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Claude Bartolone: «Il n'y a pas d'avenir à la gauche du PS»

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Il suit le chemin d’un président dont il salue l’autorité nouvelle, et ne contredit surtout pas le premier ministre, mais il sème ses petites pierres à lui, en rappelant sa cohérence au fil de l’entretien, sur les 3 %, sur l’austérité, sur la nécessaire confrontation avec l’Allemagne.

La « rumeur » assure souvent que Claude Bartolone n’écarte pas l’idée de devenir premier ministre, au cas où... Il ne le confirme pas. Mais ses propos qui prennent date, et qui indiquent la marche à suivre, ne démentent pas l’hypothèse…

Dès le début de l’entretien, Claude Bartolone commente le résultat du premier tour de l’élection partielle dans le Doubs en s’adressant à la gauche de la gauche : « Dans le Doubs, le Front national a fait moins de voix qu’aux dernières européennes et le PS fait un petit peu plus... C’est d’abord cela qui doit être retenu par le PS et par la gauche. Il n’y a pas d’avenir à la gauche du parti socialiste, le résultat du score qu’ont fait le Front de gauche et les écologistes est là pour démontrer qu’on n’est pas dans la situation grecque. Le calcul de Jean-Luc Mélenchon me semble une erreur et nous devons l’avoir à l’esprit pour les élections départementales. S’il n’y a pas rassemblement au premier tour, avec ce mode de scrutin, dans cinq cents cantons il peut y avoir élimination de tous les candidats de gauche. Cinq cents cantons. »

Sur l’après-11 janvier : « L’autorité, c’est nécessaire mais pas suffisant. Ce qui est important c’est la question sociale et le retour de l’espérance. Et de nouveau l’idée que ce n’est pas simplement à la reproduction des élites que l’on assiste, y compris dans les territoires populaires. »

À propos des quartiers : « Apartheid, je n’aurais pas utilisé le mot comme ça, mais c’est vrai qu’aujourd’hui sur l’ensemble du territoire il y a les assignés à résidence dans les quartiers populaires parce qu’ils n’ont pas le choix et qu’ils ont la certitude qu’ils ne pourront jamais en sortir… Pour aimer la République, il faut que la République soit partout. Dans un certain nombre de quartiers, il y a eu de belles réalisations en termes de renouvellement urbain, mais à l’intérieur des belles boîtes la misère est toujours la même. (...) Si j’avais quelque chose de précis à demander au gouvernement, je dirais voilà, pour les enfants qui vont rentrer au mois de septembre, il faut un suivi différent qui permettra de dire à la fin de leur scolarité : il n’y aura plus de décrocheur, et il n’y aura pas un gamin qui sortira de ce cycle sans maîtriser la lecture. Dans les quartiers il ne peut plus y avoir de discours généralistes. Il faut qu’il y ait des thermomètres qui permettent de montrer qu’on est à la bonne température républicaine. »

Sur les frondeurs du PS : « Dans l’histoire de la gauche, nous avons eu des débats profonds. Lorsqu’il y a eu débat sur le franc fort, par exemple, c’étaient deux politiques différentes. Là, les différences entre les majoritaires et les minoritaires du parti socialiste c’est cinq milliards. Si l'on prend un compromis, un compromis à deux milliards cinq, ce ne seront pas deux politiques différentes ! »

Sur Syriza : « Depuis deux ans et demi je dis non aux 3 %, non à l’Europe de la règle, non à l’Europe qui sacrifie sa jeunesse, non à l’Europe qui sacrifie ses services publics, oui à l’Europe des biens communs. C’est tout cela qui était contenu dans le message de Syriza. Quelque chose m’a frappé dans le discours de Tsipras, il était beaucoup plus dans le retour d’une certaine fierté nationale, dans le respect de la nation grecque, que sur un certain nombre de mesures économiques. Nous aurions dû traiter cette question de la dette grecque et de la situation dans laquelle elle était bien avant. Il y a une responsabilité européenne. On voit que malgré les sacrifices terribles qui ont été demandés, ça ne pouvait pas continuer comme ça. »

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Le blocage administratif des sites entre en vigueur en France

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Le gouvernement a donné, vendredi 6 février, un nouveau tour de vis à la liberté d’expression sur Internet en publiant, au Journal officiel, son projet de décret sur le blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Ce dispositif, initialement inscrit dans la loi antiterrorisme votée le 13 novembre 2014, s’inspire du système de blocage, déjà prévu mais non encore appliqué, concernant les sites pédophiles, pour l’étendre à ceux « provoquant des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Concrètement, l’Office central pour la lutte contre la criminalité informatique (OCLCTIC) aura désormais le pouvoir de demander aux éditeurs et hébergeurs le retrait de tout contenu considéré comme faisant l’apologie du terrorisme ou diffusant des images pédopornographiques. En cas d’absence de réponse sous 24 heures, cette demande sera transmise aux fournisseurs d’accès qui devront empêcher « par tout moyen approprié l’accès » aux sites.

L’OCLCTIC sera aidé par une personne qualifiée, désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui sera chargée « de vérifier que les contenus dont l’autorité administrative demande le retrait ou que les sites dont elle ordonne le blocage sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ». Ce représentant de la Cnil n’aura qu’un pouvoir de recommandation, mais pourra « saisir la juridiction administrative » « si l’autorité administrative ne suit pas » son avis. Bernard Cazeneuve avait fait par ailleurs adopter, à la dernière minute, un amendement autorisant également l’OCLCTIC à exiger des moteurs de recherche le déréférencement des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Dès le lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, le gouvernement donnait un coup d’accélérateur à la concrétisation de ce nouveau dispositif en notifiant à la commission européenne son projet, soit un décret de blocage des sites internet terroristes. Une notification, obligatoire pour les textes touchant à la société de l’information, effectuée selon une « procédure d’urgence » que justifie « l’accélération des phénomènes de radicalisation de l’usage d’Internet ». C’est ce même décret qui vient d'être publié, seulement deux jours après avoir été présenté en conseil des ministres par Bernard Cazeneuve. « Ce sont de nouvelles dispositions essentielles de la loi qui vont pouvoir entrer en vigueur dans des délais extrêmement rapides, et participer à la mobilisation contre le terrorisme », s'était alors réjoui dans un communiqué le ministère de l’intérieur.

Et l’exécutif ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Le 19 janvier dernier, la ministre de la justice Christiane Taubira a proposé d’étendre le régime d’exception prévu pour la pédopornographie et l’apologie du terrorisme aux contenus racistes et antisémites. Ainsi, l’OCLCTIC se verrait également confier le pouvoir de décider, sans aucun contrôle judiciaire, du contenu de la liste de sites considérés comme racistes ou antisémites à bloquer. Malgré les nombreuses critiques qui se sont élevées contre la multiplication des procédures et la sévérité des condamnations depuis les attentats de Paris, la garde des Sceaux a par ailleurs souhaité que les injures et diffamations à caractère racial soient, elles aussi, sorties de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour basculer dans le code pénal, lui retirant ainsi les bénéfices liés à la liberté d’expression.

Cette volonté a été confirmée quelques jours plus tard devant les Nations unies par le secrétaire d’État aux affaires européennes Harlem Désir, à l’occasion d’une réunion informelle de l’Assemblée générale consacrée à la « montée de la violence antisémite dans le monde ». À cette occasion, la France a en effet plaidé pour une « exclusion du droit de la presse des injures ou diffamations à caractère raciste et antisémite, car elles ne sont pas une opinion mais une incitation à la haine et à la violence » ainsi que pour « la possibilité d’un blocage administratif des sites internet et des messages à caractère raciste et antisémite ». Selon le communiqué de l’Onu, Harlem Désir aurait précisé que ces « initiatives seront (…) adoptées à brève échéance ». Et, au vu des précédents votes sur le sujet, il y a de fortes chances qu’elles le soient également à la quasi-unanimité.

- Le décret

Cette unité de la classe politique sur la question du filtrage du Net est pourtant loin d’être partagée par ses acteurs. Le blocage des sites internet est en effet une solution techniquement très limitée et facilement contournable voire, selon certains, contre-productive. En quelques clics et avec un minimum de connaissances informatiques, n’importe quel internaute est capable d’installer un logiciel tel que le « navigateur Tor », permettant de contourner ce blocage sans autre formalité.

De plus, en optant pour une censure administrative, le législateur passe outre le contrôle du juge judiciaire, normalement indispensable en cas d’atteinte à la liberté d’expression. Or, beaucoup s’inquiètent de la difficulté de caractériser une « apologie du terrorisme », une notion particulièrement vague et non définie par la loi, ainsi que du fait que cette responsabilité sera confiée à une autorité administrative et non à un juge.

Lors de l’examen du projet de loi antiterroriste, de nombreuses voix s’étaient fait entendre pour rappeler ces limites et dangers. Au mois de juillet dernier, le Conseil national du numérique avait ainsi rendu un avis particulièrement critique sur ce dispositif, qualifié de « techniquement inefficace et inadapté aux enjeux de la lutte contre le recrutement terroriste ». De plus, « en minimisant le rôle de l’autorité judiciaire, il n’offre pas de garanties suffisantes en matière de libertés ». « Le projet de loi ne fait pas la distinction entre un besoin d’efficacité contre le recrutement terroriste et la propagande extrémiste, qui appellent pourtant des réponses différentes », estimait Ludovic Blecher, membre du CNNum. « De surcroît, le blocage risque de produire des effets contre-productifs en incitant les réseaux criminels à sophistiquer davantage leurs techniques de clandestinité. »

Lors d’une conférence organisée au mois de septembre dernier, le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), Guillaume Poupard, avait lui tout d’abord regretté que son agence, chargée de gérer la sécurité informatique du pays, n’ait pas été consultée. « Le message que je pousse est de nous consulter sur des questions qui ne soient pas seulement liées à la cybersécurité. » Puis il avait fait part de ses doutes quant à l’efficacité du blocage : « Il y a au sein de l’Anssi des gens qui comprennent ces techniques de blocage et les difficultés à les mettre en œuvre… et savent aussi les contourner. J’ai été amené à signaler le problème de l’efficacité de ces mesures », avait expliqué Guillaume Poupard, avant d’ajouter : « Je suis très réservé sur ces mesures d’un point de vue technique. »

Plus récemment, l’Agence de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a elle aussi émis des réserves dans un avis que s’est procuré le site Next Inpact. Celui-ci souligne, lui aussi, « les risques de contournements ». Mais surtout, l’agence s’inquiète de la formulation du décret qui impose aux fournisseurs d’empêcher « par tout moyen approprié l’accès » aux sites incriminés. Or, jusqu’à présent, la seule solution technique évoquée par Cazeneuve est celle, habituelle, d’une intervention au niveau du DNS (Domain Name System) consistant à tout simplement empêcher l’accès à un nom de domaine. Pris entre un décret leur imposant une obligation de résultat et un dispositif technique qui s’annonce comme largement inefficace, les fournisseurs d’accès risquent de se retrouver dans une impasse.

« L’obligation pesant sur les FAI d’empêcher "par tout moyen approprié l’accès ou le transfert aux services fournis par ces adresses" ne doit pas conduire à faire peser sur ces acteurs des obligations allant au-delà de la mise en œuvre des moyens de blocage usuels », écrit l’Arcep. « Il ne serait ni raisonnable ni proportionné d’exiger des FAI qu’ils garantissent l’impossibilité pour des internautes ayant recours à des méthodes de contournement d’accéder aux services fournis par les adresses électroniques concernées », poursuit l’agence. Celle-ci s’inquiète par ailleurs des éventuelles erreurs techniques qui conduiraient à bloquer certains sites ne figurant pas sur la liste. Pour cela, l’Arcep va jusqu’à demander un droit de regard afin de « s’assurer du caractère efficace et proportionné des mesures mises en œuvre par les FAI pour respecter leurs obligations, afin notamment de contrôler que les techniques utilisées ne conduisent pas à empêcher l’accès à des adresses électroniques dont le blocage n’a pas été ordonné par l’OCLCTIC ».

Le PS lui-même n’a pas toujours été un si fervent défenseur du blocage de sites. Ce dispositif a en effet été pour la première fois introduit dans le droit français en mars 2011 par la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieur (Lopsi), sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Or, à cette époque, les parlementaires socialistes avaient farouchement combattu cette mesure, allant même jusqu’à saisir le Conseil constitutionnel. « Il n’est bien évidemment pas dans l’intention des requérants de prétendre que l’accès à des sites pédopornographiques relèverait de ladite liberté de communication », écrivaient-ils alors. « En revanche, ils ne sauraient admettre que, faute de garanties suffisantes prévues par le législateur, la liberté de communication via Internet subisse des immixtions arbitraires de la part des autorités administratives sous couvert de lutte contre la pédopornographie. » « Les techniques de contournement, qu'elles passent par le recours à des réseaux privés ou de renforcement des systèmes de cryptage, auront toutes pour effet de rendre encore plus difficile le repérage, et donc, in fine, la répression des criminels à l'origine de la diffusion d'images ou de représentations pédopornographiques », soulignaient les députés de l’opposition avant de conclure : « Le blocage est donc non seulement inadapté, mais il est contre-productif. »

Une fois au pouvoir, la nouvelle majorité avait d’ailleurs refusé de publier le décret d’application de la Lopsi. Le gouvernement « n’autorisera pas le blocage de sites sans autorisation du juge. Nous y restons attachés », affirmait encore en février 2014 devant les députés Fleur Pellerin, alors ministre délégué à l’économie numérique. Mais quelques mois plus tard, le gouvernement notifiait aux autorités européennes son projet de loi antiterroriste, qui débouchera sur la présentation en conseil des ministres du décret instituant non seulement le blocage des sites terroristes prévu par la loi de 2014, mais également celui des sites pédopornographique prévu par la loi Lopsi et contre lequel les socialistes avaient bataillé.

Un revirement que dénonce l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du Net. « En 2010, alors que Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux portaient la Lopsi, le Parti socialiste, dans l’opposition, s’était opposé à raison à ces mesures », rappelle-t-elle dans un communiqué. « Pourtant, en 2014, c’est Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur socialiste, qui renforce les dispositions liberticides et antidémocratiques du blocage administratif. » La député Nouvelle Donne Isabelle Attard a, de son côté, déposé une question au gouvernement afin de lui demander de préciser ses intentions après les annonces d’Harlem Désir devant l’Onu. « Il y a une volonté de contrôler les pensées des gens », dénonce-t-elle. « La liberté d’expression c’est, normalement, la possibilité pour tous de s’exprimer totalement librement. Et s'il y a un problème, on saisit le juge qui est le seul à pouvoir la limiter. C’est un des fondements de la démocratie », poursuit-elle avant de dénoncer l’obsession du gouvernement pour Internet. « Remplacez, dans les propos de Bernard Cazeneuve sur le sujet, le mot "Internet" par "presse écrite". Ça serait inacceptable ! J’ai l’impression que les raisons d’être de nos libertés, acquises au terme de longues luttes, ont aujourd’hui été oubliées. Avec ce système de liste administrative, nous en revenons au cabinet noir des rois de France. Nous avons oublié les raisons de ses libertés, pourquoi nous avions combattu pour les conquérir. »

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Enregistrements Bettencourt: Mediapart a saisi la Cour européenne

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Bordeaux, de notre envoyé spécial.- L’absurdité de la situation n’échappe à personne. Les célèbres enregistrements effectués par le majordome de Liliane Bettencourt sont une preuve capitale dans le dossier pénal d’abus de faiblesse où la milliardaire est victime. À ce titre, un extrait accablant d’une vingtaine de minutes de ces enregistrements a été diffusé mercredi en audience publique par le tribunal correctionnel de Bordeaux. Tous les médias qui suivent ce procès phare depuis le 26 janvier ont donc pu en rendre compte largement, Mediapart compris, les extraits reproduits étant particulièrement saisissants (lire notre article ici).

Et pourtant, nous avons été obligés de retirer de notre site les extraits et les retranscriptions de ces mêmes enregistrements Bettencourt, ainsi que plus de 70 articles s’y référant, ce à la demande de Patrice de Maistre, et conformément à la décision rendue par la cour d'appel de Versailles le 4 juillet 2013, confirmée par la chambre civile de la Cour de cassation le 2 juillet 2014. La liste des articles censurés est ici.

En résumé, rien n’interdirait demain au tribunal de Bordeaux, s’il le décidait, de diffuser l’intégralité des enregistrements Bettencourt, ni aux médias d’en rendre compte immédiatement : tout ce qui est dit lors d’un procès peut être rendu public (en revanche, les prises de vue, comme les captations sonores des débats par les médias sont soumis à autorisation préalable). Mais nous ne pouvons toujours pas remettre en ligne les articles et les enregistrements qui ont été censurés avec une sévérité inédite en matière de presse, malgré l'appel « Nous avons le droit de savoir », qui a recueilli un fort écho. Ubuesque.

La justice française, un brin schizophrène dans cette affaire d’État, a pourtant définitivement validé ces enregistrements comme étant des preuves, en janvier 2012 (chambre criminelle de la Cour de cassation). Mais elle a ensuite décidé que ces mêmes preuves devraient rester secrètes, au nom de la primauté du respect de l’intimité de la vie privée (première chambre civile de la Cour de cassation).

Pour dépasser ces contradictions de taille, et faire primer le droit à l’information et à la liberté d’expression sur l’interprétation très restrictive donnée par la justice française dans cette affaire emblématique, les avocats de Mediapart, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, ont déposé le 30 décembre dernier une requête à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Cette requête de nos avocats rappelle que les enregistrements ont été remis aux services de police le 10 juin 2010 par la fille unique de Liliane Bettencourt avant que Mediapart n’en ait connaissance. Elle expose que nous n’avons par la suite, à partir du 16 juin 2010, rendu publics que les passages révélant des infractions pénales ou présentant un caractère d’intérêt public (politique, économique ou fiscal), après un travail de vérification et de tri long et minutieux, et en écartant tout ce qui relevait du domaine de la vie privée.

Les avocats de Mediapart demandent en conséquence à la CEDH de « constater la violation par l’État français des dispositions de  l’article 8 » de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, « relatif au droit et au respect de la vie privée ».

En substance, ils soutiennent que les extraits d’enregistrements et retranscriptions rendus publics par Mediapart ne concernent que la vie professionnelle de Patrice de Maistre avec Liliane Bettencourt, et en aucun cas sa vie privée, la jurisprudence n’étant pas la même dans les deux cas. « En outre, ces propos révèlent la possible commission d’infractions pénales par Monsieur de Maistre en ce qu’il demande à Madame Bettencourt de lui fournir d’importantes sommes d’argent lui appartenant, faits pour lesquels il est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bordeaux », écrivent Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman.

Les enregistrements clandestins effectués en 2009-2010 par le majordome des Bettencourt dans leur hôtel particulier de Neuilly ont permis de mettre la justice en branle, et leur révélation (par Mediapart et Le Point) a évité que l’affaire ne soit étouffée par le procureur de Nanterre de l’époque, Philippe Courroye, un proche de Nicolas Sarkozy. L’enquête de la juge Isabelle Prévost-Desprez puis celle des trois juges d’instruction bordelais a confirmé et révélé des faits d’une ampleur considérable. En dehors de l’énorme affaire d’« abus de faiblesse », « abus de confiance, « recel » et « blanchiment » qui est actuellement débattue à Bordeaux, plusieurs autres procès directement liés à ces enregistrements sont programmés.

Patrice de Maistre et Éric Woerth seront à nouveau jugés par le tribunal correctionnel de Bordeaux, du 23 au 25 mars prochain, pour des faits de « trafic d’influence » cette fois. Éric Woerth est accusé d’avoir remis la Légion d’honneur à Patrice de Maistre en remerciement de l’embauche de son épouse par ce dernier, alors gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Des extraits des enregistrements pourraient à nouveau être diffusés en audience publique à cette occasion.

Par ailleurs, à la suite de plaintes déposées courant 2010 par François-Marie Banier, Patrice de Maistre et un ancien avocat de Liliane Bettencourt, l’ex-majordome Pascal Bonnefoy, ainsi que les journalistes Fabrice Arfi, Hervé Gattegno, Fabrice Lhomme, Edwy Plenel et Franz-Olivier Giesbert ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « violation de l’intimité de la vie privée » le 30 août 2013. La date de ce procès, consacré aux enregistrements Bettencourt eux-mêmes, et aux extraits rendus publics par Mediapart et Le Point, n’est pas encore fixée.

Enfin, à la suite d'une énième plainte déposée en septembre 2010 par un ancien avocat de Liliane Bettencourt, la magistrate Isabelle Prévost-Desprez doit être jugée pour « violation du secret professionnel » les 8 et 9 juin prochain.

Lire sous l'onglet Prolonger de cet article le communiqué de Reporters sans frontières en réaction à la décision de la Cour de cassation censurant Mediapart.

BOITE NOIRETous les articles de Mediapart sur l’affaire Bettencourt, depuis le tout premier, mis en ligne le 16 juin 2010, sont accompagnés de cette longue précision à propos de notre traitement journalistique des enregistrements clandestins du majordome : 

« Après avoir pris connaissance de l'intégralité de ces enregistrements, Mediapart a jugé qu’une partie consistante de leur contenu révélait des informations qu’il était légitime de rendre publiques parce qu’elles concernaient le fonctionnement de la République, le respect de sa loi commune et l’éthique de ses fonctions gouvernementales. Nous avons bien entendu exclu tout ce qui se rapportait de près ou de loin à la vie et à l’intimité privées des protagonistes de cette histoire. Nous nous en sommes tenus aux informations d’intérêt général. Figurent donc dans ces verbatims les seuls passages présentant un enjeu public : le respect de la loi fiscale, l’indépendance de la justice, le rôle du pouvoir exécutif, la déontologie des fonctions publiques, l’actionnariat d'une entreprise française mondialement connue. »

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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A Reims, exclusions et refus d’adhésions rythment l’avant-congrès du PS

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Reims n’est définitivement pas synonyme de socialisme heureux et transparent. Après avoir accueilli en 2008 un congrès marqué par des fraudes en tous genres, le chef-lieu champenois voit aujourd’hui le PS local se déchirer. Dans la foulée des municipales perdues par la gauche dans la ville, et dans l’optique du futur congrès de Poitiers (en juin), 128 adhésions n’ont pas été enregistrées par la fédération du parti.

Celles-ci, réalisées par Internet depuis 2011, sont restées « en attente de validation », faute de convocation des nouveaux adhérents à se présenter dans les sections. Or, selon les statuts, si cette convocation n’est pas envoyée, les adhérents le deviennent de droit, ainsi que le font valoir la conseillère générale Sabrina Ghallal et Moussa Ouarouss, chefs de file des courants Un monde d’avance (proche de Benoît Hamon) et Maintenant la gauche (proche d’Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann).

Sabrina GhallalSabrina Ghallal © capture d'écran Facebook

Le refus par les dirigeants de la fédération, proches de l’ancienne maire Adeline Hazan (nommée depuis contrôleure générale des prisons) et des amis de Martine Aubry, de reconnaître ces adhésions a peu à peu vu la situation dégénérer, sur fond de règlement de comptes post-défaite municipale. Sûrs d’avoir les statuts pour eux, les militants radiés ont protesté à plusieurs reprises, allant jusqu’à occuper la fédération et « séquestrer » les permanents, le 1er décembre dernier, selon le premier fédéral, Nicolas Marandon. Ce « traumatisme », ajouté au fait que deux jours plus tard, le local d’un vote militant se soit retrouvé cadenassé, l’ont décidé à lancer contre ces militants une procédure d’exclusion devant la commission des conflits de la fédération.

Celle-ci a décidé le 31 janvier, en l’absence des intéressés ayant refusé de s’y présenter, d’exclure définitivement Sabrina Ghallal et l'un de ses proches, Adem Isik. Deux autres militants (Moussa Ouarouss et Ambre Perriguey) sont exclus pour un an et l’ancienne présidente locale de SOS-Racisme (Tiguda Diaby) a reçu un blâme. Autant de sanctions qui ont été signifiées par huissier aux intéressés, la veille des votes d’investiture aux départementales, où les exclus étaient candidats (et n'ont finalement pas participé aux scrutins). Les sanctionnés ont néanmoins trente jours pour faire appel.

Afin de « ne pas envenimer davantage les choses », explique le premier fédéral à Mediapart, il a été décidé dans un premier temps de ne pas présenter de candidats en interne face à Sabrina Ghallal, bien que celle-ci soit exclue. Celle-ci a donc été investie ce jeudi par les militants, avant que ne lui soit retirée ce vendredi l’étiquette PS, la laissant donc candidate “divers gauche”. « Nous avions un accord politique, dit Marandon. On ne présentait pas de candidat contre elle et elle n’en présentait pas contre mes candidats. Or ce n’est pas ce qui s’est passé. Je n’ai aucune volonté de l’évincer, sinon j’aurais fait le nécessaire s’il avait fallu… »

En revanche, il assume le refus d’intégrer les cartes de ses opposants internes. « On m’a sorti du chapeau des cartes tout à fait bidons, explique-t-il. Quand vous êtes une fédération de 800 adhérents et qu’on vous sort autant de cartes, avec des adhésions le même jour, à la même heure, avec le même ordinateur ou la même carte de crédit… Je tiens bien à préciser que ces adhésions n’ont pas été radiées, mais jamais enregistrées. Et jusqu’à il y a peu, on n’avait pas reçu de coups de fil des 128 adhérents pour s’alarmer de ne pas avoir été convoqués. »

Sabrina Ghallal ne partage pas cette version. Ancienne de l’UNEF, entrée en politique lors de la mobilisation contre le CPE, en 2005, elle raconte longuement ses difficultés au sein du PS, son refus de se présenter aux côtés d’Adeline Hazan aux municipales de 2008, puis son élection au département en 2009 qui fait d'elle alors la plus jeune conseillère générale de France, et son opposition aux projets de la maire socialiste, notamment sur la reconversion d’une base aérienne militaire en “aéroport d’affaire”.

