Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all 2562 articles
Browse latest View live

Les trois fonds vautours qui voulaient dépecer une PME mordent la poussière

$
0
0

Victime de l’exceptionnelle cupidité de trois fonds d’investissements, la PME de la Sarthe dénommée FPEE dont Mediapart a récemment raconté les tribulations (lire Les mésaventures d’une PME dépecée par trois fonds vautours) vient de gagner sa confrontation.

Dans notre enquête, nous racontions dans quelles conditions trois fonds d’investissement, Naxicap (filiale de Natixis), Pragma et Equistione, qui sont les trois principaux actionnaires de cette société de menuiserie industrielle installée à Brûlon (Sarthe), avaient voulu en avril dernier imposer à l’entreprise de s’endetter de 200 millions d’euros, afin qu’elle serve aux actionnaires un dividende de 133 millions d’euros ; puis comment, se heurtant aux refus des dirigeants de l’entreprise, la présidente exécutive de la société Cécile Sanz et le président du conseil de la holding de tête et fondateur de la société, Marc Ettienne, ils les avaient démis de leurs responsabilités voilà une semaine.

Mais ce coup de force raconté par Mediapart (dont les bureaux sont installés à Paris, rue... Brulon !) a suscité un violent effet de ricochet. Car lundi dernier, dans tous les centres de production, les salariés de l’entreprise et les responsables des réseaux de distribution ont manifesté leur indignation. Dans la vidéo ci-dessous, on peut voir par exemple des images de la manifestation qui a eu lieu à Brûlon ce lundi 9 février.

  (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dans la presse régionale, l’affaire a donc fait grand bruit. Le quotidien le Maine-Libre a ainsi remarquablement fait son travail, relatant une affaire qui, pour être locale, a une grande portée symbolique. Se référant aux enquêtes de Mediapart, le journal nous a aussi donné la parole, dans un entretien que l’on peut lire ici : « Il faut réguler les fonds d’investissements ». Et le tout était agrémenté d'un billet frappé au coin du bon sens, intitulé « La sauvagerie et l'impunité ».

Résultat : les trois fonds vautours qui pensaient avoir les mains libres pour siphonner à leur guise les richesses de l’entreprise, se sont retrouvés au cœur  d’une tourmente imprévue. Élu de la Sarthe, François Fillon a téléphoné au ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour l’alerter. Originaire de la Sarthe, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a lui aussi été contraint de se mêler du dossier.

En bout de course, les trois fonds ont donc été contraints de passer sous les fourches Caudines. Et à l’issue de plusieurs séances de négociations sous l’égide de la préfecture, un « deal » est intervenu, dont le détail n’est pas encore connu – nous nous appliquerons à le trouver –, au terme duquel les deux dirigeants de l’entreprise, Cécile Sanz et Marc Ettienne, retrouvent leurs fonctions de direction générale du groupe. Un accord financier, dont le détail n’est pas plus connu, a également été conclu au terme duquel les trois fonds d’investissement actionnaires majoritaires vont céder leur participation.

L’accord a aussitôt été salué par François Fillon qui, sur Twitter, a salué « une solution de raison qui pérennise l’emploi sur le site de Brûlon ». Et sur la radio France bleue Maine, Stéphane Le Foll s’est dit « très satisfait que la médiation de l’État ait permis de trouver la solution ». « C’était important pour moi de ne pas bloquer cette entreprise et de la mettre en difficulté pour des raisons qui me paraissaient incompréhensibles », a indiqué le porte-parole du gouvernement.

Et naturellement, l'accord a suscité la joie dans l'entreprise, ce jeudi matin, comme en témoigne la vidéo ci-dessous :

Reste deux questions : d’abord, comment l’un des plus grands groupe bancaires comme BPCE, présidé par François Pérol, et sa filiale Natixis, présidée par Laurent Mignon, qui sont les actionnaires de l’un des fonds, Naxicap, peuvent-ils laisser faire, sans contrôle, cette société de gestion ? À l’évidence, le discrédit de cette affaire retombe aussi sur eux. L’une de nos sources nous a assuré que Laurent Mignon s’était tout de même inquiété de l’affaire, quand elle s’est emballée, et s’en est mêlé, mais nous n’avons jamais pu en avoir la confirmation, ce groupe bancaire ne parlant qu’aux journaux amis et pratiquant pour tous les autres l’omerta.

                                                                       (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Et puis, il y a la question de fond : quand donc la question de la régulation des fonds d’investissement sera-t-elle prise à bras-le-corps par la puissance publique ? Pour l’heure, les fonds se régulent eux-mêmes au travers de leur association professionnelle, l’Afic ; autrement dit, ils ne se régulent pas du tout. Et en bout de chaîne, c’est la loi de la jungle, avec des fonds qui se comportent bien et d’autres qui se comportent comme de véritables fonds voyous. L’Afic a d’ailleurs bien compris que, cette affaire étant très choquante, toute la profession risquait d’en subir les contrecoups. Selon le journal financier L’Agefi, l’Afic a demandé à sa commission de déontologie d’entendre les trois fonds. Mais à l’évidence, cela ne saurait dissuader le législateur de se mêler un jour du débat, pour en finir une fois pour toutes avec ces abus invraisemblables.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian


L'ex-ministre Raincourt reconnaît avoir été payé depuis un compte secret des sénateurs UMP

$
0
0

Après nos révélations, il s'est d'abord muré dans le silence. Et puis ce week-end, le sénateur et marquis de Raincourt (UMP), artisan et bénéficiaire d'une combine inédite dans les annales de la Ve République, est allé à confesse – au moins partiellement. « Ils échafaudent (à Mediapart) des affirmations qui ne sont pas totalement fausses », a-t-il concédé dans un entretien discret à L'Yonne républicaine, le journal de sa circonscription.

Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon.Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon. © Reuters

Ce pilier historique de la droite sénatoriale, propulsé ministre de Nicolas Sarkozy en juin 2009, reconnaît ainsi qu’il a bénéficié d’un virement automatique de 4 000 euros par mois depuis un compte bancaire du groupe UMP du Sénat, à l’époque où il était au gouvernement.

D’après les documents en notre possession, ces versements cachés ont duré jusqu’en mars 2011, soit pendant vingt et un mois. Ils émanaient d’un compte bancaire secret ouvert chez HSBC au nom du « groupe UMP du Sénat », distinct du compte officiel du groupe, d'ailleurs placé dans une tout autre banque (voir notre précédent article sur cette cagnotte visiblement réservée à une poignée d’anciens Républicains indépendants, rivaux historiques du RPR).

En clair, des fonds secrets d'origine publique, théoriquement destinés à financer des activités parlementaires, ont servi à doper en cachette le salaire d'un ministre de la République (qui avoisinait déjà les 14 000 euros). « C'est hallucinant », commentait ce week-end un conseiller haut placé dans les arcanes du parlement.

Cette mise sous perfusion d'un ministre heurte en effet le principe de séparation des pouvoirs inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès 1789 (« Toute Société dans laquelle (...) la séparation des Pouvoirs n'est pas déterminée n'a point de Constitution »). Elle choque d'autant plus que Henri de Raincourt a été chargé des « relations avec le parlement » dans le gouvernement Fillon (avant d'être transféré à la « coopération »).

Conscient du paradoxe, l’intéressé est bien obligé, interrogé par L'Yonne républicaine, d'admettre quelques torts. « Rétrospectivement, le problème étant aujourd'hui sur la table, il est bien évident que nous aurions suspendu (les versements, ndlr) », lâche Henri de Raincourt, en admettant « une mauvaise pratique ». Ce pur produit du sérail entré au palais du Luxembourg en 1986, fils de sénateur et petit-fils de conseiller général, marié à la fille d’un ancien député, regretterait presque : « Je suis conscient que ce qui se pratiquait à la bonne franquette ne soit plus accepté par l'opinion. »

Relancé lundi par Mediapart, l'élu continue toutefois de fuir nos questions. Elles sont multiples : y avait-il une contrepartie à ce virement de 4 000 euros par mois ? Ne faut-il pas considérer que ces versements automatiques ont constitué un revenu ? Henri de Raincourt l'a-t-il déclaré au fisc ? En a-t-il fait mention dans ses déclarations à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée de contrôler le patrimoine et les conflits d'intérêts des élus ?

Son collègue Jean-Pierre Sueur (PS) n'en revient pas. « Il est profondément anormal qu’un ministre ait été payé par un groupe parlementaire, en l’occurrence par des fonds du Sénat, s’offusque ce vice-président de la commission des lois. C’est contraire à la séparation des pouvoirs. Les sommes versées aux groupes politiques, notamment pour recruter des collaborateurs, doivent servir exclusivement au travail parlementaire, certainement pas à financer un ministre ! »

Pour rappel, le Sénat a distribué 3,7 millions d’euros en 2013 au groupe UMP, 3,8 millions à celui du PS ou encore 1 million à celui des centristes.

Si aucun sénateur UMP n’a accepté de réagir publiquement auprès de Mediapart, Gérard Longuet a tout de même tancé son collègue au détour d’une interview sur I-télé. « C'est un manque de clarté dans la responsabilité respective du législatif et de l'exécutif, a grondé l'ex-ministre de la défense, ancien camarade de Henri de Raincourt au sein du gouvernement Fillon. Je pense que c'est une erreur, pour le moins. »

Au passage, celui qui a été président du groupe UMP de 2009 à 2011 affirme qu'il ignorait tout du compte HSBC utilisé par Henri de Raincourt pour "arrondir" ses fins de mois. « Ce compte m'est parfaitement étranger, assure Gérard Longuet. Il est parfaitement étranger à l'UMP et aux comptes de l'UMP. (...) J'avais mon trésorier qui m'a présenté les comptes dans une banque qui n'était pas celle-ci. »

Le compte HSBC a pourtant bien été ouvert au nom du « groupe UMP du Sénat », comme le prouve l'ensemble des documents bancaires en notre possession. Et l'homme qui l'a manipulé pendant des années – pour ordonner le virement à Henri de Raincourt par exemple – s'appelle Jean-Claude Carle, le trésorier historique du groupe UMP (remplacé il y a quelques mois), ancien chef de file des Républicains indépendants lui aussi.

Comme Mediapart l'a déjà raconté, il semble que le pactole abrité chez HSBC soit en fait la cagnotte historique, sinon le trésor caché, de ce courant libéral de la droite sénatoriale, incarné par Henri de Raincourt mais surtout Jean-Pierre Raffarin ou le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin.

Pendant longtemps, les Républicains indépendants ont en effet constitué un groupe à part entière au palais du Luxembourg, présidé de 1998 à 2002 par Henri de Raincourt, jusqu'à ce qu'ils fusionnent avec le RPR pour fonder l'UMP en décembre 2002. À cette date, ils avaient accumulé d’importantes réserves d'argent, constituées au fil des ans grâce aux cotisations des membres et surtout aux millions d'euros de subventions publiques du Sénat (censées servir au travail parlementaire, mais hors contrôle). À sa dissolution, le groupe a visiblement conservé une partie de sa trésorerie sous le coude, plutôt que de verser l’intégralité au pot commun de l’UMP. Mais combien de personnes exactement l'ont su, et ont gardé la main dessus ?

« Les clefs appartenaient à l'ancien président (des Républicains indépendants, Henri de Raincourt) », a suggéré Gérard Longuet sur I-télé, décidément bavard.

À la fin des années 2000, ce « compte chèques » HSBC, abrité à l'agence Odéon proche du Luxembourg, disposait encore de centaines de milliers d'euros, d'après les documents en notre possession. A-t-il abrité davantage d'argent ? Y a-t-il un « compte titres » ? Des placements ? Sollicité à de multiples reprises, Jean-Claude Carle, l'ancien trésorier, n'a plus retourné nos appels depuis des mois.

C'est lui qui a mis en place le virement de 4 000 euros par mois dont il est aujourd'hui question, dès 2008 en réalité. À l'époque, le sénateur Raincourt venait de prendre la présidence du groupe UMP. Et visiblement, il estimait insuffisantes les indemnités que lui versait alors le Sénat (7 100 euros mensuels d’indemnité de base, plus 2 000 euros comme président de groupe, sans compter l’enveloppe de 6 000 euros pour couvrir ses frais professionnels et celle de 7 500 euros pour l’emploi d’assistants). Jean-Claude Carle a donc pioché dans le compte HSBC pour offrir un bonus à son patron.

Quand Henri de Raincourt a ensuite été promu ministre en juin 2009, ce virement automatique s'est poursuivi comme si de rien n'était, jusqu'à son interruption en mars 2011 (pour raisons inconnues). Au-delà de cette date, le ministre Raincourt a cependant continué d'encaisser de l'argent depuis le compte HSBC, via un chèque au moins, d'après nos informations. Un système plus discret peut-être ?

Pour justifier aujourd'hui ces versements, Henri de Raincourt avance une explication sacrément alambiquée dans son entretien à L'Yonne républicaine. En gros, il affirme qu'il était autorisé en tant que sénateur, lorsqu'il n'épuisait pas l'intégralité de son « enveloppe collaborateurs » (censée lui permettre de salarier des assistants), à reverser le reliquat dans les caisses de son groupe. Jusque-là, c'est exact. Le Sénat l'a permis afin que les groupes parlementaires puissent, grâce à cette rallonge, embaucher davantage de collaborateurs.

Mais Henri de Raincourt a l'air de considérer normal qu'en échange de ce reliquat (qu'il ne chiffre d'ailleurs pas), son groupe lui ait ensuite reversé 4 000 euros par mois, via le compte HSBC ! Outre que rien ne vient étayer cette version de l'histoire, elle paraît tout à fait contraire à l'esprit des règles du Sénat, sinon à la lettre.

Là où les justifications de Henri de Raincourt franchissent le seuil du ridicule, c'est quand il arrive à la période 2009-2011 où il n'était plus sénateur mais bien ministre. À ce moment-là, « ce qui (m')était versé correspond à la période précédente durant laquelle j'ai alimenté les caisses du groupe comme sénateur », ose-t-il. Chacun jaugera la solidité de cette défense.

Les deux juges qui enquêtent déjà depuis des mois sur des soupçons de « détournements de fonds publics », d'« abus de confiance » et de « blanchiment » au groupe UMP du Sénat (voir nos articles ici et ), ne manqueront surtout pas de se poser la question suivante : s'agissant de fonds à l'origine publics et destinés au travail parlementaire, Henri de Raincourt a-t-il, oui ou non, commis un délit ?

Partisan de François Fillon contre Jean-François Copé dans la guerre fratricide de 2012 à l'UMP, puis soutien de Gérard Larcher contre Jean-Pierre Raffarin dans la bataille pour la présidence du Sénat en 2014, Henri de Raincourt va désormais compter ses amis. D'ores et déjà, dans L'Yonne républicaine, il lance cet avertissement : « Il y a quand même des limites à me mettre tout sur le dos. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Avec la loi Macron, la mise en pièces du droit du travail se poursuit

$
0
0

Dans l’ombre des discussions animées sur la réforme du travail dominical qui vont rythmer le dernier tiers des débats sur la loi Macron, les vingt derniers articles du texte du ministre de l’économie s’attaquent au code du travail. Dans la même lignée que l’accord national interprofessionnel (ANI), qui raccourcissait déjà les procédures de licenciement collectif, le texte déséquilibre un peu plus encore le rapport de force asymétrique entre employeurs et salariés. Sous couvert de simplification administrative, l’« œuvre » d’Emmanuel Macron contient un certain nombre de peaux de banane, à l’image de l’amendement sur le secret des affaires qui s’était glissé entre un amendement sur le sort réservé aux déchets liés à la mérule (champignon qui prospère sur les structures en bois des habitations) et les retraites chapeau (voir notre article Macron abandonne son projet sur le « secret des affaires »).

Phase de négociation en marge des travaux de la commission spécialePhase de négociation en marge des travaux de la commission spéciale © Yannick Sanchez

La partie sur le droit du travail donne plus de marge de manœuvre aux employeurs en cas de licenciement, redressement judiciaire ou concernant le délit d’entrave au fonctionnement des instances représentatives du personnel. Prenons par exemple la partie du projet de loi pour la croissance et l’activité intitulée « amélioration du dispositif de sécurisation de l’emploi » et plus particulièrement l’article 98 concernant le licenciement. Dans la première version du texte, il était d’abord question de donner à l’employeur la possibilité de décider lui-même du périmètre des licenciements dans son entreprise. À juste titre, la communiste Jacqueline Fraysse tirait la sonnette d’alarme. « Les critères de choix du licenciement pourront être appliqués dans un périmètre plus petit que l’entreprise, il peut donc s’agir d’un atelier ou d’un service. En réduisant à ce point ce périmètre, faisait-elle remarquer, les critères pourront ne s’appliquer qu’à quelques personnes, voire une seule personne. » Une manière à peine voilée de mettre à pied, sans critères objectifs, un employé récalcitrant. Sous l’effet d’un amendement du rapporteur thématique Denys Robiliard (PS), le périmètre du licenciement sera limité à la zone d’emploi pour « éviter un ciblage trop petit ». Sans ciller, Emmanuel Macron revoit sa copie. Mais d’autres subtilités qui entament le droit du travail ponctuent toujours le texte.

Fanélie Carrey-Conte (PS), qui depuis « l’appel des 100 frondeurs » a marqué avec constance sa défiance vis-à-vis du gouvernement, dénonce « l’intériorisation du diagnostic libéral ». « L’hypothèse qui sous-tend la rédaction de tous ces articles est que s’il n’y a pas assez d’embauches, c’est parce que notre marché du travail est trop rigide », explique-t-elle. Pour Pascal Lokiec, professeur de droit à l’université Paris-Ouest-Nanterre, le projet Macron menace l’architecture du droit du travail forgée au fil des années et déjà bien ébranlée : « Le gouvernement a une philosophie ouvertement hostile au droit du travail jamais vue sous la gauche. Il considère, comme les gouvernements de droite avant lui, que la protection des salariés est un obstacle, un handicap pour que ceux qui n’ont pas d’emploi en décrochent un, ce qui n’a jamais été prouvé. »

Peau de banane numéro 2 : le recours aux ordonnances pour réviser le code de procédure pénale, le code rural et de la pêche maritime, le code des transports et le code du travail. L’article 85 prévoit tout bonnement de « réviser la nature et le montant des peines et des sanctions applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel ». Autrement dit, si un employeur empêche le fonctionnement des institutions représentatives des salariés, il ne s’expose plus à une peine d’un an d’emprisonnement et à 3 500 euros d’amende. Pour « rassurer les investisseurs étrangers », il n’encourra qu’une amende de 7 500 euros.

Autre subtilité prévue dans le projet de loi pour la croissance et l’activité, le cas des indemnités de licenciement. Dans l’article 101, ce n’est plus le groupe qui a la responsabilité d’indemniser les salariés en cas de redressement judiciaire mais l’entreprise. Une aberration, puisque l’on sait que la fermeture d’une filiale donnée découle bien souvent d’une stratégie de groupe. C’est encore la communiste Jacqueline Fraysse, décidément bien seule à défendre le droit du travail, qui monte au créneau en commission spéciale. « Cet article dédouane complètement l’employeur, estime-t-elle. Le plan de sauvegarde de l’emploi est apprécié au regard des seuls moyens de l’entreprise, or l’expérience nous prouve que cette disposition peut créer un risque de fraude. L’entreprise mère peut être tentée d’organiser les difficultés financières d’une de ses filiales afin de s’en débarrasser. »

Fanélie Carrey-Conte confirme la course au moins-disant social que sous-tend cet article : « On va se retrouver avec des plans sociaux moins financés, moins soutenus. » Le rapporteur thématique Denys Robiliard, n'est pas de cet avis. Dans la nuit de dimanche à lundi, à 2 h 30, il ne reste que cinq articles à examiner en commission spéciale sur les 106 du projet de loi lorsqu’il démarre son explication. Au bout de cinq minutes pour le moins surréalistes, il finit par embrouiller tous les députés (voir la vidéo ci-dessous à partir de 3'40) en citant un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2014 qui conclut à la faute de l’actionnaire : « La cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que ces sociétés avaient par leur faute et légèreté blâmable, concouru à la déconfiture de l'employeur et à la disparition des emplois qui en est résultée. » Cette jurisprudence en faveur des salariés suffit à Denys Robiliard pour démontrer la solidité du code du travail. Mais comme nous l’expliquons ensuite, une fois n’est pas coutume.


« Sous prétexte de libérer l’activité, la loi Macron fait sauter de multiples verrous », renchérit André Chassaigne. Le chef de file des députés du Front de gauche a dans le viseur cet article 101 en particulier : « Il va permettre d’exonérer les maisons-mères et les holdings de leur implication dans les PSE (plans de sauvegarde de l’emploi – ndlr). C’est une véritable honte. Après avoir aspiré les richesses d’un site de production – remontée des profits, transferts de production en les délocalisant, assèchement des commandes, facturation grossie de tâches administratives recentralisées vers la maison-mère, etc. –, on fait un plan de redressement avec un PSE lamentable sur les seuls fonds de la filiale, voire on ferme tout de suite par liquidation. »

André Chassaigne va même jusqu’à se demander si ce n’est pas le précédent Elba qui motive cet article. Elba, une affaire qu’il connaît bien et à propos de laquelle il interpelle très régulièrement le gouvernement. Elle se déroule sur sa circonscription en Auvergne à La Monnerie-le-Montel dans le bassin de Thiers sinistré par le chômage. C’est l’un des premiers plans sociaux réalisés au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi transposant l’ANI, en juillet 2013 : 64 salariés d’une papeterie mis sur le carreau du jour au lendemain à la veille des congés d’été (lire ici notre reportage).

Le groupe Hamelin, la maison-mère, qui dégage des millions de bénéfices et reçoit pléthore d’aides publiques comme le CICE, un des premiers cadeaux de la gauche au patronat, n’a pas supporté de passer à la caisse avec le PSE validé en janvier 2014 par la Dirrecte après un accord majoritaire avec les syndicats. Sa pirouette pour s’exonérer de ses responsabilités et ne pas avoir à prendre en charge l’accord signé avec les syndicats (formations, prime supra-légale, différentiel de salaire, etc.) relève du patron voyou : il a ni plus ni moins détourné la procédure en organisant la cessation de paiement de sa filiale, privant les salariés d’indemnités comme de reclassement, les renvoyant vers le fonds AGS (fonds de garantie des salaires) !

« La bataille (objet d’un article de Mediapart à lire prochainement) se joue aujourd’hui devant les tribunaux, notamment celui des prud’hommes pour le contraindre à payer les salariés qui, au drame de la perte d’emploi (la majorité n’a pas retrouvé de travail), sont victimes de méthodes de voyou et doivent aller devant les tribunaux pour arracher ce qui leur est dû », explique leur avocat Jean-Louis Borie. Spécialiste du droit du travail, rompu aux combines des employeurs pour se jouer de la loi, il constate combien le rapport de force est aujourd’hui en faveur de l’employeur, surtout depuis que la loi issue de l’ANI a raccourci les délais compromettant toute velléité de lutte et mis l’administration au cœur des procédures, évinçant les juges, « devenus des ennemis ».

Selon lui, « l'un des effets pervers des nouvelles règles de licenciements collectifs depuis l'ANI est qu'elles incitent les syndicats à passer sous le diktat des DRH » : « Ils sont coincés car les entreprises font du chantage aux salariés : si vous signez un accord maintenant, on vous donnera 20 % de plus, sinon ce sera un PSE décidé unilatéralement et a minima qui sera homologué par l’administration. Forcément, les salariés mettent la pression aux syndicats. Ils préfèrent signer les accords, partir avec un plus gros chèque plutôt que d’entrer en lutte, râler, sachant que les moyens qui s’offrent à eux sont aujourd’hui très réduits. »

« L’ANI nous a déjà bien désarmés sur le plan procédural, mais si le projet Macron passe on va être à poil », confirme l’avocat Ralph Blindauer. Défenseur des salariés du groupe Continental à Clairoix ou encore de l’équipementier TRW à Dijon (voir notre article ici), ce spécialiste du droit du travail dans le Grand Est craint que les prochains plans sociaux ne soient expédiés. « J’ai l’exemple de TRW à Dijon où le plan social a duré plus d’un an, mais c’était le dernier dossier avant l’ANI. Avec la nouvelle loi il aurait été plié en quatre mois », estime-t-il.

Pour la députée Barbara Romagnan, signataire d’une série d’amendements pour le retrait des articles pièges, le projet d’Emmanuel Macron, en plus d’être défavorable aux salariés, ne démontre pas le retour de la croissance. « Ça me rappelle le débat qu’on avait eu sur l’ANI, beaucoup de gens jugeaient de l’opportunité du texte du point de vue de son équilibre. Mais le droit du travail n’a pas à être équilibré, il doit être déséquilibré. Il faut bien prendre acte qu’il y a de fait une relation déséquilibrée entre le salarié qui n’a que sa force de travail et l’employeur qui peut remplacer n’importe quel salarié. »

Dernière peau de banane pour la route. À l’article 100, en cas de licenciement d’un employé d’un groupe international, l’employeur n’est plus obligé de proposer un reclassement à l’étranger. C’est à l’employé d’en faire la requête. « Je ne vois pas en quoi cela va relancer l’activité », questionne Barbara Romagnan. Denys Robiliard détaille le raisonnement qui a été le sien dans son amendement même : « L’obligation de rechercher des solutions de reclassement dans l’ensemble des entreprises du groupe auquel appartient l’entreprise peut s’avérer difficile à mettre en œuvre au vu de la structuration souvent complexe des groupes et de la difficulté à identifier et à actualiser les offres pour les entreprises. L’article 100 propose donc une simplification de cette procédure. » Une simplification qui risque de compliquer la vie des salariés.  

