Il va revenir. Mercredi, la commission d'enquête sur l'affaire Cahuzac a décidé d'entendre à nouveau l'ancien ministre du budget, déjà auditionné le 26 juin. D'abord parce que Jérôme Cahuzac a menti à plusieurs reprises au cours de cette audition (lire notre compte-rendu). Mais surtout parce que depuis, un fait nouveau a été révélé : une réunion au sommet s'est en effet tenue à l'Élysée le 16 janvier, pour informer Jérôme Cahuzac de l'ouverture d'une enquête administrative sur un éventuel compte en Suisse, alors même qu'une information judiciaire avait été ouverte huit jours plus tôt par le procureur de Paris.
L'audition de l'ancien ministre devrait avoir lieu la semaine prochaine. Les socialistes ont en revanche refusé que le premier ministre Jean-Marc Ayrault, présent à cette réunion « de quelques minutes » à laquelle ont aussi participé Hollande, Moscovici et Cahuzac, soit entendu par la commission d'enquête. De toute évidence, l'opposition souhaite faire monter la pression sur l'exécutif avant la trêve estivale. Mercredi, Charles de Courson, le président centriste de la commission, a ainsi affirmé détenir « les preuves » que François Hollande était « parfaitement informé » dès le 18 décembre de l'existence d'un compte suisse de Jérôme Cahuzac. Ce que l'Élysée dément farouchement.
En attendant, l'audition de Stéphane Fouks, ce mercredi 17 juillet, n'a guère permis d'apporter plus de réponses. Faute de questions de la part des députés, elle a été pliée en trois quarts d'heure. Et le président d'Havas Worldwide France (ex-Euro RSCG), communicant chouchou des grands patrons, « ami » de Jérôme Cahuzac, comme de Manuel Valls, mais aussi artisan successif des mises sur orbite ratées de Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, est reparti sans avoir vraiment été mis en difficulté. En niant, contre l'évidence, avoir activement participé à la vaste opération de communication, voire d'enfumage, déclenchée par l'ancien ministre du budget après les révélations de Mediapart.
Le 26 juin, devant les députés, Jérôme Cahuzac avait assuré que Fouks n'avait « joué aucun rôle dans (s)a communication ». Un mensonge, comme l'avait rappelé Mediapart le jour même. Le 3 décembre 2012, à 20h49, la veille de la parution du premier article de Mediapart, le communicant a bel et bien appelé Fabrice Arfi. Une longue conversation enregistrée, et retranscrite par arrêtsurimages, dans laquelle il tente en termes parfois fleuris (« tout ça est de la couille en barre ») de dissuader le journaliste de Mediapart de publier l'article.
Interrogé sur les déclarations de son « ami », qu'il dit avoir conseillé à titre gratuit (alors même que son agence de relations publiques était en contrat avec Bercy pour des missions de media training ou la rédaction de notes), Fouks précise : « Je n'ai joué aucun rôle institutionnel dans la communication de Jérôme Cahuzac. Mais nous avons eu des conversations. » Ils se sont même rencontrés « une demi-douzaine de fois » pour en discuter. Le patron d'Havas Worldwide minimise toutefois son rôle, jusqu'à se faire tout petit. « Ma fonction a été de dire à Cahuzac, puisqu'il m'avait dit être était innocent : défends-toi, va sur les plateaux dans les médias. » Ou encore : « Je ne me suis pas chargé de la défense de Cahuzac, je n'ai pas organisé ses interviews. »
Une déclaration hâtive : à en croire Les Yeux dans les Yeux, enquête récemment publiée par la journaliste Charlotte Chaffanjon, c'est bien Fouks qui a organisé l'entretien matinal avec Jean-Jacques Bourdin, le 8 février 2013 sur RMC, dans lequel Cahuzac dément à nouveau posséder un compte en Suisse. Dans les semaines qui suivent, Fouks, agent d'influence connu du Tout-Paris, a d'ailleurs continué à s'activer en coulisses, appelant tel ou tel journalistes, dénigrant Mediapart... Un « tapis de bombes » médiatique surpuissant qui dérangeait même jusqu'à certains collaborateurs du ministre Cahuzac. Fouks, qui dit avoir été mis au courant du mensonge juste avant les aveux de Cahuzac, le jure : « Je me suis trompé de bonne foi, et c'est très désagréable. » « Seriez-vous une victime vous aussi ? » ironise le président de la commission d'enquête, le centriste Charles de Courson.
