Cette semaine, Didier Porte commente l'émission Des paroles et des actes, diffusée le 10 avril dernier sur France 2, où Marine Le Pen était « rédactrice en chef ».
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Request Policy
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C’est inédit : le Medef a réuni, jeudi 9 avril, tous les acteurs privés de la santé, dont les représentants de puissantes fédérations patronales : celles de l’industrie pharmaceutique (Leem), de l’hospitalisation privée (FHP), des sociétés d’assurance (FFSA). À l’issue d’un après-midi de débat, auquel étaient conviés des représentants de l’assurance maladie, les vice-présidents du Medef Geoffroy Roux de Bézieux et Jean-François Pillard, chargés du social, ont dévoilé la contribution de l’organisation patronale à la « stratégie nationale de santé » du gouvernement, qui vise à réorganiser l’offre de soins, et à la recherche des 10 milliards d’euros d’économies sur les dépenses d’assurance maladie.
10 milliards d’économies n’est pas un effort suffisant pour le patronat : il propose donc 15 à 20 milliards. Avec en prime, une diminution de 10 milliards d’euros des dépenses d’assurance maladie, qui se retrouveraient à la charge des malades et des cotisants des complémentaires santé. Au programme donc : un colossal recul de l’assurance maladie solidaire au profit des acteurs du privé. Sans que ceux-ci ne consentent à un quelconque effort de maîtrise des dépenses de santé, alors qu’ils sont les grands bénéficiaires des colossales exonérations de cotisations sociales prévues dans le pacte de responsabilité (lire ici notre article : Au mépris de la Sécurité sociale).
« L’essentiel des efforts de la régulation de la dépense a été jusqu’ici porté par les acteurs privés : médicaments, dispositifs médicaux, médecins libéraux », estime le Medef. Aux autres donc de consentir des milliards d’euros d’économies. Cette attitude tranche avec la relative bonne volonté des autres acteurs de la santé : la Fédération hospitalière de France, qui représente les hôpitaux publics, estime par exemple possible, à la condition de réformes structurelles, d’économiser 5 à 7 milliards d’euros en 5 ans, sans dégrader la qualité des soins et les conditions de travail.
Le patronat reprend à son compte les réformes structurelles esquissées par la stratégie nationale de santé du gouvernement : un « hôpital recentré sur les cas lourds et complexes », et une médecine de ville « mieux structurée et mieux organisée ». Mais le Medef exclut tout effort de la part des cliniques privées : selon lui, 7 à 10 milliards d’euros sont possibles grâce à une « réduction des capacités hospitalières publiques ». Alors que les cliniques privées représentent plus de la moitié de la chirurgie, le Medef ne dit pas un mot des nombreux actes chirurgicaux inutiles, par exemple les césariennes programmées, plus souvent pratiquées dans les cliniques privées (9,4 % des accouchements) que dans le public (6,6 %) ; ou encore la multiplication par 15 en 20 ans des opérations du canal carpien (de 9 537 interventions en 1995 à 142 405 en 2005, selon l’Académie de médecine).
Têtu, le secteur privé continue à réclamer la « convergence tarifaire », c’est-à-dire l’alignement des tarifs du privé sur ceux du public. L’hôpital est en effet mieux rémunéré, ce qui se justifie par les missions de service public qui lui incombent (les urgences notamment), quand les cliniques privées se concentrent sur les activités les plus rentables (la chirurgie en particulier). Le Medef propose même d’ouvrir la possibilité pour le privé de reprendre des hôpitaux publics en « quasi-faillite ». La situation des cliniques privées n’est pourtant pas florissante : comme les hôpitaux publics, environ un tiers sont en déficit, et leur rentabilité est tombée en 2011 à 1,9 %, un taux insuffisant pour satisfaire les gourmands fonds de pension internationaux, actionnaires de grands groupes tels que la Générale de santé.
Le syndicat patronal poursuit encore son obsession de la « responsabilisation » du patient, en proposant d’instaurer de nouveaux tickets modérateurs, franchises et autres jours de carence dans la fonction publique. Et il ne digère pas la généralisation du tiers payant chez les médecins libéraux en 2017 : les patients n’auront plus à avancer les frais. Qu’importe si de nombreuses études prouvent que l’absence d’avance de frais est avant tout une mesure de justice sociale, et si l’explosion actuelle de la fréquentation des urgences s’explique aussi par la difficulté d’une partie de la population à avancer le prix d’une consultation.
Il faut aussi rationaliser le nombre de caisses d’assurance maladie, affirme encore le patronat. Elles ont pourtant déjà fait des efforts considérables (48 caisses primaires ont fusionné ces dernières années) et l’assurance maladie se prévaut de coûts de gestion limités à 4 % de ses recettes. Le Medef ne dit en revanche pas un mot des considérables et opaques frais de gestion des 649 organismes de complémentaire santé (Le Monde vient de lancer une enquête auprès de ses lecteurs. Le seul coût de la publicité et du marketing représente déjà 15 % du montant des cotisations !).
La puissante industrie pharmaceutique ne propose rien non plus pour limiter les dépenses de médicaments excessives et inutiles. Les anomalies persistent pourtant, comme vient de le rappeler l’assurance maladie dans une étude sur les médicaments de ville qu’elle vient de dévoiler : parmi 8 pays européens, la France continue à avoir la 1re dépense de médicaments par habitant en 2013. Le médicament le plus coûteux pour l’assurance maladie est le Lucentis (428 millions d’euros), ce traitement contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui pourrait être remplacé par un traitement 20 fois moins cher. Le 3e médicament le plus cher est lui aussi une dépense inutile : c’est le Crestor (342 millions d’euros), le seul anticholestérol qui n’est pas un générique.
L’essentiel pour le Medef est que le système solidaire continue à financer l’innovation pharmaceutique. Qu’importe là encore si le coût de certains nouveaux médicaments frôle des niveaux insoutenables, même pour les systèmes de santé des pays les plus développés. Le Sofosbuvir, nouveau médicament révolutionnaire contre l’hépatite C, dont souffrent 230 000 personnes en France, coûte aux environ de 55 000 euros par patient (780 euros le comprimé). Quant aux nouvelles thérapies ciblées contre les cancers, l’oncologue Jean-Paul Vernant, auteur du dernier plan cancer, a publiquement jugé leur prix « immoral » dans une interview accordée à La Croix, à la suite d’oncologues nord-américains.
Les acteurs du privé ont du chemin à faire pour prétendre « assurer l’avenir du système en conjuguant efficience, innovation et responsabilité » : c'est le titre de la contribution qu’ils viennent de verser au débat public.
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Trois jeunes hommes grièvement blessés à l’œil, dont l'un éborgné et les deux autres avec peu de chances de retrouver la vision. Tel est le bilan du maintien de l’ordre de la manifestation du 22 février 2014 contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mission accomplie, comme l'annonçait fièrement le compte Twitter officiel de la direction départementale de la sécurité publique de Loire-Atlantique ?
2/2 #Nantes #NDDL Le Patron Police 44 : la foule pacifique et le centre-ville devaient être protégés des casseurs. Mission accomplie.— Police Nationale 44 (@PNationale44) February 26, 2014
Le premier blessé à s’être manifesté auprès de la presse, Quentin, un charpentier cordiste de 29 ans, a perdu son œil à la suite d'un tir policier vers 19 heures place de la Petite-Hollande, alors qu’il cherchait à se replier face à un barrage de CRS, selon son témoignage. Le second, Damien, coffreur maçon de 29 ans, a lui aussi été atteint à l’œil, tout près de la place de la Petite-Hollande. Depuis, il voit « juste des ombres ».
Tous deux avaient croisé au CHU de Nantes un troisième blessé au visage. Il s’agit d’Emmanuel, 24 ans, un cuisinier originaire du Finistère qui était venu chercher du travail à Nantes. Il n’a pas encore déposé plainte, ni récupéré son dossier médical. « J’entreprends seulement ces démarches, car j’ai eu des problèmes financiers et de logement », explique Emmanuel, joint par téléphone.
Selon son récit, il a lui aussi été touché en fin d’après-midi, à proximité du CHU de Nantes. « Il y avait des groupes de personnes en confrontation avec les policiers, qui lançaient tout ce qui leur passait sous la main, dit-il. J’étais là en observateur, avec un sac à dos et un keffieh, près d’un arbre en bas de l’esplanade du CHU. Je suis resté car je ne comprenais pas l’énervement des policiers. » Le jeune cuisinier a reçu un projectile au visage, chuté et perdu connaissance. « Comme j’étais seul, il a fallu un temps avant qu’on me remarque, raconte-t-il. Un groupe de personnes a essayé de me tenir éveillé, et ils m’ont transporté à l’hôpital où ils m’ont gardé jusqu’au mercredi. À l’hôpital, j’étais complètement sonné, en train de vomir. Ils m’ont anesthésié pour faire une exploration de l’œil, mais il y avait trop de sang. Les premiers jours, la douleur était insoutenable. »
Selon lui, son arcade sourcilière a été fracturée. Près de huit semaines après la manifestation, il ne voit toujours pas de l’œil droit : « Je suis juste ébloui par des lumière vives. » « Pour les médecins, ça ressemble à un tir de Flashball, vu l’impact », dit-il.
Guillaume, 27 ans, était présent. C'est lui qui a amené Emmanuel au centre hospitalier universitaire voisin. Au total, ce plombier chauffagiste affirme avoir secouru 17 personnes dans l’après-midi. Venu avec des amis et leur camion sonore « pour passer un bon moment en manifestant pacifiquement », le jeune homme dit avoir été « dégoûté de voir autant de CRS tirer au niveau de la tête ».
Parmi les personnes qu’il a aidées, Guillaume se souvient de cinq « très blessées » : « Emmanuel, que nous avons porté aux urgences ; quelqu’un qui avait reçu un tir de Flashball au foie ; un autre à l’omoplate ; Quentin, qui était le plus grave de tous ; et un dernier qui avait été touché à la tempe et est resté sans connaissance durant une vingtaine de minutes. » Mais la plupart n’iront sans doute jamais déposer plainte : « Les trois quarts des gens que j’ai aidés m’ont dit avoir peur des représailles », explique Emmanuel. Lui-même a été interrogé par un commissaire nantais, puis par les enquêteurs rennais de l’IGPN. Il ne cache pas avoir, comme plusieurs manifestants, « renvoyé des projectiles » dont « une canette de bière pour aider une mamie à sortir des gaz lacrymos ».
Au total, la procureure de Nantes Brigitte Lamy affirme avoir reçu quatre plaintes pour violences, dont deux déposées par des journalistes, pour l’un délibérément touché au torse par un tir de Flashball et l’autre blessé aux jambes par des éclats de grenade. La délégation de l’IGPN de Rennes est chargée de ces enquêtes préliminaires.
« C’est l’omerta, déplore Nathalie Torselli, mère de Quentin qui a perdu son œil. On ne sait pas combien de personnes ont été blessées, certaines ont peur de déposer plainte. » Sur la page Facebook d’appel à témoignages créée, d’autres manifestants affirment, photos à l’appui, avoir été atteints par des tirs de Flashball au visage : sur le crâne avec neuf points de suture, sur la joue ou encore à la lèvre. « Là où j’ai vu le plus de blessés, c’est sur l’esplanade d’herbe entre la station de tram Commerce et Hôtel-Dieu, quand les CRS ont repoussé les manifestants vers le parking Petite-Hollande, raconte Emmanuel. J’ai vu tout et n’importe quoi. Il y a une cartouche de gaz lacrymo qui a atterri dans la poussette d’une petite fille de trois ans et qui était à deux doigts de mettre le feu à sa robe en polyester. J'ai aussi vu un père avec ses deux enfants de 5 et 7 ans qui pleuraient, ils croyaient que c’était la guerre civile. »
Rappelons que les instructions de novembre 2012 relatives au Flashball superpro et au LBD 40×46 (sa nouvelle version beaucoup plus puissante et précise) imposent aux policiers, « après usage de l’arme et en cas d’interpellation », de s’assurer sans délai de l’état de santé de la personne touchée et de la garder sous une surveillance permanente.
Côté « casseurs », la justice a mis les bouchées doubles. Dès le lendemain de la manifestation, une cellule d’enquête spéciale d’une trentaine de policiers (selon la presse locale) était mise en place, avec appel à témoins et aux médias, pour tenter d’identifier les manifestants violents. Le lundi 24 février, le directeur de cabinet du préfet, interrogé par Mediapart, estimait leur nombre à un millier de personnes, ayant « le profil traditionnel de ceux qu'on rencontre sur la Zad, allant de modérément à extrêmement violents avec des méthodes qui s'apparentent à celles des Black Blocs ».
#Nantes #NDDL violences c/ policiers et dégradations. Enquête judiciaire en cours. Appel à témoin sur mail rectifié : pic.twitter.com/ptEsrKOb55— Police Nationale 44 (@PNationale44) February 26, 2014
© "Bvur" est l'acronyme de brigade des violences urbaines (et non de bavure)Le 24 février, cinq personnes ont été condamnées en comparution immédiate à des peines allant jusqu’à six mois de prison ferme pour des jets de projectiles contre les forces de l'ordre. Le 1er avril, après une deuxième vague d’interpellations, quatre autres hommes ont été condamnés en comparution immédiate pour des dégradations et des violences commises. L’un d’eux, un militant de 22 ans, a écopé d’un an de prison ferme avec mandat de dépôt pour des jets de projectiles sur des policiers, sans victime identifiée, et pour des canettes fumigènes sur lesquelles son ADN a été retrouvé. Il a reconnu « quelques pierres et trois fumigènes dans une période de dix minutes, mais contre le mur anti-émeute, pas sur des personnes », a expliqué sa compagne à Reporterre. D'autres interpellations pourraient avoir lieu. « Les investigations continuent », indique Brigitte Lamy.
Au sein du collectif du 22 février, qui s’est formé autour des manifestants blessés, certains réclament l'interdiction des lanceurs de balles de défense et la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de cette manifestation. « Deux moments semblent se dessiner, explique Luc Douillard, 55 ans, père de Pierre, le lycéen nantais mutilé par un tir de lanceur de balles de défense en 2007. La police a d’abord laissé faire, avec des bris de vitrine, un départ de feu sur les cabanons de la société de transports en commun. Vu le nombre de policiers en civil, ils auraient facilement pu arrêter les casseurs qui étaient une dizaine. Puis, en fin d'après-midi, les policiers se sont lâchés et ont commis des violences graves sur des innocents. »
Il s'inquiète également d'entraves aux secours par les forces de l'ordre, comme le montre cette vidéo tournée par le photographe Yves Monteil. On y voit des CRS et un camion à eau poursuivre, gazer et asperger d'eau à haute pression des manifestants dans une petite ruelle. Levant les bras pour signaler un blessé, ces derniers tentent en vain de mettre à l'abri Quentin, qui vient juste d'être touché à l'œil par un tir policier.
La présence de policiers cagoulés du GIPN (Groupe d'intervention de la police nationale) avec des boucliers d'assaut et eux aussi armés de LBD 40×46 interroge également, même au sein des professionnels du maintien de l'ordre contactés. Certes, cette unité d'élite régionale peut « intervenir à l'occasion d'opérations de maintien de l'ordre nécessitant l'utilisation de techniques et de moyens spécifiques », mais est-ce normal de le faire sans matricule, ni aucun moyen d'identification ?
Contactée, la préfecture de Loire-Atlantique n’a pas souhaité répondre à nos questions, la « justice étant saisie ». Elle rappelle « néanmoins la violence des faits qui se sont produits à l'occasion de cette manifestation, violence qui a pu être constatée par tous les témoins et s'est traduite, outre les dégâts importants relevés dans les quartiers où elle s'est déroulée, par de nombreux blessés de part et d'autre ». Selon la préfecture, « 130 policiers et gendarmes ont été pris en compte par les services médicalisés des unités, 27 ayant dû être adressés au CHU. Lequel a également recensé l'admission de 40 manifestants touchés à des degrés divers ».
BOITE NOIREContacté lundi matin, le directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique ne nous a pas répondu pour l'instant. Le collectif du 22 février tient une conférence de presse mardi 15 avril, à 11 heures, à Nantes.
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Trois jeunes hommes grièvement blessés à l’œil, dont l'un éborgné et les deux autres avec peu de chances de retrouver la vision. Tel est le bilan du maintien de l’ordre de la manifestation du 22 février 2014 contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mission accomplie, comme l'annonçait fièrement le compte Twitter officiel de la direction départementale de la sécurité publique de Loire-Atlantique ?
2/2 #Nantes #NDDL Le Patron Police 44 : la foule pacifique et le centre-ville devaient être protégés des casseurs. Mission accomplie.— Police Nationale 44 (@PNationale44) February 26, 2014
Le premier blessé à s’être manifesté auprès de la presse, Quentin, un charpentier cordiste de 29 ans, a perdu son œil à la suite d'un tir policier vers 19 heures place de la Petite-Hollande, alors qu’il cherchait à se replier face à un barrage de CRS, selon son témoignage. Le second, Damien, coffreur maçon de 29 ans, a lui aussi été atteint à l’œil, tout près de la place de la Petite-Hollande. Depuis, il voit « juste des ombres ».
Tous deux avaient croisé au CHU de Nantes un troisième blessé au visage. Il s’agit d’Emmanuel, 24 ans, un cuisinier originaire du Finistère qui était venu chercher du travail à Nantes. Il n’a pas encore déposé plainte, ni récupéré son dossier médical. « J’entreprends seulement ces démarches, car j’ai eu des problèmes financiers et de logement », explique Emmanuel, joint par téléphone.
Selon son récit, il a lui aussi été touché en fin d’après-midi, à proximité du CHU de Nantes. « Il y avait des groupes de personnes en confrontation avec les policiers, qui lançaient tout ce qui leur passait sous la main, dit-il. J’étais là en observateur, avec un sac à dos et un keffieh, près d’un arbre en bas de l’esplanade du CHU. Je suis resté car je ne comprenais pas l’énervement des policiers. » Le jeune cuisinier a reçu un projectile au visage, chuté et perdu connaissance. « Comme j’étais seul, il a fallu un temps avant qu’on me remarque, raconte-t-il. Un groupe de personnes a essayé de me tenir éveillé, et ils m’ont transporté à l’hôpital où ils m’ont gardé jusqu’au mercredi. À l’hôpital, j’étais complètement sonné, en train de vomir. Ils m’ont anesthésié pour faire une exploration de l’œil, mais il y avait trop de sang. Les premiers jours, la douleur était insoutenable. »
Selon lui, son arcade sourcilière a été fracturée. Près de huit semaines après la manifestation, il ne voit toujours pas de l’œil droit : « Je suis juste ébloui par des lumière vives. » « Pour les médecins, ça ressemble à un tir de Flashball, vu l’impact », dit-il.
Guillaume, 27 ans, était présent. C'est lui qui a amené Emmanuel au centre hospitalier universitaire voisin. Au total, ce plombier chauffagiste affirme avoir secouru 17 personnes dans l’après-midi. Venu avec des amis et leur camion sonore « pour passer un bon moment en manifestant pacifiquement », le jeune homme dit avoir été « dégoûté de voir autant de CRS tirer au niveau de la tête ».
Parmi les personnes qu’il a aidées, Guillaume se souvient de cinq « très blessées » : « Emmanuel, que nous avons porté aux urgences ; quelqu’un qui avait reçu un tir de Flashball au foie ; un autre à l’omoplate ; Quentin, qui était le plus grave de tous ; et un dernier qui avait été touché à la tempe et est resté sans connaissance durant une vingtaine de minutes. » Mais la plupart n’iront sans doute jamais déposer plainte : « Les trois quarts des gens que j’ai aidés m’ont dit avoir peur des représailles », explique Emmanuel. Lui-même a été interrogé par un commissaire nantais, puis par les enquêteurs rennais de l’IGPN. Il ne cache pas avoir, comme plusieurs manifestants, « renvoyé des projectiles » dont « une canette de bière pour aider une mamie à sortir des gaz lacrymos ».
Au total, la procureure de Nantes Brigitte Lamy affirme avoir reçu quatre plaintes pour violences, dont deux déposées par des journalistes, pour l’un délibérément touché au torse par un tir de Flashball et l’autre blessé aux jambes par des éclats de grenade. La délégation de l’IGPN de Rennes est chargée de ces enquêtes préliminaires.
« C’est l’omerta, déplore Nathalie Torselli, mère de Quentin qui a perdu son œil. On ne sait pas combien de personnes ont été blessées, certaines ont peur de déposer plainte. » Sur la page Facebook d’appel à témoignages créée, d’autres manifestants affirment, photos à l’appui, avoir été atteints par des tirs de Flashball au visage : sur le crâne avec neuf points de suture, sur la joue ou encore à la lèvre. « Là où j’ai vu le plus de blessés, c’est sur l’esplanade d’herbe entre la station de tram Commerce et Hôtel-Dieu, quand les CRS ont repoussé les manifestants vers le parking Petite-Hollande, raconte Emmanuel. J’ai vu tout et n’importe quoi. Il y a une cartouche de gaz lacrymo qui a atterri dans la poussette d’une petite fille de trois ans et qui était à deux doigts de mettre le feu à sa robe en polyester. J'ai aussi vu un père avec ses deux enfants de 5 et 7 ans qui pleuraient, ils croyaient que c’était la guerre civile. »
Rappelons que les instructions de novembre 2012 relatives au Flashball superpro et au LBD 40×46 (sa nouvelle version beaucoup plus puissante et précise) imposent aux policiers, « après usage de l’arme et en cas d’interpellation », de s’assurer sans délai de l’état de santé de la personne touchée et de la garder sous une surveillance permanente.
Côté « casseurs », la justice a mis les bouchées doubles. Dès le lendemain de la manifestation, une cellule d’enquête spéciale d’une trentaine de policiers (selon la presse locale) était mise en place, avec appel à témoins et aux médias, pour tenter d’identifier les manifestants violents. Le lundi 24 février, le directeur de cabinet du préfet, interrogé par Mediapart, estimait leur nombre à un millier de personnes, ayant « le profil traditionnel de ceux qu'on rencontre sur la Zad, allant de modérément à extrêmement violents avec des méthodes qui s'apparentent à celles des Black Blocs ».
#Nantes #NDDL violences c/ policiers et dégradations. Enquête judiciaire en cours. Appel à témoin sur mail rectifié : pic.twitter.com/ptEsrKOb55— Police Nationale 44 (@PNationale44) February 26, 2014
© "Bvur" est l'acronyme de brigade des violences urbaines (et non de bavure)Le 24 février, cinq personnes ont été condamnées en comparution immédiate à des peines allant jusqu’à six mois de prison ferme pour des jets de projectiles contre les forces de l'ordre. Le 1er avril, après une deuxième vague d’interpellations, quatre autres hommes ont été condamnés en comparution immédiate pour des dégradations et des violences commises. L’un d’eux, un militant de 22 ans, a écopé d’un an de prison ferme avec mandat de dépôt pour des jets de projectiles sur des policiers, sans victime identifiée, et pour des canettes fumigènes sur lesquelles son ADN a été retrouvé. Il a reconnu « quelques pierres et trois fumigènes dans une période de dix minutes, mais contre le mur anti-émeute, pas sur des personnes », a expliqué sa compagne à Reporterre. D'autres interpellations pourraient avoir lieu. « Les investigations continuent », indique Brigitte Lamy.
