les_babouilles. Le fait de détenir les fichiers que Mediapart va supprimer est-il considéré comme une infraction ?
Michel Deléan. A ce jour, seule la diffusion par Mediapart et Le Point des enregistrements Bettencourt ou de retranscriptions de ces enregistrements est interdite par la cour d'appel de Versailles sous peine d'amendes considérables. Mais un grand flou subsiste dans cet arrêt quant aux articles publiés y faisant référence. La détention ou la possession des enregistrements, en revanche, n'est pas visée.
les_babouilles. Changer le nom des protagonistes peut-il être une solution ?
Mediapart. C'est une idée amusante mais nous n'écrivons pas des romans :-)
Emmanuel. Peut-on envisager que Mediapart refuse tout simplement de se plier à ce qui lui est demandé, et voie comment justice et gouvernement vont arriver à gérer auprès de l'opinion et des médias une intervention "musclée" (saisie, etc. ?), qui sera forcément très médiatisée et pour laquelle Mediapart recevra à coup sûr bon nombre de soutiens ? Quels seraient les risques à faire cela ?
François Bonnet. Nous avons pour règle d'appliquer les décisions de justice qui nous concernent. Il est hors de question de nous soustraire à la justice. En revanche, il ne nous est nullement interdit de les contester, ce que nous faisons vivement. Nous avons déjà annoncé que nous formons un pourvoi en cassation et nos avocats ont expliqué qu'ils utiliseront toutes les procédures possibles concernant l'application de cet arrêt de la cour de Versailles. Et si toutes les procédures françaises sont épuisées, nous irons devant la Cour européenne des droits de l'homme. Notre pourvoi en cassation n'étant pas suspensif, nous appliquerons lundi 22 juillet cet arrêt de la justice versaillaise.
WAESELYNCK Philippe. Quand allez-vous supprimer les articles et enregistrements de Liliane Bettencourt ? Quand avez-vous pris cette décision ?
François Bonnet. Nous n'avons pas pris la décision : l'arrêt s'impose à nous depuis que Patrice de Maistre en a demandé l'exécution en nous envoyant un huissier lundi à 12h15. Dès lors s'est enclenché un délai de huit jours que nous respecterons. A ce stade, vu le flou extravagant de cette décision judiciaire, nous ne savons pas précisément ce qu'il faut supprimer ! Les 4 premiers articles qui avaient suscité la procédure en urgence (avec cette décision qui survient trois ans plus tard...), la totalité des articles citant les enregistrements, les 2000 billets de blogs, les dizaines de milliers de commentaires ? Rien n'est dit dans l'arrêt versaillais des conditions d'application de cette décision, ce qui est tout bonnement ahurissant. Donc, nous réfléchissons...
@lUMPmatuer. Que pense Mediapart de l'initiative de nombreux Geeks à faire circuler et protéger les documents Bettencourt sur le net et des réseaux pirates comme Pirate Bay ?
Dan Israel. C'était le sens de l'appel que nous avons lancé : que chacun se saisisse de ces éléments pour se les approprier.
Visiteur. Il n'y a pas un utilisateur qui a déjà fait un package complet (genre zip) de tous les articles et enregistrements ? comme j'ai souvent des problèmes de connexions, ça m'arrangerait de les voir off-line...
Dan Israel. Pour tous ceux qui se posent des questions sur la disponibilité des fichiers et leur présence sur le net, les réponses sont ici: http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/050713/mobilisation-pour-mediapart-effet-streisand-et-datalove
Visiteur. Comment la justice peut-elle d'un côté condamner les lanceurs d'alerte et en même temps les interroger et tirer parti de leurs témoignages ? Quelle est la logique ?
Michel Deléan. La justice n'est pas une science exacte. Elle est faite d'individus qui appliquent des lois. En ce qui concerne les enregistrements Bettencourt, deux chambres de la Cour de cassation ont rendu des décisions contradictoires : la chambre criminelle a jugé qu'ils constituaient des preuves dans le dossier pénal. La chambre civile, pour sa part, a estimé que leur diffusion constituait une atteinte à l'intimité de la vie privée. Il faudra qu'une séance plénière de la Cour de cassation tranche la question, en rendant un arrêt de principe.
blb. Qui sont les magistrats de Versailles ?
