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Enseignement supérieur: Hollande soutient fermement Fioraso

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« Et je vous le dis, non seulement merci beaucoup, mais à bientôt », la petite phrase lancée par Benoît Hamon lors de la passation de pouvoir rue Descartes le 2 avril dernier – laissant penser que l’actuelle ministre de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso serait maintenue comme secrétaire d’État à l'enseignement supérieur et à la recherche – a plongé dans la consternation ceux qui depuis deux ans attendent en vain un changement de politique par rapport à celle initiée sous le quinquennat Sarkozy.

Pétitions, lettres ouvertes, tractations en coulisses… La fronde contre la reconduction de Geneviève Fioraso à la tête du secrétariat d’État à l’enseignement supérieur et de la recherche s’est rapidement organisée. Malgré cette mobilisation – la pétition « le changement à l’université et dans le recherche, c’est maintenant ? » ayant recueilli en quelques jours plus de 6 000 signatures –, le changement n’est a priori pas pour tout de suite. Selon nos informations, François Hollande, qui lui reconnaît le considérable mérite de n’avoir « mis personne dans la rue » ces deux dernières années, la soutient fermement. Son conseiller pour l’enseignement supérieur et la recherche, Vincent Berger, ancien président de Paris Diderot, est un proche de Fioraso, qui lui avait d'ailleurs confié la mission de rapporteur général des Assises de l’enseignement supérieur en 2012. L’idée d’un tandem entre un ministre de tutelle Benoît Hamon, représentant l’aile gauche du PS, et une « strauss-khanienne » ne déplairait pas non plus à François Hollande, toujours adepte des synthèses.

Les arguments de ceux qui réclament un réel changement à la tête du ministère ne manquent pourtant pas. La situation financière des universités est aujourd’hui dramatique. Près d’une vingtaine sont en déficit et celles qui ne le sont pas ont dû opérer des coupes drastiques dans leur budget. 

D’ordinaire très prudente, la Conférence des présidents d’universités (CPU) a ainsi alerté le ministère il y a quelques mois estimant qu’« aujourd’hui, les solutions utilisées et les efforts consentis atteignent leurs limites (...) la situation à laquelle nous sommes confrontés sera bientôt intenable pour la majorité de nos établissements. À court terme, l’ensemble des universités françaises risque de ne plus pouvoir assurer les missions de service public que l’État leur a assignées ». Si les cas de l’université Versailles Saint-Quentin ou de l’université de Béziers ont défrayé la chronique, la première en quasi-faillite menaçant de fermer ses portes, la seconde, de supprimer son antenne de Béziers et de tirer les étudiants au sort faute de pouvoir tous les accueillir, bien d’autres établissements sont aujourd’hui tout aussi exsangues.

Sur le fond, aucun des grands équilibres – ou déséquilibres – engendrés par la LRU (loi dite d’autonomie) et le Pacte de recherche de 2006 n’a été modifié par la loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche adopté en juillet dernier.

« Le changement de majorité représentait une opportunité pour discuter sur le fond des missions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une consultation a certes été organisée mais pour n’aboutir pratiquement à rien, déplore Marc Neveu, co-secrétaire général du Snesup en référence aux Assises de l’enseignement supérieur qui servirent surtout de défouloir collectif dont bien peu de propositions ont été reprises. « Au lieu de cela, la ministre a persévéré dans la politique initiée par Valérie Pécresse qui considère que l’autonomie des universités est un bon moyen pour l’État de faire des économies drastiques en déléguant le sale boulot aux universités. »

Face à ces attentes, le discours de la ministre a été strictement gestionnaire, avec des sorties pour le moins étonnantes dans la bouche d’une ministre d’un gouvernement socialiste comme lorsqu’elle assurait aux Échos que les universités devaient apprendre à être des « centres de coûts et de profits ». Pour Geneviève Fioraso, les établissements dans le rouge seraient non pas victimes d’un désengagement de l’État mais coupables de mauvaise gestion. Comme elle le déclarait dès son arrivée à  Mediapart : « On ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’argent dans l’université française. Qu’elles soient en déficit ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’argent. Il y a des niches d’efficience : elles peuvent mieux s’organiser, mutualiser des moyens, faire du redéploiement. »

« C’est une ministre qui n’est pas complaisante avec la gestion de l’argent public, quand les universitaires ont parfois tendance à penser qu’il s’agit de leur argent, elle tient toujours à rappeler que c’est le contribuable qui paie », reconnaît un de ses collaborateurs qui estime que certains présidents d’université ont aussi « une gestion cynique » de leur établissement et « laissent filer les déficits en se disant qu’au final l’État paiera toujours ».

Celle qui dénonçait le double discours de ses prédécesseurs sur le budget des universités, a déclenché la colère du monde universitaire en annonçant la création d'un millier de postes qui, dans la plupart des établissements, étaient en réalité gelés, pour parvenir à boucler le budget (lire ici notre article sur le sujet). Le glissement vieillesse technicité (GVT), qui plombe les comptes des universités, n’est à ce jour compensé que pour moitié par l’État.

« Si je devait résumer d’un mot son bilan pour la recherche ce serait : "consternant " », assène le chercheur Alain Trautmann, figure de la mobilisation de 2009 et signataire de la pétition d’universitaires et de chercheurs pour un vrai changement de politique. « On attendait un infléchissement majeur et l’on n'a rien vu, accuse-t-il. Son travail a été de mettre en place la politique de Sarkozy dont elle a été une fidèle exécutante », explique-t-il. Le maintien du très coûteux crédit impôt recherche – 7 milliards d’euros – accordé largement aux entreprises pratiquement sans contrôle est l’un des signes les plus manifestes de cette absence de changement de cap. « Pendant la campagne, Hollande avait laissé entendre qu’il serait au moins conditionné à l’embauche de doctorants. Tout cela a complètement disparu », regrette ce chercheur à l'Inserm. Au CNRS, les recrutements sont en chute libre alors qu’un tiers des personnels sont désormais des précaires, un chiffre en hausse constante. « Les crédits récurrents n’ont cessé de diminuer et se réduisent toujours comme peau de chagrin », rappelle-t-il. « Elle n’a tenu aucun compte des Assises de la recherche sur ces points, mais elle a par contre toujours eu une oreille très attentive à la valorisation de la recherche, à ses débouchés économiques. »

Celle qui fut, jusqu’à sa nomination au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, PDG de la société d'économie mixte Minatec entreprises, une société qui propose de la valorisation industrielle au sein du grand complexe grenoblois regroupant chercheurs et industriels autour des micro et des nanotechnologies, a inscrit dans sa loi « l’exercice des activités de transfert pour la création de valeur économique » comme une nouvelle mission des organismes de recherche publique. Une vision utilitariste et à court terme de la recherche, presque uniquement appréciée selon sa capacité à créer des emplois et de la richesse, que dénonce une grande partie des chercheurs.

« Ces deux dernières années, le dialogue social a été une catastrophe », juge aussi Marc Neveu. « Mme Fioraso n’a jamais daigné venir aux discussions sur le statut des enseignants chercheurs, ce qu’aucun ministre avant elle n’avait osé manquer, pas même Valérie Pécresse. En revanche, lorsqu’il s’agissait de faire la VRP auprès des entreprises, elle a toujours trouvé le temps. »

La montée en puissance des régions, introduite par la loi Fioraso, inquiète également : « On va se retrouver avec des régions qui vont pouvoir dire aux universités quelles formations peuvent ouvrir, lesquelles sont inutiles. » Une vison pragmatique de l’offre défendue par son cabinet : « Quand on ouvre un département de génie mécanique, il est important de regarder si cela correspond à un besoin de compétence réel sur le territoire », affirme un conseiller.

Rue Descartes, on soutient que Geneviève Fioraso a surtout été depuis deux ans « la ministre des étudiants, plus encore que celle des enseignants-chercheurs ». Dans le contexte budgétaire actuel, son cabinet se félicite d’avoir pu dégager 118 millions pour la revalorisation des bourses étudiantes, à la rentrée 2013, tout en s’engageant à doubler cette somme pour la rentrée prochaine. Avec pour objectif la « démocratisation de l’enseignement supérieur », sa loi prévoit aussi la refonte de la licence avec une spécialisation plus progressive, répondant par là, aussi, à une ancienne revendication des organisations étudiantes.

Si l’Unef récuse tout rôle dans la reconduction annoncée de la ministre – « L’unef ne fait pas de choix de personnes et n’a évidemment pas de candidat », assure le président de l’Unef William Martinet –, la proximité de l’organisation étudiante avec la ministre n’est sans doute pas pour rien dans sa possible reconduction. L’Élysée, persuadé qu’une fronde des universitaires et des chercheurs – après le cuisant échec de la mobilisation de 2009 – n’est pas pour demain, ne craint vraiment qu’une mobilisation étudiante.

Celle qui s’était présentée comme la ministre de l’« apaisement » devra ainsi sans doute son maintien moins à sa capacité à convaincre et à rassurer chercheurs et universitaires, qu’à l’incroyable découragement suscité par sa politique.

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Une avocate affirme avoir été giflée par un commissaire de la DCRI

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L’affaire n’a pas de précédent connu, et embarrasse au plus haut point les hiérarchies policière et judiciaire. Une avocate du barreau des Hauts-de-Seine a porté plainte pour « violences volontaires aggravées », mardi 1er avril auprès du procureur de la République de Nanterre, Robert Gelli. La femme de 37 ans accuse un commissaire de police de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de l’avoir giflée et insultée, alors qu’elle assistait un client gardé à vue dans les locaux du service de contre-espionnage, à Levallois-Perret.

Les faits datent du jour même. Un consultant informatique a été convoqué à la DCRI. Placé en garde à vue, il doit répondre à des questions sur l’identité du suspect de l’attentat-suicide commis en Bulgarie contre un bus transportant des touristes israéliens, en juillet 2012, et qui avait fait six morts.

Les deux premières auditions, menées dans la matinée par deux officiers de police judiciaire (OPJ), se déroulent sans aucun incident, l’homme gardé à vue invoquant son droit au silence. Un commissaire se présente alors, et invite l’avocate et son client à le suivre dans une autre pièce. Il explique qu’il n’a rien à reprocher au gardé à vue, et lui propose une sorte de marché s’il donne quelques tuyaux. Mais l’avocate le prend au mot : puisque vous n’avez rien contre mon client, je vais faire une note pour que cela figure à la procédure, et vous n’avez plus qu’à le laisser repartir, explique-elle en substance.

Le commissaire s’est-il senti ridiculisé ? C’est alors qu’il aurait subitement giflé l’avocate à la joue droite, en la traitant de « petite conne », avant de quitter précipitamment la pièce. Sur le pas de la porte, les deux OPJ stupéfaits l’ont vue sortir après lui en se tenant la joue.

« Ma consœur a été giflée alors qu’elle exerçait son métier, c’est une atteinte inédite et très grave aux droits de la défense », réagit le défenseur de l’avocate, Pierre Degoul, sollicité par Mediapart. Selon lui, la plaignante est quelqu'un de posé, avec une excellente réputation. Son avocat se montre par ailleurs assez critique sur les méthodes d’enquête de la DCRI, qui ferait un usage assez intensif des gardes à vue pour aller à la pêche au renseignement, quitte à faire pression sur les personnes interrogées.

Choquée, la jeune avocate tient, pour l’instant, à préserver son anonymat. Elle a eu la présence d’esprit de se prendre en photo dans les locaux de la DCRI avec son smartphone, pour immortaliser sa joue rouge et endolorie. Elle s’est ensuite présentée aux urgences de l’hôpital franco-britannique de Levallois, où elle a été examinée deux heures plus tard et a obtenu une interruption temporaire de travail d’une journée. Le choc psychologique a été constaté par le médecin qui l’a examinée, mais aucune trace de gifle n’était visible.

Sollicité par Mediapart, le procureur de Nanterre dit prendre l’affaire très au sérieux. Dès qu’il a reçu la plainte de l’avocate, Robert Gelli a ouvert une enquête préliminaire dont l’exécution a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Le siège de la DCRILe siège de la DCRI © Reuters

L’avocate a été entendue le 2 avril à l’IGPN, puis confrontée le surlendemain au commissaire de la DCRI, dont elle ignore l’identité. Celui-ci reconnaît s’être énervé, mais il nie avoir levé la main sur elle et lui avoir porté le moindre coup, la menaçant même d’une plainte en dénonciation calomnieuse. Les deux OPJ qui ont assisté à la fin de la scène ont également été entendus. Mais aucune caméra n’équipait la pièce où s’est déroulé l’incident, ce qui aurait permis de départager les deux parties. Le policier serait un commissaire expérimenté, âgé de 55 ans, « bien noté et sans antécédent ». Le parquet de Nanterre attend les conclusions de l’enquête confiée à l’IGPN avant de se prononcer sur la suite de la procédure. 

Sollicité par Mediapart, le bâtonnier du barreau de Nanterre, Olivier Benoît, ne compte pas en rester là. « C’est une affaire gravissime, tous les avocats et les magistrats avec qui j’en ai parlé sont choqués », déclare-t-il. « Si l’affaire suit son cours normal, l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine se portera partie civile au côté de notre consœur. Elle est très affectée par ce qui s’est passé, et nous n’avons pas médiatisé cette affaire pour ne pas la déstabiliser davantage. Mais s’il y avait une tentative de classer cette affaire, nous manifesterions notre soutien de façon plus spectaculaire », prévient le bâtonnier.

Olivier Benoît s’en est tenu jusqu’ici à un mail d’information adressé le 4 avril à ses confrères des Hauts-de-Seine, dont voici le contenu. « Mardi dernier, l’une de nos consœurs assistant un gardé à vue à la DCRI a été victime d’une grave agression de la part d’un commissaire de police apparemment mécontent du système de défense adopté par le gardé à vue qui avait choisi de garder le silence. Elle a été injuriée et frappée. Plainte a été immédiatement déposée entre les mains du Procureur de la République. Celui-ci a saisi sans délai l’IGPN. Le service a déclenché une enquête qui devrait aboutir dans les tout prochains jours. Face à cet événement inadmissible, le conseil de l’ordre et le bâtonnier apportent leur soutien inconditionnel à notre consœur et veilleront à ce que la plainte et la procédure consécutive aillent jusqu’à leur terme », écrivait le bâtonnier.

Jusqu’ici, toutefois, cette affaire sidérante n’a pas eu beaucoup de retentissement (seuls M6 et Marianne en ont fait état). Une discrétion qui contraste singulièrement avec le tollé des écoutes judiciaires de Nicolas Sarkozy qui, bien que légales, avaient été dénoncées haut et fort par les avocats parisiens (lire notre article ici).

Aucune charge n’a été retenue contre le consultant en informatique, qui a été remis en liberté après une journée passée en garde à vue. Sur procès-verbal, il a indiqué qu’il ne répondrait plus à aucune question, son avocate ayant été giflée par un commissaire. On ignore encore si l'intéressé a été suspendu ou non par son administration.

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Après Butler, un «vautour» norvégien veut «sauver» la SNCM

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Après avoir enrichi Walter Butler à travers la privatisation-renflouement de 2005-2006, les autorités françaises seraient prêtes pour « sauver » une nième fois la SNCM à faire appel à un autre « vautour », le Norvégien résidant en Suisse et gérant ses affaires depuis les îles Caïmans, Kristian Siem. Le contribuable français a du souci à se faire car les « conditions » avancées par le propriétaire du conglomérat Siem Industries impliqueraient, au minimum, la prise en charge par l’État de centaines de millions d’euros de pénalités imposées à l’ancien armement public pour violation du droit européen.

Afin de mettre fin à une nouvelle grève des personnels de la SNCM, prévisible dès lors qu’approchait la fin de la « trêve électorale » liée aux municipales (lire ici), Jean-Marc Janaillac, PDG de Veolia Transdev, actionnaire majoritaire de la compagnie, a fait miroiter aux syndicats des négociations « menées de bonne foi et une volonté d’aboutir dans les meilleurs délais » avec la branche armement du groupe d'origine norvégienne Siem Industries, dont il a rencontré les représentants le 31 mars. Contacts tout au plus exploratoires, selon une source proche du dossier, le groupe Siem devant se plonger dans les comptes (plutôt inquiétants) de la SNCM. Dans la lettre adressée la veille à l’ex-ministre des transports Frédéric Cuvillier, M. Janaillac précisait, s’il en était besoin, « qu’une issue positive dépendra principalement du traitement de la question des demandes de l’UE de remboursement des "aides d’État" ».

M. Janaillac y assure également qu’à sa connaissance, « rien dans la situation financière actuelle de l'entreprise ne justifie qu'un processus (de dépot de bilan) soit mis en œuvre ». En apparence, M. Janaillac contredit la position maintes fois exprimée par Antoine Frérot, PDG de Veolia Environnement (co-actionnaire de Transdev avec la Caisse des dépôts et consignations), qui estime que la SNCM ne peut pas être redressée en l’état et que le dépôt de bilan est sans doute la seule chance (mais ce n’est pas une certitude) d’échapper aux conséquences financières des procédures européennes. Le directeur général de la CDC, Jean-Pierre Jouyet, a souligné le 3 avril qu’il était « hors de question que la Caisse des dépôts supporte le moindre centime d'euro » des quelque 420 millions d’euros de subventions jugées illégales dont Bruxelles exige le remboursement par la SNCM.

À noter que pendant la « trêve électorale », les défenseurs de l’armement marseillais ont enregistré un sérieux revers, avec l’échec d’une nouvelle tentative de putsch pour débarquer Antoine Frérot de la présidence de Veolia Environnement. Menée par la famille Dassault, avec l’appui de certains administrateurs indépendants, cette manœuvre visait à remplacer Frérot par David Azéma, un haut fonctionnaire étiqueté « à gauche », passé par la SNCF et le groupe Vinci, et actuellement patron de l’Agence des participations de l’État (APE).

Prenant acte de cet échec, les administrateurs de la holding familiale des Dassault ont annoncé leur retrait du conseil de Veolia, tandis que la CDC, que la rumeur parisienne associe au complot anti-Frérot, laissait entendre qu’elle pourrait réduire une participation dans le groupe, jugée « non stratégique ». Conclusion : Antoine Frérot, dont le renouvellement du mandat par la majorité du conseil doit être confirmée par les actionnaires fin avril, va poursuivre une stratégie de désendettement qui passe notamment par la cession à la CDC de la participation dans Transdev, opération bloquée jusqu’à ce jour par le « boulet » SNCM.

On comprend l’anxiété des actionnaires privés de la SNCM (à 66 %, l’État détenant encore 25 % et les salariés 9 %) de pouvoir se débarrasser d’une entreprise qui a encore accumulé plus de 200 millions d’euros de pertes depuis la « privatisation » (en dépit de la manne de la délégation de service public renouvelée jusqu’en 2020 par la collectivité territoriale corse). La fin justifie-t-elle pour autant n’importe quel moyen, c’est-à-dire l’appel à Kristian Siem ?

Kristian Siem Kristian Siem © subsea7

Dans le petit monde de la finance parisienne, l’apparition sur ce dossier sensible du chevalier d’industrie norvégien a réveillé quelques souvenirs, pas très flatteurs. Nous sommes au milieu des années 1980 et le contre-choc pétrolier a mis en difficulté quelques grands acteurs de l’or noir, dont la société texane Global Marine Inc., un des principaux opérateurs dans l’exploration et l’exploitation off-shore. Parmi les créanciers de la société américaine, qui se placera en 1986 sous la protection de la loi américaine (chapter 11), on trouve une banque française à capitaux publics, la Banque française du commerce extérieur (BFCE). Afin de financer l’achat de matériels auprès d’industriels français, cet établissement (plus tard privatisé et fusionné avec le Crédit national pour former Natexis) avait souscrit des obligations convertibles émises par Global Marine. Avec la garantie du Trésor français, c’est-à-dire du contribuable. Titres dont la valeur s’est effondrée avec la faillite de l'entreprise.

En 1989, la branche parisienne de la banque d’affaires américaine Drexel Burhnam Lambert, dont la maison mère new-yorkaise avait d’ailleurs dirigé des émissions pour le compte de Global Marine, reçoit mandat de la BFCE de revendre (à lourde perte) ce papier. L’acheteur ? Un certain Kristian Siem, dont l’activité était jusque-là celle d’un simple affréteur de bâtiments et plateformes d’exploration pétrolière, finançant ses opérations par des syndications placées auprès des épargnants norvégiens.

Avec une très forte décote, supérieure à 30 %, Kristian Siem met la main sur plusieurs centaines de millions de francs de titres. Mais, selon un acteur de l’époque, il ne s’acquittera jamais de ses obligations vis-à-vis de Drexel. À la faveur de la faillite de Drexel, emportée en 1990 par l’énorme scandale lié au nom de Michael Milken, l’inventeur du marché des « junk bonds », Siem ne paiera jamais les commissions dues à Drexel. « Un comportement de voyou », accuse la même source.

