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Le « ni-ni » de Nicolas Sarkozy est d'abord un déni

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« Ni PS ni Front national », c'est la doctrine officielle de l'ancien président et d'une partie de l'UMP dans l’élection partielle du Doubs. Doctrine qu'il a d'ailleurs répétée ce mardi devant les députés UMP. Elle consiste à refuser le « Front républicain », c'est-à-dire l'alliance de la droite et du PS (ou de toute force de gauche) pour faire barrage à l'extrême droite.

Nicolas SarkozyNicolas Sarkozy © Reuters

Le problème, c'est que cette posture se présente comme une attitude politique mais qu'elle en est la négation. La politique consiste à choisir. Le « ni-ni » revient à s'en laver les mains. Ni vraiment Ponce, ni tout à fait Pilate, la préférence de Sarkozy ressemble d'abord à une descente aux abris.  

Car en matière de second tour l'UMP ne refuse rien, sauf de dire sa préférence. Elle ne rejette ni le PS ni le Front national. Sa stratégie tient plutôt du « avec-avec ». Avec le PS pour obtenir les sièges, et avec le FN pour ne pas faire fuir les voix, ou pour les attirer. Lors des treize partielles précédentes, comme lors de la présidentielle de 2002, ce silence était d'or. Il rapportait : le candidat de droite a toujours battu l'extrême droite grâce aux voix d'une gauche éliminée au premier tour. À la quatorzième consultation, celle du Doubs, ce ni-ni s’est transformé en une ceinture de plomb...

Henri Guaino pourra toujours batailler en affirmant que « le Front républicain est une folie », et Bruno Le Maire aura beau durcir le ton en vue des primaires, en soutenant, comme un politicien à l'ancienne, que « le Front républicain est une manière de se défausser », cette infinie délicatesse, et cette prudence de vieux Sioux des années 1980 ne transformera pas un cul-de-sac en solution.

Car, au-delà des questions morales, et au-delà des jugements sur la nature du Front national, le ni-ni dissimule en fait une double impasse et une double contradiction.

La première est institutionnelle, et elle est extraordinaire. Elle touche à la source même du dilemme que le ni-ni essaie de dépasser. Pourquoi ce choix obligatoire entre deux partis, au second tour d'une élection, quand on est éliminé ? Parce que le mode de scrutin, le scrutin majoritaire, l'impose comme un corset en cas d’abstention massive. Avec lui, comme dit l'adage, « au premier tour on choisit, au second on élimine ». C’est la règle. Et c'est cette règle implacable, à laquelle l'UMP s'accroche comme à la prunelle de ses yeux, que l'UMP essaie quand même de contourner. L'UMP refuse d'éliminer ! Autant dire qu'elle aspire au scrutin proportionnel qu'elle rejette bec et ongles. Avec la proportionnelle, l'UMP n'aurait à choisir ni le PS ni le FN. Elle aurait fait son pourcentage et son problème serait réglé.

La seconde impasse concerne l'UMP elle-même, dans son identité. Ce parti est un assemblage qui tire à hue et à dia. On y trouve, c'est une évidence hurlante, des Kosciusko-Morizet ou des Juppé qui rejettent toute alliance avec la famille Le Pen, et face à eux des Peltier, des Didier, des Mariani, et bien sûr des Sarkozy ou des Copé, poussés par un noyau de militants enfiévrés, qui ne sont pas effarouchés par des emprunts, des passerelles, ou carrément des alliances, avec Marine Le Pen.

Ainsi, l'UMP adresse moins son ni-ni au PS ou au Front national qu'aux deux pôles de sa contradiction. Son refus de choisir est d'abord une manière de rassurer son centre (avec le refus du FN) et de caresser sa droite (avec le refus du PS), comme s'il suffisait d'une formule verbale pour éviter l’écueil de la réalité.

Or la réalité, c’est que le ni-ni est d'abord un déni. Il s'est désintégré avec la déclaration d’Alain Juppé qui votera pour le PS, et il explosera dimanche, encore plus radicalement. L'un des deux « ni » l'emportera, forcément : si le PS est élu, c'est qu'une partie des électeurs de droite aura mangé la consigne en choisissant de faire barrage, et le chef de l'UMP aura une drôle de mine. Et si la candidate du Front national est élue, c'est que les noces de la droite et de l'extrême droite auront été consacrées.

Dans ce cas, le chef en répondra.

BOITE NOIREUne précision importante. La phrase "La loi de la gravitation est dure mais c'est la loi" n'est pas de moi mais de l'un de mes maîtres : Georges Brassens, dans sa chanson Venus Callipyge. Je vous laisse déguster ce texte. Une histoire de rotondités qui nous reposera des absurdités, et dont le dernier vers nous ramène au seul sujet qui vaille : "Gloire à celui qui dit toute la vérité"...

BRASSENS PAROLES ET MUSIQUES

 Vénus callipyge

Que jamais l'art abstrait, qui sévit maintenant,
N'enlève à vos attraits ce volume étonnant.
Au temps où les faux culs sont la majorité,
Gloire à celui qui dit toute la vérité !

1
Votre dos perd son nom avec si bonne grâce,
Qu'on ne peut s'empêcher de lui donner raison.
Que ne suis-je madame un poète de race,
Pour dire à sa louange un immortel blason.
Pour dire à sa louange un immortel blason.

2
En le voyant passer, j'en eus la chair de poule,
Enfin, je vins au monde et, depuis, je lui voue
Un culte véritable et, quand je perds aux boules,
En embrassant Fanny, je ne pense qu'à vous
En embrassant Fanny, je ne pense qu'à vous

3
Pour obtenir, madame, un galbe de cet ordre
Vous devez torturer les gens de votre entour
Donnez aux couturiers bien du fil à retordre
Et vous devez crever votre dame d'atour.
Et vous devez crever votre dame d'atour.

4
C'est le duc de Bordeaux qui s'en va, tête basse,
Car il, ressemble au mien comme deux gouttes d'eau
S'il ressemblait au vôtre on dirait, quand il passe
"C'est un joli garçon que le duc de Bordeaux !"
"C'est un joli garçon que le duc de Bordeaux !"

5
Ne faites aucun cas des jaloux qui professent
Que vous avez placé votre orgueil un peu bas
Que vous présumez, trop, en somme de vos fesses
Et surtout, par faveur, ne vous asseyez pas
Et surtout, par faveur, ne vous asseyez pas

6
Laissez les raconter qu'en sortant de calèche
La brise a fait voler votre robe et qu'on vit,
Écrite dans un coeur transpercé d'une flèche
Cette expression triviale : "A julot pour la vie"
Cette expression triviale : "A julot pour la vie"

7
Laissez les dire encore qu'à la cour d'Angleterre,
Faisant la révérence aux souverains Anglois
Vous êtes, patatras ! tombée assise à terre:
La loi de la pesanteur est dure, mais c'est la loi
La loi de la pesanteur est dure, mais c'est la loi

8
Nul ne peut aujourd'hui trépasser sans voir Naples
A l'assaut des chefs-d'oeuvre ils veulent tous courir !
Mes ambitions à moi sont bien plus raisonnables:
Voir votre académie, madame, et puis mourir
Voir votre académie, madame, et puis mourir

Que jamais l'art abstrait, qui sévit maintenant,
N'enlève à vos attraits ce volume étonnant.
Au temps où les faux culs sont la majorité,
Gloire à celui qui dit toute la vérité !

 

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Macron trébuche sur la baisse des tarifs des notaires

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L'éléphant qui « rentre à 100 km/h dans un magasin de porcelaine » va-t-il accoucher d'une souris ? En remettant en cause la baisse des tarifs des notaires, Bercy vient de faire un significatif retour en arrière sur la réforme des professions réglementées. « Avec la même conviction pour défendre ce en quoi je crois, j'ai eu la même lucidité quand je me suis trompé », a déclaré le ministre, « plaidant coupable en quelque sorte » sur le mécanisme de « corridor tarifaire »

Emmanuel Macron s'est expliqué sur son erreur concernant le corridor tarifaireEmmanuel Macron s'est expliqué sur son erreur concernant le corridor tarifaire © Capture d'écran du site de l'Assemblée nationale

Au lieu de mettre en place une tarification de référence établie par l’Autorité de la concurrence et pouvant varier entre un prix plancher et un prix plafond (entre 10 et 15 %) – fameux mécanisme du corridor tarifaire –, Bercy a établi deux nouvelles formes de tarification. D’un côté, il y aura les tarifs fixes correspondant aux actes simples (contrat de mariage, donation) et de l’autre un tarif proportionnel (achat d’un bien immobilier par exemple) à partir duquel pourra s’appliquer une remise. C’est le principe du corridor tarifaire simplifié.

Prenons le cas d’une cession immobilière. « Jusqu’à une hauteur qui doit encore être définie », explique le rapporteur général Richard Ferrand (PS), auteur de l'amendement qui modifie le corridor tarifaire, le notaire pourra pratiquer une remise qui sera fixe. En fonction du montant de la vente, la remise est dégressive voire égale à zéro pour des sommes élevées. Autrement dit, plus le prix du bien acheté est élevé, moins la part de la remise sur la facturation est importante. L’objectif est de faire jouer la concurrence entre les professionnels et d'empêcher l'inflation des honoraires. 

À la question de savoir si les tarifs vont baisser, Emmanuel Macron répond négativement. « Nous allons simplement créer les conditions pour que ces tarifs n’augmentent pas de manière artificielle comme ça a été le cas ces vingt dernières années. » Mine de rien, le ministre de l’économie vient pourtant de sabrer dans le cœur du projet défendu par Montebourg quelques mois plus tôt. Pour le comprendre, il faut remonter à juillet 2014 lorsque le ministre de l’économie et du redressement productif présentait sa feuille de route pour le redressement économique de la France (voir la vidéo à partir de 36 min 40 s).

« De nombreuses professions aujourd’hui sont en situation de monopole et captent par leurs positions des revenus pour des services payés trop chers qui entament le pouvoir d’achat des ménages », affirmait alors Arnaud Montebourg. « C’est le cas des huissiers, greffiers de commerce, certaines professions de santé dans lesquelles une baisse des prix des services est nécessaire et possible au bénéfice de la population. »

Emmanuel Macron a donc substitué à la baisse des prix des services un mécanisme visant à empêcher la hausse des tarifs, ce qui est fort différent de l'ambition de départ. Les raisons d'un tel revirement sont difficiles à cerner. « Les professions installées feront la pire des vies à ceux qui voudront s'installer, c'est l'âme humaine qui est ainsi faite, répond Macron dans une de ses envolées philosophiques, et on ne légifère pas sur l'âme humaine. » Plus terre à terre, le rapporteur Ferrand explique que la députée de Saône-et-Loire, par ailleurs proche de Montebourg, Cécile Untermaier et lui-même tentaient depuis plus d'une semaine de ramener le ministre à la raison. « Je redoutais les effets néfastes d'un tel mécanisme, confie Cécile Untermaier, à savoir que les actes à perte auraient été mis au taux plafond par des notaires peu scrupuleux et les actes très rémunérateurs auraient été mis à des tarifs bas pour attirer la clientèle. » Quant à savoir pourquoi cela n'a pas été acté plus tôt, Richard Ferrand confie en aparté que « ce n'est pas évident de convaincre les technocrates de Bercy qu'ils ont fait une erreur »

© Yannick Sanchez

Autre subtilité de l'article, le principe de péréquation intraprofessionnelle et interprofessionnelle. Les transactions très importantes (au-delà de 300 000 euros d'après le rapporteur) seront écrêtées, ce qui permettra d'abonder un fonds interprofessionnel de péréquation, destiné à financer notamment l'aide juridictionnelle et les maisons de justice et du droit. 

Dans l'hémicycle, les explications consécutives des députés de la majorité ne parviennent pas à convaincre l'opposition, le ton monte. « Plus j'entends les explications, moins je les comprends », déplore le député du Val-d'Oise (UMP) et membre de la commission des lois Philippe Houillon. « On a vraiment du mal à vous suivre, ajoute le député du Nord Marc Dolez (GDR), on nous amène à un amendement qui établit de nouveaux corridors tarifaires », un amendement qui « flirte avec l'incohérence » pour le centriste Philippe Vigier. « La situation est encore pire qu’à l’état initial », déplore Julien Aubert (UMP), notaire de formation. Seul le député (PS) Jean-Yves Caullet semble avoir compris le nouveau mécanisme : « C’est simple, un tarif fixe devient infinitésimal quand la somme augmente et est donc dégressif, alors qu'un tarif proportionnel qui varie de 15 % à -15 % peut constituer une somme considérable. »

Jetons un œil à l'article en question : « Les tarifs mentionnés à l’article L. 444-1 prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs. » Arrêtons-nous un instant sur les notions de coût pertinent et de rémunération raisonnable. Le coût pertinent ou encore coût réel et la rémunération raisonnable apparaissent dans d'autres législations (ici dans le code de commerce ou  dans le code de l'énergie). Ce sont des notions comptables sur lesquelles l'Autorité de la concurrence donne un avis à partir duquel les ministres de la justice et de l'économie fixent un tarif par décret. 

Reste à savoir à quoi les « critères objectifs » mentionnés dans l'article font référence. « Pour avoir une réponse, il faudra voir ça avec Lasserre », répond un des députés présent également en commission spéciale. Une réponse laconique qui en dit long sur la philosophie du texte. La personne dont fait état l'élu est Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence depuis 2009. 

« Il faut vous guérir du prisme bruxellois Monsieur le ministre, vous redonnez des pouvoirs à des technocrates incompétents », avait pesté lors de précédents débats le député des Yvelines Jacques Myard (UMP). « Vous avez vu un loup caché derrière un article beaucoup trop innocent », lui avait répondu Emmanuel Macron. Le loup, s'il en est, n'a pourtant rien de caché et s'est même immiscé dans dix articles de la loi pour la croissance et l'activité (articles 2, 5, 9, 10, 11, 12, 13 bis, 17, 59). L'autorité de la concurrence est ainsi sollicitée sur le transport public, les activités ferroviaires, la réforme du permis de conduire, l'urbanisme, les professions réglementées et la concentration économique. 

« Si on avait sollicité l'Autorité de la concurrence, on ne serait pas dans la même merde avec les concessions autoroutières », confie au sortir de l'hémicycle un député de la majorité. Si on peut difficilement s'en prendre à l'Autorité de lutte contre la concurrence concernant les abus de position dominante, le fait de s'en remettre systématiquement à cette institution dans des domaines aussi variés que les professions juridiques, l'aménagement du territoire ou le réseau des transports publics pose un certain nombre de questions (voir aussi ce billet de blog sur l'Autorité de la concurrence).

Le ministre de l'économie a par ailleurs tenu à préciser qu'un tel changement dans le texte ne découlait en rien du lobbying des professions réglementées. Les notaires ne se satisfont d'ailleurs pas plus de ces changements. « Que l'on crée un corridor tarifaire ou un corridor de remise, c'est du pareil au même : ce n'est pas du tout la bonne nouvelle que nous attendons », a réagi auprès de l'AFP Didier Coiffard, vice-président du conseil supérieur du notariat. Emmanuel Macron a quant à lui fait savoir qu'il comptait déposer plainte après les menaces qu'il a reçues de la part des professions réglementées. Pour la suite des débats, le ton est donné.

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Amende de Sarkozy réglée par l'UMP : Copé mis en examen

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L'ancien président de l'UMP, Jean-François Copé, a été mis en examen, mardi 3 février, pour « abus de confiance » dans le cadre de l'enquête sur le règlement par le parti de la pénalité financière de 363 615 euros imposée à l'ancien candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy après le rejet de son compte de campagne de 2012. Le parquet de Paris avait ouvert début octobre une information judiciaire sur des soupçons d'« abus de confiance », « complicité » et « recel de ce délit », au préjudice de la formation politique.

Il s'agit de la seconde mise en examen dans ce dossier, après celle en décembre de l'ex-trésorière de l'UMP Catherine Vautrin, également pour « abus de confiance ».

Comme Mediapart l'a raconté dès juillet dernier, la loi est en effet très claire : c’est le candidat sanctionné par le conseil constitutionnel qui doit « verser (la pénalité financière) au Trésor public », pas son parti. Dans une note transmise à la direction par intérim de l'UMP, un avocat sollicité par François Fillon avait pointé ce risque d'abus de confiance.

Ce sont finalement les deux commissaires aux comptes de l’UMP, chargés de certifier les comptes du parti pour l'année 2013, qui ont alerté la justice sur le paiement potentiellement illégal de cette amende, ainsi que des 153 000 euros que Nicolas Sarkozy était censé rembourser personnellement à l’État (et qui correspondaient à une avance de frais de début de campagne).

Par ailleurs, s’il se confirme que Nicolas Sarkozy a caché 17 millions d’euros de frais de meeting aux autorités de contrôle, ce n’est pas une sanction de 363 615 euros que le conseil constitutionnel aurait dû lui infliger, mais une méga-sanction de 17 millions d’euros, égale au dépassement du plafond légal.

Nous republions ci-dessous notre analyse sur le sujet publiée le 3 juillet 2014. Entre-temps, début décembre, Nicolas Sarkozy a remboursé intégralement l'UMP... parti dont il venait de prendre la présidence.

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« Ma campagne n’a pas coûté un centime au contribuable », s’est flatté Nicolas Sarkozy mercredi 2 juillet, lors de son intervention sur TF1 et Europe 1. Il est vrai que le rejet de son compte de campagne par le conseil constitutionnel, à l’été 2013, l’a privé du moindre remboursement de frais par le Trésor public. Mais cette assertion ne manque pas de sel. En réalité, sa campagne truquée aurait dû rapporter beaucoup d’argent à l’État français.

Car s’il se confirme que Nicolas Sarkozy a caché 17 millions d’euros de frais de meeting aux autorités de contrôle, ce n’est pas une « amende » de 363 000 euros que le conseil constitutionnel aurait dû lui infliger, mais une méga-sanction de 17 millions d’euros, au profit de Bercy.

En effet, en cas de dépassement du plafond de dépenses légales, la loi prévoit que le conseil constitutionnel « fixe une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public ». En l’occurrence, si les "Sages" n’ont infligé qu’une pénalité de 363 615 euros à Nicolas Sarkozy, c’est qu’ils ont repéré seulement 363 615 euros de dépenses hors plafond, faute d’investigations réelles. Mais ils étaient loin du compte.

D’après la comptabilité cachée d’Event & Cie (la filiale de Bygmalion chargée d’organiser les meetings), l’entreprise s'est contentée de facturer 4,3 millions d’euros au candidat UMP alors que ses prestations valaient en fait 21,2 millions d’euros – soit quelque 17 millions d’euros de frais dissimulés aux autorités de contrôle (voir les révélations de Mediapart dans le détail). L’ancien directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy, Jérôme Lavrilleux, a d’ores et déjà raconté, lors de ses aveux, qu’Event & Cie s’était rattrapé en adressant de fausses factures à l’UMP.

Les trois juges saisis d'une instruction ouverte pour « faux et usage de faux », « abus de confiance » et « tentative d’escroquerie », s’efforcent désormais de vérifier tous ces chiffres. « Ma campagne sera-t-elle à nouveau réexaminée ?!, s’est d’ailleurs agacé Nicolas Sarkozy, mercredi soir. Elle ne l’a pas déjà été assez ? »

Assurément non. Un militant de la transparence, Raymond Avrillier, vient ainsi d’écrire à la commission des financements politiques (CNCCFP), qui a épluché le compte du candidat UMP en première instance, pour lui demander de « se considérer comme abusée en fait et en droit » et de « réviser » ses décisions – sur le montant de la pénalité comme sur les comptes 2012 de l’UMP, qu’elle a validés sans tiquer.

« La CNCCFP et le Conseil constitutionnel ont été grandement trompés quant au dépassement du plafond des dépenses électorales de M. Sarkozy qui est en réalité de plusieurs millions d’euros, écrit cet ancien élu écologiste, déjà très actif dans « l’affaire des sondages » de l’Élysée. La CNCCFP et le Conseil constitutionnel n’ont pas fixé la somme réelle, égale au montant du dépassement, que le candidat est tenu de verser au Trésor public ! »

Certains s'en inquiètent aussi à l’UMP, depuis quelques jours. Et quelques-uns poussent le raisonnement encore plus loin : « S’il s’avère que onze millions d’euros de dépenses ont été dissimulés (ndlr, le montant hors taxe initialement évoqué par l'avocat de Bygmalion), cela signifie que non seulement la pénalité aurait dû être de onze millions d’euros, mais aussi que des comptes faux ont été sciemment présentés au Conseil constitutionnel pour limiter le montant de cette sanction. En clair, qu’on pourrait parler d’une "escroquerie au jugement" du Conseil constitutionnel », analyse un proche de la nouvelle direction intérimaire.

D'après la jurisprudence de la Cour de cassation, l'escroquerie au jugement est une déclinaison de l’article 313-1 du code pénal sur l’escroquerie, qui concerne « le cas où un individu parvient, en trompant un tribunal par la production d’une pièce fausse, à obtenir une décision qui portera atteinte au patrimoine d’autrui ».

Sollicité par Mediapart, le secrétaire général du conseil constitutionnel n’a pas répondu à nos interrogations sur le sujet.

En fait, l’UMP commence tout juste à réaliser les risques juridiques relatifs à cette sanction de 363 000 euros. François Fillon, en particulier, s’est récemment interrogé sur la légalité de son paiement par le parti en 2013, alors qu’elle avait été infligée à Nicolas Sarkozy en personne.

Consulté à son initiative il y a quelques jours, un avocat a ainsi produit une note (déjà évoquée par L’Express) pointant un risque d’« abus de confiance ». La loi est en effet très claire : c’est le candidat sanctionné qui doit « verser (l’amende) au Trésor public », pas sa formation politique.

Or la somme a été réglée en octobre 2013 par l’UMP de Jean-François Copé, après que l’avocat du parti, Me Philippe Blanchetier, a produit une première note affirmant que c’était légalement possible. 