Michel Deléan. Ce sont trois magistrats en poste à la cour d'appel de Versailles. La présidente de la chambre qui a rendu l'arrêt, Marie-Gabrielle Magueur épouse Riquin, 62 ans, est magistrate depuis 1974. Elle a effectué l’essentiel de sa carrière comme juge du siège, à Paris ou en région parisienne. Elle est présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles depuis février 2008.
Magistrate classique, elle-même mariée à un magistrat, elle n’a pas d’appartenance syndicale ou de sensibilité politique connue. Selon l’un de ces collègues, « c’est une très bonne juriste, mais elle vit un peu dans son monde. En fait, elle ne vit que pour la musique et la poésie. Elle n’a ni télé, ni ordinateur, et ne se sert pratiquement jamais de son téléphone portable ».
François. Je crois que les magistrats n'y sont pour rien. Il faut repréciser la loi de mon point de vue.
Visiteur. On interdit la chose pour Mediapart et le Point, mais pas pour tous en général... ça revient presque à fausser la concurrence.
Michel Deléan. Il est vrai que les autres médias ne sont pas visés.
Dalila. L'appel au soutien Le droit de savoir n'est pas relayé par les différents organes de presse entre autres ceux qui ont signé cet appel. Pourquoi ?
Michel Deléan. Frilosité ? Manque de place ?...
Mediapart. Liens vers l'appel dans Libération, lexpress.fr
dalila. Merci pour les deux liens. En fait, pourquoi n'ont ils pas permis à leurs lecteurs, sur leur propre site, de participer à la signature du soutien de cet appel ? Problèmes techniques peut-être ?
Mediapart. Nous hébergeons le formulaire de signatures, ainsi elles sont toutes ensemble et comptabilisées sans erreur.
Eric. Ce jugement absurde de Versailles sera cassé par la Cour de cassation, la vraie justice aura le dernier mot. Courage Mediapart !
Michel Deléan. Souhaitons-le pour le droit à l'information. L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme nous donne de l'espoir.
Francois Bonnet. Oui, certes, espérons-le, sinon nous saisirons la Cour européenne des droits de l'homme dont la jurisprudence est systématiquement favorable à l'élargissement du droit à l'information. Mais, en attendant, cet arrêt doit être appliqué et avant une probable cassation, la censure sera intervenue...
WAESELYNCK Philippe. En ce qui concerne une cassation, cela ne me paraît pas aussi sûr ! La Cour de cassation réfléchit un peu plus et à plus long terme que des juges prêts à prendre leur retraite !
Dan Israel. C'est la Cour de cassation qui a déjà cassé les deux premiers jugements favorables à Mediapart et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Versailles. Pas sûr qu'elle change de position.
les_babouilles. Je crée un blog et je mets tous les liens, je ne risque rien ?
Dan Israel. Si vous ne les publiez pas sur Mediapart, pour l'heure vous ne risquez rien. A moins que Patrice de Maistre ne se décide à poursuivre tous les internautes faisant état des enregistrements. Toutefois, attention, vos liens ne renverront sans doute bientôt plus sur grand-chose, puisque nous exécuterons la décision (même si nous ne savons pas encore exactement comment).
Marie-Claude Birmann. C'est vrai que quelqu'un l'a mis à l'abri sur un serveur ?
Michel Deléan. Ces enregistrements sont effectivement des preuves reconnues comme telles par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
paco. Donc cette condamnation ne pose pas de problème dans ce cas particulier puisque les juges ont les enregistrements. Le problème est qu'à l'avenir on peut imaginer que des journalistes vont s'autocensurer.
Dan Israel. Le problème est que la cour d'appel a jugé qu'il était illégal d'avoir diffusé et cité les enregistrements. Or, sans cette "publicité", notamment grâce à Mediapart, il est peu probable que la justice se serait saisie de l'affaire avec une telle ampleur.
François. En attendant, comment venir en aide à ce banquier incarcéré, Pierre Condamin-Gerbier ? même si la question prête à sourire.
