nouée, dans le secret de ce service de contrôle des politiques sociales et des établissements de santé, constitué de 130 inspecteurs.

Comment ces inspecteurs vivent-ils “ l’affaire Morelle ”, la révélation par Mediapart d’une mission de conseil cachée pour un laboratoire pharmaceutique, rémunérée 12 500 euros, en 2007, quand il était au service de l’Igas ? Va-t-elle sanctionner celui qui a bafoué les règles déontologiques élémentaires de la fonction publique ? Nous avons contacté près d’une vingtaine d’inspecteurs, aucun n’a décroché son téléphone (la plupart sont sur répondeur), un seul nous a répondu par mail : « La question des suites disciplinaires est effectivement posée. Elle est en cours de discussion en interne. Je ne souhaite pas témoigner à ce stade avant que ces débats aient eu lieu. »

On parle plus facilement, mais toujours de manière anonyme, dans le petit monde de la haute administration de la santé, ses multiples directions et agences, ses comités et hauts comités, tous très bien informés puisque comptant dans leurs rangs de nombreux membres de l’Igas.

On les surnomme les « moines-soldats » : l’expression est un peu surfaite tant ils multiplient les infidélités à leur corps d’origine, les allers-retours au cours de leur carrière entre l’Inspection et des postes souvent importants, généralement dans la sphère publique. Et lorsqu’ils sont au service de l’Igas, ils ont souvent des activités annexes, généralement des « prestations intellectuelles », pour lesquelles ils demandent des autorisations : cours à l’université et dans les grandes écoles, activités de recherche, etc. Ce sont autant de compléments à leurs confortables revenus, qui se situent dans une fourchette allant de 60 000 à 120 000 euros annuels, hors primes. De toutes ces libertés qu’offre la haute fonction publique, Aquilino Morelle a usé, et abusé.

Tous se disent « surpris », car dans le milieu de la santé, Aquilino Morelle s’est construit une image de « Saint-Just », « de chevalier blanc : les rapports qu’il a écrits sur le médicament sont tous des charges virulentes contre l’industrie pharmaceutique ». Mais il n’y a aucune forme d’indulgence, même chez ceux qui l’ont croisé, côtoyé, et l’ont souvent apprécié professionnellement : « ce n’est pas acceptable », « il n’a aucune excuse, il a perdu pied avec la réalité ».

Un seul a pris la parole publiquement : Noël Renaudin, le président de 1999 à 2011 du Comité économique des produits de santé (CEPS) qui fixe le prix des médicaments remboursés par l’assurance maladie. Un dirigeant du laboratoire Lundbeck a raconté à Mediapart qu’Aquilino Morelle a organisé pour le compte du laboratoire deux rendez-vous avec des membres du CEPS, pour leur « permettre d'aller défendre notre dossier auprès de la bonne personne ». Ils se seraient fait avoir, pour Noël Renaudin : « Se faire payer pour obtenir un rendez-vous avec le CEPS ? Grotesque! » a-t-il déclaré à l’Agence de presse médicale. Nous l’avons contacté. S’il ne remet pas en cause l’existence de cette mission, tout en affirmant ne « pas connaître Morelle », ni n’avoir jamais su qu’il travaillait pour l’industrie pharmaceutique, il explique : « L’idée qu’il y ait besoin d’un intermédiaire pour discuter avec le CEPS ne tient pas debout. Car c’est le métier du CEPS de discuter avec l’industrie pharmaceutique. » Pour lui, les consultants extérieurs interviennent plutôt pour « aider les entreprises à constituer techniquement leurs dossiers et à les défendre au mieux. C’était un temps le métier de Jérôme Cahuzac, et c’était connu ». En ce qui concerne Aquilino Morelle, ce haut fonctionnaire est catégorique : « Travailler comme consultant dans le privé en étant Igas n’est pas permis. Si c’est vrai, il n’a pas demandé d’autorisation parce qu’il ne l’aurait jamais eue. »

Si Aquilino Morelle risque d’éventuelles poursuites pénales, il a aussi transgressé les règles déontologiques de la fonction publique, ce qui appelle des sanctions disciplinaires : c’est à « l’État, à l’autorité hiérarchique de ce fonctionnaire de se prononcer », explique Noël Renaudin. La balle est donc dans le camp du chef de service de l’Igas, Pierre Boissier. L’Igas nous a détaillé sa procédure disciplinaire : des « investigations internes » sont menées, puis une « commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire » se prononce. L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit, en cas de violation du devoir d’indépendance des fonctionnaires, le « reversement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur le traitement ». Les sanctions disciplinaires contre les fonctionnaires sont détaillées dans l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984, et vont de l’avertissement à la révocation, en passant par des mesures d’exclusion temporaire. Rien ne filtre de ce processus disciplinaire, « couvert par le secret du dossier personnel de cet agent », il n’a donc pas à être « rendu public », nous a précisé l’Igas. En plein scandale, le grand corps ne déroge donc pas à sa culture du secret.