Pour Kristian Siem, le pari sur Global Marine va pourtant se révéler extraordinairement juteux. La compagnie, qui s’est redressée en même temps que les cours du brut, fusionne en 2001 avec une société rivale, Santa Fe International Corporation, pour former un des principaux fournisseurs mondiaux de prestations aux compagnies pétrolières. En novembre 2007, GlobalSantaFe est absorbée par un rival encore plus puissant, Transocean (issu pour partie du géant franco-américain Schlumberger) afin de constituer un leader mondial du secteur, Transocean Ltd., dont le siège est à Houston. Un « deal » à 15 milliards de dollars. La compagnie sera impliquée en 2010 dans la catastrophe de la plateforme “Deepwater Horizon”, exploitée par BP dans le golfe du Mexique. Mais en 2008, Kristian Siem a quitté le conseil de Transocean, le transfert de l’enregistrement de la société à Zoug (Suisse) ayant des « conséquences fiscales négatives » pour ce résident de la confédération helvétique.

Une partie de l’empire de Kristian Siem trouve bien son origine dans Transocean via Global Marine, et les liens avec le géant de l’offshore restent manifestement forts, comme en témoigne la composition du conseil d’administration de Siem Offshore Inc., une des principales filiales de la holding. Un ancien de Drexel estime à un milliard de dollars environ le profit réalisé par le « vautour » norvégien à partir des titres vendus à la casse par la BFCE. À côté de quoi les 60 millions de plus-value réalisés par Walter Butler (lire ici) pour sa prise de participation sans risque dans la SNCM « privatisée » sont évidemment de la petite bière.

Pourquoi Kristian Siem s’intéresserait-il à la desserte de la Corse ? Même si Siem Industries est un conglomérat également présent dans le transport maritime roro (roll on, roll off) pour le compte de l’industrie automobile, celui de vacanciers et de leurs voitures semble tout de même très éloigné de son cœur de métier. La recherche d’un nouveau coup financier ? Il faut rappeler que la « privatisation » de la SNCM en 2005-2006 avait donné lieu à un coup d’accordéon spectaculaire par lequel des actifs (la flotte) évalués à plusieurs centaines de millions d’euros avaient été cédés aux repreneurs pour presque rien. Et Transdev est prête à se débarrasser de la SNCM quasiment pour l’euro symbolique, en abandonnant la totalité de ses créances et des avances de trésorerie concédées à la compagnie maritime. Dans tous les cas de figure, il y a une constante : le destinataire final de la facture, c’est le contribuable français. Plus ça change…

BOITE NOIREJ'ai cherché vainement à rentrer en contact avec Kristian Siem, un représentant ou même un porte-parole. La seule adresse électronique indiquée sur le site de Siem Industries ne fonctionne pas. Le numéro de téléphone du siège à Georgetown sonnait dans le vide lors de mes appels, et celui passé à la filiale londonienne ne pouvait “aboutir”, disait le répondeur.

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Economie : la politique néolibérale est confirmée

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En annonçant qu’il avait choisi de nommer Manuel Valls à Matignon, en remplacement de Jean-Marc Ayrault, François Hollande avait clairement fait comprendre qu’il entendait ne tirer aucune leçon, ou presque, de la sanction sans précédent des élections municipales, et maintenir le cap de sa politique économique. Le discours de politique générale de Manuel Valls, ce mardi 8 avril, devant les députés, en apporte la confirmation. Bien que la majorité ait en partie implosé, que les Verts aient décidé de ne plus faire partie du nouveau gouvernement ou encore que le groupe des parlementaires socialistes soit entré en rébellion, l’orientation économique et sociale est quasi inchangée : plus que jamais, cap sur le néolibéralisme et sur l’austérité renforcée…

Dans leurs grands équilibres, les principales mesures annoncées par Manuel Valls se situent dans le strict prolongement de ce que Jean-Marc Ayrault avait déjà entrepris, et ne vont pas apaiser les critiques qui sont apparues jusque dans les rangs socialistes. Le nouveau premier ministre va mettre en œuvre le pacte de responsabilité qui était déjà annoncé, et qui va porter progressivement à 30 milliards d’euros le total des nouveaux allégements fiscaux et sociaux accordés aux entreprises. Il va aussi mettre en chantier les mesures de baisses d’impôt en faveur des contribuables les plus modestes que François Hollande avait fait miroiter en présentant ses vœux aux Français. Et il va enfin appliquer le plan d’austérité de 50 milliards d’euros d’économies déjà annoncé pour les trois prochaines années.

Effets d’aubaine pour les entreprises qui vont empocher les 30 milliards d’euros sans être astreintes à de véritables contreparties ; effets récessifs sur une économie anémiée d’un plan violent d’austérité : comme la politique économique et sociale de Manuel Valls n’a pas le charme de la nouveauté et n’est que la mise en œuvre d’une stratégie ancienne arrêtée à l’Élysée, les mêmes controverses vont reprendre.

En certains domaines, Manuel Valls a apporté des précisions sur des modalités du plan d’austérité ou sur celles du pacte de responsabilité. Et il a aussi annoncé quelques cadeaux en plus, toujours en faveur des entreprises. D’autres controverses vont s’ouvrir : parce que les mesures en faveur des ménages sont encore trop floues pour que l’on soit assuré de leur effet réel sur le pouvoir d’achat ; parce que les mesures annoncées d’exonération des charges sociales sur les salaires au niveau du Smic risquent d’avoir un effet pervers gravissime, en créant ce que les experts appellent une « trappe à bas salaires » ; ou encore parce Manuel Valls s’est bien gardé d’apporter des précisions sur le détail des 50 milliards d’économies…

Il faut donc procéder à un décryptage détaillé de cette déclaration de politique générale.

D’abord, voici cette déclaration de politique générale :

Ce qui a été annoncé – L’ancien premier ministre, sur instruction de François Hollande, avait déjà mis en œuvre le « choc de compétitivité » de 20 milliards d’euros, qui avait pris la forme d’un crédit d’impôt (baptisé Crédit d’impôt compétitivité emploi - CICE). Et François Hollande avait ensuite annoncé qu’au travers d’un « pacte de responsabilité », le total des allègements sociaux et fiscaux offert aux entreprises allait être progressivement porté à 30 milliards d’euros. Mais on ignorait encore si ces 10 milliards d’euros complémentaires d’allègement viendraient d’une suppression progressive des cotisations familiales, qui sont à la charge des employeurs, ou alors d’un recalibrage et d’une montée en puissance du CICE.

C’est donc sur les 10 milliards d’euros complémentaires que Valls a apporté des précisions nouvelles. Première précision : « Au niveau du SMIC, les cotisations patronales à l’URSSAF seront entièrement supprimées au 1er janvier 2015. »

Cette première annonce est très importante car l’URSSAF (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) est un organisme de service public qui recouvre l’ensemble des cotisations de protection sociale versées par les entreprises. La mesure annoncée par Manuel Valls signifie donc que les employeurs ne paieront plus aucune cotisation sociale, de quelque nature que ce soit (santé, retraite, chômage, famille…) pour les salariés au niveau du Smic.

Du même coup, Manuel Valls a donc fait cette annonce complémentaire : « Le barème des allégements existant entre le SMIC et 1,6 fois le SMIC sera modifié en conséquence. Nous y consacrerons 4,5 milliards d’euros. »

Continuant à détailler la répartition de ces 10 milliards d’euros de cadeau supplémentaire en faveur des entreprises, Manuel Valls a fait cette autre précision : « Pour les salaires jusqu’à 3 fois et demi le SMIC, c’est-à-dire plus de 90 % des salariés, les cotisations famille seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016. Cela représente un allégement supplémentaire de près de 4,5 milliards d’euros. » Enfin, « les travailleurs indépendants et artisans, qui représentent des gisements de créations d’emplois, bénéficieront d’une baisse de plus de trois points de leurs cotisations famille dès 2015 (soit 1 milliard d’euros). »

Le nouveau premier ministre apporte ainsi sa patte personnelle, en gonflant encore un peu davantage les cadeaux offerts aux entreprises. C’est-à-dire en portant les allègements au-delà des 30 milliards d’euros déjà annoncés par François Hollande.

Ces mesures complémentaires sont les suivantes. « Pour relever l’investissement, le gouvernement agira aussi par la fiscalité. D’abord, en réduisant les impôts de production, comme la "C3S" – contribution sociale de solidarité des sociétés – payée par 300 000 entreprises. Elle sera entièrement supprimée en trois ans. Cela représente environ 6 milliards d’euros de marges supplémentaires, dont 1 milliard dès 2015 », a ainsi expliqué Manuel Valls, avant d’ajouter : « Concernant l’impôt sur le résultat des sociétés, la "surtaxe" instaurée sous la mandature précédente sera supprimée en 2016. Le taux normal de cet impôt sera par ailleurs abaissé à 28 % en 2020, avec une première étape intermédiaire en 2017. »

Ce qui va faire polémique – La première polémique sera celle que nous avons déjà évoquée : beaucoup observeront que François Hollande n’a tenu aucun compte de la sanction des municipales. Pis que cela ! On pourra lui faire grief au contraire d’aggraver cette politique, puisque les cadeaux aux entreprises vont dépasser les 30 milliards d’euros annoncés, pour atteindre plus de 36 milliards d’euros.

La deuxième critique est récurrente : il a beaucoup été reproché au gouvernement précédent d’offrir ces allègements aux entreprises, sans exiger d’elles des contreparties en termes d’emploi ou d’investissement. Et l’Insee a récemment confirmé que du même coup le pacte de responsabilité risquait surtout de gonfler… les profits (lire Le choc de compétitivité stimulera d’abord… les profits !).

Or, Manuel Valls n’a rien dit qui vienne apaiser ces craintes. La controverse sur les effets d’aubaine de ce plan va donc reprendre de plus belle : le nouveau gouvernement ne va-t-il pas ruiner les finances publiques seulement pour consolider les marges des entreprises ? En somme pour consolider ce capitalisme d’actionnaires ?

Une troisième critique coule de source. Pour la mesure d’allègement de 4,5 milliards d’euros qui concerne les cotisations familiales employeurs, Manuel Valls a fait une pirouette, en évoquant son financement : « Cela ne pénalisera en rien le financement de la politique familiale, qui se verra affecter d’autres recettes pérennes. » Ah bon ! Lesquelles ?... La formule est évidemment inquiétante. Car ces 4,5 milliards d’euros, il faudra bien les trouver. Alors, le gouvernement sera-t-il tenté de les trouver… dans la poche des familles, via par exemple un relèvement de la CSG ? Ou alors les prestations familiales seront-elles réduites ?

Mais à toutes ces polémiques qui vont repartir, il faut encore en ajouter une autre. Elle a trait à l’annonce de la suppression totale de toute cotisation sociale au niveau du Smic. Une telle disposition incitera très fortement les employeurs à n’embaucher qu’au niveau du Smic, et le moins possible au-dessus. Ces effets sont très connus des économistes, qui ont un vocable très précis pour définir ce processus vicieux : on parle d’une « trappe à bas salaires ».

Or, ce qu’il y a de particulièrement important, c’est que la France est bien placée pour connaître les effets pernicieux de cette trappe, car tout au long des années 1990, la gauche comme la droite, ont multiplié au gré des alternances ces politiques d’allègements des charges sociales pour le travail non qualifié. C’est Martine Aubry, à l’époque ministre du travail, qui en a donné le coup d’envoi en 1992 en ciblant ces allègements sur le travail féminin ; et ses successeurs de droite ont suivi son exemple. Et, en France sans doute plus qu’ailleurs, la fameuse « trappe » a montré ses effets pervers : les petits boulots ou en tout cas ceux au niveau du Smic ont prospéré, contribuant à un écrasement des hiérarchies salariales.

Cette politique est d’ailleurs en ligne avec la doctrine néolibérale. Dans le prolongement de la « politique de l’offre », ses zélateurs recommandent d’alléger le coût du travail, surtout pour les basses qualifications. Et le résultat de cette politique est celle que l’on a pu enregistrer en France depuis vingt ans : une explosion du nombre des « working poors » – des travailleurs pauvres.

Ce qui a été annoncé – Faisant mine de tirer les enseignements des municipales, François Hollande avait annoncé que le « pacte de responsabilité » serait complété par un « pacte de solidarité ». C’est donc ce volet complémentaire que Manuel Valls a annoncé.

« Le meilleur moyen, c’est d’agir sur les cotisations salariales pour augmenter le salaire net, celui que l’on touche à la fin du mois. Dès le 1er janvier 2015, elles seront diminuées pour les salaires au niveau du SMIC pour procurer 500 euros par an de salaire net supplémentaire. C’est presque la moitié d’un 13e mois pour un salarié payé au SMIC. Ce gain sera dégressif entre le SMIC et 1,3 fois le SMIC », a ainsi annoncé le nouveau premier ministre.

Par ailleurs, a-t-il ajouté, « mon gouvernement proposera d’alléger la fiscalité pesant sur les ménages modestes, en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l’impôt sur le revenu ces dernières années alors même que leur situation ne s’était pas améliorée. L’ensemble de ces mesures en faveur des ménages modestes représentera 5 milliards d’euros à l’horizon 2017 ».

Ce qui va faire polémique – La première mesure a une faille que l’on devine facilement : Manuel Valls n’a pas évoqué son financement. Mais c’est peut-être... plus qu’une faille : il se pourrait que ce soit un pur et simple tour de bonneteau. En clair, cette disposition présentée comme une mesure en faveur des salariés modestes pourrait être financée… par les salariés modestes eux-mêmes.

Avant même les élections municipales, l’Élysée et Bercy travaillaient en effet à une mesure de financement qui pouvait prendre la forme d’une suppression, au moins partielle, de la Prime pour l’emploi (PPE) qui avait été créée sous Lionel Jospin pour veiller à ce qu’un chômeur puisse reprendre une activité sans que son nouveau salaire soit… inférieur à ses indemnités chômage. Il s’agissait en somme d’une prime pour inciter les salariés modestes à revenir sur le marché du travail.

Il serait donc stupéfiant que Manuel Valls ose présenter comme une aide au pouvoir d’achat des salariés modestes une mesure qui serait… à leur charge ! Conscient que la pilule serait difficile à faire passer, les « technos » de Bercy ont, semble-t-il, amendé en dernière minute le dispositif, pour que le financement de la mesure ne pèse pas tout de suite, ou pas totalement, sur les salariés les plus modestes, et que ce financement n’intervienne que progressivement.

Il n’empêche ! Le simple fait que Manuel Valls n’ait pas précisé le financement de la mesure en dit long : il s’agit d’une mesure en forme de bout de ficelle. Juste pour faire semblant ; juste pour faire croire que la politique économique du gouvernement n'est pas au bénéfice exclusif des entreprises et surtout de leurs actionnaires…

La seconde disposition sur la fiscalité appelle les mêmes réserves. Car, faute de précision de Manuel Valls, deux cas de figure sont possibles. Premier cas de figure : comme Mediapart l’avait révélé en début d’année, des décisions fiscales prises ces derniers mois vont conduire à de violentes hausses d’impôt à l’automne prochain, dont l’opinion n’a pas encore pris la mesure (lire Vers un nouveau choc fiscal pour les ménages). Le gouvernement pourrait avoir l’ambition de seulement freiner ou annuler des hausses, dont les contribuables n’ont pas encore pris la mesure. En quelque sorte, il n’y aurait donc pas de baisses d’impôt mais seulement… une annulation des hausses prévisibles ! Dans cette hypothèse, il s’agirait donc aussi d’un tour de bonneteau.

Seconde hypothèse : le gouvernement pourrait envisager une baisse de l’impôt, en la présentant comme une mesure pour les foyers modestes. Au début de son discours, d’une formule, Manuel Valls a fait cette allusion : « Il y aussi cette exaspération quand, à la feuille de paie déjà trop faible, s’ajoute la feuille d’impôt trop lourde. »

Mais là encore, cette orientation pourrait susciter la polémique, en tout cas à gauche. Car les socialistes avaient promis non pas de conduire une politique néolibérale de baisse des impôts, mais de refonder un impôt citoyen et progressif, ce qui n’a rien à voir. En somme, ils avaient promis non pas de démanteler encore un peu plus l’impôt sur le revenu mais de le refonder, en le fusionnant avec la CSG. De surcroît, on sait l’hypocrisie d’une baisse des tranches basses de l’impôt sur le revenu. Comme il s’agit d’un prélèvement progressif, toute mesure de ce type profite aussi… aux plus hauts revenus.

Ce qui a été annoncé – Le volet sur le plan d’austérité et sur les 50 milliards d’euros d’économie était sans doute celui qui était le plus attendu. Mais c’est aussi celui sur lequel Manuel Valls a été le moins explicite.

Il s’est borné à quelques indications. D’abord sur le calendrier : « Fin avril, l’Assemblée nationale sera saisie du programme de stabilité et de la trajectoire des finances publiques. Au début de l’été, un projet de loi de finances rectificative traduira les économies nouvelles que nous aurons proposées. Et il y aura évidemment le rendez-vous crucial de la loi de finances initiale. »

Et ensuite, il a juste apporté ces précisions : « Je vous propose un changement de rythme pour éviter tout recours à l’impôt et financer le redressement de notre économie : 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans de 2015 à 2017. L’effort sera partagé par tous. L’État et ses agences en prendront la plus grande part, 19 milliards d’euros. 10 milliards proviendront de l’assurance maladie et 10 milliards supplémentaires des collectivités locales. Le reste viendra d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure lisibilité de notre système de prestations. »

Tout en récusant le terme d’austérité, le nouveau premier ministre n’a pas été plus disert. Il a seulement indiqué qu’il fallait trouver un juste équilibre entre le besoin impérieux de redresser les comptes publics, mais sans casser la reprise de la croissance.

Ce qui va faire polémique – Le grief essentiel auquel Manuel Valls va devoir faire face au cours des prochains jours est celui de ne pas avoir joué cartes sur table et de n’avoir pas dit la gravité des mesures d’austérité qui sont déjà dans les tuyaux.

On sait en effet que François Hollande a lui-même organisé à l’Élysée ces derniers mois des réunions de travail pour préparer des coupes claires violentes (lire Et revoici la RGPP !). Et c’est ce plan d’austérité, qu’il n’a pas élaboré, que Manuel Valls va devoir appliquer. Bercy a même bien fait les choses. Comme pour forcer la décision, les principales pistes ont fait l’objet de fuites savamment calculées, notamment, lundi, à destination des Échos.

On a ainsi appris que l’Élysée réfléchissait à une véritable purge. Pour parvenir aux 19 milliards d’économies sur l’État et les principaux opérateurs publics, des pistes explosives seraient à l’étude comme le maintien du gel des salaires des fonctionnaires jusqu’en 2016 (il est déjà en vigueur depuis 2011) ; la remise en cause de 10 000 à 15 000 des 60 000 créations de postes dans l’éducation nationale, qui étaient pourtant la promesse phare du candidat Hollande ; la réduction d’au moins 3 milliards des dotations aux opérateurs publics ; la réduction des contrats aidés et le durcissement des critères de l'allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droits ; la limitation drastique des dépenses de santé ; la limitation de certaines prestations familiales…

En résumé, les cadeaux aux entreprises ont même été renforcés tandis que la violence du plan d’austérité s’est précisée. Voilà donc la tâche qui attend Manuel Valls : il va devoir imposer au pays une politique économique qui vient tout juste d’être… censurée, sinon par le Parlement, du moins par les électeurs lors des municipales.

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Manuel Valls au bord de la crise de confiance

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Il n’y a pas eu de surprise. Mardi, à l’Assemblée, Manuel Valls est resté conforme à ce qu’il cherche à incarner depuis son arrivée à Matignon : une communication ultra-huilée et des mesures dignes de la « troisième voie » de Tony Blair et Gerhard Schröder. Mais son choix réduit peu à peu la majorité présidentielle qui a élu François Hollande.

La surprise est donc venue de l'hémicycle. À l’issue du discours de politique générale, onze élus PS se sont abstenus, tous membres de l’aile gauche à l’instar d’Henri Emmanuelli, Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan ou Jérôme Guedj. Ce n'était jamais arrivé pour le parti au pouvoir depuis le début de la Ve République. Six députés écologistes ont fait de même (mais dix ont voté la confiance) et ceux du Front de gauche ont voté contre.

Valls fait donc moins bien que Jean-Marc Ayrault qui avait fait le plein au PS et auprès des écologistes – il avait obtenu 302 voix, contre 306 pour Valls mais, à l’époque, il manquait 25 députés nommés ministres en 2012 et dont les suppléants ne pouvaient pas encore voter. Quant aux 88 députés socialistes auteurs d’un appel à une réorientation de la politique gouvernementale, l’écrasante majorité a voté la confiance mais ils ont prévenu que cela ne valait pas approbation du pacte de responsabilité, soumis dans les prochaines semaines au vote de l’Assemblée. "Nous confirmons qu’après ce vote d’investiture, nous ne saurions  adopter le pacte de responsabilité en l’état. Nous ferons des contre-propositions et des amendements", affirment dans un communiqué les initiateurs de cet appel.

