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Affaire Tapie : la parade judiciaire de Stéphane Richard

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Mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le cadre de l’information judiciaire qui a été ouverte à la suite de l'arbitrage Tapie, et par ailleurs renvoyé devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) pour cette même affaire, Stéphane Richard a peut-être trouvé une parade pour desserrer, au moins pour un temps, l’étau judiciaire dans lequel il est pris. Selon nos informations, il a en effet décidé de contester son renvoi devant la juridiction financière et a décidé de déposer une question prioritaire de constitutionnalité.

Selon de bonnes sources, l’audience de la Cour de discipline budgétaire et financière qui devait juger l’actuel PDG d’Orange, Stéphane Richard, pour le rôle qu’il a joué en qualité de directeur de cabinet de l’ex-ministre des finances, Christine Lagarde, ainsi que deux autres hauts fonctionnaires, Jean-François Rocchi (à l’époque des faits, président du Consortium de réalisation – le CDR, c’est-à-dire la structure de défaisance qui a accueilli en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais) et Bernard Scemama (à l’époque, président de l’Établissement public de financement et de restructuration – l’EPFR, actionnaire à 100 % du CDR), devait se tenir à partir du 7 avril.

Mais les avocats de Stéphane Richard ont mis au point une parade judiciaire. D’abord, ils ont effectivement soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), afin de contester le renvoi de leur client devant la juridiction financière. Cette QPC fait d’abord valoir que certaines règles de fonctionnement interne de la CDBF pourraient être frappées d’inconstitutionnalité. Elle fait de plus valoir que la juridiction, qui va juger Stéphane Richard pour d'éventuelles entorses aux règles de la comptabilité publique, est présidée par le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud. Or, ce dernier a eu à connaître du dossier de l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie, du temps où il était président (PS) de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. C’est à cette époque, en particulier, que la Commission des finances, à l’automne 2008, a tenu de nombreuses auditions pour comprendre dans quelles conditions les trois arbitres avaient alloué un dédommagement de 405 millions d’euros à Bernard Tapie. La QPC ferait donc valoir que le premier président de la Cour des comptes ne peut pas juger sereinement l’affaire, alors qu’il a joué un rôle fort dans les joutes politiques que l’affaire a déclenchées. En quelque sorte, la QPC soulèverait la question d'un possible manque d'impartialité de Didier Migaud.

Dans les prochains jours, le Conseil d’État va donc devoir dire s’il transmet cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ou s’il la rejette.

Dans leur mémoire en défense présenté à la Cour de discipline budgétaire, les avocats de Stéphane Richard, mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le volet non ministériel de l’affaire, usent d’un autre argument. Ils font valoir que la Cour de discipline peut difficilement juger leur client, alors que l’information judiciaire n’est toujours pas close, et que les responsabilités respectives des différents protagonistes de l’affaire ne sont pas encore définitivement établies.

Bref, les conseils usent de nombreux moyens de droit pour tenter d’écarter cet obstacle de la Cour de discipline budgétaire. Ils s’y emploient avec d’autant plus d’énergie qu’ils n’ignorent pas que l’obstacle pourrait être très périlleux pour Stéphane Richard : selon de très bonnes sources, les réquisitions présentées par le ministère public devant cette juridiction pourraient en effet être d’une extrême sévérité.

La Cour de discipline budgétaire et financière a, quoiqu'il en soit, dès à présent, réagi à la parade de Stéphane Richard puisque l'audience du 7 avril a été annulée et une nouvelle audience a été programmée pour le 12 mai. Cette audience devrait, de surcroît, n'examiner que les questions de procédure soulevées par la QPC et non pas l'affaire sur le fond.

Le PDG d’Orange devrait franchir ce 26 mars, dans l’après-midi, un autre obstacle avec beaucoup plus de facilité : celui de sa reconduction à la tête de l’opérateur téléphonique, dont l’État, avec 27 % du capital, est toujours le premier actionnaire. Depuis le début du scandale Tapie, le ministre des finances, Pierre Moscovici, a toujours joué un rôle hautement protecteur pour les personnalités mises en cause. La veille de la première audition de Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République (CJR), en mai 2013, il n’a pas hésité à faire pression sur les magistrats, affirmant que la France maintiendrait son soutien à la patronne du Fonds monétaire international, quelle que soit l’incrimination que la justice pourrait retenir contre elle. Et dans le cas de Stéphane Richard, avec l’appui de l’Élysée, il lui a aussi apporté constamment son appui, même après sa mise en examen. En toute logique, les jours de Stéphane Richard à la tête d’Orange ne semblent donc pas comptés. En revanche, ceux de Pierre Moscovici à la tête de Bercy le sont. Mais cela, c’est une autre histoire…

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Marseille: deux colistiers d'Hovsepian (PS) démissionnent

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Dans les 13e et 14e arrondissements marseillais où le socialiste Garo Hovsepian, rallié par le Front de gauche, se maintient face au FN Stéphane Ravier, arrivé en tête (32 %) suivi par l'UMP (27 %), deux colistiers du maire PS sortant ont annoncé mercredi leur décision de se retirer de ses listes « afin de préserver les populations de l’infamie de la vague bleu marine ». Il s’agit de Samia Saandi et Ali Mohamed Daroueche, du « collectif des indignés de la cité phocéenne », qui avaient été intégrés aux listes PS, après un coup de gueule poussé par plusieurs Marseillais d'origine comorienne. Ils avaient réclamé d'être mieux représentés dans la vie politique de la cité lors d’un meeting le 12 janvier 2014 aux Docks des Suds.

Samia Saandi, jeune employée de banque de la cité Frais-Vallon, avait notamment pris la parole lors du meeting de Patrick Mennucci sur le Vieux-Port, le dimanche 10 mars. Dans leur communiqué envoyé le 26 mars 2014, au lendemain du dépôt des listes de second tour en préfecture, Samia Sandi et Ali Mohamed Daroueche condamnent « les méthodes du Parti socialiste local », qui aurait, selon eux, « envoyé des petits dealers à certains membres du Collectif pour les intimider ». Ils annoncent vouloir déposer plainte et appellent à voter pour le candidat de droite, Richard Miron, arrivé deuxième sur ce secteur. Stéphane Mari, premier adjoint au maire de Garo Hovsepian, évoque un malentendu avec «des personnalités de la société civiles qui ne comprennent rien aux logiques et aux accords d'appareil» et n'ont «aucune culture politique».

«Mme Saandi était décue d'avoir été descendue à la douzième place sur la liste suite à l'accord avec le Front de gauche et M. Daroueche m'a mis la pression pour remonter au-dessus de la 21e place, raconte-t-il. Ils ont débarqué mardi à la permanence en vociférant comme des caïds et en me hurlant dessus. Mais Mme Saandi sera conseillère municipale, c'est impossible de sortir d'une liste comme ça !»

Nassurdine Haidari, adjoint au sport de Patrick Mennucci et qui n'avait pas été retenu sur ses listes pour les municipales 2014, dit avoir rédigé ce communiqué. Membre du bureau du Cran, il juge « irresponsable » le choix de M. Hovespian de se maintenir. « Nous ne savons pas arithmétiquement ce qui va se passer dans les 13e et 14e arrondissements, met-il en garde. Se maintenir, ça veut dire qu'en une semaine, il faut mobiliser 6 000 à 10 000 voix pour être élu. Il faut arrêter les bêtises. La réalité, c'est que les gens ne veulent plus aller voter, car ils ne savent plus pour quoi ils votent. » Mais impossible d'en savoir plus sur les intimidations qu'auraient subies « certains membres du Collectif ». « Vous comprendrez qu'on ne peut pas pour leur sécurité... », répond Nassurdine Haidari. L'équipe de Mennucci a, elle, fait le pari inverse, arguant que la gauche était divisée au premier tour et qu'elle disposait de réserves de voix chez les abstentionnistes.

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Pape Diouf refuse de venir à la rescousse de Mennucci

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 Marseille, de notre envoyée spéciale

Pape Diouf n’ira finalement pas au combat du second tour des municipales marseillaises. Par peur des « compromissions », de « discréditer » l’image de son mouvement « Changer la donne », qui a su fédérer simples citoyens, écolos et socialistes en rupture de ban autour de lui. Parti très tard en campagne après s'être fait longtemps prier, l’ancien président de l’OM, dont les listes ont réalisé 5,6 % sur l’ensemble de la ville, refuse de fusionner ses listes et laisse ses électeurs voter « selon leur conscience », même dans les 13e et 14e arrondissements où le FN peut l’emporter. Sa position, qui renvoie l’alliance de gauche (PS-EELV-FDG), l’UMP et le FN dos à dos, fait débat au sein même de ses troupes réunies lundi soir dans une salle d’ordinaire utilisée pour des réceptions dans le 15e arrondissement.

Pape Diouf lors de la présentation de ses listes le 17 février 2014, à la gare Saint-Charles.Pape Diouf lors de la présentation de ses listes le 17 février 2014, à la gare Saint-Charles. © LF

« On nous propose de fusionner avec les listes du Parti socialiste, a déclaré Pape Diouf face à quelque 200 personnes. C’est-à-dire qu’on nous demande de nous allier pour perdre. C’est-à-dire qu’il nous faudrait accepter de renoncer à nos principes, ceux du non-cumul ou ceux du refus du clientélisme et de la corruption, pourquoi ? Pour gagner un ou deux sièges de conseiller municipal ? »

Pas question de le faire culpabiliser sur la question du Front national arrivé en deuxième position sur l'ensemble de la ville. « Ce n’est pas nous qui avons créé le Front national, balaie l’ancien journaliste, chaleureusement applaudi par les militants. Ce n’est pas nous qui avons fait naître le monstre. Ce sont eux. Ceux qui depuis des années agitent les peurs des gens et se servent du Front national pour être élus ou réélus. » Pas de consigne de vote non plus : les électeurs des listes « Changer la donne » sont « adultes » et « voteront selon leur conscience ».

Le discours fait mouche auprès des militants des quartiers nord, dégoûtés du PS par des décennies de clientélisme et de communautarisme. « Par rapport aux gens qui ont voté pour nous, ce n’était pas possible de se rallier au PS pour gratter un ou deux mandats ! lance un jeune homme de 35 ans, éducateur dans une association des 13e et 14e arrondissements. Nous aurions perdu toute crédibilité. » Pour lui, comme pour de nombreux militants « l’UMP et le PS, c’est pareil, c’est les mêmes, ils se tirent dans les pattes puis ils bouffent ensemble ! ». Le jeune homme votera blanc dimanche.

Colistière de Pape Diouf, Haouria Hadj-Chik, élue front de gauche dans ce secteur, tente de rassurer des militants un peu perdus. « Beaucoup de personnes sont venues nous dire, on votera blanc, donc on est en train de leur expliquer qu’ils vont faire monter le FN », dit-elle. « La fracture se fait entre les militants du centre-ville qui restent dans une culture traditionnelle de rapport de force gauche-droite, et ceux des quartiers nord qui nous disent : "Qu’est-ce que le FN peut faire de pire que le PS dans nos mairies ?"», constate l’élue régionale écologiste Sophie Camard, candidate « Changer la donne » dans les 4e et 5e arrondissements. « Les gens n’en peuvent plus. Quand vous distribuez des tracts, l’ennemi, ce n’est pas la droite ou la gauche, c’est le politique en général. »

L'assemblée citoyenne a lieu dans une salle de réception du 15e arrondissement d'ordinaire réservée aux mariages et fêtes.L'assemblée citoyenne a lieu dans une salle de réception du 15e arrondissement d'ordinaire réservée aux mariages et fêtes. © LF

Ce relativisme politique ne passe pas du tout auprès du conseiller municipal écologiste Sébastien Barles, qui avait convaincu Pape Diouf d’incarner ce mouvement citoyen, fruit d'une réflexion et d'assemblées citoyennes menées depuis deux ans par le collectif des Gabians, puis celui du Sursaut. « Ce qui me gêne, c’est le relativisme, dire que le PS et l’UMP c’est pareil, dit Sébastien Barles. Le syndrome du "tous pourris", c’est le pire. Nous avions réussi un mouvement qui faisait résonance aussi bien dans le centre-ville que dans les quartiers nord, et là on redevient spectateurs… »

Comme plusieurs de ses colistiers du centre-ville, il rêvait d’un accord avec « les copains du Front de gauche » et la liste PS-EELV dans les 13e et 14e arrondissements, où Pape Diouf a réuni 8,10 % des voix. L’hypothèse que ce dernier devienne maire de secteur a même un temps été agitée, même si l'intéressé, qui visait l'Hôtel de ville sur le Vieux-Port, ne s'y voyait pas du tout. « Nous avions la possibilité d’en faire un laboratoire, dit Sébastien Barles. Nous pouvions aussi faire front dans les 2e et 3e arrondissements (dans lesquels Jean-Claude Gaudin a annoncé mardi matin un accord avec la maire sortante guériniste Lisette Narducci, ndlr) contre le guérinisme. » « On était en position de faire un geste politique immense », regrette à ses côtés Alain Carassio, ex-président de l’association Cours Julien, dans le centre-ville.

La décision a été prise sans vote, après une réunion des têtes de liste en début d’après-midi, et annoncée comme évidente lors de l’assemblée citoyenne du lundi soir. Interpellé par une participante sur ce paradoxe dans un mouvement qui entend « inventer une nouvelle façon de faire de la politique », Pape Diouf a répondu avec son style inimitable que « certains principes ont déjà été suffisamment énoncés ici pour que certaines décisions qui sont prises ne confinent pas à l’étonnement ». « Pape Diouf préfère une ligne plus nette pour remettre tout à plat, explique son colistier Tahar Rahmani, ancienne figure du PS marseillais. Il veut qu’on reparte à zéro, que le PS meure de sa belle mort. »

Quitte à prendre le risque de laisser une mairie de secteur au FN ? « Oui, répond l’élu. Le FN doit cesser d’être l’excuse suprême, ce joker qu’on nous ressort à chaque fois pour forcer les électeurs à voter d’un côté ou de l’autre. » La tête de liste PS dans les 13e et 14e, Garo Hovsepian, 76 ans, maire de secteur depuis 1998 qui a toujours soutenu la députée PS Sylvie Andrieux, condamnée en 2013 pour détournement de fonds publics (le procès en appel aura lieu en juin 2014), a aussi fait figure de repoussoir. 

« On assiste quand même à une crise du clientélisme socialiste, constate Sophie Camard. La discussion, c’est : faut-il les laisser se crasher et perdre six ans ou continuer à leur donner des béquilles ?» Lundi soir, après mûre réflexion, les élus écologistes Sébastien Barles, Michèle Rubirola et Sophie Camard ont finalement appelé à voter pour les candidats PS-EELV-FDG pour « faire barrage au Front national, et pour sortir de l'immobilisme de la droite incarné par Jean-Claude Gaudin ». L’amertume au cœur.

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Ayrault, Valls ou un autre, c'est la ligne qui est en jeu

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Il y a, sous les dorures de la République, des moments d’emballement. Voire de panique. Ce fut le cas l’an dernier après les aveux de Jérôme Cahuzac. Depuis la défaite cuisante du parti socialiste aux municipales, les cabinets ministériels s’agitent à nouveau et bruissent de toutes les rumeurs. « Il paraît que le remaniement a lieu cette semaine. » « C’est fait, Valls est nommé. » Etc.

Les conseillers, légitimement fatigués de deux mois d’incertitudes, finissent par demander aux journalistes, qui n’en savent guère plus qu’eux, quel sera leur sort. La moindre phrase est surinterprétée, comme celle de la ministre Najat Vallaud-Belkacem mercredi, disant hors micro « quel que soit le premier ministre au moment d’engager la responsabilité ».

L’atmosphère déjà lourde s’assombrit davantage quand d’un cabinet à l’autre, la nouvelle de mails pesants leur arrive. À Bercy, plusieurs conseillers ont reçu un message intitulé « Votre départ », comme l’a révélé L’Express. Y est décrite la procédure à suivre pour archiver les dossiers et détruire les échanges personnels. Dans un ministère, les services ont proposé des cartons au chef de cabinet.

Sous le choc, de nombreux députés se sont lâchés, en privé, avec la presse ou sur Twitter et promettent de faire entendre leur colère une fois le second tour passé. « Il y aura du sang », jure un élu aubryste. Ils ont parfois eu des maires au téléphone, dépités, qui n’avaient rien vu venir. « C’est un homme abattu qui t’appelle », a dit l’un d’eux à un responsable socialiste. Jean-Michel Baylet, pour les radicaux de gauche, les députés Patrice Prat, proche de Montebourg, ou Jean Glavany, ont même ciblé directement Jean-Marc Ayrault, auteur d’une intervention télévisée ratée, « spectrale » même, dimanche soir. Les partisans de Manuel Valls, y compris à l’Élysée, jubilent.

De fait, l’Élysée réfléchit à un remaniement. Mais il n’est l’apanage que d’un homme dans la Ve République, celui-là même que les électeurs ont sanctionné : François Hollande. C’est lui, et lui seul, qui prendra la décision. Et elle dépendra pour partie du résultat du second tour des municipales dimanche et de l’ampleur de la débâcle annoncée. Surtout le remaniement n’a d’intérêt que s’il s’accompagne d’un message politique de fond. Le seul casting n’y changera pas grand-chose, l’effervescence des premiers jours passée.

Les ministres du gouvernement, leurs conseillers, les députés de la majorité l’ont tous admis depuis dimanche soir : au premier tour, la défaite a été plus importante qu’ils ne l’avaient prévu, et les électeurs de gauche les ont lourdement sanctionnés. « Je pensais qu’une partie de l’électorat voterait sur des considérations locales plus appuyées », dit par exemple Thierry Repentin, ministre délégué aux affaires européennes et élu de Chambéry. La ville risque de basculer à droite, l’abstention a été très élevée dans les bureaux les plus populaires. « C’est un message de désarroi et de rejet. L’abstention montre le désamour et la frustration », dit-il encore.

Tous ont compris que ce sont leurs électeurs qui les ont sanctionnés. Les scores des écologistes et du Front de gauche en témoignent pour partie. « L’électorat de gauche a envoyé un message. Il est parfaitement compris », a promis dimanche Stéphane Le Foll, un proche du président de la République. Lundi, à la sortie du déjeuner de la majorité à Matignon, Najat Vallaud-Belkacem avait résumé la teneur de leurs échanges en parlant de « justice sociale » : « On entend notamment le désir des électeurs français d’avoir davantage encore de justice sociale dans le redressement que nous sommes en train d’opérer, ce message est entendu. »

C’est donc bien d’une demande de gauche, et d’écologie, qu’il s’agit. Elle couvait depuis des mois ; l’Élysée n’a pas voulu la voir, depuis le palais bunkerisé du Faubourg-Saint-Honoré ; le premier tour des municipales l’a révélée au grand jour. « Les électeurs ont le sentiment que les choix faits sont à l’inverse de la campagne. Le décrochage est très fort à gauche », résume un responsable de cabinet ministériel.

Le président de la République est désormais contraint de trouver la parade. « Un meilleur équilibre » dans sa politique, dit un de ses visiteurs. Les pistes à l’étude sont variées. Le pacte de responsabilité pourrait ne plus prévoir une suppression, ou un allègement, des cotisations familiales payées par les entreprises, mais plutôt un élargissement du « crédit d’impôt compétitivité emploi » (CICE, le « pacte de compétitivité » mis en place à l’automne 2012). « L’élargissement du CICE a toujours fait partie des possibilités sur la table. Aujourd’hui la décision n’est pas prise », a expliqué Najat Vallaud-Belkacem à la sortie du conseil des ministres mercredi. Mais sans davantage de contreparties, la logique serait exactement la même et contribuerait à un transfert massif de la fiscalité qui pèse sur les entreprises vers les ménages.

L’exécutif prépare également des mesures pour les ménages. Elles étaient en discussion depuis l’annonce faite par Jean-Marc Ayrault d’une remise à plat de la fiscalité. L’Élysée était jusque-là très réticent. Mais le groupe de travail constitué par Matignon doit remettre ses conclusions la semaine prochaine. Et l’entourage du premier ministre, agacé par les rumeurs persistantes sur son remplacement par Manuel Valls, jubile d’avoir eu le nez creux. « Des mesures (pour les ménages) seront annoncées dans les jours qui viennent », promet-on dans son entourage.

Selon un proche, Jean-Marc Ayrault, qui a réuni une dizaine de ses collaborateurs mercredi midi, a « mangé du lion » et a préparé la contre-offensive, y compris sur le fond. Lui qui revendique d’incarner une « ligne sociale-démocrate et pas sociale-libérale », ne veut rien bouleverser. Pas question de revenir sur la politique de l’offre et l’allègement du coût du travail. Mais il veut la rééquilibrer, en tout cas à la marge.

« Les efforts demandés dans le cadre du pacte doivent être accompagnés par des contreparties de la part des entreprises. Sinon ils sont inconcevables », dit-on dans l’entourage de l’ancien maire de Nantes. Un discours qui tranche avec celui de l’Élysée ces dernières semaines où les proches du chef de l’État voulaient alléger au maximum les conditions posées aux entreprises. « Voire aller encore plus loin que les demandes du Medef », glisse un conseiller ministériel.  

Jean-Marc Ayrault et Manuel VallsJean-Marc Ayrault et Manuel Valls © Reuters

L’entourage du premier ministre plaide également pour que le gouvernement engage sa responsabilité en avril devant le parlement « sur un ensemble ». « Le pacte de responsabilité, des économies ciblées, des éléments de cadrage sur la transition énergétique, des mesures pour la fiscalité des ménages, la nouvelle étape de décentralisation », précise un proche. Cela aurait l’avantage de rassurer les députés socialistes, qui menacent de ne pas voter le pacte de responsabilité seul, ou en l’état, et les écologistes, qui ont fait de la future loi sur la transition énergétique la ligne rouge de leur participation gouvernementale. « Qui d’autre que Jean-Marc Ayrault peut trouver un équilibre entre toutes les composantes de la majorité ? Et faire le grand écart avec les socialistes, les écologistes et les radicaux de gauche », insiste-t-on dans son entourage. Avec toujours dans leur viseur, Manuel Valls.

Le ministre de l’intérieur, qui reste muet depuis dimanche, a également subi les foudres de sa collègue Cécile Duflot. Ils ont déjeuné mardi midi et, selon le clan écologiste, la ministre du logement lui a signifié clairement qu’elle ne pourrait pas rester au gouvernement s’il en prenait la tête. Jusque-là, elle s’était refusée à le dire publiquement, contrairement à l’autre ministre EELV du gouvernement, Pascal Canfin.

« Pour trois raisons », précise un proche. À cause de la ligne politique que Manuel Valls incarne ; parce que Duflot ne croit pas que les électeurs aient sanctionné la mauvaise communication du gouvernement, mais bien le fond de sa politique ; et parce que les écologistes ne partagent « pas du tout » la lecture que fait le ministre de l’intérieur de la montée du Front national. Quand Valls juge que la société, notamment les classes populaires, souffrent d’un « manque d’autorité », y compris sur la sécurité et l’immigration, Cécile Duflot reste convaincue que le FN s’alimente du « désespoir économique et social ». Un logiciel bien plus compatible avec celui de Jean-Marc Ayrault, biberonné au “poperénisme”, qu’avec celui de Manuel Valls.

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Dans le sud-est, les stratégies de l'UMP pour survivre face au FN

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« L’effet Le Pen, il n’y en aura pas ! Je ne crains pas grand-chose, je suis bien ancré, j’ai été cinq fois élu, je suis connu, je rends des services. » Interrogé par Mediapart lors des législatives de 2012, le patron de la fédération UMP du Vaucluse Jean-Michel Ferrand, élu et réélu à Carpentras depuis 1986, se disait « pas inquiet du tout ». Quelques jours plus tard, la benjamine Le Pen s’emparait de son siège avec plus de six points d’avance.

Premier département frontiste lors de la dernière présidentielle (27 %), le Vaucluse a offert au parti lepéniste son conseiller général en 2011 et l'un de ses deux députés en 2012. Au premier tour des municipales, l’extrême droite y a à nouveau démontré sa puissance : près de 60 % à Orange, plus de 49 % à Bollène, plus de 36 % à Valréas, 29,6 % à Avignon, 34,37 % à Carpentras, 35,67 % à Cavaillon, 33,8 % à Sorgues. Face à lui, la droite, divisée et sans leader local, peine à survivre.

« C’est difficile d’avoir l’étiquette UMP aujourd’hui », concède un jeune candidat du parti, pour qui « le problème, c’est qu’elle est peuplée d’octogénaires qui coulent et entraînent les autres, qui sont réélus depuis des années, grâce à un système où les gens votaient comme un seul homme. »

Le Front national a toujours réalisé des scores importants en Provence-Alpes-Côte d’Azur, sa région historique, mais c’est dans le Vaucluse que la concurrence des droites et la perméabilité des électorats sont les plus fortes. Le FN y bénéficie d’un terreau fertile. Ici, le vote extrême droite « est le résultat d’une combinaison de facteurs sociaux favorables, d’un département entre ruralité et urbanisation de petites villes, d’une forte paupérisation dans le nord du Vaucluse », analyse Joël Gombin, doctorant en sciences politiques à l'université de Picardie, spécialiste des votes FN en Paca.

« Le Vaucluse est le 8e département le plus pauvre », rappelle un élu UMP de Cavaillon, qui déplore que sa ville, « l’une des plus riches du département », soit devenue « l’une des plus pauvres », et marquée par un « refus identitaire » envers « les enfants des immigrés venus travailler dans les champs dans les années 1960 ».