Interrogé par Mediapart, celui-ci s’étonne des embarras soudains à la tête de l’UMP. « Rien n’était caché, déclare-t-il. On aurait pu verser l’argent à Nicolas Sarkozy qui aurait payé le Trésor public, et personne n’y aurait vu que du feu. Nous avons préféré assumer. Pour moi, il n’y a pas d’abus de confiance. Il ne s’agit pas d’une amende pénale à proprement parler. Et il est quand même normal pour un parti d’essuyer les conséquences pécuniaires de la campagne présidentielle de son candidat. D’ailleurs l’administration fiscale n’a rien trouvé à y redire. »

D’après nos informations, l’UMP ne s’est d’ailleurs pas contentée de régler ces 363 000 euros. La formation a effectué un second virement de 153 000 euros, le même jour, correspondant à une avance de l’État que Nicolas Sarkozy avait touchée en début de campagne et qu’il était contraint de rembourser.

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Philippe Martinez au chevet de la CGT

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La couverture médiatique s’étant concentrée sur les attentats de Paris, les derniers rebondissements de la crise abyssale de gouvernance du principal syndicat français de salariés, la CGT, sont passés inaperçus en janvier. Ce n’est pas plus mal pour l’image de la centrale, passablement écornée depuis les premières révélations dans la presse fin octobre sur le train de vie de son ancien dirigeant Thierry Lepaon (100 000 euros dépensés pour rénover son appartement de fonction loué par le syndicat, 62 000 euros pour rénover son bureau, à quoi s'est ajoutée une belle indemnité de départ, 30 000 euros, lorsqu’il a quitté la CGT Basse-Normandie pour rejoindre Montreuil).

Philippe MartinezPhilippe Martinez © dr

Pour ceux qui n’auraient pas lu les précédents épisodes du feuilleton, la CGT a commencé la nouvelle année comme elle avait terminé la précédente : dans la bagarre et un brouillard très épais. Empêtrée dans une crise interne d’une intensité jamais vue, séquelles de la crise de succession de Bernard Thibault de 2012, elle n’a plus de secrétaire général depuis que ce dernier, acculé à la démission, mercredi 7 janvier, a remis son mandat à la commission exécutive de la CGT. Lepaon, ex-Moulinex nommé par défaut en 2012, ne voulait pas démissionner, s’accrochait à son siège, préférant dénoncer une cabale interne et un complot ourdi par la gauche pour déstabiliser la CGT. Il a fini par se résoudre à jeter l’éponge malgré lui. La première démission d’un secrétaire général depuis 1909.

Ce feuilleton – affligeant à un moment crucial du quinquennat où le gouvernement acte au pas de course, et par la force s’il le faut, des reculs plus graves que sous la droite pour les salariés – devrait prendre fin, au moins provisoirement. De guerre lasse, lessivés par trois années de tensions, et par la crise morale de ces derniers mois, les cadres comme les militants de l’organisation veulent tourner la page. Et c’est donc sans surprise que les membres du « parlement de la CGT », Comité confédéral national (CCN), composé de 33 fédérations et 96 unions départementales, ont approuvé ce mardi 3 février, à huis clos, la candidature de l’actuel responsable de la fédération de la métallurgie, Philippe Martinez, ainsi que la liste des neuf autres membres du bureau confédéral chargés de diriger la centrale jusqu’au prochain congrès en 2016.

Martinez, candidat cousu main par Lepaon qui avait tenu à garder la main sur le choix de son successeur et de son équipe au grand dam d'une partie de l'organisation, a revu sa copie et habilement manœuvré cette fois-ci. Le 13 janvier dernier, au terme d’un CCN ubuesque, sa liste, comptant essentiellement des proches de Lepaon, n’avait pas obtenu les deux tiers de mandats nécessaires. Sa nouvelle liste de direction, quasi entièrement renouvelée (cinq hommes, cinq femmes), a recueilli ce mardi 88,8 % des voix du CCN et il a été élu au poste de secrétaire général avec un score sans appel de 93,4 %. Il a également réussi à imposer Colette Duynslaeger (numéro un de La Poste) au poste sensible d'administrateur trésorier, avec 82 % des voix alors qu’elle est très contestée et a soutenu Lepaon jusqu’au bout. Font également leur entrée à la commission exécutive : Virginie Gensel-Imbrecht (énergie), Pascal Joly (union régionale Ile-de-France), Gisèle Vidallet (union départementale de la Haute-Garonne), Céline Verzeletti (fonction publique), Denis Lalys (organismes sociaux), Fabrice Angéi (services publics), Marie Saavedra (union départementale du Vaucluse), Grégory Roux (cheminots).

Martinez, qui s’est installé dans le bureau de Lepaon bien avant d’être confirmé dans ses nouvelles fonctions et qui a représenté très officiellement la CGT lors des vœux de François Hollande aux “acteurs de l’économie et de l’emploi”, a du pain sur la planche. Il va devoir faire ses preuves dans un contexte très difficile. Profondément divisée et affaiblie par les guerres internes et l’absence de débat, casseroles jamais nettoyées et laissées aux suivants par Bernard Thibault, la centrale de Montreuil est en perte de vitesse dans ses bastions (fonction publique, Orange, énergie, SNCF). Elle n’était jamais apparue aussi isolée sur la scène sociale. Ses appels à la mobilisation contre les réformes du gouvernement n’ont pas été des succès, et il lui faut trouver rapidement un positionnement cohérent sur l’échiquier syndical entre la CFDT réformiste et Force ouvrière, sur une ligne contestataire. Sans compter le besoin de réformer en profondeur l'organisation, très verticale, qui fonctionne encore comme dans les années soixante. 

Métallo comme Lepaon, ancien technicien chez Renault-Boulogne-Billancourt où il a été délégué syndical central, Martinez, 53 ans, remarquable par sa moustache très fournie façon Astérix, est décrit comme « un homme de terrain très bosseur, au fait des dossiers industriels » par ceux qui le côtoient. Réélu pour un troisième mandat, à 97 % au dernier congrès en juin, il dirige depuis 2008 d’une main de fer la fédération CGT de la métallurgie, la troisième plus importante à la CGT, avec plus de 60 000 adhérents. Il s’est fait remarquer sur le terrain des négociations, notamment au moment de la fermeture de l’usine Renault de Vilvoorde en Belgique en 1997, ou plus récemment lorsqu'il a fallu accompagner la fin de PSA Aulnay ou le rachat par General Electric d'une partie d'Alstom. Il n’est membre de la commission exécutive de la confédération que depuis le dernier congrès de la CGT, en mars 2013 à Toulouse. « Sa légitimité, sa force, c’est sa fédération, une grosse organisation, à l’inverse de Lepaon qui n’avait qu’une petite région », note un proche de François Hollande, soulagé de voir une sortie de crise se dessiner enfin.

Pour beaucoup d’observateurs du petit milieu social, le nouvel homme fort de la CGT, très proche du parti communiste dont il aurait la carte, décrit politiquement comme « orthodoxe », incarne « une ligne vieille CGT », « la ligne Boulogne-Billancourt », un profil très classique de cégétiste. Certains le décrivent comme autoritaire, d’autres nuancent : « Il a de l’autorité. » D’autres encore pointent son point faible, sa compagne, Nathalie Gamiochipi, responsable de la fédération de la santé qui a voté en sa faveur à la mi-janvier, « en contradiction avec le mandat qui lui avait été confié », raconte ici Libération qui égratigne son bilan mitigé à la tête de la fédération métallurgie (la CGT a ainsi cédé la première place chez Renault au profit de la CGC et a perdu sa représentativité chez Airbus à Toulouse).

Sa nouvelle équipe de direction laisse en tout cas les observateurs sceptiques. Elle est plutôt monochrome, dominée par des partisans d’une ligne contestataire, proche du Front de gauche et, hors Philippe Martinez et l'une des cinq femmes du bureau, tous viennent du secteur public. Cinq des neuf membres du bureau entourant Philippe Martinez défendent une ligne radicale d'opposition au gouvernement et au patronat proche de celle du Parti communiste et du Front de gauche, dont Pascal Joly, membre du conseil national du PCF. Ils étaient en première ligne contre Thierry Lepaon. Les quatre autres sont réputés proches de l'ex-numéro un, donc plus « ouverts », sans pour autant faire figure de « réformistes » – évincés comme les rares membres de l'équipe sortante qui pouvaient apparaître proches du PS. 

« Joly, en pointe dans la contestation de Lepaon avant même le déclenchement des affaires qui ont entraîné sa chute, est membre du conseil national du PCF, une première depuis que Thibault avait quitté cette instance en 2001. Contre l’avis de Lepaon, il avait appelé à participer à la “marche contre l’austérité” organisée par Jean-Luc Mélenchon le 12 avril 2014. Il en avait été de même pour Verzeletti et Vidallet », rappelle ici Le MondeUne source élyséenne tient à nuancer : « C’est prêter beaucoup d’influence au Front de gauche. La CGT a bien plus d’adhérents que ce parti, 700 000. Quel que soit le positionnement que choisira le syndicat, le Front de gauche suivra. »

Pour Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail cité par l’AFP, la nouvelle direction « augure une CGT qui va durcir le ton contre le gouvernement, contre le patronat et contre les autres organisations syndicales » : « Martinez a besoin de cette logique dure pour s’imposer, mais cela ne veut pas dire qu’il n’ira pas ensuite vers une ligne plus axée sur la négociation. » Les premiers tests viendront vite, avec les négociations sur les retraites complémentaires, puis l'assurance chômage. Devant la presse, le 14 janvier, Martinez plaidait pour un « syndicalisme de lutte » et une CGT « combative »...

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Face à l’exode massif des Syriens, la France reste verrouillée

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La guerre en Syrie se traduit par l’un des exodes les plus massifs qu’ait connus le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Le compteur installé sur le site internet du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) grimpe inexorablement : 3,8 millions de personnes sont concernées, en plus des 6,5 millions de “déplacés” à l’intérieur du pays, selon la dernière mise à jour en date du 2 février. Les États voisins sont en première ligne : 1,6 million de Syriens ont trouvé refuge en Turquie, 1,2 au Liban, 621 000 en Jordanie, 235 000 en Irak et 136 000 en Égypte.

L’hospitalité de ces pays atteint ses limites : le Liban, où les nouveaux venus représentent un tiers de la population, vient de leur imposer un visa pour limiter leur installation. La plupart des points de passage aux frontières – dont certains sont contrôlés par l’État islamique – sont désormais fermés. Mais cela n’empêche pas les départs, pour peu qu’ils soient monnayés.

Des Kurdes syriens après la traversée de la frontière vers la province de Sanliurfa en Turquie. © ReutersDes Kurdes syriens après la traversée de la frontière vers la province de Sanliurfa en Turquie. © Reuters

Menacées par des combats meurtriers, des familles entières vendent leurs biens jusqu’à la dernière once d’or, dans l’espoir de refaire leur vie ailleurs. Les voies légales de circulation étant réservées à une minorité, elles prennent tous les risques pour s’échapper. En 2014, les Syriens, avec les Érythréens, également ressortissants d’un pays en guerre, étaient pour la première fois majoritaires parmi les 207 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée sur des bateaux de pêche ou des cargos, en quête de protection.

C’est dans ce contexte explosif que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) publie ses données provisoires relatant son activité en 2014. Et, surprise, annonce une baisse des demandes déposées en 2014 par rapport à 2013, le premier recul après six années de hausse consécutives. Une baisse faible, de 2,6 %. Mais au regard des enjeux géopolitiques mondiaux, elle apparaît incompréhensible : 64 536 dossiers ont ainsi été examinés l’année dernière, contre 66 251 un an plus tôt.

L'accueil de réfugiés syriens par les pays voisins.L'accueil de réfugiés syriens par les pays voisins.

Dans le même temps, le nombre de demandes d’asile reçues dans les États de l’Union européenne a augmenté de 25 %. En Suède, pays sept fois moins peuplé que la France, plus de 80 000 personnes ont demandé l’asile, parmi lesquelles environ 40 % de Syriens. Les autorités de ce pays s’attendent à en recevoir 105 000 en 2015. En Allemagne, la tendance est la même : plus de 202 000 personnes y ont déposé une demande d’asile, soit une hausse de 60 % sur un an, parmi lesquelles 41 000 Syriens, selon le ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière.

L’écart avec la France est frappant : l’année dernière, 3 100 Syriens ont obtenu le statut de réfugiés. Un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes (depuis le début du conflit, quelque 5 000 Syriens ont été accueillis), mais qui ne soutient pas la comparaison avec l’Allemagne et la Suède.

Le paradoxe est que cette baisse globale de la demande d’asile dans l’Hexagone intervient non seulement dans un contexte de multiplication des guerres aux frontières de l’Europe, mais aussi à un moment où le ministre français de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en charge de l’asile, revendique un discours d’ouverture, comme il l’a affirmé lorsqu’il a défendu son projet de loi sur l’asile devant les députés en décembre 2014. « La France qui, en 1789, s’est soulevée contre l’arbitraire et a proclamé à la face du monde ses idéaux de liberté et d’égalité, ne peut se dérober quand frappent à sa porte ceux qui lui font confiance pour les protéger contre l’injustice, contre l’oppression et contre la barbarie », s’est-il exclamé.

L'évolution de la demande d'asile en France (souces: Ofpra, CNDA).L'évolution de la demande d'asile en France (souces: Ofpra, CNDA).

En ligne avec cette « bienveillance » assumée par le directeur général de l’Ofpra, Pascal Brice (visionner son récent entretien vidéo dans Mediapart), le taux d’admission est passé de 24,4 % à 28 % entre 2013 et 2014 – moins de demandes ont été examinées, mais relativement plus de statuts ont été accordés. Au total, 14 489 personnes ont été reconnues réfugiés en 2014, contre 11 371 en 2013. Dans presque 100 % des cas, les Syriens ont obtenu gain de cause.

Le recul de la demande d’asile à l’Ofpra s’explique principalement par la forte diminution du nombre des dossiers en provenance des Balkans (Kosovo en tête), du Sri Lanka et de la Russie. Mais comment expliquer que les Syriens et les Érythréens ne tentent pas leur chance plus massivement ? La France n’est-elle plus reconnue comme une terre d’accueil ? Le dispositif fonctionne-t-il si mal qu’il décourage les candidatures ? Les exilés préfèrent-ils aller ailleurs ? Sont-ils empêchés de déposer leur demande ?

Selon les témoignages recueillis, beaucoup d’entre eux ne font qu’une halte en France. Certains parce qu’ils veulent rejoindre des pays où ils ont de la famille ou des proches. Plutôt anglophones, ils estiment avoir davantage de perspectives économiques dans les pays du nord de l’Europe, où ils disposent de réseaux professionnels. D’autres, notamment ceux qui transitent par Calais, principalement des Érythréens, des Soudanais et des Somaliens, mettent en avant le harcèlement policier dont ils font l’objet pour justifier leur hésitation à rester.

« Les passeurs peuvent les inciter à continuer leur périple pour leur extorquer toujours plus d’argent », remarque de son côté Pascal Brice, qui s’est rendu dans les « jungles » de la Manche. Le système de l’asile est aussi en cause, admet-il. Les centres d’hébergement sont saturés au point que les demandeurs ne bénéficient pas toujours de place au chaud. En outre, les délais d’examen (jusqu’à deux ans) sont si longs qu’ils découragent les volontaires potentiels.

Des migrants soudanais à Calais en décembre 2014. © ReutersDes migrants soudanais à Calais en décembre 2014. © Reuters

Pour gagner en « efficacité », l’Ofpra a récemment recruté 55 agents supplémentaires dans le cadre d'une réorganisation interne engagée depuis deux ans. Le ministre de l'intérieur a promis de créer 5 000 places d'hébergement en plus d’ici à 2016. Mais la question de l’accès aux droits reste entière. À Calais, une antenne de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a été ouverte pour améliorer l'information sur la protection en France. Les migrants ne perçoivent toutefois pas toujours la différence entre le personnel de cet opérateur de l’État généralement chargé de les renseigner sur les retours au pays et… les fonctionnaires de police.

Les blocages ne sont pas que techniques. Ils cachent une volonté politique défaillante. Les réfugiés, s’ils avaient le choix, préféreraient voyager légalement, c’est-à-dire munis d’un visa, en toute sécurité. Ils n’entreprennent leur dangereux périple que parce que les consulats de pays européens situés dans les États limitrophes de la Syrie ne délivrent les autorisations d’entrée et de séjour qu’au compte-gouttes. Les postes de représentation français reçoivent des masses de demandes de visa humanitaire, pour la plupart rejetées (les chiffres précis ne sont pas disponibles selon le quai d'Orsay). La plupart des 3 100 Syriens qui ont obtenu l'asile en France en 2014 ont dû se débrouiller comme ils pouvaient pour poser le pied sur le sol français et avoir la chance de déposer leur demande.

Le ministère des affaires étrangères répond que d'autres possibilités existent. Et cite à l’appui un programme mis en place spécialement pour aller chercher des familles syriennes réfugiées dans des pays voisins. Ces personnes, « présélectionnées » par le HCR, sont choisies car elles se trouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité ou parce qu'elles ont des liens avec la France. Mais le nombre des heureux élus est infime au regard des besoins : 500 personnes ont été accueillies en 2014, 500 autres devraient l'être en 2015. Cette générosité a minima (justifiée en partie par le fait que chaque famille se voit proposer un logement et un « parcours d’intégration ») apparaît en décalage avec les déclarations officielles. La comparaison avec l’Allemagne, qui compte 20 000 Syriens bénéficiaires d’un programme de « réinstallation », n’est là encore pas à l’honneur de la France.

Plusieurs leviers sont à la disposition du gouvernement pour joindre le geste à la parole. Outre la refonte du dispositif d'accueil (prévue par le projet de loi en cours d'examen devant le Parlement), le gouvernement pourrait, étant donné la gravité et l'urgence de la situation, commencer par délivrer davantage de visas humanitaires et augmenter le nombre de bénéficiaires du programme spécial. Il pourrait aussi en un rien de temps supprimer le verrou qu’il a discrètement installé après le début du conflit : le visa de transit aéroportuaire, qui empêche les Syriens en escale en France d’y demander l'asile. 

  • Voir aussi sur Mediapart Syrie, la guerre au quotidien, un webdocumentaire de Caroline Donati et Carine Lefebvre-Quennell qui rassemble les vidéos de combattants syriens.

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Procès Bettencourt: le milliard oublié

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Bordeaux, de notre envoyé spécial. En apparence, la question est anodine. À l'heure du jugement, elle risque pourtant de peser très lourd. Pressé de s’expliquer par le président du tribunal correctionnel sur les modifications stupéfiantes apportées au testament de Liliane Bettencourt, en toute hâte, après le décès de son mari, le notaire Jean-Michel Normand est à la peine, ce mardi matin.

Fin 2007, Me Normand avait accepté de faire de François-Marie Banier le légataire universel de Liliane Bettencourt, alors très fragile. Banier, son propre notaire et son avocat fiscaliste sont alors à la manœuvre. Rendez-vous est pris pour le jour même. Liliane Bettencourt « était décidée ». Le notaire de la femme la plus riche de France ne résiste pas. Me Normand se contente de noter dans son dossier : « C’est une connerie. » Il connaît Banier pour avoir officialisé les énormes donations (plus de 400 millions d’euros en tout) déjà attribuées au photographe, et dit avoir empêché qu’il ne mette en outre la main sur une assurance vie et des bijoux de famille. Une perquisition de la juge Isabelle Prévost-Desprez avait permis de découvrir ces secrets.

Relancé à la barre par les avocats de la partie civile, le notaire aux cheveux blancs renâcle, mais il est bien obligé de confirmer que si ce testament n’avait pas été annulé par la suite, à la lumière du scandale, le légataire universel Banier avait « vocation » à hériter « de tout », en dehors de la « quotité disponible » réservée à la fille de la milliardaire, et des « legs particuliers » déjà enregistrés. Or on sait que Liliane Bettencourt avait légué par avance ses actions (environ 27 % du capital de L'Oréal) et ses propriétés immobilières à sa fille. Mais le diable se niche dans les détails.

« Madame Bettencourt détenait personnellement 7 % de Tethys, ça aurait été à qui ? », demande sobrement Nicolas Huc-Morel, l’un des avocats de Françoise Meyers-Bettencourt. « Au légataire universel », finit par répondre le notaire, l'air un peu penaud.
Seuls quelques spécialistes du dossier apprécient cet instant d'audience à sa juste valeur. Il faut en effet savoir que Tethys, holding personnelle de Liliane Bettencourt, détenait alors un bloc pesant 19 % de l’actionnariat de L’Oréal. En clair, les 7 % de Liliane représentent alors 1,33 % des actions du géant cosmétique mondial. Au 31 décembre 2007, quand L’Oréal était valorisé 60 milliards d’euros, ces 7 % valaient donc 800 millions d’euros. Un magot qui serait même de 1,17 milliards d’euros aujourd’hui, L’Oréal étant valorisé 87 milliards. Banier aurait donc été virtuellement milliardaire.

Banier et Eric Woerth à l'ouverture du procèsBanier et Eric Woerth à l'ouverture du procès © Reuters


Pas plus que la veille, les débats de mardi n’ont été favorables à François-Marie Banier. Témoins et procès-verbaux ont au contraire dessiné sa face sombre, inquiétante, celle d’un homme calculateur, cynique et âpre au gain. L’ancienne femme de chambre de Liliane Bettencourt, qui a travaillé 18 ans à son service, raconte avec des mots simples, à la barre, l’emprise qu’exerçait le photographe sur « Madame », depuis les années 2006. Il s’invitait sans prévenir, la rejoignait dans sa chambre, se permettait de lire son agenda, faisait des observations sur ses rendez-vous médicaux, quand il ne les modifiait pas. La femme de chambre l’a entendu parler « d’adoption simple » avec « Madame », après le décès de « Monsieur ». Elle ne savait pas ce que cela voulait dire.

Banier conteste, comme toujours. « C’est une idée folle ! », déclame-t-il. Un avocat lui avait fourni une consultation juridique sur le sujet de l’adoption simple, mais les choses en étaient restées là. Il s’emporte encore après la lecture du procès-verbal d’une octogénaire, une vieille amie de Liliane, qui l’accuse durement d’avoir éloigné tout le monde de la milliardaire, et de l’avoir placée sous sa coupe. « On me traîne dans la boue. Ce sont des calomnies », s’indigne Banier, avec une moue de dégoût.

Quant à Éric Woerth, il était à nouveau le seul prévenu absent du procès ce mardi, en dehors de l’ex-infirmier de Liliane Bettencourt et de l’ex-gestionnaire de fortune de l’île d’Arros, tous deux excusés pour raisons médicales.

