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Besancenot: «Valls, c'est Ayrault, l'autoritarisme en prime»

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Au lendemain de la nomination du nouveau gouvernement de Manuel Valls, et à la veille de la marche « anti-austérité » du 12 avril à Paris, Olivier Besancenot conteste avec ardeur le « social-libéralisme de caserne » du pouvoir, à l’occasion d’un entretien avec Mediapart pour l’émission Objections.

Pour l'ancien candidat anticapitaliste à la présidentielle (en 2002 et 2007), Manuel Valls « incarne la stigmatisation des Roms », dont il remarque qu'ils sont la seule communauté qu'il n'a pas évoquée lors de son discours de politique générale. Cinq ans après avoir débattu en face-à-face avec le nouveau locataire de Matignon (c'était pour le NouvelObs.com), il le juge d'ores et déjà comme « un accélérateur de précarité » et un « fossoyeur de la sécurité sociale ». Interrogé sur son adhésion au combat de Jean-Luc Mélenchon pour « une majorité alternative », ainsi que sur la victoire municipale EELV/PG à Grenoble, à laquelle le NPA n'a pas participé, il estime qu'« une gauche de rechange dans le système actuel et la crise majeure de représentation, ça ne suffira pas »

Besancenot s'élève contre le « calcul des socialistes à chaque fois qu'ils arrivent aux affaires, jouant sur le sentiment de culpabilité » de l'électorat de gauche. Et il ne voit pas « pourquoi ne pas réserver à un gouvernement socialiste aujourd'hui le même sort qu'à un gouvernement de droite ? ». Enfin, face au « grand vernis du dialogue social », qui agirait sur les classes laborieuses comme le serpent Kaa dans le Livre de la jungle (« Aie confiaaaaaaaance, crois en moi »), il appelle à se poser la « question de la grève générale », dont l'absence explique à ses yeux « la défaite politique majeure » que fut la mobilisation contre la réforme des retraites en 2010, dont le mouvement social ne s'est « toujours pas remis ».

En attendant, après la fin de non-recevoir du Front de gauche à sa proposition de listes communes aux prochaines élections européennes, il annonce que le NPA sera présent dans « au moins cinq eurorégions sur sept », et que lui-même sera sans doute candidat en Île-de-France (« on décidera la semaine prochaine »).

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La Parisienne Libérée chante les pactes de responsabilité et de solidarité

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[en cas de problème d'affichage : dailymotion / youtube / vimeo ]

Pour tenter de rendre acceptables les orientations néolibérales du pacte de responsabilité, le gouvernement a cru bon de mettre en vis-à-vis de ces réformes un pseudo « pacte de solidarité ». Mais quand on regarde le détail des mesures envisagées, on voit bien que cette apparente symétrie est un pur effet de communication, et que la balance pèse lourdement du côté des mesures austéritaires.

DON JUAN
Dans une célèbre scène du Dom Juan de Molière (acte II scène 4), le séducteur promet le mariage à deux demoiselles simultanément. Situées de part et d'autre de Don Juan, les jeunes femmes reçoivent ses promesses le cœur ravi, l'une et l'autre persuadées d'être l'élue, mais inquiètes tout de même de la présence d'une concurrente. Sommé de s'expliquer, Don Juan fait alors une tirade assez « hollandaise », dans laquelle l'ambiguïté atteint des sommets...

LE PACTE DE DON JUAN

Paroles et musique : la Parisienne Libérée

SOLIDARITÉ (à Responsabilité) – Quel est le nom de cette coquette ?
RESPONSABILITÉ (à Solidarité) – Responsabilité. Et celui de cette pauvrette ?
SOLIDARITÉ (à Responsabilité) – Solidarité

SOLIDARITÉ et RESPONSABILITÉ – Enchantée

SOLIDARITÉ (à Don Juan) – Mais enfin qui est-elle ?
DON JUAN (à Solidarité) – N'y fais pas attention
RESPONSABILITÉ (à Don Juan) – Je vaux quand même mieux qu'elle
DON JUAN (à Responsabilité) – Oui, sans hésitation

SOLIDARITÉ et RESPONSABILITÉ – Oui, sans hésitation

SOLIDARITÉ et RESPONSABILITÉ (à Don Juan)
Don Juan, Don Juan

M'aimes-tu vraiment ?
Don Juan, Don Juan

Parle librement

Don Juan, Don Juan

M'aimes-tu vraiment ?
Don Juan, Don Juan

Parle sincèrement

DON JUAN (à Responsabilité)
Du côté de la trajectoire
Je tiendrai mes engagements
Voilà déjà cinquante milliards
Prends ça comme un serment

DON JUAN (à Solidarité)
Pas question de t'abandonner
En période de chômage
Si je t'inflige un différé
Prends ça comme un hommage

DON JUAN (à Responsabilité)
Une baisse de cotisations
Trente milliards pour les patrons


DON JUAN (à Solidarité)
Cinq milliards pour tes achats

Tu vois, je ne pense qu'à toi

RESPONSABILITÉ (à Don Juan) – Tu sais réjouir mon cœur
DON JUAN (à Responsabilité) – Allons, ne crains plus rien
SOLIDARITÉ (à Don Juan) – C'est tout à ton honneur
DON JUAN (à Solidarité) – Je fais ça pour ton bien
RESPONSABILITÉ (à Don Juan) – Que lui as-tu promis ?
DON JUAN (à Responsabilité) – Mais rien, bien entendu
SOLIDARITÉ (à Don Juan) – Et elle, qu'est-ce qu'elle en dit ?
DON JUAN (à Solidarité) – Je crois qu'elle est déçue
SOLIDARITÉ et RESPONSABILITÉ – Je crois qu'elle est déçue

SOLIDARITÉ et RESPONSABILITÉ (à Don Juan)
Don Juan, Don Juan

M'aimes-tu vraiment ?
Don Juan, Don Juan

Parle librement

Don Juan, Don Juan

M'aimes-tu vraiment ?
Don Juan, Don Juan

Parle sincèrement

DON JUAN (à Responsabilité)
Tu verras comme ça sera bon
Une petite simplification
Tu verras comme ça soulage
Un bon allégement de charges


DON JUAN (à Solidarité)
Le soir à la belle étoile
Je te ferai découvrir
Les joies du dialogue social
Et bien d'autres plaisirs...

DON JUAN (à Responsabilité)
Dix milliards d'économies
Sur l'assurance maladie


DON JUAN (à Solidarité)
Enfin de quoi as-tu peur

Je t'ai donné mon cœur ?

RESPONSABILITÉ (à Don Juan) – Dis-lui de nous laisser
DON JUAN (à Responsabilité) – Patience, cela viendra
SOLIDARITÉ (à Don Juan) – Et si tu me mentais ?
DON JUAN (à Solidarité) – Que vas-tu chercher là ? (bis)

SOLIDARITÉ et RESPONSABILITÉ
Don Juan, Don Juan

M'aimes-tu vraiment ?
Don Juan, Don Juan

Parle librement

Don Juan, Don Juan

M'aimes-tu vraiment ?
Don Juan, Don Juan

Parle sincèrement

DON JUAN (Molière, acte II scène 4)
Que voulez-vous que je dise ? (…) Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu’il soit nécessaire que je m’explique davantage ? Pourquoi m’obliger là-dessus à des redites ? Celle à qui j’ai promis effectivement n’a-t-elle pas en elle-même de quoi se moquer des discours de l’autre, et doit-elle se mettre en peine, pourvu que j’accomplisse ma promesse ?

RESPONSABILITÉ (à Don Juan) – Tu devrais la prévenir
DON JUAN (à Responsabilité) – Ça ne servirait à rien
SOLIDARITÉ (à Don Juan) – Il faudrait en finir...

DON JUAN (à Solidarité)
Nous verrons cela demain
Car le devoir m'appelle
Je m'en vais à Bruxelles.

RESPONSABILITÉ et SOLIDARITÉ
Oui le devoir l'appelle
Faut qu'il aille à Bruxelles !

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Européennes: un collectif de féministes prépare des listes

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C'est un signe de plus de l'exaspération d'une partie des militants socialistes. Engagée depuis treize ans au PS, Caroline De Haas, cofondatrice d'Osez le féminisme, longtemps proche de Benoît Hamon et ex-collaboratrice de cabinet auprès de Najat Vallaud-Belkacem, a décidé de quitter son parti. « La liste de nos renoncements est si longue ces derniers mois que cela donne le tournis », explique-t-elle dans une lettre au premier secrétaire publiée dans Mediapart (lire ici). Avant de conclure : « Je vais donc aller construire la gauche ailleurs et participer comme je peux à préparer une alternative au chemin politique que vous avez décidé d’emprunter. »

Le 2 avril dernier, une réunion a en effet rassemblé 160 féministes à Paris : elles envisagent de se lancer dans la bataille des européennes en présentant leurs propres listes. Figurent parmi le noyau dur des organisatrices les signataires d'une tribune (à lire ici) appelant à mettre les droits des femmes « à l’agenda politique européen ».

On y retrouve Caroline De Haas, Martine Storti, présidente de Féminisme et géopolitique, Françoise Picq, de l'association nationale des études féministes, Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de garde, plusieurs militantes d'Osez le féminisme comme Magali De Haas ou Anne-Cécile Mailfert, Monique Dental, du réseau Ruptures, Françoise Morvan, de la Coordination française pour le lobby européen des femmes, Marie-Christine Lecomte, vice-présidente de Libres MarianneS et la présidente de Femmes Solidaires Sabine Salmon.

Dans leur texte, publié mi-mars, elles dénonçaient le rejet par le parlement européen d'un rapport sur l'égalité femmes-hommes. « Ce rejet n’est pas un épisode isolé, il s’inscrit dans une série de reculs et de remises en cause des droits des femmes en Europe », expliquent-elles.

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Areva : la justice enquête sur le dossier UraMin

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Plus de trois ans après que l’affaire a émergé, la Cour des comptes vient de se rendre compte que l’opération UraMin, réalisée par Areva à l’été 2007, cachait peut-être un vrai scandale. Selon Le Monde, la Cour des comptes, qui menait une enquête approfondie sur Areva, a décidé de faire un signalement auprès du parquet national financier, le 20 février, dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale. Une enquête a été ouverte par la brigade financière. Elle vise la « présentation ou publication de comptes inexacts ou infidèles », la « diffusion d'informations fausses ou trompeuses », les « faux et usage de faux ».

Lors de ses investigations, la Cour des comptes se serait notamment interrogée sur les conditions d’achat d’UraMin et son prix exorbitant à l’été 2007. Elle se demande aussi pourquoi la direction d’Areva n’a inscrit la perte de cet achat que très tardivement dans ses comptes, début 2012, une fois qu’Anne Lauvergeon avait quitté la présidence du groupe. Elle est aujourd’hui conseillère sur l’innovation auprès du gouvernement et siège aux conseils d’Airbus, Rio Tinto, American Express, Vodafone. Elle a quitté fin février le conseil de surveillance de Libération.

2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) sont partis en fumée dans le rachat de cette société minière canadienne, censée avoir les droits d’exploitation sur  trois gisements d’uranium – un en Afrique du Sud, un en Namibie, un en Centrafrique –, qui se sont tous révélés inexploitables, soit en raison de la faible teneur en minerai, soit en raison de l’éloignement (Mediapart a publié une très longue enquête sur cette affaire. Les articles sont signalés en bas de page).

Cette société minière avait été rachetée en pleine spéculation sur les marchés des matières premières. Areva, cherchant alors à agrandir ses réserves d’uranium, avait jeté son dévolu sur cette société qui avait moins d’un an d’existence. Plus surprenant, rompant avec toutes les règles et les usages sur les marchés financiers, Areva avait fait connaître publiquement son intérêt pour cette société. Résultat ? Une spéculation effrénée s’était emparée du titre. En six mois, la valeur de la société était passée de 400 millions à 2,5 milliards de dollars. Les derniers jours avant la conclusion du rachat, le titre fit l’objet de négociations effrénées. Les volumes furent sans précédent : mille fois supérieurs à la normale. Le délit d’initiés paraît évident. Mais la bourse de Toronto, particulièrement laxiste sur ces sujets, n’a jamais ouvert d’enquête réelle.

Comment Anne Lauvergeon, ancienne associée gérante de Lazard, donc particulièrement avertie des pratiques et des fraudes boursières, n’a-t-elle pas vu des mouvements aussi suspects sur le marché ? Pourquoi a-t-elle tenu à réaliser à toute force cette opération, au point d’arracher l’autorisation de la mener auprès de Bruno Bezard, alors directeur de l’agence des participations de l’État en pleine élection présidentielle, en vacance du pouvoir ?

La suite sera tout aussi calamiteuse. Car ce rachat éclair a été réalisé sans expertise géologique sérieuse. Les gisements censés être mirifiques se révèlent sans qualité. Pendant trois ans, la direction d’Areva s’est évertuée à cacher sa faute. Près de deux milliards d’euros supplémentaires seront engagés par le groupe pour faire des expertises, de premières installations. Une usine de dessalement d’eau pour un coût de 250 millions d’euros sera même construite sur le site Trekkopje en Namibie. Elle n’a jamais fonctionné.

Au départ d’Anne Lauvergeon, son successeur Luc Oursel est passé aux aveux : la valeur des gisements d’UraMin est ramenée à zéro, soit une perte de 1,8 milliard d’euros pour le groupe. Les mines sont gelées et beaucoup doutent qu’elles soient jamais exploitées. La teneur trop faible en minerai et les coûts d’exploitation trop élevés ne permettent pas d’assurer une viabilité économique, même si le cours de l’uranium s’envole.

Cette affaire UraMin a profondément secoué Areva. La direction s’est déchirée, se soupçonnant d’espionnages réciproques, de malversations. Le rôle trouble de certains intermédiaires et de certains cadres du groupe a été mis en lumière. On découvrira aussi qu’une des administratrices indépendantes d’Areva, Guylaine Saucier, siégeait en même temps au conseil de la banque BMO, très proche de Paul Desmarais. Et cette banque justement conseillait les vendeurs d’UraMin. L’administratrice dira ne pas avoir été au courant de cette transaction. Attaquée sur ce dossier, Anne Lauvergeon a chaque fois crié au complot, sans jamais réellement s’expliquer.

Un rapport d’enquête parlementaire, rédigé sous la haute surveillance de Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a été rendu en mars 2012. Celui-ci pointait les carences d’Areva et de l’APE mais les dédouanait de toute faute. L'acquisition d'UraMin s'est révélée être « un pari industriel, non illégitime pour Areva, mais trop coûteux au regard de l'aléa qu'il comportait et de la capacité de l'entreprise à y faire face », concluait-il. « J’ai été blanchie », s’était félicitée alors l’ancienne présidente d’Areva.

L’affaire, cependant, continue d’intriguer. En août 2012, un journal sud-africain, Mail & Guardian, donnait une nouvelle version de l’histoire, au terme d’une longue enquête. Le journal y affirmait, à partir de nombreux témoignages, qu’Areva avait sciemment surpayé UraMin, en vue de s’acheter les faveurs de la présidence sud-africaine, qui souhaitait alors développer le nucléaire, pour y placer ses EPR. De nombreux « consultants », partenaires commerciaux, associés, dirigeants d'UraMin étaient des proches, à un titre ou à un autre, de Thabo Mbeki, président de l’Afrique du Sud à l'époque.

« Le deal était qu'Areva achète UraMin et gagne en retour l'appel d'offres. Areva payait trop cher UraMin – qui valait la moitié. Mais le groupe français allait décrocher des contrats pour des réacteurs et une usine d'enrichissement, pour une valeur dix fois supérieure », expliquait un « consultant d'UraMin » au quotidien sud-africain.

L’enquête de Mail & Guardian n’a donné lieu à aucun commentaire chez Areva. On s’est empressé de l’oublier.

Si les faits rapportés par le journal sud-africain sont un jour confirmés, l’affaire aura tourné au double fiasco pour Areva. Non seulement les mines étaient sans valeur, mais Areva a perdu aussi son pari sur Thabo Mbeki. À la suite de querelles internes à l’ANC, il a été renversé lors de la présidence en 2008. Deux mois plus tard, le gouvernement sud-africain annonçait qu’il renonçait à son ambitieux programme nucléaire. Entre-temps, les millions, eux, se sont envolés.

De temps à autre, le gouvernement sud-africain évoque à nouveau le projet de s’équiper de centrales nucléaires. Mais cela ne se traduit par rien de concret. L’Afrique du Sud reste, toutefois, un pays faisant l’objet d'une grande sollicitude de la part des anciens d’Areva. Serge Lafont, ancien directeur pour l’Afrique du Sud d’Areva, a récemment créé une société de conseil, 4 W Advest. Elle conseille beaucoup, semble-t-il, les milieux nucléaires sud-africains et serait très proche de l’ANC.

  • Retrouvez toutes nos enquêtes sur UraMin :

UraMin : l’autre dossier qu’Areva voudrait oublier

Areva : l’ardoise d’une gestion désastreuse

UraMin ou les deux milliards perdus d’Areva

Areva et le scandale UraMin : poker menteur à Toronto

Areva et le scandale UraMin : l’Etat fantôme

Areva dans le scandale UraMin : Balkany et le retour des Katangais

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Biens mal acquis : l’art de la corruption du vice-président de la Guinée-Equatoriale

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Avoir du beau avec de l’argent sale. L’enquête de deux magistrats anticorruption parisiens a permis d’établir que l’actuel vice-président de la Guinée-Équatoriale, Teodorin Obiang, a acquis ces dernières années pour près de 104 millions de dollars d’œuvres d’art d’exception de la fin du XIXe siècle grâce au pillage des richesses de son pays, selon plusieurs documents obtenus par Mediapart. Chargés de l'affaire dite des « biens mal acquis », les juges d'instruction Roger Le Loire et René Grouman visent à identifier, depuis 2010, les patrimoines illégaux en France de plusieurs chefs d’État africains.

Teodorin Obiang, vice-président de la Guinée-Equatoriale.Teodorin Obiang, vice-président de la Guinée-Equatoriale. © DR

Renoir, Degas, Chagall, Matisse, Monet, Toulouse-Lautrec… C’est un véritable musée privé, à forte dominante impressionniste, qui dormait (avant d'être saisi en février 2012) au 42 de l’avenue Foch, dans les beaux quartiers de Paris, où réside le dignitaire guinéen quand il vient en France. Deuxième personnage de l’État, Teodorin Obiang est le fils du président guinéen en exercice depuis 1979, arrivé au pouvoir après un coup d’État et réélu à chaque “élection” avec plus de 95 % des voix.

Âgé de 45 ans, Teodorin Obiang cumule aujourd’hui les fonctions de ministre de la défense et de la sécurité de l’État, après avoir été celui de l’agriculture, un poste qu’il a utilisé pour faire fortune grâce à l’exploitation du bois, l’une des richesses naturelles guinéennes.

Le travail des policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) a permis de dresser un inventaire précis de treize tableaux de maîtres acquis en 2008 et 2009 par Teodorin Obiang, à la faveur de ventes aux enchères de la maison Christie’s aux quatre coins du monde. En voici le détail, selon les éléments recueillis par Mediapart.

La première vente a eu lieu le 6 mai 2008, à New York. Ce jour-là, Teodorin Obiang achète cinq toiles pour 27 890 000 dollars :

  • Au théâtre, la loge, de Pierre-Auguste Renoir (6 089 000 dollars).
  • Les Trois Danseuses, d’Edgar Degas (4 297 000 dollars).
  • Te Fare Hymenee (La Maison des chants), de Paul Gauguin (8 441 000 dollars).
  • La Danseuse, de Henri Matisse (8 441 000 dollars).
  • La Jeune Femme peignant, de Pierre Bonnard (601 000 dollars).

Grâce aux éléments bancaires transmis par Christie’s, les policiers ont pu constater que les 27 869 000 dollars déboursés ont été versés depuis un compte, ouvert à la banque JP Morgan Chase de New York au nom de la « présidence » de Guinée-Équatoriale. Le virement a transité en France par le groupe Natexis/Banques populaires, comme le montre le bordereau bancaire ci-dessous :

La deuxième vente Christie’s a eu lieu le même jour, le 6 mai 2008, à Paris cette fois-ci. Ce jour-là, il n’est pas question de peinture mais de sculpture. Le vice-président guinéen s’offre deux bronzes de Rodin pour un total de 2,3 millions de dollars, dont le délicat Frère et Sœur, « un témoignage de l’artiste de sa passion pour Camille Claudel », d’après le catalogue de l’hôtel des ventes.

Troisième vente, trois semaines plus tard, à Hong Kong. Là-bas, le fils Obiang acquiert un sublime pendule impérial chinois, de l’époque Qianlong, datant de la fin du XVIIIe siècle, estimé à 4 millions de dollars par un expert mandaté par le vice-président guinéen.

Un mois plus tard, le 24 juin 2008, direction Londres. Deux nouvelles peintures de maître tombent dans la collection Obiang, qui n’apparaît jamais publiquement comme l’acheteur :

  • Trois Danseuses, d’Edgar Degas (8 390 000 dollars).
  • Nu sur fond rouge, de Marc Chagall (1 874 000 dollars).

Le 4 février 2009, Teodorin Obiang fait une nouvelle razzia chez Christie’s à Londres, avec l’achat, pour 16 164 918 dollars, d’une célèbre toile de Claude Monet, Dans la prairie, qui montre sa compagne, Camille Doncieux, lisant, nonchalante, dans les herbes folles :

Mais aussi :

  • L’Abandon, de Toulouse-Lautrec (8 917 398 dollars).
  • Femme aux deux colliers, de Kees Van Dongen (1 911 462 dollars).
  • La Gitane, du même Kees Van Dongen (1 589 350 dollars).

Avril 2009, retour à Paris, pour la fameuse vente de la collection du couturier Saint Laurent par l’homme d’affaires Pierre Bergé. Teodorin Obiang y déboursera, d’après les juges, plus de 18 millions d’euros, réglés par une société forestière baptisée Somagui Forestal, détenue par le même Obiang. Cette société est au cœur du système de détournement de fonds démonté par les magistrats.

Deux anciens ambassadeurs de France en Guinée-Équatoriale, Guy Serieys et Henri Deniaud, ont ainsi indiqué aux juges que l’exploitation et la commercialisation du bois guinéen, l’une des principales richesses nationales avec les hydrocarbures, étaient un monopole que Teodorin Obiang s’était arrogé, via la Somagui, quand il était ministre de l’agriculture.