Elle conteste toute « séquestration » des permanents, et être à l’origine du cadenassage du lieu de vote. « On avait prévenu la presse le matin qu’on allait faire une chaîne humaine devant le local. Le vote a été annulé une heure et demie avant. On aurait été débile d’y mettre un cadenas… »  « On est dans une situation ubuesque, s’indigne-t-elle, où on m’exclut tout en me laissant seule candidate et en m’investissant, puis où on me retire mon investiture alors même que j’ai trente jours pour déposer un recours contre mon exclusion. » « Furax », elle entend désormais « aller au bout de (son) engagement » et se « battre vraiment contre ce signal envoyé à ceux qui veulent s’investir sans être du sérail ».

De quel signal parle-t-elle ? « Les jeunes issus des quartiers, on n’est bien que quand on colle et on distribue des tracts, mais pas pour être candidat ou perturber les équilibres internes du parti, s’agace-t-elle. Nous, on n'est pas des alimentaires. Moi j’ai un bac +5 et je donne des cours à la fac. On ne jongle pas d’un poste de permanent à un poste d’attaché parlementaire à un poste de collaborateur de cabinet. Dès que certains veulent briser cet entre-soi, on les dégage. » « L’accusation de racisme est de l’ordre du point Godwin, réplique Nicolas Marandon. Je défends des candidats d’Afrique noire, des candidats d’origine algérienne… On peut jouer à ça, mais ça détourne des désaccords politiques. »

Sabrina Ghallal est aussi très remontée sur son implication présumée dans une affaire de mariage blanc entre une de ses amies et un militant de la CGT, pour laquelle une information judiciaire a été ouverte et où elle se retrouve mise en examen (lire ici). « J’ai subi 34 heures de garde à vue, ma mise en examen est purement technique, les policiers m’ont dit qu’aucune charge n’était retenue contre moi », dit-elle posément, avant de soupçonner certains de ses « camarades » d’avoir manœuvré pour la disqualifier (lire ici).

« On m’a dit que je ne pouvais pas me représenter après avoir fait une garde à vue, on laisse courir le bruit que je suis une “folle furieuse”, une organisatrice de mariage blanc », déplore-t-elle.

Lors des réunions au bureau national des adhésions, rue de Solférino, où le cas des cartes non enregistrées a été par trois fois examiné sans être réellement tranché, certains auraient parlé d’« entrisme communautaire » ou de gens qui « ne parlent même pas français »… Le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo, a été alerté. Contacté, il se dit « stupéfait » de la situation : « De ce que je connais de l’histoire, entre la violation grossière des règles et les propos jetant la suspicion sur l’origine des gens, c’est assez atterrant. Au PS comme dans beaucoup d'autres partis, l’accusation d’entrisme communautaire ne survient jamais quand il s’agit de paquets de cartes avec des noms bien de chez nous. »

À l’intention de la direction du PS, il adresse le message suivant : « L’antiracisme de dame patronnesse, c’est bien. Mais l’antiracisme, c’est aussi l’égalité et le partage. Et notamment le partage du pouvoir. »

Remontée au “national”, l’affaire provoque des secousses internes, alors même que l’imminence du congrès tend les relations, et notamment le fait que la liste du corps électoral militant n’a toujours pas été arrêtée et communiquée (elle devait l’être ce samedi). « La fédération de la Marne va se jouer à une centaine de voix, dit Marie-Noëlle Lienemann. C’est une volonté délibérée du national, avec des méthodes inquisitoriales : les règles s’appliquent selon qui vous êtes et où vous êtes. » Roberto Romero, représentant de Benoît Hamon dans les instances internes, entend « rester sur la question du viol des statuts, les individus se défendant sur le fond et faisant valoir leurs droits ». À ses yeux, « cette décision de refuser cette centaine de cartes est inacceptable, car elle ouvre la porte à l’arbitraire. On ne peut pas accepter qu’une majorité fédérale décide elle-même de son corps électoral. En termes de droit, c’est complètement inique ».

Joint par Mediapart, Christophe Borgel tempère nettement l'ambiance. Secrétaire national aux élections et lieutenant de Jean-Christophe Cambadélis, il parle d’une « situation locale compliquée depuis les municipales » et de « problèmes depuis longtemps avec un petit groupe de gens qui viennent en force, séquestrent des permanents et cadenassent un local ». Il nie aussi tout lien avec le congrès à venir. « Depuis huit mois, on a dû annuler environ 2 000 cartes, et ça touche tous les courants. Le congrès ne va pas se jouer sur cette centaine de cartes. Sur lesquelles, en plus, il n’y en aurait eu que quarante qui seraient venus voter. » Et de marteler : « Il n’y a pas un parti plus transparent sur ses adhésions que le PS. »

Sur la situation champenoise, Borgel « assume totalement d’avancer pas à pas » et estime que « le premier fédéral fait ce qui est juste et conforme à ce qu’il faut faire politiquement ». Et de minimiser : « C’est la vie politique. Le problème, c’est quand ça se fait au détriment de l’intérêt général. » Avant de conclure : « Le sujet là-bas, c’est comment solidifier le PS dans une zone de reconquête où le FN fait la course en tête. Ce sont des types d’endroit où il faut être attaché plus qu’ailleurs à un cheminement collectif. Moi, je n’ai jamais fonctionné sous la contrainte. Parfois, il faut accepter d’être minoritaire. »

En tout état de cause, Borgel dit « savoir quels sont les dirigeants sur lesquels on peut s’appuyer et reconstruire pour demain ». Et visiblement, il ne s’agit pas de Sabrina Ghallal et ses amis.

BOITE NOIREToutes les personnes citées dans cet article ont été contactées par téléphone ces jeudi et vendredi.

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Le PS lance son «drôle de congrès»

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« On est comme en 40. Chacun garde sa tranchée, et attend de voir le résultat des départementales pour déclencher les hostilités. » Un député aubryste résume l’ambiance étrange de « drôle de congrès » qui a parcouru le rez-de-chaussée et le sous-sol de l’Assemblée nationale, samedi matin. Après le dépôt des contributions devant son conseil national, on y voit à peine plus clair dans le paysage socialiste interne. Et si rien ne semble joué à quatre mois de son congrès à Poitiers, les attentats de Paris ont solennisé les discours et les stratégies.

Même la loi Macron n’est plus un événement médiatique de premier plan, faisant passer le “storytelling frondeur” au second plan. Les députés du collectif “Vive la gauche” expliquent pourtant leur intention de s’opposer au texte législatif. « Ce n’est pas un texte emblématique de la gauche, juste la mise en œuvre du rapport Attali, dit le député Laurent Baumel. On ne fonde pas notre appartenance à la majorité sur cette loi. Donc un vote contre est possible. »

Mais les regards sont surtout tournés vers les élections départementales, dont le résultat déterminera réellement leur choix stratégique. Au lendemain de celles-ci, alors que sera levée l’inconnue de l’ampleur de la défaite socialiste annoncée, il restera onze jours pour déposer les motions, ces textes sur lesquels voteront les militants.

« Jusque-là, on est dans une phase de congrès congelée, explique un secrétaire national, où tout le monde a peur de faire la faute qui le fasse sortir du cadre. Du coup, c’est de l’immersion télescopique, ça se chuchote, ça se prépare. Tout le monde se positionne avant une “blitzkrieg post-départementales”. » « Les attentats ont changé le pied d’appel du sursaut entamé, estime la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. Plus personne ne peut critiquer la stature du président, c’est entendu. Mais il reste quand même sa politique. C’est bien beau de surfer sur le 11 janvier, mais le chômage n’a jamais été aussi haut. »

Ce samedi, ce sont donc 27 contributions générales qui ont été déposées (les lire ici, ainsi que près de 200 à caractère thématique). « Ça fait beaucoup pour un parti rassemblé et en ordre de marche », persifle un opposant à Cambadélis. « C’est surtout lié à l’explosion de motions issues du dernier congrès et au fait que les ailes gauches ne se mettent pas d’accord », réplique un partisan du premier secrétaire. La vérité est entre les deux, toujours encouragée par la possibilité de signer plusieurs textes (dont la condition première pour être déposé est d’émaner d’au moins un membre des 300 conseillers nationaux).

Parmi ces contributions, on trouve ainsi un lot de contributions régionales, un lot de prises de parti singulières (Julien Dray, Gérard Filoche, Gaëtan Gorce, ou Liem Hoang Ngoc), un lot de textes provenant de divers représentants de feue la « motion Stéphane Hessel » – ex-motion 4 au congrès de Toulouse de 2012 –, un lot de quelques nouvelles sensibilités ou apprentis courants (le “pôle réformateur” de Gérard Collomb et Christophe Caresche, “Cohérence socialiste” de Karine Berger et Valérie Rabaut, “L’avenir s’écrit maintenant” autour de la porte-parole du PS Juliette Méadel – ex-motion 2).

Enfin, cette inflation de contributions laisse aussi apparaître une division des ailes gauches, sans que l’on sache encore si elle est momentanée ou définitive. Trois textes  entremêlent les signatures de proches de Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, de proches d’Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, et de proches de Martine Aubry et du collectif “Vive la gauche”. Face à ces multiples positionnements, Jean-Christophe Cambadélis a réuni derrière lui une bonne part des courants de la majorité gouvernementale, et espère désormais « plier le match » en obtenant le soutien décisif de Martine Aubry, qui achèverait de démontrer ses talents de tacticien-rassembleur.

Tour d’un horizon qui s’éclaircit un peu pour les socialistes, mais conserve encore plusieurs parts d’ombre.

Il a réussi un avant-congrès à sa main en faisant de « l’occupationnel », ainsi que l’expliquent dans leur jargon bien à eux plusieurs hiérarques socialistes. Habile équilibriste sur la ligne de crête entre soutien et critique gouvernementale, Cambadélis a remis au boulot les secrétaires nationaux, les responsables de fédération et les secrétaires de section du parti, avec l’organisation d’états généraux pourtant un brin « hors sol ». Le premier secrétaire « par intérim » espère remporter le scrutin militant qu’il n’a pas tenu à affronter quand il a remplacé son prédécesseur Harlem Désir sur injonction élyséenne.

En chef de parti averti des obstacles internes, « Camba » a fait une tournée quasi exhaustive dans toutes les fédérations, qui lui a permis d’asseoir son contrôle de l’appareil. Derrière lui se sont rangés divers courants et sensibilités plutôt dormants mais fournis en cadres intermédiaires (fabiusiens, peillonistes, moscovicistes, vallsistes, hollandais). Au total, il revendique 78 premiers fédéraux (sur une centaine). Le soutien de l’exécutif lui apporte en outre « près de 75 % des parlementaires », fanfaronne-t-il : « Personne ne s’attendait à ce que j’engrange autant. »

Jean-Christophe Cambadélis, au siège du PS à Paris, le 13 décembre 2014Jean-Christophe Cambadélis, au siège du PS à Paris, le 13 décembre 2014 © S.A

Mais contrairement à ce qu’il espérait et avait annoncé, de nombreux secrétaires nationaux ont tout de même fait le choix de signer d’autres textes que le sien. « On a le droit de s’égarer, nous verrons si ce sera toujours le cas lors du dépôt des motions », dit-il. Comme Hollande et Valls, lui aussi aimerait profiter de « l’esprit du 11 janvier » pour être reconduit sans le moindre débat. « Le contexte a changé », « il y a une volonté commune de République et d’unité », « il y a des envies d’infléchir plus que de renverser », « il n’y a que des nuances entre nous sur ce que nous devons faire »… Ces propos sont mesurés et optimistes, mais à force de vouloir se dire d’accord avec tout le monde, guère compréhensibles sur le fond.

Le député Pouria Amirshahi, selon qui « le gouvernement a le socialisme honteux et ne défend même pas sa ligne devant les militants », résume le relatif constat d’impuissance des socialistes critiques, désireux de faire du congrès un lieu de débat sur l’orientation gouvernementale, mais sans incarnation de celle-ci en face d’eux, autre qu’un Cambadélis attentif à maintenir le maximum d’ambiguïtés et de flous idéologiques possibles. « L’unité, ce n’est pas l’unanimisme, s’irrite Emmanuel Maurel. Où sont les contributions d’Emmanuel Macron et de Manuel Valls ? C’est un peu facile de se dissimuler derrière Cambadélis et ses propos généreux, mais on ne peut pas laisser citer Jaurès et proposer dans le même temps la suppression de droits sociaux. » Aucun ministre n’a été autorisé à signer un quelconque texte, et le premier ministre pourrait continuer à se « planquer », laissant Cambadélis en première ligne. Une stratégie qui intrigue Benoît Hamon. « Franchement, à force de ménager tout le monde, il est vide le texte de Camba. C’est impossible de débattre là-dessus… »

Signe de ce flou entretenu, l’aile droite du parti, emmenée par le maire de Lyon Gérard Collomb, a tenu à produire son propre texte, afin de « mettre enfin en phase ce qu’on dit au parti avec ce qu’on fait au gouvernement », dit l’un de ses signataires, le député Christophe Caresche. Celui-ci estime qu’il « faut éviter un congrès stérile d’affrontement, mais aussi un congrès théorisant une pratique molletiste du parti ». « Camba nous dit qu’il est d’accord avec notre texte », explique-t-il ainsi, tout en souriant à l’hypothèse qu’il puisse avoir dit la même chose aux signataires de textes au contenu opposé. « Quand je lis la contribution de Martine Aubry, dit Caresche, je vois une contestation non pas des priorités de la loi Macron, mais de la loi Macron en tant que telle, parce qu’elle serait d’inspiration libérale. Or c’est justement à nous d’assumer la réforme du marché du travail, pour justement la faire mieux que la droite. »

Tout ce monde, de Collomb à Aubry, peut-il se retrouver dans une même motion ? « Il faudra voir quelles seront les conditions de la synthèse et s’il est possible d’avancer en actant des désaccords ou en trouvant des reformulations, dit Caresche. Si l'on ne règle pas ces débats au congrès, on va se retrouver avec les mêmes blocages politiques ensuite. »

Ce soutien de Martine Aubry à son vieil ami Jean-Christophe Cambadélis, un temps espéré dès la contribution, n’est toutefois pas encore acté. La maire de Lille a en effet choisi de déposer sa propre contribution, offensive à l’encontre de la politique gouvernementale.

Cambadélis se dit toutefois « assez » confiant de la voir rejoindre sa motion. « Avec Martine, on n’est pas loin », dit celui qui manie le sourire en coin comme personne. Lui ne voit pas de difficultés à rallier les aubrystes aux côtés des vallsistes et hollandais déjà rangés derrière lui. « C’est pour cela que je souhaiterais que l’on se retrouve sur l’essentiel du texte que je viens d’écrire, explique-t-il, afin de ne pas me faire déporter à gauche ou à droite. Martine ne fait pas de questions de personnes, elle n’a que des questions de principe. »

Dans l’entourage de l’ancienne première secrétaire du parti, les avis divergent encore. « C’est un peu triste à dire, mais on est condamné à l’unité, estime la ministre Marylise Lebranchu. Le souci, c’est de parvenir à un texte majoritaire qui soit riche et respecte les différentes sensibilités et, surtout, le souhait de débats de fond des militants. » À l’inverse, pour un jeune député aubryste, « la raideur de sa contribution rend compliquée la synthèse, et pourrait même laisser penser qu’elle ne ferme pas la porte pour se lancer ». « En tout cas, se félicite-t-il, elle laisse possible l’émergence d’un axe central entre des aubrystes et les amis de Hamon et de Montebourg. »

Premier lieutenant d’Aubry, au point de l’avoir rejointe dans sa ville de Lille, le député François Lamy plaide pour un rapprochement avec « Camba », dont il est un conseiller spécial. À l’inverse, l’ancien directeur de cabinet d’Aubry à Solférino, Jean-Marc Germain, est l’une des têtes de fronde de « Vive la gauche ». Son collègue député Christian Paul résume la situation : « C’est la première fois depuis longtemps qu’on a la chance d’avoir un congrès qui ne soit ni de leadership, ni d’avant-présidentielle ou d’avant-primaire, ni d’après-élection. Il faut trouver un chemin entre le simulacre et l’explosion. Chez les aubrystes, certains sont plus attentifs à éviter l’explosion, et d’autres à éviter le simulacre. » Mais ils sont quelques-uns à penser que « l’appareil aubryste ne sera pas contrôlé et se divisera si Martine se rallie à Cambadélis aux côtés de Valls », ainsi que l’explique un secrétaire national.

Jean-Luc Mélenchon, Cécile Duflot et Martine Aubry, lors des manifestations contre la réforme des retraites, en octobre 2010Jean-Luc Mélenchon, Cécile Duflot et Martine Aubry, lors des manifestations contre la réforme des retraites, en octobre 2010 © Reuters/Charles Platiau

Un congrès “bloc contre bloc” ?

« L’enjeu central, c’est de sortir de “l’esprit du 11 janvier”, explique une chef de file de la contestation, cette fausse unanimité dans laquelle Cambadélis veut nous enfermer, et qui ne repose sur rien d’autre qu’une incantation à la République, sans même savoir ce qu’on met derrière… » Mais à l’heure actuelle, impossible de prédire que le congrès de Poitiers sera celui d’un affrontement “bloc contre bloc” opposant partisans et contempteurs des orientations gouvernementales.

Face à Cambadélis et à la majorité actuelle du parti, l’union est plus qu’un combat, et les contentieux personnels bloquent encore l’émergence d’une “grosse motion” concurrente. « Tout le monde espère une révolte de la base qui emporterait les divisions, une dynamique contestatrice qui obligerait à l’unité », dit une proche de Hamon. Pour Christian Paul, qui nourrit l’espoir de voir “Vive la gauche” faire « boule de neige », il est possible d’assister à « un rassemblement de tous ceux qui veulent se dépasser pour réunir une majorité qui pense que la question économique n’a pas disparu, même si certains le voudraient, et qui s’oppose à la vision d’un pays low cost qui irait se vendre jusqu’en Chine ».

 

À la réunion de Vive la gauche, le 29 novembre, au gymnase Mouchotte, à Paris.À la réunion de Vive la gauche, le 29 novembre, au gymnase Mouchotte, à Paris. © VLG

Mais le leadership de cette contestation crispe quelque peu ses responsables. Pour l’heure, bien que toujours déterminé à « jouer un rôle » dans ce congrès, l’ancien ministre Benoît Hamon n’a pas réussi à unifier les diverses ailes gauches, comme il avait pu le faire lors du congrès de Reims avant de devenir le porte-parole de Aubry. « Aujourd’hui, personne n’est crédible pour incarner l’alternative, assène Marie-Noëlle Lienemann, qui reproche toujours à Hamon d’avoir – avec Montebourg – permis l’arrivée de Valls à Matignon. On n’a pas besoin de profil pour rassembler large, mais d’une motion qui soit collective, dans la clarté et la cohérence. On ne cherche pas un grand leader, mais à mettre le cap à gauche du parti. »

À l’inverse, certains proches de Hamon comme de Aubry estiment qu’un désaccord entre ailes gauches ne serait pas si rédhibitoire, permettant à Hamon de se démarquer du « corner gauche » du parti et d’occuper une position plus « crédible » et centrale face à Cambadélis.

Dans le reste du parti, certains veulent aussi à tout prix éviter cette « logique bloc contre bloc ». Comme Karine Berger et ses camarades de “Cohérence socialiste”, dont la « raison d’être » est d’« éviter un choc entre ultra-légitimistes et frondeurs, qui serait destructeur ». Pour la députée, « le parti doit redevenir une instance permettant de prendre des positions en amont du gouvernement. On ne peut pas faire l’unité pour l’unité, alors que les débats de fond qui ne se tiennent pas minent le parti ». En creux, elle laisse entendre qu’elle et ses amis pourraient « partir à la motion » pour éviter un tel duel redouté, et contribuer à « dépolariser les débats ». « Quand les effectifs sont en baisse, tout le monde a intérêt à faire une motion, explique Lienemann, car on peut faire de bons scores facilement et l’éparpillement réduit les réflexes légitimistes. »

« Il y a deux semaines, Camba avait réussi à imposer sa petite musique selon laquelle le soutien de Martine était acquis et que tout était terminé avant même de commencer, remarque le député Laurent Baumel. Mais finalement le jeu reste ouvert, les contributions nombreuses et le congrès loin d’être gagné pour quiconque. » Emmanuel Maurel, comme plusieurs proches de Benoît Hamon, ont tous affiché la même certitude : « J’ai cru que c’était plié, je ne le crois plus. »

Face à « Camba », beaucoup évoquent les événements inattendus pouvant survenir et jouer en leur faveur, et affirment que le résultat des départementales, selon l’ampleur de la déroute, pourrait rebattre toutes les cartes. Surtout, ils sont nombreux à penser que les votes militants sont « libérés » de l’influence des barons et grands élus socialistes.

Les “votes au canon”, qui ont fait la réputation des “grosses fédérations” au fonctionnement douteux, semblent avoir vécu. Plusieurs fédérations ont été mises sous tutelle, et beaucoup d’« adhésions alimentaires » (celles qui permettent d’obtenir un logement social ou une subvention associative, comme celles qui font bien dans un CV d’employé municipal) pourraient avoir disparu avec l’enchaînement de défaites aux élections locales. Et si quelques tripatouillages subsistent (comme par exemple à Reims), la sincérité des votes devrait être davantage respectée que par le passé.

« On a une vraie difficulté d’interprétation sur le rétrécissement de la base électorale, dit Baumel. On ne sait pas qui est parti, qui est resté et à qui ça profite. » Enfin communiqué ce samedi, le corps électoral de ce congrès s’élèverait à 158 000 votants, soit le nombre total d’adhérents pouvant se remettre à jour, lors du scrutin, de deux ans de cotisations. Sur ces deux dernières années, selon les chiffres communiquées par la direction du PS, ils auraient été 130 000 à avoir voté. Mais ces chiffres devraient être bien éloignés de la participation réelle. À titre de comparaison, ils n’étaient que 75 000 militants PS à avoir voté lors du dernier congrès de Toulouse, en septembre 2012.

Personne ne sait enfin si la cote d’amour dont bénéficie Cambadélis auprès de la presse et de l’exécutif est la même chez les militants. Certains peuvent avoir des critères d’admiration différents, et ne pas forcément être séduits par les talents tacticiens et la carrière politique d’un premier secrétaire qui affrontera là son premier vote. Personne ne sait non plus si, parmi les adhérents, le légitimisme s’imposera au ressentiment.

Paradoxalement, un gros score de l’opposition interne pourrait paralyser les forces de contestation à gauche. « Si la concurrence à Camba fait 45 %, c’est tout bonus pour lui, dit un socialiste envisageant de quitter prochainement le parti. Ça risque d’empêcher tout départ, car les minoritaires pourront prétendre à nombre de places dans les instances et dans les investitures à venir. Et Camba saura très bien jouer de ça… »

BOITE NOIRETous les propos cités ont été recueillis ce samedi en marge d'un conseil national (encore) à huis clos (à ce rythme, le congrès se déroulera d'ailleurs peut-être à huis clos…), ainsi que lors de discussions téléphoniques ou en face à face tenues pendant cette dernière semaine. Le contenu des contributions sera analysé dans un prochain article (le temps de les lire toutes).

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Partielle du Doubs: un séisme pour l’UMP, un avertissement pour le PS

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 « Je ne me réjouis pas, je ne pavoise pas », a commenté le candidat socialiste Frédéric Barbier, soulagé mais lucide, après sa courte victoire sur le Front national. Une défaite eût été catastrophique, mais cette victoire n’en est pas une. Au bout d’une soirée d’angoisse, le communiqué du Parti socialiste allait d’ailleurs dans le sens de son nouveau député : « Cette victoire est une éclaircie, elle ne constitue en rien une embellie. Pour 2017, le danger demeure, non pas d'un 21 avril inversé mais d'un 21 avril aggravé. »

Sophie Montel et Marine Le Pen.Sophie Montel et Marine Le Pen. © (dr)

Effectivement. Esprit du 11 janvier ou pas, la situation de la France est désormais celle-ci : personne ne peut vraiment contredire le diagnostic de Marine Le Pen lorsqu’elle déclare que « le PS a gagné d'un cheveu, mais c'est le FN qui est le grand vainqueur de l'élection ». Même si, naturellement, la victoire d’un cheveu de Sophie Montel aurait fait l’effet d’un K.-O., et que le K.-O. n’a pas eu lieu.

Mais les faits sont là, 51,43 % pour le candidat socialiste, 48,57 % pour la candidate frontiste Sophie Montel. Malgré une mobilisation plus importante (6 403 électeurs supplémentaires au second tour), l’élection s’est jouée à seulement 863 voix. Ce résultat confirme le changement de nature du parti d’extrême droite, d’ailleurs enregistré par toutes les élections partielles : le Front national ne se contente plus, comme au temps de Jean-Marie Le Pen, de réaliser des scores notables au premier tour et de plafonner au second. Il grossit au second tour et profite lui aussi d'une plus forte participation. Il rassemble, pas encore toute la droite, mais une bonne partie d’entre elle.

