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« Dayana Mini Market », un air de Bollywood dans la vie d'une famille immigrée

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Pour voir ce film en plein écran, cliquer sur le petit carré en bas à droite du player.

Dayana Mini Market suit une famille tamoule originaire du Sri Lanka, installée en France depuis près de 30 ans qui, peu après avoir été expulsée de son logement, doit affronter la méfiance de la société française, les questions d'intégration et les conflits entre générations. La fragilité de leur vie, la force de leur désir, la tendresse qui les unit et les rêves qui les portent font toute la merveille de ce documentaire signé Floriane Devigne. Réalisé dans le cadre de la série documentaire d'Arte « Une place au soleil », Dayana Mini Market a été diffusé à la télévision en janvier 2013.

Lire sur le site d'Arte un entretien avec Floriane Devigne, la réalisatrice. Elle raconte comment lui est venue l'idée de filmer ses voisins ; comment après avoir été actrice, elle en est venue au documentaire ; comment le réel tragique s'est invité dans le tournage ; comment les clins d'œil à Bollywood sont « une sorte de ruse pour pouvoir raconter certains éléments de l’histoire sans faire des interviews face caméra »...

BOITE NOIRECe film est le premier que Mediapart diffuse en collaboration avec Images en Bibliothèques. Chaque mois, un documentaire vous sera proposé en intégralité sur notre site.

Images en Bibliothèques est une association créée en 1989 pour valoriser, dans les bibliothèques, les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Son réseau rassemble aujourd'hui plus de 550 établissements dans toute la France : bibliothèques municipales, départementales, universitaires, écoles, structures culturelles, éducatives ou sociales… Chaque année, le point fort de ces échanges est l'organisation du Mois du film documentaire.

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Le vote de confiance, premier test du « soutien vigilant » des écologistes à Valls

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Leur colère est retombée. Mais les parlementaires écologistes qui souhaitaient rester au gouvernement, alors que leur parti en a décidé autrement cette semaine, en ont gros sur le cœur. « Tout ce qui s’est passé va laisser des traces », assure l’un d’eux.

Mardi 8 avril, à l’issue de la déclaration de politique générale de Manuel Valls, députés et sénateurs écolos devront dire s’ils votent la confiance à un gouvernement tout-PS auquel ils n’appartiennent plus. « Nous n’avons pas encore arrêté notre position », affirme François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. Comme la majorité des parlementaires, ce dernier était favorable à une participation au gouvernement de Manuel Valls. Mardi 1er avril, le bureau exécutif du parti a pourtant voté la non-participation au gouvernement.

EELV se veut désormais un « partenaire vigilant » au sein de « la majorité ». Mais cette formule ne dit pas comment le parti va travailler à l’avenir dans la majorité. Elle ne dit pas non plus si cela implique de voter la confiance mardi.

Le sujet sera abordé samedi 5 avril lors du conseil fédéral d’EELV, le parlement du parti, à l’occasion d’un « débat de politique générale », mais sans vote.

Un vote pourrait toutefois intervenir dimanche, à huis clos, car un amendement d’une des ailes gauches du parti propose de trancher une « position des écologistes quant au vote de confiance ». Une large majorité du mouvement n’entend toutefois pas imposer de mandat impératif à ses élus. « Nous ne sommes pas dans le centralisme bureaucratique, mais plutôt attachés à notre tradition libertaire, explique Nicolas Dubourg, membre du bureau exécutif. Et de toute façon, le conseil fédéral n’a pas vocation à donner consigne aux parlementaires, encore moins sur une déclaration que personne ne connaît. »

Cécile Duflot et Manuel VallsCécile Duflot et Manuel Valls © Reuters

Pour autant, personne n’était affirmatif ce vendredi sur l’issue du débat dominical, certains évoquant un rejet en bloc, d’autres l’adoption d’une liste de conditions nécessaires à une approbation de la confiance gouvernementale… François de Rugy plaide pour un « oui sous conditions », notamment si une loi de transition énergétique est programmée rapidement. D’autres députés envisagent de s’abstenir. « Le choix est cornélien. Ce serait logique de s’abstenir. Mais ne pas voter, c’est mettre un pied dans l’opposition. Est-ce le mandat que nous ont donné nos électeurs ? » s’interroge Christophe Cavard.

À l’aile gauche, Sergio Coronado plaide pour une « abstention bienveillante ». « La composition intégrale du gouvernement ne sera connue qu’après le vote de confiance ! Si ça se trouve, une flopée de nucléocrates rentreront le lendemain. Comment voter “oui” dans ces conditions ? » Le groupe devrait tenter d’arrêter une position commune mardi matin, quelques heures avant le discours de politique générale de Manuel Valls. Voire juste avant le vote. « Seul le prononcé fera foi... », prévient François de Rugy. « De toute façon, il y a toujours une position de groupe, et des exceptions… », fait-on remarquer dans l’entourage d’Emmanuelle Cosse.

Au sein d’EELV, la question de la participation a révélé ces derniers jours l’ampleur des divergences stratégiques entre la majorité des parlementaires, élus dans la foulée de l’élection de François Hollande en 2012 grâce aux accords électoraux passés avec le PS, et les militants. Depuis deux ans, jamais la direction du parti ne s’était retrouvée face à une telle fronde de ses élus au Parlement. « Nous sortons de cette affaire assez divisés », admet de Rugy.

« Jusqu’ici, la ligne de fracture dans la majorité du parti portait sur la date de la sortie du gouvernement, beaucoup pensant qu’il fallait attendre la loi sur la transition écologique, décrypte un dirigeant du parti. Mais désormais, nous ne sommes plus au gouvernement, et à l’exception de quelques individualités, tout le monde est soudé derrière Cécile. Pour autant, le juste milieu qui fait tenir la majorité de la direction, c’est de rester dans une attitude constructive, même en dehors du gouvernement. »

L’annonce des ministres démissionnaires, lundi, a pris de cours les députés ou sénateurs écologistes, autant furieux d’être mis devant le fait accompli que de se voir d’un coup écartés de la course aux maroquins ministériels. Et quand le lendemain matin, Manuel Valls fait un « pont d’or » à la délégation écolo (un grand ministère de l’écologie avec l’énergie et les transports, trois postes au gouvernement, une réflexion sur une dose de proportionnelle), les esprits s’échauffent chez les députés et sénateurs pro-participation.

La discussion dure six heures (lire ici), et malgré les messages de la base, les potentiels ministres n’en démordent pas. Emmanuelle Cosse choisit de s’abstenir, tandis que François de Rugy et Barbara Pompili, coprésidents du groupe à l’Assemblée, Denis Baupin (vice-président de l’Assemblée nationale) ou Jean-Vincent Placé plaident pour entrer au gouvernement, avec une clause de revoyure dans quelques mois. Mais le bureau exécutif décide qu’il n’y aura pas de ministre écologiste, à une « nette majorité » (même si les résultats divergent selon les personnes interrogées).

Barbara Pompili, à l'AssembléeBarbara Pompili, à l'Assemblée © Reuters

Illico, les grands médias se déchaînent : les mêmes qui brocardaient les écologistes parce qu’ils restaient au gouvernement leur reprochent désormais d’être partis sur un coup de tête. Un diagnostic encouragé par les sorties furibardes des parlementaires. « Nos ministres (…) ont décidé de poser un oukase sur Manuel Valls, ce qui nous a mis dans une situation compliquée », déplore Barbara Pompili. Moins diplomate, le député François-Michel Lambert obtient son quart d’heure de célébrité et se répand dans les médias pour déplorer la « stupidité » et « l’immaturité » de son parti. « Leur réaction est un manque de sens des responsabilités hallucinant », se désole un dirigeant, pourtant partisan de la participation gouvernementale.

Les partisans de la participation ont en commun d’être des écologistes très pragmatiques. Depuis deux ans, ils défendaient au Parlement la position officielle du parti, martelée par la ministre Cécile Duflot : rester à tout prix au gouvernement. En un claquement de doigts, les voilà contraints d’adopter une ligne inverse. La pilule passe mal. « Pendant deux ans, on nous explique qu’il faut serrer les dents, qu’on est mieux au gouvernement parce que nous servons de garde-fous. Et d’un coup, les mêmes changent de pied, au bulldozer. Nous aurions pu prendre le temps d’un débat un peu plus large », regrette Christophe Cavard, député proche de Daniel Cohn-Bendit, qui n’a pas eu de mots assez durs pour la décision d’EELV.

« Ce parti se rétrécit sur sa base, sur les hypermilitants qui sont les plus motivés et les plus exigeants, déplore un autre député, Éric Alauzet. Si l'on avait fait un référendum interne, est-on sûr que la majorité aurait voulu sortir ? En tout cas, notre électorat, lui, était pour que nous restions. » Pour le porte-parole Julien Bayou, proche d’Eva Joly, cela ne fait pas un pli : « La décision de nos ministres a vraiment reboosté beaucoup de nos militants, on reçoit un nombre de messages de soutien impressionnant. » Un point de vue confirmé par d’autres bons connaisseurs du parti, de diverses motions. Pour Bayou, « les parlementaires veulent soit être ministres, soit réélus. Ils ont tous été dans la cogestion avec le PS, dans les régions, les villes ou les agglomérations. » Et de considérer : « Leur vision tactique est donc surdéterminée par cette proximité, dans le rapport de force, mais toujours ensemble. Du coup, face à un grand ministère “coquille vide”, ils ne voient que le “grand ministère”. »

D’autres parlementaires, eux, se réjouissent de cette nouvelle situation politique, inédite pour les écolos depuis 1997. Sergio Coronado applaudit. « Hollande a mis un terme à la synthèse qu’il incarnait : Valls est un libéral sur le plan économique, un néoconservateur et un sécuritaire sur le régalien, et pas vraiment un libéral sur les questions de société. Le choix de le nommer est un pied-de-nez aux électeurs de dimanche dernier, aux abstentionnistes et aux écolos. Point final. »

« Participer, c’était se jeter dans la gueule du loup, analyse la sénatrice Esther Benbassa. Valls a beaucoup d’énergie… mais l’énergie, c’est aussi faire la transition énergétique, lutter contre le nucléaire et les OGM. C’est la lutte contre les contrôles au faciès, en faveur du droit de vote des étrangers, la politique d’immigration, les Roms. Sur ces sujets, Valls a été très dur. Ces idées ne sont pas écolo-compatibles, et pas non plus compatibles avec notre gauche. » Benbassa se dit « libérée de ne plus faire partie du gouvernement, même si l'on peut faire moins de choses quand on est dehors ».

Pas de regret non plus pour Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. « Nous aurions eu des ministres, mais ils auraient dû garder le doigt sur la couture du pantalon. » « Je suis atterrée de voir que pour des postes, certains peuvent encore tout justifier », fustige même Isabelle Attard, apparentée au groupe écolo de l’Assemblée, depuis qu’elle a fondé le parti Nouvelle Donne avec Pierre Larrouturou.

« Le problème, c’est qu’on se retire quand notre ligne politique gagne, juge un proche d’Emmanuelle Cosse. Et en même temps, ce que représente Valls est clairement contraire à nos valeurs. Mais on constate aussi que Cécile et Pascal sont bien seuls à le dire à gauche. À part Mélenchon. Donc c’est emmerdant. »

Les parlementaires écologistes vont désormais devoir traduire en actes le fameux « soutien vigilant ». « Nous n’entendons pas participer à ce nouveau gouvernement, que nous assurons de notre vigilance la plus haute mais aussi de notre solidarité chaque fois que le cap choisi sera le bon », théorise Emmanuelle Cosse. Mais concrètement ? « Nous restons dans la majorité, mais allons faire du cas par cas en fonction des textes proposés. Cela nous permettra peut-être d’être mieux écoutés par le groupe socialiste », dit Danielle Auroi. De fait, la majorité absolue du groupe socialiste à l’Assemblée ne tient plus qu’à un fil.

Éric Alauzet, spécialiste des questions financières à l’Assemblée nationale, s’inquiète d’un « risque d’affaiblissement de nos parlementaires ». « Notre travail va être profondément modifié. Nous avions jusqu’ici une relation naturelle avec les ministres et leurs cabinets, cela permettait de travailler nos amendements. Depuis deux ans, j’ai l’impression d’avoir servi à quelque chose », explique ce député très engagé sur la loi bancaire.

Emmanuelle CosseEmmanuelle Cosse © Reuters

Ancien membre du parti communiste, Christophe Cavard craint que la non-participation n’inaugure une période difficile. « Quand on décide à moitié, on peut le payer cher. Le risque, c’est l'inutilité, et la traversée du désert, comme les communistes à partir de 1983… » Les dirigeants écolos évitent d’ailleurs soigneusement d’utiliser le terme « soutien sans participation », formule utilisée par les communistes quand ils refusèrent de participer au gouvernement Fabius, deux ans après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand.

Autre inconnue : la place à l’Assemblée de Cécile Duflot. La « patronne », comme l'appelle un élu, revient dans un mois à l’hémicycle. Son retour est vu avec un peu méfiance. « Ça promet d’être un peu compliqué », craint Alauzet. « Si elle revenait ces jours-ci, l’accueil serait froid, dit Christophe Cavard. Nous ne voulons pas nous mettre au service de la candidate Cécile Duflot. C’est elle qui doit se mettre au service du collectif. » François de Rugy, actuel coprésident, relativise, et assure que « personne n’a envie d’entretenir des querelles ».

« J’entends jouer pleinement mon rôle de députée de la majorité », dit simplement Cécile Duflot, citée par Libération, alors que l’ancienne patronne des écolos laisse encore ouverte toute candidature aux prochaines régionales, voire à la présidentielle de 2017. « Elle était la seule à pouvoir donner du sens à une nomination ministérielle, dit Julien Bayou, porte-parole d’EELV. C’est aussi pour cela que les socialistes ne feront pas de débauchage. Les débauchés potentiels n’incarnent pas grand-chose aux yeux du grand public, il faut être lucide… » « Cécile n’a pas besoin de la présidence du groupe pour être la plus légitime à s’exprimer », dit de son côté Nicolas Dubourg, membre de la direction écolo.

Si les échanges ont été aussi virulents ces derniers jours, c’est aussi parce que le départ du gouvernement repose crûment la question des alliances électorales futures. Lorsqu’ils sont partis sans le PS aux municipales, les écologistes ont fait de bons scores, comme à Grenoble, où EELV a emporté la mairie en s'alliant au Parti de gauche et à des mouvements citoyens. Une alliance qui pourrait s’approfondir lors des régionales de 2015, comme le propose Jean-Luc Mélenchon, prêt à voir son PG se ranger derrière EELV, avec ou sans les communistes. Mais cette perspective laisse encore beaucoup de monde dubitatif chez les écologistes.

« On s’est peut être un peu pris la grosse tête avec Grenoble et nos bons scores aux municipales, assure Alauzet. On ne gagnera pas sans le PS, ni avec un PS effondré. Si la gauche s’effondre l’an prochain, on perdra tous ensemble. » « Certains ont la volonté de s’allier avec Mélenchon, ils ont toujours été minoritaires et ils se sentent pousser des ailes. Il va falloir des clarifications », exige de Rugy.

Un point de vue que n’adopte pas Julien Bayou, qui participe pourtant régulièrement aux marches du Front de gauche. « Personne au parti ne veut basculer dans l’alliance avec Mélenchon », dit-il. Samedi, Emmanuelle Cosse va d'ailleurs tenir devant les cadres du parti un discours ménageant toutes les sensibilités, défendant autant la radicalité que l'expression de celle-ci dans la participation au pouvoir. Selon un proche, il s'agit aussi de « tuer dans l'œuf » l'hypothèse d'une « majorité alternative » avec le PG, et d'adresser une fin de non-recevoir à son « adresse » (lire ici).

Sans pousser à une alliance avec Mélenchon (« il conçoit la politique comme une violence »), le député Sergio Coronado estime toutefois que des « alliances locales » ne sont pas à exclure d’emblée. « L’an prochain, une alliance EELV-PG nous mettrait au moins à 10 % dans toutes les régions », explique ce proche d’Eva Joly.

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La garde rapprochée de Manuel Valls à Matignon

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Mardi, dans la cour de Matignon, les caméras étaient toutes braquées sur Jean-Marc Ayrault laissant les clefs à Manuel Valls. Au même moment, en toute discrétion, une autre passation de pouvoir avait lieu au premier étage de l’hôtel particulier : celle entre le directeur de cabinet du partant, Christophe Chantepy, et sa remplaçante, Véronique Bédague-Hamilius. Et dans le sillage de Manuel Valls, plusieurs de ses proches venus de la place Beauvau prenaient déjà possession des lieux.

Leur profil traduit logiquement la feuille de route fixée par François Hollande à son premier ministre : mieux communiquer et mettre en œuvre le « pacte de responsabilité ». Vendredi, lors du premier conseil des ministres du gouvernement remanié, le président de la République a confirmé ses priorités. « Aller encore plus vite, il s’agit moins de légiférer que de répondre rapidement aux attentes des Français. De faire plus simple pour changer plus concrètement la vie de nos concitoyens. Plus simple et différemment », a expliqué Hollande à ses 16 ministres de plein exercice.

Quant à Valls, il a esquissé sa méthode de travail, avec davantage de discussions politiques au sein du gouvernement, et vanté les mérites d’une communication mieux huilée. « Les membres du gouvernement devront également veiller à la bonne intégration des contraintes de la communication dans la démarche de réforme », a-t-il dit, selon le compte-rendu officiel du conseil des ministres.

Véronique Bédague-HamiliusVéronique Bédague-Hamilius © DR

À Matignon, il s’appuiera d’abord sur sa directrice de cabinet, première femme nommée à ce poste à Matignon, Véronique Bédague-Hamilius. Elle n’est ni une “vallsiste” ni une proche du nouveau premier ministre. À 50 ans, elle est considérée comme une proche de Laurent Fabius, dont elle a été la conseillère à Bercy sous Lionel Jospin de 2000 à 2002, et qui venait de la nommer pour diriger la nouvelle agence du commerce extérieur français. Et, surtout, de Bertrand Delanoë, avec qui elle a travaillé 13 ans à la mairie de Paris. De 2002 à 2009, elle est directrice des finances, puis secrétaire générale (de 2009 à 2014) d’un mastodonte fort de 50 000 agents et d’un budget de 7 milliards d’euros.

C’est là qu’elle a noué une « forte relation », selon un témoin de l’époque, avec Nicolas Revel, directeur de cabinet de Delanoë à l’époque, devenu en 2012 secrétaire général adjoint de l’Élysée. Une proximité qui a joué un rôle important de la nomination de Véronique Bédague-Hamilius. Son profil très économique – en début de carrière, elle a été détachée de Bercy comme économiste au FMI – a également pesé puisqu’elle devra coordonner et impulser la mise en œuvre du « pacte de responsabilité » de François Hollande et du vaste plan d’économies de 50 milliards d’euros, dans un domaine qui n’a jamais été la spécialité de Manuel Valls.

« Techno mais politique », selon un ancien collaborateur à Paris, elle est réputée partager la ligne « très social-démocrate » de l’Élysée. « Elle est dans la cohérence parfaite. Elle pense qu’il faut réduire la dépense publique, elle n’est pas passée par le privé mais elle a une sensibilité très forte vis-à-vis des entreprises et une vision internationale », dit un autre ex de l’équipe Delanoë.

Un de ceux qui l’ont côtoyée auprès de Fabius juge aussi qu’elle est « une femme de gauche, même si elle vient du Budget et qu’elle compte ses sous », avec une « fibre sociale et de lutte contre les discriminations » mais que « ce n’est pas une idéologue avec une vision structurée de transformation de la société ». Ceux que Mediapart a interrogés décrivent tous une « femme bien » qui se tient « loin des intrigues », « bosseuse », parfois rétive à déléguer, et « qui ne tergiverse pas ». Les syndicats de la mairie de Paris sont bien plus critiques, dénonçant sa mise en œuvre de la RGPP (c’est la CGT) ou une « vision technocratique du monde » (c’est l’Unsa).

Yves ColmouYves Colmou © DR.

L’arrivée de Valls à Matignon, c’est aussi le grand retour d’Yves Colmou. Homme de l’ombre et de réseaux, expert de la carte électorale et ancien super-DRH du PS, il retrouve la rue de Varenne pour la troisième fois après avoir officié comme conseiller de Valls place Beauvau !

En quelques décennies, Yves Colmou a su se rendre incontournable, sorte de fil rouge entre la rocardie, la jospinie, et aujourd’hui Manuel Valls. « On n’est pas très nombreux, au PS, à connaître aussi bien le fonctionnement des cabinets, à avoir participé aux quatre législatures de la gauche », soufflait l’an dernier l’intéressé, ami revendiqué de Daniel Vaillant.

Les deux hommes se connaissent depuis trente ans. Pendant quinze ans, Yves Colmou a suivi Michel Rocard comme son ombre, d’abord aux ministères du plan et de l’agriculture au début des années 1980, puis à Matignon (1988-1991) comme chef de cabinet, puis à la tête du PS (1993-1994) comme directeur de cabinet. Valls, lui aussi, a été de l’aventure Rocard et, comme Colmou, il va ensuite choisir Lionel Jospin après la lourde défaite de leur mentor aux européennes de 1994.

Les deux hommes ont été conseillers de Jospin à Matignon à l’époque de la gauche plurielle. Et pendant la campagne présidentielle de 2002, Colmou gère la communication du premier ministre, Valls celle du candidat. Ils se sont retrouvés pendant la campagne de François Hollande en 2012.