Jacques Bompard, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, trois députés d'extrême droite élus dans le sud-est.Jacques Bompard, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, trois députés d'extrême droite élus dans le sud-est. © Reuters

Pour Joël Gombin, l’« enracinement de longue date » de l’extrême droite s’explique aussi par « une faiblesse des partis politiques, des réseaux militants et d’encadrement, notamment à droite ». « Le FN prospère par défaut, face à la défaite des appareils PS et UMP », déplore l'élu de Cavaillon, qui souligne que « cela concerne désormais toutes les villes ». Le départ d'une génération entière UMP a laissé de l’espace à une extrême droite plus dynamique : le fondateur de la droite populaire Thierry Mariani a déserté la 4e circonscription, remportée par l’ex-FN Jacques Bompard ; la maire sortante d’Avignon Marie-Josée Roig a quitté la scène politique, le député Jean-Michel Ferrand a été battu à Carpentras.

Plusieurs élus font campagne sur leur implantation et contre le parachutage de Parisiens comme Ferrand face à Maréchal-Le Pen, qu'il qualifiait de « candidate folklorique » « de Paris » « qui ne connaît pas le Vaucluse ». Ce « discours d’autochtonie trouve ses limites », selon Joël Gombin. « Ces élus ignorent la circulation démographique assez forte dans ces territoires. Ils ne s’adressent pas à tout le monde quand le FN, lui, ne s’interdit pas de parler à une population plus large et tient un discours très national. »

Le chercheur estime aussi que la « stratégie de la droite populaire », très présente localement, a « légitimé des discours et thèmes du FN », tout en se retournant contre l’UMP en 2012 : « L’effet, c’est que l’électorat a préféré l’original à la copie. »« Dans les cas où la droite est atomisée ou bien mène une campagne aussi à droite que le FN, celui-ci termine devant. Pour l’UMP, la seule solution est de se recentrer. »

Cette succession de défaites a depuis amené l’UMP à réfléchir. Un conseiller général résume la situation : « La droite est en train de se tuer. On ne s’est pas renouvelé, on n’a pas travaillé. L’extrême droite nous force à la recomposition. La droite ne “couche” plus avec le FN, car cela n’a pas marché, mais maintient les contacts au cas où. » En témoigne le vote du conseil général sur le redécoupage des cantons. Des UMP se sont étonnés de voir les trois élus d’extrême droite voter avec eux, permettant d’égaliser à douze voix contre douze. « Qui les avait appelés ? » s'interroge l'un d'eux.

Pour s’en sortir, les UMP n’optent plus pour des alliances partisanes avec le FN, malgré les appels du pied du parti, mais pour deux autres stratégies : la carte de l’hyper-proximité et de la dépolitisation, ou bien le passage à l’extrême droite, au nom de l’« union des droites » prônée par Bompard. Tour d’horizon de quatre cas de figures emblématiques.

  • CAVAILLON ET SORGUES : la stratégie de l'effacement

Dans certaines villes, les élus UMP ne sauvent leur siège qu’en mettant leur étiquette dans leur poche. À Sorgues (18 000 habitants), l’UMP Thierry Lagneau a été réélu au premier tour, dix-huit points devant la liste FN où figuraient Marion Maréchal-Le Pen et un ex-adjoint de la majorité UMP. Dans le sud du département, à Cavaillon (25 000 habitants), le sortant UMP Jean-Claude Bouchet est arrivé en tête, avec 41,58 % des voix, talonné par la liste frontiste de Thibault de la Tocnaye (35,67 %). 

« Les deux qui s’en sortent à droite, ce sont ceux qui ont fait une campagne locale », souligne Jean-Christophe Ozil, directeur de cabinet de Bouchet. À l’inverse, « ceux qui ont fait venir des leaders nationaux ou ministres se sont effondrés », dit-il en citant le candidat EELV à Cavaillon et celui de l'UMP à Avignon.

Fin tacticien, ancien collaborateur de Juppé et ex-directeur de cabinet de Marie-Josée Roig à Avignon, Jean-Christophe Ozil a dépolitisé la campagne de son champion. « On a localisé cette élection car c’est un scrutin municipal ! Une ville ne se gère pas sur des slogans nationaux. On choisit un homme, une équipe. Notre discours, c’est de dire : “Notre sensibilité, vous la connaissez, c’est l’UMP, mais on n’affiche pas le logo car notre légitimité n’est pas celle des partis parisiens mais de notre ville” », explique-t-il.

Une méthode gagnante qu'il avait déjà appliquée à Avignon : « Face à Élisabeth Guigou en 2001, Roig disait : “Moi je suis locale, je ne me bats pas contre une ministre socialiste”. C’est ce qu’on fait aujourd’hui avec Bouchet. » Sur son site de candidat, Bouchet a tout bonnement effacé toute référence à l'UMP et opté pour la couleur orange.

À gauche, l'affiche de Jean-Claude Bouchet aux municipales en mars. À droite, lors des législatives de 2012.À gauche, l'affiche de Jean-Claude Bouchet aux municipales en mars. À droite, lors des législatives de 2012.

Face au FN, il « ne croi(t) pas » à la stratégie de droitisation de l’UMP, « à la droite populaire, la droite forte, le rassemblement bleu lavande et à tous ces Guillaume Peltier » car « imiter, ce n’est pas gagner, c’est donner du crédit à l’extrême droite ». Et à ce titre, « beaucoup de conneries ont été faites dans le Vaucluse », selon lui.

À l'écouter, son candidat en aurait tiré les leçons, notamment en quittant la droite populaire, « beaucoup trop clivante », alors que « le gaullisme, c’est le rassemblement ». Un recentrage après la claque de 2012 ? « C'est plutôt la question de se battre sur nos valeurs. Aux législatives, Jean-Claude Bouchet a été élu en citant Clemenceau. Aux municipales, son discours, ce sont les chiffres : la délinquance a baissé de 42 % en quatre ans », raconte Ozil.

Lui, qui fut conseiller régional du Languedoc-Roussillon dans la majorité de Jacques Blanc (élu avec les voix frontistes – lire notre boîte noire), estime que la stratégie de la diabolisation du FN est inefficace : « Les gens ne veulent pas qu’on se batte “contre” le Front national, mais qu'on défende nos idées. Quand Olivier Py propose de délocaliser le festival à Avignon si le FN passe, c'est complètement idiot. »

Entre le premier tour des législatives de 2012 et dimanche, le FN a tout de même progressé de 467 voix et de 3,6 points. Avec un candidat – membre historique du parti et ancien fidèle de Bruno Gollnisch – loin d’incarner la stratégie de « dédiabolisation » voulue par Marine Le Pen. « Ils ont volontairement envoyé un mauvais candidat. Ils ne veulent pas gagner trop de villes et surtout ne pas faire d’ombre à Marion Maréchal-Le Pen dans la fédération », estime un élu UMP de Cavaillon.

Malgré cela, le candidat frontiste a su trouver des soutiens à droite. Comme Christophe Lombard, conseiller municipal et ancien patron départemental du Nouveau Centre, devenu le président de son comité de soutien :

En 2008, Lombard avait fait alliance avec le PS aux municipales, mais en mai 2012, c'est de Jacques Bompard qu'il s'est rapproché, en signant une charte qui appelait au « rassemblement nécessaire et concret de toutes les droites et du centre dont la France a besoin ». Cet été encore, il fustigeait le « tourisme électoral » du candidat frontiste, « qui arrive à Cavaillon après s'être présenté à Avignon à maintes reprises ». Si l’ex-centriste a fait marche arrière, c’est parce que le maire d'Orange a joué les intermédiaires. « Il m'a conseillé de contacter Thibaut. (...) J'ai rencontré un chef d'entreprise, un homme de conviction et de valeurs », a-t-il justifié. Bompard a d'ailleurs lui-même traversé le département pour venir soutenir le candidat du FN (voir les images).

  • AVIGNON ET VALRÉAS : le naufrage de la droite

À Avignon, détenue par la droite depuis 1995, l’UMP connaît une véritable déroute. Son candidat, Bernard Chaussegros, s’est effondré dimanche à la troisième place avec moins de 21 % des voix. Le FN, jusqu’à présent contenu dans cette ville, est arrivé en tête avec 29,63 %, talonné par la socialiste. Ils sont nombreux à droite à s'étonner du « score de folie » d'un candidat frontiste « venu deux fois à Avignon ». Philippe Lottiaux, ancien collaborateur de Balkany, n'avait pas caché qu'il connaissait la ville « pas plus que d'autres » et habitait toujours Levallois. Mais il a reçu un soutien important des Le Pen.

Philippe Lottiaux lors de la présentation de sa candidature par Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen, à Avignon.Philippe Lottiaux lors de la présentation de sa candidature par Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen, à Avignon. © dr

Tout l'inverse du candidat UMP. Désigné en janvier 2013 par la maire sortante, l’inamovible Marie-Josée Roig, Chaussegros a trouvé à son arrivée une droite locale en lambeaux et affronté de nombreuses dissidences. En octobre, c’est Roig elle-même qui doit renoncer à être sa numéro deux après la révélation de l’emploi fictif de son fils. Début mars, le candidat perd une dizaine de colistiers.

L’ancien directeur de cabinet de Roig, Jean-Christophe Ozil, explique cette « vraie surprise » du premier tour par « un an de bordel et de divisions à droite »« Il y a eu une mauvaise transmission de témoin »« un candidat qui n’a pas fait une bonne campagne et pas avec la bonne équipe »« qui n’a pas utilisé sa plus-value de petit nouveau » et a nationalisé l’élection « en faisant venir Pécresse, Copé, Lefebvre ». À cela, un élu UMP du département ajoute « un climat de fin de règne et les affaires de la droite ».

Parallèlement, Chaussegros doit affronter une liste frontiste où figurent plusieurs déçus de l'UMP, dont deux adjoints de l’équipe sortante. « Ils ont la soixantaine, plus d’espoir de continuer nulle part et veulent un dernier mandat. Le RBM (Rassemblement bleu marine, ndlr) leur offre la possibilité d’exister et de conserver Avignon à droite car pour eux Chaussegros est nul et va perdre », décrypte un ancien élu avignonnais UMP. Lui ne voit « aucune idéologie » dans ces ralliements au FN, qui « attire les gens qui veulent une place ou une ascension ».

Ils ne sont pas les seuls à regarder vers l'extrême droite. En octobre, Frédéric Rogier, un autre ex-adjoint UMP entré en dissidence, avait rencontré Jean-Marie Le Pen pour obtenir le soutien du RBM, comme Robert Ménard à Béziers. « Il n'y a qu’un Béziers en France », lui a rétorqué le fondateur du FN.

À Avignon, comme dans d'autres villes de Paca, c'est le glissement de militants et sympathisants de droite vers le FN qui inquiète. « Certains ont franchi le Rubicon, ils disent que Chaussegros est nul et qu’ils voteront pour le RBM. Dans le sud-est, notamment le Vaucluse et le Gard, une grande partie des militants UMP sont prêts à une alliance avec le FN “si on veut battre la gauche” », explique l'ex-élu avignonnais, qui évoque un « effet Canada dry ». « C’est le retour de manivelle. Sarkozy avait beaucoup promis, il a représenté un espoir pour beaucoup de militants, qui ont été déçus et se disent désormais que l’espoir sera peut-être plus à droite. » Ce pas vers l’extrême droite serait d’autant plus possible selon lui que « le FN de Marine Le Pen s’est donné une image adoucie qui a rassuré une partie de l’électorat de droite ».

Ancien adjoint de Roig entré en dissidence, aujourd’hui collaborateur du sénateur UMP Alain Milon, Michel Bissière se dit lui aussi « très inquiet pour l’avenir de la ville étant donné la stratégie sur le terrain de l’UMP », qui a « suscité un transfert important de militants vers le FN ». Comme d’autres, il note « l’échec » de la stratégie de la droite populaire et constate « que ceux qu’on voit le plus à l’UMP, les Le Maire, Wauquiez, NKM, ont des propos plus recentrés ».

Ce qu'il manque à l'UMP, c’est « un leader local », expliquent en chœur plusieurs UMP, en évoquant le vide laissé par les retraits de plusieurs ténors locaux. C'est le cas de Thierry Mariani, élu pendant plus de vingt ans à Valréas, une petite ville de 9 000 habitants à la pointe nord du Vaucluse. Au premier tour, le FN y est arrivé en tête avec plus de 36 %, tandis que l’UMP a terminé troisième avec 17,2 %. Ici aussi la droite est divisée : la liste divers droite a rassemblé près de 22 %.

  • ORANGE ET BOLLÈNE : l’empire de l’ex-FN Bompard

Dans le nord du département, ce sont les Bompard qui tiennent les rênes. Non plus avec l’étiquette du FN, dont le député et maire d’Orange a été exclu en 2005, mais avec celle de la Ligue du sud, sa propre formation. Jacques Bompard a été réélu à près de 60 % au premier tour, pour un quatrième mandat. À Bollène, à quelques kilomètres, sa femme Marie-Claude a manqué de peu sa réélection et arrive en tête avec plus de 49 %. Les Bompard ont aussi parachuté le fils cadet Yann pour soutenir une liste à Lapalud.

Dans ce « laboratoire », Bompard se vante d'avoir fait « le rassemblement de toutes les droites ». En se présentant sous l’étiquette « Union de la droite et du centre » aux législatives, il a réussi à faire signer une charte à plusieurs personnalités politiques, du centre à l'extrême droite. « Il leur dit : “Nous sommes le seul rempart au FN”, rapporte un conseiller général UMP, qui s'inquiète de l'influence des Bompard dans le nord du Vaucluse. Depuis le départ de Mariani, il n’y a plus un seul maire de droite dans cette circonscription. »

L'ex-FN Jacques Bompard, maire d'Orange depuis 1995 et député depuis 2012.L'ex-FN Jacques Bompard, maire d'Orange depuis 1995 et député depuis 2012. © Reuters

Selon lui, on trouve deux catégories parmi les ex-UMP : « Ceux qui passent chez Bompard », comme Louis Driey, maire de Piolenc depuis 1995, devenu son suppléant, et « ceux qui ne sont pas officiellement avec lui, mais qui collaborent et font du Bompard sans le dire, comme Louis Biscarrat (qui brigue un cinquième mandat avec sa liste "Jonquières d’abord", ndlr) ou d’Alain Rochebonne (tête de liste de "Courthézon Avant tout", ndlr) ». « Beaucoup d’élus évacuent complètement l'UMP. Ils savent que, sans voix de gauche, ils ne seront pas élus au second tour. Leur cocktail gagnant, c’est l’hyper-proximité et la carte “je suis maire, au-dessus des partis, je cours les associations boulistes” », poursuit-il.

Mais parallèlement, Bompard joue un jeu astucieux avec Marion Maréchal-Le Pen. « FN et Ligue du sud réalisent des frappes chirurgicales », estime le même élu. L'objectif : tenter de s'emparer d'une première intercommunalité, celle d'Orange et Sorgues. À la clé, une manne financière – une capacité d’embauches, de distributions de subventions, d’investissements –, et la maîtrise des grands électeurs en vue des sénatoriales.

  • CARPENTRAS : les démarchages de Marion Maréchal-Le Pen

À Carpentras, tombée entre les mains des socialistes en 2008 après une quadrangulaire, les lignes sont mouvantes entre droite et extrême droite. Ici, le duo Bompard-Maréchal-Le Pen a déjà commencé à réorganiser les droites. Le candidat du Rassemblement bleu marine n’est autre qu’Hervé de Lépinau, numéro deux de la Ligue du sud mais aussi suppléant de la députée FN. Il s’était rallié aux législatives en échange de la tête de liste frontiste aux municipales. Avec 34,37 %, Lépinau a talonné dimanche le candidat socialiste (37,32 %) et écrasé l’UMP Julien Aubert (16,63 %).

Énarque de 35 ans élu député en 2012 après le retrait de la candidate frontiste, Julien Aubert a créé un “rassemblement bleu lavande” « avec la croix du RPR », pour concurrencer le FN. « Gaulliste »« eurosceptique », il veut ainsi « faire réfléchir les gens. On leur dit : “Est-ce que vous voulez un maire “rassemblement bleu marine” ou “bleu lavande”? Le RBM est une phase d’entrée vers le FN ».

Julien Aubert, candidat UMP à Carpentras et député du Vaucluse.Julien Aubert, candidat UMP à Carpentras et député du Vaucluse. © Flickr / Julien Aubert

Jusque dans son propre camp, certains l'accusent de proposer un « FN light »« C’est un ovni, paradoxal, il se présente comme gaulliste mais il va jusqu’à l’extrême limite de la droite », commente un élu UMP. « Ce sont ces thèses proches du FN qui l’ont perdu, les gens préfèrent l’original à la copie », estime son adversaire Jean-Luc Becker, dissident divers droite soutenu par l'UDI. « À chaque fois que le FN touche un mot, on ne peut plus y toucher. Ils ont bougé la clôture, je la remets et je dis : “Je n’ai pas peur” », répond Aubert.

Éliminé au premier tour, Becker a perdu les deux tiers de ses voix de 2008, « ponctionnées par le FN ». Il n’a appelé à voter pour aucun candidat. Mais selon un UMP de Carpentras, ses partisans et lui feraient « voter discrètement pour le Rassemblement bleu marine » en expliquant « que voter pour Julien Aubert ne sert à rien » « Pendant la campagne, il a eu une neutralité bienveillante à l’égard du candidat RBM, des contacts ont été établis entre des colistiers des deux listes, certains penchent vers le FN. »

Le Canard enchaîné avait rapporté un déjeuner entre Maréchal-Le Pen et Becker, démenti par l’intéressé. Début mars, interrogé par LCP, il avait tenu des propos ambigus en annonçant « des alliances entre la droite républicaine et la droite intelligente » (voir la vidéo à 2’50)« L’idée, c’était de dire que quand la droite s’allie avec le FN, elle gagne, et pas l’UMP », estime l’UMP cité plus haut. Ce que réfute Jean-Luc Becker à Mediapart : « Je parlais de l’UMP, jamais je ne m’allierai avec le RBM. Si l’UMP avait eu une chance de gagner, j'aurais appelé à voter pour eux. Ce n’est pas le cas, j’ai laissé les électeurs libres. Comment voulez-vous prendre position entre le PS et le RBM ? »

Un conseiller général UMP du Vaucluse voit dans cette recomposition départementale le résultat du démarchage de Marion Maréchal-Le Pen auprès des candidats de droite et maires. « Elle fait la tournée des maires et leur dit :“Vous faites du bon boulot. Je n’ai pas vocation à vous mettre quelqu’un dans les pattes. Entendons-nous, prenez deux ou trois personnes de chez nous”. Même chez des maires de gauche ! » s’étonne cet élu, qui souligne la popularité de la benjamine Le Pen : « Ici, c’est cinq minutes d’attente pour la toucher, lui faire la bise, signer des autographes. »

À Apt, par exemple, elle aurait tenté, par un intermédiaire, de nouer une alliance avec la candidate UMP, qui a décliné la demande. Résultat : fin octobre, la députée annonçait le lancement d’une liste frontiste dans cette commune de 12 000 habitants. « Demain, s’ils prennent l’intercommunalité ou qu’ils font basculer le département, on va devoir faire avec eux », estime ce conseiller général.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées ont été interrogées par Mediapart. En pleines municipales, une partie des élus et collaborateurs UMP cités n'ont accepté de témoigner des difficultés de leur parti dans le Vaucluse que sous couvert d'anonymat.

Contacté, Jean-Michel Ferrand, le président de la fédération UMP départementale, n'a pas retourné notre appel.

Jean-Christophe Ozil fut conseiller régional RPR du Languedoc-Roussillon dans la majorité de Jacques Blanc, réélu président du conseil régional en 1998, avec les 13 voix du FN, face à Georges Frêche. Il n'acceptera aucune vice-présidence et démissionnera lors de l'élection présidentielle de 2002, jugeant sa position « moralement intenable et politiquement ingérable ».

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Traité de libre-échange: le débat Nicole Bricq / Yannick Jadot

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C'est une grande première. Mercredi, Barack Obama était en visite à Bruxelles pour rencontrer les représentants du Conseil et de la Commission européenne. Au menu des discussions : la Russie, l'économie mais aussi les négociations en cours sur le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis (TTIP). Les États-membres de l'UE en ont accepté le principe en juin 2013, après que la France a obtenu l'exclusion de l'exception culturelle et des matériels de défense.

Sur place, le président américain s'est adressé aux opposants à l'accord : « Je me suis battu tout au long de ma carrière politique pour renforcer la protection des consommateurs et de l'environnement. Je n'ai aucune intention de signer un accord qui les affaiblirait », a-t-il déclaré. Avant d'ajouter : « Il ne sert à rien de s'exciter sur des clauses qui n'ont même pas encore été rédigées (et) il y a moyen de faire ça de manière juste. »

En France, ces discussions provoquent une vive opposition, de la part du Front national mais surtout d'une large partie de la gauche, de l'aile gauche du PS au Front de gauche, qui a organisé mardi à Bruxelles une journée de débat sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon, en passant par Europe Écologie-Les Verts et de nombreuses associations, comme Attac. Les opposants dénoncent notamment le risque de dérégulation accru et l'opacité totale des négociations – le mandat n'a toujours pas été publié officiellement. 

Pour en débattre, Mediapart a réuni la ministre française du commerce extérieur, la socialiste Nicole Bricq, et l'eurodéputé écologiste Yannick Jadot.

Aux États-Unis mi-février, François Hollande a dit, à la surprise générale, que la France avait « tout à gagner à aller vite » dans la négociation du traité de libre-échange. Pourquoi ?

Nicole Bricq. Aller vite veut dire que nous avons une fenêtre d'opportunité en 2015. Nous avons un gros avantage sur les États-Unis, parce que, contrairement aux Américains, les négociateurs européens ont un mandat. Nous avons fixé ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Les États-Unis, eux, n'ont pas l'assurance qu'au fur et à mesure des négociations, le congrès ne détricote pas tout.

Il y a eu jusque-là une série de rounds techniques et, depuis le mois de février, les choses sérieuses ont commencé. Si nous sommes de bonne foi, si nous défendons des valeurs communes dans ce traité et si on doit le conclure, cela ne peut pas être en 2014. Du reste, le commissaire européen que nous avons vu à Athènes le 28 février en a convenu : ce sera en 2015. Si vous ne concluez pas une négociation de cette ampleur en deux ans, cela veut dire que vous avez l'éternité devant vous ! Voilà comment je pense qu'il faut recevoir le fait d'aller vite, mais d'aller bien.

Vous aussi, vous voulez aller vite, Yannick Jadot ?

Yannick Jadot. Non, très clairement non. L'Europe n'est pas en position favorable pour négocier ce traité, que ce soit sur des enjeux industriels, ou commerciaux. On le voit déjà avec la Russie et la Chine : l'Europe est trop souvent divisée, sur ses intérêts offensifs, comme sur ses intérêts défensifs.

Ce traité comporte aussi énormément de risques pour l'Europe et pour les citoyens. Les Américains veulent remettre en cause nos systèmes d'évaluation du risque en matière sanitaire et environnementale, ils veulent supprimer l'ensemble de nos barrières commerciales sur l'agriculture, ce qui pourrait remettre en cause une bonne partie de notre agriculture, notamment du sud et à l’est de l'Europe.

Tous ces enjeux-là, jusqu'à aujourd'hui, sont négociés sans que les citoyens puissent se les approprier. Ce sont essentiellement des règles – en matière sociale, environnementale, sanitaire – qui relèvent de choix démocratiques. Or aujourd'hui les citoyens n'ont pas accès à ces négociations.

Aujourd'hui, accélérer une négociation avec des bénéfices invérifiables, mais avec des risques avérés, n'est pas un bon choix pour l'Europe et son développement. Ce n'est pas un bon choix pour la démocratie, et ce n'est pas un bon choix pour les politiques qui aspirent à être en phase avec la société, plutôt qu’avec les grands groupes multinationaux.

Nicole Bricq. Vous, vous êtes défavorable même à l'ouverture des négociations. Moi, je n'ai pas le même point de vue. Vous ne voyez que les risques. Nous ne sommes pas à la même place. Quand on aborde une négociation, il faut à la fois mesurer les risques, mais aussi les opportunités. Je suis ministre du commerce extérieur de la France. Et je voudrais dire pourquoi j'ai donné mandat au nom de mon pays : parce que je suis favorable à un monde ouvert et régulé. Nous avons fait inscrire dans le préciput du mandat, si vous le lisez bien…

Yannick Jadot. Je fais partie effectivement de ceux qui ont la chance de pouvoir le lire. Des quelques-uns.

Nicole Bricq. Vous savez donc que nous avons fait inscrire le droit à réguler. Je suis responsable des 20 000 entreprises françaises qui travaillent déjà avec les États-Unis, qui exportent leurs produits et leurs services. Et sur ces 20 000 sociétés, j'ai 18 000 PME et petites entreprises pour qui la baisse des barrières non tarifaires est essentielle. Pour elles, l'ouverture des marchés publics américains est une opportunité, ce n'est pas un risque.

Cela dit, je sais aussi qu’un accord éventuel entre l'Union européenne et les États-Unis est quelque chose de très important. Ce n'est pas un mandat ordinaire. C'est pour cela que j'ai réclamé aux négociateurs, il y a plusieurs mois, la transparence.

Yannick Jadot. Mais vous ne l'avez pas obtenue !

Nicole Bricq. J'ai dit qu'il y avait un enjeu démocratique et je suis favorable au débat, je veux qu'il ait lieu. Concernant la transparence, je voudrais vous dire, sans trahir un secret que, quand je l'ai demandée au commissaire, trois États n’ont pas voulu donner leur avis positif à la publication du mandat.

Lesquels ?