Le nouveau premier ministre a pourtant multiplié les gestes d’ouverture vis-à-vis des députés, promettant de les associer pleinement à l’action gouvernementale. Cette promesse n’a pas suffi. Car mardi, avec l’aval de François Hollande, Manuel Valls a balayé, dans son discours de politique générale, les demandes de « plus de gauche et de plus d’écologie », relayées par des socialistes sonnés par la défaite, l’idée de « rééquilibrer » la politique gouvernementale, pour partie défendue par Jean-Marc Ayrault avant son départ forcé, la poursuite de réformes de société souhaitées par une partie de la majorité, et la « remise à plat » de la fiscalité portée par l’ex-premier ministre, mais dont l’Élysée ne voulait pas.

À ce titre, cette fameuse « réforme fiscale », promesse de campagne de François Hollande, fait figure de symbole. À la place, Valls a repris – comme le président dans tous ces derniers discours depuis septembre 2013 – le credo du « ras-le-bol fiscal » lancé par Pierre Moscovici l’été dernier. À l’époque, de nombreux socialistes, y compris des ministres comme Bernard Cazeneuve, avaient déploré que le ministre des finances ne défende pas la vertu de l’impôt, identitaire à gauche. Mardi, Valls n’en a dit mot. En revanche, il a dénoncé « la feuille d’impôts déjà trop lourde » et annoncé qu’il « faut en finir avec l’inventivité fiscale qui génère une véritable angoisse chez nos concitoyens ».

Le « pacte de responsabilité » (devenu à la deuxième mention de son discours le « pacte de responsabilité et de solidarité » selon la nouvelle formule forgée à l’Élysée et qui ressemble au « pacte de développement et de solidarité » de Lionel Jospin en 1997) est à l’avenant. Conforme aux déclarations de François Hollande le 14 janvier dernier. Et conforme à l’orientation toute schröderienne de la politique menée par le gouvernement depuis l’automne 2012.

Au-delà des mesures précises (lire ici leur décryptage par Laurent Mauduit), les mots choisis par Manuel Valls sont révélateurs : « pragmatisme » (« la croissance ne se décrète pas, elle se stimule avec pragmatisme et volontarisme »), « libérer les énergies », « démarche positive », « oser ces compromis positifs et créatifs » (à propos du pacte), et bien sûr « modernité ». « Les divergences d’intérêt existent, il ne s’agit pas de les effacer mais de les dépasser, pour l’intérêt général. C’est ça la modernité ! » a lancé Valls dans l’hémicycle plein comme un œuf.

Il y a quinze ans, Tony Blair et Gerhard Schröder signaient le manifeste de la « troisième voie » et ils écrivaient dès le deuxième paragraphe : « La plupart des gens ont depuis longtemps abandonné toute vision du monde fondée sur le clivage entre les dogmes de la gauche et de la droite. » Avant de remplacer la conception de la société divisée en classes sociales aux intérêts divergents par « les gagnants et les perdants ». Comme eux à l’époque, Manuel Valls a promis mardi une diminution de l’impôt sur les sociétés. 

En échange, la majorité mettra évidemment en avant les phrases un peu plus offensives qu’à l’ordinaire sur l’austérité voulue par Bruxelles et sur « l’euro fort », l’ambitieuse réduction du millefeuille territorial promise, et surtout les mesures annoncées pour les ménages les plus modestes.

Leur chiffrage (5 milliards d’euros pour l’instant) est cependant très loin d’atteindre celui des aides aux entreprises, avec 30 milliards d’euros d’allègements du coût du travail, auxquels s’ajoutent les baisses d’impôts (6 milliards pour la suppression de la C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés, et la baisse de l’impôt sur les sociétés non-chiffrée par M. Valls mardi). Surtout, elles risquent de faire pâle figure à côté des 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans, confirmés par le premier ministre.

À ce propos, Manuel Valls a eu mardi une formulation qui a fait sursauter plusieurs conseillers de l’exécutif sur la répartition des économies (19 milliards pour l’État, 10 milliards pour l’assurance-maladie et 10 milliards pour les collectivités locales). « Le reste viendra d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure lisibilité de notre système de prestations », poursuit alors Valls. « C’est là qu’il y aura du sang et des larmes », soufflait à la sortie un proche de François Hollande.

« Tout le détail n’est pas encore calé. Mais ce ne sera pas 10 milliards d'euros de prestations sociales en moins… Cela viendra notamment de la meilleure gestion des caisses et de la modernisation des services. Comme pour les collectivités locales. Même chose pour l’assurance-maladie : les économies prévoiront surtout une réorganisation des hôpitaux et une baisse du prix des médicaments », tempérait dans la foulée un conseiller du pouvoir. Avant d’excuser une « maladresse de formulation » – un comble pour un premier ministre qui mise autant sur la communication.

Car c’est là l’essentiel de la mise en scène voulue par Manuel Valls, spécialiste du genre. Il l’a prouvé en tant que directeur de la communication du candidat Hollande pendant la campagne et par un soin tout sarkozyste à gérer les caméras et les radios place Beauvau. Selon Le Monde, son grand ami, le communicant Stéphane Fouks, était à ses côtés au ministère de l’intérieur dans les heures précédant sa nomination à Matignon.

Depuis une semaine, Manuel Valls a déjà « séquencé » son arrivée aux responsabilités, en annonçant en deux temps le gouvernement (mercredi dernier pour les 16 ministres de plein exercice, avant la liste des secrétaires d’État attendue mercredi 9 avril). Il a fait le 20H de TF1 pour une prestation lisse mais sans cafouillages et la Une du Journal du dimanche quatre jours plus tard où l’on a appris que son chien s’appelait Homère et qu’il obéissait au nouveau maître de Matignon.

Il a fait fuiter son programme alimentaire (jusqu’à son appétit pour la « viande rouge ») et laissé entrer les caméras d’i-Télé avant le discours de politique générale. Pour dire à la télévision des phrases très calibrées comme : « Ce rythme, moi je l’aime. » Ou : « J’ai besoin de sortir. Il faut essayer de faire une vie normale. » Quant au discours de politique générale, il lui a trouvé un titre qui parle bien plus de méthode, avec des mots clés publicitaires, que du fond de sa politique : « vérité, efficacité, confiance ».

L’exécutif s’est convaincu que les candidats socialistes aux municipales ont avant tout souffert de l’incapacité chronique du gouvernement de Jean-Marc Ayrault à « vendre » sa politique et à mettre en scène l’action publique. « Manuel n’a pas de ligne. C’est celle de François Hollande. Manuel, c’est une méthode et une priorisation des dossiers. Il va faire le service après-vente, explique un proche du nouveau premier ministre. C’est ce que nous demandaient les électeurs. Dans l’entre-deux tours des municipales, j’ai entendu dans les quartiers de gauche le reproche d’amateurisme. Le mot le plus gentil, c’était “bons à rien”. »

« On assume le réformisme et les politiques structurelles. C'est vallsien. L'électorat socialiste nous a sanctionnés parce que nous étions confus et que nous n'assumions pas. Nos couacs ont embrouillé le message et entraîné la gauche dans une spirale déprimante », jure aussi un conseiller du groupe socialiste à l’Assemblée. « C’est un type de communication d’entreprise avec des objectifs, et la volonté de réhabiliter la parole publique », s’enthousiasmait aussi à la sortie le porte-parole du groupe PS Thierry Mandon. 

Sauf qu’à réduire la politique à un slogan de communication et à dépolitiser sans fin les votes des électeurs, Manuel Valls pourrait être pris au piège d’une de ses phrases, prononcées mardi : « La parole publique est devenue une langue morte. »

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Rythmes scolaires: opération déminage

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Très attendu sur la réforme des rythmes scolaires, qui a en grande partie coûté son poste à Vincent Peillon, le premier ministre Manuel Valls a annoncé dans son discours de politique générale que cette « bonne réforme » nécessiterait néanmoins un « assouplissement du cadre réglementaire ». Manuel Valls a ainsi affirmé que ces assouplissements interviendraient « après les concertations nécessaires avec les enseignants, les parents et les élus ». « J’ai entendu les remarques de bonne foi venant des élus », a-t-il pris soin d'ajouter.

Pour l'entourage du tout nouveau ministre de l'éducation nationale, Benoît Hamon, ces déclarations ne signifient nullement un recul sur cette réforme emblématique du quinquennat : « Il n'y a ni report, ni retrait du décret, ni libre choix. La réforme s'appliquera partout dès la rentrée 2014. »

 

À la rentrée prochaine, 85 % des communes doivent appliquer le décret Peillon, qui rétablit la semaine de quatre jours et demi en fixant un maximum de 5h30 de cours par jour. Selon le ministère de l'éducation nationale, 92 % de ces communes ont déjà déposé leur projet d'application du décret pour la rentrée prochaine, rendant toute idée d'abandon pur et simple de la réforme pour le moins improbable. Pour autant, face aux mécontentements qui se sont exprimés, tant chez les enseignants que chez les élus ou les parents d'élèves, le ministère estime nécessaire de lâcher du lest. Il pourrait y avoir localement, sans réécrire le décret Peillon, des dérogations pour permettre notamment à des organisations locales déjà expérimentées de se poursuivre. 

« Je prends acte de la décision du premier ministre d'ouvrir une concertation », s'est félicité Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp FSU, majoritaire dans le premier degré. « J’attends avec impatience de rencontrer le nouveau ministre de l’éducation nationale pour qu’il nous fasse état de ses propositions parce qu'il est urgent de préparer la rentrée prochaine qui est dans cinq mois. » Selon lui, rétablir un dialogue avec tous les acteurs est nécessaire pour faire réussir la réforme : « Nous demandions depuis des mois que le ministère réunisse tout le monde autour d’une même table. Il faut arrêter de saucissonner cette réforme en menant des consultations parallèles avec chacun des acteurs », explique ce représentant syndical.

L’application du décret Peillon avait déclenché des grèves massives chez les enseignants du premier degré estimant largement que cette réforme s’était faite sans concertation et contre eux. Le syndicat majoritaire du premier degré défend donc toujours l’idée que le décret Peillon est trop rigide et qu'il devra être réécrit : « Des organisations comme à Poitiers, où un mercredi sur trois est libéré, à Munster avec deux après-midi consacrés aux activités périscolaires (en dehors des clous du décret, ndlr), voire des organisations avec quatre jours d’école par semaine mais des vacances raccourcies… doivent être possibles si elles s’inscrivent dans le cadre global d’une réforme qui vise à alléger la journée des écoliers en offrant des activités périscolaires », déclarait-il à l'issue du discours de Manuel Valls. 

Comme le laisse entendre le chronobiologiste François Testu, à la tête du tout nouvel Observatoire des rythmes et des temps de vie des enfants et des jeunes, structure créée par plusieurs organisations et syndicats très favorables à la réforme Peillon, la FCPE mais aussi le SE-UNSA, le SGEN- CFDT, « une concertation, pourquoi pas ? Mais cela fait quand même six ans que l’on se concerte sur cette question... Si c'est juste pour enterrer ou encore différer la réforme, c'est inacceptable »

Manuel Valls n'a, par ailleurs, pas dit un mot du financement de la réforme qui a sans doute coûté très cher au parti socialiste lors des municipales. Pour les maires, la question est évidemment cruciale puisque le gouvernement n'a jusqu'ici promis qu'un fond d'amorçage – 5 euros par élève et par an et 9 euros pour les communes en difficulté – pour les deux premières années. Sur ce sujet, évidemment brûlant, le ministère renvoyait mardi à des annonces ultérieures. 

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Les députés socialistes placent Valls sous surveillance

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La logique majoritaire l’a emporté. La centaine de députés qui avaient menacé de ne pas voter la confiance à Manuel Valls sont finalement rentrés dans le rang. Seuls onze se sont abstenus, tous issus de l’aile gauche : une première sous la Ve République.

Quelques heures plus tôt, le nouveau premier ministre leur a servi ce mardi 8 avril un discours économiquement très orthodoxe, au cours duquel le mot “gauche” n’a été prononcé qu’après 40 minutes – pour réclamer « l’apaisement » après l’épisode du mariage pour tous. Quant au pacte de responsabilité et aux 50 milliards d’économies qu’ils critiquaient vivement, ils sont toujours là, intacts.

À 15 heures pile, Manuel Valls grimpe à la tribune : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France », commence le premier ministre. La droite, déchaînée, le restera pendant les 45 minutes d’un discours parfois laborieux, sans grandes envolées.

Valls passe en revue la « peur lancinante du déclassement » des Français, leurs « visages noués » et leurs « gorges serrées ». S’attarde sur la délinquance, les « fractures communautaristes », les « actes anti-juifs, anti-musulmans, anti-chrétiens, homophobes »

Puis il entre dans le dur : le pacte de responsabilité, une baisse massive de cotisations patronales pour les salariés au Smic et, au-delà, la confirmation de 50 milliards d’économie. Il annonce aussi des réformes territoriales d’ampleur (la suppression de la moitié des régions au 1er janvier 2017 et des départements en 2021, etc.). Les écologistes applaudissent bruyamment. Les socialistes, déjà sortis lessivés des municipales, sont beaucoup moins enthousiastes : ce sont autant de mandats potentiels qui s'envolent. Valls évoque brièvement l’Europe, la politique monétaire de la Banque centrale européenne (« moins expansionniste que ses consœurs »), et l’euro « trop élevé ». Sur le banc des ministres, Arnaud Montebourg acquiesce ostensiblement.

Manuel Valls promet à plusieurs reprises d’associer davantage le Parlement. C’est pourtant la première fois qu’un premier ministre fait une déclaration de politique générale sans qu’un ministre chargé des relations avec le Parlement ne soit désigné. La première fois aussi que le chef du gouvernement s’invite à la réunion du mardi matin qui fixe l’agenda de l’Assemblée, entorse à la séparation des pouvoirs.

10 heures. Manuel Valls assiste à la conférence des présidents de l'Assemblée nationale10 heures. Manuel Valls assiste à la conférence des présidents de l'Assemblée nationale © @Denis_Baupin (Twitter)

À la fin de son discours, Valls cite « Valmy », « 1848 », « la grandeur de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, la grandeur du maquis ». Le PS applaudit. Pour l’exaltation, il faudra repasser, mais le vote, peu avant 19 heures, est sans appel : 306 “oui”, 239 “non”.

UMP et centristes ont presque tous voté non. Le PS et les radicaux de gauche ont massivement voté “oui”. Dix des 17 écologistes aussi. Parmi eux les coprésidents, François de Rugy, Barbara Pompili ou encore la présidente de la commission des affaires européennes, Danielle Auroi, qui admet avoir « subi des pressions de la part de certains socialistes » (sans que cela n’explique son vote, dit-elle).

De Rugy ne verse toutefois pas dans l’euphorie : « Sur l'écologie, c'était un peu court. Sur les allégements de cotisations et les économies budgétaires, les inquiétudes ne sont pas levées. Sur le pacte de responsabilité, la majorité reste à construire. Sur la réforme territoriale comme sur la transition écologique, nous sommes prêts à dépasser les conservatismes à gauche et à droite, dans une alliance des réformateurs. Bref, notre confiance est critique et conditionnelle. »

Six écologistes s’abstiennent : Sergio Coronado, Eva Sas, ou encore Noël Mamère. Les plus à gauche. « Je plains les amis qui votent la confiance, dit Mamère dans les couloirs. La fin des cotisations est une incitation à la précarité. La transition écologique, ça a duré 25 secondes... Il n'y a rien de nouveau dans le ciel de la Hollandie. Les écologistes qui ont fait les yeux de Chimène à Manuel Valls ne voient pas qu'ils sont en train de tomber dans un piège. Ces propositions alléchantes ne sont que de la com. Il enfile les lieux communs comme on enfile des perles. » « Le gouvernement nous ressert les méthodes qui ne marchent pas depuis vingt ans », déplore Isabelle Attard, partie depuis à Nouvelle Donne. La seule du groupe écolo à voter contre.

Quant au Front de gauche, qui s'était abstenu en juillet 2012 lors du vote de confiance à Jean-Marc Ayrault, il l'a cette fois rejetée. « Ce qui est mou est flou », déplore André Chassaigne, le président du groupe, qui met en garde contre « l’immense colère qui monte dans le pays, la détestation de tout un système politique » et appelle à la constitution d’une « majorité alternative » à la gauche du PS.

Mardi, dès 16 heures, certains socialistes se sont employés à faire le service après-vente – ce qu’ils n’avaient pas fait le 3 juillet 2012, lors du discours inaugural d’Ayrault.

Les éléments de langage tournent en boucle : « Audace »« énergie »« Sévèrement burné », ose même un député. « Vous nous trouverez à vos côtés pour mettre en œuvre (...) la promesse du Bourget », lance Bruno Le Roux, le chef des députés PS. Sur une chaîne d’info, Malek Boutih, qui détestait Jean-Marc Ayrault, applaudit « sa clarté, son dynamisme, son professionnalisme, sa modernité. (...) Désormais l’équipe gouvernementale a un capitaine et une direction. » Philippe Doucet, ex-ségoléniste, maire sortant d’Argenteuil battu aux municipales, dégaine la méthode Coué : « Pour moi, le compte y est. De toute façon, dès lors que vous ne votez pas la confiance, vous votez la défiance... Valls nous permet de rebondir. » Mais en réalité, aucun socialiste ne surjoue l’euphorie. L’atmosphère est tristoune, les mines graves.

Dimanche soir, à Matignon, l’aile gauche du PS avait prévenu : dissocier le pacte de responsabilité et le vote de confiance serait un minimum. Elle n’a pas été entendue. « Le président de la République avait indiqué le 14 janvier qu’il engagerait sa responsabilité sur ce pacte. C’est donc ce que je fais aujourd’hui devant vous », lance Valls. Difficile d’être plus explicite. À la fin du discours, plusieurs représentants de l’aile gauche (Mathieu Hanotin, Pascal Cherki, Pouria Amirshahi) restent ostensiblement assis, avant de se lever comme leurs collègues. Henri Emmanuelli se lève mais n’applaudit pas. 

« Sur le fond, c'est du Schröder, sur la forme tout est verrouillé. Après une telle branlée électorale, si on continue, c'est qu'on n'a pas compris », se désole Pascal Cherki. « Le système de la Ve République écrase, mais il y a une conscience générale qu'il faut changer de cap. »

Finalement, une bonne part de l’aile gauche s'abstient : Pascal Cherki, Pouria Amirshahi, Fanélie Carrey-Conte (suppléante de la ministre des outre-mer George Pau-Langevin), Barbara Romagnan, Jérôme Guedj, etc. Les rappels à l’ordre matinaux du président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Le Roux n’y ont rien fait. L’Élysée s’attendait à une dizaine d’abstentions, et le Rubicon du vote "contre" n’est pas franchi. De toute façon, la menace des sanctions n’a jamais fonctionné dans le groupe socialiste. Encore moins au lendemain d’une débâcle électorale ! 

Parmi les autres contestataires, très peu envisageaient de ne pas voter la confiance, parce qu’ils craignaient une crise politique majeure ou qu’ils caressent toujours l’idée d’être nommés secrétaires d’État ce mercredi – l’annonce a été habilement fixée à ce mercredi, après le vote, pour éviter une hémorragie d'abstentions.

Mais même ceux qui ont voté “oui” ne cachent pas leurs doutes. Comme Laurent Baumel, un des signataires, ex-strausskahnien pourtant très proche de la ligne Valls : « En responsabilité, nous n'allions pas provoquer une dissolution. Mais personne ne peut imaginer que ce discours réponde à notre texte. Nous votons. Notre pari reste d'infléchir la ligne. »

« Nous sommes solidaires de ceux qui se sont abstenus, renchérit l’aubryste Christian Paul. Manuel Valls n'a pas répondu suffisamment à nos attentes. il faut aller plus loin sur la réorientation de la politique européenne. Sur le pacte de responsabilité, on est dans le strict prolongement. Notre vote ne vaut pas approbation pour le pacte. Nous voulons toujours des contreparties sérieuses. » « Nous ne voterons pas le pacte de responsabilité dans le contexte actuel », insiste Baumel.

C’est qu’en relisant le discours, nombre de socialistes s'inquiètent. Sur les 50 milliards d’économies prévues entre 2015 à 2017, onze pourraient en partie provenir d’économies sur les « prestations ». « Ça me paraît très clair, il s’agit de baisser des prestations sociales », maugrée un pilier de l’Assemblée.

Les élus notent aussi le décalage entre les (désormais) 35 milliards d’euros accordés aux entreprises et les 5 milliards d’euros distribués aux ménages. Beaucoup s’inquiètent enfin des multiples allégements de cotisations patronales sur le travail, notamment au niveau du Smic, qui risquent d’être autant de trappes à bas salaires. « Je suis un peu réticent sur cette politique de déflation salariale », s’étonne Jean-Patrick Gille, spécialiste des questions d’emploi.

Sitôt la confiance votée, plusieurs des contestataires ont envoyé un communiqué aux rédactions. Leur message : « Cette démarche collective va se poursuivre et s’amplifier, avec la même détermination et les mêmes buts. Chaque semaine, nos votes en témoigneront. » La menace est à peine voilée : voilà Manuel Valls sous surveillance parlementaire.

