Au Front national, les liens politiques, financiers et familiaux s’entremêlent, à la lisière de la légalité. Alors qu'elle n'a de cesse de dénoncer le népotisme et les conflits d'intérêts de la classe politique, Marine Le Pen salarie depuis l'été 2011 comme assistant au parlement européen son compagnon et numéro deux du parti, à qui elle verse plus de 5 000 euros brut par mois, pour un temps partiel. Aux yeux de l'institution, l'embauche de Louis Aliot pose question, à plusieurs titres : d'après nos informations, la présidente du FN a dû répondre, à l'été 2012, à une enquête des services financiers du parlement.
Selon le contrat de travail, signé à Nanterre le 1er juillet 2011 entre Marine Le Pen et Louis Aliot, et que Mediapart s'est procuré (voir ci-dessous), le vice-président du FN est rémunéré à hauteur de 5 006,95 euros brut. Une somme particulièrement généreuse, alors que Louis Aliot n'est ici employé qu'à temps partiel : 17,5 heures par semaine (voire, parfois, « 19,25 heures par semaine, heures complémentaires comprises »).
Cette embauche a attiré l'attention du Parlement européen l'été dernier. Selon nos informations, les services financiers de l'hémicycle ont demandé, dans un courrier daté du 25 juillet 2012, des explications à la présidente du FN sur le contrat, en s’appuyant sur l'article 43 d'un règlement du Parlement européen entré en vigueur en juillet 2009. Celui-ci stipule que l'enveloppe mise à disposition par le parlement, pour chaque eurodéputé, ne peut pas « financer les contrats permettant l'emploi ou l'utilisation des services des conjoints des députés ou de leurs partenaires stables non matrimoniaux ».
Marine Le Pen s'est défendue, dans un courrier daté du 18 septembre 2012, que le Front national nous a transmis. Elle refuse de considérer Louis Aliot comme un « conjoint » ou « partenaire stable non matrimonial ». « Je ne suis ni mariée à Louis Aliot, ni liée avec lui par un Pacte civil de solidarité (PACS, ndlr), ni par une déclaration fiscale commune, ni par un quelconque statut reconnu par l’État français, toujours au titre de l’article 58 » des mesures d’application du statut des députés au Parlement européen, écrit-elle.
Si Marine Le Pen et Louis Aliot ne sont effectivement pas mariés, ils ne cachent pas leur relation. Pendant la campagne présidentielle de 2012, le couple a posé dans Paris Match, et s'est exprimé sur le sujet dans plusieurs médias (exemples dans l’émission de Thierry Ardisson, dans Le Parisien, Rue89, ou encore Le Nouvel Obs).
Plus problématique encore, Marine Le Pen est liée à Louis Aliot au sein d'une société civile immobilière (SCI) qui lui a permis d'acheter en 2010, avec son compagnon, une maison à Millas, près de Perpignan, où Aliot, docteur en droit, a installé son cabinet d'avocat. Voici le document, où la présidente du FN apparaît sous son prénom d'état civil, Marion :
Contacté, Louis Aliot se défend avec les mêmes arguments que Marine Le Pen. Il plaide le caractère juridiquement informel de sa relation avec elle et estime donc n'être « pas concerné par ce texte ». Quant à l'existence de la SCI détenue en commun, il se contente d'affirmer que sa « situation de copropriétaire » – « Millas étant ma résidence principale » – est « connue par le Parlement européen et évoquée dans son courrier » et qu'elle « n'a aucune incidence ». Il estime que le Parlement « a entériné la validité » de son contrat, puisqu'il n'a effectué aucune réclamation supplémentaire depuis l'échange de courriers avec Marine Le Pen l'an dernier.