Martine Orange. Une conférence de presse a eu lieu ce matin avec des parlementaires pour poser le problème de la protection des lanceurs d'alerte. De leur côté, Charles de Courson, président de la commission d'enquête sur Jérôme Cahuzac, Yann Galut, rapporteur du projet de loi sur la fraude fiscale, Eric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur le rôle des banques dans la fraude fiscale, qui ont tous auditionné M. Condamin-Gerbier, se sont inquiétés de son incarcération et ont saisi les autorités françaises.
C. Danielle. Pourrait-on avoir quelques précisions sur la conférence de presse de 11 heures : nombre de parlementaires, de journalistes, thèmes abordés, questions posées ... Merci.
François Bonnet. Nous ferons un compte-rendu complet, avec enregistrement audio. Mais il y a plusieurs surprises. D'abord la présence de parlementaires (députés et sénateurs) de la plupart des formations : PS, PCF, EELV, UDI, Debout la République (manquaient donc l'UMP et le FN). Parlementaires qui avaient eux-mêmes l'air surpris qu'une initiative commune de ce type puisse se tenir. Trois infos principales :
1. D'abord une inquiétude très grande sur la puissance des lobbies, de la haute fonction publique (Bercy), des banques pour empêcher tout progrès dans la lutte contre l'évasion fiscale
2. Un souci réel d'une corruption qui gangrène aujourd'hui tous les partis
3. Une lettre commune de ces parlementaires qui a été signée durant la conférence de presse et sera adressée au premier ministre pour lui demander ce que compte faire le gouvernement français auprès des autorités suisses après l'incarcération de Condamin-Gerbier.
lUMPmatuer. Y avait-il des journalistes de différentes rédactions à votre conférence de presse à part Deniau de France Inter ?
Francois Bonnet. Oui, il y avait des confrères suisses du Temps et de la radiotélévision publique, très mobilisés sur cette affaire. Un journaliste de France2 et de Reuters. Sans doute d'autres confrères mais il ne me semble pas avoir vu de collègues des journaux papier.
Visiteur. Culturellement c'est vraiment bien d'avoir pu introduire dans le discours de société ce terme de "lanceur d'alerte". Ca permet d'éviter la confusion avec d'autres choses, comme "délation", etc.
Maxime. Y a-t-il actuellement des dispositions légales qui permettent de protéger les lanceurs d'alerte (en France, mais aussi à l'étranger) ? Est-ce que ces questions sont actuellement sérieusement à l'étude dans les couloirs du pouvoir ou au contraire méticuleusement étouffées afin de ne pas heurter les lobbies ?
Dan Israel. Il existe actuellement une loi, toute récente, qui protège les lanceurs d'alerte en matière de santé et d'environnement. En revanche, pour le moment, rien qui protège les lanceurs d'alerte au sein des entreprises. Un amendement pour corriger cela a été voté à l'Assemblée lors de l'examen du projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale. Mais pour le moment, il n'a pas été adopté au Sénat. Un amendement a aussi été adopté dans le cadre de l'examen à l'Assemblée de la loi sur la transparence de la vie publique.
CROSSING_NEWS. Et que faites-vous des Commissaires aux comptes ou Comité d'Entreprise ??
Martine Orange. Les commissaires aux comptes ont effectivement le devoir de signaler tous les faits et pratiques qui leur semblent illégales ou discutables. Dans les faits, il faut que l'entreprise soit au bord du précipice, voire déjà tombée dedans, pour qu'ils commencent à se manifester. Les exemples contraires se comptent sur les doigts de la main.
CROSSING_NEWS. Oui c'est vrai pour les commissaires aux comptes généralement de peur d'être "mouillés" mais pour les C.E il y a quelques exemples qui vont dans ce sens.
Pierre. Il faudrait donner (aux lanceurs d'alerte) un statut à la manière de l'asile politique.
Martine Orange. Hervé Falciani, celui qui a donné les fichiers HSBC, a négocié un statut afin d'obtenir une protection spéciale en France avant son départ d'Espagne. Comme quoi, il est possible de donner des garanties même si la loi ne le prévoit pas – pas encore ? Il s'est bien gardé, lui, de retourner en Suisse.