Entre les deux tours, le candidat socialiste a progressé de 8 832 voix, ce qui est une proportion classique depuis trente ans. Mais la candidate Front national a attiré sur son nom 6 299 voix supplémentaires, et ce phénomène était impensable il y a seulement cinq ans. Souvenez-vous du score de Jean-Marie Le Pen en 2002 : 16,8 % au premier tour, 17,7 % au second !

Si Frédéric Barbier n’a pas perdu, c’est d’abord parce que le “Front républicain”, contrairement à ce que répète l’UMP, n’est pas tout à fait mort. L’addition de toutes les forces de gauche (PS, Front de gauche, écologistes…) plafonnait à 37 points le 1er février. Et le total de toutes les droites atteignait 60 % ! Il a donc bien fallu que des électeurs du candidat UMP aient suivi les conseils d’Alain Juppé ou de Nathalie Kosciusko-Morizet. Comme il a fallu que des électeurs d’Europe Écologie, et du Front de gauche, en dépit du silence de Jean-Luc Mélenchon, se résignent à voter pour “le moins pire”.

Il a aussi fallu que le ni-ni contorsionniste de l’UMP laisse à peu près indifférente une partie non négligeable des électeurs de la droite et du centre, même si on trouve une trace des consignes d’abstention dans l’accroissement des bulletins blancs ou nuls : 2 964 ce dimanche soir, c’est-à-dire 2 000 de plus que la semaine précédente.

Mais le principal enseignement se lit en fait dans la comparaison des élections de 2012 et de la partielle d’hier soir. Au second tour des législatives de 2012, dans un contexte très favorable au PS, Pierre Moscovici avait été élu dans une triangulaire, avec 49,3 % des voix, devant l’UMP à 26,2, et le FN à 24,4. Faites le total de l’extrême droite et de la droite cette année-là, et vous obtenez, grosso modo, le score du 8 février 2015 dans la même circonscription (48,57 %).

Nicolas SarkozyNicolas Sarkozy © Reuters

Ce qui frappe donc dans cette partielle, et qui est sans doute inédit, c’est que le stade de ce qu’on appelait la « porosité » entre les électorats de la droite et de l’extrême droite est désormais dépassé. Face au PS, et face à la gauche en général, la droite et l’extrême droite peuvent ne plus faire qu’un seul groupe et se superposer. Cette réalité crue, si elle se vérifiait ailleurs en France, et notamment lors des prochaines élections départementales et régionales, poserait inévitablement un problème d'identité à la droite centriste et modérée, en dépassant de loin la question du ni-ni.

Il ne s’agirait plus, pour l’UDI comme pour les modérés de l’UMP, de savoir ce qu’il faut faire en cas de second tour PS-FN. Ces mêmes modérés vont devoir choisir : continuer le chemin, ou rompre avec cette droite sarkozyste qui, de concessions en discours de Grenoble, n’hésite plus à se confondre avec sa cousine extrême.  

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MediaPorte : « Toutes nos excuses au FN »

Procès du Carlton : « Mon objectif était professionnel »

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  À la veille de l’audition de Dominique Strauss-Kahn, le tribunal correctionnel de Lille a commencé à se pencher sur l’organisation de repas et des soirées incriminées dans l’affaire du Carlton. David Roquet, ancien directeur d’une filiale du groupe Eiffage, la SNC Matériaux enrobés du Nord, est l’un des deux entrepreneurs qui ramenaient et payaient des prostituées pour des soirées auxquelles participait Dominique Strauss-Kahn. C’est le militant socialiste Fabrice Paszkowski, responsable d'une société de matériel médical à Lens, qui lui a présenté son influent ami, patron du FMI. Tous trois sont jugés pour proxénétisme aggravé.

En costume sombre, cravate, et le crâne rasé, David Roquet, depuis licencié, explique en termes neutres comment l’avocat Emmanuel Riglaire lui aurait tout naturellement proposé sa maîtresse à la fin d’un repas d’affaires au restaurant, sans doute fin 2009. Les deux hommes sont frères de loge et se tutoient. « Je lui fais part d’une maîtresse qui est partie, de ma solitude, raconte David Roquet, 46 ans. M. Riglaire me dit : "J’ai une maîtresse, si tu as des sorties à faire, je suis avec une maîtresse qui peut t’accompagner". »

David Roquet.David Roquet. © (dr)

Quelques mois plus tard, la soirée avec DSK à Paris se profilant, Roquet rappelle l’avocat pour avoir le numéro de Mounia. « Je suis sur la route, je rentre de la cour d’appel de Douai, raconte Emmanuel Riglaire. En toute fin de conversation téléphonique, David me dit : "J’ai une soirée pro à Paris, est-ce que ton amie peut m’accompagner ? Écoute, David vois avec elle". » Tout deux sont aujourd'hui jugés pour proxénétisme aggravé. Mais entre les deux hommes, tout est dans le non-dit, il n’est pas question de tarif, ni de prostitution. Comme si, entre gens respectables, on n’évoquait pas ces détails triviaux. Dominique Alderweid dit « Dodo la saumure », dont Riglaire était alors l'avocat en France, ses clubs de passe et son parler cru sont loin.

Pour l’ancien entrepreneur en BTP, les choses étaient claires : « Quand il m’a dit : "Elle peut t’accompagner", c’était de l’escorting avec prestations sexuelles. » Le ton débonnaire et plein de bon sens, le président du tribunal s’exclame : « Ça va mieux en le disant quand même. Dans ces conditions là, il aurait pu refuser. » « Il y a des gens qui peuvent être ouverts, à laisser aller leur maîtresse ou qui proposent leur épouse », lui rétorque en haussant les épaules David Roquet.

Emmanuel Riglaire connaissait Mounia depuis le début des années 2000, il lui donnait régulièrement des enveloppes « pour l’aider » et l’avait même présentée à René Kojfer, « responsable des relations publiques » au sein des hôtels lillois Le Carlton et l’Hôtel des Tours. Mais devant le tribunal, l'avocat lillois prétend tomber de haut. Il n’était pas au courant de « l’activité prostitutionnelle » de sa maîtresse, la dimension sexuelle des soirées n’aurait jamais été évoquée, de même que le nom de DSK, qu’il n’aurait appris de la bouche de Mounia qu’après la première soirée au Murano.

« J’avais des sentiments pour Mounia, nous avions des relations non protégées. C’est hors de question de partager. » Il tente de justifier le caractère anodin dans son esprit de cet « accompagnement » : « David et moi étions ambitieux. David appartenait à un groupe gigantesque. Vous ne pouvez vous arrêter à un feu rouge dans le Nord sans voir un chantier Eiffage. Qu’il ait des soirées pro à Paris, c’est d’une banalité. Mounia présente bien, Mounia est cultivée, elle peut mettre en valeur un homme qui l’accompagne. »  Bref, un malheureux quiproquo sur la nature du service proposé, à l’en croire.

Selon Roquet, Riglaire lui aurait toutefois déclaré que s’il avait « un extra à faire, elle (Mounia) pourrait faire une prestation », rappelle un assesseur. « Une prestation, ce n’est pas forcément à l’horizontale, rétorque Riglaire. On appelle extra aussi les gens qui aident dans les restaurants. » « On est bien d’accord que M. Roquet ne vous a pas demandé de lui présenter un serveur de restaurant », s’impatiente l'assesseur.

David Roquet rencontre une première fois Mounia, avant de l’emmener au printemps 2010 à l’hôtel Murano à Paris en compagnie de Fabrice Paszkowski et du commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, ex-chef de la sûreté départementale du Nord. « Roquet m’a dit qu’il devait avoir un aperçu, raconte Mounia, 41 ans. Voir si je convenais physiquement à DSK. » L’entrepreneur affirme avoir eu une relation sexuelle pour 150 euros avec la jeune femme lors de ce premier rendez-vous, elle nie. À l'audience, David Roquet ne cache pas que son « objectif était professionnel ». « Pour l’entreprise, j’ai pensé qu’il était important de maintenir le contact avec M. Strauss-Kahn », explique-t-il sans plus de détails pour l'instant.

Selon Mounia, elle et les trois autres prostituées présentes au Murano étaient là uniquement pour DSK. D’ailleurs, une fois leurs prestations achevées au bout « d’une heure et demie ou deux », la petite troupe lilloise reprend le train direction le Nord. « En clair, on vous attendait pour ça, vous êtes venue pour ça et après vous êtes repartie », résume le président Bernard Lemaire. « Pour moi, Roquet organisait cette soirée, il est resté habillé du début à la fin et n’a eu de relations avec aucune des filles », confirme l'ex-prostituée.  

Pour cet après-midi, Mounia affirme avoir été payée 1 500 euros par Roquet et Riglaire. « J’ai eu 900 euros dans le taxi, raconte-t-elle. Il (Roquet) m'a dit que c’était une petite soirée. J’en ai parlé après avec M. Riglaire qui m’a dit de ne pas m’inquiéter. Il m’a donné la différence en plusieurs fois chez moi, trois enveloppes dont deux remises dans le palier et l’ascenseur. » Riglaire proteste, toujours dans le même sens : il n’a jamais fait « l’appoint », il a « prêté de l’argent à Mounia quand elle en avait besoin pour voir ses enfants ». Nuance, donc.

Son avocat, Me Jérôme Pianezza, pointe quant à lui sans concession les contradictions et versions évolutives du témoignage de Mounia, qui s'embrouille parfois dans ses explications. Il note qu’interrogée par la juge d’instruction en février 2012, elle n’avait pas fait état de menaces, à part un ou deux coups de fil anonymes, alors qu’elle évoque désormais des textos « assez menaçants de Riglaire » à l’été 2011. « Car je voulais le protéger, j’ai simplement caché certaines vérités », répond Mounia, qui s’affole : « C’est de l’intimidation, ça commence à bien faire. On me sort des choses, ça commence à bien faire. »

Mais Me Pianezza poursuit son œuvre de sape d'une des principales accusatrices de DSK, en soulignant que l'ex-prostituée a elle-même reconnu avoir menti aux policiers et à la juge d'instruction dans une autre procédure pour escroqueries, classée sans suite. Dans la salle, l’animosité entre la partie civile et l’avocat du prévenu devient presque physique. « Ne me traitez pas de menteuse ! » réplique Mounia. Le président fait redescendre la tension, en reprenant d’une voix qui n’a cette fois plus rien de débonnaire : « Il est clair que c’est un dossier très grave. Je rappelle le poids et les conséquences d’une accusation dans un dossier comme celui-ci de proxénétisme. » « Je ne mens pas », maintient Mounia.

À la demande des avocats de David Roquet, un extrait d'une émission « Envoyé spécial » intitulée « Sexe, business et politique » est projeté. Le reportage est censé démontrer la banalité du recours aux escort-girls dans les milieux d’affaires. On y voit un ancien cadre de l’industriel Dassault dévoiler son arme secrète pour vendre des Rafales – « des grands vins et des call-girls » – ainsi qu’un reportage en caméra caché dans un bar topless parisien où de petits élus sont invités par de petits entrepreneurs du BTP à se rincer l'œil en marge du salon annuel des maires. Après ce reportage qualifié de « navet » par un avocat, l’audience est suspendue, en attendant les auditions prévues mardi de Dominique Strauss-Kahn,  Fabrice Paszkowski et Jean-Christophe Lagarde.

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A Marseille, des policiers poursuivis pour violence ont été relaxés

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Tout l’après-midi ce 29 janvier 2015, les affaires d’outrage et rébellion contre des policiers se sont succédé devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Marseille. Le dernier prévenu, 38 ans, est reparti menotté, direction les Baumettes : un an de prison ferme pour avoir menacé de mort en août 2014 des policiers VTTistes qui patrouillaient à Noailles, quartier populaire du centre-ville.

La procureure Brigitte Lanfranchi n’a pas eu de mots assez durs contre ce prévenu, accusé d’avoir traité de « harkis » les fonctionnaires « et notamment des jeunes policières maghrébines ». « Quand tu seras grand, tu auras des kalach' et des grenades que tu balanceras sur eux », aurait lancé Mohamed à son petit-fils qui l’accompagnait. Il nie, les caméras de vidéosurveillance du marché de Noailles le montrent pointant du doigt chacun des policiers (mais sans le son). Condamné à plusieurs reprises pour vol et usage de stupéfiants, le prévenu prétend avoir voulu jouer le « médiateur » avec des jeunes qui prenaient à partie les policiers.

Il aurait également craché sur une fonctionnaire et donné une gifle à une jeune ADS (adjointe de sécurité), mais les faits ne sont pas poursuivis, au grand regret de la procureur. « Vous croyez qu’à Marseille, on a besoin de vous pour calmer les choses ? Non, à Marseille, c’est de l’armée que l'on a besoin, le tance la procureure. Laissez la police faire son travail et les jeunes abrutis faire les idiots. D’ailleurs ils continuent au même endroit 24 heures sur 24, si cela vous rassure. » L’avocate, commise d’office, qui « ne connaît pas ce monsieur », plaide ce qu’elle peut, c’est-à-dire pas grand-chose. Un an ferme avec mandat de dépôt et l’obligation de verser 500 euros à chacun des deux policiers plaignants pour le « préjudice moral ». Deux agents lui passent aussitôt les menottes, direction les Baumettes.

À 17 h 30, les rôles sont inversés : ce sont trois policiers de l’ex-Bac (brigade anticriminalité) centre de Marseille qui comparaissent à la barre pour des violences volontaires sans ITT sur un mineur lors de son interpellation. La victime, 17 ans à l’époque des faits, n’est pas venue. Dans la salle du tribunal, il ne reste d’ailleurs que des policiers en civil, venus soutenir leurs collègues. Les faits remontent au 6 novembre 2012. Vers 4 heures du matin, les agents municipaux du centre de supervision urbain (CSU) signalent un possible vol de véhicule rue Pollak, à Noailles.

Fausse alerte : les trois policiers de la Bac centre, Éric, 45 ans, Claude, 46 ans, et Cédric, 37 ans, constatent que quatre jeunes « squattent » simplement une voiture appartenant à l'un de leurs amis. Le contrôle et les vérifications aux fichiers durent quelques minutes de trop – « Il y a de l’encombrement sur les ondes », explique le conducteur, Éric : l’un des jeunes, « défavorablement connu pour des vols/violence », s’impatiente et insulte les policiers. Une dizaine de curieux commencent à s’agglutiner autour de la voiture banalisée de la Bac. « On décide d’aller finir les vérifications au commissariat pour éviter l’émeute et là ça part en garde à vue pour outrage et rébellion », résume Claude, le chef d’équipage.

Comme le jeune refuse de monter dans le véhicule et continue à les insulter, l’un d’eux lui porte quatre violents coups de poing au visage « pour que (son collègue) puisse le menotter », l’autre un coup de coude « pour le maintenir » et le dernier deux coups de pied dans les jambes « pour le contraindre à rentrer ses pieds à l’intérieur du véhicule ». Des gestes violents filmés par les caméras de vidéosurveillance du CSU.

« On a fait le strict minimum pour le maîtriser », assure le chef d’équipage devant le tribunal. À l’arrivée au commissariat, le médecin constate « une contusion à la pommette, à la lèvre supérieure et au tibia mais sans ITT », rappelle la présidente du tribunal, Paule Colombani. En fin de garde à vue, le jeune homme se plaint d’un tabassage au sein des locaux de police par un policier dit « le tatoué ». Celui-ci n’était en fait pas de service ce soir-là. Mais du fait de ces accusations, l’OPJ chargé de la procédure visionne et retranscrit les conditions de l’interpellation.

L’affaire en serait sans doute restée là si, un mois auparavant, le scandale de la Bac nord n’avait jeté l’opprobre et le soupçon sur l’ensemble de la police marseillaise. En octobre 2012, trente policiers de la Bac nord ont été suspendus, dix-sept mis en examen et sept écroués avec des inculpations criminelles de « vol en bande organisée, extorsion en bande organisée, acquisition, détention et transport non autorisé de stupéfiants ». Autant dire qu’en novembre 2012, la Bac était dans le viseur du parquet et de l’antenne marseillaise de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale).

« J’imagine que des interpellations de ce style, il y en a tous les jours à Marseille, soupire la présidente. Et là la procédure est montée au cinquième étage (bureau du procureur de la République de Marseille, ndlr). » « L’enquête a été demandée par le procureur de la République lui-même », confirme la vice-procureure Brigitte Lanfranchi. Saisie du dossier, la police des polices a jugé « peu convaincantes » les explications des trois policiers « quant à la légitimité des coups portés ». Et « chose rare et qui n’est pas banale », souligne la vice-procureure, le parquet a décidé de poursuivre les trois policiers devant le tribunal correctionnel.

Le tribunal se montre quant à lui bien plus compréhensif. À la bonne franquette – « on est presque entre nous », lâche un assesseur –, prévenus, juges, avocate et procureur s’installent devant l’écran d’ordinateur de la greffière pour mieux revoir le film de l’interpellation. Les policiers commentent les images des caméras. « Le jeune, le mis en cause… excusez-moi, la victime », s’embrouille le gardien de la paix Éric, qui est également formateur en activités physiques et professionnelles (APP). Il reprend : « Au regard de ces techniques, il faut être qualifié pour en parler. Techniquement, ça rentre dans ce qu’on peut enseigner. Le jeune là fait une tête de plus que nous, je défends quiconque de le menotter sans lui faire mal. » « Fallait être grand, fort et beau comme moi », plaisante à mi-voix l’armoire à glace qui, devant la porte, assure la police de l'audience.

Le policier prévenu a depuis été nommé formateur au sein de la cellule de déontologie de la nouvelle Bac « réunifiée » de Marseille (qui a remplacé les Bacs nord, centre et sud). « C’est dire la confiance que j’ai en lui », témoigne à la barre son supérieur, capitaine à la tête de la Bac. Également cité comme témoin par la défense, Alvaro Fernandes, chef du centre de formation des formateurs à Cannes-Écluse (Seine-et-Marne), assure quant à lui que les violences reprochées aux policiers faisaient partie des « gestes techniques professionnels d’intervention ». Dans son jargon, les coups de poing deviennent des « coups frappés », les coups de pied se transforment en « chassés frontaux armés » et les étranglements en « clefs de cou ». Tout de suite, ça fait moins mal. L’instructeur, un habitué des procès de violences policières, explique que pour menotter un individu récalcitrant « soit on exerce des pressions excessives qui peuvent provoquer des ecchymoses, soit on provoque une diversion en créant une douleur sans blessure ». « On ne va pas faire un cours de technique », s’impatiente la présidente du tribunal.

Un peu gênée aux entournures – « On ne peut pas rayer d’un trait de plume l’enquête de l’IGPN » –, la procureure demande la relaxe pour le donneur de coups de pied et une amende de 1 000 euros sans inscription au casier judiciaire pour les deux policiers qui ont porté les coups de poing et de coude jugés « totalement inappropriés ». « Ce ne sont pas des gestes d’interpellation normaux », dit la procureure. Certes, la victime est « un petit voyou », voire « un abruti notoire », poursuit-elle, mais « faisait-il exception à la règle des délinquants qui ne se laissent pas facilement interpeller ? Tous les délinquants tendent-ils les poignets lorsqu’ils voient arriver les policiers ? ». La procureure précise qu’elle n’a « jamais fait de taekwondo de sa vie », seulement « dix ans de piano », mais qu’« il y a tout de même une maîtrise de soi et de sa personne ».

« Si on n’est pas du sérail, quand on visionne cette vidéo, on voit des violences, comme n’importe quel quidam qui assiste à une interpellation », reconnaît Me Myriam Greco, l’avocate des policiers, elle-même ancienne inspectrice. « Mais pour dire la banalité de cette intervention, le lendemain, le chef d’équipage est venu féliciter ses subalternes de la façon rapide dont elle avait été menée. Et aujourd’hui ils doivent se justifier de n’avoir fait que leur travail ! » Après trois heures d’audience, le délibéré est rapide : les trois policiers sont relaxés. Et chacun rentre chez soi.

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A Amiens-Nord, chacun cherche sa laïcité

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Amiens, de notre envoyée spéciale.-  « Sous couvert d’empathie, de tolérance, on a laissé s’installer des situations qu’on n'aurait jamais dû accepter », affirme tout de go Béatrice (lire la boîte noire de cet article), directrice d’école maternelle à Amiens-Nord, lorsqu’on évoque le nouvel engouement du gouvernement pour la laïcité. Au cœur du « plan de mobilisation de l’école autour des valeurs de la République », décrété au lendemain des attentats de Paris, la laïcité a été mise en avant comme la valeur refuge d’une société française encore sous le choc. « Tout commence par la laïcité », a ainsi martelé François Hollande lors de sa dernière conférence de presse.

Dans cette école maternelle située à Amiens-Nord, au cœur d’un quartier présentant toutes les caractéristiques du ghetto urbain et qui a été le théâtre d’émeutes urbaines voilà deux ans, ce discours va droit au cœur de la directrice.  Rencontrée à l'époque pour parler de la réforme des rythmes scolaires, elle avait évoqué des tensions parfois quotidiennes avec les familles sur les questions de religion et avait regretté que la presse s’y intéresse si peu.

Amiens-NordAmiens-Nord © LD

«Je passe mon temps à discuter avec des parents qui s’inquiètent de la présence d’alcool dans la galette des rois, d’autres de la composition des bonbons distribués lors des anniversaires… J’ai parfois l’impression que tout mon temps avec les parents y est englouti», assure cette directrice nommée depuis huit ans dans ce quartier classé zone de sécurité prioritaire (ZSP) après les émeutes de juillet 2012. Émeutes au cours desquelles l’école maternelle voisine avait été incendiée.

Le quartier a retrouvé de la sérénité, affirme-t-elle, mais le repli religieux guette, en particulier au sein de l’importante communauté musulmane qui y réside, la plupart des familles étant issues de la même région du Maroc. « L’autre jour, une maman est encore venue me demander si on utilisait des bouillons Knorr dans l’eau de cuisson, parce qu’il y a du porc. Là, j’ai explosé et lui ai dit que je n’avais vraiment pas le temps de me pencher sur la composition de l’eau de cuisson des haricots et que, d’ailleurs, la cantine n’était pas obligatoire ! », raconte Béatrice qui reconnaît par ailleurs friser le surmenage, elle qui n’a qu’une journée de décharge par semaine pour s’occuper de faire tourner l’école.

Certains parents ont récemment refusé que leurs enfants participent aux anniversaires organisés par l’école : «Une maman m’a dit que c’était du paganisme !», s’étrangle-t-elle. D’autres, une petite minorité, n’acceptent pas non plus que leur enfant soit pris en photo.

De l’avis des enseignantes de l’école, les récents attentats de Paris ont créé un climat de gêne diffuse avec les parents. « On a senti un vrai malaise dans les jours qui ont suivi. Très peu de parents nous en ont parlé », rapporte la directrice d’école maternelle qui décrit une équipe enseignante « très choquée par les événements ». La fresque réalisée par les enfants en hommage aux victimes affichée à l’entrée de l’école n’a suscité aucun commentaire, aucune remarque, au grand dam de la directrice.

« Une maman musulmane est venue me voir pour me dire : "Mais qu’est-ce que vous allez penser de nous ? C’est pas ça l’Islam." Je lui ai dit que je ne faisais évidemment pas d’amalgame. J’ai quand même ajouté que si elles n’étaient pas d’accord avec ce qui s’était passé, il fallait qu’elles le disent haut et fort », raconte une enseignante qui, comme toutes ses collègues, habite à Amiens-Sud. Un autre monde. « Une maman m’a aussi confié qu’elle avait peur de la montée du racisme, peur pour ses enfants », ajoute-t-elle.

Panneau réalisé par les enfants d'une école maternelle après les attentatsPanneau réalisé par les enfants d'une école maternelle après les attentats © LD

L’an dernier, la polémique sur les ABCD de l’égalité – ce programme destiné à promouvoir l’égalité filles-garçons à l’école – a viré ici au psychodrame et a sans doute laissé quelques traces dans la relation de certaines familles avec l’école. « Dix-huit mamans sont venues me voir en me montrant ces SMS délirants qui expliquaient que l’école allait apprendre à leurs enfants à se masturber », se souvient la directrice. Et le jour de la première journée de retrait de l’école, à l’appel du mouvement de Farida Belghoul, beaucoup d’enfants ont manqué à l’appel.

Après moult discussions avec les familles, une réunion a été organisée pour déminer les choses. « L’ambiance était électrique », se rappelle une enseignante. Si dans l’ensemble la confiance a pu être rétablie, dans les semaines qui ont suivi, quatre enfants – trois en élémentaire, un en maternelle – ont été définitivement retirés de l’école par leurs familles. « Ils ont d’abord été inscrits dans l’école privée catholique et sont aujourd’hui scolarisés à domicile », regrette la directrice.

Ici, les mères voilées – une majorité dans l’école – n’ont jamais été interdites de sorties scolaires, par pragmatisme assure la directrice,. Mais alors que certaines écoles d’Amiens-Sud les excluaient, la question est revenue comme un boomerang dans l’école. « Lors d’une sortie, il n’y avait ce jour-là que des mamans non voilées pour accompagner les enfants, c’était un hasard, elles avaient dû se proposer plus tôt,  mais plusieurs mamans voilées sont venues ensuite m’interpeller », soupire Béatrice. 

