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Energie: pourquoi le débat n’a pas eu lieu

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Le conseil national du débat sur la transition énergétique, le « parlement » du débat, se réunit une dernière fois ce jeudi 18 juillet : il doit en sortir une méthodologie pour préparer le projet de loi qui devrait être présenté lors de la conférence environnementale les 20 et 21 septembre, et discuté au parlement à partir de février 2014. Il est donc trop tôt pour en tirer un bilan détaillé. Il sera sans doute mitigé, puisqu’il s’est à la fois mieux déroulé que ce que l’on pouvait craindre, mais qu’il ne débouche pas sur une feuille de route opérationnelle.

Tout au long, le Medef a menacé du blocage. Au final, le représentant du patronat a obtenu, jeudi, un texte encore remanié au dernier moment et a surtout obtenu que le terme de «recommandations» soit abandonné. Cette ultimé péripétie vient définitivement clore l'espoir d'un résultat tangible.

Au terme de six mois de réunions, de calculs de courbes, de pressions en coulisse, de petit théâtre médiatique et d’auditions de personnalités, que reste-t-il de cette opération, une fois écrémée la couche de communication politique ? Une occasion manquée. Malgré ses moyens, malgré l’implication personnelle de l'ancienne ministre Delphine Batho, malgré les compétences et l’engagement réel d’une partie des participants, le débat national n’a pas rencontré son moment. La société est restée indifférente à ces échanges qui concernent pourtant notre mode de vie quotidien des quarante prochaines années : où habiterons-nous ? Comment nous déplacerons-nous ? Dans quel secteur travaillerons-nous ? Indice de ce désintérêt, aucune manifestation n’est venue troubler les discussions, à part une action de Greenpeace. Ce fut serein à l’extrême, et parfois extrêmement ennuyeux.

Action de Greenpeace, le 25 mai 2013 (DR)Action de Greenpeace, le 25 mai 2013 (DR)

Comment aurait-il pu en être autrement ? Les groupes de travail se sont réunis à huis clos, et il fallu toute l’insistance des ONG pour que les journalistes soient autorisés à assister aux séances du conseil national. En région, les débats semblent avoir attiré essentiellement des militants associatifs et des responsables institutionnels. Il y eut bien une journée citoyenne, mais comme son nom l’indique, elle ne dura qu’un jour. Et il y eut bien un comité citoyen, mais il n’était composé que de vingt personnes. Bref, bien caché derrière son cordon sanitaire, le débat national fut surtout une affaire de spécialistes.

Ce silence assourdissant fut renforcé par l’absence de paroles politiques fortes. On a beaucoup entendu le Medef ferrailler contre la hausse du coût de l’énergie et pour les gaz de schiste. On n’a pas vu les dirigeants de l’exécutif et les parlementaires prendre à partie le grand public sur les sujets du débat. Une discussion collective ne se décrète pas, elle s’organise. Ministre de second rang par rapport aux occupants de Bercy, en partie discréditée par l’avalanche de critiques que suscitait sa gestion ministérielle jusqu'à son éviction du gouvernement, Delphine Batho ne pouvait jouer ce rôle seule. Pour que la discussion prenne corps dans le reste de la société, il y aurait fallu des querelles entre figures intellectuelles et politiques. Rien de cela ne s’est produit.

Nicolas Hulot auditionné pour le débat sur l'énergie, le 23 mai 2013.Nicolas Hulot auditionné pour le débat sur l'énergie, le 23 mai 2013.

Les citoyens ne furent pas les seuls absents : le reste du monde fit aussi cruellement défaut au débat. Comment aller vers l’efficacité et la sobriété ? Quels scénarios pour le mix énergétique ? Et les énergies renouvelables ? Comment financer ? Quelle gouvernance ? Quid de la formation ? Et la compétitivité ?

Les sept groupes thématiques ont planché sur de vrais sujets. Mais les comparaisons internationales en sont incroyablement absentes. Pourtant, à l’heure du doute sur les bénéfices économiques et sociaux à tirer de la transition vers une économie plus sobre en carbone et plus respectueuse de la nature, l’observation des stratégies et expériences mises en place dans les autres pays est un indicateur indispensable de ce qui est à la fois possible et souhaitable.

Qui sait qu’aux États-Unis, les secteurs de l’éolien et du photovoltaïque emploient désormais plus de personnes que le charbon et l’acier ? Que les factures d’électricité des ménages allemands sont plus basses que les nôtres malgré un coût du mégawattheure plus élevé grâce à leur plus faible consommation ? Que la Chine construit plus d’installations productrices d’énergies renouvelables que de centrales à charbon ? Que le prix du gaz est trop volatil aux États-Unis pour fonder une activité économique durable des gaz de schiste ? Que des centrales nucléaires, parfaitement amorties, y ferment car elles sont devenues plus coûteuses à faire tourner que les centrales d’énergie solaire ? En dehors du cercle des spécialistes, personne.

À l’inverse, une véritable désinformation sévit sur la réalité des expériences internationales, nourrie de germanophobie et de réflexes anti-chinois. Du coup, quand l’agence internationale de l’énergie prévoit que les énergies vertes représenteront 25 % de la production d’électricité dans le monde en 2018 (dans cinq ans !), plus personne ne comprend. Et trop peu de personnes saisissent les conséquences de ce tournant énergétique mondial. 

À qui la France vendra-t-elle son électricité nucléaire quand la demande aura baissé chez ses voisins européens et que les électrons renouvelables, désormais prioritaires sur le réseau, afflueront de tous côtés ? Et jusqu’à quand la défense du modèle républicain de la péréquation tarifaire empêchera-t-elle de s’attaquer autant qu’il le faudrait au drame de la précarité énergétique, en offrant aux ménages les plus pauvres des habitats décents ?

François Hollande lors de la conférence environnementale, 14.9.2012 (Jacky Naegelen/Reuters).François Hollande lors de la conférence environnementale, 14.9.2012 (Jacky Naegelen/Reuters).

Une critique politique de la transition énergétique telle que vue par l’exécutif, semble nécessaire. L’enjeu ne peut se résumer à une histoire de comptes de résultat ni à des problèmes d’endettement public. C’est avant tout un enjeu de société et un défi démocratique. Pourquoi les gens aiment-ils les énergies renouvelables, se demandait récemment le physicien américain Amory Lovins dans nos colonnes. « Pas seulement parce qu’à chaque fois que le vent fait tourner votre éolienne, de l’argent tombe dans votre poche, mais aussi parce que c’est vous qui la contrôlez : vous l’avez choisie, vous en avez le bénéfice et les effets pervers. Dans un système centralisé : le bénéfice et les effets pervers sont séparés. Les décisions sont prises en haut, par des gens éloignés de vous, qui ne vous rendent jamais de compte. Vous n’avez aucune prise sur eux. Quand vous internalisez les bénéfices et les coûts aux mêmes personnes, c’est une société beaucoup plus juste, qui prend de meilleurs décisions. »

Imaginons que nous ayons un autre débat. Par exemple, que l’on y sollicite l’avis de chacun d’entre nous : à titre individuel, quelle source d’énergie préféreriez-vous pour votre domicile personnel ? Seriez-vous d’accord pour payer plus cher votre énergie et en consommer moins ? Accepteriez-vous d’investir 10 000 euros de travaux pour alléger vos factures d’électricité ? Êtes-vous d’accord pour que l’on dépense 100 millions d’euros par an pour enfouir 3 % des déchets nucléaires ? Pas difficile d’imaginer que la tournure des débats eût été tout à fait différente.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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