Stéphane Fouks n'est guère plus disert quand les députés l'interrogent sur la "Une" du JDD du dimanche 10 février. « Les Suisses blanchissent Jérôme Cahuzac », proclame ce jour-là l'hebdomadaire. Selon l'article, qui n'en cite aucun extrait, une enquête administrative déclenchée par Bercy a prouvé que Jérôme Cahuzac n’a jamais détenu, directement ou indirectement, de compte suisse à l’UBS durant la période 2006-2012. À Matignon, cet article fait sursauter Ayrault, comme il l'a avoué à Charlotte Chaffanjon : « J'y vois immédiatement une opération de mise en scène par l'agence que l'on connaît bien, qui fait beaucoup de mal. C'est toujours la même, de toute façon. »
Idem à Bercy, où Pierre Moscovici jure ne pas avoir eu le document en main, ayant simplement pris connaissance du résultat de l'enquête suisse sur l'iPad d'un collaborateur. « Quand le JDD sort, je suis furieux, dit le ministre dans le livre de notre consœur. À partir du fait que Jérôme Cahuzac n'a pas eu de compte en suisse à l'UBS de 2006 à 1013, le journal déduit qu'il est blanchi, et dit donc circulez, y a rien à voir. Mais la lettre de l'administration fiscale suisse ne répond qu'à une question, elle ne répond pas à toutes les questions. Sans compter que je n'ai donné à personne ce document, que d'ailleurs je n'ai jamais eu en ma possession et je ne veux pas que l'on m'implique là-dedans. » Selon lui, l'article est « signé furax ». Autrement dit : Stéphane Fouks. Ce qui n'a d'ailleurs pas empêché le ministre, bien imprudemment d'ailleurs, de dédouaner son ministre délégué au micro de France Inter le lendemain de la parution de l'article.
En tout cas, Fouks l'assure : il y a méprise. Cet article, il n'y est pour rien. « Je ne procède pas par fuites dans les médias », explique doctement Fouks, pourtant expert incontesté en écrans de fumée, confidences téléguidées et autres peaux de banane. « Qui a pu donner sa publication au JDD ? » interroge Courson. « Je ne sais pas, j'ai découvert l'article dans le journal », assure Fouks. « Je n'ai jamais eu aucun contact avec le JDD dans cette affaire », dit-il encore. Il admet tout de même, d'un "oui" fugace, que l'opération a pu profiter à Cahuzac. Même si, dit-il, « le mensonge est une arme imbécile qui se retourne contre ceux qui l'utilisent ». Le gourou de la com se fait même philosophe. « Nous conseillons toujours à nos clients d'être dans la vérité. »
Au sortir de cette audition éclair, restent toutefois plusieurs zones d'ombre. Fouks assure ainsi n'avoir jamais parlé (« pas un mot ») pendant ses quatre mois de l'affaire avec son ami de trente ans, le ministre de l'intérieur Manuel Valls. « On n'a pas parlé de cette affaire parce qu'on ne pouvait pas en parler », a bizarrement expliqué Fouks. « Difficile à croire », a réagi l'UMP Philippe Houillon.
Le rôle de Marion Bougeard, ancienne d'Euro RSCG et redoutable conseillère en communication de Jérôme Cahuzac au ministère du budget, après s'être occupée des relations presse de l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt, n'a pas non plus été évoqué. Enfin, le nom du criminologue autoproclamé Alain Bauer, autre intime de Manuel Valls (lui, Valls et Fouks forment un trio inséparable), n'a pas davantage étécité. À en croire Le Monde, Bauer connaissait pourtant l'existence du compte suisse de Jérôme Cahuzac. Difficile, vraiment, de croire qu'au sein de ce tout petit monde, le sujet n'a jamais été évoqué.
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