À l’école élémentaire voisine, qui accueille donc les mêmes familles, le directeur a un tout autre discours. « Dans l’ensemble, les choses se passent plutôt bien. Le plus important est de décrisper ces questions. Il faut être compréhensif, faire preuve de diplomatie parce que si on va au clash avec les familles, on le paie durablement », explique-t-il.

Pour lui, tout est question de posture. Si l’école se montre constamment sur la défensive, elle ne peut que provoquer le repli. Il se dit néanmoins inquiet face aux récents cas de déscolarisation, dans le sillage de la polémique sur les ABCD de l’égalité. « C’est une préoccupation nouvelle. Est-ce que la solution, c’est qu’il existe une école musulmane ? Je n’y suis, personnellement, pas favorable parce que ce serait rajouter encore de la ségrégation à la ségrégation,  mais c’est une demande légitime puisque la majorité des familles ici sont de confession musulmane et qu’il n’existe dans le secteur qu’une école confessionnelle catholique. »

Dessin d'enfants à l'école maternelleDessin d'enfants à l'école maternelle © LD

L’école catholique du secteur, Notre-Dame de Bon Secours, a d’ailleurs séduit de plus en plus de familles musulmanes ces dernières années. « Aujourd’hui, je dirais que la majorité des familles qui fréquentent l’école sont musulmanes. Mais ils ne la voient pas la croix ou quoi? On peut pourtant pas la rater ! » s’amuse Agathe, une mère chrétienne d’origine africaine qui y a scolarisé ses enfants.

« Les enfants sont mieux surveillés. Ils nous appellent tout de suite si l’enfant est en retard, absent… », explique une mère musulmane d’origine marocaine qui n’a pas trop envie de donner son nom et pour qui l’identité catholique de l’établissement ne pose aucun problème et garantit une tolérance face à la pratique religieuse. Quand on lui demande si elle souhaiterait qu’une école musulmane s’ouvre dans le quartier, elle répond : « Je ne sais pas. Le plus important, c’est que les enfants apprennent bien. » Selon Agathe, l’arrivée massive des familles maghrébines à Notre-Dame de Bon Secours a eu pour effet de faire fuir « les Blancs », qui se sont retournés vers l’école publique…

Dans ce quartier défavorisé, la mixité se conquiert au forceps. Au collège du secteur, classé REP+, c’est-à-dire parmi les trois cents établissements les plus difficiles du pays, c’est d’ailleurs une des choses dont l’équipe éducative est la plus fière. Après les émeutes de 2012, les responsables du collège et les enseignants ont bataillé pour obtenir qu’une ligne de bus relie le quartier Saint-Pierre, un quartier limitrophe mais nettement plus bourgeois, et le collège. Présentant des résultats au brevet dans la moyenne départementale, bénéficiant de locaux modernes et ayant su s’attacher une équipe d’enseignants très stable – fait plutôt rare en éducation prioritaire –, le collège a convaincu les familles de Saint-Pierre de jouer le jeu.

« Nous avons toujours 70 % d’élèves issus de CSP défavorisées mais nous avons aussi désormais des enfants de classe moyenne et de cadres. » « Il y a même des profs qui y mettent leurs enfants ! », confie la directrice de l’école maternelle voisine. Un signe qui ne trompe pas.

Là même où, il y a vingt ans, avaient démarré les polémiques sur le port du « foulard » après des exclusions d’élèves voilées dans ce collège, et qui avaient abouti à la circulaire Bayrou interdisant le port de signes religieux ostentatoires, les enseignants rencontrés assurent que la question de la laïcité ne fait aujourd’hui pas spécialement problème. Sur quatre cents élèves, une poignée de jeunes filles portent le voile et l’enlèvent à l’entrée de l’établissement, sans tension particulière. 

Salle des professeurs du collège Arthur-RimbaudSalle des professeurs du collège Arthur-Rimbaud © LD

« Ensuite, le problème, c’est qu’est-ce qu’on met derrière le mot laïcité ? » s’interroge un enseignant du collège. « J’ai l’impression que tout le monde est un peu perdu face à ce débat-là. Au départ, c’était un combat anticlérical plus qu’antireligieux. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’on soit encore là-dedans », ajoute-t-il.

Ici aucun incident n’a été signalé dans les jours qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo. « Il y a bien un élève qui a dit "Moi, je suis un terroriste, au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, raconte ce professeur, mais on les connaît : ils savent bien ce qu’il faut dire pour nous déstabiliser. Il ne faut surtout pas sur-réagir », assure-t-il, ébahi par les récentes histoires de collégiens se retrouvant au commissariat en étant accusés d’apologie du terrorisme. Ce climat apaisé tient aussi au fait que des interventions régulières ont lieu de longue date au collège sur ces questions. 

Mohamed El-Hiba dirige l’association Alco qui accueille tous les soirs les élèves dans ces locaux du quartier afin de leur dispenser du soutien scolaire. Il fait aussi de la médiation interculturelle dans les établissements scolaires. Lui aussi observe avec un peu d’agacement une séquence politique lors de laquelle le gouvernement semble découvrir les quartiers ghettoïsés et où chacun rivalise de solutions miracle. « Il n’y a rien de pire que l’unanimisme forcé », avance-t-il pour qualifier ce moment très particulier de « l’après-Charlie ».

« On est dans un moment passionnel, totalement irrationnel. Les mômes que nous recevons ici posent effectivement des questions dérangeantes mais quand on est pédagogue, on n’a pas le droit de faire l’économie d’explications. Les obliger à se taire, c’est faire naître de terribles rancœurs », dit-il, exaspéré que l’on ait sommé les élèves « d’être Charlie ». « Un gamin qui reçoit ça en pleine poire, on peut comprendre qu’il ait envie d’aller à contre-courant », avance-t-il.

Présenter la défense de la laïcité comme solution à tous les maux dans ces quartiers ghettoïsés le laisse perplexe. « Il n’y a pas de remède miracle, il faut arrêter de délirer. Ce sont des politiques pour lesquelles il faut du souffle, de la sérénité, certainement pas du coup par coup », affirme-t-il. « La laïcité, peu de gens la comprennent. Elle devient parfois une religion. Aujourd’hui, la France est multiculturelle, c’est un constat. Donc, la seule question à se poser c’est qu’est-ce qu’on en fait ? » interroge-t-il, lui qui estime que le pays n’a pas encore digéré la présence de l’islam en France.

« La philosophie, les grands principes, c’est bien, mais il faut avoir les pieds sur terre ! On est dans un quartier traversé par la misère économique, affective, un déficit culturel, rappelle-t-il, soulignant le taux de chômage qui frise les 40 % dans le quartier, le grand nombre de familles mono-parentales qui galèrent, et tous ces jeunes diplômés qui ne trouvent pas de boulot… Les priorités sont ailleurs. Les gamins d’ici, c’est pas la peine de leur servir un discours sur la laïcité, il faut décliner en pratique. Nous, on lutte contre la fatalité que beaucoup de jeunes d’ici ont complètement intégrée. Une de nos missions est de parler autrement de l’école. Ils ont parfois des phrases très dures contre les enseignants. Notre travail, c’est de leur expliquer qu’ils sont là pour eux et que la réussite, l’ascenseur social, à part quelques lascars qui ont réussi sans, c’est quand même l’école. C’est l’école qui donne les outils de pouvoir. Notre bagarre, c’est celle-là. Leur apprendre à lire une société à travers le savoir et la connaissance », explique-t-il.

Dans ces interventions de médiation interculturelle à l’appel des établissements scolaires, Mohamed El-Hiba reconnaît s’adresser autant aux élèves qu’aux enseignants. Confronté à l’absentéisme à la séance de piscine en période de ramadan, il vient discuter avec les collégiens musulmans. « Ils me disaient mais monsieur l’eau, c’est interdit. Moi, je leur ai répondu mais vous prenez Allah pour un idiot ou quoi ? Si vous buvez sans faire exprès, il le sait… » Il a récemment dû rassurer une directrice de maternelle estomaquée qu’une mère d'élève lui ait apporté une « fatwa » sur l’éducation des enfants en lui expliquant le sens du terme dans l’islam.

Helena et Agathe au local de l'AlcoHelena et Agathe au local de l'Alco © LD

Trois fois par semaine, des femmes du quartier se rendent aussi à l’association, soit pour un atelier couture soit pour un café-discussion. La plupart sont venues ici par le biais de leurs enfants et à la faveur de cours de soutien scolaire, et trouvent ici un espace d’échange « qui les sort de chez elle », explique Helena, qui anime ces ateliers. « On parle de tout et rien mais au fond, on a toutes les mêmes problèmes : les mecs qui nous cassent les pieds, les enfants que l'on voudrait voir réussir », précise-t-elle.

Le thème de l’école revient souvent dans les conversations. Lorsqu’on évoque les tensions rapportées par la directrice de l’école maternelle voisine, Helena ne se dit pas surprise. « Ces femmes ressentent un malaise parce qu’elles sentent une hostilité envers ce qu’elles sont. Cela ne date pas de Charlie mais là c’est encore pire », assure-t-elle. Les malentendus avec l’école sont parfois grands. Ce matin-là, une mère raconte avoir été très choquée parce qu’un enseignant a dit « Vous vous foutez de ma gueule ! » à sa classe de CE1. « Pour elles, c’est vraiment un gros mot et c’est grave. C’est quand même un peu décalé par rapport à toutes les conneries que nous racontent leurs gamins »,admet Helena, « mais bon, c’est toujours bien de discuter ! ».

Venue du Portugal, Helena se dit toujours étonnée par le poids des non-dits dans la société française. Après les attentats, elle raconte avoir assisté à un grand raout avec la sous-préfète sur la politique dans les quartiers. « Cela parlait de contrats de ville, etc., mais pas un moment le mot "religion" n’est sorti. C’est absurde ! Et cela montre à quel point il y a toujours un malaise. Moi je n’ai pas ce problème, je préfère nommer un chat un chat », lance-t-elle.

Ici, à l’abri du quartier, les discussions sont effectivement franches et animées. « Hier, on a eu une longue discussion sur les caricatures du Prophète. Elles condamnaient toutes l’entêtement de Charlie Hebdo. Je leur ai dit : "Moi franchement si vous pensez que votre prophète, il a une tête de bite, c’est vraiment que vous avez un problème !" Certaines étaient choquées, d’autres ont rigolé. L’une m’a même répondu : "Tu as raison Helena, les vrais religieux pensent comme toi !" », dit, tout sourire, cette athée revendiquée.  

L’affluence dans les cours de soutien scolaire – l’Alco suit 176 enfants du quartier – témoigne de l’inquiétude de ces familles vis-à-vis de l’école, même si l’ambition scolaire est parfois limitée. « L’autre jour, on s’est un peu bagarré avec une mère. Sa fille de 14 ans réussit très bien au collège mais la mère n’a aucune ambition pour elle, elle dit qu’elle a déjà un cousin qui l’attend au bled pour se marier. Je lui ai dit : "Mais ta fille, elle peut être ministre !" » Najat Vallaud-Belkacem, l’actuelle ministre de l’éducation nationale, aurait bénéficié ici-même de cours de soutien scolaire lorsqu’elle habitait le quartier. Ici, la chose paraît tellement irréelle, que chacun prend ça pour une boutade. 

BOITE NOIREAprès un premier accord de principe, l'inspection a refusé de nous laisser interroger les directeurs d'école et les enseignants sur le thème jugé « trop sensible » de la laïcité. Nous avons donc décidé de changer les prénoms ou de faire témoigner anonymement les enseignants.

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Procès Bettencourt : Arros, l'île de la tentation

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Bordeaux, de notre envoyé spécial. Quelques amis intéressés de Liliane Bettencourt n’appréciaient pas uniquement sa compagnie pour les donations en millions d’euros, les repas fins dans les grands restaurants, et les réceptions dans son hôtel particulier de Neuilly orné de toiles de maîtres. Le procès qui entre dans sa troisième semaine au tribunal correctionnel de Bordeaux permet aussi de découvrir, ce lundi, les délices de l’île d’Arros. Un archipel de rêve aux Seychelles, aménagé avec plusieurs maisons d’architecte et piscine d’eau de mer, où nombre de représentants de la haute société sont venus barboter, ainsi que Patrice de Maistre, François-Marie Banier, et les avocats Georges Kiejman et Fabrice Goguel, parmi d’autres.

Les Bettencourt ont acheté l’île aux Pahlavi, la famille du shah d’Iran, en 1997. Les fonds ayant servi à régler cette acquisition, 8 millions de francs suisses (soit 18 millions de dollars), ayant été pris sur un contrat assurance-vie de 65 millions d’euros dissimulé en Suisse puis aux îles Caïmans, les Bettencourt n’ont pas voulu apparaître comme les propriétaires de l’île aux yeux du fisc français, mais plutôt comme ses locataires. C’est une société fiduciaire basée au Liechtenstein qui détenait officiellement l’archipel.

Mais fin 2006, l’année que les experts ont retenue comme étant celle où Liliane Bettencourt a commencé à se trouver en état de faiblesse, la propriété de l’île est transférée à une mystérieuse fondation, qui se donne pour objet principal de préserver ce site unique en l’état.

L'île d'ArrosL'île d'Arros

Le pot aux roses n’a été éventé que plus tard, grâce aux fameux enregistrements du majordome des Bettencourt. En avril 2010 (puis en juillet face aux policiers), on y entend une Liliane Bettencourt diminuée, ne semblant pas se souvenir qu’elle n’est plus propriétaire de son île, qui lui coûte pourtant une fortune. Cette fondation exotique, à l’intitulé vaguement écologique, qui a pris possession de l’archipel, est présidée par l’avocat fiscaliste Fabrice Goguel. Quant aux bénéficiaires désignés par un règlement ad hoc, il s’agit de deux associations appartenant à des scientifiques proches de François-Marie Banier, et enfin au photographe lui-même. Si le but scientifique de la Fondation ne pouvait être rempli, le bénéficiaire de l’île serait François-Marie Banier ou, en cas de décès, son compagnon Martin d’Orgeval.

Décidément très généreuse, Liliane Bettencourt avait doté cette fondation de 20 millions d’euros en 2008. Mais elle s’acquitte encore d’un loyer de 780 000 euros par an, rémunère aussi le gestionnaire de l’île 100 000 dollars par an, et règle en outre d’importants frais d’entretien qui augmentent régulièrement.

« Je ne suis alerté d’être le bénéficiaire qu’une fois que les choses sont faites, je suis entièrement étranger à ce montage compliqué », assure à la barre François-Marie Banier. L’air un peu las, le photographe préféré de la milliardaire suggère que l’avocat Goguel a dû le désigner bénéficiaire par « malice », pour « faire plaisir » à Liliane. Mais il reprend de suite son refrain préféré, espérant chasser des débats toute idée d’abus de faiblesse : « Madame Bettencourt n’est pas une femme manipulable, elle ne fait que ce qu’elle veut. »

Cette belle histoire se heurte encore à quelques détails curieux, comme ces 100 000 euros d’honoraires aux avocats qui ont transféré l’île à la fondation, versés depuis un compte suisse de Banier. Ou encore ces lettres au ton cruel, dans lesquelles l’artiste reproche à Liliane de ne pas l’y inviter assez souvent avec ses amis, alors qu’il dit avoir déniché cette île pour elle. « Ce sont des exutoires, des lettres à moi-même, je ne les ai pas envoyées », se défend Banier. Toujours la fameuse licence poétique. Le photographe s’autorise même, en réponse à une question du président, ce mot sur sa bienfaitrice : « C’était une femme très très très autoritaire (sic), et un petit peu manipulatrice. »

Innocent comme l’agneau, Banier ignorait bien sûr que l’héritière L’Oréal payait un loyer pour une île qui lui appartenait. Il préfère s’emporter sur les « domestiques félons » qui ont osé témoigner contre lui.

Malheureusement, l’ancien gérant de l’île d’Arros, Carlos Vejarano, renvoyé lui aussi devant le tribunal, est absent du procès pour raisons de santé. Il est accusé d’avoir grassement surfacturé l’entretien et les travaux sur l’île, et d’avoir prélevé indûment quelque 3,5 millions d’euros entre 2007 et 2010, pour son usage personnel. « Il vous vole », dit à son propos Patrice de Maistre, lors d’une conversation avec Liliane Bettencourt enregistrée le 23 avril 2010, alors que la plainte de sa fille unique commence à poser problème à quelques-uns.

Dans cet extrait, diffusé en public sans la salle d’audience, Maistre se vante d’avoir eu au téléphone son ami Patrick Ouart, ancien conseiller à la justice de Nicolas Sarkozy. « Le président continue de suivre cette affaire de très près. On peut se dire qu’en cour d’appel, si vous voulez, on connaît très très bien le procureur. Je n’ai rien dit à Kiejman… »

Liliane Bettencourt semble alors en petite forme, et pas vraiment au fait de ce qu’est l’île d’Arros :
« C’est lui, c’est François-Marie Banier qui pour le moment est le futur propriétaire de l’île
, expose Patrice de Maistre.
— L’île, comment elle s’appelle ?
 D’Arros.
Carlos ?
 D’Arros ! … Banier a mis l’île dans une fondation, vous avez donné 20 millions d’euros à la fondation, et maintenant il faut payer l’entretien en plus ! » s’inquiète le gestionnaire de fortune.
Son rôle dans cette affaire ayant consisté à réduire les dépenses de la milliardaire, Maistre a obtenu un non-lieu sur ce point.

Dans un autre extrait d’enregistrement, daté du 26 mai 2009, on entend un Carlos Vejarano doucereux multiplier flatteries mielleuses et phrases creuses, pour essayer d’obtenir de Liliane Bettencourt (assez alerte ce jour-là), sa garantie bancaire pour acheter un appartement à 7,5 millions d’euros. Maistre trouvait la somme trop élevée. Pour finir, Vejarano a reçu un don de 2 millions d’euros. « Avez-vous acheté son silence ? » demande le président. « Nous étions soucieux. Il y avait beaucoup de bruits, il disait que des journalistes l’appelaient… J’ai essayé d’aider, mais ce n’est pas moi qui avais à craindre du scandale », souffle Patrice de Maistre.

Toujours pour "aider", Maistre a participé au rapatriement de fonds cachés en Suisse pour les Bettencourt, et dit le regretter amèrement. Mardi, le tribunal doit interroger Éric Woerth sur les 50 000 euros qu’il aurait reçus de Claire Thibout. Traumatisée par cette affaire, l’ancienne comptable des Bettencourt devrait être entendue par visioconférence.

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Biens mal acquis: rivières de diamants et valise de cash à Neuilly

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Au 76 bis du boulevard Bourdon, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), les policiers ont commencé leur perquisition par le cinquième étage. L’appartement, d’une superficie totale de 638 m2, occupe également les deux niveaux supérieurs. Le plus élevé, le septième, se résume à une immense terrasse de 100 m2. Vue imprenable sur la tour Eiffel, les tours du quartier de la Défense et, par beau temps, sur la pointe de la basilique de Montmartre. En dessous, au sixième, l’ambiance respire le luxe, le marbre et les canapés en daim blanc.

La valise découverte chez Edgard Nguesso, neveu du président du Congo-Brazzaville.. La valise découverte chez Edgard Nguesso, neveu du président du Congo-Brazzaville.. © DR

Mais c’est le dressing qui réservera, ce 3 octobre 2014, à 9 heures du matin, la plus saisissante des découvertes policières. Une valise en cuir marron est posée là, par terre. Elle est cadenassée. L’une des occupantes des lieux, présente au moment de la descente de police, remet la petite clé aux enquêteurs. La valise était bourrée de cash. Les euros sont sous vide ou dans des enveloppes frappées du sigle du Georges V, l’un des plus beaux palaces parisiens. Les dollars, eux, ont été glissés dans des enveloppes kraft. Il y en a pour plusieurs centaines de milliers d’euros.

Sur procès-verbal, les policiers sont tenus d’en faire le décompte fastidieux. Il y a, au total, vingt-quatre liasses de cent billets de 100 euros — soit 240 000 euros ; une liasse de cent billets de 200 euros, plus encore dix billets de 200 — soit 22 000 euros ; sept liasses de cent billets de 200 dollars et une liasse de dix billets de cent — soit 71 000 dollars ; cent billets de 10 francs CFA et soixante-sept billets de 10 000 francs CFA — soit 1 670 000 francs CFA.

Un peu plus loin, dans des sacs à main ou dans des boîtes du joaillier Chopard, à Genève, des bijoux : rivières de diamants, colliers et bagues de pierres précieuses en tout genre. Ailleurs, des dizaines de montres de luxe, elles aussi serties de diamants et d’or. Les policiers mettent également la main sur une dizaine de téléphones portables. Le butin d’un braquage ? En quelque sorte.

Quelques montres...Quelques montres... © DR
Et des bijoux... Et des bijoux... © DR

Ce jour-là, les enquêteurs de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ont ajouté une nouvelle adresse sur leur carte, déjà bien garnie, des “Biens mal acquis”, du nom de cette enquête judiciaire qui fait trembler les chancelleries de trois pays africains : le Gabon, la Guinée-Équatoriale et le Congo-Brazzaville. Saisie par plusieurs ONG, la justice française piste depuis cinq ans les « détournement de fonds publics », « blanchiment » et « abus de biens sociaux et de confiance » susceptibles d’être aujourd’hui reprochés aux dignitaires de ces trois pays qui, à l’extrême inverse de leur population souvent miséreuse, vivent dans l’opulence à Paris et alentour.   

Au 76 bis du boulevard Bourdon, à Neuilly, c’est du Congo qu’il est question et tout particulièrement de l’un des piliers du régime, Edgard Nguesso. Dans le grand “qui est qui ?” de l’affaire des Biens mal acquis, lui, c’est le neveu de Denis Sassou Nguesso, maître du Congo-Brazzaville, qu’il dirige sans discontinuer depuis 1997 d’une main de fer. Né le 29 septembre 1967 à Brazzaville, Edgard Nguesso n’a pas seulement un nom qui compte, il a aussi un titre qui en impose : directeur du Domaine présidentiel.

Dans cette affaire, la position du Congo consiste à affirmer que les investigations judiciaires françaises sont « illégales au regard du droit international », selon l'un des avocats du régime cité par l'Agence France-Presse, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi.

Dans une précédente enquête sur le « shopping de la corruption » du clan Sassou à Paris, qui a réussi l’exploit de dépenser 7,7 millions d’euros dans les plus beaux magasins de la capitale en moins de quatre ans, Mediapart avait déjà montré qu’Edgard Nguesso savait tenir son rang. C’est lui qui a, par exemple, dilapidé 1,04 million d’euros (dont près de 200 000 en espèces) chez le joaillier Arije. Lui qui s’est offert chez Dubail, place Vendôme, en 2006, trois montres pour 94 484 €, dont l’une d’elles — une IWC “Tourbillon” en or rose — a coûté a elle seule près de 60 000 €. Lui encore qui a claqué chez Pape 443 452 € pour l’achat de 140 costumes.

En perquisitionnant son triplex de Neuilly, les policiers ont atteint l’une de ses plus onéreuses acquisitions. Le bien, vendu en février 2008, a coûté 2 328 000 euros. La transaction a été opérée par l’intermédiaire d’une société civile immobilière (SCI) baptisée M.IMMO, selon l’acte notarial. Edgard Nguesso a tout fait pour ne pas apparaître comme propriétaire du triplex. Dans le hall d'entrée de l’immeuble, les policiers n’ont d'ailleurs trouvé nulle part la trace du nom du neveu du président congolais. Les boîtes aux lettres supportaient cette seule inscription : « SCI M.IMMO », une société de droit congolais.

Les investigations menées auprès de l’opérateur Orange ont pourtant vite démontré que la ligne fixe du triplex avait été ouverte au nom d’une certaine “Claudie NGouelondele”. Soit le nom de jeune fille et le deuxième prénom de Michèle Nguesso, l’épouse d’Edgard… Mieux, les éléments fournis par le syndic de copropriété ont permis d’établir que les charges avaient été réglées par la même Mme Nguesso pour un montant total de 53 500 euros. Le tout en espèces.

Au total, plus de 1,5 million d’euros de travaux (dont 90 000 euros d’enceintes Bang & Olufsen…) ont été effectués dans cet appartement après son acquisition. Les sommes ont été réglées par l’intermédiaire d’une société offshore, CIPCI International, comme l’AFP l’a déjà indiqué. C’est cette même société-taxi, domiciliée dans le paradis fiscal des îles Vierges britanniques, qui a réglé 200 000 des 290 000 euros d’honoraires de l’architecte qui a mis en musique le chantier. Le reste a été payé par des chèques établis au nom… d’Edgard Nguesso.

François Hollande et Denis Sassou Nguesso, le 8 avril 2013.François Hollande et Denis Sassou Nguesso, le 8 avril 2013. © Reuters

Dans un procès-verbal de synthèse du 9 octobre, les policiers écrivent : « L’étude du compte de la société CIPCI International nous a permis de démontrer que ce compte est essentiellement alimenté par des fonds provenant de la Direction générale du Trésor du Congo-Brazzaville ; qu’il sert essentiellement pour des dépenses personnelles comme des vêtements et bijoux de luxe, des véhicules de luxe, des séjours à la Réserve Paris (un palace parisien – ndlr) mais également pour payer les fournisseurs ayant effectué des travaux pour le bien situé 72 bis boulevard Bourdon à Neuilly-sur-Seine et dont notre enquête a démontré que les réels propriétaires des lieux sont Edgard et Michèle Nguesso. »     

Au Congo-Brazzaville, qui fait partie des « pays pauvres très endettés » (PPTE) référencés par la Banque mondiale, près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’accès à l’eau potable ou à l’électricité demeure encore difficile. Le taux de chômage national dépasse les 30 %. Un quart des enfants de moins de 5 ans y souffre de malnutrition chronique.