Le prochain rendez-vous va arriver très vite : fin avril, les députés vont voter sur la trajectoire des finances publiques adressée à Bruxelles, qui comprend le pacte de responsabilité et les 50 milliards d’économie. Ce vote est une concession de dernière minute, octroyée aux parlementaires pour éviter que leur courroux ne s'aggrave. Et il donne déjà des sueurs froides au pouvoir : à quelques semaines des européennes du 25 mai, il devrait à nouveau virer au bras de fer entre le gouvernement et sa majorité.

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Les députés PS placent le premier ministre sous surveillance

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La logique majoritaire l’a emporté. La centaine de députés socialistes qui avaient menacé de ne pas voter la confiance à Manuel Valls sont finalement rentrés dans le rang. Seuls onze se sont abstenus, tous issus de l’aile gauche : c'est une première sous la Ve République qu'un premier ministre socialiste ne fasse pas le plein des voix de son parti et de sa majorité.

Quelques heures plus tôt, le nouveau premier ministre leur a servi ce mardi 8 avril un discours économiquement très orthodoxe, au cours duquel le mot “gauche” n’a été prononcé qu’après 40 minutes – pour réclamer « l’apaisement » après l’épisode du mariage pour tous. Quant au pacte de responsabilité et aux 50 milliards d’économies qu’ils critiquaient vivement, ils sont toujours là, intacts.

À 15 heures pile, Manuel Valls grimpe à la tribune : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France », commence le premier ministre. La droite, déchaînée, le restera pendant les 45 minutes d’un discours parfois laborieux, sans grandes envolées.

Valls passe en revue la « peur lancinante du déclassement » des Français, leurs « visages noués » et leurs « gorges serrées ». S’attarde sur la délinquance, les « fractures communautaristes », les « actes anti-juifs, anti-musulmans, anti-chrétiens, homophobes »

Puis il entre dans le dur : le pacte de responsabilité, une baisse massive de cotisations patronales pour les salariés au Smic et, au-delà, la confirmation de 50 milliards d’économie dans les dépenses publiques. Il annonce aussi des réformes territoriales d’ampleur (la suppression de la moitié des régions au 1er janvier 2017 et des départements en 2021, etc.). Les écologistes applaudissent bruyamment. Les socialistes, déjà sortis lessivés des municipales, sont beaucoup moins enthousiastes : ce sont autant de mandats potentiels qui s'envolent. Valls évoque brièvement l’Europe, la politique monétaire de la Banque centrale européenne (« moins expansionniste que ses consœurs »), et l’euro « trop élevé ». Sur le banc des ministres, Arnaud Montebourg acquiesce ostensiblement.

Manuel Valls promet à plusieurs reprises d’associer davantage le Parlement. C’est pourtant la première fois qu’un premier ministre fait une déclaration de politique générale sans qu’un ministre chargé des relations avec le Parlement ne soit désigné. La première fois aussi que le chef du gouvernement s’invite à la réunion du mardi matin qui fixe l’agenda de l’Assemblée, entorse à la séparation des pouvoirs.

10 heures. Manuel Valls assiste à la conférence des présidents de l'Assemblée nationale10 heures. Manuel Valls assiste à la conférence des présidents de l'Assemblée nationale © @Denis_Baupin (Twitter)

À la fin de son discours, Valls cite « Valmy », « 1848 », « la grandeur de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, la grandeur du maquis ». Le PS applaudit. Pour l’exaltation, il faudra repasser, mais le vote, peu avant 19 heures, est sans appel : 306 “oui”, 239 “non”.

UMP et centristes ont presque tous voté non. Le PS et les radicaux de gauche ont massivement voté “oui”. Dix des 17 écologistes aussi. Parmi eux les coprésidents, François de Rugy, Barbara Pompili ou encore la présidente de la commission des affaires européennes, Danielle Auroi, qui admet avoir « subi des pressions de la part de certains socialistes » (sans que cela n’explique son vote, dit-elle).

De Rugy ne verse toutefois pas dans l’euphorie : « Sur l'écologie, c'était un peu court. Sur les allégements de cotisations et les économies budgétaires, les inquiétudes ne sont pas levées. Sur le pacte de responsabilité, la majorité reste à construire. Sur la réforme territoriale comme sur la transition écologique, nous sommes prêts à dépasser les conservatismes à gauche et à droite, dans une alliance des réformateurs. Bref, notre confiance est critique et conditionnelle. »

Six écologistes s’abstiennent : Sergio Coronado, Eva Sas, ou encore Noël Mamère. Les plus à gauche. « Je plains les amis qui votent la confiance, dit Mamère dans les couloirs. La fin des cotisations est une incitation à la précarité. La transition écologique, ça a duré 25 secondes... Il n'y a rien de nouveau dans le ciel de la Hollandie. Les écologistes qui ont fait les yeux de Chimène à Manuel Valls ne voient pas qu'ils sont en train de tomber dans un piège. Ces propositions alléchantes ne sont que de la com. Il enfile les lieux communs comme on enfile des perles. » « Le gouvernement nous ressert les méthodes qui ne marchent pas depuis vingt ans », déplore Isabelle Attard, partie depuis à Nouvelle Donne. Elle est la seule du groupe écolo à voter contre (lire ici son billet de blog sur Mediapart).

Quant au Front de gauche, qui s'était abstenu en juillet 2012 lors du vote de confiance à Jean-Marc Ayrault, il l'a cette fois rejetée. « Ce qui est mou est flou », déplore André Chassaigne, le président du groupe, qui met en garde contre « l’immense colère qui monte dans le pays, la détestation de tout un système politique » et appelle à la constitution d’une « majorité alternative » à la gauche du PS.

Mardi, dès 16 heures, certains socialistes se sont employés à faire le service après-vente – ce qu’ils n’avaient pas fait le 3 juillet 2012, lors du discours inaugural d’Ayrault.

Les éléments de langage tournent en boucle : « Audace »« énergie »« Sévèrement burné », ose même un député. « Vous nous trouverez à vos côtés pour mettre en œuvre (...) la promesse du Bourget », lance Bruno Le Roux, le chef des députés PS. Sur une chaîne d’info, Malek Boutih, qui détestait Jean-Marc Ayrault, applaudit « sa clarté, son dynamisme, son professionnalisme, sa modernité. (...) Désormais l’équipe gouvernementale a un capitaine et une direction. » Philippe Doucet, ex-ségoléniste, maire sortant d’Argenteuil battu aux municipales, dégaine la méthode Coué : « Pour moi, le compte y est. De toute façon, dès lors que vous ne votez pas la confiance, vous votez la défiance... Valls nous permet de rebondir. » Mais en réalité, aucun socialiste ne surjoue l’euphorie.

Dimanche soir, à Matignon, l’aile gauche du PS avait prévenu : dissocier le pacte de responsabilité et le vote de confiance serait un minimum. Elle n’a pas été entendue. « Le président de la République avait indiqué le 14 janvier qu’il engagerait sa responsabilité sur ce pacte. C’est donc ce que je fais aujourd’hui devant vous », lance Valls. Difficile d’être plus explicite. À la fin du discours, plusieurs représentants de l’aile gauche (Mathieu Hanotin, Pascal Cherki, Pouria Amirshahi) restent ostensiblement assis, avant de se lever comme leurs collègues. Henri Emmanuelli se lève mais n’applaudit pas. 

« Sur le fond, c'est du Schröder, sur la forme tout est verrouillé. Après une telle branlée électorale, si on continue, c'est qu'on n'a pas compris », se désole Pascal Cherki. « Le système de la Ve République écrase, mais il y a une conscience générale qu'il faut changer de cap », renchérit Pouria Amirshahi.

Finalement, une bonne part de l’aile gauche s'abstient : Pascal Cherki, Pouria Amirshahi, Fanélie Carrey-Conte (suppléante de la ministre des outre-mer George Pau-Langevin), Barbara Romagnan, Jérôme Guedj, etc. Les rappels à l’ordre matinaux du président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Le Roux, n’y ont rien fait. L’Élysée s’attendait à une dizaine d’abstentions, et le Rubicon du vote "contre" n’est pas franchi. De toute façon, la menace des sanctions n’a jamais fonctionné dans le groupe socialiste. Encore moins au lendemain d’une débâcle électorale ! 

Parmi les autres contestataires, très peu envisageaient de ne pas voter la confiance, parce qu’ils craignaient une crise politique majeure ou qu’ils caressent toujours l’idée d’être nommés secrétaires d’État ce mercredi – l’annonce a été habilement fixée à ce mercredi, après le vote, pour éviter une hémorragie d'abstentions.

Mais même ceux qui ont voté “oui” ne cachent pas leurs doutes. Comme Laurent Baumel, un des signataires, ex-strausskahnien pourtant très proche de la ligne Valls : « En responsabilité, nous n'allions pas provoquer une dissolution. Mais personne ne peut imaginer que ce discours réponde à notre texte. Nous votons l'investiture, pas la confiance. Notre pari reste d'infléchir la ligne. »

« Nous sommes solidaires de ceux qui se sont abstenus, renchérit l’aubryste Christian Paul. Manuel Valls n'a pas répondu suffisamment à nos attentes. il faut aller plus loin sur la réorientation de la politique européenne. Sur le pacte de responsabilité, on est dans le strict prolongement. Notre vote ne vaut pas approbation pour le pacte. Nous voulons toujours des contreparties sérieuses. » « Nous ne voterons pas le pacte de responsabilité dans le contexte actuel », insiste Baumel.

C’est qu’en relisant le discours, nombre de socialistes s'inquiètent. Sur les 50 milliards d’économies prévues de 2015 à 2017, onze pourraient en partie provenir d’économies sur les « prestations ». «Ça me paraît très clair, il s’agit de baisser des prestations sociales», maugrée un pilier de l’Assemblée.

Les élus notent aussi le décalage entre les (désormais) 35 milliards d’euros accordés aux entreprises et les 5 milliards d’euros distribués aux ménages. Beaucoup s’inquiètent enfin des multiples allégements de cotisations patronales sur le travail, notamment au niveau du Smic, qui risquent d’être autant de trappes à bas salaires. «Je suis un peu réticent sur cette politique de déflation salariale», s’étonne Jean-Patrick Gille, spécialiste des questions d’emploi.

Sitôt la confiance votée, plusieurs des députés socialistes contestataires ont envoyé un communiqué aux rédactions. Leur message : « Cette démarche collective va se poursuivre et s’amplifier, avec la même détermination et les mêmes buts. Chaque semaine, nos votes en témoigneront. » La menace est à peine voilée : voilà Manuel Valls sous surveillance parlementaire.

Le prochain rendez-vous va arriver très vite : fin avril, les députés vont voter sur la trajectoire des finances publiques adressée à Bruxelles, qui comprend le pacte de responsabilité et les 50 milliards d’économie. Ce vote est une concession de dernière minute, octroyée aux parlementaires pour éviter que leur courroux ne s'aggrave. Et il donne déjà des sueurs froides au pouvoir : à quelques semaines des européennes du 25 mai, il devrait à nouveau virer au bras de fer entre le gouvernement et sa majorité.

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Guérini quitte le PS mais se barricade dans son département

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Coupant l’herbe sous le pied du parti socialiste qui tergiversait sur son exclusion depuis trois ans, le sénateur Jean-Noël Guérini, mis en examen à trois reprises dans une affaire de marchés publics truqués, s’est payé le luxe d’annoncer lundi soir qu’il quittait de lui-même un PS dans lequel il ne se reconnaissait plus (lire ici notre précédent article). Cette décision risque cependant de n’avoir aucun impact sur sa position à la tête du conseil général des Bouches-du-Rhône. Jean-Noël Guérini compte bien s'y maintenir jusqu’aux cantonales de mars 2015 et au-delà. Il a annoncé mardi 8 avril vouloir créer son parti pour les prochaines échéances (sénatoriales, cantonales et régionales). « Mon parti dorénavant, c'est le parti des Bouches-du-Rhône », a revendiqué, en toute modestie, le patron du département, selon plusieurs journalistes présents.

Une opposition de gauche peut-elle se créer au sein du conseil général ? « Vous pouvez rêver. Vous pouvez rêver », a balayé l’ex-homme fort du PS local lors de cette même conférence de presse. En mars 2011, Guérini avait été réélu à la présidence du conseil général des Bouches-du-Rhône avec 40 voix, dont trois venues de la droite: « Comme quoi j'arrive à rassembler au-delà de mon camp », s'était-il amusé.

Jean-Noël Guérini, lors d'une conférence de presse le 11 octobre 2013Jean-Noël Guérini, lors d'une conférence de presse le 11 octobre 2013 © Reuters

« Il est élu, donc je ne vois pas comment le faire démissionner, on a déjà eu beaucoup de mal à lui faire quitter le PS », renâcle le député Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération PS des Bouches-du-Rhône. L’ancien bras droit de Jean-Noël Guérini, renvoyé avec lui devant le tribunal correctionnel dans une affaire concernant son propre licenciement, exclut toute consigne du PS à ses élus départementaux. « La question ne s’est pas posée comme ça, tout ça se réglera aux cantonales », déclare le député. Donc pas avant mars 2015, à moins que la justice ne s'en mêle d'ici là...

Les instances nationales du parti ne poussent pas non plus du tout à la création d’un groupe d’opposition PS au sein du conseil général. « Si on crée un groupe autonome, certains élus socialistes ne voudront pas y aller, donc il faudra les exclure, redoute une source à Solférino. Et il n’est pas évident que nous ayons la majorité : on sait déjà qui vote chaque année le budget du conseil général. » De son côté, le militant marseillais Pierre Orsatelli, l’un des fondateurs de Renouveau PS 13, estime que Patrick Mennucci, candidat malheureux à la mairie de Marseille, aurait dû imposer ses règles dès le début de la campagne. « Il fallait dire aux candidats PS aux municipales "On vous met sur les listes, si vous signez la création d’un groupe PS au conseil général avant le premier tour" », regrette-t-il.

Parmi les 37 élus de la majorité de gauche au conseil général, les socialistes qui s’opposent au patron du département en refusant de voter ses rapports budgétaires se comptent en effet sur les doigts d’une main : les trois mousquetaires Janine Écochard, Michel Pezet, Marie-Arlette Carlotti, rejoints sur le tard par Jean-François Noyes, puis Henri Jibrayel. Les trois premiers réclament depuis septembre 2011, et la première mise en examen de Guérini, le départ de ce dernier « pour protéger l’institution ». Avec l’impression de crier dans le désert. « Nous avons toujours demandé un vrai groupe PS, mais nous n’avons jamais été suivis car Jean-Noël Guérini détient les cordons de la bourse pour tous les élus locaux, explique Janine Écochard. Il faut désormais que Solférino nous accompagne dans cette démarche, nous ne pouvons pas non plus rester éternellement à trois pantins à nous agiter… »

À la tête d'un budget total de 2,5 milliards d'euros, Jean-Noël Guérini sait qu'il tient ses troupes grâce à l’aide aux communes passée de 112 millions d’euros en 2012 à 136 millions en 2013. « Les élus tremblent à l’idée d’être privés de subventions pour leur territoire, confirmait récemment son ex-directeur de cabinet Rémy Bargès dans Libération. Guérini est en effet très manichéen. On est avec lui, ou contre lui. Il soigne, nourrit celui qui est avec lui ; et affame celui qui est contre lui. Du jour au lendemain, l’élu qui se montre moins docile est privé de subventions, de voiture, de chauffeur, d’invitations pour les spectacles, de places pour l’OM… »

L’un des rares conseillers généraux PS à nous avoir répondu, le guériniste Rébia Benarioua, est par exemple formel. Il ne participera jamais « à un groupe qui se formerait contre Jean-Noël Guérini ». « Le président du département est toujours de gauche, je ne vois pas quel problème ça pose, explique l’élu des quartiers nord. On continuera à fonctionner comme ça pour l’intérêt général des habitants des Bouches-du-Rhône. » La seule à avoir quitté le groupe PS du conseil général dans la foulée des municipales est d'ailleurs… l’ex-socialiste Lisette Narducci, qui avait fait accord avec Jean-Claude Gaudin dans l’entre-deux tours pour conserver sa mairie de secteur marseillaise. Mais cette fidèle parmi les fidèles continue de soutenir la majorité de son mentor Guérini. Une position « surréaliste », juge Janine Écochard « car Narducci conserve son poste de vice-présidente et sa délégation, alors qu’elle est dans la majorité Gaudin à la ville de Marseille ».

Dans l’attente de la réunion de groupe PS et apparenté prévue ce mercredi matin au conseil général, les rares opposants déclarés à Guérini sont donc perplexes. « Il n’y a rien qui se trame car Guérini est entouré par une bande de lâches », fustige Henri Jibrayel. Et le député PS de raconter comment Jean-Noël Guérini lui a retiré sa riche délégation aux sports fin 2013 après qu’il eut rejoint les dissidents. « Je suis intervenu le 20 décembre 2013, le 23 décembre je subissais une opération et le soir même le directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini m’annonce "Guérini te retire ta délégation et ta voiture". Personne n’a rien dit ! » rapporte Henri Jibrayel.

« Nous allons tâter le terrain », répond de son côté Jean-François Noyes, ex-patron de l’office HLM du département, presque certain que « rien ne va bouger jusqu’aux cantonales ». « Certains conseillers généraux et maires, qui imaginaient que l’affaire Guérini n’aurait d’impact qu’à Marseille, ont vu qu’eux aussi, les notables des petits villages, étaient touchés, indique-t-il. Peut-être vont-ils se réveiller… » À Saint-Rémy-de-Provence, Hervé Chérubini, vice-président PS du département, a ainsi été réélu de justesse, avec seulement 23 voix d’avance. Quand à Saint-Martin-de-Crau, Claude Vulpian, qui a quitté le PS en septembre 2013, était réélu dès le premier tour avec 54,69 % des suffrages exprimés. « Dans les réunions, Jean-Noël Guérini a beau jeu de dire "Vous voyez quand on est maire et plus au PS, on est élu au premier tour" », s'étouffe Jean-François Noyes.

De fait, selon un autre élu marseillais, « le PS ne lui (à Jean-Noël Guérini, ndlr) sert plus à rien : les cantons PS sont menacés par le Front national dans les quartiers nord, et par la droite ailleurs ». Et de conclure : « La seule façon pour lui de garder son canton, c’est un changement de camp. »

La seule tentative de renouvellement au PS des Bouches-du-Rhône concernera donc des sections marseillaises sinistrées, où les instances nationales et locales veulent faire le ménage d’ici l’été. Les militants devront « ré-adhérer afin de rendre incontestables les listes », indique-t-on à Solférino. « Il faudra qu’ils viennent physiquement à la fédération sous le contrôle des gens de la tutelle », précise Jean-David Ciot, qui veut ouvrir « très largement la fédération »pour tenter de renouveler ses troupes passées depuis 2010 de 6 000 à 4 000 adhérents sur l’ensemble du département.

Autre nouveauté, la création d’un comité de ville réunissant ce qu’il reste des élus socialistes de la ville, de la communauté urbaine, de la région et du département « pour qu’il y ait une collégialité à Marseille et que les gens reprennent l’habitude de se parler ». « Il y a des gens dans ce parti qui sont là depuis Gaston Defferre, ça serait bien que nous arrivions à dépasser ça », espère le premier secrétaire de la fédération PS des Bouches-du-Rhône. En clair, Jean-David Ciot, 46 ans, soutenu par Stéphane Mari, 48 ans, et Samia Ghali, 46 ans, les nouveaux présidents des groupes socialistes au conseil municipal et communautaire, aimeraient voir Patrick Mennucci, 59 ans, prendre du recul pour pouvoir s'approprier le PS marseillais.

Comme son ancien mentor Jean-Noël Guérini qui a, hier, accablé le candidat socialiste battu, Jean-David Ciot reproche à Mennucci d'avoir fait gagner le Front national dans les quartiers nord en incitant le candidat de la gauche, Garo Hovsepian à se maintenir au second tour. « Une faute politique », selon lui. La suite est assassine : « Patrick Mennucci et Marie-Arlette Carlotti ne voulaient pas rénover la fédération, ils voulaient juste récupérer les prérogatives de Jean-Noël Guérini, comme ce dernier avait remplacé François Bernardini (ancien patron PS du département, ndlr), qui avait remplacé Lucien Weygand, etc. La déroute est telle que nous avons un espace... »

BOITE NOIREParmi la quinzaine de conseillers généraux PS et FDG que nous avons tenté de joindre ce mardi, seuls quatre nous ont répondu.

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Quatorze secrétaires d'Etat nommés, Désir exfiltré de la direction du PS

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Une semaine après la nomination de seize ministres, le gouvernement de Manuel Valls a été complété ce mercredi 9 avril avec la nomination de quatorze secrétaires d'État. Parmi eux, Harlem Désir est nommé aux affaires européennes. Il est surtout exfiltré de la direction du PS qui devrait revenir à l'actuel numéro 2, Jean-Christophe Cambadélis. L'immobilisme du PS, vivement critiqué depuis des mois par des militants et des parlementaires, a convaincu l'Élysée de changer sa direction.

