Rédigée le 14 avril 2014 et publiée par Le Parisien le lendemain, une note du commissariat du VIe arrondissement de Paris ordonnait « dès à présent et jusqu’à nouvel ordre, pour les effectifs du VIe arrondissement, de jour et de nuit, de localiser les familles roms vivant dans la rue et de les évincer systématiquement ». Des instructions illégales, comme l'a rectifié dans la foulée le nouveau ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. « Aucun contrôle de police ne peut être effectué en ciblant une personne en fonction d’une nationalité réelle ou supposée », a-t-il rappelé.
Un principe constitutionnel un peu trop souvent oublié par la hiérarchie policière. Mediapart publie ainsi un exemplaire des procès-verbaux de mise à disposition ciblant explicitement les mineurs « originaires d’Europe centrale ». Ce procès-verbal type, pré-rempli, était utilisé quotidiennement jusqu’à l’été 2013 par les agents en tenue de la Brigade des réseaux ferrés (BRF) qui opèrent dans le métro et les gares parisiennes. En totale contradiction avec la promesse de François Hollande de lutter « contre le délit de faciès dans les contrôles d'identité ».
Ce rapport, manifestement discriminatoire et illégal, n’a été retiré de la circulation qu’après que deux parlementaires communistes, alertés par la CGT police de Paris et le syndicat de la magistrature, s’en sont émus auprès du ministère de l’intérieur, début juillet 2013.
De quoi s’agit-il ? Dans une note du 14 juin 2013, le commissaire Stringhetta, chef de la BRF, demande à ses troupes de mettre le paquet sur la lutte contre les vols à la tire dans les transports parisiens. En faisant du flagrant délit ? Non, en contrôlant « systématiquement » l’identité de « tout individu laissant supposer qu’il s’apprête à commettre des vols ». Prises en défaut de papiers d’identité, les personnes contrôlées doivent être amenées au poste pour une vérification d’identité.
Jusqu’ici rien d’illégal. Là où les choses se gâtent, c’est que le procès-verbal type remis aux agents en tenue de la BRF mentionne uniquement les individus « présumé(s) mineur(s) originaire(s) d’Europe centrale ». Et propose trois motifs d’apparence légale pour justifier les contrôles d’identité manifestement réalisés au faciès. Un formulaire pré-rempli bien pratique : il ne reste plus qu’à cocher, avant de remettre le mineur à un officier de police judiciaire (OPJ). Ce dernier pourra le retenir quatre heures pour vérifier son identité, avant de le relâcher dans la nature.
« La BRF incite clairement ses agents à procéder à des contrôles d’identité discriminatoires sur toute personne ayant l’apparence d’un mineur “originaire d’Europe centrale” », s’étaient indignés la CGT police de Paris et le syndicat de la magistrature, le 1er juillet 2013, dans un communiqué passé inaperçu (sauf dans L’Humanité). En fait, selon la CGT police, les agents de la BRF avaient pour consigne d’effectuer des opérations systématiques de « ramassage » des mineurs étrangers isolés dans le métro et les gares parisiennes. Puis de les ramener, à bord de fourgons de police secours, à Évangile, le département judiciaire de la BRF, dans le XVIIIe arrondissement, pour les confier à un OPJ.
« À une époque, c’était quotidien, et au moins une quinzaine de jeunes par jour, se souvient un agent. On les appelle les Hamidovic (du nom d’un réseau criminel démantelé en 2013 – ndlr), ce sont des mineurs venus d’ex-Yougoslavie et exploités pour voler dans le métro. L’objectif non avoué de ces ramassages était de les extirper quelques heures de la voie publique, avec des motifs de contrôle bidons, pour faire baisser les vols à tire. » Une stratégie vouée à l’échec : « On les ramenait, ils ressortaient au bout de quatre heures, et ils étaient de retour parfois une heure plus tard ! Sans compter que pendant qu’ils ramènent les jeunes, les policiers ne sont plus sur le terrain. »
« C’est le tonneau des Danaïdes : les policiers essaient d’enlever ces pickpockets du métro, mais comme ces jeunes reçoivent des pressions énormes pour ramener de l’argent, ils y retournent forcément dès qu’ils sont relâchés », confirme le sociologue Olivier Peyroux, auteur de Délinquants et victimes, la traite des enfants d’Europe de l’Est en France (éditions Non Lieu, novembre 2013).
Pour les mineurs, la loi française prévoit que le procureur de la République soit informé dès le début de la rétention pour vérification d’identité et que le mineur soit assisté, « sauf impossibilité », de son représentant légal. Là encore, selon la CGT police, les OPJ se contentaient de faxer au Parquet les rapports de mise à disposition, sans aucun contrôle réel des parquetiers, « qui ne voulaient plus entendre parler de ces procédures bidons ».