Pour Gérard Onesta, un ancien vice-président du parlement européen, qui fut l'un des principaux rédacteurs du statut des assistants aujourd'hui en vigueur, le texte est « fluctuant » en ce qui concerne les règles sur l'embauche de son partenaire comme assistant : « Nous ne voulions pas faire la "police des braguettes" – c'est l'expression qui avait été utilisée dans les débats à l'époque. Nous avons donc décidé que l'on renvoyait aux règles légales en vigueur dans le pays dont est originaire l'eurodéputé. » Un flou juridique qui profite au couple Le Pen-Aliot.
L'existence d'une SCI en commun confirme en tout cas que Marine Le Pen et Louis Aliot sont aussi liés financièrement, à travers cet achat, au regard de la loi française. Mais là encore, Aliot nie tout conflit d'intérêts : « Ce serait un conflit d’intérêts si ce n’était pas une SCI », plaide le vice-président du FN, sans en dire davantage (lire notre boîte noire).
Dans leur courrier de juillet 2012, les services du parlement s’interrogent également sur la rémunération, jusqu'au 30 juin 2012, de l’autre assistant de Marine Le Pen à Strasbourg : Florian Philippot, son bras droit au FN et vice-président en charge de la stratégie et de la communication. Les experts du parlement rappellent que les fonds débloqués pour financer le travail des assistants parlementaires ne peuvent pas servir à financer une campagne électorale. Or, ils notent que Louis Aliot comme Florian Philippot furent, pendant la campagne présidentielle, les deux directeurs de campagne de Marine Le Pen, mais aussi les deux porte-parole du FN pour les législatives. Le premier, fondateur du think-tank du FN Idées Nation, fut même le responsable du projet présidentiel.
Tout cela contrevient, à leurs yeux, à l'article 62 du même règlement définissant les « mesures d'application du statut des députés » : le texte précise que les fonds débloqués pour rémunérer les assistants « sont exclusivement réservés au financement d'activités liées à l'exercice du mandat des députés et ne peuvent couvrir des frais personnels ». Et en aucun cas une campagne électorale.
Si l'infraction était avérée dans l'un des deux cas – utilisation des fonds parlementaires pour la campagne présidentielle, ou rémunération de son conjoint –, Marine Le Pen devrait rembourser tout ou partie de ces sommes, prévient le parlement (pour un aperçu complet des trois textes réglementaires encadrant les assistants locaux, lire l'onglet Prolonger).
Dans son courrier de septembre 2012, la présidente du FN conteste là encore point par point l'argumentation des services financiers. « La durée horaire modeste de leurs contrats d'assistance parlementaire permet de concilier deux activités professionnelles », estime Marine Le Pen. Elle explique notamment que Florian Philippot, alors qu'il était assistant local à mi-temps, bénéficiait par ailleurs d'un « contrat complémentaire » lié à la campagne. Concernant Louis Aliot, elle assure qu'il conciliait « son mi-temps professionnel avec ses responsabilités bénévoles dans (sa) campagne présidentielle ». Preuve, à ses yeux, que leurs deux activités étaient bien distinctes.
« J'effectue une mission d'attaché parlementaire à mi-temps notamment par le suivi de toutes les questions institutionnelles, ainsi que par le suivi de relations internationales concernant la zone ACP (Afrique Caraïbes Pacifique, ndlr) et les Dom-Com (départements et collectivités d'outre-mer, ndlr), dans le strict respect du statut et des obligations professionnelles des collaborateurs de députés », nous a précisé Louis Aliot par mail, en soulignant qu'il était « docteur en droit public, avocat et spécialiste des questions institutionnelles et constitutionnelles ».