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Procès du Carlton : la thèse d'un DSK proxénète s'éloigne

$
0
0

Lille, de notre envoyée spéciale.-  Il rit, s’autorise quelques bons mots, désamorce les embûches avec aisance. À son troisième jour d’audition au procès du Carlton, Dominique Strauss-Kahn sait qu’il ne reste plus grand-chose des thèses des trois juges d’instruction qui l’ont renvoyé devant le tribunal correctionnel de Lille pour proxénétisme aggravé en réunion.

Dans leur ordonnance de renvoi de juillet 2013, les juges d’instruction rappelaient qu’« en droit pénal l’infraction de proxénétisme excède largement l’acception commune du mot proxénétisme ». Le proxénétisme n’est pas seulement le fait de tirer un profit financier de la prostitution, mais également « l’aide, l’assistance, ou la protection de la prostitution d’autrui, l’embauche, l’entraînement d’une personne en vue de la prostitution, la mise à disposition de locaux privés ou de règlement de chambre d’hôtel ou encore le fait d’avoir été l’instigateur ou d’avoir aidé à l’organisation d’un réseau de prostitution ».

Pour que l’infraction soit constituée, il ne suffit pas de prouver que Dominique Strauss-Kahn ne pouvait ignorer la qualité de prostituées des femmes rémunérées, à son insu, par ses amis entrepreneurs. Ce qui n’est déjà pas gagné : mercredi DSK a démonté la « fausse logique » qui voudrait que « c’est de l’abattage, donc c’étaient des prostituées ».

Encore faut-il donc « un acte matériel positif », comme « la mise à disposition de locaux privés ». Selon la thèse des juges d’instruction, DSK a franchi le pas avec son appartement de la rue d’Iéna, à Paris, loué sous un prête-nom jusqu’en juin 2009 et où il a reçu des prostituées. Second élément : les textos échangés avec son ami Fabrice Paszkowski prouvent, toujours selon l'accusation, que DSK était l’« instigateur des soirées » et « le pivot central et le principal bénéficiaire, parfois exclusif, de ces rencontres sexuelles » qui « s’organisaient en fonction de lui ».

Mercredi matin, cette thèse s’est écroulée comme un château de cartes. Pour la forme, le président du tribunal a lu une sélection des 35 textos échangés entre avril 2009 et février 2011 à propos des rencontres sexuelles. Il y est question de « boîte coquine », de « matériel », de « délégation de copines », des « filles de Bruxelles », des « meilleures candidatures », de « tester » de « très belles et nouvelles choses ». Au passage, le président et DSK échangent sur les mérites comparés des SMS et des coups de fil. 

« On a l’impression que Fabrice se soumet à votre bon vouloir », remarque tout de même le président Bernard Lemaire. Avant une soirée à l’hôtel Murano, en juin 2009, DSK s’enquiert : « Ça marche pour le 22 après-midi, il y aura qui ? » « Alors qui tu auras dans tes bagages ? », demande-t-il encore lors de l’organisation d’un déplacement à Washington. Dominique Strauss-Kahn rit. « Il faut voir le paysage de l’ensemble de ces déplacements, rappelle-t-il. J’ai passé trois ans à Washington, j’ai beaucoup d’amis qui sont venus me voir. Les voyages de Fabrice et d’amis du Nord faisaient partie de cela. Comme je n’étais à Washington qu’une semaine sur deux, il fallait qu’on s’organise. Ça ne veut pas dire que c’est moi qui sollicite, je ne sollicitais rien, j’avais trop de visites ! »

Mais après l’accusation d'agression sexuelle au Sofitel aux États-Unis en mai 2011, ces rencontres sexuelles s’arrêtent net. « Vous auriez pu continuer ces soirées sans lui ? », demande le président du tribunal. Fabrice Paszkowski hésite, finit par lâcher que d’« autres soirées étaient organisées sans lui » sans pouvoir citer d’exemple. DSK, « c’était l’attraction, un peu le cadeau », reconnaît-il. Sans grande conviction, Bernard Lemaire relève que durant l’instruction DSK a employé le terme de « commerce sexuel ». « On ne devrait pas employer des termes dont l’acception est datée, s’amuse l’ancien professeur d’économie. J’ai employé commerce dans le sens de relation, ce qui est l’acception ancienne. »

Le cas de l’appartement de la rue d’Iéna, qui occupait sept pages dans l’ordonnance de renvoi détaillant l’« omerta » autour des conclusions du bail et du paiement des loyers, est lui expédié par le tribunal en moins de dix minutes. « Je ne comprends pas que ça ait fait une telle affaire, ça reflète le peu de compétences de ceux qui s’y sont penchés, balaie DSK. Je suis un homme politique, j’étais marié. J'ai besoin d'un endroit pour des rencontres politiques discrètes et aussi pour recevoir des jeunes femmes. Je ne voulais pas que le bail apparaisse à mon nom, j’ai demandé à un ami de le prendre à son nom. » Il se permet même une boutade : « Tout ça est d’une simplicité biblique, dirais-je, si l'expression n’avait pas un double sens. »

S’il a menti durant sa garde à vue de février 2012 sur le fait qu’il était le véritable locataire de cette garçonnière, c’est parce qu’il était « toujours marié à ce moment-là », assure-t-il. Après l’affaire du Sofitel puis les accusations de Tristane Banon, qui ont déjà exposé à la face du monde entier ses pratiques sexuelles, la réponse est discutable. Mais le tribunal ne s'attarde pas. Et Me Frédérique Baulieu, l’une de ses trois avocates, achève l’instruction en remarquant que l’ordonnance de renvoi se montre très imprécise – « courant 2008 » – sur l’époque des rencontres sexuelles dans cet appartement. 

En face de l'ancien patron du FMI, il n’y a personne pour porter l’accusation. Le parquet, qui avait requis un non-lieu, est aux abonnés absents. Et Me David Lepidi, avocat d’une association partie civile, se perd dans ses questions au point d’agacer le tribunal. L’affaire paraît en revanche nettement plus mal engagée pour les 13 autres prévenus, que ni le tribunal, ni les procureurs n’ont épargné.

Reste un profond malaise devant la violence des relations sexuelles décrite par les prostituées et leur souffrance. Prostitution dont DSK a à plusieurs reprises répété son « horreur »et qu’il n’aurait pas repérée. Un malaise qu’un vieux monsieur aux cheveux blancs a su exprimer ce jeudi midi.

« Il y a un sentiment de honte globale dans cette salle », a déclaré Bernard Lemettre, 78 ans, diacre et délégué régional du mouvement le Nid, qui lutte contre la prostitution. « Bien sûr des parties civiles, que j'accompagne, mais aussi des personnes traduites devant ce tribunal même s'ils ont beaucoup de mal à le dire. Chacun ressent que ce n’est pas une fierté, que la prostitution et le mal qui l’accompagne, la traite des êtres humains, sont incompatibles avec la dignité de la personne humaine. La honte, c'est aussi le sentiment de ceux qui disent "je ne voulais pas savoir". »

Ce militant de terrain, engagé depuis 40 ans dans un combat abolitionniste, parle sans fard : « Un corps de femme, ce n'est pas fait pour être pénétré cinq, six, dix fois par jour. Ce n'est pas cela une femme. » C’est lui que Jade est venue trouver en novembre 2011 pour l’aider à sortir de ce « tombeau ». Lui qui a « trouvé les mots justes » pour parler à ses enfants quinze jours avant le procès. Le vieil homme décrit « un système qui est une mort sociale ». « Il faut décoder que quand une prostituée dit "J’ai choisi", derrière il y a quelqu’un qui pleure, estime Bernard Lemettre. Il faudra vivre avec cette douleur d’un corps qui a été pénétré, qui ne vous appartient plus. » 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Procès Bettencourt : des protecteurs très intéressés

$
0
0

Bordeaux, de notre envoyé spécial.- Leur désintéressement forcerait presque l’admiration. À les entendre, ceux qui ont succédé avec empressement au trio Banier-Maistre-Normand auprès de Liliane Bettencourt auraient quasiment effectué du bénévolat dans une œuvre charitable. L’avocat civiliste et fiscaliste Pascal Wilhelm l’assure, « Madame Bettencourt a une volonté énorme, elle est extrêmement déterminée ». Déjà à la tête d’un cabinet prospère, gros travailleur, l’avocat jure la main sur le cœur que le mandat de protection future qu’il a accepté en décembre 2010 n’a « pas été une bonne nouvelle » pour lui. Trop de travail.

Pressé de questions, Pascal Wilhelm finit pourtant par concéder que ce mandat l’aurait amené à gérer à sa guise l’immense fortune de l’héritière L’Oréal, si un jour elle n’avait plus été en état de le faire. En attendant, ce même mandat lui rapportait tout de même 200 000 euros d’honoraires mensuels, venus s’ajouter aux 3 millions d’honoraires facturés par ailleurs à la femme la plus riche de France. D’autres ont reçu de fortes sommes, il est vrai. Georges Kiejman a ainsi obtenu 1 million d’euros de Liliane Bettencourt, et les avocats de sa fille (le cabinet Metzner et le cabinet Bredin-Prat) ont perçu 12 millions, rappelle-t-il.

Le problème, pour Pascal Wilhelm, c’est qu’il a d’abord conseillé Patrice de Maistre quand celui-ci était le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et se faisait notamment attribuer une donation-jackpot pour ses vieux jours qui lui est aujourd’hui reprochée. Il a également œuvré avec zèle à faire figurer Maistre dans un précédent mandat de protection future, fin 2009, avec l’aide du notaire Jean-Michel Normand, déjà impliqué dans de grosses donations plus que litigieuses. Et Me Wilhelm assistait encore Patrice de Maistre, au début de la procédure pour abus de faiblesse lancée au tribunal de Nanterre. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir aussi l’avocat de Liliane Bettencourt quand l’ami Maistre a été soupçonné par la justice d’avoir profité de sa position (disparaissant du paysage avec Banier et Normand), et de défendre ainsi en même temps deux clients aux intérêts divergents – voire antagonistes –, ce pendant plusieurs mois.

Une fois devenu le protecteur légal de la milliardaire à la place de Patrice de Maistre, Pascal Wilhelm a œuvré sans faiblir au « rapprochement familial », une belle et émouvante réconciliation, gagnant progressivement la confiance du camp Meyers. L’idylle n’a pas duré.

L'avocat protecteur fait très vite signer à Liliane Bettencourt deux protocoles d’accord, en décembre 2010 puis en mars 2011 (la vieille dame est alors hospitalisée), qui la conduisent à investir 143 millions d’euros au sein de la société Lov Group Industrie (LGI) de Stéphane Courbit... un ami et client de Wilhelm. Une proposition d’investissement que Patrice de Maistre avait auparavant repoussée, avant de quitter son poste. Mais il n'y a toujours aucun conflit d’intérêts, assure Me Wilhelm. Les juges d’instruction ne l’ont pas entendu ainsi, qui ont noté que la milliardaire n’avait ni besoin ni envie d’investir dans les jeux en ligne, que c'était une mauvaise affaire, et qu’elle a pris Stéphane Courbit pour un chanteur quand elle l’a rencontré.

Les choses n’ont, en tout cas, pas traîné. « Le versement intervenant avec une extrême rapidité laisse suspecter l’existence de difficultés financières naissantes importantes, voire même déjà réalisées, l’objectif de ces investissements étant manifestement de rembourser en grande partie des dettes ou d’effectuer à partir de LGI des remontées importantes d’argent vers d’autres sociétés du groupe Courbit », ont écrit les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal. L’homme d’affaires, qui a fini par rembourser la famille Bettencourt peu avant le procès, doit être interrogé ce vendredi par le tribunal.

Saisi des curieux mélanges des genres pratiqués par Me Wilhelm, le Conseil de l’ordre des avocats de Paris (parfois plus réputé pour sa finesse sémantique que pour sa sévérité disciplinaire), a estimé qu’il y avait là une « confusion d’intérêts », mais pas de « conflit d’intérêts », et ne l’a donc pas sanctionné.

Stéphane Courbit au tribunalStéphane Courbit au tribunal © Reuters

Par ailleurs, Pascal Wilhelm et un notaire parisien de ses amis, Patrice Bonduelle, se sont retrouvés bombardés au rang de « chaperons » des deux petits-fils de Liliane Bettencourt, s’indigne Nicolas Huc-Morel, qui défend la famille Meyers-Bettencourt.

Car tout en œuvrant à ce que les deux petits-fils de la milliardaire deviennent ses légataires universels à la place de François-Marie Banier, l'avocat et le notaire ont fait établir, en 2010, des clauses dans le testament empêchant les héritiers de percevoir le milliard d’euros qui leur reviendrait au décès de leur grand-mère avant qu’ils aient atteint l’âge de 35 ans. Officiellement, Liliane Bettencourt aurait exprimé sa crainte qu’ils ne dilapident leur héritage. Mais une fois encore, ce sont les conseillers et les hommes de loi qui ont parlé pour l’octogénaire, qui ne disposait plus de toutes ses facultés depuis 2006. Et entre-temps, c’est Pascal Wilhelm qui aurait continué à gérer la fortune des Bettencourt. Une vraie rente.

Un codicille (annulé depuis avec le reste) a même établi que pour débloquer une partie des assurances-vie avant leur 40 ans, les petits-fils de la milliardaire auraient dû demander son autorisation à l’avocat (ou au notaire Bonduelle en cas de décès), et accepter qu’il contrôle l’utilisation des fonds. Le sympathique Me Bonduelle a accepté de rédiger en urgence un mandat de protection future, ne s’est pas assuré que tous les actes qu’il a établis à la demande de Wilhelm reflétaient bien la volonté d’une Liliane Bettencourt diminuée, et se fait tancer à la barre. « Vous n'êtes pas une boîte aux lettres. Vous êtes tout de même un officier ministériel ! » lui rappelle le président. « J’étais un simple prestataire de service, répond le notaire. Je pense que madame Bettencourt ne choisit pas son charcutier. »

Le rôle curieux joué par plusieurs médecins intrigue également le tribunal. « À chaque fois que la justice demande une expertise médicale de Liliane Bettencourt, son entourage s’y oppose, et produit de drôles de certificats médicaux », grince le président Denis Roucou. Le but, pour cet entourage, étant d'éviter de voir un tuteur indépendant désigné par la justice, en lieu et place de ces conseillers opportunément devenus des protecteurs.

Ainsi, un expert en gériatrie a subitement changé d’avis sur l’état de santé de la milliardaire, miraculeusement déclarée lucide et en pleine possession de ses moyens… une fois que lui-même était devenu son médecin personnel pour 40 000 euros mensuels.

Même le professeur Gilles Brucker, un ami de Banier, éminent spécialiste des maladies infectieuses, dont l’association de lutte contre le sida est largement subventionnée par la Fondation Bettencourt, a bénéficié d’une aide financière de la milliardaire pour sa famille, tout en jouant à ses côtés un rôle de coordinateur ou de conseiller médical qui intrigue beaucoup le tribunal. « Quand on s’appelle madame Bettencourt, on n’aide pas avec une boîte de chocolats », se justifie-t-il. Curieusement, note le tribunal, cet ami de Banier s’est lui aussi retrouvé successivement exécuteur testamentaire, et même protecteur potentiel de la milliardaire, tandis que son association figurait parmi les bénéficiaires de l’île d’Arros. Mais il n’en savait rien.

Depuis le début du procès, voilà trois semaines, seul Éric Woerth a été épargné. Amer et inquiet, une des prévenus rumine, lors d’une suspension d’audience : « Quand je pense que Lindsay Owen-Jones (ex-PDG de L’Oréal) a reçu une donation de 100 millions d’euros en 2005 »… C’était un peu avant l’état de faiblesse constaté officiellement, l’année suivante, chez Liliane Bettencourt. Et bien avant les enregistrements effectués par son majordome.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d'emplois

$
0
0

Comme nous l’avons indiqué en présentant les deux premiers volets de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et détaillées, qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l’économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publiques la première de ces notes qui est en date du 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande), puis la deuxième, en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »), qui témoignent toutes les deux de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès la première année du quinquennat de François Hollande, nous publions aujourd’hui la troisième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur le véritable fossé qui séparait, même s’il n’était pas encore apparent, le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Longue de 20 pages et datée du 31 janvier 2014, cette troisième note a déjà été évoquée par Le Nouvel Observateur, qui en a révélé les deux premières pages, le 28 août 2014, au lendemain du remaniement ministériel au terme duquel Arnaud Montebourg avait quitté le gouvernement. Ce document a pour titre « Note au président de la République : comment créer 1 million et demi d’emplois d’ici à 2018 » et, de manière manuscrite, Arnaud Montebourg y a ajouté la mention « secret et personnel ». La note est signée par « Arnaud Montebourg et l’équipe d’économistes du ministère du redressement productif ». Contrairement à la note précédente, il n’est pas indiqué explicitement que Xavier Ragot, à l’époque conseiller du ministre et actuel président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), y a prêté la main, mais cette dernière mention le suggère, de même que la tonalité générale de cette note.

Voici donc cette troisième note. Il est possible de la télécharger ici ou de la consulter ci-dessous.

Comme les deux précédentes, cette note adressée à François Hollande commence par un « état d’alerte sur l’économie française », mais celui-ci est beaucoup plus détaillé et documenté que dans les deux autres, et surtout plus grave.

Hausse violente du chômage, stagnation durable de l’économie : le tableau qui est dressé de l’économie française est terriblement sombre, à rebours des déclarations publiques du chef de l’État et du ministre des finances, Michel Sapin, qui annoncent périodiquement une embellie économique. Mais à cette différence d’appréciation sur la gravité de la conjoncture économique s’ajoute un autre diagnostic, que François Hollande et son premier ministre, Jean-Marc Ayrault, réfutent constamment : la France ne souffre pas seulement d’un problème d’offre ; elle souffre tout autant d’un problème de demande.

Dans cette note, c’est donc un nouveau front qu’ouvre Arnaud Montebourg, car progressivement, au fil des premiers mois du quinquennat, François Hollande a fait de la compétitivité des entreprises, avec la baisse des déficits publics, l’une des deux priorités de son quinquennat. Dès l’été 2012, une réflexion est lancée sur le sujet, et un rapport est commandé à Louis Gallois, l’ancien patron d’EADS. Puis un premier « choc de compétitivité » est lancé dès début 2013, apportant 20 milliards d’euros aux entreprises sous la forme d’un crédit d’impôt, baptisé CICE. Et le 31 décembre 2013, lors de son allocution pour présenter ses vœux au pays, François Hollande porte à près de 40 milliards d’euros le total des allègements sociaux et fiscaux alloués aux entreprises, sous le biais de ce qu’il dénomme le pacte de responsabilité.

Une bonne partie de la presse s’extasie alors sur le virage « social-libéral » négocié en cette fin d’année 2013 par le chef de l’État, même si la politique annoncée est plutôt d’inspiration néolibérale et si le virage a, en fait, été amorcé dès le mois de juillet 2012.

Écrite un mois après cette annonce majeure du chef de l’État, cette note prend donc en partie le contre-pied de la nouvelle doctrine dont s’inspire l’Élysée. Car Arnaud Montebourg précise bien que, si la conjoncture est aussi déplorable, ce n’est pas seulement parce que les entreprises souffrent d’un problème d’offre ; c’est aussi parce que la demande est bridée par un pouvoir d’achat des ménages qui s’effondre.

Cette réalité que le gouvernement refuse de regarder en face, Arnaud Montebourg s’y attarde donc, s’appliquant à chiffrer cette baisse du pouvoir d’achat, qui plombe aussi l’économie : « Sur la période 2012-13, la perte de pouvoir d’achat serait en moyenne d’environ 1 000 euros par ménages. (…) En 2014, la hausse de la pression fiscale pour les ménages (hausse de la TVA pour 5,6 milliards, réforme des retraites pour 2,2 milliards, réforme de la politique familiale pour 1,5 milliard…) et les économies sur la dépense publique vont continuer à peser fortement sur le pouvoir d’achat des ménages et donc sur la demande adressée aux entreprises », met-il en garde.

Le ministre du redressement productif en tire la conclusion qu’il est vain de prétendre redresser la compétitivité des entreprises si, dans le même temps, les entreprises souffrent d’un manque de plus en plus fort de débouchés, compte tenu d’une demande déprimée. En quelque sorte, Arnaud Montebourg reproche au chef de l’État d’avoir, avec le pacte de responsabilité, mis au point un cadrage économique – un « policy-mix », comme disent les économistes – qui n’est pas le bon : « Si l’on veut que les entreprises utilisent le redressement de leurs marges, permis par les mesures de baisse du coût du travail (CICE, pacte de responsabilité), à l’investissement et à l’embauche, il faut s’assurer que la demande tirée par le pouvoir d’achat ne s’affaiblisse pas davantage », dit-il.

Ainsi, Arnaud Montebourg alerte François Hollande sur le fait qu’il faut d’urgence rectifier le tir et mettre au point « une nouvelle stratégie économique », un « nouveau policy-mix équilibré ».

Arnaud Montebourg présente une solution qui pourrait permettre à François Hollande de ne pas remettre en cause le pacte de responsabilité qu’il vient tout juste d’annoncer et qui va préempter toutes les marges de manœuvres disponibles. Il lui propose juste d’ajuster le cadrage de sa politique économique en fonction d’une règle qu’il présente comme celle des « trois tiers » : « Dans la nouvelle stratégie macroéconomique, nous proposons un nouveau redéploiement des économies réalisées sur la dépense publique sur la période 2014-17. Les économies générées seront redéployées selon la règle des trois tiers : - un tiers sera affecté à la réduction du déficit structurel (1 point de PIB) ; - un tiers à la baisse des prélèvements obligatoires des entreprises intégrant notamment le pacte de responsabilité (1 point de PIB) ; - un tiers à la baisse de la pression fiscale sur les ménages (1 point de PIB). Cette règle de redistribution des économies permettrait à la fois d’accroître la compétitivité de nos entreprises et de redonner du pouvoir d’achat aux ménages, soutenant ainsi l’activité et réduisant le déficit conjoncturel. »

Arnaud Montebourg renoue donc avec la fameuse règle des « trois tiers » que Michel Rocard avait inventée en 1988, quand il avait accédé à Matignon, dans une période où le contre-choc pétrolier avait apporté à la France une éphémère période de prospérité – une règle que François Hollande piétine allègrement à partir de 2012, quand il fait des entreprises sa seule et unique priorité.

Et pour essayer de convaincre François Hollande que cette « nouvelle stratégie » serait beaucoup plus vertueuse que la sienne, celle qui a guidé la mise au point du projet de loi de finances pour 2014 (PLF 2014), il lui place sous les yeux un tableau confectionné par son équipe d’économistes, comparant les effets des deux politiques :

À la lecture du tableau, la démonstration d’Arnaud Montebourg semble imparable : cette nouvelle stratégie conduirait à un redémarrage de la croissance (1,8 % au lieu de 0,9 % dès 2014) ; à la création de 1,32 million d’emplois en quatre ans, dont 318 000 dès 2014 et à une baisse du taux de chômage sous la barre des 10 % dès 2014. Et – miracle des miracles – le retour de la croissance aurait pour effet de faciliter la réduction des déficits et la baisse de la dette publique à l’horizon de 2017.

Et l’on aurait tort de penser qu’Arnaud Montebourg propose à François Hollande de s’inspirer d’une doctrine économique, celle du néo-keynésianisme, que ce dernier est incapable de suivre. Car, si une bonne partie de la note est effectivement d’inspiration keynésienne, le keynésianisme d’Arnaud Montebourg n’en est pas moins mâtiné de néolibéralisme. Et on peut le vérifier dans la dernière page de cette note. Le ministre insiste en effet sur le fait que « la France doit, en contrepartie d’un assouplissement des contraintes budgétaires et monétaires, apporter des gages de crédibilité auprès des marchés financiers et de Bruxelles ». En clair, elle doit engager quelques-unes de ces fameuses réformes structurelles dont Bruxelles ou le FMI chantent sans cesse les vertus, et qui sont clairement d’inspiration néolibérales.

Et à l’appui de sa démonstration, Arnaud Montebourg évoque une panoplie de mesures possibles, parmi lesquelles la poursuite, « par le biais du pacte de responsabilité, de la baisse du coût du travail » ou encore « de nouvelles mesures contre la segmentation du marché du travail, entre les emplois temporaires et les emplois durables, afin de répartir plus équitablement la charge de la flexibilité entre les différentes catégories d’actifs, tout en développant un volet “sécurité” efficace » – une formule un peu tarabiscotée pour plaider pour davantage de flexibilité.

En somme, Arnaud Montebourg poursuit avec cette note cet étrange débat à sens unique qu’il entretient depuis septembre 2012 avec le chef de l’État. Un soliloque très précautionneux au cours duquel il prend bien soin, comme on vient de le voir, de ne suggérer que des ajustements hollando-compatibles.

Peine perdue ! Si friand dans le passé des synthèses, François Hollande les refuse toutes à partir de 2012, dans la définition de sa politique économique une fois maître de ce lieu de pouvoir sans contre-pouvoir, la présidence de la République. Début 2014, Arnaud Montebourg le vérifie une nouvelle fois à ses dépens avant de succomber à l’illusion d’une éphémère victoire.