Nicole Bricq. Il y avait l'Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark. C'était il y a quelques mois. Depuis, nous avons tenu un conseil informel des ministres du commerce extérieur à Athènes, le 28 février. J’ai constaté que tous les pays, y compris l'Allemagne, insistaient désormais sur la transparence. Nous jugeons inacceptable que l'on nous dise : “Si vous voulez avoir les documents, vous venez dans les ambassades des États-Unis dans les 28 États, vous posez vos portables à l’entrée, vous n'avez pas de photocopieuses, vous lisez et vous repartez.” Nous voulons la transparence et si j’étais isolée il y a quelques mois, je suis aujourd’hui rejointe par mes partenaires. Le débat a lieu en Allemagne, j'ai vu une pétition de 50 000 signatures pour refuser les négociations, pour des raisons plus ou moins bonnes. Mais j'encourage le type de discussions que nous avons.

Et je vous dis : voyez aussi les opportunités. Vous, vous partez battu. Vous partez avec un complexe d'infériorité. L'Union européenne est la première puissance commerciale au monde. Je négocie avec les États-Unis d'égal à égal. Et je n'intègre pas cette infériorité.

Yannick Jadot. J'essaie plutôt d'être réaliste. Je sais que vous vous êtes battue sur la transparence. Peut-être les citoyens vont-ils finir un an après à pouvoir consulter le mandat de négociations. Aujourd’hui les agriculteurs ne savent pas par exemple que même la commission européenne fait des offres qui vont réduire la protection sur le porc, sur la viande. Il y a un vrai souci démocratique. Négocier en catimini des choix de société me pose un vrai problème. Est-ce que je suis totalement pessimiste ? Non, mais quand je vois que les Américains réservent une large part de leurs marchés publics – 23% – à leurs PME, je me dis que c'est un système intelligent. Le mandat de négociation européen vise à supprimer ce type de dispositions, c'est une erreur.

Nicole Bricq. Vous ne pouvez pas dire ça. C'est une priorité européenne de tous les États-membres : ouvrir les marchés publics américains.

Yannick Jadot. Permettez-moi de considérer qu'à partir du moment où les États n'ont plus beaucoup de ressources financières, les marchés publics qui représentent 18 % de l'économie européenne, doivent être des outils utilisés au service de notre politique industrielle, au service des entreprises locales… Dans le mandat européen, il y a aussi la fin de la préférence géographique : c'est une erreur profonde pour la construction d'un développement européen, y compris pour la relocalisation de l'économie et pour le soutien aux PME.

Quand vous dites que l'Europe est très claire sur son mandat, et que les États-Unis sont coincés dans leur processus, c'est vrai, mais j'espère qu'on est d'accord sur le fait que, quel que soit le résultat de la Commission, ce seront quand même les États européens et le parlement européen qui diront oui ou non à un accord.

Nicole Bricq. Ce sont les traités européens ! C'est la règle pour un traité international. Et je vais vous dire : nous allons avoir des élections européennes. C'est quand même le moment où jamais pour mettre cette discussion dans le débat européen.

L'an dernier, Paris a donné mandat à la Commission. Mais pourquoi ne pas avoir attendu les européennes pour débattre de ce mandat ?

Nicole Bricq. Il y a eu une consultation, comme toujours avant d'engager un mandat. J'ai constaté que les entreprises avaient répondu. Depuis, un débat commence à s'instaurer et, de toute façon, à la fin du processus, il y aura un retour vers les États-membres.

Pourquoi Paris ne publie pas le mandat qu'elle a donné à la commission pour négocier ?

Nicole Bricq. Le mandat a très largement fuité. Moi je veux bien le publier mais il faut l'unanimité des États-membres…

Yannick Jadot. Pourquoi ne pas avoir appliqué le raisonnement, tout à fait pertinent, que vous avez défendu sur l'exception culturelle l'an dernier (la France a obtenu son exclusion des discussions, ndlr), sur d'autres sujets ? Par exemple sur les enjeux de santé et d’environnement ? On pourrait dire que, de la même façon qu’on ne peut pas marchandiser la culture, l'objectif des Américains sur la santé est de faire en sorte qu'il y ait une reconnaissance mutuelle de tout le système d'évaluation du risque sanitaire, par exemple dans la chimie. Leur objectif est qu’à partir du moment où un produit est reconnu comestible, ou potentiellement autorisé à être mis sur le marché aux États-Unis, il puisse être mis sur le marché en Europe. C'est donc toute l'ambition européenne en matière de santé et de contrôle de la chimie qui est remise en cause.

À ce propos, les opposants au traité protestent notamment contre le volet investissement en discussion qui prévoit des mécanismes d’arbitrage dits « investisseurs-États ». S’ils étaient mis en place, les entreprises pourraient porter plainte, auprès d'un tribunal d'arbitrage, contre un État qui aurait fait évoluer sa législation, de telle sorte que certains avantages des industriels soient remis en cause.

Yannick Jadot. Ce volet renforcerait de manière extraordinaire le pouvoir des multinationales contre les capacités des collectivités, des États, de l'Union européenne à faire des choix de politique publique. Cela a été négocié dans le cadre de l'accord avec le Canada (accord de libre-échange qui vient de déboucher, ndlr). Or la Commission européenne, quand nous la rencontrons, nous dit que ce qui a été négocié avec le Canada va servir de modèle. Le conseil européen a également autorisé qu’il y ait aussi ce mécanisme avec la Chine, qui consiste à ce que des entreprises puissent contester des mesures sociales ou de santé publique devant un tribunal…

Nicole Bricq. En l’occurrence, avec la Chine, c'est notre intérêt !

Yannick Jadot. D'accord. Mais quand des entreprises chinoises viendront dire en France qu’on ne peut pas interdire le Bisphénol A dans les biberons parce que cela ne correspond pas aux bénéfices potentiels des entreprises chinoises, cela va commencer à devenir compliqué !

En fait, la réalité derrière ce mécanisme d'investissement, ce sont des entreprises suédoises qui contestent la sortie du nucléaire en Allemagne et qui demandent 3,7 milliards d'euros au gouvernement allemand. C'est l'entreprise Lone Pie qui attaque le gouvernement du Québec parce qu'ils ont fait un moratoire sur la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste. C'est Philip Morris qui utilise ses filiales à Hong Kong pour attaquer l'Australie sur sa politique anti-tabac. C'est quand même un énorme problème à la fois sur la capacité des États à défendre l'intérêt général et sur le fait que les États transfèrent de manière totalement irresponsable du pouvoir et de la souveraineté aux entreprises. Et je suis désolé, c'est dans la négociation aujourd'hui.

Nicole Bricq. Il ne faut pas tout mélanger. D’abord je voudrais rappeler ici la position française. Nous avons demandé une exclusion de tout le phénomène culturel et audiovisuel, et une exclusion du matériel de défense. Nous l’avons obtenu. J'ai également demandé à ce qu'on n’inclue pas ce mécanisme investisseur – c'est ma position, je la maintiendrai. La Commission a maintenant bien compris qu'elle avait un problème sur ce mécanisme de traitement des différends entre entreprises, investisseurs et États. Elle a intégré le processus démocratique et lancé une consultation pour trois mois, de manière que tout le monde participe à ce débat. Les choses avancent. On peut être isolés au départ, mais on trouve des alliances. Je rappelle quand même que quand on va être consultés sur ce mécanisme de règlement des différends, c'est l'unanimité qui prévaudra. Il y a des mécanismes démocratiques.

Par ailleurs, nous savons très bien qu'en Europe, nous avons ce que nous appelons les préférences collectives – qui sont des choix de société –, et que cela n'est pas négociable. C'est particulièrement vrai dans des domaines que vous avez évoqués, l’agriculture ou la sécurité alimentaire. C'est très important. Il ne faut pas troubler les gens à travers des fantasmes qui ne sont pas réels.

Yannick Jadot. Je suis désolé, mais c'est clairement dans le mandat de négociation.

Nicole Bricq. Non. Il n'est absolument pas question de négocier les OGM, les hormones de croissance, le bœuf aux hormones, ou les décontaminations des carcasses à l'eau de javel. Vous le savez très bien : ce sont des choix de société et, sur ces sujets, nous avons une conception en France qui va de la fourche à la fourchette. C'est une préférence collective qui n'est pas négociable.

Yannick Jadot. Quand on regarde le mandat du négociateur américain, c'est une priorité chez eux.

Nicole Bricq. Pour l'instant, je ne connais pas leur mandat, puisqu'ils n'ont pas reçu d'autorisation. J'attends de voir. Si je prends par exemple la viande aux hormones, la France y est très attachée et la négociation va être rude sur les quotas d'importation de bœuf qui n'est pas aux hormones. Et je sais que, comme les États-Unis n'ont pas de filière de bœuf sans hormones, et qu'ils ont besoin…

Yannick Jadot. Ah si ! Et d'ailleurs on en importe déjà.

Nicole Bricq. Non, pas des États-Unis ! Ils ont besoin d'avoir un niveau de production qui rentabilise une filière qui n'existe pas, qui n'est pas structurée comme celle aux hormones. Ils vont être très exigeants au niveau des quotas, c'est vrai. C'est une sensibilité particulière qu'il va falloir défendre pied à pied.

Et vous avez parlé tout à l'heure des préférences géographiques : excusez-moi, mais vous avez dit quelque chose qui n'est pas vrai. Vous savez très bien que le choix européen des indications géographiques est extrêmement important, nous en avons obtenu 131 dans la négociation avec le Canada – et dans ces 131 nous en avons une trentaine de françaises. C'est une base minimum avec les États-Unis.

Yannick Jadot. Je préférerais que la puissance publique favorise l'Europe et les productions européennes…

Nicole Bricq. Je suis contre tous les mécanismes de repli.

Yannick Jadot.  C'est du réalisme. Pas du repli sur soi. L'Europe est la seule puissance commerciale au monde à avoir des marchés publics ouverts par défaut. Toutes les autres puissances commerciales ont des marchés publics fermés par défaut. Je suis pour l'ouverture, mais qui serve les citoyens, l'emploi, les entreprises européennes – pas des groupes multinationaux qui aujourd'hui servent surtout les dividendes des actionnaires.

Nicole Bricq.  Mais est-ce que vous croyez que les 20 000 entreprises françaises qui ont intérêt à exporter aux États-Unis ne créent pas des emplois en France ? Est-ce que vous savez que les premiers investisseurs en France dans les centres productifs, dans les usines, qui créent de l'emploi, qui font 30 % de nos volumes d'exportation à nous, la France, ce sont les États-Unis d'Amérique ? À la place où je suis, je ne suis pas naïve. Ce n'est pas une négociation de bisounours. Je sais parfaitement ce que vont nous demander les Américains. Et ce que nous ne voulons pas. Et pour ce qui concerne le fameux mécanisme de règlement…

Justement : sur ce mécanisme, si vous y êtes opposée, depuis le départ, comme vous l'avez laissé entendre, pourquoi ne pas l'avoir sorti d'emblée du mandat, et en avoir fait une ligne rouge comme l'exception culturelle, par exemple ?

Nicole Bricq. J'ai dit que je n'étais pas favorable en tant que France à l'inclusion d'un tel mécanisme. Mais il faut choisir ses priorités. J'avais déjà demandé deux exclusions, que j’ai obtenues (l’exception culturelle et les matériels de défense, ndlr). Il ne faut pas pousser le bouchon trop loin ! Par ailleurs, on a inscrit dans le mandat le droit à réglementer et à réguler, au niveau de l'Union européenne – il n'est pas question d'y renoncer. C'est le minimum. Je n'ai pas non plus entendu côté américain l'intérêt qu'ils avaient à ce mécanisme.

Avec les États-Unis, nous avons un niveau de protection juridique et judiciaire de même nature. Il y a des tribunaux et des procédures qui sont transparentes de part et d'autre de l'Atlantique. Du reste, quand nous avons donné mandat au Japon, nous n'avons pas mis ce mécanisme de protection des investisseurs, parce que nous considérons qu’il y a là aussi un système judiciaire et juridique suffisant. Donc il n'est pas question d'avancer sans regarder ce qu'il se passe. D’ailleurs, j'ai observé que les Allemands évoluent – lors d’une question posée au Bundestag, la secrétaire d'État pour le gouvernement allemand a dit qu'elle était favorable à l'exclusion de ce mécanisme. Quand les Français et les Allemands sont d'accord au sein des 28, ça compte.

Yannick Jadot. Très bien. Ça montre aussi que l'Allemagne est leader en Europe pour cette négociation. Depuis le départ.

Nicole Bricq. Pas du tout. Pourquoi plus que les Français ?

Yannick Jadot. La France a tout à perdre dans cette négociation, y compris politiquement. On sait bien que Madame Merkel a beaucoup poussé Bush, puis Obama, à rentrer sur cette négociation. Elle a fait alliance là-dessus avec Cameron et Barroso, qui sont aussi des atlantistes, et qui veulent vider l'Europe de tout son contenu politique, pour en faire uniquement un grand marché.

Mais sur cette question-là, j'entends vos réserves, et je m'en félicite. Simplement, ce que je vois, c'est que c'est dans la négociation. C'est dans le résultat du compromis avec le Canada. C'est dans le mandat lancé par la Commission européenne avec la Chine. C'est donc un mécanisme qui est en train de rentrer dans la jurisprudence européenne en matière de négociations commerciales. Ce régime ultra-puissant est totalement anti-démocratique, puisque ce sont des juges privés qui, le plus souvent, sont un jour dans ce mécanisme là, le lendemain au conseil d'une des entreprises qui saisit ce mécanisme.

En Équateur, Chevron a été condamné grâce à la mobilisation des populations locales à dépolluer les sites de production pétroliers. Chevron a ré-attaqué via ce mécanisme-là, et a réussi à faire condamner l'Équateur. On est dans un truc totalement fou, où des groupes multinationaux sont en train de s'accaparer la régulation internationale. Je suis pour l'ouverture, mais qui serve encore une fois des enjeux de démocratie !

Aujourd’hui, je vois l'UE et la commission européenne commencer à reculer sur les émissions de CO2 dans l'aviation, sur la directive sur la qualité de carburants, parce qu'il y a des sables bitumeux qui viennent du Canada, sur les OGM parce qu'il y a ces négociations avec les États-Unis. Cela n'en fait pas un outil au service de la régulation, mais un outil de dérégulation. Cela va peut-être servir quelques entreprises, mais cela ne servira pas le modèle de développement.

Quand les États-Unis ont négocié avec le Canada et le Mexique l'accord sur l'Alena, cela devait donner 20 millions d'emplois aux États-Unis… Au final, ils en ont perdu un million. C'est toute l'agriculture paysanne mexicaine qui a été détruite.

François Hollande et Barack Obama en février 2014François Hollande et Barack Obama en février 2014 © Reuters

Nicole Bricq. Il y a un point sur lequel je suis d'accord avec Yannick Jadot : je n'ai jamais cru les études macroéconomiques à l'horizon 2025. Ces études d'économètres sur un coin de table, c'est un peu facile !

Yannick Jadot. C'est pourtant le seul argument de la commission !

Nicole Bricq. Mais en revanche, j'ai une conviction, c'est que j'ai confiance dans l'UE, à la différence de vous. Parce que nous sommes une terre d'innovation, comme les États-Unis. Les deux tiers des dépenses de recherche et d'innovation sont faites entre les États-Unis et l'Europe : je me dis qu'il y a un intérêt à ce que toutes nos start-up et nos PME innovantes profitent aussi des écosystèmes qu’on trouve outre-Atlantique.

Yannick Jadot.  Et il faut vraiment cet accord pour obtenir cela ? Quand j'interpelle le négociateur européen en chef sur les questions énergétiques et environnementales, et que je lui demande ce qu’il a mis dans la négociation, il répond : “Là-dessus, rien du tout, et si vous avez des idées, n'hésitez pas.” Et il ajoute : “En revanche, ce que l'on aimerait bien faire, c'est importer du gaz de schiste des États-Unis.”

C'est clairement dans le mandat des Européens de supprimer toute restriction aux importations de gaz de schiste des États-Unis. Je considère que cela ne sert pas notre transition énergétique, ni la lutte contre le changement climatique, ni toutes les PME européennes qui sont sur les renouvelables et l'efficacité énergétique.

Nicole Bricq. Les groupes américains n'ont pas de licences d'exportation !

Mais ils en auront bientôt.

Nicole Bricq. Non. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

Yannick Jadot.  C'est dans la négociation !

Nicole Bricq. Non, ce n'est pas dans la négociation. Vous me parlez de la politique industrielle de l'Europe, je vous parle libre-échange, on ne parle pas de la même chose. Le négociateur européen a été interrogé par le groupe S&D, les sociaux-démocrates, au parlement européen, le 18 mars. On peut ne pas le croire, mais quand il est interrogé, il est relativement clair. Et c'est lui le négociateur.

Yannick Jadot. Devant la commission du commerce international, il dit clairement le contraire.

Nicole Bricq. Et par exemple vous me parlez de l'Équateur et des États-Unis, mais là il n'y a pas d'accord de libre-échange entre l'Équateur et les États-Unis. On ne parle pas du sujet qui nous occupe. Vous nous parlez d'une multinationale américaine qui veut faire un procès à l'Équateur, ce n'est pas le sujet du libre-échange !

Yannick Jadot. Si, parce que cela relève d'un accord d'investissement entre les États-Unis et l'Équateur, qui comprend ce dispositif.

Nicole Bricq. Cela veut dire que l'Équateur l'a accepté.

Yannick Jadot. C'est bien mon problème. Et c'est bien ce que j'aimerais que l'UE ne négocie pas.

Le parlement européen, qui a débattu des écoutes de la NSA, menace de ne pas voter le traité de libre-échange, si les États-Unis ne donnent pas de garanties sur la surveillance électronique. Est-ce également la position de la France ?

Nicole Bricq. Il y a plusieurs procédures. Il y a une discussion Europe-États-Unis suite à la révélation des écoutes, qui est menée par la commissaire qui s'occupe de la justice, et au niveau des États-membres, avec ma collègue Christiane Taubira. Il y a aussi, au parlement européen, ce projet de la commissaire Viviane Reding, sur l'amélioration de la protection du transfert des données (loi de protection des données, bloquée, ndlr). De mon côté, j'ai également commandé un rapport au Conseil du numérique (il sera remis vendredi, ndlr).

Yannick Jadot. Du côté des écologistes, on considère que l'on ne devrait pas négocier aujourd'hui avec les États-Unis, quand la partie adverse, d'une certaine façon, vous espionne, espionne vos citoyens, vos institutions, vos dirigeants. On négocie avec les États-Unis des enjeux de transports de données personnelles, alors que l'on est espionnés sur ces mêmes données personnelles. Politiquement, il y a une absurdité incroyable. C'est la preuve que l'on a un souci à faire respecter les citoyens européens.

Nicole Bricq. Mais dans un accord de libre-échange, on ne négocie pas ça !

Yannick Jadot. Si. Si on regarde le projet de déclaration du sommet UE-États-Unis du 26 mars, il est écrit qu’il faut faire attention à la protection des données et à la vie privée. Mais, en même temps, c'est présenté comme un sujet considérable de négociations ! L'utilisation des données personnelles est un marché de centaines de milliards d'euros.

Nicole Bricq. Ce n'est pas dans la négociation, je suis désolée. Je suis dans un principe de réalité.

François Hollande dit qu’il faut accélérer ces négociations, à quelques mois des élections européennes, et dans un moment où le rejet de l’Europe est particulièrement fort. Pourquoi prenez-vous ce risque politique considérable ?

Nicole Bricq. Mais ce n'est pas parce que Madame Le Pen dit qu'il ne faut pas négocier un accord transatlantique…

Mais il n'y a pas que Marine Le Pen.

Nicole Bricq. Oui, mais elle s'est exprimée très fortement là-dessus. Elle m'a citée à plusieurs reprises, en disant peu ou prou que je suis une vendue aux États-Unis ! Je n'ai pas entendu Mme Le Pen argumenter sur le fond. C'est quelque chose que j'ai du mal à accepter. Je fais de la politique depuis 40 ans. J'essaie de comprendre toujours celui qui n'est pas d'accord avec moi.

Je n'ai aucune naïveté dans cette négociation, mais j'essaie d'aller le plus loin possible. Y compris de voir l'intérêt qu'il y aurait à avoir un accord sur nos bases. Car je ne veux pas renier les normes européennes que l'on s'est fixées, de haute protection sociale et environnementale. Au contraire, je veux dans la discussion amener les Américains à monter leurs références et leurs normes. L'élection européenne, c'est le moment où jamais pour avoir ce débat.

Je veux mettre ma conviction politique au service des intérêts de la France, au service des intérêts de l'Union européenne, et ce n'est pas parce qu'il y a un désamour indéniable avec l'Europe de la part des citoyens, qu’il faut renoncer à donner envie d'être européen.

Yannick Jadot. Cette négociation tombe extrêmement mal. En plus des risques que j'évoquais, il faut à mon avis retrouver de la souveraineté à l’échelle européenne. Quand la France essaie seule vis-à-vis d'un patron d’un groupe international comme M. Mittal, c'est compliqué, et elle joue la concurrence entre les États. Sur la question du dumping, du photovoltaïque chinois ou sur la Russie et Gazprom, l'Europe s'est divisée, y compris publiquement.

Les citoyens européens ont besoin, à mon avis, que l'Europe reconstruise de la souveraineté en matière industrielle et en matière économique. Pour faire face à la mondialisation, il faut construire et approfondir un bloc européen pour défendre un modèle européen.

Ce que je trouve terrible dans cette négociation, c'est que l'Europe, parce qu'elle n'a pas l'histoire des États-Unis, n'a pas de politique industrielle et peine à construire une politique économique commune. N'ayant pas achevé ces étapes-là, elle se met en situation difficile par rapport à un modèle beaucoup plus fort qu’elle de ce point de vue. Aujourd'hui les citoyens européens attendent que l'Europe les protège et je considère que cet accord-là conduit à l'harmonisation par le bas des normes…

Nicole Bricq. Il n'y a pas d'harmonisation par le bas.

Yannick Jadot. C'est mon point de vue. Je considère aussi qu'il y a là une faute politique terrible, et je sais que vous en convenez : cette opacité des négociations renforce terriblement l'idée que l'Europe n'est pas une Europe des citoyens, mais d'abord l'Europe des firmes nationales, qui négocient avec les États-Unis des firmes multinationales, contre les citoyens des deux côtés de l'Atlantique.

Mais, Yannick Jadot, les écologistes font partie d'un mouvement, EELV, qui compte deux ministres en France. Est-ce que cela veut dire que le TTIP n'est pas un désaccord suffisant à vos yeux, justifiant un départ du gouvernement?

Yannick Jadot. C'est un désaccord fort. Je vous rappelle que le PS lui-même (l’an dernier, ndlr) s'est exprimé contre cet accord. Mes collègues socialistes français au parlement européen, pour une partie d'entre eux, votent plutôt avec nous qu'avec le reste des sociaux-démocrates. Prenez aussi les principaux collaborateurs de Pascal Lamy, quand il était à la commission, qui contestent cette approche qu'ils considèrent comme une sorte d'OTAN de l'économie. La négociation est lancée, on se battra pendant toute cette négociation, pour que cet accord tel qu'il se construit n'aboutisse pas.

Nicole Bricq. Je ne préjuge pas du résultat des négociations. Je sais qu'in fine, c'est la démocratie qui aura le dernier mot. Je partage avec vous l'idée qu'il vaudrait mieux avoir une politique économique, ne serait-ce qu'au sein de la zone euro. Si on avait une politique industrielle européenne, on serait complètement contents. Mais bon, qu'est-ce que vous voulez ? On ne l'a pas aujourd’hui.

Mais regardons cette négociation avec les yeux ouverts, avec lucidité, protégeons-nous, et au terme du processus, ce sont les États-membres et le parlement, qui voteront. C'est vraiment la démocratie qui aura le dernier mot.

BOITE NOIRELe débat entre Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, et Yannick Jadot, eurodéputé EELV, a eu lieu vendredi 21 mars dans les locaux de Mediapart. Il a duré une heure, et a été filmé. Sa retranscription n'a pas été relue par les deux intervenants.

Le débat a été animé par Lénaïg Bredoux et Ludovic Lamant, Nicolas Serve l'a filmé et a sélectionné les extraits vidéo.

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La Parisienne Libérée: «C'est la faute aux abstentionnistes !»

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Faut-il attendre que les nageoires poussent aux ours blancs pour que le PS se rappelle qu'il a été élu pour faire une politique de gauche ?

Lire aussi : interdiction de filmer l'urne (billet de blog).

C'EST LA FAUTE AUX ABSTENTIONNISTES



Paroles et musique : la Parisienne Libérée

Ils n'ont pas compris notre politi-i-i-que
N'ont pas bien saisi nos choix stratégi-i-i-ques

Sont restés au lit, ça c'est dramati-i-i-que
Sans avoir rempli leur devoir civi-i-i-que !

Si on a signé le traité budgétaire
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si on a offert des milliards aux milliardaires
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si on chope les Roms pendant les sorties scolaires
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si on laisse tomber la séparation bancaire
C'est la faute aux abstentionnistes ! (bis)

Leur comportement est irresponsa-a-a-ble
De tous nos tourments ils sont les coupa-a-a-bles
Se mettent en retrait des gens respecta-a-a-bles
Pour nous mépriser, c'est insuporta-a-a-ble !


Si dans le bocage, César fait de la répression
C'est la faute aux abstentionnistes !
S'il y a tant de mamans et de papas rose bonbon
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si pour Fessenheim faut qu'on réfléchisse d'abord
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si la PMA... et puis quoi encore ?
C'est la faute aux abstentionnistes ! (bis)

Si l'austérité se négocie sous la table
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si on ne parle plus qu'une novlangue imbitable
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si ben finalement on augmente la TVA
C'est la faute aux abstentionnistes !
Et pour les retraites, qu'est-ce qu'on avait dit déjà ?
C'est la faute aux abstentionnistes ! (bis)

Les enfants gâtés du libérali-i-i-sme
Ne veulent plus chanter notre sociali-i-i-sme

Ils préfèrent bouder dans l'idéali-i-i-sme

Sans aller voter, comble d'égoï-i-i-sme !