Les diplomates avaient aussi expliqué qu’il était « de notoriété qu’un taux de commission était imposé par le pouvoir de l’ordre de 20 % » sur chaque transaction, comme Le Monde l'a déjà rapporté. Certains dirigeants d’entreprise, qui ont commercé avec la Somagui, ont par ailleurs précisé dans le cabinet des juges qu’en plus des taxes officielles et des commissions imposées par le régime, il fallait abonder les comptes de la Somagui en espèces au profit du fils du président. « On attend les preuves », réagit aujourd’hui l’avocat de Teodorin Obiang, Me Emmanuel Marsigny, auprès de Mediapart.

L’inventaire policier des tableaux acquis par Obiang fait enfin état de deux autres œuvres, dont l'enquête ne semble toutefois pas avoir permis de connaître l'origine des fonds qui ont permis leur acquisition :

  • Trois Danseuses avant l’exercice, d’Edgar Degas (8 700 000 dollars).
  • Nu à la toilette, de Pierre Bonnard (1 235 000 dollars).

Les sommes déboursées, la beauté des œuvres achetées, le raffinement des coups de pinceau, le parcours des toiles au travers des siècles, tout ce vertige, tissé de millions et d’histoire de l’art, doit être mis en rapport avec l’état réel de la Guinée. Alors que le pays fait partie des trente plus gros producteurs de pétrole au monde – il est le troisième de l’Afrique subsaharienne –, sa population, elle, vit dans le dénuement, privée de ses propres richesses nationales qui sont captées par la corruption du régime au pouvoir.   

François Hollande, en décembre 2013, avec Teodoro Obiang (le père de Teodorin), président de Guinée.François Hollande, en décembre 2013, avec Teodoro Obiang (le père de Teodorin), président de Guinée. © Reuters

« Sur le plan du droit, tout ce qu’a fait mon client est tout à fait légal en Guinée. Il n’y a donc pas d’infraction d’origine. En France, ce serait peut-être différent, mais c’est comme cela », commente pour sa part Me Marsigny.

D’après les juges parisiens, pourtant, il n’en est rien. Et Teodorin Obiang ne s’en cache pas. Entendu par la cour de justice d’Afrique du Sud en 2004, le n° 2 du régime aurait « reconnu qu’il s’agissait d’une pratique somme toute illégale mais de droit coutumier », écrivent les juges sur PV en mars 2014. Un ancien directeur de la Société générale en Guinée, Christian Delmas, a quant à lui expliqué à la justice française que, deux fois par an, le Trésor public guinéen abondait le compte du fils Obiang de plusieurs millions d’euros à chaque fois. Ce que ne dément pas son avocat.

Ainsi, pendant que le vice-président Obiang se vautre dans le luxe – les juges parlent de « dépenses somptuaires » et d’un « train de vie exorbitant » –, près de 80 % de son peuple vit en dessous du seuil de pauvreté, selon les données de la Banque mondiale. Pire : d’après l’ONG Global Witness, 60 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour. En Guinée, l’espérance de vie dépasse douloureusement les 51 ans.

« La Guinée-Équatoriale est la dictature dont personne ne parle », avait confié en 2008 un responsable de Global Witness au Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. En 2010, la revue Stateco, éditée par l’Insee, dressait quant à elle un réquisitoire sans appel sur ce petit pays d’Afrique centrale : « Malgré une croissance rapide grâce à la production d’hydrocarbures, la pauvreté augmente et les conditions de vie de la majorité de la population se dégradent (…). Il s’agit d’une croissance sans développement. »

Les dépenses extravagantes de Teodorin Obiang, elles, ne cessent de croître et de se développer. En dehors des tableaux de maître qu’il aime s’offrir, son goût du luxe a de quoi donner la nausée. Ainsi, les policiers ont pu établir que le vice-président guinéen a dépensé pour 9,5 millions d’euros chez l’antiquaire parisien Jean Lupu. Sans compter les 11 millions d’euros de montres laissés chez Dubail Bijouterie, place Vendôme, à deux pas… du ministère de la justice.  

Entre 2004 et 2007, Teodorin Obiang a aussi réglé des séjours à l’hôtel Le Crillon en espèces pour 587 833 euros, puis, à partir de 2007, par virements de la Somagui et d’une autre société du même acabit, la Socage, pour 510 739 euros. Les bonnes choses se boivent également : 250 000 euros de bouteilles de romanée-conti ont été achetées en France par la Somagui, d’après les juges.

La Somagui est décidément partout. C’est elle encore qui a payé pour 5 millions d’euros neuf des dix-huit voitures de collection (Bentley, Maserati, Rolls Royce, Bugatti…) dont raffole Obiang Junior. Selon les juges, « il ne peut s’agir en aucun cas de véhicules officiels utilisés par le personnel de l’ambassade de Guinée-Équatoriale », comme cela a pu être évoqué un temps.  

Ce n’est pas tout. L’enquête a également établi, documents et témoignages à l’appui, que Teodorin Obiang était bien le propriétaire de l’immeuble du 42, avenue Foch, à Paris, via une succession de sociétés domiciliées en Suisse. Le triplex du vice-président guinéen, qui compte 101 pièces, d’après les juges, a été estimé en mai 2012 par la Direction régionale des finances publiques à 107 millions d’euros.

Or, « la perquisition a permis de constater qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un bâtiment officiel, mais que les 101 pièces constituant votre triplex étaient exclusivement d’ordre privé », écrivent les juges dans l'interrogatoire écrit adressé le mois dernier à Obiang, contredisant une position défendue par la Guinée-Équatoriale. « M. Obiang ne s’est jamais caché ! Il a tout déclaré au fisc français », s’étrangle son avocat. 

De cet immeuble au cœur de l'enquête, Françoise M. (que Mediapart n'a pu joindre) connaissait tout. Elle en fut la gouvernante de décembre 2008 à juillet 2009, après avoir travaillé pour la maison Bettencourt. En juin 2012, son audition a permis aux enquêteurs de plonger dans le quotidien d’une débauche hors normes. Teodorin Obiang devait être appelé « mon excellence » et, a-t-elle raconté aux policiers, « il ne fonctionnait qu’avec des espèces ». « Je ne lui ai jamais vu un chéquier ni une carte bleue », a-t-elle précisé.

Une anecdote résume tout le personnage, d’après elle. Au printemps 2009, Dior réclamait avec insistance 53 000 euros d’impayés. Son excellence, pressée par sa gouvernante de régler la facture, n’avait pas que cela à faire : il devait partir au Brésil. Il a donc emmené sa gouvernante dans son jet privé, à bord duquel, en plein vol, un comptable lui a remis 70 000 euros en coupures de 200 et 500 euros ; que des billets neufs. La gouvernante ne posera pas les pieds au Brésil. « J’ai juste fait l’aller-retour », a-t-elle expliqué sobrement aux enquêteurs. L'argent remis permettra de régler Dior, de retour à Paris.

Finalement mis en examen pour « blanchiment », Teodorin Obiang a refusé de répondre aux questions des juges Le Loire et Grouman, le 18 mars 2014, lors d’une audition en visioconférence. Il a brandi une immunité présidentielle comme un totem : « Deuxième vice-président de la république de Guinée-Équatoriale en charge de la défense et de la sécurité de l’État depuis le 21 mai 2012, je bénéficie, en cette qualité, et selon la coutume internationale, d’une immunité de juridiction totale devant les juridictions étrangères civiles et pénales pendant le temps de l’exercice de mes fonctions. »

« Le gouvernement de la république de Guinée-Équatoriale n’ayant pas levé cette immunité ou renoncé à cette immunité, il m’est par conséquent impossible de répondre à quelque question que ce soit », a-t-il ajouté. Pour son avocat à Paris, Teodorin Obiang doit profiter d’une immunité de fonction comme n’importe quel chef d’État dans le monde. Ce serait en effet dommage de s’en priver.

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Au mépris de la Sécurité sociale

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Des immenses cadeaux que Manuel Valls entend faire aux entreprises, sur instruction de François Hollande, on sait désormais tout. Il les a détaillés mardi lors de sa déclaration de politique générale. De même que l'on sait tout de la mesure en forme de tour de bonneteau qu’il entend prendre, soi-disant pour augmenter le pouvoir d’achat des salariés. En bref, tout est transparent, puisque le nouveau premier ministre a présenté par le menu la politique économique et sociale qu’il entend suivre, et que la presse s’en est fait largement l’écho (lire Économie : la politique néolibérale est confirmée).

Et pourtant, non ! Il y a une chose qui est passée totalement inaperçue et qui est pourtant de première importance : en plus de ces vrais cadeaux aux entreprises et de ce faux geste de soutien au pouvoir d’achat des salariés, Manuel Valls s’apprête aussi à donner de nouveaux et inquiétants coups de boutoir dans la Sécurité sociale, qui est l’un des piliers majeurs du modèle social français. De nouveaux coups de boutoir qui vont encore accroître les lézardes apparaissant dans l’institution, jusqu’au jour où elle finira par tomber en ruines, sous les applaudissements des géants de l’assurance privée.

Au premier examen, on pourrait, certes, penser que ce constat relève de la caricature. Car Manuel Valls a précisément défendu l’idée contraire. Détaillant les mesures du « pacte de confiance », puis du « pacte de solidarité » et enfin du plan d’austérité de 50 milliards d’euros, il a en effet bien pris soin de préciser le numéro d’équilibriste auquel il voulait se livrer : « Bien sûr, il faut redresser nos comptes publics, mais sans casser notre modèle social et nos services publics, sinon les Français ne l’accepteraient pas. » En clair, on pourrait donc faire grief au nouveau premier ministre de conduire une politique néolibérale, sur fond d’austérité renforcée, mais il semble inutile de forcer le trait en lui reprochant aussi de vouloir s’en prendre à la « Sécu », à laquelle les Français sont si attachés. À trop vouloir convaincre…

Il ne faut, cependant, pas se fier à ses déclarations de bonnes intentions. Et mieux vaut vérifier, dans le détail des mesures concrètes qui ont été révélées, si ces belles paroles seront suivies d’effets.

D’abord, il y a un premier constat qui saute aux yeux : les dispositifs de Manuel Valls vont contribuer à creuser encore un peu plus les déficits abyssaux de la Sécurité sociale, ou alors à couper le lien qui existe entre elle et les assurés sociaux qui contribuent à son financement.

Reprenons en effet le détail des mesures qui concernent la Sécurité sociale. On sait ainsi que parmi celles du « pacte de responsabilité », qui porteront à 30 milliards d’euros le montant total des allègements fiscaux et sociaux, figure une première disposition : au niveau du Smic, toutes les cotisations sociales, de quelque nature que ce soit, seront supprimées ; et le montant des cotisations sociales employeurs jusqu’à 1,6 fois le Smic sera reprofilé en conséquence, pour un coût total de 4,5 milliards d’euros.

Deuxième disposition : pour les salaires jusqu’à 3 fois et demi le Smic, c’est-à-dire plus de 90 % des salariés, les cotisations famille à la charge des employeurs seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016, pour un coût total de 4,5 milliards d’euros également.

Troisième mesure : les travailleurs indépendants et artisans bénéficieront d’une baisse de plus de trois points de leurs cotisations famille dès 2015, soit encore 1 milliard d’euros en plus.

Et enfin, quatrième mesure, mais cette fois au titre du « pacte de solidarité » : dès le 1er janvier 2015, les cotisations sociales des salariés modestes seront diminuées pour les salaires au niveau du Smic, afin de procurer 500 euros par an de salaire net supplémentaire. Ce gain sera dégressif entre le Smic et 1,3 fois le Smic. Par ailleurs, le gouvernement proposera d’alléger la fiscalité pesant sur les ménages modestes, en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l’impôt sur le revenu ces dernières années alors même que leur situation ne s’était pas améliorée. L’ensemble de ces dernières mesures représentera 5 milliards d’euros à l’horizon 2017.

C’est donc un plan massif d’allègement de cotisations sociales que prévoit le nouveau gouvernement, même si la présentation de Manuel Valls ne permet pas d’en établir le décompte exact. Sans doute peut-on penser que d’ici à 2016, cela équivaudra à des allègements de 12 à 13 milliards d’euros de cotisations sociales (employeurs pour l’essentiel, salariés pour une part modeste) et 2 à 3 milliards de baisses d’impôt.

Or, qui financera ces sommes considérables ? Si la question prend un si fort relief, c’est que la Sécurité sociale est sortie ébranlée de cette interminable crise financière et sociale dans laquelle nous sommes entrés depuis 2007. Certes, la « Sécu » ne connaît plus les déficits historiques, proches de 30 milliards d’euros l’an, qu’elle a affichés au plus fort des turbulences. Mais les déficits sont encore gravissimes.

Il suffit, pour en prendre la mesure, de se référer aux chiffres les plus récents, ceux qui figuraient dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, et que l’on peut consulter ci-dessous :

De -13,3 milliards d’euros en 2012, puis à nouveau -13,3 milliards d’euros en 2013, les déficit de la Sécurité sociale, toutes branches confondues, devraient encore atteindre -9,6 milliards d’euros en 2014, si les prévisions se révèlent exactes – ce qui est rarement le cas, car le gouvernement voit naturellement toujours l’avenir en rose ! En clair, le gouvernement prévoit des mesures d’allégement de cotisations d’un montant… quasi identique aux niveaux actuels des déficits.

L’énormité de ces chiffres invite donc à formuler deux hypothèses. La première, c’est que Manuel Valls a fait une présentation mensongère ou biaisée de certaines dispositions, et que celles-ci ont en fait une face cachée. C’est par exemple sans doute le cas de la suppression des cotisations salariés, qui sont censées redonner du pouvoir d’achat puisque la mesure, profitant aux salariés modestes, pourrait être financée par une suppression totale ou partielle de la prime pour l’emploi, qui profite aussi… à des salariés modestes ! En clair, ce pourrait être un pur jeu de bonneteau, le gouvernement donnant d'une main ce qu'il va reprendre de l'autre.

Mais dans le cas de la suppression totale des cotisations sociales au niveau du Smic, pour un coût de 4,5 milliards d’euros, aucun financement n’est pour l’instant trouvé. « Cela ne pénalisera en rien le financement de la politique familiale, qui se verra affecter d’autres recettes pérennes », s’est borné à dire Manuel Valls, sans autre précision. La mesure de 1 milliard d’euros pour les travailleurs indépendants et artisans n’est pas plus financée.

Du même coup, on devine par avance les conséquences que pourra avoir le creusement des déficits sociaux du fait de ces cadeaux sans précédent. Les libéraux de tout poil pourront entonner la perpétuelle ritournelle : ces déficits ne sont-ils pas la preuve que la France vit au-dessus de ses moyens ? Hardi petit ! Il n'y aurait donc qu'une solution : tailler sans cesse dans ces dépenses sociales ! Faire payer aux assurés sociaux les baisses de cotisations offertes aux entreprises ! Organiser, en somme, un immense transfert financier des ménages vers les entreprises. Et c'est bien ce que Manuel Valls a planifié puisque, en parallèle aux 30 milliards d'euros offerts aux entreprises, un plan d'austérité de 50 milliards d'euros sera engagé sur trois ans, dont la protection sociale sera la première victime. Rappelons-nous en effet ce qu'a annoncé Manuel Valls : « Je vous propose un changement de rythme pour éviter tout recours à l’impôt et financer le redressement de notre économie : 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans de 2015 à 2017. L’effort sera partagé par tous. L’État et ses agences en prendront la plus grande part, 19 milliards d’euros. 10 milliards proviendront de l’assurance maladie et 10 milliards supplémentaires des collectivités locales. Le reste viendra d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure lisibilité de notre système de prestations. »

Traduction: 10 milliards d'économies seront prélevées sur l'assurance maladie et 11 milliards – formule aussi elliptique qu'inquiétante – sur « notre système de prestations ». Autrement dit, la Sécurité sociale financera plus des deux tiers des 30 milliards d'euros offerts aux entreprises, au travers de mesures d'austérité dont les assurés sociaux feront, d'une façon ou d'une autre, les frais. Ce qui risque fort de contribuer à l'inquiétante progression de ce que les experts appellent le «reste à charge », c'est-à-dire ce qui n'est remboursé ni par la Sécu ni par les mutuelles. Pour la plus grande satisfaction des assureurs privés qui profitent sans cesse davantage de la contraction des systèmes de protection sociale obligatoires...

Alors, comment les dirigeants socialistes peuvent-ils faire preuve d’une telle désinvolture envers la Sécurité sociale, au moment précis où elle se trouve dans une situation financière qui a rarement été aussi dégradée ? La question renvoie à un constat qui est en fait beaucoup plus grave : c’est la légitimité même de l’impôt ou des cotisations sociales que la politique économique néolibérale remet en cause.

Ce constat, c’est celui qu’a récemment dressé au travers d’un entretien avec Mediapart la sociologue Colette Bec (lire « Ce dont souffre la Sécurité sociale, c’est d’un manque de légitimité politique »), qui montrait le grand danger qu’il y avait à réduire cette institution de la démocratie sociale à un enjeu chiffré et dépolitisé. Or, ce constat est de première importance ; et, au lendemain de la déclaration de politique générale du premier ministre, il mérite que l’on s’y arrête.

Si l’on se souvient des débats socialistes d’avant la présidentielle, il était clair que beaucoup disaient avoir tiré le bilan des outrances libérales des époques précédentes et voulaient en finir avec la politique de baisse des impôts ou des cotisations sociales à marche forcée. Critiquant implicitement la baisse de l’impôt sur le revenu organisée par Laurent Fabius en 2000, du temps où il était ministre des finances, de nombreux socialistes ont ainsi défendu l’idée qu’il fallait faire marche arrière et réhabiliter l’impôt.

Cette idée de bon sens, selon laquelle l’impôt est au cœur du pacte républicain, a donc de nouveau prospéré au lendemain de la défaite de la gauche en 2002. Et beaucoup de socialistes ont plaidé en faveur de cette réhabilitation. Témoin, ce billet de blog sur Alternatives économiques du socialiste Pierre-Alain Muet, en décembre 2005, précisément titré : « Réhabiliter l’impôt ». Autre indice que cette idée était alors très en vogue, Martine Aubry écrit à la même époque un livre dont l’un des chapitres est intitulé « Vive l’impôt ! ».

Et ce projet de réhabilitation de l’impôt a eu les prolongements spectaculaires que l’on sait : c’est pour lui donner corps que le parti socialiste a consigné dans son projet, au printemps 2011, l’idée d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, dans le but de refonder un grand impôt citoyen et progressif – idée que François Hollande a, lui-même, reprise dans ses 60 propositions pour la présidentielle.

Dans ce nouveau climat, beaucoup de syndicalistes attachés aux valeurs fondatrices de la Sécurité sociale ont alors repris espoir, pensant que les prélèvements sociaux effectués pour financer la Sécurité sociale profiteraient de la même réhabilitation. Car dans la tradition ancienne du mouvement syndical, les cotisations sociales ne sont pas des « charges » – le vocable est d’inspiration patronale – mais des « salaires différés » qui viennent protéger les salariés, en matière de santé, d’accident du travail ou pour la retraite.

Or, c’est en quelque sorte ce vieux débat doctrinal entre « charges sociales » ou « salaires différés » qui rebondit aujourd’hui. Le très vieux débat sur la légitimité politique et sociale de l’impôt ou des cotisations sociales…

Car sitôt élu, François Hollande a tourné casaque. Non seulement il a enterré le projet d’une « révolution fiscale » passant par une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, mais de surcroît, il a changé de politique et annoncé qu’il reviendrait dès qu’il le pourrait à la politique libérale de baisse des impôts conduite par la droite. L’ex-ministre des finances, Pierre Moscovici, a même soufflé sur les braises du populisme antifiscal en disant qu’il comprenait le « ras-le-bol fiscal ».

Or, c’est dans cette même logique néolibérale que s’inscrit Manuel Valls, tournant le dos à la nécessaire réhabilitation de l’impôt, et reprenant à son compte des formules proches du « ras-le-bol » de Pierre Moscovici : « Et puis il y a aussi cette exaspération quand, à la feuille de paie déjà trop faible, s’ajoute la feuille d’impôt trop lourde », a-t-il ainsi déclamé mardi devant les députés.

Et voilà que ce discrédit que les dignitaires socialistes font peser sur l’impôt, ils l’élargissent désormais aux cotisations sociales. C’est cela, la grave nouveauté de la déclaration de politique générale de Manuel Valls : implicitement, le premier ministre a, à son tour, fait valoir que les cotisations n’avaient pas de réelle légitimité et qu’il fallait, autant qu’il était possible, les alléger. Vieille ritournelle néolibérale ! Les charges sociales brident l’initiative et étouffent l'économie…

Opérant cette spectaculaire conversion doctrinale, Manuel Valls a donc pris un risque majeur, notamment en décidant de supprimer l’intégralité des cotisations sociales au niveau du Smic : de la sorte, il va créer une gigantesque trappe à bas salaires, invitant les employeurs à n’embaucher qu’aux niveaux de rémunération les plus faibles possibles. Phénomène récent et massif en France, les travailleurs pauvres risquent donc d’être de plus en plus nombreux…

Mais au-delà des effets massivement pervers que risque d’avoir cette disposition, c’est surtout la justification même de la Sécurité sociale qui est ébranlée.

Or, on le sait, la Sécurité sociale fait l’objet de très fortes convoitises. De longue date, le patronat rêve de la démembrer et de la livrer aux appétits féroces des assureurs privés (lire Le plan secret du Medef pour dynamiter la Sécu et Vers une privatisation de la Sécurité sociale). Et la Commission européenne pousse vivement à la roue (lire Bruxelles veut ouvrir la Sécurité sociale au privé). C’est donc dans ce même sens que pousse désormais Manuel Valls.

Sombre époque ! Qu’il est loin le temps où, dans les turbulences de la fin de la guerre, des délégués de tous les pays alliés signaient, le 10 mai 1944, une déclaration connue sous le nom de déclaration de Philadelphie, et qui allait jeter les bases de l'Organisation internationale du travail (lire Justice sociale : le manifeste de l’après-guerre aux oubliettes). Texte fondateur, cette déclaration (que l'on peut consulter ici dans sa version intégrale) affirmait que « le but central de toute politique nationale et internationale » doit être la justice sociale. Défendant le principe que « le travail n'est pas une marchandise » et que « la pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous », cette déclaration ajoutait : « Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ; la réalisation des conditions permettant d'aboutir à ce résultat doit constituer le but central de toute politique nationale et internationale. »

Mais, visiblement, cette belle déclaration ne fait plus partie du catéchisme socialiste. Désormais, le nouveau catéchisme, c'est celui de l'école de Chicago…

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Ecomouv : l'Etat pris au piège du PPP

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Frédéric Cuvillier attendait un message. Dix fois lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat sur Ecomouv, mercredi 9 avril, il consulta subrepticement mais anxieusement son téléphone dans l’attente de la nouvelle : était-il ou non reconduit au ministère des transports ? Finalement, la nouvelle tomba bien après la fin de son audition. Il était nommé à nouveau secrétaire d’État aux transports, à la mer et à la pêche.

