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Les plans sociaux ont pesé lourd dans la défaite de maires PS

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«Incontestablement, le national a beaucoup pesé. Sans doute aussi la façon dont a été perçu le résultat du conflit Arcelor-Mittal, à tort de mon point de vue, comme un échec et une trahison. » Ainsi réagissait sur les ondes de France Bleu, au soir du premier tour, Philippe Tarillon, le maire PS sortant de Florange, en Moselle, la ville des Arcelor-Mittal. Les ouvriers de la sidérurgie, sacrifiés par le géant de l’acier Lakshmi Mittal, avaient placé massivement leurs espoirs en François Hollande durant la campagne présidentielle de 2012.

Balayé à sa grande surprise dès le premier tour (42,37 %) par l'UMP Michel Decker (57,63 %), l’élu, figure du socialisme local, qui a soutenu les salariés tout au long de leur lutte, a subi un camouflet cinglant. La ville était tenue par le PS depuis 1989. Dans cette vallée de la Fensch, tombeau de la sidérurgie française, Philippe Tarillon fait sans nul doute les frais du dossier Arcelor-Mittal, ce plan social géré de manière calamiteuse au sommet du pouvoir : le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg promettant une nationalisation temporaire aux salariés, alors que le premier ministre Jean-Marc Ayrault validait le plan de restructuration.

© Reuters

Sept jours plus tard, après un entre-deux tours plombé par les chiffres du chômage toujours aussi mauvais et la loi Florange censurée par le Conseil constitutionnel, à quelques kilomètres de là, c’est Philippe David, le maire-voisin de Hayange, autre ville rose concernée par le dossier Arcelor-Mittal, qui chute de haut. La commune des deux derniers hauts-fourneaux de Lorraine, mis sous cocon en avril 2013, a choisi le Front national, le parti de Marine Le Pen, qui savoure là l’une de ses victoires les plus symboliques dans une autre terre minière.

Fabien Engelmann, ouvrier trentenaire, syndicaliste exclu de la CGT après son ralliement au FN lors des cantonales de 2011, ravit la mairie avec 36 % des voix. Il profite de ses adversaires (PS, divers droite et liste sans étiquette), qui n'ont pas réussi à s'unir dans l'entre-deux tours, et du marasme économique et social. Dans la vallée, sa campagne contre les partis « mondialistes et européistes » qui « a laissé tomber les travailleurs » a porté.

À l’image de ce conflit, l’un des plus médiatiques du début de quinquennat Hollande, les plans sociaux ont souvent été un « caillou dans la chaussure » des maires sortants socialistes, pour reprendre la formule du leader emblématique des Arcelor-Mittal, Édouard Martin, aujourd’hui tête de liste PS aux européennes dans l’est. Le métallo, encarté à la CFDT, rappelait Jaurès aux socialistes il y a un an sur Mediapart. À regarder de près la nouvelle carte de la France, on constate que dans plusieurs communes frappées par des fermetures d'usine, la droite et l'extrême droite ont capitalisé sur ces crises et le chômage record sur fond d'abstention massive.

En Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois, cité populaire où l'usine automobile PSA a été vidée de ses 3 000 salariés après des mois de conflit, c'est un coup de tonnerre. Aidé par un taux d'abstention de plus de 43 %, un ancien policier et leader syndical très marqué à droite, Bruno Beschizza, renverse le socialiste sortant Gérard Ségura qui avait conquis la ville en 2008. À la tête d'une liste d'union de la droite, Beschizza qui a aussi surfé sur la théorie du genre pour séduire l'électorat musulman avec le livre Mehdi met du rouge à lèvres, récolte 60,70 % des voix, loin devant Ségura, 39,30 %. Ce dernier avait pourtant mis sur sa liste la syndicaliste Tanja Sussest, figure du SIA, le syndicat maison de PSA .

« L'affaire PSA a clairement joué un rôle dans la défaite de Ségura. Pendant quatre mois de grève, on ne l'a pas vu alors qu'au début du conflit, il paradait à nos côtés pour empêcher la fermeture de l'usine », analyse un délégué syndical CGT de l'usine Aulnay qui a vu « rouge » lorsqu'en février dernier, le maire PS a accueilli sur sa liste Tanja Sussest, « une figure du syndicat patronal ». En 2008, il avait milité pour l'élection de Ségura au pied des barres en béton de la cité des 3000. Six ans plus tard, il a appelé « à ne pas voter pour lui et la clique du PS » : « Ils nous ont vendu le changement mais ils ont empiré la situation des classes populaires. »

© Reuters

Dans le Nord, Roubaix et Tourcoing passent à droite. À Roubaix, où la section PS s'entredéchire depuis des mois (ce qui a conduit à sept listes de gauche sur dix candidatures) et où le premier parti reste celui de l'abstention (61,58 % au premier tour), l'UMP Guillaume Delbar ravit la mairie au socialiste Pierre Dubois (34,85 % contre 33,18 %). Le FN qui était absent en 2008 du second tour fait près de 15 % (19,31 % au premier tour). Roubaix, c'est le siège de la « Vieille dame », comme on appelle La Redoute, l'un des derniers fleurons de l'industrie textile. Deuxième employeur de la métropole lilloise, l'entreprise emploie 2 400 salariés et prévoit de supprimer 1 178 postes.

Dans cette ville sinistrée de près de 100 000 habitants où 45 % de la population vit avec moins de 977 euros par mois, le chômage caracole à plus de 30 % et le feuilleton du rachat de La Redoute par Kering a été au cœur de la bataille pour la mairie.

« Il n'y a jamais eu autant de salariés de La Redoute sur les listes. Les candidats se les seraient arrachés », raconte Jean-Claude Blanquart, le délégué central CFDT (syndicat majoritaire du groupe) qui a fini par signer à contrecœur le protocole d'accord du plan social, fâchant une bonne partie de la base qui le trouve insuffisant. Dix-huit délégués sur vingt-cinq ont démissionné ce lundi. Certains parlent de créer une section Force ouvrière...

Un peu plus loin, à Wattrelos, où se trouvent les 1 400 ouvriers de la plateforme logistique de La Redoute, là où le futur plan social devrait être le plus violent, le socialiste Dominique Baert a été réélu dès le premier tour mais à quel prix : il perd 16 points par rapport à 2008 et devra composer avec six conseillers FN. Le parti de Marine Le Pen se classe deuxième avec 25 % des voix, 17 points de plus qu'il y a six ans.

Dans la Somme, Amiens, la ville de l'usine de pneus Goodyear qui a supprimé 1 143 postes et fermé ses portes le 22 janvier dernier après sept années de lutte des salariés, repasse à droite par l'intermédiaire de l'UDI et voit pour la première fois le FN se qualifier au second tour. Brigitte Fouré qui avait occupé le fauteuil de maire, de 2002 à 2007 quand Gilles de Robien était devenu ministre, recueille 50,39 % des suffrages, contre 33,80 % à Thierry Bonté (PS-EELV-UG), et 15,80 % à Yves Dupille (FN). Au premier tour, elle avait vingt points d'avance sur son rival socialiste.

On peut citer aussi Vendôme, dans le Loir-et-Cher, berceau de l'usine d'électroménagers FagorBrandt, la filiale française du groupe espagnol Fagor placée en redressement judiciaire en novembre dernier, menaçant 3 000 emplois (1 800 salariés et un gros millier de sous-traitants sur quatre sites). Pascal Brindeau, le candidat du centre-droit, bat Catherine Lockhart du parti socialiste (51,89 % contre un peu plus de 37 % des voix). En 2008, cette ville de plus de 16 000 habitants avait élu la gauche à 51,43 % et le FN était absent du scrutin. Cette fois, il s'est qualifié avec 14,26 %. 

Une autre commune qui abrite un site Fagor bascule. La gauche perd La Roche-sur-Yon, îlot socialiste depuis des décennies dans une Vendée enracinée à droite. L'UMP Luc Buard, qui a réuni la droite et le centre, s'impose avec 53,9 % des voix devant le socialiste Pierre Regnault, qui avait gagné la ville en 1977. 

En Bretagne, qui vit une crise dans l'agroalimentaire sans précédent, à l'origine du mouvement des Bonnets rouges, la gauche accumule les défaites. Bernard Poignant est battu à Quimper par l'UMP Ludovic Jolivet. Châteaulin (Finistère), où se trouve le siège social du volailler Doux qui a licencié en juin 2013 1 000 salariés pour la plupart sans emploi aujourd'hui, reste à droite, tout comme Josselin (Morbihan) et Lampaul-Guimiliau (Finistère) où sont situés les abattoirs de porcs Gad qui ont défrayé la chronique l'automne dernier.

© Reuters

Guerlesquin (Finistère), fief du volailler Tilly-Sabco, tombe : le socialiste Paul Uguen (29,52 %) a été largement battu au second tour par le divers droite Gildas Juiff (47,62%). Un sort que n'ont pas connu le maire divers gauche de Carhaix, leader des Bonnets rouges, Christian Troadec, réélu dès le premier tour, ou le maire divers droite de la ville des Gad, Lampaul-Guimiliau, Jean-Marc Puchois, réélu avec 76,52 % des suffrages exprimés, contre 23,48 % pour le divers gauche Éric Georgelin.

Florange, Hayange, Aulnay, Roubaix, Amiens... Ces exemples confirment combien ce scrutin ne s'est pas uniquement joué sur des enjeux locaux. « C'est la politique ultralibérale du gouvernement qui est sanctionnée. Il se dit de gauche mais mène une politique de droite », réagit Mickael Wamen, le délégué syndical CGT de l'usine Goodyear à Amiens-Nord qui se souvient des promesses de Hollande alors candidat à la présidentielle sur le parking de leur usine il y a deux ans. Il ne se remet pas d'avoir été placé durant 38 heures en garde à vue mercredi dernier avec quatre autre élus CGT dans le cadre d'une information judiciaire pour violences et dégradations, et n'est pas surpris de voir Amiens tomber dans l'escarcelle de la droite : « Les Français sont largués par un président complètement déconnecté de la réalité et qui, en plus, refuse de la voir. Chez nous, les ouvriers vomissent sa politique, ses cadeaux fiscaux, ses milliards d'exonérations de charges aux patrons, aux riches, rien pour les pauvres. L'UMP a gagné mais elle sera battue dans quelques années. C'est le rejet des partis hégémoniques, de l'ensemble de la classe politique. »

Ce point de vue est partagé par Édouard Martin. L'ancien leader CFDT des Arcelor-Mittal, désormais candidat socialiste aux européennes, ne décolère pas, a « mal à (sa) France » devant cette « défaite de la démocratie » : « Le mal est très profond. Ce n'est pas uniquement le PS et sa ligne politique mais toute la classe politique qui est sanctionnée. L'UMP, qui a oublié qu'elle était responsable des maux de ce pays pour l'avoir dirigé durant des années, et le FN n'ont pas à pavoiser quand on voit les taux d'abstention. Ils ont donné à ces élections locales un enjeu national et cela a marché dans le contexte de crise. »

Pour Édouard Martin, qui ne dédouane pas son parti, à quelques jours de la présentation du pacte de responsabilité, il est urgent que l'exécutif revoie sa copie en matière de politique économique et sociale : « Les Français souffrent du chômage, des fermetures d'usine, des hausses d'impôts. Ils ne comprennent rien à la politique de Hollande. Ils me disent : ''Le gouvernement n'a plus de fric pour nous mais il trouve 50 milliards pour les patrons pour baisser le coût du travail en raclant dans nos poches.'' Leur message aujourd'hui, c'est ''vous nous avez fait rêver mais on vit toujours le cauchemar''. Mais Hollande est piégé. Il ne peut pas se dédire sur la question du pacte ou alors il doit partir. » Il a aussi deux questions à poser à Pierre Gattaz, le patron du Medef : « Êtes-vous content de ces élections ? Avez-vous envie d'être dans un pays géré par le FN puisque c'est le résultat de vos prises de position qui ont conduit les Français vers les extrêmes ? »

En janvier 2013, au plus fort de la crise gouvernementale sur le dossier Florange, le syndicaliste avait prévenu Ayrault et Montebourg : « En privilégiant les intérêts d'une multinationale, en vous inclinant devant Mittal, vous allez faire monter les extrêmes. » Un an plus tard, il le vérifie dans sa vallée et s'étrangle : « À Hayange, le programme du nouveau maire FN Engelmann, c'est de construire un pigeonnier pour protéger les pigeons, pas de rallumer les hauts-fourneaux et de redonner du boulot aux Hayangeois ! Cherchez les pigeons ! »

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La fuite en avant économique de François Hollande

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Au lendemain de la déroute des élections municipales, c’est une stratégie de fuite en avant qu’a choisie François Hollande. Tout le confirme. D’abord le choix de Manuel Valls, lui qui incarne l’aile la plus droitière et la plus sécuritaire du Parti socialiste – mais aussi la plus minoritaire. Ensuite dans le choix de la feuille de route plus que jamais néolibérale qu’il lui a assignée dans la conduite de la politique économique et sociale.

De la part de François Hollande, le choix de Manuel Valls a certes une cohérence. Car si François Hollande a osé, dès son accession à l’Élysée, renier tous ses engagements de campagne et poursuivre une politique économique et sociale quasi identique à celle de Nicolas Sarkozy, il a toujours pu compter dans ce domaine sur l’appui indéfectible de son camarade socialiste Manuel Valls. De longue date, Manuel Valls a toujours défendu des idées néolibérales très proches de celles de nombreux cercles patronaux et des instances dirigeantes de l’UMP.

Que l’on se souvienne par exemple des primaires socialistes de 2011, qui ont départagé les candidats qui voulaient se présenter à l’élection présidentielle. À l’époque, Manuel Valls est ainsi celui qui a fait, en matière de politique économique, les propositions les plus droitières sinon même les plus sulfureuses. Il a, en particulier, fait sienne l’idée d’une TVA improprement appelée « TVA sociale », défendue par de nombreux dirigeants de droite. Ce qui, en retour, lui a valu de nombreuses critiques venues de la gauche, et notamment de son propre camp : beaucoup lui ont répliqué qu’une hausse de la TVA, l’impôt le plus inégalitaire qui soit, frapperait d’abord les revenus les plus modestes. C’est en particulier ce que lui avait fait valoir l’un de ses rivaux, Arnaud Montebourg, lors d’un débat organisé pour ces primaires, comme le montre la vidéo ci-dessous :

Manuel Valls avait aussi apporté son soutien implicite à Nicolas Sarkozy qui voulait inscrire dans la Constitution une célèbre « règle d’or », faisant obligation à tout gouvernement de respecter le plafond de 3 % du produit intérieur brut pour les déficits publics. Le candidat aux primaires avait alors contesté les modalités défendues par le chef de l’État mais avait fait sien le principe même de cette « règle d’or ». Or, à l’époque, le PS était vent debout contre cette règle et avait pris la décision de ne pas l'adopter. Pour les socialistes, il était en effet hors de question d’accepter une réduction à marche forcée des déficits publics sous le seuil des 3 % dès 2013, comme le voulait Nicolas Sarkozy. Pour ne pas creuser encore davantage la récession à cause d'un plan d'austérité, ils préconisaient d’étaler dans le temps ces efforts et de repousser à 2014 voire à 2015 le calendrier pour atteindre l’objectif des 3 %. Là encore, Manuel Valls avait donc joué les droitiers de service en se prononçant pour l’austérité à perte de vue.

À tout cela, il faut encore ajouter une autre proposition qui avec le recul retient l’attention : à l’époque des primaires, Manuel Valls s’était aussi distingué en préconisant « un pacte national de croissance » en faveur de l’emploi et « de la compétitivité » Ce n’était pas encore le « pacte de responsabilité » défendu aujourd’hui par François Hollande, mais cela y ressemblait fort.

Les propositions que faisait en 2011 Manuel Valls dans la campagne des primaires socialistes ont beaucoup de points communs avec les mesures mises en œuvre par... François Hollande depuis son accession à l’Élysée. Car lui aussi a mis en œuvre la hausse de la TVA, que la gauche dénonçait avant 2012 ; lui aussi s’est converti à une sorte de « règle d’or », même si elle n’a pas été gravée dans le marbre de la Constitution – en tout cas, la politique budgétaire a pris pour cap l’austérité. Et la « compétitivité » des entreprises est devenue l’alpha et l’oméga de François Hollande.

En fait, quand on se replonge dans la campagne des primaires socialistes, Manuel Valls fait donc un peu figure de précurseur. C’est lui qui préconise de mettre en chantier des réformes jusque-là seulement défendues par la droite.

Or, comme l’auteur de ces lignes l’avait fait observer à Manuel Valls lui-même, lors de la soirée en « live » organisée à Mediapart le 12 mars, son programme dévoilé pour les primaires avait été durement sanctionné par les électeurs de gauche, mais plébiscité dans les milieux les plus libéraux :

De même, il avait reçu les éloges – un tantinet embarrassants – de The Economist, la bible planétaire des cercles les plus libéraux et des marchés financiers, dans son édition du 26 août 2011 : « Hélas, M. (Manuel) Valls, qui est âgé de 49 ans, est considéré comme étant trop jeune pour être un concurrent sérieux (…) Le jour où les paléo-socialistes de la génération Mitterrand permettront à de tels personnages d'émerger, ce sera l'aube d'une vraie révolution. » Dans les jours suivants, même le très conservateur éditorialiste du Figaro, Ivan Rioufol, avait entonné le même refrain : « Manuel Valls a bien compris que la modernité exigeait de se libérer des archaïsmes et des aveuglements…(Malheureusement), il paye son réformisme par une marginalité qui le rend inaudible. »

On comprend donc pourquoi le choix de François Hollande de porter Manuel Valls à Matignon relève d’une fuite en avant. Car celui qu’il nomme premier ministre est celui-là même qui a souvent fait scandale par ses propositions au sein de la gauche, jusque dans les rangs socialistes. En somme, c’est bien la preuve que François Hollande n’a strictement rien compris – ou ne veut strictement rien comprendre – aux leçons des élections municipales : sanctionné pour avoir bafoué toutes ses promesses de campagne enracinées à gauche, il choisit comme premier ministre l’homme qui symbolise le plus… ce reniement !

Quand on se replonge dans le programme des primaires socialistes de Manuel Valls, il n’y a en fait que deux propositions qui n’ont pas ensuite été mises en œuvre par François Hollande, une fois élu président de la République. Il s’agit d'abord d’une réforme visant à instaurer une retraite par point : défendue par beaucoup d’experts de droite et par la CFDT, ce dispositif qui pourrait conduire à une individualisation des systèmes de retraite, et donc à leur implosion, avait été repris à son compte par Manuel Valls. De même, ce dernier s’était aussi distingué en faisant chorus avec la droite pour revendiquer un « déverrouillage des 35 heures », comme le confirme cet entretien réalisé le 2 janvier sur Europe 1 :

La réforme des 35 heures, telle qu’elle a été mise en œuvre par Lionel Jospin, s’est certes fortement écartée du projet socialiste, initialement très ancré à gauche, et a entraîné une flexibilité accrue pour les salariés, ainsi qu’une modération salariale encore aggravée. Mais, plutôt que de dénoncer ces dérives, Manuel Valls est venu en appui des milieux patronaux pour plaider pour encore davantage de flexibilité.

La fuite en avant de François Hollande saute également aux yeux lorsque l’on observe ce qu’il a exposé lundi soir, lors de son allocution télévisée.

D’abord, il ne tire aucun enseignement de la colère des électeurs de gauche. Le fameux « pacte de responsabilité » voulu par le chef de l’État, qui va prolonger les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt du « choc de compétitivité », et porter au total à 30 milliards d’euros le montant total des allégements fiscaux et sociaux accordés aux entreprises d’ici 2017, est donc plus que jamais d’actualité. « Le redressement du pays est indispensable », a plaidé le chef de l’État.

Or, ce « pacte » présente de nombreux dangers. D’abord, ces allègements sont consentis aux entreprises sans aucune réelle contrepartie ni le moindre contrôle. En clair, le dispositif risque de ne susciter que des effets d’aubaine, sans contribuer à relancer l’emploi ou l’investissement. De surcroît, ce « pacte de responsabilité » de 30 milliards d’euros va peser sur les finances publiques, au moment précis où elles sont en crise, et où, pour la surmonter, François Hollande veut en sus imposer un plan d’austérité de 50 milliards d’euros. En clair, pour un objectif incertain, Manuel Valls va mettre en application un « pacte de responsabilité » qui va, par avance, préempter toutes les marges de manœuvre disponibles, et même au-delà.

Mais la fuite en avant va encore plus loin puisqu’en outre, François Hollande a dit aussi qu’il attendait du nouveau premier ministre qu’il mette en chantier une baisse « rapide » des cotisations payées par les salariés ainsi qu’une baisse des impôts « d’ici à 2017 ». Ces deux chantiers viennent donc confirmer que, loin d’entendre la colère des électeurs de son camp, François Hollande veut donner des gages complémentaires à la droite.

Certes, le chef de l’État a essayé de convaincre l'opinion du contraire. Il a dit qu’il était « temps aujourd’hui d’ouvrir une nouvelle étape » et qu’il était « prêt à faire les inflexions nécessaires ». Ces deux dispositions ont été présentées dans le souci de faire croire que si l’Élysée faisait des gestes aux entreprises, la gauche saurait aussi en faire aux salariés, pour conforter leur pouvoir d’achat. En clair, ces mesures auraient pour ambition de donner un souffle social à une politique économique, celle conduite par Jean-Marc Ayrault, qui jusque-là en manquait.

L’artifice de présentation ne doit, toutefois, pas faire illusion. D’abord, on ne connaît pas en effet les modalités précises du dispositif de baisse des cotisations sociales des salariés, à laquelle le chef de l’État a fait allusion, ni son mode de financement. Mais si les premières indiscrétions qui ont filtré sont exactes, cela ne pourrait être que de la poudre aux yeux. Car si une baisse des cotisations intervenait au profit des salariés les plus modestes, avec pour financement une suppression au moins partielle de la prime pour l’emploi (PPE) qui profite également… aux salariés les plus modestes, il s’agirait d’un pur et simple tour de bonneteau. En clair, la disposition ne contribuerait en rien à redresser le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes puisqu’on leur donnerait d’une main ce qu’on leur reprendrait de l’autre.

