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Frais d’inscriptions : l'autre dossier qui attend Hamon

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Parmi les sujets sur lesquels le tout nouveau ministre de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Benoît Hamon, va devoir rapidement trancher, la question des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur est l’une des plus délicates et potentiellement des plus explosives. Le sous-financement de plus en plus criant qui y sévit – encore aggravé par l’objectif de trouver 50 milliards d’économie en trois ans – a réveillé le camp de ceux qui estiment que le principe de la gratuité – ou quasi-gratuité – des études supérieures est aujourd’hui obsolète.

Dans l’austérité générale qui a particulièrement affecté l’enseignement supérieur en Europe, la France reste l’un des rares pays à n’avoir pratiquement pas touché, ou à la marge, à ce levier.

De manière significative, pourtant, plusieurs établissements publics ont décidé cette année des hausses importantes de leurs droits d’inscription, accentuant une tendance amorcée depuis plusieurs années. À l’université Paris-Dauphine, qui bénéficie d’un statut dérogatoire de « grand établissement » – ce qui lui permet d’augmenter beaucoup plus librement ses droits d’inscription –, il faut s’acquitter de 520 euros en licence (trois fois plus que dans les universités classiques) et jusqu’à 5 900 euros en master, en fonction du revenu de la famille. Les instituts d'études politiques (IEP) de Lyon, Toulouse, Grenoble et Lille, un peu sur le modèle de Sciences-Po Paris, ont eux aussi accru leurs droits d’inscription, en les modulant là encore aux revenus des parents. À l’IEP de Toulouse, une année peut revenir à 3 800 euros, et jusqu’à 6 300 euros dans celui de Bordeaux. Même Sciences-Po Paris – où une année culmine déjà, pour les tranches les plus hautes, à 13 500 euros – a décidé d’encore augmenter ses tarifs, de 1,3 %, l’an prochain. Le mouvement a gagné les grandes écoles d’ingénieurs publiques avec neuf écoles d’ingénieur du groupe les Mines Télécom qui vont, elles, tout simplement doubler leurs tarifs.

Par petites touches, sans grand bruit, le mur de la gratuité dans l’enseignement supérieur public – en tout cas dans ses filières les plus élitistes et les plus sélectives (et les mieux dotées par l’État !) s’est peu à peu lézardé. Et ce n’est sans doute qu’un début.

Comme le sujet est politiquement très sensible, beaucoup préfèrent avancer masqués. Ce qu’illustre bien l’épisode qui s’est déroulé à l’association X-Sursaut, et que rapportait récemment Mediapart. Au cours d’une réunion à huis clos d’anciens polytechniciens, le directeur de Telecom Paris Tech, Yves Poilane, affichait ainsi son « ambition » de porter à terme les frais d’inscription des étudiants à 5 000 euros – soit plus de cinq fois le tarif actuel. Contacté, il avait expliqué que pour lui il s’agissait d’un maximum à ne pas dépasser puisqu’il atteindrait sinon le tarif des écoles privées. Dans un courrier adressé aux personnels des écoles, il a ensuite démenti avoir même tenu de tels propos qu’un « journal en ligne » aurait déformés. « Contrairement aux propos que l'on m'a prêtés, je ne me fixe aucun objectif, ni aucune ambition sur un montant annuel cible de droits et frais pour l’école et aucune nouvelle hausse n'est à l'ordre du jour pour l'avenir. » Des dénégations en totale contradiction avec les propos effectivement tenus ce soir-là. Prenant la suite d’intervenants qui défendaient des frais de scolarité calqués sur les universités américaines – soit plusieurs dizaines de milliers de dollars –, Yves Poilane répliquait qu’il fallait être « pragmatique » : « Je vais être un peu pragmatique ce soir mais cela me paraît irréaliste. En tout cas, ce qu’un gouvernement de droite n’a pas réussi à faire – ce que Valérie Pécresse n’a pas réussi à faire –, je ne vois pas comment sa successeur réussirait à le faire aujourd’hui. Donc je considère que si l’on arrive à 5000 euros de frais de scolarité pour les Français… Je me fixe une ambition à 5000 euros… Il n’y a pas de journalistes dans la salle ? » affirmait-il très précisément. 

Malgré le double discours manifestement imposé par le caractère explosif du sujet, certaines langues semblent commencent à se délier. Ainsi la conférence des grandes écoles, comme le révélait récemment un article de l’AEF, a émis ce constat lors de son audition devant le comité chargé d’élaborer la Stranes (Stratégie nationale pour l’enseignement supérieur) : « Le modèle de financement actuel des établissements publics d’enseignement supérieur va devoir tôt ou tard quitter le paradigme de la gratuité (ou plutôt de la modicité) si l’on veut les faire sortir de la spirale de paupérisation dans laquelle ils sont inscrits. » Dans cette contribution, la conférence des grandes écoles estime même « nécessaire de travailler dès à présent à mettre en place une contribution intelligente des diplômés au financement ex post de leurs études ». En clair, comme les étudiants de ces grandes écoles sont appelés à très bien gagner leur vie, ils peuvent donc aisément faire des prêts pour financer leurs études. Autant, par conséquent, organiser au mieux leur accès au crédit.

Dans un document qui a circulé à l’institut des Mines Télécom (à lire ici en intégralité), la direction affirme pour justifier la hausse de ses frais d’inscription que « les mécanismes de prêts bancaires à taux modéré pour étudiants existent, pour des montants allant jusqu’à 15 000€. Ils sont déjà utilisés par les étudiants. Les écoles et l’Institut en faciliteront l’usage, d’une part en renforçant l’information de proximité vers les étudiants qui en auraient besoin, et d’autre part en sensibilisant des banques partenaires ». Passer des partenariats avec des établissements bancaires, telle serait donc la solution.