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Procès de Lille: la «mauvaise vie» des Messieurs du Carlton

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  Il tend l’oreille vers le procureur qui lui répète sa question pour la troisième fois. « Je suis appareillé, mais ça ne marche pas. Donc, je n’entends rien. » Voilà deux bonnes heures que René Kojfer se tient à la barre du tribunal correctionnel de Lille. Le dos courbé dans un blazer trop grand, il ânonne, soupire, perd le fil de ses réponses. Quand on lui rappelle de « parler distinctement dans le micro », ce sont des « moui », des « peut-être » et des « je ne sais plus » qui parviennent à nos oreilles.

L’homme a 74 ans, mais il s’exprime comme un enfant. Il évoque sa maigre retraite de 400 euros, tirée de l’activité de textile qu’il a reprise « à la mort de (son) papa et de (sa) maman ». Écoute, ébaubi, son avocat lui expliquer que certains de ses amis le présentent comme « un pied-nickelé, un toquard et un radin », « un théâtre à (lui) tout seul », qui passe son temps à « raconter des bobards ». Il s’agace à mi-voix. « C’est faux… » Puis finit par reconnaître qu’il est du genre à « beaucoup parler au téléphone ».

René Kojfer précède son avocat, Me Hubert Delarue, à l'entrée de la salle d'audience du tribunal correctionnel de Lille.René Kojfer précède son avocat, Me Hubert Delarue, à l'entrée de la salle d'audience du tribunal correctionnel de Lille. © Reuters

René Kojfer s’exprime comme un enfant, mais les histoires qui l’ont conduit devant la justice n’ont, elles, rien d’enfantin. Celui qui exerçait il y a encore cinq ans la fonction de « responsable des relations publiques » au sein des hôtels lillois Le Carlton et l’Hôtel des Tours – 7 étoiles à eux deux – comparaît pour le chef de « proxénétisme aggravé par la circonstance aggravante de pluralité d’auteurs ». Comme Dominique Strauss-Kahn, on lui reproche dans cette affaire d’avoir « aidé, assisté, protégé la prostitution » de plusieurs jeunes femmes, entre mars 2008 et octobre 2011.

En revanche, contrairement à l’ex-patron du FMI, lui n’est « pas amateur de rencontres libertines ». Jade*, l’une des quatre prostituées s’étant portées partie civile dans le dossier, s’avance à la barre pour le confirmer, la voix nouée par les sanglots. « Il y avait un rapport sexuel entre femme et homme, mais chacun son partenaire. Ce n’était pas du libertinage où tout le monde se mélange. » René Kojfer opine du chef. Quand on lui demande à son tour de définir les « déjeuners » organisés en compagnie de jeunes femmes, du gérant et du propriétaire des deux hôtels, dans un appartement situé à deux pas du Carlton, il marmonne : « C’était amical. »

Le président Bernard Lemaire voudrait comprendre ce qu’ont d’« amicales » des rencontres tarifées 200 euros dans le meilleur des cas, 125 euros + « un peignoir » quand « les temps sont durs ». Il insiste. Quid de la relation avec la jeune P. ? « Elle me plaisait », explique Kojfer. Et M. ? « Je suis tombé amoureux. » Sonia ? « Je l’ai draguée. » Toutes les réponses que bredouille le septuagénaire valident le rapport d’expertise de sa « personnalité psychologique » où il est décrit comme quelqu’un perdant « le contact quotidien des êtres et des choses ».

Sonia, justement, vient de rejoindre son avocat sur le banc des parties civiles. Le col de sa doudoune noire remonté jusqu’aux oreilles, elle cache son visage aux regards indiscrets. Bientôt, le président lui demande de s’avancer. Oui, elle accepte de témoigner, mais souhaiterait que les caméras soient coupées, que seul le son de sa voix grelottante soit retransmis en salle de presse. Puisque le huis clos demandé par son avocat la veille a été rejeté, elle n’a d’autre choix que de parler en public. Mais elle craint que son nom ne soit étalé dans les journaux. Elle pleure. Elle a « peur ».

La jeune femme raconte comment elle est « entrée dans la prostitution », « à cause de problèmes d’argent, comme tout le monde ». Mais de façon « occasionnelle », précise-t-elle. Elle rencontre René Kojfer en 2010. « Une amie » lui avait dit qu’il « aimait bien les belles filles ». L’homme lui propose de lui présenter quelques clients, en échange de relations sexuelles “gratuites”. Une version des faits que le septuagénaire réfute. Il a simplement parlé d'elle à quelques amis, « pour rendre service ». Quant au reste, « c’était sympathique, chaleureux, on n’a pas parlé d’argent… » Le procureur intervient :

« On a compris que les voies de l’amour sont impénétrables. Quel âge aviez-vous en 2010, Monsieur Kojfer ?
— 70 ans.
— Et Sonia ?
Je ne sais pas…
— 25 ans ! », lance l’avocat de la jeune femme, posté à quelques mètres de là.

La relation « sympathique » entre Sonia et l'homme de 45 ans son aîné fait long feu. Un jour, la jeune femme refuse d’avoir une nouvelle relation sexuelle avec le « Monsieur » du Carlton si celui-ci ne paie pas. Face aux juges, l’avocat de Kojfer, Me Hubert Delarue, explique que son client n’a tout simplement pas insisté. Voici la version de l’histoire que donnait ce même client à un ami, au téléphone, en 2011, telle qu'elle est retranscrite dans l’ordonnance des juges d’instruction Stéphanie Ausbart et Mathieu Vignau :

René : « Je veux qu’elle me fasse une petite pipe à l’œil, elle m’a dit “non il faut payer 150 euros maintenant”. J’lui dis non, attends, heu j’te laisse la permission de baiser dans l’hôtel, heu j’t’ai fait un super prix et puis.. bon elle a changé, quoi enfin, (inaudible), y a pas de problème hein tu peux l’attraper hein.

S. (son ami) : Putain.

René : Elle est devenue connasse hein, mais enfin c’est la vie. »

Sonia raconte comment, à l’issue de cet “incident”, le responsable des relations publiques du Carlton l’a dénoncée auprès d’« un de ses amis de la police des mœurs ». Car René Kojfer a des « amis » dans la police. Beaucoup d’amis, même. Certains d’entre eux font partie de la même loge maçonnique que lui. Ensemble, ils déjeunent dans une brasserie, non loin de la DIPJ (direction interrégionale de la police judiciaire) de Lille, se refilent quelques tuyaux, échangent « sur le thème de la prostitution des étudiantes »...

« C'est vrai que vous étiez indic ? » lui demande le président Lemaire. « J'aime pas beaucoup ce mot-là. C'est une personne qui est dans le milieu, moi je ne fais pas partie du milieu. » Il corrige : il n’était pas à proprement parler un « indic », mais à une certaine époque, oui, il a fait « la chèvre », une façon de dire, dans le langage de la police des mœurs, qu’il a servi d’“appât”.

Le Carlton de Lille.Le Carlton de Lille. © ES

En milieu d'après-midi, après plusieurs heures d'audition et des centaines de demandes de « précisions », René Kojfer est au bord du malaise. À le regarder s’appuyer sur les pompiers qui viennent prendre sa tension, on a du mal à faire le lien avec l’homme dont nombre de conversations téléphoniques sont retranscrites dans l’ordonnance des juges Ausbart et Vignau. Celui qui parlait de « dossiers » pour désigner les femmes, expliquait qu’il allait en faire « bosser » quelques-unes, disait à ses amis « si tu veux tirer c’est magnifique » et se vantait d’être « essayeur gratis » pour le compte de Dominique Alderweireld, alias “Dodo la Saumure”, gérant de maisons closes en Belgique.

Celui aussi que ses innombrables amis décrivent comme un « bon bougre », un homme « volubile, gai luron, qui mettait l’ambiance ». Kojfer sourit timidement à ces qualificatifs. Puis se renfrogne, lorsqu’il entend que ses proches le voient également comme quelqu'un qui « se fait plaindre par tout le monde ». « C’est faux… », murmure encore l’ancien responsable des relations publiques du Carlton, avant d’évoquer ses deux grands enfants qu’il ne voit plus, ainsi que sa femme qui le bat et l’a conduit à « beaucoup de problèmes d’alcoolisme », aujourd’hui atténués par la prise d’antidépresseurs.

Lui qui était si « fier de pouvoir dire qu’il connaissait des gens importants » est devenu l’un des hommes clés du dossier dit du Carlton. Lundi 2 février, au premier jour du procès, il était assis juste derrière Dominique Strauss-Kahn. Parmi les treize autres prévenus, l’ex-patron du FMI est le seul que Kojfer n’ait jamais rencontré avant cette semaine. Et pourtant, par des connexions qui n’ont rien à envier à la théorie des « six degrés de séparation », les deux hommes se retrouvent au cœur d'une vaste affaire de proxénétisme.

Il n’a pas profité de ses relations, « c’était pas le but », dit-il. La plupart d'entre elles font aujourd’hui partie de la liste des prévenus qui vont être auditionnés au cours des trois prochaines semaines. Ses anciens patrons, Francis Henrion et Hervé Franchois, sont déjà à ses côtés aux premiers jours du procès. L’avocat lillois Emmanuel Riglaire, aussi. Notamment soupçonné d’avoir reçu certains de ses honoraires “en nature”, le conseil se contente pour l’heure d’écouter les témoignages des prostituées en faisant « non » de la tête.

Viendront ensuite l’ancien chef de la sûreté départementale du Nord, Jean-Christophe Lagarde, ainsi que des cadres et des chefs d’entreprise que Kojfer a mis en relation avec des prostituées, parfois pour « faciliter des relations commerciales » avec leurs clients, parfois pour organiser des « parties fines » pour un homme politique qui se voyait déjà président de la République. « J’ai rendu beaucoup de services, plus qu’on m’en a rendus… », souffle le septuagénaire, qui oublie que l’heure n’est plus aux comptes d’apothicaires.

En l’espace de cinq ans, tout a changé. Les rues pavées de Lille, ses hôtels étoilés où se réfugient les “amours tarifées”. Les appartements feutrés, les coupes de champagne à volonté, les bonnes bouffes entre notables locaux qui « égayent » leurs repas en faisant venir des « filles ». Les « valeurs communes » que partagent les « frères » de la franc-maçonnerie, avant de partager des « copines », et les allers-retours en Belgique où les « prestations » en club se monnayent 80 euros. Tout cela semble n’avoir jamais existé. Dans l’enceinte bétonnée du tribunal correctionnel de Lille, il ne reste plus que des hommes les yeux baissés. Et des femmes dévastées.

BOITE NOIRE*Nous utilisons les surnoms empruntés par les jeunes femmes lorsqu'elles se prostituaient. En l'absence de surnom, seule l'initiale de leur prénom figure dans l'article.

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Réfugiés syriens: la France égoïste

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L’hospitalité de ces pays atteint ses limites : le Liban, où les nouveaux venus représentent un tiers de la population, vient de leur imposer un visa pour limiter leur installation. La plupart des points de passage aux frontières – dont certains sont contrôlés par l’État islamique – sont désormais fermés. Mais cela n’empêche pas les départs, pour peu qu’ils soient monnayés.

Des Kurdes syriens après la traversée de la frontière vers la province de Sanliurfa en Turquie. © ReutersDes Kurdes syriens après la traversée de la frontière vers la province de Sanliurfa en Turquie. © Reuters

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C’est dans ce contexte explosif que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) publie ses données provisoires relatant son activité en 2014. Et, surprise, annonce une baisse des demandes déposées en 2014 par rapport à 2013, le premier recul après six années de hausse consécutives. Une baisse faible, de 2,6 %. Mais au regard des enjeux géopolitiques mondiaux, elle apparaît incompréhensible : 64 536 dossiers ont ainsi été examinés l’année dernière, contre 66 251 un an plus tôt.

L'accueil de réfugiés syriens par les pays voisins.L'accueil de réfugiés syriens par les pays voisins.

Dans le même temps, le nombre de demandes d’asile reçues dans les États de l’Union européenne a augmenté de 25 %. En Suède, pays sept fois moins peuplé que la France, plus de 80 000 personnes ont demandé l’asile, parmi lesquelles environ 40 % de Syriens. Les autorités de ce pays s’attendent à en recevoir 105 000 en 2015. En Allemagne, la tendance est la même : plus de 202 000 personnes y ont déposé une demande d’asile, soit une hausse de 60 % sur un an, parmi lesquelles 41 000 Syriens, selon le ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière.

L’écart avec la France est frappant : l’année dernière, 3 100 Syriens ont obtenu le statut de réfugiés. Un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes (depuis le début du conflit, quelque 5 000 Syriens ont été accueillis), mais qui ne soutient pas la comparaison avec l’Allemagne et la Suède.

Le paradoxe est que cette baisse globale de la demande d’asile dans l’Hexagone intervient non seulement dans un contexte de multiplication des guerres aux frontières de l’Europe, mais aussi à un moment où le ministre français de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en charge de l’asile, revendique un discours d’ouverture, comme il l’a affirmé lorsqu’il a défendu son projet de loi sur l’asile devant les députés en décembre 2014. « La France qui, en 1789, s’est soulevée contre l’arbitraire et a proclamé à la face du monde ses idéaux de liberté et d’égalité, ne peut se dérober quand frappent à sa porte ceux qui lui font confiance pour les protéger contre l’injustice, contre l’oppression et contre la barbarie », s’est-il exclamé.

L'évolution de la demande d'asile en France (souces: Ofpra, CNDA).L'évolution de la demande d'asile en France (souces: Ofpra, CNDA).

En ligne avec cette « bienveillance » assumée par le directeur général de l’Ofpra, Pascal Brice (visionner son récent entretien vidéo dans Mediapart), le taux d’admission est passé de 24,4 % à 28 % entre 2013 et 2014 – moins de demandes ont été examinées, mais relativement plus de statuts ont été accordés. Au total, 14 489 personnes ont été reconnues réfugiés en 2014, contre 11 371 en 2013. Dans presque 100 % des cas, les Syriens ont obtenu gain de cause.

Le recul de la demande d’asile à l’Ofpra s’explique principalement par la forte diminution du nombre des dossiers en provenance des Balkans (Kosovo en tête), du Sri Lanka et de la Russie. Mais comment expliquer que les Syriens et les Érythréens ne tentent pas leur chance plus massivement ? La France n’est-elle plus reconnue comme une terre d’accueil ? Le dispositif fonctionne-t-il si mal qu’il décourage les candidatures ? Les exilés préfèrent-ils aller ailleurs ? Sont-ils empêchés de déposer leur demande ?

Selon les témoignages recueillis, beaucoup d’entre eux ne font qu’une halte en France. Certains parce qu’ils veulent rejoindre des pays où ils ont de la famille ou des proches. Plutôt anglophones, ils estiment avoir davantage de perspectives économiques dans les pays du nord de l’Europe, où ils disposent de réseaux professionnels. D’autres, notamment ceux qui transitent par Calais, principalement des Érythréens, des Soudanais et des Somaliens, mettent en avant le harcèlement policier dont ils font l’objet pour justifier leur hésitation à rester.

« Les passeurs peuvent les inciter à continuer leur périple pour leur extorquer toujours plus d’argent », remarque de son côté Pascal Brice, qui s’est rendu dans les « jungles » de la Manche. Le système de l’asile est aussi en cause, admet-il. Les centres d’hébergement sont saturés au point que les demandeurs ne bénéficient pas toujours de place au chaud. En outre, les délais d’examen (jusqu’à deux ans) sont si longs qu’ils découragent les volontaires potentiels.

Des migrants soudanais à Calais en décembre 2014. © ReutersDes migrants soudanais à Calais en décembre 2014. © Reuters

Pour gagner en « efficacité », l’Ofpra a récemment recruté 55 agents supplémentaires dans le cadre d'une réorganisation interne engagée depuis deux ans. Le ministre de l'intérieur a promis de créer 5 000 places d'hébergement en plus d’ici à 2016. Mais la question de l’accès aux droits reste entière. À Calais, une antenne de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a été ouverte pour améliorer l'information sur la protection en France. Les migrants ne perçoivent toutefois pas toujours la différence entre le personnel de cet opérateur de l’État généralement chargé de les renseigner sur les retours au pays et… les fonctionnaires de police.

Les blocages ne sont pas que techniques. Ils cachent une volonté politique défaillante. Les réfugiés, s’ils avaient le choix, préféreraient voyager légalement, c’est-à-dire munis d’un visa, en toute sécurité. Ils n’entreprennent leur dangereux périple que parce que les consulats de pays européens situés dans les États limitrophes de la Syrie ne délivrent les autorisations d’entrée et de séjour qu’au compte-gouttes. Les postes de représentation français reçoivent des masses de demandes de visa humanitaire, pour la plupart rejetées (les chiffres précis ne sont pas disponibles selon le quai d'Orsay). La plupart des 3 100 Syriens qui ont obtenu l'asile en France en 2014 ont dû se débrouiller comme ils pouvaient pour poser le pied sur le sol français et avoir la chance de déposer leur demande.

Le ministère des affaires étrangères répond que d'autres possibilités existent. Et cite à l’appui un programme mis en place spécialement pour aller chercher des familles syriennes réfugiées dans des pays voisins. Ces personnes, « présélectionnées » par le HCR, sont choisies car elles se trouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité ou parce qu'elles ont des liens avec la France. Mais le nombre des heureux élus est infime au regard des besoins : 500 personnes ont été accueillies en 2014, 500 autres devraient l'être en 2015. Cette générosité a minima (justifiée en partie par le fait que chaque famille se voit proposer un logement et un « parcours d’intégration ») apparaît en décalage avec les déclarations officielles. La comparaison avec l’Allemagne, qui compte 20 000 Syriens bénéficiaires d’un programme de « réinstallation », n’est là encore pas à l’honneur de la France.

Plusieurs leviers sont à la disposition du gouvernement pour joindre le geste à la parole. Outre la refonte du dispositif d'accueil (prévue par le projet de loi en cours d'examen devant le Parlement), le gouvernement pourrait, étant donné la gravité et l'urgence de la situation, commencer par délivrer davantage de visas humanitaires et augmenter le nombre de bénéficiaires du programme spécial. Il pourrait aussi en un rien de temps supprimer le verrou qu’il a discrètement installé après le début du conflit : le visa de transit aéroportuaire, qui empêche les Syriens en escale en France d’y demander l'asile. 

  • Voir aussi sur Mediapart Syrie, la guerre au quotidien, un webdocumentaire de Caroline Donati et Carine Lefebvre-Quennell qui rassemble les vidéos de combattants syriens.

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Nouvelle tempête dans la police judiciaire parisienne

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C’est une nouvelle tempête pour la police judiciaire française. Après le vol cet été de scellés de cocaïne à la brigade des stups et l’éviction fin 2013 de l’ancien patron de la PJ parisienne en marge de l’affaire des financements libyens de Sarkozy, plusieurs responsables policiers ont été interpellés et placés en garde à vue, mardi 3 et mercredi 4 février, dans le cadre d’une affaire de « violation du secret de l’instruction ».

Parmi eux figure Bernard Petit, l’actuel directeur de la police judiciaire à la préfecture de police de Paris. Soit l’un des plus hauts responsables policiers du pays. Il est actuellement entendu par l’Inspection générale de police nationale (IGPN), généralement présentée comme étant « la police des polices ».

Le siège de la PJ parisienne.Le siège de la PJ parisienne. © Reuters

Outre les interpellations, des perquisitions ont également été menées au siège de la PJ parisienne, au 36, quai des Orfèvres, à Paris, mais aussi à l’Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale (ANAS), dont le siège est situé à Joinville-le-Pont (Val-de-Marne). Son président, le syndicaliste Joaquin Masanet, a lui aussi été placé en garde à vue.

D’après les premiers éléments recueillis par Mediapart, le dossier porte sur une « violation du secret de l’instruction » liée à l’affaire dite “Rocancourt”, du nom de cet escroc, qui après avoir été condamné aux États-Unis et en France, est aujourd’hui soupçonné d’avoir monnayé des régularisations de titres de séjour moyennant des versements en espèces.

Dans cette affaire, dont l’enquête a été confiée aux juges d’instruction Roger Le Loire et Charlotte Bilger, plusieurs personnes, soupçonnées d’avoir participé directement ou indirectement à ce système, sont déjà mises en examen : Christophe Rocancourt, mais aussi l’ancien ministre Kofi Yamgnane, l’avocat Marcel Ceccaldi, ou le "célèbre" gendarme Christian Prouteau, créateur en 1974 du GIGN.

C’est une fanfaronnade de ce dernier devant les policiers, lors de sa garde à vue en octobre 2014, qui a mis les juges sur la piste d’une éventuelle violation du secret de l’instruction. Le fondateur du GIGN a dit aux policiers qui l’auditionnaient qu’il savait beaucoup de choses de leur enquête et même ce qu’il lui était précisément reproché. Découvrant cela, les juges en charge du dossier sont furieux. Et s’interrogent : Christian Prouteau, que la vantardise n’effraie pas, s’est-il poussé du col ou a-t-il profité de fuites illégales ? Une enquête est ouverte, des vérifications sont entamées.

Selon nos informations, début octobre, Christian Prouteau a été appelé par la Brigade de répression des infractions financières (BRIF) de la préfecture de police de Paris pour l’informer de sa future convocation dans l’affaire Rocancourt. Jusque-là, rien d’anormal. Mais Christian Prouteau veut en savoir plus. Il appelle un certain Philippe L. pour lui demander d’aller à la pêche aux infos. Le soir même, le téléphone de la femme dudit Philippe L. appelle Bernard Petit, le patron de la PJ parisienne.

Les investigations menées à partir des relevés téléphoniques montrent que, dans les jours qui suivent, de nombreux appels ont lieu entre Philippe L., Christian Prouteau, Bernard Petit et son chef de cabinet, Richard A. Des SMS laissent aussi apparaître qu’un ou plusieurs rendez-vous ont eu lieu physiquement entre certains protagonistes. Les appels, eux, ne s’interrompent pas. Les téléphones chauffent. Notamment le 6 octobre, soit la veille de la garde à vue de Christian Prouteau. Puis tout se calme après la mise en cause judiciaire du fondateur du GIGN.

Cette suractivité téléphonique et les fanfaronnades de Christian Prouteau suffisent-elles désormais à établir la réalité des fuites illégales et l’implication de chaque personne aujourd’hui entendues sous le régime de la garde à vue ? Les magistrats ont l’air de le penser. L’enquête ne fait que commencer.

