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Otages français en Syrie: une libération et des questions

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Les quatre journalistes français, ex-otages en Syrie, ont atterri dimanche matin en France, sur la base militaire d'Évreux, avant de rejoindre Villacoublay, au sud de Paris, à bord d'un hélicoptère. Accueillis par le président de la République et le ministre des affaires étrangères, Didier François (grand reporter à Europe 1), Édouard Elias (photographe), Nicolas Hénin (Le Point, Arte) et Pierre Torres (photographe indépendant) ont pu y embrasser leurs familles et collègues. Que sait-on ce dimanche de leur détention et des conditions de leur libération ?

Sur le tarmac de Villacoulblay, dimanche matinSur le tarmac de Villacoulblay, dimanche matin © Reuters

Didier François et Édouard Elias avaient été enlevés au nord d'Alep le 6 juin 2013. Nicolas Hénin et Pierre Torres avaient eux été enlevés deux semaines plus tard, le 22 juin, à Raqqa, grande ville du nord de la Syrie sur laquelle les extrémistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Isis en anglais) avaient mis la main en avril 2013. Les quatre journalistes étaient détenus par ce groupe djihadiste, créé en 2013 et principalement composé de combattants étrangers. Sur Europe 1, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a confirmé que certains de leurs geôliers parlaient français. « Il y a malheureusement des Français, des Belges, des Européens, qui sont partis, comme ils le disent, faire le djihad en Syrie », a-t-il rappelé. Parmi les 2 000 Européens combattant en Syrie, il y aurait environ 700 Français, suivis par les Britanniques et les Allemands.

Deux des journalistes, qui n’ont pas encore été débriefés par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ont donné un aperçu de leurs dix mois de détention. Prudemment, car plusieurs otages restent aux mains de l’EIIL. Didier François a ainsi insisté sur la nécessité de « réfléchir avant de dire n'importe quoi ». Selon Serge July, président du Comité de soutien, l'État islamique en Irak et au Levant détiendrait encore « plus d'une vingtaine d'Occidentaux ».

Ces enlèvements n'ont jamais été revendiqués, il n’y a pas eu de demande de rançon officielle, pas plus de messages vidéos ou de revendications politiques. Selon Gilles Kepel, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et interrogé par France info, à force de multiplier les enlèvements de journalistes et d’humanitaires occidentaux, le groupe extrémiste serait « en situation d’isolement croissant ». Accusé d’avoir confisqué la lutte contre le régime de Bachar al-Assad au profit de la création d’un califat englobant l’Irak et la Syrie, le groupe djihadiste est depuis début 2014 combattu au sein de la rébellion par certains groupes islamistes modérés. « Les soutiens à la rébellion syrienne pâtissent considérablement de la présence de l’Isis et de son image djihadiste et ultra anti-occidentale », a expliqué le chercheur au micro de France info.

Dans un premier temps, l’agence de presse turque Dogan avait indiqué que les otages avaient été relâchés vendredi soir à la frontière au poste d'Akçakale, au nord de Raqqa, par un groupe syrien inconnu, les mains liées et les yeux bandés. Nicolas Hénin a assuré à France 24 qu'ils n'avaient pas les yeux bandés. « Nous avons traversé la frontière à tête découverte et les mains dans les poches », a démenti le journaliste du Point. Il y avait clairement eu coordination. Les militaires turcs nous attendaient.»

À la base de Villacoublay, Didier François a raconté avoir eu l’impression de vivre dans un « trou noir, à l’isolement total ». « Sur les dix mois et demi » de captivité, les quatre journalistes seraient « restés dix mois complets dans des sous-sols sans voir le jour, un mois et demi entièrement enchaînés les uns aux autres ». Le tout dans un pays en pleine guerre civile. « Parfois, c'était un petit peu bousculé, les combats étaient proches, il est arrivé qu'on soit déplacés très rapidement dans des conditions un peu abracadabrantes », a décrit Didier François.

Nicolas Hénin a de son côté expliqué que les otages avaient été « plongés dans le chaos syrien avec tout ce que ça veut dire ». Samedi, le journaliste avait affirmé à France 24 être passé au total « par une dizaine de lieux de captivité ». « La plupart du temps, avec d'autres personnes, notamment Pierre Torres qui m'a rejoint assez vite. Cela a été une longue errance de lieu de détention en lieu de détention.(...) Nous avons fait des trajets parfois sur plusieurs jours donc potentiellement sur plusieurs centaines de kilomètres». Nicolas Hénin avait aussi évoqué sa tentative d'évasion trois jours après son enlèvement. « J'ai passé une nuit en liberté à courir dans la campagne syrienne avant de me faire rattraper par mes ravisseurs », a-t-il dit. Tout un parcours que les ex-otages devraient bientôt décrire en détail à la DGSE, « quand ils voudront et quand ils pourront », indiquent les autorités françaises.

«Nous n'avions jamais perdu leur trace» a assuré au Journal du dimanche un officiel français. Selon Libération qui a eu accès aux témoignages d'anciens otages qui avaient croisé leur chemin, Didier François et Édouard Elias ont d'abord été détenus à Alep «enfermés dans un hôpital transformé en prison». «Mais en janvier, alors que les combats entre factions éclatent, leurs ravisseurs décident de les transférer à Raqqa, dont ils ont encore le contrôle», écrit le journaliste Luc Mathieu. 