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Il s'inquiète également d'entraves aux secours par les forces de l'ordre, comme le montre cette vidéo tournée par le photographe Yves Monteil. On y voit des CRS et un camion à eau poursuivre, gazer et asperger d'eau à haute pression des manifestants dans une petite ruelle. Levant les bras pour signaler un blessé, ces derniers tentent en vain de mettre à l'abri Quentin, qui vient juste d'être touché à l'œil par un tir policier.
La présence de policiers cagoulés du GIPN (Groupe d'intervention de la police nationale) avec des boucliers d'assaut et eux aussi armés de LBD 40×46 interroge également, même au sein des professionnels du maintien de l'ordre contactés. Certes, cette unité d'élite régionale peut « intervenir à l'occasion d'opérations de maintien de l'ordre nécessitant l'utilisation de techniques et de moyens spécifiques », mais est-ce normal de le faire sans matricule, ni aucun moyen d'identification ?
Contactée, la préfecture de Loire-Atlantique n’a pas souhaité répondre à nos questions, la « justice étant saisie ». Elle rappelle « néanmoins la violence des faits qui se sont produits à l'occasion de cette manifestation, violence qui a pu être constatée par tous les témoins et s'est traduite, outre les dégâts importants relevés dans les quartiers où elle s'est déroulée, par de nombreux blessés de part et d'autre ». Selon la préfecture, « 130 policiers et gendarmes ont été pris en compte par les services médicalisés des unités, 27 ayant dû être adressés au CHU. Lequel a également recensé l'admission de 40 manifestants touchés à des degrés divers ».
BOITE NOIREContacté lundi matin, le directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique ne nous a pas répondu pour l'instant. Le collectif du 22 février tient une conférence de presse mardi 15 avril, à 11 heures, à Nantes.
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De notre envoyé spécial à Bruxelles. Depuis son entrée au parlement il y a quinze ans, c'est l'un des rares moments de bravoure qu'on lui connaisse sur les bancs de l'hémicycle. Joseph Daul prend la parole, ce 5 février 2013, à Strasbourg, après un discours fleuve de François Hollande sur l'avenir de l'Europe. Cet eurodéputé de droite qui dirige, en toute discrétion, le premier parti du parlement européen, va exprimer, ce jour-là, un sentiment de ras-le-bol et de dépit partagé par l'immense majorité des élus de l'hémicycle, qui finiront par l'applaudir.
À l'époque, le débat sur le budget de l'Union fait rage. Le bras de fer est engagé entre les capitales qui veulent un budget au rabais, et nombre d'eurodéputés qui plaident pour une relance plus ambitieuse par l'UE. « Nous ne marcherons pas dans cette combine », prévient Joseph Daul (UMP). Si ce budget est adopté, lance-t-il à François Hollande, « autant mettre la clé sous la porte tout de suite et dire la vérité à nos concitoyens ».
L'Alsacien, qui ne lâchera pas ses feuilles de notes pendant les sept minutes de son intervention, parle sans esbroufe et vise juste. Il rappelle au président français les promesses de campagne oubliées en chemin – en particulier celle de la « réorientation » de l'Europe vers la croissance: « J'ai beau chercher, je ne vois pas où est passé votre pacte de croissance de 120 milliards d'euros, où sont ces milliards monsieur le président ? Dites-le-nous ! » Un rang derrière lui, Daniel Cohn-Bendit est aux anges, surpris par la soudaine combativité de son collègue, d'ordinaire moins coupant.
Malgré un manque de charisme flagrant, l'éleveur de veaux Joseph Daul s'est imposé, à 66 ans, comme l'un des Français les plus puissants de Bruxelles – aux côtés, notamment, de Michel Barnier, à la commission européenne. Non content de diriger le groupe conservateur du parti populaire européen (PPE) au parlement, Daul vient de récupérer les rênes du parti tout entier, le PPE, après le décès du Belge Wilfried Martens en octobre 2013 – un cumul des postes aux allures de consécration pour le Français.
Mais l'homme est aussi totalement inconnu à Paris. C'est le paradoxe Daul : rouage essentiel de la machine européenne, au cœur de bon nombre de « deals » politiques à Bruxelles, en dialogue permanent avec Angela Merkel, mais invisible aux yeux des citoyens français, laborieux à l'oral, anonyme dans l'Hexagone. À tel point que l'on pourrait dire de ce germanophile de droite qu'il est un parfait anti-Mélenchon...
Si Daul est censé incarner une droite sociale à Strasbourg (tendance Jacques Chirac), face au libre-échangisme des conservateurs anglo-saxons, il est surtout devenu, au fil des ans, le révélateur d'une manière terne de pratiquer la politique dans la bulle bruxelloise : par-delà les convictions, c'est la capacité à négocier d'arrache-pied des compromis qui compte, pour s'imposer et grimper les échelons.
« C'est vrai qu'il y a un sérieux décalage entre la reconnaissance dont il jouit dans les cercles européens, qui est très forte, et son anonymat relatif, en France », estime Arnaud Danjean, un eurodéputé UMP qui fit campagne avec Daul dans le Grand-Est, en 2009. Sa décision de ne pas rempiler pour un quatrième mandat, en 2014, alors qu'il avait, de l'avis général, de bonnes chances de présider le parlement, n'a fait quasiment aucun bruit médiatique en France. À peine quelques brefs articles, en priorité dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace.
« Avec la fonction qu'il occupe au parlement, en toute logique, il pourrait faire des plateaux télé à Paris », renchérit son collègue Alain Lamassoure, l'une des figures de la droite française à Strasbourg. « Mais ce n'est pas son tempérament, et Joseph n'a pas envie de faire des efforts pour ce genre d'exercice. Ce n'est pas son truc. » « Il a un côté élu local de village qui n'aime pas monter sur l'estrade », complète la socialiste Catherine Trautmann, elle aussi alsacienne.
Autre explication : l'actualité des dernières années a été archi-dominée par la crise économique, qui n'est pas exactement le sujet de prédilection de Joseph Daul. L'Alsacien a ainsi choisi de sous-traiter certains des dossiers les plus brûlants et médiatisés à ses proches, quitte à perdre un peu plus en visibilité. « Il a eu la sagesse, pendant la crise, de ne pas tout contrôler, confirme un diplomate haut placé. Il s'est par exemple beaucoup appuyé sur l'expertise d'une eurodéputée néerlandaise, Corien Wortmann-Kool, sur l'essentiel des dossiers de gouvernance économique. »
Interrogé par Mediapart, l'intéressé, lui, met en avant les contraintes d'agenda : « C'est impossible de faire les deux ! Si vous voulez exister ici (à Bruxelles, ndlr), c'est strictement impossible (de peser dans le débat français en même temps, ndlr)… » Au cours du mois de février, il s'est rendu à Lisbonne, Sofia, Budapest, Dublin, Paris, Cracovie, Berlin et Amman, en Jordanie – sans oublier ses allers-retours hebdomadaires entre Bruxelles et son fief alsacien. « C'est mon fonctionnement depuis toujours : quand j'ai géré la crise de la vache folle, j'ai beaucoup travaillé, mais je suis toujours resté en deuxième ou troisième position, c'est mon job, et ce n'est pas dans les journaux. »
Daul a quitté l'école à 14 ans pour travailler dans l'exploitation familiale. Il est entré en politique par le syndicalisme agricole. Après un passage par le centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), il préside la fédération nationale bovine, rattachée à la FNSEA, à un moment clé : en pleine crise de la vache folle, dans les années 1990, où il se bat pour obtenir des aides de « survie » pour les éleveurs français. À cette époque, il travaille en confiance avec Jacques Chirac, qu'il connaît bien depuis le passage de ce dernier au ministère de l'agriculture, dans les années 1970. C'est le même Chirac qui recommande Daul auprès de Nicolas Sarkozy, alors à la tête de la campagne du RPR pour les européennes de 1999 : l'agriculteur obtient son ticket d'entrée pour le parlement européen.
Dans la foulée, il obtient la présidence de la commission agriculture, où il fera ses gammes. La bascule se produit en janvier 2007 : alors que l'ancien ministre Alain Lamassoure faisait figure de favori pour présider le groupe PPE au parlement, ce dernier se retire, préférant miser sur un poste de ministre des affaires européennes après l'élection de Nicolas Sarkozy en mai (qu'il n'obtiendra pas). Daul se présente, et remporte une élection très ouverte, au cinquième tour, avec une bonne partie des voix de la droite allemande.
« C'est d'abord un paysan conservateur, avec des convictions pro-européennes », dit de lui Cohn-Bendit. Tout en rondeurs, revendiquant un « parler simple et franc », l'Alsacien n'a rien à voir avec le profil du technocrate hors sol si répandu à Bruxelles. Son fils et son gendre gèrent aujourd'hui l'exploitation agricole familiale, qui compte près de 80 hectares (700 bovins), à Pfettisheim, dans les environs de Strasbourg.
Autre legs de ses années de syndicalisme agricole, plus embarrassant : des démêlés avec la justice. Joseph Daul fut l'un des huit prévenus, aux côtés de l'ex-président de la FNSEA Luc Guyau, poursuivis pour « complicité et recel d'abus de biens sociaux », dans une affaire de détournement de fonds – quelque 16 millions d'euros – au profit de la FNSEA, au cours des années 1990. Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé, en décembre 2008, l'ensemble des prévenus, tout en signalant des « dérives » dans le financement du monde agricole. Sur le moment, l'affaire a fait grincer des dents, en particulier chez certains conservateurs allemands, mais elle n'a pas freiné la carrière bruxelloise de l'Alsacien.
Aussi discrète soit-elle, l'ascension de Joseph Daul entre les murs du parlement en dit long sur la manière dont se pratique la politique à Strasbourg. Pour être respecté entre ses pairs, peu importe le charisme : il faut avant tout savoir négocier. Apprendre à conclure, à toute heure du jour et de la nuit, des compromis âpres et souvent très techniques – entre les élus de son groupe politique, entre sa propre formation et les autres groupes politiques du parlement, entre le parlement européen et les autres institutions. Il faut sans cesse batailler sur des amendements, déplacer le curseur le plus possible vers ses intérêts, et tenter de ne pas trop lâcher en cours de route. Surtout, jamais de conflits à ciel ouvert.
À ce jeu-là, plutôt très hermétique pour le grand public, le syndicaliste Daul est expert. Il ferait partie de cette lignée de professionnels de la synthèse sans grande envergure qui ont fait fortune à Bruxelles, à l'instar, par exemple, du Belge Herman Van Rompuy (aujourd'hui à la tête du conseil européen). Quitte à dépolitiser les débats. « Ce n'est pas un bon orateur, ce n'est pas non plus un spécialiste de tel ou tel dossier, ni un expert. C'est avant tout un grand négociateur », assure Antoine Ripoll, son directeur de cabinet de 2009 à 2012. « Il se trouve que le parlement est une machine à produire des compromis : Daul est tombé dans la bonne institution. »
« Joseph est un terrien, quelqu'un de très pragmatique. Ce n'est pas un bon débatteur, mais un fin négociateur. Il travaille le temps qu'il faut pour aboutir », renchérit la socialiste Catherine Trautmann. L'ancienne maire de Strasbourg, qui termine son quatrième mandat d'eurodéputée, ne cache pas, elle non plus, sa sympathie pour Joseph Daul. D'autant que les deux se retrouvent unis dans la défense acharnée du siège alsacien pour le parlement européen, contre l'offensive des Britanniques.
Au sein des rangs de la droite, l'art du compromis poussé à l'extrême pratiqué par Daul en gêne certains. « Si j'avais été président de groupe à sa place, j'aurais peut-être été davantage dans une dynamique d'opposition », estime Alain Lamassoure. Daul ne fait pas mystère, en particulier, de sa solide relation d'amitié avec Martin Schulz, le président socialiste du parlement européen – qui est aussi candidat à la présidence de la commission, pour remplacer José Manuel Barroso cette année, avec des chances d'y parvenir. « À l'UMP, on lui reproche d'être trop gentil avec Martin Schulz. Pourtant, vu la crise que l'on traverse, c'est bien d'avoir un interlocuteur sérieux », veut croire Catherine Trautmann.
Mais la principale raison du succès de Daul est ailleurs. Il est le plus Allemand des élus français. « Je ne sais pas combien il y a de ministres dans le gouvernement de grande coalition allemande, mais s'ils sont 30, je dirais qu'il est le 31e », s'amuse Lamassoure. « C'est un spécialiste du franco-allemand, il parle parfaitement l'allemand et il s'est montré très utile sur tous les dossiers du franco-allemand lorsque j'étais ministre des affaires européennes », se souvient Bruno Le Maire, qui se targue de « contacts excellents ». Aux grandes heures du tandem « Merkozy », Daul fut, semble-t-il, un intermédiaire précieux, pour aider Nicolas Sarkozy à mieux travailler avec Angela Merkel, qu'il comprenait mal.
« J'ai toujours été un Alsacien franco-allemand. Pour moi, quoi qu'on en dise, si l'on veut que l'Europe fonctionne, le franco-allemand est primordial », résume Joseph Daul, reprenant l'un des éternels refrains de la construction européenne. « Quand j'ai un souci sur un texte, ou une question, j'envoie un texto à Angela Merkel, et j'ai la réponse, toujours très rapidement, presque en direct. En termes d'analyse de la situation, en termes de fonctionnement, on est vraiment en phase » (confirmation dans ce reportage de Canal Plus tourné au parlement européen).
Sur le fond des dossiers, Daul semble davantage à l'unisson avec les élus de la CDU (les chrétiens-démocrates allemands d'Angela Merkel) qu'avec les eurodéputés de l'UMP, dont il est pourtant issu. Rigueur budgétaire, allègement des pressions fiscales sur les entreprises, « modernisation » du marché du travail… Sur tous ces sujets clés, à l'heure de la crise, il vote à l'allemande. « Daul, vous êtes sûr qu'il est français ? » raille un conseiller du parlement, pour qui l'ascension de l'Alsacien s'explique par une soumission à la toute-puissante CDU-CSU (avec ses 42 élus, c'est le parti national le plus représenté au parlement, tous pays confondus).
À sa manière, le succès de Daul relance l'épineux débat sur l'« Europe allemande », qu'avait dénoncée, en 2012, le sociologue Ulrich Beck dans un pamphlet musclé. Mediapart a déjà raconté comment les postes clés du parlement – son président, son secrétaire général et le président de la conférence des présidents de commission – étaient occupés par des Allemands. Et voici que l'un des autres hommes forts de l'hémicycle, patron de la majorité, est un Français particulièrement docile envers les troupes de la CDU.
« C'est totalement faux, réagit un diplomate français de premier plan en poste à Bruxelles. Regardez les positions qu'il prend sur le siège du parlement à Strasbourg, sur la politique agricole commune, ou encore lors des débats sur le budget l'an dernier : il était beaucoup plus proche des positions de François Hollande que d'Angela Merkel. » Le vrai talon d'Achille de Daul serait plus un problème plus général : l'homme aurait tendance à s'écraser devant les chefs de gouvernement, ce qui diminuerait d'autant l'influence du parlement sur la scène européenne, face aux capitales.
« Le problème de Daul, c'est qu'il s'arrête toujours en chemin : ses critiques sont souvent justes, mais il fait le dos rond face au pouvoir, que ce soit Nicolas Sarkozy à l'époque ou Angela Merkel aujourd'hui », regrette Daniel Cohn-Bendit. « Par exemple, il était pour une candidature de Michel Barnier comme chef de file du PPE pour les européennes, mais il ne l'a pas dit à haute voix, il n'a pas voulu se battre contre la CDU (en majorité favorable à Jean-Claude Juncker, qui l'a emporté, ndlr). »
À sa manière, le cas Orban, plus douloureux pour le PPE, attesterait du même travers : une certaine soumission de Daul face aux responsables au pouvoir dans les capitales, qu'ils soient allemands ou pas. Malgré sa dérive autoritaire, le chef du gouvernement hongrois, Viktor Orban, à plusieurs reprises épinglé par la commission européenne, n'a jamais été menacé d'exclusion – du PPE comme du groupe PPE au parlement européen. « Viktor Orban est un ami et reste un ami. Il a été élu démocratiquement, et je n'ai pas vu qu'il ait créé des goulags », évacue Daul.
Pourtant, au plus dur du bras de fer entre Budapest et Bruxelles, les voix se sont multipliées pour exclure la Fidesz, le parti d'Orban, des rangs du PPE. « C'est évidemment l'un des problèmes de son mandat », juge Catherine Trautmann. Mais Daul soigne plus que tout ses relations à l'Est – quitte à s'inscrire en porte-à-faux avec ses collègues français. Argument officiel : il se sent proche de cette famille d'élus, comme le Polonais Jerzy Buzek, qui ont combattu le communisme. Dans les faits, il sait aussi que l'Europe centrale et orientale représente désormais un réservoir considérable de voix conservatrices.
Daul se rend chaque année au fin fond de la Pologne pour y chasser le sanglier, à l'invitation d'agriculteurs locaux. Il est aussi l'un des artisans de la candidature de Jerzy Buzek à la tête du parlement – dont le mandat (2009-2012) s'est révélé bien terne. Il se dit aussi « ami » avec l'ex-président letton, Valdis Dombrowskis, qu'il assure avoir conseillé, au plus dur de la crise économique lettone, alors que la banqueroute menaçait (Daul sera nommé le 3 mai prochain… grand commandeur de la Légion d'honneur lettonne).
C'est aussi pour ne pas froisser les élus les plus « traditionalistes », venus de l'Est, que Joseph Daul, par ailleurs très conservateur en la matière, a laissé son groupe se radicaliser sur les questions de société. Les 273 élus du PPE ont ainsi rejeté, en décembre, le « rapport Estrela », qui prône un accès généralisé à la contraception, et à des services d'avortement sûrs, pour les femmes dans l'UE. Puis se sont divisés, en février, sur le rapport « Lunacek », qui plaide pour un plan d'action européen pour les droits LGBT (Joseph Daul a voté contre). Avant de bloquer, en mars, un texte sur l'égalité des rémunérations homme-femme… Rien de glorieux.
Depuis son élection à la tête du groupe PPE en 2007, Daul ne cesse donc de cultiver ces deux tropismes : défendre coûte que coûte le franco-allemand, et donner davantage de visibilité aux pays d'Europe centrale et orientale dans la machine parlementaire. Quitte à négliger les pays méditerranéens, et s'éloigner, surtout, des Anglo-Saxons, plus eurosceptiques : le groupe du PPE au parlement a perdu les conservateurs de David Cameron, qui forment en 2009 leur propre groupe (ECR), plus critique de l'UE et opposé au projet fédéraliste.
Joseph Daul ne sera plus eurodéputé après les élections de mai prochain. D'ici là, celui qui a discrètement soutenu François Fillon lors des primaires de l'UMP en 2012 suivra, sans doute avec une certaine distance, la campagne qui s'annonce en France. Daul ne le dira pas à un journaliste, mais le slogan de l'UMP – « Une autre Europe » – ne l'enchante guère, alors qu'il porte cette Europe à pleines mains depuis dix ans à Bruxelles. À peine accepte-t-il de dire le mal qu'il pense de la désignation de Nadine Morano, tête de liste dans le Grand-Est, pour le remplacer : « Je voulais qu'Arnaud Danjean soit numéro un, c'est très clair (il est numéro deux, ndlr). Mais les décisions politiques sont ce qu'elles sont. » Nadine Morano, elle, peut se rassurer : elle aura sans doute les caméras à ses côtés tout au long de son futur mandat à Strasbourg.
BOITE NOIRELa plupart des intervenants ont été joints par téléphone, ou interviewés dans leur bureau à Bruxelles, depuis le début du mois de janvier. J'ai rencontré Joseph Daul le 11 février, dans son bureau du parlement, pour un entretien d'une heure. Ce portrait peut se lire en symétrique de celui consacré à l'eurodéputé Jean-Luc Mélenchon, publié en juillet 2013 sur Mediapart – à chaque fois, j'ai essayé de comprendre ce que le travail et le discours de ces deux élus révélaient du fonctionnement du parlement européen.
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Ces choses-là se font mais ne s'écrivent pas. Sauf quand, par inadvertance, une note interne révèle au grand jour la réalité de méthodes discriminatoires. La note en question émane du commissariat du VIe arrondissement de Paris. Publiée par Le Parisien dans son édition du 15 avril 2014, ce document a été rédigé, selon le quotidien, par un officier de police « sur instruction de la commissaire centrale ». Il ordonne « dès à présent et jusqu’à nouvel ordre, pour les effectifs du VIe arrondissement, de jour et de nuit, de localiser les familles roms vivant dans la rue et de les évincer systématiquement ».
Cette note, qui vise explicitement une population en fonction de sa supposée origine ethnique, contrevient à l’article premier de la Constitution française, selon lequel la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Sa publication n’est pas sans précédent. C’était lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Une circulaire en date du 5 août 2010, signée par Michel Bart, alors directeur de cabinet du ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, ciblait déjà expressément ces personnes pour exiger des préfets qu’ils mettent fin aux « implantations sauvages de campements de Roms ».
Le gouvernement avait dû faire machine arrière. Cette fois-ci, le maire UMP du VIe, Jean-Pierre Lecoq, affirme n’être « pas choqué ». « On joue sur les mots, indique-t-il au Parisien. Ce qui me choque, c’est de voir des familles de Roms dans la rue avec des enfants en bas âge. Ce n’est pas acceptable sur les plans humain et social. » « Ils cachent des matelas dans des bosquets. Les familles ont triplé. C’est un vrai problème », assure-t-il, estimant que ces « Roms » viennent de la rive droite de Paris, « chassés du quartier de la Bastille par la police ».
Le nouveau ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, s’est fendu d’un communiqué pour assurer que la consigne en cause avait été « rectifiée ». « Aucun contrôle de police ne peut être effectué en ciblant une personne en fonction d’une nationalité réelle ou supposée », indique-t-il, même si le terme “Roms” ne renvoie aucunement à une nationalité. Une prise de parole plus ambiguë est venue du porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. Interrogé sur RTL, il a réfuté le terme d’« invasion » (cette population est estimée à 17 000 personnes, dont un quart à un tiers d’enfants, un chiffre stable depuis une décennie), mais il a estimé qu’il fallait « chercher à les faire retourner d’où ils viennent, en Roumanie ou en Bulgarie » au nom d’une « politique qui doit garder sa dimension humaine ». Cette déclaration rappelle celle, restée dans les annales, de l’ex-ministre de l’intérieur. « Les Roms ont vocation à retourner dans leur pays d’origine », avait affirmé Manuel Valls. Ce à quoi il avait ajouté qu'ils « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ». Ces propos valent d'ailleurs à l'actuel premier ministre d'être cité à comparaître le 5 juin 2014 devant le tribunal correctionnel de Paris par l’association La Voix des Rroms, pour provocation à la discrimination et à la haine raciale.