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L'ex-ministre Raincourt reconnaît avoir été payé depuis un compte HSBC de l'UMP

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Après nos révélations, il s'est d'abord muré dans le silence. Et puis ce week-end, le sénateur et marquis de Raincourt (UMP), artisan et bénéficiaire d'une combine inédite dans les annales de la Ve République, est allé à confesse – au moins partiellement. « Ils échafaudent (à Mediapart) des affirmations qui ne sont pas totalement fausses », a-t-il concédé dans un entretien discret à L'Yonne républicaine, le journal de sa circonscription.

Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon.Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon. © Reuters

Ce pilier historique de la droite sénatoriale, propulsé ministre de Nicolas Sarkozy en juin 2009, reconnaît ainsi qu’il a bénéficié d’un virement automatique de 4 000 euros par mois depuis un compte bancaire du groupe UMP du Sénat, à l’époque où il était au gouvernement.

D’après les documents en notre possession, ces versements cachés ont duré jusqu’en mars 2011, soit pendant vingt et un mois. Ils émanaient d’un compte bancaire secret ouvert chez HSBC au nom du « groupe UMP du Sénat », distinct du compte officiel du groupe, d'ailleurs placé dans une tout autre banque (voir notre précédent article sur cette cagnotte visiblement réservée à une poignée d’anciens Républicains indépendants, rivaux historiques du RPR).

En clair, des fonds secrets d'origine publique, théoriquement destinés à financer des activités parlementaires, ont servi à doper en cachette le salaire d'un ministre de la République (qui avoisinait déjà les 14 000 euros). « C'est hallucinant », commentait ce week-end un conseiller haut placé dans les arcanes du parlement.

Cette mise sous perfusion d'un ministre heurte en effet le principe de séparation des pouvoirs inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès 1789 (« Toute Société dans laquelle (...) la séparation des Pouvoirs n'est pas déterminée n'a point de Constitution »). Elle choque d'autant plus que Henri de Raincourt a été chargé des « relations avec le parlement » dans le gouvernement Fillon (avant d'être transféré à la « coopération »).

Conscient du paradoxe, l’intéressé est bien obligé, interrogé par L'Yonne républicaine, d'admettre quelques torts. « Rétrospectivement, le problème étant aujourd'hui sur la table, il est bien évident que nous aurions suspendu (les versements, ndlr) », lâche Henri de Raincourt, en admettant « une mauvaise pratique ». Ce pur produit du sérail entré au palais du Luxembourg en 1986, fils de sénateur et petit-fils de conseiller général, marié à la fille d’un ancien député, regretterait presque : « Je suis conscient que ce qui se pratiquait à la bonne franquette ne soit plus accepté par l'opinion. »

Relancé lundi par Mediapart, l'élu continue toutefois de fuir nos questions. Elles sont multiples : y avait-il une contrepartie à ce virement de 4 000 euros par mois ? Ne faut-il pas considérer que ces versements automatiques ont constitué un revenu ? Henri de Raincourt l'a-t-il déclaré au fisc ? En a-t-il fait mention dans ses déclarations à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée de contrôler le patrimoine et les conflits d'intérêts des élus ?

Son collègue Jean-Pierre Sueur (PS) n'en revient pas. « Il est profondément anormal qu’un ministre ait été payé par un groupe parlementaire, en l’occurrence par des fonds du Sénat, s’offusque ce vice-président de la commission des lois. C’est contraire à la séparation des pouvoirs. Les sommes versées aux groupes politiques, notamment pour recruter des collaborateurs, doivent servir exclusivement au travail parlementaire, certainement pas à financer un ministre ! »

Pour rappel, le Sénat a distribué 3,7 millions d’euros en 2013 au groupe UMP, 3,8 millions à celui du PS ou encore 1 million à celui des centristes.

Si aucun sénateur UMP n’a accepté de réagir publiquement auprès de Mediapart, Gérard Longuet a tout de même tancé son collègue au détour d’une interview sur I-télé. « C'est un manque de clarté dans la responsabilité respective du législatif et de l'exécutif, a grondé l'ex-ministre de la défense, ancien camarade de Henri de Raincourt au sein du gouvernement Fillon. Je pense que c'est une erreur, pour le moins. »

Au passage, celui qui a été président du groupe UMP de 2009 à 2011 affirme qu'il ignorait tout du compte HSBC utilisé par Henri de Raincourt pour "arrondir" ses fins de mois. « Ce compte m'est parfaitement étranger, assure Gérard Longuet. Il est parfaitement étranger à l'UMP et aux comptes de l'UMP. (...) J'avais mon trésorier qui m'a présenté les comptes dans une banque qui n'était pas celle-ci. »

Le compte HSBC a pourtant bien été ouvert au nom du « groupe UMP du Sénat », comme le prouve l'ensemble des documents bancaires en notre possession. Et l'homme qui l'a manipulé pendant des années – pour ordonner le virement à Henri de Raincourt par exemple – s'appelle Jean-Claude Carle, le trésorier historique du groupe UMP (remplacé il y a quelques mois), ancien chef de file des Républicains indépendants lui aussi.

Comme Mediapart l'a déjà raconté, il semble que le pactole abrité chez HSBC soit en fait la cagnotte historique, sinon le trésor caché, de ce courant libéral de la droite sénatoriale, incarné par Henri de Raincourt mais surtout Jean-Pierre Raffarin ou le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin.

Pendant longtemps, les Républicains indépendants ont en effet constitué un groupe à part entière au palais du Luxembourg, présidé de 1998 à 2002 par Henri de Raincourt, jusqu'à ce qu'ils fusionnent avec le RPR pour fonder l'UMP en décembre 2002. À cette date, ils avaient accumulé d’importantes réserves d'argent, constituées au fil des ans grâce aux cotisations des membres et surtout aux millions d'euros de subventions publiques du Sénat (censées servir au travail parlementaire, mais hors contrôle). À sa dissolution, le groupe a visiblement conservé une partie de sa trésorerie sous le coude, plutôt que de verser l’intégralité au pot commun de l’UMP. Mais combien de personnes exactement l'ont su, et ont gardé la main dessus ?

« Les clefs appartenaient à l'ancien président (des Républicains indépendants, Henri de Raincourt) », a suggéré Gérard Longuet sur I-télé, décidément bavard.

À la fin des années 2000, ce « compte chèques » HSBC, abrité à l'agence Odéon proche du Luxembourg, disposait encore de centaines de milliers d'euros, d'après les documents en notre possession. A-t-il abrité davantage d'argent ? Y a-t-il un « compte titres » ? Des placements ? Sollicité à de multiples reprises, Jean-Claude Carle, l'ancien trésorier, n'a plus retourné nos appels depuis des mois.

C'est lui qui a mis en place le virement de 4 000 euros par mois dont il est aujourd'hui question, dès 2008 en réalité. À l'époque, le sénateur Raincourt venait de prendre la présidence du groupe UMP. Et visiblement, il estimait insuffisantes les indemnités que lui versait alors le Sénat (7 100 euros mensuels d’indemnité de base, plus 2 000 euros comme président de groupe, sans compter l’enveloppe de 6 000 euros pour couvrir ses frais professionnels et celle de 7 500 euros pour l’emploi d’assistants). Jean-Claude Carle a donc pioché dans le compte HSBC pour offrir un bonus à son patron.

Quand Henri de Raincourt a ensuite été promu ministre en juin 2009, ce virement automatique s'est poursuivi comme si de rien n'était, jusqu'à son interruption en mars 2011 (pour raisons inconnues). Au-delà de cette date, le ministre Raincourt a cependant continué d'encaisser de l'argent depuis le compte HSBC, via un chèque au moins, d'après nos informations. Un système plus discret peut-être ?

Pour justifier aujourd'hui ces versements, Henri de Raincourt avance une explication sacrément alambiquée dans son entretien à L'Yonne républicaine. En gros, il affirme qu'il était autorisé en tant que sénateur, lorsqu'il n'épuisait pas l'intégralité de son « enveloppe collaborateurs » (censée lui permettre de salarier des assistants), à reverser le reliquat dans les caisses de son groupe. Jusque-là, c'est exact. Le Sénat l'a permis afin que les groupes parlementaires puissent, grâce à cette rallonge, embaucher davantage de collaborateurs.

Mais Henri de Raincourt a l'air de considérer normal qu'en échange de ce reliquat (qu'il ne chiffre d'ailleurs pas), son groupe lui ait ensuite reversé 4 000 euros par mois, via le compte HSBC ! Outre que rien ne vient étayer cette version de l'histoire, elle paraît tout à fait contraire à l'esprit des règles du Sénat, sinon à la lettre.

Là où les justifications de Henri de Raincourt franchissent le seuil du ridicule, c'est quand il arrive à la période 2009-2011 où il n'était plus sénateur mais bien ministre. À ce moment-là, « ce qui (m')était versé correspond à la période précédente durant laquelle j'ai alimenté les caisses du groupe comme sénateur », ose-t-il. Chacun jaugera la solidité de cette défense.

Les deux juges qui enquêtent déjà depuis des mois sur des soupçons de « détournements de fonds publics », d'« abus de confiance » et de « blanchiment » au groupe UMP du Sénat (voir nos articles ici et ), ne manqueront surtout pas de se poser la question suivante : s'agissant de fonds à l'origine publics et destinés au travail parlementaire, Henri de Raincourt a-t-il, oui ou non, commis un délit ?

Partisan de François Fillon contre Jean-François Copé dans la guerre fratricide de 2012 à l'UMP, puis soutien de Gérard Larcher contre Jean-Pierre Raffarin dans la bataille pour la présidence du Sénat en 2014, Henri de Raincourt va désormais compter ses amis. D'ores et déjà, dans L'Yonne républicaine, il lance cet avertissement : « Il y a quand même des limites à me mettre tout sur le dos. »

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Procès Bettencourt: Eric Woerth épargné

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Bordeaux, de notre envoyé spécial -. Finalement, on comprend mieux pourquoi l’ex-trésorier de l’UMP, ex-trésorier de la campagne présidentielle 2007 et ancien ministre du budget Éric Woerth n’est venu que très peu, depuis le 26 janvier, au procès Bettencourt, cela bien qu’il soit jugé pour « recel ». Entamé ce mardi à 17 heures, son interrogatoire sur les faits qui lui sont reprochés s’est achevé… à 18 heures. Une simple formalité. Là où François-Marie Banier et Patrice de Maistre avaient été poussés dans leurs retranchements plusieurs heures durant, les jours précédents, et juste après que le témoin Claire Thibout a été malmené par la défense pendant plus de quatre heures par visioconférence, sans rien lâcher d’ailleurs, le tribunal se contente soudain du service minimum, comme s’il jugeait déjà la relaxe d’Éric Woerth inévitable.

Impavide, le député et maire (UMP) de Chantilly s’avance à la barre, un peu raide dans son costume sombre. Il est questionné sur les deux rendez-vous qu’il a eus avec Patrice de Maistre, en janvier puis en février 2007, alors que les préparatifs de la campagne présidentielle battent leur plein. De curieux rendez-vous, tôt le matin, dans un café proche du siège de campagne du candidat Sarkozy, et à des dates correspondant de très près à des remises d’espèces importantes aux Bettencourt. Les déclarations de Claire Thibout, ainsi qu’un extrait des cahiers de François-Marie Banier, ont convaincu les juges d’instruction que des espèces avaient certainement été remises à Éric Woerth par Patrice de Maistre pour aider discrètement le candidat Sarkozy.

Banier et Éric Woerth au tribunalBanier et Éric Woerth au tribunal © Reuters

« Pour notre premier contact, je rencontre Patrice de Maistre à sa demande, monsieur et madame Bettencourt veulent alors aider le candidat Nicolas Sarkozy. Je lui explique le cadre légal, et nous convenons de nous revoir », expose Éric Woerth, avec un débit rapide. « Nous nous revoyons autour du 19 janvier. »

Cette date ne figure pas dans l’agenda du trésorier de campagne, remarque le tribunal, bien qu’Éric Woerth soit alors très occupé. « À l’époque, je n’avais pas un agenda très structuré, c’était une trame », répond-il. Quant au café, c’était plus convivial que les locaux vides du siège de campagne à une heure matinale.

« Ça paraît étrange de recevoir M. de Maistre, que vous ne connaissez pas, alors que vous êtes très pris », remarque le président. « Je comprends la suspicion qui pèse, répond Éric Woerth, mais Patrice de Maistre connaît beaucoup de monde, je suis trésorier, et je suis intéressé à développer les réseaux de donateurs et à multiplier les recettes. » Légalement, s’entend. À cette occasion, Maistre lui aurait remis une note de quelques pages sur la fiscalité des entreprises. Pas une enveloppe d’espèces, donc. Et pourquoi ne pas se voir lors d’une réunion du premier cercle de l’UMP, demande le président ? Impossible, il y a trop de monde pour un aparté, répond Woerth. C’est qu’il fallait aussi parler « économie » et « idées », avec Maistre, pas seulement collecter de l’argent…

Le tribunal l’interroge sur les « coïncidences » entre les voyages en Suisse de Patrice de Maistre pour ramener des espèces, qu’il a niés au départ, et ces rendez-vous discrets pendant la campagne 2007. « C’est sa vie professionnelle, pas la mienne. La vie est faite de coïncidences », répond Woerth. Les 50 000 euros que Claire Thibout aurait remis à Patrice de Maistre avant le premier rendez-vous, et les 400 000 euros arrivés de Suisse avant le second rendez-vous ? « Et alors ? Ça n’a aucun rapport », balaye l’ancien trésorier. « Quand on lit le dossier, il y a beaucoup d’espèces dans cette maison, et si on a un rendez-vous avec quelqu’un de cette maison, on a peu de chances qu’il tombe à une date éloignée d’une remise d’espèces. »

Éric Woerth l’explique, il ne connaît alors pas les Bettencourt, et ne veut pas échafauder de théories sur le témoignage de Claire Thibout, tout en évoquant de possibles « règlements de comptes » au sein du personnel. « Je ne peux pas vous prouver que je n’ai pas reçu d’espèces, c’est impossible », lâche-t-il sur le ton de l’évidence. Avant de tenter un argument plus risqué : « Nous n’avions pas besoin d’argent liquide dans cette campagne, nous avions reçu des sommes considérables. »

Le tribunal tique un peu. Suit un calcul au doigt mouillé sur les dons des particuliers envoyés au parti (plafonnés à 7 500 euros) ou à la campagne du candidat (plafonnés à 4 600 euros), qui n’amène pas grand-chose aux débats. « François-Marie Banier a pourtant noté dans ses carnets cette confidence reçue de Liliane Bettencourt : Patrice de Maistre m’a dit que Sarkozy a encore demandé de l’argent », tente d’insister le président du tribunal. « Je ne sais pas pourquoi il a écrit cela, je ne veux pas spéculer », répond Éric Woerth. Pas plus qu’il ne veut être associé aux nombreux hommes politiques que le personnel voyait défiler chez les Bettencourt pour venir chercher une enveloppe, une vieille tradition dont on trouve la trace dans ce dossier. « Je ne sais pas où sont les preuves, ce sont des rumeurs. Je ne suis pas là pour toute la vie politique française, je dois être le seul qui ne connaît pas les Bettencourt à cette époque », assène Éric Woerth. S’enhardissant quelque peu après de nouvelles questions, il ironise même : « Si l'on veut me remettre des espèces, il faut le faire au siège de campagne, c’est le meilleur endroit », du point de vue discrétion s’entend.

Tout miel, le procureur ose quelques ébauches de questions polies sur l’état de santé de Liliane Bettencourt en 2007. Éric Woerth répond qu’il ne l’a rencontrée qu’après la présidentielle. « La première fois pour la remise de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, à Bercy, la deuxième fois pour présenter mon épouse à madame Bettencourt lors d’un dîner chez elle, et la troisième fois lors d’un déjeuner à l’Institut de France. » Il rappelle au passage avoir obtenu un non-lieu sur une affaire de parcelle en lien avec l’Institut de France, et fait un lapsus évoquant le dossier de l’hippodrome de Compiègne, où il a également obtenu un non-lieu.

La suite de l’interrogatoire, sur les méfaits de l'âge et la surdité, devient presque gênante de complaisance, Éric Woerth et le procureur Gérard Aldigé échangeant même quelques plaisanteries sur leurs belles-mères, les conversations de celles-ci et leurs tableaux. C’est que, comme le rappelle le procureur, le parquet de Bordeaux avait requis un non-lieu en faveur d’Éric Woerth et quelques autres (dont Nicolas Sarkozy), estimant le délit de recel insuffisamment caractérisé. Ce n’était pas l’avis des juges d’instruction.

Mais du coup, ce sont les avocats de Patrice de Maistre et François-Marie Banier, un peu seuls en première ligne, qui font grise mine. Leurs clients semblent bien mal partis dans ce procès malgré leurs efforts, quand la relaxe d’Éric Woerth commence à paraître probable. Au final, le travail de sape collectif effectué pour affaiblir le témoignage de Claire Thibout aura peut-être bénéficié à un seul des prévenus : le plus éminent d’entre eux, et celui contre lequel les preuves sont les moins solides. Comme s'il n'y avait jamais eu de volet politique dans cette affaire Bettencourt.

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Procès du Carlton: DSK et ses «petites soupapes de récréation» face «au carnage»

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Lille, de notre envoyée spéciale.-   Le président du tribunal correctionnel de Lille, Bernard Lemaire, a fait lever les prévenus. Ils sont quatre hommes en costumes sombres qui ont partagé ces sorties « libertines » – au total onze rencontres en France, en Belgique et aux États-Unis entre 2009 et 2011. Ils comparaissent ce mardi 10 février 2015 pour proxénétisme aggravé.

Les entrepreneurs David Roquet et Fabrice Paszkowski étaient « les organisateurs, les recruteurs et les payeurs des escortes », décrit le président du tribunal. Le commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde (ex-chef de la sûreté départementale du Nord) et l’ancien directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn assurent quant à eux qu’ils ignoraient tout de leur qualité de prostituées. Ils ne se seraient même pas posé la question. À l'issue des deux ans d'enquête, le cas de l’ex-ministre socialiste a divisé : le parquet avait demandé un non-lieu, les juges d’instruction ont pour leur part estimé que DSK avait sciemment favorisé la prostitution de jeunes femmes et l’ont renvoyé devant le tribunal.

« Vous n’avez pas changé de position ? » demande poliment Bernard Lemaire. Non, DSK maintient qu’il n’avait jamais « soupçonné » que ces jeunes femmes puissent être autre chose que des libertines, venues comme lui pour leur propre plaisir. « Je n’ai jamais eu le sentiment qu’elles venaient pour moi, elles venaient avec des amis participer à une soirée festive. »

En costume sombre et le visage hâlé, DSK, désormais à la tête d’une « société de conseil aux gouvernements, aux banques centrales », parle avec toute l'autorité et l'assurance de son CV. Face à la détresse évidente des ex-prostituées et à la charge émotionnelle de leurs récits, la voix grave de l'ancien professeur d’économie se fait presque bienveillante. Au point de se situer parfois en observateur extérieur de son propre procès, capable d'en analyser les débats : « Nous n’avons pas vécu les scènes de la même manière, je les ai vécues de façon amicale, elles les ont vécues de façon désagréable (...) On vit tous sur cette affaire avec des souvenirs qui sont pour le moins imprécis. » Parmi ses trois avocats, c’est une femme, Me Frédérique Beaulieu qui se charge de mener avec tact les contre-interrogatoires des femmes partie civile.

« Lorsqu’on lit l’ordonnance de renvoi, on a l’impression qu’on ne faisait que ça, mais c’était quatre rencontres par an pendant trois ans », relativise DSK. À l’époque, il avait d’ailleurs « autre chose à faire » comme, par exemple, sauver la planète. « Oui, vous étiez l’un des hommes les plus importants de ce monde ? » lui fait écho le président Bernard Lemaire. « Je ne sais pas si c'est vrai, mais c’était la période des subprimes de 2008 où le FMI a sauvé la planète d’une crise sans précédent. J’avais par ailleurs en tête des ambitions politiques, une relation de couple compliquée. » Pour le directeur du FMI, ces rencontres ne représentaient donc que des « petites soupapes de récréation » dans une « vie extrêmement trépidante ».

À la barre, DSK a martelé avoir en « horreur » la prostitution qu’il juge « glauque » et peu « ludique ».« Je n’ai aucun mépris, mais moi ça ne me plaît pas, car j’aime que ce soit la fête avant, pendant, après les rapports sexuels », déclare-t-il. Surtout, l’ancien candidat pressenti à la présidentielle se méfiait des prostituées « parce qu’elles mènent une vie difficile » et sont « sans doute plus susceptibles d’être l’objet d’une pression d’un policier, d’un souteneur ». « Si je voulais bien prendre le risque d’avoir des relations libertines, je ne l’aurais certainement pas fait avec des prostituées », conclut-il, en précisant qu’il évitait les clubs échangistes en France pour les mêmes raisons.

À défaut de pouvoir fréquenter les clubs échangistes, c’est donc son ami Fabrice Paszkowski, directeur d’une société de matériel médical à Lens, qui organisait des soirées à l’occasion de ses venues à Paris. Il se chargeait avec David Roquet, directeur d’une filiale d’Eiffage, de faire venir de prostituées. Les deux hommes disent s’être connus à force de se croiser lors de repas d’affaires, chacun avec leurs clients, dans des restaurants des bassins miniers. « Fabrice m’a dit : "Je connais bien DSK, ça t’intéresserait de le rencontrer ?" » raconte David Roquet. L’ingénieur ambitieux, qui enchaînait les journées de douze heures, y a vu une « opportunité » pour son groupe.

Trois rencontres ont été abordées mardi : un déjeuner à L’Aventure le 19 février 2009, deux soirées à l’hôtel Murano à Paris, au printemps 2009, puis le 29 juillet 2010. À chaque fois, Fabrice Paszkowski et David Roquet se partageaient les frais, mais ne participaient pas aux ébats, l'un expliquant se plaire dans le rôle de l’hôte voyeur, le second n’étant « pas dans son assiette ».

Il n’était jamais question de rémunération en présence de DSK. Les enveloppes étaient remises dans le taxi ou le train du retour vers Lille. Parfois même quasiment sous le nez du commissaire Jean-Christophe Lagarde, qui assure pourtant ne s’être jamais posé la moindre question. Évitant le terme de prostitution, Fabrice Paszkowski assure avoir « sombré dans la facilité de (se) faire accompagner par des libertines qui demandaient une rémunération ». « Je l’ai caché, car c’était un acte peu glorieux. D’autres personnes savaient se faire accompagner de libertines. »

L’entrepreneur est un proche des fils de Jacques Mellick, ex-maire PS de Béthune. Il a rencontré Dominique Strauss-Kahn en 2002 à Béthune lors d’un forum économique. Ce dernier a été immédiatement intéressé par le profil de ce militant, un pied au PS, un pied dans l’entreprise. DSK raconte avoir trouvé en Jacques Mellick fils et Fabrice Paszkowski « les bons interlocuteurs » pour créer l’antenne de son association « À gauche en Europe » dans ce Nord-Pas-de-Calais « pièce essentielle pour le PS ».

Paszkowski devient même un ami intime qui s’occupe de sa mère en fin de vie, lui envoie des conseils lors de ses passages télé. Et donc organise et finance des « parties fines » lors des passages du patron du FMI à Paris. « Je pense qu’il ne s’est pas rendu compte qu’il me faisait prendre un risque, tente d’expliquer DSK. Il organisait ces déjeuners pour me faire plaisir. J’étais dans une position importante donc beaucoup de gens cherchaient à me faire plaisir. » Peut-être son « ami » a-t-il également voulu lui « faire croire qu’il était entouré de plus de jeunes femmes libertines que ce n’était le cas, moi-même étant accompagné à chaque fois », avance DSK.

La première fois pour un déjeuner dans un restaurant parisien en février 2009, David Roquet avait ramené de Belgique Béatrice Legrain, compagne du proxénète Dominique Alderweireld, ainsi qu’une de ses prostituées. Arrivé juste avant la fin du repas, DSK a eu un rapport avec la prostituée au sous-sol dans la discothèque, où la petite troupe prenait le café. « Comment vous dire ? Il m’est arrivé dix fois de me trouver dans des situations où une femme s’offrait sans que ça ait quelque rapport avec la prostitution, assure DSK. Ça n’est pas quelque chose qui pour moi était totalement inconnu. » Comme les filles belges détonnaient un peu, David Roquet « caste » ensuite Mounia, une prostituée française que lui présente l’avocat lillois Emmanuel Riglaire.

Les ex-prostituées décrivent des soirées très loin du libertinage « ludique » dépeint par DSK. Lors de l’instruction, Jade, qui travaillait dans un club belge, a parlé de « boucherie » et de « carnage » à propos de la soirée au Murano, au printemps 2009. Derrière ses lunettes et son col roulé, le témoignage de cette femme belge, qui avait réclamé le huis clos pour épargner ses deux enfants, est terrible pour DSK qu'elle ne connaissait pas. « Un jour, je l’ai vu à la télévision, je me suis dit : "C’est lui, mais il est habillé". »

Jade explique posément que le libertinage, qu’elle a pratiquée, « ce n’est pas ça ». « On se présente quand on est habillé, on mange un bout ensemble, on aborde certains sujets pour ne pas brusquer, ça n’a pas du tout été le cas », dit-elle. Avant de comparer la scène à « l’antiquité où il y en a un sur le lit avec toutes ses domestiques autour ». « Je n’étais qu’une chose qui devait accomplir quelque chose et je n’étais pas là en tant que personne », insiste Jade qui a fait une tentative de suicide une semaine avant de rencontrer l’expert psychiatre pour l'enquête.