Une baisse des cotisations sociales s’inscrit dans une philosophie de politique économique qui est clairement ancrée à droite. Pour parler clair, c’est une mesure piochée dans la boîte à outils du néo-libéralisme. Dans cette philosophie, on ne parle pas de « cotisations » sociales, mais de « charges » sociales – de charges qui sont en réalité des boulets qui entravent les entreprises et nuisent à leur compétitivité. Ces charges, il faut donc les alléger à vive allure, quitte à mettre en danger le modèle social français.

La baisse des impôts promise « d’ici à 2017 » – comme le chef de l’État l'avait suggéré dès son allocution du 31 décembre 2013 – s’expose à la même critique car elle constitue une violation de plus des engagements pris par lui, lors de la campagne présidentielle. Car la promesse initiale était de conduire une « révolution fiscale », passant notamment par une fusion de l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG), dans la perspective de la refondation d’un véritable impôt citoyen progressif.

Ce projet de « révolution fiscale » a été abandonné en chemin, au profit du projet d’une taxe à 75 % sur un nombre ultra-restreint de contribuables, ceux dont les revenus étaient supérieurs à 1 million d’euros – projet qui a, lui-même, été abandonné au profit d’une taxe sur les mêmes revenus, mais à la charge des entreprises. Au total, la grande réforme de l’impôt sur le revenu a donc été définitivement abandonnée. Et l’injustice de ce prélèvement, qui est devenu dégressif pour les plus hauts revenus, est restée inchangée.

Or voilà soudainement que François Hollande fait encore une nouvelle reculade. Fini la « révolution fiscale » ! Adieu la « remise à plat » plus modeste, annoncée par Jean-Marc Ayrault ! C’est maintenant d’une baisse de l'impôt sur le revenu qu'il est question, sans calendrier précis. C’est d’une politique fiscale libérale qu'il est maintenant également question pour les ménages. Et l’évocation du pouvoir d’achat des plus modestes, pour justifier ce projet, risque fort de ne relever, cette fois encore, que du tour de bonneteau. Car un geste sur l’impôt sur le revenu, ciblé sur les contribuables les plus modestes, profite par construction à toutes les autres tranches du barème, y compris les plus riches. Et puis surtout, les 50 % des Français qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu, qui sont les plus pauvres, ne seraient pas concernés par une telle réforme.

Se ralliant à une politique néolibérale qui fait le jeu des entreprises et du patronat (lire Hollande: cap sur le néolibéralisme), François Hollande choisit une politique fiscale identique pour les ménages. Il n’empêche ! Cette nouvelle cohérence ne présente plus aucune différence avec celle que défendait Nicolas Sarkozy jusqu’à l’alternance...

De cette fuite en avant, il y a enfin un dernier symptôme. Comment François Hollande compte-t-il financer tout cela ? Faisons l’addition ! François Hollande veut en effet programmer un pacte de responsabilité qui atteindra 30 milliards d’euros en régime de croisière ; en plus, il faudra prendre en compte la baisse des cotisations des salariés qui vient d’être annoncée, dont le financement est encore incertain ; en plus, il faudra aussi prendre en compte la baisse des impôts que le chef de l’État a laissé miroiter. Et dans le même temps, François Hollande va devoir confirmer d’ici au 15 avril à Bruxelles les modalités pratiques du plan d’austérité de 50 milliards d’euros qu’il a annoncé pour réduire des déficits publics toujours plus importants que prévu.

Du coup, on ne comprend plus bien comment François Hollande compte s’y prendre pour tout faire à la fois, une chose en même temps que son contraire : engager plus de dépense fiscale, tout en réduisant davantage les déficits. Veut-il secrètement laisser filer les déficits publics plus que prévu, lui qui s’était singularisé dès 2011 en plaidant pour un respect strict des contraintes du pacte de stabilité ? Ou veut-il accentuer le plan d’austérité, au moment même où l’Europe est menacée par un danger déflationniste ?

Ces interrogations sont pour le moins inquiétantes. François Hollande met le cap à droite toute, mais dans un climat de panique qui n’augure rien de bon…

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Le premier obstacle pour Hollande et Valls est européen

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Ce sera l'un des tests majeurs pour François Hollande et Manuel Valls. L'exécutif socialiste va-t-il enfin tenter de dégager des marges de manœuvre, dans les négociations avec Bruxelles et Berlin, sur la politique économique ? Le nouveau gouvernement devra très vite trancher : il a rendez-vous avec la commission le 15 avril pour présenter son programme de stabilité, avec 50 milliards d'euros d'économies annoncées.

Une partie de la majorité réclame depuis des mois une confrontation plus nette avec la commission. Elle l'a dit encore plus clairement après la débâcle du second tour des élections municipales. Sur un plateau de télévision dimanche soir, le socialiste Benoît Hamon demande de « discuter pour qu’il n’y ait pas qu’un seul arbitre, la commission européenne ». « Il faut rouvrir le jeu », a-t-il plaidé avant de citer l’exemple du chef du gouvernement italien Matteo Renzi. Avant les municipales, le ministre délégué à l’économie sociale et solidaire de Jean-Marc Ayrault l’expliquait déjà à ses proches : « Vu qu'on aura du mal à faire un deuxième temps du quinquennat sur la redistribution, il faut le faire dans la confrontation avec l'Union européenne. C'est comme ça qu'on peut retrouver des marges de manœuvre, notamment financière. »

À l’issue du premier tour, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, autre figure de l’aile gauche du PS, estimait également que les socialistes agissent « comme si on ne voulait pas comprendre la claque qu'on a reçue des classes populaires et de notre électorat. Elle est pourtant simple à entendre… Il suffirait de faire enfin de la relance et de se cogner enfin avec Merkel. »  

« François Hollande devrait faire de la politique en Europe, et pas seulement de la cuisine. (…) L'Europe n'est pas un espace à rejeter, mais à reconquérir politiquement », estime de son côté Pascal Durand, ex-secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts et tête de liste aux européennes en Île-de-France.

Dimanche, sur son blog, le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone a appelé à « rénover notre discours européen ». « L’Europe fouettarde, l’Europe des règles, l’Europe des disciplines, ça suffit. Moi, j’aime l’Europe. J’aime aussi la France ! Nous devons nous présenter devant Bruxelles et défendre bec et ongles une nouvelle donne européenne, c’est-à-dire de nouvelles protections des travailleurs et de nouveaux investissements européens », a-t-il plaidé.

François Hollande et José Manuel Barroso, le président de la commission européenne, le 19 février 2014, à Paris. © CE.François Hollande et José Manuel Barroso, le président de la commission européenne, le 19 février 2014, à Paris. © CE.

Les amis d’Arnaud Montebourg sont sur la même ligne et ils espèrent que Manuel Valls les suivra sur ce point. Les plus optimistes se réjouissent de la phrase prononcée lundi soir par François Hollande: « Le gouvernement aura aussi à convaincre l’Europe que cette contribution de la France à la compétitivité et à la croissance doit être prise en compte dans le respect de ses engagements. Car ma conviction est faite : renforcer l’économie française, c’est la meilleure façon de réorienter l’Europe », a-t-il dit lors de son allocution depuis l'Élysée.

Leur constat est simple : les électeurs de gauche reprochent au gouvernement de ne pas avoir tenu la promesse du discours du Bourget et d’avoir concentré sa politique sur la réduction des déficits et du coût du travail. Pour redonner de l’air à la politique de François Hollande, il faudrait donc retrouver des marges de manœuvre budgétaires : impossible sans s’affranchir pour partie des exigences posées par Bruxelles.

Depuis l'élection de 2012, la commission européenne préconise toujours les mêmes recettes, pour sortir l'économie française de sa mauvaise passe : il faudrait à la fois réduire le déficit public (« la consolidation budgétaire »), et doper la compétitivité des entreprises françaises (les « réformes structurelles »). Mais depuis la fin 2013, le ton s'est durci, l'exécutif de José Manuel Barroso estimant que les réformes nécessaires à ses yeux tardaient à se concrétiser, et qu'une nouvelle dérive budgétaire couvait. La commission a ainsi placé début mars la deuxième économie de la zone euro – comme l'Espagne et l'Irlande – sous « surveillance renforcée ». Une première alerte sérieuse.

La publication par l'Insee lundi d'un déficit public plus important que prévu sur l'année 2013 (à 4,3 % contre 4,1 % attendu par Bercy) ne constitue « pas une très grande surprise », selon les services d'Olli Rehn, le vice-président de la commission responsable des affaires économiques. À Bruxelles, c'est peu dire qu'on mise beaucoup sur le pacte de responsabilité annoncé par François Hollande en janvier : « Nous attendons avec impatience de pouvoir analyser les détails » du pacte, avait ainsi déclaré Olli Rehn le 5 mars.

Pour les Français, la prochaine échéance bruxelloise est fixée au 15 avril : d'ici là, les services de Bercy devront avoir communiqué à Bruxelles leur « programme de stabilité » – censé expliquer, dans le détail, comment ils comptent tenir leurs engagements. En particulier pour ramener sous la barre des 3 % du PIB le déficit public, d'ici à la fin 2015. L'an dernier, la commission avait accepté de donner deux ans supplémentaires à Paris pour rentrer dans les clous du pacte de stabilité. Vu de Bruxelles, désormais, François Hollande a grillé tous ses jokers. Et le temps presse : Paris doit « intensifier ses efforts » et prendre des « mesures supplémentaires », a répété lundi le porte-parole d'Olli Rehn.

« La commission nous demande d'expliquer le contenu précis du pacte de responsabilité, mais aussi de dire à quels endroits nous allons trouver les 50 milliards d'économies (annoncées sur la période 2015-2017, ndlr) », résume-t-on côté français. Mais les discussions ne s'arrêteraient pas là.

Selon plusieurs sources, la France espère obtenir un nouveau délai pour la réduction de son déficit, quand la commission exige des mesures dites structurelles encore plus importantes que celles déjà annoncées avec le « pacte de responsabilité » de François Hollande, et davantage de coupes dans les dépenses publiques. Elles pourraient figurer dans un collectif budgétaire avant l’été. C'est la carte que la France va essayer d'abattre dans les semaines à venir à Bruxelles : une mise en place rapide du pacte de responsabilité, en échange d'un nouveau délai sur le front budgétaire. Interrogé sur l'éventualité d'un nouveau délai pour Paris, Olli Rehn, en déplacement mardi à Athènes, a souhaité « rafraîchir les mémoires », rappelant que « le délai donné à la France (avait déjà) été prolongé deux fois ».

Difficile, si l'on intègre cette équation européenne carabinée, de répondre à l’exigence de « justice sociale » manifestée par l’électorat de gauche, selon l’expression de la porte-parole Najat Vallaud-Belkacem. « On est pris à notre propre piège. Là, c’est l’heure de vérité : soit on ne fait que du budgétaire, ce qui va faire très mal à gauche, soit on ne respecte plus la trajectoire promise à Bruxelles », décrypte un conseiller ministériel qui participe aux discussions.

Jusque-là, l’Élysée a refusé tout net d’engager la confrontation. Malgré ses discours de campagne, François Hollande a même fini par renoncer à amender le traité budgétaire européen négocié par Nicolas Sarkozy, le TSCG, adopté à l’automne 2012 par le parlement français. Il s’était alors contenté d’un pacte de croissance d’une ampleur très limitée et dont tout le monde, ou presque, a oublié l’existence.

Plus récemment, « cet hiver, le budget européen a baissé, le président de la République François Hollande avait la capacité de ne pas céder », dénonce l’écologiste Pascal Durand. Disparus également les débats sur le mode de calcul du déficit (exclure les dépenses d’investissement) ou les euro-obligations pour les États en difficulté financière.

Très vite après son élection, le président de la République a semblé peu à son aise dans les méandres européens, renonçant progressivement à se lancer dans une grande bataille sur le fond de la politique menée. À intervalles réguliers, il s’en préoccupe à nouveau, avant de s’en éloigner, et ainsi de suite. « Sur l’Europe, comme sur le reste, le président de la République est insaisissable », lâche un conseiller.

Ces dernières semaines, après la raclée municipale, l’Élysée jugeait encore qu’il fallait aller encore plus loin dans l’application du pacte de responsabilité quand le premier ministre Jean-Marc Ayrault « commençait à se poser des questions » sur les contraintes européennes, selon un proche.

Surtout, François Hollande et ses proches jugeaient qu’il était impossible de renverser la table bruxelloise. Avec toujours le même argument : la peur de la sanction des marchés financiers. « Cazeneuve dit en privé qu'il vaut mieux ne pas arriver aux 50 milliards d’euros d’économies sans affoler les marchés, plutôt que d'assumer », affirmait un autre ministre de Bercy. « Du jour au lendemain, la note de la France serait dégradée, ce qui provoquerait un déficit supplémentaire. Il peut y avoir des aménagements à la marge, mais c’est tout », expliquait aussi un membre du gouvernement, “hollandais” historique.

Dans ce scénario, l'intérêt bien compris de l'exécutif socialiste serait de placer l'un des siens au cœur de la machine bruxelloise, pour mieux faire valoir ses intérêts. Si l'arrivée d'un Ramon Fernandez, l'actuel patron du Trésor, à la tête de la direction générale des affaires économiques de la commission (la puissante « DG ECFIN ») n'est plus d'actualité, le nom de Pierre Moscovici, comme commissaire européen aux affaires économiques, continue, lui, de circuler. À moins qu'Olli Rehn n'essaie de rempiler – ce qui ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour les Français.

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La CNCDH dénonce la résurgence d’un racisme «brutal et biologisant»

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C’est l’un des tout premiers rapports officiels que Manuel Valls, à peine nommé premier ministre par François Hollande, va trouver sur son bureau. Et il n’est pas certain que son contenu lui fasse plaisir. Quelques heures avant la passation de pouvoir, ce mardi 1er avril 2014, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges, s’est rendue à Matignon pour remettre son bilan annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (le consulter). Jean-Marc Ayrault aurait dû, selon la tradition, le réceptionner le 21 mars, date retenue par les Nations unies pour la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, mais il a préféré reporter en raison de la proximité des élections municipales… En le parcourant, Manuel Valls aura le loisir de constater que ses propos sur les Roms, dont il a estimé qu’ils ne « souhaitent pas s’intégrer (…) pour des raisons culturelles », n’ont pas été appréciés.

Interrogée la veille du remaniement par Mediapart, Christine Lazerges, ancienne députée socialiste, ne mâche pas ses mots à l’égard de l’exécutif en général. Elle fustige son « manque d’engagement » en matière de lutte contre les discriminations. « Cette politique de l’évitement a découragé de nombreux électeurs d’aller voter », estime-t-elle en référence au taux d’abstention élevé, lors des élections municipales, de l’électorat de gauche, notamment dans les quartiers populaires. « Le gouvernement n’a fait preuve jusqu’à présent d’aucune audace pour contrer les discours populistes », insiste-t-elle.

Au regard de l’année écoulée, la lutte contre le racisme a pourtant plus que jamais besoin de relais. En matière de haine de l’autre, 2013 a en effet été le théâtre d’un retour aux sources, selon la CNCDH qui observe avec inquiétude la résurgence en France d’un « racisme brutal, biologisant, faisant de l’étranger un bouc émissaire ». Dans son rapport, cette Autorité administrative indépendante, composée de 64 personnalités et représentants d’organisations issues de la société civile, s’indigne de l’attaque primaire dont Christiane Taubira, plusieurs fois comparée à un « singe » ou une « guenon », a été victime. En même temps, les nouvelles formes de racisme, moins frontales, essentialisant de supposées différences culturelles, ont continué de prospérer. Les « cibles privilégiées », constate-t-elle, changent de visage avec une cristallisation autour de la population arabo-musulmane et des Roms.

La France « a été touchée au cœur », martèle-t-elle, dénonçant « ces mots injurieux » qui « ont trouvé à se démultiplier ». Les données communiquées par le ministère de l’intérieur, très lacunaires puisqu’elles ne recensent que les cas ayant été constatés par les services de police et de gendarmerie, indiquent, une fois agrégées, une baisse en 2013 des actes et menaces à caractère raciste, xénophobe, antisémite et antimusulman (1 274 faits constatés, contre 1 542 en 2012). Pas de quoi, pour autant, se réjouir. Si les actes antisémites sont en net recul (-31,22 points), les actes antimusulmans enregistrent une hausse de 11,3 points.

Sur plusieurs décennies, les analyses d’opinion étudiées par la CNCDH révèlent une société française globalement plus tolérante. Mais, depuis 2009, la situation se dégrade. Composé à partir des réponses apportées à 65 séries de questions, un « indice longitudinal » permet de mesurer les évolutions récentes. Pour la quatrième année consécutive, il recule. Ce résultat est jugé inquiétant par les chercheurs mis à contribution – Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale. « On aurait pu penser que le plancher était atteint en 2012, le niveau de l’indice revenant à celui constaté juste après la crise des banlieues de 2005, indiquent-ils. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Pour la quatrième année consécutive, l’indice est en recul. Surtout, la baisse enregistrée entre décembre 2012 et décembre 2013 est conséquente : 3,3 points. Autrement dit, on ne constate aucun tassement dans le rythme de ce retour des préjugés. Depuis 2009, l’indice global de tolérance a perdu près de 12 points. C’est d’autant plus préoccupant que le niveau de 2013, soit 56,3, correspond aux étiages bas de tolérance aux minorités qu’on observait en 1990 ou en 2001. On n’en est pas encore aux niveaux records de xénophobie enregistrés en 2000 (54,9) et en 1991 (51,4), mais l’indice s’en rapproche dangereusement. »

La crise économique favorise la recherche de boucs émissaires. Les faits divers font le reste. Sans compter, selon les auteurs, que les évolutions de l’indice longitudinal dépendent de la couleur politique du gouvernement. « Quand la droite est au pouvoir la tolérance progresse, alors qu’elle recule lorsque la gauche exerce les responsabilités au niveau national », résument-ils, en s'appuyant sur l'analyse (dite «thermostatique») de chercheurs en sciences politiques anglo-saxons selon laquelle les citoyens ont des demandes politiques de droite lorsqu'un gouvernement de gauche est au pouvoir, et vice versa. En matière de formation des stéréotypes, poursuivent-ils, la responsabilité des médias, des pouvoirs publics et des hommes et femmes politiques est majeure : « La manière dont on parle des immigrés et des minorités, la rapidité à les défendre et à lutter contre les propos xénophobes sont essentielles pour empêcher les individus de (re)basculer dans les préjugés. »

Tous les groupes sociopolitiques sont désormais concernés : les diplômes immunisent de moins en moins contre la peur de l'autre. Plus surprenant encore : les électeurs de gauche basculent à leur tour. « Même dans le camp idéologique où les valeurs d’ouverture sont les plus fortes, où pour beaucoup elles font partie intégrante de leur identité politique, les digues sont en train de se fissurer », notent-ils, remarquant un rejet spécifique de l'islam.

La montée de l'intolérance à l’égard des musulmans a incité la CNCDH à entamer un débat puis à revoir sa position à propos de l’usage du terme « islamophobie ». Le rapport annuel consacre un long développement aux raisons de ce revirement. Ses conclusions le placent, là encore, en porte-à-faux avec le nouveau premier ministre qui, alors qu’il était ministre de l’intérieur, avait fait de l’islamophobie le « cheval de Troie des salafistes ». « On ne peut nier que le mot fait aujourd’hui partie du paysage politique, médiatique et institutionnel. Il s’est notamment illustré par une actualité tout à fait prégnante, à l’occasion de faits divers inquiétants qui se sont succédé, à l’instar de ces agressions ciblant des femmes voilées », indique la CNCDH.

Outre ces violences de plus en plus fréquentes, l’institution met en avant plusieurs arguments. Le terme est certes « imparfait » sémantiquement, notamment en raison du suffixe « phobie » qui désigne une peur paranoïde et qui, en ce sens, déresponsabilise le coupable. Mais qui penserait à rayer de son vocabulaire « xénophobie » et « homophobie » ? Le terme, par ailleurs, s’est imposé partout dans le monde. Depuis les années 1990, la plupart des institutions internationales de défense des droits de l’homme et de la lutte antiraciste le reprennent. Enfin, et surtout, il sert à désigner une réalité actuelle. Les contours du racisme évoluent : sous couvert de défendre la laïcité ou l’égalité hommes-femmes, de nombreuses voix revendiquent une parole stigmatisante à l'égard des musulmans. La critique de l’islam (évidemment légitime) devient un paravent légal pour discriminer les personnes assimilées à tort ou à raison à cette religion.

« Le racisme a subi un profond changement de paradigme dans les années post-coloniales, avec un glissement d’un racisme biologique vers un racisme culturel, observe la CNCDH. Se cachant derrière ce nouvel habillage, le terme d’“islamophobie” a été utilisé par les groupes politiques pour fédérer un électorat plus large et revendiquer le droit d’exprimer sa détestation de la religion musulmane et du musulman. Plus inquiétant encore, une certaine frange radicale franchit le pas du discours aux actes. Selon eux, l’islamophobie relèverait de la liberté d’opinion et d’expression, et à ce titre, les manifestations de haine qu’elle inspirerait, que ce soit à l’encontre du culte musulman ou de ses croyants, ne sauraient tomber sous le coup de la loi pénale. Suivant ce dangereux raisonnement, l’agression d’une femme voilée ne serait qu’un acte de militantisme contre une pratique jugée comme une forme d’oppression à l’égard des femmes. »

Face à ce danger, la CNCDH considère qu’il convient de « nommer ce que l’on dénonce et souhaite combattre ». Et affine sa définition. L’islamophobie désigne ainsi un phénomène visant l’islam et les musulmans et se manifestant « à travers des opinions et des préjugés négatifs, souvent à la source de rejet, d’exclusion et de discriminations, des propos injurieux ou diffamatoires, des incitations à la haine, des dégradations de biens porteurs d’une valeur symbolique, et parfois même des agressions ». Pour désigner les faits condamnés par la loi pénale, la CNCDH, par souci de précision, se propose de continuer à parler d’actes antimusulmans.