CROSSING_NEWS. Je trouve « fort de café » que vous parliez de Pierre CONDAMIN-GERBIER comme d'un « lanceur d’alertes » et non pas comme un repenti qu’il est et qu’il se doit de prouver et que vous le compariez à Mediapart ; Un lanceur d’alertes est là pour prévenir d’un danger, éviter des victimes ou de nouvelles et n’est pas directement impliqué dans une malveillance ou activité mafieuse. Pour la presse : Danger d’une atteinte à la liberté, OUI. Danger au devoir d’alerte, OUI. Danger de voir disparaître un média comme MEDIAPART qui contribue largement à ce devoir d’alerte, OUI. Mais quel est le danger que PCG, président de l’UMP en Suisse en 2007, « quêteur » des exilés fiscaux français, ait pu être interviewé par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire avec déposition sur procès-verbal mardi 2 juillet ? Quel est le danger qu’il soit incarcéré en Suisse aujourd’hui ? Croyez-vous que les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire ne savent pas prendre une commission rogatoire auprès de la Suisse pour pouvoir encore l’interviewer si besoin ? Y a-t-il un commando prêt à intervenir pour le faire taire comme en Libye ? Pouvez-vous expliquer un peu plus ce mélange de genre qui là, à mon avis, n’aide vraiment pas Mediapart ? Merci.
Martine Orange. Vous avez raison, Condamin-Gerbier est un repenti. Néanmoins, s'il est en prison aujourd'hui en Suisse, c'est parce qu'il a parlé à la justice française et dénoncé des faits, donné des noms et aidé à retrouver des événements liés à de la fraude fiscale. C'est ce que lui reproche la justice suisse: avoir violé le secret bancaire.
Visiteur. «...c'est parce qu'il a parlé à la justice française et dénoncé des faits, donné des noms et aidé à retrouver des événements liés à de la fraude fiscale.» FAUX FAUX Sa chanson le 2 juillet devant les magistrats n'est pas celle que vous relatez.
Martine Orange. Vous avez des informations précises sur ses déclarations devant les juges?
Nicole Péruisset-Fache. Pierre Condamin-Gerbier paie au prix fort sa "repentance", il est otage de la Suisse "pour l'exemple", mais sa démarche peut inspirer d'autres financiers comme lui; qui sentent le vent tourner. Car le vent finit toujours par tourner.
CROSSING_NEWS. Les Etats-Unis, l'Allemagne et l'Autriche ont mis en place des systèmes pour les repentis. En France, la Loi Perben II du 9 mars 2004 qui je crois ne touche pour l'instant que les crimes ou délits relevant du terrorisme, de la criminalité organisée ou du trafic de stupéfiants devrait aussi toucher les délits financiers et être amendée.
Michel Deléan. Une réflexion en ce sens a effectivement été ébauchée par des policiers et des magistrats, mais pour l'instant beaucoup d'affaires politico-financières ne rentrent pas dans le cadre de la criminalité organisée.
Ulysse. Quelles ont été les raisons avancées par la France pour refuser l'asile politique à Snowden ?
Dan Israel. Nous avons donné les éléments dont nous disposons sur le refus d'asile pour Snowden dans cet article: Snowden en France : les arguties du pouvoir pour dire «non». Comme indiqué en titre, nous estimons qu'il s'agit d'arguties.
Francois Bonnet. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, a fait savoir qu'il ne souhaitait pas que la France accorde l'asile à Snowden. Etrange déclaration puisque ce n'est pas du ressort du ministre... En effet, la demande d'asile est une procédure strictement encadrée avec ensuite délibération de l'Ofpra. Le problème est que Snowden doit être sur le territoire français pour formuler cette demande. Il est aujourd'hui bloqué dans la zone de transit de l'aéroport de Cheremetievo à Moscou.
Jean-Michel Guiet. Concernant Snowden, l'Ofpra ne pourrait-il envoyer un émissaire sur place ?
popol. Comment se fait-il que la justice dans son ensemble et sur bien des affaires soit si conservatrice et si peu soucieuse des libertés et pas seulement en France ? Etre juge implique-t-il de se montrer hyper défenseur du système ?