BOITE NOIREDans une précédente version de cet article, j'ai improprement prénommé "Robert" le chef de cabinet du directeur de la PJ parisienne. Il se prénomme en réalité "Richard".

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Répression à Sivens : « un changement de doctrine inquiétant »

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 « Ils suivent des stages de résistance, bénéficient de soutiens logistiques, d’assistance médicale et juridique, et s’équipent de dispositifs de protection. » Auditionné mardi 3 février 2015 par des députés de la commission d’enquête sur le maintien de l’ordre républicain, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a mis l’accent sur les « nouvelles formes de contestation sociale » auxquelles font face les forces de l’ordre. Au nombre desquelles, il a pointé les ZAD (zones à défendre) « disséminées sur de vastes terrains » et tirant « profit de la présence ponctuelle de manifestants non violents », ainsi que des « groupes très structurés » cherchant le coup de poing avec les forces de l’ordre lors de « rassemblements institutionnels classiques » mais qui se distinguent des simples casseurs par leur « intelligence collective ».

Selon le ministre de l'intérieur, la nouveauté, c'est que ces groupes « ne fonctionnent plus de manière étanche et hermétique ». « Il n’est donc plus rare, dans les opérations de maintien de l’ordre, de voir des Black blocs associés dans l’action à des individus a priori moins politisés issus de la mouvance des raveurs, à des adeptes de Flash mobs aussi bien qu’à des altermondialistes ou à des groupes issus de mouvements anarchistes ou radicaux, a poursuivi Bernard Cazeneuve. Dans d’autres cas, comme on l'a vu au cours de certaines manifestations de juillet 2014, certaines franges de l'islamisme radical peuvent faire cause commune avec des groupes de supporters de football liés à des mouvements identitaires. » D'où la nécessité pour le ministre de l'intérieur de renforcer un renseignement territorial (les ex-RG) mis à mal tant par la création en 2008 de la DCRI que par les suppressions de postes.

À l’appui de cette analyse, Bernard Cazeneuve met en avant les 338 gendarmes mobiles et CRS blessés en mission en 2014, contre 228 en 2013 et 175 en 2012. Des chiffres à manier avec précaution car ils ne disent rien de la gravité des blessures (qui peuvent aller de simples contusions sans ITT à des fractures). Lors de son audition, Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, a par exemple remis en doute l’utilisation d’acide par les zadistes contre les forces de l’ordre à Sivens, affirmant ne pas avoir été témoin de ces actes qui auraient nécessairement entraîné des blessures ou des traces matérielles côté forces de l’ordre.

Les autres représentants de la place Beauvau, auditionnés par cette commission début décembre 2014, quelques semaines après la mort de Rémi Fraisse, se sont montrés tout aussi alarmistes. « La gravité des violences a augmenté », a assuré Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur. « Il n’est pas rare de devoir faire face à certains modes d’actions proches de la guérilla », a affirmé le général Bertrand Cavallier, ancien patron du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier.

Il n’existe cependant pas de données chiffrées, ni d'études scientifiques sur l’évolution du niveau de violence lors des mobilisations sociales. Et pour cause, Bernard Cazeneuve a estimé mardi que son ministère s'est « trop coupé de ces réseaux (de chercheurs) ces dernières années ».

Cette « constante du discours officiel », qui vise à « contextualiser, peut-être à justifier l’usage des grenades offensives », a d’ailleurs frappé le sociologue Cédric Moreau de Bellaing, maître de conférences à l'École normale supérieure. Entendu le 22 janvier 2015, le chercheur a rappelé « que la France a connu des épisodes qui peuvent "concurrencer" sans trop de difficulté ce qui s’est passé à Sivens » et que « si violent que cet épisode ait pu être, cette violence reste très en deçà de ce que connaissent certains des pays voisins comme la Grèce ou l’Allemagne ». Il cite « la violence des grandes manifestations de 1947-1948, de celles des viticulteurs de 1950, ou de celle de Creys-Malville de 1977 ».

Surtout, le sociologue, qui travaille depuis dix-sept ans sur la police, perçoit « un changement de doctrine » jugé « inquiétant ». « Ainsi, l’intensité de l’engagement des forces de maintien de l’ordre serait justifiée par l’intensité de la violence des protestataires », a-t-il remarqué devant les députés. Ce principe d’escalade de la violence est, selon lui, « radicalement opposé aux doctrines sous-tendant l’école française de maintien de l’ordre ». « Au début du XIXe siècle, en effet, les forces de l’ordre calaient l’intensité de l’usage de la force sur la violence des protestataires qui leur faisaient face, a expliqué Cédric Moreau de Bellaing. Cette montée aux extrêmes favorisait l’usage d’armes de part et d’autre, provoquait nombre de blessés et, du reste, se soldait parfois par un nécessaire repli de la force publique. » Au tournant du XXe siècle, la logique s’est inversée, ce qui a « largement contribué à la réduction globale du niveau de violence dans les mouvements de protestation collective ».

Le sociologue observe aussi les effets pervers des injonctions faites, depuis les émeutes urbaines de 2005, aux policiers et gendarmes. Ceux-ci n'ont plus seulement pour mission de « tenir un cordon, une rue, un espace mais de se mouvoir et (…) d’interpeller ». « Depuis la création des forces spécialisées dans le maintien de l’ordre, la doctrine reposait sur la mise à distance des manifestants, a-t-il poursuivi. Tenir un barrage plutôt que de mener ce que les policiers appellent des courses à l’échalote, c’est-à-dire des poursuites individuelles des fauteurs de troubles ; développer des équipements qui protègent les policiers mais qui sont lourds et qui donc rendent difficile cette poursuite ; utiliser des armes qui visent à disperser, à éloigner, le dispositif principal étant ici la grenade lacrymogène. Or le retour des missions d’interpellation signifie l’inverse : moins de patience, plus de risques, avec la nécessité d’un rapprochement physique avec les perturbateurs afin de les interpeller. »

Cette évolution a été renforcée par la généralisation, au milieu des années 2000, de nouvelles armes, comme les lanceurs de balle de défense, responsables en France d’une trentaine de blessures graves au visage (pour la moitié lors de mobilisations). « Si bien que les Flashball, dont l’argument de vente consistait à dire qu’il s’agissait d’armes devant contribuer à réduire le niveau de violence engagée par les forces de l’ordre d’un État démocratique, ont un effet tendanciellement inverse et contribuent à élever le niveau de violence des situations de maintien de l’ordre », estime le chercheur. Là encore, il a souligné la nécessité de sortir de la culture du chiffre instaurée par la droite.

« Que serait aujourd’hui un maintien de l’ordre réussi du point de vue des forces de l’ordre : un maintien de l’ordre sans blessés ou avec un niveau d’arrestations élevé ? Comment récompenser les policiers et les gendarmes parce que le calme a été maintenu, parce qu’il n’a pas été nécessaire d’intervenir, la pacification ayant été obtenue en amont, plutôt que de les récompenser en fonction du nombre d’arrestations ? »

Pour le sociologue, le défi est donc moins « l’arsenal des forces de l’ordre » que « la capacité à créer de nouvelles coopérations avec des groupes relativement flous », comme la police a su en nouer après-guerre avec les services d’ordre de la CGT. Ce qui s'est manifestement traduit par un échec à Sivens où, avant la mort de Rémi Fraisse, les deux préfets successifs n’ont jamais pris la peine de rencontrer le militant écolo Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. On peut toujours prétendre ensuite, comme l’a fait Thomas Andrieu devant les députés, se heurter au « défaut d’organisation » qui « caractérise les zadistes, qui par essence refusent cette notion ou font de l’absence d’organisation une stratégie politique, une stratégie de combat ».

Mardi, le ministre de l’intérieur Cazeneuve a par ailleurs annoncé vouloir « mettre le paquet sur la formation des forces de sécurité », dont la direction avait été supprimée sous la droite. Il a confirmé que le libellé des sommations faites par les forces de l’ordre sera « revu », afin qu’il soit plus clair pour les manifestants. Les opérations de maintien de l’ordre « à risques » seront désormais intégralement filmées, ce qui était déjà en partie le cas. Et ce « dans un but de renseignement ou pour déterminer a posteriori, pour des besoins judiciaires, le comportement des manifestants ou des forces de l’ordre », a précisé Thomas Andrieu.

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Procès Bettencourt: les enregistrements refont surface

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Bordeaux, de notre envoyé spécial. C’est certainement le moment de ce procès que redoutait le plus Patrice de Maistre. Ce mercredi, le tribunal correctionnel de Bordeaux diffuse, dans une salle d’audience bondée, un extrait d’une vingtaine de minutes tiré des célèbres enregistrements effectués par le majordome de Liliane Bettencourt, ceux-là mêmes qui ont empêché que l’affaire soit étouffée quand certains passages accablants ont été rendus publics (par Mediapart puis Le Point, avant que la cour d’appel de Versailles ordonne le retrait des extraits d’enregistrements et même de leurs retranscriptions).

Saisies sur le vif, en 2009 et 2010, ces conversations en tête à tête entre la femme la plus riche de France, sourde et vulnérable, et son gestionnaire de fortune, alors au faîte de sa puissance, figurent en bonne place au dossier pénal. Elles sont en quelque sorte la preuve des preuves. Car elles permettent de comprendre instantanément ce qu’ont déclaré les médecins et les experts au sujet de la milliardaire (en état de faiblesse depuis 2006 au moins), et dans quel contexte cette femme âgée a pu être amenée à distribuer des sommes pharaoniques à ceux qui se disaient ses amis, ses conseillers ou ses protecteurs.

L'extrait date du 4 mars 2010. Le son est de qualité moyenne, mais le volume assez fort. Après quelques politesses sur un séjour enchanteur dans l’île d’Arros, où il a été invité peu de temps avant avec son épouse, et des compléments doucereux adressés au petit chien de la milliardaire, Patrice de Maistre éveille l’attention de Liliane Bettencourt avec un sujet qui obsède l'octogénaire. « L’image de votre fille commence à se troubler dans les journaux. On se demande ce qu’elle veut », lance-t-il, l’air de rien, en amuse-bouche. La plainte pour abus de faiblesse déposée par Françoise Meyers-Bettencourt dès décembre 2007 provoque alors de sérieuses tensions. « On a beaucoup de choses à voir aujourd’hui, mais on devrait aller assez vite », enchaîne Patrice de Maistre, dont le temps semble précieux. C’est qu’il y a des papiers et des chèques à signer.

Patrice de Maistre au tribunalPatrice de Maistre au tribunal © Reuters

On règle des questions telles que ce salarié à « faire passer » de la Fondation Bettencourt à la holding Tethys. Il y a aussi une histoire d’appartement, qu’il faut acheter pour un membre du personnel. « Ils en veulent deux millions neuf, mais je pense qu’on peut l’avoir pour deux millions cinq. C’est très cher », explique de Maistre, qui mène les débats. Gênante, la conversation qui suit témoigne autant de la surdité de la vieille dame que de ses pertes de mémoire. Elle vire par moments au monologue, de Maistre indiquant poliment les endroits où il faut signer, ceux où il faut parapher, en poussant parfois un ou deux soupirs exaspérés. « Vous allez trop vite ! Une seconde ! » implore-t-il.

On en vient maintenant à ce qui intéresse Patrice de Maistre. Sa nouvelle convention d’honoraires, qui va porter ses revenus à quelque deux millions d’euros par an. « Là, c’est moi, là… », glisse-t-il, poussant sa convention sur le bureau après avoir brassé d’autres paperasses. « Est-ce que vous avez vu ça? On en a parlé à Arros. Et voilà… » On devine une Liliane Bettencourt qui lit lentement les quatre pages de la dite convention. Comprend-elle réellement ce qui se joue ? « Vous m’avez dit oui », précise de Maistre, serviable mais insistant. « La réalité, c’est que la Fondation est devenue très importante, et que je ne suis pas payé pour ça. Deuxièmement, je m’occupe aussi de vos affaires, et ça me prend un petit peu de temps. J’ai préparé une convention », argumente-t-il. Liliane Bettencourt n’a pas l’air très au fait de ce sujet là. Alors de Maistre répète à nouveau, d’un ton qui se veut calme et respectueux : « Madame, je m’occupe de Clymène et de Tethys, et maintenant la Fondation prend beaucoup de temps. Voilà... » On entend la milliardaire demander quelques précisions, un détail sur les honoraires qu’on lui demande de verser. « Ça couvre tout ce que je fais pour vous », assure de Maistre. Il ne gagnait jusque-là que 1,2 million d’euros par an pour son dur labeur.  

Le dialogue étant plus que laborieux, Patrice de Maistre justifie cette nouvelle convention avec des mots que la milliardaire peut entendre. « Après vous, votre fille, elle va me tirer dessus ! Votre gendre, il va me tirer dessus ! (…) Ça, c’est légal, c’est normal et c’est correct. Et personne ne pourra dire que je ne travaille pas pour vous. Est-ce que vous êtes sereine avec ça ? Alors il faut signer là. » Suit un petit rire, et un nouvel appel à signer.

Le reste de l’enregistrement est surréaliste. 55 000 euros à donner en espèces à un médecin qui a accompagné Liliane Bettencourt sur l’île d’Arros. Et puis encore un document, par lequel la milliardaire désigne Patrice de Maistre comme tuteur, si jamais elle était placée sous tutelle. « Si vous signez ça, et que votre fille vous fait mettre sous tutelle, je serai votre tuteur. Me Normand dit que c’est une très bonne idée, il faut aller chez le notaire pour signer », insiste de Maistre. Pourquoi faire compliqué... Dossier suivant. Une employée licenciée à qui on va donner 200 000 euros. « Elle voulait 300 000. » Et puis des chèques à signer.

C’est le passage comique. Celui des candidats aux prochaines élections régionales, qu’il faut aider avec un don. « Là, c’est Valérie Pécresse, elle est ministre. Elle va perdre, mais il faut lui montrer notre soutien. Le deuxième, c’est le ministre du budget, il faut lui donner quelque chose. » On devine la voix de Liliane Bettencourt qui articule faiblement un « Ça me dit quelque chose »… Patrice de Maistre continue. « Le troisième, c’est Nicolas Sarkozy. » Liliane connaît. « Ce n’est pas cher, la rassure de Maistre. C’est le maximum légal. 7 500. Vous savez, en ce moment, il faut qu’on ait des amis. » Il cite à nouveau les patronymes de Pécresse et de Woerth, qui n’ont pas dû imprimer la mémoire de l’octogénaire. « Je pense que c’est bien. C’est pas cher, et ils apprécient », commente de Maistre.

Un autre passage de l’enregistrement est clairement à l’avantage du gestionnaire de fortune. Il presse sa patronne de revenir sur le testament qui a institué François-Marie Banier légataire universel. « Il aura tout ce que vous avez là ! Vous lui avez déjà donné beaucoup d’argent. Me Normand dit que c’est une folie. Si vous lui donnez tout, ça va faire une guerre ! » prévient-il. On comprend ensuite que Liliane Bettencourt s’inquiète de la réaction d’un François-Marie Banier que plusieurs témoins ont décrit colérique, voire violent. De Maistre la rassure : Banier serait d'accord.

Interrogé par le tribunal après ces moments pénibles, Patrice de Maistre tente de sauver la face. « Elle était ma patronne. C’était une femme âgée, soit. Mais je n’ai pas pensé qu’elle n’était pas en état de faire ce que nous avons fait lors de cette séance. » Quand Madame Bettencourt n’était pas bien, ou trop fatiguée, son gestionnaire de fortune reportait consciencieusement les entretiens prévus avec elle.
Un peu plus tôt, il a dit ceci, en pleurant à la barre du tribunal : « J’ai beaucoup de respect pour Madame Bettencourt. C’est une femme formidable. Son état de santé, ce n’est pas tout blanc ou tout noir. » Mais tous les avantages tirés de cette situation, ces sommes qu’on lui reproche aujourd’hui, qualifiées d’abus de faiblesse ? « J’ai accepté. C’est ma responsabilité, je l’assume. »

Liliane BettencourtLiliane Bettencourt

Patrice de Maistre s’est enrichi chez les Bettencourt, mais il semble trouver, aujourd'hui, que le prix à payer est trop élevé. « J’hésitais à prendre ce job. J’aurais mieux fait de me casser une jambe ce jour-là », glisse-t-il. Pour sa défense, il explique avoir placé et investi des sommes gigantesques, colossales, au sein de la holding familiale des Bettencourt, d'abord 200 millions, puis 500, et même 800 pour finir. « On a grandi. On a engagé Mme Woerth », dit-il.

Visiblement affecté, Patrice de Maistre aimerait ramener ce qu'on lui reproche aux proportions de la fortune des Bettencourt, estimée autour de 19 milliards d'euros. À l'époque où il était auprès d'elle, ses seuls dividendes rapportaient à Liliane Bettencourt entre 150 et 200 millions d'euros par an, on ne sait plus trop. « Elle doit en recevoir 300 ou 400 aujourd'hui », lâche de Maistre. Dans ce contexte-là, au vu de sa charge de travail et des sommes qu'il gérait, il s'est cru légitimement autorisé à augmenter ses honoraires. De 500 000 euros (hors taxes) par an en 2004, ils passent à 800 000 euros en décembre 2006, puis à 1,2 million d'euros en décembre 2009 (moment où une indemnité de rupture équivalant à deux ans de salaire fait aussi son apparition), avant de bondir à 2 millions en mars 2010. Ses revenus légaux et déclarés ont donc quadruplé en six ans.

Mais il y a encore l'épisode peu glorieux de sa « retraite chapeau ». Ayant eu des soucis de santé en 2008, Patrice de Maistre s'inquiète, et demande un geste à Liliane Bettencourt pour ses « vieux jours ». « Elle l'avait fait pour d'autres, dont Lindsay Owen-Jones, l'ancien PDG de L'Oréal »,  justifie-t-il. De Maistre calcule alors qu'il aimerait bien avoir un complément de retraite de 250 000 euros par an. En septembre 2008, Liliane Bettencourt, toujours compréhensive et généreuse, lui fait un don de 5 millions d'euros – qui lui a coûté 8 millions avec les droits et taxes qu'elle a acquittés –, et Patrice de Maistre place la somme en assurance-vie. Questionné par le président du tribunal, il indique toucher aujourd'hui une retraite annuelle de 65 000 euros par an, et continuer à travailler.

Dans cette affaire, le gestionnaire de fortune doit encore s'expliquer sur les espèces qu'il a fait rapatrier depuis la Suisse, à hauteur de 4 millions d’euros, entre février 2007 et décembre 2009, sans que l’on soit certain que Liliane Bettencourt ait tout saisi. Dans l'ordonnance de renvoi, les juges d'instruction notaient que l'ancien expert-comptable n'a pu justifier l’utilisation de 800 000 euros livrés par coursier en février et avril 2007, puis d’une somme de 2 millions d’euros remise en décembre 2008 « dont les investigations n’ont pas permis d’identifier un autre bénéficiaire que lui-même à titre personnel ».

Autre épisode fameux (ou fumeux), sur lequel Patrice de Maistre est en difficulté, mercredi soir face au tribunal : le bateau de 1,2 million d’euros dont il rêvait, et pour lequel il avait encore réclamé de l'argent à Liliane Bettencourt. En revanche, l'ex-gestionnaire de fortune n'a pas encore été interrogé sur les 50 000 euros qu'il aurait remis à Éric Woerth, selon les juges d'instruction. L'ex-ministre et ancien trésorier de Nicolas Sarkozy n'est, quant à lui, toujours pas revenu à Bordeaux depuis l'ouverture du procès, le 26 janvier, à la différence des autres prévenus, qui assistent et participent à toutes les audiences.

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Procès du Carlton : les écoutes fantômes du témoin « secret défense »

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De notre envoyée spéciale, à Lille. Trois pages. Trois pages perdues au milieu d’un épais ouvrage qui en compte plus de 450. Trois pages annotées, “stabilotées”, couvertes d’encre rouge. Maître Olivier Bluche s’y est abîmé les yeux des dizaines de fois. Pour lui, elles constituent la preuve que l’enquête préliminaire ouverte le 2 février 2011, celle qui a conduit son client, le commissaire Jean-Christophe Lagarde, à être renvoyé en correctionnelle pour « proxénétisme aggravé » et « recel d'abus de biens sociaux », n’a été qu’une étape. L’étape judiciaire et officielle d’un dossier tentaculaire qui occupait la police depuis plusieurs mois déjà, pour des raisons qu'il juge obscures.

Vrai flic, mémoire d’un flic du Nord (Éd. Télémaque), le livre qui contient ces trois pages, est signé Joël Specque. Cette autobiographie de l’ancien patron de la brigade criminelle de Lille n’a certainement pas été un gros succès de librairie. Mais ce mercredi 4 février, dans l’enceinte du tribunal correctionnel où l’on juge l’affaire dite du Carlton, tout le monde se l’arrache. Me Bluche tient son exemplaire à la main. C’est lui qui a cité Specque comme témoin. Il souhaite que l’ex-commissaire répète à l’oral ce qu’il a déjà couché par écrit voilà plusieurs mois.

Joël Specque, ancien patron de la brigade criminelle de Lille.Joël Specque, ancien patron de la brigade criminelle de Lille. © Éditions Télémaque.

Face aux juges, Specque est raide comme la justice. Il jure de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité », décline son identité et commence à raconter son histoire. Sans la dérouler, mais en se bornant à répondre aux questions pressantes de l’avocat qui se tient à ses côtés. Mi-juin 2010, à quelques mois de la retraite, le patron de la crim’ lilloise reçoit un renseignement « précis et crédible », selon lequel René Kojfer, le monsieur « relations publiques » du Carlton et de l’hôtel des Tours, proposerait à des hommes les services de jeunes prostituées.