Faudra-t-il fabriquer un mot pour signifier le rejet dont les Roms font l’objet ? L’Autorité administrative indique avoir été contrainte de créer un indice particulier pour prendre en compte le caractère massif de l’hostilité à leur égard. Elle recense les préjugés innombrables qui les assimilent à des voleurs exploitant les enfants. Des entretiens en face à face conduits par l’institut de sondages CSA montrent les appréciations négatives qu’ils suscitent. En vrac : « Aversion et dégoût, accusation d’impureté et refus du contact, déception et frustration dues à leur incapacité supposée à changer, mépris et même haine en liaison avec la croyance en leur différence et leur infériorité. » Et de citer le témoignage emblématique d’une femme de 57 ans, secrétaire, qui habite à Paris, catholique non pratiquante, et qui vote PS : « Je ne suis pas raciste, mais je ne veux plus voir les Roms. C’est de la vermine. Ils volent les sacs à main. Ils agressent les vieilles dames. Ils maltraitent leurs chiens. Je donne à manger à leurs chiens, pas aux Roms. »

Cette population est la « moins-aimée » des minorités, conclut la CNCDH. Perçue comme « séparée du monde », elle se voit reprocher à la fois d’être « hors-système » tout en « profitant du système ». En déclarant que les Roms sont « des populations qui ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation », Manuel Valls n’a pas contribué à « arranger les choses », souligne l’institution dans une litote.

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Valls divise les écolos sans les convaincre, et ressoude le Front de gauche

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Le goût du pouvoir et de victoires programmatiques, même dans l’austérité, s’impose-t-il à celui de l’alternative, même incertaine ? A la veille de l’annonce du gouvernement du nouveau premier ministre Manuel Valls, les écologistes ont longuement hésité sur leur attitude. Une majorité de parlementaires et une partie du bureau exécutif d’Europe écologie-Les Verts (EELV) ont choisi dans un premier temps de ne pas suivre leurs ministres démissionnaires, Cécile Duflot et Pascal Canfin, dans leurs « décisions personnelles ». Agacés, sur la forme, de s’être retrouvés devant le fait accompli, et aussi davantage prêts, sur le fond, à toper avec Valls.

Raison de la tergiversation, six heures durant ce mardi après-midi : une « très belle proposition » de la part du nouveau chef de l’exécutif, qui avait déjà fait une offre similaire à Duflot (à qui il avait proposé d’être n°2 du gouvernement). Un grand ministère de l’écologie, des transports et de l’énergie, assortie de la fameuse loi sur la transition écologique (en attente depuis plus d’un an), mais aussi l’ouverture d’une discussion sur une dose de proportionnelle, et la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (déjà prévue dans les promesses du candidat Hollande). Un deal susceptible de convaincre l’aile réaliste du mouvement écolo, du bien-fondé d’un maintien de la participation gouvernementale. Et notamment les parlementaires, se voyant volontiers ministres.

 

Cécile Duflot et Manuel VallsCécile Duflot et Manuel Valls © Reuters

Pour autant, in fine, le choix de la non-participation l’a emporté, à une « majorité nette » des quinze membres du bureau, selon David Cormand, secrétaire nationale des élections à EELV. « On est passé par tous les stades, tout a été envisagé, mais on était aussi sous le feu de la base, résolument hostile à participer à un gouvernement Valls », explique un autre participant, selon qui « l’apparition sur l’écran de télé, au milieu de l’après-midi, de l'annonce d'une “discipline absolue” demandée par Valls, a fait basculer le débat ».

Durant la discussion, un texte de militants, cadres intermédiaires et eurodéputés du parti appelant à ne pas entrer de nouveau au gouvernement a aussi circulé, afin de peser sur les débats en cours. Façon de rappeler que le conseil fédéral d’EELV, ce samedi, dégagerait une large majorité en faveur de la non-participation du gouvernement. « Ce n’est pas une victoire, mais un choix largement réfléchi et débattu, estime Cormand. Pour nous, les promesses orales du premier ministre ne peuvent suffire. Dans une discussion plus concrète, avec plus de temps, on aurait peut-être pu aboutir à des convergences, dans un vrai contrat de gouvernement, à l’allemande. Mais le choix de Hollande a été de nous mettre devant le fait accompli… » « Notre souci, c’est de ne pas faire du Mélenchon et de l’opposition frontale, décrypte un cadre du parti. Donc de rester dans le soutien critique, sans servir de caution à Valls, mais ne pas s’interdire de voter et soutenir des mesures écolos, si elles sont effectivement mises en œuvre. »

Plus tôt dans la matinée, les sourires s’affichaient devant l’hôpital de l’Hôtel-Dieu (toujours mobilisé contre la fermeture de ses urgences), où s’étaient réunis les organisateurs de la marche contre l’austérité du samedi 12 avril prochain. Face à la cathédrale de Notre-Dame, représentants syndicaux, d’Attac et de la fondation Copernic, comme du PCF, du PG et du NPA, ont confirmé leur envie de retrouver le chemin de la convergence des luttes.

 

Jean-Luc Mélenchon, Olivier Dartigolles et Pierre Laurent, devant l'Hôtel-DieuJean-Luc Mélenchon, Olivier Dartigolles et Pierre Laurent, devant l'Hôtel-Dieu © S.A

Et s’ils ne le disent pas comme cela, le choix du nouveau premier ministre fait les affaires de cette autre gauche qui, faute de concurrence, tendrait à devenir désormais la seule, maintenant que les écologistes sont sortis du gouvernement et que ça tangue en interne au PS (lire notre article). « Face au message des urnes, ce n’est même pas qu’ils ne bougent pas, ils s’acharnent !, dit Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF. Ça peut créer un électrochoc indispensable à gauche. Il va falloir entrer en opposition très ferme face aux décisions qui vont suivre. » Le secrétaire national communiste, Pierre Laurent, souhaite de son côté que « la majorité de gauche n’accorde pas sa confiance à un tel gouvernement » et voit dans la réponse de Hollande aux urnes « un abus de pouvoir » et « un coup de force ». Au micro, Laurent a lui aussi fait feu de tout bois contre le choix de Valls, interprété comme « un choix de désaveu et de mépris des électeurs déçus », avant d'appeler à « une relève de la gauche ».

Dans l’assistance, Jean-Luc Mélenchon ne peut s’empêcher de lâcher un reproche feint et malicieux : « N’est-ce pas trop excessif ? » L’ancien candidat à la présidentielle certifie qu’il ne s’attendait pas à la promotion du ministre de l’intérieur : « Hollande prend une décision dans la panique et nomme son gourou personnel, mais il se met dans une impasse en devenant la caricature de lui-même ». Il précise : « Pour que la stratégie de Hollande fonctionne, il lui faut faire disparaître la gauche, syndicale, associative et politique, afin de créer les conditions d’un blairisme à la française. »

Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot, devant l'Hôtel-DieuJean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot, devant l'Hôtel-Dieu © S.A

A ses côtés, Olivier Besancenot ne cache pas non plus sa satisfaction de voir la rue de gauche se remobiliser sérieusement. « Ça va bouger ! Enfin… », sourit-il. Au micro, il éreinte à son tour le nouveau locataire de Matignon, dont la désignation aurait « un sens culturel, qui choque les militants de l’égalité, et même les militants anti-racistes », rappelant la plainte déposée par l'association La voix des Rroms, après ses propos sur les Roms ayant « vocation à vivre en Roumanie ou à y retourner » (une plainte pour laquelle il est cité à comparaître le 5 juin -lire ici-). Pour Besancenot, la marche du 12 avril « doit être un premier pas, pour nous redonner confiance ». Selon l’ancien héraut anticapitaliste, la manifestation aura « un caractère inédit, car tout le monde viendra avec ses propres protestations. C’est une force de pouvoir additionner les mécontentements, cela va permettre à tout le monde de prendre conscience du bras de fer à engager. Ce n'est pas une “gouvernement de combat”, mais un gouvernement à combattre ».

Espèrent-t-ils voir les écologistes les rejoindre ? Des contacts ont déjà été pris, avec l'aile gauche écolo, notamment les proches d'Eva Joly, et beaucoup espèrent voir s'élargir la participation à d'autres sensibilités. « C’est une affaire de patience, explique Mélenchon. Si les écologistes sortent du gouvernement, ils conservent une culture majoritaire d’exercice du pouvoir. Comme nous. Donc, peu à peu, on peut arriver à une culture commune de l’alternative ».

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La CNCDH dénonce un racisme «brutal et biologisant»

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C’est l’un des tout premiers rapports officiels que Manuel Valls, à peine nommé premier ministre par François Hollande, va trouver sur son bureau. Et il n’est pas certain que son contenu lui fasse plaisir. Quelques heures avant la passation de pouvoir, ce mardi 1er avril 2014, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges, s’est rendue à Matignon pour remettre son bilan annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (le consulter). Jean-Marc Ayrault aurait dû, selon la tradition, le réceptionner le 21 mars, date retenue par les Nations unies pour la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, mais il a préféré reporter en raison de la proximité des élections municipales… En le parcourant, Manuel Valls aura le loisir de constater que ses propos sur les Roms, dont il a estimé qu’ils ne « souhaitent pas s’intégrer (…) pour des raisons culturelles », n’ont pas été appréciés.

Interrogée la veille du remaniement par Mediapart, Christine Lazerges, ancienne députée socialiste, ne mâche pas ses mots à l’égard de l’exécutif en général. Elle fustige son « manque d’engagement » en matière de lutte contre les discriminations. « Cette politique de l’évitement a découragé de nombreux électeurs d’aller voter », estime-t-elle en référence au taux d’abstention élevé, lors des élections municipales, de l’électorat de gauche, notamment dans les quartiers populaires. « Le gouvernement n’a fait preuve jusqu’à présent d’aucune audace pour contrer les discours populistes », insiste-t-elle.

Au regard de l’année écoulée, la lutte contre le racisme a pourtant plus que jamais besoin de relais. En matière de haine de l’autre, 2013 a en effet été le théâtre d’un retour aux sources, selon la CNCDH qui observe avec inquiétude la résurgence en France d’un « racisme brutal, biologisant, faisant de l’étranger un bouc émissaire ». Dans son rapport, cette Autorité administrative indépendante, composée de 64 personnalités et représentants d’organisations issues de la société civile, s’indigne de l’attaque primaire dont Christiane Taubira, plusieurs fois comparée à un « singe » ou une « guenon », a été victime. En même temps, les nouvelles formes de racisme, moins frontales, essentialisant de supposées différences culturelles, ont continué de prospérer. Les « cibles privilégiées », constate-t-elle, changent de visage avec une cristallisation autour de la population arabo-musulmane et des Roms.

La France « a été touchée au cœur », martèle-t-elle, dénonçant « ces mots injurieux » qui « ont trouvé à se démultiplier ». Les données communiquées par le ministère de l’intérieur, très lacunaires puisqu’elles ne recensent que les cas ayant été constatés par les services de police et de gendarmerie, indiquent, une fois agrégées, une baisse en 2013 des actes et menaces à caractère raciste, xénophobe, antisémite et antimusulman (1 274 faits constatés, contre 1 542 en 2012). Pas de quoi, pour autant, se réjouir. Si les actes antisémites sont en net recul (-31,22 points), les actes antimusulmans enregistrent une hausse de 11,3 points.

Sur plusieurs décennies, les analyses d’opinion étudiées par la CNCDH révèlent une société française globalement plus tolérante. Mais, depuis 2009, la situation se dégrade. Composé à partir des réponses apportées à 65 séries de questions, un « indice longitudinal » permet de mesurer les évolutions récentes. Pour la quatrième année consécutive, il recule. Ce résultat est jugé inquiétant par les chercheurs mis à contribution – Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale. « On aurait pu penser que le plancher était atteint en 2012, le niveau de l’indice revenant à celui constaté juste après la crise des banlieues de 2005, indiquent-ils. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Pour la quatrième année consécutive, l’indice est en recul. Surtout, la baisse enregistrée entre décembre 2012 et décembre 2013 est conséquente : 3,3 points. Autrement dit, on ne constate aucun tassement dans le rythme de ce retour des préjugés. Depuis 2009, l’indice global de tolérance a perdu près de 12 points. C’est d’autant plus préoccupant que le niveau de 2013, soit 56,3, correspond aux étiages bas de tolérance aux minorités qu’on observait en 1990 ou en 2001. On n’en est pas encore aux niveaux records de xénophobie enregistrés en 2000 (54,9) et en 1991 (51,4), mais l’indice s’en rapproche dangereusement. »

La crise économique favorise la recherche de boucs émissaires. Les faits divers font le reste. Sans compter, selon les auteurs, que les évolutions de l’indice longitudinal dépendent de la couleur politique du gouvernement. « Quand la droite est au pouvoir la tolérance progresse, alors qu’elle recule lorsque la gauche exerce les responsabilités au niveau national », résument-ils, en s'appuyant sur l'analyse (dite «thermostatique») de chercheurs en sciences politiques anglo-saxons selon laquelle les citoyens ont des demandes politiques de droite lorsqu'un gouvernement de gauche est au pouvoir, et vice versa. En matière de formation des stéréotypes, poursuivent-ils, la responsabilité des médias, des pouvoirs publics et des hommes et femmes politiques est majeure : « La manière dont on parle des immigrés et des minorités, la rapidité à les défendre et à lutter contre les propos xénophobes sont essentielles pour empêcher les individus de (re)basculer dans les préjugés. »

Tous les groupes sociopolitiques sont désormais concernés : les diplômes immunisent de moins en moins contre la peur de l'autre. Plus surprenant encore : les électeurs de gauche basculent à leur tour. « Même dans le camp idéologique où les valeurs d’ouverture sont les plus fortes, où pour beaucoup elles font partie intégrante de leur identité politique, les digues sont en train de se fissurer », notent-ils, remarquant un rejet spécifique de l'islam.

La montée de l'intolérance à l’égard des musulmans a incité la CNCDH à entamer un débat puis à revoir sa position à propos de l’usage du terme « islamophobie ». Le rapport annuel consacre un long développement aux raisons de ce revirement. Ses conclusions le placent, là encore, en porte-à-faux avec le nouveau premier ministre qui, alors qu’il était ministre de l’intérieur, avait fait de l’islamophobie le « cheval de Troie des salafistes ». « On ne peut nier que le mot fait aujourd’hui partie du paysage politique, médiatique et institutionnel. Il s’est notamment illustré par une actualité tout à fait prégnante, à l’occasion de faits divers inquiétants qui se sont succédé, à l’instar de ces agressions ciblant des femmes voilées », indique la CNCDH.

Outre ces violences de plus en plus fréquentes, l’institution met en avant plusieurs arguments. Le terme est certes « imparfait » sémantiquement, notamment en raison du suffixe « phobie » qui désigne une peur paranoïde et qui, en ce sens, déresponsabilise le coupable. Mais qui penserait à rayer de son vocabulaire « xénophobie » et « homophobie » ? Le terme, par ailleurs, s’est imposé partout dans le monde. Depuis les années 1990, la plupart des institutions internationales de défense des droits de l’homme et de la lutte antiraciste le reprennent. Enfin, et surtout, il sert à désigner une réalité actuelle. Les contours du racisme évoluent : sous couvert de défendre la laïcité ou l’égalité hommes-femmes, de nombreuses voix revendiquent une parole stigmatisante à l'égard des musulmans. La critique de l’islam (évidemment légitime) devient un paravent légal pour discriminer les personnes assimilées à tort ou à raison à cette religion.

« Le racisme a subi un profond changement de paradigme dans les années post-coloniales, avec un glissement d’un racisme biologique vers un racisme culturel, observe la CNCDH. Se cachant derrière ce nouvel habillage, le terme d’“islamophobie” a été utilisé par les groupes politiques pour fédérer un électorat plus large et revendiquer le droit d’exprimer sa détestation de la religion musulmane et du musulman. Plus inquiétant encore, une certaine frange radicale franchit le pas du discours aux actes. Selon eux, l’islamophobie relèverait de la liberté d’opinion et d’expression, et à ce titre, les manifestations de haine qu’elle inspirerait, que ce soit à l’encontre du culte musulman ou de ses croyants, ne sauraient tomber sous le coup de la loi pénale. Suivant ce dangereux raisonnement, l’agression d’une femme voilée ne serait qu’un acte de militantisme contre une pratique jugée comme une forme d’oppression à l’égard des femmes. »

Face à ce danger, la CNCDH considère qu’il convient de « nommer ce que l’on dénonce et souhaite combattre ». Et affine sa définition. L’islamophobie désigne ainsi un phénomène visant l’islam et les musulmans et se manifestant « à travers des opinions et des préjugés négatifs, souvent à la source de rejet, d’exclusion et de discriminations, des propos injurieux ou diffamatoires, des incitations à la haine, des dégradations de biens porteurs d’une valeur symbolique, et parfois même des agressions ». Pour désigner les faits condamnés par la loi pénale, la CNCDH, par souci de précision, se propose de continuer à parler d’actes antimusulmans.

Faudra-t-il fabriquer un mot pour signifier le rejet dont les Roms font l’objet ? L’Autorité administrative indique avoir été contrainte de créer un indice particulier pour prendre en compte le caractère massif de l’hostilité à leur égard. Elle recense les préjugés innombrables qui les assimilent à des voleurs exploitant les enfants. Des entretiens en face à face conduits par l’institut de sondages CSA montrent les appréciations négatives qu’ils suscitent. En vrac : « Aversion et dégoût, accusation d’impureté et refus du contact, déception et frustration dues à leur incapacité supposée à changer, mépris et même haine en liaison avec la croyance en leur différence et leur infériorité. » Et de citer le témoignage emblématique d’une femme de 57 ans, secrétaire, qui habite à Paris, catholique non pratiquante, et qui vote PS : « Je ne suis pas raciste, mais je ne veux plus voir les Roms. C’est de la vermine. Ils volent les sacs à main. Ils agressent les vieilles dames. Ils maltraitent leurs chiens. Je donne à manger à leurs chiens, pas aux Roms. »

Cette population est la « moins-aimée » des minorités, conclut la CNCDH. Perçue comme « séparée du monde », elle se voit reprocher à la fois d’être « hors-système » tout en « profitant du système ». En déclarant que les Roms sont « des populations qui ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation », Manuel Valls n’a pas contribué à « arranger les choses », souligne l’institution dans une litote.

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Valls ne convainc pas les écologistes et ressoude le Front de gauche

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Le goût du pouvoir s’impose-t-il à celui de l’alternative, même incertaine ? À la veille de l’annonce du gouvernement du nouveau premier ministre Manuel Valls, les écologistes ont longuement hésité sur leur attitude. Une majorité de parlementaires et une partie du bureau exécutif d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) ont choisi dans un premier temps de ne pas suivre leurs ministres démissionnaires, Cécile Duflot et Pascal Canfin, dans leurs « décisions personnelles ». La veille, les deux ministres avaient annoncé qu'ils ne participeraient pas à un gouvernement conduit par Manuel Valls. Agacés, sur la forme, de s’être retrouvés devant le fait accompli, leurs collègues étaient davantage prêts, sur le fond, à passer un accord avec Valls.

Raison de la tergiversation, six heures durant ce mardi après-midi : une « très belle proposition » de la part du nouveau chef de l’exécutif, qui avait déjà fait une offre similaire à Cécile Duflot (à qui il avait proposé d’être n°2 du gouvernement). Un grand ministère de l’écologie, des transports et de l’énergie, assorti de la fameuse loi sur la transition écologique (en attente depuis plus d’un an), mais aussi l’ouverture d’une discussion sur une dose de proportionnelle aux législatives, et la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (déjà prévue dans les promesses du candidat Hollande). Une telle proposition était susceptible de convaincre l’aile réaliste du mouvement écolo du bien-fondé d’un maintien de la participation gouvernementale. Et notamment les parlementaires, se voyant volontiers ministres.

Cécile Duflot et Manuel VallsCécile Duflot et Manuel Valls © Reuters

Pour autant, in fine, le choix de la non-participation l’a emporté, à une « majorité nette » des quinze membres du bureau, selon David Cormand, secrétaire national des élections à EELV. « On est passé par tous les stades, tout a été envisagé, mais on était aussi sous le feu de la base, résolument hostile à participer à un gouvernement Valls », explique un autre participant, selon qui « l’apparition sur l’écran de télé, au milieu de l’après-midi, de l'annonce d'une “discipline absolue” demandée par Valls, a fait basculer le débat ».

Durant la discussion, un texte de militants, cadres intermédiaires et eurodéputés du parti appelant à ne pas entrer de nouveau au gouvernement a aussi circulé, afin de peser sur les débats en cours. Façon de rappeler que le conseil fédéral d’EELV, ce samedi, dégagerait une large majorité en faveur de la non-participation au gouvernement.

« Ce n’est pas une victoire, mais un choix largement réfléchi et débattu, estime Cormand. Pour nous, les promesses orales du premier ministre ne peuvent suffire. Dans une discussion plus concrète, avec plus de temps, on aurait peut-être pu aboutir à des convergences, dans un vrai contrat de gouvernement, à l’allemande. Mais le choix de Hollande a été de nous mettre devant le fait accompli… » « Notre souci est de ne pas faire du Mélenchon et de l’opposition frontale, décrypte un cadre du parti. Donc de rester dans le soutien critique, sans servir de caution à Valls, mais ne pas s’interdire de voter et soutenir des mesures écolos, si elles sont effectivement mises en œuvre. »

Plus tôt dans la matinée, les sourires s’affichaient devant l’hôpital de l’Hôtel-Dieu (toujours mobilisé contre la fermeture de ses urgences), où s’étaient réunis les organisateurs de la marche contre l’austérité du samedi 12 avril prochain. Face à la cathédrale Notre-Dame, représentants syndicaux, d’Attac et de la fondation Copernic, comme du PCF, du PG et du NPA, ont confirmé leur envie de retrouver le chemin de la convergence des luttes.

Jean-Luc Mélenchon, Olivier Dartigolles et Pierre Laurent, devant l'Hôtel-DieuJean-Luc Mélenchon, Olivier Dartigolles et Pierre Laurent, devant l'Hôtel-Dieu © S.A

S’ils ne le disent pas comme cela, le choix du nouveau premier ministre fait les affaires de cette autre gauche qui, faute de concurrence, tendrait à devenir désormais la seule, maintenant que les écologistes sont sortis du gouvernement et que ça tangue en interne au PS (lire notre article). « Face au message des urnes, ce n’est même pas qu’ils ne bougent pas, ils s’acharnent ! dit Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF. Ça peut créer un électrochoc indispensable à gauche. Il va falloir entrer en opposition très ferme face aux décisions qui vont suivre. »

Le secrétaire national communiste, Pierre Laurent, souhaite de son côté que « la majorité de gauche n’accorde pas sa confiance à un tel gouvernement » et voit dans la réponse de Hollande aux urnes « un abus de pouvoir » et « un coup de force ». Au micro, Laurent a aussi fait feu de tout bois contre le choix de Valls, interprété comme « un choix de désaveu et de mépris des électeurs déçus », avant d'appeler à « une relève de la gauche ».