Michel Deléan. La justice est un corps assez conservateur, c'est un fait. Les études de droit puis l'Ecole nationale de la magistrature "produisent" des magistrats qui sont souvent issus de la petite et moyenne bourgeoisie, et qui placent l'appplication de la loi au dessus de toute chose. Le maintien de l'ordre politique, économique et social est effectivement présent dans l'esprit des hiérarques. Mais tout le monde n'est pas carriériste ni aux ordres dans la magistrature, loin de là. Il s'agit d'hommes et de femmes avec des sensibiltés et des approches différentes.
Visiteur. L'affaire du licenciement de Michèle Viot, responsable du laboratoire hospitalier à Nice, qui dénonce une contamination bactérienne dans le circuit d'eau de l'Institut universitaire de la Face et du Cou (affaire détaillée par Mediapart) me semble significative.
Kilimandjaro3. Samuel Claude, dentiste qui a dénoncé le risque de contamination par des aérosols... a dû s'exiler au Québec. Il a été persécuté en France et son épouse en est décédée. Jean-Jacques Melet, médecin mort en 2005 par suicide. Il avait dénoncé les amalgames dentaires au mercure. Il a été pourchassé par l'ordre des médecins et victime d'un acharnement administratif et juridique. Il a fini dans la misère. Comme pour Samuel Claude, le temps lui donnera raison. Parler de ces personnages, qui ont parfois fini très amochés, serait d'intérêt public. Mediapart pourrait faire une série de portraits sur ces lanceurs d'alerte qui ont été broyés, mais dont le combat a ou aurait pu certainement sauver de nombreuses vies.
Christophe Gueugneau. C'est prévu :-) La série est en cours de préparation. Elle sera publiée dans le courant de l'été.
Nicole Péruisset-Fache. C'est le cas pour de nombreux "pionniers" de l'histoire des hommes malheureusement, (on ne les appelait pas encore "lanceurs d'alerte", le médecin autrichien/hongrois (Semmelweis) qui a découvert l'origine de la fièvre puerpérale qui décimait les femmes jusqu'à l'aube du XXe siècle en Europe. "Nul n'est prophète en son pays".
Michel de Pracontal. Je crois qu'il ne faut pas trop élargir le concept de lanceur d'alerte. Dans le cas de Semmelweis, il s'agissait d'une véritable découverte scientifique, introduisant de nouveaux concepts (infection, contagion). Il n'était pas évident de comprendre, à l'époque de Semmelweis, ce qu'il voulait dire. Le lanceur d'alerte attire l'attention sur un problème qui est en général compréhensible par ses contemporains, même si l'on cherche à l'étouffer.
CROSSING_NEWS. Et le majordome des Bettencourt, Pascal Bonnefoy, n'est-il pas considéré comme un lanceur d'alerte ? Quelles sont les conséquences pour lui de la plainte pour «atteinte à la vie privée» ??
Francois Bonnet. Bien sûr, Pascal Bonnefoy, majordome des Bettencourt, tout comme leur ex-comptable Claire Thiboult, doivent être considérés comme des lanceurs d'alerte. Sans eux, sans les enregistrements, pas d'affaires Bettencourt. Or, non seulement, ils n'ont bénéficié d'aucune protection mais on peut dire qu'ils sont tous deux passés sous le bulldozer policier et judiciaire conduit par le procureur de Nanterre de l'époque, Philippe Courroye, en lien avec l'Elysée. Les deux ont dû refaire leur vie dans des conditions difficiles.
Michel Deléan. On peut effectivement considérer Pascal Bonnefoy et Claire Thibout comme des lanceurs d'alerte. Les conséquences, pour cette dernière, ont été très difficiles sur le plan personnel.
CROSSING_NEWS. Pour Pascal Bonnefoy, il est devenu depuis directeur d'un hôtel en Bretagne, pas si mal; par contre pour Claire Thiboult, oui sa carrière est brisée mais elle a touché un gros chèque de la part des Bettencourt. Donc en fait il n'y a que Mediapart et Le Point qui sont cruellement touchés pour l'instant..!