À suivre : quand, au lendemain des municipales de 20014, Montebourg posait à Hollande ses conditions pour rester au gouvernement

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne) : « Le pouvoir nous prend pour des couillons »

$
0
0

Pierre Larrouturou a lancé l’idée des 32 heures avant même que les 35 heures ne soient votées. Il considère que le débat d’idées, qu’il appelle « la bataille culturelle », doit toujours précéder la bataille électorale. Dans son esprit « Nouvelle Donne » doit donc lancer des idées neuves, notamment sur le plan économique et sur le fonctionnement de la démocratie, puis les faire infuser dans toute la société. Très sévère avec le Parti socialiste, dont il a été membre avant de rejoindre (et de quitter) Europe Écologie, il rêve d’un rapprochement entre son parti, les écologistes, et le Front de gauche, au nom des « mêmes objectifs », mais en faisant entendre la voix de son parti « qui a d’autres réponses ».  

« Avec Stéphane Hessel, explique-t-il d’emblée, on est allés à Europe Écologie, après avoir quitté le PS, parce qu’on pensait qu’Europe Écologie allait avoir un autre rapport à la politique, permettre au citoyen de s’exprimer, et on a été déçus. Si on a créé Nouvelle Donne, c’est qu’on a l’impression qu’il y a besoin de quelque chose de vraiment nouveau. »

Nouvelle Donne correspond donc à la recherche d’un parti différent, qui échapperait aux batailles de personnes et aux luttes de pouvoir. Pourtant, au bout d’un an, des divergences classiques se sont fait entendre lors de l’assemblée générale. Certaines dissidences se sont même exprimées et il y a eu des « néo-donniens », comme il y a des frondeurs au PS. Larrouturou s’en défend dans l’entretien : « On est jamais totalement parfait, mais en général, lorsqu’un parti existe, les fondateurs sont là pour tout verrouiller (...) Nous, quand on a créé Nouvelle Donne, on était quinze, et on a dit que dans un an, on aurait rendu notre tablier, on aurait tous démissionné, et on aurait fait de nouveaux statuts. Et il y a plus de quatre mille adhérents qui ont participé à ce travail sur les statuts ! On a de nouveaux statuts, on a de nouvelles instances ! »

Nouvelle Donne officiellement apaisée aura-t-elle des candidats aux cantonales ? Réponse en deux temps : « Pour nous, la vie politique ne se réduit pas aux élections. Dans les six mois, on va lancer une grande campagne, une bataille culturelle expliquant comment on peut sortir du chômage et de la précarité. On pense que si les libéraux sont arrivés au pouvoir c’est d’abord qu’ils avaient gagné une bataille culturelle. Et donc nous, puisque l’UMP et le PS ont tout fait pour faire croire que le progrès social est impossible, on va publier cent mille exemplaires d’un petit bouquin que tout le monde pourra lire en un week-end. On va former nos douze mille adhérents. L’essentiel pour nous, c’est de montrer que “pour de vrai” on peut sortir du chômage, de la précarité, que “pour de vrai” on peut changer l’Europe. Mais en même temps, on ne va pas faire une croix sur les départementales, et je crois qu’il y a cinquante endroits où il y a des candidats de Nouvelle Donne, parfois tout seuls, parfois avec des alliances, comme à Grenoble. »

« Avec qui ? demande Mediapart. Vous pourriez envisager d’avoir des alliances locales avec le PS ? »

La réponse est un réquisitoire : « Non, je pense que non. On a des amis au PS, mais la démocratie a besoin de clarté . Aujourd’hui s’allier avec le PS n’a pas de sens (...) Le PS n’apporte plus rien, et il aggrave les problèmes. Tout ce qui est fait depuis deux ans, ou presque tout, est dramatique. Je suis allé quinze fois à l’Élysée, et quinze fois à Matignon, et c’est juste honteux… Ils le savent que ça ne peut pas marcher ! On nous prend pour des couillons ! On a l’impression que ce gouvernement s’écrase devant les lobbies. »

« Dès lors avec qui s’allier ? » interroge Mediapart.

« On n'est pas dans un système d’alliance, objecte Pierre Larrouturou. Il faut d’abord faire connaître nos idées. Jean Jaurès disait que la politique, c’est des idées simples qu’on répète simplement jusqu’à ce que tout le monde comprenne que ça peut marcher. Il faut user le doute comme on fatigue la salade. Si on continue à compter sur le PS et sur l’UMP pour sortir de la crise, on va à la catastrophe. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Procès du Carlton : les courtisans paient l’addition

$
0
0

Lille, de notre envoyée spéciale.-   Après les « parties fines », la note. Pour la fin des auditions du Carlton les 12 et 13 février 2015, les débats se sont faits financiers et Dominique Strauss-Kahn a disparu du tableau. Ne restent que ses amis et courtisans poursuivis pour avoir fait supporter à une filiale d'Eiffage et à Médicalis le coût de leurs agapes. Les frais indûment facturés entre janvier 2009 et mai 2011 s’élèvent à 46 500 euros (Eiffage) et 36 552 euros (Médicalis).

Licencié par Eiffage dans la foulée de sa mise en examen pour proxénétisme aggravé, escroquerie et abus de confiance, David Roquet, ex-directeur de la société Matériaux enrobés du Nord, a toujours assuré avoir l’aval de sa hiérarchie « pour garder le contact avec DSK ». Son supérieur, Jean-Luc Vergin, directeur régional d’Eiffage travaux publics du Nord, devait d’ailleurs être d’un voyage en mai 2011. Il avait renoncé au dernier moment. L’enquête n’a cependant pas permis de démontrer, selon les juges d’instructions, que sa hiérarchie « était parfaitement informée de ses démarches vis-à-vis de Dominique Strauss-Kahn en faveur du groupe Eiffage ». Et ce malgré des notes de frais marquées DSK au dos.

Poursuivi pour complicité, Jean-Luc Vergin a lui aussi été licencié par Eiffage. Cet homme, bon copain de David Roquet, était au courant de ses rencontres avec DSK, mais assure avoir tout ignoré de leur caractère sexuel et de leur financement. Chargé de vérifier les notes de frais des cadres des 25 filiales du Nord, Vergin se contentait de signer les parapheurs qu'on lui présentait : « Je faisais confiance, ce sont des gens avec qui je travaillais depuis longtemps. Un conducteur de travaux qui mange dans le fin fond de l’Aisne avec un client, je ne vais pas appeler le client ! » Quant aux billets d’avion et aux frais d’hôtel à Washington, la facture a été enregistrée dans un compte fournisseur de la société Matériaux enrobés du Nord et ne serait donc jamais remontée à la direction régionale. Un fonctionnement normal selon David Roquet : « Chaque année, j’achetais 20 000 à 40 000 euros d’abonnements de foot, c’était dans ma comptabilité fournisseurs. »

Chez Eiffage travaux publics, à cette époque, les « frais de représentation » des cadres coulaient en effet à flots. Tout comme les chantiers. « Dans le Nord, vous ne pouvez pas vous arrêter à un feu rouge sans voir un chantier Eiffage », a remarqué au cours des débats l’avocat lillois Emmanuel Riglaire. David Roquet disposait d’un budget d’environ 100 000 euros par an pour inviter ses clients. Une enveloppe qui variait selon les cadres « en fonction de leur chiffre d’affaires, de leur clientèle, du nombre de chantiers », a expliqué son supérieur. Alors « 15 000 euros par an pour entretenir la relation avec DSK, ça ne me paraissait pas débile », s’est exclamé David Roquet. Avant de s’énerver : « Quand Eiffage privatise le Paradis latin pour 700 000 à un million d’euros, avec des élus et leurs femmes, on ne dit rien. Quand on prend des loges de foot, peut-être avec des escortes, Eiffage va avoir du boulot pour vérifier que les loges sont bien fréquentées ! » D’ailleurs, rappelle-t-il, les prostituées rémunérées lors de ces rencontres l’étaient de sa poche, pas de celle de l’entreprise. « Je dois être le dernier des Mohicans, lâche David Roquet. Je peux vous assurer que partout ailleurs quand il y a des filles, ça passe en fiches consommation. »

Qu’espérait ce petit cercle de courtisans ? Loin de toute ambition personnelle, l’ingénieur s’imaginait comme entremetteur d’un futur déjeuner à l’Élysée entre un DSK président et son patron. « Dominique Strauss-Kahn ne sait plus si vous apparteniez au groupe Eiffage, à aucun moment vous ne parlez BTP, enrobé, groupe, développement », lui fait remarquer le président Bernard Lemaire. « La meilleure façon de faire du lobbying, c’est de parler un minimum de ce qu’on fait », rétorque David Roquet. Le parquet reste sceptique. « Souviens-toi, nous avions des relations sexuelles ensemble ? C’est ce que vous pensiez dire à Dominique Strauss-Kahn ? » ironise la procureure Aline Frérot. « Si demain, je lui avais demandé d’organiser un repas avec mes patrons d’Eiffage, il l’aurait fait, réplique David Roquet. Parce qu’on avait passé de bons moments ensemble, c’est la définition du lobbying. »

Fabrice Paszkowski, ami intime de DSK qui faisait partie des 25 personnes présentes à l’enterrement de sa mère, a pour sa part prétendu que les trois voyages à Washington avaient bien un but professionnel : entre autres, visiter une « pharmacie pour un système de distribution de médicaments appliqué aux États-Unis mais pas en France ». Cet agent commercial, qui se versait plus de 10 000 euros de revenus par mois, assume le rôle de l’hôte généreux qui aimait à inviter et mettre en contact. « J’avais toujours l’envie d’apporter une petite pierre à l’édifice de la carrière de DSK », dit-il.

Dans ce volet financier, le militant PS est accusé d’abus de biens sociaux et d'escroqueries au préjudice de Médicalis, sa société d’équipements médicaux à Lens. Sa petite amie, également poursuivie, avait créé sa société d’événementiels qui facturait à Médicalis et à la filiale d’Eiffage l’organisation des voyages à Washington, le tout sous des intitulés extrêmement vagues. Elle prenait au passage une généreuse marge pour ses prestations, qualifiées de « fictives » par le président du tribunal et en réalité sous-traitées à une agence voyage. « J’ai dégrossi le travail », assure l’intéressée. « Et sur une facture de 11 000 euros, vous vous êtes payée 4 000 euros pour dégrossir ? » réplique d’un air étonné le président Bernard Lemaire. Lors de l’enquête, les associés de Fabrice Paszkowski se sont également émus du montant des frais que l’agent commercial facturait à Médicalis : vacances à Courchevel, Saint-Tropez, Miami, etc. Il est « plus facile de rencontrer des professions médicales sur leur lieu de vacances pour construire un relationnel », explique l’agent commercial, dont les tics de langage traduisent la nervosité.  

Quant au commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, qui était de toutes les sorties et voyages « sans bourse délier », il est accusé du recel de ces infractions financières. L’ex-chef de la sûreté départementale du Nord, invité par Fabrice Paszkowski, assure qu’il était « persuadé qu’il payait de sa poche ». Tout comme Jean-Christophe Lagarde ne s’est jamais renseigné sur le statut des prostituées qui participaient aux ébats – « Je me serais pris une gifle » –, il ne lui est pas « venu à l’esprit d’aller vérifier la comptabilité d’un ami qui (l)’invitait ». « Je pense que c’est le leitmotiv dans ce dossier, c’est que vous ne vous posiez aucune question », gronde le procureur Frédéric Fèvre, très remonté contre le policier depuis le début des débats.

Jusqu’alors excellemment noté, Jean-Christophe Lagarde a été recyclé comme chargé de mission à la direction centrale de la sécurité publique. Se défendant de toute ambition personnelle, le policier prétend avoir voulu « apporter (ses) idées, (son) expertise » au candidat DSK. Comme ses amis, il s’y est brûlé les ailes et sait qu’il aura « à répondre de problèmes de déontologie ». D’ailleurs, son avocat note que deux agents de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) « ont assisté à tous les débats »

Un DSK qui, interrogé par le juge d’instruction, a un peu de mal à le situer : « J’ai appris qu’il travaillait dans le bâtiment. Je ne sais pas si j’ai appris depuis ou si je savais que c’était Eiffage. A minima, vous dites ce que vous faites dans votre société... »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian


Inquiets de « l’après-Charlie », des militants anti-discrimination font cause commune

$
0
0

Face à eux, sept journalistes ont répondu à l’invitation, dont trois venant de médias internationaux (Voice of America, la radio publique suédoise, Vice news). Trois heures durant, les militants associatifs de défense des libertés publiques et de lutte contre les discriminations ont martelé, lors d’une conférence de presse ce vendredi à Paris, leur volonté de « faire cause commune » et de « rassurer face aux peurs qui s’emparent de la population, pour que personne ne cède au repli sur soi ». Sur toutes les lèvres des présents, de la “Quadrature du net” à “La voix des Rroms” en passant par “Stop le contrôle au faciès”, “Urgence notre police assassine” et le “Collectif contre l’islamophobie” (CCIF), le même sentiment : depuis les attentats de Paris, « l’esprit du 11 janvier » correspond à une situation déjà inquiétante avant, mais en pire.

« L’après-Charlie est dans la continuité de la loi de programmation militaire et la loi sur la lutte contre le terrorisme de la fin 2014 », dit ainsi Félix Tréguer, de la Quadrature du net, pour qui « le “Patriot act” était déjà voté ». Lui dénonce une « instrumentalisation sécuritaire des attentats », où le gouvernement « profite d’un contexte de peur » pour « attenter aux libertés numériques ». D’après Tréguer, « le blocage administratif des sites est contournable en un clic » et « l’apologie du terrorisme est largement mobilisé pour des propos imbéciles, mais n’a que très peu d’effet sur les filières djihadistes ». En pensant au projet de loi sur le renseignement, qui devrait arriver au parlement en mars, il s’inquiète enfin d’une philosophie du pouvoir tourné vers « la surveillance de masse », au lieu d’« une surveillance ciblée » et de son contrôle. « On assiste à une contre-réaction, après les progrès réalisés en termes de débat public depuis l’affaire Snowden », dit-il.

À ses côtés, Elsa Ray opine à ses propos. La responsable du Collectif contre l’islamophobie recense les « dérives multiples » survenues contre les musulmans depuis les attentats. « Entre le 7 janvier et le 7 février, détaille-t-elle, les actes islamophobes ont augmenté de 70 % par rapport à l’an dernier à la même époque. » Elle cite le cas de Ahmed, 8 ans, à Nice, de Aymen, 9 ans, à Villers-Cotterêts, et d’une petite fille de 10 ans à Valbonne. « Des affaires de propos maladroits comme peuvent en tenir des enfants de cet âge, et qui auraient dû se régler dans le cadre scolaire. »

Elsa Ray explique aussi avoir beaucoup de retours d’événements où le « soupçon de radicalisation » est utilisé pour régler des disputes de voisinage ou des conflits du travail. « Sur une simple dénonciation, la police vient interpeller les gens à leur domicile, dit-elle. Et à chaque fois, les gens ressortent libres mais on leur oppose un “principe de précaution”. Il s’agit en fait d’une violation des droits fondamentaux, renforcée par un climat général de suspicion, où être musulman suffit à devenir suspect n°1. Si les discours officiels refusent les stigmatisations et les amalgames, on constate le contraire sur le terrain. »

Elle évoque aussi « une quarantaine d’attaques contre des lieux musulmans (mosquées, commerces, écoles) », regrettant que « malgré les demandes réitérées aux préfectures, il n’y ait que des protections sporadiques, essentiellement lors des prières du vendredi ». Enfin, elle pointe la « dizaine d’attaques contre des individus, allant du crachat à la bastonnade », comme pour cette femme voilée à Lillebonne. Elle dit également un mot du meurtre de ce quinquagénaire de 17 coups de couteau dans le Vaucluse, aux cris de « C’est moi ton dieu, c’est moi l’islam ! », qualifié d'acte de schizophrène « avant même que l’expertise psychiatrique ait lieu », dit-elle. « Comme souvent, on remet d’emblée en question le mobile par le biais de la santé mentale, avance-t-elle, quand les terroristes musulmans ont toujours toute leur tête ».

Saïmir Mile, de La voix de Rroms, manie quant à lui l’ironie. « Dans ce contexte, en ce qui nous concerne, tout va bien, puisque rien n’a changé », dit-il en riant. Il profite tout de même du moment pour dénoncer « une unité nationale construite sur des bases idéologiques variables, et contre certains types de populations. En gros, la Nation se construit entre les braves gens, respectés par la police, face aux nomades et aux sauvages ». Il rebondit aussi sur ce « principe de précaution » dont se prévalent les forces de l’ordre, en estimant qu’il « est surtout utilisé quand on a une gueule particulière ». Lui aussi cite des « faits divers » dont les médias nationaux ne font guère de gorges chaudes, comme l’intervention musclée de la Bac dans un campement à Villeneuve-d’Ascq dimanche dernier, ou la récente agression de Raymond Gurême, 89 ans, à Saint-Germain-lès-Arpajon.

Il s’interroge enfin sur la liberté d’expression, ramenant le concept aux propos de Manuel Valls sur les Rroms « ayant vocation à rentrer en Roumanie », et que ni la CJR ni le Tribunal de grande instance n’ont l’intention de juger, malgré les plaintes. « Au contraire, la sanction politique à ces propos a été de le hisser de Beauvau à Matignon », soupire-t-il, tout en indiquant sa volonté de « poursuivre cette affaire devant la CEDH s’il le faut ». Il conclut : « Nous, on ne se construit pas dans la haine, mais dans l’alerte. Et nous disons “attention !” aux citoyens français, car en ce moment c’est nous et les musulmans, mais bientôt ça en sera d’autres… »

Pour Amal Bentounsi, responsable du collectif Urgence notre police assassine, « le constat est très dur pour nous ». Au moment de la tuerie à Charlie Hebdo, rappelle-t-elle, « nous étions en conférence de presse à Joué-lès-Tours pour remettre en cause la version policière de la mort de Bertrand Nzohabonayo. Pour une fois, beaucoup de médias avaient répondu présent, et dans la foulée de la mort de Rémi Fraisse à Sivens, les violences policières devenaient un vrai sujet médiatique… » Et finalement, personne n’a relayé la conférence de presse (Mediapart compris), même si le site local La Rotative suit encore l’affaire.

Elle-même sœur d’un jeune homme tué d’une balle dans le dos lors d’une interpellation qui a dégénéré, Amal Bentounsi raconte combien chez les habitants « la tétanie a remplacé la colère de d’habitude », et combien « le climat terroriste a paralysé toute la ville ». Elle raconte aussi que la préfecture « interdit les rassemblements » (lire ici) que son collectif cherche à organiser à Joué-lès-Tours, « pour relancer des appels à témoin ». Ou encore ne parvient pas à démêler le « flou judiciaire » qui entoure la procédure entamée par la famille.

Elle dit être « désemparée et démunie », ne comprend pas « les applaudissements des policiers à la manif » alors que le syndicat Alliance avait exigé il y a un an « l’arrêt des protections à Charlie Hebdo ». « Le lendemain de l’attentat à Charlie Hebdo, les RG m’ont appelée pour me demander ce que j’en pensais…, raconte-t-elle. Déjà qu’on n’était pas entendus avant, alors maintenant… Il faut faire attention à ce qu’on dit, car on sent qu’on peut être poursuivis à tout moment. » À l’évocation de l’affiche vantant le « nouvel ami » de la police municipale à Béziers (un revolver), elle retient des sanglots, puis craque. « Ce "nouvel ami" a tué mon frère… » Elle redoute enfin que « les policiers aient désormais carte blanche » et estime que « les comportements policiers peuvent susciter des passages à l’actes, peuvent créer des monstres en sommeil ».

Félix Tréguer, Elsa Ray, Saïmir Mile et Sihame AssbagueFélix Tréguer, Elsa Ray, Saïmir Mile et Sihame Assbague © S.A

Elsa Ray du CCIF enchaîne en citant le père du petit Aymen, qui lui a dit : « Aujourd’hui il avale la pilule, mais comment va-t-il la recracher à 15 ans ? » Elle raconte aussi l’inquiétude d’une maman voilée interdite de sortie scolaire, « devant son enfant qui s’est ensuite tapé la tête contre les murs plusieurs jours de suite ». Un point de vue que partage Sihame Assbague, porte-parole du collectif Stop le contrôle au faciès, qui note que « le tournant dans la vie d’Amedy Coulibaly correspond à la mort de son meilleur ami, tué à l’issue d’un cambriolage ». Elle considère que « ce qu’on dénonçait avant existe malheureusement toujours » et explique que « paradoxalement, depuis les attentats, on reçoit de moins en moins de signalements, mais de plus en plus concernent les contrôles d’identité abusifs liés au foulard ou à la barbe ».

Selon elle aussi, « c’est comme si un blanc-seing avait été accordé à l’institution policière, comme si la suspicion de terrorisme pouvait légitimer toutes les actions ». Elle ajoute : « Beaucoup d’habitants des quartiers populaires ont peur et préfèrent se taire, par crainte de représailles. » Elle remarque que le processus habituel succédant à une violence policière s’est retrouvé avec le cas d’Ahmed, l’enfant de 8 ans de Nice : « Disqualification de la famille, criminalisation de la victime et de son environnement, défense sans faille de l’institution et relais de la version officielle des syndicats. »

L’« après-Charlie » est aussi défini comme « difficile » pour les militants de la lutte contre l’islamophobie. « Avant, on nous disait qu’on faisait le jeu du FN, désormais on fait le jeu des terroristes », se désole Sihame Assbague. « Parler d’islamophobie, ce serait désormais faire le lit du wahhabisme, de l’islamisme, du djihadisme et de plein d’autres trucs en “ismes” », renchérit Elsa Ray.

Pour autant, outre leur volonté de rester « plus mobilisés que jamais » et leur désir de « continuer à élargir (leurs) combats à toujours plus d’autres collectifs », ces militants n’ont pas vu les quelques ponts construits avec les pouvoirs publics rompus. « On a toujours plein de contacts avec des députés, des maires et des cabinets ministériels, dit Assbague. Mais toutes nos propositions les laissent froids. On leur parle de l’urgence à expérimenter le récépissé de contrôle d’identité, mais ils considèrent que ce n’est pas le sujet. Ils préféreraient sans doute qu’on leur propose une caravane d’information dans les quartiers ou une petite main “Touche pas à ma république”… » « C’est vraiment dommage, conclut-elle, car on sait très bien qu’on ne s’en sortira pas autrement qu’en collaborant, mais on ne nous écoute pas plus qu'on ne nous comprend. »

Affiche de la Quadrature du netAffiche de la Quadrature du net

Alors, tous ces militants réunis entendent s’« atteler à leurs tâches avec plus de ferveur encore », et parlent de leurs actions à venir. De la campagne "#stopautoritarisme" de la quadrature (raillant le "#stopdjihadisme" du gouvernement) ou de leurs recours devant le conseil d’État sur le blocage administratif des sites. D’un “rassemblement-appel à témoins” au Havre après la mort mi-décembre d’un homme ayant agressé un policier avec un couteau. Du procès, du 16 au 20 mars, autour de la mort de Zyed et Bouna, les deux jeunes morts dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois. De la « manifestation unitaire contre les racismes », qui partira de Barbès le 21 mars.

Ou encore de l’appel, le 25 février, du procès de treize citoyens victimes de contrôle au faciès contre l’État (lire ici notre reportage en première instance). Un procès où le défenseur des droits, Jacques Toubon, a proposé que son avocat vienne plaider aux côtés des plaignants. Une initiative, ajoutée à sa récente prise de position sur le sujet, qui rend l’homme très populaire chez les responsables présents. « Je regrette d’avoir signé la pétition contre sa nomination », dit en souriant Saïmir Mile. « On en est là, dit Sihame Assbague, à féliciter un ancien garde des Sceaux de droite. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Les conditions secrètes de Montebourg pour faire équipe avec Valls

$
0
0

Comme nous l’avons indiqué en présentant les trois premiers volets de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et détaillées, qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l’économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publiques la première de ces notes, en date du 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande), puis la deuxième, en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »), et enfin la troisième, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois), qui témoignent toutes les trois de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès les débuts du quinquennat de François Hollande, nous publions aujourd’hui la quatrième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur le fossé qui séparait, même s’il n’était pas encore apparent, le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Cette quatrième note, la voici. Il est possible de la télécharger ici ou de la consulter ci-dessous.

Beaucoup plus court que les précédents, ne comprenant que quatre pages, ce texte n’est en vérité pas une note, mais une lettre. Et elle est surtout écrite dans un contexte politique très particulier. Cette lettre est en effet datée du « dimanche 30 mars 2014 au matin », c’est-à-dire une semaine après le premier tour des élections municipales, qui a été un échec cuisant pour le Parti socialiste et le gouvernement, et quelques heures seulement avant les résultats du second tour, qui va tourner en débâcle historique pour les socialistes.

À l’heure où il prend la plume, Arnaud Montebourg ne sait pas encore avec précision que le Parti socialiste va connaître le soir même l’une des défaites les plus graves de son histoire, avec à la clef la perte de plus de 150 villes de plus de 9 000 habitants, parmi lesquelles des bastions historiques comme Toulouse ou Limoges ; ou une progression spectaculaire du Front national, qui fait jeu égal avec le PS à Marseille et qui rafle des villes comme Béziers, Fréjus, Villers-Cotterêts, Beaucaire ou encore Hayange.