Dans l’assistance, Jean-Luc Mélenchon ne peut s’empêcher de lâcher un reproche feint et malicieux : « N’est-ce pas trop excessif ? » L’ancien candidat à la présidentielle certifie qu’il ne s’attendait pas à la promotion du ministre de l’intérieur : « Hollande prend une décision dans la panique et nomme son gourou personnel, mais il se met dans une impasse en devenant la caricature de lui-même. » Il précise : « Pour que la stratégie de Hollande fonctionne, il lui faut faire disparaître la gauche, syndicale, associative et politique, afin de créer les conditions d’un blairisme à la française. »

Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot, devant l'Hôtel-DieuJean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot, devant l'Hôtel-Dieu © S.A

À ses côtés, Olivier Besancenot ne cache pas non plus sa satisfaction de voir la rue de gauche se remobiliser sérieusement. « Ça va bouger ! Enfin… », sourit-il. Au micro, il éreinte à son tour le nouveau locataire de Matignon, dont la désignation aurait « un sens culturel, qui choque les militants de l’égalité, et même les militants anti-racistes », rappelant la plainte déposée par l'association La voix des Rroms, après ses propos sur les Roms ayant « vocation à vivre en Roumanie ou à y retourner » (une plainte pour laquelle il est cité à comparaître le 5 juin – lire ici).

Pour Besancenot, la marche du 12 avril « doit être un premier pas, pour nous redonner confiance ». Selon l’ancien héraut anticapitaliste, la manifestation aura « un caractère inédit, car tout le monde viendra avec ses propres protestations. C’est une force de pouvoir additionner les mécontentements, cela va permettre à tout le monde de prendre conscience du bras de fer à engager. Ce n'est pas un “gouvernement de combat”, mais un gouvernement à combattre ».

Espèrent-ils voir les écologistes les rejoindre ? Des contacts ont déjà été pris, avec l'aile gauche écolo, notamment les proches d'Eva Joly, et beaucoup espèrent voir s'élargir la participation à d'autres sensibilités. « C’est une affaire de patience, explique Mélenchon. Si les écologistes sortent du gouvernement, ils conservent une culture majoritaire d’exercice du pouvoir. Comme nous. Donc, peu à peu, on peut arriver à une culture commune de l’alternative. »

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Stade de Lille: les arrangements d’Eiffage avec l’environnement

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Autorisation administrative non respectée, étude d’impact parcellaire, manque de contrôle sur des déchets pouvant contenir des éléments radioactifs : le géant du BTP Eiffage a construit le Grand Stade de Lille, baptisé stade Pierre-Mauroy, en prenant des libertés avec le droit de l’environnement. C’est ce que révèlent des documents exhumés par l’association Nord Écologie Conseil, dont Mediapart publie les principaux éléments. Ils éclairent les dessous défaillants d’un contrat de 440 millions d’euros, un partenariat public-privé (PPP) signé pour trente et un ans. Eiffage fait par ailleurs toujours l’objet d’une information judiciaire pour « faux », ouverte fin 2012 par le parquet de Lille, concernant les conditions d’attribution du chantier du Grand Stade.

Le stade Pierre-Mauroy, à Lille.Le stade Pierre-Mauroy, à Lille.

Alfred Leclercq, président de Nord Écologie Conseil, dit aujourd’hui ressentir « de la colère de découvrir à quel point les institutions républicaines ne font pas respecter la loi dans le cadre d’un PPP ». Son association bataille depuis plusieurs années pour obtenir plusieurs documents administratifs relatifs au chantier du stade, accès accordé par la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), mais non délivrés par la préfecture (voir notre précédent article à ce sujet). Son avocat, Patrick Drancourt, dépose ces jours-ci un nouveau recours devant le tribunal administratif pour obtenir la communication de ces pièces. De son côté, la préfecture considère que « l’essentiel des documents sollicités » a « déjà été transmis ».

De quoi s’agit-il ? Pendant la construction du stade, Elisa, la filiale d’Eiffage signataire du PPP, a dû combler des galeries souterraines artificielles se trouvant sous le chantier. Au départ, elle voulait utiliser de la craie extraite du sol sur place, mais elle a finalement eu recours à du limon et à des déchets industriels : des cendres, issues de la combustion du charbon sur une ancienne centrale thermique. Au total, environ 75 000 tonnes y ont été enfouies. Ce type de matériau est classé en « déchets à radioactivité naturelle renforcée », car il contient du thorium et de l’uranium. Une étude d’impact a bien été conduite, mais elle n’a pas pris en compte l’usage des cendres, car Eiffage n’avait alors pas déclaré vouloir en faire usage. Ce n’est pas une irrégularité à proprement parler, mais un premier arrangement avec les exigences administratives.

Mais il y en a d’autres. Ainsi, l’hydrogéologue mandaté pour expertiser cette méthode, Henri Maillot, a avalisé l’utilisation d’un « coulis » de cendres et d’un autre de limon, comme il l’explique dans son rapport hydrogéologique de septembre 2009, à lire ci-dessous :

Avis hydrogéologique sur les coulis, septembre 2009.Avis hydrogéologique sur les coulis, septembre 2009.
« Je donne un avis hydrogéologique favorable à l’utilisation de ces deux coulis (mélange limons-Sidmix et mélange cendres-volantes-ROC AS) pour combler les vides de carrières souterraines du site du projet de grand stade ». Le « Sidmix » est un liant hydraulique et le « Roc AS » un liant routier.

La préfecture du Nord confirme l’autorisation de deux coulis, et de deux coulis seulement, dans une lettre datée d’octobre 2013 : « Ce rapport a rendu un avis favorable à l'utilisation des deux coulis employés (mélange limon - SIDMIX et mélange cendres volantes - ROC AS) pour combler les vides des carrières souterraines du site du projet du Grand Stade Lille Métropole. » Les deux versions sont jusqu’ici parfaitement cohérentes. Le problème, c’est qu’Elisa a aussi utilisé un autre coulis, mélange cette fois-ci de cendres et de Sidmix. C’est ce que révèle la lecture de l’analyse chimique réalisée par un laboratoire d’Eiffage en juillet 2012, qui détaille la composition de deux échantillons prélevés sur place, comme on le voit ci-dessous :

Extrait de l'analyse chimique de deux échantillons de coulis de comblement, juillet 2012.Extrait de l'analyse chimique de deux échantillons de coulis de comblement, juillet 2012.

 
Pour Alfred Leclerc, de Nord Écologie Conseil, il s’agit bien d’un « troisième coulis » pour lequel le constructeur n’a pas reçu d’autorisation. C’est tout sauf anodin, car cette partie du chantier du Grand Stade était très strictement encadrée. Avant de débuter la construction du bâtiment du stade à proprement parler, Elisa a dû intervenir fortement dans les sous-sols du futur équipement. Ces travaux touchent à la nappe phréatique de la craie, qui alimente une partie de la Belgique et du nord de la France. Ils sont donc particulièrement surveillés et ont été placés sous le régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Le document d’autorisation de cette ICPE exige formellement que « la technique choisie, les matériaux mis en œuvre, doit avoir reçu l’aval de l’hydrogéologue agréé en matière d’hygiène publique ». Cette contrainte n’a manifestement pas été respectée. Nord Écologie Conseil a déposé, jeudi 20 mars, un recours devant le tribunal administratif pour obtenir la copie des autorisations concernant le troisième coulis, ainsi que l'utilisation de deux centrales à coulis et le stockage à l’air libre pour des déchets industriels importés, classés à « radioactivité naturelle renforcée », constatés dans les faits, mais sans feu vert administratif connu.

Ce qui peut apparaître comme un détail est en réalité décisif, car la portée de cette obligation n’est pas que technique. Selon la Cour de cassation, en matière d’ICPE, la constatation de la violation d’une prescription légale en connaissance de cause implique une intention coupable. Si bien que pour Alfred Leclerc, cela ouvre d’autres possibilités de poursuites judiciaires.

Pour la préfecture du Nord, « la technique choisie pour les travaux du remblaiement des cavités souterraines et les matériaux mis en œuvre respectent les prescriptions de l’arrêté préfectoral et ont reçu l'aval d'un hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique ». Elle ne répond pas aux questions posées concernant le coulis non autorisé. Sollicitée (à trois reprises, par téléphone et par courriel), la société Eiffage n’a pas répondu.

Cartes des nappes d'eau souterraine dans la région.Cartes des nappes d'eau souterraine dans la région.

Quels sont les risques environnementaux encourus ? La pollution de la nappe phréatique, qui affleure les coulis. « Même si les activités sont terminées, un déplacement de terre ou une injection de coulis dans des cavités peuvent avoir des conséquences dans le temps », explique le constructeur lui-même, dans le dossier officiel de cessation d’ICPE : « Les fluctuations de la nappe de la craie au cours d’une année peuvent amener la nappe au niveau du coulis comblant les cavités souterraines. » Il existe ainsi un « risque potentiel de transfert d’éléments vers la nappe », peut-on y lire en toutes lettres.

Extrait du dossier de cessation d'ICPE.Extrait du dossier de cessation d'ICPE.

L’État lui aussi reconnaît l’existence de ce risque : « L’eau prélevée fait l’objet de mesures des substances susceptibles de caractériser une éventuelle pollution de la nappe », décrit un arrêté préfectoral du 15 octobre 2012, qui définit les obligations qui pèseraient sur l’exploitant « si les résultats mettent en évidence une pollution des eaux souterraines ».

Extrait de l'arrêté de fin d'ICPE, en octobre 2012.Extrait de l'arrêté de fin d'ICPE, en octobre 2012.


L’eau de la nappe de la craie est contrôlée grâce à l’implantation de cinq «piézomètres». Une cartographie de leurs relevés, en 2009, au tout début du comblement des galeries souterraines, indique la présence d’uranium, d’alpha et de bêta, trois éléments radioactifs, en quantités non négligeables. Et même des traces de polonium, un élément chimique cancérigène à haute dose, dans l’eau de ressuage du coulis – et donc hors de la nappe, pour ce cas précis. Cette phase du chantier s’est achevée en juin 2010. « Un réseau piézométrique a été implanté conformément aux préconisations de l'hydrogéologue agréé. Une surveillance trimestrielle des eaux souterraines est assurée. À ce jour, les rapports d’analyse d’eau souterraine du site concluent sur l’absence d’impact significatif sur la nappe de la craie », indique la préfecture du Nord.

Mais en juillet 2012, deux ans après la fin des travaux de comblement, l’analyse chimique de deux échantillons de coulis par Eiffage révèle d’importants relargages de métaux lourds : molybdène, antimoine et sélénium. Toutefois, ils n’atteignent pas une « quantité supérieure aux seuils préconisés », assure l’auteur de l’étude, commandée par le constructeur et exploitant. Depuis, plus rien. Aucun suivi des coulis n’a été assuré. Surtout, le protocole de suivi des coulis, requis par l’autorisation d’exploitation de l’ICPE (le temps du chantier du stade), d’août 2009, n’a jamais été mis en place. Une irrégularité de plus.

« Depuis quatre ans, soutient de son côté, Nord Écologie Conseil, nous n’avons eu de cesse de mettre en garde sur le risque inutile, voire illégal, du remplissage des galeries sous le Grand Stade par des déchets industriels. Des mesures effectuées par le constructeur dont nous avons eu connaissance, il y a peu, montrent des résultats préoccupants et pourtant, à notre connaissance, aucune mesure de contrôle faite dans les mêmes conditions n’a été effectuée. » Pour Alfred Leclercq, « les autorités républicaines ont défendu l’intérêt du constructeur, parfois même au prix de contrevérités ».

L’association envisage de déposer une plainte auprès du procureur de la République avec éventuellement constitution de partie civile pour non-respect du Code de l’environnement et des lois sur l’eau. Une première plainte contre X…, déposée en juillet 2012, pour « pollution de la nappe phréatique », a été rejetée.

À la fois constructeur, exploitant et propriétaire du Grand Stade de Lille, le groupe Eiffage a agi à sa guise dans la conduite de son chantier. Dans le cadre du partenariat public-privé, il est à la fois maître d’œuvre, maître d’ouvrage et client de ses propres travaux. Difficile dans ces conditions de faire prévaloir l’intérêt général sur ses intérêts particuliers.

BOITE NOIRECette enquête a été réalisée, essentiellement par téléphone, entre le 10 et le 19 mars. Sollicitée à plusieurs reprises par téléphone, la préfecture du Nord a finalement répondu à mes questions par un courriel envoyé le 19 mars. Le groupe Eiffage en revanche, sollicité à plusieurs reprises par téléphone, et à qui j'ai envoyé une série de questions par courriel, n'a jamais répondu à mes demandes.

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La banque UBS condamnée pour avoir licencié les gêneurs

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UBS France nie toujours fermement avoir organisé l’évasion fiscale vers la Suisse de centaines de clients jusqu’à la fin des années 2000. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que ses dénégations sont peu entendues. Et les condamnations s’enchaînent. Par deux décisions récentes dont Mediapart a obtenu copie, le Conseil des prud’hommes de Paris a jugé, le 21 février et le 14 mars, que la banque française avait licencié illégalement deux anciens salariés.

Tous deux commerciaux, chargés de gérer les comptes de riches clients et d'en recruter de nouveaux, ils avaient dénoncé en interne les pratiques illégales auxquelles leur direction les incitait à participer, et que Mediapart a longuement raconté dans sa série sur les « carnets UBS ». La banque annonce à Mediapart qu’elle va faire appel de ces deux jugements. « Le point inacceptable pour nous concerne le fondement de ces jugements, et notamment l’argument du harcèlement moral, que nous rejetons catégoriquement », indique-t-elle.

Le conflit d’UBS avec ses salariés dure depuis plus de cinq ans. Mais depuis qu’il a été engagé, le paysage s’est singulièrement assombri pour la filiale hexagonale de la banque suisse. Le 31 mai 2013, UBS France a été mise en examen pour complicité de démarchage illicite, et placée sous le statut de témoin assisté pour les qualifications de blanchiment de démarchage et de blanchiment de fraude fiscale. Trois anciens cadres de la banque, dont l’ex-directeur général, l'avaient déjà été. Une semaine plus tard, c’est la maison-mère suisse qui a été mise en examen pour démarchage illicite.

Le 26 juin 2013, l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le gendarme des banques, a, elle, infligé à la banque la plus forte amende de son histoire. Dix millions d'euros, assortis d’un blâme, pour son « laxisme » dans la mise en place du contrôle des pratiques de ses salariés. Et du côté des prud’hommes, deux décisions ont déjà sanctionné le licenciement de cadres. Le 30 août 2011, UBS a été condamnée pour le licenciement abusif en juillet 2008 de l’ancien responsable de son agence de Strasbourg. Le conseil avait estimé que le fait que des commerciaux suisses viennent démarcher des clients dans l’est de la France empiétait sur l’exclusivité régionale dont était censée bénéficier l’agence strasbourgeoise.

Dans un jugement rendu le 19 juin 2012 (la banque a fait appel depuis), le conseil de prud'hommes de Paris avait aussi considéré que le licenciement de Nicolas Forissier, l’ancien contrôleur interne d’UBS France qui dénonçait des pratiques illicites, était « sans cause réelle et sérieuse ». Nous avions détaillé son cas, en protégeant son identité à l’époque. Quant à l’ancienne responsable marketing d’UBS France, Stéphanie Gibaud, elle est encore en attente d’une décision sur son propre licenciement, qu’elle juge également lié à ses accusations contre son ancien employeur (expliquées ici).

L’auteur des deux premiers jugements est un magistrat professionnel, dit du « départage », qui tranche les dossiers lorsque les conseillers prud’homaux classiques (salariés et employeurs élus à leurs postes) estiment qu’ils sont trop complexes pour leur compétence. Et c’est encore cet homme qui a eu à juger d’un des dossiers qui nous intéressent aujourd’hui, celui d’Olivier Forgues, auquel il a accordé en tout plus de 135 000 euros en dédommagement de son licenciement le 15 décembre 2008.

L’ancien banquier avait témoigné à visage découvert en novembre dans un documentaire de France 5. Il y racontait comment, persuadé de travailler « pour la plus belle banque au monde », il démarchait des clients français pour le compte de la filiale parisienne d’UBS. Il assurait avoir été en permanence incité à adresser ces riches cibles à ses homologues suisses, experts dans l’art de dissimuler de l’argent aux yeux du fisc français (nous avons évoqué ici en détail ce « pacte franco-suisse »).

Ce commercial fort efficace était très bien vu de sa direction jusque début 2007, date à laquelle il refuse d’aller travailler à Genève, après avoir accepté dans un premier temps. Les pratiques en cours à l’époque sur les bords du lac Léman l’auraient finalement rebuté. Après son refus, affirme-t-il, ses conditions de travail se dégradent fortement, au point qu’il est contraint de réclamer d’être à nouveau destinataire des e-mails de sa supérieure, et même forcé de réclamer un téléphone pour travailler.

Pour la banque, rien de tel. Elle l’accuse d’avoir voulu aider un client à cacher de l’argent à Singapour. C’est pour ce motif qu’elle convoque son salarié en novembre 2008 pour un entretien préalable à une sanction disciplinaire, qui n’est finalement pas prononcée. Mais dans la foulée, le 27 novembre, Olivier Forgues écrit à sa hiérarchie pour dénoncer les opérations « cross border » illicites qu’elle couvre. Le lendemain, il est à nouveau convoqué, pour être licencié cette fois.

Selon le juge des prud’hommes, aucun doute possible : « Le lien entre cette convocation et ses accusations contenues dans son courrier du 27 novembre 2008 est (...) manifeste. » Les pièces du dossier « établissent des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement à l’encontre de M. Olivier Forgues », estime le jugement, qui indique qu’UBS n’a pas apporté d’élément contredisant le harcèlement, « et ce alors que ses performances commerciales demeuraient excellentes ». Quant au fond des accusations de Forgues… Selon les prud’hommes, il « était bien fondé à critiquer l’existence de pratiques illicites au sein du groupe UBS, sa convocation à un entretien préalable au licenciement apparaissant comme une mesure de rétorsion ».

Le jugement concernant le sort du second salarié (qui a souhaité conserver l’anonymat), rendu par un autre juge, est très similaire. Ce collègue d’Olivier Forgues soutient lui aussi avoir été victime de harcèlement moral de la part de ses supérieurs, et assure qu’ils lui ont imposé des pratiques illicites qu’il a fini par dénoncer. C’est lui qui a assisté Forgues à son premier entretien, comme la loi le permet. Et c’est notamment pour avoir dénoncé, au cours de cet entretien, les filières d’évasion fiscale au sein de la banque qu’il a lui-même été licencié.

La banque reprochait à ce second salarié d’avoir multiplié sciemment « les accusations gratuites à l’encontre d’UBS France » dans le but même de se faire licencier, « en étroite relation » avec Olivier Forgues. Là aussi, UBS réfute les accusations de harcèlement moral portées contre elle. Mais là encore, le juge estime « qu’elle ne produit aucun élément probant établissant que les agissements dénoncés par le salarié ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement ».

Le jugement, qui accorde environ 50 000 euros à l’ex-banquier, est très sévère à l’encontre de la banque : « Ses dénégations sur ses pratiques professionnelles et managériales caractérisées par la duplicité et les injonctions contradictoires ne résistent pas à l’analyse des pièces du dossier » et « en réalité, elle tente de discréditer par tous les moyens les salariés qui ont dénoncé ses agissements ». Réponse d’UBS auprès de Mediapart, sur qui a contribué à médiatiser le dossier ? « L'utilisation intensive des médias par ces anciens salariés pour défendre leur cause personnelle a paru crédibiliser leurs thèses aux yeux de la juridiction prud'homale. »

Pour ces deux récents dossiers, UBS fait donc appel. Mais, comme l’a remarqué le juge en charge du dossier d’Olivier Forgues, cela n’a pas été toujours le cas, puisqu’elle avait accepté la toute première décision rendue au sujet de ses ex-salariés, celle qui concerne l’ancien cadre strasbourgeois. « Dans un jugement concernant un autre salarié (…), il a été démontré que des chargés de clientèle de la banque UBS Suisse n’hésitaient pas à franchir la frontière afin de travailler sur le territoire français auprès d’une clientèle française et de procéder à un démarchage illicite sur ce même territoire », rappelle le juge. Or, « cette décision est devenue définitive, la SA UBS France n’en ayant pas interjeté appel, ce qui vaut reconnaissance par elle des éléments qui y ont été retenus ».

L’interprétation de la banque est bien sûr différente : « Nous n’avions pas contesté ce jugement car ce salarié était très impliqué dans son travail, et avait mal vécu l'interruption de son contrat de travail. Surtout, la décision du conseil des prud'hommes ne lui donnait raison ni sur le harcèlement moral ni sur les accusations de démarchage illicite. Nous avions considéré qu'accepter ce jugement était une mesure d'apaisement. » Effectivement, à l’époque, le jugement ne se prononçait pas explicitement sur l’existence ou non d’un démarchage illicite, même s’il se basait bien sur le fait qu’un banquier suisse avait indiqué quels futurs clients potentiels inviter à un tournoi français de golf, où il était présent. En effet, ce Suisse avait théoriquement le droit de rencontrer ces futurs clients en France, mais si, et seulement si, ces derniers étaient à l’origine de la démarche.

Information judiciaire et plainte pour trafic d'influence

Le juge des prud’hommes ne s’était pas risqué à trancher sur ce point. Mais nul doute que l'instruction judiciaire, toujours en cours, se chargera de le faire. Selon nos informations, les juges Guillaume Daïeff et Serge Tournaire ont récemment auditionné plusieurs anciens salariés suisses de la banque et devraient prochainement entendre leurs ex-collègues français.