Entretemps, Colmou a travaillé comme chasseur de têtes au service des collectivités locales de gauche, pour un cabinet de recrutement privé baptisé Progress. Son métier : fournir des cadres dirigeants aux communes, départements, intercommunalités... Un marché ultra-juteux, de plus en plus vaste au fur et à mesure des victoires remportées par la gauche aux élections locales, et parfois contesté. L’an dernier, une chambre régionale des comptes, celle d’Alsace, avait tiqué sur certains contrats entre Progress et la Ville de Strasbourg dirigée par l’ex-rocardien Roland Ries.

Au fil des ans, Yves Colmou s’est imposé comme l’un des meilleurs « DRH » du parti socialiste, au point d’avoir joué un rôle en mai 2012, lorsque les ministres de François Hollande ont dû constituer leurs cabinets. Discrètement, il a placé ses ouailles – « Sans doute pas plus de dix personnes au total ! » s’efforçait-il de relativiser quand Mediapart l’interrogeait l’an dernier. Colmou est également devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la carte électorale, et c’est lui qui a préparé le dernier redécoupage des cantons. De quoi faire hurler la droite qui l’avait déjà attaqué en janvier 2013 sur sa nomination comme préfet « hors cadre ».

À Matignon, Manuel Valls sera entouré d’un autre ancien du cabinet de Lionel Jospin entre 1997 et 2002 : Gilles Gateau va être nommé conseiller social, poste qu’il occupait déjà sous la gauche plurielle. Depuis mai 2012, il était directeur de cabinet de Michel Sapin, ministre du travail.

Le premier ministre emmène également rue de Varenne sa garde rapprochée, à ses côtés depuis ses années en Essonne et à Évry, Sébastien Gros (chef de cabinet) et Harold Hauzy (chargé de la communication). Sa conseillère parlementaire Magali Alexandre est, quant à elle, coauteure d’un ouvrage avec Jean-Jacques Urvoas, « un pote de Manuel » selon son expression.

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France-Rwanda: les meilleurs ennemis

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À Kigali, au musée du Génocide, la photo est difficile à manquer car elle figure dans les premiers panneaux explicatifs consacrés aux origines de la tragédie. Elle montre François Mitterrand et Juvénal Habyarimana, côte à côte, saluant la foule sur fond de drapeaux flottant au vent lors de la visite du président français à son homologue rwandais en 1982. La légende qui l’accompagne est presque innocente puisqu’elle souligne l’introduction du multipartisme au Rwanda, dans la foulée du discours de La Baule de 1990. Mais pour n’importe quel visiteur un tant soit peu informé, cette photo en dit beaucoup plus, et ce n’est pas un hasard si elle inaugure, en compagnie de celles qui montrent les colons belges mesurant la taille des crânes des Hutus et des Tutsis, le récit du génocide tel qu’il est fait aujourd’hui à Kigali.

Un peu plus loin, sur les rives du lac Kivu, dans l’ouest du Rwanda, au mémorial de Bisesero, il y a une deuxième photo (voir l'onglet Prolonger). C’est Antoine, le conservateur des lieux, qui la décroche spontanément pour la présenter au visiteur français. Les couleurs sont encore vives malgré la détérioration de la reproduction. Elle montre des soldats français, sur la route de la colline de Bisesero, en juin 1994, entourés de dizaines de personnes munies de bâtons – ce sont en fait des Tutsis qui tentent d’échapper aux génocidaires et qui sont sortis de leurs cachettes à l’approche des militaires tricolores. Mais ce que tient à pointer Antoine figure dans la partie droite de l’image : c’est un pick-up à l’arrière duquel se tiennent des miliciens rwandais : « Ce sont des interahamwe, et ils accompagnaient les Français ! », annonce-t-il avec résignation. Les interahamwe, c’est-à-dire les milices hutues responsables d’une grande partie des tueries…

On a déjà beaucoup écrit sur l’histoire de la présence française à Bisesero, en particulier le remarquable livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’Inavouable. Ce qu’il est important de retenir, c’est le geste d’Antoine pour qui la complicité de la France dans le génocide des Tutsis ne fait pas de doute, comme un pan d’Histoire qu’on peut interpréter jusqu’à plus soif, mais dont les faits sont indéniables. De la même manière qu’il y a eu un appui au régime d’Habyarimana pendant toutes les années Mitterrand, y compris avant et juste après le déclenchement du génocide, il y a bien eu des soldats français, peut-être fourvoyés, en compagnie des interahamwe sur la colline de Bisesero, où des dizaines de milliers de Tutsis ont été sauvagement assassinés. Ce n’est pas le genre de chose qui s’oublie facilement au pays des mille collines. C’est une marque indélébile entre les deux États.

Les relations entre la France et le Rwanda ne sont plus autant à couteaux tirés qu’elles ont pu l’être dans les années 2000, quand le président rwandais Paul Kagamé avait pris ombrage des conclusions de l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière sur l’assassinat d’Habyarimana, et avait rompu les relations diplomatiques. Les choses se sont arrangées depuis, notamment après qu’un autre juge d’instruction a repris le dossier avec le souci de la justice et non plus celui de la raison d’État mais, comme le dit poliment Jacques Kabale, l’ambassadeur du Rwanda à Paris, « les relations sont bonnes, mais elles pourraient être meilleures ».

Panneau introductif au musée du Génocide de Kigali, montrant cette photo de François Mitterrand et Juvénal Habyarimana en 1982Panneau introductif au musée du Génocide de Kigali, montrant cette photo de François Mitterrand et Juvénal Habyarimana en 1982 © Thomas Cantaloube

Nicolas Sarkozy, dans une des rares notes positives de son quinquennat, s’est rendu à Kigali en 2010, reconnaissant de « graves erreurs d’appréciation et une forme d’aveuglement », mais il n’a pas présenté d’excuses au nom de la France. En retour, Paul Kagamé est venu à Paris un an plus tard en renonçant désormais à exiger des excuses : « Je ne peux forcer personne. Je ne peux supplier personne. Je n'ai pas à éduquer quiconque sur quoi que ce soit, chacun a sa façon de gérer les choses face à sa propre conscience. » Des gestes d’apaisement mesurés : il n’y aura pas de grandes embrassades entre les deux pays de sitôt. Les relations demeurent tendues, en tout cas du point de vue rwandais.

« Nous restons les "meilleurs ennemis" de Kigali », soupire un diplomate français qui connaît bien le Rwanda. « La question de la responsabilité française dans le génocide est un instrument politique dont se sert le gouvernement de Kagamé. Quand il y a une difficulté, la question franco-rwandaise revient toujours sur le tapis. Il est d’ailleurs assez significatif de voir que ce discours sur la responsabilité de Paris, on l’entend très peu parmi les Rwandais de base, mais de plus en plus au fur et à mesure que l’on gravit la hiérarchie politique. »

S’il est évident que le régime de Kagamé instrumentalise la responsabilité française quand cela le sert, certains dérapages hexagonaux ne contribuent pas à apaiser les choses. La diffusion fin décembre 2013 d’un sketch répugnant sur Canal Plus qui traitait le génocide rwandais à la légère (on y entendait notamment une comptine sur l’air d’Au clair de la lune, qui disait « Maman est en haut coupée en morceaux, papa est en bas il lui manque un bras ») a été reçue de plein fouet au Rwanda, où tous ceux qui en avaient entendu parler estimaient qu’il s’agissait de la démonstration, une nouvelle fois, de l’insouciance de la France à l’égard de ce « crime des crimes ». La réprimande du CSA a un peu apaisé les choses, signalant qu’il s’agissait d’une dérive individuelle, et en aucun cas de la manifestation d’un point de vue général en France. Mais il n’empêche, ce genre d’incident laisse des traces.

Le procès de Pascal Simbikangwa au mois de février à Paris a signifié la volonté de la France de juger – enfin – les accusés de génocide réfugiés dans l’Hexagone, une mesure que la Belgique ou les pays scandinaves ont déjà entreprise depuis des années. « Il est important de donner ce genre de signe », approuve Jacques Kabale. « Il montre que l’époque de l’instrumentalisation de la justice, avec le juge Bruguière, est terminée. Jusqu’ici, la France était isolée par rapport aux autres pays européens qui avaient jugé ou extradé les génocidaires. » Le travail judiciaire du pôle Génocide et crimes contre l’humanité, créé sous Sarkozy, est également salué. L’essentiel des dossiers qui y sont actuellement instruits concernent le Rwanda (26 inculpations), et François Hollande s’est, en privé, engagé à lui accorder les moyens nécessaires. Les magistrats, accompagnés de policiers, se rendent régulièrement au Rwanda pour recueillir des témoignages et enquêter.

Le guide du mémorial de Bisesero tend une photo montrant des soldats français en juin 1994. Le guide du mémorial de Bisesero tend une photo montrant des soldats français en juin 1994. © Thomas Cantaloube

« La vérité est que notre relation est très émotionnelle et très difficile et que, sur le fond, nous sommes très éloignés », remarque le diplomate français. « Nos relations commerciales sont symboliques (16 millions d’euros d’exportations de la France vers le Rwanda, 3 millions d’importations), et le pays est en marge de notre écran radar. » La décision de Paul Kagamé, en 2008, d’abandonner le français pour basculer à l’anglais comme langue officielle enseignée dans les écoles avait été prise comme un geste de représailles, à l’époque où Paris et Kigali étaient en froid. Mais en réalité, il s’agissait d’un changement logique. À la fois en raison du projet de développement de Kagamé reposant sur l’informatique, mais aussi parce que l’appartenance du Rwanda à la sphère francophone a toujours été une aberration.

C’est cette aberration qui a égaré François Mitterrand et l’a fait soutenir jusqu’au bout, et au-delà, le régime d’Habyarimana. Le Rwanda était perçu par la France, en particulier par le président socialiste, comme un « tampon » francophone destiné à protéger le flanc oriental du géant zaïrois. De plus, à partir du moment où le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, essentiellement constitué d’exilés rwandais en Ouganda, donc d’anglophones, a commencé à tailler des croupières au président Habyarimana, Mitterrand, qui n’est jamais parvenu à sortir de sa vision des blocs de puissance héritée de la guerre froide, y a vu une attaque de la sphère anglo-saxonne. Cette lecture simpliste de la part de l’ancien ministre des colonies de la IVe République, renforcée par l’affairisme de son fils Jean-Christophe, très ami avec la famille Habyarimana, et d’un entourage politique encore en mode Françafrique, aboutira à ce soutien criminel.

Aujourd’hui, vingt ans après le génocide, le Rwanda est évidemment plus proche des États-Unis et de la Grande-Bretagne (le pays est même devenu membre du Commonwealth en 2009) que de la France, mais c’est surtout l’intégration régionale avec les autres pays anglophones qu’il a poursuivie : Tanzanie, Kenya, Ouganda. Une proximité évidente, géographique et géopolitique, que la France n’avait pas voulu voir et qui l’a conduite à se ranger du mauvais côté de l’Histoire. Une faute criminelle qui entravera pour longtemps encore les relations entre Paris et les mille collines.

De notre envoyé spécial au Rwanda.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Poursuivie par Valls pour avoir dénoncé l'impunité des policiers

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À la suite d'une plainte de l’ex-ministre de l’intérieur Manuel Valls, Amal Bentounsi, 38 ans, sera jugée lundi 7 avril 2014 au tribunal correctionnel de Paris pour « diffamation publique envers une administration ». Son tort ? Avoir posté sur son site Urgence-notre-police-assassine.fr un clip vidéo dénonçant l’impunité des forces de l’ordre auteurs de bavures.

Le frère d’Amal Bentounsi, Amine (qui avait fait franciser son prénom en Jean-Pierre), a été tué d’une balle dans le dos par un gardien de la paix de 33 ans, le 21 avril 2012, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). L'enquête sur les circonstances de sa mort est toujours en cours. Amine Bentounsi était armé. Le policier, qui a tiré à quatre reprises, crie à la légitime défense, une version remise en cause par plusieurs témoignages et l'autopsie.

Père d’une petite fille de six ans, le jeune homme, multirécidiviste, avait 29 ans et était en cavale depuis juin 2010 (lire son portrait dans Libération). Il lui restait 18 mois à purger d’une condamnation pour le braquage à main armée d’un supermarché avec séquestration des employés. « C’était sa troisième permission, je l’ai raccompagné à la gare du Nord le 26 juin 2010 pour qu’il retourne à la maison d’arrêt de Châteaudun (Eure-et-Loir), et puis je ne l’ai plus jamais revu, raconte sa sœur. Il s’était mis au vert et avait refait sa vie à Noisy-le-Sec. »

Le 25 avril 2012, le juge d’instruction de Bobigny chargé du dossier met le policier tireur en examen pour « homicide volontaire ». Colère des policiers qui défilent en uniforme sur les Champs-Élysées, gyrophares allumés et sirènes hurlantes. En toute illégalité, mais sans aucune réaction du ministre de l’intérieur Claude Guéant, qui déclare au contraire espérer « de tout cœur que le parquet voudra bien faire appel de cette qualification ». Comme promis par Claude Guéant dans l’entre-deux-tours, le gardien de la paix continue de percevoir son traitement et a simplement été muté à des tâches administratives dans sa région d’origine, l’Isère, le temps de l’instruction. L’affaire s’invite dans la campagne présidentielle. Le lendemain, Nicolas Sarkozy embraie et réclame une « présomption de légitime défense » pour les forces de l'ordre, reprenant une vieille antienne du Front national.

« Comment est-ce possible que des policiers manifestent contre une décision de justice prise par un juge indépendant, au vu des éléments dont lui seul dispose ?, s’interroge encore aujourd’hui Amal Bentounsi. Comment un ministre de l’intérieur peut-il dire qu’il comprend ces policiers ? Où est la justice impartiale quand le politique s’en mêle ? »

Rassemblement de policiers le 25 avril 2012 à Bobigny.Rassemblement de policiers le 25 avril 2012 à Bobigny. © LF

Quelques heures après sa prise de fonction place Beauvau le 17 mai 2012, la première sortie du nouveau ministre, Manuel Valls, est pour le commissariat de Noisy-le-Sec où travaillait le policier mis en examen. « Il n’a pas eu un mot pour la famille de la victime, dit Amal Bentounsi. J’y étais, je voulais lui parler, la sécurité a fait barrage, ils ont pris mon numéro de téléphone en me promettant que le cabinet de Valls me rappellerait. Depuis, pas de nouvelles. »

Si ce n’est, donc, cette plainte pour « diffamation publique envers une administration » déposée par le ministre de l’intérieur le 21 janvier 2013. « C’est le deuxième bras d’honneur que m’a fait Manuel Valls », dit-elle. En novembre 2012, elle avait réalisé un clip vidéo parodiant les campagnes de recrutement de la police nationale en y mêlant des images de violence policière.

Dans cette vidéo, qui a depuis été remplacée par un clip « plus professionnel », elle affirmait notamment : « Vous voulez commettre des violences et crimes en toute impunité sans jamais être inquiété par la police ? Vous êtes violent, insultant, ne respectez pas le code de déontologie ? (…) Prêt à tuer sans être en état de légitime défense ? En argent de poche en fin du mois coller des outrages à agents (…)? Ne vous inquiétez pas, même si vous êtes coupable, on s’arrangera pour que vous ne le soyez plus. Alors n’attendez plus, la police est le meilleur des métiers pour être au-dessus des lois. » Le site évoquait également « l'omerta de la part du ministère de l'intérieur et de la justice qui visent à protéger ces policiers ». C’est notamment pour ces propos qu’elle est poursuivie. Son avocat, qui fut aussi celui de son frère, Me Michel Konitz, ne comprend pas non plus : « Je trouve insensé que le ministre de l’intérieur ait déposé plainte. À ce compte, pourquoi ne pas aussi poursuivre Nicolas Sarkozy pour ses propos comparant la justice française à la Stasi ? »

En 2002, le ministre de l'intérieur, un certain Nicolas Sarkozy, avait déposé plainte pour « diffamation, atteinte à l’honneur et à la considération de la police nationale » contre Hamé, rappeur du groupe La Rumeur, pour des propos similaires dans un article publié dans un fanzine. Après huit ans de procédure, la Cour de cassation avait fini le 25 juin 2010 par donner raison au rappeur estimant que « les écrits incriminés n'imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire » et n'étaient donc pas diffamatoires même s'ils « revêtaient un caractère injurieux ».

Amal Bentounsi dit avoir réalisé ce clip sur une « impulsion » un soir. « Je venais d’avoir le dossier d’instruction, je suis tombée sur les photos d’autopsie de mon frère, cela m’a traumatisée », explique-t-elle. Depuis, la jeune mère de famille ne vit que pour ça : réhabiliter son frère, présenté à l’époque comme un dangereux braqueur en fuite. 

« C'est assez récurrent que les victimes de violences policières soient transformées en coupables, comme si on les rendait responsables de leur mort », dit-elle. Amal Bentounsi a déménagé de Meaux, la ville où elle et ses cinq frères et sœurs ont grandi et où elle tenait une sandwicherie en centre-ville. « Ça marchait très bien, je voulais créer une franchise, mais je ne supportais plus les policiers qui passaient avec un sourire narquois », explique-t-elle.

Cette ex-commerçante espère faire de ce procès en diffamation une tribune pour les autres familles de victimes de violences policières qu’elle a rencontrées. Elle a notamment sympathisé avec Farid El Yamni, qui se bat depuis deux ans pour connaître la vérité sur la mort de son frère Wissam, tombé dans le coma après avoir été interpellé la nuit de la Saint-Sylvestre de 2012. « Mais la plupart des familles ont peur et ne savent pas comment faire face à la justice, dit Amal Bentounsi. La France a l'une des polices qui ont été le plus condamnées par les instances européennes (sept condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme depuis 1992, ndlr) et notre gouvernement demeure sourd et aveugle. »

Alors elle a fait le choix assumé de la provocation, en interpellant par exemple Manuel Valls, mégaphone à la main, lors du congrès annuel de l’Union syndicale des magistrats en octobre 2012 à Colmar. « Ça a créé un peu de confusion, car je m'étais trompée de place, j’étais sur les bancs des magistrats, juste à côté des syndicats de flics, se souvient-elle. Je voudrais vraiment qu’on me réponde : la justice française peut-elle faire son travail concernant la police ou est-ce une utopie dans laquelle on entretient les familles ? » Amal Bentounsi attend toujours la réponse…

BOITE NOIREJ'ai rencontré Amal Bentounsi le 3 avril, au lendemain de sa conférence de presse. Une marche de « commémoration nationale des victimes de la police » doit partir samedi 5 avril à 15 heures du métro Anvers à Paris. « Nous voulions aller du ministère de l'intérieur à celui de la justice, dit Amal Bentounsi. Mais le trajet a été refusé par la préfecture de police de Paris. »

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Après la vente de SFR à Numéricable, la guerre des télécoms a commencé

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Jusqu’au bout Martin Bouygues y a cru. En relevant une dernière fois son offre vendredi midi pour la porter à 15 milliards d’euros en numéraire, il pensait bien emporter les dernières résistances du conseil de surveillance de Vivendi. Celui-ci souhaitait du cash, comme il disait, pour la vente de SFR ; Martin Bouygues était prêt à lui en donner, beaucoup même. Le report de la décision samedi avait encore suscité un dernier espoir dans chez les alliés de Martin Bouygues. Samedi matin, sur France Inter, Jean-Pierre Jouyet, le directeur de la Caisse des dépôts, essayait encore de peser pour la solution Bouygues, à laquelle il apportait tout son soutien financier.

La coalition des grands patrons de la place — Pinault, Decaux et autres — , le poids du gouvernement, l’aide des banques qui s’étaient tous ralliés à la solution Bouygues, n’auront pas suffi à inverser la décision du conseil de Vivendi. A l’unanimité, précise le communiqué du groupe, les administrateurs ont choisi de s’en tenir à leur premier choix et de valider la proposition de Numéricable.

Pour l’emporter, celui-ci a dû relever son offre et trouver de nouveaux financements, la reprise de SFR étant essentiellement financée par de la dette dans un cas comme dans

© Reuters
l’autre. Deutsche bank et Goldman Sachs, qui figurent parmi les chefs de file du pool bancaire de l’offre de Numéricable — et qui sont par ailleurs banques conseils de Vivendi sans que cela semble soulever un problème de conflits d’intérêts — ont accepté de l’aider à dégager les moyens nécessaires. « Tout cela était des manœuvres pour déstabiliser Patrick Drahi [le patron de Numéricable -ndlr]. Il a prouvé qu’il était capable de s’aligner », explique une porte-parole du groupe

De 11,5 milliards d’euros en numéraire, l’offre de rachat de SFR a été portée à 13,5 milliards. Une compensation éventuelle de 750 millions d’euros est prévue, sous réserve de la bonne réalisation de l’opération et des synergies dégagées. En contrepartie d’une partie supérieure en cash , la participation de Vivendi dans le nouvel ensemble est appelée à baisser, tombant de 32% à 20%.

L’ensemble de l’offre est valorisé à 17 milliards d’euros. « Il y avait une volonté de Vivendi de rester actionnaire de l’ensemble afin de bénéficier de l’upgrade ( hausse du cours) à venir », explique la porte-parole de Numéricable. Dans un échange précédent, celle-ci expliquait que « les administrateurs de Vivendi entendaient attendre afin de tirer une meilleure partie de l’inévitable consolidation à venir , Bouygues telecom ne pouvant à terme qu’être éliminé ». On ne peut parler plus clairement.