Plus intéressant encore : Dominique Alderweireld ferait partie du circuit. Sous le nom de “Dodo la Saumure”, il est encore plus connu du milieu policier qui s’agace de voir prospérer ses maisons closes outre-Quiévrain sans jamais être inquiété, comme le veut la loi belge. « Faire tomber » cet homme est « l’objectif final » de l’opération que Specque décide de lancer. En demandant l’ouverture d’une enquête préliminaire ? Non, trop délicat. « Le tuyau repose sur une rumeur et c’est pas sur la réputation des gens qu’on monte un dossier judiciaire. » En organisant une surveillance physique ? De l’entrisme ? Trop compliqué, aussi. « On est connu des deux protagonistes. »

Pour « avancer dans le dossier », le commissaire ne voit qu’une seule solution : demander la mise en place d’interceptions de sécurité. En trois mots comme en un seul : brancher les suspects. Sans passer par la case judiciarisation. « C’est une solution qui nous est donnée par la loi du 10 juillet 1991, détaille-t-il à la barre. On pèse bien le pour et le contre. Il faut trois motivations dans le cadre de la loi : pertinente, suffisante et sincère. » Pour Specque, les conditions sont réunies. Il lance la procédure. « On ne décide pas, nous policiers, de mettre des interceptions de sécurité, précise-t-il. Notre demande est transmise à la direction centrale de la PJ et elle arrive ensuite à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS – ndlr). »

L’autorisation finale est accordée par décision écrite et motivée du premier ministre. À l’époque, c’est donc François Fillon qui a donné son feu vert pour mettre sur écoutes… René Kojfer et son acolyte “Dodo la Saumure”. Assis non loin de là, Me Henri Leclerc, le conseil de Dominique Strauss-Kahn, semble bouillir. Les avocats de la défense se succèdent à la barre pour assaillir Specque de questions. Ils le somment d’expliquer ses véritables motivations. Car brancher des suspects n’est pas une procédure aussi anodine que ses réponses bredouillantes le laissent penser.

Voici ce que dit exactement la loi du 10 juillet 1991 : « Peuvent être autorisées, à titre exceptionnel, (…) les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques ayant pour objet de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous (…). » En clair, il faut du lourd, plaide la défense.

« Sur la base de notre signalement, on en déduit que c’est pas que du simple proxénétisme hôtelier, résiste Specque, qui a de plus en plus de mal à contrer les saillies des robes noires. On se dit que si ça se passe au Carlton, les rencontres se passent de façon plus organisée. On est au stade de la prévention du crime organisé. On ne se contente pas de subir les crimes et les délits, on a un rôle proactif. » Les chiffres parlent pour lui. D'après le dernier rapport d'activité de la CNCIS, 6 100 écoutes administratives ont été autorisées en 2013. 51 % d’entre elles visaient la délinquance et la criminalité organisées.

Évoquée lors de la première journée du procès, le lundi 2 février, l’existence d’écoutes administratives est désormais avérée. Et quand bien même leur justification laisserait dubitative la dizaine d’avocats qui se succèdent à la barre, elle est martelée, encore et encore, par l’ex-patron de la crim’ lilloise. René Kojfer et “Dodo la Saumure” ont donc été branchés de juillet 2010 à février 2011, date qui marque le début officiel de l'affaire dite du Carlton. Une période démesurément longue quand on sait qu'en matière de délinquance et de criminalité organisées, les interceptions de sécurité durent 4 mois et sont rarement renouvelées, comme le précise encore le rapport de la CNCIS.

Selon le tout premier procès-verbal de la procédure judiciaire que Mediapart s’est procuré, l’enquête préliminaire a été ouverte sur la base de « plusieurs renseignements recoupés ». Ce PV comporte déjà les noms et numéros de téléphone de deux des prostituées citées dans le dossier. Leurs échanges téléphoniques avec Kojfer étaient donc plus qu'établis à compter du 2 février 2011. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que parmi les « renseignements recoupés » qui ont lancé l'affaire, figuraient en bonne place des écoutes administratives dont personne n'a jamais entendu parler durant l'instruction.

Un point de détail somme toute, mais qui a son importance puisque nul dans la salle d’audience, hormis Joël Specque, ne connaît le contenu de ces milliers de conversations qu’ont eues deux des principaux prévenus du procès pendant une demi-année. Les interceptions de sécurité réalisées à cette époque n’ont jamais été versées à la procédure judiciaire et elles ne le seront jamais. « Les écoutes administratives sont détruites, c’est pas moi, c’est la loi », bafouille l’ancien commissaire.

Dominique Strauss-Kahn arrive au tribunal correctionnel de Lille, le 2 février.Dominique Strauss-Kahn arrive au tribunal correctionnel de Lille, le 2 février. © Reuters

Il est près de 20 heures. Une avocate s'avance encore pour poser une énième question. Elle s'excuse de prolonger les débats. Les bancs du public commencent à se vider, quand soudain le bal des robes reprend. Puisque la défense n’obtiendra pas ces écoutes, celle de Dominique Strauss-Kahn entend bien essorer le témoin pour qu’il en livre le contenu. « Pourquoi ne pas nous donner le contenu de ces écoutes ? » tente ainsi Me Henri Leclerc. « Je ne peux pas me parjurer. Je suis tenu par l’habilitation du secret défense », répond Specque.

Il n’en fallait pas plus pour que le spectre du complot politique s’engouffre de nouveau dans les travées du tribunal. L’avocat de l'ancien patron du FMI saisit la balle au bond. « Pour qu’une enquête justifie le secret défense, il faut que vous ayez invoqué une affaire particulièrement grave ! » s’exclame-t-il. Le ténor du barreau a toutes les armes en mains pour ferrailler. D’étranges écoutes validées par François Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Des heures et des heures de conversations détruites, alors qu’elles constituent la base d’une vaste affaire de proxénétisme dans laquelle se retrouve plongé un ancien prétendant à l'Élysée. L'avocat n'a même pas besoin de trop en faire. Il escarmouche.

D’autant que ses confrères de la défense se chargent de rappeler à Specque une conversation téléphonique datée du mois d’avril 2011 et dénichée dans la procédure. On y entend René Kojfer discuter avec l’un de ses amis, Frédéric Veaux, qui a commencé sa carrière de policier à Lille, avant de devenir… n°2 de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ce “FBI à la française” devenu, sous le quinquennat Sarkozy, l’exécutant des missions de basse police du pouvoir politique. Sur l’écoute, Veaux demande sur le ton de la plaisanterie à Kojfer s’il « partouse avec DSK ».

La blague ne fait pas rire le conseil de l’ancien patron du FMI. Elle a été lancée quelques semaines avant l’arrestation de son client à New York, quand celui-ci se voyait encore futur président de la République. « Il faut tordre le cou aux rumeurs de complot, soupire Joël Specque, le visage désormais tiré par la fatigue. Y a rien eu de sensationnel dans ces interceptions. » Les robes se trémoussent sur leur banc. « Je ne vous crois pas Monsieur », lâche un avocat, un sourire aux lèvres. Mais l'ancien commissaire n’en démord pas. « À aucun moment le nom de Strauss-Kahn n’a été cité dans ces interceptions ! » finit-il par lâcher. Me Henri Leclerc tempête une dernière fois : « Mais si vous êtes tenu au secret défense, comment pouvez-vous dire que le nom de Dominique Strauss-Kahn n'y figure pas ? Monsieur, vous venez donc de violer le secret défense ! »

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Pérol renvoyé en correctionnelle : les secrets de l’enquête

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Cela devrait déclencher un séisme dans les milieux financiers français mais aussi dans les cercles dirigeants de la « Sarkozie » : le juge Roger Le Loire a pris une ordonnance renvoyant devant un tribunal correctionnel François Pérol, le président de la banque BPCE et ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, pour y être jugé pour « prise illégale d’intérêt ». C’est l’AFP qui le confirme ce jeudi 5 février, en faisant état de sources concordantes.

De nombreux indices suggéraient en effet que le magistrat qui a conduit l’instruction prendrait cette décision : en particulier, le Parquet national financier (PNF) a pris, dès le 7 novembre 2014, des réquisitions en ce sens (lire Affaire Pérol : vers un procès pour prise illégale d’intérêt).

Pressentant que ce nouveau rebondissement judiciaire était imminent, nous avions consacré à la fin du mois de décembre dernier une très longue enquête à l’affaire Pérol, en trois volets, nourrie des nombreux éléments nouveaux que l’enquête judiciaire a mis au jour – enquête dont Mediapart a pu prendre connaissance des principales révélations.

Voici, pour mémoire, les principales révélations de notre enquête.

Dans le premier volet de note enquête, nous révélions d’abord à quel point l’instruction du juge Roger Le Loire avait tranché avec l’enquête préliminaire ouverte suite aux plaintes déposées par les syndicats CGT et Sud des Caisses d’épargne, quand François Pérol avait quitté l’Élysée pour prendre, au début de 2009, la présidence des Caisses d’épargne et des Banques populaires, puis la présidence de BPCE, la banque née de la fusion des deux précédents établissements. À l’époque, on était encore sous la présidence de Nicolas Sarkozy et la procédure avait été pour le moins expéditive.

En droit, il s’agissait d’établir si François Pérol s’était borné à avoir des contacts avec les différents responsables de ces établissements, pour éclairer les choix du président de la République, ou si, outrepassant cette fonction, il avait contribué à peser sur l’avenir de ces deux banques, en organisant lui-même leur mariage, pour ensuite prendre la présidence de la banque unifiée.

En clair, il s’agissait d’établir si François Pérol avait lui-même exercé l’autorité publique sur ces deux banques, avant d’en prendre la direction, ce que les articles 432-12 et 432-13 du Code pénal prohibent : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

Or, l’enquête préliminaire s’est déroulée dans des conditions scandaleuses. À l’époque, un seul témoin a été entendu, François Pérol, comme si cela suffisait à la manifestation de la vérité. Et lors de son audition, le 8 avril 2009, devant la brigade financière – audition dont nous avons pu prendre connaissance –, François Pérol a pu expliquer sans être contredit qu’il s’était borné à éclairer les choix de Nicolas Sarkozy, sans jamais être impliqué dans la moindre décision. Ce qui a donné lieu à ces échanges étonnants :

« Avez-vous eu, en tant que secrétaire général adjoint de la présidence de la République, à suivre le rapprochement des deux groupes et/ou l'apport de 5 milliards d'euros par l'État ? lui demande le policier de la Brigade financière.

— Le rapprochement a été annoncé en octobre 2008, j'en ai été informé de même que les autorités de régulation et de contrôle, par les deux présidents de l'époque, Messieurs Milhaud [le président de l’époque des Caisses d’épargne] et Dupont [le président de l’époque des Banques populaires], la veille ou le jour de l'annonce officielle. J'en ai informé le président de la République. Dans le contexte de crise, ce que les autorités de régulation ont dit aux deux groupes, c'est qu'il fallait aller vite pour exécuter cette opération et que les discussions soient menées rapidement, répond François Pérol.

— Aviez-vous une mission de surveillance ou de contrôle sur ces deux entreprises ou leurs filiales ? insiste le policier.

— Non, répond le banquier.

— Avez-vous eu à proposer directement aux autorités compétentes des décisions relatives à ces entreprises, en particulier dans leur rapprochement et/ou à propos de l'apport de 5 milliards par I'État ?

— Non.

— Avez-vous formulé un ou des avis aux autorités compétentes sur des décisions relatives à ces entreprises, en particulier dans leur rapprochement et/ou à propos de l 'apport de 5 milliards par I'État.

— Non. Mes avis sont destinés au président de la République et au secrétaire général de la présidence. »

Le dialogue a ainsi duré quelque temps, sans que François Pérol n’en dise plus. Et peu de temps après, sans qu’aucun autre témoin ne soit entendu, sans qu’aucune perquisition ne soit conduite pour trouver les documents concernant l’affaire, l’affaire avait été classée sans suite par le parquet… Le patron de BPCE n’aurait donc jamais été rattrapé par la justice si les deux syndicats, ne se décourageant pas, n’avaient pas de nouveau déposé plainte, cette fois avec constitution de partie civile, ce qui a conduit à ce qu’un juge indépendant, Roger Le Loire, soit chargé du dossier Pérol.

L’enquête préliminaire s’est même passée dans des conditions encore plus scandaleuses que cela, car certains des acteurs de l’histoire ont secrètement eu connaissance de certaines de ces pièces, alors qu’elles sont théoriquement inaccessibles quand il n’y a pas de parties civiles. Ces fuites suspectes, c’est, ultérieurement, l’enquête du juge Le Loire qui les a fait apparaître.

Entendu dans le cadre de cette instruction le 12 décembre 2013 par un officier de la brigade centrale de lutte contre la corruption, Bernard Comolet – qui avait pris brièvement la présidence des Caisses d’épargne lors de la chute de Charles Milhaud avant d’être évincé à son tour par François Pérol – a été interrogé sur la présence d’un CD-Rom trouvé à son domicile, à l’occasion d’une perquisition réalisée le matin même. Car dans ce CD-Rom, les policiers ont retrouvé « des pièces de procédures relatives à l’enquête en préliminaire sur la nomination du président du groupe BPCE ».

Prié de dire comment il était entré en possession de ce document, Bernard Comolet a répondu : « J’avais demandé à l’un des avocats de la Caisse d’épargne d’Île-de-France s’il savait où en était la procédure à l’encontre de François Pérol. En réponse à cette demande, il m’a fourni ce CD en me disant que j’y trouverais les éléments de réponse. Je m’intéressais à cette procédure car je m’attendais à être entendu. »

Dans ce second volet de notre enquête, nous révélions que la justice avait mis la main, lors de l’instruction, sur des courriers anonymes retraçant des échanges d’e-mails sur une très longue période, entre de très nombreux protagonistes de notre histoire. À Mediapart, nous avions aussi été informés de l’existence de ces mails, mais ne sachant pas dans un premier temps comment la justice allait les apprécier, nous n’en avions fait qu’une brève mention à l’occasion de l’une de nos enquêtes dès le 31 janvier 2011 (lire La justice va décider si l’affaire Pérol sera ou non étouffée).

Or, ces mails – tantôt cocasses, tantôt stupéfiants – figurent bel et bien dans le dossier d’instruction du juge Roger Le Loire, qui s’est appliqué à vérifier s’ils confirmaient ou non l’implication directe de François Pérol dans les dossiers des Caisses d’épargne et des Banques populaires. Ce sont même ces mails qui ont visiblement servi au magistrat de fil conducteur pour conduire ses investigations, et lui permettre d’arriver à la conviction que François Pérol ne s’est pas borné à éclairer Nicolas Sarkozy sur les décisions qu’il devait prendre, mais qu’il a réellement exercé l’autorité publique sur les deux banques dont il a pris ultérieurement la présidence. Ces mails ont aussi souvent servi de trame à la police judiciaire pour conduire les auditions de témoin voulues par le magistrat. Et, dans la foulée, ce sont ces mêmes mails qui éclairent sous un jour cru les ressorts du fonctionnement du capitalisme parisien.

Une bonne partie de ces mails ont pour émetteur ou pour destinataire un avocat, Me François Sureau, qui joue dans cette histoire des Caisses d’épargne et de l’affaire Pérol un rôle singulier. Avocat des Caisses d’épargne du temps de Charles Milhaud, il est ensuite devenu l’avocat de François Pérol.

Dans ce volet de notre enquête, nous avons donc présenté les mails qui sont entre les mains de la justice et qui suggèrent une implication directe de François Pérol dans les dossiers des Caisses d’épargne, dès 2002 et jusqu’en 2007. Puis, à partir de 2007, de nouveaux mails viennent éclairer le rôle de François Pérol, qui officie désormais à l’Élysée comme secrétaire général adjoint. Sa mission, telle qu’il la conçoit, est-elle seulement d’éclairer les choix du nouveau président de la République, ou entend-il peser lui-même sur certains choix économiques et exercer l’autorité publique sur certaines banques ? Un premier mail de François Sureau à Charles Milhaud, en date du 29 mai 2007, juste quelques jours donc après la victoire de Nicolas Sarkozy, suggère clairement que la seconde hypothèse est la bonne. Dans ce mail, l’avocat raconte en effet qu’il vient de rencontrer longuement François Pérol et que ce dernier semble disposé à apporter son appui à une très grande opération engageant l’avenir des Caisses d’épargne, opération qui pourrait aller jusqu’à une « démutualisation totale ou partielle ». Ce mail est le seul que nous avions dans le passé déjà évoqué (lire La justice va décider si l’affaire Pérol sera ou non étouffée) et c’est sans doute, pour François Pérol, l’un des plus embarrassants.

Dans le troisième et dernier volet de notre enquête, nous nous attardions sur les révélations faites, lors de l’instruction judiciaire, par Bernard Comolet, l’éphémère patron des Caisses d’épargne, qui prend la présidence de la banque le 19 octobre 2008 quand, sous pression de Nicolas Sarkozy, son prédécesseur Charles Milhaud est poussé vers la sortie après la perte de quelque 750 millions d’euros sur les marchés financiers, et qui restera en fonction jusqu’au 26 février 2009, date à laquelle il est évincé à son tour, pour céder sa place à François Pérol.

Personnage effacé, qui n’a présidé les Caisses d’épargne que quatre mois, et qui n’était visiblement pas préparé à jouer le premier rôle, Bernard Comolet a été visé par une perquisition, à son domicile, le 12 décembre 2013. Et le même jour, il a été longuement entendu par un commandant de la Brigade centrale de lutte contre la corruption.

Cette audition constitue un événement à double titre. Au plan judiciaire d'abord, car le banquier a très précisément expliqué le rôle qu’a joué François Pérol et dans quelles conditions ce dernier a pris le pouvoir au sein de la banque. Événement sociologique aussi car, tantôt candide, tantôt naïf, le banquier a expliqué au policier dans quelles conditions d’autres proches de Nicolas Sarkozy l’avaient pris en main avant même que n’intervienne François Pérol, pour le parrainer dans la vie parisienne des affaires dont il ne connaissait pas les arcanes. D’autres proches, tel Alain Minc, le conseiller de Nicolas Sarkozy et grand entremetteur du capitalisme parisien ; ou encore René Ricol, l’expert-comptable le plus connu dans les milieux du CAC 40, que Nicolas Sarkozy nommera d’abord médiateur du crédit puis commissaire général à l’investissement.

Bernard Comolet raconte d'abord dans quelles conditions il est entré en contact avec Alain Minc – qui était déjà secrètement le conseil de son prédécesseur, Charles Milhaud : « Au sujet d’Alain Minc, rapporte-t-il, je dois vous dire que je suis issu de la banque et de la Caisse d’épargne et que ma nomination en qualité de Président du Directoire de CNCE [il s’agit de la Caisse nationale des caisses d’épargne, l’instance de direction de la banque] m'a projeté dans un monde dont je n'étais pas familier. Je vous précise que hormis mes connaissances de la banque, je ne fais pas partie de la haute administration et que je n'ai pas de réseau. C'est M. René Ricol qui est venu me voir après ma nomination (je le connaissais depuis qu'il avait été commissaire aux comptes de la Caisse d'épargne d’Ile-de-France en 1985) pour me dire qu'il fallait que je rencontre Alain Minc. J'ai donc rencontré une première fois Alain Minc en octobre-novembre 2008 en compagnie de René Ricol et d'Alain Lemaire [à l’époque, l’éphémère numéro 2 des Caisses d’épargne]. À cette occasion M. Minc nous a indiqué que compte tenu de l'ampleur de la tâche (la fusion avec Banques populaires) et de sa complexité, nous aurions besoin d'être conseillés. À ce titre, il accepterait de regarder notre dossier pour se déterminer s'il pouvait accepter d'être notre conseil. À cette occasion, M. Minc nous a indiqué que nous serions bien inspirés de nous choisir maintenant un inspecteur des finances pour nous aider, qu'aujourd'hui, on avait certainement encore le choix du nom mais que dans quelques mois le nom s'imposerait. »

Alain Minc, qui est le conseiller occulte de Nicolas Sarkozy et qui rencontre donc aussi fréquemment son ami François Pérol à l’Élysée, fait-il donc comprendre à Bernard Comolet qu’il aurait tout intérêt à enrôler ce dernier à ses côtés, faute de quoi l’intéressé risque fort de lui prendre sa place de force ? Bernard Comolet ne le précise pas, et poursuit son récit de la manière suivante : « Avec le recul, je décode ces propos ainsi : nous aurions eu bien moins de problèmes avec un inspecteur des finances à nos côtés, lequel aurait été familier dans nos relations avec les pouvoirs publics. »

« À l'issue de cette première rencontre, poursuit le patron par intérim des Caisses d’épargne, un deuxième rendez-vous a été programmé sans que je l'aie sollicité et pour lequel M. Lemaire n'a pas jugé utile de m'accompagner. Au cours de cet entretien, j'ai fait savoir à M. Minc que je n'avais besoin de rien. C'est après cela que j'ai eu la surprise de recevoir le petit mot d'Alain Minc que vous avez saisi, et qui est en fait une lettre de récriminations dans laquelle il se plaint qu'on se prévaudrait de ses services alors qu'il ne nous a point offert ses services. »

En quelque sorte, Bernard Comolet a été pris, si l’on peut dire, en sandwich. D’abord, il a été approché par deux intimes de Nicolas Sarkozy, René Ricol et Alain Minc. Puis, c’est avec un autre proche du même Nicolas Sarkozy qu’il aura affaire, François Pérol. Et cela se passera exactement comme Alain Minc le lui avait par avance suggéré : faute d’avoir appelé à ses côtés un inspecteur des finances, c’est ledit inspecteur des finances qui lui a finalement piqué sa place.

C’est cette seconde partie de l’histoire que Bernard Comolet raconte ensuite au policier, qui l’interroge pour savoir comment il a su que François Pérol serait le futur président de BPCE. « C’est le président de la République lui-même qui me l’a appris et je vais vous dire dans quelles conditions », raconte-t-il.