S'il n'y a pas eu de vote extracommunautaire
C'est la faute aux abstentionnistes
 !
Si les vieux rafales font moins l'amour que la guerre
C'est la faute aux abstentionnistes !
S'il y a des fraudeurs là-haut dans les ministères
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si on s'en bat l’œil des chômeurs et des précaires
C'est la faute aux abstentionnistes ! (bis)

S'il y a de plus en plus de monde qui dort sur le trottoir

C'est la faute aux abstentionnistes !
Si les ours blancs n'ont pas encore de nageoires
C'est la faute aux abstentionnistes !
Si mon adversaire ben finalement c'est personne
C'est la faute aux abstentionnistes !
S'il y a si peu de gens qui vont voter en falcon
C'est la faute aux abstentionnistes
 ! (bis)

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Les précédentes chroniques
Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le vote FN cartographié dans ses deux zones fortes

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Joël Gombin est doctorant en sciences politiques au CURAPP (l'Université de Picardie-Jules Verne), il étudie les électorats et votes Front national, il a beaucoup travaillé sur la région Paca et les comportements politiques des mondes agricoles. Il est aussi membre de l'Observatoire des radicalités politiques (ORAP), lancé en février, qui rassemble les chercheurs travaillant sur l'extrême droite (lire notre boîte noire).

À l'aide des résultats du premier tour des municipales, il a réalisé plusieurs cartes interactives du vote FN. La première montre le vote pour le parti de Marine Le Pen commune par commune. Elle est visible sur son site, en cliquant ici. Mais il a aussi zoomé sur deux zones fortes du Front national: le pourtour méditérranéen et le Pas-de-Calais, où se trouve Hénin-Beaumont, remportée dès le premier tour par Steeve Briois.

  • LE POURTOUR MÉDITERRANÉEN

Publiée sur Slate, cette carte interactive met en évidence le vote frontiste sur le pourtour méditerranéen. Comme le rappelle le chercheur, c'est dans trois villes du sud-est de la France que les listes d’extrême droite ont dépassé 40% des voix au premier tour, et dans nombre d'autres que le FN s'est situé entre 30% et 40%.

Le parti d’extrême droite a toujours réalisé des scores élevés en Paca (Provence-Alpes-Côte d’Azur), sa région historique, où sont élus Jean-Marie Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen. C’est ici qu’il a obtenu en 2011 puis 2013 ses deux conseillers généraux (à Brignoles dans le Var et Carpentras dans le Vaucluse) et quasiment renoué avec ses scores historiques du milieu des années 1980 (lire notre article). C’est ici aussi qu’il a gagné, au premier tour de la présidentielle de 2012, environ dix points dans chaque département par rapport à 2007, année de son trou d’air. Dans sept circonscriptions, le parti lepéniste était même devant l’UMP (lire notre article). Le Vaucluse fut, à l'issue du premier tour de la présidentielle, le premier parti frontiste (27%).

Le 23 mars, au premier tour des municipales, l'extrême droite y a à nouveau démontré sa puissance (lire nos articles ici et ). Mais elle a aussi réalisé des scores historiques plus à l'ouest, à Béziers et Perpignan. « La présence du FN est essentiellement littorale, là où les tensions foncières et sociales sont les plus fortes, et dans le delta rhodanien, terres agricoles et de petites industries en déclin », explique Joël Gombin à Slate.

Dans le Gard, on peut relever les 42,57% du député frontiste Gilbert Collard à Saint-Gilles, ou les 24,34% de Pierre Chenel à Arles (devancé par le maire sortant), ou encore les 32,61% de Jean-Louis Meizonnet à Vauvert (devancé par le divers gauche Jean Denat). Dans le département voisin, le Vaucluse, on note les 34,38% d'Hervé de Lépinau à Carpentras et les 31,6% de Philippe Lottiaux à Avignon.

Dans le Var, David Rachline rassemble 40,30% à Fréjus, Marc-Etienne Lansade 39,03% à Cogolin, où le PS a annoncé le retrait de sa liste. Laurent Lopez, avec 37,07% à Brignoles dans l'arrière-pays, arrive lui aussi en tête, après avoir remporté l'élection cantonale partielle en octobre 2013 (lire nos articles ici et ).

Joël Gombin souligne que dans l’arrière-pays rural, où le parti lepéniste « est généralement incapable de monter des listes », il réalise tout de même 27,69% à Digne-les-Bains (Alpes de Haute Provence), où la candidate arrive en tête.

Plus à l'ouest, Béziers (Hérault) et Perpignan (Pyrénées-Orientales) se démarquent avec leurs 44,88% pour Robert Ménard, soutenu par le Rassemblement bleu marine, et 33% pour Louis Aliot, le numéro deux du FN. 

  • PAS-DE-CALAIS

Autre carte intéressante publiée sur Slate, celle du Pas-de-Calais, terre de gauche où le vote FN ne cesse de progresser.

À Hénin-Beaumont, ville de 26 000 habitants du bassin minier conquise dès le premier tour, Steeve Briois, le secrétaire général du parti, recueille 50,26% des voix (lire à ce sujet notre article). Autour, d'autres villes se détachent: Mericourt (33,67%), Carvin (35,22%).

Le chercheur relève aussi des scores élevés au nord à la frontière belge à Wattrelos (25,01%), Roubaix (19,31) et Tourcoing (17,52%), et à l'extrême nord à Dunkerque (22,59%).

BOITE NOIREJoël Gombin travaille sur le Front national depuis 2004 et est membre du nouvel Observatoire des radicalités politiques (ORAP).

Il termine une thèse sur les votes FN en Paca (Configurations locales et construction sociale des électorats. Étude comparative des votes FN en région PACA, sous la direction de Patrick Lehingue et Christophe Traïni, Professeurs des Universités). Il a contribué, pour la région PACA, à l'ouvrage Le Front national. Mutations de l'extrême droite française, dirigé par Pascal Delwit (Éditions de l'Université libre de Bruxelles, 2012).

Il travaille également sur les comportements politiques des mondes agricoles et a publié, avec Pierre Mayance, Tous conservateurs ? Analyse écologique du vote de la population agricole lors de l’élection présidentielle de 2007in B. Hervieu, N. Mayer, P. Muller, F. Purseigle, J. Rémy (dir.) Les Mondes agricoles en politique, Paris, Presses de Sciences-Po, 2010. 

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Barbara Romagnan (PS): «Je ne veux pas voter le pacte de responsabilité en l'état»

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Barbara Romagnan est une jeune députée socialiste au langage atypique, proche de l'aile gauche du PS, critique sans langue de bois, mais toujours nuancée. Élue dans le Doubs en 2012, elle n’hésite pas à s’opposer au pacte budgétaire européen dès le mois d’octobre suivant, mais considère que le gouvernement a permis certaines avancées, notamment en matière de justice. Cette manière d’appartenir au parti socialiste, mais de conserver ses distances et sa liberté de parole, donne à son entretien avec Mediapart un relief particulier.

Elle admet n’avoir pas vu venir l’ampleur de la défaite du premier tour, mais souligne que « même si le résultat avait été meilleur, on pouvait exprimer quelques doutes », car il existe « un décalage entre les engagements et la politique suivie »Elle considère ainsi que « le pacte de responsabilité n’honore pas le pacte de confiance passé avec le peuple »... Et elle ajoute, « dans les conditions actuelles, je ne veux pas voter ce pacte »...

Municipales, Front national, pacte de responsabilité, élections européennes, retrouvez l’intégrale de l’entretien avec Barbara Romagnan, dans le rendez-vous d’Objections, avec Mathieu Magnaudeix et Hubert Huertas :

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Plainte contre François Lamy pour la cession d'un parking à Palaiseau

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C’est une lutte entre un élu et l’un de ses administrés. Et entre les deux, l’on ne sait plus très bien qui est le pot de terre et qui est le pot de fer. D’un côté, François Lamy, ministre délégué à la ville, ancien député (PS) et maire de Palaiseau, juriste approximatif. De l’autre, Bernard Chantebout, professeur d’université émérite (Paris V), auteur de nombreux manuels de droit public, installé rue de Paris, à Palaiseau, et opposant résolu du bétonnage. L’élu assure que l’universitaire a perdu tous ses combats. L’opposant dit qu’il a « été provoqué en tant que prof de droit ». Mais Lamy a quand même tenté de soumettre à Chantebout, en 2004, les plans d’architecte de sa future villa pour se prémunir d’un recours.

L’universitaire, lui, vient de frapper sans prévenir. Après avoir porté plainte auprès du procureur d’Évry en novembre 2013, il a déposé une plainte avec constitution civile auprès du doyen des juges d’instruction, le 22 février dernier, pour « détournement de biens publics » contre l’ancien maire, et son délégué à l’urbanisme Alain Dubois Guichard. Bernard Chantebout reproche aux élus d’avoir bradé un parking public pour favoriser une opération immobilière sur un terrain jouxtant son pavillon.

Bernard Chantebout, chez lui à Palaiseau.Bernard Chantebout, chez lui à Palaiseau. © DR

Contacté par Mediapart, le parquet d’Évry a confirmé le dépôt de cette plainte, en soulignant « qu’aucun service d’enquête n’avait été désigné » par les services du procureur dans le délai de trois mois qui lui était imparti, et que désormais, il reviendrait au doyen des juges d’instruction « de commencer l’enquête sur commission rogatoire ».

En juin dernier, le professeur a transmis son projet de plainte à François Hollande en lui signalant que son ministre de la ville se trouvait, selon lui, « engagé dans une mauvaise affaire ». Chantebout écrit qu’il avait espéré que, devenu ministre, François Lamy aurait fait retirer les « délibérations frauduleuses » prises par son conseil municipal. L’Élysée lui répond sobrement que le président « a pris connaissance de (sa) démarche ».

« C’est un litige de riverains, balaie François Lamy. Nos délibérations sont totalement légales. Une municipalité a le droit de supprimer un parking, et d’en créer un autre. Il n’y a pas de problème. Et d’ailleurs, Chantebout vient d’être débouté par le Tribunal administratif sur le même sujet. »

En décembre dernier, le Tribunal administratif de Versailles a en effet jugé que l’universitaire était hors délai pour contester une délibération prise en décembre 2008 – le recours contentieux doit s’effectuer sous deux mois. « Le tribunal a jugé que j’étais forclos, commente le professeur. En fait, je n’ai eu connaissance des délibérations qu’en 2012, après les avoir exigées en vain de la mairie. Je ne les ai obtenues que par l’entremise de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). »

Dès 2006, Bernard Chantebout est parvenu à bloquer ce projet de construction, sur un terrain par ailleurs propriété d’un de ses cousins, en s’opposant au premier permis de construire déposé par la société Logirep. À l’époque, la mairie avait décidé de céder pour 151 000 euros son parking municipal afin de permettre à Logirep de construire en surplomb mais « en respectant les servitudes de passage et de stationnement au profit de la commune ». « L’objectif de la municipalité, c’est donner la priorité à la construction des logements sociaux », explique François Lamy. En janvier 2008, le premier permis de construire fait donc apparaître le maintien des places de stationnement. Mais en août 2010, celles-ci ont disparu du nouveau permis. Entre-temps, deux délibérations proposées par François Lamy et son adjoint, en décembre 2008, ont fait litière des servitudes, et du parking public, et ce pour le même tarif.

L'ancien parking municipal aujourd'huiL'ancien parking municipal aujourd'hui © DR

« Le parking public était purement et simplement supprimé, relève la plainte de Chantebout. Il était procédé, sans aucune contrepartie, à la vente du terrain déclassé et libéré de toute servitude. » Et surtout son prix de vente était inchangé. « En l’espèce, ce dont la commune a été dépouillée par son maire, c’est de la valeur de ses 22 places de stationnement, abandonnées gratuitement à M. Carlier – le propriétaire du terrain. Or dans le voisinage, la commune vend les places de parking dont elle est propriétaire au prix de 10 000 euros l’unité. »

La plainte de Chantebout s’appuie aussi sur les explications de François Lamy et de son délégué à l’urbanisme lors du vote de ces délibérations qui ont tout changé. Les élus soutiennent, en effet, tous les deux que « le projet n’a pas évolué », alors qu’ils font approuver une décision qui « déclasse la parcelle du domaine public », puis une autre qui la cède au prix de 151 000 euros, sans contrepartie. « C’est sans aucune équivoque possible que le maire, rédacteur de ces projets de délibérations, a détourné un bien public de l’objet auquel le conseil municipal et le commissaire enquêteur l’avaient destiné », soutient la plainte.

Un type de fraude « extrêmement rare » dont la jurisprudence administrative ne contient même pas d’exemple, selon l’universitaire. « Grâce à ces manœuvres, un bien public a été attribué à un tiers pour son seul bénéfice personnel », poursuit la plainte. Le permis de construire finalement accordé remplace le parking municipal par un parking privé et une plateforme de déchargement pour l’exploitant du commerce prévu au rez-de-chaussée. Dans un droit de réponse (communiqué à Mediapart vendredi soir) consultable ici, M. Lamy souligne que l'opération étant « malheureusement bloquée par les recours de M.Chantebout, la vente ne s'est pas réalisée et la parcelle est toujours propriété de la ville ».

Le futur bénéficiaire de l’opération, le propriétaire Pierre Carlier, assure de son côté qu’il n’a rien demandé. « Je ne suis pas responsable de cette décision, explique-t-il à Mediapart. Ça s’est passé “à l’insu de mon plein gré”. Les discussions ont eu lieu entre le maire et Logirep. » Depuis, le bailleur social est sorti du jeu, et a été récemment remplacé par un promoteur immobilier. L’ancien parking est désormais entouré de palissades. La mairie en a conservé quelques places, difficiles d’accès, mais elle a supprimé la place handicapée. Celle-là même qu’utilisait Bernard Chantebout.

BOITE NOIRENous avons rencontré M. François Lamy, dans les bureaux du ministère chargé de la ville, mardi 25 mars en fin d'après-midi. Il a néanmoins estimé que notre article "comportait quelques omissions", et il nous a adressé un droit de réponse, vendredi 28, vers 19 heures. Nous reproduisons ce texte dans le Prolonger de l'article.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Municipales : la faillite des sondages

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Avant le premier tour, la ministre socialiste Marie-Arlette Carlotti se voyait déjà apporter Marseille à la gauche, « où vivent de plus en plus de bobos », disait-elle, grâce à sa victoire dans le 3e secteur. Un sondage début mars ne l’avait-il pas annoncé ? Elle a été largement battue. Quant au candidat du PS dans la ville, Patrick Mennucci, il est tombé des nues dimanche 23 mars en découvrant son score. Encore donné à 28 % par un sondage le 19 mars, il a finalement atterri à 20,77 %. Loin derrière l’UMP Jean-Claude Gaudin. Mais aussi derrière le Front national Stéphane Ravier, dont le score fut finalement bien plus élevé que ce que les enquêtes d’opinion lui prédisaient.

À Grenoble, aucun sondage n’avait non plus donné l’écologiste Éric Piolle devant le socialiste Jérôme Safar. Dimanche soir, bien des candidats socialistes, largement shootés aux sondages d’opinion, n'en sont pas revenus de la maigreur de leur score. Si bien qu’un proche de François Hollande se demande si « l’écart croquignolet entre les sondages et les résultats ne remet pas en cause le bien-fondé même de l'exercice ».

Le Dauphiné Libéré, 18 marsLe Dauphiné Libéré, 18 mars

Un recensement des sondages d’avant le premier tour dans une vingtaine de villes significatives, établi par l’Observatoire de la vie politique et parlementaire et le Cercle Colbert, démontre combien le score du PS a en général été largement surestimé, tandis que celui du Front national est quasi systématiquement sous-estimé.

Dans les enquêtes de février et de mars, sur lesquelles s’est fondé l’Observatoire, l’UMP est en général assez bien évalué. Mais le score du PS dans les enquêtes d’opinion est presque toujours bien plus haut que ce qu’il sera finalement : entre + 8 et + 9 à Marseille, + 7 à Amiens, entre + 6 et + 7 à Perpignan, + 6 à Grasse, + 5,5 à Laval, entre + 4 et + 5 à Reims, + 3,7 à Toulouse, + 2,7 à Carpentras, etc.

À l’inverse, le score du FN est très souvent bien en deçà de ce qu’il sera finalement : – 9,3 à Carpentras, entre – 8 et - – 9 pour Robert Ménard à Béziers, entre – 5 et – 6 à Perpignan et Hénin-Beaumont, entre – 3 et – 4 à Strasbourg, entre – 3 et – 6 à Reims, entre – 2,5 et – 5,5 à Avignon, entre – 2,7 et – 4,7 à Cannes, etc. À Grasse, Amiens, Aix-en-Provence, et Bourg-en-Bresse, en revanche, le score du FN est conforme.

lepoint.fr, 9 janvier 2014lepoint.fr, 9 janvier 2014

À ce constat, les sondeurs opposent des arguments connus. Ils disent qu’ils ne sont pas là pour prédire les résultats, mais approcher au plus près la réalité à un instant donné. Ils assurent que la participation est difficile à appréhender car les électeurs se décident au dernier moment – même s’ils avaient plutôt anticipé le record d’abstention observé dimanche 23 mars. Ils font valoir que les municipales sont un scrutin particulièrement compliqué pour eux, car au contraire des présidentielles les échantillons sont trop petits (en général de 500 à 600 personnes, sondées par téléphone).

Par ailleurs, ils admettent toujours avoir un problème à mesurer le Front national. « Malgré la “dédiabolisation”, il reste un vote caché », assure au Monde Frédéric Dabi, de l’Ifop. Ils assurent surtout que, pour l’essentiel, leurs résultats sont situés dans la marge d’erreur, estimée à environ 4 points quand le sondage comporte un échantillon aussi restreint. Et que ce n’est pas de leur faute si les journalistes ne signalent pas cette marge d’erreur qui relativise les données brutes.

Selon l’Observatoire des sondages, site critique qui effectue une veille permanente sur les enquêtes d’opinion, ces arguments ressassés ne lèvent pas un certain nombre de zones d’ombre méthodologiques : par exemple les recettes des instituts pour “redresser” les scores (du FN, par exemple) ou bien le fait de savoir si les sondeurs respectent les quotas permettant d’obtenir le fameux « échantillon représentatif ». Dans Libération, le chercheur Jean-Yves Dormagen pointait lui aussi la faible représentativité des échantillons.

Les sondeurs sont souvent les premiers exposés après une sanction électorale non prévue. Mais en réalité, ils ne sont pas les seuls à blâmer. En période électorale, la litanie des sondages semble constituer la trame narrative de fond de la campagne dans bien des rédactions. Grands consommateurs d’enquêtes d’opinion pendant les campagnes, de nombreux médias (télés, radios, presse écrite, certains sites internet) commentent le moindre point gagné, la moindre inversion de courbes. Alors que ces mouvements n’ont statistiquement aucune réalité et se situent souvent dans la marge d’erreur. Ils n’hésitent pas non plus à commenter (sans l’indiquer) des sondages de second tour, alors même que le premier n’a pas eu lieu. Durant toute l’année, les responsables des instituts sont contactés par les médias pour se faire les exégètes de l’air du temps, indiquer la météo de « ce que pensent les Français ». Le soir des élections, des sondeurs commentent les résultats avec les journalistes. La « surprise » des résultats passée, personne ne s'interroge sur ce qui peut l'expliquer, et rien ne change. Depuis une semaine, les enquêtes d'opinion pour le second tour ont fleuri de plus belle.

Également complices, les politiques eux-mêmes, qui vivent les yeux rivés sur les enquêtes d’opinion, jusqu’à faire de sondeurs leurs proches conseillers politiques. Par une sorte d’auto-intoxication mutuelle, un microcosme finit par se convaincre d’une réalité qui n’est pas forcément étayée. Ce fut typiquement le cas lors de la présidentielle 2002, où la quasi-totalité de l'équipe de campagne de Lionel Jospin ne voulut pas croire en la percée du Front national.

Et ce fut encore le cas cette fois-ci : comment expliquer autrement la genèse de cette incroyable fable du « scrutin avant tout local » qui ne serait pas tant que ça impacté par le désaveu du gouvernement, seriné par le PS et de nombreux sondeurs ces dernières semaines ? Certes, les électeurs dans les porte-à-porte parlaient souvent de problèmes locaux. Et ils considéraient au téléphone que oui, les élections municipales sont bien des élections locales. Mais cela ne voulait pas dire qu’ils n’avaient pas non plus envie d’exprimer leur mécontentement envers la politique du gouvernement.

« Depuis trois mois, les gens ne nous parlaient plus du tout. Cela m'avait mis la puce à l'oreille », dit un député dont la principale ville de la circonscription pourrait passer à droite dimanche 30 mars. Les faits sont têtus : de 1977 à aujourd’hui, les municipales ont presque toujours sanctionné le pouvoir en place.

BOITE NOIREDepuis sa création, Mediapart ne commente ni ne commande aucun sondage.

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A Neuilly, la maison de retraite laisse tomber les vieux

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Guy-Louis Bastien se frappe la poitrine en disant : « C’est ma très grande faute. J’ai jugé que ma mère ne pouvait plus rester seule, isolée dans son appartement à la Défense. Elle avait toute sa tête, mais de plus en plus de difficultés à se déplacer. Mes sœurs n’étaient pas d’accord, mais pour moi, cette maison de retraite, c’était la bonne solution. Ma mère a été séduite par Neuilly-sur-Seine, elle pensait qu’elle y serait bien traitée. » Léone Bastien, 101 ans, est entrée en septembre 2013 à la maison de retraite publique de Neuilly-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, qui accueille 200 résidents sur deux sites (la résidence Roger Teullé et la résidence Soyer). En trois mois, Léone y a chuté trois fois, la dernière fut fatale. La nuit du 30 au 31 décembre, à 23 h 45, elle s’est levée pour aller aux toilettes, s’est pris les pieds dans le seuil à l’entrée de la salle de bains, est tombée, s’est traînée jusqu’au bouton d’alarme, mais personne n’est venu la relever. Elle est restée au sol jusqu’à 6 heures du matin : « Dans le froid, les excréments, le vomi. Cela a été un tel choc ! Elle a fait une pneumonie, elle est morte en trois semaines. Je savais que j’allais la perdre, mais pas comme ça ! »

Guy-Louis Bastien Guy-Louis Bastien © Caroline Coq-Chodorge

Guy-Louis Bastien a porté plainte car la terrible mésaventure de Léone Bastien n’est pas un accident. Le directeur de la maison de retraite, Marc Fernandes, l’admet à demi-mots : « Désormais, nous traçons les appels des malades, et nous contrôlons chaque matin que le personnel de nuit a bien répondu. » Guy-Louis Bastien dit avec des yeux ronds : « On m’a dit que le personnel devait dormir… » Et cette chute n’est pas fortuite. L’établissement a terminé en 2013 de lourds travaux qui l’on endetté, mais qui présentent « des malfaçons, reconnaît le directeur. Ces seuils ne sont pas aux normes. Je suis le premier inquiet pour les personnes âgées. C’est inadmissible dans une maison de retraite. »

Ce directeur tout neuf, qui a pris son poste il y a un peu plus d’un mois, hérite, de l’avis de toutes les parties prenantes, d’années de « laisser-aller » dans la gestion de cette maison de retraite. Croulant sous les courriers de plaintes des familles, il a décidé de mettre à leur disposition… un « registre des doléances ». Il travaille aussi sur « des procédures pérennes ».

Trois autres parents de résidents ont accepté de témoigner, mais de manière anonyme : « Mon mari me dit, ne t’énerve pas trop, cela va me retomber dessus ! » Leurs témoignages sont concordants. Ils décrivent d’autres chutes sur ce seuil de salle de bains. Certaines se sont soldées par des fractures, qui signent presque systématiquement l’entrée dans la grande dépendance – « c’est le début du drame, ma mère est dans un état lamentable, grabataire, malheureuse ». La prise en charge médicale laisse aussi à désirer, affirment les familles : les prescriptions des médecins ne sont pas toujours délivrées – « pendant tout un week-end ma mère a souffert d’une infection urinaire » –, les médicaments sont distribués à des heures très variables – « on l’a réveillée à 23 heures pour lui donner son somnifère ». La toilette quotidienne n’est pas toujours faite, surtout chez les patients les plus lourds – « mon mari, très lourd et grabataire, est lavé une fois par semaine ». Les levers des résidents peuvent être très tardifs et le coucher débute à 16 h 30 : « Pas étonnant qu’il ait des esquarres », ces plaies cutanées profondes, difficiles à guérir, qui surviennent quand les personnes restent trop longuement alitées.

Locaux inadaptés, horaires anarchiques, pertes de repères, manque de soins : il y a là de quoi rédiger un parfait « contre-guide » du maintien de l’autonomie des personnes âgées. Difficile de parler de maltraitance, mais plutôt de négligences, de défaillances dans les soins, d’une désorganisation généralisée. Le personnel est également montré du doigt, parfois durement, par les familles, qui dénoncent de « gros problème de management » mais aussi de l’« incompétence », voire de la « malveillance ». D’autres louent au contraire le « dévouement de quelques femmes et hommes remarquables, qui tiennent cette maison à bout de bras » et fustigent le « mépris social de certains grands bourgeois ».