Dans un communiqué, le collectif d’associations Romeurope, rassemblant notamment l’Asefrr, la Cimade, la Fnasat-Gens du voyage, Hors la rue, la LDH, Médecins du monde et le Mrap, considère cette note émanant des autorités publiques comme un révélateur de la « politique de rejet » mise en œuvre. Évoquant des instructions « illégales et intolérables », il s’étonne des déclarations de Stéphane Le Foll. « Les propos du porte-parole du gouvernement ne sont en aucun cas une réponse à la situation de précarité dont sont victimes ces personnes ni même une condamnation de la stigmatisation dont on les accable », indique-t-il. « Nous attendons une autre politique, celle d'une politique respectueuse des droits de l’Homme, des plus pauvres vivant sur notre territoire, de notre Constitution et de nos engagements internationaux, et une parole forte condamnant les discriminations quelles qu’elles soient », insiste-t-il.
Depuis près de quatre ans, Mediapart n’a cessé de chroniquer les pratiques quotidiennes de harcèlement de policiers et de gendarmes à l’égard de familles venues de Roumanie et de Bulgarie, originaires pour la plupart de la minorité rom, et vivant dans des bidonvilles en périphérie des grandes villes :
- en septembre 2012, des gendarmes varois acceptaient de raconter le traitement qu’ils leur réservaient, les interpellant et les relâchant à plusieurs dizaines de kilomètres, parfois dépouillées de leurs chaussures ;
- en octobre 2012, c’était à Ris-Orangis en Essonne que des témoignages montraient comment les policiers multipliaient les contraventions à leur encontre sous des prétextes fallacieux (ici et là) ;
- en février 2014, des policiers se voyaient reprocher de réveiller régulièrement les familles installées sur le trottoir de la place de la République à Paris à coups de pied dans les matelas et de prendre leurs affaires pour les jeter dans les bennes publiques ;
- en avril 2014, c’était au chef de la police municipale et directeur général adjoint des services de Michèle Tabarot, maire du Cannet dans les Alpes-Maritimes et numéro deux de l'UMP, d’être entendu par la justice concernant ses interventions pour tenter d’expulser des familles roms.
Ces pratiques des forces de l’ordre s’ajoutent à celles des élus locaux, la campagne pour les élections municipales ayant donné lieu à un déferlement de propos stigmatisants, voire ouvertement racistes, et à des mesures aux marges de la légalité, comme à Vigneux-sur-Seine en Essonne, où le maire UMP (réélu) a barricadé un lieu de vie pour mieux en expulser les occupants.
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« Une armée exemplaire et tolérance zéro. » C’est la promesse faite mardi par le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, après la remise d’un rapport sur le harcèlement et les violences sexuels dans les armées et l’annonce d’un plan de lutte. Une première pour une institution jusque-là sourde aux alertes des associations, que la publication récente d’un livre a remises en pleine lumière.
C’est cet ouvrage, La Guerre invisible (Les Arènes/Causette, 2014), écrit par les deux journalistes Leïla Minano et Julia Pascual, qui est à l’origine de l’enquête interne au ministère de la défense lancée il y a un mois et confiée à l’inspecteur général des armées, Didier Bolelli, ainsi qu'au contrôleur général des armées Brigitte Debernardy.
Nous avions rendu compte de l'ouvrage le 18 mars dernier, dans La Boîte à idées :
Dès la sortie du livre, « François Hollande et Jean-Yves Le Drian en ont parlé », rapporte un proche du président de la République. Selon cette source, les deux hommes ont tout de suite choisi de réagir vite et d’envoyer « un message très clair ». D’autant plus que l’armée française est la plus féminisée d’Europe, avec 15 % de femmes dans ses rangs. « Pour nous, c’est un problème politique, un problème de commandement et un problème juridique », expliquait à l’époque un spécialiste des questions de défense. Avant d’indiquer : « Nous n’avons pas été surpris par le livre. On en entendait parler, par des bruits. »
Jusque-là, pourtant, le ministère de la défense n’en avait rien dit publiquement. Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs refusé les demandes d’interview des deux auteures de La Guerre invisible. « Comme ses prédécesseurs il n’avait jamais répondu aux lettres d’alerte des associations. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Il y a eu une permanence de l’attitude des ministres de la défense successifs dans l’ignorance du phénomène. C’est une question d’institution qui a sa culture et a du mal à en changer », explique à Mediapart la journaliste Julia Pascual.
C’est dire la petite révolution annoncée mardi. Le rapport d’enquête, remis à Le Drian, confirme l’enquête des deux journalistes, à la fois sur les cas de violences et de harcèlements, sur le climat machiste (« les propos à connotation sexuelle et sexiste, les plaisanteries graveleuses sont répandus au point de n’être presque plus remarqués par le personnel féminin »), sur le caractère particulièrement réactionnaire de certains élèves de Saint-Cyr ou sur le risque entraîné par la consommation d’alcool dans les casernes ou en opérations extérieures. Il confirme aussi les défauts dans les signalements de faits, l’opacité et la faiblesse des sanctions.
Parmi les dix mesures présentées par Le Drian devant 200 cadres supérieurs des armées réunis aux Invalides, la plus spectaculaire est sans conteste l’inscription du harcèlement moral et sexuel dans le Code de la défense et le Code du soldat. Elle sera effective après un amendement du gouvernement dans le projet de loi sur l’égalité femmes-hommes de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, qui revient jeudi devant le Sénat en deuxième lecture. « Il n’y figurait pas, cela manquait », a sobrement expliqué Le Drian.
Le ministre a également insisté sur les sanctions qui doivent être harmonisées, prises sans attendre une éventuelle décision judiciaire et « dans un délai maximum de quatre mois suivant le signalement des faits ». Pour les actes de violence et les agressions sexuelles, elles doivent être de « groupe II ou III » (de la privation de solde pendant quelques jours, à la radiation). Jusque-là, bien souvent, les auteurs de tels agissements – allant parfois jusqu’au viol – étaient bien plus légèrement punis, quand ils l’étaient, avec seulement des jours d’arrêt.
Les écoles de formation sont également sommées de faire des efforts. Le rapport de la mission d’enquête est à ce sujet sidérant. Dans certains établissements (les auteurs ne citent pas d’exemple, mais Saint-Cyr est particulièrement visé), « le risque d’agression sexuelle ou de harcèlement est particulièrement faible ». « Le problème, grave, est autre : un ostracisme très développé, maquillé sous les termes d’“indifférence courtoise”, y frappe les élèves féminines en raison de leur sexe, au nom de prétendues traditions, sous prétexte de concurrence faussée par des barèmes sportifs avantageux pour les filles et parce qu’une “femme n’a pas sa place dans l’armée”. Les rapporteurs ont constaté au cours des tables rondes qu’ils ont eues avec des garçons à quel point un certain nombre de ces jeunes sont fermés à la réalité contemporaine de la Défense », explique le rapport.
Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs confirmé mardi sa volonté de poursuivre la féminisation des forces armées françaises. Et un dernier tabou vient de tomber : le ministre de la défense a annoncé que, pour la première fois en 2017, des femmes seront affectées dans un sous-marin nucléaire lanceur d’engins.
Le Drian a également annoncé la mise en place d’une cellule dédiée pour recueillir les témoignages des victimes et participer à l’enquête, ainsi que la production de statistiques sur le harcèlement et les violences sexuels dans les armées. Là encore, il s’agit d’une première en France. « Il n’y a pas d’omerta mais il n’y a pas non plus de visibilité suffisante » de ces violences, a justifié le ministre.
Tout le paradoxe dans la position de la Défense réside dans le décalage entre des mesures annoncées, parfois attendues depuis de longues années par les associations, et la prudence qui perdure du langage choisi par les autorités. Le Drian ne prononce jamais le mot « viol » et préfère parler d’agression. Les procédures passées, qui ont souvent peu puni les auteurs de harcèlement ou de violences, ne seront pas revues.
À plusieurs reprises mardi, devant les cadres des armées, devant la presse et devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, Le Drian a insisté sur l’absence « d’omerta » et sur le fait que les cas de violences et de harcèlement « sont rares ». Il ne dispose pourtant d’aucune statistique et il a souligné dans son discours que l’on « estime qu’en France, dans les cas graves de viols et d’agressions sexuelles, un cas sur sept seulement fait l’objet d’une plainte ». « Bien entendu il y a un chiffre noir », estime aussi le contrôleur général des armées Brigitte Debernardy. Elle a donné rendez-vous l’an prochain pour un premier bilan.
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La sénatrice PS Samia Ghali a été nommée secrétaire nationale à la politique de la ville et au logement du parti socialiste. Contactée ce mardi 15 avril 2014, la maire des 15e et 16e arrondissements de Marseille a confirmé, sans plus de commentaires.
Samia Ghali est la seule socialiste marseillaise à avoir sauvé sa mairie de secteur lors des municipales de mars 2014. La même Samia Ghali s’en était vertement prise au gouvernement, lui attribuant la défaite de la gauche aux municipales et critiquant notamment les « réformes sociétales » (entendez le mariage pour tous). « Les politiques mises en place sont en décalage avec les attentes, avait-elle déclaré sur BFMTV le 31 mars 2014. C'est comme si le gouvernement était sur une planète et les Français sur une autre. Il est temps de revenir sur terre. »
La sénatrice marseillaise, qui s’est fait une spécialité des dérapages contrôlés (manif contre les Roms, appel à l'armée dans les quartiers, etc.), avait également été épinglée à l’automne 2013 par la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d'Azur dans son rapport sur la gestion de la Région. Dans le sillage de ses mandats locaux, certains de ses proches ont en effet bénéficié de postes ou de subventions massives.
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Les choses se compliquent pour Marine Le Pen. Un juge d’instruction parisien a été chargé d’éplucher le fonctionnement de Jeanne (son micro-parti créé fin 2010) dans le cadre d’une information judiciaire contre X ouverte par le parquet de Paris pour « escroquerie en bande organisée », « faux et usage de faux » (comme l’a dévoilé Le Monde mardi 15 avril). Une enquête préliminaire avait déjà été ouverte fin 2013 et confiée à la brigade financière après un signalement de la Commission nationale des comptes de campagne. (Voir nos révélations de l'époque.)
Dès mardi après-midi, Marine Le Pen a réagi vertement sur Twitter : « Enquêtes, informations judiciaires, perquisitions, le pouvoir socialiste ne manque pas d'imagination face à son opposition politique. » Quelques minutes plus tard, la présidente du FN ajoutait : « Tout cela se terminera comme à chaque fois par un non-lieu ou une relaxe dans quelques mois, mais la calomnie aura rempli son rôle. »
Précautionneuse, Marine Le Pen n’est jamais apparue directement dans les statuts de Jeanne, mais elle en a toujours été la tête pensante – malgré les dénégations du mandataire financier, Steeve Briois (« Ça n'est pas son micro-parti ! » jurait-il à Mediapart en octobre dernier). Au FN, d’autres ont moins de pudeur : « Oui, Marine Le Pen a créé son propre micro-parti, nous avait ainsi expliqué Wallerand de Saint-Just, le trésorier du Front national, fin 2011. Il lui fallait une structure qui ne soit pas contrôlée par le FN pour recueillir des dons et des prêts des copains, des relations, de tous ceux qui ne veulent pas donner au FN. » Officiellement présidée par Florence Lagarde, une vieille amie de Marine Le Pen rencontrée sur les bancs de la faculté d’Assas, Jeanne a brassé quelque 9,5 millions d’euros en 2012, sans quasiment enregistrer d’adhérents.
Depuis l’ouverture de l’enquête préliminaire, Marine Le Pen a déjà rebondi en créant un nouveau « parti de poche », baptisé Promelec, dont elle assume cette fois la charge de secrétaire générale, avec Jean-Marie Le Pen comme président. (Voir nos révélations sur l’enquête préliminaire relative aux déclarations de patrimoine de celui-ci, ouverte par le parquet de Paris.)
Comme nous l’avions raconté, la justice s’intéresse notamment au vaste système de prêts fournis par Jeanne à de nombreux candidats FN lors des cantonales de 2011 et législatives de 2012, au taux particulièrement élevé de 6,5 %, et qui ont permis au micro-parti d’emmagasiner des intérêts importants. Surtout, certains de ces candidats ont pu intégrer ces charges financières dans la catégorie de leurs dépenses de campagne remboursables par l’État – une aubaine pour tout le monde sauf le contribuable.
Sollicitée, la Commission nationale des comptes de campagne nous confirme qu’elle a validé cette pratique sous certaines conditions, sans pouvoir dire à combien s’élève le montant des intérêts d’emprunt ainsi déclarés par l’ensemble des candidats FN en 2011 et 2012.
En parallèle, la Commission n’est toutefois pas restée les bras ballants, puisqu’elle a saisi le parquet de Paris avec cette interrogation en tête : est-ce qu’à force de multiplier ce genre d’opérations financières, Jeanne n’a pas enfreint le Code monétaire et financier qui « interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel » ? La justice ne manquera pas d'y répondre.
Ses investigations portent visiblement sur un second volet : les prestations facturées par Jeanne aux candidats frontistes (notamment en matière de communication) et fournies par Riwal, l’entreprise d’un conseiller de l’ombre de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, ancien leader du GUD (organisation étudiante radicale) et proche du régime syrien.
Comme Mediapart l’a déjà détaillé, Jeanne a vendu ses « kits de campagne » à la pelle aux cantonales de 2011 et législatives de 2012 (impression de cartes postales, traitement de la photo du candidat, conception d’un petit journal de campagne, etc.), dans des conditions étonnantes. Facultatifs en 2011, ces "kits" sont devenus « obligatoires » pour nombre de candidats l’année suivante. Surtout, leur prix a dépassé les 16 000 euros pièce, permettant à Jeanne d’afficher 8 917 082 euros de recettes dans ses comptes de 2012.
Alors, l’entreprise de Frédéric Chatillon, qui a encore travaillé pour les municipales de cette année, a-t-elle facturé au prix du marché ? Au-dessus ? A-t-elle effectué l’intégralité des prestations payées ? Certains candidats ont-ils été bernés ? D’après Le Monde, les locaux de Riwal, qui a par ailleurs encaissé 1,66 million d’euros pendant la présidentielle, ont en tout cas été perquisitionnés le 7 avril dernier. Sollicité mardi par Mediapart (et depuis le mois d’octobre), ce très proche de Marine Le Pen n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Pour sa part, le premier trésorier de Jeanne, Olivier Duguet, ancien du GUD lui aussi, nous avait simplement déclaré : « Les comptes de Jeanne sont contrôlés et validés par deux commissaires aux comptes, qui n’ont découvert ni révélé aucune malversation, aucune anomalie, aucun détournement. »
Depuis, Mediapart a découvert qu’Olivier Duguet a été condamné en juin 2012 à six mois de prison avec sursis pour « escroquerie » au préjudice de Pôle emploi (une escroquerie à 100 748 euros qui a bénéficié à trois personnes). Quant à son successeur au poste de trésorier de Jeanne, un certain Axel Loustau (patron d’une société de sécurité privée et ancien du GUD), il a été interpellé en avril 2013 lors d'affrontements survenus en marge d’une manifestation contre le mariage pour tous. Ainsi, c’est tout un clan d’anciens "gudards" qui se retrouve dans la lumière, bien malgré lui.
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Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur le fonctionnement de "Jeanne", le micro-parti au service de Marine Le Pen, qui affichait 9,5 millions d'euros de recettes en 2012. La justice a été saisie par la Commission des comptes de campagne et des financements politiques.
Le micro-parti de la patronne du FN, lancé fin 2010, a encaissé plus de 9 millions d'euros en 2012, selon les informations de Mediapart. Quasiment dépourvu d'adhérents, ce parti de poche fait travailler la société d'un conseiller officieux de Marine Le Pen, l'ancien responsable du Gud, Frédéric Chatillon.
Trésorier de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, jusqu’en mars 2012, Olivier Duguet a été condamné en juin 2012 à six mois de prison avec sursis dans une affaire d'escroquerie au préjudice de Pôle emploi dont le montant s'élève à plus de 100 000 euros.
Marine Le Pen a confié à la galaxie des anciens du GUD, groupuscule étudiant d'extrême droite radicale, de nombreux postes financiers, leur conférant la haute main sur la trésorerie du parti. Au centre de cette nébuleuse : Frédéric Chatillon, dont la société a perçu 1,6 million d'euros pendant la campagne présidentielle, d'après des documents consultés par Mediapart.
Les déclarations de patrimoine de Jean-Marie Le Pen sont entre les mains des investigateurs de la brigade financière. D'après des informations obtenues par Mediapart, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire après un signalement en novembre dernier de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. L'autorité indépendante ne s'expliquait pas l'enrichissement de l'eurodéputé.
L'équipe de Marine Le Pen a envisagé de contester la décision de la commission chargée de contrôler les comptes de campagne des candidats à la présidentielle. En cause déjà : les intérêts du prêt de Jeanne à Marine Le Pen. La candidate y a finalement renoncé.
Les comptes du micro-parti de Jean-Marie Le Pen ont été déclarés « non conformes » par la Commission chargée des financements politiques (en même temps que ceux de Michèle Alliot-Marie). Le « parti de poche » du président d’honneur du Front national aurait tout bêtement expédié son dossier « hors délai ».
Farouchement opposée à une intervention militaire en Syrie, Marine Le Pen s'est toujours refusée à condamner le régime syrien. Dans son parti comme dans son entourage, ils sont plusieurs à soutenir publiquement Bachar al-Assad. Certains travaillent même avec le régime.
Proche de Marine Le Pen et prestataire de services de sa campagne 2012, Frédéric Chatillon a fait l’objet d’un signalement Tracfin et d’une enquête confiée à la brigade financière sur des fonds reçus du régime syrien. L’enquête a été close en avril. Il dénonce « une opération politique ».
L’ancien trésorier du micro-parti de Jean-Marie Le Pen, l’éditeur Jean-Pierre Mouchard, a utilisé les services de plusieurs sociétés offshore. Le même homme avait ouvert en 1981 un compte suisse à l’UBS pour Le Pen. À Mediapart, Marine Le Pen et son père justifient l’ouverture du compte par « un emprunt souscrit » à la banque suisse.
Nos articles sur Frédéric Chatillon et Axel Loustau :
Dans une attestation détaillée, un ex-militant du GUD raconte la « haine maladive des juifs » de Frédéric Chatillon, ancien leader de cette organisation, devenu conseiller officieux de Marine Le Pen et prestataire du FN : liens avec Robert Faurisson et Dieudonné, dîners « hommages » à Hitler, « soirées "pyjamas rayés" », connexions avec le régime syrien.
Dans un livre, le journaliste Frédéric Haziza assimilait Frédéric Chatillon aux « néonazis » et au « négationnisme ». Le conseiller officieux et vieil ami de Marine Le Pen a été débouté de sa demande de supprimer plusieurs extraits de l'ouvrage.
Axel Loustau, ancien du GUD et président de Vendôme Sécurité, prestataire de service du FN, a été interpellé lors d'affrontements avec la police et de violences contre les journalistes en marge du rassemblement contre le mariage pour tous.
Et notre ebook, L'argent des Le Pen, qui rassemble les enquêtes de Mediapart consacrées aux finances
des Le Pen et leur parti.
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Évolution de palais, au PS. Ce mardi soir, dans une salle au sous-sol de l'Assemblée nationale, le conseil national du parti socialiste a élu à sa tête Jean-Christophe Cambadélis, 62 ans, par 147 voix (67,1 % des exprimés, seuls 230 des 302 votants ont participé au scrutin, onze se sont abstenus). À huis clos. Le nouveau premier secrétaire a proposé une « direction resserrée » d'une grosse trentaine de membres (contre 88 sous Harlem Désir), où l'on trouve très peu de hollandais, et a constaté « le départ de la majorité » du courant des proches de Benoît Hamon (« Un monde d'avance ») et des membres de la « motion Stéphane Hessel ». Avec l'aile gauche du PS (emmenée par Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel), ceux-ci ont présenté un candidat commun contre lui : il s'agissait du premier secrétaire fédéral de la Nièvre, Sylvain Mathieu, qui a recueilli 72 voix (32,9 %). Un score non-négligeable pour un inconnu, candidat de consensus entre Maurel et les amis de Hamon.
Malgré l'alerte de l'association Anticor, rappelant les condamnations passées de Cambadélis « en janvier 2000 à cinq mois de prison avec sursis et environ 15 000 euros d’amende, pour avoir bénéficié d’un emploi fictif » et « en juin 2006 à six mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende, après avoir été reconnu coupable de recel d’abus de confiance », la question éthique n'a jamais été abordée par les cadres socialistes. Bien trop occupés à justifier ou dénoncer la légitimité démocratique d'une désignation aux airs de putsch estudiantin sur le retour.
Contrairement à ce que Cambadélis avait laissé entendre il y a une semaine, les militants ne seront pas consultés directement sur ce choix décidé en haut lieu par l'exécutif, après l'exfiltration de Désir au secrétariat d'état aux affaires européennes. En tout cas, pas tout de suite. Des « états-généraux militants » devraient être organisés à l'automne, a confusément expliqué « Camba » lors de sa conférence de presse, au cours desquels « la feuille de route » du nouveau premier secrétaire serait soumise au vote.
Impossible de savoir aujourd'hui si des « feuilles de routes concurrentes » pourront être déposées, notamment par l'aile gauche. Cette dernière réfléchit à l'hypothèse d'organiser une pétition militante afin d'obtenir un congrès extraordinaire, mais sans trop y croire non plus. En attendant que le flou s'éclaircisse, Cambadélis a bien l'intention de reprendre en main le parti.
« Les Français, comme les militants, nous ont dit : “Occupez-vous de nous” », a expliqué le nouveau patron de Solférino. Alors, il entend « reformuler le socialisme » et, pour cela, prendre le temps de « faire remonter l'ensemble des interpellations recensées lors des porte-à-porte militants des municipales, pour construire des réponses collectives ». Puis, en « discuter avec les premiers fédéraux », avoir des « rendez-vous téléphoniques réguliers » avec des cadres locaux du parti, charger chaque secrétaire national d'un territoire… En résumé : contrôler l'appareil.
« On veut repolitiser un discours qui s'est trop technocratisé, assure le député Christophe Borgel, ami fidèle des années Mnef et Unef. La loyauté au gouvernement passe par le débat et parfois l'expression de désaccords dans le parti. » Ce serait une façon d'apporter sa pierre à la réussite du deuxième temps du quinquennat, et à la rationalisation de la communication voulue par Manuel Valls. Avec toujours cette idée fixe chez le dirigeant socialiste, que « ce n'est pas la ligne qui a été sanctionnée aux municipales », mais « le manque de crédibilité et d'efficacité ». C'est aussi une manière de se réapproprier des débats ayant trop tendance à se tenir dans le groupe socialiste, entre des députés de plus en plus opposés à jouer les godillots. Et ce, alors que le nouveau ministre des relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen (un proche de très longue date de « Camba »), a brutalement réaffirmé la primauté de l'exécutif, devant le groupe PS, mardi matin.