Mais pourquoi vouloir à tout prix retrouver ce portefeuille, alors qu’il sait devoir gérer un dossier plombé, en désaccord avec sa ministre de tutelle ? À peine nommée au ministère de l’écologie, Ségolène Royal a dit tout le mal qu’elle pensait de l’écotaxe. Dénonçant le principe d’une « écologie punitive », elle s’élevait contre ce nouvel impôt, et prônait une remise à plat de tout le système de l’écotaxe. Il faut voir, expliquait-elle, « quelles sont les autres possibilités que nous avons pour dégager des financements afin, en effet, de faire les travaux ferroviaires et routiers ».

© dr

« Je m’étonne que l’écotaxe soit présentée comme un impôt nouveau, c’est tout le contraire », avait répliqué sur Twitter Frédéric Cuvillier. Devant le Sénat, celui-ci a composé : certes, une remise à plat est nécessaire. « Il est très important de repartir sur des bases solides et acceptées par tous », expliquait-il avant de préciser « qu’il fallait aussi assurer le financement des infrastructures ». Surtout, insistait-il, « le contrat Ecomouv existe ».

C’est la donnée la plus importante du problème. Même si l’écotaxe a été suspendue, le partenariat public-privé signé avec Ecomouv continue quant à lui de courir. Comment en sortir ? Est-il même encore possible d’en sortir à des coûts qui ne soient pas prohibitifs pour les finances publiques ?

Au fur et à mesure que la commission d’enquête du Sénat avance, ces questions ne sont toujours pas levées. L’opacité qui entoure le dossier – invoquant le secret commercial, Ecomouv a empêché la publication du contrat –, les réticences des hauts fonctionnaires à s’expliquer sur leur choix et les modalités d’exécution vont faire peser de lourds soupçons. En dépit de la volonté politique de remettre en cause l’écotaxe, certains semblent jouer la stratégie du fait accompli : le contrat de PPP ligotant le pouvoir politique, et rendant impossible tout changement.

Et si c’était l'autre scandale d’Ecomouv ? En entendant le témoignage de Jean-Paul Faugère, ancien directeur de cabinet de François Fillon à Matignon, la question finit par s’imposer. Se présentant comme assez éloigné de ce dossier « très complexe et très technique », le haut fonctionnaire paraît cependant très au fait du sujet. Il avoue : il a été sensibilisé assez tôt au problème de l’écotaxe, alors qu’il était préfet en Alsace. L’Allemagne venait d’implanter l’écotaxe sur son réseau autoroutier, et la région voyait débarquer des hordes de camions étrangers empruntant les routes régionales gratuites. Il fallait limiter les nuisances. L’écotaxe apparaissait comme une bonne solution.

Lorsqu’il retrouve le dossier à Matignon, après le Grenelle de l’environnement, il est donc familier de la problématique. « Il y avait une ambiguïté dans l’écotaxe : souhaitions-nous un changement de comportement ou un rendement fiscal ? » se rappelle-t-il. Le débat a été vite tranché. « L’administration y a vu un intérêt budgétaire. L’impasse sur le financement des infrastructures trouvait là une solution », poursuit-il. Ainsi, d’emblée, la philosophie de l’écotaxe est changée : il ne s’agit plus de soutenir des usages plus vertueux et plus écologiques, mais de pérenniser une source de financement pour le ministère des transports. 

Un changement de l'esprit de la loi qui est totalement assumé par Frédéric Cuvillier : « La philosophie est que les utilisateurs doivent payer pour le financement des infrastructures. Mais ce n’est pas aux transporteurs routiers d’assumer cette charge. Celle-ci doit être entièrement transférée aux consommateurs. » En d’autres termes, l’écotaxe n’est qu’un impôt sur la consommation supplémentaire pour financer les routes. Comme l’ont dit certains écologistes, ils se sont fait enfumer.

« Dès le début, l’administration a fixé le montant de la recette attendue : elle voulait un milliard d’euros », a poursuivi Jean-Paul Faugère. L’ancien directeur de cabinet de François Fillon confirmait ainsi les déclarations précédentes de hauts fonctionnaires (voir les calculs de la haute administration). C’est le montant espéré qui a déterminé le champ et les modalités d’application de la taxe.

Pour le reste, à entendre l’ancien directeur de cabinet, il n’y a pas eu de discussion : le choix d’un partenariat public-privé est allé de soi. « Compte tenu des possibilités d’externaliser, entre un marché classique et un PPP novateur, cette réflexion a été très rapide. Il était naturel de recourir à la formule du PPP, au vu de la complexité du projet. Il est évident que l’administration ne savait pas faire. Et le PPP a un autre mérite : cela permet d’étaler la charge dans le temps. »

L’étude de la mission d’appui des partenariats public-privé (MAPPP) recommandait cette solution. Comme à chaque fois d’ailleurs : en 2012, sur les 43 dossiers qui lui ont été soumis, elle a chaque fois poussé en faveur de cette formule. La Cour des comptes a fini par s’émouvoir des travaux de cette mission, qui préconise  toujours des solutions « très désavantageuses pour les finances publiques ». Pour Ecomouv, les estimations de la MAPPP n’ont pas différé des précédentes. La mise en place des installations par l’intermédiaire d’un PPP devait coûter 230 millions d’euros et durer 21 mois. Le coût est aujourd’hui de plus de 650 millions d’euros et a déjà plus de six mois de retard.

« Mais c’était un sujet très compliqué. Il fallait par exemple éviter toute entrave à la libre circulation des marchandises, le système devait donc être interopérable avec les autres systèmes européens (pour mémoire, le système allemand ne l’est pas) », expliqua Jean-Paul Faugère. Avant de dédouaner complètement la MAPPP. « Il était difficile pour elle de détecter les difficultés a priori. Je pense que tout le monde a fait une courbe d’expérience. » Un apprentissage hors de prix.


 

© Reuters

Lors des réunions interministérielles à Matignon, le principal sujet, selon l’ancien directeur de cabinet, a surtout été de veiller à ce que la procédure se déroule normalement, qu’il n’y ait pas de fragilité juridique. Bref, que le contrat soit bien verrouillé. « Il y a eu un sujet difficile, à un moment. Il y avait des rumeurs sur des influences. Le premier ministre a reçu une lettre des concurrents d’Ecomouv. Juridiquement, nous n’étions pas chargés du dossier. Nous n’avions pas à interférer. Mais c’était une musique désagréable. J’ai choisi de rencontrer les autres candidats. Ils n’avaient rien d’autre à dire qu’un plaidoyer pro domo, et qu'invoquer la préférence nationale », raconta Jean-Paul Faugère, balayant avec superbe tous les soupçons qui entourent l’attribution de ce contrat.

Outre des erreurs de date, l’ancien directeur de cabinet n’a pas pris la peine de rappeler le contenu de la lettre adressée par Pierre Chassignieux, ancien préfet et alors président du consortium dirigé par Sanef et concurrent d’Ecomouv, la veille de l’attribution du contrat à Ecomouv. La mise en garde était pourtant explicite et, à la lecture des événements, se révèle prémonitoire : « Ajouté au risque politique évident que représente déjà l’instauration d’une taxe poids lourds, celui d’un cafouillage de mise en place dû à l’incapacité de l’opérateur choisi, additionné d’un contentieux (…) dont le résultat ne fait aucun doute, me paraît présenter une forte accumulation de facteurs négatifs. » Il ajoutait : « Le groupe est tout à fait prêt à s’incliner devant une offre concurrente jugée meilleure, à condition que les règles de fair-play et de saine concurrence soient respectées, ce qui n’est hélas ici manifestement pas le cas. »

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise donna raison au consortium dirigé par Sanef, estimant que la procédure n’avait pas été équitable et cassa le contrat. Mais Jean-Paul Faugère préféra reparler de la décision du conseil d’État qui cassa la décision du tribunal administratif. « Le conseil d’État nous a donné raison », se félicita-t-il. Le jour de la délibération, Jean-Paul Faugère aurait assisté exceptionnellement à la séance, selon plusieurs témoins. Mais aucun sénateur ne lui a posé la question de savoir s’il assistait ou non à cette séance.

Bien élevés, les sénateurs ont évité toutes les questions qui fâchent. Avait-il été informé du taux de 20 % perçu par Ecomouv sur le prélèvement de l’écotaxe ? Si oui, quelles avaient été les raisons pour l’accepter ? De même, lui qui se dit préoccupé par la solidité juridique de l’ensemble, était-il averti des sommes en jeu – 800 millions d’euros – en cas de rupture du contrat ? Si oui, pourquoi les avait-ils avalisées ? Les questions n’ayant pas été posées, il n’y a pas de réponse.

Un sujet, cependant, a attiré l’attention de la présidente de la commission d’enquête, Marie-Hélène des Esgaulx. Pourquoi avoir signé dans la précipitation le décret d’application de l’écotaxe le 6 mai 2012, à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle, un décret inapplicable au demeurant, tellement il était complexe et alambiqué, selon Frédéric Cuvillier ? « Je regrette de telles procédures. Mais il est fréquent que les signatures se débloquent à ce moment-là. D’une certaine façon, le ministre rend service à son successeur. Il laisse un dossier bouclé derrière lui », expliqua Jean-Paul Faugère, jugeant que le dossier avait « assez traîné comme cela. »

Pour être bouclé, le contrat de PPP avec Ecomouv était bouclé. C’est ce que Frédéric Cuvillier assure avoir découvert dès son arrivée au ministère des transports. « J’avais été informé très rapidement que l’annulation coûterait des millions à l’État », rapporta-t-il. Le contrat de partenariat public-privé avec Ecomouv n’étant pas connu, on en est réduit à ce stade à des conjectures et des interrogations. Le décret d’application avait-il une importance pour la validité du contrat ? Était-ce un moyen de rendre les choses irréversibles ? Et si oui, pourquoi le gouvernement sur le départ a-t-il eu recours à un tel procédé ?

Si l’administration semble très vigilante sur le respect du contrat, au nom de la continuité de l’État, elle paraît, en revanche, beaucoup moins pointilleuse sur le contrôle d’Ecomouv et de l’implantation du système pour percevoir l’écotaxe. « Ce n’est que très tardivement que j’ai été informé des problèmes techniques rencontrés », reconnut le ministre. Alors que les services, finalement vigilants, constatent l’accumulation des erreurs et des anomalies dans le système Ecomouv, l’évidence s’imposa : l’écotaxe ne pourrait pas être mise en œuvre le 20 juillet 2013, comme prévu. La date de lancement est reportée une première fois au 1er octobre, une seconde au 1er janvier 2014. Entretemps, l’écotaxe a été suspendue.

Officiellement, le contrat Ecomouv continue. Le gouvernement navigue aujourd’hui à vue. Estimant son système au point, Ecomouv a demandé une homologation de ses équipements le 20 janvier. Selon le contrat, l’État avait normalement deux mois pour valider et accepter le système. À partir de l’homologation complète, le contrat prend toute sa valeur et Ecomouv doit recevoir 18 millions d’euros de loyer par mois, que l’écotaxe soit perçue ou non.

L’État n’a pas accepté l’homologation à la date prévue. Des discussions sont en cours avec Ecomouv, notamment pour évaluer les pénalités de retard. « Les retards et les anomalies sont de la seule responsabilité d’Ecomouv », assure le ministre. Le répit, toutefois, va être de courte durée : les différents partenaires ont reporté la date pour trouver un accord commun au 15 avril. S’il n’y a pas d’accord, ou un accord boiteux, le contrat tel qu’il a été signé risque de s’appliquer avec ses 18 millions d’euros de loyer mensuel, ses 800 millions d’euros de dédit en cas de rupture. Déjà, les banques créancières d’Ecomouv – qui a financé 95 % du projet par de la dette – montrent les dents et exigent leur dû. L’État s’étant porté garant de la dette d’Ecomouv, par le biais des conventionnements Dailly, il pourrait avoir à assumer le paiement de la dette que les actionnaires d’Ecomouv sont incapables d’honorer. Et le piège va se refermer. Mais n’est-ce pas ce que certains hauts fonctionnaires et élus, signataires du contrat, recherchaient ? Rendre les choses irréversibles...

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Frais d’inscriptions : l'autre dossier qui attend Hamon

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Parmi les sujets sur lesquels le tout nouveau ministre de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Benoît Hamon, va devoir rapidement trancher, la question des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur est l’une des plus délicates et potentiellement des plus explosives. Le sous-financement de plus en plus criant qui y sévit – encore aggravé par l’objectif de trouver 50 milliards d’économie en trois ans – a réveillé le camp de ceux qui estiment que le principe de la gratuité – ou quasi-gratuité – des études supérieures est aujourd’hui obsolète.

Dans l’austérité générale qui a particulièrement affecté l’enseignement supérieur en Europe, la France reste l’un des rares pays à n’avoir pratiquement pas touché, ou à la marge, à ce levier.

De manière significative, pourtant, plusieurs établissements publics ont décidé cette année des hausses importantes de leurs droits d’inscription, accentuant une tendance amorcée depuis plusieurs années. À l’université Paris-Dauphine, qui bénéficie d’un statut dérogatoire de « grand établissement » – ce qui lui permet d’augmenter beaucoup plus librement ses droits d’inscription –, il faut s’acquitter de 520 euros en licence (trois fois plus que dans les universités classiques) et jusqu’à 5 900 euros en master, en fonction du revenu de la famille. Les instituts d'études politiques (IEP) de Lyon, Toulouse, Grenoble et Lille, un peu sur le modèle de Sciences-Po Paris, ont eux aussi accru leurs droits d’inscription, en les modulant là encore aux revenus des parents. À l’IEP de Toulouse, une année peut revenir à 3 800 euros, et jusqu’à 6 300 euros dans celui de Bordeaux. Même Sciences-Po Paris – où une année culmine déjà, pour les tranches les plus hautes, à 13 500 euros – a décidé d’encore augmenter ses tarifs, de 1,3 %, l’an prochain. Le mouvement a gagné les grandes écoles d’ingénieurs publiques avec neuf écoles d’ingénieur du groupe les Mines Télécom qui vont, elles, tout simplement doubler leurs tarifs.

Par petites touches, sans grand bruit, le mur de la gratuité dans l’enseignement supérieur public – en tout cas dans ses filières les plus élitistes et les plus sélectives (et les mieux dotées par l’État !) s’est peu à peu lézardé. Et ce n’est sans doute qu’un début.

Comme le sujet est politiquement très sensible, beaucoup préfèrent avancer masqués. Ce qu’illustre bien l’épisode qui s’est déroulé à l’association X-Sursaut, et que rapportait récemment Mediapart. Au cours d’une réunion à huis clos d’anciens polytechniciens, le directeur de Telecom Paris Tech, Yves Poilane, affichait ainsi son « ambition » de porter à terme les frais d’inscription des étudiants à 5 000 euros – soit plus de cinq fois le tarif actuel. Contacté, il avait expliqué que pour lui il s’agissait d’un maximum à ne pas dépasser puisqu’il atteindrait sinon le tarif des écoles privées. Dans un courrier adressé aux personnels des écoles, il a ensuite démenti avoir même tenu de tels propos qu’un « journal en ligne » aurait déformés. « Contrairement aux propos que l'on m'a prêtés, je ne me fixe aucun objectif, ni aucune ambition sur un montant annuel cible de droits et frais pour l’école et aucune nouvelle hausse n'est à l'ordre du jour pour l'avenir. » Des dénégations en totale contradiction avec les propos effectivement tenus ce soir-là. Prenant la suite d’intervenants qui défendaient des frais de scolarité calqués sur les universités américaines – soit plusieurs dizaines de milliers de dollars –, Yves Poilane répliquait qu’il fallait être « pragmatique » : « Je vais être un peu pragmatique ce soir mais cela me paraît irréaliste. En tout cas, ce qu’un gouvernement de droite n’a pas réussi à faire – ce que Valérie Pécresse n’a pas réussi à faire –, je ne vois pas comment sa successeur réussirait à le faire aujourd’hui. Donc je considère que si l’on arrive à 5000 euros de frais de scolarité pour les Français… Je me fixe une ambition à 5000 euros… Il n’y a pas de journalistes dans la salle ? » affirmait-il très précisément. 

Malgré le double discours manifestement imposé par le caractère explosif du sujet, certaines langues semblent commencent à se délier. Ainsi la conférence des grandes écoles, comme le révélait récemment un article de l’AEF, a émis ce constat lors de son audition devant le comité chargé d’élaborer la Stranes (Stratégie nationale pour l’enseignement supérieur) : « Le modèle de financement actuel des établissements publics d’enseignement supérieur va devoir tôt ou tard quitter le paradigme de la gratuité (ou plutôt de la modicité) si l’on veut les faire sortir de la spirale de paupérisation dans laquelle ils sont inscrits. » Dans cette contribution, la conférence des grandes écoles estime même « nécessaire de travailler dès à présent à mettre en place une contribution intelligente des diplômés au financement ex post de leurs études ». En clair, comme les étudiants de ces grandes écoles sont appelés à très bien gagner leur vie, ils peuvent donc aisément faire des prêts pour financer leurs études. Autant, par conséquent, organiser au mieux leur accès au crédit.

Dans un document qui a circulé à l’institut des Mines Télécom (à lire ici en intégralité), la direction affirme pour justifier la hausse de ses frais d’inscription que « les mécanismes de prêts bancaires à taux modéré pour étudiants existent, pour des montants allant jusqu’à 15 000€. Ils sont déjà utilisés par les étudiants. Les écoles et l’Institut en faciliteront l’usage, d’une part en renforçant l’information de proximité vers les étudiants qui en auraient besoin, et d’autre part en sensibilisant des banques partenaires ». Passer des partenariats avec des établissements bancaires, telle serait donc la solution.

Alors que les universités, historiquement sous-dotées par rapport aux grandes écoles, sont depuis le passage à l’autonomie totalement asphyxiées financièrement – une vingtaine sont en déficit –, on pourrait s’étonner que la gratuité soit précisément remise en cause dans ces établissements pourtant bien mieux lotis par l’État. Pourquoi vouloir d’abord augmenter les frais d’inscription dans ces grandes écoles, au risque d’élargir encore le fossé d’un enseignement supérieur public déjà à deux vitesses – grandes écoles d’un côté, universités de l’autre ? Parce que, reconnaît Laurent Daudet, en charge de l’enseignement supérieur au sein du think tank Terra nova, favorable à la fin du « tabou de la gratuité », « c’est socialement plus acceptable dans ces établissements, alors que cela reste tabou à l’université ». Un public socialement favorisé, moins remuant qu’à l’université, et surtout plus porté sur la comparaison internationale ou la quasi-gratuité française de l’enseignement supérieur public est effectivement une exception… Les grandes écoles sont un laboratoire idéal pour expérimenter la hausse des droits d’inscription.

Bien des présidents d’université, dont les établissements peinent chaque année à boucler leur budget, même s’ils ne le reconnaissent pas toujours publiquement, lorgnent de plus en plus eux aussi sur cette ressource. L’ancien président de Paris IV Jean-Robert Pitte est l’un des partisans les plus fervents de la hausse des frais pour les étudiants, une solution qui permettrait à la fois de renflouer les caisses des établissements et qui éviterait selon lui le « tourisme étudiant », comme il l’expliquait au cours de la même réunion à l’école Polytechnique.

Au ministère de l’enseignement supérieur, sous la pression de Bercy, plusieurs scénarios sont, selon nos informations, à l’étude. Celui qui a le plus le vent en poupe consisterait à préserver le niveau licence pour augmenter sensiblement les droits à partir du master (bac+3). « La quasi-gratuité en licence correspond bien aux objectifs de démocratisation de l’enseignement supérieur fixés par la ministre et par les objectifs européens de 50 % d’une classe d’âge en licence. C’est l’idée que la Nation investit sur sa jeunesse », détaille un conseiller. « Au niveau master, on peut parler d’un investissement individuel. Le différentiel de salaire entre un diplômé de licence et de master est tel que le prix du master, le jeune le récupère tout de suite sur le marché du travail », explique-t-il.

À côté d’un argumentaire classiquement libéral, reposant sur la logique de l’investissement individuel, s’est déployé depuis quelques années sous l’égide du think tank Terra nova, proche du parti socialiste, un argumentaire « de gauche » pour justifier la hausse des frais d’inscriptions dans l’enseignement supérieur.

La gratuité serait socialement injuste si l’on considère le public qui en bénéficie. Elle conduirait ainsi « à un transfert de ressources – le coût public des études – en direction des jeunes qui font les études les plus longues. Il s’agit massivement des jeunes issus des milieux les plus favorisés ». Cette quasi-gratuité n’aurait donc « aucune vertu redistributive et aggrave même les inégalités », explique Terra Nova.

Un triptyque d’acceptabilité s’est peu à peu constitué : modulation des frais d’inscriptions en fonction des revenus des familles et accès facilité à des prêts étudiants. Un bouleversement de perspective – pratiquement sans aucun débat public – qui fait bondir certains économistes. « Les études sont considérées comme exclusivement centrées sur les débouchés salariaux des étudiants : ceux-ci sont pensés comme des investisseurs dans leur propre "capital humain", capital qu’il conviendra de rentabiliser au mieux. Exit le rapport désintéressé au savoir et le droit à l’éducation. Exit les principes de solidarité et de collaboration : vive la concurrence ! » écrivait récemment dans Mediapart un collectif de jeunes chercheurs. Pour eux, « c’est bien la quasi-gratuité de notre système qui laisse ouverte la possibilité aux moins favorisés comme aux classes moyennes de conjurer leur destin scolaire et social. Les frais de scolarité importants jouent le double rôle de barrière à l’entrée des établissements et de fardeau à la sortie sous la forme d’une dette qui s’abat spécifiquement sur ceux dont les parents ne peuvent payer », affirment-ils.