Bernard Comolet se lance alors dans un long récit, au cours duquel on a tôt fait de comprendre que tout a été organisé à l’Élysée : « Quelques jours avant le samedi 21 février 2009, j'avais été prévenu que François Pérol nous donnait rendez-vous à M. Dupont [le patron des Banques populaires] et à moi, à l’Élysée pour rencontrer le président de la République, ce samedi matin précisément à 11 h 45. À cette occasion le président de la République, Nicolas Sarkozy, nous a indiqué qu'il savait qu'on avait besoin de 5 milliards d’euros et que l’État avait pris la décision de les mettre à notre disposition. À cette réunion il y avait Pérol, Guéant, Dupont, le Président et moi. Le Président est ensuite entré dans les modalités selon lesquelles cette intervention pouvait avoir lieu, c'est-à-dire un prêt convertible en actions dans un délai de 3 à 5 années si des critères fixés dans un MOU (Mémorandum of Understanding) n'étaient pas respectés (conditions de remboursement). Il était précisé par M. Sarkozy que le prêt de 5 milliards d’euros ne serait attribué qu'à l'organe central une fois la fusion Banques populaires et Caisses d’épargne réalisée. »

Et le banquier poursuit : « Le président de la République nous indiquait ensuite, en rappelant que l’État prêtait 5 milliards, qu'il entendait que François Pérol dont il dressait le meilleur tableau, soit proposé comme futur directeur général exécutif du nouvel ensemble. Il nous a indiqué ensuite que le président du nouvel ensemble serait issu des Banques populaires et j'en ai conclu que c'était soit Dupont président du conseil d'administration avec Pérol directeur général, soit Pérol président du directoire et Dupont président du conseil de surveillance. »

En quelque sorte, Bernard Comolet raconte dans quelles conditions il a été prestement débarqué au cours d’une réunion à l’Élysée. Sans que les instances statutaires de la banque n’aient été réunies. Sans que le ministère des finances n’ait été associé en quoi que ce soit à la décision. Le fait du prince, ou un coup de force, comme on voudra…

Visiblement, le chef de l’État a transgressé toutes les procédures et il a congédié le banquier sans même se montrer courtois. « [Nicolas Sarkozy], conclut Bernard Comolet, a indiqué enfin que je devrais traiter avec François Pérol de mon rôle et de ma place dans le futur groupe. Cette annonce était sans appel et m'a été présentée comme une décision. À la fin de cette annonce, le Président s'est excusé du fait de ses occupations et nous a demandé d'en mettre en œuvre les modalités avec François Pérol, dont il disait regretter de devoir se séparer à l’Élysée. Puis il a quitté la salle de réunion. »

En clair, rien ne se passe normalement : Bernard Comolet est démis de ses fonctions, sans que les procédures légales ne soient respectées ; et François Pérol est intronisé patron de la nouvelle entité fusionnée de la même manière.

Et la fin de la réunion se déroule dans des conditions, pour anecdotiques qu’elles soient, qui révèlent les mœurs du capitalisme français de connivence : « La réunion étant dès lors terminée, François Pérol nous a proposé à Philippe Dupont et à moi-même de déjeuner dans un petit restaurant de la rue Gay-Lussac, proche de son domicile. C'était un repas convivial, où il s'est comporté avec moi comme un "patron souriant". Je me souviens qu'on a parlé au déjeuner de mon conseil en communication, conseil que j'ai indiqué ne pas avoir. Selon lui, c'était regrettable, me précisant qu'il avait Anne Méaux, d’Image 7 ; Dupont à son tour précisait avoir Stéphane Fouks, d'Euro-RSCG, comme conseil. »

Bref, l’affaire présente l’immense intérêt de révéler tous les codes du capitalisme de connivence à la française. Un capitalisme qui fait une grande place aux réseaux d’influence et qui tolère d’étranges mélanges des genres entre affaires publiques et intérêt privés, sans que cela ne soit jamais sanctionné.

Mais, pour une fois, la règle de l’impunité risque d’être battue en brèche : renvoyé devant un tribunal correctionnel, François Pérol y sera jugé des chefs de prise illégale d’intérêt. Dans le capitalisme de la barbichette qui est une marque française, c’est un dénouement peu fréquent.

Pour mémoire, on peut aussi se référer ci-dessous à l'« édito vidéo » que Mediapart avait mis en ligne dès le 19 mars 2009, et qui résumait à grands traits pourquoi ce « pantouflage » hors norme faisait débat :

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La «mauvaise vie» des Messieurs du Carlton

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  Il tend l’oreille vers le procureur qui lui répète sa question pour la troisième fois. « Je suis appareillé, mais ça ne marche pas. Donc, je n’entends rien. » Voilà deux bonnes heures que René Kojfer se tient à la barre du tribunal correctionnel de Lille. Le dos courbé dans un blazer trop grand, il ânonne, soupire, perd le fil de ses réponses. Quand on lui rappelle de « parler distinctement dans le micro », ce sont des « moui », des « peut-être » et des « je ne sais plus » qui parviennent à nos oreilles.

L’homme a 74 ans, mais il s’exprime comme un enfant. Il évoque sa maigre retraite de 400 euros, tirée de l’activité de textile qu’il a reprise « à la mort de (son) papa et de (sa) maman ». Écoute, ébaubi, son avocat lui expliquer que certains de ses amis le présentent comme « un pied-nickelé, un toquard et un radin », « un théâtre à (lui) tout seul », qui passe son temps à « raconter des bobards ». Il s’agace à mi-voix. « C’est faux… » Puis finit par reconnaître qu’il est du genre à « beaucoup parler au téléphone ».

René Kojfer précède son avocat, Me Hubert Delarue, à l'entrée de la salle d'audience du tribunal correctionnel de Lille.René Kojfer précède son avocat, Me Hubert Delarue, à l'entrée de la salle d'audience du tribunal correctionnel de Lille. © Reuters

René Kojfer s’exprime comme un enfant, mais les histoires qui l’ont conduit devant la justice n’ont, elles, rien d’enfantin. Celui qui exerçait il y a encore cinq ans la fonction de « responsable des relations publiques » au sein des hôtels lillois Le Carlton et l’Hôtel des Tours – 7 étoiles à eux deux – comparaît pour le chef de « proxénétisme aggravé par la circonstance aggravante de pluralité d’auteurs ». Comme Dominique Strauss-Kahn, on lui reproche dans cette affaire d’avoir « aidé, assisté, protégé la prostitution » de plusieurs jeunes femmes, entre mars 2008 et octobre 2011.

En revanche, contrairement à l’ex-patron du FMI, lui n’est « pas amateur de rencontres libertines ». Jade*, l’une des quatre prostituées s’étant portées partie civile dans le dossier, s’avance à la barre pour le confirmer, la voix nouée par les sanglots. « Il y avait un rapport sexuel entre femme et homme, mais chacun son partenaire. Ce n’était pas du libertinage où tout le monde se mélange. » René Kojfer opine du chef. Quand on lui demande à son tour de définir les « déjeuners » organisés en compagnie de jeunes femmes, du gérant et du propriétaire des deux hôtels, dans un appartement situé à deux pas du Carlton, il marmonne : « C’était amical. »

Le président Bernard Lemaire voudrait comprendre ce qu’ont d’« amicales » des rencontres tarifées 200 euros dans le meilleur des cas, 125 euros + « un peignoir » quand « les temps sont durs ». Il insiste. Quid de la relation avec la jeune P. ? « Elle me plaisait », explique Kojfer. Et M. ? « Je suis tombé amoureux. » Sonia ? « Je l’ai draguée. » Toutes les réponses que bredouille le septuagénaire valident le rapport d’expertise de sa « personnalité psychologique » où il est décrit comme quelqu’un perdant « le contact quotidien des êtres et des choses ».

Sonia, justement, vient de rejoindre son avocat sur le banc des parties civiles. Le col de sa doudoune noire remonté jusqu’aux oreilles, elle cache son visage aux regards indiscrets. Bientôt, le président lui demande de s’avancer. Oui, elle accepte de témoigner, mais souhaiterait que les caméras soient coupées, que seul le son de sa voix grelottante soit retransmis en salle de presse. Puisque le huis clos demandé par son avocat la veille a été rejeté, elle n’a d’autre choix que de parler en public. Mais elle craint que son nom ne soit étalé dans les journaux. Elle pleure. Elle a « peur ».

La jeune femme raconte comment elle est « entrée dans la prostitution », « à cause de problèmes d’argent, comme tout le monde ». Mais de façon « occasionnelle », précise-t-elle. Elle rencontre René Kojfer en 2010. « Une amie » lui avait dit qu’il « aimait bien les belles filles ». L’homme lui propose de lui présenter quelques clients, en échange de relations sexuelles “gratuites”. Une version des faits que le septuagénaire réfute. Il a simplement parlé d'elle à quelques amis, « pour rendre service ». Quant au reste, « c’était sympathique, chaleureux, on n’a pas parlé d’argent… » Le procureur intervient :

« On a compris que les voies de l’amour sont impénétrables. Quel âge aviez-vous en 2010, Monsieur Kojfer ?
— 70 ans.
— Et Sonia ?
Je ne sais pas…
— 25 ans ! », lance l’avocat de la jeune femme, posté à quelques mètres de là.

La relation « sympathique » entre Sonia et l'homme de 45 ans son aîné fait long feu. Un jour, la jeune femme refuse d’avoir une nouvelle relation sexuelle avec le « Monsieur » du Carlton si celui-ci ne paie pas. Face aux juges, l’avocat de Kojfer, Me Hubert Delarue, explique que son client n’a tout simplement pas insisté. Voici la version de l’histoire que donnait ce même client à un ami, au téléphone, en 2011, telle qu'elle est retranscrite dans l’ordonnance des juges d’instruction Stéphanie Ausbart et Mathieu Vignau :

René : « Je veux qu’elle me fasse une petite pipe à l’œil, elle m’a dit “non il faut payer 150 euros maintenant”. J’lui dis non, attends, heu j’te laisse la permission de baiser dans l’hôtel, heu j’t’ai fait un super prix et puis.. bon elle a changé, quoi enfin, (inaudible), y a pas de problème hein tu peux l’attraper hein.

S. (son ami) : Putain.

René : Elle est devenue connasse hein, mais enfin c’est la vie. »

Sonia raconte comment, à l’issue de cet “incident”, le responsable des relations publiques du Carlton l’a dénoncée auprès d’« un de ses amis de la police des mœurs ». Car René Kojfer a des « amis » dans la police. Beaucoup d’amis, même. Certains d’entre eux font partie de la même loge maçonnique que lui. Ensemble, ils déjeunent dans une brasserie, non loin de la DIPJ (direction interrégionale de la police judiciaire) de Lille, se refilent quelques tuyaux, échangent « sur le thème de la prostitution des étudiantes »...

« C'est vrai que vous étiez indic ? » lui demande le président Lemaire. « J'aime pas beaucoup ce mot-là. C'est une personne qui est dans le milieu, moi je ne fais pas partie du milieu. » Il corrige : il n’était pas à proprement parler un « indic », mais à une certaine époque, oui, il a fait « la chèvre », une façon de dire, dans le langage de la police des mœurs, qu’il a servi d’“appât”.

Le Carlton de Lille.Le Carlton de Lille. © ES

En milieu d'après-midi, après plusieurs heures d'audition et des centaines de demandes de « précisions », René Kojfer est au bord du malaise. À le regarder s’appuyer sur les pompiers qui viennent prendre sa tension, on a du mal à faire le lien avec l’homme dont nombre de conversations téléphoniques sont retranscrites dans l’ordonnance des juges Ausbart et Vignau. Celui qui parlait de « dossiers » pour désigner les femmes, expliquait qu’il allait en faire « bosser » quelques-unes, disait à ses amis « si tu veux tirer c’est magnifique » et se vantait d’être « essayeur gratis » pour le compte de Dominique Alderweireld, alias “Dodo la Saumure”, gérant de maisons closes en Belgique.

Celui aussi que ses innombrables amis décrivent comme un « bon bougre », un homme « volubile, gai luron, qui mettait l’ambiance ». Kojfer sourit timidement à ces qualificatifs. Puis se renfrogne, lorsqu’il entend que ses proches le voient également comme quelqu'un qui « se fait plaindre par tout le monde ». « C’est faux… », murmure encore l’ancien responsable des relations publiques du Carlton, avant d’évoquer ses deux grands enfants qu’il ne voit plus, ainsi que sa femme qui le bat et l’a conduit à « beaucoup de problèmes d’alcoolisme », aujourd’hui atténués par la prise d’antidépresseurs.

Lui qui était si « fier de pouvoir dire qu’il connaissait des gens importants » est devenu l’un des hommes clés du dossier dit du Carlton. Lundi 2 février, au premier jour du procès, il était assis juste derrière Dominique Strauss-Kahn. Parmi les treize autres prévenus, l’ex-patron du FMI est le seul que Kojfer n’ait jamais rencontré avant cette semaine. Et pourtant, par des connexions qui n’ont rien à envier à la théorie des « six degrés de séparation », les deux hommes se retrouvent au cœur d'une vaste affaire de proxénétisme.

Il n’a pas profité de ses relations, « c’était pas le but », dit-il. La plupart d'entre elles font aujourd’hui partie de la liste des prévenus qui vont être auditionnés au cours des trois prochaines semaines. Ses anciens patrons, Francis Henrion et Hervé Franchois, sont déjà à ses côtés aux premiers jours du procès. L’avocat lillois Emmanuel Riglaire, aussi. Notamment soupçonné d’avoir reçu certains de ses honoraires “en nature”, le conseil se contente pour l’heure d’écouter les témoignages des prostituées en faisant « non » de la tête.

Viendront ensuite l’ancien chef de la sûreté départementale du Nord, Jean-Christophe Lagarde, ainsi que des cadres et des chefs d’entreprise que Kojfer a mis en relation avec des prostituées, parfois pour « faciliter des relations commerciales » avec leurs clients, parfois pour organiser des « parties fines » pour un homme politique qui se voyait déjà président de la République. « J’ai rendu beaucoup de services, plus qu’on m’en a rendus… », souffle le septuagénaire, qui oublie que l’heure n’est plus aux comptes d’apothicaires.

En l’espace de cinq ans, tout a changé. Les rues pavées de Lille, ses hôtels étoilés où se réfugient les “amours tarifées”. Les appartements feutrés, les coupes de champagne à volonté, les bonnes bouffes entre notables locaux qui « égayent » leurs repas en faisant venir des « filles ». Les « valeurs communes » que partagent les « frères » de la franc-maçonnerie, avant de partager des « copines », et les allers-retours en Belgique où les « prestations » en club se monnayent 80 euros. Tout cela semble n’avoir jamais existé. Dans l’enceinte bétonnée du tribunal correctionnel de Lille, il ne reste plus que des hommes les yeux baissés. Et des femmes dévastées.

BOITE NOIRE*Nous utilisons les surnoms empruntés par les jeunes femmes lorsqu'elles se prostituaient. En l'absence de surnom, seule l'initiale de leur prénom figure dans l'article.

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Le compte caché des sénateurs UMP

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Les sénateurs UMP ont raison de s'affoler. Les juges chargés d'enquêter sur leurs « petits » arrangements financiers sont en train de faire sauter, au pied-de-biche, le couvercle de la boîte de Pandore. Déjà, ils ont listé chèques et retraits d'argent suspects, empochés via une association quasi fantoche (voir nos informations ici et ). Aujourd'hui, c'est un compte bancaire secret qui surgit. D'après des documents obtenus par Mediapart, un compte a en effet été ouvert chez HSBC au nom du « groupe UMP du Sénat », dont certains dirigeants du groupe ignoraient l'existence.

En parallèle du compte officiel situé dans une tout autre banque, il a visiblement été utilisé par une poignée d'élus issus d'un même courant, celui des Républicains indépendants (les rivaux historiques du RPR). À quoi a bien pu servir ce compte bis, forcément alimenté à l'origine par des fonds publics ? À ce stade, il est impossible de le dire, à une exception près.

Les pièces bancaires en notre possession indiquent en effet qu'un sénateur UMP, devenu ministre de Nicolas Sarkozy en juin 2009, Henri de Raincourt, a été secrètement rémunéré depuis ce compte du « groupe UMP du Sénat » pendant qu’il était au gouvernement, via un virement automatique de 4 000 euros par mois. D'après certains documents, ces versements auraient duré jusqu’en mars 2011.

Cette mise sous perfusion d’un ministre de la République par un groupe parlementaire, si elle devait se confirmer, outre qu'elle pose des questions légales, contredit frontalement le principe de séparation des pouvoirs exécutif et législatif – d’autant que Henri de Raincourt a été en charge « des relations avec le parlement » dans le gouvernement Fillon (avant de récupérer le portefeuille de la « coopération »).

Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon.Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon. © Reuters

Depuis juin 2012, l'intéressé est redevenu simple sénateur de l'Yonne, puis un temps vice-président de l'UMP (2013-2014). Depuis dix jours, il fuit toutes nos questions. Coups de fil, e-mails, SMS, rien n'y fait. Quand on l'appelle sur son portable, il nous raccroche au nez  (« Je ne répondrai pas ! »). Ce faisant, Henri de Raincourt ne dément pas.

Mais qui est cet homme discret ? Marquis, fils de sénateur et petit-fils de conseiller général, marié à la fille d’un ancien député, Henri de Raincourt, pur produit du sérail, a décroché son premier mandat au palais du Luxembourg en 1986. Longtemps président du groupe des Républicains indépendants du Sénat (qui a fusionné avec le RPR en 2002 pour fonder l’UMP), il a ensuite réussi, en 2008, à s’emparer de la présidence du groupe UMP, sans guère d’écho médiatique.

La seule fois où Henri de Raincourt a fait parler de lui après sa nomination au gouvernement en juin 2009 (à l’âge de 60 ans), c’est quand la presse a découvert qu’il cumulait son salaire de ministre de 14 000 euros avec une « allocation vieillesse » de sénateur – cumul auquel François Fillon lui a demandé de mettre fin immédiatement. Mais qu’importe. Le marquis avait encore bien des ressources cachées.

Le virement mensuel de 4 000 euros dont il est aujourd’hui question remonte en fait à 2008, au lendemain de son élection à la tête des sénateurs UMP. C’est le trésorier du groupe de l’époque, Jean-Claude Carle (issu des Républicains indépendants lui aussi), qui l’a mis en place dans la plus grande discrétion, pour compléter les indemnités déjà versées par le Sénat à son “patron” (environ 7 100 euros mensuels d’indemnité de base, plus 2 000 euros comme président de groupe, sans compter l’enveloppe de 6 000 euros pour couvrir ses frais professionnels et celle de 7 500 euros pour l’emploi d’assistants). Celles-ci ne suffisaient sans doute pas au marquis de Raincourt.

Dans un courrier à en-tête du groupe UMP daté de février 2008, Jean-Claude Carle a ainsi dicté ses consignes à l'agence HSBC située carrefour de l'Odéon (à deux pas du Luxembourg) : « Je vous remercie de bien vouloir effectuer chaque mois à compter du 1er avril 2008 un virement de 4 000 euros – quatre mille euros – à partir du compte HSBC, groupe UMP du Sénat, N° (…), sur le compte de Monsieur Henri de Raincourt à La Banque postale, N° (…). » Un sacré bonus mensuel.

L'existence d'un tel virement a déjà été évoquée en mai dernier par Le Canard enchaîné, mais sans que l’hebdomadaire puisse préciser combien de temps il avait duré (ni le compte ponctionné). En toute logique, il aurait dû cesser en juin 2009, le jour où Henri de Raincourt a abandonné son fauteuil de président du groupe UMP pour rallier le gouvernement.

Mais d’après nos documents, c'est seulement vingt et un mois plus tard que Jean-Claude Carle aurait mis fin au virement. Dans un courrier daté de février 2011, le trésorier du groupe UMP écrivait en effet au directeur de l'agence HSBC d'Odéon : « Je vous remercie d'arrêter les versements mensuels de quatre mille euros (4 000 euros) au bénéfice de Monsieur Henri de Raincourt à partir du compte N° (…) du groupe UMP du sénat après le 1er mars 2011 prochain, dernière opération de ce type en faveur de Monsieur Henri de Raincourt. »

Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart pour confirmer la date d'interruption de ces versements et surtout expliquer leur fondement, de même que la nature de ce « compte chèques », Jean-Claude Carle n’a pas retourné nos appels. Trésorier historique du groupe UMP, le sénateur a dû, il y a quelques mois, céder sa casquette. Son successeur, Jean-Noël Cardoux, choisi pour ses compétences d’expert-comptable et censé faire le ménage, n’a pas souhaité nous répondre non plus à ce stade.

Certains observateurs avisés suggèrent que la banque HSBC abriterait en fait la cagnotte historique des anciens Républicains indépendants, famille politique de Henri de Raincourt et de Jean-Pierre Carle, mais aussi de Jean-Pierre Raffarin ou du maire de Marseille Jean-Claude Gaudin (président du groupe UMP de 2011 à 2014).

En effet, au moment où les Républicains indépendants ont fusionné avec le RPR pour créer l’UMP fin 2002, leur groupe possédait d’importantes réserves, constituées au fil des ans grâce aux cotisations des membres et surtout aux millions d'euros de dotations de fonctionnement du Sénat (censées servir au travail parlementaire, au recrutement de collaborateurs, etc., mais hors contrôle). À sa dissolution en décembre 2002, il est donc possible que le groupe ait conservé une partie de sa trésorerie sous le coude, plutôt que de verser l’intégralité au pot commun de l’UMP. De quelles sommes parle-t-on ?

Les documents en possession de Mediapart montrent que le « compte chèques » de l'agence HSBC d'Odéon a disposé, à la fin des années 2000, de centaines de milliers d'euros. Y avait-il un « compte titres » ? Des placements ?

À la faveur de l'information judiciaire en cours, menée par deux juges parisiens sur des soupçons de « détournements de fonds publics », « abus de confiance » et « blanchiment », on savait déjà qu'une petite partie de la cagnotte des Républicains indépendants avait dû être transférée à l'URS, association semi-fantoche créée fin 2002. Via son compte à la Société générale, l’URS a servi depuis à redistribuer des fonds à des dizaines de sénateurs UMP sous forme de chèques ou d’espèces, sans contrepartie connue et à hauteur de centaines de milliers d'euros rien qu'entre 2009 et 2012 (voir nos enquêtes ici et ). À sa tête ? Henri de Raincourt, déjà lui. On découvre aujourd'hui que le marquis a profité d'un autre compte, chez HSBC cette fois. Sur combien de comptes exactement avait-il la main ? Surtout, combien d'autres parlementaires en ont bénéficié depuis douze ans ?

Rappelons que l'argent distribué par le Sénat à ses différents groupes politiques, théoriquement destiné aux travaux parlementaires, n'a jamais fait l'objet du moindre contrôle par l'institution. Alors que l'Assemblée nationale vient de voter la transparence sur les comptes de ses propres groupes, le Sénat s'y refuse toujours.

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Le Sénat écarte une possible légalisation du cannabis

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C'est une première en France, le Sénat a examiné mercredi 4 février la proposition de loi de la sénatrice (EELV) Esther Benbassa autorisant l'usage contrôlé du cannabis. Les débats sont intervenus alors qu'il y a un an, presque jour pour jour, la sénatrice déposait ce texte dans le sillage de l'Uruguay, premier pays du monde à légaliser le cannabis, puis des États-Unis (Colorado et Washington).