Lutte des classes à Neuilly-sur-Seine ? « Certaines familles ne nous saluent pas. Elles sont aussi très procédurières : elles s’adressent immédiatement à la direction quand la moindre chose ne va pas, alors qu’elles pourraient nous parler. Et elles doivent comprendre qu’on ne peut satisfaire toutes les demandes des personnes âgées, parfois très exigeantes », se défend Aurélie Lefèvre, déléguée syndicale CFTC. Cela dit, elle reconnaît que « les familles ont souvent raison. Cette maison de retraite va mal. Il y a toujours eu des dysfonctionnements, mais on atteint le summum. On sait que l’établissement est endetté, qu’il faut faire des économies, mais pas sur le personnel. On est parfois deux par étage pour 24 résidents : les petits-déjeuners et les toilettes du matin, on peut les finir à 12 heures, même à 13 heures ; la nuit, il y a deux personnes pour 120 résidents. Beaucoup d’agents de service hôteliers, normalement chargés du ménage, font fonction d’aides-soignantes ».

En plus des « incidents » relatés ici, et d’autres encore, deux événements graves – des suicides – ont secoué en 2011 et 2013 la maison de retraite. Ils ont justifié une inspection de l’Agence régionale de santé, chargée de veiller à la qualité des établissements médico-sociaux. Les deux rapports d’inspection – que Mediapart s’est procurés – sont très sévères. Le premier, rédigé fin 2012, émet dix-neuf injonctions. Dix-huit sont maintenues après une phase contradictoire, faute d’argumentation « sur le fond ». Celle-ci suggère « une responsabilisation de la direction qui doit s’interroger sur son mode de management de l’établissement et sur la mise en œuvre de la réglementation », notamment les procédures de sécurité. Nouveau suicide début 2013 et nouvelle inspection : l’ARS constate que ses recommandations ont « très peu, voire pas du tout, été suivies d’effet ». Et pour cause, l'homme a tenté de se suicider quelques semaines plus tôt, et cette tentative « n'a pas été prise en compte », a même été « banalisée », constate l’ARS. Elle prend donc acte de « l’incapacité de la directrice à impulser une prise en charge de qualité et à garantir la santé, la sécurité, l’intégrité ou le bien-être physique et moral des usagers ». Ça tombe bien, la directrice part à la retraite au printemps 2013.

Mais il faudra onze mois à l’administration pour lui trouver un remplaçant ! Onze mois au cours desquels la situation s’est encore dégradée, selon la syndicaliste CFTC : « Nous ne sommes pas encadrés. Il n’y a plus de motivation, beaucoup d’absentéisme. » « Cela a pris un peu de temps, on ne remplace pas un directeur comme ça, se défend Annick Gelliot, directrice territoriale dans les Hauts-de-Seine de l’ARS. L’établissement présente des dysfonctionnements, c’est vrai, mais la situation devrait s’arranger avec le nouveau directeur. » L’agence n’est pas ici seule en cause : la nomination d’un directeur, qui appartient comme le reste du personnel à la Fonction publique hospitalière, dépend du Centre national de gestion, sous la tutelle directe du ministère de la santé.

Il y a beaucoup de monde au chevet de cette maison de retraite chancelante : l’ARS, mais aussi le conseil général, tutelle financière (qui ne nous pas accordé d’interview malgré de multiples relances), et la mairie, qui préside le conseil d’administration. L’image de la ville la plus riche de France, qui compte 25 % de plus de 65 ans, est ternie : « De la part de Neuilly, c’est inadmissible », enrage un de ses habitants, fils d’une résidente.

La mairie a un droit de regard et un « devoir d’alerte », admet Jean-Christophe Fromantin, le maire de Neuilly (réélu dès le premier tour). « Je l’ai activé dès mon arrivée à la mairie en 2008, mon prédécesseur l’avait fait avant moi. Nous avons reçu les familles, participé au financement des travaux. Mais le contrôle et la gestion des maisons de retraite, c’est le métier de l’ARS et du conseil général. Je suis en première ligne dans cette affaire, mais j’ai zéro pouvoir. Et je suis confronté à une fragmentation du système de décision, c’est très frustrant. Cette gouvernance manque de transparence, de contrôles. »

Pour les familles, c’est d’autant plus inacceptable que l’hébergement de leur proche représente un effort financier important. La retraite de Léone Bastien – 1 400 euros par mois – ne suffisait pas à couvrir le coût de la maison de retraite, qui approchait les 3 000 euros mensuels. Publique, cette maison de retraite est l’une des moins chères du département. Elle est éligible à l’aide sociale, dont bénéficient 40 % des résidents, ceux dont les ressources associées à celles de leurs conjoints et enfants sont insuffisantes pour couvrir le coût de la maison de retraite. Il est alors pris en charge par le département, qui peut ponctionner presque tous les revenus du résident, et même se rembourser sur la succession. Dans les maisons de retraite privées des Hauts-de-Seine, plus rarement éligibles à l’aide sociale, le coût mensuel est de 4 000 à 5 000 euros mensuels. Si le Conseil général affirme que l’offre de places est supérieure à la demande, cet habitant de Neuilly, qui cherche à exfiltrer sa mère de l'établissement public, assure que « dans les maisons de retraite publiques aux alentours, il y a 18 mois d’attente ».

Un projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement sera bientôt discuté au Parlement. Il prévoit 650 millions d’euros supplémentaire pour la prise en charge des personnes âgées à leur domicile (revalorisation de l’Allocation personnalisée d’autonomie, aménagement des logements, etc.). L’amélioration de la prise en charge en établissements sera abordée dans un second temps, « pas avant 2015 », regrette Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Il rappelle que les établissements français souffrent d’un « manque de personnel : nous avons 0,55 personnel par résident, contre 0,8 en moyenne en Europe ».

Guy-Louis Bastien, 70 ans, sort meurtri de cette expérience, inquiet pour ces vieux jours et sur l’état de santé de la société : « On ne sait pas gérer le vieillissement. Avant, les générations vivaient près les unes des autres. Aujourd’hui, on vit de plus en plus vieux, mais les familles sont éclatées : mes deux enfants sont partis à l’étranger. On n'a pas le droit de laisser nos vieux comme ça, ce n’est pas digne d’un pays démocratique. »

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Emploi fictif : un élu PS de Strasbourg a fait rémunérer sa compagne par le groupe Suez

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Il est rare que les bénéficiaires d'emplois fictifs aillent voir d'eux-mêmes la justice. C'est le choix qu'a fait Natasha P., ancienne compagne d'un élu de Strasbourg, qui vient de signaler au procureur de la République « des faits susceptibles de revêtir la qualification pénale d'abus de confiance » et « de prise illégale d'intérêts », d’après un courrier du 17 mars que Mediapart a pu consulter.

Documents à l'appui, elle accuse le socialiste Christian Spiry, conseiller municipal délégué à la précarité et membre de la commission d'appel d'offres de la ville (chargée des marchés publics), de l'avoir casée chez Suez environnement en 2010-2011, alors que le groupe venait de remporter un contrat à 98 millions d'euros pour l'exploitation de la station d'épuration de la communauté urbaine de Strasbourg. « J’ai signé un contrat de consultante extérieure mais c’était un emploi fictif », confie aujourd’hui Natasha P., qui a touché 38 000 euros au minimum. En échange de quoi le groupe Suez aurait-il pu rendre un tel service ?

L’avocat de Natasha P., Paul-Henri Schach, réclame non seulement l’ouverture d’une enquête mais aussi son dépaysement « hors de l'agglomération strasbourgeoise ». Il faut dire que Christian Spiry, de nouveau candidat aux municipales sur la liste du maire sortant Roland Ries, est secrétaire de section PS à Strasbourg et membre de l'association de financement de la fédération socialiste du Bas-Rhin. Sollicité par Mediapart, le parquet a fait savoir qu’il étudiait le courrier.

Christian Spiry, élu socialiste de StrasbourgChristian Spiry, élu socialiste de Strasbourg © I-télé

À écouter Natasha P., les faits sont simples. En 2010, alors qu’elle entretient une relation avec le socialiste et occupe un emploi précaire à la CUS (communauté urbaine de Strasbourg), elle apprend que son contrat n’est pas renouvelé. Christian Spiry se démène pour la recaser au sein de la collectivité, sans succès. Au cours d’un rendez-vous au Hilton, il finit par la présenter au directeur développement du groupe Suez, Vincent Reina, un ancien lieutenant de Jean Tiberi (l’ex-maire de Paris condamné en appel dans l'affaire des “faux-électeurs”, désormais pendante devant la Cour de cassation).

« Fais-toi belle ! » lui conseille Christian Spiry. Sur son CV, la jeune femme fait valoir un BTS d’action commerciale ou des CDD à la ville comme « agent d’accueil », mais aucune expérience de consultante, encore moins dans le secteur des déchets.

À en croire Natasha P., cette entrevue se déroule « en mai 2010 », juste avant l’attribution au groupe Suez du marché de la station d’épuration strasbourgeoise – elle a été votée le 25 juin 2010 par les élus de la CUS (dont Christian Spiry), sous la forme d’une « délégation de service public ». De son côté, le conseiller socialiste jure que le rendez-vous au Hilton, « de mémoire », date « plutôt de l’automne 2010 ».

Quoi qu’il en soit, Natasha P. finit par signer un contrat avec Suez en janvier 2011, qui fixe les termes de sa mission : « Rechercher systématiquement et le plus en amont possible toutes les informations légalement disponibles sur les projets des maîtres d’ouvrage et en particulier toutes informations à l’acte de construire ou exploiter toute information légalement disponible présentant un intérêt pour l’activité de l’entreprise. » C’est alambiqué, mais il suffit d’adresser une facture à Suez tous les trois mois pour toucher 9 000 euros. Évidemment, « le consultant s’interdit de faire quelque déclaration que ce soit auprès de tiers relative à la mission », prévient la convention.

« Après la signature, j’attends qu’on me demande quelque chose, rapporte l’ex-compagne de Christian Spiry. Je guette le courrier, rien ne vient. Quand j’appelle au siège de Suez pour savoir ce que je dois faire, je n’obtiens pas de réponse. »

À l’époque, Christian Spiry se charge de déclarer sa compagne comme « auto-entrepreneuse », d’expédier les factures à Suez, de relancer quand l’argent ne tombe pas. Rapidement, le conseiller municipal réclame davantage à Vincent Reina : « Qu’en est-il du projet de création de poste (en interne, ndlr) ?  lui écrit-il à l’été 2011. Avez-vous des nouvelles ? Cela devient stressant pour ma compagne. Ne me dites pas qu’il est impossible de créer un poste administratif dans cette grande maison. Je réitère ma demande. »

L’élu fera chou blanc et le contrat de consulting ne sera pas reconduit en 2012. Mais d’après les relevés bancaires de Natasha P., 38 000 euros ont bien été versés à la jeune femme au fil de l’année 2011. Bizarrement, 18 000 euros semblent même avoir été déboursés par Suez dès l’année 2010, avant que la jeune femme ait signé sa convention, d’après un document fiscal consulté par Mediapart.

Trois ans plus tard, après leur séparation, Natasha P. va jusqu’à déclarer qu’elle reversait une partie de ses émoluments à son ex-compagnon, sans avancer de preuve à ce stade. Une assertion que ce dernier dément catégoriquement : « C’est moi qui assurais son train de vie, réplique-t-il. Certainement pas l’inverse ! Je n’ai pas touché un centime ! » Christian Spiry a de son côté déposé plainte pour vol de quelques chèques et de mobilier.

La station d'épuration de Strasbourg, exploitée par deux filiales de SuezLa station d'épuration de Strasbourg, exploitée par deux filiales de Suez © DR

Quand on l’interroge sur le caractère fictif de l’emploi occupé par Natasha P., il botte en touche. « Je ne sais pas ce qu’elle a fait, s'agace l’élu. C’est elle qui a signé le contrat, pas moi. » L’a-t-il vue travailler, seulement une fois ? « Nous ne vivions pas ensemble. »

Le socialiste reconnaît tout juste avoir « servi d’intermédiaire avec Vincent Reina », « mais je ne l’ai pas "fait embaucher", comme vous dites. Celui qui embauche, c’est l’employeur ! » Et d’ajouter : « Des démarches, j’en ai fait pour des dizaines de personnes, c’est mon quotidien d’élu. On fait des demandes, on fait des pressions, on ne va pas envoyer chier les gens ! Pourquoi imaginer des Cahuzac ou des Copé derrière chaque élu ? Vous voyez le mal partout. »

Pour sa défense, Christian Spiry, membre de la commission d’appel d’offres de la ville, affirme surtout n’avoir joué aucun rôle décisif dans l’attribution à Suez du marché relatif à la station d’épuration. « Pour une délégation de service public, ce n’est pas ma commission qui choisit l’entreprise. La procédure, c’est que le président de la communauté urbaine de Strasbourg (le socialiste Jacques Bigot, ndlr) mène les discussions. » Avec l’aide de ses services administratifs, ce dernier a bien rendu un rapport qui plaçait Suez en tête des candidatures – l’opacité du processus a toutefois été critiquée par des élus d’opposition (voir les réactions du groupe UMP ici). « Je n’ai rien à voir avec la décision, répète Christian Spiry. (Le groupe Suez) proposait le meilleur prix et les meilleures prestations. »

Le parquet de Strasbourg ne manquera pas de vérifier ce point, s’il enclenche des investigations. A minima, Christian Spiry n’a-t-il pas tiré avantage de son mandat d’élu, de son influence réelle ou supposée en matière de marchés publics ? Et ne s’est-il pas mis en situation d’être redevable vis-à-vis d’une entreprise prestataire de la ville ? Outre la station d’épuration, Suez a également signé en septembre 2010 une convention de mécénat avec la municipalité, pour 70 000 euros par an.

Sollicité par Mediapart, le groupe se garde pour l'instant de tout commentaire. « On va laisser (Natasha P.) s'exprimer et aller au bout de cette affaire, nous attendons de voir ce qu'en dira la justice », déclare un responsable de la communication de Suez.

De son côté, Vincent Reina, « actuellement en vacances à l’étranger », a la mémoire qui flanche. Il nie le caractère fictif du contrat signé avec Natasha P., concédant seulement l’avoir « rompu faute de résultats, parce que c’était totalement non productif ». Mais dans le même temps, il admet n’avoir aucun « souvenir de ce qu’elle a fait précisément » pendant un an.

À vrai dire, il n’a pas non plus de « souvenir précis » que sa consultante lui ait été présentée par Christian Spiry. Et quand on l’interroge sur les raisons de cette embauche, il louvoie : « Elle était en recherche d’emploi… Il peut y avoir des personnes qui sont sans emploi et qui peuvent mériter l’attention parce qu’humainement elles peuvent présenter des capacités qui montrent qu’elles ne sont pas si bêtes. » De toutes façons, balaye Vincent Reina, « ça n’a aucun rapport » avec le marché de la station d’épuration. 

Une fois ce dernier attribué, Christian Spiry avait été chargé, comme délégué à la précarité, de suivre l'un des volets du contrat baptisé “opération Sapins” : le groupe Suez s'est engagé à faire pousser des arbres sur les boues d'épuration pour les offrir à Noël à des familles déshéritées. « Une idée à moi ! » se félicite Christian Spiry, sans rire.

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Bruno Le Maire : « On est dans une démocratie à bout de souffle »

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Pendant un an, il est parti à la rencontre de ces Français qui se sentent « délaissés, abandonnés, méprisés, négligés ». De ce tour de France politique, le député UMP de l’Eure Bruno Le Maire a tiré un amer constat : il existe, « dans beaucoup de coins du territoire, une exaspération légitime » à laquelle la droite n’a pas su répondre. D’où, selon lui, les résultats enregistrés par le Front national au premier tour des municipales. Au nom de la « rénovation démocratique » et du non-cumul des mandats qu’il défend, il se présente aujourd’hui en dernière position de la liste de Guy Lefrand, à Évreux.

Dans un entretien à Mediapart, l’ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin (2002-2007) expose les grandes lignes du « chemin de la reconquête » de l’UMP : des victoires locales, des primaires en 2016, des débats ouverts à la société civile pour débattre « sur le fond des idées » et non « sur les personnes ». Le tout, en veillant à garder un « esprit collectif ». « Le chemin sera encore long avant de retrouver de la crédibilité aux yeux des Français », reconnaît-il.

S’il prône un renouveau de la vie politique française, l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy n’entend demander « de comptes à personne ». Pour lui, la multiplication des affaires visant l’ancien président de la République et son entourage relève de la justice et de la justice seule. Pour autant, et contrairement à bon nombre d’autres responsables UMP, il « ne demande pas de traitement de faveur pour Nicolas Sarkozy ». « En démocratie, chacun est un justiciable comme un autre. »

Jean-François Copé a refusé l’appel au Front républicain lancé par le PS pour battre le Front national au second tour des municipales. Soutenez-vous cette ligne ?

Bruno Le Maire. Je suis totalement d’accord avec la ligne de l’UMP qui, aujourd’hui, rassemble tout le monde. Je ne vous dis pas que ce sont des choses qui se décident comme ça, en cinq minutes. Si on estime qu’un parti ne peut pas rentrer dans le jeu républicain, ce parti a vocation à être dissous. Mais si on admet que tous les partis qui sont aujourd’hui sur l’échiquier politique français respectent les règles de la démocratie, alors on combat le Front national par les armes républicaines que sont les idées et les convictions.

Je préfère voir le FN accéder à quelques mairies et apporter la preuve que ses propositions ne sont pas des solutions pour les Français. Le Front national municipal sera un échec. Il n’a pas marché dans le passé, il ne marchera pas dans l’avenir.

Le Front républicain, c’est la morale à la place de la démocratie et de la politique. C’est dire que le Front national ne respecte pas les règles du jeu démocratique et donc qu’il n’est pas possible de lui laisser gagner une municipalité. Moi, je ne raisonne pas comme ça. Je combats le Front national, c’est mon adversaire, je ne voterai jamais pour lui. Mais c’est un parti qui est inscrit dans le jeu républicain.

Il n’y a rien de moins efficace que le Front républicain. Je pense même qu’il obtient des résultats inverses que ceux escomptés. Il nourrit l’idée que les solutions socialistes et les solutions UMP sont les mêmes. La démocratie, c’est la différence. Le premier responsable de la montée du Front national, c’est le Parti socialiste. Le FN est la planche de salut d’un PS en pleine déconfiture. Leur incapacité à endiguer le chômage, à répondre aux problèmes de sécurité, à avoir une politique en matière d’intégration qui soit efficace, fait le jeu du Front national.

Bruno Le Maire, le 25 mars à Paris.Bruno Le Maire, le 25 mars à Paris. © ES

Cette montée du Front national ne tient-elle pas aussi à la droitisation de l’UMP ? Au glissement de la droite républicaine vers la « droite décomplexée » de Jean-François Copé ?

La question n’est pas celle de la « droite décomplexée », mais celle de l’échec des élus : quelle prise avons-nous sur la réalité ? Voilà ce que disent les gens qui votent Front national : « Vous faites de beaux discours, vous discutez, mais vous ne changez pas notre réalité. Comment est-ce que vous faites lorsque vous êtes dans un quartier difficile, où cinq gamins perturbent la vie de tout le monde, volent la moto du voisin, cassent les carreaux, volent la dame qui vient de tirer ses billets au distributeur automatique ? »

La réponse que nous avons apportée à droite n’était pas la bonne, reconnaissons-le. Nous avons durci des textes, mais ça n’a pas suffisamment changé le quotidien des gens. Sur la récidive, par exemple, la vraie clef est d’améliorer le fonctionnement de la chaîne pénale pour qu’un jeune qui a commis un délit puisse être jugé dans les deux mois qui suivent son arrestation et sanctionné immédiatement.

Je ne supporte plus les leçons de morale données par les socialistes, alors que c’est leur incapacité à régler les problèmes des plus modestes qui nourrit le Front national. Je les en rends directement responsables. À l’UMP, nous sommes d’une clarté totale. Il n’y a pas de vote, il n’y a pas d’accord, il n’y a pas de discussion avec le FN.

Même quand François Fillon affirme en octobre 2013 que les électeurs pourraient voter pour un candidat du FN aux élections municipales, à condition qu’il soit « le moins sectaire » ?

Chacun est libre de ses propos. Le vrai débat, c’est comment nous améliorons la chaîne pénale, l’intégration, l’emploi, les perspectives pour les jeunes. Quand vous voyez ce qu’était la ville de Forbach il y a vingt ans… Aujourd’hui, toutes les houillères ont fermé, il n’y a plus d’emplois, plus de possibilité pour les enfants de réussir. Il y a une immigration massive, liée à la demande de droit d’asile, qui aboutit à ce qu’on loge aux frais de l’État un certain nombre de demandeurs d’asile, notamment du Kosovo, avec de véritables filières, parfois mafieuses.

Que propose-t-on aux habitants de Forbach ? Les représentants du Front national apportent des réponses qui sont évidemment trop simplistes. Mais les citoyens ont été déçus. La droite n’a pas fait la politique qu’ils attendaient. Ils essaient maintenant la gauche et c’est calamiteux. François Hollande a cassé la France. Je n’ai jamais vu mon pays dans cet état, jamais. Alors certains veulent essayer le Front national.

Peut-on considérer que la droite d’aujourd’hui vote FN ?

Non ! Absolument pas ! Il y a énormément d’électeurs de gauche qui votent Front national. C’est pour ça que je refuse catégoriquement qu’on fasse le moindre procès à ma famille politique sur le sujet. Forbach et Hénin-Beaumont, c’est la gauche. Pourquoi le FN y fait-il des scores si importants ? Il est fort parce que nos solutions étaient trop faibles, notre capacité à écouter les électeurs, pas assez importante.

Alain Juppé vient d’être réélu triomphalement à Bordeaux. Est-il devenu incontournable pour 2017 ?

C’est une victoire magnifique et méritée. Alain Juppé n’avait absolument pas besoin d’une victoire municipale à Bordeaux pour jouer un rôle national. Il faut que nous puissions utiliser la diversité des talents à droite dès le lendemain du second tour. Alain Juppé fait évidemment partie de ces talents, comme Xavier Bertrand ou Nathalie Kosciusko-Morizet. Ne nous précipitons pas à vouloir définir un grand chef qui prendrait le pas sur tout le monde.

Notre responsable pour la prochaine élection présidentielle sera choisi par les primaires, qui ont été voulues par 95 % des militants de l’UMP. Ne sortons pas de ce cadre-là. Ces municipales prouvent que nous pouvons gagner des victoires électorales avec un parti bien organisé et un esprit collectif. Notre chemin de reconquête est clairement tracé.

Par quoi passera ce « chemin de reconquête » ?

D’abord par des victoires aux élections municipales. C’est évidemment la clef et il faut se battre jusqu’à dimanche, parce que la reconquête nationale passera par la reconquête locale. Ensuite, il y aura un certain nombre d’autres rendez-vous électoraux (européennes, régionales, sénatoriales) que nous devrons gagner. Il faut bien que nous comprenions que subsiste, dans beaucoup de coins du territoire, une exaspération légitime à laquelle nous n’avons pas répondu. Une partie des Français se sent délaissée, abandonnée, méprisée, négligée.

Vous estimez donc que la droite gouvernementale a mené jusque-là une mauvaise politique ?

Je dis surtout que la vraie réponse au Front national, c’est d’être capable de regarder les difficultés des gens et d’y apporter des réponses très concrètes. La politique doit reprendre ses droits sur la réalité.

Les responsables politiques doivent être capables de se remettre en cause. La vie politique fonctionne comme une caste. Elle n’est pas capable de se renouveler. J’ai fait un certain nombre de propositions et je pense qu’elles sont aujourd’hui indispensables pour redonner un peu de dignité à la démocratie française.

Ça passe par le non-cumul des mandats, la réduction du nombre d’élus locaux et de parlementaires, l’obligation de démission des hauts fonctionnaires quand ils font de la politique. Pour que nous retrouvions un peu de respectabilité. Respectabilité pour les politiques, efficacité dans le fonctionnement démocratique et écoute des gens. Avec tout ça, on pourra faire baisser le Front national.

Vous êtes favorable au non-cumul des mandats et pourtant, vous avez voté contre la loi.

La politique a besoin d’actes. Tous ces élus socialistes qui ont voté comme un seul homme le non-cumul des mandats et qui se présentent aujourd’hui en tête de liste, c’est incompréhensible pour les gens. Moi, j’ai fait un choix différent : j’ai commencé par me l’appliquer à moi-même à Évreux.

Je n’ai pas voté le non-cumul parce que j’estime que cette loi est totalement insuffisante, qu’il faut aller beaucoup plus loin. Mon geste concret, c’est d’avoir déposé une proposition de loi complète.

Un an et demi après sa crise interne, l’UMP n’a toujours pas réussi à se relever. Ne désespérez-vous pas qu’elle y parvienne un jour ?

Nous avons bien progressé à ces élections municipales. Maintenant, il faut confirmer l’essai au second tour. Au-delà des succès d’Alain Juppé et de Jean-Claude Gaudin, je voudrais signaler les scores exceptionnels qui ont été faits par des jeunes de droite. Robin Réda à Juvisy, 22 ans, élu au premier tour dans une ville qui est à gauche depuis 60 ans, chapeau ! Alexandre Rassaërt, 40 % à Gisors, ville communiste depuis 37 ans. Michel Havard, qui met le maire de Lyon – soi-disant le meilleur maire de France – en ballottage pour la première fois.

Mais sur le plan national, le succès n'est pas si flagrant. Pourquoi l’UMP n’a-t-elle pas davantage bénéficié du recul du PS aux municipales ?

Il faut être lucide sur la situation de la droite en 2012. On n’a jamais été aussi faible depuis 1958. Interpréter la défaite de Nicolas Sarkozy comme le rejet d’un homme est une erreur d’analyse complète. C’est le point d’aboutissement d’un reflux de la droite, qui est engagé depuis des années et qui a commencé par les élections locales. On a perdu les villes, puis les départements, puis quasiment toutes les régions, et au bout du compte, nous avons perdu le Sénat.