Contacté par Mediapart, Florian Philippot préfère quant à lui renvoyer la balle au conseiller aux affaires européennes de Marine Le Pen, Ludovic de Danne, sans donner de détails sur la nature de son travail comme assistant, ni la date de son départ : « Voyez tout cela avec lui, je n’ai absolument pas tout cela en tête. Je suis parti il y a plus d'un an, mais je ne sais plus quel mois exactement. »
En rémunérant confortablement deux de ses pièces maîtresses pendant les campagnes présidentielle et législative, le Front national a clairement utilisé la manne européenne pour soulager ses finances. Car jusqu’aux élections de 2012, le parti était criblé de dettes. À la suite de ses législatives ratées en 2007 (qui avait entraîné la réduction de sa subvention publique de 4,5 millions à 1,8 million d’euros), et après un coûteux conflit avec son imprimeur Ferdinand Le Rachinel (qui réclamait ses 7 millions d’euros prêtés au parti), le FN avait accumulé, en 2010, une dette colossale de près de 10 millions d’euros. Les micro-partis des Le Pen (Cotelec et Jeanne) et la vente du « Paquebot », son siège historique, en avril 2011, pour 10 millions d’euros, avaient permis au FN de se maintenir la tête hors de l’eau, jusqu'aux législatives de 2012, où il a pu se renflouer.
Toujours d'après nos informations, les services financiers du Parlement ont un temps envisagé d'éplucher le détail des agendas des deux directeurs de campagne de Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle, pour vérifier ses dires. Mais ils ont choisi, pour l'heure, de classer l'affaire, jugeant que la présidente du FN profitait d'un certain flou juridique concernant la catégorie des assistants « locaux ».
Au parlement européen, chacun des 764 élus dispose d'une enveloppe maximale de 21 000 euros par mois, pour employer des assistants. Certains sont « accrédités » (leur nombre peut aller jusqu'à trois), et travaillent entre les murs du parlement, à Bruxelles et Strasbourg. Ce sont eux, généralement, qui détiennent une expertise sur certains dossiers dont l'élu est spécialiste. D’autres sont des assistants « locaux », qui travaillent pour le député dans la circonscription locale (c'est le cas d'Aliot aujourd'hui et de Philippot jusqu'au 30 juin 2012, à l'issue des législatives). À la différence des premiers, leur nombre n'est pas limité, et leur contrat obéit au droit de l'État membre dont est originaire l'élu.
Outre Louis Aliot, Marine Le Pen emploie aujourd'hui deux assistants « accrédités » à Bruxelles. Depuis une refonte du règlement entrée en vigueur en 2009, le cadre légal des assistants a profondément changé, mais il reste, de manière générale, bien plus difficile pour le parlement de contrôler l'activité des assistants locaux que celle des assistants accrédités.
Les choses sont tout de même en train d'évoluer. En septembre 2012, le parlement a communiqué des « lignes directrices » aux élus, et leur a expliqué qu'il contrôlerait désormais la « cohérence » entre le niveau des salaires et la qualification des tâches confiées à l'assistant. En particulier, précise l'institution, lorsque cette rémunération dépasse le double du salaire moyen de l'État membre en question – ce qui est le cas, à titre d'exemple, de Louis Aliot en France.
BOITE NOIRESollicitée par l'intermédiaire de sa directrice de cabinet et d'Alain Vizier, le directeur de communication du FN, Marine Le Pen, en vacances, n'a pas donné suite à notre demande.
Les vice-présidents du FN Louis Aliot et Florian Philippot, Ludovic de Danne (conseiller aux affaires européennes de Marine Le Pen) et Charles Van Houte (assistant accrédité de Marine Le Pen au Parlement européen), ont été joints les 15 et 16 juillet.
Joint sur son portable, Louis Aliot a dans un premier temps évoqué un décret de 1991 régissant la profession d'avocat qui le placerait dans un régime spécial, tout en refusant d'expliquer en quoi ce décret, de droit français, le dédouane de respecter les règles fixées par le parlement européen : « Je n’ai pas à répondre à ce genre d’argumentation qui relève de la Gestapo. Dans ma famille, on a beaucoup souffert de la Gestapo et c’était des gens comme vous, exactement pareil. J’attendrai votre article pour y répondre point par point, y compris devant les tribunaux. » Nous lui avons ensuite renvoyé nos questions précises par mail. Il nous a fourni des réponses différentes, qui figurent dans l'article.
Lire aussi notre onglet "Prolonger".
PROLONGER Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?