Quand le président Bernard Lemaire lui demande si elle a discuté avec DSK, elle répond du tac au tac : « Pas vraiment, parce que je l’avais en bouche. » « Vous décrivez cette scène en utilisant des mots qui sont durs », reprend le président. « Qui sont crus, le corrige l’ex-prostituée. Car, ayant fréquenté des clubs échangistes, ce n’était pas du libertinage. C’était un amas de tout et rien. L’échangisme, il y a un aller et un retour, là, c’était un aller simple. » Me Frédérique Beaulieu lui rappelle qu’elle a eu, ce soir-là, des rapports avec deux autres hommes : « Vous étiez relativement libre de faire ce que vous souhaitiez. » Une amie de DSK a décrit « des relations sexuelles libres et amicales », remarque aussi l'avocate. « Très joli récit, c’est joliment écrit », raille Jade, décrite dans l’expertise comme une « femme intelligente, analysant avec maturité son parcours accidentel ».

Aussi frêle et à fleur de peau que Jade est apparue solide et déterminée, l'autre partie civile Mounia soutient elle aussi que DSK ne pouvait ignorer sa qualité car « il s’est permis beaucoup de choses » lors d’une autre soirée dans l’hôtel de luxe parisien, un an plus tard le 29 juillet 2010. « Vous n’en étiez pas dans cette activité prostitutionnelle à votre premier rapport, qu’est-ce qui vous a choqué dans cette soirée ? » l’interroge le président Bernard Lemaire. Comme elle se tait, butant sur le terme de sodomie, il poursuit :

« C’est difficile ?
— De dire certains mots, oui.
— Vous les avez dits au juge d’instruction, en pleurant, la mention est faite par le juge.
— Il y a eu différents types de rapports dont certains que vous estimez contre-nature. Et des rapports que vous n’aviez jamais eus avec d’autres partenaires.
Oui.
Est-ce que votre partenaire ne pouvait pas se méprendre sur votre consentement ou refus ?
Je pense qu’il a perçu.
Qu’est-ce qui vous fait dire ça, Madame ?
Déjà que je pleurais et que je disais que j’avais très mal.
Il y avait de la violence ?
Non, ce n’était pas de la violence, c’était un rapport de force.
C’était brutal ?
Oui, parce qu’il ne s’est pas arrêté.
Mais consenti ?
Oui, jusqu’au bout, car j’avais vraiment besoin de cet argent, j’avais peur de ne pas repartir avec. (…) Je n’ai pas dit non, je ne l’ai pas repoussé, j’ai subi. »

À chaque suspension d’audience, Mounia se cache derrière ses lunettes noires et son écharpe, enfonce sa casquette avant de franchir la haie de caméras. Elle a été « suivie par une psychiatre » à la suite de ces soirées. « Je me suis sentie comme un objet, comme une chose. » « Vous n’êtes pas le seule à employer ces termes dans ce dossier », remarque le président du tribunal. DSK assure quant à lui ne avoir « ressenti de sa part une dénégation ferme, ni même une dénégation », ni « remarqué » qu’elle pleurait. « Ça m’aurait glacé », ajoute-t-il.

« Ce que je constate, c’est que Mounia et Jade ont vécu des enfances déplorables, poursuit DSK devant l’évident gouffre entre leurs versions. Nous n’avons pas vécu les scènes de la même manière, je les ai vécues de façon amicale, elles les ont vécues de façon désagréable. Je m’aperçois que les dégâts causés par l‘exploitation médiatique de cette affaire sont catastrophiques. »

Il n’y aura pas plus d'empathie au cours de l’audience. Les autres prévenus n'ont de regrets que pour leurs ambitions et carrières brisées par la procédure et son écho médiatique. Interrogé sur son ressenti devant les pleurs de Mounia, David Roquet, marié et père de deux enfants, réplique : « Vous savez, monsieur, ça fait trois ans que je pleure chaque jour. » L’ingénieur a été licencié pour faute lourde. À 45 ans, il a passé un CAP de maçon, acheté une camionnette, des outils et créé sa société de restauration baptisée « Esprit des monastères ». Quant à lui, Paszkowski a perdu dix kilos en détention provisoire. Cet homme trapu, aux cheveux coupés en brosse, reste lui aussi persuadé de n’avoir « commis aucun acte répréhensible ». « Si dans ce dossier il n’y avait pas eu DSK, on n’aurait jamais parlé de nous », répète-t-il.

Reste le cas du commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde. Passé par la brigade des stups du Quai des Orfèvres puis l’antigang à Lyon avant d’atterrir à Lille, le policier jouait le rôle d’« accompagnateur » lors des sorties à Paris. Mais il ne s’est jamais intéressé aux filles présentes, autrement que pour les consommer. « Je ne voyais ni l’intérêt ni l’opportunité de poser ce genre de questions, les soirées regroupaient des gens consentants et pour le plaisir de chacun, a-t-il expliqué au président. Je n’avais aucune raison de poser une question sur la qualité de l’une d’entre elles, je me serais fait gifler. » D’ailleurs, le policier n’a que deux critères pour distinguer une prostituée : « elle racole dans la rue » ou « elle exige de l’argent ».

Les deux représentants du parquet présents à l’audience sursautent. « Vous étiez le seul chef d'une sûreté départementale en France qui ne travaillait pas sur des réseaux de proxénétisme ? » s’étrangle le procureur Frédéric Fèvre. « Oui », assure Lagarde. « Alors je ne comprends pas que votre notation ait été exemplaire », lâche le procureur. Suspendu au lendemain de sa garde à vue d’octobre 2011, le policier a été réintégré quatre mois plus tard comme chargé de mission à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) à Paris. Il y est chargé du déploiement d’un nouveau logiciel d’aide à l’enquête.

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2012-2014: les notes secrètes de Montebourg à Hollande

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Arnaud Montebourg ne l’avait jusque-là jamais révélé : tout au long des deux grosses années au cours desquelles il a occupé les fonctions de ministre du redressement productif, puis de l’économie, de mai 2012 à août 2014, d’abord au sein du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ensuite de celui de Manuel Valls, il a périodiquement adressé des notes à François Hollande pour l’enjoindre de changer le cap de la politique économique et notamment de tourner le dos à la politique d’austérité.

Ces notes longues et argumentées, qui sont au nombre de quatre, étaient jusqu’à ce jour restées confidentielles – sauf l’une d’entre elles, la troisième, en partie dévoilée par Le Nouvel Observateur. Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de les remettre à Mediapart. Nous les publierons donc les unes après les autres ces prochains jours. Si nous avons choisi de les mettre de cette façon en valeur, c’est qu’elles nous semblent importantes, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, ces notes éclairent le parcours d’Arnaud Montebourg lui-même. Car, de proche en proche, le bouillonnant ministre du redressement productif a certes fait entendre sa différence. On l’a ainsi entendu tempêter lorsque le site de Florange a été fermé, en violation des engagements pris par François Hollande pendant la campagne présidentielle. On l’a aussi entendu maugréer contre le cap choisi à la faveur d’un entretien au Monde le 9 avril 2013 : « Cette politique d’austérité conduit à la débâcle ».

Mais il a fallu attendre le courant du mois d’août 2014 pour qu’Arnaud Montebourg dise enfin, de manière détaillée et publique, que cette politique économique lui semblait radicalement contraire aux intérêts du pays. Il l’a fait une première fois à la faveur d’un entretien au Monde, le 23 août 2014, et puis surtout, dès le lendemain, le 24 août 2014, à l’occasion d’une intervention lors de la traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire) : « J'ai proposé comme ministre de l'économie, au président de la République, au premier ministre, dans la collégialité gouvernementale, et sollicité une inflexion majeure de notre politique économique », avait-il déclaré ce jour-là.

On sait l’onde de choc que cela a provoqué : dès le lendemain, Manuel Valls présentait la démission de son gouvernement pour en constituer un autre, sans Arnaud Montebourg, mais aussi sans Benoît Hamon ni Aurélie Filippetti.

Bref, ignorant le détail de ce qui se discutait dans les sommets du pouvoir, on n’a le plus souvent retenu d’Arnaud Montebourg que ses propos tonitruants de l’été 2014. Comme s’il faisait un esclandre un peu inattendu et qu’il quittait l’équipe gouvernementale sur un coup de tête.

Les quatre notes présentent donc le grand intérêt de corriger cette impression et de révéler qu’en réalité, la politique économique choisie par François Hollande a, depuis le début, fait débat, pas seulement entre le gouvernement et les frondeurs socialistes, mais bien avant et au sein même du gouvernement. En quelque sorte, ces notes rendent plus lisible le cheminement intellectuel d’Arnaud Montebourg, qui n’a cessé depuis son entrée au gouvernement de combattre la politique d’austérité même si, par loyauté, il n’en a longtemps rien dit publiquement.

Le deuxième intérêt de ces notes, c’est qu’elles viennent naturellement conforter le camp, de plus en plus garni, de ceux qui reprochent à François Hollande de s’être écarté des engagements de la campagne présidentielle pour suivre une politique d’austérité ; le camp de plus en plus étoffé de ceux qui préconisent une autre politique économique. On le verra au fil de chacun de ces documents : à chaque fois, Arnaud Montebourg déplore le cap qui est choisi mais surtout détaille des pistes alternatives – souvent avec prudence.

Ces notes n’ont donc pas qu’un intérêt historique ; elles fonctionnent comme autant d’invitations au débat démocratique. Alors que la France connaît toujours une croissance anémiée et un chômage à des niveaux historiques, ces notes soulèvent une question, qui est plus que jamais au cœur de notre présente actualité : n’y a-t-il pas une autre politique économique possible ? Ne serait-il pas temps de regarder en face les dégâts humains et sociaux d’une politique économique qui contrevient aussi spectaculairement aux engagements pris par la gauche avant 2012 ?

Et puis, le troisième intérêt de ces notes, c’est qu’elles viennent aussi éclairer les enjeux du débat actuel qui secoue l’Europe. Car à plusieurs reprises, nous le verrons, Arnaud Montebourg s’inquiète du carcan de l’austérité qui n’étouffe pas seulement la France mais tout le continent ; et il regrette que notre pays, pour desserrer cet étau, n’ait jamais eu le courage d’envisager de nouvelles alliances, avec les pays du sud de l’Europe notamment, pour faire entendre raison à l’Allemagne.

De la Grèce, et des secousses qu’elle traverse, il n’est pas fait directement mention dans ces notes. Mais c’est évidemment aussi à elle que l’on pense, lorsque l’on parcourt les documents d’Arnaud Montebourg. Car même si, depuis que l’ex-ministre du redressement productif a posé la plume, les événements se sont accélérés, les questions qu’il pose sont au cœur de l’actualité de ces dernières semaines : pour venir en aide à la Grèce, mais aussi sortir l’Europe de l’ornière, ne serait-il pas temps de mettre en œuvre une autre politique économique, plus solidaire ? Ne serait-il pas temps d’inventer une autre « coordination européenne » ?

Commençons donc la lecture des différentes notes qu’Arnaud Montebourg a adressées à François Hollande. D’une longueur de sept pages, annexes comprises, la première est datée du 11 septembre 2012, soit quatre mois à peine après l’alternance, et est ainsi titrée : « Le plan C, comme croissance ». À la différence des notes suivantes, elle n’est pas formellement adressée au chef de l’État, même si ce dernier en est le destinataire.

Voici cette note : on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous.

Pour comprendre l’intérêt de cette note, il faut se souvenir du contexte dans lequel elle est écrite. Installé à l’Élysée depuis le mois de mai précédent, François Hollande prend sur-le-champ des libertés avec les promesses faites par lui-même pendant la campagne : la grande réforme fiscale promise est quasi tout de suite passée à la trappe ; le Smic fait l’objet d’un coup de pouce dérisoire ; le « choc de compétitivité » en faveur des entreprises que Nicolas Sarkozy avait proposé pendant la campagne et que François Hollande avait critiqué devient contre toute attente l’un des nouveaux chantiers du président…

Dans le lot de ces premières mesures que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault commence à mettre en œuvre au fil des premiers jours du quinquennat, il y a aussi des coupes claires inattendues dans le budget, dès le mois de juin 2012, et l’annonce d’une rigueur renforcée pour la préparation du projet de loi de finances pour 2013.

« Le changement, c’est maintenant ! » D’un seul coup, le slogan de campagne prend un coup de vieux du fait de la politique d’austérité qui est brutalement aggravée. Pour ne pas nuire au nouveau pouvoir qui vient de s’installer, la plupart des élus socialistes n’osent pas encore le dire publiquement, pas même mezzo voce. Arnaud Montebourg, si. Sa première note est tout entière consacrée à cela : il veut convaincre François Hollande que la rigueur budgétaire renforcée sera contre-productive et que des alternatives sont possibles.

La date à laquelle cette note est écrite, le 11 septembre 2012, ne doit naturellement rien au hasard : le marathon budgétaire traditionnel de l’automne va bientôt commencer, avec la présentation en conseil des ministres du projet de loi de finances pour 2013 – le premier budget depuis l’alternance –, puis son examen les semaines suivantes devant le Parlement. Arnaud Montebourg cherche donc à infléchir les choix budgétaires présidentiels, avant qu’ils n’aient force de loi.

Relevant que François Hollande a décidé de confirmer la promesse faite par Nicolas Sarkozy d’abaisser les déficits publics à 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2013 et 0 % en 2017, il souligne que cela induira pour 2013 « une réduction additionnelle de 33 milliards d’euros environ du déficit public », soit le « budget le plus récessif en temps de crise depuis 30 ans ». Et pour Arnaud Montebourg, il est clair que ce choix fait par la France d’accentuer la politique d’austérité est gravissime, venant se cumuler aux autres plans d’austérité engagés un peu partout en Europe. Citant un appel d’économistes européens, il a cette formule qui souligne la gravité de la situation : « Nous croyons que depuis juillet, l’Europe marche comme un somnambule vers un désastre aux proportions incalculables. » 

Dans ce contexte, plaide-t-il, le « budget récessif » qui est proposé « va nuire à la compétitivité et à lemploi en France. Il faut envisager un budget alternatif qui permette de mettre en place des mesures en faveur de la compétitivité et de lemploi pour préparer la future croissance ». Pour conjurer la catastrophe qui vient – et qui, en France, se traduira par une augmentation de près d’un million des chômeurs depuis mai 2012 (lire ici notre synthèse) –, Arnaud Montebourg plaide donc pour une réorientation de la politique économique. Alors que les frondeurs du PS ne commencent véritablement à se faire entendre qu’en avril 2014, avec « l’Appel des cent », au lendemain de la débâcle des élections municipales, rien ne suggérait que le débat sur la pertinence de la politique économique avait en fait commencé dès septembre 2012. En clair, presque dès le début du quinquennat.

Dans sa première note, Arnaud Montebourg propose plusieurs pistes pour réorienter la politique économique. « Afin d’éviter un effet récessif important, une première politique pourrait consister à mettre en place un plan de réduction des déficits publics de 25 milliards d’euros au lieu de 33 milliards d’euros (politique budgétaire moins restrictive). Selon la modélisation OFCE, cela ferait augmenter la croissance de 0,5 % à 0,9 %, ce qui permettrait d’économiser 0,2 % de taux de chômage et éviterait la destruction de 64 000 emplois marchands dont 13 000 dans l’industrie », explique celui qui est à l’époque le ministre du redressement productif.

En clair, la proposition alternative que formule Arnaud Montebourg est prudente. Il ne propose pas de remettre en cause la politique d’austérité ; il suggère seulement de l’adoucir, pour que ses effets soient moins récessifs. Et Arnaud Montebourg ponctue cette première suggestion de ces remarques : « Cette première estimation (de 33 à 25 milliards d’euros) est réalisée en considérant que les autres pays européens réalisent leur politique de rigueur. Même de manière isolée on peut mieux faire. » En somme, Arnaud Montebourg ne défie pas François Hollande ; il lui recommande seulement d'infléchir ses premiers choix.

Du même coup, le ministre décline une seconde série de suggestions complémentaires, dans l’hypothèse où la France ne serait pas isolée mais profiterait d’une meilleure coordination européenne. « S’il existe une coordination européenne pour ralentir les politiques de rigueur, l’effet peut être encore plus positif. Par exemple, si les plans d’austérité s’arrêtaient quand les pays européens atteignent le seuil de 3 % de déficit, cela éviterait la destruction de 80 000 emplois salariés par an », écrit Arnaud Montebourg, avant d’ajouter : « Il serait très utile de mener une campagne en Europe afin de coordonner les politiques budgétaires des pays membres, en discutant l’objectif qui veut que l’on retrouve 3 % de déficit public en 2013 dont la réalisation est très improbable. Le retour de la coordination interétatique est nécessaire. Cela est bien moins ambitieux que les Eurobonds (car il n’y a pas de socialisation de la dette) et donc plus accessible. »

En somme, en ce début du mois de septembre 2012, Arnaud Montebourg continue d’appeler de ses vœux une réorientation de l’Europe, qui était l’une des grandes promesses de François Hollande durant la campagne présidentielle. Dans son livre De l’intérieur – voyage au pays de la désillusion (Fayard, août 2014, lire ici notre compte-rendu), Cécile Duflot reviendra elle-même, beaucoup plus tard, sur ces mois décisifs, estimant que c’est dès cet époque, au creux de l’été 2012, que François Hollande abandonne cette ambition de réorientation de l’Europe, renoncement dont découleront, selon elle, tous les autres…

La note d’Arnaud Montebourg corrobore ce diagnostic très pessimiste : dès les premiers mois de son quinquennat, le chef de l’État a cédé aux injonctions de l'Allemagne et n'a rien voulu entendre de ceux qui lui suggéraient des voies et moyens pour surmonter l’obstacle.

À suivre : la note du 29 avril 2013 pour une nouvelle stratégie de croissance

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A Béziers, le laboratoire de la nouvelle extrême droite de Robert Ménard

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« On verra les résultats des élections dans deux mois. » C'est la réponse qu'apporte Robert Ménard à toutes les critiques. Le maire de Béziers, qui présente des candidats dans trois cantons en binôme avec le Front national, se targue d'avoir les Biterrois derrière lui. « Les gens ont besoin de sécurité, de propreté, et aussi de rêver. Ils mesurent qu’ils ont une équipe qui diffère radicalement de la précédente. On va voir s’ils en sont contents ou pas. C’est le seul jugement qui m’importe. »

Dans cette ville de 71 000 habitants, Robert Ménard met en place le laboratoire d'une nouvelle extrême droite, à mi-chemin entre le Front national, les identitaires et le modèle du maire d'Orange Jacques Bompard. « Ici, ce n’est pas le Front national », souligne son adversaire socialiste Jean-Michel du Plaa. Pour ce conseiller général et municipal, une autre extrême droite s'est installée à Béziers, « qui recycle les thèmes du FN, avec la touche personnelle de Ménard, et sans les contraintes qui pèsent sur les maires frontistes ». Car ici, Ménard « fait ce qu'il veut ».

Au conseil municipal, l'ancien patron de Reporters sans frontières invective les journalistes comme ses opposants politiques, « le même petit monde », explique-t-il à Mediapart. Aux premiers, il reproche de « défendre l’ordre existant et leur rêve, ce monde dont les gens ne veulent plus ». Les seconds sont qualifiés de « traîtres à (leur) ville ». Ce climat de tensions permanentes, il l'assume : « Je ne suis pas un maire qui veut que les choses se passent comme elles se sont toujours passées. Quand vous faites le changement contre des gens qui ont amené la ville dans l’état où elle est, vous pensez que ça va se passer avec une fleur au fusil ? »

Robert Ménard, dans son bureau à la mairie de Béziers, le 6 novembre 2014.Robert Ménard, dans son bureau à la mairie de Béziers, le 6 novembre 2014. © M.T. / Mediapart

À chaque séance municipale son effet d'annonce, qui sera abondamment relayé dans les médias : la baisse de 4 % des taxes locales, les blouses grises offertes aux écoles de Béziers ; le refus de retirer la crèche du hall de la mairie malgré la demande du préfet ; le « sauvetage » de l'emblématique librairie Clareton, menacée de fermeture ; le rachat par la ville des Galeries Lafayette.

Mais surtout une longue série de mesures sécuritaires pour appliquer son slogan d'une « ville plus sûre, plus propre, plus belle ». Un arrêté anti-crachats ; l'interdiction d'étendre le linge sur les façades des immeubles visibles des voies publiques ; le couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans ; le retour du « rappel à l'ordre », auquel Ménard a joint un arrêt du versement des aides sociales de la ville en cas de non-réponse aux convocations ; la suppression de l'étude surveillée du matin aux enfants de chômeurs ; le retrait des aires de jeux à la prochaine dégradation. « Au moins, depuis quelques mois, on parle de Béziers », se félicite-t-il.

En novembre, le maire a déployé de grands moyens pour un nouveau coup de com', sur le prix de l'eau : campagne d'affichage de la ville, pétition, Une choc du journal municipal, dans lesquelles il demande de « soutenir (son) action » pour forcer l'agglomération à renégocier les tarifs auprès de la Lyonnaise des eaux. « Je prends à témoin les Biterrois. J’aurais été président de l’agglo, le prix de l’eau, les taxes auraient baissé », affirme-t-il. « C'est sa façon de faire. Moi je me suis engagé à une baisse du prix de l'eau, mais je ne veux pas brader cet engagement, répond le président de l'agglo, Frédéric Lacas. Le contrat arrive à échéance fin 2016, nous avons fait appel à un cabinet d'études pour faire émerger la meilleure solution. »

À gauche, la une du journal municipal d'octobre. À droite, la campagne d'affichage de la ville sur le prix de l'eau en novembre.À gauche, la une du journal municipal d'octobre. À droite, la campagne d'affichage de la ville sur le prix de l'eau en novembre. © M.T. / Mediapart
La campagne d'affichage lancée le 1er février 2015 annonce que la police municipale patrouille désormais armée.La campagne d'affichage lancée le 1er février 2015 annonce que la police municipale patrouille désormais armée. © Facebook / L'humour de droite

Le 1er février, nouvelle campagne publicitaire, et nouvelle polémique. Pour annoncer qu'il a armé la police municipale, Ménard affiche un pistolet, « nouvel ami » des agents (voir ci-contre). Parmi ses « succès », le maire énumère la propreté et la sécurité du centre-ville. C'est sur ce périmètre-vitrine qu'il a concentré les moyens : une voiture de la police municipale stationne en permanence sur les allées Paul-Riquet, l’artère principale bordée de cafés et commerces ; des « brigades de propreté » itinérantes ont été mises en place et un « préfet » du centre-ville a été nommé pour piloter « nettoyage, stationnement, pollution visuelle ».

Maître en communication, Robert Ménard a organisé en novembre une réunion publique-bilan pour expliquer que 43 des 188 promesses de campagne avaient déjà « été tenues », le tout à coup d'anaphores : « on m’avait dit “c’est impossible”, nous l’avons fait » (voir la vidéo). Il se félicite de sa baisse des impôts, un « appel aux classes moyennes ». Au « nous » « citoyen », dans lequel il se place comme « maire des honnêtes gens », il oppose « cette poignée de politiciens et de journalistes qui nous font la morale »« confortablement installés dans les beaux arrondissement de la capitale ». De ces « sermons, les Biterrois se contrefichent », lance-t-il.

Les allées Riquet, artère principale, font l'objet d'un grand nettoyage et de la présence permanente de la police municipale.Les allées Riquet, artère principale, font l'objet d'un grand nettoyage et de la présence permanente de la police municipale. © M.T. / Mediapart

« Démago », « populiste », s'écrient ses opposants, qui rappellent que la baisse (symbolique) des impôts représente un manque à gagner de 2 millions d'euros de recettes, que les blouses aux frais de la ville sont restées au placard, que la plupart de ses arrêtés sont inapplicables ou inappliqués, que le linge et les paraboles ornent toujours les façades, que la pauvreté n'a pas été supprimée mais juste déplacée de quelques rues.

À deux pas des allées Riquet, un groupe de jeunes ne décolère pas contre le nouveau maire. « Le linge aux fenêtres, les paraboles, tout ça est là encore ! Il croit quoi Ménard, que tout le monde a les moyens de s’acheter un sèche-linge ? » s'agace l'un, en montrant les tags anti-Ménard inscrits par des riverains sur les murs d’une petite rue adjacente. « Il a augmenté le nombre de policiers, ils sont 80, ils sont armés maintenant ! » s'inquiète un autre.

