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Areva : la justice enquête sur le dossier UraMin

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Plus de trois ans après que l’affaire a émergé, la Cour des comptes vient de se rendre compte que l’opération UraMin, réalisée par Areva à l’été 2007, cachait peut-être un vrai scandale. Selon Le Monde, la Cour des comptes, qui menait une enquête approfondie sur Areva, a décidé de faire un signalement auprès du parquet national financier, le 20 février, dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale. Une enquête a été ouverte par la brigade financière. Elle vise la « présentation ou publication de comptes inexacts ou infidèles », la « diffusion d'informations fausses ou trompeuses », les « faux et usage de faux ».

Lors de ses investigations, la Cour des comptes se serait notamment interrogée sur les conditions d’achat d’UraMin et son prix exorbitant à l’été 2007. Elle se demande aussi pourquoi la direction d’Areva n’a inscrit la perte de cet achat que très tardivement dans ses comptes, début 2012, une fois qu’Anne Lauvergeon avait quitté la présidence du groupe. Elle est aujourd’hui conseillère sur l’innovation auprès du gouvernement et siège aux conseils d’Airbus, Rio Tinto, American Express, Vodafone. Elle a quitté fin février le conseil de surveillance de Libération.

2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) sont partis en fumée dans le rachat de cette société minière canadienne, censée avoir les droits d’exploitation sur  trois gisements d’uranium – un en Afrique du Sud, un en Namibie, un en Centrafrique –, qui se sont tous révélés inexploitables, soit en raison de la faible teneur en minerai, soit en raison de l’éloignement (Mediapart a publié une très longue enquête sur cette affaire. Les articles sont signalés en bas de page).

Cette société minière avait été rachetée en pleine spéculation sur les marchés des matières premières. Areva, cherchant alors à agrandir ses réserves d’uranium, avait jeté son dévolu sur cette société qui avait moins d’un an d’existence. Plus surprenant, rompant avec toutes les règles et les usages sur les marchés financiers, Areva avait fait connaître publiquement son intérêt pour cette société. Résultat ? Une spéculation effrénée s’était emparée du titre. En six mois, la valeur de la société était passée de 400 millions à 2,5 milliards de dollars. Les derniers jours avant la conclusion du rachat, le titre fit l’objet de négociations effrénées. Les volumes furent sans précédent : mille fois supérieurs à la normale. Le délit d’initiés paraît évident. Mais la bourse de Toronto, particulièrement laxiste sur ces sujets, n’a jamais ouvert d’enquête réelle.

Comment Anne Lauvergeon, ancienne associée gérante de Lazard, donc particulièrement avertie des pratiques et des fraudes boursières, n’a-t-elle pas vu des mouvements aussi suspects sur le marché ? Pourquoi a-t-elle tenu à réaliser à toute force cette opération, au point d’arracher l’autorisation de la mener auprès de Bruno Bezard, alors directeur de l’agence des participations de l’État en pleine élection présidentielle, en vacance du pouvoir ?

La suite sera tout aussi calamiteuse. Car ce rachat éclair a été réalisé sans expertise géologique sérieuse. Les gisements censés être mirifiques se révèlent sans qualité. Pendant trois ans, la direction d’Areva s’est évertuée à cacher sa faute. Près de deux milliards d’euros supplémentaires seront engagés par le groupe pour faire des expertises, de premières installations. Une usine de dessalement d’eau pour un coût de 250 millions d’euros sera même construite sur le site Trekkopje en Namibie. Elle n’a jamais fonctionné.

Au départ d’Anne Lauvergeon, son successeur Luc Oursel est passé aux aveux : la valeur des gisements d’UraMin est ramenée à zéro, soit une perte de 1,8 milliard d’euros pour le groupe. Les mines sont gelées et beaucoup doutent qu’elles soient jamais exploitées. La teneur trop faible en minerai et les coûts d’exploitation trop élevés ne permettent pas d’assurer une viabilité économique, même si le cours de l’uranium s’envole.

Cette affaire UraMin a profondément secoué Areva. La direction s’est déchirée, se soupçonnant d’espionnages réciproques, de malversations. Le rôle trouble de certains intermédiaires et de certains cadres du groupe a été mis en lumière. On découvrira aussi qu’une des administratrices indépendantes d’Areva, Guylaine Saucier, siégeait en même temps au conseil de la banque BMO, très proche de Paul Desmarais. Et cette banque justement conseillait les vendeurs d’UraMin. L’administratrice dira ne pas avoir été au courant de cette transaction. Attaquée sur ce dossier, Anne Lauvergeon a chaque fois crié au complot, sans jamais réellement s’expliquer.

Un rapport d’enquête parlementaire, rédigé sous la haute surveillance de Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a été rendu en mars 2012. Celui-ci pointait les carences d’Areva et de l’APE mais les dédouanait de toute faute. L'acquisition d'UraMin s'est révélée être « un pari industriel, non illégitime pour Areva, mais trop coûteux au regard de l'aléa qu'il comportait et de la capacité de l'entreprise à y faire face », concluait-il. « J’ai été blanchie », s’était félicitée alors l’ancienne présidente d’Areva.

L’affaire, cependant, continue d’intriguer. En août 2012, un journal sud-africain, Mail & Guardian, donnait une nouvelle version de l’histoire, au terme d’une longue enquête. Le journal y affirmait, à partir de nombreux témoignages, qu’Areva avait sciemment surpayé UraMin, en vue de s’acheter les faveurs de la présidence sud-africaine, qui souhaitait alors développer le nucléaire, pour y placer ses EPR. De nombreux « consultants », partenaires commerciaux, associés, dirigeants d'UraMin étaient des proches, à un titre ou à un autre, de Thabo Mbeki, président de l’Afrique du Sud à l'époque.

« Le deal était qu'Areva achète UraMin et gagne en retour l'appel d'offres. Areva payait trop cher UraMin – qui valait la moitié. Mais le groupe français allait décrocher des contrats pour des réacteurs et une usine d'enrichissement, pour une valeur dix fois supérieure », expliquait un « consultant d'UraMin » au quotidien sud-africain.

L’enquête de Mail & Guardian n’a donné lieu à aucun commentaire chez Areva. On s’est empressé de l’oublier.

Si les faits rapportés par le journal sud-africain sont un jour confirmés, l’affaire aura tourné au double fiasco pour Areva. Non seulement les mines étaient sans valeur, mais Areva a perdu aussi son pari sur Thabo Mbeki. À la suite de querelles internes à l’ANC, il a été renversé lors de la présidence en 2008. Deux mois plus tard, le gouvernement sud-africain annonçait qu’il renonçait à son ambitieux programme nucléaire. Entre-temps, les millions, eux, se sont envolés.

De temps à autre, le gouvernement sud-africain évoque à nouveau le projet de s’équiper de centrales nucléaires. Mais cela ne se traduit par rien de concret. L’Afrique du Sud reste, toutefois, un pays faisant l’objet d'une grande sollicitude de la part des anciens d’Areva. Serge Lafont, ancien directeur pour l’Afrique du Sud d’Areva, a récemment créé une société de conseil, 4 W Advest. Elle conseille beaucoup, semble-t-il, les milieux nucléaires sud-africains et serait très proche de l’ANC.

  • Retrouvez toutes nos enquêtes sur UraMin :

UraMin : l’autre dossier qu’Areva voudrait oublier

Areva : l’ardoise d’une gestion désastreuse

UraMin ou les deux milliards perdus d’Areva

Areva et le scandale UraMin : poker menteur à Toronto

Areva et le scandale UraMin : l’Etat fantôme

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