Les moyens mobilisés par Martin Bouygues ces dernières semaines, l’alliance surprenante qu’il avait acceptée de passer avec Xavier Niel, le patron de Free, jusqu’alors son pire ennemi, prouvent effectivement que le groupe est dos au mur. Depuis l’arrivée de Free sur le marché du téléphone mobile, grâce à l’obtention d’une quatrième licence, Bouyges Telecom perd de l’argent. Les ressources du groupe sont largement sollicitées pour aider la filiale de téléphone mobile à continuer la bataille. De plus, les accords de mutualisation des réseaux que la filiale de Bouygues avait passé avec SFR risquent de tomber à l’eau, comme son accord avec Numéricable dans le câble. Toute la stratégie de Bouygues pour faire face à la guerre des prix sur le marché du mobile se retrouve en échec.

Le rachat de SFR par Numéricable va durcir la situation. Numéro deux dans le câble, Nuémricable va se retrouver avec le deuxième réseau de téléphonie mobile. Selon les calculs, il sera d’une taille presque équivalente à celle d’Orange. Bouygues Telecom, lui, va se retrouver bon dernier, sans réseau fixe. Dès lors, les spéculations sur un rapprochement entre Free (qui n’a pas de réseau mobile suffisant) et Bouygues Telecom vont repartir de plus belle. Un scénario qu’avait dessiné Xavier Niel quand il avait débarqué sur le marché du mobile avec des offres à 2 et 20 euros.

La consolidation du marché des télécoms que tous les intervenants et le gouvernement appellent de leurs vœux, pour mettre un terme à une guerre des prix destructrice et qui mine tous les investissements futurs, aura nécessairement lieu. Mais de nombreux épisodes risquent d’intervenir avant de voir comment elle va se concrétiser.

Pour l’instant, chaque acteur paraît décidé à se battre fermement. Orange, Free et Bouygues paraissent décidés à faire payer chèrement à Numéricable son audace. Le gouvernement, de son côté, qui a mis tout son poids dans la balance pour peser en faveur de l’initiative de Bouygues, pourrait ne pas oublier l’affront qu’il lui a été fait. Même si le conseil de Vivendi assure que les risques sont très limités  — sur le papier, compte tenu du peu de zones de contacts entre les deux sociétés, la fusion entre Numéricable et SFR devrait poser peu de problèmes en terme d’emploi, de concurrence , selon le groupe —,  des obstacles imprévus pourraient se lever. 

Avant même la conclusion de l’opération, les syndicats de SFR se sont inquiétés du montage en vue. Le nouvel ensemble va hériter d’une montagne de dettes : 11 milliards d’euros. Ils redoutent que l’entreprise et les salariés ne fassent les frais de cette opération et ne soient amenés à payer pour les banquiers. D’autant qu’Altice, la maison mère de Numéricable, a déjà un bilan assez fragile : 1 milliard d’euros à peine de fonds propres pour 8,8 milliards de dettes.

« Ce ne sont que des chiffres comptables qui ne veulent rien dire pour une société toute jeune. La vraie valeur des fonds propres d’Altice,c’est sa capitalisation boursière :14 milliards d’euros.   Parler d’un montage de LBO est un mauvais procès. Les 11 milliards d’euros correspondent à 3,5 fois l’Ebida de SFR . France Telecom ou Bouygues Telecom ont des ratios beaucoup élevés. De plus, le financement est totalement assuré jusqu’en 2022 et à un coût moindre que celui de SFR par Vivendi », proteste un conseiller proche de Numéricable.

Pour rassurer les salariés, Patrick Drahi s’est engagé à maintenir l’emploi et à ne procéder à aucun plan social pendant trente-six mois. Malgré cela, les syndicats se disent vigilants. L’épisode de la reprise de Noos par Numericable qui avait donné lieu à des plans sociaux sanglants a laissé de très mauvais souvenirs dans le secteur. De plus, la guerre des prix qui va se poursuivre au moins à court terme est un handicap pour une société endettée.

Les relations avec le gouvernement, qui avait pris fait et cause pour Bouygues au nom de l’emploi et de la nécessaire consolidation, s’annoncent aussi tendues. Sans attendre, l’administration a déjà commencé à regarder de plus près la situation de Numéricable et son principal actionnaire. Selon l’Expansion, le fisc a notifié un redressement fiscal de 36,3 millions d’euros au cablo-opérateur. Outre des problèmes de TVA, le fisc conteste « la déductibilité de la charge de certaines prestations de services d’actionnaires réalisées chez Completel, filiale de Numéricable en 2009, 2010 et 2011 ». BFM précise que la société versait à ses actionnaires — le fonds Cinven, le fonds Carlyle et Altice, la société mère —  des commissions en rémunération de différentes prestations de conseil en gestion.

A la suite de l'annonce de la vente de SFR, le ministre Arnaud Montebourg a déclaré qu'il «serait extrêmement vigilant» sur les engagements pris par Nuémricable, tant sur l'emploi que l'investissement. Il s’était déjà indigné du statut d’exilé fiscal de Patrick Drahi : ce dernier réside en Suisse et ses sociétés sont inscrites au Luxembourg, dépendant d’un trust logé à Guernesey, le groupe étant coté aux Pays-Bas. Le ministre (à l'époque du redressement productif) l’a incité à revenir en France. On doute du résultat. Cela pourrait-il faire obstacle à l’agrément des autorités publiques à la reprise de SFR ?

Même si certains agitent le fait que les fréquences relèvent aussi de la sécurité nationale et donnent donc un droit d’agrément au gouvernement, dans les faits, celui-ci, une fois qu’il a concédé les fréquences, paraît n’avoir plus aucun droit sur ce qu’il advient pas la suite. Ainsi va la dérégulation : une fois la valeur acquise grâce à la signature de l’Etat, nos vaillants capitalistes n’ont plus de compte à rendre.

Par contre, les concurrents de Numéricable paraissent bien décidés à se faire entendre auprès des autorités de la concurrence pour obtenir remède et compensation. Avant même que le choix de Vivendi soit arrêté, Stéphane Richard, le patron d’Orange, a sorti l’artillerie lourde. « Alors que la base clients du nouvel ensemble sera sensiblement équivalente à la nôtre dans le haut débit, il ne semble pas normal d’avoir un câble qui ne serait soumis à aucune régulation tandis que le cuivre et la fibre sont totalement régulés. Nous poserons donc la question de l’accès régulé à la boucle locale du câble au régulateur. C’est un sujet d’actualité partout en Europe et la Belgique a d’ores et déjà décidé la régulation du câble à l’instar du cuivre. (…)Nous veillerons à ce que l’on remette à plat les paramètres concurrentiels du câble et du très haut débit afin qu’avec la naissance de ce nouvel opérateur nous obtenions des conditions équitables. », a-t-il expliqué dans un entretien aux Echos.

De son côté, Bouygues entend se battre avec tous les arguments pour faire payer l’offense. Il a d’ores et déjà l’intention de demander  au régulateur un accès au câble et au réseau fixe, puisqu’il n’a rien dans ce domaine, à la différence de ses concurrents. Le précédent de Free, qui a bénéficié d’un contrat d’itinérance avec Orange, risque de beaucoup l’inspirer. Enfin, les problèmes de télévision payante, de contenus vont être soulevés par tous. Vivendi, avec Canal Plus, pourrait être pris aussi dans le grand déballage qui s’annonce.

Bref, la guerre a commencé. Et elle s’annonce meurtrière. 

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Avec la vente de SFR à Numericable, la guerre des télécoms a commencé

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Jusqu’au bout Martin Bouygues y a cru. En relevant une dernière fois son offre vendredi midi pour la porter à 15 milliards d’euros en numéraire, il pensait bien emporter les dernières résistances du conseil de surveillance de Vivendi. Celui-ci souhaitait du cash, comme il disait, pour la vente de SFR ; Martin Bouygues était prêt à lui en donner, beaucoup même. Le report de la décision samedi avait encore suscité un dernier espoir chez les alliés de Martin Bouygues. Samedi matin, sur France Inter, Jean-Pierre Jouyet, le directeur de la Caisse des dépôts, essayait encore de peser pour la solution Bouygues, à laquelle il apportait tout son soutien financier.

La coalition des grands patrons de la place – Pinault, Decaux et autres –, le poids du gouvernement, l’aide des banques qui s’étaient toutes ralliées à la solution Bouygues, n’auront pas suffi à inverser la décision du conseil de Vivendi. À l’unanimité, précise le communiqué du groupe, les administrateurs ont choisi de s’en tenir à leur premier choix et de valider la proposition de Numericable.

© Reuters

Pour l’emporter, celui-ci a dû relever son offre et trouver de nouveaux financements, la reprise de SFR étant essentiellement financée par de la dette dans un cas comme dans l’autre. Deutsche Bank et Goldman Sachs, qui figurent parmi les chefs de file du pool bancaire de l’offre de Numericable – et qui sont par ailleurs banques conseils de Vivendi sans que cela semble soulever un problème de conflit d’intérêts – ont accepté de l’aider à dégager les moyens nécessaires. « Tout cela était des manœuvres pour déstabiliser Patrick Drahi [le patron de Numericable – ndlr]. Il a prouvé qu’il était capable de s’aligner », explique une porte-parole du groupe.

De 11,5 milliards d’euros en numéraire, l’offre de rachat de SFR a été portée à 13,5 milliards. Une compensation éventuelle de 750 millions d’euros est prévue, sous réserve de la bonne réalisation de l’opération et des synergies dégagées. En contrepartie d’une partie supérieure en cash, la participation de Vivendi dans le nouvel ensemble est appelée à baisser, tombant de 32 % à 20 %.

L’ensemble de l’offre est valorisé à 17 milliards d’euros. « Il y avait une volonté de Vivendi de rester actionnaire de l’ensemble afin de bénéficier de l’upgrade (hausse du cours) à venir », explique la porte-parole de Numericable. Dans un échange précédent, celle-ci expliquait que « les administrateurs de Vivendi entendaient attendre afin de tirer une meilleure partie de l’inévitable consolidation à venir, Bouygues Telecom ne pouvant à terme qu’être éliminé ». On ne peut parler plus clairement.

Les moyens mobilisés par Martin Bouygues ces dernières semaines, l’alliance surprenante qu’il avait acceptée de passer avec Xavier Niel, le patron de Free, jusqu’alors son pire ennemi, prouvent effectivement que le groupe est dos au mur. Depuis l’arrivée de Free sur le marché du téléphone mobile, grâce à l’obtention d’une quatrième licence, Bouyges Telecom perd de l’argent. Les ressources du groupe sont largement sollicitées pour aider la filiale de téléphone mobile à continuer la bataille. De plus, les accords de mutualisation des réseaux que la filiale de Bouygues avait passés avec SFR risquent de tomber à l’eau, comme son accord avec Numericable dans le câble. Toute la stratégie de Bouygues pour faire face à la guerre des prix sur le marché du mobile se retrouve en échec.

Le rachat de SFR par Numericable va durcir la situation. Numéro deux dans le câble, Numericable va se retrouver avec le deuxième réseau de téléphonie mobile. Selon les calculs, il sera d’une taille presque équivalente à celle d’Orange. Bouygues Telecom, lui, va se retrouver bon dernier, sans réseau fixe. Dès lors, les spéculations sur un rapprochement entre Free (qui n’a pas de réseau mobile suffisant) et Bouygues Telecom vont repartir de plus belle. Un scénario qu’avait dessiné Xavier Niel quand il avait débarqué sur le marché du mobile avec des offres à 2 et 20 euros.

La consolidation du marché des télécoms, que tous les intervenants et le gouvernement appellent de leurs vœux pour mettre un terme à une guerre des prix destructrice et qui mine tous les investissements futurs, aura nécessairement lieu. Mais de nombreux épisodes risquent d'être traversés avant de voir comment elle va se concrétiser.

Pour l’instant, chaque acteur paraît décidé à se battre fermement. Orange, Free et Bouygues semblent vouloir faire payer chèrement à Numericable son audace. Le gouvernement, de son côté, qui a mis tout son poids dans la balance pour peser en faveur de l’initiative de Bouygues, pourrait ne pas oublier l’affront qui lui a été fait. Même si le conseil de Vivendi assure que les risques sont très limités – sur le papier, compte tenu du peu de zones de contact entre les deux sociétés, la fusion entre Numericable et SFR devrait poser peu de problèmes en termes d’emploi et de concurrence, selon le groupe –, des obstacles imprévus pourraient se lever. 

Avant même la conclusion de l’opération, les syndicats de SFR se sont inquiétés du montage en vue. Le nouvel ensemble va hériter d’une montagne de dettes : 11 milliards d’euros. Ils redoutent que l’entreprise et les salariés ne fassent les frais de cette opération et ne soient amenés à payer pour les banquiers. D’autant qu’Altice, la maison mère de Numericable, a déjà un bilan assez fragile : 1 milliard d’euros à peine de fonds propres pour 8,8 milliards de dettes.

« Ce ne sont que des chiffres comptables qui ne veulent rien dire pour une société toute jeune. La vraie valeur des fonds propres d’Altice, c’est sa capitalisation boursière : 14 milliards d’euros. Parler d’un montage de LBO est un mauvais procès. Les 11 milliards d’euros correspondent à 3,5 fois l’Ebida de SFR. France Telecom ou Bouygues Telecom ont des ratios beaucoup élevés. De plus, le financement est totalement assuré jusqu’en 2022 et à un coût moindre que celui de SFR par Vivendi », proteste un conseiller proche de Numericable.

Pour rassurer les salariés, Patrick Drahi s’est engagé à maintenir l’emploi et à ne procéder à aucun plan social pendant trente-six mois. Malgré cela, les syndicats se disent vigilants. L’épisode de la reprise de Noos par Numericable, qui avait donné lieu à des plans sociaux sanglants, a laissé de très mauvais souvenirs dans le secteur. De plus, la guerre des prix qui va se poursuivre au moins à court terme est un handicap pour une société endettée.

Les relations avec le gouvernement, qui avait pris fait et cause pour Bouygues au nom de l’emploi et de la nécessaire consolidation, s’annoncent aussi tendues. Sans attendre, l’administration a déjà commencé à regarder de plus près la situation de Numericable et son principal actionnaire. Selon l’Expansion, le fisc a notifié un redressement fiscal de 36,3 millions d’euros au câblo-opérateur. Outre des problèmes de TVA, le fisc conteste « la déductibilité de la charge de certaines prestations de services d’actionnaires réalisées chez Completel, filiale de Numericable en 2009, 2010 et 2011 ». BFM précise que la société versait à ses actionnaires – le fonds Cinven, le fonds Carlyle et Altice, la société mère – des commissions en rémunération de différentes prestations de conseil en gestion.

Après l'annonce de la vente de SFR, le ministre Arnaud Montebourg a déclaré qu'il « serait extrêmement vigilant » sur les engagements pris par Numericable, tant sur l'emploi que l'investissement. Il s’était déjà indigné du statut d’exilé fiscal de Patrick Drahi : ce dernier réside en Suisse et ses sociétés sont inscrites au Luxembourg, dépendant d’un trust logé à Guernesey, le groupe étant coté aux Pays-Bas. Le ministre (à l'époque du redressement productif) l’a incité à revenir en France. On doute du résultat. Cela pourrait-il faire obstacle à l’agrément des autorités publiques à la reprise de SFR ?

Même si certains agitent le fait que les fréquences relèvent aussi de la sécurité nationale et donnent donc un droit d’agrément au gouvernement, dans les faits, celui-ci, une fois qu’il a concédé les fréquences, paraît n’avoir plus aucun droit sur ce qu’il advient par la suite. Ainsi va la dérégulation : une fois la valeur acquise grâce à la signature de l’État, nos vaillants capitalistes n’ont plus de comptes à rendre.

En revanche, les concurrents de Numericable paraissent bien décidés à se faire entendre auprès des autorités de la concurrence pour obtenir remède et compensation. Avant même que le choix de Vivendi soit arrêté, Stéphane Richard, le patron d’Orange, a sorti l’artillerie lourde. « Alors que la base clients du nouvel ensemble sera sensiblement équivalente à la nôtre dans le haut débit, il ne semble pas normal d’avoir un câble qui ne serait soumis à aucune régulation tandis que le cuivre et la fibre sont totalement régulés. Nous poserons donc la question de l’accès régulé à la boucle locale du câble au régulateur. C’est un sujet d’actualité partout en Europe et la Belgique a d’ores et déjà décidé la régulation du câble à l’instar du cuivre. (…) Nous veillerons à ce que l’on remette à plat les paramètres concurrentiels du câble et du très haut débit afin qu’avec la naissance de ce nouvel opérateur nous obtenions des conditions équitables », a-t-il expliqué dans un entretien aux Échos.

De son côté, Bouygues entend se battre avec tous les arguments pour faire payer l’offense. Il a d’ores et déjà l’intention de demander  au régulateur un accès au câble et au réseau fixe, puisqu’il n’a rien dans ce domaine, à la différence de ses concurrents. Le précédent de Free, qui a bénéficié d’un contrat d’itinérance avec Orange, risque de beaucoup l’inspirer. Enfin, les problèmes de télévision payante, de contenus vont être soulevés par tous. Vivendi, avec Canal Plus, pourrait aussi être pris dans le grand déballage qui s’annonce.

Bref, la guerre a commencé. Et elle s’annonce meurtrière. 

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Florence Weber : « Les non-dits de l'aide à domicile »

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L'aide à domicile est un secteur en pleine croissance (selon des chiffres de l'OCDE, le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus sera multiplié par quatre entre 2000 et 2050, passant de 1,2 million de personnes à 4,8 millions). Pourtant il manque constamment de main-d'œuvre. Et pour cause : les salaires sont très bas (souvent juste au Smic horaire), les emplois sont massivement à temps partiel, et les salariés doivent jongler avec des plannings morcelés. Quelque chose d'assez proche des salariés de la grande distribution, mais sans le collectif inhérent à une entreprise, et avec la responsabilité solitaire d'une personne fragile. Pourquoi cet état de fait ?

L'ouvrage Le Salaire de la confiance, l'aide à domicile aujourd'hui, codirigé par Florence Weber, permet de comprendre comment l’État et les pouvoirs publics considèrent les personnes âgées, et ceux et celles à qui ils en confient la charge. L'intérêt de l'ouvrage est de s'intéresser, outre au travail des employés, aux multiples tensions qui régissent ce secteur : comment sortir du modèle domestique et associatif pour promouvoir des sociétés privées ? Comment les multiples acteurs économiques (associations, entreprises, familles, conseils généraux, assurance maladie...) interagissent-ils entre eux ? Quels ont été les effets des différentes aides : allocation personnalisée d'autonomie ; allocation sociale à l'hébergement ; prestation spécifique dépendance ; crédit d'impôt pour emploi à domicile, etc. ?

Alors que l'on entend toujours dire qu'il faut maintenir les personnes âgées le plus longtemps possible à domicile, « il n'y a pas de dynamique politique » pour organiser et développer le secteur de l'aide à domicile, constate Florence Weber. Ce livre le démontre parfaitement. 

  • Le Salaire de la confiance, l'aide à domicile aujourd'hui, sous la direction de Florence Weber, Loïc Trabut et Solène Billaud, éd. Rue d'Ulm. 365 pages, 24 euros.

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Le pari presque gagné de Cécile Duflot

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Face au Clemenceau de Valls, elle a choisi de citer Gambetta. Au moment d’entamer son discours devant le conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Cécile Duflot a eu du mal à maîtriser l’émotion qui faisait chevroter sa voix. « Ma conscience me fait un devoir de résigner mes fonctions de membre du gouvernement avec lequel je ne suis plus en communion d'idées ni d'espérance », a-t-elle introduit, en référence à la démission de Gambetta lors de la guerre de 1871. Face à une salle pleine à craquer, la ministre du logement démissionnaire a, samedi 5 avril, convaincu le parlement du parti écologiste, emportant largement l’applaudimètre à l’issue d’une intervention tranchante et détaillée sur les raisons de sa décision, « mûrie, lourde et douloureuse ».

Ce discours d’une vingtaine de minutes (lire ici), écrit « en une heure et d’un jet » ce samedi au petit matin, a été peu remanié par les plumes de l’ex-ministre. Sa rupture avec le nouvel exécutif, Duflot l’a expliquée par son engagement post 21-avril. À ses yeux, l’« espoir patiemment reconstruit » depuis a été en partie « dilapidé », « enterré sous les cendres de la déception et des promesses non tenues ». « Quelque chose se désagrège sous nos yeux, sans que beaucoup ne soient capables d’en prendre la mesure réelle », lâche-t-elle devant un auditoire conquis, l’applaudissant à plusieurs reprises.

Continuer dans le gouvernement Valls, estime-t-elle, ce serait faire preuve de « surdité » face au message des urnes. Et ce, malgré la « solide proposition » du premier ministre, qui a tant ébranlé certains de ses camarades. Duflot, elle, a tenu à nuancer fortement les promesses de Manuel Valls, dans un document où ne figure en réalité aucune concession nouvelle, et auquel « il manque 18 pages » par rapport à l’accord législatif PS/EELV signé avec Martine Aubry en novembre 2011.