Dans un hémicycle particulièrement clairsemé (nous avons compté 36 sénateurs) et en l'absence de la ministre de tutelle, Esther Benbassa a ouvert la séance : « L’initiative qui nous vaut d’ouvrir ici un débat (...) n'est pas sortie de la tête embrumée – ou enfumée – d'une écologiste présumée amatrice de joints (comme le voudraient certains clichés). Elle est le fruit d'un long cheminement. Nous avons choisi, nous, écologistes, de regarder le problème en face. Les Françaises et Français ont eux-mêmes brisé le tabou que certains veulent maintenir. Ils s'interrogent. »

Le texte de la sénatrice du Val-de-Marne propose que la vente de cannabis soit contrôlée par l'État, en passant par l'intermédiaire de débitants comme c'est le cas pour le tabac, en interdisant la publicité et la vente aux mineurs. Les rentrées fiscales évaluées par la sénatrice à 1,5 milliard d'euros permettraient selon elle d'améliorer la prévention dans les écoles et de prendre le problème à la racine.

Hasard du calendrier, quelques jours plus tôt un article du magazine Rolling Stone présentait les bienfaits fiscaux de la légalisation du cannabis au Colorado. Les taxes sur la vente de marijuana rapportent tellement d’argent que l'État pourrait bien reverser une partie de cette somme aux habitants. « Au Colorado, 33 millions d'euros du produit des taxes du cannabis légalisé ont été alloués aux écoles. N’y a-t-il donc pas lieu de s’inspirer d’une telle expérience ? » a interrogé la sénatrice. Le rapporteur de la commission des affaires sociales, Jean Desessard (EELV), a souligné l'échec de la politique répressive de l'État en la matière : « Interrogeons-nous sur le fait que l’on a la répression la plus grave, qu’on a des mafias et que pourtant on a la plus grande consommation de cannabis en Europe », a-t-il déclaré.

Les écologistes sont pourtant bien seuls à se prononcer en faveur d'une vente de cannabis contrôlée par l'État. La commission des affaires sociales qui a étudié le projet de loi a émis un avis négatif : « Certains d’entre nous estiment que la prévention est préférable à la légalisation qui enverrait un mauvais signal à nos citoyens », a expliqué le rapporteur de la commission. Son président et médecin de profession, Alain Milon (UMP), a quant à lui estimé qu'un « assouplissement du cadre légal paraîtrait contradictoire avec le message de prévention et rendrait tout retour en arrière particulièrement difficile »

« Les solutions proposées sont possiblement contre-productives », leur a répondu au nom du gouvernement la secrétaire d'État chargée des droits des femmes, Pascale Boistard. « Ne prenons pas le risque qu'une libéralisation entraîne une hausse de la consommation », a-t-elle ajouté, expliquant par ailleurs qu'encadrer la vente pour lutter contre les trafics ne va pas de soi puisqu'il existe une contrebande de cigarettes, produit pourtant légal. S'agissant des politiques de légalisation menées en Uruguay et aux États-Unis, elle s'est dite intéressée à en débattre tout en précisant qu'il était trop tôt pour en tirer des conclusions. Sa position n'est guère surprenante, nous avions déjà questionné Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sur le sujet, tous deux s'étaient montrés formellement opposés à toute légalisation. 

« La légalisation est-elle vraiment la solution ? », a questionné Laurence Cohen (Communiste, républicain et citoyen – CRC). « Il est temps de modifier cette loi qui ne correspond plus aux réalités du terrain, a-t-elle admis en se prononçant plutôt pour « la dépénalisation qui maintient l'interdit » et en annonçant l'abstention de son groupe. « En légalisant le cannabis, l’État deviendra un partenaire commercial », a affirmé le frontiste David Rachline. Les Verts cèdent à la démagogie. Il faut combattre la drogue par une lutte sans relâche, la dépénalisation n'arrange pas les problèmes, mais les accroît. » 

Le débat a été interrompu avant les interventions des orateurs UMP et centristes, dont les groupes sont majoritaires au Sénat. Mais dans un communiqué, et comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises, Bruno Retailleau, président du groupe UMP, avait annoncé que son groupe s'opposerait à la proposition de loi écologiste. La discussion reprendra à une date que fixera la Conférence des présidents de la Haute Assemblée.

Relire nos articles sur la légalisation du cannabis :

Sept mois après l’entrée en vigueur des lois autorisant la culture, la vente et la consommation de cannabis à usage récréatif dans le Colorado, les touristes affluent, le business de la marijuana et les taxes qu'il rapporte explosent, le cadre réglementaire évolue quasi quotidiennement… Reportage dans un État laboratoire, regardé de près par Washington.

Ils sont désormais une majorité d’Américains à soutenir la légalisation de la marijuana. Ils se laissent convaincre par des arguments divers, des bienfaits médicaux du produit jusqu’à la manne financière que représente un cannabis régulé et taxé. Des messages portés par des « faiseurs d’opinion » influents : des associations et lobbies très bien dotés, s’activant sur le terrain pour faire bouger les lignes.

Aux États-Unis, le cannabis est au cœur d’une industrie en plein boom, tant à des fins récréatives que médicales. Mais que sait-on de cette substance ? Alors que des vétérans l'utilisent contre le stress post-traumatique ou que des parents y recourent pour soigner leur enfant épileptique, le point sur les découvertes et les zones d’ombre laissées par la recherche scientifique.

Le mouvement de réforme des politiques en matière de cannabis signifie-t-il que la « guerre contre la drogue » américaine arrive à son terme ? Non, mais il indique bien une évolution tant aux États-Unis qu’en Amérique latine.

La loi prévoyant le contrôle par l’État de la production et de la vente de cannabis entre en application. L’exemple uruguayen provoque un mouvement en faveur de la légalisation au Mexique, au Brésil, au Chili, en Colombie et en Argentine.

Alors que l’Uruguay, le Colorado et Washington aux États-Unis ont légalisé la production de cannabis, que ses voisins européens en dépénalisent l’usage, la France reste arc-boutée sur sa loi du 31 décembre 1970, l’une des plus répressives en Europe. Avec des effets inefficaces puisque la consommation reste l'une des plus élevées du continent.

En Europe, le cannabis est de plus en plus produit dans le pays où il est consommé. Moins que la crainte de l’interpellation, c’est la question du budget, le souci de la qualité du cannabis et le refus de nourrir le trafic qui semblent motiver les cannabiculteurs marseillais rencontrés.

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L'université Pierre-et-Marie-Curie, les soupçons de fraude et le journaliste «embobiné»

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Les autorités de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) ont-elles couvert sciemment une fraude scientifique ? Elles avaient été alertées, dès 2012, quant à une possible manipulation de données dans un essai clinique publié dans le prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM) par une équipe de médecins-chercheurs de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, rattachée à l’UPMC. Mais une enquête diligentée par le président de l’UPMC, le professeur Jean Chambaz, n’a abouti qu’à une rectification mineure dans l’article du NEJM.

Cette affaire, que Mediapart a exposée en avril 2014, a été évoquée lors d’un séminaire sur l’intégrité scientifique organisé le 29 janvier dernier à l’UPMC, dans des termes qui suggèrent fortement que des éléments importants ont été balayés sous le tapis.

Selon un témoin, le délégué à l’intégrité scientifique de l’UPMC, le mathématicien Olivier Pironneau, membre de l’académie des sciences, qui avait coordonné l’enquête, aurait même déclaré tout de go que son président avait réussi à « embobiner » le journaliste de Mediapart…

Nous refusant à croire qu’un président d’université puisse chercher à embobiner un journaliste, nous avons contacté Jean Chambaz, qui ne nous a pas répondu. Olivier Pironneau, lui, nous a accordé un entretien téléphonique mais n’a guère éclairé notre lanterne : il ne se rappelle pas avoir utilisé le terme, mais n’affirme pas non plus ne pas l’avoir employé. Et ne peut de toute façon pas expliquer pourquoi il y aurait eu quelque chose à cacher.

Rappelons les grandes lignes de l’affaire. L’essai clinique controversé, appelé Vascu-IL2, visait à démontrer l’intérêt d’une molécule appelée interleukine-2, sécrétée par certains lymphocytes, pour soigner des patients souffrant d’une vascularite, maladie auto-immune induite par le virus de l’hépatite C. Le traitement entraînait « l’amélioration de l’état clinique de 8 des 10 patients » selon les auteurs, dont le professeur Patrice Cacoub et le docteur David Saadoun, du service de médecine interne de la Pitié-Salpêtrière, et le professeur David Klatzmann, co-découvreur du virus du sida et chef du service de biothérapies du même hôpital. Résultats salués dans les médias comme une « révolution thérapeutique », une « avancée prometteuse » ou un « nouvel espoir » pour des maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques et le diabète.

Peu après la publication, des correspondants anonymes ont accusé les auteurs d’avoir fabriqué des données. Des documents que Mediapart a pu consulter montrent que les résultats cliniques présentés dans l’article sont discordants avec les comptes-rendus effectués par les médecins en charge des patients. Ainsi, selon l’article du NEJM, huit patients sur les dix de l’essai souffraient d’un purpura (inflammation des vaisseaux sanguins, l’un des principaux symptômes de la vascularite) et ont vu ce symptôme s’amender avec le traitement ; or, les comptes-rendus médicaux prouvent qu’il y avait un seul purpura au début de l’essai et qu’il s’est aggravé avec le traitement !

On se serait attendu à ce que la prise en compte de telles incohérences conduise à remettre en cause les conclusions de l’essai. En 2012, le NEJM a été contacté par les correspondants anonymes et a retransmis l’alerte à l’UPMC ainsi qu’à l’ANRS (agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites, sponsor de l’essai). L’UPMC a confié le soin de diriger une enquête à son délégué à l’intégrité scientifique, Olivier Pironneau. L’ANRS a commandé un audit privé. Tout cela a abouti à une correction très discrète dans le NEJM, introduite sans explication, portant sur des points mineurs et ne remettant pas en cause l’article.

Nous avions exposé ces éléments en avril 2014. Nous avions à l’époque interrogé toutes les parties concernées, sans qu’aucune ne puisse expliquer clairement les graves incohérences qui apparaissent entre les données originales et celles qui ont été publiées. Notre article n’a pas non plus reçu le moindre démenti depuis sa parution.

Or, l’affaire a été évoquée à nouveau le 29 janvier dernier, lors du séminaire déjà mentionné. La réunion, organisée par la CPU (conférence des présidents d’université), s’est tenue à l’occasion de la signature d’une charte déontologique nationale par les grands organismes de recherche, visant notamment à améliorer le traitement des cas de fraude ou de mauvaise conduite scientifique. Plusieurs exposés ont eu lieu, dont l’un a été donné par Olivier Pironneau.

Au cours de la discussion qui a suivi, Lucienne Letellier, biophysicienne et chargée de mission au comité d’éthique du CNRS, a mis en cause l’attitude du système universitaire français, qui a tendance à « faire le gros dos » face aux questions d’intégrité scientifique. « J’ai fait observer que si ce ne sont pas nos instances qui interviennent pour dévoiler les fraudes, elles seront révélées par d’autres voies, par exemple des sites spécialisés comme Retraction Watch ou PubPeer (deux sites américains consacrés aux fraudes scientifiques) ou encore Mediapart », nous indique Lucienne Letellier.

Elle précise aussi que son propos était général et ne visait pas une affaire précise. Sauf que dans le contexte, il était difficile de ne pas penser au cas de la Pitié-Salpêtrière, traité à la fois par PubPeer et par Mediapart. Olivier Pironneau, qui a répondu à la question de Lucienne Letellier, a évoqué l’affaire, en indiquant qu’il avait été contacté par un journaliste de Mediapart et qu’il avait adressé ce dernier à Jean Chambaz (c’est en effet ce qui s’est passé).

Olivier Pironneau a ajouté une phrase suggérant que Jean Chambaz ne nous avait pas dit tout ce qu’il savait. Cette phrase a donné lieu à un tweet émis par une participante au séminaire et ainsi formulé : « Selon le délégué à l’IS (intégrité scientifique) de l’UPMC, son président a réussi à “embobiner et à calmer” le journaliste de Mediapart. »

Comme on l’a vu, Olivier Pironneau ne sait plus s’il a dit ou n’a pas dit cela. Lucienne Letellier ne se rappelle pas les mots exacts, mais se souvient que Pironneau a provoqué « un petit sourire dans la salle ». Un autre témoin, Jean-Pierre Alix, conseiller science-société à la présidence du CNRS, a lui aussi oublié les termes précis utilisés, mais confirme que « l’impression était que Chambaz avait calmé le jeu ». Jean Chambaz, contacté par mail et par téléphone, ne nous a pas répondu.

Quant à l’émettrice du tweet, que nous avons également jointe, elle maintient sa formule et nous indique qu’elle a « noté les mots pour ne pas les oublier ». Le blog Rédaction médicale et scientifique, spécialisé dans l’analyse des publications médicales, a mentionné l’épisode. Le site Retraction Watch y fait également une allusion en indiquant qu’il est avec PubPeer et Mediapart l’un des trois sites « scary to French researchers » (qui font peur aux chercheurs français).

Quelle que soit la formule exacte utilisée par Olivier Pironneau, on a l'impression que le délégué à l'intégrité scientifique a gaffé. Son intervention donne à penser que l’UPMC n’a pas été transparente dans le traitement de l'affaire de la Pitié-Salpêtrière. Qui plus est, cet aveu involontaire a été fait lors d’une rencontre qui avait pour objet, avec la signature de la charte déontologique, de marquer un tournant dans l’attitude des autorités académiques françaises vis-à-vis des fraudes scientifiques.

Olivier Pironneau, qui avait refusé de nous répondre en 2014, nous a indiqué cette fois que nous n’avions « pas toutes les informations ». Tout en se refusant à préciser quelles informations nous manquaient. Des explications complètes venant de l’UPMC seraient bienvenues. En l’état actuel des choses, il reste impossible de comprendre pourquoi l’article du NEJM ne reflète pas correctement les données cliniques initiales, ni pourquoi ce point est resté en suspens.

Depuis la parution de l’article en 2011, la révolution thérapeutique annoncée a fait pschitt… L’interleukine-2 n’est toujours pas utilisée pour soigner le diabète ou la sclérose en plaques et l’on peut douter qu’elle le soit jamais. Mais la publication du NEJM a apporté à ses auteurs, outre un coup de notoriété, des crédits supplémentaires pour leurs laboratoires. Alors que la recherche publique souffre d’un manque croissant de financement, des chercheurs poursuivent des travaux sans véritable intérêt scientifique ni médical, en utilisant les moyens de l’État. Avec la bénédiction des autorités universitaires, pour lesquelles il est apparemment plus urgent d’« embobiner » la presse que de faire la lumière sur les fraudes scientifiques.

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François Hollande tente de prolonger « l'esprit de janvier »

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Deux heures tout compris, dont dix-sept minutes de propos liminaire. D'habitude, François Hollande aime bien s'étendre lors de ses conférences de presse semestrielles. Pour cette cinquième édition, la première post-attentats de Paris, le président de la République a voulu changer les règles. Finis les longs tunnels, gommées les petites blagues.

Remis en selle par sa gestion des attentats, le chef de l’État tenait d'abord à "faire" président, dans cet exercice de grand oral un peu compassé où personne ne l'a malmené – impossible, puisque les journalistes, à qui le service de presse de l’Élysée attribue le micro en vertu de règles mystérieuses, ne peuvent pas "relancer" le chef de l’État.

« Le président de la République doit se mettre à la hauteur qui est celle du pays », a expliqué François Hollande, invoquant dès son introduction « l'esprit de ce mois de janvier » qu'il se doit, dit-il, de « prolonger ». Comme si les attentats devaient marquer, pour lui et son quinquennat, un nouveau départ. « J'ai forcément changé à la suite de ces événements », s'est-il épanché, sans que personne ne lui ait posé la question.

François Hollande, ce jeudi 5 février, à l'ElyséeFrançois Hollande, ce jeudi 5 février, à l'Elysée © Présidence de la République


Au nom de l'« unité de la République », le chef de l’État s'est bien gardé, comme il le fait depuis les attaques meurtrières de début janvier, d'employer des mots qui divisent. Il refuse aussi d'employer le mot d'« apartheid social, territorial, ethnique », pourtant utilisé par son premier ministre. Et évoque une vision plutôt apaisée de la laïcité, dans l'esprit de la loi de 1905. « La laïcité n'est pas négociable. Elle doit être comprise pour ce qu'elle est : la liberté de conscience et de religion (…). C'est la séparation de l’État et des cultes, ce n'est pas leur ignorance. »

Mais trois semaines après les attentats, la réponse politique reste encore vague. À part une annonce (attendue) sur un « service civique universel » de huit mois pour tout jeune qui en ferait la demande à partir du 1er juin prochain, le chef de l’État a surtout égrené les têtes de chapitre de son action d'ici 2017 « pour que la République soit plus forte et plus juste » : « faire vivre la cohésion nationale », « promouvoir l'école de la République », l'« égalité entre les territoires » et « l'engagement civique ». Sur les moyens, cela reste très flou, d'autant que la réduction des déficits publics n'est pas remise en cause.

En réalité, il n'y eut qu'une seule surprise : l'annonce par François Hollande de son départ, l'après-midi même, pour Kiev en compagnie d'Angela Merkel, afin de faire « une nouvelle proposition de règlement sur le conflit ». « En Ukraine, c'est la guerre », a dit François Hollande, « une guerre qui peut être totale ». Vendredi, le tandem se rendra à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine.

À l'aise quand il s'agit de vanter "ses" guerres (au Mali, en Irak, en soutien à l'Union africaine contre l'organisation islamiste Boko Haram), François Hollande est un peu plus alambiqué pour parler d'Europe. Certes, il tance « l'austérité à tout jamais », qui « ne peut être une solution pour les Grecs et les Européens ». Au lendemain de la visite d'Alexis Tsipras, le nouveau premier ministre grec à Paris, le chef de l’État se dit à nouveau disponible pour « trouver une solution, un accord » sur la dette grecque. Mais il se garde bien de commenter sur le fond la décision très contestée de la Banque centrale européenne de supprimer les lignes de financement des banques grecques.

La victoire de Syriza en Grèce ne sera pas pour lui l'occasion d'engager avec l'Allemagne cette fameuse « confrontation » qu'une partie de sa majorité souhaite depuis deux ans et demi. « Il n'y a pas d'Europe sans lien solide et robuste entre la France et l'Allemagne », dit-il, évoquant les « compromis » nécessaires avec Berlin. « Allez-vous mener une politique européenne plus à gauche désormais ou rester dans l'orthodoxie actuelle ? » demande un journaliste économique allemand. « Je suis européen », répond Hollande, bottant en touche.

Sur le plan intérieur, les attentats ont au moins eu une conséquence : François Hollande ne passe plus son temps à faire des leçons d'économie, préoccupation quasi unique de ses deux premières années et demie à l’Élysée. Depuis les attaques, le chef de l’État manifeste une préoccupation nouvelle pour les questions de société, dont il n'a jamais été un spécialiste. Après avoir beaucoup consulté, François Hollande a détaillé la façon dont il entend faire vivre « l'esprit de janvier » dans la République.

Des mots, de grands mots peut-être, mais que François Hollande, pourtant élu sur la promesse de « remettre l'éducation et la jeunesse au cœur de l'action publique », n'avait pas prononcés si souvent avant les drames de janvier. « La France a un devoir de faire que chacun de ses enfants puisse réussir sa vie et n'ait pas le sentiment d'être ségrégué, séparé, discriminé, mis de côté », a expliqué le chef de l’État, préférant ces termes à l'« apartheid » de Manuel Valls, critiqué dans les rangs de la majorité. « Quand il y a des fatalités de destins parce qu'on vit dans une cité », qu'on n'a pas accès « aux bonnes écoles », il y a « une souffrance, une colère » et « la séparation, le sentiment de la ségrégation, qui sont des insultes pour la République ».

Au rayon des mesures, le chef de l’État a fait, ou confirmé, quelques annonces sur l'école (« maîtrise du français dès la maternelle », « lutte contre le décrochage scolaire », « lycées professionnels renforcés », formation initiale et continue des professeurs renforcée, enseignement du numérique). Il s'est également attardé sur des propositions pour favoriser « l'égalité entre les territoires » : plus de mixité sociale, le renforcement des sanctions pour faire appliquer la loi SRU (qui fixe le taux de logements sociaux à 20 % au minimum dans chaque commune), une augmentation (non chiffrée) de crédits pour les associations, ou la création (à moyens constants) d'une agence nationale pour le développement économique par le territoire, sur le modèle de l'Agence de la rénovation urbaine (ANRU).

Ceux qui, à gauche, espéraient un big-bang en seront sans doute pour leurs frais. Les économies budgétaires ne sont pas remises en cause. La ligne du gouvernement reste la même. « Nous avons défini la bonne politique », a affirmé François Hollande, citant par deux fois les mérites de la loi Macron, en cours de discussion à l'Assemblée. « Nous devons aller encore plus loin sur les réformes », a-t-il assuré, annonçant d'ores et déjà une loi sur le dialogue social, qui inquiète certains syndicats de salariés, et des mesures contre le chômage.

Par ailleurs, s'il réactive la « démocratie participative » chère à sa ministre de l'écologie, Ségolène Royal, le président de la République ferme la porte à d'autres mesures, attendues par une partie de ses électeurs de 2012 : la lutte contre les contrôles au faciès (sujet pas abordé), le droit de vote des étrangers (il s'y dit « favorable » mais regrette le blocage de l'opposition, alors qu'il pourrait tenter de l'instaurer par référendum), la réduction du nombre de parlementaires (à eux de le faire…), le recours accru aux référendums (« on sait très bien ce qu'ils peuvent provoquer »), ou encore les statistiques dites "ethniques", un débat « qui ne sert à rien ».

François Hollande n'oublie pas non plus de faire de la politique. En ouverture d'une année 2015 où la France accueillera la conférence sur le climat, il vante sa politique "verte" et fait un appel du pied appuyé aux écologistes, « bienvenus » s'ils souhaitent revenir au gouvernement. En réponse à une question du patron de Libération, Laurent Joffrin, François Hollande dit aussi : « Je suis un président de gauche depuis le début. » Dans les semaines et les mois à venir, il lui revient désormais d'en convaincre à nouveau ceux qui l'ont élu.

