Cela semblait inéluctable. Vendredi midi, Aquilino Morelle, conseiller de François Hollande, a annoncé sa démission après les révélations de Mediapart sur ses conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques. Il n’a fallu que 24 heures pour que l’Élysée tranche. « Il n’y a eu aucune hésitation au sommet », jure un proche du président de la République.
Inconnu du grand public, Aquilino Morelle était un des personnages clés au Château. À la fois conseiller politique et responsable de la communication, il a été l'une des chevilles ouvrières du remaniement. C’est dire si son départ fragilise à la fois François Hollande et ses « amis » Manuel Valls et Arnaud Montebourg, dont il a organisé le rapprochement.
Le premier ministre a d’ailleurs fait savoir qu’il avait convoqué Aquilino Morelle à Matignon. « Il lui a conseillé de quitter l’Élysée afin de répondre librement aux questions de la presse », a indiqué l’entourage de Valls à l’AFP. La veille au soir pourtant, Matignon parlait encore « d’allégations peu sourcées » et du sentiment que le conseiller présidentiel « avait tout fait correctement ».
Quant au président de la République, il s’est senti obligé de réagir publiquement. « Aquilino Morelle a pris la seule décision qui s'imposait, la seule décision qui convenait, la seule décision qui lui permettra de répondre aux questions qui lui sont posées », a dit François Hollande depuis Clermont-Ferrand, où il effectuait une visite avec Arnaud Montebourg.
Au Château, Morelle occupait une position singulière. Géographiquement d’abord, puisqu’il avait obtenu d’occuper le bureau attenant à celui du président de la République, celui du conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, et qui fut aussi celui de Valéry Giscard d’Estaing. Politiquement ensuite : Aquilino Morelle n’était pas issu du sérail hollandais, ni de la fameuse promotion Voltaire où François Hollande avait connu nombre de ses collaborateurs, comme Sylvie Hubac, sa directrice de cabinet, ou Pierre-René Lemas, le secrétaire général débarqué la semaine dernière et remplacé par un autre camarade de promo, Jean-Pierre Jouyet.
Pendant la primaire, Morelle n’avait même pas soutenu Hollande : il était le directeur de campagne d’Arnaud Montebourg, après avoir travaillé avec Bernard Kouchner dans les années 1990 et Lionel Jospin à Matignon entre 1997 et 2001. Il se définissait toujours par les mêmes mots, et dans le même ordre : « patriote, républicain et socialiste ». Il se méfiait de la technocratie bruxelloise et tenait un discours critique sur l’Europe telle qu’elle s’est bâtie depuis plusieurs décennies. Il se disait profondément de gauche, attaché à ce que le PS revienne à la défense des classes populaires, lui qui faisait partie des rares conseillers fils d’ouvriers.
Pendant l’affaire Florange, un des moments clés du quinquennat, Morelle partage la ligne de Montebourg sur la nationalisation partielle mais il sait qu’il est seul à l’Élysée. Il sait aussi que François Hollande a déjà tranché. Il dit alors avoir « un conflit de loyauté » pour justifier son refus de répondre aux questions, et fait partie de ceux qui convainquent Montebourg de rester au gouvernement.
Mais dans son rôle de porte-parole officieux de l’Élysée, Aquilino Morelle expliquait, parfois vivement, pourquoi la ligne social-libérale choisie par François Hollande depuis le pacte de compétitivité de l’automne 2012 était nécessaire. Qu’il n’y avait guère d’autre politique possible. Que plaider pour une relance de la demande relevait de vieilles lunes de la vieille gauche, voire de l’extrême gauche.
Sur les affaires, il a accepté de jouer le porte-flingue. Pendant l’affaire Cahuzac, il ne se prononce pas sur le fond et reprend logiquement – c’est son job – les éléments de langage sur la supposée « absence de preuves ». Mais il finit par lancer lors d’une conversation en tête à tête avec l’auteure de ces lignes : « Edwy Plenel, c’est quelqu’un qui sait manœuvrer. C’est un trotskard manipulateur. » Et parle de « l’hybris » et du « manque d’humilité » de Mediapart. Quand on l’interroge sur le rôle d’EuroRSCG et de Stéphane Fouks dans la défense du ministre du budget, il balaye son passage dans l’agence de communication : « Ils m’ont viré avec pertes et fracas au bout de quatre mois, et jeté comme un malpropre à la rue. »
Plus récemment, après les photos de François Hollande sortant de chez Julie Gayet, Morelle était chargé de répondre aux questions sur la sécurité du président de la République et sur la mise à disposition, un jour, d’un véhicule de l’Élysée pour aller chercher l’actrice. Quand nous l’interrogeons, le conseiller confirme l’information et tente aussitôt de minimiser : « Vous savez, c’est comme déposer quelqu’un au métro. » Morelle fait alors volontairement référence à un trajet de l’Élysée jusqu’au métro Madeleine avec l’auteure de ces lignes, à qui il avait proposé de poursuivre la conversation quelques minutes dans sa voiture de fonction. Il sait que cela n'a rien à voir, mais il n'a pas tout oublié des techniques d'EuroRSCG…
Le conseiller politique était plutôt rétif aux questions de société qui ne le passionnaient guère. Au moment du débat sur le mariage pour tous, il s’interrogeait sans trancher dans un sens ou dans l’autre sur l’opportunité d’accorder le droit à la PMA pour les couples de femmes. Défenseur de « la République », il partageait avec Manuel Valls son approche de la laïcité et d’un « besoin d’ordre » dans une société dont il s’était aussi convaincu de la « droitisation ». D’autant plus depuis qu’il épluchait les sondages à l’Élysée.