Quant au « fameux grand ministère » de l’écologie, des transports et de l’énergie, promis par Valls, elle le vide de son attrait politique en une sentence : « Disons-nous la vérité : il y a une vraie marge de manœuvre dans un ministère, mais elle n’existe réellement que si l’arbitrage se fait en votre faveur. » Aux yeux de la désormais députée, si le pacte fausto-vallsien pouvait « optiquement » être jugé digne d’intérêt, « politiquement », il n’apportait « aucune » garantie, assure-t-elle. « Puisque le président de la République a clairement indiqué que son cap ne varierait pas d’un pouce (…), j’ai payé pour savoir que, pour certains, les mots ont vocation à rester des mots. »

Refusant cette « politique où le verbe compte plus que les actes », elle conclut : « Sans changement de cap, sans davantage de fermeté face aux lobbies, sans bras de fer avec Bruxelles, sans faire le choix d’une politique de relance écologique, la transition restera un mot creux, une opération de communication destinée à être vidée de son sens comme le fut jadis le Grenelle de l’environnement. »

Cécile Duflot et Pascal CanfinCécile Duflot et Pascal Canfin © Reuters

L’autre ministre écolo (délégué au développement), Pascal Canfin, a succédé à Duflot à la tribune, en axant son intervention sur la politique d’austérité à venir. « 50 milliards de réduction des dépenses publiques, ça ne peut pas se faire sans toucher aux allocations logement, chômage, prestations sociales, a-t-il expliqué. Nous avons assisté à un certain nombre de réunions pour en être convaincus. Jamais un gouvernement de droite n’a mis un tel programme en œuvre. » En coulisse, des proches de Duflot expliquent : « Rien que pour le ministère du logement, ce sont 4,5 milliards d’économie qui sont demandés. Le scénario de la disparition de certaines aides au logement paraît inéluctable. On ne peut pas assumer de faire ça. »

L’opposition interne a toutefois été plus importante qu’imaginée en début de semaine dernière, notamment chez les grands élus. « L’agitation des parlementaires et de Dany (Cohn-Bendit) a fait bouger des lignes », admet un dirigeant. Les deux coprésidents du groupe de députés EELV ont cependant rencontré un accueil mitigé, lors de leur plaidoirie pro-participation gouvernementale.

François de Rugy a critiqué le processus de décision, regrettant que ce soit le bureau exécutif qui ait fait le choix, « à sept voix contre trois », d’un revirement stratégique aussi important. Conscient que les militants d’EELV étaient largement en faveur d’une non-participation, il a rappelé le doute plus grand qui traversait l’électorat écolo. « Il n’y a pas de parti sans militants, mais il n’y a pas non plus d’élus sans électeurs », dit-il, sous de timides applaudissements. Sa collègue Barbara Pompili, au début chahutée par le conseil fédéral, a insisté : « En étant dehors, nous prenons un risque par rapport à la loi de transition écologique. Si c’est un bon texte, les socialistes diront qu’ils n’ont pas besoin de nous. Si c’est une loi pourrie, ils diront que c’est de notre faute et à cause de notre sortie du gouvernement. »

François de RugyFrançois de Rugy © Reuters

De son côté, la secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, a soutenu son amie Duflot. Mais du bout des lèvres, elle-même partagée sur la décision de quitter le gouvernement. Dans la séquence, son rôle a été salué par tous, notamment le fait qu’elle associe un maximum de personnes à la discussion, et qu’elle tente de concilier au mieux les avis contraires. Alors, dans le même temps qu’elle assure que « un jour, les écologistes reviendront au gouvernement » (comme Duflot après elle), Cosse regrette que « le président de la République n’ait jamais cherché à construire durablement une alliance avec nous ». Et achève son discours en appelant à la responsabilité : « Le pire dans ce contexte compliqué serait de se diviser et de perdre son temps dans des débats stériles. »

Quant au vote de confiance à Manuel Valls, prévu mardi à l'Assemblée, le premier ministre a prévenu les écologistes, dans le Journal du dimanche : « S'ils restent dans la majorité en votant la confiance, ils seront associés. » Un avertissement qui n'a pas refroidi le conseil fédéral d'EELV.

Dimanche matin, à huis clos, le débat sur le sujet s'est conclu par une prise de position en faveur de l'abstention, à 102 voix pour, 10 contre et 11 blanc. « La confiance dans le gouvernement ne peut être accordée tant qu'une réorientation de la politique économique, sociale et environnementale n'aura pas été amorcée. » Dans les faits, aucun mandat impératif non plus du parti aux députés, celui-ci n'étant pas dans la tradition écolo. « La logique, c'est l'abstention, explique David Cormand, secrétaire national aux élections. Mais les parlementaires auront la marge d'appréciation utile pour en discuter », mardi, une fois le discours de Valls prononcé (le vote intervient un quart d'heure après).

 

 

Jean-Marc Ayrault, Hollande, Valls, DuflotJean-Marc Ayrault, Hollande, Valls, Duflot © Reuters

Pourtant, les “pro-participation” ne cessent d’agiter un sondage pronostiquant « 85 % de sympathisants EELV mécontents » de la sortie du gouvernement. Dans la notice de l’institut BVA (lire ici), on peut toutefois constater que ce chiffre est issu d’un sous-échantillon inconnu, lui-même issu d’un panel de 1 000 sondés. Soit, au mieux, une centaine de personnes… Cécile Duflot n’use même pas de l’argument : « Sarkozy a gouverné durant cinq ans avec des enquêtes d’opinion, et ça a mal fini. De temps en temps, les convictions doivent s’imposer sur les sondages. »

Désormais, elle dit « ne plus avoir aucun doute » sur le bien-fondé de son choix. Quand on lui demande si elle goûte de pouvoir “refaire de la politique” de façon offensive, et non plus justifier son action gouvernementale par la seule défense d’acquis écolos (comme les gaz de schiste ou Notre-Dame-des-Landes), elle lâche : « Ça fait immensément de bien. »

« La politique est un combat collectif qui passe par la sagesse du compromis et la patience de la modération, s’est-elle lyriquement exclamée à la tribune du conseil fédéral. Mais la politique provoque aussi ces moments de cristal où l’on est face à soi-même, seule, où il faut une réponse simple : oui ou non. » Devant quelques journalistes, elle explique qu’« accepter d’être numéro deux du gouvernement, c’est fermer définitivement la porte entrouverte d’une alternative, qui ne soit pas la seule révolution éco-socialiste », qui ne correspondrait pas à la « modération du pays ».

Les tentations d’alliance avec le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, bien que très minoritaires à l’intérieur d’EELV, ont été au centre des interventions des “pro-participation gouvernementale”. Façon épouvantail de circonstance, après l'adresse du PG à EELV (lire ici). Jean-Vincent Placé a même intimé au porte-parole du parti, Julien Bayou, de ne pas aller manifester le 12 avril prochain, lors de la marche anti-austérité annoncée par Attac, le Front de gauche, le NPA et plusieurs syndicats. Proche, comme Bayou, d’Eva Joly et de l’aile gauche du parti, le député Sergio Coronado annonce pourtant qu’« il y a aura un cortège écolo le 12 avril ». « Pas énorme, sourit-il. Mais ils ne le sont jamais vraiment, quelles que soient les manifs. »

 

Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010 © Reuters/Charles Platiau

 

Cécile Duflot a elle tenu à rassurer ses opposants sur le sujet. « Jean-Luc Mélenchon et ses amis, qui hier n’avaient pas de mots assez durs pour nous stigmatiser – et avaient violemment attaqué la loi Alur par exemple – semblent soudain touchés par la grâce et veulent nous embrasser comme du bon pain, a-t-elle balayé à la tribune. Mais je veux dire ici une chose bien claire : je ne crois pas à la guerre des gauches. Et l’écologie politique ne servira jamais de variable d’ajustement ou d’idiot utile dans les règlements de comptes entre les forces déclinantes du productivisme. » Pour Sergio Coronado, « Cécile a tort de réagir comme cela. Si Hollande est sorti de l’ambiguïté à ses dépens, en nommant Valls, Cécile aussi. Et elle se retrouve contestée par ses proches ». Selon le député, « son acte n’a de sens que si elle joue un rôle de leader d’alternative à gauche. Et pour cela, elle doit être rassembleuse ».

À ce stade, il semble trop tôt pour connaître les plans de Duflot en matière de « construction d’alternative ». Celle qui a dit lors de son discours de départ du ministère du logement, qu’elle souhaitait « être utile à la gauche », va d’abord prendre des vacances, avant de retrouver son siège de député de Belleville (comme Gambetta), quartier “bobo-populaire” de la capitale. Au groupe EELV, elle ne tient visiblement pas à conquérir la présidence, n’ayant guère envie de mener bataille face à ses nouveaux adversaires internes, François de Rugy et Barbara Pompili, ainsi que la majorité des autres députés.

 

 

Mais ce samedi après-midi a montré que Duflot restait incontournable à EELV et dans le paysage politique à gauche. Elle ne le dit pas en public, mais elle regrette de se retrouver seule à avoir franchi le Rubicon, alors que ses anciens « copains » Christiane Taubira et Benoît Hamon ont été l'une maintenue, l'autre promu. Interrogée sur sa proximité avec Martine Aubry, elle ne se fait pas prier pour confier qu’elle a été en contact avec la maire de Lille « avant, pendant, et après » sa démission. Elle souligne aussi qu’avec Marie-George Buffet, elles avaient réalisé l’union de la gauche lors des régionales de mars 2010. Et elle note qu’aucune des trois n’est aujourd’hui satisfaite de l’orientation de François Hollande…

Désormais, pour achever de valider la réussite de son pari démissionnaire, Cécile Duflot espère un bon score des écologistes aux prochaines européennes, façon de valider dans les urnes son choix stratégique. Si tel était le cas, elle entend bien faire prospérer son « utilité » à gauche. Avec ou sans les parlementaires, davantage désireux de gouverner avec Manuel Valls.

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France-Rwanda: les meilleurs ennemis et une impossible relation

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À Kigali, au musée du Génocide, la photo est difficile à manquer car elle figure dans les premiers panneaux explicatifs consacrés aux origines de la tragédie. Elle montre François Mitterrand et Juvénal Habyarimana, côte à côte, saluant la foule sur fond de drapeaux flottant au vent lors de la visite du président français à son homologue rwandais en 1982. La légende qui l’accompagne est presque innocente puisqu’elle souligne l’introduction du multipartisme au Rwanda, dans la foulée du discours de La Baule de 1990. Mais pour n’importe quel visiteur un tant soit peu informé, cette photo en dit beaucoup plus, et ce n’est pas un hasard si elle inaugure, en compagnie de celles qui montrent les colons belges mesurant la taille des crânes des Hutus et des Tutsis, le récit du génocide tel qu’il est fait aujourd’hui à Kigali.

Un peu plus loin, sur les rives du lac Kivu, dans l’ouest du Rwanda, au mémorial de Bisesero, il y a une deuxième photo (voir l'onglet Prolonger). C’est Antoine, le conservateur des lieux, qui la décroche spontanément pour la présenter au visiteur français. Les couleurs sont encore vives malgré la détérioration de la reproduction. Elle montre des soldats français, sur la route de la colline de Bisesero, en juin 1994, entourés de dizaines de personnes munies de bâtons – ce sont en fait des Tutsis qui tentent d’échapper aux génocidaires et qui sont sortis de leurs cachettes à l’approche des militaires tricolores. Mais ce que tient à pointer Antoine figure dans la partie droite de l’image : c’est un pick-up à l’arrière duquel se tiennent des miliciens rwandais : « Ce sont des interahamwe, et ils accompagnaient les Français ! », annonce-t-il avec résignation. Les interahamwe, c’est-à-dire les milices hutues responsables d’une grande partie des tueries…

On a déjà beaucoup écrit sur l’histoire de la présence française à Bisesero, en particulier le remarquable livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’Inavouable. Ce qu’il est important de retenir, c’est le geste d’Antoine pour qui la complicité de la France dans le génocide des Tutsis ne fait pas de doute, comme un pan d’Histoire qu’on peut interpréter jusqu’à plus soif, mais dont les faits sont indéniables. De la même manière qu’il y a eu un appui au régime d’Habyarimana pendant toutes les années Mitterrand, y compris avant et juste après le déclenchement du génocide, il y a bien eu des soldats français, peut-être fourvoyés, en compagnie des interahamwe sur la colline de Bisesero, où des dizaines de milliers de Tutsis ont été sauvagement assassinés. Ce n’est pas le genre de chose qui s’oublie facilement au pays des mille collines. C’est une marque indélébile entre les deux États.

Les relations entre la France et le Rwanda ne sont plus autant à couteaux tirés qu’elles ont pu l’être dans les années 2000, quand le président rwandais Paul Kagamé avait pris ombrage des conclusions de l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière sur l’assassinat d’Habyarimana, et avait rompu les relations diplomatiques. Les choses se sont arrangées depuis, notamment après qu’un autre juge d’instruction a repris le dossier avec le souci de la justice et non plus celui de la raison d’État mais, comme le dit poliment Jacques Kabale, l’ambassadeur du Rwanda à Paris, « les relations sont bonnes, mais elles pourraient être meilleures ».

Panneau introductif au musée du Génocide de Kigali, montrant cette photo de François Mitterrand et Juvénal Habyarimana en 1982Panneau introductif au musée du Génocide de Kigali, montrant cette photo de François Mitterrand et Juvénal Habyarimana en 1982 © Thomas Cantaloube

Nicolas Sarkozy, dans une des rares notes positives de son quinquennat, s’est rendu à Kigali en 2010, reconnaissant de « graves erreurs d’appréciation et une forme d’aveuglement », mais il n’a pas présenté d’excuses au nom de la France. En retour, Paul Kagamé est venu à Paris un an plus tard en renonçant désormais à exiger des excuses : « Je ne peux forcer personne. Je ne peux supplier personne. Je n'ai pas à éduquer quiconque sur quoi que ce soit, chacun a sa façon de gérer les choses face à sa propre conscience. » Des gestes d’apaisement mesurés : il n’y aura pas de grandes embrassades entre les deux pays de sitôt. Les relations demeurent tendues, en tout cas du point de vue rwandais.

« Nous restons les "meilleurs ennemis" de Kigali », soupire un diplomate français qui connaît bien le Rwanda. « La question de la responsabilité française dans le génocide est un instrument politique dont se sert le gouvernement de Kagamé. Quand il y a une difficulté, la question franco-rwandaise revient toujours sur le tapis. Il est d’ailleurs assez significatif de voir que ce discours sur la responsabilité de Paris, on l’entend très peu parmi les Rwandais de base, mais de plus en plus au fur et à mesure que l’on gravit la hiérarchie politique. »

S’il est évident que le régime de Kagamé instrumentalise la responsabilité française quand cela le sert, certains dérapages hexagonaux ne contribuent pas à apaiser les choses. La diffusion fin décembre 2013 d’un sketch répugnant sur Canal Plus qui traitait le génocide rwandais à la légère (on y entendait notamment une comptine sur l’air d’Au clair de la lune, qui disait « Maman est en haut coupée en morceaux, papa est en bas il lui manque un bras ») a été reçue de plein fouet au Rwanda, où tous ceux qui en avaient entendu parler estimaient qu’il s’agissait de la démonstration, une nouvelle fois, de l’insouciance de la France à l’égard de ce « crime des crimes ». La réprimande du CSA a un peu apaisé les choses, signalant qu’il s’agissait d’une dérive individuelle, et en aucun cas de la manifestation d’un point de vue général en France. Mais il n’empêche, ce genre d’incident laisse des traces.

Le procès de Pascal Simbikangwa au mois de février à Paris a signifié la volonté de la France de juger – enfin – les accusés de génocide réfugiés dans l’Hexagone, une mesure que la Belgique ou les pays scandinaves ont déjà entreprise depuis des années. « Il est important de donner ce genre de signe », approuve Jacques Kabale. « Il montre que l’époque de l’instrumentalisation de la justice, avec le juge Bruguière, est terminée. Jusqu’ici, la France était isolée par rapport aux autres pays européens qui avaient jugé ou extradé les génocidaires. » Le travail judiciaire du pôle Génocide et crimes contre l’humanité, créé sous Sarkozy, est également salué. L’essentiel des dossiers qui y sont actuellement instruits concernent le Rwanda (26 inculpations), et François Hollande s’est, en privé, engagé à lui accorder les moyens nécessaires. Les magistrats, accompagnés de policiers, se rendent régulièrement au Rwanda pour recueillir des témoignages et enquêter.

Le guide du mémorial de Bisesero tend une photo montrant des soldats français en juin 1994. Le guide du mémorial de Bisesero tend une photo montrant des soldats français en juin 1994. © Thomas Cantaloube

« La vérité est que notre relation est très émotionnelle et très difficile et que, sur le fond, nous sommes très éloignés », remarque le diplomate français. « Nos relations commerciales sont symboliques (16 millions d’euros d’exportations de la France vers le Rwanda, 3 millions d’importations), et le pays est en marge de notre écran radar. » La décision de Paul Kagamé, en 2008, d’abandonner le français pour basculer à l’anglais comme langue officielle enseignée dans les écoles avait été prise comme un geste de représailles, à l’époque où Paris et Kigali étaient en froid. Mais en réalité, il s’agissait d’un changement logique. À la fois en raison du projet de développement de Kagamé reposant sur l’informatique, mais aussi parce que l’appartenance du Rwanda à la sphère francophone a toujours été une aberration.

C’est cette aberration qui a égaré François Mitterrand et l’a fait soutenir jusqu’au bout, et au-delà, le régime d’Habyarimana. Le Rwanda était perçu par la France, en particulier par le président socialiste, comme un « tampon » francophone destiné à protéger le flanc oriental du géant zaïrois. De plus, à partir du moment où le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, essentiellement constitué d’exilés rwandais en Ouganda, donc d’anglophones, a commencé à tailler des croupières au président Habyarimana, Mitterrand, qui n’est jamais parvenu à sortir de sa vision des blocs de puissance héritée de la guerre froide, y a vu une attaque de la sphère anglo-saxonne. Cette lecture simpliste de la part de l’ancien ministre des colonies de la IVe République, renforcée par l’affairisme de son fils Jean-Christophe, très ami avec la famille Habyarimana, et d’un entourage politique encore en mode Françafrique, aboutira à ce soutien criminel.

Aujourd’hui, vingt ans après le génocide, le Rwanda est évidemment plus proche des États-Unis et de la Grande-Bretagne (le pays est même devenu membre du Commonwealth en 2009) que de la France, mais c’est surtout l’intégration régionale avec les autres pays anglophones qu’il a poursuivie : Tanzanie, Kenya, Ouganda. Une proximité évidente, géographique et géopolitique, que la France n’avait pas voulu voir et qui l’a conduite à se ranger du mauvais côté de l’Histoire. Une faute criminelle qui entravera pour longtemps encore les relations entre Paris et les mille collines.

De notre envoyé spécial au Rwanda.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Rwanda : le déshonneur de la France

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Dimanche 6 avril 2014, le président du Parlement européen, Martin Schulz, et la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, tous deux socialistes, étaient côte à côte devant la Maison d’Izieu (Ain) où, il y a précisément soixante-dix ans, quarante-quatre enfants juifs et sept éducateurs qui y étaient réfugiés furent arrêtés par la Gestapo pour être déportés vers les camps de la mort.

Cette commémoration officielle, comme bien d’autres, rappelle à la France d’aujourd’hui et de demain que le génocide planifié par le nazisme, cette extermination d’une part de notre humanité parce qu’elle était née juive, fut aussi commis sur son territoire. Et qu’il le fut avec la complicité, aussi bien active que passive, des autorités de l’époque, cet État français que le suicide de la République à Vichy avait mis en place dès juillet 1940 dans la déchéance de la Collaboration.

Ces commémorations nous disent que la grandeur d’une nation se juge à sa capacité de reconnaître ses fautes et ses erreurs. À regarder en face la vérité d’une histoire douloureuse, de façon à en apaiser les mémoires blessées. À ne plus s’aveugler dans la démesure d’une infaillibilité, mais à admettre ses fragilités. Et à transformer ainsi un passé douloureux ou honteux en gage d’un avenir plus lucide, plus vigilant et plus précautionneux.

Mais, loin de s’imposer d’évidence, cette démarche consciente, d’élévation collective et de hauteur nationale, fut le fruit d’un combat politique. Après avoir dû batailler sans relâche contre un président de la République, François Mitterrand, dont cet aveu dérangeait aussi bien l’itinéraire biographique que l’intime conviction, il fallut attendre un discours de son successeur, Jacques Chirac, pour que la France officielle, enfin, regarde sans ciller cette part maudite de son histoire.

« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays », déclara, au nom de la République, son président le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle dite du Vel d’Hiv de milliers de juifs parisiens (le texte intégral du discours ici). « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions, ajoutait Jacques Chirac. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. » Mots bienvenus mais prononcés si tardivement : cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Faudra-t-il donc attendre un demi-siècle pour que la République française prononce, par la voix de son plus haut représentant, les mots qu’elle doit au peuple rwandais ? Mots d’excuse, mots de pardon, mots de vérité. Dire, tout simplement, ce fait d’histoire : la France, c’est-à-dire sa présidence, son gouvernement, son État et son armée, fut complice du génocide au Rwanda. Parce qu’elle a longtemps soutenu et armé le pouvoir qui l’a planifié, parce qu’elle a formé les civils et les militaires qui l’ont exécuté, parce qu’elle a épousé l’idéologie raciste dite hamitique qui l’animait, parce qu’elle n’est pas intervenue pour l’empêcher, parce qu’elle a laissé sans défense des populations qui lui demandaient protection, parce qu’elle a même facilité la fuite des génocideurs vers le Congo voisin.

Parfois, les nations qui se savent petites, lucides parce que fragiles, en remontrent à celles qui se croient grandes, aveuglées par leur désir de puissance. Il en va ainsi de la Belgique, puissance coloniale au Rwanda après l’Allemagne, qui a demandé pardon aux Rwandais à deux reprises depuis le génocide de 1994, non seulement lors de son dixième anniversaire (c’est à écouter ici) en 2004, mais dès 2000 par la voix de son premier ministre d’alors, Guy Verhofstadt.