Mais il a toutes les raisons de le pressentir car nul n’ignore, à quelques heures des résultats, la gravité des événements qui se profilent. Et la lettre d’Arnaud Montebourg est marquée de cette inquiétude. Le ministre du redressement productif écrit donc au chef de l’État pour le presser une nouvelle fois de changer de politique économique et le prévenir, de manière certes courtoise mais ferme, qu’il ne faut pas compter sur lui pour rester dans le prochain gouvernement si ce changement de cap n’est pas décidé.

Des quatre notes d'Arnaud Montebourg que nous révélons, celle-ci est donc la plus importante. Car elle résume les propositions de réorientation de la politique économique qui parcouraient les trois notes précédentes, mais elle révèle un épisode clef, jusque-là mal connu, du quinquennat de François Hollande: par cette lettre secrète, Arnaud Montebourg pose ses conditions pour entrer au gouvernement de Manuel Valls – qui a lui-même connaissance de cette missive. Et la lettre éclaire aussi rétrospectivement les conditions dans lesquelles la rupture du mois d'août suivant surviendra: Arnaud Montebourg qui quitte alors le gouvernement, à l'occasion du remaniement suscité par son discours de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), considèrera qu'il n'a fait que défendre le nouveau cap contenu dans cette lettre du 30 mars, lettre sur la base de laquelle il avait été nommé ministre de l'économie.

Bien dans le style d’Arnaud Montebourg, la lettre à François Hollande commence, en exergue, par une citation de saint Augustin : « La crainte de perdre ce que l'on a nous empêche d'atteindre ce que l'on est. » Ce qui peut sans doute se traduire de manière moins aimable de la manière suivante : conservateur et conformiste, le gouvernement a perdu son âme… socialiste !

Soit dit en passant, cette citation a une petite histoire. Quittant Bercy, le 25 août 2014, Arnaud Montebourg fait un discours d’adieu, truffé de citations de grands auteurs, citant pêle-mêle Cincinnatus et de nouveau… saint Augustin. Mais ce jour-là, le ministre qui va bientôt ne plus l’être se fait taper sur les doigts par Le Figaro qui établit le caractère très approximatif de la citation du philosophe berbère. La fameuse citation n’apparaît en effet que dans la fiche Wikipédia de saint Augustin, mais selon le quotidien, ce n’est pas une citation exacte ; ce n’est en fait qu’un résumé de l'exégèse de la pensée du saint faite par la philosophe Hannah Arendt dans son livre, Le Concept d'amour chez Augustin (Payot, 1999).

Quoi qu’il en soit, le début de la lettre est ensuite très courtois : Arnaud Montebourg s’applique à rappeler au chef de l’État que, même en désaccord avec l’orientation économique impulsée depuis l’été 2012, il n’en a pas moins été un bon petit soldat, s’appliquant pour le domaine dont il avait la charge, celui de l’industrie, à assumer son office, pour que des pans entiers de notre économie ne soient pas engloutis sous le raz-de-marée des plans sociaux et de la mauvaise conjoncture.

Mais ce préambule étant fait, le ministre entre dans le vif de son sujet : « Nous sommes arrivés à un moment où je crois nécessaire – après des élections municipales qui ont donné la parole aux Français et qui s’en sont vigoureusement saisis – de nous interroger en liberté de conscience sur la force et la pertinence des orientations décidées pour notre pays. » Et faisant allusion aux notes précédentes, il ajoute : « Je vous ai – déjà à plusieurs reprises – fait part de ma vision personnelle de la nécessaire rupture qu’il nous faut accomplir sous votre autorité dans l’intérêt à la fois de notre pays et de l’idéal que nous portons ensemble. Ce changement profond que j’appelle de mes vœux doit avant tout concerner les grandes orientations économiques prises par notre pays, qui sont à l’origine de la grave perte de confiance dans leurs chefs que les Français expriment durement. »

« Rupture », « changement profond » : le ton de la lettre est donnée. Alors que dans les notes précédentes, Arnaud Montebourg plaidait pour des ajustements ou des infléchissements, il se montre désormais plus pressant, soulignant que la sanction des électeurs invite à un sursaut.

Soulignant que la croissance est en train de revenir un peu partout dans le monde, sauf en Europe, où les économies étouffent du fait des politiques d’austérité, Arnaud Montebourg invite donc François Hollande à observer qu’il a foulé au pied ce qui était l’un de ses principaux engagements de campagne : « Est-il permis de rappeler que nous avions promis aux Français une réorientation de l’Europe qui n’est jamais venue ni dans les discours ni dans les actes ? » L’accusation est grave, et elle est ponctuée de ces autres remarques : « Pour gagner la bataille de l’emploi, il n’est pas d’autre choix que de combattre l’austérité obsessionnelle de la Commission, et imposer avec nos alliés et amis européens une politique européenne de croissance. »

La charge contre la Commission se prolonge ensuite par une charge contre la politique économique qui est suivie en France. Et la courtoisie du ton ne doit pas faire illusion : le ministre dresse alors un réquisitoire extrêmement sévère du cap choisi par François Hollande – un réquisitoire que ne renierait sans doute pas un Jean-Luc Mélenchon ou tout autre leader de la gauche de la gauche. Il faut donc lire ces passages avec attention, car ils résument en fait tous les désaccords qui se sont accumulés entre Arnaud Montebourg et François Hollande.

« Améliorer la rentabilité de nos entreprises ne peut pas marcher avec une politique de rétablissement dogmatique des comptes publics qui assèche le pouvoir d’achat des ménages, dégarnit les carnets de commandes de nos entreprises et alimente la récession européenne, écrit-il. En outre, l’expérience de rétablissement des comptes publics dans de nombreux pays européens montre que pour régler rapidement la dette publique, il est nécessaire de disposer d’inflation raisonnable et de croissance. Or les dogmes politiques européens austéritaires conduisent rigoureusement à l’inverse, à la déflation et la récession, lesquelles empêchent cette politique de rétablissement des comptes publics d’avoir le moindre résultat. C’est malheureusement le chemin que prend notre pays, si les recommandations de la Commission européenne n’étaient pas vigoureusement combattues : nous subirions alors à la fois la hausse non interrompue du chômage et l’échec sur les déficits et la dette. »

Et ces constats sont ponctués de cette formidable interpellation : « Nous aurions donc l’inconvénient de cumuler le déshonneur de passer pour de mauvais gestionnaires des comptes publics avec la responsabilité d’avoir fait bondir le chômage dans des proportions inouïes. Peut-on cumuler, par crainte excessive de Bruxelles, le naufrage économique programmé pour la France et la tragédie politique de l’élimination de la gauche de la carte électorale pour ses erreurs de jugements ? »

Arnaud Montebourg presse donc François Hollande de mettre en œuvre la réorientation économique qu’il lui a proposée dans ses notes antérieures, et notamment dans la troisième, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Holnade comment créer 1,5 million d’emplois), dans laquelle il lui recommandait de prendre pour fil conducteur de la politique économique une règle dite des trois tiers : « Ces propositions consistent en un redéploiement des efforts des Français dans une règle juste et équilibrée des trois tiers : un tiers reviendrait au pouvoir d’achat des ménages, un tiers à la compétitivité de nos entreprises et un dernier tiers reviendrait à la réduction de nos déficits garantissant ainsi notre sérieux budgétaire. »

Insistant sur le fait que ces propositions reflètent « ce qu’ont demandé les Français dans leur vote », dès le premier tour de ces élections municipales, il en vient aussi à ce qui est, en fait, l’objet de cette lettre : il prévient le chef de l’État qu’il ne restera pas dans le prochain gouvernement, si ces propositions ne sont pas retenues : « Vous l’avez compris, au total, elles sont la conditions sine qua non de l’utilité de mon travail au redressement industriel du pays. »

Toute la fin de la lettre est à l’avenant : Arnaud Montebourg prévient, en termes très polis mais sans ambiguïté, que si cette réorientation n’est pas décidée, ce sera… sans lui !

« Comment pourrais-je continuer dans ma mission difficile alors que les efforts que mon équipe, mon administration et moi-même accomplissons pour sauver l’industrie et faire naître une nouvelle France industrielle sont et seront contredits et découragés sans cesse par les décisions économiques et fiscales qui épuisent l’économie et les entreprises, décisions prises jusqu’à présent hors de toutes délibérations collectives et dans le refus obstiné de la collégialité gouvernementale. (…) Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande instamment de faire mouvement sur les choix cruciaux de politique économique. (…) J’attends avec espoir que vous vous déclarerez prêt à ouvrir vos décisions vers ces nouveaux horizons qui feront avec moi espérer à nouveau les Français. »

On connaît donc la suite. Dès le lendemain, le lundi 1er avril, Jean-Marc Ayrault présente la démission de son gouvernement. Et aussitôt, François Hollande désigne Manuel Valls comme nouveau premier ministre et le charge de constituer le prochain gouvernement, gouvernement dans lequel Arnaud Montebourg devient ministre de l’économie.

Cela suggère-t-il que François Hollande a finalement décidé de « faire mouvement » comme l’y en presse depuis si longtemps l’auteur de ces notes ? Et cela signifie-t-il que le nouveau premier ministre, Manuel Valls, qui a lui-même appelé Arnaud Montebourg au téléphone pour lui annoncer le portefeuille stratégique qu’on lui proposait à Bercy, était lui-même d’accord avec cette réorientation ? Un accord avait-il même était scellé en ce sens entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg ?

À l’époque, c’est ce que croit le nouveau ministre de l’économie – ou ce qu’il fait mine de croire ? En tout cas, l’équivoque ne dure pas longtemps. Très vite, François Hollande fait comprendre qu’il n’a pas la volonté de changer le moins du monde le cap de sa politique économique. Et dans le courant du mois d’août suivant, Manuel Valls fait grief à Arnaud Montebourg d’avoir tenu en public, à Frangy-en-Brie, des propos assez proches de ceux, exprimés en privé, de cette lettre au chef de l’État. Présentant la démission de son gouvernement, il est aussitôt chargé d’en constituer un autre dont ne font partie, ni Arnaud Montebourg, ni Aurélie Filippetti, ni Benoît Hamon.

Avec le recul, cette lettre du 30 mars 2014 prend donc un très fort relief : quand il est nommé, le 2 avril 2014, ministre de l'économie, Arnaud Montebourg peut considérer qu'il a pour mission de mettre en oeuvre cet infléchissement de la politique économique. Et par anticipation, cette lettre expose les raisons du divorce qui surviendra cinq mois plus tard...

À suivre : Ce que révèlent ces quatre notes, avec les explications d'Arnaud Montebourg.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Hollande, le liquidateur

$
0
0

Le journaliste Vincent Nouzille a visité un continent caché : les assassinats ciblés commandités par la France. Ancien grand reporter à L’Express, aujourd’hui collaborateur régulier du Figaro Magazine, il vient de publier Les Tueurs de la République (Fayard). Il s’agit d’une plongée saisissante – et rare – dans le ventre du “secret défense”. Il est allé là où est désigné, au plus haut sommet de l’État, qui a le droit de vie ou de mort parmi les ennemis déclarés de la France.

Obtenir des informations précises, datées, circonstanciées sur cette pratique de l’État relève de l’exploit journalistique. Nouzille y parvient, en brossant soixante ans d’opérations spéciales des services secrets français, de la guerre d’Algérie aux différents conflits armés engagés par François Hollande depuis son accession à l’Élysée.

François Hollande, le 1er mars 2014, en Centrafrique. François Hollande, le 1er mars 2014, en Centrafrique. © Reuters

Les Tueurs de la République, en revenant sur trois récentes opérations “homo” (pour “homicide”) en Afghanistan, en Somalie et au Mali, présente d’ailleurs un François Hollande dont la main ne tremble pas quand il s’agit d’ordonner des éliminations physiques ciblées, contrairement à certains de ses prédécesseurs plus circonspects.

Ce type de “neutralisation”, comme on aime à euphémiser dans les services secrets, a lieu sans cadre légal défini, hors toute espèce de procédure judiciaire, et sans le moindre contrôle parlementaire — ce que déplore l’auteur. Avec une question fondamentale à la clé : est-ce efficace ou s’agit-il d’éteindre un incendie avec de l’essence ?

 

  • Les Tueurs de la République
    (Fayard)

    347 pages
    20 €

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Tiens, there is donc an Alternative ?

$
0
0

L’existence même de cette “Alternative” est un événement en soi. Il a suffi d’une élection, et de la volonté politique fermement affichée par Syriza pour que la nécessité soit soudain moins nécessaire. Il n’y avait rien à discuter parce que toute discussion était irresponsable, et voilà que les responsables les plus ardents, et les plus fidèles au dogme, se mettent à distiller des propos renversants.

Le porte-parole du ministère des finances allemand essaie ainsi de sauver la face, comme au bon vieux temps, en affirmant que « la seule voie possible est une extension du programme (de financement de la Grèce par la Troïka) », alors que ce programme est rejeté par les Grecs, Berlin se dit dans la foulée « prêt à discuter des contours du programme ». Et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a beau se montrer très pessimiste, parce que, dit-il, « les Grecs ont de très grandes ambitions mais, étant donné l’état de leur économie, les possibilités sont limitées », son pessimisme autrefois fondamental se replie sur une affaire de calendrier : « Je ne sais pas si nous y arriverons lundi », lâche-t-il avec gravité. Qu’il se rassure, mardi ne sera pas un drame.

Entre Syriza, qui demandait “l’inconcevable”, pour ne pas dire le “diabolique”, et l’Europe libérale qui s’affolait à l’idée même que de telles “folies” puissent être énoncées par un gouvernement, un marchandage est bel et bien cours, un marchandage classique, où chacun fait une part du chemin. Les Grecs ne demandent pas la lune, mais la fin d’une austérité ressentie comme cruelle, négative en terme économique, et humiliante, et l’Europe maintient le principe d’un assainissement des finances, mais renonce comme par miracle aux privatisations, au changement sur la législation des licenciements collectifs, à une nouvelle baisse des retraites, et elle s’apprête à entériner la hausse du salaire minimum.

On reviendrait en fait sur 30 % des mesures prévues par le plan d’aide, en ne pariant plus sur la seule baisse de ce qu’on appelle les dépenses publiques, c’est-à-dire la santé, l’éducation, la culture, etc., mais en mettant l’accent sur la lutte contre la fraude fiscale, contre la corruption, ou contre les arrangements qui permettent à la très riche Église ou aux armateurs milliardaires de ne pas payer d’impôts.

Au-delà du détail technique des mesures envisagées, la dimension de l’évènement n’est pas économique mais bel et bien politique. Le fameux “Tina” (There is no alternative) stipulait que l’État n’était pas la solution, mais le problème, ce qui impliquait la disparition de la puissance politique dans le domaine économique. La négociation avec la Grèce, par sa seule existence, marque son grand retour. En disant niet à ce qu’on appelle la Troïka (FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne), la Grèce a rappelé qu’un gouvernement issu des urnes pesait autant, sinon plus, qu’un coefficient multiplicateur, une statistique ou un calcul comptable.   

Et le plus frappant dans cette affaire, pour ne pas dire le plus piquant, c’est qu’au moment où les gardiens du dogme éprouvent de grandes angoisses à l’idée de trop de concessions accordées à la cigale grecque, la bourse d’Athènes salue l’idée de l’accord qui se dessine. Vendredi, elle a bondi de plus de 5 %. Si même les marchés enterrent Tina, c’est vraiment que tout fout le camp ! 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Procès Bettencourt : seul Eric Woerth peut déjà respirer

$
0
0

Bordeaux, de notre envoyé spécial. Après trois semaines d’audiences marathons (il reste encore une semaine de débats puis une semaine de plaidoiries), le procès de l’affaire Bettencourt permet déjà de se faire une idée très précise du dossier, à défaut de pouvoir prédire le jugement, qui sera rendu par le tribunal correctionnel après un délibéré de plusieurs mois.

Première certitude, les débats tournent à la confusion de deux des principaux prévenus, François-Marie Banier et Patrice de Maistre. Le photographe a beau être un ami de vingt ans de Liliane Bettencourt, et bien que l’héritière L’Oréal ait le droit de se montrer généreuse, son rôle de manipulateur âpre au gain auprès de la vieille dame, dans les périodes où elle était particulièrement diminuée et vulnérable, laisse un fort sentiment de malaise, tout comme les sommes colossales qu’il a sollicitées ou acceptées. La posture de l’artiste rêveur et désintéressé, son air de victime outragée qui ferait les frais d’un hypothétique complot de domestiques sont démentis par le dossier, et semblent souvent indisposer les magistrats qui l’interrogent.

Quant à Patrice de Maistre, qui alterne protestations d’honnêteté et séances d’auto-apitoiement, il n’arrive pas à faire oublier les avantages énormes qu’il a demandés ou obtenus de l’octogénaire, profitant de sa place privilégiée de gestionnaire de fortune puis de protecteur. La diffusion, dans la salle d’audience du tribunal, d’enregistrements effectués par le majordome de Liliane Bettencourt n’a pas arrangé son cas.

Malgré les efforts redoublés de leurs avocats, on voit mal comment François-Marie Banier et Patrice de Maistre pourraient échapper à une condamnation. Pour ces deux hommes, l’enjeu du procès qui s’achève semble être de limiter les dégâts autant que faire se peut, qu’il s’agisse d’une éventuelle peine de prison, d’une amende ou de dommages et intérêts (le fisc, lui, a déjà procédé à d’importants redressements).

Le tribunal correctionnel à l'ouverture du procès.Le tribunal correctionnel à l'ouverture du procès. © Reuters

À ce stade, la seule autre certitude concerne le volet politique du procès. Comme l’espéraient ses défenseurs, Eric Woerth semble d’ores et déjà tiré d’affaire. Le tribunal ne l’a interrogé que pendant une petite heure sur les faits qui lui sont reprochés et le procureur s’est même montré à la limite de l’obséquiosité, comme s’il était déjà acquis que la remise d’espèces au trésorier de l’UMP et de la campagne Sarkozy de 2007 serait impossible à prouver. Cela alors que, paradoxalement, le dossier regorge de témoignages sur une tradition de remises d’enveloppes à des politiques, que les agendas d’Eric Woerth et de Patrice de Maistre prouvent l’existence de curieux rendez-vous en période pré-électorale et que les importants retraits d’espèces des Bettencourt à cette même époque, effectués en France et en Suisse, ne trouvent pas d’autre explication.

Il faut noter, par ailleurs, que l’ancienne comptable Claire Thibout n’a rien retiré de son témoignage accusateur, alors qu’elle a été, pendant quatre longues heures, pressée de questions insistantes par la défense, lors d’une audition par visio-conférence, le 10 février. Le coup de théâtre annoncé a fait pschitt. Toutefois, les juges d’instruction bordelais, qui avaient délivré à Nicolas Sarkozy un non-lieu aux attendus très critiques, mais avaient renvoyé Eric Woerth en correctionnelle, pourraient faire l’objet de vives critiques de la part de l’UMP si jamais le député et maire de Chantilly obtenait une relaxe (inutile de préciser qu’une éventuelle relaxe de DSK à Lille déclencherait tout aussi probablement un énième procès en abus de pouvoir des juges d’instruction).

En dehors des trois prévenus les plus célèbres de ce dossier que l’on vient d’évoquer, rien ne semble joué pour les sept autres prévenus, conseillers, serviteurs, courtisans, parasites et aigrefins (selon les points de vue) qui sont jugés à Bordeaux. Martin d’Orgeval, le compagnon de François-Marie Banier, a accepté des cadeaux de prix, mais il n’est pas certain qu’il se soit lui-même livré à d’éventuels abus.

L’avocat Pascal Wilhelm, sérieusement bousculé par le tribunal, s’est évertué pendant deux longues journées à expliquer qu’il avait fait effectuer un bon placement à une Liliane Bettencourt très diminuée, en lui faisant investir 143 millions d’euros dans le groupe de son client,- Stéphane Courbit. Un investissement à risques que l’héritière L’Oréal a effectué seule, les autres investisseurs s’étant prudemment retirés. Quant à Stéphane Courbit, qui avait utilisé une partie des fonds pour rembourser des dettes de son groupe et une autre pour faire des donations à ses enfants, il a expliqué vendredi avoir fait confiance à ses amis Pascal Wilhelm, Jean-Marie Messier et Alain Minc, niant au passage que Liliane Bettencourt l’ait confondu avec un chanteur.

Le tribunal a cependant observé que la milliardaire ne gardait aucun souvenir de cet investissement ni du patron de Betclic, lorsque, interrogée quelques mois plus tard, elle assurait ne pas aimer les jeux de cartes ni les jeux de hasard.

Alors que le président du tribunal, Denis Roucou, et l’une des deux juges assesseures se sont montrés particulièrement incisifs sur le rôle empressé joué par Pascal Wilhelm dans cet investissement, comme sur ses conflits d’intérêts, la défense a reçu l’aide inhabituelle et remarquée du parquet. Le procureur Gérard Aldigé a en effet insisté vendredi sur le fait que le délit d’abus de faiblesse supposait non seulement d’établir l’état de faiblesse de la victime, mais également l’existence d’abus « gravement préjudiciables ». Ce qui sera difficile à quantifier, s’agissant d’une des plus grosses fortunes d’Europe. Autrement dit, la justice ne doit faire que du droit, et pas de la morale, rappelle prudemment le parquet. Or Stéphane Courbit a fini, juste avant le procès (après moult procédures et palabres) par rembourser les Bettencourt, ajoutant même 15 millions d’intérêts aux 143 millions initiaux.

À ce stade, il paraît donc difficile de dire quel sera le sort de Pascal Wilhelm et de Stéphane Courbit à l’heure du jugement, même si l’état de Liliane Bettencourt les a manifestement servi.

La même incertitude pèse sur le sort des deux notaires qui sont actuellement jugés. Jean-Michel Normand a enregistré les énormes donations consenties à François-Marie Banier et à Patrice de Maistre, mais il jure n’avoir fait que son travail. Même chose pour Patrice Bonduelle, qui lui a succédé quand Pascal Wilhelm a pris la place de Patrice de Maistre aux côtés de la milliardaire.

Enfin, on ne peut deviner non plus ce que le tribunal décidera pour les deux absents du procès, excusés pour raison de santé. Il s‘agit de l’ancien infirmier de Liliane Bettencourt, Alain Thurin, soupçonné d’avoir bénéficié d’une importante donation pour avoir aidé Pascal Wilhelm, et de Carlos Vejarano, l’ancien gestionnaire de l’île d’Arros, accusé d’avoir détourné des sommes importantes à son profit personnel sur le budget de fonctionnement de cet archipel des Seychelles.

Quoiqu'il en soit, alors que certains avocats faisaient dire que ce rendez-vous judiciaire ne pourrait pas avoir lieu, tirant argument de la curieuse et opportune mise en examen de Claire Thibout, le procès Bettencourt montre, au contraire, qu’un débat public sur cette affaire d’État était plus que nécessaire. Il sera d'ailleurs suivi d’un second volet, très politique, du 23 au 25 mars, quand Eric Woerth et Patrice de Maistre seront à nouveau jugés, pour trafic d’influence cette fois, le premier étant accusé d’avoir remis la Légion d’honneur au second pour le remercier d’avoir embauché son épouse.

Lire également, sous l’onglet Prolonger, nos articles synthétisant l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Les réseaux radicaux de Robert Ménard

$
0
0

« Je me contrefous des liens ! » Quand on l’interroge sur les CV politiques de ses entourages, Robert Ménard s’énerve et accuse de « ramener de nouveau au fantasme de l’extrême droite ». Le maire de Béziers (Hérault) se présente comme le maire « de tous les Biterrois », au-delà des partis, et a toujours assuré qu'il « n'(était) pas d'extrême droite » et ne « vot(ait) pas pour le Front national ».

Pourtant, un an après son élection, il n'est plus soutenu que par le FN et le MPF de Philippe de Villiers. Du Front national aux identitaires, en passant par Éric Zemmour ou Renaud Camus, son réseau est clairement ancré à la droite extrême : identitaires placés dans son cabinet ou venus travailler avec la ville, tournée de conférences à l'extrême droite, invités ultra-réactionnaires pour « libérer la parole » à Béziers.

Le lien avec l’extrême droite, ce ne sont pas les médias qui le font, mais Robert Ménard lui-même. En juin dernier, le maire de Béziers congédie son chef de cabinet, Christophe Pacotte, deux mois seulement après son arrivée. Motif ? « Confiance rompue ». La presse vient de révéler que Pacotte comptait encore parmi les dirigeants du Bloc identitaire. 

Christophe Pacotte sur l'affiche de la réunion militante du Bloc identitaire, le 5 octobre 2013.Christophe Pacotte sur l'affiche de la réunion militante du Bloc identitaire, le 5 octobre 2013.

Difficile pour Robert Ménard de l'ignorer : son nom apparaît dans l'organigramme du mouvement. En octobre 2013 encore, Pacotte animait une réunion du Bloc à Lille. Sur l'affiche (ci-contre), il est présenté comme membre du bureau directeur du parti.