Sur le fond, rien ne devrait fondamentalement changer. Les axes définis par le nouveau premier secrétaire (lire ici son discours), comme autant de thèmes des futures conventions qu'il promet d'organiser d'ici le prochain congrès prévu fin 2015, conviennent à la nouvelle majorité du PS : « fracture territoriale » (ou l'affirmation de la récente préoccupation péri-urbaine), « entreprises » (« Il est temps de moderniser notre doctrine à ce sujet », dit Cambadélis) et « culture » (une perche tendue aux « aubrystes urbains », au même titre que l'annonce d'une « université permanente de la transition écologique »).
Il n'est rien de prévu en revanche sur la politique salariale, l'international, les questions d'intégration ou les institutions. À l'écouter, le PS pourrait enfin mettre des mots sur l'aggiornamento idéologique indicible, qu'il connaît depuis l'arrivée de Hollande au pouvoir, et plus encore de Manuel Valls à Matignon.
À la tête du parti, Cambadélis tente une synthèse d'un nouveau genre, que l'on retrouve dans son organigramme de direction. Le strausskahnien a le soutien des « reconstructeurs » (proches de DSK, Fabius et Aubry, avec qui il avait pris le PS en 2008 au congrès de Reims), des « vallsistes » (Carlos Da Silva, Luc Carvounas, Clotilde Valter, Samia Ghali), des « peillonistes » (Marc Mancel, Eduardo Rihan-Cypel) et des « moscovicistes » (Karine Berger, Émeric Bréhier, Matthias Fekl). On retrouve même des membres de la « gauche populaire » (comme François Kalfon) et un ami d'Arnaud Montebourg (Patrice Prat). Incarné, cet alliage n'est pas des plus innovants. Il fleure même bon les années 1970, et le « Kostas » (son pseudonyme trotskyste tendance OCI) de « l'Unef de la grande époque ».
« Il a fait un discours d'apparatchik en ne parlant que d'organisation, note un conseiller national le connaissant de longue date. C'est fou, il est resté le même. Maintenant, on va voir s'il sait encore verrouiller comme avant… » Celui qui est davantage habitué aux "off" avec les journalistes qu'aux débats télévisés et aux grands discours s'est tout de même éloigné du lambertisme, depuis qu'il a basculé au PS en 1986, et qu'il fut n°2 de Lionel Jospin en 1995, puis bras droit de Dominique Strauss-Kahn dans les années 2000. Il n'empêche, certains de ses choix interrogent déjà sur la modernité et le renouvellement proclamés au micro, comme autant de clins d'œil au siècle dernier, à contre-temps.
Les trois « directeurs d'étude » qu'il a ainsi choisis pour l'entourer symbolisent ses divers compagnonnages stratégico-idéologiques, avec un furieux look seventies : Alain Bergougnioux (65 ans) et Alain Richard (69 ans), tous deux rocardiens historiques, ainsi que Henri Weber (69 ans), ancien leader de Mai-68 (également trotskyste, mais tendance LCR) puis fabiusien de choc.
Pour parfaire l'ambiance, la mission d'organiser un « comité de liaison » avec les autres partis de gauche a été confiée à Julien Dray, un « jeunot » de 59 ans, ancien leader trotskyste de la charnière des années 1980, passé ensuite au PS de Jean-Luc Mélenchon à François Hollande, avant d'errer à nouveau sur le flanc gauche du PS. « Camba » et « Juju », tous deux fraîchement débarqués au PS, avaient « piloté » ensemble les manifs lycéennes contre la loi Devaquet, en 1986. Près de trente ans plus tard, les voici réunis pour tenter de redorer le blason crépusculaire de ce même PS, mais aussi de leurs carrières claires-obscures.
Signe de la confusion des âges semblant troubler Cambadélis, celui-ci a commis « un lapsus jospinien » à la tribune du conseil national, confondant 1977 avec… 1917. Pas sûr toutefois que cette prise du Palais d'hiver solférinien apporte aux socialistes des lendemains qui chantent.
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La rupture de François Hollande avec la gauche est décidément consommée ! Après avoir décidé d’organiser un plan d’allègements fiscaux et sociaux d’une ampleur historique en faveur des entreprises sans leur demander la moindre contrepartie ; après avoir nommé à Matignon le premier ministre le plus à même de mettre en œuvre cette politique néolibérale, en l’occurrence Manuel Valls, il a donné son imprimatur, mercredi 16 avril, au cours du conseil des ministres, à l’un des plans d’austérité les plus violents que la France ait connus depuis la Libération, de même nature que ceux de 1982 ou 1983. Ce plan d’austérité, dont Manuel Valls a décliné les grandes lignes en milieu de journée, présente la triple caractéristique d’être économiquement dangereux, socialement injuste et démocratiquement illégitime.
Voici ci-dessous les deux documents qui permettent de découvrir les détails de ce plan d’austérité. Le premier document est l’allocution que Manuel Valls a prononcée à l’issue du conseil des ministres, pour présenter ces mesures. Le second document a été publié dans la foulée par ses services pour présenter le détail des dispositions.
À l’examen de ce plan, qui n’est encore guère détaillé, le premier constat qui saute aux yeux est, de fait, son caractère socialement injuste. Portant sur 50 milliards d’euros d’économies qui devront être réalisées en 2015, 2016 et 2017, à hauteur de 18 milliards sur le budget de l’État, 11 milliards sur les collectivités locales, 10 milliards sur l’assurance maladie et 11 milliards sur les autres dépenses de protection sociale, il vise en somme à faire financer par les salariés modestes, les fonctionnaires, ou encore les retraités les cadeaux de plus de 36 milliards d’euros (30 au titre du « pacte de responsabilité », auxquels s’ajoutent d’autres baisses d’impôt) qui viennent d’être annoncés en faveur des entreprises.
C’est cela, la principale injustice de ce plan : il vise à organiser le plus gigantesque transfert de revenus qui ait jamais eu lieu en France des ménages, notamment les plus pauvres, vers les entreprises, y compris les plus riches.
Ce plan, qui ressemble strictement en tous points à celui qu’aurait pu présenter en des circonstances identiques un François Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy, comporte, ensuite, quand on l’examine poste par poste, de nombreuses autres injustices.
– 18 milliards d’euros d’économies sur l’État. Ce premier volet du plan d’austérité, ce sont les 5,2 millions de fonctionnaires qui vont en faire les frais puisque leurs rémunérations de base vont continuer à être bloquées. « Nous confirmons le gel du point d’indice », a en effet déclaré Manuel Valls. Ce gel a commencé en 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy et devrait donc se poursuivre. Jusqu’à quand ? Jusqu’en 2017 ? La formulation utilisée par le premier ministre est assez ambiguë pour le suggérer.
Cette disposition sera socialement très lourde de conséquences, puisque les rémunérations de base des trois fonctions publiques sont bloquées continûment depuis plus de quatre ans. Ce gel va contribuer à un effondrement du pouvoir d’achat de catégories sociales dont les revenus sont souvent faibles. À titre d’indication, l’Insee vient de publier une étude (elle est ici) qui révèle que les salaires net moyens des trois fonctions publiques ont baissé en euros constants en 2012.
Explication de l’institut : « Dans la fonction publique de l’État (FPE), ministères et établissements publics confondus, le salaire net moyen en équivalent-temps plein (EQTP) a augmenté de 1,1 % en euros courants entre 2011 et 2012. Compte tenu de l’inflation, il a baissé de 0,8 % en euros constants. Il atteint en moyenne 2 460 euros net par mois en 2012. Dans la fonction publique territoriale (FPT), l’évolution entre 2011 et 2012 est de + 1,4 % en euros courants, soit - 0,5 % en euros constants. Le salaire net moyen en EQTP est de 1 850 euros par mois en 2012. Dans le secteur hospitalier public (SHP), le salaire net moyen croît de 1,3 % en euros courants entre 2011 et 2012 et baisse de 0,6 % en euros constants. Le salaire net moyen en EQTP est de 2 240 euros par mois en 2012. »
Les fonctionnaires, qui ont très majoritairement voté pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle, vont donc payer un lourd tribut au plan d’austérité. L’Élysée et Matignon n’ont, toutefois, pas osé aller au-delà, en mettant en application une autre mesure sulfureuse qui avait été aussi mise à l’étude dans le groupe de réflexion constitué autour de François Hollande : un blocage des mesures de promotion ou d’avancement dans la fonction publique.
Pour ce qui concerne l’État, les autres dispositions évoquées par Manuel Valls lors de son allocution, ou dans le document publié par Matignon, restent particulièrement imprécises. Si imprécises qu’il ne faut pas exclure d’autres très mauvaises surprises lorsque le véritable détail du dispositif sera transmis au Parlement et ne pourra plus être entouré de fortes zones d’ombre.
Dans le cas des effectifs de la fonction publique, les 60 000 créations de postes dans l’éducation nationale, qui constituaient la promesse phare du candidat François Hollande, sont-elles ainsi toujours d’actualité ? Ou, comme y a réfléchi secrètement ces dernières semaines l’Élysée, ces créations pourraient-elles être légèrement revues à la baisse, d’environ 15 000 postes ?
Dans son allocution, Manuel Valls est resté très évasif, sans mentionner le moindre chiffre : « Les effectifs des ministères, hors éducation nationale, sécurité et justice continueront de diminuer. Ces diminutions s’accompagneront toutefois de redéploiements afin de préserver nos services publics. » Le communiqué de Matignon est, lui, un tout petit peu plus précis : « Les créations d’emplois prévues dans l’Éducation nationale, la sécurité et la justice seront maintenues, dans le cadre de la priorité donnée à la jeunesse, et à la sécurité des Français. »
Toujours au titre de l’État, le document de Matignon fait cette mention qui n’a pas été remarquée parce qu’elle est très elliptique : « Les interventions de l’État seront également recentrées pour être plus efficaces. » Énoncée de la sorte, la formule passe, effectivement, inaperçue. Mais c’est un tort car il faut avoir à l’esprit que ce que les têtes d’œuf de Bercy, dans leur jargon, appellent « dépenses d’intervention » constitue une immense enveloppe budgétaire de plus de 60 milliards d’euros, soit plus que les recettes de l’impôt sur le revenu, et dans ce montant sont compris de nombreux crédit sociaux. Dans le lot, il y a ainsi ce que l’on appelle les interventions de guichet (minima sociaux, aides au logement, prestations versées aux anciens combattants, bourses scolaires ou universitaires...), mais aussi les subventions d’équilibre aux régimes spéciaux de retraite ou transferts aux collectivités locales…
Même si le gouvernement a démenti depuis plusieurs jours toute suppression des aides au logement pour les étudiants non boursiers, il faudra donc encore attendre pour savoir qui d’autre sera visé par les coupes claires dans ces crédits.
Enfin, dans ce chapitre, une dernière formulation évasive peut susciter une légitime inquiétude et inviter à penser que quelques mauvais coups sont en gestation : « Les opérateurs et autres agences de l’État verront leurs dépenses de fonctionnement et leurs interventions revues à la baisse », peut-on lire dans le document. Dit de la sorte, cela passe aussi inaperçu. Mais il faut avoir à l’esprit que les opérateurs de l’État sont au nombre de 550 (on peut télécharger la liste ici) et jouent un rôle économique et social souvent décisif (on trouvera ici beaucoup de données à leur sujet).
– 11 milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales. Ce second volet est encore plus évasif et imprécis que le premier. Lors de son intervention, Manuel Valls n'a guère donné de détails. Et le document de Matignon se cantonne, lui aussi, à des généralités, du genre : « La Dotation Globale de Fonctionnement sera reformée dans le projet de loi de finances (PLF 2015), pour encourager les comportements vertueux et renforcer les mécanismes de solidarité financière entre collectivités riches et défavorisées. »
Mais il est fort probable que dans les semaines et les mois qui viennent, lorsque l’on aura une idée plus concrète de ce qui se trame, on découvrira des mesures lourdes de conséquences. Soit parce qu’elles contribuent à l’asphyxie financière de certaines collectivités, soit parce qu’elles poussent à des dispositions impopulaires.
– 10 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie. Ce troisième volet du plan d’austérité entretient, lui aussi, de grandes zones d’ombre sur ce que veut réellement faire le gouvernement. Le document de Matignon indique en effet trois pistes pour réaliser ces économies – mais trois pistes singulièrement floues : « - mieux organiser les parcours de soins, en renforçant les soins de premier recours, en développant la chirurgie ambulatoire, en facilitant le retour à domicile après une hospitalisation, en améliorant le suivi des personnes âgées en risque de perte d’autonomie ; - agir sur la pertinence médicale pour réduire le nombre d’actes et améliorer notre dépense de médicaments, grâce à une consommation plus raisonnée, à un plus grand recours aux génériques et à des prix davantage en adéquation avec l'innovation thérapeutique ; d’interventions inutiles ou évitables. »
Là encore, il faut donc attendre pour savoir ce que cachent ces formulations langue de bois.
– 11 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie. Ce quatrième paquet du plan d’austérité est, lui, dès à présent un peu plus précis et comprend des mesures qui auront aussi des conséquences sociales graves.
D’abord, les prestations sociales ne seront pas revalorisées pendant un an. Explication du document de Bercy : « Cette stabilité concernera les pensions du régime de retraite de base (1,3 milliard d’euros). Le même effort pourrait être réalisé s’agissant des retraites complémentaires qui relèvent des partenaires sociaux (2 milliards d’euros). Cet effort temporaire épargnera les retraités dont les pensions sont les plus modestes puisque le minimum vieillesse continuera, lui, d’être revalorisé. Le niveau des autres prestations sociales (logement, famille, invalidité) sera également stable jusqu’en octobre 2015 (0,7 milliard d’euros). Cette mesure ne touchera pas les minima sociaux (RSA, ASS, AAH, minimum vieillesse), dont la revalorisation sera garantie. »
Cette décision va donc avoir de très graves répercussions sur les 15 millions de Français qui sont retraités, dont le pouvoir d’achat, de l’avis de tous les spécialistes, risque de s’effondrer, car cette disposition de gel des retraites de base va venir se cumuler avec l’accord survenu entre les partenaires sociaux, prévoyant que les retraites complémentaires (Agirc-Arrco) soient revalorisées d'un point de moins que l'inflation en 2013, 2014 et 2015 (lire L'accord sur les retraites rogne le pouvoir d'achat).
Sus donc aux retraités ! Mais sus aussi aux pauvres… Ne prenant visiblement soin de n’épargner aucune catégorie de Français, même les plus pauvres, François Hollande et Manuel Valls ont décidé que les bénéficiaires du RSA apporteront aussi leur quote-part au plan d’austérité. « Décidés dans le plan pauvreté de janvier 2013, les engagements de revalorisation exceptionnelle pour le RSA, le complément familial et l’allocation de soutien familial sont confirmés. Mais elles seront décalées d’une année », a dit le premier ministre.
Décryptons, pour que cela soit plus clair. Lors de sa campagne, le candidat socialiste avait pris des engagements énergiques pour faire reculer la pauvreté. Et en application de ces promesses, une conférence nationale de lutte contre la pauvreté s'est tenue à Paris les 11 et 12 décembre 2012. C’est à cette occasion qu’un plan avait été présenté, prévoyant toute une série de mesures comme la revalorisation de 10 % du RSA (Revenu de solidarité active) sur cinq ans et la création de 8 000 places d'hébergement d'urgence. Dans la vidéo ci-dessous, on peut visionner Jean-Marc Ayrault résumant les décisions de cette conférence pour le RSA.
En clair, la hausse de 1,3 % du Revenu de solidarité active (RSA) « socle » (revenu minimum pour personnes sans ressources) intervenue au 1er janvier 2014 aurait dû être complétée par une augmentation exceptionnelle de 2 % le 1er septembre 2014. Dans le cadre de ce plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le gouvernement avait en effet décidé une augmentation de 10 % d'ici à la fin du quinquennat.
Au terme du plan d’austérité, c’est donc cette hausse de 2 % qui est finalement annulée. Et du même coup, le plan pauvreté est gravement remis en cause.
Usant toujours de la langue de bois, le document de Matignon apporte aussi cette autre précision, un tantinet elliptique : « La modernisation de la politique familiale engagée en 2013 sera poursuivie, en renforçant l'équité des aides aux familles, et en orientant davantage les prestations vers l'emploi des femmes (0,8 milliard d’euros). » Traduction : cette mesure qui vise à renforcer « l’équité » – il faut être gonflé pour oser écrire cela ! – permettra de dégager 800 millions d’euros d’économies. Mais la formule est encore trop tordue pour que l’on puisse comprendre quelle disposition de la politique familiale va être rabotée…
Socialement explosif, ce plan d’austérité est aussi économiquement dangereux, pour de multiples raisons.
D’abord, le gouvernement soumet les fonctionnaires, les retraités ou encore les pauvres à un violent plan d’austérité dans un seul but : trouver les financements nécessaires pour apporter les 36 milliards d’euros de cadeaux annoncés aux entreprises. Sans ces cadeaux, il n’aurait pas eu besoin de soumettre le pays à une telle purge. En clair, le plan d’austérité ne vise en rien à réduire les déficits publics, pour être en conformité avec les engagements pris auprès de Bruxelles.
Or, le gouvernement va offrir ces 36 milliards d’euros aux entreprises sans la moindre contrepartie. Sans obtenir des entreprises des engagements en termes d’emploi ou d’investissement. Il est donc probable que ces cadeaux provoquent surtout des effets d’aubaine et viennent gonfler profits et dividendes au profit des actionnaires. C’est ce que suggérait une étude récente de l’Insee (lire Le choc de compétitivité stimulera d’abord... les profits !).
En clair, le plan d’austérité n’a aucune justification économique. À l’inverse, il risque d’avoir de nombreux effets pervers. Poussant à la baisse le pouvoir d’achat des Français, qui a subi depuis deux ans une chute sans précédent depuis 1984, il risque de replonger le pays dans l’anémie, alors que les signes de reprises sont encore extrêmement ténus.
Il y a donc une forme de dogmatisme de la part du gouvernement, dans la décision qu’il a prise de mettre en œuvre ce plan d’austérité, et dans les modalités. Car, à bien des égards, on sent la patte de la « Troïka » dans ce plan d’austérité : il est très proche de ces fameuses réformes dites structurelles dont raffolent le FMI, Bruxelles et la Banque centrale européenne. Voici donc, en somme, la France en train de suivre une voie assez proche de celle de l’Espagne. Une sorte de cercle vicieux : davantage d’austérité qui conduira à moins de croissance qui conduira à plus de déficits, qui conduira à plus d’austérité…
Ce cercle vicieux, c’est le prix Nobel d’économie Paul Krugman qui l’a le mieux décrit dans l’une de ses chroniques récentes du New York Times : « François Hollande a cessé de m’intéresser dès que j’ai compris qu’il n’allait pas rompre avec l’orthodoxie destructrice de l’Europe et son parti pris d’austérité. Mais maintenant, il a fait quelque chose de vraiment scandaleux. Ce qui me choque, c’est qu’il souscrive désormais aux doctrines économiques de droite, pourtant discréditées. (…) Quand François Hollande est arrivé à la tête de la deuxième économie de la zone euro, nous sommes quelques-uns à avoir espéré qu’il se dresse contre cette tendance. Mais comme les autres, il s’est soumis, soumission qui vire désormais à la faillite intellectuelle. L’Europe n’est pas près de sortir de sa deuxième “grande dépression”. »
* Un plan d’austérité illégitime
C’est la dernière réflexion à laquelle invite ce plan d’austérité : s’il apparaît stupéfiant, c’est aussi parce qu’il est mis en œuvre, comme dans une folle fuite en avant, par un pouvoir qui vient d’être gravement sanctionné, précisément pour avoir ébauché cette politique d’austérité.
Ce plan prend donc des allures de provocation. Alors que la gauche est fracturée comme elle ne l’a jamais été ; alors que la majorité présidentielle vient d’imploser et que les Verts viennent de sortir du gouvernement ; alors que la fronde a gagné jusqu’aux rangs socialistes, avec des députés de l’aile gauche qui refusent de voter la confiance au nouveau gouvernement, François Hollande, plus isolé que jamais, continue, tête baissée, dans son impasse. Pas un geste social en direction des pauvres, pas un geste en direction des députés de son propre parti, il use des pouvoirs exorbitants que lui confèrent les institutions de la Ve République pour faire l’exact contraire de ce que semble vouloir le pays.
Cet entêtement-là, où conduira-t-il ? Depuis de longs mois, François Hollande attise contre lui une colère qu'il fait mine de ne pas entendre. Une colère qui va encore grossir…
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La colère montait depuis des semaines. L’annonce des mesures d’économies mercredi par Manuel Valls, à la sortie du conseil des ministres, l’a encore fait monter d’un cran. « L’appel des 100 » députés socialistes, critiques de l’orientation du gouvernement, demande une nouvelle rencontre avec le premier ministre pour lui présenter un programme alternatif. Ils préconisent un pacte de responsabilité réduit à 35 milliards d’euros avec des aides ciblées sur certaines entreprises, et un assouplissement du calendrier pour atteindre l’objectif européen de 3 % de déficit.
Un des initiateurs de cette fronde parlementaire, le député Christian Paul, proche de Martine Aubry, explique pourquoi il s’oppose aux mesures du gouvernement.
Dès l’annonce des mesures de Manuel Valls, vous avez exprimé sur Twitter votre désaccord « sur la forme et sur le fond ». Pourquoi ?
Christian Paul. Nous indiquons depuis des mois au gouvernement les réserves exprimées au groupe socialiste sur le pacte de responsabilité. Nous avons répété que financer des aides aux entreprises en réduisant les prestations sociales serait un marché difficile à mettre dans la main des parlementaires. Nous avons exprimé le besoin collectif d’améliorer les méthodes et les rapports entre l’exécutif et le parlement, fort malmené depuis 22 mois.
Là, nous faisons face à un dérèglement institutionnel. Mercredi matin, nous étions entre 100 et 150 députés socialistes réunis salle Colbert, à l’Assemblée nationale, en attendant des ministres qui ne sont jamais arrivés (André Vallini et Marylise Lebranchu, ndlr). Et nous avons découvert à la télévision, dans un silence total, les annonces du gouvernement.
Aucun d’entre nous ne connaissait le moindre détail du programme d’économies et aucun d’entre nous ne savait qu’il allait être annoncé dès aujourd’hui. C’est là qu’est le dérèglement institutionnel ! La volonté affichée par le gouvernement de revitaliser le parlement et, à travers lui, de faire davantage entendre les citoyens, a été oubliée avant même d’être mise en œuvre...