Francois Bonnet. Ce que vous ne savez pas, au-delà des aspects matériels, c'est ce qu'ont subi ces deux personnes durant des mois. A ne souhaiter à personne.
dianne. Je pense aussi au sort de François Dufour qui casque pour les faucheurs d'OGM après la "victoire" de Monsanto malgré la reconnaissance du principe de précaution par la justice avant sa condamnation définitive.
DBP. Est ce que Mediapart considère le site Nosdeputes.fr comme lanceur d'alertes?
Francois Bonnet. Non, il ne me semble pas puisque ce site ne "révèle pas de l'intérieur" mais fait un travail de recherche et d'analyse à partir de données publiques. Il ne faut surtout pas confondre lanceur d'alerte et journaliste car une telle confusion empêche une protection spécifique et sérieuse de ces sources. Le lanceur d'alerte n'est pas soumis au droit de la presse, évidemment.
Anticor34. #TchatMediapart Quel rôle peut jouer le Défenseur des Droits vis-à-vis du lanceur d'alerte en cas de silence des autorités administratives ?
Dan Israel. Pas un rôle actif, me semble-t-il...
Michel Deléan. Tu y vas un peu fort...
Dan Israel. Je t'en prie, développe :-). Je voulais dire que le défenseur des droits peut difficilement protéger des lanceurs d'alerte lorsqu'ils souhaitent dévoiler quelque chose. Mais il peut sans doute aider à la création d'un vrai statut.
Arnolphe. Il y a beaucoup de lanceurs d'alerte dans tous les domaines et pas beaucoup de médias suffisamment libres pour reprendre ces alertes, et pourtant il le faudrait car notre démocratie vacille. Où en est Mediapart avec ses confrères de la presse par internet? Comment vous faire parvenir de nouvelles alertes? Quel degré de gravité prenez vous en compte?
Francois Bonnet. Pour nous faire parvenir de nouvelles alertes: vous nous écrivez (mail ou poste); ou vous postez des documents sur notre site totalement sécurisé – qui nous empêche même de vous identifier –, FrenchLeaks.
visiteur. Bientôt un papier sur Jean-Luc Touly ?
Dan Israel. J'ai justement vu longuement Jean-Luc Touly ce matin, pour inaugurer la série d'articles sur les lanceurs d'alerte, publiée au mois d'août.
Goulven. Allez-vous vous inspirer du mouvement anglais libelreform pour proposer des changements dans la loi (ou les procédures) sur la liberté d'expression (de la presse) ?
Francois Bonnet. Depuis 2009, et notre Appel de la Colline (texte et vidéos), nous demandons une vaste refonte du droit à l'information par une nouvelle grande loi sur la liberté de la presse à l'heure de la révolution numérique. La loi de 1881, un pilier de notre République, a été au fil de l'histoire recouverte de rustines, modifications, ajouts de textes complémentaires, amendements divers qui rendent aujourd'hui le droit à l'information d'une rare complexité. D'où l'utilité d'une refonte générale qui rendrait compréhensible au citoyen ce droit fondamental à l'information (et qui éviterait l'accumulation de décisions de justice contradictoires comme nous le voyons dans l'affaire Bettencourt).
Ulysse. Mediapart est-il bénéficiaire de subventions publiques au titre des aides à la presse ?
Francois Bonnet. Non, Mediapart a décidé depuis l'automne 2010 de refuser tout aide publique à la presse. Avec notre syndicat professionnel, le Spiil, nous ne cessons de dénoncer l'opacité de ce système d'aides – et la gabegie qu'il entraîne. La récente réforme de ce système, annoncée la semaine dernière par le gouvernement, ne fait que renforcer le statu quo en maintenant de très fortes discriminations entre les grands groupes et les médias indépendants, entre la presse papier et la presse numérique. Exemple: le première bénéficie d'un taux de TVA de 2,1%, la seconde est assujettie à un taux de 19,6%.
BOITE NOIREVous pouvez retrouver ici le tchat tel qu'il s'est déroulé. Nous en avons retranscrit et réordonné l'essentiel ici, pour une lecture facilitée, et ajouté quelques précisions.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?