Il souscrit ainsi pleinement au devoir de réserve des fonctionnaires, détaillé à l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983. Certains des 200 rapports annuels, parfois très corrosifs, ne sont pas publiés, et ils ne fuitent jamais. Lorsqu’ils sont rendus publics, l’Igas communique très rarement dessus. Cruelle ironie : l’Igas a joué le jeu médiatique à une rare occasion, celle de son rapport sur le Mediator en 2011, dont Aquilino Morelle fut l'un des rédacteurs. « C’est la première fois que j’ai vu l’Igas organiser une conférence de presse, la communication a d’ailleurs été remarquablement bien faite », rapporte un observateur averti.

La conférence de presse avec Pierre Boissier, patron de l'Igas, le Dr Anne-Carole Bensadon, Aquilino Morelle et Etienne Marie.La conférence de presse avec Pierre Boissier, patron de l'Igas, le Dr Anne-Carole Bensadon, Aquilino Morelle et Etienne Marie. © Reuters

Ce rapport écrit à trois mains est une analyse sans concessions des dysfonctionnements du système du médicament en France, une dénonciation de l’opacité de ses liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. Il est aussi d’une extrême sévérité pour le laboratoire Servier. Ce rapport a débouché sur les Assises du médicament, puis sur la loi Bertrand, qui impose notamment à tous les fonctionnaires qui participent à « l’expertise sanitaire » (au ministère de la santé, au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament, de la Haute autorité de santé, etc.) de déclarer publiquement leurs liens d’intérêts. Étrangement, les inspecteurs de l’Igas n’ont pas cette obligation, parce qu’ils ne contrôlent pas directement l’industrie pharmaceutique. L’Igas nous a détaillé son dispositif déontologique, qui reste interne et déclaratif : « Les activités antérieures à la nomination à l'Inspection ainsi que les activités exercées en dehors du service par les collaborateurs de l’Igas font l'objet d'un examen approfondi par le chef de service à deux occasions », annuellement « à l'occasion des entretiens professionnels », mais aussi « à l’occasion de chaque affectation ».

Une autre question reste en suspens : Aquilino Morelle s’est-il rendu coupable d’un seul ou de plusieurs conflits d’intérêts, avec la complicité de l’Igas ? Est-il déontologique qu’un inspecteur qui a travaillé pour l’industrie pharmaceutique pendant une disponibilité (Aquilino Morelle détaille lui-même ces missions sur sa page facebook) soit chargé de missions sur le médicament dès son retour à l’Igas ? Il a en effet travaillé avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques lors de son passage à Euro RSCG, puis il a été consultant en 2006 pour Lilly, et a même approché Sanofi et Servier en 2008 et 2009. L’inspection nous a répondu : « Dès lors qu’il n’y a pas de risque de compromettre l’impartialité des travaux, le chef de service peut affecter un inspecteur dans un secteur d’activité dans lequel il a travaillé par le passé. Cela est aussi un gage de compétence. » Et « dans le cas particulier de Monsieur Morelle, les chefs de service successifs, en l’état des informations dont ils disposaient, ont jugé qu’il pouvait utilement, et sans risque sur l’impartialité des conclusions, participer aux missions qui lui ont été confiées. »

Impossible de savoir de quelles informations précises ils disposaient… Certains de nos interlocuteurs partagent cet avis, tout en le nuançant : « Cela ne me choque pas, si les liens d’intérêts sont lisibles pour tout le monde », dit l’un. Ce qui n’est pas le cas à l’Igas, faute de déclaration des liens d’intérêts. Mais un autre voit bien là « un conflit d’intérêts. Ce n’est pas raisonnable de travailler en tant qu’Igas sur le médicament quand on a mis ses compétences au service de l’industrie pharmaceutique ».

Voilà une règle déontologique que l’Igas pourrait peut-être éclaircir. En secret ?

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Plaintes d'une association musulmane à Mantes-la-Ville, commune FN

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Les tensions montent à Mantes-la-Ville (Yvelines), commune à gauche depuis la Libération, passée aux mains du Front national à la suite de divisions. Dans cette unique ville frontiste d’Île-de-France, la communauté musulmane a été ciblée à plusieurs reprises, d’après l’association des musulmans de Mantes sud (AMMS). Son président, Abdelaziz El Jaouhari, a déposé en une semaine deux plaintes contre X pour “provocation non publique à la discrimination en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion”. Il explique à Mediapart qu'il s'apprête à déposer une troisième plainte.