De son côté, Olivier Forgues est bien décidé à ne rien lâcher. Après avoir quitté UBS, il avait fondé une autre entreprise de gestion financière, qui s’était vu retirer son agrément par l’Autorité des marchés financiers, en juin 2011. À ses yeux, ce retrait d’agrément est suspect en raison de conflits d’intérêts multiples. En juillet dernier, Forgues a déposé plainte, notamment pour trafic d’influence. Et il vient de déposer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, pour essayer de casser le jugement du Conseil d’État qui avait confirmé le retrait d’agrément de sa société.

Parmi ses arguments, il souligne que Jean-François de Leusse, dirigeant d’UBS France, est membre du Conseil d’État et qu’à l’époque, Françoise Bonfante, directrice des risques de la banque, siégeait en même temps dans une commission consultative de l’AMF. C’est cette même Françoise Bonfante qui a dû démissionner en février de la commission des sanctions de l’AMF sur demande du ministre de l’économie, au grand dam d’UBS.

« Une théorie du complot absurde, extravagante », balaye la banque, qui explique d’ailleurs entendre que cette démission forcée de François Bonfante motive en partie sa décision de faire appel dans les deux dossiers prud’homaux : « Nous faisons en sorte d’éviter que l’amour-propre domine dans nos prises de décision, mais lorsque nos collaborateurs ou nos anciens salariés sont attaqués personnellement par leurs anciens collègues dont les motivations sont clairement financières, nous considérons que la ligne rouge est franchie, et que nous ne pouvons pas laisser passer ça. » Au rang des menaces agitées, la banque laisse entendre qu’elle envisage de porter plainte pour diffamation contre ses anciens salariés. Ce qu’elle s’est bien gardée de faire depuis qu'elle a été mise en examen.

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Gouvernement: 16 ministres, 2 nouveaux, Royal et Rebsamen

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La nomination de Manuel Valls ne s’est pas accompagnée de bouleversements majeurs au sein de l’exécutif. Le nouveau gouvernement, qui a été annoncé ce mercredi matin 2 avril, est certes resserré et demeure paritaire. Mais sur les seize ministres nommés, deux seulement font leur entrée au gouvernement. Ségolène Royal, n°3 du gouvernement, prend la tête d’un grand ministère de l’écologie et de l’énergie. François Rebsamen prend le portefeuille de l’emploi, du travail et du dialogue social.

Voici la liste complète du gouvernement. Les secrétaires d’État devraient être annoncés dans les jours qui viennent.

  • Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères et du Développement international
  • Ségolène ROYAL, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie
  • Benoît HAMON, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
  • Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux, ministre de la Justice
  • Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics
  • Arnaud MONTEBOURG, ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique
  • Marisol TOURAINE, ministre des Affaires sociales
  • François REBSAMEN, ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social
  • Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense
  • Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
  • Najat VALLAUD-BELKACEM, ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports
  • Marylise LEBRANCHU, ministre de la Décentralisation, de la Réforme de l’État et de la Fonction publique
  • Aurélie FILIPPETTI, ministre de la Culture et de la Communication
  • Stéphane LE FOLL, ministre de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt. Porte-parole du Gouvernement
  • Sylvia PINEL, ministre du Logement et de l’Égalité des territoires
  • George PAU-LANGEVIN, ministre des Outre-mer

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Vincent Peillon ou l'histoire d'un formidable gâchis

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Il voulait « fatiguer le doute » et « donner du temps au temps », selon des formules que le ministre n’a cessé de répéter durant ses deux années passées rue de Grenelle à défendre sa « refondation de l’école ». Emporté par la débâcle électorale des municipales, Vincent Peillon qui comptait bien s’installer pour cinq ans à son poste, arguant que l’éducation avait besoin de continuité, n’aura finalement eu le temps ni de l’un, ni de l’autre.  

Sorti du gouvernement, Vincent Peillon va pouvoir se consacrer pleinement à la campagne des élections européennes dans le Sud-Est, où il aura fort à faire face à Jean-Marie Le Pen pour le FN et Renaud Muselier pour l’UMP. Outre le symbole, évidemment désastreux, du ministre qui cherchait à se recaser provoqué par sa candidature, les perspectives très alarmistes sur son score ont sans doute achevé de sceller le sort de ce ministre longtemps considéré comme l’enfant gâté du gouvernement.

Pour beaucoup au gouvernement, son passage au ministère de l’éducation nationale est d’abord celui d’un formidable gâchis. « Il avait une Rolls, il en a fait une vieille 2CV », soupirait récemment le conseiller d’un ministre qui ne le porte pas dans son cœur. Il expliquait ne pas comprendre qu’avec un tel budget – et l’assurance de pouvoir créer 60 000 postes dans l’éducation alors que tous les autres ministères sont à la diète –, le ministre ait si peu réussi à capitaliser sur sa politique dans l’opinion.

Il y a bien sûr eu ses gaffes – de sa déclaration sur le cannabis (où il ne se disait pourtant que favorable à un débat sur la dépénalisation) à celle très récente et politiquement ravageuse sur le possible gel de l’avancement des fonctionnaires. Elles ont contribué à installer dès le début l’image d’un gouvernement d’amateurs. Certains au gouvernement, où le ministre a suscité beaucoup de jalousie, ne lui pardonneront pas ces sorties de route.

Au-delà, ce qui est plus profondément reproché à Vincent Peillon, c’est de n’avoir pas su mieux vendre sa politique. « Ça n’imprime pas », reconnaissait-on il y a quelques mois dans son entourage. « On a un vrai problème à faire passer notre message. » De fait, les enseignants, censément aux premières loges, n’ont toujours pas bien saisi en quoi consistait cette « refondation » dont ils ne voient pratiquement aucun effet sur le terrain. Pire, ils ont parfois eu le sentiment d’un immense fossé entre les grandes déclarations du ministre et une réalité de terrain totalement déconnectée, comme encore récemment sur l’épineux dossier de l’éducation prioritaire. Vincent Peillon annonçait débloquer des millions pour cette politique alors que nombre d’établissements découvraient qu’ils perdaient des postes.

La fronde des enseignants du premier degré, opposés au décret Peillon sur les nouveaux rythmes scolaires – tout comme celle des maires –, a particulièrement indisposé le chef de l’État qui estimait qu’après avoir lâché 60 000 postes, il avait au moins droit à la paix sociale. 

La réforme des rythmes, mal ficelée et mal engagée, aura ainsi éclipsé pratiquement toute son action rue de Grenelle. Avec l’UMP en embuscade, cette réforme a cristallisé les mécontentements de toutes parts, parfois pour des raisons opposées. Elle a monopolisé le débat public sur l’école pendant deux ans. Et elle aura réussi l’exploit de cannibaliser « la priorité au primaire », un changement pourtant historique de perspective dans un système scolaire français qui a toujours méprisé ce niveau significativement sous-doté et où les inégalités de destin se figent.

Alors que l’éviction de Vincent Peillon se précisait, on sentait dans ses équipes poindre l’amertume de ceux dont l'action n'a pas été comprise. Jusqu’au bout son cabinet – dans l’incertitude – jugeait d'ailleurs « pas très rationnel » un débarquement du ministre qui a « tenu sa feuille de route ». « On ne peut pas faire de miracle quand on est sur le Titanic », répliquait aussi aux critiques un membre de son cabinet, en rappelant que l’exécutif avait décroché dans les sondages deux mois après son arrivée.

« Les 60 000 postes, c’est peut-être la seule promesse que Hollande a tenue, non ? » s’étonnait aussi la co-secrétaire générale du Snes-FSU, Frédérique Rolet, comme la majorité des représentants syndicaux franchement favorables à son maintien. Malgré deux années parfois houleuses passées rue de Grenelle, Vincent Peillon a été soutenu jusqu’au bout par des organisations syndicales aussi opposées sur le fond que la FSU ou l’Unsa. Un tour de force. « Peillon a une vision, un projet », affirmait lundi à Mediapart Frédérique Rollet. « Bien sûr, il n’a pas pensé à toutes les étapes des réformes qu’il a engagées », concédait-elle, en soulignant que si beaucoup de réformes ont été lancées, quasiment toutes sont encore au milieu du gué.

Lors de ses vœux à la presse en janvier, Vincent Peillon avait égrené la liste fournie des actions menées et assuré que les années à venir seraient celles de la « consolidation ». On devinait d’ailleurs que cette phase n’était pas forcément celle qui passionnait le plus le ministre.

Et effectivement, si les changements sont encore difficilement perceptibles sur le terrain, Vincent Peillon n’a pas chômé rue de Grenelle. Les 60 000 postes promis par François Hollande ont bien été inscrits dans une loi d’orientation et de programmation qui couvre le quinquennat. La formation initiale des enseignants, supprimée en 2008 par le gouvernement Darcos qui voyait là un moyen pratique de récupérer des postes, a été rétablie et une trentaine d’écoles supérieures du professorat ont été créées au pas de charge. La réforme des rythmes scolaires, malgré ses ratés évidents et si politiquement explosive que personne ne s’y était risqué jusque-là, va être généralisée dans l’ensemble des établissements à la rentrée prochaine.

La priorité au primaire, avec des dispositifs pédagogiques tels que le « plus de maîtres que de classes » ou la scolarisation des moins de 3 ans, a été actée et des moyens ont été précisément fléchés dans la loi d’orientation et de programmation sur l’école. Les décrets de 1950, qui définissaient le métier des enseignants uniquement par les heures de cours, ont été abrogés pour y inclure les tâches de concertation ou d'accueil des parents, et ce sans provoquer de levée de boucliers du côté du Snes-FSU, très vigilant sur le sujet.

Incapable de revaloriser globalement les enseignants, Vincent Peillon a quand même concédé quelques mesures indemnitaires de rattrapage aux personnels les moins biens lotis : enseignants du primaire, directeurs d’école... Un plan d’embauche en CDI des auxiliaires de vie scolaires – qui suivent les élèves handicapés – a aussi été lancé.

Mise en œuvre dans seulement une centaine d’établissements, la réforme de l’éducation prioritaire – avec une sensible amélioration des conditions de travail pour les enseignants concernés et un meilleur encadrement des élèves – a été saluée par l’ensemble des syndicats. Si elle souffre d’un problème de financement, raison pour laquelle elle est pour l’instant circonscrite au noyau le plus dur de l’éducation prioritaire, c’est que Vincent Peillon a perdu ses arbitrages sur la question des classes préparatoires, car le ministre, pour « réduire les inégalités », voulait récupérer quelques moyens jugés exorbitants.

Vincent Peillon a sans conteste un vrai bilan. Insuffisant sans doute, tant l’attente était immense après dix années où la droite a méticuleusement asphyxié l’école. L’historien de l’éducation Claude Lelièvre, par ailleurs proche du ministre, veut croire qu’il n’y avait pas vraiment d’autres options. « C’est un ministère où vous ne pouvez avancer que par petits pas. Sinon, vous mettez tout le monde dans la rue et rien n’avance », confiait-il en début de semaine. « C’est maintenant que tout commence », assurent unanimes les syndicats enseignants. À condition qu'à l'Élysée demeurent quelques convictions sur le sujet.

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Gouvernement Valls: une nouvelle synthèse hollandaise

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Ce nouveau gouvernement est comme une synthèse de congrès socialiste. La nouvelle équipe nommée autour de Manuel Valls, deuxième premier ministre de l’ère hollando-élyséenne, a tous les atours du deuxième congrès de l’ère hollando-solférinienne. En 2005, lors du congrès du Mans, François Hollande, alors premier secrétaire du PS, avait su remettre au carré l’appareil socialiste après les désordres nés du référendum européen. À l’époque, il avait su rassembler des éléphants récalcitrants, mais obligés à la responsabilité par la perspective de la présidentielle 2007.

Neuf ans plus tard, il renoue avec cet art du savant équilibre, conservant ses proches historiques autour de lui, tout en composant avec l’aile droite, promue au sommet du dispositif avec Manuel Valls, comme avec l’aile gauche, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Avec une nouveauté non négligeable : la parité n’est désormais plus une variable d’ajustement mais un principe qui demeure directeur (lire la liste complète du gouvernement sous l'onglet "Prolonger" de cet article).  

Au bout du compte, comme en 2005 où la ligne du PS n’avait pas été bouleversée, le cap politique choisi par le président de la République est confirmé. Le « gouvernement de combat » de 2014 est un gouvernement qui change peu, passant de 20 à 16 ministres de plein exercice, avant la nomination de secrétaires d’État prévue la semaine prochaine. François Hollande et Manuel Valls ont conservé la plupart des poids lourds de l’équipe sortante. Plus François Rebsamen et Ségolène Royal, qui prennent la place de deux grands ministres parmi les plus affaiblis, Vincent Peillon (lire notre article) et Pierre Moscovici, sortis du gouvernement.

Et comme en 2005, où Hollande avait enterré définitivement la gauche plurielle qui prévalait encore aux régionales de 2004, le cœur de cette phase 2 du hollandisme ne conserve comme partenaire que le parti radical de gauche (PRG).

François Hollande et François RebsamenFrançois Hollande et François Rebsamen © Reuters

Les hollandais historiques aux postes clés

Dans le petit jeu des coups de pression, les « hollandais » historiques avaient fait savoir mardi soir qu’ils tenaient une réunion « secrète » pour protester contre un éventuel recul de leur influence. Résultat : ils conservent et/ou obtiennent des postes clés. C’est le cas de Jean-Yves Le Drian, confirmé à la défense, de Stéphane Le Foll, toujours à l’agriculture mais qui devient également porte-parole du gouvernement, de Michel Sapin qui retrouve Bercy en devenant ministre des finances et des comptes publics, et de François Rebsamen, recalé dans l’équipe Ayrault et qui fait cette fois son entrée en reprenant le portefeuille de Michel Sapin (travail, emploi, dialogue social).

Surtout, Manuel Valls a échoué à placer à l’Intérieur un de ses proches, Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère, président de la commission des lois, et qui avait largement contribué à construire les réseaux policiers du nouveau premier ministre avant sa nomination en 2012. Si Hollande, en échange, a dû renoncer à y placer Rebsamen, c’est un autre de ses proches qui prend le poste : Bernard Cazeneuve.

Fabiusien historique, mais qui a noué de longue date de bonnes relations avec Hollande, Cazeneuve a commencé à sortir de l’ombre pendant la campagne, en devenant porte-parole du candidat socialiste. Après la victoire de mai 2012, il devient ministre délégué aux affaires européennes, où il se fait remarquer en portant devant les députés le traité budgétaire européen (TSCG). Après la démission de Jérôme Cahuzac, c’est assez logiquement que Hollande décide de promouvoir Cazeneuve au budget. Il est, depuis, l’artisan des économies budgétaires drastiques, sans provoquer de heurts avec ses collègues ministres et en conservant la confiance du président.

À cette liste, on peut aussi ajouter Ségolène Royal. Elle ne fait pas partie de la garde rapprochée de François Hollande et a construit, depuis longtemps, son propre chemin politique. Mais le président de la République choisit comme numéro 2 du gouvernement une personnalité avec laquelle il entretient toujours des liens très étroits.

Aucun proche de Valls, les strauss-kahniens en perte de vitesse

Manuel Valls n’a jamais été entouré que d’une petite task force au Parti socialiste. Seul proche d’envergure : Jean-Jacques Urvoas, actuel président de la commission des lois à l'Assemblée. Mais le nouveau premier ministre a échoué à l’imposer à l’Intérieur. Résultat, il ne peut compter sur aucun proche dans ce nouveau gouvernement, à part les poids lourds qui ont soutenu sa nomination par accointance idéologique ou par alliance tactique. C’est le cas d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon (lire notre article), mais aussi d’Aurélie Filippetti (qui reste à la culture et « amie » de Valls) ou de Marisol Touraine (qui conserve les affaires sociales).

Les «strauss-kahniens» sont les grands perdants du remaniement, avec le départ de Pierre Moscovici (Hollande ne voulait plus de ce ministre impopulaire et affaibli mais il pourrait le placer à la Commission européenne), de Geneviève Fioraso (dont la ville d’origine, Grenoble, vient de passer aux mains des écologistes et du parti de gauche) et de Nicole Bricq (qui devrait retrouver le Sénat). Il ne reste plus que Marisol Touraine. Et bien sûr le premier ministre.

Deux entrants : Ségolène Royal et François Rebsamen

La candidate malheureuse à la présidentielle 2007, présidente de la région Poitou-Charentes, 60 ans, fait son grand retour au gouvernement, dont elle devient la numéro trois, derrière Laurent Fabius. Elle hérite du vaste ministère regroupant l’écologie, le développement durable mais aussi l’énergie, poste occupé jusqu’ici par Philippe Martin. En 2012, Royal était pressentie pour la présidence de l’Assemblée nationale mais avait été défaite aux législatives à La Rochelle. Depuis, l’ancienne compagne de François Hollande, nommée vice-présidente de la Banque publique d’investissement, une structure dont elle a un temps dénoncé la folie des grandeurs, affichait un soutien prudent au gouvernement. Tout en s’inquiétant régulièrement du manque de discipline de l’équipe Ayrault.

Ségolène RoyalSégolène Royal © Reuters

Autre poids lourd : François Rebsamen, 62 ans. Le maire de Dijon, recalé du gouvernement Ayrault, s’ennuyait ferme au Sénat, où il tentait de diriger le groupe socialiste. Son principal fait d’armes : avoir plaidé contre la loi interdisant le cumul des mandats. Depuis des années, ce très proche de François Hollande convoitait le ministère de l’intérieur. Mais Manuel Valls s’y est opposé. Rebsamen atterrit du coup au ministère de l’emploi, du travail et du dialogue social. Un domaine dans lequel il ne s’est guère illustré jusqu’ici. Son rôle sera crucial : c’est lui qui sera chargé d’animer le dialogue social cher à François Hollande, mais aussi de commenter chaque mauvais mois les chiffres du chômage.

Benoît Hamon et Manuel VallsBenoît Hamon et Manuel Valls © Reuters

Hamon n°4 du gouvernement

Il y a un mois, quand il ne savait pas encore de quoi son avenir serait fait et qu’il postulait autant à la tête du PS qu’à une tête de liste aux prochaines régionales en Île-de-France, Benoît Hamon confiait : « À moins qu’un grand ministère, affaires sociales ou éducation… J’ai des idées sur le sujet et je saurais quoi y faire… » La promotion du chef de file de l’aile gauche du PS, qui était jusque-là ministre délégué à l’économie sociale et solidaire, est une double reconnaissance. Celle de sa discipline dans la majorité hollandaise (lui et son courant sont globalement restés dans le rang), comme de son côté bon élève travailleur (qui a fait passer deux lois dans le début du quinquennat) et « vallso-compatible ». Surtout, cette nomination permet de rééquilibrer le profil droitier de Valls, et de contenir les mécontentements de la vingtaine de députés proches du nouveau n°3 du gouvernement.

Au ministère de l’éducation, qui récupère dans son giron l’enseignement supérieur et la recherche, Hamon peut apparaître comme l’homme idoine pour prolonger le travail de Vincent Peillon, notamment en raison de sa bonne connaissance du milieu enseignant et universitaire. Ancien rocardien et président du Mouvement des jeunes socialistes (en 1993), il a depuis construit patiemment, sous l’aile protectrice d’Henri Emmanuelli, un solide courant à la gauche du parti, essentiellement structuré autour de jeunes militants fidèles en grandissant, de l’Unef, du MJS et de la Mutuelle des étudiants (LMDE).

Cette expérience pourrait s’avérer utile, alors que sur le front des universités, la gauche a beaucoup à se faire pardonner. Alors que près d’un tiers des universités sont dans une situation financière très inquiétante (une vingtaine sont en déficit), que la recherche est exsangue, la loi Fioraso – qui s’inscrivait dans la stricte continuité de la LRU de Valérie Pécresse – a été perçue comme une trahison par beaucoup d’enseignants-chercheurs. Concernant la vie étudiante, la revalorisation des bourses aux étudiants pourrait être remise en question par les 50 milliards d'économies promis.

Son prédécesseur rue de Grenelle a lancé de nombreux chantiers, mais aucun n’est à ce jour achevé. Au-delà de la question des nouveaux rythmes scolaires qui vont s’appliquer l’an prochain dans la totalité des communes, avec des maires de droite qui feront sans doute de la résistance, d’importants dossiers attendent le nouveau ministre avec une feuille de route déjà très écrite. La réforme cruciale des programmes a elle aussi été repoussée à l’an prochain. Sur l’éducation prioritaire, l’extension du dispositif (conçu par Peillon) des REP+ dépendra évidemment des arbitrages budgétaires à venir… Tout comme la création effective des 60 000 postes normalement sanctuarisés dans la loi d’orientation et de programmation sur l’école.

Arnaud Montebourg et Manuel VallsArnaud Montebourg et Manuel Valls © Reuters

Montebourg gagne le Trésor

Montebourg a obtenu ce qu’il voulait : monter en grade à Bercy et élargir le portefeuille du redressement productif qu’il occupait dans le gouvernement Ayrault. En devenant ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, l’ancien candidat à la primaire espère obtenir la tutelle de la puissante administration du Trésor, centre névralgique de Bercy. C’était le « deal » que Montebourg avait passé avec Manuel Valls voilà plusieurs semaines.

En échange, l’ex-chantre de la démondialisation a farouchement soutenu la nomination de son camarade à Matignon : la semaine dernière, il a écrit une lettre à François Hollande pour exiger une réorientation de la politique menée par l’Élysée pour répondre à la débâcle des municipales et avait menacé de démissionner si Jean-Marc Ayrault, que Montebourg méprisait, était maintenu.

Montebourg parie que Valls à Matignon pourra permettre un changement de ton sur l’Europe. Il rappelle à qui veut l’entendre que son camarade de l’Essonne était pour le “non” au traité constitutionnel européen de 2005, avant de se ranger à la discipline du PS. Ses proches espèrent également que Valls leur laissera une marge de manœuvre sur les questions économiques dont le nouveau premier ministre n’est pas un spécialiste.

Mais, à Bercy, Montebourg, dont les relations avec Pierre Moscovici, grand perdant de ce remaniement, étaient exécrables, devra cohabiter avec Michel Sapin (finances et comptes publics), proche de François Hollande et grand défenseur de la rigueur budgétaire.