Et sans aucune prise en charge à l’issue de la retenue, alors que la protection des mineurs est censée être inconditionnelle en France. « Il y a une forte réticence à prendre des ordonnances de placement provisoire, sous prétexte qu’on va bloquer des places de foyer pour des jeunes qui vont fuguer au bout de trois jours, constate Xavier Gadrat, secrétaire national du syndicat de la magistrature. Mais on oublie le principal : il s’agit de mineurs en danger, qui vivent seuls dans la rue et risquent d’être récupérés par des réseaux. »
La CGT police souligne en outre les problèmes de sécurité que posaient ces ramassages. « Les agents ramenaient parfois cinq à six mineurs en fourgon, avec des jeunes filles parfois enceintes jusqu'aux yeux, plus un équipage de trois fonctionnaires, soit neuf personnes, sans avoir le permis de transport en commun », indique Anthony Caillé.
Alerté dès mai 2013 sur ces ramassages illégaux, Jacques Meric, le directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, n’avait pas jugé utile d’y mettre fin. Bien au contraire, l’ancien conseiller police de Manuel Valls aurait fait part aux syndicalistes, qui l’avaient rencontré, d’une grosse pression des maires d’arrondissement parisiens concernant les mineurs d’Europe de l’Est et de la nécessité de multiplier ces « ramassages ».
Ce n’est qu’après que le sénateur communiste Pierre Laurent et le député communiste Jean-Jacques Candelier ont posé la question au ministre de l’intérieur, début juillet 2013, que le rapport type a été retiré de la circulation. « Du jour au lendemain, les ramassages ont stoppé, puis ça a repris fin 2013 mais dans une bien moindre mesure », indique Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT police de Paris. Sollicité par le syndicat de la magistrature le 1er août 2013, le procureur de la République adjoint de Paris s’est contenté de répondre dans une très courte lettre du 17 janvier 2014 (six mois plus tard !) que « le modèle de rapport contesté n’est plus actuellement utilisé par les fonctionnaires de police ».
Dans ses réponses écrites aux deux parlementaires, publiées début 2014, le ministère de l’intérieur justifie ces contrôles au faciès par la « recrudescence du phénomène des vols à la tire ». « Au cours du premier semestre de l'année 2013, 1 662 personnes ont été mises en cause dans des procédures judiciaires de vols à la tire traitées par le département d'investigations judiciaires de la sous-direction régionale de la police des transports, expose le ministère. Parmi elles, plus de 1 000 étaient originaires d'Europe centrale, dont 80,7 % étaient ou se prétendaient mineures. » D’autres chiffres sont avancés : « Les mineurs originaires des pays de l'Est constituent, suivant les semaines, de 45 à 65 % des personnes interpellées et placées en garde à vue pour ce type de délinquance. En juillet 2013, un taux supérieur à 90 % a même été enregistré au cours d'une seule semaine. » Avant d’assurer, contre toute évidence, que la « recherche de ces auteurs » se fait « sans discrimination ».
Tout n’est bien sûr pas à jeter. « Les policiers parisiens effectuent un travail d’identification intéressant avec l’aide des officiers de liaison roumains, et plus récemment d’un officier de liaison de Bosnie, ce qui permet de remonter jusqu’aux têtes des réseaux qui exploitent ces jeunes filles », remarque Olivier Peyroux. Mais cette réponse pénale est, à ses yeux, loin d’être suffisante, même lorsque la justice, à l’issue de cinq ans de travail, réussit à démanteler un réseau criminel.
Le 15 mai 2013, le tribunal correctionnel de Paris a ainsi condamné plusieurs membres du réseau Hamidovic, la plupart originaires de Bosnie-Herzégovine, pour avoir contraint des jeunes filles à voler dans le métro parisien. Poursuivi pour « traite des êtres humains », leur chef a écopé de sept ans d'emprisonnement ferme. « Le même jour, à deux pas du tribunal, à Châtelet, on voyait des gamins qui fonctionnaient sur le même mode opératoire », assure Guillaume Lardanchet, directeur de l’association Hors la rue qui, depuis huit ans, aide les mineurs étrangers isolés. Pour lui, « le meilleur outil de destruction de ces pratiques, c’est la protection des mineurs, qui permettra de couper l’herbe sous le pied des réseaux ».
« Il y a une schizophrénie à dire d’un côté que ces jeunes sont exploités et, de l’autre, à les traiter uniquement comme des délinquants, avec des contrôles au faciès, sans leur donner la protection (à laquelle) ils auraient droit », souligne le chercheur Olivier Peyroux. Qui rappelle que le gouvernement socialiste avait, selon une directive européenne, jusqu’au 6 avril 2013 pour mettre en place un plan de lutte contre la traite des êtres humains…
BOITE NOIREContactée jeudi midi, la préfecture de police de Paris ne nous a pas encore répondu.
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