« Les gens qui sont venus avec moi – il y en avait un qui était au Parti socialiste –, je leur ai dit que “quand on travaille avec moi on n'est plus dans un parti”, c’est tout, explique aujourd’hui Robert Ménard. Ceux qui sont restés dans un parti, en l’occurrence Monsieur Pacotte, n’ont aucune place dans mon équipe. Je lui ai dit et en un quart d’heure, c’était réglé. »

Le maire n’évoque pas un autre « élément catalyseur » décisif, selon la formule d’un de ses très proches : le retrait de Michel Cardoze, la veille. L’ancien présentateur météo de TF1, qui l’avait rallié quelques jours plus tôt comme conseiller culture, renonce à sa « mission ». Il se plaint d’« amalgames désagréables » et refuse l’étiquette “extrême droite” accolée par ses détracteurs. Car la médiatisation de l’arrivée de deux identitaires au cabinet du maire de Béziers a mis à mal son slogan de rassemblement apolitique. Au « Grand Journal », en mai, l’édile peine à défendre les parcours et prises de position de ses recrues. Le numéro deux du FN, Louis Aliot, se fait un plaisir de souligner que Ménard s’est entouré de « gens beaucoup beaucoup plus radicaux que ne le sera jamais le Front national ». Le maire doit rassurer localement. Exit, donc, Christophe Pacotte.

Mais pour les opposants de Ménard, l'identitaire œuvrerait encore en sous-main pour le maire de Béziers. L'ex-chef de cabinet n'est pas allé très loin : il est devenu en décembre le responsable FN de la campagne des départementales dans l'Hérault. Dans ce dispositif, il est un interlocuteur privilégié pour Robert Ménard, d'autant plus après l'accord passé entre celui-ci et Marine Le Pen pour les départementales à Béziers. Les deux hommes se sont vus et appelés régulièrement ces derniers mois.

Le journal municipal de Béziers de janvier 2015.Le journal municipal de Béziers de janvier 2015.

Lors de la marche républicaine à Béziers, après les attentats de Paris, Christophe Pacotte est présent avec des militants d'extrême droite sous la banderole « non au terrorisme islamiste ». La photo fera d'ailleurs la une du journal municipal.

Pendant la campagne déjà, l’ancien secrétaire général de Reporters sans frontières a fait en sorte que ses soutiens identitaires n’apparaissent pas dans les médias. Ils étaient pourtant clairement au cœur du dispositif de campagne. Pacotte a proposé ses services dès juin 2013. D’après un proche du maire, « il a tapé à la porte de sa permanence. Ménard cherchait du monde pour l’accompagner dans sa campagne. Petit à petit, il est devenu le point d’ancrage: il dirigeait la campagne, il s’occupait aussi bien de la communication que de la confection et l’impression des tracts des équipes de tractage. Il a amené son savoir-faire de militant politique ».

Arnaud Naudin participant à la campagne de Robert Ménard, en septembre 2013.Arnaud Naudin participant à la campagne de Robert Ménard, en septembre 2013. © Facebook d'Arnaud Naudin.

Christophe Pacotte ne vient pas seul, il amène Arnaud Naudin, un autre cadre du Bloc identitaire (il est le rédacteur en chef de Novopress, le site d’informations du mouvement), qui fait un passage éclair en septembre 2013. Un mois plus tard, lorsque la presse révèle leur présence dans l’équipe, Ménard reconnaît : « Ils nous aident dans la campagne. Ils sont les bienvenus. »

Mais le candidat refuse de s’afficher avec eux. D’après un responsable de l'équipe de campagne, il a demandé à Christophe Pacotte « d’être discret par rapport aux journalistes ». Le soir du premier tour, l’identitaire reste cantonné au premier étage du QG, avec sa famille, loin des caméras. « Les rideaux étaient tirés, on ne comprenait pas pourquoi on n’avait pas accès au premier étage, raconte un journaliste présent. Pacotte n’est pas sorti, il a attendu que tous les journalistes partent pour descendre. » Au seul photographe autorisé à pénétrer dans les coulisses, Ménard et sa femme expliquent qu’il ne faut pas qu’il apparaisse « car pour l’instant il est dans l’ombre ». Pas de photo grand angle de l’étage, donc. Même chose au second tour. Robert Ménard lui explique cette fois-ci qu'il « brigue la présidence de l’agglo » et que Pacotte ne doit donc pas apparaître. « C’était pour éviter que l’on reparle des identitaires », confirme l'un des pilotes de la campagne.

« Invraisemblable ! répond Ménard. Pacotte était avec moi pendant six mois tous les jours en porte-à-porte ! » Mais « ce n’était pas à lui de se mettre en avant, c’est au candidat. Personne d’autre que moi ne répond aux médias avant les élections, pendant les élections, après les élections. »

Christophe Pacotte dans son bureau à la mairie de Béziers, en septembre 2013.Christophe Pacotte dans son bureau à la mairie de Béziers, en septembre 2013.

Un autre ancien responsable de la campagne évoque « un avant-après les élections » et jure que « tout l’aspect “extrême droite” n’était pas visible pendant la campagne, ni dans l’idéologie, ni dans l’entourage de Ménard. On a animé une équipe qui n’était pas politisée, avec des citoyens, et une part de politiques minoritaire. Il y a eu une dérive idéologique. L’arrivée de Christophe Pacotte a semé le trouble, il avait un rôle d’homme à tout faire, puis il est officieusement devenu directeur de campagne. On a cru qu’il n’y avait qu’un arbre, en réalité c’était l’arbre qui cachait la forêt… ».

André-Yves Beck.André-Yves Beck. © dr

Car un autre personnage clé issu de l'extrême droite restera invisible jusqu'à la fin de la campagne : André-Yves Beck. Cet ancien idéologue des Bompard dans le Vaucluse s’est pourtant imposé comme le cerveau de l'équipe. Et ce malgré un parcours à l’extrême droite radicale, sous divers pseudonymes : Beck fut membre de Troisième voie, puis fondateur de Nouvelle Résistance, un groupe nationaliste-révolutionnaire, avant de se rapprocher des identitaires.

À Orange, Beck a été l’artisan de la politique d’extrême droite de Jacques Bompard, élu et réélu depuis 1995. C’est lui qui a piloté la censure dans la bibliothèque municipale lors du premier mandat. Lui qui, en 2013, racontait avoir fourni « bien volontiers » au journal d'extrême droite Minute des informations sur le mariage jugé trop bruyant d’un jeune couple issu de l’immigration.

« On est passé d’un rassemblement apolitique à des positions extrémistes, dénonce le conseiller municipal RPF Brice Blazy, qui a lâché Ménard pour la droite. Aujourd’hui il n'a plus que le soutien du Front national, et il est même plus à l'extrême droite que lui ! On est très loin de ce qui était prévu. » L’élu raconte sa surprise d’avoir vu soudainement apparaître Beck. « On travaillait avec Grégoire Annet (directeur de campagne de Ménard jusqu’en novembre 2013 et membre du parti de Dupont-Aignan, ndlr), qui devait être directeur de cabinet. En février, Pacotte le remplace, et Beck apparaît soudainement en copie de l’un de nos échanges de mails. » Un mois plus tard, Rue89 croise Beck au QG de campagne. Embarrassé, Robert Ménard évoque une simple « visite » et met fin aux questions de notre consœur.

Propulsé directeur de cabinet, beaucoup voient en Beck « le grand patron », résume l'élu communiste Aimé Couquet. « Comme à Orange, Beck a mis la main sur l’administration. À chaque conseil municipal, il est derrière Ménard », raconte-t-il. « C'est l’idéologue, celui qui tient la route intellectuellement dans une équipe très amateur. Ils se sont partagé les rôles. Ménard fait le volet communication, les relations publiques, Beck est le vrai pouvoir », explique Alain Renouard, l’ancien responsable de la médiation licencié par Ménard. « La diffusion d'une idéologie à travers une organisation, des personnes, la communication du maire, ça c’est l'œuvre de Beck », estime Brice Blazy.

L'ancien idéologue de Jacques Bompard importe-t-il le modèle d'Orange à Béziers ? Un nouveau chef de la police municipale a déjà fait son entrée dans l’organigramme, en provenance de Bollène, ville de Marie-Claude Bompard. Mais impossible de joindre André-Yves Beck. Robert Ménard verrouille la communication. « Le cabinet n'a pas à répondre à la presse, c’est le maire qui répond », nous explique-t-il.

Ses opposants dénoncent aussi un « grand ménage » dans l'administration de la ville. « Il avait promis qu’il n’y aurait pas de chasse aux sorcières, mais six postes de directeurs ont été supprimés ou non renouvelés », explique Aimé Couquet. Alain Renouard, qui avait ouvertement soutenu l’UMP Élie Aboud, estime que son licenciement est « lié à (ses) prises de position. J’ai fait jour de mes divergences professionnelles. Je n’adhère pas à la nouvelle orientation de la mairie ».

« Ils veulent faire des économies, mais ils tapent sur ceux qui ne pensent pas comme eux, ou ceux qu’ils suspectent de ne pas penser comme eux, ou ceux qui par l’image, la symbolique, ne sont pas conformes à ce qu’ils veulent », explique sous couvert d’anonymat un directeur de service écarté.

Renaud Camus à la manifestation d'extrême droite « Jour de colère », en janvier 2014.Renaud Camus à la manifestation d'extrême droite « Jour de colère », en janvier 2014. © N.S. / Mediapart

Le réseau d’extrême droite de Robert Ménard se diffuse au-delà de l’organigramme de la mairie. Il est visible dans certains marché et partenariat. La ville a ainsi accordé un contrat de 25 000 euros à l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus pour rédiger un livre sur Béziers. Ce théoricien du « grand remplacement », proche des identitaires et condamné pour « provocation à la haine religieuse et à la violence », veut lancer un Pegida en France. Mais Ménard préfère retenir qu’il est « l'une des plus belles plumes actuelles de la littérature française » et répond qu'« il a les idées qu'il a ».

Un autre identitaire est venu faire affaire à Béziers : Robert Ottaviani, ex-chanteur de rock identitaire et ancien cadre du Front national. En septembre, Robert Ménard a inauguré les locaux d'une mutuelle sociale qui propose des contrats avantageux aux Bitterois. Le maire se dit « très fier de ce dispositif » qui « ne coûte rien (à la ville) ». « Nous en avons fait la promotion. Les villages autour nous demandent d’en bénéficier. Cela veut dire que ça répond à une vraie demande », se félicite-t-il, en affirmant que « 1 000 personnes y ont déjà souscrit ».

Le maire a moins communiqué sur la société qui pilote ce projet, Traditia. Comme l’a révélé Rue89, cette entreprise spécialisée dans le courtage en assurances compte parmi ses actionnaires, depuis le mois d'août, Robert Ottaviani. Comment cette société bordelaise est-elle arrivée à Béziers ? « Ce sont les gens de cette Mutuelle qui ont pris contact avec moi, car ils ont su que je faisais campagne là-dessus, je ne les connaissais pas. Ils nous ont fait une superbe proposition, explique Robert Ménard. Robert Ottaviani m’a sollicité directement, même pas lui, son patron, dont je n’ai pas le nom. »

Robert Ottaviani n’est pas arrivé par hasard : c’est son ami Christophe Pacotte, alors chef de cabinet de Ménard, qui l’a contacté. « Il fallait trouver un mutualiste. Pacotte a contacté Ottaviani, il a étudié le projet. Ça marche bien, le service est largement rentable », explique un très proche du maire.

Robert Ottaviani et Christophe Pacotte en septembre 2013.Robert Ottaviani et Christophe Pacotte en septembre 2013.

« Il n’y a eu aucun appel à la concurrence. La mairie en a fait la pub. On donne trois sous aux amis, c’est ça le but ! Sous couvert de dire “il faut faire travailler les Biterrois", ils vont faire avancer deux ou trois marchés pour des amis », dénonce le communiste Aimé Couquet. « C’est une société de courtage et de placement qui a passé un contrat avec une assurance, il n’y a eu aucune consultation », estime le socialiste Jean-Michel du Plaa.

« La seule chose qui m’intéresse dans cette opération, c’est qu’il y a vingt familles qui tous les jours vont trouver une solution à leurs problèmes de santé. Ce qui compte, ce ne sont pas les liens, c’est qu’on est la première ville à mettre en place ici une Mutuelle pour les plus pauvres, s’énerve Ménard. Moi je ne me réclame pas de la gauche, mais je le fais. »

Robert Ménard et Eric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2014.Robert Ménard et Eric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2014. © dr

Le maire a aussi mis en place des conférences mensuelles pour « libérer la parole » en invitant ceux qui « dérange(nt) ce système ». La ville assure ainsi la promotion d'essayistes et politiques déroulant un même logiciel ultra-réactionnaire : Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Laurent Obertone – l'auteur de pamphlets sécuritaires. À chaque fois, la visite est rentable pour les auteurs : de larges campagnes d’affichage municipal, entre 150 et 300 exemplaires vendus.

« C’est un choix, je n'ai pas pensé à Jean-Luc Mélenchon tout de suite. Et même, j’invite qui je pense intéressant d’inviter pour les Biterrois, c’est vous que ça intéresse ! » répond Robert Ménard, sans divulguer les noms des futurs invités.

Entre Zemmour et Ménard, les liens sont étroits. Le polémiste est monté au créneau pour défendre l’installation par l'édile d’une crèche dans le hall de la mairie en évoquant la « symbolique » « de conquête d'un territoire » dans un centre-ville où « il n'y a plus que des populations maghrébines » et « 80 % de femmes voilées ». Ménard lui a également apporté son soutien régulier, encore en décembre lors de son éjection d’i-Télé : « Défendre Éric Zemmour, c'est défendre la France », déclare-t-il sur son site Boulevard Voltaire en dénonçant des « procès en sorcellerie » de la presse.

Cette ligne, Robert Ménard l’affiche depuis plusieurs années. Dans ses livres, La Censure des bien-pensants en 2003, Vive Le Pen ! en 2011, Vive l'Algérie française ! en 2012. Dans sa revue Médias, dont il a ouvert les colonnes à Jean-Marie Le PenMarine Le PenAlain SoralRenaud Camus, Christian Vanneste, ou encore Pierre Cassen, le fondateur du site islamophobe Riposte laïque. Puis sur son site Boulevard Voltaire, où il prend des positions proches du FN. Au point qu'en 2012Minute fait son éloge en le qualifiant d’« esprit libre à 100 % » qui a « déclar(é) sa flamme à Jeanne d’Arc » et donné la parole aux anti-avortement. 

Ces deux dernières années, il a réalisé une grande tournée de conférences dans des clubs d'extrême droite. En janvier 2013, il participe à un colloque organisé à l’Assemblée nationale par le député Jacques Bompard et le souverainiste Paul-Marie Coûteaux. Parmi les invités, le frontiste Gilbert Collard, le secrétaire général de l'Action française – mouvement royaliste héritier de Charles Maurras –, les responsables de Riposte laïque et deux UMP.

En janvier toujours, il est au dîner-débat d'extrême droite des Ronchons. En avril, il était l'invité du Cercle Ogmios dans la Nièvre. Le maire de Béziers a aussi fait des interventions chez les royalistes en 2013 et 2014. Il a convié Dieudonné et Alain Soral dans son émission sur Sud Radio (exemples ici et ). Cet automne, il n’a d’ailleurs pas exclu d'inviter les deux compères à ses conférences biterroises, malgré leurs propos antisémites. En mai 2013, un mois avant la mort de Clément Méric, il intervient au Local de Serge Ayoub, le leader des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), qui seront dissoutes dans la foulée :

Serge Ayoub lui-même annonce la conférence de Robert Ménard sur son compte Facebook.Serge Ayoub lui-même annonce la conférence de Robert Ménard sur son compte Facebook.

En juillet 2012, il débat sur l’antenne de Méridien Zéro, la radio du Mouvement d’action sociale (MAS), groupuscule ouvertement néo-fasciste. Il a aussi signé, aux côtés de plusieurs négationnistes, une pétition demandant la libération du révisionniste néo-nazi Vincent Reynouard, condamné à de la prison ferme pour contestation des crimes contre l'humanité de la Seconde Guerre mondiale en 2007 et 2015 (le parquet a fait appel dans ce dernier cas). Robert Ménard a aussi reçu la visite, lorsqu'il était à la tête de Reporters sans frontières, d'une figure du négationnisme : Robert Faurisson, dont il avait défendu le droit à s’exprimer.

L'affiche de la conférence de R. Ménard à la Traboule à Lyon.L'affiche de la conférence de R. Ménard à la Traboule à Lyon.

Mais c’est avec les identitaires que les liens sont les plus évidents. En 2011, il intervient devant la fondation Polémia, dirigée par l'ex-FN Jean-Yves Le Gallou, dont l'objectif est d'« affirmer sans complexe la supériorité de la civilisation européenne ».

Il donne plusieurs conférences dans les antennes locales des identitaires, à Nice en février 2013, à Lyon un mois plus tard, et il était annoncé à Nantes en juin 2013. Il est d’ailleurs le président du comité de soutien des quatre militants de Génération identitaire poursuivis pour avoir occupé la mosquée de Poitiers fin 2012, aux cris de « À Poitiers, ni kebab, ni mosquée » ; « Gaulois, réveille-toi, pas de mosquée chez toi ». Ce comité a réuni plusieurs figures identitaires, comme Jean-Yves Le Gallou ou Renaud Camus.

À chaque intervention, le maire de Béziers enveloppe son propos du principe de liberté d’expression. « Je vais partout où on m’invite et je fais ce que je veux. Eh oui, c’est ça, la liberté ! répond-il à Mediapart. Quand je suis allé devant les patrons en Vendée, c’était quoi, l’extrême droite ? »

Sauf que tout semble ramener Robert Ménard à cette même nébuleuse. Son épouse, Emmanuelle Duverger, un ancienne militante des droits de l'homme avec qui il a coécrit plusieurs ouvrages, catholique anti-mariage pour tous, est une « proche de la nébuleuse Civitas » d'après Libération« Il ne faut pas sous-estimer l’influence politique de sa femme. Elle tient Boulevard Voltaire. Elle est à l'origine de certaines idées, comme les blouses dans les écoles de Béziers », explique le socialiste Jean-Michel du Plaa. « Sa femme fait un gros boulot de lobbying », affirme Brice Blazy. À la conférence de Zemmour, c'est elle qui a fait venir des étudiants de la Haute école de journalisme (HEJ), école privée à Montpellier où elle enseigne.

Lorsque Ménard se rend en Syrie, en octobre 2014, c’est avec André-Yves Beck et Benjamin Blanchard, l'ex-collaborateur de Jacques Bompard, et trésorier de l'association SOS Chrétiens d'Orient. « Beck, Blanchard, Le Gallou, Camus, etc. On est dans la même mouvance », souligne Jean-Michel du Plaa.

Marion Maréchal-Le Pen venue soutenir Robert Ménard, à Béziers, le 13 décembre 2013.Marion Maréchal-Le Pen venue soutenir Robert Ménard, à Béziers, le 13 décembre 2013. © dr

Cette tournée a abouti début 2013 à des discussions avec le Front national. C'est avec Marine Le Pen que Robert Ménard a négocié un soutien à sa candidature, puis, tout récemment, un accord local pour les départementales. « Il a su nouer tous les fils de la nébuleuse “droite nationaliste” et les unir. Ce qui l’intéressait, c’était les labels. Sans le FN, jamais il n’aurait pu l’emporter », estime Jean-Michel du Plaa. « Ménard a réussi à fédérer les partis d’extrême droite et à phagocyter des voix de l’UMP, en profitant du ras-le-bol du maire UMP sortant, explique Aimé Couquet. Il fait l’union des droites et extrêmes droites. »

BOITE NOIRECe reportage sur Béziers en deux volets est le fruit d'un suivi de plusieurs mois : un reportage d'une semaine en novembre et des entretiens téléphoniques en décembre et janvier.

Robert Ménard a été interviewé une première fois à Béziers le 6 novembre, et une seconde fois par téléphone le 23 janvier. Il a menacé d'arrêter le premier entretien et a interrompu le second dans un flot d'insultes. Nous avons sollicité André-Yves Beck en mairie, mais la directrice de communication comme Robert Ménard nous ont fait savoir que les membres du cabinet ne répondaient pas à la presse.

Sollicités à plusieurs reprises, Philippe Le Gouz de Saint-Seine, le président de la société Traditia, et Robert Ottaviani, n'ont pas donné suite à nos demandes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian

Montebourg s’alarme d’une «catastrophe» économique et démocratique

$
0
0

C’est peu dire que les quatre notes qu’Arnaud Montebourg a adressées confidentiellement à François Hollande tout au long des deux années où il a été ministre du redressement productif puis ministre de l’économie, et qu’il a accepté, sous notre insistance, de remettre à Mediapart, sont d’une grande importance. Car elles révèlent sous un jour nouveau la gravité des désaccords sur le cap économique qui existaient dans les rangs de la gauche mais aussi au sein même du gouvernement. Tout comme elles révèlent aussi un épisode jusque-là en grande partie illisible : les conditions dans lesquelles Arnaud Montebourg a accepté de participer au gouvernement de Manuel Valls, au lendemain de la débâcle historique des socialistes lors des élections municipales de mars 2014, et les vraies raisons de son départ du gouvernement lors du remaniement ministériel de la fin du mois d’août 2014.

Ces notes secrètes qu’Arnaud Montebourg a accepté de nous remettre permettent donc de réécrire en partie l’histoire des débuts de ce quinquennat. Et elles permettent, dans le même temps, de mieux comprendre les conditions dans lesquelles la catastrophe économique qui a marqué les premières années de ce quinquennat s’est doublée d’une catastrophe démocratique, puisque ces notes secrètes, comme nous allons le voir, n’ont fait l’objet d’aucun débat public. Et pas même d’un débat en tête-à-tête entre son auteur, Arnaud Montebourg, et leur destinataire, François Hollande. En clair, ces notes, que le chef de l’État a aussitôt enterrées, constituent une nouvelle illustration des dérives graves auxquelles conduisent les institutions de la Ve République, permettant au chef de l’État d’imposer ses décisions, sans débat collectif, sans même à avoir à en rendre compte.

Maintenant que ces quatre notes sont sur la place publique, revisitons donc l’histoire des débuts de ce quinquennat, pour voir ce qu’elles nous en apprennent. Et écoutons ce qu’en dit Arnaud Montebourg qui, plutôt de nous accorder un entretien, a préféré nous apporter ses explications et ses éclairages sur les chaînons clefs de cette histoire.

Quand le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault se met en place, en mai 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle, Arnaud Montebourg n’est pas aux avant-postes pour la définition de la politique économique. Ministre du redressement productif, il a la charge de superviser l’industrie. Et comme celle-ci est sinistrée du fait des politiques d’austérité qui ont submergé l’Europe et connaît des plans sociaux innombrables, il a suffisamment à faire pour sauver ce qui peut l’être, sans se mêler des arbitrages qui ne le concernent pas directement. En clair, le ministre de l’économie, ce n’est pas lui ; c’est Pierre Moscovici. Et les choix de politique économique, il n’y prend pas part directement : ils sont mis en œuvre par un quatuor comprenant François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et surtout Jérôme Cahuzac qui, ayant la charge du budget, a un rôle clef dans le dispositif mis au point par l’Élysée.

Il n’y prend pas part et, d’ailleurs, le quatuor ne fait rien pour l’y associer. Pour toutes les mesures fiscales qui sont prises, dont certaines pèsent lourdement sur les entreprises, il n’est pas même consulté.

Accaparé par la noria de plans sociaux qui se succèdent les uns aux autres, Arnaud Montebourg constate pourtant, de loin, que les choix qui sont faits par le quatuor ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, des choix de croissance. Avec les premières mesures d’austérité qui sont prises dès le début de l’été 2012, et surtout dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2013 – avec au premier chef ces mesures d’austérité fiscale –, il comprend que son rôle de ministre de l’industrie risque d’en être de plus en plus gravement affecté.

Pour finir, Arnaud Montebourg décide donc de dire son inquiétude au chef de l’État. Comme il estime que partout dans le monde l’austérité en période de récession n’a jamais permis de relancer la croissance mais a toujours eu pour effet, à l’inverse, d’empirer les choses, il veut mettre en garde François Hollande. D’où cette première note qu’il adresse au chef de l’État le 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande). « Je n’ai pas voulu à cette époque me mêler du débat sur le cadrage de la politique économique. Ce n’est pas moi qui en avais la charge, mais Pierre Moscovici. Mais je savais aussi que la politique d’austérité qui commençait aurait des effets sur le secteur dont j’avais la charge, celui de l’industrie. D’où cette première alerte sérieuse avec la note du 11 septembre 2012 », explique avec le recul Arnaud Montebourg.

Cette première note, co-écrite avec l’économiste Xavier Ragot, que l’ancien patron de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, a présenté à Arnaud Montebourg, est déjà, à elle seule, pleine d’enseignements. D’abord, elle révèle un fait majeur : les désaccords sur la politique économique ont donc commencé quasiment dès le début du quinquennat de François Hollande, alors que l’on retient le plus souvent qu’ils ont vraiment pris forme seulement avec la bataille entre le gouvernement et les frondeurs socialistes, à l’approche des municipales de mars 2014.