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Procès du Carlton: «La Belgique, c’est un pays un peu à part»

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  « La Belgique, c’est un pays un peu à part, un pays de tolérance. Là-bas, vous avez la loi et vous avez l’usage de la coutume. » Dominique Alderweireld a le sens de la formule. Il le sait. Et il en joue. Pas seulement face aux caméras de télévision qui l’attendent en nombre à chaque suspension de séance. Mais aussi devant les juges du tribunal correctionnel de Lille, où il comparaît depuis quatre jours pour « proxénétisme aggravé » dans l’affaire dite du Carlton. 

Lunettes au bout du nez, inflexible aux saillies du sexagénaire, le président Bernard Lemaire tourne les pages cotées d’interceptions téléphoniques. « Sur une écoute, on vous entend demander : “On a une négresse ? On a un client qui veut baiser une négresse.” C’est comme ça que vous parlez des femmes ? » « Tout à fait, répond Alderweireld. J’adore plaisanter. » Silence dans la salle d’audience. « Une autre conversation, vous êtes en Espagne. Vous dites à un ami : “Je vais pas en vacances, quand je vais là-bas, je fais de la remonte moi…” Vous remontez, dites-vous, du “cheptel”… Du “cheptel” ? »

Le prévenu assume l’expression. Il s’en vante, même. « J'suis comme ça, m'sieur le président, j'fais d'l'Audiard », se gausse-t-il, en jetant un œil à son avocat, Me Sorin Margulis. Sur le banc des parties civiles, deux anciennes prostituées qui ont « travaillé » pour “Dodo”, regardent la scène sans mot dire. Un peu plus tôt dans la journée, elles se sont avancées à la barre, chacune à leur tour, pour donner aux juges un aperçu de leur « vie d’avant », quand le manque d'argent les a poussées à se prostituer dans deux des clubs tenus en Belgique par Alderweireld et sa compagne “Béa” – Béatrice Legrain, également prévenue dans l'affaire.

Dominique Alderweireld et sa compagne, Béatrice Legrain, en mars 2014, devant le club “DSK” aujourd'hui fermé.Dominique Alderweireld et sa compagne, Béatrice Legrain, en mars 2014, devant le club “DSK” aujourd'hui fermé. © Reuters

Elles décrivent les termes du « contrat » (« les gains de la chambre c’était 50/50, pour les boissons, on recevait 40 % »), l’exiguïté des lieux (« on vivait à douze ou treize dans une cuisine de 3 mètres sur 5 »), le sentiment d’insécurité, celui de « dénigrement » lorsqu’elles attendaient, avec une dizaine d’autres filles habillées « le plus sexy possible », que « le client » daigne les « choisir ». « Il fallait des petites, des grosses, des mûres, des brunes, des blondes… Mais à l’époque je ne voyais pas les choses comme ça », soupire Jade*. Elles parlent aussi de ces nombreuses Françaises qui traversent la frontière pour venir gagner leur vie en Belgique, là où « elles sont moins contrôlées ».

« Je suis atterré, s’exclame Dominique Alderweireld, après le deuxième témoignage, celui de Laura. Parce que si cette dame s’est présentée chez moi, c’est de son libre arbitre. » Les contraintes économiques ? « Et les filles qui travaillent en face du palais de justice, elles n'en ont pas peut-être ?, s'agace le sexagénaire. Ça, c’est de l’abattage ! » Le prévenu prend soin de bien insister sur un point : les « filles » de ses clubs sont « in-dé-pen-dan-tes ». « S’il y avait un lien de subordination, selon la loi belge, je serais un proxénète. C’est pour ça que je n’ai que des indépendantes », argue-t-il encore à la barre. Celui que tous connaissent sous le surnom de “Dodo la Saumure” a déjà été condamné deux fois en France pour « proxénétisme ». En Belgique, à l'écouter, il passerait presque pour un businessman.

Car en matière de prostitution et de proxénétisme, la loi belge diffère sensiblement de la loi française. Depuis le 13 avril 1995, le proxénétisme, s'il n’est pas lié à la traite, n’est plus poursuivi outre-Quiévrain. « Les choses ne sont pas univoques, cela varie d’un arrondissement judiciaire à l’autre, rappelle Me Margulis, qui en profite pour donner un petit cours de droit belge au parquet. Chacun a sa vision sur la prostitution et le proxénétisme. Le procureur mène un peu les choses comme il veut. » Son client valide en faisant « oui » de la tête.

Comme en France, les salons de prostitution sont pourtant officiellement interdits en Belgique. « On a à peu près les mêmes textes qu'ici, mais l’application… » Alderweireld cherche ses mots. « Ils ne sont pas appliqués », tranche le procureur. « Il y a 1 000 maisons de prostitution, certaines sont exploitées par les communes », poursuit “Dodo” qui possède à lui seul « cinq établissements », où « transitent » quelque 240 femmes. « Le “Madame”, le “Smoke”, l'“Institut Béa”..., énumère le président Lemaire. Le “DSK” aussi, mais il est fermé aujourd'hui, c'est bien cela ? » « Oui, répond le prévenu. C'était une technique commerciale. Maintenant, je voudrais ouvrir le “FMI”, le “Famous Miss International”. »

- Mmmm. Et l'autre ?

- L'autre ? Le “7 sur 7” ?

- Non, l'autre.

- Aaaaaah... Le Carlton ! J'ai abandonné. »

Alderweireld se félicite du niveau de « tolérance » de la loi belge sur les maisons closes, qui lui permettent de gagner 3 000 euros par mois. Pourquoi, dans de telles conditions, se retrouve-t-il aujourd’hui dans l’enceinte du tribunal correctionnel de Lille ? Parce qu’il est accusé d’avoir « recruté » certaines « filles » sur le territoire français et d’en avoir « envoyé » d’autres pour participer aux « déjeuners » lillois qu’organisait son ami René Kojfer, en compagnie des patrons du Carlton et de l’hôtel des Tours. Ce qu'il réfute vigoureusement. « Je n’ai jamais influencé personne ni donné un conseil pour que des filles du club Madame se rendent à l’hôtel Carlton », peste-t-il, reconnaissant à peine avoir commis « une petite bêtise » en ayant une conversation en France avec une future recrue.

En règle générale, lui préfère « recruter » en Espagne, « où il y a la loi de 92 qui l’autorise ». « Vous connaissez bien les lois », fait remarquer un avocat de la partie civile. C'est exact. “Dodo” s'intéresse tellement au sujet qu'il a même songé un temps à devenir avocat, « mais c'était pas sérieux avec (son) passé ». « C'est vrai que, dans votre vie, vous vous êtes mis très tôt à l'écart des règles de droit », observe le président Lemaire. « C'est que j'ai pas compris les règles », répond le prévenu, l'air goguenard.

« En quelle année le proxénétisme est-il enseigné en fac de droit ? En quatrième année ?, s'interroge à haute voix le président. Vous auriez dû faire la maîtrise ! » Par moments, des rires fusent dans la salle d’audience, bientôt réfrénés par les « chuuuut » de l’huissier et les reniflements des anciennes prostituées, qui n’en finissent pas de pleurer. Un gouffre immense semble s’être créé entre le banc des parties civiles et celui des prévenus, qui rivalisent de bons mots, surjouent la bonhommie et minimisent chacun des témoignages livrés par les « filles », dont Alderweireld moque « le QI de 25 ».

« Je pense avoir un certain sens de la dérision », affirme-t-il encore afin de justifier son détachement. Pour le reste, le passé des anciennes prostituées, les stigmates manifestes qu'a laissés leur expérience en club, ce n’est franchement pas son problème. « Je ne suis pas psychiatre ou psychologue. Les gens se présentent, ils cherchent du travail. Je leur en donne, point final », ajoute-t-il, avant de conclure dans un élan de cynisme absolu : « Je ne suis pas le seul “employeur” à avoir des problèmes avec mon personnel. À la SNCF, y a beaucoup de gens qui se suicident, c’est pas d’la faute à la SNCF ! »

BOITE NOIRE*Nous utilisons les surnoms empruntés par les jeunes femmes lorsqu'elles se prostituaient.

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Financement du FN: la justice explore le maquis financier de plusieurs sociétés

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Les enquêteurs ont mis le pied dans une fourmilière en débarquant, le 14 novembre dernier, place Léon-Deubel dans le XVIe arrondissement de Paris. Sur commission rogatoire des juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi, ils ont fouillé les bureaux d’Axel Loustau, patron d’une galaxie d’entreprises de sécurité héritée de son père, et trésorier depuis mars 2012 de Jeanne, la principale association de financement du Front national et de Marine Le Pen.

Selon les informations obtenues par Mediapart, l’enquête, déclenchée par un signalement de la commission nationale des comptes de campagne et de financement politique (CNCCFP), a révélé des flux financiers suspects entre les sociétés de sécurité détenues par Axel Loustau et Riwal, l’unique entreprise prestataire de services de l’association Jeanne. De même, d’importants retraits en espèces sur le compte de Riwal ont été notés. Pour justifier de ces flux, des conventions de prêt ont été remises aux policiers. Selon nos informations, Riwal aurait encaissé 7 millions d’euros de l’association de financement frontiste entre avril 2012 et janvier 2014. Cette société a par ailleurs perçu 150 000 euros du Front national à l'automne, sur les deux premiers millions empruntés à la banque russe FCRB, « le paiement d'une facture », selon le trésorier du parti Wallerand de Saint-Just.

Fondée en 2010, Jeanne est devenue la pièce maîtresse du dispositif électoral du FN, offrant via Riwal des « kits électoraux » et des crédits aux candidats, avec le feu vert de l’état-major frontiste, et surtout de Marine Le Pen. Le 23 janvier, ainsi que l’a révélé Le Monde, Frédéric Chatillon, le patron de Riwal, a été mis en examen pour « faux et usage de faux », « escroquerie », « abus de biens sociaux » et « blanchiment d'abus de biens sociaux ». « Frédéric Chatillon n'est ni président de Jeanne, ni du FN. Il va pouvoir répondre aux questions et savoir ce qu'on lui reproche, a commenté Marine Le Pen au Monde, en précisant « qu’aucun élément » ne lui permettait « de lui retirer (s)a confiance ».

Le temps de l'enquête judiciaire, Frédéric Chatillon va devoir suspendre son activité commerciale en direction du Front national, après les départementales – un marché difficile à remettre en cause à un mois et demi du scrutin. Quant à Axel Loustau, il se plaint d'être devenu la cible du pouvoir, et du fait que ses sociétés auraient « perdu 40 % de leur chiffre d'affaires » sous la pression « des médias » et de l'information judiciaire. Toutes les sociétés de ce réseau, une vingtaine, font l'objet aujourd'hui de vérifications en marge de l'enquête des juges.

Marine Le Pen ne pouvait guère se désolidariser de ses prestataires : elle est elle-même à l’origine de ce dispositif après l’éviction, en 2007, de l’imprimeur historique du FN, Fernand Le Rachinel. La présidente du Front national est en outre une vieille amie de Frédéric Chatillon, ancien président du Groupe union défense (GUD) qui mobilise pour elle, avec l’ancien avocat Philippe Péninque, ses amis « radicaux », reconvertis à la tête de PME de service aux entreprises.

Marine Le Pen avec Frédéric Chatillon et Axel Loustau (à droite), en novembre 2013, à Paris. Dossier Figaro Magazine (mai 2014).Marine Le Pen avec Frédéric Chatillon et Axel Loustau (à droite), en novembre 2013, à Paris. Dossier Figaro Magazine (mai 2014). © Julien Muguet / IP3 Press / MaxPPP

C’est ainsi qu’Axel Loustau, ancien « gudard » lui aussi cofondateur et toujours actionnaire du prestataire Riwal, s’est vu confier en mars 2012 le poste de trésorier de l’association de financement Jeanne. Il peut comme cela voir de près les marchés qui lui valent des dividendes. Malgré son statut de « microparti », Jeanne reste étroitement contrôlée dès l’origine par l’organisation frontiste, via deux hommes : Jean-François Jalkh, vice-président du FN en charge des élections, nommé secrétaire général de l’association ; et Steeve Briois, le maire d’Hénin-Beaumont, secrétaire général du FN jusqu’en novembre, et mandataire financier de Jeanne.

« On a des prestations du sous-traitant, il est normal que la justice vérifie si elles sont réelles, ou surfacturées, commente prudemment Jean-François Jalkh. C’est un grief qu’on avait fait à M. Le Rachinel. Mais le débat sur le prix de la prestation est difficile, il faut comparer ce qui est comparable. Imprimer du matériel électoral, ce n’est pas imprimer des cartes de visite. Tout est suspect par définition, pour les policiers. Ils se demandent s’il n’y a pas un grand manitou qui est arrivé, et qui a pompé du fric sur la boîte pour faire la java à Saint-Tropez, ou filer sous la table des retours à je ne sais pas qui. »

Selon nos informations, Riwal a procédé à d'importants retraits d'argent en espèces en 2012. Et cette même année, des flux croisés, à hauteur de 800 000 euros, ont été mis en évidence entre l’entreprise de communication de Frédéric Chatillon et une société de sécurité d’Axel Loustau. « Les flux entre ces sociétés correspondent à des prêts remboursés dans les délais et avec intérêt », se justifie Frédéric Chatillon à Mediapart, qui affirme que « ce n’est pas l'objet des poursuites ». Les comptes du dirigeant de Riwal avaient déjà fait l’objet de vérifications, en 2011, au sujet de fonds reçus de la représentation syrienne, finalement justifiés par des prestations de communication en faveur de Damas.

Frédéric Chatillon (à droite) avec les secrétaires généraux du FN, Steeve Briois et Nicolas Bay, en novembre 2011.Frédéric Chatillon (à droite) avec les secrétaires généraux du FN, Steeve Briois et Nicolas Bay, en novembre 2011. © Capture d'écran LCP.

L’état-major de Marine Le Pen reste circonspect. « M. Chatillon fait ce qu’il veut de son argent, commente Jean-François Jalkh. S’il veut le sortir en liquide… Mais comme il est en contrôle fiscal permanent, je ne pense pas qu’il fasse la bêtise de commettre des erreurs de débutant… » « J’étais sûr que cette histoire allait nous péter à la gueule », peste de son côté un membre du bureau politique du parti.

Le conseiller officieux de la présidente du FN, Philippe Péninque, lui-même ex-associé de Chatillon, et ancien leader du GUD, juge qu’il n’y a « rien dans cette procédure ». « Cette organisation me paraît tout à fait légale, sans aucun problème, validée de toutes parts, assure-t-il. Les juges sont en train de regarder [ces flux]. On ne m’a pas demandé mon avis à ce sujet. Je connais suffisamment ces gens-là, qui sont des militants, pour savoir qu’ils n’auraient pas fait prendre le moindre risque au Front national. »

Philippe Péninque, qui a fait irruption dans l’affaire Cahuzac en 2013 – il avait ouvert un compte à l’UBS pour le ministre du budget en 1992 –, est l’homme qui a permis à Marine Le Pen de faire place nette dans son organisation. En 2007, il a été missionné pour « réaliser un audit politique, administratif et financier du Front national ». Ce « rapport d’audit » va justifier le refus du parti de payer son imprimeur Le Rachinel. « J’ai donné des pistes de rénovation de la structure et j’ai mis à jour un certain nombre de dysfonctionnements et de malversations », assure le conseiller de Marine Le Pen, qui précise faire, aujourd’hui encore, « des tas de choses pour le Front national, pour Marine ».

Philippe Péninque (cheveux blancs) pendant le discours de Marine Le Pen, lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2013, à Paris.Philippe Péninque (cheveux blancs) pendant le discours de Marine Le Pen, lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2013, à Paris. © Mediapart

« M. Le Rachinel a surpris la bonne foi de l’ensemble des dirigeants du Front national dans une vaste opération financière visant à détourner à son profit une partie des actifs financiers du Front national », écrivait notamment Philippe Péninque, dans son rapport qui préconise « d’entamer une procédure civile dans un premier temps ». En réalité, l’imprimeur avait prêté 8 millions d’euros au FN pour les campagnes de 2007, et ses dirigeants se déclaraient dans l’impossibilité de le rembourser eu égard à la débâcle électorale cette année-là. Le litige, géré en partie par Marine Le Pen, est perdu par le Front national, qui doit rembourser la totalité, tandis que Le Rachinel est blanchi en 2012 au terme d’une longue bataille judiciaire.

« J’ai subi six perquisitions, 30 heures de garde à vue, deux journées d’audition, et je n’ai jamais été mis en examen, se plaint Fernand Le Rachinel. Marine Le Pen a dégagé tous les anciens et moi. À qui a profité tout cela ? À Frédéric Chatillon. »

« Il y avait un aspect politique, se souvient l’avocat de l’imprimeur, Robert Apéry, qui consistait à mettre sur la touche une partie des pro-Gollnisch, et un aspect financier : celui de récupérer des marchés. À l’époque, j’ai eu plusieurs rendez-vous avec Marine Le Pen qui répétait : “Rien ne se fera sans mon accord.” Elle montrait qu’elle tenait déjà les cordons de la bourse. »

« Le Rachinel part dans des conditions très difficiles, résume le trésorier du FN Wallerand de Saint-Just. On n’a plus d’imprimeur et on le remplace donc par quelqu’un de confiance. Riwal va donc prendre de l’importance, c’est tout naturel. Chatillon était peut-être là avant, mais Le Rachinel était l’imprimeur principal et un élément essentiel du financement. L’entité qui se met à gérer les campagnes des candidats du FN, c’est Jeanne. »

A. Loustau dans la manifestation d'extrême droite radicale «Jour de colère», le 26 janvier 2014, à côté d'un organisateur.A. Loustau dans la manifestation d'extrême droite radicale «Jour de colère», le 26 janvier 2014, à côté d'un organisateur. © M.T. / Mediapart

Désormais, c’est le réseau de Frédéric Chatillon qui est dans le collimateur, à travers ses prestations facturées à l’association de financement Jeanne. Créée en 2010, celle-ci devait à l’origine servir de collecteur de fonds à l’équipe de Marine Le Pen, à l’image de Cotelec, la structure de Jean-Marie Le Pen fondée en 1988. Deux anciens de la galaxie du GUD figurent dès l’origine dans la direction de Jeanne : la présidente Florence Lagarde, femme du bras droit de Chatillon, une vieille amie de Marine Le Pen ; et le trésorier Olivier Duguet, un comptable associé à Chatillon, condamné pour escroquerie à Pôle emploi en 2012.

C'est cette année-là qu'Axel Loustau, dont la société Vendôme assure régulièrement la sécurité des rassemblements frontistes, prend le relais de la trésorerie de Jeanne. Le trésorier est pourtant actionnaire de Riwal, son prestataire. Une possibilité offerte par « une convention réglementée entre les deux structures – Riwal et Jeanne, ndlr », justifie Philippe Péninque.

« On s'est posé la question du conflit d'intérêts, mais je suis actionnaire dormant au sein de Riwal, c'est parfaitement légal », assure Loustau, qui a récemment été propulsé à la tête du nouveau cercle patronal du FN. Jeanne est elle aussi domiciliée dans les sièges sociaux successifs de l'agence de communication Riwal. En mai 2014, l'association emménage officiellement dans des locaux, 27, rue des Vignes, achetés par une SCI détenue par Axel Loustau et Frédéric Chatillon. Ce « QG » des prestataires du Front national, et de Jeanne, est utilisé ponctuellement par Marine Le Pen (lire notre enquête).

Les locaux du 27, rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement de Paris.Les locaux du 27, rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement de Paris. © M.T. / Mediapart

Jeanne n’est pas un électron libre, comme l’explique l’un des responsables, Jean-François Jalkh : « Je me suis retrouvé secrétaire général de Jeanne, par discipline. J’étais là pour attester le fait que le Front national assumait parfaitement son cousinage avec Jeanne, sans zone de flou. C’est aussi pour cette raison que M. Briois en était, dès le départ, le mandataire financier. »

C’est en partant de l’examen des comptes des candidats du FN que la commission des comptes de campagne s’intéresse au système mis en place par Jeanne. Elle s’étonne du taux d’intérêt élevé (6,5 %) des prêts accordés aux candidats par l’association, et soulève une possible infraction au code monétaire et financier. Les « kits de campagne » facturés plus de 16 000 euros pièce aux candidats – et rendus obligatoires pour un grand nombre de candidats – sont aussi dans le viseur. En effet, le coût de la conception était imputé sur le prix à l’unité – et non pas comme un coût global porté par l’association. Grâce à ces prestations, Jeanne fait 9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Ce montant place Jeanne au quatrième rang des formations politiques, en termes de rentrées financières.

La commission, qui analyse la prise en charge des dépenses par l’État – les frais des candidats, y compris les intérêts d’emprunt, sont remboursés –, alerte le parquet en 2013. L’enquête, ouverte en avril 2014 sur des soupçons de « faux et usage de faux et escroquerie en bande organisée », élargie en septembre dernier pour des faits « d’abus de biens sociaux » et « blanchiment en bande organisée », porte sur les cantonales de 2011, les législatives et la présidentielle de 2012.

« Aux municipales, on a été très contents de cette organisation, se félicite pourtant Wallerand de Saint-Just. Riwal ne surfacture pas d’un centime. Chatillon a acquis une grande expertise. Je suis très content de son travail, il est très efficace. » Si la communication électorale semble de facto avoir été externalisée par le recours à Riwal, le secrétariat général du FN – Nicolas Bay et avant lui Steeve Briois – pilote toujours la conception et les commandes de matériel.

« Je connais Mme Le Pen, si elle avait le sentiment que Chatillon est un baltringue, elle ne travaillerait pas avec lui », assure Jean-François Jalkh. C’est d’ailleurs pour cette raison que Marine Le Pen pourrait être appelée à devoir répondre du bien-fondé de l’activité de Frédéric Chatillon. Sollicitée, la présidente du Front national a fait savoir que, « comme d'habitude », elle ne répondrait pas à nos questions.

BOITE NOIREAprès s'être rendus au siège des sociétés ayant fait l’objet des perquisitions, dans le XVIe arrondissement de Paris, nos journalistes ont été pris à partie sur la voie publique, le 30 janvier, dans l’après-midi, par plusieurs individus accompagnant Axel Loustau, le trésorier de l’association de financement Jeanne. Parmi eux, Olivier Duguet – ancien trésorier lui-même – a menacé de « tuer » notre collaboratrice. Ces menaces ont fait l’objet d’un signalement aux forces de l’ordre.

Lire ici le billet de blog de la direction de Mediapart

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