Six ans à peine après le génocide, un responsable politique européen n’hésitait pas à faire sobrement cet acte de contrition auquel la France se refuse toujours : « Un dramatique cortège de négligences, d’insouciances, d’incompétences, d’hésitations et d’erreurs, a créé les conditions d’une tragédie sans nom. Et donc j’assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des autorités politiques et militaires belges, et au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon pour ça. »

Que l’ambassadeur de France à Kigali assiste néanmoins aux cérémonies du vingtième anniversaire (les autorités rwandaises l’en ont finalement empêché) ne change rien à l’affaire : gauche et droite réunies, la France officielle a décidé de ne pas honorer les victimes du génocide et, ce faisant, de déshonorer notre peuple. Pourtant visée elle aussi par les déclarations de Paul Kagamé, la Belgique n’a rien changé à sa délégation, ce qui n’a pas empêché son ministre des affaires étrangères, qui la conduit, de critiquer les propos du président rwandais (lire ici). Mais il est vrai que l’on peut se parler d’autant plus franchement que l’on s’est reconnu et accepté, dans un respect mutuel qui, en l’espèce, suppose d’avoir admis l’aveuglement qui a précédé le génocide et l’indifférence qui l’a ensuite redoublé.

Manifestement, la présidence de François Hollande n’était pas prête à faire ce pas qu’avait juste ébauché, en 2010, son prédécesseur Nicolas Sarkozy (lire là). Officiellement invité par son homologue rwandais, François Hollande pourtant peu avare de déplacements à l’étranger avait préféré déléguer sa garde des Sceaux, Christiane Taubira. Ce choix est en lui-même bavard quand la logique institutionnelle aurait dû privilégier, faute de président, le premier ministre ou le ministre des affaires étrangères quitte à ce que la ministre de la justice les accompagne. Fallait-il comprendre que seule la haute figure noire du gouvernement était adéquate à cette commémoration, inconsciente façon de reléguer cet ultime génocide du XXe siècle à des ténèbres africaines ?

Il n’en est rien : loin des vulgates sur des « guerres interethniques » où bourreaux et victimes seraient échangeables et réductibles à une violence intrinsèquement africaine, le génocide rwandais parle autant sinon d’abord de nous, de la France et de l’Europe, de notre héritage colonial, de nos idéologies meurtrières, de nos humanités criminelles. Et nous ne pouvons pas prétendre l’ignorer, malgré cette insistance négationniste qui empuantit le débat français sur le Rwanda, et ce d’autant plus que notre classe politique la cautionne par ses rodomontades ou ses silences. Des historiens, aussi bien spécialistes des massacres de masse européens que de la région des Grands Lacs, s’entêtent à nous le rappeler, notamment les travaux menés ou impulsés par Jean-Pierre Chrétien, Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas (lire ici et nos articles, par Joseph Confavreux).

Les deux derniers historiens, dans un exceptionnel numéro de la revue Vingtième Siècle, font la pédagogie de cet événement majeur « dont nos sociétés n’ont sans doute pas (pas encore ?) pris pleinement conscience », ce génocide des Tutsis rwandais qui, en l’espace de trois mois, s’achève sur un bilan de 800 000 à un million de tués, avec seulement 300 000 survivants. « Le génocide fut le produit du racisme, écrivent Audoin-Rouzeau et Dumas. Un racisme aux racines coloniales et missionnaires, issu d’une Europe obsédée de hiérarchie raciale. (…) Partout, jusqu’aux échelles les plus réduites, les Tutsis sont exterminés sous le regard passif de la communauté internationale qui, le 21 avril 1994, en plein massacre, retire la majorité des troupes des forces onusiennes alors sur place. (…) Le génocide a été planifié, préparé et exécuté par un État disposant de relais locaux de pouvoir au plan politique et administratif, et de moyens militaires et paramilitaires qui en furent les instruments. »

Or la France fut l’alliée indéfectible de cet État génocidaire. La France présidée par le socialiste François Mitterrand lequel, en 1994, cohabitait avec un gouvernement de droite, celui d’Édouard Balladur dont Alain Juppé était le ministre des affaires étrangères. Dans le même numéro de Vingtième Siècle, Jean-Pierre Chrétien rappelle avec pudeur combien ses alarmes, dès 1993, sur le génocide à venir tout comme sa dénonciation, dès 1991, de l’anti-hamitisme, cette idéologie qui inspirait les tenants de l’ethno-nationalisme hutu, semblable à l’antisémitisme nazi, étaient inaudibles auprès d’un pouvoir exécutif français qui épousait les mêmes représentations ethniques au point d’entretenir des relations cordiales avec le plus extrémiste des partis rwandais, la CDR, au programme explicitement raciste. Alertes prophétiques dont témoigne un journal télévisé de janvier 1993 où intervient le président de Survie, de retour d’une mission au Rwanda (voir sous l’onglet "Prolonger"). 

Tel est le contexte dans lequel Paul Kagamé, le président rwandais qui symbolise la victoire contre les génocideurs et incarne le réveil du Rwanda, a prononcé pour Jeune Afrique (numéro du 6 au 13 avril, voir ici) ces mots qui ont fâché la France, d’Alain Juppé à Laurent Fabius. Certes, comme tout pouvoir personnel qui tient sa souveraineté d’une revanche sur les anciennes puissances coloniales ou néocoloniales, il exploite sans précaution diplomatique un filon inépuisable en politique intérieure afin de faire taire critiques et oppositions (lire ici notre éclairant portrait, par Thomas Cantaloube). Mais, pour autant, dit-il faux, dans cet entretien réalisé le 27 mars ?

« Les puissances occidentales aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible, explique Paul Kagamé. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite “humanitaire sûre”, mais aussi acteurs. »

Dès la diffusion de cette déclaration, l’ancien ministre des affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, a sur son blog appelé « le président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son armée, l’honneur de ses diplomates ». Et d’ajouter que la réconciliation avec le Rwanda ne peut se faire « au prix de la falsification de l’histoire qui ne cesse de se propager à l’encontre de la France, de ses dirigeants politiques, de ses diplomates et de son armée » (retrouver ici le billet intitulé  « L’honneur de la France »). C’est peu dire qu’il fut rapidement entendu puisque le porte-parole du Quai d’Orsay s’empressait d’annoncer que, « dans ces conditions », Christiane Taubira ne se rendrait pas à Kigali, ces conditions étant le fait que « la France est surprise par les récentes accusations portées à son encontre par le président du Rwanda » (lire ici le texte intégral).

Or des deux accusations de Paul Kagamé, celle d’un soutien politique au pouvoir génocidaire et celle d’une participation active au génocide, la première ne devrait pas faire discussion vingt ans après les faits. Largement documentée par les travaux, recherches et enquêtes menées depuis, elle était déjà énoncée en 1998 par le rapport de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda dont le socialiste Paul Quilès était le président et l’actuel ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, l’un des deux rapporteurs. Alors même que ce rapport est critiqué pour ses prudences, précautions et euphémismes, la France y est explicitement critiquée pour sa « sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais » (lire ici) et pour « une coopération militaire trop engagée » (lire là).

Quant à la participation active de militaires français, si aucun témoignage indépendant ne va dans ce sens (voir ici, avec un œil critique, la notice Wikipédia), il n’en demeure pas moins que le cas de Bisesero est actuellement au centre d’une information judiciaire menée au pôle génocide du tribunal de Paris. Pour la bonne et simple raison que cet épisode fut le moment où des militaires et des journalistes, qui à ce titre furent l’honneur véritable de la France, prirent conscience des mensonges officiels et de l’inavouable qu’ils recouvraient.

Deux hommes en témoignent, notre confrère Patrick de Saint-Exupéry alors au Figaro, et le sous-officier Thierry Prungnaud, du Commandement des opérations spéciales (COS). Ils furent tous deux témoins, et le second également acteur, du tournant en ce lieu de l’opération Turquoise lancée en juin 1994 par la France sous l’égide des Nations unies, alors même que le génocide est consommé.

Bisesero occupe moins d’une dizaine de lignes du rapport Quilès de 1998, mais leur brièveté témoigne déjà d’un embarras (les lire ici). Six ans plus tard, en 2004, dans un formidable livre en forme de cri d’une conscience révoltée, y compris, s’il le faut, contre les siens, Patrick de Saint-Exupéry raconte comment, à Bisesero, l’armée française a, sur ordre supérieur, abandonné à leur sort fatal, trois jours durant, les derniers Tutsis rescapés du génocide, après avoir pourtant compris, bien tardivement, que ceux qu’elle protégeait jusque-là étaient les auteurs du crime.

Huit ans plus tard, en 2012, avec l’aide de notre consœur de France Culture Laure de Vulpian, l’ancienne figure du GIGN Thierry Prungnaud confirmait ce récit journalistique par son témoignage militaire. Et, de surcroît, démontait avec méticulosité la lettre de son supérieur, Marin Gillier, qui, dans le rapport Quilès, sert d’argument pour balayer sans plus de curiosité l’épisode Bisesero. Lequel supérieur est, depuis l’été 2013, directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère des affaires étrangères…

Ce militaire, ce journaliste sont l’honneur de la France quand la dérobade de ce vingtième anniversaire est son déshonneur. Nulle complaisance ici pour d’inutiles grands mots mais, plus essentiellement, une inquiétude envers ce pays, le nôtre, qui prétend faire la leçon au monde, sauver l’Afrique par les armes au Mali et en Centrafrique, imposer la supériorité de ses valeurs aux populations qui l’ont rejoint dans la fierté de leur diversité, et dont, cependant, les élites dirigeantes refusent avec entêtement de céder à la grandeur de l’humilité et de la fraternité. Auraient-elles oublié ce qui fit l’authentique grandeur de la France, malgré bien des bassesses et nombre de reniements ? Ce que fut son sursaut pour la justice, fût-ce au bénéfice d’un seul, réprouvé, exclu, discriminé, parce que victime de cette haine de l’autre qui est une haine de soi et la perdition de l’humanité ? Oui, son réveil, fût-ce contre une mauvaise part d’elle-même, cette servitude où la grandeur d’une nation s’égare dans l’obéissance au mensonge, à la forfaiture, voire au crime ?

Cette grandeur a un nom devenu universel, celui d’Alfred Dreyfus, cette affaire anticipatrice de la catastrophe européenne où la France républicaine finira par se dresser contre l’honneur dévoyé de sa politique et de son armée pour sauver l’honneur de son peuple. Un dreyfusard, qui n’hésitait pas à se placer du point de vue du « salut éternel de la France », eut alors les mots que la France aurait pu prononcer, en ce 7 avril 2014, à Kigali en demandant pardon aux victimes d’un génocide qu’elle a laissé venir et laissé faire. Il se nommait Charles Péguy, et il disait ceci : « Une seule injustice, un seul crime, une seule illégalité, surtout si elle est officiellement enregistrée, confirmée, une seule injure à l’humanité, une seule injure à la justice, et au droit surtout si elle est universellement, légalement, nationalement, commodément acceptée, un seul crime rompt et suffit à rompre tout le pacte social, tout le contrat social, une seule forfaiture, un seul déshonneur suffit à perdre, d’honneur, à déshonorer tout un peuple. »

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Avant le vote de confiance, les députés PS mettent la pression sur Valls

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Ce n'est pas encore une rébellion. Ni même une « fronde », terme récusé par Christian Paul, député proche de Martine Aubry. « Nous ne sommes pas des princes du XVIIe siècle contre Sa Majesté ! Nous sommes des parlementaires qui portons un message populaire après la sanction des municipales. »

À deux jours de la déclaration de politique générale de Manuel Valls, mardi 8 avril, discours qui sera suivi d'un vote, 90 députés socialistes issus de différents courants du PS (aile gauche, proches d'Arnaud Montebourg, aubrystes ou encore les très vallso-compatibles élus de la Gauche populaire, et « beaucoup de gens pas connus pour être des gueulards », dixit un signataire) ont en tout cas diffusé ce week-end un texte qui ressemble à un gros coup de pression envoyé au nouveau locataire de Matignon. Le rapporteur du budget, Christian Eckert et la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, Catherine Lemorton, font aussi partie des signataires.

Intitulé "Les conditions de la confiance pour un contrat de majorité", il n'est pas tendre pour le pouvoir, à la hauteur de la déroute des municipales. « Depuis de longs mois, les élus locaux et les députés avaient alerté sur le fossé qui se creusait entre la gauche au pouvoir et son électorat, écrivent les signataires. Les Français n’ont pas changé depuis le 6 mai 2012, ils sont déçus (…) Les Français ont le sentiment que la politique qu’ils avaient choisie n’est pas assumée. Ils nous l’ont dit dans les urnes. Il faut maintenant passer des urnes aux choix et, pour nous, des mots aux actes. Les temps qui viennent sont pour tous, et pour chacun d’entre nous, une épreuve de vérité. »

Sans réclamer ouvertement un changement de cap politique (que François Hollande n'envisage pas, au grand dam des écologistes qui ont quitté le gouvernement), ils exigent une « réorientation européenne mettant fin aux politiques d’austérité » ; un « pacte national d’investissement » pour remplacer une partie des baisses de cotisations sociales attribuées sans condition aux entreprises dans le cadre du pacte de compétitivité ; des « mesures en faveur des bas salaires, la réforme fiscale et la CSG progressive, l’effort en faveur des retraites les plus modestes, que nous avons demandés depuis des mois » ; enfin, des décisions pour amplifier les choix et les engagements de 2012 : régulation bancaire, devoir de vigilance des multinationales, « bouclier » territorial, revitalisation de la démocratie, etc.

Pouria Amirshahi (aile gauche du PS), un des 87 signatairesPouria Amirshahi (aile gauche du PS), un des 87 signataires © DR

Dans un pays où le Parlement est bien souvent cantonné à exécuter la politique décidée à l'Élysée, les députés socialistes exigent un « dialogue » avec le gouvernement. « Le temps du Parlement est venu », écrivent-ils. « On ne peut pas continuer avec cette majorité-chamallow, tout miel et tout sucre, qui existe depuis 2012 », dit Philippe Baumel, un proche de Martine Aubry qui fait partie des signataires du texte. « Notre pays est dans un épuisement démocratique. Quand le Parlement s'affaiblit, c'est le pouvoir qui s'affaiblit. Nous ne voulons plus délibérer sous pression du gouvernement ou des technocrates », assure Christian Paul.

Cette tribune, dont l'idée a germé dès le soir du second tour désastreux des municipales, est un événement : depuis 2012, c'est la première fois qu'autant de députés socialistes signent un texte qui remet aussi clairement en cause l'ensemble de la politique menée. La première fois aussi que des députés socialistes engagent un vrai bras de fer avec l'exécutif en formulant des exigences nettes, en dehors des cénacles privés et de leurs discrets apéritifs du mardi avec François Hollande.

Le moment est évidemment propice. À l'Assemblée nationale, les écologistes ne sont plus au gouvernement (ils ne savent d'ailleurs toujours pas s'ils voteront la confiance mardi) et la majorité absolue socialiste ne tient plus qu'à une voix. Après la bérézina des municipales, les signataires menacent ni plus ni moins de ne pas voter la confiance à Manuel Valls si leurs protestations ne sont pas entendues. « La confiance, ça se mérite », répètent-ils depuis une semaine. « Nous sommes au virage du quinquennat. S'il n'y a pas de réaction du gouvernement, alors il n'y aura pas de potentialité de travailler ensemble et très vite, c'est le président de la République qui aura les doigts dans la prise », dramatise Philippe Baumel.

En réalité, bien peu songent à dégainer mardi l'arme nucléaire du vote "non": si la confiance à Manuel Valls n'était pas votée, François Hollande serait totalement désavoué et le premier ministre serait cerné par l'hypothèse d'une dissolution forcément catastrophique pour le pouvoir. « Voter non, c'est faire tomber le gouvernement. Ce n'est pas notre démarche. On veut tendre une main, pas donner une gifle », assure Arnaud Leroy, proche d'Arnaud Montebourg. Mais le résultat dramatique pour le PS des municipales leur donne enfin l'occasion de se faire entendre, eux qui depuis deux ans se voient sommés de voter les textes du gouvernement quasiment sans sourciller.

Manuel Valls à l'Assemblée nationaleManuel Valls à l'Assemblée nationale © Reuters

Le coup de semonce a déjà eu une première conséquence. Dimanche soir, le premier ministre a reçu cinq d'entre eux à 18 heures, pendant une heure : les aubrystes Jean-Marc Germain et Christian Paul, les députés de l'aile gauche Pouria Amirshahi et Jérôme Guedj, et Laurent Baumel de la Gauche populaire. « On venait délivrer un message. Manuel Valls est conscient des problèmes et de nos doutes. Il sait aussi qu'il est au cœur de contraintes contradictoires et qu'il doit arriver à les déminer. Mais à ce stade, nous n'avons pas de réponses précises à nos questions », explique Christian Paul. 

« Le premier ministre a écouté ce que nous avons dit. Nous attendons désormais ce qu'il va dire d'ici mardi », ajoute Pouria Amirshahi, un des députés les plus critiques de la majorité depuis des mois. Lundi, les consultations vont continuer. Mardi matin, lors de la réunion du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, Manuel Valls devrait livrer la teneur de son discours de l'après-midi. Ce sera sa première réunion de groupe en tant que premier ministre : il risque de devoir affronter les récriminations de parlementaires chauffés à blanc par les résultats calamiteux dans leurs circonscriptions.

C'est à ce moment-là que les députés sauront si leur lobbying a fonctionné. Et notamment si une de leurs exigences majeures est entendue : un vrai débat sur le fameux « pacte de responsabilité » annoncé par François Hollande lors de ses vœux – une baisse de 30 milliards du coût du travail, en échange d'objectifs d'emplois très flous, pour l'instant non définis. À l'origine, François Hollande entendait engager la confiance du gouvernement sur ce texte. Les députés n'auraient eu qu'à se prononcer par un "oui" ou un "non" (ce dernier choix étant synonyme de mise à l'écart de la majorité).

Désormais, la centaine de signataires entend bien peser sur le contenu de ce pacte, dans lequel ils voient surtout des cadeaux fiscaux aux entreprises sans contreparties. Ils estiment aussi que le vote de confiance de mardi ne vaudra pas acceptation automatique du pacte – qui doit être assorti (Hollande l'a promis lundi dernier) d'un « pacte de solidarité » dont les contours ne sont eux non plus pas connus.

« Au minimum, le premier ministre doit dire explicitement mardi qu'il soumettra le pacte à la délibération, aux amendements et au vote des députés pour pouvoir le réécrire et le réviser », affirme Pouria Amirshahi. « Si le premier ministre s'engage explicitement dans cette voie, alors nous pourrions considérer que c'est une base pour un pacte majoritaire. » Dans le cas contraire ? « Si voter la confiance, c'est voter le pacte de responsabilité, alors je ne donnerai pas de chèque en blanc par mon vote », dit-il. « Nous ne votons pas le pacte mardi ! » martèle Christian Paul. « Le pacte sera annoncé le 15 avril, on ne l'a pas encore vu. Moi, je ne suis pas Garcimore, je ne peux pas deviner ce qu'il y a dedans », estime Arnaud Leroy, proche du ministre de l'économie Arnaud Montebourg. Henri Emmanuelli, figure de l'aile gauche du PS, estime lui aussi que le gouvernement doit « soumettre au Parlement ce pacte dans la totalité de sa cohérence ». « Ce sera pour moi le prix de la confiance. Confiance, oui, chèque en blanc non. En l’absence de cet engagement précis, ce sera l'abstention », menace-t-il.

« À partir de mardi s'oriente un processus de réorientation politique », espère Laurent Baumel, ex-strausskahnien de la Gauche populaire. « Réorientation », mais vers quoi ? Depuis plusieurs jours les conseillers de Manuel Valls s'emploient à déminer auprès des parlementaires cette image de social-libéral qui colle à Valls, une des figures les plus centristes du PS qui fut dans le passé pourfendeur des 35 heures et partisan de la TVA sociale. Leur credo : « Valls n'est pas un Blair à la française. » « J'attends qu'il me surprenne ! » dit un des signataires, encore dubitatif. « Manuel Valls n'a pas d'autre choix que de démentir cette image, car notre majorité n'est pas sociale-libérale. Et elle entend jouer son rôle », prévient Christian Paul.

BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été interrogées dimanche soir. Pouria Amirshahi a réagi par SMS.

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MediaPorte : «Remaniement, trois questions qui me turlupinent»

Le départ de Borloo de l’UDI réveille les vieux démons du centre

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Devenir la « principale force politique d'opposition ». Telle était l’ambition de Jean-Louis Borloo pour son parti. En novembre 2012, au plus fort de la crise interne de l’UMP, le président de l’Union des démocrates et des indépendants (UDI), créée un mois plus tôt, soulignait dans Le Monde la nécessité d’une « coalition de l'UDI et de l'UMP », tout en réaffirmant son indépendance. « Il y a deux visions, deux équipes, disait-il. Celle de Jean-François Copé et la nôtre. L'opposition a désormais deux leaders. »

Dimanche 6 avril, l’ancien ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, en « convalescence » depuis plusieurs semaines, a mis un terme « à ses fonctions et mandats » politiques, démissionnant de la présidence de l’UDI et du Parti radical, ainsi que de la présidence du groupe UDI à l'Assemblée nationale.

Fin janvier, il avait été hospitalisé en urgence pour une pneumonie aiguë frontale, doublée d'une septicémie. « Je n’ai pas, en l’état, toute l’énergie nécessaire pour remplir complètement mes responsabilités, a-t-il écrit dans un courrier adressé au comité exécutif de son parti. J’ai donc décidé de laisser la place libre à celle et ceux qui vont prendre le relais. Je leur fais toute confiance, les talents ne manquent pas à l'UDI. »

Dès l’annonce de son retrait de la vie politique, plusieurs responsables politiques, tous bords confondus, ont témoigné de leur sympathie sur Twitter. « Ce soir l’UDI est orpheline de son leader. Sans Jean-Louis Borloo il n’y aura plus d’UDI ! » a tweeté le député centriste Yannick Favennec, avant de nuancer son propos dans un billet de blog en formant « le vœu que l'œuvre de (l’ancien président de l’UDI) se poursuive dans le même esprit d'unité, avec la même volonté d'opposition constructive ».