Autre changement majeur, à l'Élysée cette fois: Pierre-René Lemas, secrétaire général depuis mai 2012, quitte son poste. Jean-Pierre Jouyet, ami de François Hollande depuis l'ENA, le remplace et quitte ainsi la présidence de la Caisse des dépôts et consignations. Jean-Pierre Jouyet avait été ministre de Nicolas Sarkozy, en charge des affaires européennes.

Voici la liste des quatorze secrétaires d'État :

Jean-Marie Le Guen est nommé secrétaire d’État aux relations avec le parlement.

Harlem Désir devient secrétaire d'État aux affaires européennes.

Fleur Pellerin prend le commerce extérieur, les Français de l'étranger et le tourisme

Annick Girardin est en charge du développement et de la francophonie

Frédéric Cuvillier est nommé secrétaire d'État aux transports, de la mer et de la pêche

Geneviève Fioraso conserve la recherche et l'enseignement supérieur

Kader Arif conserve les anciens combattants.

Christian Eckert, rapporteur général du budget PS à l'Assemblée, est nommé au budget.

Axelle Lemaire est nommée secrétaire d'État en charge du numérique.

Valérie Fourneyron est chargée du commerce, de l'artisanat et de l'économie sociale et solidaire.

Thierry Braillard devient secrétaire d'État aux sports

André Vallini est nommé secrétaire d'État à la Réforme territoriale.

Laurence Rossignol,  sénatrice de l'Oise, est nommée secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.

Ségolène Neuville est nommée secrétaire d'État chargée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.

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Enregistrements Buisson : un sondage sur DSK au cœur de l'enquête

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Il aura fallu très peu de temps pour que la justice mette la main sur les enregistrements clandestins de Patrick Buisson. Non pas sur la totalité – Nicolas Sarkozy peut provisoirement souffler – mais sur deux fragments captés par le dictaphone secret de l’ancien conseiller les 26 et 27 février 2011.

Après avoir reçu ces bandes « d'une source anonyme » à son cabinet, l'avocat de l’association Anticor, Me Jérôme Karsenti, vient en effet de les remettre au juge d’instruction Serge Tournaire, en charge de l’affaire dite « des sondages de l’Élysée » (comme le révèle Le Canard enchaîné dans son édition du 9 avril).

Patrick Buisson, ancien conseiller "Opinion" de Nicolas SarkozyPatrick Buisson, ancien conseiller "Opinion" de Nicolas Sarkozy © Reuters

Il se trouve que Mediapart, grâce à une source extérieure au dossier, a également pu récupérer ces deux enregistrements volés (Le Canard enchaîné et le site Atlantico en avaient diffusé des extraits en mars dernier). Sur ces quatre heures de bandes, le magnéto glouton a consigné deux réunions stratégiques entre Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs convoquées au pavillon de La Lanterne le 26 février 2011, puis le lendemain à l’Élysée, et consacrées au remaniement gouvernemental en cours (entre une boutade sur le panaris d’un conseiller et une saillie de Carla Bruni sur « le niqab c’est pas mal »).

Mais l’ancien journaliste d’extrême droite a aussi laissé tourner son dictaphone dans sa voiture, sur la route de La Lanterne, immortalisant à l’aller un conciliabule avec Franck Louvrier (le conseiller « Communication » du chef de l’État), au retour une causerie avec Jean-Michel Goudard (le conseiller « Stratégie »). Désormais sur le bureau du juge Tournaire, ces deux apartés vont lui offrir de quoi revivifier son dossier, qui avançait doucement – bien que les instituts OpinionWay, Ipsos, TNS et Ifop aient été visités par les enquêteurs en janvier et février derniers, d’après nos informations.

D’abord, comme nos confrères d’Atlantico l’ont déjà relevé, Patrick Buisson confie, installé sur le siège arrière, que Claude Guéant « se mouillait un petit peu » sur « les affaires auprès du parquet », en tant que secrétaire général de l’Élysée. Claude Guéant aurait-il fait pression sur des magistrats ? L’avocat d’Anticor, Me Jérôme Karsenti, va en tout cas demander dans les prochains jours que l’instruction sur les « sondages de l’Élysée », initialement ouverte sur des soupçons de « favoritisme » et de « détournement de fonds publics » dans les marchés d’études d’opinion, soit désormais élargie au « trafic d’influence ».

Ensuite, ces babillages en voiture dévoilent une seconde information d’intérêt public, qui mérite que Mediapart la décortique. Ce 26 février 2011, Patrick Buisson parle en effet d’un drôle de « sondage qu’on a fait sur DSK », d’un sondage « qu’on a fait pour l’Élysée ». Utilisant le jargon des instituts, il précise qu’il s’agit d’un « post-test » (une étude postérieure à une émission télé). En l’occurrence, Dominique Strauss-Khan vient d’accorder une interview au « 20 heures » de France 2, tout auréolé de son statut de "big boss" du FMI et de rival en chef de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2012.

DSK en février 2011 sur le plateau de France2DSK en février 2011 sur le plateau de France2

Sur le chemin de La Lanterne, Patrick Buisson commente donc les résultats de ce « post-test » commandé par le "Palais". « Il y a une palanquée de questions, souffle-t-il à Franck Louvrier. (Certaines) où DSK a été jugé convaincant, mais tout juste tout juste. » À l’en croire, les téléspectateurs l’auraient plutôt « jugé arrogant », « pas proche des problèmes des Français ». Le "gourou" de Nicolas Sarkozy se frotte ainsi les mains : « C’est pas bon » pour le patron du FMI ! Au fond, DSK « n’existe que par les faiblesses de Nicolas. On peut pas le dire à Nicolas comme ça, mais c’est la réalité. »

Quelques heures plus tard, de retour de La Lanterne, Patrick Buisson ressert la même analyse à Jean-Michel Goudard. « Je sais pas si t’as vu l’enquête qu’on a fait faire (mais) le passage de DSK n’entraîne pas l’adhésion enthousiaste des foules (…). Tu as vu les jugements sur la proximité ? Sur "il se préoccupe des problèmes des Français" ? Il est arrogant, etc. Ouh là là. »

Au passage, son interlocuteur douche un brin ses ardeurs : « Ouais mais enfin il est quand même plus convaincant en étant dans l’opposition. » Finaud, Jean-Michel Goudard glisse même à Patrick Buisson : « Je te répète une chose, (même si) je sais que c’est pas ta vision : je crains Hollande. »

Pour la justice, ces dialogues gravés dans le marbre sont très bavards. Ils démontrent que la présidence de la République a payé rubis sur l’ongle un sondage réalisé non dans l’intérêt du chef de l’État, mais du seul candidat Sarkozy, déjà en lice pour sa réélection.

Aux yeux d’Anticor, cette étude, dénuée de lien avec une quelconque réforme, aurait dû être réglée par l’UMP – de même que plusieurs sondages élyséens sur l’électorat écologiste ou Carla Bruni. « Le contribuable n’a pas à assumer en sus des règles de financement public des partis politiques la prise en charge de sondages relevant du seul intérêt partisan », conteste l’association. L’enregistrement atteste à ses yeux d’un « détournement de fonds publics », délit puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (article 432-15 du Code pénal).

Sur cette "enquête DSK", emblématique de la dérive sondagière du mandat Sarkozy, Mediapart a retrouvé d'autres éléments complémentaires, obtenus grâce à l’action d’un militant de la transparence, Raymond Avrillier, auquel la présidence Sarkozy avait été contrainte de communiquer toute une série de documents relatifs à des achats de sondages (lire nos articles ici et ).

Nous reproduisons ainsi un mail en date du 24 février 2011, qui montre comment Julien Vaulpré, le jeune conseiller « Sondages » de l’Élysée, passe commande auprès d'OpinionWay. Il s'adresse directement à Bruno Jeanbart, le directeur général adjoint de l’institut, pour deux séries de « questions d’actualité », la première sur l’islam, la seconde sur le fameux passage télé de DSK. « A faire partir aujourd’hui, insiste Julien Vaulpré. Je t’appelle pour en parler. »

© Raymond Avrillier

Il balance des questions en rafale : le patron du FMI a-t-il « parlé comme un professeur donneur de leçons » ? « Rassuré sur la mondialisation » ? « Inspiré confiance » ? « Redonné espoir » ? DSK paraît-il « totalement déconnecté des aspirations et des désirs des Français » ? A-t-il « fait preuve de modestie » ? « Été sincère dans ses propos » ? « Manifesté de l’énergie » ? Etc.

D’après la facture validée par l’Élysée, que Mediapart a pu consulter, la présidence de la République a payé 11 960 euros à OpinionWay pour ce sondage (doublé des questions sur l’islam). 

Les commandes de l'Elysée en 2011Les commandes de l'Elysée en 2011 © Raymond Avrillier

Interrogé par Mediapart sur les accusations de « détournement de fonds publics » formulées par Anticor, Bruno Jeanbart répond que « l’institut est très à l’aise avec ça ». « Nous avions passé un marché avec l’Élysée pour des sondages en ligne, qui nous a été attribué en 2010 à l’issue d’un appel d’offres. Comme prestataire, je n’ai pas à juger de la compatibilité d’un sondage avec la fonction présidentielle. J’ai une commande, je la réalise. »

De toutes façons, ajoute Bruno Jeanbart « à titre personnel », « je ne trouve pas ce sondage sur DSK illégitime. Anticor a une vision restrictive de la façon dont les choses s’organisent en politique ! Oui, la présidence fait de la politique et des sondages politiques. Il vaut mieux cette transparence que l’opacité qui a régné de 1958 à 2009, période où tout se passait sous le manteau. »

De fait, OpinionWay a remporté en toute légalité un appel d’offres publié par l’Élysée à l’automne 2009. Mais ce dernier spécifiait, s’agissant du « lot » attribué à OpinionWay : « Enquêtes quantitatives en ligne de suivi de l'opinion - outil de tracking destiné à mesurer l'appréciation des actions de la Présidence ». En l’occurrence, quel rapport entre l’image de DSK chez les Français et « l’appréciation des actions de la Présidence » ?

De même, sur le « bon de commande » officiel correspondant au sondage DSK, que l’Élysée a validé a posteriori pour "homologuer" la commande par mail de Julien Vaulpré, la présidence de la République est censée acheter des enquêtes « sur les attitudes et les perceptions à l’égard du Président de la République ». Pas la moindre trace des trois initiales.

BOITE NOIRESollicité, Patrick Buisson ne nous a pas rappelé à ce jour. Pas plus que Julien Vaulpré.

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Secrétaires d’Etat: l’occasion encore ratée du renouvellement

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Quinze hommes, quinze femmes : le gouvernement de Manuel Valls est parfaitement paritaire, comme le furent ceux de Jean-Marc Ayrault. Mais pour le renouvellement, il faudra repasser.

Cinq ministres d’Ayrault recyclés secrétaires d’État

Ministres de Jean-Marc Ayrault, Frédéric Cuvillier et Valérie Fourneyron, deux proches de François Hollande, ont accepté d’être rétrogradés et de devenir secrétaires d’État de Manuel Valls.

Cuvillier garde les transports, sous les ordres de Ségolène Royal — il ne partage pourtant pas la position de sa ministre de tutelle sur l’écotaxe, qu’elle juge « punitive ». Valérie Fourneyron, jusqu’ici ministre de la jeunesse des sports et de la vie associative, travaillera avec Arnaud Montebourg à Bercy. Elle reprend le commerce, l’artisanat, la consommation et l’économie sociale et solidaire.

Trois autres ministres délégués sont recyclés : Fleur Pellerin (qui passe du numérique au commerce extérieur); Geneviève Fioraso (elle garde la recherche, malgré une fronde des universitaires et la perte de sa ville de Grenoble par les socialistes aux municipales) et Kader Arif (anciens combattants). Au total, sur les 30 membres de l’équipe Valls, 19 sont des sortants.

Un gouvernement tout-PS ... et trois radicaux

C’est confirmé : le gouvernement Valls a tout l’air d’un parc à éléphants socialistes. Les écologistes n’y participant pas, ce sont les radicaux de gauche qui jouent les supplétifs. De quoi sécuriser plus de 300 voix (plus que la majorité absolue) à l'Assemblée nationale...

Mis en examen récemment, le chef du parti radical de gauche (PRG), le sénateur Jean-Michel Baylet, s’est vu refuser un maroquin. Sylvia Pinel, transparente ministre du commerce d’Ayrault, a en revanche remplacé Cécile Duflot au Logement et à l’égalité des territoires.

Le PRG compte par ailleurs deux secrétaires d’État. Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, nommé au développement et à la Francophonie (elle remplace à la fois l’écolo Pascal Canfin et Yamina Benquigui). Le 18 octobre 2012, l’élue, favorable au mariage pour tous (elle a voté pour), nous avait indiqué par courriel être opposée à l’adoption pour les couples homosexuels.

Autre radical, Thierry Braillard : ce radical de gauche lyonnais, ex-adjoint aux Sports de Gérard Collomb, supporter de l’Olympique lyonnais (OL) et souvent de ses intérêts financiers, a décroché son siège à l’Assemblée en 2012 en tractant avec le logo du PS alors qu’il n’avait pas l’investiture du parti, écrasant le candidat soutenu par Solférino, l’écologiste Philippe Meirieu, vite écœuré par ses méthodes. Les partisans de Braillard avaient même manifesté contre deux ministres, Hamon et Duflot, descendus à Lyon soutenir Meirieu. Le départ des écolos aura donc facilité son entrée au gouvernement. Avocat, il a notamment défendu Sidney Govou, un joueur de l’OL, balayant des accusations de conflits d’intérêts. Elu député, Thierry Braillard a continué jusqu’ici d’exercer. À l’automne dernier, il s’était mobilisé contre la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros dans les clubs.

Les jeunes députés PS rongent leur frein

Vincent Feltesse, Régis Juanico, Olivier Dussopt, Jérôme Guedj, Nicolas Bays, Matthias Fekl, Thomas Thévenoud, Audrey Linkenheld, Sébastien Denaja, Valérie Rabault, Karine Berger, etc. Ces derniers jours, plusieurs trentenaires ou quadras avaient été évoqués pour entrer au gouvernement. Tous restent dehors. Mercredi soir, l’un d’eux se dit « écœuré », surtout au vu du casting complémentaire annoncé ce mercredi.

Sur Twitter, Sébastien Denaja préfère l’ironie :

Deux exceptions toutefois : Axelle Lemaire, députée des Français de l’étranger de 39 ans est nommée (au numérique, un sujet qu’elle connaît bien). En 2012, elle avait refusé d’entrer au gouvernement, invoquant des raisons personnelles.

Ségolène Neuville, députée de 43 ans, prend en charge l’exclusion et les personnes handicapées. À l’Assemblée nationale, elle s’est beaucoup impliquée sur la lutte contre le harcèlement sexuel et sur la prostitution, dossier sur lequel elle a défendu la position abolitionniste majoritaire au PS. C’est une proche du président de la région Languedoc-Roussilon Christian Bourquin, incarnation du baron socialiste – condamné notamment pour favoritisme.

Le « club des 3 % » au pouvoir : Cuvillier, Arif, Vallini

C’est le surnom que s’étaient donné ironiquement les partisans de François Hollande quand il s’était lancé dans la pré-campagne de la primaire : 3 %, comme le pourcentage d’opinions favorables que récoltait alors François Hollande dans les sondages. Ils sont désormais tous au gouvernement ou presque (hormis Thierry Repentin, ex-ministre des affaires européennes peu visible qui quitte le gouvernement). En plus des ministres Stéphane Le Foll, Jean-Yves Le Drian, Michel Sapin et François Rebsamen, Frédéric Cuvillier et Kader Arif restent au gouvernement – aux transports et aux anciens combattants – et sont rejoints par André Vallini, nommé secrétaire d’État à la réforme territoriale.

Vallini avait été ulcéré d’être écarté de l’équipe de Jean-Marc Ayrault en 2012 : il lorgnait la justice, prise par Christiane Taubira, dont il a plusieurs fois critiqué la réforme pénale (par exemple en proposant de transformer ses principales mesures en expérimentation). Depuis le Sénat, il ne masquait guère depuis son impatience. À chaque rencontre avec un journaliste, lui ou ses collaborateurs demandaient : « Alors le remaniement, c’est bientôt à votre avis ? »

À de nombreux médias, il envoyait chaque année un sac de noix – à Mediapart inclus jusqu’à la publication d’une enquête le concernant. En janvier 2012, Mediapart avait révélé qu’il était poursuivi devant les prud’hommes par une de ses plus fidèles collaboratrices pour « licenciement abusif, discrimination et harcèlement moral ». À l’époque, Vallini se défend de façon véhémente mais, sur le conseil de François Hollande, il accepte finalement en mars 2012 de transiger et de verser un dédommagement financier à son ex-attachée parlementaire pour éviter la condamnation. Cette affaire avait conduit d’autres anciens collaborateurs de Vallini à raconter les méthodes de leur ex-patron, qu’ils jugeaient brutales.

À la réforme territoriale, auprès de Marylise Lebranchu, Vallini aura la lourde charge de porter les promesses de Manuel Valls (division par deux du nombre de régions et suppression, à terme, des départements).

L’aile gauche portée disparue…

Personne ne rejoint finalement Benoît Hamon, bien esseulé au gouvernement. Plusieurs noms étaient pourtant cités ces derniers jours, dont celui de Jérôme Guedj. Son abstention sur le vote de confiance, mardi, a scellé son sort.

… Valls sans soutien...

Aucun proche de Manuel Valls n’entre au gouvernement. Cette fois non plus. Jean-Jacques Urvoas est toutefois cité pour remplacer Christiane Taubira, qui pourrait quitter le gouvernement dans quelques mois.

… mais deux soutiens d’Aubry rejoignent le gouvernement

Membre de la "Gauche durable" (le club parlementaire des proches de la maire de Lille) et porte-parole du parti socialiste, Laurence Rossignol remplace à la fois Michèle Delaunay (personnes âgées et autonomie) et Dominique Bertinotti (famille) comme secrétaire d’État rattachée à Marisol Touraine. Après le départ forcé de Delphine Batho l’an dernier, elle avait déjà été pressentie pour la remplacer mais, à l’époque, elle avait payé le lancement d’un appel à une réforme fiscale de plusieurs sensibilités du PS critiques sur la politique gouvernementale. Cette fois, elle s’est dispensée de signer l’appel des 90 députés pour une réorientation du pacte de responsabilité

Sénatrice de Picardie, Rossignol (qui a été à la fac de Tolbiac avec Manuel Valls) est par ailleurs une des féministes les plus combatives du PS. Elle est devenue une des cibles de choix des anti-mariage pour tous et des partisans du retrait de l’école. En pleine polémique sur le genre, elle a même été accusée (faussement) d’avoir dit que les « enfants appartiennent à l’État ». Les plus réactionnaires sont furieux de sa nomination, comme l'UMP Hervé Mariton qui a déjà crié à la « provocation ».

Autre soutien d’Aubry à la primaire socialiste, Christian Eckert est nommé au budget. Un domaine qu’il connaît bien : prof de maths de formation, Eckert est depuis 2012 rapporteur général du budget à la commission des finances de l’Assemblée nationale. Depuis deux ans, ce vrai homme de gauche, gros travailleur, a avalé plusieurs couleuvres à ce poste. À commencer par la reculade du gouvernement face aux "Pigeons", première fronde fiscale à laquelle François Hollande a été confronté à l’automne 2012. Eckert a souvent tenté d’infléchir la ligne très orthodoxe de Bercy et de l’Élysée. Pas toujours avec succès, tant il se plaignait d’être systématiquement exclu des arbitrages importants. Ce week-end, il avait signé la tribune des 90 députés menaçant de ne pas voter la confiance. Mardi, dans les couloirs de l’Assemblée, il s’inquiétait encore des 11 milliards supplémentaires de coupes dans les prestations sociales annoncées mardi par Manuel Valls. C’est à lui, désormais, qu’il revient de les faire.

À noter également l’entrée au gouvernement du strauss-kahnien Jean-Marie Le Guen, en tant que secrétaire d’État aux relations avec le parlement. Un poste clé, d'autant que la majorité devient de plus en plus remuante.

Spécialiste de santé, connu pour être favorable aux salles de shoot à Paris, le député de Paris pestait de ne pas avoir été nommé en 2012 au gouvernement : Ayrault s'y était toujours opposé. Entre autres faits d’armes, Le Guen fait partie de ces élus socialistes (Jack Lang, Henri Emmanuelli, etc.) qui ont toujours soutenu l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo (lire nos articles, ici et ).

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Hollande reprend en main l’exécutif

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C’est un double symbole. Après le remaniement gouvernemental, François Hollande a procédé au remaniement de son cabinet et les deux nominations annoncées mardi, celle de son secrétaire général Jean-Pierre Jouyet et celle du secrétaire général aux affaires européennes, signent sa volonté d’accroître sa mainmise sur l’exécutif.