Le 16 avril, l’association a trouvé dans sa boîte aux lettres de la « terrine de porc moisie » accompagnée d’une « odeur nauséabonde ». Un « acte raciste et provocateur », a dénoncé l'AMMS dans un communiqué. Son président a fourni les photos aux policiers du commissariat de Mantes-la-Jolie. Le lendemain, dans cette même boîte, c'est une lettre qui a été trouvée, « dont les écrits portent atteinte à la dignité du culte musulman et appellent à la haine raciale envers les personnes pratiquant ce dernier », a expliqué Abdelaziz El Jaouhari aux policiers.

« Nous souhaitons bon corage (sic) au maire Cyril Nauth, car il va avoir beaucoup de travail pour faire un bon nettoyage en particulier sur la race musulmane car elle est représentée par de la racaille qui ont fui leur pays comme des cafards après l’avoir mis à feu et à sang », écrit l’auteur de ce courrier, qui poursuit : « Ces cafards musulmans migrent vers les chrétiens pour mendier du pain et ensuite ils les égorgent pour fêter l’Aïd el Fitr... »

Cyril Nauth, élu maire de Mantes-la-Ville le 30 mars.Cyril Nauth, élu maire de Mantes-la-Ville le 30 mars. © dr

Le président de l'AMMS rapporte à Mediapart d'autres faits : « deux fidèles agressés verbalement aux abords de la salle de prière, deux jours différents », et une « tentative d'intrusion » en début de semaine dans le local qu’est en train d’acquérir l’association.

Abdelaziz El Jaouhari décrit un « climat très très tendu » dans la ville : « On essaye de ne pas répondre pour que cela ne dégénère pas. Mais tout cela n’est jamais arrivé ces dernières années. » Pour lui, la victoire du FN et son opposition au projet d’une nouvelle salle de prière aurait « libéré la parole raciste ». Il s’étonne aussi de l’absence de réaction du maire, qui « n’a pas condamné ces faits alors que nous lui avons envoyé les éléments ».

Cette affaire n’a effectivement suscité aucune réaction publique ou communiqué du maire, un professeur d'histoire-géographie de 32 ans, encarté au FN depuis 2010. Lorsque Mediapart lui demande s’il condamne ces actes, Cyril Nauth explique qu’« évidemment (il) ne les cautionne pas », mais s’interroge sur cette « chronologie étonnante » et évoque « une affaire bizarre ». « Comme par hasard, nous avons gagné et ils reçoivent cela. Force est de constater que les plaintes ont été déposées au lendemain de notre rendez-vous, au cours duquel je leur ai dit que nous restions sur notre position d’opposition au projet d’une nouvelle salle de prière. » « Je n’exclus pas que quelqu’un qui a été proche du projet ait fait cela », ajoute-t-il.

À l'origine des tensions dans cette ville de 19 000 habitants, le projet d'installation de la nouvelle salle de prière, et le refus du maire frontiste d'honorer l'engagement de la maire PS sortante. Car l'AMMS dispose d'un pavillon loué à la ville, d'une capacité de quelque 300 personnes, mais qui n’est pas aux normes. La municipalité socialiste avait donc acquis en octobre l'ancienne trésorerie de la ville, qui appartient à la communauté d'agglomération de Mantes-en-Yvelines. L'objectif: la vendre ensuite à l'association, choisie comme interlocuteur, pour aménager une nouvelle salle de prière d’environ 700 personnes. Le coût total (650 000 euros) doit être couvert par l'association. 

Mais le nouveau maire FN s’oppose à ce projet, quitte à ce que la ville soit condamnée à payer des dommages et intérêts, aux frais du contribuable, s’il annule la vente. Il accuse surtout sa prédécesseure socialiste d’avoir voulu réaliser un « coup politique pour s'attirer le vote communautaire des musulmans ».

Cyril Nauth avec Bruno Gollnisch, venu le soutenir en juin 2013 lorsqu'il était candidat à la cantonale partielle.Cyril Nauth avec Bruno Gollnisch, venu le soutenir en juin 2013 lorsqu'il était candidat à la cantonale partielle. © dr

Après la victoire du FN, l'association avait mis en garde sur la menace que pouvait représenter le maire frontiste sur le projet (lire ici). Aujourd'hui, son président dénonce « l’irresponsabilité de la nouvelle municipalité ». « Nous avons une petite salle de prière qui n’est pas aux normes. On arrive aujourd’hui à l’aboutissement d’un projet alternatif sur lequel on travaille depuis trois ans et qui est en débat depuis 25 ans », raconte Abdelaziz El Jaouhari. 

« La promesse de vente a été signée, le permis de construire déposé, les fonds rassemblés. Mais le nouveau maire en fait une bataille idéologique : il prône la suppression du projet, tout en soutenant la délibération sur la démolition du pavillon où l’on se trouve. Nous n’aurons donc plus de salle de prière, contrairement aux autres cultes. Il n’y a que les musulmans qui posent problème à Cyril Nauth », estime-t-il.