Autre victime collatérale de ce changement de philosophie : les étudiants étrangers. Dans une perspective de l’utilisateur payeur, le principe d’appliquer des droits plus élevés pour les étudiants étrangers s’est peu à peu imposé. Comme leurs familles ne paient pas d’impôts en France, aucune raison qu’ils ne paient rien ou presque des études financées par la collectivité nationale. Dans les écoles des Mines Telecom, l’augmentation pour les étrangers non communautaires est allée jusqu'à 350 %. L’association de défense des étrangers, le Gisti, jugeant qu’une ligne jaune étaient franchie, et qu’il y avait là discrimination manifeste, a déposé un recours au Conseil d’État dont l’issue est très attendue par tous les établissements qui comptent bien faire de même. Depuis un décret de 2008, les universités peuvent appliquer des droits d’inscriptions plus élevés pour leurs étudiants étrangers à condition de justifier de prestations particulières. Beaucoup ne s’en privent pas.

L’arrivée de Benoît Hamon, ancien de l’Unef, à la tête de ce grand ministère regroupant l’éducation nationale et l’enseignement supérieur changera-t-il la donne ? Depuis deux ans, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, aujourd'hui secrétaire d'État, s’était engagée auprès des organisations étudiantes, l’Unef principalement, à ne pas ouvrir ce dossier « pour l’instant ». Dans le contexte budgétaire actuel, les pressions n’ont sans doute jamais été aussi fortes pour qu'il soit quand même ouvert.   

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Avocate giflée par un commissaire de la DCRI: un juge va enquêter

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Le parquet de Nanterre a pris ses responsabilités. Selon des informations obtenues par Mediapart, une information judiciaire pour « violences volontaires sur avocat par personne dépositaire de l'autorité publique » vient d'être ouverte ce vendredi 11 avril, après l'affaire de la gifle, qui embarrasse au plus haut point la hiérarchie policière.

Une avocate du barreau des Hauts-de-Seine a porté plainte pour « violences volontaires aggravées », mardi 1er avril auprès du procureur de la République de Nanterre, Robert Gelli. La jeune femme de 37 ans accuse un commissaire de police de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de l’avoir giflée et insultée, alors qu’elle assistait un client gardé à vue dans les locaux du service de contre-espionnage, à Levallois-Perret.

Les faits datent du jour même. Un consultant informatique a été convoqué à la DCRI. Placé en garde à vue, il doit répondre à des questions sur l’identité du suspect de l’attentat-suicide commis en Bulgarie contre un bus transportant des touristes israéliens, en juillet 2012, et qui avait fait six morts.

Les deux premières auditions, menées dans la matinée par deux officiers de police judiciaire (OPJ), se déroulent sans aucun incident, l’homme gardé à vue invoquant son droit au silence. Un commissaire se présente alors, et invite l’avocate et son client à le suivre dans une autre pièce. Il explique qu’il n’a rien à reprocher au gardé à vue, et lui propose une sorte de marché s’il donne quelques tuyaux. Mais l’avocate le prend au mot : puisque vous n’avez rien contre mon client, je vais faire une note pour que cela figure à la procédure, et vous n’avez plus qu’à le laisser repartir, explique-elle en substance.

Le commissaire s’est-il senti ridiculisé ? C’est alors qu’il aurait subitement giflé l’avocate à la joue droite, en la traitant de « petite conne », avant de quitter précipitamment la pièce. Sur le pas de la porte, les deux OPJ stupéfaits l’ont vue sortir après lui en se tenant la joue.

« Ma consœur a été giflée alors qu’elle exerçait son métier, c’est une atteinte inédite et très grave aux droits de la défense », réagit le défenseur de l’avocate, Pierre Degoul, sollicité par Mediapart. Selon lui, la plaignante est quelqu'un de posé, avec une excellente réputation. Son avocat se montre par ailleurs assez critique sur les méthodes d’enquête de la DCRI, qui ferait un usage assez intensif des gardes à vue pour aller à la pêche au renseignement, quitte à faire pression sur les personnes interrogées.

Choquée, la jeune avocate tient, pour l’instant, à préserver son anonymat. Elle a eu la présence d’esprit de se prendre en photo dans les locaux de la DCRI avec son smartphone, pour immortaliser sa joue rouge et endolorie. Elle s’est ensuite présentée aux urgences de l’hôpital franco-britannique de Levallois, où elle a été examinée deux heures plus tard et a obtenu une interruption temporaire de travail d’une journée. Le choc psychologique a été constaté par le médecin qui l’a examinée, mais aucune trace de gifle n’était visible.

Le procureur de Nanterre a pris l’affaire très au sérieux. Dès qu’il a reçu la plainte de l’avocate, Robert Gelli a ouvert une enquête préliminaire dont l’exécution a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Le siège de la DCRILe siège de la DCRI © Reuters

L’avocate a été entendue le 2 avril à l’IGPN, puis confrontée le surlendemain au commissaire de la DCRI, dont elle ignore l’identité. Celui-ci reconnaît s’être énervé, mais il nie avoir levé la main sur elle et lui avoir porté le moindre coup, la menaçant même d’une plainte en dénonciation calomnieuse. Les deux OPJ qui ont assisté à la fin de la scène ont également été entendus. Mais aucune caméra n’équipait la pièce où s’est déroulé l’incident, ce qui aurait permis de départager les deux parties. Le policier serait un commissaire expérimenté, âgé de 55 ans, « bien noté et sans antécédent ». Le parquet de Nanterre attend les conclusions de l’enquête confiée à l’IGPN avant de se prononcer sur la suite de la procédure. 

Sollicité par Mediapart, le bâtonnier du barreau de Nanterre, Olivier Benoît, ne compte pas en rester là. « C’est une affaire gravissime, tous les avocats et les magistrats avec qui j’en ai parlé sont choqués », déclare-t-il. « Si l’affaire suit son cours normal, l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine se portera partie civile au côté de notre consœur. Elle est très affectée par ce qui s’est passé, et nous n’avons pas médiatisé cette affaire pour ne pas la déstabiliser davantage. Mais s’il y avait une tentative de classer cette affaire, nous manifesterions notre soutien de façon plus spectaculaire », prévient le bâtonnier.

Olivier Benoît s’en est tenu jusqu’ici à un mail d’information adressé le 4 avril à ses confrères des Hauts-de-Seine, dont voici le contenu. « Mardi dernier, l’une de nos consœurs assistant un gardé à vue à la DCRI a été victime d’une grave agression de la part d’un commissaire de police apparemment mécontent du système de défense adopté par le gardé à vue qui avait choisi de garder le silence. Elle a été injuriée et frappée. Plainte a été immédiatement déposée entre les mains du Procureur de la République. Celui-ci a saisi sans délai l’IGPN. Le service a déclenché une enquête qui devrait aboutir dans les tout prochains jours. Face à cet événement inadmissible, le conseil de l’ordre et le bâtonnier apportent leur soutien inconditionnel à notre consœur et veilleront à ce que la plainte et la procédure consécutive aillent jusqu’à leur terme », écrivait le bâtonnier.

Jusqu’ici, toutefois, cette affaire sidérante n’a pas eu beaucoup de retentissement (seuls M6 et Marianne en ont fait état). Une discrétion qui contraste singulièrement avec le tollé des écoutes judiciaires de Nicolas Sarkozy qui, bien que légales, avaient été dénoncées haut et fort par les avocats parisiens (lire notre article ici).

Aucune charge n’a été retenue contre le consultant en informatique, qui a été remis en liberté après une journée passée en garde à vue. Sur procès-verbal, il a indiqué qu’il ne répondrait plus à aucune question, son avocate ayant été giflée par un commissaire. On ignore encore si l'intéressé a été suspendu ou non par son administration.

Selon des sources proches du dossier, l'enquête préliminaire confiée à l'IGPN par le parquet n'a pas permis de départager les deux versions tout à fait contradictoires, c'est à dire celle du policier d'une part, celle de l'avocate et de son client, d'autre part. Quant aux seules images disponibles, celles d'une caméra filmant le couloir, elles ne montrent que le départ précipité du commissaire quittant la pièce. C'est le doyen des juges d'instruction de Nanterre, Jean-Michel Bergès, qui devra maintenant tirer l'affaire au clair.

BOITE NOIRECet article a été initialement mis en ligne mardi 8 avril en fin de journée. Il a été réactualisé et remanié ce vendredi 11 avec l'annonce d'une ouverture d'information judiciaire.

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Ecotaxe: l'Etat est pris au piège du ruineux contrat Ecomouv

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Frédéric Cuvillier attendait un message. Dix fois lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat sur Ecomouv, mercredi 9 avril, il consulta subrepticement mais anxieusement son téléphone dans l’attente de la nouvelle : était-il ou non reconduit au ministère des transports ? Finalement, la nouvelle tomba bien après la fin de son audition. Il était nommé secrétaire d’État aux transports, à la mer et à la pêche.

Mais pourquoi vouloir à tout prix retrouver ce portefeuille, alors qu’il sait devoir gérer un dossier plombé, en désaccord avec sa ministre de tutelle ? À peine nommée au ministère de l’écologie, Ségolène Royal a dit tout le mal qu’elle pensait de l’écotaxe. Dénonçant le principe d’une « écologie punitive », elle s’élevait contre ce nouvel impôt, et prônait une remise à plat de tout le système de l’écotaxe. Il faut voir, expliquait-elle, « quelles sont les autres possibilités que nous avons pour dégager des financements afin, en effet, de faire les travaux ferroviaires et routiers ».

© dr

« Je m’étonne que l’écotaxe soit présentée comme un impôt nouveau, c’est tout le contraire », avait répliqué sur Twitter Frédéric Cuvillier. Devant le Sénat, celui-ci a composé : certes, une remise à plat est nécessaire. « Il est très important de repartir sur des bases solides et acceptées par tous », expliquait-il avant de préciser « qu’il fallait aussi assurer le financement des infrastructures ». Surtout, insistait-il, « le contrat Ecomouv existe ».

C’est la donnée la plus importante du problème. Même si l’écotaxe a été suspendue, le contrat de partenariat public-privé signé avec le consortium Ecomouv continue quant à lui de courir. Comment en sortir ? Est-il même encore possible d’en sortir à des coûts qui ne soient pas prohibitifs pour les finances publiques ?

Au fur et à mesure que la commission d’enquête du Sénat avance, ces questions ne sont toujours pas levées. L’opacité qui entoure le dossier – invoquant le secret commercial, Ecomouv a empêché la publication du contrat –, les réticences des hauts fonctionnaires à s’expliquer sur leur choix et les modalités d’exécution vont faire peser de lourds soupçons. En dépit de la volonté politique de remettre en cause l’écotaxe, certains semblent jouer la stratégie du fait accompli : le contrat de PPP ligote le pouvoir politique, et rend impossible tout changement.

Et si c’était l'autre scandale d’Ecomouv ? En entendant le témoignage de Jean-Paul Faugère, ancien directeur de cabinet de François Fillon à Matignon, la question finit par s’imposer. Se présentant comme assez éloigné de ce dossier « très complexe et très technique », le haut fonctionnaire paraît cependant très au fait du sujet. Il avoue : il a été sensibilisé assez tôt au problème de l’écotaxe, alors qu’il était préfet en Alsace. L’Allemagne venait d’implanter l’écotaxe sur son réseau autoroutier, et la région voyait débarquer des hordes de camions étrangers empruntant les routes régionales gratuites. Il fallait limiter les nuisances. L’écotaxe apparaissait comme une bonne solution.

Lorsqu’il retrouve le dossier à Matignon, après le Grenelle de l’environnement, il est donc familier de la problématique. « Il y avait une ambiguïté dans l’écotaxe : souhaitions-nous un changement de comportement ou un rendement fiscal ? » se rappelle-t-il. Le débat a été vite tranché. « L’administration y a vu un intérêt budgétaire. L’impasse sur le financement des infrastructures trouvait là une solution », poursuit-il. Ainsi, d’emblée, la philosophie de l’écotaxe est changée : il ne s’agit plus de soutenir des usages plus vertueux et plus écologiques, mais de pérenniser une source de financement pour le ministère des transports. 

Ce changement de l'esprit de la loi est totalement assumé par Frédéric Cuvillier : « La philosophie est que les utilisateurs doivent payer pour le financement des infrastructures. Mais ce n’est pas aux transporteurs routiers d’assumer cette charge. Celle-ci doit être entièrement transférée aux consommateurs. » En d’autres termes, l’écotaxe n’est qu’un impôt sur la consommation supplémentaire pour financer les routes. Comme l’ont dit certains écologistes, ils se sont fait enfumer.

« Dès le début, l’administration a fixé le montant de la recette attendue : elle voulait un milliard d’euros », a poursuivi Jean-Paul Faugère. L’ancien directeur de cabinet de François Fillon confirmait ainsi les déclarations précédentes de hauts fonctionnaires (voir les calculs de la haute administration). C’est le montant espéré qui a déterminé le champ et les modalités d’application de la taxe.

Pour le reste, à entendre l’ancien directeur de cabinet, il n’y a pas eu de discussion : le choix d’un partenariat public-privé est allé de soi. « Compte tenu des possibilités d’externaliser, entre un marché classique et un PPP novateur, cette réflexion a été très rapide. Il était naturel de recourir à la formule du PPP, au vu de la complexité du projet. Il est évident que l’administration ne savait pas faire. Et le PPP a un autre mérite : cela permet d’étaler la charge dans le temps. »

L’étude de la mission d’appui des partenariats public-privé (MAPPP) recommandait cette solution. Comme à chaque fois d’ailleurs : en 2012, sur les 43 dossiers qui lui ont été soumis, elle a chaque fois poussé en faveur de cette formule. La Cour des comptes a fini par s’émouvoir des travaux de cette mission, qui préconise  toujours des solutions « très désavantageuses pour les finances publiques ». Pour Ecomouv, les estimations de la MAPPP n’ont pas différé des précédentes. La mise en place des installations par l’intermédiaire d’un PPP devait coûter 230 millions d’euros et durer 21 mois. Le coût est aujourd’hui de plus de 650 millions d’euros et a déjà plus de six mois de retard.

« Mais c’était un sujet très compliqué. Il fallait par exemple éviter toute entrave à la libre circulation des marchandises, le système devait donc être interopérable avec les autres systèmes européens (pour mémoire, le système allemand ne l’est pas) », expliqua Jean-Paul Faugère. Avant de dédouaner complètement la MAPPP. « Il était difficile pour elle de détecter les difficultés a priori. Je pense que tout le monde a fait une courbe d’expérience. » Un apprentissage hors de prix.

© Reuters

Lors des réunions interministérielles à Matignon, le principal sujet, selon l’ancien directeur de cabinet, a surtout été de veiller à ce que la procédure se déroule normalement, qu’il n’y ait pas de fragilité juridique. Bref, que le contrat soit bien verrouillé. « Il y a eu un sujet difficile, à un moment. Il y avait des rumeurs sur des influences. Le premier ministre a reçu une lettre des concurrents d’Ecomouv. Juridiquement, nous n’étions pas chargés du dossier. Nous n’avions pas à interférer. Mais c’était une musique désagréable. J’ai choisi de rencontrer les autres candidats. Ils n’avaient rien d’autre à dire qu’un plaidoyer pro domo, et qu'invoquer la préférence nationale », raconta Jean-Paul Faugère, balayant avec superbe tous les soupçons qui entourent l’attribution de ce contrat.

Outre des erreurs de date, l’ancien directeur de cabinet n’a pas pris la peine de rappeler le contenu de la lettre adressée par Pierre Chassignieux, ancien préfet et alors président du consortium dirigé par Sanef et concurrent d’Ecomouv, la veille de l’attribution du contrat à Ecomouv. La mise en garde était pourtant explicite et, à la lecture des événements, se révèle prémonitoire : « Ajouté au risque politique évident que représente déjà l’instauration d’une taxe poids lourds, celui d’un cafouillage de mise en place dû à l’incapacité de l’opérateur choisi, additionné d’un contentieux (…) dont le résultat ne fait aucun doute, me paraît présenter une forte accumulation de facteurs négatifs. »

Il ajoutait : « Le groupe est tout à fait prêt à s’incliner devant une offre concurrente jugée meilleure, à condition que les règles de fair-play et de saine concurrence soient respectées, ce qui n’est hélas ici manifestement pas le cas. »

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise donna raison au consortium dirigé par Sanef, estimant que la procédure n’avait pas été équitable et cassa le contrat. Mais Jean-Paul Faugère préféra reparler de la décision du conseil d’État qui cassa la décision du tribunal administratif. « Le conseil d’État nous a donné raison », se félicita-t-il. Le jour de la délibération, Jean-Paul Faugère aurait assisté exceptionnellement à la séance, selon plusieurs témoins. Mais aucun sénateur ne lui a posé la question de savoir s’il assistait ou non à cette séance.

Bien élevés, les sénateurs ont évité toutes les questions qui fâchent. Avait-il été informé du taux de 20 % perçu par Ecomouv sur le prélèvement de l’écotaxe ? Si oui, quelles avaient été les raisons pour l’accepter ? De même, lui qui se dit préoccupé par la solidité juridique de l’ensemble, était-il averti des sommes en jeu – 800 millions d’euros – en cas de rupture du contrat ? Si oui, pourquoi les avait-ils avalisées ? Les questions n’ayant pas été posées, il n’y a pas de réponse.

Un sujet, cependant, a attiré l’attention de la présidente de la commission d’enquête, Marie-Hélène des Esgaulx. Pourquoi avoir signé dans la précipitation le décret d’application de l’écotaxe le 6 mai 2012, à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle, un décret inapplicable au demeurant, tellement il était complexe et alambiqué, selon Frédéric Cuvillier ? « Je regrette de telles procédures. Mais il est fréquent que les signatures se débloquent à ce moment-là. D’une certaine façon, le ministre rend service à son successeur. Il laisse un dossier bouclé derrière lui », expliqua Jean-Paul Faugère, jugeant que le dossier avait « assez traîné comme cela. »

Pour être bouclé, le contrat de PPP avec Ecomouv était bouclé. C’est ce que Frédéric Cuvillier assure avoir découvert dès son arrivée au ministère des transports. « J’avais été informé très rapidement que l’annulation coûterait des millions à l’État », rapporta-t-il. Le contrat de partenariat public-privé avec Ecomouv n’étant pas connu, on en est réduit à ce stade à des conjectures et des interrogations. Le décret d’application avait-il une importance pour la validité du contrat ? Était-ce un moyen de rendre les choses irréversibles ? Et si oui, pourquoi le gouvernement sur le départ a-t-il eu recours à un tel procédé ?

Si l’administration semble très vigilante sur le respect du contrat, au nom de la continuité de l’État, elle paraît, en revanche, beaucoup moins pointilleuse sur le contrôle d’Ecomouv et de l’implantation du système pour percevoir l’écotaxe. « Ce n’est que très tardivement que j’ai été informé des problèmes techniques rencontrés », reconnut le ministre. Alors que les services, finalement vigilants, constatent l’accumulation des erreurs et des anomalies dans le système Ecomouv, l’évidence s’imposa : l’écotaxe ne pourrait pas être mise en œuvre le 20 juillet 2013, comme prévu. La date de lancement est reportée une première fois au 1er octobre, une seconde au 1er janvier 2014. Entretemps, l’écotaxe a été suspendue.

Officiellement, le contrat Ecomouv continue. Le gouvernement navigue aujourd’hui à vue. Estimant son système au point, Ecomouv a demandé une homologation de ses équipements le 20 janvier. Selon le contrat, l’État avait normalement deux mois pour valider et accepter le système. À partir de l’homologation complète, le contrat prend toute sa valeur et Ecomouv doit recevoir 18 millions d’euros de loyer par mois, que l’écotaxe soit perçue ou non.

L’État n’a pas accepté l’homologation à la date prévue. Des discussions sont en cours avec Ecomouv, notamment pour évaluer les pénalités de retard. « Les retards et les anomalies sont de la seule responsabilité d’Ecomouv », assure le ministre. Le répit, toutefois, va être de courte durée : les différents partenaires ont reporté la date pour trouver un accord commun au 15 avril. S’il n’y a pas d’accord, ou un accord boiteux, le contrat tel qu’il a été signé risque de s’appliquer avec ses 18 millions d’euros de loyer mensuel, ses 800 millions d’euros de dédit en cas de rupture.

Déjà, les banques créancières d’Ecomouv – qui a financé 95 % du projet par de la dette – montrent les dents et exigent leur dû. L’État s’étant porté garant de la dette d’Ecomouv, par le biais des conventionnements Dailly, il pourrait avoir à assumer le paiement de la dette que les actionnaires d’Ecomouv sont incapables d’honorer. Et le piège va se refermer. Mais n’est-ce pas ce que certains hauts fonctionnaires et élus, signataires du contrat, recherchaient ? Rendre les choses irréversibles...

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Hausse des frais dans le supérieur: le dossier qui attend Hamon

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Parmi les sujets sur lesquels le tout nouveau ministre de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Benoît Hamon, va devoir rapidement trancher, la question des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur est l’une des plus délicates et potentiellement des plus explosives. Le sous-financement de plus en plus criant qui y sévit – encore aggravé par l’objectif de trouver 50 milliards d’économie en trois ans – a réveillé le camp de ceux qui estiment que le principe de la gratuité – ou quasi-gratuité – des études supérieures est aujourd’hui obsolète.

Dans l’austérité générale qui a particulièrement affecté l’enseignement supérieur en Europe, la France reste l’un des rares pays à n’avoir pratiquement pas touché, ou à la marge, à ce levier.

De manière significative, pourtant, plusieurs établissements publics ont décidé cette année des hausses importantes de leurs droits d’inscription, accentuant une tendance amorcée depuis plusieurs années. À l’université Paris-Dauphine, qui bénéficie d’un statut dérogatoire de « grand établissement » – ce qui lui permet d’augmenter beaucoup plus librement ses droits d’inscription –, il faut s’acquitter de 520 euros en licence (trois fois plus que dans les universités classiques) et jusqu’à 5 900 euros en master, en fonction du revenu de la famille.

Les instituts d'études politiques (IEP) de Lyon, Toulouse, Grenoble et Lille, un peu sur le modèle de Sciences-Po Paris, ont eux aussi accru leurs droits d’inscription, en les modulant là encore aux revenus des parents. À l’IEP de Toulouse, une année peut revenir à 3 800 euros, et jusqu’à 6 300 euros dans celui de Bordeaux. Même Sciences-Po Paris – où une année culmine déjà, pour les tranches les plus hautes, à 13 500 euros – a décidé d’encore augmenter ses tarifs, de 1,3 %, l’an prochain. Le mouvement a gagné les grandes écoles d’ingénieurs publiques avec neuf écoles d’ingénieur du groupe les Mines Télécom qui vont, elles, doubler leurs tarifs.

Par petites touches, sans grand bruit, le mur de la gratuité dans l’enseignement supérieur public – en tout cas dans ses filières les plus élitistes et les plus sélectives (et les mieux dotées par l’État !) s’est peu à peu lézardé. Et ce n’est sans doute qu’un début.