« L'idée est de faire un changement qui s'inscrit dans le changement », a expliqué François Hollande au Monde, dans une formule improbable. Avant d’ajouter : « Dès lors qu'une nouvelle équipe s'installait à Matignon, je souhaitais qu'il y ait une nouvelle équipe à l'Élysée », pour former entre les deux têtes de l’exécutif« une cohérence absolue, une équipe quasiment fusionnelle, une véritable unité de commandement ».

Le départ de Pierre-René Lemas du secrétariat général, un poste stratégique sous la Ve République, était attendu depuis plusieurs semaines. Dans la majorité, il lui était parfois reproché d’être trop « techno », voire d’avoir manqué de « fluidité » dans sa relation avec Matignon. Au point que certains députés socialistes avaient fait de Lemas l’incarnation des « couacs » et du « manque de dialogue » avec la majorité.

Ces griefs étaient alimentés et relayés au sein même de l’Élysée où ses relations étaient notoirement mauvaises avec le conseiller politique de François Hollande, Aquilino Morelle. Pierre-René Lemas est pourtant un homme affable, discret, loyal, « chaleureux », « qui ne cherche pas à faire des coups », disent de lui ses collaborateurs. Proche de François Hollande – ils se sont connus au sein de la promotion Voltaire de l’Ena –, il va diriger la Caisse des dépôts (CDC).

Jean-Pierre JouyetJean-Pierre Jouyet © Reuters

Il y remplacera Jean-Pierre Jouyet qui le remplace à l’Élysée. Jouyet est un intime du président de la République, qui a fait partie des prises de guerre de la stratégie d’ouverture de Nicolas Sarkozy en 2007. Secrétaire d’État aux affaires européennes jusqu’à la fin 2008, il est de ceux qui ont, entre autres, géré la ratification du traité de Lisbonne, adopté en remplacement du traité constitutionnel européen, rejeté en 2005. Il a ensuite présidé l’Autorité des marchés financiers et s’est finalement réconcilié avec Hollande qui a souvent raconté avoir été blessé par le choix de son vieil ami, issu lui aussi de la promotion Voltaire.

En 2012, le nom de Jouyet avait déjà circulé pour le secrétariat général mais il avait été écarté à cause de son ralliement sarkozyste, à une époque où Hollande voulait être un « président normal » et prétendait incarner une rupture dans la pratique du pouvoir. Jouyet avait finalement pris la tête de la CDC et de la Banque publique d’investissement, créée par le gouvernement Ayrault.

Cette fois, il signe son grand retour, profitant à la fois de son intimité politique et amicale avec le président de la République et de sa compatibilité avec Manuel Valls. Les deux hommes ont tous deux œuvré au sein du cabinet de Lionel Jospin à Matignon, Jouyet comme directeur adjoint, Valls comme responsable de la communication. Il va également retrouver l’ex-plume de Jospin à Matignon, Aquilino Morelle. « Jean-Pierre Jouyet connaît tout le monde et est respecté de tout le monde, y compris dans l'opposition », a justifié Hollande mercredi.

À l’Élysée, où il prendra ses fonctions la semaine prochaine, Jouyet pourra aussi piloter la politique européenne de François Hollande. Les eurodéputés socialistes ont d’ailleurs salué dans un communiqué « l’arrivée de Jean-Pierre Jouyet » : « Ce fin connaisseur des affaires européennes saura reconnaître tout son rôle au Parlement européen et entretenir un lien précieux entre le Président de la République et l'instance élue des Européens. »

En réalité, c’est toute la politique européenne de l’exécutif qui fait l’objet d’un remaniement plus discret mais crucial. Au conseil des ministres, Philippe Léglise-Costa, jusque-là conseiller Europe du président, a été nommé mercredi secrétaire général aux affaires européennes (SGAE). Comme Libération l’avait révélé, cette organisation avait déjà été mise en œuvre par François Mitterrand en 1988, sous Michel Rocard.

Là encore, il s’agit d'un poste clef qui a la main sur une administration inconnue du grand public mais forte de 220 personnes, chargée de mettre en musique les orientations européennes dans toutes les politiques publiques. Léglise-Costa va cumuler les deux fonctions, de conseiller Europe de François Hollande et de SGAE. Il remplace à ce poste Serge Guillon, qui cumulait, lui, avec le poste de conseiller Europe de Jean-Marc Ayrault à Matignon.

Le glissement des fonctions revient de fait à enlever une partie du pouvoir à Matignon pour le transférer à l’Élysée. Et ce même si l’administration elle-même reste rue de Varenne – juridiquement, aucun service ne peut être directement rattaché à la présidence en raison de l’article 20 de la Constitution stipulant que le « gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ».

« Le SGAE ne change pas d’escarcelle, il continuera à travailler en direct avec Matignon. Mais nous souhaitions accélérer les circuits de prise de décision. Cela va dans le sens de tout ce qui se met en place avec la nouvelle étape (du quinquennat, ndlr) : le resserrement et la cohérence », explique-t-on à l’Élysée où l’on confirme que la transformation du SGAE est un « souhait et un projet porté par le président de la République ».

Ce choix est loin de faire l’unanimité. Ses partisans, confortés par un rapport du Conseil d’État de 2007, plaident le bon sens : les traités européens ont progressivement renforcé le rôle du conseil européen qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement. En France, et c’est une exception européenne, c’est le président de la République qui s’y rend, et non le premier ministre. Or l’administration est précisément à Matignon. Sans compter le rôle crucial joué par Bercy sur la trajectoire des finances publiques et le programme de stabilité. Et sans le rôle, au moins de représentation, du ministre délégué aux affaires européennes.

« Aujourd’hui, l’Europe, c’est l’Élysée et Bercy. Le rôle du chef de l’État a changé. Il négocie – il ne se contente plus de valider les grandes orientations autour d’un café avec ses partenaires. Changer le SGAE doit permettre une meilleure rationalisation du travail de l’exécutif », défend le député PS Christophe Caresche, auteur d’une note adressée en 2012 à Jean-Marc Ayrault. Philippe Léglise-Costa peut également se prévaloir d’avoir déjà travaillé avec Jean-Pierre Jouyet : il était numéro 2 de la représentation française à Bruxelles sous Nicolas Sarkozy, quand le nouveau secrétaire général était secrétaire d’État aux affaires européennes.

À l’inverse, l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot est furieux. « C’est une confusion des rôles incroyable qui dit l’insupportable légèreté de François Hollande sur l’Europe », tempête-t-il. Pour lui, nommer un « pur techno », en poste à Bruxelles sous Sarkozy, est un signe de plus de la désertion politique des sujets européens. « À part au tout début du quinquennat, François Hollande n’a plus organisé de réunions de ministres sur l’Europe. C’est devenu seulement une question technocratique, ce n’est plus un enjeu politique. Tout cela est minable », poursuit l’écologiste.

Un avis partagé par un négociateur français sur les dossiers européens. « Ce choix montre que l’Élysée ne comprend pas ce que faisaient Matignon et le SGAE. À l’Élysée, Philippe Léglise-Costa est un bon négociateur avec une culture très bruxelloise mais il ne connaît pas la partie franco-française. Il ne fait pas les réunions avec les présidents de région, il ne gère pas les 90 dossiers d’aides d’État, de l’Euro 2016 à la SNCM… Tout cela est le signe de la volonté plus large de l’Élysée de mettre la main sur les arbitrages et de contourner Matignon », explique cette source qui a souhaité rester anonyme.

Jadot s’en remet d’autant moins que la nomination d’Harlem Désir comme secrétaire d’État aux affaires européennes a consterné de nombreux élus au parlement européen où l’ex-chef du PS faisait figure de porté disparu. Sans même parler de sa gestion calamiteuse du parti majoritaire depuis 18 mois. « Hollande veut mettre un recalé du gouvernement à Bruxelles (Pierre Moscovici, ndlr) et le recalé du PS aux affaires européennes, c’est minable ! » insiste l’eurodéputé. Le rêve d'Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon de s'appuyer sur Manuel Valls pour engager une réorientation de la politique française en Europe en prend aussi un coup.

Mais en recentrant les pouvoirs à l’Élysée, François Hollande poursuit le lent processus entamé voilà plusieurs mois et clarifie un point : à la fin, il sera le seul responsable, du succès comme de la défaite.

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Désir et Cambadélis recasés : c'est la prime au vide au PS

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Nicolas Sarkozy se vantait en son temps d'être le « DRH du parti socialiste », mais François Hollande a décidé de réellement occuper la fonction. En promouvant Harlem Désir, le premier secrétaire du PS au gouvernement en tant que secrétaire d'Etat aux affaires européennes, (un cas déjà vu avec Lionel Jospin en 1988, remplacé par Pierre Mauroy – vainqueur de Laurent Fabius devant le conseil national – et Lionel Jospin en 1997 – remplacé par François Hollande au congrès de Brest quelques mois plus tard), le président de la République a souhaité arrêter les frais d'un parti allant à vau-l'eau, suscitant incompréhension parmi ses proches, comme chez les autres chefs à plume socialistes. On ne sait encore si Harlem Désir est ainsi récompensé pour avoir rendu le PS atone, pour ses communiqués brejneviens, pour la quasi-disparition des primaires, ou pour la débâcle électorale aux municipales.

La raison de ce chamboulement à la tête du PS est évidemment autre, et fidèle à la philosophie globale du remaniement : « On vire les tocards qui ne savent pas communiquer, car tout n'est qu'un problème de communication » (ceci n'est pas une citation officielle, mais un résumé des conversations récentes avec les plus ardents défenseurs du pouvoir).

En exfiltrant Désir, c'est la tête-de-liste aux européennes en Île-de-France qui est épargnée. Déjà auteur d'un score mirifique en 2009 (13,58%), la crainte de voir « Harlem » connaître pire déroute dans un mois semble avoir motivé l'Elysée. Mais comme les ressources humaines et le respect des statuts du PS n'ont jamais été le fort de François Hollande, le flou le plus total entoure les conséquences de cette nomination. Tout semble ainsi encore ouvert. Harlem Désir malgré tout candidat ? Un recasage de Vincent Peillon sur la liste parisienne, plutôt que dans le Sud-Est où les premiers sondages sont eux-aussi catastrophiques ? La mise en avant de Pervenche Bérès, n°2 de la liste en Île-de-France ?

Des considérations de haute politique, donc, qui n'assurent même pas à Hollande de reprendre la main sur le parti, sans doute un autre sens caché de l'opération, puisque le candidat proposé par Harlem Désir pour lui succéder n'est autre que… Jean-Christophe Cambadélis. Soit son rival déçu, écarté en septembre 2012 pour “ incompatibilité hollandaise ”, malgré le soutien à l'époque de Martine Aubry. Un choix auquel s'était alors vivement opposé Jean-Marc Ayrault, pour des raisons idéologiques mais aussi, à l'époque, pour des « raisons éthiques ».

Ancien premier lieutenant de Dominique Strauss-Kahn, « Camba » profite du vide et de son obstination à vouloir rester le dernier à espérer un poste que plus personne ne désire. Si le monde médiatique pleure sa principale « source critique » du fonctionnement interne du PS, l'homme présente un intérêt certain pour Hollande. Celui d'un organisateur stratège, ancien président de l'Unef en 1981 et organisateur des Assises de la transformation sociale en 1994, prélude à la « gauche plurielle » des années Jospin. Certains diront que cela ne représente pas les atours d'un grand renouvellement, d'autres rappelleront qu'il a été condamné en 2005 à 6 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende, pour recel d'abus de confiance dans l'affaire des emplois fictifs de la Mnef. Mais on pourrait leur rétorquer que la condamnation passée de Harlem Désir (à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d'amende, en 1998, pour recel d'abus de biens sociaux) n'a guère provoqué de remous dans les rangs militants.

En revanche, la perspective d'un vote militant entérinant la révolution de palais intrigue les derniers à s'y intéresser. Après un conseil national prévu mardi prochain pour consacrer Cambadélis, le désormais futur secrétaire d'Etat indique ainsi dans un communiqué que le « nouveau premier secrétaire devra ensuite aller devant le vote des militants », au nom de la « culture démocratique » du parti. Pour autant, selon les statuts du parti, un tel intérim n'est prévu que pour « vacance prolongée du pouvoir » au premier secrétariat. Et l'on ne sait donc rien de la réalité des procédures internes à venir. Simple vote de validation ? Election avec possibilité de candidatures alternatives ? Congrès extraordinaire ? Ou tout simplement un intérim qui dure jusqu'au prochain congrès, normalement prévu à la fin 2015 ? Nul ne le sait vraiment, mais cela intéresse-t-il encore des militants socialistes ? Si ceux-ci existent encore…

L'avenir du parti n'est en tout état de cause plus le problème de Harlem Désir, qui s'est déjà tourné vers ses nouvelles fonctions. Dans son communiqué, il déclare ainsi : « C’est pour moi un honneur de pouvoir servir dans ce gouvernement, pour une cause qui m’a toujours passionné, la cause de l’Europe ». Et c'est aussi là qu'il faut apprécier le talent de DRH de François Hollande…

Par la grâce de François Hollande et Manuel Valls, Harlem Désir devient le douzième secrétaire aux affaires européennes en à peine plus de dix ans, le vingt-deuxième en trente-six ans. Thierry Repentin aura tenu à peine un an, arrivé à ce poste en mars 2013 – il avait alors remplacé Bernard Cazeneuve, parti au budget remplacer Jérôme Cahuzac. Cette instabilité chronique en dit long sur le peu d'importance que les exécutifs français – de droite comme de gauche – accordent à ce poste, censé être stratégique pour défendre les intérêts français au sein de l'UE.

Cette fois, l'affaire confine au sublime : la nomination de Harlem Désir fait désormais des « affaires européennes » un ministère sanction, quand il était encore un « maroquin-récompense », bien que ne servant plus à rien. Au moment où le gouvernement de Manuel Valls cherche la bonne distance avec Bruxelles, entre dialogue et confrontation, le message en dit long. L'Europe « devient le Pôle Emploi du parti socialiste », raille ainsi Alain Lamassoure, chef de file UMP en Ile-de-France aux européennes. « Hollande veut mettre un recalé du gouvernement à Bruxelles (Pierre Moscovici, ndlr) et le recalé du PS aux affaires européennes, c’est minable ! », s'insurge de son côté l'eurodéputé écolo Yannick Jadot.

Pour ne rien arranger, Désir, s'il a déjà été élu à trois reprises comme eurodéputé, est loin d'avoir brillé au sein du parlement européen, notamment lors de son dernier mandat. A la veille de la dernière session (qui se tient la semaine prochaine à Strasbourg), il est même l'élu français le moins présent à Strasbourg sur la période 2009-2014. Même Marine et Jean-Marie Le Pen affichent un bilan moins désastreux.  

Désir pointe à la 752e place, sur un total de 766 élus, si l'on s'en tient au classement établi par l'ONG Votewatch. Le socialiste a participé à 48% seulement des votes en séance plénière à Strasbourg (ce qui n'est, certes, qu'un critère de l'engagement d'un eurodéputé au sein du parlement). A titre de comparaison, Jean-Luc Mélenchon, régulièrement critiqué à gauche pour son manque d'assiduité à Strasbourg, fait nettement mieux, dans ce même classement, avec un score de 69% (684e). La décision de Désir de cumuler ses fonctions au PS et au parlement européen n'est évidemment pas pour rien dans ces statistiques calamiteuses.

Autre précision: Désir, membre de la commission du commerce international au parlement (celle qui suit les négociations sur l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis, par exemple), n'a écrit qu'un seul rapport (lire ici), adopté en novembre 2010, consacré à « la responsabilité sociale des entreprises dans les accords commerciaux internationaux ». A titre de comparaison, sa collègue socialiste Pervenche Berès, au cours du même mandat, en a écrit… onze.

La délégation des élus socialistes français au parlement européen a pris acte, dans un communiqué plutôt glacial, de cette nomination: « Travailleur et impliqué, les eurodéputé-e-s socialistes ont apprécié les relations proches et constantes qu'ils ont pu nouer (avec Thierry Repentin). C'est avec le même souhait de régularité et de proximité que nous accueillerons Harlem Désir dans sa nouvelle fonction ». De son côté, le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, s'est contenté de réagir, prudent: « Désir est un européen. Après, c'est à lui de bosser ».

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Est-ce de l’indulgence ou de la connivence ? Ou alors de la myopie ? Si d’aventure Nicolas Sarkozy avait eu pour un ami proche les égards que François Hollande manifeste à l’égard de Jean-Pierre Jouyet, de nombreux journaux l’auraient étrillé. Pour de multiples et bonnes raisons : pour avoir contribué à faire la carrière de l’un de ses proches ; pour avoir récompensé un haut fonctionnaire qui symbolise l’infidélité en politique et la courtisanerie ; pour avoir pratiqué avec lui un insupportable mélange des genres, entre vie privée et vie publique. Mais dans le cas présent, la grande presse ne manifeste pas cette sévérité. Et saluant la nomination de Jean-Pierre Jouyet comme nouveau secrétaire général de l’Élysée, elle ne veut y voir qu’une histoire d’amitié entre le nouveau promu et le chef de l’État. Une histoire assez inédite puisque les deux amis vont maintenant travailler aux côtés l’un de l’autre…

Au risque de déplaire, il faut pourtant admettre que cette promotion est « bavarde », et qu’elle en dit long d’abord sur François Hollande. C’est peut-être cela qu’il y a de véritablement important dans la promotion de Jean-Pierre Jouyet. Ce n’est pas tant que le monarque républicain ait choisi un nouveau grand chambellan. Non ! C’est d’abord que ledit grand chambellan fait office de miroir : au travers de lui, on devine tous les défauts du maître, en même temps que ceux du système de pouvoir qu’il a installé ou dont il profite.

Le premier effet de miroir, c’est celui qui révèle le fait du Prince : ainsi donc, François Hollande nomme qui il veut où il veut. Et même ses plus proches amis profitent de ses bonnes grâces. Jean-Pierre Jouyet, qui est ainsi l’un de ses plus proches intimes, ne cesse d’en profiter. Comme dans un système monarchique, il est passé devant tous les candidats potentiels qui pouvaient briguer le poste de directeur général de la Caisse des dépôts, la plus puissante institution financière française – il y en avait de plus compétents et de plus légitimes que lui. Mais François Hollande n’a pas même pris soin de soupeser leur candidature sinon même de les recevoir. Et bien que son protégé pouvait être en conflit d’intérêt compte tenu de ses anciennes fonctions comme président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il a fait passer son bon plaisir avant les intérêts supérieurs de l’Etat. Et c’est ainsi que Jean-Pierre Jouyet est devenu patron de la CDC, juste après l’alternance de 2012, dans des conditions pour le moins controversées (Lire nos enquêtes de l’époque Après l’affaire Pérol, l’affaire Jouyet ! et Hollande cède à la République des copains).

C’est donc ce même système de la République des copains qui fonctionne aujourd’hui jusqu’à a la caricature, puisque le plus proche des copains et convié aux sommets de… la république pour en assurer le pilotage, comme secrétaire général.

Ce système de copinage est d’autant plus accablant qu’il contrevient au principe républicain de la reconnaissance du mérite et de l’effort.

A quoi bon se dépenser pour l’intérêt général ? Au pays de la monarchie républicaine, c’est la courtisanerie qui commande… Voilà en substance le message implicite à l'adresse des fonctionnaires, hauts et petits, qui transparaît du cheminement professionnel de Jean-Pierre Jouyet. Et le constat est d’autant plus ravageur que l’intéressé va être appelé à de hautes fonctions alors qu’il va laisser derrière lui un bilan pour le moins discutable, sinon même sombre, à la CDC. D’abord, il a contribué à porter un très mauvais coup à l’intérêt général en offrant à l’été 2013 aux banques un magot de près de 30 milliards d’euros en provenance de l’épargne réglementée (lire Livret A : le fric-frac de l’été). De surcroît, l’une des principales filiales de la CDC, la Société nationale immobilière (SNI) a connu ces dernières années de graves dérives, sous fond d’affairisme (dérives auxquelles Mediapart a consacré de nombreuses enquêtes que l’on retrouvera ici). Et Jean-Pierre Jouyet n’a rien fait pour remettre de l’ordre dans sa maison, se bornant à commander une mission d’expertise à deux hauts fonctionnaires, comme s’il ne connaissait pas lui-même ce qui se passait dans sa propre maison. Ce rapport, qui devait être rendu public avant la fin du mois de mars, n’est toujours pas bouclé ; et ce sera donc le successeur de Jean-Pierre Jouyet qui devra en tirer les enseignements.

Le deuxième effet de miroir ravageur, c’est la prime donnée à l’infidélité en politique. Car Jean-Pierre Jouyet est l’un de ces oligarques qui ont longtemps fait carrière sous la gauche, et qui ont brusquement changé de conviction quand les vents ont tourné, pour devenir subrepticement sarkoziste. Après l’alternance de 2007, on a vu Jouyet entrer, sans le moindre scrupule, au sein du gouvernement de François Fillon, en qualité de secrétaire d’Etat aux affaires européennes, et courir micros et caméras pour chanter les louanges de Nicolas Sarkozy et de la politique conduite par lui.