Hollande et Morelle s’étaient rapprochés durant la campagne présidentielle. Dans l’entre-deux-tours de la primaire, « Aquilino » avait fait partie, autour d’Arnaud Montebourg, des plus chauds partisans d’un ralliement à François Hollande plutôt qu’à Martine Aubry. Convaincu que c’était la meilleure chance pour le futur ministre du redressement productif de capitaliser ses 17 % du premier tour. Et que cela pouvait être une opportunité personnelle. À l’époque, Morelle tente de négocier une circonscription parisienne, après ses échecs en 2002 et en 2007. En vain. Aquilino Morelle ne sera pas député, il sera conseiller du prince.
Il arrive dans le sillage de François Hollande à l’Élysée dès mai 2012 – conseiller spécial, sans le titre dont il ne veut pas pour ne pas coller à l’image d’Henri Guaino, et sans que l’on comprenne toujours ce qu’il fait. Conseiller politique, chargé des études et des sondages, de la communication, des discours : la définition de son poste a souvent varié en deux ans. Seules certitudes : il a toujours communiqué avec la presse (dont Mediapart), et il a connu une période de disgrâce évidente jusqu’à l’automne 2013.
Ces derniers mois, il a progressivement effectué son retour au premier plan. À la faveur de la communication parfois catastrophique de l’Élysée dont l'affaire Leonarda a été le symbole, du départ de Valérie Trierweiler avec qui il ne s’entendait guère et, surtout, de l’alliance politique qu’il va contribuer à bâtir.
Politiquement proche d’Arnaud Montebourg, Aquilino Morelle raconte volontiers être « ami » avec Manuel Valls, qu’il a rencontré au cabinet de Lionel Jospin à Matignon. « Avec Manuel, nous avons un ami commun », dit Montebourg. Pendant des mois, le conseiller de François Hollande a fait le go-between entre les deux ministres, et tenté de théoriser leur alliance par un besoin supposé de « protection » de la société française.
« Ils partagent un même républicanisme intransigeant, un même volontarisme économique et un même réalisme du point de vue de la construction européenne », explique alors Morelle. Une construction intellectuelle qui était loin de convaincre tous les partisans de Montebourg. « Elle n’existe que dans la tête de Morelle ! », balançait il y a deux mois un proche de l’ex-candidat à la primaire.
Dans l’entre-deux-tours des élections municipales, Aquilino Morelle est encore à la manœuvre pour organiser un déjeuner entre Valls et Montebourg au cours duquel les deux hommes se mettent d’accord sur un « deal politique » et sur leur refus catégorique de continuer à travailler avec Jean-Marc Ayrault. Le ministre du redressement productif envoie même un courrier à François Hollande pour exiger une réorientation de la politique qui ne peut passer, à ses yeux, par un maintien de l’ex-maire de Nantes qu’il déteste.
Parallèlement, Morelle devient la bête noire de Matignon où reviennent, avec insistance, les récits de conversations où le conseiller de François Hollande enfonce consciencieusement Jean-Marc Ayrault, lui reprochant sa faiblesse politique, son conformisme ou encore son incapacité à animer politiquement le gouvernement. « Un vrai travail de sape », jure un conseiller ministériel. Il commence aussi à voir un petit groupe de députés pour leur transmettre des éléments de langage.
Avec Valls premier ministre et Montebourg promu ministre de l’économie, Aquilino Morelle peut espérer entrer au gouvernement. Il est annoncé à plusieurs reprises comme secrétaire d’État à la santé, sous la tutelle de Marisol Touraine. Mais celle-ci n’en veut pas : elle se méfie de lui et veut garder la main sur ce dossier qualifié de « priorité » par François Hollande.
Qu’importe : Morelle reste à l’Élysée et peut imaginer devenir un des pivots de la relation avec Matignon. D’autant que son ennemi juré au Château, le secrétaire général Pierre-René Lemas, y est remplacé par Jean-Pierre Jouyet avec qui le conseiller politique a déjà travaillé du temps de Lionel Jospin.
Mais François Hollande ne s’est jamais enfermé dans une relation exclusive avec un de ses conseillers, et jamais Morelle n’a été la seule voix que le chef de l’État a écoutée. Il n’était pas non plus très apprécié dans la majorité ou dans les cabinets ministériels, où les rumeurs sur son train de vie – l’anecdote du cireur de chaussures avait fait le tour du gouvernement – et sur son dilettantisme étaient connues de tous. Sa démission contrainte a de toute façon eu raison de l’ascension à laquelle il aspirait.
BOITE NOIREJe connais Aquilino Morelle depuis deux ans et demi et la campagne de la primaire d’Arnaud Montebourg. Nous étions régulièrement en contact.
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