Ils vont se voir ! Dès la semaine dernière, le monde bancaire s’est empressé de faire connaître la nouvelle : après avoir été tenus à l’écart de l’Élysée depuis l’élection présidentielle, les banquiers allaient enfin retrouver officiellement le chemin du palais présidentiel. Vendredi 19 juillet, François Hollande doit recevoir Jean-Paul Chifflet, président de la fédération bancaire française et directeur général du Crédit agricole.
Le calendrier de cette rencontre a soigneusement été établi. Le président de la République reçoit officiellement le représentant du monde bancaire, juste après l’adoption définitive de la réforme bancaire par l’Assemblée nationale ce mercredi 17 juillet. Le geste se veut à haute portée symbolique. Pendant toute l’élaboration de cette « réforme ambitieuse », selon les propos de Pierre Moscovici, le président de la République s’est tenu volontairement à distance du lobby bancaire, marquant ainsi sa volonté de ne pas être sous influence. Mais désormais le nouveau cadre bancaire est tracé. Plus rien n’empêche de renouer avec les banquiers et d’entretenir des relations normales avec un des secteurs importants de l’économie.
Cette mise en scène politique, cependant, ne trompe pas grand-monde. Même s’il n’y a pas eu de rencontres officielles, les rendez-vous discrets avec les conseillers de l’Élysée, les conversations quasi quotidiennes avec Bercy où les banques ont des relais permanents et attentifs, les réunions organisées avec des parlementaires à l’écoute, accueillant suggestions et propositions, ont largement permis de suppléer l’absence de rencontres officielles. Une fois que les craintes consécutives à un certain discours électoral du Bourget sur « l’ennemi » ont été dissipées, les messages sont rarement aussi bien passés entre la finance et l’exécutif. À bien des égards, c’est même l’entente cordiale.
Il est d’ailleurs des signes qui ne trompent pas : depuis un an, les banquiers sont totalement silencieux, ne revendiquent pratiquement plus rien publiquement, tant ils parviennent à se faire écouter dans la discrétion.
Toutes les mesures qu’ils redoutaient ont été ainsi une à une écartées. La plus lourde de conséquences est la réforme avortée du système bancaire français, préconisée par beaucoup pour protéger les contribuables des risques liés aux faillites bancaires et en finir avec le chantage permanent du monde bancaire sur l’ensemble de l’économie au nom du « too big to fail ».
Grâce à une intense action de lobbying, entamée dès l’été dernier, auprès d’une haute administration de Bercy convaincue par avance, les banquiers ont réussi à tuer dans l’œuf tous les projets de séparation bancaire, pourtant promise par François Hollande. Dès le 15 novembre, Pierre Moscovici, ministre des finances, annonçait à la communauté financière que le « modèle français de la banque universelle » serait préservé.
Une gaffe de Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, devant la commission des finances, a permis de mesurer l’ampleur de cette réforme censée « être un vrai marqueur » et inspirer l’ensemble de l’Europe : la séparation telle que prévue par le projet de loi et qui allait les obliger à cantonner leurs activités spéculatives concernerait entre 0,75 % et 1,5 % de leurs activités, avait reconnu le banquier. Leur bilan serait tout juste « échenillé » (voir banques : les députés découvrent une réforme minuscule).
L’aveu a déclenché une bronca chez les parlementaires. Même les élus les plus dévoués au gouvernement se voyaient dans l’incapacité de voter tel quel le projet de loi. Le gouvernement a dû faire des concessions à la marge. Il a introduit le principe du plafonnement des bonus des traders à une fois le salaire fixe, comme l’a préconisé la commission européenne. Sous la pression des sénateurs, il a accepté que les banques donnent des informations sur l’ensemble de leurs filiales, y compris celles basées dans les paradis fiscaux, en indiquant le chiffre d’affaires et les bénéfices réalisés ainsi que les effectifs.
Les députés ont même souhaité en deuxième lecture renforcer encore le dispositif en votant pour les transferts automatiques d’informations pour lutter contre la fraude fiscale, et en étendant les déclarations dans les paradis fiscaux à toutes les grandes entreprises. Mais pour « ne pas pénaliser les grandes entreprises, nuire à la compétitivité du système bancaire », cette mesure « ne sera applicable que lorsque la Commission européenne aura légiféré », a expliqué Pierre Moscovici, lors de la discussion, début juin.