Comme le sujet est politiquement très sensible, beaucoup préfèrent avancer masqués. Ce qu’illustre bien l’épisode qui s’est déroulé à l’association X-Sursaut, et que rapportait récemment Mediapart. Au cours d’une réunion à huis clos d’anciens polytechniciens, le directeur de Telecom Paris Tech, Yves Poilane, affichait ainsi son « ambition » de porter à terme les frais d’inscription des étudiants à 5 000 euros – soit plus de cinq fois le tarif actuel. Contacté, il avait expliqué que pour lui il s’agissait d’un maximum à ne pas dépasser puisqu’il atteindrait sinon le tarif des écoles privées. Dans un courrier adressé aux personnels des écoles, il a ensuite démenti avoir même tenu de tels propos qu’un « journal en ligne » aurait déformés. « Contrairement aux propos que l'on m'a prêtés, je ne me fixe aucun objectif, ni aucune ambition sur un montant annuel cible de droits et frais pour l’école et aucune nouvelle hausse n'est à l'ordre du jour pour l'avenir. »

Mais ces dénégations sont en totale contradiction avec les propos effectivement tenus ce soir-là. Prenant la suite d’intervenants qui défendaient des frais de scolarité calqués sur les universités américaines – soit plusieurs dizaines de milliers de dollars –, Yves Poilane répliquait qu’il fallait être « pragmatique » : « Je vais être un peu pragmatique ce soir mais cela me paraît irréaliste. En tout cas, ce qu’un gouvernement de droite n’a pas réussi à faire – ce que Valérie Pécresse n’a pas réussi à faire –, je ne vois pas comment sa successeur réussirait à le faire aujourd’hui. Donc je considère que si l’on arrive à 5000 euros de frais de scolarité pour les Français… Je me fixe une ambition à 5000 euros… Il n’y a pas de journalistes dans la salle ? » affirmait-il très précisément. 

Malgré le double discours manifestement imposé par le caractère explosif du sujet, certaines langues commencent à se délier. Ainsi la conférence des grandes écoles, comme le révélait récemment un article de l’AEF, a émis ce constat lors de son audition devant le comité chargé d’élaborer la Stranes (Stratégie nationale pour l’enseignement supérieur) : « Le modèle de financement actuel des établissements publics d’enseignement supérieur va devoir tôt ou tard quitter le paradigme de la gratuité (ou plutôt de la modicité) si l’on veut les faire sortir de la spirale de paupérisation dans laquelle ils sont inscrits. »

Dans cette contribution, la conférence des grandes écoles estime même « nécessaire de travailler dès à présent à mettre en place une contribution intelligente des diplômés au financement ex post de leurs études ». En clair, comme les étudiants de ces grandes écoles sont appelés à très bien gagner leur vie, ils peuvent donc aisément faire des prêts pour financer leurs études. Autant, par conséquent, organiser au mieux leur accès au crédit.

Dans un document qui a circulé à l’institut des Mines Télécom (à lire ici en intégralité), la direction affirme pour justifier la hausse de ses frais d’inscription que « les mécanismes de prêts bancaires à taux modéré pour étudiants existent, pour des montants allant jusqu’à 15 000€. Ils sont déjà utilisés par les étudiants. Les écoles et l’Institut en faciliteront l’usage, d’une part en renforçant l’information de proximité vers les étudiants qui en auraient besoin, et d’autre part en sensibilisant des banques partenaires ». Passer des partenariats avec des établissements bancaires, telle serait donc la solution.

Alors que les universités, historiquement sous-dotées par rapport aux grandes écoles, sont depuis le passage à l’autonomie totalement asphyxiées financièrement – une vingtaine sont en déficit –, on pourrait s’étonner que la gratuité soit précisément remise en cause dans d'autres établissements pourtant bien mieux lotis par l’État. Pourquoi vouloir d’abord augmenter les frais d’inscription dans ces grandes écoles, au risque d’élargir encore le fossé d’un enseignement supérieur public déjà à deux vitesses – grandes écoles d’un côté, universités de l’autre ?

Parce que, reconnaît Laurent Daudet, en charge de l’enseignement supérieur au sein du think tank Terra nova, favorable à la fin du « tabou de la gratuité », « c’est socialement plus acceptable dans ces établissements, alors que cela reste tabou à l’université ». Un public socialement favorisé, moins remuant qu’à l’université, et surtout plus porté sur la comparaison internationale ou la quasi-gratuité française de l’enseignement supérieur public est effectivement une exception… Les grandes écoles sont un laboratoire idéal pour expérimenter la hausse des droits d’inscription.

Bien des présidents d’université, dont les établissements peinent chaque année à boucler leur budget, même s’ils ne le reconnaissent pas toujours publiquement, lorgnent de plus en plus eux aussi sur cette ressource. L’ancien président de Paris IV Jean-Robert Pitte est l’un des partisans les plus fervents de la hausse des frais d'inscription pour les étudiants, une solution qui permettrait à la fois de renflouer les caisses des établissements et qui éviterait selon lui le « tourisme étudiant », comme il l’expliquait au cours de la même réunion à l’école Polytechnique.

Au ministère de l’enseignement supérieur, sous la pression de Bercy, plusieurs scénarios sont, selon nos informations, à l’étude. Celui qui a le plus le vent en poupe consisterait à préserver le niveau licence pour augmenter sensiblement les droits à partir du master (bac+3). « La quasi-gratuité en licence correspond bien aux objectifs de démocratisation de l’enseignement supérieur fixés par la ministre et par les objectifs européens de 50 % d’une classe d’âge en licence. C’est l’idée que la Nation investit sur sa jeunesse », détaille un conseiller. « Au niveau master, on peut parler d’un investissement individuel. Le différentiel de salaire entre un diplômé de licence et de master est tel que le prix du master, le jeune le récupère tout de suite sur le marché du travail », explique-t-il.

À côté d’un argumentaire classiquement libéral, reposant sur la logique de l’investissement individuel, s’est déployé depuis quelques années sous l’égide du think tank Terra nova, proche du parti socialiste, un argumentaire « de gauche » pour justifier la hausse des frais d’inscriptions dans l’enseignement supérieur.

La gratuité serait socialement injuste si l’on considère le public qui en bénéficie. Elle conduirait ainsi « à un transfert de ressources – le coût public des études – en direction des jeunes qui font les études les plus longues. Il s’agit massivement des jeunes issus des milieux les plus favorisés ». Cette quasi-gratuité n’aurait donc « aucune vertu redistributive et aggrave même les inégalités », explique Terra Nova. La modulation des frais d’inscriptions en fonction des revenus des familles et l'accès facilité à des prêts étudiants pourraient s'y substituer.

Ce bouleversement de perspective – pratiquement sans aucun débat public – fait bondir certains économistes. « Les études sont considérées comme exclusivement centrées sur les débouchés salariaux des étudiants : ceux-ci sont pensés comme des investisseurs dans leur propre "capital humain", capital qu’il conviendra de rentabiliser au mieux. Exit le rapport désintéressé au savoir et le droit à l’éducation. Exit les principes de solidarité et de collaboration : vive la concurrence ! » écrivait récemment dans Mediapart un collectif de jeunes chercheurs. Pour eux, « c’est bien la quasi-gratuité de notre système qui laisse ouverte la possibilité aux moins favorisés comme aux classes moyennes de conjurer leur destin scolaire et social. Les frais de scolarité importants jouent le double rôle de barrière à l’entrée des établissements et de fardeau à la sortie sous la forme d’une dette qui s’abat spécifiquement sur ceux dont les parents ne peuvent payer », affirment-ils.

Autre victime collatérale de ce changement de philosophie : les étudiants étrangers. Dans une perspective de l’utilisateur payeur, le principe d’appliquer des droits plus élevés pour les étudiants étrangers s’est peu à peu imposé. Comme leurs familles ne paient pas d’impôts en France, aucune raison qu’ils ne paient rien ou presque des études financées par la collectivité nationale. Dans les écoles des Mines Telecom, l’augmentation pour les étrangers non communautaires est allée jusqu'à 350 %. L’association de défense des étrangers, le Gisti, jugeant qu’une ligne jaune étaient franchie, et qu’il y avait là discrimination manifeste, a déposé un recours au Conseil d’État dont l’issue est très attendue par tous les établissements qui comptent bien faire de même.

Depuis un décret de 2008, les universités peuvent appliquer des droits d’inscriptions plus élevés pour leurs étudiants étrangers à condition de justifier de prestations particulières. Beaucoup ne s’en privent pas.

L’arrivée de Benoît Hamon, ancien de l’Unef, à la tête de ce grand ministère regroupant l’éducation nationale et l’enseignement supérieur changera-t-il la donne ? Depuis deux ans, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, aujourd'hui secrétaire d'État, s’était engagée auprès des organisations étudiantes, l’Unef principalement, à ne pas ouvrir ce dossier « pour l’instant ». Dans le contexte budgétaire actuel, les pressions n’ont sans doute jamais été aussi fortes pour qu'il soit quand même ouvert.   

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Flashball: un policier pourrait être envoyé devant les assises

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C’était le 8 juillet 2009, à Montreuil. Vers 22 heures, des policiers dispersent une cinquantaine de manifestants, qui, à l’issue d’un dîner festif, s’étaient rassemblés devant une clinique évacuée le matin même par les forces de l'ordre. Trois fonctionnaires tirent au Flashball. Plusieurs personnes, qui s’enfuyaient, sont touchées. L’une d’elles, Joachim Gatti, réalisateur de 34 ans, perdra son œil.

Près de cinq longues années plus tard, le parquet de Bobigny a fini par rendre, le 4 avril 2014, ses réquisitions. Mediapart a pu consulter ce document. Alors que trois policiers étaient mis en examen pour violences volontaires, Sylvie Moisson, procureur de la République, ne demande le renvoi devant les assises que d’un d’entre-eux, l'agent de la brigade anticriminalité de Montreuil (Bac) qui a mutilé Joachim Gatti.

« Devant le caractère accablant du dossier, la police et la justice ont décidé de lâcher un policier et de lui faire porter toute la responsabilité, laissant croire qu’il s’agit là d’un acte isolé, d’un accident en somme », a regretté le collectif du 8 juillet, qui rassemble plusieurs des personnes blessées. Il rappelle que « tous les tirs étaient dirigés vers nos visages. Nous avons été touchés à la nuque, à la clavicule, au front et à l’œil. Tous les tirs auraient pu nous blesser grièvement. »

Au total, ce 8 juillet 2009, trois policiers avaient fait usage à six reprises de leur Flashball. En toute illégalité, selon l'ex-commissaire de Montreuil, qui a reconnu selon les réquisitions que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur arme ». Selon le commissaire, « les fonctionnaires ont dû se méprendre sur le cadre d’intervention ». Ni lui, ni son lieutenant de police, qui dirigeait l’intervention, n’avaient cependant pensé à rappeler cette règle à leurs troupes. Sur le terrain, « dans un contexte de feux d’artifice », le lieutenant n’aurait d’ailleurs « pas perçu » les tirs de Flashball de ses hommes.

Vers 22 heures, voyant qu’une « cinquantaine » des convives du dîner festif se dirigeaient vers la clinique, sept policiers de l’Unité mobile de sécurité de Montreuil appellent des renforts. Ils sont rejoints par des agents des Bac de Montreuil et de Rosny-sous-Bois, du groupe de sécurité de proximité, de la brigade de nuit et de la brigade de jour. Soit 28 fonctionnaires au total, pas vraiment spécialistes du maintien de l'ordre. Ils reçoivent, selon le réquisitoire, « une pluie de projectiles, des canettes lancées en cloche ». Les manifestants se dispersent rapidement vers la place du marché de Montreuil, où les tirs de projectile cessent, de l’aveu même du lieutenant. C’est pourtant à ce moment qu’un policier de la Bac de Montreuil tire à deux reprises au Flashball. Atteint au visage, Joachim Gatti tombe au sol, avant d'être relevé par des manifestants, l’œil en sang.

Le policier, aujourd’hui âgé de 38 ans, affirme avoir tiré pour protéger ses collègues qui procédaient à une interpellation et qui « étaient toujours caillassés » par un groupe qui « continuait à avancer ». Le fonctionnaire, passionné par son métier et champion de France en équipe de tir à la carabine, a également assuré ne pas s’être rendu compte qu’il avait blessé quelqu’un. Une version « peu compatible » avec celle de sa propre hiérarchie et de plusieurs riverains interrogés par l’IGS (inspection générale des services), relève le parquet.

Les témoins, qui ont assisté à la scène Place du marché, ont effet décrit « une ambiance bon enfant » avec des manifestants qui « reculaient ». Aucun n’a vu de jets de projectiles. Et selon plusieurs riverains, « les policiers ne pouvaient pas ne pas voir le blessé, il avait chuté immédiatement et il n’y avait personne autour de lui », indique le réquisitoire. Dans leurs rapports, obligatoires après chaque utilisation du Flashball, aucun des trois policiers tireur n’a pourtant fait mention de blessés. Et ils se sont encore moins portés à leurs secours...

La procureure écarte donc « l’état de légitime défense », constatant que « l’information n’a pas permis de retenir l’existence de jets de pierre contemporains ». « Même si tel avait été le cas », précise-t-elle, l’usage à deux reprises d'une « arme non létale, mais susceptible de causer de graves blessures en direction d’un groupe compact de personnes à une distance de l’ordre de 8 à 10 mètres (…) n’aurait pu constituer les circonstances d’une riposte proportionnée à l’attaque ».

Cinq autres personnes affirment avoir été atteintes par des tirs de Flashball ce soir-là : à la jambe (deux jours d’ITT), à la clavicule (deux jours d’ITT), en haut du bras (un jour d’ITT), et pour le dernier au poignet, alors qu’il tentait de se protéger en ramenant ses mains sur sa tête, à la vue d’un policier en position de tir. Une experte de l’Institut national de police scientifique de Paris (INPS), désignée par la juge d’instruction, a estimé que quatre de ces blessures étaient compatibles avec un tir de Flashball.

Concernant ces cinq autres victimes, la procureure de Bobigny a toutefois requis un non-lieu à l’encontre des trois policiers  mis en examen, «aucun lien n’ayant pu être établi entre les blessures (…) et les tirs de Flashball ». C’est désormais au juge d’instruction en charge du dossier de décider s’il suivra ou non ces réquisitions.

Lire la lettre ouverte de quatre des victimes à Sylvie Moisson, procureure de la République : «Que fait la justice? Ça crève les yeux!»

BOITE NOIREL'avocat du policier tireur, contacté jeudi soir, n'était pas joignable avant lundi.

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« La frontière des électorats UMP et FN n’est plus étanche »

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Florent Gougou est chercheur associé au Centre d’études européennes et post-doctorant à l'Université d'Oxford. Spécialiste des comportements électoraux (voir ses travaux), il a soutenu en 2012 une thèse sur les mutations du vote des ouvriers. Il analyse pour Mediapart les grandes dynamiques à l'œuvre à droite après les municipales, et à six semaines des européennes.

Selon lui, il n'y a pas de « poussée historique » du Front national mais un retour au niveau de 1995. Le parti lepéniste n'a en fait « quasiment jamais mis l'UMP sous tension » étant donné la forte poussée de la droite, due à l'effondrement de la gauche. Mais le chercheur estime en revanche que la « frontière » entre les électorats de droite et d'extrême droite n'est plus « étanche », des électeurs de droite n'hésitant plus à voter FN pour battre la gauche. Le basculement de terres de gauche à l'extrême droite s'explique d'ailleurs en premier lieu par la radicalisation d'électeurs de droite.

Mediapart : Comment jugez-vous la défaite de la gauche, par rapport à celle de l’UMP en 2008, qui était dans une situation similaire (première élection après une victoire à la présidentielle et aux législatives, et un gouvernement qui déçoit son électorat) ?

Florent Gougou : C’est une déroute. En termes de mairies, on n’avait jamais vu cela. Si l’on regarde les villes de plus de 30 000 habitants, le solde de la gauche était de - 29 villes en 1983 ; il est de - 54 en 2014. En 2008, il était de - 31 pour le MoDem et la droite. Le seul précédent est 1977, lorsque la gauche avait progressé de 55 villes. Sauf qu’au-delà de la dynamique de sanction contre le gouvernement Barre, la gauche avait aussi profité d’un changement des logiques d’alliances (la généralisation des accords PC-PS avait permis de gagner des villes jusque-là gouvernées au centre). Aujourd’hui, François Hollande est encore plus impopulaire que Nicolas Sarkozy.

Selon Jean-François Copé, l’UMP a gagné 166 villes et 63 % des villes de plus de 9 000 habitants sont détenues par la droite et le centre droit. L’effondrement de la gauche suffit-il à expliquer la poussée de la droite ?

Florent Gougou à MediapartFlorent Gougou à Mediapart © MT

Cette poussée s’explique par plusieurs éléments. D’abord, l’effondrement de la gauche et la forte sanction du gouvernement : 2014 pour le PS ressemble à 2008 pour l’UMP. Ensuite, l’UMP a été le meilleur réceptacle de cette sanction car elle a en général des candidats plus crédibles et plus connus pour gagner des villes que le FN. Enfin, elle a été aidée par l’accord avec l’UDI qui a permis une absence de concurrence.

La droite a aussi profité d’une plus forte mobilisation de ses électeurs, quand ceux de gauche sont restés chez eux ?

On observe deux mouvements: une très forte abstention différentielle en faveur de la droite, mais aussi des transferts de voix. Des électeurs qui ont voté à gauche à la présidentielle sont venus dire leur mécontentement en votant pour la droite.

Par ailleurs, certains pensaient à une correction au second tour des résultats du premier, avec un retour aux urnes d’électeurs de gauche pour sauver la tête de quelques maires. Dans de nombreux cas, on a assisté à l’inverse : une amplification du message du premier tour. Les nouveaux électeurs du second tour sont venus enfoncer la gauche.

On en a un exemple très parlant à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) : entre les deux tours, la participation progresse de cinq points, le maire sortant divers gauche gagne 300 voix et le candidat UMP 1 800 (au premier tour, il y avait aussi une liste LO qui avait obtenu un peu plus de 600 voix). On retrouve une dynamique similaire à Limoges par exemple, qui n’apparaissait pas menacée au soir du premier tour. Au final, cela rappelle les élections régionales de 2004, où, à l’issue du premier tour, personne n’imaginait que 20 régions passeraient à gauche.

En 2012, l’UMP a été fortement concurrencée par le Front national. Marine Le Pen avait annoncé l’explosion de l’UMP et des alliances locales. Il n’y en a pas eu (seuls deux candidats de droite ont fusionné avec des listes frontistes). La droite a-t-elle résisté face au FN ?

La chance de l’UMP, c’est qu’il y a eu une telle poussée de la droite, qu’il existe peu d’endroits où elle a été menacée par le Front national. Au fond, le FN ne l’a quasiment jamais mise sous tension.

Dans le sud-est, l’UMP est tout de même laminée par des candidats frontistes dans plusieurs villes, par exemple dans le Vaucluse (Avignon, Carpentras) ou le Var (Fréjus) ?

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, de nombreuses zones ont fortement glissé vers la droite dans les années 1980. Un des départements les plus à droite aujourd’hui, le Var, avait par exemple placé François Mitterrand devant Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Mais depuis, les électeurs se sont polarisés sur la question de l’immigration, alors qu’ils votaient auparavant sur d’autres enjeux. En conséquence, la concurrence n’est plus entre droite et gauche (la gauche n’y est plus crédible et audible), mais essentiellement à droite, entre l’UMP et le FN.

Justement : comment s’en sort l’UMP lorsqu’elle est au second tour, en triangulaire face à un candidat frontiste ? Y a-t-il encore un réflexe de « vote utile » en faveur de la droite ?

Le Front national fait toujours peur aux électeurs. Généralement, on observe un tassement du FN aux élections à deux tours. Historiquement, il y a rarement de nouveaux électeurs qui affluent pour le FN au second tour. Lors de ces municipales, on voit que cela dépend de la situation du candidat de droite à l’issue du premier tour.

De nombreuses villes étaient présentées comme imprenables par la droite. Mais à l’issue du premier tour, le signal, avec la forte poussée de la droite, a été de dire qu’il était possible de battre la gauche dans des villes où on la pensait intouchable. Limoges est un très bon exemple. Personne ne l’imaginait passer à droite. Au premier tour, le candidat FN a récolté 17 %, au second 11 % car le signal était : “on peut battre le maire PS installé depuis vingt ans”. Les électeurs se tournent vers l’offre qui apparaît la plus crédible à droite pour battre la gauche (ce phénomène s’observe d’ailleurs aussi entre deux candidats de droite). À l’inverse, lorsque le candidat de droite n’est pas en position de battre la gauche, le FN retrouve son niveau du premier tour. Un exemple : Créteil.

Ce qui ressort, c’est donc surtout une forte porosité des électorats de droite et d’extrême droite ?

Dans les électorats, la frontière entre l’UMP et le Front national n’est plus très étanche, si tant est qu’elle existe encore. De ce point de vue, la rupture date de 2007. Le message de la présidentielle, avec le fort recul de Jean-Marie Le Pen au profit de Nicolas Sarkozy, était que l’UMP, si elle se saisit fortement des thématiques qui font le vote FN, en particulier l’immigration, peut concurrencer le Front national. En retour, aujourd’hui, lorsque c’est le FN qui figure au second tour, cela pose moins de problème à l’électorat de droite d’aller voter pour lui.

Ce phénomène était déjà perceptible en 2007, quand on regardait les circonscriptions de Lens et d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais, 13e et 14e), dont les résultats électoraux étaient très proches à la présidentielle. Au second tour des législatives aussi, avec la victoire du candidat PS avec 58 % des voix. Mais dans la première, le duel opposait le PS à l’UMP, et dans la seconde, le PS au FN (avec Marine Le Pen). Marine Le Pen était simplement la candidate de droite.

Dans certaines zones, le Front national semble d’ailleurs être devenu l’alternative à droite ?

Quand il n’y a plus d’UMP, le FN reste la seule offre politique de droite. Avant de l’observer dans les résultats, on le voit dans l’offre électorale. Lors de ces municipales, plusieurs villes dans le Nord-Pas-de-Calais, mais aussi dans la Seine-Maritime, ont eu directement un duel gauche-FN au premier tour.

En travaillant sur les mutations du vote ouvrier depuis 1945, vous avez également mis en évidence cette porosité entre droite et extrême droite, dans des terres de gauche qui basculent au FN, comme le bassin minier.