Mais cette note éclaire aussi les effets désastreux qu’a le système français de monarchie républicaine sur le débat public : sur l’effet d’étouffoir qu’il provoque. Car, en ce mois de septembre 2012, c’est un débat de première importance que soulève Arnaud Montebourg : n’est-il pas temps de s’émanciper de la folle doxa bruxelloise selon laquelle l’austérité est le gage du retour de la croissance, alors que toutes les expériences dans le monde montre l’inverse ? Et ce débat primordial, il le lance avec d’infinies précautions. D’abord, il prend bien soin de ne pas faire de ses inquiétudes l’objet d’une controverse publique. « L’existence même de ces notes sont la preuve de ma loyauté. Elles attestent que membre d’une équipe, je me suis battu dans la collégialité secrète du gouvernement », explique Arnaud Montebourg. Cette note, Arnaud Montebourg ne la transmet donc qu’au chef de l’État, et à personne d’autre.

Et puis cette note du 11 septembre 2012 – comme d’ailleurs les suivantes – est habile. Comme on le constate en la lisant, elle ne prend pas l’exact contre-pied des orientations économiques d’ores et déjà annoncées, et ne demande pas au chef de l’État de se déjuger. Non ! Suggérant que le plan d’austérité déjà annoncé porte non pas sur les 33 milliards d’euros envisagés mais seulement sur 25, elle propose en fait une inflexion. En quelque sorte, la note est, si l’on peut dire, « hollando-compatible ». « Je suis dans une équipe ; je ne suis pas en conflit : j’essaie de prendre en compte les positions que défendent mes interlocuteurs et en l’occurrence celles que défend le chef de l’État. Je ne suis pas au congrès du Parti socialiste ; je siège dans le gouvernement de la France, qui est l'une des puissances mondiales. Cela crée des devoirs que je me suis employé à respecter », fait valoir Arnaud Montebourg.

Et pourtant, cette loyauté que veut scrupuleusement respecter Arnaud Montebourg, en n’exprimant ses inquiétudes qu’en privé, par une note qui n’a pas d’autres destinataires que François Hollande, n’est pas le moins du monde récompensée. Comme le dit mon confrère Edwy Plenel dans un billet de blog (lire Les notes Montebourg ou le débat empêché), ailleurs qu’en France, les choses se seraient passées différemment : « Dans une démocratie parlementaire, ce débat aurait été public, associant les divers élus et les autres composantes de la majorité. Les citoyens en auraient été juges et acteurs, parce que clairement informés. Sous la Cinquième République, rien de tel. Le débat est confiné aux cabinets et aux experts, réduit à des notes des ministres au président auxquels ce dernier n’est pas tenu de répondre, et sa vitalité intellectuelle s’épuise vite dans des combinazione gouvernementales où les ambitions personnelles prennent le pas sur les logiques de conviction. »

Dans le cas présent, Arnaud Montebourg prend le soin d’adresser secrètement au chef de l’État une note très longue et très argumentée, lui faisant part d’inquiétudes qu’il a la loyauté de ne pas exprimer en public, et en retour quelle réponse reçoit-il ? Aucune ! Pas la moindre…

C’est l’un des aspects les plus stupéfiants de cette histoire, qui en dit long sur le début de quinquennat : ni par écrit ni à l’oral, François Hollande ne répond à son ministre du redressement productif. Expert en évitement, il a l’inélégance – que lui autorisent les institutions et les pouvoirs exorbitants qu’elles lui confèrent – de faire comme si cette note n’existait pas.

Et le plus invraisemblable, c’est que ce théâtre d’ombres se poursuit tout au long des mois suivants, en 2013 puis au début de 2014. Car, comme on l’a vu, Arnaud Montebourg adresse par la suite deux autres notes secrètes très argumentées à François Hollande, pour lui proposer de nouveaux ajustements à la politique économique, tournant le dos à l’austérité : une note en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne ») co-écrite avec Xavier Ragot, et enfin une troisième note, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois), à laquelle l’économiste Mathieu Plane apporte son concours. Et a chaque fois, le résultat est le même : néant ! Pas la moindre réponse ! Pratiquant l’esquive, François Hollande fait le mort.

« J’ai compris que Hollande ne voudrait pas réformer ses préjugés économiques. Aucune de ces notes n’a reçu réponse. J’ai eu juste une discussion une fois en deux ans, et d’un revers de main, mes propositions ont été désagréablement écartées », raconte Arnaud Montebourg.

En fait, la seule discussion qui a lieu et à laquelle fait allusion Arnaud Montebourg survient le 17 décembre 2012. Ce jour-là, François Hollande va visiter l’usine Radiall de Château-Renault (Indre-et-Loire) dont le PDG est Pierre Gattaz, le président du Medef. Le chef de l’État invite donc le ministre du redressement productif à monter avec lui dans sa voiture pour faire le voyage ensemble, et la discussion s’arrête un instant sur la première note, et mais elle est vite tranchée par François Hollande : « Ce n’est pas à l’ordre du jour ! »

Et c’est tout : nul autre échange ! Toutes les autres notes restent ainsi sans réponse. Lors des réunions du « pôle économique » qui rassemble le chef de l’État, le secrétaire général et le secrétaire général adjoint de l’Élysée, le premier ministre et les ministres de Bercy, Arnaud Montebourg défend périodiquement des thématiques proches de ces notes. « Sans évoquer l’existence de ces notes, je m’en suis régulièrement inspiré pour défendre mes convictions, lors des nombreuses réunions que nous avons eues à l’Élysée, dans le Salon vert. Les suites ? Aucune. Refus ou incapacité absolus de mener ce débat de politique économique qui existe pourtant partout dans le monde », explique à Mediapart Arnaud Montebourg. Et il ajoute : « Lors de ces réunions, je n’ai pas évoqué ces notes, parce qu’elles étaient entre François Hollande et moi-même ; j’en reprenais seulement le contenu. Mais les notes lui sont bien parvenues : elles étaient sur son bureau ou je les ai vu plusieurs fois sommeiller lorsque je le rencontrais ».

En somme, Arnaud Montebourg tombe dans le piège des institutions de la Ve République. Lui qui en a si souvent, dans le passé, décrit les vices ; lui qui a depuis si longtemps analysé les pouvoirs exorbitants qu’elles confèrent au chef de l’État, l’autorisant à décider tout seul de tout ou presque tout, le voilà contraint, par loyauté, de ne pas faire d’esclandre public et de garder le secret sur les notes alarmistes qu’il lui adresse ; mais le voici aussi contraint de subir l’humiliation de ne recevoir aucune réponse. Le coup d’État permanent ! L’humiliation du coup d’État permanent, infligé à celui qui en a été le plus fervent détracteur…

Lorsqu’on lui en fait la remarque, Arnaud Montebourg réfute la critique. « Peut-être, objecte-t-il, mais le système est une réalité avec laquelle il faut bien faire. De surcroît, on aurait eu un autre président, même sous la Ve – on aurait eu un François Mitterrand ou un Lionel Jospin, il n’est pas certain que cela se serait passé de la même façon. Jean-Pierre Chevènement l’a souvent raconté : François Mitterrand acceptait le débat public. Et Lionel Jospin aussi. »

Et la remarque n’est pas fausse. Car c’est aussi ce que révèlent ces notes secrètes : même s’il est protégé par les mêmes institutions, François Hollande se comporte d’une manière qui n’a pas grand-chose à voir effectivement avec François Mitterrand ou Lionel Jospin. Dans le premier cas, on se souvient en effet que tout procédait de l’Élysée, mais cela n’a pas empêché que de grands débats d’orientation économique aient lieu, avant que le président n’arbitre. Ce fut le cas tout particulièrement juste avant le « virage de la rigueur ».

Et quand Lionel Jospin était premier ministre, de 1997 à 2002, le débat a aussi été fréquent. Les deux poids lourds du gouvernement de l’époque, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, souvent en désaccord, se sont périodiquement affrontés. Et Lionel Jospin a toujours laissé le débat se mener, avant de rendre ses arbitrages.

L’histoire des notes secrètes d’Arnaud Montebourg révèle donc plus que la seule violence des institutions ; elles confirment aussi le tempérament propre de François Hollande, qui pratique sans cesse l’évitement. Cet art de l’esquive, ma consœur Lenaïg Bredoux l’a aussi beaucoup documenté dans une longue enquête écrite en mai 2014 : Paroles d’anciens des cabinets : « Hollande a menti une fois, c’était au Bourget »). Il est aussi remarquablement détaillé par les longs récits de Christian Salmon sur Mediapart, et notamment celui-ci : L’après-Hollande a commencé.

Quoi qu’il en soit, qu’Arnaud Montebourg soit ou non tombé dans le piège des institutions qu’il a lui-même si souvent décrit, le fait en tout cas est là, que ne conteste pas l’intéressé : l’histoire de ces notes vient encore une fois illustrer la folie du système absolutiste français. « Il y a eu une défaillance démocratique. Cela me conforte dans ma conviction qu’il nous faut défendre un autre projet démocratique, celui de la VIe République, que je défends depuis 15 ans », admet Arnaud Montebourg.

Et quand on le presse de détailler cette mécanique absolutiste qui a étouffé le débat qu’il portait, il veut bien se prêter à l’exercice : « Une fois, j’ai fait une démarche. Je suis allé voir un ami proche du chef de l'État, hors appareil de l'État. Je lui ai dit que j’avais remis une note au chef de l’État et qu’il ne m’avait pas répondu. Je lui ai demandé s’il voulait bien intervenir. C’était la note exposant la politique à mettre en œuvre pour créer 1,5 million d’emplois. Cela n’a pas eu plus de suite. L'exercice du pouvoir est malheureusement absolutiste. On accepte en France que le président de la République ait tous les pouvoirs. Les conséquences sont extrêmement graves parce que du coup, on risque de ne pas pouvoir disposer de débat serein, y compris à l’intérieur du gouvernement, si le président ne le souhaite pas ou s'il craint ce débat. Tout cela affaiblit notre pays. Le système absolutiste de la Ve République a pour conséquence d’affaiblir notre pays, parce qu’il contribue à ce que de mauvaises décisions soient prises. Des décisions prises par un homme seul, entouré de courtisans qui n’ont souvent ni l’expérience, ni les outils techniques pour évaluer les projets. L’Élysée est une toute petite maison. Les conseillers du président ne peuvent pas le conseiller utilement : ils n’ont pas l’appareil administratif qui permet de faire des évaluations. Et pourtant la France repose exclusivement sur les décisions ou non-décisions d'un homme seul, avec ses préjugés, ses faiblesses et ses failles. C'est très embêtant pour un grand pays comme le nôtre. »

Bref, c’est la principale leçon de l’histoire de ces notes qui alertent le chef de l’État sur les ravages de l’austérité. Avec le recul, elles alertent aussi les citoyens sur les ravages de la catastrophe… démocratique ! Et de cela, Arnaud Montebourg veut bien convenir : « La catastrophe économique s’est doublée d’une lourde difficulté démocratique », reconnaît-il.

Mais ce que ces notes révèlent va encore au-delà. Elles permettent aussi de mieux décrypter l’obscure séquence politique qui se déroule d’avril 2014, quand Arnaud Montebourg accepte de faire équipe avec Manuel Valls, jusqu’à la fin du mois d’août de la même année, quand le même Manuel Valls reproche à son ancien allié de plaider publiquement pour un changement de cap économique, et provoque un remaniement gouvernemental au terme duquel Arnaud Montebourg quitte le gouvernement.

Car, par bien des aspects, la séquence politique est apparue sur le moment opaque ou illisible. On a observé à l’époque, en avril 2014, Arnaud Montebourg accepter le portefeuille de ministre de l’économie, et procéder à de grandes embrassades avec Manuel Valls, voyant en lui quelqu’un de « passionnément à gauche » ; alors que, lors des primaires socialistes de 2011, il lui faisait à bon droit grief de n’avoir « qu’un pas à faire pour aller à l’UMP ». Et puis, à peine six mois plus tard, les deux alliés ont fini par divorcer. Une séquence assez sinueuse, qui sur le moment a semblé passablement opaque et pas franchement glorieuse.

Or, maintenant que l’on connaît le quatrième document secret, c’est-à-dire la lettre qu’Arnaud Montebourg adresse à François Hollande le 30 mars 2014 au matin, c’est-à-dire, quelques heures avant la clôture du second tour des élections municipales (lire Les conditions secrètes de Montebourg pour faire équipe avec Valls), cette séquence devient d’un seul coup plus intelligible.

Comme on l’a vu, Arnaud Montebourg dit clairement au chef de l’État dans cette lettre qu’au lendemain de la débâcle prévisible des municipales, une réorientation de la politique économique lui semble plus que jamais impérieuse : « Nous aurions donc l’inconvénient de cumuler le déshonneur de passer pour de mauvais gestionnaires des comptes publics avec la responsabilité d’avoir fait bondir le chômage dans des proportions inouïes. Peut-on cumuler, par crainte excessive de Bruxelles, le naufrage économique programmé pour la France et la tragédie politique de l’élimination de la gauche de la carte électorale pour ses erreurs de jugements ? »

Et il assortit cette interpellation de cette condition : « Vous l’avez compris, au total, elles sont la condition sine qua non de l’utilité de mon travail au redressement industriel du pays. » En clair, Arnaud Montebourg prévient François Hollande en termes polis qu’il refusera d’être membre du prochain gouvernement, si celui-ci n’a pas la principale mission de procéder à un changement de cap économique.

Or, à l’époque, que se passe-t-il ? Arnaud Montebourg se voit proposer de devenir… ministre de l’économie. Il en conclut donc qu’il n’y a pas le moindre quiproquo : si ce portefeuille lui est confié, c’est qu’il a gagné sa bataille et qu’il est chargé de mettre en œuvre ces nouvelles orientations. « Manuel Valls, explique-t-il, a manifesté sa compréhension de la situation économique. D’ailleurs, la lettre que j’ai envoyée à François Hollande entre les deux tours des municipales est une demande de changement de politique économique. Or, trois jours ou quatre jours plus tard, je suis nommé ministre de l’économie. C’est donc sur la base de cette lettre : c’est bien ce que cela veut dire. En plus, c’est Manuel Valls qui m’appelle et me dit : c’est toi le ministre de l’économie. Dans mon esprit, il ne pouvait pas y avoir de quiproquo, d’autant que Manuel Valls avait eu connaissance de cette lettre mais aussi de celle préconisant des mesures pour créer 1,5 million d’emplois. »

Selon Arnaud Montebourg, il n’y a donc pas la moindre ambiguïté. « À l’époque, insiste-t-il, la position que Manuel Valls exprime est claire. Il me dit : "C’est toi qui as raison !" Donc nous sommes tombés d'accord, si je puis dire, sur le mouvement qu’il fallait faire pour remettre en marche l’économie française. »

Dans ce constat que Manuel Valls serait d'accord sur une réorientation de la politique, y a-t-il chez Arnaud Montebourg une part de candeur – feinte ou réelle ? Quoi qu'il en soit, François Hollande envoie très vite des signes multiples faisant comprendre qu’il ne veut pas changer la politique économique d’un moindre iota. Et Manuel Valls fait de même. Pendant un temps, Arnaud Montebourg fait comme si de rien n’était, mais continue de défendre publiquement les orientations consignées dans sa lettre du 30 mars 2014, estimant que cette lettre est la base de l’accord scellé entre Manuel Valls et lui-même. En clair, sans que la presse ne le mette vraiment en scène, le ministre de l’économie défend publiquement une orientation qui s’écarte de celle défendue par l’Élysée ou Matignon.

Le 10 juillet 2014, lors d’un happening à Bercy avec forte mise en scène, le nouveau ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, présente ainsi sa feuille de route du redressement économique de la France pour les trois années à venir. Or, quelle est cette feuille de route ? Pour une bonne part, c’est la reprise, presque mot pour mot, de l’infléchissement économique qu’il avait proposé à François Hollande dans sa troisième note, celle qui recommandait d’affecter le produit des économies budgétaires selon une règle dite des trois tiers (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois). Brisant le secret de sa note, mais sans en révéler l’existence, Arnaud Montebourg propose donc d’affecter le produit des efforts budgétaires selon une « règle des trois tiers » entre réduction des déficits et baisses d’impôts pour les entreprises et les ménages. « Un tiers serait affecté à la réduction du déficit public, garantissant notre sérieux budgétaire et la poursuite de l’assainissement des comptes publics », détaille-t-il. « Un tiers serait affecté à la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises […] Un dernier tiers serait affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d’améliorer leur pouvoir d’achat », ajoute-t-il.

« Cette règle des trois tiers est de nature à soutenir la croissance, permettant par un autre chemin le rétablissement de nos comptes publics. Et nous pourrions de la sorte nous remettre à créer de l’emploi et cesser enfin d’en détruire », insiste-t-il.

Ce 10 juillet 2014, François Hollande et Manuel Valls, qui ont naturellement lu la note en question, écrite six mois plus tôt, sont les seuls à comprendre la source d’inspiration d’Arnaud Montebourg. Et pourtant, les annonces du ministre de l’économie n’ont aucune suite. Ce jour-là, ni Matignon ni l’Élysée ne s’en offusquent, alors que le propos d'Arnaud Montebourg quelques semaines plus tard, à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), sera exactement de la même veine.

Il faudra attendre le premier conseil des ministres de la mi-août, à la fin des vacances du gouvernement, pour que, pour la première fois, Manuel Valls reproche à Arnaud Montebourg de défendre une orientation économique qui s’écarte de celle du gouvernement. Ce jour-là, Thierry Mandon, le secrétaire d’État à la réforme de l’État, se penche vers Arnaud Montebourg et lui souffle à l’oreille : « Tu vois ! Ton accord avec Valls vient d’exploser… »

La suite, on la connaît. Quelques jours plus tard, le 24 août suivant, à l’occasion d’une intervention lors de la traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg confirme publiquement ce qui était consigné dans sa lettre du 30 mars 2014, et qui était la base de son accord avec Manuel Valls : « J'ai proposé comme ministre de l'économie, au président de la République, au premier ministre, dans la collégialité gouvernementale, et sollicité une inflexion majeure de notre politique économique », déclare-t-il ce jour-là.

Le quiproquo est alors définitivement levé : dès le lendemain, Manuel Valls, estimant qu’Arnaud Montebourg a franchi une ligne jaune, présente la démission de son gouvernement pour en constituer un autre, sans Arnaud Montebourg, mais aussi sans Benoît Hamon ni Aurélie Filippetti.

Une nouvelle fois, Arnaud Montebourg n’a-t-il donc pas été piégé, tout à la fois par les institutions présidentialistes qui interdisent tout véritable débat ; mais aussi piégé par François Hollande et Manuel Valls, qui avaient impérativement besoin de sa présence au gouvernement, après le séisme des municipales et le départ annoncé des Verts de la majorité ? En tout cas, avec le recul, Arnaud Montebourg admet que les derniers mois qu’il a vécus au gouvernement ont été un enfer et qu’il était las de se battre contre le conformisme. « Je me suis affronté au conformisme. Au conformisme de politiques économiques suicidaires », lâche-t-il.

Et puis, il ne regrette surtout pas d’avoir dit les choses clairement ce 24 août, à Frangy-en-Bresse : « Dans une entreprise, quand vous en êtes le directeur financier, et que vous sentez que la situation se dégrade, vous alertez le PDG. Et s’il ne fait rien, que faites-vous ? Vous avertissez les actionnaires. Eh bien, c’est un peu ce que j’ai fait : et comme les actionnaires de la France, ce sont en quelque sorte les Français, ce sont eux que, pour finir, j’ai voulu informer de la gravité de la situation. C’est ce que j’ai fait à Frangy-en-Bresse », explique-t-il.

Comme libéré de tant de débats escamotés, de tant de combats épuisants mais sans le moindre effet, Arnaud Montebourg dit librement aujourd’hui ce qu’il a sur le cœur. À savoir que les politiques d’austérité conduisent toute l’Europe – et la France avec elle –, vers une catastrophe économique, laquelle conduit tout droit vers une catastrophe politique et démocratique. « Ce gouvernement participe à la fabrication du chômage et du populisme. Nous sommes en train de porter la marche du Front national vers le pouvoir. Je ne veux pas être co-responsable de cette politique suicidaire. À un moment, il fallait que les choses soient dites », lâche-t-il.

Cette liberté de parole que retrouve Arnaud Montebourg ne dissipe, toutefois, en rien le sentiment qui se dégage des quatre documents qu’il avait secrètement envoyés à François Hollande. Le sentiment d’un gâchis formidable. Le gâchis des deux premières années de ce quinquennat…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian


François Hollande, le «liquidateur»

$
0
0

Le journaliste Vincent Nouzille a visité un continent caché : les assassinats ciblés commandités par la France. Ancien grand reporter à L’Express, aujourd’hui collaborateur régulier du Figaro Magazine, il vient de publier Les Tueurs de la République (Fayard). Il s’agit d’une plongée saisissante – et rare – dans le ventre du “secret défense”. Il est allé là où est désigné, au plus haut sommet de l’État, qui a le droit de vie ou de mort parmi les ennemis déclarés de la France.

Obtenir des informations précises, datées, circonstanciées sur cette pratique de l’État relève de l’exploit journalistique. Nouzille y parvient, en brossant soixante ans d’opérations spéciales des services secrets français, de la guerre d’Algérie aux différents conflits armés engagés par François Hollande depuis son accession à l’Élysée.

François Hollande, le 1er mars 2014, en Centrafrique. François Hollande, le 1er mars 2014, en Centrafrique. © Reuters

Les Tueurs de la République, en revenant sur trois récentes opérations “homo” (pour “homicide”) en Afghanistan, en Somalie et au Mali, présente d’ailleurs un François Hollande dont la main ne tremble pas quand il s’agit d’ordonner des éliminations physiques ciblées, contrairement à certains de ses prédécesseurs plus circonspects.

Ce type de “neutralisation”, comme on aime à euphémiser dans les services secrets, a lieu sans cadre légal défini, hors toute espèce de procédure judiciaire, et sans le moindre contrôle parlementaire — ce que déplore l’auteur. Avec une question fondamentale à la clé : est-ce efficace ou s’agit-il d’éteindre un incendie avec de l’essence ?

 

  • Les Tueurs de la République
    (Fayard)

    347 pages
    20 €

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mac OS X Yosemite récolte vos données en douce

Arnaud Montebourg s’alarme d’une «catastrophe» économique et démocratique

$
0
0

C’est peu dire que les quatre notes qu’Arnaud Montebourg a adressées confidentiellement à François Hollande tout au long des deux années où il a été ministre du redressement productif puis ministre de l’économie, et qu’il a accepté, sous notre insistance, de remettre à Mediapart, sont d’une grande importance. Car elles révèlent sous un jour nouveau la gravité des désaccords sur le cap économique qui existaient dans les rangs de la gauche mais aussi au sein même du gouvernement. Tout comme elles révèlent aussi un épisode jusque-là en grande partie illisible : les conditions dans lesquelles Arnaud Montebourg a accepté de participer au gouvernement de Manuel Valls, au lendemain de la débâcle historique des socialistes lors des élections municipales de mars 2014, et les vraies raisons de son départ du gouvernement lors du remaniement ministériel de la fin du mois d’août 2014.

Ces notes permettent donc de réécrire en partie l’histoire des débuts de ce quinquennat. Et elles permettent, dans le même temps, de mieux comprendre les conditions dans lesquelles la catastrophe économique qui a marqué les premières années de ce quinquennat s’est doublée d’une catastrophe démocratique, puisque ces notes secrètes, comme nous allons le voir, n’ont fait l’objet d’aucun débat public. Et pas même d’un débat en tête-à-tête entre son auteur, Arnaud Montebourg, et leur destinataire, François Hollande. En clair, ces notes, que le chef de l’État a aussitôt enterrées, constituent une nouvelle illustration des dérives graves auxquelles conduisent les institutions de la Ve République, permettant au chef de l’État d’imposer ses décisions, sans débat collectif, sans même à avoir à en rendre compte.

Maintenant que ces quatre notes sont sur la place publique, revisitons donc l’histoire des débuts de ce quinquennat, pour voir ce qu’elles nous en apprennent. Et écoutons ce qu’en dit Arnaud Montebourg qui, plutôt de nous accorder un entretien, a préféré nous apporter ses explications et ses éclairages sur les chaînons clefs de cette histoire.

Quand le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault se met en place, en mai 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle, Arnaud Montebourg n’est pas aux avant-postes pour la définition de la politique économique. Ministre du redressement productif, il a la charge de superviser l’industrie. Et comme celle-ci est sinistrée du fait des politiques d’austérité qui ont submergé l’Europe et connaît des plans sociaux innombrables, il a suffisamment à faire pour sauver ce qui peut l’être, sans se mêler des arbitrages qui ne le concernent pas directement. En clair, le ministre de l’économie, ce n’est pas lui ; c’est Pierre Moscovici. Et les choix de politique économique, il n’y prend pas part directement : ils sont mis en œuvre par un quatuor comprenant François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et surtout Jérôme Cahuzac qui, ayant la charge du budget, a un rôle clef dans le dispositif mis au point par l’Élysée.

Il n’y prend pas part et, d’ailleurs, le quatuor ne fait rien pour l’y associer. Pour toutes les mesures fiscales qui sont prises, dont certaines pèsent lourdement sur les entreprises, il n’est pas même consulté.

Accaparé par la noria de plans sociaux qui se succèdent les uns aux autres, Arnaud Montebourg constate pourtant, de loin, que les choix qui sont faits par le quatuor ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, des choix de croissance. Avec les premières mesures d’austérité qui sont prises dès le début de l’été 2012, et surtout dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2013 – avec au premier chef ces mesures d’austérité fiscale –, il comprend que son rôle de ministre de l’industrie risque d’en être de plus en plus gravement affecté.