Et le voilà, de nouveau, comme les vents ont encore tourné, faire mouvement contraire, en 2012, pour continuer sa belle carrière sous le quinquennat de son ami François Hollande.

L’effet de miroir va d’ailleurs au-delà de la promotion de l’insincérité ou de l’infidélité en politique. Car, Jean-Pierre Jouyet est, en vérité, très emblématique d’une fraction de l’oligarchie française, qui, dans un perpétuel mouvement d’essuie-glace, peut aller de droite à gauche puis de gauche à droite, mais en défendent perpétuellement les mêmes idées. Est-il besoin de préciser ? Des idées sorties tout droit de la boîte à idée du néolibéralisme. En somme, la « pensée unique »…

Dans l’arrivée à l’Elysée de Jean-Pierre Jouyet au moment précis où le gouvernement de Manuel Valls va accentuer ses cadeaux aux entreprises et aggraver la politique d’austérité, il y a donc une coïncidence qui ne doit, en fait, pas grand chose au hasard. Car Jean-Pierre Jouyet symbolise jusqu’à la caricature cette politique néolibérale que François Hollande a pris pour cap depuis 2012. A l’instar d’un Pascal Lamy qui multiplie les émissions pour défendre des petits boulots payés en dessous du Smic – « Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie de mes camarades socialistes, mais je pense qu’il faut, à ce niveau de chômage, aller davantage vers de la flexibilité et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au Smic», vient-il de déclarer à l’émission Questions d’info  de LCP et France Info – Jean-Pierre Jouyet est en effet capable de proférer des énormités libérales du même acabit, sans même s’en rendre compte. Il en est d’autant plus capable qu’il n’a aucun sens politique – tous ceux qui le connaissent le savent… et le redoutent – mais a du mal à tenir sa langue.

De cette capacité à faire des gaffes, il avait d’ailleurs donné des illustrations dès non arrivée à la tête de la CDC, en annonçant que l’institution ne pourrait pas soutenir le site de Florange puisque sa mission ne consistait pas à aider les « canards boiteux » – et il avait fait cette sortie visiblement sans même se souvenir que la sauvegarde du site de Florange était l’une des promesses phares de son ami François Hollande (lire Florange : le mépris de Jouyet, le risque de Hollande).

Aux côtés de Louis Gallois (ancien patron d’EADS et inspirateur du « choc de compétitivité), de Jacques Attali ou encore d’Anne Lauvergeon (ancienne patronne d’EADS), Jean-Pierre Jouyet est donc l’un des représentants de cette oligarchie, issue de la gauche – de cette « nomenklatura » de gauche – qui a ensuite été happée par les milieux d’argent ou les cercles dominants de la finance, et qui en défendent depuis systématiquement les intérêts. Sans grande suprise, Jean-Pierre Jouyet fait d’ailleurs partie du saint des saints de l’oligarchie française et de la pensée unique qu’est le Club Le Siècle, aux côtés de grands patrons et de journalistes assez peu attachés aux principes éthiques.

Dans un billet en date du 26 janvier 2012 sur son blog « Reporterre », mon confrère Hervé Kempf avait d’ailleurs raconté de manière assez cocasse les conditions dans lesquelles il avait croisé Jean-Pierre Jouyet à l’entrée du Siècle, peu de temps avant l’élection présidentielle. L’interpellant pour savoir s’il était normal qu’un haut fonctionnaire côtoie ainsi des banquiers, dans un lieu symbolique du capitalisme de connivence à la Française, il avait obtenu pour seule réponse de l’intéressé qu’il s’agissait de sa vie privée. Et l’échange avait pris fin sur cette invitation : « Allez vous faire voir ! ».

Enfin, il y a un ultime effet de miroir : Jean-Pierre Jouyet illustre le détestable mélange des genres entre affaires publiques et affaires privées auxquelles François Hollande s’est laissé allé, suivant en cela le très mauvais exemple de Nicolas Sarkozy.

Installant sa compagne de l’époque, Valérie Trierweiller, dans un rôle de première dame, dans une tradition quasi monarchique qui contrevient aux usages républicains, il en a joué, avec la presse et en a espéré des retombées médiatiques, jusqu'à ce que l’on découvre que tout cela n’était qu’un mensonge, puisqu’il avait par ailleurs une liaison avec une autre.

Or, dans ce psychodrame de cour, Jean-Pierre Jouyet, et son épouse, Brigitte Taittinger, l’une des très riches héritières de l’empire éponyme qui a longtemps dirigé les parfums Annick Goutal avant de devenir la directrice de la stratégie et du développement de Sciences Po, ont joué des rôles de confidents et d’assistants. Comme Le Monde l’a raconté (l’article est ici, lien payant), c’est Brigitte Taittinger, dans la nuit avant que Closer révélant la liaison présidentielle ne paraisse en kiosque, qui a exfiltré Valérie Trierweiller de l’Elysée pour la conduire vers un hôpital, où elle est restée quelques temps, à l’abri des caméras.

C’est aussi grâce à des dîners mondains chez Jean-Pierre Jouyet et Brigitte Taittinger – qui connaît une bonne partie du CAC 40 – que François Hollande a fait la connaissance avant l’élection présidentielle des principales figures du capitalisme parisien.

Avec Jean-Pierre Jouyet à ses côtés, mi-ami, mi-confident, aujourd’hui de gauche, mais hier radicalement de droite, sautant d’un métier à l’autre sans jamais y rester plus d’un an ou deux, sans grande autorité ni véritable conviction et pour tout dire assez mou, c'est ainsi que François Hollande va désormais travailler. Etrange mélange des genres ! Et surtout étrange attelage qui ne présage rien de bon. Ni pour la gauche, ni pour la République. François Hollande goute-t-il de la sorte les délices des institutions bonapartistes de la Vème République? Ou succombe-t-il aux moeurs délétères dans lesquelles la SFIO a fini par se noyer? Sans doute y-a-t-il un peu des deux...

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Le « Monsieur sécurité » de Tabarot visé par une enquête

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Jusqu'à aujourd'hui, Michèle Tabarot, la numéro deux de l’UMP et maire du Cannet (Alpes-Maritimes), continue de soutenir son premier policier municipal. Déjà épinglé par Mediapart pour des reportages bidonnés mettant en scène ses agents, puis pour les tâches très politiques de la police municipale, son « Monsieur sécurité » a été entendu le 27 mars, à deux reprises, par la commissaire divisionnaire de Cannes. Ces auditions ont été réalisées dans le cadre d’une enquête relative au fonctionnement interne de la police municipale, demandée par le procureur de la République de Grasse.

À la tête de la police municipale depuis 24 ans, Alain Cherqui a été promu ces dernières années par Michèle Tabarot directeur adjoint des services en charge de la sécurité et directeur de la salle de spectacles de la ville.

Le procureur a souhaité le faire entendre sur plusieurs dossiers: deux tentatives d’expulsions de familles roms par la police municipale en janvier, mais aussi le « comportement » de l'un de ses agents « qui peut poser question », estime le procureur de Grasse, Georges Gutierrez. « Les policiers municipaux sont soumis à un double agrément, du procureur de le République et du préfet. Je dois vérifier qu'ils ne se comportent pas comme des cow-boys. C’est dans ce cadre-là que des vérifications sont faites aujourd’hui », explique-t-il à Mediapart. 

« Cow-boys », c’est précisément le surnom donné aux 90 policiers municipaux au Cannet. Véritable pilier de la gestion de Michèle Tabarot, ils sont aussi connus pour leurs méthodes musclées et une action qui dépasse parfois le cadre de leur fonction. En novembre, Nice-Matin a rapporté les témoignages de candidats aux municipales assurant que des agents leur avaient expliqué « qu'il était interdit de tracter sur le marché ». Ces derniers mois, Mediapart et Le Point ont détaillé les tâches politiques effectuées par les policiers municipaux, et évoqué une plainte pour harcèlement moral déposée par l’un d’eux contre la ville du Cannet.

En mars, Mediapart révélait qu'Alain Cherqui avait bidonné de nombreux reportages, notamment sur TF1, pour vanter l'action de la ville en matière de sécurité. Bakchich a aussi relaté que le ministère de l'intérieur et la préfecture des Alpes-Maritimes ont peu goûté à son nouveau « Police Drive », qui semble contrevenir aux textes encadrant la police municipale, et notamment la signalétique des commissariats.

Alain Cherqui, directeur de la police municipale, sur BFM-TV, le 20 février.Alain Cherqui, directeur de la police municipale, sur BFM-TV, le 20 février.

L’enquête menée aujourd'hui par le procureur de Grasse porte notamment sur « les conditions dans lesquelles la police municipale a été amenée à intervenir », dans deux affaires concernant des familles roms, en janvier. « J‘ai demandé cette audition car M. Cherqui est tout de même directeur de la police municipale et je veux savoir pourquoi il a agi de la sorte », explique Georges Gutierrez. Le directeur de la police municipale serait intervenu en dehors du cadre légal. Ce type d'opérations, à supposer qu'elles soient autorisées par le tribunal, ne sont pas dévolues à la police municipale.

Dans l'une des affaires, il était reproché à une famille d’habiter illégalement une maison appartenant au conseil général, au Cannet. Le couple avait fait part de son désir de rester sur place et scolariser ses six enfants. Alors que le tribunal de police avait décidé de reporter l’audience au mois suivant, Alain Cherqui était intervenu quelques heures plus tard avec des agents.

Le père de famille, Velicu Tadurel, avait détaillé à Nice-Matin l’intervention de plusieurs policiers et « leur chef, en costume noir » qui « nous a dit qu’on ne pouvait rester ici, qu’il fallait partir, demain »« Quand je suis arrivé sur place ce jour-là, je suis tombé sur des gens en pleurs, terrorisés. Les policiers leur ont demandé de partir. Certains ont été pris par le col », relate à Mediapart Henri Rossi, président de la section Cannes-Grasse de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Après l’intervention, deux policiers étaient restés en faction à proximité de la maison.

« Nous avons promis au voisinage d’être présents dans le secteur, avait justifié Alain Cherqui, interrogé par le quotidien. Nous savons que le tribunal les a convoqués pour le 15 février. Nous avions une solution pour accueillir cette famille dès demain matin et c’est pour cela que nous sommes allés la voir. Mais la ligue des droits de l’homme préfère qu’elle reste dans cette insalubrité ».

Deux jours plus tard, le président de l’antenne locale de la LDH avait demandé un droit de réponse à Nice-Matin et raillé l’annonce subite d’Alain Cherqui d’« on ne sait quelle solution, sortie de son chapeau »« Si la commune du Cannet dispose d’une solution de logement temporaire, pourquoi avoir attendu ce dernier moment pour la proposer? », interrogeait-il. « Aucun jugement d'expulsion n'a été pris et par conséquent jusqu'au 15 février date du renvoi, ces gens ne sont pas expulsables et surtout pas par une police municipale dont ce n'est pas de sa compétence. Dès lors qu'allait faire ce monsieur, avec des hommes (...) ? Pourquoi ces messieurs, selon les occupants, dont six enfants, ont-ils bousculé ces derniers, leur arrachant des mains leur document d'assignation devant le tribunal et les terrorisant ? »

La police municipale et son chef ont fait parler d’eux à l’occasion d’autres épisodes. À plusieurs reprises, la Ligue des Droits de l'Homme a écrit à Michèle Tabarot, au procureur de Grasse et au sous-préfet, pour alerter sur les « débordements de la police municipale », comme l’attestent plusieurs courriers consultés par Mediapart.

En 2005, Henri Rossi dénonce l’« agression » et les « injures » dont a été victime Moncef Kalaiaia, boulanger du Cannet, « de la part de deux agents de la police municipale », à la suite d'un stationnement intedit. Une pétition circule. « Des agents de votre police municipale se sont livrés à des violences inadmissibles », écrit le responsable de la LDH, dans un courrier adressé à l'édile, le 23 septembre 2005. « Ce n’est pas la première fois que nous vous saisissons de violences exercées par votre police municipale sur de simples citoyens », rappelle-t-il.

Deux ans plus tôt, les suites judiciaires de « l’affaire Leduby » l'avaient déjà poussé à écrire à la maire pour lui « faire part des inquiétudes de nombre de nos concitoyens concernant les pratiques de votre police municipale ». Certains agents « oublient trop souvent leur devoir et leur responsabilité dans l’exercice de leur fonction », estimait-il. Lors de son interpellation, en 2001, Claude Leduby avait eu la mâchoire fracturée et avait dû être hospitalisé. Deux policiers municipaux avaient été condamnés par le tribunal correctionnel de Grasse et avaient perdu leurs agréments. Alain Cherqui avait alors défendu ses agents dans un encart publié dans Nice-Matin.

À l'époque, la LDH alerte aussi le procureur: « Depuis l’affaire Leduby, plusieurs dysfonctionnements de la police municipale de Le Cannet nous ont semblé menacer les libertés publiques et tout à la fois développer un sentiment d’insécurité chez nos concitoyens et notamment les plus jeunes », peut-on lire dans un courrier du 23 juin 2003.

La même année, la police municipale est épinglée par la commission nationale de déontologie de la sécurité après l’interpellation de militants collant des affiches contre la guerre en Irak sur des panneaux électoraux. Dans son rapport annuel, la commission explique avoir été « saisie pour la première fois d’une affaire touchant un service de police municipale » et conclut « qu’un flou regrettable » a entouré cette interpellation. Les policiers avaient notamment « cru pouvoir prendre le volant du véhicule des personnes interpellées pour se rendre au commissariat », explique le rapport.

Michèle Tabarot, secrétaire générale de l'UMP, députée et maire du Cannet, le 21 novembre 2012 au siège de l'UMP.Michèle Tabarot, secrétaire générale de l'UMP, députée et maire du Cannet, le 21 novembre 2012 au siège de l'UMP. © Reuters

Malgré ces différents épisodes, dont elle a été avertie, Michèle Tabarot n'a pris aucune mesure. Au fil des années, elle a au contraire promu son directeur de la police municipale. Sollicitée par Mediapart, elle n'a pas donné suite à notre demande d'entretien, de même qu'Alain Cherqui (lire notre boîte noire)

« C’est un très bon chef de la police. Il a gravi tous les échelons, il est reconnu très largement dans le département. Moi, de soucis (avec lui), je n’en ai pas eus », nous avait-elle répondu lorsque nous l'avions interrogée sur les méthodes musclées d'Alain Cherqui, en janvier 2013. Elle s'était contentée d'évoquer « une personnalité débordante ».

BOITE NOIREMediapart a sollicité Michèle Tabarot à plusieurs reprises ces derniers jours, à son cabinet et auprès de son attaché de presse. Nous n'avons obtenu aucune réponse. Sollicité, Alain Cherqui, le directeur de la police municipale, n'a pas non plus donné suite.

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Désir et Cambadélis recasés : c'est la prime au vide au PS

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Nicolas Sarkozy se vantait en son temps d'être le « DRH du parti socialiste », mais François Hollande a décidé de réellement occuper la fonction. En promouvant Harlem Désir, le premier secrétaire du PS, au gouvernement en tant que secrétaire d'État aux affaires européennes (un cas déjà vu avec Lionel Jospin en 1988, remplacé par Pierre Mauroy – vainqueur de Laurent Fabius devant le conseil national – et Lionel Jospin en 1997 – remplacé par François Hollande au congrès de Brest quelques mois plus tard), le président de la République a souhaité arrêter les frais d'un parti allant à vau-l'eau, suscitant incompréhension parmi ses proches, comme chez les autres chefs à plume socialistes.

On ne sait encore si Harlem Désir est ainsi récompensé pour avoir rendu le PS atone, pour ses communiqués brejneviens, pour la quasi-disparition des primaires, ou pour la débâcle électorale aux municipales.

La raison de ce chamboulement à la tête du PS est évidemment autre, et fidèle à la philosophie globale du remaniement : « On vire les tocards qui ne savent pas communiquer, car tout n'est qu'un problème de communication » (ceci n'est pas une citation officielle, mais un résumé des conversations récentes avec les plus ardents défenseurs du pouvoir).

En exfiltrant Désir, c'est la tête de liste aux européennes en Île-de-France qui est épargnée. Déjà auteur d'un score mirifique en 2009 (13,58 %), la crainte de voir « Harlem » connaître pire déroute dans un mois semble avoir motivé l'Élysée. Mais comme les ressources humaines et le respect des statuts du PS n'ont jamais été le fort de François Hollande, le flou le plus total entoure les conséquences de cette nomination. Tout semble ainsi encore ouvert. Harlem Désir malgré tout candidat ? Un recasage de Vincent Peillon sur la liste parisienne, plutôt que dans le Sud-Est où les premiers sondages sont eux aussi catastrophiques ? La mise en avant de Pervenche Bérès, n°2 de la liste en Île-de-France ?

Ces considérations de haute politique n'assurent même pas à Hollande de reprendre la main sur le parti, sans doute un autre sens caché de l'opération, puisque le candidat proposé par Harlem Désir pour lui succéder n'est autre que… Jean-Christophe Cambadélis. Soit son rival déçu, écarté en septembre 2012 pour “incompatibilité hollandaise”, malgré le soutien à l'époque de Martine Aubry. Un choix auquel s'était alors vivement opposé Jean-Marc Ayrault, pour des raisons idéologiques mais aussi, à l'époque, pour des « raisons éthiques ».

Ancien premier lieutenant de Dominique Strauss-Kahn, « Camba » profite du vide et de son obstination à vouloir rester le dernier à espérer un poste que plus personne ne désire. Si le monde médiatique pleure sa principale « source critique » du fonctionnement interne du PS, l'homme présente un intérêt certain pour Hollande. Celui d'un organisateur stratège, ancien président de l'Unef en 1981 et organisateur des Assises de la transformation sociale en 1994, prélude à la « gauche plurielle » des années Jospin.

Certains diront que cela ne représente pas les atours d'un grand renouvellement, d'autres rappelleront qu'il a été condamné en 2005 à 6 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende, pour recel d'abus de confiance dans l'affaire des emplois fictifs de la Mnef. Mais on pourrait leur rétorquer que la condamnation passée de Harlem Désir (à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d'amende, en 1998, pour recel d'abus de biens sociaux) n'a guère provoqué de remous dans les rangs militants.

En revanche, la perspective d'un vote militant entérinant la révolution de palais intrigue les derniers à s'y intéresser. Après un conseil national prévu mardi prochain pour consacrer Cambadélis, le désormais futur secrétaire d'État indique ainsi dans un communiqué que le « nouveau premier secrétaire devra ensuite aller devant le vote des militants », au nom de la « culture démocratique » du parti. Pour autant, selon les statuts du parti, un tel intérim n'est prévu que pour « vacance prolongée du pouvoir » au premier secrétariat. Et l'on ne sait donc rien de la réalité des procédures internes à venir. Simple vote de validation ? Élection avec possibilité de candidatures alternatives ? Congrès extraordinaire ? Ou tout simplement un intérim qui dure jusqu'au prochain congrès, normalement prévu à la fin 2015 ? Nul ne le sait vraiment, mais cela intéresse-t-il encore des militants socialistes ? Si ceux-ci existent encore…

L'avenir du parti n'est en tout état de cause plus le problème de Harlem Désir, qui s'est déjà tourné vers ses nouvelles fonctions. Dans son communiqué, il déclare ainsi : « C’est pour moi un honneur de pouvoir servir dans ce gouvernement, pour une cause qui m’a toujours passionné, la cause de l’Europe. » Et c'est aussi là qu'il faut apprécier le talent de DRH de François Hollande…

Par la grâce de François Hollande et Manuel Valls, Harlem Désir devient le douzième secrétaire aux affaires européennes en à peine plus de dix ans, le vingt-deuxième en trente-six ans. Thierry Repentin aura tenu à peine un an, arrivé à ce poste en mars 2013 – il avait alors remplacé Bernard Cazeneuve, parti au budget remplacer Jérôme Cahuzac. Cette instabilité chronique en dit long sur le peu d'importance que les exécutifs français – de droite comme de gauche – accordent à ce poste, censé être stratégique pour défendre les intérêts français au sein de l'UE.

Cette fois, l'affaire confine au sublime : la nomination de Harlem Désir fait désormais des « affaires européennes » un ministère sanction, quand il était encore un « maroquin-récompense », bien que ne servant plus à rien. Au moment où le gouvernement de Manuel Valls cherche la bonne distance avec Bruxelles, entre dialogue et confrontation, le message en dit long. L'Europe « devient le Pôle Emploi du parti socialiste », raille ainsi Alain Lamassoure, chef de file UMP en Île-de-France aux européennes. « Hollande veut mettre un recalé du gouvernement à Bruxelles (Pierre Moscovici, ndlr) et le recalé du PS aux affaires européennes, c’est minable ! » s'insurge de son côté l'eurodéputé écolo Yannick Jadot.