Oui, ce basculement s’explique plus par un renouvellement des générations que par un transfert de voix de la gauche à l’extrême droite – même si celui-ci existe. Ce ne sont pas les mêmes ouvriers qui votaient hier pour la gauche qui votent désormais pour le Front national, mais de nouveaux ouvriers qui entrent dans le corps électoral, tout cela sur fond de recul du vote de gauche des ouvriers.

Est-ce que ce phénomène s’observe au-delà de la catégorie des ouvriers ?

Mon hypothèse serait qu’on retrouve cette dynamique sur d’autres groupes sociaux. Cela se voit dans la temporalité des basculements : quand cela prend de nombreuses années, comme dans le nord-est, c’est un indice du rôle du renouvellement démographique. Alors que dans le sud-est, où le FN a directement atteint des niveaux élevés en 1984-1986, les basculements d’électeurs ont été nombreux. Et là, c’est plutôt un électorat de droite qui s’est radicalisé vers l’extrême droite.

De nombreux observateurs – chercheurs ou journalistes – ont évoqué un « triomphe » ou une « percée » du Front national aux municipales. Quel bilan peut-on tirer, deux ans après ses 17,9 % à la présidentielle ?

De la même manière que 2012 a été le retour au plus haut niveau, à la présidentielle, du Front national, 2014 est le retour à 1995, à un niveau similaire, légèrement supérieur. Donc il n’y a pas de « percée » ou « poussée historique » du FN, sauf à comparer avec deux cas particuliers : 2001 (les premières élections après la scission avec Mégret) et 2008 (où le parti est exsangue après la séquence de 2007 et la concurrence de Sarkozy).

Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est le redressement du FN, qui est redevenu une force politique significative dans le paysage français, tendanciellement en progression, après son effondrement en 2007. Alors oui, les élections municipales de 2014 sont un succès pour le FN. Mais quand on compare par rapport à 1995, pas un triomphe. Quand à la présidentielle de 1995, Jean-Marie Le Pen avait amélioré de 0,5 point son score de 1988, personne n’avait évoqué une « poussée historique ».

Au-delà de cette tendance générale, quelles dynamiques observez-vous dans le vote FN ?

Par rapport à 1995, il gagne neuf mairies supplémentaires, mais il enregistre un recul dans les grandes villes. Fréjus et Hénin-Beaumont, ce n’est pas Toulon, qui figure parmi les vingt plus grandes villes de France. Les Verts ont pris Grenoble, c’est plus fort que dix villes de taille moyenne en terme de capacité à montrer sa crédibilité à gouverner, dans l’optique de la présidence de la République.

Par ailleurs, le Front national poursuit la restructuration de sa géographie électorale qu’on observe depuis la présidentielle de 2007 : la zone forte dans le sud-est (où il gagne des villes dans l’arrière-pays) est rejointe par celle du nord-est. Ce mouvement n’était pas aussi perceptible en 1995. Enfin, par rapport à ses scores du premier tour, il y a encore une incapacité du FN à gagner, notamment lorsqu’il se retrouve en duel ou bien en triangulaire avec une gauche très faible. Les cas où il parvient à gagner restent très limités.

Le FN a réalisé de bons scores dans le grand ouest, pourtant plus imperméable aux idées du FN : en Bretagne, (Rennes, Brest, Quimper, Fougères, Saint-Malo, Morlaix, Vannes, Lorient), dans les Pays de la Loire (Nantes, Laval) en Poitou-Charentes (Angoulême), dans le Limousin (16,95 % à Limoges) et même à Dax (Landes). Est-il devenu une « terre de mission » comme l’affirme Marine Le Pen ?

Par rapport à la présidentielle de 2012, il n’y a pas de percée, on observe la même proportion des suffrages exprimés. Simplement on ne voyait pas, auparavant, de vote FN aux municipales puisqu’il n'y présentait pas de liste. Mais les électeurs frontistes existent – même si, dans ces zones, il y a encore de la marge avant d’aller concurrencer la droite modérée.

Donc la nouveauté, c’est plutôt sa capacité d’implantation locale, le fait qu'il parvient à présenter des listes là où il n’avait pas l’habitude d’en présenter ?

Oui, cette capacité est très révélatrice de sa force électorale. Ses résultats semblent plus indexés sur cette capacité que dans les autres partis. Lorsque le FN parvient à monter une liste, c’est un signal très fort : cela veut dire que ses électeurs seront au rendez-vous, qu’il y a une dynamique électorale.

Et comment jugez-vous cette implantation locale par rapport aux municipales de 1995 ?

C’est un petit peu mieux, sauf dans les grandes villes. Le FN n'y fait pas ses meilleurs scores et pourtant c’est là où il est plus facile de présenter des listes. Dans les villes de plus de 10 000 habitants, il n’est pas parvenu à présenter des listes à Saint-Denis, Montreuil et Argenteuil. Au début des années 1990, il y avait réussi de bons scores, en mobilisant ses électeurs sur fond de très forte abstention. En vingt ans, les populations ont beaucoup changé et la proportion de populations d’origine étrangère y est importante. Là-bas, il n’y a plus d’électorat pour le FN.

On observe un taux de participation élevé dans les villes où le FN réalise de bons scores (Béziers, Fréjus, Hénin-Beaumont par exemple). Le FN ramène-t-il aux urnes des abstentionnistes ?

La participation aux municipales dépend fondamentalement de deux variables : la taille de la ville (plus la ville est grande, plus la participation décroît) et l’enjeu du scrutin (plus il est serré, plus la participation est forte). Le fait que le FN puisse gagner est un enjeu en soi pour les électeurs. Il y avait beaucoup de votants à Hénin-Beaumont car l’enjeu était fort et la campagne nationalisée. La couverture des médias a de l’impact sur la mobilisation. Les scrutins les plus médiatisés en 2001 étaient Paris et Lyon : la participation y avait fortement progressé. Même chose en 2008 avec Marseille.

Le FN, qu’on présente comme un vote protestataire, est-il devenu, comme le prétend Marine Le Pen, un « vote d’adhésion » ?

Tout électorat a un noyau qui adhère profondément à ses idées et des cercles périphériques où l’adhésion est plus lâche. La vraie question n’est pas celle de l’adhésion mais du noyau du FN : est-il en train de s’élargir ? En 2007, Nicolas Sarkozy était parvenu à attaquer le cœur de ce noyau. En 2012, il y a encore des traces de cette concurrence. Est-ce que le redressement du FN à partir des régionales de 2010 s’est accompagné d’un élargissement de son noyau électoral ? On n’a pas de réponse pour l’instant.

Il y a plusieurs manières de protester contre un gouvernement dont on est mécontent. Pour que cela se transforme en vote FN, il faut qu’il y ait une hostilité à l’immigration. C’est une constante qu’on observe dans les enquêtes depuis les années 1980. Pour autant, tous les électeurs hostiles à l’immigration ne votent pas pour le FN, sans quoi il serait depuis longtemps au pouvoir. 

Marine Le Pen mise beaucoup sur les élections européennes du 25 mai. Le Front national peut-il arriver devant l'UMP ?

La première percée nationale du Front national, ce sont les élections européennes de 1984, ce qui a pu laisser penser que ce scrutin lui est plus favorable que les autres : ce n'est pas du tout le cas. Pour deux raisons : d'une part, la faible participation, qui le pénalise particulièrement car son électorat est très populaire ; d'autre part, le niveau de pouvoir, qui peut pousser une partie de ses électeurs, hostiles à l'Europe, à s'abstenir plutôt qu'à légitimer le système politique de l'UE en votant à des élections européennes.

Cependant, compte tenu de la dynamique du FN depuis les régionales de 2010, il ne serait pas du tout surprenant qu'il atteigne un niveau inédit. Mais le principal défi du FN est de devenir la première force de droite, en dépassant l'UMP. Et de ce point de vue, l'UMP peut surfer sur la vague des municipales pour résister lors des européennes.

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Dans le Nord, « Pinault a brisé la famille Redoute »

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 De notre envoyée spéciale dans le Nord

« Moi, je n'ai pas fait croire aux salariés qu'ils allaient partir avec un gros chèque parce que le patron était milliardaire. Je préfère une famille brisée qui vit à une famille brisée qui meurt. Il fallait signer. C'était ça ou le dépôt de bilan. Pinault ne bluffait pas. » Jean-Claude Blanquart « ne rasera pas les murs » de son entreprise. Le délégué syndical central CFDT de La Redoute « assume » d'avoir signé le protocole d'accord social qui valide la cession de l'ancien fleuron de la vente à distance par la famille Pinault via son groupe de luxe Kering (ex-PPR) au tandem Balla-Courteille. On peut le traiter « de traître », « de jaune », il a « pris ses responsabilités ».

Devant le siège de La Redoute à Roubaix, avril 2014Devant le siège de La Redoute à Roubaix, avril 2014 © Rachida El Azzouzi

La signature qu'il a portée au nom de la CFDT, premier syndicat de l'enseigne (32,36 % des voix aux dernières élections), n'est pas rien. En rejoignant celle de la CFE-CGC, elle entérine la suppression de 1 178 postes sur 2 432 en trois ans et clôt le feuilleton du rachat de La Redoute, en vente depuis 2009 : 600 départs en pré-retraite avec 80 % d'un salaire qui dépasse rarement le Smic, sans treizième mois, ni prime d'ancienneté, 350 départs volontaires et 250 licenciements secs (au minimum) principalement dans la logistique et la relation clients. Dans le Nord, la bombe sociale du bassin d'emploi Roubaix-Wattrelos-Tourcoing déjà largement sinistré par le chômage de longue durée peut exploser.

Les repreneurs, Nathalie Balla (patronne de La Redoute depuis 2009) et Éric Courteille (secrétaire général de Redcasts, la filiale qui dirigeait La Redoute chez Kering), saignent l'effectif pour « moderniser » la “Vieille Dame de Roubaix”, dépassée par la concurrence notamment sur le marché de l'habillement et les pure-players du web, Ventesprivées, Sarenza... Ils se donnent trois ans jusqu'en 2017 pour atteindre l'équilibre financier et préviennent les salariés épargnés qu'ils devront redoubler de flexibilité, travailler les soirs, les week-ends, faire plus en étant moins nombreux et en gagnant encore moins, avec une réorganisation du travail de très grande ampleur.

Coralie, 33 ans, pensait faire carrière comme sa mère à La RedouteCoralie, 33 ans, pensait faire carrière comme sa mère à La Redoute © Rachida El Azzouzi

La famille Pinault, sixième fortune de France, elle, peut se recentrer exclusivement sur le luxe. Elle se débarrasse enfin de l'encombrant vépéciste, qu'elle a laissé dépérir en refusant d'investir les dizaines de millions qui auraient été nécessaires pour faire face aux transformations violentes du secteur alors qu'il fut la vache à lait de ses filiales et un artisan de l’ascension vertigineuse de Kering. Elle le brade pour l'euro symbolique, injecte 315 millions d'euros dans sa modernisation et dépose pour solde de tout compte 180 millions d'euros dans une fiducie pour financer et garantir les mesures sociales.

Jean-Claude Blanquart a paraphé les cinquante pages de l'accord in extremis le lundi 24 mars, aux côtés de la CFE-CGC, le deuxième syndicat (22,53 %) sans la CGT et Sud. Il a signé « à contrecœur », malgré l'opposition farouche de sa section, après un week-end sous haute pression de la base au sommet, au lendemain du premier tour des municipales, en pleine débâcle socialiste. Voiture vandalisée, menaces de mort, noms d’oiseaux... Depuis, le syndicaliste (normalement en pré-retraite après 38 ans de maison mais son syndicat l'a rappelé à l'automne pour mener les négociations) dit « payer sa signature ».

Copie de la dernière page de l'accord socialCopie de la dernière page de l'accord social © dr

Il a installé une caméra devant chez lui, demandé une protection policière. Il a aussi changé le canon de la porte du local syndical car sa section sur Roubaix et Wattrelos a volé en éclats, à quelques semaines des élections professionnelles. Dix-neuf délégués sur 28 ont démissionné, brûlé leurs cartes devant l'entreprise. Ils refusent que le "D" de CFDT, "démocratie", devienne « dictature » et voulaient un référendum comme à Relais-Colis, la filiale ou lors du plan social de 2008. Partis déjà avec une bonne centaine d'adhérents, ils viennent de monter une section Force ouvrière. Jean-Claude Blanquart rit jaune et s'emporte : « Un référendum avec tous les salariés était impossible à organiser en une demi-journée vu l'ultimatum de Kering et de toute façon, la majorité aurait voté pour la signature. »

À l'image de la CFDT scindée en deux, les salariés de La Redoute sont divisés, déchirés entre pro et anti-accord. Deux slogans, deux camps. Au siège, à Roubaix, l'antre des cadres et agents de maîtrise, sur les vitres du self, des affiches : « Signez pour la Redoute. » À Wattrelos, à l'entrée du site industriel de la Martinoire, la plate-forme de préparation des colis et de logistique, fief des ouvriers et petits employés, des résidus de feux de palette et un panneau : « Je perds des sous pour ceux qui ne bougent pas. La Déroute. 20 000 euros pour finir ta vie de chômeur ».

A l'entrée du site industriel de la Martinoire, à Wattrelos, avril 2014A l'entrée du site industriel de la Martinoire, à Wattrelos, avril 2014 © Rachida El Azzouzi

C'est ici sous l'immensité des hangars obsolètes, aux couleurs de l'enseigne, vert et blanc, que le choc social sera le plus violent. Les agents opérationnels (AO) forment une population salariée particulièrement vulnérable, à faible employabilité. Souvent sans diplômes, cette cheville ouvrière payée le SMIC, majoritairement féminine, embauchée à peine sortie de l'adolescence, a l'âge critique pour retrouver un emploi (45-55 ans) et des années de pénibilité au travail derrière elle. Jean Dejonckere, le secrétaire du comité d'hygiène et de sécurité de la Martinoire, répertorie « pas loin de 200 personnes », des jeunes et des seniors, sous le coup d'inaptitudes, de reconnaissance Cotorep, de maladies professionnelles, de troubles musculo-squelettiques (TMS).

Le plan de modernisation de Balla et Courteille les sacrifiera ou les pressera un peu plus. Il prévoit la refonte totale de la logistique et la création d'une nouvelle unité industrielle, pour expédier les colis en un temps record, 2 heures chrono contre 24 heures aujourd'hui, soit la suppression d'ici 2017 de plus de 57 % du personnel (de 1 280 à 550), essentiellement des AO et une dégradation des conditions de travail pour ceux qui seront épargnés dont beaucoup de mères de famille isolées (flexibilité accrue, travail sept jours sur sept).

« Pôle emploi ou le bagne ! Merci Pinault ! » résume à la sortie de l'usine, dans la colère et les larmes, Leïla. Elle est « prépa » (préparatrice de commandes) au ramassage des « PA » (petits articles), le service le plus impacté, « le pire service, le plus physique et moral, douze kilomètres de marche par jour dans l'atelier à conduire une charrette pleine ». Tandis qu'un transporteur portugais cherche la frontière belge, toute proche, elle parle avec sa collègue Rabhia du « tsunami social ». Le débat dans les ateliers depuis des mois. Leila vit « très mal » la période, « comme si (elle) sautait d'une falaise sans parachute ».

Rabhia, 53 ans, préparatrice de commandes au ramassageRabhia, 53 ans, préparatrice de commandes au ramassage © Rachida El Azzouzi

Elle se demande ce qu'elle va valoir, à 42 ans sur le marché du travail, « flinguée » par vingt ans de TMS, dans ce Nord-Pas-de-Calais, « champion de France du chômage » avec près de 400 000 chômeurs. Elle a donné sa vie, sa santé à « Redoute ». Comme son père, sa mère, ou encore son mari. Ce dernier a senti le vent tourner, est « parti voir ailleurs » il y a quelques années constatant la fonte des effectifs dans les services, des licenciements déguisés par la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), l'outil de dégraissage du cybervendeur passé en dix ans de 6 300 salariés à 2 400 sur Roubaix-Wattrelos-Tourcoing.

Rabhia, 53 ans, craint « le pire » : la mort de « Redoute » après 2017. Elle ne croit pas au business plan des repreneurs, pense que « Pinault a refilé le sale boulot à Balla, pour ne pas salir son nom dans le monde du luxe, que la menace du dépôt de bilan et de ne plus couvrir les dettes était un coup de bluff ». Elle a « googlélisé » la nouvelle patronne, « Madame plus », « personnalité e-commerce » de l'année 2011, et rencontré par hasard un ancien commercial du VPC Klingel en Allemagne. « Il m'a dit que c'était une spécialiste du nettoyage d'usines. Elle a liquidé Klingel et là-bas, les salariés n'ont même pas pu broncher. Ils sont partis avec rien », raconte-t-elle.

Jean Dejonckere, secrétaire du CHSCT sur le site de la Martinoire, à WattrelosJean Dejonckere, secrétaire du CHSCT sur le site de la Martinoire, à Wattrelos © Rachida El Azzouzi

 

Comme beaucoup de leurs collègues de la Martinoire, bastion de la lutte, Leila, ex-CFDT, et Rabhia, cégétiste, voudraient continuer le combat, les AG, les grèves, mais la signature de la CFDT, le 24 mars, a été un coup d'arrêt. Après des mois de mobilisation, à perdre 200, 300 euros sur leur bulletin de salaire (1 100 euros net), aux cris de « Pinault, voyou, La Redoute est à nous ! », elles s'avouent « sonnées ». Jean-Christophe Leroy, le délégué CGT, aussi. « Cette fin de conflit, c'est comme un TGV qui s'arrête en pleine voie. On est tous KO, même les syndicalistes. Ce n'est pas simple à gérer pour les pro comme les anti-signature. La Redoute, ce n'est pas une usine qui ferme comme PSA-Aulnay mais une entreprise qui licencie la moitié de son effectif. Ce n'est pas l'industrie mais le commerce, c'est encore plus compliqué de mobiliser. Il y a ceux qui partent, ceux qui restent, ceux qui veulent se battre, ceux qui sont résignés, qui préfèrent ne pas bouger en pensant qu'en rasant les murs, leur service sera préservé. »

« Cette cession est très douloureuse, qu’on soit condamné ou en sursis. C'est un livre qui se ferme et un autre qui s'ouvre sans qu'on sache si on va réussir à l'écrire. » Nora Miloudi file à son tour la métaphore. Elle est la secrétaire du comité d'entreprise, à la tête d'un budget de près de 700 000 euros dont la moitié sert à financer la mutuelle, le reste va « à la solidarité, à donner du soleil aux salariés, des classes populaires et moyennes étranglées par la crise, des familles avec un seul salaire qui finissent le mois aux Restos du cœur ». Elle leur organise des journées à Paris à 5 euros, au parc Astérix à 12 euros, des vacances à prix réduits qui profitent autant aux agents opérationnels qu'au personnel d'encadrement... Elle a aussi embauché deux assistantes pour l'aider, « deux femmes discriminées au travail par l'âge, la couleur » : Ugnès, 22 ans, originaire du Congo et Marie-Christine, 59 ans, senior au chômage depuis son licenciement.

Leila, 42 ans, préparatrice de commandes au ramassage depuis vingt ansLeila, 42 ans, préparatrice de commandes au ramassage depuis vingt ans © Rachida El Azzouzi

Pilier de la CFDT qu'elle vient de quitter pour FO, « bien avec les cadres comme avec les ouvriers », elle voit, semaine après semaine, « les dégâts de la restructuration sur les individus ». Ce vendredi 11 avril, le CE s'est réuni pour donner son avis (qui n'est que consultatif) sur les mesures sociales, dernier acte validant la cession qui sera effective fin avril. Un seul a voté pour : l'élu de la CFE-CGC. Nora Miloudi n'a pu être présente. La secrétaire adjointe du CE Fatima Derrouaz l'a remplacée. Elle et neuf autres délégués dont 4 de la CFDT ont émis un avis défavorable. La chef de file du CE n'en démord pas : « Un référendum aurait apaisé le climat social. Une signature dans la douleur, c'est contre-productif. Aujourd'hui, il faut gérer l'après-conflit. On est tous mal. Même ceux qui ont mis la pancarte, “signons pour l'avenir de la Redoute”, se demandent ce qu'ils vont devenir demain. »

Pour Nora Miloudi, dont la petite sœur et le mari travaillent à « Redoute », «notre résidence principale à tous», « la famille Redoute » s'est fracturée le 21 mars, « un vendredi noir », dit-elle encore « choquée ». C'était le premier jour du printemps, l'avant-veille du premier tour des municipales. Des cris, des bousculades, des invectives, « traîtres », « moutons »... À Roubaix, rue de Blanchemaille, au siège historique, les classes laborieuses se sont affrontées sous les caméras de télévision et la surveillance disproportionnée de dix-sept cars de CRS munis de canons à eau tandis que derrière les murs de brique, le bras de fer se jouait entre les organisations syndicales et le groupe Kering.

© dr

D'un côté, une partie de l'encadrement sous pression de la direction et de son syndicat la CFE-CGC qui avait diffusé un tract rappelant que les ouvriers n'avaient pas le même cursus scolaire que les cols blancs. De l'autre, principalement les « AO » de la Martinoire mais aussi des cadres. Les premiers appelaient les syndicats à vite signer l'accord social, « on a déjà beaucoup obtenu », pour confier les clés du navire à la dérive aux deux repreneurs. Sinon, c'est la mort rapide de l'entreprise debout depuis 1873. L'administratrice judiciaire avait brandi la menace par mail dans l'après-midi aux représentants du personnel.

Les seconds imploraient de ne surtout pas signer en l'état actuel des négociations, de continuer la lutte, de ne pas céder au chantage à l'emploi. Ils jugeaient les conditions de départ des salariés insuffisantes (20 000 euros de prime de licenciement, 750 à 1 200 euros par année d'ancienneté, 12 mois de reclassement), réclamaient 40 000 euros de prime plancher, 36 mois de reclassement soit une rallonge de 60 millions d'euros s'ajoutant aux 180 millions d'euros qu'injecte le groupe Kering dans une fiducie pour financer le plan social, une somme dérisoire, disaient-ils, pour Pinault qui a engrangé quatre milliards et demi de fortune personnelle l'an dernier.