Jean-Louis Borloo à l'Assemblée nationale.Jean-Louis Borloo à l'Assemblée nationale. © Reuters

Par ce « tweet compulsif », selon les mots du sénateur et candidat aux européennes Jean Arthuis, écrit « sous le coup de l’émotion » pour le député et maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde, Yannick Favennec a toutefois avancé la question que tout le monde se pose : le parti centriste peut-il survivre au départ de son leader ? « L’obsession de Jean-Louis était qu’on reconstruise le centre et le centre droit pour trouver une alternative à l’UMP, rappelle Lagarde, qui est également secrétaire général de l’UDI. Il y a consacré toute son énergie au cours des derniers mois. Ce n’est pas pour que tout cela disparaisse ! »

« L’UDI n’est pas morte, mais il y a quelque chose de vrai dans ce que dit Yannick Favennec, explique le député et porte-parole de l’UDI Maurice Leroy. Il faut faire attention à la bataille des ego. Jean-Louis Borloo était l’élément fédérateur. » Un avis partagé par Dominique Paillé, ancien porte-parole de l’UMP qui avait rejoint l'UDI après s'être fait évincer de l’équipe dirigeante par Jean-François Copé en 2010. « Nous avons des instances solides, assure-t-il. Nous aurons un conseil national après les européennes et un congrès à l'automne. Est-ce que tout se passera bien ? Je ne sais pas, car il y a beaucoup de prétendants. Comme l'avait dit de Gaulle, ce qui est à redouter ce n'est pas le vide, mais le trop-plein. »

Les responsables de l'UDI saluent unanimement « le courage » de la décision prise par Jean-Louis Borloo et souhaitent son « retour rapide ». Mais tous pensent déjà à l'après. « Il était prévu que Jean-Louis Borloo abandonne la présidence du Parti radical à l'automne, poursuit Paillé. Laurent Hénart, qui assumait l'intérim, pourra lui succéder. Ce sera plus compliqué pour les deux autres postes car il y a six ou huit candidats potentiels. » Pour l'heure, aucune figure centriste n'a officialisé sa candidature, mais les noms d'Yves Jégo, de Jean-Christophe Lagarde et d'Hervé Morin circulent déjà. Celui de Rama Yade aussi. Une option que le sénateur Jean Arthuis n'envisage pas. « Je ne vois pas quelle légitimité elle pourrait avoir, dit-il. Elle nous a déjà beaucoup compliqué la tâche aux européennes. »

À l’UDI, chacun insiste sur la nécessité de se concentrer sur les élections européennes de mai, pour lesquelles les listes ont été présentées à la presse ce lundi matin. « Il faut laisser passer les européennes et surtout, ne pas ouvrir de débat sur les modalités de succession, affirme la sénatrice UDI Chantal Jouanno. Sinon, nous allons avoir deux messages en même temps et cela va pénaliser la campagne. » Une campagne que l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy juge « fondamentale » pour concrétiser le succès des municipales, où le centre a fait « basculer 53 villes de plus de 9 000 habitants ».

En attendant l’élection d’un nouveau président – prévue en fin d’année par les statuts du parti –, l'ancien ministre de la ville de Nicolas Sarkozy, Maurice Leroy, plaide pour une direction collégiale. « Je ne suis pas pour la précipitation, affirme-t-il. L’UDI s’est créée autour de mouvements différents, les couches n’ont pas sédimenté. J’ai peur que l’on ait des réflexes de boutiquiers. En ces temps difficiles, je n’ai pas envie que l’on donne le même spectacle que l’UMP et le PS. »

Jean-Christophe Lagarde ne partage pas vraiment ce point de vue. Selon lui, le parti « a besoin rapidement d’être en ordre de marche ». Et cela devra passer par un congrès organisé « avant l’été ou, au pire, après ». « Nous avons les mêmes convictions et le même socle. Nous connaissons les principaux dirigeants susceptibles d’être candidats. Ce ne serait pas raisonnable d’attendre six mois et de tenir un congrès en fin d’année », estime-t-il. Le secrétaire général de l’UDI attend de voir ce que les responsables du parti, qui doivent se réunir mardi pour aborder les questions de transition, décideront. Deux options s’offrent à eux : soit le maintien d’un président par intérim – rôle tenu par le député Yves Jégo depuis le mois de janvier –, soit la mise en place d’une direction collégiale jusqu’au congrès.

« Le président par intérim sera chargé d’organiser les nouvelles élections. Il ne devra donc pas être candidat à la présidence de l’UDI, car on ne peut pas être juge et partie, poursuit Lagarde. Si on ne tombe pas d’accord, ce sera une direction collégiale. Mais ça augurerait mal de la suite… » Le sénateur Jean Arthuis n’est pas tellement inquiet. « On trouvera bien quelqu’un, glisse-t-il. Nous avons appris à travailler ensemble sans Jean-Louis Borloo et ça a très bien marché pour les municipales. Il faut que nous tirions les enseignements des scissions passées de la famille centriste et que l’on apaise les ego. Je suis assez confiant car je pense que chacun est conscient que les bévues ont assez duré. »

Contrairement à Jean-Christophe Lagarde, Chantal Jouanno n’arrive pas à imaginer comment un congrès pourrait se tenir avant l’été. « Nous avons une direction collégiale depuis le mois de janvier et cela se passe très bien, assure-t-elle. C’est la méthode la plus moderne. Il y a plusieurs orateurs nationaux et nous arrivons à avancer. De toute façon, un seul homme ne saurait remplacer Jean-Louis Borloo. » D’autant qu’avant de régler les modalités de succession, l’UDI va devoir, après les européennes, trancher une autre question : celle du maintien ou non de l’Alternative, union scellée en novembre 2013 entre le MoDem et l’UDI.

Jean-Louis Borloo et François Bayrou officialisent L'Alternative, en novembre 2013.Jean-Louis Borloo et François Bayrou officialisent L'Alternative, en novembre 2013. © Reuters

« C’était un mariage de raison, mais pas un mariage définitif. Il faudra réunir nos militants et leur poser la question », explique l’ancienne ministre des sports, qui ne souhaite pas se prononcer sur le sujet avant la fin des européennes pour lesquelles les deux partis présentent des listes communes. « C’est une question clef », ajoute Jean Arthuis, qui se dit « plutôt partisan du rassemblement ». La question du maintien de l’Alternative se pose d’autant plus que l’alliance résultait du travail de rapprochement effectué par Jean-Louis Borloo, après plus de onze ans de séparation et malgré les protestations de certains responsables de l’UDI et les nombreuses divergences des deux partis. Mais selon Maurice Leroy, « elle se serait également posée avec Jean-Louis Borloo aux commandes ».

Pour Jean-Christophe Lagarde, cette question sera tranchée de facto par l’élection du nouveau président de l’UDI. «  Si la ligne qui contestait l’alliance avec le MoDem prend la tête du parti, l’Alternative pourrait effectivement être remise en question », explique-t-il, ajoutant toutefois que le résultat des municipales « a peut-être permis de pousser la réflexion un peu plus loin ». Le succès de François Bayrou à Pau, notamment dû à son alliance avec l’UMP locale, a semble-t-il ramené le patron du MoDem dans le giron centriste.

« L’alliance est encore compliquée parce qu’un certain nombre de gens de l’UDI garde le souvenir de sa prise de position pour Hollande en 2012, précise Dominique Paillé. Mais Bayrou a gagné, grâce aux municipales, des parts de marché dans la respectabilité des électeurs et de l’UDI. » Pour autant, les responsables de l’UDI ne se résolvent pas à ce que le leader du Mouvement démocrate devienne l’homme fort du centre, celui qui serait susceptible de jouer un rôle clef en 2017. « Tout dépendra de ce qu’il entend faire de son mandat à Pau, note Jean Arthuis. Il n’a pas été élu pour enfiler des perles, cela va lui créer des obligations de disponibilité. »

« Bayrou a déclaré qu’il ne serait plus candidat à une autre élection que celle des municipales », rappelle Jean-Christophe Lagarde qui plaide pour sa part pour un « changement de génération ». Si chacun s’accorde à dire qu’il est encore trop tôt pour parler de la présidentielle, tous souhaitent que l’UDI, « troisième force politique de France » selon le député Maurice Leroy, n’y fasse pas simplement de la figuration. « Il faudra d’abord qu’un certain nombre de responsables du parti s’affranchisse de Nicolas Sarkozy, conclut Jean Arthuis. Si des primaires sont organisées à droite, il sera légitime qu’il y ait un candidat du centre. »

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées par téléphone le lundi 7 avril.

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Les violences policières s'invitent à la 17e chambre

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Il a surtout été question de violences policières ce lundi 7 avril 2014 au tribunal correctionnel de Paris. Plusieurs militants, proches de victimes ou victimes et sociologues étaient présents à la 17e chambre au procès pour « diffamation envers une administration » d’Amal Bentounsi, poursuivie à la suite d’une plainte de l’ex-ministre de l'intérieur Manuel Valls. 

Amal Bentounsi, ex-commerçante, a préféré déménager de Meaux après la mort de son frère.Amal Bentounsi, ex-commerçante, a préféré déménager de Meaux après la mort de son frère. © LF

Le frère d’Amal Bentounsi, Amine, a été tué d’une balle dans le dos par un gardien de la paix de 33 ans, le 21 avril 2012, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Choquée par les photos de son autopsie, Amal Bentounsi, 38 ans, avait publié le 3 novembre 2013 sur le site de son collectif Urgence-notre-police-assassine.fr un clip vidéo dénonçant l’impunité des forces de l’ordre auteures de bavures. Une vidéo parodiant les campagnes de recrutement de la police, qui affirmait : « Vous voulez commettre des violences et crimes en toute impunité sans jamais être inquiété par la police ? Vous êtes violent, insultant, ne respectez pas le code de déontologie ? (…) Prêt à tuer sans être en état de légitime défense ? En argent de poche en fin du mois coller des outrages à agents (…) ? Ne vous inquiétez pas, même si vous êtes coupable, on s’arrangera pour que vous ne le soyez plus. Alors n’attendez plus, la police est le meilleur des métiers pour être au-dessus des lois. »

Au bord des larmes, cette ex-commerçante, mère de trois enfants, a témoigné lundi de l’état de détresse des familles de victime de violences policières. « Personne n’est venu taper à nos portes pour savoir si nous avions été traumatisés, a-t-elle dit. C’est presque vital, le seul combat qui nous reste, c’est de pouvoir dénoncer. » À la procureure qui lui fait remarquer que le policier qui a tué son frère a été mis en examen pour « homicide volontaire », Amal Bentounsi répond en reconnaissant le « courage » de la juge d’instruction. « Mais dans d’autres affaires quand quelqu’un est mis en examen avec un chef d’inculpation aussi lourd, il devrait être en détention provisoire », rappelle-t-elle soulignant que, bénéficiant de la mobilisation des syndicats policiers en sa faveur, le fonctionnaire continue à percevoir son salaire. « Est-ce qu’un justiciable policier a plus de droits qu’un justiciable ouvrier ? » demande Amal Bentounsi.

Elle rappelle également que bien souvent, lorsque des policiers finissent par être poursuivis, c’est grâce à l’obstination des familles. « Si les familles ne sont pas au courant, plein d’éléments passent à la trappe ou disparaissent, soutient-elle. Et les syndicats de police inversent les rôles : la victime est rendue coupable. »

Appelé comme témoin à la barre, Farid El Yamni a raconté son propre parcours du combattant pour obtenir la vérité sur la mort de son frère Wissam, mort à 30 ans, après une interpellation violente la nuit de la Saint-Sylvestre 2012. « Près d’une dizaine de témoins disent qu’il a été lynché, il a été retrouvé le pantalon baissé avec des traces de strangulation et son corps nous a été rendu en état de putréfaction six mois après car ils n’avaient pas pensé à le conserver au froid, raconte-t-il. Un enfant comprendrait que ce qui s’est passé n’est pas normal ! » Deux policiers ont récemment été mis en examen pour « coups mortels » dans son affaire. Alors pour le jeune homme de 28 ans, ingénieur, le clip d’Amel Bentounsi fait figure d’« euphémisme » à côté de ce que les familles de victimes vivent. « On a le droit de dire ce que les gens refusent de voir », a-t-il conclu.

Une militante féministe de «Femmes en lutte 93» venue soutenir Amal Bentounsi.Une militante féministe de «Femmes en lutte 93» venue soutenir Amal Bentounsi. © LF

Quant à Sihame Assbague, porte-parole du collectif Stop Le contrôle au faciès, elle a rappelé que les rapports d’ONG, comme Amnesty International, dénonçaient avec régularité l’impunité policière en France. Ou encore que l’Inspection générale de l’administration avait récemment dénoncé les abus des policiers en matière de procédure pour outrage et rébellion. « Il y a des gens qui ont le droit de critiquer la police et d’autres non, a remarqué le chercheur et militant Mathieu Rigouste, 32 ans, lui aussi cité comme témoin. J’ai moi-même écrit des choses qui ressemblent beaucoup à ce qu'a fait Amal et je n’ai pas été attaqué. »

Pour l’auteur de La Domination policière – Une violence industrielle (La Fabrique éditions, 2012), la stratégie des autorités est double : « Il s’agit de punir parmi ceux qui subissent la violence policière ceux qui luttent et dénoncent, ainsi que de caresser les appareils répressifs quand ceux-ci grognent par la voie de leurs syndicats. » Face à ce tribunal parisien, le chercheur, qui a passé une trentaine d’années en banlieue, affirme que les propos d’Amal Bentounsi sur l’impunité policière « résonnent pour énormément de gens dans les quartiers populaires ». « Ce qu’Amal dénonce est la réalité », martèle Mathieu Rigouste, en reconnaissant qu’il n’existe pas de statistiques officielles sur le sujet.

Sceptique sur le « vecteur » – un blog – choisi par la prévenue « pour faire avancer son dossier », la procureure Aurore Chauvelot a toutefois demandé sa relaxe. « Est-ce que pour autant les propos de Mme Bentounsi dépassent les limites admissibles de la liberté d'expression dans une société démocratique ? Je ne le crois pas », a-t-elle déclaré, en rappelant que toute une partie des propos attaqués par le ministre de l’intérieur étaient prescrits. Allant plus loin, la procureure a estimé que la police était « un corps sans doute insuffisamment encadré, mais on ne peut pas dire que c’est un corps insuffisamment contrôlé ».

Me Michel Konitz, l’avocat d’Amal Bentounsi, a également demandé la relaxe. « Quand quelqu’un vient me voir pour se plaindre de violences policières, je lui demande s’il a une vidéo et cinq ou six témoins, a-t-il expliqué. Car tout le monde sait qu’il y a une omerta dans la police et que les policiers se protègent entre eux. ». À ses yeux, la plainte de Manuel Valls en date du 21 janvier 2013 n’était donc qu’une « opération de communication interne pour faire plaisir aux syndicats ».

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Roms: procès du riverain qui voulait «nettoyer» son quartier

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En costume gris, petites lunettes cerclées, le prévenu se présente à la barre comme un homme qui n’a rien, ou pas grand-chose, à se reprocher. Son statut social, semble-t-il estimer, lui tient lieu de protection. De nationalité française, en cours de reconversion professionnelle, il met en avant « la manière dont il a été éduqué » et les grandes écoles qu’il a fréquentées. Souligne qu’il est « propriétaire » d’un appartement depuis dix ans. Avec assurance, il se définit comme un « humaniste », fait référence à ses « valeurs ». Et montre, par ses déclarations, une certaine obsession de la « propreté ».

Cet homme, âgé d’une quarantaine d’années, divorcé, sans enfant, résidant près de la place de la République à Paris, était entendu, lundi 7 avril 2014, par le tribunal correctionnel de Paris. Il est accusé d’avoir versé un liquide corrosif autour et sur le matelas d’un couple de nationalité roumaine d’origine rom vivant à la rue en bas de chez lui. Poursuivi pour faits de violence, il lui est en outre reproché d’avoir agi avec préméditation.

Avant l’audience, le prévenu a contacté plusieurs journaux, dont Mediapart, pour faire valoir ses relations avec des « hauts fonctionnaires » et des « professeurs de fac »« De gauche », a-t-il précisé. Déjà persuadé que ses « connaissances » étaient de nature à le disculper, il a réfuté les accusations de xénophobie, concédant tout au plus être « quelque peu maniaque de propreté ».

Les ennuis judiciaires commencent pour ce « riverain exaspéré », selon l’expression médiatico-politique consacrée, lorsqu’il est aperçu, un soir de janvier, à proximité d’un homme et d’une femme, sans domicile, installés sous l’auvent du bagagiste Rayon d’or de la rue du Temple, par deux bénévoles de l’association Autremonde. Ces deux-là connaissent les personnes qui passent la nuit emmitouflées sous des couvertures : depuis plusieurs mois, ils sillonnent le quartier en proposant du thé, du café et de la soupe aux sans-abri. Ils s’assoient à leur côté et discutent avec ceux qui le souhaitent. Plusieurs familles roms leur ont déjà parlé d’un homme qui les agresse en jetant sur eux un produit corrosif, une sorte d’acide, pensent-ils. Ce 16 janvier 2014, à une cinquantaine de mètres de distance, ils voient un homme, « une bouteille blanche à la main », à côté d’un couple, assis sur un matelas, manifestement « très paniqué ». Quelques jours plus tard, les victimes se décident à porter plainte, ce qui est peu fréquent chez des familles qui, le plus souvent, ne font pas confiance aux forces de l’ordre.

Le témoignage des maraudeurs est versé au dossier. À l’audience, la juge en lit des passages desquels il ressort qu’ils ont observé « de l’acide ou une substance corrosive ronger le matelas ». « Ce n’est pas la première fois » que de tels incidents se produisent dans le quartier, font-ils remarquer. Le « riverain » est identifié par les policiers qui font le rapprochement avec les diverses demandes d’intervention concernant la présence de SDF qu’il a formulées auprès du commissariat de l’arrondissement.

Arrivé dans la salle d’audience conduit par sa femme, main dans la main, le plaignant, malvoyant, décrit la scène, un interprète à ses côtés : « Je me souviens de la présence d’un homme qui a dit qu’il fallait qu’on dégage. Il criait. J’ai dit que nous ne pouvions pas partir maintenant car il n’y avait plus de place au 115 (numéro d’appel de l’hébergement d’urgence). L’homme a continué de crier. » D’après son récit, confirmé par la suite par l’intéressé, le « riverain » est parti, puis revenu, muni d’une bouteille. « Il a de nouveau crié. Je n’ai pas fait attention », poursuit-il. Jusqu’à ce qu’il sente « une odeur puissante qui pique le nez ». « J’ai entendu ma femme crier “non!” Elle a sauté hors du matelas. » Son mari l’a suivi. Devant les policiers, il a expliqué que le prévenu avait eu le temps de lui verser du liquide sur les pieds, mais qu’il avait pu retirer ses chaussettes avant d’être brûlé.

Les événements se sont déroulés différemment, selon l’accusé, qui reconnaît avoir répandu un produit. « Je voulais juste nettoyer le trottoir, se défend-il, car on a des problèmes d’excréments. » « Il existe des services de voirie pour ce genre de chose », remarque la juge. Pourquoi ne pas avoir attendu que le trottoir soit inoccupé pour le nettoyer, demande-t-elle. « Pour éviter que d’autres familles s’installent », répond-il.

Ce soir-là, selon sa version, il se promène dans le quartier avec son chien, et s’inquiète de constater une nouvelle installation. Il veut empêcher qu’« un groupe s’installe, puis deux, puis cinq ». Il remonte chez lui chercher la bouteille. Il redescend sans son chien avant de s’en prendre au couple. Il admet avoir versé un « demi-litre » de liquide, mais il conteste la nature du contenu de la bouteille. « J’ai utilisé un mélange d’eau de javel et de savon noir », assure-t-il, comme s’il s’agissait d’un moindre mal. « Ce mélange n’est pas corrosif », croit-il savoir. Lors d’une perquisition à son domicile, une bouteille de savon noir de marque Saint-Marc a été retrouvée. La juge lui demande pour quel usage il garde ce type de produit chez lui. « Pour nettoyer le trottoir », insiste-t-il. « La présence en soi de ces personnes ne me pose aucun problème, mais tous ne sont pas respectueux de leur environnement », regrette-t-il, pour justifier son geste. « Je n’ai pas répandu de liquide sur les gens. Je vis au-dessus, il aurait suffi que j’en jette par la fenêtre », indique-t-il pour essayer de convaincre le tribunal qu’il n’a pas visé les personnes elles-mêmes. « J’ai simplement voulu (…) faire le ménage en bas de chez moi », résume-t-il, ajoutant que, d’après ses lectures, le produit utilisé a « des effets différents selon la nationalité des personnes ». Au bout du compte, il se dit « désolé d’avoir provoqué une vive réaction de la part des associations » et « désolé pour le symbole » dont il dit ne « pas avoir mesuré l’importance ».