Pour finir, Arnaud Montebourg décide donc de dire son inquiétude au chef de l’État. Comme il estime que partout dans le monde l’austérité en période de récession n’a jamais permis de relancer la croissance mais a toujours eu pour effet, à l’inverse, d’empirer les choses, il veut mettre en garde François Hollande. D’où cette première note qu’il adresse au chef de l’État le 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande). « Je n’ai pas voulu à cette époque me mêler du débat sur le cadrage de la politique économique. Ce n’est pas moi qui en avais la charge, mais Pierre Moscovici. Mais je savais aussi que la politique d’austérité qui commençait aurait des effets sur le secteur dont j’avais la charge, celui de l’industrie. D’où cette première alerte sérieuse avec la note du 11 septembre 2012 », explique avec le recul Arnaud Montebourg.

Cette première note, co-écrite avec l’économiste Xavier Ragot, que l’ancien patron de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, a présenté à Arnaud Montebourg, est déjà, à elle seule, pleine d’enseignements. D’abord, elle révèle un fait majeur : les désaccords sur la politique économique ont donc commencé quasiment dès le début du quinquennat de François Hollande, alors que l’on retient le plus souvent qu’ils ont vraiment pris forme seulement avec la bataille entre le gouvernement et les frondeurs socialistes, à l’approche des municipales de mars 2014.

Mais cette note éclaire aussi les effets désastreux qu’a le système français de monarchie républicaine sur le débat public : sur l’effet d’étouffoir qu’il provoque. Car, en ce mois de septembre 2012, c’est un débat de première importance que soulève Arnaud Montebourg : n’est-il pas temps de s’émanciper de la folle doxa bruxelloise selon laquelle l’austérité est le gage du retour de la croissance, alors que toutes les expériences dans le monde montre l’inverse ? Et ce débat primordial, il le lance avec d’infinies précautions. D’abord, il prend bien soin de ne pas faire de ses inquiétudes l’objet d’une controverse publique. « L’existence même de ces notes sont la preuve de ma loyauté. Elles attestent que membre d’une équipe, je me suis battu dans la collégialité secrète du gouvernement », explique Arnaud Montebourg. Cette note, Arnaud Montebourg ne la transmet donc qu’au chef de l’État, et à personne d’autre.

Et puis cette note du 11 septembre 2012 – comme d’ailleurs les suivantes – est habile. Comme on le constate en la lisant, elle ne prend pas l’exact contre-pied des orientations économiques d’ores et déjà annoncées, et ne demande pas au chef de l’État de se déjuger. Non ! Suggérant que le plan d’austérité déjà annoncé porte non pas sur les 33 milliards d’euros envisagés mais seulement sur 25, elle propose en fait une inflexion. En quelque sorte, la note est, si l’on peut dire, « hollando-compatible ». « Je suis dans une équipe ; je ne suis pas en conflit : j’essaie de prendre en compte les positions que défendent mes interlocuteurs et en l’occurrence celles que défend le chef de l’État. Je ne suis pas au congrès du Parti socialiste ; je siège dans le gouvernement de la France, qui est l'une des puissances mondiales. Cela crée des devoirs que je me suis employé à respecter », fait valoir Arnaud Montebourg.

Et pourtant, cette loyauté que veut scrupuleusement respecter Arnaud Montebourg, en n’exprimant ses inquiétudes qu’en privé, par une note qui n’a pas d’autres destinataires que François Hollande, n’est pas le moins du monde récompensée. Comme le dit mon confrère Edwy Plenel dans un billet de blog (lire Les notes Montebourg ou le débat empêché), ailleurs qu’en France, les choses se seraient passées différemment : « Dans une démocratie parlementaire, ce débat aurait été public, associant les divers élus et les autres composantes de la majorité. Les citoyens en auraient été juges et acteurs, parce que clairement informés. Sous la Cinquième République, rien de tel. Le débat est confiné aux cabinets et aux experts, réduit à des notes des ministres au président auxquels ce dernier n’est pas tenu de répondre, et sa vitalité intellectuelle s’épuise vite dans des combinazione gouvernementales où les ambitions personnelles prennent le pas sur les logiques de conviction. »

Dans le cas présent, Arnaud Montebourg prend le soin d’adresser secrètement au chef de l’État une note très longue et très argumentée, lui faisant part d’inquiétudes qu’il a la loyauté de ne pas exprimer en public, et en retour quelle réponse reçoit-il ? Aucune ! Pas la moindre…

C’est l’un des aspects les plus stupéfiants de cette histoire, qui en dit long sur le début de quinquennat : ni par écrit ni à l’oral, François Hollande ne répond à son ministre du redressement productif. Expert en évitement, il a l’inélégance – que lui autorisent les institutions et les pouvoirs exorbitants qu’elles lui confèrent – de faire comme si cette note n’existait pas.

Et le plus invraisemblable, c’est que ce théâtre d’ombres se poursuit tout au long des mois suivants, en 2013 puis au début de 2014. Car, comme on l’a vu, Arnaud Montebourg adresse par la suite deux autres notes secrètes très argumentées à François Hollande, pour lui proposer de nouveaux ajustements à la politique économique, tournant le dos à l’austérité : une note en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne ») co-écrite avec Xavier Ragot, et enfin une troisième note, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois), à laquelle l’économiste Mathieu Plane apporte son concours. Et a chaque fois, le résultat est le même : néant ! Pas la moindre réponse ! Pratiquant l’esquive, François Hollande fait le mort.

« J’ai compris que Hollande ne voudrait pas réformer ses préjugés économiques. Aucune de ces notes n’a reçu réponse. J’ai eu juste une discussion une fois en deux ans, et d’un revers de main, mes propositions ont été désagréablement écartées », raconte Arnaud Montebourg.

En fait, la seule discussion qui a lieu et à laquelle fait allusion Arnaud Montebourg survient le 17 décembre 2012. Ce jour-là, François Hollande va visiter l’usine Radiall de Château-Renault (Indre-et-Loire) dont le PDG est Pierre Gattaz, le président du Medef. Le chef de l’État invite donc le ministre du redressement productif à monter avec lui dans sa voiture pour faire le voyage ensemble, et la discussion s’arrête un instant sur la première note, et mais elle est vite tranchée par François Hollande : « Ce n’est pas à l’ordre du jour ! »

Et c’est tout : nul autre échange ! Toutes les autres notes restent ainsi sans réponse. Lors des réunions du « pôle économique » qui rassemble le chef de l’État, le secrétaire général et le secrétaire général adjoint de l’Élysée, le premier ministre et les ministres de Bercy, Arnaud Montebourg défend périodiquement des thématiques proches de ces notes. « Sans évoquer l’existence de ces notes, je m’en suis régulièrement inspiré pour défendre mes convictions, lors des nombreuses réunions que nous avons eues à l’Élysée, dans le Salon vert. Les suites ? Aucune. Refus ou incapacité absolus de mener ce débat de politique économique qui existe pourtant partout dans le monde », explique à Mediapart Arnaud Montebourg. Et il ajoute : « Lors de ces réunions, je n’ai pas évoqué ces notes, parce qu’elles étaient entre François Hollande et moi-même ; j’en reprenais seulement le contenu. Mais les notes lui sont bien parvenues : elles étaient sur son bureau ou je les ai vu plusieurs fois sommeiller lorsque je le rencontrais ».

En somme, Arnaud Montebourg tombe dans le piège des institutions de la Ve République. Lui qui en a si souvent, dans le passé, décrit les vices ; lui qui a depuis si longtemps analysé les pouvoirs exorbitants qu’elles confèrent au chef de l’État, l’autorisant à décider tout seul de tout ou presque tout, le voilà contraint, par loyauté, de ne pas faire d’esclandre public et de garder le secret sur les notes alarmistes qu’il lui adresse ; mais le voici aussi contraint de subir l’humiliation de ne recevoir aucune réponse. Le coup d’État permanent ! L’humiliation du coup d’État permanent, infligé à celui qui en a été le plus fervent détracteur…

Lorsqu’on lui en fait la remarque, Arnaud Montebourg réfute la critique. « Peut-être, objecte-t-il, mais le système est une réalité avec laquelle il faut bien faire. De surcroît, on aurait eu un autre président, même sous la Ve – on aurait eu un François Mitterrand ou un Lionel Jospin, il n’est pas certain que cela se serait passé de la même façon. Jean-Pierre Chevènement l’a souvent raconté : François Mitterrand acceptait le débat public. Et Lionel Jospin aussi. »

Et la remarque n’est pas fausse. Car c’est aussi ce que révèlent ces notes secrètes : même s’il est protégé par les mêmes institutions, François Hollande se comporte d’une manière qui n’a pas grand-chose à voir effectivement avec François Mitterrand ou Lionel Jospin. Dans le premier cas, on se souvient en effet que tout procédait de l’Élysée, mais cela n’a pas empêché que de grands débats d’orientation économique aient lieu, avant que le président n’arbitre. Ce fut le cas tout particulièrement juste avant le « virage de la rigueur ».

Et quand Lionel Jospin était premier ministre, de 1997 à 2002, le débat a aussi été fréquent. Les deux poids lourds du gouvernement de l’époque, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, souvent en désaccord, se sont périodiquement affrontés. Et Lionel Jospin a toujours laissé le débat se mener, avant de rendre ses arbitrages.

L’histoire des notes secrètes d’Arnaud Montebourg révèle donc plus que la seule violence des institutions ; elles confirment aussi le tempérament propre de François Hollande, qui pratique sans cesse l’évitement. Cet art de l’esquive, ma consœur Lenaïg Bredoux l’a aussi beaucoup documenté dans une longue enquête écrite en mai 2014 : Paroles d’anciens des cabinets : « Hollande a menti une fois, c’était au Bourget »). Il est aussi remarquablement détaillé par les longs récits de Christian Salmon sur Mediapart, et notamment celui-ci : L’après-Hollande a commencé.

Quoi qu’il en soit, qu’Arnaud Montebourg soit ou non tombé dans le piège des institutions qu’il a lui-même si souvent décrit, le fait en tout cas est là, que ne conteste pas l’intéressé : l’histoire de ces notes vient encore une fois illustrer la folie du système absolutiste français. « Il y a eu une défaillance démocratique. Cela me conforte dans ma conviction qu’il nous faut défendre un autre projet démocratique, celui de la VIe République, que je défends depuis 15 ans », admet Arnaud Montebourg.

Et quand on le presse de détailler cette mécanique absolutiste qui a étouffé le débat qu’il portait, il veut bien se prêter à l’exercice : « Une fois, j’ai fait une démarche. Je suis allé voir un ami proche du chef de l'État, hors appareil de l'État. Je lui ai dit que j’avais remis une note au chef de l’État et qu’il ne m’avait pas répondu. Je lui ai demandé s’il voulait bien intervenir. C’était la note exposant la politique à mettre en œuvre pour créer 1,5 million d’emplois. Cela n’a pas eu plus de suite. L'exercice du pouvoir est malheureusement absolutiste. On accepte en France que le président de la République ait tous les pouvoirs. Les conséquences sont extrêmement graves parce que du coup, on risque de ne pas pouvoir disposer de débat serein, y compris à l’intérieur du gouvernement, si le président ne le souhaite pas ou s'il craint ce débat. Tout cela affaiblit notre pays.

«Le système absolutiste de la Ve République a pour conséquence d’affaiblir notre pays, parce qu’il contribue à ce que de mauvaises décisions soient prises. Des décisions prises par un homme seul, entouré de courtisans qui n’ont souvent ni l’expérience, ni les outils techniques pour évaluer les projets. L’Élysée est une toute petite maison. Les conseillers du président ne peuvent pas le conseiller utilement : ils n’ont pas l’appareil administratif qui permet de faire des évaluations. Et pourtant la France repose exclusivement sur les décisions ou non-décisions d'un homme seul, avec ses préjugés, ses faiblesses et ses failles. C'est très embêtant pour un grand pays comme le nôtre. »

Bref, c’est la principale leçon de l’histoire de ces notes qui alertent le chef de l’État sur les ravages de l’austérité. Avec le recul, elles alertent aussi les citoyens sur les ravages de la catastrophe… démocratique ! Et de cela, Arnaud Montebourg veut bien convenir : « La catastrophe économique s’est doublée d’une lourde difficulté démocratique », reconnaît-il.

Mais ce que ces notes révèlent va encore au-delà. Elles permettent aussi de mieux décrypter l’obscure séquence politique qui se déroule d’avril 2014, quand Arnaud Montebourg accepte de faire équipe avec Manuel Valls, jusqu’à la fin du mois d’août de la même année, quand le même Manuel Valls reproche à son ancien allié de plaider publiquement pour un changement de cap économique, et provoque un remaniement gouvernemental au terme duquel Arnaud Montebourg quitte le gouvernement.

Car, par bien des aspects, la séquence politique est apparue sur le moment opaque ou illisible. On a observé à l’époque, en avril 2014, Arnaud Montebourg accepter le portefeuille de ministre de l’économie, et procéder à de grandes embrassades avec Manuel Valls, voyant en lui quelqu’un de « passionnément à gauche » ; alors que, lors des primaires socialistes de 2011, il lui faisait à bon droit grief de n’avoir « qu’un pas à faire pour aller à l’UMP ». Et puis, à peine six mois plus tard, les deux alliés ont fini par divorcer. Une séquence assez sinueuse, qui sur le moment a semblé passablement opaque et pas franchement glorieuse.

Or, maintenant que l’on connaît le quatrième document secret, c’est-à-dire la lettre qu’Arnaud Montebourg adresse à François Hollande le 30 mars 2014 au matin, c’est-à-dire, quelques heures avant la clôture du second tour des élections municipales (lire Les conditions secrètes de Montebourg pour faire équipe avec Valls), cette séquence devient d’un seul coup plus intelligible.

Comme on l’a vu, Arnaud Montebourg dit clairement au chef de l’État dans cette lettre qu’au lendemain de la débâcle prévisible des municipales, une réorientation de la politique économique lui semble plus que jamais impérieuse : « Nous aurions donc l’inconvénient de cumuler le déshonneur de passer pour de mauvais gestionnaires des comptes publics avec la responsabilité d’avoir fait bondir le chômage dans des proportions inouïes. Peut-on cumuler, par crainte excessive de Bruxelles, le naufrage économique programmé pour la France et la tragédie politique de l’élimination de la gauche de la carte électorale pour ses erreurs de jugements ? »

Et il assortit cette interpellation de cette condition : « Vous l’avez compris, au total, elles sont la condition sine qua non de l’utilité de mon travail au redressement industriel du pays. » En clair, Arnaud Montebourg prévient François Hollande en termes polis qu’il refusera d’être membre du prochain gouvernement, si celui-ci n’a pas la principale mission de procéder à un changement de cap économique.

Or, à l’époque, que se passe-t-il ? Arnaud Montebourg se voit proposer de devenir… ministre de l’économie. Il en conclut donc qu’il n’y a pas le moindre quiproquo : si ce portefeuille lui est confié, c’est qu’il a gagné sa bataille et qu’il est chargé de mettre en œuvre ces nouvelles orientations.

« Manuel Valls, explique-t-il, a manifesté sa compréhension de la situation économique. D’ailleurs, la lettre que j’ai envoyée à François Hollande entre les deux tours des municipales est une demande de changement de politique économique. Or, trois jours ou quatre jours plus tard, je suis nommé ministre de l’économie. C’est donc sur la base de cette lettre : c’est bien ce que cela veut dire. En plus, c’est Manuel Valls qui m’appelle et me dit : c’est toi le ministre de l’économie. Dans mon esprit, il ne pouvait pas y avoir de quiproquo, d’autant que Manuel Valls avait eu connaissance de cette lettre mais aussi de celle préconisant des mesures pour créer 1,5 million d’emplois. »

Selon Arnaud Montebourg, il n’y a donc pas la moindre ambiguïté. « À l’époque, insiste-t-il, la position que Manuel Valls exprime est claire. Il me dit : "C’est toi qui as raison !" Donc nous sommes tombés d'accord, si je puis dire, sur le mouvement qu’il fallait faire pour remettre en marche l’économie française. »

Dans ce constat que Manuel Valls serait d'accord sur une réorientation de la politique, y a-t-il chez Arnaud Montebourg une part de candeur – feinte ou réelle ? Quoi qu'il en soit, François Hollande envoie très vite des signes multiples faisant comprendre qu’il ne veut pas changer la politique économique d’un moindre iota. Et Manuel Valls fait de même. Pendant un temps, Arnaud Montebourg fait comme si de rien n’était, mais continue de défendre publiquement les orientations consignées dans sa lettre du 30 mars 2014, estimant que cette lettre est la base de l’accord scellé entre Manuel Valls et lui-même. En clair, sans que la presse ne le mette vraiment en scène, le ministre de l’économie défend publiquement une orientation qui s’écarte de celle défendue par l’Élysée ou Matignon.

Le 10 juillet 2014, lors d’un happening à Bercy avec forte mise en scène, le nouveau ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, présente ainsi sa feuille de route du redressement économique de la France pour les trois années à venir. Or, quelle est cette feuille de route ? Pour une bonne part, c’est la reprise, presque mot pour mot, de l’infléchissement économique qu’il avait proposé à François Hollande dans sa troisième note, celle qui recommandait d’affecter le produit des économies budgétaires selon une règle dite des trois tiers (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois).

Brisant le secret de sa note, mais sans en révéler l’existence, Arnaud Montebourg propose donc d’affecter le produit des efforts budgétaires selon une « règle des trois tiers » entre réduction des déficits et baisses d’impôts pour les entreprises et les ménages. « Un tiers serait affecté à la réduction du déficit public, garantissant notre sérieux budgétaire et la poursuite de l’assainissement des comptes publics », détaille-t-il. « Un tiers serait affecté à la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises […] Un dernier tiers serait affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d’améliorer leur pouvoir d’achat », ajoute-t-il.

« Cette règle des trois tiers est de nature à soutenir la croissance, permettant par un autre chemin le rétablissement de nos comptes publics. Et nous pourrions de la sorte nous remettre à créer de l’emploi et cesser enfin d’en détruire », insiste-t-il.

Ce 10 juillet 2014, François Hollande et Manuel Valls, qui ont naturellement lu la note en question, écrite six mois plus tôt, sont les seuls à comprendre la source d’inspiration d’Arnaud Montebourg. Et pourtant, les annonces du ministre de l’économie n’ont aucune suite. Ce jour-là, ni Matignon ni l’Élysée ne s’en offusquent, alors que le propos d'Arnaud Montebourg quelques semaines plus tard, à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), sera exactement de la même veine.

Il faudra attendre le premier conseil des ministres de la mi-août, à la fin des vacances du gouvernement, pour que, pour la première fois, Manuel Valls reproche à Arnaud Montebourg de défendre une orientation économique qui s’écarte de celle du gouvernement. Ce jour-là, Thierry Mandon, le secrétaire d’État à la réforme de l’État, se penche vers Arnaud Montebourg et lui souffle à l’oreille : « Tu vois ! Ton accord avec Valls vient d’exploser… »

La suite, on la connaît. Quelques jours plus tard, le 24 août suivant, à l’occasion d’une intervention lors de la traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg confirme publiquement ce qui était consigné dans sa lettre du 30 mars 2014, et qui était la base de son accord avec Manuel Valls : « J'ai proposé comme ministre de l'économie, au président de la République, au premier ministre, dans la collégialité gouvernementale, et sollicité une inflexion majeure de notre politique économique », déclare-t-il ce jour-là.

Le quiproquo est alors définitivement levé : dès le lendemain, Manuel Valls, estimant qu’Arnaud Montebourg a franchi une ligne jaune, présente la démission de son gouvernement pour en constituer un autre, sans Arnaud Montebourg, mais aussi sans Benoît Hamon ni Aurélie Filippetti.

Une nouvelle fois, Arnaud Montebourg n’a-t-il donc pas été piégé, tout à la fois par les institutions présidentialistes qui interdisent tout véritable débat ; mais aussi piégé par François Hollande et Manuel Valls, qui avaient impérativement besoin de sa présence au gouvernement, après le séisme des municipales et le départ annoncé des Verts de la majorité ? En tout cas, avec le recul, Arnaud Montebourg admet que les derniers mois qu’il a vécus au gouvernement ont été un enfer et qu’il était las de se battre contre le conformisme. « Je me suis affronté au conformisme. Au conformisme de politiques économiques suicidaires », lâche-t-il.

Et puis, il ne regrette surtout pas d’avoir dit les choses clairement ce 24 août, à Frangy-en-Bresse : « Dans une entreprise, quand vous en êtes le directeur financier, et que vous sentez que la situation se dégrade, vous alertez le PDG. Et s’il ne fait rien, que faites-vous ? Vous avertissez les actionnaires. Eh bien, c’est un peu ce que j’ai fait : et comme les actionnaires de la France, ce sont en quelque sorte les Français, ce sont eux que, pour finir, j’ai voulu informer de la gravité de la situation. C’est ce que j’ai fait à Frangy-en-Bresse », explique-t-il.

Comme libéré de tant de débats escamotés, Arnaud Montebourg dit librement aujourd’hui ce qu’il a sur le cœur. À savoir que les politiques d’austérité conduisent toute l’Europe – et la France avec elle –, vers une catastrophe économique, laquelle conduit tout droit vers une catastrophe politique et démocratique. « Ce gouvernement participe à la fabrication du chômage et du populisme. Nous sommes en train de porter la marche du Front national vers le pouvoir. Je ne veux pas être co-responsable de cette politique suicidaire. À un moment, il fallait que les choses soient dites », lâche-t-il.

Cette liberté de parole que retrouve Arnaud Montebourg ne dissipe, toutefois, en rien le sentiment qui se dégage des quatre documents qu’il avait secrètement envoyés à François Hollande. Le sentiment d’un gâchis formidable. Le gâchis des deux premières années de ce quinquennat…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mac OS X Yosemite récolte vos données en douce

La justice enquête sur l’héritage secret d’Omar Bongo

$
0
0

Un fantôme aux poches pleines rôde au palais de justice de Paris. Les juges chargés de l’affaire des Biens mal acquis ont été saisis, fin 2014, par le parquet national financier, de faits de « blanchiment de détournement de fonds publics » liés à l’héritage d’Omar Bongo, l’ancien tout-puissant président du Gabon décédé en juin 2009 à Barcelone.

Les investigations, qui portent sur des comptes bancaires ouverts secrètement il y a une quinzaine d’années à Monaco, sont aujourd’hui susceptibles d’embarrasser Ali Bongo, actuel chef de l’État gabonais. Il est en effet avec sa sœur aînée Pascaline – désignée mandataire exclusif de la succession – le légataire universel de son père, malgré la cinquantaine d’héritiers répertoriés. Les sommes en jeu sur ces comptes n’ont rien d’anecdotique : 31 743 090 €, d’après les évaluations bancaires arrêtées à la date du décès d’Omar Bongo.

Ali Bongo et François Hollande, à l'Elysée, le 8 avril 2014.Ali Bongo et François Hollande, à l'Elysée, le 8 avril 2014. © Reuters

L’origine de cette offensive judiciaire se trouve dans une dénonciation officielle des autorités de Monaco, adressée le 27 octobre 2014 à la procureure nationale financière, Éliane Houlette. Un rapport « confidentiel » du Service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (Siccfin), l’équivalent monégasque du Tracfin français, fait ainsi état de « nombreux comptes bancaires » détenus « par la famille Bongo » et ouverts au sein de trois banques domiciliées sur le Rocher : la Banque Martin Maurel (BMM), la Martin Maurel Sella (MMS) et la BNP Wealth Management.

Comme c’est souvent l’usage dans l’univers de la dissimulation offshore, les comptes ont été affublés de noms de code plus ou moins ridicules. Pour le clan Bongo à Monaco, il y a par exemple le compte “Sphynx” (à la BMM) ou le compte “Plexus”(à la MMS). Les deux comptes ont été ouverts au printemps 2000 par Omar Bongo. Mais d’après les éléments bancaires consultés par Mediapart, sa fille Pascaline, qui fut sa directrice de cabinet à la présidence du Gabon du temps de son règne autocratique, est également mandataire desdits comptes.

Fin 2009, année de la mort du dictateur gabonais, le compte “Sphynx” affichait un solde positif de 10 671 709 €. “Plexus” était crédité de 21 864 235 $ (soit 19 millions d’euros). Les actifs d’un troisième compte, ouvert en 1998 à la BNP de Monaco, s’élevaient quant à eux à 1,9 million d’euros.

Pour chacun des trois comptes, un homme de l’ombre apparaît également comme mandataire, en plus des ayants droit. Il s’agit de Henri-Claude Oyima. Ce n’est pas n’importe qui au Gabon. Ancien conseiller de Pascaline Bongo, il est aujourd’hui le président du groupe gabonais BGFI Bank, où une partie des sommes de la succession Bongo a justement été rapatriée à l’été 2013.

Sitôt l’alerte monégasque reçue, le parquet national financier a fait état, le 3 novembre 2014, dans sa demande d’élargissement de l’enquête des Biens mal acquis, de « faits de blanchiment de détournement de fonds publics susceptibles d’avoir été commis dans le cadre des opérations de règlement de la succession de M. Omar Bongo ».