Fatima Derrouaz, secrétaire adjointe du CE @Rachida El AzzouziFatima Derrouaz, secrétaire adjointe du CE @Rachida El Azzouzi

Dans le camp des « nonistes », ce jour-là, il y avait la CGT, Sud, un bataillon de la CFDT qui n'avait pas encore « trahi » et « les Redoutables », « le cinquième syndicat de la Redoute » comme on appelle ce collectif de salariés syndiqués et non-syndiqués capable de mobiliser du monde en un temps record par SMS et par Facebook. Sa devise : force, rigueur, solidarité. Né en janvier, au plus fort de la bataille, sous les entrepôts de la Martinoire, il fédère 200 personnes, une majorité d'ouvriers, a l'expérience du plan social de 2008 (678 postes supprimés) et a su s'imposer jusque dans les négociations, bousculant, dépassant, de leurs propres aveux, les syndicats.

Le 29 mars, cinq jours après la signature, ils sont allés au concert de HK et les Déserteurs à la Condition publique, la manufacture culturelle de l'ancienne capitale du textile, un bâtiment à l'architecture unique qui servait au conditionnement de la laine et des soies. Kaddour Haddadi, le chanteur, enfant de Roubaix, les a fait monter sur scène pour un ultime « On lâche rien » face aux patrons millionnaires.

Au siège de la Redoute à Roubaix, sur les murs du selfAu siège de la Redoute à Roubaix, sur les murs du self © Rachida El Azzouzi

Coralie, 33 ans dont douze à « Redoute », fait partie de ce noyau dur qui, écrasé médiatiquement par la fronde des bonnets rouges bretons, à l'automne dernier, a coiffé le bonnet vert pour exister dans les médias sans connaître le même succès. Elle s’était syndiquée à la CFDT peu avant le conflit parce qu’elle a « des amis délégués » mais elle vient d’envoyer sa démission, « dégoûtée par le syndicalisme après la trahison de Jean-Claude (Blanquart) ». 

Elle travaille à Roubaix à la Relation clients, habite Lallaing près de Douai à 45 minutes de voiture et craint « le chômage autant que la nouvelle réorganisation du travail ». Alors elle prend les devants, a demandé un bilan de compétences, « cherche où faire carrière », plus près de chez elle, pour économiser les frais d'essence. « Il est fini le temps où on entre à Redoute comme dans la fonction publique », lui répète sa mère, « une fille de la Martinoire ». Elle part en pré-retraite dans quelques jours à 57 ans après 41 ans d'ancienneté avec bientôt la médaille d’or du travail, une petite pension et le cœur lourd de voir « la famille Redoute brisée par Pinault ».

Jean-Christophe Leroy, délégué CGT à La RedouteJean-Christophe Leroy, délégué CGT à La Redoute © Rachida El Azzouzi

De son côté, Jean-Claude Blanquart, le délégué central CFDT, a écrit un long courrier aux adhérents et diffusé un tract en interne qui scandalisent ses anciens camarades où il justifie la signature. À Mediapart, il concède que « la CFDT fait plus de compromis que d'autres », explique « songer à prendre du recul » avec le syndicat et l’entreprise, pour s’occuper de son autre famille, sa femme, ses enfants, ses petits-enfants. À cran : « Je me suis investi 38 ans dans cette société, 28 ans à la CFDT. J’ai côtoyé des milliers de personnes et aujourd’hui, on me traîne dans la boue. » Pour ce réformiste pragmatique, qui « vote de plus en plus écolo », « le climat est pourri par Pinault qui a annoncé le plan social à la veille des élections municipales mais aussi par les politiques qui ont instrumentalisé notre situation pour ramasser des voix ».

Dans toutes les villes plombées par la restructuration du premier employeur de la métropole lilloise, il a reconnu sur les listes de gauche (mais pas seulement) des salariés et des syndicalistes. Dont quatre personnes en particulier : Nora Miloudi, la secrétaire du CE, sur la liste du député-maire Dominique Baert (exclu du PS après les législatives de 2012 et grand ami de Manuel Valls) réélu au premier tour ; Jean-Christophe Leroy et Fabrice Peeters de la CGT sur les listes Lutte ouvrière à Villeneuve-d'Ascq et Roubaix ainsi que l'avocat des organisations syndicales, encarté au PS, Mario Califano, candidat malheureux à Croix, restée à droite, où un autre géant nordiste de la vente à distance, Les Trois-Suisses, vient d’annoncer deux cents suppressions de poste, la mort du catalogue et le passage au 100 % web.

© dr

« Certains ont fait campagne en promettant que la Redoute ne licencierait personne s’ils étaient élus ! » accuse Jean-Claude Blanquart. Une élue trouve grâce à ses yeux dans la gestion du dossier Redoute, du début à la fin : Martine Aubry, la maire de Lille, qui devrait perdre le 18 avril la présidence de la métropole, la droite ayant renversé Roubaix, Tourcoing, grâce aux querelles intestines du PS local, à l’impopularité du gouvernement sanctionné par son électorat et à l’abstention record.

Cela fait sourire Jean-Christophe Leroy, le délégué CGT, militant LO bien avant d'être salarié à La Redoute : « Au début du conflit, Aubry a montré les muscles mais dès que le nom du repreneur a été connu, elle a déclaré partout qu’on avait assez obtenu, qu’il fallait signer l’accord social, reprendre le boulot. Elle nous avait notamment promis des places pour le match de Lille contre Rennes, le club de Pinault. Deux jours avant, elle nous a plantés. On est quand même allés dérouler notre banderole mais on a payé nos places. »

Jean-Claude Blanquart, délégué central CFDT de La RedouteJean-Claude Blanquart, délégué central CFDT de La Redoute © @La Voix du Nord

 

Nora Miloudi ne veut pas surenchérir. Elle n’a jamais fait de politique, « ni demandé à figurer sur une liste, on est venu (la) chercher». Une dicussion avec la secrétaire du PS local et elle a dit “oui" pour incarner la voix des « petits-moyens ». Ces ouvriers-employés-agents de maîtrise-cadres qui grondent en silence puis dans les urnes, quand l’échéance électorale tombe, en ne votant pas, en ne votant plus, ou en votant les extrêmes, « seule manière de se faire entendre là-haut ». Elle a vu les ras-le-bol et les aigreurs s’accumuler à La Redoute à cause du plan social, de la hantise du chômage, de la baisse du pouvoir d'achat, du SMIC pas revalorisé, du matraquage fiscal, du mariage pour tous qui passait avant un emploi pour tous... « Des salariés m’alpaguaient, me demandaient “Alors le changement, c’est quand ? On nous a menti, on a voté Hollande pour combattre la finance mais elle nous gouverne toujours ”. Il y a une vraie exaspération du politique quel que soit le bord. Les gens ne supportent plus le fossé entre les discours et la réalité une fois au pouvoir. »

Moins paumée dans son nouveau rôle que les six conseillers FN sortis de nulle part – et qui ne s'attendaient pas à siéger si nombreux au conseil municipal de Wattrelos après avoir raflé 20 % des suffrages au premier tour – , elle s’est vu confier la délégation à l’emploi. L’emploi, la préoccupation numéro un des Français. C’est pour elle bien plus urgent que de laver le linge syndical. « Jean-Claude, c’était un ami », dit-elle seulement. Il était venu solliciter celle qui est aussi l'amie de son ex-femme en 2000. C’était pour reconstruire la CFDT au lendemain d’une autre signature dans la douleur : l’accord sur les 35 heures qui accentuait la flexibilité et la précarité. L’équipe avait implosé. La majorité frondeuse était partie créer Sud et Jean-Claude Blanquart se retrouvait seul avec son beau-frère et deux autres délégués... 

BOITE NOIRECe reportage a été réalisé du 31 mars au 5 avril sur le bassin de Roubaix. Toutes les personnes citées sauf mention contraire ont été rencontrées ou jointes par téléphone. Alain Dieudonné, le délégué de la CFE-CGC, et Thierry Bertin, de Sud, n'ont pas retourné mes appels ainsi que la direction de La Redoute.

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Condamnés et réélus : après Balkany, revoici Bédier !

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C’est l’incroyable come-back d’un élu condamné pour corruption à la tête du quatrième département le plus riche de France. Vendredi 11 avril, Pierre Bédier (UMP), ex-secrétaire d’État du gouvernement Raffarin (2002-2004), est redevenu président du conseil général des Yvelines (1,2 milliard d’euros de budget par an), cinq ans après que la justice l’avait contraint à lâcher son siège.

Pierre Bédier, lors de son discours d'investiture vendredi 11 avril 2014Pierre Bédier, lors de son discours d'investiture vendredi 11 avril 2014 © DR

Son cas pose, une fois de plus, la question de la réhabilitation politique d’anciens édiles pris la main dans le sac et de leur « blanchiment » par les urnes – après la réélection d’un Patrick Balkany (UMP) ou d’un Xavier Dugoin aux municipales de mars (voir notre émission vidéo : Corruption, condamnations, réélections).

En 2009, ce chiraquien avait été condamné pour « corruption passive » et « abus de biens sociaux » à 18 mois de prison avec sursis et six ans d’inéligibilité – une peine réduite après une modification du code électoral en 2011. Si Pierre Bédier a toujours crié son innocence, le juge d’instruction de l’époque (Philippe Courroye), le tribunal de grande instance de Paris, puis la cour d’appel de Paris n’avaient exprimé aucun doute : en tant que maire de Mantes-la-Jolie (1995-2005), Pierre Bédier avait touché des pots-de-vin en espèces d’un entrepreneur local spécialisé dans le nettoyage, en échange de marchés municipaux.

« Quelqu’un condamné pour corruption ne devrait plus pouvoir se présenter à aucun scrutin, réagit le président du groupe de gauche au conseil général, André Sylvestre, dépité. Je regrette qu’une telle interdiction n’ait pas été votée avec les lois sur la transparence, au lendemain de l’affaire Cahuzac. » Cette mesure, François Hollande l’avait pourtant annoncée à la télé le 3 avril 2013, sabre au clair. « L’exemplarité des responsables publics sera totale, avait-il insisté. C’est mon engagement, je n’en dévierai pas. » Deux mois plus tard, les députés PS enterraient ses velléités, en agitant une possible « inconstitutionnalité ».

Côté UMP, presque personne n’aura pipé mot, Pierre Bédier arborant le soutien de Jean-François Copé (autre chiraquien de souche). « Je me réjouis de le voir revenir, a ainsi déclaré Henri Guaino, député du cru. J’ai la conviction que c’est quelqu’un d’honnête. » L’honnêteté étant visiblement affaire de conviction, la patronne de la fédération des Yvelines, la filloniste Valérie Pécresse, s’est convaincue qu’il valait mieux se taire – pourquoi se faire des ennemis alors qu’elle vise la tête de liste aux régionales de 2015 ? Jadis surnommé « le patron », Pierre Bédier avait aussi su entretenir une pépinière de jeunes élus qui misent désormais sur lui.

Au fond, seul un "poids-léger" de l’UMP locale, le président de l’agglomération de Mantes-la-Jolie Dominique Braye, s’est dressé publiquement contre le retour du condamné. « Tous les républicains honnêtes auraient dû s’y opposer, gronde ce vieil ami de Gérard Larcher (sénateur des Yvelines). Mais une chape de plomb s’est abattue sur nous, à coups de pressions et menaces. » Dominique Braye a été exclu du parti en février, enfoncé par Jean-François Copé. « Larcher a vaguement essayé de rattraper le coup, mais le courage n’a jamais été sa qualité principale, souffle ce déçu. De toutes façons, un parti qui défend Bédier, Balkany et Dassault, c’est plus mon truc ! »

Gérard Larcher, sénateur UMP des Yvelines et ancien président du SénatGérard Larcher, sénateur UMP des Yvelines et ancien président du Sénat © Reuters

La voie était parfaitement libre pour Pierre Bédier, qui a mijoté son couronnement de vendredi pendant des mois, multipliant les arrangements de coulisse, éconduisant les médias nationaux pour mieux prévenir toute polémique. « Il n’a pas dit un mot, s’agace le socialiste André Sylvestre. Je ne sais même pas quel est son programme ! »

Ses manœuvres sont apparues au grand jour en mars 2013. Il lui fallait, avant toute chose, retrouver un simple siège de conseiller général. L’élu de Mantes-la-Jolie, son ami Michel Vialay (UMP), a ainsi décidé, tout à trac, de rendre son tablier. Pour provoquer une élection partielle, encore fallait-il que la suppléante de Michel Vialay accepte, elle aussi, de démissionner. Pas de problème, puisqu’il s’agissait de… Madame Bédier.

À l'issue d'un scrutin déclenché à une date "idéale" , le 7 juillet dernier c'est-à-dire en pleines vacances d’été, Pierre Bédier a ainsi recouvré un mandat (en rassemblant 60,2 % des bulletins, mais à peine 16 % des inscrits). « C’est incroyable, se désespère Françoise Descamps-Crosnier, députée socialiste de Mantes-la-Jolie qui qualifie Pierre Bédier de "voyou clientéliste". Les citoyens réclament des élus exemplaires mais ne mettent pas leurs idées en pratique. »

À l’époque, tous les socialistes n’étaient cependant pas au clair sur l'opportunité de mener campagne sur le thème de la probité. Lors du grand meeting local, Benoît Hamon avait choqué nombre de militants en passant sous silence la condamnation de Pierre Bédier. « J’avais failli quitter la salle ! » se souvient un cadre du PS des Yvelines.

Après son succès dans les urnes, Pierre Bédier devait ensuite trouver le moyen d’« exfiltrer » le président du conseil général en place, Alain Schmitz (UMP). Sa première idée ? Le recaser au Sénat, où une élue des Yvelines, Marie-Annick Duchêne (apparentée UMP), s’est vu suggérer de démissionner. À 73 ans, celle-ci a fait de la résistance. « Je suis contre tous les arrangements de coulisse », confiait-elle à Mediapart en juillet dernier, éreintant Pierre Bédier au passage : « Pour moi, quand un élu a été condamné pour corruption, la politique c’est fini. La dignité qu’on doit aux électeurs, c’est de ne pas se représenter. » Ce jeu de bonneteau ayant échoué, Pierre Bédier en a imaginé un autre.

Jusqu’à vendredi, l’opposition socialiste se demandait ce qu’il avait bien pu promettre à Alain Schmitz pour que celui-ci annonce, le 1er avril, sa démission de la présidence du conseil général. La réponse est tombée dans son discours d’investiture : Pierre Bédier va créer une « Agence départementale de soutien aux communes rurales », avec Alain Schmitz aux manettes (un beau tremplin pour les prochaines sénatoriales). Et avec quelles indemnités ? Ni ce dernier, ni Pierre Bédier n’ont retourné nos appels.

Vendredi, le socialiste André Sylvestre a ainsi dénoncé une « révolution de palais », la fédération PS des Yvelines un « sale coup fait à la démocratie ». Dans l’indifférence générale.

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Des dizaines de milliers de personnes défilent à Paris contre l'austérité et pour une « alternative à gauche »

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Pendant de longues minutes, le trio pose pour les photos et les caméras. Le coprésident du parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, chemise blanche et écharpe rouge, lève les bras et salue les manifestants sur le bord qui crient « Résistance ». Le communiste Pierre Laurent fait des coucous plus timides. Au milieu, le Grec Alexis Tsipras, candidat de la gauche radicale européenne pour diriger la commission européenne après les élections du 25 mai, est la star du jour. 

À l'appel du Front de gauche, du NPA, de plusieurs dizaines de syndicats et collectifs, mais aussi de personnalités, des milliers de personnes (25 000 manifestants selon la police, 100 000 selon les organisateurs) ont manifesté samedi 12 avril à Paris « contre l'austérité, pour l'égalité et le partage des richesses ». Il s'agit de la première mobilisation après la déroute socialiste des municipales, qui a vu les électeurs de gauche déserter les urnes. Une réponse, aussi, de la gauche radicale à la déclaration de politique générale du nouveau premier ministre Manuel Valls, qui a confirmé l'objectif de 50 milliards d'euros d'économie en trois ans et la mise en œuvre du très décrié pacte de responsabilité, une baisse massive du coût du travail sans contreparties tangibles.

« Il faut lutter, s'organiser, c'est pas à l'Élysée, à Matignon, dans les salons qu'on obtiendra satisfaction », chantent des musiciens, juchés sur un char. Raquel Garrido, porte-parole internationale du PG et candidate du Front de gauche en Île-de-France aux européennes, et Danielle Simonnet, élue PG au Conseil de Paris, entonnent une Carmagnole aux paroles détournées : « François Hollande a rien compris (…) Son plan pour les patrons, pour nous c'est toujours non ! » « La gauche au pouvoir ! » entend-on dans le carré de tête.

Dans le cortège, les socialistes en prennent pour leur grade : « PS-Medef, même combat » ; « Pseudo-socialistes, par respect pour Jaurès ou Allende, abandonnez le bô (sic) vocable socialisme, merci ! » « Les socialistes ne sont plus socialistes », a simplement écrit sur sa pancarte Sabrina, orthophoniste venue du Pas-de-Calais. « Valls et Hollande sont dans la lignée de Sarkozy. Les petites gens ne sont plus défendues, déplore-t-elle. Elles sont taxées, alors qu'on devrait taxer l'exil fiscal. Moi je m'occupe d'enfants, j'ai peur que les moyens pour l'école ne suivent pas. »

République, samedi 12 avrilRépublique, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

La tonalité anti-Hollande et anti-Valls est très prononcée. « Hollande, ça suffit ! » proclame une grande banderole rouge hissée sur la statue de la place de la République. « Hollande = trahison », dit une autre, près du carré des personnalités. On remarque même un « Hollande dégage », slogan qui rappelle les manifestations des dernières années du quinquennat Sarkozy. « Envoyons vallser l'austérité », lit-on sur la traditionnelle pancarte du manifestant au masque d'Anonymous, figure des rassemblements de la gauche radicale (ci-dessus).

République, samedi 12 avrilRépublique, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

« Hollandréou, pas de régime grec. Femmes compris ! » a écrit sur sa pancarte Josée Pépin, militante du collectif Tenon, qui s'est battue pour le maintien d'un centre IVG dans le XXe arrondissement de Paris. « La nomination de Valls aggrave la situation car c'est un homme de pouvoir, autoritariste. Le PS n'est pas la gauche : il n'en a plus les valeurs. »

Place de la République, samedi 12 avrilPlace de la République, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

« C'est un front du peuple qui se constitue » assure Jean-Luc Mélenchon. Derrière la banderole, les nombreuses personnalités du Front de gauche côtoient les anciens candidats du NPA à la présidentielle, Olivier Besancenot et Philippe Poutou ; des syndicalistes (Annick Coupé, porte-parole de Solidaires) ; mais aussi des élus socialistes ou écologistes.

Parmi eux, Liêm Hoang Ngoc, eurodéputé socialiste sortant et membre du bureau national du PS, qui a récemment invité François Hollande à « rompre avec TINA ». « La France s'apprête à appliquer des politiques d'austérité qui ont échoué partout ailleurs », avertit le parlementaire, écarté des listes PS pour les européennes. Il réclame un « congrès extraordinaire pour clarifier la ligne politique » du PS. « Hollande s'est trompé de premier ministre et nous impose un virage qui n'a pas été discuté, il y a un grand trouble dans l'aile gauche du PS », assure-t-il.

« Cette manifestation n'est pas une lame de fond, mais une démonstration de force, analyse le syndicaliste Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic et membre du conseil scientifique d'Attac. L'important, c'était déjà de la faire, pour ne pas laisser la rue à la droite et montrer qu'il y a une opposition de gauche à la politique menée. La claque des municipales est en train de faire bouger les lignes dans la majorité. Et cela va s'amplifier après les européennes, qui vont voir les listes de la gauche de transformation sociale progresser. »

De fait, plusieurs organisations présentes samedi se sont divisées sur l'opportunité de manifester. Des fédérations et des unions départementales de la CGT défilent avec camions et drapeaux. L'ancien secrétaire général, Bernard Thibault, a appelé à manifester (mais ne s'est pas montré dans le cortège samedi). Mais pas l'actuel dirigeant, Thierry Le Paon, ce qui lui a valu un houleux débat interne. Des syndicalistes de la FSU sont venus, mais la direction du syndicat enseignant est restée chez elle. 

On trouve également quelques drapeaux verts. EELV, qui ne participe plus au gouvernement mais reste dans la majorité, n'a pas appelé à défiler, mais plusieurs élus ou responsables écologistes sont là. Par exemple Caroline Mecary, conseillère régionale EELV en Île-de-France, le maire du IIe arrondissement de Paris Jacques Boutault (juste réélu), l'ancienne porte-parole du parti, Élise Lowy. Annie Lahmer, cosecrétaire régionale d'EELV Île-de-France, déplore que les écologistes « ne soient pas beaucoup plus nombreux à être venus manifester ». Elle assure que, malgré la fin de non-recevoir d'EELV au Parti de gauche, « des passerelles sont en train de se créer » sur le terrain entre les deux formations. 

République, samedi 12 avrilRépublique, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

Parmi les manifestants, la volonté est au rassemblement. « Nous connaissons les solutions pour en finir avec l'austérité, mais jusqu'ici nous avons échoué à les rendre visibles, explique Khalfa. Nous devons mettre désormais ces alternatives dans le débat public. Cela va de pair avec un regroupement politique de la gauche antilibérale. » « L'austérité conduit à l'échec et au chômage de masse, assure la députée communiste Marie-George Buffet. Est-ce qu'on reste sans rien faire, dans le désespoir et l'abstention, ou est-ce qu'on recrée de l'alternative à gauche ? Tous ceux qui veulent faire la campagne des européennes avec nous sont bienvenus. Nous pouvons par exemple travailler avec les écologistes qui n'ont pas voté la confiance. » 

« Quel bonheur de manifester avec le NPA ou avec le maire écologiste du IIe arrondissement de Paris », se réjouit Raquel Garrido. La responsable du PG ne ferme pas la porte à quelques candidatures NPA sur les listes Front de gauche aux européennes, officiellement bouclées. Elle explique aussi que des représentants de l'aile gauche d'EELV devraient rencontrer bientôt les responsables du PG. « Ce genre d'entretien bilatéral ne s'était pas produit depuis des années. » Le PG aimerait discuter avec EELV d'alliances éventuelles l'an prochain aux régionales. Une option que les dirigeants écologistes n'envisagent pas, même si certains militants plaident en ce sens. 

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La Parisienne Libérée : « À Gauche ! »

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Samedi 12 avril 2014, plusieurs partis, syndicats et mouvement citoyens de gauche ont manifesté contre l'austérité et la politique de François Hollande (lire le reportage de Mathieu Magnaudeix).

Cette chronique hors-série propose un parcours en images dans la manifestation parisienne, qui commence vers 14h à République et se termine à 18h dans la cour de la caserne (désaffectée) de Reuilly, occupée pendant plusieurs heures par la coordination des intermittents, chômeurs et précaires d'Île-de-France.