Son avocate, Marie-Cécile Nathan, lui emboîte le pas : « On peut regretter le caractère moralement désagréable de cette méthode », affirme-t-elle à propos du geste de son client, tout en demandant la relaxe. « Vous n’avez rien matériellement », estime-t-elle puisque ni les couvertures ni le matelas n’ont été saisis par les policiers. Ironisant sur « ces associations qui prennent contact avec les services de police », elle répète que le produit n’était pas corrosif. « S’il avait utilisé du jus de citron, ça n’aurait pas été considéré comme un produit dangereux », clame-t-elle. Elle considère par ailleurs que le caractère volontaire de l’agression n’est pas établi. Son client, assure-t-elle, est quelqu’un de « carré » qui « ne ferait rien à l’encontre de la loi ». Il a versé le produit à « bonne distance », martèle-t-elle.

Frôlant la condescendance, le prévenu se dit « ravi » que les victimes « aient pu trouver une solution de logement », après s’être déclaré « ennuyé » et même « très embêté » que la prise en charge des personnes à la rue par l’État soit défaillante.

Pas de quoi attendrir l’avocat de l’homme aveugle, Mehdi Mahnane, qui soutient que non seulement le produit déversé est « corrosif et dangereux » mais aussi, facteur aggravant, qu’il a été utilisé contre une personne « particulièrement vulnérable ». « Il n’appartient pas aux citoyens d’exclure librement, de chasser ces personnes avec des produits extrêmement dangereux », rappelle-t-il, soulignant que ces « violences » avaient pour but d’« impressionner vivement » et de faire partir les personnes visées. Trois mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende ont été requis à l’encontre du « riverain ». Le jugement a été mis en délibéré au 12 mai.

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Ecologie: un monstre administratif aux pieds d'argile

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Dans quel état se trouve le « grand » ministère de l’écologie dont Ségolène Royal prend aujourd’hui la tête ? La question peut sembler étrange, alors que parmi les défenseurs de l’environnement, beaucoup se réjouissent de sa revalorisation hiérarchique, et de la nomination à sa tête d’une femme politique à poigne. Pourtant l’efficacité opérationnelle et le moral interne de ce mastodonte administratif (environ 47 000 agents) ne sont pas proportionnels à sa taille. Bien au contraire.

La création d’un super ministère regroupant l’équipement, l’écologie et l’industrie, aux premières heures de la présidence Sarkozy, s’est faite à marche forcée, au prix de bouleversements d’organisation et de la souffrance de certains personnels, dont les effets continuent de peser sur les politiques de développement durable. C’est ce que révèle, analyse et discute en détail un passionnant livre d’enquête sociologique, dirigé par le chercheur Pierre Lascoumes, sur les dessous de la constitution du grand ministère tant vanté aujourd’hui : Le Développement durable – Une nouvelle affaire d’État.

Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, le dernier jour du Grenelle de l'environnement, 25 octobre 2007 (Reuters).Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, le dernier jour du Grenelle de l'environnement, 25 octobre 2007 (Reuters).

Le premier mérite de cet ouvrage est d’aborder un sujet ignoré du grand public : la création du ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durable (MEDAD) en 2007 nécessita une réorganisation massive et brutale de l’administration. Des services jusqu’ici autonomes les uns des autres, voire en concurrence, se retrouvèrent d’un coup à devoir conduire ensemble des politiques de développement durable – on ne parlait pas encore de transition énergétique –, et parfois à devoir fusionner. Ce grand bouleversement touche à la fois les structures centrales et les services territoriaux : les Drire, Diren et Dre fusionnent dans les Dreal, nouvelles antennes de l’État au niveau régional.

À l’extérieur, associations et ONG se réjouissent du super ministère Borloo et de l’ambition du Grenelle de l’environnement. À l’intérieur, « les tensions sont très vives au sein même du ministère entre grands corps techniques de l’État. Un affrontement continu a lieu entre le nouvel ensemble et le ministère de l’intérieur, les deux entités revendiquant la prééminence sur les services territoriaux de l’État ».

Pour les services et les agents, l’ampleur des bouleversements est décuplée par la multiplication des processus, en plus de ce nouveau design ministériel : le Grenelle de l’environnement, la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (soit la suppression de 1 500 postes par an pour le ministère), la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la décentralisation.

Les diverses réformes du quinquennat « s’entrecroisent, se complètent ou s’annulent les unes les autres sans qu’on parvienne à tirer un fil cohérent quant au sens de ce qui est à l’œuvre », notent les chercheurs. Des hauts fonctionnaires se sentent maltraités. Ce haut responsable raconte ainsi que « toutes les décisions concernant le ministère se prenaient dans une boîte noire qui s’appelle l’Élysée. C’est une boîte noire dans le sens où les décisions qui s’y prennent vous ne savez absolument pas sur la base de quoi, de quelles infos, de quels critères. Vous ne savez pas qui, vous ne savez pas comment. Et quand ça ressort, ça s’impose à tout le monde ».

Certains corps de métiers historiques disparaissent littéralement, comme l’ingénierie publique. « La réforme a imposé des reconversions forcées à d’énormes bataillons d’agents dispersés dans les services opérationnels », expliquent les auteurs, provoquant des déstabilisations identitaires individuelles et collectives, à l’image de ce spécialiste des routes qui doit devenir expert en gaz à effet de serre. Le super ministère repose sur un pari aventureux : celui de l’oxymore. Faire travailler ensemble des agents dévolus au développement économique et à la préservation de l’environnement. Cette intégration permanente de la contradiction constitue « une rupture vis-à-vis de l’ancienne logique d’affirmation d’une composante environnementale forte et autonome de l’État ».

Le choc des cultures est parfois violent. « Ce qui a fait réagir le monde de l’équipement, c’est quand on a mis un "s" à habitats, parce que ça sous-entendait que quand on parlait d’habitats, on parlait d’habitat pour l’homme, de logement, mais qu’on parlait aussi d’habitats pour les animaux. Et ça…il y a eu un haut-le-cœur dans le monde de l’équipement ! » explique ainsi un agent. Un autre : « On a mélangé le logement des gens avec celui des bestioles. Quand on entend des trucs comme ça quand même il faut… »

S’y ajoute une bataille entre les grands corps d’État : Mines, Ponts et Chaussées, Génie rural, Eaux et Forêts. Ces corps avaient constitué des monopoles sur certains domaines de l’action publique : politiques industrielles (Mines), transports et urbanisme (Ponts et Chaussées), agricoles (GREF). Cette répartition des tâches est bousculée par la création de l’ovni Medad. S’entremêlent enjeux de pouvoir, de symboles et de reconnaissance des compétences spécifiques des uns et des autres. Et en même temps, la réforme ministérielle accompagne le repositionnement de ces corps, les Ponts vers la réflexion en terme de « territoire », les Mines vers la pensée du risque et du tournant énergétique.  

Les suppressions de poste se conduisent à un tel rythme que « beaucoup considèrent aujourd’hui dans les services que l’apparent glissement d’un projet d’équipement à un projet de développement durable ne serait qu’une façade d’un changement institutionnel plus large visant à réduire les périmètres d’intervention de l’État et du service public », analysent les chercheurs. Cette réforme du mode de gouvernement des enjeux environnementaux n'est pas neutre politiquement. Elle marque même « l’affirmation d’une écologie de droite ». Pour les promoteurs de ce nouveau design ministériel – élaboré dès la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy –, il s’agissait de se démarquer d’une écologie de gauche, vue comme oppositionnelle. Les agents et leurs directeurs peinent à s’accorder sur une définition commune et surtout opératoire du développement durable. Est-ce un objectif ou une justification ? En 2014, deux ans après le changement de majorité présidentielle, on ne peut que se désoler du silence assourdissant de l’exécutif sur sa vision d’une politique progressiste de la transition écologique.

Le développement durable prôné par les pouvoirs publics crée-t-il une nouvelle politique ou n’est-il que l’habillage d’une rationalisation des moyens de l’État, se demandent les chercheurs. Leur réponse reste en suspens. À les en croire, le grand ministère fusionné n’a pas atteint tous ses objectifs. Depuis 2012, sa dotation budgétaire a reculé d’environ 13 %. Et en moins de deux ans d’exercice du pouvoir, quatre ministres de l’écologie se sont succédé, un record. Pour autant, ils ne contestent pas la légitimité de l’existence de ce grand ministère. Le travail concret des agents s’en est trouvé modifié. Des effets s’avèrent visibles et sensibles, par exemple pour la production des avis de l’autorité environnementale. À l’issue de leur travail, les chercheurs appellent à la poursuite de l’observation de ces processus. Il ne faudrait pas oublier d’envoyer un exemplaire de leur livre à la nouvelle ministre de l’écologie.

BOITE NOIREPierre Lascoumes, avec Laure Bonnaud, Jean-Pierre Le Bourhis et Emmanuel Martinais, Le Développement durable – Une nouvelle affaire d'État, Puf, 199 p., 19 euros.

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Affaire Kadhafi: Hortefeux prépare sa riposte depuis Bruxelles

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Brice Hortefeux est loin d'être l'eurodéputé le plus assidu à Strasbourg. Mais il semble maîtriser à la virgule près le règlement intérieur de l'institution – et en particulier les chapitres portant sur l'immunité des élus. L'ancien ministre, placé sur écoute dans le cadre d'une enquête sur les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, prépare sa riposte depuis Bruxelles. Plusieurs documents dont Mediapart a eu connaissance permettent de détailler cette stratégie, encore loin d'avoir abouti. 

En toute discrétion, la commission des affaires juridiques du parlement européen s'est penchée, lundi en fin de journée, sur une demande de « défense de l'immunité parlementaire », déposée par l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy en personne. Dans un courrier du 21 mars 2014 adressé à la présidence du parlement, auquel Mediapart a eu accès, Brice Hortefeux explique être victime d'un « déni » : à ses yeux, des juges d'instruction français ont bafoué l'immunité dont il est censé bénéficier, en sa qualité d'eurodéputé, au moment de le placer sur écoute. Il veut donc obtenir du parlement qu'il constate ce qu'il considère être une erreur de la justice française, et en tire les conséquences au plus vite.

Les écoutes auxquelles Brice Hortefeux fait allusion sont celles menées par les deux juges français en charge de l'affaire sur les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy – affaire dont les premiers éléments ont été révélés par Mediapart. Ces écoutes ont notamment permis d'établir des contacts, en fin d'année dernière, entre Brice Hortefeux et Christian Flaesch, le patron de la police judiciaire parisienne, le second expliquant au premier comment se « préparer » aux auditions à venir (lire un article du Monde de décembre 2013, un autre de Mediapart de mars 2014).

Brice Hortefeux le 11 mars 2014, à Strasbourg. © Reuters.Brice Hortefeux le 11 mars 2014, à Strasbourg. © Reuters.


De quel « déni » parle Brice Hortefeux dans son courrier ? Conformément au règlement intérieur du parlement européen, les eurodéputés bénéficient d'une immunité identique à celle des élus des parlements nationaux de leur pays respectif. En clair : l'immunité de Brice Hortefeux à Strasbourg est calquée sur celle d'un député ou d'un sénateur français. Or, le code de procédure pénal français est formel : « Aucune interception téléphonique ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d'instruction » (article 100-7).

À Strasbourg, le président du parlement européen s'appelle Martin Schulz. Sollicité par l'avocat de Brice Hortefeux dans une lettre datée du 7 janvier dernier, Schulz, un social-démocrate allemand, a fini par répondre, le 10 mars, qu'il n'avait jamais été informé par la justice française de cette démarche de mise sur écoute de l'ex-ministre français, « suivant vérification par mes services et sauf erreur », a-t-il pris soin de préciser, dans un courrier confidentiel qu'a également pu se procurer Mediapart.

Conclusion définitive de Brice Hortefeux: « Il est donc patent, qu'au mépris du principe iura novit curia (le juge est censé connaître la loi, ndlr), les juges d'instruction ayant ordonné mon placement sur écoute, alors qu'ils connaissaient pertinemment ma qualité de député européen, n'ont pas appliqué l'article 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne. » D'où la démarche d'Hortefeux, qui a décidé de faire valoir ses droits d'eurodéputé.

D'après nos informations, c'est l'eurodéputée autrichienne du groupe des Verts Eva Lichtenberger qui a été désignée « rapporteur » sur ce texte, au sein de la commission des affaires juridiques. Lors de la séance de lundi, elle a plaidé pour un report de l'examen de cette demande au prochain mandat, arguant en particulier de délais trop courts pour la traduction des documents, et pour la rédaction d'un rapport, d'ici à la séance plénière de la semaine prochaine. Le scénario d'un report est très plausible, puisque Brice Hortefeux, à nouveau candidat pour l'UMP, a de bonnes chances d'être réélu, lors des élections de fin mai.

Les débats sur les immunités parlementaires ne sont pas publics, et il faudra attendre la publication des « minutes », dans les jours à venir, pour prendre connaissance des résultats. Mais toujours d'après nos informations, une majorité des eurodéputés a suivi Lichtenberger, repoussant à un éventuel prochain mandat d'Hortefeux cette demande de « défense d'immunité ». Le groupe du parti populaire européen (PPE, dont Brice Hortefeux est membre) a réclamé la tenue d'une réunion extraordinaire, en marge de la séance plénière qui s'ouvre à Strasbourg la semaine prochaine, mais cette demande a été rejetée. Jointe par Mediapart, Eva Lichtenberger n'a pas souhaité commenter nos informations.

Dans sa lettre du 21 mars adressée à Martin Schulz, celui qui est aussi conseiller régional d'Auvergne estime que « ce déni n'est malheureusement pas un cas isolé ». Brice Hortefeux mentionne le précédent d'un autre homme de droite français, Jean-Charles Marchiani, un proche de Charles Pasqua qui fut député européen de 1999 à 2004. Mis en cause dans plusieurs affaires, ce dernier avait été placé sur écoute, sur décision d'un juge d'instruction parisien, au cours de son mandat. En réaction, le parlement européen avait alors défendu, dans une décision de juillet 2005, « l'immunité et les privilèges » de Marchiani, et exigé « l'annulation » ou « la révocation » d'un arrêt de la Cour de cassation française, allant dans le sens contraire.

Le parallèle entre les deux situations, s'il ne fait pas de doute aux yeux de Brice Hortefeux, reste à prouver. Ce sera sans doute au parlement issu des urnes fin mai d'en décider. 

BOITE NOIREJ'ai joint le bureau de Brice Hortefeux à Bruxelles lundi – mais sans retour de l'intéressé.

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Le bras d'honneur de Guérini au PS

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Jean-Noël Guérini, sulfureux patron du conseil général des Bouches-du-Rhône, s’est payé le luxe lundi soir d’annoncer qu’il quittait le Parti socialiste. « C'est une épreuve pour moi, mais j'y suis contraint, a-t-il déclaré dans un communiqué. Ce parti, je ne le reconnais plus, je ne m'y reconnais plus. » Après trois ans de tergiversations et d’enfumage du PS sur son exclusion, ce départ sonne comme un camouflet pour le parti et son premier secrétaire Harlem Désir.

Jean-Noël Guérini, lors d'une conférence de presse le 11 octobre 2013Jean-Noël Guérini, lors d'une conférence de presse le 11 octobre 2013 © Reuters

Mis en examen à trois reprises dans une affaire de marchés publics truqués dont certains ont profité à des chefs d’entreprise issus du grand banditisme et récemment renvoyé devant le tribunal correctionnel de Marseille pour « détournement de fonds publics », le sénateur sort donc tête haute du PS où il militait depuis 1967. In extremis, alors que son exclusion devait être actée lors du prochain bureau national du PS le 9 avril selon les instances nationales du PS. «Il avait eu vent que nous allions l'exclure, a assuré mardi Alain Fontanel, secrétaire national aux fédérations. Il m'a appelé vers 17 heures lundi (7 avril, ndlr)  pour me dire que c'était une erreur, que si on l'excluait, il nous attaquerait en justice. Et il m'a annoncé que de toutes façons il quitterait le parti.» Une conversation au «ton vif», doux euphémisme pour ne pas prononcer le mot menaçant.

Selon le secrétaire national, Harlem Désir avait pris la décision de réunir le bureau national  la semaine dernière, après que Jean-Noël Guérini ait confirmé qu'il présenterait « une liste personnelle aux prochaines sénatoriales ». «Selon les statuts du PS soutenir une candidature dissidente ne permet pas en soir l'exclusion, explique Alain Fontanel. Jean-Noël Guérini nous avait prévenu qu'il nous attaquerait, et nous voulions éviter tout risque juridique, il n'était pas question de lui offrir une réhabilitation judiciaire ! Mais là nous avions un dossier incontestable, avec un acte de dissidence direct qui venait clore une série de soutiens à des dissidents.»

« Depuis maintenant quatre ans, je suis la cible d'attaques de socialistes, qui n'ont eu de cesse de me déshonorer, en distillant des contre-vérités, pour jeter le discrédit et la suspicion sur ce que j'ai fait et sur ce que je suis », s’est plaint Jean-Noël Guérini, qui doit tenir une conférence de presse mardi après-midi. Pour l’ex-socialiste, qui a soutenu des candidatures dissidentes à celle de Patrick Mennucci lors des municipales marseillaises, il s’agit surtout de préparer sa réélection aux sénatoriales de septembre 2014. Le patron du département avait annoncé lors de ses vœux en janvier 2014 qu’il présenterait une liste autonome face à la tête de liste PS pressentie, la sénatrice Samia Ghali. Comment le PS en est-il arrivé là ? Retour sur trois ans de vœux pieux et de reculades.

Dès le 8 décembre 2010, dans une note confidentielle adressée à la première secrétaire Martine Aubry sur « les pratiques de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône », le député (PS) Arnaud Montebourg recommande sa mise sous tutelle par la direction du parti et la « destitution » de son président, Jean-Noël Guérini. Le document appelé « rapport Montebourg » fuite dans Le Point en mars 2011. Arnaud Montebourg y dénonce des dérives « clientélistes » dans la fédération des Bouches-du-Rhône, parlant de système « féodal ». Le PS temporise : la première secrétaire, Martine Aubry n'y voit « pas d'éléments précis », et son conseiller politique François Lamy dénonce « des affirmations péremptoires » sans « aucune preuve » ni « aucun fait réel ».

Début juillet 2011, le PS adopte les conclusions d'un rapport sur le fonctionnement de sa fédération des Bouches-du-Rhône, à la tête de laquelle Jean-Noël Guérini s’était fait élire président en contradiction flagrante avec les statuts du parti. Mais pas de sanction, ni de contrainte, un simple « contrat de rénovation » est proposé. La rénovation commence très fort avec l’élection à la tête de la fédération le 21 juillet de Jean-David Ciot, alors bras droit de… Jean-Noël Guérini au département.

Le 29 août 2011, Harlem Désir, premier secrétaire par intérim du PS, déclare que Jean-Noël Guérini, convoqué chez le juge d'instruction Charles Duchaine, devra « immédiatement » quitter le Parti socialiste et la présidence du conseil général des Bouches-du-Rhône s'il est mis en examen. « S'il s'agissait vraiment d'une mise en cause sur des chefs d'inculpation aussi graves – on parle de 20 millions d'euros trouvés sur des comptes à l'étranger – en lien avec l'exercice de responsabilités d'élu, je demanderais aux socialistes de faire en sorte que nous prenions des décisions claires, précise Harlem Désir. En tout cas, nous, nous serons extrêmement fermes. » Deux candidats à la primaire, Martine Aubry et Manuel Valls, lui emboîtent le pas lors de la même émission.

Le 8 septembre 2011, Jean-Noël Guérini est mis en examen pour « prise illégale d'intérêt », « trafic d'influence », « complicité d'obstacle à la manifestation de la vérité » et « association de malfaiteurs ». Un chef d’examen rarissime dans les affaires politiques. Mais le PS n'a même pas peur et Harlem Désir se contente d’appeler le sénateur, qualifié quelques jours plus tôt de « boulet moral », à « se retirer du PS et de toutes ses fonctions et responsabilités ». « Cette mise en examen doit marquer la fin du système Guérini », martèle le patron du PS.

Jean-Noël Guérini semble obtempérer... pour mieux rester. Il annonce habilement se mettre « en congé du PS » et délègue « temporairement » à un proche une part de ses prérogatives de président du conseil général des Bouches-du-Rhône. De la poudre aux yeux. Le tribunal administratif de Marseille pointe dans la foulée « un doute sérieux quant à la légalité » et « l’imprécision » de l’arrêté de délégation qui est cassé. Retour à la case départ. Jean-Noël Guérini continue de régner sur les 2,5 milliards d’euros de budget du conseil général où les conseillers généraux PS de la majorité, pétrifiés, sont incapables de s’organiser en un groupe dissident.

Le 2 novembre 2011, le bureau national du PS demande à l’unanimité à M. Guérini sa démission de la présidence du conseil général du département des Bouches-du-Rhône. Il doit en « tirer toutes les conséquences en termes d'exécutif, de présidence et de participation au groupe socialiste au Sénat et au conseil général », indique Benoît Hamon, alors porte-parole du PS. Refus de l’intéressé, qui met au défi les instances nationales de son parti. « Si le bureau national du PS veut établir une jurisprudence Guérini, elle doit s'appliquer de la même façon à tous et partout », pointe le sénateur qui réclame la démission de tous les élus PS condamnés définitivement ou mis en examen.

Le sujet revient sur le tapis lors de la campagne pour la présidentielle. Interrogé par Mediapart le 13 avril 2012, François Hollande bluffe et annonce que Jean-Noël Guérini n’est « déjà plus au PS ». Raté, en octobre 2012, le patron du département vote tranquillement face aux journalistes pour l’élection du premier secrétaire du PS.