#directAN Le groupe socialiste a découvert dans un silence total les annonces du gouvernement. Inacceptables en l'état. Le fond et la forme.— Christian Paul (@christianpaul58) April 16, 2014
Manuel Valls avait pourtant insisté la semaine dernière lors de son discours de politique générale sur sa volonté d’associer davantage le parlement. Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen, ne vous a pas rappelé ce message quand le groupe PS l’a rencontré mardi ?
Jean-Marie Le Guen a rappelé les engagements du premier ministre mais il a aussi théorisé l’idée qu’il n’y a pas de contrat entre le président de la République et le Parlement. Selon lui, l’exécutif a une légitimité supérieure due à l’élection du président au suffrage universel. Mais aucun pouvoir exécutif n’est obligé de maltraiter sa majorité ! D’autant plus que nous sommes, nous aussi, convaincus qu’il faut un programme d’économies et redresser les comptes publics.
Sur le fond, ce qui nous heurte réellement, c’est que l’objectif de justice, rappelé par Manuel Valls, n’est pas atteint. Quand on annonce un gel des prestations pendant 18 mois, cela se traduit par un appauvrissement de pans entiers de la société française ! Des salariés, des retraités, des précaires, des jeunes qu’il faudrait préserver vont perdre du pouvoir d’achat.
En réalité, cela signifie que 50 milliards pour le pacte de responsabilité, c’est trop. Ce n’est ni réaliste ni réalisable. Il faut mieux le cibler.
Comment ?
Nous allons soumettre à Manuel Valls nos propositions. Selon nous, le pacte ne peut pas dépasser 35 milliards d’euros. Il faut cibler les baisses de prélèvements obligatoires pour les entreprises qui recrutent, qui investissent ou qui forment leurs salariés. Cela permettrait de faire un effort d’économies, mais sans reculs sociaux et sans reculs des services publics.
C’était déjà le même débat sur le pacte de compétitivité (CICE) à l’automne 2012…
Oui. Déjà la première fois, les mesures avaient été financées pour partie par la hausse d’un impôt injuste, la TVA. Nous n’avions pas applaudi. Là, cela va beaucoup trop loin. C’est pourquoi nous avons formulé des contre-propositions.
Si vous réduisez à 35 milliards d’euros le pacte de responsabilité, vous pouvez annuler les 11 milliards annoncés de baisses des prestations sociales. Mais pour le reste, quelles économies comptez-vous faire ?
Si nous pensons que 35 milliards sont un maximum, nous pensons aussi que la trajectoire de réduction des déficits publics n’est pas crédible. Même si on maintient l’objectif de 3 % de déficit, il faut jouer sur les délais avant d’y parvenir. Nous allons là aussi proposer une trajectoire alternative.
Nous ne voulons pas que s’installe un débat totalement stérile entre ceux qui seraient les cigales et ceux qui seraient les fourmis. Il n’y a pas d’un côté les réalistes et, de l’autre, les démagos. Nous voulons un débat responsable, même s’il est difficile, et peut-être douloureux demain si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord. Nous sommes à la recherche de solutions justes et d’une politique efficace. Et le président de la République ferait bien d’écouter sa majorité – ce qu’il ne fait pas.
J’ai le sentiment que le premier ministre défend avec énergie un programme qui est avant tout porté et assumé par le président de la République. Mais l’énergie ne fait pas une politique. Manuel Valls aurait été plus inspiré à trouver une voie plus juste et plus acceptable. Il a encore la possibilité de le faire.
En l’état, voterez-vous le programme de réduction des déficits publics qui sera présenté à Bruxelles et soumis aux députés le 30 avril ?
En l’état, et à titre personnel, je ne voterai pas l’avis sur le programme de stabilité. À ce propos, je ne crois pas du tout à la menace parfois évoquée d’une dissolution. Si le gouvernement prend enfin le temps du dialogue, un accord est possible avec la majorité. Mais il ne prend pour l’instant ni le temps ni le chemin du dialogue. C’est inexplicable et irrespirable !
Pourquoi ?
C’est pour moi un des mystères de ce quinquennat.
Pensez-vous que François Hollande dispose d’une majorité pour la politique annoncée lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014 ?
Tout le monde est au pied du mur et tout le monde devra prendre ses responsabilités. Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, à quinze jours d’un vote, nous avons un devoir d’alerte, nous exprimons une injonction au dialogue et le souci de trouver un compromis juste. En réalité, face à l’emballement et à l’accélération que provoque l’exécutif, c’est nous qui sommes les modérés.
Vous avez d’ailleurs voté la confiance à Manuel Valls.
Nous avons voté l’investiture, davantage que la confiance, parce que nous ne voulions pas hâter d’une heure le retour de Jean-François Copé ou de Nicolas Sarkozy. Je l’assume.
Mais c’est vous qui agitez la menace de la dissolution ! Refuser la confiance ne signifie pas une dissolution… François Hollande pouvait nommer un autre gouvernement.
Certes. Mais nous ne voulions pas provoquer une crise institutionnelle. Le fait d’avoir voté l’investiture ne nous condamne pas à être des exécutants. Il faut recréer dans ce pays une culture démocratique qui permette à des parlementaires de faire vivre leur mandat au nom du peuple. À l’occasion de ce moment de tension, nous devons aussi être capables d’inventer de nouveaux rapports entre les pouvoirs.
BOITE NOIREL'entretien a été enregistré mercredi après-midi par téléphone. Il n'a pas été relu par Christian Paul.
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La première fois que David Ysebaert a ciré les chaussures d’Aquilino Morelle, c’était au Bon marché, dans le VIIe arrondissement de Paris. Il lui a laissé sa carte. Et quelques semaines plus tard, raconte le cireur, « une femme, probablement sa secrétaire, m’a appelé pour prendre rendez-vous ». Au Palais même. Depuis, tous les deux mois environ, « le temps de garantie pour un glaçage », il revient à l’Élysée s’occuper des souliers du conseiller politique de François Hollande, également directeur de sa communication. « Aquilino Morelle a 30 paires de souliers de luxe faites sur-mesure, pour son pied qui a une forme particulière. Des Davison, des Weston… Des chaussures de plein cuir toujours du même style. »
À deux reprises, explique le cireur, confirmant des informations que nous tenions de bonne source à l’Élysée, Aquilino Morelle a même fait privatiser un salon de l’hôtel Marigny afin de se faire cirer les chaussures seul au milieu de cette pièce toute en dorures. « Il y avait une urgence apparemment. Il était au téléphone, en chaussettes, au milieu de cette salle immense. Et moi j’étais face à lui en train de lui cirer ses souliers. »
L’épisode, qui date de mars 2013, a alimenté bon nombre de conversations dans les couloirs de l’Élysée. Il tranche quelque peu avec l’image de modestie et de normalité que souhaitait imprimer François Hollande. Mais au Palais, plus rien n’étonne dans le comportement de celui qui est devenu l’homme fort du cabinet présidentiel, depuis que son ami Manuel Valls a été nommé premier ministre, et que son ennemi, le secrétaire général de l’Élysée Pierre-René Lemas, a été remercié.
Intrigué par le comportement de ce médecin, énarque, qui fut la plume de Lionel Jospin à Matignon, puis le directeur de campagne d’Arnaud Montebourg pendant la primaire socialiste, Mediapart a enquêté pendant six semaines sur l’itinéraire de ce fils d’immigrés espagnols, présenté à longueur de portraits comme « un fils du peuple » incarnant l’aile gauche au pouvoir.
Or ce que nous avons découvert est bien plus grave qu’un comportement mégalomane ou un goût prononcé pour la transgression. Aquilino Morelle, ce conseiller de l’ombre qui n’a pris qu’une fois la lumière, lorsqu’il a signé, en tant qu’inspecteur de l’IGAS (Inspection générale des affaires sanitaires), un rapport très médiatisé sur le scandale sanitaire du Mediator, a beaucoup menti, et a beaucoup omis.
Il a l’image d’un médecin parfaitement intègre, farouche adversaire de l’industrie pharmaceutique et des conflits d’intérêts depuis ce rapport ? Mediapart a découvert qu’il avait travaillé en cachette pour des laboratoires pharmaceutiques, y compris à une époque où il était censé les contrôler, au mépris de la loi. Il a la réputation d’être un homme aux idées bien ancrées à gauche ? Il se comporte comme un « petit marquis » au Palais où il abuse des privilèges de la République. Il est connu pour sa plume aiguisée ? Il a longtemps fait écrire ses discours par d’autres, notamment à l’Élysée, où son manque de travail fait jaser.
Depuis qu’il est sorti de l’ENA en 1992, Aquilino Morelle est rattaché à l’IGAS, ce grand corps de l’État en charge des affaires sociales et sanitaires. Il a fait, depuis lors, des passages par des cabinets ministériels et par le privé, mais en 2007, il réintègre son corps d’origine. Il est, cette année-là, le rédacteur d’un rapport sur « l’encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques ».
Au même moment, Aquilino Morelle travaille pour un laboratoire danois, Lundbeck. Un dirigeant du laboratoire de l’époque raconte : « Il nous avait été recommandé par un professeur de l’AP-HP (Assistance publique hôpitaux de Paris). Son profil était séduisant. On s’est rencontrés. Il m’a dit qu’il cherchait à travailler pour l’industrie pharmaceutique, qu’il avait du temps libre, que son travail à l’IGAS ne lui prenait que deux jours sur cinq, ce qui m’a semblé bizarre. Mais son profil et son carnet d’adresses nous intéressaient. »
Pour le compte du laboratoire, l’inspecteur de l’IGAS organise deux rendez-vous avec des membres du CEPS (comité économique des produits de santé), cet organisme chargé de fixer le prix des médicaments et les taux de remboursement. « Il nous a ouvert des portes, raconte le dirigeant. Et c’est un enjeu majeur : nous permettre d’aller défendre notre dossier auprès de la bonne personne. On cherchait à stabiliser le prix du seroplex, un anti-dépresseur. »
Ce dirigeant n’a cependant pas demandé à Aquilino Morelle de l’accompagner lors des rendez-vous. « J’ai pensé que ça pouvait être contre-productif. Il était dans une position tellement compliquée, si peu éthique, que ça pouvait être à double tranchant. D’habitude, ce sont plutôt des gens à la retraite qui ont ce type d’activité. »
Interrogé par Mediapart, Aquilino Morelle, n’a envoyé que des réponses par e-mail (voir la boîte noire), repoussant sans cesse le rendez-vous dont il avait convenu. Rémunéré 12 500 euros (hors taxe) pour cette prestation, il assure que tout a été fait dans les règles en vertu du fait qu’« en tant que fonctionnaire, un certain nombre d’activités annexes sont autorisées, dont l’enseignement et le conseil ».
A-t-il déclaré ce contrat auprès de son administration ? « Ces activités ont dû être déclarées à l’IGAS. Je n’en ai pas retrouvé la trace en dépit de mes recherches, nous écrit-il. Ce sont des faits anciens – sept ans – et banals. »
Sollicitée sur ce ménage auprès d’un laboratoire, l’IGAS nous a d’abord répondu que « l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 permet aux fonctionnaires d'exercer certaines activités annexes. À ce titre l'expertise, la consultation, les activités littéraires et scientifiques, les enseignements peuvent être autorisés par le chef de service. C'est ce qui a été fait en 2007. »
Nous avons donc retrouvé le chef de service (c’est-à-dire le directeur) de l’IGAS à l’époque, André Nutte, aujourd’hui en retraite. « J’ai franchement une bonne mémoire, explique-t-il après avoir cité dans l’instant les différents rapports écrits par Morelle à l’époque. Mais je ne me souviens pas avoir signé une telle autorisation. Si l’IGAS a une pièce, qu’ils la sortent. On verra bien qui a signé. Car ça n’a pas de sens. C’est comme si on accordait le droit à un directeur d’hôpital entré à l’IGAS d’aller travailler parallèlement dans une clinique privée. Ou à un inspecteur du travail de conseiller une entreprise. »
Nous avons rapporté l’échange à l’IGAS, qui a du coup changé de discours ce 16 avril. En réalité, explique l’institution, une autorisation n’a été donnée en 2007 que pour donner des cours à l’université Paris 1. Aucune autre autorisation n’a été retrouvée.
Il faut dire que permettre un tel cumul aurait été une aberration selon Michel Lucas, directeur de l’IGAS de 1982 à 1993, à l’origine des révélations sur les millions de francs détournés à l’ARC (association pour la recherche sur le cancer) : « Ces deux fonctions sont incompatibles. On n’autorise jamais un inspecteur à travailler pour une entreprise privée. Alors un laboratoire pharmaceutique… »
L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 est d’ailleurs clair : « Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative, de quelque nature que ce soit. » À défaut de dérogation spécifique, « la violation (de cette règle) donne lieu au reversement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur le traitement ».
Pis, au vu de l’article 432-12 du code pénal, cette double activité pourrait être considérée comme une prise illégale d’intérêts. En 2007, au moment des faits, le délit était puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Aquilino Morelle a visiblement tout tenté pour dissimuler ces faits. L’argent qu’il a gagné pour ces activités a été encaissé via une société, l'EURL Morelle, qu’il a créée en 2006, et qui a été radiée par le tribunal de commerce en mars 2013. Mais les comptes n’ont jamais été déposés à ce même greffe en dépit des obligations légales.
Le 28 février 2007, le jour même où il réintègre l’IGAS, Aquilino Morelle, unique actionnaire de son entreprise, se démet de son rôle de gérant et y place son frère cadet Paul. Le profil de Paul Morelle, qui ouvrira deux ans plus tard, en 2009, un magasin de fleurs, vins et chocolats dans le XVe arrondissement de Paris, ne semble pas coller avec celui d’un expert en médicaments. Mais la démarche est utile : dès lors, plus aucune société n’est directement associée au nom d’Aquilino Morelle lors d’une recherche au greffe.
Jamais dans son histoire, Aquilino Morelle n’a fait référence à son travail pour l’industrie pharmaceutique. « Aucune règle ne disposait que je doive “faire état” de ces contrats », nous répond-il aujourd’hui.
C’est pourtant lui, qui, sur les plateaux de télévision, et lors de multiples émissions de radio, claironnait partout, au moment de son rapport sur le Mediator, que la transparence était nécessaire, comme ici lors d’un passage à France Info le 24 juin 2011 :
« (Il faut) que chacun soit au clair avec lui-même et avec les autres. Il n’y a pas d’interdiction d’avoir un rapport avec l’industrie pharmaceutique pour un médecin. Ça peut se comprendre. Ce qui est obligatoire, c’est de rendre public cela. Il faut que ces contacts soient publics. Quand vous publiez vos relations, vous êtes transparent et chacun peut regarder si (…) il n’y a pas quelque chose qui peut poser un problème en termes d’indépendance. C’est juste ça. Mais c’est énorme. (Si) on a un rapport avec l’industrie pharmaceutique, il faut que tout le monde le sache. On aboutit à des situations où les experts sont parties prenantes. Juge et partie. Il faut en finir avec ça. »
Lors d’un chat à Metronews, il synthétise assez bien ce qu’il martèle partout à l’époque : « Oui, il est exact que l'industrie pharmaceutique a une forte influence sur la politique actuelle du médicament. (…) La culture dominante considère que les laboratoires pharmaceutiques auraient une sorte de "droit" à commercialiser leurs produits, comme s'il s'agissait d'une "marchandise" comme les autres... Il faut changer cet état des choses. »
À la question d’un internaute : « Pouvez-vous citer les noms des laboratoires qui font le plus de lobbying auprès des hommes/femmes politiques? », il répond : « Toute l'industrie pharmaceutique est concernée. » L’internaute est probablement loin de s’imaginer qu’il parle en toute connaissance de cause.
Aquilino Morelle s’interroge-t-il sur le bien-fondé de la démarche après que Lundbeck a choisi de mettre fin à leur relation commerciale en décembre 2007 ? Aucunement. En 2008 et 2009, il continue de vouloir travailler pour l’industrie pharmaceutique. Chez Sanofi, un haut dirigeant nous raconte l’avoir reçu. Et chez Servier, le laboratoire qu’il a démoli dans son rapport sur le Mediator et dont le patron Jacques Servier est mort ce 16 avril, on nous explique avoir également reçu sa candidature à cette époque. Il est vrai que le scandale sanitaire n’avait pas encore éclaté. Mais dans le milieu, la réputation de Servier, son recours systématique à de jeunes visiteuses médicales ou encore ses recherches approfondies sur les appartenances politiques de ses futurs salariés, sont déjà archi-connus.
À l’époque, de l’avis de différents laboratoires qui ont reçu sa candidature, Aquilino Morelle cherche un emploi à plein temps. Ou plus exactement une rémunération, pour accompagner son parcours politique, plutôt qu’une réelle activité. Ce qui n’intéresse pas les laboratoires. Il fait chou blanc.
Aquilino Morelle n’a cependant pas attendu la fin des années 2000 pour bien connaître l’industrie pharmaceutique. En 1992, il sort de l’ENA. Non pas à la 2e place comme il le raconte à Laurent Binet en 2012 dans le livre Rien ne se passe comme prévu. Mais à la 26e. Lors du grand Oral, il est repéré par Pierre Moscovici, et, assez vite, il intègre le cabinet de Bernard Kouchner, alors ministre de la santé.
Là non plus, nous n’en avons pas retrouvé trace dans ses biographies, mais Aquilino Morelle occupe un poste bien spécifique : conseiller technique en charge du médicament. La même fonction que celle occupée par Jérôme Cahuzac deux ans auparavant (voir notre article sur la corruption à ce poste à cette époque). Le rôle est si central qu’il permet de se faire en quelques mois un carnet d’adresses fourni dans le milieu pharmaceutique.
Après la défaite de la gauche aux législatives de 1993, Aquilino Morelle réintègre l’IGAS, où il laisse un souvenir très mitigé. Vingt ans plus tard, des inspecteurs parlent encore de la façon dont il s’est servi d’une mission et d’un rapport collectif sur le don du sang en milieu pénitentiaire pour nourrir abondamment un livre personnel sur l’affaire du sang contaminé, La Défaite de la santé publique, qui lui vaudra un début de notoriété. À l’époque, il n’est pas vu comme tire-au-flanc. Mais comme un touche-à-tout, qui, du coup, a tendance à bâcler son travail d’inspecteur.
En 2002, après cinq années à Matignon auprès de Lionel Jospin, il est d’office réintégré à son corps d’origine. Il a perdu aux municipales de 2001 (Nontron), aux législatives de 2002 (Vosges), comme il perdra en 2007 (Seine-Maritime) : sa carrière politique est au point mort, et il veut gagner de l’argent. Euro RSCG, via Stéphane Fouks, qui a participé à l’échec de la campagne de Lionel Jospin, lui offre une porte de sortie, avec la bénédiction de la commission de déontologie.
À Euro RSCG, pourtant, il s’occupe très vite de l’industrie pharmaceutique. Du côté marketing dans la branche Healthcare. Et du côté Corporate, on lui demande de travailler sur l’image des laboratoires, de conseiller sur les stratégies de communication, de réfléchir à la façon d’améliorer l’image des médicaments auprès des consommateurs et des médecins. À l’époque, les principaux clients d’Euro RSCG dans ce secteur s’appellent Pfizer, Lilly, Aventis, Sanofi. Mais il ne donne pas satisfaction, visiblement jaloux de son carnet d’adresses, peu travailleur et pas bien doué pour les relations commerciales selon ses anciens collègues.
L’inspecteur en disponibilité décide alors de faire fructifier son carnet d’adresses pour son propre compte. Parallèlement à sa campagne pour le non au référendum européen aux côtés de Laurent Fabius en 2005, à des fonctions peu prenantes au Génopôle d’Évry puis au Pôle de compétitivité de Medicen, il met en place l’EURL Morelle. Le laboratoire américain Lilly le rémunère 50 000 euros (3 fois 12 500 euros hors taxe), essentiellement pour organiser des déjeuners dans de très bons restaurants du VIIIe arrondissement.
Un haut dirigeant de l’époque se souvient : « Il m’a fait rencontrer des parlementaires de gauche comme Marisol Touraine (aujourd'hui ministre des affaires sociales), Jean-Marie Le Guen (aujourd'hui secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement) ou Jérôme Cahuzac. Ainsi que des journalistes. » Autant de personnes qui savent donc pertinemment qu’Aquilino Morelle a travaillé pour l’industrie pharmaceutique…
« Il participait au travail de lobbying habituel, raconte ce dirigeant. Il appuyait mon discours – forcément, on le payait pour – sur la place des génériques, sur l’emploi, sur la place à faire à de nouveaux médicaments innovants. En tant qu’administrateur du LEEM (syndicat des entreprises du médicament), je tenais un discours classique. Et lui, intellectuel, cultivé, agréable dans le contact, savait y faire pour appuyer. » À notre demande, Lilly a retrouvé dans ses archives l’intitulé du contrat : « mission d’analyse et de conseil sur l’image de Lilly, et préparation à la communication de crise ». À cette époque, Lilly doit d’ailleurs gérer une crise importante avec le scandale du Zyprexa, ce médicament pour les psychotiques qui génère des milliers de plaintes dans le monde en raison de risques connus du laboratoire mais cachés au public.
Au vu de nos découvertes sur son parcours, cette expertise supposée en communication de crise pourrait lui être bien utile. D’autant qu’à l’Élysée, les langues se délient. Au cours de notre enquête, nous avons rencontré de très nombreuses personnes officiant au Palais. Nous avons pris soin de recouper et vérifier chaque information, surtout en raison des bouleversements actuels au cabinet, susceptibles d’attiser les règlements de comptes. D’ailleurs, le service communication a déjà commencé à faire passer le message qu’il « ne s’agit que de rumeurs malveillantes ». Nous n’avons pas pu poser de questions précises à Aquilino Morelle sur ces sujets, mais alerté du fait que nous souhaitions parler de ses abus, il évoque lui aussi des « affirmations dénuées de tout fondement, qui visent uniquement à me salir. Il arrive dans la vie politique que certaines personnes aient intérêt à jeter la suspicion sur une autre ».
Bien sûr, dans un univers compassé, le goût du luxe très assumé d’Aquilino Morelle surprend. Mais où est le mal ? D’autant qu’Aquilino Morelle ne manque jamais de rappeler ses origines modestes, sa famille nombreuse immigrée espagnole, sa mère parlant mal le français, son père ouvrier affûteur chez Citroën. On peut être riche, de gauche, « foncièrement de gauche » selon Les Échos, passer beaucoup de temps au Flore, et trouver que « ce qui est dur, c'est de voir les ouvriers pleurer », ainsi qu’il le déclarait au quotidien.
Suite à l’affaire Cahuzac, les ministres ont dû remplir une déclaration de patrimoine. « Le fils du peuple qui n’oubliera jamais d’où il vient » (dixit le JDD) leur envoie alors une tribune qu’il avait publiée en juillet 2010 dans Libération, titrée « Un homme de gauche peut-il être riche ? ». Il y développe l’idée que « la sincérité d’un engagement ou la force d’une conviction ne peuvent se mesurer à la seule aune d’un compte en banque ». Ce que personne ne dément, ni au Palais ni ailleurs.