D’après plusieurs sources, les négociations ont été menées par la DGSE, dirigée par Bernard Bajolet, sans passer par un service tiers, contrairement à ce qui s'était passé pour les otages français d'Arlit en octobre 2013 ou pour la libération des humanitaires maliens cette semaine. « On est dans un format très classique où la DGSE a agi directement sous l’autorité du chef de l’État et du ministre de la défense », assure un représentant des autorités françaises. Ultramobilisé depuis juin 2013, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, s’est, selon une source, rendu lui-même en Turquie « ces derniers semaines, afin de finaliser le modus operandi et l’extraction des journalistes français ». Selon cette même source, le président de la République avait « été assuré en début de semaine que les choses se passeraient bien ».

Le 2 mars 2014, l’EIIL relâche à la frontière turque un journaliste espagnol, Marc Marginedas, du quotidien El Periódico, enlevé en septembre dans le centre de la Syrie. À l’issue de sa détention, Marc Marginedas avait téléphoné aux parents de Pierre Torres, avec lequel il s’était lié d’amitié pendant leur détention à Raqqa. Il leur avait indiqué que Pierre Torres était « détenu avec les trois autres Français et encore d’autres otages ». Puis, le 30 mars, c’est le tour de deux autres journalistes espagnols travaillant pour le journal El Mundo d'être libérés. Selon deux sources, des humanitaires auraient également été relâchés dans la foulée.

Les services français sont-ils passés par les mêmes filières de négociation que les Espagnols ? Ont-ils bénéficié de retours et du débriefing des autorités espagnoles et d'éventuels autres négociateurs ? Un officiel français assure que la DGSE a œuvré avec plusieurs services étrangers, « européens et américains », qui cherchaient eux-mêmes à récupérer leurs ressortissants.

Mais sans passer par l’intermédiaire de chefs d'État ou des services des pays du Golfe, à l’en croire. «Nous prenons toujours les choix les plus efficaces, explique cet officiel. Pour les cinq otages maliens, libérés en début de semaine, nous avions fait le choix d’une opération militaire, d'une action par le feu. Pour les quatre otages français d’Arlit (libérés le 29 octobre 2013  ndlr), ce sont les relations de M. Mohamed Akotey avec le président du Niger qui ont été déterminantes. Là, nous avons pris un chemin plus classique. »

Y a-t-il eu rançon ? Sans surprise, François Hollande a démenti, rappelant sa stratégie officielle depuis mai 2012. « L'État ne paie pas de rançon, a répété dimanche le président de la République. C'est un principe très important pour que les preneurs d'otages ne puissent être tentés d'en ravir d'autres. » Avant d’ajouter : « Tout est fait par des négociations, des discussions. Je ne veux pas être plus précis, car nous avons encore deux otages. » Deux Français sont encore détenus par des ravisseurs au Mali, Gilberto Rodriguez Leal et Serge Lazarevic. Laurent Fabius s'est de son côté contenté d'évoquer dans un communiqué « un travail long, difficile, précis, nécessairement discret ». 

Concernant le sort de Gilberto Rodriguez Leal, 61 ans, Laurent Fabius s’est dit dimanche « très inquiet ». « Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu de nouvelles. Nous avons des contacts avec la famille mais nous sommes effectivement très inquiets », a déclaré le ministre des affaires étrangères sur Europe 1.

« Je pense que les autorités françaises n’ont pas payé, car le président de la République prendrait un risque énorme à mentir sur ce point », estime Louis Caprioli, ex sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à feu la Direction de la surveillance du territoire (DST). Ce qui n’exclut pas, selon lui, que d’autres aient pu le faire à la place de la France. « Si les négociations sont passées par les services arabes des pays du Golfe, peut-être y a-t-il eu des compensations financières ou en armement du Qatar ou de l’Arabie saoudite, deux pays qui ont développé une diplomatie du cash, grâce à leurs ressources en pétrole et en gaz », s’interroge-t-il.

Une hypothèse partagée par Alain Marsaud, ancien magistrat chargé des dossiers de terrorisme (aujourd'hui député UMP des Français de l'étranger). Il a estimé sur I-Télé qu'« il y a toujours une contrepartie » et que « si ce n'est pas nous qui payons, c'est d'autres qui payent à la place », citant notamment « nos amis, soit qataris soit des Émirats arabes unis ».

Questionnés dimanche, le ministère des affaires étrangères, celui de la défense et l’Élysée restent muets sur ce point. De son côté le Journal du Dimanche affirme que « s'il avait été fait état de négociations financières avec des montants parfois astronomiques réclamés par les djihadistes, cette fois, il ne semble plus que ce soit la condition première ». « D'autres demandes ont été satisfaites », a indiqué une source à l’hebdomadaire.

Suite à la libération des quatre derniers otages français d’Arlit, fin octobre 2013, Le Monde avait révélé que la « contrepartie » pour ces employés de Vinci et d’Areva s’était élevée à « plus d'une vingtaine de millions d'euros ». La somme avait été prélevée, selon le quotidien, sur les fonds secrets alloués aux services de renseignement. Mais l’opération n’avait pas été directement montée par la DGSE. Selon le quotidien, Pierre-Antoine Lorenzi, un ancien de la DGSE aujourd'hui à la tête de la société privée Amarante, et Mohamed Akotey, figure de la rébellion touareg, avaient agi sans que Bernard Bajolet soit mis au courant. « M. Bajolet, fidèle à la ligne fixée par le chef de l'État début 2013, défend une ligne de discussions sans versement de rançon pour la libération d'otages », décryptait alors Le Monde.

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