Alors que les universités, historiquement sous-dotées par rapport aux grandes écoles, sont depuis le passage à l’autonomie totalement asphyxiées financièrement – une vingtaine sont en déficit –, on pourrait s’étonner que la gratuité soit précisément remise en cause dans ces établissements pourtant bien mieux lotis par l’État. Pourquoi vouloir d’abord augmenter les frais d’inscription dans ces grandes écoles, au risque d’élargir encore le fossé d’un enseignement supérieur public déjà à deux vitesses – grandes écoles d’un côté, universités de l’autre ? Parce que, reconnaît Laurent Daudet, en charge de l’enseignement supérieur au sein du think tank Terra nova, favorable à la fin du « tabou de la gratuité », « c’est socialement plus acceptable dans ces établissements, alors que cela reste tabou à l’université ». Un public socialement favorisé, moins remuant qu’à l’université, et surtout plus porté sur la comparaison internationale ou la quasi-gratuité française de l’enseignement supérieur public est effectivement une exception… Les grandes écoles sont un laboratoire idéal pour expérimenter la hausse des droits d’inscription.

Bien des présidents d’université, dont les établissements peinent chaque année à boucler leur budget, même s’ils ne le reconnaissent pas toujours publiquement, lorgnent de plus en plus eux aussi sur cette ressource. L’ancien président de Paris IV Jean-Robert Pitte est l’un des partisans les plus fervents de la hausse des frais pour les étudiants, une solution qui permettrait à la fois de renflouer les caisses des établissements et qui éviterait selon lui le « tourisme étudiant », comme il l’expliquait au cours de la même réunion à l’école Polytechnique.

Au ministère de l’enseignement supérieur, sous la pression de Bercy, plusieurs scénarios sont, selon nos informations, à l’étude. Celui qui a le plus le vent en poupe consisterait à préserver le niveau licence pour augmenter sensiblement les droits à partir du master (bac+3). « La quasi-gratuité en licence correspond bien aux objectifs de démocratisation de l’enseignement supérieur fixés par la ministre et par les objectifs européens de 50 % d’une classe d’âge en licence. C’est l’idée que la Nation investit sur sa jeunesse », détaille un conseiller. « Au niveau master, on peut parler d’un investissement individuel. Le différentiel de salaire entre un diplômé de licence et de master est tel que le prix du master, le jeune le récupère tout de suite sur le marché du travail », explique-t-il.

À côté d’un argumentaire classiquement libéral, reposant sur la logique de l’investissement individuel, s’est déployé depuis quelques années sous l’égide du think tank Terra nova, proche du parti socialiste, un argumentaire « de gauche » pour justifier la hausse des frais d’inscriptions dans l’enseignement supérieur.

La gratuité serait socialement injuste si l’on considère le public qui en bénéficie. Elle conduirait ainsi « à un transfert de ressources – le coût public des études – en direction des jeunes qui font les études les plus longues. Il s’agit massivement des jeunes issus des milieux les plus favorisés ». Cette quasi-gratuité n’aurait donc « aucune vertu redistributive et aggrave même les inégalités », explique Terra Nova.

Un triptyque d’acceptabilité s’est peu à peu constitué : modulation des frais d’inscriptions en fonction des revenus des familles et accès facilité à des prêts étudiants. Un bouleversement de perspective – pratiquement sans aucun débat public – qui fait bondir certains économistes. « Les études sont considérées comme exclusivement centrées sur les débouchés salariaux des étudiants : ceux-ci sont pensés comme des investisseurs dans leur propre "capital humain", capital qu’il conviendra de rentabiliser au mieux. Exit le rapport désintéressé au savoir et le droit à l’éducation. Exit les principes de solidarité et de collaboration : vive la concurrence ! » écrivait récemment dans Mediapart un collectif de jeunes chercheurs. Pour eux, « c’est bien la quasi-gratuité de notre système qui laisse ouverte la possibilité aux moins favorisés comme aux classes moyennes de conjurer leur destin scolaire et social. Les frais de scolarité importants jouent le double rôle de barrière à l’entrée des établissements et de fardeau à la sortie sous la forme d’une dette qui s’abat spécifiquement sur ceux dont les parents ne peuvent payer », affirment-ils.

Autre victime collatérale de ce changement de philosophie : les étudiants étrangers. Dans une perspective de l’utilisateur payeur, le principe d’appliquer des droits plus élevés pour les étudiants étrangers s’est peu à peu imposé. Comme leurs familles ne paient pas d’impôts en France, aucune raison qu’ils ne paient rien ou presque des études financées par la collectivité nationale. Dans les écoles des Mines Telecom, l’augmentation pour les étrangers non communautaires est allée jusqu'à 350 %. L’association de défense des étrangers, le Gisti, jugeant qu’une ligne jaune étaient franchie, et qu’il y avait là discrimination manifeste, a déposé un recours au Conseil d’État dont l’issue est très attendue par tous les établissements qui comptent bien faire de même. Depuis un décret de 2008, les universités peuvent appliquer des droits d’inscriptions plus élevés pour leurs étudiants étrangers à condition de justifier de prestations particulières. Beaucoup ne s’en privent pas.

L’arrivée de Benoît Hamon, ancien de l’Unef, à la tête de ce grand ministère regroupant l’éducation nationale et l’enseignement supérieur changera-t-il la donne ? Depuis deux ans, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, aujourd'hui secrétaire d'État, s’était engagée auprès des organisations étudiantes, l’Unef principalement, à ne pas ouvrir ce dossier « pour l’instant ». Dans le contexte budgétaire actuel, les pressions n’ont sans doute jamais été aussi fortes pour qu'il soit quand même ouvert.   

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Morts dans la nature


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