Mais la bruyante majorité des électeurs de Ménard se dit satisfaite. À commencer par les hôteliers et commerçants du centre. « Depuis que Ménard est là, on sent la différence !, s'exclame cette gérante d'un petit hôtel du centre. Tout ce qu’il a promis, il est en train de le faire. Il nous met de l’ordre. Devant mon hôtel, il y avait des crottes de chien, il a agi. Il y avait des dealers, ils ne sont plus là. Le centre est propre. Ailleurs ça viendra, il ne peut pas tout faire ! Le Français moyen ne pouvait plus rester dans le centre-ville. Il y a des Chinois, des Japonais, des Espagnols, etc., mais il y a un pays qui ne s’adapte pas. Ils touchent les aides, ils ne travaillent pas, ils portent le voile. Moi je suis étrangère, je me suis adaptée. »

À quelques rues du coeur historique de Béziers, les arrêtés de Robert Ménard ont été sans effets.À quelques rues du coeur historique de Béziers, les arrêtés de Robert Ménard ont été sans effets. © M.T. / Mediapart

Ses opposants de droite comme de gauche se désolent qu'« on surfe sur des campagnes publicitaires » et se refusent à « commenter la moindre mesure » d'un maire qui « n'existe que par les médias »« Ménard est dans l’immédiateté, il dit aux Biterrois : “Que voulez-vous entendre aujourd’hui ? Je vous le dis.” C’est la méthode FN », assène son adversaire UMP Élie Aboud, issu de la Droite populaire. « L’essentiel de ce qu’il a fait pour l’instant, c’est de la communication. Moi je jugerai sur pièces », explique le socialiste Jean-Michel du Plaa, qui prône une « désintox » des mesures municipales.

Mais derrière ces effets d’annonce, le maire pose brique après brique les bases de sa « révolution municipale », dont il avait dessiné les contours sur son blog en 2012, en décrivant un centre-ville « délabré », où « les paraboles punaisent les façades d’immeubles occupés par des pauvres, des Maghrébins, des gitans » et où « les bourgeois ont fui »« Les personnes que je rencontre ne me parlent que de ça. Elles se vivent en insécurité, étrangères à leur propre ville »« elles veulent juste se sentir chez elles », écrivait-il. Aujourd'hui il martèle vouloir « faire la guerre à la saleté », « à la laideur », « à la petite délinquance et aux incivilités », « aux gaspillages », « se battre pour ramener de la beauté », « pour une résurrection de ce que fut Béziers et de ce qu'elle doit devenir ».

Aimé Couquet, à la permanence du Parti communiste, à Béziers.Aimé Couquet, à la permanence du Parti communiste, à Béziers. © M.T. / Mediapart

« C’est un laboratoire d’extrême droite qu’il met en place, car tout cela stigmatise les immigrés et les pauvres », dénonce le communiste Aimé Couquet, adversaire coriace au conseil municipal. « Il envoie des messages subliminaux : le linge aux fenêtres, les paraboles, etc. Une majorité de gens comprend “on va se débarrasser des Arabes” », estime Jean-Michel du Plaa. Pour l'élu socialiste, le maire s'attaque uniquement à la question de la sécurité « alors que c'est aussi un problème de l’école, du social » : « Il a fait campagne sur l’extrême dégradation du centre-ville. 40 % de la population de certains quartiers ne vit que des minima sociaux. Pour lui, il faut virer les pauvres, les gitans, les immigrés. Mais c’est parce que le centre-ville est dégradé que seuls les pauvres acceptent d’y vivre. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. »

« Il joue l’apolitique, mais l’idéologie s’installe dans les choix culturels, dans l'attitude avec le personnel de mairie, dans un projet sécuritaire sans vision à long terme », constate Alain Renouard, le directeur du service médiation licencié par Ménard. « Il a amplifié le sentiment d’insécurité en répétant que "Béziers, c’est sale", "c'est Chicago", "les mamies se font voler leur sac à main". Il mélange délinquance et incivilité, il fait de la répression alors qu'il faut de l'éducation. » En témoigne selon lui le rattachement de son service médiation à la police municipale.

Jean Robert, directeur du centre social Arc-en-Ciel, dans le quartier populaire de la Devèze.Jean Robert, directeur du centre social Arc-en-Ciel, dans le quartier populaire de la Devèze. © M.T. / Mediapart

Alors que la ville est la 9e plus pauvre de France, et que près de 33 % des Biterrois vivent sous le seuil de pauvreté, la politique sociale vient après la sécurité. Ménard a renforcé et armé la police municipale, mais le centre communal d'action sociale (CCAS) a vu sa subvention diminuer de 365 000 d’euros et l'épicerie sociale qui en dépend a réduit ses services. « Le CCAS ne donne plus à manger aux gens, donc ils viennent chez nous », explique Jean-Louis Gral, le directeur du Secours populaire à Béziers, qui peine à faire face à cet afflux, d'autant plus dans un contexte national d'augmentation de la pauvreté. « Mensonge !, s'insurge le maire. Demandez au parti communiste, ça ira plus vite ! »

Alors que Robert Ménard annonce un « budget de rupture » et des « choix de rigueur » pour 2015, plusieurs associations craignent pour leur subvention. Le maire a déjà supprimé l’office municipal des sports, et pourrait réduire la subvention du centre social de la Devèze. « Ce n'est pas tranché, mais ils ont beaucoup de problèmes d’argent, on a déjà donné de l’argent l’an dernier », justifie-t-il. « On sort d’une grave crise, on n’a pas de fonds de réserve, une telle baisse nous ferait mettre la clé sous la porte », s’inquiète Jean Robert, son directeur, qui reproche au maire de ne pas « connaître l’importance des centres sociaux dans les quartiers » où il « ne vient plus ».

Pour Jean-Michel du Plaa, « il n'y a pas de politique sociale », que Robert Ménard « ne veut pas faire et délègue aux associations et au privé ». « Il tue le social en déplaçant le problème, constate aussi Yacine*, un jeune éducateur spécialisé. Il écarte les SDF à la périphérie. Les maisons de quartier sont délaissées : un projet a été arrêté alors que les travaux avaient commencé ; une autre n'a pas d'animateurs. »

Le maire, lui, assure « mettre le paquet » sur « le monde associatif et le social », sans pour autant donner de chiffres, et renvoie vers ses administrés : « Demandez aux Biterrois. La ville n’a jamais été aussi propre qu’aujourd’hui. Et quand on aide le centre-ville, on aide le quartier le plus pauvre de la ville. » Il vante aussi sa « mutuelle sociale » mise en place par une société extérieure et le million d'euros supplémentaire pour l'entretien des écoles.

Dans les quartiers alentour, la situation ne s'est pas améliorée, elle aurait même « empiré » par endroits selon ses opposants. Comme à la Devèze, quartier populaire qui a perdu sa supérette et où le maire a mis à exécution sa menace de retirer les aires de jeux en cas de dégradation.

Dans le quartier populaire de la Devèze.Dans le quartier populaire de la Devèze. © M.T. / Mediapart

Une autre catégorie est dans le viseur du maire : les fonctionnaires. En septembre, Robert Ménard a réuni l’ensemble du personnel pour leur « tenir un discours de vérité »« franc, viril ». Dans son intervention, il distingue « la qualité et la médiocrité », les « bons agents » et les « mauvais », qui « sont une plaie pour la ville » et qui « font du tort à tous les autres et aux Biterrois ».

Le journal municipal de Béziers d'octobre 2014.Le journal municipal de Béziers d'octobre 2014.

« Il est possible que tout le monde ici n'ait pas encore compris la portée de la révolution des mentalités que j'attends », « que certains imaginent que pourraient perdurer des habitudes, des facilités, contraires à l'intérêt général (...). Ce temps-là est terminé ! » lance le maire. « Vous appartenez à un corps au service de la Cité. Rien d'autre ne compte. Votre travail sera mesuré à cette aune », ajoute-t-il. Parmi ses annonces, un nouvel organigramme des services avec la suppression « des titres de directeurs de pôles », l’élaboration d’« un instrument de mesure de l'efficacité municipale » et « un contrat d'objectif » signé par les directeurs. « Un seul critère : le mérite ! » martèle Ménard, en affirmant que son « but n'est pas de surveiller les agents ».

Le discours a été durement vécu en mairie. « Les agents ne sont pas très aimés, alors il tape sur nous. Il dit qu’il a des employés fainéants, mais les balayeurs sont là à 6 heures ! » s'insurge un employé communal. « Son projet, c’est de casser les fonctionnaires. Il les stigmatise, les monte les uns contre les autres », estime Alain Renouard, qui a choisi de porter son cas devant le tribunal administratif. Robert Ménard, lui, hausse les épaules : « Vous avez vu une grève à Béziers ? Tout se passe bienOn m’avait dit qu’on allait mettre le feu, rien. Vous ne pouvez pas penser que vous allez changer les choses et ne pas les changer. J’espère bien que c’est différent ! »

Le maire veut instaurer « une révolution de l'esprit », qu'il définit ainsi à Mediapart : « C’est de la volonté, l’arrêt de la résignation, de la rigueur dans la gestion, l’écoute des gens, la prise en compte de leurs besoins immédiats. » Ce « nouvel état d’esprit » s'accompagne surtout de marqueurs idéologiques forts : l'arrivée d’identitaires dans l’équipe de Robert Ménard, dont son directeur de cabinet, André-Yves Beck, l'ancien idéologue de Jacques Bompard passé par plusieurs groupuscules d'extrême droite radicaux ; la nouvelle ligne du journal municipal, arme de communication forte ; les conférences « Béziers libère la parole », dont les invités (Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Laurent Obertone) cultivent le même logiciel réactionnaire.

Dans le journal municipal, Robert Ménard présente sa réunion des agents comme « une première dans l'histoire de Béziers ».Dans le journal municipal, Robert Ménard présente sa réunion des agents comme « une première dans l'histoire de Béziers ».

Ses discours sont aussi l'occasion de décliner les fondamentaux des droites extrêmes. Le 14-Juillet, il intrigue par ses références à la monarchie, en expliquant que la fête nationale n'est pas « la célébration de la prise de la Bastille », mais celle de « la fête de la fédération » de 1790 qui « a consacré ce que l’ancienne royauté avait préparé ». En ouverture de la feria, il organise une messe publique, et est désapprouvé par l’archiprêtre de la ville, qui dénonce une instrumentalisation du culte catholique. En octobre, il se rend en Syrie pour soutenir la communauté chrétienne de Maaloula et scelle un jumelage avec la ville.

Robert Ménard a aussi débaptisé la rue dédiée à la fin des combats en Algérie, pour lui donner le nom d'Hélie Denoix de Saint-Marc, ce militaire qui a participé au putsch des généraux en 1961. Une « réécriture de l'Histoire » pour son adversaire socialiste Jean-Michel du Plaa. Il a rendu hommage aux harkis en septembre et aux morts de l’OAS en juillet, en retraçant heure par heure le « massacre généralisé » du 5 juillet 1962, « un jour de honte pour tous ceux qui ont couvert ces assassinats de leur silence »« Sans la France, pas d'Algérie ! » déclare-t-il, dans la droite ligne de son livre Vive l’Algérie française (2012) qui fustigeait les « mensonges sur le bilan de la colonisation, largement positif en termes d’infrastructures ».

Mais c'est son discours au rassemblement républicain à Béziers, après l'attentat de Charlie Hebdo, qui a été le plus controversé. Il évoque « l'ennemi » de la « civilisation française et européenne » et le risque d'un Paris transformé « en Kaboul ». Des sifflets, huées et des « Pas de politique ! » fusent de la foule (voir la vidéo à partir de 21'20) :

« C'était un large rassemblement, pas du tout dans l'ambiance de ses meetings de promotion où le public lui est acquis, et cela s'est ressenti. C'est la première fois qu'il est mis en défaut », raconte Cyril Hennion, militant à la Ligue des droits de l'homme (LDH) et au PS. Pour Christophe Coquemont, cofondateur de l'Union citoyenne humaniste de Béziers, et candidat socialiste aux cantonales, le maire « a raté un grand coup » : « Tout le monde a vu qu'il faisait de la récupération. »

Le journal municipal de Béziers de janvier 2015.Le journal municipal de Béziers de janvier 2015.

Cette ligne, Robert Ménard l'a déclinée dans un entretien au Figaro, où il évoque un « climat inquiétant » à Béziers ; lors de ses vœux, où il se félicite « d'avoir voulu armer la police municipale » ; à la une de son journal municipal (ci-contre) et dans un communiqué sur la même tonalité que le Front national : « Non, les assassins ne sont pas des "fous" ou des "marginaux". Ce sont des tueurs islamistes qui veulent imposer la terreur comme leurs congénères de Syrie ou d'Irak », écrit-il en faisant le lien avec « trente ans d'immigration galopante »Il a d'ailleurs déploré qu'« on montre du doigt le Front national », qui « a des comportements qui ne sont pas moins républicains que ceux de n'importe quelle autre formation politique ».

« Sa "révolution municipale" est vue comme la révolution nationale de Pétain », affirme Jean-Michel du Plaa. Plusieurs élus et employés municipaux interrogés s'inquiètent d'une ambiance « délétère » et d'un maire « très autoritaire » et « colérique ». Pour le communiste Aimé Couquet, Ménard a « installé la peur, auprès du personnel municipal, des associations qui ont la trouille de perdre leur subvention, de la population. Il a dressé les populations les unes contre les autres, les gens se regardent en chiens de faïence ».

Certains de nos interlocuteurs n'ont accepté de s'exprimer que sous couvert d'anonymat. D'autres ont, à la dernière minute, refusé de voir leur nom dévoilé. Comme Yacine*, éducateur spécialisé, qui craint que son association ne perde sa subvention municipale s'il critique la politique sociale de Ménard. Un employé communal décrit « un climat bizarre, de délation. Il faut faire attention à tout, à qui on parle, à ce qu’on dit. C’est tendu et tout remonte au cabinet du maire ».

Le maire sait aussi prendre ses adversaires à contre-pied. Il a récemment annoncé sa présence à la soirée de soutien à La Marseillaise, quotidien engagé à gauche, et actuellement en grandes difficultés financières. À son arrivée à la mairie, il a aussi tenté de séduire responsables associatifs et directeurs de services de l'équipe sortante. « On l'a vu en tête à tête. On avait apporté une page rappelant nos valeurs, il a lu et répondu : "Je les partage complètement" », se souvient le directeur du centre social de la Devèze. « C’est un grand séducteur et communicant, il nous avait fait un bon accueil, il s’est présenté comme quelqu’un d’apolitique et dans l’action, qui laissait la main aux techniciens "qui ont les compétences", raconte Alain Renouard. Puis il a laissé place progressivement à un autre personnage, qui ne connaît rien et décide, exige, sans concertation. Il se conduit en maître incontesté qui ne supporte pas la contradiction. »

« Il n’y a pas de discussions, il y a le roi, qui dit : "j’ai une communication à faire", et les gens s’exécutent », reproche le conseiller municipal RPF Brice Blazy, qui a lâché Ménard pour rejoindre la droite. L'élu raconte avoir été « convoqué » par le directeur de cabinet de Ménard qui « (lui) a expliqué qu'il "ne fallait pas faire de politique car le maire ne voulait pas". Faire de la politique pour Ménard, c’est parler d’autre chose que de Robert Ménard ».

À la librairie Clareton, la gérante raconte elle aussi avoir été « convoquée » par André-Yves Beck au moment où la mairie tentait de racheter l'établissement. « Il m’a dit : "Vous serez sous mon contrôle, vous me ferez un rapport sur la gestion." Il m’a interdit de prendre des notes pendant l’échange. » Robert Ménard l’a lui aussi « convoquée deux fois par semaine cet été, se souvient-elle. Il me pressait : "Alors, vous en êtes où ?" Il m’a dit de ne pas parler à la presse ».

La librairie Clareton, établissement historique de Béziers.La librairie Clareton, établissement historique de Béziers. © M.T. / Mediapart

Avec la presse aussi, les relations sont très tendues. Celui qui a défendu avec RSF la liberté de la presse pendant 25 ans multiplie les attaques envers Midi-Libre, et a déposé une plainte pour diffamation. En juillet, il a réglé ses comptes avec le quotidien dans son journal municipal en dénonçant sur deux pages « l’erreur, l’inexactitude, l’à-peu-près » qui « semblent être devenus la règle » depuis son élection. « C'est un journal comme vous, c’est-à-dire bourré de certitudes, d’a priori, de peu d’intérêt pour les gens et de beaucoup d’intérêt pour le monde politique. Que nos rapports soient tendus, c’est normal », justifie aujourd'hui le maire.

L'article attaquant Midi-Libre dans le journal municipal, en juillet 2014.L'article attaquant Midi-Libre dans le journal municipal, en juillet 2014.

Robert Ménard s'est aussi penché sur les sources de Mediapart, après l'un de nos articles : « Je ne doute pas que ce média entretienne des liens étroits avec l’opposition biterroise, puisqu’une de ses journalistes est déjà venue enquêter à Béziers à propos d’un autre licenciement », explique-t-il sur son site Boulevard Voltaire. « Mediapart (a) longuement cherché ce qui n’existait pas, allant jusqu’à promettre l’anonymat à d’anciens employés du service de l’agent licencié pour peu que ceux-ci consentent à apporter des témoignages à charge contre nous… »

Le maire fustige également certaines associations : le Secours populaire, dont il dénonce la « vision politique », la Ligue des droits de l'homme (LDH), dépeinte en organisation « gavée de subventions publiques aux frais des contribuables ». « Et un et deux et trois zéro ! », écrit-il dans un communiqué à l’issue de la première manche juridique contre la LDH, qui a déposé des recours contre ses arrêtés.

Pour Jean-Michel du Plaa, Robert Ménard profite aujourd'hui d'une « grande faiblesse de la société civile ». D’autant que sa victoire a conforté ses 47 % d’électeurs et « libéré la parole », pensent ses opposants. « Ceux qui n’ont pas voté pour lui sont très en retenue, à l'inverse de ses électeurs qui s’expriment beaucoup », note Aimé Couquet. Comme ce Biterrois, qui a lancé à Robert Ménard lors de la feria : « Enfin, monsieur le maire, on est entre nous ! » Yacine*, l'éducateur spécialisé, raconte ainsi son exaspération d’entendre les élus de la majorité de Robert Ménard lui adresser un systématique : « Nous, on a aucun problème avec les étrangers. »

Ses opposants parient sur un « choc de réalité ». « Six ans après, les Biterrois verront que rien n’a changé. Robert Ménard ne veut pas de HLM en centre-ville, mais il faut reloger les gens. Il concentre les moyens sur le centre-ville, et cela se ressent dans les autres quartiers », résume Jean-Michel du Plaa. « C'est une coquille vide, les gens vont s’en apercevoir. Contrairement à Jacques Bompard, il ne se soucie pas de la réalisation », affirme Alain Renouard. « Il y a toujours l’état de grâce quand un nouveau maire arrive, mais après ? » interroge l'UMP Élie Aboud.

Christophe Coquemont et Cyril Hennion, militants socialistes de l'Union citoyenne humaniste de Béziers.Christophe Coquemont et Cyril Hennion, militants socialistes de l'Union citoyenne humaniste de Béziers. © M.T. / Mediapart

Depuis quelques mois, certains sentent un frémissement. Les vœux du maire à la population n'ont réuni que 400 personnes. Les premières fissures apparaissent au sein de sa majorité. Après le départ de l'élu RPF, « certains élus commencent à dire qu'ils n'avaient pas rejoint Ménard sur de telles positions d'extrême droite », rapporte Aimé Couquet.

De son côté, la gauche, divisée politiquement, « s'est unie par les associations, affirme Christophe Coquemont, de l'Union citoyenne humaniste. Aujourd'hui on travaille avec les communistes, avec la LDH, etc. ». Un journal d'opposition à Ménard a été créé par une quinzaine de citoyens et militants de gauche. Plusieurs organisations qui planchent sur un projet d'immeuble associatif organisent en mars un « Printemps des peuples ». La Ligue des droits de l'homme va décliner à Béziers une Coordination nationale contre l'extrême droite (Conex) pour mettre en lien les militants syndicaux, politiques et associatifs. « Il y a une demande, les gens disent "comment on peut s’organiser ?". Donc il faut être présent, s’exprimer », prône Aimé Couquet.

Mais Robert Ménard entend bien étendre son « laboratoire » et répète que ce qu'il fait pour Béziers « peut servir d’exemple » ailleurs. « Le problème, ce n’est pas Ménard, ce sont ses idées, explique son adversaire communiste. Marine Le Pen a besoin qu’il y ait un parti plus à droite que le FN pour apparaître comme moins extrémiste. C'est réussi. »

BOITE NOIRECe reportage sur Béziers en deux volets est le fruit d'un suivi de plusieurs mois : un reportage d'une semaine en novembre et des entretiens téléphoniques en décembre et janvier.

Robert Ménard a été interviewé une première fois à Béziers le 6 novembre, et une seconde fois par téléphone le 23 janvier. Il a menacé d'arrêter le premier entretien et a interrompu le second dans un flot d'insultes. Nous avons sollicité André-Yves Beck en mairie, mais la directrice de communication comme Robert Ménard nous ont fait savoir que les membres du cabinet ne répondaient pas à la presse.

* Prénom modifié à la demande de l'intéressé, qui a souhaité au dernier moment que son anonymat soit préservé.

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Prix de l’électricité : petits arrangements entre ennemis

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Réduire la consommation d’électricité, c’est l’un des objectifs de la politique de transition énergétique, et du projet de loi actuellement débattu au Sénat. Et ce, pour lutter contre le dérèglement climatique, réduire notre impact sur les ressources naturelles et se préparer à réduire la part du nucléaire à 50 % du mix national. Officiellement, c’est plutôt consensuel. En réalité, la bataille fait rage en coulisses pour capter les profits générés par cette nouvelle donne énergétique. Nouveaux acteurs et puissances installées (EDF, GDF Suez) s’affrontent sur les décombres du service public de l’énergie, progressivement démantelé par le mouvement de libéralisation des dix dernières années.

Ségolène Royal au Sénat pour la loi de transition énergétique (DR).Ségolène Royal au Sénat pour la loi de transition énergétique (DR).

Un nouvel épisode de cette bagarre se déroule actuellement autour de l’« effacement diffus ». Méconnue du grand public, cette pratique consiste à couper temporairement la consommation d’électricité de clients volontaires.

Le principe est le suivant : à un moment précis, entre 19 heures et 19 h 15 par exemple, votre radiateur électrique s'arrête, interrompu à distance par un opérateur d'effacement. Vous ne vous rendez compte de rien, a priori. Mais pendant ce temps, les kilowattheures (kWh) que vous n'avez pas utilisés ne sont pas perdus : ils sont vendus sur le marché de l'électricité à RTE, la filiale d'EDF, qui s'en sert pour équilibrer le réseau. Le but est d’alléger la demande de courant en période de « pointe », c’est-à-dire quand les besoins explosent, typiquement en fin de journée en hiver. Cette brusque hausse de la consommation oblige RTE à acheter de l’électricité plus chère et produite par des centrales (au fioul ou au gaz) très émettrices de CO2. L'effacement diffus consiste ainsi à valoriser du courant non consommé par les ménages.

C'est un excellent créneau flairé par la société Voltalis, qui équipe gratuitement les foyers de particuliers, avec le soutien de collectivités locales, en boîtiers permettant d'éteindre leurs radiateurs électriques et chauffe-eau. C'est une sorte de compteur relié à une interface web que chaque foyer peut consulter à tout moment, sans avoir la main sur la chronologie des coupures. C'est Voltalis qui en décide seul, en fonction des besoins et opportunités du marché de l'électricité. Le ménage ne touche rien sur ces transactions. Il se contente de prêter ses appareils à ces businessmen d'un nouveau genre.

Créée en 2007 par des ingénieurs issus du corps des Mines, la société est aujourd’hui présidée par Pâris Mouratoglou, qui a fait fortune grâce à la bulle du photovoltaïque de 2009 et aux tarifs d’achat surévalués. Voltalis opère sur le marché d’ajustement, en vendant à RTE des Mégawatts (MW) d’électricité « effacée » – elle est la seule entreprise sur le créneau de l’effacement diffus. Elle ambitionne d’opérer à terme sur le marché de gros, où s’approvisionnent directement les fournisseurs. L’idée est la suivante : plutôt que commercialiser de la production supplémentaire, ils proposent de la demande « en moins ».

C’est en principe écologiquement plus vertueux : pour une fois, le marché donne une valeur à la modulation de la demande. Ainsi la directive européenne sur l’efficacité énergétique encourage le développement de l’effacement. La loi Brottes de 2013 reconnaît que l’effacement procure des avantages à la collectivité « en matière de maîtrise de la demande d'énergie ou de sobriété énergétique ». Elle autorise donc les opérateurs d’effacement à valoriser leurs MW non consommés sur les marchés. Mais elle instaure un cadre financier. Car rien n'est gratuit sur le marché de l'électricité. Même les kilowatts que Voltalis efface ont préalablement été achetés par un fournisseur (EDF, Direct Energie, GDF Suez...) au producteur, qui les achemine vers ses clients sans savoir s'ils seront effacés ou non. Le législateur demande donc aux « effaceurs » de payer ces électrons aux fournisseurs par le biais d'un versement. Mais il leur offre aussi une prime, subventionnée par la contribution au service public de l'électricité (CSPE), une taxe acquittée par le consommateur final.

La tour Franklin, où se trouve le siège Voltalis, à côté de la tour EDF à la Défense (JL).La tour Franklin, où se trouve le siège Voltalis, à côté de la tour EDF à la Défense (JL).