Mais à l’Élysée, ce sont les manières qui choquent. La façon dont il s’adresse au petit personnel, l’utilise, le terrorise. Et les abus multiples. Aquilino a obtenu que ses deux chauffeurs ne soient pas versés au pool commun. Ils sont donc à sa disposition… et à celle de ses proches. Par exemple, le mardi en fin d’après-midi, comme nous avons pu le vérifier, un des deux chauffeurs véhicule son fils pour des activités personnelles dans le XVe arrondissement.
Au su de tous, Aquilino Morelle n’hésite pas non plus à demander à ses secrétaires de s’occuper de ses affaires personnelles, par exemple quand il a un souci avec un de ses nombreux locataires. D’après nos recherches dans différents cadastres de France, Aquilino Morelle, qui vit dans le Ve arrondissement à Paris, possède en effet des biens immobiliers à Paris, Saint-Denis, Sarlat, Périgueux ou encore Perpignan, la plupart acquis en indivision avec sa femme, elle-même directrice de cabinet de la ministre de la culture.
Depuis janvier, le conseiller politique se serait mis à travailler. Car jusque-là, Aquilino Morelle était parfois présenté comme un bourreau, mais jamais de travail. En mai 2013, lors de la projection à l’Élysée du documentaire « Le Pouvoir », de Patrick Rotman, une bonne partie du cabinet est présente pour se voir à l’écran. Au milieu du film, une scène montre Aquilino Morelle qui arrive à l’Élysée et monte l’escalier qui mène à son bureau. Dans la salle de projection, une voix s’élève : « Tiens, il est 11 heures ! » Éclat de rire général.
Toute l’année 2012, Aquilino Morelle s’est ainsi attribué auprès du président les discours écrits par l’ancienne plume Paul Bernard, avec qui les relations s’étaient rapidement tendues. Alerté, le président a fini par sortir le nègre des griffes du conseiller en décembre 2012.
Très souvent, le conseiller spécial s’absente. Et personne ne sait où il disparaît. Aux bains du Marais, il nous a été confirmé qu’il venait, à une époque, « pas tous les vendredis, mais très souvent en effet, au milieu de l’après-midi. Pour le sauna, le hammam, un gommage, parfois un massage ». À d’autres moments, il s’adonne aux sports de combat, avec un certain talent paraît-il, qu’il ne faut cependant pas exagérer : Aquilino Morelle est parfois présenté comme multi-champion de France de karaté. Vérification faite auprès de la fédération française, il ne l’a jamais été. Ni même finaliste. Ni même champion dans les catégories jeunes (consulter ici les palmarès complets).
Le poste de conseiller spécial du président laisserait-il tant de temps pour les activités parallèles ? Il faut le croire puisque Aquilino Morelle occupe par ailleurs un poste de professeur à mi-temps à la Sorbonne, soit « 96 heures équivalent TD par an », explique l’université. Nommé pour la première fois en 2003, il a été renouvelé pour la deuxième fois en 2012 comme l’a déjà écrit le Lab Europe1. Il dispense trois enseignements : Régulation du système de santé en Master 2, Grands problèmes contemporains en Master 1 et un cours de culture générale préparant les étudiants au concours de l'ENA. Ce qui lui procure un petit complément de salaire, de l’ordre de 2 000 euros par mois.
Le président de la République a été alerté de certains écarts de son conseiller. Pendant la première année de mandat, message a ainsi été transmis à Aquilino Morelle d’arrêter de faire monter de la cave de l’Élysée des crus haut de gamme pour de simples déjeuners ou des réunions de travail, parfois avec des journalistes. Une pratique qui passe mal quand d’autres membres de cabinet disent rembourser leurs plateaux-repas à 8 euros. Quelques semaines plus tard, François Hollande décidera d’ailleurs de limiter la consommation de bons crus, et de vendre une partie de la cave de l’Élysée.
Lors des voyages officiels de début de quinquennat, certains se plaignent aussi de son goût peu modéré pour la piscine en journée et les chambres de luxe en soirée.
Rien ne semble trop beau, trop grand pour le conseiller du président. Dans son bureau – celui qu’occupait Henri Guaino sous la présidence Sarkozy – juste à côté de celui de François Hollande, il a demandé quelques menus travaux lors de son arrivée. Puis a fait changer des meubles plusieurs fois.
En avril 2013, alors que se solde l'affaire Cahuzac et qu'apparaissent au grand jour ses relations avec l'industrie pharmaceutique, une succession d’incidents au Palais semblent sonner son heure. Il est mis en retrait pendant plusieurs mois, ne participe plus aux déplacements à l’étranger ni à certaines réunions décisives. Mais François Hollande ne prend pas la décision de s’en débarrasser.
Et c’est même l’inverse qui se produit, à l’automne 2013, après plusieurs ratés dans la communication présidentielle. Il revient particulièrement en grâce au moment de l’affaire Julie Gayet. Puis il est carrément promu. Artisan du rapprochement Montebourg/Valls, il n’a de cesse de militer pour que Manuel Valls remplace Jean-Marc Ayrault. Ce qui advient le 31 mars 2014. Quinze jours plus tard, plus que jamais, il est parvenu à se placer au centre du dispositif et règne en maître à l’Élysée.
BOITE NOIREÀ l’issue de cette longue enquête de six semaines, à plein temps, j’ai sollicité Aquilino Morelle le vendredi 11 avril, afin qu’il puisse répondre à mes nombreuses questions. Il rentrait d’un voyage officiel au Mexique le samedi 12 avril. Il m’a appelé dès son retour. Mais il a rapidement voulu que l’entretien se fasse par écrit, ce qui est contraire aux règles de Mediapart. Il a alors souhaité que je lui adresse les questions à l’avance. Nouveau refus, bien évidemment.
Il a alors exigé les thématiques, de la façon la plus détaillée possible. Ce que j’ai accepté de faire, en partie. Il a alors renvoyé un e-mail avec des éléments de réponse, forcément partiels. Nous avons fixé un rendez-vous, de façon que je puisse lui poser des questions complémentaires, insister, relancer, pointer les incohérences : autant de choses impossibles par écrit, ce que sait parfaitement un directeur de communication rodé.
Mais le rendez-vous a été repoussé plusieurs fois à sa demande, au vu de sa « lourde charge de travail ». Alors que nous devions nous voir mercredi 16 avril, il m’a de nouveau fait savoir qu’il ne pourrait honorer ce rendez-vous, me proposant d'envoyer de nouvelles questions par mail. Il n'y a pas répondu.
AJOUT: Ce jeudi 17 avril, Aquilino Morelle a publié un droit de réponse à Mediapart sur sa page Facebook. Il ne nous l'a pas spécifiquement adressé, mais comme ce message est public, nous le reproduisons en intégralité sous l'onglet Prolonger.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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Les intenses préparations pour mettre en musique le pacte de responsabilité, annoncé le 14 janvier par François Hollande, étaient d’un certain point de vue inutiles. Coupes budgétaires, gel du salaire des fonctionnaires et des retraites, coupes des prestations sociales, coupes dans les dépenses des collectivités locales… le programme a déjà été écrit et mis en œuvre depuis bien longtemps. Le gouvernement Valls reprend le chemin emprunté par le gouvernement socialiste Zapatero en 2010. Les ressemblances en sont même troublantes. Retour sur un passé espagnol qui pourrait être un futur français.
Mai 2010. Le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero est confronté à une crise économique et financière aiguë. L’explosion de la bulle immobilière suivie par l’effondrement du système bancaire, qui a imposé un sauvetage en urgence, a mis l’économie à genoux. L’activité s’effondre, le chômage galope et le déficit budgétaire dépasse les 11 % du PIB. Les marchés financiers qui se sont déjà attaqués à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal ont l’Espagne en ligne de mire. Les taux d’intérêt obligataires atteignent les 7 %, seuil jugé fatidique par les observateurs.
Dos au mur, le gouvernement Zapatero lance un nouveau plan de rigueur. En février, il a déjà augmenté les impôts et la TVA et a décrété le gel des embauches des fonctionnaires. Ce programme doit permettre de réduire le déficit de 50 milliards d’euros. Mais l’Europe exige une autre politique : plutôt que de nouvelles recettes fiscales, le gouvernement espagnol doit mettre en place un plan de réduction des dépenses. Le terme « réformes structurelles » n’est pas encore entré dans le vocabulaire de la Commission européenne.
Début mai, il dévoile donc son nouveau programme : 15 milliards d’euros d’économies supplémentaires sont à trouver. Deux mesures phares se dégagent de ce plan de réduction budgétaire : réduction de 5 % des salaires de la fonction publique et suspension de la revalorisation des retraites. À cela s’ajoute la fin d’un certain nombre de prestations sociales, d’aides aux personnes les plus faibles.
Le changement radical du gouvernement Zapatero provoque de violents débats au sein du parti socialiste espagnol (PSOE), où certains élus accusent le gouvernement de trahison. De nombreux députés se disent déterminés à obtenir une révision profonde du plan ou du moins de sérieux amendements lors de la discussion parlementaire. « Nous allons demander dans les prochains jours un débat à l’intérieur du groupe parlementaire pour obtenir plus de justice dans les sacrifices », affirmaient Juan Antonio Barrio de Penagos et José Antonio Perez Tapias, membres d’Izquierda Socialista, un courant du PSOE.
C’est à une voix de majorité près que José Luis Zapatero réussit à faire adopter son plan, fin mai. Au dernier moment, le parti socialiste a suivi afin d’éviter la chute du gouvernement.
Revenant sur cette période, José Luis Zapatero a justifié ces décisions dans un livre de mémoire, Le Dilemme, publié fin 2013. Il y expliquait qu’il avait pris ces mesures, à rebours de ses convictions et de son programme, par « responsabilité ». Il s’expliquait plus longuement dans un entretien à InfoLibre, traduit et publié par Mediapart : « J’ai pris des décisions qui ont supposé un changement dans la ligne que j’avais imposée pour lutter contre la crise. Ce changement était motivé par le fait qu’en 2009, nous étions arrivés à une limite, celle des 11 % de déficit public, un chiffre important. Ma conviction d’avoir mené une politique de cohésion sociale jusqu’à la limite du possible durant la crise est défendable, je crois, étant donné que mon gouvernement a maintenu les engagements fondamentaux de l’État providence. »
Il répondait aussi aux critiques qui lui avaient été faites, non seulement d’avoir trahi ses engagements de campagne mais d’avoir fait peser les efforts sur les fonctionnaires et les retraités. « La réduction de salaire des fonctionnaires a été très progressive. Les salaires les plus bas des employés du public n’ont pas diminué, ou alors de 1 %, et les plus élevés de 8, 9 ou 10 %. Et nous n’avons pas touché aux retraites les plus faibles. Nous devions réduire les dépenses, et les engagements budgétaires à ce moment-là ne nous donnaient guère le choix : il nous fallait réduire quelques postes sensibles comme le salaire des fonctionnaires ou les retraites. Nous n’avons pas du tout touché aux bourses, à l’éducation et à la santé, que nous avions significativement renforcées les années précédentes. » À quatre ans de distance, les mêmes arguments reviennent.
Pourtant, la situation de la France n’est pas celle de l’Espagne en 2010. Alors que le déficit budgétaire espagnol était de 11,3 %, celui de la France est de 4,3 % du PIB. En un an, il a diminué de plus d’un point. Ce qui représente déjà un effort exceptionnel. Même si le chômage est très élevé – 12,3 % de la population active –, il n’atteint pas les niveaux très élevés de l’Espagne, alors 20 %. Surtout, à la différence de l’Espagne, la France n’a pas le couteau des marchés sous la gorge : les taux d’intérêt obligataires sont à des plus bas historiques, autour de 2 %.
Mais la règle s'impose. S’inscrivant dans les politiques de dévaluation interne mortifères suivies par les pays européens, le gouvernement français a choisi le même programme que celui de José Luis Zapatero : 50 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques. Les salaires de la fonction publique sont appelés à être gelés et non réduits comme en Espagne. Mais la différence n’est qu'apparente. Le gel des salaires dans la fonction publique est à l’œuvre depuis 2010 ; s’il est maintenu jusqu’en 2017, cela devrait représenter une réduction de l’ordre de 5 % au moins. Même chose pour les retraites. La réforme du travail, qui a déjà commencé en France, va être prochainement inscrite dans la loi, à la suite de l’accord sur la nouvelle convention de l’assurance chômage signée le 21 mars.
Ce pacte de responsabilité est en train de recevoir le même accueil chez les élus socialistes français que le programme d’austérité chez les socialistes espagnols à l’époque. À nouveau, il est question de trahison, de rupture. À nouveau, des députés et sénateurs socialistes menacent de ne pas voter ce plan s’il ne subit de sérieux aménagements. Même si les institutions de la Ve République donnent beaucoup d’assurance à l’exécutif, le gouvernement Valls paraît déjà s’appuyer sur une majorité fragile.
Les similitudes vont-elles s’arrêter là ? Ce qui s’est passé par la suite en Espagne n'est guère rassurant. Le plan d’austérité est à peine voté que le gouvernement Zapatero présente un mois plus tard une vaste réforme du marché du travail. Les mouvements patronaux et les syndicats n’ayant pu se mettre d’accord, le gouvernement se dit forcé de prendre les choses en main. Il déclare « assumer pleinement » ce texte qui veut à la fois « lutter contre la précarisation du travail » et apporter « une plus grande flexibilité ». Le coût des licenciements, surtout pour les contrats à durée indéterminée, doit être nettement diminué.
La rupture avec le monde syndical est consommée. Mais Zapatero reste persuadé du bien-fondé de sa démarche : alors que le taux de chômage est passé de 9 % à 20 %, cette réforme va « redonner confiance aux travailleurs comme aux employeurs, pour déboucher à terme sur des créations d'emplois ». Comme un air de déjà vu…
Mais rien ne se passe comme prévu. L’économie espagnole plonge, le chômage s’aggrave encore et les déficits s’accentuent, faute de recettes suffisantes. Un troisième plan de rigueur est présenté en décembre 2010. Le gouvernement cherche encore 15 milliards d’économies supplémentaires. L’âge de la retraite est appelé à reculer de 65 à 67 ans, les aides aux chômeurs, un peu l’équivalent du RSA, sont supprimées, un certain nombre d’actifs étatiques (aéroports, loterie, etc.) vont être privatisés. Pour stimuler la relance, il est prévu d’accorder une imposition à taux réduit pour les PME. Pourtant, rien ne change et l’économie continue de s’enfoncer.
Revenant sur ces moments « terribles », l’ancien premier ministre espagnol s'est montré très critique vis-à-vis de l’Europe, de la politique de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne. « Au-delà des circonstances relatives à l’intensité des politiques d’austérité, la principale différence dans la lutte contre la crise entre la zone euro et les États-Unis, le Japon ou la Grande-Bretagne, c’est que les banques centrales de ces pays ont eu de l’audace alors que la BCE a agi de façon contrainte. Si une initiative monétaire avec des mesures quantitatives avait été prise dans la zone euro, on serait probablement sortis de la récession avant, et avec plus de force, car cela aurait aidé à réduire la dette et à relancer l’économie. Il est vrai que ce n’est qu’une solution transitoire et qu’il faut continuer pour que l’économie soit compétitive, mais il est certain que nous n’avons pas pu l’appliquer parce qu’elle touchait un élément essentiel, constitutif, de la zone euro », expliquait José Luis Zapatero dans l’entretien avec InfoLibre.
Insistant sur le fait que l’Europe avait choisi, avec la défense d’une monnaie forte, les épargnants au détriment des travailleurs, le premier ministre espagnol racontait qu’il était intervenu à plusieurs reprises auprès d’Angela Merkel pour lui expliquer qu’il y avait des limites au sacrifice. « La réponse était toujours la même : "Si je présente autre chose au parlement allemand, il ne votera pas". »
À peine nommés, Michel Sapin, ministre des finances, et Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, se sont rendus à Berlin pour rencontrer leurs homologues allemands et discuter de leur programme. Après avoir prononcé son discours de gouvernement, dans lequel il semblait évoquer une certaine résistance face aux exigences de la Commission européenne de ramener le déficit budgétaire à 3 % dès 2015, Manuel Valls a lui aussi fait le voyage à Berlin pour y rencontrer Martin Schulz, président des socialistes européens. À son retour, il n’était plus question de demander quelque report ou aménagement. Doit-on comprendre que la réponse de Martin Schulz à Manuel Valls a été la même que celle d'Angela Merkel à José Luis Zapatero ? Que l'Allemagne ne transigerait pas ?
À l’exception de l’Irlande, qui a su tirer parti de son statut de paradis fiscal pour multinationales, tous les pays européens qui ont appliqué des politiques d’austérité et de dévaluation interne se retrouvent dans la même situation : le déficit budgétaire a été résorbé par la chute de la consommation et des importations et non par une relance des exportations. Au sortir d’un choc de récession sans précédent, ils se retrouvent avec une économie anémiée et partiellement passée au noir, un appareil productif laminé, un chômage énorme en dépit de toutes les mesures de « flexibilité », et un endettement insoutenable : en 2010, l’endettement italien était de 100 % du PIB; en 2013, il dépasse les 133 %.
Par quel miracle ce qu’il est advenu aux autres ne se produirait-il pas en France ? Alors que l’économie française est déjà en stagnation, en raison notamment des efforts de réduction budgétaire passés, un nouveau plan d’austérité risque de la plonger en récession, pour la troisième fois en moins de six ans. Une chute qui ne serait pas sans conséquence sur ses voisins. Même si beaucoup a déjà été fait, en matière de retraite, de chômage, de santé, de droit du travail, d’autres mesures seraient à nouveau réclamées. Comme en Espagne, un plan de rigueur pourrait succéder à l’autre pour tenter d’atteindre ce mythique 3 % du PIB, d’autant qu’une partie des réductions accordées aux entreprises n’est pas financée.
Faut-il dire la fin de l’histoire ? Épuisé, sans soutien face à une population en révolte, n’ayant plus de majorité au parlement, le gouvernement de José Luis Zapatero décida d’appeler à des élections législatives anticipées en juillet 2011. En novembre, le parti populaire (droite) emporta une victoire écrasante. Le parti socialiste espagnol tomba à son plus bas niveau depuis le retour de la démocratie en Espagne. Il avait été balayé comme l’avaient été auparavant les socialistes italiens, portugais et grecs. L’Europe devient une arme de destruction massive pour la social-démocratie.
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Ce sont des connivences qui, il y a quelques années encore, auraient suscité l’indignation. Mais dans le Vaucluse, la porosité entre UMP et FN est telle aujourd’hui que les épisodes qui ont suivi les élections municipales n’ont provoqué aucune réaction publique.
Ni l’élection de président (UMP) de l’agglomération d’Avignon avec les voix du FN et celle du 2e vice-président (FN) avec les suffrages de l’UMP ; ni la création d’un groupe d’opposition au conseil municipal d'Avignon par quatre élus issus de listes UMP et Rassemblement bleu marine. Ces deux éléments factuels font du Vaucluse le premier département où la recomposition de la droite s'organise, à certains endroits, avec l'extrême droite.
Le dernier épisode a eu lieu mercredi. Quatre élus issus des listes UMP et Rassemblement bleu marine (RBM) ont quitté leurs équipes pour former un groupe d'opposition au conseil municipal d'Avignon. Le président de ce nouveau groupe n’est autre que… le directeur de campagne du candidat UMP aux municipales Bernard Chaussegros.
Élu pendant 17 ans dans la majorité de la maire sortante d’Avignon, Marie-Josée Roig, et numéro trois sur la liste UMP en mars, Philippe Marcucci a convaincu la numéro deux de Chaussegros de s’allier avec deux membres du RPF élus sur la liste Rassemblement bleu marine de Philippe Lottiaux (lui-même ancien collaborateur de l'UMP Patrick Balkany).
Pour justifier ce que beaucoup, localement, considèrent comme une « trahison », Marcucci – qui n'a pas retourné notre appel – invoque deux raisons : le vote de Bernard Chaussegros en faveur de la candidate PS lors de l'élection du maire ; et la promesse non tenue du même Chaussegros de le laisser siéger à l’agglomération du Grand Avignon.
« Force est de constater que pour de multiples raisons, on a perdu. On a quand même pris une branlée sévère », a expliqué Philippe Marcucci lors d’une conférence de presse (voir la vidéo). Nous avons envisagé de créer une opposition qui soit objective, vigilante, constructive. Le premier conseil municipal m’a bouleversé. Le vote de deux partis de l’opposition UMP pour le maire et la standing ovation m’ont laissé pour le moins pantois. »
« Maintenant, avec le recul, je ne pense pas que Bernard (Chaussegros) avait les compétences pour être maire d’Avignon », a asséné Florence Duprat, qui fut pourtant sa numéro deux pendant les municipales. Les deux élus de la liste RBM prennent eux aussi leurs distances avec l’étiquette créée par Marine Le Pen, qu’ils qualifient de « coquille vide ».
Ce choix a été « très mal perçu localement », rapporte le collaborateur d’un élu UMP du département. « Marcucci est accusé de traîtrise, de vouloir exister. » Cette situation est d’abord le résultat des « divisions de la droite locale » (racontées ici et là par Mediapart), estime-t-il : « Philippe Marcucci espérait pouvoir exister une fois Bernard Chaussegros parti du Grand Avignon, mais il ne part pas. Il l’a très mal pris. Il crée ce groupe pour exister, avoir une assise. » Pour autant, l’élu UMP va-t-il être exclu du parti ?
Au siège parisien de l'UMP, où l’information a circulé, on explique « attendre d’être saisi par la fédération ». « Ce sont les responsables des fédérations qui envoient un courrier signé au siège, pour mettre ces cas à l’ordre du jour du bureau politique », précise-t-on. Le prochain aura lieu le 23 avril. Sollicité par Mediapart jeudi après-midi, le président de la fédération UMP du Vaucluse, Jean-Michel Ferrand, n’a pas donné suite.
En déplacement à l’étranger, Bernard Chaussegros – qui n’a pas répondu à notre coup de fil –, s’est contenté de glisser à la Provence : « Maintenant on sait qui est Brutus, c’est ça la politique à Avignon. » Marie-Josée Roig y voit quant à elle une « démarche stupéfiante ». Raillant le nom de ce nouveau groupe (baptisé « Sempre Fidelis », qui signifie « Toujours fidèle »), l’ex-maire UMP d’Avignon a ironisé : « Si Marcucci est fidèle, en tout cas, ce n’est ni à Chaussegros, ni à l’UMP » mais « à lui-même et à ses arrière-pensées ». Quant aux élus RPF, ils ont dû « se tromper sur la couleur du bleu », car la couleur du RBM est « bleu marine », lance-t-elle.
La semaine dernière, un autre épisode a démontré combien les frontières entre l'UMP et le FN étaient poreuses : le vote du président de la communauté d’agglomération du Grand Avignon, qui compte 72 élus (30 sièges à droite, 27 à gauche, 11 au FN-RBM et 4 sans étiquette). L'UMP a réussi à maintenir l'agglomération à droite dès le premier tour grâce aux 11 voix du Front national, ajoutées aux 30 de la droite. Le candidat UMP, Jean-Marc Roubaud, a ainsi contré la nouvelle maire PS d'Avignon, Cécile Helle.