Tout est donc remis à des temps lointains et forcément heureux. En attendant, le monde bancaire a obtenu ce qu’il voulait : l’architecture du système bancaire français reste inchangée. Aucune séparation n’aura lieu. L’opacité restera de mise. Changer aurait risqué de pénaliser une industrie bancaire et financière qui est un des succès économiques de la France et pourvoyeuse d’emplois, ont rappelé les banquiers, en félicitant le gouvernement d’avoir pris la mesure de ces enjeux.
Bercy a si bien compris qu’il a décidé aussi d’enterrer le projet de loi sur les transactions financières. Là encore au nom de l’emploi, du rayonnement de la Place de Paris, de la préservation du système bancaire, des assurances nécessaires pour les investisseurs, du financement de la dette, Pierre Moscovici a annoncé la semaine dernière que le texte de la commission européenne « en l’état » n’était pas applicable. En mai, le ministre des finances assurait encore devant l’Assemblée nationale son enthousiasme pour cet accord « historique », où la France entendait avoir un rôle moteur : « Nous voulons aller vite, nous voulons aller fort. C'est un objectif politique majeur soutenu par toute la majorité. Nous souhaitons une assiette large qui porte évidemment sur les devises, c'est la taxe Tobin, mais aussi certaines transactions sur les produits dérivés, parce que c'est là où se niche la spéculation », disait-il alors.
Que s’est-il passé entre-temps ? Bercy semble avoir découvert brusquement le texte. « On a des doutes sur la mesure telle qu’elle est écrite. Il faut des modifications pour la rendre applicable en tenant compte de la réalité », explique-t-on au ministère des finances. Sans attendre, Pierre Moscovici a promis une large concertation avec la profession pour « améliorer le texte ». La profession profitera sans doute de sa rencontre vendredi avec François Hollande pour avancer quelques idées.
Ce mercredi 17 juillet est marqué par une autre pierre blanche pour la profession bancaire : la mise en pièces du livret A – produit d’épargne honni par les banquiers –, et de tout le système de financement du logement social, avance à grands pas. Après avoir obtenu du gouvernement de Nicolas Sarkozy l’autorisation de distribuer le livret A – jusqu’alors réservé aux Caisses d’épargne, à La Banque postale et au Crédit mutuel –, les banques rêvaient de faire sauter le verrou qui les obligeait à reverser 65 % des sommes récoltées à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui les utilise pour financer le logement social, la politique de la ville et d’autres missions d’intérêt général. La pression des banquiers s’est faite encore plus forte alors que les ménages se sont massivement réfugiés vers l’épargne réglementée, surtout après le relèvement des plafonds. Fin mai, l’encours du livret A et du livret développement durable s’élevait à 363 milliards d’euros, en hausse de 21,8 % sur un an.
Tant d’argent ne pouvait échapper au monde bancaire ! Cette anomalie va être bientôt corrigée. La commission de surveillance de la Caisse des dépôts a examiné ce mercredi le projet de décret du gouvernement, qui devrait être adopté début août, visant à permettre aux banques de conserver une plus grande part de l’épargne réglementée. Jean-Pierre Jouyet, directeur général de la CDC, a indiqué, avant même la réunion, qu'il était très favorable au projet.
À l’avenir, celles-ci pourront conserver 50 % des sommes récoltées sur le livret d’épargne populaire au lieu de 30 % actuellement. Surtout, la Caisse des dépôts s’engagerait à l’avenir à reverser aux banques tous les excédents d’épargne récoltés sur le livret A et le livret développement durable, au-delà d’un ratio de 135 % de ses ressources par rapport à ses emplois (le ratio est aujourd’hui de 173 %). Par un simple décret, le gouvernement s’apprête ainsi à redonner au moins 25 milliards d’euros de l’épargne réglementée aux banques !
