C’est l’incroyable come-back d’un élu condamné pour corruption à la tête du quatrième département le plus riche de France. Vendredi 11 avril, Pierre Bédier (UMP), ex-secrétaire d’État du gouvernement Raffarin (2002-2004), est redevenu président du conseil général des Yvelines (1,2 milliard d’euros de budget par an), cinq ans après que la justice l’avait contraint à lâcher son siège.
Son cas pose, une fois de plus, la question de la réhabilitation politique d’anciens édiles pris la main dans le sac et de leur « blanchiment » par les urnes – après la réélection d’un Patrick Balkany (UMP) ou d’un Xavier Dugoin aux municipales de mars (voir notre émission vidéo : Corruption, condamnations, réélections).
En 2009, ce chiraquien avait été condamné pour « corruption passive » et « abus de biens sociaux » à 18 mois de prison avec sursis et six ans d’inéligibilité – une peine réduite après une modification du code électoral en 2011. Si Pierre Bédier a toujours crié son innocence, le juge d’instruction de l’époque (Philippe Courroye), le tribunal de grande instance de Paris, puis la cour d’appel de Paris n’avaient exprimé aucun doute : en tant que maire de Mantes-la-Jolie (1995-2005), Pierre Bédier avait touché des pots-de-vin en espèces d’un entrepreneur local spécialisé dans le nettoyage, en échange de marchés municipaux.
« Quelqu’un condamné pour corruption ne devrait plus pouvoir se présenter à aucun scrutin, réagit le président du groupe de gauche au conseil général, André Sylvestre, dépité. Je regrette qu’une telle interdiction n’ait pas été votée avec les lois sur la transparence, au lendemain de l’affaire Cahuzac. » Cette mesure, François Hollande l’avait pourtant annoncée à la télé le 3 avril 2013, sabre au clair. « L’exemplarité des responsables publics sera totale, avait-il insisté. C’est mon engagement, je n’en dévierai pas. » Deux mois plus tard, les députés PS enterraient ses velléités, en agitant une possible « inconstitutionnalité ».
Côté UMP, presque personne n’aura pipé mot, Pierre Bédier arborant le soutien de Jean-François Copé (autre chiraquien de souche). « Je me réjouis de le voir revenir, a ainsi déclaré Henri Guaino, député du cru. J’ai la conviction que c’est quelqu’un d’honnête. » L’honnêteté étant visiblement affaire de conviction, la patronne de la fédération des Yvelines, la filloniste Valérie Pécresse, s’est convaincue qu’il valait mieux se taire – pourquoi se faire des ennemis alors qu’elle vise la tête de liste aux régionales de 2015 ? Jadis surnommé « le patron », Pierre Bédier avait aussi su entretenir une pépinière de jeunes élus qui misent désormais sur lui.
Au fond, seul un "poids-léger" de l’UMP locale, le président de l’agglomération de Mantes-la-Jolie Dominique Braye, s’est dressé publiquement contre le retour du condamné. « Tous les républicains honnêtes auraient dû s’y opposer, gronde ce vieil ami de Gérard Larcher (sénateur des Yvelines). Mais une chape de plomb s’est abattue sur nous, à coups de pressions et menaces. » Dominique Braye a été exclu du parti en février, enfoncé par Jean-François Copé. « Larcher a vaguement essayé de rattraper le coup, mais le courage n’a jamais été sa qualité principale, souffle ce déçu. De toutes façons, un parti qui défend Bédier, Balkany et Dassault, c’est plus mon truc ! »
La voie était parfaitement libre pour Pierre Bédier, qui a mijoté son couronnement de vendredi pendant des mois, multipliant les arrangements de coulisse, éconduisant les médias nationaux pour mieux prévenir toute polémique. « Il n’a pas dit un mot, s’agace le socialiste André Sylvestre. Je ne sais même pas quel est son programme ! »
Ses manœuvres sont apparues au grand jour en mars 2013. Il lui fallait, avant toute chose, retrouver un simple siège de conseiller général. L’élu de Mantes-la-Jolie, son ami Michel Vialay (UMP), a ainsi décidé, tout à trac, de rendre son tablier. Pour provoquer une élection partielle, encore fallait-il que la suppléante de Michel Vialay accepte, elle aussi, de démissionner. Pas de problème, puisqu’il s’agissait de… Madame Bédier.
À l'issue d'un scrutin déclenché à une date "idéale" , le 7 juillet dernier c'est-à-dire en pleines vacances d’été, Pierre Bédier a ainsi recouvré un mandat (en rassemblant 60,2 % des bulletins, mais à peine 16 % des inscrits). « C’est incroyable, se désespère Françoise Descamps-Crosnier, députée socialiste de Mantes-la-Jolie qui qualifie Pierre Bédier de "voyou clientéliste". Les citoyens réclament des élus exemplaires mais ne mettent pas leurs idées en pratique. »
À l’époque, tous les socialistes n’étaient cependant pas au clair sur l'opportunité de mener campagne sur le thème de la probité. Lors du grand meeting local, Benoît Hamon avait choqué nombre de militants en passant sous silence la condamnation de Pierre Bédier. « J’avais failli quitter la salle ! » se souvient un cadre du PS des Yvelines.
Après son succès dans les urnes, Pierre Bédier devait ensuite trouver le moyen d’« exfiltrer » le président du conseil général en place, Alain Schmitz (UMP). Sa première idée ? Le recaser au Sénat, où une élue des Yvelines, Marie-Annick Duchêne (apparentée UMP), s’est vu suggérer de démissionner. À 73 ans, celle-ci a fait de la résistance. « Je suis contre tous les arrangements de coulisse », confiait-elle à Mediapart en juillet dernier, éreintant Pierre Bédier au passage : « Pour moi, quand un élu a été condamné pour corruption, la politique c’est fini. La dignité qu’on doit aux électeurs, c’est de ne pas se représenter. » Ce jeu de bonneteau ayant échoué, Pierre Bédier en a imaginé un autre.
Jusqu’à vendredi, l’opposition socialiste se demandait ce qu’il avait bien pu promettre à Alain Schmitz pour que celui-ci annonce, le 1er avril, sa démission de la présidence du conseil général. La réponse est tombée dans son discours d’investiture : Pierre Bédier va créer une « Agence départementale de soutien aux communes rurales », avec Alain Schmitz aux manettes (un beau tremplin pour les prochaines sénatoriales). Et avec quelles indemnités ? Ni ce dernier, ni Pierre Bédier n’ont retourné nos appels.
Vendredi, le socialiste André Sylvestre a ainsi dénoncé une « révolution de palais », la fédération PS des Yvelines un « sale coup fait à la démocratie ». Dans l’indifférence générale.
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