Les radicaux, seule ouverture d’un gouvernement PS

Seuls alliés des socialistes au sein du nouveau gouvernement de Manuel Valls, après le départ des ministres écologistes (Cécile Duflot et Pascal Canfin), les radicaux de gauche préservent un poste de ministre de plein exercice dans le gouvernement de Manuel Valls avec la promotion de Sylvia Pinel, qui succède à Cécile Duflot au logement et à l’égalité des territoires. Sylvia Pinel était auparavant chargée des PME, de l’artisanat et du tourisme dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Un temps pressenti pour rejoindre le gouvernement, le président du Parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet, a été définitivement écarté mardi après l’annonce de sa mise en examen à Bordeaux dans une affaire de frais de bouche au conseil général du Tarn-et-Garonne. Mardi, les radicaux avaient fait monter la pression en faisant savoir qu’ils n’entendaient pas participer à un gouvernement « socialisto-socialiste ». Mais en fait, si.

Une proche de Delanoë : George Pau-Langevin

Ministre déléguée chargée de la réussite scolaire dans les gouvernements de Jean-Marc Ayrault, George Pau-Langevin est nommée ministre des outre-mer dans le gouvernement de Manuel Valls où elle succède à Victorin Lurel. Ancienne présidente du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, George Pau-Langevin, avocate, a été élue députée de Paris en 2007, une première pour une femme de couleur en métropole.

Parité et droits des femmes

Le gouvernement Ayrault était le premier gouvernement paritaire de l’histoire. Malgré les récriminations de caciques du Parti socialiste, François Hollande n’y a pas renoncé avec l’équipe de Manuel Valls. Sur les 16 ministres de plein exercice, 8 sont des femmes. Comme dans le précédent gouvernement, une seule occupe un ministère régalien : Christiane Taubira, confirmée à la Justice. Si sur les six derniers ministres dans l’ordre protocolaire, cinq sont des femmes, Ségolène Royal devient numéro 3 du gouvernement.

Le ministère de l’éducation nationale reste dans les mains d’un homme, Benoît Hamon. Jamais ce poste n’a été occupé par une femme. Najat Vallaud-Belkacem reste ministre des droits des femmes mais, comme les associations féministes le redoutaient, son périmètre est élargi dans une combinaison fourre-tout (ville, jeunesse et sports). Elle perd le porte-parolat du gouvernement au profit de Stéphane Le Foll.

Christiane Taubira maintenue

Le maintien de Christiane Taubira au ministère de la justice n’était pas acquis, loin de là. En froid avec Manuel Valls, lassée des blocages institutionnels et des arbitrages consensuels qui freinent les réformes (où sont passées l’indépendance du parquet et la réforme du CSM ?), la garde des Sceaux était, ces dernières heures, donnée partante de la place Vendôme par plusieurs sources informées. Pour mémoire, Christiane Taubira tient Manuel Valls pour responsable du rabotage de sa réforme pénale, un projet long à élaborer, pour lequel elle aurait dû être auditionnée aujourd’hui en commission des lois et qui devait être examiné le 14 en séance publique.

La droite se réjouissait par avance de l’abandon de ce texte qu’elle juge « laxiste », alors qu’il est en fait très mesuré. François Hollande a donc réussi à convaincre la ministre de la justice de ne pas faire ce petit plaisir à l’opposition en quittant le navire. Une droite dont la frange réactionnaire a, par ailleurs, malmené Christiane Taubira de façon parfois indigne lors de l’adoption du mariage pour tous, une des rares mesures emblématiques qui aient été adoptées en deux ans.

Il reste que le maintien de Christiane Taubira place Vendôme ne règle pas toutes les questions. Parfois brouillonne, pas toujours impliquée dans ses dossiers (comme on a pu le voir avec l’affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy), la ministre doit faire face à une magistrature assez sceptique. Son budget, malgré une légère hausse, reste en deçà des attentes et des besoins, comme le montrent le mouvement de protestation en cours chez les greffiers et les greffières des tribunaux, ainsi que l’accumulation de travaux à effectuer et de factures à régler.

A l’intérieur, Cazeneuve a tout à faire

L’ancien maire de Cherbourg va trouver un ministère où très peu des problèmes de fond apparus après dix ans de politiques sécuritaires sarkozystes ont été résolus. Pour ne pas s’aliéner les puissants syndicats de police, son prédécesseur Manuel Valls a préféré ne pas toucher au cœur de métier des policiers et des gendarmes. Exit par exemple l’idée d’un récépissé pour lutter contre les contrôles au faciès. Quant à la réforme du renseignement, menée après l’affaire Merah, elle n’a été que cosmétique, renforçant la DCRI, transformée en une direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) placée directement sous l’autorité du ministre de l’intérieur.

Selon une enquête récemment menée par le sociologue Sébastien Roché à Lyon et Grenoble, 57 % des jeunes interrogés n’ont pas confiance dans la police, et pour 40 % de ces jeunes, les policiers se livrent « souvent ou très souvent » à des contrôles abusifs. Pour mener une politique de sécurité de gauche, améliorer les relations police-population qui n’ont cessé de se dégrader, tout reste donc à réaliser. Et il faudra au nouveau ministre de l’intérieur trouver des hommes et femmes de confiance dans une administration qui a fait carrière sous la droite et n’a été que très partiellement remaniée à l’arrivée de Manuel Valls.

S’il conserve les attributions de son prédécesseur en matière d’immigration, d’asile et d’intégration, Bernard Cazeneuve va également devoir rattraper le temps perdu. Une pile de projets de réformes maintes fois reportés l'attend sur son bureau. Pour regagner la confiance des acteurs du secteur, il est contraint de changer de politique. Au cours de ses deux années place Beauvau, Manuel Valls s’en est tenu à quelques mesures progressives symboliques (fin de la présence des enfants en rétention, suppression de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers) qui n’ont pas suffi à rompre avec la logique répressive du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Les expulsions d’étrangers en situation irrégulière se sont poursuivies à un rythme élevé. Ses propos stigmatisants à l’égard des Roms dont il a estimé qu’ils ne « souhaitent pas s’intégrer (…) pour des raisons culturelles », ainsi que la multiplication des évacuations de campements sans solution de relogement, ont achevé d’en faire la bête noire des associations de défense des droits des étrangers et, au-delà, d’une partie des sympathisants de gauche.

À charge pour Bernard Cazeneuve de s’inscrire dans la ligne promise par François Hollande lors de la campagne présidentielle d’une remise en cause radicale des années passées. Deux projets de loi devaient être présentés en conseil des ministres avant l’été 2014 : la réforme de l’asile, visant à réduire les délais d’examen des demandes d’asile, et la mise en place d’un titre de séjour pluriannuel susceptible de faciliter la vie des étrangers en situation régulière sur le territoire. Il est également attendu sur la régularisation des sans-papiers, les premiers chiffres officiels du ministère devant être rendus publics dans les tout prochains jours.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Promotion expresse pour deux conseillers de Christiane Taubira

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Encore un mystère au ministère de la justice. Une heure à peine avant l’annonce du maintien surprise de Christiane Taubira place Vendôme, ce mercredi matin, la chancellerie adressait au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) un projet de nominations de magistrats qui a fait tousser dans les juridictions. Deux conseillers de Christiane Taubira figurent en effet sur cette liste datée du 1er avril, communément appelée « transparence » (à laquelle Mediapart a eu accès), et se voient proposer par le ministère une promotion remarquée.

Philippe Astruc, actuellement premier substitut à l’administration centrale, faisant fonction de « conseiller pénal et action publique » au cabinet de la ministre, serait bombardé au grade très envié de « hors hiérarchie », pour prendre un poste de procureur adjoint à Créteil.

Quant à Sandrine Logeay-Zientara, elle aussi premier substitut à l‘administration centrale, et actuelle conseillère « législation pénale » de Christiane Taubira », elle accéderait elle aussi au grade « hors hiérarchie », et serait nommée avocat général à la cour d’appel de Paris.

Christiane TaubiraChristiane Taubira © Reuters

Selon le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), Philippe Astruc était pourtant « en avant-dernière position » sur la liste des candidats ayant postulé au poste de procureur-adjoint à Créteil. Quant à Sandrine Logeay-Zientara, elle serait « en toute fin d’une liste de cent postulants » pour le poste d'avocat général à Paris.

Les magistrats souhaitant changer d’affectation adressent régulièrement leurs vœux à la Direction des services judiciaires (DSJ) du ministère, qui établit ensuite une liste de candidats, en tenant compte notamment de leur ancienneté, de leurs parcours et de leur notation. Les postes à pourvoir au parquet étant proposés par le ministère, qui indique ses favoris, au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), lequel examine ensuite les candidatures et rend un avis.

Cette « transparence » – datée 1er avril et expédiée le 2 – a fait bondir le Syndicat de la magistrature. « À une journée près, on aurait pu croire à une plaisanterie et on voudrait y croire d’ailleurs », écrit Françoise Martres, la présidente du SM, à la ministre Christiane Taubira, dans un courrier dont Mediapart a pu prendre connaissance. « Mais il semble plutôt que les mauvaises habitudes aient la vie dure à la Chancellerie et qu’il s’agisse de "récompenser" deux membres de votre cabinet par une promotion généreuse au mépris des droits des autres candidats à ces postes », poursuit la présidente du SM.

« Le Syndicat de la magistrature a toujours dénoncé ces "petits arrangements entre amis" qui priment, dans les nominations, sur les critères habituellement retenus. Il vous demande en conséquence de bien vouloir retirer ces projets de nominations scandaleux », conclut Françoise Martres.

Christiane Taubira a-t-elle voulu recaser des collaborateurs lorsqu'elle était fermement décidée à quitter la place Vendôme ? Veut-elle, au contraire, renouveler encore un cabinet qui avait déjà été largement remanié au bout d'un an seulement ? Sollicité ce mercredi par Mediapart, le ministère de la justice répond, par son porte-parole, qu'il n'y a là « aucun arrangement, mais un processus administratif tout à fait classique et naturel ».

« Cette liste a été faite avant l'annonce du maintien de Madame Taubira. La seule autorité ayant le pouvoir de statuer sur ces nominations est le Conseil supérieur de la magistrature, et Christiane Taubira a toujours dit qu'elle suivrait les avis du CSM quels qu'ils soient », explique Pierre Rancé, le porte-parole du ministère. Par ailleurs, celui-ci précise que la ministre procède actuellement à des consultations pour constituer son nouveau cabinet.

Pour être une pratique assez classique, le recasage de conseillers et le piston express après un passage en cabinet ministériel sont assez mal vus dans la magistrature. C'était l'une des spécialités du pouvoir précédent, comme on a pu le vérifier quand Michel Mercier était en fonction (voir les articles ci-contre).

Quoi qu'il en soit, le maintien de Christiane Taubira au ministère de la justice en a surpris plus d'un, ce mercredi matin. En froid avec Manuel Valls, lassée des blocages institutionnels et des arbitrages consensuels qui freinent les réformes (où sont passées l’indépendance du parquet et la réforme du CSM ?), la garde des Sceaux était, ces dernières heures, donnée partante de la place Vendôme par plusieurs sources informées. Pour mémoire, Christiane Taubira tient à juste titre Manuel Valls pour responsable du rabotage de sa réforme pénale, un projet long à élaborer, pour lequel elle aurait dû être auditionnée aujourd’hui en commission des lois et qui devait être examiné le 14 en séance publique.

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Henri Emmanuelli : « Le PS n’existe plus »

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Député et président du conseil général des Landes, également président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, Henri Emmanuelli, l’une des grandes voix de l’aile gauche du Parti socialiste, dit les vives inquiétudes que lui inspire la situation politique au lendemain des élections municipales, à l’occasion d’un entretien avec Mediapart pour l’émission Objections.

Évoquant le choix de Manuel Valls comme premier ministre, il estime qu’il s’agit « d’un coup de barre à droite » à un « moment où il aurait sans doute fallu autre chose ». Selon lui, la décision d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) de ne pas participer au gouvernement est un événement politique important parce qu’elle entraîne « un rétrécissement de la majorité ». Ce coup de barre à droite lui apparaît si préoccupant qu’il réserve encore la position qu’il prendra lorsque le premier ministre sollicitera le vote du Parlement après sa déclaration de politique générale. N'envisageant pas de voter "non" pour rester fidèle à sa famille politique, il n’exclut pas de s’abstenir : « Moi, mon vote n’est pas acquis, je vais attendre de voir ce qu’il dit. »

Henri Emmanuelli s’insurge par ailleurs contre le fait que, plus que jamais, « toutes les décisions sont prises à l’Élysée » et que l’on vive en France dans « une sorte de monarchie républicaine » avec « des coups de force permanents, avec des lobbys qui agissent par pression ». « Il faut aujourd’hui bouger ces institutions : ce n’est plus possible ! » estime-t-il.

Mais surtout, le dirigeant socialiste plaide pour une autre politique, à l’échelle européenne, et une autre politique économique en France. Dénonçant « l’orthodoxie budgétaire » qui prévaut à Bruxelles, il estime que l’Europe serait mieux avisée « de se préoccuper de la déflation ». Et dans le cas de la France, il fait valoir qu’il plaide depuis longtemps pour une autre politique économique.

Mais ses critiques les plus acerbes, c’est à l’actuelle direction du Parti socialiste, emmenée par Harlem Désir, qu’il les réserve. Faisant valoir que les adhérents du PS n’ont jamais été consultés sur les orientations actuelles « qui sont regrettables » – « on ne leur a jamais demandé leur avis », dit-il –, il ajoute avec sévérité : « Le Parti socialiste n’existe plus, ni en attaque, ni en défense (…) Le Parti socialiste est devenu un parc à moutons. » Estimant que « le Parti socialiste est dans un état comateux » et que sur « le plan du rassemblement de la gauche, il n’a pas du tout joué son rôle », il plaide pour un sursaut : « Un congrès extraordinaire ou une démission du premier secrétaire ne me paraîtrait pas inopportun », conclut-il.

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L’écologie selon Ségolène Royal

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Si l’on en croit les réponses de Ségolène Royal à un questionnaire de Greenpeace en 2011, c’est la reine de l’écologie qui vient d’entrer à la troisième place du gouvernement (lire ici le document dans son intégralité). Elle s’y déclare favorable à la sortie « irréversible » du nucléaire d’ici 40 ans, à sa réduction à 50 % de la production d’électricité avant 20 ans, à l’abandon du chantier de l’EPR à Flamanville et la reconversion du site en laboratoire du démantèlement. Elle souhaite aussi la fin des exportations de réacteurs nucléaires, de la filière MOX, du site de stockage des déchets ultimes à Bure et s'oppose au développement du nucléaire de 4e génération. Une profession de foi anti-atome presque chimiquement parfaite.

Ségolène Royal (Charles Platiau, Reuters).Ségolène Royal (Charles Platiau, Reuters).

Elle souhaite aussi la commande d’une nouvelle enquête d’utilité publique au sujet du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ce qui correspond à la première demande des associations d’opposants. En résumé, à en croire son équipe en préambule : « Pour Ségolène Royal, la social-écologie est l'engagement de toute une vie. » Elle s’est aussi publiquement prononcée contre la culture des OGM en plein champ (à la différence du nouveau premier ministre Manuel Valls), contre le recours à la fracturation hydraulique et les forages de gaz de schiste (au moins à court terme).

Ségolène Royal sera-t-elle la ministre de la transition écologique ?

Numéro trois du gouvernement, dotée d’un portefeuille large (avec l’énergie) mais encore flou (quid des transports ?), elle est créditée par le porte-parole de France nature environnement, Benoît Hartmann, de « savoir gagner ses arbitrages politiques et d’être plutôt une aide au changement de modèle politique ». Mais elle a contre elle d’être la quatrième ministre de l’écologie en deux ans, aucun autre sujet n’a connu un tel turn-over. « Qui décidera vraiment au sein du gouvernement de la politique énergétique, la ministre de l'écologie et de l'énergie ou le ministre de l'économie Arnaud Montebourg, celui des finances Michel Sapin ou encore Manuel Valls ? » s’interroge Greenpeace. 

« J’ai l'ambition de faire de la France la première puissance écologique d’Europe », proclamait en 2007 la candidate à l’élection présidentielle dans son « pacte » (à retrouver en cliquant ici). Sept ans plus tard, le camp écologiste lui reconnaît des compétences et des réussites dans sa région Poitou-Charentes : la régionalisation des transports, la gestion de l’eau, le soutien au conservatoire régional des espaces naturels, l’adoption d’un objectif de 23 % d’énergies renouvelables, un plan d’économies d’énergie dans les logements, un plan de soutien à l’énergie solaire en 2009. Seul bémol signalé par Poitou-Charentes Nature, une association de défense de l’environnement membre du réseau FNE : le soutien aux agrocarburants par le développement d’une usine de transformation de colza en diesel. 

Royal défend une vision très sociale-démocrate de l’écologie : contre le dérèglement climatique (pour les économies d’énergie et les renouvelables), pour une moindre dépendance aux hydrocarbures, mais pour la croissance, la hausse du pouvoir d’achat, et la réindustrialisation du pays. C'est au diapason de la pensée du développement durable. La social-écologie plutôt que l’éco-socialisme ou la planification écologique prônée par la gauche des écologistes. Seule taxe qu’elle a défendue : en 2007, la création d’un prélèvement exceptionnel sur « les superprofits » des pétroliers pour développer les transports collectifs. Elle a aussi critiqué la hausse des tarifs de l’électricité (dont l’arbitrage échappe au ministère de l’écologie) et réclamé plus de transparence sur les comptes d’EDF (voir ici)

Elle se montre plutôt opposée à la fiscalité écologique : contre la taxe carbone sous le ministère Borloo, sceptique sur la contribution climat énergie introduite dans la loi de finances 2014 – et mise en œuvre depuis début avril. Elle est aussi peu allante sur le rattrapage fiscal du diesel par rapport à l’essence : « On a encouragé les Français pendant des années à acheter des voitures diesel, on ne va pas du jour au lendemain leur taper sur la tête avec un impôt supplémentaire. Je considère que l’écologie ne doit pas être punitive », déclarait-elle en mars 2013. La succession d’alertes sur la pollution de l’air de Paris et de certaines autres grandes villes fait pourtant du diesel un dossier à traiter en priorité par son ministère. Pour endiguer le rejet de microparticules néfastes pour la santé, elle s’est dite favorable au stationnement gratuit pour les voitures électriques. 

Sur l’écotaxe, elle a changé de position avec les années. D’abord favorable à la création d'une « éco-redevance poids lourds » (61e proposition de son pacte présidentiel en 2007), elle a condamné l’écotaxe en novembre 2013, parlant d’« une mesure totalement absurde ». Jeudi 3 avril, elle a appellé à une « remise à plat » de l'écotaxe, pour l'une de ses toutes premières sorties en tant que ministre du gouvernement Valls. Même sentiment de flottement sur le nucléaire. En mars 2011, juste après la catastrophe de Fukushima, elle s’en était prise aux écologistes qui réclamaient l’inscription au programme de la gauche d’un référendum sur le nucléaire : « Je pense qu’il y a un délai de décence et de respect. » Cette sortie lui avait valu la réplique courroucée de Cécile Duflot, alors secrétaire nationale d’EELV : « Ce qui est monstrueusement indécent, madame, ce sont ces propos ; les Verts alertent sur le risque depuis trente ans !»

Encore ministre, Philippe Martin refusait de s’exprimer publiquement sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ségolène Royal, elle, n’a pas manqué une occasion de le critiquer ces derniers mois : « Notre-Dame-des-Landes sera très difficile à faire », déclarait-elle en mai 2013 au Parisien. Et encore : « Ça ne se fera pas s’il y a des levées de boucliers sur le terrain et si les gens sont farouchement attachés à leur territoire », a-t-elle rajouté sur un plateau du site l'internaute.com. Alors que son prédécesseur était taiseux, avare en conférences de presse et en commentaires, Ségolène Royal démarre son mandat par l'annonce d' une première mise en scène de communication : l’arrivée à l’hôtel de Roquelaure pour la passation de pouvoirs en Mia Electric, voiture fabriquée dans les Deux-Sèvres par un fabricant en liquidation judiciaire depuis mars.

BOITE NOIRECet article a été actualisé le 3 avril vers 17h30 pour intégrer la déclaration de Ségolène Royal sur la remise à plat de l'écotaxe. 

Je n'ai pas assisté à la passation de pouvoir entre Philippe Martin et Ségolène Royal mercredi 2 avril, mais un témoin me fait savoir que la nouvelle ministre n'est pas arrivée en "Mia electric", mais en Renault gris metallisée.

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Santé : comment économiser 10 milliards d'euros

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Son président Michel Régereau (CFDT) fait le compte : « L’assurance maladie doit faire 10 milliards d’euros d’économies d’ici 2017, 3 milliards dès 2015. Cela ne sera pas facile, mais c’est possible. » Puis il égrène les dépenses et les actes de soins inutiles, voire franchement nocifs à la santé publique, et les marges – colossales – de progrès en matière d’organisation des soins. L’assurance maladie est une victime consentante de l’austérité. Depuis l’ouverture par le président de la République de la chasse aux 50 milliards, la voilà au pied du mur. L’objectif est bien de résorber le fameux « trou ». Tout ça sans « charges nouvelles » pour les patients, ne cesse de répéter la ministre de la santé Marisol Touraine, reconduite dans le gouvernement Valls.

Les dépenses de santé en France sont importantes : avec 243 milliards d’euros, elles représentent 12 % du PIB (produit intérieur brut). « Alors que la dépense de santé est plus élevée dans notre pays que dans beaucoup d’autres pays développés, nos performances sont bonnes sans être exceptionnelles », expliquent les économistes de la santé Brigitte Dormont, Philippe Askenazy, Pierre-Yves Geoffard et Valérie Paris dans une vigoureuse note du Conseil d’analyse économique de juillet 2013, plaidant « pour un système de santé plus efficace ».

Déficitaire de manière chronique (- 6,8 milliards d’euros en 2013), l’assurance maladie a pris sa part, avec le reste de la protection sociale (retraite, famille, accidents du travail-maladie professionnelle), d’une colossale dette sociale de 160 milliards d’euros. Ce qui ne l’a pas empêchée de reculer : elle remboursait 80 % des dépenses en 1980, elle n’en rembourse plus que 75,5 %. « Notre système de santé accumule les déficits, est de moins en moins efficace, de plus en plus cher et inégalitaire. On a tous les maux. Si on ne fait rien, la contrainte économique va devenir telle qu’elle conduira à une remise en question du système solidaire », prévient Étienne Caniard, le président de la Mutualité française.