Depuis la brutale évacuation du Carreau du Temple le 23 mars dernier, au soir des municipales, la coordination était en effet à la recherche d'un nouveau lieu de rassemblement pour débattre des suites à donner au "pacte de responsabilité". Des prises de paroles ont eu lieu, mais la Ville de Paris s'est opposée à cette occupation et la cour de la caserne a finalement été évacuée par les CRS samedi dans la soirée.

CHANSONS

Bandiera Rossa - chant révolutionnaire italien
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bandiera_rossa
https://www.youtube.com/watch?v=qVjPL9zTh-E

Dégage ! Dégage ! Dégage ! - Dominique Grange
https://www.youtube.com/watch?v=r0Y3G1keJho
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Grange

Atelier chanson-fanfare de la compagnie Jolie Môme
http://www.cie-joliemome.org/spip.php?article406
https://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnie_Jolie_M%C3%B4me

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Les précédentes chroniques
Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

 

 

 

 

 

 

 

 

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A Paris, des milliers de manifestants contre l'austérité et pour une « alternative à gauche »

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Pendant de longues minutes, le trio pose pour les photos et les caméras. Le coprésident du parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, chemise blanche et écharpe rouge, lève les bras et salue les manifestants sur le bord qui crient « Résistance ». Le communiste Pierre Laurent fait des coucous plus timides. Au milieu, le Grec Alexis Tsipras, candidat de la gauche radicale européenne pour diriger la commission européenne après les élections du 25 mai, est la star du jour. 

À l'appel du Front de gauche, du NPA, de plusieurs dizaines de syndicats et collectifs, mais aussi de personnalités, des milliers de personnes (25 000 manifestants selon la police, 100 000 selon les organisateurs) ont manifesté samedi 12 avril à Paris « contre l'austérité, pour l'égalité et le partage des richesses ». Il s'agit de la première mobilisation après la déroute socialiste des municipales, qui a vu les électeurs de gauche déserter les urnes. Une réponse, aussi, de la gauche radicale à la déclaration de politique générale du nouveau premier ministre Manuel Valls, qui a confirmé l'objectif de 50 milliards d'euros d'économie en trois ans et la mise en œuvre du très décrié pacte de responsabilité, une baisse massive du coût du travail sans contreparties tangibles.

« Il faut lutter, s'organiser, c'est pas à l'Élysée, à Matignon, dans les salons qu'on obtiendra satisfaction », chantent des musiciens, juchés sur un char. Raquel Garrido, porte-parole internationale du PG et candidate du Front de gauche en Île-de-France aux européennes, et Danielle Simonnet, élue PG au Conseil de Paris, entonnent une Carmagnole aux paroles détournées : « François Hollande a rien compris (…) Son plan pour les patrons, pour nous c'est toujours non ! » « La gauche au pouvoir ! » entend-on dans le carré de tête.

Dans le cortège, les socialistes en prennent pour leur grade : « PS-Medef, même combat » ; « Pseudo-socialistes, par respect pour Jaurès ou Allende, abandonnez le bô (sic) vocable socialisme, merci ! » « Les socialistes ne sont plus socialistes », a simplement écrit sur sa pancarte Sabrina, orthophoniste venue du Pas-de-Calais. « Valls et Hollande sont dans la lignée de Sarkozy. Les petites gens ne sont plus défendues, déplore-t-elle. Elles sont taxées, alors qu'on devrait taxer l'exil fiscal. Moi je m'occupe d'enfants, j'ai peur que les moyens pour l'école ne suivent pas. »

République, samedi 12 avrilRépublique, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

La tonalité anti-Hollande et anti-Valls est très prononcée. « Hollande, ça suffit ! » proclame une grande banderole rouge hissée sur la statue de la place de la République. « Hollande = trahison », dit une autre, près du carré des personnalités. On remarque même un « Hollande dégage », slogan qui rappelle les manifestations des dernières années du quinquennat Sarkozy. « Envoyons vallser l'austérité », lit-on sur la traditionnelle pancarte du manifestant au masque d'Anonymous, figure des rassemblements de la gauche radicale (ci-dessus).

République, samedi 12 avrilRépublique, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

« Hollandréou, pas de régime grec. Femmes compris ! » a écrit sur sa pancarte Josée Pépin, militante du collectif Tenon, qui s'est battue pour le maintien d'un centre IVG dans le XXe arrondissement de Paris. « La nomination de Valls aggrave la situation car c'est un homme de pouvoir, autoritariste. Le PS n'est pas la gauche : il n'en a plus les valeurs. »

Place de la République, samedi 12 avrilPlace de la République, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

« C'est un front du peuple qui se constitue » assure Jean-Luc Mélenchon. Derrière la banderole, les nombreuses personnalités du Front de gauche côtoient les anciens candidats du NPA à la présidentielle, Olivier Besancenot et Philippe Poutou ; des syndicalistes (Annick Coupé, porte-parole de Solidaires) ; mais aussi des élus socialistes ou écologistes.

Parmi eux, Liêm Hoang Ngoc, eurodéputé socialiste sortant et membre du bureau national du PS, qui a récemment invité François Hollande à « rompre avec TINA ». « La France s'apprête à appliquer des politiques d'austérité qui ont échoué partout ailleurs », avertit le parlementaire, écarté des listes PS pour les européennes. Il réclame un « congrès extraordinaire pour clarifier la ligne politique » du PS. « Hollande s'est trompé de premier ministre et nous impose un virage qui n'a pas été discuté, il y a un grand trouble dans l'aile gauche du PS », assure-t-il.

« Cette manifestation n'est pas une lame de fond, mais une démonstration de force, analyse le syndicaliste Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic et membre du conseil scientifique d'Attac. L'important, c'était déjà de la faire, pour ne pas laisser la rue à la droite et montrer qu'il y a une opposition de gauche à la politique menée. La claque des municipales est en train de faire bouger les lignes dans la majorité. Et cela va s'amplifier après les européennes, qui vont voir les listes de la gauche de transformation sociale progresser. »

De fait, plusieurs organisations présentes samedi se sont divisées sur l'opportunité de manifester. Des fédérations et des unions départementales de la CGT défilent avec camions et drapeaux. L'ancien secrétaire général, Bernard Thibault, était d'ailleurs dans le cortège samedi. Mais pas l'actuel dirigeant, Thierry Le Paon, ce qui lui a valu un houleux débat interne. Des syndicalistes de la FSU sont venus, mais la direction du syndicat enseignant est restée chez elle. 

On trouve également quelques drapeaux verts. EELV, qui ne participe plus au gouvernement mais reste dans la majorité, n'a pas appelé à défiler, mais plusieurs élus ou responsables écologistes sont là. Par exemple Caroline Mecary, conseillère régionale EELV en Île-de-France, le maire du IIe arrondissement de Paris Jacques Boutault (juste réélu), l'ancienne porte-parole du parti, Élise Lowy. Annie Lahmer, cosecrétaire régionale d'EELV Île-de-France, déplore que les écologistes « ne soient pas beaucoup plus nombreux à être venus manifester ». Elle assure que, malgré la fin de non-recevoir d'EELV au Parti de gauche, « des passerelles sont en train de se créer » sur le terrain entre les deux formations. 

République, samedi 12 avrilRépublique, samedi 12 avril © Mathieu Magnaudeix

Parmi les manifestants, la volonté est au rassemblement. « Nous connaissons les solutions pour en finir avec l'austérité, mais jusqu'ici nous avons échoué à les rendre visibles, explique Khalfa. Nous devons mettre désormais ces alternatives dans le débat public. Cela va de pair avec un regroupement politique de la gauche antilibérale. » « L'austérité conduit à l'échec et au chômage de masse, assure la députée communiste Marie-George Buffet. Est-ce qu'on reste sans rien faire, dans le désespoir et l'abstention, ou est-ce qu'on recrée de l'alternative à gauche ? Tous ceux qui veulent faire la campagne des européennes avec nous sont bienvenus. Nous pouvons par exemple travailler avec les écologistes qui n'ont pas voté la confiance. » 

« Quel bonheur de manifester avec le NPA ou avec le maire écologiste du IIe arrondissement de Paris », se réjouit Raquel Garrido. La responsable du PG ne ferme pas la porte à quelques candidatures NPA sur les listes Front de gauche aux européennes, officiellement bouclées. Elle explique aussi que des représentants de l'aile gauche d'EELV devraient rencontrer bientôt les responsables du PG. « Ce genre d'entretien bilatéral ne s'était pas produit depuis des années. » Le PG aimerait discuter avec EELV d'alliances éventuelles l'an prochain aux régionales. Une option que les dirigeants écologistes n'envisagent pas, même si certains militants plaident en ce sens. 

BOITE NOIRECorrection: comme me l'ont signalé deux lecteurs sur Twitter, Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT, a bien manifesté samedi. Je ne l'avais pas vu dans le cortège.

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Petite ristourne pour le futur Palais de justice à 2,4 milliards

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Pelleteuses et bulldozers ont repris du service dans le nord-ouest de la capitale. L’immense chantier du futur Palais de justice de Paris, dans la ZAC Clichy-Batignolles, vient de redémarrer après plus de huit mois d’interruption dus à des recours (lire notre article ici).

Le 3 avril dernier, la cour administrative d’appel de Paris a en effet rejeté le dernier recours en date, déposé par les avocats parisiens de l’association « la justice dans la cité », qui soulevaient la nullité du partenariat public-privé (PPP) passé entre l’État et un consortium d’entreprises mené par le groupe Bouygues (on peut lire la décision ici).

« Curieusement, les travaux ont repris quelques jours avant que la décision soit rendue », s’étonne l’avocat Cyril Bourayne, le président de l’association, en se référant à un reportage diffusé par i-Télé (on peut le voir ici). À croire que Bouygues avait eu vent de la bonne nouvelle avant même qu’elle ne devienne officielle. « Le chantier était arrêté mais sous surveillance, il n’a jamais été déserté », répond un porte-parole de Bouygues Construction. Le géant du BTP préfère se réjouir de « la reprise de ce grand projet dessiné par Renzo Piano, qui générera 9,5 millions d’heures de travail ».

Pour sa part, l’association « la justice dans la cité » se donne encore quelques jours pour réfléchir à un éventuel recours de la dernière chance devant le Conseil d’État.

Le projet de tribunalLe projet de tribunal

Contacté par Mediapart, le directeur général de l’Établissement public du palais de justice de Paris (EPPJP) se félicite également de la reprise du chantier. Jean-Pierre Weiss annonce d’ailleurs avoir fait faire des économies à l’État, et évoque une ristourne comprise entre 300 et 500 millions d’euros. « Dans le contrat passé entre l’EPPJP et Arélia (NDRL : la société de projet regroupant Bouygues et plusieurs banques), il était prévu à un moment donné une opération dite de cristallisation, qui consiste à passer, pour les loyers, de taux d’intérêts variables à des taux fixes plus avantageux », explique Jean-Pierre Weiss.

« D’après le contrat, cela devait se faire une fois qu’il n’y avait plus de recours. Mais au terme de discussions avec Arélia et Bouygues, et même si théoriquement un ultime recours devant le Conseil d'État est encore possible, nous avons obtenu de pouvoir changer ces taux dès le mois prochain. »

Concrètement, le futur taux d’intérêt devrait être d’environ 2,6 %, contre un point de plus actuellement, explique le patron de l’EPPJP. Celui-ci précise qu’en retour, Arélia et Bouygues n’ont pas eu à verser de pénalités de retard pour le chantier, à l‘arrêt depuis fin juillet, et qui devait initialement être livré en novembre 2016.

Aujourd'hui, Jean-Pierre Weiss estime donc la facture finale du chantier à 2,4 milliards d’euros, au lieu des 2,7 à 2,9 milliards projetés avec les taux variables. La mise en service du futur tribunal devrait être retardée de six à huit mois, la livraison des travaux étant attendue le 30 juin 2017.

On sait les PPP très coûteux sur le long terme pour l'État et les collectivités, qui s'endettent pour réaliser de grands travaux. Malgré les critiques de la Cour des comptes et les réserves du Sénat, le projet de PPP du futur tribunal de grande instance de Paris a été signé dans la précipitation, le 15 février 2012, peu de temps avant l'élection présidentielle.

Michel MercierMichel Mercier © Reuters

Le coût du projet a été très largement sous-estimé par l'alors ministre de la justice Michel Mercier. Dans son discours, ce jour-là, le ministre avait déclaré ceci : « L’investissement est important, puisqu’il se chiffre à 575 millions d’euros. Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons, les résultats qui ont été obtenus en matière de maîtrise et d’optimisation des coûts méritent d’être salués : le coût de l'investissement avait été en effet évalué à 650 millions d'euros, il a donc pu être abaissé de plus de 10 % grâce à la rigueur des équipes et à la saine concurrence que se sont livrés les deux groupements en lice. Au regard de cet effort budgétaire, le ministère de la justice économisera près d'un milliard d'euros de loyers sur la période du contrat (27 ans). Il pourra donc, à travers les redevances annuelles qu'il acquittera à partir de la livraison du bâtiment, financer au bon niveau les dépenses d'exploitation et de maintenance qui lui permettront de disposer bien après l'achèvement du contrat, dans trente ans, d'un bâtiment parfaitement entretenu et en état de servir encore très longtemps»

À peine arrivée aux affaires, Christiane Taubira découvre les clauses du contrat, qu'elle trouve ruineux, et réfléchit à faire annuler le PPP. Le coût du projet pour les caisses de l’État n’est pas de 575 millions, comme le prétendait Michel Mercier, mais au moins de 2,4 milliards, soit quatre fois plus, si l'on tient compte des loyers à verser (lire notre article ici).

« Les contrats signés prévoient le règlement d’un loyer monstrueux d’environ 90 millions d’euros annuels à partir de 2017, et cela pendant 27 ans. On arriverait alors à un coût total de l’opération tout à fait exorbitant pour l’État, de l’ordre de 2,4 milliards d’euros », confiait un conseiller de la ministre à Mediapart en juillet 2012. « Raison pour laquelle nous souhaitons une rupture contractuelle du PPP pour motifs d’intérêt général. »

Christiane TaubiraChristiane Taubira © Reuters

Mais l’un des obstacles à une rupture des contrats, et non des moindres, réside dans l’existence de clauses d’indemnisation. Parallèlement au PPP, un « accord autonome » de 19 pages a en effet été signé le 15 février 2012 entre l’État d’une part, le consortium de banques et le groupe Bouygues ayant obtenu le marché d’autre part.

Cet « accord autonome » prévoit une indemnisation conséquente du consortium en cas d’annulation du contrat. Le montant de l’indemnité elle-même est un secret bien gardé. Les sommes évoquées sont comprises entre 200 et 400 millions d'euros, selon les sources.

Christiane Taubira avait exprimé elle-même avec force son opposition à ce PPP devant les députés. « Au terme de ce contrat de 27 ans, en 2043, l’État aura payé 2 milliards 700 millions d’euros », déclarait la ministre de la justice à l’Assemblée, le 31 octobre 2012. « Comme démonstration de bonne gestion, je crois qu’on peut faire mieux. »

Préférant soit une reprise du projet en maîtrise d'ouvrage publique, soit une renégociation du contrat qui « n’a pas été prévue » par ses prédécesseurs, Christiane Taubira ajoutait : « Il serait facile pour moi de conserver les choses en l’état. Les travaux seraient livrés en 2016, j’aurais le plaisir d’inaugurer en 2017, et je laisserais à mes successeurs la lourde ardoise, ce serait facile mais irresponsable. »

Le projetLe projet © RPBW

Matignon a arbitré, en janvier 2013 : le contrat de partenariat avec Bouygues a été maintenu, mais avec une « renégociation substantielle ». En fait, la marge de discussion était limitée, la solution retenue consistant à négocier, s'agissant des loyers dus par l’État, à un passage rapide à des taux bancaires fixes au lieu de taux bancaires variables. Au bout du compte, ce sont les clauses d’annulation et de dédit de l'accord « autonome », qui ont dissuadé l’État d’annuler le PPP.

Outre l'État et le secteur du BTP, le projet du nouveau tribunal dans le nord de Paris bénéficie du soutien actif de la mairie de Paris, soucieuse de réaménager ce quartier périphérique, faute d'avoir pu le faire en accueillant les Jeux olympiques de 2012. Le chantier s’inscrit dans un vaste plan d'aménagement du quartier Clichy-Batignolles.

Le projet du futur tribunal se veut audacieux. Il s'agit d'une tour futuriste de 160 mètres de hauteur, conçue par le célèbre architecte Renzo Piano. Elle occuperait 61 000 m2(on peut voir le film de présentation ici). Selon son concepteur, il s’agit d’une « tour mince, légère, transparente », « une ville verticale de 9 000 personnes, qui superpose les fonctions comme un millefeuille ».

Dans le socle du bâtiment seraient aménagées 90 salles d’audience. Dans les étages, des bureaux et des salles de réunion. La faible épaisseur de la tour, 35 mètres pour une hauteur de 160 mètres, permettrait à chacun de bénéficier de la lumière naturelle. « Ce sera aussi un bâtiment qui respire, comme une ville avec ses places, échappant à la tour monumentale de bureaux classique, massive, hermétique », vantait l’architecte lors de la présentation du projet.

Avec trois ensembles superposés (d’une dizaine d’étages chacun) au-dessus du socle, la tour dégagerait quatre grandes terrasses, avec un hectare planté d'arbres, et un grand parvis au sol. Soit un projet un brin mégalo, peut-être digne du siège d’une multinationale, mais pas d’un tribunal, selon ses contempteurs.

Notoirement à l’étroit dans des locaux qui sont en partie classés et globalement peu fonctionnels, le tribunal de grande instance occupe actuellement 41 000 m2 sur les 85 000 que compte le vieux Palais de justice de l’île de la Cité. Faute de place suffisante, le ministère de la justice loue également plusieurs autres sites à Paris (dont le fameux pôle financier de la rue des Italiens), pour un coût annuel de 20 millions d’euros.

À l'avenir, seules la cour d'appel et la cour de cassation resteraient dans le vieux Palais. Aujourd'hui, et malgré de récents travaux, son accès reste malaisé pour les personnes à mobilité réduite, alors qu'il accueille 13 000 personnes par jour.

Dans le passé, plusieurs projets de déménagement du tribunal de grande instance de Paris ont déjà été annoncés, dans les quartiers Tolbiac, puis Masséna-Rives de Seine, et enfin à l’Hôtel-Dieu.

Les fauteurs de trouble, dans cette affaire, sont les avocats parisiensAux yeux de ce lobby puissant (le barreau de Paris compte 20 000 membres), le projet finalement retenu est à la fois inutile, mal pensé et trop coûteux. La construction d’une « maison du barreau » aux Batignolles risquant, en outre, de grever les comptes de l’ordre des avocats de Paris. L’association « La justice dans la cité », créée dès 2005 dans le but avoué ne pas quitter le vieux Palais de justice et l’île de la Cité, a bataillé avec le soutien discret d’une bonne partie de la profession.

L'association a opposé toute une série d'arguments pratiques (éloignement, agencement, coûts…) et différents arguments de droit sur la légalité du contrat (on peut consulter les recours ici) pour s'opposer à la création du tribunal dans la ZAC Clichy-Batignolles. Un projet annoncé dès avril 2009 par Nicolas Sarkozy dans un discours sur le Grand Paris.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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La “perception” de Stéphane Le Foll

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Donc, la déroute des socialistes aux élections municipales n’est pas liée aux mesures que le gouvernement a prises ou n’a pas prises, mais « à l’écart entre ce qui a été fait et la perception qu’en ont les Français ». C’est le nouveau porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, qui le disait encore dimanche à France Inter et au journal le Parisien.

Autrement dit, le tandem Hollande/Ayrault a pris de bonnes mesures depuis deux ans, mais n’a pas su trouver les mots. La parade est classique, mais Stéphane Le Foll prend un chemin redoutable. Tous les gouvernements mis en échec lors d’élections intercalaires ont dégainé cet argument du défaut de pédagogie. Et tous ont été chassés aux législatives ou aux présidentielles suivantes.

C’est très simple : depuis Raymond Barre, c’est-à-dire depuis quarante ans de plans d’austérité et de discours en appelant aux sacrifices, aucun gouvernement ne s’est jamais trompé de chemin. Ils ont tous été battus, Giscard en 1981, Mitterrand en 1986, Chirac en 1988, Mitterrand en 1993, Balladur en 1995, Chirac en 1997, Jospin en 2002, le chiraquisme en 2007, Sarkozy en 2012, tous, au nom des mêmes préceptes (les Français qui s’appauvrissent vivraient au-dessus de leurs moyens !), mais ils sont sûrs d’avoir raison.

Si le peuple n’approuve pas, ce n’est pas parce qu’il condamne des politiques qu’il ressent comme cousines, ou sœurs jumelles, c’est parce qu’il n’a rien compris ! Ce qui manque depuis quarante ans n’est pas le savoir-faire mais le faire savoir. Comme ses prédécesseurs, ce pouvoir a fait tout juste mais n’a pas été compris !

S’il s’était bien expliqué, les électeurs auraient admis que le discours du Bourget, qui appelait la gauche à résister à la finance, se transformerait en reculs successifs. Si Ayrault avait su trouver les mots, les Français auraient aimé que le refus d’augmenter la TVA devienne, dès l’été 2012, une mesure d’augmentation. Si le Président avait été pédagogue, l’opinion aurait applaudi quand l’objectif d’inverser la courbe du chômage n’a pas été atteint. Si l’Élysée avait su s’y prendre, le peuple n’aurait pas remarqué que la promesse de ne pas parapher le Traité européen avait été suivie, dès les premières semaines du quinquennat, d’une signature en rase campagne…

Et la loi sur la famille retirée sur la pression de quelques dizaines de milliers d’irréductibles ? Un problème de pédagogie ! Et le pacte de responsabilité, sorti sans prévenir de derrière les fagots ? Une affaire de communication ! Et le plan d’économie de cinquante milliards, qui équivaudra, à tous les niveaux, à des baisses d’allocations, ou de subventions ? Une simple affaire d’explication !

L’équipe de Manuel Valls ne va donc rien changer, puisque la ligne est bonne, et que ce n’est pas elle qui vient d’être rejetée ; elle va mieux la défendre, en évitant les couacs, et les Français seront rassurés.

Peut-être auront-ils l’impression de recevoir de moins en moins, et de payer de plus en plus d’impôts. Effet d’optique ! Stéphane Le Foll leur expliquera que c’est une affaire de “Perception”…

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