Les arguments avancés par les uns et les autres ne manquent pas pour justifier un tel cadeau. Dans l’entourage du ministre des finances, on fait d’abord valoir qu’il s’agit d’une bonne gestion des avoirs de la Caisse des dépôts et consignation. Les projets de logement sociaux, de politique de la ville, d’intérêt général ne sont pas suffisants, selon Bercy. La Caisse des dépôts se retrouve donc avec un excédent d’épargne de 110 milliards d’euros inutilisés. En reverser une partie aux banques permettra de rendre à l’économie plutôt que de stériliser cet argent inutilement, explique-t-on. Pourtant, à l’autre bout de la chaîne, les bailleurs sociaux et les associations ne cessent de s’inquiéter de l’austérité imposée sur le logement social et de la difficulté de faire sortir de nouveaux programmes.
De son côté, le gouverneur de la banque de France, Christian Noyer, a expliqué que cette reversion d’une partie de l’épargne réglementée n’est que justice pour corriger une concurrence déloyale, née du relèvement du livret A. « Les ressources clientèle des établissements de crédit se sont réduites de 11,1 milliards d'euros entre octobre 2012 et mars 2013. Au cours de la même période de l'année précédente, l'encours des dépôts bancaires des ménages avait augmenté de 29 milliards d'euros. La perte relative est donc, d'une année sur l'autre, de 40 milliards d'euros », a-t-il noté la semaine dernière avant de conclure qu’il était urgent de rééquilibrer cette situation.
La fédération bancaire française, quant à elle, a repris un de ses arguments favoris : le financement de l’économie. Les banques « ont besoin de conserver dans leur bilan une partie des fonds transférés aujourd'hui à la Caisse des dépôts afin d'assurer le financement de l'économie, notamment des PME », a-t-elle soutenu. Le ministère des finances s’est empressé de reprendre cette justification.
L’ennui, c'est que les chiffres ne viennent pas à l’appui de la démonstration. La distribution de crédit aux entreprises stagne depuis des mois, selon les statistiques de la banque de France. Plus grave : tandis que les banques mettent en avant leur rôle traditionnel de financement de l’économie, celui-ci ne représente qu’une maigre part de leur activité. En moyenne, les crédits aux ménages et les crédits aux entreprises représentent respectivement 13 % et 10 % des encours dans les bilans des banques françaises. C’est un des taux les plus bas d’Europe.
Cette nouvelle facilité accordée par le gouvernement aux banques de piocher dans l’épargne réglementée contient un aveu implicite : l’état des banques françaises est bien moins bon qu’il est dit. Malgré le programme de 1 000 milliards à taux zéro accordé par la Banque centrale européenne sur lequel les banques françaises ont largement tiré, malgré tous les accommodements fournis par la BCE, les banques françaises manquent toujours de liquidité. Elles n’ont pas nettoyé leur bilan et ne se sont pas recapitalisées suffisamment pour faire face à la situation. Ce que reconnaît implicitement Bercy : confondant allégrement dépôts et fonds propres, l’entourage du ministre des finances explique que cet accès supplémentaire à l’épargne du livret A permettra aux établissements bancaires de se conformer aux nouvelles normes prudentielles imposées dans le cadre de Bâle III.
La boucle est bouclée : le démantèlement du livret A vient en appui de la non-réforme bancaire. Au lieu de les obliger à une certaine transparence, à séparer vraiment leurs activités, le gouvernement préfère les encourager dans l’opacité et leur fournir des expédients pour les aider à faire bonne figure.
Une question supplémentaire s’impose avec cette utilisation de l’épargne réglementée par les banques. La commission européenne a adopté en juin le principe d’un modèle de résolution bancaire en cas de faillite d’un établissement. À l’avenir, a-t-il été décidé, c’est le processus mis en œuvre à Chypre qui s’imposera : les actionnaires, les porteurs d’obligation bancaire seront les premiers sollicités. Si cela ne suffit pas, les déposants seront à leur tout imposés comme à Chypre.
Mais dans ce cas, qu’advient-il de l’épargne du livret A utilisée par les banques ? Sera-t-elle aussi raflée dans la faillite ? Convient-il alors de toujours la considérer comme une épargne non risquée et à ce titre peu rémunérée ? Personne n’a envie de soulever cette épineuse question. De toute façon, tout cela n’est qu’hypothèse d’école. Les banques françaises, on le sait, sont exemplaires et sans risque, comme elles ne manqueront pas de le rappeler à l’Élysée.
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