Pour ne rien arranger, Désir, s'il a déjà été élu à trois reprises comme eurodéputé, est loin d'avoir brillé au sein du parlement européen, notamment lors de son dernier mandat. À la veille de la dernière session (qui se tient la semaine prochaine à Strasbourg), il est même l'élu français le moins présent à Strasbourg sur la période 2009-2014. Même Marine et Jean-Marie Le Pen affichent un bilan moins désastreux.  

Désir pointe à la 752e place, sur un total de 766 élus, si l'on s'en tient au classement établi par l'ONG Votewatch. Le socialiste a participé à 48 % seulement des votes en séance plénière à Strasbourg (ce qui n'est, certes, qu'un critère de l'engagement d'un eurodéputé au sein du parlement). À titre de comparaison, Jean-Luc Mélenchon, régulièrement critiqué à gauche pour son manque d'assiduité à Strasbourg, fait nettement mieux, dans ce même classement, avec un score de 69 % (684e). La décision de Désir de cumuler ses fonctions au PS et au parlement européen n'est évidemment pas pour rien dans ces statistiques calamiteuses.

Autre précision : Désir, membre de la commission du commerce international au parlement (celle qui suit les négociations sur l'accord de libre-échange avec les États-Unis, par exemple), n'a écrit qu'un seul rapport (lire ici), adopté en novembre 2010, consacré à « la responsabilité sociale des entreprises dans les accords commerciaux internationaux ». À titre de comparaison, sa collègue socialiste Pervenche Berès, au cours du même mandat, en a écrit… onze.

La délégation des élus socialistes français au parlement européen a pris acte, dans un communiqué plutôt glacial, de cette nomination : « Travailleur et impliqué, les eurodéputé-e-s socialistes ont apprécié les relations proches et constantes qu'ils ont pu nouer (avec Thierry Repentin). C'est avec le même souhait de régularité et de proximité que nous accueillerons Harlem Désir dans sa nouvelle fonction. » De son côté, le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, s'est contenté de réagir, prudent : « Désir est un européen. Après, c'est à lui de bosser. »

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Une élue proche de Joissains recasée in extremis à la Communauté du pays d'Aix

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Récemment réélue, la maire UMP d’Aix-en-Provence Maryse Joissains n’est jamais en gêne pour arranger les carrières de ses affidés au sein de l’administration de la ville et de la Communauté du Pays d'Aix (CPA). Mardi 8 avril, l’élue, 71 ans, a été mise en examen pour « prise illégale d'intérêts » par un juge d’instruction aixois dans une affaire d'emplois de complaisance. Il lui est reproché la promotion express de son chauffeur Omar en catégorie A, le plus haut grade dans la fonction publique (révélée par Marsactu), ainsi que le recrutement à la Communauté du Pays d'Aix d'une collaboratrice de son cabinet, chargée d'une mission concernant les animaux.

D’autres soupçons d’emplois de complaisance semblent avoir été abandonnés en cours de route, selon les déclarations de Maryse Joissains à l’AFP mardi 8 avril. « On a gagné à moitié, il y avait une imputation sur quatre fonctionnaires et il demeure une imputation sur deux fonctionnaires, a indiqué à l'AFP la maire UMP en sortant du bureau du juge. C'est un soulagement, et je suis persuadée que les nouveaux éléments que nous allons apporter entraîneront un non-lieu global. »

Cette enquête, pour laquelle Maryse Joissains avait déjà été entendue en garde à vue le 26 décembre 2013 par la brigade financière de la police judiciaire de Marseille, ne semble pas avoir changé ses pratiques. Mediapart s’est en effet penché sur le cas d’une autre ex-collaboratrice de cabinet de Maryse Joissains, Danielle Brunet. Recasée à la CPA le 1er mars 2014 juste avant le scrutin municipal sur un poste créé ad hoc, cette fonctionnaire territoriale de 48 ans a été dans la foulée réélue conseillère municipale et communautaire sur la liste de Maryse Joissains. En contradiction flagrante avec la loi qui interdit aux employés d’une collectivité territoriale de siéger en tant qu’élus dans cette même collectivité.

Mais la CPA assure avoir bordé son tour de passe-passe auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Tout est légal, nous indique son secrétaire général de la CPA, Marc Berard, joint le 7 avril. « Le conseil communautaire ne sera installé que le 17 avril, donc Danielle Brunet a dix jours pour prendre ses dispositions et faire valoir ses droits à démission d’une des deux fonctions, soit à la CPA, soit au conseil communautaire », explique-t-il. « Ma lettre de démission du conseil communautaire part lundi, nous assurait de son côté le même jour l’intéressée. Je suis droite dans mes bottes, nous avons tout balisé auprès de la préfecture. »

Ce montage baroque, symptomatique des petits arrangements des élus locaux pour accommoder la carrière de leurs affidés, reste toutefois intéressant à décrypter. Après avoir travaillé au cabinet de Maryse Joissains, puis à la communication de la CPA, Danielle Brunet, 48 ans, s’est présentée aux côtés de Maryse Joissains en 2008. Elle est devenue adjointe délégué au village de Luynes et élue au conseil communautaire de la CPA. La fonctionnaire territoriale explique alors avoir été commodément détachée de la CPA au centre hospitalier d’Aix-en-Provence (dont le conseil d'administration est présidé par Maryse Joissains) pour pouvoir garder son poste de conseillère communautaire. « C'était pour permettre à Maryse Joissains de conserver sa majorité à la CPA », justifie Danielle Brunet. Au centre hospitalier, la fonctionnaire s'est occupée pendant six ans des marchés publics. Cumulant au passage son salaire de fonctionnaire sur un poste catégorie C (simple agent d’exécution), plus ses indemnités d’élue municipale et communautaire.

Le 1er mars 2014, juste avant le scrutin, la voilà rapatriée à la CPA, sur une « cellule infrastructure de santé » apparue deux mois plus tôt dans l'organigramme et non pourvue jusqu'alors. Depuis fin 2013, Maryse Joissains a en effet doté la CPA de la compétence de la santé, afin de restructurer et de renflouer l’hôpital de Luynes, en grosse difficulté. Un posté créé ad hoc ? « Il n’y  pas de création pour Mme Brunet, j’ai postulé comme plusieurs personnes », proteste Danielle Brunet. Ce n’est pas tout à fait la version du secrétaire général de la CPA qui indique qu’elle a décroché ce poste grâce à « son droit naturel à réintégration de son administration d'origine, suite à sa mise à disposition ».

Danielle Brunet dit avoir démissionné dès le 1er mars de son poste d’élue communautaire, qui était incompatible avec celui d'employée de cette même CPA. Pour dans la foulée figurer en dixième position sur la liste Joissains sur un poste fléché élue communautaire. Et en démissionner à nouveau une fois réélue le 30 mars 2014. Clair comme de l’eau de roche, mais puisque c’est légal…

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Discriminations: la France reste bloquée à tous les étages

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Dans le dernier numéro de sa revue Économie et statistique publié jeudi 10 avril, l’Insee s’empare de la question des discriminations et la déplie sous tous ses angles en rassemblant les principales études françaises qui y sont consacrées. Il en ressort le portrait social d’une France structurellement minée par d’injustifiables blocages. Origines, handicap, hommes/femmes, orientation sexuelle : à tous les niveaux des parcours scolaires, de la vie professionnelle ou de l’accès au logement, les verrous s’accumulent jusqu’à produire une société dangereusement fermée et inégalitaire. Dangereusement, car cette situation provoque l’incompréhension, le repli, voire la défiance des intéressés.

Au cœur des ambitions présidentielles pendant la campagne électorale de François Hollande de 2012, la lutte contre les discriminations a connu quelques déclinaisons, avec la loi en faveur du mariage homosexuel et celle pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Mais l'élan des déclarations des débuts s'est enlisé, notamment en direction des descendants d'immigrés pour lesquels aucune mesure concrète n'a été conçue.

Dans son discours de politique générale, Manuel Valls s’est adressé à « notre jeunesse, celle notamment de nos quartiers populaires, victime trop fréquemment, je le sais, des discriminations »« Souvent, a-t-il ajouté, ces jeunes voudraient, mieux encore, aimer la France et être aimés d’elle. Je veux dire à ces talents qui pensent que la France ne leur fait pas de place que la France a besoin d’eux. » Le premier ministre s’en est toutefois tenu à cette observation générale, sans esquisser le moindre plan d’action.

Une des originalités de ce numéro est de n’exclure aucune méthode d’analyse. Y est représentée l’approche dite indirecte, qui part d’un constat statistique d’inégalité systématique entre deux populations pour aboutir à l’existence éventuelle d’un traitement discriminatoire. Longtemps dévalorisée, l’approche « expérimentale », qui passe par des opérations de testing, n’est plus écartée. Elle consiste à révéler des pratiques discriminatoires en mesurant les réactions d’agents à une situation construite par des chercheurs.

La démarche « subjective », quant à elle, vise à évaluer le ressenti des discriminations tel qu’exprimé par les victimes. C’est à elle que se rattache l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) réalisée entre septembre 2008 et février 2009 à partir d’un échantillon de 21 000 personnes. Ces différentes approchent apparaissent comme complémentaires et « en plein renouvellement conceptuel », se félicitent dans l’introduction du volume Éric Delattre, du laboratoire ThEMA de l’université de Cergy-Pontoise, Noam Leandri, de l’Observatoire des inégalités, Dominique Meurs, professeure à l’université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, chercheuse à EconomiX (CNRS) et chercheuse associée à l’Ined, et Roland Rathelot, du Centre de recherches en économie et statistique (Crest).

Si l’on prend l’exemple de l'emploi, la discrimination est avérée, selon la définition qu'en donne l’économiste américain James Heckman, « lorsque deux travailleurs pourvus de caractéristiques productives parfaitement identiques et qui ne se différencient que par des caractéristiques non productives, ne bénéficient pas du même traitement de la part d’une entreprise qu’il s’agisse d’accès à l’emploi, de formation, de promotions ou encore de niveau des salaires »Mediapart a choisi de mettre l’accent sur trois cas patents de discriminations.

  • Origines et embauche

L’une des études les plus frappantes, menée par Emilia Ene Jones, chercheuse à l’université de Paris-Est, membre des équipes Erudite et TEPP, est consacrée à la discrimination à l’embauche des jeunes d’origine maghrébine en Île-de-France. Même plus qualifiés, ces derniers ont moins de chance de décrocher un entretien d’embauche qu’un candidat dont les parents sont de nationalité français. Ce résultat est obtenu à l’aide d’un testing : 441 candidatures ont été envoyées à 147 offres d’emploi pour des postes de technicien de maintenance en Île-de-France entre fin juillet 2010 et fin août 2010.

Trois profils identiques de demandeurs d’emploi ont été fabriqués : de nationalité française, ils sont célibataires, sans enfant, âgés de 28 ans, vivent en Seine-Saint-Denis dans des zones économiquement et socialement similaires et sont pourvus d’un permis de conduire B et d’une expérience professionnelle analogue. Seul un élément les distingue apparemment : deux jeunes hommes se sont vu attribuer un nom à « consonance maghrébine », tandis qu'un troisième répond à un nom « évoquant une origine française ». L’un des deux jeunes hommes identifiés comme d’origine maghrébine détient un diplôme plus élevé – un BTS – alors que les deux autres sont de niveau Bac.

Dans tous les cas, le candidat d’origine française obtient plus de réponses que les autres. Le candidat d’origine maghrébine plus qualifié a plus de chances d’accéder à un entretien d’embauche que l’autre candidat d’origine maghrébine, mais moins que le candidat d’origine française pourtant moins qualifié. Le candidat d’origine française reçoit une invitation d’entretien à l’embauche pour 4 CV envoyés en moyenne, contre 7 CV pour le candidat d’origine maghrébine de même niveau. Le candidat d’origine maghrébine ayant une formation supérieure doit envoyer 5 candidatures pour obtenir une invitation d’entretien à l’embauche. « Lorsque plusieurs candidats sont appelés, c’est en grande majorité le candidat d’origine française qui est appelé en premier », précise l'étude, soulignant l’« ampleur » de la discrimination constatée.

  • Femmes et hiérarchie

Dans une étude intitulée « Le salaire dépend-il du sexe du supérieur ? », Olivier Godechot, chercheur à Sciences-Po, MaxPo et l’Observatoire sociologique du changement (OSC-CNRS), se demande si les femmes placées dans une situation de supériorité hiérarchique promeuvent une plus grande égalité salariale entre les hommes et les femmes. Il se fonde sur deux enquêtes exploitant des statistiques des Déclarations annuelles de données sociales (Dads) – l’une baptisée SalSa pour Salaires vus par les salariés portant sur un échantillon de 3 000 salariés du secteur privé et de la fonction publique territoriale et hospitalière et l’autre appelée COI sur les Changements organisationnels et l’informatisation portant sur 14 000 salariés.

Après avoir rappelé qu’en France les femmes touchent en moyenne 25 % de moins que les hommes, l'auteur aboutit au résultat que les différences de salaires entre hommes et femmes sont effectivement plus faibles lorsque le supérieur est de sexe féminin. Mais que les niveaux de salaires sont alors aussi un peu plus faibles, y compris lorsque a été pris en compte le fait que les femmes deviennent plus facilement cheffes dans des métiers moins valorisés où les salaires sont moins élevés.

Plusieurs hypothèses sont mises en avant pour expliquer de moindres salaires sous la direction de femmes. D’une part, les femmes cadres bénéficieraient de moins de pouvoir que les hommes au même niveau hiérarchique, ce qui diminuerait leur marge de manœuvre en matière de distribution salariale. D’autre part, leur propre salaire étant moins élevé, elles éviteraient de trop augmenter les personnes sous leurs ordres afin de maintenir autant que possible un écart.

Les données exploitées montrent par ailleurs des pratiques managériales vécues différemment : les femmes sont perçues comme aidant davantage leurs subordonnés et les rencontrant plus souvent dans le cadre d’entretiens annuels. Le tutoiement est réputé plus fréquent avec elles, et la « performance » paraît moins considérée comme un facteur de progression salariale.

  • Homosexualité et salaires

En matière d’orientation sexuelle, les écarts sur le marché du travail sont également accablants. De nombreuses études portant sur les pays anglo-saxons ont révélé des discriminations. En France, la question fait l’objet de peu d’enquêtes statistiques. Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, membres, au moment de la rédaction de l’article, du Centre d’étude des politiques économiques (Epee) et de l’équipe Travail, emploi et politiques publiques (TEPP) de l’université Évry Val d’Essonne et UniverSud Paris, ont tenté de combler ce manque, à l’aide des données de l’enquête Emploi de l’Insee, en y sélectionnant les individus cohabitant avec une personne de même sexe dont ils se déclarent « ami » (accéder à l'étude).

Les limites méthodologiques sont d’emblée évoquées : cette recherche exclut les homosexuels qui vivent seuls et, à l’inverse, agrège des individus co-résidant avec une personne de même sexe pour de toutes autres raisons que l’orientation sexuelle. Les hommes ainsi identifiés ont un salaire environ 6 % plus faible que leurs homologues vivant en couple hétérosexuel, à caractéristiques identiques. Plus précisément, les revenus liés au travail sont inférieurs de 6 à 7 % dans le secteur privé, un écart d’ampleur comparable à celui entre les hommes et les femmes.

Contrairement à une idée répandue, l’homophobie n’est pas moins forte dans le secteur public puisque l’écart y atteint 5 à 6 %. Les salaires étant fixés à partir d’une grille, l’existence d’un tel différentiel peut alors s’expliquer par un « plafond de verre » qui s’exprimerait notamment lors des promotions, des notations et des changements de grade induisant des déroulements de carrière plus lents pour les gays.

La qualification ne suffit pas à éviter ce désavantage salarial : dans le secteur privé, il apparaît même plus élevé pour les travailleurs qualifiés que pour les non-qualifiés. Et il s’accroît également avec l’âge. Les femmes lesbiennes ne sont en revanche pas touchées par ces écarts, en raison, semble-t-il, d’une perception moins négative dans le monde du travail. Une légère différence en leur faveur est même observée dans l’étude, dans les entreprises privées tout du moins.

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Gabegie du traitement de la DMLA: l'UFC réclame une commission d'enquête

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L’UFC-Que Choisir saisit les pouvoirs publics du problème de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), maladie des yeux dont le traitement de référence, le Lucentis, commercialisé par Novartis, coûte près de 900 euros par mois. Alors qu’il existe un autre médicament aussi efficace et aussi sûr mais beaucoup moins cher, l’Avastin de Roche, la DGS (direction générale de la santé) a imposé en 2012 l’utilisation du Lucentis. En 2013, les remboursements de Lucentis par l’assurance maladie se sont élevés à 438 millions d’euros, ce qui fait de ce produit l’une des spécialités les plus coûteuses pour la collectivité. Selon l’UFC-Que Choisir, l’Avastin représente une économie potentielle d’au moins 300 millions d’euros par an.

Dans un communiqué, l’UFC-Que Choisir s'élève contre « un inadmissible statu quo » et presse le gouvernement « de publier sans délai le décret qui permettra aux autorités sanitaires d’enfin autoriser un traitement moins coûteux de la DMLA, l’Avastin ». Que Choisir a saisi l’Autorité de la concurrence, qui mène actuellement une enquête sur une possible entente entre Novartis et Roche. Ce dernier laboratoire n’a pas demandé d’extension de son AMM (autorisation de mise sur le marché), demande qui aurait permis de régler le problème. Il existe des liens anciens entre Novartis et Roche, deux laboratoires bâlois qui ont une longue histoire commune.

Les molécules qui ont donné l’Avastin et le Lucentis ont toutes deux été mises au point par la société californienne Genentech. Celle-ci a vendu à Novartis la licence du Lucentis pour le monde entier, sauf les États-Unis ; et elle a cédé l’Avastin à Roche, qui a ensuite acheté Genentech pour près de 50 milliards de dollars. De ce fait, Roche touche des royalties sur le Lucentis aux États-Unis, tandis qu’ailleurs c’est Novartis qui empoche les profits liés au même médicament. Ce chassé-croisé d'intérêts ne pousse pas les deux laboratoires à se concurrencer mutuellement.

L’autorité italienne de la concurrence, qui a entrepris une enquête en février 2013, a condamné en mars Novartis et Roche à une amende de 182,5 millions d’euros pour « entente illicite ». D’après l’autorité italienne, « les preuves accumulées montrent que depuis 2011, Roche et Novartis se sont entendus pour créer une différenciation artificielle entre produits et prétendre qu’Avastin est plus dangereux que Lucentis en vue d’influencer les prescriptions et les services de santé ». Cette entente aurait coûté 45 millions d’euros au système de santé italien en 2012.

À la suite de la décision italienne, le député de Haute-Garonne Gérard Bapt, membre de la Commission des affaires sociales, avait déjà appelé l’Autorité de la concurrence à se saisir de l’affaire, et avait aussi demandé une enquête de la commission européenne pour « entrave à la concurrence ». Gérard Bapt avait également adressé une lettre au directeur général de la santé, le professeur Benoît Vallet, dans laquelle il demandait le retrait de la circulaire de la DGS de  juillet 2012, jugeant « inacceptable de continuer à tolérer la rente de situation organisée par deux laboratoires capitalistiquement liés, au détriment des assurés sociaux français ». Le professeur Vallet lui a répondu que les données médicales « ne permettent pas, dans l’immédiat, d’envisager favorablement l’emploi d’Avastin en hors AMM ».

La position de la DGS est d’autant moins compréhensible que plusieurs études, en France et à l’étranger, ont démontré que dans le traitement de la DMLA, l’Avastin et le Lucentis étaient d’efficacité équivalente et aussi bien tolérés l’un que l’autre. Les essais CATT aux États-Unis et IVAN en Grande-Bretagne avaient abouti à cette conclusion, qui a été confirmée par l’étude Gefal, menée par le CHU de Lyon sous la direction du professeur Laurent Kodjikian. Il n’y a donc apparemment plus d’argument scientifique justifiant d’interdire l’Avastin pour soigner la DMLA. Il est également difficile de comprendre pourquoi l’Ansm, l’agence responsable du médicament, est restée en retrait et a laissé la DGS imposer une interdiction qui ne profite qu’aux intérêts des deux laboratoires.

Sur le plan réglementaire, une manière de contourner l’absence d’indication de l’Avastin pour la DMLA consisterait à mettre en place une RTU, ou « recommandation temporaire d’utilisation ». Cette solution a été proposée dès la publication de la circulaire de la DGS, en juillet 2012. À l’automne 2012, Marisol Touraine, ministre de la santé, avait introduit une  modification législative en ce sens dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Mais le décret mettant en place cette RTU, en souffrance depuis plus d’un an, n’est toujours pas passé.

Selon l’UFC-Que Choisir, « la passivité des pouvoirs publics et des autorités sanitaires dans ce dossier est aussi étonnante que préjudiciable pour les usagers de la santé ». L’UFC-Que Choisir estime que les parlementaires doivent faire « toute la lumière sur la responsabilité de ces errements », et demande la mise en place d’une commission d’enquête. Elle réclame aussi la publication rapide du décret sur les RTU qui permettra à l’ANSM d’autoriser l’Avastin dans le traitement de la DMLA.

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