Quelques mois plus tard, un décret confirme le dispositif. En réalité, ce jugement de Salomon – aux fournisseurs le versement, aux effaceurs la prime – ne va pas tenir très longtemps. Car la loi de transition énergétique et pour la croissance verte, défendue par Ségolène Royal au Sénat jusqu'à la semaine prochaine, chamboule tout : une partie du versement doit désormais être payée par les fournisseurs eux-mêmes (soit EDF, Direct Energie, GDF Suez…), pour le plus grand bonheur de Voltalis, dont le fardeau est ainsi allégé. Pas d’inquiétude pour les entreprises ainsi mises à contribution : elles répercuteront cette dépense sur les prix, par le biais d’une nouvelle contribution. Le périmètre de ce Yalta de la prime ne doit rien au hasard : la part à la charge des fournisseurs est celle qui conduit à une économie d’énergies. Car pour compliquer encore le sujet, une grande partie du courant effacé est tout de même consommé, avec un léger décalage temporel. L'effacement n'équivaut pas à une économie d'énergie. Le système inventé par la loi Royal revient à créer une sorte de caisse d’assurance des vendeurs d’électron contre les économies d’énergie… Un message en totale contradiction avec l’idée même de transition écologique.

Début 2015, le ministère de l’écologie publie l’arrêté tarifaire fixant le montant de la prime Voltalis : ce sera 16 € par mégawattheure (MWh) effacé (en heures pleines, de 7 heures à 23 heures), soit tous les 1 000 kWh. Autrement dit, une facture d’environ 250 millions d’euros sur dix ans dans l’hypothèse d’une croissance annuelle de la capacité d’effacement de 750 MW (contre environ 500 MW au total aujourd’hui), selon les estimations de la commission de régulation de l’énergie (CRE). Le prix de l’électricité ne cesse d’augmenter en France ces dernières années, aggravant chaque fois le problème de la précarité énergétique. Il s’est encore alourdi de 2,5 % en janvier. Le montant de la prime à l’effacement doit être révisé annuellement.

Une publicité d'EDF pour le chauffage électrique, hiver 1991-92 (DR).Une publicité d'EDF pour le chauffage électrique, hiver 1991-92 (DR).

Car les ménages sont bien les seuls à ne pas bénéficier directement de l’effacement tel qu’il se met en place au fil des lois et des décrets. Ce sont pourtant eux qui fournissent l’effort indispensable à tout cet édifice : accepter la coupure de son chauffage électrique ou son chauffe-eau pendant 5 à 15 minutes. C’est le particulier qui se prive, mais c’est Voltalis qui valorise son geste, ce sont les fournisseurs qui s’indemnisent contre ce manque à gagner.

Tout se passe comme si le petit monde des acteurs économiques de l’énergie, malgré la concurrence qui dresse les uns contre les autres, trouvait une forme d’arrangement, même tacite, pour continuer à gagner de l’argent malgré la baisse annoncée de la demande. « Cette prime est scandaleuse, tonne Frédéric Blanc, juriste à UFC-Que Choisir, il n’y a pas d’intérêt général poursuivi. Cette subvention crée un risque de sur-rémunération du capital puisque elle rémunère de l’électricité que l’opérateur d’effacement vend par ailleurs sur les marchés. Cela risque de créer des marges déraisonnables. Ils créent un système approximatif en fonction d’intérêts particuliers. »

Pour la Coalition France pour l’efficacité énergétique (CFEE), qui regroupe des associations et des entreprises, c’est la tarification de l’électricité, modulable en fonction d’heures pleines et creuses, qui est « le moyen le plus économiquement efficace de soutien aux effacements ».

Rencontrés par Mediapart lors d’un entretien de plusieurs heures au siège de l’entreprise, à la Défense, des dirigeants de Voltalis répondent que le consommateur se rémunère par l’économie d’énergie, donc l’allègement de sa facture finale : « Ça ne coûte rien au consommateur de s’équiper de notre boîtier et ça fait baisser sa consommation, c’est le volet le plus important de ce que nous faisons, c’est pour ça que nous existons », explique Pierre Bivas, co-fondateur de Voltalis, conseiller de son actuel président, et à la tête de Cathode, syndicat professionnel de l’effacement diffus. Si l’on estime qu’en moyenne un foyer dépense 1 700 euros par an de chauffage électrique, la société estime pouvoir lui faire économiser environ 170 euros.

C’est aussi ce que dit le député François Brottes, à l’origine de la loi de 2013 : « Ça coûte un peu cher en mise en œuvre et en démarchage, mais l’effacement diffus génère de vraies économies d’énergie. C’est une pédagogie pour que les consommateurs se comportent différemment. Toute la montée en puissance des économies d’énergie passe par une phase transitoire de financement du modèle. C’est pour démarrer. C’est une modalité de transition pour faire émerger des acteurs. »

Mais d’après l’Ademe, qui a réalisé la seule étude indépendante sur le sujet en 2012, le taux d’économie d’électricité obtenu les jours d’effacement par rapport à la consommation journalière d’un foyer ne dépasse pas 6,8 à 8,3 %. Les économies sur le chauffe-eau sont nulles (toute l’énergie effacée est re-consommée derrière) et pour le chauffage électrique, un effacement sur 33 % du temps engendre une économie de 13,2 %. Les économies « peuvent être en partie annulées par un surplus de consommation à l’issue de la période d’effacement, par exemple pour remettre le logement à la température souhaitée (c’est l’effet report) », écrit l’Ademe. C’est sur cette base que l’Autorité de la concurrence a conclu en 2013 que le subventionnement de l’activité d’effacement n’était pas pertinent : « Il apparaît que le lien entre effacement de consommation et économies d’énergie n’est pas clairement démontré. »

De son côté, Voltalis présente d’autres études établissant un lien entre effacement et économie d’énergie. En 2013, l’entreprise a évalué 45 000 sites équipés de son boîtier (sur 100 000 au total). Résultat : plus de 90 % d’économie sur l’électricité effacée. Cette étude interne, donc forcément soupçonnée de biais, est en cours de contre-expertise par RTE.

« On n'espère pas 30 % d’économie d’énergie sur la facture annuelle, mais plutôt 5, 10 ou 15 % », reconnaît Pierre Bivas. Selon les calculs d’Alexis Galley, autre co-fondateur, l’économie d’électricité atteint 12 % sur les mois où il fait suffisamment froid pour allumer son radiateur, soit environ 10 % rapporté à toute l’année. À titre de comparaison, la loi de transition énergétique (dans sa version votée par l’Assemblée) fixe comme objectifs de diviser par deux la consommation d’énergie d’ici 2050 et de 20 % en 2030. Avec les boîtiers d’effacement diffus, on se trouve donc très loin du compte.

Le cofondateur de Voltalis insiste sur un autre effet bénéfique de l’effacement pour tous les consommateurs : faire baisser les prix en ouvrant la concurrence sur le marché de gros. Ainsi 1 GW d'effacement diffus permettrait d’économiser 180 millions d’euros par an, selon une première estimation de RTE citée par Voltalis. Quant à la prime dont ils doivent bénéficier, il assure pouvoir s’en passer pour être rentable. Mais à condition de ne pas avoir à payer l’électricité aux fournisseurs. Saisis par le gouvernement, la CRE et le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) ont rejeté une première version de la prime, jugée trop élevée (30€/Mwh).

Depuis son apparition sur la scène française, Voltalis a déployé un lobbying dont la persistance et l’entregent ont bluffé des observateurs pourtant aguerris du monde de l’énergie. Mais la viabilité de son modèle économique soulève des interrogations. Près de 100 millions d’euros y ont été investis depuis sa création, pour un chiffre d’affaires de seulement 1 million d’euros aujourd’hui, et environ 150 employés.

Le feuilleton à rebondissements de l’effacement est révélateur d’une tendance lourde : comme les places financières, les marchés de l’électricité ne semblent être compris que par les acteurs qui y agissent et s’y enrichissent – ou espèrent le faire. Élus et associations écologistes n’ont rien dit sur cette réforme pourtant structurelle du marché et du prix de l’électricité. Ce silence permet au cercle fermé des acteurs de l’énergie de décider ce que bon leur semble, en toute opacité.

BOITE NOIREJ'ai commencé à travailler sur ce sujet après avoir reçu plusieurs alertes de la part de professionnels du monde de l'énergie. Frédéric Blanc a été interrogé par téléphone mardi 3 février, François Brottes par téléphone également jeudi 5 février. J'ai rencontré Pierre Bivas, Mathieu Bineau et Alexis Galley, de Voltalis, pendant plusieurs heures, dans leurs locaux de la Défense, lundi 9 février. Seul Pierre Bivas a demandé à relire ses propos.

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Procès du Carlton: DSK s'insurge contre une «logique fausse»

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  DSK pouvait-il ignorer la qualité de prostituées des femmes amenées et rémunérées à son insu par ses amis entrepreneurs ? Non, au vu de la rudesse de ses pratiques sexuelles, ont répondu mardi deux ex-prostituées qui se sont constituées partie civile. « Fausse logique », s’est insurgé Dominique Strauss-Kahn, 65 ans, qui a dénoncé cette « cheville » qui voudrait que « c’est de l’abattage, donc c’était des prostituées ». « Je dois avoir une sexualité qui est plus rude par rapport à la moyenne des hommes, mais j’ai le même comportement sexuel avec toutes les femmes, estime-t-il. Ça n’implique en rien un quelconque lien avec la prostitution. » Et de s’étonner du retour du mot « abattage », utilisé en l’occurrence par une jeune standardiste pour décrire une soirée dans un hôtel lillois. « Quand un même terme revient, ça me paraît bizarre », glisse-t-il, sans développer.

Quelques instants plus tôt, Jade, une ancienne prostituée, vient d’évoquer, en pleurs, une sodomie brutale dans une chambre d’hôtel à Bruxelles après une soirée dans un club échangiste belge. Jusqu’alors impassible, cette grande femme au carré châtain, redoutable à la barre, s’est soudain effondrée : « Vous avez lu la confrontation, je pense que les détails sont assez explicites. » Le tribunal l’encourage, la pousse à redire ces mots. « Il y a eu un moment plus que désagréable, quand j’ai tourné le dos à DSK, finit-elle par lâcher à contrecœur. J’ai subi une pénétration, qui ne m’a pas été demandée, à laquelle j’aurais dit non, car je ne veux pas de ça. À la confrontation, DSK a bien dit qu’il ne s’était pas rendu compte que c’était un moment qui n’était pas cool et s’est excusé. »

Elle ajoute qu’à chaque fois qu’elle croise sa photo, elle revit « cet empalement de l’intérieur qui me déchire de dedans, car aucun autre client n’aurait osé faire ça ». Le tribunal tique sur le mot client, qui est précisément l’enjeu des débats.

« Si j’étais libertine il m’aurait quand même posé la question de savoir si j’étais d’accord, justifie Jade. Pour m’avoir infligé ce qu’il m’a infligé, c’est qu’il ne devait pas avoir beaucoup de respect sur moi. » Dans la voiture accompagnant DSK et son amie à l’hôtel pour cet « after », la prostituée venait de raconter au président du FMI qu’elle travaillait « dans un club échangiste à Bruxelles » et qu’à la fin de ses spectacles de danse érotique, elle choisissait une personne dans le public avec qui elle avait un rapport sexuel sur scène. « Ça ne me permet pas de déduire qu’elle est prostituée », a rétorqué DSK qui assure n'y avoir vu qu’un « amusement » de « libertine ».

Clair et direct, Dominique Strauss-Kahn semble connaître les 35 tomes du dossier sur le bout des doigts. Il commence par s’excuser de ne pas avoir perçu la détresse de Jade, avant de… saper sa version : « Mais sur le moment, si elle l’avait vécu de façon aussi difficile, elle serait partie. » Ses avocats veillent au grain. Quand Me David Lepidi, avocat d’une association partie civile, utilise le terme d’« agression », Me Henri Leclerc bondit : « Vous ne pouvez pas dire ça, il n'est pas poursuivi pour agression ! »

Dominique Strauss-Kahn revient à la charge une heure plus tard, « troublé » que Jade ait, malgré cet épisode traumatique, participé à un voyage à Washington, au cours duquel elle le décrit comme courtois et prévenant. « Alors qu’est-ce qui est vrai dans cette histoire ? S’il y a eu une situation difficile, comment se fait-il que trois mois plus tard elle puisse nous dire "Soyons bons copains" ? » Il y avait 2 000 euros à la clef, réglés à son retour par l’entrepreneur David Roquet, qui n'était pourtant pas du voyage à cause d’un problème de passeport. « Moi, je voyais qu’en euros », explique Jade, « contente de partir en excursion » avec le commissaire Jean-Christophe Lagarde, Fabrice Paszkowski et le couple Mellick fils.

Ces derniers l’ont d’ailleurs prise en photo, souriante aux côté de DSK dans son bureau au FMI. « J’ai pris aussi des photos des petits écureuils », désamorce Jade, provoquant des rires dans le public. Le cliché a ensuite été largement repris dans les médias, à sa plus grande colère. Mais l’épisode donne surtout l’occasion à DSK de marquer un point : « Le directeur du FMI à Washington ne prend pas une photo avec une jeune femme dont il sait qu’elle est prostituée, c’est inconcevable », remarque-t-il.

Le consultant international est d’autant plus à l’aise à la barre que le parquet, qui avait requis un non-lieu à la fin de l’instruction, le laisse dérouler sa version sans chercher à le mettre en difficulté. Les procureurs Frédéric Fèvre et Aline Clérot semblent réserver leurs flèches pour le commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde. Frédéric Fèvre a fait ses comptes. Entre les billets de train, d’avion et les chambres d’hôtel, l’ex-chef de la sûreté départementale du Nord a économisé « une fourchette de 4 000 à 6 000 euros ». « Est-il déontologique pour un fonctionnaire de police de se faire offrir tous ces cadeaux ? » demande-t-il. « J’étais son ami, pas le flic de service », assure Lagarde, qui affirme ne pas avoir fait l’objet d’une procédure disciplinaire pour ces faits.

Lors d'un deuxième voyage à Washington, le commissaire avait embarqué son supérieur, le directeur départemental de la sécurité publique du Nord, Jean-Claude Menault, pour parler avec le futur candidat à la présidentielle des « grandes thématiques de la sécurité ». Confronté à une soirée libertine avec deux jeunes femmes, qui lui avaient été présentées dans l’avion comme des secrétaires d’Eiffage, Menault a tourné les talons. Le témoin assisté a relaté à la juge d’instruction « l’explication de gravure » qui a suivi le lendemain matin : « Vous n’allez pas nous faire croire que ce sont des secrétaires. Ce que vous faites est dangereux, plus jamais ça avec moi. » 

« Vous êtes un policier aveugle ? » lance Frédéric Fèvre à Jean-Christophe Lagarde. Le procureur s’étonne que son supérieur hiérarchique, « dès la première rencontre, s’aperçoit que ce sont des prostituées alors que vous, qui avez des relations suivies, ne vous en apercevez pas ». Lagarde s’embrouille, commence par ne plus se souvenir de la scène avant de nier : « Il n’a absolument pas dit ça. » Le policier s’enfonce. Il n’est pas aidé par son ami David Roquet, qui maintient l’avoir mis au courant des pratiques tarifées d’une des filles emmenées à Washington. David Roquet et Fabrice Paszkowski, que Jade a décrits comme ses « employeurs en quelque sorte ».

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Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »

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Comme nous l’avons indiqué en présentant le premier volet de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et argumentées qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l'économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publique la première de ces notes qui est en date du 11 septembre 2012 et qui témoigne de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès les premiers mois du quinquennat de François Hollande (lire 2012-2014: les notes secrètes de Montebourg à Hollande), nous publions aujourd’hui la deuxième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur les désaccords qui existaient, même s’ils n’étaient pas encore sur la place publique, entre le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Longue de 17 pages, cette note est datée du 29 avril 2013, soit un peu plus de sept mois après la première note, et prend la forme d’un « Mémorandum en faveur d’une nouvelle stratégie de croissance dans la politique économique européenne de la France ». Sur la page de garde, on apprend que le document est cosigné par « Arnaud Montebourg et son équipe d’économistes dirigée par Xavier Ragot, professeur associé à l’École d’économie de Paris, chercheur au CNRS ». Connu pour ses travaux d’inspiration néo-keynésienne, l’économiste est depuis devenu le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’un des rares instituts qui s’inscrivent dans ce même courant de pensée.

Voici donc ce mémorandum : il est possible de le télécharger ici ou de le consulter ci-dessous :

 

Le premier constat qui saute aux yeux à la lecture de ce document, c’est qu’il vient, de nouveau, confirmer la profondeur des désaccords qui opposent le chef de l’État et Arnaud Montebourg, l’une des principales figures du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Cette fois, les choses sont dites avec moins de prudence ou de précaution que lors de la note du 11 septembre 2012. Plus question de demander simplement une atténuation du plan d’austérité, pour qu’il porte non plus sur 33 milliards d’euros mais seulement sur 25 ! Désormais, Arnaud Montebourg plaide non pas pour des ajustements mais « pour une autre politique économique européenne ». Il demande un véritable « virage politique ». En clair, les désaccords se sont radicalisés.

C’est le premier enseignement de cette note. Alors qu’en public, mis à part la controverse autour de Florange, Arnaud Montebourg cultive son volontarisme industriel mais semble souscrire aux grandes orientations économiques impulsées par François Hollande, en privé il apparaît que les deux hommes ont deux visions économiques opposées.

C’est ce que suggèrent les deux signataires du mémorandum, dès leurs premiers constats : « La crise économique commencée en 2007 est d’une ampleur inconnue depuis celle de 1929. L’endettement des pays développés se rapproche des records historiques atteints après la fin de la seconde guerre mondiale (111,4 % du PIB prévus pour un record de 116 %). Chacun sait qu'il faudra probablement une dizaine d’années voire une génération pour absorber un tel choc économique. Face à ce risque de dislocation économique, les règles que se sont imposées les pays européens, dans presque tous les domaines, sont les liens juridico-politiques qui les font aujourd’hui couler ensemble, alors que chacun aurait besoin de liberté de mouvement pour aider l’Europe à remonter à la surface, avec les atouts propres à chaque pays. La paralysie politique européenne conduit les règles du passé à corseter le présent et empêcher le sursaut », écrivent-ils.

Tout au long de leur note, les deux auteurs multiplient donc les messages alarmistes. Faisant valoir que « la politique européenne actuelle »  est l’une « des plus restrictives et des moins favorables à la croissance au monde », ils appellent à la rescousse l’économiste Daniel Cohen qui peu de temps avant, dans le magazine Challenges (n°335, daté 7 mars 2013), a fait cette déclaration fracassante : « Cela ressemble à un suicide collectif. Les règles budgétaires de l'Union européenne exigent des États qu'ils reviennent au-dessous d'un déficit public de 3 % du PIB, sans prendre en compte le fait que ces mesures creusent la récession et rendent l'objectif impossible à atteindre. »

En somme, Arnaud Montebourg et Xavier Ragot disent en privé à François Hollande ce que nombre d’économistes répètent en France et à l’étranger mais que le chef de l’État ne veut pas entendre – ou fait mine de ne pas vouloir entendre : l’Europe et la France avec elle courent à la catastrophe. Critiquant la Banque centrale européenne qui persiste à vouloir lutter contre des menaces inflationnistes au moment où il n’y en a plus aucune et où bientôt, même, des pressions déflationnistes commenceront à se manifester, les deux auteurs déplorent que « le rachat des dettes publiques » par la banque centrale « reste tabou » et pronostiquent le pire : « L’Europe ne se fissure désormais plus sur le front des marchés financiers mais sur celui de l’économie réelle, du chômage et de la croissance, qui font douter gravement les opinions publiques, et conduiront les peuples à désigner des gouvernements qui mettront fin à l’Euro. »

Plus loin, ils insistent : « C’est toute l’Europe qui s’installe dans une spirale récessive (…) Le résultat de ces politiques sera une très faible croissance européenne, une désindustrialisation aggravée, une augmentation de la divergence des économies européennes et une augmentation des inégalités au sein des pays et entre les territoires. Dans les pays du Sud, la stabilisation des comptes publics se fera au prix de la désagrégation du tissu productif. Bien sûr, le processus s’arrêtera à un moment, lorsque les comptes publics seront revenus à l’équilibre. L’économie devra alors se reconstruire sur un champ de ruines industrielles. »

Alors que publiquement François Hollande continue de s’évertuer à dire qu’il honorera son principal engagement, celui d’une inversion de la courbe du chômage d’ici la fin de 2013, Arnaud Montebourg et Xavier Ragot assurent en privé dans cette note – mais ils ne manifesteront pas publiquement ce profond scepticisme – qu’ils ne donnent pas le moindre crédit au propos présidentiel. Tout au contraire : si l’Europe se fissure, étouffée par la politique d’austérité, la France elle-même en paiera le prix : « La politique de rigueur généralisée court-termiste est une erreur macroéconomique grave qui nous coûte des millions d’emplois au niveau européen. Le présent mémorandum démontre que cette politique devrait coûter à la France de l’ordre d’un million d'emplois perdus supplémentaires si elle était poursuivie. C’est ce que nous montrent les simulations économiques de l’OFCE, réalisées à la demande du Ministère du Redressement Productif. »

Le pronostic est pour le moins saisissant. Exactement à la même époque, François Hollande court micros et caméras pour jurer ses grands dieux que le chômage, c’est certain, commencera à baisser avant la fin de l’année 2013. Et comme tout le reste de la presse, Mediapart tenait la chronique régulière de l’optimisme affiché par le président de la République. Dans un article intitulé Chômage : la dangereuse politique du laisser-faire et publié le 27 décembre 2012, soit quatre mois avant cette note, nous établissions ainsi un florilège des propos du chef de l’État : « À la fin de l’année 2013, nous devons inverser la courbe du chômage »,déclarait-il ainsi un jour, au marché de Rungis. « Le chômage ne va cesser d’augmenter pendant un an », mais « la volonté qui est la mienne, c’est qu'à la fin de l’année 2013, et ça va être long, il y ait une inversion » de la courbe, c’est-à-dire que le chômage « à ce moment-là régressera », professait-il le lendemain au micro d’Europe 1.

Mais, à l'époque, les deux auteurs n’accordent visiblement pas le moindre crédit aux engagements publics et répétés du chef de l’État. Et ils s’appuient sur des travaux de l’OFCE, pour adresser le tableau ci-dessous au chef de l’État, tableau qui suggère que ce dernier raconte de pures et simples balivernes à l’opinion. En clair, ce que montre ce tableau, c'est que la poursuite de la politique d'austérité entraînera mécaniquement une explosion du chômage.

Stupéfiant, le pronostic retient d’autant plus l’attention qu’il s’est, comme on le sait, en grande partie réalisé, le chômage ne cessant de progresser tout au long de 2013 mais aussi de 2014, tout comme en ce début d’année 2015. Ce qui n’a rien de vraiment étonnant, car la plupart des experts, à commencer par ceux de l’assurance-chômage, ont toujours défendu l’idée que la poursuite de la politique d’austérité conduirait mécaniquement, quoi qu’en dise le gouvernement, à une explosion du chômage.

De tout cela, les deux coauteurs tirent donc la conclusion qu’il faut « une autre politique européenne et française ». « Un arrêt rapide des politiques d’austérité est probablement la politique la plus sûre pour que les pays les plus endettés aient les moyens de payer leurs dettes. (…) Une politique alternative est possible, qui n’introduit pas de changements institutionnels profonds. Elle consiste à arrêter les plans de rigueur en Europe pour mener des politiques favorables à l'investissement productif », expliquent-ils.

Estimant que « l’arrêt de la rigueur en Europe en 2014 doit devenir l’objectif politique de la France », ils font valoir à François Hollande que la France en serait aussitôt soulagée : « L’arrêt des politiques de réduction de déficits structurels en Europe permettrait de sauver plus de 800 000 emplois en France. » Et pour expliquer comment ils en arrivent à ce chiffre de 800 000 emplois, ils appellent de nouveau les simulations de l’OFCE à la rescousse : « Le tableau 3 montre les résultats de cette politique d'arrêt de la rigueur pour la France seule. Le taux de chômage baisse à 8,6 % en 2017 au lieu de 11,4 %, soit 800 000 chômeurs de moins. »

En conclusion, les deux auteurs préconisent donc une réorientation de l’Europe, impulsée par de nouvelles alliances : « Cette politique alternative repose sur la motivation des pays dits du Sud pour changer l’orientation de la politique européenne. Les pays du Nord seront à convaincre, même s’ils bénéficieraient aussi (mais relativement moins) d’un changement d’orientation politique. Le pivot de ces changements sera probablement un axe franco-italien », écrivent-ils.

Et soudainement la note passe du « nous » au « je », comme si Arnaud Montebourg voulait endosser seul la responsabilité de la conclusion du raisonnement : il n’y aura pas de réorientation réelle de l’Europe, tant que François Hollande refusera d’affronter politiquement Angela Merkel : « Je préconise l'ouverture de la grande explication avec l'Allemagne, qui a le plus à perdre d'une sortie ordonnée et concertée de l'Euro que la France. Un accord franco-allemand permettrait de faire évoluer la Commission européenne qui a une lecture trop restrictive des traités. »

Cette deuxième note vient donc confirmer l’impression qui se dégageait déjà, de manière à peine moins marquée, à la lecture de la première note : en réalité, l’histoire de ce nouveau pouvoir qui s’installe aux affaires est en grande partie celle d’une fiction. Car si François Hollande est finalement parvenu à se faire élire président de la République, c’est en grande partie parce que Arnaud Montebourg, son rival lors des primaires socialistes de 2011, s’est rallié à sa candidature, et non à celle de Martine Aubry. Mais en réalité, à peine au pouvoir, les deux alliés, même s’ils ne l’affichent pas, ne sont plus d’accord sur rien. En tout cas, plus d’accord sur l’essentiel…

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