Plus surprenant : le maire FN du Pontet, Joris Hébrard, est devenu le 2e vice-président, avec les voix des 30 élus de la droite. Sans fracas.
À cette élection, Roubaud et Hébrard ont obtenu le même nombre de voix (43 sur 72). Des chiffres qui interrogent localement. « Y a-t-il eu des discussions, des rencontres ? Il n’y a eu aucune abstention, aucun vote nul, ce qui laisse penser qu’il y a pu avoir un accord préalable entre UMP et FN », explique à Mediapart le collaborateur d’un élu UMP du Vaucluse. « L'existence d'un accord préalable UMP-FN relève donc de l'évidence mathématique », écrit la Provence.
Contacté par Mediapart, Jean-Marc Roubaud réfute tout « accord » en amont avec le Front national. « On laisse la politique à la porte. Les quinze maires sortants avaient prévu un accord pour ne présenter qu’un candidat par commune pour les vice-présidences. Après les élections, aucun maire n’a remis en cause cet accord », justifie l’élu (la maire socialiste d’Avignon n'a pas signé ce document, mais elle l’aurait validé verbalement, selon M. Roubaud).
Lui qui figurait parmi les membres fondateurs de la Droite populaire a été battu aux législatives de 2012, après une triangulaire avec le FN et le PS. Aujourd'hui, avoir été élu avec les voix du FN ne lui pose aucun problème : « Si l'on commençait à avoir des états d’âme… Je veux faire un contrat de gouvernance avec tout le monde, loin des clivages politiques et sans ostracisme. Pour moi, il n’y a pas de débat, cela n’intéresse que les observateurs politiques comme vous, mais pas les gens que je croise dans la rue ! »
Jean-Marc Roubaud aura en tout cas besoin des voix frontistes pour obtenir une majorité absolue lors des votes. Interrogé sur le sujet par la Provence, il s'est contenté de répondre que la droite disposait de « 31 voix, donc une majorité » (la majorité absolue est à 37). Le Front national a lui assuré qu'il n'avait pas donné par son vote « un blanc-seing » au président UMP et qu'il jouerait « pleinement son rôle d'opposition ».
En 1998, l’élection de cinq présidents de région (UDF et Démocratie libérale) avec les voix du FN (Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, Charles Baur en Picardie, Bernard Harang en Région Centre, Charles Millon en Rhône-Alpes, Jean-Pierre Soisson en Bourgogne) avait suscité un tollé.
Au terme de sept jours de réflexion, seuls deux d'entre eux avaient rendu leur siège : Jean-Pierre Soisson en Bourgogne et Bernard Harang dans la Région Centre. Les trois autres étaient restés inflexibles et avaient choisi de sauver leur fauteuil plutôt que leur étiquette. Ils avaient été exclus de leur parti.
À Amiens et Montpellier, des milliers de personnes étaient descendues dans la rue. Au RPR, Jacques Chirac avait condamné ceux qui pactisent avec « un parti de nature raciste et xénophobe ». « Une alliance avec le FN conduirait à une impasse morale, politique et électorale. Si certains pensent différemment, ils ont droit de le dire. En revanche, ils n'ont pas le droit de le mettre en pratique », avait déclaré Philippe Séguin, alors président du RPR.
À l’époque, le patron du conseil général de l'Oise et ancien secrétaire général du RPR, Jean-François Mancel, qui avait négocié un rapprochement avec le Front national, avait lui aussi été exclu. Il avait déclaré « ne pas voir de raison de refuser le concours des élus FN » et expliqué qu’« à partir du moment où la stratégie de guerre avec le FN a été un échec total, il faudrait être cinglé pour la poursuivre ».
Rien de tel dans le Vaucluse aujourd’hui. « Ni indignation ni quolibet n'ont émaillé la première séance du nouveau conseil communautaire », relate la Provence. L’arrivée de l’UMP Jean-Marc Roubaud dans le fauteuil de président, avec le plein des voix d'extrême droite, « a largement été saluée par les élus et un public venu en nombre garnir la salle polyvalente de Montfavet », précise le quotidien.
Plus au nord du département, l'extrême droite a en revanche échoué à s'emparer de la communauté de communes des Pays de Rhône et Ouvèze (CCPRO). La députée FN Marion Maréchal-Le Pen avait précisément choisi de se présenter à Sorgues (en dixième position sur une liste menée par un ancien adjoint de la majorité UMP), pour tenter une OPA sur la CCPRO, avec l'aide du député et maire d'Orange, Jacques Bompard (ex-FN, Ligue du Sud).
Mais son échec à Sorgues dès le premier tour a rebattu les cartes. Bompard a donc poussé la candidature d'Alain Rochebonne, maire divers droite de Couthézon, soutenu par ses homologues de petites communes. Ambigu avec l'extrême droite (lire notre enquête), il est accusé par ses adversaires d'être « le cheval de Troie de Jacques Bompard ». Face au sénateur UMP Alain Milon, président sortant de la CCPRO, l'élection a été extrêmement serrée dans ce nord-Vaucluse tenu par les Bompard. Le 12 avril, le sénateur l'a finalement emporté au second tour avec 26 voix contre 24.
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Ils ont été soufflés. Jeudi matin, les parlementaires de la majorité ont dévoré l'enquête de Mediapart sur Aquilino Morelle, conseiller spécial de François Hollande, qui est aussi un très proche du premier ministre Manuel Valls et d'Arnaud Montebourg. « Je suis abasourdi », dit ce député proche d'Arnaud Montebourg. « S'il a un peu de dignité, j'espère qu'il va démissionner dans la journée : il mouille directement une institution, l'Igas. Il mouille surtout son patron François Hollande », indique jeudi matin un pilier de l'Assemblée nationale.
« Si c'est vrai, c'est honteux, scandaleux, délirant », répond à Mediapart la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Catherine Lemorton, « amie » d'Aquilino Morelle, connue pour sa lutte contre le lobbying des laboratoires pharmaceutiques. « Si la loi dit que ce n'est pas normal, il faut qu'il passe devant un tribunal. Si tout cela est vrai, c'est une double personnalité, c'est délirant ! Il est schizophrène ? C'est un comportement de caméléon. Je suis atterrée. Il défendait des choses devant moi, et puis dans son intérêt personnel, quand 12 500 euros tombaient, il ne voyait pas le problème ! C'est une claque dans la gueule. Je me sens vexée de n'avoir jamais rien senti. Je suis triste. »
« Un homme combattant les lobbies qui se fait en même temps rémunérer par eux… je suis déçue et consternée d'un tel manque de décence, surtout après l'affaire Cahuzac », s'alarme Barbara Romagnan, de l'aile gauche du PS. « Vous voyez une autre solution ? » s'interroge Gérard Bapt, expert des sujets de santé à l'Assemblée, lorsqu'on lui demande si le conseiller du président doit démissionner. Dans l'entourage de Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale, on ne commente pas : « On n'a rien à dire sur Aquilino Morelle. » Une formule lapidaire, utilisée quelques heures plus tôt par le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. « A. Morelle doit démissionner », a lancé jeudi après-midi le député Philipp Cordery, secrétaire national du PS à l'Europe, plus courageux que nombre de ses collègues.
A. Morelle doit démissionner #republiqueexemplaire— Philip Cordery (@PhilipCordery) April 17, 2014
À 12 h 50 ce jeudi, quelques heures après la parution de l'article de Mediapart, certains parlementaires ont reçu un email de l'Élysée, leur révélant en avant-première le contenu du message publié quelques heures plus tard sur Facebook par Aquilino Morelle. Ce message, dans lequel l'enquête de Mediapart est qualifiée d'« article à charge », a également été relayé par SMS. Pourtant, personne ne s'est vraiment bousculé dans la majorité pour défendre le conseiller du président, pas vraiment populaire auprès des parlementaires.
L'article de Mediapart a surtout assombri le moral de parlementaires chaque jour un peu plus consternés par le cours que prend le quinquennat de François Hollande. Car l'affaire Morelle rappelle à beaucoup les heures les plus sinistres de l'affaire Cahuzac. Elle semble enterrer définitivement les promesses de « République exemplaire », déjà mise à mal par le mensonge de l'ex-ministre du budget sur son compte suisse caché et le flou spectaculaire qui avait alors régné au sommet de l'État. Jeudi, sur Twitter, le député PS Sébastien Denaja a multiplié les messages pour réclamer, notamment, la réduction des salaires et primes de certains très hauts fonctionnaires.
D'autant que très récemment, d'autres nominations en cascade ont donné le sentiment d'être d'abord de simples faits du Prince : l'exfiltration au gouvernement d'Harlem Désir, son remplacement (sans vote militant) par Jean-Christophe Cambadélis, la nomination de Jean-Pierre Jouyet, l'ami du président, au poste de secrétaire général de l'Élysée. Celle de René-Pierre Lemas à la tête de la Caisse des dépôts. Ou encore la nomination à l'Inspection générale des affaires sociales (ce corps de hauts fonctionnaires auquel appartient aussi Aquilino Morelle) de Dominique Voynet, l'ancienne maire écologiste de Montreuil. Une promotion violemment dénoncée sur son blog par Claude Bartolone, ennemi juré de Voynet en Seine-Saint-Denis pour qui ce « golden parachute » est « un regrettable accroc à la République irréprochable que nos compatriotes appellent de leurs vœux ».
Vendredi matin, sur iTélé, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, a demandé à Aquilino Morelle "une grande explication pour que l’on puisse y voir clair". Il a estimé ne pas voir comment Aquilino Morelle «peut rester» conseiller de François Hollande si les révélations de Mediapart sur un conflit d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique sont vérifiées. «Il faut qu’il s’explique, il faut qu’il le fasse vite, qu’on puisse le juger sur pièces», a déclaré Cambadélis, jugeant manifestement insuffisant les réponses faites la veille par le conseiller.
Depuis la gifle des municipales et la nomination de Manuel Valls à Matignon, le climat dans la majorité est devenu franchement délétère. Alors que Manuel Valls avait promis d'associer davantage le Parlement, consacrant même au rôle des élus une partie de son discours de politique générale, il a annoncé mercredi sans les prévenir un plan de rigueur de 50 milliards d'euros, inédit par son ampleur et par le fait qu'il n'épargne ni les plus pauvres ni les classes moyennes. Juste après la nomination de Manuel Valls à Matignon, une centaine de députés PS avaient pourtant réclamé un nouveau « contrat de majorité » et un changement de cap de la politique européenne et budgétaire. Manuel Valls les avait reçus à Matignon, semblant être à l'écoute. Mais pour beaucoup, les annonces de mercredi ont fait l'effet d'une douche froide.
Jeudi, onze d'entre eux, représentant plusieurs ailes du PS, ont diffusé une nouvelle lettre à Manuel Valls. Dans ce texte, des aubrystes, l'aile gauche du PS, les proches d'Arnaud Montebourg et la "hollandaise" Laurence Dumont jugent « dangereux économiquement » le plan de 50 milliards d'économies. Ils mettent aussi en garde contre d'« inéluctables » « reculs sociaux et mises à mal des services publics », exigent des mesures supplémentaires pour le pouvoir d'achat, une « trajectoire plus crédible de réduction des déficits », et demandent à l'exécutif de réduire d'un tiers (de 30 à 20 milliards) les baisses de cotisations sociales des entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité :
« Le climat est effroyable. On a l'impression d'être dans un tanker en train de couler. Et le problème, ce n'est pas notre sort : c'est toute la pollution que ce naufrage va provoquer », lance Barbara Romagnan, très inquiète, qui résume ainsi le sentiment de bien des élus socialistes.
En aparté, nombre de députés, de l'aile gauche aux plus modérés, n'hésitent plus à accabler François Hollande, un pas qu'ils ne franchissaient qu'avec des pincettes avant les municipales. Dès la semaine prochaine, la commission des finances de l'Assemblée nationale va examiner la trajectoire de réduction des dépenses publiques de la France, qui sera suivie d'un vote le 29 avril. Ce scrutin, qui aurait pu être anodin en d'autres circonstances, est loin d'être acquis. Sans concessions du gouvernement, certains envisagent de voter contre, tabou suprême dans une majorité longtemps hypercadenassée.
En juin, le vote du pacte de responsabilité risque lui aussi d'être explosif, et certains dans l'entourage du président de la République évoquent déjà une possible utilisation du 49-3. Ce vote bloqué serait interprété comme un passage en force du pouvoir.
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Trois jeunes hommes ont été grièvement blessés à l’œil par des tirs policiers, lors de la manifestation du 22 février à Nantes contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. L'un est éborgné et les deux autres ont peu de chances de retrouver la vue. Sur la page Facebook d’appel à témoignages qui a été créée, plusieurs autres manifestants affirment, photos à l’appui, avoir été atteints par des tirs de Flashball au visage : sur le crâne avec neuf points de suture, sur la joue ou encore à la lèvre. Quatre enquêtes pour violences ont déjà été confiées à la délégation rennaise de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).
C'est un bilan particulièrement lourd et inédit pour une manifestation en France. Contacté par Mediapart, Jean-Christophe Bertrand, directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique depuis juillet 2013, a accepté de répondre le 15 avril à nos questions par téléphone. Il assume sans sourciller les violences commises et rappelle qu'une enquête de l'IGPN est en cours. « Ceux qui prennent le risque de s’en prendre aux forces de l’ordre s’exposent eux aussi à des dommages corporels », déclare Jean-Christophe Bertrand.
Jeudi 17 avril, deux jours après cet entretien, Jean-Christophe Bertrand a incité, dans une note de service révélée par France-3 Pays de la Loire, les policiers blessés à saisir eux aussi la justice en leur annonçant la création d'une structure dédiée pour recueillir leurs plaintes. Il indique avoir lui-même décidé de déposer plainte en tant que directeur départemental: il veut «marquer tout (son) soutien aux fonctionnaires (...) mais aussi pour prendre en compte le caractère exceptionnel d'une manifestation qui a fortement marqué les esprits». Entretien.
Quel était le cadre d’utilisation du Flashball superpro et du Lanceur de balles de défense 40 × 46 (plus puissant et précis) au cours de cette manifestation ?
Jean-Christophe Bertrand : Le Flashball et le LBD ont effectivement été utilisés dans cette manifestation, dans le cadre légal. À savoir dans des situations de légitime défense, quand des fonctionnaires ont été agressés par des jets de divers projectiles, dont des pavés catapultés, des billes d'acier, des boulons, et des cocktails Molotov. Et à certains moments, dans un autre cadre d’emploi, qui est la dispersion des attroupements après que des sommations ont été effectuées.
Les fonctionnaires ont obligation de faire un rapport après chaque utilisation de ces armes. Combien de tirs ont eu lieu au cours de la manifestation du 22 février ?
Je ne peux pas vous dire. Ce sera à l’IGPN de le déterminer lors de son enquête.
La police française est réputée pour son savoir-faire en matière de maintien de l’ordre. Est-ce normal qu'au cours d'une manifestation, trois personnes soient grièvement blessés au visage par des tirs policiers au point, pour l’un, d’avoir perdu un œil ?
Il y avait 20 000 manifestants (50 000 selon les organisateurs, ndlr). Tout ceux qui ont défilé pacifiquement et n’ont pas cherché l’affrontement avec les forces de l’ordre n’ont rien eu. Mais un petit millier de personnes ont voulu en découdre et se sont exposées à une réplique des forces de l’ordre. On peut considérer que trois blessés au visage c’est beaucoup, mais il faut rapporter ce chiffre au nombre de manifestants. Nous encadrons tous les jours des manifestations à Nantes sans avoir à utiliser ces armes, ce qui prouve l’extrême violence de la manifestation du 22 février. Nous n’avions jamais connu ça à Nantes, et rarement dans le reste de la France. Au total, 130 policiers et gendarmes ont été blessés (dont 27 adressés au CHU et un seul cas grave d'un officier d'une CRS souffrant d'une fracture au bras, ndlr).
Il faut attendre les résultats de l’enquête de l’IGPN pour savoir si ces personnes ont effectivement été blessées par des tirs de Flashball et de LBD, et pour savoir ce que ces personnes faisaient au moment où elles ont été blessées. L’un des manifestants blessés à l’œil (Quentin Torselli, ndlr) se trouvait au milieu de gens qui affrontaient les forces de l’ordre. Je me demande ce qu’il faisait là (le jeune homme affirme qu'il reculait et était pacifique, ndlr).
Doit-on en conclure que les forces de l’ordre françaises sont autorisées à crever les yeux de manifestants qui se retrouvent au milieu d’affrontements ?
Ceux qui prennent le risque de s’en prendre aux forces de l’ordre s’exposent eux aussi à des dommages corporels. La réplique est proportionnée. Si l'on a équipé les forces de l’ordre d’armes non létales, c’est pour éviter que les fonctionnaires n'aient recours à des armes conventionnelles (armes à feu, ndlr).
Mais comment expliquer qu’autant de personnes aient été touchées au visage, alors qu’il est expressément interdit aux fonctionnaires de viser au-dessus des épaules, sauf cas de légitime défense ?
Si la personne bouge entre le moment où le fonctionnaire appuie sur la queue de détente de l’arme et l’impact, il y a toujours un risque que le point d’impact ne soit pas celui initialement visé.
Les policiers et gendarmes ont-ils reçu des instructions particulière quant à l’usage de ces armes avant la manifestation ?
Je rappelle que les fonctionnaires dotés de cette arme, à savoir les CRS, les gendarmes mobiles et les agents de sécurité publique, ont reçu une formation technique et juridique. Donc ils connaissent parfaitement leurs conditions d’usage.
Sur une vidéo filmée par un photographe indépendant, on voit des CRS et un camion à eau poursuivre, gazer et asperger d'eau à haute pression des manifestants qui tentent de secourir Quentin Torselli, blessé quelques instants plus tôt. Y a-t-il eu des entraves aux secours ?
Non, il faut faire attention aux vidéos, car on ne voit pas ce qui se passe derrière les manifestants. La caméra est tournée uniquement vers les fonctionnaires. On ne peut donc pas analyser la scène en toute impartialité. Je ne pense pas que les fonctionnaires dans le camion à eau aient pu entendre ce que criaient les manifestants devant.
Deux journalistes ont déposé plainte pour violence. L’un d’eux, un photographe, a reçu un tir de Flashball dans le torse après avoir crié « Hé, c’est des journalistes ». Il se trouvait au milieu de plusieurs reporters clairement identifiables par leurs caméras et appareils photo. Pourquoi tirer sur un journaliste ?
Il faut bien analyser les images et le son, parce qu’il n’est pas certain que les fonctionnaires aient entendu ce qu’il criait. Quand des journalistes sont mélangés aux casseurs, c’est assez difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Dans le feu de l'action, il n'est pas facile de trier.
Est-ce normal que des agents du GIPN (Groupe d'intervention de la police nationale) de Rennes soient intervenus en maintien de l’ordre sur la voie publique, cagoulés, sans matricule, ni moyen d’identification ?
Ils étaient identifiés en tant que fonctionnaires de police. De toute façon, personne n’est capable de lire un matricule dans un contexte aussi agité de manifestation. Le GIPN était initialement dédié à la protection de la mairie. En fin d'après-midi, la situation est devenue tellement critique qu’ils ont demandé à venir porter assistance à leurs collègues, qui se trouvaient entre le cours des 50-Otages et le parking de la Petite-Hollande.
Attendiez-vous un milliers de « casseurs », selon le chiffre qui a ensuite été donné par la préfecture de Loire-Atlantique ?
Nous avions des informations de risques d’agrégation de gens violents, ce qui s’est révélé exact. Mais nous n’avions pas de chiffre précis.
Dans une lettre ouverte au ministre de l’intérieur, Françoise Verchère, conseillère générale du Parti de gauche et l'une des responsables du collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (le Cédépa), s’est étonnée que la police ne soit pas intervenue plus tôt pour interpeller le petit groupe de personnes qui se livrait à des dégradations en tout début de manifestation. Qu’en est-il ?
Je rappelle à Mme Verchère que lorsqu’on est élu de la République, on respecte les lois de la République. En l’occurrence, les organisateurs d’une manifestation sont censés déclarer son parcours auprès des pouvoirs publics. Ce que se sont obstinément refusé à faire les organisateurs de la manifestation du 22 février (plusieurs réunions se sont tenues entre la préfecture et les organisateurs, sans qu'aucun accord n’ait été trouvé, ndlr).
Face à l’absence de dialogue et à leur volonté de passer par le centre-ville, nous avons dû prendre des mesures de blocage des accès en centre-ville. Nous avions donc des forces mobilisées pour verrouiller le centre-ville et que nous ne pouvions pas déplacer pour aller interpeller des gens qui commettaient des dégradations le long du parcours de la manifestation. Il n’y a aucun manichéisme de notre part !
Vous avez annoncé dans une note de service du 17 avril vouloir vous-même déposer plainte. Pourquoi ?
Il y avait un certain nombre de demandes de la part de fonctionnaires qui avaient l'impression d'avoir été oubliés, au vu de la couverture médiatique offerte aux manifestants blessés. D'où mon souhait d'organiser le recueil de ces plaintes. Et, à titre personnel, je déposerai également plainte à l'appui des personnels agressés, en tant que chef de service, comme les textes m'y autorisent. Il y a eu des blessures physiques, comme des acouphènes, et d'autres moins visibles, psychologiques. Plusieurs fonctionnaires souffrent de troubles liés à la violence inouïe à laquelle ils ont dû faire face.
BOITE NOIRECet entretien a eu lieu par téléphone le 15 avril 2014 et a été complété le 18 avril (dernière question). Il n'a pas été relu par M. Bertrand.
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Dans l’art de la guerre, on appelle ça un leurre. Une manière d’enfumer son adversaire. En matière de revenus ou d’allocations, on préfère parler de « gel », mais cela revient au même. Cette figure de rhétorique vise à faire croire qu’on ne touche pas aux salaires, tout en les baissant quand même. En présentant mercredi 15 avril son plan d’économie, et en annonçant son « gel », Manuel Valls s’est ainsi défendu de toute atteinte au pouvoir d’achat, mais il a taillé dans le vif. Ce qu’il présente comme une « non-revalorisation » est en fait une amputation.
Officiellement, le « gel » consiste à ne pas tenir compte de l’inflation, donc à ne pas “revaloriser” les salaires. Dans les faits, cela revient à les dévaloriser. Un peu comme un pisciculteur laisserait mourir ses poissons dans des bassins qui fuient, parce que rajouter de l’eau lui reviendrait trop cher. L’avantage du « gel », c’est qu’il est anesthésiant, comme en petite chirurgie, quand un coup de vapeur glacé permet à un patient de ne pas avoir trop mal si on lui pose un point de suture. L’inconvénient, c’est que la douleur finit par se réveiller.