Pas question cependant de réduire les dépenses de santé : le gouvernement entend maîtriser fortement leur tendance naturelle à augmenter (en raison des progrès de la médecine et du vieillissement de la population) de +3,5 % environ chaque année : l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (179 milliards d’euros en 2014) ne devrait augmenter que de + 2 % entre 2015 et 2017 (+3,5 milliards d’euros). Ce taux n’a jamais été aussi bas depuis la fin des années 1990.

Les chiffres de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) Les chiffres de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam)

Le risque d’une rupture dans la politique de santé, d’un creusement des inégalités de santé, déjà béantes, d’une déstabilisation d’acteurs sous forte pression est réel. « C’est bien les dépenses de santé ! rappelle Brigitte Dormont. Elles améliorent la qualité de vie, font baisser les handicaps, allongent la vie. Comptabilisés en unités monétaires, ces bénéfices dépassent largement les coûts. » Mais elle explique qu’« il y a des gains d'efficacité souhaitables. Il faut arrêter de faire un amalgame entre efficacité et rationnement des soins. Être plus efficace, c'est parvenir à produire plus de santé avec la même dépense ».

« L’efficience », mot magique en matière de santé : cette recherche du meilleur soin au meilleur coût est largement documentée par les économistes de la santé, les médecins de santé publique, les rapports de l’assurance maladie, de la Cour des comptes, du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, etc. « On sait ce qu’il faut faire, il y a beaucoup de compréhension des enjeux, des analyses convergentes », assure Yann Bourgueil, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). « Mais est-il possible de maintenir la qualité tout en réduisant les coûts ? poursuit-il. Le drame, c’est de croire qu’on pourrait faire des économies à court terme. Il faut continuer d’investir dans la transformation du système de santé. »

Existe-t-il un chemin assurant des économies immédiates et profitables au plus grand nombre, et ménageant des marges d’investissement ? Le gouvernement a tracé une feuille de route, la « stratégie nationale de santé », censée transformer un système de santé « conçu pour répondre aux enjeux de la fin des années 1950 » et qui « doit désormais relever les défis du XXIe siècle » : développement des maladies chroniques, population vieillissante, développement des inégalités de santé. Peu lisible, cette stratégie dessine par petites touches impressionnistes une réforme, dont les grandes orientations font consensus.

  •  L’hôpital restructuré

L’hôpital est dans l’œil du cyclone. Comme dans tous les pays développés, il se concentre sur les soins aiguës, très techniques, de plus en plus chers en raison des progrès technologiques et thérapeutiques. Les patients le quittent de plus en plus tôt, par souci d’économies, de sécurité (l’hôpital est un lieu qui comporte des risques, notamment les infections nosocomiales), de confort. En France, 40 % des interventions chirurgicales sont ambulatoires : les patients sortent le jour même. Ce taux est en progression constante. Dans son rapport 2013 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes estime qu’il pourrait même atteindre 80 % comme en Allemagne, ce qui représenterait une économie de 5 milliards d’euros. Dans le même mouvement, les jeunes mamans sortent de plus en plus tôt des maternités, épaulées à domicile par des sages-femmes libérales, les chimiothérapies à domicile se développent pour les malades du cancer, etc.

Une population est trop longuement hospitalisée : les personnes âgées en perte d’autonomie, souvent atteintes de plusieurs maladies chroniques (maladie d’Alzheimer, cancer, diabète, etc.). Selon le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, si leur séjour est trop long, leur état de santé se dégrade rapidement. Le Haut conseil estime que 3 millions de journées d’hospitalisation pourraient être évitées pour une économie d’environ 2 milliards d’euros.

La Fédération hospitalière de France, agacée par la sécheresse de ces chiffres, reconnaît l’impact de ces transformations : « Nous sommes prêts à accompagner des changements. Nous sommes même à l’origine de nombre d’entre eux, assure Gérard Vincent, le président de la Fédération hospitalière de France. Mais pour l’instant, nous sommes payés pour faire de l’activité à l’intérieur de nos murs. » Et il prévient : « L’hôpital est un amortisseur de crise. Les Français y sont très attachés. Il ne faut pas mettre le système à feu et à sang. Jusqu’ici, nous n’avons pas touché à l’emploi. Mais à ce rythme d’économies, cela ne pourra pas durer. »

Une restructuration est déjà à l’œuvre, et s’accélère : si ces évolutions sont menées à leur terme, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements estime que sur 900 000 emplois hospitaliers, 400 000 sont amenés à disparaître. Ils ne seraient pas supprimés, mais ils évolueraient vers le médico-social, c’est-à-dire la prise en charge des malades à leur domicile ou dans des structures alternatives à l’hospitalisation, moins médicalisées, donc moins chères. Là, les besoins sont énormes, de l’ordre de 1 million d’emplois supplémentaires.

Cette perspective est encore lointaine et incertaine. La FHF rappelle que les personnes âgées échouent toujours dans les hôpitaux, et que la fréquentation des urgences explose (+5 % par an) car les médecins de ville n’assurent plus les gardes.

 

  • Soigner au domicile, quand c’est possible

La grande faiblesse du système de santé français est la désorganisation de son premier recours, ce premier niveau de soins, au plus près de la population, dont les principaux acteurs sont les médecins généralistes et les infirmiers, le plus souvent libéraux. Mais ils sont très mal répartis sur le territoire (concentrés dans les grandes villes et le sud de la France), se connaissent mal et travaillent peu ensemble. Or, « l’avenir du système de santé tient à la capacité de ces acteurs à prendre en charge des malades chroniques qui ne veulent pas aller à l’hôpital, qu’il faut accompagner dans la proximité », explique Yann Bourgueil, le directeur de l’Irdes.

Cette nouvelle organisation se dessine dans les 300 maisons de santé pluridisciplinaires (250 sont en projet). Leur impact sur la densité médicale a été étudié par l’Irdes. Attractives pour les jeunes professionnels, elles limitent la désertification. Mais surtout s’y développent des formes de travail plus collaboratives. Ces échanges sont pour l’instant informels. Car les professionnels de santé restent payés individuellement à l’acte (à la consultation médicale, à l’acte infirmier), ce qui est « contre-incitatif à la collaboration », souligne Yann Bourgueil.

Des expérimentations de nouveaux modes de rémunération existent depuis quelques années pour rémunérer des équipes de soins : quelques milliers d’euros accordés à 150 maisons de santé (bientôt 300) pour financer leurs réunions, le travail administratif, etc. La direction de la sécurité sociale vient de lancer “Paerpa” (pour Parcours de soins des personnes âgées en perte d’autonomie) dans neuf territoires pilotes : une équipe formée par le médecin et l’infirmier est rémunérée 100 euros par patient et par an pour se coordonner autour de la personne âgée en perte d’autonomie, celle qui commence à avoir des difficultés à se déplacer, à se nourrir, risque de chuter à son domicile pour finir à l’hôpital. Et la ministre de la santé vient de lancer des négociations avec les syndicats des professionnels de santé de ville sur les rémunérations des équipes de soins de proximité.

D’un point de vue budgétaire, ces nouveaux modes de rémunération sont une goutte d’eau (environ 40 millions d’euros) dans l’océan des dépenses d’assurance maladie. Et les équipes qui en profitent sont réparties de façon inéquitable sur le territoire. « C’est vrai qu’il y a des territoires où il ne se passe rien. Mais ces innovateurs sont les fers de lance d’un processus transformateur, d’apprentissage à grande échelle. Il ne faut pas casser cette dynamique », plaide Yann Bourgeuil.

L'implantation des maisons de santéL'implantation des maisons de santé © DGOS
  • Quelques milliards d’économies possibles sur le médicament

La dépense de médicaments en France est « anormalement importante », selon Marisol Touraine. Parmi sept pays d’Europe, selon une étude de l’assurance maladie, c’est en effet le deuxième pays le plus consommateur de médicaments, derrière le Royaume-Uni, et le premier pour la dépense. Autrement dit, les Français consomment beaucoup de médicaments, qui sont plus chers qu’ailleurs : la dépense de médicament approche les 40 milliards d’euros annuels. La raison en est connue : la puissance du lobby de l’industrie pharmaceutique, qui emploie 100 000 personnes en France. « Le chantage à l’emploi est permanent », explique Gilles Bouvenot, qui a présidé jusqu’au début de l’année 2014 la commission de la transparence de la Haute autorité de santé, chargée de donner un avis sur le progrès apporté par les nouveaux médicaments.

La France est ainsi très en retard sur le développement du médicament générique, qui représente 25 % des médicaments, contre 75 % en Allemagne et au Royaume-Uni. Parce que l’industrie pharmaceutique contourne aisément des règles trop souples : lorsqu’un brevet tombe, et que des génériques arrivent sur le marché, les laboratoires peuvent demander le remboursement de nouveaux médicaments à la même efficacité, mais plus chers : ce sont les « me too ». « Légalement, nous ne sommes pas armés pour les contenir, nous sommes contraints de les admettre au remboursement. Les pouvoirs publics se sont lié les mains », regrette Gilles Bouvenot. Il y a pourtant là une réserve d’économies de plusieurs milliards d’euros.

L’exemple caricatural des « me too » sont les statines, des médicaments contre le cholestérol qui coûtent 1,2 milliard d’euros : « En France, il existe 5 statines sur le marché, quand d’autres pays n’en ont que 2, raconte Gilles Bouvenot. Sur ces 5 statines – qui ont toutes la même efficacité –, 4 sont génériques. Les laboratoires envoient donc des armées de visiteurs médicaux pour convaincre les médecins de la supériorité de la statine non générique. » Résultat : en 2011, 39 % des statines prescrites en France sont des génériques, contre 96 % en Allemagne.

 

  • Encadrer les complémentaires santé

La maîtrise des dépenses d’assurance maladie est indissociable d’un encadrement des complémentaires. Lorsque les dépenses d’assurance maladie sont fortement contraintes, les acteurs se rattrapent sur d’autres postes, remboursés par les complémentaires santé : dépassements d’honoraires, chambres particulières à l’hôpital, médicaments inutiles, prix prohibitifs des lunettes ou des prothèses dentaires, etc. Il y a donc un vrai risque d’assister à un nouveau recul de l’assurance maladie, et à une augmentation des primes des mutuelles et autres assurances santé. De quoi réduire à néant les efforts d’économie, et miner un peu plus le système solidaire.

Le gouvernement va dans les prochaines semaines faire paraître un décret précisant le contenu des contrats complémentaires, qui bénéficient d’importantes aides fiscales. Parmi les trois familles de complémentaires (aux côtés des assureurs et des institutions de prévoyance), la Mutualité française s’affirme en acteur « responsable ». Elle admet jouer le jeu de la concurrence : « Le système actuel pénalise ceux qui se comportent de manière vertueuse », explique Étienne Caniard, son président. Il fait donc cette demande paradoxale aux pouvoirs publics : « Aidez-nous à être vertueux ! » La Mutualité réclame des règles strictes pour réguler le marché, notamment des remboursement des dépassements d’honoraires plafonnés à 100 % des tarifs de la Sécurité sociale, bien en deçà des taux de 200 ou 300 % proposés dans les contrats collectifs d’entreprise, les plus généreux.

 

  • Supprimer l’assurance maladie ?

Le directeur général de l’ARS Île-de-France, Claude Evin, a publié dans Libération une tribune en appelant à la fin « des abus et des excès », et à « une véritable réforme de notre système de santé », renforçant l’administration centrale et régionale. Le système de santé est en effet éclaté, illisible : l’État a la tutelle du secteur hospitalier, l’assurance maladie celle de la médecine de ville. Les dépenses pour les personnes âgées sont, elles, partagées avec un 3e acteur, les conseils généraux. Seules les agences régionales de santé font, partiellement, le lien entre ces trois univers. Mais elles n’ont que « 2 % des dépenses qui sont en principe de leurs ressorts », rappellent dans leur note « Pour un système de santé plus efficace », les économistes Brigitte Dormont, Philippe Askenazy, Pierre-Yves Geoffard et Valérie Paris (OCDE). Ils préconisent donc de leur allouer « une enveloppe financière globale ».

C’est une attaque frontale contre l’assurance maladie. Son président Michel Régereau, sur le départ, la défend : « L’assurance maladie a la fait preuve de sa capacité à mettre en œuvre la stratégie de l’État. » Elle aborde cependant une période de transition délicate : son influent directeur général depuis 2004, Frédéric Van Roekeghem, arrive en fin de mandat en octobre. Le profil de son successeur sera une clé de l’avenir de cette institution.

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La Parisienne Libérée remixe Manuel Valls : «Il a les qualités !»

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[en cas de problème d'affichage : dailymotion / youtube / vimeo ]

« IL A LES QUALITÉS !
 »
Paroles et musique : la Parisienne Libérée

Qui est-ce que je pourrais bien choisir
Comme premier ministre ?
Bon, il y a des critères à remplir
Je vais faire une liste.

1) D'abord il me faut quelqu'un de démocrate, qui respecte le travail parlementaire :

Je ne crois pas à l'agora, à la démocratie devenue participative pour tous, à la démocratie directe. Ça amène en général au désastre. Et donc le Palais-Bourbon, l'Assemblée, c'est là où la démocratie, avec toutes ses imperfections... Ses erreurs, ses corruptions, ses hommes ou ses femmes qui ne sont pas à la hauteur de la tâche, et c'est le cas souvent à l'Assemblée nationale... Je déteste les séances de questions au gouvernement. Je les déteste. 

OK donc démocrate, pas de problème.

2) Qui ne confonde pas la gauche et la droite, pour envoyer un signal clair :

Les lignes politiques n'ont plus rien à voir avec ce que les gens pensaient il y a quelques années, ou ce que l'on pense encore dans les partis (...) et vous avez des gens de gauche qui me disent : « Bravo continuez parce que vous êtes sur une ligne claire, vous êtes même un peu à droite. »

Bah, tout ça c'est subjectif...

3) Quelqu'un de pas trop méprisant :

Vous êtes approximatif, vous vous trompez souvent (...) C'est bien au moins on est sans surprise ici, je pensais que parfois il y aurait un peu plus d'imagination (...) Et ça c'est dommage parce que je pense que le débat que nous avons eu mérite de sortir des caricatures que vous écrivez souvent à mon égard (...) Parce qu'il y a un aveuglement parfois y compris chez vous...

Surtout quand vous me critiquez !

4) Qui ne se mette pas trop en avant :

Je ne me considère pas comme un artiste, pas comme un écrivain, j'ai trop de respect par rapport aux artistes et aux écrivains pour pouvoir me comparer mais enfin (...) pas tout à fait comme un politique, il y a autre chose, on ne va pas le définir.

5) Avec qui on aime travailler :

– Mais non ! Il y a l'inauguration de l'auditorium du CRD, à 17 h !
– D'accord...
– Mais enfin ne dites pas d'accord, Arzeka !!! Vous le savez, on en parle chaque fois ici ! Donc ne me dites pas "d'accord" !!! On a l'inauguration de l'auditorium du CRD ! Vous parlez avec Sabrina ?! Non non non ! Je ne peux pas, là !

Ah oui c'est sûr, ça va être dur...
Non non non ! Je ne peux pas, là !

François Hollande : « Et j'ai donc confié à Manuel Valls la mission de conduire le gouvernement de la France. Il en a les qualités. »


SOURCES
Les citations sont extraites du documentaire « La Mécanique Valls » réalisé par Stéphane Groussard diffusé par LCP en 2010 (coproduction LCP / Sam Prod), de l'émission en direct de Mediapart en mars 2014, et de l'allocution de François Hollande du 31 mars.

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« Marseille est incapable de fonctionner de façon transparente »

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C’est un coup de téléphone d’un journaliste de Marsactu, qui lui a appris dans l’entre-deux tours des municipales, qu’il avait été viré en catimini de la liste socialiste des 13e et 14e arrondissements de Marseille, déposée la veille en préfecture. « Des pratiques de voyou », a réagi l’astrophysicien à la retraite Jacques Boulesteix, ulcéré de ne même pas avoir été prévenu par ses amis socialistes. Fondateur du pôle de compétitivité Optitec sur le technopole de Château-Gombert (13e arrondissement), Jacques Boulesteix, 66 ans, est très impliqué dans les grands projets structurants marseillais et notamment dans la future métropole.

Ou plutôt était. Car Boulesteix, élu (sans étiquette) sur les listes de Jean-Noël Guérini (PS) en 2008, vient de claquer la porte du Conseil de développement de Marseille Provence Métropole et de Paca Investissement, le fonds de co-financement des entreprises de la région, qu’il présidait. Il explique sur son blog que cette « cette ville va dans le mur ». « Je rejoins le bataillon grossissant de Marseillais, parfois désabusés, beaucoup plus sollicités par l’extérieur que par nos responsables politiques locaux, et souvent poussés à l’exil pour réaliser leurs projets », met en garde le scientifique. Entretien.

Jean-Claude Gaudin a remporté la ville en faisant alliance dans un secteur avec une ancienne socialiste Lisette Narducci, proche de Jean-Noël Guérini. Rien de nouveau à Marseille selon vous.

Jacques Boulesteix. Quand Gaston Defferre a pris la ville en 1953, ça a été dès le début une alliance entre la droite et la gauche qui a duré jusqu’en 1983, car Defferre avait été élu avec les voix de la droite. Jean-Claude Gaudin était alors son adjoint à l’urbanisme. L’homme “de droite” fort à Marseille, c’était Defferre (qui a tenu 32 ans, 11 mois et 28 jours à la mairie), pire que Manuel Valls aujourd’hui.

Gaudin, c’est la continuation du système defferriste. Quand j’ai été élu avec Robert Vigouroux en 1989 (maire de Marseille de 1986 à 1995, ndlr), le milieu universitaire était complètement coupé de la ville, mon travail a été de le ramener dans le système. Car Defferre était un parrain : à partir du moment où ces gens ne dépendaient pas de lui pour leur carrière, leurs salaires, leur activité, ils ne l’intéressaient pas et il ne mettait jamais les pieds dans une fac. C’est un système local de contrôle, de prébende.

C’est pourquoi Marseille a des hommes politiques qui n’ont pas de convictions, mais seulement des stratégies personnelles. Les seuls de conviction ont été éliminés, à gauche – Philippe Sanmarco, Michel Pezet –, comme à droite – Jean-François Mattei. Car le système ne peut supporter ça. À mon petit niveau, j’ai été victime de la même chose.

Ça a entraîné un état d’esprit particulier qui fait que Marseille n’est pas du tout une ville de projet. Un candidat qui dit : « Il nous manque dix milliards d'euros d’activité par an et 120 000 emplois », n’a aucune chance d’être élu. Tout projet est plus difficile à réaliser ici qu’ailleurs, dans le milieu universitaire, culturel, économique, c’est pour ça que tant de Marseillais font des projets ailleurs, à Montpellier, à Grenoble ou à Lyon. La Chambre de commerce et d’industrie de Marseille est par exemple la seule de France qui n’a pas eu, durant longtemps, de schéma de développement économique.

Peut-on résumer la défaite de la gauche à Marseille, à une sanction du gouvernement comme le fait Patrick Mennucci ?

La déroute marseillaise est d’un autre ordre, avec une amplification due au système local. Il y a effectivement la sanction gouvernementale, plus un délitement de la société des quartiers nord.

Il y a eu une abstention de désillusion, de rejet, ainsi qu’une autre abstention sociologique très forte dans les quartiers nord. Pourquoi va-t-on voter ? Parce qu’on est intégré, qu’on travaille dans une entreprise, on habite dans un quartier, on discute, les autres vont aussi voter, et c’est un moyen d’affirmer sa personnalité en prenant sa part dans un groupe. À partir du moment où les gens ne connaissent même pas leur voisin de palier, n’ont pas de travail depuis dix ans, ce qui était déjà le cas de leurs parents, il y a une partie grandissante de l’abstention qui n’est même plus du rejet.

C’est un effondrement du système clientéliste dans ces quartiers ?

Le clientélisme a permis un temps de jouer cette intégration dans un groupe, en entretenant le communautarisme des vagues successives d’immigrés (italiens, arméniens, algériens, pieds-noirs, comoriens, etc.). Émile Temime, l’historien des migrations marseillaises, avait mené une étude sur l’appartenance identitaire revendiquée des Marseillais et, à force de doubles appartenances, il arrivait à une ville de plus de 3 millions d’habitants ! C’est ça qui a énormément servi de terreau au clientélisme organisé par petites communautés. C’est naturel dans une ville d’immigration.

Mais à partir du moment où la précarité, avec des familles monoparentales, atteint un tel niveau, le clientélisme devient inapte à répondre aux besoins locaux. Sylvie Andrieux s’est fait coincer pour 716 000 euros (la députée PS a été condamnée en mai 2013 à un an de prison ferme pour détournement de fonds publics, son procès en appel aura lieu en juin 2014, ndlr), c’est ridicule par rapport aux besoins aujourd’hui des quartiers.

Et deuxième défaut, quand on étudie la corruption dans les pays arabes, on voit que c’est un système de rente complètement opposé aux investissements qu’ils auraient dû faire. C’est d’ailleurs l’un des facteurs des printemps arabes. À Marseille, nous sommes dans un système très parallèle. Il n’y a pas d’investissements dans les quartiers, à part les quelques centaines de millions d’euros de la rénovation urbaine, qui n’ont rien changé. Depuis 1998, l’argent du conseil général, dirigé par la gauche, a beaucoup plus arrosé l’extérieur de Marseille que la ville centre. Certains choix ont même été faits contre Marseille. Sous Vigouroux, Lucien Weygand (président du département des Bouches-du-Rhône de 1989 à 1998, ndlr) avait ainsi refusé tout financement à la ville, tout en favorisant l’émergence des concurrences extérieures comme la création de l’Arbois, où il voulait créer une « ville nouvelle » qui aurait enfoncé encore plus Marseille. La gare TGV, dont le bon sens eût voulu qu’elle se situe à l’aéroport de Marignane, fut également construite en pleine campagne aixoise.