Du coup, on a perdu les législatives et la présidentielle. 2012, année zéro. Tous ceux qui pensent qu’on va reconquérir le pouvoir du jour au lendemain, simplement parce que la gauche est nulle, se trompent. La nullité de la gauche profite à ceux qui n’ont jamais occupé le pouvoir et qui tiennent des propos simplistes : le Front national.

Notre reconquête sera forcément lente et difficile. Mais je suis plutôt satisfait par les résultats municipaux, parce que c’est la preuve qu’on commence à reprendre du terrain. Nous devons être capables d’avoir des idées radicalement nouvelles.

Vous faites de l’autorité l’un de vos principes forts. Or, depuis la guerre Copé/Fillon, les voix de l’UMP n’en finissent pas de dissoner. N’est-ce pas là la marque d’une crise d’autorité au sein de votre propre parti ?

La guerre des chefs a été un désastre dont nous mettons du temps à nous relever. Il faut que nous en tirions les conséquences pour nous dire que, désormais, personne ne peut prendre le moindre risque d’une nouvelle guerre des chefs.

L’autorité, ce n’est pas le culte du chef, ni celui des ordres, ni celui de quelqu’un qui va diriger tout le monde à la place des autres. L’autorité, c’est le respect, la dignité, l’exemplarité, le bon comportement. Le chemin sera encore long avant de retrouver de la crédibilité aux yeux des Français. La meilleure façon d’y parvenir, c’est de débattre sur le fond des idées, pas sur les personnes.

Mais lorsque l’UMP tente de débattre sur le fond des idées, comme ce fut le cas lors de la préparation de votre projet d’alternance, là encore, les critiques internes pleuvent.

Je souhaite que nous soyons tous moins critiques les uns vis-à-vis des autres et plus soucieux d’apporter des propositions. Il est beaucoup trop tôt pour présenter un vrai projet politique, mais il nous faut évidemment commencer à avancer des idées.

Les questions de société ont révélé de nouveaux désaccords profonds entre les différentes sensibilités de votre parti. Elles ont été écartées du projet d’alternance. L’UMP ne doit-elle pas prendre le temps de discuter de ces sujets ?

Il faut évidemment parler des sujets de société, mais il faut le faire calmement, en écoutant les uns et les autres et en faisant des propositions. Nous aurons forcément des différences sur ces sujets-là mais ce n’est pas la peine de s’invectiver ou de se critiquer.

J’ai pris, sur le mariage pour tous, une position minoritaire dans ma famille politique. Je l’assume totalement. Je pense que le mariage, et tout ce qui peut renforcer la stabilité des couples homosexuels, est une bonne chose. Je continue à défendre cette idée-là. En même temps, j’y mets une ligne rouge très claire : je suis opposé à la PMA, à la GPA et à tout ce qui donne l’impression que les enfants sont un droit.

Ne regrettez-vous pas qu’à droite, les questions de société soient aujourd’hui réduites à des caricatures telles que l’épisode du « Tous à poil ! » ?

Je regrette les polémiques sur ces sujets parce que j’estime que ce sont des sujets importants, même s’ils ne sont pas prioritaires. Pour moi, le sujet prioritaire, c’est l’emploi. Quant aux sujets de société, ce n’est pas entre nous qu’il faut en débattre, mais avec les Français. C’est ce que doit comprendre notre famille politique. Prenons le sujet de la fin de vie, un sujet douloureux que j’ai connu personnellement avec mon père. Est-ce qu’on accélère les choses ? Est-ce que le texte de Jean Leonetti est suffisant ? Est-ce qu’on rend les directives de fin de vie obligatoires, pour qu’on ne se retrouve pas dans le drame qu’on vient de connaître avec la famille Humbert ? Il faut permettre au plus grand nombre de Français de mourir dans la dignité, en ayant accès beaucoup plus largement à des unités de soins palliatifs.

Nombreux sont ceux, à l’UMP, à considérer Nicolas Sarkozy comme leur leader naturel.

Je doute que Nicolas Sarkozy se présente comme cela. Je crois au leader, je pense qu’on a besoin de quelqu’un pour pousser le pays, pour l’incarner. Mais ce leader, il sera choisi par les Français.

Les affaires se sont multipliées à droite au cours des dernières semaines, mettant en difficulté votre famille politique et faisant resurgir ses querelles internes. N’est-il pas temps d’opérer un grand ménage au sein de l’UMP, comme certains le réclament déjà dans vos propres rangs ?

Non. Respectons le fonctionnement démocratique. Je fais totalement confiance à la justice française pour déterminer ce qui est condamnable et ce qui ne l’est pas. Si, à un moment donné, quoi que ce soit est condamné par la justice, dans ce cas-là, on en tirera les conséquences politiques.

Vous ne demanderez donc pas de comptes à Jean-François Copé au sujet de l’affaire Bygmalion, comme François Fillon souhaite le faire à l’issue des municipales ?

Je ne demande de comptes à personne. C’est à la justice d’établir la vérité des faits.

Vous avez déclaré que Nicolas Sarkozy « (était) et sera toujours un atout pour (votre) famille politique ». Or, jamais sous la Ve République, un système présidentiel n’avait été autant cerné par les affaires. Est-ce vraiment là un atout pour l’UMP ?

Nicolas Sarkozy reste un atout pour l’UMP. Ce que je souhaite, c’est que la justice puisse travailler dans la sérénité. Je suis profondément choqué par cette justice faite en direct, aux yeux de tous, sans respect du secret de l’instruction.

J’ai réagi sur la tribune de Nicolas Sarkozy en disant que je comprenais son indignation et sa colère parce qu’il a droit au secret de l’instruction. Je ne demande pas de traitement de faveur pour Nicolas Sarkozy. En démocratie, chacun est un justiciable comme un autre et je ne fais aucun procès aux juges. Je dis juste que cette procédure doit se dérouler dans le secret et le silence, pour remettre de la sérénité dans le débat public.

Je suis profondément choqué de la manière dont réagit le pouvoir en place, des mensonges de Madame Taubira, de la lâcheté de François Hollande qui est responsable et garant de l’indépendance de la justice, et qui devrait, à ce titre, réagir.

Les affaires Sarkozy sur lesquelles enquêtent les juges ne vous semblent-elles pas plus importantes que le simple fait de savoir si le gouvernement était au courant des écoutes un 26 février ou un 7 mars ?

Je ne suis pas d’accord avec cela. Ce qui décrédibilise la vie politique, c’est que tout ce qui devrait être secret est sur la place publique. Le garant de la sérénité et du fonctionnement de la justice, c’est le président de la République. Or sur ce sujet, comme sur tous les autres, François Hollande est en situation d’échec complet. Il n’assume pas ses responsabilités. Il n’y a plus de chef de l’État, c’est bien là le drame.

Vous avez la sensation que Nicolas Sarkozy garantissait la sérénité de la justice lorsqu’il était au pouvoir ?

C’est un autre sujet. Les propos que Nicolas Sarkozy a pu tenir sur les juges, ce ne sont pas les miens. C’est la même chose pour le “mur des cons” du syndicat de la magistrature. Quand je vous dis qu’il est indispensable que notre vie publique retrouve de la dignité, ça concerne tout le monde.

Vous prônez une rénovation démocratique. Doit-elle passer par une révision profonde de nos institutions ?

L’urgence n’est pas dans les institutions elles-mêmes, mais dans le fonctionnement politique que nous avons dans le cadre de ces institutions. Est-ce qu’on peut garder 577 députés ? Il y a urgence à les ramener à 400. Est-ce qu’on peut garder un fonctionnement parlementaire comme celui qui existe aujourd’hui ? Non. Est-ce qu’on peut garder autant d’élus locaux ? Il est urgent de diviser par deux leur nombre.

Est-ce qu’on peut garder la structure administrative qui existe aujourd’hui avec les départements, les régions, les communes, les intercommunalités ? Impossible. Il faut fusionner les départements et les régions, ramener le nombre de régions à une dizaine pour avoir des régions qui soient de la taille des régions européennes. Est-ce qu’on peut garder cette confusion scandaleuse dans une République entre la fonction publique et la politique ? La clef de la fonction publique, c’est l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Je demande que tous les hauts fonctionnaires démissionnent de la fonction publique quand ils deviennent députés ou sénateurs.

Je rappelle d’ailleurs qu’en Grande-Bretagne, si vous voulez entrer à la chambre des communes et que vous êtes membre de la haute fonction publique britannique, vous devez démissionner avant de vous présenter.

Comment définiriez-vous cette rénovation démocratique ?

La rénovation démocratique, c’est imposer des règles aux responsables politiques pour avoir un fonctionnement qui soit plus digne. Remettre de la dignité dans le débat politique avec ce que j’ai déjà proposé. Le non-cumul des mandats, bien sûr, mais aussi la limitation à trois du nombre de mandats nationaux successifs. Les jeunes ont envie de s’engager en politique, ils ont soif de politique. Ce n’est pas vrai qu’ils en sont dégoûtés, ils voudraient simplement en faire eux-mêmes, mais ils en sont privés. Limitez dans la durée le nombre de mandats et interdisez le cumul, vous verrez tout d’un coup la place que cela fera aux jeunes !

Ensuite, effectivement, on pourra réfléchir à la question des institutions. Le rôle du premier ministre, l’équilibre entre le pouvoir parlementaire et le pouvoir exécutif, les prérogatives du président de la République... On est dans une démocratie à bout de souffle, dont le fonctionnement ressemble étrangement et scandaleusement à celui d’une monarchie.

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu le mardi 25 mars. Bruno Le Maire a souhaité le relire, comme c'est le cas de l'écrasante majorité des responsables politiques. Le texte a été amendé par ses conseillers, notamment la partie concernant le leader de l'UMP.

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Urbanisme à Saint-Tropez: la justice à la recherche d’un mystérieux carnet

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Comme l’a révélé Mediapart, le parquet de Draguignan a ouvert fin janvier 2014 une information judiciaire pour trafic d’influence et recel suite à la plainte d’un propriétaire tropézien, Benno Feingold, victime d’un curieux transfert dans les années 1990 de ses droits à construire vers la propriété de son voisin, René Château. Le célèbre éditeur vidéo du cinéma français des années 1960 à 1980 était alors très en cour avec les maires de l’époque : Jean-Michel Couve (maire de 1983 à 1989, puis de 1993 à 2008 et aujourd'hui député du Var) et Alain Spada (maire de 1989 à 1993 et aujourd'hui conseiller général). Deux ennemis jurés dont la rivalité a secoué la vie du célèbre village et qui briguent aujourd’hui la mairie de Saint-Tropez sur des listes concurrentes face au maire sortant Jean-Pierre Tuveri (DVD). 

Ce n’est pas la première fois que le parquet de Draguignan est alerté sur des dysfonctionnements au sein du service de l'urbanisme de Saint-Tropez sous les différentes mandatures de Jean-Michel Couve. 

Le maire RPR avait créé lors de son premier mandat des « taches blanches », ouvrant la voie au bétonnage des espaces boisés classés au mépris de la loi Littoral (entrée en vigueur en janvier 1986). « Nous avons considéré, avec les membres de mon équipe, que sur les terrains de plus d'un ou deux hectares, je ne me souviens plus, il y avait la possibilité de réaliser ce que l'on appelle une tache blanche, c'est-à-dire de construire une maison afin que les terrains en question soient entretenus et donc protégés des incendies », justifie Jean-Michel Couve, dans un documentaire réalisé par Stéphane Bentura, diffusé le 3 septembre 2013 sur France 2. Le premier plan d’occupation des sols (POS) de Saint-Tropez, adopté en février 1987, comptait une trentaine de ces « taches blanches ». Curieusement, la préfecture du Var de l’époque, censée exercer un contrôle de légalité, n’a jamais tenté d’invalider ces incartades à la loi Littoral. Et la justice varoise ne s’est pas plus penchée sur le sujet.

Le 6 janvier 1994, Gérard Moulet, adjoint à l’urbanisme de Jean-Michel Couve de 1986 à 1989, envoie pourtant un courrier au président du tribunal correctionnel et au procureur de la République de Draguignan. Il écrit avoir « assisté à un grand nombre d’irrégularités voulues par Monsieur Couve, député-maire » et fait part d’une intervention du maire sur un dossier précis, celui de l’hôtel de luxe de La Messardière. La presse s’en fait écho, mais « Monsieur Moulet n’a jamais été entendu », indique Alain Spada, l'éphémère successeur de Couve à la mairie. De nombreux témoins se souviennent encore du temps où Gérard Moulet se répandait dans Saint-Tropez en affirmant qu'il allait « tout révéler ». Mais l’ex-adjoint à l’urbanisme effectue aujourd’hui un beau rétropédalage. « Cette lettre avait été faite sous la contrainte à un moment où je n’allais pas bien, dit-il, joint par téléphone. On a profité d’un état de faiblesse, mais tout ça n’avait aucun fondement. »

Le 27 novembre 2001, un compte-rendu d’enquête préliminaire signalant plusieurs « dysfonctionnements au sein de l’urbanisme de Saint-Tropez » atterrit sur le bureau du procureur de la République de Draguignan. C’est un ingénieur territorial expérimenté qui a donné l’alerte. Recruté un an plus tôt par Jean-Michel Couve comme chef du service de l’urbanisme, il avait été chargé d’informatiser tout le service. Mais il s’était heurté à bien des obstacles.

Dans son audition du 27 septembre 2001, l’ingénieur s’étonne de la disparition répétée de documents sensibles, comme des courriers d’avocats ou un lutin répertoriant les contentieux d’urbanisme de la commune. De même 173 déclarations d’aliéner (qui préviennent la mairie d’une vente) ont été mystérieusement enfermées dans une armoire pendant les délais de recours légaux, empêchant la mairie de préempter les bonnes affaires. Des dysfonctionnements « volontaires et malveillants » retardant son travail et surtout pouvant « entraîner des avantages indus à l’égard d’une des parties ou occulter des dysfonctionnements plus graves », souligne l’ingénieur devant le policier. Le fonctionnaire a lui-même été victime d’« actes de malveillance puisque (ses) pneus de véhicule personnels ont été régulièrement crevés depuis mon arrivée, sur le parking du port ».

Alors que les faits dénoncés sont graves, l’enquête est bâclée et son compte-rendu semble s’être perdu dans les méandres du parquet de Draguignan qui ne lui donnera aucune suite. Ce fonctionnaire territorial « était un homme d’une grande qualité, j’ai tout fait pour corriger ces dysfonctionnements », assure aujourd’hui Jean-Michel Couve. L'ingénieur, lui, a préféré quitter la mairie dans la foulée... Il refuse aujourd'hui de répondre aux questions des journalistes. Il y a quelques années, il nous expliquait être harcelé par des coups de fil menaçants. Après son dépôt de plainte pour menaces de mort répétées, les policiers lui ont, selon lui, indiqué la provenance des appels : d'abord du Var, ensuite de Paris, puis d'Afrique de l'ouest.

Le 19 novembre 2001, selon un rapport de police, Michel Canque, le président de l’association syndicale des propriétaires des parcs de Saint-Tropez, aurait adressé un courrier au procureur de la République de Draguignan pour dénoncer des « faits de corruption » au sein du service d’urbanisme. Ce dernier courrier ne semble lui non plus ne pas avoir eu de suite.

Le 10 avril 2013, c’est le préfet du Var, Laurent Cayrel qui prend sa plume pour écrire au procureur de la République de Draguignan. Il a été informé par un des avocats de M. Benno Feingold d’un «curieux» transfert de constructibilité vers la parcelle de son voisin. Dans sa lettre, le préfet fait également état d’une vieille rumeur concernant un carnet qu’aurait tenu Jean-Michel Couve «relatant les mouvements de fond des bienfaiteurs de la commune qui auraient soutenu de campagnes électorales en échange de droits à construire». Le parquet de Draguignan classe l’affaire le 20 mai 2013 pour prescription.

Ce n’est que fin janvier 2014, après une plainte de Benno Feingold et un signalement très détaillé de Jean-Pierre Tuveri, maire actuel de Saint-Tropez, qu’une information judiciaire pour trafic d'influence et recel de trafic d’influence, ainsi que délivrance indue de documents administratifs, sera ouverte. La juge d’instruction désignée, Madeleine Pfender, a également été saisie de la lettre du préfet. Voilà donc la justice sur la trace de ce mystérieux carnet que personne n’a jamais vu.

Un militant gaulliste, Daniel Vetault, aujourd’hui décédé, avait affirmé à plusieurs personnes dont l’une de ses filles, que nous avons rencontrées, avoir récupéré un jour ce carnet dans le bureau de Jean-Michel Couve. Se revendiquant ancien du Service d'Action Civique (SAC), Daniel Vetault a accompagné la carrière politique de Jean-Michel Couve, en tant que secrétaire départemental du RPR puis de l’UMP pour le Var. Créé dans les années soixante par des militants gaullistes pour lutter contre l'OAS en Algérie, le SAC a ensuite fourni des hommes de l'ombre aux partis gaullistes successifs jusqu'à sa dissolution en 1982 après la tuerie d'Auriol.

Quand Stéphane Bentura, l’un des auteurs de cet article, a rencontré Daniel Vetault en décembre 2012 au café de Paris sur le port de Saint-Tropez, ce dernier était prêt à passer devant la caméra pour tout raconter : tout d'abord la mission de son équipe d'ex SAC envoyée en 1983 par Charles Pasqua pour aider le docteur Jean-Michel Couve, poulain du dirigeant RPR Bernard Pons, à gérer la mairie de Saint-Tropez, puis à conquérir le siège de député en 1986. Pour l’anecdote, Daniel Vetault avait été très surpris découvrant le visage de celui qu’il était venu aider : le nouveau maire RPR de Saint-Tropez était un ancien militant PSU (parti socialiste unifié) que Daniel Vetault et ses hommes avaient délogé du rectorat de Marseille en 1968 !

Rendez-vous avait été pris en janvier 2013 pour l'interview. Daniel Vetault avait promis d’apporter le fameux carnet et ses mémoires qu’il venait de terminer. Mais le 24 décembre 2012, avant d’avoir pu confirmer face à la caméra, Daniel Vetault décède d’un cancer foudroyant à l’âge de 72 ans.

Restent des questions : s’agit-il d’une bombe atomique fictive, imaginée par un homme blessé par le manque de reconnaissance de son ancien leader ? Vetault décrivait assez précisément ce carnet rectangulaire, pouvant rentrer dans la poche d’une veste. S'il le dément aujourd'hui, Gérard Moulet, l'ancien adjoint à l'urbanisme de Couve durant sa première mandature, nous avait lui aussi, il y a quelques années, parlé du carnet entre les mains de Daniel Vetault.

En février 2013, un mois après la mort de Daniel Vetault, Jean-Michel Couve, interrogé sur ce carnet dans le cadre du documentaire pour France 2, avait démenti. Il avait toutefois reconnu regretter ne pas avoir su reconnaître Daniel Vetault «à sa juste valeur». Contacté le 28 mars 2014, il parle d’une «rumeur assez inopportune à deux jours des élections». «Je n’ai jamais dérogé aux lois sur le financement des campagnes électorales et je n’ai jamais réalisé de contreparties pour des gens qui nous auraient soutenu, assure-t-il. Pourtant en 21 ans (à la mairie, ndlr), j’ai délivré beaucoup de permis et j’ai eu beaucoup de pressions.» Quant à Vetault, «il n’était pas du tout un ancien du SAC et ce n’est pas du tout Pasqua qui l’a envoyé, c’était un petit commerçant de Cogolin qui est venu m’aider, puis qui a voulu régler des comptes».

En 2011, en froid avec le député Jean-Michel Couve, Daniel Vetault avait soutenu la candidature dissidente du maire de Sainte-Maxime, Vincent Morisse. «Cette histoire de carnet a toujours plané, mais elle reste un mystère», dit ce dernier. «M. Vetault ne se serait pas servi de quoi que ce soit pour nuire à qui que ce soit, il voulait que les choses se remportent à la loyale, sur le terrain des idées», assure Vincent Morisse. Depuis, c'est la justice qui cherche, entre autres, le fameux carnet.

Mais le cœur de l'enquête judiciaire reste sur les échanges entre René Château et les maires successifs de Saint-Tropez. Craignant que des documents disparaissent, le maire sortant Jean-Pierre Tuveri a récemment missionné un huissier pour «répertorier et mettre à la disposition de la justice les documents concernant M. Château et M. Feingold», nous indique-t-il. Parmi ces archives, des annotations manuscrites montrent qu’Alain Spada, jusqu'ici apparu comme le «chevalier blanc» du village contre le bétonnage, pourrait avoir lui aussi avantagé certaines de ses connaissances.

Comment par exemple expliquer que Benno Feingold n’ait jamais pu construire sur son terrain de la presqu’île de Saint-Tropez, acheté en 1987 avec des droits à construire de 250 m2, alors qu’autour de lui les villas poussaient comme des champignons ? Parfois même les pieds dans l’eau, au mépris de la loi Littoral (entrée en vigueur en 1986).  

Interrogé, Alain Spada, maire de Saint-Tropez 1989 à 1993, affirme n’avoir fait que suivre les instructions des services de l’Etat (qui à l’époque assistaient les communes dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme) et avoir refusé les permis de construire déposés par Benno Feingold «car la loi littoral ne le permet pas».

Deux notes manuscrites retrouvées dans les archives de la mairie de Saint-Tropez montrent pourtant que celle ci est bien intervenue en 1990 auprès de l’ex DDE (direction départementale de l’équipement) pour bloquer le permis de construire de Benno Feingold, alors que l’avis de services de l’Etat était au départ favorable. Le 30 octobre 1989, tampon du ministère de l’urbanisme à l’appui, l’architecte des bâtiments de France du Var (ABF) valide le projet de construction d’une villa avec parkings.

Le 12 décembre 1989 sur la feuille d’étude du permis de construire de la DDE, il inscrit « AF » (avis favorable). Lequel se transforme subitement en « AD » (avis défavorable) le 20 février 1990. Que s’est-il passé entretemps ? Le 8 février 1990, une note, sur un papier à en-tête du service urbanisme avec le cachet de la mairie, a tout simplement demandé à la DDE de «reprendre l'arrêté du PC (permis de construire, ndlr) en avis défavorable». Et une deuxième note, qui sommeillait elle aussi dans les archives de la mairie, indique : «En attente, renvoyé arrêté en (sic) refaire en défavorable le 08.02.1990 à la DDE Ste Maxime ». Note à laquelle a été retrouvée agrafée la carte de visite de… René Château, décidément très bien introduit à la mairie.  Dans le plan d’occupation des sols de 1992 (préparé par la mairie Spada et qui ne sera jamais validé pour cause d'élections), repris par le POS de Jean-Michel Couve en 1997, les droits à constructibilité de Benno Feingold disparaitront, pour réapparaitre sur le terrain de son voisin  René Château.

«Je n’ai jamais eu de relations avec M. Château, si ce n’est mauvaises», balaie Jean-Michel Couve. Dans un fax envoyé le 16 juin 1993, René Château le remerciait pourtant « infiniment » de « l’entretien qu('il a) bien voulu (lui) accorder à l’Assemblée nationale, au sujet de la SCI du Soleil (mitoyen à (sa) propriété), quant aux suites que vous entendez donner aux prétentions bétonifères (sic) de son propriétaire, Beno Feingold (sic)» «Je serais complètement fou d’avoir écrit un truc pareil, répond Jean-Michel Couve (à côté de la plaque). D'ailleurs René Château a fait un recours en faux en écriture.»

Si Jean-Michel Couve dément toute contrepartie à cette décision favorable pour René Château, Alain Spada, du bout des lèvres, finit par reconnaitre un financement d’une ou plusieurs de ses campagnes.  «En 2011, peut-être en 2004, il a fait un chèque pour ma campagne, nous a-t-il affirmé le 3 mars 2014. Mais il n’y a pas eu d’enveloppe.» Impossible de vérifier auprès de la commission nationale de contrôle des comptes de campagne à laquelle la loi française interdit de divulguer la liste des donateurs.

BOITE NOIREJournaliste indépendant, Stéphane Bentura a réalisé le documentaire «Saint-Tropez, l'histoire secrète d'un petit port de pêche» pour l'émission Infrarouge sur France 2. Dans ce film, il notamment interviewé Jean-Michel Couve, qui a pu répondre sur les soupçons planant autour de sa gestion de la mairie de Saint-Tropez. Après sa diffusion le 3 septembre 2013, Jean-Michel Couve a déposé plainte pour diffamation avec constitution de partie civile le 29 novembre 2013 contre «les auteurs des propos, l'auteur de l'émission et contre le directeur de publication de la chaine de télévision France Télévisions».

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Le Maire (UMP): «On est dans une démocratie à bout de souffle»

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Pendant un an, il est parti à la rencontre de ces Français qui se sentent « délaissés, abandonnés, méprisés, négligés ». De ce tour de France politique, le député UMP de l’Eure Bruno Le Maire a tiré un amer constat : il existe, « dans beaucoup de coins du territoire, une exaspération légitime » à laquelle la droite n’a pas su répondre. D’où, selon lui, les résultats enregistrés par le Front national au premier tour des municipales. Au nom de la « rénovation démocratique » et du non-cumul des mandats qu’il défend, il se présente aujourd’hui en dernière position de la liste de Guy Lefrand, à Évreux.

Dans un entretien à Mediapart, l’ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin (2002-2007) expose les grandes lignes du « chemin de la reconquête » de l’UMP : des victoires locales, des primaires en 2016, des débats ouverts à la société civile pour débattre « sur le fond des idées » et non « sur les personnes ». Le tout, en veillant à garder un « esprit collectif ». « Le chemin sera encore long avant de retrouver de la crédibilité aux yeux des Français », reconnaît-il.