Monique Brochot, l’ancienne maire socialiste, rappelle de son côté que « lors de l'élection municipale de 2008, tous les candidats avaient pris l’engagement de proposer un nouveau lieu de prière ». L'élue déplore la « campagne du nouveau maire contre la salle de prière, alors que les gens ici, ça leur est égal ! ».

Le maire frontiste veut lui voir dans sa victoire une « hostilité des habitants à ce projet » et invoque un « danger financier ». L’AMMS rappelle pourtant que « la trésorerie de la ville n’est pas concernée, la ville ne met pas un centime. Même les frais de notaire sont pris en charge par notre association ». Alors de quel coût Cyril Nauth veut-il parler? Le maire évoque des « conséquences négatives en matière commerçante, une baisse de la valeur immobilière, des problèmes de stationnement et de circulation », qui entraîneraient selon lui « un coût qu’on ne peut pas évaluer ». Puis il lâche un autre argument : « Écoutez, c’est un problème aussi de nombre… Accueillir trente fidèles avec trente voitures, ce n’est pas pareil que 300 personnes. »

« Ce n'est pas de ma responsabilité de maire de m'occuper des lieux de cultes », ajoute-t-il. La loi permet en revanche au maire, s'il le souhaite, d'aider un projet sans le financer. En effet, la loi de 1905 interdit de subventionner les associations cultuelles, mais la loi de 1901 autorise le financement d'associations. La ville peut aussi mettre à la disposition d’une organisation religieuse un terrain pour la somme symbolique d’un euro, et celle-ci se charge de trouver les financements pour construire l’édifice religieux, en versant chaque mois un loyer souvent dérisoire à la commune.

Mais Cyril Nauth invoque des « zones d’ombre » pour justifier son refus d'aider les musulmans de Mantes à trouver un nouveau lieu de prière. « Est-ce que les musulmans veulent vraiment une mosquée? », interroge-t-il. Il évoque les « divisions très sévères de la communauté musulmane » locale et ses chefs de file qui « s’accusent de choses particulièrement graves, de tentatives d’escroquerie et de faux ». Il rapporte que la somme pour financer le projet a été réunie par l’association « de manière très subite et soudaine »« Savez-vous que Monsieur El Jahouri est un proche de Pierre Bédier (président UMP du conseil général des Yvelines, condamné en 2009 pour corruption - ndlr) ? » glisse-t-il.

L’édile affirme que son opposition au projet « n’a rien à voir avec une hostilité envers l’islam »« Ce n’est pas une obsession, on m’a imposé ce sujet », affirme-t-il. Pendant la campagne, ce thème a en tout cas fait l'objet de nombreux tracts (exemple ici). Lui-même évoque « un tract décisif » diffusé entre les deux tours, « avec le visuel de la mosquée » :

Cyril Nauth explique que le FN n’est pas le seul à refuser ce projet, des élus de l’opposition ayant selon lui fait part de leur désaccord ou de leurs réserves. « On a évoqué une éventuelle autre option, la réactivation d’un ancien plan, un site sur une commune voisine. Tout le monde veut une mosquée, mais pas sur sa commune », lâche l’élu, en expliquant que « les mosquées en France ne manquent pas ».

C'est en tout cas de la part de collectifs ouvertement anti-islam que Cyril Nauth a reçu des soutiens sans faille, jeudi 24 avril: le Bloc identitaire, par la voix de ses leaders Fabrice Robert et Philippe Vardon (par ailleurs à la tête du collectif Islamisation Basta) et Riposte laïque :

Les tweets de Fabrice Robert, président du Bloc identitaire.Les tweets de Fabrice Robert, président du Bloc identitaire.
© Twitter / Philippe Vardon


« Cyril Nauth préfère l'intérêt général au clientélisme musulman », se félicite Riposte laïque dans ce billet :

Sur le site de Riposte laïque.Sur le site de Riposte laïque.


« La communauté musulmane est remontée, l’extrême droite se lâche, déplore la socialiste Monique Brochot, qui a perdu l'élection à 61 voix près (un recours administratif a été déposé). On vivait très bien ensemble. Il y a eu un changement de climat. C’est pesant sur la ville. Que s’est-il passé ? On sent de l’inquiétude chez les gens, certains se sentent responsables car leurs enfants ne sont pas allés voter, ou ne se sont pas inscrits sur les listes. »

Un comité “de vigilance et d'action contre le Front National” est en train de se mettre en place dans la ville, composé d'élus Front de gauche et PS, et d'une dizaine d'associations. « En tant qu'élus, nous voulons tenir des permanences pour informer la population, communiquer sur les conseils municipaux, les préparer, en rendre compte », explique l'ex-maire PS.

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