« Sur la question de comptes ouverts à Monaco pour un supposé blanchiment de détournement de deniers publics sur lequel enquêterait la justice française, le président Ali Bongo Ondimba n'en a jamais été informé. Il ignore donc si ces comptes ont été ouverts et ce à quoi ils seraient destinés », a fait savoir, lundi 16 février dans la soirée, la présidence gabonaise après la parution de notre article. Ajoutant : « En revanche, et à titre personnel, le président dispose d'un compte à la banque Martin Maurel, compte ouvert il y a très longtemps, une quinzaine d'années environ. A ce jour, c'est un compte créditeur d'environ 200 000 euros qui ne font pas partie de l'héritage ». 

Avec la Guinée équatoriale (et le clan Obiang), le Congo-Brazzaville (et le clan Sassou Nguesso), le Gabon est le troisième pays africain dans la ligne de mire des juges Roger Le Loire et René Grouman.

Depuis 2010, les deux magistrats anticorruption, épaulés par les policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), pistent, en France, les acquisitions en tout genre – immeubles, hôtels particuliers, voitures de luxe, œuvres d'art, bijoux… – des dignitaires de ces trois pays. Les montants en jeu dépassent l’entendement : plusieurs centaines de millions d’euros, qui ne correspondent guère aux émoluments officiels de chacune des personnes concernées. D’où le soupçon récurrent d'opérations de blanchiment de détournement de fonds, voire de corruption, opérées au détriment des populations.

En ce qui concerne Ali et Pascaline Bongo, les policiers avaient déjà identifié il y a plusieurs années l'achat en France, pour plusieurs centaines de milliers d'euros, de nombreux véhicules de luxe (Mercedes ou Ferrari), qui ont fait l'objet d'importants versements en espèces. L'enquête avait également identifié deux appartements d'Ali Bongo situés dans le XVIe arrondissement de Paris, dont l'un avait été vendu par l'intéressé en 2005 pour plus de 1,3 million d'euros.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mac OS X Yosemite récolte vos données en douce

MediaPorte: «Ménard, entre Goebbels et Tarantino!»

Le lycée musulman Averroès, un symbole au cœur de la polémique

$
0
0

Lille, de notre envoyée spéciale.-  La matière était inflammable, et a – sans surprise – embrasé les médias. La tribune accusatrice d’un professeur de philosophie démissionnaire du lycée Averroès, seul lycée musulman sous contrat, publiée dans Libération le 5 février dernier, a braqué les projecteurs sur cette exception du paysage éducatif français, dans un contexte post-attentats de Paris particulièrement sensible. La charge portée par l'enseignant Soufiane Zitouni contre son lycée est lourde. Il y dénonce un établissement avec des élèves obsessionnellement antisémites, engoncés dans une religiosité rétrograde et endoctrinés à leur insu.

« Derrière la vitrine officielle » de ce lycée pionnier dans le développement de l’enseignement confessionnel musulman sous contrat avec l’État, Soufiane Zitouni affirme avoir découvert un établissement où règne le double discours d’une direction proche des Frères musulmans, distillant « de manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme, c’est-à-dire, un mélange malsain et dangereux de religion et de politique », et ce, tout en continuant à « montrer patte blanche dans les médias pour bénéficier d’une bonne image dans l’opinion publique et ainsi continuer à profiter des gros avantages de son contrat avec l’État ».

Un groupe d'anciens élèves du lycée AverroèsUn groupe d'anciens élèves du lycée Averroès © LD

Au sein de l’établissement, où nous avons pu circuler et parler à qui nous voulions pendant trois jours, la stupeur et la colère sont encore vives. « Quand la polémique a éclaté, la première chose que je me suis dite c’est "Non, pas encore !". Il va encore falloir se justifier, expliquer qu’on ne nous oblige pas à porter le voile, que les cours ne sont pas interrompus pour la prière et qu’on suit les mêmes programmes que dans tous les autres lycées », lance Inès, une ancienne élève aujourd’hui en première année de droit à Lille.

« M. Zitouni a amplifié des cas isolés, il a sorti des phrases de leur contexte. Nous ne sommes pas antisémites, nous ne sommes pas des intégristes. Nous sommes juste normaux », assure, déterminée mais visiblement émue, Sara, élève de Terminale L. Les très nombreux témoignages d’élèves recueillis dans l’établissement, en classe, dans la cour de récréation, convergent pour dénoncer un portrait de leur établissement qui ne ressemble en rien au lycée où ils étudient. Eux dépeignent un lycée où règne un esprit « familial », « tolérant ». « Il y a ici des athées, des non-musulmans et on les intègre comme les autres », souligne une lycéenne en référence à la poignée de non-musulmans inscrits à Averroès.

« M. Zitouni dit que nous sommes des "perroquets bien dressés" mais dressés par qui ? Si c’était le cas, on serait devenus fous parce que les profs ont tous des avis différents », ironise Imène. « Vous voyez, ici les filles et les garçons se mélangent et rigolent comme dans n’importe quel autre lycée », affirme Sara en montrant la cour de l’établissement, quand la tribune de son ancien professeur de philosophie décrivait une mixité difficilement supportée par certains élèves. « C’est arrivé qu’une fille n’ait pas envie de s’asseoir à côté d’un garçon mais c’est parce qu’ils ne s’entendaient pas, c’est comme ailleurs », avance Medhi.

Des enseignants dans la salle des profs du lycéeDes enseignants dans la salle des profs du lycée © LD

« Ce texte est un ramassis de clichés. Si j’arrivais à prendre de la hauteur, j’en rirais, mais je n’y arrive pas », lance de son côté Hadjila Koulla, professeur de français présente dans l’établissement depuis des années. Le professeur d’éthique musulmane Sofiane Meziani se dit, lui, par-dessus tout choqué que son ancien collègue « s’en prenne aux élèves, à des adolescents. C’est lâche, bas ». Pour le reste, il estime que sa tribune n’est qu’une « collection d’anecdotes, le degré le plus bas de l’argumentation ».

En salle des profs, la réprobation envers le texte de l’enseignant démissionnaire est unanime. « Je n’aime pas l’idée qu’on généralise à partir de cas particuliers. Non, tous les élèves ne sont pas antisémites. Bien sûr que certains mélangent tout : antisionisme, antisémitisme… Mais ce sont globalement des gamins très ouverts. Je suis athée, je le dis, sans en faire des tonnes, mais cela ne pose aucun problème », explique Stéphanie Houdinet, enseignante d’anglais depuis trois ans dans l’établissement. « S’il est arrivé que des enseignants fassent leur prière en salle des profs, cela ne m’a jamais posé de problème », poursuit-elle. « Il y a des élèves un peu obtus, et même parfois très virulents, mais comme il y en a dans beaucoup d’établissements », précise Vincent Pieterarens, enseignant d’histoire-géo. 

Beaucoup craignent que la polémique lancée par la tribune publiée dans Libération, et qui a déclenché une tornade médiatique, ne vienne donc ruiner dix ans de travail et une réputation chèrement acquise. Le lycée a d'ailleurs attaqué en diffamation Soufiane Zitouni.

Fondé en 2003 par Amar Lasfar, le recteur de la mosquée de Lille sud et actuel président de l’UOIF (l’Union des organisations islamiques de France), le lycée Averroès est passé sous contrat avec l’État en 2008. Plus de dix ans après sa création, il demeure une exception dans le paysage de l’enseignement confessionnel français, majoritairement catholique et juif. Il est, avec le lycée Al Kindi de Lyon partiellement sous contrat, le seul lycée musulman dont les enseignants sont payés par l’État. 

À l’origine, raconte Amar Lasfar, « nous voulions répondre à l’appel de ces 17 jeunes filles voilées exclues du lycée Faidherbe en 1994 », à la suite de la circulaire interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école. L’établissement, qui compte aujourd’hui quelque 600 élèves – le collège a récemment ouvert mais n’est pas encore sous contrat –, démarre donc à onze élèves dans une salle mise à disposition par la mosquée de Lille sud. Il affiche aujourd’hui des résultats scolaires impressionnants : 100 % de réussite au bac pour un taux de boursiers de 61 %, quand la moyenne des boursiers dans l’enseignement privé est plutôt de l’ordre de 10 %.

Alors qu’il suscite depuis son origine la curiosité et parfois les soupçons, le proviseur Hassan Oukfer l’affirme : « Notre meilleure réponse aux préjugés, aux critiques, ce sont nos résultats. » L’établissement aujourd’hui croule sous les demandes d’inscription. « Au collège, c’est trois fois plus que ce que nous pouvons accueillir et encore, j’arrête les inscriptions en décembre », précise avec fierté le proviseur.

Fresque "l'eau est la vie" sur les murs du lycée AverroèsFresque "l'eau est la vie" sur les murs du lycée Averroès © LD

« J’ai choisi cet établissement, comme beaucoup de parents, d’abord et avant tout pour ses résultats. Ce n’est pas l’aspect confessionnel qui était le plus important pour moi », affirme Fouad Belmimoun, le président de l’association des parents d’élèves. « Je n’avais pas les moyens de payer des cours particuliers à mes enfants », indique-t-il.

Malgré ses 100 % de réussite au bac, qui peuvent s’obtenir facilement en sélectionnant les élèves, le lycée récuse tout élitisme. « Au départ, notre projet était de créer un établissement d’élite pour former des cadres, raconte Makhlouf Mamèche, le proviseur adjoint, qui a participé à la création du lycée et qui est également président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman. Et puis nous avons vu arriver vers nous des élèves qui, s’ils restaient dans leurs établissements publics, allaient droit à l’échec scolaire. Nous avons donc décidé de baisser un peu nos exigences pour les accepter et les mener vers la réussite. C’est la fierté d’Averroès, d’amener des élèves parfois en difficulté vers l’excellence », ajoute-t-il.

Beaucoup ici s’interrogent sur les raisons qui ont conduit leur ancien prof de philo Soufiane Zitouni à écrire un texte aussi ravageur. « Je suis contre la théorie du complot, mais il y a un moment où l’on se demande pourquoi il a fait ça, quel est son but », s’interroge le directeur adjoint Éric Dufour. « C’est fou de lancer ça avec la tendance médiatique actuelle », juge Sara qui, comme beaucoup d’élèves ici, souligne le climat post-attentats particulièrement difficile à vivre pour la communauté musulmane.

Sofiane MezianiSofiane Meziani © LD

« Il y a eu un conflit d’ego entre deux personnes », affirme le proviseur, évoquant une rivalité qui aurait opposé M. Zitouni et le prof d’éthique musulmane Sofiane Meziani. Dans sa tribune, M. Zitouni évoque en effet le climat pesant qui a suivi la publication d’un premier texte intitulé Le Prophète est aussi Charlie . Un texte qui dénonçait le manque d’humour d’une partie de la communauté musulmane, arc-boutée sur certains tabous. Affiché en salle des profs, le texte a effectivement indisposé certains enseignants, dont Sofiane Meziani, qui lui a répliqué par une autre tribune publiée dans l’Obs. Un texte dans lequel il dénonce une nouvelle stigmatisation des musulmans, estimant par ailleurs que Charlie Hebdo « concourt à la banalisation des actes racistes ».

« Il voulait bousculer la communauté musulmane. J’ai pris ça comme un débat et j’ai répondu. Mais cela lui a fait perdre la tête », dit aujourd'hui Sofiane Meziani. Pour Soufiane Zitouni, qui y voit une opération commandée par la direction du lycée – ce dont elle se défend en assurant qu’elle a plutôt tenté de dissuader son prof d’éthique musulmane de répondre par voie de presse –, c’est « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

Selon le proviseur, le prof de  philo aurait simplement « pris la mouche » et décidé de quitter l’établissement parce qu’il était piqué dans son orgueil, mais aussi parce qu’il échouait avec ses élèves. « Monsieur Zitouni n’était pas là pour enseigner la philosophie mais pour convertir nos élèves à sa vision de l’islam », affirme Hassan Oufker, qui rapporte par exemple qu’il « expliquait aux jeunes filles que porter le voile n’était pas recommandé dans l’islam. Il trahissait la déontologie enseignante » l’obligeant, en tant qu’enseignant payé par l’État pour assurer des cours de philosophie, à la neutralité. 

Soufiane Zitouni, musulman soufi, une branche minoritaire de l’islam fondée sur la mystique, admet avoir souvent « jeté des ponts entre la philosophie et l’islam » dans ses cours, ce qu’il n’estime pas anormal dans un établissement confessionnel musulman. « Quand j’ai des élèves qui se révoltent dès que je parle de la théorie de l’évolution en me disant que ça n’est pas dans le Coran, je leur parle du livre de Nidhal Gessoum "Réconcilier l’Islam et la science moderne". »

Soufiane Zitouni.Soufiane Zitouni. © LD

L'enseignant de philosophie reconnaît aussi avoir évoqué avec ses élèves la position de l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, selon lequel le voile n’est pas une obligation pour les jeunes femmes musulmanes. Au lycée, si la majorité des jeunes filles sont voilées, beaucoup ne le sont pas. « Je voulais leur montrer qu’il n’y avait pas qu’une seule vision de l’islam. »

Ces ponts permanents gênent manifestement les élèves : « Il nous parlait tout le temps de religion, alors qu’on sait que dans une copie du bac, on ne doit pas parler de religion », rapporte Assia, une élève de STMG. D’autant, renchérit Sara, « qu’on avait l’impression qu’il cherchait toujours la confrontation ». « Il devait penser qu’on allait tous penser comme lui. Pour moi, il prenait trop à cœur ses idées », affirme Medhi.

« Lorsqu’on parle de Spinoza et du sentiment de liberté, on n’a pas besoin de convoquer le Coran », assène Stephen Urani, l’enseignant de philo qui a repris sa classe et travaillait l’an dernier à Averroès. Il affirme que ses élèves ont très peu avancé dans le programme. « Il s’est senti investi d’une mission, celle de nous apporter la lumière à nous qui vivons dans la grotte », raille son ancien collègue Sofiane Meziani, le professeur d’éthique musulmane, que Soufiane Zitouni considère comme un « proche des frères Tariq et Hani Ramadan et donc des Frères musulmans ».

Dans sa tribune expliquant les raisons de sa démission, Soufiane Zitouni pointe ainsi l’entrisme « sournois » de la confrérie religieuse au sein du lycée. « Certains profs sont clairement des adeptes des Frères musulmans et influencent les élèves dans le sens de cette idéologie politique », affirme-t-il.

Amar Lasfar, fondateur du lycée et président de l'UOIFAmar Lasfar, fondateur du lycée et président de l'UOIF © LD

« C’est une accusation sans fondement. D’ailleurs, j’interdis à l’association de s’immiscer dans l’établissement », rétorque le proviseur Hassan Oufker, désignant l’association Averroès, présidée par Amar Lasfar, qui représente juridiquement l’établissement. Celui qui se décrit lui-même comme « l’âme de l’établissement » sait le poids parfois encombrant de sa figure tutélaire. Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille sud et président de l’UOIF considérée comme proche des Frères musulmans, s’explique une nouvelle fois sur un sujet qui déchaîne les passions, les Frères musulmans étant parfois présentés comme une cinquième colonne dont le projet serait d’islamiser la France.

« Mes références, c’est Keynes, Friedman autant que les Frères musulmans. Je ne vais pas résumer ce que j’ai dans la tête à une seule pensée. Je n’ai pas ouvert cet établissement pour enseigner la morale islamique. Pour cela, il y a la mosquée », affirme Amar Lasfar qui rappelle l’origine du lycée – accueillir les jeunes filles exclues, mais aussi le projet de former des cadres. « Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les résultats du lycée et les financements. »

D’une autre génération, Sofiane Meziani assume lui sans problème l’influence d’Hassan al Banna, le fondateur égyptien du mouvement des Frères musulmans. Il récuse d’ailleurs la diabolisation de la confrérie, dont il veut retenir notamment « la dimension de résistance politique », face à la colonisation britannique en Égypte.

« Si vous voulez faire mal à quelqu’un, vous lui dites qu’il fait partie des Frères musulmans. Cela embrouille ou dégrade son image », répond Makhlouf Mamèche, directeur adjoint du lycée. « Les Frères musulmans, c’est en Égypte. Nous n’importons pas ici des fatwas de personnes qui ne vivent pas dans la société française. » Être accusé d’intégrisme l’indispose, lui qui estime que « le meilleur rempart contre l’extrémisme, c’est la culture religieuse. Aujourd’hui, on voit des jeunes qui mélangent tout : la tradition, la religion, les conflits au Proche-Orient. Ici, notre formation immunise nos élèves contre tous ces amalgames »

Lorsqu’on évoque le malaise qu’a pu ressentir un enseignant de culture soufie, il évoque « une pratique un peu bizarre de l’islam. Les derviches tourneurs sont une invention. Je ne crois pas qu’il y ait eu des compagnons tourneurs autour du Prophète » et précise qu’à Averroès « nous apprenons à nos élèves une pratique authentique de la religion dans le respect des lois de la République ». 

Le lycée vit-il, en dehors des fonds publics qui ne couvrent que le salaire des enseignants, grâce à de généreux, et occultes, donateurs qataris, le Qatar étant par ailleurs connu pour son soutien à l’organisation ? « Je me demande pourquoi il y avait un émir du Qatar à la remise des diplômes du bac 2014, et pourquoi les deux directeurs adjoints se rendent régulièrement dans ce pays ? » interroge Soufiane Zitouni. Le directeur adjoint, Makhlouf Mamèche, reconnaît s’être rendu au Qatar par deux fois, « mais comme je suis allé en Arabie saoudite ou aux Émirats. Si des mécènes veulent nous faire des dons, nous n’y sommes pas opposés, à condition que cela soit sans contrepartie », explique-t-il. Et de préciser que les dons de l’étranger représentent « moins de 5 % du budget de l’établissement ». Éric Dufour, qui s’est converti à l’islam il y a une dizaine d’années après avoir été longtemps enseignant dans un établissement catholique, admet lui aussi s’être rendu au Qatar mais « uniquement pour les vacances ».

Makhlouf MamècheMakhlouf Mamèche © LD

Lorsqu’on évoque ces questions avec les élèves, tout cela leur paraît très lointain. « En trois années ici, je n’ai jamais entendu parler ni des Frères musulmans, ni de l’UOIF. On n’est pas en Corée du Nord », répond Inès, révoltée que leur ancien prof de philo ait pu les traiter de « perroquets bien dressés ».

Ce qui a pourtant, de loin, le plus atteint les élèves est l’accusation d’un antisémitisme omniprésent. Au cours des échanges que nous avons pu avoir avec eux, c’est systématiquement ce point qui revient en premier. « Ce qui m’a fait le plus mal, c’est l’expression antisémitisme quasi culturel, cela veut dire qu’il se transmet comme par hérédité. C’est terrible », affirme aussi Fouad Belmimoun, le président des parents d’élèves. Au lendemain des attentats de Paris, beaucoup d’enseignants, dans certains établissements, ont été confrontés à des propos dérangeants, et parfois franchement antisémites. Étaient-ils ici tolérés, voire provoqués par un certain type d’enseignement ?

L’encadrement du lycée, très remonté contre cette accusation, rappelle qu’une délégation d’élèves s’est spontanément rendue au rassemblement en hommage des victimes de l’HyperCasher. « Comme nous trouvions que c’était un beau symbole, un message fort pour la République, nous avons décidé de les aider pour l’aspect logistique », précise le proviseur. Il souligne aussi que quelques semaines avant la démission de M. Zitouni, le lycée avait reçu un rabbin pour un dialogue interreligieux (débat à voir ici). Un rabbin qui n’était autre que le neveu du conseiller pédagogique de l’établissement, également élu d'opposition à Lille, Michel Soussan – par ailleurs juif séfarade – et qui, lorsqu’on évoque le sujet, nous rétorque : « Vous imaginez que si l’établissement était antisémite, il y a longtemps que je serai parti. »

Le lycée a pourtant déjà été confronté, de l’intérieur, à la question de l’antisémitisme à travers la figure largement controversée d’Hassan Iquioussen, un prédicateur très populaire et pilier de l’UOIF qui a accompagné le lycée depuis sa création. En 2004, le journal l’Humanité avait révélé les propos violemment antisémites de celui que la presse surnommait « le prêcheur vedette des banlieues », tenus lors d’une conférence intitulée « La Palestine, histoire d’une injustice » un an plus tôt.

Il y expliquait en quoi les juifs étaient « le top de la trahison et de la félonie », le premier schisme de l’islam étant attribué à un « juif yéménite converti pour détruire l’islam de l’intérieur » ou comment les sionistes s’étaient alliés à Hitler « pour pousser les juifs à quitter l’Allemagne » ou encore comment Atatürk, le fondateur de la Turquie laïque, était en réalité « un juif converti hypocritement à l’islam ». Une heure et demie de pur délire.

Amar Lasfar, qui le présente comme « un ami », ne nie pas le dérapage et se souvient lui avoir conseillé « de s’excuser tout de suite ». Ce qu’il fit, selon lui. Joint par Mediapart, Hassan Iquioussen reconnaît avoir évolué sur des questions où « au début des années 2000, il y avait parfois un grand flou entre la critique d’une poignée de sionistes et celle des juifs en général ». Celui qui a, selon l’éducateur roubaisien Ali Rahni, membre d’EELV, « formé une génération de militants », s’est vu confier les cours d’éthique musulmane au lycée Averroès en 2008 et 2009, mais a dû arrêter « faute de temps », explique-t-il.

Le proviseur Hassan Oufker explique avoir cessé la collaboration avec lui à la suite de ces accusations d'antisémitisme. « On ne pouvait pas se le permettre », avance-t-il. Le scandale avait pourtant éclaté quatre ans plus tôt. Le prédicateur, dont le site est très populaire, bénéficie par ailleurs du total soutien d’Amar Lasfar : « Il a fait un très bon boulot à Averroès. » En 2011, le lycée emmenait certains lycéens chez le conférencier. La même année où il devait faire une conférence avec Alain Soral, finalement annulée faute de salle. Dans une vidéo récente, il expliquait aussi en quoi le mouvement de libération de la femme correspond à un plan, revendiqué par Rockfeller pour détruire les familles et relancer le business, en se fondant sur les élucubrations d'Aaron Russo, un réalisateur américain. Une référence commune avec l'essayiste d'extrême droite.

Site du lycée AverroèsSite du lycée Averroès

Lorsqu’on interroge Sofiane Meziani, l’actuel enseignant d’éthique musulmane, qui est aussi selon Michel Soussan « un maître à penser des jeunes de Lille sud », il reconnaît sa proximité avec cette figure de l’UOIF qui défend aujourd’hui, explique-t-il, un « islam du milieu, qui pousse les jeunes à s’engager dans la société ».

Le lycée Averroès, par le poids symbolique qu’il représente dans la communauté musulmane lilloise, n’a pas toujours échappé aux conflits politiques locaux, comme celui de la campagne des municipales. C’est parce qu’il a pris conscience de l’aura de Sofiane Meziani auprès de la jeunesse musulmane de Lille Sud que Michel Soussan, conseiller pédagogique du lycée Averroès, a décidé d’organiser une rencontre entre son candidat aux municipales, le sénateur UMP Jean-René Lecerf, et des jeunes de ces quartiers « qui se disaient abandonnés par la mairie » mais s’apprêtaient à voter socialiste « par réflexe, et fatalisme ». « Un des jeunes que Sofiane Meziani nous a fait rencontrer, Faouzi Hanane, a été convaincu par son discours et a emmené un groupe de jeunes tracter pour lui à Lille sud. »

Alors que les relations entre Amar Lasfar et Martine Aubry sont exécrables, depuis qu’elle a publiquement protesté contre la venue de certaines personnalités, qu’elle jugeait extrémistes, à la rencontre annuelle des musulmans du Nord, le fondateur du lycée Averroès s’est publiquement rapproché du candidat malheureux à la mairie de Lille Jean-René Lecerf, assistant à ses vœux fin janvier quand il boudait ceux de Martine Aubry. Invité à faire une conférence au lycée Averroès, « il en est devenu le propagandiste », s’amuse son ancien colistier Michel Soussan. Celui-ci avait, lorsqu’il dirigeait l’inspection académique du Nord, conduit la délégation d’inspecteurs qui se prononcerait pour la contractualisation avec l’État de l’établissement en 2004.

« J’aimerais bien qu’on ne politise pas le lycée Averroès », affirme le proviseur Hassan Oufker qui rappelle que sa seule préoccupation est la qualité de l’enseignement de son établissement et que « le lycée est ouvert à tous les hommes et les femmes politiques qui souhaitent le visiter ».

Devant l’émotion suscitée par la tribune de Soufiane Zitouni dans Libération, la ministre de l’éducation nationale a diligenté une inspection qui devra rendre prochainement son rapport. Si Hassan Oufker explique attendre sereinement ce rapport d’inspection, il estime néanmoins que « les enjeux de la crise actuelle sont énormes. Ce serait vraiment jouer avec le feu de nous demander de fermer. Les musulmans ouvriront des écoles hors contrat et on ne saura pas du tout ce qui s’y passe. Et puis, si l’on veut que les musulmans n’ouvrent que des boucheries hallal et des mosquées, il faut le dire ! », s’agace-t-il.

Quand on interroge Soufiane Zitouni sur les récupérations politiques possibles dont sa critique du lycée Averroès peut faire l’objet, son texte n’ayant pas tardé à circuler sur des sites d’extrême droite, il répond sans ciller : « Je m’en fous. J’ai dit ce que j’avais à dire. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mac OS X Yosemite récolte vos données en douce

Viewing all 2562 articles
Browse latest View live