S’il prône un renouveau de la vie politique française, l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy n’entend demander « de comptes à personne ». Pour lui, la multiplication des affaires visant l’ancien président de la République et son entourage relève de la justice et de la justice seule. Pour autant, et contrairement à bon nombre d’autres responsables UMP, il « ne demande pas de traitement de faveur pour Nicolas Sarkozy ». « En démocratie, chacun est un justiciable comme un autre. »

Jean-François Copé a refusé l’appel au Front républicain lancé par le PS pour battre le Front national au second tour des municipales. Soutenez-vous cette ligne ?

Bruno Le Maire. Je suis totalement d’accord avec la ligne de l’UMP qui, aujourd’hui, rassemble tout le monde. Je ne vous dis pas que ce sont des choses qui se décident comme ça, en cinq minutes. Si on estime qu’un parti ne peut pas rentrer dans le jeu républicain, ce parti a vocation à être dissous. Mais si on admet que tous les partis qui sont aujourd’hui sur l’échiquier politique français respectent les règles de la démocratie, alors on combat le Front national par les armes républicaines que sont les idées et les convictions.

Je préfère voir le FN accéder à quelques mairies et apporter la preuve que ses propositions ne sont pas des solutions pour les Français. Le Front national municipal sera un échec. Il n’a pas marché dans le passé, il ne marchera pas dans l’avenir.

Le Front républicain, c’est la morale à la place de la démocratie et de la politique. C’est dire que le Front national ne respecte pas les règles du jeu démocratique et donc qu’il n’est pas possible de lui laisser gagner une municipalité. Moi, je ne raisonne pas comme ça. Je combats le Front national, c’est mon adversaire, je ne voterai jamais pour lui. Mais c’est un parti qui est inscrit dans le jeu républicain.

Il n’y a rien de moins efficace que le Front républicain. Je pense même qu’il obtient des résultats inverses que ceux escomptés. Il nourrit l’idée que les solutions socialistes et les solutions UMP sont les mêmes. La démocratie, c’est la différence. Le premier responsable de la montée du Front national, c’est le Parti socialiste. Le FN est la planche de salut d’un PS en pleine déconfiture. Leur incapacité à endiguer le chômage, à répondre aux problèmes de sécurité, à avoir une politique en matière d’intégration qui soit efficace, fait le jeu du Front national.

Bruno Le Maire, le 25 mars à Paris.Bruno Le Maire, le 25 mars à Paris. © ES

Cette montée du Front national ne tient-elle pas aussi à la droitisation de l’UMP ? Au glissement de la droite républicaine vers la « droite décomplexée » de Jean-François Copé ?

La question n’est pas celle de la « droite décomplexée », mais celle de l’échec des élus : quelle prise avons-nous sur la réalité ? Voilà ce que disent les gens qui votent Front national : « Vous faites de beaux discours, vous discutez, mais vous ne changez pas notre réalité. Comment est-ce que vous faites lorsque vous êtes dans un quartier difficile, où cinq gamins perturbent la vie de tout le monde, volent la moto du voisin, cassent les carreaux, volent la dame qui vient de tirer ses billets au distributeur automatique ? »

La réponse que nous avons apportée à droite n’était pas la bonne, reconnaissons-le. Nous avons durci des textes, mais ça n’a pas suffisamment changé le quotidien des gens. Sur la récidive, par exemple, la vraie clef est d’améliorer le fonctionnement de la chaîne pénale pour qu’un jeune qui a commis un délit puisse être jugé dans les deux mois qui suivent son arrestation et sanctionné immédiatement.

Je ne supporte plus les leçons de morale données par les socialistes, alors que c’est leur incapacité à régler les problèmes des plus modestes qui nourrit le Front national. Je les en rends directement responsables. À l’UMP, nous sommes d’une clarté totale. Il n’y a pas de vote, il n’y a pas d’accord, il n’y a pas de discussion avec le FN.

Même quand François Fillon affirme en octobre 2013 que les électeurs pourraient voter pour un candidat du FN aux élections municipales, à condition qu’il soit « le moins sectaire » ?

Chacun est libre de ses propos. Le vrai débat, c’est comment nous améliorons la chaîne pénale, l’intégration, l’emploi, les perspectives pour les jeunes. Quand vous voyez ce qu’était la ville de Forbach il y a vingt ans… Aujourd’hui, toutes les houillères ont fermé, il n’y a plus d’emplois, plus de possibilité pour les enfants de réussir. Il y a une immigration massive, liée à la demande de droit d’asile, qui aboutit à ce qu’on loge aux frais de l’État un certain nombre de demandeurs d’asile, notamment du Kosovo, avec de véritables filières, parfois mafieuses.

Que propose-t-on aux habitants de Forbach ? Les représentants du Front national apportent des réponses qui sont évidemment trop simplistes. Mais les citoyens ont été déçus. La droite n’a pas fait la politique qu’ils attendaient. Ils essaient maintenant la gauche et c’est calamiteux. François Hollande a cassé la France. Je n’ai jamais vu mon pays dans cet état, jamais. Alors certains veulent essayer le Front national.

Peut-on considérer que la droite d’aujourd’hui vote FN ?

Non ! Absolument pas ! Il y a énormément d’électeurs de gauche qui votent Front national. C’est pour ça que je refuse catégoriquement qu’on fasse le moindre procès à ma famille politique sur le sujet. Forbach et Hénin-Beaumont, c’est la gauche. Pourquoi le FN y fait-il des scores si importants ? Il est fort parce que nos solutions étaient trop faibles, notre capacité à écouter les électeurs, pas assez importante.

Alain Juppé vient d’être réélu triomphalement à Bordeaux. Est-il devenu incontournable pour 2017 ?

C’est une victoire magnifique et méritée. Alain Juppé n’avait absolument pas besoin d’une victoire municipale à Bordeaux pour jouer un rôle national. Il faut que nous puissions utiliser la diversité des talents à droite dès le lendemain du second tour. Alain Juppé fait évidemment partie de ces talents, comme Xavier Bertrand ou Nathalie Kosciusko-Morizet. Ne nous précipitons pas à vouloir définir un grand chef qui prendrait le pas sur tout le monde.

Notre responsable pour la prochaine élection présidentielle sera choisi par les primaires, qui ont été voulues par 95 % des militants de l’UMP. Ne sortons pas de ce cadre-là. Ces municipales prouvent que nous pouvons gagner des victoires électorales avec un parti bien organisé et un esprit collectif. Notre chemin de reconquête est clairement tracé.

Par quoi passera ce « chemin de reconquête » ?

D’abord par des victoires aux élections municipales. C’est évidemment la clef et il faut se battre jusqu’à dimanche, parce que la reconquête nationale passera par la reconquête locale. Ensuite, il y aura un certain nombre d’autres rendez-vous électoraux (européennes, régionales, sénatoriales) que nous devrons gagner. Il faut bien que nous comprenions que subsiste, dans beaucoup de coins du territoire, une exaspération légitime à laquelle nous n’avons pas répondu. Une partie des Français se sent délaissée, abandonnée, méprisée, négligée.

Vous estimez donc que la droite gouvernementale a mené jusque-là une mauvaise politique ?

Je dis surtout que la vraie réponse au Front national, c’est d’être capable de regarder les difficultés des gens et d’y apporter des réponses très concrètes. La politique doit reprendre ses droits sur la réalité.

Les responsables politiques doivent être capables de se remettre en cause. La vie politique fonctionne comme une caste. Elle n’est pas capable de se renouveler. J’ai fait un certain nombre de propositions et je pense qu’elles sont aujourd’hui indispensables pour redonner un peu de dignité à la démocratie française.

Ça passe par le non-cumul des mandats, la réduction du nombre d’élus locaux et de parlementaires, l’obligation de démission des hauts fonctionnaires quand ils font de la politique. Pour que nous retrouvions un peu de respectabilité. Respectabilité pour les politiques, efficacité dans le fonctionnement démocratique et écoute des gens. Avec tout ça, on pourra faire baisser le Front national.

Vous êtes favorable au non-cumul des mandats et pourtant, vous avez voté contre la loi.

La politique a besoin d’actes. Tous ces élus socialistes qui ont voté comme un seul homme le non-cumul des mandats et qui se présentent aujourd’hui en tête de liste, c’est incompréhensible pour les gens. Moi, j’ai fait un choix différent : j’ai commencé par me l’appliquer à moi-même à Évreux.

Je n’ai pas voté le non-cumul parce que j’estime que cette loi est totalement insuffisante, qu’il faut aller beaucoup plus loin. Mon geste concret, c’est d’avoir déposé une proposition de loi complète.

Un an et demi après sa crise interne, l’UMP n’a toujours pas réussi à se relever. Ne désespérez-vous pas qu’elle y parvienne un jour ?

Nous avons bien progressé à ces élections municipales. Maintenant, il faut confirmer l’essai au second tour. Au-delà des succès d’Alain Juppé et de Jean-Claude Gaudin, je voudrais signaler les scores exceptionnels qui ont été faits par des jeunes de droite. Robin Réda à Juvisy, 22 ans, élu au premier tour dans une ville qui est à gauche depuis 60 ans, chapeau ! Alexandre Rassaërt, 40 % à Gisors, ville communiste depuis 37 ans. Michel Havard, qui met le maire de Lyon – soi-disant le meilleur maire de France – en ballottage pour la première fois.

Mais sur le plan national, le succès n'est pas si flagrant. Pourquoi l’UMP n’a-t-elle pas davantage bénéficié du recul du PS aux municipales ?

Il faut être lucide sur la situation de la droite en 2012. On n’a jamais été aussi faible depuis 1958. Interpréter la défaite de Nicolas Sarkozy comme le rejet d’un homme est une erreur d’analyse complète. C’est le point d’aboutissement d’un reflux de la droite, qui est engagé depuis des années et qui a commencé par les élections locales. On a perdu les villes, puis les départements, puis quasiment toutes les régions, et au bout du compte, nous avons perdu le Sénat.

Du coup, on a perdu les législatives et la présidentielle. 2012, année zéro. Tous ceux qui pensent qu’on va reconquérir le pouvoir du jour au lendemain, simplement parce que la gauche est nulle, se trompent. La nullité de la gauche profite à ceux qui n’ont jamais occupé le pouvoir et qui tiennent des propos simplistes : le Front national.

Notre reconquête sera forcément lente et difficile. Mais je suis plutôt satisfait par les résultats municipaux, parce que c’est la preuve qu’on commence à reprendre du terrain. Nous devons être capables d’avoir des idées radicalement nouvelles.

Vous faites de l’autorité l’un de vos principes forts. Or, depuis la guerre Copé/Fillon, les voix de l’UMP n’en finissent pas de dissoner. N’est-ce pas là la marque d’une crise d’autorité au sein de votre propre parti ?

La guerre des chefs a été un désastre dont nous mettons du temps à nous relever. Il faut que nous en tirions les conséquences pour nous dire que, désormais, personne ne peut prendre le moindre risque d’une nouvelle guerre des chefs.

L’autorité, ce n’est pas le culte du chef, ni celui des ordres, ni celui de quelqu’un qui va diriger tout le monde à la place des autres. L’autorité, c’est le respect, la dignité, l’exemplarité, le bon comportement. Le chemin sera encore long avant de retrouver de la crédibilité aux yeux des Français. La meilleure façon d’y parvenir, c’est de débattre sur le fond des idées, pas sur les personnes.

Mais lorsque l’UMP tente de débattre sur le fond des idées, comme ce fut le cas lors de la préparation de votre projet d’alternance, là encore, les critiques internes pleuvent.

Je souhaite que nous soyons tous moins critiques les uns vis-à-vis des autres et plus soucieux d’apporter des propositions. Il est beaucoup trop tôt pour présenter un vrai projet politique, mais il nous faut évidemment commencer à avancer des idées.

Les questions de société ont révélé de nouveaux désaccords profonds entre les différentes sensibilités de votre parti. Elles ont été écartées du projet d’alternance. L’UMP ne doit-elle pas prendre le temps de discuter de ces sujets ?

Il faut évidemment parler des sujets de société, mais il faut le faire calmement, en écoutant les uns et les autres et en faisant des propositions. Nous aurons forcément des différences sur ces sujets-là mais ce n’est pas la peine de s’invectiver ou de se critiquer.

J’ai pris, sur le mariage pour tous, une position minoritaire dans ma famille politique. Je l’assume totalement. Je pense que le mariage, et tout ce qui peut renforcer la stabilité des couples homosexuels, est une bonne chose. Je continue à défendre cette idée-là. En même temps, j’y mets une ligne rouge très claire : je suis opposé à la PMA, à la GPA et à tout ce qui donne l’impression que les enfants sont un droit.

Ne regrettez-vous pas qu’à droite, les questions de société soient aujourd’hui réduites à des caricatures telles que l’épisode du « Tous à poil ! » ?

Je regrette les polémiques sur ces sujets parce que j’estime que ce sont des sujets importants, même s’ils ne sont pas prioritaires. Pour moi, le sujet prioritaire, c’est l’emploi. Quant aux sujets de société, ce n’est pas entre nous qu’il faut en débattre, mais avec les Français. C’est ce que doit comprendre notre famille politique. Prenons le sujet de la fin de vie, un sujet douloureux que j’ai connu personnellement avec mon père. Est-ce qu’on accélère les choses ? Est-ce que le texte de Jean Leonetti est suffisant ? Est-ce qu’on rend les directives de fin de vie obligatoires, pour qu’on ne se retrouve pas dans le drame qu’on vient de connaître avec la famille Humbert ? Il faut permettre au plus grand nombre de Français de mourir dans la dignité, en ayant accès beaucoup plus largement à des unités de soins palliatifs.

Nombreux sont ceux, à l’UMP, à considérer Nicolas Sarkozy comme leur leader naturel.

Je doute que Nicolas Sarkozy se présente comme cela. Je crois au leader, je pense qu’on a besoin de quelqu’un pour pousser le pays, pour l’incarner. Mais ce leader, il sera choisi par les Français.

Les affaires se sont multipliées à droite au cours des dernières semaines, mettant en difficulté votre famille politique et faisant resurgir ses querelles internes. N’est-il pas temps d’opérer un grand ménage au sein de l’UMP, comme certains le réclament déjà dans vos propres rangs ?

Non. Respectons le fonctionnement démocratique. Je fais totalement confiance à la justice française pour déterminer ce qui est condamnable et ce qui ne l’est pas. Si, à un moment donné, quoi que ce soit est condamné par la justice, dans ce cas-là, on en tirera les conséquences politiques.

Vous ne demanderez donc pas de comptes à Jean-François Copé au sujet de l’affaire Bygmalion, comme François Fillon souhaite le faire à l’issue des municipales ?

Je ne demande de comptes à personne. C’est à la justice d’établir la vérité des faits.

Vous avez déclaré que Nicolas Sarkozy « (était) et sera toujours un atout pour (votre) famille politique ». Or, jamais sous la Ve République, un système présidentiel n’avait été autant cerné par les affaires. Est-ce vraiment là un atout pour l’UMP ?

Nicolas Sarkozy reste un atout pour l’UMP. Ce que je souhaite, c’est que la justice puisse travailler dans la sérénité. Je suis profondément choqué par cette justice faite en direct, aux yeux de tous, sans respect du secret de l’instruction.

J’ai réagi sur la tribune de Nicolas Sarkozy en disant que je comprenais son indignation et sa colère parce qu’il a droit au secret de l’instruction. Je ne demande pas de traitement de faveur pour Nicolas Sarkozy. En démocratie, chacun est un justiciable comme un autre et je ne fais aucun procès aux juges. Je dis juste que cette procédure doit se dérouler dans le secret et le silence, pour remettre de la sérénité dans le débat public.

Je suis profondément choqué de la manière dont réagit le pouvoir en place, des mensonges de Madame Taubira, de la lâcheté de François Hollande qui est responsable et garant de l’indépendance de la justice, et qui devrait, à ce titre, réagir.

Les affaires Sarkozy sur lesquelles enquêtent les juges ne vous semblent-elles pas plus importantes que le simple fait de savoir si le gouvernement était au courant des écoutes un 26 février ou un 7 mars ?

Je ne suis pas d’accord avec cela. Ce qui décrédibilise la vie politique, c’est que tout ce qui devrait être secret est sur la place publique. Le garant de la sérénité et du fonctionnement de la justice, c’est le président de la République. Or sur ce sujet, comme sur tous les autres, François Hollande est en situation d’échec complet. Il n’assume pas ses responsabilités. Il n’y a plus de chef de l’État, c’est bien là le drame.

Vous avez la sensation que Nicolas Sarkozy garantissait la sérénité de la justice lorsqu’il était au pouvoir ?

C’est un autre sujet. Les propos que Nicolas Sarkozy a pu tenir sur les juges, ce ne sont pas les miens. C’est la même chose pour le “mur des cons” du syndicat de la magistrature. Quand je vous dis qu’il est indispensable que notre vie publique retrouve de la dignité, ça concerne tout le monde.

Vous prônez une rénovation démocratique. Doit-elle passer par une révision profonde de nos institutions ?

L’urgence n’est pas dans les institutions elles-mêmes, mais dans le fonctionnement politique que nous avons dans le cadre de ces institutions. Est-ce qu’on peut garder 577 députés ? Il y a urgence à les ramener à 400. Est-ce qu’on peut garder un fonctionnement parlementaire comme celui qui existe aujourd’hui ? Non. Est-ce qu’on peut garder autant d’élus locaux ? Il est urgent de diviser par deux leur nombre.

Est-ce qu’on peut garder la structure administrative qui existe aujourd’hui avec les départements, les régions, les communes, les intercommunalités ? Impossible. Il faut fusionner les départements et les régions, ramener le nombre de régions à une dizaine pour avoir des régions qui soient de la taille des régions européennes. Est-ce qu’on peut garder cette confusion scandaleuse dans une République entre la fonction publique et la politique ? La clef de la fonction publique, c’est l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Je demande que tous les hauts fonctionnaires démissionnent de la fonction publique quand ils deviennent députés ou sénateurs.

Je rappelle d’ailleurs qu’en Grande-Bretagne, si vous voulez entrer à la chambre des communes et que vous êtes membre de la haute fonction publique britannique, vous devez démissionner avant de vous présenter.

Comment définiriez-vous cette rénovation démocratique ?

La rénovation démocratique, c’est imposer des règles aux responsables politiques pour avoir un fonctionnement qui soit plus digne. Remettre de la dignité dans le débat politique avec ce que j’ai déjà proposé. Le non-cumul des mandats, bien sûr, mais aussi la limitation à trois du nombre de mandats nationaux successifs. Les jeunes ont envie de s’engager en politique, ils ont soif de politique. Ce n’est pas vrai qu’ils en sont dégoûtés, ils voudraient simplement en faire eux-mêmes, mais ils en sont privés. Limitez dans la durée le nombre de mandats et interdisez le cumul, vous verrez tout d’un coup la place que cela fera aux jeunes !

Ensuite, effectivement, on pourra réfléchir à la question des institutions. Le rôle du premier ministre, l’équilibre entre le pouvoir parlementaire et le pouvoir exécutif, les prérogatives du président de la République... On est dans une démocratie à bout de souffle, dont le fonctionnement ressemble étrangement et scandaleusement à celui d’une monarchie.

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu le mardi 25 mars. Bruno Le Maire a souhaité le relire, comme c'est le cas de l'écrasante majorité des responsables politiques. Le texte a été amendé par ses conseillers, notamment la partie concernant le leader de l'UMP.

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50% de nucléaire en 2025: l'Etat parle de fermer vingt réacteurs

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Pour la première fois depuis l’élection de François Hollande, l’État évoque officiellement la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires d’ici 2025. Pas en commentaire "off", pas en confidence de fin de réunion. Mais face à la représentation nationale, en l’occurrence devant la commission d’enquête parlementaire sur les coûts de la filière nucléaire.

Entendu mercredi 26 mars par les députés François Brottes et Denis Baupin, Laurent Michel, à la tête de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a expliqué que dans l’hypothèse de 50 % de nucléaire en 2025, il faudrait fermer « une vingtaine de réacteurs ». Voir ici la vidéo de cette audition (écouter Laurent Michel à partir de la 56e minute).

Jamais son administration ne s’était exprimée sur ce sujet. Et depuis mai 2012, personne du côté de l’État ne s’était aventuré à quantifier ce que pouvait représenter l’objectif de François Hollande de réduire de 25 % la part du nucléaire dans la production d’électricité.

En 2013, les six mois de débat national sur la transition énergétique se sont déroulés sans qu’à aucun moment la DGEC ne présente de scénario d’évolution de la demande d’électricité prenant en compte la promesse présidentielle. Interrogés sur le futur “mix électrique” lors des groupes de travail préparatoires à la loi sur la transition énergétique, les hauts fonctionnaires de la DGEC avaient toujours répondu que l’arbitrage n’était pas décidé.

Depuis des mois, cette ambiguïté nourrit une bataille politique intense au sein du gouvernement, entre d’un côté les écologistes et Philippe Martin, le ministre de l’écologie et de l’énergie, et de l’autre, Arnaud Montebourg, chargé du "redressement productif" à Bercy.

Elle est aussi au cœur des batailles en coulisses qui secouent le gouvernement dans cet entre-deux tours des municipales, avant un remaniement imminent. Forts de leur succès au premier tour des municipales, alors que le Parti socialiste a subi une déroute qui devrait se confirmer dimanche dans les urnes, les écologistes ont tenté ces derniers jours de pousser leur avantage. Pour obtenir un troisième ministre, mais surtout réorienter la ligne du gouvernement. Ce qui passe, entre autres, par un “verdissement” du  projet de loi de transition énergétique en cours de préparation, dont une des principales dispositions est justement d’acter l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025. La loi doit être présentée en juin en conseil des ministres. Et c'est justement Laurent Michel, le patron de la DGEC, qui est chargé de la rédiger.

Devant les parlementaires, Laurent Michel a détaillé son calcul : la puissance électrique installée en nucléaire atteint aujourd’hui 63 gigawatts (GW). Si la part de l’atome est abaissée à 50 %, la capacité de production doit aussi se réduire : « entre 36 et 43 gigawatts » seraient « nécessaires » dans cette hypothèse. C’est un changement radical par rapport à ce que la DGEC envisageait il y a trois ans, comme en témoigne le tableau ci-dessous, sur les prévisions d’évolution des besoins du pays : 66,3 GW d’électricité nucléaire en 2020 et 2030. Soit, le parc actuel (y compris Fessenheim), complété de l’EPR en construction à Flamanville (1 600 MW), plus de celui un temps prévu à Penly, plus d’autres tranches encore.


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À l’inverse de ses anciennes prévisions, l’administration prévoit désormais une baisse très importante de la consommation d’électricité dans les logements et le tertiaire (adieu au chauffage électrique) ainsi que dans l’industrie, d’environ 120 terrawattheures (TWh) d’ici 2030. Et une hausse par ailleurs, liée à la croissance économique, à la démographie et aux nouveaux usages (technologies de l’information et de la communication notamment) : « On part sur un scénario d’évolution de la demande électrique relativement modéré », a ajouté le responsable de la DGEC, pour qui « on va même probablement vers une baisse » si les transferts d’usages (la montée en charge des voitures électriques, par exemple) tardent à se faire. C’est l’inverse de ce que claironne Henri Proglio, le PDG d’EDF, qui affirme s’attendre à une hausse de 1 % chaque année.

Même si les arbitrages ministériels n’ont pas été rendus publiquement, personne n’imagine que Laurent Michel, haut fonctionnaire chevronné, puisse s’exprimer aussi précisément sur un sujet si sensible sans feu vert politique au plus haut niveau.

Faut-il pour autant y voir une réponse du pouvoir aux coups de pressions des écologistes ? Mardi, Cécile Duflot a fait savoir qu’elle ne pourrait pas figurer dans un gouvernement dirigé par Manuel Valls. Une prise de position appréciée par Jean-Marc Ayrault, qui compte bien rester à son poste malgré la défaite des municipales. En face, Arnaud Montebourg, bête noire des écologistes, milite ouvertement pour un changement de premier ministre et ne cache pas sa très grande réticence sur les 50 % de nucléaire d’ici 2025. Interrogé récemment sur le sujet par Mediapart, il expliquait « Je n'ai pas l'idéologie des chiffres. » Une façon polie d'exprimer son hostilité. 

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A Saint-Denis, le PCF n’en a pas fini avec les socialistes

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Fin de campagne épique à l’ombre de la Basilique. Au marché de Saint-Denis ce vendredi, communistes et socialistes achèvent enfin plus de huit mois de campagne à fond de train. Des jeunes militants du maire sortant, le PCF Didier Paillard, plient le matériel et déambulent autour des halles en chantant : « Adieu Mathieu, adieu Mathieu, adieuuuu ». Peu avant, ils s’étaient frottés avec des militants de Mathieu Hanotin, le jeune député PS qui, après la cantonale en 2010 et la législative de 2012, poursuit sa blitzkrieg contre le bastion communiste. Sans heurts, les violences constatées entre les deux camps en 2012 n'ont pas resurgi, aux dires des deux camps. Mais la campagne, lancée dès septembre dernier (lire notre reportage à l'époque), n'en fut pas moins active pour autant.

« Je n’avais jamais vu une campagne aussi intense, juge Dominique Sanchez, responsable du Journal de Saint-Denis (municipal mais indépendant). Hanotin a durci son discours et a clivé les débats contre la municipalité sortante. Il y a eu 200, 300 mecs mobilisés de chaque côté, les uns avec des écharpes roses, les autres avec des K-way… Et beaucoup, beaucoup de tracts, de meetings, de porte-à-porte. Les affiches ont été collées et recollées sans cesse… »

Sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014Sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014 © Nicolas Serve

Pour autant, la participation n’a pas suivi, et comme régulièrement depuis une trentaine d’années, Saint-Denis fait partie des villes les plus abstentionnistes d’Île-de-France (58,16 %). Mais à l’inverse du reste du « 9-3 », la droite s’effondre (deux candidats en dessous de 10 %) et le candidat PS n’a pas perdu dès le premier tour face à un maire communiste. Et il se dit même « confiant » dans la réussite de sa conquête.

