Le parquet de Nanterre a pris ses responsabilités. Selon des informations obtenues par Mediapart, une information judiciaire pour « violences volontaires sur avocat par personne dépositaire de l'autorité publique » vient d'être ouverte ce vendredi 11 avril, après l'affaire de la gifle, qui embarrasse au plus haut point la hiérarchie policière.
Une avocate du barreau des Hauts-de-Seine a porté plainte pour « violences volontaires aggravées », mardi 1er avril auprès du procureur de la République de Nanterre, Robert Gelli. La jeune femme de 37 ans accuse un commissaire de police de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de l’avoir giflée et insultée, alors qu’elle assistait un client gardé à vue dans les locaux du service de contre-espionnage, à Levallois-Perret.
Les faits datent du jour même. Un consultant informatique a été convoqué à la DCRI. Placé en garde à vue, il doit répondre à des questions sur l’identité du suspect de l’attentat-suicide commis en Bulgarie contre un bus transportant des touristes israéliens, en juillet 2012, et qui avait fait six morts.
Les deux premières auditions, menées dans la matinée par deux officiers de police judiciaire (OPJ), se déroulent sans aucun incident, l’homme gardé à vue invoquant son droit au silence. Un commissaire se présente alors, et invite l’avocate et son client à le suivre dans une autre pièce. Il explique qu’il n’a rien à reprocher au gardé à vue, et lui propose une sorte de marché s’il donne quelques tuyaux. Mais l’avocate le prend au mot : puisque vous n’avez rien contre mon client, je vais faire une note pour que cela figure à la procédure, et vous n’avez plus qu’à le laisser repartir, explique-elle en substance.
Le commissaire s’est-il senti ridiculisé ? C’est alors qu’il aurait subitement giflé l’avocate à la joue droite, en la traitant de « petite conne », avant de quitter précipitamment la pièce. Sur le pas de la porte, les deux OPJ stupéfaits l’ont vue sortir après lui en se tenant la joue.
« Ma consœur a été giflée alors qu’elle exerçait son métier, c’est une atteinte inédite et très grave aux droits de la défense », réagit le défenseur de l’avocate, Pierre Degoul, sollicité par Mediapart. Selon lui, la plaignante est quelqu'un de posé, avec une excellente réputation. Son avocat se montre par ailleurs assez critique sur les méthodes d’enquête de la DCRI, qui ferait un usage assez intensif des gardes à vue pour aller à la pêche au renseignement, quitte à faire pression sur les personnes interrogées.
Choquée, la jeune avocate tient, pour l’instant, à préserver son anonymat. Elle a eu la présence d’esprit de se prendre en photo dans les locaux de la DCRI avec son smartphone, pour immortaliser sa joue rouge et endolorie. Elle s’est ensuite présentée aux urgences de l’hôpital franco-britannique de Levallois, où elle a été examinée deux heures plus tard et a obtenu une interruption temporaire de travail d’une journée. Le choc psychologique a été constaté par le médecin qui l’a examinée, mais aucune trace de gifle n’était visible.
Le procureur de Nanterre a pris l’affaire très au sérieux. Dès qu’il a reçu la plainte de l’avocate, Robert Gelli a ouvert une enquête préliminaire dont l’exécution a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
L’avocate a été entendue le 2 avril à l’IGPN, puis confrontée le surlendemain au commissaire de la DCRI, dont elle ignore l’identité. Celui-ci reconnaît s’être énervé, mais il nie avoir levé la main sur elle et lui avoir porté le moindre coup, la menaçant même d’une plainte en dénonciation calomnieuse. Les deux OPJ qui ont assisté à la fin de la scène ont également été entendus. Mais aucune caméra n’équipait la pièce où s’est déroulé l’incident, ce qui aurait permis de départager les deux parties. Le policier serait un commissaire expérimenté, âgé de 55 ans, « bien noté et sans antécédent ». Le parquet de Nanterre attend les conclusions de l’enquête confiée à l’IGPN avant de se prononcer sur la suite de la procédure.
Sollicité par Mediapart, le bâtonnier du barreau de Nanterre, Olivier Benoît, ne compte pas en rester là. « C’est une affaire gravissime, tous les avocats et les magistrats avec qui j’en ai parlé sont choqués », déclare-t-il. « Si l’affaire suit son cours normal, l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine se portera partie civile au côté de notre consœur. Elle est très affectée par ce qui s’est passé, et nous n’avons pas médiatisé cette affaire pour ne pas la déstabiliser davantage. Mais s’il y avait une tentative de classer cette affaire, nous manifesterions notre soutien de façon plus spectaculaire », prévient le bâtonnier.
Olivier Benoît s’en est tenu jusqu’ici à un mail d’information adressé le 4 avril à ses confrères des Hauts-de-Seine, dont voici le contenu. « Mardi dernier, l’une de nos consœurs assistant un gardé à vue à la DCRI a été victime d’une grave agression de la part d’un commissaire de police apparemment mécontent du système de défense adopté par le gardé à vue qui avait choisi de garder le silence. Elle a été injuriée et frappée. Plainte a été immédiatement déposée entre les mains du Procureur de la République. Celui-ci a saisi sans délai l’IGPN. Le service a déclenché une enquête qui devrait aboutir dans les tout prochains jours. Face à cet événement inadmissible, le conseil de l’ordre et le bâtonnier apportent leur soutien inconditionnel à notre consœur et veilleront à ce que la plainte et la procédure consécutive aillent jusqu’à leur terme », écrivait le bâtonnier.
Jusqu’ici, toutefois, cette affaire sidérante n’a pas eu beaucoup de retentissement (seuls M6 et Marianne en ont fait état). Une discrétion qui contraste singulièrement avec le tollé des écoutes judiciaires de Nicolas Sarkozy qui, bien que légales, avaient été dénoncées haut et fort par les avocats parisiens (lire notre article ici).
Aucune charge n’a été retenue contre le consultant en informatique, qui a été remis en liberté après une journée passée en garde à vue. Sur procès-verbal, il a indiqué qu’il ne répondrait plus à aucune question, son avocate ayant été giflée par un commissaire. On ignore encore si l'intéressé a été suspendu ou non par son administration.
Selon des sources proches du dossier, l'enquête préliminaire confiée à l'IGPN par le parquet n'a pas permis de départager les deux versions tout à fait contradictoires, c'est à dire celle du policier d'une part, celle de l'avocate et de son client, d'autre part. Quant aux seules images disponibles, celles d'une caméra filmant le couloir, elles ne montrent que le départ précipité du commissaire quittant la pièce. C'est le doyen des juges d'instruction de Nanterre, Jean-Michel Bergès, qui devra maintenant tirer l'affaire au clair.
BOITE NOIRECet article a été initialement mis en ligne mardi 8 avril en fin de journée. Il a été réactualisé et remanié ce vendredi 11 avec l'annonce d'une ouverture d'information judiciaire.
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