Et chaque fois que l’argent du clientélisme du conseil général vient petitement sur ces quartiers, ce n’est jamais pour changer la donne sur le long terme. C’est pour entretenir la situation, la conserver, pour maintenir un statu quo. Patrick Mennucci a été plombé par l’alliance des deux systèmes, Gaudin sur la ville et Guérini sur le département.

Le PS marseillais serait donc le « négrier de l’immigration » comme l’a rabâché jusqu’à la nausée Stéphane Ravier, le candidat FN qui a remporté la mairie des 13e et 14e arrondissements ?

Non, car il y a des militants et un travail associatif formidable dans ces quartiers, mais il n’y a pas d’action publique qui permette d’envisager une sortie de modèle, aussi bien à droite qu’à gauche. Les zones franches urbaines (créées par Jean-Claude Gaudin, ndlr) coûtent par exemple entre 30 000 et 35 000 euros par emploi créé, et encore beaucoup d’emplois sont juste relocalisés. C’est un système dérogatoire qui est théoriquement provisoire. Mais sans modèle économique derrière, cela ne change pas les choses.

Il faut arrêter avec les zones prioritaires. On ne peut plus continuer comme ça, sans vision de sortie de modèle social et économique. Car sinon on maintient ces quartiers dans la précarité extrême sans perspective de les changer à terme. Et la situation se dégrade. C’est ce qu’ont fait Jean-Claude Gaudin et Jean-Noël Guérini. On ne peut plus dépenser l’argent public comme avant. Il faut trouver des effets de levier économiques, sociaux.

Que va devenir la future métropole voulue par le gouvernement socialiste, mais qui risque de basculer à droite ?

Il faut rappeler l’énorme erreur de Defferre, qui, à la fin des années 1970, a refusé la communauté urbaine, parce qu’il avait peur de la banlieue rouge autour de Marseille. Tout ce qui a été fait par l’État sous Defferre, comme Fos-sur-Mer, Cadarache, n’était pas dans une logique métropolitaine et donc pas fait pour développer Marseille. Sans dynamisme de la métropole, nous ne pourrons pas remonter le retard et les habitants vont continuer à le payer.

Les choses ne sont pas complètement figées, car la gauche a vraisemblablement perdu les futures métropoles de Paris, Lille, Toulouse et de Marseille. C’est un handicap terrible pour le développement de la démocratie participative. Je crois savoir que le gouvernement réfléchit à repousser un peu la création de la métropole (prévue par la loi au 1er janvier 2016, ndlr) en la liant à la fusion du département des Bouches-du-Rhône, ce qui la retarderait de deux ans. C’est-à-dire que la métropole ne démarrerait vraiment qu’en 2020. Et il ne faudra sans doute plus trop compter sur les subsides du gouvernement pour Marseille dans les années à venir…

Donc, il n’y aura pas de réforme politique structurelle. Et je suis sceptique sur le renouveau économique. Car on ne décide pas comme ça de remonter la pente. Il faut tout un contexte, des outils de suivi des entreprises, de dialogue, de maillage, de cohérence, d’accompagnement. Et nous avons un retard abyssal que nous avions essayé de combler avec Jean Viard dans le programme de Patrick Mennucci.

C’est le député UMP Guy Teissier qui est pressenti pour présider la communauté urbaine de Marseille où la droite dispose d’une très confortable majorité absolue. Que peut-on en espérer ?

Jean-Claude Gaudin va poursuivre sa politique de compromis, pour que surtout rien ne se passe. Maryse Joissains (réélue maire d’Aix-en-Provence, ndlr) va continuer à faire ce qu’elle veut dans son coin, les autres aussi, et ils feront semblant de voter tous ensemble de temps en temps.

Un seul exemple : le plan local d’urbanisme (PLU) est censé être élaboré par la communauté urbaine de Marseille. Jamais cela n’a été fait sous Gaudin comme sous Caselli : chacun des 18 maires fait son PLU de son côté, puis le conseil communautaire approuve un truc qui est la somme de tous les PLU. C’est ça qui tue l’intercommunalité actuelle : l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers.

Il y a une balkanisation des territoires dans la mesure où les documents de planification se font sur des zones relativement petites avec une réelle pression des habitants. On a figé les territoires : urbain, agricole, naturel, industriel. Pour changer des schémas d’aménagement du territoire, il faut dix ans. Et jusqu’à 2020, il ne se passera rien. D’ailleurs quand on regarde les noms des futurs conseillers métropolitains, on cherche quand même ceux qui vont pouvoir faire autre chose que s’asseoir et voter. Même chose au conseil municipal, la liste des seize rescapés PS au conseil municipal est affolante : la majorité vient de la liste de Samia Ghali, on retrouve la famille Masse, Garo Hovsepian, Karim Zéribi, etc. Pour changer de système, ça va être dur !

Si on prend en compte le taux d’abstention historiquement élevé (42,72 %), Jean-Claude Gaudin a décroché son quatrième mandat avec seulement 24,28 % des voix des électeurs inscrits sur les listes marseillaises. Ce système, qui veut qu’on élise une équipe tous les six ans, est-il caduc ?

Oui, c’est un système de droite qui est complètement caduc : « Votez tous les six ans, faites-nous confiance et si vous n’êtes pas d’accord, vous le direz dans les urnes. » Il faut introduire de la citoyenneté dans toutes les politiques, et du débat public. Marseille est une ville où il n’y a pas de débat public et qui n’a d’ailleurs aucun organisme pour ça. C’est ce que nous avions essayé de faire avec le conseil de développement de Marseille Provence Métropole.

Il y a beaucoup de sujets sur lesquels il pourrait y avoir au moins une co-construction, je ne dis même pas une co-décision. Ou a minima des référendums locaux. Et là, la ville va prendre un retard supplémentaire car je ne vois pas qui va désormais porter ce projet. J’ai travaillé quelques semaines avec des collaborateurs de Gérard Collomb à Lyon ; il reprend très vite nos idées et quinze jours après c’est déjà dans la chaîne administrative. Ici, cela fait des années qu’on prêche dans le désert.

Pour l’anecdote, je n’ai fait appel à Jean-Claude Gaudin qu’une fois. Nous avions recruté à Optitec deux personnes avec des emplois aidés, dont une jeune femme issue de l'immigration en grande difficulté avec deux enfants. Son mari perd son travail, il est en formation, pas de place à la crèche, elle me dit : « Je vais arrêter ». Car pour avoir une place à la crèche, il faut que les deux parents travaillent (Marseille compte 10 532 places d'accueil petite enfance, tous modes confondus, soit par exemple une place pour sept enfants dans le 3e arrondissement, le plus pauvre, ndlr). J’ai envoyé une lettre à Gaudin, il a réglé ça dans les 24 heures. C’est anormal ce système de fonctionnement ! Cette ville est incapable d’adapter ses règles aux évolutions de la société et de faire en sorte de fonctionner un minimum de façon transparente.

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Marine Le Pen condamnée pour de faux tracts

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Imprimer des faux tracts peut coûter cher. Le tribunal correctionnel de Béthune (Pas-de-Calais) a condamné Marine Le Pen à une peine de 10 000 euros d'amende, la jugeant ainsi responsable de la diffusion des faux tracts appelant à voter Jean-Luc Mélenchon, son adversaire à l'élection législative de Hénin-Beaumont, en juin 2012. Ce tract, qui utilisait une calligraphie arabe, avait été diffusé par des militants du FN qui avaient été pris sur le fait et photographiés. Mediapart avait identifié des militants d'extrême droite impliqués dans sa distribution.

La présidente du Front national était citée à comparaître, sur plainte de Mélenchon, pour « manœuvre frauduleuse » et publication d'un montage sans le consentement de l'intéressé, délits passibles d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, ainsi que d'une peine complémentaire de privation des droits civiques, autrement dit d'inéligibilité. 

« Mme Le Pen conteste violemment avoir commis la moindre infraction et interjette appel immédiatement, a annoncé jeudi dans un communiqué son avocat, Wallerand de Saint-Just. Le jugement rendu aujourd'hui est critiquable : les infractions ne sont pas constituées et de toute façon, Mme Le Pen n'a pris aucune part à la commission de ces prétendues infractions. »

Marine Le Pen avait en tout cas revendiqué publiquement l'action de ses militants, pris en flagrant délit de distribution des faux. La manœuvre frauduleuse consistant à faire croire que Jean-Luc Mélenchon roulait pour la communauté maghrébine. Le tract anonyme, portait la mention « Votons Mélenchon » en français et en calligraphie arabe – mais inversée –, et comportait, sur fond vert, la couleur de l'islam, la photo du leader du Front de gauche ainsi qu'une phrase prononcée lors d'un discours à Marseille, le 14 avril : « Il n'y a pas d'avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb. »

Le tract diffusé par le Front national en mai 2012.Le tract diffusé par le Front national en mai 2012.

Le Front national avait d'abord évoqué, par la voix de Bruno Bilde, alors directeur de campagne de Marine Le Pen, une initiative « individuelle », revenant à « des gens proches du FN », avant de faire le choix de le revendiquer. « Je l'assume totalement », avait déclaré la présidente du FN sur Canal Plus, le 30 mai 2012. « Il n’y a pas de problème. Je ne vais pas signer Marine Le Pen, enfin : c’est un coup médiatique, c’est un coup de communication (...) Non, ce n’est pas déloyal. Il n’est pas déloyal de mettre M. Mélenchon devant ses responsabilités. » Le lendemain, elle avait même promis de nouveaux tracts.

« Vous avez sorti un petit tract, et vous vous êtes fait serrer, vous et vos gorilles qui les diffusez, oui, oui, nous vous avons attrapés ! » lui avait lancé Jean-Luc Mélenchon, sur France 3 Nord-Pas-de-Calais, le 2 juin. « Si j’avais voulu faire ça en secret, je n’aurais pas envoyé mes 100 militants en plein jour, je l’assume totalement (...) Ça marche très bien, tout le monde ne parle que de ça maintenant ! » avait rétorqué Marine Le Pen sur le même plateau. 

Le 29 mai 2012, quatre membres de l'équipe de campagne de Mélenchon aperçoivent « des militants du Front national » distribuant ces tracts, à Montigny-en-Gohelle, commune voisine d'Hénin-Beaumont. Les frontistes circulent avec une camionnette Citroën immatriculée dans les Hauts-de-Seine (92), département où se trouve le siège du FN. Les mélenchonistes prennent des photos, empêchent le véhicule de redémarrer et demandent du renfort à leur permanence d'Hénin-Beaumont.

Dans la voiture, ils découvrent un papier sur lequel figure l’inscription « DPS Le Blanc » suivi d’un numéro en « 06 ». Répondant à ce « 06 », un militant frontiste, surnommé « Blanc blanc », avait alors confirmé à Mediapart son appartenance au Département protection-sécurité (DPS), le service d’ordre du Front national. « Je n’étais pas présent à Hénin-Beaumont, déclare-t-il. Je me suis servi de la camionnette pour la présidentielle, et mon numéro est resté dans le véhicule. »

Mediapart s'était alors procuré les douze photos prises par les militants du Front de gauche (lire notre article). Sur ces photos (voir ci-dessous), nous avions notamment pu identifier l'un des animateurs de la campagne de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont : Louis-Armand de Béjarry, qui était directeur de cabinet de Steeve Briois, le secrétaire général du FN et suppléant de la candidate.

Louis-Armand de Béjarry (à droite), qui était directeur de cabinet de Steeve Briois.Louis-Armand de Béjarry (à droite), qui était directeur de cabinet de Steeve Briois.

« Nos gars nous ont appelés à la permanence (de Marine Le Pen), ils nous ont dit “on est coincés, qu'est-ce qu'on fait?” J'y suis allé avec deux militants. Évidemment, c'était des gars qu'on connaissait, ils étaient deux. Je savais qu'ils tractaient mais j'ai découvert ce qu'ils diffusaient en y allant », avait alors expliqué à Mediapart Louis-Armand de Béjarry. Tout en détaillant le but de cette action : « Notre objectif, avec ce premier tract, c'était de confronter Mélenchon à ce qu'il a dit. L'opération a rempli ses objectifs. Il y a eu un buzz, Jean-Luc Mélenchon a été obligé de se justifier, alors que les communistes locaux, d'après ce qu'on savait, lui avait dit “Vas-y mollo sur les questions d'immigration, ici ça ne passe pas, ne rentre pas là-dedans.” Il est de bonne guerre d'utiliser la faille. »

Malgré ses propos assez contradictoires, et cette forme de revendication de l'opération des faux tracts, Louis-Armand de Béjarry a été relaxé par le tribunal correctionnel de Béthune.

Le lendemain matin, des militants du FN avaient à nouveau été surpris par le Front de gauche, à Hénin-Beaumont, selon Jean-Pierre Carpentier.

L'une des photos prises par J-P. Carpentier.L'une des photos prises par J-P. Carpentier.

À l'annonce des plaintes, Bruno Bilde avait précisé que le faux tract était l'œuvre de « proches » et qu'il n'avait pas été financé par le parti, avant de reconnaître, selon l'AFP, que le FN avait été consulté avant l’impression et la distribution du tract. « C'est une condamnation sans faille qui démontre que Marine Le Pen a eu des agissements délinquants, répréhensibles, contraires aux valeurs fondamentales de la République, et c'est un grand jour pour la démocratie », s'est félicitée jeudi Me Raquel Garrido, avocate de M. Mélenchon.

Jean-Luc Mélenchon n'avait à l'époque pas déposé de recours en annulation de l'élection, préférant la plainte pénale. C'est Marine Le Pen, une fois battue de seulement 118 voix par le socialiste Philippe Kemel au second tour, qui avait déposé un recours, rejeté par le conseil constitutionnel en décembre 2012. Lors de cette élection, Jean-Luc Mélenchon avait été éliminé dès le premier tour, récoltant moins de 12,5 % des inscrits (21,46 %), tandis que la candidate frontiste avait totalisé 42,26 % des suffrages et le candidat socialiste 23,72 %.

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Les municipales offrent un bref sursis à Jean-François Copé

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La mise en scène était minutieusement orchestrée. Caméras de télévision, applaudissements nourris et argumentaire ciselé. Mercredi 2 avril, le premier bureau politique de l’UMP organisé après les municipales a pris des allures de sacre pour Jean-François Copé. Quelques heures avant l’annonce du nouveau gouvernement, les responsables de l’opposition se réunissaient pour tirer le bilan du second tour et se remettre en ordre de marche en vue des européennes de mai.

« Il y avait beaucoup de copéistes dans la salle, rapporte le sénateur de la Haute-Savoie Pierre Hérisson, présent lors de la réunion. Ils se sont tous congratulés les uns les autres, comme si rien ne s'était passé avant les municipales. » L'affaire Bygmalion, révélée début mars par Le Point, et l'enquête préliminaire ouverte dans la foulée, semblent avoir été emportées par la “vague bleue”, qui a vu 175 villes de plus de 10 000 habitants – dont une poignée de belles prises comme Toulouse, Reims et Angers – basculer de gauche à droite. Largement critiqué il y a encore quelques semaines, le patron de l'UMP sort requinqué par la performance réalisée par son parti.

Dès l’annonce des premiers résultats, Jean-François Copé s’est empressé de faire sien le succès de l’UMP. « Pour moi, c'est une belle reconnaissance de ma légitimité, a-t-il indiqué au Monde. Je suis satisfait de voir que la stratégie que j'avais prônée a porté ses fruits. » En outre, le patron de l'opposition n'a pas manqué de souligner que l'UMP connaissait sa « première grande victoire électorale à une élection locale » depuis sa création en 2002. Une façon de rappeler que le parti a perdu toutes les élections locales de 2004 à 2012, quand Nicolas Sarkozy régnait sur la droite.

L'un des plus fidèles sarkozystes, Brice Hortefeux, n'a pas relevé le sous-entendu. Il est même l'un des rares, au sein de l'UMP, à avoir reconnu que Copé avait joué « un rôle essentiel » dans le succès de la droite. Les autres ténors du parti, à l'instar de l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, se sont quant à eux contentés de tempérer la victoire, rappelant que “rejet du PS” ne rime pas forcément avec “envie d'UMP”.

Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy au siège parisien de l'UMP, juillet 2013.Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy au siège parisien de l'UMP, juillet 2013. © Reuters

« Copé pense que la victoire lui revient, les partisans de la primaire disent que c'est grâce à leur stratégie de renouvellement et les sarkozystes sont persuadés que la victoire tient à la tribune de Sarkozy (publiée dans Le Figaro après la révélation par Mediapart des sept écoutes judiciaires effectuées sur la ligne téléphonique ouverte sous une fausse identité par l'ex-président de la République – ndlr). Comme d'habitude, ça va dans tous les sens », moque un élu sous couvert d'anonymat.

Qu'importe à qui le succès des municipales est dû, chacun sait à qui il profite. « C’est une bouffée d’oxygène pour Copé », assure le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère. Fragilisé depuis la guerre pour la présidence de l'UMP fin 2012, soupçonné d’avoir favorisé certains de ses proches au détriment des finances du parti, le patron de l’opposition et ses soutiens cristallisaient toutes les critiques il y a encore quelques semaines. Face à la multiplication des affaires visant la droite, certains élus réclamaient même une opération mains propres dans le parti et un président par intérim, comme l’a raconté Mediapart.

D’autres préféraient repousser le grand ménage après le second tour. François Fillon avait d’ailleurs promis qu’il demanderait rapidement « des explications » à Jean-François Copé sur les comptes du parti. L'ancien premier ministre a tenu sa promesse en demandant, mardi en comité politique, la mise en place d'un comité de surveillance pour superviser la gestion financière de l'UMP. Le président du parti lui a opposé une fin de non-recevoir, indiquant qu’il allait « mettre tous les comptes sur la table dans les semaines à venir et qu'il n'avait rien à cacher », rapporte un élu présent ce jour-là.

Selon Le Monde, le patron de l’UMP a également profité de son succès pour adresser un message très clair à François Fillon et Laurent Wauquiez : « Je n'oublierai pas ceux qui m'ont attaqué pendant la campagne au lieu de me défendre », leur a-t-il lancé en bureau politique. Mais les fillonistes en sont persuadés : l'ancien premier ministre « n'en restera pas là ». « Il insiste pour qu'un audit interne soit réalisé », glisse l'un d'entre eux.

Outre la volonté de faire toute la transparence sur les comptes de l'UMP, François Fillon entend également faire appliquer les nouveaux statuts du parti, en exigeant que le nouveau bureau politique statutaire – qui réunit depuis fin janvier ses partisans, ainsi que ceux d'Alain Juppé, de Bruno Le Maire ou encore de Xavier Bertrand – devienne le seul et véritable organe de décision de l’UMP. Pour ce faire, il a reçu un soutien de poids : celui de Jean-Pierre Raffarin, qui souhaite lui aussi l’installation du nouveau bureau politique.

Cette ligne est également défendue par Alain Juppé. « La place de l’UMP dans le paysage politique français est évidente au lendemain de ces élections municipales, a-t-il déclaré sur RTL. Je ne veux pas ajouter de la confusion à la confusion. J’appelle à jouer collectif. Jouer collectif, c’est travailler avec l’ensemble du bureau politique de l’UMP à la construction d’un programme crédible et solide pour les Français. »

« Aucune décision n’est actuellement prise en bureau politique, confie à Mediapart un proche du maire de Bordeaux. C’est un peu l’auberge espagnole. » « Il faut arrêter de réunir des instances dans tous les sens, surenchérit un élu UMP en “off”. Le fait de mettre beaucoup de monde en bureau politique permet à Copé de noyer le poisson et de prendre toutes les décisions tout seul. C’est l'unique moyen qu’il a trouvé pour garder le pouvoir. »

« Il y a une myriade de réunions qui nous font perdre de la lisibilité, reconnaît le député de Paris et vice-président de l’UMP Jean-François Lamour. Je trouve ça très bien que des sages comme Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin proposent un mode d’organisation plus clair, qui nous permette de parler davantage du fond. » Pour le reste, l’élu parisien estime que les affaires sont désormais « passées au second plan ». « Ce n’est pas la priorité, dit-il. Nous devons rester focalisés sur les européennes. La campagne va déjà être extrêmement courte, ce n’est pas la peine de partir sur d’autres sujets. »

Jean-François Copé et François Fillon à la convention nationale de l'UMP, le 25 janvier 2014.Jean-François Copé et François Fillon à la convention nationale de l'UMP, le 25 janvier 2014. © Reuters

Respecter les statuts, c’est aussi s’en tenir aux primaires qui, comme le rappelait récemment à Mediapart Bruno Le Maire, « ont été voulues par 95 % des militants ». « Ne sortons pas de ce cadre-là, plaide le député de l’Eure. Sortir de ce cadre, en voulant revenir à un chef tombé du ciel qui dirigerait tout le monde, ce n’est pas un processus démocratique. » « Il faut absolument respecter ces primaires, ajoute Jean-François Lamour. C'est cette décision qui nous a permis de sortir de la crise de 2012. Les remettre en question, c’est mettre à mal la dynamique que nous commençons tout juste à recréer. »

« Comme on a gagné les élections malgré les polémiques Copé et Sarkozy, tout le monde se tait et rien ne bouge, regrette le député Lionel Tardy, qui était largement monté au créneau sur l’affaire Bygmalion. Mais aucun problème n'a été purgé depuis l'élection controversée du président l'UMP. Cela viendra, mais quand ? » Contrairement à ce que certains élus espéraient avant les municipales, Jean-François Copé a désormais toutes les chances de rester en poste jusqu’à la fin de son mandat, prévu en novembre 2015. « Les municipales ont momentanément conforté Copé à la présidence du parti, mais ça ne va pas durer longtemps, confie le sénateur de la Haute-Savoie Pierre Hérisson. De façon plus générale, on sent bien que les copéistes sont en sursis. »

« Les ténors n’ont plus aucune raison de réclamer la démission de Copé, explique un autre parlementaire. Ils ne veulent pas se couper de la moitié des militants UMP et ils ont déjà en tête les futurs postes de ministres qu’ils pourraient obtenir en 2017. Ils se disent que c’est juste une question de temps. Copé est tellement cramé que le fait d’être président ne lui apporte pas plus d’avantages. En l’état, l'UMP n’existe plus. C’est une coquille vide pleine de dettes, qui va mourir de sa belle mort. »

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