Nouveau coup de semonce, le 5 mars 2013, Jean-Noël Guérini et son ancien bras droit le député PS Jean-David Ciot sont mis en examen, respectivement pour « détournement de fonds publics » et recel de «détournement de fonds publics » dans une affaire de licenciement. Le 19 mars 2013, Harlem Désir place la fédération des Bouches-du-Rhône sous tutelle. Mais les tuteurs, Alain Fontanel, secrétaire national aux élections, et son homologue aux fédérations, Christophe Borgel, sont aux abonnés absents à propos du cas Guérini. « C'est un sujet qui est aussi devant nous », éludent-ils fin avril 2013, dans un magnifique numéro de duettistes filmé par Marsactu.

Le 3 juin 2013, le juge d’instruction Charles Duchaine met à nouveau Jean-Noël Guérini en examen. Cette fois, il décroche le gros lot : « trafic d'influence », « atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de trafic d'influence, de corruption et de détournements de fonds publics ». Dans son ordonnance de demande de levée de l'immunité parlementaire du sénateur du 31 octobre 2012, le juge d'instruction marseillais pointe « la gravité de l'affaire, sa très grande complexité et (le) caractère “mafieux” de l'organisation mise au jour »...

Le 10 juillet 2013, François Hollande serait, selon Libération, tombé de haut en apprenant de la bouche de deux élus marseillais, la ministre Marie-Arlette Carlotti et le conseiller général Michel Pezet, que le sénateur était toujours membre du PS.

Mis sous pression, Harlem Désir finit par annoncer le 22 septembre 2013, qu’il veut saisir « dans les prochains jours » la future haute autorité du parti du cas Guérini. Prévue dans les nouveaux statuts du PS adoptés en octobre 2012, la haute autorité est « chargée de faire respecter les règles d’éthique et de droit qui s’imposent au Parti socialiste et à ses adhérents ». Cette fois, « Guérini, c’est fini pour le Parti socialiste », promet le patron du PS. Et de justifier : « Il ne souhaite pas le succès de ces primaires, de nos candidats. » 

Une façon de temporiser encore, tempête alors Patrick Mennucci, candidat à la primaire. « Moi j’ai demandé son exclusion à la commission nationale des conflits du PS le 17 juillet 2012, suite à la candidature dissidente de Lisette Narducci soutenue par Jean-Noël Guérini lors des législatives, rappelle le député PS. Je ne vois que deux moyens de l'exclure : soit la commission nationale des conflits, soit une décision du conseil national. Cette affaire-là pollue la campagne. » Le dossier déposé à la commission nationale des conflits en juillet 2012 n'aurait jamais été instruit.

Quatre mois plus tard, le 28 janvier 2014, Harlem Désir répète aux membres du bureau national du parti « qu'il avait décidé de saisir la haute autorité de PS du cas de M. Guérini, pour manquements répétés aux principes de la charte éthique du parti », selon Alain Fontanel, secrétaire national chargé des fédérations. Encore un effet d’annonce, puisque deux mois plus tard, la toute nouvelle haute autorité qui devait instruire le dossier reconnaît ne l’avoir jamais reçu. « Nous avons été saisis formellement puisqu'il y a eu cette annonce, indique à Marsactu le 4 avril 2014 son président, l'avocat Jean-Pierre Mignard. Mais nous n'avons pas encore reçu la requête avec les griefs, les pièces et les annexes. »

Ce qui n’a pas empêché le secrétaire fédéral du PS, le 26 mars 2014 sur France Inter, de laisser entendre que Guérini aurait pris la porte avant de devoir reconnaître, face à l'insistance de Patrick Cohen, que ce n'était pas encore le cas. Le bureau national du PS a été bien plus prompt à radier le 12 mars 2014 Jean-Claude Boscher, qui fut l'un des premiers militants PS à dénoncer publiquement les pratiques de Jean-Noël Guérini et qui a eu le tort de rejoindre une des listes citoyennes de Pape Diouf.

Excédé, le candidat PS aux municipales marseillaises Patrick Mennucci, qui a fait face dans l’entre-deux tours à un accord Gaudin-Guérini sur l’un des secteurs en jeu, laisse deux semaines au PS pour choisir entre lui et Guérini. C’est fait. Mais sans doute pas de la façon dont le député PS l’aurait souhaité. Reste à savoir ce qu'il adviendra au conseil général.

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François Hollande en son labyrinthe

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À la différence de nombreux écrivains de sa génération, Norman Mailer ne dédaignait pas la politique. Il la considérait en artiste et en anthropologue, comme une source d'émerveillement. En 1960, il avait suivi pour le magazine Esquire la convention démocrate au cours de laquelle John Fitzgerald Kennedy fut investi candidat. Il en rapporta un long reportage intitulé « Superman débarque au supermarché », un modèle pour qui voit dans la scène politique une cérémonie rituelle, cannibale, un des derniers refuges de la sorcellerie.

Norman Mailer en 1970.Norman Mailer en 1970. © (dr)

Les premiers mots de son article ne laissent aucun doute sur le sens de l’entreprise : « La convention a commencé par un mystère et s'est terminée par un autre mystère. » Indifférent aux intrigues qui sont le lot des congrès politiques, Mailer s'interrogeait sur la double vie que menaient ses concitoyens depuis la Première Guerre mondiale, déchirés entre « la vie politique réelle, concrète, fondée sur les faits, et incroyablement ennuyeuse... et l'histoire souterraine des désirs romantiques, solitaires, inexploités, cette concentration d'extase et de violence qui constitue la vie rêvée des Américains ». Situation que Mailer condensait dans une formule : « Les mystères sont irrités par les faits. »

C'est en peu de mots l'exact diagnostic qui convient à notre situation politique en ce printemps 2014, deux ans après l’élection de François Hollande à la présidence de la République.

  • Une chronique de notre névrose nationale

Après un quinquennat, celui de Nicolas Sarkozy, qui a poussé la combinaison d’extase médiatique et de violence verbale jusqu’à un point d’implosion inégalé sous la Ve République, le fossé ne cesse de s’approfondir entre « la vie politique réelle, concrète, fondée sur les faits, et incroyablement ennuyeuse » et l'histoire souterraine irrationnelle des désirs refoulés, des espoirs déçus, des colères muettes. La « vie rêvée » des Français, pour parler comme Mailer, s‘est invitée sur la scène politique à l’occasion des élections municipales.

Le « rêve français » que François Hollande se proposait de « réenchanter » pendant sa campagne, une formule qui paraît bien creuse aujourd’hui au regard de la politique sans ambition ni imagination suivie depuis deux ans, lui est revenu en boomerang sous la forme d’une abstention massive, d’un rejet résolu non pas du « système », comme l’assène la vulgate médiatique, mais de cette « vie politique réelle, concrète, fondée sur les faits, et incroyablement ennuyeuse », dont parlait Norman Mailer.

Oui, « les mystères sont irrités par les faits » et parfois ils se mettent même en colère – c’est la dynamique des mouvements sociaux. Or qu’a fait le pouvoir face à cette objection massive de son électorat ? Il a remanié le gouvernement.

La nomination de Manuel Valls à Matignon qui s’est imposée au président est apparue pour ce qu’elle était : le fruit d’une combinaison politique échafaudée depuis de longs mois entre un quarteron de ministres ambitieux et un conseiller de l’Élysée, menaçant le président de démissionner si l’un des leurs n’était pas nommé à Matignon à la place de Jean-Marc Ayrault. Au lieu du sursaut souhaité par les électeurs, le monarque républicain s’enferma dans les petits calculs, les arrangements, le dosage millimétré des équilibres politiciens. Au lieu d’une nouvelle orientation, ce fut la poursuite d’une pratique politique cynique, plus attentive aux intérêts des élus qu'aux problèmes des électeurs… 

Sous la Ve République, les remaniements ne consistent pas seulement à changer de gouvernement. Ils constituent des moments privilégiés au cours desquels le pouvoir du monarque républicain s’affirme sans réserve ni limite. Remanier ne se réduit pas à changer de premier ministre, ce n’est pas un simple épisode de la vie des institutions. C’est une stase de l’hyperprésidence.

S’y donnent à lire les signes de la toute-puissance. Le monarque républicain détient le pouvoir de nommer et de congédier, de faire et de défaire les carrières. Il constitue sa cour de ministres et d’affidés selon des critères connus de lui seul et conformément à une infaillibilité quasi papale. Dans notre monarchie républicaine, remanier est un rite, une liturgie au cours de laquelle on célèbre et légitime une forme d’absolutisme, celui du président. Et c’est pourquoi les remaniements sont ritualisés à l’extrême : tractations secrètes, consultations… Une cérémonie désuète dont témoignent dans notre mémoire télévisuelle le ballet des voitures officielles dans la cour d’honneur de l’Élysée, les silhouettes entrevues au bas du grand escalier Murat, la fixité de mannequin des huissiers, l’attente fiévreuse des postulants auprès du téléphone (pourtant devenu portable depuis longtemps). Et finalement, cette liste tant attendue qui revêt l’allure d’une bulle pontificale.

C’est la chronique de notre névrose nationale, inscrite dans les gènes de la Ve République et qui produit ses effets de bout en bout de l’échiquier politique. Elle se répète à l’identique depuis un demi-siècle, fabriquant à chaque époque sa génération d’adolescents boutonneux qui ne rêvent que d’« être président », sa promotion Voltaire de candidats à la gloire nationale. Avec ces « destins » perdus à qui a manqué d’être en « situation »,  on remplirait un musée Grévin des présidents, une foule d’hommes et de femmes partis à la rencontre d’un peuple qu’ils n’ont jamais trouvé, tels des Don Quichotte de la chevalerie présidentielle…

À quelques détails près, c’est à un nouvel épisode de cette vieille névrose nationale auquel nous avons assisté une fois encore. À un détail près qui n’a pas échappé à Jérôme Batout, l’ex-conseiller spécial du premier ministre, chef de la communication et de la stratégie de Matignon, qui est aussi philosophe et psychanalyste et a accepté de décrypter pour Mediapart la séquence du remaniement. Un détail ou plutôt un acte manqué dans le protocole précis qui régit sous la Ve République l’annonce d’un remaniement. Les faux pas du rituel sont à la scénographie politique ce que les lapsus sont au langage : on peut y lire la signature de l’inconscient. « L’inconscient, c’est la politique », disait Lacan.

Pierre-René Lemas, secrétaire général de l'Elysée, annonce le nouveau gouvernement.Pierre-René Lemas, secrétaire général de l'Elysée, annonce le nouveau gouvernement. © (Reuters)

Le rituel qui préside à l’annonce d’un remaniement est très précis. Il prévoit que le secrétaire général de l’Élysée quitte le bureau du président au premier étage, descende l’escalier Murat et s’adresse sur le perron aux journalistes massés dans la cour d’honneur, pour leur communiquer la liste des ministres du nouveau gouvernement.

« Comme beaucoup de lieux de pouvoir, l’Élysée est en quelque sorte structuré comme un inconscient, analyse Jérôme Batout. Le sous-sol est le "ça" du pouvoir, avec le salon du feu nucléaire. Puis vient le rez-de-chaussée conscient du "moi", où le pouvoir se donne à voir dans la cour et s’exprime publiquement dans la salle des fêtes. Et, au premier étage, le bureau du président, siège du "surmoi", en surplomb de l’ensemble. Quand le président envoie son messager dans la cour annoncer la composition du gouvernement, on sait qu'il est là, au premier étage. Or cette fois-ci, François Hollande est descendu en premier, avant de s’engouffrer au vu et au su de tous dans sa voiture, garée devant le perron… Le président a ostensiblement quitté le surmoi, puis il a quitté le lieu du pouvoir, et il a laissé son messager descendre d’un étage vide, et y remonter. Pas sûr que Mitterrand aurait goûté le symbole. »

On sait depuis Freud que « le moi n’est pas libre dans sa propre demeure ». Mais on constate depuis quelque temps que le surmoi présidentiel a des ratés, des absences… Recevant Lakshmi Mittal, dans son bureau au moment de la crise de Florange, il l’avait pris pour le fils de l’industriel et avait confié après le rendez-vous que « Mittal n’avait pas de surmoi ». Étrange bévue car dans l’affaire de Florange, c’est le surmoi de Mittal qui s’est imposé à celui du président. Le surmoi du président, à qui le suffrage universel confie tant de pouvoir, sur lequel est bâti tout notre système politique, est donc intermittent. Il a des absences, des ratés.

On l’avait surpris déjà en fâcheuse posture, rue du Cirque, avec un casque intégral sur un scooter tel Lancelot du Lac coiffé de son heaume et chevauchant sa monture. Le voilà qui s’absente de l’Élysée au moment de faire annoncer son gouvernement pour se rendre à Bruxelles !

  • Brutus à Matignon

Faut-il y voir une métaphore d’un abandon ou d’une perte de souveraineté si souvent dénoncée par les souverainistes de droite et de gauche qui déplorent que le vrai pouvoir désormais soit à Bruxelles ? Le surmoi du pouvoir aurait-il déserté les capitales européennes pour se fixer à Bruxelles ? À moins qu’il ne se soit installé provisoirement à Matignon en attendant 2017, comme ce fut le cas de Nicolas Sarkozy qui réussit à s’imposer au ministère de l’intérieur au surmoi affaibli de Jacques Chirac à l’Élysée.

Tout se passe en effet comme si l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral avaient eu pour effet de déstabiliser la dyarchie au somment de l’exécutif. En la figure de son premier ministre, le président choisissait, sous la Ve République première mouture, l’autre visage du pouvoir exécutif, son double. Il suffit de penser aux couples De Gaulle/Pompidou, Giscard/Chirac, Mitterrand/Rocard, pour se souvenir que ce dualisme du pouvoir exécutif est un rouage essentiel au fonctionnement des institutions mais aussi un élément clé de la symbolique du pouvoir, de ses rites de passage et d’alternance.

Ce dédoublement de la figure de l’exécutif est au cœur de la dramaturgie du pouvoir qui fait alterner les figures de l’allégeance et de l’indépendance, de la loyauté et de la trahison, de la délégation et du duel… En choisissant son premier ministre ou en acceptant celui que le suffrage a désigné par temps de cohabitation, en le congédiant ou en acceptant sa démission, le président déplie le pouvoir exécutif dans le temps et le déploie dans l’espace. L’instauration du quinquennat a mis un terme à ce fonctionnement.

La figure du premier ministre « simple collaborateur » d’un hyperprésident, selon la formule de Nicolas Sarkozy, est une manière de rééquilibrer les pouvoirs entre Matignon et l’Élysée (Fillon, Ayrault). Mais on ne peut pas exclure un rééquilibrage inverse : un hyper-premier ministre face à un hypo-président. C’est ce qui s’est produit avec la nomination de Manuel Valls à Matignon. Le quinquennat qui avait pour but d’empêcher la cohabitation aurait abouti au résultat inverse, instaurant de fait un rééquilibrage au bénéfice d’une des deux figures de l’exécutif.

Ainsi lors du premier quinquennat de la Ve République, Sarkozy imposa la figure du volontarisme, de l’activisme, de l’hyper-présence médiatique à un Chirac dévalué sur l’air du « roi fainéant ». L’aventure pourrait bien se répéter au détriment de François Hollande avec un Manuel Valls à Matignon. On peut d'ores et déjà guetter les signes d’une telle opération de délégitimation. Côté Élysée, les signes de l’indécision, de la procrastination, de la prudence… Côté Matignon, les signes du volontarisme, de la détermination, de l’audace. Côté Élysée, le vieux monde et la promotion Voltaire. Côté Matignon, le nouveau monde et la promotion Blair. D’un côté, les énarques (François Hollande, Michel Sapin). De l’autre, les communicants (Matteo Renzi, David Cameron, Manuel Valls).

On pourrait compliquer le tableau en opposant à cette stéréophonie des signes Élysée/Matignon une autre distribution, Bercy/Matignon. Côté Bercy, le souverainisme économique et monétaire, la bataille du made in France, le retour de l’État, la génération Mitterrand. Côté Matignon, le discours de l’expert et de l’efficacité, le réalisme qui n’est ni de gauche ni de droite, la rigueur, l’autorité, la génération Rocard.

Manuel Valls et Nicolas Sarkozy au Parc des Princes, le 2 mars.Manuel Valls et Nicolas Sarkozy au Parc des Princes, le 2 mars. © (dr)

« En nommant Manuel Valls à Matignon, explique Jérôme Batout, le président se donne les moyens de régler certaines de ses angoisses pour 2017. Deux hommes en effet peuvent briguer sa place : à droite, en dépit de ses ennuis judiciaires, Sarkozy, et à gauche, Valls, qui pourrait bien ne pas attendre paisiblement 2022. En nommant Valls à Matignon, Hollande met dans un rôle de tout premier plan le "Sarko de gauche". Il espère qu’il va ringardiser et banaliser l’original, en figurant une V2 tout autant énergétique, mais plus jeune, plus communicante, plus en phase. Avec peut-être un bonus fantasmé, un espoir fou que les deux Sarko, dans ses deux versions, la V1 et la V2, finissent par se neutraliser et désamorcent  dans l'opinion l’attirance et pour Valls et pour Sarko. » La déclaration d'un Frédéric Lefebvre d'envisager de voter la confiance au gouvernement de Manuel Valls en est peut-être un premier indice.

  • La décantation catastrophique de François Hollande

En 2010, Laurent Fabius avait conseillé à Nicolas Sarkozy à la veille d’un remaniement de « se remanier lui-même ». Un conseil que la droite n’a pas manqué de rappeler à François Hollande la semaine dernière. Mais laissons là la polémique ! Car au-delà du mot d’esprit, on peut y lire un paradoxe du présidentialisme. Lorsque le pouvoir ne trouve plus à s’incarner que sous la figure exclusive de l’hyperprésident et sous la forme d’une représentation de soi, alors un remaniement du gouvernement perd effectivement toute signification et toute efficacité symbolique, pour apparaître effectivement comme un « remaniement de soi ».

L’« entrepreneur de soi » qui trône au sommet de notre République supervisant et servant de modèle à tous les petits entrepreneurs de soi qui sont ses sujets, ne peut plus le moment venu que se remanier lui-même. « J’ai changé ! » est le cri du cœur de la créature politique qui ne peut plus rien changer que lui-même. Au sommet de l’entreprise de soi, il n’a plus d’autre choix que de changer de rôle et de stratégie, de clore une séquence ou d’en ouvrir une autre, bref de se remanier lui-même. Il serait bien tenté de capter l’attention une nouvelle fois, mais le roi, sinon nu, est seul en scène, personne n’est là pour lui donner la réplique. Privé d’intrigue et de tension, le président narrateur s’enfonce dans le monologue… Il se réplique, se duplique, se remanie lui-même… « Ce remaniement de soi », Jérôme Batout le qualifie de décantation catastrophique dont la carrière de Berlusconi serait l’accomplissement caricatural. 

« Dans le jeu politique actuel, les leaders sont obligés, à chaque incident de parcours médiatique, de doubler la mise pour survivre : doubler leur exposition aux médias. Acte I, bien connu : la frontière entre vie publique et vie privée saute. Acte II : le leader est tenté d’utiliser sa vie privée comme flux pour maintenir à flots sa carrière et sa vie publique. Au fur et à mesure, on finit par tout voir, tout savoir, jusqu’au plus intime de leur vie. Un peu comme le joueur de poker, ayant perdu tous ses jetons, met en jeu sa montre, et finit en caleçon. On assiste alors en politique contemporaine à des décantations catastrophiques à la Berlusconi, qui termine effectivement sa course dans le plus simple appareil, entouré de mineures. Étonnant praticien de la virtù machiavélienne, il laisse en héritage à la politique européenne, à travers le bunga bunga, une nouvelle technique de communication politique. »

On pourrait très facilement élargir cette notion de décantation à toute forme d'exposition médiatique. Non plus seulement la révélation d’épisodes de la vie privée mais toute forme de téléprésence qui nourrit le processus de désacralisation de la fonction ; le passage du protocole au scénario, du secret à la téléprésence, du silence à l’hypercommunication, bref de l'incarnation de la fonction à l'exhibition de la personne… Ce fut le cas d'Arnaud Montebourg en marinière ou de Ségolène Royal en Liberté guidant le peuple.

Dans un monde saturé d’informations, l’attention devient la plus rare des ressources et seul un message choquant, plus choquant que le précédent, a des chances de capter l’attention. Il doit être calculé pour avoir, comme l’écrit George Steiner, « un impact maximal » et « une obsolescence instantanée » dans la mesure où le lieu de l’attention a besoin d’être déblayé dès qu’il est rempli, afin de faire de la place pour les nouveaux messages. Là où il y avait, selon Ernst Kantorowicz, dédoublement, multiplication du corps du souverain pour lui permettre d’accéder à la dimension supra-individuelle et supra-temporelle de la « fonction », il y aurait désormais réduction symbolique, transparence, « décantation » catastrophique…

« On a l'impression d'assister au spectacle de la politique mais le problème n'est pas juste de faire de la communication, on n'est pas au cinéma de la politique », a déclaré Cécile Duflot qui a eu l’intelligence et le courage de refuser de participer à ce nouveau gouvernement. Cette déclaration ne date pas d’hier. Elle fut prononcée en novembre 2010, lors du dernier remaniement de Nicolas Sarkozy. La fixité géostationnaire de la sphère politique et de ses représentants a atteint avec François Hollande son point de non-retour. Jamais la formule célèbre du Guépard n’avait aussi bien exprimé la vérité d’une époque : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change. »

BOITE NOIREChristian Salmon, chercheur au CNRS, auteur notamment de Storytelling – La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (2007, La Découverte), collabore de façon à la fois régulière et irrégulière, au fil de l'actualité politique nationale et internationale, avec Mediapart. Ses précédents articles sont ici.
En mai 2013, il a publié chez Fayard La Cérémonie cannibale, essai consacré à la dévoration du politique. On peut lire également les billets du blog de Christian Salmon sur Mediapart.

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