Avec six points de retard sur Didier Paillard (34,3 % contre 40,2 %), Hanotin aurait pourtant de quoi s’inquiéter. D’autant que l’ancien socialiste Georges Sali (opposant historique, ayant fondé le Parti socialiste de gauche – PSG –, après son exclusion du PS, pour dissidence face à Hanotin) a choisi de fusionner sa liste qui a recueilli 7,7 % avec celle des communistes. Pourtant, Sali a été un « opposant résolu » pendant cinq ans, après avoir été adjoint de Braouezec et Paillard. « L’accord avec le PCF était le souhait très largement majoritaire des membres de la liste », justifie-t-il, avant de confier : « Je passe mon temps à argumenter depuis. » Sur le marché de Saint-Denis, à l’abri des halles, on le croise en train de s'y exercer, dix minutes durant, avec une de ses électrices, désorientée. Avec succès.

« Il n’y a aucune illusion à se faire sur Mathieu Hanotin, je ne crois pas du tout à la sincérité de son engagement », explique-t-il. Il lui reproche tout autant de soutenir la politique gouvernementale et de n’être qu’un récent habitant de la ville. Le candidat socialiste a eu beau lui proposer un siège de plus que Paillard (8 au lieu de 7), rien n’y a fait. « Quand la rancœur domine, on ne fait que des conneries », déplore Hanotin, conscient que « s’il y avait eu alliance, on gagnait à coup sûr ». Un point de vue que partage Georges Sali, sourire en coin.

Il tient toutefois à préciser : « Les communistes ont accepté de faire des efforts pour améliorer la ville, tout en conservant son caractère populaire. Plus de sécurité, plus de propreté, plus de rationalisation des services publics municipaux. » Et surtout, ajoute-t-il, « ils ont compris qu’il fallait arrêter de se barricader dans leur mairie. De toute façon, ils n’ont plus le choix. Sinon, les prochaines fois, ça ne passera pas… »

Dans son bureau au quatrième étage de l’hôtel de ville, Didier Paillard a « tiré plusieurs leçons de sa campagne », et notamment de sa soixantaine de réunions d’appartement. Il dit avoir pris conscience que le communisme municipal est devenu « trop distant ». « Les gens veulent plus voir le maire, mais le village est grand », sourit-il. Il dit vouloir désormais « davantage d'élus en lien avec des quartiers, plutôt qu’avec des délégations », ou « faire émerger des coopérateurs de quartier, pour construire une meilleure disponibilité vis-à-vis des habitants ».

Didier Paillard, le 28 mars 2014, à Saint-DenisDidier Paillard, le 28 mars 2014, à Saint-Denis © Nicolas Serve

Durant la campagne, le municipalisme communiste a su renouer avec ses réseaux dans les quartiers les plus populaires, où il avait perdu beaucoup d’audience lors des derniers scrutins, au profit de Hanotin. Au premier tour, avec une très faible participation, Paillard est repassé en tête dans ces bureaux de vote. « On a retrouvé nos voix. Pas lui », résume Stéphane Peu. Selon l’adjoint de Paillard, et président de l’office HLM de l’agglo Plaine-commune, le contexte national n’y serait pas étranger. « J’ai été frappé dans les porte-à-porte par les inquiétudes des gens liées à l’austérité. Le gel des APL (aides pour le logement - ndlr) est revenu très souvent dans les discussions. »

Ce jeudi en fin de journée, le maire vient à la rencontre d’une association de femmes du quartier des Francs-Moisins. Face à un public plutôt conquis, mais qu’il convient de mobiliser, Paillard promet de « construire une nouvelle complicité » avec la population, et appelle son auditoire à « être intransigeant pour que nous ne nous enfermions pas dans une tour d’ivoire ».

Son adversaire, il l’évoque à travers Hollande ou le Grand-Paris, quand il remarque que « rien n’a changé depuis l’élection du président et du député », autrement nommés « les deux H ». Il évoque aussi son « combat » pour que « les populations ne soient pas rejetées plus loin », ce qui serait la marque de « la métropole voulue par Claude Bartolone », à laquelle il oppose son ambition de construire 1 200 logements sociaux par an désormais (contre 1 000 actuellement). Quand un habitant se plaint de « TF1 et M6, à cause de qui nous serons toujours considérés par les employeurs comme des brigands », une co-listière de Paillard rebondit : « C’est aussi ce que disent les socialistes dans leur propagande… Pensez à ce qui va se passer si Hanotin passe. » 

Militant du PCF, le 28 mars 2014, à Saint-DenisMilitant du PCF, le 28 mars 2014, à Saint-Denis © Nicolas Serve

Le ralliement de Georges Sali a rassuré Paillard et les siens. Même si celui-ci a toutefois préféré ne pas figurer sur la liste communiste (« pour ne pas donner le sentiment d’aller à la soupe, et puis au bout de 25 ans, je commence à en avoir marre d’être élu municipal »), et que la fusion a entraîné un léger accroc avec la mise à l’écart des candidats du parti de gauche (PG), dont le poids est faible dans la ville mais qui ont appelé à voter blanc. « Ils ont voulu jouer au bras de fer, alors qu’il ne restait que quelques minutes pour déposer la liste, soupire un cadre communiste. Ils ont joué aux cons… mais la fédération du PG 93 nous soutient. » « Et puis, ici, c’est nous qui occupons le terrain idéologique du PG », fait remarquer Sali.

Désormais, les communistes peuvent espérer compter sur ses 7,7 %, et plus seulement sur les 3 % des listes d’extrême gauche. De quoi atténuer l’inquiétude de se retrouver dans un duel, et non plus une triangulaire avec la droite, où les voix de l’UMP et du centre se reporteraient massivement sur Hanotin.

Même si le poids de la droite ne représente plus que 13 % cette fois-ci, un score bien plus bas que les 20-22 % habituels aux précédents scrutins, cela pourrait permettre au challenger socialiste de créer la surprise. « Il en a déjà siphonné le maximum dès le premier tour, veut croire Stéphane Peu, adjoint de Paillard. Ceux qui ont quand même voté UMP ne sont pas prêts à voter PS cette fois-ci… » Lui non plus n’a pas goûté la « campagne droitière de Hanotin » : « L’insécurité, la drogue, la saleté, les Roms… On ne fait pas campagne sur le dénigrement d’une ville. »

La mairie de Saint-DenisLa mairie de Saint-Denis © Nicolas Serve

« Pour gagner, j’ai besoin de 50 % des voix de la droite. Plus d’une majorité de celles des électeurs de Sali, qui sont fondamentalement pour un changement de majorité municipale. » Au pied d’un immeuble dans le quartier Pleyel, Mathieu Hanotin justifie le bien-fondé de son optimisme à toute épreuve. Et assume sa rupture avec la municipalité sortante. Désormais, il est le moins amoché des « Barto boys » en pleine déconfiture séquano-dionysienne (lire notre article).

En prenant Saint-Denis, troisième ville d’Île-de-France avec 106 000 habitants, il est le seul à pouvoir atténuer l'échec de l’offensive rose sur la banlieue rouge du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, parrain-baron du « 9-3 ». Seul face à tous les autres partis de gauche, qui soutiennent Paillard, ce membre du courant Hamon n’a pas franchement réalisé une campagne façon “gauche du PS”.

Mathieu Hanotin, à Saint-Denis, le 28 mars 2014Mathieu Hanotin, à Saint-Denis, le 28 mars 2014 © Nicolas Serve

« J’assume de parler à tout le monde, rétorque-t-il. Je ne me cache pas, j’affiche le logo PS, mais je ne vais pas avoir honte de parler aux électeurs de droite. Ils font partie des 60 % qui n’ont pas voté Paillard au premier tour, parce qu’ils veulent que ça change. L’élection municipale déploie des ressorts différents des législatives. C’est du local, c’est un programme. » Il balaye critiques et reproches ayant suivi ses accusations d’inscriptions frauduleuses de 80 Roms par la municipalité. « J’ai écrit un seul texte là-dessus, où je ne stigmatise absolument pas les Roms, mais où je parle de la fraude électorale, évacue-t-il. Cette polémique a duré une semaine, sur six mois de campagne… » Son « Saint-Denis bashing », dont le taxent les communistes, n’est à ses yeux qu’un diagnostic. « Le scandale, est-ce de dénoncer la situation déplorable de la ville, ou d’avoir créé cette situation ? »

Si Hanotin n’est plus en tête dans les quartiers populaires des Francs-Moisins et Floréal, par rapport à la législative de 2012, il confirme son implantation dans le centre-ville, le quartier Gare et dans le quartier résidentiel de Pleyel. Sa campagne a impressionné localement. « C’était “à l’américaine”, souffle le journaliste Dominique Sanchez. Il tape dans les mains en arrivant dans un meeting, les militants ont des panneaux, des boudins pour applaudir… » « En campagne, il faut bien faire les choses, avec de belles lumières, une ambiance sympathique, assume Hanotin. Mais ça permet de parler politique et d’être écouté. Ce n’est pas le meeting du maire, où certes la bouffe est gratos et la buvette bon marché, mais où seuls les deux premiers rangs sont attentifs… »

Militant PS, sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014Militant PS, sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014 © Nicolas Serve

Malgré ses airs de jeune loup et ses certitudes, le candidat socialiste semble avoir convaincu quant à l’épaisseur de son cuir. « Il se la donne », glisse ainsi Didier Paillard, au volant, quand il croise son adversaire en train de tracter en plein milieu des Francs-Moisins, seul. Cyril, un militant socialiste dionysien, avoue être bluffé par « Mathieu » : « Il a créé une dynamique. De son proche entourage des débuts, il a su fédérer énormément de militants de tous milieux sociaux, de toutes couleurs, de tous âges… » Dominique Sanchez opine : « Qu’il gagne ou qu’il perde, Hanotin a vraiment installé le PS dans la ville. »

En porte-à-porte dans le quartier Pleyel, au milieu des “appartements pour classes moyennes”, le député de 35 ans s’adapte à tous les publics, et cite souvent les rapports de la Cour des comptes critiquant la gestion municipale. Il prend le temps pour convaincre, puis charge chaque convaincu de convaincre les voisins absents. En l’espace de dix minutes, il parvient à retourner deux électeurs hostiles, l’un de l’UMP, l’autre sympathisant socialiste ulcéré.

Au premier, « frustré de ne pas avoir de candidat au second tour », il emporte la mise en ne lâchant jamais le morceau (« Voter blanc, c’est voter Paillard »), et en promettant de « mettre le nez dans les comptes ». Au second, « homme de gauche » désireux « de punir les socialistes », il emporte la mise en ne lâchant jamais le morceau (« Vous en faites pas, la claque, on l’a bien reçue, mais si vous voulez en remettre une, il y a les européennes »), et en promettant « de faire passer ce message de mécontentement en interne au PS ». Il ajoute : « Mais si vous m’élisez, vous me renforcerez pour être entendu. »

BOITE NOIREToutes les personnes citées dans ce reportage ont été rencontrées à Saint-Denis, les 27 et 28 mars.

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Dans le Grand Ouest, le socialisme municipal est épuisé

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Jusqu’à ce dimanche soir, le parti socialiste tient neuf des dix plus grandes villes de l’ouest (Bretagne et Pays de la Loire). Lundi matin, la liste risque fort d'être réduite : Angers, Quimper, Caen sont menacées. De même que beaucoup de villes petites et moyennes. Pour les barons socialistes du Grand Ouest de la France, hérauts d’un socialisme modéré qui a supplanté la démocratie-chrétienne dans ces terres historiquement conservatrices, le vote du 23 mars est un coup de semonce.

Le second tour pourrait esquisser dimanche 30 mars le début du reflux. La fin d’un cycle ouvert en 1977 lorsque de jeunes socialistes avaient raflé l’essentiel des grandes villes de l’ouest, en pleine vague rose municipale. « Une région conservatrice avait alors basculé à gauche », rappelle Thierry Guidet, auteur de La Rose et le Granit, qui retrace l’histoire du socialisme dans l’ouest.

Antenne 2. JT après les municipales de 1977.

Le nom de ces « conquérants » de 1977, comme les appelle le député du Finistère Jean-Jacques Urvoas ? Jean-Marc Ayrault, alors victorieux à Saint-Herblain, bastion ouvrier de Loire-Atlantique. Les électeurs de gauche ont déserté les urnes dimanche dernier. Ayrault fut ensuite maire de Nantes, la plus grande ville de l’ouest. Sa dauphine, Johanna Rolland, devrait la conserver dimanche, mais après s’être alliée avec les écologistes.

Il y eut aussi Jacques Auxiette, alors vainqueur à La Roche-sur-Yon (Vendée). Aujourd’hui, Auxiette est président de la région Pays de la Loire. La Roche-sur-Yon risque de passer à droite. En 1977, l’actuel ministre de la défense Jean-Yves Le Drian devenait adjoint au maire de Lorient (Morbihan), puis maire, président de région, etc. Dimanche 23 mars, le PS y a perdu 5 000 voix et le FN s’est qualifié au second tour. À l’époque, le premier fédéral du PS du Finistère s’appelait Bernard Poignant. Il a aujourd’hui un bureau à l’Élysée, auprès de François Hollande. Et pourrait dimanche perdre sa ville de Quimper, où il a été élu maire la première fois en 1989.

Bernard Poignant en réunion publique à KerfeunteunBernard Poignant en réunion publique à Kerfeunteun © L.B.

Symboliquement, c’est la matrice même du hollandisme qui est atteinte. Certes, François Hollande n’a jamais été élu dans l’ouest. Son fief, c’est la Corrèze de Jacques Chirac. Mais la conquête par la gauche de ces terres démocrates-chrétiennes a correspondu à ses choix idéologiques, celui des proches de Jacques Delors et des clubs Témoins : une social-démocratie favorable à l’entreprise et à l’innovation, décentralisatrice et gestionnaire.

« Historiquement, nous avons su acculturer les idées socialistes, expliquait récemment Urvoas à Mediapart. Nous sommes des Girondins. Ici, ce n’est pas l’héritage SFIO, mais plutôt les réseaux catholiques, la CFDT, le PSU ou le MRP. » Jean-Yves Le Drian, très proche de Hollande, théorise un « socialisme à la bretonne ». Dans La Rose et le Granit, il en donne cette définition : « pragmatisme, humanisme, solidarité, respect de l’autre, reconnaissance de l’entreprise comme vecteur de création de richesses... »

Depuis longtemps, la Bretagne est devenue une base arrière des “hollandais”, dont beaucoup revendiquent leur identité régionale : Le Drian, Poignant ou Stéphane Le Foll, ancien bras droit de Hollande au PS et ministre de l’agriculture du gouvernement Ayrault (et élu du Mans). C’est de Lorient, en 2009, que François Hollande a entamé son ascension jusqu’à l’Élysée. Dans l’indifférence générale, il avait alors réuni ses proches pour la première fois depuis son départ piteux de la tête du PS, un an plus tôt.

En 2012, l’ouest a massivement voté Hollande. Mais dimanche 23 mars, le « socialisme breton en a pris plein la gueule », se désole un conseiller ministériel. Ici comme ailleurs, l’électorat de gauche s’est abstenu. Le PS a subi des déconvenues qu’il n’imaginait pas. Pour ne rien arranger, « l’électorat centriste qui s’était habitué à voter PS l’a lâché », estime un expert électoral socialiste. Dans cette terre touchée par la crise de l’agroalimentaire et le mouvement hétéroclite des Bonnets rouges, le Front national « émerge dans des zones ou il n’existait pas », s’inquiète le député du Finistère Richard Ferrand. Il se maintient d’ailleurs au second tour à Fougères, Saint-Brieuc et Lorient.

Selon Ferrand, « les socialistes bretons sont sanctionnés comme ailleurs ». Mais le député, qui avait alerté sur le mécontentement social en Bretagne bien avant que n’éclate la fronde des Bonnets rouges, voit aussi dans les scores du PS la traduction d’une « succession rapide de chocs économiques et sociaux violents dans une région jusqu’ici à l’abri. En Bretagne, l’électorat de gauche n’est pas fait que de gens qui ont le socialisme dans les tripes. Il y a beaucoup de gens “plutôt à gauche”. Ceux-là ont marqué leur insatisfaction. »

Partout, les scores de premier tour ont douché les socialistes. Nantes (Loire-Atlantique), ville tenue par Ayrault depuis 1989, restera à gauche. Mais au prix d’une alliance avec les écologistes (14,5 %), qui devrait repousser aux calendes grecques le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, cher au premier ministre.

Dans les villes ouvrières de Loire-Atlantique, la gauche est désavouée. À Donges, les deux listes de droite dépassent largement les deux listes de gauche. À Saint-Herblain, ville gagnée par Jean-Marc Ayrault en 1977, l’abstention explose (près de 50 %), la gauche est en ballottage. « C’est un message de mécontentement, un appel de changement de cap sur la vie politique. On a élu un gouvernement de gauche, c’est pour avoir une politique de gauche », rouspète le maire socialiste, Charles Gautier, successeur d’Ayrault à la mairie.

Mars 1989. Jean-Marc Ayrault est élu maire de Nantes. © Ina

Dimanche soir, plusieurs villes de la région Pays de la Loire devraient tomber. C’est le cas de Laval, gagnée en 2008 par le ministre Guillaume Garot (« prototype du socialo-centriste », juge un cadre du PS), d’Angers, à gauche depuis 1977 ou d’Alençon.

À La Roche-sur-Yon, préfecture de la Vendée à gauche depuis 1977, le socialiste Pierre Regnault, successeur du patron de la région Jacques Auxiette, est en grande difficulté. Mission difficile aussi à Fontenay-le-Comte (14 000 habitants) pour le député et maire PS Hugues Fourage.

À Rennes (Ille-et-Vilaine), le PS a résisté mais fait beaucoup moins bien qu’en 2008. L’abstention est élevée, la liste Europe Écologie-Les Verts/Front de gauche a fait 15 %. Dans une ville longtemps dirigée par Edmond Hervé, un des « conquérants » de 1977, les socialistes avaient fait le choix du renouvellement, avec une candidate de 37 ans, Nathalie Appéré. Jeune députée à l’Assemblée, elle avait juré qu’elle remettrait son mandat de parlementaire si elle était élue maire. Les instances nationales du PS l’ont convaincue de renoncer, par crainte de perdre la majorité absolue à l’Assemblée en cas de partielle.

Dans la communauté d’agglomération Rennes Métropole, le PS est mal en point : balayé dès le premier tour à Bruz (16 000 habitants dans la proche périphérie de Rennes) et à Mordelles (7 000 habitants), menacé à Cesson-Sévigné (16 000 habitants) où le socialiste arrive dix points derrière la droite. À Guignen (3 500 habitants à 25 kilomètres de Rennes), le maire sortant, un socialiste, a été éliminé. À Redon, la droite est dix points devant et l’abstention a bondi à 42,5 %:  les quartiers populaires n’ont pas voté.

Les positions socialistes souffrent ailleurs en Bretagne. En cas de défaite de Bernard Poignant, Quimper (Finistère) sera le symbole de la déroute. Moins dramatique pour le PS, la situation à Lorient (Morbihan) en dit long sur cette usure qui menace le socialisme municipal de l’ouest. Le maire sortant, Norbert Métairie, a été installé par Jean-Yves Le Drian quand il a quitté la mairie pour prendre la Région. Avec 42 % des voix, il ne semble pas menacé malgré la montée en flèche de l’abstention de gauche et un FN désormais enraciné. Mais il a refusé l’alliance au second tour avec la liste EELV-Front de gauche.

Cette attitude n’étonne pas Damien Girard, candidat EELV sur la liste. « C’est sur la question de la démocratie que nous avons trouvé un accord avec le PG et le PCF. Métairie refuse souvent le débat. Autour de lui, ils ne sont que trois ou quatre à décider. Dans ce territoire en désespérance, les initiatives qui ne sont pas lancées par le PS sont tuées. Le Drian savait faire, et il avait une vision. Métairie, lui, est juste gestionnaire. » Élu depuis 1989 au conseil municipal, Métairie cumule les mandats : maire, président de l’agglo, conseiller général. Une usure et un mode de gestion que les opposants à Bernard Poignant ont également dénoncés tout au long de la campagne municipale.

Localement, le premier tour a déclenché une myriade de petits séismes politiques. Les villes que le PS espérait conquérir (Saint-Malo, Concarneau, Dinan, etc.) sont hors de portée. Dans le Morbihan, Auray, Ploërmel et Pontivy sont menacés. À Lannion (Côtes-d’Armor), la majorité PS-PC est contrainte d'affronter le second tour pour la première fois depuis 1995. Plusieurs communes de la périphérie de Saint-Brieuc ont basculé à droite. Dans le Finistère, le jeune maire PS de Moëlan-sur-Mer, élu en 2008, est en difficulté. La droite a repris au premier tour Plabennec, ville de droite gagnée en 2008 par le député PS Jean-Luc Bleunven. Et la liste n’est pas exhaustive !

Dimanche soir, les pertes de la gauche, mais surtout du PS, seront notables. « Il faut se méfier de l’effet d’optique, relativise Richard Ferrand. Si nous perdons beaucoup, c’est parce nous avions beaucoup gagné en 2008. » Si elle gagne des villes, la droite ne réalisera pas non plus un raz-de-marée, insiste aussi Thierry Guidet. « L’ouest subit les difficultés de la gauche comme partout ailleurs. Mais pour l’instant, elle ne résiste pas si mal. En 1983, Nantes et Brest avaient re-basculé à droite, ce ne sera pas le cas cette fois-ci. Laval va basculer, mais après tout elle a été à droite de 1996 à 2008... Et sur le long terme, rien ne laisse prévoir une marée bleue comparable à la marée rose qui a progressivement recouvert l’ouest. »

D’après lui, l’épisode des Bonnets rouges a toutefois montré le risque qu’encourent les socialistes du Grand Ouest : celui d’une « déliaison » d’avec ces ouvriers, employés et petits entrepreneurs qui font ses succès dans ces régions depuis 35 ans.

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Soirée spéciale municipales en direct de la rédaction

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Pendant près de 3 heures, Mediapart vous a proposé une édition spéciale de « En direct de Mediapart », diffusée en streaming sur notre site et en accès gratuit, pour rebondir sur les résultats du second tour des municipales. Les vidéos sont à retrouver ci-dessous. Vous pouvez également toujours consulter en accès libre l'essentiel de nos articles en cliquant ici.

Outre les résultats complets, nous avons voulu donner la priorité pour cette soirée à l'analyse du scrutin, ses conséquences et, plus généralement, l'accélération de la crise de la représentation politique. Pas de commentaires à chaud des responsables politiques, donc, pas de « petites phrases », pas de duplex dans 150 villes pour ne rien dire (voir ici la dernière chronique de Didier Porte), mais des interventions de chercheurs et politistes sur les grandes tendances révélées par ce scrutin.

Les vidéos :

19h30 : Hollande, l'équation impossible. Avec Christian Salmon, chercheur au CNRS et Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart.


20h00 : PS, FN : les leçons du scrutin. Avec Céline Braconnier, spécialiste des comportements électoraux, Sylvain Crépon, spécialiste de l'extrême droite et du Front national, Frédéric Sawicki, spécialiste des organisations, des mobilisations politiques et du parti socialiste et Christian SalmonMarine TurchiMathieu Magnaudeix et Ellen Salvi, journalistes à Mediapart, interviendront durant ce débat.

1. La gauche explosée, les droites à la fête

 

2. Abstention et extrême droite

 

3. La fin de la société des socialistes


21h30 : Électorats populaires : le chantier de la démocratie. Avec Pierre Lascoumes, spécialiste des politiques de lutte contre la corruption et des questions de probité publique, et Marie-Hélène Bacqué, sociologue et urbaniste, spécialiste des expériences de démocratie participative et des élections dans les quartiers populaires. Stéphane Alliès et Mathilde Mathieu, journalistes à Mediapart, échangeront avec les invités lors de ce débat.

1. Corruption, condamnations, réélections !


2. Reconstruire la démocratie


 

22h45 : Et maintenant ? L'analyse de Lénaïg Bredoux et Stéphane Alliès.


Nos invités : 

- Céline Braconnier est spécialiste des comportements électoraux et, en particulier, de l'abstention. Elle a longuement enquêté sur l'abstention dans les quartiers populaires.  Avec Jean-Yves Dormagen, elle a publié La Démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire (Folio Actuel, Paris, 2007).

Sylvain Crépon est spécialiste de l'extrême droite et du Front national. Il a publié, en 2012, Enquête au cœur du nouveau Front national. Son état-major, son implantation locale, ses militants, sa stratégie (Nouveau monde éditions).

Pierre Lascoumes est un spécialiste des politiques de lutte contre la corruption et des questions de probité publique. Il a publié, entre autres, Une démocratie corruptible, arrangements, favoritisme et conflits d’intérêts (La République des idées, 2011).

Frédéric Sawicki est un spécialiste des organisations et des mobilisations politiques, et du parti socialiste. Avec Rémi Lefebvre, il a publié La Société des socialistes ? (Éditions du Croquant, 2006).

Marie-Hélène Bacqué, sociologue et urbaniste, est spécialiste des expériences de démocratie participative et des élections dans les quartiers populaires. Elle est l'auteure avec Mohamed Mechmache de l'étude récente Pour une réforme radicale de la politique de la ville.

Christian Salmon, chercheur au CNRS, a publié en mai 2013 chez Fayard La Cérémonie cannibale, essai consacré à la dévoration du politique. Il collabore régulièrement à Mediapart (ses articles sont ici).


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