L’exemple le plus récent est celui du « gel du barème de l’impôt sur le revenu ». Mis en place sous le précédent quinquennat, et confirmé au début de l’actuel, ce « gel » avait permis aux gouvernements précédents d’annoncer qu’ils n’augmentaient pas l’impôt. Quand les feuilles sont arrivées dans les boîtes aux lettres, les contribuables ont mesuré l’écart entre le gel annoncé et le coup de chaud sur les finances familiales. Des dizaines de milliers de Français, exonérés jusque-là, ont dû acquitter d’un jour à l’autre l’équivalent d’un mois de salaire.
Le coup du « gel » annoncé par le premier ministre aura le même effet différé, mais qui n’en sera que plus cuisant. Certaines allocations seront « gelées » au moins jusqu’en 2015, et l’Association des paralysés de France estime par exemple que cette mesure aggravera la précarité des personnes handicapées. De même, les retraites seront « gelées » pendant deux ans, alors que la réforme n’avait prévu cette mesure que pour une durée de six mois.
Mais l’annonce la plus dure concerne les fonctionnaires, c’est-à-dire en premier lieu les enseignants, les agents hospitaliers, les policiers, les militaires, les juges… Leur salaire était déjà « gelé » depuis 2010, il le restera jusqu’en 2017. Sept ans de revenus rongés par l’inflation. Allez demander aux banques de vous accorder des prêts à taux zéro pour cent pendant un septennat, vous verrez leur réaction !
Les services de Manuel Valls précisent que « les règles d’avancement dans la fonction publique d’État » seront préservées. Cela veut dire, en langage clair, que les promotions obtenues par tel ou tel agent, donc sa progression de carrière, ne lui permettront plus d’améliorer sa situation, mais seulement de la maintenir à son plancher, puisque les bénéfices de l'avancement ne feront plus que compenser les pertes provoquées par le « gel ». Qui avance fait du surplace, et qui n'avance pas recule… Autant dire que les grilles de carrière de la fonction publique seront vidées de leur substance.
Un phénomène semblable a déjà connu un précédent. Dans l’audiovisuel public, le fameux “point d’indice” avait aussi été « gelé » pendant de longues années. Au bout d’une dizaine d’années, la situation est devenue tellement absurde, et tellement intenable, que les conventions collectives qui régissaient le travail des différents métiers ont purement et simplement disparu, certaines n’étant toujours pas remplacées, comme à Radio France par exemple…
Donc le « gel » n’est pas un gel mais un acide, aux conséquences lourdes à moyen terme, sur l’organisation des services et des emplois, et aux effets immédiats sur les salaires ou les allocations. Pour mesurer cet effet en termes de revenus mensuels, reportez-vous aux deux tableaux ci-dessous.
Le premier tableau, “Allocations et retraites”, calcule les conséquences du gel jusqu’en 2015. Le second tableau concerne les fonctionnaires. Il calcule les conséquences mensuelles de ce gel, de 2010 à 2017. Le calcul de la perte de pouvoir d’achat est effectué sur la base d’une inflation de 1,6 % (c’est-à-dire de la moyenne de l’inflation annuelle pour les années 2010, 2011, 2012, 2013, et 2014).
Exemple : Si votre allocation, ou votre retraite, est de 1 000 euros, vous perdrez 15 euros mensuels en 2014, 30 euros mensuels en 2015, et votre pension réelle (en euros constants) sera alors d'une valeur de 970 euros comparée à celle de 2013…
Exemple : Si vous êtes enseignant, et que votre salaire était de 2 000 euros en 2010, votre perte mensuelle annuelle est de 32 euros par mois, le cumul de ces pertes en sept ans sera de 224 euros par mois, et votre salaire réel (en euros constants), hors promotions, sera d'une valeur de 1 776 euros comparé à celui de 2010.
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Cela semblait inéluctable. Vendredi midi, Aquilino Morelle, conseiller de François Hollande, a annoncé sa démission après les révélations de Mediapart sur ses conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques. Il n’a fallu que 24 heures pour que l’Élysée tranche. « Il n’y a eu aucune hésitation au sommet », jure un proche du président de la République.
Inconnu du grand public, Aquilino Morelle était un des personnages clés au Château. À la fois conseiller politique et responsable de la communication, il a été l'une des chevilles ouvrières du remaniement. C’est dire si son départ fragilise à la fois François Hollande et ses « amis » Manuel Valls et Arnaud Montebourg, dont il a organisé le rapprochement.
Le premier ministre a d’ailleurs fait savoir qu’il avait convoqué Aquilino Morelle à Matignon. « Il lui a conseillé de quitter l’Élysée afin de répondre librement aux questions de la presse », a indiqué l’entourage de Valls à l’AFP. La veille au soir pourtant, Matignon parlait encore « d’allégations peu sourcées » et du sentiment que le conseiller présidentiel « avait tout fait correctement ».
Quant au président de la République, il s’est senti obligé de réagir publiquement. « Aquilino Morelle a pris la seule décision qui s'imposait, la seule décision qui convenait, la seule décision qui lui permettra de répondre aux questions qui lui sont posées », a dit François Hollande depuis Clermont-Ferrand, où il effectuait une visite avec Arnaud Montebourg.
Au Château, Morelle occupait une position singulière. Géographiquement d’abord, puisqu’il avait obtenu d’occuper le bureau attenant à celui du président de la République, celui du conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, et qui fut aussi celui de Valéry Giscard d’Estaing. Politiquement ensuite : Aquilino Morelle n’était pas issu du sérail hollandais, ni de la fameuse promotion Voltaire où François Hollande avait connu nombre de ses collaborateurs, comme Sylvie Hubac, sa directrice de cabinet, ou Pierre-René Lemas, le secrétaire général débarqué la semaine dernière et remplacé par un autre camarade de promo, Jean-Pierre Jouyet.
Pendant la primaire, Morelle n’avait même pas soutenu Hollande : il était le directeur de campagne d’Arnaud Montebourg, après avoir travaillé avec Bernard Kouchner dans les années 1990 et Lionel Jospin à Matignon entre 1997 et 2001. Il se définissait toujours par les mêmes mots, et dans le même ordre : « patriote, républicain et socialiste ». Il se méfiait de la technocratie bruxelloise et tenait un discours critique sur l’Europe telle qu’elle s’est bâtie depuis plusieurs décennies. Il se disait profondément de gauche, attaché à ce que le PS revienne à la défense des classes populaires, lui qui faisait partie des rares conseillers fils d’ouvriers.
Pendant l’affaire Florange, un des moments clés du quinquennat, Morelle partage la ligne de Montebourg sur la nationalisation partielle mais il sait qu’il est seul à l’Élysée. Il sait aussi que François Hollande a déjà tranché. Il dit alors avoir « un conflit de loyauté » pour justifier son refus de répondre aux questions, et fait partie de ceux qui convainquent Montebourg de rester au gouvernement.
Mais dans son rôle de porte-parole officieux de l’Élysée, Aquilino Morelle expliquait, parfois vivement, pourquoi la ligne social-libérale choisie par François Hollande depuis le pacte de compétitivité de l’automne 2012 était nécessaire. Qu’il n’y avait guère d’autre politique possible. Que plaider pour une relance de la demande relevait de vieilles lunes de la vieille gauche, voire de l’extrême gauche.
Sur les affaires, il a accepté de jouer le porte-flingue. Pendant l’affaire Cahuzac, il ne se prononce pas sur le fond et reprend logiquement – c’est son job – les éléments de langage sur la supposée « absence de preuves ». Mais il finit par lancer lors d’une conversation en tête à tête avec l’auteure de ces lignes : « Edwy Plenel, c’est quelqu’un qui sait manœuvrer. C’est un trotskard manipulateur. » Et parle de « l’hybris » et du « manque d’humilité » de Mediapart. Quand on l’interroge sur le rôle d’EuroRSCG et de Stéphane Fouks dans la défense du ministre du budget, il balaye son passage dans l’agence de communication : « Ils m’ont viré avec pertes et fracas au bout de quatre mois, et jeté comme un malpropre à la rue. »
Plus récemment, après les photos de François Hollande sortant de chez Julie Gayet, Morelle était chargé de répondre aux questions sur la sécurité du président de la République et sur la mise à disposition, un jour, d’un véhicule de l’Élysée pour aller chercher l’actrice. Quand nous l’interrogeons, le conseiller confirme l’information et tente aussitôt de minimiser : « Vous savez, c’est comme déposer quelqu’un au métro. » Morelle fait alors volontairement référence à un trajet de l’Élysée jusqu’au métro Madeleine avec l’auteure de ces lignes, à qui il avait proposé de poursuivre la conversation quelques minutes dans sa voiture de fonction. Il sait que cela n'a rien à voir, mais il n'a pas tout oublié des techniques d'EuroRSCG…
Le conseiller politique était plutôt rétif aux questions de société qui ne le passionnaient guère. Au moment du débat sur le mariage pour tous, il s’interrogeait sans trancher dans un sens ou dans l’autre sur l’opportunité d’accorder le droit à la PMA pour les couples de femmes. Défenseur de « la République », il partageait avec Manuel Valls son approche de la laïcité et d’un « besoin d’ordre » dans une société dont il s’était aussi convaincu de la « droitisation ». D’autant plus depuis qu’il épluchait les sondages à l’Élysée.
Hollande et Morelle s’étaient rapprochés durant la campagne présidentielle. Dans l’entre-deux-tours de la primaire, « Aquilino » avait fait partie, autour d’Arnaud Montebourg, des plus chauds partisans d’un ralliement à François Hollande plutôt qu’à Martine Aubry. Convaincu que c’était la meilleure chance pour le futur ministre du redressement productif de capitaliser ses 17 % du premier tour. Et que cela pouvait être une opportunité personnelle. À l’époque, Morelle tente de négocier une circonscription parisienne, après ses échecs en 2002 et en 2007. En vain. Aquilino Morelle ne sera pas député, il sera conseiller du prince.
Il arrive dans le sillage de François Hollande à l’Élysée dès mai 2012 – conseiller spécial, sans le titre dont il ne veut pas pour ne pas coller à l’image d’Henri Guaino, et sans que l’on comprenne toujours ce qu’il fait. Conseiller politique, chargé des études et des sondages, de la communication, des discours : la définition de son poste a souvent varié en deux ans. Seules certitudes : il a toujours communiqué avec la presse (dont Mediapart), et il a connu une période de disgrâce évidente jusqu’à l’automne 2013.
Ces derniers mois, il a progressivement effectué son retour au premier plan. À la faveur de la communication parfois catastrophique de l’Élysée dont l'affaire Leonarda a été le symbole, du départ de Valérie Trierweiler avec qui il ne s’entendait guère et, surtout, de l’alliance politique qu’il va contribuer à bâtir.
Politiquement proche d’Arnaud Montebourg, Aquilino Morelle raconte volontiers être « ami » avec Manuel Valls, qu’il a rencontré au cabinet de Lionel Jospin à Matignon. « Avec Manuel, nous avons un ami commun », dit Montebourg. Pendant des mois, le conseiller de François Hollande a fait le go-between entre les deux ministres, et tenté de théoriser leur alliance par un besoin supposé de « protection » de la société française.
« Ils partagent un même républicanisme intransigeant, un même volontarisme économique et un même réalisme du point de vue de la construction européenne », explique alors Morelle. Une construction intellectuelle qui était loin de convaincre tous les partisans de Montebourg. « Elle n’existe que dans la tête de Morelle ! », balançait il y a deux mois un proche de l’ex-candidat à la primaire.
Dans l’entre-deux-tours des élections municipales, Aquilino Morelle est encore à la manœuvre pour organiser un déjeuner entre Valls et Montebourg au cours duquel les deux hommes se mettent d’accord sur un « deal politique » et sur leur refus catégorique de continuer à travailler avec Jean-Marc Ayrault. Le ministre du redressement productif envoie même un courrier à François Hollande pour exiger une réorientation de la politique qui ne peut passer, à ses yeux, par un maintien de l’ex-maire de Nantes qu’il déteste.
Parallèlement, Morelle devient la bête noire de Matignon où reviennent, avec insistance, les récits de conversations où le conseiller de François Hollande enfonce consciencieusement Jean-Marc Ayrault, lui reprochant sa faiblesse politique, son conformisme ou encore son incapacité à animer politiquement le gouvernement. « Un vrai travail de sape », jure un conseiller ministériel. Il commence aussi à voir un petit groupe de députés pour leur transmettre des éléments de langage.
Avec Valls premier ministre et Montebourg promu ministre de l’économie, Aquilino Morelle peut espérer entrer au gouvernement. Il est annoncé à plusieurs reprises comme secrétaire d’État à la santé, sous la tutelle de Marisol Touraine. Mais celle-ci n’en veut pas : elle se méfie de lui et veut garder la main sur ce dossier qualifié de « priorité » par François Hollande.
Qu’importe : Morelle reste à l’Élysée et peut imaginer devenir un des pivots de la relation avec Matignon. D’autant que son ennemi juré au Château, le secrétaire général Pierre-René Lemas, y est remplacé par Jean-Pierre Jouyet avec qui le conseiller politique a déjà travaillé du temps de Lionel Jospin.
Mais François Hollande ne s’est jamais enfermé dans une relation exclusive avec un de ses conseillers, et jamais Morelle n’a été la seule voix que le chef de l’État a écoutée. Il n’était pas non plus très apprécié dans la majorité ou dans les cabinets ministériels, où les rumeurs sur son train de vie – l’anecdote du cireur de chaussures avait fait le tour du gouvernement – et sur son dilettantisme étaient connues de tous. Sa démission contrainte a de toute façon eu raison de l’ascension à laquelle il aspirait.
BOITE NOIREJe connais Aquilino Morelle depuis deux ans et demi et la campagne de la primaire d’Arnaud Montebourg. Nous étions régulièrement en contact.
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Rédigée le 14 avril 2014 et publiée par Le Parisien le lendemain, une note du commissariat du VIe arrondissement de Paris ordonnait « dès à présent et jusqu’à nouvel ordre, pour les effectifs du VIe arrondissement, de jour et de nuit, de localiser les familles roms vivant dans la rue et de les évincer systématiquement ». Des instructions illégales, comme l'a rectifié dans la foulée le nouveau ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. « Aucun contrôle de police ne peut être effectué en ciblant une personne en fonction d’une nationalité réelle ou supposée », a-t-il rappelé.
Un principe constitutionnel un peu trop souvent oublié par la hiérarchie policière. Mediapart publie ainsi un exemplaire des procès-verbaux de mise à disposition ciblant explicitement les mineurs « originaires d’Europe centrale ». Ce procès-verbal type, pré-rempli, était utilisé quotidiennement jusqu’à l’été 2013 par les agents en tenue de la Brigade des réseaux ferrés (BRF) qui opèrent dans le métro et les gares parisiennes. En totale contradiction avec la promesse de François Hollande de lutter « contre le délit de faciès dans les contrôles d'identité ».
Ce rapport, manifestement discriminatoire et illégal, n’a été retiré de la circulation qu’après que deux parlementaires communistes, alertés par la CGT police de Paris et le syndicat de la magistrature, s’en sont émus auprès du ministère de l’intérieur, début juillet 2013.
De quoi s’agit-il ? Dans une note du 14 juin 2013, le commissaire Stringhetta, chef de la BRF, demande à ses troupes de mettre le paquet sur la lutte contre les vols à la tire dans les transports parisiens. En faisant du flagrant délit ? Non, en contrôlant « systématiquement » l’identité de « tout individu laissant supposer qu’il s’apprête à commettre des vols ». Prises en défaut de papiers d’identité, les personnes contrôlées doivent être amenées au poste pour une vérification d’identité.
Jusqu’ici rien d’illégal. Là où les choses se gâtent, c’est que le procès-verbal type remis aux agents en tenue de la BRF mentionne uniquement les individus « présumé(s) mineur(s) originaire(s) d’Europe centrale ». Et propose trois motifs d’apparence légale pour justifier les contrôles d’identité manifestement réalisés au faciès. Un formulaire pré-rempli bien pratique : il ne reste plus qu’à cocher, avant de remettre le mineur à un officier de police judiciaire (OPJ). Ce dernier pourra le retenir quatre heures pour vérifier son identité, avant de le relâcher dans la nature.
« La BRF incite clairement ses agents à procéder à des contrôles d’identité discriminatoires sur toute personne ayant l’apparence d’un mineur “originaire d’Europe centrale” », s’étaient indignés la CGT police de Paris et le syndicat de la magistrature, le 1er juillet 2013, dans un communiqué passé inaperçu (sauf dans L’Humanité). En fait, selon la CGT police, les agents de la BRF avaient pour consigne d’effectuer des opérations systématiques de « ramassage » des mineurs étrangers isolés dans le métro et les gares parisiennes. Puis de les ramener, à bord de fourgons de police secours, à Évangile, le département judiciaire de la BRF, dans le XVIIIe arrondissement, pour les confier à un OPJ.
« À une époque, c’était quotidien, et au moins une quinzaine de jeunes par jour, se souvient un agent. On les appelle les Hamidovic (du nom d’un réseau criminel démantelé en 2013 – ndlr), ce sont des mineurs venus d’ex-Yougoslavie et exploités pour voler dans le métro. L’objectif non avoué de ces ramassages était de les extirper quelques heures de la voie publique, avec des motifs de contrôle bidons, pour faire baisser les vols à tire. » Une stratégie vouée à l’échec : « On les ramenait, ils ressortaient au bout de quatre heures, et ils étaient de retour parfois une heure plus tard ! Sans compter que pendant qu’ils ramènent les jeunes, les policiers ne sont plus sur le terrain. »
« C’est le tonneau des Danaïdes : les policiers essaient d’enlever ces pickpockets du métro, mais comme ces jeunes reçoivent des pressions énormes pour ramener de l’argent, ils y retournent forcément dès qu’ils sont relâchés », confirme le sociologue Olivier Peyroux, auteur de Délinquants et victimes, la traite des enfants d’Europe de l’Est en France (éditions Non Lieu, novembre 2013).
Pour les mineurs, la loi française prévoit que le procureur de la République soit informé dès le début de la rétention pour vérification d’identité et que le mineur soit assisté, « sauf impossibilité », de son représentant légal. Là encore, selon la CGT police, les OPJ se contentaient de faxer au Parquet les rapports de mise à disposition, sans aucun contrôle réel des parquetiers, « qui ne voulaient plus entendre parler de ces procédures bidons ».
Et sans aucune prise en charge à l’issue de la retenue, alors que la protection des mineurs est censée être inconditionnelle en France. « Il y a une forte réticence à prendre des ordonnances de placement provisoire, sous prétexte qu’on va bloquer des places de foyer pour des jeunes qui vont fuguer au bout de trois jours, constate Xavier Gadrat, secrétaire national du syndicat de la magistrature. Mais on oublie le principal : il s’agit de mineurs en danger, qui vivent seuls dans la rue et risquent d’être récupérés par des réseaux. »
La CGT police souligne en outre les problèmes de sécurité que posaient ces ramassages. « Les agents ramenaient parfois cinq à six mineurs en fourgon, avec des jeunes filles parfois enceintes jusqu'aux yeux, plus un équipage de trois fonctionnaires, soit neuf personnes, sans avoir le permis de transport en commun », indique Anthony Caillé.
Alerté dès mai 2013 sur ces ramassages illégaux, Jacques Meric, le directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, n’avait pas jugé utile d’y mettre fin. Bien au contraire, l’ancien conseiller police de Manuel Valls aurait fait part aux syndicalistes, qui l’avaient rencontré, d’une grosse pression des maires d’arrondissement parisiens concernant les mineurs d’Europe de l’Est et de la nécessité de multiplier ces « ramassages ».
Ce n’est qu’après que le sénateur communiste Pierre Laurent et le député communiste Jean-Jacques Candelier ont posé la question au ministre de l’intérieur, début juillet 2013, que le rapport type a été retiré de la circulation. « Du jour au lendemain, les ramassages ont stoppé, puis ça a repris fin 2013 mais dans une bien moindre mesure », indique Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT police de Paris. Sollicité par le syndicat de la magistrature le 1er août 2013, le procureur de la République adjoint de Paris s’est contenté de répondre dans une très courte lettre du 17 janvier 2014 (six mois plus tard !) que « le modèle de rapport contesté n’est plus actuellement utilisé par les fonctionnaires de police ».
Dans ses réponses écrites aux deux parlementaires, publiées début 2014, le ministère de l’intérieur justifie ces contrôles au faciès par la « recrudescence du phénomène des vols à la tire ». « Au cours du premier semestre de l'année 2013, 1 662 personnes ont été mises en cause dans des procédures judiciaires de vols à la tire traitées par le département d'investigations judiciaires de la sous-direction régionale de la police des transports, expose le ministère. Parmi elles, plus de 1 000 étaient originaires d'Europe centrale, dont 80,7 % étaient ou se prétendaient mineures. » D’autres chiffres sont avancés : « Les mineurs originaires des pays de l'Est constituent, suivant les semaines, de 45 à 65 % des personnes interpellées et placées en garde à vue pour ce type de délinquance. En juillet 2013, un taux supérieur à 90 % a même été enregistré au cours d'une seule semaine. » Avant d’assurer, contre toute évidence, que la « recherche de ces auteurs » se fait « sans discrimination ».
Tout n’est bien sûr pas à jeter. « Les policiers parisiens effectuent un travail d’identification intéressant avec l’aide des officiers de liaison roumains, et plus récemment d’un officier de liaison de Bosnie, ce qui permet de remonter jusqu’aux têtes des réseaux qui exploitent ces jeunes filles », remarque Olivier Peyroux. Mais cette réponse pénale est, à ses yeux, loin d’être suffisante, même lorsque la justice, à l’issue de cinq ans de travail, réussit à démanteler un réseau criminel.
Le 15 mai 2013, le tribunal correctionnel de Paris a ainsi condamné plusieurs membres du réseau Hamidovic, la plupart originaires de Bosnie-Herzégovine, pour avoir contraint des jeunes filles à voler dans le métro parisien. Poursuivi pour « traite des êtres humains », leur chef a écopé de sept ans d'emprisonnement ferme. « Le même jour, à deux pas du tribunal, à Châtelet, on voyait des gamins qui fonctionnaient sur le même mode opératoire », assure Guillaume Lardanchet, directeur de l’association Hors la rue qui, depuis huit ans, aide les mineurs étrangers isolés. Pour lui, « le meilleur outil de destruction de ces pratiques, c’est la protection des mineurs, qui permettra de couper l’herbe sous le pied des réseaux ».
« Il y a une schizophrénie à dire d’un côté que ces jeunes sont exploités et, de l’autre, à les traiter uniquement comme des délinquants, avec des contrôles au faciès, sans leur donner la protection (à laquelle) ils auraient droit », souligne le chercheur Olivier Peyroux. Qui rappelle que le gouvernement socialiste avait, selon une directive européenne, jusqu’au 6 avril 2013 pour mettre en place un plan de lutte contre la traite des êtres humains…
BOITE NOIREContactée jeudi midi, la préfecture de police de Paris ne nous a pas encore répondu.
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